N° 4616

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 28 octobre 2021.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

relatif à l’État de droit dans les contextes des états d’urgence sanitaire,

 

 

ET PRÉSENTÉ

par M. Philippe BENASSAYA ET Mme Coralie DUBOST

Députés

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(1)    La composition de la commission figure au verso de la présente page.


 

La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Sabine THILLAYE, présidente ; MM. Pieyre-Alexandre ANGLADE, Jean-Louis BOURLANGES, Bernard DEFLESSELLES, Mme Liliana TANGUY, viceprésidents ; M. André CHASSAIGNE, Mme Marietta KARAMANLI, M. Christophe NAEGELEN, Mme Danièle OBONO, secrétaires ; MM. Patrice ANATO, Philippe BENASSAYA, Mme Aude BONO-VANDORME, MM. Éric BOTHOREL, Vincent BRU, Mmes Yolaine de COURSON, Typhanie DEGOIS, Marguerite DEPREZ-AUDEBERT, M. Julien DIVE, Mmes Coralie DUBOST, Frédérique DUMAS, MM. Pierre-Henri DUMONT, Jean-Marie FIEVET, Alexandre FRESCHI, Mmes Maud GATEL, Valérie GOMEZ-BASSAC, Carole GRANDJEAN, Christine HENNION, MM. Michel HERBILLON, Alexandre HOLROYD, Mme Caroline JANVIER, MM. Christophe JERRETIE, Jérôme LAMBERT, Jean-Claude LECLABART, Mmes Constance Le GRIP, Martine LEGUILLE-BALOY, Nicole Le PEIH, MM. David LORION, Ludovic MENDES, Thierry MICHELS, Jean-Baptiste MOREAU, Xavier PALUSZKIEWICZ, Damien PICHEREAU, JeanPierre PONT, Dominique POTIER, Didier QUENTIN, Mme Maina SAGE, M. Benoit SIMIAN, Mme Michèle TABAROT.

 


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SOMMAIRE

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 Pages

Introduction

PremiÈre partie. La crise sanitaire : un révélateur des FORCES ET FAIBLESSES européennes en matière d’État de droit

I. Des réponses juridiques diverses a la crise selon les États membres, sans coordination européenne

A. Des états d’urgence hétérogènes et non coordonnés au niveau européen

B. Une résilience globale de l’état de droit face À la pandémie, malgré des contenus hétérogÈnes des États d’urgence

1. Les critères utilisés pour évaluer la compatibilité des états d’urgence avec l’État de droit

2. Un « auto-dessaisissement » parlementaire au profit des exécutifs nationaux

Un dessaisissement massif par voie d’ordonnance ou décret-loi

Des exemples de préservation du pouvoir parlementaire en temps de crise

L’impact potentiel de la crise sur l’organisation et le travail des parlements nationaux

3. Une limitation massive et nécessaire de la liberté de circulation, de rassemblement et d’association

4. Impact sur le respect de la vie privée : une tentative d’encadrement européen

5. Justice et collectivités territoriales : des acteurs centraux pour répondre à la crise

Un impact limité de la crise sur le pouvoir judiciaire, resté un contrepouvoir majeur

Un impact parfois important de la crise sur les collectivités territoriales européennes

6. Une limitation de la liberté de la presse du fait de la crise : le travail crucial des journalistes face au risque de désinformation

II. Focus sur certains États membres

A. Hongrie

B. Pologne

C. Malte ()

D. Italie ()

E. Espagne ()

F. Roumanie ()

G. Pays-Bas ()

H. Suède ()

I. France

Seconde Partie. Des réponses encore perfectibles pour assurer un respect de l’État de droit en période de crise

I. Un suivi régulier mais encore trop faible de la situation de l’état de droit pendant la crise sanitaire par les institutions européennes

II. Une opérationnalité hétÉROGÈne des différents outils existants

A. Articles 2 et 7 TUE : une réponse traditionnelle rendue inopérante par la crise sanitaire

1. Des articles cruciaux mais peu opérants pour garantir l’État de droit

2. Des articles rendus encore plus difficiles à appliquer du fait de la crise sanitaire et dont la mise en œuvre est critiquée

B. Le « semestre de l’État de droit » : une réponse dont l’efficacité reste à démontrer

C. Le mécanisme de conditionnalité des fonds européens : une réponse originale qui doit être précisée et encadrée

III. Renforcer les mesures de coordination des États d’urgence et de réaction face aux menaces à l’État de droit

A. Un contrôle accru par les parlements nationaux doit être organisé

B. La séparation des pouvoirs doit être strictement garantie

C. La liberté de la presse doit être protégée

Conclusion

TRAVAUX DE LA COMMISSION

annexes

annexe  1 : Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs

1. Institutions

2. Universitaires

3. Think tanks et organisations non gouvernementales


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   Introduction

 

 

Mesdames, Messieurs,

Face à la crise sanitaire qui a frappé le monde à partir de 2020, la quasi-totalité des États membres de l’Union européenne a été amenée à prendre des mesures d’urgence. Ces « états d’urgence » (dont les noms, les périmètres, les durées et les contenus ont varié) ont globalement pour caractéristiques de modifier le fonctionnement normal du système politique et de suspendre certains droits et libertés fondamentaux.

Au sein de l’Union européenne, ces états d’urgence ont conduit à remettre sur le devant de la scène la question de la protection de l’État de droit. La commission des Affaires européennes avait publié, dès le mois d’octobre 2018, un rapport d’information sur « le respect de l’État de droit au sein de l’Union européenne »  ([1]). Ce rapport avait déjà mis en avant les difficultés à définir l’État de droit de manière consensuelle au sein de l’Union.

En effet, cette définition ne va pas sans difficultés juridiques, malgré la similitude de l’expression d’« État de droit » avec le principe britannique de rule of law ou encore avec la théorie allemande du Rechsstaat. Au niveau européen, l’article 2 du traité sur l’Union européenne (TUE) fait référence à l’« État de droit », mais sans le définir, du fait de l’hétérogénéité des traditions nationales.

En étudiant les textes européens, vos rapporteurs ont dégagé les principes généraux qui fondent l’État de droit au sein de l’Union :

-         la légalité (procédure d’adoption des textes de loi transparente, responsable, démocratique et pluraliste) ;

-         la sécurité juridique ;

-         l’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif ;

-         une protection juridictionnelle effective (juridictions indépendantes et impartiales et contrôle juridictionnel effectif) ;

-         la séparation des pouvoirs ;

-         l’égalité devant la loi.

Sur ce fondement, l’action de l’Union européenne en vue de protéger l’État de droit a consisté principalement à déclencher la procédure issue de l’article 7 TUE à l’encontre de la Hongrie et de la Pologne.

Depuis 2018, toutefois, le contexte a profondément évolué. Non seulement les initiatives prises par les institutions européennes en lien avec l’article 7 TUE n’ont pas eu, à ce stade, d’effets concrets, mais surtout la crise sanitaire a ravivé certaines inquiétudes en lien notamment avec la protection des droits fondamentaux, la séparation des pouvoirs, le contrôle parlementaire et la situation de la presse. Par définition, les mesures pour faire face à la crise ont nécessité d’attenter fortement à certaines libertés fondamentales, en particulier la liberté de déplacement et de réunion. La crise a également bouleversé le fonctionnement des parlements, qui ont été dessaisis de certaines compétences fondamentales.

C’est pourquoi il est apparu nécessaire, dans le prolongement du rapport de 2018 et à la lumière des réponses à la crise sanitaire, sans jugement de valeur mais en se fondant sur le droit, d’approfondir la situation de l’État de droit dans les États membres ainsi que les réactions européennes, afin d’évaluer leur pertinence et les moyens de les renforcer. Vos rapporteurs tiennent à insister sur le fait que le présent rapport ne traitera que de l’État de droit sous l’angle des réactions européennes à la crise sanitaire et non de la situation de l’État de droit dans son ensemble. L’objectif est d’analyser les réponses nationales à la crise au regard de différents critères afférents à l’État de droit et de tenter de définir celles qui ont pu fonctionner et celles qui ont échoué.

Selon vos rapporteurs, la crise sanitaire n’a pas créé de situations inédites en ce qui concerne le respect de l’État de droit. Celle-ci a plutôt fait l’effet d’un « stress test » pour l’État de droit en Europe, conduisant certains États membres à remettre en cause temporairement les droits fondamentaux. En outre, les États pour lesquels un risque était déjà identifié avant la crise sanitaire suscitent des inquiétudes renforcées.

Ainsi, vos rapporteurs ont commencé par analyser les réponses apportées par les États membres face à la crise sanitaire à l’aune de leurs impacts sur les droits et libertés. L’objectif est d’évaluer si ces réponses ont respecté les principes de proportionnalité, de nécessité, de temporalité et d’efficacité, seuls à même de justifier les atteintes à l’État de droit (première partie).

Ensuite, vos rapporteurs ont souhaité analyser les dispositifs européens de protection de l’État de droit et leur utilisation dans le contexte de la crise sanitaire. Cette analyse leur a permis de formuler certaines propositions pour continuer à garantir efficacement l’État de droit au sein de l’Union en période de crise (seconde partie).

 


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   PremiÈre partie. La crise sanitaire : un révélateur des FORCES ET FAIBLESSES européennes en matière d’État de droit

I.   Des réponses juridiques diverses a la crise selon les États membres, sans coordination européenne

A.   Des états d’urgence hétérogènes et non coordonnés au niveau européen

Depuis le début de la crise sanitaire en 2020, de nombreux États membres ont déclaré l’état d’urgence, dont les définitions, les périmètres et les intitulés ont été très variables selon les États membres.

LES DIFFÉRENTES FORMES D’ÉTATS D’URGENCE

La Commission de Venise du Conseil de l’Europe définit ainsi l’état d’urgence ([2]) :

« L’état d’urgence découle d’une déclaration répondant à une situation extraordinaire constituant une menace importante pour un pays : une catastrophe naturelle, un soulèvement populaire, une épidémie ou une crise économique. La déclaration peut suspendre un certain nombre de fonctions gouvernementales, ou autoriser des organes publics à prendre des mesures de premier secours, voire limiter ou suspendre des libertés civiles et des droits de l’homme. »

Cet état d’urgence, s’il symbolise nécessairement le passage à une législation exceptionnelle pour répondre à une situation de crise, n’est pas nécessairement attentatoire à l’État de droit. En effet, dans ses Réflexions 2020, la Commission de Venise a rappelé qu’« un régime d’urgence constitutionnel, et donc de droit, peut offrir de meilleures garanties en matière de droits fondamentaux, de démocratie et d'État de droit » ([3]), dès lors qu’il est encadré par des procédures et des contrepouvoirs bien définis.

Il faut enfin noter qu’il existe d’importantes variations sémantiques pour désigner les législations d’exception, parfois même au sein même de chaque État. À titre d’exemple, la Roumanie a déclenché « l’état d’urgence », le 16 mars 2020. Depuis le 15 mai 2020, la Roumanie se trouve en « état d’alerte », autre dispositif d’exception, en principe plus léger mais permettant dans les faits les mêmes restrictions de libertés publiques

D’après le rapport de la Commission de Venise du Conseil de l’Europe sur les mesures prises dans les États membres de l’Union, au plus fort de la crise au printemps 2020, neuf États membres avaient déclaré l’état d’urgence, quelle que soit sa formulation juridique, en vertu des dispositions pertinentes de leur constitution (Bulgarie, Espagne, Estonie, Finlande, Hongrie, Luxembourg, Portugal, République tchèque et Roumanie). Parmi ceux-ci, l’état d’urgence a été déclaré par les parlements en Bulgarie et au Portugal ([4]).

Cinq États membres ont déclaré l’état d’urgence en vertu de leur droit commun (Allemagne, Lettonie, France, Italie et Slovaquie) ([5]) et quatorze ont eu recours à la législation normale pour adopter en urgence des mesures restrictives de lutte contre la pandémie (Autriche, Belgique, Croatie, Chypre, Danemark, Grèce, Irlande, Lituanie, Malte, Pays-Bas, Pologne, Slovénie, Suède et Royaume-Uni) ([6]).

Ces situations sont bien entendu en constante évolution et il reste très difficile de suivre finement l’évolution dans chaque État membre. Ainsi, au mois d’avril 2021, le Danemark, l’Estonie, le Luxembourg, la Finlande, la Lettonie, le Portugal, la République tchèque, la Roumanie et Malte avaient levé leur état d’urgence ou leurs mesures restrictives. À l’inverse, la Belgique, la Bulgarie, l’Espagne, l’Italie, la Slovaquie et la Slovénie avaient maintenu leurs mesures restrictives. Entre octobre 2020 et février 2021, selon le « Democracy Reporting International Report » ([7]), 12 États membres utilisaient encore des pouvoirs d'urgence dans leur réponse à la pandémie.

Enfin, certains États membres ont notifié une dérogation à certains droits fondamentaux en vertu de l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme (ils étaient six en mai 2020 ([8])) ou conformément à l’article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques au secrétaire général des Nations unies (pour 13 États en mai 2020, dont la Lettonie, l’Estonie, la Roumanie).

Les différences constitutionnelles et de traditions juridiques et politiques entre les États membres ont créé des situations de grande hétérogénéité dans les états d’urgence mis en place pendant la crise. Ainsi, de nombreuses Constitutions ont introduit des niveaux d’urgence gradués. Aux niveaux d’urgence les plus « sérieux » (où des pouvoirs plus importants sont délégués pour restreindre l’exercice des droits constitutionnels), l’approbation parlementaire de la déclaration d'urgence est requise. En revanche, à des niveaux « plus faibles », l’exécutif peut déclarer un état d’exception sans approbation parlementaire.

Au total, ces différences entre États membres ont donc conduit à des états d’urgence sanitaire très différents, qu’il est difficile de classer. Selon le Democracy Reporting International Report, 15 États membres ([9]) ont adopté des « mesures hautement restrictives » : fermeture des frontières, couvre-feu, fermeture de l'enseignement et des services non essentiels, limitation de la liberté de circulation.

8 États membres ont adopté des « mesures restrictives significatives » ([10]) : restrictions aux frontières, interdiction de toutes les assemblées publiques, limitation des services d'éducation, limitation des entreprises et port obligatoire du masque en public. Les quatre autres États membres ont adopté des « mesures modérément restrictives » ([11]), notamment des restrictions aux frontières, l’interdiction des rassemblements publics à grande échelle (plus de 500 participants) et l’ouverture de tous les services éducatifs. Aucun État membre n'a déclaré avoir adopté des « mesures peu restrictives » ([12]).

B.   Une résilience globale de l’état de droit face À la pandémie, malgré des contenus hétérogÈnes des États d’urgence

1.   Les critères utilisés pour évaluer la compatibilité des états d’urgence avec l’État de droit

Vos rapporteurs ont rappelé en introduction les difficultés qui s’opposent à une définition unique et stable de l’État de droit. Toutefois, afin de juger de la compatibilité ou non de ces multiples états d’urgence sanitaire avec l’État de droit, des critères, si imparfaits et incomplets soient-ils, doivent être trouvés.

LA DIFFICILE DÉFINITION DE L’ÉTAT DE DROIT AU SEIN DE L’UNION EUROPÉENNE

L’article 2 TUE est au cœur de la définition de l’État de droit au niveau européen :

« L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes. »

Cette rédaction est conforme à la pratique constitutionnelle dans la très grande majorité des pays européens dont les constitutions énoncent solennellement les principes fondamentaux et/ou valeurs fondamentales qui sous-tendent l’ordre constitutionnel sans offrir de définitions ou plus de précisions à ce stade. L’approche européenne de l’État de droit fait coexister une proclamation globale de termes non définis et des dispositions qui précisent leur sens et champ d’application.

Dans son rapport annuel sur l’État de droit en 2020, la Commission européenne donne définition très large de l’État de droit :

« L’état de droit (…) garantit que toutes les autorités publiques agissent toujours dans les limites fixées par la loi, conformément aux valeurs de la démocratie et aux droits fondamentaux, et sous le contrôle de juridictions indépendantes et impartiales. L’état de droit est une notion qui recouvre des principes tels que la légalité, qui suppose l’existence d’une procédure d’adoption des textes de loi transparente, responsable, démocratique et pluraliste ; la sécurité juridique ; l’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif ; une protection juridictionnelle effective assurée par des juridictions indépendantes et impartiales, un contrôle juridictionnel effectif y compris le respect des droits fondamentaux ; la séparation des pouvoirs et l’égalité devant la loi. »

Le règlement européen relatif à un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union de décembre 2020 fournit également une définition de l’État de droit dans son considérant n° 3 qui recoupe largement celle du rapport annuel sur l’État de droit.

La Cour de Justice de l’Union européenne a eu l’occasion de préciser que la valeur de l’État de droit a été « concrétisée » dans l’article 19 (1) TUE ([13]), qui confie aux juridictions nationales et à la CJUE la charge de garantir l’application du droit de l’Union sur le territoire des États membres. À ce titre, « les États membres établissent les voies de recours nécessaires pour assurer aux justiciables le respect de leur droit à une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union » ([14]).

L’article 2 TUE n’est donc pas le seul à déterminer le contenu de la notion d’État de droit. Il faut le lire comme étant complémentaire d’autres textes, en particulier le titre VI de la Charte des droits fondamentaux, qui prévoit un droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial, la présomption d’innocence, les droits de la défense, les principes de légalité et de proportionnalité des délits et des peines et le droit à ne pas être jugé ou puni pénalement deux fois pour une même infraction.

Enfin, il faut noter que le législateur européen a la faculté, sur la base des traités, de préciser le sens et le champ d’application de l’État de droit au cas par cas. À ce titre, l’article 3 TUE précise que l’Union « a pour but de promouvoir (…) ses valeurs » et l’article 13 TUE souligne que le cadre institutionnel européen doit viser « à promouvoir ses valeurs et l’article 21 (1) du TUE qui impose à l’UE une obligation de définir et mener des politiques communes et des actions et œuvre pour assurer un haut degré de coopération dans tous les domaines des relations internationales afin : a) de sauvegarder ses valeurs, ses intérêts fondamentaux, sa sécurité, son indépendance et son intégrité ; b) de consolider et de soutenir la démocratie, l'État de droit, les droits de l'homme et les principes du droit international (…) ».

Les multiples rapports rédigés sur ce sujet ([15]) ainsi que les auditions que vos rapporteurs ont pu mener conduisent à se fonder sur les critères suivants pour tenter d’évaluer la compatibilité des états d’urgence avec l’État de droit :

-         interdiction de l'utilisation arbitraire des pouvoirs exécutifs, c’est-à-dire le respect des procédures parlementaires de délibération, des mécanismes de responsabilité politique, de l’équilibre constitutionnel des pouvoirs et la responsabilité des gouvernements devant la loi qui est garantie par le contrôle judiciaire et le contrôle parlementaire ;

-         la légalité et le respect des principes liés au pouvoir juridictionnel (procès équitable, procédure contradictoire, délais de jugement…) ;

-         le respect des droits et libertés fondamentaux (liberté de la presse, protection des données personnelles, conciliation équilibrée la protection de la santé publique…) ;

-         la sécurité juridique.

 

L’État de droit dispose donc d’une définition substantielle, qui permet de déterminer le contenu concret des lois et réglementations à respecter. De manière plus synthétique, la Commission de Venise ([16]) et la Commission européenne ([17]) ont clairement énoncé les principes qui doivent être respectés dans le cadre de tout recours aux pouvoirs d’urgence : légalité, proportionnalité, nécessité, caractère temporaire et soumission à un contrôle parlementaire et judiciaire.

 

À ce titre, l’État de droit se trouve menacé dès lors que ([18]) :

 

-          la durée de ces mesures n’est pas définie en amont et que leur reconduction ne fait pas intervenir le pouvoir parlementaire ;

-          les décisions adoptées donnent lieu à un traitement différencié, non fondé sur des critères objectifs ;

-          l’autorité judiciaire n’est pas en mesure de contrôler, de façon indépendante et impartiale, le caractère nécessaire, adapté et proportionné des mesures adoptées à titre exceptionnel.

 

Au regard de ces critères, la Commission européenne considère, dans son rapport 2021 sur l’État de droit, que « les systèmes nationaux ont fait preuve d’une résilience considérable ». Des distinctions peuvent toutefois être faites entre les États membres, en fonction de leur situation juridique d’avant-crise.

2.   Un « auto-dessaisissement » parlementaire au profit des exécutifs nationaux

Un dessaisissement massif par voie d’ordonnance ou décret-loi

De nombreuses analyses ([19]) ont constaté que, face à l’urgence de la crise, les parlements de nombreux États membres ont été largement mis à l’écart, laissant les gouvernements libres de prendre l’initiative d’introduire rapidement des mesures d’urgence.

Au total, 22 États membres ont délégué aux pouvoirs exécutifs nationaux une partie de leurs prérogatives ([20]), notamment par le biais de lois d’habilitation. Une étude de la Fondation Schuman réalisée en mai 2020 ([21]) met ainsi en avant un phénomène d’« auto-dessaisissement des parlements au profit des organes exécutifs ». Ce phénomène ne semble pas corrélé au mode d’organisation politique des États membres, mais au contraire les concerner presque tous.

Sous cette apparente homogénéité, la Commission de Venise identifie en réalité trois situations différentes :

-         les parlements qui ont poursuivi leur travail en modifiant simplement certaines de leurs procédures mais en continuant à exercer leurs fonctions normales ([22]) ;

-         les parlements qui ont suspendu leurs activités ordinaires et se sont concentrés uniquement sur l’examen des activités liées à la pandémie ([23]). Dans certains pays ([24]), les parlements ont dû se tourner vers les commissions existantes ou ont créé une commission spéciale pour recevoir des informations de la part du gouvernement (comme en Belgique). Dans de nombreux pays, des décrets-lois ont été adoptés par les gouvernements sans la participation du parlement et, dans certains cas, ont été soumis au parlement pour approbation ultérieure. Certains gouvernements ont créé des structures parallèles au parlement sans toutefois l’exclure totalement ;

-           certains parlements ont totalement suspendu leurs activités en remettant presque tout le pouvoir au gouvernement (Chypre et République tchèque).

Selon le Parlement européen, la majorité des États s’est appuyée sur un arsenal de lois d’habilitation qui existaient avant la situation de crise sanitaire (pour 13 États membres ([25])) ou qu’ils ont adaptées (pour 8 États membres ([26])). 6 États membres ont dû adopter des actes législatifs spécifiques ([27]).

Cela a été le cas par exemple en Italie, avec le décret-loi n° 6 du 23 février 2020 relatif « aux mesures urgentes pour le confinement et la gestion de l’urgence épidémiologique de Covid-19 » ([28]), ou encore en Espagne, avec le décret royal n°463/2020 du 14 mars 2020 pour la gestion de la crise sanitaire ([29]), permettant de déclencher l’état d’alerte sur l’ensemble du territoire espagnol. Enfin, la France a adopté 62 ordonnances entre le 15 mars et le 30 juin 2020, dont 46 dans le premier mois qui a suivi la mise en place de l’état d’urgence ([30]). Trois d’entre elles ont été ratifiées par la loi n° 2021-195 du 23 février 2021 ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de l'article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19.

Au total, les exécutifs nationaux ont bénéficié de pouvoirs renforcés, alors que les parlements ont été dessaisis de leurs prérogatives normales, quels qu’aient été les formats des états d’urgence ou des législations pour faire face à la crise. Or, les parlements constituent une institution démocratique indispensable pour s’assurer en particulier de l’acceptabilité sociale des mesures prises, dans un contexte où « dans l’ensemble, la participation de la société civile à l’élaboration et la mise en œuvre des mesures relatives à la COVID-19 a été très limitée » ([31]).

Vos rapporteurs ont tenu à auditionner des parlementaires européens qui ont pu avoir une vision précise de l’action de l’Union européenne pendant la crise sanitaire, en particulier du point de vue de leur expérience parlementaire qui peut être inspirante pour les parlements nationaux. Les députés européens tendent à considérer que la crise sanitaire constitue un défi pour l’expérience parlementaire en Europe, en particulier en ce qui concerne le travail à distance. Les débats concernent donc la prolongation de cette expérience inédite de la vie parlementaire, en se demandant s’il faut continuer de permettre la participation et le vote à distance. Il s’agit d’une véritable interrogation sur l’avenir de la démocratie parlementaire.

Des exemples de préservation du pouvoir parlementaire en temps de crise

L’Allemagne constitue une exception, en ce qu’elle n’a pas déclenché d’état d’urgence, même si sa Loi fondamentale prévoit une « constitution d’urgence ». Les auteurs de la note de la Fondation Schuman indiquent toutefois qu’une « tendance à la centralisation des compétences » peut être observée, allant des Lander vers le Bund et du Bundestag vers l’exécutif, sous l’empire de la loi relative à la protection contre les infections (Infektionsschutzgesetz), modifiée le 25 mars 2020. Les dispositions du paragraphe 5 (2) de cette loi permettent au ministère fédéral de la Santé d’adopter « des dérogations aux dispositions de la présente loi par voie de décret sans l’accord du Bundesrat ».

L’Irlande constitue également un bon exemple d’État membre qui a laissé à son parlement un rôle central dans la prolongation ou la fin de la validité des mesures d’urgence. À ce titre, dans le cadre de la pandémie, les deux chambres ont notamment mis conjointement en place un « Special Committee on Covid-19 Response » qui a déposé son rapport final devant les chambres de l’Oireachtas le 8 octobre 2020 ([32]).

Aux Pays-Bas ([33]), bien que les dispositions de la loi permettent à l’exécutif de prendre seul toutes mesures d’urgence nécessaires à la lutte contre l’épidémie, le rôle du Parlement demeure central puisqu’il doit valider les règlements ministériels. Ainsi, ces règlements doivent être soumis aux deux chambres du Parlement dans les deux jours suivant leur adoption et ils ne peuvent entrer en vigueur qu’une semaine plus tard ([34]). En cas d’urgence, ces règlements peuvent entrer immédiatement en vigueur, mais ils doivent également être soumis aux deux chambres dans les deux jours de leur adoption et peuvent devenir caducs dans les mêmes circonstances. Enfin, les projets de décret permettant de prolonger la durée de validité de la loi sont également soumis au Parlement.

En Espagne, le Congrès des députés a accepté les propositions de la Gauche indépendantiste catalane et du Parti nationaliste basque, qui demandaient que le gouvernement comparaisse devant les parlementaires pour fournir des explications tous les deux mois sur les mesures envisagées et que le maintien de la situation d’exception soit examiné tous les quatre mois.

Enfin, en Autriche, la coalition au pouvoir dispose de la majorité à la chambre basse, ce qui a favorisé l’adoption de la plupart des mesures souhaitées par l’exécutif. Cependant, la coalition n’a pas la majorité à la chambre haute qui n’a pas hésité à faire usage de la possibilité qui lui est donnée de retarder de huit semaines une mesure proposée par le gouvernement ([35]). En janvier 2021, la chambre haute avait retardé l’entrée en vigueur d’une mesure permettant aux personnes testées de sortir du confinement, une semaine plus tôt que le reste de la population.

L’impact potentiel de la crise sur l’organisation et le travail des parlements nationaux

La crise a également été l’occasion de transformer en urgence les modalités de travail parlementaire dans la plupart des États membres ([36]), en particulier pour organiser le contrôle des exécutifs, alors que leur pouvoir législatif a été temporairement limité. Certains parlements ont dû modifier leurs règlements intérieurs pour continuer à assurer à distance le contrôle parlementaire et pour créer des instruments renforcés de contrôle. La Chambre des représentants en Belgique a ainsi créé une « commission permanente Covid-19 », dont la durée d’exercice et le périmètre n’ont pas été restreints.

La Lettonie fait figure de précurseur en ce qui concerne la bascule numérique des travaux parlementaires. En effet, la Saeima, parlement national letton, a été l’un des premiers parlements nationaux du monde à s’adapter à la Covid-19 en passant à un mode de fonctionnement en ligne, la première réunion numérique s’étant tenue le 24 mars 2020. Le Parlement continue de travailler dans un format « e-Saeima », ouvert au visionnage public. Depuis le début de la pandémie, la Saeima a validé toutes les décisions prises par le Conseil des Ministres, concernant à la fois la gestion de la crise sanitaire et les mesures restrictives. Seule exception, en avril 2021, la Saeima a voté à 90 % pour la réouverture des terrasses le 7 mai, contre l’avis du gouvernement qui avait annoncé attendre le 11 mai afin d’examiner la levée de restrictions. Le Premier ministre Kariņš a critiqué cette décision, déclarant que la Saeima vivait « dans son propre espace informationnel ».

À l’inverse, d’autres parlements, comme en Italie et en Allemagne, ont fait le choix de ne pas mettre en œuvre des dispositifs particuliers de contrôle parlementaire.

3.   Une limitation massive et nécessaire de la liberté de circulation, de rassemblement et d’association

L’examen des mesures prises dans l’Union permet de constater que l’ensemble des États membres a logiquement pris des mesures qui limitent la liberté de circulation au sein de leur territoire, en édictant des mesures de confinement et en interdisant l’accès à certains lieux et les déplacements non essentiels. Le site reopen ([37]) de la Commission européenne actualise régulièrement les restrictions qui sont applicables sur les territoires des États membres de l’Union.

Ainsi, neuf États membres dont la France ([38]) ont adopté des mesures de confinement strict lors de la première vague épidémique. D’autres ont fait de même lors de la deuxième ([39]). Pour le reste, la nature et l’intensité des restrictions ont été variables.

EXEMPLES DE MESURES DE RESTRICTIONS RELATIVES À LA LIBERTÉ DE CIRCULATION, DE RASSEMBLEMENT ET D’ASSOCIATION ([40])

En Allemagne, la loi du 18 novembre 2020 a prévu dix-sept mesures restrictives possibles, allant des règles prophylactiques (distanciation, masques) aux limites à la liberté de circulation, de réunion (manifestations culturelles, sportives et rassemblements cultuels notamment), d’activité économique (vente d’alcool, offres d’hébergement et de restauration), en passant par l’obligation de collecte de données de contact.

En Irlande, la loi sur la santé contient également une section autorisant la « détention et l'isolement de personnes dans certaines circonstances », selon laquelle un médecin peut ordonner l'isolement puis la détention d'un patient positif au test Covid-19 si cette personne n'est pas susceptible de respecter les ordres d'auto-isolement ou a précédemment refusé de le faire. Comme l'a noté l'Agence européenne des droits fondamentaux, ce chapitre a fait l'objet de vives critiques, notamment de la part du Conseil irlandais pour les libertés civiles.

En outre, l’introduction d’une quarantaine obligatoire de 12 jours dans des hôtels désignés par le gouvernement (aux frais des voyageurs et sous surveillance de l’armée), introduite en Irlande au printemps, a suscité des questionnements sur la proportionnalité de la mesure. Elle n’est cependant pas fortement décriée par la population et la presse tend à justifier la mesure par la protection contre les variants. En revanche, les communautés étrangères des pays touchés, dont la communauté française, ont souligné le caractère disproportionné de la mesure.

À l’inverse, en Autriche, il n’y a pas eu de majorité au Parlement pour limiter de manière aussi stricte qu’en France la liberté de sortir de chez soi et de circuler. Ainsi, même en période de confinement le plus strict, il a toujours été possible de sortir de chez soi « pour l’aération physique et mentale » sans attestation ni limite de temps ou de distance. Les rassemblements de groupes sont en revanche sanctionnés par de fortes amendes, étant précisé que les contrôles ne sont pas toujours très stricts ni fréquents.

De même, à Malte, il n’y a pas eu de limitation de la liberté de circulation en extérieur ni d’association. Les rassemblements ont été limités à deux personnes, à certaines périodes de circulation active du virus.

Le Parlement européen a relevé, dans sa résolution du 13 novembre 2020, que certains États membres, sans les nommer, avaient décidé d’autoriser les rassemblements dans le respect des règles de distanciation physique tandis que d’autres les ont totalement interdits. On peut relever que la Lettonie a demandé une dérogation à l’article 11 de la CESDH relatif à la liberté de réunion et d’association afin de limiter la propagation du virus ([41]).

Enfin, de nombreux États membres ont limité les rassemblements personnels, que ce soit sur la voie publique ou dans un cadre privé (par exemple, l’Espagne a limité les réunions privées à 6 personnes), sans que l’on puisse savoir précisément si ces restrictions aux libertés fondamentales s’inscrivent dans le cadre de l’état d’urgence stricto sensu ou si elles ont été adoptées sur la base de lois adoptées postérieurement ou en application des états d’urgence nationaux.

4.   Impact sur le respect de la vie privée : une tentative d’encadrement européen

De nombreuses mesures de surveillance et de suivi des contacts ont été proposées par les États membres pour faire face à l’épidémie (télésurveillance, surveillance par drone, reconnaissance faciale, géolocalisation et détection de proximité par téléphone portable).

Si ces outils peuvent faciliter la localisation des personnes infectées et la recherche de celles avec lesquelles elles ont été en contact, ou la mise en application des mesures de confinement et de quarantaine, ils peuvent également entraîner une surveillance de masse qui génère d’importantes quantités de données sur le comportement des individus. Cela est donc susceptible d’entraîner des préoccupations en matière de respect de la vie privée. Le contrôleur européen de la protection des données a, dès mars 2020, publié une déclaration sur le traitement des données personnelles dans le contexte de l’épidémie pour rappeler les grands principes généraux qui devaient guider l’action des gouvernements et des employeurs privés ([42]).

Certains États membres ont tenu à garantir une protection de ces données. C’est le cas notamment en Allemagne, où l’application de traçage reposait sur un modèle décentralisé, excluant le stockage des informations sur les serveurs centraux auquel l’État à accès. De la même manière, en Autriche, l’application officielle « Stop Corona », développée par la Croix rouge autrichienne, a été considérée par plusieurs experts comme un modèle dans la manière de gérer les données de ses utilisateurs ([43]).

Les craintes ont été particulièrement importantes en ce qui concerne la mise en place par les autorités polonaises de l’application Home quarantine qui exigeait la prise de « selfies » géo-localisés tout au long de la journée afin d’être en mesure de prouver son confinement, sous peine d’amende ([44]). Par ailleurs, le Comité européen de la protection des données s’est inquiété ([45]) du décret adopté le 4 mai 2020 par les autorités hongroises ([46]) qui a suspendu le délai d’un mois dont dispose les responsables de traitement pour répondre aux demandes d’information des personnes dont les données personnelles sont traitées.

Parallèlement, en Irlande, la Gardaí (force de police nationale) a eu le pouvoir, en vertu du « Health (Amendment) Act de 2020 », de se présenter à l'entrée de toute maison privée où elle pense qu’un rassemblement illégal a lieu et d’ordonner aux non-résidents de quitter les lieux ou aux personnes qui s’en approchent de ne pas y assister. Cette mesure a suscité un débat public, la Law Society of Ireland mettant en garde contre l'introduction de pouvoirs normalement réservés aux enquêtes sur les infractions pénales graves. Enfin, en Estonie, lors de la seconde vague de l’épidémie, la police a été habilitée à pénétrer au domicile de personnes n’ayant pas respecté l’interdiction de rassemblement. Cependant, aucune amende ne pouvait être infligée ([47]).

Pour répondre à ces préoccupations, la Commission européenne a proposé, dès avril 2020, une boîte à outils européenne ([48]). Celle-ci se fonderait sur une approche coordonnée concernant l’utilisation des applications mobiles dans le cadre de la lutte contre le Covid-19. La boîte à outils permet d’établir une approche coopérative commune concernant la modélisation et la prévision de l’évolution du virus au vu des données collectées au sein des États membres sans compromettre les règles européennes en matière de protection des données personnelles.

L’élaboration de cette boîte à outils a été guidée par le principe de protection de la vie privée en s’assurant de la proportionnalité des dispositifs et du bon usage des données collectées ainsi que des exigences en matière de cybersécurité. La mise en œuvre de ce cadre commun doit assurer un contrôle de la destruction des données collectées dans le cadre de la stratégie de sortie de crise. Cette approche européenne pour les applications mobiles a été complétée par des orientations de la Commission sur la protection de la vie privée et des données.

La première version de cette boîte à outils, rendue publique le 16 avril 2020 ([49]), définit les exigences pour des applications de tracing qui doivent se conformer à la réglementation en matière de protection des données et de la vie privée, qui seront interopérables dans toute l’Union, sûres et efficaces, et dont l’installation doit être volontaire et les données anonymisées.

Dans le même temps, la Commission européenne a publié ses orientations relatives aux applications soutenant la lutte contre la pandémie en ce qui concerne la protection des données ([50]). La Commission préconise plusieurs principes pour une utilisation fiable et responsable de ces applications :

-         les autorités sanitaires doivent être responsables du traitement des données ;

-         les utilisateurs doivent maîtriser leurs données, le traitement doit se fonder sur une base juridique nationale ou européenne, la minimisation des données doit être respectée, la divulgation et l’accessibilité des données doivent être limitées ;

-         le traitement des données doit répondre à des finalités précises, les durées de conservation doivent être strictement limitées, la sécurité et l’exactitude des données doivent être garanties et les autorités de protection des données sont associées au processus.

Dans un avis du 14 avril 2020, le Contrôleur européen de la protection des données, saisi par la Commission, s’est réjoui de cette initiative et de l’angle retenu, en indiquant sa préférence pour une interopérabilité des applications, la plus à même d’atteindre l’objectif de lutte contre la pandémie. En outre, les individus doivent être totalement libres d’installer ces applications ([51]). Il a par ailleurs publié le 21 avril 2020 des lignes directrices relatives à l’utilisation de données de localisation et d’outils de recherche de contacts dans le cadre de la pandémie de Covid-19 qui viennent préciser les conditions et les principes applicables à l’utilisation proportionnée des données de localisation et des outils de recherche de contacts pour les fins de lutte contre la pandémie et de recherche des cas contacts ([52]).

Enfin, le Comité et le Contrôleur européen de la protection des données ont rendu le 31 mars 2021 un avis conjoint ([53]) sur le projet de passeport vaccinal proposé par la Commission européenne. S’ils ne s’opposent pas à cet outil, ils insistent notamment pour que ce passeport repose sur une base juridique solide, soit nécessaire et équilibré en matière de respect de la vie privée, en rappelant leur hostilité à l’utilisation des données attachées à cet outil pour créer une base centralisée des informations des utilisateurs.

Ainsi, cette question du respect de la vie privée dans le cadre de la lutte contre l’épidémie apparaît comme l’un des seuls aspects pour lesquels l’ambition d’une véritable coordination européenne a existé.

5.   Justice et collectivités territoriales : des acteurs centraux pour répondre à la crise

Un impact limité de la crise sur le pouvoir judiciaire, resté un contrepouvoir majeur

Les restrictions imposées aux libertés de circulation et de réunion ont inévitablement pesé sur le travail des tribunaux dans tous les États membres, révélant leur « vulnérabilité face aux perturbations créées par une situation d’urgence » ([54]). Cela s’est traduit en particulier par des difficultés à faire respecter le droit des suspects, des victimes, à l’audition des témoins. Cette situation a aussi créé d’importants retards ([55]).

Les mesures prises au sein des États membres ont principalement consisté en une adaptation de la procédure pour prendre en compte le risque sanitaire. Cela s’est notamment traduit par un développement accru de la numérisation. Les États membres les moins avancés en matière de numérisation ont connu des difficultés accrues pour assurer la continuité du service public de la justice. C’est le cas en particulier en Pologne ([56]). A contrario, les États les plus avancés sur ce sujet, comme la Hongrie ou la Finlande, ont réussi à limiter ces difficultés ([57]). Plusieurs États membres, dont la France, la Belgique, le Danemark ou l’Espagne, ont accéléré, sous la pression de la pandémie, la transition numérique de leur justice ([58]).

Les États membres ont parfois priorisé les fonctions les plus importantes des juridictions ainsi que les affaires les plus urgentes et critiques. La Commission européenne pour l’efficacité de la justice a adopté, dès juin 2020, une déclaration sur les leçons et défis pour le système judiciaire pendant et après la pandémie de Covid-19 qui rappellent les grands principes qui doivent être préservés par les États membres dans une telle situation ([59]).

Les juridictions administratives et constitutionnelles ont pu jouer un rôle particulièrement important dans certains États membres, notamment en Allemagne où 3 703 décisions juridictionnelles en lien avec la crise sanitaire avaient été recensées début mai 2021 ([60]). De même, en Slovénie, le contre-pouvoir le plus actif a été la Cour constitutionnelle, qui a jugé près de 26 % de cas supplémentaires en 2020, souvent liés aux mesures contre la pandémie ([61]). La Cour a notamment déclaré inconstitutionnelle l’interdiction de voyager dans les pays classés sur liste rouge pour les résidents slovènes et à l’interdiction des rassemblements décidée en avril 2021.

Un impact parfois important de la crise sur les collectivités territoriales européennes

L’impact de la crise sanitaire sur le rôle des collectivités territoriales est difficile à évaluer. Dans sa recommandation 2179/2020 ([62]), l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) relève que la coopération, la coordination et l’échange d’informations et de bonnes pratiques entre les différents niveaux de gouvernement (national, régional et local) se sont révélés cruciaux pour l’efficacité et l’effectivité des réponses des États membres à la pandémie. L’APCE invite ainsi le Comité des Ministres à élaborer une recommandation contenant des lignes directrices sur la réponse et la gouvernance multiniveaux dans les situations d’urgence.

La situation est en réalité apparue très contrastée. La Hongrie s’est distinguée par une limitation drastique des prérogatives des collectivités territoriales. En effet, le gouvernement hongrois a pris, au titre de ses pouvoirs d’urgence, de nombreuses mesures, telles que la suppression du parking payant ou l’interdiction d’augmentation des impôts locaux. Ces initiatives ont pu contribuer à limiter la marge de manœuvre budgétaire des collectivités locales pour agir face à la pandémie.

En Allemagne, durant toute la durée de la crise, les décisions les plus importantes ont été prises par une majorité de Ministre-présidents aux sensibilités politiques et préoccupations différentes, en lien avec la situation sanitaire locale. Ainsi, tandis que le gouvernement fédéral souhaitait accélérer et durcir les mesures sanitaires, les Länder n’ont pas hésité à tempérer les projets de la Chancelière. Toutefois, la quatrième loi fédérale pour la protection de la population, entrée en vigueur le 23 avril 2021, vient remettre en question ce principe de fédéralisme. Le gouvernement fédéral, jugeant que l’hétérogénéité des mesures mises en œuvre par les Länder était insuffisante pour juguler la troisième vague épidémique, a fait voter le frein d’urgence fédéral qui rend caduques les mesures édictées par les Länder, dès que le taux d’incidence franchit le seuil critique de 100 dans un district pendant 3 jours consécutifs.

À l’inverse, en Estonie, le cadre légal de la « situation d’urgence » a permis d’octroyer plus de pouvoirs aux collectivités territoriales, sans pour autant restreindre l’action du Parlement ou de l’institution judiciaire ([63]).

6.   Une limitation de la liberté de la presse du fait de la crise : le travail crucial des journalistes face au risque de désinformation

Comme pour d’autres éléments constitutifs de l’État de droit, la crise du Covid-19 a été un révélateur des tendances dans certains pays et notamment celles à l’encontre de la liberté de la presse.

Les mesures liées à la pandémie ont rendu le travail des journalistes plus difficile, à un moment où leur rôle était primordial, notamment dans la lutte contre la propagation de la désinformation. Par exemple, ont été constatées des restrictions de l’accès physique aux conférences de presse, des réponses inadéquates ou inexistantes des pouvoirs publics ou encore la suppression ou le report des délais pour les demandes relevant de la liberté d’information et les demandes d’accès à des documents. Au total, en juillet 2021, l’Institut de presse international a dénombré 645 violations de la liberté de la presse liées au Covid ([64]).

COVID-19 : NOMBRE DE VIOLATIONS DE LA LIBERTÉ DE LA PRESSE PAR RÉGION (MARS 2020-JUILLET 2021)

Source : Institut de presse international

L’Institut de presse international analyse que l’Europe ([65]) se distingue par une forte proportion d’attaques physiques et verbales venant de particuliers, notamment la prise à partie de journalistes lors de manifestations contre les mesures gouvernementales adoptées dans le cadre de la crise sanitaire, comme à Bologne et à Berlin, en octobre 2020. Plus rarement, ce sont les autorités publiques qui sont mises en cause. Ainsi, en septembre 2020, deux journalistes du tabloïde « Fakt », le plus lu en Pologne, se sont vus refuser une accréditation pour l’avion présidentiel pour le voyage du président Duda en Italie, officiellement pour des raisons sanitaires limitant le nombre de places, mais plus vraisemblablement, en raison de critiques parues contre le gouvernement dans ce journal, peu de temps auparavant.

Le Conseil de l’Europe a relevé que, dans certains pays, il a été signalé que les autorités cherchaient à contrôler indûment les informations, en les utilisant comme des occasions pour faire des annonces, sans donner aux journalistes suffisamment de possibilités pour les remettre en question ou les mesures prises en réponse. Par exemple, en Hongrie et en Espagne, des journalistes se sont plaints du fait que les questions devaient être soumises à l’avance et qu’elles étaient présélectionnées par le gouvernement (la pratique a par la suite été abandonnée en Espagne) ([66]).

Le Conseil de l’Europe s’est également inquiété de la criminalisation de la désinformation, prévue notamment en Roumanie ([67]) et en Hongrie ([68]). Dans ce dernier État membre, le Code pénal a été modifié pour criminaliser pendant la durée de l’état d’urgence la diffusion de « faits faux ou déformés (...) susceptibles d’entraver ou de faire obstacle à l’efficacité des efforts de protection ».

D’autres États membres ont également pu susciter des inquiétudes, notamment l’Italie où le décret-loi « Cura Italia » du 17 mars 2020 précisait que les administrations publiques devaient suspendre temporairement (à défaut de personnel et en raison du risque de contamination) toutes les requêtes d’accès aux documents qui ne revêtaient pas un caractère d’extrême urgence. L’accès aux données semble, par conséquent, avoir été plus difficile pour l’ensemble des médias nationaux ([69]).

Enfin, le secteur des médias est également confronté aux défis que constituent la transformation numérique ainsi que le rôle de contrôleurs d'accès joué par les plateformes dans la diffusion d'informations en ligne. La pandémie de Covid-19 a accentué ces tendances. Elle a entraîné d'importantes pertes publicitaires, en particulier pour les médias de petite taille et d'envergure locale. Le secteur de la publication d'informations et la télévision ont ainsi vu leurs recettes publicitaires reculer, respectivement, de 30 % à 80 % et de 20 % au cours du confinement généralisé au deuxième trimestre 2020 ([70]).

Par ailleurs, en dehors des stricts états d’urgence sanitaires, des hauts responsables politiques et fonctionnaires ont mené une rhétorique anti-médiatique susceptible d’encourager la violence à l’égard des journalistes, notamment en Slovénie. Par exemple, le ministre de l’Intérieur slovène a déclaré que les journalistes qui couvraient les manifestations contre le confinement devaient être poursuivis car ils avaient eux-mêmes violé le confinement ([71]). Le Centre de gestion des crises slovène a par ailleurs retweeté la description d’un journaliste d’investigation comme étant « un patient psychiatrique qui a échappé à la quarantaine », ce qui a entraîné un intense harcèlement en ligne, des diffamations et des menaces de mort à l’encontre de ce dernier de la part de groupes d’extrême droite.

Ce même journaliste a indiqué qu’en pleine pandémie, le ministère de la Culture (en charge des médias) avait annoncé qu’il allait couper toute subvention aux médias de 30 % ([72]). Lors d’un échange organisé le 26 mars 2021 avec le groupe de suivi de la démocratie, de l’État de droit et des droits fondamentaux du Parlement européen, la rédactrice en chef de l’agence de presse slovène STA a témoigné des pressions subies par sa rédaction, régulièrement accusée par le pouvoir exécutif de mentir et de manipuler l’opinion publique. Par ailleurs, le gouvernement slovène n’aurait pas honoré ses obligations légales de financer l’agence, bien qu’il soit contraint de le faire par deux lois.

II.   Focus sur certains États membres

A.   Hongrie

Depuis 2010, la situation hongroise a attiré l’attention de la Commission Barroso et du Parlement européen. Plutôt que de mettre en œuvre l’article 7 TUE ou d’intenter des recours en manquement, la Commission a d’abord lancé en 2013 un tableau de bord de la justice dans l’UE et adopté en 2014 un « cadre pour l’État de droit » ([73]), informellement décrit parfois comme une procédure « pré-article 7 TUE ». Face à l’efficacité très limitée de ces outils, le mécanisme préventif de l’article 7 TUE fut donc activé en septembre 2018 par le Parlement européen.

Le gouvernement hongrois a déclaré l’état d’urgence sanitaire du 11 mars au 16 juin 2020 puis, à nouveau, le 12 novembre 2020, avant un renouvellement le 29 janvier 2021, le 22 février et le 20 avril jusqu’au 15e jour après l’ouverture de la session d’automne du Parlement (fin septembre 2021).

Le décret datant d’avril 2021 donne des précisions sur la limitation de cet état d’urgence déclaré jusqu’au quinzième jour après l’ouverture de la session d’automne du Parlement. Il précise que « la présente loi n'affecte pas le droit du gouvernement de mettre fin à la situation d'urgence avant le 15e jour suivant la première séance de la session parlementaire d'automne 2021. ».

Surtout, au printemps 2020, la Commission de Venise ([74]) avait relevé que seules la Hongrie et la Croatie n’avaient pas prescrit de délai pour leur état d’urgence. En Hongrie, le décret gouvernemental sur la déclaration d'un état de danger ne comportait pas de clause de temporisation indiquant quand il cessera d'être appliqué, ce qui signifie qu’il continuerait jusqu'à ce que la menace ayant causé son introduction ait cessé d'exister. Cela n’a pris fin qu'avec un nouveau décret gouvernemental, entré en vigueur le 18 juin 2020. Cependant, le gouvernement a déclaré le même jour un état de crise sanitaire qui a introduit un état de préparation épidémiologique sur l'ensemble du territoire hongrois.

Selon les informations reçues par la Commission de Venise, pendant l’« état de danger », le gouvernement hongrois a pu adopter des décrets imposant des mesures d'urgence qui n’entrent en vigueur que pour 15 jours, à moins que le gouvernement, sur la base d'une autorisation de l'Assemblée nationale, prolonge ces décrets ([75]). Bien que l'Assemblée nationale hongroise ne semble pas contrainte d'ajouter un délai à cette prorogation, selon les informations reçues par la Commission de Venise le 6 octobre 2020, l’Assemblée nationale a le pouvoir de révoquer l'autorisation accordée au gouvernement, soit de manière générale, soit de manière spécifique, à tout moment qu'elle juge approprié.

Plusieurs mesures ont également restreint la liberté d’action des médias, en particulier l’interdiction d’entrée dans les hôpitaux ou d’interview des personnels de santé ou la limitation des informations disponibles, avec un délai de réponse augmenté à 45 voire 90 jours, en cas de demandes d’informations d’intérêt public par les médias ou ONG.

En outre, dans le cadre de la lutte contre les fausses nouvelles, le paragraphe 337 du Code pénal est remplacé par la disposition suivante : « Quiconque déclare ou rapporte des faits erronés ou déformés, des faits avérés de manière à provoquer la confusion ou l’agitation d’un groupe important de personnes dans le cadre de l’état urgence, est puni pour cette infraction d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à trois ans. Celui qui, pendant l’état d’urgence, déclare ou rapport des faits erronés ou déforme ou des faits avérés d’une telle manière que cela empêche l’efficacité de la protection ou fait avorter la protection, est puni pour cette infraction d’une peine d’emprisonnement pouvant aller d’un à cinq ans. »

De nombreuses mesures ont été prises sans lien direct avec l’urgence sanitaire et alors que le droit de manifester était suspendu, que les ONG n’avaient pas la possibilité de rencontre les acteurs politiques et que l’attention publique était focalisée sur la crise sanitaire) : modification de la constitution, changement du modèle de gouvernance des universités, transferts massifs et irréversibles d’actifs étatiques vers des fondations privées.

De façon plus problématique pour les droits fondamentaux, on relèvera aussi :

-         le projet de loi interdisant la reconnaissance légale du genre transsexuel (présenté au Parlement, le lendemain du déclenchement de l’état d’urgence et adopté en mars 2020) ;

-         l’interdiction de l’adoption par les couples de même sexe (projet présenté le jour même de déclaration de l’état d’urgence) ;

-         l’exigence d’une éducation des enfants « avec une interprétation chrétienne des rôles des sexes ».

Une fréquence a aussi été retirée à la dernière radio indépendante hongroise de la bande hertzienne (« Klub Radio ») au motif qu’elle n’avait pas transmis, dans les délais, toutes les informations statistiques légales à l’équivalent hongrois du CSA.

B.   Pologne

La Pologne fait partie, avec la Hongrie, des États membres qui faisaient l’objet de procédures européennes en lien avec l’État de droit avant la pandémie. Le sujet portait en particulier sur le pouvoir judiciaire et de l’atteinte à son indépendance. À ce titre, le Parlement européen a adopté une résolution en 2017 incitant la Commission européenne à agir, à la suite de laquelle la Commission a activé l’article 7 du traité sur l’Union européenne, le 20 décembre 2017.

Plus précisément, la Cour de Justice a pu juger qu’un État violait le droit de l’Union et le principe de l’État de droit au regard de certaines dispositions comme celles de l’article 19 TUE ([76]). Ainsi, la Grande chambre de la CJUE juge que les règles polonaises relatives à l’âge du départ à la retraite des juges et des magistrats du parquet, adoptées en juillet 2017, sont contraires au droit de l’Union ([77]). En abaissant l’âge du départ à la retraite des juges des juridictions de droit commun, tout en conférant au ministre de la Justice le pouvoir de prolonger la période d’activité de ces juges, elle méconnaît l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, l’autonomie et l’impartialité des juges ([78]) et le principe d’inamovibilité qui est inhérent à l’indépendance judiciaire ([79]).

La Commission européenne a envoyé, le 3 décembre 2020, une nouvelle lettre de mise en demeure à la Pologne concernant le maintien du fonctionnement de la chambre disciplinaire de la Cour suprême, à laquelle l’État devra répondre durant le mois de décembre. La Commission considère que la Pologne viole le droit de l’Union en autorisant la chambre disciplinaire de la Cour suprême (dont l’indépendance et l’impartialité ne sont pas garanties) à statuer sur d’autres questions qui concernent directement les juges (levée de l’immunité des juges, droit du droit et de la sécurité sociale des juges, mise à retraite).

Pendant la pandémie, l’Union européenne n’a pas stoppé les poursuites commencées avant la crise. Ainsi, le 14 février 2020, alors que la Covid-19 commençait à se répandre en Europe, la Commission européenne a adressé à la Pologne une lettre de mise en demeure concernant la nouvelle loi du 20 décembre 2019 régissant le fonctionnement du système judiciaire, considérant que cette loi viole les principes de l'État de droit en ce qu'elle porte atteinte à l'indépendance des juges. Une autre lettre de mise en demeure a été adressée à la Pologne, le 2 juillet 2020, la Commission européenne constatant « la mise en œuvre de dispositions juridiques susceptibles de porter atteinte à l'indépendance de l'autorité réglementaire nationale polonaise, l'Office des communications électroniques, qui ont abouti à une révocation prématurée de son président ».

Le 13 mars 2020, le ministre de la Santé polonais a publié le premier décret concernant les restrictions liées au Covid-19. Une semaine plus tard, un nouveau décret a été introduit, élargissant les dispositions existantes et introduisant des exigences supplémentaires relatives à l'acquisition de propriétés et de terrains conformément aux plans de lutte contre la pandémie. L'interdiction totale des rassemblements publics a ensuite été décidée, ce qui a eu un impact important sur la tenue des élections présidentielles.

Le Premier ministre polonais a proclamé, par voie de décret, un « état épidémique », le 20 mars 2020. Ce cadre réglementaire trouve sa base légale dans une loi de 2008 sur la prévention et la lutte contre les maladies infectieuses. L’état épidémique ne fait pas l’objet d’un contrôle parlementaire, contrairement à l’état d’urgence qui ne peut être renouvelé qu’avec l’accord de la Diète.

L’opposition et de nombreux juristes ont reproché au gouvernement d’avoir refusé de recourir à l’état d’urgence ou à l’état de catastrophe naturelle, définis dans la Constitution. Ce refus a pu être expliqué par la tenue des élections présidentielles en Pologne en juin et juillet 2020 que le parti au pouvoir Droit et Justice (PiS) voulait maintenir, le président sortant Andrzej Duda étant alors favori. La proclamation d’un état d’urgence ou de l’état de catastrophe naturelle aurait entraîné un report de cette élection ([80]).

D’autres sujets ont posé question, tels que la surveillance par applications informatiques, obligatoire pour les personnes en quarantaine, ainsi que les sanctions pénales et administratives cumulables en cas de non-respect des obligations de quarantaine ([81]).

Des décisions controversées ont aussi été prises durant la pandémie. Ainsi, le Tribunal constitutionnel a prononcé l’inconstitutionnalité de l’avortement en cas de malformation grave du fœtus en octobre 2020. Après un report rendu nécessaire par la vague de protestations ainsi déclenchée, les autorités ont publié cette décision au Journal officiel, le 27 janvier 2021. De même, le 15 avril, le Tribunal constitutionnel a jugé inconstitutionnelle la prolongation du mandat du Défenseur des droits, après ses déclarations contre le gouvernement polonais, en matière d’État de droit. Enfin, un projet de taxe sur les revenus publicitaires, évoqué début février 2021, semblait avoir le même objectif de mise en difficulté des médias privés non affiliés au pouvoir. Il a provoqué un mouvement de protestation sans précédent dans ces médias : les radios et télés privées ont même suspendu leurs programmes pendant la journée du 10 février 2021. Le gouvernement a reporté sine die la finalisation des travaux relatifs à cette taxe.

Il faut toutefois noter qu’en Pologne, la Cour suprême a joué un certain rôle dans la protection de l’État de droit, notamment pour éviter un empiétement du pouvoir réglementaire sur le pouvoir législatif. Elle a ainsi invalidé plusieurs jugements relatifs à des infractions aux restrictions décidées par le gouvernement du fait de l’état d’épidémie, notamment en mars 2021, dans trois affaires relatives à des déplacements hors du domicile, pour des motifs autres que de stricte nécessité. La Cour a rappelé que ces restrictions auraient dû faire l’objet d’une loi, conformément à la Constitution et non d’un simple décret. La chambre pénale de la Cour constitutionnelle est encore majoritairement composée de juges dits « anciens », par opposition aux juges dits « nouveaux » c’est-à-dire nommés après les réformes du PiS.

C.   Malte ([82])

À Malte, « l’état d'urgence dans le contexte de la santé publique », en vertu de la loi sur les pouvoirs d'urgence (Emergency Powers Act), n'a pas été déclaré. Néanmoins, le Parlement a modifié cette loi afin de fournir une base juridique. Plus précisément, l'article 4 (1) de l'Emergency Powers Act a été modifié afin de prévoir la possibilité d'une déclaration d'urgence publique par le Président de Malte dans le contexte de la santé publique. Cette loi donne un pouvoir illimité au Président pour promulguer des règlements dans une situation d'urgence. Cependant, dans une telle situation, les règlements cessent d'être en vigueur après deux mois à partir de la date d'entrée en vigueur, sauf s'ils sont approuvés par une résolution de la Chambre des représentants.

Le travail parlementaire maltais s’est déroulé sans interruption pendant la pandémie. Le Parlement avait un ordre du jour chargé, notamment en raison des mesures qui ont été adoptées pour renforcer l'État de droit. En effet, durant la pandémie, Malte a entrepris des réformes importantes, en adoptant six projets de loi qui répondent aux recommandations de la Commission de Venise de 2018, et qui ont été approuvés par la Chambre des représentants le 29 juillet 2020 et publiés le 7 août 2021. D’autres réformes sont encore en cours, en particulier la nomination et la révocation des magistrats, le renforcement des institutions respectives, ainsi que les mesures de lutte contre la corruption.

Concernant le système judiciaire, Malte a fermé ses tribunaux et ses greffes le 16 mars 2020 mais a autorisé à entendre les affaires urgentes lorsque le tribunal juge que cela serait dans l'intérêt public. En outre, la loi du 2 avril 2020 confère au ministre de la Justice le pouvoir spécifique d'édicter des règlements relatifs à la suspension ou à l'interruption des délais légaux lorsque le « superintendant de la santé publique » émet une ordonnance de fermeture de certains locaux en vertu de la loi sur la santé publique, afin de protéger les droits des citoyens.

Ainsi, lorsque les greffes des tribunaux ont rouvert le 4 mai 2020 et que, le 5 juin 2020, l'ordonnance de fermeture des tribunaux de justice de 2020 a été abrogée, tous les délais légaux et judiciaires, y compris la prescription en matière civile et tout délai péremptoire, ont continué à courir. Afin de protéger les droits des parties, une courte période de suspension est entrée en vigueur le 5 juin 2020 :

-         une période de suspension de vingt jours des délais légaux et judiciaires pour les tribunaux, conseils, commissions, comités ou entités qui n’opèrent pas dans un bâtiment des Cours de justice ;

-         une période de suspension de sept jours des délais légaux et judiciaires relatifs aux tribunaux ou autres tribunaux, conseils, commissions, comités ou autres entités qui fonctionnent dans un bâtiment des Cours de justice.

Le Parlement a en outre accepté de modifier le code d’organisation et de procédure civile afin d'introduire la possibilité de tenir des séances de procédure civile par le biais d'une liaison de vidéoconférence en direct. Dans ces circonstances, les parties sont considérées comme étant présentes aux audiences du tribunal auxquelles la présente loi s'applique. Cette loi fournit la base juridique nécessaire aux magistrats et aux juges qui optent pour la tenue d'audiences virtuelles.

Concernant les pouvoirs législatifs, exécutif et judiciaire, l'état d'urgence n'ayant pas été déclaré, le statu quo a été maintenu autant que possible. Néanmoins, des mesures ont été prises pour renforcer les contrôles et les équilibres, indépendamment de la crise. Par exemple, les lois concernant l'élection et la destitution du Président de la République, ainsi que les réformes renforçant le rôle du Médiateur, d'autres lois sur la nomination d'un certain nombre d'organes indépendants, tels que le Gouverneur et le Sous-gouverneur de la Banque centrale, le président de la « Malta Financial Services Authority » et le Commissaire à l'information et à la protection des données, qui a été approuvé par la Chambre des représentants en mars 2021.

Pendant l'épidémie de COVID-19, le gouvernement a fourni une aide financière aux médias/à la presse, afin que les médias, notamment la télévision, la radio, les journaux et les portails d'information, puissent continuer à fonctionner. Cette mesure prévoyait des subventions mensuelles destinées à soutenir les bénéficiaires et à couvrir une partie des coûts opérationnels supplémentaires encourus en raison de l'épidémie de COVID-19.

La première période couverte allait du 1er mars 2020 au 30 juin 2020. Cette mesure a ensuite été étendue pour couvrir les coûts encourus pendant la période allant de septembre 2020 au 31 décembre 2020, puis à nouveau pour couvrir la période allant du 1er janvier 2021 au 31 mars 2021. Jusqu'en janvier 2021, cette aide financière s'est élevée à 1 201 000 €.

D.   Italie ([83])

En Italie, les dispositions propres à l’État de droit ont été modifiées temporairement par la mise en place de l’état d’urgence sanitaire, limitant des droits fondamentaux tels que la liberté de circulation, la liberté de réunion et de rassemblements ou la liberté de culte. Ces limitations et restrictions ont été encadrées par un premier texte, le décret-loi du 23 février 2020, actant que ces mesures ne devaient pas contrevenir à l’État de droit de droit mais s’inscrire dans une situation d’urgence et de nécessité.

Pour faire face à l’épidémie de Covid-19, l’Italie a, dans les décrets-lois successifs, mis en place des mesures limitant la circulation entre les régions de la Péninsule et les arrivées en provenance de l’étranger.

Concernant les rassemblements publics, le gouvernement italien a autorisé l’ouverture des cinémas et des théâtres depuis le 26 avril 2021 dans les régions « blanche » et « jaune ». La présence de public aux manifestations et compétitions sportives a été interdite dans ces mêmes régions jusqu’au 31 mai 2021. Les manifestations publiques ne sont autorisées que sous forme statique et à condition que, pendant leur déroulement, les distances sociales et autres mesures de retenue prescrites soient respectées.

Le ralentissement du fonctionnement de la justice, causé par les mesures de confinement et de sécurité sanitaire, a été encadré et amorti par le Conseil des Ministres. Ce dernier a approuvé le décret-loi n° 11/2020 prévoyant le report d'audiences et la suspension de mandats, des mesures organisationnelles des offices judiciaires et des audiences en vidéoconférence.

Dans le cadre de l'urgence sanitaire, le Ministre de la Santé italien a veillé à travailler en collaboration avec les collectivités territoriales. Ainsi, il a adopté des ordonnances partagées avec les différents présidents de région et a introduit, avec le décret-loi du 26 mars 2020, la nécessaire consultation des présidents de région pour les décrets du Président du Conseil des ministres.

En revanche, la possibilité de prendre des décisions autonomes concernant l'organisation et la fourniture de services de santé reste une prérogative des régions qui a été sauvegardée.

La gestion centralisée de l’épidémie en Italie a respecté les prérogatives des collectivités territoriales. En Italie, une intervention gouvernementale plus importante, de nature substitutive et temporaire, dans la gestion des services sanitaires régionaux, ne pourrait être qu’hypothétique, en vertu de l’article 120 de la Constitution italienne (uniquement face à l'inertie injustifiée, à l'incapacité manifeste et à l'inadéquation des structures sanitaires régionales à garantir les soins nécessaires à la population même en cas d'épidémie).

Les médias italiens ont continué à faire leur travail librement durant la pandémie. La transparence et fiabilité de l’information n’ont pas été mises à mal, ni la liberté de déplacement, d’enquête et d’expression des journalistes.

Le rapport 2020 de Reporters Sans Frontières sur la liberté de la presse dans le monde note toutefois qu’en Italie le décret-loi « Cura Italia » du 17 mars 2020 précisait que les administrations publiques devaient suspendre temporairement (par manque de personnel et en raison du danger de contamination) toutes les requêtes d’accès aux documents qui ne revêtaient pas un caractère d’extrême urgence. L’accès aux données semble, par conséquent, avoir été plus difficile pour l’ensemble des médias nationaux. Néanmoins il ne s’agit pas de mesures contrevenant à l’État de droit, étant donné que cette limitation temporaire a été inscrite dans le décret du 17 mars 2020. Elle a été justifiée par le principe de précaution.

Dans la gestion de la crise sanitaire, deux méthodes ont été utilisées en Italie pour légiférer sur les mesures restrictives : les décrets de la Présidence du Conseil des Ministres (Dpcm), qui ont prévalu sous le gouvernement Conte II et les décrets-lois, approuvés par le Parlement italien. En 2020, dans le gouvernement Conte II, ce sont les Décrets du Président du Conseil des Ministres qui ont prévalu pour affronter l’urgence de la crise sanitaire. Dans un tel contexte, le Parlement a pu apparaître comme moins puissant, se limitant à enregistrer les décisions du gouvernement et du Président du Conseil. Sous le gouvernement de Mario Draghi (depuis février 2021), les décrets-lois sont davantage de mise et le Président du Conseil veille à ne pas affaiblir le travail parlementaire.

Par ailleurs, depuis le début de l’épidémie en Italie, des mesures ont été prises pour que le travail parlementaire ne soit pas entravé par l’exigence de distanciation et de confinement. Le Parlement italien a adopté début mars 2020 des mesures préventives pour empêcher une épidémie chez les parlementaires : contrôle sanitaire et de température à chaque entrée, mise en place de téléconférences, limitation du nombre de parlementaires en séance, etc.

E.   Espagne ([84])

Le gouvernement espagnol a déclaré un premier état d’alerte du 15 mars au 21 juin 2020 puis, face à la recrudescence de la pandémie, un conseil des ministres extraordinaire s’est réuni le 25 octobre et a adopté un décret-loi instaurant un état d’alerte sur l’ensemble du territoire national, pour une durée de 15 jours, à compter du 25 octobre et jusqu’au 9 novembre 2020. Le renouvellement de cet état d’alerte pour une durée de six mois, jusqu’au 9 mai 2021, a été voté le 29 octobre par le Congrès des députés.

Le décret-loi instaurant un état d’alerte pour l’ensemble du territoire national établit une série de prescriptions minimales, d’application nationale, destinées pour partie d’entre elles à donner une base juridique à des mesures de restrictions de libertés déjà prises localement, ou envisagées :

-         un couvre-feu entre 23h00 et 06h00, afin de limiter la mobilité des personnes sauf exceptions pour motifs essentiels dûment justifiés. Les régions peuvent moduler l’application de cet horaire mais elles ne peuvent y déroger ;

-         un principe d’interdiction d’entrée et de sortie du territoire de chaque Communauté autonome, sauf déplacements essentiels dûment justifiés ; les Communautés autonomes peuvent décider de n’appliquer ce principe qu’à une partie de leur territoire (niveau infrarégional) ;

-         les regroupements « sociaux » limités à 6 personnes, dans les espaces publics comme privés ; les Communautés autonomes peuvent définir un plafond inférieur à 6 personnes, sur le fondement de critères épidémiologiques. Ces dispositions limitatives ne s’appliquent pas dans le cadre professionnel. Les manifestations sur la voie publique pourront être interdites ou limitées ;

-         la capacité d’accueil des lieux de culte définie par les autorités régionales.

F.   Roumanie ([85])

La Roumanie a déclenché « l’état d’urgence », le 16 mars 2020, puis l’a renouvelé le 15 avril pour un mois supplémentaire. L’état d’urgence est déclenché sur décision du Président, mais doit être confirmé par un vote du parlement sous 5 jours.

Depuis le 15 mai 2020, la Roumanie se trouve en « état d’alerte », un autre dispositif d’exception, en principe plus léger mais permettant, de fait, les mêmes restrictions des libertés publiques. L’état d’alerte a été instauré par une loi mais a été renouvelé ensuite chaque mois par le seul gouvernement, sans repasser devant le parlement.

Le statut de l’état d’alerte, initialement prévu par une ordonnance d’urgence de 2004, a été totalement réécrit dans la loi du 15 mai 2020, afin notamment de donner une meilleure base juridique pour les restrictions aux libertés.

Plusieurs limitations des libertés de circulation et de rassemblement ont été imposées pendant les états d’urgence et d’alerte : confinement national puis local, couvre-feu, restriction des regroupements dans l’espace public à 6 personnes sauf exceptions, interdiction des fêtes privées au domicile, etc.

Le parlement, les tribunaux et les collectivités territoriales ont continué à fonctionner dans le champ de leurs compétences pendant l’état d’urgence et l’état d’alerte (en dehors d’une brève fermeture des tribunaux pour les affaires non urgentes pendant l’état d’urgence, correspondant au confinement national). Cependant, ces régimes ont parallèlement permis à l’exécutif d’élargir ses propres compétences d’action : « ordonnances militaires » prises par le Premier ministre dans le champ de la loi pendant l’état d’urgence, polices locales subordonnées au ministère de l’Intérieur, prise de contrôle temporaire des hôpitaux départementaux par le ministère de la Santé, etc.

Enfin, en vertu d’une disposition spéciale, quelques sites Internet (à l’audience confidentielle) ont été mis hors ligne au début de la pandémie pour avoir partagé de fausses nouvelles. Un conflit a par ailleurs opposé le gouvernement au parlement (à l’époque dominé par l’opposition), le second contestant au premier le droit de reconduire l’état d’alerte sans autorisation parlementaire.

La Cour constitutionnelle n’a pas été très active mais a ponctuellement agi pour défendre le rôle du parlement. Elle a notamment cassé les dispositions mises en place par le gouvernement sur l’isolement des malades, estimant que seule une loi pouvait imposer de telles limites à la liberté de circulation. Cette décision lui a valu des attaques de la part du Président et du Premier ministre, qui l’ont accusée d’avoir pris une décision politique (la plupart des membres de la Cour ayant été nommés par l’opposition) et d’avoir nui à la santé publique en relâchant « dans la nature » des malades contagieux.

L’Avocate du peuple (équivalente du Défenseur des droits) a joué un rôle de préservation des libertés publiques en saisissant la Cour constitutionnelle sur les législations (antérieures à la crise) fixant les pouvoirs présidentiels sous état d’urgence et régissant l’isolement des malades. Comme la Cour constitutionnelle, elle a cependant été accusée d’avoir agi de façon politicienne en raison de son appartenance à un parti d’opposition.

Les régimes roumains d’état d’urgence et d’état d’alerte permettent des restrictions importantes des libertés par le gouvernement, avec peu de place pour le contrôle parlementaire. Cela avait d’ailleurs poussé la Roumanie à suspendre temporairement l’application de la Convention européenne des droits de l’Homme au printemps 2020.

G.   Pays-Bas ([86])

Depuis le début de la crise, la question s’est posée du recours à la déclaration de l’état d’urgence pour apporter des solutions à cette situation hors normes, mais cette option n’a jusqu’alors pas été retenue.

En effet, l’état d’urgence constitue une solution ultime, dont le législateur a voulu limiter au maximum l’application. Alors que dans d’autres pays d’Europe, la déclaration de l'état d'urgence a été l'une des premières mesures prises, aux Pays-Bas, il s’agira de l'une des dernières mises en œuvre. Ainsi, même un confinement total ou un couvre-feu sont possibles aux Pays-Bas sans qu'un état d’urgence ne soit déclaré.

Ce sont d’abord les présidents des 25 régions qui ont été chargés, par voie d’ordonnances d’urgence, de décliner localement les mesures décidées par le gouvernement, sur le fondement de la loi sur la santé publique, de la loi sur les régions de sécurité et de la loi sur les municipalités.

Cependant, ces dispositions n’ayant vocation à être mises en œuvre que pendant une période limitée (et pouvant porter atteinte à des droits fondamentaux reconnus par la Constitution), une loi établissant des dispositions temporaires relatives aux mesures de lutte contre l'épidémie de Covid-19 à plus long terme (dite « loi provisoire sur les mesures Covid-19 ») est entrée en vigueur le 1er décembre 2020, pour une durée de trois mois. Elle est susceptible d’être renouvelée par périodes de trois mois, après un débat au Parlement. Le gouvernement doit rendre compte des mesures en vigueur et le Conseil d’État doit être consulté tous les trois mois. Si la loi n’est plus nécessaire, elle peut être retirée avant l’échéance normalement prévue.

Cette loi a pour but d’apporter une base juridique plus solide aux mesures prises jusqu’alors sur le seul fondement des ordonnances d’urgence. Elle octroie à l’exécutif la possibilité de prendre en urgence un certain nombre de mesures visant à lutter contre l’épidémie de Covid-19 (et portant potentiellement atteinte aux droits fondamentaux), mais ces pouvoirs sont encadrés et contrôlés par le Parlement, qui conserve un rôle important puisqu’il doit valider les règlements ministériels à bref délai. Les mesures de lutte contre l’épidémie sur le long terme prises par règlements ministériels doivent être nécessaires au regard de la gravité de la menace pour la santé publique, leurs effets doivent être proportionnés à l’objectif de lutte contre l’épidémie, et l’atteinte portée aux droits fondamentaux limitée au maximum.

Bien que les dispositions de la loi permettent à l’exécutif de prendre seul toutes mesures d’urgence nécessaires à la lutte contre l’épidémie, le rôle du Parlement est resté central puisqu’il doit valider les règlements ministériels. Ainsi, ces règlements doivent être soumis aux deux chambres du Parlement dans les deux jours suivant leur adoption et ils ne peuvent entrer en vigueur qu’une semaine après, sauf à avoir été rejetés par la chambre basse. En cas d’urgence, ces règlements peuvent entrer immédiatement en vigueur afin de limiter les risques, mais ils doivent également être soumis aux deux chambres dans les deux jours de leur adoption, et peuvent devenir caduc dans les mêmes circonstances. Le Parlement s’assure que les mesures prises sont nécessaires au regard de la gravité de la menace pour la santé publique, que leurs effets sont proportionnés à l’objectif de lutte contre l’épidémie, et que l’atteinte portée aux droits fondamentaux est limitée au maximum. Par ailleurs, les projets de décret visant à prolonger la durée de validité de la loi sont eux aussi soumis au Parlement.

H.   Suède ([87])

La Constitution suédoise interdit toute restriction à la liberté de circulation. La Suède étant peu habituée aux situations d’urgence depuis deux siècles, sa législation est dépourvue de tout dispositif d’exception pérenne en cas de crise civile. Il n’y a donc pas de mécanisme spécifique donnant un pouvoir extraordinaire au gouvernement dans de telles circonstances.

Ainsi, une législation spécifique est nécessaire pour restreindre la liberté de circulation (sur le territoire national ou hors de ses frontières). Ces restrictions doivent être fondées sur des motifs valables et proportionnées au but recherché.

À cet égard, une « loi sur la protection contre les maladies infectieuses » permettait déjà (avant le déclenchement de la crise sanitaire) au Riksdag de déléguer au gouvernement la possibilité d’adopter des règlements nécessaires pour la protection des individus face à ces maladies mais ces dispositions ont été considérées comme insuffisantes pour faire face à la pandémie.

La solution choisie a été double : d’une part, élargir le champ d’application de la loi existante pour qu’elle s’applique à la pandémie et, d’autre part, élargir temporairement la délégation de pouvoir du Riksdag au gouvernement sur la base d’une loi spécifique. Une première loi de ce type a été adoptée unanimement par le Riksdag le 19 mars 2020 mais elle a expiré fin juin 2020 sans avoir jamais été mise en œuvre.

Une nouvelle loi temporaire a été adoptée, le 8 janvier 2021, par le Riksdag (entrée en vigueur le 10 janvier) : c’est une loi de délégation temporaire de certaines compétences du Riksdag au gouvernement. Le Riksdag délègue au gouvernement, jusqu’au 30 septembre 2021, la capacité de mettre en œuvre des restrictions à l’accès à certains lieux ou de prendre des mesures de lutte contre la pandémie. Le gouvernement peut également désigner une autorité en charge de l’édiction de ces restrictions (région, municipalité). Cette loi contient des dispositions sur les rassemblements publics, activités culturelles et de loisir, lieux de commerce, les transports ou les lieux ouverts comme les plages et les parcs.

Plusieurs mécanismes de contrôle ont été fixés : délégation limitée dans le temps (validité des mesures prises limitée jusqu’à la fin septembre), aucune de ces mesures en peut restreindre un droit fondamental (pas d’intervention physique forcée, ni de restriction à la liberté de circulation comme un couvre-feu), ces mesures doivent, d’après la loi, être « adéquates, nécessaires et proportionnelles ».

I.   France

La France a mis en œuvre un régime de l’état d’urgence sanitaire issu des lois n° 2020-290 du 23 mars 2020 et n° 2020-365 du 30 mars 2020, plutôt que de recourir au régime d’état d’urgence issu de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955. Le Conseil constitutionnel et la Commission nationale consultative des droits de l’Homme n’ont pas été saisis de la loi du 23 mars 2020 n’en ont pas été saisis.

Par cette nouvelle modalité d’état d’urgence, le gouvernement a été en mesure, pour une durée limitée, de prendre par décret des mesures limitant la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre et la liberté de réunion, des mesures de réquisition de tous biens et services nécessaires pour mettre fin à la catastrophe sanitaire, ainsi que des mesures temporaires de contrôle des prix.

En France, les modalités de contrôle parlementaire ont été proches de celles qui auraient eu cours si l’état d’urgence « classique » issu de la loi de 1955 avait été utilisé ([88]). L’article 2 de la loi du 23 mars 2020 prévoit un dispositif de contrôle parlementaire et la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale a mis en place le 17 mars 2020 une mission d’information sur l’impact, la gestion et les conséquences de l’épidémie. Cette mission d’information a ensuite été dotée des prérogatives d’une commission d’enquête. Au Sénat, la commission des Lois a constitué, dès le 25 mars, une mission pluraliste de suivi, composée de onze sénateurs représentant l’ensemble des groupes.

Malgré la proximité avec le contrôle parlementaire sous l’empire de la loi de 1955, certains analystes ont constaté un « recul par rapport à ce que prévoit la loi de 1955 et cela à un double niveau : celui de l’intervention du Parlement pour proroger l’état d’urgence sanitaire, et celui du contrôle parlementaire des mesures prises en période d’état d’urgence sanitaire. » ([89]) En effet, « l’intervention du parlement est très mince par rapport à ce qui était prévu dans l’état d’urgence de 1955 », selon Dominique Rousseau ([90]). En effet, la loi de 1955 prévoit que parlement doit autoriser la prolongation de l’état d’urgence au-delà de 12 jours, alors que cette durée est portée à un mois dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. En outre, « les mesures d’urgence économique et d’adaptation prévues au titre II de la loi échappent à cet état d’urgence stricto sensu et, donc, à l’obligation d’information des assemblées. » ([91])

*

En conclusion, dans le contexte de la crise sanitaire, il est bien entendu plus difficile de maintenir un haut degré de conformité avec chacun des critères de l’État de droit. Cependant, il est observé au niveau mondial que les États qui ont maintenu une politique et un processus législatif respectueux des principes de l’État de droit ont réussi à mieux gérer l’urgence sanitaire avec des taux de mortalité et d'infection plus faibles, mais aussi à maintenir des niveaux élevés de confiance du public dans le gouvernement (par exemple la Corée du Sud, Hong Kong, la Nouvelle-Zélande, et Taiwan) ([92]). Les principes de l'État de droit peuvent guider la réponse la plus efficace à la crise sanitaire ([93]).

Face à ces difficultés, certains États membres comme la Finlande, l’Italie, la Suède ou la Hongrie ont entrepris des « réflexions relatives à des modifications (de la Constitution), afin d’être mieux préparés à des crises futures » ([94]). Les institutions européennes ont toutefois un rôle majeur pour initier, coordonner ou mettre en œuvre des réformes pour garantir l’État de droit dans les contextes de crises.

   Seconde Partie. Des réponses encore perfectibles pour assurer un respect de l’État de droit en période de crise

La crise sanitaire a accentué des tendances déjà à l’œuvre de fragilisation de l’État de droit au sein de l’Union européenne dans certains États membres. Pour y faire face, les institutions disposaient déjà d’outils anciens mais qui se sont révélés peu opérants, comme l’article 7 du traité sur l’Union européenne. La crise a toutefois constitué une occasion de tester un outil nouvellement créé, le rapport annuel sur l’État de droit, et de créer un mécanisme de conditionnalité des fonds. Ces nouveaux outils, dont l’articulation reste floue, demandent à être rapidement rendus concrets.

I.   Un suivi régulier mais encore trop faible de la situation de l’état de droit pendant la crise sanitaire par les institutions européennes

Le suivi de la situation de l’État de droit pendant la crise sanitaire par les institutions européennes n’a pas été inexistant mais est resté très superficiel. Le 31 mars 2020, la présidente de la Commission européenne a annoncé la mise en place d’un dispositif de suivi de la mise en œuvre des mesures d’urgence dans tous les États membres ([95]) en réponse à l’adoption, la veille, par le parlement hongrois de la loi qui habilite le gouvernement à légiférer par décret sans durée préétablie.

Le 2 avril 2020, dix-neuf États membres, dont la France et la Hongrie, ont adopté une déclaration soutenant l’initiative de la Commission européenne en appelant le Conseil à se saisir du sujet le moment venu ([96]). Les ministres de la Justice ont par ailleurs échangé lors des réunions informelles des 6 avril, 4 juin et 6 juillet 2020 sur les mesures prises pour répondre à la crise ainsi que les moyens à mettre en œuvre pour assurer le respect de l’État de droit et les droits fondamentaux au sein de l’Union.

Dans une résolution du 17 avril 2020 ([97]), le Parlement européen a rappelé que la Charte des droits fondamentaux et l’État de droit devaient continuer à s’appliquer. Il a affirmé par ailleurs que les mesures adoptées au niveau national ou européen doivent être conformes à l’État de droit, strictement proportionnées aux exigences de la situation, clairement liées à la crise sanitaire en cours, limitées dans le temps et soumises à un examen régulier. Il a jugé complètement incompatibles avec les valeurs européennes la décision du gouvernement hongrois de prolonger indéfiniment l’état d’urgence, de légiférer par décret sans limitation de ce pouvoir dans le temps. Il a également critiqué les mesures prises par le gouvernement polonais qui visaient à modifier le code électoral, malgré l’arrêt rendu par le Tribunal constitutionnel et les dispositions législatives nationales en vigueur, pour organiser des élections présidentielles en pleine pandémie, finalement repoussées. Par lettre datée du 1er juillet 2020, le Président du Parlement européen a demandé un rapport de la Commission de Venise sur les mesures prises par les États membres à la suite de la crise de la Covid-19 et leurs impacts sur la démocratie, l’État de droit et les droits fondamentaux.

Le 13 novembre 2020 ([98]), le Parlement européen a adopté une nouvelle résolution, consacrée à l’incidence des mesures relatives à la pandémie sur les droits fondamentaux, en rappelant qu’ils doivent prévaloir et que les mesures d’urgence, les dérogations et les limitations sont soumises aux conditions de nécessité, de proportionnalité au sens strict et de caractère temporaire, telles qu’appliquées et interprétées par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, la Cour de Justice de l’Union européenne et les Cours constitutionnelles.

Enfin, la médiatrice européenne a ouvert le 27 juillet 2020 une enquête ([99]) sur la gestion de la crise sanitaire par les institutions de l’Union. En ce qui concerne le Conseil, elle portait notamment sur le fonctionnement des groupes de travail et les règles de transparence appliquées au processus de prise de décision entourant les réunions organisées par visioconférence. Toutefois, l’enquête opérée afin de prévenir les cas de mauvaise administration pendant la crise sanitaire ne portait pas directement sur des risques de violation de l’État de droit.

Les institutions européennes ne sont pas restées sans agir, mais se sont plutôt contentées de rappeler des principes, sans encadrement contraignant ni directives précises en ce qui concerne les états d’urgence sanitaires. Or, leur action aurait pu être précieuse pour aider à valoriser le travail et le potentiel des institutions nationales de médiation et de droits de l’Homme, dont la position doit être renforcée selon l’Agence européenne des droits fondamentaux ([100]).

In fine, c’est principalement le Conseil de l’Europe qui a œuvré directement pour la préservation des principes de l’État de droit pendant la pandémie, en publiant notamment une boîte à outils à l’intention de l’ensemble des gouvernements européens sur le respect des droits de l’Homme, de la démocratie et de l’État de droit pendant la crise. Celle-ci a été conçue pour aider les État membres à garantir que les mesures qu’ils prennent pendant la crise restent proportionnées à la menace constituée par la propagation du virus et qu’elles soient limitées dans le temps.

Organe consultatif du Conseil de l’Europe, la Commission de Venise a été spécifiquement mobilisée par le Président du Parlement européen pour établir un rapport intérimaire sur les mesures prises dans l'État membre de l'UE à la suite de la crise du Covid-19 et leur impact sur la démocratie, l'état de droit et les droits fondamentaux, en octobre 2020, qui sera suivi d’un rapport final. Ce travail a été complété par le recensement mené par l’Observatoire des situations d’urgence dans les États membres de la Commission de Venise.

II.   Une opérationnalité hétÉROGÈne des différents outils existants

A.   Articles 2 et 7 TUE : une réponse traditionnelle rendue inopérante par la crise sanitaire

1.   Des articles cruciaux mais peu opérants pour garantir l’État de droit

L’article 2 TUE, qui expose les valeurs fondatrices de l’Union, n’a pas vocation à s’appliquer de façon isolée. Il est une référence à l’aune de laquelle la validité d’autres dispositions de droit de l’Union est appréciée ou interprétée. De façon plus spécifique, le respect des valeurs qui y sont énumérées constitue une condition d’adhésion à l’Union (art. 49 TUE) et leur violation peut entraîner le déclenchement de la procédure de l’article 7 TUE.

D’après les auditions menées par vos rapporteurs, l’absence de précision de cet article n’est pas forcément à l’origine des difficultés rencontrées par la Commission, le Conseil, le Parlement européen ou les États membres à faire respecter l’État de droit.

La CJUE a pu se prononcer sur l’importance que revêt cet article dans l’architecture des traités. Ainsi, dans l’arrêt rendu le 17 décembre 2020 ([101]), la Grande chambre rappelle que « l’exigence d’indépendance des juges relève du contenu essentiel du droit fondamental à un procès équitable, lequel revêt une importance cardinale en tant que garant de la protection de l’ensemble des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union et de la préservation des valeurs communes aux États membres énoncées à l’article 2 TUE, notamment de la valeur de l’État de droit ».

L’article 7 TUE donne lieu à un suivi spécifique des États membres qui en font l’objet, en raison des points de situation et auditions organisés au niveau du Conseil Affaires générales. Depuis le déclenchement de la procédure la concernant, le 20 décembre 2017, la Pologne a ainsi fait l’objet de 4 auditions ([102]) et de 8 points de situation ([103]). Concernée par cette procédure depuis le 12 septembre 2018, la Hongrie a fait l’objet de 3 auditions ([104]) et de 6 points de situation ([105]).

2.   Des articles rendus encore plus difficiles à appliquer du fait de la crise sanitaire et dont la mise en œuvre est critiquée

Dans le cadre de la crise sanitaire, la Cour a, par une ordonnance du 10 décembre 2020, rejeté comme manifestement irrecevable un renvoi préjudiciel ([106]) introduit par le juge de paix de Lanciano (Italie) par une décision du 18 mai 2020, portant sur l’interprétation de l’article 2 TUE dans le contexte de l’état d’urgence sanitaire national déclaré en Italie. Était particulièrement mise en avant l’influence sur la continuité de l’activité judiciaire du report des audiences à la suite de la déclaration de l’état d’urgence sanitaire national. Néanmoins, la Cour a considéré que le renvoi manquait des précisions suffisantes concernant le contexte factuel et réglementaire du litige au principal ainsi que les raisons justifiant la nécessité d’une réponse à la question préjudicielle.

Le mécanisme de l’article 7 TUE, mobilisé en réponse aux violations systémiques de l’État de droit dans certains États membres, suscite des critiques en raison notamment de son caractère politique (du fait de l’implication du Conseil), et des modalités de votes applicables. Ces critiques sont le corollaire des grandes attentes que son déclenchement, au caractère inédit, a pu susciter et ont déjà été recensées dans le précédent rapport de la commission des Affaires européennes de l’Assemblée nationale sur l’État de droit ([107]). Les mécanismes de prévention et de sanction de l’article 7 TUE requièrent un consensus élevé, voire l’unanimité des États membres à certaines étapes de la procédure, même si l’État membre concerné est exclu du vote au sein du Conseil et du Conseil européen. Outre ces règles de majorité strictes, la procédure de l’article 7 n’est pas encadrée dans un calendrier contraignant.

Les États membres décident donc in fine si des sanctions doivent être prises à l’encontre de l’État membre concerné. Aussi, le déclenchement de l’article 7 repose sur un processus politiquement délicat à initier et mettre en œuvre.

En outre, la méthodologie des « dialogues spécifiques pays » peut encore être discutée. Dans le cadre des deux derniers exercices, chaque État membre passé en revue était susceptible d’aborder rapidement l’ensemble des dimensions de l’État de droit, ce qui permettait de mettre en perspective plusieurs aspects, dont l’importance et l’actualité relatives varient d’un État à l’autre. Cependant, une approche plus ciblée, sur deux ou trois thématiques, favorisait possiblement des partages d’expérience plus concrets. Il s’agit là d’une piste de réflexion ouverte – la méthodologie de ces dialogues n’étant, pour l’heure, inscrite dans aucun texte.

À l’inverse, la Cour de Justice dispose d’outils juridictionnels permettant d’exercer une contrainte sur les États membres qu’il s’agisse de constater l’existence d’une violation par un État membre de ses obligations et de lui enjoindre d’y remédier, ou d’ordonner des mesures provisoires afin de faire cesser la violation, voire de prononcer des sanctions pécuniaires en cas de « manquement sur manquement ».

En tout état de cause, il appartient à la Commission européenne de veiller à la bonne application du droit de l’Union par les États membres et de saisir, le cas échéant, la Cour de Justice à cet égard.

B.   Le « semestre de l’État de droit » : une réponse dont l’efficacité reste à démontrer

Le rapport annuel de la Commission européenne sur l’État de droit ([108]), publié depuis 2020, constitue l’élément clé de son nouveau mécanisme européen pour l’État de droit qui vise à créer un dispositif préventif de détection anticipée des défaillances de l’État de droit dans les États membres ([109]). Ce rapport résume des développements intervenus au cours des douze mois précédents en relation avec pour l’instant quatre thèmes : le système de justice, le cadre de lutte contre la corruption, le pluralisme des médias et les autres pouvoirs et contre-pouvoirs institutionnels

Le rapport fait la synthèse des évolutions positives et négatives observées dans tous les États membres sur la base de sources fiables, sans pour autant en tirer des conclusions ou des recommandations. Le suivi de ce rapport est ensuite assuré par les institutions et les États membres et pourrait donner lieu à des conclusions du Conseil et à une résolution du Parlement européen.

Ce nouvel outil comporte plusieurs avancées importantes pour l’État de droit. Il permet d’abord de faire vivre le dialogue entre les institutions européennes et les États membres sur cette thématique, par la visite que fait la Commission européenne dans chaque État et les questions envoyées pour nourrir le rapport. Ensuite, avec pour ambition de faire du « name & shame », ce rapport s’inscrit dans une logique purement préventive.

L’exercice lié à la rédaction de ce rapport conduit chaque État membre à mener une analyse approfondie de sa situation en matière d’État de droit, à l’occasion des « dialogues » par pays mais aussi, sur une base annuelle, par la voie des questionnaires et visites de la Commission destinées à actualiser son rapport. En outre, par sa médiatisation ([110]), le rapport participe à une sensibilisation sur cette valeur fondamentale et les conditions de son respect. Enfin, ce rapport fournit à la Commission européenne des données actualisées, de sources différentes, sur les situations nationales d’État de droit, qui peuvent lui être utiles en cas d’actions judiciaires ou correctives.

Malgré ces avancées importantes, des améliorations substantielles doivent y être apportées, en particulier concernant le fait que le rapport reste très descriptif et parfois vague (« le gouvernement annonce », « le gouvernement envisage » ou « le gouvernement a exprimé sa détermination à »). En outre, le rapport 2020 ne contient aucune recommandation, même non contraignante. La première édition du rapport sur l’État de droit a par ailleurs été critiquée pour son « style diplomatique et un vocabulaire euphémistique (…) ; un manque de cohérence transversale entre les différentes analyses offertes en relation avec les quatre thèmes sélectionnés ; enfin, (…) des omissions coupables » ([111]).

Le rapport 2021 sur l’état de droit n’améliore pas sensiblement l’exercice sur ce sujet. Il fait un point synthétique sur l’impact de la pandémie, mais reste également très vague et ni tire aucune conséquence globale de cet événement majeur. Le rapport indique ainsi que « de nombreuses évolutions et exemples positifs peuvent être mis à profit pour améliorer la réponse juridique et politique en temps de crise, de manière à renforcer l’état de droit et la résilience démocratique » ou encore que « l’expérience a permis de sensibiliser davantage à l’importance de l’état de droit et à la manière dont les pouvoirs publics agissent en temps de crise ». ([112])

Plusieurs propositions peuvent donc être formulées, en plus de celles déjà énoncées par le Parlement européen ([113]), pour continuer à améliorer ce nouvel outil que constitue le rapport annuel sur la situation de l’État de droit.

Lors de son discours sur l’État de l’Union le 15 septembre 2021, la Présidente de la Commission européenne a annoncé que le rapport annuel sur l’État de droit pour 2022 « comprendra en outre des recommandations concrètes » sur la manière d'améliorer la situation. Il s’agira là d’une avancée importante qu’il importera de contrôler.

Proposition 1. S’assurer que les prochains rapports annuels sur l’État de droit contiennent des recommandations précises et qu’un suivi de ces recommandations est assuré d’une année sur l’autre.

Au sein du Conseil, les ministres ont conduit pour la première fois au Conseil Affaires générales du 17 novembre 2020 un examen par les pairs de la situation de cinq États membres (Belgique, Bulgarie, République tchèque, Danemark et Estonie), en s’appuyant sur les chapitres-pays du rapport annuel de la Commission. Cet examen par les pairs s’est poursuivi lors du Conseil Affaires générales du 20 avril 2021 lors duquel la situation en France, en Allemagne, en Grèce, en Espagne et en Irlande a été examinée. À l’issue de l’examen de l’ensemble des États membres, le Conseil pourrait adopter des conclusions générales sur cet exercice.

En outre, vos rapporteurs relèvent que l’examen des situations nationales au regard de l’État de droit en Conseil Affaires générales est inégal car les présidences du Conseil décident des sujets qui seront abordés, dont l’État de droit. Certains États membres sont plus disposés à aborder ce sujet tandis que d’autres sont réticents.

On peut relever que dans le cadre du nouveau mécanisme de la Commission européenne, le Conseil Justice et Affaires intérieures a également vocation à jouer un rôle de discussion, d’expertise et d’orientation sur les différentes dimensions du fonctionnement de la justice, telles que l’indépendance des juridictions, les réformes judiciaires, les garanties attachées à l’exercice des fonctions juridictionnelles et la lutte contre la corruption au sein des États membres.

C.   Le mécanisme de conditionnalité des fonds européens : une réponse originale qui doit être précisée et encadrée

Dans le cadre de la négociation du cadre financier pluriannuel 2021-2027, la Commission européenne a présenté une proposition de règlement fondée sur l’article 322 du TFUE établissant un mécanisme de conditionnalités financières liées au respect par les États membres des principes de l’État de droit, tels qu’ils résultent de l’article 2 du TUE.

Le 5 novembre 2020, le Parlement européen et le Conseil sont parvenus à un compromis dont les orientations sont les suivantes :

-         le mécanisme sera déclenché en cas de « violations des principes de l’État de droit » et de risque d’atteinte (sérieuse et suffisamment directe) ou une atteinte effective aux intérêts financiers de l’Union ;

-         les cas de violation cités sont larges ; ils incluent ainsi l’indépendance de la justice, le défaut de correction de décisions arbitraires ou illégales, ainsi que la limitation des recours juridiques. Ainsi, le texte s’appliquera non seulement en cas de corruption ou fraude, mais aussi en cas d’atteinte aux valeurs fondamentales de l’UE ;

-         le Conseil se prononcera à la majorité qualifiée, comme annoncé dans les conclusions du Conseil européen de juillet ;

-         le rôle du Parlement européen sera consultatif et prendra la forme d’un « dialogue structuré » avec la Commission sur ses propositions de mesures.

Toutefois, la Hongrie et la Pologne ont estimé que le compromis n’était pas conforme aux conclusions du Conseil européen de juillet et ont annoncé qu’elles ne pourraient accepter le paquet du CFP et du plan de relance si le texte restait en l’état.

Pour débloquer les discussions sur le paquet CFP-plan de relance sans rouvrir le règlement relatif à l’État de droit, la présidence allemande a proposé une déclaration interprétative, intégrée aux conclusions du Conseil européen des 10 et 11 décembre 2020. Cette déclaration permet de préciser et de clarifier le règlement en donnant des assurances sur la manière dont il serait interprété. Elle prévoit notamment :

-         un rappel que le règlement vise à protéger le budget de l’Union et est distinct de la procédure prévue à l’article 7 du TUE ;

-         qu’après un éventuel recours en annulation visant ce règlement, la Commission procéderait à l’élaboration de lignes directrices en lien avec les États membres, qui ne seraient finalisées qu’après la décision de la Cour ;

-         la nécessité d’établir un lien suffisamment direct entre les violations constatées et les intérêts financiers de l’Union et sur la nécessité que la Commission se fonde sur sa propre évaluation de la situation dans l’État membre concerné ([114]);

-         un rappel sur le fait que le règlement serait appliqué de manière impartiale et non discriminatoire ;

-         un rappel du respect du principe de subsidiarité et l’utilisation du règlement en dernier recours si les autres outils à disposition s’avéraient inopérants ;

-         une précision sur le fait que le règlement s’appliquerait aux engagements du CFP 2021-2027 et à l’instrument de relance.

Le 11 mars 2021, la Hongrie et la Pologne ont déposé un recours en annulation devant la CJUE contre le mécanisme conditionnant les versements de fonds européens au respect des règles de l'État de droit ([115]), retardant ainsi son entrée en vigueur ([116]).

Le mécanisme sera déclenché en cas de « violations des principes de l’État de droit » et de risque d’atteinte (sérieuse et suffisamment directe) ou une atteinte effective aux intérêts financiers de l’Union.

Selon l’article 4 du règlement, les violations des principes de l’État de droit concernent un ou plusieurs des points suivants :

-         le bon fonctionnement des autorités exécutant le budget de l’Union, y compris des prêts et d’autres instruments garantis par le budget de l’Union, en particulier dans le contexte de procédures de passation de marchés publics ou d’octroi de subventions ;

-         le bon fonctionnement des autorités chargées du contrôle, du suivi et de l’audit financiers, ainsi que le bon fonctionnement de systèmes efficaces et transparents de gestion et de responsabilité financières ;

-         le bon fonctionnement des services d’enquête et de poursuites judiciaires dans le cadre des enquêtes et poursuites relatives à la fraude, y compris la fraude fiscale, à la corruption ou à d’autres violations du droit de l’Union concernant l’exécution du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union ;

-         le contrôle juridictionnel effectif par des juridictions indépendantes d’actes ou d’omissions des autorités mentionnées aux points précédents ;

-         la prévention et la sanction de la fraude, y compris la fraude fiscale, de la corruption ou d’autres violations du droit de l’Union concernant l’exécution du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union, ainsi que l’imposition de sanctions effectives et dissuasives aux destinataires par les juridictions nationales ou par les autorités administratives ;

-         le recouvrement de fonds indûment versés ;

-         la coopération effective et en temps utile avec l’Office européen de lutte antifraude et, sous réserve de la participation de l’État membre concerné, avec le Parquet européen à leurs enquêtes ou poursuites en vertu des actes de l’Union applicables conformément au principe de coopération loyale ;

-         d’autres situations ou comportements des autorités qui sont pertinents pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union.

Par ailleurs, selon l’article 3 de ce même règlement, peuvent être indicatifs de violations des principes de l’État de droit :

-         la mise en péril de l’indépendance du pouvoir judiciaire ;

-         le fait de ne pas prévenir, corriger ou sanctionner les décisions arbitraires ou illégales des autorités publiques, y compris des autorités répressives, la retenue de ressources financières et humaines affectant leur bon fonctionnement ou le fait de ne pas veiller à l’absence de conflits d’intérêts ;

-         la limitation de la disponibilité et de l’effectivité des voies de recours, notamment sous l’effet de règles de procédure restrictives et l’inexécution des décisions de justice, ou la limitation de l’effectivité des enquêtes, des poursuites ou des sanctions relatives à des violations du droit.

Grâce à un nouvel outil, se dessinent les contours d’un véritable « semestre européen de l’État de droit », qui doit permettre à la fois une revue régulière, précise et objective des situations dans chaque État membre mais aussi d’éventuelles sanctions. La Commission européenne a ainsi invité l’ensemble des parties à éviter une duplication des instruments, susceptible de fragiliser la protection de l’État de droit, en appelant notamment le Conseil à travailler aux synergies possibles, notamment entre l’idée d’une revue par les pairs, proposée par la Belgique et soutenue par l’Allemagne et le dialogue annuel sur l’État de droit ([117]).

Concernant les plans de relance hongrois et polonais, le Parlement européen a réclamé, en octobre 2021, une plus grande transparence dans la procédure d’approbation, afin de lever tous les doutes existants au regard de l’État de droit, de la primauté de la législation européenne, des marchés publics, de la corruption et du traitement inéquitable des minorités. Le Parlement européen a ainsi demandé à la Commission de ne pas approuver plans de relance avant que les éventuelles lacunes n’aient été comblées, conformément aux règles de la conditionnalité.

 

Plus largement, il apparaît nécessaire aujourd’hui, au regard des enseignements de la crise, de créer un système plus global de préservation de l’État de droit, en particulier en situation de crise. Le Parlement européen plaide depuis plusieurs années pour la mise en place d’un mécanisme de l’Union pour la démocratie, l’État de droit et les droits fondamentaux ([118]) qui a pour but de protéger l’État de droit et plus largement les droits fondamentaux. Le Parlement estime que ce mécanisme n’a pas seulement pour ambition de corriger les éventuelles violations de l’État de droit, mais également de les prévenir et à cette fin, il souhaite la mise en place d’un cycle annuel de suivi.

 

Ainsi, des recommandations détaillées pourraient être formulées pour chaque État membre, axées sur des objectifs à atteindre à plus ou moins court terme. Ce mécanisme a vocation à s’articuler avec le déclenchement de la procédure article 7 du TUE et avec la conditionnalité budgétaire et à prévaloir sur certains instruments d’ores et déjà en place tels que les rapports annuels de la Commission sur l’État de droit et sur la Charte, ainsi que le mécanisme de coopération et de vérification ou le cadre pour l’État de droit.

 

À ce titre, il paraît dans un premier temps crucial, afin de commencer à bâtir un mécanisme plus intégré de protection de l’État de droit, de mieux articuler l’application du règlement sur la conditionnalité des fonds avec le rapport annuel sur l’État de droit.

Proposition 2. Au sein du rapport annuel sur l’État de droit, une meilleure articulation avec les autres outils relatifs à l’État de droit doit être promue. En particulier, il serait souhaitable que le rapport contienne une section spécifique en ce qui concerne toute violation ou menace de violation des principes de l’État de droit qui tombent dans le champ d’application du règlement 2020/2092 sur la conditionnalité des fonds européens à l’État de droit.

 

III.   Renforcer les mesures de coordination des États d’urgence et de réaction face aux menaces à l’État de droit

L’analyse des mesures prises face à la crise ainsi que des outils mis en place par l’Union pour préserver l’État de droit montrent que l’Europe s’est saisie de cette question centrale mais que des marges d’amélioration importantes continuent d’exister.

Sans remettre en cause la souveraineté des États membres, vos rapporteurs considèrent que certaines mesures peuvent être envisagées pour continuer à s’assurer que l’État de droit reste respecté, dans ses grands principes, durant les périodes de crise, nécessairement propices à des remises en cause de certains droits et libertés.

Proposition 3. Demander à la Commission européenne de rédiger une boîte à outils à destination des États membres pour s’assurer du respect de l’État de droit en situation de crise.

 La Commission européenne, dans son rôle de gardienne des traités, doit aider les États membres à assurer un respect de l’État de droit, y compris en situation de crise. Ces périodes difficiles sont en effet amenées à se répéter et il importe d’apprendre de la crise sanitaire également du point de vue du respect des droits et libertés fondamentales. En cela, la Commission européenne pourrait s’inspirer du rôle qu’a joué le Conseil de l’Europe pendant la crise.

 

Vos rapporteurs considèrent que cette boîte à outils devra comprendre plusieurs rubriques : rôle des parlements nationaux, garantie de la séparation des pouvoirs, protection de la liberté de la presse et l’utilisation de divers instruments pour faire respecter l’État de droit.

A.   Un contrôle accru par les parlements nationaux doit être organisé

Le Conseil de l’Europe estime qu’en situation d’urgence, l’exécutif peut se voir accorder un pouvoir général de prendre des ordonnances ayant force de loi à condition que ces pouvoirs généraux soient accordés pour une durée limitée. Or, en temps de crise, le rôle de contrôle des parlements est plus que jamais indispensable, notamment si une forte délégation de compétences a été octroyée au gouvernement et dans un contexte où « le juge fait généralement preuve d’une très grande retenue » ([119]).

Par ailleurs, la prolongation du régime de l’état d’urgence devrait être soumise au contrôle du parlement quant à sa nécessité. Le Conseil de l’Europe ajoute qu’en vertu du principe de nécessité, les mesures d’urgence doivent pouvoir atteindre leur but en altérant le moins possible les règles de procédures normales du processus décisionnel démocratique et le pouvoir de l’exécutif de légiférer par ordonnances ne doit pas signifier qu’il est totalement libre.

Sur le rôle des parlements nationaux, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (ACPE) ([120]) souhaite renforcer sa coopération avec les parlements nationaux, en encourageant les délégations nationales à mettre en commun leurs bonnes pratiques et en organisant l’examen entre pairs des différents aspects des mesures prises pour faire face aux conséquences et aux implications de la pandémie, entre autres par le biais d’auditions parlementaires avec la participation d’experts du Conseil de l’Europe, en vue de mettre au point des solutions et des approches viables et durables pour répondre à des situations de crise similaires à l’avenir. Vos rapporteurs soutiennent cette initiative et appellent à une coopération parlementaire beaucoup plus étroite pour faire face à de nouvelles crises.

Proposition 4. Une coopération renforcée entre les parlements nationaux devrait permettre de mettre en commun les bonnes pratiques de contrôle de l’exécutif au regard des règles de l’État de droit dans le contexte de crise.

B.   La séparation des pouvoirs doit être strictement garantie

Sur la répartition des pouvoirs et le contrôle de l’action de l’exécutif durant l’état d’urgence, le Conseil de l’Europe considère que certains contre-pouvoirs peuvent être assouplis pour permettre au pouvoir exécutif d’agir rapidement et efficacement, notamment en contournant la répartition ordinaire des compétences entre les autorités locales, régionales et centrales. La séparation des pouvoirs doit cependant être restaurée dès que la situation le permet.

À ce titre, les parlements doivent aussi conserver le pouvoir de contrôler l’action de l’exécutif en vérifiant à intervalles raisonnables si les pouvoirs d’urgence se justifient ou en intervenant le cas échéant pour modifier ou annuler ses décisions. Il ne devrait pas être possible de dissoudre les parlements en cas d’urgence.

S’agissant du contrôle judiciaire, et en particulier des cours constitutionnelles, le Conseil de l’Europe juge qu’il doit être préservé et qu’en particulier, les juges doivent pouvoir examiner les limitations les plus sérieuses aux droits de l’Homme posées par les dispositions législatives prises en cas d’état d’urgence. Il ajoute que des ajournements et le traitement accéléré ou groupé de certaines catégories d’affaires sont susceptibles d’être admissibles et que l’autorisation judiciaire préalable nécessaire dans certains cas peut être remplacée par un examen judiciaire ex post.

C.   La liberté de la presse doit être protégée

En matière de protection de la presse, on peut relever que de nombreux États membres ont mis en place des mesures de soutien financier et fiscal spécialement destinées aux médias en réponse à la crise financière. Aujourd’hui extérieur à l’Union européenne, le Royaume-Uni a réduit la taxe sur les médias à 0 % tandis qu’en Allemagne le programme global d’aide d’État a été annoncé pour le secteur de la culture et des exigences réglementaires onéreuses et coûteuses ont été assouplies. Divers autres régimes de soutien financier ont été introduits en Lettonie, aux Pays-Bas et en Suède. Face aux impacts de la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 et suite à la crise de la distribution provoquée par le redressement de la messagerie Presstalis, une aide exceptionnelle au bénéfice des distributeurs de presse a été mise en place en France ([121]).

Compte tenu des graves conséquences de la pandémie de COVID-19, la Commission a invité les États membres à soutenir les médias ([122]). Afin de faciliter le soutien apporté par les autorités nationales, le Conseil a invité la Commission à évaluer l’application des règles en matière d’aides d’État au secteur de la presse. La Commission évalue ensuite la nécessité d’une intervention appropriée ([123]). Par ailleurs, l’encadrement temporaire des aides d’État du 19 mars 2020 s’applique également aux mesures sectorielles, telles que les aides en faveur des secteurs de la presse, de la musique et de l’audiovisuel ([124]).

Le soutien financier de l’État par la publicité d’intérêt public peut être crucial, en particulier pour les médias sans but lucratif, les médias associatifs et d’autres formes de journalisme moins commerciales. Cependant, sans garanties appropriées pour protéger l’indépendance des médias, la publicité d’État peut être utilisée pour exercer une pression politique indirecte sur les médias. Des règles transparentes et des critères équitables pour l’attribution de marchés publics dans le domaine de la publicité peuvent atténuer les risques dans ce domaine. Il peut notamment être utile, à cet égard, de créer des registres de marchés accessibles au public, qui contiennent des informations sur les marchés attribués et leurs modifications ([125]).

Cet appel de la Commission européenne aux États membres à apporter un soutien accru aux médias fait écho à la demande de la France d’une adaptation du cadre des aides d’État afin de faciliter le soutien public au secteur des médias et en particulier de faciliter les aides à la presse. Il est en effet indispensable que les autorités publiques soient en capacité d’apporter le soutien financier nécessaire à tous les acteurs du secteur particulièrement fragilisés par la crise.

Dans son plan d’action pour la démocratie européenne ([126]), la Commission souligne ainsi que les attaques, l’application abusive des lois sur la diffamation ainsi que d'autres formes d'intimidation et de pression, notamment de la part du grand banditisme, portent atteinte à l'environnement dans lequel les journalistes travaillent.

Elle relève que de nouvelles violations de la liberté des médias ont été commises ([127]), parfois au nom de la lutte contre la désinformation en ligne. En 2020, selon « Reporters sans frontières » ([128]), 90 pays au monde, y compris certains États membres de l’Union européenne et certains pays du voisinage européen, ont imposé des restrictions à la liberté des médias en prenant la COVID-19 comme prétexte.

Proposition 5. Un allègement rapide des règles en matière d’aides d’État devrait être possible en situation de crise dans le but de soutenir le secteur de la presse, essentiel à la préservation de l’État de droit.


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   Conclusion

 

Comme l’indique la Commission européenne, « l’État de droit est un élément important de la préparation aux périodes de crise » ([129]). Ces dernières en mettent aussi à l’épreuve les caractéristiques fondamentales. Toutefois, la crise sanitaire n’a pas créé, d’après l’analyse de vos rapporteurs, des situations nouvelles au regard de l’État de droit au sein de l’Union européenne, mais semble plutôt avoir amplifié les tendances déjà à l’œuvre.

Au regard des quatre critères de compatibilité des mesures de réponses à la crise avec l’État de droit, aucun État membre n’a eu une réaction idéale, respectant à la fois l’objectif d’efficacité dans la lutte contre l’épidémie et de respect absolu des critères de l’État de droit. Une grande « résilience » générale a au contraire pu être observée dans une importante majorité d’États membres. Certaines conclusions plus précises peuvent toutefois être dressées :

-         s’agissant de la légalité, les bases juridiques auxquelles les États membres ont décidé de recourir ont été discutées dans plusieurs États membres, dont la France ([130]). Certains États membres, comme la Pologne, ont été soupçonnés de privilégier le cadre juridique leur offrant le plus de latitude et, par ailleurs, favorable au contexte politique. En outre, la résolution du Parlement européen du 13 novembre 2020 souligne que certains États membres ont recouru de manière disproportionnée à des mesures répressives pour faire respecter les restrictions, notamment par la pénalisation pour non-respect des règles concernant le confinement et par des quarantaines donnant lieu à des amendes élevées et à une longue durée de conservation des antécédents judiciaires ;

-         concernant l’indépendance et l’impartialité des juridictions, le fonctionnement du service public de la Justice a également pu être altéré, de façon temporaire et, le plus souvent, mesurée. Les fragilités inhérentes aux systèmes judiciaires (notamment en Hongrie et en Pologne) étaient, le plus souvent, antérieures au déclenchement de l’épidémie ;

-         s’agissant de l’égalité devant la loi, les entorses qui ont pu être déplorées (par exemple concernant les droits des personnes LGBTI en Pologne) étaient indépendantes de la crise sanitaire ;

-         enfin, l’équilibre des pouvoirs et l’influence des contre-pouvoirs constituent sans doute les dimensions les plus problématiques des réponses à la crise au sein de l’Union européenne. Cette situation inquiétante découle d’abord de la dévolution des pouvoirs du législatif vers l’exécutif, avec une capacité de contrôle parlementaire réduite. Elle résulte également de l’exercice plus compliqué de l’activité des médias et journalistes.

Enfin, si, dans les États membres où le respect de l’État de droit était déjà fragilisé, les réponses apportées à la crise n’ont fait que révélé ces faiblesses. En outre, la décision du tribunal constitutionnel polonais du 7 octobre 2021 ([131]) montre que ce sujet central de l’État de droit n’est pas directement lié à la crise mais continuera à exister dans le débat public européen. C’est pourquoi il importe que les institutions européennes disposent d’un cadre juridique clair pour agir, dans le respect des traités, en vue de préserver les valeurs de l’État de droit.

La crise a également pu révéler de bonnes pratiques qu’il faudra prolonger pour faire face aux nouveaux événements devant amener des réactions d’urgence. À titre d’exemple, en Allemagne, le renforcement des pouvoirs de l’exécutif s’est accompagné de débats nourris sur l’État de droit dans le pays. En Estonie, la presse a effectué un travail remarquable en accordant autant d’articles au monde politique qu’aux syndicats et la société civile. Une partie non négligeable de la population s’est donc sentie écoutée.


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le mercredi 27 octobre, sous la présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente, pour examiner le présent rapport d’information.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Mes chers collègues, nous allons entendre aujourd’hui nos deux rapporteurs, M. Philippe Benassaya et Mme Coralie Dubost, nous présenter le résultat de leurs travaux sur la question de l’état de droit dans le contexte de la crise sanitaire et de l’état d’urgence sanitaire. Dans le contexte marqué par la décision du tribunal constitutionnel polonais, il va sans dire que ce sujet prend une importance particulière.

Mais tout d’abord je voudrais aussi, chers collègues, marquer toute notre amitié et notre solidarité à notre collègue Coralie Dubost qui, comme nous le savons tous, a été victime d’une sauvage agression. Je tiens d’autant plus lui rendre hommage qu’en dépit du choc qu’a constitué pour elle cette agression et des séquelles qu’elle en a gardées, elle a tenu à aller au bout de son travail de rapporteure. En notre nom à tous, je l’en remercie.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Mes chers collègues, Mme la présidente, avant d’aller sur le fond du rapport, je tiens à vous remercier toutes et tous. Effectivement, il y a eu une grande solidarité de toute l’Assemblée nationale, des collègues et des services.

Concernant le sujet que nous allons vous présenter, je suis d’autant plus heureuse que ce sujet fait suite à un premier rapport qui avait eu lieu au sein de cette commission, où le co-rapporteur était Vincent Bru. Nous avions entamé des travaux plus larges sur l’état de droit en général et le bureau de cette commission qui a décidé de se centrer sur l’État de droit dans le contexte des états d’urgence sanitaire et de voir comment cela avait été adapté à nos démocraties.

Il s’agit ici de se concentrer exclusivement sur ce que la crise sanitaire a eu comme impact sur l’État de droit, ainsi que les réactions nationales et européennes qui ont été constatées pendant cette crise. Dans notre méthodologie, nous avons cherché à créer un consensus à la fois sur le constat que nous pouvons faire mais aussi sur les quelques propositions que notre rapport contient et qui visent à ce que l’Union européenne soit toujours mieux armée pour préserver les droits fondamentaux dans les périodes exceptionnelles.

La crise a en effet rendu nécessaire, pour la quasi-totalité des États membres, de mettre en place des « états d’urgence sanitaire » qui ont conduit à restreindre temporairement et parfois drastiquement certaines libertés fondamentales, notamment en matière de réunion, de déplacement voire d’association.

Le Conseil de l’Europe a tenu un décompte précis des États membres ayant eu recours à des états d’urgence. Ainsi, 9 États membres avaient déclaré l’état d’urgence au plus fort de la crise, au printemps 2020, en vertu de leurs Constitutions, 5 États membres ont déclaré cet état d’urgence sur la base de leur droit commun (dont l’Allemagne et la France) et 14 États membres ont eu recours à la législation normale pour faire face à la pandémie.

En mai 2020, 6 États membres ont notifié une dérogation à certains droits fondamentaux en vertu de l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Ainsi, aucun État membre n’a été totalement épargné par la nécessité de prendre des mesures rapides et portant atteinte à certaines libertés.

Toutefois, il faut bien se rendre compte que ces états d’urgence ont eu des périmètres et des intensités qui ont fortement varié en fonction des États. Ainsi, d’après un rapport sur la démocratie internationale, 15 États membres (dont la France) avaient adopté des mesures dites « hautement restrictives », c’est-à-dire avec fermeture des frontières, couvre-feu, fermeture des services d’enseignement et limitation de la liberté de circulation.

Notre rapport avait donc pour vocation de mesurer comment et dans quelle proportion ces états d’urgence avaient affecté l’État de droit. Pour cela, il nous faut d’abord définir ce que l’on entend par « État de droit ». Nos auditions nous ont montré une nouvelle fois que ce terme ne fait pas consensus au sein de l’Union européenne. Comme vous le savez, l’article 2 du traité sur l’Union européenne parle de « valeurs » dont fait partie l’État de droit, sans le définir. Il faut donc aller chercher dans d’autres textes pour trouver des définitions plus précises, en particulier le rapport annuel de la Commission européenne sur l’État de droit, mais également la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne.

Selon nous, cinq critères peuvent être retenus pour définir ce que l’on entend par État de droit. D’abord, la légalité, c’est-à-dire une procédure d’adoption des textes de loi qui soit transparente, responsable, démocratique et pluraliste. Ensuite, la sécurité juridique puis l’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif. Aussi, une protection juridictionnelle effective, c’est-à-dire des juridictions indépendantes et impartiales, la séparation des pouvoirs et l’égalité devant la loi.

Tous ces critères nous permettent de mieux cerner ce que l’on peut entendre par État de droit. Sur cette base, nous avons donc cherché à savoir comment il était possible d’évaluer la compatibilité entre un état d’urgence et l’État de droit. Selon nous, il faut pour cela que les mesures de l’état d’urgence remplissent quatre critères.

D’abord, la légalité : il faut que l’état d’urgence entre dans un cadre légal. Ensuite, la proportionnalité : il faut que les mesures de l’état d’urgence soient proportionnées aux risques encourus. Enfin, le caractère temporaire : il faut que la durée des mesures de l’état d’urgence soit définie en amont et que leur reconduction fasse intervenir le pouvoir, le contre-pouvoir parlementaire. Enfin, bien entendu, il faut que la possibilité d’un contrôle parlementaire et judiciaire soit garantie.

Ces quatre critères nous permettent de mieux comprendre les débats qui ont eu lieu durant la crise sur la préservation de l’État de droit. En guise de constat général liminaire, nous pouvons dire, comme la Commission européenne l’a fait dans son dernier rapport annuel sur l’État de droit, que les États ont « fait preuve d’une résilience considérable » dans cette crise.

M. Philippe Benassaya, rapporteur. Avant de poursuivre, je tiens aussi à saluer ma collègue que je suis très heureux de retrouver. Comme cela a été indiqué, il y a effectivement des problèmes de définition. On a parlé de la difficulté des définitions sur le terme « État de droit », il y a aussi une difficulté sur la définition de « crise sanitaire ». En effet, le terme de « crise sanitaire » a pu être appréhendé très différemment selon les États membres. C’est pourquoi il nous a semblé indispensable d’être très précautionneux dans les termes, afin de vous présenter un rapport qui soit clair et objectif sur les réactions des États membres et de l’Europe dans cette crise. Cette exigence est rendue d’autant plus nécessaire par les débats en cours autour de l’articulation entre souveraineté européenne et souveraineté nationale, notamment après la décision du tribunal constitutionnel polonais.

Après ces indispensables définitions, notre rapport examine ensuite de façon précise les impacts de la crise sur un certain nombre d’enjeux et j’aimerais insister ici sur la question du contrôle parlementaire. En effet, nous avons constaté durant cette crise ce que certains analystes ont appelé un « auto-dessaisissement » parlementaire au profit des exécutifs nationaux. Au total, 22 États membres ont délégué aux pouvoirs exécutifs nationaux une partie de leurs prérogatives, notamment par la voie de lois d’habilitation.

Pour opérer cette délégation massive de pouvoirs, les États membres se sont fondés               soit sur des lois d’habilitation qui existaient avant la crise (pour 13 d’entre eux, notamment en France, en Allemagne, en Espagne, au Portugal),               soit sur des lois d’habilitations adaptées pour les circonstances (pour 8 d’entre eux : Danemark, Croatie, Pologne, Roumanie par exemple).

Nous savons que la France est particulièrement concernée par ce phénomène, puisqu’elle a adopté pas moins de 62 ordonnances entre le 15 mars et le 30 juin 2020. Beaucoup d’autres États ont procédé de la même manière, en particulier l’Italie et l’Espagne par l’intermédiaire de décrets-lois.

Toutefois, nous avons noté quelques exemples de préservation du pouvoir parlementaire. C’est le cas notamment en Allemagne, où l’état d’urgence n’a pas été déclenché et où le Bundestag a eu un rôle central dans la gestion de la crise. L’Irlande a également laissé à son parlement un pouvoir important dans la prolongation ou la fin des mesures d’urgence. Enfin, aux Pays-Bas, le parlement doit valider les règlements pris par les ministres dans les deux jours suivants leur adoption.

On constate donc que si les parlements se sont « auto-dessaisis » de certains de leurs pouvoirs principaux, certains États font figure de référence en matière de contrôle parlementaire. Toutefois, la crise a aussi eu un impact de plus long terme sur les parlements, en les contraignant à une nouvelle organisation.

Face à la situation sanitaire et dans le but de poursuivre en particulier leur mission de contrôle, les parlements ont été contraints de s’adapter, en basculant sur une utilisation massive de la visioconférence. En cela, la Lettonie fait figure d’exemple, puisque la Saeima (le parlement letton) a été l’un des premiers parlements nationaux du monde à s’adapter à la Covid‑19 en passant à un mode de fonctionnement en ligne, la première réunion numérique s’étant tenue dès le 24 mars 2020. Cela a permis de faire en sorte que, depuis le début de la pandémie, la Saeima a validé toutes les décisions prises par le Conseil des Ministres.

En outre, certains parlements ont mis en place, comme en France, des missions de contrôle de moyen terme sur les mesures prises dans le cadre de la crise. D’autres, comme la Belgique, ont créé des « commissions permanentes sur le Covid-19 ». À l’inverse, d’autres parlements comme en Allemagne ou en Italie ont fait le choix de ne pas mettre en place de dispositifs spécifiques de contrôle.

Pour terminer ce point avec la France, il est clair que l’état d’urgence sanitaire qui a été décidé en France pendant le premier confinement est moins favorable au rôle du parlement que ne l’aurait été le recours à la loi de 1955 sur l’état d’urgence « classique ». Cette loi prévoit en effet que le parlement doit autoriser la prolongation de l’état d’urgence au-delà de 12 jours, alors que cette durée est portée à un mois dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.

Notre rapport examine également l’impact de la crise sur d’autres enjeux, en particulier la limitation des libertés de circulation, de rassemblement et d’association. Par définition, ces libertés ont été particulièrement remises en cause dans le cadre de la crise. Ainsi, 9 États membres ont pris des mesures de confinement strict lors de la première vague et d’autres l’ont également fait durant la deuxième vague, notamment l’Allemagne, l’Irlande, les Pays-Bas ou le Danemark. La nature et l’intensité de ces restrictions ont également varié et nous donnons des exemples dans le rapport. Certains États membres ont aussi limité les rassemblements sur la voie publique ou dans un cadre privé. L’Espagne a ainsi interdit les réunions privées à partir de 6 personnes.

Nous constatons ainsi que l’encadrement européen des différentes mesures nationales est resté très léger. Le seul véritable enjeu où l’Europe s’est rapidement mobilisée a concerné le respect de la vie privée, pour lequel des difficultés ont été constatées en Pologne et en Irlande notamment. La Commission européenne a proposé dès avril 2020 une boîte à outils européenne concernant l’utilisation des applications mobiles dans le cadre de la lutte contre le Covid-19. De plus, en mars 2021, le Contrôleur européen de la protection des données a rendu un avis sur le projet de passeport vaccinal proposé par la Commission européenne. Il s’agit là d’une bonne méthode qui aurait pu irriguer un plus grand nombre d’enjeux soulevés par les réactions à la crise sanitaire.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Après avoir observé l’adaptation parlementaire à ces régimes d’urgence sanitaire, notre rapport analyse la manière dont la justice a pu être résiliente dans le cadre de ces crises sanitaires. Il est certain que le Covid aura accéléré à peu près partout ce grand enjeu du XXIe siècle qu’est la numérisation de la justice. Un grand nombre d’États membres, en particulier la France, la Belgique et l’Espagne, ont considérablement accéléré la dynamique.

La plupart du temps au cœur de cette crise, les États ont priorisé les fonctions les plus importantes des juridictions, ainsi que les affaires les plus urgentes et les plus critiques. Dans certains États membres, les juridictions administratives et constitutionnelles ont été particulièrement actives durant la crise, pour le meilleur et pour le pire. En Allemagne, 3 700 décisions de justice ont été prises en lien avec la pandémie et en Slovénie, la cour constitutionnelle a jugé près de 26 % de cas supplémentaires en 2020, ce qui est absolument considérable. Par ailleurs, il était également intéressant d’observer, notamment au cours de nos auditions, que cette proactivité de la justice à l’égard des états d’urgence ou des législations d’urgence sanitaire a pu amener à re-hiérarchiser ou à réévaluer certains de nos droits fondamentaux.

Notre rapport s’attarde ensuite sur la liberté de la presse en temps de pandémie et montre que les mesures d’urgence ont rendu considérablement plus difficile le travail des journalistes à un moment où leur rôle était absolument primordial. La lutte contre la désinformation a en effet état d’autant plus nécessaire dans cette situation de crise. Au total, en juillet 2021, l’institut de presse international a dénombré 845 violations de la liberté de la presse liées au Covid. L’Europe se distingue par une forte propension d’attaques physiques et verbales venant de particuliers. Certains États, comme la Roumanie ou la Hongrie, ont même modifié leurs législations pendant la crise pour criminaliser la désinformation, ce qui a pu susciter des réactions importantes, voire semer des doutes considérables sur la liberté de la presse. Le secteur des médias a enfin été confronté à une importante baisse de recettes publicitaires, de façon circonstancielle. Le secteur de la publication d’informations a ainsi vu ses recettes reculer de 30 à 80 % durant le premier confinement.

Notre rapport montre en conséquence que la crise n’a finalement pas créé de situation nouvelle en Europe, mais qu’elle a plutôt constitué un véritable « stress test » pour évaluer la résistance des États dans l’ensemble de ces domaines.

Les situations les plus problématiques qui étaient déjà identifiées avant la crise continuent aujourd’hui, en particulier en Hongrie et en Pologne. Notre rapport développe également les situations d’autres États européens, notamment l’Espagne, les Pays-Bas, la Roumanie, Malte et d’autres. Notre rapport mentionne également des exemples de législation prise au cœur de la pandémie et pourtant sans lien avec elle. Il s’agit là véritablement d’un sujet de préoccupation majeur qui peut porter atteinte à l’État de droit.

La seconde partie du rapport s’attarde quant à elle sur les réponses européennes qui ont été apportées pour protéger l’État de droit pendant la crise. C’est sur ce volet que se concentrent nos recommandations. Notre rapport évalue d’abord le suivi fait par les institutions européennes des réponses des États membres face à la crise. Le Parlement européen, dont il faut saluer le travail, a été très actif en adoptant régulièrement des résolutions sur la compatibilité des états d’urgence avec l’État de droit. La médiatrice européenne a également ouvert une enquête sur la gestion de la crise sanitaire par les institutions de l’Union. Mais c’est surtout le Conseil de l’Europe qui a été le plus actif pour assurer la préservation des principes de l’État de droit, en publiant notamment une boîte à outils à destination de l’ensemble des gouvernements européens sur le respect des droits de l’homme, de la démocratie et de l’État de droit pendant les crises. Le Commission de Venise du Conseil de l’Europe constitue en cela un organisme très précieux qui fournit des informations cruciales sur les situations des États membres.

Notre rapport évalue enfin le dispositif européen de préservation de l’État de droit. Le célèbre article 7 du TFUE, dont nous avons déjà débattu ici, avait été déclenché à l’encontre de la Hongrie et de la Pologne avant la crise en 2017 et en 2018. Ce mécanisme continue de susciter des critiques importantes en raison de l’implication variable des différentes présidences du conseil et de la nécessité d’obtenir un consensus. Cet article nous semble inadapté à une réaction immédiate pour mettre un terme aux atteintes à l’État de droit dans une situation donnée.

M. Philippe Benassaya, rapporteur. L’Union européenne a donc développé de nouveaux outils, le premier étant le rapport annuel sur l’État de droit qui a été publié l’an dernier. Ce rapport constitue un dispositif préventif de détection des défaillances de l’État de droit. Nos auditions nous ont permis de comprendre que les versions de 2020 et 2021 de ce rapport, si elles sont utiles pour faire le point pays par pays, restent parfois trop floues, descriptives avec un style très diplomatique. C’est pourquoi nous proposons, comme l’a fait la présidente de la Commission européenne dans son dernier discours sur l’état de l’Union, que ces rapports contiennent à l’avenir des recommandations plus précises, sur le modèle du semestre européen. Un suivi de ces recommandations doit aussi être assuré d’une année sur l’autre.

Outre ce rapport, la crise et le plan de relance ont été l’occasion de créer un nouvel instrument de conditionnalité des fonds à l’État de droit, dont il a été beaucoup discuté. Ce nouveau dispositif a été créé par un règlement de décembre 2020, qui a le mérite de définir plus précisément ce qui est entendu par une « violation de l’État de droit ». En mars 2021, la Hongrie et la Pologne ont déposé un recours devant la Cour de justice de l’Union européenne contre ce mécanisme, ce qui retarde son entrée en vigueur. 

Toutefois, nous considérons dans le rapport que, si tous ces outils sont utiles, il manque notamment une coordination et une mise en cohérence des uns avec les autres afin de créer un véritable « semestre de l’État de droit ». Le rapport annuel pourrait contenir une section spécifique sur la crise du Covid, mais aussi en ce qui concerne toute menace de violation des principes de l’État de droit qui pourrait être sanctionnée par le règlement sur la conditionnalité. Cela aiderait les États membres à anticiper et permettrait une plus grande lisibilité.

Enfin, dans la dernière partie du rapport, nous soulignons les grands enjeux qui restent fondamentaux pour préserver l’État de droit en situation de crise. Nous considérons en particulier que le rôle des parlements nationaux doit être préservé et qu’une coopération interparlementaire sur l’État de droit en situation de crise doit être renforcée. Au-delà du renforcement des parlements nationaux, la séparation des pouvoirs doit être strictement garantie tout au long de la crise, en respectant le rôle des pouvoirs législatif et judiciaire. Dernièrement, la liberté de la presse doit être préservée et nous avons vu, au cours des auditions, combien cet enjeu est central. Pour cela, nous considérons qu’un allègement rapide en matière d’aides d’État devrait être prévu en situation de crise, dans le but de soutenir le secteur de la presse qui est un pilier de l’État de droit.

En conclusion, la crise sanitaire a eu l’effet d’un véritable test de résistance pour la situation de l’État de droit en Europe et a permis d’éprouver sa solidité. Cette situation de crise ne sera pas la dernière et l’Union européenne doit être prête à de nouveau y faire face, peut-être mieux, y compris du point de vue de la préservation de l’État de droit.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Comme vous l’avez souligné, il s’agit d’un « stress test » : c’est en période de crise que l’on voit si nos institutions tiennent bon, si le cadre légal est respecté. Nous sommes effectivement toujours sur une crête entre le fait de donner de la flexibilité à l’exécutif afin de réagir et la nécessité de préserver le contrôle, notamment des parlements nationaux. En se penchant sur les statistiques des États que vous avez examinés, on voit bien où se trouve une démocratie parlementaire avec un débat parlementaire fort et où l’exécutif est plus fort.

Il est également intéressant de voir, suivant la situation, si l’une ou l’autre manière de gérer un État peut être plus efficace. Est-ce que les États membres où l’exécutif est plus fort sont plus efficaces dans la gestion de la crise ?

Je souligne également autre élément, que vous soulignez dans votre rapport, qui est celui des différentes interprétations de ce que l’on entend par l’État de droit. Nous avons la définition juridique, mais la définition que l’on pourrait dire « sociale », qui suscite l’adhésion du plus grand nombre est plus complexe, de même que la définition d’une « crise sanitaire ». Certains termes sont plus ou moins utilisés dans les États membres. Pour prendre un exemple franco-allemand, en Allemagne, le mot « catastrophe » est peu utilisé tandis qu’en France nous avons une tendance à l’utiliser assez souvent pour qualifier une situation, ce qui illustre les différences d’interprétation.

Concernant la boîte à outils de la Commission, ses recommandations et son rapport annuel sur l’État de droit sont indispensables, même s’ils se basent sur des informations fournies directement par les États membres. Il y a des améliorations à apporter. Ne devrions‑nous pas davantage tenir compte des conclusions d’organismes indépendants en particulier les organisations non gouvernementales ?

L’exposé des rapporteurs a été suivi d’un débat.

 

Mme Nicole Le Peih. Vos travaux offrent une lecture pertinente sur les difficultés institutionnelles engendrées par la crise. Face à une situation extraordinaire, il a fallu prévoir une réponse exceptionnelle. À plusieurs reprises, et encore très récemment, il nous a fallu prendre position. Or, il me semble utile de rappeler qu’il y a eu une réponse d’urgence, une crise dans la crise et que nous discutons aujourd’hui du bilan des réponses à apporter. En cette période de crise, le processus de prise de décision a été fragilisé, de nombreuses incertitudes entourent le diagnostic. Il serait trop facile de juger a posteriori de la juste mesure d’une décision.

Sur l’État de droit, la crise sanitaire a montré la complexité de mettre en place un dispositif légal agile, nécessaire pour réagir dans la crise et à la fois protecteur des institutions. Je salue en ce sens l’apport des comités scientifiques. Ces groupes d’experts ont permis de donner de la hauteur à la décision. Ils ont offert une distance et une neutralité politique indispensables : ils ont accompagné la décision politique sans jamais s’y substituer et ont participé à la recherche du juste équilibre.

Il est particulièrement intéressant de lire dans votre rapport que la crise a renforcé les faiblesses préexistantes, là où l’État de droit était déjà fragilisé. D’où la force de votre propos quand vous rappelez l’importance pour les institutions européennes de traiter au plus vite ces problèmes. Il ne faut jamais les accepter et les laisser s’installer. Vous proposez un cadre juridique commun pour la définition de l’État de droit, utile en temps de crise. Pouvez-vous le préciser ? Je vous poserais la même question en ce qui concerne le concept de « semestre de l’État de droit ».

Mme Constance Le Grip. J’ai particulièrement apprécié la notion d’auto-dessaisissement de certains parlements nationaux. Les problématiques liées à l’État de droit en Europe sont préoccupantes. En ce début de XXIe siècle où les défis qui pèsent sur la démocratie représentative, les atteintes à l’État de droit et à l’exercice de nos libertés publiques sont nombreuses. Il nous revient d’être extrêmement attentifs à ces tendances.

J’ai bien compris qu’il existait de nombreuses différences sémantiques, linguistiques, culturelles et historiques de la notion d’État de droit, bien qu’il y ait des points de convergence. Mais c’est l’histoire du projet européen que d’être régulièrement en butte à ces différences de nature culturelles, politiques et historiques.

Nous pourrions également effectuer une étude comparative sur les différents types de régimes. Par exemple, dans l’Union, certains États ont un pouvoir très centralisé que l’on qualifie volontiers en France d’État jacobin. Il y a aussi d’autres démocraties qui sont tout à fait fédérales et plus ou moins déconcentrées. Cela pourrait apporter de l’efficacité dans l’action publique, y compris en période d’urgence sanitaire. Je vous remercie.

Mme Marietta Karamanli. La propagation rapide du Covid en 2020, à l’origine de la suspension ou du report de plusieurs élections et référendums et de l’adoption de mesures exorbitantes de droit commun, a eu un impact non négligeable sur les libertés fondamentales. Les libertés de mouvement, de réunion et autres sont indispensables à tout processus électoral. Il est nécessaire que les citoyens puissent s’informer sur les différentes options politiques. Que peut-on en tirer en termes de recommandations ? J’aimerais aussi poser, de façon complémentaire, la question de l’expertise publique à l’origine des décisions politiques. Avez-vous connaissance de mesures prises à ce sujet durant cette première étape ?

Enfin, parmi les thèmes qui pourraient faire l’objet de réflexion pourraient figurer le libre exercice des médias, la démocratie locale, les atteintes aux droits de minorités, la discrimination liée au genre et la question de l’éthique publique, du respect des oppositions et de la presse. Tous ces sujets ont fait l’objet de constats au sein du conseil de l’Europe. Je souhaite que ce travail puisse nourrir d’autres positionnements. J’essaierai de porter auprès de la commission de Venise un certain nombre d’interrogations et de mesures à mettre en place à l’avenir face à une prochaine crise. Les derniers mois nous ont montré que la prochaine crise nous amènera inévitablement en tant que démocratie à nous positionner et à nous adapter, tout en respectant les principes démocratiques et nos valeurs républicaines.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Pour répondre globalement, il me semble que nous pouvons tirer deux types de conclusions. Concernant le système d’État de droit dans le cadre d’un état d’urgence sanitaire. La question qui se pose est la suivante : quel mode d’action en cas d’état d’urgence ? Il peut y avoir des discussions sur les modalités d’organisation des élections, tout en évaluant à quel point la liberté de réunion pourrait par exemple être affectée. Toutefois, il ne faut pas oublier que ces mesures sont justifiées par la nécessité sanitaire.

Ensuite, il y a la problématique de l’instrumentalisation de l’état d’urgence à des fins politiques discutables. L’état d’urgence aura délibérément servi à porter atteinte à certains droits fondamentaux. En Hongrie, des lois ont été adoptées sous prétexte de pouvoirs exceptionnels dans le cadre d’état d’urgence sanitaire. En réalité, ces lois ont contribué à restreindre certaines libertés, comme l’adoption pour les couples homosexuels, le changement de genre à l’état civil, l’imposition de nouveaux cours sur l’éducation sexuelle selon des dogmes chrétiens à l’école. Ces mesures ne sont pas liées à une quelconque gestion de la crise sanitaire. En Pologne, certains journalistes se sont vus refuser la possibilité d’exercer librement leur activité. En Roumanie et en Hongrie, certaines remontées d’informations qui n’étaient pas en cohérence avec les discours publics ont été criminalisées.

Sur ces sujets, il semble pertinent d’adopter tous les outils à notre portée. Sur l’évaluation de la situation de l’État de droit, nous nous devons de solliciter la société civile. Cette idée avait été proposée dans le premier rapport sur l’État de droit de 2018. Le rapport proposait la mise en place d’un comité des parties prenantes. Un tel instrument pourrait servir d’alerte lorsqu’un État commence à être dysfonctionnel en matière d’État de droit.

Sur la question des différents régimes et des cultures, il est possible que nous nous heurtions à des différences au niveau de la mobilisation des parlements selon les États. Les constructions historiques et culturelles dépassent ce concept très complexe d’État de droit. Je pense qu’il y aura des enseignements de long terme à tirer en matière d’action publique et d’expertise publique pour chacun des États membres. Il en va de même en ce qui concerne le fait de solliciter des experts scientifiques sur des questions d’ordre opérationnel auxquelles eux seuls savent répondre. En revanche, comment ne pas basculer dans une sorte de « biopouvoir » selon les termes de Michel Foucault ? Je pense que cette question doit être posée, notamment dans certains États. Il serait positif, selon moi, que l’Europe en tire des enseignements. Ces outils devront respecter les sensibilités culturelles et historiques de chaque État membre et nous permettre de sortir du champ purement sanitaire.

M. Philippe Benassaya, rapporteur. La première difficulté est un problème de définition. C’est souvent difficile d’avoir la même définition en Europe de l’État de droit. L’article 2 est faible et chacun peut l’interpréter en fonction de sa propre histoire. Les pays qui ont posé des problèmes dans le respect de l’État de droit sont des pays qui sont très marqués par l’histoire, en particulier celle du communisme soviétique. Ces pays n’avaient pas de liberté et rencontrent d’autres problèmes aujourd’hui, en lien avec des interprétations qui peuvent heurter et choquer notre définition même de l’État de droit.

La crise sanitaire a aussi été un prétexte pour revoir et réinterpréter l’État de droit dans certains pays. Nous l’avons constaté en ce qui concerne les pays de l’Est. Cette crise sanitaire a été un test de solidité de l’État de droit pour les pays qui sont plutôt familiers avec celui-ci mais aussi un prétexte pour remettre en cause certaines choses dans les autres. C’est le cas de la criminalisation de l’information ou des difficultés posées aux journalistes pour exercer leur profession. Cette crise sanitaire a également été le prétexte pour certains pays de réinterpréter à leur façon l’État de droit.

La Commission européenne donne la parole aux ONG dans le rapport annuel sur l’État de droit. Elle les auditionne afin d’avoir une interprétation moins nationale, moins politique et peut-être plus neutre. Il faut également souligner l’importance du Conseil de l’Europe dans la crise sanitaire. En conclusion, certaines études que nous citons dans le rapport montrent que les États qui ont le mieux gérer l’urgence sanitaire en Europe sont ceux qui ont le plus respecté l’État de droit.

Mme Constance Le Grip. Je pense que de manière générale, il faut faire attention à ne pas confondre l’État de droit, le « rule of law », et l’état des droits. Il y a des raisons nationales, historiques, culturelles et organisationnelles qui peuvent amener telle ou telle nation à choisir de mettre en œuvre telle ou telle action publique en fonction de ce qu’elle pense être les droits à accorder ou ne pas accorder. À l’inverse, l’État de droit au sens de « rule of law », est un concept qui consacre la primauté du droit sur le pouvoir politique.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Il faut faire très attention à maintenir un cadre normatif. Il faut rester en dialogue et respecter l’histoire et la culture de chacun qui reste une justification. Il reste néanmoins vrai que tous ces États membres ont librement consenti à ce corpus juridique. Il ne faut pas non plus confondre démocratie et État de droit, ce que font très facilement les autorités hongroises.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. C’est l’un des points d’achoppement avec les États qui portent atteinte à l’État de droit selon la Commission européenne. Dans le cadre de l’urgence sanitaire, nous n’avons pas eu une approche par les droits humains mais on a été contraint d’observer que sous prétexte d’une procédure légale qu’est l’état d’urgence sanitaire dans certains États ont été prises des mesures qui venaient toucher à des droits qui étaient hors du champ de nécessité sanitaire. Chaque État a le droit de faire ses choix politiques et de les discuter avec l’Union européenne mais ça n’a pas été le cas : il y a eu un détournement de procédure pour revenir sur certains droits substantiels.

M. Philippe Benassaya, rapporteur. Le sujet est justement de faire la part des choses entre, d’une part, la politique intérieure, le poids de l’Histoire dans ces pays et, d’autre part, leur solidarité avec l’Union et l’État de droit. Or, cet équilibre est difficile à maintenir, avec en permanence la tentation de basculer d’un côté ou de l’autre et de juger un pays, alors même que l’objectif n’est pas de stigmatiser certains États.

Ce rapport d’information se concentre sur la façon dont les États membres de l’Union ont réagi et sur la manière dont l’État de droit a été appliqué dans les pays européens pendant la crise sanitaire. Force est de constater que la pandémie de Covid-19 a pu être utilisée comme un prétexte dans certains États. Pour autant, chacun a ses particularités et ses définitions, par exemple en matière de libertés de la presse et d’expression ou des contre-pouvoirs. Cette diversité fait ainsi partie de la vie européenne.

L’écueil de ne pas juger certains pays a été évité, peut-être de manière imparfaite, avec la volonté de rester sur la manière dont l’état de droit a ou non résisté à la crise sanitaire.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Sur le sujet de résilience des institutions nationales et des systèmes politiques pendant la crise sanitaire, les leçons peuvent servir à tous les États. En effet, ce sont dans les périodes de crise qu’un régime politique est en risque, l’Histoire l’ayant démontré à plusieurs reprises. Ainsi, appeler à la vigilance à partir de certains exemples est un message à destination de tous les États membres. Il en va de la responsabilité de tous.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Devant la qualité de ce rapport d’information, je pense qu’il n’y aura aucune objection à le publier. J’aimerais que ce travail sur l’État de droit se poursuive car ce sujet peut être considéré comme une « bombe à fragmentation » pour l’Union.

C’est un sujet que j’aimerais également mettre à l’ordre du jour des réunions interparlementaires. En effet, les parlementaires nationaux ont un rôle à jouer. Les pays européens qui ne souhaitent pas forcément respecter certains éléments de l’État de droit accusent régulièrement « Bruxelles ». Il s’agit ainsi de se réunir afin de discuter de ce que peuvent apporter au débat les parlements nationaux. Ce rapport est un bon élément pour entamer ce travail.

La commission a ensuite autorisé le dépôt du rapport en vue de sa publication.

 


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   annexes


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   annexe n° 1 :
Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs

1.   Institutions

Secrétariat général aux Affaires européennes

Parlement européen

Commission européenne

Commission nationale consultative des droits de l’Homme

Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères

Ambassade de Croatie en France (contribution)

Ambassade de Malte en France (contribution)

Ambassade de Hongrie en France (contribution)

2.   Universitaires

3.   Think tanks et organisations non gouvernementales

 


([1])  Assemblée nationale, rapport d’information déposé par la commission des Affaires européennes sur le respect de l’État de droit au sein de l’Union européenne et présenté par Mme Coralie Dubost et M. Vincent Bru, 10 octobre 2018.

([2]) http://www.cepc.gob.es/docs/default-source/comisionveneciadoc/compilations-of-opinions-and-reports-on-states-of-emergency-(versi%C3%B3n-en-franc%C3%A9s-compilation-des-avis-et-rapports-sur-les-%C3%A9tats-d'urgence).pdf?sfvrsn=0

([3]) Commission de Venise, CDL-AD(2020)014, Réflexions sur le respect de la démocratie, des droits de l'homme et de l'État de droit pendant les états d'urgence, 25 mai 2020, paragraphe 24.

([4]) https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2020)018-f, points 35 et 36.

([5])  https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2020)018-f point 37.

([6])  https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2020-0307_FR.html#def_1_28 point D Ces États ont pu, postérieurement au rapport de la Commission de Venise, prendre des mesures s’apparentant à un état d’urgence sanitaire.

([7])  https://democracy-reporting.org/wp-content/uploads/2021/05/Covid19-and-ROL-in-EU-May-21-web-final-updated.pdf

([8])  http://www.revuedlf.com/cedh/covid-19-et-droit-de-derogation-les-reponses-du-droit-international-des-droits-de-lhomme/

([9])  Autriche, Belgique, Bulgarie, Chypre, République tchèque, France, Allemagne, Grèce, Hongrie, Irlande, Lettonie, Luxembourg, Pays-Bas, Pologne et Slovénie.

([10])  Croatie, Danemark, Italie, Lituanie, Malte, Roumanie, Slovaquie et Espagne.

([11])  Portugal, Estonie, Finlande et Suède.

([12])  C'est-à-dire aucune restriction aux frontières, aucune restriction à la liberté de réunion et des recommandations non obligatoires sur la distanciation sociale/les masques.

([13]) « La Cour de Justice de l’Union européenne comprend la Cour de Justice, le Tribunal et des tribunaux spécialisés. Elle assure le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités.

Les États membres établissent les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union. »

([14]) Cour de Justice de l’Union européenne, 24 juin 2019, affaire C-619/18.

([15])  En particulier, la « boîte à outils » offerte par le Conseil de l’Europe : Conseil de l’Europe, « Respecter la démocratie, l’état de droit et les droits de l’homme dans le cadre de la crise sanitaire du COVID-19. Une boîte à outils pour les États membres », 7 avril 2020.

([16]) European Commission for democracy through law (Venice Commission), Compilation of Venice Commission Opinions and Reports on States of Emergency (Strasbourg, 16April) 2020CDL-PI(2020)003, https://rm.coe.int/16809e38a6.

([17])  Commission européenne, rapport 2021 sur l’état de droit, « La situation de l’état de droit dans l’Union européenne », 20 juillet 2021, COM(2021) 700 final (page 3).

([18]) Réponses du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères au questionnaire de vos rapporteurs.

([19]) Voir en particulier le rapport précité du Conseil de l’Europe (point 64) et le rapport annuel 2021 de la Commission européenne sur la situation de l’état de droit au sein de l’Union européenne.

([20]) Réponses du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères au questionnaire de vos rapporteurs.

([21]) Fourmont, A. et Ridard, B., « Le contrôle parlementaire dans la crise sanitaire », Fondation Robert Schuman, Question d’Europe n°558, 11 mai 2020.

([22]) Autriche, Croatie, Danemark, Estonie, France, Hongrie, Irlande, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Portugal, Roumanie, Slovénie, Slovaquie et Suède.

([23]) Bulgarie et Grèce.

([24]) Finlande, Italie et Espagne.

([25]) Allemagne, Chypre, Espagne, Estonie, Finlande, France, Lettonie, Lituanie, Pays-Bas, Portugal, Slovaquie, Slovénie et République Tchèque. Le Ministère de l’Europe précise que la présence de la France sur cette liste est discutable.

([26]) Bulgarie, Croatie, Danemark, Hongrie, Luxembourg, Malte, Pologne et Roumanie.

([27]) Autriche, Belgique, Grèce, Irlande, Italie et Suède.

([28]) https://www.gazzettaufficiale.it/eli/id/2020/02/23/20G00020/sg

([29]) https://boe.es/buscar/act.php?id=BOE-A-2020-3692

([30]) Fourmont, A. et Ridard, B., « Le contrôle parlementaire dans la crise sanitaire », Fondation Robert Schuman, Question d’Europe n°558, 11 mai 2020.

([31]) Commission européenne, rapport 2021 sur l’état de droit, « La situation de l’état de droit dans l’Union européenne », 20 juillet 2021, COM(2021) 700 final (page 3).

([32]) Réponses du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères au questionnaire de vos rapporteurs.

([33]) Réponses du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères au questionnaire de vos rapporteurs.

([34]) Sauf à avoir été rejetés par la chambre basse.

([35]) Il en a été ainsi récemment pour une mesure instaurant l’obligation de se faire tester avant de se rendre dans un commerce.

([36]) Commission européenne, rapport 2021 sur l’état de droit, « La situation de l’état de droit dans l’Union européenne », 20 juillet 2021, COM(2021) 700 final (page 28).

([37])  https://reopen.europa.eu/fr/map/FRA/6001

([38]) France, République tchèque, Belgique, Chypre, Pologne, Roumanie, Luxembourg, Grèce et Italie.

([39]) Allemagne, Irlande, Pays Bas, Danemark, Autriche, Lituanie et Grèce.

([40]) Réponses du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères au questionnaire de vos rapporteurs.

([41]) Cette dérogation a été retirée le 14 mai 2020 par les autorités lettones après avoir constaté une amélioration de la situation épidémique. Cf. https://rm.coe.int/16809e5d16

([42]) https://edpb.europa.eu/sites/edpb/files/files/file1/edpb_statement_art_23gdpr_20200602_fr_1.pdf

([43]) Réponses du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères au questionnaire de vos rapporteurs.

([44]) https://privacyinternational.org/examples/3473/poland-app-helps-police-monitor-home-quarantine

([45]) Dans une déclaration diffusée le 3 juin 2020 après sa 30ème réunion plénière : https://edpb.europa.eu/news/news/2020/thirtieth-plenary-session-edpb-response-ngos-hungarian-decrees-and-statement-article_en

([46]) http://njt.hu/cgi_bin/njt_doc.cgi?docid=219363.382628

([47]) Réponses du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères au questionnaire de vos rapporteurs.

([48]) https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32020H0518&from=FR

([49]) https://ec.europa.eu/health/sites/health/files/ehealth/docs/covid-19_apps_en.pdf

([50]) https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:52020XC0417(08)

([51]) https://edpb.europa.eu/sites/edpb/files/files/file1/edpbletterecadvisecodiv-appguidance_final.pdf

([52])https://edpb.europa.eu/sites/edpb/files/files/file1/edpb_guidelines_20200420_contact_tracing_covid_with_annex_fr.pdf

([53]) https://edpb.europa.eu/sites/edpb/files/files/file1/edpb_edps_joint_opinion_dgc_en.pdf

([54]) Commission européenne, rapport 2021 sur l’état de droit, « La situation de l’état de droit dans l’Union européenne », 20 juillet 2021, COM(2021) 700 final (page 11).

([55]) Commission européenne, rapport 2021 sur l’état de droit, « La situation de l’état de droit dans l’Union européenne », 20 juillet 2021, COM(2021) 700 final (page 11).

([56]) Réponses du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères au questionnaire de vos rapporteurs.

([57]) Commission européenne, rapport 2021 sur l’état de droit, « La situation de l’état de droit dans l’Union européenne », 20 juillet 2021, COM(2021) 700 final (page 11).

([58]) Commission européenne, rapport 2021 sur l’état de droit, « La situation de l’état de droit dans l’Union européenne », 20 juillet 2021, COM(2021) 700 final (page 11).

([59]) https://rm.coe.int/declaration-fr/16809ea337

([60]) « En novembre 2020, la jurisprudence administrative allemande a contribué à la modification législative, d’initiative gouvernementale, consistant à introduire un catalogue limitatif de mesures pouvant être ordonnées par les exécutifs. En effet, bien que les décisions rendues par les juridictions administratives et constitutionnelles allemandes aient rejeté l’essentiel des recours introduits contre les ordonnances des exécutifs, certaines décisions se sont montrées plus critiques, retenant que ces dispositions étaient rédigées de manière trop large pour justifier des restrictions aussi fortes apportées à des libertés constitutionnellement garanties. » Source : réponses du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères au questionnaire de vos rapporteurs.

([61]) Réponses du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères au questionnaire de vos rapporteurs.

([62]https://pace.coe.int/pdf/6e68ea7ddeffb3eb0234f3e0d7589067eed898033326667a8259ffe25682ae848428feba12/recommandation%202179.pdf (point 6).

([63]) Réponses du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères au questionnaire de vos rapporteurs.

([64]) https://ipi.media/covid19/?alert_type=0&language=0&years=0&country=0

([65]) L’Europe est ici plus étendue que la seule Union européenne, mais comprend les États membres du Conseil de l’Europe.

([66]) https://rm.coe.int/covid-and-free-speech-fr/1680a03f3b (page 8).

([67]) https://rm.coe.int/09000016809cee30

([68]) Loi d’urgence du 30 mars 2020 : https://ipi.media/hungary-european-commission-must-take-firm-stance-to-defend-media-freedom/

([69]) Néanmoins il ne s’agit pas de mesures contrevenant à l’État de droit, étant donné que cette limitation temporaire a été inscrite dans le décret du 17 mars 2020.

([70]) COM(2020) 784.

([71]) https://mappingmediafreedom.ushahidi.io/posts/23283

([72]) https://www.liberation.fr/planete/2020/05/08/en-slovenie-le-premier-ministre-janez-jansa-en-marche-dans-les-pas-d-orban_1787764/

([73]) https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52014DC0158&from=FR

([74]) https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2020)018-f Points 47 et 48

([75]) Article 52.3 de la Constitution.

([76]) Article 19 TUE, paragraphe 1 : « Les États membres établissent les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l'Union. »

([77]) Affaire C-192/18, Commission/Pologne.

([78]) Arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C 64/16.

([79]) Arrêt du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C 619/18.

([80]) https://www.robert-schuman.eu/fr/doc/ouvrages/FRS_Parlement-Pologne.pdf

([81]) https://www.politico.eu/article/poland-coronavirus-app-offers-playbook-for-other-governments/

([82]) Informations tirées des réponses de l’ambassade de Malte en France à vos rapporteurs.

([83]) Informations tirées des réponses du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères à vos rapporteurs.

([84]) Informations tirées des réponses du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères à vos rapporteurs.

([85]) Informations tirées des réponses du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères à vos rapporteurs.

([86]) Informations tirées des réponses du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères à vos rapporteurs.

([87]) Informations tirées des réponses du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères à vos rapporteurs.

([88]) Article 4-1 de la loi du 3 avril 1955 : « l’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement pendant l’état d’urgence. Les autorités administratives leur transmettent sans délai copie de tous les actes qu’elles prennent en application de la présente loi. L’Assemblée nationale et le Sénat peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures ».

([89]) Altwegg-Boussac, Manon, « La fin des apparences. À propos du contrôle parlementaire en état d’urgence sanitaire », avril 2020 : https://journals.openedition.org/revdh/9022

([90]) https://www.publicsenat.fr/article/debat/coronavirus-c-est-en-temps-de-crise-que-le-respect-des-droits-fondamentaux-est-encore

([91]) Fourmont, A. et Ridard, B., « Le contrôle parlementaire dans la crise sanitaire », Fondation Robert Schuman, Question d’Europe n°558, 11 mai 2020.

([92]) J. Grogan, ‘States of Emergency', (2020) European Journal of Law Reform 338-354 ; and J Grogan, 'Power, Law and the COVID-19 Pandemic : Part I' and 'Part II' concluding the Power and the COVID-19 Pandemic Verfassungsblog Symposium (2021).

([93])  J Grogan and N Weinberg, Principles to Uphold the Rule of Law and Good Governance in a Public Health Emergency RECONNECT Policy Brief (August 2020).

([94]) Commission européenne, rapport 2021 sur l’état de droit, « La situation de l’état de droit dans l’Union européenne », 20 juillet 2021, COM(2021) 700 final (page 28).

([95]) https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/statement_20_567

([96]) https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/europe/evenements-et-actualites-lies-a-la-politique-europeenne-de-la-france/actualites-europeennes/article/declaration-de-19-pays-europeens-sur-l-etat-de-droit-2-04-20

([97]) https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2020-0054_FR.pdf

([98]) https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2020-0307_FR.pdf

([99]) Référence de l’enquête de la médiatrice européenne : OI/4/2020/TE.

([100]) https://fra.europa.eu/sites/default/files/fra_uploads/fra-2020-strong-effective-nhris_en.pdf

([101]) Affaires jointes C‑354/20 PPU et C‑412/20 PPU.

([102]) En juin, septembre et décembre 2018 et juin 2021.

([103]) En octobre et novembre 2018, en février, avril, juillet, septembre et décembre 2019 ; en septembre 2020.

([104]) En septembre et décembre 2019, et juin 2021.

([105]) En octobre, novembre et décembre 2018, en février et avril 2019, en septembre 2020.

([106]) Affaire C‑220/20.

([107]) Assemblée nationale, rapport d’information déposé par la commission des Affaires européennes sur le respect de l’État de droit au sein de l’Union européenne et présenté par Mme Coralie Dubost et M. Vincent Bru, 10 octobre 2018 (pages 53 à 62).

([108]) https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/qanda_20_1757

([109]) L. Pech “Doing more harm than good? À critical assessment of the European Commission’s first Rule of Law Report”, Heinrich Boll Foundation, 4 December 2020: https://eu.boell.org/en/2020/12/04/doing-more-harm-good-critical-assessment-european-commissions-first-rule-law-report

([110]) Le rapport est rendu public, de même que les contributions des États membres ou celles des 200 parties prenantes consultées (associations, autorités administratives indépendantes).

([111]) Réponses de Mme Joelle Grogan et M. Laurent Pech au questionnaire de vos rapporteurs.

([112]) Commission européenne, rapport 2021 sur l’état de droit, « La situation de l’état de droit dans l’Union européenne », 20 juillet 2021, COM(2021) 700 final (page 4).

([113]) https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/A-9-2021-0199_FR.html

([114]) En particulier, la Commission ne pourrait pas se fonder exclusivement sur des données collectées auprès de tiers.

([115]) Règlement 2020/2092 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2020 relatif à un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union, les violations des principes de l’État de droit.

([116]) Affaires C-156/21 et C-157/21.

([117]) Les dernières conclusions adoptées par la présidence le 19 novembre 2019 sur le dialogue annuel sur l’État de droit visent à le faire évoluer vers un examen concret de la situation de l’État de droit dans l’Union sur la base du rapport annuel de la Commission.

([118]) https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52016IP0409&from=FR

([119]) Fourmont, A. et Ridard, B., « Le contrôle parlementaire dans la crise sanitaire », Fondation Robert Schuman, Question d’Europe n°558, 11 mai 2020 (page 5).

([120]) Recommandation 2337/2020.

([121]) Décret n° 2020-1056 du 14 août 2020.

([122]) COM(2020) 575 final et JOIN(2020) 8 final.

([123]) Afin de faciliter le soutien à la presse et de renforcer la transparence et la prévisibilité du contrôle des aides d’État dans ce secteur, la Commission européenne a créé un répertoire en ligne (https://ec.europa.eu/competition/sectors/media/sa_decisions_to_media.pdf) présentant les pratiques pertinentes en la matière et le mettra régulièrement à jour.

([124]) Les aides accordées au titre de l’encadrement temporaire peuvent être cumulées avec des aides au titre des règlements de minimis [règlements (UE) n°1407/2013, (UE) n° 1408/2013, (UE) n° 717/2014 et (UE) n° 360/2012 de la Commission], qui sont exemptées de l’obligation de notification, pour autant que les dispositions et les règles de cumul de ces règlements soient respectées. En 2020, il y a eu des affaires concernant le Danemark, l’Italie et le Luxembourg.

([125]) Comme le préconisait déjà la stratégie 2017 de la Commission en matière de marchés publics. Cf. Communication de la Commission intitulée « Faire des marchés publics un outil efficace au service de l’Europe» [COM(2017) 572 final].

([126]) https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_20_2250

([127]) https://ipi.media/wpfd-2020-covid-19-accelerating-a-global-decline-in-media-freedom/

([128]) https://rsf.org/fr/news/nearly-half-un-member-countries-have-obstructed-coronavirus-coverage

([129]) Commission européenne, rapport 2021 sur l’état de droit, « La situation de l’état de droit dans l’Union européenne », 20 juillet 2021, COM(2021) 700 final (page 34).

([130]) S’agissant de la possibilité de recourir aux articles L. 3131-12 et suivants du Code de la Santé publique.

([131]) https://trybunal.gov.pl/postepowanie-i-orzeczenia/wyroki/art/11662-ocena-zgodnosci-z-konstytucja-rp-wybranych-przepisow-traktatu-o-unii-europejskiej