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N° 4325

 

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le mercredi 7 juillet 2021.

 

RAPPORT  D’INFORMATION

déposé

en application de l’article 145-7 du Règlement

 

PAR LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE,

 

En conclusion des travaux d’une mission d’information ([1])

 

sur l’évaluation de l’impact de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « loi Sapin 2 »

et présenté par

MM. Raphaël GAUVAIN et Olivier MARLEIX,

Rapporteurs,

Députés

 

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La mission d’information sur l’évaluation de l’impact de la loi n° 20161691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « loi Sapin 2 » est composée de MM. Raphaël Gauvain et Olivier Marleix, rapporteurs.

 


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SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION GÉNÉRALE : ENJEUX ET CONTEXTE

I. l’adoption de la loi sapin 2 répondait à la nécessité de renforcer le modèle FRANÇAIS DE lutte contre la corruption

A. la France accusait un certain retard dans un contexte de renforcement des exigences internationales en matière de lutte contre la corruption

1. Les exigences croissantes issues des règles internationales et européennes en matière de lutte contre la corruption

2. Au regard de ces évolutions, les outils de prévention et de répression de la corruption dont était dotée la France apparaissaient trop peu efficaces

a. Des dispositifs peu contraignants et des infractions faiblement sanctionnées

b. Des évaluations médiocres

B. Cette situation exposait la France aux stratégies extraterritoriales d’autres pays et pesait sur l’efficacité de son action publique ainsi que sur l’attractivité de son économie

1. Les entreprises nationales étaient fragilisées par l’application extraterritoriale de certains droits étrangers

2. La corruption nuit à l’activité économique et affaiblit la légitimité et l’efficacité de l’action publique

II. la loi sapin 2 a permis à la France de se doter d’outils de lutte contre la corruption parmi les plus ambitieux

A. Un projet de loi, enrichi par le législateur, qui abordait la corruption sous différents angles

1. Le contenu de la loi

2. Une loi rapidement opérationnelle

B. Une loi de soutien à l’ensemble de la vie économique du pays

III. le contexte de la prÉsente mission d’Évaluation

Partie I : Le dispositif de prévenTion et de détection de la corruption et l’action de l’agence française anticorruption

I. le dispositif de prévention de la corruption issu de la loi SAPIN 2 constitue une avancéE majeure dans la lutte contre la corruption en france

A. La loi crée l’agence française anticorruption et instaure une obligation, pour les acteurs économiques comme pour les acteurs publics, de mettre en œuvre un dispositif de prévention et de détection de la corruption

1. La loi crée l’Agence française anticorruption, qui remplace le Service central de prévention de la corruption

a. Le contexte de la création de l’Agence française anticorruption

b. Le choix de créer un service à compétence nationale plutôt qu’une autorité administrative indépendante s’explique par la nature duale des missions confiées à l’AFA

c. L’organisation de l’agence

2. La loi crée une obligation générale de mettre en œuvre un dispositif de prévention et de détection des faits de corruption

a. Les mesures et procédures de prévention et de détection de la corruption

b. Les pouvoirs de contrôle et de sanction de l’agence

i. Les contrôles d’initiative

ii. Le contrôle de la mise en œuvre des programmes de conformité (le « monitoring »)

iii. Le contrôle de la mise en œuvre des injonctions prononcées par la commission des sanctions

B. La loi renforce l’arsenal rÉpressif en matière de lutte contre la corruption

1. L’extension de la peine complémentaire de publicité ou d’affichage de la condamnation

2. L’extension de l’infraction de trafic d’influence aux agents publics étrangers

3. L’assouplissement des conditions dans lesquelles certains faits de corruption et de trafic d’influence commis à l’étranger peuvent être poursuivis en France

4. L’extension des techniques spéciales d’enquête aux faits de détournement de fonds ou de biens publics

5. La convention judiciaire d’intérêt public

II. le bilan de la mise en œuvre du dispositif et de l’action de l’afa est satisfaisant malgré certaines insuffisances

A. les acteurs privÉs se sont bien approprié les obligations issues de la loi sapin 2, mais la diffusion du dispositif reste trÈs limitÉe dans le secteur public

1. Le référentiel anticorruption français constitue une avancée remarquable qui permet de hisser la France au niveau des meilleurs standards internationaux

a. La publication des premières recommandations de l’AFA, dès la fin 2017, a permis de hisser la France au niveau des meilleurs standards internationaux

b. La mise à jour des recommandations de l’AFA de janvier 2021

2. La diffusion du dispositif est satisfaisante auprès des acteurs économiques assujettis

a. Un dispositif dans l’ensemble bien connu, mais dont la diffusion parmi les acteurs non assujettis doit être améliorée

b. Le périmètre des entités auxquelles s’appliquent ces obligations, et les seuils devant être mis en œuvre

3. Dans le secteur public, la diffusion du dispositif est en revanche bien plus faible

a. La loi Sapin 2 soumet les acteurs publics à l’obligation générale de prévention et de détection de la corruption, mais ne prévoit pas de sanction aux éventuels manquements constatés

b. Les obligations issues de la loi Sapin 2 sont peu mises en œuvre au sein des administrations publiques et des collectivités territoriales

B. l’action de l’afa a ÉtÉ dÉterminante dans la diffusion du dispositif prÉvu par la loi, malgré un bilan peu satisfaisant en matiÈre de coordination administrative

1. L’Agence française anticorruption a rapidement été opérationnelle

2. Si des maladresses ont pu être commises lors des premiers contrôles, l’agence a par la suite fait évoluer ses méthodes et son organisation

a. Les difficultés rencontrées lors des premiers contrôles

i. La finalité des contrôles

ii. La durée des contrôles

iii. Le caractère exhaustif des contrôles

iv. La conduite de la phase contradictoire

v. La tonalité générale des rapports

b. La jurisprudence de la commission des sanctions a permis d’apporter des précisions utiles concernant le déroulement des contrôles

c. L’agence a pris conscience de ces difficultés et a fait évoluer ses méthodes de contrôle

i. L’amélioration de la gestion des ressources humaines de l’agence

ii. La diversification des contrôles et le développement des contrôles thématiques

iii. Les solutions apportées aux difficultés tenant à l’application du secret professionnel

iv. La formalisation des rapports

3. Les activités de conseil et d’accompagnement de l’AFA sont bien assurées

4. En revanche, l’AFA n’est pas parvenue à assurer correctement sa mission de coordination administrative

a. Le plan pluriannuel de lutte contre la corruption ne constitue pas un véritable instrument de programmation stratégique

b. La valeur ajoutée du conseil stratégique de l’agence est faible

c. L’AFA gagnerait à favoriser plus largement les travaux de recherche en matière de lutte contre la corruption

5. Les moyens de l’agence n’ont pas atteint les ambitions initiales

III. la rÉaffirmation de l’ambition française en matiÈre de lutte contre la corruption doit conduire À repenser l’organisation institutionnelle de cette politique

A. clarifier la rÉpartition ENTRE LES ACTIVITÉS de coordination administrative, qui relÈvent du gouvernement, et les activitÉs d’appui et de contrÔle, qui doivent être assurÉes par une autoritÉ administrative indÉpendante

1. Le statut hybride de l’Agence française anticorruption, souhaité par le législateur en 2016, l’a conduite à surinvestir sa mission de contrôle, au détriment de la programmation stratégique

2. Il est nécessaire d’assurer un portage politique plus fort et une meilleure coordination institutionnelle de la politique de lutte contre la corruption, et de renforcer l’indépendance de l’autorité chargée de l’appui et du conseil

B. prévoir un rÉfÉrentiel de conformitÉ adaptÉ aux acteurs publics, et en particulier aux collectivitÉs territoriales

C. renforcer l’application extraterritoriale du dispositif

PARTIE II : LA CONVENTION JUDICIAIRE D’INTÉRÊT PUBLIC

I. inspirÉe des dispositifs de transaction pÉnale utilisÉs dans les pays anglo-saxons, la convention judiciaire d’intérÊt public a rapidement trouvé sa place dans le systÈme juridique français

A. la CJIP a pour objectif de permettre un rÈglement plus efficace de dossiers complexes, notamment DANS LES CAS de corruption transnationale

1. L’introduction d’un dispositif transactionnel nouveau, inspiré des procédures britannique et américaine

a. La proposition de conclure une CJIP est laissée à l’appréciation du parquet

b. Les obligations prévues par la convention

c. La validation de la convention

d. La CJIP peut être proposée au stade de l’information judiciaire comme de l’enquête préliminaire

2. Un dispositif qui a légèrement évolué depuis son introduction

a. L’extension du champ du dispositif

b. Les autres évolutions

B. la cjip a rapidement prouvÉ son efficacitÉ

1. Douze CJIP déjà conclues, dont une majorité concernant des faits de corruption

2. L’affirmation de la souveraineté judiciaire de la France

3. L’intérêt de confier à l’AFA le contrôle du programme de mise en conformité

II. des améliorations devraient être apportÉes afin de renforcer l’attractivitÉ du dispositif

A. encourager la RÉvÉlation spontanÉe de faits de corruption

1. Permettre à l’entreprise d’avoir une meilleure visibilité sur les bénéfices tirés de l’auto-dénonciation

a. Donner à l’entreprise l’assurance qu’elle pourra bénéficier d’une CJIP si elle coopère pleinement

b. Prévoir un barème pour la détermination de l’amende

c. L’intérêt de pratiques communes entre les parquets

d. S’agissant des CJIP négociées en enquête préliminaire, mieux protéger les documents et informations transmis par la personne morale, et garantir l’accès au dossier

2. Faciliter l’engagement de la responsabilité des personnes morales

B. AmÉliorer le cadre applicable À la sanction des personnes physiques

C. favoriser le recours aux enquÊtes internes

Partie III : Le statut des lanceurs d’alerte

I. La loi Sapin 2 a crÉé un statut unifiÉ du lanceur d’alerte

A. Malgré l’existence de plusieurs dispositifs de protection des lanceurs d’alerte, la France accusait un retard en la matiÈre

1. Une réforme tardive en comparaison d’autres pays

a. Le droit d’alerte, un concept juridique né aux États-Unis au XIXe siècle

b. L’adoption d’un régime de protection des lanceurs d’alerte par le Royaume-Uni à la fin des années 1990

c. Une reconnaissance progressive du droit d’alerte en Europe

2. L’existence de nombreux statuts de protection

B. Une rÉforme ambitieuse

1. L’étude du Conseil d’État sur le droit d’alerte a largement inspiré le législateur

2. Le contenu du dispositif

a. Un dispositif global qui intègre la plupart des régimes existants

b. Des protections soumises à des critères stricts de recevabilité

i. Un niveau élevé de protection

ii. Des conditions strictes de recevabilité

c. Une hiérarchisation des canaux de signalement

II. LE STATUT DES LANCEURS D’ALERTE SEMBLE INSUFFISAMMENT PROTECTEUR ET pourrait ÊTRE consolidÉ À l’occasion de la transposition de la directive europÉenne du 23 octobre 2019

A. Des critÈres de recevabilité exigeants dissuadent certains lanceurs d’alerte

1. Les critères du désintéressement et de la bonne foi écartent de nombreux lanceurs d’alerte du bénéfice de la protection prévue par la loi

2. La hiérarchie des canaux de révélation expose le lanceur d’alerte aux représailles

B. LES PROCÉDURES DE RECUEIL ET DE TRAITEMENT DES ALERTES SONT INÉGALEMENT MISES EN PLACE, TANT DANS LE SECTEUR PRIVÉ QUE dans le secteur PUBLIC

1. Au sein des entreprises, un défaut d’impartialité dans le recueil des signalements et de communication avec le lanceur d’alerte

2. Dans le cas du secteur public, une mise en œuvre encore inachevée

a. Les administrations centrales se sont dotées de dispositifs internes de recueil des alertes

b. Le retard considérable des collectivités territoriales dans leur mise en conformité

C. La protection et l’accompagnement des lanceurs d’alerte par les autoritÉs publiques prÉsentent des lacunes

1. Le rôle du Défenseur des droits doit être renforcé

a. Formaliser la reconnaissance du statut de lanceur d’alerte

b. Accroître les moyens du Défenseur des droits pour accompagner les lanceurs d’alerte

2. Les risques encourus par les lanceurs d’alerte sont insuffisamment pris en considération d’un point de vue tant juridique que financier

a. La couverture du risque financier

b. La protection juridique contre toutes les formes de représailles

Partie IV : Le registre des reprÉsentants d’intérÊts

I. Le registre des rEprésentants d’intérÊts mis en place par la loi Sapin 2 place la France parmi les pays les plus avancÉs en la matiÈre

A. Un dispositif au service de la transparence de la dÉcision publique et de la dÉontologie des reprÉsentants d’intérÊts

1. La définition du représentant d’intérêts

2. Le champ des décisions et des décideurs publics concernés

3. Les obligations déclaratives et déontologiques des représentants d’intérêts

B. La mise en œuvre du dispositif par le dÉcret du 9 mai 2017

C. Des avancÉes complémentaires depuis

II. Des ajustements sont nÉcessaires pour amÉliorer la capacitÉ du rÉpertoire À restituer « l’empreinte normative » des rEprésentants d’intérÊts

A. Un bilan en progression mais des obligations difficiles à contrÔler

1. La hausse régulière du nombre et de la qualité des déclarations au registre

2. Des moyens juridiques et humains insuffisants pour contrôler efficacement le respect des obligations des représentants d’intérêts

B. Une dÉfinition imparfaite de l’activitÉ de reprÉsentants d’intérÊts

1. Une définition large couvrant presque l’ensemble des intérêts et des décisions publiques

2. Un seuil pour l’obligation d’inscription qui entraîne un contournement

C. une qualitÉ trop variable Des informations transmises pour rendre compte fidÈlement de « l’empreinte normative » des reprÉsentants d’intérÊts

1. Le critère de l’initiative et l’absence de responsabilisation des décideurs publics restreignent la portée du registre

a. Le critère de l’initiative exclut un grand nombre d’actions de l’obligation de déclaration

b. La nécessaire responsabilisation des décideurs publics

2. Les informations transmises sont souvent parcellaires

a. L’inégal niveau de précision des déclarations

b. La difficile exploitation des données collectées

D. Une nÉcessaire adaptation au niveau local

Travaux de la commission

LISTE DES RECOMMANDATIONS DE LA MISSION

liste des personnEs entendues

Contributions ÉCRITES REçues


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   INTRODUCTION GÉNÉRALE : ENJEUX ET CONTEXTE

Les organismes internationaux ont accordé, à partir de 1995, une attention soutenue à la lutte contre la corruption. Le président de la Banque mondiale, James Wolfensohn, avait donné le ton en 1996 en évoquant « le cancer de la corruption » ([2]). Un édifice normatif international en matière de lutte contre la corruption a été progressivement construit et son application par chaque État rigoureusement contrôlée, rehaussant progressivement les standards auxquels devait se conformer la France.

En retard dans la mise en œuvre de ses engagements internationaux, la France a fait l’objet de nombreuses critiques et a exposé ses entreprises aux stratégies extraterritoriales de ses concurrents. L’image que notre pays renvoyait, eu égard à la faiblesse de ses outils de lutte contre la corruption et au manque de volonté politique dont elle faisait preuve en la matière, pénalisait son attractivité économique mais aussi la confiance des citoyens dans l’action publique.

C’est en réaction à cette situation que la France a réformé en profondeur sa législation à l’occasion de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi « Sapin 2 », du nom du ministre de l’Économie et des finances qui l’avait portée, M. Michel Sapin ([3]).

Ce texte ambitieux a prévu la mise en œuvre de divers mécanismes internes de prévention de la corruption dans les entreprises et les administrations, contrôlés par une nouvelle structure, l’Agence française anticorruption (AFA), également chargée de la coordination administrative en la matière. Cette loi a aussi renforcé les outils de détection et de répression des faits de corruption, notamment au moyen des conventions judiciaires d’intérêt public (CJIP) et de la création d’un statut unique des lanceurs d’alerte, plus protecteur. Enfin, la loi Sapin 2 a amélioré la transparence des décisions publiques en créant un registre des représentants d’intérêts, confié à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).

Ce sont ces dispositions qui ont été évaluées en détail dans le cadre de la présente mission, qui intervient au moment où la politique anticorruption de la France cherche un second souffle.

I.   l’adoption de la loi sapin 2 répondait à la nécessité de renforcer le modèle FRANÇAIS DE lutte contre la corruption

A.   la France accusait un certain retard dans un contexte de renforcement des exigences internationales en matière de lutte contre la corruption

1.   Les exigences croissantes issues des règles internationales et européennes en matière de lutte contre la corruption

Négociée dans le cadre de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et entrée en vigueur en France le 29 septembre 2000, la Convention du 17 décembre 1997 sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales impose aux États d’incriminer la corruption active d’agent public étranger et de prévoir, à cet effet, des sanctions « efficaces, proportionnées et dissuasives ».

La Convention instaure un dispositif rigoureux de surveillance de sa mise en œuvre par les États parties. Ce suivi prend la forme d’une procédure d’évaluation par les pairs portant sur la transposition de la Convention, son application et sa mise en œuvre. Le pays évalué par le Groupe de travail de l’OCDE sur la corruption ne peut s’opposer à la publication du rapport. La mise en œuvre des recommandations issues de l’évaluation fait l’objet d’un examen dans le cadre d’un rapport de suivi. Face au défaut de mise en conformité d’un État, le Groupe de travail peut adopter différentes mesures supplémentaires, telles la publication d’une déclaration formelle ou la suspension de l’avancement vers la phase suivante.

La même année, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) révisent leurs statuts afin de conditionner leurs financements à la prise en compte du risque de corruption.

La Convention pénale sur la corruption du Conseil de l’Europe du 27 janvier 1999, entrée en vigueur en France le 1er août 2008, se différencie de celle de l’OCDE en ce qu’elle traite l’ensemble des formes de corruption passive et active, y compris dans le secteur privé. Le texte vise également le trafic d’influence, le blanchiment du produit des délits de la corruption et les infractions comptables liées à la corruption.

Le suivi de la mise en œuvre de ces mesures par les États membres est assuré par le Groupe d’États contre la corruption (GRECO) qui évalue régulièrement chaque État membre dans le cadre de cycles portant sur des thématiques précises ([4]). Les recommandations formulées à l’occasion de ces visites doivent être mises en œuvre dans les dix-huit mois qui suivent. Dans le cas contraire, le GRECO réexamine les recommandations concernées et peut adopter, en cas de défaillance globale, des mesures supplémentaires.

Au niveau des Nations unies, le cadre normatif international s’est enrichi d’une Convention contre la corruption le 31 octobre 2003, dite Convention de Mérida. Bien qu’une partie des dispositions n’emportent pas d’effet contraignant, la Convention présente l’intérêt majeur de traiter de façon exhaustive les différentes modalités de la lutte contre la corruption, portant notamment une attention particulière aux mesures préventives. Elle prévoit l’élaboration dans chaque État partie d’une stratégie nationale de lutte contre la corruption ainsi que la création d’un organisme chargé de la prévention de la corruption, jouissant de l’indépendance nécessaire et des ressources suffisantes pour exercer efficacement ses fonctions ([5]). S’agissant des mesures répressives, l’éventail des infractions couvertes par le terme de corruption a été élargi à l’ensemble des atteintes à la probité, y compris la soustraction de biens dans le secteur privé.

L’absence initiale de procédures de suivi des obligations prévues par la Convention a été corrigée, le 13 novembre 2009, à l’occasion de la troisième conférence des États parties, par l’adoption d’un dispositif d’évaluation par les pairs, toutefois moins contraignant que les procédures mises en œuvre par l’OCDE et le GRECO.

Si l’adoption d’instruments contraignants associés à des dispositifs de suivi régulier témoigne de la volonté d’une plus grande efficacité dans la lutte contre la corruption, les engagements internationaux ont aussi pris la forme de diverses déclarations politiques. Faisant suite aux engagements pris en ce sens lors des éditions de Paris en 2005 et d’Accra en 2008, le quatrième forum mondial sur l’efficacité de l’aide qui s’est tenu à Busan en 2011, réunissant 161 gouvernements, des organisations internationales et des membres de la société civile, a été l’occasion de réaffirmer que « la corruption est un fléau qui nuit considérablement au développement à travers le monde » ([6]). Dans le cadre du Partenariat de Busan pour une coopération au développement efficace, les États présents, dont la France, se sont engagés à intensifier leurs efforts de lutte contre la corruption, notamment en renforçant la transparence budgétaire et en protégeant les lanceurs d’alerte.

2.   Au regard de ces évolutions, les outils de prévention et de répression de la corruption dont était dotée la France apparaissaient trop peu efficaces

Partie aux différentes conventions de lutte contre la corruption, la France a cependant tardé à adapter son organisation institutionnelle et son arsenal répressif aux exigences de ses engagements internationaux. Elle présentait des normes peu contraignantes en matière de prévention de la corruption, associées à des condamnations peu nombreuses et des sanctions judiciaires modestes.

a.   Des dispositifs peu contraignants et des infractions faiblement sanctionnées

Concernant son organisation institutionnelle, comme le note le rapport « Renouer la confiance publique » de Jean-Louis Nadal, la France présentait un défaut de coordination de l’action des pouvoirs publics en matière de lutte contre la corruption ([7]).

Ce rôle de centralisation des informations nécessaires à la détection et à la prévention des faits de corruption avait pourtant été confié, dès la loi « Sapin 1 » de 1993 ([8]) au Service central de prévention de la corruption (SCPC), placé sous l’autorité du garde des Sceaux. Cependant, les censures du Conseil constitutionnel ([9]) ont, dès son origine, privé le service des prérogatives nécessaires à l’exercice de cette mission, notamment de son pouvoir d’investigation et de son droit d’obtenir communication de tout document et de convoquer toute personne dans un délai contraint.

La seconde mission attribuée au SCPC était d’agir en faveur de la prévention de la corruption. À cette fin, il pouvait être saisi pour avis par les différentes autorités politiques, administratives ou judiciaires sur les mesures susceptibles d’être prises à cet égard. Néanmoins, le service n’avait aucun pouvoir d’initiative et ses avis n’étaient pas rendus publics, ne servant donc pas de « précédents pédagogiques » ([10]). Au demeurant, le nombre de demandes d’avis adressées au SCPC diminuait au fil des années, preuve de l’insuffisante visibilité du service et d’un certain désintérêt des administrations à l’égard du sujet.

Aucune action spécifique à l’endroit des entreprises n’étant prévue par la loi, le SCPC avait tenté d’y remédier en menant quelques actions de sensibilisation. Le service avait notamment publié en mars 2015 des lignes directrices visant à lutter contre la corruption dans les transactions commerciales, mais elles étaient dénuées de toute valeur juridique contraignante.

Le SCPC disposait également de moyens humains insuffisants. Ses effectifs avaient ainsi atteint 4,75 équivalents temps plein (ETP) en 2012. À titre de comparaison, son homologue italien disposait alors de 350 agents. Le service reconnaissait lui-même qu’il n’était « plus adapté aux besoins actuels de la société française ni aux standards internationaux » ([11]) et avait abordé à plusieurs reprises depuis 2010 la question de sa réforme, en vue parvenir à un dispositif de prévention de la corruption effectif et contraignant.

Concernant la répression des faits de corruption, la France se distinguait par son manque de sévérité. En 2016, sur 297 condamnations prononcées pour des faits d’atteintes à la probité, 41 % concernaient des faits de corruption. Le taux de relaxe pour ces infractions était de 17 %, contre 5,6 % pour l’ensemble des contentieux ([12]).

Les sanctions restaient faibles en proportion des peines encourues. Sur 72 condamnations pour corruption en 2013, quatre seulement impliquaient une peine d’emprisonnement ferme dont le quantum moyen s’élevait à huit mois. La majorité des condamnations pour corruption (65 %) se traduisait par une simple peine d’amende s’établissant en moyenne à 7 943 euros ([13]). L’amende maximale encourue de 150 000 euros n’avait été prononcée que pour une seule affaire depuis son entrée en vigueur en 2003 ([14]).

L’absence de politique de répression dissuasive était encore plus manifeste s’agissant des infractions de corruption d’agents publics étrangers. Entre 2000 et 2014, seules 58 enquêtes avaient été ouvertes en la matière, donnant lieu à 31 relaxes, ordonnances de non-lieu ou classements sans suite et seulement sept condamnations de personnes physiques. Les peines et amendes prononcées étaient, de surcroît, réduites (peines de prison avec sursis ou amendes dont le montant ne dépassaient pas 20 000 euros), sans peine complémentaire ni mesures de confiscation des profits. La carence du système répressif français était encore accentuée par l’absence de condamnation de personnes morales pour des faits de corruption transnationale ([15]).

b.   Des évaluations médiocres

Ces insuffisances avaient été mises en lumière par plusieurs rapports émanant d’organisations internationales qui pointaient les manquements structurels de la France ainsi qu’un défaut d’engagement des pouvoirs publics.

Parmi les reproches principaux faits à la France, l’absence de poursuites et de condamnations était régulièrement visée. Tant le rapport anticorruption de la Commission européenne en 2014 que les rapports de l’OCDE en 2012 et 2014, du GRECO en 2009 et 2014 et de l’ONU au cours de son cycle d’études 2010-2015 avaient mis l’accent sur l’impérieuse nécessité d’accentuer la répression des faits de corruption, notamment en incriminant le trafic d’influence en direction d’un agent public étranger, et d’assouplir les conditions dans lesquelles les faits de corruption commis à l’étranger pouvaient être poursuivis en France ([16]).

Dans son rapport d’évaluation de 2012, le Groupe de travail contre la corruption de l’OCDE s’était montré particulièrement préoccupé par la faible réactivité des autorités dans des affaires impliquant des entreprises françaises pour des faits de corruption à l’étranger, constatant que les peines effectivement prononcées ne respectaient pas l’exigence de sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives. À l’issue du rapport de suivi de 2014, le Groupe de travail remarquait à nouveau que la mise en œuvre de l’infraction de corruption d’agents publics étrangers demeurait bien en deçà des attentes « au regard tant du poids économique de la France que de l’exposition de ses entreprises au risque de corruption transnationale » et décida de publier, le 16 octobre 2014, une déclaration formelle observant que la France persistait à ne pas mettre en œuvre convenablement la Convention et lui demandant de « poursuivre les réformes annoncées initialement et toujours nécessaires » ([17]).

Le GRECO avait également eu besoin de recourir à des mesures complémentaires face à l’absence de réaction de la France à l’égard des recommandations mentionnées dans son rapport de 2009 visant les incriminations et la transparence du financement des partis politiques ([18]). De 2013 à 2016, les autorités françaises avaient ainsi dû produire des rapports réguliers la mise en œuvre des recommandations.

L’apparente indifférence de la France dans le suivi des recommandations des instances internationales, couplée au constat objectif d’une insuffisante répression et prévention de la corruption, fragilisait tant la souveraineté et l’action publique de la France que la compétitivité de ses entreprises.

B.   Cette situation exposait la France aux stratégies extraterritoriales d’autres pays et pesait sur l’efficacité de son action publique ainsi que sur l’attractivité de son économie

1.   Les entreprises nationales étaient fragilisées par l’application extraterritoriale de certains droits étrangers

Lors de son audition par vos Rapporteurs, M. Michel Sapin, ancien ministre de l’Économie et des finances, a souligné qu’à cette période, aucune entreprise française n’avait été condamnée par la justice française pour des faits de corruption transnationale, alors même que certaines avaient été sanctionnées par des autorités judiciaires étrangères, notamment américaines.

Entre 2008 et 2016, les autorités américaines avaient, en effet, infligé des amendes très élevées à six entreprises françaises au titre de loi américaine sur la corruption dans les transactions internationales (Foreign Corrupt Practices Act – FCPA) : Flowserve Pompes en 2008, Pride Forasol en 2010, Technip et Alcatel-Lucent en 2010, Total en 2013 et Alstom en 2014. Le montant cumulé des amendes versées par les entreprises françaises aux autorités américaines atteignait environ 1,7 milliard de dollars.

Sous l’influence américaine, un nombre croissant d’États se sont dotés d’outils performants de prévention de la corruption à portée extraterritoriale. Par exemple, au Royaume-Uni, la mise en œuvre de dispositifs de prévention interne aux entreprises a été rendue obligatoire en 2011 ([19]) et tout manquement peut être sanctionné pénalement dès lors qu’une personne associée à l’entreprise s’est engagée dans un acte de corruption. Minant la souveraineté juridique de la France, l’application extraterritoriale de droits étrangers, notamment en matière de corruption, peut également être analysée comme un instrument de compétition économique, comme le souligne le rapport de votre Rapporteur, M. Raphaël Gauvain, sur la question ([20]).

En effet, l’interprétation large et mouvante que les autorités fédérales avaient faite de leur compétence extraterritoriale leur conférait une grande liberté d’action pour poursuivre des entreprises européennes pour des faits commis en dehors du territoire américain. Ainsi, sur les 26 entreprises sanctionnées au titre du FCPA à un montant d’amende supérieur à 100 millions de dollars entre 2008 et 2018, seules cinq étaient américaines et quatorze étaient européennes, suggérant l’existence d’une « instrumentalisation de l’appareil judiciaire américain aux fins de guerre économique et commerciale » ([21]).

Une déstabilisation majeure de grands acteurs économiques européens était à craindre de ces poursuites américaines, qui se caractérisaient par l’usage systématique de procédures transactionnelles échappant au contrôle du juge et aux règles des conventions d’entraide judiciaire, par la collecte d’un grand nombre de données et, surtout, par l’ampleur des sanctions.

La forte exposition des entreprises françaises aux poursuites d’autorités judiciaires étrangères face à l’inaction des autorités nationales s’était illustrée dans le cas emblématique de la société française Alstom qui a fait l’objet d’une commission d’enquête présidée par votre Rapporteur, M. Olivier Marleix, en 2018.

Corruption transnationale et répression : l’exemple d’Alstom

Par le biais de plusieurs dirigeants et salariés, Alstom, Alstom Prom, Alstom Power et Alstom Grid avaient versé des pots-de-vin à des représentants publics et falsifié des livres et registres pour des entités publiques à travers le monde, notamment en Indonésie, en Égypte, en Arabie Saoudite, aux Bahamas et à Taïwan. Au total, Alstom a déboursé plus de 75 millions de dollars pour s’assurer de la réalisation de projets valant 4 milliards de dollars dans le monde, avec un bénéfice pour la société de l’ordre de 300 millions de dollars.

En France, seules deux informations judiciaires pour corruption internationale avaient été ouvertes à l’encontre du groupe, en 2007 et 2009, concernant des faits survenus en Afrique australe, au Venezuela et en Indonésie. Les deux procédures ont abouti à des non-lieux, au motif de la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère pour l’un et de l’insuffisance des charges pour l’autre. Le Groupe de Travail de l’OCDE, dans son rapport d’évaluation de 2012, constate que « sans pouvoir aller au-delà de la formulation d’hypothèses, le fait que seules deux informations judiciaires aient été ouvertes à ce jour, laisse interrogateur sur le degré d’investissement des autorités de poursuite françaises en la matière ».

Pourtant, en décembre 2014, Alstom a conclu un accord de plaider coupable avec le département de la justice américain prenant en compte l’ensemble du système de corruption mis en place par le groupe entre 2000 et 2011. L’entreprise a dû s’acquitter d’une amende de 772 millions de dollars, soit le plus important montant versé au titre du FCPA après l’affaire Siemens.

Alstom a été fragilisée financièrement par les poursuites américaines qui entachaient sa réputation et la soumettait à un risque d’amende important, pouvant atteindre le milliard de dollars. La firme a d’ailleurs été obligée de demander aux autorités judiciaires de décaler le paiement de l’amende. Dans le contexte du rachat de la branche énergie d’Alstom par le groupe américain General Electric, les poursuites à l’encontre de l’entreprise française ont nourri des interrogations quant à une potentielle instrumentalisation de la procédure judiciaire pour servir les intérêts économiques américains, bien qu’aucun élément factuel ne permette de soutenir cette théorie.

Source : Rapport présenté par M. Olivier Marleix, président, et M. Guillaume Kasbarian, rapporteur, fait au nom de la commission d’enquête sur les décisions de l’État en matière de politique industrielle, notamment dans les cas d’Alstom, d’Alcatel et de STX, déposé le 19 avril 2018.

Consacrant la possibilité pour un État de se saisir de situations extraterritoriales, la Convention de l’OCDE de 1997 tenait toutefois compte du principe non bis in idem en disposant en son article 4 que « lorsque plusieurs parties ont compétence à l’égard d’une infraction présumée visée dans la présente convention, les parties concernées se concertent, à la demande de l’une d’entre elles, afin de décider quelle est celle qui est la mieux à même d’exercer les poursuites ». Or, les carences de la France dans l’exercice des poursuites et dans les condamnations la privaient de la possibilité de prendre une part active à ces concertations et ainsi de contrer d’éventuelles poursuites étrangères. Ces faiblesses en matière de lutte contre la corruption pouvaient même servir de justification à l’intervention d’autorités étrangères qui pouvaient utilement mettre en avant un « combat éthique » ([22]).

2.   La corruption nuit à l’activité économique et affaiblit la légitimité et l’efficacité de l’action publique

Bien que difficiles à quantifier, les coûts directs et indirects liés à la corruption dans l’Union européenne sont estimés entre 179 et 993 milliards d’euros par an, soit l’équivalent de 6,3 % du produit intérieur brut des vingt-huit États membres ([23]).

Ainsi, l’absence de lutte ou une lutte insuffisante contre la corruption tend à affecter négativement l’activité économique. Il a ainsi été calculé que si le niveau de perception de la corruption en France avoisinait les niveaux allemand et anglais, les gains pour le taux de croissance approcheraient 0,2 point par an ([24]).

D’abord, la corruption affaiblit les mécanismes du marché. À l’instar d’une taxe sur le producteur, la corruption constitue un coût supplémentaire pour les entreprises, dès lors elle réduit la rentabilité et donc le niveau global d’investissement. On observe ainsi que l’investissement privé et la croissance d’un pays sont corrélés très négativement avec son niveau de corruption, d’autant que celle-ci s’accompagne statistiquement d’autres dysfonctionnements institutionnels tels que l’inefficacité bureaucratique, l’inefficacité du système juridique et l’instabilité politique ([25]).

Ensuite, la corruption a un effet néfaste sur la concurrence. En favorisant des entreprises qui ne sont pas nécessairement les plus performantes, la corruption écarte les entreprises productives, dissuade l’entrée de nouveaux concurrents sur les marchés et conduit, par voie de conséquence, à une éviction des talents. Elle a ainsi un effet dépressif sur la productivité et l’innovation.

Enfin, la corruption dans la sphère publique porte préjudice à l’efficacité de l’action publique. Les choix de dépenses motivés par les fonds qui peuvent être extorqués contribuent à des sous-investissements dans les domaines assurant une croissance à long terme tels que la santé ou l’éducation. Les pertes de ressources fiscales du fait d’actes de corruption, pouvant prendre la forme d’exonérations fiscales indues, dégradent par ailleurs le volume des recettes publiques et font peser une charge supplémentaire sur les autres contribuables ([26]).

Compte tenu de son enjeu pour le développement économique et humain, la lutte contre la corruption constitue sur le plan international un critère essentiel d’attractivité et contribue à la réputation ainsi qu’à l’image du pays à l’étranger, qu’il soit victime de corruption ou auteur d’actes de corruption.

Le discrédit de la France en la matière s’illustrait par sa place au classement de référence de Transparency International, fondé sur l’indice de perception de la corruption. Avec un indice fluctuant entre 69 points et 71 points sur 100 entre 2012 et 2015, la France occupait la 23ème place du classement en 2015, loin derrière l’Allemagne et le Royaume-Uni, tous deux à la 11ème place.

Les enquêtes Eurobaromètre sur le niveau de corruption perçue et vécue par les entreprises mettaient également en exergue les faiblesses de la France par rapport aux autres puissances économiques européennes. En 2015, 56 % des entreprises classaient la corruption parmi les problèmes auxquels elles étaient confrontées dans l’exercice de leurs activités en France, contre 8 % des entreprises au Royaume-Uni, 28 % en Allemagne et 40 % pour la moyenne européenne ([27]).

Au-delà des avantages objectifs découlant de la réduction des atteintes à la probité, les politiques anticorruption visent également à agir sur la perception même de ce phénomène. En 2013 ([28]), 68 % des Français interrogés considéraient que la corruption était très répandue en France (moyenne UE : 76 %), bien que seuls 6 % des sondés se sentaient personnellement victimes de la corruption dans leur vie quotidienne (moyenne UE : 26 %). En outre, 58 % estimaient que l’octroi de pots-de-vin et les abus de fonction constituaient des pratiques répandues parmi les responsables politiques (moyenne UE : 56 %). Ces soupçons d’une corruption généralisée au sein des instances politiques érodaient dangereusement la confiance des citoyens envers les institutions et les représentants de l’État.

L’absence d’une politique efficace de lutte contre la corruption entachait ainsi l’attractivité économique de la France, mais également la confiance que les citoyens portaient à l’égard de l’action publique. Ces observations accroissaient l’urgence d’une action ambitieuse des pouvoirs publics afin de hisser le dispositif français de prévention et répression de la corruption aux niveaux des meilleurs standards internationaux.


II.   la loi sapin 2 a permis à la France de se doter d’outils de lutte contre la corruption parmi les plus ambitieux

A.   Un projet de loi, enrichi par le législateur, qui abordait la corruption sous différents angles

1.   Le contenu de la loi

Auditionné en ouverture de la mission, M. Michel Sapin, ancien ministre de l’Économie et des finances, a rappelé les motivations qui ont guidé le Gouvernement et le législateur dans l’élaboration de cette loi : il s’agissait de redonner sa crédibilité à la France, de renforcer sa souveraineté économique et de soutenir ses entreprises pour lesquelles la corruption est un frein à la compétitivité.

Pour cette raison, la loi Sapin 2 aborde la transparence et la lutte contre la corruption sous différents angles complémentaires : elle renforce les outils de prévention et de répression de la corruption. Les dispositions concernées peuvent être regroupées en quatre grands axes :

– les articles 1er à 5 créent l’Agence française anticorruption (AFA). Ce service à compétence nationale dirigé par un magistrat indépendant est chargé du contrôle des obligations prévues à l’article 17 qui imposent aux grandes entreprises et à leurs filiales, ainsi qu’aux administrations et aux collectivités, de mettre en œuvre des mesures internes de prévention et de détection de la corruption. Une commission des sanctions peut ensuite connaître des manquements à ces obligations, infliger des amendes et prononcer des injonctions ;

– les articles 19 à 24 renforcent la répression des faits de corruption. Afin de favoriser la coopération des entreprises ayant connaissance de faits de corruption et d’accélérer la résolution d’affaires complexes, l’article 22 crée la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP). Ce dispositif transactionnel permet à une personne morale de ne pas être condamnée en contrepartie de certaines obligations, telles que le règlement d’une amende importante et la conduite d’un programme de mise en conformité. Ces articles prévoient également l’extension de l’infraction de trafic d’influence, et le renforcement de la compétence extraterritoriale de la France en matière de corruption internationale ;

 les articles 6 à 16 instaurent un statut unique des lanceurs d’alerte. Ces dispositions ont été ajoutées par voie d’amendements par le législateur qui a pu s’inspirer d’une étude du Conseil d’État sur le sujet. Elles définissent la procédure de signalement, qui doit d’abord s’effectuer en interne auprès du supérieur hiérarchique ou d’un référent, puis en externe auprès d’une autorité publique avant d’être rendu public. Des exceptions à cette procédure sont prévues pour les faits les plus graves et les plus urgents. Sous réserve du respect de ces modalités, de sa bonne foi et de son désintéressement, le lanceur d’alerte peut prétendre aux protections prévues contre les différentes formes de représailles auxquelles il s’expose. Il peut être accompagné dans ses démarches par le Défenseur des droits ;

– les articles 25 à 33 concernent la transparence des rapports entre les décideurs publics et les représentants d’intérêts. Outre un renforcement des obligations déclaratives et des contrôles des situations de certains décideurs publics, le principal apport de ces articles consiste en la création d’un registre des représentants d’intérêts à l’échelle nationale. Ce répertoire public est géré par la HATVP qui contrôle les obligations déontologiques pesant sur les représentants d’intérêts. Sous peine de poursuites pénales, ces derniers doivent déclarer annuellement les actions qu’ils mènent pour influer sur les décisions prises par le Parlement, le Gouvernement, les administrations et certaines collectivités territoriales ([29]).

2.   Une loi rapidement opérationnelle

Ainsi que l’a rappelé M. Michel Sapin lors de son audition, la mise en application de ce texte a été rapide. Comme elle a été adoptée à la fin de l’année 2016, il ne restait que quelques mois au pouvoir réglementaire pour prendre les décrets d’application avant les élections présidentielles. Ceux-ci ont permis à la loi de rentrer pleinement en vigueur même si le pouvoir réglementaire a réduit la portée de certains dispositifs, en particulier en ce qui concerne le registre des représentants d’intérêts.

L’AFA a rapidement été opérationnelle, et a démarré l’ensemble de ses activités au cours de l’année qui a suivi sa création. De premiers contrôles ont été ouverts dès l’automne 2017, tandis que les recommandations de l’agence, qui ont depuis été mises à jour, ont été publiées au mois de décembre de cette même année.

Le dispositif de la CJIP a rapidement prouvé son efficacité. Il a également été utilisé très rapidement, y compris sur des affaires dont l’enquête était en cours au moment de l’adoption de la loi. Ce nouvel outil a permis le règlement concerté, avec des autorités de poursuites étrangères, d’affaires de corruption complexes concernant des entreprises françaises. Les douze conventions conclues ont conduit au versement de sommes importantes au Trésor public (plus de 3 milliards d’euros).

Le registre des représentants d’intérêts est également alimenté de plus en plus fréquemment. Au 1er mars 2021, 2 209 représentants d’intérêts s’y étaient inscrits, déclarant au total 29 678 actions.

De nombreuses données existent donc pour évaluer ces mesures de la loi Sapin 2 et justifient l’intérêt de mener la présente mission d’évaluation.

B.   Une loi de soutien à l’ensemble de la vie économique du pays

Outre les dispositions relatives à la transparence et à la lutte contre la corruption, le texte contenait également de nombreuses mesures relatives à la modernisation de la vie économique.

Elles peuvent être regroupées en cinq catégories.

Les articles 34 à 41 modifient les règles de la domanialité et de la commande publiques en procédant, d’une part, à la ratification des ordonnances n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics et n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession et, d’autre part, à une habilitation en vue de réformer le droit domanial et de créer un code de la commande publique.

Les articles 42 à 85 concernent la régulation financière et les droits des consommateurs en matière financière. Ils finalisent la transposition des textes européens « MAD-MAR » (market abuse directive et market abuse regulation) de 2014 portant sur les sanctions pénales et administratives applicables aux abus de marchés. L’arsenal répressif de l’AMF a été renforcé en matière d’entrave à ses contrôleurs, de calcul des amendes – qui pourront atteindre 15 % du chiffre d’affaires – et de sanction pour les manquements commis à l’occasion d’offres au public de titres financiers non cotés. Dans l’esprit de la CJIP, l’article 43 a étendu les possibilités de recourir à la transaction (dite « composition administrative ») pour l’ensemble des manquements.

Ces articles ont également élargi les missions du Haut Comité de stabilité financière (HCSF), l’autorité française chargée d’exercer la surveillance du système financier dans son ensemble. Au niveau macroprudentiel, il dispose désormais du pouvoir de limiter l’exercice de certaines opérations, de suspendre ou de restreindre la libre disposition de tout ou partie des actifs et de limiter temporairement la distribution de dividendes aux actionnaires.

Enfin, un volet spécifique est consacré à la protection des droits des consommateurs en matière financière, notamment en interdisant la publicité par voie électronique à destination des particuliers portant sur certains contrats financiers hautement spéculatifs et risqués.

Les articles 94 à 111 portent sur la situation financière des exploitations agricoles, en particulier les relations entre les agriculteurs et les distributeurs.

Les articles 113 à 147 visent à favoriser l’investissement et améliorer la situation financière des entreprises et leur parcours de croissance, en particulier dans les petites entreprises. Ils simplifient certaines formalités, notamment pour les entrepreneurs individuels, et créent des véhicules d’investissement mixte (capital et prêt) adaptés pour les PME.

Les articles 148 à 164 rassemblent des dispositions diverses. L’article 161 encadre la politique de rémunération des dirigeants des grandes entreprises cotées pour la rendre plus transparente. Elle doit désormais faire l’objet d’une résolution soumise chaque année à l’approbation des actionnaires.

Ces dispositions n’ont pas fait l’objet d’une évaluation approfondie principalement pour trois raisons : d’abord, vos Rapporteurs ont préféré effectuer une évaluation détaillée des dispositifs qui avaient motivé le dépôt du projet de loi et présentaient une cohérence d’ensemble au regard des objectifs assignés à cette loi ; ensuite, ils ont souhaité se concentrer sur les dispositions qui relevaient directement du champ de compétence de la commission des Lois, laissant à la commission des Finances ou des Affaires économiques le soin d’étudier les mesures qui les concernent et sur lesquelles elles avaient d’ailleurs rendu des avis ; enfin, la plupart de ces dispositions ont été modifiées depuis, ce qui a conduit les personnes auditionnées à ne les mentionner que très rarement.

III.   le contexte de la prÉsente mission d’Évaluation

Depuis la réforme du 23 juillet 2008, l’article 24 de la Constitution confie explicitement au Parlement le rôle de contrôler l’action du Gouvernement et d’évaluer les politiques publiques ([30]). Ce travail est exercé, au sein des commissions permanentes, par les missions d’information dont certaines ont pour objet l’évaluation d’une loi adoptée auparavant.

L’article 145-7 du règlement de l’Assemblée nationale définit deux modalités de contrôle des lois après leur adoption :

– la première concerne leur application : « À l’issue d’un délai de six mois suivant l’entrée en vigueur d’une loi dont la mise en œuvre nécessite la publication de textes de nature réglementaire, deux députés, dont l’un appartient à un groupe d’opposition et parmi lesquels figure de droit le député qui en a été le rapporteur, présentent à la commission compétente un rapport sur la mise en application de cette loi. Ce rapport fait état des textes réglementaires publiés et des circulaires édictées pour la mise en œuvre de ladite loi, ainsi que de ses dispositions qui n’auraient pas fait l’objet des textes d’application nécessaires. Dans ce cas, la commission entend ses rapporteurs à l’issue d’un nouveau délai de six mois » ;

– la seconde prévoit leur évaluation : « À l’issue d’un délai de trois ans suivant l’entrée en vigueur d’une loi, deux députés, dont l’un appartient à un groupe d’opposition, présentent à la commission compétente un rapport d’évaluation sur l’impact de cette loi. Ce rapport fait notamment état des conséquences juridiques, économiques, financières, sociales et environnementales de la loi, le cas échéant au regard des critères d’évaluation définis dans l’étude d’impact préalable, ainsi que des éventuelles difficultés rencontrées lors de la mise en œuvre de ladite loi ».

Le 16 décembre 2020, la commission des Lois de l’Assemblée nationale a ainsi confié à vos Rapporteurs la mission d’évaluer la loi n 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin 2. Ce délai de quatre ans donne au Parlement la distance nécessaire pour disposer d’éléments précis permettant de mesurer les effets de ce texte et de formuler des propositions d’amélioration.

En outre, cette mission s’est déroulée dans un contexte propice à l’évaluation de cette loi. La France fait actuellement l’objet d’une évaluation par l’OCDE de sa stratégie de lutte contre la corruption. Elle doit également procéder, avant la fin de l’année 2021, à la transposition de la directive européenne n° 2019/1937 du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union. La commission des Lois s’était d’ailleurs déjà intéressée à ce sujet à l’occasion de l’examen de la proposition de loi de M. Ugo Bernalicis visant à la protection effective des lanceuses et des lanceurs d’alerte (n° 2600).

Cette évaluation constitue donc une opportunité pour tirer les enseignements de cette loi, qui a permis à la France de rattraper son retard dans la prévention de la corruption et la protection de son économie contre les stratégies extraterritoriales de ses partenaires.

Il semble toutefois nécessaire de donner un nouveau souffle à cette politique publique. En effet, malgré les efforts consentis, les résultats de la France dans les évaluations et les classements internationaux restent décevants. En 2020, la France se situe au 23ème rang du classement de Transparency International sur le niveau de perception de la corruption, soit le même niveau qu’en 2015. En janvier 2020, à l’occasion de sa cinquième évaluation des dispositifs français de prévention de la corruption, le GRECO a formulé de nombreuses recommandations concernant les moyens du Parquet national financier, la probité des agents publics et la protection des lanceurs d’alerte.

C’est au regard de ces objectifs et de ces critiques persistantes que les dispositions de la loi Sapin 2 ont été évaluées. Les cent-soixante-neuf articles de la loi Sapin 2 n’ont pas tous fait l’objet d’une étude approfondie par la mission en raison de la diversité des sujets abordés, notamment ceux portant sur des secteurs économiques particuliers (régulation financière, agriculture, droit de la consommation). Effectué au nom de la commission des Lois, le travail mené par la mission s’est concentré sur les dispositions les plus juridiques qui relèvent pleinement de sa compétence. Vos Rapporteurs se sont ainsi concentrés sur quatre volets qui formaient le cœur de la loi et structureront la suite du présent rapport :

– la première partie sera consacrée à l’action de l’Agence française anticorruption ainsi qu’à l’obligation générale de prévention et de détection de la corruption prévue par le texte. Le référentiel anticorruption français constitue une avancée remarquable qui permet de hisser la France au niveau des meilleurs standards internationaux. Toutefois, la diffusion du dispositif auprès des acteurs publics est encore trop limitée, et le statut hybride de l’agence (qui prend la forme d’un service à compétence nationale doté de solides garanties d’indépendance) doit évoluer ;

 

– la deuxième partie sera consacrée à la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP). Indéniable succès, la CJIP a favorisé la résolution d’affaires complexes. Elle a également permis l’affirmation du Parquet national financier sur la scène internationale, et, plus largement, la reconnaissance de l’efficacité du dispositif français de lutte contre la corruption, permettant à la France de recouvrer une partie de sa souveraineté judiciaire. Le dispositif gagnerait toutefois à être amélioré sur plusieurs points, afin d’en renforcer l’attractivité et de favoriser la révélation spontanée par les personnes morales de faits de corruption ;

– une troisième partie sera consacrée au statut des lanceurs d’alerte qui a été unifié afin de garantir des protections élevées et équivalentes à l’ensemble des personnes signalant de bonne foi des infractions. La mise en place d’obligation de recueil des alertes, de canaux de signalement gradués et de dispositifs d’accompagnement par les autorités publiques a placé le droit d’alerte français parmi les plus protecteurs. Au moment où la France doit transposer la directive européenne de 2019 sur les lanceurs d’alerte, des difficultés persistent à la fois dans la qualité du traitement des alertes et dans la protection des lanceurs d’alerte contre les représailles ;

– la quatrième et dernière partie concernera le registre des représentants d’intérêts. La mise en œuvre progressive de ce registre montre la nécessité d’un tel dispositif pour améliorer la confiance dans la vie publique. Les déclarations augmentent régulièrement grâce au travail de relance de la HATVP. La restriction de la portée de ce dispositif par son décret d’application entrave toutefois la capacité de contrôle des obligations des représentants d’intérêts et limite la possibilité d’exploiter les données transmises qui restent de qualité inégale.

 

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   Partie I : Le dispositif de prévenTion et de détection de la corruption et l’action de l’agence française anticorruption

Afin de répondre à la faiblesse du dispositif français de lutte contre la corruption, la loi Sapin 2 crée l’Agence française anticorruption (AFA), en lieu et place de l’ancien Service central de prévention de la corruption (SCPC), agence à laquelle elle confère des pouvoirs plus étendus.

Elle instaure une obligation générale de prévention et de détection de la corruption, à travers la mise en œuvre d’un dispositif spécifique, obligation qui s’adresse aux acteurs économiques comme aux acteurs publics.

Elle renforce par ailleurs l’arsenal répressif en matière de lutte contre la corruption, à travers l’extension de certaines infractions, et surtout par l’assouplissement des conditions dans lesquelles certains faits de corruption et de trafic d’influence commis à l’étranger peuvent être poursuivis en France.

L’AFA a rapidement été opérationnelle : dès 2017, elle a lancé ses premiers contrôles et a élaboré des recommandations. Ce volontarisme a permis d’installer et de crédibiliser le dispositif issu de la loi Sapin 2, du point de vue des entreprises comme de nos partenaires étrangers.

La mise en œuvre d’un référentiel anticorruption ambitieux, dont le respect est effectivement contrôlé par l’agence, a favorisé sa diffusion auprès des acteurs économiques, qui paraissent désormais correctement sensibilisés à la problématique de la prévention de la corruption.

Les premiers contrôles ouverts par l’agence ont été marqués par des difficultés opérationnelles ainsi que par certaines maladresses, qui ont nui à l’établissement d’une relation de confiance avec les acteurs économiques, mais l’agence a rapidement pris conscience de ces difficultés, et des améliorations ont été apportées.

Vos Rapporteurs ont néanmoins relevé trois insuffisances.

Premièrement, la loi Sapin 2 ne prévoyait pas de dispositif spécifique à destination des acteurs publics. L’agence a tenté d’adapter les règles destinées aux acteurs économiques, mais sans grand succès, et la diffusion des dispositifs de lutte contre la corruption reste faible dans le secteur public.

Deuxièmement, et plus profondément, la nature institutionnelle hybride de l’Agence française anticorruption, qui constitue un service à compétence nationale bénéficiant d’importantes garanties d’indépendance, doit évoluer. Vos Rapporteurs proposent de séparer les missions qui doivent être conduites par le Gouvernement, d’une part, et celles qui sont naturellement du ressort d’une entité indépendante, d’autre part. Ils suggèrent pour cela de recentrer l’AFA sur son rôle de coordination administrative et d’appui à la programmation stratégique, et de transférer à la HATVP les fonctions de conseil et de contrôle actuellement remplies par l’agence, afin de créer une grande autorité administrative indépendante compétente en matière de probité.

Troisièmement, la portée extraterritoriale de la loi Sapin 2 paraît limitée, et gagnerait à être renforcée.

I.   le dispositif de prévention de la corruption issu de la loi SAPIN 2 constitue une avancéE majeure dans la lutte contre la corruption en france

La loi a créé l’Agence française anticorruption, qui remplace le Service central de prévention de la corruption. L’agence présente une nature hybride, qui se reflète tant dans la nature de ses missions que dans son organisation. Elle se voit confier la mission de participer à la coordination administrative, d’une part, et de conseiller et de contrôler les acteurs, économiques comme publics, dans la mise en œuvre du dispositif de prévention et de détection de la corruption prévu par la loi, d’autre part. L’agence est dotée d’un conseil stratégique et d’une commission des sanctions, qui peut notamment prononcer des amendes pécuniaires et des injonctions en cas de manquement constaté.

Par ailleurs, la loi renforce l’arsenal répressif en matière de prévention de la corruption, à travers cinq mesures principales : l’extension de la peine complémentaire de publicité ou d’affichage de la condamnation, l’extension de l’infraction de trafic d’influence aux agents publics étrangers, l’assouplissement des conditions dans lesquelles certains faits de corruption et de trafic d’influence commis à l’étranger peuvent être poursuivis en France, l’extension des techniques spéciales d’enquête aux faits de détournement de fonds ou de biens publics, et la création de la convention judiciaire d’intérêt public ([31]).

A.   La loi crée l’agence française anticorruption et instaure une obligation, pour les acteurs économiques comme pour les acteurs publics, de mettre en œuvre un dispositif de prévention et de détection de la corruption

1.   La loi crée l’Agence française anticorruption, qui remplace le Service central de prévention de la corruption 

a.   Le contexte de la création de l’Agence française anticorruption

La création de l’Agence française anticorruption répond aux faiblesses du dispositif français de prévention et de détection de la corruption.

Ce dispositif reposait sur la Mission interministérielle d’enquête sur les marchés (MIEM) et le Service central de prévention de la corruption (SCPC), créés au début des années 1990. La MIEM ([32]) était chargée d’enquêter sur les conditions de préparation, de passation et d’exécution des marchés publics, tandis que le SCPC ([33]) avait pour mission de centraliser les informations nécessaires à la prévention et à la détection de la corruption.

Ces structures disposaient toutefois de moyens limités et n’étaient jamais parvenus à atteindre leurs objectifs ([34]). Concernant la MIEM, l’absence de pouvoir d’auto-saisine s’était traduite dans les faits par une « activité extrêmement réduite », allant jusqu’à son « extinction de fait par le non-renouvellement de ses effectifs » et à sa suppression en 2012 ([35]). Le SCPC, quant à lui, bénéficiait de moyens d’action limités : la décision du Conseil constitutionnel rendue sur la loi « Sapin » de 1993 l’avait privé des pouvoirs d’investigation nécessaires à l’exercice effectif de ses missions ([36]), et le service reposait sur des moyens humains limités ([37]).

Par ailleurs, dans un contexte de renforcement des exigences en matière de lutte contre la corruption, cette situation n’était pas satisfaisante au regard des engagements internationaux de la France. La Convention des Nations unies contre la corruption stipule ainsi que chaque État partie « élabore et applique ou poursuit […] des politiques de prévention de la corruption efficaces et coordonnées » et « fait en sorte […] qu’existent un ou plusieurs organes, selon qu’il convient, chargés de prévenir la corruption » ([38]). Parmi les moyens évoqués, la convention mentionnait notamment la mise en place et la promotion de pratiques efficaces visant à prévenir la corruption, l’évaluation périodique des instruments juridiques et des mesures administratives mises en œuvre, la collaboration des États membres entre eux et avec les organisations régionales et internationales compétentes, ainsi que l’accroissement et la diffusion des connaissances concernant la prévention de la corruption. La Commission européenne et l’OCDE avaient également exprimé des attentes fortes à l’égard de la France ([39]).

L’étude d’impact relevait ainsi que, dans ce contexte, la France ne disposait pas de « service spécifique en mesure de prévenir et d’aider à la détection des faits de corruption commis par des opérateurs économiques et susceptibles de survenir à l’occasion de transactions commerciales ».

b.   Le choix de créer un service à compétence nationale plutôt qu’une autorité administrative indépendante s’explique par la nature duale des missions confiées à l’AFA

La loi Sapin 2 met fin à l’existence du SCPC, et crée l’Agence française anticorruption (AFA). Les articles 1er à 5 de la loi, précisés par le décret et l’arrêté du 14 mars 2017 ([40]), définissent les missions, l’organisation, les compétences et les attributions de cette nouvelle agence.

L’AFA est un service à compétence nationale, placé auprès du ministre de la Justice et du ministre chargé du budget, dont la mission est « d’aider les autorités compétentes et les personnes qui y sont confrontées à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme » ([41]), c’est-à-dire les manquements au devoir de probité mentionnés aux articles 432-10 et suivants du code pénal.

Ses principales missions recouvrent ([42]) :

– la participation à la coordination administrative et la diffusion des informations permettant d’aider à prévenir et à détecter les faits de corruption et d’atteinte à la probité. Dans ce cadre, elle apporte son appui à toute personne physique ou morale, publique ou privée qui la sollicite : l’agence remplit ainsi une mission de conseil ;

– l’élaboration de recommandations destinées à aider les personnes morales de droit public comme de droit privé à prévenir et détecter ces faits ;

– le contrôle des mesures mises en place par les acteurs publics et privés à cette fin ainsi que des programmes de mise en conformité ;

– le contrôle du respect de la « loi de blocage » dans le cadre de l’exécution des décisions d’autorités étrangères ;

– l’information du procureur de la République compétent des faits dont elle a eu connaissance dans l’exercice de ses missions et qui sont susceptibles de constituer un crime ou un délit. En effet, l’AFA n’intervient qu’à titre préventif : si elle peut détecter les infractions de manière incidente, elle n’est pas une autorité judiciaire, et n’a donc pas pour mission de rechercher et de constater les infractions pénales, et de poursuivre leurs auteurs.

L’agence est dirigée par un magistrat hors hiérarchie de l’ordre judiciaire, nommé par décret du Président de la République, et dont l’indépendance est assurée par un statut protecteur ([43]) :

– son mandat, d’une durée de six ans, n’est pas renouvelable ;

– il ne peut être mis fin à ses fonctions que sur sa demande ou en cas d’empêchement ou de manquement grave ; 

– il ne reçoit ni ne sollicite d’instruction d’aucune autorité administrative ou gouvernementale dans l’exercice de ses missions de contrôle (qu’il s’agisse du contrôle des mesures et procédures de prévention et de détection de la corruption, ou du contrôle des programmes de mise en conformité, prévus par les articles 17 et 18 de la loi Sapin 2, et détaillées infra).

S’agissant enfin de la dénomination du service, le Gouvernement envisageait initialement de créer une « Agence nationale de prévention et de détection de la corruption ». Le Conseil d’État ayant relevé que cette dénomination pourrait être précisée par décret, le projet de loi ne prévoyait finalement que la création d’un « service chargé de la prévention et de l’aide à la détection de la corruption » ([44]). À l’initiative de M. Sébastien Denaja, rapporteur de la commission des Lois à l’Assemblée nationale, la nouvelle entité a finalement été nommée « Agence française anticorruption » ([45]).

L’agence présente une nature hybride, qui se reflète tant dans la nature de ses missions que dans son organisation. Certaines missions – tenant notamment au contrôle des mesures mises en œuvre par les acteurs publics et privés pour prévenir et détecter la corruption et des programmes de mise en conformité – se rapprochent de celles communément exercées par des autorités administratives indépendantes, tandis que d’autres – en matière de coordination administrative notamment – sont directement rattachables à celles d’un service administratif à la disposition du Gouvernement. 

De même, l’organisation et le fonctionnement de l’agence ressemblent, par certains côtés, à celle d’une AAI (en raison, notamment, de l’existence d’une commission des sanctions, et de l’octroi de garanties fortes d’indépendance à son directeur), mais elle est soumise à une double tutelle ministérielle, et reste rattachée fonctionnellement aux secrétariats des ministères économiques et financiers.

c.   L’organisation de l’agence

Le directeur de l’agence est ainsi est assisté d’un directeur-adjoint qui peut le suppléer, et a le rang de chef de service ([46]).

L’agence comprend par ailleurs une commission des sanctions, créée par l’article 2 de la loi. Composée de six membres, cette commission est chargée de prononcer des sanctions administratives à l’égard des sociétés qui ont commis un manquement dans la mise en œuvre des mesures et procédures de prévention et de détection de la corruption prévues par la loi.

Le directeur de l’agence ne peut ni être membre de la commission des sanctions, ni assister à ses séances.

La composition de la commission des sanctions

La commission des sanctions est composée de six membres :

– deux membres du Conseil d’État désignés par le vice-président du Conseil d’État ;

– deux membres de la Cour de cassation désignés par le premier président de la Cour de cassation ;

– deux magistrats de la Cour des comptes désignés par le premier président de la Cour des comptes.

Les membres de la commission sont nommés par décret pour un mandat de cinq ans. Le président de la commission est désigné parmi ses membres, selon les mêmes modalités. En cas de partage égal des voix, il a voix prépondérante.

Des suppléants sont nommés selon les mêmes modalités.

Les membres de la commission des sanctions ont été nommés par un décret en date du 28 juillet 2017.

Aux termes du décret et de l’arrêté du 14 mars 2017 précités, l’agence comprend également des services communs, ainsi que des unités de contrôle et d’expertise, rassemblés dans deux sous-directions : une sous-direction du contrôle, et une sous-direction du conseil, de l’analyse stratégique et des affaires internationales.

 


ORGANIGRAMME DE L’AGENCE FRANÇAISE ANTICORRUPTION AU 1ER AVRIL 2021

Source : Agence française anticorruption.


—  1  —

L’agence comprend enfin un conseil stratégique, prévu par décret, et présidé par le directeur de l’Agence française anticorruption. Il se réunit au moins une fois par an. Il est consulté par le directeur sur la « stratégie globale qu’il entend mettre en œuvre » ([47]), et peut également l’être sur tout sujet relatif aux missions de l’agence.

La composition du conseil stratégique

Présidé par le directeur de l’AFA, le conseil stratégique est composé de huit membres désignés à raison de leur compétence financière et juridique ainsi que de leur expérience dans le domaine de la lutte contre la corruption :

– deux membres désignés par le garde des Sceaux, ministre de la Justice ;

– deux membres désignés par le ministre chargé du budget ;

– deux membres désignés par le ministre des Affaires étrangères ;

– deux membres désignés par le ministre de l’Intérieur.

Le conseil stratégique associe à ses travaux, en tant que de besoin, un ou plusieurs représentants des personnes et services de contrôle de l’agence. Il peut convier à ses réunions toute personnalité qualifiée.

Les fonctions de membre du conseil stratégique sont incompatibles avec celles de membre de la commission des sanctions.

La durée du mandat des membres du conseil stratégique est de trois ans. Ce mandat est renouvelable une fois.

2.   La loi crée une obligation générale de mettre en œuvre un dispositif de prévention et de détection des faits de corruption

a.   Les mesures et procédures de prévention et de détection de la corruption

Parallèlement à la création de l’AFA, la loi Sapin 2 introduit en droit positif une obligation générale de mettre en œuvre un dispositif de prévention et de détection des faits de corruption, dont le défaut pourra conduire au prononcé par l’agence de sanctions administratives à l’égard des acteurs économiques concernés.

Comme le rappelle l’étude d’impact du projet de loi, « cette démarche s’inscrit dans un contexte international porteur, puisque nos homologues britanniques et suisses ont mis en œuvre des législations dans ce domaine, qui trouvent d’ores et déjà à s’appliquer aux grandes entreprises françaises compte tenu de leur présence sur la scène mondiale et de l’extraterritorialité de la législation britannique » ([48]). L’objectif poursuivi était que « les plus grandes entreprises disposent systématiquement en leur sein d’un dispositif interne complet et efficace de nature à prévenir et à détecter les faits de corruption qui sont susceptibles de survenir à l’occasion de transactions commerciales nationales ou internationales comme lors de la passation de marchés publics ».

La loi française s’inspire du Foreign Corrupt Practices Act américain, adopté en 1977, et du United Kingdom Bribery Act britannique de 2010.

L’article 17 de la loi Sapin 2 prévoit ainsi que les dirigeants des sociétés et des établissements publics à caractère industriel et commercial dont l’effectif comprend au moins cinq cents salariés, et dont le chiffre d’affaires ou le chiffre d’affaires consolidé est supérieur à 100 millions d’euros sont « tenus de prendre les mesures destinées à prévenir et à détecter la commission, en France ou à l’étranger, de faits de corruption ou de trafic d’influence », mesures qui sont mentionnées par la loi.

Cet article identifie huit composantes à cette obligation. Doivent ainsi être mis en œuvre :

– un code de conduite, qui définit et illustre les différents types de comportements à proscrire comme étant susceptibles de caractériser des faits de corruption ou de trafic d’influence, et qui doit être intégré au règlement intérieur de l’entreprise. Ce code fait l’objet de la procédure de consultation des représentants du personnel ;

– un dispositif d’alerte interne, destiné à permettre le recueil des signalements émanant d’employés et relatifs à l’existence de conduites ou de situations contraires au code de conduite de la société ;

– une cartographie des risques, qui prend la forme d’une documentation régulièrement actualisée et destinée à identifier, analyser et hiérarchiser les risques d’exposition de la société à des sollicitations externes aux fins de corruption, en fonction notamment des secteurs d’activités et des zones géographiques dans lesquels la société exerce son activité ;

– des procédures d’évaluation de la situation des clients, fournisseurs de premier rang et intermédiaires, au regard de la cartographie des risques ;

– des procédures de contrôles comptables, internes ou externes, destinées à s’assurer que les livres, registres et comptes ne sont pas utilisés pour masquer des faits de corruption ou de trafic d’influence. Ces contrôles peuvent être réalisés soit par les services de contrôle comptable et financier propres à la société, soit en ayant recours à un auditeur externe à l’occasion de l’accomplissement des audits de certification de comptes ;

– un dispositif de formation, destiné aux cadres et aux personnels les plus exposés aux risques de corruption et de trafic d’influence ;

– un régime disciplinaire permettant de sanctionner les salariés de la société en cas de violation du code de conduite de la société ;

– un dispositif de contrôle et d’évaluation interne des mesures mises en œuvre ([49]).

S’agissant des acteurs publics, la loi prévoit qu’ils doivent mettre en œuvre des procédures pour prévenir et détecter les faits d’atteinte la probité, mais ne détaille pas la nature de ces mesures.  

Le contenu du dispositif est précisé par les recommandations qu’est chargée d’élaborer l’AFA en application de la loi.

Son article 3 prévoit en effet que l’agence « élabore des recommandations destinées à aider les personnes morales de droit public et de droit privé à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme ».

Il précise par ailleurs que ces recommandations sont « adaptées à la taille des entités concernées et à la nature des risques identifiés » et « font l’objet d’un avis publié au Journal officiel ». Elles sont enfin « régulièrement mises à jour pour prendre en compte l’évolution des pratiques » ([50]).

À ce jour, deux versions des recommandations ont été publiées, à la suite de consultations publiques :

– la première version des recommandations de l’AFA a été publiée au Journal officiel le 22 décembre 2017 ;

– les nouvelles recommandations de l’agence, qui procèdent à une importante mise à jour, et qui annulent et remplacent les précédentes, ont été publiées le 12 janvier 2021. Afin de laisser aux acteurs le temps de s’y adapter, ces recommandations précisent qu’elles ne s’appliqueraient qu’aux contrôles ouverts à l’issue d’un délai de six mois à compter de leur publication, c’est-à-dire à partir du 13 juillet 2021 ([51]).

Comme elles le précisent explicitement, ces recommandations « ne créent pas d’obligation juridique pour ceux à qui elles s’adressent », et les acteurs sont libres d’adopter d’autres méthodes, sous réserve que leur mise en œuvre permette de se conformer à la loi. Toutefois, « l’AFA se réfère aux recommandations dans le cadre de ses missions de conseil et de contrôle » ([52]).

Bien que l’article 17 de la loi ne soit applicable qu’aux sociétés et aux établissements publics industriels et commerciaux qui atteignent certains seuils d’effectifs et de chiffres d’affaires, les recommandations précisent qu’elles s’adressent à l’ensemble des personnes morales de droit privé ou de droit public, de droit français ou de droit étranger, qui déploient leurs activités en France, quelle que soit leur taille ([53]).

En complément des recommandations générales, l’AFA publie des guides pratiques sur son site internet, parfois avec l’aide de partenaires, qui font généralement l’objet d’une consultation publique ([54]).

Comme le rappellent les nouvelles recommandations, la loi, ses décrets d’application, les recommandations et les guides publiés sur le site internet de l’AFA constituent le référentiel anticorruption français, qui participe de la mise en œuvre des engagements internationaux de la France en matière de lutte contre la corruption.

b.   Les pouvoirs de contrôle et de sanction de l’agence

Les pouvoirs de contrôle dont est chargée l’AFA peuvent être classés en trois grandes catégories.

i.   Les contrôles d’initiative

La première catégorie concerne les contrôles dits d’initiative, qui portent sur les mesures et procédures de prévention et de détection mises en place par les acteurs privés comme publics.

Ces contrôles peuvent être réalisés soit à l’initiative du directeur de l’AFA, soit à la demande du président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, du Premier ministre et des ministres, et des préfets pour les collectivités territoriales et les établissements publics locaux. Ils peuvent également faire suite à un signalement transmis à l’agence par une association agréée ([55]).

Pour réaliser ces contrôles, l’article 4 de la loi confère aux agents de l’AFA un droit de communication, qui leur permet de se faire communiquer tout document professionnel, quel qu’en soit le support, ou toute information utile, dont ils peuvent faire copie. Ils peuvent également procéder sur place à toute vérification de l’exactitude des informations fournies, et peuvent s’entretenir avec toute personne dont le concours leur apparaît nécessaire. Ils sont astreints au secret professionnel.

S’agissant des acteurs privés, aux termes de l’article 17 de la loi, l’AFA « contrôle le respect des mesures et procédures » destinées à prévenir et à détecter la commission de faits de corruption.

Le contrôle donne lieu à établissement d’un rapport, transmis à l’autorité qui a demandé le contrôle et aux représentants de la société contrôlée, qui présente les observations de l’agence, et le cas échéant, des recommandations. Si des manquements sont constatés, et après que la personne concernée ait été en mesure de préserver ses observations, ces manquements peuvent être suivis :

– d’un avertissement adressé par le directeur de l’AFA aux représentants de l’entité contrôlée ;

– d’une saisine de la commission des sanctions, qui peut alors, cumulativement, enjoindre à l’entité d’adapter les procédures de conformité internes, dans un délai pouvant aller jusqu’à trois ans, prononcer des sanctions pécuniaires dont le montant ne peut dépasser 200 000 euros pour les personnes physiques et 1 million d’euros pour les personnes morales, et ordonner la publication, la diffusion ou l’affichage de la décision d’injonction ou de sanction pécuniaire.

S’agissant des acteurs publics, aux termes de l’article 3 de la loi, l’AFA contrôle « de sa propre initiative, la qualité et l’efficacité des procédures mises en œuvre au sein de l’administration de l’État, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics et sociétés d’économie mixte, et des associations et fondations reconnues d’utilité publique pour prévenir et détecter les faits de corruption », ainsi que « le respect des mesures mentionnées au II de l’article 17 ».

L’article 3 ne prévoit pas la possibilité d’infliger des sanctions aux personnes publiques. Les contrôles donnent ainsi lieu à l’établissement de rapports, transmis aux représentants de l’entité contrôlée, ainsi qu’aux autorités à l’initiative du contrôle. Ces rapports contiennent les observations formulées par l’AFA concernant la qualité du dispositif de prévention et de détection de la corruption mis en œuvre au sein des entités contrôlées, ainsi que, le cas échéant, des recommandations en vue de leur amélioration.

ii.   Le contrôle de la mise en œuvre des programmes de conformité (le « monitoring »)

La deuxième catégorie renvoie au contrôle des dispositifs anticorruption imposés par décision judiciaire (ou « monitoring »).

En effet, la loi crée deux nouvelles situations dans laquelle une personne morale pourra être sanctionnée par l’obligation de mettre en œuvre un programme de mise en conformité :

– le prononcé d’une peine de programme de mise en conformité (PPMC), introduite à l’article 18, applicable à toute personne morale, même étrangère, sans condition de seuil de d’effectifs ou de chiffres d’affaires. La durée maximale de l’obligation est alors de cinq ans (articles 131‑39-2 et 764-44 du code de procédure pénale) ;

– la conclusion d’une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), créée par l’article 22 de la loi (voir infra), qui impose de se soumettre à l’obligation de mettre en œuvre un tel programme pendant une durée maximale de trois ans (article 41-1‑2 du code de procédure pénale).

iii.   Le contrôle de la mise en œuvre des injonctions prononcées par la commission des sanctions

La troisième catégorie rassemble les contrôles portant sur la mise en œuvre des décisions de la commission des sanctions.

L’AFA est ainsi chargée de contrôler la mise en œuvre des injonctions prononcées par la commission des sanctions.

B.   La loi renforce l’arsenal rÉpressif en matière de lutte contre la corruption

En plus de la création de la peine de programme de mise en conformité, le texte renforce les outils juridiques permettant de mieux appréhender et sanctionner les faits de corruption.

1.   L’extension de la peine complémentaire de publicité ou d’affichage de la condamnation

L’article 19 étend la possibilité de prononcer la peine complémentaire de publicité ou d’affichage de la condamnation à de nouvelles infractions d’atteinte à la probité ([56]). Alors que le droit en vigueur prévoyait la possibilité d’infliger une telle peine en cas de discrimination ([57]) et de corruption passive ou de trafic d’influence commis par une personne dépositaire de l’autorité publique ([58]), la loi étend cette possibilité aux faits de concussion, de prise illégale d’intérêts, de favoritisme, et de soustraction et de détournement de biens publics ([59]).

Cet article instaure également une peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité en cas de condamnation pour les délits de manquement au devoir de probité commis par les personnes exerçant une fonction publique, ainsi que pour les délits de corruption active et de trafic d’influence commis par des particuliers ([60]). Cette disposition avait été introduite à l’initiative du rapporteur de la commission des Lois de l’Assemblée nationale, M. Sébastien Denaja. Elle traduisait la proposition n° 18 du rapport Renouer la confiance publique ([61]), qui relevait que cette peine complémentaire était insuffisamment prononcée, et répondait aux demandes de plusieurs associations de lutte contre la corruption.

Le champ de cette peine complémentaire a de nouveau été étendu par la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique (escroquerie, abus de bien social et association de malfaiteurs, violences sexuelles, discriminations et délits d’expression raciste, abus de confiance, délits terroristes et violences les plus graves) ([62]).

2.   L’extension de l’infraction de trafic d’influence aux agents publics étrangers

L’article 20 étend l’infraction de trafic d’influence et incrimine les faits de trafic d’influence, passif et actif, de toute personne chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif public dans un État étranger, cette infraction étant jusque-là réservée aux agents des organisations internationales publiques ([63]).

En effet, comme le rappelait l’étude d’impact, l’absence d’incrimination du trafic d’influence d’agent public étranger était « reprochée aux autorités françaises de manière persistante et insistante » par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ([64]), le groupe d’États contre la corruption (GRECO) ([65]) et l’office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) ([66]).

3.   L’assouplissement des conditions dans lesquelles certains faits de corruption et de trafic d’influence commis à l’étranger peuvent être poursuivis en France

L’article 21 assouplit les conditions dans lesquelles certains faits de corruption et de trafic d’influence commis à l’étranger, par un Français ou par une personne résidant habituellement ou exerçant tout ou partie de son activité économique sur le territoire français, peuvent être poursuivis en France.

Dans un contexte de développement des législations extraterritoriales en matière de lutte contre la corruption, le dispositif français présentait un retard significatif par rapport à d’autres États. L’étude d’impact du projet de loi relevait qu’ « afin de mieux réprimer les versements de pots de vins survenant dans le cadre de transactions commerciales internationales, plusieurs législations étrangères se sont par ailleurs dotées d’une compétence extraterritoriale leur permettant de mieux poursuivre pénalement ce type d’agissements, y compris lorsque ces faits sont commis par des personnes physiques ou par des entreprises étrangères ayant un lien de rattachement, même ténu, avec leur territoire national ».

En application du Foreign Corrupt Practices Act de 1977 et du International Anti-Bribery Act de 1998, la législation anticorruption américaine trouve ainsi à s’appliquer dès lors qu’une société est cotée à la bourse de New-York, qu’elle a des intérêts commerciaux importants aux États-Unis, ou qu’elle a utilisé des moyens situés aux États-Unis, tels qu’un compte en banque ou un paiement en dollars, même s’il n’a pas transité sur le territoire américain.

Au Royaume-Uni, depuis le Bribery Act de 2010, la législation relative à l’obligation de prévenir les faits de corruption au sein de sociétés commerciales s’applique tant aux sociétés britanniques qu’aux entités commerciales étrangères ayant une filiale au Royaume-Uni, ou y entretenant des liens commerciaux, tandis que les faits de corruption d’agents publics étrangers commis en dehors du territoire national peuvent être poursuivis qu’ils soient le fait de ressortissants britanniques ou de ressortissants étrangers résidant habituellement aux Royaume-Uni.

L’Australie, la Suède et la Chine disposent également de législations leur permettant de poursuivre et de sanctionner les faits de corruption en-dehors de leurs frontières.

En France, jusqu’à l’adoption de la loi Sapin 2, la poursuite des faits de corruption à l’étranger était possible, mais limitée par plusieurs verrous.

L’extraterritorialité de la loi française en matière de lutte contre la corruption

Jusqu’à l’adoption de la loi Sapin 2, la loi pénale française était applicable aux infractions commises sur le territoire de la République (article 113-2 du code pénal) et au cas de complicité en France d’un fait principal commis à l’étranger (article 113-5).

Elle était également applicable à un très grand nombre d’infractions commises à l’étranger par un Français ou contre un Français – personne physique ou morale. Lorsque l’auteur avait la nationalité française, l’extraterritorialité concernait tous les crimes et, sous condition de double incrimination, les infractions relevant des délits, conformément à l’article 113-6. Si, de surcroît, la victime avait la nationalité française, l’extraterritorialité concernait, en application de l’article 113-7, tout crime et tout délit puni d’emprisonnement, sans condition de double incrimination.

Toutefois, en application de l’article 113-8 du code pénal, la poursuite ne pouvait être exercée en matière de délits qu’à l’initiative du ministère public ; elle requérait également une plainte des victimes ou une dénonciation par les autorités de l’État sur le territoire duquel les faits ont été commis.

Le rapport de la commission des Lois fait à l’occasion de l’examen de la loi Sapin 2 en première lecture relevait ainsi à titre d’illustration que « la société Total a fait l’objet d’une plainte en France déposée le 16 août 2002, sur le fondement de la compétence personnelle, à propos d’allégations de travail forcé sur un gazoduc en Birmanie entre 1995 et 1998. L’infraction visée était le crime de séquestration, le droit pénal français n’incriminant pas le travail forcé en tant que tel. La procédure n’a cependant pas conduit à un procès en raison de l’insuffisance des informations factuelles apportées au juge d’instruction par les plaignants, conduisant à une ordonnance de non-lieu du 10 mars 2006. »

Source : rapport n° 3785 et 3786 précité, fait au nom de la commission des Lois de l’Assemblée nationale par M. Sébastien Denaja.

Cette situation faisait l’objet de critiques de la part de plusieurs organisations internationales, et notamment de l’OCDE, du GRECO, de l’ONUDC et de la Commission européenne.

L’article 21 assouplit les conditions dans lesquelles les faits de trafic d’influence et de corruption d’agents publics étrangers peuvent être poursuivis en France, à travers deux évolutions importantes.

D’une part, il supprime les trois conditions normalement requises pour l’exercice d’une compétence extraterritoriale concernant ces faits :

– la condition de double incrimination ;

– le monopole des poursuites attribué au ministère public ;

– et l’exigence d’une plainte de la victime ou d’une dénonciation officielle de l’État dans lequel les faits ont été commis.

D’autre part, il permet non seulement de poursuivre les faits commis par un Français ou une personne résidant habituellement en France, mais également ceux commis par une personne exerçant tout ou partie de son activité économique sur le territoire français.

Cette extension aux personnes exerçant tout ou partie de leur activité économique en France n’était pas prévue dans le projet de loi initial, et avait été introduite par voie d’amendement parlementaire à l’Assemblée nationale, à l’initiative de M. Pierre Lellouche en première lecture ([67]) et réintroduit en nouvelle lecture sur proposition de votre rapporteur, M. Olivier Marleix, et de Mme Karine Berger ([68]), suite à leur suppression par le Sénat.

Lors de l’examen du texte en séance publique, en nouvelle lecture, votre rapporteur relevait ainsi que cette proposition visait « à élargir notre acception du lien de territorialité, comme le font notamment les États-Unis dans ce type d’affaires. Il faudrait pouvoir agir à armes égales avec les pays ayant une législation équivalente à la nôtre ».

Après avoir reconnu que ces dispositions relevaient d’une « matière délicate, mais importante », le ministre de l’Économie et des finances, M. Michel Sapin, avait donné un avis favorable à ces amendements. Il relevait : « [ces amendements] créent un cadre comparable à celui qui existe dans d’autres pays. Je n’y vois pas uniquement une manière de s’opposer à d’autres pays, d’affirmer sa souveraineté pour éviter qu’elle ne soit dérobée par une juridiction étrangère : je pense au contraire que ces dispositions permettront un meilleur dialogue entre pays et entre juridictions. C’est également vrai de la transaction, qui permettra le dialogue entre les différentes juridictions ou instructions. Il faudra ensuite déterminer quand, comment et dans quelle mesure la juridiction d’un pays pourra aller jusqu’au bout de la démarche, avec éventuellement une amende à la clé, alors que, pendant ce temps, une autre juridiction pourra effectuer la même opération. » ([69])

4.   L’extension des techniques spéciales d’enquête aux faits de détournement de fonds ou de biens publics

Enfin, l’article 24 étend la faculté pour les officiers de police judiciaire et les agents de police judiciaire placés sous leur autorité, avec l’autorisation du procureur de la République, d’utiliser les techniques spéciales d’enquête (surveillance, infiltration, écoutes judiciaires) sur des faits de soustraction ou de détournement de fonds ou de biens publics ([70]) .

5.   La convention judiciaire d’intérêt public

L’article 22 du texte crée la convention judiciaire d’intérêt public, qui permet à une personne morale d’échapper à une condamnation pénale, en contrepartie du paiement d’une amende et de la mise en œuvre d’un programme de conformité ([71]).

II.   le bilan de la mise en œuvre du dispositif et de l’action de l’afa est satisfaisant malgré certaines insuffisances

En à peine quatre ans, la loi Sapin 2 a permis à la France de rattraper le retard en matière de prévention de la lutte contre la corruption qu’avaient identifié les observateurs internationaux. Le référentiel anticorruption français, prévu par la loi et complété par les recommandations et les guides de l’AFA, constitue une avancée remarquable qui permet de hisser la France au niveau des meilleurs standards internationaux. Le dispositif français s’inspire des expériences étrangères, tout en présentant de fortes singularités.

Les enquêtes menées par l’AFA témoignent de la relativement bonne diffusion des obligations prévues par le texte parmi les acteurs économiques, en particulier chez les acteurs assujettis. Ces derniers se sont dans l’ensemble bien approprié les exigences posées par le texte, même certains points peuvent être améliorés, et le périmètre des entités assujetties gagnerait à être étendu. En revanche, la loi n’ayant pas prévu de référentiel spécifique aux acteurs publics, et n’ayant prévu aucune mesure de publicité ni de sanction en cas de manquement, ces avancées n’ont concerné les acteurs publics que dans une bien moindre mesure.

Concernant plus particulièrement l’AFA, son bilan est satisfaisant. L’agence a été créée rapidement et a très vite démarré ses activités. Ses missions de conseil et d’accompagnement sont appréciées par les acteurs auxquels elles sont destinées. Les auditions conduites par vos Rapporteurs ont fait apparaître des problèmes de méthode à l’occasion des premiers contrôles, mais ceux-ci sont en voie d’amélioration suite à des évolutions notables apportées par l’agence à sa méthodologie de contrôle, ainsi que par des changements dans sa politique de ressources humaines.

Toutefois, le volontarisme qu’a montré l’agence dans le cadre de ses activités de contrôle et de conseil s’est effectué au détriment de sa mission de coordination, dont la réalisation n’est absolument pas satisfaisante. Par ailleurs, les moyens dévolus à l’agence ont été significativement inférieurs aux estimations initiales, et les contraintes associées au rattachement de l’agence au secrétariat général des ministères économiques et financiers pèsent sur son attractivité.

A.   les acteurs privÉs se sont bien approprié les obligations issues de la loi sapin 2, mais la diffusion du dispositif reste trÈs limitÉe dans le secteur public

1.   Le référentiel anticorruption français constitue une avancée remarquable qui permet de hisser la France au niveau des meilleurs standards internationaux

a.   La publication des premières recommandations de l’AFA, dès la fin 2017, a permis de hisser la France au niveau des meilleurs standards internationaux

Le dispositif institué par l’article 17 constitue une avancée remarquable, dans la mesure où il assure la convergence du dispositif français de lutte contre la corruption vers les normes internationales en matière de détection et de prévention de la corruption.

Dans l’ensemble, les exigences posées par le référentiel français présentent un niveau d’exigence équivalent à celui des référentiels anglo-saxons. L’agence souligne ainsi que ces recommandations sont « au moins aussi exigeantes que le FCPA Ressource Guide, le UKBA Guidance et les lignes directrices de la Banque mondiale » ([72]).

Comme le rappelle l’agence dans la contribution écrite qu’elle a transmise à la mission, les législations américaine, britannique et l’article 3 de la loi Sapin 2, applicable aux acteurs public, « ont en commun une logique de moyens. Elles fixent un but : l’arrêt pour l’avenir de la corruption mais le choix des moyens pour y parvenir est libre et fait seulement l’objet de recommandations. » ([73])

L’article 17 de la loi Sapin 2, en revanche, fixe des « outils structurels contraignants pour les acteurs assujettis ». Les huit mesures prévues par l’article se retrouvent dans les référentiels américain et britannique, avec quelques différences, présentées dans le tableau ci-dessous.

correspondance entre les huit mesures et procédures prévues
à l’article 17 de la loi sapin 2, le FCPA et le UKBA

 

FCPA

UKBA

Code de conduite

Présentation du contrôle interne, des politiques applicables et des procédures disciplinaires de manière claire, accessible et régulière.

Il peut servir d’instrument de communication destiné aux partenaires.

Alerte interne :

signalement d’attitudes contraires au code de conduite

Dispositif de dénonciation ou de médiation, tout signalement doit donner lieu à une réponse écrite et une mise à jour des procédures.

Les procédures d’alerte doivent permettre la dénonciation mais aussi faire part de doutes et suggérer des améliorations de politiques anticorruption.

Cartographie des risques

Évaluation des risques sur divers facteurs (zone, activité, transaction…) qui doit être régulièrement actualisée.

Évaluation des tiers ex-ante

Des audits réguliers a posteriori et une information des tiers sur la politique anticorruption de l’entreprise sont recommandés.

Identique à Sapin 2.

Contrôle comptable

Concerne un volet entier du FCPA et s’applique aux sociétés cotées

Le UKBA recommande simplement la tenue d’une comptabilité transparente et d’un comité d’audit

Formation du personnel

Plus large que dans Sapin 2 car elle concerne tout le personnel, cadres et employés. Le contenu de la formation est également plus détaillé.

Sanctions disciplinaires en cas de violation du code de conduite

Le FCPA prévoit que les sanctions soient proportionnées et que les entreprises puissent mettre en œuvre des mesures d’encouragement pour les salariés qui se conforment.

Le UKBA encourage la diffusion des sanctions encourues.

Évaluation et contrôle interne

Contrôles et révisions périodiques conduites par des cadres expérimentés et indépendants.

Contrôles et révisions périodiques prenant la forme de contrôles financiers, audit externes, questionnaires auprès du personnel, rapport hiérarchique.

Des différences notables distinguent cependant le dispositif français des référentiels étrangers.

En effet, en application de la loi Sapin 2, les sanctions administratives infligées en cas de manquement à l’obligation de mettre en place les mesures prévues peuvent l’être en l’absence de tout fait de corruption. Dans les systèmes britannique et américain, en revanche, les éventuels manquements aux normes de prévention et de détection de la corruption sont appréciés lorsqu’est relevée une infraction pénale ([74]).

L’agence relève de plus que « contrairement aux recommandations américaines ([75]) et britanniques ([76]) qui ne portent principalement que sur le phénomène de corruption d’agent public étranger, notamment du côté américain, les recommandations françaises traitent à la fois de la corruption domestique et de la corruption d’agents publics étrangers » ([77]).

Par ailleurs, les obligations issues du référentiel français sont plus formalistes que les normes établies aux États-Unis et au RoyaumeUni.

L’agence relève qu’« avant même l’élaboration des premières recommandations de l’AFA, la loi Sapin 2 tout en se conformant aux standards internationaux, est un texte à la fois singulier et formaliste qui se distingue des autres normes, notamment américaines et du Royaume-Uni : singulier, car la loi Sapin 2 impose une obligation de programme de conformité ex ante et embrasse à la fois la situation des entreprises et celle des acteurs publics, ce qui la distingue des autres normes contraignantes étrangères, y compris aux USA et au RoyaumeUni […] formaliste car la loi Sapin 2 définit huit mesures obligatoires dont l’AFA contrôle la mise en œuvre et l’efficacité, tout manquement exposant l’entreprise à des sanctions » ([78]).

Ces remarques rejoignent les constats généraux formulés par la doctrine lors de l’adoption de la loi. Certains avocats avaient ainsi relevé qu’à « la souplesse des mesures prescrites par le FCPA resource guide et les lignes directrices du UKBA, la loi française oppose des mesures plus détaillées », logique qui conduirait paradoxalement à « restreindre l’amplitude du contrôle de l’Agence française anticorruption qui devra se contenter de constater la mise en place ou non des différentes mesures par chaque société, sans pouvoir forcément user d’un très grand pouvoir d’appréciation » ([79]).

La première version des recommandations, publiée le 22 décembre 2017, a ajouté de nouvelles précisions au dispositif déjà prévu par la loi.

Selon les personnes auditionnées, ce formalisme serait peu adapté au fonctionnement des entreprises, et conduirait à leur imposer des obligations trop lourdes au regard de leur profil de risque ([80]).

Parmi les huit mesures prévues par l’article 17, la cartographie des risques et l’évaluation des tiers ont régulièrement été évoquées comme étant particulièrement délicates à mettre en œuvre.

Comme vos Rapporteurs auront l’occasion de le développer dans la suite de ce rapport, ce formalisme est d’autant plus mal perçu par certains acteurs économiques que l’AFA aurait appliqué ce référentiel de manière trop rigoureuse lors de ses premiers contrôles.

Enfin, la mise en œuvre des obligations issues de l’article 17 représenterait un coût important pour les entreprises. Les représentants des entreprises auditionnés par vos Rapporteurs ont évoqué un investissement initial de 1 million d’euros pour une entreprise de taille intermédiaire, puis un coût annuel de 600 000 à 800 000 euros. Pour une multinationale, l’investissement initial s’élèverait entre 2 et 5 millions d’euros, et le coût annuel serait doublé, se situant entre 1 et 2 millions d’euros ; de plus, l’ouverture d’un contrôle alourdirait le coût du dispositif à hauteur de 1 million d’euros.

b.   La mise à jour des recommandations de l’AFA de janvier 2021

Aux termes de trois années de pratique, l’AFA a procédé à la mise à jour de ses recommandations à la fin de l’année 2020. Les nouvelles recommandations ont été publiées au Journal officiel le 12 janvier 2021.

Préalablement à cette mise à jour, une consultation a été organisée du 16 octobre au 16 novembre 2020, à laquelle ont participé 42 contributeurs ([81]).

La nouvelle version des recommandations procède à une refonte de la structure d’ensemble. Alors que les recommandations publiées en 2017 étaient organisées sous la forme de fiches, portant sur les huit mesures prévues par la loi, auxquelles s’en ajoutaient trois autres (portant sur le périmètre des recommandations, l’engagement de l’instance dirigeante et les précisions à l’attention des acteurs publics), la révision de 2021 s’articule en trois parties :

– une première partie présentant les dispositions générales applicables à toutes les organisations ;

– une deuxième partie déclinant ces dispositions générales pour les entreprises assujetties à l’article 17 de la loi ;

– une troisième partie déclinant ces dispositions générales pour les acteurs publics assujettis au 3° de l’article 3 de la loi.

Le nouveau corpus est plus long que le précédent, le document publié au Journal officiel en 2021 s’étendant sur 50 pages, contre 36 pages pour la version de 2017.

Sur le fond, de l’avis des praticiens, la mise à jour des recommandations relève plus d’une « évolution » que d’une « révolution », tout en apportant de nombreuses précisions au dispositif ([82]).

Les dispositions générales précisent ainsi qu’un dispositif anticorruption doit s’appuyer sur trois piliers : l’engagement de l’instance dirigeante, la cartographie des risques (qualifiée de « pierre angulaire » du dispositif), et la gestion des risques (qui recouvre les sept autres piliers légaux). L’insistance sur l’engagement de l’instance dirigeante, qui n’est pourtant pas explicitement prévue par la loi Sapin 2, s’explique par le fait que celle-ci reste trop souvent « imperceptible » ([83]), alors même que, comme l’agence l’indiquait dans la réponse transmise au questionnaire de vos Rapporteurs, « les contrôles initiaux […] révèlent que l’engagement de l’instance dirigeante peut être, dans le même secteur d’activité, le principal facteur éclairant les différences de maturité des dispositifs ».

Les nouvelles recommandations formalisent de manière beaucoup plus poussée que précédemment un référentiel à destination des collectivités publiques, et comportent une annexe dressant des exemples de scénarios de risques pour les acteurs publics dans trois processus de gestion publique (le versement de subventions, la gestion des ressources humaines et la commande publique).

La mise à jour apporte des améliorations sur la manière dont l’AFA entend voir s’appliquer certaines mesures. Par exemple, les évolutions relatives à l’évaluation des tiers paraissent ainsi satisfaire les acteurs : l’IFACI considère que sur ce point, les recommandations ont évolué de manière satisfaisante vers une « approche graduée » ([84]), avis qui paraît partagé par d’autres praticiens ([85]).

Les nouvelles recommandations continuent toutefois de faire l’objet d’interrogations de la part des praticiens, qui s’interrogent sur la hiérarchisation opérée par le texte entre les différentes mesures ([86]), ou déplorent la persistance d’un niveau de formalisme important ([87]).

 


VUE D’ENSEMBLE DES TROIS PILIERS DU DIPOSITIF ANTICORRUPTION ISSU DES NOUVELLES RECOMMANDATIONS DE L’AFA

Source : Recommandations de l’Agence française anticorruption, publiées au Journal officiel le 12 janvier 2021.


—  1  —

2.   La diffusion du dispositif est satisfaisante auprès des acteurs économiques assujettis

a.   Un dispositif dans l’ensemble bien connu, mais dont la diffusion parmi les acteurs non assujettis doit être améliorée

Dans l’ensemble, la diffusion des obligations issues de l’article 17 auprès des acteurs économiques est satisfaisante. Elle reste toutefois perfectible, notamment auprès des entreprises étant situées en-dessous des seuils d’effectifs et de chiffre d’affaires prévus par la loi.

Au mois de février 2020, l’AFA a lancé un diagnostic national à destination de plusieurs milliers d’entreprises de tous les secteurs d’activité, afin de faire un état des lieux de la maturité de leurs dispositifs de prévention et détection de la corruption. Ses résultats ont été publiés au mois de septembre de la même année ([88]). L’étude apporte trois enseignements principaux.

Premièrement, les entreprises ont le sentiment de « bien connaître les infractions de corruption », et « 70 % d’entre-elles ont mis en place un dispositif de prévention ». Pour les entreprises ayant mis en place un dispositif anticorruption, celui‑ci date de moins de 3 ans dans la moitié des cas, ce qui suggère que la loi Sapin 2 a eu des effets concrets sur la mise en œuvre de tels dispositifs. 68 % des répondants ont indiqué que la mise en place du dispositif avait été effectuée pour « être en accord avec les dispositions législatives ».

De manière générale, les acteurs considèrent que certaines fonctions sont plus exposées que d’autres au risque de corruption, notamment les achats et le commerce, mais d’autres fonctions comme les fonctions juridiques, l’ingénierie, la communication ou encore la recherche et le développement « sortent du spectre de vigilance anticorruption des entreprises ».

Deuxièmement, l’étude relève que ces dispositifs restent « trop lacunaires sur les cartographies des risques et l’évaluation de tiers ». La majorité des entreprises est dotée d’un code de conduite ou d’une charte déontologique (85 %), mais la mise en œuvre des autres mesures reste insuffisante.

MATURITÉ DES DISPOSITIFS ANTICORRUPTION DANS LES ENTREPRISES

Source : Agence française anticorruption, Diagnostic national sur les dispositifs anticorruption dans les entreprises, résultats de l’enquête 2020, septembre 2020.

Si ces dispositifs sont perçus comme étant mis à jour de façon satisfaisante, l’enquête identifie d’autres fragilités : le risque de corruption n’est entièrement pris en compte dans les procédures que dans 46 % des entreprises, la sensibilisation des différents échelons hiérarchiques est « incomplète », et le responsable de la fonction conformité, qui n’est présent que dans 45 % des entreprises, est dans l’ensemble « peu impliqué dans les décisions stratégiques ».

Troisièmement, les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les petites et moyennes entreprises (PME), qui ne sont pas assujetties aux obligations de conformité édictées à l’article 17 mais qui peuvent tout de même se retrouver évaluées par un partenaire commercial, se sentent « peu concernées par la corruption » et semblent « accuser un retard dans le déploiement du dispositif de prévention ». L’étude relève que « les cas de corruption rencontrés sont plus nombreux dans les entreprises assujetties que dans les entreprises non assujetties (34 % contre 13,5 %) » et qu’en outre, les entreprises non assujetties « sanctionnent peu les auteurs des faits de corruption » ([89]). Malgré ces risques, seule la moitié des entreprises non-assujetties sont dotées d’un dispositif de prévention, contre 95 % pour les entreprises assujetties.

Dans sa réponse au questionnaire transmis par vos Rapporteurs, l’AFA relève que les contrôles réalisés ont permis de mettre en évidence le fait que « la cartographie des risques, l’évaluation des tiers, les contrôles comptables et les procédures de contrôle périodique et d’audit présentent des marges de progrès car [ces mesures sont] plus complexes à conceptualiser et [nécessitent de] mettre en œuvre que d’autres obligations plus formelles ou plus simples au plan opérationnel (code de conduite, système d’alerte, formation, régime disciplinaire) » ([90]).

Selon une récente étude menée auprès de directeurs juridiques d’entreprises, cette mise en œuvre partielle peut s’expliquer par certaines difficultés, telles que le manque de temps ou des problèmes en matière de ressources humaines ou financières (pour les deux tiers des sondés), la complexité des mesures (pour la moitié des sondés), ou encore par un défaut d’implication des dirigeants (pour un tiers des sondés) ([91]).

b.   Le périmètre des entités auxquelles s’appliquent ces obligations, et les seuils devant être mis en œuvre

L’article 17 de la loi prévoit que les mesures de prévention et de détection de la corruption doivent être mises en œuvre par les présidents, les directeurs généraux et les gérants d’une société :

– employant au moins cinq cents salariés, ou appartenant à un groupe de sociétés dont la société mère a son siège social en France et dont l’effectif comprend au moins cinq cents salariés ;

– et dont le chiffre d’affaires ou le chiffre d’affaires consolidé est supérieur à 100 millions d’euros.

Cette obligation s’impose également aux présidents et directeurs généraux d’établissements publics à caractère industriel et commercial, ainsi que, selon les attributions qu’ils exercent, aux membres du directoire des sociétés anonymes régies par l’article L. 225-57 du code de commerce qui répondent à ces critères.

Par ailleurs, lorsque la société établit des comptes consolidés, les obligations définies portent sur la société elle-même ainsi que sur l’ensemble de ses filiales ou des sociétés qu’elle contrôle. Lorsque les mesures mises en œuvre par la société mère s’appliquent à l’ensemble des filiales ou des sociétés contrôlées, ces dernières sont réputées satisfaire aux obligations prévues par la loi.

L’étude d’impact accompagnant le projet de loi ne comportait pas d’explications sur les raisons ayant présidé à la fixation de ces seuils, relevant simplement que les obligations prévues par l’article devaient s’appliquer aux « plus grandes entreprises ».

Certaines personnes auditionnées par la mission ont relevé le caractère « binaire » du dispositif, qui induirait un effet de seuil important lorsque les entreprises atteignent les niveaux d’effectifs ou de chiffre d’affaires prévus par la loi. Par ailleurs, ces seuils ne prendraient pas en compte le profil de risque de l’entreprise, qui dépend de nombreux paramètres, tels que le secteur d’activité, sa gouvernance, son implantation géographique, son organisation, son modèle économique, ou encore l’identité des tiers.

Interrogée sur ce point, l’AFA a reconnu que la fixation de ces seuils était délicate, et qu’il n’était « pas aisé d’établir des seuils objectifs au-delà desquels les enjeux anticorruption deviennent incontournables pour une entreprise dans la mesure où les obligations qui découlent de la loi doivent être, en réalité, adaptées non à sa seule taille mais à son profil de risque ». L’agence relève par ailleurs que « des ETI et des PME, même sous les seuils de la loi Sapin 2, peuvent, du fait de ces critères, être exposés à des risques de corruption qui justifient de mettre en place des mesures anticorruption ».

L’agence estime que les niveaux fixés présentent deux avantages :

– ils permettent de « soumettre les plus grands groupes français à l’obligation de mettre en place un dispositif efficace pour se prémunir contre le risque de corruption » ;

– ils sont « vertueux, car l’obligation légale pesant sur les grands groupes de déployer un dispositif anticorruption, et notamment une évaluation de l’intégrité de leurs tiers, conduit les entreprises sous les seuils, qui font affaire avec eux, à mettre en place des mesures pour démontrer leur intégrité ».

L’agence avance trois arguments s’opposant au rehaussement de ces seuils :

– cela aurait pour conséquence d’exclure les entreprises de taille intermédiaire du dispositif, alors que ces entreprises sont présentes à l’international et sont appelées à s’y développer. L’agence indique par ailleurs avoir ouvert peu de contrôles sur les entreprises de taille intermédiaire françaises ;

– cela augmenterait les risques que des entreprises étrangères implantées en France échappent à l’obligation d’un dispositif anticorruption ;

– enfin, cela pourrait constituer un signal négatif à l’échelle internationale, de nature à nuire à la crédibilité du cadre législatif français.

Toutefois, si, en application de la rédaction actuelle de l’article, les groupes étrangers disposant de petites filiales en France sont concernés par ces obligations (dès lors que chacune des petites filiales ou le sous-groupe qu’elles forment en France dépassent les seuils prévus par la loi), tel n’est pas le cas des petites filiales françaises de grands groupes étrangers.

L’AFA relève ainsi que la « condition d’établissement du siège de la société mère en France a pour effet d’exclure du périmètre de l’article 17 bon nombre de groupes étrangers qui ne disposent pas sur le territoire national de filiales atteignant les seuils ou, dans le cas contraire, peuvent être tentés d’en réduire les effectifs pour s’affranchir du respect de l’article 17 ». L’agence indique par ailleurs avoir « entendu ouvrir un nombre significatif de contrôles sur des filiales françaises de groupes étrangers ».

Afin de remédier à cette situation, vos Rapporteurs proposent de supprimer la condition d’établissement du siège social de la société mère en France, pour les filiales situées en France. Cette suppression permettrait de rétablir une égalité de traitement entre les petites filiales de grands groupes situées en France, selon que la société mère est établie en France ou à l’étranger.

Proposition n° 1 : Supprimer la condition tenant à la localisation en France du siège social de la société mère, afin de soumettre aux obligations prévues par l’article 17 les petites filiales de grands groupes étrangers établies en France, dès lors que la société mère dépasse les seuils prévus par la loi.

3.   Dans le secteur public, la diffusion du dispositif est en revanche bien plus faible

a.   La loi Sapin 2 soumet les acteurs publics à l’obligation générale de prévention et de détection de la corruption, mais ne prévoit pas de sanction aux éventuels manquements constatés

L’article 3 de la loi Sapin 2 prévoit que la compétence de l’Agence française anticorruption s’étend aux personnes morales de droit public. L’AFA « élabore des recommandations destinées à aider les personnes morales de droit public et de droit privé à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme » (dans son 2°), et « contrôle […] la qualité et l’efficacité des procédures mises en œuvre au sein des administrations de l’État, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics et sociétés d’économie mixte, et des associations et fondations reconnues d’utilité publique pour prévenir et détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme » (dans son 3°).

Si l’article 17 de la loi, qui prévoit la mise en place du dispositif de prévention et de détection de la corruption s’applique prioritairement à certaines entreprises de taille significative, la loi ne précise pas, en revanche, la nature des obligations devant s’appliquer aux personnes morales de droit public.

Les recommandations publiées par l’agence en 2017, applicables aux personnes morales de droit privé comme de droit public, consacraient une annexe entière à des « précisions à l’attention des acteurs publics », qui déclinaient la mise en œuvre des différentes mesures à ces acteurs.

Comme vos Rapporteurs ont eu l’occasion de le rappeler, la structure d’ensemble des recommandations de l’agence a été profondément remaniée à l’occasion de la mise à jour intervenue en 2021, et accorde une place bien plus importante aux acteurs publics que la version précédente ([92]).

Lors de l’examen du texte au Parlement, la question d’exclure les collectivités du dispositif avait été écartée. Tout en indiquant que « la cible de l’Agence française anticorruption […] ce n’est pas la commune de 3 500 habitants, le rapporteur de la commission des Lois à l’Assemblée nationale, M. Sébastien Denaja, avait souligné qu’« exclure les collectivités territoriales du champ de compétence de l’Agence française anticorruption après trente ans de décentralisation, compte tenu de l’importance des missions qu’elles exercent, du fait qu’elles réalisent plus de 70 % de l’investissement public en France et qu’elles constituent donc une cible pour les corrupteurs, ce serait manquer à l’objectif que nous nous assignons tous » ([93]).

Enfin, la loi ne prévoit pas de sanction en cas d’insuffisance ou de manquement constaté à ces obligations. L’article 3 indique simplement que les contrôles « donnent lieu à l’établissement de rapports transmis aux autorités qui en sont à l’initiative ainsi qu’aux représentants de l’entité contrôlée », qui « contiennent les observations de l’agence […] ainsi que des recommandations en vue de l’amélioration des procédures existantes ».

b.   Les obligations issues de la loi Sapin 2 sont peu mises en œuvre au sein des administrations publiques et des collectivités territoriales

En 2018, l’AFA a réalisé une enquête sur la prévention de la corruption dans le service public local ([94]).

Les résultats de l’enquête reflètent une « grande diversité de situations entre collectivités : nombre d’entre elles, et pas toujours les plus petites, ne mettent quasiment pas en place de mesures spécifiques de prévention des atteintes à la probité ». L’agence relève par ailleurs que « lorsque des dispositions sont prises, elles ne sont presque jamais intégrées dans un dispositif anticorruption complet », et que « le niveau de formation et de sensibilisation des agents et des élus est très perfectible ».

Les résultats sont très différents selon la mesure considérée : si la cartographie des risques est quasi-inexistante, la mise en œuvre du dispositif de contrôle interne, du référent déontologue, et du dispositif de recueil des alertes, quoique faible, paraît plus fréquente.

Seules 7,3 % des organisations ayant répondu à l’enquête avaient mis en place un plan ou des mesures ponctuelles pour prévenir les atteintes à la probité. 1,7 % avaient mis en place une cartographie des risques, malgré son importance dans le dispositif anticorruption, tandis que 21,1 % avaient désigné un référent déontologue, dont la création constitue pourtant une obligation légale.

L’enquête révèle également des degrés de maturité très variables selon la catégorie de collectivités. Seules 4,4 % des communes avaient mis en place un plan ou des mesures anticorruption, contre 39,7 % des départements et près de 85 % des régions. Toutefois, si l’on considère uniquement les communes de plus de 80 000 habitants, ce taux atteint 29,7 %.

PRINCIPALES DONNÉES DE L’ENQUÊTE DE L’AFA
SUR LA PRÉVENTION DE LA CORRUPTION DANS LE SERVICE PUBLIC LOCAL

Source : Agence française anticorruption, Enquête sur la prévention de la corruption dans le service public local, Rapport d’analyse, novembre 2018.

La mobilisation des organisations publiques paraît ainsi dépendre de plusieurs facteurs. L’agence indique que « les grandes collectivités et les organismes associés semblent davantage mobilisés » : les entités disposant des moyens les plus importants apparaissent comme « celles ayant consenti le plus fréquemment des efforts. Ainsi, ce sont les régions, les départements et les grandes communes qui mettent en œuvre une partie des outils de l’anticorruption. »

Par ailleurs, certains acteurs entrent dans le champ de l’article 17 et sont de ce fait mieux sensibilisés : « les entités qui, de par leur nature, sont assujetties à l’obligation de se doter de plans anticorruption (EPL et OPH d’une certaine taille) ont mis en œuvre partiellement les outils nécessaires », et l’agence suggère qu’il « est possible que cela produise un effet d’entraînement sur les acteurs du même type (EPL et OPH) mais de taille plus modeste qui, eux, ne sont pas concernés par les obligations s’appliquant aux entreprises ».

Le dernier rapport annuel d’activité publié par l’agence relève également une « faible maturité des acteurs publics dans la maîtrise des risques d’atteinte à la probité » ainsi qu’une « mise en œuvre partielle des recommandations de l’AFA adressées aux acteurs publics ».

Le rapport relève ainsi que les contrôles des acteurs publics, qu’il s’agisse des administrations de l’État ou des collectivités territoriales, montrent encore « d’importantes marges de progrès en ce qui concerne la prévention et la détection des atteintes à la probité » et souligne que « ces mesures, lorsqu’elles existent, sont éparses et incomplètes, et s’appuient rarement sur un réel engagement des instances dirigeantes et sur une évaluation préalable et rigoureuse des risques ». ([95])

Les travaux conduits par vos Rapporteurs leur ont permis de formuler les mêmes constats.

Les auditions ont par ailleurs relevé la spécificité de la problématique des atteintes à la probité dans le secteur public local. Ainsi, M. Alain Chrétien, maire de Vesoul, président de l’agglomération de Vesoul et de l’Association des maires de Haute-Saône, rappelait que la corruption constituait toujours un sujet très sensible, « de l’ordre du tabou », au sein des exécutifs locaux. Il ajoutait que si la lutte contre la corruption est naturellement une préoccupation des collectivités, la loi Sapin 2 n’était ainsi pas « entrée dans les mœurs » des élus locaux. Il relevait enfin que l’Agence française anticorruption était encore « totalement inconnue d’une très grande majorité [des maires] ».

Dans sa réponse écrite au questionnaire transmis par vos Rapporteurs, la région Grand Est relevait la difficulté pour certaines collectivités manquant de moyens de répondre au « niveau d’exigence très élevé » des recommandations de l’AFA, les prescriptions de l’agence pouvant se heurter « de manière structurelle (pour les collectivités les plus petites) ou conjoncturelle (baisse des ressources disponibles) à la mobilisation des moyens nécessaires ».

B.   l’action de l’afa a ÉtÉ dÉterminante dans la diffusion du dispositif prÉvu par la loi, malgré un bilan peu satisfaisant en matiÈre de coordination administrative

1.   L’Agence française anticorruption a rapidement été opérationnelle

La création de l’Agence française anticorruption est intervenue rapidement après l’adoption de la loi, et a démarré ses activités dès 2017.

Lors de l’examen de la loi en lecture définitive à l’Assemblée nationale, le ministre de l’Économie et des finances, M. Michel Sapin, s’était engagé à ce que le texte soit rapidement appliqué ([96]). Il rappelait par ailleurs : « je peux même, s’agissant de l’Agence française anticorruption, qui est un des éléments forts du texte, vous informer que le garde des sceaux et moi-même aurons à désigner très rapidement celui qui agira comme préfigurateur de cette agence avant d’avoir à en diriger l’action. Il sera ainsi au travail dans les tout prochains jours pour permettre à cette agence d’entrer dans les faits. »

Dès le vote de la loi au Parlement, et sans attendre la décision du Conseil constitutionnel et la publication au Journal officiel, une mission de préfiguration de l’agence a ainsi été confiée à M. Charles Duchaine, inspecteur général de la justice, alors directeur général de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC). ([97])

Les textes réglementaires permettant la création de l’AFA ont été pris dans un délai court. Le décret d’application des articles 1er à 4, 17 et 18, pris après avis du Conseil d’État, ainsi que l’arrêté relatif à l’organisation de l’AFA ont été publiés le 14 mars 2017 ([98]). Seul l’arrêté du 14 mars 2017 a pour l’instant été modifié, en 2019, dans le sens d’une simplification de l’organisation de l’AFA ([99]). Le directeur a été officiellement nommé le 17 mars 2017 ([100]), les membres du conseil stratégique, entre le 5 et le 10 mai ([101]), et les membres de la commission des sanctions, le 28 juillet ([102]). Les premiers recrutements de l’agence ont ainsi pu être effectués dès l’été.

L’AFA a ainsi rapidement été opérationnelle, et a lancé très tôt ses premiers contrôles. Six contrôles d’initiative ont ainsi été initiés dès l’automne 2017. L’agence a poursuivi sur sa lancée en 2018 et a ouvert 43 contrôles d’initiative, dont plus du tiers portant sur des acteurs publics.

NOMBRE DE CONTRÔLES INITIÉS PAR l’AFA, PAR AN, DEPUIS 2017 (au 31 mars 2021)

 

 

2017

2018

2019

2020

31/03/2021

Initiative

Acteurs économiques

Initiative

6

28

15

15

n.c.

Suite

5

4

n.c.

Acteurs publics

Initiative

15

11

8

n.c.

Suite

5

2

n.c.

Total

6

43

36

29

n.c.

Exécution

CJIP

Nouveaux

4

1

1

Poursuite

4

3

2

Injonction prononcée par la commission des sanctions

1

Source : Agence française anticorruption.

Concernant sa mission d’appui et de conseil, l’AFA a été rapidement en mesure de conduire des actions de sensibilisation, de formation et d’accompagnement. 23 interventions de sensibilisation ont ainsi été réalisées dès 2017, et 66 en 2018, tandis que 6 736 personnes ont assisté aux deux sessions de cours en lignes organisées en 2018. L’agence a par ailleurs traité 135 saisines écrites en 2017 et 152 en 2018.

activités d’appui et de conseil de l’AFA (au 31 mars 2021)

 

2017

2018

2019

2020

2021

2017-2021

Sensibilisation

 

 

 

 

 

 

Nombre de guides édités ou mis à jour (*)

1

4

0

5

Nombre d’interventions de sensibilisation

23

66

69

29

17

204

Formation

 

 

 

 

 

 

Nombre d’ateliers techniques (**)

17

22

8

3

50

Nombre d’actions de formations

12

50

19

10

91

Nombre de personnes formées (***)

n.d.

n.d.

n.d.

n.d.

n.d.

Nombre de sessions de cours en ligne

2

3

3

1

9

Nombre de personnes ayant assisté aux cours en ligne

6 736

6 992

8 693

2 045

24 466

Nombre de colloques organisés

1

1

1

3

Accompagnement

 

 

 

 

 

 

Nombre de saisines écrites reçues par l’AFA

135

152

109

95

57

548

Nombre de saisines écrites traitées par l’AFA

135

152

109

91

36

523

Nombre d’entreprises individuelles accompagnées

8

7

4

2

21

Nombre d’acteurs publics accompagnés

12

9

9

3

33

(*) Hors recommandations de l’AFA publiées en 2017 et 2021, hors Lignes publiées en 2019 et hors chartes de l’appui aux acteurs économiques, de l’accompagnement des acteurs publics et des droits et devoirs des parties prenantes au contrôle.

(**) Chaque atelier technique accueille entre 10 et 40 entreprises.

(***) En règle générale, le nombre des personnes formées se situe dans une fourchette d’une dizaine à une soixantaine de personnes. Cette jauge est plus importante en webinaire.

Source : Agence française anticorruption.

2.   Si des maladresses ont pu être commises lors des premiers contrôles, l’agence a par la suite fait évoluer ses méthodes et son organisation

Le déroulement des contrôles est structuré de manière cohérente, et correctement formalisé. Afin d’exposer les modalités de réalisation des contrôles, et de préciser les principes de bonne conduite suivis par les agents en charge ainsi que les comportements attendus des personnes sollicitées à cette occasion, l’agence a publié sur son site internet une Charte des droits et devoirs des parties prenantes aux contrôles. Si elle n’a pas vocation à décrire avec exhaustivité tous les détails d’un contrôle, cette charte informe les personnes contrôlées des pratiques d’usage, et constitue ainsi un outil utile à leur disposition.

Les personnes auditionnées ont toutefois émis des critiques sur la manière dont se seraient déroulés les premiers contrôles, trop lourds et intrusifs, ce qui semble avoir nui à l’établissement d’une relation de confiance avec les entreprises.

 

Lors de son audition par vos Rapporteurs, le directeur de l’AFA, M. Charles Duchaine, défendait la vigueur des contrôles conduit par l’agence, et relevait : « Nos contrôles portent d’abord sur l’existence des dispositifs de prévention de la corruption, mais également sur leur efficacité et leur effectivité. Je ne veux pas être soupçonné de cautionner un système cosmétique. Je l’ai trop supporté dans des fonctions antérieures. »

Il reconnaissait néanmoins que les premiers contrôles conduits par l’AFA, trop étendus, avaient pu poser des difficultés, que l’agence avait pu, à ses débuts, avancer par « tâtonnements », et qu’elle s’était parfois montrée « jusqu’au-boutiste » sur certains sujets. Il indiquait ainsi : « Nous avons péché par la volonté de bien faire ». Dans la réponse au questionnaire transmis par vos Rapporteurs, il faisait par ailleurs état d’une « insuffisante maîtrise des délais de contrôle, dans un contexte marqué par de sérieuses difficultés opérationnelles » ([103]).

Tirant les enseignements de ces premières expériences, l’agence a procédé à des améliorations concernant la gestion des ressources humaines, le déroulement des contrôles et la formalisation des rapports.

a.   Les difficultés rencontrées lors des premiers contrôles

Les critiques portaient sur plusieurs points :

– de manière générale, l’approche retenue par l’AFA lors de certains contrôles laisserait penser que l’objectif ne serait pas tant de contrôler la qualité du dispositif de prévention et de détection de la corruption mis en place au sein de la société contrôlée que de rechercher d’autres manquements ou infractions éventuels ;

– certaines entreprises et leurs conseils ont souligné que l’agence éprouverait des difficultés à appréhender le profil de risque de l’entreprise. Elle suivrait une approche très abstraite, laissant peu de place à la proportionnalité dans l’appréciation de la mise en œuvre des obligations et des recommandations ;

– par ailleurs, l’agence aurait suivi, surtout lors des premiers contrôles, une approche exhaustive la conduisant à demander de très grandes quantités de documents dans un temps limité ;

– la phase contradictoire ne serait pas suffisamment exploitée ;

– enfin, les contrôles ne feraient pas l’objet d’un calendrier suffisamment précis et certains atteigneraient des durées excessives, et qui ne seraient pas adaptées à la vie des entreprises qui, le temps du contrôle, peuvent changer de périmètre (à la suite de fusions ou d’acquisitions), ou faire évoluer leurs programmes de conformité.

i.   La finalité des contrôles

Aux termes de l’article 1er de la loi Sapin 2, la mission de l’AFA consiste à « aider les autorités compétentes et les personnes qui y sont confrontées à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme ». Si les articles 3 et 17 donnent compétence à l’AFA pour contrôler la « qualité et l’efficacité des procédures mises en œuvre » par les acteurs publics pour prévenir et détecter les faits d’atteinte à la probité, ainsi que le respect par les acteurs économiques des « mesures et procédures destinées à prévenir et à détecter la commission, en France ou à l’étranger, de faits de corruption ou de trafic d’influence », le législateur n’a pas entendu conférer à l’Agence française anticorruption un rôle d’enquête et de poursuite.

L’AFA peut signaler au procureur de la République compétent les crimes et délits dont elle a connaissance au titre de l’article 40 du code de procédure pénale. Toutefois, ces signalements n’interviennent que de manière incidente, et ne constituent pas l’objectif des contrôles, qui visent à vérifier la bonne application des obligations issues des articles 3 et 17 de la loi, c’est-à-dire l’effectivité des dispositifs de prévention et de détection de la corruption. L’agence indique avoir ainsi réalisé 14 signalements à l’autorité judiciaire au titre de l’article 40 du CPP, entre sa création et le 31 décembre 2020.

Le rôle dévolu à l’agence avait été précisé dès les travaux préparatoires. Dans son avis du 24 mars 2016, le Conseil d’État indiquait ne pas avoir adopté la formulation suivant laquelle le service est chargé de la « détection » de la corruption, « terme susceptible de créer une confusion avec la compétence des autorités judiciaires pour constater des infractions, et avec les responsabilités des entités administratives ou économiques elles-mêmes, astreintes à un devoir de vigilance particulier dans ce domaine, à charge ensuite pour elles, en cas d’infraction, de le signaler au procureur ». Aussi le Conseil d’État avait-il retenu que le service devait être « chargé d’aider à la prévention et à la détection, par les autorités compétentes et les personnes concernées, des faits de corruption ».

La question avait par la suite été abordée lors des débats parlementaires, et les travaux préparatoires laissent peu de doute quant à l’intention du législateur. Le rapporteur de la commission des Lois à l’Assemblée nationale, M. Sébastien Denaja, relevait ainsi dès l’examen du texte en première lecture que « l’Agence anticorruption n’est pas un parquet national financier bis : ses missions  détection, prévention – sont très différentes » ([104]).

Toutefois, certaines personnes auditionnées ont indiqué que la finalité des contrôles conduits par l’agence était parfois ambiguë, le déroulement des contrôles paraissant orienté vers la recherche de potentielles infractions, et non vers le contrôle de la mise en œuvre des dispositifs de prévention et de détection prévus par la loi.

À la fin de l’année 2017, le directeur de l’AFA identifiait, dans une interview donnée à l’agence Reuters, certaines limites structurelles à l’action de l’agence dans la lutte contre la corruption. Il regrettait notamment la faiblesse de ses pouvoirs d’investigation, qui ne permettraient de ne « mettre au jour des faits de corruption que de manière assez accidentelle » ([105]).

La réponse écrite de l’AFA au questionnaire transmis par vos Rapporteurs entretient cette ambiguïté. Elle souligne que la loi Sapin 2 avait « d’abord investi l’AFA d’une mission de détection […] Mais les outils de cette détection n’ont pas été donnés à l’AFA dont les missions de détection semblent contestées et dont les initiatives prises en ce domaine ne semblent pas avoir pas été particulièrement goûtées. »

Vos Rapporteurs considèrent que les contrôles doivent porter sur la mise en œuvre des dispositifs de prévention de la corruption, dans l’objectif d’aider les autorités compétentes à prévenir et à détecter les faits de corruption et d’atteinte à la probité.

S’il n’est bien évidemment pas question de remettre en cause la nécessité de signaler au parquet les infractions détectées lors des contrôles, en application de l’article 40 du code de procédure pénale, de tels signalements ne doivent pas constituer l’objectif à atteindre.

ii.   La durée des contrôles

S’agissant des délais, l’agence a indiqué que lors des entretiens initiaux, l’organisation du contrôle et sa durée indicative étaient « partagées avec les entités contrôlées », et que les opérations de contrôle étaient « calibrées pour s’étendre, pour un contrôle global, sur une durée d’un an ».

Toutefois, d’après les éléments transmis par l’agence, sur 52 contrôles terminés, seul un quart a pu être achevé en un an, et moins de la moitié (25) a pu être bouclée en moins de 18 mois. 15 contrôles se sont étendus sur une durée supérieure à deux ans, et la durée d’un contrôle a même atteint 36 mois.

DurÉe des contrôles conduits par l’AFA (au 31 mars 2021)

 

0 à 6 mois

7 à 12 mois

13 à 18 mois

19 à 24 mois

25 à 30 mois

31 à 36 mois

Plus de 36 mois

Nombre de contrôles

1

13

12

11

9

6

0

Source : Agence française anticorruption.

 

L’agence souligne que « la durée (écart entre l’avis de contrôle et la notification du rapport définitif) moyenne des contrôles clôturés au 31 mars 2021 est de 19 mois, pour une médiane de 18 mois (21 et 22 mois pour les contrôles des acteurs économiques, 17 et 16 mois pour les contrôles des acteurs publics) ». Des difficultés particulières ont été rencontrées concernant les contrôles ouverts en 2018, dont la durée moyenne et médiane atteint 27 mois.

Interrogée sur ce point par vos Rapporteurs, l’AFA a reconnu que les premiers contrôles d’initiative sur les acteurs économiques ouverts en 2017 et 2018 ont pu présenter des « difficultés particulières », qu’elle attribue principalement à des problèmes tenant à la gestion de ses ressources humaines (voir infra).

De tels délais ne permettent pas à l’agence d’accompagner convenablement les entreprises dans l’amélioration de leurs dispositifs de contrôles. Ils sont en outre susceptibles d’entraîner des difficultés en cas de saisine de la commission des sanctions, puisque celle-ci apprécie la conformité du dispositif de prévention et de détection de la corruption au moment où elle statue.

À l’occasion de la première décision qu’elle a rendue, la commission des sanctions a ainsi constaté la caducité des observations formulées par le directeur de l’agence. ([106])

iii.   Le caractère exhaustif des contrôles

Une critique récurrente formulée par les entreprises a porté sur l’ampleur des documents et informations demandées par l’agence au cours des contrôles, et sur l’utilisation faite de ces documents.

Le questionnaire publié sur le site de l’agence fait ainsi état de 163 questions ([107]), qui constituent le préalable à tout contrôle, des documents complémentaires pouvant être demandés par l’agence. Cela représenterait une quantité de documents très importante (de 500 à 800 documents pour les grandes entreprises, selon les personnes auditionnées).

L’AFA exigerait ainsi la fourniture de documents qui dépasseraient le périmètre du dispositif de conformité des entités contrôlées (tels que des contrats de travail, des rapports d’audits internes, des pièces comptables, ou des notes couvertes par le secret professionnel).

Selon les personnes auditionnées, ces demandes auraient été de nature à excéder les capacités de traitement immédiates de l’agence.

Enfin, certaines personnes auditionnées ont avancé que la conservation des documents et informations transmis à l’agence, qui sont pourtant particulièrement sensibles, ne serait pas suffisamment sécurisée. L’agence dément ce point.

La sécurité des documents et informations transmis à l’AFA

Les documents et informations transmis sont conservés dans des conditions garantissant la confidentialité :

– les documents papier, relativement rares, sont stockés dans les bureaux de l’AFA qui sont sécurisés. Les agents sont sensibilisés à la nécessité de fermer à clé leur bureau et leurs armoires. Les pièces les plus sensibles sont stockées dans un coffre-fort ;

– les fichiers sont transmis de manière sécurisée aux équipes de contrôle (messagerie gérée par le ministère de l’Économie et des finances, plateforme de téléchargement SOFIE gérée par le ministère) ;

– les fichiers sont archivés sous un réseau sécurisé, accessible aux équipes de contrôle concernées et à leur hiérarchie. Depuis 2020 et le déploiement d’un outil SI spécifique aux contrôles, ils sont stockés sur cet outil qui a été conçu par le ministère de l’Économie et des finances. L’objectif de sécurisation et de confidentialité des données stockées a été pris en compte tout au long des travaux d’élaboration de cet outil, à travers notamment des audits de sécurité et d’intrusion en lien avec la criticité des informations transmises. L’outil a notamment été validé par le SHFDS ministériel.

Source : Agence française anticorruption.

Par ailleurs, au-delà des questions relatives à la quantité des informations demandées, se pose la question de la nature des documents transmis. Les personnes auditionnées ont relevé que l’AFA mettait en œuvre une conception étendue du droit de communication qui lui était conféré par l’article 4 de la loi.

Cet article prévoit en effet que les agents « peuvent être habilités, par décret en Conseil d’État, à se faire communiquer par les représentants de l’entité contrôlée tout document professionnel, quel qu’en soit le support, ou toute information utile. Le cas échéant, ils peuvent en faire une copie. Ils peuvent procéder sur place à toute vérification de l’exactitude des informations fournies. Ils peuvent s’entretenir, dans des conditions assurant la confidentialité de leurs échanges, avec toute personne dont le concours leur paraît nécessaire. »

Le décret du 14 mars 2017 précité précise que les « magistrats ou fonctionnaires de catégorie A affectés dans les unités de contrôle et d’expertise […] sont habilités de plein droit à exercer les contrôles » prévus par la loi.

La loi prévoit par ailleurs une amende de 30 000 euros en cas d’entrave à l’exercice de ce droit de communication.

La commission des sanctions de l’AFA a par ailleurs précisé qu’elle pouvait être amenée à se prononcer sur l’utilité des documents ou informations demandés par l’agence, dans le cadre de l’examen au fond des faits et des pièces sur lesquels elle s’appuie pour établir les manquements invoqués ([108]). L’exercice du droit de communication est ainsi limité par sa finalité et sa nécessité, la commission des sanctions insistant sur le fait que l’AFA peut solliciter des documents et renseignements dès lors qu’ils sont « utiles », « notamment par ce qu’ils sont de nature à permettre d’appréhender concrètement l’exposition de l’entité contrôlée aux risques de corruption et de trafic d’influence eu égard à la façon dont l’entité contrôlée a fait face dans le passé à l’exposition à ces risques ».

La charte des droits et devoirs des parties prenantes aux contrôles précitée relève que « les entités contrôlées ne peuvent se prévaloir du secret professionnel pour refuser d’accomplir l’une de ces obligations », sans en préciser le fondement juridique.

Les auditions conduites par vos Rapporteurs ont relevé certaines difficultés concernant l’application du secret professionnel de l’avocat, du secret bancaire et du secret des commissaires aux comptes, et leur articulation avec ce droit de communication général.

Selon les personnes auditionnées, l’AFA considérerait que le secret professionnel de l’avocat ne ferait pas obstacle à ce que certains documents lui soient transmis, notamment lorsque ceux-ci sont étrangers à l’exercice des droits de la défense.

Interrogée sur cette question, l’agence relève en effet que « les demandes de pièces adressées aux entités contrôlées dans le cadre de ses contrôles ne sont pas couvertes par le secret de l’avocat tel que figurant dans la loi de 1971 et interprété par la CEDH et les juridictions nationales », et insiste sur le fait qu’il « ne s’agit ni de courriels ni de correspondances ni de consultations susceptibles de s’inscrire dans une stratégie de défense, mais de documents professionnels, dont l’élaboration aurait tout aussi bien pu être confiée à un autre prestataire externe (cabinet d’audit et de conseil, par exemple), permettant d’apprécier comment l’entité contrôlée a pu élaborer ou modifier ses mesures et procédures de prévention et de détection, comme les comptes rendus d’entretiens dans le cadre de l’élaboration de la cartographie des risques de corruption, des notes de méthodologie, ou encore des notes d’analyse s’inscrivant dans la procédure d’évaluation des tiers » ([109]).

L’AFA maintient la même position concernant le secret bancaire et le secret des commissaires aux comptes, alors même que les exceptions permettant de lever le secret professionnel de ces professions doivent être prévues par la loi ([110]).

Cette approche serait de nature à affaiblir les protections dont bénéficient les entreprises ayant fait l’objet d’un contrôle, en cas d’enquête menée par des juridictions étrangères. En application du principe du subject matter waiver, applicable dans les pays de common law, la transmission de documents et d’informations couverts par le secret professionnel aux autorités françaises, à l’occasion d’un contrôle de l’AFA, pourrait être considérée comme une renonciation au legal privilege leur étant attaché. Il pourrait dès lors contraindre les entreprises concernées à ne pas pouvoir refuser de transmettre de nombreux documents aux autorités de poursuites d’États étrangers, en cas de litige ou d’enquête.

iv.   La conduite de la phase contradictoire

Les personnes auditionnées ont néanmoins relevé certaines lacunes dans la conduite de la phase contradictoire, faisant état de la formalisation de constats partiels par l’agence, et d’une absence de dialogue avec les contrôleurs. Certaines personnes auditionnées ont ainsi relevé que les entretiens menés avec les salariés des entreprises contrôlées ne devraient pas dans certains cas s’apparenter à des auditions et devraient systématiquement faire l’objet de procès-verbaux pour éviter toute difficulté dans la rédaction du rapport final.

Par ailleurs, la phase qui suit la remise du projet de rapport, et qui permet à la personne morale de faire valoir ses observations, ne serait pas suffisamment exploitée, l’agence ne prenant que peu en compte les retours alors formulés.

À l’occasion de sa deuxième décision, la commission des sanctions a relevé que « le rôle de conseil de l’Agence auprès des entreprises ne s’arrête pas avec le contrôle mais devrait persister jusqu’à la notification des griefs qui devrait s’efforcer à plus de pédagogie, d’autant plus que les obligations de la loi du 9 décembre 2016 laissent parfois d’importantes marges d’interprétation » ([111]).

Vos Rapporteurs relèvent que la phase contradictoire doit constituer une étape structurante dans la procédure de contrôle, et pourrait être utilisée comme un véritable levier pour aider les entreprises dans l’amélioration du dispositif de prévention et de détection de la corruption mis en œuvre.

v.   La tonalité générale des rapports

Les personnes auditionnées ont relevé la tonalité généralement très négative des conclusions des rapports de l’AFA concernant les acteurs économiques. Ils ont également critiqué l’approche binaire retenue par l’agence : celle-ci aurait tendance à considérer que les obligations seraient remplies ou non, laissant peu de place à une approche proportionnée et mesurée de la maturité des dispositifs anticorruption.

Cette approche présenterait plusieurs inconvénients :

– elle n’indique pas clairement aux acteurs contrôlés les priorités et les points les plus sensibles, et ne leur donne ainsi pas les moyens de s’améliorer ;

– elle donne l’impression que l’agence produit des analyses à charge de manière assez partiale, et cherche avant tout à sanctionner les entreprises, ce qui nuit à l’établissement d’une relation de confiance ;

– en cas d’enquête internationale, le caractère très critique des recommandations formulées pourrait affaiblir la défense de l’entreprise face aux autorités de poursuites étrangères.

L’agence reconnaît que la manière initiale de rédiger les rapports de contrôle sur les acteurs économiques, « qui, conformément aux approches habituelles de l’audit, ne faisaient état que des écarts à l’attendu », a pu être perçue comme « excessivement négative », d’autant que les rapports définitifs « ne valorisaient pas suffisamment les efforts fournis depuis la fin du contrôle et les engagements que l’entreprise entendait prendre pour achever sa mise en conformité après le contradictoire ».

b.   La jurisprudence de la commission des sanctions a permis d’apporter des précisions utiles concernant le déroulement des contrôles

La commission des sanctions de l’agence a rendu deux décisions, en juillet 2019 et en janvier 2020.

Sa jurisprudence a permis d’apporter des précisions utiles concernant le déroulement des contrôles, et la procédure est encadrée de garanties suffisantes.

La commission des sanctions a notamment insisté sur l’absence de caractère contraignant des recommandations de l’AFA ainsi que sur la prise en compte des évolutions du dispositif postérieures au contrôle lors de la décision. Elle a par ailleurs précisé que la démonstration de l’existence d’un manquement par l’agence ne peut s’appuyer ni sur la méconnaissance de prescriptions formelles ou méthodologiques non publiées, ni sur celle d’exigences ajoutées par les recommandations de l’AFA à celles prévues par la loi ([112]). Elle a par ailleurs précisé que lorsque l’entreprise affirme avoir suivi les recommandations de l’AFA, il revient à cette dernière de démontrer en quoi elle les aurait suivies de manière incomplète ou incorrecte. Cette interprétation, qui crée une « présomption simple de conformité » a par la suite été intégrée aux recommandations de l’AFA, lors de leur mise à jour de janvier 2021 ([113]).

Vos Rapporteurs considèrent toutefois que la saisine de la Commission par le directeur de l’agence devrait être réservée à des situations plus restreintes.

En effet, dans sa première décision, la commission des sanctions a écarté tous les griefs, et a estimé qu’il n’y avait pas lieu de prononcer de sanction. La commission a constaté que la société était parvenue à se mettre en conformité depuis le contrôle, près de huit mois s’étant écoulés entre la communication du rapport d’enquête à la société (juillet 2018) et la saisine de la commission (mars 2019).

Cette décision a ainsi pu donner l’impression que les manquements relevés par le directeur de l’agence n’étaient pas constitués au moment de la publication du rapport d’enquête. En réalité, la décision de la commission souligne que si certains manquements n’étaient pas établis, d’autres avaient été comblés au moment où elle statuait.

La procédure de contrôle préalable à la première décision
de la commission des sanctions du 4 juillet 2019

Le rappel des faits et de la procédure ayant conduit à la première décision de la commission des sanctions (Décision n° 19-01, Société S SAS et Mme C, 4 juillet 2019) fait état de délais intermédiaires significatifs :

– l’avis de contrôle de la société et de l’ensemble du groupe a été signé par le directeur de l’agence le 17 octobre 2017 ;

 le contrôle sur pièces, puis sur place, s’est déroulé du 18 octobre au 15 décembre 2017 ;

– le rapport d’enquête a été communiqué à la société le 6 juillet 2018 ;

– il a fait l’objet d’une réponse documentée le 10 septembre 2018 ;

– après avoir pris en compte les nouveaux éléments d’information figurant dans cette réponse, le directeur de l’agence a notifié ses griefs le 13 mars 2019, et a saisi le même jour la commission des sanctions ;

– la lettre de saisine précise que le contrôle de l’agence a conduit à relever l’existence de huit manquements et qu’à la suite de l’examen des éléments fournis par la société à l’appui de sa réponse du 10 septembre 2018, cinq manquements subsistent ;

– la société et sa dirigeante ont présenté des observations les 24 mai, 19, 20 et 24 juin 2019 ;

– le directeur de l’AFA a présenté un mémoire en réplique le 24 juin 2019 ;

– la commission des sanctions a rendu sa décision le 4 juillet 2019.

Si on peut se satisfaire que le contrôle conduit par l’AFA ait conduit, in fine, à l’amélioration du dispositif anticorruption mis en œuvre, le caractère excessif du délai qui sépare la fin du contrôle de la communication du rapport d’enquête, puis de la saisine de la commission, est préjudiciable à l’agence comme aux entités contrôlées :

– cela affecte la crédibilité de l’agence, dont les observations ont été écartées par la commission ;

– cela tend à nuire à l’image de la société, la procédure devant la commission des sanctions étant publique, et ce bien qu’elle ne porte pas sur des faits de corruption ([114]).

Afin d’éviter ces écueils, vos Rapporteurs proposent de limiter la saisine de la commission des sanctions à des hypothèses plus restreintes, par exemple, lorsque la mauvaise foi de l’entreprise est caractérisée ou lorsqu’elle n’a pas coopéré lors du contrôle.

En dehors des situations dans lesquelles les personnes morales méconnaîtraient manifestement leurs obligations, vos Rapporteurs proposent de faire obligatoirement précéder la saisine de la commission des sanctions d’une injonction de mise en conformité prononcée par l’agence : si la personne morale ne s’est pas conformée à cette injonction dans un certain délai, par exemple dans un délai de six mois, alors le directeur de l’agence pourrait saisir la commission des sanctions.

Cette procédure traduirait la priorité donnée à la mise en conformité sur le recours aux sanctions.

Proposition n° 2 : Faire obligatoirement précéder la saisine de la commission des sanctions d’une injonction de mise en conformité prononcée par l’agence et limiter la saisine directe de la commission des sanctions à des hypothèses plus restreintes (par exemple, lorsque la mauvaise foi de l’entreprise est caractérisée ou lorsqu’elle n’a pas coopéré lors du contrôle).

S’agissant de la question de la publicité, l’agence relève que « si ni l’AFA ni la commission des sanctions n’ont jusqu’à présent communiqué sur les entités faisant l’objet d’une saisine, il a été remarqué que la presse et les réseaux sociaux ont pu évoquer leur identité, notamment lors de l’audience ou après celle-ci, les deux audiences s’étant tenues jusqu’ici ayant été publiques. Les sociétés spécialisées s’appuient notamment sur ces sources pour enrichir leurs bases de données compliance. »

L’agence relativise les éventuelles conséquences négatives en termes d’image que pourrait causer l’audience devant la commission des sanctions, dans la mesure où ces bases sont généralement structurées en deux parties (une partie « sanctions » et une partie « informations négatives »), et qu’elles prennent en compte les décisions finales de la commission des sanctions, notamment en cas de décision favorable à l’entité.

Afin de limiter tout risque de publicité négative pour les entreprises avant que la décision ne soit rendue, vos Rapporteurs proposent d’assurer une confidentialité totale des débats devant la commission des sanctions.

Cette possibilité est d’ores et déjà ouverte par l’article 9 du règlement intérieur de la commission des sanctions, qui dispose que « l’audience est publique. Toutefois, le président peut interdire au public l’accès de la salle pendant tout ou partie de l’audience pour préserver l’ordre public ou lorsque la publicité est susceptible de porter atteinte au secret des affaires ou à tout autre secret protégé par la loi. »

L’agence considère qu’instaurer une confidentialité totale pourrait limiter la transparence autour des dossiers, et n’empêcherait pas d’éventuelles fuites. Vos Rapporteurs estiment toutefois que dans la mesure où les décisions sont publiées, sous une forme anonymisée (en application de l’article 13 du règlement intérieur), et que la commission des sanctions peut ordonner la publication, la diffusion ou l’affichage de la décision d’injonction ou de sanction pécuniaire (V de l’article 17 de la loi Sapin 2), la transparence des décisions sera assurée.

Proposition n° 3 : Assurer une confidentialité totale des débats devant la commission des sanctions, pour éviter les conséquences négatives pour l’image des entreprises d’une saisine en dehors de tout fait de corruption (éviter le name and shame du fait de l’inscription de la société sur les bases de données de compliance).

c.   L’agence a pris conscience de ces difficultés et a fait évoluer ses méthodes de contrôle

L’agence a indiqué à vos Rapporteurs avoir pris conscience de ces difficultés, et a mis en œuvre des mesures pour les corriger.

i.   L’amélioration de la gestion des ressources humaines de l’agence

Les problèmes de gestion des ressources humaines rencontrés par l’agence au cours de l’année 2018 ont obéré sa capacité à maîtriser les délais.

L’agence relève ainsi que les contrôles initiés en 2018 ont été affectés « par une montée en compétence plus lente qu’attendu par certains agents, et par un fort turnover. Ainsi, 9 contrôles ont été impactés par le départ en cours de contrôle d’un ou plusieurs membres de l’équipe. » Parmi les contrôles ouverts en 2018, 4 rapports notifiés pour contradictoire en 2020 ont par ailleurs « fait l’objet d’une prolongation de délai de remise des observations écrites en lien avec la crise sanitaire ».

L’agence fait par ailleurs état de « postures maladroites adoptées pendant certains contrôles, comparables à celles observées dans les contrôles fiscaux ou les enquêtes judiciaires, qui ont pu brouiller la perception par certaines entreprises de la nature des contrôles de l’AFA ».

Elle impute ces difficultés à un « écart initial significatif entre la nature des missions de contrôle de l’AFA et le profil de certains agents recrutés appelés à les exercer » ainsi qu’à une « organisation initiale du département du contrôle des acteurs économiques de nature à rigidifier la gestion des ressources ».

Pour remédier à ces faiblesses, l’agence indique avoir fait évoluer son organisation et sa méthodologie. L’agence a ainsi indiqué avoir procédé au recrutement d’agents aux profils plus adaptés à ses missions de contrôle, issus du secteur privé et provenant de fonctions d’audit, d’inspection ou de conformité ([115]) et a changé son organisation interne pour permettre une plus grande spécialisation ([116]). Elle a par ailleurs renforcé l’accompagnement méthodologique des agents du contrôle, à travers la rédaction de guides méthodologiques et le déploiement d’un plan de formation adapté. Un vade-mecum a ainsi été diffusé en mars 2021 auprès de tous les agents de l’AFA.

ii.   La diversification des contrôles et le développement des contrôles thématiques

L’agence reconnaît également que « la profondeur et l’intensité des premiers contrôles globaux a pu interroger certaines entreprises, pour la plupart peu familières des contrôles de conformité pratiqués dans certains secteurs d’activité comme le secteur bancaire, dans la mesure où ils s’accompagnaient notamment d’une durée de contrôle et de demandes de pièces jugées difficiles à gérer, alors même que celles-ci se justifiaient par la nécessité de mener à bien des contrôles qui doivent permettre, outre l’appréciation de l’existence et de la qualité "sur le papier" des mesures et procédure, celles de leur déploiement effectif et efficace ».

S’agissant du questionnaire de 163 questions publié sur le site de l’AFA, le délai de réponse, initialement fixé à deux semaines, a été rallongé à un mois à partir de l’automne 2020.

Vos Rapporteurs reconnaissent qu’en raison de la nature de la mission de l’AFA, l’agence est portée à demander des quantités importantes de documents et d’informations, et que ceux-ci constituent des informations sensibles. Toutefois, ils insistent sur la nécessité de mieux concentrer les demandes, qui doivent être proportionnées à la nature des contrôles conduits par l’AFA. L’AFA gagnerait également à accompagner l’évolution vers des contrôles plus ciblés (voir infra), en procédant à la rationalisation et à la modulation de son questionnaire.

Proposition  4 : Mieux cibler les demandes d’informations et de documents, qui doivent être proportionnées à la nature des contrôles conduits par l’AFA, et modulées selon le type de contrôle conduit.

Par ailleurs, à partir de l’année 2019, et suite à ce premier retour d’expérience, l’agence a diversifié les modalités des contrôles d’initiative, à travers plusieurs voies :

– le lancement de contrôles thématiques, qui ne portent que sur certaines composantes du dispositif anticorruption. 12 contrôles de ce type ont ainsi été ouverts fin 2019 sur certaines entreprises du secteur des bâtiments et travaux publics, les entités n’étant contrôlées que sur ce métier, et sur trois thématiques (engagement de l’instance dirigeante, cartographie des risques de corruption et évaluation des tiers). De nouveaux contrôles thématiques portant sur deux autres secteurs d’activité (assurances, eau), particulièrement exposés aux risques, ont été ouverts en 2020. L’agence relève que cette approche facilite « l’appréhension des foyers de risques […] et des bonnes pratiques […] spécifiques à certains secteurs d’activité, ces thématiques se prêtent en outre à une capitalisation et une mutualisation des enseignements des contrôles réalisés à travers des guides sectoriels » ([117]) ;

– l’ouverture de contrôles de suite, destinés à apprécier la mise en œuvre des recommandations faites par l’AFA lors des contrôles initiaux ;

– la réalisation de contrôles dits « in itinere », qui consistent non seulement à auditer les dispositifs anticorruption, mais également à accompagner les entités concernées dans la conception, la validation, le déploiement des mesures et procédures qui demeureraient à mettre en œuvre ([118]) ;

– l’expérimentation d’un contrôle dit « collaboratif » ouvert en 2020, visant à apprécier d’abord l’existence et la pertinence des mesures et procédures existantes (sans réaliser d’échantillonnage destiné à apprécier leur efficacité), puis de réaliser un plan d’actions et de déployer les mesures, et enfin de s’assurer de leur efficacité.

L’agence a indiqué qu’en 2021, elle s’attacherait à « amplifier le déploiement des modalités de contrôle décrites ci-dessus, modulant la portée et la profondeur des contrôles en fonction notamment des profils de risques des entités », et que cette modulation « pourra conduire, dans certains cas, face à des entités contrôlées dont le dispositif de prévention et de détection est inexistant ou au stade de la conception, à adopter une stratégie de contrôle qui privilégiera le contrôle de suite sur le contrôle initial » ([119]).

S’agissant du caractère contradictoire du contrôle, l’agence indique que des entretiens sont désormais dirigés au début et à la fin de chaque contrôle par l’équipe en charge, sous deux formes :

 les entretiens initiaux permettent à l’équipe de contrôle de présenter à l’entité contrôlée la démarche qui sera suivie, et de bénéficier d’une première présentation de l’entité contrôlée ;

 l’entretien de fin de contrôle permet de faire une première restitution orale à l’entité contrôlée des résultats des opérations de contrôle et d’exposer les suites possibles, sans préjuger du contenu du rapport provisoire qui lui est ensuite transmis. Si cette phase a toujours existé pour les acteurs publics, elle n’a en revanche été permise que récemment pour les acteurs économiques.

L’agence relève enfin que « tous les contrôles engagés par l’AFA suivent une procédure contradictoire, que ce soient les contrôles d’initiative ou les contrôles d’exécution ». Elle précise ainsi qu’à l’issue d’un contrôle, un rapport provisoire est envoyé ; l’entité contrôlée dispose alors de deux mois pour faire ses observations en réponse, à la suite de quoi les réponses sont analysées par l’AFA et un rapport définitif, tenant compte de cette réponse, est établi et transmis à l’entité contrôlée. Durant la période du contradictoire, il est systématiquement proposé aux entités de rencontrer le directeur de l’AFA.

Vos Rapporteurs se félicitent de ces évolutions, et encouragent l’agence à poursuivre les efforts engagés pour favoriser la réalisation de contrôles plus courts et plus concentrés. Ils proposent ainsi de définir un calendrier prévisionnel plus précis et de privilégier des contrôles plus courts, ne dépassant pas douze mois en incluant la phase de contradictoire (soit huit à dix mois pour un contrôle), et de conduire des contrôles plus restreints, en abandonnant la pratique des contrôles exhaustifs au profit des contrôles thématiques, en développant la pratique du contrôle de suite, et en allégeant en contrepartie les contrôles initiaux.

Proposition n° 5 : Poursuivre les efforts déjà engagés par l’Agence française anticorruption, et favoriser la réalisation de contrôles plus courts et plus concentrés :

– définir un calendrier prévisionnel plus précis, et privilégier des contrôles plus courts, ne dépassant pas 12 mois en incluant la phase de contradictoire, soit huit à dix mois pour un contrôle ;

 privilégier des contrôles plus restreints : abandonner la pratique des contrôles exhaustifs au profit des contrôles thématiques, développer la pratique du contrôle de suite, et alléger en contrepartie les contrôles initiaux.

 

iii.   Les solutions apportées aux difficultés tenant à l’application du secret professionnel

L’agence indique qu’à l’exception des cas qui concernaient le secret des commissaires aux comptes, qui a systématiquement été opposé aux équipes de contrôle, les difficultés évoquées ont pu trouver des solutions concertées avec les entités contrôlées.

L’agence souligne qu’à l’occasion du seul contrôle où la question de la potentielle application du principe du subject matter waiver s’est posée, elle a renoncé à la communication des rapports demandés ainsi qu’à la possibilité de les consulter dans les locaux de l’entité contrôlée, au bénéfice de la consultation d’autres rapports d’enquête interne n’exposant pas l’entreprise concernée au risque de waiver. L’AFA a pu ainsi « accéder aux informations utiles pour apprécier la robustesse du dispositif d’alerte interne de l’entreprise concernée, tout en ne l’exposant pas à certains risques collatéraux ».

Elle précise enfin qu’aucun fait susceptible de constituer une entrave au contrôle n’a par ailleurs été signalé.

Vos Rapporteurs considèrent qu’il n’est pas opportun de faire évoluer le cadre législatif actuel et d’inscrire dans la loi que le secret bancaire et le secret des commissaires aux comptes ne peuvent être opposés à l’AFA. S’agissant du secret professionnel de l’avocat, le Parlement légifère actuellement sur le secret professionnel de l’avocat, dans l’objectif de renforcer son opposabilité aux autorités d’enquête. Si la réforme venait à être adoptée, l’AFA devra nécessairement faire évoluer ses pratiques pour s’y conformer ([120]).

iv.   La formalisation des rapports

Depuis 2019, l’agence a indiqué s’attacher à valoriser « les efforts fournis depuis la fin du contrôle et les engagements pris pour achever la mise en conformité » dans les rapports de contrôles définitifs sur les acteurs économiques.

Par ailleurs, en 2020, l’agence a introduit et généralisé l’usage d’une échelle de maturité.

EXEMPLE D’ÉCHELLE DE MATURITÉ POUR LE CODE DE CONDUITE D’UNE ENTREPRISE PRÉSENTANT TROIS COMPOSANTES (UNE MÈRE ET DEUX DE SES FILIALES)

Source : Agence française anticorruption.

Cette échelle de maturité doit être complétée, en 2021, par le score moyen d’entités comparables, permettant ainsi à une entité contrôlée de se situer dans son écosystème (sa filière et son secteur d’activité notamment).

Vos Rapporteurs soulignent l’importance d’une amélioration de la présentation des conclusions des rapports et la nécessité de favoriser une appréciation plus nuancée du respect par les entreprises de leurs obligations, afin d’en développer la dimension pédagogique et l’acceptabilité. Ils se félicitent des améliorations apportées par l’agence et l’encouragent à poursuivre dans cette voie.

L’agence pourrait ainsi aller plus loin, en complétant ses recommandations par l’indication de bonnes pratiques, ainsi que par la définition de mesures de court terme à mettre en œuvre, et d’une feuille de route présentant les objectifs à atteindre à moyen/long terme.

Proposition n° 6 : Poursuivre l’amélioration de la présentation des conclusions des rapports afin de favoriser une appréciation plus nuancée du respect par les entreprises de leurs obligations et d’en développer la dimension pédagogique.

3.   Les activités de conseil et d’accompagnement de l’AFA sont bien assurées

Les travaux conduits par vos Rapporteurs ont en revanche souligné la qualité et l’intérêt de l’action de l’AFA en matière d’appui et de conseil aux acteurs économiques.

Cette activité recouvre, d’une part, la recherche d’une meilleure diffusion du référentiel anticorruption par les acteurs publics et économiques, et d’autre part, celle d’une meilleure connaissance des phénomènes corruptifs.

S’agissant du premier objectif, l’accompagnement de l’agence prend trois formes :

un accompagnement général, par la mise à jour des recommandations de l’agence : l’agence met à jour le référentiel anticorruption par la publication des recommandations, ainsi que par l’élaboration de guides sur des thèmes particuliers. Cinq guides ont ainsi déjà été publiés sur le site internet de l’AFA ([121]). Elle a également publié des Lignes directrices sur la mise en œuvre de la convention judiciaire d’intérêt public, co-rédigées avec le Parquet national financier ;

– un accompagnement plus spécifique : l’agence conduit des actions de sensibilisation et de formation en direction des acteurs économiques et publics et intervient auprès de publics plus restreints. Elle a ainsi réalisé 204 interventions de sensibilisation depuis 2017, et a organisé 50 ateliers techniques, qui accueillent chacun entre 10 et 40 entreprises. Il peut s’agir de conférences destinées aux managers ou à un réseau professionnel spécialisé (acheteurs, responsables conformité ou juridiques, contrôleurs internes), de l’animation d’ateliers avec le comité de direction d’une entreprise ou avec les fédérations et associations professionnelles, de rencontres avec les référents déontologues, ou d’opérations de sensibilisation des membres de la direction générale d’une entreprise. Par ailleurs, près de 25 000 personnes ont assisté aux cours organisés en ligne par l’agence depuis 2017 ([122]) ;

– un accompagnement individuel, sur demande : l’agence répond aux sollicitations des acteurs publics et économiques de demandes d’accompagnement personnalisé sur tout ou partie de leur dispositif anticorruption, et ce quel que soit le stade de sa maturité. L’accompagnement peut prendre la forme de simples réponses à des questions écrites : l’agence a été saisie de plus de 500 demandes depuis sa création. Il peut être plus ambitieux : après avoir réalisé une étude d’impact, l’entreprise est accompagnée sur une durée pouvant aller de quelques semaines à plusieurs mois ; l’objectif est qu’ils disposent à l’issue d’une cartographie des risques, d’un code de conduite et de la mise en place d’actions de sensibilisation de leurs dirigeants et personnels.

Les auditions conduites par vos Rapporteurs ont relevé l’intérêt que représentait l’activité d’appui de l’AFA pour les acteurs publics comme économiques. Le groupe Solocal a ainsi indiqué avoir fait le choix d’être guidé par l’AFA pour la mise en place des dispositifs anticorruption, alors qu’il traversait une phase de restructuration. Le groupe a organisé huit ateliers techniques avec l’AFA entre juillet 2018 et novembre 2020, et a relevé la qualité de l’accompagnement dont il avait bénéficié.

Vos Rapporteurs constatent par ailleurs que l’AFA a mis en œuvre une stratégie de communication pertinente, qui lui a permis de s’imposer rapidement dans le paysage institutionnel français.

L’agence devrait dès lors capitaliser sur ces acquis et renforcer les efforts en matière d’appui et de conseil aux acteurs publics comme économiques. Pour cela, deux actions méritent d’être envisagées :

– d’une part, l’agence pourrait valoriser plus clairement les bonnes pratiques, à travers, par exemple, la réalisation de guides réalisés en lien avec les fédérations ou associations professionnelles ou avec ses homologues étrangers ;

– d’autre part, l’agence gagnerait à renforcer le dispositif de formation et à étendre les partenariats en la matière, qui contribue à diffuser la culture de la lutte contre la corruption.

Proposition n° 7 : Développer l’action de conseil de l’AFA, par la valorisation des bonnes pratiques, ainsi que par le renforcement des formations en direction des acteurs économiques.

4.   En revanche, l’AFA n’est pas parvenue à assurer correctement sa mission de coordination administrative

a.   Le plan pluriannuel de lutte contre la corruption ne constitue pas un véritable instrument de programmation stratégique

L’article 3 de la loi Sapin 2 prévoit que l’Agence française anticorruption « participe à la coordination administrative, centralise et diffuse les informations permettant d’aider à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme ».

À ce titre, et en application du décret du 14 mars 2017 précité, elle « prépare un plan national pluriannuel de lutte contre la corruption, le trafic d’influence, la concussion, la prise illégale d’intérêt, le détournement de fonds publics et le favoritisme ».

Le Plan national pluriannuel de lutte contre la corruption 2020-2022 a été présenté le 9 janvier 2020 ([123]). Il comporte quatre axes, de nature et d’ampleur différentes.

Le contenu du Plan national pluriannuel de lutte contre la corruption 2020-2022

L’axe n° 1 « Mieux connaître et détecter la corruption en optimisant l’exploitation des données » prévoit de renforcer la collecte et l’ouverture des données relatives aux phénomènes de corruption, de renforcer l’exploitation de ces données en mettant à profit le data mining, et de revaloriser les travaux pour mieux connaître les phénomènes de corruption et les zones à risques.

L’axe n° 2 « Former et sensibiliser les agents publics » prévoit de renforcer la formation des acteurs publics les plus exposés et de former les agents impliqués dans la détection des faits de corruption.

L’axe n° 3 « Agir » est composé de cinq parties : (1) accompagner le déploiement des programmes anticorruption dans l’ensemble des ministères d’ici à 2022 ; (2) accompagner le déploiement des programmes anticorruption dans les grandes collectivités territoriales et leurs établissements d’ici à 2022 ; (3) promouvoir la prise en compte de l’intégrité dans les organisations et événements sportifs ; (4) soutenir les entreprises dans leur effort d’appropriation du standard anticorruption français et les encourager à faire de la conformité anticorruption un levier de compétitivité ; (5) mieux sanctionner les atteintes à la probité.

L’axe n° 4 « Renforcer l’action française internationale » identifie plusieurs axes prioritaires : favoriser une approche coordonnée des affaires de dimension internationale afin de limiter les conflits de compétences et harmoniser les sanctions prononcées, y compris par la signature de protocoles de coopération et la création d’un réseau international des agences de prévention de la coopération ; mobiliser l’expertise technique française pour aider au renforcement des capacités des autorités étrangères de lutte contre la corruption ; ériger la lutte contre la corruption parmi les priorités de l’action française dans les enceintes multilatérales en vue de promouvoir les principes de l’État de droit et permettre un développement économique durable.

Dans son rapport consacré à la France dans le cadre du cinquième cycle d’évaluation, le GRECO a relevé que « ce plan pluriannuel de lutte contre la corruption représente une évolution très positive pour mieux faire face aux risques de corruption spécifiques à l’activité gouvernementale menée par les [personnes occupant de hautes fonctions exécutives] (ministres, conseillers et hautsfonctionnaires) puisqu’il prévoit que chaque ministère ait un programme de prévention de la corruption, un code de conduite et une cartographie des risques ».

Vos Rapporteurs relèvent que si l’objectif de ce plan est louable, et qu’il contient effectivement des objectifs ambitieux (en particulier le déploiement des programmes anticorruption dans l’ensemble des ministères et dans les grandes collectivités territoriales et leurs établissements d’ici à 2022), ce plan gagnerait à être développé et approfondi, et devrait suivre une approche plus concrète.

Vos Rapporteurs relèvent que certains objectifs sont formulés de manière très vague, ce qui ne permet pas d’identifier clairement les actions à mettre en œuvre. Ainsi, l’une des actions proposée pour « soutenir les entreprises dans leur effort d’appropriation du standard anticorruption français et les encourager à faire de la conformité anticorruption un levier de compétitivité » (axe n° 3, point n° 3) est rédigée de la manière suivante : « le plan national pluriannuel de lutte contre la corruption prévoit d’aider les entreprises, en lien avec les fédérations professionnelles, à prévenir les risques de corruption (par suite, de perte de valeur économique pour elles) au moyen de la diffusion du standard anticorruption français et de formations appropriées à leur taille et à leurs ressources ainsi qu’aux enjeux sectoriels ».

Le plan fournit par ailleurs peu de précisions sur la manière dont ces recommandations doivent être déclinées concrètement et, s’il fixe une échéance générale en 2022 pour certains objectifs, il ne comporte pas d’éléments relatifs au calendrier de mise en œuvre des différentes mesures. Ainsi, le plan propose notamment d’accompagner les grandes collectivités territoriales et leurs établissements dans le déploiement de leur plan anticorruption, afin que ces acteurs respectent leurs obligations légales à l’horizon 2022, sans que cet objectif ne soit décliné par des mesures opérationnelles.

Le plan ne prévoit pas de modalité d’évaluation permettant de vérifier la réalisation des objectifs fixés, et ne définit pas d’indicateur permettant de suivre ou de mesurer l’atteinte des objectifs ; il ne désigne pas non plus d’autorité « chef de file », alors même que certaines recommandations s’y prêteraient (comme par exemple celles portant sur l’accompagnement du déploiement des programmes anticorruption dans l’ensemble des ministères).

La France gagnerait à s’inspirer des meilleures expériences étrangères, et notamment de la stratégie anticorruption mise en œuvre par le Royaume-Uni, qui constitue un modèle en la matière ([124]).

Cette situation est d’autant plus regrettable que le projet de plan initialement élaboré par l’agence, qu’elle a transmis à vos Rapporteurs, était plus complet et plus détaillé ([125]).

Enfin, vos Rapporteurs relèvent que le plan est passé relativement inaperçu, ce qui s’explique en partie par le fait que sa communication a eu lieu le même jour que la présentation du rapport d’évaluation du GRECO, et a fait l’objet d’une couverture médiatique limitée, les médias ayant, dans l’ensemble, plutôt eu tendance à relayer les constats présentés dans ce rapport ([126]).

Vos Rapporteurs insistent ainsi sur la nécessité de renforcer le plan national pluriannuel de lutte contre la corruption, plus ambitieux, et de l’assortir de mesures concrètes et d’indicateurs permettant d’en suivre l’évolution.

Proposition n° 8 : Adopter un nouveau plan national pluriannuel de lutte contre la corruption, plus ambitieux, détaillé et transparent.

b.   La valeur ajoutée du conseil stratégique de l’agence est faible

Dans la réponse au questionnaire adressé à vos Rapporteurs, l’AFA reconnaissait le faible apport du comité stratégique dans la contribution à la définition de la politique anticorruption à l’échelle nationale.

Elle indiquait que « le conseil stratégique aurait pu jouer ce rôle s’il avait été composé de membres qui sont capables d’engager le gouvernement et de faire appliquer les décisions. Or, ce n’est pas le cas dans la composition du conseil stratégique qui a été retenue. » L’agence concluait qu’après trois années d’existence, le conseil stratégique n’avait « pas joué de rôle de conseil pour orienter l’action de l’AFA ».

L’agence a transmis à vos Rapporteurs l’ordre du jour des réunions du conseil stratégique. Celui-ci s’est réuni sept fois entre septembre 2017 et juin 2021. Dans l’ensemble, et à l’exception d’une réunion qui a porté sur la méthode et le contenu du plan pluriannuel de lutte contre la corruption, les travaux du comité ont principalement porté sur l’examen de l’activité et des productions de l’AFA (rapport d’activité et guides, notamment), plutôt que sur la coordination administrative et la programmation stratégique.

c.   L’AFA gagnerait à favoriser plus largement les travaux de recherche en matière de lutte contre la corruption

Dans le cadre de sa mission de centralisation et de diffusion des informations utiles en matière de lutte contre la corruption, l’AFA conduit et anime des travaux ayant pour objectif de mieux connaître le phénomène corruptif, qui par nature est dissimulé, pour identifier plus précisément les secteurs économiques et les zones géographiques les plus concernés, et ainsi l’appréhender plus efficacement. Elle doit également permettre de disposer d’une vision plus objective de ce phénomène : la mesure du niveau de corruption fait l’objet de divergences d’interprétation, et la perception qu’en a l’opinion publique peut s’éloigner de son niveau réel. Cette activité serait d’autant plus utile que les études en la matière restent lacunaires.

L’AFA a conduit plusieurs études pour mieux connaître le niveau de maturité des dispositifs de prévention et de détection de la corruption au niveau national ([127]). Au niveau international, l’agence a obtenu du Trésor la réalisation d’une étude comparative internationale des mécanismes anticorruption ([128]) et conduit un projet de cartographie mondiale des autorités anticorruption, en partenariat avec le GRECO, l’OCDE et le Réseau des autorités de prévention de la corruption (NCPA) ([129]).

Si des travaux sont en cours et ont récemment conduit à la publication d’une première étude sur le sujet ([130]), l’AFA doit intensifier son action en la matière et encourager plus fortement les travaux de recherche dirigés vers une meilleure connaissance des phénomènes de corruption.

Proposition  9 : Encourager les travaux de recherche dirigés vers une meilleure connaissance des phénomènes de corruption.

5.   Les moyens de l’agence n’ont pas atteint les ambitions initiales

Les moyens affectés à l’agence ont rapidement été plafonnés et n’ont pas atteint l’ambition affichée lors de la discussion du texte.

L’étude d’impact du projet de loi prévoyait initialement d’affecter à la nouvelle agence 70 emplois, ainsi qu’un budget 10 à 15 millions d’euros. L’agence souligne que c’est sur cette base que les travaux de préfiguration puis les textes réglementaires d’organisation de l’agence avaient été élaborés ([131]).

Cette cible n’a toutefois jamais été atteinte, tant en termes budgétaires qu’en termes d’effectifs.

S’agissant des effectifs, ceux-ci ont atteint un maximum de 60 agents en 2018, niveau en légère diminution chaque année. En 2021, les effectifs de l’agence devraient osciller entre 55 et 57 ETP, soit 20 % de moins que la cible de 70 ETPT.

Évolution des EFFECTIFS de l’AFA

 

Notification janvier 2017

(LFI 2017)

Notification (*) 17 octobre

2017

Notification 2018

Notification 2019

Notification 2020

Notification 2021

Plafond d’emplois

70 ETPT

47 ETPT

60 ETPT

56 ETPT

54 ETPT

53 ETPT

Schéma d’emplois

0 ETP

+ 17 ETP

+ 3 ETP

– 4 ETP

– 2 ETP

Mises à disposition au 31 décembre

4

5

5

3

4

Effectif réel au 31 décembre

51

60

59

57

 

57(**) / 55

 

(*) une « pause dans les recrutements » est alors imposée à l’AFA par la responsable du programme budgétaire 218.

(**) Si et seulement si le schéma d’emplois 2021 de l’agence est réajusté de -2 à 0, sinon lire 55.

Source : Agence française anticorruption.

S’agissant des moyens budgétaires, l’agence est rattachée au secrétariat général des ministères économiques et financiers, et relève ainsi de l’action 02 du programme 218 Conduite et pilotage des politiques économiques et financières de la mission Gestion des finances publiques. Elle ne dispose ni de la personnalité juridique ni de l’autonomie budgétaire, et les crédits du titre 2 (effectif et masse salariale) et du titre 3 (moyens de fonctionnement) qui lui sont versés sont retracés dans cette action.

Les éléments transmis par l’agence font état d’un budget annuel moyen d’environ 6 millions d’euros ([132]), soit à un niveau bien inférieur aux 10 à 15 millions d’euros initialement envisagés.

moyens budgÉtaires de l’afa

 (en million d’euros)

 

2017

2018

2019

2020

2021

Personnel

1,8

5,6

5,8

5,3

5,8

Fonctionnement (hors SI)

0,3

0,3

0,3

0,3

0,5

SI (crédits de paiement)

0,5

0,3

0,3

n.c.

Source : Agence française anticorruption.

L’insuffisance des moyens dévolus à l’agence au regard des objectifs initialement fixés a pesé sur sa capacité à maintenir le rythme de contrôle initié en 2018. Ainsi, dès 2019, le nombre de contrôles ouverts sur des acteurs privés chute de moitié par rapport à l’année précédente, passant de 28 à 15, portant le nombre total de contrôles ouverts à 36 en 2019, contre 43 l’année précédente. Un nouveau recul est enregistré l’année suivante, dans le contexte de la crise sanitaire : 29 contrôles d’initiative ont ainsi été ouverts en 2020.

Le rattachement de l’agence au secrétariat général des ministères économiques et financiers contraint par ailleurs les moyens de l’agence à deux égards.

D’une part, l’agence indique que « le dialogue de gestion réalisé deux à trois fois par an permet essentiellement de consolider les perspectives d’exécution budgétaire au niveau du programme, sans autoriser une réelle prise en compte des besoins exprimés par l’agence ». Si la préparation des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 a conduit à confier à l’AFA de nouvelles missions ([133]), l’agence n’a pas bénéficié de moyens supplémentaires, et a au contraire été conduite à participer à l’effort de réduction des effectifs supporté par le programme.

D’autre part, le rattachement budgétaire de l’agence au programme 218 conduit à devoir appliquer l’instruction ministérielle du ministère de l’Économie, des finances et de la relance relative aux recrutements et à la gestion des agents contractuels, ce qui a pour effet de « rigidifier la nature des contrats proposés […], au risque de faire échouer des recrutements pourtant pertinents pour le bon fonctionnement de l’agence » et d’encadrer « strictement la revalorisation de traitement susceptible d’être accordée à des agents contractuels méritants à l’issue de leur premier contrat de deux ans ». Ce cadre rigide ferait peser « un risque réel d’instabilité de l’effectif contractuel de l’agence notamment dans les fonctions d’inspecteur-auditeur au département du contrôle des acteurs économiques où les agents concernés, âgés d’une trentaine d’années, sont en trajectoire ascendante de carrière ». L’agence y voir une « menace » pour son attractivité, faisant référence à « plusieurs récentes procédures de recrutement inabouties ou départs anticipés d’agents ».

III.   la rÉaffirmation de l’ambition française en matiÈre de lutte contre la corruption doit conduire À repenser l’organisation institutionnelle de cette politique

Le statut hybride de l’Agence française anticorruption, souhaité par le législateur en 2016, l’a conduite à surinvestir sa mission de contrôle, au détriment de la programmation stratégique.

Vos Rapporteurs appellent à revoir en profondeur l’organisation institutionnelle de la politique anticorruption de la France. Cette réorganisation doit poursuivre trois objectifs. Premièrement, elle doit contribuer à une meilleure identification de la lutte contre la corruption comme une politique publique à part entière, qui relève de la responsabilité du Gouvernement. Deuxièmement, elle doit opérer une clarification de la distribution des rôles entre les fonctions gouvernementales et les fonctions de supervision. Enfin, elle doit contribuer à la recherche d’une meilleure efficacité opérationnelle.

Pour cela, vos Rapporteurs insistent sur la nécessité de séparer les missions qui doivent être conduites par le Gouvernement, d’une part, et celles qui sont naturellement du ressort d’une entité indépendante, d’autre part.

Ils proposent pour cela de recentrer l’AFA sur son rôle de coordination administrative et d’appui à la programmation stratégique, et de transférer à la HATVP les fonctions de conseil et de contrôle actuellement remplies par l’agence, afin de créer une grande autorité administrative indépendante compétente en matière de probité. Ils proposent par ailleurs de confier à un comité interministériel, présidé par le Premier ministre, la responsabilité de l’élaboration du plan pluriannuel de lutte contre la corruption, qui gagnerait à être densifié. Le comité interministériel s’appuierait pour cela sur un comité technique, présidé par le directeur de l’AFA, qui réunirait l’ensemble des administrations en charge de mettre en œuvre la politique de lutte contre la corruption.

Au-delà de l’organisation institutionnelle, la faible diffusion du dispositif auprès des acteurs publics appelle à la constitution d’un référentiel spécifique, qui serait adapté à la variété de ces acteurs.

Enfin, l’ambition extraterritoriale de la loi Sapin 2 n’a pas encore été concrétisée, et vos Rapporteurs appellent à mobiliser l’ensemble des services de l’État afin de favoriser la détection de faits de corruption à l’étranger.

A.   clarifier la rÉpartition ENTRE LES ACTIVITÉS de coordination administrative, qui relÈvent du gouvernement, et les activitÉs d’appui et de contrÔle, qui doivent être assurÉes par une autoritÉ administrative indÉpendante

1.   Le statut hybride de l’Agence française anticorruption, souhaité par le législateur en 2016, l’a conduite à surinvestir sa mission de contrôle, au détriment de la programmation stratégique

Comme l’ont rappelé vos Rapporteurs, l’AFA présente une nature hybride, qui se reflète tant dans la nature de ses missions que dans son organisation institutionnelle. L’agence constitue à la fois un service classique de l’État, placé sous une double tutelle et à compétence nationale, et une agence semi-indépendante, dirigée par un magistrat judiciaire, inamovible et ne pouvant recevoir d’instructions dans l’exercice d’une part importante de ses activités, et notamment dans la réalisation des contrôles.

Cette dualité avait conduit à écarter l’hypothèse de créer une nouvelle autorité administrative indépendante, et à lui préférer le statut de service à compétence nationale.

Par ailleurs, le contexte était celui d’une réticence de principe à la création de nouvelles autorités administratives indépendantes. Le Parlement venait notamment d’examiner une proposition de loi qui retirait la qualité d’autorité administrative indépendante à certaines entités ([134]).

Ce choix d’une agence « à deux visages », selon l’expression de M. Michel Sapin lui-même, avait été clairement assumé par le Gouvernement lors de la discussion du texte à l’Assemblée nationale, malgré les réserves émises par certains parlementaires.


En réponse à la proposition formulée par M. Charles de Courson de conférer le statut d’AAI à l’AFA, considérant que ce service avait « toutes les apparences d’une autorité administrative indépendante, sans en avoir la qualité » ([135]), le ministre de l’Économie et des finances, M. Michel Sapin, relevait que « ce service, qui en remplace un autre, reprend les compétences qui appartiennent au Gouvernement en vertu de l’article 20 de la Constitution. Il devra impulser les politiques, conseiller l’exécutif et le représenter, y compris auprès des organismes internationaux de lutte contre la corruption. Cette partie des compétences ne peut pas être exercée par une AAI ; c’est la raison principale pour laquelle nous n’avons pas souhaité en créer une nouvelle, dans un contexte où, par ailleurs, pour des raisons de simplification, nous cherchons  avec le concours actif des parlementaires, y compris siégeant à droite – à en réduire le nombre. »

M. Sapin poursuivait : « Mais nous vous proposons de confier à cette agence des compétences nouvelles, qui lui permettent de contrôler les entreprises et même de "punir" celles d’entre elles qui ne mettraient pas en œuvre les plans de prévention de la corruption. Pour cette partie de ses compétences, nous avons proposé et vous avez encore renforcé les dispositions qui garantissent l’indépendance absolue de ses acteurs. Il faut bien comprendre que cet organisme a deux visages : une série de missions qui ne peuvent être exercées que dans le cadre de l’article 20, et qui ne peuvent pas être déléguées à une AAI ; et une autre série de missions qui nécessitent l’indépendance, que nous lui accordons et que vous avez même renforcée par plusieurs dispositions dont nous allons débattre dans quelques instants. Voilà les raisons  parfaitement rationnelles et raisonnables – pour lesquelles nous avons choisi d’en rester au statut de service à compétence nationale, tout en renforçant considérablement, pour certaines de ses compétences, le caractère indépendant de cette agence. Nous faisons plus que renforcer son indépendance : nous la lui accordons totalement et complètement dans la mise en œuvre de ses compétences nouvelles. »

Le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, M. Sébastien Denaja, justifiait également la création d’un service à compétence nationale et non d’une autorité administrative indépendante, en insistant sur la fonction de coordination administrative et d’appui stratégique : « Pour ce qui est de l’intérêt d’un service à compétence nationale, je pense que nous pouvons légitimement assumer que l’État déploie lui-même une stratégie nationale de lutte contre la corruption. Il n’est pas illégitime que l’exécutif bénéficie d’un tel service. » ([136])

Votre rapporteur, M. Olivier Marleix, relevait également le caractère contestable de ce statut hybride, évoquant un risque de « schizophrénie » ([137]).

Quatre ans après la mise en œuvre de la loi, vos Rapporteurs constatent que l’Agence française anticorruption n’est pas parvenue à assurer la mission de coordination administrative qui lui avait été confiée par l’article 3 de la loi Sapin 2.

La conduite simultanée de missions de différentes natures, relevant d’un côté de la stratégie et de la coordination administrative, et de l’autre du contrôle et du conseil aux acteurs, a conduit l’agence à privilégier ce second aspect au détriment du premier. Le choix de donner à l’agence le statut de service à compétence nationale, et ainsi de le rattacher à la politique gouvernementale, avait pourtant été justifié, lors des débats parlementaires, par le fait que l’État devait déployer lui-même une politique de lutte contre la corruption.

Par ailleurs, comme l’ont relevé les auditions conduites par vos Rapporteurs, la politique de lutte contre la corruption en France ne fait pas l’objet d’une véritable politique interministérielle : elle est actuellement mise en œuvre par chaque ministère dans les domaines qui leur sont propres, alors même que le caractère étendu et la complexité de la matière appellent à un traitement coordonné.

Cette fragmentation empêche l’identification de la lutte contre la corruption comme une politique publique à part entière, mise en œuvre par le Gouvernement, et dont il doit rendre compte devant le Parlement.

Dans la réponse au questionnaire adressé à vos Rapporteurs, l’AFA relevait que les « difficultés rencontrées et les contretemps accumulés » à l’occasion du processus d’élaboration du plan national de lutte contre la corruption démontraient « la nécessité de revoir la gouvernance de la politique de lutte contre la corruption de la France ».

L’AFA indiquait ainsi avoir besoin « d’un relais politique de haut niveau pour renforcer sa position et asseoir son autorité en matière de coordination ».

Vos Rapporteurs relèvent que, quels que soient les qualités de l’AFA et le volontarisme dont elle a fait preuve au cours de ses quatre premières années d’existence, celle-ci ne peut porter à elle seule la politique de la France en matière de lutte contre la corruption.

Il est à noter que ce constat, ainsi que la nécessité de procéder à une réorganisation institutionnelle de l’AFA, a été très largement partagé lors des auditions conduites par vos Rapporteurs durant leurs travaux.

2.   Il est nécessaire d’assurer un portage politique plus fort et une meilleure coordination institutionnelle de la politique de lutte contre la corruption, et de renforcer l’indépendance de l’autorité chargée de l’appui et du conseil

Face à ces constats, vos Rapporteurs appellent à revoir en profondeur l’organisation institutionnelle de la politique anticorruption de la France.

Cette réorganisation doit poursuivre un triple objectif :

– elle doit d’abord contribuer à une meilleure identification de la lutte contre la corruption comme une politique publique à part entière, qui relève de la responsabilité du Gouvernement ;

– elle doit par ailleurs opérer une clarification de la distribution des rôles entre les fonctions gouvernementales (coordination institutionnelle et programmation stratégique) et les fonctions de supervision (conseil et contrôle) ;

– elle doit enfin contribuer à la recherche d’une meilleure efficacité opérationnelle.

Vos Rapporteurs suggèrent pour cela d’appuyer cette politique sur deux piliers.

Le premier pilier consisterait en la création d’un comité interministériel de lutte contre la corruption, instance d’impulsion politique dédiée, présidée par le Premier ministre. Il s’appuierait sur un comité technique, rassemblant les directeurs des services et directions d’administration centrales, ainsi que les présidents des autorités administratives indépendantes concernés. Ce comité serait présidé par le directeur de l’Agence française anticorruption.

Par ailleurs, vos Rapporteurs suggèrent de confier les missions actuellement conduites par l’Agence française anticorruption qui requièrent une indépendance à l’égard de l’exécutif, c’est-à-dire ses missions de contrôle, ainsi que celles relatives à l’élaboration des recommandations, à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), afin de créer une grande autorité administrative indépendante compétente en matière d’éthique publique et de prévention de la corruption, qui pourrait dorénavant porter le nom de Haute Autorité pour la Probité (HAP).

Les missions de l’AFA seraient dès lors redéfinies, et recentrées sur la coordination administrative ainsi que sur la centralisation et la diffusion des informations permettant d’aider à prévenir et à détecter les faits de corruption. Le conseil stratégique serait supprimé.

Proposition n° 10 : Renforcer le pilotage gouvernemental de la lutte contre la corruption en réunissant régulièrement un comité interministériel spécialisé, présidé par le Premier Ministre, et dont l’Agence française anticorruption assurerait le secrétariat permanent.

Proposition  11 : Transférer à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique les missions d’appui et de contrôle de l’Agence française anticorruption, afin de créer une grande autorité compétente en matière d’éthique publique et de prévention de la corruption, la Haute Autorité pour la Probité.

Afin de renforcer le portage politique de la politique anticorruption de la France, vos Rapporteurs proposent la création d’un comité interministériel de lutte contre la corruption présidé par le Premier ministre.

Ce comité réunirait les différents ministres concernés par la thématique anticorruption, et notamment le garde des Sceaux, ministre de la Justice, le ministre en charge du budget, le ministre de l’Économie, des finances et de la relance, le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, ainsi que le ministre de l’Intérieur.

Ce comité interministériel aurait pour mission d’élaborer le plan pluriannuel de lutte contre la corruption, de le mettre à jour le cas échéant, et de valider le programme de travail du comité directeur pour l’année à venir. Il se réunirait pour cela une fois par an.

Son secrétariat serait assuré par le service à compétence nationale chargé de la coordination administrative et de l’élaboration du plan pluriannuel de lutte contre la corruption, c’est-à-dire par l’actuelle Agence française anticorruption.

Instance d’impulsion politique, le comité interministériel devrait s’appuyer sur un comité directeur, qui lui apporterait un soutien technique, et serait chargé de lui faire remonter des propositions.

Ce comité rassemblerait toutes les directions ministérielles concernées ainsi que le secrétariat général aux affaires européennes, et les autorités et agences intervenant dans ce domaine. Il serait présidé par le directeur de l’Agence française anticorruption, et se réunirait une fois par trimestre.

Le comité serait ainsi chargé d’assurer l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi du plan national anticorruption, et d’identifier rapidement toute difficulté ou retard et de proposer des moyens pour y remédier. Il s’attacherait également à coordonner les efforts des différentes administrations en la matière, et permettrait de faire connaître et de partager les points de vue sur des sujets nouveaux.

Il assurerait la mise en œuvre d’une collaboration administrative continue et permanente.

Enfin, la définition d’un chef de file clairement identifié permettrait de faciliter et de dynamiser la coordination interministérielle.

Vos Rapporteurs proposent de confier à une autorité administrative indépendante certaines des missions actuellement mises en œuvre par l’Agence française anticorruption.

Comme ils ont eu l’occasion de le développer supra, les missions autres que celles relatives à la coordination administrative, et plus particulièrement les activités de conseil et de contrôle, seraient mieux exercées si elles étaient confiées à un régulateur indépendant.

Il s’agirait plus particulièrement de détacher de l’agence les missions ayant trait au conseil aux acteurs économiques et aux acteurs publics, à l’élaboration des recommandations, aux activités de contrôle des dispositifs de prévention et de détection de la corruption mis en œuvre, au contrôle des programmes de mise en conformité, ainsi qu’au contrôle du respect de la « loi de blocage ». L’obligation de donner avis au procureur de la République à l’occasion de la découverte d’éventuelles infractions dont elle a eu connaissance au cours de ses contrôles, et la préparation du rapport annuel d’activité seraient également transférées ([138]).

Vos Rapporteurs considèrent que ces missions devraient être transférées à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, afin de créer une grande autorité administrative indépendante compétente en matière d’éthique publique et de prévention de la corruption.

Les missions poursuivies par l’AFA et la HATVP participent en effet d’une même politique publique, celle de la promotion de la probité. Dans le rapport précité, le Club des juristes allait relevait « la complémentarité des missions imparties par la loi à ces deux autorités [l’AFA et la HATVP] ». Le rapport soulignait ainsi que « de manière générale, la HATVP a reçu du législateur la mission de promouvoir la probité et l’exemplarité des responsables publics […], tandis que l’AFA a reçu pour missions de prévenir et de détecter les faits constitutifs de manquements à la probité (corruption, trafic d’influence, concussion, prise illégale d’intérêt, détournement de fonds publics et favoritisme) […]. Il apparaît évident, à cet égard, que les faits constitutifs de manquements à la probité s’exercent le plus souvent auprès de responsables publics, dans le but d’influencer la décision publique. Ces faits sont susceptibles, en conséquence, de se traduire notamment dans la situation patrimoniale des responsables publics placée sous le contrôle de la HATVP. » ([139])

 

Du point de vue opérationnel, le statut d’autorité administrative indépendante contribuerait à résoudre les difficultés que rencontre actuellement l’AFA en matière de gestion des ressources humaines, en lui apportant une autonomie budgétaire et fonctionnelle accrue ([140]).

Un tel rapprochement permettrait par ailleurs de prévenir le risque de doublons dans l’action de l’État, et contribuerait à optimiser l’utilisation des ressources.

Il contribuerait enfin à assurer une meilleure visibilité et une lisibilité accrue de la politique de lutte contre la corruption auprès des acteurs concernés, et notamment des acteurs publics locaux ([141]), comme de l’opinion publique.  

B.   prévoir un rÉfÉrentiel de conformitÉ adaptÉ aux acteurs publics, et en particulier aux collectivitÉs territoriales

Bien que l’exposition au risque de corruption des acteurs publics soit importante, la diffusion du référentiel de conformité issu de la loi Sapin 2 reste très faible, voire inexistant. À l’occasion de contrôles diligentés sur des acteurs publics, l’agence a ainsi effectué 7 signalements au procureur de la République au titre de l’article 40 du code de procédure pénale concernant des acteurs publics (sur 34 entités contrôlées), soit la moitié des signalements réalisés par l’agence, et autant que pour les acteurs économiques (64 entités contrôlées).

Dans un rapport publié au mois de novembre 2020, le Club des juristes relevait que l’article 17, « conçu surtout pour les entreprises de taille significative, n’était pas adapté aux collectivités locales », et proposait ainsi la création d’un « référentiel de conformité anticorruption adapté aux collectivités territoriales, qui tienne compte des spécificités de leurs statuts et de leurs dimensions » ([142]).

Interrogée sur cette question, l’AFA n’a pas indiqué souhaiter faire évoluer le dispositif de prévention et de détection de la corruption applicable aux personnes morales de droit public. Dans la réponse au questionnaire transmis par vos Rapporteurs, l’agence relève que « le référentiel inspiré de l’article 17 et développé dans les recommandations de l’AFA pour les acteurs publics, ainsi que le principe de proportionnalité, devraient pouvoir répondre à la variété des cas et moduler l’appréciation de la conformité aux obligations ». En effet, « l’esprit de la loi est de poser un dispositif d’approche par les risques. Dans ces conditions, l’esprit des mesures de l’article 17, trouve à s’adapter aisément aux acteurs publics ». Seule l’évaluation des tiers « peut poser problème et nécessite des adaptations (car un acteur public ne peut pas écarter a priori un tiers des marchés publics) » ([143]).

La mise à jour des recommandations de l’agence, publiée le 12 janvier 2021, qui consacre une partie sur trois à la déclinaison des dispositions générales pour les acteurs publics assujettis, témoigne d’un réel effort de formalisation et d’adaptation de ces recommandations à ces acteurs. Toutefois, l’approche retenue reste générale, et insuffisamment adaptée à leur diversité.

Dans son dernier rapport annuel d’activité, l’agence indiquait toutefois que « les progrès réalisés par les acteurs publics dans la mise en œuvre des dispositifs anticorruption sont moins importants que ceux constatés chez les acteurs économiques et on ne peut exclure que cette tendance soit notamment liée à l’existence, pour les seuls sociétés et EPIC soumis à l’article 17 […] d’un référentiel défini par le texte et de sanctions administratives encourues en cas de non-conformité » ([144]).

Vos Rapporteurs considèrent que la constitution d’un référentiel insuffisamment adapté au secteur public, ne tenant pas compte des différences de nature et de taille entre collectivités, a nui à la diffusion des mesures de prévention et de détection dans la sphère publique.

Ils relèvent qu’aux termes de la loi, les administrations publiques sont traitées de la même manière, qu’il s’agisse d’administrations centrales, de collectivités territoriales ou d’établissements publics, alors même que les enjeux, les risques et les cadres juridiques applicables présentent d’importantes différences.

Ils insistent ainsi sur la nécessité d’adapter le dispositif aux différentes catégories de collectivités.

Proposition  12 : Créer des obligations de conformité adaptées aux administrations publiques, qui seraient modulées selon leur taille et les risques auxquels elles sont exposées.

Afin de renforcer l’effectivité du dispositif et d’inciter à la mise en œuvre de ces obligations, vos Rapporteurs se sont par ailleurs interrogés sur les meilleurs moyens permettant d’inciter, voire de contraindre, les acteurs publics à mettre en œuvre de telles sanctions.

La possibilité d’infliger des sanctions en cas de manquement constaté à l’occasion du contrôle d’un acteur public a notamment été suggérée lors des certaines auditions, ainsi que dans certaines contributions écrites reçues. L’ouverture d’une saisine de la commission des sanctions par le directeur de l’agence, ou la possibilité de donner au préfet un pouvoir de substitution en cas de manquement grave ou d’absence totale de mise en œuvre du dispositif dans les collectivités territoriales ont ainsi été évoquées.

Toutefois, la mise en œuvre de sanctions paraît délicate. Comme le rappelle la HATVP dans la contribution qu’elle a transmise à la mission, « les administrations relèvent déjà de régimes de sanctions spécifiques, notamment celui des juridictions financières (Cour des comptes, chambres régionales des comptes, Cour de discipline budgétaire et financière). Ces régimes sont liés aux règles également spécifiques auxquelles elles sont soumises, souvent dans des domaines touchant directement ou indirectement à la prévention de la corruption et souvent aussi en plus du droit commun auquel les entreprises sont seulement tenues. » Par ailleurs, « les exécutifs élus des collectivités territoriales ne sont pas justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière, mais la jurisprudence constitutionnelle, fondée sur le principe de la libre administration des collectivités locales, rend délicate, même si elle reste possible, l’éventualité, dans leur cas, d’attribuer au superviseur le pouvoir de sanctionner lui-même des défauts de conformité » ([145]).

Vos Rapporteurs suggèrent dès lors de privilégier le renforcement de la publicité relative à la mise en œuvre du dispositif de prévention et de détection de la corruption.

En dehors de tout manquement et de toute procédure de contrôle, le plan de prévention de la corruption mis en place par la collectivité pourrait faire l’objet d’un débat public annuel obligatoire, inscrit à l’ordre du jour du conseil délibérant de la collectivité, afin d’examiner les initiatives prises. Ce débat pourrait par exemple avoir lieu au moment du débat d’orientation budgétaire.

Par ailleurs, à l’image de ce qui est possible concernant les rapports des Cours régionales des comptes, le rapport produit par l’autorité de contrôle – ou du moins, ses principales recommandations – pourrait être publié sur son site internet. Les suites données aux recommandations pourraient par la suite faire l’objet d’un examen lors d’un débat inscrit à l’ordre du jour du conseil délibérant (par exemple, un an plus tard).

Proposition n° 13 : Accompagner les nouvelles obligations de mesures de publicité :

– instituer une obligation d’inscrire, une fois par an, à l’ordre du jour du conseil délibérant de la collectivité, l’examen des initiatives prises pour mettre en œuvre le dispositif de prévention et de détection de la corruption par le conseil de la collectivité ;

– systématiser la publication des rapports de contrôle ou de leurs conclusions.

Enfin, le dernier rapport d’activité de l’AFA relève que la loi « n’offre aucune possibilité de contraindre les acteurs publics, ne fut-ce que par le prononcé d’injonctions ni même de contrôler certaines structures comme les groupements d’intérêt public, les sociétés publiques locales, les associations faisant appel à la générosité publique ou certaines fondations et établissements financés sur fonds publics qui apparaissent pourtant, dans la pratique judiciaire, comme particulièrement exposées aux risques de mésusage des fonds publics » ([146]). Par la suite, l’AFA a indiqué à vos Rapporteurs qu’il conviendrait d’ajouter au champ des entités pouvant être contrôlées au titre de l’article 3 « certains acteurs, qui aujourd’hui échappent, quelle que soit leur taille, aux obligations de conformité, alors même qu’elles présentent des risques au moins similaires à d’autres acteurs qui, eux, sont soumis aux obligations de [cet] article » ([147]).

L’article 72 du projet de loi dit « 4 D », qui était en cours d’examen au Sénat au moment de la rédaction de ce rapport ([148]), répond partiellement à cette demande. L’agence relève ainsi que cet article, s’il était adopté, « permettrait seulement d’étendre aux SPL l’obligation de se doter d’un dispositif de prévention et de détection des atteintes à la probité et donc, de les soumettre au contrôle éventuel de l’AFA. Pour autant, demeureraient exclues du périmètre d’application de l’article 3 […] d’autres catégories juridiques, notamment les groupements d’intérêt public (GIP), les associations faisant appel à la générosité publique (seules celles reconnues d’utilité publique étant actuellement soumises à la loi), certaines fondations (notamment les fondations de coopération scientifique et les fondations hospitalières) et établissements financés sur fonds publics (comme les établissements de santé privés d’intérêts collectifs). »

C.   renforcer l’application extraterritoriale du dispositif

Vos Rapporteurs relèvent enfin que le bilan de l’application extraterritoriale de ces nouveaux outils, et notamment la poursuite de faits de corruption d’agents publics étrangers réalisés par des entreprises étrangères exerçant une partie de leur activité en France, est inexistant.

La circulaire de politique pénale en matière de lutte contre la corruption internationale du 2 juin 2020 a fixé les lignes directrices de la politique pénale en matière de lutte contre la corruption internationale ([149]).

Elle relève notamment que différents modes de signalement sont mobilisables par l’autorité judiciaire pour lui permettre d’apprécier l’opportunité d’ouvrir des enquêtes en la matière, et identifie à ce titre les administrations de l’État (administration fiscale, AFA), les autorités administratives indépendantes (Autorité de la concurrence, Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, Autorité des marchés financiers, Haute Autorité pour la transparence de la vie publique), certains opérateurs publics ou parapublics (Business France, Agence française de développement, Bpifrance), les banques multilatérales de développement, la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes, la cellule de renseignement financier Tracfin, ainsi que le Service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE) et les services de renseignement. Elle fait également référence aux commissaires aux comptes, aux représentants de la profession d’administrateurs et mandataires judiciaires, aux personnes susceptibles de relever du statut de lanceur d’alerte, aux associations anticorruption agréées par le ministère de la Justice. Elle mentionne enfin la divulgation volontaire par les entreprises d’actes de corruption commis dans le cadre de leurs activités commerciales internationales par certains de leurs membres.

Ainsi, si les acteurs susceptibles d’apporter leur concours à la détection de faits de corruption internationale sont nombreux, force est de constater que la mise en œuvre des possibilités nouvelles ouvertes par la loi Sapin 2, et notamment l’assouplissement des conditions permettant de poursuivre en France des faits de corruption commis à l’étranger par des entreprises étrangères, reste balbutiante.

Lors de leur audition par vos Rapporteurs, les services de la direction générale du Trésor ont ainsi relevé que les entreprises françaises implantées à l’étranger, dans des pays où la corruption est endémique, peuvent être réticentes à l’idée de dénoncer ces faits aux parquets étrangers ou aux autorités locales, par peur des répercussions sur leur accès à la commande publique, ou de mesures de rétorsion.

Par ailleurs, la contribution des services économiques des ambassades de France à l’étranger est quasiment inexistante, et ce pour deux raisons. D’une part, les informations spontanément transmises aux ambassades ne sont pas vérifiées, et doivent être contre-expertisées, ce qui nécessite d’y affecter des moyens spécifiques. D’autre part, une approche « offensive » de la lutte contre la corruption transnationale pourrait être mal perçue et avoir des effets négatifs sur l’attractivité de l’économie française, que s’attachent à promouvoir les services économiques régionaux.

Les services de la direction générale du Trésor ont néanmoins relevé l’intérêt de systématiser les actions de sensibilisation en direction des entreprises exerçant dans un environnement où la corruption est omniprésente.

Vos Rapporteurs insistent sur la nécessité de renforcer les moyens de détecter les faits de corruption commis à l’étranger, en mobilisant plus fortement les différents services de l’État.

Ils considèrent que, dans cette perspective, le partage d’informations entre les différents services de l’État (réseau des ambassades et des correspondants du Trésor, autorité judiciaire, intelligence économique, services de renseignement) et le service chargé de la coordination administrative devrait être intensifié.

Proposition  14 : Favoriser la détection de faits de corruption à l’étranger en mobilisant l’ensemble des services de l’État.


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   PARTIE II : LA CONVENTION JUDICIAIRE D’INTÉRÊT PUBLIC

La création du dispositif de la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) constitue l’un des apports majeurs de la loi Sapin 2. Inspirée des procédures de transactions pénales qui existaient déjà en droit anglo-saxon, son introduction répond à la nécessité d’appréhender les faits de corruption transnationale et de favoriser un règlement concerté des litiges, dans un contexte de multiplication des procédures judiciaires extraterritoriales ciblant des entreprises françaises.

Initialement limité à la corruption ainsi qu’à d’autres infractions en matière de probité, son champ a rapidement été étendu à la fraude fiscale dès 2018 et aux atteintes à l’environnement en 2020.

Quatre ans et demi après sa création, la CJIP constitue un indéniable succès.

Parmi les douze conventions conclues, deux ont donné lieu à une véritable coopération avec des autorités étrangères, américaine et britannique. Le dispositif a permis l’affirmation du Parquet national financier sur la scène internationale, et, plus largement, la reconnaissance de l’efficacité du dispositif français de lutte contre la corruption. Il a également contribué à une meilleure coopération entre les parquets et les entreprises ainsi que leurs conseils. Par ailleurs, à ce jour, les conventions conclues ont conduit au versement d’amendes importantes au profit du Trésor public, démontrant ainsi la capacité du dispositif à sanctionner efficacement les personnes morales.

Utile et efficace, le dispositif de la CJIP gagnerait toutefois à être amélioré sur plusieurs points, sur lesquels vos Rapporteurs formulent des propositions.

La souplesse du dispositif offre une grande marge de manœuvre aux parquets dans sa mise en œuvre. Cette flexibilité a de nombreux avantages, et donne une place importante à la négociation entre les parties. Le principal inconvénient est que les garanties apportées à la personne morale au cours de la négociation sont faibles, et reposent essentiellement sur la « foi du Palais ». Si le risque d’une utilisation déloyale du dispositif par le parquet paraît limité, le dispositif favorise peu la révélation spontanée des faits par les personnes morales, la situation des personnes physiques impliquées dans les faits de corruption restant par ailleurs délicate.

Enfin, le recours aux enquêtes internes, s’il est favorisé par le texte, qui promeut la coopération de la personne morale, n’est pas suffisamment encadré.

I.   inspirÉe des dispositifs de transaction pÉnale utilisÉs dans les pays anglo-saxons, la convention judiciaire d’intérÊt public a rapidement trouvé sa place dans le systÈme juridique français

L’introduction de la CJIP dans notre droit a constitué une évolution majeure, en permettant à des personnes modales d’échapper à une condamnation pénale en contrepartie de la réalisation de certaines obligations. La loi encadre les conditions dans lesquelles la convention peut être proposée, prévoit les obligations qu’elle contient, et détermine les modalités de sa validation et de son exécution. Elle est précisée par des textes de droit souple, qui ont acquis une grande importance en pratique. Initialement limité à certaines infractions en matière de probité, le dispositif a rapidement été étendu à d’autres délits.

La CJIP a rapidement prouvé son efficacité : douze conventions ont déjà été conclues, et ce dispositif a permis d’affirmer la souveraineté judiciaire de la France sur la scène internationale. Outre le paiement d’une amende, il prévoit la réalisation d’un programme de mise en conformité, qui prévient la récidive.

A.   la CJIP a pour objectif de permettre un rÈglement plus efficace de dossiers complexes, notamment DANS LES CAS de corruption transnationale

1.   L’introduction d’un dispositif transactionnel nouveau, inspiré des procédures britannique et américaine

Inspiré des « deferred prosecution agreements » (DPA) américain et britannique, le dispositif de la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), qui figure à l’article 22 de la loi Sapin 2, permet à une personne morale d’échapper à une condamnation pénale, en contrepartie du paiement d’une amende et de la mise en œuvre d’un programme de conformité.

Cet instrument offre « le double avantage d’imposer des sanctions appropriées à une personne morale poursuivie pour une infraction économique complexe en permettant une issue plus rapide et moins coûteuse des dossiers ». Il permet également aux parquets « d’engager, dans la durée, des stratégies d’action déterminées et adaptées, indispensables dans certains contentieux, comme la corruption d’agents publics étrangers, dans lesquels quelques pays, notamment les États-Unis et la Grande-Bretagne, mènent déjà une politique offensive » ([150]).

Ce dispositif figurait initialement, sous une forme légèrement différente, dans l’avant-projet de loi transmis au Conseil d’État, sous la dénomination de « convention de compensation d’intérêt public ». Le Conseil d’État avait formulé plusieurs critiques, et relevait finalement n’avoir pu « surmonter les difficultés que ce dispositif lui a paru présenter » ([151]).

Le dispositif fut introduit à l’initiative de Mme Sandrine Mazetier, dès l’examen du texte par la commission des Lois de l’Assemblée nationale en première lecture, avec un avis de sagesse du rapporteur, M. Sébastien Denaja ([152]). Il reprenait, pour l’essentiel, le dispositif figurant dans l’avant-projet de loi, tout en prenant en compte les réserves formulées par le Conseil d’État.

L’article 22 de la loi crée ainsi deux nouveaux articles 41-1-2 et 180-2 dans le code de procédure pénale, qui définissent les conditions de fond et la procédure applicables à la conclusion d’une CJIP.

Les conditions et les modalités de proposition, de négociation et de conclusion des CJIP ont par la suite été précisées par plusieurs textes de droit souple : une circulaire du 31 janvier 2018 ([153]) et une dépêche du 21 mars 2019 ([154]) de la direction des affaires criminelles et des grâces, et les Lignes directrices adoptées par le Parquet national financier et l’AFA le 26 juin 2019 ([155]).

Les Lignes directrices indiquent qu’« en précisant et en exposant les modalités de mise en œuvre de la CJIP, elles ont pour objectif d’inciter les personnes morales à adopter une approche de coopération avec l’autorité judiciaire comme avec l’AFA. Elles constituent pour les opérateurs économiques et les autorités judiciaires étrangères un élément de prévisibilité et un facteur de sécurité juridique. »

a.   La proposition de conclure une CJIP est laissée à l’appréciation du parquet

L’article 41-1-2 prévoit ainsi que tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement, le procureur de la République peut proposer à une personne morale mise en cause pour un ou plusieurs délits d’atteinte à la probité, prévus par le texte, ainsi que pour des infractions connexes, de conclure une convention judiciaire d’intérêt public.

Le dispositif réserve ainsi au procureur de la République l’initiative de la proposition de CJIP, dont il apprécie l’opportunité au cas par cas.

L’article mentionne précisément les délits pouvant conduire à une telle proposition, qui sont relatifs aux faits de corruption et de trafic d’influence d’agent public ou d’agent de justice (français, international ou étranger), de corruption privée et de blanchiment de fraude fiscale, ainsi que les infractions connexes (sauf la fraude fiscale). ([156])

Cette proposition peut avoir lieu tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement : elle peut donc intervenir au cours de l’enquête préliminaire comme de l’information judiciaire.

La loi ne donne pas d’indications sur les conditions qui peuvent amener le ministère public à proposer une CJIP. Si elle ne définit pas les critères d’intérêt public, les textes de droit souple (circulaire DACG du 31 janvier 2018 et Lignes directrices AFA-PNF du 26 juin 2019) du permettent toutefois d’en dessiner les contours.

La circulaire DACG du 31 janvier 2018 suggère que « l’opportunité de mettre en œuvre une convention pourra s’apprécier en fonction de plusieurs critères : les antécédents de la personne morale, le caractère volontaire de la révélation des faits, le degré de coopération avec l’autorité judiciaire dont la personne morale fait preuve ». Elle ajoute que « la prise en compte des antécédents de la personne morale conduira, dans la plupart des cas, à exclure la convention lorsque la personne morale aura déjà bénéficié d’une telle mesure » ([157]).

Ces textes accordent ainsi une place importante à la coopération de la personne morale avec l’institution judiciaire, qui constitue, selon les Lignes directrices, un « préalable nécessaire à la conclusion d’une CJIP ». La qualité de la coopération est ainsi « décisive de l’abandon des poursuites et du recours à la CJIP » (et sera par ailleurs « également prise en compte pour la détermination du montant de l’amende d’intérêt public ») ([158]).

Les Lignes directrices relèvent par ailleurs que la proposition de CJIP intervient « si plusieurs critères sont réunis ». Dans la mesure où cette procédure permet aux entreprises « d’échapper à une condamnation judiciaire et aux conséquences qui y sont attachées, elle doit être réservée aux situations dans lesquelles il apparaît conforme à l’intérêt public de ne pas engager de poursuites pénales ».

Le recours à la CJIP satisfait ainsi l’intérêt public « lorsqu’il permet de réduire sensiblement le délai d’enquête, d’assurer l’effectivité et la fermeté de la réponse judiciaire en réponse aux comportements poursuivis, d’assurer l’indemnisation du préjudice de la victime et contribue à la prévention de la récidive par la mise en place de dispositifs effectifs de détection des atteintes à la probité ».

Il doit par ailleurs « ménager la possibilité d’engager des poursuites pénales contre les personnes physiques, notamment les dirigeants de la personne morale, auteurs ou complices des infractions envisagées par la CJIP ».

Ainsi formulés, les critères d’intérêt public laissent une importante marge de manœuvre au parquet dans leur appréciation. Le parquet peut prendre l’initiative de proposer une CJIP s’il considère que l’intérêt public est satisfait, alors même que tous les critères ne seraient pas remplis.

Les praticiens auditionnés par la mission relèvent qu’en étendant la disponibilité de la CJIP, ce pouvoir discrétionnaire « donne une importance plus grande à ce qui forme le cœur du dispositif : la négociation des parties » ([159]).  

b.   Les obligations prévues par la convention

La CJIP impose une ou plusieurs des obligations suivantes :

– le versement d’une amende d’intérêt public au Trésor public, dont le montant est fixé de manière proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés, dans la limite de 30 % du chiffre d’affaires moyen annuel des trois dernières années ;

– la soumission à un programme de mise en conformité, destiné à s’assurer de l’existence et de la mise en œuvre, au sein de la personne morale, de mesures et procédures de prévention et de détection de la corruption, sous le contrôle de l’Agence française anticorruption.

Par ailleurs, lorsque la victime est identifiée, et sauf si la personne morale mise en cause justifie de la réparation de son préjudice, la convention prévoit également le montant et les modalités de la réparation des dommages causés par l’infraction, dans un délai qui ne peut être supérieur à un an. La victime est informée de la décision du procureur de la République de proposer la conclusion d’une CJIP à la personne mise en cause, et transmet au procureur tout élément permettant d’établir la réalité et l’étendue de son préjudice.

L’association des victimes à la procédure constitue l’un des apports du Parlement. Elle n’était pas prévue dans le dispositif inscrit dans l’avant-projet de loi, et avait fait l’objet de vives critiques de la part du Conseil d’État ([160]). Comme le rappelait le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, « les personnes ayant subi un préjudice sont associées en amont de la procédure », et le dispositif est susceptible d’inclure, « outre l’amende pénale d’intérêt public qui a un objet d’ordre punitif, l’indemnisation des personnes ayant subi un préjudice qui a une fonction réparatrice, selon des modalités propres à assurer son caractère effectif » ([161]).

c.   La validation de la convention

Une fois qu’un accord a été trouvé, le procureur doit saisir le président du tribunal judiciaire aux fins de validation ([162]). Celui-ci procède alors à l’audience publique de la personne morale mise en cause et de la victime, assistées, le cas échéant, de leur avocat, audience à la suite de laquelle il rend sa décision.

Il vérifie pour cela « le bien-fondé du recours à cette procédure, la régularité de son déroulement, la conformité du montant de l’amende aux limites prévues au 1° du I du présent article [c’est-à-dire, au plafond de 30 % du chiffre d’affaires annuel] et la proportionnalité des mesures prévues aux avantages tirés des manquements ».

La présence du juge s’inscrit ainsi dans une « tradition forte de la justice française en termes de garanties des libertés et d’équilibre des mesures décidées par le parquet […]. Le juge devra être présent aux moments les plus importants, en particulier au moment de la conclusion des discussions, afin de dire en toute indépendance qu’il considère que le dispositif est équilibré », selon les mots du ministre de l’Économie et des finances, M. Michel Sapin ([163]).

L’étendue du contrôle du juge de la validation n’est pas clairement définie par la loi, et les débats parlementaires n’éclairent pas véritablement ce point. Dans le rapport fait au nom de la commission des Lois de l’Assemblée nationale par M. Sébastien Denaja, celui-ci relevait : « la souveraineté du juge du siège est […] parfaitement protégée : il n’est pas lié par la convention et pourra en refuser la validation au regard de la nature des faits, de la situation de la victime ou des intérêts de la société », suggérant la possibilité d’un contrôle étendu au moment de l’homologation. Les ordonnances de validation rendues à ce jour restent toutefois assez brèves, le juge ne semblant pas procéder à un examen approfondi de la réalité des différents critères, dont il se contente de vérifier l’existence, de manière plus ou moins détaillée ([164]). Le contrôle du juge français se rapproche ainsi de celui effectué par le juge américain, dont le rôle, en pratique, se limite à entériner la proposition formulée par le procureur, et se distingue de la procédure britannique, bien plus encadrée, au cours de laquelle le juge formule une analyse indépendante tant sur le bien-fondé que sur le contenu de l’accord.

Vos Rapporteurs considèrent que cet équilibre est satisfaisant. Certes, il pourrait être envisagé de définir, dans la loi ou dans le droit souple, certains critères d’intérêt public devant impérativement être remplis pour pouvoir proposer une CJIP, critères que le juge contrôlerait strictement et de manière approfondie : le dispositif gagnerait en transparence, et le risque d’un refus de validation serait atténué. Toutefois, vos Rapporteurs relèvent qu’aucun refus de validation n’a été enregistré à ce jour, les CJIP conclues ayant toutes été considérées conformes à l’intérêt public. Ils relèvent par ailleurs que le champ du dispositif serait potentiellement plus restreint et que la définition de critères stricts d’intérêt public limiterait fortement le pouvoir d’appréciation du parquet, alors que la souplesse de la procédure permet au juge de prendre en compte ces critères tant au stade de la proposition de la CJIP qu’à celui de la détermination de l’amende et du programme de mise en conformité. Aussi une telle évolution ne paraît pas opportune.

À compter du jour de la validation, la personne morale mise en cause dispose ensuite d’un délai de dix jours au cours duquel elle peut exercer son droit de rétractation, et à l’issue duquel les obligations que la convention comporte sont mises à exécution (ou deviennent caduques, si la personne morale exerce son droit de rétractation).

La conclusion d’une CJIP a pour principal effet d’éteindre l’action publique à l’encontre de la personne morale. À la différence des procédures transactionnelles déjà existantes en droit français, telles que la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ([165]), la CJIP ne conduit pas à la reconnaissance de la culpabilité de la personne morale. L’article prévoit que « l’ordonnance de validation n’emporte pas déclaration de culpabilité et n’a ni la nature ni les effets d’un jugement de condamnation », et que la convention n’est pas inscrite au bulletin n° 1 du casier judiciaire. Cela a été explicitement souhaité par le législateur, car la reconnaissance de la culpabilité emporterait d’autres conséquences négatives, comme l’exclusion de l’accès aux marchés publics internationaux, et notamment américains ([166]).

Les conventions conclues font l’objet d’une large publicité. L’ordonnance de validation, le montant de l’amende d’intérêt public et la convention sont publiés sur les sites internet des ministères de la Justice et du Budget ([167]). La convention fait par ailleurs l’objet d’un communiqué de presse du procureur de la République.

À la suite de la conclusion de la CJIP, le procureur de la République met en mouvement l’action publique dans l’une des trois situations suivantes :

– si le président du tribunal ne valide pas la proposition de convention ;

– si, après la validation, la personne morale mise en cause décide d’exercer son droit de rétractation ;

– ou si, dans le délai prévu par la convention, la personne morale mise en cause ne justifie pas de l’exécution intégrale des obligations prévues.

La prescription de l’action publique est suspendue durant l’exécution de la convention, et est éteinte lorsque les obligations ont été exécutées.

La décision de validation n’est pas susceptible de recours.

d.   La CJIP peut être proposée au stade de l’information judiciaire comme de l’enquête préliminaire

Par ailleurs, l’article 180-2 du code de procédure pénale, également introduit par la loi Sapin 2, prévoit que, lorsqu’un juge d’instruction a été saisi des faits, il peut, à la demande ou avec l’accord du procureur de la République, lui transmettre la procédure aux fins de mise en œuvre d’une CJIP.

Dans sa rédaction issue de la loi Sapin 2, l’article conditionnait cette possibilité à la reconnaissance des faits par la personne morale, et à l’acceptation de la qualification pénale retenue.

Le procureur de la République dispose alors d’un délai de trois mois pour trouver un accord sur une proposition de convention.

2.   Un dispositif qui a légèrement évolué depuis son introduction

a.   L’extension du champ du dispositif

Le dispositif a légèrement évolué depuis son adoption.

Initialement limitée aux faits de corruption, de trafic d’influence, et de blanchiment de certaines infractions de fraude fiscale, ainsi qu’aux infractions connexes, le champ du dispositif a été étendu à deux reprises.

La loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude a ainsi intégré les infractions de fraude fiscale, prévues aux articles 1741 et 1743 du code général des impôts, à la liste des délits concernés ([168]).

 

Cette extension avait par ailleurs été proposée dans le rapport de la mission d’information sur les procédures de poursuite des infractions fiscales, commune aux commissions des Finances et des Lois de l’Assemblée nationale, qui relevait qu’ « étendre la CJIP à la fraude fiscale serait particulièrement adapté aux hypothèses de complicité de fraude fiscale réalisée par des personnes morales, lorsque les équipes de direction de cette dernière ont changé et ont pris des mesures pour ne plus reproduire la fraude. Ces dernières, sensibles au risque réputationnel, seraient sans doute prêtes à contribuer à une meilleure indemnisation des intérêts financiers du Trésor en contrepartie de l’extinction de l’action publique » ([169]).

Deux ans plus tard, la loi du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée a de nouveau étendu le champ du dispositif au blanchiment de corruption et au blanchiment de trafic d’influence ([170]).

Elle a de plus créé, en parallèle du dispositif prévu aux articles 41-1-2 et 180-2 du code de procédure pénale, une CJIP spécifique aux délits prévus par le code de l’environnement ainsi qu’aux infractions connexes, afin d’accélérer la répression de ces infractions ([171]).

De l’avis de nombreux praticiens comme des personnes auditionnées, ce champ gagnerait à être encore étendu à d’autres infractions, notamment à d’autres infractions en matière de probité.

Les rapporteurs constatent à ce titre que le délit de favoritisme n’est pas inclus dans la liste des délits mentionnés à l’article 41-1-2 du code de procédure pénale.

Le procureur de la République financier a par ailleurs indiqué que « le champ d’application de la CJIP est bien proportionné même si d’autres infractions, comme la prise illégale d’intérêts, pourraient aussi l’intégrer » ([172]). Selon certains praticiens, l’article 41-1-2 du CPP pourrait préciser clairement que les faits de complicité des délits mentionnés peuvent donner lieu à une CJIP ([173]), voire englober « l’ensemble des atteintes à la probité » ([174]).

 

De manière plus ambitieuse, certains praticiens ont suggéré d’étendre le dispositif à la « plupart des infractions relevant de la délinquance économique et financière des entreprises » ([175]), à « tout ou partie des autres délits visés à l’article L. 2141-1 du code de la commande publique, dont la condamnation entraîne une exclusion automatique des procédures de passation des marchés publics » voire, « de manière générale, si l’objectif est d’inciter les personnes morales à s’auto-dénoncer pour bénéficier de CJIP, […] au plus grand nombre d’infractions possibles » ([176]). Au cours des auditions ont ainsi été évoqués les délits d’abus de confiance, d’escroquerie, d’escroquerie aggravée, ainsi que leur recel/blanchiment, le blanchiment de capitaux, le délit d’entente et l’abus de position dominante, les pratiques commerciales trompeuses et agressives, les infractions portant atteinte à la protection des intérêts financiers de l’UE, ainsi que les infractions et financières (abus de marché).

A contrario, le ministère de la Justice indiquait : « Avant de l’étendre encore plus avant, il apparaît nécessaire de consolider l’existant et notamment d’apprécier les effets la récente extension aux infractions en matière de droit de l’environnement ».

Vos Rapporteurs rappellent que l’introduction du dispositif de la CJIP dans notre droit avait été justifiée par l’usage fréquent, par les autorités de poursuites américaines, de dispositifs de justice négociée dans le cadre d’affaires de corruption transnationale, et que lors de sa création, celui-ci avait naturellement été limitée à ce domaine. Toutefois, l’efficacité du dispositif a rapidement conduit, de manière pragmatique, à une extension des situations dans lesquelles il pouvait être mis en œuvre.

Vos Rapporteurs constatent que le champ matériel de la CJIP n’est donc pas limité aux seules atteintes à la probité, et pourrait dès lors être étendu à d’autres infractions.

Ils relèvent toutefois que si de telles évolutions méritent d’être considérées, elles doivent être évaluées avec précision. La CJIP constitue un outil efficace, mais un élargissement trop rapide pourrait entraîner sa banalisation et risquerait de nuire à son acceptabilité, alors que la pratique n’est pas encore totalement stabilisée.

Les rapporteurs considèrent que le dispositif mériterait d’être élargi à d’autres infractions en matière de probité, et notamment au délit de favoritisme, mais qu’une extension plus importante ne semble pas pleinement justifiée et risquerait de changer la nature du dispositif.

Proposition  15 : Étendre le champ des infractions concernées par le dispositif au délit de favoritisme.

 

b.   Les autres évolutions

La loi du 24 décembre 2020 a par ailleurs procédé à d’autres ajustements. En cohérence avec le régime de la CJIP dans le domaine environnemental ([177]), la loi prévoit désormais la publicité obligatoire des conventions judiciaires d’intérêt public sur le site internet des ministères de la Justice et du Budget.

Elle a également mis à la charge de la personne morale concernée les frais de justice ([178]).

Enfin, cette loi a supprimé la condition tenant à la reconnaissance des faits et à l’acceptation de la qualification pénale retenue pour les CJIP conclues à l’issue d’une instruction judiciaire.

Celles-ci étaient en effet exigées par le premier alinéa de l’article 180‑2 du code de procédure pénale pour les CJIP conclues à l’issue d’une instruction judiciaire, mais pas pour celles conclues au stade de l’enquête préliminaire.

Le procureur de la République financier, M. Jean-François Bohnert, avait indiqué peu de temps avant que « la différence de régime entre la CJIP enquête préliminaire et de la CJIP information judiciaire » constituait une « difficulté » et que cette situation « [manquait] de lisibilité dans la pratique » ([179]).

C’est pour mettre fin à ce « traitement différencié » ([180]), selon les termes employés par la rapporteure du texte à l’Assemblée nationale, Mme Naïma Moutchou, que la loi a procédé à la suppression de la condition de reconnaissance des faits pour les CJIP conclues à l’issue d’une instruction judiciaire.

B.   la cjip a rapidement prouvÉ son efficacitÉ

1.   Douze CJIP déjà conclues, dont une majorité concernant des faits de corruption

Malgré certaines réticences initiales, les procureurs comme les parties semblent s’être bien approprié le dispositif. Sur les douze CJIP déjà conclues, sept portent sur des faits de corruption nationale ou internationale.

Ainsi :

– sept conventions portent sur des faits de corruption, et cinq pour sur des faits de fraude fiscale. Six conventions comprennent la mise en œuvre d’un programme de mise en conformité ;

– huit conventions ont été conclues par le PNF, trois par le parquet de Nanterre, une par le parquet de Nice ;

– les sociétés sanctionnées sont principalement françaises (pour sept d’entre elles). Quatre sont étrangères (deux sociétés suisses, une société irlandaise, une société chinoise), et trois sont des sociétés européennes ([181]) ;

– quatre conventions ont été conclues au stade de l’enquête préliminaire, et huit au stade de l’information judiciaire.

Sur la base de ces éléments, le bilan de la mise en œuvre de la convention judiciaire d’intérêt public est très positif.

Le dispositif a permis de traiter des affaires complexes et a conduit à infliger aux personnes mises en causes des amendes importantes. Le total des amendes infligées s’élève à 3,044 milliards d’euros, et quatre conventions (conclues avec les sociétés HSBC, Google, Société Générale et Airbus) représentent 99 % de ce montant – la convention Airbus représente à elle seule 70 % de ce montant. Par ailleurs, comme le rappelait M. Éric Dupont-Moretti, garde des Sceaux, lors de l’examen du projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée en commission des Lois, la CJIP a également permis « le versement au fisc de 662 millions d’euros de dommages et intérêts » ([182]).

Les praticiens saluent par ailleurs le souci des autorités de « proposer un accord dans des délais raisonnables conformément aux exigences du procès équitable fixées par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme » ([183]).

La direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice indique ainsi que le dispositif de la CJIP a « démontré son efficacité pour le traitement à la fois rapide et sans concession des procédures ouvertes contre des personnes morales pour des faits d’atteinte à la probité, de fraude fiscale et son blanchiment ».

 


—  1  —

SYNTHÈSE DES CJIP CONCLUES 

Date de la validation

Entité

Parquet

Infractions susceptibles

de qualifier les faits

Stade (1)

Amende max (2)

Amende infligée (3)

DI (4)

PMC (5)

Extinction de l’AP (6)

14/11/2017

HSBC Private Bank (Suisse) SA

PNF

Démarchage bancaire et financier illicite, blanchiment aggravé de fraude fiscale

I.J.

158 M€

158 M€

86 + 72

142 M€

23/02/2018

SAS Set Environnement

Nanterre

Corruption publique active

I.J.

5,8 M€

800 K€

680 + 120

30 K€

Oui

20/10/2020

23/02/2018

SAS Kaeffer Wanner

Nanterre

Corruption publique active

I.J.

59 M€

2,7 M€

3,3 – 0,6

30 K€

Oui

03/02/2020

25/05/2018

SAS Poujaud

Nanterre

Corruption publique active

I.J.

15 M€

420 K€

240 + 180

30 K€

Oui

04/06/2018

Société Générale SA (3)

PNF

Corruption active d’agents publics étrangers

E.P.

7,5 Md€

250 M€

167 + 83

963 M€

Oui

11/12/2020

28/06/2019

Carmignac Gestion

PNF

Fraude fiscale et fraude fiscale aggravée

E.P.

224 M€

30 M€

12 + 18

12/09/2019

Google France et Google Ireland Ltd

PNF

Soustraction volontaire et complicité de soustraction volontaire à l’établissement de l’impôt sur les sociétés

E.P.

8,2 Md€

500 M€

203 + 297

10/12/2019

SAS Egis Avia

PNF

Corruption d’agent public étranger

I.J.

11,3 M€

2,6 M€

1,7 + 0,9

15/01/2020

Bank of China

PNF

Blanchiment de fraude fiscale

I.J.

19 Md€

3 M€

1,6 + 1,4

900 K€

31/01/2020

Airbus SE

PNF

Corruption d’agent public étranger, corruption privée

E.P.

19 Md€

2,1 Md€

1,1 + 1

Oui

11/05/2020

Swiru Holding AG

Nice

Complicité de fraude fiscale

I.J.

1,4 M€

1,4 M€

1,3 + 0,1

26/02/2021

Bolloré SE et Financière de l’Odet SE

PNF

Corruption d’agent public étranger, complicité d’abus de confiance

I.J.

6,6 M€

12 M€

6,4 + 5,6

Oui

(1)    La colonne « Stade » indique si la CJIP a été conclue au stade de l’enquête préliminaire (« E.P. ») ou de l’information judiciaire (« I.J. »).

(2)    La colonne « Amende max » correspond à l’amende maximale théorique.

(3)    La colonne « Amende infligée » correspond au profit tiré du manquement, majoré d’une pénalité complémentaire (+) ou minoré d’un facteur minorant (-). Elle ne présente que les montants payés aux autorités françaises. Société Générale a ainsi accepté de payer 250 M€ aux autorités américaines ; Airbus a accepté de payer 981 M€ aux autorités britanniques et 525 M€ aux autorités américaines.

(4)    La colonne « DI » indique si un préjudice a été indemnisé dans le cadre de la convention, et pour quel montant.

(5)    La colonne « PMC » indique si la CJIP impose la mise en œuvre d’un programme de mise en conformité.

(6)    La colonne « AP » indique la date à laquelle l’action publique s’est éteinte.

Source : commission des Lois, d’après les CJIP et ordonnances de validation publiées sur les sites de l’AFA et du ministère de la Justice.


—  1  —

 

Comme cela était prévu par la loi, les conventions ont été soumises à une large publicité. Elles ont été abondamment commentées par les praticiens, et la procédure applicable n’a pas fait obstacle à la médiatisation des affaires.

Enfin, les personnes auditionnées par vos rapporteurs ont relevé que ce dispositif contribuerait à l’émergence de nouveaux rapports, moins conflictuels, et fondés sur une plus grande collaboration, entre parquets et avocats.

2.   L’affirmation de la souveraineté judiciaire de la France

Le dispositif a permis d’affirmer la souveraineté judiciaire de la France, notamment grâce à l’action du Parquet national financier, devenu un interlocuteur crédible aux yeux des autorités de poursuite étrangères, et notamment avec le Department of Justice américain et le Serious Fraud Office britannique.

La DACG rappelle dans la réponse au questionnaire transmis par vos rapporteurs que « la CJIP a contribué à la montée en puissance du Parquet national financier en lui offrant un cadre de négociation avec les entreprises et les autorités de poursuite étrangères, et en particulier américaines. Il a ainsi pu prendre toute sa place comme interlocuteur dans les enquêtes multi-juridictionnelles en matière de corruption d’agent public étranger, notamment dans les affaires Société générale et Airbus ». Les enquêtes conduites dans le cadre de ces deux affaires ont ainsi conduit à une véritable coopération avec les autorités fédérales américaines et britanniques.

Le dispositif a prouvé son efficacité et son utilité, en permettant notamment de limiter l’application extraterritoriale du droit américain tout en assurant le respect de la loi dite de « blocage » ([184]) ([185]).

Dans l’affaire Airbus, un accord commun d’enquête a été signé avec les autorités américaines et britanniques, afin de mettre en place une « une stratégie d’enquête, faciliter le recueil des preuves, assurer le partage d’informations entre les autorités de poursuite et utiliser ces preuves en vue d’un accord transactionnel » ([186]).

Cette organisation a permis de placer le Parquet national financier au centre du circuit de transmission des éléments de l’enquête : si Airbus a transmis des éléments au PNF, qui a ensuite pu en partager certains avec les autorités britanniques et américaines, et ce conformément aux dispositions de la loi de blocage, aucun document n’a été transmis directement par Airbus aux autorités étrangères ([187]).

La convention conclue avec Airbus rappelle ainsi que deux dispositions protégeant la souveraineté française ont pu être mises en œuvre : d’une part, l’article 1er bis de la loi n° 68‑678 du 26 juillet 1968, dite « loi de blocage », qui interdit à toute personne de communiquer tout « document ou renseignement [...] tendant à la constitution de preuves en vue de procédures judiciaires ou dans le cadre de cellesci », sans passer par les canaux de l’entraide, et d’autre part, l’article 694-4 du code de procédure pénale, qui oblige le procureur ou le juge d’instruction saisi d’une demande entrante qui serait de nature à « porter atteinte à l’ordre public ou aux intérêts essentiels de la Nation » à en informer le procureur général, qui peut, le cas échéant, saisir le ministre de la Justice.

La convention signée avec Airbus marquerait ainsi la « souveraineté judiciaire restaurée de la France et de l’Europe face aux États-Unis » ([188]) :

– la répartition finale de l’amende reste favorable à la France (3,6 milliards d’euros total, dont 2,1 milliards payés à la France, 1 milliard au Royaume-Uni, et 0,5 milliard aux États-Unis) ;

– c’est la France, par l’intermédiaire de l’AFA, qui sera chargée de vérifier le déploiement du programme de conformité anticorruption.

Auditionnés par vos rapporteurs, les entreprises signataires de ces conventions, ainsi que leurs conseils, ont relevé la qualité de la coopération entre le Parquet national financier et ses homologues étrangers, et ont insisté sur la grande utilité de la procédure de CJIP, qui a permis d’aboutir à un règlement concerté de ces dossiers.

3.   L’intérêt de confier à l’AFA le contrôle du programme de mise en conformité

En plus du paiement d’une amende, la conclusion d’une CJIP peut être assortie de la mise en œuvre d’un programme de mise en conformité, ou « monitoring », en application du 2° du I de l’article 41-1-2 du code de procédure pénale.

En effet, l’article 131-39-2 du code pénal prévoit la possibilité d’infliger une peine de mise en conformité, dans les conditions prévues par loi, consistant à se soumettre, pour une durée maximale de cinq ans, à un programme de mise en conformité ([189]).

Le programme de mise en conformité est « destiné à s’assurer de l’existence et de la mise en œuvre en son sein des mesures et procédures » de prévention et de détection prévues par le même article, qui sont au nombre de sept ([190]).

Son contrôle est confié à l’Agence française anticorruption, contrairement au système américain, qui prévoit la désignation d’acteurs privés en qualité de « monitors ».

L’AFA peut toutefois recourir « à des experts ou à des personnes ou autorités qualifiées, pour l’assister dans la réalisation d’analyses juridiques, financières, fiscales et comptables nécessaires à sa mission de contrôle » et, le cas échéant, les frais sont supportés par la personne morale mise en cause, dans la limite d’un plafond fixé par la convention.

Vos Rapporteurs constatent que la mise en œuvre du programme de conformité permet d’inscrire la personne morale partie à la CJIP dans une démarche vertueuse : celle-ci ne se contente pas simplement de payer une amende, mais s’engage, sous le contrôle de l’AFA, à mettre en œuvre des mesures effectives de prévention et de détection de la corruption.

Dans le cadre des affaires Airbus et Société Générale, les accords passés entre ces sociétés et les autorités de poursuites nationale et étrangères ont prévu que seule l’AFA soit en charge du contrôle du programme de mise en conformité. Les rapporteurs se félicitent de cette solution, qui constitue un atout supplémentaire dans le renforcement de notre souveraineté judiciaire.

Les enjeux attachés au programme de mise en conformité sont importants, dans la mesure où la loi prévoit que son inexécution conduit le procureur de la République à mettre en mouvement l’action publique.

Afin de prévenir de telles situations, l’AFA rend compte au procureur de la République, au moins annuellement, de cette mise en œuvre, et l’informe de toute difficulté dans l’élaboration ou la mise en œuvre du programme de mise en conformité. Elle lui communique, en outre, un rapport à l’expiration du délai d’exécution de la mesure. De son côté, la personne morale peut informer le procureur de la République de toute difficulté dans la mise en œuvre du programme ([191]).

 

La détermination d’une durée adéquate pour la durée du programme de mise en conformité paraît donc primordiale pour assurer le succès du dispositif : elle doit être suffisante pour permettre l’exécution complète de la convention, mais ne doit pas être non plus trop longue, du fait des coûts potentiellement importants pour les entreprises. La juste détermination de ce délai peut s’avérer délicate lors de la signature de la CJIP.

Sur ce sujet, la mission formule deux propositions pour apporter une souplesse supplémentaire au dispositif et permettre l’exécution complète des obligations du programme de mise en conformité.

Premièrement, l’article 41-1-2 du CPP que la durée maximale du programme de mise en conformité pouvant être prévu par une CJIP est fixée à trois ans. Les rapporteurs proposent de relever cette durée à cinq ans, ce qui conduirait à l’aligner sur la durée maximale de la peine prévue à l’article 131-39-2 du code pénal.

Deuxièmement, la durée initialement prévue dans la CJIP, et le montant de frais associé, devraient pouvoir être amendés, sur proposition du parquet signataire, avec l’accord de l’entreprise, et à la condition que le juge valide cette modification.

Proposition  16 : Porter à une durée de 5 ans la durée maximale de 3 ans prévue par la loi pour la mise en conformité des entreprises soumises à un contrôle de l’AFA.

Proposition  17 : Introduire la possibilité pour le parquet signataire d’une telle convention de soumettre au juge de la validation, avec l’accord de l’entreprise, une proposition de prolonger par avenant la durée du monitoring initialement fixée, et de modifier, le cas échéant, le plafond de frais afférent, afin de permettre l’exécution complète des obligations du programme de mise en conformité.

Par ailleurs, le guide réalisé par l’AFA sur la peine de programme de mise en conformité indique la remise de rapports annuels et du rapport final au parquet. Si, en pratique, l’AFA transmet préalablement ces documents aux parties, en application du principe du contradictoire, les textes ne le prévoient pas, et les rapporteurs considèrent que les textes pourraient le préciser.

Proposition  18 : Prévoir dans les textes l’obligation pour l’AFA de soumettre ses projets de rapports annuels et de rapports finaux aux personnes morales, préalablement à l’envoi de ces documents au parquet signataire.

Enfin, les mesures et procédures devant être déployées dans le cadre d’un programme de mise en conformité (prévues au II de l’article 131‑39‑2 du code de procédure pénale) sont similaires à celles constituant le dispositif général de prévention et de détection de la corruption (prévu au II de l’article 17 de la loi Sapin 2), à l’exception du 8° de l’article 17, qui prévoit « un dispositif de contrôle et d’évaluation interne des mesures mises en œuvre ».

Cet alinéa avait en effet été inséré par amendement sénatorial à l’article 17 relatif au dispositif de prévention et de détection de la corruption, sans faire l’objet d’une coordination à l’article 18 relatif à la peine de mise en conformité.

Vos Rapporteurs proposent de corriger cette situation.

Proposition  19 : Étendre aux mesures et procédures à déployer dans le cadre d’un programme de mise en conformité la huitième mesure prévue à l’article 17 de la loi Sapin 2, relative au dispositif de contrôle et d’évaluation interne des mesures mises en œuvre.

II.   des améliorations devraient être apportÉes afin de renforcer l’attractivitÉ du dispositif

Malgré ses indéniables qualités, le dispositif de la CJIP gagnerait à être amélioré sur plusieurs points, afin d’en renforcer l’attractivité. Les rapporteurs identifient trois difficultés, sur lesquelles ils formulent des propositions.

Premièrement, le dispositif prévoit actuellement des garanties limitées pour les personnes morales au cours de la négociation, ce qui tend à les décourager de révéler spontanément des faits de corruption.

Deuxièmement, le législateur n’a pas souhaité ouvrir ce dispositif aux personnes physiques. Si ce choix paraît judicieux, il pose des difficultés de fond, dans la mesure où la réussite de la négociation suppose la pleine coopération de la personne morale et sa contribution à la manifestation de la vérité, ce qui peut porter atteinte aux droits des personnes physiques.

Troisièmement, la loi a largement incité à recourir au dispositif de l’enquête interne, sans en encadrer le recours.

A.   encourager la RÉvÉlation spontanÉe de faits de corruption

Les rapporteurs relèvent que le cadre législatif applicable à la phase de négociation de la CJIP offre peu de garanties aux personnes morales.

En effet, en l’état du droit, la personne morale ne dispose d’aucune assurance que le parquet lui proposera une convention, ni même qu’il considérera sérieusement une telle option, et ce quelles que soient les diligences mises en œuvre. Elle ne peut anticiper préalablement le montant de l’amende auquel elle s’expose. En cas d’échec des négociations, l’essentiel des informations et des documents transmis au parquet peut être réutilisé devant la juridiction d’instruction ou de jugement.

Ce cadre préserve le pouvoir d’appréciation du parquet, qui dispose seul de l’initiative de formuler la proposition de conclure une CJIP, et fait ainsi reposer le dispositif sur la confiance que peuvent avoir les personnes morales dans le parquet pour agir raisonnablement dans l’examen de leur dossier, c’est-à-dire sur la « foi du Palais ».

Ces incertitudes ne permettent pas à la personne morale d’évaluer suffisamment clairement les avantages qu’elle peut attendre d’une telle procédure et les risques associés à un éventuel échec des négociations, notamment dans le cas où elle révèlerait spontanément des faits de corruption.

Ainsi, une entreprise qui prendrait une telle décision, lourde de conséquence, ne dispose pas de garanties que sa démarche sera regardée favorablement par le parquet.

Certains praticiens relèvent ainsi que « la seule décision sur laquelle [les entreprises] ont une maîtrise est celle de l’opportunité d’une révélation volontaire des faits. Une fois cette révélation faite, ces entreprises ne maîtrisent plus rien ou presque : ni l’existence d’une CJIP, ni ses termes. Il paraît donc assez illusoire d’encourager les entreprises à une révélation spontanée de faits sans leur donner des éléments précis leur permettant d’évaluer les conséquences pour elles d’une telle décision. » ([192])

Afin de remédier à cette situation, les rapporteurs formulent plusieurs propositions tendant à donner à la personne morale l’assurance qu’une CJIP pourra lui être proposée à certaines conditions, à ce que l’amende d’intérêt public fasse l’objet d’un barème, à ce que les documents transmis au parquet soient plus largement protégés d’une réutilisation lors de la procédure judiciaire, en cas d’échec de la négociation, et à garantir l’accès de la personne morale au dossier au stade de l’enquête préliminaire. L’émergence de pratiques communes entre les différents parquets doit par ailleurs être encouragée.

Vos Rapporteurs relèvent enfin que l’engagement de la responsabilité des personnes morales est encore trop complexe et gagnerait à être encouragé.

1.   Permettre à l’entreprise d’avoir une meilleure visibilité sur les bénéfices tirés de l’auto-dénonciation

a.   Donner à l’entreprise l’assurance qu’elle pourra bénéficier d’une CJIP si elle coopère pleinement

La coopération de la personne morale à l’enquête ne donne pas l’assurance à l’entreprise qu’elle pourra bénéficier d’une CJIP, même lorsqu’elle révèle spontanément les faits et qu’elle coopère pleinement.

Aussi, il apparait nécessaire de donner l’assurance à la personne morale qu’une CJIP lui sera proposée à certaines conditions, et notamment, si elle coopère pleinement.

Sur ce point, le PNF pourrait utilement publier de nouvelles Lignes directrices, établissant une liste de critères permettant d’assurer à l’entreprise l’entrée en négociation, voire la proposition d’une CJIP. Ces Lignes directrices pourrait également servir de base à une circulaire du garde des Sceaux à l’ensemble des parquets sur ce sujet.

Deux points doivent cependant être considérés. Premièrement, cela nécessiterait une plus grande formalisation des phases de négociation et de proposition de CJIP, ce qui pourrait réduire la souplesse d’ensemble du dispositif. Deuxièmement, des CJIP peuvent actuellement être proposées à des entreprises qui coopèrent peu, possibilité qu’il conviendrait de conserver.

b.   Prévoir un barème pour la détermination de l’amende

Aux termes de l’article 41-1-2 du code de procédure pénale, le montant de l’amende « est fixé de manière proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés, dans la limite de 30 % du chiffre d’affaires moyen annuel calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date du constat de ces manquements ». Ce plafond répond au souci d’assurer le respect des principes de proportionnalité et d’individualisation de la peine.

La circulaire DACG du 31 janvier 2018 et les Lignes directrices du 26 juin 2019 précisent les modalités de calcul de l’amende.

S’agissant de la détermination du plafond, le chiffre d’affaires pris en compte est le chiffre d’affaires mondial de la seule entité faisant l’objet de la proposition de convention. Ainsi, si la personne morale susceptible de faire l’objet d’une convention est une filiale d’un grand groupe, seul sera pris en compte le chiffre d’affaires de cette filiale.

L’amende comporte une dimension restitutive du profit illicite, et une dimension punitive par l’application d’un coefficient multiplicateur.

L’amende d’intérêt public doit ainsi conduire à la restitution du profit illicite et doit, à ce titre, être au moins égale au montant de celui-ci. Ce profit illicite est calculé à partir du chiffre d’affaires généré par le contrat affecté par les faits de corruption, déduction faite des charges directement imputables au projet, ce qui correspond à l’excédent brut d’exploitation (EBE) tiré des manquements constatés ([193]). Les avantages non comptables qui ont pu être retirés par l’entreprise sont également inclus.

À cette part restitutive s’ajoute une part punitive, obtenue après application d’un coefficient multiplicateur, qui est fonction notamment de la gravité des faits, de la durée du manquement et des éventuels antécédents de la personne morale. La circulaire DACG du 31 janvier 2018 indique : « En règle générale, ce coefficient sera au moins égal à deux, de manière à ce qu’après exécution de la convention, la commission de la fraude ait, au final, coûté à l’entreprise plus cher que ce qu’elle lui a rapporté ». Par ailleurs, la circulaire précise que le parquet peut également appliquer à cet avantage un « coefficient minorant, qui sera fonction de l’ancienneté des faits, et surtout du caractère volontaire de la révélation des faits et, dans cette hypothèse, de la rapidité avec laquelle les faits ont été révélés, et du degré de coopération avec l’autorité judiciaire, que les faits aient été révélés par la personne morale ou non », et plus généralement, de « toute circonstance propre à la personne morale en cause ».

Les Lignes directrices indiquent quelques facteurs de majoration et de minoration.

FACTEURS MAJORANTS ET MINORANTS INDIQUÉS DANS LES LIGNES DIRECTRICES

FACTEURS MAJORANTS

FACTEURS MINORANTS

Corruption d’un agent public

La révélation spontanée des faits au parquet avant l’ouverture de toute enquête pénale et dans un temps raisonnable

Personne morale entrant dans le champ d’application des articles 3 (3°) et 17 de la loi du 9 décembre 2016

Excellente coopération et investigations internes complètes et efficaces

Personne morale déjà condamnée/sanctionnée en France ou à l’étranger pour des faits de corruption

Programme de conformité effectif / mise en œuvre de mesures correctives et adaptation de l’organisation interne

L’utilisation de ressources de la personne morale pour dissimuler les faits de corruption

Mise en œuvre spontanée d’un programme de conformité par une personne morale qui n’y est pas obligée légalement

Caractère répété voire systémique des faits de corruption

 

Source : Lignes directrices.

Les praticiens relèvent la grande souplesse du système français dans le processus de détermination de l’amende, par rapport aux règles appliquées dans les pays anglo-saxons. Ainsi, les procureurs américains comme britanniques adoptent une approche bien plus « scientifique » de la fixation de l’amende, et la négociation porte « sur des facteurs précis plutôt que sur le niveau global de l’amende ». En France, si la circulaire DACG du 31 janvier 2018 et les Lignes directrices invitent à adopter des modalités de calcul proches, dans leur structure, du système anglo-saxon, « la majorité des procureurs semble pour l’instant avoir privilégié une approche forfaitaire », sauf dans le cas de procédures internationales (l’amende étant alors fixée de concert avec les autorités étrangères, son calcul est influencé par l’approche anglo-saxonne) ([194]).

 

Si la grande flexibilité du dispositif français présente l’intérêt de laisser au procureur une marge de manœuvre importante pour trouver un accord avec la personne morale, il ne permet pas à la personne morale d’estimer, même très approximativement, le montant de l’amende qui pourrait lui être infligée.

Vos Rapporteurs proposent que l’intensité de la coopération de l’entreprise soit prise en compte de manière plus systématique au stade de la détermination de l’amende, selon un barème public.

c.   L’intérêt de pratiques communes entre les parquets

Une plus grande attention mériterait d’être accordée au risque de divergence entre parquets, afin de prévenir les différences de pratique dans la mise en œuvre de la CJIP entre les parquets, surtout si le recours à la CJIP se développe.

Dans un récent rapport ([195]), le Club des juristes évoquait la possibilité d’élever les Lignes directrices au niveau de la circulaire afin de s’assurer que ces principes directeurs sont appliqués par l’ensemble des procureurs. Vos Rapporteurs considèrent que cette évolution favoriserait l’harmonisation des pratiques.

Le PNF et les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) pourraient par ailleurs apporter des conseils techniques aux parquets en vue de la discussion et de la négociation d’une CJIP pour permettre une pratique harmonieuse sur l’ensemble du territoire.

Propositions  20, 21 et 22 : Publier de nouvelles Lignes directrices ainsi qu’une nouvelle circulaire du garde des Sceaux afin :

– de donner l’assurance à la personne morale qu’une CJIP lui sera proposée à certaines conditions (notamment, si elle coopère pleinement) ( 20) ;

– d’assurer la prise en compte de la pleine coopération de l’entreprise, et notamment la révélation spontanée des faits de corruption, par la minoration de l’amende, selon un barème public ( 21) ;

– de favoriser le partage des compétences entre parquets ( 22).

d.   S’agissant des CJIP négociées en enquête préliminaire, mieux protéger les documents et informations transmis par la personne morale, et garantir l’accès au dossier

Le cadre applicable aux CJIP négociées en enquête préliminaire pourrait enfin donner des garanties plus importantes aux personnes morales.

 

Premièrement, en cas d’échec de la procédure, le deuxième alinéa du III de l’article 41-1-2 du code de procédure pénale prévoit que le procureur de la République ne peut faire état devant la juridiction d’instruction ou de jugement des déclarations faites ou des documents remis par la personne morale au cours de la procédure de négociation de CJIP dans deux situations :

– lorsque le président du tribunal ne valide pas la proposition de convention ;

– ou si la personne morale exerce son droit de rétractation dans les dix jours qui suivent la validation de la convention par le juge du fond.

La question de la réutilisation des documents avait été évoquée lors de la discussion du texte au Parlement. Votre Rapporteur, M. Olivier Marleix, relevait alors : « Que deviennent, en cas d’échec de la procédure, tous les éléments que l’entreprise aura fournis de sa propre initiative ? Une fois dans les mains du magistrat instructeur auquel le procureur transmettra le dossier, pourront-ils devenir des éléments à charge ? Si tel était le cas, on imagine évidemment que la voie de la convention serait moins attractive, compte tenu du risque couru par l’entreprise. » ([196])

Les Lignes directrices précisent que cette disposition concerne les documents et informations transmis au parquet « après formalisation d’une proposition de CJIP, lesquels permettent notamment de finaliser la fixation du montant de l’amende et de préciser les contours du programme de conformité auquel sera astreinte la personne morale ». Il s’agit également des « échanges écrits par lesquels la personne morale déclare accepter la qualification légale des faits, ainsi que ceux ayant servi de support à la négociation sur les termes de la proposition de CJIP ».

Les Lignes directrices ajoutent que l’article 41-1-2 du CPP « n’affecte pas la possibilité pour le parquet de faire usage des documents et informations transmis par l’entreprise ou son conseil dans le cadre de la phase d’enquête, laquelle est nécessairement antérieure à la formalisation d’une proposition de CJIP et donc à la procédure prévue » à cet article.

Selon certains praticiens, cette interprétation restreinte pourrait conduire à ce que « tout ce qui leur a été remis en amont de la proposition formelle de CJIP puisse être utilisé par la suite en cas d’échec de cette procédure », ce qui poserait des difficultés à l’aune de certains principes fondamentaux de la procédure pénale tels que le droit de ne pas s’incriminer soi-même, ainsi que de la loyauté de la preuve ([197]).

Vos Rapporteurs suggèrent d’avancer le moment à partir duquel la réutilisation par le parquet, devant la juridiction d’instruction ou de jugement des déclarations, des documents et informations transmis par la personne morale au cours des négociations de la CJIP est impossible.

Ils préconisent également d’ajouter aux deux situations prévues par le deuxième alinéa du III de l’article 41-1-2 du CPP, le cas où l’entreprise renonce à la conclusion d’une CJIP avant la signature de la convention.

Proposition n° 23 : Mieux protéger les documents et informations transmis par la personne morale au cours de la procédure de négociation :

– avancer le moment à partir duquel la réutilisation par le parquet, devant la juridiction d’instruction ou de jugement, des déclarations, des documents et informations transmis par la personne morale au cours des négociations de la CJIP est impossible ;

– étendre cette impossibilité au cas où la personne morale a renoncé à la conclusion d’une CJIP au cours des négociations.

Ces praticiens relèvent également que la personne morale mise en cause ne disposerait que de faibles garanties d’accès au dossier qui la concerne, les dispositions législatives et réglementaires encadrant la CJIP négociée au stade de l’enquête ne prévoyant aucun aménagement dérogatoire au droit commun ([198]).

Interrogé sur ce sujet, le ministère de la Justice relève que la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale a déjà étendu substantiellement le contradictoire au stade de l’enquête préliminaire. Ainsi, outre un droit à consultation du dossier pour la personne entendue en qualité de suspect, le législateur a créé une possibilité de communication du dossier et d’observation au bénéfice du mis en cause et du plaignant ou de la victime, en application de l’article 77-2 du code de procédure pénale.

La DACG relève que ce dispositif est désormais « systématiquement utilisé par le PNF à l’issue de ses enquêtes préliminaires lorsqu’il envisage le renvoi devant la juridiction de jugement et permet, le cas échéant, d’orienter la procédure vers une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) lorsque le mis en cause accepte de reconnaître les faits objectivés par la procédure qui lui est communiquée ». Il est également mis à profit par le PNF « lorsqu’est envisagée l’éventualité d’une CJIP, tout spécialement lorsque l’entreprise mise en cause collabore à l’enquête, afin de coordonner l’enquête interne de celle-ci et l’enquête judiciaire ».

Vos Rapporteurs considèrent que ce droit mériterait d’être mieux garanti, et devrait dès lors être précisé plus explicitement dans la loi, dans le cadre d’une CJIP.

Proposition  24 : Garantir l’accès de la personne morale au dossier en enquête préliminaire à partir du moment où le parquet envisage un règlement par la CJIP.

2.   Faciliter l’engagement de la responsabilité des personnes morales

L’attractivité de la CJIP est d’autant plus forte que les entreprises dont la responsabilité est engagée devant les tribunaux peuvent se voir infliger de lourdes amendes, à la suite de procédures dont l’issue est incertaine. Dans l’affaire « UBS », qui a conduit à la condamnation de la banque en 2019 à hauteur de 3,7 milliards d’euros en première instance pour des faits de démarchage bancaire illicite et de blanchiment aggravé de fraude fiscale, la banque suisse avait refusé de conclure une CJIP prévoyant une amende s’élevant à un milliard d’euros ([199]).

Vos Rapporteurs constatent toutefois que les conditions d’engagement de la personne morale paraissent encore trop restrictives.

En effet, deux conditions doivent être réunies pour pouvoir rechercher la responsabilité pénale d’une personne morale : l’infraction doit avoir été commise par un organe ou un représentant de la personne morale, et pour le compte de la personne morale.

Votre rapporteur, M. Raphaël Gauvain, relevait dans un récent rapport au Gouvernement que « les conditions d’engagement de la responsabilité pénale des personnes morales – fixées de manière restrictive par l’article 121-2 alinéa 1 du code pénal – compliquent les poursuites contre les entreprises, dans la mesure où leurs organes ou représentants sont rarement en situation de commettre eux-mêmes les infractions, les décisions étant la plupart du temps, prises par des personnes non titulaires de délégations de pouvoir » ([200]).

Ainsi, à titre d’illustration, dans un jugement du 30 août 2017, le tribunal correctionnel de Paris a relaxé une société, tout en constatant l’existence de faits avérés de corruption, au motif que les actes frauduleux n’avaient pas été commis par un organe ou un représentant de la société. En effet, les personnes mises en cause étaient des salariés d’autres entités du groupe et non de la société, ne bénéficiant donc pas d’une délégation de pouvoir de la société.

L’assouplissement de ces conditions permettrait de sanctionner plus efficacement les personnes morales et inciterait dès lors les entreprises à l’auto-révélation ainsi qu’à la conclusion d’une CJIP.

Proposition n° 25 : Assouplir les conditions d’engagement de la responsabilité pénale des personnes morales.

 

B.   AmÉliorer le cadre applicable À la sanction des personnes physiques

L’article 41-1-2 du code de procédure pénale prévoit que seule une personne morale peut se voir proposer une CJIP.

L’article précise par ailleurs que les représentants légaux de la personne morale mise en cause demeurent responsables en tant que personnes physiques, et sont informés, dès la proposition du procureur de la République, qu’ils peuvent se faire assister d’un avocat avant de donner leur accord à la proposition de convention.

Les débats parlementaires rappellent que l’exclusion des personnes physiques du dispositif, et la possibilité d’ouvrir des procédures à leur encontre en parallèle de la CJIP, constituaient deux points essentiels. Le ministre de l’Économie et des finances, M. Michel Sapin, relevait ainsi : « Il faut que le dispositif ne s’applique qu’à des personnes morales – ce qui est bien le cas ici –, sans quoi la critique selon laquelle il s’agirait d’une manière d’échapper à la prison pourrait être exacte. En l’espèce, la procédure ne peut concerner une personne physique. Même dans des dossiers comprenant des poursuites à la fois contre une personne morale et contre une personne physique, ce n’est pas ce dispositif qui sera appliqué à cette dernière, mais bien évidemment le dispositif classique de la justice française, en fonction des incriminations figurant dans le code pénal ou dans d’autres textes » ([201]).

Le rapporteur de la commission des Lois, M. Sébastien Denaja, ajoutait par la suite : « L’objectif est bien celui-ci : condamner des personnes morales qui, de toute façon – et pour cause ! –, n’iront pas en prison. Au demeurant, le dispositif […] n’exclut absolument pas la poursuite des personnes physiques. […] On ne peut vraiment pas parler de justice à deux vitesses. »

Si les personnes mises en cause peuvent faire l’objet de procédures judiciaires, le Parquet peut également recourir à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, prévue aux articles 495-7 à 495-16 du code de procédure pénale.

Les rapporteurs constatent que les dossiers ayant conduit à la conclusion de CJIP n’ont pas tous entraîné la sanction des personnes physiques.

Ainsi, dans l’affaire HBSC Private Bank Genève, l’ancien directeur général de la banque a bénéficié de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), postérieurement à la conclusion de la CJIP, près d’un an après. Dans les affaires SAS Set Environnement, SAS Kaeffer Wanner et SAS Poujaud, plusieurs dizaines de personnes physiques ont été renvoyées devant le tribunal correctionnel et condamnées, pour la plupart, à des peines d’emprisonnement assorties dans certains cas du paiement d’une amende.

S’agissant des autres dossiers, soit les investigations visant à mettre en cause les personnes physiques sont toujours en cours, soit elles n’ont pas permis d’identifier ou de caractériser des responsabilités pénales individuelles. Lors de son audition, le procureur de la République financier a ainsi rappelé que des enquêtes étaient toujours en cours dans les dossiers Aegis Avia, Airbus et Carmignac. Dans le dossier Société Générale, en revanche, les personnes physiques n’ont pas été poursuivies.

L’exclusion des personnes physiques du dispositif pose par ailleurs d’autres difficultés.

En particulier, le processus de négociation de la CJIP, qui suppose la coopération de l’entreprise, présente un risque d’atteinte aux droits de la défense des personnes physiques.

Comme le rappellent les Lignes directrices du PNF et de l’AFA, « nonobstant la conclusion d’une CJIP, les représentants légaux de la personne morale mise en cause demeurent personnellement responsables. L’intérêt public exige que de telles poursuites soient exercées chaque fois que les conditions juridiques le permettent. Les investigations internes conduites par l’entreprise doivent donc également contribuer à établir les responsabilités individuelles. » Cela implique que « les sociétés dans le cadre de leur enquête interne sont incitées à identifier les personnes susceptibles de voir leur responsabilité engagée ainsi que les principaux témoins » ([202]).

Il en ressort que les sociétés sont incitées à mettre en cause les personnes physiques impliquées, dans le cadre de leur enquête interne, puis pendant l’enquête pénale ou la négociation, en mettant à la disposition du parquet les informations les concernant. Une telle situation serait ainsi de nature à porter atteinte au respect des droits de la défense des personnes physiques ([203]).

Les praticiens relèvent par ailleurs que si la conclusion d’un accord n’implique pas de reconnaissance de culpabilité et ne lie pas les personnes physiques, ces accords contiennent en pratique « des notes factuelles très exhaustives et des qualifications pénales si bien que la question du choix offert à la personne physique semble a priori compromis une fois l’accord signé » ([204]).

Le Comité d’éthique du barreau de Paris relevait également, dans son avis sur l’application de la loi Sapin 2 : « La CJIP n’est possible que pour les personnes morales, ce qui pose la question du sort des dirigeants et cadres, exposés à une condamnation alors que l’entreprise aura trouvé un accord. II s’agit là du respect du principe d’égalité ou à tout le moins et plus opportunément du principe d’équité. Cet aspect du problème doit ou devrait faire l’objet d’études et de propositions pour que la CJIP n’altère pas les intérêts individuels légitimes qui ne sont pas encore l’objet dans un cadre nouveau d’une réglementation spécifique. » ([205])

Le recours à la CRPC est rapidement apparu comme un outil complémentaire, et bien adapté, à la négociation d’une CJIP. Malgré des différences importantes entre ces deux dispositifs de justice négociée (la CRPC emporte reconnaissance de culpabilité, implique l’exécution d’une peine qui peut être une peine d’emprisonnement, et est inscrite au casier judiciaire), la rapidité et la confidentialité de la CRPC ont poussé à « synchroniser, lorsqu’il y a lieu, une telle procédure avec la CJIP » ([206]).

À ce titre, lors de l’examen du projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée en commission des Lois, en nouvelle lecture, la rapporteure Mme Naïma Moutchou avait déposé un amendement proposant d’engager une composition pénale avec les personnes physiques concernées par l’affaire dans la perspective d’une CJIP ([207]). Estimant que « le procureur doit pouvoir proposer le mode de poursuite le plus adapté aux faits commis en fonction de leur gravité, de leur date et du degré d’implication des personnes concernées », le Gouvernement a demandé, et obtenu, le retrait de cet amendement ([208]).

La synchronisation d’accords négociés parallèlement avec une ou plusieurs personnes physiques et morale n’est toutefois réellement efficace que si elle est menée à son terme : elle implique ainsi que les juges valident la CJIP et homologuent la CRPC.

Le récent refus d’homologation de la CRPC négociée entre le parquet et trois personnes physiques dans l’affaire dite Bolloré ([209]) a montré qu’en raison de l’étanchéité entre ces procédures, leur négociation simultanée ne conduit pas nécessairement à un règlement global et cohérent des affaires.

Les personnes entendues par vos Rapporteurs ont relevé que ce précédent risque d’affecter gravement l’attractivité de la justice négociée en France, l’insécurité liée au risque de refus d’homologation du juge pouvant dissuader d’entrer en négociation avec le parquet.

Certains praticiens relèvent ainsi « l’insuffisante sécurité de la CRPC pour inciter les dirigeants à révéler spontanément des faits délictueux » ([210]). L’impossibilité d’assurer aux personnes physiques un règlement global et cohérent, en même temps que la personne morale, constituerait ainsi un frein à l’auto-dénonciation.

Vos Rapporteurs considèrent que le dispositif de la CJIP doit être amélioré dans le sens d’une meilleure inclusion des personnes physiques.

Une première approche pourrait être d’ouvrir la CJIP aux personnes physiques en matière de corruption.

Cette extension a été suggérée par certains praticiens ([211]) ainsi que par le directeur de l’Agence française anticorruption. Celui-ci relevait que « la CRPC n’est pas forcément l’instrument le plus adapté, notamment par le fait que les sanctions encourues dans la CRPC ne sont pas toujours adaptées et qu’il vaudrait mieux envisager, dans certaines conditions envisagées par la loi, des CJIP qui règlent à la fois le sort des entreprises et de leurs dirigeants en une seule et même décision qui serait soumise à l’homologation du juge simultanément et qui ne pourrait être validé que globalement » ([212]). Lors de son audition par vos Rapporteurs, il proposait d’étendre la CJIP aux personnes physiques « avec des conditions très strictes », pour favoriser l’auto-incrimination.

Vos rapporteurs ne sont pas favorables à une telle solution. Une telle extension permettrait de dispenser de condamnation les auteurs de faits de corruption, et ferait ainsi des atteintes à la probité une catégorie d’infractions à part, alors que les infractions concernées sont particulièrement graves.

La CJIP est pleinement justifiée pour les personnes morales, car elle permet de sanctionner ces personnes, qui ne peuvent pas faire l’objet de peines restrictives de liberté, par le paiement d’une amende importante, sans toutefois les empêcher de continuer à accéder aux marchés qui sont nécessaires à la poursuite de leur activité. La CJIP répond également à la nécessité de mettre en œuvre un règlement concerté avec d’autres autorités de poursuites étrangères, dans les cas de corruption transnationale concernant des sociétés multinationales. Ces justifications ne sont pas transposables aux personnes physiques.

Par ailleurs, le fait d’imposer un règlement global et unique d’affaires différentes pourrait conduire le juge de la validation à rejeter en bloc les accords qui lui sont soumis, s’il considère que l’un d’entre eux n’est pas conforme à l’intérêt public ([213]). 

Une seconde approche réside dans l’amélioration de l’articulation entre la CJIP et la CRPC. En particulier, vos Rapporteurs insistent sur l’importance de donner une plus grande assurance aux parties que le compromis trouvé à la suite de la phase de négociation sera homologué par le juge.

S’ils reconnaissent qu’eu égard à la gravité des faits de corruption, l’exclusion du juge de la phase d’homologation n’est pas souhaitable, ils insistent néanmoins sur la nécessité de permettre aux parties de mieux prévoir l’issue de la procédure de négociation, à certaines conditions.

En effet, lorsqu’il est saisi d’une CRPC, le juge de l’homologation dispose d’un pouvoir d’appréciation important. Aux termes de l’article 495-11 du code de procédure pénale, l’ordonnance d’homologation doit être motivée par les constatations, d’une part, que la personne, en présence de son avocat, reconnaît les faits qui lui sont reprochés et accepte la ou les peines proposées, et d’autre part, que cette ou ces peines sont justifiées au regard des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur.

Dans sa décision n° 2004-492, rendue à propos de la loi du 9 mars 2004 qui instituait la CRPC, le Conseil constitutionnel a invité le juge de l’homologation à « exercer, lors de la séance d’homologation, la plénitude du pouvoir d’appréciation qui incombe au juge du fond » ([214]). Le juge constitutionnel a ainsi considéré que « si la peine est proposée par le parquet et acceptée par l’intéressé, seul le président du tribunal de grande instance peut homologuer cette proposition ; qu’il lui appartient à cet effet de vérifier la qualification juridique des faits et de s’interroger sur la justification de la peine au regard des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ; qu’il pourra refuser l’homologation s’il estime que la nature des faits, la personnalité de l’intéressé, la situation de la victime ou les intérêts de la société justifient une audience correctionnelle ordinaire ; qu’il ressort de l’économie générale des dispositions contestées que le président du tribunal de grande instance pourra également refuser d’homologuer la peine proposée si les déclarations de la victime apportent un éclairage nouveau sur les conditions dans lesquelles l’infraction a été commise ou sur la personnalité de son auteur ; que, sous cette réserve, les dispositions contestées ne portent pas atteinte au principe de séparation des autorités chargées de l’action publique et des autorités de jugement » ([215]). Ces conditions ont par la suite été inscrites à l’article 495-11 du code de procédure pénale ([216]).

Afin de sécuriser le dispositif, tout en s’inscrivant dans cette jurisprudence, vos Rapporteurs suggèrent de créer un dispositif de CRPC spécifique, dont le champ serait restreint aux faits de corruption et aux autres infractions d’atteinte à la probité.

Les conditions dans lesquelles le parquet pourrait proposer cette CRPC seraient plus exigeantes que dans la procédure actuelle. L’accord ne serait ainsi proposé qu’en cas de révélation spontanée des faits, et de pleine coopération de la personne physique aux investigations.

Par rapport au dispositif actuel, les peines pouvant être proposées seraient par ailleurs adaptées à la gravité des faits de corruption.

En contrepartie, les critères pris en compte par le juge au stade de l’homologation seraient précisés, de manière à limiter le risque de refus. L’appréciation du juge porterait essentiellement sur la qualification juridique des faits, sur le caractère spontané de leur révélation, ainsi que sur la réalité de la coopération de la personne physique aux investigations.

Les modalités de réutilisation des informations et documents transmis en cas d’échec de la négociation de l’une des procédures devraient également être précisées.

Cette solution permettrait de favoriser la révélation spontanée de faits de corruption, tout en assurant la sanction effective des personnes physiques mises en cause.

Proposition  26 : Créer une procédure de CRPC spécifique aux faits de corruption, qui ne pourrait être proposée qu’en cas de révélation spontanée des faits et de pleine coopération de la personne physique aux investigations, et dont les modalités d’homologation seraient plus encadrées : l’appréciation du juge de l’homologation porterait essentiellement sur la qualification juridique des faits, sur le caractère spontané de leur révélation, ainsi que sur la réalité de la coopération de la personne physique aux investigations.

C.   favoriser le recours aux enquÊtes internes

La loi Sapin 2 a encouragé le recours aux enquêtes internes, par le renforcement de la protection et de l’accompagnement des lanceurs d’alerte, qui sont ainsi incités à dénoncer des faits qui pourront faire l’objet d’une enquête interne (voir infra), ainsi que par la création de la CJIP, qui accorde une large place à la coopération de l’entreprise.

Les Lignes directrices soulignent ainsi que les investigations conduites par la personne morale doivent contribuer activement à la « manifestation de la vérité », afin que celle-ci puisse bénéficier d’une CJIP, contribution qui est généralement réalisée au moyen d’une enquête interne ou d’un audit approfondi.

La bonne conduite de l’enquête interne est dès lors une condition clé de l’établissement de la vérité, et d’un traitement équitable des personnes physiques.

En effet, les personnes physiques prenant part aux enquêtes s’exposent ainsi non seulement à des sanctions disciplinaires, mais également à l’ouverture de poursuites judiciaires à leur encontre.

Certains praticiens soulignent que « dans les cas où la personne morale sous enquête conduit elle-même une enquête interne, deux écueils peuvent apparaître s’agissant du traitement judiciaire des personnes physiques : le bouc émissaire et l’impunité générale ». ([217])

Votre Rapporteur, M. Raphaël Gauvain, relevait récemment que « les entreprises françaises sont particulièrement démunies en matière pénale, dans le cadre des procédures transactionnelles conduites par le DOJ. […] Les entreprises faisant l’objet d’une enquête pour délinquance économique aux États-Unis expérimentent, depuis plusieurs décennies, une justice négociée. L’entreprise suspectée se voit proposer de coopérer avec les autorités gouvernementales et de faire pratiquer, à ses frais, une enquête interne par des avocats extérieurs à l’entreprise, qui seront assistés d’experts en traitement de données électroniques. Dès lors que cette coopération a été acceptée par son client, l’avocat ne peut se rendre complice d’un détournement de celle-ci, sous peine de se voir accusé de complicité d’obstruction à la Justice. À l’ouverture de la procédure, ces enquêtes ne sont limitées ni dans leur objet, ni dans le temps, ni dans l’espace, les autorités américaines pouvant à tout moment les étendre à d’autres faits, allonger la période concernée ou s’intéresser à des activités menées dans d’autres États. Cette procédure ne revêt en outre, aucun caractère contradictoire dans la mesure où la transmission des éléments en possession des autorités gouvernementales reste à la discrétion de ces dernières et est le plus souvent partielle. » ([218])

En droit national, les textes législatifs n’encadrent pas cette procédure. Les Lignes directrices précisent simplement que lors de la négociation d’une CJIP, « le respect de l’article 11 du CPP assure la confidentialité de l’ensemble des éléments qui sont remis par l’entreprise au parquet au cours de l’enquête judiciaire ». La jurisprudence sociale et administrative a apporté quelques précisions à propos de la protection des salariés au cours d’une enquête interne, concernant notamment le périmètre de l’enquête ([219]), l’accès au dossier ([220]), ou le droit au respect de la vie privée ([221]).

La pratique est actuellement encadrée par des recommandations non contraignantes, réalisées par le Conseil de l’ordre des avocats de Paris ([222]) ainsi que par le Conseil national des Barreaux ([223]).

Vos Rapporteurs ont pris connaissance du rapport récemment publié sur cette question par un collectif d’avocats, qui formule plusieurs recommandations afin de « permettre d’identifier et d’appliquer ces droits, tout en maintenant un équilibre avec les droits de l’entreprise enquêtrice et en préservant l’efficacité de ces enquêtes ». Le rapport préconise l’application d’un standard minimum d’enquête, en conférant des garanties aux personnes physiques aux différents stades de la procédure (auditions, accès au dossier et clôture du dossier) ([224]).

Vos Rapporteurs constatent que si la loi Sapin 2 a fortement encouragé le développement des enquêtes internes par la création d’outils de justice négociée, elle n’est pas allée jusqu’au bout de la logique et n’a pas prévu de règlementation spécifique applicable à ces enquêtes. Ils appellent à un meilleur encadrement de cet outil, afin d’offrir plus de garanties aux personnes physiques, et ainsi d’en favoriser l’usage.

Proposition n° 27 : Favoriser le recours à l’enquête interne, en encadrant davantage son usage et en offrant plus de garanties aux personnes physiques.

Cette forme de privatisation de l’enquête pose par ailleurs la question de la confidentialité des avis juridiques internes, d’une part, et du secret professionnel de l’avocat, d’autre part.

Dans le rapport précité, votre rapporteur, M. Raphaël Gauvain, rappelait que « les juristes d’entreprise français ne disposent pas des mêmes armes que leurs homologues dans d’autres pays. Ils se retrouvent dans une situation très défavorable dans laquelle leurs avis juridiques ne bénéficient d’aucune protection, alors que les avis émis par la quasi-totalité de leurs homologues à l’étranger (qu’ils soient avocats en entreprise ou juristes d’entreprise) sont protégés par des règles de confidentialité strictes, applicables tant dans les procédures civiles, qu’administratives et pénales. » Il relevait par ailleurs que « la protection offerte par le secret professionnel, supposé à tort être "générale et absolue", est en réalité assez limitée en ce qui concerne les avis juridiques des avocats », ce qui accentuait la vulnérabilité des entreprises françaises lors de procédures internationales. Il préconisait la solution de l’avocat salarié en entreprise, doté d’un statut et d’un secret professionnel adaptés.

Vos Rapporteurs proposent ainsi de renforcer la confidentialité des avis juridiques, et de réfléchir à l’instauration d’un legal privilege à la française.

Proposition n° 28 : Renforcer la confidentialité des avis juridiques, et réfléchir à l’instauration d’un legal privilege à la française.

Enfin, la réalisation d’une enquête interne peut s’avérer délicate lorsqu’elle est susceptible de mettre en cause certains dirigeants, qui ont participé aux faits incriminés et sont encore en place.

Aux États-Unis, le conseil d’administration de l’entreprise a la possibilité de nommer un comité d’audit, à qui l’équipe menant l’enquête interne doit rendre compte.

Vos Rapporteurs proposent pour cela de permettre au parquet de demander la nomination d’un mandataire ad hoc, ou la création d’un comité d’audit, selon la taille de l’entreprise, afin de donner aux enquêteurs internes un interlocuteur à qui rendre compte, en lieu et place des dirigeants de la personne morale. Ce mandataire ou comité pourrait également assurer la représentation en justice de la société, le cas échéant.

Interrogée sur cette question, la DACG a indiqué y être favorable, et a initié une réflexion en la matière.

Proposition n° 29 : Assurer l’indépendance de l’enquêteur interne : permettre au parquet de demander la nomination d’un mandataire ad hoc ou la création d’un comité spécial, afin de mener l’enquête interne, de négocier la CJIP et de représenter l’entreprise en justice.

 

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   Partie III : Le statut des lanceurs d’alerte

Comme en matière de prévention de la corruption ou de contrôle des représentants d’intérêts, la loi Sapin 2 a permis à la France de combler son retard dans la protection qu’elle accordait aux lanceurs d’alerte.

Certes, diverses protections existaient préalablement, notamment dans le secteur public, avec le mécanisme de l’article 40 du code de procédure pénale, ou encore en matière de harcèlement et de prévention des accidents du travail et des risques sanitaires. Ces dispositifs restaient néanmoins beaucoup moins protecteurs que les législations américaines et anglaises sur lesquelles de nombreux pays avaient commencé à s’aligner.

La loi Sapin 2 a donc défini un véritable statut du lanceur d’alerte comprenant des droits (accompagnement juridique, protection contre les représailles) mais aussi des devoirs (protection de la vie privée des personnes mises en cause, encadrement des canaux de révélation) qui a permis à la France de se hisser au niveau des standards les plus élevés sur la question.

Un premier bilan de la loi montre cependant une faible utilisation de ce dispositif en raison de sa complexité et parce qu’il expose les lanceurs d’alerte à un risque juridique et financier considérable. Les moyens consacrés au recueil et au traitement des alertes semblent encore insuffisants, tout comme l’accompagnement des auteurs de ces signalements.

Tandis que la France doit transposer dans son droit, avant la fin de l’année 2021, la directive européenne du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union, vos Rapporteurs se sont interrogés sur les évolutions nécessaires pour améliorer le statut des lanceurs d’alerte afin qu’ils puissent librement dénoncer des actes graves dans l’intérêt général et dans celui des organisations auxquelles ils appartiennent.

I.   La loi Sapin 2 a crÉé un statut unifiÉ du lanceur d’alerte

Second volet du renforcement de la lutte contre la corruption et de la transparence de la vie économique, le statut des lanceurs d’alerte créé par la loi Sapin 2 est intervenu en réaction aux critiques adressées au droit français en la matière.

La France disposait en effet de dispositifs sectoriels de protection des signalements internes nombreux mais peu lisibles et faiblement protecteurs en comparaison de ses partenaires économiques.

A.   Malgré l’existence de plusieurs dispositifs de protection des lanceurs d’alerte, la France accusait un retard en la matiÈre

1.   Une réforme tardive en comparaison d’autres pays

Comme l’a rappelé Mme Emmanuelle Prada Bordenave, conseillère d’État ([225]), le retard de la France pour reconnaître un droit de dénoncer, hors du cadre judiciaire classique, des faits illégaux peut s’expliquer historiquement par le traumatisme des délations durant l’occupation. D’autres pays, en premier lieu les États-Unis, avaient reconnu depuis longtemps un droit de signaler les infractions, en particulier dans le secteur public afin de lutter contre la corruption et de préserver les finances publiques ou dans le champ économique afin de limiter des abus de marché et les entraves à la libre concurrence.

a.   Le droit d’alerte, un concept juridique né aux États-Unis au XIXe siècle

Aux États-Unis, le droit d’alerte a été consacré dès le XIXe siècle afin de lutter contre la fraude dans les marchés publics : le False Claims Act de 1863 permet ainsi aux citoyens ayant connaissance d’une fraude commise à l’encontre de l’État fédéral d’intenter une action en justice en son nom, même s’il n’a pas directement un intérêt à agir, et de recevoir en compensation une part du recouvrement. Encore en vigueur, ce dispositif a permis de collecter 13,3 milliards de dollars entre 2009 et 2012.

Le Whistleblower Protection Act de 1989, amendé en 2012, a complété le dispositif en protégeant les agents fédéraux lanceurs d’alerte contre des représailles, au moyen d’un organe indépendant spécialisé qui instruit l’affaire.

L’extension de la protection des lanceurs d’alerte au secteur privé s’est opérée plus récemment, dans le but de lutter contre la fraude et la corruption. La loi Sarbanes-Oxley de 2002 impose aux salariés des entreprises cotées en Bourse et de leurs filiales à l’étranger de signaler les faits de fraudes dont ils ont connaissance. Elle prévoit à cet effet une obligation de réparation des représailles et la mise en place par les entreprises d’un dispositif d’alerte interne sécurisé.

Enfin, le Dodd-Frank Wall Street reform and Consumer Protection Act de 2010 complète le mécanisme d’incitation financière : tout lanceur d’alerte fournissant des informations permettant de sanctionner des illégalités reçoit entre 10 et 30 % de l’amende, si ce montant dépasse un million de dollars.

b.   L’adoption d’un régime de protection des lanceurs d’alerte par le Royaume-Uni à la fin des années 1990

Sur le modèle états-unien, le Royaume Uni, s’est également doté d’une loi spécifique consacrant la protection des lanceurs d’alerte dans un régime unique : le Public Interest Disclosure Act (PIDA) de 1998. En cas de mesures de rétorsion (detriment), l’employé peut déposer plainte auprès d’une juridiction du travail et obtenir la réparation intégrale de son préjudice. Il peut également, par voie de référé, être maintenu dans son emploi jusqu’au procès.

La loi PIDA protège les signalements effectués en interne et en externe (auprès des autorités, de la presse et, depuis 2014, des membres du parlement). Le choix du canal est libre, mais l’obtention d’une protection en cas de saisine des canaux externes est soumise au respect d’un principe de proportionnalité et de gradation. Concernant les alertes internes, la subordination de la protection à la « bonne foi » du lanceur d’alerte a été remplacée en 2013 par l’exigence d’une « croyance raisonnable dans le caractère d’intérêt public » de l’alerte, notamment afin d’exclure les plaintes pour motifs personnels.

En complément, le UK Bribery Act de 2010, qui encadre la prévention de la corruption au Royaume-Uni, impose la mise en place d’une procédure d’alerte sécurisée et accessible (speak-up procedures).

c.   Une reconnaissance progressive du droit d’alerte en Europe

Plusieurs pays européens, sous l’influence des modèles anglo-saxons et des différentes conventions adoptées au niveau international ont mis en œuvre des régimes de protection des lanceurs d’alerte.

En 2014, l’Irlande a unifié les différentes mesures de protection des auteurs de signalement en s’inspirant du PIDA britannique. Elle a également accordé une immunité civile aux lanceurs d’alerte et un régime favorable en cas de poursuites en diffamation.

En Italie, l’accent a d’abord été mis sur le secteur public par une loi du 6 novembre 2012 afin de lutter contre la corruption de fonctionnaires. Elle a étendu son dispositif au secteur privé après la France, par une loi du 30 novembre 2017.

Les Pays-Bas se sont dotés, par une loi de 2016, d’une autorité indépendante chargée non seulement de conseiller et protéger les lanceurs d’alerte, mais aussi d’enquêter sur les signalements et les représailles.

Les justiciables pouvaient également évoquer la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme pour qui les sanctions prises à l’encontre de salariés ayant critiqué le fonctionnement d’un service ou divulgué des conduites ou des actes illicites constatés sur leur lieu de travail constituent une violation à leur droit d’expression au sens de l’article 10-1 de la Convention ([226]).

2.   L’existence de nombreux statuts de protection

Avant la loi Sapin 2, la France ne disposait pas d’un régime unifié de protection mais il existait diverses protections visant à faciliter la détection d’infraction, y compris dans le domaine économique et de la lutte contre la corruption.

Le premier d’entre eux, parce qu’il est le plus ancien et le mieux connu, est souvent désigné par sa référence juridique : il s’agit de l’article 40 du code de procédure pénale qui prévoit que « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ». Ce principe, créé en 1795, impose aux agents publics, aux élus et aux personnes disposant de prérogatives de puissance publique de signaler à la justice tout crime ou délit donc ils ont connaissance dans l’exercice de leurs fonctions. L’auteur de cette dénonciation n’engage pas sa responsabilité, y compris si les faits sont classés sans suite dès lors qu’ils étaient suffisamment établis pour justifier le signalement ([227]). Ce droit d’alerte peut s’effectuer directement ou après saisine de l’autorité hiérarchique, laquelle se trouve alors soumise aux mêmes obligations et protections.

Le devoir de signalement a été spécifiquement étendu à l’ensemble des professionnels des établissements sociaux et médico-sociaux en matière de protection de l’enfance et de lutte contre les maltraitances. L’article 434-3 du code pénal sanctionne même de 45 000 et 75 000 euros l’absence de signalement.

Le droit d’alerte s’est également développé dans des domaines spécifiques pour prévenir des risques graves, en interne, sans crainte de représailles. C’est ainsi que la loi du 23 décembre 1982 relative aux comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) a reconnu aux salariés la possibilité de signaler à leur employeur « toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection » ([228]). Cette alerte ne peut pas donner lieu à une sanction de la part de l’employeur ([229]) dès lors que le salarié a bien eu un motif raisonnable de penser que le risque existait ([230]). Cette alerte peut s’opérer directement auprès de l’employeur ou par l’intermédiaire du représentant du personnel au sein du CHSCT ([231]) ou du délégué du personnel ([232]). Ce dispositif s’applique également au sein de la fonction publique.

En matière de droit du travail, les lois n° 2002-73 du 17 janvier 2002 et n° 2008-496 du 27 mai 2008 ont prévu la protection des personnes signalant des situations de discrimination ou de harcèlement sexuel ou moral ([233]).

Sous l’influence des législations anglo-saxonnes dont la portée extraterritoriale s’est accrue, certaines grandes entreprises françaises ont développé des dispositifs d’alerte interne à l’attention des salariés afin de détecter des failles, notamment dans le respect des principes éthiques. L’élaboration de telles règles s’est accélérée avec la mise en place des mécanismes de responsabilité sociale des entreprises et des procédures de contrôle interne, notamment dans les entreprises du secteur financier après la crise financière de 2008. Ces dispositifs ne faisaient toutefois pas l’objet d’un encadrement juridique précis et n’étaient soumis qu’à des principes généraux concernant la protection des activités syndicales et des données à caractère personnel.

Plus récemment, des dispositions sectorielles avaient été prises. Entre 2007 et 2015, la France avait ainsi adopté six lois relatives à l’alerte éthique :

– la loi n° 2007-1598 du 13 novembre 2007 pour les faits de corruption ([234]) ;

– la loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 pour les faits relatifs à la sécurité sanitaire des produits de santé ([235]), à la suite de l’affaire du Médiator ;

– la loi n° 2013-316 du 16 avril 2013 pour les faits faisant peser un risque grave sur la santé publique ou sur l’environnement, qui crée notamment une Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement ;

– la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 pour les faits relatifs à une situation de conflit d’intérêts impliquant des responsables publics ;

– la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 pour les faits constitutifs d’un délit ou d’un crime en matière de fraude fiscale et de grande délinquance économique et financière ([236]) ;

– la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 pour les faits constitutifs de violations manifestes dans l’utilisation de techniques du renseignement ([237]).

 

Dans ces différents textes, le droit de lancer une alerte était uniquement appréhendé sous l’angle de l’interdiction des sanctions à l’encontre des personnes qui auraient relaté ou témoigné, de bonne foi, soit à leur employeur, soit aux autorités judiciaires ou administratives des faits répréhensibles dans les différents domaines couverts par ces lois.

Deux critères conditionnaient l’accès aux protections dues aux lanceurs d’alerte : le signalement devait entrer dans le champ d’une alerte reconnue par la loi et il devait avoir été effectué de bonne foi – c’est-à-dire avec la conviction que les faits existent et sont répréhensibles – sous peine de poursuites pour dénonciation calomnieuse ([238]).

Le cas des alertes en matière de renseignement, particulièrement sensibles, se distinguait par l’encadrement des modalités de diffusion. Celles-ci ne pouvaient concerner qu’une « violation manifeste » de la loi et devaient s’effectuer auprès de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) afin de préserver plus efficacement le secret de la défense nationale.

B.   Une rÉforme ambitieuse

1.   L’étude du Conseil d’État sur le droit d’alerte a largement inspiré le législateur

En juillet 2015, dans le contexte de l’élaboration de la loi Sapin 2, le Premier ministre a commandé au Conseil d’État une étude sur l’alerte éthique afin d’évaluer « son utilité, son articulation avec l’alerte des responsables compétents, ses limites ainsi que les sanctions applicables en cas d’alerte abusive ». Les recommandations formulées par ce groupe de travail en février 2016 ([239]), n’ont pas été intégrées dans le projet de loi initial – déposé le 30 mars – mais ont largement inspiré les dispositions introduites par le législateur au cours de l’examen de la loi Sapin 2.

L’étude du Conseil d’État pointait les limites des dispositifs existants. Il a constaté que les dispositifs de recueil et de traitement des alertes étaient méconnus, peu présents dans les petites et moyennes entreprises et peu utilisés dans les grandes qui s’en étaient dotées. En l’absence de consignes de la part des autorités publiques, les signalements restaient très rares, tant dans le secteur public que privé.

En outre, la multiplication des dispositifs et leur manque de clarté ne rendaient « pas toujours aisé pour les personnes souhaitant émettre une alerte de savoir si elles relèvent ou non de l’un des dispositifs de protection récemment adoptés » ([240]). Les lanceurs d’alerte pouvaient donc craindre de s’exposer à des représailles, notamment pour violation des secrets professionnel, médical ou industriel.

Le Conseil d’État formulait donc la proposition de créer « un socle de dispositions communes applicables à toute personne qui, confrontée à des faits constitutifs de manquements graves à la loi ou porteurs de risques graves, décide librement et en conscience de lancer une alerte ». Il s’agissait de définir ce qu’est un lanceur d’alerte, de préciser l’accompagnement et les protections auxquels il est éligible, et d’harmoniser les modalités de signalement, de traitement des signalements. Il recommandait un signalement gradué, d’abord en interne puis, à défaut, en externe et une protection s’appliquant à la fois aux représailles, à la confidentialité des informations et à aux personnes visées par l’alerte. La plupart de ces recommandations ont été transcrites par le législateur dans la loi Sapin 2 au cours des différentes lectures.

Enfin, pour répondre aux inquiétudes des entreprises concernant les effets d’une extension du droit d’alerte, le Conseil d’État soulignait qu’« aucune des administrations ayant mis en place ces nouveaux dispositifs n’a fait état d’une prolifération d’alertes abusives ou malveillantes » ([241]).

2.   Le contenu du dispositif

Introduites par la commission des Lois de l’Assemblée en première lecture, à l’initiative du rapporteur M. Sébastien Denaja, les dispositions relatives aux lanceurs d’alerte proposent, à l’article 6, une définition globale dont les composantes sont déclinées par les articles 7 à 16.

a.   Un dispositif global qui intègre la plupart des régimes existants

À l’exception de l’article 16 qui prévoit un dispositif particulier pour sociétés financières soumises au contrôle de l’Autorité des marchés financiers (AMF) et de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) ([242]), l’ensemble des alertes sont désormais régies par les dispositions des articles 6 à 15 de la loi Sapin 2.

En premier lieu, le spectre des faits pouvant faire l’objet d’une alerte a été considérablement élargi puisque l’article 6 indique que le signalement peut concerner « un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général » ([243]). La Cour de cassation a toutefois déjà écarté une alerte au motif qu’elle n’avait pas « constaté que le salarié avait relaté ou témoigné de faits susceptibles d’être constitutifs d’un délit ou d’un crime » ([244]).

L’article 15 abroge donc les dispositions spécifiques qui interdisaient les sanctions à l’encontre d’un lanceur d’alerte puisque ceux-ci bénéficieront désormais de la protection globale attachée au statut.

La création d’un statut unique vise à la fois à étendre le champ des secteurs pouvant faire l’objet d’une alerte, à mieux faire connaître le dispositif et à simplifier les critères d’éligibilité à la protection pour encourager et faciliter les signalements.

À l’initiative du Sénat, une limite importante a été apportée à la nature des informations pouvant être révélées puisqu’il a exclu du régime de l’alerte défini par l’article 6 de la loi Sapin 2 « les faits, informations ou documents, quels que soient leur forme ou leur support, couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client ». L’article 7 précise que le lanceur d’alerte n’est pas pénalement responsable s’il porte atteinte à une autre catégorie de secret protégé par la loi.

b.   Des protections soumises à des critères stricts de recevabilité

i.   Un niveau élevé de protection

Le statut de lanceur d’alerte est avant tout synonyme de protection. Celui qui révèle des faits commis au sein de son entreprise s’expose en effet à plusieurs risques : le risque juridique d’être attaqué pour diffamation ou d’être sanctionné par son employeur ; le risque financier de perdre son emploi et de devoir effectuer de nombreuses démarches juridiques ; le risque personnel de voir sa vie et celle de ses proches bouleversées.

Pour limiter ces risques et encourager les personnes qui ont connaissance de faits graves à les signaler, la loi Sapin 2 sanctionne les représailles et organise l’accompagnement des lanceurs d’alerte.

L’immunité pénale accordée aux lanceurs d’alerte qui dévoilent des éléments soumis à un secret protégé par la loi ([245]) réduit le risque juridique et permet de lutter contre la pratique des procédures, dites « baillons », consistant à entraver un signalement par la multiplication des plaintes à l’encontre de son auteur pour le déstabiliser. Dans le même but, l’article 13 porte à 30 000 euros l’amende civile pouvant être prononcée en cas de plainte pour diffamation abusive.

L’article 10 interdit les représailles sous forme de sanction ou de discrimination à l’encontre des lanceurs d’alerte en entreprise ([246]) et dans la fonction publique ([247]). Cela implique la nullité des actes pris sur le fondement de ce critère et, pour la fonction publique, l’obligation de réintégrer un fonctionnaire ayant fait l’objet d’une telle discrimination (article 11).

La contestation des actes pouvant être considérés comme des représailles peut s’effectuer en référé devant le conseil des prud’hommes afin que le juge puisse se prononcer rapidement, notamment dans l’intérêt financier du lanceur d’alerte s’il a été licencié (article 12).

Dans toutes ces démarches, le lanceur d’alerte peut solliciter le Défenseur des droits qui a pour mission de l’accompagner et de l’orienter ([248]). L’article 14 de la loi Sapin 2 confiait également au Défenseur des droits la mission d’« accorder, sur sa demande, […] une aide financière sous la forme d’une avance sur les frais de procédure exposés » au lanceur d’alerte. Le Conseil constitutionnel a cependant censuré ce dispositif, dans la loi et dans la loi organique qui l’accompagnait, considérant que le législateur organique avait « méconnu les limites de la compétence conférée au Défenseur des droits par la Constitution » ([249]).

Afin de limiter le risque de représailles, le texte protège l’anonymat du lanceur d’alerte et de la personne qu’il vise. L’article 9 indique ainsi : « Les procédures mises en œuvre pour recueillir les signalements, dans les conditions mentionnées à l’article 8, garantissent une stricte confidentialité de l’identité des auteurs du signalement, des personnes visées par celui-ci et des informations recueillies par l’ensemble des destinataires du signalement ». La divulgation, sauf à l’autorité judiciaire, d’éléments de nature à identifier le lanceur d’alerte ou la personne mise en cause avant que le caractère fondé de l’alerte soit établi est punie de deux ans de prison et 30 000 euros d’amende.

ii.   Des conditions strictes de recevabilité

Premièrement, le statut de lanceur d’alerte ne peut être reconnu qu’aux personnes physiques qui ont « personnellement » connaissance des faits. Ni les personnes physiques informées par un lanceur d’alerte, ni les personnes morales ne peuvent prétendre aux protections prévues.

Deuxièmement, le signalement doit être « désintéressé et de bonne foi » ([250]). Le critère de la bonne foi était utilisé dans les dispositifs préalablement existants. Celui du désintéressement était une innovation, s’appliquant tant au stade de la recevabilité de l’alerte que lors de son traitement. Ainsi, la personne ne doit pas se trouver en situation de conflit d’intérêts avec la situation qu’elle dénonce (par exemple en procédant à un signalement concernant un concurrent) et ne doit tirer aucun bénéfice personnel du lancement de l’alerte. Ce principe implique également l’absence de rémunération des lanceurs d’alerte, contrairement à ce qui existe aux États-Unis par exemple où le lanceur d’alerte est rétribué en proportion des ressources qu’il a permis aux pouvoirs publics de collecter ou de préserver.

c.   Une hiérarchisation des canaux de signalement

La manière dont l’alerte est divulguée doit être proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause et doit respecter les différentes conditions fixées par le législateur.

Le lancement d’une alerte doit obéir à une procédure précise. L’article 8 de la loi Sapin 2 fixe les trois canaux de révélation d’une alerte : un canal interne (supérieur hiérarchique direct ou indirect, employeur ou référent désigné) et deux canaux externes, l’un confidentiel (autorité judiciaire, autorité administrative ou ordres professionnels) et l’autre public (par exemple par voie de presse).

Ces canaux sont hiérarchisés : le lanceur d’alerte doit obligatoirement procéder à son signalement en interne avant de saisir l’une des autorités externes si la personne destinataire de l’alerte n’a pas traité cette dernière dans un délai raisonnable.

La divulgation publique, quant à elle, peut avoir lieu trois mois après la saisine du canal externe en l’absence de traitement, ou être immédiate à la condition qu’il existe un danger grave et imminent ou un risque de dommages irréversibles.

L’alerte ne doit donc pas être perçue comme un droit de dénoncer publiquement une infraction mais comme une incitation à procéder à des signalements internes ou, seulement lorsque cela est nécessaire, externes pour prévenir des incidents qui porteraient atteinte en profondeur à l’intérêt général ou au fonctionnement et à la réputation d’une organisation.

Pour se conformer à leurs obligations, les organismes couverts par l’article 17 de la loi Sapin 2, doivent prévoir, parmi les mécanismes de prévention de la corruption, un dispositif de recueil et de traitement des alertes respectant les conditions de confidentialité fixées dans la loi ([251]). L’article 8 prévoit que les entreprises de plus de cinquante salariés n’atteignant pas les seuils prévus par l’article 17, les administrations de l’État et les collectivités territoriales de plus de 10 000 habitants peuvent mettre en place une procédure appropriée à leurs tailles et missions.

Ces exigences ont été précisées par un décret du 19 avril 2017. L’organisme doit notamment mettre en œuvre les procédures nécessaires pour « informer sans délai l’auteur du signalement de la réception de son signalement, ainsi que du délai raisonnable et prévisible nécessaire à l’examen de sa recevabilité et des modalités suivant lesquelles il est informé des suites données à son signalement » et pour « garantir la stricte confidentialité de l’auteur du signalement, des faits objets du signalement et des personnes visées » ([252]).

II.   LE STATUT DES LANCEURS D’ALERTE SEMBLE INSUFFISAMMENT PROTECTEUR ET pourrait ÊTRE consolidÉ À l’occasion de la transposition de la directive europÉenne du 23 octobre 2019

Le statut des lanceurs d’alerte fait face à une contradiction : tandis que la loi Sapin 2 incite à effectuer des signalements en affirmant l’existence de garanties élevées pour les lanceurs d’alerte, la protection et l’accompagnement des auteurs de signalement restent faibles en pratique, exposant parfois les lanceurs d’alerte à de grandes difficultés.

Si les praticiens s’accordent pour dire qu’il s’agit d’une avancée considérable sur le plan des droits, leur mise en application semble démontrer que le statut n’est pas encore arrivé à maturité tant du point de vue de la protection contre les représailles que de l’efficacité des dispositifs de recueil et de traitement des alertes.

Vos Rapporteurs ont été destinataires de nombreux témoignages de lanceurs d’alerte, dans le secteur public comme dans le secteur privé, ayant fait l’objet de graves représailles sans que leurs supérieurs hiérarchiques, leur référent ou les pouvoirs publics aient pu assurer leur protection. Ces personnes, qui ont parfois sacrifié leurs vies professionnelle et personnelle pour dénoncer des infractions graves, ont le sentiment d’avoir été abandonnées alors qu’elles pensaient servir l’intérêt général ou agir loyalement pour leur entreprise.

Depuis 2016, le Défenseur des droits a été saisi à 316 reprises au titre de sa compétence en matière d’accompagnement et d’orientation des lanceurs d’alerte. Ce chiffre n’est pas exhaustif puisque tous les lanceurs d’alerte ne recourent pas au Défenseur des droits. Néanmoins, de l’aveu de Mme Claire Hédon, auditionnée par vos Rapporteurs, « ce faible nombre est révélateur des carences du dispositif mis en place : sa méconnaissance, sa complexité, l’effet dissuasif qui s’y attache, la précarité dans laquelle les lanceurs d’alerte peuvent se retrouver à l’issue d’un signalement ».

Évolution du nombre de réclamations reçues par le Défenseur des droits

 

Nombre de réclamations concernant des lanceurs d’alerte

Évolution annuelle

2017

71

2018

84

+ 18 %

2019

84

=

   2020 *

61

‑ 27 %

Source : Rapport annuel d’activité du Défenseur des droits (2017, 2018, 2019, 2020)

* NB : Les chiffres de l’année 2020 sont faiblement significatifs eu égard aux effets de la crise sanitaire sur l’activité économique et juridique du pays.

Les statistiques collectées par le collectif La Maison des lanceurs d’alerte entre 2018 et 2020 permettent d’évaluer la nature des alertes. Il constate que 83 % des alertes sont détectées dans le domaine professionnel (43 % dans le secteur privé et 40 % dans le secteur public). Concernant les thèmes couverts, 32 % d’entre elles concernent des faits de corruption, 17 % des maltraitances ou des violences institutionnelles, 14 % des risques sanitaires ou environnementaux et 10 % des discriminations ou des problèmes de harcèlement et de sécurité au travail ([253]).

La transposition de la directive européenne du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union, qui aura lieu avant la fin de l’année 2021, sera l’occasion de procéder aux ajustements nécessaires pour rendre le régime français du droit d’alerte pleinement opérationnel.

Cette directive exige notamment d’autoriser la saisine directe des canaux de révélation externes et de protéger les tiers et les facilitateurs qui peuvent également faire l’objet de représailles liées à une alerte. Elle encourage les États membres à renforcer l’accompagnement des lanceurs d’alerte, notamment en certifiant leur statut afin qu’ils puissent s’en prévaloir dans le cadre de leurs démarches.

C’est dans ce contexte que vos Rapporteurs ont examiné en détail les limites de ce régime juridique et formulent des propositions en lien avec les objectifs de la directive. Si, en application du principe de subsidiarité, cette directive s’applique aux seules infractions au droit de l’Union européenne, vos Rapporteurs sont favorables à ne pas différencier deux régimes de protection des lanceurs d’alerte et privilégient la piste consistant à étendre les exigences de la directive à l’ensemble du régime français des lanceurs d’alerte, en s’appuyant sur la marge d’appréciation laissée aux États membres pour adapter ces obligations aux spécificités du modèle français.

A.   Des critÈres de recevabilité exigeants dissuadent certains lanceurs d’alerte

1.   Les critères du désintéressement et de la bonne foi écartent de nombreux lanceurs d’alerte du bénéfice de la protection prévue par la loi

Le juge a eu une appréciation extensive du critère de la bonne foi. Dans un arrêt du 8 juillet 2020, la Cour de cassation a considéré que la mauvaise foi « ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis » ([254]). Le juge du fond apprécie au cas par cas les contours de la bonne foi : la cour d’appel d’Amiens ayant ainsi considéré que la bonne foi exige d’avoir procédé au signalement avec « honnêteté et loyauté, […] hors de toute malveillance » ([255]).

Si le critère de la bonne foi était déjà mentionné dans les mécanismes d’alerte préexistant, celui du désintéressement a été introduit par la loi Sapin 2. Ces critères ont pour finalité de s’assurer que le régime juridique des lanceurs d’alerte n’est pas détourné pour faire pression sur une autre personne. Par exemple, dans l’affaire précédemment évoquée, la cour d’appel d’Amiens a écarté l’attribution du statut de lanceur d’alerte au motif que « le seul but poursuivi [était] éloigné de l’intérêt général ou de l’entreprise, à savoir un départ négocié, pour lequel le salarié utilise le moyen du chantage, revendiquant l’existence de faits frauduleux non pour les dénoncer dans le souci du bien collectif ou de l’entreprise mais pour parvenir à ses propres fins. Cette démarche, s’opposant par nature au lancement d’une alerte supposant le caractère désintéressé de l’acte, constitue une atteinte majeure à l’obligation de loyauté rendant immédiatement impossible le maintien du contrat de travail. »

Entendu au sens large, le critère du désintéressement peut cependant exclure certains lanceurs d’alerte d’une protection légitime. En effet, une personne qui effectue un signalement concernant une entreprise avec laquelle il se trouve en litige pour une autre raison (parfois indirectement liée à l’alerte) peut être considérée comme intéressée. Il en va de même lorsque les conséquences de son alerte peuvent lui bénéficier (par exemple en signalant l’agissement illégal d’un concurrent ou d’une administration).

Ce critère, apprécié au cas par cas, est source d’insécurité juridique pour les lanceurs d’alerte et vos Rapporteurs constatent que le critère de la bonne foi pourrait être suffisant. La directive de 2019 est explicite sur ce point : « Pour bénéficier de la protection prévue par la présente directive, les auteurs de signalement devraient avoir des motifs raisonnables de croire, à la lumière des circonstances et des informations dont ils disposent au moment du signalement, que les faits qu’ils signalent sont véridiques. Cette exigence est une garantie essentielle contre les signalements malveillants, fantaisistes ou abusifs, dès lors qu’elle garantit que les personnes qui, au moment du signalement, ont signalé délibérément et sciemment des informations erronées ou trompeuses ne se voient pas accorder de protection. En même temps, cette exigence garantit que l’auteur de signalement reste protégé lorsqu’il a signalé de bonne foi des informations inexactes sur des violations. De la même manière, les auteurs de signalement devraient avoir droit à la protection prévue par la présente directive s’ils ont des motifs raisonnables de croire que les informations signalées relèvent du champ d’application de la présente directive. Les motifs amenant les auteurs de signalement à effectuer un signalement devraient être sans importance pour décider s’ils doivent recevoir une protection. »

Cette précision quant à la définition de la bonne foi pourrait être intégrée dans la loi en remplacement du critère du désintéressement. Pour insister sur la nécessité que la finalité de l’alerte soit l’intérêt de l’entreprise ou l’intérêt général, il pourrait être précisé, comme l’avait fait l’Assemblée nationale en première lecture, que le droit d’alerte doit s’exercer « sans volonté de nuire à autrui ».

Proposition n° 30 : Retirer le critère du désintéressement, trop vague, et préciser le critère de la bonne foi en considérant qu’elle se définit comme le fait d’« avoir des motifs raisonnables de croire, à la lumière des circonstances et des informations dont ils disposent au moment du signalement, que les faits qu’ils signalent sont véridiques ». Préciser éventuellement que le signalement ne peut avoir pour motivation de nuire à autrui.

2.   La hiérarchie des canaux de révélation expose le lanceur d’alerte aux représailles

Le législateur a confié aux entreprises la mission de recueillir et traiter les alertes, considérant qu’il s’agissait d’un outil pouvant leur permettre de préserver leur réputation et de déceler des failles internes. C’est la raison pour laquelle la loi Sapin 2 prévoit que le signalement via le canal interne est un préalable obligatoire à une saisine des autorités ou à une révélation publique – sauf pour les faits les plus graves. Hélas, il semble que la volonté de dissimuler les alertes persiste, ce qui est bien souvent contre-productif dès lors qu’elles aboutissent finalement à un signalement externe voire une divulgation publique aux conséquences bien plus lourdes.

Le signalement externe auprès d’autorités publiques, avec les difficultés qu’il rencontre également ([256]), ne pouvant se faire qu’en cas de danger imminent ou de dommages irréversibles ou au terme d’un délai raisonnable d’inaction à la suite du signalement interne, les représailles et les pressions ont le temps de se mettre en place. C’est pourquoi, il semble nécessaire d’accélérer les différentes étapes de révélation pour inciter les organismes à réagir promptement en interne si elles ne veulent pas que les pouvoirs publics s’en chargent.

La principale modification imposée par la directive de 2019 au régime français de protection des lanceurs d’alerte concerne ainsi le choix du canal de révélation. Son article 7 prévoit ainsi qu’« en règle générale […] les informations sur des violations peuvent être signalées par le biais des canaux et procédures de signalement interne », maintenant ainsi la priorité du canal interne. En revanche, elle laisse le choix de saisir directement le canal externe puisque son article 10 indique que l’alerte peut être transmise aux autorités publiques « après avoir effectué un signalement par le biais de canaux de signalement interne ou en effectuant un signalement directement par le biais de canaux de signalement externe ».

L’article 15 de la directive encadre en revanche strictement la possibilité de procéder à une divulgation publique. Celle-ci n’est possible que :

– s’il n’a pas été donné suite à l’alerte donnée par le canal interne ou externe dans un délai raisonnable ne pouvant excéder trois mois ;

– si la personne a des motifs raisonnables de croire que la violation peut représenter un danger imminent ou manifeste pour l’intérêt public, comme lorsqu’il existe une situation d’urgence ou un risque de préjudice irréversible ;

– si la personne a des motifs raisonnables de croire qu’il existe, en cas de signalement externe, un risque de représailles ou qu’il y a peu de chances qu’il soit véritablement remédié à la violation, en raison des circonstances particulières de l’affaire, par exemple lorsque des preuves peuvent être dissimulées ou détruites ou lorsqu’une autorité peut être en collusion avec l’auteur de la violation ou impliquée dans la violation.

Ces critères sont plus précis que ceux inscrits au II de l’article 8 de la loi Sapin 2 qui fixe pour seul critère l’existence d’un danger grave et imminent ou un risque de dommages irréversibles. Les reprendre sécuriserait les conditions de révélations dans les médias qui ne doivent intervenir qu’en dernier recours ou pour les faits les plus graves.

Proposition n° 31 : Assouplir la hiérarchie des canaux d’information en permettant de saisir directement les autorités publiques sans procédure interne préalable, y compris en l’absence de danger grave et imminent, et préciser les conditions des divulgations publiques.

B.   LES PROCÉDURES DE RECUEIL ET DE TRAITEMENT DES ALERTES SONT INÉGALEMENT MISES EN PLACE, TANT DANS LE SECTEUR PRIVÉ QUE dans le secteur PUBLIC

1.   Au sein des entreprises, un défaut d’impartialité dans le recueil des signalements et de communication avec le lanceur d’alerte

La loi donne au supérieur hiérarchique, direct ou indirect, la mission de recueillir l’alerte. Cet objectif est louable et correspond à la volonté de faire des entreprises elles-mêmes les garantes de leur probité. Malheureusement, les responsables peuvent être placés en situation de conflit d’intérêts ou de loyauté vis-à-vis de leur propre hiérarchie ou bien être eux-mêmes concernés par l’alerte. L’obligation de signalement en interne est donc un frein aux signalements car les lanceurs d’alerte sont conscients du risque de représailles auquel ils s’exposent.

Conscient de cette difficulté, le législateur a souhaité éviter l’autocensure des lanceurs d’alerte en prévoyant que les entreprises et les administrations désignent un référent (interne ou externe à l’organisation) qui « dispose, par son positionnement, de la compétence, de l’autorité et des moyens suffisants à l’exercice de ses missions » ([257]). La question de l’indépendance du canal interne est primordiale, tout comme sa capacité à peser sur les décisions de l’entreprise afin de répondre aux signalements effectués.

Un sondage en date du 7 novembre 2019 indiquait que seuls 51 % des cadres ont à leur disposition un dispositif d’alerte interne dans leur entreprise. Plusieurs lanceurs d’alerte entendus par vos Rapporteurs ont également évoqué un manque d’indépendance dans le traitement des alertes et, surtout, une absence d’information de l’auteur du signalement sur les suites données malgré les obligations prévues par le décret du 19 avril 2017 ([258]).

La directive est très précise sur ce point, la procédure de signalement interne implique « la confidentialité de l’identité de l’auteur de signalement et de tout tiers mentionné dans le signalement », « un accusé de réception du signalement […] dans un délai de sept jours », « la désignation d’une personne ou d’un service impartial compétent pour assurer le suivi des signalements qui maintiendra la communication avec l’auteur de signalement et, si nécessaire, lui demandera d’autres informations et lui fournira un retour d’information », « un délai raisonnable pour fournir un retour d’informations, n’excédant pas trois mois » ainsi que « la mise à disposition d’informations claires et facilement accessibles concernant les procédures de signalement externe ».

Proposition n° 32 : Rendre obligatoire et effective l’information du lanceur d’alerte sur les suites données à son signalement lorsqu’il a le droit d’en connaître et qu’il en fait la demande.

Aux yeux de vos Rapporteurs, seule la garantie d’une véritable indépendance du destinataire du signalement encouragera les lanceurs d’alerte à procéder à leur signalement en interne.

Le choix de recourir à un prestataire extérieur ou de conserver le traitement de l’alerte en interne varie d’une entreprise à l’autre. Les deux options présentent des avantages et des inconvénients : l’externalisation facilite la protection de l’anonymat et garantit un traitement plus systématique des alertes mais elle exige une bonne connaissance du fonctionnement de l’entreprise qui fait parfois défaut ; le maintien en interne permet une meilleure compréhension de la valeur de l’alerte et de la réponse à y apporter mais ne présente pas toujours des garanties d’indépendance suffisantes.

Vos Rapporteurs constatent que le choix de confier la gestion des alertes à un prestataire externe ou, mieux encore, à une « cellule éthique » indépendante et collégiale composée de membres de l’entreprise et, éventuellement, de personnes extérieures doit être encouragé.

Certaines entreprises auditionnées, comme Imerys, ont présenté des dispositifs très ambitieux et efficaces. Il existe désormais des logiciels (les « Regtech ») et de nombreuses structures spécialisées dans l’accompagnement des entreprises pour la mise en place de plateformes numériques de réception des signalements qui facilitent également les échanges anonymes avec le lanceur d’alerte.

Vos Rapporteurs estiment donc que la priorité doit être donnée à la mise en place de dispositifs de recueil efficaces et qu’il serait opportun qu’une attention toute particulière y soit accordée dans le cadre du contrôle du respect des obligations de l’article 17 de la loi Sapin 2.

Proposition n° 33 : Préciser les garanties d’indépendance et de collégialité des dispositifs de recueil et de traitement des alertes et favoriser l’utilisation d’une plateforme numérique pour favoriser les échanges avec le lanceur d’alerte tout en préservant son anonymat.

Proposition n° 34 : Renforcer l’attention accordée aux dispositifs de recueil des alertes lors des contrôles du respect des obligations prévues par l’article 17 de la loi Sapin 2.

2.   Dans le cas du secteur public, une mise en œuvre encore inachevée

a.   Les administrations centrales se sont dotées de dispositifs internes de recueil des alertes

L’article 3 de la loi prévoit que les administrations publiques et les collectivités territoriales de plus de 10 000 habitants sont également soumises aux exigences de l’article 17 telles qu’elles sont contrôlées par l’AFA ([259]), dont celle de mettre en œuvre « un dispositif d’alerte interne destiné à permettre le recueil des signalements émanant d’employés et relatifs à l’existence de conduites ou de situations contraires au code de conduite de la société ». Dans le secteur public, le III de l’article 8 de la loi Sapin 2, prévoit toutefois que les procédures de recueil et de traitement peuvent être adaptées à leurs spécificités.

Le décret du 19 avril 2017 ([260]) précise que « dans les administrations centrales, les services à compétence nationale et les services déconcentrés relevant des administrations de l’État, la procédure de recueil des signalements est créée par arrêté du ou des ministres compétents ». Selon Mme Nathalie Colin, directrice générale de l’administration et de la fonction publique, tous les ministères à l’exception d’un seul qui est encore au stade de son élaboration ont un référent alerte et ont mis en place un dispositif de recueil des signalements.

Ces arrêtés fixent généralement les conditions de traitement de l’alerte, en particulier le devoir d’information de l’auteur du signalement et l’exigence de réponse dans un délai raisonnable. Le caractère récent de la mise en œuvre de ces dispositifs ne permet encore d’évaluer l’effet de la réforme sur le nombre d’alertes et l’efficacité de leur traitement.

arrÊtÉs relatifs à la procÉdure de recueil des signalements Émis par les lanceurs d’alerte au sein des personnes morales de droit public

Arrêté du 31 mai 2021

Ministère de la justice

Arrêté du 24 juillet 2019

Ministères économiques et financiers

Arrêté du 12 juillet 2019

Services du Premier ministre

Arrêté du 23 août 2018

Ministère des armées

Arrêté du 12 août 2019

Ministère de la transition écologique et solidaire et

Ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales

Arrêté du 3 mai 2019

Ministère de l’agriculture

Arrêté du 12 mars 2019

Ministère de la culture

Arrêté du 10 décembre 2018

Ministère de l’éducation nationale

Arrêté du 3 décembre 2018

Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche

Arrêté du 16 novembre 2018

Ministère de l’intérieur

Ministère de l’outre-mer

Arrêté du 29 juin 2018

Ministère des affaires étrangères

Arrêté du 20 avril 2018

Caisse des dépôts et consignations

Source : Légifrance.

Conformément à une circulaire de la DGAFP de juillet 2018, la plupart des administrations ont fait le choix de confier la qualité de « référent alerte » au référent déontologue – qui peut être une personne physique ou morale, par exemple un collège de déontologie. Ce choix semble cohérent et utile puisque ce référent bénéficie de garanties élevées d’indépendance et est désormais bien identifié des agents qui sont également en lien avec lui sur les questions relatives aux conflits d’intérêts.

Cependant, de nombreux dispositifs d’alerte continuent de cohabiter dans le secteur public, qui n’a pas bénéficié de la même simplification que le secteur privé. Un agent public souhaitant procéder à un signalement est ainsi confronté à la concurrence des dispositifs existants. Outre le mécanisme prévu par la loi Sapin 2, qui s’applique à l’identique dans la fonction publique, il peut également procéder à un signalement en application de l’article 40 du code de procédure pénale (et ainsi contourner l’obligation de saisir le canal interne en alertant directement le procureur de la République). L’article 6 ter A de la loi de 1983 prévoit qu’il peut également saisir le référent déontologue « dans le cas d’un conflit d’intérêts ».

b.   Le retard considérable des collectivités territoriales dans leur mise en conformité

Si les administrations de l’État ont adopté des procédures de recueil adaptées à leurs contraintes, certaines collectivités territoriales présentent un retard considérable dans la mise en œuvre de la loi. Le constat est inquiétant puisque, selon le Défenseur des droits, moins de 30 % des collectivités de plus de 30 000 habitants respectaient cette obligation à la fin de l’année 2018 ([261]). Cette situation confirme les observations faites précédemment concernant la mise en œuvre des obligations en matière de prévention de la corruption.

Ces difficultés semblent principalement concerner les communes. Auditionné au titre de ses fonctions au sein de l’Association des maires de France, M. Alain Chrétien, maire de Vesoul, a indiqué qu’il était nécessaire d’accentuer la sensibilisation des élus sur le recueil des alertes.

Les autres collectivités, en raison de leur taille, se sont mises plus efficacement en conformité. Vos Rapporteurs ont pu recevoir des éléments concernant les régions Grand-Est et Nouvelle-Aquitaine montrant qu’elles avaient pleinement mis en œuvre les obligations relatives à la désignation du référent déontologue et aux procédures de recueil des alertes éthiques. De même, l’Assemblée des Départements de France a indiqué que selon un sondage récent auprès des membres, près de 75 % des départements déclarent s’être dotés d’un déontologue. 68 départements ont confié au référent déontologue la charge de centraliser les alertes tandis qu’une quinzaine d’autres délèguent le recueil de l’alerte à un centre de gestion.

En l’absence de mise en œuvre d’un dispositif de recueil, vos Rapporteurs estiment que les préfectures devraient prendre le relais en ouvrant un registre pouvant centraliser l’ensemble des alertes au niveau d’un département. Une telle solution est même souhaitable pour des communes relativement petites dans lesquelles la protection de l’anonymat de l’auteur du signalement serait difficile à garantir. Des rappels réguliers pourront être formulés afin d’inciter les collectivités à se doter de ces registres.

Proposition n° 35 : Mettre en place des plateformes départementales de recueil des alertes en préfecture pour les collectivités ne s’étant pas dotées de leur propre dispositif de signalement et rappeler régulièrement les collectivités concernées à leurs obligations.

C.   La protection et l’accompagnement des lanceurs d’alerte par les autoritÉs publiques prÉsentent des lacunes

1.   Le rôle du Défenseur des droits doit être renforcé

a.   Formaliser la reconnaissance du statut de lanceur d’alerte

En l’état du droit, la mission d’orientation et d’accompagnement confiée au Défenseur des droits consiste principalement en l’information du lanceur d’alerte sur la manière dont il doit effectuer son signalement et en une intervention en cas de représailles avérées, comme il le fait par exemple en matière de lutte contre les discriminations. Dans un premier temps, le Défenseur des droits apprécie si les faits signalés répondent à la définition de l’alerte et si le signalement a été effectué dans les conditions exigées par le législateur. Dans un second temps, il détermine si les représailles alléguées par la personne sont la conséquence du signalement et justifient qu’elle bénéficie de protection.

 

Si, au terme d’une instruction contradictoire, l’ensemble des critères sont réunis, le Défenseur des droits dispose de tous les pouvoirs d’intervention dont il est doté pour rétablir le lanceur d’alerte dans ses droits : médiation, observations devant les juridictions, recommandation individuelle sur le montant de la réparation du préjudice subi.

La Maison des lanceurs d’alerte a cependant souligné un moindre soutien du Défenseur des droits dans la protection des lanceurs que dans la lutte contre les autres formes de discriminations. Elle a indiqué « ne pas avoir connaissance d’hypothèses dans lesquelles le Défenseur des Droits aurait présenté des observations en soutien de lanceurs d’alerte devant les juridictions », ce qu’il fait avec une grande efficacité dans les procédures en matière de discrimination.

Au cours de ces démarches, le Défenseur des droits procède à des enquêtes pour évaluer l’existence de représailles et le bien-fondé de l’alerte. La reconnaissance du statut de lanceur d’alerte reste néanmoins informelle et sans possibilité de recours. La formalisation de cette reconnaissance du statut de lanceur d’alerte, sous la forme d’une « certification » pourrait être utile afin que le lanceur d’alerte puisse se prévaloir de son statut devant les autorités judiciaires et administratives. Une telle procédure est encouragée par la directive de 2019 qui prévoit que les États membres doivent veiller à garantir « une assistance effective de la part des autorités compétentes devant toute autorité pertinente associée à leur protection contre les représailles, y compris, lorsque le droit national le prévoit, la certification du fait qu’elles bénéficient de la protection prévue par la présente directive » ([262]).

Cette certification pourrait également être accordée par le juge dans le cadre d’une procédure incidente ([263]). Elle pourrait notamment conditionner l’éligibilité au fonds de soutien proposé ci-après et l’accès à la procédure de référé devant les prud’hommes déjà prévue par l’article 12 de la loi.

Proposition n° 36 : Prévoir une modalité de reconnaissance du statut de lanceur d’alerte au moyen d’une certification par le Défenseur des droits ou d’une procédure incidente devant le juge judiciaire.

b.   Accroître les moyens du Défenseur des droits pour accompagner les lanceurs d’alerte

La compétence du Défenseur des droits est limitée à la protection des droits du lanceur d’alerte. Il serait utile de lui confier également la mission de suivre l’alerte elle-même. Le Défenseur des droits ne prétend pas pouvoir traiter elle-même les alertes qui requièrent souvent une expertise particulière dont il ne dispose pas en interne.

À la demande du lanceur d’alerte, il pourrait cependant transférer le signalement, s’il l’estime recevable au regard des critères fixés par la loi, aux autorités compétentes et s’assurer qu’une réponse adéquate y est apportée. Cela éviterait les pertes d’information entre les différentes instances compétentes et réduirait les délais de traitement des alertes. En centralisant le recueil et le suivi des alertes, il pourrait établir une « jurisprudence » plus précise en matière de recevabilité, augmentant ainsi la sécurité juridique du dispositif.

Comme l’a rappelé le rapporteur de la loi Sapin 2, M. Sébastien Denaja, il avait été envisagé, lors des débats, de créer une autre autorité spécialement chargée du traitement des signalements externes. Cette option, défendue alors par le Gouvernement, n’avait pas été retenue car il apparaît que le Défenseur des droits est une institution reconnue et identifiée par le public qui peut s’appuyer sur son expérience en matière d’accompagnement des personnes victimes de discrimination notamment.

La France se conformerait ainsi aux exigences de l’article 11 de la directive de 2019 qui exige que « les États membres désignent les autorités compétentes pour recevoir les signalements, fournir un retour d’informations et assurer un suivi des signalements, et mettent des ressources suffisantes à la disposition desdites autorités ».

Un élargissement des compétences du Défenseur des droits ne saurait se faire sans l’augmentation de ses moyens humains et financiers, qui sont déjà très insuffisants. La mission supplémentaire qui lui a été confiée par la loi Sapin 2 n’a pas fait l’objet de l’attribution de ressources supplémentaires. Lors de son audition, Mme Claire Hédon a indiqué ne pouvoir consacrer qu’un seul ETP au suivi des lanceurs d’alerte ; c’est trop peu même si le nombre de saisine reste faible – entre 60 et 90 par an. Pour avoir une réelle utilité, l’accompagnement du Défenseur des droits doit être régulier. À titre de comparaison, les Pays-Bas consacrent 4 millions d’euros à l’accompagnement des lanceurs d’alerte. Ces sommes sont évidemment encore plus élevées dans les pays qui ont mis en place une rétribution financière des lanceurs d’alerte.

Proposition n° 37 : Élargir les missions du Défenseur des droits en lui confiant l’orientation et le suivi du traitement des alertes qui lui sont signalées et lui donner les moyens humains et financiers de les remplir.

2.   Les risques encourus par les lanceurs d’alerte sont insuffisamment pris en considération d’un point de vue tant juridique que financier

Outre l’accompagnement juridique et le suivi de l’alerte, il semble nécessaire de renforcer les protections auxquelles le statut ouvre droit.

 

a.   La couverture du risque financier

Le risque financier pris par les lanceurs d’alerte est considérable. Même en l’absence de représailles, il peut arriver que le lanceur d’alerte soit contraint de quitter son emploi ou qu’il abandonne des perspectives de carrière. Le plus souvent, les personnes ayant accès à des informations sensibles se situent à des niveaux élevés de responsabilité et plusieurs lanceurs d’alerte auditionnés par vos Rapporteurs ont indiqué avoir perdu une part conséquente de leurs revenus ou avoir été freiné dans leur avancement professionnel.

Pour compenser le risque financier, la question de l’indemnisation des lanceurs d’alerte reste centrale et continue de faire débat. Vos Rapporteurs ne souhaitent pas que soit mise en œuvre une rémunération des lanceurs d’alerte sur le modèle américain, même si un dispositif comparable existe pour les aviseurs fiscaux qui sont indemnisés en proportion des sommes que leur signalement permet de recouvrir, dans la limite d’un million d’euros. En l’occurrence, les alertes n’ont pas pour finalité première de collecter de l’argent mais de mettre fin à une infraction, ce qui ne peut faire l’objet d’une évaluation financière.

En ce qui concerne les lanceurs d’alerte, vos Rapporteurs souhaiteraient qu’ils puissent recevoir une aide financière, en proportion des conséquences que le lancement de l’alerte a eu sur leur niveau de vie. Le Conseil constitutionnel a conditionné à une modification de la Constitution la possibilité de confier la mission d’attribuer une telle indemnisation au Défenseur des droits. Cette solution, qui avait été retenue à l’article 14 de la loi Sapin 2 avant sa censure, doit donc être écartée.

Les personnes auditionnées s’accordent sur l’intérêt de créer un fonds ad hoc qui pourrait être piloté par une commission chargée d’évaluer l’opportunité d’accorder une aide financière et de fixer son montant. Son fonctionnement pourrait s’inspirer de la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) ou du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI) qui peuvent être saisis par les victimes au moyen d’un formulaire qui évalue, notamment, les pertes de salaires et de revenus ([264]).

Selon M. Pierre Farge, avocat spécialisé dans la défense des lanceurs d’alerte, il serait utile que cette aide soit fournie en deux temps : a priori pour compenser les pertes de revenus immédiates et les frais liés aux procédures ; a posteriori pour indemniser la prise de risque et les sacrifices opérés dans l’intérêt général. La certification effectuée par le Défenseur des droits ou par le juge dans le cadre d’une procédure en lien avec l’alerte pourrait en être l’une des conditions d’éligibilité.

Proposition n° 38 : Créer un fonds ad hoc de soutien aux lanceurs d’alerte accessible lorsque le statut de lanceur d’alerte a été certifié par le juge ou le Défenseur des droits et que le signalement a eu une conséquence financière sur le lanceur d’alerte.

b.   La protection juridique contre toutes les formes de représailles

Les lanceurs d’alerte font également régulièrement l’objet de procédures judiciaires ayant pour objet de décourager leurs démarches. Malgré la création de délits spécifiques, le ministère de la Justice a indiqué qu’aucune condamnation n’a été prononcée pour les délits d’entrave à une alerte ou de divulgation de l’identité d’un lanceur d’alerte.

Cette situation est problématique car elle dissuade fortement de potentiels lanceurs d’alerte ou les incite à rendre leurs divulgations immédiatement publiques ce qui n’était pas l’objectif du texte et risque d’accroître la réticence des organisations à mettre en place des mécanismes efficaces de traitement des alertes.

Le lancement d’une alerte implique parfois la violation de certaines règles contre lesquelles le lanceur d’alerte est protégé à condition que son signalement respecte les conditions prévues par la loi. Il peut donc être visé par des procédures, dites « baillons », qui ont pour objectif de perturber ses démarches de signalement et de décourager le lanceur d’alerte qui doit pour chacune d’elles organiser sa défense.

Comme le rappelle la Maison des lanceurs d’alerte, les lanceurs d’alerte peuvent être amenés « à soustraire les documents nécessaires au lancement de l’alerte, les photocopier ou encore reproduire le contenu informationnel sur un autre support, voir les télécharger ». Ils peuvent alors être poursuivis pour violation du secret ou pour vol et recel lorsqu’ils stockent une information confidentielle en vue de lancer une alerte. Dans l’affaire LuxLeaks, M. Antoine Deltour a ainsi d’abord été condamné pour vol par la justice luxembourgeoise, avant que la Cour de cassation luxembourgeoise annule finalement cette condamnation. Pour éviter que de telles situations se produisent, il pourrait être utile d’autoriser l’obtention et le stockage d’informations confidentielles lorsque cela est nécessaire à la divulgation de l’alerte.

Ces formes de représailles sont appréhendées par l’article 13 de la loi Sapin 2 qui sanctionne les tentatives de faire obstacle à la transmission d’un signalement et les plaintes pour diffamation déclarées sans suite. Le ministère de la Justice a confirmé qu’aucune condamnation n’avait eu lieu pour entrave à une alerte. Concernant l’amende civile qui sanctionne une plainte pour diffamation jugée abusive à l’encontre d’un lanceur d’alerte, ce mécanisme, prévu aux articles 177-2 et 212-2 du code de procédure pénale est rarement mis en œuvre. En outre, son montant de 30 000 euros n’est pas suffisamment dissuasif pour une grande entreprise et il ne couvre que la diffamation et non, par exemple, les procédures relatives à la violation du secret ou au vol. Une sanction plus élevée et s’appliquant à l’ensemble des procédures « baillons » serait être plus dissuasive.

 

 

Proposition n° 39 : Prévoir une sanction civile dissuasive pour l’ensemble des procédures « baillons » engagées à l’encontre d’un lanceur d’alerte aboutissant à un non-lieu, qu’elle concerne une plainte pour diffamation ou une autre forme de représailles (violation du secret professionnel par exemple).

Proposition n° 40 : Afin d’éviter que les lanceurs d’alerte ne soient poursuivis pour vol, autoriser l’obtention et le stockage d’informations confidentielles lorsque cela est nécessaire à la divulgation de l’alerte.

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La transposition de la directive européenne, qui devra avoir lieu avant le 17 décembre 2021 ([265]), pourra être l’occasion de procéder à un certain nombre d’ajustements pour faire bénéficier tous les lanceurs d’alerte des protections prévues dans ce texte.

La principale modification devrait consister en un assouplissement des critères de recevabilité pour écarter à la fois le critère du désintéressement et l’obligation de saisine préalable du canal interne. Ces évolutions devraient ouvrir la voie à davantage d’alertes et il devient donc urgent d’améliorer le recueil et le traitement de celles-ci.

C’est sur ce point que les objectifs ambitieux poursuivis par la loi Sapin 2 ne sont pas atteints : trop de lanceurs d’alerte se plaignent de ne pas trouver d’interlocuteur et de faire l’objet de représailles. Dans les domaines où la législation européenne laisse une marge d’appréciation aux États membres, en particulier les mesures d’accompagnement et les obligations imposées aux entreprises, la France peut mieux faire. Il s’agit de se montrer plus exigeant tant envers les organisations qui doivent traiter les alertes en interne qu’envers les autorités publiques qui sont chargées d’accompagner et de protéger les lanceurs d’alerte.

*

*     *

 


—  1  —

 

   Partie IV : Le registre des reprÉsentants d’intérÊts

La loi Sapin 2 acte un changement de paradigme vis-à-vis des représentants d’intérêts et du lobbying. Il est désormais admis, voire même souhaité, que les acteurs publics échangent avec la société civile avant de décider des normes qui lui seront appliquées. Les décideurs publics prennent même les devants en organisant préalablement des concertations : dialogue social, « co-construction » et auditions parlementaires sont devenus des passages obligés de la prise de décision.

Comme l’indiquait le rapport de l’Assemblée nationale, en première lecture, « dès lors que le lobbying est de plus en plus perçu comme un moyen d’information des décideurs publics et de participation de la société civile à l’élaboration des normes, les enjeux se déplacent : il ne s’agit plus de le combattre dans son principe, mais de l’encadrer, afin de le rendre plus responsable et plus transparent » ([266]).

Le Parlement et les institutions européennes ont été précurseurs en la matière puisqu’ils ont mis en place les premiers registres des lobbyistes, respectivement en 2009 et en 2011. Initialement, l’inscription, facultative, ouvrait le droit à disposer d’un badge d’accès puis elle a été rendue obligatoire. À la Commission européenne, il a même été interdit aux commissaires, aux membres de leur cabinet et aux directeurs généraux de rencontrer des représentants d’intérêts qui ne seraient pas inscrits sur le registre.

Certains secteurs faisant l’objet d’actions de lobbying particulièrement intenses ont fait l’objet de réglementations plus précoces : c’est le cas de l’industrie du tabac ([267]) ou de l’industrie pharmaceutique ([268]).

En instaurant des obligations déclaratives élevées dans un registre accessible au public, l’adoption de la loi Sapin 2 permet à la France de présenter l’un des dispositifs d’encadrement des représentants d’intérêts les plus ambitieux, tant en matière de contrôle déontologique de ces derniers que de transparence de la décision publique. Les pratiques des « groupes de pression », influant secrètement sur les décisions, parfois par des moyens détournés (invitations, rémunérations…), sont désormais prohibées et passibles de poursuites pénales.

 

Pourtant, la mise en œuvre du répertoire des représentants d’intérêts présente encore des carences résultant de l’imprécision de certaines formules dans la loi et de l’appréciation restrictive qu’en a fait le pouvoir réglementaire. Si le registre présente la plupart des informations relatives aux travaux parlementaires, dont la transparence est déjà assurée par divers moyens (liste des personnes auditionnées en annexe des rapports, auditions publiques, sourcing des amendements), il reste manifestement incomplet en ce qui concerne les décisions réglementaires dont l’élaboration est plus opaque, et absent dans les collectivités territoriales en raison de reports successifs de sa mise en œuvre.

Contraignant sans parvenir à répondre pleinement aux objectifs qui lui sont assignés, le répertoire des représentants d’intérêts mériterait d’être réformé afin que le respect des obligations soit mieux contrôlé et que les données qu’il contient puissent être davantage exploitées.

I.   Le registre des rEprésentants d’intérÊts mis en place par la loi Sapin 2 place la France parmi les pays les plus avancÉs en la matiÈre

A.   Un dispositif au service de la transparence de la dÉcision publique et de la dÉontologie des reprÉsentants d’intérÊts

Le projet de loi, dans sa version initiale, s’attachait à définir les représentants d’intérêts, à encadrer leurs activités auprès des administrations de l’État et à les retracer dans un registre confié à la HATVP. Au cours de la discussion, de nombreuses modifications ont été apportées, dont certaines ont été retirées avant l’adoption finale du texte.

1.   La définition du représentant d’intérêts

Le projet de loi définissait deux catégories de représentants d’intérêts : « les personnes physiques et les personnes morales de droit privé qui exercent régulièrement une activité ayant pour finalité d’influer sur la décision publique, notamment en matière législative ou réglementaire » et « les personnes qui, au sein d’une personne morale de droit privé […] ou d’un groupement ou établissement public industriel et commercial, ont pour fonction principale d’influer sur la décision publique » ([269]).

Cette définition visait à la fois les personnes représentant les intérêts d’un tiers (lobbyiste, cabinet de conseils, avocats etc.) et les personnes représentant directement les intérêts de leur organisation (dirigeants ou responsables des relations publiques d’une entreprise ou d’une association par exemple).

Afin de clarifier le champ des personnes concernées, le législateur a préféré opérer une distinction entre les personnes physiques et les personnes morales. Ainsi, toutes les personnes morales, qu’elles agissent pour leur propre compte ou pour le compte d’un tiers, sont soumises à la déclaration dès lors qu’« un dirigeant, un employé ou un membre a pour activité principale ou régulière d’influer sur la décision publique ». Cela permet de faire peser la responsabilité de la déclaration sur la personne morale et non sur la personne physique, qui ne doit se déclarer que lorsqu’elle exerce sa fonction à titre individuel.

Le seuil à partir duquel une personne morale est considérée comme exerçant une activité de représentant d’intérêt a également fait l’objet de débats nourris. Initialement, l’activité d’influence de la personne morale devait être « régulière ». Au terme de la première lecture à l’Assemblée nationale, le champ des personnes concernées avait été élargi à toutes les personnes morales dont l’activité de représentant d’intérêts était « principale ou accessoire ». Finalement, la définition adoptée en nouvelle lecture à l’Assemblée nationale a été plus restrictive puisqu’elle exige l’existence d’une personne physique, au sein de la personne morale, « ayant pour activité principale ou régulière d’influer sur la décision publique » ([270]).

Comme le précise le rapport de l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, « il s’agissait donc d’exclure celles et ceux n’intervenant qu’exceptionnellement ou occasionnellement auprès des pouvoirs publics et pour qui s’inscrire dans le cadre du dispositif prévu par le présent article serait excessivement contraignant » ([271]).

La définition finalement retenue, plus précise mais également plus complexe, a laissé une large marge d’appréciation au pouvoir réglementaire qui s’en est saisi pour réduire la portée du dispositif et a facilité la possibilité de contourner l’obligation de déclaration en répartissant les actions de lobbying entre un plus grand nombre de personnes physiques au sein de l’entreprise.

Enfin, la définition exclut certains acteurs de la décision publique parmi les potentiels représentants d’intérêts : les élus dans l’exercice de leurs mandats et leurs associations représentatives ; les organisations syndicales de salariés, de fonctionnaires et d’employeurs ; les associations à objet cultuel. Concernant ces dernières, il avait été prévu dans la loi Sapin 2 que seules leurs relations avec le ministre chargé des cultes devaient être exclues de ces obligations ; cette exception a été étendue à l’ensemble de leurs activités auprès des pouvoirs publics par l’article 65 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance.

 

2.   Le champ des décisions et des décideurs publics concernés

Le spectre des décideurs publics envers lesquels les actions de représentation d’intérêts doivent être déclarées a été considérablement élargi par le législateur, en particulier aux collectivités territoriales (élus et fonctionnaires) de plus de 10 000 habitants et au Parlement. Pour les Assemblées, il était déjà prévu que leurs Bureaux respectifs élaborent des règles spécifiques dont le respect est contrôlé par l’organe chargé de la déontologie en leur sein ([272]). Le principal apport du législateur a été d’intégrer dans un seul et même registre, celui géré par la HATVP, l’ensemble des représentants d’intérêts intervenant auprès du Gouvernement, des collectivités ou du Parlement.

En première lecture, l’Assemblée nationale avait souhaité ajouter une obligation de déclaration des actions de lobbying auprès du Président de la République, des membres du Conseil constitutionnel et des membres des sections administratives du Conseil d’État eu égard à leur rôle central dans l’élaboration de nombreuses décisions publiques. Le Sénat a ensuite choisi de rédiger une sous-section spécifique consacrée à ces institutions. Au cours de la nouvelle lecture, ces dispositions ont été retirées sans explications précises. Dans la version définitivement adoptée, les entrées en communication qui doivent être déclarées sont donc celles avec les ministres et leurs collaborateurs, les collaborateurs du Président de la République, les parlementaires, leurs collaborateurs et les fonctionnaires parlementaires, les membres des autorités administratives indépendantes et les directeurs de leurs services, les hauts fonctionnaires titulaires d’un emploi pourvu en Conseil des ministres, les principaux élus locaux et certains fonctionnaires de l’État ou territoriaux.

La nature des décisions publiques concernées n’a pas évolué au cours des débats. Si l’Assemblée nationale a envisagé de faire référence aux « politiques publiques » plutôt qu’aux « décisions publiques », il a finalement été décidé de conserver la seconde notion, plus précise juridiquement. Outre le contenu des lois et règlements, l’activité d’influence peut donc concerner toutes les décisions administratives. Il n’est pas fait de distinction entre les décisions générales et impersonnelles, d’une part, et les décisions individuelles, d’autre part. En effet, cette dernière catégorie peut également faire l’objet de tentatives d’influence et présenter d’importants enjeux (par exemple en matière d’autorisation d’investissements étrangers).

 

3.   Les obligations déclaratives et déontologiques des représentants d’intérêts

Les représentants d’intérêts sont soumis à des obligations de deux ordres : d’une part, ils doivent renseigner le répertoire qui leur est consacré et, d’autre part, ils doivent respecter des règles déontologiques qui encadrent leurs activités.

La tenue et le contrôle du registre, commun pour l’exécutif, le Parlement et les collectivités territoriales, ont été confiés à la HATVP, afin d’accroître la simplicité du dispositif et son accessibilité.

Le champ des informations devant être inscrites dans le registre a également été étendu par le législateur. Initialement, le projet de loi ne soumettait les représentants d’intérêts qu’à l’obligation d’indiquer au registre leur identité et « le champ des activités de représentation d’intérêts ». Ces obligations ont été enrichies pour permettre de retracer plus précisément la nature de l’influence exercée. Les représentants d’intérêts doivent donc également déclarer la nature de leurs actions et les moyens humains et financiers qui y sont consacrés. Lorsque le représentant d’intérêts agit pour un tiers, il doit mentionner l’identité de celui-ci. Si le nombre d’entrées en communication est le critère pour être soumis à l’obligation de déclaration, le représentant d’intérêts est soumis à une obligation de déclaration par action, celle-ci pouvant rassembler plusieurs entrées en communication.

En outre, les représentants d’intérêts sont soumis à des obligations déontologiques ([273]), notamment l’interdiction :

– des dons et des rémunérations aux décideurs ou aux personnes qui les conseillent – y compris pour des prises de parole dans des colloques ;

– de transmettre des informations délibérément erronées ;

– d’utiliser à des fins commerciales des informations obtenues auprès d’un décideur dans le cadre de l’activité de lobbying.

Lorsqu’elle constate un manquement concernant la déclaration au registre ou le respect d’un principe déontologique – ou qu’un tel manquement lui est signalé par l’une des Assemblées –, la HATVP peut mettre en demeure le représentant d’intérêts pour qu’il y remédie ([274]). Si le manquement persiste, il encourt une sanction pénale d’un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende ([275]).

Le Conseil constitutionnel a en revanche censuré la création de sanctions pénales relatives au non-respect des règles élaborées par les Bureaux des Assemblées, considérant que cela contrevenait au principe de légalité des délits et des peines ([276]).

B.   La mise en œuvre du dispositif par le dÉcret du 9 mai 2017

Un décret du 9 mai 2017 – deux jours après le second tour des élections présidentielles – est venu préciser les modalités d’application des dispositions législatives relatives au répertoire numérique des représentants d’intérêts.

Son article 1er définit les représentants d’intérêts et les actions entrant dans le champ du répertoire. Il précise ainsi qu’une personne physique ayant, aux termes de la loi, « pour activité principale ou régulière d’influer sur la décision publique » est une personne qui « consacre plus de la moitié de son temps à une activité qui consiste à procéder à des interventions à son initiative auprès des personnes désignées [comme décideurs publics] » ou qui « entre en communication, à son initiative, au moins dix fois au cours des douze derniers mois avec [ces personnes] en vue d’influer sur une ou plusieurs décisions publiques, notamment une ou plusieurs mesures législatives ou réglementaires ».

Le décret précise également que ne sont considérés comme des entrées en communication ni les recours administratifs, ni les sollicitations d’autorisations ou d’avantages auxquels la personne a droit, ni les démarches obligatoires nécessaires pour les obtenir.

Le décret clarifie la distinction entre l’entrée en communication, qui permet d’apprécier la nature de l’activité du représentant d’intérêts, et l’action, qui doit être déclarée au registre. Son article 3 du décret détaille les informations devant être inscrites dans le fichier : le type de décision, le type d’action, les questions sur lesquelles ont porté ces actions – « identifiées par leur objet et leur domaine d’intervention » – et la catégorie des responsables publics contactés. Concernant la déclaration des moyens financiers et humains mis en œuvre, les représentants d’intérêts doivent indiquer une fourchette.

Enfin, concernant la fréquence de la transmission de ces informations, qui n’est pas fixée par la loi, le décret prévoit qu’elle intervient annuellement, dans un délai de trois mois à compter de la clôture de l’exercice comptable.

C.   Des avancÉes complémentaires depuis

Bien avant la loi Sapin 2, le Parlement s’était montré précurseur en matière de transparence de ses travaux et de contrôle des représentants d’intérêts. Dès 2009, l’Assemblée nationale avait créé un code de conduite et un registre facultatif, transposé au Sénat en 2010, permettant l’obtention d’un badge d’accès. L’inscription au registre est devenue obligatoire en 2013, tout comme la mise en annexe des personnes auditionnées dans le cadre des travaux parlementaires.

En 2016, le Bureau de l’Assemblée nationale a décliné les principes énoncés par l’article 25 de la loi Sapin 2 en modernisant le code de conduite de l’institution. Il a complété et adapté les règles de déontologie des représentants d’intérêts en précisant notamment qu’« il leur est interdit d’utiliser du papier à en-tête ou le logo de l’Assemblée nationale et d’utiliser l’adjectif "parlementaire" pour qualifier des événements qu’ils organisent ou des structures qu’ils créent ».

En 2021, le Bureau de l’Assemblée nationale a poursuivi cet effort en renforçant les pouvoirs du Président de l’Assemblée nationale qui peut désormais « interdire l’accès aux locaux de l’Assemblée aux représentants d’intérêts en cas de manquement ». Il a également rendu obligatoire l’information du député en cas d’invitation ou de don adressé à son collaborateur. Ce code accroît également l’obligation de transparence en exigeant que « les informations apportées aux députés par les représentants d’intérêts doivent être ouvertes sans discrimination à tous les députés quelle que soit leur appartenance politique ».

Ces précisions sont utiles et une telle réflexion pourrait être menée au sein de l’exécutif pour préciser la portée des obligations déontologiques prévues par la loi Sapin 2 dans les administrations. À ce titre, vos Rapporteurs regrettent que le pouvoir réglementaire ne soit pas encore saisi de la possibilité, ouverte par l’article 25, d’élaborer par décret en Conseil d’État un code de déontologie des représentants d’intérêts ([277]).

Proposition n° 41 : Engager l’élaboration du code de déontologie des représentants d’intérêts prévu par l’article 25 de la loi Sapin 2.

II.   Des ajustements sont nÉcessaires pour amÉliorer la capacitÉ du rÉpertoire À restituer « l’empreinte normative » des rEprésentants d’intérÊts

Les travaux de la mission d’information ont permis à vos Rapporteurs d’affirmer que le répertoire des représentants d’intérêts devrait être considérablement amélioré afin de lui permettre d’atteindre pleinement ses objectifs : renforcer la transparence de la prise de décision, prévenir les risques de conflits d’intérêts et protéger le jugement libre et non faussé des responsables publics.

En effet, le manque de clarté de la définition des représentants d’intérêts et la faible précision des informations demandées limitent à la fois l’utilité du registre pour retracer les influences exercées sur une décision publique et la capacité de la HATVP à exercer son contrôle des obligations des représentants d’intérêts.

A.   Un bilan en progression mais des obligations difficiles à contrÔler

1.   La hausse régulière du nombre et de la qualité des déclarations au registre

Au 1er mars 2021, 2 209 représentants d’intérêts s’étaient inscrits sur le répertoire et avaient déclaré 29 678 actions.

Selon la HATVP ([278]), les sociétés (27 %), les organisations professionnelles (25 %) et les associations et organisations non gouvernementales (19,5 %) constituent la grande majorité des inscrits. Les cabinets de conseil, les consultants indépendants et les avocats ne représentent que 7 % des déclarants.

Le nombre d’activités déclarées annuellement augmente (8 500 en 2018 et 13 000 en 2019 soit une hausse d’environ 55 %), et la qualité des informations transmises s’améliore (70 % de conformité aux exigences du décret en 2019 contre 61 % en 2018). Le nombre moyen d’actions déclarées par entité s’établit à 8,3.

Les statistiques élaborées par la HATVP permettent de constater que 27,5 % des actions consistent à transmettre aux décideurs publics des informations et expertises dans un objectif d’influence, 26 % sont relatives à l’organisation de discussions informelles ou de réunion en tête à tête et 20,5 % ont pour finalité de transmettre des suggestions afin d’influencer la rédaction d’une décision publique (par exemple en transmettant des amendements rédigés).

Toutefois en 2020, seuls 34 % des représentants d’intérêts avaient transmis leur déclaration pour leurs activités de lobbying de 2019 dans le délai de trois mois prévu par le décret. Les relances à l’amiable effectuées par la HATVP ont permis d’atteindre un taux de déclaration de 90 %.

2.   Des moyens juridiques et humains insuffisants pour contrôler efficacement le respect des obligations des représentants d’intérêts

En matière de contrôle des représentants d’intérêts, la mission confiée à la HATVP est difficile et complexe. Elle doit à la fois s’assurer de l’inscription des représentants d’intérêts et du respect de leurs obligations déclaratives et déontologiques. La HATVP y consacre dix équivalents temps plein (contre 7,5 ETP en 2019), au sein de la direction du contrôle des représentants d’intérêts, chargés de constituer les dossiers qui sont ensuite examinés par le collège de la Haute Autorité.

Les contrôles s’effectuent à partir de signalements et au moyen d’une veille de l’actualité politique. Lorsqu’un manquement potentiel est détecté, la HATVP peut procéder à un contrôle sur pièces ou sur place (après autorisation du juge des libertés et de la détention) et à une mise en demeure pour obliger la personne à se conformer à ses obligations.

nombre de ContrÔles de reprÉsentants d’intérÊts rÉalisés par la hatvp

 

2019

2020 *

Contrôle au fond

36

-

Contrôle formel des déclarations

51

26

Contrôle des non-inscrits

78

51

Contrôle déontologique

1

-

TOTAL

166

77

Source : HATVP

* NB : Les chiffres de l’année 2020 sont faiblement significatifs eu égard aux effets de la crise sanitaire sur l’activité économique et administrative du pays.

Après une phase au cours de laquelle la HATVP s’est inscrite dans une démarche pédagogique, les premiers contrôles ont été engagés en 2019. Il y en a eu environ 300 depuis lors, qui n’ont jamais donné lieu à des poursuites judiciaires.

Les moyens de la HATVP pour exercer ce contrôle apparaissent limités au regard du nombre de personnes concernées et du caractère parcellaire des informations exigées et transmises ([279]). La HATVP a toutefois utilisé un outil de communication efficace pour inciter les représentants d’intérêts à effectuer leur déclaration : quinze jours après l’avoir relancée, elle inscrit l’entité n’ayant pas rempli ses obligations sur une liste des « représentants d’intérêts n’ayant pas communiqué à la Haute Autorité tout ou partie des informations exigibles par la loi », accessible au public sur le site. Cette pratique du name and shame complète l’arsenal de la HATVP.

Le choix de prévoir des sanctions pénales à l’encontre des représentants d’intérêts ne respectant pas leurs obligations démontrait la volonté de fermeté du législateur. Hélas, les sanctions pénales sont plus difficiles à prononcer que des sanctions administratives et, en pratique, la HATVP procède principalement à des mises en demeure. À sa connaissance, aucune poursuite pénale ni, a fortiori, de condamnation n’a eu lieu sur le fondement des articles 18-9 et 18-10 de la loi de 2013 relative à la transparence de la vie publique ([280]). La mise en place de sanctions administratives, par exemple la possibilité d’accompagner les mises en demeure par des astreintes financières, renforcerait l’autorité de la HATVP et le respect des obligations prévues par la loi Sapin 2.

Par ailleurs, la HATVP ne dispose pas, contrairement à de nombreuses autres autorités administratives indépendantes, de pouvoirs d’enquête étendus. Elle ne peut ni saisir ni copier les documents qu’elles sollicitent, elle ne peut ni procéder à des fouilles informatiques, ni réaliser des auditions sur place. À titre de comparaison, l’Autorité de régulation des communications (ARCEP), la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) ou l’Autorité de régulation des transports disposent de telles prérogatives.

Proposition n° 42 : Confier un pouvoir de sanction administrative à la HATVP afin qu’elle puisse mettre en demeure sous astreinte un représentant d’intérêts ne respectant pas ses obligations et étendre ses pouvoirs d’enquête pour rendre les contrôles plus efficaces.

B.   Une dÉfinition imparfaite de l’activitÉ de reprÉsentants d’intérÊts

1.   Une définition large couvrant presque l’ensemble des intérêts et des décisions publiques

Le champ des intérêts pouvant être appréhendés par le registre est large. Certaines personnes auditionnées ont regretté que les lobbys d’un secteur ou d’une entreprise soient traités de la même manière que les associations qui promeuvent des propositions dans l’intérêt général (on parle d’ailleurs de « plaidoyer »). Pour vos Rapporteurs, ce choix d’intégrer tous les types d’intérêts dans le registre est pertinent car il permet de mesurer l’ensemble des influences qui se sont exercées sur une décision publique.

La définition des décisions publiques sur lesquelles toute action d’influence doit être déclarée est également ambitieuse. Elle ne concerne pas seulement l’élaboration des lois et des décrets mais aussi les décisions individuelles, à l’exception des « autorisations ou avantages dont l’attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l’obtenir ». Les recours administratifs et les démarches obligatoires pour obtenir une décision n’entrent pas non plus dans le champ de la représentation d’intérêts ([281]). Selon vos Rapporteurs, cette exhaustivité est bienvenue car de nombreuses décisions individuelles sont sujettes à des tentatives d’influence et leur caractère moins public et médiatique que les travaux parlementaires rend leur contrôle moins aisé.

Toutefois, certains décideurs publics importants ne sont pas mentionnés dans la loi, même si cela avait été voté en première lecture par les deux chambres : il s’agit du président de la République et des membres des sections administratives du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel. Le cas du lobbying auprès du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État a récemment été documenté par les travaux de l’ONG Les Amis de la Terre ([282]), dont vos Rapporteurs ont pu prendre connaissance, qui démontre l’existence de nombreuses tentatives d’influence sur les membres du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel qui interviennent au début et à la fin de nombreuses productions normatives. C’est d’ailleurs pour cette raison que les membres du Conseil d’État sont déjà soumis à une obligation de déclaration d’intérêts ([283]).

Il a été avancé au cours des débats, une difficulté de nature constitutionnelle, notamment la nécessité de procéder à des modifications législatives de nature organique. Or, dès lors qu’aucune obligation n’incombe à ces personnes mais seulement à ceux qui veulent entrer en contact avec elles, cette limite n’apparaît pas insurmontable et vos Rapporteurs proposent donc de les inclure dans le dispositif car elles occupent une place prépondérante dans la prise des décisions publiques.

Proposition  43 : Inclure le Président de la République et les membres du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État parmi les décideurs publics envers lesquels les actions de représentation d’intérêts doivent être déclarées.

2.   Un seuil pour l’obligation d’inscription qui entraîne un contournement

Les critères selon lesquels l’inscription au registre devient obligatoire pose difficulté. La définition retenue par le décret de 2017, à savoir la présence d’une personne physique consacrant la moitié de son activité à la représentation d’intérêts ou procédant à dix entrées en relation afin d’influencer une décision publique, complexifie la notion de représentant d’intérêts et, surtout, rend le contrôle de l’obligation d’inscription au répertoire presque impossible.

Ce constat est très largement partagé, par la HATVP, par les associations s’intéressant à la transparence et même par les associations représentants des cabinets de lobbying qui constatent une inégalité entre ceux qui respectent la législation et ceux qui la contournent en s’appuyant sur l’imprécision des critères.

Plusieurs auditions ont indiqué que cette rédaction a été le fruit d’une réticence de l’administration envers ce dispositif. Interrogé sur ce point par la présidente de la commission des Lois, le ministre de l’Économie a indiqué que le décret respectait la volonté du législateur telle que l’a interprétée le Conseil constitutionnel. Ce dernier a en effet estimé que la rédaction retenue avait pour objectif de « limiter le champ des nouvelles obligations aux seules personnes exerçant une activité principale ou régulière d’influence sur la décision publique, sans l’étendre à toute personne exerçant cette activité à titre accessoire et de manière peu fréquente » ([284]).

Il n’en demeure pas moins que, par la définition donnée, le pouvoir réglementaire a considérablement restreint la portée du dispositif et que les critères retenus pour définir le caractère principal ou régulier d’une activité d’influence sur la décision publique manquent de clarté et pourraient être différents.

L’appréciation par personne physique crée une inégalité de traitement puisque, pour un même niveau d’activité d’influence de la personne morale concernée, une répartition large entre plusieurs personnes physiques plutôt que concentrée sur une ou deux peut suffire à se soustraire à l’obligation de déclaration. Une référence à l’activité globale de représentation d’intérêts de la personne morale, au niveau de la loi, serait plus pertinente.

Proposition n° 44 : Faire référence à l’activité globale de l’activité de représentation d’intérêts de la personne morale plutôt qu’à l’activité des personnes physiques en son sein, en fixant le seuil à dix entrées en contact au niveau de la personne morale.

 

C.   une qualitÉ trop variable Des informations transmises pour rendre compte fidÈlement de « l’empreinte normative » des reprÉsentants d’intérÊts

Si l’approche initiale était celle d’un contrôle du lobbying et de ses dérives, désormais encadrées par les règles de déontologie fixées par la loi Sapin 2 à l’article 18-5 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, il semble que c’est désormais la transparence de la décision publique qui justifie en premier lieu la tenue du répertoire des représentants d’intérêts.

Au regard de ce critère d’évaluation, la loi Sapin 2 ne remplit pas pleinement ses objectifs puisqu’elle ne permet pas de retracer efficacement l’ensemble des influences ayant pu peser sur une décision publique donnée.

1.   Le critère de l’initiative et l’absence de responsabilisation des décideurs publics restreignent la portée du registre

a.   Le critère de l’initiative exclut un grand nombre d’actions de l’obligation de déclaration

La loi Sapin 2 définit le représentant d’intérêts comme celui qui « entre en communication » avec un décideur public. Si cette formulation pouvait laisser planer un doute sur les obligations résultant des sollicitations des décideurs publics envers des représentants d’intérêts, l’article 1er du décret du 9 mai 2017 insiste sur le fait que ne sont concernées que les interventions du représentant d’intérêts « à son initiative ».

L’exclusion du champ du registre des actions de représentation d’intérêts réalisées à l’initiative du décideur public est source d’inégalité entre eux puisqu’elle dispense de l’obligation de déclaration les plus grosses structures – souvent consultées sans avoir à le solliciter – et pénalise les petites structures qui ont déjà plus de difficultés à faire entendre leur voix et à consacrer des moyens à cette activité. C’est le cas des travaux préparatoires à l’examen d’un projet ou d’une proposition de loi au cours desquels le rapporteur du texte consulte à son initiative les principaux acteurs concernés puis complète ses auditions au fur et à mesure des sollicitations qu’il reçoit.

Cet écart de traitement qui pouvait être justifié en matière de contrôle déontologique – les personnes sollicitées ne pouvant être accusées d’avoir recours à des moyens détournés pour accéder aux décideurs publics afin de les influencer ‑, ne l’est plus au titre de la transparence de la décision publique, qui implique la connaissance de toutes les positions entendues.

Par ailleurs, les informations recueillies sont difficilement comparables puisque certaines organisations mentionnent malgré tout les actions pour lesquelles elles ont été sollicitées. À ce titre une clarification semble nécessaire pour que toutes les actions de représentation d’intérêts soient contenues dans le répertoire – avec une précision quant à l’origine de l’entrée en relation.

Proposition n° 45 : Inclure parmi les actions devant faire l’objet d’une déclaration dans le registre des représentants d’intérêts celles menées à l’initiative d’un décideur public et prévoir la possibilité de mentionner dans la déclaration l’auteur de la sollicitation.

b.   La nécessaire responsabilisation des décideurs publics

Se pose alors la question de la responsabilité du décideur public qui sollicite un représentant d’intérêts. Au sein des institutions européennes, depuis 2014, les commissaires, les membres de leur cabinet et les directeurs généraux de la Commission ont l’interdiction de rencontrer les représentants d’intérêts qui ne sont pas inscrits sur le registre.

Vos Rapporteurs ne souhaitent pas en arriver à des dispositifs aussi contraignants qui viendraient limiter leur liberté de rencontrer qui ils souhaitent. Ils sont également réticents à l’idée d’une publicité des agendas qui serait nécessairement lacunaire et porterait atteinte au droit à la vie privée des élus.

En revanche, ils ne sont pas opposés à une responsabilisation accrue des décideurs publiques. L’obligation de déclaration doit continuer d’incomber aux représentants d’intérêts et il ne s’agirait pas de demander aux décideurs de publier la liste de l’ensemble des représentants d’intérêts rencontrés. Mais il serait utile que les décideurs publics puissent transmettre régulièrement, si besoin de manière anonyme, la liste de leurs interlocuteurs selon des procédures prévues en interne. Ces informations, qui pourraient par exemple être confiées au référent déontologue de leur institution ou de leur administration n’auraient pas vocation à être rendues publiques – le registre remplit cette fonction – mais pourraient être consultées par la HATVP pour faciliter la vérification des déclarations ou la détection des manquements.

Proposition n° 46 : Encourager les décideurs publics, selon des procédures définies par leur administration ou leur institution, à transmettre régulièrement en interne la liste des représentants d’intérêts qu’ils ont sollicités ou qui sont entrés en contact avec eux. Ces informations, non publiques, pourraient être consultées par la HATVP dans le cadre de ses contrôles.

Plus généralement, il est nécessaire de développer le réflexe, au sein des administrations et du Parlement, de se référer au registre pour vérifier l’inscription des représentants d’intérêts avec lesquels ils interagissent. Si l’inscription devient une condition pour accéder aux responsables publics, les organisations concernées y seront plus attentives.

 

2.   Les informations transmises sont souvent parcellaires

a.   L’inégal niveau de précision des déclarations

Le dispositif mis en place par la loi Sapin 2 est source de contraintes pour les représentants d’intérêts. La plupart d’entre eux se sont toutefois rapidement adaptés car ils disposent de ressources consacrées à leurs relations publiques qui peuvent centraliser les différentes informations. Dans l’ensemble, et grâce aux efforts de relance de la HATVP, les informations contenues dans le répertoire sont précises – même s’il est impossible de dire si elles sont complètes.

Vos Rapporteurs sont attachés à ce que l’effort demandé aux représentants d’intérêts ait une réelle utilité. Or, à ce jour, la nature des informations demandées, la qualité des déclarations transmises et leur exploitation ne sont pas satisfaisantes.

La loi prévoit que les représentants d’intérêts doivent transmettre à la HATVP : « les actions relevant du champ de la représentation d’intérêts menées auprès des personnes mentionnées aux 1° à 7° de l’article 18-2, en précisant le montant des dépenses liées à ces actions durant l’année précédente ». Le Conseil constitutionnel, dans sa décision, a estimé que « ces dispositions n’ont ni pour objet, ni pour effet de contraindre le représentant d’intérêts à préciser chacune des actions qu’il met en œuvre et chacune des dépenses correspondantes » ([285]).

L’article 3 du décret du 9 mai 2017 a fait le choix de fixer à un niveau médian le degré de précision des informations exigées en demandant la transmission du type de décisions concerné (loi, décret, décision individuelle), du type d’actions, de la question sur laquelle elles ont porté (« son objet et son domaine »), de la catégorie de responsables publics visée ainsi que la fourchette dans laquelle se situent les moyens mis en œuvre par la personne morale pour mener ces actions. La déclaration par action, et non par entrée en contact alors qu’il s’agit du critère d’inscription, nourrit une confusion. L’action n’étant pas définie précisément, elle englobe parfois toutes les prises de contact sur une décision qui présente de nombreuses facettes (par exemple les différents articles d’un même projet de loi).

L’imprécision des critères encourage la déclaration d’informations parcellaires et une très grande variabilité du niveau de précision des informations. La qualité de la déclaration dépend de la bonne volonté des représentants d’intérêts qui peuvent tout aussi bien indiquer qu’ils ont rencontré un député sur une loi portant sur un sujet donné que préciser la fonction de la personne rencontrée, la loi visée et la position précise qui a été défendue. Certains représentants d’intérêts indiquent même leurs échanges téléphoniques ou leurs déjeuners de travail.

 

Deux exemples de dÉclaration sur le rÉpertoire de la HATVP

Source : Site internet de la HATVP

 

 

 

À la lecture du répertoire, il apparaît que ce sont très majoritairement les actions portant sur les travaux législatifs qui font l’objet d’une déclaration alors même que l’élaboration des textes réglementaires fait également l’objet de nombreuses consultations dans une moindre transparence. Vos Rapporteurs proposent, à titre de bonne pratique, que la liste des personnes consultées pour l’élaboration des textes réglementaires soit rendue publique par le Gouvernement, comme c’est le cas dans les rapports parlementaires.

Proposition  47 : Renforcer la transparence de la prise des décisions réglementaires en publiant la liste des personnes consultées pour l’élaboration d’un décret ou d’un arrêté ministériel.

b.   La difficile exploitation des données collectées

En outre, le manque de précision quant à la décision concernée ne permet pas d’exploiter efficacement les données du répertoire. Le site de la HATVP permet les recherches dites « plein texte » mais les variations de formulations (« PJL », « projet de loi », « loi ») ne permettent pas d’extraire l’ensemble des actions de lobbying exercé sur un texte ou une décision donnée. La lisibilité du répertoire est encore plus faible s’agissant de la catégorie des « autres décisions publiques » qui ne permet pas de connaître la nature de la décision (marché public, demande d’autorisation, attribution d’une subvention, etc.).

De ce fait, le répertoire reste faiblement consulté. Selon les statistiques du site internet de la Haute Autorité, il a fait l’objet de 250 000 visites en 2020, c’est cinq fois moins que les déclarations des responsables publics.

L’existence d’un menu déroulant, contenant l’ensemble des textes législatifs et réglementaires adoptés, permettrait de faciliter les recherches avancées et l’extraction des données. Outre l’évolution informatique qu’elle implique, il pourrait être utile de l’autoriser clairement dans le décret du 9 mai 2017 qui mentionne à ce jour l’exigence de donner le type de décision et son objet. Dans le même souci de précision, la fonction des personnes consultées pourrait être précisée, au moins par ministère ou par administration centrale lorsqu’il s’agit de l’exécutif, et par commission ou par fonction (rapporteur, responsable de groupe, président de commission) lorsqu’il s’agit du Parlement.

Proposition  48 : Faciliter l’exploitation des données du répertoire des représentants d’intérêts en permettant de choisir dans un menu déroulant la décision concernée par l’action de représentation d’intérêts et préciser les catégories des « autres décisions publiques » et des décideurs publics.

Enfin, plusieurs auditions ont mis en évidence un délai trop important entre le moment de l’action et sa déclaration. Là encore, alors que la loi ne prévoyait pas la fréquence des déclarations, le pouvoir réglementaire a décidé que les déclarations seraient annuelles et qu’elles devraient s’effectuer dans les trois mois suivant la fin de l’exercice précédent. Cela signifie qu’une action de janvier 2020 peut être déclarée en mars 2021. Compte tenu du nombre moyen d’actions déclarées – 8,3 , ces délais pourraient être restreints sans présenter une contrainte excessive, soit en prévoyant des déclarations semestrielles, soit en demandant que la déclaration ait lieu dans les trois mois suivant l’action. Cette modification n’aurait pas de conséquence sur la déclaration des moyens mis en œuvre puisque celle-ci pourrait rester annuelle.

Proposition  49 : Augmenter la fréquence des déclarations au registre afin de réduire le délai entre les actions de représentation d’intérêts et leur déclaration sur le répertoire, par exemple en exigeant qu’elles soient effectuées tous les six mois ou dans les trois mois suivant l’action.

D.   Une nÉcessaire adaptation au niveau local

Les élus et leurs associations ne sont pas soumis aux obligations de déclaration pour les interventions qu’ils effectuent auprès des décideurs publics. Ils ne sont cependant pas complètement exclus du dispositif puisque les actions de représentation d’intérêts dont ils sont destinataires doivent également être déclarées. L’extension du dispositif aux collectivités territoriales, voulue par le législateur, est justifiée car ces dernières sont à l’origine de normes et de décisions individuelles dont les enjeux financiers sont parfois élevés.

L’application du registre aux représentants d’intérêts s’adressant aux collectivités territoriales, initialement prévue pour 2018, a été repoussée en 2021([286]) puis en 2022 ([287]) en raison de la crise sanitaire. Pour éviter une explosion du nombre de déclarations – qui pourraient s’élever à 19 000 si les collectivités étaient soumises aux mêmes critères que les autres décideurs publics ([288]) –, le registre doit s’appliquer de manière proportionnée pour éviter de soumettre à la déclaration des personnes qui ont des relations fréquentes avec les élus sans qu’il s’agisse d’une action de lobbying.

Les critères d’inscription et la nature des déclarations doivent être adaptés pour prévenir les risques de corruption. Comme l’a souligné M. Sylvain Waserman, président de la délégation du Bureau de l’Assemblée nationale chargée des représentants d’intérêts et des groupes d’études, « étendre la notion de représentant d’intérêts, avec les mêmes règles, à tous ceux qui interagissent au quotidien avec les collectivités territoriales serait totalement inopérant. Il y a une différence de fait dans la relation aux parties prenantes entre le parlementaire et l’élu d’un exécutif local. Surtout, les sanctions pénales qu’il faudrait alors appliquer à ceux qui ne se déclarent pas comme représentant d’intérêts décrédibiliseraient l’édifice construit par la loi. »

 

Dès 2017, dans son rapport annuel, la HATVP alertait sur le fait qu’« accompagner ces nouveaux assujettis, répondre aux demandes d’aide et contrôler le respect des obligations déontologiques sur l’ensemble du territoire, alors même que les effectifs des services de la Haute Autorité restent plafonnés à cinquante agents en 2018, sera particulièrement difficile » ([289]). La HATVP a indiqué être en train de procéder à une consultation auprès d’un échantillon représentatif de collectivités territoriales. Ce travail devrait être publié à l’été 2021.

Pour leur part, vos Rapporteurs estiment que deux adaptations sont nécessaires pour ne soumettre à cette obligation que les actions menées auprès de collectivités pour lesquels les enjeux financiers sont les plus importants. La première consiste à limiter l’obligation de déclaration aux représentants d’intérêts exerçant leur influence sur des régions, départements ou communes et intercommunalités de plus de 30 000 habitants. La seconde consiste à restreindre le champ des décisions publiques pour lesquelles les actions de représentation d’intérêts doivent être déclarées. Selon vos Rapporteurs, les domaines concernés devraient être l’environnement (eau, assainissement, déchet, énergie), les transports et la construction.

Les avancées dans ce domaine devront s’effectuer en cohérence avec la mise en œuvre des dispositifs de prévention de la corruption et de recueil des alertes qui ont pris du retard dans de nombreuses collectivités ([290]).

Proposition  50 : Adapter les obligations de déclaration pour les représentants d’intérêts intervenant auprès de collectivités territoriales en excluant les actions menées sur des communes et intercommunalités de moins de 30 000 habitants et en limitant les décisions publiques concernées à celles présentant les enjeux financiers les plus élevés (eau, assainissement, déchet, énergie, transports et construction).

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Les modifications proposées permettraient de rendre mieux compte de « l’empreinte » législative ou réglementaire des représentants d’intérêts. Plus les informations seront précises, plus leur contrôle sera aisé. Elles deviendront alors un outil efficace d’analyse des décisions publiques et de prévention de la corruption et des conflits d’intérêts.

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   Travaux de la commission

Lors de sa réunion du mercredi 7 juillet 2021, la commission des Lois a examiné ce rapport et, à l’unanimité, en a autorisé la publication.

Ces débats ne font pas l’objet d’un compte rendu. Ils sont accessibles sur le portail vidéo du site de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

http://assnat.fr/yqpUbM

 

 


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   LISTE DES RECOMMANDATIONS DE LA MISSION

 

 

PARTIE I : LE DISPOSITIF DE PRÉVENTION ET DE DÉTECTION DE LA CORRUPTION ET L’ACTION DE L’AGENCE FRANÇAISE ANTICORRUPTION

Proposition n° 1 : Supprimer la condition tenant à la localisation en France du siège social de la société mère, afin de soumettre aux obligations prévues par l’article 17 les petites filiales de grands groupes étrangers établies en France, dès lors que la société mère dépasse les seuils prévus par la loi.

Proposition n° 2 : Faire obligatoirement précéder la saisine de la commission des sanctions d’une injonction de mise en conformité prononcée par l’agence et limiter la saisine directe de la commission des sanctions à des hypothèses plus restreintes (par exemple, lorsque la mauvaise foi de l’entreprise est caractérisée ou lorsqu’elle n’a pas coopéré lors du contrôle).

Proposition n° 3 : Assurer une confidentialité totale des débats devant la commission des sanctions, pour éviter les conséquences négatives pour l’image des entreprises d’une saisine en dehors de tout fait de corruption (éviter le name and shame du fait de l’inscription de la société sur les bases de données de compliance).

Proposition  4 : Mieux cibler les demandes d’informations et de documents, qui doivent être proportionnées à la nature des contrôles conduits par l’AFA, et modulées selon le type de contrôle conduit.

Proposition n° 5 : Poursuivre les efforts déjà engagés par l’Agence française anticorruption, et favoriser la réalisation de contrôles plus courts et plus concentrés :

– définir un calendrier prévisionnel plus précis, et privilégier des contrôles plus courts, ne dépassant pas 12 mois en incluant la phase de contradictoire, soit huit à dix mois pour un contrôle ;

 privilégier des contrôles plus restreints : abandonner la pratique des contrôles exhaustifs au profit des contrôles thématiques, développer la pratique du contrôle de suite, et alléger en contrepartie les contrôles initiaux.

Proposition n° 6 : Poursuivre l’amélioration de la présentation des conclusions des rapports afin de favoriser une appréciation plus nuancée du respect par les entreprises de leurs obligations et d’en développer la dimension pédagogique.

Proposition n° 7 : Développer l’action de conseil de l’AFA, par la valorisation des bonnes pratiques, ainsi que par le renforcement des formations en direction des acteurs économiques.

Proposition n° 8 : Adopter un nouveau plan national pluriannuel de lutte contre la corruption, plus ambitieux, détaillé et transparent.

Proposition  9 : Encourager les travaux de recherche dirigés vers une meilleure connaissance des phénomènes de corruption.

Proposition  10 : Renforcer le pilotage gouvernemental de la lutte contre la corruption en réunissant régulièrement un comité interministériel spécialisé, présidé par le Premier Ministre, et dont l’Agence française anticorruption assurerait le secrétariat permanent.

Proposition  11 : Transférer à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique les missions d’appui et de contrôle de l’Agence française anticorruption, afin de créer une grande autorité compétente en matière d’éthique publique et de prévention de la corruption, la Haute Autorité pour la Probité.

Proposition  12 : Créer des obligations de conformité adaptées aux administrations publiques, qui seraient modulées selon leur taille et les risques auxquels elles sont exposées.

Proposition n° 13 : Accompagner les nouvelles obligations de mesures de publicité :

– instituer une obligation d’inscrire, une fois par an, à l’ordre du jour du conseil délibérant de la collectivité, l’examen des initiatives prises pour mettre en œuvre le dispositif de prévention et de détection de la corruption par le conseil de la collectivité ;

– systématiser la publication des rapports de contrôle ou de leurs conclusions.

Proposition  14 : Favoriser la détection de faits de corruption à l’étranger en mobilisant l’ensemble des services de l’État.

 

PARTIE II : LA CONVENTION JUDICIAIRE D’INTÉRÊT PUBLIC

 

Proposition  15 : Étendre le champ des infractions concernées par le dispositif au délit de favoritisme.

Proposition  16 : Porter à une durée de 5 ans la durée maximale de 3 ans prévue par la loi pour la mise en conformité des entreprises soumises à un contrôle de l’AFA.

Proposition  17 : Introduire la possibilité pour le parquet signataire d’une telle convention de soumettre au juge de la validation, avec l’accord de l’entreprise, une proposition de prolonger par avenant la durée du monitoring initialement fixée, et de modifier, le cas échéant, le plafond de frais afférent, afin de permettre l’exécution complète des obligations du programme de mise en conformité.

Proposition  18 : Prévoir dans les textes l’obligation pour l’AFA de soumettre ses projets de rapports annuels et de rapports finaux aux personnes morales, préalablement à l’envoi de ces documents au parquet signataire.

Proposition  19 : Étendre aux mesures et procédures à déployer dans le cadre d’un programme de mise en conformité la huitième mesure prévue à l’article 17 de la loi Sapin 2, relative au dispositif de contrôle et d’évaluation interne des mesures mises en œuvre.

Propositions  20, 21 et 22 : Publier de nouvelles Lignes directrices ainsi qu’une nouvelle circulaire du garde des Sceaux afin :

– de donner l’assurance à la personne morale qu’une CJIP lui sera proposée à certaines conditions (notamment, si elle coopère pleinement) ( 20) ;

– d’assurer la prise en compte de la pleine coopération de l’entreprise, et notamment la révélation spontanée des faits de corruption, par la minoration de l’amende, selon un barème public (n° 21) ;

– de favoriser le partage des compétences entre parquets (n° 22).

Proposition n° 23 : Mieux protéger les documents et informations transmis par la personne morale au cours de la procédure de négociation :

– avancer le moment à partir duquel la réutilisation par le parquet, devant la juridiction d’instruction ou de jugement, des déclarations, des documents et informations transmis par la personne morale au cours des négociations de la CJIP est impossible ;

– étendre cette impossibilité au cas où la personne morale a renoncé à la conclusion d’une CJIP au cours des négociations.

Proposition  24 : Garantir l’accès de la personne morale au dossier en enquête préliminaire à partir du moment où le parquet envisage un règlement par la CJIP.

Proposition  25 : Assouplir les conditions d’engagement de la responsabilité pénale des personnes morales.

Proposition  26 : Créer une procédure de CRPC spécifique aux faits de corruption, qui ne pourrait être proposée qu’en cas de révélation spontanée des faits et de pleine coopération de la personne physique aux investigations, et dont les modalités d’homologation seraient plus encadrées : l’appréciation du juge de l’homologation porterait essentiellement sur la qualification juridique des faits, sur le caractère spontané de leur révélation, ainsi que sur la réalité de la coopération de la personne physique aux investigations.

Proposition n° 27 : Favoriser le recours à l’enquête interne, en encadrant davantage son usage et en offrant plus de garanties aux personnes physiques.

Proposition  28 : Renforcer la confidentialité des avis juridiques, et réfléchir à l’instauration d’un legal privilege à la française.

Proposition n° 29 : Assurer l’indépendance de l’enquêteur interne : permettre au parquet de demander la nomination d’un mandataire ad hoc ou la création d’un comité spécial, afin de mener l’enquête interne, de négocier la CJIP et de représenter l’entreprise en justice.

 

PARTIE III : LE STATUT DES LANCEURS D’ALERTE

Proposition n° 30 : Retirer le critère du désintéressement, trop vague, et préciser le critère de la bonne foi en considérant qu’elle se définit comme le fait d’« avoir des motifs raisonnables de croire, à la lumière des circonstances et des informations dont ils disposent au moment du signalement, que les faits qu’ils signalent sont véridiques ». Préciser éventuellement que le signalement ne peut avoir pour motivation de nuire à autrui.

Proposition n° 31 : Assouplir la hiérarchie des canaux d’information en permettant de saisir directement les autorités publiques sans procédure interne préalable, y compris en l’absence de danger grave et imminent, et préciser les conditions des divulgations publiques.

Proposition n° 32 : Rendre obligatoire et effective l’information du lanceur d’alerte sur les suites données à son signalement lorsqu’il a le droit d’en connaître et qu’il en fait la demande.

Proposition n° 33 : Préciser les garanties d’indépendance et de collégialité des dispositifs de recueil et de traitement des alertes et favoriser l’utilisation d’une plateforme numérique pour favoriser les échanges avec le lanceur d’alerte tout en préservant son anonymat.

Proposition n° 34 : Renforcer l’attention accordée aux dispositifs de recueil des alertes lors des contrôles du respect des obligations prévues par l’article 17 de la loi Sapin 2.

Proposition n° 35 : Mettre en place des plateformes départementales de recueil des alertes en préfecture pour les collectivités ne s’étant pas dotées de leur propre dispositif de signalement et rappeler régulièrement les collectivités concernées à leurs obligations.

Proposition n° 36 : Prévoir une modalité de reconnaissance du statut de lanceur d’alerte au moyen d’une certification par le Défenseur des droits ou d’une procédure incidente devant le juge judiciaire.

Proposition n° 37 : Élargir les missions du Défenseur des droits en lui confiant l’orientation et le suivi du traitement des alertes qui lui sont signalées et lui donner les moyens humains et financiers de les remplir.

Proposition n° 38 : Créer un fonds ad hoc de soutien aux lanceurs d’alerte accessible lorsque le statut de lanceur d’alerte a été certifié par le juge ou le Défenseur des droits et que le signalement a eu une conséquence financière sur le lanceur d’alerte.

Proposition n° 39 : Prévoir une sanction civile dissuasive pour l’ensemble des procédures « baillons » engagées à l’encontre d’un lanceur d’alerte aboutissant à un non-lieu, qu’elle concerne une plainte pour diffamation ou une autre forme de représailles (violation du secret professionnel par exemple).

Proposition n° 40 : Afin d’éviter que les lanceurs d’alerte ne soient poursuivis pour vol, autoriser l’obtention et le stockage d’informations confidentielles lorsque cela est nécessaire à la divulgation de l’alerte.

 

PARTIE IV : LE REGISTRE DES REPRÉSENTANTS D’INTÉRÊTS

Proposition n° 41 : Engager l’élaboration du code de déontologie des représentants d’intérêts prévu par l’article 25 de la loi Sapin 2.

Proposition n° 42 : Confier un pouvoir de sanction administrative à la HATVP afin qu’elle puisse mettre en demeure sous astreinte un représentant d’intérêts ne respectant pas ses obligations et étendre ses pouvoirs d’enquête pour rendre les contrôles plus efficaces.

Proposition  43 : Inclure le Président de la République et les membres du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État parmi les décideurs publics envers lesquels les actions de représentation d’intérêts doivent être déclarées.

Proposition n° 44 : Faire référence à l’activité globale de l’activité de représentation d’intérêts de la personne morale plutôt qu’à l’activité des personnes physiques en son sein, en fixant le seuil à dix entrées en contact au niveau de la personne morale.

Proposition n° 45 : Inclure parmi les actions devant faire l’objet d’une déclaration dans le registre des représentants d’intérêts celles menées à l’initiative d’un décideur public et prévoir la possibilité de mentionner dans la déclaration l’auteur de la sollicitation.

Proposition n° 46 : Encourager les décideurs publics, selon des procédures définies par leur administration ou leur institution, à transmettre régulièrement en interne la liste des représentants d’intérêts qu’ils ont sollicités ou qui sont entrés en contact avec eux. Ces informations, non publiques, pourraient être consultées par la HATVP dans le cadre de ses contrôles.

Proposition  47 : Renforcer la transparence de la prise des décisions réglementaires en publiant la liste des personnes consultées pour l’élaboration d’un décret ou d’un arrêté ministériel.

Proposition  48 : Faciliter l’exploitation des données du répertoire des représentants d’intérêts en permettant de choisir dans un menu déroulant la décision concernée par l’action de représentation d’intérêts et préciser les catégories des « autres décisions publiques » et des décideurs publics.

Proposition  49 : Augmenter la fréquence des déclarations au registre afin de réduire le délai entre les actions de représentation d’intérêts et leur déclaration sur le répertoire, par exemple en exigeant qu’elles soient effectuées tous les six mois ou dans les trois mois suivant l’action.

Proposition  50 : Adapter les obligations de déclaration pour les représentants d’intérêts intervenant auprès de collectivités territoriales en excluant les actions menées sur des communes et intercommunalités de moins de 30 000 habitants et en limitant les décisions publiques concernées à celles présentant les enjeux financiers les plus élevés (eau, assainissement, déchet, énergie, transports et construction).

 


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liste des personnEs entendues

20 janvier 2021

●  Mme Françoise Dreyfus, professeure émérite de science politique de l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne

  M. Michel Sapin, ancien ministre de l’Économie et des finances

27 janvier 2021

  Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)

   Mme Elsa Pilichowski, directrice de la gouvernance publique

   Mme Mathilde Mesnard, directrice adjointe des affaires financières et des entreprises

   M. Patrick Moulette, chef de la division de la lutte contre la corruption

   Mme Sandrine Hannedouche-Leric, expert juridique de la division de la lutte contre la corruption

   M. Julio Bacio Terracino, chef de la division de l’intégrité dans le secteur public

  M. Sylvain Waserman, vice-président de l’Assemblée nationale, président de la délégation du Bureau chargée des représentants d’intérêts et des groupes d’études

28 janvier 2021

  Anticor *

   M. Éric Alt, vice-président

  Transparency International France *

   M. Patrick Lefas, président

   Mme Nadège Buquet, déléguée générale

   Mme Laurence Fabre, responsable du secteur privé

   Mme Elsa Foucraut, responsable du plaidoyer

  Sherpa *

   M. William Bourdon, président-fondateur

   Mme Chanez Mensous, juriste au sein du pôle flux financiers illicites


3 février 2021

  Table ronde de représentants d’associations d’entreprises :

   Mme Caroline Weber, directrice générale de Middlenext *

   M. François Soulmagnon, directeur général de l’Association française des entreprises privées (AFEP)  *

   Mme Stéphanie Robert, directrice de l’AFEP *

   Mme Odile de Brosses, directrice du service juridique de l’AFEP *

   M. Alexandre Montay, délégué général du Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (METI)  *

  Mouvement des entreprises de France (MEDEF)  *

   Mme Joëlle Simon, directrice générale adjointe

   M. Guillaume Leblanc, directeur des affaires publiques

4 février 2021

  Clifford Chance Europe LLP

   M. Thomas Baudesson, avocat associé

   M. Charles-Henri Boeringer, avocat associé

  Sonepar (Société de négoce et de participation)

   Mme Marie-Christine Coisne-Roquette, présidente

   M. Olivier Catherine, secrétaire général

10 février 2021

  M. Fred Einbinder, ancien directeur juridique d’Alstom, avocat au Barreau de l’Illinois (États-Unis), professeur associé à l’American University of Paris

  SoLocal *

   Mme Nathalie Etzenbach-Huguenin, secrétaire générale et membre du comité exécutif

   Mme Valérie-Esther Penda, référente éthique

   M. Maxime Duclaux, directeur relations institutionnelles, RSE, éthique, risques


11 février 2021

  Table ronde de représentants de cabinets de conseil

   M. Jean-Marie Pivard, président de l’Institut français de l’audit et du contrôle internes (IFACI)

   Mme Anne Piot D’Abzac, secrétaire générale de l’Association pour le management des risques et des assurances de l’entreprise (AMRAE)

   M. Vincent Talvas, délégué général de la Fédération française des firmes pluridisciplinaires (F3P) *

   Mme Antoinette Gutierrez-Crespin, associée chez Ernst & Young France

   M. Harold Ceintrey, associé chez PriceWaterHouseCoopers

   M. Nicolas Guillaume, associé chez Grant Thornton France

   M. Jean-Marc Lefort, associé chez KPMG au sein du département Forensic

17 février 2021

  Mme Emmanuelle Prada Bordenave, conseillère d’État, présidente du groupe de travail chargé de l’étude « Le droit d’alerte : signaler, traiter, protéger »

  Défenseur des droits

   Mme Claire Hédon, Défenseure des droits

   M. Marc Loiselle, directeur de la protection des droits et des affaires publiques

   Mme Sylvie Ramondou, chargée de mission lanceurs d’alertes

  La Maison des lanceurs d’alerte *

   M. Antoine Deltour, membre du conseil d’administration de l’association

   Mme Juliette Alibert, juriste

   M. Jean-Philippe Foegle, chargé de la coordination et du plaidoyer

   Deux lanceurs d’alerte

18 février 2021

  Mme Marie-Anne Frison-Roche, professeure des universités à Sciences Po Paris et directrice du Journal of Regulation

  Airbus *

   M. John Harrison, directeur juridique

   M. Philippe Coq, directeur des affaires publiques

   M. Raymond Bonci, vice-président Ethics & Compliance

   Mme Annick Perrimond-Dubreuil, directrice en charge des relations avec le Parlement

3 mars 2021

  Table ronde sur les logiciels de conformité :

   M. William Feugère, avocat au cabinet Feugère, fondateur de la legal tech Ethicorp

   M. Franck Verdun, avocat au cabinet Verdun Verniole

  M. Sébastien Denaja, ancien député, rapporteur de la commission des Lois sur le projet de loi Sapin 2.

4 mars 2021

  M. Frédéric Pierucci, ancien cadre dirigeant d’Alstom, fondateur d’Ikarian

  M. Alexandre Bisch, avocat au cabinet Debevoise & Plimpton

  Imerys *

   M. Alessandro Dazza, directeur général

   Mme Frédérique Berthier-Raymond, directrice juridique du groupe

   Mme Charlotte Beauchateaud, directrice juridique en charge de la conformité

10 mars 2021

  Haute Autorité pour la transparence de la vie publique

   M. Didier Migaud, président

  Association française des juristes d’entreprise (AFJE)  *

   M. Marc Mossé, président

   M. Jean-Philippe Gille, vice-président

11 mars 2021

  Table ronde des associations de représentants d’intérêts

   M. Nicolas Bouvier, président de l’Association française des conseils en lobbying et affaires publiques *

   M. Laurent Mazille, président de l’Association des professionnels des affaires publiques *

   M. Philippe Portier, président de l’Association des avocats lobbyistes *

  Inspection générale des finances

   M. Julien Dubertret, inspecteur général des finances

   M. Alexandre Siné, inspecteur des finances 

  Société Générale *

   M. Dominique Bourrinet, directeur juridique

   M. Hervé de Kerdrel, directeur adjoint de la conformité

17 mars 2021

  Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP)

   Mme Nathalie Colin, directrice générale

  Table ronde d’associations de fonctionnaires territoriaux

   M. Yannis Wendling, président de la Conférence des inspecteurs et auditeurs territoriaux

   M. Fabien Tastet, président de l’Association des administrateurs territoriaux de France

  Table ronde d’associations représentatives d’élus

   M. Pierre Monzani, directeur général de l’Assemblée des départements de France

   M. Alain Chrétien, maire de Vesoul, président de la commission des affaires économiques de l’Association des maires de France

18 mars 2021

  M. Guillaume Daieff, ancien procureur de la République à Nanterre (chef de la section économique et financière)

  M. Antoine Gaudemet, professeur à l’université Paris II Panthéon-Assas et rapporteur de la commission du Club des juristes « Pour un droit européen de la compliance »

  Inspection générale de la justice

   Mme Isabelle Fenayrou-Degas, inspectrice de la justice

24 mars 2021

  Autorité des marchés financiers

   M. Robert Ophèle, président


  Table ronde d’associations d’avocats

   Mme Marion Couffignal, présidente de la commission Droit et Entreprise du Conseil national des barreaux *

   M. Boris Kessel, membre de la commission Droit et Entreprise du Conseil national des barreaux *

   M. Alexis Werl et Thierry Schoen, membres du Conseil de l’Ordre des avocats du Barreau de Paris

   M. Bruno Carriou, membre du bureau de la Conférence nationale des bâtonniers * et ancien bâtonnier de Nantes

25 mars 2021

  Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR)

   M. Patrick Montagner, premier secrétaire général adjoint

   Mme Véronique Bensaid-Cohen, conseillère parlementaire auprès du Gouverneur de la Banque de France

  Association française des courtiers et prestataires de services d’investissement (AFCOPSI)  *

   M. Daniel Gravier, président

   M. Ambroise Lion, administrateur

   M. Timothée de Romance, secrétaire général délégué

  Fédération bancaire française *

   Mme Maya Atig, directrice générale

   M. Jérôme Pedrizzetti, directeur juridique et conformité

   M. Nicolas Bodilis-Reguer, directeur des relations institutionnelles

31 mars 2021

  Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF)

   M. Guillaume Hézard, commissaire divisionnaire, chef de l’Office

1er avril 2021

  Agence française anticorruption

   M. Charles Duchaine, directeur

  M. Frédéric Baab, procureur européen français

7 avril 2021

  Parquet national financier

   M. Jean-François Bohnert, procureur de la République financier

8 avril 2021

  M. Pierre Farge, avocat spécialisé dans la protection des lanceurs d’alerte

14 avril 2021

  Service TRACFIN (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins)

   Mme Maryvonne Le Brignonen, directrice

  M. Jean-Baptiste Carpentier, directeur de la conformité de Veolia *, ancien directeur de Tracfin, ancien commissaire à l’information stratégique et à la sécurité économique

15 avril 2021

  Direction générale du Trésor

   M. Mikhaël Ayache, chef du bureau MultiFin 4, chargé du système financier international et de la préparation des sommets

   Mme Alice Navarro, conseillère chargée des affaires juridiques auprès du directeur général

   M. Benoit Gauthier, conseiller du chef du service des affaires multilatérales et du développement

6 mai 2021

  M. Jean-Marc Sauvé, vice-président honoraire du Conseil d’État, président du comité d’éthique de Paris 2024 et du comité d’éthique de la Société de livraison des ouvrages olympiques

  Haute Autorité pour la transparence de la vie publique

   M. Didier Migaud, président

   Mme Lisa Gamgani, secrétaire générale

   M. Jean-Marie Bertrand, président de chambre honoraire de la Cour des comptes


20 mai 2021

  M. Denis Breteau, lanceur d’alerte

  Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN)

   M. Étienne Giros, président délégué

   Mme Sandrine Sorieul, directrice générale

   M. Frédéric Paradis, président de la commission Éthique et Conformité

  Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la Justice

   M. Olivier Caracotch, directeur adjoint

   Mme Louise Neyton, adjointe à la cheffe du bureau du droit économique, financier et social, de l’environnement et de la santé publique

27 mai 2021

  Mme Françoise Nicolas, lanceuse d’alerte

  Les Amis de la Terre France *

   Mme Juliette Renaud, représentant de l’association

   M. Renaud Fossard, représentant de l’association

 

Mme Éliane Houlette, ancienne procureure de la République financière, a été sollicitée à plusieurs reprises par la mission, mais n’a pas souhaité être auditionnée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.


—  1  —

 

   Contributions ÉCRITES REçues

  Région Nouvelle-Aquitaine

 

  Région Grand-Est

 

  Unité Magistrats SNM-FO

 

  Union Syndicale des magistrats

 

  Conseil National des Greffiers des Tribunaux de Commerce *

 

  M. Éric Russo, avocat associé au cabinet Quinn Emmanuel, ancien premier vice-procureur au Parquet national financier

 

  M. Fabrice Fages, avocat associé au cabinet Latham et Watkins

 

 


([1]) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

([2]) Discours à l’assemblée annuelle de la Banque mondiale d’octobre 1996.

([3]) La loi dite « Sapin 1 » avait été publiée en 1993 : il s’agissait de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques.

([4]) Les moyens d’enquête et de poursuite de la corruption (premier cycle) ; la confiscation du produit de la corruption et la lutte contre la corruption dans l’administration (deuxième cycle) ; les incriminations prévues par la convention et la transparence du financement des partis politiques (troisième cycle) ; la prévention de la corruption des parlementaires, des gouvernements centraux et des juges (quatrième et cinquième cycles).

([5]) Articles 5 et 6 de la Convention des Nations unies du 31 octobre 2003 contre la corruption.

([6]) Point 33 du Partenariat de Busan pour une coopération au développement efficace, adopté le 1er décembre 2011.

([7]) Rapport au Président de la République de Jean-Louis Nadal, « Renouer la confiance publique », 2015, p. 132-133.

([8]) Article 1er de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques.

([9])  Décision n° 92-316 DC du 20 janvier 1993, Loi relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques.

([10]) Service central de prévention de la corruption (SCPC), Rapport pour l’année 2012, p. 7.

([11]) SCPC, Rapport pour l’année 2010, p. 11

([12]) Agence française anticorruption (AFA), Rapport annuel d’activité pour l’année 2017, p. 8.

([13]) SCPC, Rapport pour l’année 2014, p. 23.

([14]) SCPC, Rapport pour l’année 2013, p. 34. L’amende encourue a ensuite été portée par loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière à un million d’euros pour les faits de corruption impliquant un agent public et 500 000 euros dans le secteur privé, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction.

([15]) OCDE, France : rapport de suivi de phase 3 et recommandations, décembre 2014, p. 4.

([16]) Plusieurs conditions, inscrites aux articles 113-5, 113-6 et 113-8 du Code pénal, faisaient en effet obstacle au plein déploiement des poursuites par les autorités françaises en matière de corruption transnationale : l’exigence d’une réciprocité d’incrimination dans le pays où l’acte est commis ; l’exigence d’une plainte préalable de la victime ou une dénonciation officielle des faits par l’État étranger ; le monopole du parquet pour le déclenchement des poursuites ; l’exigence d’une constatation de l’infraction principale par une décision définitive de la juridiction étrangère.

([17]) Déclaration du Groupe de travail de l’OCDE sur la mise en œuvre par la France de la Convention sur la corruption d’agents publics étrangers, 23 octobre 2014.

([18]) GRECO, Deuxième Rapport de Conformité Intérimaire sur la France du 3e cycle d’évaluation de la France, mars 2015, p.21-22.

([19]) Les entreprises doivent se conformer aux lignes directrices prises en application de la loi britannique (UK bribery act adequate procedures guidance).

([20]) Rapport au Premier ministre de Raphaël Gauvain, « Rétablir la souveraineté de la France et de l’Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale », juin 2019.

([21]) Ibidem, p. 20.

([22]) Rapport au Premier ministre de Raphaël Gauvain, rap. cit., p. 4.

([23]) Étude du Parlement européen « The Cost of Non- Europe in the area of Organised Crime and Corruption », annexe II, mars 2016.

([24]) Jean-Baptiste Chauvel, Laura Le Saux, « Lutte contre la corruption : des effets positifs sur l’activité économique y compris dans les pays développés », revue Trésor-Eco, n°180, 2016.

([25]) Bruno Ventelou, « La corruption dans un modèle de croissance : partis, réputation et choc », Économie publique/Public economics, n° 10, janvier 2002.

([26]) Attila et al. (2009) ont ainsi montré que la baisse de la corruption dans les pays de l’OCDE entre 1980 et 2002 avait permis d’augmenter les ressources publiques de 1,4 point sur cette période.

([27]) Commission Européenne, Flash Eurobarometer 428 - Businesses’ attitude towards corruption in the EU, décembre 2015.

([28]) Commission Européenne, Eurobaromètre spécial n° 397 (corruption), 2013.

([29]) Les actions de représentation d’intérêts auprès des collectivités de plus de 10 000 habitants ne seront couvertes par le dispositif qu’à partir de 2022.

([30]) L’article 24 de la Constitution dispose que : « Le Parlement vote la loi. Il contrôle l’action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques. »

([31])  Le dispositif de la convention judiciaire d’intérêt public sera plus particulièrement étudié dans la partie II de ce rapport.

([32])  Aux termes de l’article 1er de la loi n° 91-3 du 3 janvier 1991 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique, cette mission était chargée « de procéder à des enquêtes portant sur les conditions de régularité et d’impartialité dans lesquelles sont préparés, passés ou exécutés les marchés de l’État des établissements publics autres que ceux qui ont le caractère industriel et commercial, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics, et des sociétés d’économie mixte locales ».

([33])  Institué par l’article 1er de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, ce service, placé auprès du ministre de la  justice, était chargé « de centraliser les informations nécessaires à la détection et à la prévention des faits de corruption active ou passive, de trafic d’influence commis par des personnes exerçant une fonction publique ou par des particuliers, de concussion, de prise illégale d’intérêts ou d’atteinte à la liberté et à l’égalité des candidats dans les marchés public ».

([34])  Étude d’impact du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (NOR : FCPM1605542L/Bleue-1), pages 15 et suivantes. L’étude d’impact du projet de loi rappelait que la « faiblesse » de ces dispositifs n’avait « jamais permis de leur voir reconnaître un rôle central dans la lutte contre les atteintes à la probité ».

([35])  Loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives.

([36]) Décision n° 92-316 DC du 20 janvier 1993, Loi relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques.

([37])  Les effectifs de l’agence étaient descendus à 4,75 ETP en 2012. Quatre ans plus tard, en 2016, ils atteignaient 16 personnes, dont douze équivalents temps plein (ETP) relevant de la mission Justice, et quatre agents mis à disposition par d’autres administrations.

([38])  Résolution 58/4 de l’Assemblée générale du 31 octobre 2003 : Convention des Nations unies contre la corruption, et notamment ses articles 5 et 6.

([39])  voir supra.

([40])  Décret n° 2017-329 du 14 mars 2017 relatif à l’Agence française anticorruption, arrêté du 14 mars 2017 relatif à l’organisation de l’Agence française anticorruption et arrêté du 19 décembre 2019 modifiant l’arrêté du 14 mars 2017 relatif à l’organisation de l’Agence française anticorruption.

([41])  Article 1er de la loi Sapin 2.

([42])  Article 3 de la loi Sapin 2.

([43])  Article 2 de la loi Sapin 2.

([44])  Conseil d’État, séance du jeudi 24 mars 2016, avis sur un projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, n° 391.262.

([45])  Rapport fait au nom de la commission des Lois de l’Assemblée nationale sur le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, et sur la proposition de loi organique relative à la compétence du Défenseur des droits pour la protection des lanceurs d’alerte, en première lecture, par M. Sébastien Denaja, député, XIVème législature, n° 3785 et 3786, le 26 mai 2016.

([46])  Article 2 du décret n° 2017-329 du 14 mars 2017 relatif à l’Agence française anticorruption.

([47])  Article 3 du décret n° 2017-329 précité.

([48])  Étude d’impact du projet de loi précitée, page 31.

([49])  Le projet de loi déposé à l’Assemblée nationale ne prévoyait que sept de ces huit mesures : l’exigence de disposer d’un dispositif de contrôle et d’évaluation interne des mesures mises en œuvre a été introduit par voie d’amendement parlementaire au Sénat, en première lecture (amendement n° 355 rectifié). L’auteur de l’amendement, M. Cabanel, précisait qu’il avait pour objet « de prévoir que les personnes morales et privées assujetties aux obligations de l’article 8 doivent s’assurer elles-mêmes de l’efficacité et de l’effectivité des procédures et mesures mises en place. À défaut de dispositifs internes d’évaluation, on peut raisonnablement craindre qu’un respect a minima des obligations de l’article 8 [du projet de loi, devenu article 17 de la loi] ne rende l’objectif poursuivi par les nouvelles dispositions totalement illusoire. »

([50]) Cette précision ne figurait pas dans le texte initial et a été adoptée suite à l’adoption de l’amendement n° 739 présenté par M. Joël Giraud, qui relevait « À la lecture du texte, il semble que les recommandations […] soient quelque peu figées dans le temps. Or il y a une évolution des pratiques de corruption ; chacun sait que l’inventivité dans la malignité peut aller très loin. Il serait donc utile de préciser que ses recommandations sont régulièrement mises à jour pour prendre en compte l’évolution des pratiques en matière de corruption ».

([51])  Avis relatifs aux recommandations de l’Agence française anticorruption destinées à aider les personnes morales de droit public et de droit privé à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêts, de détournement de fonds publics et de favoritisme, publiés au JORF le 22 décembre 2017 (premières recommandations) et le 12 janvier 2021 (mise à jour).

([52])  Recommandations publiées le 12 janvier 2021, partie I.3, Portée juridique.

([53])  En revanche, seules les entités qui entrent dans le champ prévu à l’article 17 peuvent faire l’objet de sanctions.

([54])  Site internet de l’AFA.

([55])  Il s’agit des associations agréées dans les conditions prévues à l’article 2-23 du code de procédure pénale, pouvant exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne certaines infractions en matière de probité, de corruption et de trafic d’influence, notamment.

([56])  Cette peine était alors prévue au 4° de l’article 433-17 du code pénal.

([57])  Article 432-7 du code pénal.

([58]) Article 432-11 du code pénal.

([59]) Articles 432-10 et 432-12 à 432-16 du code pénal.

([60])  Dernier alinéa des articles 433-17 et 433-22 du code pénal.

([61]) Renouer la confiance publique. Rapport au Président de la République sur l’exemplarité des responsables publics, remis par M. Jean-Louis Nadal, ancien procureur général de la Cour de Cassation et président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, le 7 janvier 2015.

([62]) Article 1er de la loi n° 2017-1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique.

([63])  Articles 435-2 et 435-4 du code pénal.

([64])  Recommandation prise sur la base de l’article 1er de la Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales du 17 décembre 1997 qui figure dans un rapport d’octobre 2012 et reprise dans un rapport de décembre 2014 (rapports de phase 3 sur la France).

([65]) Recommandation prise sur la base de l’article 12 de la Convention pénale sur la corruption (STE 173) de 1999 qui figure dans le rapport du GRECO portant sur la France de février 2009, et reprise notamment dans le rapport de décembre 2014 dans le cadre du troisième cycle d’évaluation.

([66])  Recommandation prise sur la base de l’article 18 de la Convention des Nations Unies contre la corruption de 2003 qui figure dans le rapport d’examen 2010-2015 portant sur la France.

([67])  Amendement n° CL208, déposé en commission des Lois à l’Assemblée nationale, à l’occasion de l’examen du texte en première lecture.

([68])  Amendements n° 92 rectifié et 146, identiques, déposé en séance publique à l’Assemblée nationale à l’occasion de l’examen du texte en nouvelle lecture.

([69])  Assemblée nationale, XIVe législature, deuxième session extraordinaire de 2015-2016, compte rendu intégral, deuxième séance du mercredi 28 septembre 2016.

([70])  Article 432-15 du code pénal.

([71]) Ce dispositif fait l’objet d’une analyse approfondie dans la partie II du présent rapport.

([72]) Rapport d’activité de l’Agence française anticorruption relatif à l’année 2017, page 28.

([73])  Réponse de l’AFA au questionnaire complémentaire transmis par vos Rapporteurs.

([74])  Comme le soulignait le directeur de l’AFA dans sa réponse écrite au questionnaire transmis par vos Rapporteurs, « vous pouvez être appelé devant la commission des sanctions de l’AFA parce que dispositif de compliance comporte un certain nombre de manquements suffisamment significatifs pour que la commission des sanctions soit saisie, alors même que vous n’avez pas commis de fait de corruption et que vous n’êtes aucunement l’objet d’enquêtes ou de poursuites judiciaires. C’est l’originalité du système français, une des premières voies d’amélioration est sans doute de continuer de faire de la pédagogie auprès des parties prenantes sur ce point-là. Dans les systèmes US et UK en effet, la détection de l’infraction pénale est nécessaire à la détection de l’infraction à des normes de compliance, ce qui n’est pas le cas en France ».

([75])  Guide FCPA, p.10: « The FCPA addresses the problem of international corruption in two ways ».

([76])  Guide UKBA, p.20: « In any event procedures put in place to mitigate domestic bribery risks are likely to be similar if not the same as those designed to mitigate those associated with foreign markets. »

([77])  Réponse de l’AFA au questionnaire complémentaire transmis par vos Rapporteurs.

([78])  Ibidem.

([79])  Matthieu Brochier, « Les mesures de lutte contre la corruption de la loi Sapin 2 à la lumière des règles anglo-saxonnes », BRDA 17/17, septembre 2017.

([80]) Les nouvelles recommandations, publiées le 12 janvier 2021, entreront en vigueur six mois après leur publication, soit à partir du 13 juillet, et après la présentation du présent rapport en commission des Lois. Vos Rapporteurs rappellent que les auditions ont été conduites entre la mi-janvier et la fin du mois de mai 2021 : le retour d’expérience qui a été présenté par les personnes auditionnées se fonde donc essentiellement sur le référentiel anticorruption en vigueur entre 2017 et le premier semestre 2021.

([81])  13 contributions ont ainsi été transmises par des associations, 7 par des fédérations professionnelles, 6 par des cabinets d’avocats, 5 par des administrations centrales, 5 par des personnes physiques, 4 par des consultants et 2 par des ONG.

([82]) Voir notamment Ondine Delaunay et Lucy Letellier, « Dispositifs de conformité : une nouvelle étape est franchie », La Lettre des juristes d’affaires, 22 mars 2021.

([83]) Rapport annuel de l’AFA, page 20.

([84]) Contribution de l’IFACI précitée.

([85]) Voir notamment Sophie Scemla et Diane Paillot de Montabert, « Les nouvelles recommandations de l’AFA publiées le 12 janvier 2021 renforcent les obligations des entreprises et de leurs dirigeants », Gide Actualités et publications, 1er févier 2021.

([86]) William Feugère « Nouvelles recommandations de l’AFA : révision ou révolution ? », Dalloz Actualité, 2 février 2021.

([87]) Bruno de Roulhac, « Le formalisme du nouveau référentiel anticorruption pèse sur les entreprises », L’Agefi, 1er février 2021.

([88])  Agence française anticorruption, Diagnostic national sur les dispositifs anticorruption dans les entreprises, résultats de l’enquête 2020, septembre 2020.

([89])  26 % des entreprises non assujetties ayant été confrontées à un cas de corruption dans les 5 dernières années, contre 67 % des entreprises assujetties.

([90])  Réponse de l’AFA au questionnaire de vos Rapporteurs. Ces éléments sont également développés aux pages 20 et 21 du rapport annuel.

([91]) Étude réalisée par la plateforme Ethicorp et l’Association française des juristes d’entreprises en 2019 et publiée en 2020 (disponible en ligne).

([92]) Voir le iii du a du présent 2, ainsi que l’interview de M. Charles Duchaine à Dalloz Actualité, « Nouvelles recommandations de l’AFA », datée du 15 février 2021 : « nous nous sommes clairement dévoilés dans cette nouvelle mouture en posant un référentiel minimum pour les acteurs publics là où la loi restait silencieuse ».

([93])  Assemblée nationale, deuxième séance du 6 juin 2016, examen de l’amendement n° 459 de M. Olivier Marleix.

([94])  Agence française anticorruption, Enquête sur la prévention de la corruption dans le service public local, Rapport d’analyse, novembre 2018. Cette enquête s’est fondée sur l’envoi d’un questionnaire relayé par les associations à l’ensemble des collectivités. Cette méthodologie comporte certes de nombreux biais, aussi les résultats doivent-ils être pris avec précaution. Deux autres enquêtes ont également été lancées par l’AFA en 2019, visant à faire un état des lieux des mesures déployées au sein de chaque ministère pour la première, et au sein des opérateurs publics, pour la seconde. Leurs résultats n’ont pas encore été rendus publics. Enfin, l’AFA a indiqué à vos Rapporteurs qu’une nouvelle enquête sur le secteur public local serait publiée en 2021.

([95])  Agence française anticorruption, rapport annuel d’activité 2020, page 22.

([96])  Voir le compte rendu intégral de la première séance du mardi 8 novembre 2016 : « Pour que l’ensemble des dispositions de ce texte entrent en vigueur rapidement, il faudra que les mesures d’application nécessaires soient adoptées dans un bref délai. J’y serai évidemment très attentif. »

([97]) Lefigaro.fr avec AFP, « Agence anticorruption: le magistrat Charles Duchaine nommé », 9 novembre 2016.

([98]) Décret n° 2017-329 et arrêté du 14 mars 2017 précités.

([99])  Arrêté du 19 décembre 2019 précité.

([100])  Décret du 17 mars 2017 portant nomination du directeur de l’Agence française anticorruption.

([101])  Arrêtés du 5 mai 2017 n°1 et n° 2 et arrêté du 10 mai 2017 portant nomination au conseil stratégique de l’Agence française anticorruption.

([102])  Décret du 28 juillet 2017 portant nomination des membres de la commission des sanctions de l’AFA.

([103]) Réponse au questionnaire transmis par vos Rapporteurs.

([104])  Réunion de la commission des Lois de l’Assemblée nationale du mercredi 25 mai 2016 à 10 h 30.

([105]) Emmanuel Jarry, « Le patron de l’agence anticorruption réclame plus de moyens », Reuters, 15 décembre 2017 : « “La deuxième limite est que nos contrôles portent sur l’existence de mécanismes préventifs et que nous n’avons pas, par conséquent, de pouvoirs d’investigation très forts”, ajoute-t-il. “Nos contrôles ne nous amèneront à mettre au jour des faits de corruption que de manière assez accidentelle.” »

([106]) Voir le b du présent 2.

([107]) « Contrôles des entités assujetties à l’article 17 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016. Questionnaire et pièces à fournir » (disponible en ligne).

([108]) Décision 2019-01 du 4 juillet 2019 précitée, considérant 9.

([109]) Réponse de l’AFA au questionnaire transmis par vos Rapporteurs.

([110])  L’article L. 511-33 du code monétaire et financier prévoit qu’il ne peut être dérogé au secret bancaire que dans des cas prévus par la loi. De même, l’article L. 822-15 du code de commerce fait référence à des dispositions législatives particulières pour lever le secret des commissaires aux comptes.

([111]) Communiqué de la commission des sanctions du 7 février 2020.

([112])  Voir notamment Charles-Henri Boeringer, Thomas Baudesson, Alice Dunoyer de Segonzac et Karima Chaïb, « Analyse de la deuxième décision de la commission des sanctions de l’AFA », Clifford Chance Client Briefing, 21 juillet 2020.

([113]) Les paragraphes 10 et 11 des recommandations précisent ainsi que « Ces recommandations sont opposables à l’AFA dans le cadre de ses activités de contrôle, en ce sens que les organisations mentionnées [soumises à l’obligation de mettre en place un dispositif anticorruption] peuvent s’en prévaloir si elles ont décidé de s’y conformer ».

Ainsi, une organisation [soumise à l’obligation de mettre en place un dispositif anticorruption] qui indique lors d’un contrôle de l’AFA avoir suivi les présentes recommandations bénéficie d’une présomption simple de conformité. Celle-ci ne peut être renversée que par la démonstration par l’AFA d’une application non effective, incorrecte ou incomplète des recommandations. »

([114]) Voir par exemple Nicolas Tollet, « Une première entreprise française sous les feux des sanctions anti-corruption », Le Monde, 1er juillet 2019.

([115])  Au sein du département des acteurs économiques : 11 agents contractuels provenant de cabinets d’audit, d’inspection bancaire ou de fonctions de conformité de grandes entreprises ; au sein du département des acteurs publics : 6 agents sont venus renforcer la maîtrise des principaux processus inhérents à la gestion publique (commande publique et maîtrise d’ouvrage publique, GRH publique) et des techniques de contrôle dans la sphère publique.

([116])  En substituant à l’organisation alors en place, fondée sur l’existence de trois sections (composées chacune d’un chef de section et de six agents) censées disposer de l’ensemble des compétences nécessaires au contrôle des acteurs économiques, une organisation en deux sections, l’une compétente pour les contrôles d’initiative, l’autre pour la gestion des contradictoires, les contrôles d’avertissement et d’exécution, ainsi que les dossiers dont la commission des sanctions est saisie.

([117]) Un premier guide sectoriel, sur le BTP, en cours de concertation avec les fédérations professionnelles concernées, devrait ainsi être diffusé en 2021 ; d’autres guides sur les secteurs bancaires et des assurances sont également prévus.

([118])  Cette modalité de contrôle a ainsi été retenue, à la fin de 2019, pour le contrôle des structures organisatrices des JO 2024. Ce choix, exigeant pour l’AFA puisqu’impliquant, pour un même contrôle, la mobilisation de moyens humains dans la durée, s’explique par le profil de risque très particulier de ces deux acteurs (organismes de mission soumis à de fortes contraintes de calendrier, risque d’atteinte à l’image de l’État).

([119]) Réponse de l’AFA au questionnaire transmis par vos Rapporteurs.

([120])  Article 3 du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 avril 2021. Voir le rapport fait au nom de la commission des Lois sur le projet de loi organique et sur le projet de loi par M. Stéphane Mazars, rapporteur, XVème législature, n° 4091 et 4092, le 7 mai 2021.

([121]) Il s’agit de « La fonction conformité anticorruption dans l’entreprise », « Les vérifications anticorruption dans le cadre des fusions-acquisitions », « La peine de programme de mise en conformité », « Maîtriser le risque de corruption dans le cycle de l’achat public » (co-élaboré avec la Direction des achats de l’État), ainsi que « La politique cadeaux et invitations dans les entreprises, les EPIC, les associations et les fondations ».

([122])  L’ensemble des résultats relatifs aux actions de formation sont présentés dans le a du 1 du B du I.

([123])  Le plan est accessible sur le site internet de l’Agence française anticorruption (lien).

([124])  United Kingdom Anti-corruption Strategy 2017-2022 (en ligne).

([125])  Le rapport du GRECO fait d’ailleurs référence au « plan national pluriannuel de lutte contre la corruption 2019-2021 », adopté le 25 octobre 2019, mais dont la publication avait finalement été repoussée au début de l’année 2020.

([126])  Voir par exemple : David Pauget, « Lutte contre la corruption : pourquoi la France peut mieux faire », L’Express, le 23 janvier 2020.

([127]) Voir les études précitées.

([128])  Prévention de la corruption Contributions des services économiques des pays suivants : Allemagne, Brésil, Espagne, Italie Mexique, Pays-Bas, Russie, Ukraine, janvier 2018.

([129])  Cartographie mondiale des autorités anticorruption. Rapport d’analyse, mai 2020.

([130]) Suite à l’échec de l’appel à projets de recherche lancé en 2019 par la Mission de recherche droit et justice portant sur « les atteintes à la probité en France », proposé conjointement par l’AFA et la DACG, un projet de recherche a ainsi été initié par la Mission de recherche Droit et Justice, en concertation avec l’AFA, à la fin de l’année 2020, et a abouti à une première publication en mars 2021, intitulée « La corruption vue par les sciences humaines et sociales, État de l’art », conduite par M. Maxime Agator, doctorant en sociologie.

([131])  Réponse de l’AFA au questionnaire transmis par la mission.

([132])  Concernant les dépenses immobilières, l’AFA loue par ailleurs un immeuble dont le loyer annuel hors charges inscrit dans le bail s’élève à 0,8 million d’euros.

([133]) Lois n° 2019-812 du 1er août 2019 relative à la création de l’Agence nationale du sport et à diverses dispositions relatives à l’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et n° 2018-202 du 26 mars 2018 relative à l’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.

([134])  Article 24 de la loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes, discutée parallèlement à la loi organique n° 2017‑54 du 20 janvier 2017 relative aux autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes.

([135])  Assemblée nationale, deuxième séance du 6 juin 2016, amendement n° 795. Inscrit sur l’article, M. de Courson relevait également : « Ce "service", ainsi qualifié dans l’article 1er du projet de loi, est un peu comme le Canada Dry : il a toutes les apparences d’une autorité administrative indépendante, sans en avoir la qualité. Qu’est-ce en effet qu’un service qui est sous l’autorité d’un ministre qui, une fois nommé, ne peut lui donner d’instruction ? C’est bizarre ! Cela s’appelle une autorité administrative indépendante. Pourquoi lui avoir refusé ce statut ? Êtes-vous ouvert, puisque vous êtes le seul, monsieur le ministre, à pouvoir déposer l’amendement, à le lui donner ? ».

([136])  Assemblée nationale, 2ème séance du 6 juin 2016, JO p. 3916.

([137]) Assemblée nationale, deuxième séance du lundi 6 juin 2016 : « Je m’inquiète pour la santé mentale du futur enfant dont nous sommes en train d’accoucher, monsieur le ministre, et je crains vraiment qu’il ne soit schizophrène. Vous lui confiez en effet deux objectifs assez différents : d’une part, la lutte contre la corruption – c’est l’objet de l’ensemble du texte – d’autre part, une manière de pilotage de cette "loi de blocage" de 1968, dont l’esprit est tout à fait différent puisque sa finalité est de défendre la souveraineté nationale en interdisant à ce titre la transmission d’informations permettant de mettre à jour des faits de corruption à des autorités étrangères – eussent-elles pour objectif de lutter contre la corruption – dès lors que cela pourrait porter atteinte à des enjeux liés à la souveraineté nationale. Je crains donc que vous rendiez l’Agence schizophrène en lui faisant assumer deux objectifs totalement contradictoires, dont les finalités diffèrent complètement. »

([138]) 2° à 7° de l’article 3 de la loi Sapin 2.

([139]) « Pour un droit européen de la compliance », Rapport du Club des juristes, novembre 2020.

([140]) Voir le 5 du B du II.

([141]) Voir le 3 du A du II.

([142])  Rapport du Club de juristes précité.

([143]) L’agence indiquait ainsi dans l’enquête de 2018 précitée que « ces outils anticorruption doivent être adaptés à la situation spécifique de chaque acteur et tenant compte de ses moyens et de sa taille. Cela implique que les petites collectivités ne peuvent rester inactives en la matière. Elles peuvent à tout le moins concentrer leurs efforts sur la prévention des atteintes à la probité dans les processus clés que sont : le recrutement, la commande publique, la gestion budgétaire et comptable (dépenses et recettes), l’attribution de subventions ou encore les procédures conduisant à une autorisation ou à une décision d’attribution (urbanisme, droits de voirie, obtention d’une place en crèche ou d’un logement social). »

([144])  op. cit.

([145]) Documents annexés à la Note exposant les motifs des propositions de la Haute Autorité en matière de politique de prévention de la corruption, datée du 6 mai 2021.

([146])  Agence française anticorruption, rapport annuel d’activité 2020.

([147])  L’agence évoquait ainsi les sociétés publiques locales (SPL), des sociétés d’économie mixte à opération unique (SEMOP), des sociétés publiques locales d’aménagement (SPLA), des sociétés publiques locales d’aménagement d’intérêt national (SPLA-IN), des sociétés d’économie mixte d’aménagement à opération unique (SEMAOP), des associations faisant appel à la générosité publique, et des fondations et coopérations scientifiques (FCS).

([148])  Projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (n° 588, session ordinaire 2020-2021), enregistré à la Présidence du Sénat le 12 mai 2021.

([149])  Circulaire de politique pénale en matière de lutte contre la corruption internationale du garde des sceaux, ministre de la justice, le 2 juin 2020.

([150])  Éliane Houlette, « Des dispositifs répressifs innovants : la convention judiciaire d’intérêt public, le monitoring, la peine de programme de mise en conformité », propos tenus lors du colloque De la conformité à la justice négociée, actualité de la lutte anticorruption, le 17 mai 2018, et extraits de l’article « Le parquet national financier : le perpétuel défi de la lutte contre la grande criminalité financière », Revue Justice Actualités, n° 19, juin 2018.

([151])  Conseil d’État, avis du jeudi 24 mars 2016. Le Conseil d’État critiquait notamment l’absence de contradiction et de débat public, en dehors de l’audience prévue pour homologuer la convention, ainsi que la faible place laissée aux victimes. Il considérait par ailleurs que la procédure ne pourrait s’appliquer à l’ensemble des faits de corruption et de trafic d’influence, mais devrait rester cantonnée aux faits de corruption transnationale.

([152]) Amendement n° CL331 de Mme Sandrine Mazetier, adopté lors de la réunion de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République de l’Assemblée nationale, du mercredi 25 mai 2016 à 16 heures 15 .

([153])  Circulaire du directeur des affaires criminelles et des grâces du 31 janvier 2018 relative à la présentation et la mise en œuvre des dispositions pénales prévues par la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique

([154])  Dépêche 2019/F/0419/FA1 du 21 mars 2019 de présentation et des modalités d’échanges entre les parquets et l’Agence française anticorruption.

([155])  Lignes directrices du 26 juin 2019 sur la mise en œuvre de la CJIP.

([156])  Ce champ a par la suite été étendu (voir le 2 du présent A).

([157]) Circulaire du  DACG du 31 janvier 2018 précitée.

([158]) Lignes directrices AFA-PNF du 26 juin 2019 précitées.

([159])  Thomas Baudesson et Charles Merveilleux du Vignaux, dossier thématique publié dans la Revue internationale de la compliance et de l’éthique des affaires, février 2021 : « Cette pratique fait de la CJIP un outil plus souple que ses homologues anglo-saxons. Pour le DOJ et le SFO, les facteurs d’intérêt public sont des conditions d’ouverture du DPA : leur absence rend le recours à cet outil impossible. Pour les procureurs français, ils constituent des critères d’appréciation du quantum de l’amende : leur absence n’empêche pas la conclusion d’une CJIP, mais rend ses termes plus lourds pour la personne mise en cause. »

([160])  Le Conseil d’État relevait : « En outre, la victime se trouve privée d’une participation personnelle au procès pénal et son intervention est cantonnée à une demande d’indemnisation devant une juridiction civile. Le Conseil d’État a estimé qu’il en résultait qu’une procédure de type transactionnel ne saurait être prévue par la loi que dans les cas où les inconvénients qu’elle comporte, tant pour la protection des droits des personnes mises en cause et de la victime que pour la sauvegarde des intérêts de la société, n’apparaissent pas disproportionnés au regard de l’intérêt que sa mise en œuvre présente pour une bonne administration de la justice. ».

([161])  Rapport précité, fait au nom de la commission des Lois de l’Assemblée nationale par M. Sébastien Denaja, député, XIVème législature, n° 3785 et 3786, le 26 mai 2016.

([162]) La loi prévoyait que la décision de validation était rendue par le président du tribunal de grande instance compétent, devenu tribunal judiciaire.

([163])  Assemblée nationale, 2e séance du 7 juin 2016.

([164])  Thomas Baudesson et Charles Merveilleux du Vignaux, dossier thématique publié dans la Revue internationale de la compliance et de l’éthique des affaires, février 2021, op. cit.

([165])  Art. 495-7 et suivants du code de procédure pénale.

([166]) Voir notamment la réponse de M. Sebastien Denaja sur l’amendement CL463 de Mme Delphine Batho : « En ce qui concerne l’amendement CL463, j’en comprends l’intention, mais la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ne me paraît pas adaptée au domaine très particulier de la corruption internationale, en raison des écueils qui viennent d’être signalés. La reconnaissance de culpabilité empêche d’accéder ensuite aux marchés publics internationaux, notamment américains, ce qui risque de dissuader les personnes morales de s’orienter vers ce mécanisme. Je suis donc défavorable à cet amendement. »

([167])  La publication de ces éléments avait initialement été prévue sur le seul site internet de l’Agence française anticorruption, mais cela a été modifié pour accompagner les évolutions du champ du dispositif (voir infra).

([168])  Article 25 de la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.

([169])  M. Éric Diard (président) et Mme Émilie Cariou (rapporteure), rapport de la mission d’information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales, Assemblée nationale, XVème  législature, n° 982, 23 mai 2018 (lien).

([170])  Article 14 de la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée

([171])  Article 15 de la loi n° 2020-1672 précitée.. Cette CJIP « environnementale » est prévue aux articles 41-1-3 et 180-3 du code de procédure pénale.

([172])  Interview de M. Jean-François Bohnert par M. Pierre Januel précitée.

([173])  Réponse de Me Alexandre Bisch au questionnaire envoyé par la mission.

([174])  Emmanuel Daoud et Hugo Partouche, « Étude comparative des CJIP : bilan et perspectives », Dalloz actualité, 27 avril 2020.

([175])  « Pour un droit européen de la compliance », Rapport du Club des juristes, novembre 2020.

([176])  Réponse de Me Alexandre Bisch au questionnaire envoyé par la mission.

([177]) L’article 41-1-3 du code de procédure pénale prévoit ainsi que : « L’ordonnance de validation, le montant de l’amende d’intérêt public et la convention sont publiés sur les sites internet du ministère de la justice, du ministère chargé de l’environnement et de la commune sur le territoire de laquelle l’infraction a été commise ou, à défaut, de l’établissement public de coopération intercommunale auquel la commune appartient. »

([178])  Dernier alinéa de l’article 800‑1 du code de procédure pénale.

([179])  « Nous sommes en capacité de travailler à armes égales avec les autorités judiciaires anglo-saxonnes », Interview de M. Jean-François Bohnert par M. Pierre Januel, Dalloz Actualité, 18 mars 2020.

([180])  Rapport fait au nom de la commission des Lois de l’Assemblée nationale par M. Sébastien Denaja, député, XIVème législature, n° 4045 et 4046, le 21 septembre 2016.

([181])  Quatorze sociétés ont ainsi été sanctionnées à l’occasion des douze CJIP, deux conventions ayant porté sur deux sociétés simultanément.

([182])  Compte-rendu des débats en commission, rapport sur le projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée (n° 2731), fait par Mme Naïma Moutchou, députée.

([183])  Pauline Dufourcq, « Justice négociée : les enseignements de la convention judiciaire d’intérêt public Airbus », Dalloz Actualité, 18 février 2020.

([184])  Loi n° 68-678 du 26 juillet 1968 relative à la communication de documents et renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères.

([185])  Emmanuel Daoud et Hugo Partouche, « Étude comparative des CJIP : bilan et perspectives », Dalloz actualité, 27 avril 2020.

([186])  Guillaume Daïeff et Ghislain Poissonnier, « CJIP avec Airbus : les derniers freins à l’autorévélation des faits levés », Gazette du Palais n° 12, 24 mars 2020.

([187])  CJIP signée entre le procureur de la République financier et Airbus SE, § 45-46.

([188])  Guillaume Daïeff et Ghislain Poissonnier, op. cit.

([189]) Introduit par l’article 18 de la loi Sapin 2.

([190]) Il s’agit de l’obligation de mettre en œuvre : 1° un code de conduite, 2° un dispositif d’alerte interne, 3° une cartographie des risques, 4° des procédures d’évaluation de la situation des clients, fournisseurs de premier rang et intermédiaires, 5° des procédures de contrôles comptables, internes ou externes, 6° un dispositif de formation, 7° un régime disciplinaire.

([191])  Article 764-44 du code de procédure pénale. Voir également le guide réalisé par l’AFA sur la peine de programme de mise en conformité.

([192]) « Convention judiciaire d’intérêt public : Lignes directrices PNF/AFA. Quel encouragement à l’auto-dénonciation ? », Étude par Antoine Kirry, Alexandre Bisch et Ariane Fleuriot, La semaine juridique entreprise et affaires, 30 avril 2020, hebdomadaire, n° 18.

([193])  Interview de M. Guillaume Daïeff, « CJIP : la protection s’applique aux documents et aux déclarations recueillis au cours de la procédure », Éditions législatives, 25 avril 2019.

([194])  Thomas Baudesson et Charles Merveilleux du Vignaux, dossier thématique publié dans la Revue internationale de la compliance et de l’éthique des affaires, février 2021.

([195])  Rapport du Club des juristes précité.

([196]) Assemblée nationale, 2e séance du 7 juin 2016. Le rapporteur de la commission des Lois comme le ministre avaient émis un avis défavorable à l’amendement d’appel de votre rapporteur, sur le fondement de sa rédaction.

([197]) Charles-Henri Boeringer et Guillaume Courvoisier-Clément, « La convention judiciaire d’intérêt public en enquête préliminaire. Des améliorations souhaitables pour un meilleur équilibre des droits des parties », AJ Pénal, 2020, p.455.

([198])  Charles-Henri Boeringer et Guillaume Courvoisier-Clément, op. cit.

([199])  François-Xavier Dulin, « Le rôle du parquet dans le choix de la sanction des infractions économiques et financières », AJ Pénal, 2019. La banque a fait appel.

([200]) Rapport de M. Raphaël Gauvain précité.

([201])  Assemblée nationale, 2e séance du 7 juin 2016.

([202])  Pauline Dufourq et Capucine Lanta de Berard, « Justice négociée : quel sort pour les personnes physiques ? », Dalloz Actualité, le 9 septembre 2019.

([203])  Syndicat de la magistrature, « Observations sur la mise en œuvre de la loi sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique dite loi Sapin 2 », le 5 juin 2020.

([204]) Pauline Dufourq et Capucine Lanta de Berard, op. cit.

([205])  D. Soulez-Larivière, Avis du Comité d’éthique du barreau de Paris sur l’application de la loi Sapin II, JCP, n° 20, mai 2019

([206]) « L’affaire Bolloré ou les limites d’une justice pénale négociée », Par Emmanuelle Brunelle, Manon Lachassagne, Sélim Brihi et Amaury Bousquet le 23 Mars 2021, Dalloz Actualité.

([207])  Amendement n° CF117 déposé par Mme Naïma Moutchou, rapporteure. La rapporteure précisait qu’il était important « de gagner en cohérence […] et de ne pas créer d’inégalité de traitement entre les personnes morales et physiques. On peut difficilement comprendre qu’une même procédure se termine par une transaction d’un côté et par des poursuites classiques de l’autre. Je vous propose, par cohérence, de lier le sort des entreprises à celui des personnes, et d’adapter pour cela à la marge la procédure de composition pénale ».

([208])  M. Dupont-Moretti, garde des Sceaux, précisait ainsi : « Il ne nous semble pas possible de prévoir a priori un mode de poursuites unique pour des faits qui seront nécessairement variés. Le fait que le procureur de la République ait proposé une CJIP à la personne morale ne préjuge en rien des faits commis par ses représentants légaux, actuels ou anciens. Le parquet peut vouloir engager d’autres poursuites devant un tribunal ; la composition pénale peut être inadaptée »

([209])  Simon Piel, « Dans une affaire de corruption en Afrique, la justice française refuse le plaider-coupable de Vincent Bolloré », 26 février 2021, et « Affaire Bolloré : nouveau revers pour le Parquet national financier », Le Monde, 7 mai 2021.

([210]) « Justice pénale négociée : quels rapports entre la responsabilité des entreprises et celle des dirigeants », par Bernard Cazeneuve, Benjamin Van Gaver et Alexandre Mennuci, Dalloz Actualité, 26 mars 2021.

([211]) Cazeneuve et al., op. cit.

([212]) Réponse de l’AFA au questionnaire de la mission.

([213])  Dans l’affaire dite « Bolloré », la première vice-présidente du tribunal judiciaire de Paris a successivement validé la CJIP conclue avec les personnes morales avant d’ordonner le refus d’homologation suite à CRPC pour les personnes physiques (ordonnance de validation n° 28/2021 du 26 février 2021, Tribunal judiciaire de Paris, 26 février 2021, n° 12111072209)

([214])  Commentaire de la décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

([215])  Décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, § 107.

([216]) Aux termes de l’article 495-11-1 du CPP : « Sans préjudice des cas dans lesquels les conditions prévues au premier alinéa de l’article 495-11 ne sont pas remplies, le président peut refuser l’homologation s’il estime que la nature des faits, la personnalité de l’intéressé, la situation de la victime ou les intérêts de la société justifient une audience correctionnelle ordinaire ou lorsque les déclarations de la victime entendue en application de l’article 495-13 apportent un éclairage nouveau sur les conditions dans lesquelles l’infraction a été commise ou sur la personnalité de son auteur. »

([217])  G. Daïeff et G. Poissonnier, « Les premiers pas prometteurs de la justice négociée », JCP, 2018.

([218]) Rapport de M. Raphaël Gauvain précité, p. 36.

([219]) Cass. crim., 28 février 2018, n° 17-81.929.

([220]) Cour d’appel de Paris, 29 août 2018, n° 16/13810.

([221]) Conseil d’État, 2 mars 2020, n° 418640.

([222]) Vademecum de l’avocat chargé d’une enquête interne du 13 septembre 2016, modifié le 10 décembre 2019, annexé au Règlement intérieur du Barreau de Paris.

([223]) Guide du Conseil national des Barreaux, « L’avocat français et les enquêtes internes », 12 juin 2020.

([224]) Rapport sur les droits de la défense des personnes physiques dans l’enquête interne, dirigé par Mme Dorothée Hever, mars 2021.

([225]) Auteure de l’étude du Conseil d’État, Le droit d’alerte : signaler, traiter, protéger, La Documentation française, février 2016.

([226]) CEDH 12 février 2008, Guja c. Moldavie, n° 14277/04 et 18 octobre 2011, Sosinowska, n° 10247/09.

([227]) Conseil d’État, 27 octobre 1999, Solana, n° 196306.

([228]) Article L. 4131-1 du code du travail.

([229]) Article L. 4131-3 du code du travail.

([230]) Cass. Soc., 5 juillet 2011, n° 10-23. 319.

([231]) Article L. 4131-2 du code du travail.

([232]) Article L. 2313-2 du code du travail.

([233]) Articles L. 1132-3, L. 1152-2 et L. 1153-3 du code du travail.

([234]) Article L. 1161-1 du code du travail.

([235]) Articles L. 5311-1 et L. 5312-4-2 du code de la santé publique.

([236]) Article L. 1132-3-3 du code du travail et 6 ter A de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

([237]) Article L. 861-3 du code de la sécurité intérieure.

([238]) L’article 226-10 du code pénal punit la dénonciation calomnieuse de 5 ans de prison et 45 000 euros d’amende.

([239]) Étude du Conseil d’État, Le droit d’alerte : signaler, traiter, protéger, op. cit.

([240]) Étude du Conseil d’État, op. cit., p. 46.

([241]) Étude du Conseil d’État, op. cit., p. 45.

([242]) L’article 16 présente une particularité : la possibilité de signaler directement les faits à l’AMF ou à l’ACPR sans passer par le canal interne afin d’assurer une réponse plus rapide aux risques encourus.

([243]) Article 6 de la loi Sapin 2.

([244]) En l’occurrence, l’auteur du signalement reprochait à son employeur d’avoir remis en cause son droit à communiquer librement avec les syndicats (Casse. Soc. 4 novembre 2020, n° 18-15669).

([245]) À l’exception du secret de la défense nationale, du secret médical et du secret des avocats (voir supra).

([246]) Article L. 1132-3-3 du code du travail.

([247]) Article 6 ter A de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

([248]) Initialement, l’article 3 du projet de loi confiait cette mission à l’Agence française anticorruption.

([249]) Décision n° 2016-740 DC du 8 décembre 2016, Loi organique relative à la compétence du Défenseur des droits pour l’orientation et la protection des lanceurs d’alerte, cons. 5.

([250]) En première lecture, le législateur avait choisi la formule : « sans espoir d’avantage propre ni volonté de nuire à autrui ».

([251])  Ces dispositifs sont contrôlés par l’AFA dans le cadre de ses missions (voir supra).

([252]) II de l’article 5 du décret n° 2017-564 du 19 avril 2017 relatif aux procédures de recueil des signalements émis par les lanceurs d’alerte au sein des personnes morales de droit public ou de droit privé ou des administrations de l’État.

([253]) Contribution écrite à la mission du collectif « La Maison des lanceurs d’alerte ».

([254]) Casse. Soc. 8 juillet 2020, n° 18-13593.

([255]) Cour d’appel d’Amiens, 5ème chambre prud’homale, 9 janvier 2020, n° 18-00584.

([256]) Voir infra.

([257]) Décret n° 2017-564 du 19 avril 2017 relatif aux procédures de recueil des signalements émis par les lanceurs d’alerte au sein des personnes morales de droit public ou de droit privé ou des administrations de l’État.

([258]) Voir supra.

([259]) Voir la partie consacrée à l’AFA.

([260]) Décret n° 2017-564 du 19 avril 2017 relatif aux procédures de recueil des signalements émis par les lanceurs d’alerte au sein des personnes morales de droit public ou de droit privé ou des administrations de l’État.

([261]) Enquête du Défenseur des droits menée fin 2018, Rapport annuel d’activité 2019, p. 73.

([262]) Article 20 de la directive n° 2019/1937 du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union.

([263]) Articles 63 à 70 du code de procédure civile.

([264]) Voir par exemple le formulaire pour les demandes CIVI : https://www.fondsdegarantie.fr/wp-content/uploads/2020/05/Formulaire-cerfa-12825_04.pdf

([265])  Pour les entreprises de 50 à 249 salariés, les obligations de la directive s’appliqueront à compter du 17 décembre 2023.

([266]) Rapport de M. Sébastien Denaja fait au nom de la commission des Lois de l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, p. 85, p. 167.

([267]) Ancien article L. 3511-4 du code de la santé publique précisé ensuite par l’ordonnance n° 2016-623 du 19 mai 2016 portant transposition de la directive 2014/40/UE sur la fabrication, la présentation et la vente des produits du tabac et des produits connexes.

([268]) Articles 1er à 4 de la loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé.

([269]) Article 13 du projet de loi initial relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, (n° 3623).

([270]) Article 18-2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.

([271]) Rapport de M. Sébastien Denaja fait au nom de la commission des Lois de l’Assemblée nationale en nouvelle lecture précité, p. 85.

([272]) Article 18-4 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.

([273]) Article 18-5 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013  relative à la transparence de la vie publique.

([274]) Article 18-7 de la loi précitée.

([275]) Articles 18-9 et 18-10 de la loi n° 2013-907 de la loi précitée.

([276]) Décision n° 92-316 DC du 20 janvier 1993, Loi relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, cons. 36.

([277])  Article 18-5 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.

([278]) Voir le rapport annuel d’activité 2020 de la HATVP, p. 110 et suivantes.

([279])  Voir infra.

([280])  Articles créés par l’article 25 de la loi Sapin 2.

([281]) Article 1er du décret du 9 mai 2017.

([282]) « Les Sages sous influence, Le lobbying auprès du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État », rapport d’enquête des Amis de la Terre et de l’Observatoire des multinationales, juin 2018.

([283]) Article L. 137-1 du code de justice administrative.

([284]) Décision n° 92-316 DC du 20 janvier 1993, Loi relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, cons. 39.

([285]) Décision n° 2016-741 DC du 8 décembre 2016, Loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, cons. 45.

([286]) Article 65 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance.

([287]) Article 26 de la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire.

([288]) Rapport annuel de la HATVP 2020, p. 124.

([289]) Rapport annuel de la HATVP 2017, p. 87.

([290])  Voir supra.