N° 4724
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 novembre 2021
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DE la défense nationale et des forces armées
en conclusion des travaux d’une mission d’information (1)
sur le plan Famille : quel bilan ?
ET PRÉSENTÉ PAR
Mmes Séverine gipson et Isabelle SANTIAGO
Députées
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(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.
La mission d’information sur le plan Famille : quel bilan ? est composée de : Mmes Séverine Gipson et Isabelle Santiago, rapporteures, Mme Carole Bureau-Bonnard, MM. André Chassaigne, Yannick Favennec-Bécot et Thomas Gassilloud, Mmes Sereine Mauborgne, Josy Poueyto et Laurence Trastour-Isnart, membres.
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SOMMAIRE
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Pages
Première partie : La nécessité de renforcer l’accompagnement social du militaire et de sa famille
1. La condition militaire, fondement des droits et obligations des militaires
2. Des sujétions spécifiques à chacune des trois armées et à la gendarmerie
b. Les sujétions propres à l’armée de Terre : mobilité, dispersion géographique et absences
c. L’armée de l’Air et de l’Espace se caractérise par un fort taux de projection de ses aviateurs
3. La famille, base arrière indispensable
B. La préexistence, avant l’adoption du plan Famille, de dispositifs d’accompagnement social
a. L’aide au logement et à l’hébergement
b. Les aides au déménagement et à l’installation
c. Les cartes de circulation ferroviaire
d. L’aide à l’emploi des conjoints
3. Le soutien apporté en cas d’absence opérationnelle
5. L’aide à la reconversion des personnels
C. L’implication d’une multiplicité d’acteurs dans l’accompagnement social
1. Les acteurs relevant du secrétariat général pour l’administration
2. Les services de soutien interarmées relevant de l’état-major des armées
a. Le service du commissariat aux armées, acteur central du soutien interarmées
b. Le service de santé des armées au cœur des enjeux sanitaires
4. Le rôle majeur du commandant de formation dans l’amélioration de la condition du personnel
6. L’Établissement public des fonds de prévoyance militaire et de l’aéronautique (EPFP)
A. Mieux compenser les sujétions croissantes liées à la condition militaire
2. La mobilité géographique, facteur de déracinement
1. L’évolution du modèle familial, défi pour le modèle social des armées
a. L’emploi des conjoints, un enjeu croissant
b. Le développement du célibat géographique
c. Une diversification des modèles familiaux qui suscite de nouveaux enjeux
a. Une évolution de la nature de la communication entre les militaires et leur famille
b. Une évolution de la communication entre l’institution et les militaires
A. Une institution militaire maintes fois malmenée
1. Une attractivité qui se maintient pour le recrutement
2. Une fidélisation à conforter
A. Le plan famille, traduction d’une volonté politique forte
1. Une réflexion entamée sous la précédente législature
2. L’impulsion du Président de la République et de la ministre des Armées
3. Un plan élaboré très rapidement
4. L’inscription du plan Famille en loi de programmation militaire
5. Un plan ayant donné lieu à concertation et en évolution continue
1. Un plan décliné en six axes et en une soixantaine de mesures
2. Des mesures financées dans le cadre de la loi de programmation militaire « à hauteur d’homme »
3. Des mesures d’ordre non budgétaire
1. Un accroissement de l’offre de garde d’enfants
a. Une augmentation du nombre de places en crèche
2. Une attention particulière portée au moral des familles
a. Un soutien moral et psychologique renforcé dans le cadre de l’absence opérationnelle
3. Une meilleure prise en compte de la trésorerie des ménages
a. Une modernisation de la prise en charge des frais de déplacement temporaire
c. Une augmentation du prêt habitat en faveur de l’accession à la propriété
4. Une simplification des démarches administratives : la désignation de la « personne de confiance »
B. Une simplification de certaines démarches liées à la mobilité
1. Un effort d’optimisation du soutien au déménagement
C. Un renforcement de l’intégration à la communauté de défense
1. L’appartenance à une communauté « singulière » : le lien entre les familles de militaires
2. Un lien renforcé entre l’institution militaire et les familles
a. Une reconnaissance de l’engagement associatif en faveur de la communauté militaire
b. Les mutuelles historiques, des acteurs au cœur du sentiment d’appartenance
d. Une meilleure prise en compte des nouveaux modèles familiaux dans l’action sociale
e. Une formalisation des échanges avec les associations de conjoints
3. Le lieu de travail du militaire, cadre de vie constitutif de l’esprit de corps
1. Le logement, principal sujet d’insatisfaction des familles
1. Un enjeu clef du plan Famille
2. Une mission dévolue à Défense mobilité
3. Un bilan mitigé de ce volet du plan Famille, compte tenu de l’ampleur de la tâche
4. Une nette insuffisance des moyens humains dévolus à Défense mobilité
1. La scolarité, enjeu majeur en cas de mobilité du militaire
4. La question de l’hébergement des étudiants issus de familles de militaire
D. Une offre de soins défaillante en raison de la désertification médicale
1. La désertification médicale
E. Des mesures à inscrire dans une réflexion globale et opérationnelle
1. Des mesures relatives aux cercles mess qui peinent à rencontrer leur public
2. La plateforme « e-social des armées » et le portail numérique du blessé
B. Une considération renforcée à l’égard des besoins familiaux
I. Sanctuariser l’existant afin d’assurer la pérennité du plan famille au-delà de 2022
B. Mieux communiquer et mieux informer les bénéficiaires du plan famille sur leurs droits
1. Adjoindre au directeur de projet du plan Famille une équipe de communication dédiée
B. Consolider les dispositifs en faveur des enfants de militaire
1. Accompagner le développement local de maisons d’assistantes maternelles
2. Faciliter l’inscription scolaire des enfants en cas de mutation du militaire
C. Redoubler d’efforts pour favoriser l’emploi des conjoints
a. Augmenter les effectifs de Défense mobilité
b. Recruter des personnels civils contractuels spécialisés dans l’accompagnement à l’emploi
2. Cibler plus particulièrement les conjointes de militaire du rang
3. Favoriser la téléconsultation
A. Favoriser la téléactivité des militaires lorsque c’est possible
B. Développer les bassins de mobilité
IV. Renforcer l’offre de services et de loisirs
A. Améliorer l’attractivité de l’offre de loisirs de l’igesa pour les familles les plus aisées
B. Élargir l’offre de services au sein des unités
1. Diffuser les services de conciergerie
2. Créer des points de vente automatisés pour les biens de première nécessité
3. Faciliter l’envoi de colis en OPEX
1. Le renforcement de l’offre de logement domanial, mesure phare du plan Famille en outre-mer
Examen du rapport en commission
Annexe n° 1 : Liste des personnes auditionnées par les rapporteures et déplacements
Annexe n° 2 : Programmation et exécution budgétaires du plan famille
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« "Que d’espace et de vent ta flamme se nourrisse…" ([1]) Tribu nomade au territoire incertain et dont l’erratique transhumance obéit à des règles obscures et impérieuses, les militaires sont de perpétuels errants. D’une ville à l’autre, d’une garnison à un théâtre d’opérations, ignorant frontières et continents, ils bouclent leur sac et leurs cantines et ils filent discrètement vers un nouvel horizon. Dans une société pourtant plus mobile que jadis et dans un univers rétréci par la vogue des voyages exotiques, leur sort demeure singulier et le rythme de leurs jours n’est comparable à nul autre.
Plus de vingt fois dans ma longue carrière, j’ai annoncé à ma femme un nouveau départ. Son regard clair me fixait : « Où et quand ? … Et nous ? » Je devinais son inquiétude, ses interrogations : les enfants, les écoles, le déménagement… et puis la séparation, la routine pesante, seule pendant des semaines, des mois. Et la peur cachée. Nul reproche dans sa voix : elle savait. Une fois pour toutes, elle avait dit « oui » à cette vie de nomade. Elle en acceptait les contraintes, elle en aimait la richesse. »
Général Henri Bentégeat, Aimer l’armée, une passion à partager
La condition militaire se caractérise par l’esprit de sacrifice, la disponibilité, la discipline, le loyalisme et la neutralité. Les militaires peuvent être appelés à servir en tout temps et en tout lieu. Leur liberté de résidence et leur liberté de circulation peuvent être restreintes. Le personnel vit au rythme du contrat opérationnel de son unité et de ses engagements sur le terrain, en métropole, en outre-mer et en opérations extérieures. Dans un tel contexte, la famille est, pour le militaire, une base arrière indispensable offrant stabilité et continuité.
L’accompagnement social des militaires et de leur famille par le ministère de la Défense ne date pas du plan Famille : il est une composante essentielle de la condition militaire visant à assurer un équilibre entre sujétions et compensations. Cependant, il semble de plus en plus nécessaire de mieux compenser les sujétions croissantes liées à la condition militaire. Le niveau élevé d’engagement des armées sur l’ensemble du territoire et en opérations extérieures pèse sur la disponibilité et le moral des militaires. Les contraintes pesant sur les familles leur sont de plus en plus difficiles à accepter dans une société où les conjoints de militaires ont le plus souvent – ou, du moins, souhaitent le plus souvent avoir – un emploi. La mobilité géographique des militaires représente aussi un réel défi pour les familles : à chaque nouvelle affectation, le militaire doit se familiariser avec un nouvel environnement et son conjoint doit organiser le déménagement, trouver un logement familial et s’occuper d’inscrire leurs enfants dans un nouvel établissement scolaire. L’emploi des conjoints est un enjeu croissant, non seulement en raison des mobilités répétées des militaires mais aussi de leurs absences opérationnelles. Les coupes budgétaires intervenues depuis le lancement de la révision générale des politiques publiques, dans un contexte de sursollicitation opérationnelle, ont donné à l’institution militaire le sentiment d’être malmenée. La professionnalisation des armées a quant à elle créé la nécessité de recruter et surtout de fidéliser les militaires.
Conscient de ces enjeux, le Président de la République a prononcé le 20 juillet 2017, à Istres, un discours que l’on peut qualifier d’acte fondateur du plan d’accompagnement des familles et d’amélioration des conditions de vie des militaires, plus souvent appelé « plan Famille ». La volonté de mieux accompagner les militaires et leur famille est alors devenue l’une des priorités de la ministre des Armées qui a officiellement lancé ce plan le 31 octobre de la même année ([2]). Dès 2018, le plan Famille a été inscrit, pour celles de ses mesures qui sont d’ordre budgétaire, en loi de programmation militaire pour 2019-2025.
Le bilan que tirent les rapporteures des trois premières années de mise en application du plan étant très positif, elles estiment qu’il gagnerait à mieux être connu aussi bien des familles que des militaires eux-mêmes. Si l’ensemble des mesures du dispositif est plébiscité par la communauté de défense, ce bilan positif ne doit pas occulter le fait que des difficultés quotidiennes majeures demeurent pour les militaires et les familles – difficultés concernant en particulier le logement, la scolarisation des enfants, l’emploi des conjoints et l’accessibilité aux soins.
Ce plan Famille est complété par trois autres politiques simultanément menées par le secrétariat général pour l’administration du ministère des Armées : le plan Hébergement, la conclusion du contrat Ambition Logements et la nouvelle politique de rémunération des militaires.
Parce que le plan Famille donne globalement grande satisfaction, les rapporteures jugent nécessaire d’en assurer la pérennité au-delà des échéances électorales de 2022 et ce, pendant toute la durée de la loi de programmation militaire, ce qui suppose d’accorder aux services de soutien et aux commandants de base de défense qui les coordonnent les moyens humains nécessaires pour leur permettre d’atteindre les objectifs qui leur sont fixés. Enfin, les rapporteures proposent de renforcer le plan Famille afin d’en garantir la pleine réussite.
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Première partie :
La nécessité de renforcer l’accompagnement social du militaire et de sa famille
« Les familles sont au cœur de l’engagement militaire. Ce sont les soldats que l’on recrute mais ce sont des familles entières qui s’engagent. »
Mme la ministre des Armées Florence Parly
L’accompagnement social du militaire et de sa famille est une composante essentielle de la condition militaire (I). Si de nombreux dispositifs d’accompagnement social préexistaient au plan Famille, dans un contexte de forte sollicitation opérationnelle des armées et de préparation aux conflits de haute intensité, il devenait indispensable de renforcer cet accompagnement social afin d’améliorer le quotidien des militaires et de leur famille, en répondant à des contraintes à la fois structurelles, liées à la nature même du métier de militaire et conjoncturelles, liées à l’évolution des modèles familiaux et à la numérisation croissante de la société (II). La volonté de mieux prendre en compte ces contraintes vise un objectif stratégique – recruter et fidéliser les militaires – et traduit la reconnaissance de l’importance de l’institution militaire par le politique après des décennies de restrictions budgétaires (III).
I. L’accompagnement social du militaire et de sa famille, composante essentielle de la condition militaire
La condition militaire recouvre l’ensemble des obligations et des sujétions propres à l’état militaire ainsi que les garanties et compensations apportées par la Nation aux militaires (A). L’accompagnement social du militaire et de sa famille, qui préexistait au plan Famille, est une composante essentielle de la condition militaire (B). Une pluralité d’acteurs, relevant tant du secrétariat général pour l’administration (SGA) du ministère des Armées que de l’état-major des armées, intervient dans cet accompagnement social (C).
A. La condition militaire, recherche d’un équilibre entre sujétions et compensations dépassant le cadre professionnel
La condition militaire est au fondement des droits et obligations des militaires (1). Chaque force armée est soumise à des contraintes qui lui sont propres (2). Compte tenu de ces sujétions, la famille constitue, pour le militaire, une base arrière indispensable (3).
1. La condition militaire, fondement des droits et obligations des militaires
La singularité militaire se caractérise par le pouvoir exorbitant qu’a le militaire de donner la mort au combat – sur ordre – et par l’acceptation, par le militaire, du risque de mourir pour son pays.
En vertu de l’article L. 4111-1 du code de la défense, la mission de l’armée est de préparer et d’assurer par la force des armes la défense de la patrie et des intérêts supérieurs de la Nation. L’état militaire exige en toute circonstance esprit de sacrifice, pouvant aller jusqu’au sacrifice suprême, discipline, disponibilité, loyalisme et neutralité. Les devoirs qu’il comporte et les sujétions qu’il implique méritent le respect des citoyens et la considération de la Nation. Le statut [militaire] assure à ceux qui ont choisi cet état les garanties répondant aux obligations particulières imposées par la loi. Il prévoit des compensations aux contraintes et exigences de la vie dans les forces armées et formations rattachées. Il offre à ceux qui quittent l’état militaire les moyens d’un retour à une activité professionnelle dans la vie civile et assure aux retraités militaires le maintien d’un lien avec l’institution. La condition militaire recouvre l’ensemble des obligations et des sujétions propres à l’état militaire ainsi que les garanties et les compensations apportées par la Nation aux militaires. Elle inclut les aspects statutaires, économiques, sociaux et culturels susceptibles d’avoir une influence sur l’attractivité de la profession et des parcours professionnels, le moral et les conditions de vie des militaires et de leurs ayants droit, la situation et l’environnement professionnels des militaires, le soutien aux malades, aux blessés et aux familles, les conditions de départ des forces armées et formations rattachées ainsi que les conditions d’emploi après l’exercice du métier militaire.
Comme le souligne le Haut comité d’évaluation de la condition militaire ([3]), « la condition militaire a une dimension de reconnaissance des sujétions de l’état miliaire, des sacrifices endurés et des périls auxquels les militaires sont, par leur engagement, exposés. Elle contribue également à la capacité des forces armées et, ce faisant, est aussi un objectif de défense. (…) Au niveau individuel, la condition militaire est aussi l’équilibre ressenti par chaque militaire entre les devoirs qui lui sont assignés, les obligations qui pèsent sur lui, les contraintes qu’il vit avec ses proches et les garanties, les contreparties ou les compensations définies. La reconnaissance que la Nation lui témoigne est un élément constitutif de la condition militaire ».
Les principales spécificités de la condition militaire sont définies aux articles L. 4121-3 à L. 4121-5 du code de la défense ([4]). En particulier, l’article L. 4121-5 de ce code prévoit que les militaires peuvent être appelés à servir en tout temps et en tout lieu, que leur liberté de résidence peut être limitée dans l’intérêt du service et que lorsque les circonstances l’exigent, leur liberté de circulation peut être restreinte. Comme le rappelait le général d’armée François Lecointre, alors chef d’état-major des Armées, dans son intervention du 7 juillet 2021 devant la commission de la Défense nationale et des forces armées ([5]), « réactivité, disponibilité, autonomie et stricte discipline […] constituent […] les premiers critères de la singularité militaire. »
En exigeant de ses soldats qu’ils se soumettent à ces obligations, l’institution militaire crée un lien qui va bien au-delà du cadre professionnel. Plus qu’un métier, le statut militaire représente un choix de vie pour les militaires, et pour leur famille.
L’esprit de sacrifice représente la plus importante des sujétions propres à l’état militaire, celle dont découlent toutes les autres. Si le sacrifice suprême incarne cette notion dans son expression la plus absolue, toutes les concessions que font les militaires, en termes d’éloignement familial, d’engagement opérationnel, de prise de risques physiques et de mobilité géographique représentent autant de sacrifices dont la valeur ne saurait être sous-estimée.
La disponibilité, qui permet à plus grande échelle la réactivité des forces armées, est une condition sine qua none du fonctionnement des armées. La disponibilité a plusieurs corollaires : des horaires souvent atypiques, un éloignement impliquant une rupture temporaire des liens sociaux et familiaux mais aussi une mobilité importante, en fonction des besoins des armées. Le militaire doit en effet toujours être prêt à partir en mission, sans nécessairement en connaître à l’avance la durée. Cette exigence de disponibilité a des répercussions majeures sur la vie quotidienne des militaires et sur celle de leur famille, tant elle complique la planification à court, moyen et long termes.
La discipline militaire, au-delà de ses implications évidentes d’exécution des ordres sur le terrain, rend particulièrement difficile la défense par les militaires de leurs droits et de leurs intérêts. Ils ne peuvent bien sûr pas contester les ordres de mutation ou de déploiement opérationnel, mais sont également exclus du champ de l’action syndicale. Le code de la défense dispose en effet en son article L. 4121-4 ([6]) que l’existence de groupements professionnels militaires à caractère syndical ainsi que, sauf dans les conditions prévues au troisième alinéa, l’adhésion des militaires en activité à des groupements professionnels sont incompatibles avec les règles de la discipline militaire.
Les militaires n’ayant pas la possibilité de se syndiquer, il est essentiel que le politique soit à l’écoute de leurs besoins et de leurs difficultés. De plus, le moral des troupes est indispensable à la réalisation du contrat opérationnel et donc à la défense de la Nation.
2. Des sujétions spécifiques à chacune des trois armées et à la gendarmerie
La vie militaire est marquée par la singularité d’un métier exigeant une forte disponibilité. Le personnel militaire vit au rythme du contrat opérationnel de son unité et de ses engagements sur le terrain, en métropole et en outre-mer comme en opérations extérieures. Chaque force armée ou formation rattachée évolue selon un contrat opérationnel et opère à un rythme qui lui est propre. Si pour la gendarmerie, la disponibilité, l’engagement sur le terrain, l’accès à l’emploi du conjoint et les études des enfants sont des facteurs déterminants, la mobilité, l’éloignement géographique, le logement, l’hébergement et les déploiements opérationnels sont prégnants dans les armées.
a. Les sujétions propres aux marins : des absences opérationnelles très longues doublées d’une déconnexion en mer
Lorsqu’il est affecté sur une unité navigante, le marin est absent quatre mois par an en moyenne, certaines unités étant absentes jusqu’à 200 jours par an. Mais même lorsque son bâtiment est à quai, le marin est soumis à des contraintes, notamment à des périodes d’alerte pouvant nécessiter soit de conserver l’équipage à bord – s’agissant notamment des équipages de sous-marins avant leur départ en patrouille – soit de restreindre leur libre circulation – l’alerte se faisant à 2 heures de ralliement. Le marin assure aussi la garde de l’unité, pour la protection et la sécurité incendie. Il n’est donc pas rare que le marin soit de garde pendant 24 heures, un jour sur sept à quai.
Dans la dernière enquête sociologique menée en 2019 par la direction des personnels militaires de la marine, l’incertitude du programme d’activité a été déclarée par les marins comme étant l’une des contraintes pesant le plus sur leur moral. Cette incertitude vient d’une forte sollicitation des moyens de la Marine en opérations et des aléas de disponibilité technique conduisant à remplacer sous très faible préavis une unité par une autre. Cette incertitude a de fortes conséquences sur la vie familiale et le conjoint s’organise souvent comme un « parent isolé ».
En outre, la déconnexion à la mer est totale en sous-marin pendant 40 à 70 jours et souvent partielle pour les unités de surface : le marin peut ainsi échanger des courriels, parfois passer des appels téléphoniques privés. L’accès à internet hors courriels est très restreint, à la fois pour des raisons de débit satellitaire insuffisant ou non autorisé hors service et pour des raisons de sécurité.
Les jeunes s’engageant dans la marine soulèvent le plus souvent des questions sur les sujétions liées à la durée des absences du domicile, à l’éloignement avec les proches et les amis ainsi qu’à la déconnexion numérique. Ces interrogations concernent toutes les classes d’âge et les différents niveaux de formation mais sont surtout le fait des jeunes les moins qualifiés.
Les efforts fournis par les gestionnaires de ressources humaines de la marine en faveur du double équipage, de l’accompagnement de la mobilité et des contraintes de service, conjugués aux témoignages fournis par les marins dans le cadre des opérations de mentorat MyJobGlasses ([7]) et Tchat Etremarin.fr ayant eu une vie équilibrée entre la vie professionnelle et la vie personnelle permettent pour le moment de maintenir un taux stable de sélectivité au recrutement. Ce taux est ainsi de 1,5 à 2 pour les militaires du rang, supérieur à 2 pour la maistrance et d’environ 1 à 7 pour les officiers. Si les sujétions auxquelles les marins sont soumis sont très fortes, l’emploi proposé aux futurs marins est sans comparaison avec les emplois offerts dans la société civile. De nombreux jeunes acceptent les contraintes propres à l’emploi dans la Marine nationale parce qu’ils placent au-dessus de celles-ci les enjeux de la mission.
S’agissant des marins relevant des tranches d’âge allant de 35 à 50 ans, le régime des pensions militaires, caractérisé notamment par des durées de service courtes ainsi que par une pension à liquidation immédiate et des bonifications particulières, compense les sujétions précitées.
En tout état de cause, la mobilité reste pour les marins la principale sujétion. Les difficultés qu’elle implique en termes de vie personnelle – logement, emploi du conjoint, stabilité des enfants – sont en décalage croissant avec les aspirations contemporaines.
La Marine nationale connaît aussi une usure de son personnel en raison d’un taux d’activité particulièrement élevé dans certaines spécialités embarquées telles que la communication, les opérations et le contrôle aérien. Cette suractivité est aggravée par les départs qu’elle favorise et nuit à la réputation de ces spécialités auprès des jeunes recrues, moins enclines à les choisir. La Marine nationale emploie en outre de nombreux techniciens qualifiés parmi ses officiers-mariniers qui doivent maintenir leurs compétences techniques, ce qui suppose qu’ils passent régulièrement des examens qualifiants, particulièrement exigeants et usants. La Marine nationale fait également face à des difficultés particulières en matière de conciliation de la vie professionnelle et de la vie personnelle. Certaines missions impliquent une absence de prévisibilité particulièrement difficile à vivre, et tendent à fragiliser davantage la fidélisation des effectifs embarqués.
Enfin, s’agissant des marins les plus qualifiés ou les plus anciens, ceux qui ont entre 40 et 50 ans, l’état-major de la Marine se heurte à la difficulté de fidéliser ses personnels lorsque leur spécialité est en concurrence directe avec le secteur privé. C’est particulièrement le cas dans le domaine des systèmes d’information et de communication, du maintien en condition opérationnelle aéronautique ou encore de l’énergie atomique. Cette difficulté a pour conséquence, d’une part, une situation de sous-effectifs dans certains métiers, le flux de recrutement ne parvenant pas à compenser les départs et, d’autre part, la fragilisation des pyramides d’expertise, les départs précoces limitant la capacité des armées à disposer de techniciens expérimentés.
b. Les sujétions propres à l’armée de Terre : mobilité, dispersion géographique et absences
Sur les 127 616 militaires que compte l’armée de Terre au 31 décembre 2020 – dont 12 % d’officiers, 32 % de sous-officiers et 56 % de militaires du rang –, 76 % du personnel sert sous contrat et l’on recense dans l’armée de Terre 11 % de femmes. L’âge moyen au sein des régiments est inférieur à 28 ans dans les forces opérationnelles terrestres et de 32 ans pour l’ensemble de l’armée de Terre.
Tout comme la Marine, l’armée de Terre est soumise à de fortes contraintes.
Tout d’abord, la mobilité y est très importante : on compte 12 900 mutations par an dans l’armée de Terre et 30 % des officiers sont concernés par le plan annuel de mutation chaque année. Les séparations sont en hausse et le phénomène du célibat géographique concerne 17 % des militaires.
Ensuite, contrairement à celles de la Marine et de l’armée de l’Air qui sont concentrées sur quelques bases, les unités de l’armée de Terre se caractérisent par une forte dispersion géographique : on ne compte pas moins de 200 formations d’emploi dans cette armée. Cette dispersion est source de diverses contraintes : de très fortes tensions pour se loger dans les grandes villes – 30 % des demandes formulées par les familles de militaires de l’armée de Terre à Paris ne sont pas satisfaites par le bureau du logement de la région Île-de-France (BILRIF) –, et à l’inverse, dans les garnisons très isolées comme à Bitche, Carpiagne ou La Cavalerie, de très grandes difficultés d’accès aux soins médicaux ou de scolarisation des enfants.
Les militaires appartenant à la force opérationnelle terrestre sont absents de leur domicile en moyenne 136 jours par an pour des absences supérieures à 4 mois dans le cas des opérations extérieures ou des missions de courte durée, de six semaines pour Sentinelle ou pour des durées plus courtes mais avec un faible préavis pour des missions d’entraînement ou des services.
Les militaires du rang et les jeunes sous-officiers célibataires sont hébergés au régiment dans des conditions souvent vétustes en chambre troupe. Il en va de même des célibataires géographiques hébergés dans les bâtiments pour cadres célibataires. La majorité des militaires du rang ne sont pas équipés de poste informatique leur permettant d’accéder à intradef, l’intranet du ministère des Armées.
c. L’armée de l’Air et de l’Espace se caractérise par un fort taux de projection de ses aviateurs
L’armée de l’Air et de l’Espace comprend 40 509 aviateurs dont 31 014 sont employés par cette armée elle-même et 9 495, en dehors de celle-ci – notamment au service du commissariat des armées, à la DIRISI et à la direction de la maintenance aéronautique (DMAé). Sur les plus de 40 000 aviateurs, on compte environ 6 500 officiers, 24 050 sous-officiers et 10 000 militaires du rang. L’aviateur est jeune – 36 ans en moyenne –, vit en couple (à 54 %) et élève au moins un enfant (44,5 %). L’armée de l’Air et de l’Espace se caractérise également par un taux de féminisation ([8]) plus important que dans les autres armées.
Cette armée se distingue par son mode d’engagement spécifique en assurant des missions permanentes de souveraineté nationale et de service public à partir de ses bases aériennes et sur les différents théâtres d’opérations extérieures. Les militaires de l’armée de l’Air et de l’Espace connaissent des engagements opérationnels de courte durée tout au long de l’année ; 30 000 des 40 000 aviateurs sont projetés chaque année. Les bases aériennes, souvent excentrées, sont le pivot des opérations ainsi que le lieu d’entraînement et de préparation opérationnelle : elles constituent le point stratégique de conduite de la politique d’accompagnement de l’aviateur et de sa famille. L’engagement des aviateurs sur les théâtres d’opérations extérieures repose avant tout sur l’intégration de compétences individuelles se caractérisant par une capacité de projection individuelle. À la projection en opérations extérieures (OPEX) et aux missions de courte durée, qui concernent près de 7 000 aviateurs par an pour une durée moyenne d’absence de 80 jours, s’ajoutent les opérations intérieures qui concernent 660 aviateurs par an. S’agissant des forces de présence et de souveraineté, l’armée de l’Air et de l’Espace reste très attentive aux difficultés rencontrées par les aviateurs et leur famille – souvent exacerbées sur ces territoires et doublées parfois de difficultés administratives. Près de 1 300 aviateurs sont affectés dans ces forces.
d. Les sujétions propres au métier de gendarme varient selon que l’on est affecté en gendarmerie départementale ou dans la gendarmerie mobile
La condition militaire du gendarme, quel que soit le contexte – paix, crise ou guerre – implique notamment une disponibilité totale, une forte capacité de résilience et une adaptabilité organisationnelle et humaine. En tant que militaire, le gendarme, qu’il relève de la gendarmerie départementale ou de la gendarmerie mobile, est soumis à l’impératif de disponibilité en tout temps et en tout lieu.
En gendarmerie départementale, les conditions de vie du gendarme et de sa famille peuvent varier très sensiblement selon que le militaire est affecté dans une zone présentant de nombreux atouts économiques, culturels, sociaux ou, au contraire, dans une zone rurale cumulant de nombreux handicaps ou dans une zone périurbaine à forte délinquance de proximité. L’organisation de la gendarmerie repose sur un maillage de plus de 3 000 brigades territoriales en métropole et en outre-mer. Une part importante des militaires de la gendarmerie est affectée dans des unités isolées aux très faibles effectifs – 1 628 brigades ayant des effectifs inférieurs à 10 – et vit au sein d’une petite communauté. Présentes dans la profondeur des territoires, en outre-mer et en métropole, les familles de gendarmes sont confrontées à des problématiques d’accès à l’emploi pour le conjoint ainsi que de scolarité, notamment post bac, compte tenu de l’implantation, parfois rurale ou semi-rurale, des unités opérationnelles. En zone périurbaine, les gendarmes sont confrontés à des difficultés de sécurisation des casernes qui font de plus en plus l’objet d’intrusions – 12 par mois actuellement. Ces intrusions peuvent prendre la forme d’attaques directes à l’aide de tirs de mortier, de dégradations et d’incendies volontaires des véhicules de service et de véhicules privés ainsi que d’agressions physiques perpétrées par des auteurs d’infractions ayant été interpellés antérieurement. Certains individus s’introduisent la nuit directement dans les logements familiaux pour en découdre avec les gendarmes.
Spécialisée dans le maintien et le rétablissement de l’ordre public, la gendarmerie mobile intervient sur tout le territoire, y compris en outre-mer, ainsi qu’à l’étranger, en particulier sur les théâtres d’opérations extérieures. Les militaires sont déplacés pour des missions de sécurisation – d’ordre public notamment – ou encore pour des événements ou des missions particulières durant plusieurs jours voire plusieurs mois, entraînant pour les chargés de famille l’absence prolongée hors du foyer familial. Les gendarmes mobiles sont engagés en moyenne plus de 174 jours par an hors de leur lieu d’affectation.
En complément de l’activité quotidienne de chaque gendarme, les exemples récents d’événements, que ce soit en métropole, en outre-mer ou à l’étranger, témoignent de cet engagement fort, qu’il s’agisse de la traque de survivalistes, de la lutte contre le terrorisme, de la présence de black blocs dans les manifestations, de l’évacuation de zones à défendre (ZAD), de sommets internationaux, des référendums en Nouvelle-Calédonie, de catastrophes naturelles ou encore de gestion de crises longues telles que la crise sanitaire.
La mobilité géographique entraîne souvent des contraintes importantes pour les militaires et leur famille.
La promiscuité professionnelle est accentuée par l’obligation pour les officiers et sous-officiers de gendarmerie de vivre dans des logements concédés par nécessité absolue de service : la vie professionnelle des militaires et leur vie familiale se trouvent inévitablement mêlées. La vie en caserne, dans des implantations isolées, se complique du fait que le gendarme est, par nature, immergé dans la population. La fragilisation de la tranquillité publique dans certaines zones induit des problématiques de sécurité pour les gendarmes et leurs proches. L’extension de l’urbanisation, la mobilité de la délinquance, notamment liée à la saisonnalité des activités touristiques, ou sa complexification en zone rurale font aussi évoluer les rapports des gendarmes avec leur environnement direct.
3. La famille, base arrière indispensable
Les contraintes auxquelles les militaires sont soumis s’exercent autant sur le plan physique que sur le plan psychologique, autant sur le plan financier que sur le plan affectif. Dans un tel contexte, la cellule familiale, souvent qualifiée de « base arrière », joue un rôle majeur de stabilité et de continuité dans la vie du militaire, au fil des missions et des mutations. La famille, et en particulier le conjoint ou la conjointe, apporte au militaire un soutien psychologique essentiel, les militaires étant encore peu nombreux à faire appel aux psychologues militaires, de peur d’être stigmatisés. La famille sert ainsi de sas de décompression où le militaire peut aborder librement ses difficultés sans courir le risque que ses paroles soient répétées au sein de son unité. Comme le soulignent les associations représentant les conjoints de militaires telles que l’ANFEM ou Women Forces, le rôle du conjoint va bien au-delà du simple réconfort que l’on peut attendre dans un couple. En raison des absences opérationnelles répétées du militaire, les conjoints doivent souvent assumer seuls toutes les tâches domestiques, administratives et relatives à l’éducation des enfants. L’équilibre familial repose ainsi en grande partie sur eux, contribuant ainsi à l’efficacité opérationnelle car un militaire qui sait que sa famille se portera bien en son absence peut se consacrer pleinement à sa mission.
« Épouser un militaire, c’est épouser l’armée » : cette formule résume à quel point les conjoints de militaires sont directement impliqués dans l’institution et soumis aux besoins opérationnels des armées qui dictent les absences des militaires. Mme Elena Lysak, sociologue auditionnée dans le cadre de la mission d’information, souligne que les conjoints, et notamment les épouses de militaires ([9]), jouent également un rôle important dans la transmission des valeurs militaires aux enfants, l’héritage professionnel étant particulièrement marqué chez les militaires de carrière. Selon elle, les conjoints de militaire apportant une réelle contribution à l’institution, il est essentiel qu’ils reçoivent la reconnaissance adéquate. Si les conjoints de militaires sont conscients des difficultés qui vont s’imposer à eux et acceptent certains sacrifices, la prise en compte des difficultés que rencontrent les familles en raison de l’engagement opérationnel du conjoint militaire est essentielle pour maintenir des relations saines entre l’institution et la « base arrière ».
Dans la gendarmerie, par exemple, où 63 % des militaires sont en couple ([10]) et où, hors gendarmes adjoints volontaires, 48,5 % des militaires sont en couple avec des enfants à charge ([11]), un sondage établi en 2020 sur le climat interne en gendarmerie montrait que 53 % des militaires de la gendarmerie ont de fortes attentes en ce qui concerne la conciliation de leur vie professionnelle et de leur vie familiale. Les femmes gendarmes sont plus souvent à la tête de familles monoparentales (11 % contre 7 % de leurs homologues masculins). L’organisation de la vie familiale continuant à incomber le plus souvent aux femmes, celles-ci peuvent avoir d’autant plus de mal à concilier vie privée et vie professionnelle. 64 % des personnels de la gendarmerie qui sont en couple avec enfant(s) déclarent que leurs proches ne les jugent pas assez disponibles du fait de leurs horaires de travail. C’est notamment le cas des officiers et des sous-officiers. Par ailleurs, 48 % des personnels estiment qu’il ne leur serait pas facile –voire qu’il leur serait impossible, pour 3 % d’entre eux – de se rendre disponibles en cas d’imprévu.
Dans l’armée de Terre, on compte 57 486 conjoints – mariés, pacsés ou concubins déclarés – et 65 456 célibataires, même si de nombreux célibataires partagent leur vie avec un compagnon ou une compagne. Les séparations y sont en hausse et le phénomène du célibat géographique – sur lequel les rapporteures reviennent infra – concerne 17 % des militaires.
B. La préexistence, avant l’adoption du plan Famille, de dispositifs d’accompagnement social
C’est afin de compenser les sujétions propres à la condition militaire que le ministère de la Défense a défini au fil du temps une politique d’accompagnement social. L’action sociale des armées a aussi vocation à compléter, au profit de ses ressortissants ([12]), les actions dont ceux-ci peuvent bénéficier par application de la réglementation générale dans le domaine social. Les aides sociales, qui préexistaient au plan Famille, ont pour objectif de compenser les sujétions et obligations militaires mais aussi de compléter l’action sociale nationale en faveur des ménages les plus démunis. Elles incluent des dispositifs hérités d’initiatives passées (colonies de vacances, maisons familiales, centres d’accueil, crèches ou institutions médico-sociales) relevant parfois des loisirs. Avant de dresser un bilan détaillé du plan d’accompagnement des familles et d’amélioration des conditions de vie des militaires, les rapporteures ont souhaité remettre le plan dans son contexte en présentant succinctement les dispositifs préexistants.
De la Première Guerre mondiale à la fin de la Guerre froide, une lente évolution de l’accompagnement social
Avant la Première Guerre mondiale, l’action sociale dans les armées était conçue sur le modèle de la charité et des bonnes œuvres – outre le rôle traditionnel dévolu aux cantinières – et comme un ensemble de prestations à caractère familial annexes à la solde. En 1917, le ministre de l’Armement Albert Thomas répondit à l’arrivée massive de femmes dans les usines d’armement pour suppléer le personnel masculin mobilisé en créant la fonction de surintendante d’usine, inspirée des ladies superintendants britanniques. Précurseur de l’assistante sociale d’aujourd’hui, elle était chargée de veiller à la santé des ouvrières et de mettre en place des activités et des structures pour améliorer leurs conditions de vie (crèches, cantines d’entreprises, vestiaires, etc.). Il s’agissait de décupler la production de munitions tout en ménageant la main-d’œuvre. Une réelle organisation sociale des armées n’advint que dix ans plus tard, avec la création de services sociaux par armée, dont les conceptions s’éloignaient explicitement de celles de la charité privée. L’action sociale devint une prise en charge professionnelle, manifestation de mesures de solidarité et de prévoyance résultant de l’effort collectif des bénéficiaires eux-mêmes. Par le décret du 29 décembre 1936, le ministère de la Marine se dota d’un bureau des questions ouvrières et des œuvres sociales. Par décret du 3 novembre 1939, le ministère de l’Armement mit en place un service social dans les usines militaires. Le rapport au président de la République qui précède ce décret souligne la nécessité de venir en aide au millier d’ouvriers qu’il fallut déplacer loin de leur famille pour les besoins de la défense nationale. Le décret du 12 mars 1941 créa le service des œuvres sociales de l’Air tandis que le service social du ministère de la Guerre fut créé par un décret du 19 avril 1941. Là encore, l’action sociale fut pensée comme un moyen de soutenir l’effort de guerre.
À la suite de la constitution de l’arme aérienne, la loi du 30 mars 1928 relative au statut du personnel navigant de l’aéronautique mit en place un fonds de prévoyance aéronautique (FPA) alimenté par les cotisations obligatoires des aviateurs. Le fonds de prévention militaire ne fut créé par l’armée de terre que trente ans plus tard, en 1958, pendant le conflit algérien. Ces deux fonds furent réunis au sein de l’Établissement public des fonds de prévoyance (EPFP) en 2007.
Après 1945, les armées se réorganisèrent en un seul ministère : le ministère des Forces armées, ce qui engendra la fusion des divers services sociaux et la création d’un service unique, l’action sociale des forces armées (ASFA) par décret n° 48-167 du 29 janvier 1948. La caisse nationale militaire de sécurité sociale (CNMSS) fut créée en 1949, à la suite d’une initiative parlementaire « tendant à faire étendre le bénéfice de la sécurité sociale à tous les militaires en activité de service ou non ainsi qu’à leur famille » (1). Les militaires n’étaient en effet pas assurés au titre du régime général et ne furent pas davantage concernés par la loi n° 47-649 du 9 avril 1947 étendant la sécurité sociale aux fonctionnaires.
Le Gouvernement présenta un projet de loi en réponse, le 25 juin 1948, d’une quinzaine articles « portant intégration des militaires dans l’organisation générale de la sécurité sociale ». Publiée le 12 avril 1949, plus d’un an après le dépôt de la proposition, la loi porte la reconnaissance de la Nation à l’égard de la spécificité du métier de militaire mais aussi de sa vie familiale. La solution d’un régime spécial, c’est-à-dire autonome, a prévalu, en raison des spécificités fortes de la condition militaire (dispersion des formations, mobilité, diversité des statuts, obligations d’aptitude au service, existence d’un service de santé des armées) et d’un fort sentiment d’appartenance à une communauté solidaire animée par des valeurs mutualistes.
Il résulte de cette construction historique un ensemble de dispositifs et de prestations d’une grande diversité et d’une grande richesse destinés aux militaires.
Les dispositifs d’aides sociales se sont édifiés progressivement afin de répondre aux sujétions imposées par la condition militaire. Le dispositif d’aide sociale du ministère fait intervenir à l’échelon national trois acteurs principaux : le service de l’action sociale des armées (ASA) ([13]), les mutuelles historiques ainsi que les associations du monde de la défense. Préexistant au plan Famille, les aides proposées concernent l’ensemble du champ d’action sociale : le logement, la scolarité, les aides à la vie professionnelle, les loisirs, la maladie ou encore la dépendance. Au sein de cet environnement, le rôle des associations ([14]) a bénéficié d’un soutien historique apporté par le ministère des Armées via leur subventionnement. Généraliste ou adossé à une armée ou à une population particulière, leur objet est toujours d’apporter un soutien moral et, parfois, une aide matérielle.
Les particularités de la condition militaire et notamment la disponibilité en tout temps et en tout lieu ou la vie en enceinte militaire, ont justifié une implication ancienne du ministère dans les temps de repos et de loisirs.
Cette action s’est concrétisée avec l’Institution de gestion sociale des armées (Igesa ([15])), créée par la loi du 2 juillet 1966 promulguée par le général de Gaulle pour gérer les établissements sociaux et médico-sociaux du ministère de la Défense au profit de ses ressortissants civils et militaires, actifs et retraités. Incarnant le « bras armé » de la politique sociale du ministère, l’Igesa – désormais rebaptisée Igesa, sans article – a vu son rôle renforcé dès 2004, avec sa transformation en un établissement public à caractère industriel et commercial sans but lucratif. Opérateur social du ministère des Armées, Igesa intervient dans de nombreux domaines de la vie familiale : la petite enfance, les maisons d’enfants et d’adolescents à caractère social, le versement de prestations, la délivrance de 2 500 prêts sociaux, l’organisation de colonies de vacances pour les enfants, la gestion de villages, d’hôtels, de résidences et de clubs de vacances pour les adultes et les familles mais aussi celle d’établissements sociaux et médico-sociaux : crèches, jardins d’enfants et halte-garderie. Un conseil de gestion, comportant notamment deux représentants des usagers militaires et civils issus du conseil central de l’action sociale, détermine, dans le cadre des orientations fixées par le ministère, la politique générale de l’établissement. L’offre de loisirs, la gestion du versement des aides ainsi que la délivrance des secours n’est donc pas née avec le plan Famille.
Outre les missions assurées par Igesa, l’action dans le domaine du loisir se concrétise par l’octroi de chèques vacances au titre de l’action interministérielle du ministère chargé de la fonction publique.
À l’échelon local, au sein des services interarmées et des différentes armées préexistaient également au plan Famille des services et prestations sociales dédiées. L’organisation d’actions sociales, communautaires et culturelles (ASCC) était déjà pratiquée par les bases de défense et les unités mais laissée à la décision du commandant local. Avec Marine Loisirs, la Marine nationale disposait par exemple d’un organisme très apprécié proposant, tel un comité d’entreprise, diverses prestations de loisirs, des billetteries locales et nationale, des réductions chez les commerçants, des tarifs pour les remontées mécaniques à Toulon et des activités sportives dans des centres de loisirs ou des clubs nautiques.
À l’échelon national, la problématique du cadre de vie et du soutien aux familles est connue depuis longtemps au sein des services du ministère. En 2016, le conseil de défense actait déjà un plan d’amélioration de la condition du personnel comportant un volet rémunération ainsi qu’un volet « conditions de travail et aide à la famille ». Dans ce cadre, 7 millions d’euros de crédits ont été octroyés en 2016 au profit du financement d’actions sociales, communautaires et culturelles (ASCC) et de l’amélioration du cadre de vie en enceinte militaire.
La mobilité, sujétion consubstantielle au métier de militaire, a également donné lieu à une politique sociale dédiée couvrant le déménagement, le logement, la circulation du militaire sur le territoire ainsi que l’aide à l’emploi du conjoint.
a. L’aide au logement et à l’hébergement
L’aide au logement et à l’hébergement préexistant au plan Famille répondait au même objectif que celui affiché par ce plan : compenser les contraintes liées à la mobilité des militaires et faciliter l’accès au logement des familles aux revenus modestes, notamment dans les zones sous forte tension locative. En 2014, le ministère lançait ainsi un plan d’amélioration des infrastructures de vie, lequel portait notamment sur l’hébergement et la restauration à la suite de l’identification d’au moins 700 « points noirs ». Dans le même temps, une réhabilitation des casernements de l’armée de Terre fut menée dans le cadre du plan Vivien.
D’autres actions ont été conduites, notamment pour mieux appréhender le célibat géographique.
Dans le cadre de sa politique du logement, le ministère de la Défense mène une politique sociale de prise en charge partielle et dégressive des frais de loyer, d’attribution de logements sur critères sociaux ainsi que d’aides sociales en faveur de l’accession à la propriété. En vertu des articles 5 bis, 5 ter et 5 quater du décret n° 59-1193 du 13 octobre 1959 fixant le régime de l’indemnité pour charges militaires, des indemnités complémentaires sont prévues afin d’atténuer les incidences d’un changement de résidence pour un militaire marié, pacsé de plus de deux ans ou avec enfant à charge. Cette aide se concrétise par la majoration de l’indemnité pour charge militaire (MICM) et par le supplément forfaitaire de l’ICM (SUPICM). Les rapporteures reviennent en deuxième partie du présent rapport sur la réforme de ces indemnités dans le cadre de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM). Dans sa version de 2016, le prêt d’accession à la propriété articulait un prêt de 13 000 euros, à taux zéro et remboursable sur une durée maximale de dix ans ainsi qu’un complément de prêt de 7 000 euros attribué par l’EPFP.
b. Les aides au déménagement et à l’installation
Autre volet de la prise en charge de la mobilité, le régime de l’aide au déménagement a été fixé par le décret n° 2007-640 du 30 avril 2007, lequel précise la nature de l’aide et les plafonds de remboursement. Ainsi, dès avant l’adoption du plan Famille, le militaire et sa famille pouvaient prétendre au remboursement des frais de transport de mobilier en cas d’intervention d’un professionnel du déménagement. Les plafonds d’aide ont été revalorisés en 2009 afin de tenir compte de l’ancienneté du militaire (plus ou moins de quinze ans de service à la date de la mutation) et de sa situation familiale.
Ce dispositif a été complété par plusieurs dispositifs indemnitaires ([16]).
c. Les cartes de circulation ferroviaire
La carte Famille SNCF, mesure emblématique du plan Famille sur laquelle les rapporteures reviennent infra, améliore, s’agissant des familles, un dispositif préexistant : la carte de circulation ferroviaire qui bénéficie aux militaires et qui bénéficiait aux familles lorsqu’elles voyageaient en présence du militaire.
d. L’aide à l’emploi des conjoints
Dès 2002, le ministère des Armées a créé des cellules d’accompagnement vers l’emploi des conjoints (CAEC). Implantées sur l’ensemble du territoire national, elles avaient pour vocation de faciliter la recherche d’emploi grâce à la collaboration d’une quarantaine de conseillers spécialisés dans le reclassement des conjoints de militaires. La notion de conjoint s’entend au sens large, visant aussi bien les personnes mariées à un militaire, que les personnes pouvant justifier d’une vie commune. Cette action était complétée par une aide financière aux militaires mariés ou pacsés. La situation des conjoints fonctionnaires faisait quant à elle l’objet d’une politique au cas par cas, parfois inégale selon les régions et le corps d’appartenance des fonctionnaires.
3. Le soutien apporté en cas d’absence opérationnelle
L’absence constitue une épreuve pour la vie familiale, prise en compte par le ministère dès avant la mise en application du plan Famille. Le soutien apporté est orchestré par l’assistant de service social.
Dans le domaine de l’enfance, la question de la garde faisait, avant l’adoption du plan Famille, l’objet d’une politique active – avec notamment l’adoption du plan petite enfance 2015-2019, le financement d’établissements et la réservation de places dans des structures adaptées, tout en prenant en charge une partie du coût de l’accueil. La prise en charge de la prestation pour garde d’enfants en horaires atypiques ainsi que l’aide à l’accueil périscolaire des enfants de six à onze ans constituent des aides financières importantes aux yeux des familles, ayant bénéficié d’un élargissement de leur périmètre. Par ailleurs, des actions sont menées par le ministère dans le cadre des établissements médico-sociaux ainsi que des lycées de défense.
L’absence du militaire est compensée financièrement par le versement de la prestation de soutien en cas d’absence prolongée du domicile (PASD).
Enfin, le soutien moral et psychologique aux familles constitue également une action traditionnelle au cœur du dispositif d’accompagnement social souhaité par l’institution militaire. Les actions de sensibilisation avant et pendant les opérations, le soutien aux familles endeuillées ainsi que l’écoute vingt-quatre heures sur vingt-quatre en cas de souffrance psychologique sont des dispositifs reconnus. Ce soutien, qui diffère selon les armées, directions et services, est organisé selon une logique de proximité, notamment par le bureau de liaison des familles dans la Marine, par le bureau de l’environnement humain dans l’armée de Terre et par la cellule de condition de l’aviateur dans l’armée de l’Air et de l’Espace.
Les blessés font l’objet d’une politique particulière menée conjointement par la Caisse nationale militaire de sécurité sociale (CNMSS) et le ministère des Armées, notamment via l’Igesa et l’action sociale des armées (ASA). Outre les aides financières dont bénéficient les familles, ces acteurs assurent leur information, notamment via le guide du parcours du militaire blessé, disponible en ligne.
Le 10 novembre 2015, le ministère des Armées lançait le « Plan d’action relatif à l’amélioration de la prise en charge des militaires blessés ». Ce plan envisageait l’application de diverses mesures, parmi lesquelles l’une d’entre elles a été reprise puis abandonnée par le plan Famille ([17]) : elle consistait à « expertiser les conditions et les modalités de création d’une maison interarmées du blessé à l’Hôtel national des Invalides ». Ce plan d’action ministériel a été complété par un plan lancé le 18 décembre 2015 par le service de santé des armées visant à la « prise en charge et [au] suivi du blessé psychique dans les forces armées » qui visait notamment à « poursuivre la sensibilisation des militaires [au suivi psychique] et [à] développer l’information aux familles ».
L’action a ensuite été élargie à la Gendarmerie nationale : auparavant dépourvue de cellule d’aide aux blessés en tant que telle, la gendarmerie s’est dotée en décembre 2015 d’un dispositif de soutien à ses blessés, la cellule d’aide aux blessés de la gendarmerie nationale (CABGN). Parallèlement, le SSA, s’appuyant sur la cellule d’aide aux blessés de l’armée de Terre (CABAT), institua, également en décembre 2015, une cellule d’aide aux blessés et aux malades du service de santé des armées (CABMSSA) au sein de la direction centrale du SSA (DCSSA).
En 2016, le ministère de la Défense s’est aussi engagé à assurer un suivi des blessés dans la durée en transférant la cellule d’aide aux blessés à l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG).
Enfin, le ministère des Armées verse aux familles endeuillées des allocations financières et aides sociales spécifiques : la pension militaire d’invalidité (PMI) ([18]), la pension de réversion et la carte de circulation SNCF avec une réduction de 75 %.
5. L’aide à la reconversion des personnels
Compte tenu de la volonté du ministère de la Défense de conserver une armée « jeune » ainsi que de la part croissante des contractuels au sein des armées, la reconversion des militaires fait l’objet d’une politique dédiée, incarnée par la création en 2009 de l’Agence de reconversion de la défense, rebaptisée par la suite Défense Mobilité. Ce service assure la transition professionnelle et le reclassement des personnels civils et militaires. Dans le cadre de leur prise en charge par Défense Mobilité, les militaires bénéficient d’aides complémentaires au titre de l’article L. 4139-5 du code de la défense. Afin d’accompagner la mission de l’Agence, une mission de reconversion des officiers (MRO) a été créée et rattachée à Défense Mobilité le 6 janvier 2014.
C. L’implication d’une multiplicité d’acteurs dans l’accompagnement social
Avant comme depuis l’adoption du plan Famille, l’accompagnement social du militaire et de sa famille est assuré par une multiplicité d’acteurs, relevant aussi bien du secrétariat général pour l’administration (SGA) du ministère des Armées que de l’état-major des armées. Ce foisonnement peut d’ailleurs parfois donner le sentiment d’une certaine complexité pour les bénéficiaires de cet accompagnement.
1. Les acteurs relevant du secrétariat général pour l’administration
a. La direction des ressources humaines du ministère de la Défense, acteur pilote de l’accompagnement social
La direction des ressources humaines du ministère de la Défense (DRH-MD) élabore la politique générale des ressources humaines ministérielles et s’assure de la cohérence des politiques sectorielles mises en œuvre par les armées, directions et services ([19]). À ce titre, elle a notamment pour mission d’accompagner les personnels dans leur environnement professionnel et privé.
Au sein de cette direction, le service de l’action sociale des armées, qui est depuis le 1er janvier 2021, un service à compétence nationale directement rattaché à la DHR-MD, est chargé des prestations sociales au profit des ressortissants du ministère des Armées. Complémentaire du régime social général et de l’action sociale interministérielle, l’action sociale des armées intervient dans quatre domaines principaux, évoqués supra : le soutien à la vie professionnelle, le soutien à la vie personnelle et familiale, les vacances et les loisirs. La prise en charge sociale des blessés, physiques ou psychiques, de leur famille et des familles endeuillées est une mission prioritaire de l’action sociale des armées.
Le service de l’action sociale des armées agit au profit de quelque 2 millions de bénéficiaires relevant de la communauté de défense. Il exerce une tutelle sur trois établissements publics ([20]), dont l’Institut de gestion sociale des armées, acteur essentiel de l’action sociale du ministère des Armées, évoqué plus haut ([21]).
Service à compétence nationale rattaché à la DRH-MD et composé de 650 agents, Défense mobilité est chargé, on l’a vu, de la reconversion et de l’accompagnement vers l’emploi. Le service accompagne les ayants droit du ministère des Armées dans la construction de leur projet professionnel, les aidant à trouver un nouvel emploi ou à créer leur entreprise. Depuis 2018, le service s’est vu confier la responsabilité du volet « accompagnement vers l’emploi des conjoints » du plan Famille dans le cadre de l’axe visant à « mieux vivre la mobilité ».
c. La direction des patrimoines, de la mémoire et des archives et le service d’infrastructure de la défense
La Direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA) ([22]) est notamment chargée d’élaborer la politique du ministère des Armées en matière immobilière. Elle joue ainsi un rôle central dans deux domaines intéressant particulièrement le champ de la mission d’information : l’hébergement et le logement – qu’il s’agisse de construction, d’amélioration ou de gestion. La DPMA définit à la fois les grands programmes d’hébergement et de logement du ministère et la politique du logement menée par celui-ci. La DPMA intervient avec l’appui du service d’infrastructure de la Défense dans les domaines de l’hébergement et de l’amélioration de la condition de vie des personnels au quartier et des infrastructures de vie.
2. Les services de soutien interarmées relevant de l’état-major des armées
a. Le service du commissariat aux armées, acteur central du soutien interarmées
Relevant du chef d’état-major des armées, le service du commissariat aux armées (SCA), service d’administration générale des armées, contribue à leur soutien comme à celui de la gendarmerie nationale pour l’exercice de ses missions militaires. En 2013, la réforme interministérielle du soutien a conféré au service du commissariat des armées la pleine responsabilité de l’administration générale et du soutien commun (AGSC), en application du principe du « bout en bout », allant de la conception jusqu’à la mise en œuvre.
b. Le service de santé des armées au cœur des enjeux sanitaires
Également sous l’autorité de l’état-major des armées, le service de santé des armées (SSA) intervient lui aussi dans le champ de la condition militaire en ce qu’il est chargé de l’aide aux blessés et du soutien psychologique aux militaires et à leur famille. Cette mission s’entend avant la projection, pendant le déploiement opérationnel et après l’engagement.
3. Le rôle clef du commandant de base de défense dans la déclinaison des actions d’accompagnement social à l’échelon local
Le commandant de la base de défense (COMBdD) joue un rôle clef dans la déclinaison des mesures d’accompagnement social à l’échelon local de la base de défense (BdD). Il est l’autorité locale de coordination, de cohérence et de synthèse des besoins de soutien.
4. Le rôle majeur du commandant de formation dans l’amélioration de la condition du personnel
Comme le rappelle le Haut comité d’évaluation de la condition militaire dans son 12e rapport thématique de 2018, la formation d’affectation, creuset de la vie professionnelle, constitue un échelon essentiel autour duquel les militaires articulent leur vie professionnelle, familiale et sociale. Le caractère administratif des bases de défense et l’effacement des garnisons n’ont fait que renforcer le rôle de la formation. Pour les militaires, elle est un lieu de socialisation naturel constitutif de l’identité de militaire. L’affectation à une unité particulière crée un sentiment d’attachement fort, soutenu par un mode opératoire spécifique, des épreuves communes et une mission singulière. S’y ajoutent des identités d’armée voire de subdivision d’arme ou d’armée – Légion étrangère, sous-marins, garde républicaine, etc. – qui créent de la cohésion à l’échelle de la formation, les effets de socialisation étant d’autant plus vifs que l’unité possède une identité forte.
Dans ce cadre, le rôle du commandant de formation est essentiel. S’appuyant sur les moyens mis à sa disposition, il est responsable de la condition du personnel au sein de sa formation. L’article L. 4121-4 du code de la défense prévoit en effet qu’il appartient au chef, à tous les échelons, de veiller aux intérêts de ses subordonnés. Cette action de proximité, promue par le chef de la formation, est soutenue par une multitude d’acteurs – dont les bureaux d’environnement humain ou leurs équivalents – mais elle reste une initiative locale, variant selon les formations et le type de commandement souhaité par le chef de l’unité.
Le commandant de formation constitue le ferment de la communauté de défense. Au-delà de son action locale, qui vise à ce que chacun puisse « bien vivre de son métier, bien vivre son métier et bien vivre avec son métier », il agit dans un but d’efficacité opérationnelle.
5. Le rôle des bureaux d’environnement humain, des bureaux de liaison des familles et des sections condition de l’aviateur
Dans les régiments projetables de plus de 450 militaires, l’armée de Terre dispose d’un bureau environnement humain (BEH) de trois personnels, chargé d’accompagner et de soutenir les militaires et les familles avant, pendant et après le déploiement opérationnel. Dans les autres formations, un correspondant environnement humain remplit ce rôle. Les bureaux d’environnement humain jouent le rôle d’informateur, d’animateur et de soutien auprès des militaires et de leur famille.
Ces bureaux ont leur équivalent dans l’armée de l’Air, avec les sections condition de l’aviateur et accompagnement des familles présentes sur chaque base aérienne. Soutenant les aviateurs et leur famille, les SCAAF organisent des sondages d’opinion et sur le moral, des enquêtes de retour d’expérience en opérations extérieures, le suivi des malades et des blessés via les cellules locales d’aide et de suivi du soutien, l’accueil des nouveaux arrivants et l’envoi de colis de Noël en OPEX. Les SCAAF réalisent aussi des actions et des projets plus ponctuels comme la réfection d’infrastructures sportives sur base aérienne, la distribution de pochettes de bienvenue aux nouveaux arrivants, la distribution de paniers gourmands aux personnels de permanence lors des fêtes de fin d’année, l’envoi de messages de soutien et de solidarité aux familles de militaires projetés en OPEX ainsi qu’aux militaires malades ou blessés et d’activités collectives.
Enfin, dans la Marine, les bureaux de liaison des familles assurent, comme leur nom l’indique, la liaison entre les familles et les marins embarqués ou en mission. Ils sont sollicités par les familles confrontées à des problèmes survenant pendant l’absence des marins. Ces bureaux sont chargés d’accompagner et de soutenir les familles pendant l’absence du militaire. Ils informent les familles sur le déroulement de la mission et peuvent adresser au personnel en mission des informations urgentes que la famille ne peut lui transmettre.
La co-rapporteure Séverine Gipson, qui s’est rendue dans le cadre de la mission d’information à la base aérienne 105 d’Évreux-Fauville et au 2e régiment du matériel (2e RMAT) de l’armée de Terre à Bruz, a pu mesurer l’implication des chefs de formation et des bureaux d’environnement humain – ou de leur équivalent – dans les actions de cohésion et de soutien aux militaires et à leur famille : des journées des familles, sortes de journées « portes ouvertes », sont ainsi organisées au sein du 2e RMAT afin de créer des liens entre les familles de militaires. Des activités sportives et des ateliers de sophrologie sont aussi proposés aux conjoint(e)s lors de l’absence opérationnelle du militaire. Une lettre du chef de corps est envoyée aux familles de militaires ainsi qu’aux familles en situation de célibat géographique lors des événements liés à la vie de l’unité. Le chef de corps adresse par ailleurs à ces familles un guide d’informations pratiques assorti de contacts utiles.
6. L’Établissement public des fonds de prévoyance militaire et de l’aéronautique (EPFP)
L’action des différents acteurs du soutien et de l’action sociale mentionnés supra est complétée par celle des mutuelles, et en particulier de la mutuelle Unéo qui rassemble la majorité des personnels militaires du ministère. Unéo, que les rapporteures ont pu auditionner dans le cadre de leurs travaux, garantit une protection spécifique en santé, en prévoyance, en prévention et dédie une action sociale à l’ensemble des forces armées et ce, que les militaires soient en activité, en deuxième carrière, réservistes ou retraités, ainsi qu’à leur famille, en France, outre-mer et à l’étranger. L’accompagnement social se décline auprès de la communauté militaire via un fonds social consacré au versement d’aides et notamment : d’une aide exceptionnelle aux frais de santé et d’une aide financière à la cotisation pour les plus fragiles ; d’exonérations de cotisations pour les élèves militaires de l’école de l’armée de l’air, de l’école de santé des armées et de l’école des Mousses ainsi que pour ceux ayant une famille nombreuse, à partir du troisième enfant ; d’aides complémentaires proposées par les mutuelles militaires d’accompagnement social (CNG-MG, Solidarm), dont la quasi-totalité des adhérents Unéo sont également adhérents ; d’un fonds de dotation créé en 2021 pour soutenir les militaires blessés et leur famille.
Loin de n’offrir qu’un soutien financier ponctuel, Unéo s’inscrit dans une logique partenariale et de mécénat avec le reste de l’écosystème de Défense. Unéo est donc amené à travailler avec le service d’action sociale des armées et le service de santé des armées.
Si l’accompagnement social ne date pas du plan Famille, il a paru nécessaire de le renforcer, non seulement pour mieux compenser qu’auparavant les sujétions militaires mais aussi pour mieux prendre en compte les évolutions du modèle familial ainsi que les évolutions du modèle familial ainsi que les évolutions de la société française (II). Il s’agit aussi de mieux reconnaître la dimension « à hauteur d’homme » de l’institution militaire (III).
II. La nécessité de mieux compenser les sujétions militaires et de mieux prendre en compte les évolutions sociologiques et sociétales
L’élaboration et la mise en application du plan Famille visent à répondre à la nécessité :
– de mieux compenser les sujétions croissantes liées à la condition militaire, qu’il s’agisse du niveau élevé d’engagement opérationnel des militaires ou de la mobilité géographique (A) ;
– de mieux prendre en compte les évolutions du modèle familial ainsi que la numérisation croissante (B).
A. Mieux compenser les sujétions croissantes liées à la condition militaire
Au service de la Nation, les militaires remplissent une mission régalienne dans des conditions souvent exceptionnelles, pouvant les conduire jusqu’au sacrifice suprême. La condition militaire, on l’a vu, recouvre l’ensemble des obligations et des sujétions propres à l’état militaire, ainsi que les garanties et les compensations apportées par la Nation aux militaires. Le plan « Famille » doit être interprété à la lumière des contraintes propres à l’état militaire, et des implications de celles-ci sur la famille (1), mais aussi des difficultés structurelles auxquelles sont confrontés les militaires, notamment en termes de surengagement opérationnel et de mobilité géographique (2).
1. Un niveau élevé d’engagement opérationnel qui pèse sur la disponibilité et le moral des militaires
Si l’impératif de disponibilité est consubstantiel à l’état militaire, la multiplication des opérations extérieures et intérieures au cours de ces dernières années a entraîné une forte tension sur les effectifs. Les effectifs moyens mensuels engagés en opérations extérieures présentent certes une légère baisse en 2019 par rapport à 2018 (-0,9 %) mais ces chiffres d’activité ne recouvrent qu’une partie de l’engagement des armées. Ces dernières sont en effet sollicitées par les missions de protection des populations et du territoire national et celles réalisées à l’étranger et en dehors du territoire métropolitain sans relever de la catégorie des opérations extérieures ([23]). Interrogé par les rapporteures, le Haut comité d’évaluation de la condition militaire a rappelé que depuis 2010, plus de 7 500 militaires étaient quotidiennement déployés en opérations extérieures (OPEX). Depuis les attentats de 2015, plus de 10 000 militaires sont aussi engagés dans des missions de protection du territoire national, volume multiplié par quatre par rapport aux années précédentes. La durée totale moyenne d’absence des militaires de la force opérationnelle terrestre (FOT) de l’armée de Terre de son domicile est, on l’a vu supra, de 136 jours en 2019. Les gendarmes mobiles, quant à eux, sont absents de leur lieu de résidence 176 jours par an, en moyenne. Ces absences distendent le lien entre les militaires et leur lieu de résidence et créent un rythme familial très particulier qui nécessite un besoin d’accompagnement renforcé des familles et des proches ; ces derniers subissent les absences répétées du militaire sur des durées continues assez longues puisqu’en moyenne, par exemple, un séjour en OPEX dure de 4 à 6 mois et qu’un « tour » Sentinelle s’étend sur 8 semaines.
La sursollicitation provoque une fatigue chez les militaires, qui n’ont plus le temps de se reposer ni de s’entraîner correctement. De nombreux militaires ont ainsi l’impression de ne pas pouvoir remplir au mieux leurs missions. Par extension, ce niveau d’engagement important les empêche d’accéder aux compensations auxquelles ils ont statutairement droit. Il n’est pas rare que les militaires n’arrivent pas à utiliser leurs jours de permission, les contraintes opérationnelles étant trop fortes. Ils manquent également de temps pour faire les démarches administratives nécessaires pour pouvoir bénéficier de l’action sociale des armées, d’autant que certains services ne sont ouverts que pendant les heures de travail, pendant lesquelles les militaires ne sont par définition pas disponibles. Ce surengagement a également des conséquences sur l’utilisation des dispositifs de reconversion, certains militaires étant tellement déployés qu’ils n’ont pas le temps de préparer la fin de leur contrat ni leur retour à la vie civile.
Ce surengagement a également de lourdes conséquences sur la famille. En plus de faire peser un poids particulièrement important sur le conjoint non militaire, il complique grandement l’organisation de la vie familiale. Les modifications d’emploi du temps de dernière minute sont extrêmement courantes : départs en mission avancés, retours repoussés, enchaînement d’opérations extérieures et intérieure etc. L’annulation de mariages, de vacances et d’autres activités familiale est fréquente. Ce surengagement a également des effets sur l’emploi du temps des autres membres de la famille, le conjoint pouvant par exemple être obligé de renoncer à une formation ou à un déplacement professionnel, faute de personne disponible pour assurer la garde des enfants.
Ces contraintes sont de plus en plus difficiles à accepter dans la société actuelle où il est courant que les conjoints aient un emploi et ne soient donc pas nécessairement en mesure d’assumer les absences opérationnelles du militaire. Il arrive que certains militaires choisissent de quitter l’institution en raison de la trop forte pression qu’elle fait peser sur leur vie familiale. Les militaires sont également plus nombreux à divorcer que le reste de la population. Les absences répétées et surtout l’imprévisibilité de leur emploi du temps sont probablement des facteurs aggravant le phénomène de divorce. En 2019, 3,4 % des militaires étaient divorcés et 0,9 %, séparés. La part des militaires divorcés ou séparés dans l’ensemble de la population militaire est en hausse tendancielle très mesurée entre 2010 (4,0 %) et 2019 (4,4 %). On remarque également dans ce domaine des disparités fortes, la gendarmerie présentant la plus grande part d’officiers divorcés ou séparés avec un taux de 7,6 % en 2019 contre un taux de 4,9 % en moyenne dans les trois armées ([24]).
Source : Haut comité d’évaluation de la condition militaire
2. La mobilité géographique, facteur de déracinement
Les mutations, dont le rythme est particulièrement soutenu pour certaines catégories de militaires, sont un facteur de difficultés supplémentaires quand elles sont associées à une mobilité géographique.
Source : bilan social des armées 2020
Si les mutations ne sont pas obligatoires pour les sous-officiers et les militaires du rang, elles sont automatiques pour les officiers de carrière et un refus de mutation peut avoir des conséquences drastiques sur la progression de carrière.
Source : Haut comité d’évaluation de la condition militaire
La mobilité fonctionnelle et géographique structure les modèles de gestion des ressources humaines des forces armées. Le taux moyen de mobilité géographique avec changement de résidence varie autour de 12 %. Les officiers, qui ont un taux de mobilité avec changement de résidence de 20 %, sont trois fois plus mobiles que les militaires du rang, qui n’ont qu’un taux de mobilité de 5 % et presque deux fois plus mobiles que les sous-officiers, dont le taux de mobilité est de 13 %. Les militaires sont en moyenne deux fois plus mobiles que les agents de la fonction publique de l’État. À eux seuls, les officiers sont de 3 à 4 fois plus mobiles que les fonctionnaires de l’État de catégorie A.
La mobilité conduit les militaires à vivre successivement dans des garnisons très contrastées les unes par rapport aux autres, ce qui n’est pas sans effet sur la qualité de vie des familles.
L’importance de la mobilité géographique dessine un rapport très particulier des militaires aux territoires d’affectation. Le séjour dans chaque lieu d’affectation étant de courte durée – puisqu’en moyenne, un officier change de garnison tous les 4 ans –, les conséquences sur leurs modes de vie et ceux de leur famille sont multiples :
– difficulté à préserver les parcours professionnels des conjoints ;
– rupture dans les parcours scolaires des enfants ;
– difficulté d’accession à la propriété de la résidence principale ;
– développement du célibat géographique ;
– fragilisation des réseaux de sociabilité.
Pour le militaire, chaque changement d’affectation implique de se familiariser avec un nouvel environnement, une nouvelle unité, une nouvelle atmosphère de travail. Les délais de préavis sont parfois très courts, ce qui est une cause importante de stress supplémentaire, ne serait-ce que pour organiser les déménagements.
La difficulté à trouver un logement dans certaines zones, notamment dans le bassin toulonnais et en région parisienne, est un élément souvent évoqué – sur lequel les rapporteures reviennent plus en détail infra. Dans ce contexte, la femme du militaire joue un rôle clef et assure le plus souvent l’ensemble de démarches administratives liées au déménagement. L’un des membres fondateurs du réseau Women Forces, appelait ainsi en ces termes l’attention des rapporteures : « En charge de la vie familiale, de la logistique administrative, des déménagements, de la totalité de la charge mentale pendant les missions, la capacité de chacune [des femmes de militaires] à réussir sa vie personnelle dépend plus d’une volonté extrême que d’un simple choix de travailler ou non. »
L’inscription des enfants en établissement scolaire est également source d’anxiété. Plus généralement, les déménagements réguliers sont autant de bouleversements dans la scolarité des enfants et dans leur construction personnelle. Les familles de militaire sont souvent déracinées, loin de leur lieu d’origine. C’est un facteur d’isolement supplémentaire, les liens familiaux et amicaux étant mis à mal par les multiples déplacements. Les mutations fréquentes réduisent également la possibilité de recevoir le soutien d’autres membres de la famille, par exemple pour la garde d’enfants. Si les militaires sont intégrés dans leur nouvelle unité, les familles perdent leurs attaches avec la communauté civile et doivent repartir à zéro à chaque déménagement.
En termes de parcours de soins, les mutations peuvent également être préjudiciables aux familles, notamment en raison de la multiplication des déserts médicaux. Contrairement aux militaires, les familles se trouvent en dehors du périmètre d’intervention du service de santé des armées et doivent donc trouver de nouveaux médecins dans chaque nouveau lieu d’affectation, ce qui peut être particulièrement délétère en cas de pathologie nécessitant un suivi de long terme.
Enfin, les conséquences les plus importantes de la mobilité géographique concernent l’emploi du conjoint ([25]). Avec le logement, c’est l’un des sujets d’inquiétude qui a été le plus fréquemment cité au cours des auditions de la mission d’information.
La combinaison de ces différents facteurs conduit de plus en plus de militaires à faire le choix du célibat géographique ([26]). Si ce dernier permet de préserver le cadre familial le temps d’une affectation, il prive le militaire d’une partie des « fonctions support » offertes par la famille, et les allers-retours entre domicile et lieu de travail sont une source de fatigue supplémentaire. Qui plus est, le célibat géographique réduit le temps que le militaire peut passer avec sa famille, puisqu’il est absent du domicile même lorsqu’il n’est pas déployé en opération.
B. Adapter la politique des ressources humaines du ministère des armées aux Évolutions de la sociologie des familles de militaire et aux évolutions sociétales
Si les militaires sont soumis à des contraintes constitutives de leur état, le modèle des armées dans son ensemble se trouve aussi confronté aux évolutions globales de la société. Ces évolutions viennent remettre en cause l’organisation traditionnelle de l’institution, notamment sur le plan des structures familiales (1), et sur celui de l’accès à l’information du fait de la numérisation de la société (2).
1. L’évolution du modèle familial, défi pour le modèle social des armées
a. L’emploi des conjoints, un enjeu croissant
Les armées se sont longtemps appuyées sur un modèle familial dans lequel le militaire était au centre de la famille, celle-ci s’adaptant à l’emploi du militaire tout au long de sa carrière. Cette adaptation concernait notamment le conjoint, ou plus souvent la conjointe, incarnée par le modèle de la femme au foyer s’occupant de la famille et soutenant son mari au fil de sa carrière et de ses mutations, sans avoir d’aspirations professionnelles propres.
Si cette situation persiste et correspond à un modèle de vie auquel aspirent certaines personnes recherchant spécifiquement des conjoints militaires, elle n’est plus la norme. Comme le note l’INSEE ([27]), le taux d’activité des femmes a beaucoup progressé depuis 1962 où seulement 40 à 45 % des femmes entre 30 et 50 ans étaient déclarées actives, alors qu’elles sont aujourd’hui plus de 80 %. La plupart des femmes aspirent aujourd’hui à une vie professionnelle au même titre que les hommes. L’accès à l’emploi peut être motivé par des raisons économiques mais pas nécessairement, les rémunérations et primes des militaires étant justement conçues de manière à soutenir une famille entière. Il peut aussi s’expliquer par une volonté d’indépendance financière, celle de construire une véritable carrière professionnelle ou encore celle d’avoir une occupation.
Or, la carrière militaire exige une forte disponibilité, les absences répétées et parfois imprévisibles faisant reposer une charge de travail importante sur le conjoint. Cette charge de travail est d’autant plus difficile à assumer que le conjoint exerce une activité professionnelle et les attentes de l’institution militaire peuvent parfois entrer en conflit direct avec cette activité, compliquant notamment la garde d’enfants. De plus, le rôle statutaire attendu de la part de certains conjoints, et en particulier des épouses d’officier – rôle impliquant l’organisation de dîners, d’événements de cohésion et un lien avec les épouses des subordonnés – peut limiter la disponibilité professionnelle de ces conjointes.
En sus de la question de la disponibilité, la mobilité géographique représente également un frein majeur à l’emploi des conjoints. Peu de carrières sont compatibles avec le fait de déménager tous les deux à trois ans, parfois dans des territoires où les bassins d’emploi sont peu dynamiques. Il arrive que les conjoints se tournent vers des emplois à durée déterminée ou qu’ils alternent les périodes d’activité et de disponibilité en fonction des mutations. Tout dépend du secteur d’activité du conjoint : un professionnel de la santé pourra trouver du travail facilement sur tout le territoire quand une institutrice sera tributaire des logiques de mutations du ministère de l’Éducation nationale.
Auditionnées par les rapporteures, les associations ANFEM et Women Forces ont souligné la frustration grandissante des conjointes, contraintes de quitter leur emploi au gré des mutations de leur conjoint militaire, sans être certaines d’en retrouver un à la prochaine affectation. Pour ces associations, la conjointe ne doit pas être abandonnée, quelle que soit sa carrière, et doit pouvoir cotiser pour sa retraite, même lors des affectations à l’étranger. Ces changements ne sont pas le fruit d’un déménagement volontaire mais sont imposés par la mobilité propre aux militaires des trois armées et de la gendarmerie. Pour les nouvelles générations, le sacrifice de sa propre carrière pour suivre celle de son conjoint militaire semble de moins en moins évident et cette situation peut causer des tensions importantes au sein du couple.
b. Le développement du célibat géographique
Durablement inscrit dans les modes de vie des militaires, le célibat géographique s’explique principalement par l’activité professionnelle du conjoint, la propriété du logement familial et l’intérêt des enfants. Si cette situation familiale est fréquente ou tout du moins bien connue des militaires, elle semble pourtant peu identifiée par les services du ministère des Armées. En effet, les forces armées ne disposent pas de moyens fiables pour comptabiliser le nombre de célibataires géographiques et les analyses menées au cours des enquêtes annuelles, ne sont pas toujours effectuées sur le même périmètre.
Source : Haut comité d’évaluation de la condition militaire
D’après les résultats des enquêtes, le célibat géographique concerne en particulier les officiers en situation de commandement ainsi que les militaires affectés en région parisienne. Selon les données recueillies par le Haut comité d’évaluation de la condition militaire dans son 14e rapport, le célibat géographique en région parisienne en 2019 touche :
– près de 20 % des officiers de l’armée de Terre ;
– 44 % des 550 officiers de l’armée de l’air qui sont célibataires géographiques en métropole ;
– dans la Marine, près de 23 % des 646 officiers célibataires géographiques, soit 148 militaires.
Le célibat géographique est également fortement dépendant de l’armée d’appartenance et du lieu d’affectation. Dans le cadre de son 11e rapport thématique en 2017, le Haut comité d’évaluation de la condition militaire soulignait ainsi que 15,1 % des militaires de l’armée de Terre en couple auraient été concernés par le célibat géographique contre 5,6 % des aviateurs et 23 % des marins affectés en Île-de-France. Cette disparité entre les armées se retrouve également en outre-mer et à l’étranger ([28]) : en 2020, on comptabilise 7 % de célibataires géographiques pour l’armée de Terre, 5 % pour la Marine et 4 % pour l’armée de l’Air et de l’Espace.
Il est à noter que, s’agissant de l’armée de Terre par exemple, le célibat géographique concerne de manière très inégale l’outre-mer et l’étranger : il est nettement moins important en Martinique (4 %), en Nouvelle-Calédonie (4 %), à La Réunion (2 %) et en Côte d’Ivoire (4 %) qu’en métropole mais beaucoup plus important au Gabon (22 %), à Mayotte (20 %) et à Djibouti (18 %) qu’en métropole. Le célibat géographique est également particulièrement important (de 20 %) à Djibouti s’agissant de l’armée de l’Air.
c. Une diversification des modèles familiaux qui suscite de nouveaux enjeux
En 2019, au sein de la population militaire, on dénombrait 41,4 % de célibataires, 34,3 % de personnels mariés, 15,5 % de personnels pacsés, 4,3 % de personnels militaires en concubinage, 3,4 % de divorcés, 0,9 % de séparés et 0,2 % de veufs ([29]). La grande diversité des structures familiales contemporaines est telle que certaines situations familiales passent entre les mailles du filet de protection sociale des armées. La multiplication des séparations et divorces, sans doute liée dans une certaine mesure aux éléments évoqués supra, entraîne la formation de familles monoparentales, le plus souvent dirigées par des femmes, et des parents divorcés n’ayant pas la garde de leur enfant. Les problèmes de disponibilité des femmes militaires assumant une charge de famille monoparentale donnent lieu à des demandes de travail à temps partiel, quand elles ne poussent pas le parent militaire à quitter l’institution pour trouver un emploi plus compatible avec la garde des enfants.
Quant aux parents divorcés n’ayant pas la garde de leur enfant mais ayant un droit de visite, ils se trouvent confrontés à d’autres difficultés, d’hébergement notamment. PACS et mariage donnent lieu à des primes de l’ordre de 25 % à 30 % de la solde. En cas de séparation ou de divorce, le militaire perd cette prime et doit souvent verser en plus une pension alimentaire. Cela induit une baisse significative de revenus et la séparation se traduit souvent par la nécessité de trouver un nouveau logement, qui peut être inaccessible sur le marché locatif. De nombreux militaires retournent alors vivre sur base, ce qui rend difficile l’exercice de leur droit de visite, l’hébergement de leurs enfants sur base le week-end étant impossible. Ils sont parfois éligibles à l’attribution d’un logement de défense, mais n’ont plus nécessairement les moyens financiers nécessaires. Cette situation est perçue comme très injuste par les militaires concernés, qui ont l’impression d’être soumis à « double peine ».
2. La numérisation croissante de la société remet en question les canaux classiques de transmission de l’information
Autre facteur d’évolution majeure dans la société occidentale, la numérisation semble remettre en cause les canaux classiques de transmission de l’information, ce qui n’est pas sans effet sur la condition militaire.
Selon l’INSEE, en 2017, 84 % des ménages avaient accès à internet à leur domicile, contre 42 % en 2006. Les smartphones ont été adoptés encore plus rapidement, le taux d’équipement étant passé de 17 % en 2011 à 75 % en 2018. Cette numérisation semble encore plus marquée chez les jeunes, ce qui a des conséquences fortes pour les armées dont la population est nettement plus jeune que la population moyenne ([30]). L’accès à internet et aux outils numériques est devenu une composante essentielle de la vie des militaires, ce qui a des répercussions profondes sur l’institution.
a. Une évolution de la nature de la communication entre les militaires et leur famille
L’accès à internet permet aux militaires déployés en opérations ou en situation de célibat géographique de garder contact avec leur famille comme jamais auparavant. Le fait de pouvoir procéder à des appels vidéo régulièrement permet au parent absent de communiquer avec son enfant, de continuer à exercer son autorité parentale à distance et de rassurer son enfant sur ses conditions de vie et les éventuelles inquiétudes qui pourraient exister quant à sa mission.
Il y a donc une disparité de fait entre les militaires pouvant facilement accéder à internet, soit les gendarmes, aviateurs, et terriens dans une certaine mesure, et ceux pour lesquels l’accès à internet est très limité voire impossible en opération, c’est-à-dire les marins et tout particulièrement les sous-mariniers. Le fait d’être coupé du monde pendant de longues semaines, qui a pu paraître naturel jadis aux militaires déployés en opérations quelle que soit leur arme, devient aujourd’hui un réel enjeu de recrutement et de fidélisation pour la Marine nationale. Les attentes à l’égard de la connexion à internet proviennent des militaires eux-mêmes mais aussi de leur famille qui ne supporte plus de ne pas avoir de nouvelles pendant des périodes étendues comme ce pouvait être le cas autrefois.
Enfin, la nécessité d’accéder à internet et aux moyens de communication peut également représenter un risque pour la sécurité de certaines opérations, et pour les militaires eux-mêmes. Le fait d’afficher son appartenance à l’institution militaire ou celle d’un membre de sa famille peut faire des militaires une cible « molle », comme cela peut être le cas pour d’autres corps de fonctionnaires ([31]). Si cet enjeu dépasse le cadre d’étude du présent rapport, la question de la communication des militaires et de leur famille est centrale. Contrairement aux personnes civiles en déplacement professionnel, les militaires ont interdiction d’envoyer des photos de leurs opérations et des lieux sur lesquels ils se trouvent, pour des raisons évidentes de sécurité. En vertu de l’article L. 4121-2 du code de la défense, l’usage de moyens de communication et d’information, quels qu’ils soient, peut être restreint ou interdit pour assurer la protection des militaires en opération, l’exécution de leur mission ou la sécurité des activités militaires.
Dans certaines situations, le simple fait d’avoir un accès à internet peut présenter un risque en soi car il peut révéler une position censée rester secrète. De ce point de vue, le déploiement des réseaux Wifirst sur les théâtres d’opération, prévu par le plan Famille et sur lequel les rapporteures reviennent plus en détail infra, représente une avancée importante car il permet aux militaires d’avoir un accès internet sécurisé. Jusqu’à l’adoption de cette mesure phare du plan Famille, il était courant que les militaires acquièrent des cartes SIM locales pour pouvoir communiquer entre eux et avec leurs familles, ce qui présentait une faille de sécurité importante, toutes leurs données passant par l’opérateur local, y compris certaines données pouvant être considérées comme confidentielles. Il semble important aux rapporteures de sensibiliser les militaires et leur famille quant à la nécessité d’adopter une bonne « hygiène numérique » sur le territoire national comme en opérations extérieures. Le « silence radio » pouvant être difficilement acceptable pour les familles habituées aux appels réguliers, il est essentiel de les accompagner dans ces moments.
b. Une évolution de la communication entre l’institution et les militaires
La communication institutionnelle du ministère des Armées doit, elle aussi, s’adapter à l’essor de la numérisation. La diffusion d’informations via des sites internet et les réseaux sociaux favorise leur accès direct par les militaires et leur famille. Il est désormais plus facile d’informer la communauté de défense sur les opérations en cours, ce qui constitue un enjeu majeur au vu de l’abondance d’informations auxquelles les familles sont exposées en permanence. Il est aujourd’hui courant que les familles de militaire apprennent un accident ayant eu lieu sur un théâtre d’opérations par les réseaux sociaux ou les médias d’information avant d’en avoir la confirmation officielle. Cela génère un stress intense pour les familles dont le militaire est projeté sur des théâtres d’opérations décrits comme extrêmement dangereux par les médias. Le ministère des Armées doit donc faire exister sa communication officielle parallèlement à celle des médias pour rassurer les familles sur la situation réelle de leurs proches.
Ce raisonnement s’applique aussi aux dispositifs d’action sociale du ministère. La création de portails d’information officiels à destination des familles en est un bon exemple et des sites comme ceux de l’ANFEM ou de Women Forces relaient ces informations officielles. Ces sites permettent notamment de contourner l’obstacle que constitue le refus de certains militaires de communiquer l’adresse électronique de leur conjoint à leur employeur, refus qui s’explique souvent par la volonté de cloisonner vie professionnelle et vie familiale. Cependant, le risque que ces informations se perdent dans la masse est réel. Les rapporteures reviennent en deuxième et troisième partie du rapport sur l’enjeu clef que constitue l’information des militaires et de leurs conjoints sur l’accompagnement social qui leur est proposé.
III. La nécessité de reconnaître la dimension à « hauteur d’homme » de l’institution militaire au terme de nombreuses réformes structurelles douloureuses
Après des décennies de réductions budgétaires et notamment de réductions massives d’effectifs (A), le plan Famille traduit une sollicitude politique vis-à-vis de l’institution militaire et des hommes et femmes qui la composent. Les évolutions et contraintes évoquées supra ont des conséquences indéniables sur le recrutement et la fidélisation au sein des armées, enjeux majeurs pour une armée professionnelle (B).
A. Une institution militaire maintes fois malmenée
La fin de la conscription, en faisant évoluer les armées vers un modèle d’armée de métier, s’est traduite par le début d’une importante déflation des effectifs. La perte des 100 000 appelés annuels a présenté un choc RH important, qui a été accentué par les déflations successives de personnels jusqu’en 2015. Combinée à la révision générale des politiques publiques entamée à partir de 2008, la « manœuvre RH » globale a abouti à la suppression de 50 000 postes de militaires entre 2008 et 2017. Auditionné le 12 juillet 2017 devant la commission de la Défense nationale et des forces armées, le général d’armée Pierre de Villiers, alors chef d’état-major des armées indiquait : « Le ministère de la Défense a été le plus important contributeur de la révision générale des politiques publiques (RGPP). Le modèle s’est alors contracté autour d’un cœur de métier minimaliste, fragilisant du même coup sa cohérence d’ensemble, au moment même où il était davantage sollicité. »
Son successeur, le général d’armée François Lecointre, précisait, quant à lui, le 4 octobre de la même année, toujours devant la commission de la Défense : « Les déflations massives d’effectifs imposées depuis une dizaine d’années par les réformes successives ont mis les armées, directions et services, sous forte tension, d’autant plus que nous avions consenti d’importantes déflations d’effectifs et d’importantes réductions de format qui devaient s’accompagner d’une réduction de l’engagement des armées. Dès lors que cet engagement n’a cessé d’augmenter, la tension s’est révélée difficile à soutenir. Je rappelle qu’entre 2008 et 2017, ces déflations ont représenté un volume de l’ordre de 50 000 militaires sur un total de 250 000 environ en 2008, soit une diminution de près de 20 %. Les soutiens sont particulièrement concernés par ce phénomène. Le cadrage à plus 1 500 équivalents temps plein de la LPFP ([32]) marque un début de prise en compte de cette situation. Les armées sont conscientes de l’effort que cela représente au moment où la fonction publique doit supporter des déflations mais j’insiste sur le fait que les armées ont subi des déflations trop importantes lors des deux lois de programmation militaire précédentes au regard de l’engagement que la Nation leur demande de soutenir. » Cette réduction des effectifs, qui a été arrêtée à la suite des attentats de 2015, a été vécue comme un véritable traumatisme par de nombreux services.
Source : bilan social 2019 du ministère des Armées
Ainsi, au cours de la loi de programmation militaire 2008-2013, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), les effectifs globaux ([33]) de la direction générale de l’armement (DGA) ont baissé de près de 2 800 ETP – soit près de 20 % des effectifs. C’est pourquoi, dès 2014, la DGA s’est engagée dans une nouvelle opération de transformation en profondeur afin d’accompagner la mise en place d’un modèle de fonctionnement compatible avec la trajectoire d’effectifs retenue au titre de la LPM 2014-2019 (- 868 ETP soit près de 8 % des effectifs). L’ensemble des missions de la DGA a été maintenu au prix d’allègements d’activités et d’évolutions de ses modes de fonctionnement.
Autre exemple, depuis 2008, l’Armée de l’air a fermé 17 bases aériennes et perdu 18 000 postes.
Les réductions ont été particulièrement marquées dans le domaine des soutiens, dont une grande partie a été interarmisée, quand les fonctions support n’ont pas été directement externalisées. Cette logique d’externalisation visait à recentrer les postes militaires sur les postes de « cœur de métier », inopérables par des civils. Si l’interarmisation des soutiens est aujourd’hui considérée comme aboutie dans de nombreux domaines, elle a été la cause de nombreux mécontentements durant la période de restructuration. Ainsi, à titre d’exemple, au total, durant la précédente LPM, le service de santé des armées (SSA) a perdu pas moins de 8 % de ses effectifs, soit 1 600 personnels. Quant au service d’infrastructures de la défense (SID), il a subi une diminution de 41 % de ses effectifs infra entre 2005 et 2020 : ces effectifs sont ainsi passés de 11 500 à 6 700 personnels, étant réparti à la hausse à partir de 2014. Enfin, le service du commissariat aux armées (SCA) a vu ses personnels passer de 34 000 à 25 000 entre 2008 et 2018, soit une réduction de 8 500 postes.
Les « dividendes de la paix » ont entraîné une réduction continue des budgets militaires, qui s’est certes concentrée sur le domaine RH mais pas exclusivement. Ces déflations massives étaient censées s’accompagner d’une réduction de l’activité opérationnelle, ce qui n’a pas été le cas, bien au contraire, notamment en raison de la montée en puissance de la menace terroriste mais même dès avant. Comme l’a rappelé le HCECM aux rapporteures, le renforcement de l’action militaire française en Afghanistan à partir de 2008 s’est traduit par un durcissement des opérations de feu ayant culminé entre 2009 et 2010. « Cette phase opérationnelle achève le mouvement de professionnalisation et s’accompagne de la hausse du nombre de blessés et de morts en opération. Les armées françaises sont des armées d’emploi qui font la guerre et qui la poursuivent dans des opérations dures en République centrafricaine et au Sahel à partir de 2013. Le contraste entre l’intensification des opérations et la transformation du soutien des armées se traduisant par des déflations et une désorganisation du soutien en métropole a fragilisé le moral des militaires ».
Tiraillée entre le maintien – voire l’augmentation – du nombre de ses missions et une déflation budgétaire, l’institution militaire s’est trouvée en désarroi. La confiance des militaires en leur capacité à accomplir leur mission s’est érodée.
Comme l’ont souligné les aumôniers aux armées lors de leur audition par les rapporteures, « le plan Famille témoigne d’une sollicitude bienvenue du politique à l’égard du militaire ». Au-delà des améliorations concrètes apportées par le plan Famille, c’est surtout la reconnaissance qu’il traduit qui est plébiscitée.
B. Une professionnalisation du métier ayant induit de nouvelles logiques de recrutement et de fidélisation
La suspension du service national annoncée par le président Jacques Chirac le 22 février 1996 marque le début du recours à une armée de métier, se traduisant non seulement par des réductions massives d’effectifs mais aussi par un changement radical dans la conception du statut militaire. Plutôt que de s’appuyer sur une population arrivant de manière quasi automatique et se renouvelant tous les ans, les armées doivent maintenant recruter des civils, les former puis les convaincre de rester assez longtemps dans l’institution pour que leur formation soit « rentabilisée » dans le temps.
1. Une attractivité qui se maintient pour le recrutement
Malgré un affaiblissement de la sélectivité au recrutement parmi les militaires du rang depuis 2015, le HCECM estime que l’attractivité au recrutement « s’avère globalement satisfaisante même s’il existe d’indéniables fragilités ». Selon le Haut comité, les forces ont d’importants besoins de recrutement qu’elles ont toujours été en mesure de satisfaire, y compris dans la dernière période de remontée en puissance – les recrutements étant passés de 20 430 en 2014 à 34 523 en 2016 puis à 30 492 en 2019. Des indicateurs fondamentaux illustrent la solidité de l’attractivité :
– les motivations des jeunes recrutés semblent en adéquation avec les caractéristiques communément prêtées à la fonction militaire (service de la France, camaraderie, action, discipline, prestige de l’uniforme…) ;
– les militaires sont issus de toutes les catégories socioprofessionnelles, les phénomènes d’endo-recrutement restant dans l’ensemble très minoritaires ;
– la fonction militaire paraît attractive aux jeunes des quartiers défavorisés ;
– les perspectives démographiques sont bonnes et permettent d’escompter une correcte régénération des viviers de recrutement, même si les services de recrutement insistent, à juste titre, sur l’écart qui peut aller croissant entre le vivier théorique et le vivier utile.
Pour le HCECM, « ces éléments favorables ne doivent pas cacher les difficultés structurelles à recruter dans certaines spécialités » telles que celles des fusiliers, de la maintenance aéronautique, du cyber, et des atomiciens de la marine.
La sélectivité du recrutement reste solide pour les officiers – 16,9 candidats pour un emploi en 2019 – mais fléchit pour les emplois de sous-officier – 1,8 dans les armées et 3,9 dans la gendarmerie. La sélectivité pour les emplois de militaire du rang a baissé depuis 2015 et se situe à un niveau bas sans atteindre toutefois les seuils bas du début des années 2000. Les dénonciations précoces de contrats, durant la période probatoire, sont à un haut niveau, ce qui inquiète légitimement les recruteurs mais qui ne doit pas être surinterprété, ce taux oscillant par exemple dans l’armée de terre entre 20 et 30 % depuis plus de 30 ans.
2. Une fidélisation à conforter
La fidélisation semble davantage poser problème. L’insertion des militaires dans la société française et l’emploi généralisé du conjoint ont transformé les mentalités : un militaire n’est plus une ressource captive et ne cherche plus systématiquement à accomplir un parcours professionnel complet au sein des forces. C’est pourquoi l’accompagnement des sujétions et de ses effets sur la famille est un axe majeur de la politique de fidélisation, nécessaire pour permettre aux forces de disposer de la ressource humaine dont elles ont besoin.
Source : bilan social des armées 2020
Dans le bilan social des armées 2020 ([34]), le secrétariat général pour l’administration (SGA) note que 54,8 % des départs définitifs de militaires étaient des départs spontanés, c’est-à-dire des départs qui n’étaient ni imposés, ni aidés, ni liés à la limite d’âge ou de durée des services. Ces départs concernent majoritairement les militaires du rang et les sous-officiers. En 2020, la majorité des militaires du rang qui ont quitté les armées avaient moins de quatre ans de service : le taux d’attrition des militaires du rang dans les six premiers mois de leur contrat est d’environ 30 % ([35]) et s’explique notamment par l’éloignement géographique entre le lieu d’habitation et la garnison ainsi que par l’éloignement de la famille ou du conjoint.
La vie en casernement est devenue un critère de non renouvellement de contrat pour de nombreux jeunes engagés aspirant à une chambre individuelle et à des conditions de confort similaires à celles de la société civile. La faible évolution de la rémunération et le tassement indiciaire pour les plus bas salaires restent des points de crispation majeurs pour la considération et la reconnaissance attendues de la part de l’institution. Dans les spécialités à haute technicité, les départs s’expliquent par un « débauchage de compétences », les rémunérations offertes aux personnels du ministère des Armées étant sans comparaison avec celles proposées dans le monde civil. Les contraintes du métier de militaire sont plus difficilement acceptées par la nouvelle génération qui souhaite travailler à côté de son domicile et sans contrainte de mobilité ou de disponibilité.
Les associations représentatives de conjoints auditionnées par la mission d’information – rejointes en cela par le CSFM – indiquent qu’il arrive de plus en plus souvent que les jeunes couples attendent la fin du contrat pour enfin fonder une famille, ce désir étant considéré comme impossible à satisfaire tant que l’un des deux membres du couple est soumis aux contraintes de la vie militaire. Les militaires du rang étant exclusivement sous contrat, et les sous-officiers l’étant à plus de 50 %, le non-renouvellement est particulièrement problématique car il prive chaque année les armées d’opérateurs et de chefs de groupe expérimentés.
Les mesures du plan Famille tendant à l’amélioration des conditions de vie des militaires au quotidien et à une meilleure prise en compte de leurs contraintes familiales visent ainsi à adapter la politique de ressources humaines du ministère des Armées aux attentes des nouvelles générations plus difficiles à fidéliser.
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Deuxième partie : Le plan famille, une politique saluée par l’ensemble de la communauté militaire mais dont certaines mesures restent en chantier ou méritent d’être complétées
Étant donné la nécessité de mieux compenser les sujétions militaires dans un contexte de forte sollicitation des armées, de mieux prendre en compte l’évolution du modèle familial comme les évolutions sociétales et, enfin, de fidéliser les militaires recrutés par contrat comme les militaires de carrière, le ministère des Armées, se faisant l’écho de la volonté exprimée par le Président de la République, a défini un plan d’accompagnement des familles et d’amélioration des conditions de vie des militaires comportant six axes et, désormais, une soixantaine d’actions. Intégré par la suite à la loi de programmation militaire, ce plan a vocation à se poursuivre tout au long de la durée de cette LPM (I).
Dans l’ensemble, les rapporteures considèrent que le plan Famille a été très bien accueilli par les militaires et leur famille, même s’il n’est pas forcément simple d’établir le bilan d’un plan d’adoption récente, toujours en cours de déploiement. Avant d’entrer dans le détail des mesures, les rapporteures – même si elles formulent des propositions en troisième partie – tiennent à saluer l’exhaustivité de ce plan.
Le principal écueil tient à l’insuffisante notoriété de ce plan auprès de ses potentiels bénéficiaires. Cet écueil n’est d’ailleurs pas spécifique au plan Famille : le non-recours est une problématique qui concerne l’ensemble des dispositifs proposés par les collectivités publiques. Les rapporteures tiennent donc à insister sur l’impérieuse nécessité de mieux faire connaître le dispositif auprès des militaires et de leur famille.
De nombreuses mesures du plan Famille ont été très bien accueillies par la communauté de défense (II) : c’est notamment le cas des mesures prises en faveur de la petite enfance ainsi que le déploiement du wifi en garnison ou encore la distribution de cartes Famille SNCF aux conjoints et enfants de militaires. Certaines actions mériteraient en revanche d’être renforcées (III), s’agissant par exemple du soutien à l’emploi des conjoints ou de l’amélioration du processus d’attribution des logements. D’autres mesures encore, d’adoption récente, sont toujours en cours de déploiement et les rapporteures estiment qu’il est encore trop tôt pour se prononcer à leur sujet (IV) même si elles sont a priori très favorables à ces dispositifs : elles pensent en particulier au partenariat récemment conclu avec la plateforme Yoopies pour faciliter la garde d’enfants, le soutien scolaire et d’autres services à la personne. Enfin, les rapporteures ayant choisi d’avoir une approche large de la condition militaire et de l’accompagnement social, elles reviennent dans le présent rapport sur des politiques concomitantes qui leur paraissent indissociables du plan Famille, également en cours de déploiement : la nouvelle politique de rémunération des militaires, le plan Hébergement et le programme Ambition Logements qui vise à renouveler le parc domanial des logements du ministère des Armées (V).
I. Un plan en six axes, traduisant une volonté politique forte et comportant à la fois des mesures d’ordre budgétaire et non budgétaire
Le plan Famille traduit une volonté politique forte, celle du Président de la République lui-même, réitérée par la ministre des Armées (A). L’ensemble des personnes auditionnées par les rapporteures a été unanime pour dire que la ministre Florence Parly avait fait du plan Famille l’une de ses priorités politiques et qu’elle s’était personnellement fortement investie dans ce dossier, ce dont les rapporteures se félicitent. Ce plan, repris en loi de programmation militaire, comporte à la fois des mesures d’ordre budgétaire et non budgétaire (B). Paradoxalement, le dispositif, qui reste en cours de déploiement, a été à la fois très attendu par les uns et méconnu par les autres (C).
A. Le plan famille, traduction d’une volonté politique forte
1. Une réflexion entamée sous la précédente législature
La réflexion sur la reconnaissance de la condition militaire n’est pas neuve et a été confortée par la remise successive de différents travaux et rapports sur le sujet. L’article L. 4111-1 du code de la défense dispose, à propos de l’état militaire, que « les devoirs qu’il comporte et les sujétions qu’il implique méritent le respect des citoyens et la considération de la Nation ».
Dans son 11e rapport, le Haut Comité d’évaluation de la condition militaire (HCECM) rappelle les contraintes liées l’état militaire et leur effet sur certains flux de recrutement. Ces contraintes pèsent sur les militaires et leur famille, qu’elles soient professionnelles, géographiques ou encore familiales. En 2016 à la suite de l’engagement massif des militaires dans l’opération Sentinelle, le Haut Comité indiquait que « […] l’impact profond de la suractivité sur la vie familiale, la difficulté de programmer les permissions et les difficultés induites sur la garde et l’éducation des enfants constituent assurément un facteur majeur sinon le facteur majeur de fragilisation de notre système militaire ».
Dans le rapport d’information publié en 2017 par les commissaires de la Défense Geneviève Gosselin-Fleury et Charles de la Verpillière ([36]), l’accompagnement social des militaires était également interrogé dans le cadre d’une réflexion plus globale sur la condition militaire. L’édification progressive de dispositifs de soutien aux militaires et à leur famille, outre sa sédimentation historique, témoigne de la volonté de répondre aux exigences opérationnelles du militaire, un citoyen « plus ». La pertinence de ce thème avait été appelée à l’attention des rapporteurs par les chefs d’états-majors des trois armées, au cours de plusieurs auditions, à l’automne 2016. Ce même thème avait également fait l’objet d’un « plan ministériel d’amélioration de la condition du personnel » inscrit par le Gouvernement en loi de programmation militaire 2014-2019.
En conséquence, la loi n° 2015-917 du 28 juillet 2015, qui actualise la programmation militaire pour les années 2015 à 2019, a enrichi le code de la défense d’une définition de la condition militaire. Comme le souligne le HCECM dans une contribution écrite remise aux rapporteures, « le législateur de 2015 a d’ailleurs veillé à intégrer la dimension familiale dans la définition de la condition militaire qui figure désormais à l’article L. 4111-1 du code de la défense ». Diverses dispositions furent également introduites, notamment le droit pour les militaires de créer et d’adhérer à des associations professionnelles nationales de militaires (APNM). Leur création fut complétée dans le code de la défense par le décret n° 2016-1043 du 29 juillet 2016. Instances du dialogue sociale, les APNM traduisirent l’élan donné à la préservation et la promotion des intérêts des militaires en ce qui concerne la condition militaire.
2. L’impulsion du Président de la République et de la ministre des Armées
Le discours du Président de la République prononcé le 20 juillet 2017 à la base aérienne 125 d’Istres - Le Tubé marque une forme de reconnaissance envers les familles des personnels de la Défense, engagées aux côtés des militaires : « Je sais que nous vivons dans un monde qui n’est pas celui d’il y a vingt ou trente ans ; je sais que les contraintes des familles ne sont pas les mêmes, que ce qu’on acceptait sans rien dire, parfois, rend les choses plus difficiles. Alors, oui, nous devons avoir davantage de considération pour elles et ouvrir un travail, une réflexion, en profondeur pour qu’il en soit autrement. » Celui-ci ajoutant l’ouverture d’une réflexion au ministère des Armées : « C’est pourquoi j’ai demandé, pour l’automne, à la ministre des Armées, de faire des propositions concrètes, de prendre des mesures concrètes, pour que la vie des familles soit davantage prise en compte dans les affectations, dans les décisions du quotidien, et pour que toutes celles et ceux qui peuvent être aidés dans leur quotidien le soient. »
La ministre des Armées en a dès lors fait l’une de ses priorités. Le plan d’accompagnement des familles et d’amélioration des conditions de vie des militaires fut lancé le 31 octobre 2017. Quarante-six mesures furent initialement présentées avec pour objectif de traduire dans le quotidien des militaires et de leur famille l’idée qu’« il n’y a pas de soldat fort sans famille heureuse ». L’exhaustivité du plan avait été félicitée par la direction des ressources humaines du ministère des Armées (DRHMD), celle-ci soulignant la concrétisation d’un enjeu ancien soutenue par une action ministérielle « complète ».
3. Un plan élaboré très rapidement
L’élaboration du plan Famille fut appuyée par une consultation, plutôt rapide, organisée en amont de la publication du plan. Le processus de concertation se concrétisa par des réunions de coordination en septembre 2017 avec les différents acteurs mobilisés par le plan Famille : l’état-major des armées (EMA), le service du commissariat des armées (SCA), les directions du secrétariat général pour l’administration (SGA), les forces armées ainsi que le service de santé des armées (SSA). À la suite de ces réunions, les acteurs du dialogue social et de la représentation des armées ([37]) participèrent au processus et la concertation fut élargie à l’échelon zonal. Leurs avis furent rendus en septembre 2017 et le projet présenté au secrétaire général pour l’administration le 5 octobre 2017. Enfin, d’autres acteurs furent sollicités : le conseil central de l’action sociale (CCAS), les mutuelles historiques, le 17 octobre 2017, les associations liées à l’accompagnement des familles, le 21 septembre 2017, et les APNM.
Si la définition du plan donna lieu à une consultation rapide auprès des acteurs de la communauté militaire, ce processus a dès le départ eu vocation à perdurer dans le cadre des évolutions du plan Famille.
Ainsi que l’a souligné le Haut comité d’évaluation de la condition militaire auprès de la mission d’information, le plan Famille a pour priorité de « réduire l’impact des sujétions militaires sur la vie concrète des familles ». Il poursuit ainsi plusieurs objectifs :
– assurer la sérénité des militaires engagés dans des missions opérationnelles, en leur permettant de consacrer à leurs actions toute la concentration nécessaire, par la prise en compte des effets de leurs effets sur la vie quotidienne de leurs proches ;
– conforter la fidélisation et l’attractivité de la fonction militaire en répondant à l’évolution des besoins des proches et des familles, dans la durée et tout au long de la carrière.
Le plan Famille vise, comme le rappelle le HCECM, à « apporter des réponses concrètes aux attentes de la communauté des armées, pour tenir compte du haut niveau d’engagement des militaires et des contraintes qui en résultent sur l’organisation de leur vie familiale ».
4. L’inscription du plan Famille en loi de programmation militaire
Conçu à partir de l’été 2017 et dévoilé à l’automne de la même année, le plan Famille, qui devait au départ concerner la période 2018-2022, s’est ensuite inscrit dans le cadre de la loi de programmation militaire (LPM) « à hauteur d’homme », texte couvrant la période 2019-2025. Alors que les précédentes LPM mettaient un accent particulier sur les équipements, la LPM en cours prévoit un effort en quatre volets complémentaires :
– la garantie de conditions adéquates pour permettre aux armées d’exercer de manière durable et soutenable leurs missions, à travers la formation, l’entretien des matériels, les équipements individuels et la préparation opérationnelle ;
– l’amélioration du « quotidien du soldat », à savoir les conditions de vie et de travail des personnels, les soutiens dont ils dépendent, ou l’accompagnement de leur famille, et leurs aspirations de citoyens modernes ;
– la dynamisation de la politique des ressources humaines placée au cœur de la LPM, afin de garantir l’adéquation des compétences et des effectifs à l’ambition opérationnelle ;
– le renforcement du lien armées-Nation pour faire du militaire un citoyen moderne, pleinement intégré dans une société animée d’un solide esprit de défense, développé dès la jeunesse, et capable de contribuer à sa propre protection à travers la Garde nationale, et en premier lieu les réserves opérationnelles.
Selon le rapport annexé à la loi de programmation militaire, « l’effort consenti dans ces différents domaines est central pour l’attractivité de la condition militaire et la fidélisation des personnels ». Comme le précise le même texte, « le maintien de la qualité des ressources humaines du ministère nécessite une juste reconnaissance des contraintes et sujétions liées qui incombent aux personnels des forces armées, directions et services. L’efficacité des forces armées repose notamment sur le statut général des militaires, garant de leur capacité à disposer en permanence de personnels entraînés et formés, disponibles, dans un environnement organisé et réactif. Le statut militaire ne distingue pas le temps de paix de celui des opérations. Par sa spécificité et son unicité, il exprime un état fait de devoirs et de sujétions – esprit de sacrifice, discipline, disponibilité, loyalisme, neutralité – partagés par tous les militaires, quel que soit leur emploi. Ces fondements du statut, notamment le principe de disponibilité en toute circonstance, conditionnent l’efficacité opérationnelle des armées, répondent à la singularité de l’action militaire et seront donc préservés au cours de cette LPM. En outre, la condition du personnel concerne les personnels militaires comme civils. Elle est un axe d’effort permanent et un enjeu majeur dans un contexte de fort engagement. Pour cette raison, la politique d’action sociale du ministère des armées continuera à être développée au profit de la communauté de défense et de l’ensemble des forces armées, dans les domaines du soutien à la vie professionnelle et à la vie personnelle comme familiale. »
5. Un plan ayant donné lieu à concertation et en évolution continue
Le plan Famille est articulé autour de six axes. Du fait de son élaboration rapide, le plan a évolué. Entre les mois de février et de mai 2019, une large consultation a été organisée par le ministère des Armées sur le plan Famille : plus de 300 commissions participatives d’unités se sont réunies entre février et mars 2019. Dans le même temps fut organisée une concertation civile, puisqu’outre les militaires, siègent également dans les comités sociaux, présidés par les commandants de bases de défense, des représentants des personnels civils élus, des gendarmes et des retraités. Le conseil supérieur de la fonction militaire et les conseils de la fonction militaire de chacune des trois armées et de la gendarmerie ainsi que les comités territoriaux d’action sociale ont eux aussi été consultés. Le résultat de cette consultation a été présenté au Conseil supérieur de la fonction militaire en juin 2019.
Selon M. Jean-Charles Cottez, directeur de projet du plan Famille, le fait qu’aucun nouvel axe n’ait été défini à l’issue de cette consultation illustre la pertinence du plan conçu au départ. Le plan a néanmoins été renforcé, passant de 46 à 61 mesures. Les rapporteures notent que la consultation a fait apparaître plusieurs attentes majeures :
– celle d’un renforcement des aides fournies par Défense mobilité aux conjoints de militaire afin de les aider à trouver un emploi ;
– celle d’un effort en faveur des couples séparés ou divorcés, des familles monoparentales, et des familles de militaire avec un conjoint ou un enfant en situation de handicap (plus de 5 000 enfants de militaires au ministère des Armées) ;
– l’attente d’un effort en faveur de l’enfance (0-11 ans) ;
– l’attente d’une amélioration de l’offre de logement et d’hébergement ;
– celle, enfin, d’une meilleure prise en compte des personnels militaires servant en outre-mer, puisque, s’agissant de l’emploi du conjoint, de la scolarisation des enfants et de la sécurisation de la famille, il existe des enjeux spécifiques à chaque territoire ultramarin.
Les rapporteures saluent la plasticité de ce plan et la démarche adaptative retenue par la DRH-MD. Elles estiment que la concertation et les consultations doivent se poursuivre.
Elles notent que quelque deux tiers des actions du plan Famille bénéficient aux personnels civils de la Défense. Ces personnels ayant donné lieu à un rapport ([38]) spécifique de la commission de la Défense au début de l’année 2021, les rapporteures ont pris le parti, compte tenu de l’ampleur du plan Famille, de concentrer leur rapport sur l’application du plan Famille aux militaires et à leur famille.
6. Un plan piloté par un directeur de projet et décliné à l’échelon local par les commandants de base de défense
Le plan Famille est suivi par un directeur de projet directement rattaché à la direction des ressources humaines du ministère des Armées et chargé de piloter au jour le jour la mise en application du dispositif, en lien avec chaque organisme central ayant pour mission l’application des mesures et avec le commandement du Centre interarmées de coordination des soutiens (CICoS), lui-même en lien direct avec les commandants de base de défense. Les rapporteures saluent la désignation d’un directeur de projet et notent que le Gouvernement a retenu la même méthode dans le cadre de la nouvelle politique de rémunération des militaires.
Au niveau local, le commandant de chaque base de défense (COMBdD) revêt le rôle d’arbitre, d’acteur et de chef de projet « plan Famille ». Ce rôle s’appuie directement sur le pilotage budgétaire qu’assure le COMBdD sur trois budgets : celui des infrastructures, celui du soutien commun (AGSC) et celui de l’amélioration du cadre de vie (AACV). Si aucun de ces trois budgets n’est directement associé au plan Famille – étant donné l’absence de « fléchage » des crédits associés au plan – les COMBdD peuvent user de la fongibilité au niveau local pour répondre à leurs priorités d’action.
B. Un plan décliné en six axes et comportant à la fois des mesures d’ordre budgétaire et d’ordre non budgétaire
1. Un plan décliné en six axes et en une soixantaine de mesures
Les six axes thématiques du plan Famille, chacun porteur d’une finalité de politique RH, sont les suivants :
– mieux prendre en compte les absences opérationnelles ;
– faciliter l’intégration des familles dans la communauté militaire et de défense ;
– mieux vivre la mobilité ;
– améliorer les conditions de logement familial et favoriser l’accession à la propriété ;
– faciliter l’accès des familles à l’accompagnement social du ministère ;
– améliorer les conditions d’hébergement et de vie des célibataires et des célibataires géographiques.
2. Des mesures financées dans le cadre de la loi de programmation militaire « à hauteur d’homme »
Initialement, le plan Famille, qui devait porter sur la période 2018-2022, se voyait consacrer 302 millions d’euros par le budget de l’État. La loi de programmation militaire, qui couvre la période 2019-2025, prévoit de consacrer 528 millions d’euros au plan Famille sur six ans, sur les crédits du programme 178, dont le responsable budgétaire est le chef d’état-major des armées (EMA), et du programme 212, dont le responsable budgétaire est le secrétaire général de l’administration (SGA). Il est prévu que soient consacrés à ce plan quelque 80 millions d’euros par an en moyenne. Selon les informations fournies aux rapporteures par le directeur de projet du plan Famille, les 302 millions d’euros accordés au plan au cours de la période 2018-2022 s’ajoutent aux 782 millions d’euros déjà programmés sur les lignes d’action du plan, notamment en matière de logement et d’hébergement en Île-de-France, pour « former une prévision globale de 1,084 milliard d’euros ».
Les mesures budgétaires du plan Famille sont présentées dans un tableau récapitulatif en annexe 2 du présent rapport.
3. Des mesures d’ordre non budgétaire
Le plan Famille comporte, outre les mesures représentant un effort budgétaire de la Nation, des mesures sans coût direct pour la mission « Défense » du budget de l’État.
Il s’agit notamment de mesures de simplification administrative telles que la facilitation des démarches lors des déménagements, la facilitation de la scolarisation des enfants en cas de mobilité, la facilitation de la mobilité du conjoint fonctionnaire ou celle de la colocation entre militaires.
Le plan Famille comprend aussi des mesures relevant d’une amélioration de la gestion des ressources humaines, visant à accorder une plus grande visibilité sur les mutations et les carrières, des mesures favorisant la reconnaissance des associations et des mesures d’information et d’amélioration de la lisibilité des dispositifs d’aide sociale.
C. Un plan très attendu par les uns, insuffisamment connu par les autres mais qui apporte désormais de plus en plus de satisfaction
Parmi ses bénéficiaires, le plan d’accompagnement des familles et d’amélioration des conditions de vie des militaires a suscité de fortes attentes chez les uns, voire une certaine impatience de voir les annonces se concrétiser, tout en souffrant d’un manque de notoriété chez les autres.
Les rapporteures notent que la première phase de déploiement du plan Famille a parfois suscité des frustrations, dans la mesure où, parallèlement à la communication ministérielle, les effets concrets du dispositif ne pouvaient être ressentis d’emblée.
Dans le même temps – et cela peut sembler paradoxal –, le plan Famille souffre aussi d’un manque de notoriété auprès de la communauté de Défense. C’est l’un des points qui a le plus frappé les rapporteures lors de leurs déplacements, notamment à la base navale de Brest. Ainsi que l’a indiqué le CSFM aux rapporteures, les informations sur le plan Famille ne sont pas toujours connues des militaires eux-mêmes et ne sont pas toujours relayées dans leur foyer : « si les familles sont régulièrement informées au travers du réseau des cellules environnement humain ([39]), il n’en demeure pas moins que celles-ci sont touchées différemment suivant l’implication des équipes locales. A contrario, le personnel est moins proactif dans la recherche d’information et paradoxalement, un sentiment de manque d’information s’exprime alors que tout est mis en œuvre (supports écrits, réseaux sociaux, chaîne environnement humain, action sociale, séance d’information, etc.) dans ce sens. » Toujours selon le CSFM, « concernant l’offre de Défense mobilité, l’information relative à l’accompagnement du conjoint dans sa recherche d’emploi n’est pas suffisamment connue ». La direction des ressources humaines et de la condition de l’aviateur constate également que l’appropriation du plan Famille par les aviateurs « reste toute relative » puisque seulement 32,8 % ([40]) d’entre eux déclarent en avoir connaissance. Celle-ci fait remarquer l’existence d’« un décalage temporel entre les mesures avancées générant des attentes, et le tempo de réalisation, qui peut déboucher sur un effet déceptif, particulièrement pour les actions qui s’inscrivent sur du temps long (crèches, logement…), soumises par ailleurs à des aléas (infra, politique…) ».
Les rapporteures estiment que la communication des informations par voie électronique n’est pas forcément un vecteur suffisant, de nombreux militaires ne communiquant pas aux services du ministère les adresses électroniques de leur conjoint, soit dans le souci de préserver une séparation nette entre vie professionnelle et vie privée, soit par défiance naturelle à l’égard de tout système de « mailing ». C’est pourquoi les familles restent souvent à l’écart des informations transmises par l’institution. Il en va de même des informations transmises par le chef de corps qui, bien souvent, ne sortent pas des murs de l’enceinte militaire, parce que le militaire n’a pas le réflexe de les évoquer lors de ses échanges avec son ou sa conjoint(e).
Le plan Famille traitant de problématiques très diverses, il n’est pas forcément toujours très lisible. Son caractère foisonnant trouve d’ailleurs écho sa gouvernance – qui fait intervenir de nombreux acteurs.
Enfin, l’intitulé synthétique de « plan Famille », plus couramment employé que l’intitulé complet de plan d’accompagnement des familles et d’amélioration des conditions de vie des militaires peut prêter à confusion et notamment laisser à penser à tort aux militaires célibataires qu’ils ne sont pas concernés par le dispositif.
Si les rapporteures estiment que le plan Famille gagnerait à être mieux connu de ses potentiels bénéficiaires, c’est qu’il se dégage de leurs auditions un sentiment de grande satisfaction de ceux des militaires et de leur famille qui en ont connaissance. Ainsi, la direction du personnel militaire de la marine a souligné que les marins avaient particulièrement apprécié l’attention portée à leurs contraintes de vie, le taux de satisfaction de ceux-ci étant évalué qualitativement à travers la centaine de rapports sur le moral que les unités de la marine adressent à leur chef d’état-major chaque année.
De même, la direction des ressources humaines de l’Armée de Terre a indiqué que « la mise en œuvre du plan Famille [avait] connu une phase initiale de rapide déploiement » et que les « gains initiaux [avaient] été ressentis positivement » même si l’accompagnement de la mobilité – point sur lequel les rapporteures reviennent dans le détail au III, « avec le triptyque « logement », « emploi du conjoint », « scolarité des enfants », reste un domaine où les gains du plan Famille ont été marginaux ».
Également interrogée par la mission d’information, l’association Women Forces a indiqué qu’elle portait « une attention bienveillante aux actions du plan Famille » et que « nombre de ses avancées » étaient « fortement appréciées dans le domaine de l’emploi ». L’association a cependant mis un bémol à ce jugement global, estimant que la mobilité, la gestion des ressources humaines et le changement culturel que Women Forces appelle de ses vœux en matière d’emploi des conjoints étaient des chantiers qui restaient à mener.
II. De nombreuses mesures emblématiques sont très bien accueillies par les militaires et leur famille
Pour faciliter la vie des militaires et de leur conjoint, le plan Famille vise à assurer une meilleure prise en compte de la parentalité et de la famille au sens large notamment dans le cadre de l’absence du militaire (A) et une appréhension renforcée de la mobilité fonctionnelle et géographique, tant sur les plans personnels que professionnels (B). Enfin, le plan Famille se veut également porteur d’une intégration renforcée au sein de la communauté de défense locale, reflet de la reconnaissance de l’institution militaire à l’égard du militaire et de sa famille (C).
A. Une meilleure prise en compte de la parentalité et de la famille au sens large dans le cadre de l’absence du militaire
1. Un accroissement de l’offre de garde d’enfants
Les évolutions de la vie familiale des militaires, dont une très grande part vit en couple et dont les conjoints sont actifs, soulèvent de plus en plus l’enjeu de la conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle. Les enfants de 0 à 6 ans représentent près du quart des enfants de militaire. Dans l’armée de Terre, les militaires ont environ 25 000 enfants de 0 à 3 ans.
La politique d’action sociale du ministère des Armées est axée sur les jeunes enfants, ces derniers n’étant pas en âge d’entrer à l’école maternelle et ayant besoin de solutions de garde continue pour permettre au militaire et à son conjoint de mener leurs activités opérationnelles ou professionnelles.
Dans le cadre du plan Famille, l’offre de garde d’enfants repose désormais sur trois axes : la gestion directe de crèches ministérielles, la réservation de berceaux au sein de structures associatives, municipales ou privées et le conventionnement avec les assistantes maternelles.
a. Une augmentation du nombre de places en crèche
La mesure 1.1.1 du plan Famille vise à augmenter de 20 % l’offre de garde des enfants de 0 à 3 ans, la réservation de berceaux et le nombre de places en crèches afin d’atteindre 2 556 places en 2022. Afin d’atteindre cet objectif, 70 places supplémentaires devaient être construites dans des crèches ministérielles, notamment à Mérignac et à Pamiers, d’une part, et 330 places nouvelles doivent être réservées à la suite de l’augmentation des marchés de réservation de berceaux, d’autre part. En outre, le seuil pour conclure des marchés de réservation de berceaux a été abaissé de 10 à 5 places afin de rendre l’offre plus souple et plus adaptable. De 2019 à 2022, le budget prévisionnel alloué pour les réservations de berceaux au titre du plan Familles est abondé de 0,25 million d’euros chaque année.
Le tableau ci-dessous présente l’évolution du nombre de berceaux réservés entre la fin de l’année 2017 et la fin de l’année 2022 :
Source : ASA, 2021
Pilotée par la DRH-MD et l’action sociale des armées (ASA), la mesure doit être appliquée entre 2018 et 2022. L’objectif fixé pour 2022, soit une augmentation de 20 % de l’offre défense de garde d’enfants de 0 à 3 ans, a été atteint et dépassé, ce dont les rapporteurs se félicitent. Au 31 octobre 2021, l’offre a augmenté de 22 % avec 2 598 berceaux, dont 1 674 en crèche ministérielle.
– Au 30 juin 2021, on comptait 962 berceaux réservés et 1 585 places en crèche ministérielle, soit 2 598 places. Les réservations de berceaux s’effectuent sur la base de marchés passés avec des prestataires extérieurs au ministère des armées et sont réparties dans toute la métropole en petite quantité (de 5 à 15).
– Au terme de la période 2018-2022, la capacité d’accueil globale pourrait être de l’ordre de 2 800 places, soit un dépassement de la cible initiale de plus de 270 places. En 2021, on comptait 1 585 places en crèches ministérielles. D’autre part, les ressortissants peuvent recourir aux places interministérielles offertes par les sections régionales interministérielles d’action sociale (SRIAS) ([41]) en préfecture.
Le ministère a également signé une convention de délégation avec Igesa en juin 2020 afin de mettre sur pied un modèle standardisé de crèche modulaire, aux coûts allégés et aux délais de construction réduits.
Si l’offre est significative et traduit un réel effort du ministère, elle ne couvre qu’entre 6 à 7 % de la population des 0-3 ans de la communauté militaire – qui compte environ 53 700 enfants d’après les chiffres fournis par le directeur de projet « plan Famille ». Le CSFM indique que la mesure pourrait être plus efficiente en optimisant la cartographie des berceaux par rapport au lieu de travail ou de résidence, ainsi qu’en ajustant le quotient familial pris en compte dans la garde d’enfants. En effet, celui-ci lorsqu’il est trop faible exclurait une part importante des foyers ayant le plus d’enfants. À cet égard, les rapporteures tiennent à nuancer la position du CSFM. La gestion des places en crèches s’appuie certes sur le quotient familial mais celui-ci n’est qu’un élément parmi d’autres pris en compte pour la priorisation, et non pour le droit à l’attribution des places. Les contraintes opérationnelles ou encore le travail du conjoint sont également regardés.
Le tableau ci-dessous présente le nombre d’enfants de la communauté militaire dans trois tranches d’âges respectives : les 0-3 ans, les 4-12 ans ainsi que les 13-16 ans.
b. L’action en faveur des assistant(e)s maternel(le)s agréé(e)s : une solution de garde avantageuse qui est aussi facteur d’employabilité
La mesure 1.1.2 répond à un double objectif. Le premier vise à développer l’accompagnement des conjoints ayant un projet professionnel d’assistant(e) maternel(le). Le second incite financièrement les assistant(e)s maternel(le)s à accueillir un enfant ressortissant de l’action sociale des armées (ASA) et à le faire en horaires atypiques.
Pilotée par la DRH-MD et l’action sociale des armées, cette mesure s’est concrétisée dès 2018 après son examen par les membres du Conseil central de l’action sociale (CCAS) au second semestre 2017. Igesa gère intégralement cette prestation ministérielle, de la réception des demandes au paiement. Selon les informations fournies aux rapporteures par la DRH-MD, l’action est désormais réalisée et pérennisée. Concernant le premier objectif, évoqué supra, Défense mobilité a reclassé 238 conjoints sur un emploi d’assistant(e) maternel(le), dont 56 en 2020, ce dont les rapporteures se félicitent. S’agissant du deuxième objectif, au 1er novembre 2021, le nombre de conventions signées s’élève à 8 339. Le nombre d’enfants gardés avec ce dispositif en 2020 est de 5 200. Un barème spécifique concernant les horaires particuliers, indemnise de façon substantielle les horaires d’accueil du lundi au vendredi de 19 heures à 7 heures, le week-end et les jours fériés. Un supplément de 450 euros est versé à l’assistant(e) maternel(le) pour 10 à 60 heures d’accueil semestriel, et de 900 euros pour plus de 60 heures d’accueil semestriel. En juillet 2020, le dispositif a également été élargi aux assistant(e)s maternel(le)s exerçant au sein des maisons d’assistants maternels.
82 % des personnes ayant répondu à l’enquête ([42]) « Les militaires et leur perception des principales actions d’accompagnement social, professionnel et familial » réalisée par le secrétariat général pour l’administration (SGA) en novembre et décembre 2020, estiment que l’aide aux assistant(e)s maternel(le)s exerçant au profit d’enfants de militaires bénéficiaires de l’action sociale des armées (ASA) est utile. Saluant le « bon résultat » obtenu grâce à cette mesure, le CSFM met en avant son coût avantageux pour le ministère par rapport à celui d’une place en crèche ([43]). Pour la direction des personnels militaire de la gendarmerie, « l’aide ASMAT semble la plus adaptée aux besoins des gendarmes affectés en zone rurale et pour lesquels les crèches, majoritairement implantées autour des bases de défense ou zones à forte densification, ne sont pas toujours la solution ». Celle-ci ajoutant que le « dispositif ne doit pas s’analyser uniquement au travers des horaires atypiques, l’essentiel du besoin résidant dans la garde en horaires normaux ».
Par ailleurs, une réflexion mériterait d’être menée concernant l’application du dispositif dans les bassins déficitaires, notamment dans la région méditerranéenne, et dans les collectivités d’outre-mer où se pose le problème de l’absence d’agrément.
c. La garde d’urgence : une réponse spécifique à la problématique des horaires atypiques du militaire
Mesure adoptée en 2020 et pilotée conjointement par l’action sociale des armées ainsi que par Défense mobilité, la mesure 1.1.3 formalise les dispositifs de garde d’urgence intégrant une prise en charge financière étendue en cas d’impératif imprévisible. Selon les informations transmises par le ministère des Armées, l’objectif fixé a été atteint le 24 juillet 2020 avec l’entrée en vigueur du dispositif. Une solution de garde d’urgence est désormais proposée, en réponse à un besoin ponctuel en cas de situation d’urgence opérationnelle ou de santé, à concurrence de 1 500 euros.
Particulièrement appréciée par les marins, cette mesure avait été demandée par ceux-ci dès le lancement du plan Famille en 2017, compte tenu des spécificités de leurs sujétions. De fait, la possibilité pour un couple de faire garder ses enfants en cas d’appareillage en urgence du marin est une sécurité qui peut aider les familles à accepter la contrainte de l’embarquement.
Les différentes mesures introduites par le ministère en ce domaine traduisent un réel effort, qu’évoquait la secrétaire générale pour l’administration du ministère des Armées, Mme Isabelle Saurat, lors de son audition devant la Commission de la défense le 27 mai 2020, celle-ci notant que « les services du SGA ont été largement mobilisés sur l’action sociale ministérielle afin de rassurer les familles et d’aider les familles, notamment celles du personnel en OPEX en agissant particulièrement sur la garde d’enfants et autres aides d’urgence ». L’association des femmes de militaires, Women Forces porte « une attention bienveillante quant aux actions du Plan Famille [dans ce domaine] » ([44]). La direction des ressources humaines et de la condition de l’aviateur juge quant à elle « la réponse plutôt satisfaisante », lorsqu’on juxtapose les différents dispositifs, mais soulève néanmoins la question de l’accueil périscolaire.
S’agissant des prestations d’aide à l’accueil périscolaire ([45]) et à la garde d’enfants en horaires atypiques, la direction des personnels militaires de la gendarmerie considère « qu’un grand nombre de familles n’y ont pas accès dans la mesure où ces aides sont octroyées sous conditions de ressources. Alors qu’elles devraient prioritairement répondre aux contraintes de l’état militaire qui viennent perturber l’organisation de la vie familiale avec de jeunes enfants (nonobstant le statut et le grade), l’approche essentiellement sociale sur laquelle reposent ces aides réduit fortement leur portée et peut nuire à leur lisibilité ».
Les rapporteures se félicitent des avancées réalisées pour renforcer la diversité de l’offre en faveur de la petite enfance : crèches défense, réservations de berceaux en crèches civiles, assistantes maternelles conventionnées. Cette offre a été complétée cet automne par une solution de nature différente : la gratuité des services de la plateforme Yoopies (cf. IV infra). Plutôt que de privilégier une mesure par rapport à l’autre, les rapporteures estiment que l’enjeu est davantage celui d’une articulation intelligente entre les différents outils de garde selon les spécificités locales et économiques des territoires, les besoins de garde d’enfant différant entre zones urbaines et territoires isolés. Enfin, les rapporteures tiennent à nuancer les différentes critiques émises en matière d’accueil périscolaire. En effet, le partenariat Yoopies, sur lequel elles reviennent en détail infra, devrait précisément permettre de répondre à des besoins de garde plus variés et adaptés aux besoins, périscolaires ou non, des familles.
2. Une attention particulière portée au moral des familles
Le plan Famille renforce et formalise certains dispositifs préexistants afin d’accompagner les familles dans la durée sur les plans psychologique et moral au travers des mesures 1.4.1, 1.4.2 et 2.7. Comme l’indiquait la ministre des Armées, Mme Florence Parly : « s’il y a bien une chose en laquelle je crois profondément depuis que j’ai pris mes fonctions, c’est que lorsqu’on recrute un soldat, c’est toute une famille qu’on engage ».
Le plan Famille présente des solutions pour maintenir un équilibre au sein du système familial, malgré l’absence du militaire ou sa mobilité, notamment en direction des enfants. Pour le docteur Anne Raynaud de l’Institut de la Parentalité, le plan Famille témoigne plus largement « de la recherche de plus de cohérence, de prévisibilité et de stabilité dans l’écosystème de la famille » ajoutant que « la complémentarité des actions proposées et des soutiens mis en œuvre concourt à répondre aux besoins spécifiques de l’enfant de militaire ».
a. Un soutien moral et psychologique renforcé dans le cadre de l’absence opérationnelle
Si les troubles psychiques sont connus de longue date dans les armées, notamment avec l’apparition des « pertes psychiques » lors de la Grande guerre (1914-1918), c’est surtout à partir des années 1990 et 2000 que la reconnaissance et la prévention de ces pathologies ont été considérées comme des priorités. En 2013, un dispositif d’écoute téléphonique a été créé au profit des militaires et anciens militaires souffrant du syndrome de stress posttraumatique. Son périmètre d’action a ensuite été étendu au personnel du ministère des Armées concerné par des situations de harcèlement, de discrimination ou de violence de nature sexuelle, en lien avec la cellule Thémis ([46]), puis aux familles de militaire. Depuis 2016, ce dispositif permettait aussi de répondre aux situations de harcèlement et de souffrance au travail.
Le guide de l’accompagnement des familles de militaires partant en OPEX ou en mission de courte durée, élaboré par la direction des ressources humaines de l’armée de Terre en 2012, rappelait déjà dans son introduction combien les familles, et le plus souvent les conjoints, étaient concernés par cet enjeu : « La carrière militaire implique une disponibilité en tout temps et en tout lieu. Elle implique un mode de vie caractérisé par une mobilité sur le territoire métropolitain mais aussi en dehors de l’hexagone. Votre conjoint doit partir en mission de courte durée ou en opération extérieure. L’organisation quotidienne de la famille en l’absence de votre conjoint va reposer sur vous. Vous allez devoir assumer vous-même les charges de famille en aménageant votre mode de vie en fonction de vos obligations. Ce départ doit se préparer en famille pour qu’il se déroule dans de bonnes conditions. Chaque membre qui la compose, militaire, conjoint, enfants mais aussi parents et beaux-parents, est concerné. C’est une étape importante, ne la négligez pas. »
La mesure 1.4.1 vise à amplifier et à diversifier l’offre en matière de soutien moral à la fois avant, pendant et après les missions opérationnelles grâce à de nouveaux outils et livrets pédagogiques d’aide à la gestion de l’absence. L’effort devait notamment être renforcé au profit des organismes interarmées et du personnel déployé de manière isolée. Entrée en vigueur en 2019, cette mesure a été appliquée et soutenue par le service de l’action sociale des armées (ASA) grâce au développement de boîtes d’activités.
– En 2020, 5 000 clés « story enjoy » ont été distribuées aux armées, directions et services. L’accès gratuit à cette application a permis aux militaires d’enregistrer à l’avance des histoires, proposées ensuite à leur enfant pendant la mission ;
– Parallèlement, en sus des 18 000 kits enfant mission, 53 354 boîtes multi-activités ([47]) ont été offertes aux enfants de militaires partant en opérations extérieures (OPEX) auxquelles il faut ajouter la commande de 2 500 boîtes pour la gendarmerie. Ces boîtes comprennent six modèles successifs, à raison d’un par semestre en 2020, 2021 et 2022.