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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 20 octobre 2021.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)
sur la stratégie européenne
en matière de mobilité durable et intelligente
TOME I
ET PRÉSENTÉ
par Mme Marietta KARAMANLI et M. Damien PICHEREAU
Députés
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(1) La composition de la commission figure au verso de la présente page.
La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Sabine THILLAYE, présidente ; MM. Pieyre-Alexandre ANGLADE, Jean-Louis BOURLANGES, Bernard DEFLESSELLES, Mme Liliana TANGUY, vice‑présidents ; M. André CHASSAIGNE, Mme Marietta KARAMANLI, M. Christophe NAEGELEN, Mme Danièle OBONO, secrétaires ; MM. Patrice ANATO, Philippe BENASSAYA, Mme Aude BONO-VANDORME, MM. Éric BOTHOREL, Vincent BRU, Mmes Yolaine de COURSON, Typhanie DEGOIS, Marguerite DEPREZ-AUDEBERT, M. Julien DIVE, Mmes Coralie DUBOST, Frédérique DUMAS, MM. Pierre-Henri DUMONT, Jean-Marie FIEVET, Alexandre FRESCHI, Mmes Maud GATEL, Valérie GOMEZ-BASSAC, Carole GRANDJEAN, Christine HENNION, MM. Michel HERBILLON, Alexandre HOLROYD, Mme Caroline JANVIER, MM. Christophe JERRETIE, Jérôme LAMBERT, Jean-Claude LECLABART, Mmes Constance Le GRIP, Martine LEGUILLE-BALOY, Nicole Le PEIH, MM. David LORION, Ludovic MENDES, Thierry MICHELS, Jean-Baptiste MOREAU, Xavier PALUSZKIEWICZ, Damien PICHEREAU, Jean‑Pierre PONT, Dominique POTIER, Didier QUENTIN, Mme Maina SAGE, M. Benoit SIMIAN, Mme Michèle TABAROT.
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SOMMAIRE
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Pages
1. Les transports, secteur économique clé mais importants émetteurs de carbone
2. Le paquet Fit for 55 a présenté les premières mesures concrètes de la stratégie de mobilité
A. La faisabilitÉ de la stratÉgie doit encore Être dÉmontrÉe
B. d’importantes lacunes dans la stratÉgie font douter de son rÉalisme
A. La fin de la vente des voitures à moteur thermique en 2025
B. Le déploiement d’une infrastructure pour carburants alternatifs
C. La création d’un marché du carbone pour le secteur routier et les bâtiments
annexe n° 1 : Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs
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Mesdames, Messieurs,
Le pacte vert européen, qui prévoit de faire de l’Europe le premier continent climatiquement neutre à l’horizon 2050, marque une réaffirmation de l’engagement écologique de l’Union européenne.
Décidé en décembre 2019, le Green deal européen doit à présent trouver une traduction concrète pour chaque secteur économique. Les transports, en tant que secteur économique de premier plan et instrument vital de notre quotidien, sont directement concernés. Ils sont responsables de près de 30 % des émissions de dioxyde de carbone (CO2) totales de l’Union européenne ([1]). Un constant similaire pour la France où 30 % des émissions totales sont liées au secteur transport ([2]), faisant de celui-ci le secteur qui contribue le plus aux émissions de gaz à effet de serre dans le pays.
Pourtant, alors que d’autres secteurs économiques clés, comme l’industrie et l’énergie, ont réussi à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre depuis 1990, les émissions du secteur transport se sont, au contraire, accrues en France et en Europe malgré tous les efforts de décarbonation des filières du secteur. L’augmentation de la mobilité et des kilomètres parcourus par nos concitoyens a en effet entraîné une hausse des émissions de CO2 du secteur, elles ont par exemple augmenté de 13 % depuis 1990 en France ([3]).
Dans ce contexte, une mobilisation européenne en faveur de la transition écologique ne peut faire abstraction du secteur transport. Celui-ci peut être considéré, bien que totalisant entre un quart et un tiers des émissions, comme une sorte de « trou noir ».
Les institutions européennes l’ont bien compris et ont fait de la transition écologique du secteur un axe de travail prioritaire depuis de nombreuses années : dès 2011, la nécessité d’une action rapide et ambitieuse en matière écologique pour le secteur était clairement identifiée par la Commission européenne. Ainsi, le livre blanc « Feuille de route pour un espace européen unique des transports – Vers un système de transport compétitif et économe en ressources » expliquait : « C'est maintenant qu'il convient d’agir. Comme il faut des années pour concevoir, construire et équiper des infrastructures (…) les choix que nous faisons aujourd'hui seront déterminants pour les transports de 2050 » ([4]).
Par la suite, les engagements pris lors des Accords de Paris en 2015 ont renforcé l’urgence de réduire les émissions de gaz à effet de serre, effort auquel le secteur transport est associé. Cependant, ces objectifs récurrents et toujours plus ambitieux n’ont pas trouvé de traduction concrète à ce stade, soulevant des interrogations sur la crédibilité et le réalisme des objectifs européens([5]).
Mettant en application le pacte vert pour les transports, la Stratégie européenne de mobilité, présentée en décembre 2020, revient sur les objectifs importants pour le secteur et annonce la publication de quatre-vingt-deux nouvelles mesures censées mettre en œuvre le pacte vert européen. Elle a été, à son tour, complétée par le paquet législatif intitulé Fit for 55, publié en juillet 2021. Ce dernier comprend une série de directives et de règlements, dont une partie vise les transports, par exemple la fin de la mise en circulation des véhicules à moteur thermique.
Partant des éléments connus à ce stade, ce rapport expose les nouveaux objectifs fixés tout en questionnant leur pertinence et leur faisabilité au vu des moyens engagés. Ce rapport présente d’abord la stratégie européenne de mobilité durable et intelligente en soulignant les questionnements communs aux différents secteurs (I). Afin de valoriser les enjeux et propositions spécifiques pour chaque mode de transport, les parties suivantes seront subdivisées par secteur : le routier (II), l’aérien (III) et le rail (IV).
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PREMIÈRE PARTIE : rÉsultant de nombreux engagements Écologiques antérieurs, le pacte vert porte une ambition climatique renouvelÉe pour le secteur transport dans l’union europÉenne
Si chaque mode de transport possède ses spécificités, des enjeux communs en matière de transition écologique les unissent. Dans un premier temps, les rapporteurs constatent que les objectifs antérieurs au pacte vert européen, bien qu’ambitieux, n’ont pas pour autant été atteints (I). Par la suite, le rapport évalue la faisabilité et l’efficacité des mesures proposées par la stratégie européenne de mobilité qui semblent à ce stade, incertaines (II).
I. consciente des dÉfis climatiques actuels, l’union europÉEnne se fixe rÉguliÈrement des objectifs Écologiques ambitieux auxquels le secteur des transports est activement associÉ
Au niveau international, l’Union européenne s’est historiquement distinguée par son volontarisme écologique. Alors qu’elle produit 9 % des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial ([6]), l’Europe s’engage activement en faveur de la transition écologique, contrairement aux autres puissances comme la Chine (responsable de 29 % des émissions ([7])) et les États‑Unis (responsables de 14 % des émissions ([8])) traditionnellement réticents.
Le secteur des transports est pleinement associé aux efforts entrepris par l’Union européenne pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre depuis de nombreuses années (A). Le pacte vert européen et la stratégie européenne de mobilité durable réaffirment l’importante contribution demandée au secteur en faveur de la transition écologique (B).
A. faisant partie des secteurs les plus polluants, le transport est concernÉ au premier chef par les objectifs climatiques europÉens
1. Les transports, secteur économique clé mais importants émetteurs de carbone
Les transports sont des acteurs clés tant pour notre économie que pour notre mode de vie. En 2019, la dépense totale de transports en France s’élevait à 438,2 milliards d’euros, soit 18,1 % du Produit intérieur brut (PIB), ce qui en fait un des secteurs les plus importants de notre activité économique ([9]). Au niveau européen, les services de transports représentaient environ 663 milliards d’euros de valeur ajoutée brute en 2016 et 5 % du PIB de l’Union ([10]). En outre, les transports ont un impact social important : d’un côté, ils emploient onze millions de personnes en Europe ([11]) et de l’autre, l’existence d’un système de transport bien organisé est un gage de qualité de vie. En d’autres termes, les transports sont un secteur incontournable du fonctionnement de notre société.
Or, ils ont des impacts néfastes. Outre les accidents de la route, les embouteillages et la pollution auditive, leur impact environnemental est loin d’être neutre. Le secteur des transports est un des principaux émetteurs de CO2 en Europe, ses émissions ont augmenté de 18 % depuis 1990 ([12]) en dépit des efforts engagés par les filières pour réduire drastiquement les émissions de leurs productions.
Cette augmentation s’explique par le développement des secteurs routiers et aériens. D’un côté, les Européens parcourent davantage de kilomètres dans de plus grands véhicules, en lien avec le phénomène d’étalement urbain. De l’autre, la part du secteur aérien a augmenté grâce aux avantages accordés par les États pour assurer son développement et sa compétitivité. Des permis d’émission gratuits ont par exemple été octroyés aux industriels européens les plus polluants, pour faire face à leurs concurrents étrangers non soumis aux mêmes règles.
Le tableau ci-dessous, réalisé par la Commission européenne, montre les émissions de gaz à effet de serre issues du secteur transport par pays depuis 1990. Tous les États membres, y compris les pays scandinaves souvent montrés en exemple, ont vu leurs émissions augmenter depuis trente ans. Ainsi, les émissions du Danemark, dont la progression est plus faible qu’ailleurs, ont tout de même atteint 18,5 millions de tonnes en 2019 alors que le pays émettait déjà 15,6 tonnes en 1990. En France, les émissions du secteur transports sont passées de 139,4 millions de tonnes en 1990 à 156,6 millions de tonnes en 2019.
Il y a donc une tendance généralisée à l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre pour l’ensemble des États membres.
Source : Commission européenne, « Eu Transport in figures », Statistical Pocketbook, 2021.
2. La politique européenne des transports, d’abord instrument d’une meilleure intégration économique, s’est progressivement fixée des objectifs climatiques ambitieux qu’elle n’a pas pour autant atteints
Dans ce contexte, l’Union n’a que progressivement intégré l’idée d’une nécessaire durabilité du système européen des transports.
Dans un premier temps, la mise en place d’une politique commune en matière de transports a semblé nécessaire pour soutenir la libre circulation des personnes et des marchandises au sein du marché commun en pleine construction. L’Acte unique européen traduit cet objectif d’ouverture des marchés des différents modes de transport (aérien, fluvial, routier et maritime) pour favoriser la concurrence au sein de la communauté économique. De même, le réseau transeuropéen des transports (RTE-T) a été imaginé pour améliorer les infrastructures en les rendant plus interopérables de manière à fluidifier les échanges entre les Etats membres.
Ce n’est qu’à partir des années 2000 que la politique européenne en matière de transports inclut de nouveaux objectifs, le livre blanc de 2001 par exemple cherche un équilibre dans le recours aux différents modes de transport. Parallèlement d’autres documents clés s’intéressent au verdissement du secteur, en témoignent les titres évocateurs des communications sur « la logistique du transport de marchandises en Europe, la clé de la mobilité durable » ou encore « écologisation des transports » publiées respectivement en 2006 et en 2008.
Cette lancée se poursuit et se concrétise avec le livre blanc de 2011. Partant du constant qu’en dépit des progrès technologiques et des politiques ambitieuses menées, l’augmentation du trafic de personnes et de marchandises a fait croître les émissions de CO2 de l’Union, le livre blanc inclut pleinement la dimension environnementale et fixe des objectifs explicites. Il précise que « le défi consiste à rompre la dépendance du système de transport à l’égard du pétrole sans sacrifier son efficacité ni compromettre la mobilité » ([13]) . En d’autres termes, « les transports doivent utiliser l’énergie de manière plus limitée et plus propre, mieux exploiter des infrastructures modernes et réduire leur incidence négative sur l’environnement et sur des composantes primordiales du patrimoine naturel telles que l’eau, la terre et les écosystèmes » ([14]).
C’est pourquoi, la Commission européenne propose en 2011, de réduire de 60 % les émissions de gaz à effet de serre par rapport au niveau de 1990 pour le secteur des transports. Plusieurs lignes directrices sont fixées pour atteindre ce résultat, dont par exemple :
- à l’horizon 2030, l’utilisation des véhicules à moteur à combustion dans les centres urbains doit reculer et disparaître à l’horizon 2050 ;
- en 2050, le rail doit représenter plus de la moitié des transports de passagers sur les distances moyennes ;
- pour 2030, 30 % des flux de marchandises transitant par route sur des distances de plus de 300 km doit se reporter sur le rail ou le transport fluvial, avec l’objectif d’atteindre 50 % en 2050.
- à l’horizon 2050, les carburants durables à faible teneur en carbone doivent représenter 40 % des carburants utilisés dans l’aviation. À la même échéance, est prévue une réduction de 40 % des émissions provenant des combustibles de soute dans le secteur maritime.
À partir de 2015, une ambition renouvelée se fait sentir au niveau mondial avec l’adoption des Accords de Paris sur le changement climatique. L’Union européenne, dans la contribution déterminée au niveau national (CDN) calculée par chaque État membre puis agrégée au niveau européen, s’était engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40 % en 2030 par rapport aux niveaux de 1990. Un objectif par la suite rehaussé à 55 % par le pacte vert.
En 2016, la Commission européenne publie une nouvelle communication intitulée « Une stratégie européenne pour une mobilité à faible taux d’émissions ». Cette dernière propose trois leviers d’actions principaux que sont : le renforcement du système des transports pour accroître sa performance, le recours aux énergies de substitution à faible taux d’émissions pour les transports et la promotion des véhicules à émissions faibles ou nulles.
Ces nombreux objectifs, qui reflètent l’activisme écologique de l’Union depuis plus de vingt ans, n’ont pas pour autant été atteints. Si l’Union est bien en mesure de se fixer des objectifs ambitieux, elle se heurte à un défi sur la mise en œuvre. En creux, ceci révèle qu’une volonté politique constante des institutions européennes et des États membres capables de concrétiser des objectifs ambitieux (et donc onéreux) fait défaut dans l’Union.
Conscients que l’urgence climatique implique une action immédiate et coordonnée, que les stratégies passées n’ont pas réussi à mener à bien, les rapporteurs évaluent le pacte vert européen et la stratégie de mobilité avec un regard vigilant sur les moyens donnés à l’implémentation des propositions.
B. Le pacte vert europÉen et la stratÉgie europÉenne de mobilitÉ durable se prÉsentent comme une nouvelle feuille de route ambitieuse pour le secteur des transports
S’il s’inscrit dans la ligne d’une ambition écologique constate, le pacte vert a pourtant été présenté comme une « révolution écologique » par la Commission européenne. Il a pour mission principale de faire de l’Union le premier continent climatiquement neutre à l’horizon 2050.
Cet objectif suppose de mobiliser tous les secteurs économiques et de leur fixer des objectifs élevés. Dans le cas des transports, la stratégie européenne de mobilité durable, présentée le 11 décembre 2020 soit près d’un an après le pacte vert, doit mener à bien cette transition. Pour y arriver, elle fixe de nombreuses échéances par secteur liées par le report modal et le principe pollueur-payeur (1). Ces propositions ont été partiellement précisées par le paquet Fit for 55 (2), suscitant dans l’ensemble des réactions positives des États membres et des acteurs du secteur (3).
1. La stratégie de mobilité fixe des objectifs ambitieux, déclinés par secteur ([15]), liés par la promotion du report modal et du principe « pollueur-payeur »
Le pacte vert et la stratégie de mobilité imposent des changements ambitieux pour le secteur transport : il propose une trajectoire de réduction de 90 % des émissions de gaz à effet de serre provenant du secteur à l’horizon 2050. Une échéance intermédiaire est prévue en 2030, date à laquelle le secteur doit avoir réduit ses émissions d’au moins 55 %.
La stratégie se distingue par le caractère ambitieux des objectifs fixés et multidimensionnel des propositions qui touchent tous les modes de transport : routier, rail, aviation et maritime. Elle repose sur les trois leviers d’actions classiques de la transition écologique, à savoir l’innovation technologique, l’énergie et la réglementation.
Les principaux objectifs et échéances fixés par la stratégie illustrent bien l’activisme écologique de la Commission européenne. Deux échéances clés sont à retenir : 2030 et 2050.
À l’horizon 2030, sont prévus :
- la mise en circulation d’au moins 30 millions de voitures zéro émission sur les routes européennes ;
- la transformation de 100 villes européennes qui deviendront climatiquement neutres ;
- le doublement du trafic ferroviaire à grande vitesse dans l’Union européenne ;
- le déploiement à grande échelle de la mobilité automatisée ;
- la mise en circulation sur le marché de navires zéro émission.
Cinq ans plus tard, en 2035, la Commission estime que les grands aéronefs zéro émission seront prêts à être commercialisés. Cette étape intermédiaire, est suivie par la plus grande échéance, celle de 2050. À cette date, il est attendu que :
- la vaste majorité des voitures, fourgonnettes, bus et nouveaux véhicules lourds produisent zéro émission ;
- le doublement du trafic du fret ferroviaire ;
- le bon fonctionnement du transport transeuropéen (RTE-T) permettant un transport durable et intelligent avec une connectivité à haut débit.
Deux fils rouges unissent les différentes propositions de la stratégie.
Le premier est le report modal vers le rail, tant pour le transport de personnes et de marchandises, autour duquel s’articule la stratégie. Il supposera des investissements importants puisque de nouvelles infrastructures seront nécessaires et surtout, une réadaptation des autres secteurs, notamment de la route à cette nouvelle organisation du système des transports ([16]).
La stratégie repose également sur le principe du « pollueur-payeur » ou « utilisateur-payeur ». Il implique que les entreprises et les consommateurs ayant recours aux modes de transports les plus polluants assument le coût des externalités négatives générées par ces modes de transports – du moins contribuent activement à leur prise en charge. En effet, « pour réaligner les intérêts privés avec l'intérêt général, il faudrait faire payer un prix du carbone qui soit égal au dommage causé, de sorte que le pollueur soit la victime de sa propre pollution » ([17]).
Dans les faits, les utilisateurs des moyens de transport les plus polluants, en particulier le transport routier, ne paient pas le coût des externalités négatives que produit leur mode de transport, qui est donc assumé par le reste de la société. Dès lors, les pouvoirs publics ont tout intérêt à améliorer la tarification autour des moyens de transport les plus polluants pour que le coût individuel de leur utilisation inclut davantage les externalités néfastes qu’ils engendrent pour la société. En d’autres termes, « pour que l’usager internalise les dommages qu’il cause (les externalités), il est nécessaire de mettre en place une tarification spécifique » ([18]). Pour le consommateur, une telle tarification peut prendre la forme des péages urbains pour le secteur routier ou de la taxation progressive des billets d’avion en fonction de la fréquence des déplacements par exemple.
En outre, une telle tarification aurait un effet désincitatif pesant sur les moyens de transport les plus polluants au bénéfice de moyens de transport plus propres, notamment les transports collectifs. À terme, ce type de mesures permettrait de modifier la demande de transports voire les habitudes de déplacements. Comme l’explique Christian Gollier ([19]), nos comportements peuvent être modifiés par les prix : le prix de l’essence étant deux fois plus cher en Europe qu’aux États-Unis, le consommateur européen a une préférence structurelle pour les voitures légères, peu consommatrices de carburants.
2. Le paquet Fit for 55 a présenté les premières mesures concrètes de la stratégie de mobilité
Parmi les quatre-vingt-deux mesures annoncées dans la stratégie, un petit nombre d’entre elles, inclus dans le paquet dit Fit for 55, a été présenté le 14 juillet dernier par la Commission européenne. Suivant les lignes fixées par le pacte vert européen et la loi européenne sur le climat, le Fit for 55 comprend treize propositions ambitieuses dont certaines concernant directement ou indirectement le secteur des transports. Ainsi, avec l’objectif de déployer dans les meilleurs délais des modes de transport à faibles émissions, la Commission a introduit :
- un règlement sur la répartition de l’effort entre États membres qui fixe des objectifs encore plus ambitieux de réduction des émissions pour chaque État membre concernant plusieurs secteurs économiques, dont les transports ;
- une révision des normes en matière d’émissions de CO2 pour les voitures et les camionnettes prévoyant que toutes les voitures neuves immatriculées à partir de 2035 seront des véhicules à émissions nulles ;
- un règlement révisé sur le déploiement d’une infrastructure pour carburants alternatifs.
Il doit permettre aux Etats membres d’augmenter leur capacité de recharge au rythme des ventes de véhicules propres ainsi que l’installation de points de recharge et de ravitaillement à intervalles réguliers sur les grands axes routiers ([20]). Ce règlement comprend deux initiatives spécifiques, ReFuelEU Aviation et FuelEU Maritime. La première devrait contraindre les fournisseurs de carburant à augmenter la part de carburants durables dans l’aviation. La seconde doit imposer un plafond maximal à la teneur en gaz à effet de serre de l’énergie utilisée par les navires faisant escale dans les ports européens.
A ces propositions s’ajoute la création d’un nouveau marché du carbone commun aux secteurs routier et bâtiment, qui devrait être mis en place en 2026. Ce nouveau marché serait synonyme de nouvelles obligations pour les fournisseurs. Ces derniers devront surveiller et déclarer la quantité de carburant qu’ils mettent sur le marché ; parallèlement, ils devront restituer des quotas d’émission chaque année en fonction de l’intensité en carbone des carburants.
3. Un accueil pour l’essentiel positif, avec néanmoins des craintes sur le réalisme des objectifs fixés
Dans l’ensemble, la stratégie européenne de mobilité durable a reçu un accueil favorable de la part des acteurs du secteur et des États membres ; ce qui ne veut pas dire que la mise en œuvre sera aisée, considérant le poids économique et l’impact social du secteur en Europe.
De manière générale, les organisations professionnelles du rail et du transport maritime ont salué cette stratégie. Cependant, les professionnels du secteur routier se sont montrés plus réticents et craignent la destruction du transport par autocar, selon leurs propres termes. Les acteurs de l’aviation pour leur part, mettant en avant l’impact de la crise sanitaire sur le secteur, se sont montrés plus prudents. Ces inquiétudes s’expliquent par le fait que, considérant leur usage massif, ces modes se révèlent fortement émetteurs de gaz à effet de serre, nécessitant une action plus restrictive à leur encontre, ainsi qu’une transition plus rapide.
De leur côté, les associations environnementales ont salué la stratégie mais estiment qu’elle aurait pu être plus ambitieuse. Greenpeace a par exemple signalé que la stratégie ne prévoyait aucune mesure pour réduire le recours aux transports aériens et aux voitures particulières. Transports et Environnement (T&E) a regretté que la stratégie soit sous-tendue par une dépendance aux carburants de substitution provenant essentiellement des biocarburants et pour une petite partie seulement des carburants basés sur l'hydrogène.
Plusieurs des mesures envisagées sont aussi de nature à augmenter « la facture de carburant et de chauffage » sur des usages contraints, incontournables aujourd'hui pour les plus modestes avec un risque d’incompréhension, de diminution du pouvoir d’achat et de précarité. Cette analyse rejoint le constat fait par des économistes comme Christian Gollier, qui relève « un vrai problème d’acceptabilité politique » et suggère « une compensation intégrale de la hausse des prix, notamment pour les ménages modestes avec la distribution de chèques, qui préservent le pouvoir d’achat ([21]) ».
Dans le même ordre d’idées, les députés européens de bords politiques différents, dont les Verts/ALE et le Parti populaire européen (PPE) ont jugé la stratégie irréaliste, dénonçant un manque de moyens pour la mise en œuvre. Les parlementaires européens craignent un nouvel effet d’annonce qui ne trouverait pas de répercussions concrètes par la suite.
Concernant les États membres, la stratégie en elle-même a suscité peu de réactions. Dans les premières semaines suivant la présentation de la stratégie, seuls l’Allemagne, la Suède, le Danemark et l’Irlande l’ont officiellement évoquée. Parmi eux, seule l’Allemagne a publié une position élaborée tandis que les trois autres se sont simplement prononcés en faveur. Au contraire, la présentation du Fit for 55 a causé des lignes de fractures en particulier sur le nouveau marché du carbone. Si la plupart des États membres, dont la France, ont salué les objectifs, ils invitent à étudier les potentielles répercussions du système avant de négocier une éventuelle mise en œuvre.
Les rapporteurs considèrent que la question de « l’équation » du partage des efforts à faire doit être examinée avec attention, la mobilisation de ressources complémentaires envisagées et les mesures à mettre en œuvre faire l’objet d’un calendrier précis et d’un suivi assurant la cohérence d’ensemble.
Par ailleurs, l’ampleur des propositions retarde l’adoption de positions formelles tant pour les États membres que pour les acteurs du secteur. Les fédérations européennes auditionnées ont rappelé que la consultation de leurs membres en vue d’aboutir à une position commune peut être un processus long. C’est pourquoi, peu de positions consolidées sur la stratégie sont connues à ce stade. Le caractère technique du sujet ajoute une couche de complexité supplémentaire, les acteurs impliqués attendent plus de détails sur les répercussions du Fit for 55 avant d’adopter une position formelle.
II. la faisabilitÉ et le rÉalisme des objectifs soulÈvent des interrogations rendant nécessaires des garanties sur la mise en œuvre effective de ces mesures
Néanmoins, à la lumière des éléments connus à ce stade, des premières interrogations sur la stratégie apparaissent. Dans l’ensemble, il y a un consensus sur la nécessaire coordination l’action européenne en matière climatique, ce qui inclut le secteur transport. Cependant, parce que nous savons que l’Union a tendance à fixer des objectifs ambitieux qu’elle n’est pas en mesure de concrétiser, vos rapporteurs se sont questionnés sur la faisabilité et l’efficacité des mesures proposées (A). De la même manière, les lacunes relevées dans la stratégie sont de nature à mettre en péril sa réalisation effective (B).
A. La faisabilitÉ de la stratÉgie doit encore Être dÉmontrÉe
D’emblée, le nombre important de propositions, quatre-vingt-deux initiatives législatives, couplées à des échéances brèves, en 2030 et 2050, ne peut que susciter des interrogations. Considérant la longueur structurelle des processus de décision européens, une présentation et plus encore une mise en œuvre à court terme semble difficile. À ce stade, seul le paquet Fit for 55 a apporté des éclaircissements utiles. Néanmoins, il ne concerne que treize initiatives législatives dont seulement une partie évoque les transports. Ainsi, il est probable que nombre des objectifs proposés ne puissent être tenus. Or, il y va de la crédibilité de la voix européenne sur la scène internationale de tenir les objectifs qu’elle se fixe, surtout lorsqu’elle entend montrer la voie vers une croissance durable.
Plus important encore, il y a un déséquilibre entre les objectifs fixés et les moyens pour les atteindre. La stratégie repose en grande partie sur l’innovation technologique, l’hydrogène et le report modal, sur lesquels règnent des incertitudes. Ce déséquilibre est aggravé par la faiblesse du financement, qui est encore trop peu évoquée.
Si l’innovation technologie constitue effectivement un levier d’action essentiel, elle reste une solution de long terme et éventuellement moyen terme. Ainsi, l’objectif de commercialiser à l’horizon 2035 les premiers aéronefs à zéro émission évoqué dans la stratégie, se heurte à un obstacle majeur, à savoir que la technologie nécessaire à cette production n’est pas encore disponible.
De la même manière, le pacte vert européen et la stratégie de mobilité font le pari de promouvoir l’hydrogène comme une solution durable. Or, si les acteurs du secteur s’accordent pour dire qu’il ne constitue pas une solution de court terme, ils se divisent sur son utilisation à long terme. Plus de 90 % de l’hydrogène consommé pour l’instant provient de gaz naturel ([22]), un hydrogène considéré comme polluant et émetteur de gaz à effet de serre ; il ne comprend pas une technologie permettant la capture du carbone.
Dans l’attente d’une production d’un hydrogène vert à partir d’énergies renouvelables, qui interviendrait à long terme, d’autres modes de production pourraient susciter l’intérêt des États membres comme l’hydrogène nucléaire par exemple. Cette solution s’affronterait néanmoins au choix de l’Allemagne de ne plus avoir recours à l’énergie nucléaire. La promotion de l’hydrogène, un des points clés de la stratégie fera donc vraisemblablement l’objet de longues négociations entre les États membres.
Parallèlement, le report modal sur le transport ferroviaire des marchandises constitue aussi une des pierres angulaires de la stratégie. Or, bien qu’encouragé fortement par l’Union depuis une vingtaine d’années, le report modal vers le rail n’a pas encore donné de résultats satisfaisants. Il suppose un investissement important en termes d’infrastructures qui n’a pas été effectué ainsi qu’un changement de la demande de transport qui ne s’est pas non plus produit. Par exemple, le développement de l’offre ferroviaire passager suppose que chaque investissement soit évalué non seulement de façon financière mais bien selon une approche socio-économique mettant en évidence les coûts mais aussi les bénéfices en termes d’environnement, de temps et de qualité de vie.
De plus, la quasi-absence de dispositions sur le financement des mesures dans la stratégie renforce les inquiétudes évoquées. À ce stade, les chiffres avancés par la Commission européenne laissent penser qu’un engagement financier important sera demandé aux États membres sans que davantage de précisions aient été apportées. La Commissaire européenne chargée des transports, Adina Valean, a évoqué devant les parlementaires européens ([23]) une estimation de plus de cent milliards d’euros par an entre 2021 et 2030 qui serait nécessaire pour les secteurs transport et énergie. Le transport représenterait environ 45 % des besoins. Si l’on inclut les moyens nécessaires pour mettre en œuvre les politiques nationales, ce chiffre pourrait représenter plus de 390 milliards d’euros.
Le mécanisme d’interconnexion en Europe
Parmi les fonds mobilisés, le Mécanisme d’interconnexion en Europe, devrait contribuer pleinement à la réalisation de ces objectifs. Lancé en 2014 avec un budget de 33,2 milliards d’euros pour la période 2014 – 2020, il a pour mission de soutenir les projets d’intérêt général dans les secteurs des télécommunications, de l’énergie et des transports dans l’Union. Sur la période 2016-2020, la France a été le premier bénéficiaire des subventions issues du MIE.
Adopté en juillet dernier, le MIE 2.0, dont 25,81 milliards d’euros seront alloués au secteur transport, doit à présent tenir compte de l’intégration des critères environnementaux dans les projets financés. Plus spécifiquement, 60 % des fonds alloués devront soutenir des projets liés à la transition climatique.
Les auditions nous ont révélé que de nombreuses entreprises des transports, des secteurs routier et ferroviaire en particulier, jugent l’enveloppe dédiée au MIE trop maigre. Ils demandent d’ores et déjà sa revalorisation en soulignant que le développement de nouvelles infrastructures requiert des investissements conséquents et pérennes. Des projets clés comme le déploiement de bornes électriques de recharge sur le territoire européen ou encore le doublement du fret ferroviaire auraient effectivement besoin d’investissements massifs.
À ce stade, les éléments connus de la stratégie invitent donc à s’interroger sur sa faisabilité bien que les négociations autour des propositions déjà sur la table pourraient apporter des réponses sur ces points. Des précisions seraient bienvenues sur les financements disponibles pour la mise en œuvre de la stratégie.
B. d’importantes lacunes dans la stratÉgie font douter de son rÉalisme
En outre, vos rapporteurs soulignent que des sujets, pourtant fondamentaux pour la mobilité durable, sont absents de la stratégie. Il en va ainsi du transport public (1) de même que le vélo qui est pourtant une industrie en pleine croissance (2). De plus, l’aspect social de la transition écologique des transports semble négligé dans la stratégie alors que l’acceptabilité sociale devrait être une préoccupation majeure des institutions (3).
En effet, les entreprises du transport public s’inquiètent des faibles mentions que comporte la stratégie sur ce point alors même que 74 % de la population européenne vit en ville et que 23 % des émissions de gaz à effet de serre des transports concernent les zones urbaines ([24]). Dès lors, le recours de plus en plus massif aux transports publics semble essentiel pour atteindre plusieurs des objectifs fixés dans la stratégie. À titre d’exemple, la baisse du nombre de voitures individuelles en circulation sur les routes européennes, en particulier sur le dernier kilomètre, devrait passer par une meilleure intégration du système de transports en commun.
Dans le même ordre d’idées, l’objectif d’atteindre 100 villes européennes climatiquement neutres à l’horizon 2050 ne peut faire l’économie de s’intéresser à la mobilité du quotidien. La question des territoires ne peut être appréhendée sans envisager, en amont et en aval, celle des mobilités, celle de la cohérence des offres en transports collectifs ou multi-modaux et sans anticiper, autant que cela est possible, les besoins et usages.
Si le respect du principe de subsidiarité justifie que le transport public ne soit pas un axe premier de la stratégie, il ne peut pas pour autant être ignoré. En ce sens, les acteurs du secteur plaident pour une revalorisation des fonds alloués au développement du transport public dans le cadre du fonds de cohésion et du Fonds européen de développement régional (FEDER). Or, la part de ces deux fonds alloués aux transports publics représente 16,3 milliards d’euros, soit seulement 6 % de ces deux budgets sur la période 2014-2020 ([25]). D’autres instances nationales ont appelé de leurs vœux la création de nouvelles subventions européennes pour soutenir un modèle de métropole européenne.
Pour des raisons similaires, la stratégie européenne tend à ignorer la montée en puissance du vélo dans les modes de transports urbains. Or, cette industrie est en pleine croissance tant les vélos classiques que les vélos électriques. En France et en Europe, les confinements décrétés pour freiner la crise sanitaire en 2020 ont contribué à développer la demande de vélos en ville. Ainsi, s’il ne relève pas des compétences européennes, le rôle croissant du vélo devrait au moins être pris en compte dans les projets de mobilité durable européens.
Les angles morts que constitue le transport public et le vélo révèlent une faille majeure dans la stratégie : elle ne prend pas en compte la demande de transport. En effet, « un biais courant des politiques de transport des dernières décennies est de se concentrer sur l’évolution des infrastructures (52 occurrences dans la stratégie) et des véhicules (54), sans considérer l’évolution des usages » ([26]). Par conséquent, la stratégie se prive d’un levier supplémentaire d’action que serait la promotion de la sobriété dans les choix des usagers. Elle néglige en ce sens « les aspirations des citoyens et usagers en termes de mobilité, sur les nombreuses mobilités subies, leur coût économique et social, ni même sur les possibilités liées à l’évolution des usages pour tendre vers des mobilités plus durables » ([27]). Pourtant, mobiliser ce levier dit de sobriété pourrait permettre de diviser par deux la consommation d’énergie des transports selon Aurélien Bigo.
Ce défaut conduit la stratégie à éluder la place centrale qu’occupe l’utilisateur des transports et donc à perdre de vue le rôle clé des déterminants de la mobilité. Ainsi, Aurélien Bigo relève que les termes « géographie », « aménagement » ou encore « logement » et « covoiturage » sont absents de la stratégie ([28]) . Il y aura, en ce sens, un réel effort à faire pour inclure davantage la dimension mobilité et plus précisément les mobilités du quotidien dans la stratégie.
De la même manière, l’aspect social, c’est-à-dire assurer une transition juste pour les citoyens européens et les travailleurs du secteur est pour l’essentiel absent de la stratégie. Seules quatre des quatre-vingt-deux propositions ont une visée sociale selon les syndicats européens. Pourtant, la question de l’acceptabilité sociale des mesures écologiques est centrale en Europe. L’exemple français des gilets jaunes en 2018 a démontré que la transition écologique ne peut se faire sans pédagogie et sans des mesures de compensation sociale qui permettent un juste partage du coût de la transition écologique. Un premier revirement semble intervenir depuis la proposition d’un fonds pour le climat introduit dans le paquet Fit for 55 pour compenser l’augmentation du prix des carburants liés aux marchés du carbone, le premier qui sera révisé et le deuxième sur le secteur routier et les bâtiments qui sera introduit en 2026 ([29]).
Parallèlement, comme l’ont relevé les organisations syndicales européennes, le cas des travailleurs du secteur transport est globalement absent de la stratégie. Or, amener le secteur vers une réduction des émissions implique nécessairement un bouleversement de l’organisation sociale du secteur. Des reconversions professionnelles, des formations nouvelles, des compensations doivent être pensées pour les travailleurs du secteur, en particulier du routier à qui l’on demande de repenser son modèle économique. Cette transition est d’autant plus délicate que le secteur emploie 11 millions de travailleurs en Europe, pour l’essentiel précaires, souvent transfrontaliers ou en détachement, soulevant de vrais enjeux de sécurité de l’emploi. Des premières réponses pour le cas des travailleurs du secteur routier ont été apportées en France par le volet social du paquet mobilité, récemment transposé par le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne (DDADUE).
Vos rapporteurs estiment que l’accumulation de ces lacunes multidimensionnelles est de nature à remettre en cause l’efficacité des mesures proposées. La phase de négociations des différentes propositions devrait permettre de mieux prendre en compte ces sujets fondamentaux pour la concrétisation de la stratégie.
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DEUXIÈME PARTIE :
le secteur routier : l’adaptation d’un secteur incontournable de la mobilitÉ a la transition Écologique
Conscients que chaque mode de transport a ses spécificités et fait face à des défis propres, les rapporteurs consacrent des développements dédiés à chacun d’entre eux, sans omettre la dimension globale d’une stratégie de mobilité et tout en reconnaissant l’impérieuse nécessité de ne pas travailler en silos.
Dans cette partie, vos rapporteurs étudient les propositions de la Commission connues à ce jour sur l’adaptation du secteur routier à la transition écologique ainsi que leurs implications pour les acteurs du secteur.
I. Pilier du transport de personnes et de marchandises mais contributeur majeur a l’émission de gaz À effet de serre, le secteur routier doit se rÉinventer pour devenir durable
Pour comprendre l’ampleur des changements demandés au transport routier, il faut avoir à l’esprit ce qu’il représente à la fois en termes d’utilisation et d’émission de gaz à effet de serre.
En Europe, comme ailleurs dans le monde, la dépendance à l’égard de la route est bien marquée : elle représente le moyen de transport le plus utilisé par les citoyens, par exemple plus de 80 % du transport de passagers de l’Union se fait par la route. Dans le même temps, 75 % des marchandises transitent par la route dans l’Union européenne. Comme l’avait souligné Élisabeth Borne, alors Ministre des Transports, « la voiture reste la colonne vertébrale des déplacements de bon nombre de nos concitoyens » ([30]).
Le transport routier est le mode de transport le plus polluant, il génère 72 % des émissions de gaz à effet de serre que produisent les transports en Europe. Il est encore trop dépendant des énergies fossiles puisque 95 % du parc des véhicules routiers en circulation a recours aux carburants traditionnels dans l’Union.
Le graphique ci-dessous rappelle la part des émissions par mode de transport dans l’Union européenne en 2006 et précise pour le secteur routier dans quelle mesure les différents types de véhicules contribuent aux émissions.
Pourtant, comme le signale la Direction générale du Trésor, les usagers de la route ne couvrent pas le coût des externalités qu’ils produisent, à travers la fiscalité sur les carburants et les péages. Si cette disparité concerne la plupart des véhicules et des milieux, elle s’accentue pour les voitures personnelles qui circulent en milieu urbain, où les embouteillages génèrent une pollution encore plus importante ([31]). Les véhicules roulant au diesel sont également problématiques car ils émettent davantage de polluants (particules fines, NOx…) et bénéficient d’une fiscalité moins lourde que les autres carburants.
Parmi les différents types de véhicules, les cas critiques des voitures personnelles et des véhicules utilitaires légers (VUL) devraient être pris en compte pour atteindre les objectifs du pacte vert. En effet, les voitures personnelles, à elles seules, représentent 60,7 des émissions totales de CO2 dues au transport routier dans l’Union, soit près de 12 % des émissions totales en Europe.
De son côté, le parc des véhicules utilitaires légers (VUL) pourtant vieillissant fait face à une augmentation de l’activité avec l’essor du e‑commerce, phénomène aggravé par la crise sanitaire que nous traversons. Or, ce mode de transport peut être plus polluant que les poids lourds puisque « une tonne transportée par VUL émet plus de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques que son transport par poids lourd » ([32]). Selon les calculs du rapport sur les véhicules utilitaires légers, même à supposer que les véhicules soient chargés à leur pleine capacité, une tonne transportée par VUL émettrait 206g de CO2 là où le poids n’en émettrait que 36g par kilomètre parcouru.
Dans ce contexte, il y a enjeu majeur pour la France et l’Europe à réussir la transition écologique du transport routier. Cette dernière constitue, en outre, une aspiration des citoyens européens puisque près des deux tiers des citadins soutiennent l’idée que seules les voitures à zéro émission soient vendues en Europe à l’horizon 2030. Les institutions européennes et les États membres peuvent donc compter sur une opinion publique a priori favorable à ces évolutions.
II. LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE SUPPOSE UNE REDÉFINITION DES OBJECTIFS ET MOYENS DU SECTEUR entamÉ par le paquet Fit for 55
Pour atteindre les objectifs du pacte vert, la Commission européenne a fait de nombreuses et ambitieuses propositions pour le secteur routier, dont trois ont été concrétisées avec le paquet Fit for 55. Cette partie se penche sur les trois mesures phares connues à ce stade : la fin de la vente des voitures à moteur thermique en 2025 (A), le déploiement d’une infrastructure pour carburants alternatifs (B) et la création d’un marché du carbone pour le secteur routier et les bâtiments (C).
A. La fin de la vente des voitures à moteur thermique en 2025
En premier lieu, la Commission européenne a proposé la révision du règlement établissant des normes de performance en matière d’émissions de CO2 pour les voitures et camionnettes neuves. Il inclut une annonce phare : la fin de la vente de voitures à moteur thermique en 2035. Mettre ces objectifs en amont de la chaîne permet de faire peser les nouvelles réglementations sur les constructeurs et non sur le consommateur final, démontrant que l’Union s’inquiète de l’acceptabilité sociale des mesures qu’elle propose.
Pour arriver à ce résultat, les objectifs de réduction des émissions de CO2 ont été revus à la hausse tant pour les voitures que pour les camionnettes. Fixé à 37,5 % pour les voitures en 2030, l’objectif a finalement été rehaussé à 55 % ; de même pour les camionnettes, alors qu’il a été fixé à 31 % pour 2030, l’objectif de réduction est maintenant de 50 %.
Cette mesure, exigée par les organisations non gouvernementales et anticipée par les constructeurs, était attendue par les acteurs du secteur. Selon Transport & Environment, cette annonce confirme que l’Union a réellement l’intention d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Néanmoins, l’association regrette que l’objectif de réduction des émissions de 15 % pour les voitures et les camionnettes à l’horizon 2025 demeure inchangé alors qu’il pourrait être atteint par les constructeurs avec seulement une réduction de 2 % des émissions de CO2 jusqu’en 2029, selon ses calculs. En effet, elle souligne que trop de vides juridiques pouvant favoriser les véhicules les plus polluants sont encore présents dans les normes européennes.
En revanche, les États membres semblent divisés sur cette proposition : D’un côté, l’Autriche, la Suède, le Danemark, les Pays-Bas, le Luxembourg et la Finlande souhaitent durcir cette proposition et pour certains, avancer l’échéance à 2030. De l’autre, la Hongrie, la Bulgarie et la République Tchèque estiment que 2035 est une date prématurée et souhaitent allonger ce délai ([33]).
Les rapporteurs, pour leur part, accueillent favorablement cette mesure. Ils invitent également la Commission européenne à réfléchir au recyclage et au réemploi des véhicules thermiques circulant actuellement au sein dans l’Union. Étant entendu que le recyclage de véhicules usagés et la construction de véhicules neufs sont fortement consommateurs d’énergie, la solution visant à remplacer le moteur thermique d’un véhicule par un moteur électrique, le retrofit, apparaît pertinente, tant en termes de bénéfices sociaux qu’environnementaux. Les rapporteurs encouragent la Commission à se pencher sur une homologation harmonisée de ces véhicules, la France faisant figure de précurseur dans ce domaine, et à intégrer cette technologie dans les objectifs communautaires.
B. Le déploiement d’une infrastructure pour carburants alternatifs
Par ricochet, ces annonces devraient contribuer à l’essor des voitures électriques, qui pour l’instant n’ont représenté que 10,5 % des véhicules neufs immatriculés en 2020 bien que leur part ne cesse de croître ([34]) . Les ventes de ces véhicules ont par exemple progressé de 51 % en 2017 par rapport aux niveaux de 2016 dans l’Union ([35]). L’énergie électrique représente désormais 17 % des ventes de voitures légères en France ([36]) et plus de 54,9 % des voitures vendues en Norvège en 2020 étaient des voitures électriques ([37]). En Europe, plus d’un véhicule sur dix vendu en 2020 était électrique rechargeable, c’est-à-dire entièrement électrique ([38]).
La carte ci-dessous présente le marché des voitures électriques en Europe de l’Ouest en 2021 qui est en nette croissance. Les consommateurs interrogés sur l’avenir des voitures électriques se disent disposés à en acheter ; tout en soulignant qu’ils seront attentifs au prix (55 % des répondants) et à l’existence d’infrastructures (51 % des répondants) ([39]) en priorité au moment d’acquérir une voiture électrique. La majorité d’entre eux dit penser que la vente de voitures zéro-émissions dépassera celle des voitures à moteur thermique lorsqu’une parité en termes de prix sera atteinte. Dans les faits, le développement de la voiture électrique suppose simultanément une réflexion plus globale sur le futur du système électrique, des mesures de politique industrielle ([40]) et « un net abaissement du prix des véhicules électriques » ([41]).
Cette montée en puissance du véhicule électrique est accompagnée par l’Union européenne à travers le règlement révisé sur le déploiement d’une infrastructure pour carburants alternatifs. La commission a annoncé qu’elle souhaitait voir circuler au moins trente millions de véhicules à zéro-émission en 2030, un niveau bien éloigné des deux millions de véhicules actuellement en circulation ([42]).
Ce règlement révisé demande aux États membres d’augmenter leur capacité de recharge au rythme des ventes de véhicules à émissions nulles. De manière pratique, cela suppose d’installer des points de recharge et de ravitaillement à intervalles réguliers sur les grands axes routiers, la Commission propose une distance de 60 kilomètres entre chaque borne électrique et 150 kilomètres pour le ravitaillement en hydrogène.
Le visuel ci-dessous publié par la Commission européenne précise les principaux objectifs et échéances concernant les points de recharge.
Source : Commission européenne, « Rendre les transports plus verts », 2021.
Ces objectifs s’inscrivent dans la lignée des nombreuses propositions que l’Union a faites sur les recharges électriques, qu’elle soutient activement. Le MIE par exemple, finance le déploiement de ces nouvelles infrastructures depuis 2014. Depuis cette date, environ 343 millions d’euros ([43]) ont financé des projets d’infrastructures de recharge ou des projets combinant l’électricité et d’autres carburants alternatifs. Le cadre financier pluriannuel et le plan de relance tablent à présent sur la construction d’un million de points de recharges ouverts au public pour 2025, en lien avec les trois millions de points de charges que la stratégie estime nécessaires pour 2030.
Or, selon la Cour des comptes européenne, « si le déploiement des infrastructures continue au rythme de la période 2014-2020, il y a fort à parier que l’objectif d’un million de points de recharge ouverts au public à l’horizon 2025 ne sera pas atteint ». D’autant que la Cour montre une grande disparité dans le maillage de bornes de recharge, 70 % des bornes se trouvant dans trois États membres, dont la France et le Pays-Bas, alors que leur existence est presque nulle dans d’autres pays, comme en Roumanie par exemple.
Les rapporteurs rejoignent cette analyse. Considérant l’importance de l’existence d’infrastructures dans le choix d’un véhicule électrique pour les consommateurs, ainsi que la disparité territoriale entre États Membres en termes de densité d’infrastructures de rechargement, l’augmentation de la capacité devrait être décorrélée du rythme de vente.
La carte ci-dessous montre l’inégale répartition des charges en Europe. La présence de ces points de recharge est presqu’absente dans les États présentés en jaune parmi lesquels on retrouve de nombreux États membres d’Europe de l’Est mais aussi l’Espagne et l’Irlande par exemple. Il y a donc un enjeu pour l’Union de répartir plus efficacement les fonds comme le MIE qui financent le déploiement de ces infrastructures.