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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 juillet 2021.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA MISSION d’information commune ([1])
relative aux entreprises en difficulté du fait de la crise sanitaire
Président
M. Romain GRAU
Rapporteurs
Mme Anne-Laurence PETEL et M. Antoine SAVIGNAT
Députés
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La mission d’information est composée de :
M. Romain Grau, président
Mme Anne-Laurence Petel et M. Antoine Savignat, rapporteurs
Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, M. Jean-Louis Bricout, Mme Marie-Christine Dalloz, Mme Jennifer De Temmerman, Mme Typhanie Degois, Mme Cécile Delpirou, Mme Christelle Dubos, Mme Stella Dupont, M. Raphaël Gauvain, M. Philippe Huppé, M. Mohamed Laqhila, M. Christophe Naegelen, Mme Valérie Oppelt, M. Éric Pauget, M. Stéphane Peu, M. Richard Ramos, M. Rémy Rebeyrotte, M. François Ruffin, M. Robert Therry et Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas.
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SOMMAIRE
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Page
I. l’économie française maintenue à flot grâce au « quoi qu’il en coûte »
a. L’activité partielle a été assouplie pour sauvegarder les emplois
b. Le fonds de solidarité vise à compenser les pertes subies
c. Des mesures de soutien complémentaires
a. Des reports de prélèvements obligatoires qui posent la question de leur apurement
i. Les reports de charges sociales
ii. Les reports de charges fiscales
c. Les poursuites en cas de non-paiement des loyers et des factures énergétiques ont été arrêtées
B. les entreprises ont largement sollicité ces dispositifs
1. Le recours aux aides varie en fonction du temps et des secteurs d’activité
a. Une évolution constatée au cours de la crise sanitaire
b. Une hétérogénéité selon l’activité des entreprises
2. Les aides ont bénéficié aux entreprises qui en avaient le plus besoin
a. Des mesures de soutien correctement ciblées
b. Des recours qui n’ont pas été systématiques
1. Une chute inédite du nombre de défaillances
a. Une baisse de près de 40 % du nombre de défaillances entre 2019 et 2020
2. Un effet de rattrapage encore à venir
B. LA CRISE amplifie LES FAIBLESSES STRUCTURELLES du tissu entrepreneurial français
1. La crise provoque un endettement des entreprises et compromet leurs capacités à investir
a. Des effets multiples et néfastes sur l’économie française
b. Les fonds propres des TPE sont structurellement faibles
A. LA NOTION D’entreprise en difficulté
1. Les fondements du droit des entreprises en difficulté
a. Du droit de la faillite au droit des entreprises en difficulté
2. Les procédures amiables : une intervention précoce assortie de nombreux avantages
c. La procédure de conciliation
a. Les procédures de sauvegarde et de redressement
i. Des distinctions importantes concernant les modalités d’ouverture
ii. Des similitudes concernant le déroulement de la procédure et son traitement
4. Un bilan chiffré insatisfaisant
C. une multitude d’ACTEURS susceptibleS d’intervenir
1. Le rôle des pouvoirs publics
2. Des initiatives privées également nombreuses
A. lever progressivement les mesures de soutien aux entreprises
1. Maintenir au cas par cas les aides qui ne créent pas d’endettement pour les entreprises
a. Le maintien d’un régime d’activité partielle de longue durée
b. La prolongation du fonds de solidarité pour les entreprises durablement touchées
2. Réussir la sortie des prêts garantis par l’État
a. Un endettement brut conséquent
b. Un besoin d’allongement de l’amortissement
c. Prolonger ou transformer les prêts garantis par l’État ?
3. Échelonner les recouvrements des prélèvements obligatoires
B. isoler le fait « covid-19 » du bilan des entreprises
a. Des conséquences sur l’ensemble des éléments constitutifs des comptes
b. L’isolement d’un « fait Covid-19 » permettrait d’obtenir une image fidèle de la situation réelle
2. Inscrire les conséquences économiques de la pandémie dans les comptes annuels
a. Le principe d’une annexe « fait Covid-19 » au bilan et au compte de résultat
b. La présentation des déséquilibres engendrés au bilan et au résultat
C. renforcer durablement les capacités de financement des entreprises
1. Un besoin important de renforcement des fonds propres pour les entreprises les plus touchées
a. Une minorité d’entreprises durablement endettées qui pourrait freiner considérablement la reprise
b. Un nécessaire rééquilibrage du ratio d’endettement
2. Inciter le renforcement des fonds propres et mobiliser de nouveaux outils
a. Les propositions du Gouvernement vont dans le bon sens…
b. … mais pourraient voir leur ambition rehaussée
a. Les délais de paiement sont encadrés par le droit
c. Les leviers pour réduire les délais de paiement
II. DÉTECTER LES DIFFICULTÉS ET ACCOMPAGNER LES ENTREPRISES
A. LES MULTIPLES FREINS DE LA PRévention
1. Les lacunes de la détection : des fragilités souvent non détectées malgré une multitude d’acteurs
a. Panorama des acteurs susceptibles de repérer les difficultés et de lancer l’alerte
i. L’entreprise et ses partenaires
iii. Les services administratifs
B. Des évolutions indispensables
1. Outiller le chef d’entreprise
a. Garantir un véritable droit et devoir de formation des chefs d’entreprise
c. Diffuser les outils de diagnostic
2. Mobiliser les partenaires de l’entreprise autour de la mission d’alerte et d’information
a. Le rôle de l’expert-comptable
b. Le rôle du commissaire aux comptes
c. Mobiliser et responsabiliser l’ensemble des partenaires de l’entreprise
d. Systématiser l’accompagnement psychologique des dirigeants et soutenir les initiatives privées
3. Rassembler l’ensemble des acteurs autour d’une gouvernance territoriale modernisée
a. Coordonner et moderniser l’action au niveau local
i. Décloisonner les sphères judiciaires et administratives
ii. Moderniser et renforcer les capacités d’intervention des services de l’État
b. Améliorer la lisibilité des dispositifs existants et communiquer auprès des chefs d’entreprise
a. L’ordonnance n° 2020-306 du 23 mars 2020 : des mesures urgentes pour faire face à la crise
c. L’ordonnance n° 2020-1443 du 25 novembre 2020 : des mesures pour compléter le cadre dérogatoire
a. Les grands principes de la directive en matière de restructuration préventive
b. Les enjeux de la transposition en droit français
B. Un mouvement à poursuivre et consolider
1. Améliorer l’attractivité des procédures amiables
a. Encadrer davantage le coût des procédures amiables
i. Les enjeux relatifs à la rémunération des mandataires de justice
ii. La question de la prise en charge des frais de procédure par le débiteur
b. Pour une procédure de conciliation modernisée
a. Élargir le bénéfice de la procédure simplifiée de sortie de crise à l’ensemble des PME
3. Garantir la rapidité et la souplesse des procédures
a. Permettre une saisine plus rapide du tribunal
b. Réduire les délais de la période d’observation
c. Repenser le rôle du juge-commissaire en matière de contestation et déclaration de créances
i. Donner compétence au juge-commissaire en matière de contestation des créances
ii. Prévoir la déclaration des créances sous la seule responsabilité du mandataire judiciaire
d. Conforter la place des administrateurs et des mandataires judiciaires
4. Lever les obstacles procéduraux à la réussite du sauvetage de l’entreprise
a. Assurer l’accès à la commande publique
i. Des évolutions juridiques récentes qui vont dans le bon sens
c. Inscrire durablement dans notre droit le privilège du « post money »
5. Rendre le redressement judiciaire plus protecteur du chef de TPE et PME
6. Repenser les rapports de force entre les différentes parties prenantes
a. Renforcer les outils permettant de passer outre le blocage de l’actionnaire
b. Porter une attention particulière aux petits créanciers pour éviter un effet « domino »
7. Le droit des entreprises en difficulté est-il trop complexe ?
IV. POSER LES CONDITIONS NÉCESSAIRES du rebond
A. Permettre un traitement accéléré de la liquidation lorsqu’aucune autre solution n’est possible
1. La liquidation entraîne des conséquences très lourdes pour l’entrepreneur individuel
2. Des délais qui peuvent s’éterniser
b. Développer le recours à la procédure de rétablissement professionnel
1. Permettre, sous condition, la reprise par le dirigeant
a. Le droit commun : un principe d’interdiction de cession au chef d’entreprise avec des dérogations
b. Les dispositions controversées de l’article 7 de l’ordonnance du 20 mai 2020
c. Face aux controverses, promouvoir une solution permettant de limiter les effets d’aubaine
2. Réfléchir à un nouveau dispositif fiscal pour inciter aux reprises
a. Les dispositions de l’article 44 septies du code général des impôts
b. Un bilan peu satisfaisant rendant nécessaire une réflexion pour un nouveau dispositif
C. SUPPRIMER LES STIGMATES ASSOCIés aux PROCédures collectives ET GARANTIR LE DROIT À l’OUBLI
1. Des stigmates solidement ancrés
2. Consolider le principe du droit à l’oubli dans notre cadre juridique
3. Un changement culturel nécessaire
4. Réformer le régime de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif
b. Revoir les règles de prescription et définir la faute de gestion
D. PROTÉGER LE CHEF D’ENTREPRISE
1. Mieux protéger les biens personnels de l’entrepreneur
2. Poursuivre la réflexion pour aller vers une protection sociale des entrepreneurs
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
ANNEXE 1 : L’ÉCOSYSTÈME DU CHEF D’ENTREPRISE EN difficulté
ANNEXE 2 : CONTRIBUTION DU GROUPE DE TRAVAIL LOCAL ANIMÉ PAR LA CO‑RAPPORTEURE ANNE-LAURENCE PETEL
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La crise sanitaire que nous traversons est aussi une crise économique, qui suscite des inquiétudes majeures pour l’ensemble du tissu économique français. La France est entrée dans la pire récession qu’elle ait connue depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, avec un recul de 8,2 % du produit intérieur brut (PIB) en 2020 et de 13,8 % sur le seul second trimestre de l’année ([2]).
Face à ce choc inédit, les moyens déployés par les pouvoirs publics ont été à la hauteur des besoins, avec la mise en place d’une palette de dispositifs de soutien sans précédent pour les entreprises. L’activité partielle, le fonds de solidarité, l’octroi de prêts garantis par l’État (PGE), le report du paiement de cotisations sociales et l’ensemble de la politique du « quoi qu’il en coûte » ont permis de maintenir notre économie à flot.
Ce soutien puissant et efficace explique que, paradoxalement, les défaillances d’entreprises ont beaucoup diminué depuis le début de la pandémie. En 2020, leur nombre était inférieur de près de 40 % à celui de l’année précédente. Ce « sursis » concerne principalement les entreprises les plus petites, indépendamment du secteur d’activité.
Si le pire a pu être évité grâce à l’intervention massive des pouvoirs publics, la situation actuelle n’en est pas moins inquiétante, notamment dans la perspective d’un arrêt progressif des aides exceptionnelles mises en place. Les difficultés des entreprises sont amenées à persister dans les mois et les années à venir.
Une attention toute particulière doit être portée sur les petites entreprises, qui sont les plus touchées et qui sont déjà fragilisées par un certain nombre de difficultés structurelles et antérieures à la crise, tenant à la faiblesse de leurs fonds propres, aux difficultés récurrentes de trésorerie et à un niveau d’endettement élevé. Cet endettement, mécaniquement accru par le recours aux PGE, risque de peser, dans le contexte de la reprise, sur les besoins en fonds de roulement et les capacités d’investissement des entreprises françaises.
Une nécessité se dégage à l’aune de ce constat : préparer l’avenir pour permettre à l’économie française de passer le cap de la crise. Les priorités des rapporteurs s’organisent en quatre temps : anticiper la sortie de crise, détecter et accompagner les entreprises en difficulté, renforcer l’efficacité des procédures amiables et collectives et enfin poser les conditions du rebond.
1. Anticiper et préparer la sortie de crise pour éviter une « déperfusion » trop brutale des entreprises
Tout l’enjeu de la sortie de crise réside donc dans les modalités de la « déperfusion » – pour employer une métaphore médicale qui correspond bien à cette situation d’injection lente et continue d’argent public dans la trésorerie des entreprises. Vos rapporteurs proposent une stratégie organisée autour de trois grands axes pour répondre à cette problématique.
Tout d’abord, il est essentiel de donner de la visibilité sur le devenir des dispositifs de soutien exceptionnels actuels et d’éviter toute brutalité dans l’arrêt des aides. Les aides publiques qui ne créent pas d’endettement doivent être maintenues en fonction des circonstances (propositions n° 1, 2 et 4). Une réflexion poussée doit être conduite concernant l’avenir des PGE. Vos rapporteurs préconisent d’allonger au cas par cas la durée d’amortissement des PGE au-delà de six ans, jusqu’à une durée maximale fixée à dix ans (proposition n° 3).
Ensuite, vos rapporteurs proposent d’isoler le fait « Covid-19 » dans le bilan des entreprises via une annexe comptable, afin d’obtenir une image fidèle de la situation réelle des entreprises françaises et de ne pas entraver leur capacité à investir (proposition n° 6).
Enfin, les capacités de financement des entreprises françaises doivent être renforcées. Pour cela, des actions doivent être conduites pour renforcer les fonds propres des entreprises françaises. Il est en particulier essentiel de davantage attirer l’épargne des ménages vers les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME), notamment via le déplafonnement des versements des plans d’épargne en actions (PEA) destinés aux PME (proposition n° 9). Les délais de paiement doivent également être raccourcis pour garantir les capacités de trésorerie des entreprises françaises et éviter les faillites en cascade. L’exemplarité de la commande publique en la matière doit être mieux garantie (proposition n° 10).
2. Détecter les difficultés et accompagner les entreprises
Malgré tous les efforts mis en place, le nombre d’entreprises en difficulté risque de s’accroître, ne serait-ce que par un effet de rattrapage. L’une des priorités essentielles est de s’assurer des capacités de détections des difficultés des entreprises, afin d’être en mesure de les orienter et de les accompagner le plus en amont possible vers les dispositifs appropriés.
Les travaux de la mission ont mis en évidence que plus les difficultés des entreprises sont repérées en amont, plus les mesures pouvant être mises en place sont efficaces. En particulier, plus l’entreprise se rend tôt devant le tribunal pour résoudre ses difficultés, plus les chances de sauvetage sont élevées. La conciliation et le mandat ad hoc permettent de conclure un accord amiable dans 50 à 70 % des cas. La moitié des entreprises en sauvegarde obtiennent un plan de continuation contre un quart pour les entreprises en redressement (27 %) ([3]).
Pourtant, les procédures préventives sont très peu mobilisées : les procédures amiables représentent à peine environ 7 % des procédures, la sauvegarde paraît encore plus marginale (entre 2 et 3 %). Par conséquent, la grande majorité des procédures ouvertes par le tribunal sont des liquidations directes (entre 60 et 70 % selon les années).
Les freins à la prévention sont multiples. Les fragilités ne sont souvent pas détectées, malgré une multitude d’acteurs susceptibles d’intervenir : les partenaires de l’entreprise, le tribunal et le greffe, les services administratifs, etc. Dans les petites entreprises, le dirigeant méconnaît souvent ses propres difficultés ou refuse de les voir. Il n’est pas suffisamment alerté par son entourage. Les outils publics de détection des difficultés manquent d’efficacité en raison d’un fonctionnement en silo et d’un ciblage parfois inadapté. Une fois les difficultés repérées, le chef d’entreprise n’est pas suffisamment orienté vers les bons interlocuteurs et les bonnes procédures. La crainte du tribunal, perçu comme lieu d’échec et de sanction est particulièrement délétère.
Face à ces lacunes, il est essentiel de mieux outiller le chef d’entreprise, en :
– garantissant un droit et un devoir de formation des chefs d’entreprise (proposition n° 11) ;
– incitant le chef d’entreprise à se faire accompagner par des professionnels compétents et diffuser les outils de diagnostics (propositions n° 12 et 13) ;
– renforçant le rôle de l’expert-comptable en matière de prévention (proposition n° 14) ;
– mobilisant les partenaires financiers et en particulier les banques (proposition n° 16) ainsi que les créanciers publics (proposition n° 17) autour de l’alerte et de l’orientation du chef d’entreprise ;
– soutenant le déploiement des initiatives privées et en particulier des groupements de prévention agréés, et veillant à garantir l’accompagnement psychologique des chefs d’entreprises (proposition n° 18) ;
Il est également nécessaire de repenser la gouvernance territoriale de l’accompagnement des entreprises en difficulté dans le sens de la modernisation et du décloisonnement (propositions n° 20, 21, 23). En particulier, vos rapporteurs proposent d’améliorer la communication d’information entre les services administratifs et le tribunal de commerce et de prévoir la présence du président du tribunal de commerce ou d’un représentant au CODEFI ([4]) (proposition n° 19).
Enfin, vos rapporteurs préconisent une réforme d’ampleur du tribunal de commerce. Ils proposent ainsi la création d’un tribunal des entreprises, lieu de prévention et d’accompagnement des entreprises en difficulté (proposition n° 24). Cette réforme a vocation à s’articuler autour de deux grands piliers :
– le transfert du contentieux relatif aux sanctions au tribunal judiciaire, afin de distinguer clairement les procédures de prévention et de traitement des sanctions ;
– une compétence exclusive pour le tribunal de commerce sur l’ensemble des mesures et des procédures relevant du livre VI du code de commerce, quelle que soit la nature d’activité ou le statut de l’entreprise.
3. Améliorer le traitement des difficultés : moderniser les procédures pour se donner les moyens de passer le cap de la crise
La crise a mis en lumière un certain nombre de failles structurelles du droit des entreprises en difficulté, avec des procédures globalement trop lourdes et longues, éprouvantes pour le chef d’entreprise et l’ensemble des parties prenantes. Le droit des entreprises en difficulté s’articule autour d’une recherche toujours complexe d’un juste équilibre entre la protection des intérêts de chacun (débiteurs, salariés, créanciers, actionnaires).
Face à la situation actuelle, le droit des entreprises en difficulté doit s’adapter pour proposer des réponses appropriées aux entreprises et soutenir la vie économique. Un certain nombre de réformes et d’adaptations ont déjà été inscrites dans notre droit – souvent par voie d’ordonnances et de façon temporaires – ou sont encore en cours. Ces efforts doivent se poursuivre et il convient d’inscrire certains instruments durablement dans notre corpus juridique. Parallèlement, la directive européenne « restructuration et insolvabilité » doit être prochainement transposée en droit français, par voie d’ordonnance également.
Vos rapporteurs proposent de parachever ce mouvement de réforme, dans le sens du pragmatisme et de l’efficacité, de façon à être en mesure de faire face à la crise actuelle. In fine, la crise doit être saisie comme une opportunité pour améliorer notre droit.
En premier lieu, il est nécessaire d’améliorer l’attractivité des procédures amiables. Pour cela, il est nécessaire d’agir sur leur coût, dans le sens d’une plus grande transparence et en veillant à développer des forfaits pour les TPE et PME (proposition n° 26). Les modifications apportées à la procédure de conciliation dans le cadre de la crise méritent d’être pérennisées dans notre droit, avec le principe de suspension des poursuites et l’allongement de la durée de la procédure à 10 mois maximum (proposition n° 27).
En deuxième lieu, vos rapporteurs appellent à adapter les procédures collectives pour les entreprises ayant particulièrement souffert de la crise, notamment en allongeant la durée des plans de continuation à 15 ans pour les entreprises concernées (proposition n° 29).
En troisième lieu, il est essentiel de garantir la rapidité et la souplesse des procédures (propositions 30 à 34), en assurant une saisine rapide du tribunal et réduisant les délais de la période d’observation notamment.
En quatrième lieu, un certain nombre d’obstacles procéduraux peuvent être levés pour accroître les chances de réussite du sauvetage de l’entreprise. En ce sens, il est souhaitable de mieux garantir l’accès à la commande publique des entreprises en difficulté (proposition n° 35), de réformer le traitement du crédit-bail (proposition n° 36) et d’inscrire durablement dans notre droit le privilège de « post money », qui permet de faciliter les apports financiers en période d’observation (proposition n° 37).
Le redressement judiciaire doit également être rendu plus protecteur du chef de TPE et de PME à travers la protection des biens personnels du dirigeant en redressement judiciaire (proposition n° 38).
Enfin, une réflexion de fond doit être conduite pour réinterroger l’équilibre entre les différentes parties prenantes aux procédures de restructuration : débiteurs, actionnaires, créanciers. Vos rapporteurs proposent de rééquilibrer le droit des créanciers par rapport à celui des actionnaires (proposition n° 39) et de porter une attention particulière aux petits créanciers afin d’éviter un effet « domino » des faillites. Il paraît dès lors souhaitable de revoir l’ordre des privilèges afin de placer les créanciers chirographaires (et notamment les fournisseurs) avant les créanciers publics, qui bénéficient en l’état actuel du droit du privilège du Trésor (proposition n° 40).
4. Poser les conditions nécessaires du rebond
Toutes les entreprises ne seront pas sauvées et il n’est pas souhaitable de maintenir artificiellement en vie notre économie. Pour les entreprises qui connaissent des difficultés irrémédiables, les procédures de liquidation doivent pouvoir être conduites dans les meilleures conditions possible, sachant qu’il s’agit d’une période éprouvante pour le chef d’entreprise. Les reprises doivent être encouragées et surtout, le rebond de l’entrepreneur favorisé, ce qui nécessite de sortir de la stigmatisation et la culpabilité du dirigeant en faillite.
Vos rapporteurs préconisent un traitement accéléré de la liquidation lorsqu’aucune autre solution n’est possible (propositions n° 40 à 45). En particulier, il est souhaitable de limiter dans le temps l’interdiction d’exercer une activité professionnelle (proposition n° 45).
La crise sanitaire rend nécessaire une réflexion sur les reprises, dans un contexte où les dépôts de bilan sont susceptibles d’augmenter. Outre une réflexion concernant les possibilités de reprises par le dirigeant lui-même (proposition n° 46), vos rapporteurs proposent de concevoir un nouveau dispositif d’incitation fiscale en ce sens (proposition n° 47).
Les stigmates associés aux procédures collectives et plus particulièrement à la faillite doivent être supprimés pour garantir un véritable droit à l’oubli, condition essentielle au rebond de l’entrepreneur. Vos rapporteurs proposent de poursuivre les efforts de déstigmatisation en réduisant la durée des mentions au K-Bis (proposition n° 48) et de réformer le régime de la faute de gestion ayant entraîné une insuffisance d’actif (proposition n° 50).
Enfin, la protection de l’entrepreneur et de ses biens apparaît comme une condition sine qua non du droit à la deuxième chance et du rebond. Vos rapporteurs préconisent plusieurs évolutions pour mieux protéger les biens personnels de l’entrepreneur (proposition n° 51) et invitent à poursuivre la réflexion pour aller vers une protection sociale des entrepreneurs (proposition n° 52).
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Nous vivons une crise d’une ampleur inouïe, la plus grande tempête que le pays ait connue depuis la Seconde Guerre mondiale. La crise sanitaire est rapidement devenue une crise économique qui s’est traduite par une récession, là aussi inédite par son importance en France depuis 1945, à hauteur de 8,2 % du produit intérieur brut (PIB) en 2020 et de 13,8 % sur le seul second trimestre de l’année.
Pour faire face à ce choc exogène et essayer d’éviter qu’il ne se transforme en crise systémique, des mesures de soutien aux entreprises ont été rapidement et massivement mobilisées, dès les premières semaines de la crise. Les dispositifs mis en place ont perduré et évolué au fur et à mesure de celle-ci. Ils ont eu pour but d’éviter des faillites et, ce faisant, des plans de licenciement.
Ainsi, le Gouvernement a mis en place dès le premier confinement, au moment même où la chute de l’activité économique a été la plus brutale, différents mécanismes utilisés depuis lors comme, notamment, les reports de charges, l’activité partielle et les prêts garantis par l’État (PGE) qui ont été les dispositifs les plus mobilisés dans l’urgence par les entreprises. Et les chiffres en cause peuvent donner le tournis. Ainsi, sur les 135 milliards d’euros de PGE accordés par les banques, environ 80 % l’ont été au cours du premier semestre 2020. Ils ont bénéficié à environ 600 000 entreprises.
Le « quoi qu’il en coûte » a permis de maintenir à flot l’économie française et d’éviter une cascade de défaillances. Ce soutien puissant et efficace explique que, paradoxalement, les défaillances d’entreprises ont beaucoup diminué depuis le début de la pandémie. Ainsi, en 2020, leur nombre était inférieur de près de 40 % à celui de l’année précédente.
Toutefois notre devoir de lucidité doit nous conduire à ne pas nous contenter de ce constat positif. En effet, il n’est pas possible d’occulter les risques pesant sur les entreprises, notamment liés au remboursement de la dette qu’elles ont contractées du fait du bénéfice des PGE ou des reports de charges sociales et fiscales. Cet endettement brut conséquent pourrait mettre en difficulté des entreprises, et plus particulièrement les plus petites d’entre elles, fragilisées par la faiblesse de leurs fonds propres.
Par ailleurs, aujourd’hui, la situation s’avère également inquiétante notamment dans la perspective d’un arrêt progressif des aides exceptionnelles mises en place.
Face à cela, les élus de la Nation que nous sommes ne pouvaient pas rester l’arme au pied, les bras ballants. Nous devons certes comprendre la situation économique et les ressorts qui sont les siens dans les mois à venir. En revanche, notre devoir est de prévoir en étant correctement éclairés. Nous sommes dans le même esprit que le navigateur qui doit prendre la mer et qui souhaite ardemment que la tempête ne survienne pas. Mais, dans un souci de réalisme, parce qu’il ne décide pas si la tempête survient ou non, il est préférable de tout faire pour que l’embarcation puisse résister aux orages.
C’est la raison pour laquelle, le 20 janvier dernier, nous avons tenu la réunion constitutive de cette mission d’information réunissant 23 députés venant des commissions des affaires économiques, des finances et des lois. Les travaux ont duré plus de six mois. Nous avons pu les conduire dans un climat transpartisan. Nous avons eu également la possibilité de dialoguer étroitement avec les membres du Gouvernement sans aucune difficulté.
Nous avons auditionné en formation plénière 210 personnes, alternant auditions et déplacements de terrain pour être au plus de la réalité et permettre à ceux qui n’avaient pas toujours la parole – entrepreneurs, avocats, mandataires, experts‑comptables, juges, fonctionnaires ou élus locaux – de s’exprimer. Nous avons aussi auditionné les organisations représentatives, les associations de professionnels. L’idée majeure a été d’écouter les acteurs les plus concernés, ceux qui, chaque jour, se battent pour sauver des entreprises, sauver des emplois et éviter que des créanciers ne perdent leur mise. Pour résumer, il s’est agi de comprendre par nos auditions et nos rencontres ce qui fonctionne et ce qui fonctionne moins.
À l’issue de nos travaux, un constat s’impose : la France n’est pas démunie. Elle dispose d’un droit sophistiqué et précis ainsi que d’acteurs compétents et aguerris. Le cadre applicable aux entreprises en difficulté présente une palette d’outils dont un grand nombre ont prouvé leur efficacité. Plus profondément, là où d’autres systèmes juridiques (comme notamment le droit américain) mettent plus l’accent sur la préservation des intérêts des créanciers, le triptyque sur lequel le droit français a été bâti, soit la poursuite de l’activité, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif, est particulièrement adapté à notre économie et à notre société.
Aujourd’hui, si nous voulons nous préparer à supporter une augmentation du nombre de défaillances, l’objectif n’est donc pas de remettre en cause ce triptyque fondateur mais plutôt de savoir ajuster les différents dispositifs applicables. Ce fut là progressivement l’idée qui s’est dégagée de nos auditions.
Nul besoin donc d’envisager un grand soir. Il nous a fallu conduire un travail plus exigeant consistant à analyser avec précision et pondération l’efficacité des dispositifs existants pour en proposer la réforme quand cela nous a semblé nécessaire et utile. Les législateurs que nous sommes ne sont que trop conscients, en effet, que la matière a fait l’objet de nombreuses réformes depuis les années 1980. Il est donc loin de nos intentions de proposer des réformes pour le plaisir de multiplier les textes.
Les 52 propositions qui découlent de ces travaux et qui ont été brillamment exposées par les co-rapporteurs dans le rapport qui suit sont marquées par cet état d’esprit. Certaines sont très concrètes et peuvent être mises en œuvre rapidement. D’autres exigeront plus de temps et ne pourront être mises en place qu’avec l’accord de nombreux acteurs. Ces 52 propositions sont toutes marquées par la nécessité de sauver les entreprises qui doivent l’être et les emplois qui peuvent l’être, sans mettre à mal de manière excessive les créanciers qui sont eux aussi des acteurs économiques.
Il s’agit ainsi de proposer toutes les solutions qui vont permettre un décloisonnement entre les acteurs concernés du sujet des entreprises en difficulté. De la même façon que selon un proverbe nigérian, « il faut tout un village pour éduquer un enfant », sauver des entreprises et des emplois ne peut se faire seul. Par conséquent, tout ce qui pourra permettre d’améliorer les outils de détection et surtout de mutualiser entre les acteurs les résultats de ces outils sera bienvenu. Cela est particulièrement vrai s’agissant des petites et moyennes entreprises (PME) dans nos territoires au niveau, notamment des acteurs du comité départemental d'examen des problèmes de financement des entreprises (CODEFI).
Il s’agit aussi de développer à la fois les actions de prévention et les procédures amiables en étant convaincus que, comme en matière médicale, plus une difficulté est prise en amont, plus les chances de la résoudre et de la surmonter sont grandes. Les procédures amiables sont insuffisamment utilisées par les PME alors qu’elles constituent des outils utiles et efficaces. C’est pourquoi, de nombreuses propositions visent à développer ce volet.
Pour maintenir l’activité et l’emploi, sans pour autant porter une atteinte disproportionnée aux intérêts des créanciers, les propositions sont nombreuses, allant du raccourcissement de la période d’observation (permettant ainsi de limiter le calvaire des fournisseurs) à l’opposabilité du plan de redressement judiciaire à la caution du dirigeant personne physique permettant ainsi d’éviter des scénarios catastrophe que nous connaissons encore trop souvent, en passant par les dispositifs fiscaux adéquats. Enfin, notre mission a aussi analysé ce qui se passait ensuite en cas de liquidation tant pour les créanciers que pour les entrepreneurs. L’idée majeure est d’essayer d’éviter que l’accident de la liquidation ne soit suivi par d’autres événements tout aussi négatifs entraînant le « suraccident ». Nous avons ainsi réfléchi au régime des sanctions applicables aux entrepreneurs mais aussi au rebond de ces mêmes entrepreneurs.
Au cours de nos travaux, nous avons aussi pris davantage conscience de l’importance stratégique du droit des entreprises en difficulté, tout comme, plus largement, du droit des affaires pour l’attractivité de notre pays. Cette crise constitue donc une opportunité pour faire évoluer nos règles dans le bon sens. Les rapports de la Banque mondiale « Doing business » nous le rappellent chaque année. La France doit encore s’améliorer dans la prise en compte de ce facteur dans la compétition économique mondiale.
Enfin, les réflexions qui nous ont animés durant ces six mois nous ont fait toujours plus prendre conscience des difficultés culturelles à appréhender l’échec, à la différence des États-Unis par exemple. Échouer reste encore un stigmate difficile et lourd à porter. Gageons que nos travaux contribuent à faire évoluer nos mentalités à ce propos.
En tout dernier lieu, ce rapport tout comme nos travaux sont un appel à l’action. À n’en pas douter l’économie française a été sauvée de l’effondrement par le déploiement massif des aides que nous avons mentionnées. Toutefois, si nous voulons faire en sorte que cette crise constitue une opportunité positive, nous avons un devoir d’action pour rendre notre économie plus forte. Souvenons-nous de la célèbre phrase de Miles Davis : « Quand vous jouez une note, seule la suivante permettra de dire si elle était juste ou fausse. »
Romain Grau
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La crise sanitaire qui sévit depuis le début de l’année 2020 est venue déstabiliser les pays et les économies du monde entier. L’arrêt forcé des activités humaines a bouleversé nos vies et l’économie française a connu une récession historique de 7,9 % en 2020, jamais vue sous la Cinquième République. Salariés au chômage partiel, rideaux baissés dans les centres-villes, écoles fermées, productions au ralenti ou à l’arrêt, avions cloués au sol… Le temps s’est suspendu pendant plusieurs mois et avec lui la vie et le travail de millions de Françaises et de Français. Le retour à la normale, progressif, met au jour les conséquences sur nos entreprises d’une économie soutenue massivement mais artificiellement pendant la crise par les aides de l’État.
Car, si, paradoxalement, le chiffre des défaillances d’entreprises est 39 % plus bas qu’en 2019 en raison des mesures massives de soutien, il ne fait nul doute que les entreprises, qui devront bientôt lâcher la main de l’État protecteur pour reprendre le cours normal de leur vie, sortent fragilisées de cette période et l’année qui vient connaîtra un rattrapage des défaillances.
Cette situation inédite imposait de porter une réflexion d’ensemble sur les entreprises en difficultés, qu’elles le soient par un effet conjoncturel ou non, et de porter notre attention sur les très petites entreprises (TPE) et les moyennes entreprises (PME) qui constituent plus de 99 % du tissu économique de notre pays.
Aussi, la première interrogation sur l’avenir de notre économie se pose : allons-nous faire face à un tsunami de défaillances ou bien y aura-t-il un rattrapage écrêté dans la décennie à venir ?
Au-delà, nous devons aller plus loin pour mieux prévenir les difficultés, mieux accompagner l’entreprise et mieux aider le dirigeant à rebondir. In fine, des améliorations doivent être proposées pour rendre l’écosystème dans lequel évolue l’entreprise, composé d’une galaxie d’interlocuteurs, plus accessible et plus efficient. De même, le droit, complexe et peu connu du dirigeant et des spécialistes du chiffre qui l’entourent, doit connaître des évolutions visant à dédramatiser et inciter le recours aux procédures en amont.
Il est habituel de considérer une entreprise comme étant en difficulté lorsqu’elle ne peut plus honorer ses créances fiscales et sociales ni le paiement de ses fournisseurs. Dans un contexte de sortie de crise, nous proposons d’identifier par une annexe comptable « fait Covid-19 » l’impact de la crise sur les comptes de l’entreprise afin de mieux prévoir son accompagnement. En fonction du degré de gravité de la situation de l’entreprise, différentes procédures inscrites dans notre droit interviennent soit pour prévenir, soit pour traiter les difficultés. Pas moins de neuf procédures existent, amiables ou collectives. Lorsque son entreprise entre en procédure, le chef d’entreprise entre alors dans une machine juridique, que bien souvent il ignore, pour se trouver confronté à des juges, des créanciers publics et privés, des administrateurs et mandataires de justice, face auxquels il éprouve à la fois la crainte de la liquidation et la culpabilité de l’échec. Il évolue dès lors dans un univers qui ne lui est pas familier où le droit est un maquis.
Nous ne pouvons pas aborder le droit des entreprises en difficultés et nous intéresser à l’efficacité de l’écosystème qui entoure nos entreprises, sans rappeler qu’une entreprise en difficulté est avant tout une communauté humaine confrontée à l’échec. Un dirigeant confronté à une difficulté fait face à ses salariés, qu’il veut préserver, à ses fournisseurs, qu’il doit payer, à ses clients, qu’il doit satisfaire. Il est rarement un escroc et la plupart du temps, souvent pris dans un engrenage et une succession de problèmes dont il porte ou non la responsabilité. Du point de vue du droit, il existe une multitude d’outils de prévention qu’il devrait connaître et vers lesquels il devrait se diriger. Dans l’imaginaire du dirigeant, le tribunal de commerce est synonyme de la fin de son entreprise. Pourtant, le temps où le failli était passible de vingt ans de travaux forcés pour des manquements à des obligations légales, comme le prévoyait le code de commerce en 1807, est révolu. Les lois du 25 janvier 1985 et celle du 26 juillet 2005, constituent un tournant dans le droit des entreprises en difficulté en introduisant les procédures de redressement judiciaire et de sauvegarde.
Malgré les évolutions de la législation et les changements de paradigmes, visant à protéger le dirigeant plutôt qu’à le sanctionner, le droit des entreprises en difficulté souffre encore d’une image biaisée. Le dirigeant n’est pas incité à demander la protection du tribunal. Cette difficulté se conjugue à un second problème, intrinsèque à la psychologie même du dirigeant d’entreprise, celui de refuser de l’aide. Tous nous ont parlé d’un sentiment de culpabilité qui conduit au déni des difficultés et à la peur d’être stigmatisé, marqué au fer rouge de l’échec. Dans l’imaginaire collectif, la figure du chef ou de la cheffe d’entreprise est chargée de courage et sa responsabilité à la fois professionnelle et vis-à-vis de sa famille fait de lui, ou d’elle, un être solitaire. L’animosité du monde de l’entrepreneuriat à laquelle il est confronté tous les jours, le force à se forger une protection imperméable à tout signe de difficulté. Il en résulte que bien souvent un chef d’entreprise se repliera sur lui-même, croira en sa capacité à restaurer la santé de son entreprise, n’abandonnera pas ce combat avant qu’il n’en soit contraint. La seule expérience du tribunal de commerce sera alors la liquidation judiciaire.
Cette situation est communément résumée par les dirigeants de TPE-PME à l’expression de 3D : dépôt de bilan, divorce, dépression.
Les auditions menées ont été l’occasion pour une multitude d’acteurs, dont des avocats et des administrateurs judiciaires, de nous affirmer avec force que cette incompréhension est un obstacle décisif à un système plus efficace de prévention des entreprises. Pour le lever, une révolution des mentalités est nécessaire : pousser la porte du tribunal de commerce ne doit plus être perçu comme la fin de tout par le dirigeant d’entreprise, mais comme un acte de bonne gestion pour assurer la pérennité de l’entreprise et de ses emplois.
Dédramatiser le tribunal de commerce, mieux faire connaître et valoriser les procédures amiables est apparu nécessaire. C’est l’objet d’une proposition qui vise à séparer les procédures de la sanction, en distinguant clairement les rôles entre un tribunal des entreprises, chargé exclusivement d’accompagner et de mettre en œuvre les procédures amiables et collectives, et un tribunal judiciaire à qui reviendrait le contentieux des sanctions. La modernisation de la procédure de conciliation par la pérennisation des dispositions de l’article 2 de l’ordonnance du 20 mai 2020 va également dans le sens d’un renforcement de l’attractivité des procédures amiables.
Autre condition de la réussite des procédures, la détection précoce et la prévention des difficultés, deux piliers d’une réforme efficace du droit des entreprises. Renforcer la prévention et optimiser la détection, c’est retenir en amont la source des difficultés qui, s’accumulant, poussent une entreprise à la liquidation judiciaire, où tout le monde y perd. Le traitement préventif des difficultés doit être renforcé à l’heure où 52 % des demandes d’ouverture concernent des procédures de liquidation judiciaire, quand les procédures amiables ne représentent que 7 % des demandes.
Les chefs d’entreprise sont confrontés à un droit qui a profondément évolué depuis 2005 et qui est en théorie très efficace puisque, d’après la Conférence générale des Juges consulaires de France, 70 à 80 % des entreprises ayant recours à des procédures amiables ne vont pas jusqu’à la procédure judiciaire. Seulement, ce sont les grandes entreprises et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) qui les utilisent. Comment un dirigeant d’une TPE ou d’une petite PME, n’ayant ni la formation en droit des entreprises, ni les moyens d’engager un cabinet d’avocat, pourrait-il s’en saisir ?
Ce problème d’accès au droit nous a beaucoup interrogé lors de nos auditions, dont l’un des principaux enseignements est le manque de connaissance. Le manque de connaissance des procédures et du droit par les chefs d’entreprise, mais également par certains professionnels de la gestion, privés ou publics, qui sont insuffisamment formés sur les procédures amiables. Des propositions sont faites pour améliorer la connaissance de l’entreprise par les services de l’État mais aussi du droit des entreprises en difficulté par les professionnels du chiffre. Par conséquent un droit d’alerte et un devoir de prévention nous semble devoir incomber aux experts‑comptables et aux créanciers publics et bancaires pour éviter et anticiper l’accumulation des difficultés. Vos rapporteurs proposent que les TPE-PME puissent bénéficier d’une aide financière pour pouvoir avoir recours à leurs droits, plafonnée mais facile d’accès.
Le manque de connaissance de ce qu’est la vie d’une entreprise par de nombreuses parties prenantes des procédures constitue un frein regrettable à une meilleure prise en charge. Parler le même langage que le chef d’entreprise est un préalable à la confiance dans l’accompagnement qui lui sera proposé.
Le cloisonnement des métiers et le manque de transversalité agissent au détriment du dirigeant, qui confronté à une galaxie d’interlocuteurs ne sait finalement vers qui se tourner. Les auditions des professionnels de l’accompagnement des entreprises ont sur ce sujet été claires : sur le terrain, la communication insuffisante entre les acteurs se traduit par l’incapacité à partager des informations utiles entre administrations publiques et tribunaux de commerce par exemple.
La rationalisation et la simplification de tout le dispositif de prévention, d’accompagnement et de rebond des entreprises sont plus que jamais fondamentales. Identifier les acteurs utiles, coordonner les actions et unifier le contact entre les différents interlocuteurs dans les territoires, voici trois conditions de la réussite d’une meilleure prévention des difficultés.
Dans un souci de décloisonnement des intelligences et de retour concret des territoires en la matière, votre co-rapporteure Mme Anne-Laurence Petel a animé tout le long de cette mission d’information un groupe de travail local réunissant chefs d’entreprise et professionnels du droit et du chiffre dans une volonté d’échange transversal interprofessionnel. Ce groupe de travail a permis d’obtenir des retours d’expérience, des exemples et des propositions qui ont été présentées à la mission d’information lors d’un déplacement à Aix-en-Provence.
Cette réflexion s’inscrit dans un processus de synergie que l’État, les professionnels de l’accompagnement des entreprises mais aussi les collectivités doivent saisir pour améliorer le traitement des entreprises en difficulté. La part des territoires dans ce processus n’est pas à négliger et, dans ce contexte de reprise économique, il est primordial de soutenir les initiatives prises par certaines régions comme celle de Normandie avec la mise en place du dispositif intitulé « anticipation redressement mutations économiques » (ARME), visant à accompagner les entreprises dans les mutations économiques et à les soutenir dans leurs difficultés.
S’il existe de nombreux organismes pouvant accompagner l’entreprise ou son dirigeant, parmi eux les groupements de prévention agréés (GPA) méritent d’être développés dans chaque département et nous en faisons la proposition. Ils sont chargés par la loi de « fournir à [leurs] adhérents, de façon confidentielle, une analyse des informations économiques, comptables et financières que ceux-ci s'engagent à [leurs] transmettre régulièrement. » Constitués de chefs d’entreprise et de professionnels du chiffre et du droit bénévoles, leur capacité à parler le même langage que le dirigeant et leur compréhension fine des enjeux sont un gage de leur efficacité. À ce titre le GPA du département du Loir-et-Cher fait figure de modèle.
Enfin, les auditions ont souligné l’aspect psychologique et les répercussions des difficultés professionnelles sur la sphère familiale. L’Aide psychologique pour les entrepreneurs en souffrance aiguë (APESA) vient accompagner la femme ou l’homme qui dirige une entreprise, accablé par les difficultés et leurs conséquences sur sa vie personnelle, mais aussi sur celle de ses salariés que bien souvent il côtoie au quotidien. La souffrance psychologique que peut éprouver un dirigeant d’entreprise est bien réelle, et peut le mener à des actes extrêmes. Favoriser l’accès au soutien psychologique est primordial.
Enfin, il n’y a pas de sortie de crise réussie, qu’elle soit conjoncturelle ou structurelle, sans rebond effectif.
Si nous voulons sortir de la stigmatisation de l’échec qui est un mal français et dynamiser l’esprit d’initiative nécessaire à la création d’entreprise, nous devons cesser de marquer au fer rouge les dirigeants victimes de leurs difficultés mais aussi éviter de les fragiliser excessivement sur leurs biens personnels. Pour que le droit au rebond soit effectif et réel nous devons réduire l’inscription des procédures collectives au K-bis mais aussi prévoir un principe de prescription triennale pour la faute avérée de gestion. Le caractère imprescriptible de cette faute n’est pas justifié et participe de la très forte stigmatisation de la faillite. Il apparait évident que nous devons revenir à une proportionnalité raisonnable de la sanction. Rappelant le caractère très exceptionnel de l’imprescriptibilité en droit, certains praticiens et spécialistes n'hésitent pas à rappeler que la faute de gestion partage ce sort avec le crime contre l'humanité...
Parallèlement nous proposons de renforcer la protection des biens personnels du dirigeant en alignant le régime de protection en procédure de redressement sur le régime applicable dans le cadre de la sauvegarde.
Qu’il s’agisse d’un contexte de sortie de crise, comme nous sommes en train de le vivre en 2021, ou dans le cours normal de la vie d’une entreprise, par temps calme, la connaissance et la structuration de l’écosystème de prévention, d’accompagnement et de rebond du dirigeant d’entreprise est une nécessité à laquelle nous devons nous atteler.
Anne-Laurence Petel et Antoine Savignat
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PREMIÈRE PARTIE : ÉTAT DES LIEUX DE LA SITUATION ÉCONOMIQUE DES ENTREPRISES FRANÇAISES ET DU CADRE APPLICABLE AUX ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ
La pandémie de Covid-19 et les mesures prises pour y faire face dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire déclaré le 23 mars 2020 ([5]) ont conduit à un arrêt brutal de pans entiers de notre économie.
Cette baisse soudaine de l’activité a été provoquée par la fermeture des lieux d’accueil du public ([6]) et l’interdiction des déplacements du fait du confinement ([7]), auxquelles s’est ajouté le choc des effets de la pandémie sur la demande de biens et de services des ménages et des entreprises, aux niveaux national et international.
La crise sanitaire est donc rapidement devenue une crise économique qui s’est traduite par une récession, par son ampleur inédite en France depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, à hauteur de 8,2 % du produit intérieur brut (PIB) en 2020 et de 13,8 % sur le seul second trimestre de l’année ([8]).
Si les effets de la crise se sont atténués après le premier confinement (mars-mai 2020), les vagues successives de reprise de l’épidémie ont néanmoins maintenu l’économie, affectée par le maintien ou la succession de mesures restrictives (confinement, couvre-feu, fermetures administratives), dans une situation très fragile.
niveau d’activitÉ
(en pourcentage du niveau normal)
Source : Banque de France.
Si le pire a pu être évité grâce à l’intervention massive des pouvoirs publics, la situation actuelle n’en est pas moins inquiétante, notamment dans la perspective d’un arrêt progressif des aides exceptionnelles mises en place. Une augmentation du nombre d’entreprises en difficulté doit être anticipée. Face à cette situation, le cadre applicable aux entreprises en difficulté présente une palette d’outils à la fois foisonnants et complexes.
I. l’économie française maintenue à flot grâce au « quoi qu’il en coûte »
Des mesures de soutien aux entreprises ont été rapidement et fortement mobilisées dès les premières semaines de la crise. Les dispositifs mis en place ont perduré et évolué au fur et à mesure de celle-ci. Ils ont eu pour but d’éviter des faillites et, ce faisant, des plans de licenciement.
Ce soutien puissant et efficace explique que, paradoxalement, les défaillances d’entreprises ont beaucoup diminué depuis le début de la pandémie. En 2020, leur nombre était inférieur de près de 40 % à celui de l’année précédente ([9]) (cf. infra).
Comme dans la plupart des pays de l’Union européenne (UE), ces dispositifs se sont principalement articulés autour de quatre types de mécanismes :
– l’activité partielle ;
– la subvention ou l’apport de fonds ;
– les prêts garantis ;
– le report de charges sociales et fiscales.
Vos rapporteurs saluent la réaction rapide et efficace des pouvoirs publics pour éviter un effondrement des entreprises françaises du fait de la crise sanitaire. Il faut souligner que cette efficacité a été globalement reconnue et saluée par les personnes auditionnées dans le cadre de la mission.
La répartition du recours à ces dispositifs par secteur d’activité a beaucoup varié depuis le début de la crise sanitaire. Quant à l’intensité de leur utilisation, elle a été fonction de la taille des entreprises.
A. les pouvoirs publics ont mis en place une palette de dispositifs de soutien sans précédent pour les entreprises
Le financement de l’activité partielle et les aides versées aux secteurs les plus touchés ont constitué des mesures de court terme qui n’ont pas endetté les entreprises.
En revanche, l’octroi de prêts garantis ainsi que le décalage du paiement des impôts et des cotisations impliqueront un remboursement ou un paiement à moyen terme de la part de leurs bénéficiaires.
1. Le financement de l’activité partielle et les aides du fonds de solidarité : des subventions qui ne créent pas d’endettement pour les entreprises
Pour faire face à la baisse de leur activité, les entreprises ont pu recourir plus facilement au « chômage partiel », dont le dispositif a été très largement adapté avec des conditions de financement beaucoup plus avantageuses que dans le cadre du droit commun. D’abord conçu pour les petites entreprises, le fonds de solidarité a été mis en place afin d’offrir une compensation des pertes de chiffre d’affaires.
a. L’activité partielle a été assouplie pour sauvegarder les emplois
i. Le cadre applicable avant la crise sanitaire
L’indemnisation des salariés placés en activité partielle fait habituellement partie des dispositifs de maintien et de sauvegarde de l’emploi prévus par le code du travail, au même titre que les aides à l’adaptation des salariés aux évolutions de l’emploi et des compétences ou que celles relatives aux actions de reclassement et de reconversion professionnelle.
Elle peut intervenir lorsque l’entreprise est contrainte de réduire ou de suspendre temporairement son activité en raison de la conjoncture économique, de difficultés d’approvisionnement, de la restructuration de l’entreprise ou encore en cas de circonstances exceptionnelles (article R. 5122-1 du code du travail). L’activité partielle se traduit alors par une fermeture temporaire de l’établissement ou par une réduction du temps de travail en deçà de la durée légale (article L. 5122-1 du même code).
Avant la crise sanitaire ([10]), l’activité partielle consistait, pour le salarié, à percevoir une indemnité correspondant à 70 % de sa rémunération brute (environ 84 % du salaire net) par heure d’activité partielle tandis que l’employeur recevait une allocation horaire de la part de l’État et de l’assurance chômage – par le biais de l’agence de services et de paiement (ASP) ([11]) – égale à 7,74 euros pour les entreprises de moins de 250 salariés et à 7,23 euros au-delà de cet effectif
ii. Un cadre dérogatoire plus avantageux, qui a évolué au fil de la crise
La crise sanitaire a conduit à l’assouplissement du recours à l’activité partielle puis à une réforme structurelle de celle-ci.
Afin de « limiter les ruptures des contrats de travail et d’atténuer les effets de la baisse d’activité, en facilitant et en renforçant le recours à l’activité partielle pour toutes les entreprises quelle que soit leur taille, notamment […] en réduisant le reste à charge pour l’employeur » ([12]), le décret n° 2020-325 du 25 mars 2020 relatif à l’activité partielle a porté le montant de l’allocation pour l’employeur au même niveau que l’indemnité perçue par le salarié, soit 70 %, de manière à supprimer, pour les rémunérations inférieures à quatre fois et demie le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC), le reste à charge pour l’entreprise.
Le décret a également assoupli la procédure de dépôt des demandes d’activité partielle en permettant à l’employeur de recueillir, le cas échéant, l’avis du comité social et économique (CSE) postérieurement à la demande d’activité partielle et dans un délai de deux mois ainsi qu’en abaissant de quinze à deux jours le délai d’acceptation des demandes d’autorisation préalable par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) ([13]).
Quant à l’ordonnance du 27 mars 2020 ([14]), elle a temporairement étendu le régime de l’activité partielle aux apprentis et salariés en contrat de professionnalisation, aux salariés à temps partiel et permis à l’employeur de l’imposer à un salarié protégé sans avoir à recueillir son accord.
Ce régime particulier a duré jusqu’au 31 mai 2020. Du 1er juin au 31 octobre 2020, l’allocation de l’employeur a été abaissée à 60 %, en application de l’ordonnance du 24 juin 2020 ([15]) et du décret du 29 juin 2020 ([16]), sauf dans les entreprises particulièrement affectées par les effets de mesures de lutte contre la pandémie (tourisme, hôtellerie, restauration, sport, culture, transport aérien, événementiel et entreprises fermées administrativement) pour lesquelles le taux est demeuré de 70 %, soit un reste à charge à 0, jusqu’à la fin de l’année 2020.
L’adaptation du dispositif selon la situation des entreprises fait apparaître la notion de « secteurs protégés », dont les entreprises ont subi une baisse du chiffre d’affaires très importante (80 % jusqu’au 30 juin 2021).
évolution du dispositif d’activité partielle
Périodes |
Allocation (employeur) |
Indemnité (salarié) |
Jusqu’au 29 février 2020 |
7,74 € par heure (entreprises de moins de 250 salariés) 7,23 € par heure (entreprises de plus de 250 salariés) |
70 % de la rémunération brute horaire de référence |
Du 1er mars au 31 mai 2020 |
70 % de la rémunération horaire brute de référence |
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Du 1er juin 2020 au 31 mai 2021 |
Cas général : 60 %
Secteurs protégés, secteurs connexes avec perte de chiffre d’affaires et entreprises fermées : 70 % |
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Du 1er au 30 juin 2021 |
Cas général : 52 %
Secteurs protégés, secteurs connexes avec perte de chiffre d’affaires et entreprises fermées : 70 % |
Le décret n° 2020-926 du 28 juillet 2020 a mis en place un dispositif spécifique d’activité partielle en cas de réduction d’activité durable, dit « de longue durée » (APLD).
Reposant sur la conclusion d’un accord collectif qui comprend des engagements de maintien de l’emploi, l’APLD permet à une entreprise de réduire son activité pour une durée de six mois à deux ans à hauteur de maximum 40 % de l’horaire légal par salarié. L’allocation d’activité partielle de l’employeur s’élève à 70 % pour les secteurs « protégés » et les entreprises fermées administrativement et à 60 % pour les autres.
L’APLD entend remplacer à terme le dispositif exceptionnel d’activité partielle. L’intérêt de ce nouveau dispositif pour les entreprises est qu’il maintiendra un taux d’au moins 60 % hors secteurs protégés ou fermés alors que le montant de l’allocation pour l’employeur passe à 52 % (juin 2021) puis à 36 % (à compter de juillet 2021) de la rémunération horaire brute de référence dans le cas général.
Vos rapporteurs notent que cette transformation structurelle de l’activité partielle dotera la France d’un des systèmes les plus protecteurs en Europe.
Ils s’inquiètent toutefois de sa lisibilité pour les entreprises et notamment pour les plus petites d’entre elles.
b. Le fonds de solidarité vise à compenser les pertes subies
Mis en place par l’ordonnance du 25 mars 2020 ([17]) pour une durée initiale de trois mois, le fonds de solidarité a été reconduit jusqu’au 31 décembre 2020 ([18]) puis jusqu’au 30 juin 2021 ([19]).
À l’origine, le fonds de solidarité comprenait deux volets :
– un volet destiné à compenser les pertes de chiffre d’affaires consistant au versement d’une aide égale au montant de perte déclaré par l’entreprise dans la limite initiale de 1 500 euros ;
– un volet destiné aux entreprises fermées administrativement ou appartenant aux secteurs « protégés » (tourisme, hôtellerie, restauration, sport, culture, transport aérien et événementiel) prenant la forme d’une aide complémentaire unique d’un montant maximal de 10 000 euros lors de sa mise en place.
L’aide compensatrice versée mensuellement dans le cadre du fonds de solidarité est instruite par la direction générale des finances publiques (DGFiP). Plafonnée à 1 500 euros au début de la crise sanitaire, elle a été portée à un montant maximum de 10 000 euros pour les entreprises des secteurs protégés à compter du mois d’octobre, puis à 200 000 euros à compter du mois de décembre.
Le montant maximum de l’aide varie selon que l’entreprise fait l’objet d’une interdiction d’accueil du public, qu’elle est située dans une zone de couvre-feu ou bien qu’elle appartient à un secteur « protégé ».
La mise en œuvre du fonds de solidarité a en effet nécessité de classer les entreprises en fonction de l’impact de la crise sanitaire sur leur secteur d’activité. Le décret du 30 mars 2020 ([20]) modifié établit une liste, selon la nomenclature d’activités française (NAF) ([21]), des secteurs les plus affectés par les mesures de restriction (liste dite « S1 ») ainsi que des activités indirectement touchées car dépendantes de ces secteurs (liste « S1 bis »). Enfin, les entreprises faisant l’objet d’une fermeture administrative appartiennent à la liste « S2 » dans la terminologie officielle.
L’inscription d’une activité sur la liste S1 ou S1 bis est devenue un enjeu crucial puisque la seconde définit des conditions d’éligibilité plus exigeantes et prévoit des aides moins généreuses. Les distinctions entre les deux peuvent apparaître discutables, d’autant plus que plusieurs acteurs auditionnés par la mission ont mis en avant le manque de lisibilité de ce système pour les dirigeants d’entreprise.
Dans leur rapport d’information sur les propositions du groupe de suivi des conséquences économiques du second confinement ([22]), les députés Stéphane Travert et Julien Dive estimaient que ces listes n’avaient pas le niveau de finesse suffisant pour accompagner toutes les situations qui le justifieraient, d’autant plus que les nomenclatures NAF n’identifient parfois que partiellement certaines activités.
Par exemple, au mois de novembre 2020, lors du deuxième confinement, une entreprise pouvait bénéficier d’une compensation maximale de 10 000 euros si elle faisait l’objet d’une interdiction d’accueil du public tandis que les entreprises restées ouvertes mais subissant une perte de la moitié de leur chiffre d’affaires pouvaient percevoir une aide maximale de 1 500 euros, sauf si celles-ci appartenaient à un secteur protégé où l’aide demeurait de 10 000 euros.
Les conseils régionaux pouvaient également verser une aide complémentaire unique, d’un montant maximal de 10 000 euros, aux entreprises fermées administrativement ou appartenant à un secteur protégé jusqu’à la fin du mois d’octobre 2020. Cette aide pouvait s’élever jusqu’à 15 000 euros pour les discothèques. Ces entreprises bénéficiaires du second volet du fonds de solidarité pouvaient également percevoir une autre aide forfaitaire de la part de leur département, commune ou intercommunalité d’un montant compris entre 500 et 3 000 euros.
c. Des mesures de soutien complémentaires
Si l’indemnisation de l’activité partielle et le versement d’aides du fonds de solidarité ont été deux mesures majeures de soutien aux entreprises pendant la crise sanitaire, d’autres dispositifs ont permis d’éviter les défaillances sans pour autant créer de l’endettement brut pour ces entreprises.
La politique actionnariale de l’État a également été mobilisée au travers de l’Agence des participations de l’État (APE) afin de soutenir en fonds propres, quasi fonds propres et titres de créances les entreprises stratégiques fragilisées par la crise sanitaire. À titre d’exemple, Air France-KLM a ainsi bénéficié d’une avance en compte courant d’actionnaire de l’État de 3 milliards d’euros tandis que ce dernier a également souscrit pour 88 millions d’euros d’obligations auprès d’EDF.
Plusieurs plans de soutien sectoriels ont également été élaborés, à destination des filières aéronautiques (fonds de soutien de 150 millions d’euros), automobile et touristique notamment.
La loi de finances pour 2021 ([23]) a créé un dispositif de crédit d’impôt en faveur des bailleurs qui acceptent de renoncer à des loyers échus et dus au titre de novembre 2020 par des entreprises locataires administrativement fermées ou appartenant à un secteur protégé. Le crédit est égal à 50 % des sommes abandonnées et s’impute sur l’impôt sur le revenu.
L’aide exceptionnelle pour la prise en charge des coûts fixes a été mise en place pour le premier semestre 2021. Elle a pour objectif de compenser le poids des charges fixes pour les entreprises fermées administrativement et celles du secteur touristique ayant perdu la moitié de son chiffre d’affaires sur la période. Elle couvre 90 % des pertes d’exploitation pour les entreprises de moins de 50 salariés et 70 % pour les autres, dans la limite de 10 millions d’euros.
La DGFiP a donné des instructions aux services gestionnaires pour qu’ils traitent plus rapidement les remboursements de crédits de TVA ([24]).
La troisième loi de finances rectificative ([25]) pour 2020 a assoupli les conditions de report en arrière (carry back) de déficit pour l’impôt sur les sociétés (IS). En temps normal, une entreprise qui subit un déficit au cours d’un exercice peut reporter le déficit sur l’exercice précédent pour obtenir une créance d’impôt, dans la limite d’1 million d’euros, qui peut être utilisée pour payer l’IS des cinq années suivantes. Au-delà, l’entreprise peut en réclamer le remboursement à l’administration fiscale. La mesure a temporairement permis le remboursement immédiat du stock de créance, sans attendre le délai de cinq ans.
La troisième loi de finances rectificative a également permis aux communes et à leurs établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) d’accorder un dégrèvement, compensé pour moitié par l’État, à hauteur des deux tiers de la cotisation foncière des entreprises (CFE) – qui compose la contribution économique territoriale (CET) avec la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) – pour soutenir les secteurs particulièrement touchés par la crise sanitaire (hôtellerie, restauration, événementiel, sport, culture…).
2. Les reports de charges sociales et fiscales et l’octroi de prêts garantis par l’État : des mesures efficaces qui posent néanmoins la question de l’endettement de leurs bénéficiaires
Afin de soulager la trésorerie des entreprises, deux mesures majeures ont été mises en place : les possibilités de report des charges fiscales et sociales et la mise en place des prêts garantie par l’État (PGE).
a. Des reports de prélèvements obligatoires qui posent la question de leur apurement
Ces dispositifs concernent l’URSSAF, pour les reports et les exonérations de cotisations sociales, et la DGFiP, pour le report des échéances fiscales et le règlement des dettes vis-à-vis du Trésor public. Si ces possibilités existaient déjà dans des conditions très encadrées avant la crise, elles ont été considérablement amplifiées pour faire face à la situation exceptionnelle.
i. Les reports de charges sociales
Ainsi, les mesures de report des charges sociales – qui existent toujours en juin 2021 – concernent les entreprises qui connaissent « une fermeture ou une restriction directe ou indirecte de leur activité du fait des mesures décidées par les pouvoirs publics » ([26]). Concrètement, cette mesure permet le report de tout ou partie du paiement des cotisations dues par les salariés et leur employeur, les cotisations concernées devant néanmoins être déclarées aux dates prévues.
Le report fonctionne par accord tacite de l’URSSAF puisque l’employeur doit seulement adresser une demande, considérée comme acceptée par l’organisme de recouvrement sous quarante-huit heures. Ce dernier prendra ensuite contact avec les entreprises bénéficiaires pour leur proposer un plan d’apurement de leurs dettes sans application d’une pénalité ou d’une majoration de retard quelconque. Ce dispositif de report a été reconduit chaque mois depuis le début de la crise sanitaire.
La troisième loi de finances rectificative pour 2020 ([27]) a ensuite mis en place un dispositif d’exonération de cotisations et de contributions sociales et patronales, couplé à une aide au paiement de ces cotisations. Cette annulation de charges concerne toute la période de février à mai 2020 et bénéficie aux entreprises :
– de moins de 250 salariés dont l’activité relève d’un des secteurs particulièrement affectés par la crise sanitaire (liste S1) ou d’un secteur fortement dépendant de ceux-ci et ayant subi une baisse importante du chiffre d’affaires (liste S1 bis) ;
– de moins de 10 salariés dont l’activité a fait l’objet d’une fermeture administrative (liste S2).
Ces bénéficiaires perçoivent également une aide au paiement qui correspond à 20 % des salaires versés pendant la période d’application de l’exonération, hors activité partielle.
Cette possibilité d’exonération a été prorogée à plusieurs reprises face aux nouvelles vagues de pandémie et des mesures sanitaires qui les ont accompagnées. Dernièrement, le décret n° 2021-709 du 3 juin 2021 a prolongé le dispositif pour les employeurs et travailleurs indépendants relevant de certains secteurs dont l’activité est particulièrement affectée par la crise sanitaire, aux périodes d’emploi des mois de mars et avril 2021.
éligibilité à l’exonération de cotisations
Secteur d’activité |
Moins de 10 salariés |
Entre 10 et 250 salariés |
Plus de 250 salariés |
S1 (directement affecté) |
oui |
oui |
non |
S1 bis (indirectement affecté) |
oui |
oui |
non |
S2 (fermés) |
oui |
non |
non |
Autres secteurs |
non |
non |
non |
Source : URSSAF.
ii. Les reports de charges fiscales
Les entreprises concernées par une interruption ou une restriction de leur activité liée à une mesure de fermeture ou lorsque leur situation financière le justifie peuvent solliciter un report de leurs échéances fiscales auprès du service des impôts des entreprises (SIE) dont elles relèvent.
Ces possibilités de report concernent l’impôt sur les sociétés (IS), la taxe sur les salaires et la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). La taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ne peut faire l’objet d’un décalage dans le temps du paiement.
Le fait de repousser l’acquittement d’une imposition entraîne la mise en place de plans de règlement qui visent à échelonner le paiement sur une durée de 12, 24 ou 36 mois en fonction du niveau d’endettement.
La DGFiP a également favorisé l’accélération des remboursements de trop-versés en raison de la mécanique de l’impôt (cf. supra) : crédits de TVA et d’IS notamment.
À noter à ce titre qu’une entreprise redevable doit calculer et verser l’IS spontanément en quatre acomptes à l’issue de chaque trimestre. Le premier acompte que les entreprises devaient verser le 15 mars 2020 a été reporté afin de soulager leur trésorerie au moment du premier confinement. Celles qui l’avaient déjà versé avant cette date ont pu en obtenir le remboursement.
b. L’État a massivement garanti des prêts bancaires dont le remboursement sera un enjeu majeur de la reprise
Les prêts garantis par l’État (PGE) ont été mis en place pour faciliter le refinancement bancaire des entreprises. Ce mécanisme a été introduit dès la première loi de finances rectificative pour 2020 ([28]) et précisé par un arrêté du ministre de l’économie et des finances du 23 mars 2020 ([29]).
Les PGE échappent en partie au régime classique des aides d’État de l’Union européenne qui interdit, en temps normal, à un État-membre d’accorder une aide faussant ou menaçant de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises, en raison de son incompatibilité avec le marché intérieur ([30]). La Commission européenne a en effet considéré ([31]) que les PGE faisaient partie des aides destinées « à remédier à une perturbation grave de l’économie » ([32]) et par conséquent autorisées par le traité.
Le PGE est ouvert à toutes les entreprises jusqu’au 31 décembre 2021, quelles que soient leur taille, leur forme juridique ([33]) et leur situation vis-à-vis de la pandémie.
Il peut être souscrit auprès de la banque habituelle de l’entreprise ou auprès de plateformes de prêt qui ont un statut d’intermédiaire en financement participatif. Le prêt est égal à trois mois de chiffre d’affaires de 2019 maximum. Pour les entreprises innovantes ou celles créées depuis le 1er janvier 2019, le montant peut correspondre à deux années de masse salariale.
Aucun remboursement de l’emprunteur n’est exigé au cours de la première année. À l’issue de celle-ci, l’entreprise peut soit le rembourser intégralement, soit l’amortir sur les cinq années à venir au plus. Il est également possible de rembourser partiellement le PGE lors de son premier anniversaire puis d’étaler l’amortissement du reste sur les cinq années suivantes.
Dans ce cadre, les banques se sont engagées à proposer une tarification maximale de 1 à 1,5 % de taux d’intérêt pour les PGE remboursés avant le 31 décembre 2023 et de 2 à 2,5 % pour ceux qui le seront après le 1er janvier 2024.
La garantie assurée par l’État couvre une partie du capital, des intérêts et des accessoires dus jusqu’à l’échéance qui s’élève à hauteur de :
– 90 % pour les entreprises qui emploient moins de 5 000 salariés et réalisent un chiffre d’affaires inférieur à 1,5 milliard d’euros ;
– 80 % pour les entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires entre 1,5 et 5 milliards d’euros ;
– 70 % pour les entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 5 milliards d’euros.
En cas de refus de l’établissement bancaire, une entreprise peut saisir le médiateur du crédit (dont le rôle est détaillé infra). Si la médiation n’aboutit pas, le comité départemental de financement des entreprises (CODEFI) peut proposer d’autres dispositifs comme les prêts du fonds de développement économique et social (FDES), les prêts exceptionnels, les prêts bonifiés et les avances remboursables.
c. Les poursuites en cas de non-paiement des loyers et des factures énergétiques ont été arrêtées
Une ordonnance du 25 mars 2020 ([34]) a permis le report intégral ou l’étalement des loyers ainsi que des factures d’eau, de gaz et d’électricité des entreprises. Elle interdit également les pénalités financières et les réductions de fournitures conséquentes au non-paiement d’une facture.
Cette mesure provisoire a été pérennisée par la loi du 14 novembre 2020 ([35]) avec effet au 17 octobre 2020 pour les entreprises subissant une fermeture administrative. Elle dispose que les bailleurs ne pourront encourir « d’intérêts, de pénalités ou de toute mesure financière ou toute action, sanction ou voie d’exécution forcée à leur encontre pour retard ou non-paiement des loyers ou charges locatives ».
Le décret du 30 décembre 2020 ([36]) précise que cette protection s’applique aux entreprises fermées administrativement qui comptent moins de 250 salariés et disposent d’un chiffre d’affaires inférieur à 50 millions d’euros. La perte de chiffre d’affaires doit être de plus de 50 % au titre du mois de novembre 2020.
Cette mesure constitue l’autre volet de soutien en cas de difficultés de paiement des baux commerciaux avec le crédit d’impôt octroyé aux propriétaires en cas de renoncement à leurs loyers (cf. supra).
B. les entreprises ont largement sollicité ces dispositifs
Au cours de ses travaux, la mission n’a pu que constater l’appréciation très positive des acteurs du monde de l’entreprise concernant la réactivité des autorités publiques.
Les dispositifs présentés ci-avant ont en effet été mis très rapidement en place dès les premières semaines de l’état d’urgence sanitaire et ont permis d’éviter un enchaînement de faillites d’entreprises.
Néanmoins, plusieurs acteurs ont souligné le foisonnement des aides de soutien et une complexité grandissante de celles-ci. Une inquiétude croissante tient également aux conséquences que certaines de ces mesures entraînent sur le niveau d’endettement des entreprises françaises.
1. Le recours aux aides varie en fonction du temps et des secteurs d’activité
Le rythme de recours aux quatre principaux dispositifs (activité partielle, fonds de solidarité, report de charges et PGE) a été très hétérogène, comme l’a constaté le comité de suivi et d’évaluation de ces mesures, présidé par M. Benoît Cœuré, entendu par la mission d’information ([37]).
a. Une évolution constatée au cours de la crise sanitaire
Lors du premier confinement, au moment même où la chute de l’activité économique a été la plus brutale, ce sont les reports de charges, l’activité partielle et les PGE qui ont été les dispositifs les plus mobilisés dans l’urgence par les entreprises.
Sur les 135 milliards d’euros de PGE accordées par les banques, environ 80 % l’ont été au cours du premier semestre 2020. Ils ont bénéficié à environ 600 000 entreprises.
évolution du recours aux pge
Source : France Stratégie (comité de suivi).
Les reports dans le temps du paiement des cotisations de sécurité sociale ont été particulièrement massifs. Ils ont été utilisés par 2,4 millions d’entreprises entre mars et septembre 2020.
Pour l’activité partielle, cette même période a représenté les deux tiers de la dépense. En avril 2020, elle concernait 29 % des salariés du secteur privé et représentait 6 % du volume horaire de temps de travail de ce même secteur ([38]). Son recours apparaît du même ordre de grandeur pour toutes les professions et catégories sociales (PCS) au sens de l’INSEE.
évolution du recours à l’activité partielle
Source : France Stratégie (comité de suivi).
Si le PGE représente à ce stade un coût pratiquement nul pour les finances publiques, l’activité partielle a, en revanche, entraîné une dépense de 17,8 milliards d’euros en 2020 ([39]) tandis que les exonérations de cotisations sociales et le versement d’aide au paiement de celles-ci ont représenté un montant de 3,9 milliards d’euros à la charge de l’État ([40]).
De manière générale, les dispositifs les plus coûteux pour l’État et les régimes de sécurité sociale ont été logiquement ceux qui ont créé le moins d’endettement brut pour les entreprises.
Vos rapporteurs rappellent qu’en l’absence d’une intervention forte de l’État les conséquences sur l’économie d’une hausse du nombre de faillites et de licenciements auraient probablement coûté plus cher pour les finances publiques à moyen et long termes.
Le fonds de solidarité a, quant à lui, été davantage mobilisé à partir de la deuxième période de confinement (novembre-décembre 2020). Au cours de l’année 2020, il a représenté une dépense de 11,8 milliards d’euros dont ont bénéficié près de 1,9 million d’entreprises. Cependant, les aides du fonds atteignaient 2,4 milliards d’euros pour le seul mois de février 2021 contre 1,6 milliard d’euros pour l’activité partielle et 800 millions d’euros de PGE.
évolution du recours aux aides du fonds de solidarité
Source : France Stratégie (comité de suivi).
b. Une hétérogénéité selon l’activité des entreprises
Si le premier confinement a mis un coup d’arrêt soudain à l’ensemble de l’économie, cela n’a pas été le cas des deuxième et troisième périodes qui ont surtout affecté les secteurs touchés par les fermetures administratives ou les restrictions de déplacement en occasionnant une perte de chiffre d’affaires particulièrement importante, d’où la pertinence du fonds de solidarité dont les aides sont davantage ciblées.
Les secteurs n’ont pas tous été touchés avec la même intensité, et cela s’en ressent dans le recours aux aides, comme en témoigne le graphique ci-après.
répartition des aides du fonds de solidarité depuis leur mise en œuvre
(en millions d’euros)
Source : Etalab (data.gouv.fr).
Le secteur de l’hébergement et de la restauration : un secteur particulièrement ébranlé par la crise
Le secteur de l’hébergement et de la restauration est celui qui a eu le plus recours à l’ensemble des dispositifs de crise. S’il représente seulement 5 % de l’emploi salarié, son volume d’heures chômées s’élève à 24 % du total des heures indemnisées au titre de l’activité partielle depuis le début de la crise sanitaire. Ce secteur a également bénéficié du tiers du montant des aides du fonds de solidarité et d’un dixième des cotisations sociales reportées. Il est aussi le plus touché sur la durée, comme en témoigne le niveau de recours aux différents dispositifs en février 2021.
PLACE DU SECTEUR DE LA RESTAURATION ET DE L’HÉBERGEMENT DANS LE RECOURS AUX DISPOSITIFS
(en pourcentage)
Source : France Stratégie (comité de suivi).
En revanche, le recours aux dispositifs est globalement homogène sur le territoire, même si les différences de composition du tissu productif font apparaître quelques spécificités.
Rapportées à leur poids dans le PIB au niveau national, certaines régions se distinguent par une utilisation accrue de plusieurs mesures d’aides. Les régions Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), Occitanie, Corse ainsi que les territoires ultra-marins ont davantage eu besoin du fonds de solidarité en raison du poids du secteur touristique.
De manière générale, la part de chaque secteur dans le bénéfice des aides du fonds de solidarité reflète la structure entrepreneuriale du territoire. Par exemple, si les entreprises de l’hébergement et de la restauration sont les plus concernées dans les Pyrénées-Orientales et dans les Bouches-du-Rhône, c’est le secteur du transport et de l’entreposage qui concentre le plus d’aides dans le Val‑d’Oise.
part des aides du fonds de solidarité par principaux secteurs et par départements
(en pourcentage)
|
Bouches-du-Rhône |
Pyrénées-Orientales |
Val-d’Oise |
Hébergement et restauration |
33,2 |
38,7 |
21,8 |
Commerce |
16,3 |
15,5 |
11,5 |
Transports et entreposage |
6,9 |
< 2 |
30,2 |
Activités spécialisées, scientifiques et techniques |
9,2 |
10 |
6,4 |
Source : Etalab (data.gouv.fr).
2. Les aides ont bénéficié aux entreprises qui en avaient le plus besoin
Le comité de suivi et d’évaluation des aides observe que le recours aux aides a été maximal pour les entreprises dont la santé financière était médiane avant la crise sanitaire alors qu’il a été plus faible pour celle dont la santé était soit mauvaise, soit excellente.
a. Des mesures de soutien correctement ciblées
Cette analyse vaut pour l’ensemble des dispositifs et des indicateurs (cotation de la Banque de France, rentabilité, liquidité, poids des charges financières, niveau du fonds de roulement, etc.). Par exemple, en observant les taux de rentabilité financière nette ([41]), le recours à l’activité partielle, le report de charges et l’utilisation de PGE sont minimes pour le premier et les trois derniers déciles tandis qu’ils atteignent leur point culminant dans les troisième et quatrième déciles.
Par ailleurs, les dispositifs mis en œuvre ont été utilisés avec plus d’intensité par les très petites entreprises (TPE). Alors qu’elles comptent pour environ 20 % de l’emploi salarié, elles ont pu bénéficier de 56 % du montant total des cotisations reportées et d’environ 27 % de l’activité partielle ainsi que des PGE.
Vos rapporteurs constatent donc que les mesures de soutien n’ont globalement ni bénéficié à des entreprises sur le point de disparaître, ni constitué un effet d’aubaine pour celles affichant une bonne performance.
En conséquence, ils soulignent la pertinence des dispositifs mis en œuvre.
En effet, les entreprises dites « zombies » ([42]) ne semblent pas avoir mobilisé de façon significative les dispositifs au-delà de ce qu’elles représentaient dans l’économie avant la crise sanitaire.
Concernant le lien avec le chiffre d’affaires, les aides ont logiquement été plus utilisées par les entreprises ayant subi les pertes les plus importantes du fait de la crise sanitaire. Toutefois, le niveau de compensation varie nettement selon les secteurs.
exemples d’effets des dispositifs au regard des pertes de chiffre d’affaires
(en pourcentage)
|
Perte de chiffre d’affaires (au 2e trimestre 2020 par rapport au 2e trimestre 2019) |
Compensation par les aides de trésorerie (reports de charge et PGE) |
Compensation par les mesures subventionnelles (activité partielle et fonds de solidarité) |
Transports et entreposage |
48 |
21 |
2 |
Information et communication |
6 |
148 |
22 |
Hébergement et restauration |
65 |
56 |
18 |
Source : France Stratégie (comité de suivi).
Ces disparités s’expliquent par la nature même des mesures de soutien. Seules les aides du fonds de solidarité sont liées au niveau de perte de chiffre d’affaires alors que l’activité partielle, proportionnelle à la masse salariale et donc indépendante du chiffre d’affaires, est un dispositif de subvention pour les entreprises, de même que les PGE et les reports de charge accordés par les URSSAF qui constituent in fine des mesures de soutien à la trésorerie, indépendantes du niveau des pertes.
b. Des recours qui n’ont pas été systématiques
Enfin, une majeure partie des entreprises n’a en réalité eu recours qu’à une seule des mesures de soutien. De plus, la part des entreprises ayant cumulé au moins trois types d’aides diminue à mesure que la taille de l’entreprise augmente.
part des entreprises n’ayant eu recours qu’à un seul dispositif
(en pourcentage)
Taille de l’entreprise |
Activité partielle |
Report de cotisations |
PGE |
Fonds de solidarité |
Total |
Entre 5 et 10 salariés |
20 |
6 |
2 |
0 |
28 |
Entre 10 et 250 salariés |
29 |
4 |
1 |
0 |
34 |
Plus de 250 salariés |
44 |
5 |
< 1 |
< 1 |
49 |
Source : France Stratégie (comité de suivi).
Il ressort de ces statistiques que l’activité partielle apparaît comme le dispositif le plus autonome, tandis que les aides du fonds de solidarité sont presque toujours associées à une autre mesure. Par ailleurs, le cumul des dispositifs a été plus fort pour les entreprises des secteurs d’activité les plus touchés par la crise sanitaire. Si, dans l’agriculture, 82 % des entreprises n’ont eu recours qu’à une seule mesure, ce taux chute à 39 % dans la restauration et l’hébergement.
Certaines entreprises n’ont eu recours à aucun des dispositifs mis en place pour lutter contre les effets de la crise sanitaire. Elles représentent 10 % du total des entreprises.
En toute logique, le non-recours est inversement proportionnel à l’intensité du choc subi. Par exemple, il est 50 % plus élevé que la moyenne dans le secteur de l’information et de la communication. De même, les entreprises ayant connu une hausse de leur chiffre d’affaires d’avril à juin 2020 ou celles qui figuraient dans le quart ayant la meilleure rentabilité ou la meilleure situation de liquidité avant-crise représentent les deux tiers du non-recours.
Cette situation s’est traduite par une sous-consommation budgétaire des crédits alloués aux mesures d’urgence. Plus de 40 % des autorisations d’engagement et des crédits de paiement ouverts par les quatre lois de finances rectificatives de 2020 n’ont pas été utilisées.
Les écarts les plus importants entre la prévision en loi de finances rectificative et l’exécution s’observent sur les exonérations de cotisations (près de 50 % de moins) et les aides du fonds de solidarité (– 40 %).
consommation des crédits de paiement ouverts sur les programmes de la mission plan d’urgence face à la crise sanitaire en 2020
(en millions d’euros)
Source : Cour des comptes (note d’analyse de l’exécution budgétaire de la mission Plan d’urgence face à la crise sanitaire en 2020).
Au cours de ses travaux, la mission a également relevé un sentiment de complexité vis-à-vis de ces aides pour les entreprises les plus petites. Ce ressenti est particulièrement important pour l’évolution du fonds de solidarité qui s’est complexifié au fur et à mesure de la crise.
II. la situation actuelle ne doit pas masquer les difficultés des entreprises amenées à persister dans les mois et années à venir
Le « quoi qu’il en coûte » – pour reprendre l’expression utilisée par le Président de la République ([43]) – a permis de maintenir à flot l’économie française et d’éviter une cascade de défaillances du fait de la chute brutale de l’activité lors du premier confinement. Les aides publiques se sont ensuite plus particulièrement concentrées sur les secteurs les plus touchés du fait du maintien des mesures restrictives pour freiner la propagation de la pandémie, notamment les secteurs du commerce, de l’hébergement, de la restauration et du tourisme.
Ce constat positif ne doit pas occulter les risques pesant sur les entreprises, notamment liés au remboursement de la dette qu’elles ont contractées du fait du bénéfice des prêts garantis par l’État ou des reports de charges sociales et fiscales. Cet endettement brut conséquent pourrait mettre en difficulté des entreprises, et plus particulièrement les plus petites d’entre elles, fragilisées par la faiblesse de leurs fonds propres.
A. un paradoxe apparent : Le niveau historiquement bas du nombre d’entreprises en procédure collective
La déclaration de l’état d’urgence sanitaire et l’adoption de mesures restrictives pour lutter contre la propagation de la pandémie de Covid-19 dès le mois de mars 2020 se sont paradoxalement traduites par un net coup d’arrêt des ouvertures de procédures collectives devant les tribunaux.
À très court terme et de manière temporaire, ce tarissement des défaillances a résulté de la fermeture des tribunaux de commerce et des mesures prises pour adapter le droit des entreprises en difficulté à la crise sanitaire. En toute logique, la fermeture des tribunaux de commerce à compter du 16 mars 2020 ([44]), et ce pendant la durée du premier confinement, a mécaniquement conduit à diminuer le nombre d’ouvertures de procédure. En outre, l’ordonnance prise dès le mois de mars 2020 pour adapter le droit des entreprises en difficulté à la crise sanitaire a « gelé » au 12 mars 2020 l’appréciation de l’état de cessation de paiements. Ainsi, en raison de l’état d’urgence sanitaire, toutes les entreprises qui se sont retrouvées en cessation de paiements entre le 13 mars et le 23 août 2020 ont ainsi bénéficié, de plein droit, d’une parenthèse puisque le délai d’observation de 45 jours ne pouvait débuter qu’à compter du 23 août.
Toutefois, c’est essentiellement le soutien apporté au secteur marchand par les aides publiques qui a permis aux entreprises susceptibles d’être en difficulté de ne pas être en défaillance.
Se pose dès lors la question du rattrapage de ces absences de faillites alors que les effets de la crise sanitaire s’amenuisent et que le retour à la normale impliquera l’arrêt des aides publiques.
1. Une chute inédite du nombre de défaillances
a. Une baisse de près de 40 % du nombre de défaillances entre 2019 et 2020
En 2020, seulement 31 010 entreprises ont été en situation en défaillance ([45]) contre 51 502 l’année précédente (– 39,8 %) d’après l’INSEE, soit un nombre moyen de 2 584 dépôts de bilan par mois contre 4 292 en 2019. En prenant en compte le seul deuxième trimestre de l’année 2020, l’écart atteint – 55,3 % par rapport à la même période en 2019.
L’année 2019 ayant elle-même été une année relativement basse en termes de défaillances, la baisse du nombre de faillites en 2020 s’élève à 44,8 % en comparaison avec la moyenne des cinq dernières années et à 47,2 % en comparaison de celle des dix années précédentes.
nombre de défaillances par mois de janvier 2020 à avril 2021
Source : INSEE.
nombre de défaillanceS par année de 2015 à 2020
Source : INSEE.
Le point le plus bas a été atteint lors du mois d’avril 2020 avec 1 465 défaillances recensées contre 4 547 au mois d’avril 2019 (– 67,8 %). À l’inverse, l’écart le plus faible se situe au mois d’août 2020 (– 12,6 %).
comparaison des défaillances de janvier 2020 à avril 2021 par rapport aux mêmes mois de l’année 2019
Source : INSEE.
Ce nombre historiquement bas de défaillances se maintient en 2021. D’après la Banque de France, il s’élève à un peu moins de 2 200 par mois depuis le début de l’année, soit un niveau comparable à celui de 2020 en omettant la période d’avant-crise (janvier-février). Le décalage par rapport aux mêmes mois de l’année 2019 oscille autour de – 50 %.
En conséquence, il y a lieu de craindre un effet de rattrapage après la fin des aides publiques.
Il ressort en effet des statistiques présentées ci-avant qu’entre 20 000 et 25 000 entreprises seraient, en quelque sorte, « en sursis » car maintenues en vie grâce aux mesures de soutien depuis le début de la pandémie.
Une simulation réalisée pour le compte de la direction générale du Trésor ([46]) estime que la part d’entreprises devenues insolvables aurait été de 11,9 % sans soutien public au lieu de 6,6 % grâce à celui-ci. L’endettement pour faire face aux besoins de liquidités aurait été plus élevé à hauteur de 20 millions d’euros.
simulation de L’impact de la crise sur les entreprises pour la période de mars à décembre 2020
Source : Direction générale du Trésor.
jugements d’ouverture de procédure collective de mars à décembre 2020
Source : Infogreffe.
b. Un sursis qui concerne principalement les entreprises les plus petites, indépendamment du secteur d’activité
Ce maintien en vie d’entreprises susceptibles d’être en difficulté est relativement homogène selon les secteurs, l’écart entre la variation la plus élevée et la plus faible par rapport à 2019 n’étant que de 15,7 points de pourcentage.
Les différentiels les plus importants concernent le secteur de la construction et celui des transports et de l’entreposage où le nombre de défaillances a été inférieur d’environ 45 %. À l’opposé, les activités immobilières, celles de finances et d’assurance ainsi que le secteur de l’information et de la communication présentent un moindre écart (environ – 30 %).
écart entre le nombre de défaillances en janvier 2021 par rapport à janvier 2020
(en pourcentage)
Source : Banque de France.
La baisse importante des défaillances n’a concerné que les petites et moyennes entreprises (PME). Parmi elles, ce sont les microentreprises qui affichent la différence la plus importante (– 41 % de dépôts de bilan). À l’inverse, les entreprises de taille moyenne sont celles qui présentent l’écart le plus faible (– 25 %).
écart des défaillances entre janvier 2020 et janvier 2021 par taille d’entreprise
(en pourcentage)
Taille |
Écart |
Microentreprises et taille indéterminée |
– 40,6 |
Très petites entreprises |
– 35,7 |
Petites entreprises |
– 29,2 |
Moyennes entreprises |
– 24,8 |
Entreprises de taille intermédiaires et grandes entreprises |
+ 42,4 |
Source : Banque de France.
Il ressort de ces éléments que la protection contre les faillites a été inversement proportionnelle à la taille de l’entreprise.
L’effet de la crise sanitaire sur la création des entreprises
La crise sanitaire n’a en revanche pas affecté la création d’entreprises dans sa globalité, l’année 2020 marquant même un record d’après l’INSEE ([47]) avec près de 850 000 créations (+ 4 % par rapport à 2019).
Toutefois, cette hausse est portée par l’essor des microentreprises (+ 9 %) alors que les créations de société demeurent stables.
Les secteurs qui contribuent le plus à cette augmentation sont les activités de transports et d’entreposage (+ 22 %), le commerce (+ 9 %) ainsi que les activités immobilières. En revanche, l’enseignement et les activités spécialisées, scientifiques et techniques accusent une diminution du nombre de créations par rapport à 2019 (respectivement – 8 % et – 3 %).
2. Un effet de rattrapage encore à venir
Force est de constater que le « mur de faillites », comme beaucoup d’acteurs le désignent, n’a pas encore été atteint.
Comme évoqué précédemment, le nombre de défaillances au premier trimestre 2021 demeure pratiquement aussi faible qu’au second trimestre 2020, soit au plus fort de la crise sanitaire et lorsque les mesures de restrictions affectaient la quasi-totalité des secteurs d’activité.
Après un léger rebond à l’été 2020 entre les deux vagues de l’épidémie en France, le nombre de faillites semble s’être stabilisé entre 2 000 et 2 500 chaque mois. Pour les quatre premiers mois de l’année 2021, elles s’avèrent moitié moins nombreuses que sur la même période en 2019.
Toutefois, la proportion de liquidations judiciaires parmi l’ensemble des défaillances est en hausse, ce qui signifie que la situation des entreprises qui arrivent à ce stade est irréversible.
Se pose dès lors la question du rattrapage des 20 000 à 25 000 entreprises qui auraient été susceptibles d’être en difficulté si la crise sanitaire n’avait pas eu lieu. En toute logique, les sociétés maintenues artificiellement en vie sont, d’après la plupart des acteurs auditionnés par la mission, celles qui connaissaient déjà des difficultés récurrentes de trésorerie avant le début de la pandémie (manque de rentabilité, faiblesse des capitaux propres…).
Pourtant, les éléments évoqués précédemment quant aux dispositifs d’aide publique mis en place pour soutenir les entreprises (activité partielle, fonds de solidarité, prêts garantis par l’État ou encore reports de charges sociales et fiscales) montrent qu’ils n’ont que peu voire pas profité aux entreprises dites « zombies », c’est-à-dire aux sociétés qui ne réalisaient plus assez de bénéfices pour couvrir leurs frais financiers depuis plusieurs années.
Comme le remarquait France Stratégie en décembre 2020 ([48]), la crise sanitaire a plutôt créé une situation de « mise en hibernation » que de « zombification ». Son analyse montre d’ailleurs que les principaux facteurs susceptibles d’entraîner la défaillance d’une entreprise demeurent les mêmes qu’avant la crise, soit l’endettement et la diminution de la productivité du travail.
Enfin, les indicateurs permettant de détecter les difficultés des entreprises ont perdu de leur pertinence du fait de l’activation des différentes mesures de soutien, ce qui ajoute une difficulté supplémentaire pour anticiper quelles entreprises risquent de faire l’objet d’une procédure collective à l’issue de la pandémie.
L’ambition de vos rapporteurs est avant tout d’éviter les défaillances d’entreprises performantes et viables dans une situation normale.
L’objectif n’est donc pas de préserver les 20 000 à 25 000 entreprises qui ont été, en quelque sorte, sauvées par le contexte exceptionnel de la pandémie de Covid‑19, le processus de destruction créatrice étant un élément clé de la croissance de la productivité.
L’enjeu de la « déperfusion » des aides publiques va, en réalité, se cristalliser autour du traitement de l’endettement brut qui résulte des reports de cotisations sociales et de la souscription des prêts garantis par l’État principalement, l’activité partielle et les aides du fonds de solidarité constituant l’équivalent de subventions sans perspective de remboursement aux finances publiques.
B. LA CRISE amplifie LES FAIBLESSES STRUCTURELLES du tissu entrepreneurial français
Si la crise sanitaire a eu un impact sur l’ensemble de l’économie française, c’est essentiellement le sort des petites et moyennes entreprises et plus particulièrement des plus petites d’entre elles qui suscite l’inquiétude de vos rapporteurs.
À la fois les plus fragiles et les plus répandues, elles composent la majeure partie du tissu économique au niveau local. Ce sont elles qui sont le plus susceptibles d’être en difficulté de manière générale et plus encore du fait des conséquences financières de la pandémie.
1. La crise provoque un endettement des entreprises et compromet leurs capacités à investir
La pandémie de Covid-19 a entraîné une crise sanitaire ayant elle-même provoqué une crise économique. En 2020, le produit intérieur brut (PIB) de la France s’est contracté de 8,2 %, soit une récession inédite depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ([49]). Ce niveau est supérieur à la moyenne des États-membres de l’Union européenne (– 6,2 %) et de ceux de la seule zone euro (– 6,6 %).
a. Des effets multiples et néfastes sur l’économie française
La crise économique consécutive aux mesures de lutte contre la pandémie se caractérise par plusieurs phénomènes :
– une chute de la consommation des ménages malgré le maintien de leur niveau de revenu ayant entraîné une augmentation importante de l’épargne (+ 41,7 % pour passer de 14,9 % de revenu disponible brut ([50]) en 2019 à 21,3 % en 2020) ;
– un repli du taux de marge ([51]) des entreprises, passé de 33 % en 2019 à 29 % en 2020 ;
– une diminution de 7,7 % de l’investissement des entreprises ([52]) qui chute de 307,8 milliards à 284,2 milliards d’euros entre 2019 et 2020.
– un maintien du niveau d’emploi salarié grâce à l’activité partielle mais aussi à l’ensemble des mesures de soutien aux entreprises ;
– une hausse de l’endettement des entreprises du fait des aides publiques (prêts garantis par l’État et reports de cotisations sociales principalement) et de la baisse de l’investissement ;
– une réduction de nombre de défaillances d’entreprises (cf. supra) pour les raisons commentées ci-avant.
À noter également une détérioration de la balance courante de la France à hauteur de 37 milliards d’euros (– 1,7 point de PIB) du fait, principalement, de l’industrie manufacturière, du tourisme et des revenus des investissements étrangers.
évolution du pib et de ses composantes depuis 2015
(en pourcentage)
Source : INSEE.
Concernant la diminution de l’investissement, il convient de rappeler que les entreprises n’ont pas eu d’autres choix que le report sine die de toutes leurs dépenses jugées non essentielles à court terme dans un contexte de choc économique brutal. La chute de la demande en biens et services des ménages et des entreprises a fortement réduit le taux d’utilisation des capacités de production.
La mission a pu constater que le phénomène suscitant le plus d’inquiétude est celui de la hausse importante de l’endettement des entreprises, qui laisse craindre une augmentation des défaillances au-delà du seul effet de rattrapage attendu. Le risque principal est ainsi de voir disparaître du paysage économique français des entreprises pourtant viables avant la crise sanitaire.
b. L’endettement risque de peser sur le besoin en fonds de roulement et les capacités d’investissement
À cause de la pandémie, les entreprises françaises ont connu une chute brutale de leur chiffre d’affaires. En conséquence, elles ont dû réduire leurs charges et emprunter pour pouvoir faire face à leurs échéances. Pour cela, elles ont bénéficié d’un soutien des autorités publiques d’une ampleur à la hauteur des besoins.
i. Les risques associés à un niveau d’endettement trop élevé
La situation financière des entreprises est donc le principal point d’attention des conséquences économiques de la crise sanitaire. Le niveau d’endettement risque de peser à la fois :
– sur la capacité à mobiliser la trésorerie nécessaire lors de la reprise. Ainsi, le risque de pression forte sur les besoins en fonds de roulement des entreprises françaises a été souligné à plusieurs reprises au cours des auditions. La crainte et que les entreprises ne parviennent pas à mobiliser suffisamment de liquidités pour permettre à l’économie de repartir ;
– sur les capacités d’investissement à plus long terme, dont dépend largement notre compétitivité.
Une simulation réalisée pour le compte de la direction générale du Trésor ([53]) estime que l’investissement des entreprises devrait être réduit de 2 % à moyen terme en émettant l’hypothèse que la demande et le niveau de profit reviendraient à leur situation d’avant la crise sanitaire. Au niveau national, l’agrégation de l’ensemble des surcroîts d’endettement provoquerait un manque d’investissement d’environ 4 milliards d’euros.
Deux raisons peuvent expliquer le lien entre la hausse de l’endettement et la difficulté à investir. Premièrement, les bénéfices générés servent d’abord au remboursement des créanciers lorsqu’une entreprise à une dette élevée. Deuxièmement, un niveau important d’endettement renchérit le coût du crédit puisque la banque fait supporter une prime de risque à l’emprunteur qui est plus susceptible d’être un jour défaillant. Faute d’accès à l’emprunt, l’entreprise ne peut, en conséquence, réaliser des investissements.
À cela s’ajoute un phénomène d’incertitude généralisé quant aux conditions de la reprise une fois la crise sanitaire passée et les mesures d’aide levées. Dans ce contexte particulier, la priorité des entreprises n’est pas à l’extension des capacités de production.
ii. Une problématique d’autant plus centrale que le niveau d’endettement des entreprises françaises est structurellement élevé
Il convient de rappeler que la France se distinguait déjà par un endettement de ses entreprises plus élevé que chez ses voisins européens. Avant la crise, la dette nette des sociétés non financières françaises était en effet égale à 73 % du PIB, soit environ 1 700 milliards d’euros, en France contre 41 % en Allemagne et 57 % au Royaume‑Uni. Son taux de croissance annuel était déjà de 6,5 % en 2018 et de 4,9 % en 2019.
Cet endettement a d’ailleurs connu une dynamique singulière au cours des dix dernières années par rapport au reste de l’Europe. De 2009 à 2016, il a augmenté de 16 points de PIB en France ([54]) alors qu’il est resté globalement stable dans les autres États-membres de la zone euro.
iii. Si les dispositifs d’aides ont permis de sauver l’économie française, ils ont également accru le niveau d’endettement des entreprises
À ce phénomène structurel d’endettement relativement important des entreprises françaises s’ajoutent donc la question du remboursement des PGE ainsi que celle du règlement des créances sociales et fiscales.
En juin 2021, 680 000 PGE ont été accordés par les banques aux entreprises. Ils constituent un capital de 138,4 milliards d’euros. Le secteur du commerce représente presque un quart des PGE accordés avec 32,9 milliards d’euros.
flux trimestriels de trésorerie, de dette brute et de dette nette des sociétés non financières depuis 2017
(en milliards d’euros)
Source : Banque de France.
Toutefois, l’endettement créé par le bénéfice des PGE et des reports de cotisations ne semble pas avoir accru la dette nette des entreprises puisque celle-ci a pratiquement augmenté à due proportion de la trésorerie. La Banque de France relevait ainsi qu’en 2020 la dette financière brute a augmenté de 230 milliards d’euros tandis que la trésorerie a progressé de 217 milliards d’euros, soit un endettement net de seulement 13 milliards d’euros.
Vos rapporteurs s’inquiètent néanmoins de cet endettement qui risque de grever les finances des très petites entreprises déjà confrontées à une fragilité structurelle de leurs fonds propres (cf. infra).
En effet, ce niveau agrégé d’endettement net masque des différences importantes selon les entreprises. Certaines d’entre elles risquent de sortir de la crise sanitaire avec un bilan affaibli et seront les plus à même de connaître des difficultés susceptibles d’entraîner des défaillances.
2. Ces effets conjoncturels interviennent dans un contexte économique structurellement marqué par certaines fragilités du tissu économique français et plus particulièrement des TPE
L’endettement brut généré par la crise sanitaire s’ajoute ainsi à une situation de fragilité structurelle du fait de la faiblesse des fonds propres des entreprises françaises, et en particulier des TPE, qui représentent en nombre l’essentiel du paysage entrepreneurial français. La crise sanitaire est venue percuter de plein fouet une économie française marquée par des difficultés structurelles, notamment concernant son tissu de petites et moyennes entreprises (PME).
a. Un tissu productif caractérisé par une grande concentration et un nombre insuffisant d’entreprises de taille intermédiaire
L’économie française se caractérise par la concentration de l’emploi salarié et de la valeur ajoutée dans un petit nombre de sociétés, eu égard à l’effectif total des entreprises. À l’opposé, le tissu économique local est constitué d’une myriade de très petites entreprises, celles qui sont le plus susceptibles d’être en difficulté et plus encore du fait de la crise sanitaire. La France souffre structurellement d’un maillage insuffisant d’entreprises de taille intermédiaire, qui contraste avec le modèle allemand, souvent cité en exemple en la matière.
La classification des entreprises en France
Les critères actuels pour déterminer la catégorie d’appartenance d’une entreprise pour les besoins de l’analyse statistique et économique ont été définis par le décret n° 2008-1354 du 18 décembre 2008, pris en application de l’article 51 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie.
Ils distinguent quatre catégories d’entreprises :
– les microentreprises ([55]) : moins de 10 salariés et chiffre d’affaires annuel inférieur à 2 millions d’euros ;
– les petites et moyennes entreprises (PME) : moins de 250 salariés et chiffre d’affaires annuel inférieur à 50 millions d’euros ;
– les entreprises de taille intermédiaire (ETI) : moins de 5 000 salariés et chiffre d’affaires annuel inférieur à 1,5 milliard d’euros ;
– les grandes entreprises (GE) : plus de 5 000 salariés et chiffre d’affaires annuel supérieur à 1,5 milliard d’euros.
En 2018, le nombre de PME était légèrement inférieur à 150 000. Celui des TPE s’élevait à près de 3,7 millions. Ensemble, elles représentaient la quasi-totalité des entreprises en France (99,4 %). Elles employaient près de la moitié des salariés du secteur privé (6,2 millions). Quant à leur chiffre d’affaires, avec 1 450 milliards d’euros, il était égal à 36,5 % du total des entreprises.
Il apparaît dès lors que le tissu productif français se caractérise par sa très grande concentration puisque, à l’inverse, environ 250 entreprises emploient un peu plus du quart des salariés et réalisent le tiers de la valeur ajoutée totale.
Les activités tertiaires (commerce, transports-entreposage et l’ensemble des services marchands hors secteur financier) concentrent près des deux tiers de la valeur ajoutée, témoignage de la transformation profonde de la structure productive de l’économie française depuis la fin des Trente Glorieuses ([56]). Cette tertiarisation est encore plus forte pour les TPE dont 72 % de leurs salariés travaillent pour ces secteurs d’activité.
À noter également que la part de salariés de TPE travaillant dans le secteur de la construction (18 %) est également supérieure à la moyenne (10 %). Ces entreprises incarnent le tissu économique de proximité : petits commerces de détail, bars, restaurants, garages automobiles, etc.
Si les TPE ne représentent que 11 % de la valeur ajoutée au niveau agrégé, cette part atteint 28 % dans l’hébergement et la restauration, 22 % dans la construction et 20 % dans les services aux particuliers.
Les trois quarts de ces entreprises n’ont aucun salarié, un tiers d’entre elles appartenant d’ailleurs à des microentreprises aux sens fiscal et social. Seulement 14 % ont plus d’un salarié à temps plein.
Les deux tiers des TPE ont moins de dix années d’ancienneté. Près de la moitié (44 %) a même moins de cinq ans d’existence.
caractéristiques des entreprises par catégorie en 2018