N° 4325
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le mercredi 7 juillet 2021.
RAPPORT D’INFORMATION
déposé
en application de l’article 145-7 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE,
En conclusion des travaux d’une mission d’information ([1])
sur l’évaluation de l’impact de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « loi Sapin 2 »
et présenté par
MM. Raphaël GAUVAIN et Olivier MARLEIX,
Rapporteurs,
Députés
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La mission d’information sur l’évaluation de l’impact de la loi n° 2016‑1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « loi Sapin 2 » est composée de MM. Raphaël Gauvain et Olivier Marleix, rapporteurs.
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SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION GÉNÉRALE : ENJEUX ET CONTEXTE
a. Des dispositifs peu contraignants et des infractions faiblement sanctionnées
A. Un projet de loi, enrichi par le législateur, qui abordait la corruption sous différents angles
2. Une loi rapidement opérationnelle
B. Une loi de soutien à l’ensemble de la vie économique du pays
III. le contexte de la prÉsente mission d’Évaluation
a. Le contexte de la création de l’Agence française anticorruption
a. Les mesures et procédures de prévention et de détection de la corruption
b. Les pouvoirs de contrôle et de sanction de l’agence
ii. Le contrôle de la mise en œuvre des programmes de conformité (le « monitoring »)
iii. Le contrôle de la mise en œuvre des injonctions prononcées par la commission des sanctions
B. La loi renforce l’arsenal rÉpressif en matière de lutte contre la corruption
1. L’extension de la peine complémentaire de publicité ou d’affichage de la condamnation
2. L’extension de l’infraction de trafic d’influence aux agents publics étrangers
5. La convention judiciaire d’intérêt public
b. La mise à jour des recommandations de l’AFA de janvier 2021
2. La diffusion du dispositif est satisfaisante auprès des acteurs économiques assujettis
3. Dans le secteur public, la diffusion du dispositif est en revanche bien plus faible
1. L’Agence française anticorruption a rapidement été opérationnelle
a. Les difficultés rencontrées lors des premiers contrôles
iii. Le caractère exhaustif des contrôles
iv. La conduite de la phase contradictoire
v. La tonalité générale des rapports
c. L’agence a pris conscience de ces difficultés et a fait évoluer ses méthodes de contrôle
i. L’amélioration de la gestion des ressources humaines de l’agence
ii. La diversification des contrôles et le développement des contrôles thématiques
iii. Les solutions apportées aux difficultés tenant à l’application du secret professionnel
iv. La formalisation des rapports
3. Les activités de conseil et d’accompagnement de l’AFA sont bien assurées
b. La valeur ajoutée du conseil stratégique de l’agence est faible
5. Les moyens de l’agence n’ont pas atteint les ambitions initiales
C. renforcer l’application extraterritoriale du dispositif
PARTIE II : LA CONVENTION JUDICIAIRE D’INTÉRÊT PUBLIC
a. La proposition de conclure une CJIP est laissée à l’appréciation du parquet
b. Les obligations prévues par la convention
c. La validation de la convention
d. La CJIP peut être proposée au stade de l’information judiciaire comme de l’enquête préliminaire
2. Un dispositif qui a légèrement évolué depuis son introduction
a. L’extension du champ du dispositif
B. la cjip a rapidement prouvÉ son efficacitÉ
1. Douze CJIP déjà conclues, dont une majorité concernant des faits de corruption
2. L’affirmation de la souveraineté judiciaire de la France
3. L’intérêt de confier à l’AFA le contrôle du programme de mise en conformité
II. des améliorations devraient être apportÉes afin de renforcer l’attractivitÉ du dispositif
A. encourager la RÉvÉlation spontanÉe de faits de corruption
a. Donner à l’entreprise l’assurance qu’elle pourra bénéficier d’une CJIP si elle coopère pleinement
b. Prévoir un barème pour la détermination de l’amende
c. L’intérêt de pratiques communes entre les parquets
2. Faciliter l’engagement de la responsabilité des personnes morales
B. AmÉliorer le cadre applicable À la sanction des personnes physiques
C. favoriser le recours aux enquÊtes internes
Partie III : Le statut des lanceurs d’alerte
I. La loi Sapin 2 a crÉé un statut unifiÉ du lanceur d’alerte
1. Une réforme tardive en comparaison d’autres pays
a. Le droit d’alerte, un concept juridique né aux États-Unis au XIXe siècle
c. Une reconnaissance progressive du droit d’alerte en Europe
2. L’existence de nombreux statuts de protection
1. L’étude du Conseil d’État sur le droit d’alerte a largement inspiré le législateur
a. Un dispositif global qui intègre la plupart des régimes existants
b. Des protections soumises à des critères stricts de recevabilité
i. Un niveau élevé de protection
ii. Des conditions strictes de recevabilité
c. Une hiérarchisation des canaux de signalement
A. Des critÈres de recevabilité exigeants dissuadent certains lanceurs d’alerte
2. La hiérarchie des canaux de révélation expose le lanceur d’alerte aux représailles
2. Dans le cas du secteur public, une mise en œuvre encore inachevée
a. Les administrations centrales se sont dotées de dispositifs internes de recueil des alertes
b. Le retard considérable des collectivités territoriales dans leur mise en conformité
1. Le rôle du Défenseur des droits doit être renforcé
a. Formaliser la reconnaissance du statut de lanceur d’alerte
b. Accroître les moyens du Défenseur des droits pour accompagner les lanceurs d’alerte
a. La couverture du risque financier
b. La protection juridique contre toutes les formes de représailles
Partie IV : Le registre des reprÉsentants d’intérÊts
1. La définition du représentant d’intérêts
2. Le champ des décisions et des décideurs publics concernés
3. Les obligations déclaratives et déontologiques des représentants d’intérêts
B. La mise en œuvre du dispositif par le dÉcret du 9 mai 2017
C. Des avancÉes complémentaires depuis
A. Un bilan en progression mais des obligations difficiles à contrÔler
1. La hausse régulière du nombre et de la qualité des déclarations au registre
B. Une dÉfinition imparfaite de l’activitÉ de reprÉsentants d’intérÊts
1. Une définition large couvrant presque l’ensemble des intérêts et des décisions publiques
2. Un seuil pour l’obligation d’inscription qui entraîne un contournement
a. Le critère de l’initiative exclut un grand nombre d’actions de l’obligation de déclaration
b. La nécessaire responsabilisation des décideurs publics
2. Les informations transmises sont souvent parcellaires
a. L’inégal niveau de précision des déclarations
b. La difficile exploitation des données collectées
D. Une nÉcessaire adaptation au niveau local
LISTE DES RECOMMANDATIONS DE LA MISSION
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INTRODUCTION GÉNÉRALE : ENJEUX ET CONTEXTE
Les organismes internationaux ont accordé, à partir de 1995, une attention soutenue à la lutte contre la corruption. Le président de la Banque mondiale, James Wolfensohn, avait donné le ton en 1996 en évoquant « le cancer de la corruption » ([2]). Un édifice normatif international en matière de lutte contre la corruption a été progressivement construit et son application par chaque État rigoureusement contrôlée, rehaussant progressivement les standards auxquels devait se conformer la France.
En retard dans la mise en œuvre de ses engagements internationaux, la France a fait l’objet de nombreuses critiques et a exposé ses entreprises aux stratégies extraterritoriales de ses concurrents. L’image que notre pays renvoyait, eu égard à la faiblesse de ses outils de lutte contre la corruption et au manque de volonté politique dont elle faisait preuve en la matière, pénalisait son attractivité économique mais aussi la confiance des citoyens dans l’action publique.
C’est en réaction à cette situation que la France a réformé en profondeur sa législation à l’occasion de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi « Sapin 2 », du nom du ministre de l’Économie et des finances qui l’avait portée, M. Michel Sapin ([3]).
Ce texte ambitieux a prévu la mise en œuvre de divers mécanismes internes de prévention de la corruption dans les entreprises et les administrations, contrôlés par une nouvelle structure, l’Agence française anticorruption (AFA), également chargée de la coordination administrative en la matière. Cette loi a aussi renforcé les outils de détection et de répression des faits de corruption, notamment au moyen des conventions judiciaires d’intérêt public (CJIP) et de la création d’un statut unique des lanceurs d’alerte, plus protecteur. Enfin, la loi Sapin 2 a amélioré la transparence des décisions publiques en créant un registre des représentants d’intérêts, confié à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).
Ce sont ces dispositions qui ont été évaluées en détail dans le cadre de la présente mission, qui intervient au moment où la politique anticorruption de la France cherche un second souffle.
I. l’adoption de la loi sapin 2 répondait à la nécessité de renforcer le modèle FRANÇAIS DE lutte contre la corruption
A. la France accusait un certain retard dans un contexte de renforcement des exigences internationales en matière de lutte contre la corruption
1. Les exigences croissantes issues des règles internationales et européennes en matière de lutte contre la corruption
Négociée dans le cadre de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et entrée en vigueur en France le 29 septembre 2000, la Convention du 17 décembre 1997 sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales impose aux États d’incriminer la corruption active d’agent public étranger et de prévoir, à cet effet, des sanctions « efficaces, proportionnées et dissuasives ».
La Convention instaure un dispositif rigoureux de surveillance de sa mise en œuvre par les États parties. Ce suivi prend la forme d’une procédure d’évaluation par les pairs portant sur la transposition de la Convention, son application et sa mise en œuvre. Le pays évalué par le Groupe de travail de l’OCDE sur la corruption ne peut s’opposer à la publication du rapport. La mise en œuvre des recommandations issues de l’évaluation fait l’objet d’un examen dans le cadre d’un rapport de suivi. Face au défaut de mise en conformité d’un État, le Groupe de travail peut adopter différentes mesures supplémentaires, telles la publication d’une déclaration formelle ou la suspension de l’avancement vers la phase suivante.
La même année, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) révisent leurs statuts afin de conditionner leurs financements à la prise en compte du risque de corruption.
La Convention pénale sur la corruption du Conseil de l’Europe du 27 janvier 1999, entrée en vigueur en France le 1er août 2008, se différencie de celle de l’OCDE en ce qu’elle traite l’ensemble des formes de corruption passive et active, y compris dans le secteur privé. Le texte vise également le trafic d’influence, le blanchiment du produit des délits de la corruption et les infractions comptables liées à la corruption.
Le suivi de la mise en œuvre de ces mesures par les États membres est assuré par le Groupe d’États contre la corruption (GRECO) qui évalue régulièrement chaque État membre dans le cadre de cycles portant sur des thématiques précises ([4]). Les recommandations formulées à l’occasion de ces visites doivent être mises en œuvre dans les dix-huit mois qui suivent. Dans le cas contraire, le GRECO réexamine les recommandations concernées et peut adopter, en cas de défaillance globale, des mesures supplémentaires.
Au niveau des Nations unies, le cadre normatif international s’est enrichi d’une Convention contre la corruption le 31 octobre 2003, dite Convention de Mérida. Bien qu’une partie des dispositions n’emportent pas d’effet contraignant, la Convention présente l’intérêt majeur de traiter de façon exhaustive les différentes modalités de la lutte contre la corruption, portant notamment une attention particulière aux mesures préventives. Elle prévoit l’élaboration dans chaque État partie d’une stratégie nationale de lutte contre la corruption ainsi que la création d’un organisme chargé de la prévention de la corruption, jouissant de l’indépendance nécessaire et des ressources suffisantes pour exercer efficacement ses fonctions ([5]). S’agissant des mesures répressives, l’éventail des infractions couvertes par le terme de corruption a été élargi à l’ensemble des atteintes à la probité, y compris la soustraction de biens dans le secteur privé.
L’absence initiale de procédures de suivi des obligations prévues par la Convention a été corrigée, le 13 novembre 2009, à l’occasion de la troisième conférence des États parties, par l’adoption d’un dispositif d’évaluation par les pairs, toutefois moins contraignant que les procédures mises en œuvre par l’OCDE et le GRECO.
Si l’adoption d’instruments contraignants associés à des dispositifs de suivi régulier témoigne de la volonté d’une plus grande efficacité dans la lutte contre la corruption, les engagements internationaux ont aussi pris la forme de diverses déclarations politiques. Faisant suite aux engagements pris en ce sens lors des éditions de Paris en 2005 et d’Accra en 2008, le quatrième forum mondial sur l’efficacité de l’aide qui s’est tenu à Busan en 2011, réunissant 161 gouvernements, des organisations internationales et des membres de la société civile, a été l’occasion de réaffirmer que « la corruption est un fléau qui nuit considérablement au développement à travers le monde » ([6]). Dans le cadre du Partenariat de Busan pour une coopération au développement efficace, les États présents, dont la France, se sont engagés à intensifier leurs efforts de lutte contre la corruption, notamment en renforçant la transparence budgétaire et en protégeant les lanceurs d’alerte.
2. Au regard de ces évolutions, les outils de prévention et de répression de la corruption dont était dotée la France apparaissaient trop peu efficaces
Partie aux différentes conventions de lutte contre la corruption, la France a cependant tardé à adapter son organisation institutionnelle et son arsenal répressif aux exigences de ses engagements internationaux. Elle présentait des normes peu contraignantes en matière de prévention de la corruption, associées à des condamnations peu nombreuses et des sanctions judiciaires modestes.
a. Des dispositifs peu contraignants et des infractions faiblement sanctionnées
Concernant son organisation institutionnelle, comme le note le rapport « Renouer la confiance publique » de Jean-Louis Nadal, la France présentait un défaut de coordination de l’action des pouvoirs publics en matière de lutte contre la corruption ([7]).
Ce rôle de centralisation des informations nécessaires à la détection et à la prévention des faits de corruption avait pourtant été confié, dès la loi « Sapin 1 » de 1993 ([8]) au Service central de prévention de la corruption (SCPC), placé sous l’autorité du garde des Sceaux. Cependant, les censures du Conseil constitutionnel ([9]) ont, dès son origine, privé le service des prérogatives nécessaires à l’exercice de cette mission, notamment de son pouvoir d’investigation et de son droit d’obtenir communication de tout document et de convoquer toute personne dans un délai contraint.
La seconde mission attribuée au SCPC était d’agir en faveur de la prévention de la corruption. À cette fin, il pouvait être saisi pour avis par les différentes autorités politiques, administratives ou judiciaires sur les mesures susceptibles d’être prises à cet égard. Néanmoins, le service n’avait aucun pouvoir d’initiative et ses avis n’étaient pas rendus publics, ne servant donc pas de « précédents pédagogiques » ([10]). Au demeurant, le nombre de demandes d’avis adressées au SCPC diminuait au fil des années, preuve de l’insuffisante visibilité du service et d’un certain désintérêt des administrations à l’égard du sujet.
Aucune action spécifique à l’endroit des entreprises n’étant prévue par la loi, le SCPC avait tenté d’y remédier en menant quelques actions de sensibilisation. Le service avait notamment publié en mars 2015 des lignes directrices visant à lutter contre la corruption dans les transactions commerciales, mais elles étaient dénuées de toute valeur juridique contraignante.
Le SCPC disposait également de moyens humains insuffisants. Ses effectifs avaient ainsi atteint 4,75 équivalents temps plein (ETP) en 2012. À titre de comparaison, son homologue italien disposait alors de 350 agents. Le service reconnaissait lui-même qu’il n’était « plus adapté aux besoins actuels de la société française ni aux standards internationaux » ([11]) et avait abordé à plusieurs reprises depuis 2010 la question de sa réforme, en vue parvenir à un dispositif de prévention de la corruption effectif et contraignant.
Concernant la répression des faits de corruption, la France se distinguait par son manque de sévérité. En 2016, sur 297 condamnations prononcées pour des faits d’atteintes à la probité, 41 % concernaient des faits de corruption. Le taux de relaxe pour ces infractions était de 17 %, contre 5,6 % pour l’ensemble des contentieux ([12]).
Les sanctions restaient faibles en proportion des peines encourues. Sur 72 condamnations pour corruption en 2013, quatre seulement impliquaient une peine d’emprisonnement ferme dont le quantum moyen s’élevait à huit mois. La majorité des condamnations pour corruption (65 %) se traduisait par une simple peine d’amende s’établissant en moyenne à 7 943 euros ([13]). L’amende maximale encourue de 150 000 euros n’avait été prononcée que pour une seule affaire depuis son entrée en vigueur en 2003 ([14]).
L’absence de politique de répression dissuasive était encore plus manifeste s’agissant des infractions de corruption d’agents publics étrangers. Entre 2000 et 2014, seules 58 enquêtes avaient été ouvertes en la matière, donnant lieu à 31 relaxes, ordonnances de non-lieu ou classements sans suite et seulement sept condamnations de personnes physiques. Les peines et amendes prononcées étaient, de surcroît, réduites (peines de prison avec sursis ou amendes dont le montant ne dépassaient pas 20 000 euros), sans peine complémentaire ni mesures de confiscation des profits. La carence du système répressif français était encore accentuée par l’absence de condamnation de personnes morales pour des faits de corruption transnationale ([15]).
Ces insuffisances avaient été mises en lumière par plusieurs rapports émanant d’organisations internationales qui pointaient les manquements structurels de la France ainsi qu’un défaut d’engagement des pouvoirs publics.
Parmi les reproches principaux faits à la France, l’absence de poursuites et de condamnations était régulièrement visée. Tant le rapport anticorruption de la Commission européenne en 2014 que les rapports de l’OCDE en 2012 et 2014, du GRECO en 2009 et 2014 et de l’ONU au cours de son cycle d’études 2010-2015 avaient mis l’accent sur l’impérieuse nécessité d’accentuer la répression des faits de corruption, notamment en incriminant le trafic d’influence en direction d’un agent public étranger, et d’assouplir les conditions dans lesquelles les faits de corruption commis à l’étranger pouvaient être poursuivis en France ([16]).
Dans son rapport d’évaluation de 2012, le Groupe de travail contre la corruption de l’OCDE s’était montré particulièrement préoccupé par la faible réactivité des autorités dans des affaires impliquant des entreprises françaises pour des faits de corruption à l’étranger, constatant que les peines effectivement prononcées ne respectaient pas l’exigence de sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives. À l’issue du rapport de suivi de 2014, le Groupe de travail remarquait à nouveau que la mise en œuvre de l’infraction de corruption d’agents publics étrangers demeurait bien en deçà des attentes « au regard tant du poids économique de la France que de l’exposition de ses entreprises au risque de corruption transnationale » et décida de publier, le 16 octobre 2014, une déclaration formelle observant que la France persistait à ne pas mettre en œuvre convenablement la Convention et lui demandant de « poursuivre les réformes annoncées initialement et toujours nécessaires » ([17]).
Le GRECO avait également eu besoin de recourir à des mesures complémentaires face à l’absence de réaction de la France à l’égard des recommandations mentionnées dans son rapport de 2009 visant les incriminations et la transparence du financement des partis politiques ([18]). De 2013 à 2016, les autorités françaises avaient ainsi dû produire des rapports réguliers la mise en œuvre des recommandations.
L’apparente indifférence de la France dans le suivi des recommandations des instances internationales, couplée au constat objectif d’une insuffisante répression et prévention de la corruption, fragilisait tant la souveraineté et l’action publique de la France que la compétitivité de ses entreprises.
B. Cette situation exposait la France aux stratégies extraterritoriales d’autres pays et pesait sur l’efficacité de son action publique ainsi que sur l’attractivité de son économie
1. Les entreprises nationales étaient fragilisées par l’application extraterritoriale de certains droits étrangers
Lors de son audition par vos Rapporteurs, M. Michel Sapin, ancien ministre de l’Économie et des finances, a souligné qu’à cette période, aucune entreprise française n’avait été condamnée par la justice française pour des faits de corruption transnationale, alors même que certaines avaient été sanctionnées par des autorités judiciaires étrangères, notamment américaines.
Entre 2008 et 2016, les autorités américaines avaient, en effet, infligé des amendes très élevées à six entreprises françaises au titre de loi américaine sur la corruption dans les transactions internationales (Foreign Corrupt Practices Act – FCPA) : Flowserve Pompes en 2008, Pride Forasol en 2010, Technip et Alcatel-Lucent en 2010, Total en 2013 et Alstom en 2014. Le montant cumulé des amendes versées par les entreprises françaises aux autorités américaines atteignait environ 1,7 milliard de dollars.
Sous l’influence américaine, un nombre croissant d’États se sont dotés d’outils performants de prévention de la corruption à portée extraterritoriale. Par exemple, au Royaume-Uni, la mise en œuvre de dispositifs de prévention interne aux entreprises a été rendue obligatoire en 2011 ([19]) et tout manquement peut être sanctionné pénalement dès lors qu’une personne associée à l’entreprise s’est engagée dans un acte de corruption. Minant la souveraineté juridique de la France, l’application extraterritoriale de droits étrangers, notamment en matière de corruption, peut également être analysée comme un instrument de compétition économique, comme le souligne le rapport de votre Rapporteur, M. Raphaël Gauvain, sur la question ([20]).
En effet, l’interprétation large et mouvante que les autorités fédérales avaient faite de leur compétence extraterritoriale leur conférait une grande liberté d’action pour poursuivre des entreprises européennes pour des faits commis en dehors du territoire américain. Ainsi, sur les 26 entreprises sanctionnées au titre du FCPA à un montant d’amende supérieur à 100 millions de dollars entre 2008 et 2018, seules cinq étaient américaines et quatorze étaient européennes, suggérant l’existence d’une « instrumentalisation de l’appareil judiciaire américain aux fins de guerre économique et commerciale » ([21]).
Une déstabilisation majeure de grands acteurs économiques européens était à craindre de ces poursuites américaines, qui se caractérisaient par l’usage systématique de procédures transactionnelles échappant au contrôle du juge et aux règles des conventions d’entraide judiciaire, par la collecte d’un grand nombre de données et, surtout, par l’ampleur des sanctions.
La forte exposition des entreprises françaises aux poursuites d’autorités judiciaires étrangères face à l’inaction des autorités nationales s’était illustrée dans le cas emblématique de la société française Alstom qui a fait l’objet d’une commission d’enquête présidée par votre Rapporteur, M. Olivier Marleix, en 2018.
Corruption transnationale et répression : l’exemple d’Alstom
Par le biais de plusieurs dirigeants et salariés, Alstom, Alstom Prom, Alstom Power et Alstom Grid avaient versé des pots-de-vin à des représentants publics et falsifié des livres et registres pour des entités publiques à travers le monde, notamment en Indonésie, en Égypte, en Arabie Saoudite, aux Bahamas et à Taïwan. Au total, Alstom a déboursé plus de 75 millions de dollars pour s’assurer de la réalisation de projets valant 4 milliards de dollars dans le monde, avec un bénéfice pour la société de l’ordre de 300 millions de dollars.
En France, seules deux informations judiciaires pour corruption internationale avaient été ouvertes à l’encontre du groupe, en 2007 et 2009, concernant des faits survenus en Afrique australe, au Venezuela et en Indonésie. Les deux procédures ont abouti à des non-lieux, au motif de la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère pour l’un et de l’insuffisance des charges pour l’autre. Le Groupe de Travail de l’OCDE, dans son rapport d’évaluation de 2012, constate que « sans pouvoir aller au-delà de la formulation d’hypothèses, le fait que seules deux informations judiciaires aient été ouvertes à ce jour, laisse interrogateur sur le degré d’investissement des autorités de poursuite françaises en la matière ».
Pourtant, en décembre 2014, Alstom a conclu un accord de plaider coupable avec le département de la justice américain prenant en compte l’ensemble du système de corruption mis en place par le groupe entre 2000 et 2011. L’entreprise a dû s’acquitter d’une amende de 772 millions de dollars, soit le plus important montant versé au titre du FCPA après l’affaire Siemens.
Alstom a été fragilisée financièrement par les poursuites américaines qui entachaient sa réputation et la soumettait à un risque d’amende important, pouvant atteindre le milliard de dollars. La firme a d’ailleurs été obligée de demander aux autorités judiciaires de décaler le paiement de l’amende. Dans le contexte du rachat de la branche énergie d’Alstom par le groupe américain General Electric, les poursuites à l’encontre de l’entreprise française ont nourri des interrogations quant à une potentielle instrumentalisation de la procédure judiciaire pour servir les intérêts économiques américains, bien qu’aucun élément factuel ne permette de soutenir cette théorie.
Source : Rapport présenté par M. Olivier Marleix, président, et M. Guillaume Kasbarian, rapporteur, fait au nom de la commission d’enquête sur les décisions de l’État en matière de politique industrielle, notamment dans les cas d’Alstom, d’Alcatel et de STX, déposé le 19 avril 2018.
Consacrant la possibilité pour un État de se saisir de situations extraterritoriales, la Convention de l’OCDE de 1997 tenait toutefois compte du principe non bis in idem en disposant en son article 4 que « lorsque plusieurs parties ont compétence à l’égard d’une infraction présumée visée dans la présente convention, les parties concernées se concertent, à la demande de l’une d’entre elles, afin de décider quelle est celle qui est la mieux à même d’exercer les poursuites ». Or, les carences de la France dans l’exercice des poursuites et dans les condamnations la privaient de la possibilité de prendre une part active à ces concertations et ainsi de contrer d’éventuelles poursuites étrangères. Ces faiblesses en matière de lutte contre la corruption pouvaient même servir de justification à l’intervention d’autorités étrangères qui pouvaient utilement mettre en avant un « combat éthique » ([22]).
2. La corruption nuit à l’activité économique et affaiblit la légitimité et l’efficacité de l’action publique
Bien que difficiles à quantifier, les coûts directs et indirects liés à la corruption dans l’Union européenne sont estimés entre 179 et 993 milliards d’euros par an, soit l’équivalent de 6,3 % du produit intérieur brut des vingt-huit États membres ([23]).
Ainsi, l’absence de lutte ou une lutte insuffisante contre la corruption tend à affecter négativement l’activité économique. Il a ainsi été calculé que si le niveau de perception de la corruption en France avoisinait les niveaux allemand et anglais, les gains pour le taux de croissance approcheraient 0,2 point par an ([24]).
D’abord, la corruption affaiblit les mécanismes du marché. À l’instar d’une taxe sur le producteur, la corruption constitue un coût supplémentaire pour les entreprises, dès lors elle réduit la rentabilité et donc le niveau global d’investissement. On observe ainsi que l’investissement privé et la croissance d’un pays sont corrélés très négativement avec son niveau de corruption, d’autant que celle-ci s’accompagne statistiquement d’autres dysfonctionnements institutionnels tels que l’inefficacité bureaucratique, l’inefficacité du système juridique et l’instabilité politique ([25]).
Ensuite, la corruption a un effet néfaste sur la concurrence. En favorisant des entreprises qui ne sont pas nécessairement les plus performantes, la corruption écarte les entreprises productives, dissuade l’entrée de nouveaux concurrents sur les marchés et conduit, par voie de conséquence, à une éviction des talents. Elle a ainsi un effet dépressif sur la productivité et l’innovation.
Enfin, la corruption dans la sphère publique porte préjudice à l’efficacité de l’action publique. Les choix de dépenses motivés par les fonds qui peuvent être extorqués contribuent à des sous-investissements dans les domaines assurant une croissance à long terme tels que la santé ou l’éducation. Les pertes de ressources fiscales du fait d’actes de corruption, pouvant prendre la forme d’exonérations fiscales indues, dégradent par ailleurs le volume des recettes publiques et font peser une charge supplémentaire sur les autres contribuables ([26]).
Compte tenu de son enjeu pour le développement économique et humain, la lutte contre la corruption constitue sur le plan international un critère essentiel d’attractivité et contribue à la réputation ainsi qu’à l’image du pays à l’étranger, qu’il soit victime de corruption ou auteur d’actes de corruption.
Le discrédit de la France en la matière s’illustrait par sa place au classement de référence de Transparency International, fondé sur l’indice de perception de la corruption. Avec un indice fluctuant entre 69 points et 71 points sur 100 entre 2012 et 2015, la France occupait la 23ème place du classement en 2015, loin derrière l’Allemagne et le Royaume-Uni, tous deux à la 11ème place.
Les enquêtes Eurobaromètre sur le niveau de corruption perçue et vécue par les entreprises mettaient également en exergue les faiblesses de la France par rapport aux autres puissances économiques européennes. En 2015, 56 % des entreprises classaient la corruption parmi les problèmes auxquels elles étaient confrontées dans l’exercice de leurs activités en France, contre 8 % des entreprises au Royaume-Uni, 28 % en Allemagne et 40 % pour la moyenne européenne ([27]).
Au-delà des avantages objectifs découlant de la réduction des atteintes à la probité, les politiques anticorruption visent également à agir sur la perception même de ce phénomène. En 2013 ([28]), 68 % des Français interrogés considéraient que la corruption était très répandue en France (moyenne UE : 76 %), bien que seuls 6 % des sondés se sentaient personnellement victimes de la corruption dans leur vie quotidienne (moyenne UE : 26 %). En outre, 58 % estimaient que l’octroi de pots-de-vin et les abus de fonction constituaient des pratiques répandues parmi les responsables politiques (moyenne UE : 56 %). Ces soupçons d’une corruption généralisée au sein des instances politiques érodaient dangereusement la confiance des citoyens envers les institutions et les représentants de l’État.
L’absence d’une politique efficace de lutte contre la corruption entachait ainsi l’attractivité économique de la France, mais également la confiance que les citoyens portaient à l’égard de l’action publique. Ces observations accroissaient l’urgence d’une action ambitieuse des pouvoirs publics afin de hisser le dispositif français de prévention et répression de la corruption aux niveaux des meilleurs standards internationaux.
II. la loi sapin 2 a permis à la France de se doter d’outils de lutte contre la corruption parmi les plus ambitieux
A. Un projet de loi, enrichi par le législateur, qui abordait la corruption sous différents angles
Auditionné en ouverture de la mission, M. Michel Sapin, ancien ministre de l’Économie et des finances, a rappelé les motivations qui ont guidé le Gouvernement et le législateur dans l’élaboration de cette loi : il s’agissait de redonner sa crédibilité à la France, de renforcer sa souveraineté économique et de soutenir ses entreprises pour lesquelles la corruption est un frein à la compétitivité.
Pour cette raison, la loi Sapin 2 aborde la transparence et la lutte contre la corruption sous différents angles complémentaires : elle renforce les outils de prévention et de répression de la corruption. Les dispositions concernées peuvent être regroupées en quatre grands axes :
– les articles 1er à 5 créent l’Agence française anticorruption (AFA). Ce service à compétence nationale dirigé par un magistrat indépendant est chargé du contrôle des obligations prévues à l’article 17 qui imposent aux grandes entreprises et à leurs filiales, ainsi qu’aux administrations et aux collectivités, de mettre en œuvre des mesures internes de prévention et de détection de la corruption. Une commission des sanctions peut ensuite connaître des manquements à ces obligations, infliger des amendes et prononcer des injonctions ;
– les articles 19 à 24 renforcent la répression des faits de corruption. Afin de favoriser la coopération des entreprises ayant connaissance de faits de corruption et d’accélérer la résolution d’affaires complexes, l’article 22 crée la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP). Ce dispositif transactionnel permet à une personne morale de ne pas être condamnée en contrepartie de certaines obligations, telles que le règlement d’une amende importante et la conduite d’un programme de mise en conformité. Ces articles prévoient également l’extension de l’infraction de trafic d’influence, et le renforcement de la compétence extraterritoriale de la France en matière de corruption internationale ;
– les articles 6 à 16 instaurent un statut unique des lanceurs d’alerte. Ces dispositions ont été ajoutées par voie d’amendements par le législateur qui a pu s’inspirer d’une étude du Conseil d’État sur le sujet. Elles définissent la procédure de signalement, qui doit d’abord s’effectuer en interne auprès du supérieur hiérarchique ou d’un référent, puis en externe auprès d’une autorité publique avant d’être rendu public. Des exceptions à cette procédure sont prévues pour les faits les plus graves et les plus urgents. Sous réserve du respect de ces modalités, de sa bonne foi et de son désintéressement, le lanceur d’alerte peut prétendre aux protections prévues contre les différentes formes de représailles auxquelles il s’expose. Il peut être accompagné dans ses démarches par le Défenseur des droits ;
– les articles 25 à 33 concernent la transparence des rapports entre les décideurs publics et les représentants d’intérêts. Outre un renforcement des obligations déclaratives et des contrôles des situations de certains décideurs publics, le principal apport de ces articles consiste en la création d’un registre des représentants d’intérêts à l’échelle nationale. Ce répertoire public est géré par la HATVP qui contrôle les obligations déontologiques pesant sur les représentants d’intérêts. Sous peine de poursuites pénales, ces derniers doivent déclarer annuellement les actions qu’ils mènent pour influer sur les décisions prises par le Parlement, le Gouvernement, les administrations et certaines collectivités territoriales ([29]).
2. Une loi rapidement opérationnelle
Ainsi que l’a rappelé M. Michel Sapin lors de son audition, la mise en application de ce texte a été rapide. Comme elle a été adoptée à la fin de l’année 2016, il ne restait que quelques mois au pouvoir réglementaire pour prendre les décrets d’application avant les élections présidentielles. Ceux-ci ont permis à la loi de rentrer pleinement en vigueur même si le pouvoir réglementaire a réduit la portée de certains dispositifs, en particulier en ce qui concerne le registre des représentants d’intérêts.
L’AFA a rapidement été opérationnelle, et a démarré l’ensemble de ses activités au cours de l’année qui a suivi sa création. De premiers contrôles ont été ouverts dès l’automne 2017, tandis que les recommandations de l’agence, qui ont depuis été mises à jour, ont été publiées au mois de décembre de cette même année.
Le dispositif de la CJIP a rapidement prouvé son efficacité. Il a également été utilisé très rapidement, y compris sur des affaires dont l’enquête était en cours au moment de l’adoption de la loi. Ce nouvel outil a permis le règlement concerté, avec des autorités de poursuites étrangères, d’affaires de corruption complexes concernant des entreprises françaises. Les douze conventions conclues ont conduit au versement de sommes importantes au Trésor public (plus de 3 milliards d’euros).
Le registre des représentants d’intérêts est également alimenté de plus en plus fréquemment. Au 1er mars 2021, 2 209 représentants d’intérêts s’y étaient inscrits, déclarant au total 29 678 actions.
De nombreuses données existent donc pour évaluer ces mesures de la loi Sapin 2 et justifient l’intérêt de mener la présente mission d’évaluation.
B. Une loi de soutien à l’ensemble de la vie économique du pays
Outre les dispositions relatives à la transparence et à la lutte contre la corruption, le texte contenait également de nombreuses mesures relatives à la modernisation de la vie économique.
Elles peuvent être regroupées en cinq catégories.
Les articles 34 à 41 modifient les règles de la domanialité et de la commande publiques en procédant, d’une part, à la ratification des ordonnances n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics et n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession et, d’autre part, à une habilitation en vue de réformer le droit domanial et de créer un code de la commande publique.
Les articles 42 à 85 concernent la régulation financière et les droits des consommateurs en matière financière. Ils finalisent la transposition des textes européens « MAD-MAR » (market abuse directive et market abuse regulation) de 2014 portant sur les sanctions pénales et administratives applicables aux abus de marchés. L’arsenal répressif de l’AMF a été renforcé en matière d’entrave à ses contrôleurs, de calcul des amendes – qui pourront atteindre 15 % du chiffre d’affaires – et de sanction pour les manquements commis à l’occasion d’offres au public de titres financiers non cotés. Dans l’esprit de la CJIP, l’article 43 a étendu les possibilités de recourir à la transaction (dite « composition administrative ») pour l’ensemble des manquements.
Ces articles ont également élargi les missions du Haut Comité de stabilité financière (HCSF), l’autorité française chargée d’exercer la surveillance du système financier dans son ensemble. Au niveau macroprudentiel, il dispose désormais du pouvoir de limiter l’exercice de certaines opérations, de suspendre ou de restreindre la libre disposition de tout ou partie des actifs et de limiter temporairement la distribution de dividendes aux actionnaires.
Enfin, un volet spécifique est consacré à la protection des droits des consommateurs en matière financière, notamment en interdisant la publicité par voie électronique à destination des particuliers portant sur certains contrats financiers hautement spéculatifs et risqués.
Les articles 94 à 111 portent sur la situation financière des exploitations agricoles, en particulier les relations entre les agriculteurs et les distributeurs.
Les articles 113 à 147 visent à favoriser l’investissement et améliorer la situation financière des entreprises et leur parcours de croissance, en particulier dans les petites entreprises. Ils simplifient certaines formalités, notamment pour les entrepreneurs individuels, et créent des véhicules d’investissement mixte (capital et prêt) adaptés pour les PME.
Les articles 148 à 164 rassemblent des dispositions diverses. L’article 161 encadre la politique de rémunération des dirigeants des grandes entreprises cotées pour la rendre plus transparente. Elle doit désormais faire l’objet d’une résolution soumise chaque année à l’approbation des actionnaires.
Ces dispositions n’ont pas fait l’objet d’une évaluation approfondie principalement pour trois raisons : d’abord, vos Rapporteurs ont préféré effectuer une évaluation détaillée des dispositifs qui avaient motivé le dépôt du projet de loi et présentaient une cohérence d’ensemble au regard des objectifs assignés à cette loi ; ensuite, ils ont souhaité se concentrer sur les dispositions qui relevaient directement du champ de compétence de la commission des Lois, laissant à la commission des Finances ou des Affaires économiques le soin d’étudier les mesures qui les concernent et sur lesquelles elles avaient d’ailleurs rendu des avis ; enfin, la plupart de ces dispositions ont été modifiées depuis, ce qui a conduit les personnes auditionnées à ne les mentionner que très rarement.
III. le contexte de la prÉsente mission d’Évaluation
Depuis la réforme du 23 juillet 2008, l’article 24 de la Constitution confie explicitement au Parlement le rôle de contrôler l’action du Gouvernement et d’évaluer les politiques publiques ([30]). Ce travail est exercé, au sein des commissions permanentes, par les missions d’information dont certaines ont pour objet l’évaluation d’une loi adoptée auparavant.
L’article 145-7 du règlement de l’Assemblée nationale définit deux modalités de contrôle des lois après leur adoption :
– la première concerne leur application : « À l’issue d’un délai de six mois suivant l’entrée en vigueur d’une loi dont la mise en œuvre nécessite la publication de textes de nature réglementaire, deux députés, dont l’un appartient à un groupe d’opposition et parmi lesquels figure de droit le député qui en a été le rapporteur, présentent à la commission compétente un rapport sur la mise en application de cette loi. Ce rapport fait état des textes réglementaires publiés et des circulaires édictées pour la mise en œuvre de ladite loi, ainsi que de ses dispositions qui n’auraient pas fait l’objet des textes d’application nécessaires. Dans ce cas, la commission entend ses rapporteurs à l’issue d’un nouveau délai de six mois » ;
– la seconde prévoit leur évaluation : « À l’issue d’un délai de trois ans suivant l’entrée en vigueur d’une loi, deux députés, dont l’un appartient à un groupe d’opposition, présentent à la commission compétente un rapport d’évaluation sur l’impact de cette loi. Ce rapport fait notamment état des conséquences juridiques, économiques, financières, sociales et environnementales de la loi, le cas échéant au regard des critères d’évaluation définis dans l’étude d’impact préalable, ainsi que des éventuelles difficultés rencontrées lors de la mise en œuvre de ladite loi ».
Le 16 décembre 2020, la commission des Lois de l’Assemblée nationale a ainsi confié à vos Rapporteurs la mission d’évaluer la loi n 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin 2. Ce délai de quatre ans donne au Parlement la distance nécessaire pour disposer d’éléments précis permettant de mesurer les effets de ce texte et de formuler des propositions d’amélioration.
En outre, cette mission s’est déroulée dans un contexte propice à l’évaluation de cette loi. La France fait actuellement l’objet d’une évaluation par l’OCDE de sa stratégie de lutte contre la corruption. Elle doit également procéder, avant la fin de l’année 2021, à la transposition de la directive européenne n° 2019/1937 du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union. La commission des Lois s’était d’ailleurs déjà intéressée à ce sujet à l’occasion de l’examen de la proposition de loi de M. Ugo Bernalicis visant à la protection effective des lanceuses et des lanceurs d’alerte (n° 2600).
Cette évaluation constitue donc une opportunité pour tirer les enseignements de cette loi, qui a permis à la France de rattraper son retard dans la prévention de la corruption et la protection de son économie contre les stratégies extraterritoriales de ses partenaires.
Il semble toutefois nécessaire de donner un nouveau souffle à cette politique publique. En effet, malgré les efforts consentis, les résultats de la France dans les évaluations et les classements internationaux restent décevants. En 2020, la France se situe au 23ème rang du classement de Transparency International sur le niveau de perception de la corruption, soit le même niveau qu’en 2015. En janvier 2020, à l’occasion de sa cinquième évaluation des dispositifs français de prévention de la corruption, le GRECO a formulé de nombreuses recommandations concernant les moyens du Parquet national financier, la probité des agents publics et la protection des lanceurs d’alerte.
C’est au regard de ces objectifs et de ces critiques persistantes que les dispositions de la loi Sapin 2 ont été évaluées. Les cent-soixante-neuf articles de la loi Sapin 2 n’ont pas tous fait l’objet d’une étude approfondie par la mission en raison de la diversité des sujets abordés, notamment ceux portant sur des secteurs économiques particuliers (régulation financière, agriculture, droit de la consommation). Effectué au nom de la commission des Lois, le travail mené par la mission s’est concentré sur les dispositions les plus juridiques qui relèvent pleinement de sa compétence. Vos Rapporteurs se sont ainsi concentrés sur quatre volets qui formaient le cœur de la loi et structureront la suite du présent rapport :
– la première partie sera consacrée à l’action de l’Agence française anticorruption ainsi qu’à l’obligation générale de prévention et de détection de la corruption prévue par le texte. Le référentiel anticorruption français constitue une avancée remarquable qui permet de hisser la France au niveau des meilleurs standards internationaux. Toutefois, la diffusion du dispositif auprès des acteurs publics est encore trop limitée, et le statut hybride de l’agence (qui prend la forme d’un service à compétence nationale doté de solides garanties d’indépendance) doit évoluer ;
– la deuxième partie sera consacrée à la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP). Indéniable succès, la CJIP a favorisé la résolution d’affaires complexes. Elle a également permis l’affirmation du Parquet national financier sur la scène internationale, et, plus largement, la reconnaissance de l’efficacité du dispositif français de lutte contre la corruption, permettant à la France de recouvrer une partie de sa souveraineté judiciaire. Le dispositif gagnerait toutefois à être amélioré sur plusieurs points, afin d’en renforcer l’attractivité et de favoriser la révélation spontanée par les personnes morales de faits de corruption ;
– une troisième partie sera consacrée au statut des lanceurs d’alerte qui a été unifié afin de garantir des protections élevées et équivalentes à l’ensemble des personnes signalant de bonne foi des infractions. La mise en place d’obligation de recueil des alertes, de canaux de signalement gradués et de dispositifs d’accompagnement par les autorités publiques a placé le droit d’alerte français parmi les plus protecteurs. Au moment où la France doit transposer la directive européenne de 2019 sur les lanceurs d’alerte, des difficultés persistent à la fois dans la qualité du traitement des alertes et dans la protection des lanceurs d’alerte contre les représailles ;
– la quatrième et dernière partie concernera le registre des représentants d’intérêts. La mise en œuvre progressive de ce registre montre la nécessité d’un tel dispositif pour améliorer la confiance dans la vie publique. Les déclarations augmentent régulièrement grâce au travail de relance de la HATVP. La restriction de la portée de ce dispositif par son décret d’application entrave toutefois la capacité de contrôle des obligations des représentants d’intérêts et limite la possibilité d’exploiter les données transmises qui restent de qualité inégale.
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Partie I : Le dispositif de prévenTion et de détection de la corruption et l’action de l’agence française anticorruption
Afin de répondre à la faiblesse du dispositif français de lutte contre la corruption, la loi Sapin 2 crée l’Agence française anticorruption (AFA), en lieu et place de l’ancien Service central de prévention de la corruption (SCPC), agence à laquelle elle confère des pouvoirs plus étendus.
Elle instaure une obligation générale de prévention et de détection de la corruption, à travers la mise en œuvre d’un dispositif spécifique, obligation qui s’adresse aux acteurs économiques comme aux acteurs publics.
Elle renforce par ailleurs l’arsenal répressif en matière de lutte contre la corruption, à travers l’extension de certaines infractions, et surtout par l’assouplissement des conditions dans lesquelles certains faits de corruption et de trafic d’influence commis à l’étranger peuvent être poursuivis en France.
L’AFA a rapidement été opérationnelle : dès 2017, elle a lancé ses premiers contrôles et a élaboré des recommandations. Ce volontarisme a permis d’installer et de crédibiliser le dispositif issu de la loi Sapin 2, du point de vue des entreprises comme de nos partenaires étrangers.
La mise en œuvre d’un référentiel anticorruption ambitieux, dont le respect est effectivement contrôlé par l’agence, a favorisé sa diffusion auprès des acteurs économiques, qui paraissent désormais correctement sensibilisés à la problématique de la prévention de la corruption.
Les premiers contrôles ouverts par l’agence ont été marqués par des difficultés opérationnelles ainsi que par certaines maladresses, qui ont nui à l’établissement d’une relation de confiance avec les acteurs économiques, mais l’agence a rapidement pris conscience de ces difficultés, et des améliorations ont été apportées.
Vos Rapporteurs ont néanmoins relevé trois insuffisances.
Premièrement, la loi Sapin 2 ne prévoyait pas de dispositif spécifique à destination des acteurs publics. L’agence a tenté d’adapter les règles destinées aux acteurs économiques, mais sans grand succès, et la diffusion des dispositifs de lutte contre la corruption reste faible dans le secteur public.
Deuxièmement, et plus profondément, la nature institutionnelle hybride de l’Agence française anticorruption, qui constitue un service à compétence nationale bénéficiant d’importantes garanties d’indépendance, doit évoluer. Vos Rapporteurs proposent de séparer les missions qui doivent être conduites par le Gouvernement, d’une part, et celles qui sont naturellement du ressort d’une entité indépendante, d’autre part. Ils suggèrent pour cela de recentrer l’AFA sur son rôle de coordination administrative et d’appui à la programmation stratégique, et de transférer à la HATVP les fonctions de conseil et de contrôle actuellement remplies par l’agence, afin de créer une grande autorité administrative indépendante compétente en matière de probité.
Troisièmement, la portée extraterritoriale de la loi Sapin 2 paraît limitée, et gagnerait à être renforcée.
I. le dispositif de prévention de la corruption issu de la loi SAPIN 2 constitue une avancéE majeure dans la lutte contre la corruption en france
La loi a créé l’Agence française anticorruption, qui remplace le Service central de prévention de la corruption. L’agence présente une nature hybride, qui se reflète tant dans la nature de ses missions que dans son organisation. Elle se voit confier la mission de participer à la coordination administrative, d’une part, et de conseiller et de contrôler les acteurs, économiques comme publics, dans la mise en œuvre du dispositif de prévention et de détection de la corruption prévu par la loi, d’autre part. L’agence est dotée d’un conseil stratégique et d’une commission des sanctions, qui peut notamment prononcer des amendes pécuniaires et des injonctions en cas de manquement constaté.
Par ailleurs, la loi renforce l’arsenal répressif en matière de prévention de la corruption, à travers cinq mesures principales : l’extension de la peine complémentaire de publicité ou d’affichage de la condamnation, l’extension de l’infraction de trafic d’influence aux agents publics étrangers, l’assouplissement des conditions dans lesquelles certains faits de corruption et de trafic d’influence commis à l’étranger peuvent être poursuivis en France, l’extension des techniques spéciales d’enquête aux faits de détournement de fonds ou de biens publics, et la création de la convention judiciaire d’intérêt public ([31]).
A. La loi crée l’agence française anticorruption et instaure une obligation, pour les acteurs économiques comme pour les acteurs publics, de mettre en œuvre un dispositif de prévention et de détection de la corruption
1. La loi crée l’Agence française anticorruption, qui remplace le Service central de prévention de la corruption
a. Le contexte de la création de l’Agence française anticorruption
La création de l’Agence française anticorruption répond aux faiblesses du dispositif français de prévention et de détection de la corruption.
Ce dispositif reposait sur la Mission interministérielle d’enquête sur les marchés (MIEM) et le Service central de prévention de la corruption (SCPC), créés au début des années 1990. La MIEM ([32]) était chargée d’enquêter sur les conditions de préparation, de passation et d’exécution des marchés publics, tandis que le SCPC ([33]) avait pour mission de centraliser les informations nécessaires à la prévention et à la détection de la corruption.
Ces structures disposaient toutefois de moyens limités et n’étaient jamais parvenus à atteindre leurs objectifs ([34]). Concernant la MIEM, l’absence de pouvoir d’auto-saisine s’était traduite dans les faits par une « activité extrêmement réduite », allant jusqu’à son « extinction de fait par le non-renouvellement de ses effectifs » et à sa suppression en 2012 ([35]). Le SCPC, quant à lui, bénéficiait de moyens d’action limités : la décision du Conseil constitutionnel rendue sur la loi « Sapin » de 1993 l’avait privé des pouvoirs d’investigation nécessaires à l’exercice effectif de ses missions ([36]), et le service reposait sur des moyens humains limités ([37]).
Par ailleurs, dans un contexte de renforcement des exigences en matière de lutte contre la corruption, cette situation n’était pas satisfaisante au regard des engagements internationaux de la France. La Convention des Nations unies contre la corruption stipule ainsi que chaque État partie « élabore et applique ou poursuit […] des politiques de prévention de la corruption efficaces et coordonnées » et « fait en sorte […] qu’existent un ou plusieurs organes, selon qu’il convient, chargés de prévenir la corruption » ([38]). Parmi les moyens évoqués, la convention mentionnait notamment la mise en place et la promotion de pratiques efficaces visant à prévenir la corruption, l’évaluation périodique des instruments juridiques et des mesures administratives mises en œuvre, la collaboration des États membres entre eux et avec les organisations régionales et internationales compétentes, ainsi que l’accroissement et la diffusion des connaissances concernant la prévention de la corruption. La Commission européenne et l’OCDE avaient également exprimé des attentes fortes à l’égard de la France ([39]).
L’étude d’impact relevait ainsi que, dans ce contexte, la France ne disposait pas de « service spécifique en mesure de prévenir et d’aider à la détection des faits de corruption commis par des opérateurs économiques et susceptibles de survenir à l’occasion de transactions commerciales ».
b. Le choix de créer un service à compétence nationale plutôt qu’une autorité administrative indépendante s’explique par la nature duale des missions confiées à l’AFA
La loi Sapin 2 met fin à l’existence du SCPC, et crée l’Agence française anticorruption (AFA). Les articles 1er à 5 de la loi, précisés par le décret et l’arrêté du 14 mars 2017 ([40]), définissent les missions, l’organisation, les compétences et les attributions de cette nouvelle agence.
L’AFA est un service à compétence nationale, placé auprès du ministre de la Justice et du ministre chargé du budget, dont la mission est « d’aider les autorités compétentes et les personnes qui y sont confrontées à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme » ([41]), c’est-à-dire les manquements au devoir de probité mentionnés aux articles 432-10 et suivants du code pénal.
Ses principales missions recouvrent ([42]) :
– la participation à la coordination administrative et la diffusion des informations permettant d’aider à prévenir et à détecter les faits de corruption et d’atteinte à la probité. Dans ce cadre, elle apporte son appui à toute personne physique ou morale, publique ou privée qui la sollicite : l’agence remplit ainsi une mission de conseil ;
– l’élaboration de recommandations destinées à aider les personnes morales de droit public comme de droit privé à prévenir et détecter ces faits ;
– le contrôle des mesures mises en place par les acteurs publics et privés à cette fin ainsi que des programmes de mise en conformité ;
– le contrôle du respect de la « loi de blocage » dans le cadre de l’exécution des décisions d’autorités étrangères ;
– l’information du procureur de la République compétent des faits dont elle a eu connaissance dans l’exercice de ses missions et qui sont susceptibles de constituer un crime ou un délit. En effet, l’AFA n’intervient qu’à titre préventif : si elle peut détecter les infractions de manière incidente, elle n’est pas une autorité judiciaire, et n’a donc pas pour mission de rechercher et de constater les infractions pénales, et de poursuivre leurs auteurs.
L’agence est dirigée par un magistrat hors hiérarchie de l’ordre judiciaire, nommé par décret du Président de la République, et dont l’indépendance est assurée par un statut protecteur ([43]) :
– son mandat, d’une durée de six ans, n’est pas renouvelable ;
– il ne peut être mis fin à ses fonctions que sur sa demande ou en cas d’empêchement ou de manquement grave ;
– il ne reçoit ni ne sollicite d’instruction d’aucune autorité administrative ou gouvernementale dans l’exercice de ses missions de contrôle (qu’il s’agisse du contrôle des mesures et procédures de prévention et de détection de la corruption, ou du contrôle des programmes de mise en conformité, prévus par les articles 17 et 18 de la loi Sapin 2, et détaillées infra).
S’agissant enfin de la dénomination du service, le Gouvernement envisageait initialement de créer une « Agence nationale de prévention et de détection de la corruption ». Le Conseil d’État ayant relevé que cette dénomination pourrait être précisée par décret, le projet de loi ne prévoyait finalement que la création d’un « service chargé de la prévention et de l’aide à la détection de la corruption » ([44]). À l’initiative de M. Sébastien Denaja, rapporteur de la commission des Lois à l’Assemblée nationale, la nouvelle entité a finalement été nommée « Agence française anticorruption » ([45]).
L’agence présente une nature hybride, qui se reflète tant dans la nature de ses missions que dans son organisation. Certaines missions – tenant notamment au contrôle des mesures mises en œuvre par les acteurs publics et privés pour prévenir et détecter la corruption et des programmes de mise en conformité – se rapprochent de celles communément exercées par des autorités administratives indépendantes, tandis que d’autres – en matière de coordination administrative notamment – sont directement rattachables à celles d’un service administratif à la disposition du Gouvernement.
De même, l’organisation et le fonctionnement de l’agence ressemblent, par certains côtés, à celle d’une AAI (en raison, notamment, de l’existence d’une commission des sanctions, et de l’octroi de garanties fortes d’indépendance à son directeur), mais elle est soumise à une double tutelle ministérielle, et reste rattachée fonctionnellement aux secrétariats des ministères économiques et financiers.
Le directeur de l’agence est ainsi est assisté d’un directeur-adjoint qui peut le suppléer, et a le rang de chef de service ([46]).
L’agence comprend par ailleurs une commission des sanctions, créée par l’article 2 de la loi. Composée de six membres, cette commission est chargée de prononcer des sanctions administratives à l’égard des sociétés qui ont commis un manquement dans la mise en œuvre des mesures et procédures de prévention et de détection de la corruption prévues par la loi.
Le directeur de l’agence ne peut ni être membre de la commission des sanctions, ni assister à ses séances.
La composition de la commission des sanctions
La commission des sanctions est composée de six membres :
– deux membres du Conseil d’État désignés par le vice-président du Conseil d’État ;
– deux membres de la Cour de cassation désignés par le premier président de la Cour de cassation ;
– deux magistrats de la Cour des comptes désignés par le premier président de la Cour des comptes.
Les membres de la commission sont nommés par décret pour un mandat de cinq ans. Le président de la commission est désigné parmi ses membres, selon les mêmes modalités. En cas de partage égal des voix, il a voix prépondérante.
Des suppléants sont nommés selon les mêmes modalités.
Les membres de la commission des sanctions ont été nommés par un décret en date du 28 juillet 2017.
Aux termes du décret et de l’arrêté du 14 mars 2017 précités, l’agence comprend également des services communs, ainsi que des unités de contrôle et d’expertise, rassemblés dans deux sous-directions : une sous-direction du contrôle, et une sous-direction du conseil, de l’analyse stratégique et des affaires internationales.
ORGANIGRAMME DE L’AGENCE FRANÇAISE ANTICORRUPTION AU 1ER AVRIL 2021
Source : Agence française anticorruption.
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L’agence comprend enfin un conseil stratégique, prévu par décret, et présidé par le directeur de l’Agence française anticorruption. Il se réunit au moins une fois par an. Il est consulté par le directeur sur la « stratégie globale qu’il entend mettre en œuvre » ([47]), et peut également l’être sur tout sujet relatif aux missions de l’agence.
La composition du conseil stratégique
Présidé par le directeur de l’AFA, le conseil stratégique est composé de huit membres désignés à raison de leur compétence financière et juridique ainsi que de leur expérience dans le domaine de la lutte contre la corruption :
– deux membres désignés par le garde des Sceaux, ministre de la Justice ;
– deux membres désignés par le ministre chargé du budget ;
– deux membres désignés par le ministre des Affaires étrangères ;
– deux membres désignés par le ministre de l’Intérieur.
Le conseil stratégique associe à ses travaux, en tant que de besoin, un ou plusieurs représentants des personnes et services de contrôle de l’agence. Il peut convier à ses réunions toute personnalité qualifiée.
Les fonctions de membre du conseil stratégique sont incompatibles avec celles de membre de la commission des sanctions.
La durée du mandat des membres du conseil stratégique est de trois ans. Ce mandat est renouvelable une fois.
2. La loi crée une obligation générale de mettre en œuvre un dispositif de prévention et de détection des faits de corruption
a. Les mesures et procédures de prévention et de détection de la corruption
Parallèlement à la création de l’AFA, la loi Sapin 2 introduit en droit positif une obligation générale de mettre en œuvre un dispositif de prévention et de détection des faits de corruption, dont le défaut pourra conduire au prononcé par l’agence de sanctions administratives à l’égard des acteurs économiques concernés.
Comme le rappelle l’étude d’impact du projet de loi, « cette démarche s’inscrit dans un contexte international porteur, puisque nos homologues britanniques et suisses ont mis en œuvre des législations dans ce domaine, qui trouvent d’ores et déjà à s’appliquer aux grandes entreprises françaises compte tenu de leur présence sur la scène mondiale et de l’extraterritorialité de la législation britannique » ([48]). L’objectif poursuivi était que « les plus grandes entreprises disposent systématiquement en leur sein d’un dispositif interne complet et efficace de nature à prévenir et à détecter les faits de corruption qui sont susceptibles de survenir à l’occasion de transactions commerciales nationales ou internationales comme lors de la passation de marchés publics ».
La loi française s’inspire du Foreign Corrupt Practices Act américain, adopté en 1977, et du United Kingdom Bribery Act britannique de 2010.
L’article 17 de la loi Sapin 2 prévoit ainsi que les dirigeants des sociétés et des établissements publics à caractère industriel et commercial dont l’effectif comprend au moins cinq cents salariés, et dont le chiffre d’affaires ou le chiffre d’affaires consolidé est supérieur à 100 millions d’euros sont « tenus de prendre les mesures destinées à prévenir et à détecter la commission, en France ou à l’étranger, de faits de corruption ou de trafic d’influence », mesures qui sont mentionnées par la loi.
Cet article identifie huit composantes à cette obligation. Doivent ainsi être mis en œuvre :
– un code de conduite, qui définit et illustre les différents types de comportements à proscrire comme étant susceptibles de caractériser des faits de corruption ou de trafic d’influence, et qui doit être intégré au règlement intérieur de l’entreprise. Ce code fait l’objet de la procédure de consultation des représentants du personnel ;
– un dispositif d’alerte interne, destiné à permettre le recueil des signalements émanant d’employés et relatifs à l’existence de conduites ou de situations contraires au code de conduite de la société ;
– une cartographie des risques, qui prend la forme d’une documentation régulièrement actualisée et destinée à identifier, analyser et hiérarchiser les risques d’exposition de la société à des sollicitations externes aux fins de corruption, en fonction notamment des secteurs d’activités et des zones géographiques dans lesquels la société exerce son activité ;
– des procédures d’évaluation de la situation des clients, fournisseurs de premier rang et intermédiaires, au regard de la cartographie des risques ;
– des procédures de contrôles comptables, internes ou externes, destinées à s’assurer que les livres, registres et comptes ne sont pas utilisés pour masquer des faits de corruption ou de trafic d’influence. Ces contrôles peuvent être réalisés soit par les services de contrôle comptable et financier propres à la société, soit en ayant recours à un auditeur externe à l’occasion de l’accomplissement des audits de certification de comptes ;
– un dispositif de formation, destiné aux cadres et aux personnels les plus exposés aux risques de corruption et de trafic d’influence ;
– un régime disciplinaire permettant de sanctionner les salariés de la société en cas de violation du code de conduite de la société ;
– un dispositif de contrôle et d’évaluation interne des mesures mises en œuvre ([49]).
S’agissant des acteurs publics, la loi prévoit qu’ils doivent mettre en œuvre des procédures pour prévenir et détecter les faits d’atteinte la probité, mais ne détaille pas la nature de ces mesures.
Le contenu du dispositif est précisé par les recommandations qu’est chargée d’élaborer l’AFA en application de la loi.
Son article 3 prévoit en effet que l’agence « élabore des recommandations destinées à aider les personnes morales de droit public et de droit privé à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme ».
Il précise par ailleurs que ces recommandations sont « adaptées à la taille des entités concernées et à la nature des risques identifiés » et « font l’objet d’un avis publié au Journal officiel ». Elles sont enfin « régulièrement mises à jour pour prendre en compte l’évolution des pratiques » ([50]).
À ce jour, deux versions des recommandations ont été publiées, à la suite de consultations publiques :
– la première version des recommandations de l’AFA a été publiée au Journal officiel le 22 décembre 2017 ;
– les nouvelles recommandations de l’agence, qui procèdent à une importante mise à jour, et qui annulent et remplacent les précédentes, ont été publiées le 12 janvier 2021. Afin de laisser aux acteurs le temps de s’y adapter, ces recommandations précisent qu’elles ne s’appliqueraient qu’aux contrôles ouverts à l’issue d’un délai de six mois à compter de leur publication, c’est-à-dire à partir du 13 juillet 2021 ([51]).
Comme elles le précisent explicitement, ces recommandations « ne créent pas d’obligation juridique pour ceux à qui elles s’adressent », et les acteurs sont libres d’adopter d’autres méthodes, sous réserve que leur mise en œuvre permette de se conformer à la loi. Toutefois, « l’AFA se réfère aux recommandations dans le cadre de ses missions de conseil et de contrôle » ([52]).
Bien que l’article 17 de la loi ne soit applicable qu’aux sociétés et aux établissements publics industriels et commerciaux qui atteignent certains seuils d’effectifs et de chiffres d’affaires, les recommandations précisent qu’elles s’adressent à l’ensemble des personnes morales de droit privé ou de droit public, de droit français ou de droit étranger, qui déploient leurs activités en France, quelle que soit leur taille ([53]).
En complément des recommandations générales, l’AFA publie des guides pratiques sur son site internet, parfois avec l’aide de partenaires, qui font généralement l’objet d’une consultation publique ([54]).
Comme le rappellent les nouvelles recommandations, la loi, ses décrets d’application, les recommandations et les guides publiés sur le site internet de l’AFA constituent le référentiel anticorruption français, qui participe de la mise en œuvre des engagements internationaux de la France en matière de lutte contre la corruption.
b. Les pouvoirs de contrôle et de sanction de l’agence
Les pouvoirs de contrôle dont est chargée l’AFA peuvent être classés en trois grandes catégories.
La première catégorie concerne les contrôles dits d’initiative, qui portent sur les mesures et procédures de prévention et de détection mises en place par les acteurs privés comme publics.
Ces contrôles peuvent être réalisés soit à l’initiative du directeur de l’AFA, soit à la demande du président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, du Premier ministre et des ministres, et des préfets pour les collectivités territoriales et les établissements publics locaux. Ils peuvent également faire suite à un signalement transmis à l’agence par une association agréée ([55]).
Pour réaliser ces contrôles, l’article 4 de la loi confère aux agents de l’AFA un droit de communication, qui leur permet de se faire communiquer tout document professionnel, quel qu’en soit le support, ou toute information utile, dont ils peuvent faire copie. Ils peuvent également procéder sur place à toute vérification de l’exactitude des informations fournies, et peuvent s’entretenir avec toute personne dont le concours leur apparaît nécessaire. Ils sont astreints au secret professionnel.
S’agissant des acteurs privés, aux termes de l’article 17 de la loi, l’AFA « contrôle le respect des mesures et procédures » destinées à prévenir et à détecter la commission de faits de corruption.
Le contrôle donne lieu à établissement d’un rapport, transmis à l’autorité qui a demandé le contrôle et aux représentants de la société contrôlée, qui présente les observations de l’agence, et le cas échéant, des recommandations. Si des manquements sont constatés, et après que la personne concernée ait été en mesure de préserver ses observations, ces manquements peuvent être suivis :
– d’un avertissement adressé par le directeur de l’AFA aux représentants de l’entité contrôlée ;
– d’une saisine de la commission des sanctions, qui peut alors, cumulativement, enjoindre à l’entité d’adapter les procédures de conformité internes, dans un délai pouvant aller jusqu’à trois ans, prononcer des sanctions pécuniaires dont le montant ne peut dépasser 200 000 euros pour les personnes physiques et 1 million d’euros pour les personnes morales, et ordonner la publication, la diffusion ou l’affichage de la décision d’injonction ou de sanction pécuniaire.
S’agissant des acteurs publics, aux termes de l’article 3 de la loi, l’AFA contrôle « de sa propre initiative, la qualité et l’efficacité des procédures mises en œuvre au sein de l’administration de l’État, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics et sociétés d’économie mixte, et des associations et fondations reconnues d’utilité publique pour prévenir et détecter les faits de corruption », ainsi que « le respect des mesures mentionnées au II de l’article 17 ».
L’article 3 ne prévoit pas la possibilité d’infliger des sanctions aux personnes publiques. Les contrôles donnent ainsi lieu à l’établissement de rapports, transmis aux représentants de l’entité contrôlée, ainsi qu’aux autorités à l’initiative du contrôle. Ces rapports contiennent les observations formulées par l’AFA concernant la qualité du dispositif de prévention et de détection de la corruption mis en œuvre au sein des entités contrôlées, ainsi que, le cas échéant, des recommandations en vue de leur amélioration.
ii. Le contrôle de la mise en œuvre des programmes de conformité (le « monitoring »)
La deuxième catégorie renvoie au contrôle des dispositifs anticorruption imposés par décision judiciaire (ou « monitoring »).
En effet, la loi crée deux nouvelles situations dans laquelle une personne morale pourra être sanctionnée par l’obligation de mettre en œuvre un programme de mise en conformité :
– le prononcé d’une peine de programme de mise en conformité (PPMC), introduite à l’article 18, applicable à toute personne morale, même étrangère, sans condition de seuil de d’effectifs ou de chiffres d’affaires. La durée maximale de l’obligation est alors de cinq ans (articles 131‑39-2 et 764-44 du code de procédure pénale) ;
– la conclusion d’une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), créée par l’article 22 de la loi (voir infra), qui impose de se soumettre à l’obligation de mettre en œuvre un tel programme pendant une durée maximale de trois ans (article 41-1‑2 du code de procédure pénale).
iii. Le contrôle de la mise en œuvre des injonctions prononcées par la commission des sanctions
La troisième catégorie rassemble les contrôles portant sur la mise en œuvre des décisions de la commission des sanctions.
L’AFA est ainsi chargée de contrôler la mise en œuvre des injonctions prononcées par la commission des sanctions.
B. La loi renforce l’arsenal rÉpressif en matière de lutte contre la corruption
En plus de la création de la peine de programme de mise en conformité, le texte renforce les outils juridiques permettant de mieux appréhender et sanctionner les faits de corruption.
1. L’extension de la peine complémentaire de publicité ou d’affichage de la condamnation
L’article 19 étend la possibilité de prononcer la peine complémentaire de publicité ou d’affichage de la condamnation à de nouvelles infractions d’atteinte à la probité ([56]). Alors que le droit en vigueur prévoyait la possibilité d’infliger une telle peine en cas de discrimination ([57]) et de corruption passive ou de trafic d’influence commis par une personne dépositaire de l’autorité publique ([58]), la loi étend cette possibilité aux faits de concussion, de prise illégale d’intérêts, de favoritisme, et de soustraction et de détournement de biens publics ([59]).
Cet article instaure également une peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité en cas de condamnation pour les délits de manquement au devoir de probité commis par les personnes exerçant une fonction publique, ainsi que pour les délits de corruption active et de trafic d’influence commis par des particuliers ([60]). Cette disposition avait été introduite à l’initiative du rapporteur de la commission des Lois de l’Assemblée nationale, M. Sébastien Denaja. Elle traduisait la proposition n° 18 du rapport Renouer la confiance publique ([61]), qui relevait que cette peine complémentaire était insuffisamment prononcée, et répondait aux demandes de plusieurs associations de lutte contre la corruption.
Le champ de cette peine complémentaire a de nouveau été étendu par la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique (escroquerie, abus de bien social et association de malfaiteurs, violences sexuelles, discriminations et délits d’expression raciste, abus de confiance, délits terroristes et violences les plus graves) ([62]).
2. L’extension de l’infraction de trafic d’influence aux agents publics étrangers
L’article 20 étend l’infraction de trafic d’influence et incrimine les faits de trafic d’influence, passif et actif, de toute personne chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif public dans un État étranger, cette infraction étant jusque-là réservée aux agents des organisations internationales publiques ([63]).
En effet, comme le rappelait l’étude d’impact, l’absence d’incrimination du trafic d’influence d’agent public étranger était « reprochée aux autorités françaises de manière persistante et insistante » par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ([64]), le groupe d’États contre la corruption (GRECO) ([65]) et l’office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) ([66]).
3. L’assouplissement des conditions dans lesquelles certains faits de corruption et de trafic d’influence commis à l’étranger peuvent être poursuivis en France
L’article 21 assouplit les conditions dans lesquelles certains faits de corruption et de trafic d’influence commis à l’étranger, par un Français ou par une personne résidant habituellement ou exerçant tout ou partie de son activité économique sur le territoire français, peuvent être poursuivis en France.
Dans un contexte de développement des législations extraterritoriales en matière de lutte contre la corruption, le dispositif français présentait un retard significatif par rapport à d’autres États. L’étude d’impact du projet de loi relevait qu’ « afin de mieux réprimer les versements de pots de vins survenant dans le cadre de transactions commerciales internationales, plusieurs législations étrangères se sont par ailleurs dotées d’une compétence extraterritoriale leur permettant de mieux poursuivre pénalement ce type d’agissements, y compris lorsque ces faits sont commis par des personnes physiques ou par des entreprises étrangères ayant un lien de rattachement, même ténu, avec leur territoire national ».
En application du Foreign Corrupt Practices Act de 1977 et du International Anti-Bribery Act de 1998, la législation anticorruption américaine trouve ainsi à s’appliquer dès lors qu’une société est cotée à la bourse de New-York, qu’elle a des intérêts commerciaux importants aux États-Unis, ou qu’elle a utilisé des moyens situés aux États-Unis, tels qu’un compte en banque ou un paiement en dollars, même s’il n’a pas transité sur le territoire américain.
Au Royaume-Uni, depuis le Bribery Act de 2010, la législation relative à l’obligation de prévenir les faits de corruption au sein de sociétés commerciales s’applique tant aux sociétés britanniques qu’aux entités commerciales étrangères ayant une filiale au Royaume-Uni, ou y entretenant des liens commerciaux, tandis que les faits de corruption d’agents publics étrangers commis en dehors du territoire national peuvent être poursuivis qu’ils soient le fait de ressortissants britanniques ou de ressortissants étrangers résidant habituellement aux Royaume-Uni.
L’Australie, la Suède et la Chine disposent également de législations leur permettant de poursuivre et de sanctionner les faits de corruption en-dehors de leurs frontières.
En France, jusqu’à l’adoption de la loi Sapin 2, la poursuite des faits de corruption à l’étranger était possible, mais limitée par plusieurs verrous.
L’extraterritorialité de la loi française en matière de lutte contre la corruption
Jusqu’à l’adoption de la loi Sapin 2, la loi pénale française était applicable aux infractions commises sur le territoire de la République (article 113-2 du code pénal) et au cas de complicité en France d’un fait principal commis à l’étranger (article 113-5).
Elle était également applicable à un très grand nombre d’infractions commises à l’étranger par un Français ou contre un Français – personne physique ou morale. Lorsque l’auteur avait la nationalité française, l’extraterritorialité concernait tous les crimes et, sous condition de double incrimination, les infractions relevant des délits, conformément à l’article 113-6. Si, de surcroît, la victime avait la nationalité française, l’extraterritorialité concernait, en application de l’article 113-7, tout crime et tout délit puni d’emprisonnement, sans condition de double incrimination.
Toutefois, en application de l’article 113-8 du code pénal, la poursuite ne pouvait être exercée en matière de délits qu’à l’initiative du ministère public ; elle requérait également une plainte des victimes ou une dénonciation par les autorités de l’État sur le territoire duquel les faits ont été commis.
Le rapport de la commission des Lois fait à l’occasion de l’examen de la loi Sapin 2 en première lecture relevait ainsi à titre d’illustration que « la société Total a fait l’objet d’une plainte en France déposée le 16 août 2002, sur le fondement de la compétence personnelle, à propos d’allégations de travail forcé sur un gazoduc en Birmanie entre 1995 et 1998. L’infraction visée était le crime de séquestration, le droit pénal français n’incriminant pas le travail forcé en tant que tel. La procédure n’a cependant pas conduit à un procès en raison de l’insuffisance des informations factuelles apportées au juge d’instruction par les plaignants, conduisant à une ordonnance de non-lieu du 10 mars 2006. »
Source : rapport n° 3785 et 3786 précité, fait au nom de la commission des Lois de l’Assemblée nationale par M. Sébastien Denaja.
Cette situation faisait l’objet de critiques de la part de plusieurs organisations internationales, et notamment de l’OCDE, du GRECO, de l’ONUDC et de la Commission européenne.
L’article 21 assouplit les conditions dans lesquelles les faits de trafic d’influence et de corruption d’agents publics étrangers peuvent être poursuivis en France, à travers deux évolutions importantes.
D’une part, il supprime les trois conditions normalement requises pour l’exercice d’une compétence extraterritoriale concernant ces faits :
– la condition de double incrimination ;
– le monopole des poursuites attribué au ministère public ;
– et l’exigence d’une plainte de la victime ou d’une dénonciation officielle de l’État dans lequel les faits ont été commis.
D’autre part, il permet non seulement de poursuivre les faits commis par un Français ou une personne résidant habituellement en France, mais également ceux commis par une personne exerçant tout ou partie de son activité économique sur le territoire français.
Cette extension aux personnes exerçant tout ou partie de leur activité économique en France n’était pas prévue dans le projet de loi initial, et avait été introduite par voie d’amendement parlementaire à l’Assemblée nationale, à l’initiative de M. Pierre Lellouche en première lecture ([67]) et réintroduit en nouvelle lecture sur proposition de votre rapporteur, M. Olivier Marleix, et de Mme Karine Berger ([68]), suite à leur suppression par le Sénat.
Lors de l’examen du texte en séance publique, en nouvelle lecture, votre rapporteur relevait ainsi que cette proposition visait « à élargir notre acception du lien de territorialité, comme le font notamment les États-Unis dans ce type d’affaires. Il faudrait pouvoir agir à armes égales avec les pays ayant une législation équivalente à la nôtre ».
Après avoir reconnu que ces dispositions relevaient d’une « matière délicate, mais importante », le ministre de l’Économie et des finances, M. Michel Sapin, avait donné un avis favorable à ces amendements. Il relevait : « [ces amendements] créent un cadre comparable à celui qui existe dans d’autres pays. Je n’y vois pas uniquement une manière de s’opposer à d’autres pays, d’affirmer sa souveraineté pour éviter qu’elle ne soit dérobée par une juridiction étrangère : je pense au contraire que ces dispositions permettront un meilleur dialogue entre pays et entre juridictions. C’est également vrai de la transaction, qui permettra le dialogue entre les différentes juridictions ou instructions. Il faudra ensuite déterminer quand, comment et dans quelle mesure la juridiction d’un pays pourra aller jusqu’au bout de la démarche, avec éventuellement une amende à la clé, alors que, pendant ce temps, une autre juridiction pourra effectuer la même opération. » ([69])
4. L’extension des techniques spéciales d’enquête aux faits de détournement de fonds ou de biens publics
Enfin, l’article 24 étend la faculté pour les officiers de police judiciaire et les agents de police judiciaire placés sous leur autorité, avec l’autorisation du procureur de la République, d’utiliser les techniques spéciales d’enquête (surveillance, infiltration, écoutes judiciaires) sur des faits de soustraction ou de détournement de fonds ou de biens publics ([70]) .
5. La convention judiciaire d’intérêt public
L’article 22 du texte crée la convention judiciaire d’intérêt public, qui permet à une personne morale d’échapper à une condamnation pénale, en contrepartie du paiement d’une amende et de la mise en œuvre d’un programme de conformité ([71]).
II. le bilan de la mise en œuvre du dispositif et de l’action de l’afa est satisfaisant malgré certaines insuffisances
En à peine quatre ans, la loi Sapin 2 a permis à la France de rattraper le retard en matière de prévention de la lutte contre la corruption qu’avaient identifié les observateurs internationaux. Le référentiel anticorruption français, prévu par la loi et complété par les recommandations et les guides de l’AFA, constitue une avancée remarquable qui permet de hisser la France au niveau des meilleurs standards internationaux. Le dispositif français s’inspire des expériences étrangères, tout en présentant de fortes singularités.
Les enquêtes menées par l’AFA témoignent de la relativement bonne diffusion des obligations prévues par le texte parmi les acteurs économiques, en particulier chez les acteurs assujettis. Ces derniers se sont dans l’ensemble bien approprié les exigences posées par le texte, même certains points peuvent être améliorés, et le périmètre des entités assujetties gagnerait à être étendu. En revanche, la loi n’ayant pas prévu de référentiel spécifique aux acteurs publics, et n’ayant prévu aucune mesure de publicité ni de sanction en cas de manquement, ces avancées n’ont concerné les acteurs publics que dans une bien moindre mesure.
Concernant plus particulièrement l’AFA, son bilan est satisfaisant. L’agence a été créée rapidement et a très vite démarré ses activités. Ses missions de conseil et d’accompagnement sont appréciées par les acteurs auxquels elles sont destinées. Les auditions conduites par vos Rapporteurs ont fait apparaître des problèmes de méthode à l’occasion des premiers contrôles, mais ceux-ci sont en voie d’amélioration suite à des évolutions notables apportées par l’agence à sa méthodologie de contrôle, ainsi que par des changements dans sa politique de ressources humaines.
Toutefois, le volontarisme qu’a montré l’agence dans le cadre de ses activités de contrôle et de conseil s’est effectué au détriment de sa mission de coordination, dont la réalisation n’est absolument pas satisfaisante. Par ailleurs, les moyens dévolus à l’agence ont été significativement inférieurs aux estimations initiales, et les contraintes associées au rattachement de l’agence au secrétariat général des ministères économiques et financiers pèsent sur son attractivité.
A. les acteurs privÉs se sont bien approprié les obligations issues de la loi sapin 2, mais la diffusion du dispositif reste trÈs limitÉe dans le secteur public
1. Le référentiel anticorruption français constitue une avancée remarquable qui permet de hisser la France au niveau des meilleurs standards internationaux
a. La publication des premières recommandations de l’AFA, dès la fin 2017, a permis de hisser la France au niveau des meilleurs standards internationaux
Le dispositif institué par l’article 17 constitue une avancée remarquable, dans la mesure où il assure la convergence du dispositif français de lutte contre la corruption vers les normes internationales en matière de détection et de prévention de la corruption.
Dans l’ensemble, les exigences posées par le référentiel français présentent un niveau d’exigence équivalent à celui des référentiels anglo-saxons. L’agence souligne ainsi que ces recommandations sont « au moins aussi exigeantes que le FCPA Ressource Guide, le UKBA Guidance et les lignes directrices de la Banque mondiale » ([72]).
Comme le rappelle l’agence dans la contribution écrite qu’elle a transmise à la mission, les législations américaine, britannique et l’article 3 de la loi Sapin 2, applicable aux acteurs public, « ont en commun une logique de moyens. Elles fixent un but : l’arrêt pour l’avenir de la corruption mais le choix des moyens pour y parvenir est libre et fait seulement l’objet de recommandations. » ([73])
L’article 17 de la loi Sapin 2, en revanche, fixe des « outils structurels contraignants pour les acteurs assujettis ». Les huit mesures prévues par l’article se retrouvent dans les référentiels américain et britannique, avec quelques différences, présentées dans le tableau ci-dessous.
correspondance entre les huit mesures et procédures prévues
à l’article 17 de la loi sapin 2, le FCPA et le UKBA
|
FCPA |
UKBA |
Code de conduite |
Présentation du contrôle interne, des politiques applicables et des procédures disciplinaires de manière claire, accessible et régulière. |
Il peut servir d’instrument de communication destiné aux partenaires. |
Alerte interne : signalement d’attitudes contraires au code de conduite |
Dispositif de dénonciation ou de médiation, tout signalement doit donner lieu à une réponse écrite et une mise à jour des procédures. |
Les procédures d’alerte doivent permettre la dénonciation mais aussi faire part de doutes et suggérer des améliorations de politiques anticorruption. |
Cartographie des risques |
Évaluation des risques sur divers facteurs (zone, activité, transaction…) qui doit être régulièrement actualisée. |
|
Évaluation des tiers ex-ante |
Des audits réguliers a posteriori et une information des tiers sur la politique anticorruption de l’entreprise sont recommandés. |
Identique à Sapin 2. |
Contrôle comptable |
Concerne un volet entier du FCPA et s’applique aux sociétés cotées |
Le UKBA recommande simplement la tenue d’une comptabilité transparente et d’un comité d’audit |
Formation du personnel |
Plus large que dans Sapin 2 car elle concerne tout le personnel, cadres et employés. Le contenu de la formation est également plus détaillé. |
|
Sanctions disciplinaires en cas de violation du code de conduite |
Le FCPA prévoit que les sanctions soient proportionnées et que les entreprises puissent mettre en œuvre des mesures d’encouragement pour les salariés qui se conforment. |
Le UKBA encourage la diffusion des sanctions encourues. |
Évaluation et contrôle interne |
Contrôles et révisions périodiques conduites par des cadres expérimentés et indépendants. |
Contrôles et révisions périodiques prenant la forme de contrôles financiers, audit externes, questionnaires auprès du personnel, rapport hiérarchique. |
Des différences notables distinguent cependant le dispositif français des référentiels étrangers.
En effet, en application de la loi Sapin 2, les sanctions administratives infligées en cas de manquement à l’obligation de mettre en place les mesures prévues peuvent l’être en l’absence de tout fait de corruption. Dans les systèmes britannique et américain, en revanche, les éventuels manquements aux normes de prévention et de détection de la corruption sont appréciés lorsqu’est relevée une infraction pénale ([74]).
L’agence relève de plus que « contrairement aux recommandations américaines ([75]) et britanniques ([76]) qui ne portent principalement que sur le phénomène de corruption d’agent public étranger, notamment du côté américain, les recommandations françaises traitent à la fois de la corruption domestique et de la corruption d’agents publics étrangers » ([77]).
Par ailleurs, les obligations issues du référentiel français sont plus formalistes que les normes établies aux États-Unis et au Royaume‑Uni.
L’agence relève qu’« avant même l’élaboration des premières recommandations de l’AFA, la loi Sapin 2 tout en se conformant aux standards internationaux, est un texte à la fois singulier et formaliste qui se distingue des autres normes, notamment américaines et du Royaume-Uni : singulier, car la loi Sapin 2 impose une obligation de programme de conformité ex ante et embrasse à la fois la situation des entreprises et celle des acteurs publics, ce qui la distingue des autres normes contraignantes étrangères, y compris aux USA et au Royaume‑Uni […] formaliste car la loi Sapin 2 définit huit mesures obligatoires dont l’AFA contrôle la mise en œuvre et l’efficacité, tout manquement exposant l’entreprise à des sanctions » ([78]).
Ces remarques rejoignent les constats généraux formulés par la doctrine lors de l’adoption de la loi. Certains avocats avaient ainsi relevé qu’à « la souplesse des mesures prescrites par le FCPA resource guide et les lignes directrices du UKBA, la loi française oppose des mesures plus détaillées », logique qui conduirait paradoxalement à « restreindre l’amplitude du contrôle de l’Agence française anticorruption qui devra se contenter de constater la mise en place ou non des différentes mesures par chaque société, sans pouvoir forcément user d’un très grand pouvoir d’appréciation » ([79]).
La première version des recommandations, publiée le 22 décembre 2017, a ajouté de nouvelles précisions au dispositif déjà prévu par la loi.
Selon les personnes auditionnées, ce formalisme serait peu adapté au fonctionnement des entreprises, et conduirait à leur imposer des obligations trop lourdes au regard de leur profil de risque ([80]).
Parmi les huit mesures prévues par l’article 17, la cartographie des risques et l’évaluation des tiers ont régulièrement été évoquées comme étant particulièrement délicates à mettre en œuvre.
Comme vos Rapporteurs auront l’occasion de le développer dans la suite de ce rapport, ce formalisme est d’autant plus mal perçu par certains acteurs économiques que l’AFA aurait appliqué ce référentiel de manière trop rigoureuse lors de ses premiers contrôles.
Enfin, la mise en œuvre des obligations issues de l’article 17 représenterait un coût important pour les entreprises. Les représentants des entreprises auditionnés par vos Rapporteurs ont évoqué un investissement initial de 1 million d’euros pour une entreprise de taille intermédiaire, puis un coût annuel de 600 000 à 800 000 euros. Pour une multinationale, l’investissement initial s’élèverait entre 2 et 5 millions d’euros, et le coût annuel serait doublé, se situant entre 1 et 2 millions d’euros ; de plus, l’ouverture d’un contrôle alourdirait le coût du dispositif à hauteur de 1 million d’euros.
b. La mise à jour des recommandations de l’AFA de janvier 2021
Aux termes de trois années de pratique, l’AFA a procédé à la mise à jour de ses recommandations à la fin de l’année 2020. Les nouvelles recommandations ont été publiées au Journal officiel le 12 janvier 2021.
Préalablement à cette mise à jour, une consultation a été organisée du 16 octobre au 16 novembre 2020, à laquelle ont participé 42 contributeurs ([81]).
La nouvelle version des recommandations procède à une refonte de la structure d’ensemble. Alors que les recommandations publiées en 2017 étaient organisées sous la forme de fiches, portant sur les huit mesures prévues par la loi, auxquelles s’en ajoutaient trois autres (portant sur le périmètre des recommandations, l’engagement de l’instance dirigeante et les précisions à l’attention des acteurs publics), la révision de 2021 s’articule en trois parties :
– une première partie présentant les dispositions générales applicables à toutes les organisations ;
– une deuxième partie déclinant ces dispositions générales pour les entreprises assujetties à l’article 17 de la loi ;
– une troisième partie déclinant ces dispositions générales pour les acteurs publics assujettis au 3° de l’article 3 de la loi.
Le nouveau corpus est plus long que le précédent, le document publié au Journal officiel en 2021 s’étendant sur 50 pages, contre 36 pages pour la version de 2017.
Sur le fond, de l’avis des praticiens, la mise à jour des recommandations relève plus d’une « évolution » que d’une « révolution », tout en apportant de nombreuses précisions au dispositif ([82]).
Les dispositions générales précisent ainsi qu’un dispositif anticorruption doit s’appuyer sur trois piliers : l’engagement de l’instance dirigeante, la cartographie des risques (qualifiée de « pierre angulaire » du dispositif), et la gestion des risques (qui recouvre les sept autres piliers légaux). L’insistance sur l’engagement de l’instance dirigeante, qui n’est pourtant pas explicitement prévue par la loi Sapin 2, s’explique par le fait que celle-ci reste trop souvent « imperceptible » ([83]), alors même que, comme l’agence l’indiquait dans la réponse transmise au questionnaire de vos Rapporteurs, « les contrôles initiaux […] révèlent que l’engagement de l’instance dirigeante peut être, dans le même secteur d’activité, le principal facteur éclairant les différences de maturité des dispositifs ».
Les nouvelles recommandations formalisent de manière beaucoup plus poussée que précédemment un référentiel à destination des collectivités publiques, et comportent une annexe dressant des exemples de scénarios de risques pour les acteurs publics dans trois processus de gestion publique (le versement de subventions, la gestion des ressources humaines et la commande publique).
La mise à jour apporte des améliorations sur la manière dont l’AFA entend voir s’appliquer certaines mesures. Par exemple, les évolutions relatives à l’évaluation des tiers paraissent ainsi satisfaire les acteurs : l’IFACI considère que sur ce point, les recommandations ont évolué de manière satisfaisante vers une « approche graduée » ([84]), avis qui paraît partagé par d’autres praticiens ([85]).
Les nouvelles recommandations continuent toutefois de faire l’objet d’interrogations de la part des praticiens, qui s’interrogent sur la hiérarchisation opérée par le texte entre les différentes mesures ([86]), ou déplorent la persistance d’un niveau de formalisme important ([87]).
VUE D’ENSEMBLE DES TROIS PILIERS DU DIPOSITIF ANTICORRUPTION ISSU DES NOUVELLES RECOMMANDATIONS DE L’AFA
Source : Recommandations de l’Agence française anticorruption, publiées au Journal officiel le 12 janvier 2021.
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2. La diffusion du dispositif est satisfaisante auprès des acteurs économiques assujettis
a. Un dispositif dans l’ensemble bien connu, mais dont la diffusion parmi les acteurs non assujettis doit être améliorée
Dans l’ensemble, la diffusion des obligations issues de l’article 17 auprès des acteurs économiques est satisfaisante. Elle reste toutefois perfectible, notamment auprès des entreprises étant situées en-dessous des seuils d’effectifs et de chiffre d’affaires prévus par la loi.
Au mois de février 2020, l’AFA a lancé un diagnostic national à destination de plusieurs milliers d’entreprises de tous les secteurs d’activité, afin de faire un état des lieux de la maturité de leurs dispositifs de prévention et détection de la corruption. Ses résultats ont été publiés au mois de septembre de la même année ([88]). L’étude apporte trois enseignements principaux.
Premièrement, les entreprises ont le sentiment de « bien connaître les infractions de corruption », et « 70 % d’entre-elles ont mis en place un dispositif de prévention ». Pour les entreprises ayant mis en place un dispositif anticorruption, celui‑ci date de moins de 3 ans dans la moitié des cas, ce qui suggère que la loi Sapin 2 a eu des effets concrets sur la mise en œuvre de tels dispositifs. 68 % des répondants ont indiqué que la mise en place du dispositif avait été effectuée pour « être en accord avec les dispositions législatives ».
De manière générale, les acteurs considèrent que certaines fonctions sont plus exposées que d’autres au risque de corruption, notamment les achats et le commerce, mais d’autres fonctions comme les fonctions juridiques, l’ingénierie, la communication ou encore la recherche et le développement « sortent du spectre de vigilance anticorruption des entreprises ».
Deuxièmement, l’étude relève que ces dispositifs restent « trop lacunaires sur les cartographies des risques et l’évaluation de tiers ». La majorité des entreprises est dotée d’un code de conduite ou d’une charte déontologique (85 %), mais la mise en œuvre des autres mesures reste insuffisante.
MATURITÉ DES DISPOSITIFS ANTICORRUPTION DANS LES ENTREPRISES
Source : Agence française anticorruption, Diagnostic national sur les dispositifs anticorruption dans les entreprises, résultats de l’enquête 2020, septembre 2020.
Si ces dispositifs sont perçus comme étant mis à jour de façon satisfaisante, l’enquête identifie d’autres fragilités : le risque de corruption n’est entièrement pris en compte dans les procédures que dans 46 % des entreprises, la sensibilisation des différents échelons hiérarchiques est « incomplète », et le responsable de la fonction conformité, qui n’est présent que dans 45 % des entreprises, est dans l’ensemble « peu impliqué dans les décisions stratégiques ».
Troisièmement, les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les petites et moyennes entreprises (PME), qui ne sont pas assujetties aux obligations de conformité édictées à l’article 17 mais qui peuvent tout de même se retrouver évaluées par un partenaire commercial, se sentent « peu concernées par la corruption » et semblent « accuser un retard dans le déploiement du dispositif de prévention ». L’étude relève que « les cas de corruption rencontrés sont plus nombreux dans les entreprises assujetties que dans les entreprises non assujetties (34 % contre 13,5 %) » et qu’en outre, les entreprises non assujetties « sanctionnent peu les auteurs des faits de corruption » ([89]). Malgré ces risques, seule la moitié des entreprises non-assujetties sont dotées d’un dispositif de prévention, contre 95 % pour les entreprises assujetties.
Dans sa réponse au questionnaire transmis par vos Rapporteurs, l’AFA relève que les contrôles réalisés ont permis de mettre en évidence le fait que « la cartographie des risques, l’évaluation des tiers, les contrôles comptables et les procédures de contrôle périodique et d’audit présentent des marges de progrès car [ces mesures sont] plus complexes à conceptualiser et [nécessitent de] mettre en œuvre que d’autres obligations plus formelles ou plus simples au plan opérationnel (code de conduite, système d’alerte, formation, régime disciplinaire) » ([90]).
Selon une récente étude menée auprès de directeurs juridiques d’entreprises, cette mise en œuvre partielle peut s’expliquer par certaines difficultés, telles que le manque de temps ou des problèmes en matière de ressources humaines ou financières (pour les deux tiers des sondés), la complexité des mesures (pour la moitié des sondés), ou encore par un défaut d’implication des dirigeants (pour un tiers des sondés) ([91]).
b. Le périmètre des entités auxquelles s’appliquent ces obligations, et les seuils devant être mis en œuvre
L’article 17 de la loi prévoit que les mesures de prévention et de détection de la corruption doivent être mises en œuvre par les présidents, les directeurs généraux et les gérants d’une société :
– employant au moins cinq cents salariés, ou appartenant à un groupe de sociétés dont la société mère a son siège social en France et dont l’effectif comprend au moins cinq cents salariés ;
– et dont le chiffre d’affaires ou le chiffre d’affaires consolidé est supérieur à 100 millions d’euros.
Cette obligation s’impose également aux présidents et directeurs généraux d’établissements publics à caractère industriel et commercial, ainsi que, selon les attributions qu’ils exercent, aux membres du directoire des sociétés anonymes régies par l’article L. 225-57 du code de commerce qui répondent à ces critères.
Par ailleurs, lorsque la société établit des comptes consolidés, les obligations définies portent sur la société elle-même ainsi que sur l’ensemble de ses filiales ou des sociétés qu’elle contrôle. Lorsque les mesures mises en œuvre par la société mère s’appliquent à l’ensemble des filiales ou des sociétés contrôlées, ces dernières sont réputées satisfaire aux obligations prévues par la loi.
L’étude d’impact accompagnant le projet de loi ne comportait pas d’explications sur les raisons ayant présidé à la fixation de ces seuils, relevant simplement que les obligations prévues par l’article devaient s’appliquer aux « plus grandes entreprises ».
Certaines personnes auditionnées par la mission ont relevé le caractère « binaire » du dispositif, qui induirait un effet de seuil important lorsque les entreprises atteignent les niveaux d’effectifs ou de chiffre d’affaires prévus par la loi. Par ailleurs, ces seuils ne prendraient pas en compte le profil de risque de l’entreprise, qui dépend de nombreux paramètres, tels que le secteur d’activité, sa gouvernance, son implantation géographique, son organisation, son modèle économique, ou encore l’identité des tiers.
Interrogée sur ce point, l’AFA a reconnu que la fixation de ces seuils était délicate, et qu’il n’était « pas aisé d’établir des seuils objectifs au-delà desquels les enjeux anticorruption deviennent incontournables pour une entreprise dans la mesure où les obligations qui découlent de la loi doivent être, en réalité, adaptées non à sa seule taille mais à son profil de risque ». L’agence relève par ailleurs que « des ETI et des PME, même sous les seuils de la loi Sapin 2, peuvent, du fait de ces critères, être exposés à des risques de corruption qui justifient de mettre en place des mesures anticorruption ».
L’agence estime que les niveaux fixés présentent deux avantages :
– ils permettent de « soumettre les plus grands groupes français à l’obligation de mettre en place un dispositif efficace pour se prémunir contre le risque de corruption » ;
– ils sont « vertueux, car l’obligation légale pesant sur les grands groupes de déployer un dispositif anticorruption, et notamment une évaluation de l’intégrité de leurs tiers, conduit les entreprises sous les seuils, qui font affaire avec eux, à mettre en place des mesures pour démontrer leur intégrité ».
L’agence avance trois arguments s’opposant au rehaussement de ces seuils :
– cela aurait pour conséquence d’exclure les entreprises de taille intermédiaire du dispositif, alors que ces entreprises sont présentes à l’international et sont appelées à s’y développer. L’agence indique par ailleurs avoir ouvert peu de contrôles sur les entreprises de taille intermédiaire françaises ;
– cela augmenterait les risques que des entreprises étrangères implantées en France échappent à l’obligation d’un dispositif anticorruption ;
– enfin, cela pourrait constituer un signal négatif à l’échelle internationale, de nature à nuire à la crédibilité du cadre législatif français.
Toutefois, si, en application de la rédaction actuelle de l’article, les groupes étrangers disposant de petites filiales en France sont concernés par ces obligations (dès lors que chacune des petites filiales ou le sous-groupe qu’elles forment en France dépassent les seuils prévus par la loi), tel n’est pas le cas des petites filiales françaises de grands groupes étrangers.
L’AFA relève ainsi que la « condition d’établissement du siège de la société mère en France a pour effet d’exclure du périmètre de l’article 17 bon nombre de groupes étrangers qui ne disposent pas sur le territoire national de filiales atteignant les seuils ou, dans le cas contraire, peuvent être tentés d’en réduire les effectifs pour s’affranchir du respect de l’article 17 ». L’agence indique par ailleurs avoir « entendu ouvrir un nombre significatif de contrôles sur des filiales françaises de groupes étrangers ».
Afin de remédier à cette situation, vos Rapporteurs proposent de supprimer la condition d’établissement du siège social de la société mère en France, pour les filiales situées en France. Cette suppression permettrait de rétablir une égalité de traitement entre les petites filiales de grands groupes situées en France, selon que la société mère est établie en France ou à l’étranger.
Proposition n° 1 : Supprimer la condition tenant à la localisation en France du siège social de la société mère, afin de soumettre aux obligations prévues par l’article 17 les petites filiales de grands groupes étrangers établies en France, dès lors que la société mère dépasse les seuils prévus par la loi.
3. Dans le secteur public, la diffusion du dispositif est en revanche bien plus faible
a. La loi Sapin 2 soumet les acteurs publics à l’obligation générale de prévention et de détection de la corruption, mais ne prévoit pas de sanction aux éventuels manquements constatés
L’article 3 de la loi Sapin 2 prévoit que la compétence de l’Agence française anticorruption s’étend aux personnes morales de droit public. L’AFA « élabore des recommandations destinées à aider les personnes morales de droit public et de droit privé à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme » (dans son 2°), et « contrôle […] la qualité et l’efficacité des procédures mises en œuvre au sein des administrations de l’État, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics et sociétés d’économie mixte, et des associations et fondations reconnues d’utilité publique pour prévenir et détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme » (dans son 3°).
Si l’article 17 de la loi, qui prévoit la mise en place du dispositif de prévention et de détection de la corruption s’applique prioritairement à certaines entreprises de taille significative, la loi ne précise pas, en revanche, la nature des obligations devant s’appliquer aux personnes morales de droit public.
Les recommandations publiées par l’agence en 2017, applicables aux personnes morales de droit privé comme de droit public, consacraient une annexe entière à des « précisions à l’attention des acteurs publics », qui déclinaient la mise en œuvre des différentes mesures à ces acteurs.
Comme vos Rapporteurs ont eu l’occasion de le rappeler, la structure d’ensemble des recommandations de l’agence a été profondément remaniée à l’occasion de la mise à jour intervenue en 2021, et accorde une place bien plus importante aux acteurs publics que la version précédente ([92]).
Lors de l’examen du texte au Parlement, la question d’exclure les collectivités du dispositif avait été écartée. Tout en indiquant que « la cible de l’Agence française anticorruption […] ce n’est pas la commune de 3 500 habitants, le rapporteur de la commission des Lois à l’Assemblée nationale, M. Sébastien Denaja, avait souligné qu’« exclure les collectivités territoriales du champ de compétence de l’Agence française anticorruption après trente ans de décentralisation, compte tenu de l’importance des missions qu’elles exercent, du fait qu’elles réalisent plus de 70 % de l’investissement public en France et qu’elles constituent donc une cible pour les corrupteurs, ce serait manquer à l’objectif que nous nous assignons tous » ([93]).
Enfin, la loi ne prévoit pas de sanction en cas d’insuffisance ou de manquement constaté à ces obligations. L’article 3 indique simplement que les contrôles « donnent lieu à l’établissement de rapports transmis aux autorités qui en sont à l’initiative ainsi qu’aux représentants de l’entité contrôlée », qui « contiennent les observations de l’agence […] ainsi que des recommandations en vue de l’amélioration des procédures existantes ».
b. Les obligations issues de la loi Sapin 2 sont peu mises en œuvre au sein des administrations publiques et des collectivités territoriales
En 2018, l’AFA a réalisé une enquête sur la prévention de la corruption dans le service public local ([94]).
Les résultats de l’enquête reflètent une « grande diversité de situations entre collectivités : nombre d’entre elles, et pas toujours les plus petites, ne mettent quasiment pas en place de mesures spécifiques de prévention des atteintes à la probité ». L’agence relève par ailleurs que « lorsque des dispositions sont prises, elles ne sont presque jamais intégrées dans un dispositif anticorruption complet », et que « le niveau de formation et de sensibilisation des agents et des élus est très perfectible ».
Les résultats sont très différents selon la mesure considérée : si la cartographie des risques est quasi-inexistante, la mise en œuvre du dispositif de contrôle interne, du référent déontologue, et du dispositif de recueil des alertes, quoique faible, paraît plus fréquente.
Seules 7,3 % des organisations ayant répondu à l’enquête avaient mis en place un plan ou des mesures ponctuelles pour prévenir les atteintes à la probité. 1,7 % avaient mis en place une cartographie des risques, malgré son importance dans le dispositif anticorruption, tandis que 21,1 % avaient désigné un référent déontologue, dont la création constitue pourtant une obligation légale.
L’enquête révèle également des degrés de maturité très variables selon la catégorie de collectivités. Seules 4,4 % des communes avaient mis en place un plan ou des mesures anticorruption, contre 39,7 % des départements et près de 85 % des régions. Toutefois, si l’on considère uniquement les communes de plus de 80 000 habitants, ce taux atteint 29,7 %.
PRINCIPALES DONNÉES DE L’ENQUÊTE DE L’AFA
SUR LA PRÉVENTION DE LA CORRUPTION DANS LE SERVICE PUBLIC LOCAL
Source : Agence française anticorruption, Enquête sur la prévention de la corruption dans le service public local, Rapport d’analyse, novembre 2018.
La mobilisation des organisations publiques paraît ainsi dépendre de plusieurs facteurs. L’agence indique que « les grandes collectivités et les organismes associés semblent davantage mobilisés » : les entités disposant des moyens les plus importants apparaissent comme « celles ayant consenti le plus fréquemment des efforts. Ainsi, ce sont les régions, les départements et les grandes communes qui mettent en œuvre une partie des outils de l’anticorruption. »
Par ailleurs, certains acteurs entrent dans le champ de l’article 17 et sont de ce fait mieux sensibilisés : « les entités qui, de par leur nature, sont assujetties à l’obligation de se doter de plans anticorruption (EPL et OPH d’une certaine taille) ont mis en œuvre partiellement les outils nécessaires », et l’agence suggère qu’il « est possible que cela produise un effet d’entraînement sur les acteurs du même type (EPL et OPH) mais de taille plus modeste qui, eux, ne sont pas concernés par les obligations s’appliquant aux entreprises ».
Le dernier rapport annuel d’activité publié par l’agence relève également une « faible maturité des acteurs publics dans la maîtrise des risques d’atteinte à la probité » ainsi qu’une « mise en œuvre partielle des recommandations de l’AFA adressées aux acteurs publics ».
Le rapport relève ainsi que les contrôles des acteurs publics, qu’il s’agisse des administrations de l’État ou des collectivités territoriales, montrent encore « d’importantes marges de progrès en ce qui concerne la prévention et la détection des atteintes à la probité » et souligne que « ces mesures, lorsqu’elles existent, sont éparses et incomplètes, et s’appuient rarement sur un réel engagement des instances dirigeantes et sur une évaluation préalable et rigoureuse des risques ». ([95])
Les travaux conduits par vos Rapporteurs leur ont permis de formuler les mêmes constats.
Les auditions ont par ailleurs relevé la spécificité de la problématique des atteintes à la probité dans le secteur public local. Ainsi, M. Alain Chrétien, maire de Vesoul, président de l’agglomération de Vesoul et de l’Association des maires de Haute-Saône, rappelait que la corruption constituait toujours un sujet très sensible, « de l’ordre du tabou », au sein des exécutifs locaux. Il ajoutait que si la lutte contre la corruption est naturellement une préoccupation des collectivités, la loi Sapin 2 n’était ainsi pas « entrée dans les mœurs » des élus locaux. Il relevait enfin que l’Agence française anticorruption était encore « totalement inconnue d’une très grande majorité [des maires] ».
Dans sa réponse écrite au questionnaire transmis par vos Rapporteurs, la région Grand Est relevait la difficulté pour certaines collectivités manquant de moyens de répondre au « niveau d’exigence très élevé » des recommandations de l’AFA, les prescriptions de l’agence pouvant se heurter « de manière structurelle (pour les collectivités les plus petites) ou conjoncturelle (baisse des ressources disponibles) à la mobilisation des moyens nécessaires ».
B. l’action de l’afa a ÉtÉ dÉterminante dans la diffusion du dispositif prÉvu par la loi, malgré un bilan peu satisfaisant en matiÈre de coordination administrative
1. L’Agence française anticorruption a rapidement été opérationnelle
La création de l’Agence française anticorruption est intervenue rapidement après l’adoption de la loi, et a démarré ses activités dès 2017.
Lors de l’examen de la loi en lecture définitive à l’Assemblée nationale, le ministre de l’Économie et des finances, M. Michel Sapin, s’était engagé à ce que le texte soit rapidement appliqué ([96]). Il rappelait par ailleurs : « je peux même, s’agissant de l’Agence française anticorruption, qui est un des éléments forts du texte, vous informer que le garde des sceaux et moi-même aurons à désigner très rapidement celui qui agira comme préfigurateur de cette agence avant d’avoir à en diriger l’action. Il sera ainsi au travail dans les tout prochains jours pour permettre à cette agence d’entrer dans les faits. »
Dès le vote de la loi au Parlement, et sans attendre la décision du Conseil constitutionnel et la publication au Journal officiel, une mission de préfiguration de l’agence a ainsi été confiée à M. Charles Duchaine, inspecteur général de la justice, alors directeur général de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC). ([97])
Les textes réglementaires permettant la création de l’AFA ont été pris dans un délai court. Le décret d’application des articles 1er à 4, 17 et 18, pris après avis du Conseil d’État, ainsi que l’arrêté relatif à l’organisation de l’AFA ont été publiés le 14 mars 2017 ([98]). Seul l’arrêté du 14 mars 2017 a pour l’instant été modifié, en 2019, dans le sens d’une simplification de l’organisation de l’AFA ([99]). Le directeur a été officiellement nommé le 17 mars 2017 ([100]), les membres du conseil stratégique, entre le 5 et le 10 mai ([101]), et les membres de la commission des sanctions, le 28 juillet ([102]). Les premiers recrutements de l’agence ont ainsi pu être effectués dès l’été.
L’AFA a ainsi rapidement été opérationnelle, et a lancé très tôt ses premiers contrôles. Six contrôles d’initiative ont ainsi été initiés dès l’automne 2017. L’agence a poursuivi sur sa lancée en 2018 et a ouvert 43 contrôles d’initiative, dont plus du tiers portant sur des acteurs publics.
NOMBRE DE CONTRÔLES INITIÉS PAR l’AFA, PAR AN, DEPUIS 2017 (au 31 mars 2021)
|
|
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
31/03/2021 |
|
Initiative |
Acteurs économiques |
Initiative |
6 |
28 |
15 |
15 |
n.c. |
Suite |
– |
– |
5 |
4 |
n.c. |
||
Acteurs publics |
Initiative |
– |
15 |
11 |
8 |
n.c. |
|
Suite |
– |
– |
5 |
2 |
n.c. |
||
Total |
6 |
43 |
36 |
29 |
n.c. |
||
Exécution |
CJIP |
Nouveaux |
– |
4 |
– |
1 |
1 |
Poursuite |
– |
– |
4 |
3 |
2 |
||
Injonction prononcée par la commission des sanctions |
– |
– |
– |
– |
1 |
Source : Agence française anticorruption.
Concernant sa mission d’appui et de conseil, l’AFA a été rapidement en mesure de conduire des actions de sensibilisation, de formation et d’accompagnement. 23 interventions de sensibilisation ont ainsi été réalisées dès 2017, et 66 en 2018, tandis que 6 736 personnes ont assisté aux deux sessions de cours en lignes organisées en 2018. L’agence a par ailleurs traité 135 saisines écrites en 2017 et 152 en 2018.
activités d’appui et de conseil de l’AFA (au 31 mars 2021)
|
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2017-2021 |
Sensibilisation |
|
|
|
|
|
|
Nombre de guides édités ou mis à jour (*) |
– |
– |
1 |
4 |
0 |
5 |
Nombre d’interventions de sensibilisation |
23 |
66 |
69 |
29 |
17 |
204 |
Formation |
|
|
|
|
|
|
Nombre d’ateliers techniques (**) |
– |
17 |
22 |
8 |
3 |
50 |
Nombre d’actions de formations |
– |
12 |
50 |
19 |
10 |
91 |
Nombre de personnes formées (***) |
– |
n.d. |
n.d. |
n.d. |
n.d. |
n.d. |
Nombre de sessions de cours en ligne |
– |
2 |
3 |
3 |
1 |
9 |
Nombre de personnes ayant assisté aux cours en ligne |
– |
6 736 |
6 992 |
8 693 |
2 045 |
24 466 |
Nombre de colloques organisés |
1 |
– |
1 |
1 |
– |
3 |
Accompagnement |
|
|
|
|
|
|
Nombre de saisines écrites reçues par l’AFA |
135 |
152 |
109 |
95 |
57 |
548 |
Nombre de saisines écrites traitées par l’AFA |
135 |
152 |
109 |
91 |
36 |
523 |
Nombre d’entreprises individuelles accompagnées |
– |
8 |
7 |
4 |
2 |
21 |
Nombre d’acteurs publics accompagnés |
– |
12 |
9 |
9 |
3 |
33 |
(*) Hors recommandations de l’AFA publiées en 2017 et 2021, hors Lignes publiées en 2019 et hors chartes de l’appui aux acteurs économiques, de l’accompagnement des acteurs publics et des droits et devoirs des parties prenantes au contrôle.
(**) Chaque atelier technique accueille entre 10 et 40 entreprises.
(***) En règle générale, le nombre des personnes formées se situe dans une fourchette d’une dizaine à une soixantaine de personnes. Cette jauge est plus importante en webinaire.
Source : Agence française anticorruption.
2. Si des maladresses ont pu être commises lors des premiers contrôles, l’agence a par la suite fait évoluer ses méthodes et son organisation
Le déroulement des contrôles est structuré de manière cohérente, et correctement formalisé. Afin d’exposer les modalités de réalisation des contrôles, et de préciser les principes de bonne conduite suivis par les agents en charge ainsi que les comportements attendus des personnes sollicitées à cette occasion, l’agence a publié sur son site internet une Charte des droits et devoirs des parties prenantes aux contrôles. Si elle n’a pas vocation à décrire avec exhaustivité tous les détails d’un contrôle, cette charte informe les personnes contrôlées des pratiques d’usage, et constitue ainsi un outil utile à leur disposition.
Les personnes auditionnées ont toutefois émis des critiques sur la manière dont se seraient déroulés les premiers contrôles, trop lourds et intrusifs, ce qui semble avoir nui à l’établissement d’une relation de confiance avec les entreprises.
Lors de son audition par vos Rapporteurs, le directeur de l’AFA, M. Charles Duchaine, défendait la vigueur des contrôles conduit par l’agence, et relevait : « Nos contrôles portent d’abord sur l’existence des dispositifs de prévention de la corruption, mais également sur leur efficacité et leur effectivité. Je ne veux pas être soupçonné de cautionner un système cosmétique. Je l’ai trop supporté dans des fonctions antérieures. »
Il reconnaissait néanmoins que les premiers contrôles conduits par l’AFA, trop étendus, avaient pu poser des difficultés, que l’agence avait pu, à ses débuts, avancer par « tâtonnements », et qu’elle s’était parfois montrée « jusqu’au-boutiste » sur certains sujets. Il indiquait ainsi : « Nous avons péché par la volonté de bien faire ». Dans la réponse au questionnaire transmis par vos Rapporteurs, il faisait par ailleurs état d’une « insuffisante maîtrise des délais de contrôle, dans un contexte marqué par de sérieuses difficultés opérationnelles » ([103]).
Tirant les enseignements de ces premières expériences, l’agence a procédé à des améliorations concernant la gestion des ressources humaines, le déroulement des contrôles et la formalisation des rapports.
a. Les difficultés rencontrées lors des premiers contrôles
Les critiques portaient sur plusieurs points :
– de manière générale, l’approche retenue par l’AFA lors de certains contrôles laisserait penser que l’objectif ne serait pas tant de contrôler la qualité du dispositif de prévention et de détection de la corruption mis en place au sein de la société contrôlée que de rechercher d’autres manquements ou infractions éventuels ;
– certaines entreprises et leurs conseils ont souligné que l’agence éprouverait des difficultés à appréhender le profil de risque de l’entreprise. Elle suivrait une approche très abstraite, laissant peu de place à la proportionnalité dans l’appréciation de la mise en œuvre des obligations et des recommandations ;
– par ailleurs, l’agence aurait suivi, surtout lors des premiers contrôles, une approche exhaustive la conduisant à demander de très grandes quantités de documents dans un temps limité ;
– la phase contradictoire ne serait pas suffisamment exploitée ;
– enfin, les contrôles ne feraient pas l’objet d’un calendrier suffisamment précis et certains atteigneraient des durées excessives, et qui ne seraient pas adaptées à la vie des entreprises qui, le temps du contrôle, peuvent changer de périmètre (à la suite de fusions ou d’acquisitions), ou faire évoluer leurs programmes de conformité.
Aux termes de l’article 1er de la loi Sapin 2, la mission de l’AFA consiste à « aider les autorités compétentes et les personnes qui y sont confrontées à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme ». Si les articles 3 et 17 donnent compétence à l’AFA pour contrôler la « qualité et l’efficacité des procédures mises en œuvre » par les acteurs publics pour prévenir et détecter les faits d’atteinte à la probité, ainsi que le respect par les acteurs économiques des « mesures et procédures destinées à prévenir et à détecter la commission, en France ou à l’étranger, de faits de corruption ou de trafic d’influence », le législateur n’a pas entendu conférer à l’Agence française anticorruption un rôle d’enquête et de poursuite.
L’AFA peut signaler au procureur de la République compétent les crimes et délits dont elle a connaissance au titre de l’article 40 du code de procédure pénale. Toutefois, ces signalements n’interviennent que de manière incidente, et ne constituent pas l’objectif des contrôles, qui visent à vérifier la bonne application des obligations issues des articles 3 et 17 de la loi, c’est-à-dire l’effectivité des dispositifs de prévention et de détection de la corruption. L’agence indique avoir ainsi réalisé 14 signalements à l’autorité judiciaire au titre de l’article 40 du CPP, entre sa création et le 31 décembre 2020.
Le rôle dévolu à l’agence avait été précisé dès les travaux préparatoires. Dans son avis du 24 mars 2016, le Conseil d’État indiquait ne pas avoir adopté la formulation suivant laquelle le service est chargé de la « détection » de la corruption, « terme susceptible de créer une confusion avec la compétence des autorités judiciaires pour constater des infractions, et avec les responsabilités des entités administratives ou économiques elles-mêmes, astreintes à un devoir de vigilance particulier dans ce domaine, à charge ensuite pour elles, en cas d’infraction, de le signaler au procureur ». Aussi le Conseil d’État avait-il retenu que le service devait être « chargé d’aider à la prévention et à la détection, par les autorités compétentes et les personnes concernées, des faits de corruption ».
La question avait par la suite été abordée lors des débats parlementaires, et les travaux préparatoires laissent peu de doute quant à l’intention du législateur. Le rapporteur de la commission des Lois à l’Assemblée nationale, M. Sébastien Denaja, relevait ainsi dès l’examen du texte en première lecture que « l’Agence anticorruption n’est pas un parquet national financier bis : ses missions – détection, prévention – sont très différentes » ([104]).
Toutefois, certaines personnes auditionnées ont indiqué que la finalité des contrôles conduits par l’agence était parfois ambiguë, le déroulement des contrôles paraissant orienté vers la recherche de potentielles infractions, et non vers le contrôle de la mise en œuvre des dispositifs de prévention et de détection prévus par la loi.
À la fin de l’année 2017, le directeur de l’AFA identifiait, dans une interview donnée à l’agence Reuters, certaines limites structurelles à l’action de l’agence dans la lutte contre la corruption. Il regrettait notamment la faiblesse de ses pouvoirs d’investigation, qui ne permettraient de ne « mettre au jour des faits de corruption que de manière assez accidentelle » ([105]).
La réponse écrite de l’AFA au questionnaire transmis par vos Rapporteurs entretient cette ambiguïté. Elle souligne que la loi Sapin 2 avait « d’abord investi l’AFA d’une mission de détection […] Mais les outils de cette détection n’ont pas été donnés à l’AFA dont les missions de détection semblent contestées et dont les initiatives prises en ce domaine ne semblent pas avoir pas été particulièrement goûtées. »
Vos Rapporteurs considèrent que les contrôles doivent porter sur la mise en œuvre des dispositifs de prévention de la corruption, dans l’objectif d’aider les autorités compétentes à prévenir et à détecter les faits de corruption et d’atteinte à la probité.
S’il n’est bien évidemment pas question de remettre en cause la nécessité de signaler au parquet les infractions détectées lors des contrôles, en application de l’article 40 du code de procédure pénale, de tels signalements ne doivent pas constituer l’objectif à atteindre.
S’agissant des délais, l’agence a indiqué que lors des entretiens initiaux, l’organisation du contrôle et sa durée indicative étaient « partagées avec les entités contrôlées », et que les opérations de contrôle étaient « calibrées pour s’étendre, pour un contrôle global, sur une durée d’un an ».
Toutefois, d’après les éléments transmis par l’agence, sur 52 contrôles terminés, seul un quart a pu être achevé en un an, et moins de la moitié (25) a pu être bouclée en moins de 18 mois. 15 contrôles se sont étendus sur une durée supérieure à deux ans, et la durée d’un contrôle a même atteint 36 mois.
DurÉe des contrôles conduits par l’AFA (au 31 mars 2021)
|
0 à 6 mois |
7 à 12 mois |
13 à 18 mois |
19 à 24 mois |
25 à 30 mois |
31 à 36 mois |
Plus de 36 mois |
Nombre de contrôles |
1 |
13 |
12 |
11 |
9 |
6 |
0 |
Source : Agence française anticorruption.
L’agence souligne que « la durée (écart entre l’avis de contrôle et la notification du rapport définitif) moyenne des contrôles clôturés au 31 mars 2021 est de 19 mois, pour une médiane de 18 mois (21 et 22 mois pour les contrôles des acteurs économiques, 17 et 16 mois pour les contrôles des acteurs publics) ». Des difficultés particulières ont été rencontrées concernant les contrôles ouverts en 2018, dont la durée moyenne et médiane atteint 27 mois.
Interrogée sur ce point par vos Rapporteurs, l’AFA a reconnu que les premiers contrôles d’initiative sur les acteurs économiques ouverts en 2017 et 2018 ont pu présenter des « difficultés particulières », qu’elle attribue principalement à des problèmes tenant à la gestion de ses ressources humaines (voir infra).
De tels délais ne permettent pas à l’agence d’accompagner convenablement les entreprises dans l’amélioration de leurs dispositifs de contrôles. Ils sont en outre susceptibles d’entraîner des difficultés en cas de saisine de la commission des sanctions, puisque celle-ci apprécie la conformité du dispositif de prévention et de détection de la corruption au moment où elle statue.
À l’occasion de la première décision qu’elle a rendue, la commission des sanctions a ainsi constaté la caducité des observations formulées par le directeur de l’agence. ([106])
iii. Le caractère exhaustif des contrôles
Une critique récurrente formulée par les entreprises a porté sur l’ampleur des documents et informations demandées par l’agence au cours des contrôles, et sur l’utilisation faite de ces documents.
Le questionnaire publié sur le site de l’agence fait ainsi état de 163 questions ([107]), qui constituent le préalable à tout contrôle, des documents complémentaires pouvant être demandés par l’agence. Cela représenterait une quantité de documents très importante (de 500 à 800 documents pour les grandes entreprises, selon les personnes auditionnées).
L’AFA exigerait ainsi la fourniture de documents qui dépasseraient le périmètre du dispositif de conformité des entités contrôlées (tels que des contrats de travail, des rapports d’audits internes, des pièces comptables, ou des notes couvertes par le secret professionnel).
Selon les personnes auditionnées, ces demandes auraient été de nature à excéder les capacités de traitement immédiates de l’agence.
Enfin, certaines personnes auditionnées ont avancé que la conservation des documents et informations transmis à l’agence, qui sont pourtant particulièrement sensibles, ne serait pas suffisamment sécurisée. L’agence dément ce point.
La sécurité des documents et informations transmis à l’AFA
Les documents et informations transmis sont conservés dans des conditions garantissant la confidentialité :
– les documents papier, relativement rares, sont stockés dans les bureaux de l’AFA qui sont sécurisés. Les agents sont sensibilisés à la nécessité de fermer à clé leur bureau et leurs armoires. Les pièces les plus sensibles sont stockées dans un coffre-fort ;
– les fichiers sont transmis de manière sécurisée aux équipes de contrôle (messagerie gérée par le ministère de l’Économie et des finances, plateforme de téléchargement SOFIE gérée par le ministère) ;
– les fichiers sont archivés sous un réseau sécurisé, accessible aux équipes de contrôle concernées et à leur hiérarchie. Depuis 2020 et le déploiement d’un outil SI spécifique aux contrôles, ils sont stockés sur cet outil qui a été conçu par le ministère de l’Économie et des finances. L’objectif de sécurisation et de confidentialité des données stockées a été pris en compte tout au long des travaux d’élaboration de cet outil, à travers notamment des audits de sécurité et d’intrusion en lien avec la criticité des informations transmises. L’outil a notamment été validé par le SHFDS ministériel.
Source : Agence française anticorruption.
Par ailleurs, au-delà des questions relatives à la quantité des informations demandées, se pose la question de la nature des documents transmis. Les personnes auditionnées ont relevé que l’AFA mettait en œuvre une conception étendue du droit de communication qui lui était conféré par l’article 4 de la loi.
Cet article prévoit en effet que les agents « peuvent être habilités, par décret en Conseil d’État, à se faire communiquer par les représentants de l’entité contrôlée tout document professionnel, quel qu’en soit le support, ou toute information utile. Le cas échéant, ils peuvent en faire une copie. Ils peuvent procéder sur place à toute vérification de l’exactitude des informations fournies. Ils peuvent s’entretenir, dans des conditions assurant la confidentialité de leurs échanges, avec toute personne dont le concours leur paraît nécessaire. »
Le décret du 14 mars 2017 précité précise que les « magistrats ou fonctionnaires de catégorie A affectés dans les unités de contrôle et d’expertise […] sont habilités de plein droit à exercer les contrôles » prévus par la loi.
La loi prévoit par ailleurs une amende de 30 000 euros en cas d’entrave à l’exercice de ce droit de communication.
La commission des sanctions de l’AFA a par ailleurs précisé qu’elle pouvait être amenée à se prononcer sur l’utilité des documents ou informations demandés par l’agence, dans le cadre de l’examen au fond des faits et des pièces sur lesquels elle s’appuie pour établir les manquements invoqués ([108]). L’exercice du droit de communication est ainsi limité par sa finalité et sa nécessité, la commission des sanctions insistant sur le fait que l’AFA peut solliciter des documents et renseignements dès lors qu’ils sont « utiles », « notamment par ce qu’ils sont de nature à permettre d’appréhender concrètement l’exposition de l’entité contrôlée aux risques de corruption et de trafic d’influence eu égard à la façon dont l’entité contrôlée a fait face dans le passé à l’exposition à ces risques ».
La charte des droits et devoirs des parties prenantes aux contrôles précitée relève que « les entités contrôlées ne peuvent se prévaloir du secret professionnel pour refuser d’accomplir l’une de ces obligations », sans en préciser le fondement juridique.
Les auditions conduites par vos Rapporteurs ont relevé certaines difficultés concernant l’application du secret professionnel de l’avocat, du secret bancaire et du secret des commissaires aux comptes, et leur articulation avec ce droit de communication général.
Selon les personnes auditionnées, l’AFA considérerait que le secret professionnel de l’avocat ne ferait pas obstacle à ce que certains documents lui soient transmis, notamment lorsque ceux-ci sont étrangers à l’exercice des droits de la défense.
Interrogée sur cette question, l’agence relève en effet que « les demandes de pièces adressées aux entités contrôlées dans le cadre de ses contrôles ne sont pas couvertes par le secret de l’avocat tel que figurant dans la loi de 1971 et interprété par la CEDH et les juridictions nationales », et insiste sur le fait qu’il « ne s’agit ni de courriels ni de correspondances ni de consultations susceptibles de s’inscrire dans une stratégie de défense, mais de documents professionnels, dont l’élaboration aurait tout aussi bien pu être confiée à un autre prestataire externe (cabinet d’audit et de conseil, par exemple), permettant d’apprécier comment l’entité contrôlée a pu élaborer ou modifier ses mesures et procédures de prévention et de détection, comme les comptes rendus d’entretiens dans le cadre de l’élaboration de la cartographie des risques de corruption, des notes de méthodologie, ou encore des notes d’analyse s’inscrivant dans la procédure d’évaluation des tiers » ([109]).
L’AFA maintient la même position concernant le secret bancaire et le secret des commissaires aux comptes, alors même que les exceptions permettant de lever le secret professionnel de ces professions doivent être prévues par la loi ([110]).
Cette approche serait de nature à affaiblir les protections dont bénéficient les entreprises ayant fait l’objet d’un contrôle, en cas d’enquête menée par des juridictions étrangères. En application du principe du subject matter waiver, applicable dans les pays de common law, la transmission de documents et d’informations couverts par le secret professionnel aux autorités françaises, à l’occasion d’un contrôle de l’AFA, pourrait être considérée comme une renonciation au legal privilege leur étant attaché. Il pourrait dès lors contraindre les entreprises concernées à ne pas pouvoir refuser de transmettre de nombreux documents aux autorités de poursuites d’États étrangers, en cas de litige ou d’enquête.
iv. La conduite de la phase contradictoire
Les personnes auditionnées ont néanmoins relevé certaines lacunes dans la conduite de la phase contradictoire, faisant état de la formalisation de constats partiels par l’agence, et d’une absence de dialogue avec les contrôleurs. Certaines personnes auditionnées ont ainsi relevé que les entretiens menés avec les salariés des entreprises contrôlées ne devraient pas dans certains cas s’apparenter à des auditions et devraient systématiquement faire l’objet de procès-verbaux pour éviter toute difficulté dans la rédaction du rapport final.
Par ailleurs, la phase qui suit la remise du projet de rapport, et qui permet à la personne morale de faire valoir ses observations, ne serait pas suffisamment exploitée, l’agence ne prenant que peu en compte les retours alors formulés.
À l’occasion de sa deuxième décision, la commission des sanctions a relevé que « le rôle de conseil de l’Agence auprès des entreprises ne s’arrête pas avec le contrôle mais devrait persister jusqu’à la notification des griefs qui devrait s’efforcer à plus de pédagogie, d’autant plus que les obligations de la loi du 9 décembre 2016 laissent parfois d’importantes marges d’interprétation » ([111]).
Vos Rapporteurs relèvent que la phase contradictoire doit constituer une étape structurante dans la procédure de contrôle, et pourrait être utilisée comme un véritable levier pour aider les entreprises dans l’amélioration du dispositif de prévention et de détection de la corruption mis en œuvre.
v. La tonalité générale des rapports
Les personnes auditionnées ont relevé la tonalité généralement très négative des conclusions des rapports de l’AFA concernant les acteurs économiques. Ils ont également critiqué l’approche binaire retenue par l’agence : celle-ci aurait tendance à considérer que les obligations seraient remplies ou non, laissant peu de place à une approche proportionnée et mesurée de la maturité des dispositifs anticorruption.
Cette approche présenterait plusieurs inconvénients :
– elle n’indique pas clairement aux acteurs contrôlés les priorités et les points les plus sensibles, et ne leur donne ainsi pas les moyens de s’améliorer ;
– elle donne l’impression que l’agence produit des analyses à charge de manière assez partiale, et cherche avant tout à sanctionner les entreprises, ce qui nuit à l’établissement d’une relation de confiance ;
– en cas d’enquête internationale, le caractère très critique des recommandations formulées pourrait affaiblir la défense de l’entreprise face aux autorités de poursuites étrangères.
L’agence reconnaît que la manière initiale de rédiger les rapports de contrôle sur les acteurs économiques, « qui, conformément aux approches habituelles de l’audit, ne faisaient état que des écarts à l’attendu », a pu être perçue comme « excessivement négative », d’autant que les rapports définitifs « ne valorisaient pas suffisamment les efforts fournis depuis la fin du contrôle et les engagements que l’entreprise entendait prendre pour achever sa mise en conformité après le contradictoire ».
b. La jurisprudence de la commission des sanctions a permis d’apporter des précisions utiles concernant le déroulement des contrôles
La commission des sanctions de l’agence a rendu deux décisions, en juillet 2019 et en janvier 2020.
Sa jurisprudence a permis d’apporter des précisions utiles concernant le déroulement des contrôles, et la procédure est encadrée de garanties suffisantes.
La commission des sanctions a notamment insisté sur l’absence de caractère contraignant des recommandations de l’AFA ainsi que sur la prise en compte des évolutions du dispositif postérieures au contrôle lors de la décision. Elle a par ailleurs précisé que la démonstration de l’existence d’un manquement par l’agence ne peut s’appuyer ni sur la méconnaissance de prescriptions formelles ou méthodologiques non publiées, ni sur celle d’exigences ajoutées par les recommandations de l’AFA à celles prévues par la loi ([112]). Elle a par ailleurs précisé que lorsque l’entreprise affirme avoir suivi les recommandations de l’AFA, il revient à cette dernière de démontrer en quoi elle les aurait suivies de manière incomplète ou incorrecte. Cette interprétation, qui crée une « présomption simple de conformité » a par la suite été intégrée aux recommandations de l’AFA, lors de leur mise à jour de janvier 2021 ([113]).
Vos Rapporteurs considèrent toutefois que la saisine de la Commission par le directeur de l’agence devrait être réservée à des situations plus restreintes.
En effet, dans sa première décision, la commission des sanctions a écarté tous les griefs, et a estimé qu’il n’y avait pas lieu de prononcer de sanction. La commission a constaté que la société était parvenue à se mettre en conformité depuis le contrôle, près de huit mois s’étant écoulés entre la communication du rapport d’enquête à la société (juillet 2018) et la saisine de la commission (mars 2019).
Cette décision a ainsi pu donner l’impression que les manquements relevés par le directeur de l’agence n’étaient pas constitués au moment de la publication du rapport d’enquête. En réalité, la décision de la commission souligne que si certains manquements n’étaient pas établis, d’autres avaient été comblés au moment où elle statuait.
La procédure de contrôle préalable à la première décision
de la commission des sanctions du 4 juillet 2019
Le rappel des faits et de la procédure ayant conduit à la première décision de la commission des sanctions (Décision n° 19-01, Société S SAS et Mme C, 4 juillet 2019) fait état de délais intermédiaires significatifs :
– l’avis de contrôle de la société et de l’ensemble du groupe a été signé par le directeur de l’agence le 17 octobre 2017 ;
– le contrôle sur pièces, puis sur place, s’est déroulé du 18 octobre au 15 décembre 2017 ;
– le rapport d’enquête a été communiqué à la société le 6 juillet 2018 ;
– il a fait l’objet d’une réponse documentée le 10 septembre 2018 ;
– après avoir pris en compte les nouveaux éléments d’information figurant dans cette réponse, le directeur de l’agence a notifié ses griefs le 13 mars 2019, et a saisi le même jour la commission des sanctions ;
– la lettre de saisine précise que le contrôle de l’agence a conduit à relever l’existence de huit manquements et qu’à la suite de l’examen des éléments fournis par la société à l’appui de sa réponse du 10 septembre 2018, cinq manquements subsistent ;
– la société et sa dirigeante ont présenté des observations les 24 mai, 19, 20 et 24 juin 2019 ;
– le directeur de l’AFA a présenté un mémoire en réplique le 24 juin 2019 ;
– la commission des sanctions a rendu sa décision le 4 juillet 2019.
Si on peut se satisfaire que le contrôle conduit par l’AFA ait conduit, in fine, à l’amélioration du dispositif anticorruption mis en œuvre, le caractère excessif du délai qui sépare la fin du contrôle de la communication du rapport d’enquête, puis de la saisine de la commission, est préjudiciable à l’agence comme aux entités contrôlées :
– cela affecte la crédibilité de l’agence, dont les observations ont été écartées par la commission ;
– cela tend à nuire à l’image de la société, la procédure devant la commission des sanctions étant publique, et ce bien qu’elle ne porte pas sur des faits de corruption ([114]).
Afin d’éviter ces écueils, vos Rapporteurs proposent de limiter la saisine de la commission des sanctions à des hypothèses plus restreintes, par exemple, lorsque la mauvaise foi de l’entreprise est caractérisée ou lorsqu’elle n’a pas coopéré lors du contrôle.
En dehors des situations dans lesquelles les personnes morales méconnaîtraient manifestement leurs obligations, vos Rapporteurs proposent de faire obligatoirement précéder la saisine de la commission des sanctions d’une injonction de mise en conformité prononcée par l’agence : si la personne morale ne s’est pas conformée à cette injonction dans un certain délai, par exemple dans un délai de six mois, alors le directeur de l’agence pourrait saisir la commission des sanctions.
Cette procédure traduirait la priorité donnée à la mise en conformité sur le recours aux sanctions.
Proposition n° 2 : Faire obligatoirement précéder la saisine de la commission des sanctions d’une injonction de mise en conformité prononcée par l’agence et limiter la saisine directe de la commission des sanctions à des hypothèses plus restreintes (par exemple, lorsque la mauvaise foi de l’entreprise est caractérisée ou lorsqu’elle n’a pas coopéré lors du contrôle).
S’agissant de la question de la publicité, l’agence relève que « si ni l’AFA ni la commission des sanctions n’ont jusqu’à présent communiqué sur les entités faisant l’objet d’une saisine, il a été remarqué que la presse et les réseaux sociaux ont pu évoquer leur identité, notamment lors de l’audience ou après celle-ci, les deux audiences s’étant tenues jusqu’ici ayant été publiques. Les sociétés spécialisées s’appuient notamment sur ces sources pour enrichir leurs bases de données compliance. »
L’agence relativise les éventuelles conséquences négatives en termes d’image que pourrait causer l’audience devant la commission des sanctions, dans la mesure où ces bases sont généralement structurées en deux parties (une partie « sanctions » et une partie « informations négatives »), et qu’elles prennent en compte les décisions finales de la commission des sanctions, notamment en cas de décision favorable à l’entité.
Afin de limiter tout risque de publicité négative pour les entreprises avant que la décision ne soit rendue, vos Rapporteurs proposent d’assurer une confidentialité totale des débats devant la commission des sanctions.
Cette possibilité est d’ores et déjà ouverte par l’article 9 du règlement intérieur de la commission des sanctions, qui dispose que « l’audience est publique. Toutefois, le président peut interdire au public l’accès de la salle pendant tout ou partie de l’audience pour préserver l’ordre public ou lorsque la publicité est susceptible de porter atteinte au secret des affaires ou à tout autre secret protégé par la loi. »
L’agence considère qu’instaurer une confidentialité totale pourrait limiter la transparence autour des dossiers, et n’empêcherait pas d’éventuelles fuites. Vos Rapporteurs estiment toutefois que dans la mesure où les décisions sont publiées, sous une forme anonymisée (en application de l’article 13 du règlement intérieur), et que la commission des sanctions peut ordonner la publication, la diffusion ou l’affichage de la décision d’injonction ou de sanction pécuniaire (V de l’article 17 de la loi Sapin 2), la transparence des décisions sera assurée.
Proposition n° 3 : Assurer une confidentialité totale des débats devant la commission des sanctions, pour éviter les conséquences négatives pour l’image des entreprises d’une saisine en dehors de tout fait de corruption (éviter le name and shame du fait de l’inscription de la société sur les bases de données de compliance).
c. L’agence a pris conscience de ces difficultés et a fait évoluer ses méthodes de contrôle
L’agence a indiqué à vos Rapporteurs avoir pris conscience de ces difficultés, et a mis en œuvre des mesures pour les corriger.
i. L’amélioration de la gestion des ressources humaines de l’agence
Les problèmes de gestion des ressources humaines rencontrés par l’agence au cours de l’année 2018 ont obéré sa capacité à maîtriser les délais.
L’agence relève ainsi que les contrôles initiés en 2018 ont été affectés « par une montée en compétence plus lente qu’attendu par certains agents, et par un fort turnover. Ainsi, 9 contrôles ont été impactés par le départ en cours de contrôle d’un ou plusieurs membres de l’équipe. » Parmi les contrôles ouverts en 2018, 4 rapports notifiés pour contradictoire en 2020 ont par ailleurs « fait l’objet d’une prolongation de délai de remise des observations écrites en lien avec la crise sanitaire ».
L’agence fait par ailleurs état de « postures maladroites adoptées pendant certains contrôles, comparables à celles observées dans les contrôles fiscaux ou les enquêtes judiciaires, qui ont pu brouiller la perception par certaines entreprises de la nature des contrôles de l’AFA ».
Elle impute ces difficultés à un « écart initial significatif entre la nature des missions de contrôle de l’AFA et le profil de certains agents recrutés appelés à les exercer » ainsi qu’à une « organisation initiale du département du contrôle des acteurs économiques de nature à rigidifier la gestion des ressources ».
Pour remédier à ces faiblesses, l’agence indique avoir fait évoluer son organisation et sa méthodologie. L’agence a ainsi indiqué avoir procédé au recrutement d’agents aux profils plus adaptés à ses missions de contrôle, issus du secteur privé et provenant de fonctions d’audit, d’inspection ou de conformité ([115]) et a changé son organisation interne pour permettre une plus grande spécialisation ([116]). Elle a par ailleurs renforcé l’accompagnement méthodologique des agents du contrôle, à travers la rédaction de guides méthodologiques et le déploiement d’un plan de formation adapté. Un vade-mecum a ainsi été diffusé en mars 2021 auprès de tous les agents de l’AFA.
ii. La diversification des contrôles et le développement des contrôles thématiques
L’agence reconnaît également que « la profondeur et l’intensité des premiers contrôles globaux a pu interroger certaines entreprises, pour la plupart peu familières des contrôles de conformité pratiqués dans certains secteurs d’activité comme le secteur bancaire, dans la mesure où ils s’accompagnaient notamment d’une durée de contrôle et de demandes de pièces jugées difficiles à gérer, alors même que celles-ci se justifiaient par la nécessité de mener à bien des contrôles qui doivent permettre, outre l’appréciation de l’existence et de la qualité "sur le papier" des mesures et procédure, celles de leur déploiement effectif et efficace ».
S’agissant du questionnaire de 163 questions publié sur le site de l’AFA, le délai de réponse, initialement fixé à deux semaines, a été rallongé à un mois à partir de l’automne 2020.
Vos Rapporteurs reconnaissent qu’en raison de la nature de la mission de l’AFA, l’agence est portée à demander des quantités importantes de documents et d’informations, et que ceux-ci constituent des informations sensibles. Toutefois, ils insistent sur la nécessité de mieux concentrer les demandes, qui doivent être proportionnées à la nature des contrôles conduits par l’AFA. L’AFA gagnerait également à accompagner l’évolution vers des contrôles plus ciblés (voir infra), en procédant à la rationalisation et à la modulation de son questionnaire.
Proposition n° 4 : Mieux cibler les demandes d’informations et de documents, qui doivent être proportionnées à la nature des contrôles conduits par l’AFA, et modulées selon le type de contrôle conduit.
Par ailleurs, à partir de l’année 2019, et suite à ce premier retour d’expérience, l’agence a diversifié les modalités des contrôles d’initiative, à travers plusieurs voies :
– le lancement de contrôles thématiques, qui ne portent que sur certaines composantes du dispositif anticorruption. 12 contrôles de ce type ont ainsi été ouverts fin 2019 sur certaines entreprises du secteur des bâtiments et travaux publics, les entités n’étant contrôlées que sur ce métier, et sur trois thématiques (engagement de l’instance dirigeante, cartographie des risques de corruption et évaluation des tiers). De nouveaux contrôles thématiques portant sur deux autres secteurs d’activité (assurances, eau), particulièrement exposés aux risques, ont été ouverts en 2020. L’agence relève que cette approche facilite « l’appréhension des foyers de risques […] et des bonnes pratiques […] spécifiques à certains secteurs d’activité, ces thématiques se prêtent en outre à une capitalisation et une mutualisation des enseignements des contrôles réalisés à travers des guides sectoriels » ([117]) ;
– l’ouverture de contrôles de suite, destinés à apprécier la mise en œuvre des recommandations faites par l’AFA lors des contrôles initiaux ;
– la réalisation de contrôles dits « in itinere », qui consistent non seulement à auditer les dispositifs anticorruption, mais également à accompagner les entités concernées dans la conception, la validation, le déploiement des mesures et procédures qui demeureraient à mettre en œuvre ([118]) ;
– l’expérimentation d’un contrôle dit « collaboratif » ouvert en 2020, visant à apprécier d’abord l’existence et la pertinence des mesures et procédures existantes (sans réaliser d’échantillonnage destiné à apprécier leur efficacité), puis de réaliser un plan d’actions et de déployer les mesures, et enfin de s’assurer de leur efficacité.
L’agence a indiqué qu’en 2021, elle s’attacherait à « amplifier le déploiement des modalités de contrôle décrites ci-dessus, modulant la portée et la profondeur des contrôles en fonction notamment des profils de risques des entités », et que cette modulation « pourra conduire, dans certains cas, face à des entités contrôlées dont le dispositif de prévention et de détection est inexistant ou au stade de la conception, à adopter une stratégie de contrôle qui privilégiera le contrôle de suite sur le contrôle initial » ([119]).
S’agissant du caractère contradictoire du contrôle, l’agence indique que des entretiens sont désormais dirigés au début et à la fin de chaque contrôle par l’équipe en charge, sous deux formes :
– les entretiens initiaux permettent à l’équipe de contrôle de présenter à l’entité contrôlée la démarche qui sera suivie, et de bénéficier d’une première présentation de l’entité contrôlée ;
– l’entretien de fin de contrôle permet de faire une première restitution orale à l’entité contrôlée des résultats des opérations de contrôle et d’exposer les suites possibles, sans préjuger du contenu du rapport provisoire qui lui est ensuite transmis. Si cette phase a toujours existé pour les acteurs publics, elle n’a en revanche été permise que récemment pour les acteurs économiques.
L’agence relève enfin que « tous les contrôles engagés par l’AFA suivent une procédure contradictoire, que ce soient les contrôles d’initiative ou les contrôles d’exécution ». Elle précise ainsi qu’à l’issue d’un contrôle, un rapport provisoire est envoyé ; l’entité contrôlée dispose alors de deux mois pour faire ses observations en réponse, à la suite de quoi les réponses sont analysées par l’AFA et un rapport définitif, tenant compte de cette réponse, est établi et transmis à l’entité contrôlée. Durant la période du contradictoire, il est systématiquement proposé aux entités de rencontrer le directeur de l’AFA.
Vos Rapporteurs se félicitent de ces évolutions, et encouragent l’agence à poursuivre les efforts engagés pour favoriser la réalisation de contrôles plus courts et plus concentrés. Ils proposent ainsi de définir un calendrier prévisionnel plus précis et de privilégier des contrôles plus courts, ne dépassant pas douze mois en incluant la phase de contradictoire (soit huit à dix mois pour un contrôle), et de conduire des contrôles plus restreints, en abandonnant la pratique des contrôles exhaustifs au profit des contrôles thématiques, en développant la pratique du contrôle de suite, et en allégeant en contrepartie les contrôles initiaux.
Proposition n° 5 : Poursuivre les efforts déjà engagés par l’Agence française anticorruption, et favoriser la réalisation de contrôles plus courts et plus concentrés :
– définir un calendrier prévisionnel plus précis, et privilégier des contrôles plus courts, ne dépassant pas 12 mois en incluant la phase de contradictoire, soit huit à dix mois pour un contrôle ;
– privilégier des contrôles plus restreints : abandonner la pratique des contrôles exhaustifs au profit des contrôles thématiques, développer la pratique du contrôle de suite, et alléger en contrepartie les contrôles initiaux.
iii. Les solutions apportées aux difficultés tenant à l’application du secret professionnel
L’agence indique qu’à l’exception des cas qui concernaient le secret des commissaires aux comptes, qui a systématiquement été opposé aux équipes de contrôle, les difficultés évoquées ont pu trouver des solutions concertées avec les entités contrôlées.
L’agence souligne qu’à l’occasion du seul contrôle où la question de la potentielle application du principe du subject matter waiver s’est posée, elle a renoncé à la communication des rapports demandés ainsi qu’à la possibilité de les consulter dans les locaux de l’entité contrôlée, au bénéfice de la consultation d’autres rapports d’enquête interne n’exposant pas l’entreprise concernée au risque de waiver. L’AFA a pu ainsi « accéder aux informations utiles pour apprécier la robustesse du dispositif d’alerte interne de l’entreprise concernée, tout en ne l’exposant pas à certains risques collatéraux ».
Elle précise enfin qu’aucun fait susceptible de constituer une entrave au contrôle n’a par ailleurs été signalé.
Vos Rapporteurs considèrent qu’il n’est pas opportun de faire évoluer le cadre législatif actuel et d’inscrire dans la loi que le secret bancaire et le secret des commissaires aux comptes ne peuvent être opposés à l’AFA. S’agissant du secret professionnel de l’avocat, le Parlement légifère actuellement sur le secret professionnel de l’avocat, dans l’objectif de renforcer son opposabilité aux autorités d’enquête. Si la réforme venait à être adoptée, l’AFA devra nécessairement faire évoluer ses pratiques pour s’y conformer ([120]).
iv. La formalisation des rapports
Depuis 2019, l’agence a indiqué s’attacher à valoriser « les efforts fournis depuis la fin du contrôle et les engagements pris pour achever la mise en conformité » dans les rapports de contrôles définitifs sur les acteurs économiques.
Par ailleurs, en 2020, l’agence a introduit et généralisé l’usage d’une échelle de maturité.
EXEMPLE D’ÉCHELLE DE MATURITÉ POUR LE CODE DE CONDUITE D’UNE ENTREPRISE PRÉSENTANT TROIS COMPOSANTES (UNE MÈRE ET DEUX DE SES FILIALES)
Source : Agence française anticorruption.
Cette échelle de maturité doit être complétée, en 2021, par le score moyen d’entités comparables, permettant ainsi à une entité contrôlée de se situer dans son écosystème (sa filière et son secteur d’activité notamment).
Vos Rapporteurs soulignent l’importance d’une amélioration de la présentation des conclusions des rapports et la nécessité de favoriser une appréciation plus nuancée du respect par les entreprises de leurs obligations, afin d’en développer la dimension pédagogique et l’acceptabilité. Ils se félicitent des améliorations apportées par l’agence et l’encouragent à poursuivre dans cette voie.
L’agence pourrait ainsi aller plus loin, en complétant ses recommandations par l’indication de bonnes pratiques, ainsi que par la définition de mesures de court terme à mettre en œuvre, et d’une feuille de route présentant les objectifs à atteindre à moyen/long terme.
Proposition n° 6 : Poursuivre l’amélioration de la présentation des conclusions des rapports afin de favoriser une appréciation plus nuancée du respect par les entreprises de leurs obligations et d’en développer la dimension pédagogique.
3. Les activités de conseil et d’accompagnement de l’AFA sont bien assurées
Les travaux conduits par vos Rapporteurs ont en revanche souligné la qualité et l’intérêt de l’action de l’AFA en matière d’appui et de conseil aux acteurs économiques.
Cette activité recouvre, d’une part, la recherche d’une meilleure diffusion du référentiel anticorruption par les acteurs publics et économiques, et d’autre part, celle d’une meilleure connaissance des phénomènes corruptifs.
S’agissant du premier objectif, l’accompagnement de l’agence prend trois formes :
– un accompagnement général, par la mise à jour des recommandations de l’agence : l’agence met à jour le référentiel anticorruption par la publication des recommandations, ainsi que par l’élaboration de guides sur des thèmes particuliers. Cinq guides ont ainsi déjà été publiés sur le site internet de l’AFA ([121]). Elle a également publié des Lignes directrices sur la mise en œuvre de la convention judiciaire d’intérêt public, co-rédigées avec le Parquet national financier ;
– un accompagnement plus spécifique : l’agence conduit des actions de sensibilisation et de formation en direction des acteurs économiques et publics et intervient auprès de publics plus restreints. Elle a ainsi réalisé 204 interventions de sensibilisation depuis 2017, et a organisé 50 ateliers techniques, qui accueillent chacun entre 10 et 40 entreprises. Il peut s’agir de conférences destinées aux managers ou à un réseau professionnel spécialisé (acheteurs, responsables conformité ou juridiques, contrôleurs internes), de l’animation d’ateliers avec le comité de direction d’une entreprise ou avec les fédérations et associations professionnelles, de rencontres avec les référents déontologues, ou d’opérations de sensibilisation des membres de la direction générale d’une entreprise. Par ailleurs, près de 25 000 personnes ont assisté aux cours organisés en ligne par l’agence depuis 2017 ([122]) ;
– un accompagnement individuel, sur demande : l’agence répond aux sollicitations des acteurs publics et économiques de demandes d’accompagnement personnalisé sur tout ou partie de leur dispositif anticorruption, et ce quel que soit le stade de sa maturité. L’accompagnement peut prendre la forme de simples réponses à des questions écrites : l’agence a été saisie de plus de 500 demandes depuis sa création. Il peut être plus ambitieux : après avoir réalisé une étude d’impact, l’entreprise est accompagnée sur une durée pouvant aller de quelques semaines à plusieurs mois ; l’objectif est qu’ils disposent à l’issue d’une cartographie des risques, d’un code de conduite et de la mise en place d’actions de sensibilisation de leurs dirigeants et personnels.
Les auditions conduites par vos Rapporteurs ont relevé l’intérêt que représentait l’activité d’appui de l’AFA pour les acteurs publics comme économiques. Le groupe Solocal a ainsi indiqué avoir fait le choix d’être guidé par l’AFA pour la mise en place des dispositifs anticorruption, alors qu’il traversait une phase de restructuration. Le groupe a organisé huit ateliers techniques avec l’AFA entre juillet 2018 et novembre 2020, et a relevé la qualité de l’accompagnement dont il avait bénéficié.
Vos Rapporteurs constatent par ailleurs que l’AFA a mis en œuvre une stratégie de communication pertinente, qui lui a permis de s’imposer rapidement dans le paysage institutionnel français.
L’agence devrait dès lors capitaliser sur ces acquis et renforcer les efforts en matière d’appui et de conseil aux acteurs publics comme économiques. Pour cela, deux actions méritent d’être envisagées :
– d’une part, l’agence pourrait valoriser plus clairement les bonnes pratiques, à travers, par exemple, la réalisation de guides réalisés en lien avec les fédérations ou associations professionnelles ou avec ses homologues étrangers ;
– d’autre part, l’agence gagnerait à renforcer le dispositif de formation et à étendre les partenariats en la matière, qui contribue à diffuser la culture de la lutte contre la corruption.
Proposition n° 7 : Développer l’action de conseil de l’AFA, par la valorisation des bonnes pratiques, ainsi que par le renforcement des formations en direction des acteurs économiques.
4. En revanche, l’AFA n’est pas parvenue à assurer correctement sa mission de coordination administrative
a. Le plan pluriannuel de lutte contre la corruption ne constitue pas un véritable instrument de programmation stratégique
L’article 3 de la loi Sapin 2 prévoit que l’Agence française anticorruption « participe à la coordination administrative, centralise et diffuse les informations permettant d’aider à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme ».
À ce titre, et en application du décret du 14 mars 2017 précité, elle « prépare un plan national pluriannuel de lutte contre la corruption, le trafic d’influence, la concussion, la prise illégale d’intérêt, le détournement de fonds publics et le favoritisme ».
Le Plan national pluriannuel de lutte contre la corruption 2020-2022 a été présenté le 9 janvier 2020 ([123]). Il comporte quatre axes, de nature et d’ampleur différentes.
Le contenu du Plan national pluriannuel de lutte contre la corruption 2020-2022
L’axe n° 1 « Mieux connaître et détecter la corruption en optimisant l’exploitation des données » prévoit de renforcer la collecte et l’ouverture des données relatives aux phénomènes de corruption, de renforcer l’exploitation de ces données en mettant à profit le data mining, et de revaloriser les travaux pour mieux connaître les phénomènes de corruption et les zones à risques.
L’axe n° 2 « Former et sensibiliser les agents publics » prévoit de renforcer la formation des acteurs publics les plus exposés et de former les agents impliqués dans la détection des faits de corruption.
L’axe n° 3 « Agir » est composé de cinq parties : (1) accompagner le déploiement des programmes anticorruption dans l’ensemble des ministères d’ici à 2022 ; (2) accompagner le déploiement des programmes anticorruption dans les grandes collectivités territoriales et leurs établissements d’ici à 2022 ; (3) promouvoir la prise en compte de l’intégrité dans les organisations et événements sportifs ; (4) soutenir les entreprises dans leur effort d’appropriation du standard anticorruption français et les encourager à faire de la conformité anticorruption un levier de compétitivité ; (5) mieux sanctionner les atteintes à la probité.
L’axe n° 4 « Renforcer l’action française internationale » identifie plusieurs axes prioritaires : favoriser une approche coordonnée des affaires de dimension internationale afin de limiter les conflits de compétences et harmoniser les sanctions prononcées, y compris par la signature de protocoles de coopération et la création d’un réseau international des agences de prévention de la coopération ; mobiliser l’expertise technique française pour aider au renforcement des capacités des autorités étrangères de lutte contre la corruption ; ériger la lutte contre la corruption parmi les priorités de l’action française dans les enceintes multilatérales en vue de promouvoir les principes de l’État de droit et permettre un développement économique durable.
Dans son rapport consacré à la France dans le cadre du cinquième cycle d’évaluation, le GRECO a relevé que « ce plan pluriannuel de lutte contre la corruption représente une évolution très positive pour mieux faire face aux risques de corruption spécifiques à l’activité gouvernementale menée par les [personnes occupant de hautes fonctions exécutives] (ministres, conseillers et hauts‑fonctionnaires) puisqu’il prévoit que chaque ministère ait un programme de prévention de la corruption, un code de conduite et une cartographie des risques ».
Vos Rapporteurs relèvent que si l’objectif de ce plan est louable, et qu’il contient effectivement des objectifs ambitieux (en particulier le déploiement des programmes anticorruption dans l’ensemble des ministères et dans les grandes collectivités territoriales et leurs établissements d’ici à 2022), ce plan gagnerait à être développé et approfondi, et devrait suivre une approche plus concrète.
Vos Rapporteurs relèvent que certains objectifs sont formulés de manière très vague, ce qui ne permet pas d’identifier clairement les actions à mettre en œuvre. Ainsi, l’une des actions proposée pour « soutenir les entreprises dans leur effort d’appropriation du standard anticorruption français et les encourager à faire de la conformité anticorruption un levier de compétitivité » (axe n° 3, point n° 3) est rédigée de la manière suivante : « le plan national pluriannuel de lutte contre la corruption prévoit d’aider les entreprises, en lien avec les fédérations professionnelles, à prévenir les risques de corruption (par suite, de perte de valeur économique pour elles) au moyen de la diffusion du standard anticorruption français et de formations appropriées à leur taille et à leurs ressources ainsi qu’aux enjeux sectoriels ».
Le plan fournit par ailleurs peu de précisions sur la manière dont ces recommandations doivent être déclinées concrètement et, s’il fixe une échéance générale en 2022 pour certains objectifs, il ne comporte pas d’éléments relatifs au calendrier de mise en œuvre des différentes mesures. Ainsi, le plan propose notamment d’accompagner les grandes collectivités territoriales et leurs établissements dans le déploiement de leur plan anticorruption, afin que ces acteurs respectent leurs obligations légales à l’horizon 2022, sans que cet objectif ne soit décliné par des mesures opérationnelles.
Le plan ne prévoit pas de modalité d’évaluation permettant de vérifier la réalisation des objectifs fixés, et ne définit pas d’indicateur permettant de suivre ou de mesurer l’atteinte des objectifs ; il ne désigne pas non plus d’autorité « chef de file », alors même que certaines recommandations s’y prêteraient (comme par exemple celles portant sur l’accompagnement du déploiement des programmes anticorruption dans l’ensemble des ministères).
La France gagnerait à s’inspirer des meilleures expériences étrangères, et notamment de la stratégie anticorruption mise en œuvre par le Royaume-Uni, qui constitue un modèle en la matière ([124]).
Cette situation est d’autant plus regrettable que le projet de plan initialement élaboré par l’agence, qu’elle a transmis à vos Rapporteurs, était plus complet et plus détaillé ([125]).
Enfin, vos Rapporteurs relèvent que le plan est passé relativement inaperçu, ce qui s’explique en partie par le fait que sa communication a eu lieu le même jour que la présentation du rapport d’évaluation du GRECO, et a fait l’objet d’une couverture médiatique limitée, les médias ayant, dans l’ensemble, plutôt eu tendance à relayer les constats présentés dans ce rapport ([126]).
Vos Rapporteurs insistent ainsi sur la nécessité de renforcer le plan national pluriannuel de lutte contre la corruption, plus ambitieux, et de l’assortir de mesures concrètes et d’indicateurs permettant d’en suivre l’évolution.
Proposition n° 8 : Adopter un nouveau plan national pluriannuel de lutte contre la corruption, plus ambitieux, détaillé et transparent.
b. La valeur ajoutée du conseil stratégique de l’agence est faible
Dans la réponse au questionnaire adressé à vos Rapporteurs, l’AFA reconnaissait le faible apport du comité stratégique dans la contribution à la définition de la politique anticorruption à l’échelle nationale.
Elle indiquait que « le conseil stratégique aurait pu jouer ce rôle s’il avait été composé de membres qui sont capables d’engager le gouvernement et de faire appliquer les décisions. Or, ce n’est pas le cas dans la composition du conseil stratégique qui a été retenue. » L’agence concluait qu’après trois années d’existence, le conseil stratégique n’avait « pas joué de rôle de conseil pour orienter l’action de l’AFA ».
L’agence a transmis à vos Rapporteurs l’ordre du jour des réunions du conseil stratégique. Celui-ci s’est réuni sept fois entre septembre 2017 et juin 2021. Dans l’ensemble, et à l’exception d’une réunion qui a porté sur la méthode et le contenu du plan pluriannuel de lutte contre la corruption, les travaux du comité ont principalement porté sur l’examen de l’activité et des productions de l’AFA (rapport d’activité et guides, notamment), plutôt que sur la coordination administrative et la programmation stratégique.
c. L’AFA gagnerait à favoriser plus largement les travaux de recherche en matière de lutte contre la corruption
Dans le cadre de sa mission de centralisation et de diffusion des informations utiles en matière de lutte contre la corruption, l’AFA conduit et anime des travaux ayant pour objectif de mieux connaître le phénomène corruptif, qui par nature est dissimulé, pour identifier plus précisément les secteurs économiques et les zones géographiques les plus concernés, et ainsi l’appréhender plus efficacement. Elle doit également permettre de disposer d’une vision plus objective de ce phénomène : la mesure du niveau de corruption fait l’objet de divergences d’interprétation, et la perception qu’en a l’opinion publique peut s’éloigner de son niveau réel. Cette activité serait d’autant plus utile que les études en la matière restent lacunaires.
L’AFA a conduit plusieurs études pour mieux connaître le niveau de maturité des dispositifs de prévention et de détection de la corruption au niveau national ([127]). Au niveau international, l’agence a obtenu du Trésor la réalisation d’une étude comparative internationale des mécanismes anticorruption ([128]) et conduit un projet de cartographie mondiale des autorités anticorruption, en partenariat avec le GRECO, l’OCDE et le Réseau des autorités de prévention de la corruption (NCPA) ([129]).
Si des travaux sont en cours et ont récemment conduit à la publication d’une première étude sur le sujet ([130]), l’AFA doit intensifier son action en la matière et encourager plus fortement les travaux de recherche dirigés vers une meilleure connaissance des phénomènes de corruption.
Proposition n° 9 : Encourager les travaux de recherche dirigés vers une meilleure connaissance des phénomènes de corruption.
5. Les moyens de l’agence n’ont pas atteint les ambitions initiales
Les moyens affectés à l’agence ont rapidement été plafonnés et n’ont pas atteint l’ambition affichée lors de la discussion du texte.
L’étude d’impact du projet de loi prévoyait initialement d’affecter à la nouvelle agence 70 emplois, ainsi qu’un budget 10 à 15 millions d’euros. L’agence souligne que c’est sur cette base que les travaux de préfiguration puis les textes réglementaires d’organisation de l’agence avaient été élaborés ([131]).
Cette cible n’a toutefois jamais été atteinte, tant en termes budgétaires qu’en termes d’effectifs.
S’agissant des effectifs, ceux-ci ont atteint un maximum de 60 agents en 2018, niveau en légère diminution chaque année. En 2021, les effectifs de l’agence devraient osciller entre 55 et 57 ETP, soit 20 % de moins que la cible de 70 ETPT.
Évolution des EFFECTIFS de l’AFA
|
Notification janvier 2017 (LFI 2017) |
Notification (*) 17 octobre 2017 |
Notification 2018 |
Notification 2019 |
Notification 2020 |
Notification 2021 |
Plafond d’emplois |
70 ETPT |
47 ETPT |
60 ETPT |
56 ETPT |
54 ETPT |
53 ETPT |
Schéma d’emplois |
– |
0 ETP |
+ 17 ETP |
+ 3 ETP |
– 4 ETP |
– 2 ETP |
Mises à disposition au 31 décembre |
– |
4 |
5 |
5 |
3 |
4 |
Effectif réel au 31 décembre |
– |
51 |
60 |
59 |
57 |
57(**) / 55
|
(*) une « pause dans les recrutements » est alors imposée à l’AFA par la responsable du programme budgétaire 218.
(**) Si et seulement si le schéma d’emplois 2021 de l’agence est réajusté de -2 à 0, sinon lire 55.
Source : Agence française anticorruption.
S’agissant des moyens budgétaires, l’agence est rattachée au secrétariat général des ministères économiques et financiers, et relève ainsi de l’action 02 du programme 218 Conduite et pilotage des politiques économiques et financières de la mission Gestion des finances publiques. Elle ne dispose ni de la personnalité juridique ni de l’autonomie budgétaire, et les crédits du titre 2 (effectif et masse salariale) et du titre 3 (moyens de fonctionnement) qui lui sont versés sont retracés dans cette action.
Les éléments transmis par l’agence font état d’un budget annuel moyen d’environ 6 millions d’euros ([132]), soit à un niveau bien inférieur aux 10 à 15 millions d’euros initialement envisagés.
moyens budgÉtaires de l’afa
(en million d’euros)
|
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
Personnel |
1,8 |
5,6 |
5,8 |
5,3 |
5,8 |
Fonctionnement (hors SI) |
0,3 |
0,3 |
0,3 |
0,3 |
0,5 |
SI (crédits de paiement) |
– |
0,5 |
0,3 |
0,3 |
n.c. |
Source : Agence française anticorruption.
L’insuffisance des moyens dévolus à l’agence au regard des objectifs initialement fixés a pesé sur sa capacité à maintenir le rythme de contrôle initié en 2018. Ainsi, dès 2019, le nombre de contrôles ouverts sur des acteurs privés chute de moitié par rapport à l’année précédente, passant de 28 à 15, portant le nombre total de contrôles ouverts à 36 en 2019, contre 43 l’année précédente. Un nouveau recul est enregistré l’année suivante, dans le contexte de la crise sanitaire : 29 contrôles d’initiative ont ainsi été ouverts en 2020.
Le rattachement de l’agence au secrétariat général des ministères économiques et financiers contraint par ailleurs les moyens de l’agence à deux égards.
D’une part, l’agence indique que « le dialogue de gestion réalisé deux à trois fois par an permet essentiellement de consolider les perspectives d’exécution budgétaire au niveau du programme, sans autoriser une réelle prise en compte des besoins exprimés par l’agence ». Si la préparation des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 a conduit à confier à l’AFA de nouvelles missions ([133]), l’agence n’a pas bénéficié de moyens supplémentaires, et a au contraire été conduite à participer à l’effort de réduction des effectifs supporté par le programme.
D’autre part, le rattachement budgétaire de l’agence au programme 218 conduit à devoir appliquer l’instruction ministérielle du ministère de l’Économie, des finances et de la relance relative aux recrutements et à la gestion des agents contractuels, ce qui a pour effet de « rigidifier la nature des contrats proposés […], au risque de faire échouer des recrutements pourtant pertinents pour le bon fonctionnement de l’agence » et d’encadrer « strictement la revalorisation de traitement susceptible d’être accordée à des agents contractuels méritants à l’issue de leur premier contrat de deux ans ». Ce cadre rigide ferait peser « un risque réel d’instabilité de l’effectif contractuel de l’agence notamment dans les fonctions d’inspecteur-auditeur au département du contrôle des acteurs économiques où les agents concernés, âgés d’une trentaine d’années, sont en trajectoire ascendante de carrière ». L’agence y voir une « menace » pour son attractivité, faisant référence à « plusieurs récentes procédures de recrutement inabouties ou départs anticipés d’agents ».
III. la rÉaffirmation de l’ambition française en matiÈre de lutte contre la corruption doit conduire À repenser l’organisation institutionnelle de cette politique
Le statut hybride de l’Agence française anticorruption, souhaité par le législateur en 2016, l’a conduite à surinvestir sa mission de contrôle, au détriment de la programmation stratégique.
Vos Rapporteurs appellent à revoir en profondeur l’organisation institutionnelle de la politique anticorruption de la France. Cette réorganisation doit poursuivre trois objectifs. Premièrement, elle doit contribuer à une meilleure identification de la lutte contre la corruption comme une politique publique à part entière, qui relève de la responsabilité du Gouvernement. Deuxièmement, elle doit opérer une clarification de la distribution des rôles entre les fonctions gouvernementales et les fonctions de supervision. Enfin, elle doit contribuer à la recherche d’une meilleure efficacité opérationnelle.
Pour cela, vos Rapporteurs insistent sur la nécessité de séparer les missions qui doivent être conduites par le Gouvernement, d’une part, et celles qui sont naturellement du ressort d’une entité indépendante, d’autre part.
Ils proposent pour cela de recentrer l’AFA sur son rôle de coordination administrative et d’appui à la programmation stratégique, et de transférer à la HATVP les fonctions de conseil et de contrôle actuellement remplies par l’agence, afin de créer une grande autorité administrative indépendante compétente en matière de probité. Ils proposent par ailleurs de confier à un comité interministériel, présidé par le Premier ministre, la responsabilité de l’élaboration du plan pluriannuel de lutte contre la corruption, qui gagnerait à être densifié. Le comité interministériel s’appuierait pour cela sur un comité technique, présidé par le directeur de l’AFA, qui réunirait l’ensemble des administrations en charge de mettre en œuvre la politique de lutte contre la corruption.
Au-delà de l’organisation institutionnelle, la faible diffusion du dispositif auprès des acteurs publics appelle à la constitution d’un référentiel spécifique, qui serait adapté à la variété de ces acteurs.
Enfin, l’ambition extraterritoriale de la loi Sapin 2 n’a pas encore été concrétisée, et vos Rapporteurs appellent à mobiliser l’ensemble des services de l’État afin de favoriser la détection de faits de corruption à l’étranger.
A. clarifier la rÉpartition ENTRE LES ACTIVITÉS de coordination administrative, qui relÈvent du gouvernement, et les activitÉs d’appui et de contrÔle, qui doivent être assurÉes par une autoritÉ administrative indÉpendante
1. Le statut hybride de l’Agence française anticorruption, souhaité par le législateur en 2016, l’a conduite à surinvestir sa mission de contrôle, au détriment de la programmation stratégique
Comme l’ont rappelé vos Rapporteurs, l’AFA présente une nature hybride, qui se reflète tant dans la nature de ses missions que dans son organisation institutionnelle. L’agence constitue à la fois un service classique de l’État, placé sous une double tutelle et à compétence nationale, et une agence semi-indépendante, dirigée par un magistrat judiciaire, inamovible et ne pouvant recevoir d’instructions dans l’exercice d’une part importante de ses activités, et notamment dans la réalisation des contrôles.
Cette dualité avait conduit à écarter l’hypothèse de créer une nouvelle autorité administrative indépendante, et à lui préférer le statut de service à compétence nationale.
Par ailleurs, le contexte était celui d’une réticence de principe à la création de nouvelles autorités administratives indépendantes. Le Parlement venait notamment d’examiner une proposition de loi qui retirait la qualité d’autorité administrative indépendante à certaines entités ([134]).
Ce choix d’une agence « à deux visages », selon l’expression de M. Michel Sapin lui-même, avait été clairement assumé par le Gouvernement lors de la discussion du texte à l’Assemblée nationale, malgré les réserves émises par certains parlementaires.
En réponse à la proposition formulée par M. Charles de Courson de conférer le statut d’AAI à l’AFA, considérant que ce service avait « toutes les apparences d’une autorité administrative indépendante, sans en avoir la qualité » ([135]), le ministre de l’Économie et des finances, M. Michel Sapin, relevait que « ce service, qui en remplace un autre, reprend les compétences qui appartiennent au Gouvernement en vertu de l’article 20 de la Constitution. Il devra impulser les politiques, conseiller l’exécutif et le représenter, y compris auprès des organismes internationaux de lutte contre la corruption. Cette partie des compétences ne peut pas être exercée par une AAI ; c’est la raison principale pour laquelle nous n’avons pas souhaité en créer une nouvelle, dans un contexte où, par ailleurs, pour des raisons de simplification, nous cherchons – avec le concours actif des parlementaires, y compris siégeant à droite – à en réduire le nombre. »
M. Sapin poursuivait : « Mais nous vous proposons de confier à cette agence des compétences nouvelles, qui lui permettent de contrôler les entreprises et même de "punir" celles d’entre elles qui ne mettraient pas en œuvre les plans de prévention de la corruption. Pour cette partie de ses compétences, nous avons proposé et vous avez encore renforcé les dispositions qui garantissent l’indépendance absolue de ses acteurs. Il faut bien comprendre que cet organisme a deux visages : une série de missions qui ne peuvent être exercées que dans le cadre de l’article 20, et qui ne peuvent pas être déléguées à une AAI ; et une autre série de missions qui nécessitent l’indépendance, que nous lui accordons et que vous avez même renforcée par plusieurs dispositions dont nous allons débattre dans quelques instants. Voilà les raisons – parfaitement rationnelles et raisonnables – pour lesquelles nous avons choisi d’en rester au statut de service à compétence nationale, tout en renforçant considérablement, pour certaines de ses compétences, le caractère indépendant de cette agence. Nous faisons plus que renforcer son indépendance : nous la lui accordons totalement et complètement dans la mise en œuvre de ses compétences nouvelles. »
Le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, M. Sébastien Denaja, justifiait également la création d’un service à compétence nationale et non d’une autorité administrative indépendante, en insistant sur la fonction de coordination administrative et d’appui stratégique : « Pour ce qui est de l’intérêt d’un service à compétence nationale, je pense que nous pouvons légitimement assumer que l’État déploie lui-même une stratégie nationale de lutte contre la corruption. Il n’est pas illégitime que l’exécutif bénéficie d’un tel service. » ([136])
Votre rapporteur, M. Olivier Marleix, relevait également le caractère contestable de ce statut hybride, évoquant un risque de « schizophrénie » ([137]).
Quatre ans après la mise en œuvre de la loi, vos Rapporteurs constatent que l’Agence française anticorruption n’est pas parvenue à assurer la mission de coordination administrative qui lui avait été confiée par l’article 3 de la loi Sapin 2.
La conduite simultanée de missions de différentes natures, relevant d’un côté de la stratégie et de la coordination administrative, et de l’autre du contrôle et du conseil aux acteurs, a conduit l’agence à privilégier ce second aspect au détriment du premier. Le choix de donner à l’agence le statut de service à compétence nationale, et ainsi de le rattacher à la politique gouvernementale, avait pourtant été justifié, lors des débats parlementaires, par le fait que l’État devait déployer lui-même une politique de lutte contre la corruption.
Par ailleurs, comme l’ont relevé les auditions conduites par vos Rapporteurs, la politique de lutte contre la corruption en France ne fait pas l’objet d’une véritable politique interministérielle : elle est actuellement mise en œuvre par chaque ministère dans les domaines qui leur sont propres, alors même que le caractère étendu et la complexité de la matière appellent à un traitement coordonné.
Cette fragmentation empêche l’identification de la lutte contre la corruption comme une politique publique à part entière, mise en œuvre par le Gouvernement, et dont il doit rendre compte devant le Parlement.
Dans la réponse au questionnaire adressé à vos Rapporteurs, l’AFA relevait que les « difficultés rencontrées et les contretemps accumulés » à l’occasion du processus d’élaboration du plan national de lutte contre la corruption démontraient « la nécessité de revoir la gouvernance de la politique de lutte contre la corruption de la France ».
L’AFA indiquait ainsi avoir besoin « d’un relais politique de haut niveau pour renforcer sa position et asseoir son autorité en matière de coordination ».
Vos Rapporteurs relèvent que, quels que soient les qualités de l’AFA et le volontarisme dont elle a fait preuve au cours de ses quatre premières années d’existence, celle-ci ne peut porter à elle seule la politique de la France en matière de lutte contre la corruption.
Il est à noter que ce constat, ainsi que la nécessité de procéder à une réorganisation institutionnelle de l’AFA, a été très largement partagé lors des auditions conduites par vos Rapporteurs durant leurs travaux.
2. Il est nécessaire d’assurer un portage politique plus fort et une meilleure coordination institutionnelle de la politique de lutte contre la corruption, et de renforcer l’indépendance de l’autorité chargée de l’appui et du conseil
Face à ces constats, vos Rapporteurs appellent à revoir en profondeur l’organisation institutionnelle de la politique anticorruption de la France.
Cette réorganisation doit poursuivre un triple objectif :
– elle doit d’abord contribuer à une meilleure identification de la lutte contre la corruption comme une politique publique à part entière, qui relève de la responsabilité du Gouvernement ;
– elle doit par ailleurs opérer une clarification de la distribution des rôles entre les fonctions gouvernementales (coordination institutionnelle et programmation stratégique) et les fonctions de supervision (conseil et contrôle) ;
– elle doit enfin contribuer à la recherche d’une meilleure efficacité opérationnelle.
Vos Rapporteurs suggèrent pour cela d’appuyer cette politique sur deux piliers.
Le premier pilier consisterait en la création d’un comité interministériel de lutte contre la corruption, instance d’impulsion politique dédiée, présidée par le Premier ministre. Il s’appuierait sur un comité technique, rassemblant les directeurs des services et directions d’administration centrales, ainsi que les présidents des autorités administratives indépendantes concernés. Ce comité serait présidé par le directeur de l’Agence française anticorruption.
Par ailleurs, vos Rapporteurs suggèrent de confier les missions actuellement conduites par l’Agence française anticorruption qui requièrent une indépendance à l’égard de l’exécutif, c’est-à-dire ses missions de contrôle, ainsi que celles relatives à l’élaboration des recommandations, à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), afin de créer une grande autorité administrative indépendante compétente en matière d’éthique publique et de prévention de la corruption, qui pourrait dorénavant porter le nom de Haute Autorité pour la Probité (HAP).
Les missions de l’AFA seraient dès lors redéfinies, et recentrées sur la coordination administrative ainsi que sur la centralisation et la diffusion des informations permettant d’aider à prévenir et à détecter les faits de corruption. Le conseil stratégique serait supprimé.
Proposition n° 10 : Renforcer le pilotage gouvernemental de la lutte contre la corruption en réunissant régulièrement un comité interministériel spécialisé, présidé par le Premier Ministre, et dont l’Agence française anticorruption assurerait le secrétariat permanent.
Proposition n° 11 : Transférer à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique les missions d’appui et de contrôle de l’Agence française anticorruption, afin de créer une grande autorité compétente en matière d’éthique publique et de prévention de la corruption, la Haute Autorité pour la Probité.
Afin de renforcer le portage politique de la politique anticorruption de la France, vos Rapporteurs proposent la création d’un comité interministériel de lutte contre la corruption présidé par le Premier ministre.
Ce comité réunirait les différents ministres concernés par la thématique anticorruption, et notamment le garde des Sceaux, ministre de la Justice, le ministre en charge du budget, le ministre de l’Économie, des finances et de la relance, le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, ainsi que le ministre de l’Intérieur.
Ce comité interministériel aurait pour mission d’élaborer le plan pluriannuel de lutte contre la corruption, de le mettre à jour le cas échéant, et de valider le programme de travail du comité directeur pour l’année à venir. Il se réunirait pour cela une fois par an.
Son secrétariat serait assuré par le service à compétence nationale chargé de la coordination administrative et de l’élaboration du plan pluriannuel de lutte contre la corruption, c’est-à-dire par l’actuelle Agence française anticorruption.
Instance d’impulsion politique, le comité interministériel devrait s’appuyer sur un comité directeur, qui lui apporterait un soutien technique, et serait chargé de lui faire remonter des propositions.
Ce comité rassemblerait toutes les directions ministérielles concernées ainsi que le secrétariat général aux affaires européennes, et les autorités et agences intervenant dans ce domaine. Il serait présidé par le directeur de l’Agence française anticorruption, et se réunirait une fois par trimestre.
Le comité serait ainsi chargé d’assurer l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi du plan national anticorruption, et d’identifier rapidement toute difficulté ou retard et de proposer des moyens pour y remédier. Il s’attacherait également à coordonner les efforts des différentes administrations en la matière, et permettrait de faire connaître et de partager les points de vue sur des sujets nouveaux.
Il assurerait la mise en œuvre d’une collaboration administrative continue et permanente.
Enfin, la définition d’un chef de file clairement identifié permettrait de faciliter et de dynamiser la coordination interministérielle.
Vos Rapporteurs proposent de confier à une autorité administrative indépendante certaines des missions actuellement mises en œuvre par l’Agence française anticorruption.
Comme ils ont eu l’occasion de le développer supra, les missions autres que celles relatives à la coordination administrative, et plus particulièrement les activités de conseil et de contrôle, seraient mieux exercées si elles étaient confiées à un régulateur indépendant.
Il s’agirait plus particulièrement de détacher de l’agence les missions ayant trait au conseil aux acteurs économiques et aux acteurs publics, à l’élaboration des recommandations, aux activités de contrôle des dispositifs de prévention et de détection de la corruption mis en œuvre, au contrôle des programmes de mise en conformité, ainsi qu’au contrôle du respect de la « loi de blocage ». L’obligation de donner avis au procureur de la République à l’occasion de la découverte d’éventuelles infractions dont elle a eu connaissance au cours de ses contrôles, et la préparation du rapport annuel d’activité seraient également transférées ([138]).
Vos Rapporteurs considèrent que ces missions devraient être transférées à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, afin de créer une grande autorité administrative indépendante compétente en matière d’éthique publique et de prévention de la corruption.
Les missions poursuivies par l’AFA et la HATVP participent en effet d’une même politique publique, celle de la promotion de la probité. Dans le rapport précité, le Club des juristes allait relevait « la complémentarité des missions imparties par la loi à ces deux autorités [l’AFA et la HATVP] ». Le rapport soulignait ainsi que « de manière générale, la HATVP a reçu du législateur la mission de promouvoir la probité et l’exemplarité des responsables publics […], tandis que l’AFA a reçu pour missions de prévenir et de détecter les faits constitutifs de manquements à la probité (corruption, trafic d’influence, concussion, prise illégale d’intérêt, détournement de fonds publics et favoritisme) […]. Il apparaît évident, à cet égard, que les faits constitutifs de manquements à la probité s’exercent le plus souvent auprès de responsables publics, dans le but d’influencer la décision publique. Ces faits sont susceptibles, en conséquence, de se traduire notamment dans la situation patrimoniale des responsables publics placée sous le contrôle de la HATVP. » ([139])
Du point de vue opérationnel, le statut d’autorité administrative indépendante contribuerait à résoudre les difficultés que rencontre actuellement l’AFA en matière de gestion des ressources humaines, en lui apportant une autonomie budgétaire et fonctionnelle accrue ([140]).
Un tel rapprochement permettrait par ailleurs de prévenir le risque de doublons dans l’action de l’État, et contribuerait à optimiser l’utilisation des ressources.
Il contribuerait enfin à assurer une meilleure visibilité et une lisibilité accrue de la politique de lutte contre la corruption auprès des acteurs concernés, et notamment des acteurs publics locaux ([141]), comme de l’opinion publique.
B. prévoir un rÉfÉrentiel de conformitÉ adaptÉ aux acteurs publics, et en particulier aux collectivitÉs territoriales
Bien que l’exposition au risque de corruption des acteurs publics soit importante, la diffusion du référentiel de conformité issu de la loi Sapin 2 reste très faible, voire inexistant. À l’occasion de contrôles diligentés sur des acteurs publics, l’agence a ainsi effectué 7 signalements au procureur de la République au titre de l’article 40 du code de procédure pénale concernant des acteurs publics (sur 34 entités contrôlées), soit la moitié des signalements réalisés par l’agence, et autant que pour les acteurs économiques (64 entités contrôlées).
Dans un rapport publié au mois de novembre 2020, le Club des juristes relevait que l’article 17, « conçu surtout pour les entreprises de taille significative, n’était pas adapté aux collectivités locales », et proposait ainsi la création d’un « référentiel de conformité anticorruption adapté aux collectivités territoriales, qui tienne compte des spécificités de leurs statuts et de leurs dimensions » ([142]).
Interrogée sur cette question, l’AFA n’a pas indiqué souhaiter faire évoluer le dispositif de prévention et de détection de la corruption applicable aux personnes morales de droit public. Dans la réponse au questionnaire transmis par vos Rapporteurs, l’agence relève que « le référentiel inspiré de l’article 17 et développé dans les recommandations de l’AFA pour les acteurs publics, ainsi que le principe de proportionnalité, devraient pouvoir répondre à la variété des cas et moduler l’appréciation de la conformité aux obligations ». En effet, « l’esprit de la loi est de poser un dispositif d’approche par les risques. Dans ces conditions, l’esprit des mesures de l’article 17, trouve à s’adapter aisément aux acteurs publics ». Seule l’évaluation des tiers « peut poser problème et nécessite des adaptations (car un acteur public ne peut pas écarter a priori un tiers des marchés publics) » ([143]).
La mise à jour des recommandations de l’agence, publiée le 12 janvier 2021, qui consacre une partie sur trois à la déclinaison des dispositions générales pour les acteurs publics assujettis, témoigne d’un réel effort de formalisation et d’adaptation de ces recommandations à ces acteurs. Toutefois, l’approche retenue reste générale, et insuffisamment adaptée à leur diversité.
Dans son dernier rapport annuel d’activité, l’agence indiquait toutefois que « les progrès réalisés par les acteurs publics dans la mise en œuvre des dispositifs anticorruption sont moins importants que ceux constatés chez les acteurs économiques et on ne peut exclure que cette tendance soit notamment liée à l’existence, pour les seuls sociétés et EPIC soumis à l’article 17 […] d’un référentiel défini par le texte et de sanctions administratives encourues en cas de non-conformité » ([144]).
Vos Rapporteurs considèrent que la constitution d’un référentiel insuffisamment adapté au secteur public, ne tenant pas compte des différences de nature et de taille entre collectivités, a nui à la diffusion des mesures de prévention et de détection dans la sphère publique.
Ils relèvent qu’aux termes de la loi, les administrations publiques sont traitées de la même manière, qu’il s’agisse d’administrations centrales, de collectivités territoriales ou d’établissements publics, alors même que les enjeux, les risques et les cadres juridiques applicables présentent d’importantes différences.
Ils insistent ainsi sur la nécessité d’adapter le dispositif aux différentes catégories de collectivités.
Proposition n° 12 : Créer des obligations de conformité adaptées aux administrations publiques, qui seraient modulées selon leur taille et les risques auxquels elles sont exposées.
Afin de renforcer l’effectivité du dispositif et d’inciter à la mise en œuvre de ces obligations, vos Rapporteurs se sont par ailleurs interrogés sur les meilleurs moyens permettant d’inciter, voire de contraindre, les acteurs publics à mettre en œuvre de telles sanctions.
La possibilité d’infliger des sanctions en cas de manquement constaté à l’occasion du contrôle d’un acteur public a notamment été suggérée lors des certaines auditions, ainsi que dans certaines contributions écrites reçues. L’ouverture d’une saisine de la commission des sanctions par le directeur de l’agence, ou la possibilité de donner au préfet un pouvoir de substitution en cas de manquement grave ou d’absence totale de mise en œuvre du dispositif dans les collectivités territoriales ont ainsi été évoquées.
Toutefois, la mise en œuvre de sanctions paraît délicate. Comme le rappelle la HATVP dans la contribution qu’elle a transmise à la mission, « les administrations relèvent déjà de régimes de sanctions spécifiques, notamment celui des juridictions financières (Cour des comptes, chambres régionales des comptes, Cour de discipline budgétaire et financière). Ces régimes sont liés aux règles également spécifiques auxquelles elles sont soumises, souvent dans des domaines touchant directement ou indirectement à la prévention de la corruption et souvent aussi en plus du droit commun auquel les entreprises sont seulement tenues. » Par ailleurs, « les exécutifs élus des collectivités territoriales ne sont pas justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière, mais la jurisprudence constitutionnelle, fondée sur le principe de la libre administration des collectivités locales, rend délicate, même si elle reste possible, l’éventualité, dans leur cas, d’attribuer au superviseur le pouvoir de sanctionner lui-même des défauts de conformité » ([145]).
Vos Rapporteurs suggèrent dès lors de privilégier le renforcement de la publicité relative à la mise en œuvre du dispositif de prévention et de détection de la corruption.
En dehors de tout manquement et de toute procédure de contrôle, le plan de prévention de la corruption mis en place par la collectivité pourrait faire l’objet d’un débat public annuel obligatoire, inscrit à l’ordre du jour du conseil délibérant de la collectivité, afin d’examiner les initiatives prises. Ce débat pourrait par exemple avoir lieu au moment du débat d’orientation budgétaire.
Par ailleurs, à l’image de ce qui est possible concernant les rapports des Cours régionales des comptes, le rapport produit par l’autorité de contrôle – ou du moins, ses principales recommandations – pourrait être publié sur son site internet. Les suites données aux recommandations pourraient par la suite faire l’objet d’un examen lors d’un débat inscrit à l’ordre du jour du conseil délibérant (par exemple, un an plus tard).
Proposition n° 13 : Accompagner les nouvelles obligations de mesures de publicité :
– instituer une obligation d’inscrire, une fois par an, à l’ordre du jour du conseil délibérant de la collectivité, l’examen des initiatives prises pour mettre en œuvre le dispositif de prévention et de détection de la corruption par le conseil de la collectivité ;
– systématiser la publication des rapports de contrôle ou de leurs conclusions.
Enfin, le dernier rapport d’activité de l’AFA relève que la loi « n’offre aucune possibilité de contraindre les acteurs publics, ne fut-ce que par le prononcé d’injonctions ni même de contrôler certaines structures comme les groupements d’intérêt public, les sociétés publiques locales, les associations faisant appel à la générosité publique ou certaines fondations et établissements financés sur fonds publics qui apparaissent pourtant, dans la pratique judiciaire, comme particulièrement exposées aux risques de mésusage des fonds publics » ([146]). Par la suite, l’AFA a indiqué à vos Rapporteurs qu’il conviendrait d’ajouter au champ des entités pouvant être contrôlées au titre de l’article 3 « certains acteurs, qui aujourd’hui échappent, quelle que soit leur taille, aux obligations de conformité, alors même qu’elles présentent des risques au moins similaires à d’autres acteurs qui, eux, sont soumis aux obligations de [cet] article » ([147]).
L’article 72 du projet de loi dit « 4 D », qui était en cours d’examen au Sénat au moment de la rédaction de ce rapport ([148]), répond partiellement à cette demande. L’agence relève ainsi que cet article, s’il était adopté, « permettrait seulement d’étendre aux SPL l’obligation de se doter d’un dispositif de prévention et de détection des atteintes à la probité et donc, de les soumettre au contrôle éventuel de l’AFA. Pour autant, demeureraient exclues du périmètre d’application de l’article 3 […] d’autres catégories juridiques, notamment les groupements d’intérêt public (GIP), les associations faisant appel à la générosité publique (seules celles reconnues d’utilité publique étant actuellement soumises à la loi), certaines fondations (notamment les fondations de coopération scientifique et les fondations hospitalières) et établissements financés sur fonds publics (comme les établissements de santé privés d’intérêts collectifs). »
C. renforcer l’application extraterritoriale du dispositif
Vos Rapporteurs relèvent enfin que le bilan de l’application extraterritoriale de ces nouveaux outils, et notamment la poursuite de faits de corruption d’agents publics étrangers réalisés par des entreprises étrangères exerçant une partie de leur activité en France, est inexistant.
La circulaire de politique pénale en matière de lutte contre la corruption internationale du 2 juin 2020 a fixé les lignes directrices de la politique pénale en matière de lutte contre la corruption internationale ([149]).
Elle relève notamment que différents modes de signalement sont mobilisables par l’autorité judiciaire pour lui permettre d’apprécier l’opportunité d’ouvrir des enquêtes en la matière, et identifie à ce titre les administrations de l’État (administration fiscale, AFA), les autorités administratives indépendantes (Autorité de la concurrence, Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, Autorité des marchés financiers, Haute Autorité pour la transparence de la vie publique), certains opérateurs publics ou parapublics (Business France, Agence française de développement, Bpifrance), les banques multilatérales de développement, la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes, la cellule de renseignement financier Tracfin, ainsi que le Service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE) et les services de renseignement. Elle fait également référence aux commissaires aux comptes, aux représentants de la profession d’administrateurs et mandataires judiciaires, aux personnes susceptibles de relever du statut de lanceur d’alerte, aux associations anticorruption agréées par le ministère de la Justice. Elle mentionne enfin la divulgation volontaire par les entreprises d’actes de corruption commis dans le cadre de leurs activités commerciales internationales par certains de leurs membres.
Ainsi, si les acteurs susceptibles d’apporter leur concours à la détection de faits de corruption internationale sont nombreux, force est de constater que la mise en œuvre des possibilités nouvelles ouvertes par la loi Sapin 2, et notamment l’assouplissement des conditions permettant de poursuivre en France des faits de corruption commis à l’étranger par des entreprises étrangères, reste balbutiante.
Lors de leur audition par vos Rapporteurs, les services de la direction générale du Trésor ont ainsi relevé que les entreprises françaises implantées à l’étranger, dans des pays où la corruption est endémique, peuvent être réticentes à l’idée de dénoncer ces faits aux parquets étrangers ou aux autorités locales, par peur des répercussions sur leur accès à la commande publique, ou de mesures de rétorsion.
Par ailleurs, la contribution des services économiques des ambassades de France à l’étranger est quasiment inexistante, et ce pour deux raisons. D’une part, les informations spontanément transmises aux ambassades ne sont pas vérifiées, et doivent être contre-expertisées, ce qui nécessite d’y affecter des moyens spécifiques. D’autre part, une approche « offensive » de la lutte contre la corruption transnationale pourrait être mal perçue et avoir des effets négatifs sur l’attractivité de l’économie française, que s’attachent à promouvoir les services économiques régionaux.
Les services de la direction générale du Trésor ont néanmoins relevé l’intérêt de systématiser les actions de sensibilisation en direction des entreprises exerçant dans un environnement où la corruption est omniprésente.
Vos Rapporteurs insistent sur la nécessité de renforcer les moyens de détecter les faits de corruption commis à l’étranger, en mobilisant plus fortement les différents services de l’État.
Ils considèrent que, dans cette perspective, le partage d’informations entre les différents services de l’État (réseau des ambassades et des correspondants du Trésor, autorité judiciaire, intelligence économique, services de renseignement) et le service chargé de la coordination administrative devrait être intensifié.
Proposition n° 14 : Favoriser la détection de faits de corruption à l’étranger en mobilisant l’ensemble des services de l’État.
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PARTIE II : LA CONVENTION JUDICIAIRE D’INTÉRÊT PUBLIC
La création du dispositif de la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) constitue l’un des apports majeurs de la loi Sapin 2. Inspirée des procédures de transactions pénales qui existaient déjà en droit anglo-saxon, son introduction répond à la nécessité d’appréhender les faits de corruption transnationale et de favoriser un règlement concerté des litiges, dans un contexte de multiplication des procédures judiciaires extraterritoriales ciblant des entreprises françaises.
Initialement limité à la corruption ainsi qu’à d’autres infractions en matière de probité, son champ a rapidement été étendu à la fraude fiscale dès 2018 et aux atteintes à l’environnement en 2020.
Quatre ans et demi après sa création, la CJIP constitue un indéniable succès.
Parmi les douze conventions conclues, deux ont donné lieu à une véritable coopération avec des autorités étrangères, américaine et britannique. Le dispositif a permis l’affirmation du Parquet national financier sur la scène internationale, et, plus largement, la reconnaissance de l’efficacité du dispositif français de lutte contre la corruption. Il a également contribué à une meilleure coopération entre les parquets et les entreprises ainsi que leurs conseils. Par ailleurs, à ce jour, les conventions conclues ont conduit au versement d’amendes importantes au profit du Trésor public, démontrant ainsi la capacité du dispositif à sanctionner efficacement les personnes morales.
Utile et efficace, le dispositif de la CJIP gagnerait toutefois à être amélioré sur plusieurs points, sur lesquels vos Rapporteurs formulent des propositions.
La souplesse du dispositif offre une grande marge de manœuvre aux parquets dans sa mise en œuvre. Cette flexibilité a de nombreux avantages, et donne une place importante à la négociation entre les parties. Le principal inconvénient est que les garanties apportées à la personne morale au cours de la négociation sont faibles, et reposent essentiellement sur la « foi du Palais ». Si le risque d’une utilisation déloyale du dispositif par le parquet paraît limité, le dispositif favorise peu la révélation spontanée des faits par les personnes morales, la situation des personnes physiques impliquées dans les faits de corruption restant par ailleurs délicate.
Enfin, le recours aux enquêtes internes, s’il est favorisé par le texte, qui promeut la coopération de la personne morale, n’est pas suffisamment encadré.
I. inspirÉe des dispositifs de transaction pÉnale utilisÉs dans les pays anglo-saxons, la convention judiciaire d’intérÊt public a rapidement trouvé sa place dans le systÈme juridique français
L’introduction de la CJIP dans notre droit a constitué une évolution majeure, en permettant à des personnes modales d’échapper à une condamnation pénale en contrepartie de la réalisation de certaines obligations. La loi encadre les conditions dans lesquelles la convention peut être proposée, prévoit les obligations qu’elle contient, et détermine les modalités de sa validation et de son exécution. Elle est précisée par des textes de droit souple, qui ont acquis une grande importance en pratique. Initialement limité à certaines infractions en matière de probité, le dispositif a rapidement été étendu à d’autres délits.
La CJIP a rapidement prouvé son efficacité : douze conventions ont déjà été conclues, et ce dispositif a permis d’affirmer la souveraineté judiciaire de la France sur la scène internationale. Outre le paiement d’une amende, il prévoit la réalisation d’un programme de mise en conformité, qui prévient la récidive.
A. la CJIP a pour objectif de permettre un rÈglement plus efficace de dossiers complexes, notamment DANS LES CAS de corruption transnationale
1. L’introduction d’un dispositif transactionnel nouveau, inspiré des procédures britannique et américaine
Inspiré des « deferred prosecution agreements » (DPA) américain et britannique, le dispositif de la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), qui figure à l’article 22 de la loi Sapin 2, permet à une personne morale d’échapper à une condamnation pénale, en contrepartie du paiement d’une amende et de la mise en œuvre d’un programme de conformité.
Cet instrument offre « le double avantage d’imposer des sanctions appropriées à une personne morale poursuivie pour une infraction économique complexe en permettant une issue plus rapide et moins coûteuse des dossiers ». Il permet également aux parquets « d’engager, dans la durée, des stratégies d’action déterminées et adaptées, indispensables dans certains contentieux, comme la corruption d’agents publics étrangers, dans lesquels quelques pays, notamment les États-Unis et la Grande-Bretagne, mènent déjà une politique offensive » ([150]).
Ce dispositif figurait initialement, sous une forme légèrement différente, dans l’avant-projet de loi transmis au Conseil d’État, sous la dénomination de « convention de compensation d’intérêt public ». Le Conseil d’État avait formulé plusieurs critiques, et relevait finalement n’avoir pu « surmonter les difficultés que ce dispositif lui a paru présenter » ([151]).
Le dispositif fut introduit à l’initiative de Mme Sandrine Mazetier, dès l’examen du texte par la commission des Lois de l’Assemblée nationale en première lecture, avec un avis de sagesse du rapporteur, M. Sébastien Denaja ([152]). Il reprenait, pour l’essentiel, le dispositif figurant dans l’avant-projet de loi, tout en prenant en compte les réserves formulées par le Conseil d’État.
L’article 22 de la loi crée ainsi deux nouveaux articles 41-1-2 et 180-2 dans le code de procédure pénale, qui définissent les conditions de fond et la procédure applicables à la conclusion d’une CJIP.
Les conditions et les modalités de proposition, de négociation et de conclusion des CJIP ont par la suite été précisées par plusieurs textes de droit souple : une circulaire du 31 janvier 2018 ([153]) et une dépêche du 21 mars 2019 ([154]) de la direction des affaires criminelles et des grâces, et les Lignes directrices adoptées par le Parquet national financier et l’AFA le 26 juin 2019 ([155]).
Les Lignes directrices indiquent qu’« en précisant et en exposant les modalités de mise en œuvre de la CJIP, elles ont pour objectif d’inciter les personnes morales à adopter une approche de coopération avec l’autorité judiciaire comme avec l’AFA. Elles constituent pour les opérateurs économiques et les autorités judiciaires étrangères un élément de prévisibilité et un facteur de sécurité juridique. »
a. La proposition de conclure une CJIP est laissée à l’appréciation du parquet
L’article 41-1-2 prévoit ainsi que tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement, le procureur de la République peut proposer à une personne morale mise en cause pour un ou plusieurs délits d’atteinte à la probité, prévus par le texte, ainsi que pour des infractions connexes, de conclure une convention judiciaire d’intérêt public.
Le dispositif réserve ainsi au procureur de la République l’initiative de la proposition de CJIP, dont il apprécie l’opportunité au cas par cas.
L’article mentionne précisément les délits pouvant conduire à une telle proposition, qui sont relatifs aux faits de corruption et de trafic d’influence d’agent public ou d’agent de justice (français, international ou étranger), de corruption privée et de blanchiment de fraude fiscale, ainsi que les infractions connexes (sauf la fraude fiscale). ([156])
Cette proposition peut avoir lieu tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement : elle peut donc intervenir au cours de l’enquête préliminaire comme de l’information judiciaire.
La loi ne donne pas d’indications sur les conditions qui peuvent amener le ministère public à proposer une CJIP. Si elle ne définit pas les critères d’intérêt public, les textes de droit souple (circulaire DACG du 31 janvier 2018 et Lignes directrices AFA-PNF du 26 juin 2019) du permettent toutefois d’en dessiner les contours.
La circulaire DACG du 31 janvier 2018 suggère que « l’opportunité de mettre en œuvre une convention pourra s’apprécier en fonction de plusieurs critères : les antécédents de la personne morale, le caractère volontaire de la révélation des faits, le degré de coopération avec l’autorité judiciaire dont la personne morale fait preuve ». Elle ajoute que « la prise en compte des antécédents de la personne morale conduira, dans la plupart des cas, à exclure la convention lorsque la personne morale aura déjà bénéficié d’une telle mesure » ([157]).
Ces textes accordent ainsi une place importante à la coopération de la personne morale avec l’institution judiciaire, qui constitue, selon les Lignes directrices, un « préalable nécessaire à la conclusion d’une CJIP ». La qualité de la coopération est ainsi « décisive de l’abandon des poursuites et du recours à la CJIP » (et sera par ailleurs « également prise en compte pour la détermination du montant de l’amende d’intérêt public ») ([158]).
Les Lignes directrices relèvent par ailleurs que la proposition de CJIP intervient « si plusieurs critères sont réunis ». Dans la mesure où cette procédure permet aux entreprises « d’échapper à une condamnation judiciaire et aux conséquences qui y sont attachées, elle doit être réservée aux situations dans lesquelles il apparaît conforme à l’intérêt public de ne pas engager de poursuites pénales ».
Le recours à la CJIP satisfait ainsi l’intérêt public « lorsqu’il permet de réduire sensiblement le délai d’enquête, d’assurer l’effectivité et la fermeté de la réponse judiciaire en réponse aux comportements poursuivis, d’assurer l’indemnisation du préjudice de la victime et contribue à la prévention de la récidive par la mise en place de dispositifs effectifs de détection des atteintes à la probité ».
Il doit par ailleurs « ménager la possibilité d’engager des poursuites pénales contre les personnes physiques, notamment les dirigeants de la personne morale, auteurs ou complices des infractions envisagées par la CJIP ».
Ainsi formulés, les critères d’intérêt public laissent une importante marge de manœuvre au parquet dans leur appréciation. Le parquet peut prendre l’initiative de proposer une CJIP s’il considère que l’intérêt public est satisfait, alors même que tous les critères ne seraient pas remplis.
Les praticiens auditionnés par la mission relèvent qu’en étendant la disponibilité de la CJIP, ce pouvoir discrétionnaire « donne une importance plus grande à ce qui forme le cœur du dispositif : la négociation des