N° 4749

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 30 novembre 2021.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

sur le Pacte sur la migration et l’asile,

 

 

 

ET PRÉSENTÉ

PAR M. Pieyre-Alexandre ANGLADE et M. Pierre-Henri DUMONT,

Députés

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(1)    La composition de la commission figure au verso de la présente page.


 

La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Sabine THILLAYE, présidente ; MM. Pieyre-Alexandre ANGLADE, Jean-Louis BOURLANGES, Bernard DEFLESSELLES, Mme Liliana TANGUY, viceprésidents ; M. André CHASSAIGNE, Mme Marietta KARAMANLI, M. Christophe NAEGELEN, Mme Danièle OBONO, secrétaires ; MM. Patrice ANATO, Philippe BENASSAYA, Mme Aude BONO-VANDORME, MM. Éric BOTHOREL, Vincent BRU, Mmes Yolaine de COURSON, Typhanie DEGOIS, Marguerite DEPREZ-AUDEBERT, M. Julien DIVE, Mmes Coralie DUBOST, Frédérique DUMAS, MM. Pierre-Henri DUMONT, Jean-Marie FIEVET, Alexandre FRESCHI, Mmes Maud GATEL, Valérie GOMEZ-BASSAC, Carole GRANDJEAN, Christine HENNION, MM. Michel HERBILLON, Alexandre HOLROYD, Mme Caroline JANVIER, MM. Christophe JERRETIE, Jérôme LAMBERT, Jean-Claude LECLABART, Mmes Constance Le GRIP, Martine LEGUILLE-BALOY, Nicole Le PEIH, MM. David LORION, Ludovic MENDES, Thierry MICHELS, Jean-Baptiste MOREAU, Xavier PALUSZKIEWICZ, Damien PICHEREAU, JeanPierre PONT, Dominique POTIER, Didier QUENTIN, Mme Maina SAGE, M. Benoit SIMIAN, Mme Michèle TABAROT.

 


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SOMMAIRE

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 Pages

INTRODUCTION

Partie I – Le nouveau pacte sur la migration et l’asile apporte une réponse partielle à une situation qui semble inextricable

I. le retour à l’agenda de la réforme du régime de l’asile européen commun se fait par le biais d’un paquet de textes très attendu

A. Le pacte est une réponse à l’échec du précédent paquet asile

1. Retour sur une crise politique sans issue

a. Le premier Paquet asile était une réponse au pic d’arrivées de 2015

b. Les négociations ont révélé les dissensions avant de se solder par un échec

i. Les décisions d’urgence de 2015

ii. Le Paquet asile de 2016

2. La persistance de l’urgence humanitaire

a. La situation sur les routes migratoires et dans les camps est toujours dramatique

i. Les dangers du voyage

ii. Les situations intenables sur le territoire européen

b. Les migrations sont là pour durer

B. La proposition foisonnante de la commission européenne combine des textes existants et des solutions neuves

1. La reprise de textes déjà évoqués dans les négociations précédentes

2. L’apport de nouvelles dispositions

a. Les nouveaux textes

b. Les modifications de textes existants

II. Le pacte se heurte à d’importants blocages en n’apportant pas de solution consensuelle

A. La réforme de Dublin attenDue de longue date est sujette à d’importantes limites

1. La difficulté des transferts au sein de l’Union européenne

2. La définition toujours problématique de l’État responsable dans le nouveau Pacte

a. L’absence de « justice spatiale »

b. La prise en compte des critères alternatifs à celui de la première entrée

B. le mécanisme de solidarité promis reste mesuré

1. Le partage équitable de la charge réelle

a. Le traitement des demandes

i. Principe du mécanisme

ii. Implications

b. Les retours

2. Les oppositions nationales très nettes

a. Refus des États de Visegrád

b. Crispation des États de première entrée

Partie II – Pour éviter une nouvelle crise politique, humanitaire et institutionnelle, le pacte doit marcher sur ses deux jambes : migration et asile

I. garantir l’effectivité du droit d’asile doit demeurer l’objectif premier de cette réforme

A. Une question de périmÈtre

1. Tout le droit d’asile

a. Les voies d’accès alternatives au territoire de l’Union

b. L’application ferme du droit international en mer

2. Rien que le droit d’asile ?

B. Une question de moyens

1. La coopération européenne

a. En matière de gestion des frontières

i. La place renouvelée de Frontex

ii. Le renforcement du contrôle des activités de l’agence

b. Pour uniformiser le traitement des demandes

i. Les divergences actuelles

ii. La nouvelle Agence de l’Union européenne pour l’asile

2. Le nécessaire investissement des États

a. L’acceptation des demandes de transfert

b. L’investissement dans le traitement rapide des demandes à la frontière

II. Une position française ambitieuse est nécessaire afin de dépasser les positions cristallisées de groupes de pays aux intÉrêts qui semblent diverger

A. Sur le fond

1. En prévention des crises : les partenariats mutuellement bénéfiques

a. Les outils d’incitation

b. Le recours à la politique des visas

2. En cas de crise

a. Un mécanisme de solidarité juste et à la hauteur des enjeux

b. Une harmonisation par le haut des conditions d’accueil et d’intégration

B. Sur la méthode

1. Sortir de l’enlisement

a. Une situation peu favorable

b. La stratégie du « paquet souple »

2. Faire valoir les intérêts géostratégiques des Européens

a. Le cas biélorusse

b. Le cas britannique

Conclusion

travaux de la commission

Annexe : Liste des personnes auditionnées


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   INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

 

Si la notion d’asile, avec son étymologie issue du grec ancien, est ancrée dans notre civilisation, elle est aussi une question d’actualité et un enjeu d’avenir pour la vieille Europe. Peu de débats politiques divisent de manière aussi nette, passionnée et régulière. L’Union européenne, qui partage cette compétence avec les États membres ([1]), semble, depuis plusieurs années, ne pas être en mesure de les réconcilier sur ce point. La pertinence et la plus-value d’une politique coordonnée sont pourtant acquises depuis que le programme de Tampere, en 1999, a prévu que le régime d’asile européen commun (RAEC) devait à terme laisser place à un système intégré, fondé sur la coopération et la confiance entre les États membres.

La question migratoire ne se résume pas à l’asile. Des personnes aux parcours et besoins divers se déplacent au sein de mouvements migratoires mixtes, dont les caractéristiques varient selon les pays. Les demandes d’asile sont formées par des personnes qui obtiendront la reconnaissance de la qualité de réfugié, mais aussi par ceux qui deviendront les « déboutés », au sort incertain. La nécessité d’une approche globale qui englobe asile, migration, retour et gestion des frontières extérieures – pendant de la suppression des contrôles aux frontières intérieures de l’espace Schengen – fait l’objet d’un consensus presque aussi large que le constat d’un impératif de réforme face aux faiblesses du système actuel.

La Commission européenne a présenté, le 23 septembre 2020, un nouveau Pacte sur la migration et l’asile. Il comprend plusieurs textes, dont certains reprennent des propositions qui avaient déjà été faites par la Commission par le passé. Ce paquet a été considéré par les États membres comme une base de discussion acceptable. Il s’articule autour de trois axes principaux : renforcement des frontières extérieures, partage plus équitable des responsabilités et de la solidarité et renforcement de la coopération avec les pays tiers. Pourtant, si les discussions ont été nombreuses et nourries, aucune perspective sérieuse d’adoption du Pacte dans son intégralité ne semble à ce jour se dessiner. C’est à raison que la chancelière Angela Merkel affirmait qu’il est « plus facile de s’entendre sur les plans de relance que sur la question migratoire ».


La proposition de la Commission, bien que cherchant à intégrer les priorités que chaque État ou groupe d’États aux intérêts similaires avait fait valoir au cours des années précédentes, ne parvient à en satisfaire pleinement aucun. En effet, si tous s’accordent pour remettre en cause le système dépassé de « Dublin III », les solutions dessinées par la Commission sont vues alternativement comme trop attentatoires à la souveraineté des uns ou pas assez solidaires des autres.

S’il faut réaffirmer avec force que rien ne peut justifier les morts et les violences sur les routes migratoires, l’heure est également venue de transformer l’indignation en actes politiques réels. Le droit à déposer une demande d’asile doit être garanti, parce qu’il ne relève pas d’un choix des États mais du respect de la convention de Genève sur le droit des réfugiés du 28 juillet 1951. Pour cela, la faculté de solliciter une protection dans des conditions dignes, y compris en dehors du territoire concerné, doit devenir une faculté. Il en va du pragmatisme si souvent invoqué en matière migratoire et de la lutte contre les réseaux illégaux de passeurs, dont les revenus nourrissent d’autres formes de criminalité.

Le contexte particulier de la pandémie de covid-19 a eu des effets ambivalents sur les négociations. Même si les gouvernements étaient naturellement préoccupés par d’autres urgences sur le front sanitaire, il est permis de penser que le net reflux des arrivées irrégulières au cours de l’année 2020 a permis de prendre du recul sur la situation. Cependant, 2021 a apporté son lot de crises politiques et diplomatiques, de la Biélorussie à l’Afghanistan, rappelant qu’en matière d’asile européen, le statu quo n’est pas une sortie acceptable.

Vos rapporteurs ont la conviction que l’adoption du Pacte dans un délai raisonnable est indispensable. Les crises migratoires successives en Europe ont démontré la nécessité de réformer les politiques européennes dans ce domaine. Par le passé, la Commission a déjà fait plusieurs propositions visant à adapter le cadre européen, sans succès. Il est essentiel que l’Europe avance sur ce point et le Pacte, s’il présente des imperfections, apporte des solutions. La France, qui porte une position équilibrée sur ces enjeux, a une responsabilité politique particulière à l’approche imminente de la présidence qu’elle exercera au premier semestre 2022.

 


   Partie I – Le nouveau pacte sur la migration et l’asile apporte une réponse partielle à une situation qui semble inextricable

I.   le retour à l’agenda de la réforme du régime de l’asile européen commun se fait par le biais d’un paquet de textes très attendu

Pour mieux comprendre les enjeux du Pacte sur la migration et l’asile, il importe de revenir sur l’échec du précédent paquet législatif proposé par la Commission en matière d’asile.

A.   Le pacte est une réponse à l’échec du précédent paquet asile

Les États membres ont été particulièrement divisés face à la crise migratoire. En ne parvenant pas à dépasser les erreurs de méthode et les oppositions tranchées, ils ont laissé perdurer une situation intenable sur le territoire européen.

1.   Retour sur une crise politique sans issue

a.   Le premier Paquet asile était une réponse au pic d’arrivées de 2015

La question migratoire n’est pas une thématique nouvelle pour les États européens, qui ont déjà été confrontés à une situation d’arrivées massives et subites de demandeurs d’asile.

Un air de déjà-vu

La crise des réfugiés en provenance des pays de l’ancienne Yougoslavie avait généré, dans les années 1990, des débats et discordes très semblables à celles qui animent aujourd’hui l’Union européenne ([2]) : les pays les plus prompts à accueillir les réfugiés avaient lancé, dès 1992, un appel à plus de solidarité dans le partage du « fardeau ».

Le Conseil des ministres a formulé, en juin 1995, un appel à plus de solidarité juridique et économique entre les États, sans jouir de la compétence nécessaire pour rendre ses décisions exécutoires. La réponse à la crise humanitaire a finalement pris la forme d’un accord politique sur la répartition des réfugiés dans l’Europe à 15.

En termes de volumétrie, cependant, le cycle amorcé au début des années 2010 s’est distingué par des niveaux de demandes d’asile inédits depuis trente ans.

 

demandeurs d’asile dans l’union européenne, 1990-2020

(Eurostat)

L’épisode paroxystique de 2015, rapidement qualifié de crise migratoire ([3]), avait pourtant été précédé d’alertes. Le 3 octobre 2013, un naufrage sur l’île italienne de Lampedusa avait ému les opinions publiques et les commentateurs, générant une mise à l’agenda passagère de la question du droit d’asile. Cependant, sa visibilité particulière n’étant en rien due au caractère exceptionnel de l’événement, mais bien à sa proximité avec les côtes et à l’implication des habitants dans le sauvetage, voire dans l’exposition médiatique de cadavres échoués ([4]). En effet, les naufrages et accidents étaient déjà nombreux sur la route vers l’Europe depuis le début des années 2000.

Bien qu’il soit malaisé de chiffrer précisément le nombre des arrivées sur le territoire en 2015, le nombre de demandes d’asiles déposées permet d’objectiver l’augmentation des entrées. Selon Eurostat, 1,3 million de demandes ont ainsi été déposées dans l’Union européenne en 2015, soit deux fois plus que l’année précédente. La répartition de ces demandes n’a pas été uniforme entre les États membres, l’Allemagne en étant, au cœur de la crise, la principale destinataire.


demandeurs et primo-demandeurs d’asile, données annuelles agrégées

Source : Eurostat

Ce record historique s’inscrit dans un contexte de conflits importants au Proche et Moyen-Orient, qui entraîne cette année-là 65 millions de migrations forcées dans le monde, selon le Haut-commissariat aux réfugiés des Nations Unies (HCR). Il s’agit du chiffre le plus haut des cinquante dernières années ([5]), qui permet de rappeler que l’afflux de cette année-là est avant tout lié à une situation géopolitique particulièrement tendue.

Cette augmentation des flux migratoires entraîne des conséquences multiples. Sur la route de la migration, elle fait prospérer les passeurs et crée des drames humains : accidents mortels, mais aussi ventes aux enchères de migrants sur les marchés aux esclaves ([6]). Dans les pays de première entrée, ainsi que dans ceux vers lesquels se dirigent prioritairement les mouvements secondaires, des arrivées massives entraînent une saturation des procédures de l’asile et des infrastructures d’accueil. La création de camps où règnent surpopulation et conditions de vie dégradées en est l’immédiate conséquence.

Pour faire face à l’urgence et à l’échec du système dit de « Dublin III » issu d’une directive de 2013, la Commission européenne a proposé une nouvelle réforme ambitieuse de l’asile au printemps 2016.

b.   Les négociations ont révélé les dissensions avant de se solder par un échec

Les désaccords profonds et structurants entre États membres ayant conduit à l’échec de la dernière tentative de réforme de l’asile nous renseignent sur l’existence de sérieuses difficultés politiques dont la plupart persistent à ce jour.

i.   Les décisions d’urgence de 2015

L’échec de la réforme s’est produit en deux temps. Tout d’abord, afin de venir en aide à l’Italie et la Grèce, dépassées par la situation – mais aussi pour mettre fin à leur pratique consistant à ne pas enregistrer les nouvelles arrivées trop nombreuses –, le Conseil a pris en septembre 2015 deux décisions ([7]) relatives à la réinstallation et la relocalisation de demandeurs d’une protection internationale.

Ce plan, porté par Jean-Claude Juncker, prévoyait de répartir les demandeurs d’asile entre les États membres au prorata de leur population et de leur PIB, corrigé du taux de chômage et du nombre de réfugiés déjà accueillis depuis cinq ans. La Pologne et la Hongrie ont refusé le principe de la relocalisation obligatoire sur leur territoire, tandis que la République tchèque a accueilli 12 personnes au lieu des 50 auxquelles elle s’était engagée.

La Hongrie et la Slovaquie ont par la suite introduit un recours en annulation contre la décision du 22 septembre 2015 devant la Cour de Justice de l’Union européenne ([8]). La Pologne leur a apporté son soutien, dans la logique politique du Groupe de Visegrád. Quant au recours en manquement formé par la Commission contre la Hongrie, la Pologne et la République tchèque, il a été accueilli par la Cour dans un arrêt du 2 avril 2020 ([9]). Ces revers contentieux des pays réfractaires aux deux décisions de 2015 seront cependant privés de portée, dans la mesure où les obligations de relocalisation en découlant sont désormais caduques.

ii.   Le Paquet asile de 2016

Entre mai et juillet 2016, alors que l’accord passé avec la Turquie ([10]) avait permis de faire baisser dans un premier temps la pression en mer Égée, la Commission européenne a proposé un paquet de sept mesures législatives, prévues, à l’instar des décisions du Conseil précitées, par l’Agenda européen en matière de migration ([11]).

Le « Paquet asile » devait intervenir afin de pallier l’affaiblissement du respect des règles de l’asile en vigueur. Son objectif était également de réformer en profondeur le système en harmonisant les conditions d’accueil et d’études des demandes d’asile, ainsi qu’en intégrant plus de solidarité entre les États de première entrée et les autres.

Si les négociations ont pu avancer sur certaines des propositions les plus consensuelles, les oppositions se sont figées sur des points politiques entre trois grandes positions. Les pays de première entrée et les pays du groupe de Visegrád ont vu leurs intérêts s’opposer frontalement sur la question d’un partage de la charge de l’accueil et du traitement des arrivants. Un troisième groupe d’États, dont la France, a adopté des positions plus modérées et représentatives de leur statut de destination de mouvements secondaires au sein de l’Union européenne.

Ces différences ont semblé indépassables au point d’entraîner un blocage institutionnel à partir de 2018. Quatre ans plus tard, la Commission tire le bilan suivant de l’Agenda européen : « Nous sommes parvenus à passer de la pure gestion de crise à l'élaboration de solutions structurelles pour mieux préparer l'Europe à tout futur défi migratoire, à moyen et à long terme ([12]) ». Cependant, ces progrès tiennent à d’autres avancées, comme une meilleure coopération entre États dans le cadre des sauvetages en mer, ou des avancées dans la politique des retours avec certains pays tiers. Le Paquet asile, qui n’a jamais été adopté, a vu certains de ses éléments retirés, d’autres amendés par la Commission européenne.

2.   La persistance de l’urgence humanitaire

Si les négociations ont peu avancé, les difficultés qui avaient justifié la présentation du Paquet n’ont pas disparu des préoccupations de l’opinion publique ni des États les plus touchés par le phénomène migratoire.

a.   La situation sur les routes migratoires et dans les camps est toujours dramatique

i.   Les dangers du voyage

L’année 2020 avait vu le nombre d’arrivées sur le territoire européen diminuer par l’effet de la crise liée à la pandémie de covid-19.

Avec la reprise du trafic international, les statistiques macabres sont reparties à la hausse. Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) ([13]), au moins 1 146 personnes sont mortes en tentant de rejoindre l'Europe par la mer au cours des six premiers mois de 2021. Il s’agit d’une augmentation de 58 % par rapport à la même période en 2020. Les routes les plus dangereuses sont celles de la Méditerranée centrale et de la Méditerranée orientale.

Par ailleurs, une accélération spectaculaire des migrations a eu lieu vers l’archipel espagnol des Canaries, situé dans l’océan Atlantique. Cette route est particulièrement dangereuse en raison de la distance à parcourir depuis le continent africain, qui peut prendre jusqu’à une semaine. Par comparaison, les distances entre la Grèce et la Turquie sont parcourues par les bateaux de fortune en quelques heures.

ii.   Les situations intenables sur le territoire européen

La concentration de la responsabilité de l’accueil à certains points que la géographie désigne comme des zones d’arrivée privilégiées sur le territoire européen a toujours des conséquences dommageables sur les conditions d’accueil. L’échec du Paquet asile a signifié le maintien du système issu de Dublin III, dont les imperfections sont connues depuis plusieurs années. La hiérarchie des critères de détermination de l’État responsable (cf. encadré) est très imparfaitement respectée et conduit à des stratégies d’évitement (cf infra) induisant, de fait, une surcharge des pays dont les frontières sont les plus facilement franchissables.

La surcharge est de plusieurs natures. Elle est d’abord administrative, puisque les circuits de dépôt et de traitement de demandes se trouvent engorgés. Elle est aussi financière, en ce que les coûts de l’accueil (aides financières, infrastructures, soins) sont assurés par l’État concerné.

Ce devoir d’accueil, qui répond à un impératif humanitaire et à une exigence du droit international, est devenu une mission d’ampleur disproportionnée pour quelques pays du pourtour méditerranéen. La conjonction de difficultés objectives et d’un manque de volonté politique d’investir massivement dans l’accueil des migrants a conduit à la constitution de camps où règnent des situations sanitaires et sociales rarement satisfaisantes.

L’île grecque de Lesbos, qui a abrité, jusqu’à son incendie ([14]), le célèbre camp de Moria, est le symbole de ces territoires périphériques sur lesquels l’Union européenne a, par défaut d’accord politique et de solidarité réelle, fait peser une responsabilité démesurée. Les services publics, notamment de gestion des déchets, y ont été temporairement saturés, tandis que le tourisme a en pratique disparu.

Le rejet des habitants envers les nouvelles arrivées par voie maritime est allé croissant à mesure qu’il devenait clair que la présence temporaire des demandeurs d’asile sur leur île deviendrait une solution de long terme. Par ailleurs, ceux-ci s’opposent à toute nouvelle construction d’accueil durable, contraignant l’État à faire le choix de structures provisoires où les conditions de logement sont nécessairement dégradées.

Malgré l’amélioration notable de la situation depuis 2020, certaines îles grecques comptent sur leur sol des personnes ayant transité par la Turquie et qui ne sont pas éligibles à la protection internationale. Le régime d’Erdoğan ayant suspendu le processus de redirection des migrants, ils restent bloqués durant de longs mois en attendant l’octroi d’un titre de séjour par l’État grec, ou que l’évolution des relations diplomatiques les contraigne au retour.

 

La détermination de l’État responsable

Afin d’éviter les demandes d’asile multiples dans l’Union européenne, le système de Dublin, dans ses versions successives ([15]), définit un État responsable du traitement de chaque demande.

La hiérarchie des critères actuellement en vigueur est définie au chapitre III du règlement « Dublin III ([16]) ».

Les premiers critères sont de nature familiale. Ainsi, si un membre de la famille du demandeur a bénéficié d’une protection internationale ou a fait une demande au sein d’un État membre, c’est cet État qui sera responsable. Les critères suivants sont relatifs à la possession d’un visa ou d’un titre de séjour récent émis par un État membre.

Si le demandeur a franchi irrégulièrement la frontière d’un État membre, cet État est responsable du traitement pour une durée de douze mois.

Le règlement « Dublin III » prévoit d’autres dispositions, dans cet ordre, pour les entrées sous exemption de visa, les demandes présentées dans les zones de transit et les personnes dépendantes ou assurant l’assistance d’un proche résidant légalement sur le territoire.

Enfin, les clauses discrétionnaires prévues à l’article 17 du règlement assurent à tout État membre la possibilité, pour des raisons humanitaires ou de compassion, d’assurer le traitement d’une demande qui ne lui incombe pas ou de solliciter la reprise en charge par un autre État membre.

b.   Les migrations sont là pour durer

La Déclaration de New-York pour les réfugiés et les migrants ([17]) énonce : « Nous observons que les êtres humains se déplacent actuellement plus qu’ils ne l’ont jamais fait. » Tous les indices laissent à penser que cette tendance ne va pas s’inverser.

Les raisons des migrations sont multiples et parfois cumulatives. À ce jour, les raisons géopolitiques demeurent prépondérantes dans les grands mouvements de populations. Ainsi, ce sont les conflits, d’une part, et les relations avec les pays tiers, d’autre part, qui conditionnent actuellement une part significative des arrivées sur le territoire européen.

En février 2020, au mépris de ses engagements préalables, le gouvernement turc a laissé passer plus de 15 000 migrants, principalement syriens, vers la frontière grecque. À l’été 2021, la frontière entre la Lituanie et la Biélorussie a été le théâtre d’une manipulation politique des personnes migrantes, encouragées à entrer de manière irrégulière dans l’Union européenne (voir infra). La Commission constate que les routes migratoires ne cessent de se modifier en fonction des événements mondiaux, ce qui impose à l’Union une veille permanente et précise, ainsi qu’un effort accru d’anticipation ([18]). Ainsi, les Afghans fuyant le nouveau régime et actuellement réfugiés en Iran, où la situation économique est peu favorable, pourraient à nouveau être amenés à migrer.

Un autre facteur déterminant et durable, voué à jouer un rôle prépondérant au XXIe siècle, est l’environnement, entendu dans son acception large. Le dérèglement climatique entraîne d’ores-et-déjà des déplacements de population qualifiés aujourd’hui de purement économiques.

L’agriculture de subsistance étant la source de revenus de 50 % des ménages d’Afrique subsaharienne, ce phénomène en est seulement à ses débuts. Lorsqu’une sécheresse frappe, les populations n’ont plus les moyens de migrer car leurs revenus baissent drastiquement ; en revanche, ceux qui la prévoient ou qui s’en sont remis financièrement utilisent les fonds dont ils disposent pour migrer ([19]).

Face à cette réalité aux multiples facettes, il est indispensable pour l’Europe de cesser de raisonner en termes de crise, afin de se doter d’un dispositif pérenne et réaliste de gestion des migrations.

B.   La proposition foisonnante de la commission européenne combine des textes existants et des solutions neuves

Le nouveau Pacte sur la migration et l’asile, introduit par la Commission européenne le 23 septembre 2020, comporte de nombreux textes, à la fois directives et règlements, dont l’articulation est partiellement explicitée par une communication et la portée précisée par d’autres instruments non-législatifs.

1.   La reprise de textes déjà évoqués dans les négociations précédentes

La Commission européenne choisit de maintenir cinq propositions déjà présentées en 2016 et 2018, afin de capitaliser sur l’acquis des années précédentes de négociations :

        Le règlement « qualification ([20]) », portant sur les critères d’octroi de la protection, doit permettre de remédier aux variations importantes de taux de reconnaissance et entraîner une convergence des décisions relatives au type de statut octroyé par les États membres ;

        Le règlement « Agence européenne pour l’asile ([21]) », soumis en 2018, transforme l’actuel bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO) en véritable agence dotée de moyens opérationnels. À la demande d’un État membre, elle doit être en mesure de prendre en charge la procédure administrative de protection internationale, sans préjudice des organisations judiciaires nationales, et ainsi apporter un réel soutien à l’harmonisation des pratiques. Son adoption est, pour la Commission, une priorité absolue qu’elle souhaitait voir aboutir avant fin 2020. Le texte fait l’objet d’un consensus au niveau technique depuis 2017, mais son adoption est bloquée par le refus de neuf États qui soutiennent la logique du « paquet » ;

        Le règlement « réinstallations et admissions à titre humanitaire ([22]) », incite les États membres à participer aux programmes de réinstallation et à promouvoir plus généralement les voies légales d’accès à l’Union européenne, afin que les personnes ayant besoin d’une protection internationale puissent entrer en toute sécurité sur le territoire des États membres ;

        La directive « accueil ([23]) », prévoyant les conditions matérielles d’accueil des demandeurs, va plus loin que la directive actuellement en vigueur de 2013. Elle doit permettre de garantir une plus grande cohérence dans les conditions d’accueil d’un État à l’autre pour éviter les phénomènes d’asylum shopping et de mieux préparer l’arrivée d’un grand nombre de migrants, tout en leur assurant un traitement digne ;

        La directive « retour ([24]) », proposée en 2018 et sur laquelle les travaux avaient été suspendus du fait de profonds désaccords sur la procédure à la frontière, met en œuvre un volet essentiel de l’agenda européen en matière de migration de 2015, à savoir le retour effectif des ressortissants de pays tiers qui n’ont pas le droit de séjourner dans l’Union. Actuellement, seul un tiers des déboutés du droit d’asile sont effectivement reconduits. La précédente directive ([25]), entrée en vigueur en 2010, n’est plus adaptée aux niveaux de pression migratoire susceptibles de se produire à nouveau. La proposition vise à rendre les pratiques, qui varient d’un État à un autre, plus efficace et plus coopérative, tout en mettant l’accent sur la coopération des pays d’origine.

2.   L’apport de nouvelles dispositions

Les nouveaux équilibres du régime d’asile envisagé par la Commission tiennent à cinq propositions législatives nouvelles ou amendées, qui prennent la forme de règlements.

a.   Les nouveaux textes

Le règlement « gestion de l’asile et de la migration ([26]) » est le principal instrument du nouveau Pacte. Remplaçant le règlement Dublin, retiré par la Commission, et le système obsolète qu’il fondait, ce texte a vocation à organiser la solidarité entre les États, par des contributions volontaires à tout moment et selon des modalités adaptées aux situations rencontrées.

La Commission européenne assurera en continu la coordination du soutien mutuel que se porteront les États : cette importante précision fonde une gouvernance nouvelle du régime européen de l’asile. Il s’agit d’une évolution de l’équilibre institutionnel, garante de la rapidité de la prise de décision, qui n’est pas neutre.

Le règlement « situations de crise et de force majeure dans le domaine de l’asile et des migrations ([27]) » complète le règlement précité (portant sur le mécanisme obligatoire et les procédures normalement applicables) par des règles spécifiques qui doivent permettre de faire face efficacement à une situation exceptionnelle de crise. La crise serait caractérisée par un afflux massif de ressortissants de pays tiers rendant inopérant le système d’accueil, d’asile ou de retour d’un État et nécessitant des adaptations aux règles établies par le règlement « gestion de l’asile et des migrations », en plus du soutien opérationnel et technique fourni par l’Agence de l’UE pour l’asile.

La proposition contient ainsi une extension du champ d’application de la relocalisation obligatoire et un raccourcissement du délai de déclenchement de la procédure de solidarité prévue dans le règlement relatif aux situations normales. Les possibilités de relocalisations obligatoires seront élargies pour intégrer les bénéficiaires d’une protection immédiate au titre de ce règlement, équivalente à la protection subsidiaire ([28]).

Le nouvel instrument confère à la Commission le pouvoir d’adopter des actes d’exécution ([29]) pour déclencher la procédure de relocalisation ou la prise en charge des retours. Pour ce faire, elle doit convoquer un « forum de solidarité de crise » qui permet d’évaluer la demande motivée d’un État membre sollicitant l’application des règles spécifiques à la solidarité obligatoire, sur la base des informations recueillies par les agences (EASO et Frontex).

Le règlement « filtrage aux frontières extérieures ([30]) » doit permettre de déterminer rapidement quelle procédure est applicable aux personnes (asile ou retour). Le filtrage comprendra l'identification, des contrôles sanitaires et de sécurité, le relevé des empreintes digitales et l'enregistrement des données biométriques dans la base de données Eurodac. Il sera réalisé à proximité des frontières extérieures et dans une durée de cinq jours maximum.

Une fois ce filtrage effectué, si une personne demande l'asile, son cas sera examiné au titre de la procédure à la frontière (voir infra) s'il s'agit d'un ressortissant d'un pays qui présente un faible taux de reconnaissance en matière de protection internationale (inférieur à 20 %), si la demande de ce ressortissant est frauduleuse ou abusive ou en cas de menace pour la sécurité nationale. Pour les autres demandeurs, c'est la procédure d'asile normale qui s'appliquera.

Ce règlement prévoit la mise en place d’un mécanisme de suivi indépendant afin d’assurer que toutes les mesures prises à l’occasion du filtrage sont conformes aux droits fondamentaux. Il s’agit de la réponse de la Commission aux allégations de refoulements et de mauvais traitements des migrants, car elle n’a pas en elle-même le pouvoir d’enquêter sur les fautes commises par les autorités nationales.

b.   Les modifications de textes existants

Le règlement « procédure ([31]) » doit remplacer la directive de 2013 actuellement en vigueur. Ce changement d’instrument juridique implique une harmonisation plus poussée des règles nationales afin d’établir une vraie procédure commune, rationalisée, aux délais raccourcis.

Les garanties procédurales pour les demandeurs de protection sont réaffirmées, parmi lesquels le droit à l’information, le droit d’être entendu dans le cadre d’un entretien individuel et de bénéficier d’une interprétation ainsi que d’une représentation juridique gratuite. Ces éléments constitutifs d’une procédure d’asile équitable faisaient partie de la proposition dès 2016.

Les évolutions par rapport à sa version de 2016 portent sur la prise en compte des nouvelles propositions de la Commission. La procédure à la frontière, dont le volet concernant les retours se trouvait initialement dans la proposition de directive « retour », est traitée dans cette proposition de règlement. Les négociations du précédent paquet n’avaient pas permis aux États de trouver un terrain d’entente sur les conditions d’utilisation et le caractère obligatoire ou non de cette procédure.

Vos rapporteurs souhaitent souligner, conformément aux engagements internationaux des pays européens et des positions renouvelées du Comité des droits de l’enfant des Nations Unies sur le sujet ([32]), que cette obligation ne saurait, en aucun cas, faire entrer dans son champ les mineurs non accompagnés et les familles accompagnées d’enfant de moins de 12 ans.

La procédure conjointe d’asile et de retour à la frontière

Le nouvel équilibre entre responsabilité, solidarité et gestion des crises proposé par la Commission repose sur l’instauration d’une procédure de filtrage ou screening menée aux frontières extérieures de l’Union européenne et visant à effectuer un premier test de recevabilité des demandes d’asile.

Les demandeurs ayant très peu de chances d’obtenir une protection légale verront leur demande instruite selon une procédure accélérée d’examen des demandes de protection internationale, prévue au nouvel art. 41 de la proposition de règlement « procédure », raccourcissant les délais de recours et de retour. La contradiction potentielle entre cet objectif d’efficacité et la garantie des droits fondamentaux dans la procédure a été souvent relevée ([33]).

Cette procédure a vocation à être conduite dans des centres fermés situés aux frontières extérieures ou à proximité, sous la responsabilité du pays d’entrée, avec le soutien de Frontex et de la future Agence européenne de l’asile, dans un délai de douze semaines maximum. Les États membres doivent fixer les règles relatives aux recours contentieux de façon à ce que l’ensemble de la procédure, y compris un recours unique, se déroule dans ce délai.

Les personnes dont les demandes d’asile à la frontière sont rejetées pourront ensuite faire l’objet d’une procédure à la frontière pour l’exécution du retour. Elles ne sont pas autorisées à entrer sur le territoire de l’État membre.

Le règlement « Eurodac ([34]) » a été amendé par rapport à la proposition de 2016, qui élargissait déjà le champ d’application de ce fichier regroupant les données biométriques de demandeurs d’une protection internationale. Cet outil est intégré dans la recherche d’interopérabilité avec les autres bases de données relatives à la gestion des frontières afin de prévenir les mouvements secondaires, une des priorités françaises. Par ailleurs, la réforme d’Eurodac doit permettre de comptabiliser les demandeurs d’asile au lieu des demandes, qui peuvent être déposées dans plusieurs États membres par une même personne.

À ces éléments s’ajoutent cinq propositions non-législatives qui viennent expliciter le paquet de textes :

        Un « Plan de préparation et gestion de crise en matière de migrations » ([35]) prévoit la collaboration des différents services et agences européennes au sein d’un réseau organisé, le « réseau Blueprint », qui doit garantir un échange adéquat d’information pour la phase de suivi des flux (Phase 1) et la phase de gestion de crise (Phase 2, déclenchée par la Commission). Le Plan repose sur quatre principes : anticipation, coordination, réaction en temps utile, allocation souple de ressources et de mesures de solidarité ;

        Une communication présentant les « Orientations de la Commission sur la mise en œuvre des règles de l’Union européenne relatives à la définition et à la prévention de l’aide à l’entrée, au transit et au séjour irréguliers » ([36]), rappelant aux États membres les flexibilités dont ils disposent au titre du droit européen afin d’exempter de poursuites les personnes facilitant l’immigration irrégulière pour des motifs humanitaires ;

        Une recommandation relative à la coopération entre les États membres en ce qui concerne les opérations effectuées par des bateaux détenus ou exploités par des entités privées aux fins d’activités de recherche ou de sauvetage ([37]) ;

        Une recommandation sur les voies légales d’accès à une protection au sein de l’UE ([38]), qui soutient les efforts des États membres envers les pays sur le territoire desquels un grand nombre de demandeurs de protection internationale sont déplacés, en étroite coopération avec le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) ;

        Une feuille de route de mise en œuvre du nouveau Pacte sur la migration et l’asile.

II.   Le pacte se heurte à d’importants blocages en n’apportant pas de solution consensuelle

Le Pacte sur la migration et l’asile repose sur un équilibre entre mécanisme de solidarité intra-européenne et protection accrue des frontières européennes. Il ne parvient cependant pas à générer un consensus parmi l’ensemble des États membres qui restent divisés sur les enjeux migratoires.

A.   La réforme de Dublin attenDue de longue date est sujette à d’importantes limites

Le système dit « de Dublin » a montré ses faiblesses, dans les crises comme en période de relative accalmie. Le nouveau Pacte ne révolutionne pas ce paradigme, puisqu’il ne va pas au bout d’un mécanisme de solidarité robuste et systématique.

1.   La difficulté des transferts au sein de l’Union européenne

En droit de l’Union, les États doivent pouvoir transférer les personnes vers les pays responsables du traitement de la demande (cf encadré supra) au départ de leur propre territoire. Le terme « prise en charge » est employé lorsqu’une personne dépose une première demande d’asile. On parle de « reprise en charge » si elle a déjà soumis une demande dans un autre État, ou bien si un visa ou un titre de séjour lui a été accordé. S’il est déterminé qu’un autre État est responsable du traitement, l’État sur le territoire duquel se trouve le demandeur a trois mois pour formuler sa requête aux fins de reprise en charge ; l’État requis dispose, quant à lui, de deux mois.

Les transferts ne sont effectués que dans 11 % des cas environ, tout en générant des coûts humains, matériels et financiers considérables ([39]). Une analyse de la mise en œuvre actuelle du règlement « Dublin III » indique une intention générale de se soustraire à la responsabilité du traitement des demandes ([40]), fragilisant la coopération et la confiance entre États membres.

L’étude conduite par le Parlement européen relève également que les États requis formulent des demandes de preuves trop complètes, qui sont en pratique difficiles à obtenir par les demandeurs ou par les États requérants, notamment lorsqu’il s’agit de démontrer des liens familiaux. Au demeurant, les entretiens menés dans le cadre de la procédure de détermination sont conduits de manière trop superficielle par certains pays qui laissent au demandeur la tâche de rechercher ses liens familiaux, y compris quand il s’agit d’un mineur ([41]). C’est ainsi que les critères qui prévalent pour les transferts entre États membres sont les plus faciles à démontrer, à savoir le critère de la première entrée, établi par une recherche de correspondance des empreintes dans la base Eurodac.

Selon les données de la Commission européenne, dans le système actuel, les demandeurs peuvent attendre jusqu’à 10 mois pour des demandes aux fins de « reprise en charge », voire 11 mois pour des demandes aux fins de « prise en charge », avant même le commencement de la procédure d’examen de leur demande de protection internationale ([42]). Ces délais compromettent la réalisation de l’objectif du système visant à assurer au demandeur un accès rapide à la procédure d’asile, alourdissent les charges d’accompagnement des demandeurs et créent des situations de longue incertitude très préjudiciables aux personnes.

2.   La définition toujours problématique de l’État responsable dans le nouveau Pacte

La Commission européenne ne remet pas en cause la prévalence du critère de la première entrée, lequel est la clé de l’échec du système Dublin et du ressentiment des pays du Sud.

a.   L’absence de « justice spatiale »

Les États membres dont les frontières sont illégalement franchies portent l’attractivité de l’ensemble du modèle européen pour les ressortissants de pays tiers. En effet, au-delà des situations de menace grave et avérée ouvrant la reconnaissance du statut de réfugié, de nombreuses situations rendent le continent européen attractif : grande pauvreté, précarité médicale ou recherche d’une vie meilleure.

Les pays de première entrée rejettent les principes qui leur font porter la majeure partie des coûts, réels, de la migration. Ils estiment que ces coûts doivent être partagés par tous les Européens, car c’est l’Europe toute entière que cherchent à gagner les milliers de personnes qui risquent leur vie. Au demeurant, les pays du « Med5 ([43]) » ne sont pas les plus riches d’Europe : tous ont un PIB/habitant inférieur à la moyenne des 27 ; la Grèce est même avant-dernière du classement devant la Bulgarie ([44]).

Cette différence entre le niveau de vie dans les pays de première entrée et les conséquences migratoires de la force d’attraction de l’Union européenne engendre un ressentiment qui n’est pas à négliger, tant dans un souci d’équité que de cohésion politique.

b.   La prise en compte des critères alternatifs à celui de la première entrée

Le recours trop fréquent à la « disposition-balai » du dispositif de Dublin, le critère du pays de première entrée, est préjudiciable. Ce recours est lié à la pratique des États membres, mais aussi à la faiblesse juridique des autres dispositions censées permettre d’y déroger.

Le Pacte tend à répondre à ce problème, sans pour autant que la solution soit pleinement satisfaisante. Les critères familiaux continuent en théorie de primer et sont élargis par la prise en compte des fratries, mais aussi des cellules familiales constituées durant le parcours migratoire.

La disposition novatrice porte sur l’obtention d’un diplôme ou d’une formation qualifiante dans un État membre. Ce critère, qui peut conduire à augmenter les cas de responsabilité de grands États comme la France, peut être pourtant bienvenu puisqu’il implique un lien culturel et linguistique préexistant avec le pays. Il serait dommageable à l’objectif d’intégration des personnes, en attente de traitement de leur demande comme bénéficiaires d’une protection, que les négociations conduisent à écarter ce critère.

Par ailleurs, une mesure ambitieuse et positive consisterait à valoriser les compétences linguistiques des demandeurs d’asile dans la détermination de l’État responsable, à quota de relocalisations égal. Ce critère vertueux serait aussi cohérent avec les objectifs de promotion de la francophonie.

B.   le mécanisme de solidarité promis reste mesuré

L’apport majeur de la nouvelle proposition est le principe d’un mécanisme de solidarité constante, qui a vocation à jouer un rôle particulier en temps de crise.

1.   Le partage équitable de la charge réelle

a.   Le traitement des demandes

i.   Principe du mécanisme

La grande concession aux États membres de première entrée, qui réclament depuis longtemps une solidarité réelle dans le régime européen de l’asile, est la mise en place, dans certaines situations bien définies, d’un système de relocalisation automatique des demandeurs d’asile ayant passé le test de recevabilité. Il s’appuie sur une clé de répartition intégrant des données économiques et les efforts passés de chaque pays.

La Commission distingue, outre le temps normal où la solidarité se fait sur une base volontaire, trois scénarii spécifiques qui conduiraient à une activation graduelle du mécanisme de solidarité :

        Le débarquement à la suite d’une opération de recherche et de sauvetage en mer : la solidarité se traduit essentiellement par la relocalisation des demandeurs qui ont des chances d’obtenir une protection (taux moyen supérieur à 20 %) ;

        Le risque de pression sur le système de gestion des migrations d’un État membre : la solidarité est obligatoire mais s’exerce soit par les relocalisations, soit par un parrainage des retours, soit par un soutien capacitaire ;

        Les situations de crise : la solidarité est obligatoire et prend essentiellement la forme de relocalisations.

ii.   Implications

Concrètement, dès qu’une pression migratoire sera établie les États tenant les frontières de l’Union ne seront plus chargés de l’ensemble du processus qu’implique l’instruction de la demande, ce qui revient à une meilleure répartition des coûts administratifs et financiers de la procédure d’asile.

Par ailleurs, en accordant une protection sur leur territoire, les autres États deviendraient également responsables d’un autre volet important qu’est l’intégration des réfugiés. Cette dimension implique aussi une organisation spécifique et des moyens dédiés. En France, l’accompagnement des réfugiés représente une enveloppe d’environ 93 M € pour l’année 2022 ([45]).

b.   Les retours

La proposition de la Commission européenne introduit une importante dérogation au principe de la solidarité obligatoire via les relocalisations. Dans le débat ancien entre les États de première entrée, qui souhaitent un partage des charges réelles, et ceux qui souhaitent de longue date offrir un soutien exclusivement financier dans le domaine de l’asile et de la migration, le Pacte tranche dans un sens plutôt favorable à ces derniers.

Ainsi, le principe de return sponsorship ou parrainage des retours permet une mise en œuvre flexible de ce mécanisme de solidarité. Les États qui prendront en charge les retours s’engageront à renvoyer les personnes en situation irrégulière pour le compte d’un autre État membre qui en serait, à défaut, responsable, en menant toutes les activités nécessaires directement depuis le territoire de l’État bénéficiaire de l’aide. Au-delà de la dimension purement opérationnelle, cette aide peut prendre la forme de conseils, de dialogue politique avec les pays tiers ou de soutien aux programmes d’aide au retour volontaire et à la réintégration.

Il reste à déterminer dans quelle mesure les États membres, connaissant cette faculté offerte par le droit européen, ne la préféreront pas systématiquement aux relocalisations. Interrogée à ce sujet par les rapporteurs, la commissaire Johansson affirme sa confiance dans la bonne volonté des États. La Commission compte également mettre l’accent sur les retours volontaires, qu’elle considère comme plus durables.

Il s’agira également, pour des pays ayant une tradition migratoire peu développée, de parvenir à mettre effectivement en œuvre les retours. L’expérience en France montre notamment que deux difficultés principales se dressent à l’exécution des mesures d’éloignement. La première, d’ordre matériel, tient à la destruction de leurs papiers d’identité par les personnes concernées, compliquant la détermination de leur pays d’origine. En sus, la délivrance de laissez-passer consulaires est très en deçà du nombre de demandes adressées, en particulier de la part des pays du Maghreb ([46]). Cette difficulté appelle plutôt à ce que les retours fassent l’objet d’une politique intégrée, car les 27 disposeraient alors du levier nécessaire pour négocier avec les pays tiers (cf infra).

Lors de la présentation du Pacte, la Commission avait annoncé la désignation, à son niveau, d’un coordinateur pour les retours, chargé d’améliorer les échanges entre les États membres sur cette question. Appuyé par un « Réseau de haut niveau pour les retours », son rôle doit être d’encourager les bonnes pratiques et de garantir la cohérence de la procédure.

2.   Les oppositions nationales très nettes

La Commission européenne a formulé des propositions sur la base desquelles elle estime qu’un accord peut être formé entre les États membres. Force est de constater que les lignes de partage restent marquées au point de rendre un consensus improbable.

a.   Refus des États de Visegrád

La ligne politique de certains États d’Europe centrale et orientale, opposés à toute forme de solidarité obligatoire en matière migratoire, a peu évolué depuis 2015. Les pays du « V4 » (Hongrie, Pologne, Tchéquie et Slovaquie) avaient réitéré cette position lors des discussions sur un mécanisme temporaire de répartition des migrants sauvés en mer, portées par la France, l’Allemagne, l’Italie et Malte à la suite du mini-sommet de La Valette le 23 septembre 2019.

Malgré les concessions faites aux gouvernements des États de Visegrád sur les modalités de la solidarité, leur soutien au processus d’adoption du Pacte semble loin d’être acquis. Ils estiment qu’une plus grande flexibilité doit leur être accordée avec un choix plus large que l’alternative principale entre relocalisation et parrainage des retours. La Pologne, la Slovaquie et la Tchéquie sont néanmoins conscientes de la nécessité de participer aux efforts communs, la Hongrie demeurant le pays le plus réticent.

Tout en se déclarant optimiste sur l’adoption du Pacte, le ministre slovène de l’intérieur Aleš Hojs a déclaré en juillet 2021 que son pays ne pourrait soutenir les relocalisations obligatoires. La Slovénie assure la présidence du Conseil de l’Union jusqu’à la fin du semestre, ce qui lui confère un pouvoir de mise à l’agenda des sujets et de gestion des négociations. La présidence française ne pourra être que plus allante sur ce dossier.

b.   Crispation des États de première entrée

En prenant des mesures pour lutter résolument contre les mouvements secondaires, conformément à une priorité portée par plusieurs États dont la France, le Pacte renforce le rôle des États responsables. Ceux-ci demeureront, encore trop souvent, les pays de première entrée.

D’abord, le Pacte prévoit l’allongement de la durée de responsabilité, c’est-à-dire durant laquelle un demandeur d’asile peut faire l’objet d’une demande de reprise en charge vers un État. Cet allongement est cohérent avec le principe selon lequel les États membres sont comptables des contrôles à leurs frontières. Ainsi cette durée, actuellement d’un an, est portée à trois ans, dans la proposition de la Commission, pour le cas d’une entrée irrégulière.

Les demandeurs d’asile seront plus fortement incités à rester dans l'État membre responsable pendant la durée de la procédure, car l'accès aux conditions matérielles d'accueil sera limité à l'État membre responsable, sauf s’il est établi que cet État ne parvient pas à garantir un niveau de vie conforme au droit de l'Union, Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne comprise, et aux obligations internationales. Les détournements de procédure découlant de la fuite du demandeur seront limités par les nouvelles dispositions.

Ce renforcement de la responsabilité est cohérent avec l’idée que les États sont comptables, à l’égard de leurs partenaires européens, des contrôles à leurs frontières. Il sera difficilement acceptable par ceux qui en portent le poids s’il n’est pas associé à une solidarité très forte, passant notamment par un soutien sur leur territoire comme par la prise en charge de demandeurs via les relocalisations. Pour les responsables politiques grecs, un accord partiel sur le Pacte est inenvisageable. L’Espagne et l’Italie estiment quant à elles que la dimension externe est prioritaire et qu’une avancée sur ce point serait positive.

 


   Partie II – Pour éviter une nouvelle crise politique, humanitaire et institutionnelle, le pacte doit marcher sur ses deux jambes : migration et asile

I.   garantir l’effectivité du droit d’asile doit demeurer l’objectif premier de cette réforme

L’Union européenne a construit le régime d’asile européen commun avec la convention de Genève relative au statut des réfugiés, à laquelle les États membres sont tous partie, comme clé de voûte. Les valeurs de l’Union et ses engagements internationaux convergent vers une amélioration des procédures de l’asile, tout en servant ses intérêts, qui sont d’éviter le repli sur soi et les stratégies non-coopératives.

A.   Une question de périmÈtre

Adopter une approche globale ne signifie pas effacer la distinction entre l’asile et le reste de la migration. Il s’agit plutôt d’adopter un regard lucide et humaniste sur les flux de personnes, dans leur diversité, afin que l’appareil juridique réponde aux valeurs et aux priorités des États européens.

1.   Tout le droit d’asile

Un des objectifs fondamentaux d’un régime d’asile est de permettre l’exercice effectif de ce droit. En pratique, les obstacles sont nombreux et rendent le chemin vers la demande coûteux et dangereux.

a.   Les voies d’accès alternatives au territoire de l’Union

Les problématiques liées à l’accès au territoire européen entraînent des problèmes qui relèvent principalement de deux ordres. À titre principal, elles créent des drames humains sur la route de l’asile, particulièrement préjudiciables aux personnes les plus vulnérables, en ajoutant des traumatismes psychologiques aux situations de grand dénuement. À titre subsidiaire, elles entraînent l’irritation, voire l’hostilité des populations locales, générant à terme un rejet de l’immigration préjudiciable aux demandeurs d’asile.

L’insécurité juridique qui caractérise les parcours migratoires pousse les personnes dans l’illégalité et compromet leur intégration future. Bien que la convention de Genève sur le statut des réfugiés contienne une clause de non‑pénalisation des entrées irrégulières ([47]), qui sont consubstantielles aux situations précaires et de fuite, les personnes migrantes sont souvent contraintes à passer les frontières dans des conditions déplorables ([48]), en raison notamment de stratégies de contournement des contrôles policiers. Le maintien du statu quo entérinerait une forme de double discours sur la migration, déplorant les effets tout en chérissant les causes.

Il convient de souligner la délivrance, par la France, de visas au titre de l’asile. Selon le ministère de l’intérieur, cette politique a concerné 7 900 ressortissants syriens depuis 2021 et 7 700 Irakiens depuis 2014. Des couloirs humanitaires ont également été établis depuis le Liban afin de permettre à 500 Syriens et Irakiens de rejoindre la France de manière légale et sûre. Un dispositif similaire de visa humanitaire pourrait être envisagé au niveau européen, ainsi que le proposait déjà le Parlement européen en 2018 ([49]) sans remporter l’adhésion des États au Conseil.

b.   L’application ferme du droit international en mer

Le nouveau Pacte réaffirme que les activités de sauvetage en mer ne doivent plus être considérées comme des activités criminelles. On peut s’interroger sur les décisions et les pratiques qui ont mené à ce qu’une telle affirmation soit nécessaire.

L’évolution du « délit de solidarité » en France

Le droit français est déjà en conformité avec ces principes depuis 2018. La décision du Conseil constitutionnel ([50]) consacrant le principe de fraternité a entraîné une modification du code de l’entrée et du séjour des étrangers (CESEDA). Il dispose désormais, à l’article L.622-4, que le délit d’aide à l’entrée irrégulière d’un étranger n’est pas poursuivi lorsque l’acte reproché n’a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et a consisté à fournir une aide dans un but exclusivement humanitaire.

Les cas allégués de refoulements illégaux doivent faire l’objet de toute l’attention nécessaire de la part des autorités européennes. À cet égard, il faut saluer la réponse européenne aux faits imputés à Frontex à la fin de l’année 2020, sous la forme, notamment, d’un audit de ses activités et procédures par la Cour des comptes européenne. Une enquête de l’Office européen de lutte anti-fraude (OLAF) a été diligentée afin de faire la lumière sur les accusations de refoulement de demandeurs d’asile dans les eaux de la mer Égée par plusieurs médias ([51]).

Le Parlement européen a également constitué un groupe de travail afin d’évaluer le fonctionnement de l’agence, sans conclure à des preuves de refoulement. Cependant, ses conclusions soulignent le manque d’implication de Frontex dans la prévention de ces refoulements, intervenus dans des États membres avec lesquels l’agence conduit des opérations conjointes ([52]).

2.   Rien que le droit d’asile ?

Les impératifs humanitaires dépassent le cadre du droit d’asile. La question migratoire doit être posée de manière globale, car nous ne sommes plus en 2015 : la plupart des migrants d’aujourd’hui ne fuient plus un conflit et ne pourront pas obtenir de protection internationale. Cela contraint l’Union européenne à interroger profondément son rapport à la migration afin de garantir le respect de ses valeurs et principes.

Il paraît nécessaire de définir des critères clairs pour la migration économique, afin que ceux qui peuvent y prétendre se dirigent vers cette procédure plutôt que vers le dépôt d’une demande d’asile vouée à l’échec. Ainsi, l’asile cesserait d’être ce qu’il ne doit pas être, c’est-à-dire un instrument mal ajusté de contrôle des flux migratoires.

L’Union européenne a déjà pris la mesure de cette nécessité dans le domaine de la migration de travailleurs hautement qualifiés. La révision de la directive sur la carte bleue européenne, entrée en vigueur en octobre 2021 ([53]), est destinée aux diplômés de l’enseignement supérieur. Or, plusieurs rapports de parlementaires européens invitent la Commission européenne à mettre en place un régime ambitieux pour les travailleurs peu ou moyennement qualifiés en provenance de pays tiers ([54]). Il s’agit d’une nécessité économique afin d’élargir le vivier de la migration de travail, encore largement conditionnée par les obligations en matière de droit familial qui génèrent principalement une immigration peu qualifiée ([55]).

Cette démarche pragmatique paraît indispensable afin de prendre en compte les apports de la recherche en sciences sociales portant sur la « production légale de l’illégalité ([56]) », c’est-à-dire le fait que des voies légales trop étroites portent préjudice à leur mise en œuvre et maintiennent les personnes dans l’illégalité, au détriment de leur intégration.

B.   Une question de moyens

La réussite du Pacte dépendra nécessairement de sa mise en œuvre. Il est à souhaiter que les importants moyens déployés dans le cadre des missions relatives à l’asile et aux migrations permettent d’accélérer et améliorer les procédures.

1.   La coopération européenne

a.   En matière de gestion des frontières

i.   La place renouvelée de Frontex

Le renforcement des frontières extérieures de l’Union européenne est une nécessité à plusieurs égards, notamment pour renforcer la sécurité sur le territoire et, de ce fait, protéger l’intégrité de l’espace Schengen face à la tentation du rétablissement des contrôles aux frontières. De nombreuses mesures concrètes ont donc été prises ces dernières années.

L’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, dite Frontex, a été créée en 2016 en remplacement d’une agence préexistante afin de répondre à une demande politique des dirigeants européens. Ce changement de nom traduit un élargissement de son mandat, renforcé en 2019 ([57]) et passé d’un rôle de soutien et coordination à un rôle opérationnel.

Afin de répondre à ses nouvelles missions, Frontex a été dotée d’effectifs supplémentaires. Les premières équipes du Corps européen de garde-frontières et garde-côtes ont été déployées le 1er janvier 2021. 256 agents ont été projetés sur le terrain, au lieu des 700 personnes prévues et en dépit des 500 recrutements qui avaient été effectués ([58]). Cette situation, très liée à la pandémie, a vocation à évoluer rapidement.

L’objectif demeure d’atteindre le nombre de 10 000 garde-frontières permanents (par opposition aux contributions volontaires en ressources et personnels des États membres) à horizon 2027, ce qui devrait être permis par les augmentations substantielles de crédits accordées à l’agence.

Le financement de la gestion des frontières est en augmentation

Une dotation budgétaire spécifique est prévue par l’instrument de soutien financier dans le domaine de la gestion des frontières et des visas, appartenant au nouveau Fonds pour la gestion intégrée des frontières (FGIF) ([59]).

Le budget de Frontex est distinct de celui du FGIF. Il a été, sur proposition de la Commission européenne, considérablement augmenté pour atteindre 5,6 Mds € dans le cadre financier pluriannuel pour 2021-2027.

Budget annuel de Frontex

(Cour des comptes européennes, 2021)

Le Fonds asile, migration et intégration (FAMI) a, quant à lui, été doté d’un montant de 9,9 Mds € courants pour la période 2021-2027 ([60]). Globalement, le financement des actions relatives aux migrations et à la gestion des frontières dans le budget de l’Union atteint 22,7 Mds €.

Cet investissement collectif dans la défense aux frontières extérieures doit continuer à se faire dans ce que la Présidente von der Leyen a qualifié de « tradition à la Commission et au Parlement européen qui consiste à ne pas financer de murs ou de barbelés ([61]) ». Ainsi, la demande émanant de plusieurs pays européens ([62]) de financer des « murs anti-migrants » aux frontières de l’Union sur fonds européens est, conformément aux développements précédents, une bien mauvaise manière d’employer l’argent des contribuables européens.

ii.   Le renforcement du contrôle des activités de l’agence

À la suite des récentes accusations de refoulements (cf supra), l’agence a mis en œuvre un cadre renforcé pour la surveillance des droits fondamentaux, avec notamment le recrutement de 20 effectifs dédiés. Cette attention renouvelée à la légalité des procédures est indissociable de l’augmentation des responsabilités déléguées à Frontex.

Le Parlement européen a demandé à ce qu’une partie du budget de l’agence pour 2022, soit 90 M €, soit gelée jusqu’au recrutement promis de 20 officiers supplémentaires spécialisés dans les droits fondamentaux, ainsi qu’à la création d’un mécanisme de signalement des incidents graves prévu par le règlement (UE) 2019/1896 ([63]). Au demeurant, il est à déplorer que ces personnels ne soient pas systématiquement associés au travail de l’agence, par exemple dans le cadre des tensions à la frontière lituanienne à l’automne 2021 ([64]).

Enfin, vos rapporteurs souhaitent apporter leur soutien à la création d’un groupe de contrôle parlementaire dédié au suivi des activités de Frontex, à l’instar de celui exercé par les parlements nationaux sur l’agence Europol ([65]), chargée de la coopération policière et de la lutte contre la grande criminalité. Le Parlement européen n’exerce en effet qu’un contrôle indirect, à travers l’attribution de ressources, sur cette agence qui gère le recours à la force aux frontières de l’Union et pour le compte de ses membres.

L’institutionnalisation du contrôle permettrait d’augmenter la transparence des travaux de Frontex par la publication de documents d’information et registres de décisions, tout en donnant aux parlementaires des occasions régulières de questionner ses responsables. Cette meilleure évaluation paraît indispensable, à l’heure où la Cour des comptes européenne estime qu’il existe un risque important que l’agence éprouve des difficultés à s’acquitter de son nouveau mandat ([66]).

b.   Pour uniformiser le traitement des demandes

i.   Les divergences actuelles

Le régime d’asile européen commun ne fait actuellement converger que faiblement les pratiques des États concernant les modalités d’examen des demandes et le contenu des garanties accordées. Les taux de protection accordée par les autorités de détermination nationales sont, à cet égard, très éloquents : la situation des ressortissants afghans est notoirement et traditionnellement source de grandes différences d’appréciation entre la France et l’Allemagne.

Taux de protection en 2019 ([67])

Source : Ministère de l’intérieur, données Eurostat

Or, il est établi que ces disparités alimentent en grande partie les mouvements secondaires au sein de l’Union européenne, alors même que l’adoption de la directive « accueil » serait de nature à rapprocher les pratiques. Elles alimentent le phénomène appelé asylum shopping qui, bien que dépourvu de définition légale, est présent dans les communications de la Commission européenne. Il désigne le fait de demander l’asile auprès d’un ou plusieurs États membres en fonction de l’attractivité du système d’accueil et de la prospérité du pays.

La solution à ces divergences est, à terme, la reconnaissance mutuelle des décisions. Cette perspective est très éloignée, d’abord parce que les autorités de détermination ne sont pas toutes indépendantes du pouvoir politique, à l’image de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra) en France.

ii.   La nouvelle Agence de l’Union européenne pour l’asile

Le rôle de la future Agence de l’Union européenne pour l’asile est central dans l’élaboration d’une méthode commune d’évaluation et de traitement des demandes d’asile. Actuellement, 1007 experts et personnels administratifs sont déployés en soutien des États membres.

Sur le plan opérationnel, la future agence aura le rôle de soutenir les États membres dans l’accueil, l’enregistrement et les contrôles de sécurité, permettant d’aligner les standards et de soulager les pays confrontés à une pression migratoire. Elle doit pouvoir prendre en charge tout ou partie de la procédure administrative de protection internationale, s’agissant de la détermination de l’État responsable, de la réalisation de la procédure ou encore de l’assistance aux juridictions traitant les recours – dans le respect, des décisions des États en matière d’organisation nationale du pouvoir judiciaire.

De manière tout aussi fondamentale, l’agence pourra établir une doctrine européenne commune en donnant des lignes directrices dans l’évaluation des situations géopolitiques, comme le fait déjà l’EASO ; avec l’adoption du règlement, leur prise en compte deviendrait obligatoire. Cette mission de recherche doit permettre de faire converger, in fine, les taux d’attribution de la protection entre les États membres.

L’élaboration des lignes directrices est utilement complétée les modules communs de formation dispensés aux agents des autorités de détermination nationale, actuellement au nombre de 26, qui pourraient être plus largement ouverts.

Pour l’heure, la Commission européenne regrette que le manque de personnels déployés par les États membres limite la capacité de l’EASO à remplir pleinement son rôle et les encourage à faire des efforts supplémentaires en ce sens ([68]), tout en souhaitant une adoption rapide du règlement.

2.   Le nécessaire investissement des États

L’efficacité du RAEC, dans sa nouvelle mouture, ne peut pas s’appuyer que sur les institutions et agences de l’Union, mais devra aussi être portée par les bonnes volontés nationales.

a.   L’acceptation des demandes de transfert

Le rapporteur au Parlement européen sur le règlement « gestion de la migration et de l’asile », le Suédois Tomas Tobé (PPE), propose d’inverser la charge de la preuve dans le cadre des reprises en charge. Ainsi, dans l’hypothèse où une demande d’asile serait considérée comme relevant d’un autre État membre, ce serait cet État qui devrait démontrer que la demande n’est pas de sa responsabilité.

Cette proposition assez novatrice ne devrait pas être rendue nécessaire si les États faisaient preuve de plus de confiance mutuelle dans la détermination de la responsabilité du traitement d’une demande. Or, cette confiance ne peut s’établir que si chaque État croit en la justice et l’efficacité du partage de la tâche, ce qui passe par l’établissement d’un mécanisme de solidarité ambitieux.

b.   L’investissement dans le traitement rapide des demandes à la frontière

L’existence d’une procédure à la frontière dans un cadre fermé, afin d’éviter les risques de fuite des demandeurs, est un point essentiel pour les autorités françaises dans le cadre des négociations à deux égards. D’abord, la bonne gestion des flux secondaires est un enjeu majeur pour l’ensemble de l’espace Schengen – à ce titre, le Pacte est indispensable à la préservation de la liberté de circulation au sein de cet espace. Ensuite, en tant que pays de destination des mouvements secondaires ([69]), la France a enregistré 120 000 demandes d’asile en 2019, alors que le pic de la crise est passé pour l’Union européenne dans son ensemble. Le sujet est donc essentiel à l’efficacité et au bon usage de notre procédure d’asile.

Les pays de première entrée restent très opposés aux procédures à la frontière. Leur principale préoccupation est que cela revient à créer des centres fermés dans des territoires aux marges de l’Europe, avec tous les risques de saturation qu’implique la possibilité que survienne une nouvelle crise migratoire. De plus, les associations de défense des droits humains et des personnes migrantes s’y opposent en raison des probables extensions des délais de rétention qui s’observent en pratique. Enfin, la procédure de filtrage qui y est associée implique, elle aussi, une charge supplémentaire.

Pour que le principe de ces procédures fasse l’objet d’un accord politique et que leur application soit conforme aux droits fondamentaux, il est nécessaire que la rapidité de leur exécution soit une priorité absolue. Ainsi, il ne sera pas acceptable de prolonger la durée de filtrage au-delà de 5 jours ou de retenir systématiquement les demandeurs d’asile durant 12 semaines si aucune pression particulière ne le justifie. Cela implique de doter considérablement en moyens les agences et les États membres qui assureront ces missions.

II.   Une position française ambitieuse est nécessaire afin de dépasser les positions cristallisées de groupes de pays aux intÉrêts qui semblent diverger

Il est naturel et souhaitable pour la France, au sein d’une construction politique reposant sur des compromis permanents, de chercher à défendre ses intérêts propres. En tant que pays assurant la prochaine présidence du Conseil, une responsabilité particulière lui incombe dans la mise à l’agenda et la direction des négociations, dont il faut souhaiter qu’elles aboutissent le plus rapidement possible, dans l’intérêt des Européens et des candidats à l’asile.

A.   Sur le fond

L’asile est une affaire trop sérieuse pour être laissée aux populistes. L’Union européenne peut adopter une approche respectueuse des droits humains sans faire preuve de naïveté dans ses rapports avec les pays tiers : une approche nuancée est possible.

1.   En prévention des crises : les partenariats mutuellement bénéfiques

Le Pacte met l’accent sur la dimension extérieure de la gestion des migrations, sans aller jusqu’au bout d’une diplomatie migratoire que l’Union européenne est la seule à pouvoir mettre en œuvre de manière efficace.

a.   Les outils d’incitation

Forte du constat que la coopération des pays de transit et d’origine est indispensable à la réussite du régime d’asile européen commun, la Commission européenne a annoncé la mise en place de partenariats avec les pays tiers adaptés aux besoins des partenaires. Cette dimension extérieure du Pacte est la plus consensuelle.

Les outils positifs que constituent les voies légales de migration, pour les personnes qualifiées mais pas uniquement (cf. développements supra), s’inscrivent aussi dans la logique de ces partenariats gagnant-gagnant. Elles peuvent être combinées à d’autres dimensions, qui demanderont une grande capacité de coordination de l’Union européenne et des États membres.

Ainsi, le programme Erasmus+, ouvert bien au-delà des frontières de l’Union, peut être mobilisé dans le cadre de partenariats universitaires, scolaires, ou, dans son volet « Jeunesse et sport », civiques et associatifs. Par ailleurs, les outils commerciaux peuvent être mis à contribution : l’Union européenne ne doit pas négliger l’influence conférée par sa puissance économique, par exemple via des restrictions sur les préférences tarifaires ou les investissements.

Enfin, l’aide au développement serait plutôt exclue de ces variables, ce qui est à saluer. Il faut rappeler que le développement économique des pays d’origine ne permettra pas, à court ou moyen terme, de tarir les flux migratoires. Au contraire, les migrations dites économiques sont trop coûteuses pour être le fait de populations très pauvres. Nonobstant cette absence d’effet direct sur la réduction des départs, le développement des pays demeure un objectif rationnel pour qu’à terme, les jeunes – y compris ceux issus des classes moyennes – soient incités à demeurer dans leur pays d’origine.

En tout état de cause, l’investissement des États membres dans la négociation de ces partenariats sera indispensable, en particulier lorsqu’ils disposent d’ores et déjà de relations privilégiées avec certains pays tiers. À cet égard, la France a un rôle à jouer et doit mettre les compétences et connaissances de son réseau diplomatique à disposition de la Commission européenne.

b.   Le recours à la politique des visas

Il faut saluer la mention des multiples outils auxquels l’Union européenne est susceptible d’avoir recours dans ce cadre. En particulier, la politique des visas semble à même de convaincre certains pays tiers réticents à coopérer en matière de retours de leurs ressortissants.

La France est familière de cette logique. À la suite de l’évolution préoccupante du nombre de demandeurs d’asile géorgiens, permise par l’instauration régime de circulation sans visas entre la Géorgie et l’Union européenne en 2018, un plan d’action avait été mis en place pour enrayer cet effet d’aubaine. Le pays d’origine avait notamment mis en place un régime de contrôles préalables à la sortie du territoire qui, bien que politiquement délicat à mettre en œuvre, a montré une volonté réelle de coopérer afin de lutter contre l’augmentation manifestement abusive des demandes de protection internationale. Cette pro activité est due aux très bonnes relations avec la Géorgie, qui sera candidate à l’adhésion à partir de 2024 ([70]) ; elle devrait toutefois pouvoir être répliquée avec d’autres pays ayant intérêt à maintenir de bons rapports avec l’Union européenne.

Le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin a également annoncé, le 28 septembre 2021, la réduction de moitié des visas pour l’Algérie et le Maroc, et d’un tiers pour la Tunisie. Cette annonce est fondée sur le refus (mentionné supra) de ces pays de délivrer les laissez-passer nécessaires aux opérations de retour de ressortissants illégalement présents sur le territoire français([71]). Le recours à ce levier de négociation et son utilisation au niveau européen paraissent particulièrement pertinents.

La Commission a adopté le 10 février 2021 son premier rapport sur la coopération de 39 États tiers en matière de réadmission, sur la base de l’article 25 bis du nouveau code des visas Schengen ([72]). Il ressort des conclusions que certains pays ne coopèrent pas du tout avec l’Union et refusent d’accepter leurs propres ressortissants. D’autres pays tiers adaptent leur politique en fonction des États membres concernés. La priorité est désormais l’intensification du dialogue avec les pays prioritaires afin de garantir une réadmission effective. Selon la commissaire Johansson, ce rapport sera un outil pour décider de l’utilisation de la politique des visas, en restreignant leur octroi aux pays qui coopèrent effectivement en matière de retours.

2.   En cas de crise

La volonté de faire adopter le Pacte ne doit pas conduire à transiger sur l’efficacité du mécanisme de solidarité. Pour l’Union européenne, négliger de se préparer convenablement à une nouvelle crise, pour éviter à tout prix de réitérer la situation de 2015-2016, serait une faute politique et morale.

a.   Un mécanisme de solidarité juste et à la hauteur des enjeux

L’Union européenne, pour des raisons philosophiques, humanitaires, mais aussi pratiques et économiques, ne peut résoudre les défis posés par les flux migratoires que par la solidarité.

Cependant, c’est en cas de nouvelle vague d’arrivées que l’ouverture des frontières et la cohésion politique seront de nouveau éprouvées. La France, qui a participé de manière exemplaire aux opérations de relocalisation comme de réinstallation par le passé, est légitime et fondée à porter une position favorable à leur élargissement. Le système doit demeurer fondé sur les relocalisations, afin d’alléger concrètement la charge qui pèse sur les États de première entrée, sans attendre que la situation se dégrade.

La répartition de la charge doit être effective à tout moment, y compris par temps de relative accalmie, comme les États membres l’expérimentent actuellement. En période dite « normale », chaque pays formule annuellement des offres de solidarité volontaire, qu’il s’agisse de relocalisations, soutien capacitaire ou d’assistance à l’éloignement. Il est souhaitable de s’assurer que les formes de contributions autres que les relocalisations seront substantielles et répondront aux situations particulières des États membres ayant besoin de la solidarité européenne.

L’activation de la part obligatoire du mécanisme doit être facilitée, afin que les États membres ne soient pas tentés de recourir au moins-disant ou au repli sur leurs frontières. Ainsi, les critères retenus par la Commission européenne pour établir une situation de pression migratoire ou de crise feront l’objet d’une attention particulière.

b.   Une harmonisation par le haut des conditions d’accueil et d’intégration

Les conditions d’accueil des demandeurs d’asile avaient fait l’objet d’un accord politique entre le Parlement européen et le Conseil en 2018. Leur convergence est essentielle, même s’il est à prévoir que des différences subsistent en raison des écarts de niveaux de vie ou de protection sociale entre les États.

L’objectif du droit européen en la matière doit être de favoriser l’intégration des demandeurs, quand bien même leur maintien sur le sol européen n’est, par définition, pas certain. Il est essentiel de mettre fin à l’absurdité des situations dans lesquelles des personnes jeunes, parfois qualifiées, souvent prêtes à travailler, sont tenues à l’attente. Les institutions s’étaient accordées sur le fait que les demandeurs devraient pouvoir travailler six mois après l’enregistrement de leur demande, contre neuf actuellement.

Les cours de langue seront ouverts dès le premier jour. L’expérience française, notamment à travers le programme « HOPE », montre que les taux de réussite aux certifications linguistiques sont nettement plus élevés lorsqu’elles sont menées dans le cadre d’une insertion par l’emploi ([73]). Les États gagneraient à partager leurs constats et retours sur les dispositifs nationaux qu’ils ont eu l’occasion d’expérimenter, notamment sur les compétences clés comme les langues étrangères.

Parmi les autres droits ouverts aux demandeurs figurent les droits à des soins de santé dits secondaires, comme les soins de santé mentale et reproductive. Ce dernier point doit faire l’objet d’une attention et d’un soutien tout particuliers, au vu des risques accrus de violences sexuelles auxquelles sont exposées les femmes dans les parcours de migration.

Au-delà de l’harmonisation des conditions et de la réduction des mouvements secondaires, la Commission européenne avait mentionné, parmi les objectifs de la directive « accueil », le renforcement de l’autonomie des demandeurs. À cet égard, le fait d’offrir aux demandeurs des conditions matérielles d’accueil en nature uniquement ne paraît pas cohérent. Il augmente également le risque d’inadéquation entre l’aide offerte et les besoins spécifiques des personnes, et donc d’emploi insatisfaisant des crédits dédiés.

B.   Sur la méthode

L’avancée des négociations est conditionnée par le jeu institutionnel européen. Avec l’approche de sa présidence de l’Union européenne, la France, qui a toujours joué un rôle moteur en Europe, semble déterminée et bien placée pour porter le Pacte.

1.   Sortir de l’enlisement

Les présidences se suivent sans engendrer, à ce stade, de percée qui permettre d’entrevoir une date d’adoption.

a.   Une situation peu favorable

La situation actuelle paraît plutôt défavorable à une adoption rapide du Pacte, comme le constataient MM. André Reichardt et Jean-Yves Leconte dans leur rapport fait au nom de la commission des affaires européennes du Sénat ([74]).

Pourtant, le temps ne joue pas en faveur des Européens. D’abord, toute nouvelle crise majeure les trouverait à peu près aussi démunis qu’ils ne l’étaient en 2015. Le retour au pouvoir des talibans en Afghanistan, en août 2021, a fait craindre aux gouvernements un afflux majeur de personnes, au demeurant légitimes à rechercher une protection, mais sans qu’aucun mécanisme sérieux de solidarité ne permette d’y faire face à 27. Cependant, face à la violence du nouveau régime, c’est bien à nouveau l’Europe toute entière qui est vue comme un refuge, et non un pays en particulier qui attirerait tous les ressortissants afghans.

L’autre risque d’un enlisement est que la dynamique à l’œuvre dans l’espace Schengen ne l’emporte ([75]) : les États membres ont montré que, face aux situations d’incertitudes (migratoire, sanitaire), ils peuvent prendre des décisions unilatérales qui affaiblissent, voire menacent les progrès collectifs durement acquis par le passé. Réaffirmant leur attachement à la liberté de circulation des personnes, dont l’espace Schengen doit constituer l’incarnation la plus aboutie, vos rapporteurs rappellent qu’une gestion efficace et coordonnée des migrations en est tant la contrepartie que la garantie.

b.   La stratégie du « paquet souple »

Ainsi, la stratégie du pouvoir exécutif français, consistant à avancer sur les dossiers les plus consensuels, afin d’atteindre un niveau critique de points d’accord permettant d’envisager l’adoption du paquet, est pertinente. Au surplus, la France a intérêt à accepter des compromis, par exemple sur la question des critères de responsabilité, au bénéfice d’un accord politique.

La France n’est pas opposée à l’adoption échelonnée de certains des éléments utiles du paquet, dans la mesure où les équilibres entre responsabilité et solidarité sont respectés et que les règles adoptées demeurent cohérentes et efficaces. D’autres États sont favorables à l’adoption échelonnée : Luxembourg, Finlande, Suède, Belgique et Pays-Bas. Ils sont cependant très minoritaires et il est très probable que l’approche en paquet demeure incontournable.

2.   Faire valoir les intérêts géostratégiques des Européens

L’approche globale de l’asile et de la migration implique de nombreux rapports avec les pays tiers, de transit ou d’origine. Deux exemples de situations radicalement différentes seront étudiés, car ils ont pour déterminant commun la nécessaire et légitime mise en œuvre, par l’Union européenne, de moyens de pression dans le respect du droit.

a.   Le cas biélorusse

La Biélorussie d’Alexandre Loukaschenko fait l’objet d’une attention particulière depuis la dernière élection présidentielle, dont le Conseil a réaffirmé qu’elle n’était ni libre, ni régulière ([76]). L’Union européenne a d’ores et déjà adopté des mesures de sanction contre les personnes responsables de la nature frauduleuse de cette élection, puis contre les transporteurs biélorusses à la suite du détournement d’un vol de passagers le 23 mai 2021 ([77]). La coopération bilatérale avec l’État central a été réduite au minimum.

C’est dans ce contexte que le gouvernement biélorusse a commencé à utiliser les migrants comme moyen de pression contre les États frontaliers et ainsi contre l’Union dans son ensemble. Des journalistes rapportent ainsi que les migrants sont guidés par les soldats biélorusses pour échapper aux patrouilles de garde-frontières ([78]). Aux frontières lettone, lituanienne et polonaise, les franchissements illégaux sont 20 à 100 fois plus élevés depuis le début de l’année 2021 que sur toute l’année 2020 ([79]).

Les autorités biélorusses ont aussi, parmi d’autres mesures, annoncé la suspension de l’accord de réadmission conclu avec l’Union européenne le 28 juin 2021. Cet accord était initialement entré en vigueur parallèlement à l’accord visant à faciliter la délivrance des visas ; le Conseil a soumis une proposition de décision relative à la suspension partielle de ce dernier ([80]). Cette réaction est nécessaire à la crédibilité de la politique européenne en matière de retours, qui doit se montrer ferme dans les cas manifestes de détournements des avantages octroyés à des pays tiers.

b.   Le cas britannique

Dans un contexte de tensions diplomatiques renouvelées à l’automne 2021, les relations avec le Royaume-Uni sont un enjeu de taille pour les territoires du Nord de la France concernés par la présence de nombreux candidats à la traversée de la Manche, qui souhaitent demander l’asile sur le territoire britannique et se maintiennent par conséquent, dans cette attente, hors des circuits d’intégration et d’hébergement des demandeurs d’asile.

Vos rapporteurs souhaitent que cette question ne soit pas oubliée des discussions sur le Pacte. Il serait nécessaire d’aboutir à un accord entre l’Union européenne et le Royaume-Uni fondé sur la réciprocité : l’Union européenne accepterait la réadmission de certaines personnes qui n’ont pas vocation à rester au Royaume-Uni et, en retour, le Royaume-Uni accepterait d’accueillir un nombre équivalent de personnes qui pourraient légitimement demander l’asile dans son territoire.

 

Le rapporteur Pierre-Henri Dumont souhaite souligner que les accords du Touquet, qui fondent la fiction juridique selon laquelle les contrôles à la frontière britannique sont réalisés sur le territoire français, rendent impossible la formation des demandes d’asile au Royaume‑Uni. Cette situation est dénoncée tant par la commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) ([81]) que par les élus locaux et les organisations humanitaires ([82]).

Il souhaite que les demandes d’asile au Royaume-Uni puissent être déposées sur le territoire français. Cela permettrait de faire diminuer les flux illégaux et toutes les externalités négatives y afférentes, en particulier l’enrichissement des passeurs. Il est indispensable d’intégrer cette proposition aux prochaines négociations souhaitées, en matière migratoire, par le gouvernement Johnson dans le cadre de la relation post-Brexit. Les accords de réadmission souhaités avec les États européens doivent être abordés de manière cohérente par l’Union européenne afin qu’elle pèse de tout son poids, ainsi que les 27 ont su le faire depuis 2016 dans la relation au Royaume-Uni.


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   Conclusion

En définitive, le Pacte sur la migration et l’asile repose sur un équilibre indéniable entre solidarité intra-européenne et fermeté aux frontières. Cet équilibre rejoint la plupart des priorités de la France en matière de migration. En ce sens, la France, qui assurera la Présidence française de l’Union européenne au premier semestre de l’année 2022, a tout intérêt à œuvrer pour que le Pacte connaisse des avancées significatives.

Parce que les migrations touchent à des enjeux transversaux (économiques, humanitaires, sécuritaires ou encore géopolitiques) qui concernent tous les Européens, il est impératif que la réforme des politiques européennes avance. Les présidences portugaise et slovène ont permis des avancées qui méritent d’être soulignées ; la présidence française pourrait être une étape clé. Il appartient désormais aux États de surmonter les logiques purement nationales afin de doter l’Union européenne des outils nécessaires pour faire face aux prochaines crises.

 


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   travaux de la commission

 

La Commission s’est réunie le mardi 30 novembre 2021, sous la présidence de Mme Sabine Thillaye, pour examiner le présent rapport d’information.

 

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Chers collègues, nous allons entendre aujourd’hui nos deux rapporteurs Pieyre-Alexandre Anglade et PierreHenri Dumont qui vont nous présenter les résultats de leurs travaux sur le pacte asile et migration. Je rappelle que ce Pacte succède à une précédente tentative de la part de la Commission de réformer le régime d’asile européen. Cette proposition de 2016 prévoyait d’instituer un mécanisme de relocalisation obligatoire des demandeurs d’asile à l’échelle européenne.

Ce sujet a été débattu plusieurs fois à la commission des affaires européennes. Marietta Karamanli et Ludovic Mendes avaient présenté un rapport d’information sur cette proposition, qui n’avait alors pas pu faire l’objet d’un accord au Conseil. Depuis, la Commission a modifié l’architecture de sa proposition. C’est cette nouvelle version du Pacte sur la migration et l’asile que nos deux rapporteurs vont nous présenter. Ils vont nous éclairer sur son contenu et nous faire part de leur propre analyse.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. Chers collègues, il y a un peu plus d’un an, la Commission présentait son Pacte sur la migration et l’asile. Aujourd’hui, nous constatons à quel point une réforme en profondeur de notre politique migratoire européenne est essentielle. Nous avons tous ici été meurtris et indignés du naufrage récent du bateau dans la manche transportant vingt-sept femmes, hommes et enfants qui aspiraient simplement à une autre vie. Nous sommes également préoccupés par la tentative de déstabilisation à laquelle nous assistons aux frontières extérieures de l’Union européenne de la part du dictateur biélorusse Alexandre Loukachenko. Ce dernier cherche manifestement à diviser l’Europe en instrumentalisant la misère de personnes qui se battent pour une vie meilleure. Nous savons tous ici que l’instabilité croissante du voisinage immédiat de l’Union nous expose à des mouvements migratoires de grande ampleur, comme nous l’ont déjà prouvé les crises des réfugiés de la décennie passée.

Nous sommes dans un contexte international de grandes mutations, la situation en Afghanistan nous l’a montré. Cela exige de la part des Européens une réponse commune et harmonisée. Disons-le clairement, sans une politique d’asile et de migration, c’est tout l’édifice de la libre circulation au sein de l’espace Schengen qui est menacé. Sans une telle politique, nous resterons en tant qu’européens à la merci des autocrates de ce monde, à l’image de Poutine, Erdoğann ou Loukachenko. Si nous souhaitons demeurer ce continent des valeurs humanistes et respectueuses des droits de l’homme, si nous voulons être fermes par rapport à ceux qui exploitent la misère, alors il faut construire notre politique migratoire commune. Or, l’expérience nous le montre, le cadre actuel n’est plus adapté et le statut quo n’est plus tenable.

C’est ce à quoi le pacte asile et migration de la Commission tente de répondre. Il repose sur trois piliers. Des contrôles aux frontières mieux organisés et plus poussés, davantage de coopération avec les pays d’origine et le mécanisme de solidarité intra-européenne sur la question des flux migratoires. Face à cette dernière proposition, les positions des États membre divergent. Cette inaction résulte de ce qui s’apparente selon nous à une erreur d’appréciation majeure. Certains États membres estiment plus bénéfique une absence d’accord sur la réforme plutôt qu’un accord qui ne satisfait pas pleinement leurs propres attentes. Rappelons que sur le thème de l’asile, les États membres sont extrêmement divisés : les pays de première entrée (pour ne pas citer les pays membres du groupe de Visegrád) et les pays destinataires des mouvements secondaires. Je parle ici d’erreur puisqu’aucun État n’a intérêt au statut quo.

Le système actuel, qui repose très largement sur le règlement de Dublin, est moribond. Il fait peser sur les États du pourtour méditerranéen la responsabilité de presque toutes les demandes d’asile en Europe. L’absence d’équité dans la répartition de la charge de l’accueil n’a pas que des conséquences sur les États membres et leur population. Ces pays ne sont pas incités à effectuer l’enregistrement des demandeurs ou à les prendre en charge lorsqu’un autre État membre le leur demande. Surtout le maintien des demandeurs dans des conditions de vie indigne, lié notamment à la saturation des structures dédiées, compromet grandement leur chance d’intégration sur notre continent.

Pour avancer, nous avons besoin de renforcer le contrôle aux frontières extérieures de l’espace Schengen et de plus de solidarité intra-européenne. C’est cet équilibre qui permet de répondre au défi migratoire qui se pose à nous.

Je vais donner deux exemples importants pour illustrer cet équilibre, à partir de deux déplacements que j’ai effectués aux frontières de l’Europe ces derniers temps. Le premier était en Grèce, à Lesbos. Nous avons rencontré nos homologues du parlement grec. Ils avaient tous une position homogène sur la réponse à apporter, par-delà les partis politiques. Leur message est au fond assez clair : rien n’est obligatoire tant que tout n’est pas obligatoire. Pour le dire autrement, en tant que pays de première entrée, la Grèce n’acceptera pas le renforcement de sa responsabilité dans la surveillance des entrées tant qu’il n’y aura pas de mécanisme de solidarité clair et ambitieux.

Le deuxième cas concerne la Lituanie. Je m’y suis déplacé à titre individuel la semaine passée, à la frontière avec le Belarus. Et là, comme en Grèce, la question migratoire est devenue extrêmement prégnante dans un État qui n’était pas exposé il y a de cela quelques mois à la question migratoire. Aujourd’hui, si la Lituanie et la Pologne se retrouvent extrêmement vulnérables, c’est parce que ces dictateurs que j’ai évoqués savent que nous n’avons pas de politique migratoire commune et que nous n’allons pas être capables d’absorber le choc auquel ils nous exposent. Par ailleurs, ils savent aussi nous avons des opinions publiques qui sont extrêmement sensibles à cette question, justement du fait de l’absence de réponse européenne harmonisée. Nous voyons au travers de ces deux exemples, quoi que très différents, que nous avons tout intérêt à avancer ensemble sur ce sujet.

Enfin, la France a évidemment des intérêts à défendre car elle est un pays destinataire d’importants mouvements secondaires. Ces mouvements sont préjudiciables à l’ensemble des pays de l’Union. Les demandeurs se voient accorder une chance de protection en déposant leur demande dans plusieurs États membres successivement. Cette pratique contribue à la saturation des procédures d’asile et augmente le coût global de gestion. Elle mine la confiance des États membres dans le régime européen de l’asile, ce qui peut avoir pour corollaire le rétablissement des contrôles aux frontières au sein de l’espace Schengen. Nous voulons à tout prix éviter cela.

Nous avons souhaité dans ce rapport rappeler notre attachement à l’espace Schengen et à l’acquis important en termes de libertés qu’il représente pour les citoyens européens. C’est aussi pour cela qu’un système d’asile cohérent et résilient est absolument indispensable.

M. Pierre-Henri Dumont, rapporteur. Notre attachement à l’espace Schengen est commun. Il faut rappeler que la fin des contrôles aux frontières intérieures de l’UE est fortement liée à la bonne tenue de nos frontières extérieures.

Les États de première entrée doivent s’acquitter de cette obligation dans le respect et les obligations internationales qui incombent à tous les pays de l’Union. Je pense notamment au principe de non refoulement, énoncé par la convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés. Cette frontière extérieure est en quelques sortes un bien commun pour tous les européens. Il est donc naturel que l’Union européenne apporte un soutien opérationnel et financier aux États concernés. À ce titre, nous saluons le renforcement du mandat et du budget de Frontex dans le nouveau cadre financier pluriannuel, qui atteint désormais 5,6 milliards d’euros. Il faut également souhaiter que l’augmentation de ses effectifs (qui doivent atteindre 10 000 garde-frontières et garde-côtes d’ici 2027) pourra effectivement avoir lieu. Toutefois, la solidarité européenne ne doit bien évidemment pas s’en tenir là.

Le Pacte propose un mécanisme de solidarité dans le traitement des demandes d’asile qui doit permettre de répartir la charge entre les États membres. En cas de pression migratoire, voire de crise, le mécanisme devient obligatoire pour éviter la surcharge des pays de première entrée. Cette solidarité est nécessaire et elle doit être le fruit d’une responsabilité commune. Pour mettre en œuvre ce mécanisme, la Commission européenne a imaginé une procédure de filtrage aux frontières extérieures. Les demandes d’asile seront identifiées et soumis à un contrôle sanitaire, puis redirigé vers la procédure adéquate. Les ressortissants des pays pour lesquels le taux de reconnaissance du statut de réfugié est inférieur à 20% seront dirigés vers une procédure accélérée, qui doit avoir lieu sur place. Les autres intégreront une procédure normale et pourront être redirigés vers un autre État membre pour voir leur demande examinée. Le filtrage a pour objectif de mettre fin au dévoiement de la procédure d’asile qui a trop souvent été utilisé comme une porte d’entrée vers l’Europe par des personnes qui devraient relever d’autres voies d’accès, par exemple au titre de la migration du travail. Pour être pleinement efficace, il est nécessaire qu’il se déroule dans un cadre fermé. Nous sommes à ce titre satisfaits du fait que la Commission européenne ait suivi la position française sur l’existence de centres dans lesquels les demandeurs seront retenus le temps de l’examen de la demande. Les États membres doivent assumer ce choix en y mettant les moyens pour que les délais de privation des libertés soient le plus ramassés possible. Le texte parle de 12 semaines, ce qui est un maximum et certainement pas un objectif.

Là encore, la future Agence européenne pour l’asile aura un rôle de soutien aux États de première ligne, sur les territoires desquels se trouveront ces centres fermés. Mieux elle sera dotée, plus cet examen pourra s’effectuer dans des conditions respectueuses des droits humains. Par ailleurs, je souhaite revenir sur la nécessité pour l’UE de faire valoir ses intérêts dans ses rapports aux pays tiers, qu’ils soient d’origine ou de transit en terme de migration.

Les évènements actuels à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie sont à déplorer. Ils nous rappellent que les migrants peuvent faire l’objet d’instrumentalisation et que les pays qui tiennent la frontière extérieure sont alors bien démunis. C’est à l’UE d’apporter une réponse ferme en utilisant les instruments qui marchent réellement. La politique des visas en fait partie et il faut saluer son inclusion dans l’arsenal que la commission européenne entend mobiliser pour négocier des partenariats avec les États tiers. J’ai la conviction qu’il faut également utiliser la diversité des leviers de négociation dans le cadre des rapports futurs avec le Royaume-Uni, car la situation des migrants dans la région de Calais n’est plus tenable. La semaine dernière encore un drame a eu lieu lors d’une traversée de la manche, ce qui est profondément inacceptable.

Nous ne pouvons pas collectivement maintenir les conditions de la prospérité des passeurs qui sont l’échec de notre politique d’asile et d’immigration. Aussi, nous souhaitons affirmer notre soutien à l’adoption du pacte. La France doit pleinement assumer son rôle de facilitateur des débats et des accords dans le cadre de sa présidence au Conseil. Nous invitons également l’exécutif à maintenir une ouverture à l’adoption échelonnée du pacte. Toute avancée sera un pas vers le renforcement de la préparation de l’Union aux prochaines situations de pression migratoire qui ne manqueront pas d’arriver. Il appartient aux Européens de s’y préparer afin de sauvegarder leurs valeurs et leurs intérêts. Nous vous remercions de votre attention.

L’exposé des rapporteurs a été suivi d’un débat.

 

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Nous avions auditionné Clément Beaune il y a quelques mois sur ce sujet. Il était lui-même dubitatif sur les chances d’adoption de ce pacte. Êtes-vous plus optimiste ? Comment persuader les États membres réfractaires, avec lesquels aucun dialogue ne semble possible ? Il me semble que la Commission avait proposé que les États n'acceptant pas la relocalisation de migrants chez eux puissent opter pour une solidarité financière.

M. Pierre-Heni Dumont, rapporteur. Pour le dire clairement, je crois que les négociations sont mal engagées. Ce n’est même pas une opposition entre les États favorables ou hostiles à l’accueil des migrants. Les pays du groupe de Visegrád ne sont même pas tellement concernés par les flux migratoires, mais ils refusent par principe tout système obligatoire d’allocation de réfugiés. La France se retrouve à la confluence de deux logiques incompatibles : d’une part, les pays de première entrée veulent un accord sur tout ou un accord sur rien, refusant la « logique des petits pas » ; d’autre part, les pays du groupe de Visegrád ne veulent aucun accord. Nous sommes donc un peu bloqués. Je ne crois pas que la présidence française de l'Union parvienne à des avancées considérables. Il eût peut-être été préférable de décaler la présidence française de l’Union européenne pour ne pas être gênés par le calendrier électoral français.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. Je crois aussi qu’il sera très difficile d’avancer dans les semaines à venir. Néanmoins, la situation aux frontières orientales de l’Union européenne peut faire changer les choses. La Lituanie a connu la situation que connaît aujourd’hui la Pologne. De ce fait, certains pays qui ne sont traditionnellement pas des pays de première entrée ont désormais conscience du fait que ces enjeux concernent l’ensemble des États européens. Cela me permet d’être un peu plus optimiste.

En ce qui concerne la compensation financière des États qui ne souhaiteraient pas prendre en charge des réfugiés, les États aux frontières extérieures de l’Union sont incités à sécuriser leurs frontières (murs, caméras, etc.) : ces actions pourraient être financées par l’Union européenne et constituer ainsi une incitation financière.

M. Thierry Michels. Peu de débats politiques divisent de manière aussi passionnée en Europe. Qu’est-ce qui fait aujourd’hui que l’Union européenne, qui a montré sa capacité à agir rapidement pendant la crise sanitaire, est incapable de s’entendre sur la crise migratoire ? Quelles nouvelles pistes seraient envisageables ? Il s'agirait de moderniser la gouvernance de Schengen, de préserver les valeurs humanistes de l’Union européenne sans tomber dans la naïveté.

Mme Chantal Jourdan. Vingt ans après le programme de Tampere, le bilan est décevant. Comment parvenir à un compromis qui permette une gestion efficace, digne, humaine des migrations alors même que de profonds clivages existent ? Le rapport indique qu’aucune perspective sérieuse d’adoption du paquet ne semble se dessiner. Existe-t-il des alternatives à ce texte, par exemple la mise en place de couloirs humanitaires dans des situations de crise, comme celle que l’on connaît à la frontière polonaise ?

M. André Chassaigne. Je voudrais alerter les rapporteurs sur « l’urgence d’accueillir ». Alors qu'aux portes de l'Union européenne se joue un bras de fer politique entre la Pologne et la Biélorussie, dans un froid glacial située dans une zone de non-droit, quatre mille personnes venant principalement de Syrie ou d'Irak sont livrées à elles-mêmes et subissent la violence des forces militaires et policières des deux côtés. On compte déjà plus de quinze morts de froid et de soif, sans compter une dizaine de disparus. Ne pensez-vous pas qu’il faut assumer notre devoir d’accueillir sans attendre et venir en aide à plusieurs milliers de personnes poussées par le désespoir et instrumentalisées par des pouvoirs autoritaires ? Combien de temps pouvons-nous encore regarder cette tragédie macabre sans intervenir ? Ces quelques milliers de personnes ne menacent pas la sécurité européenne. Quelle est cette Union européenne instrumentalisée par les pouvoirs autoritaires ? L’urgence humanitaire doit nous animer.

Dans le même temps, vingt-sept personnes sont mortes la semaine dernière au large de Calais. Ce drame meurtrier n'est pas le fruit de la fatalité. Il résulte d'une politique inhumaine qui pousse les personnes exilées à prendre le risque de la mer : évacuations forcées, confiscations et destructions des effets personnels, violences physiques et verbales. La défenseure des droits, la Cour européenne des droits de l'homme, le Conseil de l'Europe, des ONG ont dénoncé de nombreuses violations des droits fondamentaux aux frontières françaises et pointe du doigt les conditions d'accueil des migrants. L'extrême sécurisation de la frontière franco-britannique a conduit à des tentatives désespérées de traverser la Manche et au développement des réseaux de passeurs.

Le non-accueil en France et en Europe n’est-il pas la première cause de ce désastre ? Le droit d’asile est un droit constitutionnel, inscrit dans le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. C'est aussi une obligation internationale qui repose sur la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés. À l’opposé, la loi sur l’immigration votée en 2018 a déshumanisé le traitement des dossiers des demandeurs d'asile. Le nombre de migrants va augmenter sans cesse du fait du réchauffement climatique : il faut donc cesser les hypocrisies sur le sujet et de discuter collectivement au niveau européen de la manière d'accueillir ces populations.

C'est aussi ce que demande votre rapport, même si cela s’accompagne, et je le regrette, de préconisations qui ne vont pas dans le sens de mes propos, s’agissant de la fermeté aux frontières et sur les priorités de la France en matière de migrations, priorités qui selon moi ne sont pas un exemple.

M. Jean-Pierre Pont. Je voulais remercier nos deux rapporteurs pour leur travail réalisé sur un problème sensible et très particulier.

Je souhaitais revenir sur le cas particulier des côtes du Nord-Pas-de-Calais. Les migrants qui s’y trouvent veulent à tout prix aller en Grande-Bretagne. Nous avons beau les héberger, leur seul but est de se rendre de l’autre côté de la Manche. Après avoir fait des milliers de kilomètres et vécu les pires choses, ils lancent un dé.

Je pense donc qu’il faudrait essayer d’avoir des négociations particulières avec la Grande Bretagne et ajouter un quatrième pilier aux trois piliers dont avaient parlé MM. PierreHenri Dumont et Pieyre-Alexandre Anglade dans les négociations. Les négociations ne seront pas faciles compte tenu de ce que nous savons de la Grande Bretagne et de son Premier ministre et que l’on voit ce qu’il s’est passé pour le Brexit et pour la pêche.

Je pense toutefois qu’il faut une solution particulière pour cette côte, car il s’agit de gens à la situation très particulière, qui ne veulent malheureusement pas être chez nous, mais qu’il faudrait absolument aider.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Merci beaucoup. J’ai une question supplémentaire, ou plutôt une remarque : il est assez étonnant que la Pologne ne souhaite pas recevoir l’aide de Frontex pour sécuriser ses frontières extérieures. La raison avancée est la complexité administrative, mais avez-vous, au cours de vos auditions et de vos discussions, abordé cette thématique et vu s’il y existe d’autres raisons derrière cette décision ?

Une autre question que nous avions déjà évoquée dans le cadre du rapport de Mme Marietta Karamanli et M. Ludovic Mendes, est celle de la pertinence de mettre asile et migrations dans le même paquet législatif et de ne pas distinguer les deux notions.

M. Pieyre-Alexandre Anglade. Je voudrais répondre à l’indignation du président Chassaigne, que je partage, car au fond, le drame qui se joue dans les forêts biélorusses concerne tous les Européens. Au fond, si nous voulions être pleinement efficaces sur cette question ponctuelle, qui ne résoudrait pas tout la question migratoire en Europe, nous aurions intérêt à maintenir la pression politique qui s’exerce sur la Russie du président Poutine et sur la dictature d’Alexandre Loukachenko.

En effet, il ne faut pas être dupes de ce qui se passe à nos frontières orientales. La déstabilisation à laquelle nous assistons est le résultat des sanctions économiques que l’Union européenne a imposé au lendemain de l’arrestation en plein ciel d’un vol commercial entre Athènes et Vilnius d’un vol, dans lequel se trouvait des ressortissants européens et un opposant biélorusse, qui a été forcé d’atterrir à Minsk pour faire procéder à une arrestation de l’opposant par les hommes du dictateur avant qu’il ne soit emprisonné et contraint à des aveux à la télévision biélorusse.

À la suite de cet acte de piraterie des temps modernes, l’Union européenne a répondu avec force en sanctionnant le régime et c’est à la suite de cette réaction que le dictateur Loukachenko a dit très clairement à la télévision – il faut toujours écouter les dictateurs qui, en général disent ce qu’ils vont faire – qu’il inonderait l’Europe de migrants, de réfugiés et de drogues. Il a de fait mis sa menace à exécution et ce à quoi nous assistons actuellement aux frontières de la Pologne et de la Lituanie n’est pas terminé.

Bien que les réfugiés et les migrants aient été, pour certains, retirés de la frontière et installés dans des centres autour de Minsk, la réalité qui m’a été rapportée lors de mon récent déplacement en Lituanie est que si les vols en provenance directe d’Irak vers Minsk ont cessé, de nouveaux vols sont en train d’être arrangés entre l’Irak et les pays de la région vers la Russie, puis de la Russie vers la Biélorussie afin de contourner les éventuelles sanctions européennes contre les compagnies aériennes.

Ne soyons pas dupes : ce qui s’est passé continuera de se produire si nous n’agissons pas avec force et fermeté. Je crois qu’au-delà du devoir d’humanité qui nous accompagne, un travail politique sur la question me semble fondamental. La chancelière Merkel a pourtant beaucoup été critiquée pour avoir appelé le dictateur Loukachenko pour tenter de trouver une solution, le président de la République Emmanuel Macron a appelé Vladimir Poutine pour échanger sur la question.

N’oublions pas pour autant les prisonniers politiques en Biélorussie. Pendant que nous nous préoccupons à juste titre de ce qui se passe à la frontière, nous oublions qu’il y a 888 prisonniers politiques qui sont aujourd’hui enfermés dans les prisons de Loukachenko, qui se sert de cette situation migratoire pour faire diversion de la réalité politique de l’oppression et du régime de terreur qu’il fait régner dans son pays.

Je souhaite revenir aux questions qui nous ont été posées par nos collègues Thierry Michels et Chantal Jourdan sur les nouvelles pistes qui pourraient être imaginées. Il paraît difficile d’aboutir à un accord global sur le pacte sous la présidence française, mais je suis plus optimiste qu’il y a quelques semaines du fait de ce à quoi nous assistons aujourd’hui et qui devrait permettre de faire bouger un certain nombre de lignes.

S’agissant des nouvelles pistes, il faut que nous travaillions de manière sérieuse sur l’immigration légale. Le cœur du problème est que des femmes et des hommes aspirent à une nouvelle vie sans avoir vocation à obtenir le statut de réfugié mais souhaitent pourtant venir vivre et travailler en Europe. Il faut que nous travaillions à avoir de vraies voies d’accès pour les migrants, ce qui constitue un pilier fondamental sur lequel nous devons avancer.

Un deuxième point concerne la convergence en matière d’asile. Nous voyons bien que les demandeurs d’asile se jouent des procédures entre les différents États européens. Nous devrions mettre en œuvre des procédures pour faire converger les demandes d’asile entre les différentes autorités au sien de l’Union européenne.

Le troisième élément qui me semble important est la mobilisation des moyens. Nous n’avons pas encore parlé de la situation par rapport à l’Afrique du fait de l’actualité de la frontière orientale, mais la réalité est que deux autre routes existent : la Méditerranée orientale à travers la Turquie et la Grèce, que nous avons visitée, et la Méditerranée centrale, avec la voie libyenne qui continue d’exister même si les flux ont été réduits. Toute la relation à l’Afrique et au développement économique, au sommet UE-Afrique porté par le Président de la République et la France sous la présidence française, la discussion politique sur les fameux laissezpasser consulaires, doivent nous permettre d’avancer et exigent un travail de persuasion, de conviction et de diplomatie. Ce travail est exigeant et dur comme le montre l’état des discussions avec les États du Maghreb, ce qui exige une discussion politique telle que nous la menons.

S’agissant des couloirs humanitaires, je crois que la France a toujours été présente pour la relocalisation des personnes en besoin de protection, notamment sur les bateaux en Méditerranée au cours des dernières années. Nous sommes le premier pays à dépêcher des agents sur place pour examiner les situations et prendre sa part de responsabilité. Même si tout n’est pas parfait, nous sommes un pays volontaire dans cette grande réforme au niveau européen que nous devrions être capables de mettre en œuvre.

M. Pierre-Henri Dumont, rapporteur. Sur la question de M. Michels de savoir si l’on peut avancer sur certaines choses sans accord global, je pense que nous pouvons avancer sur des choses qui ne nécessitent pas l’adoption en bonne et due forme de paquets législatifs, de directives, de règlements, de résolutions ou de lois.

Sur l’enjeu central des flux de rebond, j’opterais plutôt pour des discussions bilatérales sur l’harmonisation des taux de protection, qui sont complètement différents entre les États européens. Un Afghan a aujourd’hui une probabilité d’être protégé à hauteur de 15% en Allemagne, taux qui est de 66% en France, ce qui ne peut pas fonctionner. Nous ne pouvons pas nous retrouver dans une situation dans laquelle l’Allemagne dit pouvoir accueillir, mais, le temps d’examiner les demandes, crée plus de déboutés que de personnes disposant d’une protection internationale et qui sont envoyés errer dans les différents pays de l’Union européennes.

Nous savons qu’aujourd’hui que nous n’arriverons pas à renvoyer un Afghan dans son pays d’origine et que cette personne sera condamnée à devoir aller de pays en pays et de demande d’asile en demande d’asile en attendant que l’épuisement des délais ne permettant pas de déposer une demande d’asile en application du système Dublin. Cette situation est évidemment intenable.

Nous sommes arrivés à un point où ce système est tellement dysfonctionnel que nous n’appliquons plus le règlement de Dublin. En France, sur les 60% de demandeurs d’asile qui peuvent techniquement être renvoyés dans le pays de première entrée, nous n’en renvoyons que 5%. Nous savons que nous ne pouvons pas faire reposer la charge sur les pays de première entrée, qui sont ceux qui récupèrent les empreintes. Ce système est complétement dysfonctionnel, mais nous voyons la difficulté d’obtenir un accord sur tout.

Il faut alors renforcer le bilatéral, qui ne nécessite pas l’adoption de changements législatifs forts. Je pense aux taux de protection, mais aussi à la politique des visas, où l’on commence à voir une évolution depuis le début du quinquennat où l’on parlait de politique des visas avec des pincettes tandis qu’il s’agit d’une politique clairement assumée aujourd’hui.

J’assume de dire que pour bien accueillir, il faut aussi bien expulser. La condition sine qua none de l’accueil des personnes que la France a choisi d’accueillir, parce qu’ils sont protégés, parce qu’ils travaillent, parce qu’ils sont là en famille est aussi de s’assurer que les personnes qui reçoivent une obligation de quitter le territoire français (OQTF) soient renvoyées dans leur pays et que nous ne nous retrouvions pas dans une situation où, par exemple, 95% des déboutés de l’asile se maintiennent en France à l’issue de la procédure quand la logique voudrait qu’ils soient renvoyés dans leur pays à l’issue de cette procédure pour que le système soit efficace. Pour avoir un bon accueil, il faut s’assurer que ceux à qui on demande de partir partent réellement.

Sur l’élargissement des visas humanitaires, nous pouvons rappeler que la France a accordé 15 000 visas humanitaires au titre de l’asile depuis 5 ans. L’enjeu principal de ce Pacte est principalement d’éviter de se retrouver dans une situation d’arrivée de bateau sans que l’on sache comment réagir, en créant un mécanisme de répartition.

Il s’agit d’éviter une négociation de marchand de tapis dans laquelle chaque pays s’engagerait à en prendre en charge un certain nombre de migrants. Cela n’est pas possible, nous parlons d’êtres humains, pas d’animaux, mais de gens qui ont quitté leur pays, qui subissent la misère, qui ont pu voir leurs familles décimées. Nous ne pouvons traiter ces personnes comme cela.

Il est absolument nécessaire d’avoir des couloirs humanitaires, mais il faut que nous nous assurions que ceux qui parviennent dans les pays européens soient ceux qui ont le plus de chances d’être protégés pour ne pas se retrouver dans une situation dans laquelle des personnes qui auraient pu détenir un titre de séjour pour un autre motif se retrouvent dans ces couloirs humanitaires.

Je pense que la mise en place de centres aux frontières de l’Europe permettrait de faciliter l’accès au continent européen pour ceux qui ont le plus de chances d’être protégés. Il ne s’agit pas d’aller les chercher sur place, mais de leur permettre d’accéder plus facilement à l’Europe et d’éviter le système des passeurs et les risques qui y sont associés.

S’agissant de la Pologne, je partage l’avis de M. Chassaigne. Il n’est pas possible de se trouver dans une situation dans laquelle nous laissons des personnes mourir de froid, de faim et de soif aux frontières de l’Europe, ce qui est absolument indigne. La création d’un centre d’accueil temporaire à statut spécial avec une forme d’extraterritorialité permettant de pouvoir accueillir ces migrants en leur offrant un espace chaud avec un endroit où dormir avec de quoi manger, où l’on pourrait traiter les demandes d’asile le cas échéant et les répartir dans tous les pays d’Europe pourrait être envisagée. Nous ne pouvons toutefois pas rester passifs face au drame se déroulant à la frontière Biélorusse.

Un lien existe avec la situation à Calais, que je connais bien. M. le président Chassaigne, vous parlez de conditions indignes, mais je ne sais pas ce qui est le plus indigne entre ce qui a lieu aujourd’hui avec les démantèlements toutes les 48 heures de camps et de tentes, ou la création du plus grand bidonville d’Europe tel qu’on l’a connu il y a cinq ans maintenant, qui s’appelait la Jungle et comptait 10 000 personnes, des rixes meurtrières, de la prostitution et qui a été courageusement démantelé par Bernard Cazeneuve après que le Gouvernement précédent a laissé s’installer cette situation de misère. J’estime pour ma part qu’il n’y a rien de pire que la Jungle et que si l’on ne démantèle pas les camps toutes les 48 heures, soit le délai de flagrance, nous risquons de nous retrouver dans une situation dans laquelle la loi ne permet pas de démanteler durant un ou deux mois et un risque de retrouver 500 ou 1 000 personnes dans des camps précaires. Le risque est de voir une microsociété se créer et de multiplier les opportunités pour les passeurs de piocher dans ces camps pour envoyer ces malheureux mourir dans la Manche.

L’accueil a existé et existe aujourd’hui. Un sas d’accueil de 300 places a été ouvert pour permettre aux personnes qui étaient dehors de pouvoir s’abriter la nuit. Mais il y avait un accord impliquant que les personnes viennent la nuit dans le sas et que le lendemain, un bus les emmènent dans un des centres d’accueil et d’examen des situations (CAES) répartis partout en France. Cela a fonctionné la première nuit avec une cinquantaine de personnes à l’ouverture la première nuit, qui sont presque toutes montées dans les bus, mais à la fin, sur les 300 places, 500 personnes se présentaient pour 12 départs seulement le lendemain matin.

La réalité est que les personnes présentes à Calais ne veulent pas être accueillies en France, malgré les maraudes quotidiennes de l’OFI qui leur rappellent de le faire. C’est pour ça que j’ai proposé d’envoyer les migrants de force en CAES, pour pouvoir les retirer des mains des passeurs et de certaines associations. Je ne parle pas des associations françaises, mais bien des associations de no border britanniques qui conseillent aux migrants la traversée de la Manche. Des associations profitent donc de distributions de repas illégales pour dire aux migrants de tenter la traversée, alors qu’il y a une distribution alimentaire quotidienne à Calais par les associations et l’État, dont les quantités sont adaptées chaque jour – aucun migrant ne meurt de faim à Calais. Le volume de repas donnés peut d’ailleurs être ajusté chaque jour : il est donc faux de dire qu’il n’y a pas de distributions de repas. Une personne doit manger dans des lieux adaptés et c’est bien là l’objet des distributions organisées par l’État, où il y a par exemple des endroits pour se laver les mains, ce qui est important dans le contexte pandémique. Il ne faut pas que ces lieux se situent à proximité d’une zone économique : il y a, à ma demande et celle de Mme la Maire de Marck, un arrêté d’interdiction qui a été pris par le préfet, car plusieurs personnes sont mortes percutées par un camion et un TER. Mon travail d’élu local, car je suis encore conseiller municipal, ce n’est pas d’enterrer des enfants soudanais de 16 ans au carré des indigents, on a autre chose à faire.

Les possibilités d’accueil existent : 200 places de CAES sont aujourd’hui vides, des milliers sont financées dans le PLF pour 2022 dans les crédits asile et immigration et on a pourtant encore des gens qui disent aux migrants de tenter la traversée. La question est donc bien celle des négociations avec le Royaume-Uni. Je rappelle que j’avais interrogé Clément Beaune, dans cette même commission des affaires européennes, sur l’absence des questions migratoires de l’accord de divorce avec le Royaume-Uni. Sa réponse avait été très claire : la France a refusé de les inclure pour sauver la possibilité d’un accord. Il y a eu des arbitrages : on ne pouvait pas avoir la pêche et la migration. On a préféré sauver la pêche, que l’on n’arrive pas à sauver aujourd’hui.

Vous entendez souvent que les élus locaux dénoncent les accords du Touquet. Nous le faisons parce que cela oblige les Anglais à venir négocier. Sans cela, la position britannique est de donner 60 millions pour mettre des barbelés chez nous et de critiquer notre action à chaque fois qu’un bateau parvient à passer. On arrive au terme de cette logique, qui est somme toute une logique « pétrole contre nourriture ». Je rappelle ce chiffre de 30 000 demandes d’asile examinées chaque année au Royaume-Uni, avant le covid : en France, ce sont 130 000 demandes parce que, pour déposer une demande au Royaume-Uni, il faut être physiquement présent au sur le sol britannique. Cela exige des demandeurs d’asile qu’ils aillent sur des small boats et prennent des risques pour leur vie pour déposer une demande d’asile.

C’est pour cette raison que je porte une proposition, qui n’est pas partagée par mon corapporteur, qui est que l’on fasse valoir, lors des négociations avec les Britanniques, la possibilité de déposer une demande d’asile le long du chemin migratoire. Cela faciliterait la tâche de tout le monde. Un Afghan qui déposerait une demande d’asile au Royaume-Uni, lorsqu’il se situe en Grèce, en Allemagne, en France, dans les ambassades par exemple, laquelle serait acceptée par le RoyaumeUni, aurait un passage sécurisé vers le pays, loin des passeurs. En cas de refus, les autres pays pourraient alors conseiller de déposer une demande sur leurs territoires respectifs, ce qui constitue d’ailleurs une chance supplémentaire pour la personne. Une fois de plus, les personnes à Calais aujourd’hui, ou sur le littoral Nord, ne déposent pas de demandes d’asile.

Mme Chantal Jourdan. Je voudrais réagir aux propos sur les migrants à Calais et leur nombre important. Ce sont des personnes qui cherchent à fuir pour un avenir qu’ils imaginent meilleur au Royaume-Uni. Nous avons, en France, des conditions d’accueil qui ne sont pas conformes au droit. J’ai fait partie de la commission d’enquête récente sur l’immigration : le nombre d’entorses faites au droit est terrifiant. Je le vois sur mon territoire, rural, où les phénomènes migratoires sont nouveaux, du moins les plus récents demandeurs d’asile pour lesquels il est déjà compliqué de connaître ce droit de déposer une demande d’asile. C’est ensuite un parcours du combattant, à plusieurs niveaux. Une démarche, qui devrait être ordinaire, ne l’est pas, en raison de multiples freins, notamment administratifs. Il y aussi d’autres situations fréquentes, par exemple de jeunes mineurs accompagnés, qui reçoivent une formation puis sont renvoyés à leur majorité. Là aussi, accéder à un titre de séjour est difficile alors qu’il y a eu des preuves de bonne intégration. L’afflux de personnes à Calais est donc aussi dû aux conditions d’accueil françaises.

M. Pierre-Henri Dumont. Sur ce point, je ne suis pas d’accord avec vous pour une raison simple. Les migrants présents à Calais le sont depuis quelques jours seulement, ils n’y stationnent pas de manière régulière. Les personnes identifiées dans le drame de la semaine dernière venaient de la frontière biélorusse.

La réalité est que plus on laisse les gens stationner à Calais, plus on laisse la main aux passeurs. Au final, chaque tentative d’accueil digne à Calais a été un échec car cela crée un appel d’air. La Jungle s’est constituée parce qu’on a fait du centre aéré Jules Ferry un quartier pour les femmes et les enfants pour les protéger. Les hommes se sont ensuite mis autour, créant de fait le plus grand bidonville d’Europe. À Sangatte, la situation est similaire : un hangar de la Croix-Rouge auparavant utilisé pour créer des outils pour la construction du Tunnel sous la Manche, mis aux normes puis ensuite rapidement devenu hors de contrôle.

À Calais, cela fait 25 ans que l’on vit ça. Le matin, les Calaisiens prennent leur voiture pour aller travailler au port ou au tunnel et tombent sur un barrage érigé sur la rocade, comme c’était le cas au moment de la jungle, où plusieurs centaines de véhicules de particuliers avaient été détruits. L’accueil à Calais se fait au détriment des habitants de Calais. Je ne suis pas certain que ce que l’on vit actuellement depuis 25 ans aurait été accepté partout ailleurs de la même façon. C’est donc un équilibre à trouver et je le répète, l’histoire nous apprend qu’un accueil fixe à Calais dégénère toujours.

La seule solution est l’utilisation des places ouvertes et financées dans les CAES, où il faut mettre les migrants. Il y a dans les CAES un toit, de la nourriture, un suivi psychologique, le minimum pour accueillir dignement ces personnes : c’est la dignité de la France. Tant qu’on les laisse à Calais, on les laisse aux mains des passeurs et ils auront toujours la volonté de traverser la Manche.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Merci chers collègues pour ce travail, pour les voyages que vous avez effectués. Ce sujet va continuer à nous préoccuper, cela va sans dire.

La commission a autorisé le dépôt du rapport d’information en vue de sa publication

 


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   Annexe :
Liste des personnes auditionnées

 

En visioconférence

– M. Margaritis Schinas, vice-président chargé de la promotion du mode de vie européen

– Mme Ylva Johansson, commissaire aux affaires intérieures

– Mme Monique Pariat, directrice générale de la DG HOME

 

– M. Damien Carême, député

– Mme Fabienne Keller, députée

 

– M. Fabrice Leggeri, directeur

 

– Mme Caroline Vinot, secrétaire générale adjointe

– Mme Géraldine Renaudière, cheffe du secteur Frontières, asile et migrations

 

Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne

– M. Pascal Léglise-Costa, représentant permanent

Ambassadeur chargé des migrations

– M. Pascal Teixeira Da Silva, ambassadeur

 

Direction générale des étrangers en France (DGEF)

– M. Claude d’Harcourt, directeur

Direction des affaires européennes et internationales (DAEI)

– M. Jean Mafart, directeur

 

– M. Julien Boucher, directeur général

 

– M. Hans-Dieter Lucas, ambassadeur d’Allemagne

– Mme Teresa Castaldo, ambassadrice d’Italie (contribution écrite)

 

– Mme Marie-Laure Basilien-Gainche, professeure des universités (Lyon 3)

– Mme Ségolène Barbou des Places, professeure des universités (Paris I Panthéon Sorbonne)

– M. Pascal Brice, président de la Fédération des acteurs de la solidarité

– M. François Gemenne, enseignant-chercheur (Sciences Po, Université de Liège)

 

En Grèce

 

– M. Ioannis Plakiotakis, ministre de la marine et de la politique insulaire

Cabinet du ministre de la migration et de l’asile

– M. Konstantinos Delikos, conseiller diplomatique

– M. Markos Karavias, conseiller sur le Pacte

 

– M. Georges Koumoutsakos (Nouvelle démocratie), ancien ministre délégué à l’asile et à la migration

– M. Maximos Harakopoulos (Nouvelle démocratie), président de la commission des affaires intérieures

– M. Georges Kaminis (KINAL)

– M. Georges Psychogios, (Syriza).

 


– M. Aristidis Psarras, chef de secteur, DG HOME

– M. Dimitrios Pagidas, responsable des opérations, EASO

 

– M. Grigorios Apostolou, chef du bureau de liaison Grèce et Chypre

 

– M. Georgios Chritianos, capitaine de vaisseau, directeur du bureau de la surveillance maritime

 

– M. Patrick Maisonnave, ambassadeur

– Mme Cécile Candat, première secrétaire

– M. Laurent Diller, attaché de sécurité intérieure adjoint

 

À Lesbos

– M. Nikolas Bampakos, directeur du camp de Mavrovouni

– Mme Astrid Castelein, cheffe du bureau du HCR à Lesbos

– M. Stratis Kytelis, maire de Mytilène

– M. Konstantinos Moutzouris, préfet de la région de l’Égée du Nord

– Mme Sophia Baroutsakou, consule honoraire de l’Égée du Nord


([1]) Art. 3. al. 2 du traité sur l’Union européenne (TUE) : « L'Union offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures, au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes, en liaison avec des mesures appropriées en matière de contrôle des frontières extérieures, d'asile, d'immigration ainsi que de prévention de la criminalité et de lutte contre ce phénomène. ».

([2]) Dacyl, Janina W., « La gestion de la crise des réfugiés de l’ex-Yougoslavie », Hommes et migrations, n° 1205, janvier 1997.

([3]) Dans une interview remarquée à la Süddeutsche Zeitung le 23 octobre 2021, Angela Merkel expliquait pourquoi elle avait toujours refusé d’employer le mot-valise « Flüchtlingskrise » (crise des réfugiés), en affirmant « un réfugié n’est en soi, pour moi, pas une crise, mais une personne ».

([4]) Rodier, Claire. « Naufrage de Lampedusa », Multitudes, vol. 55, n°. 1, 2014, pp. 20-24.

([5]) Blanchard, Emmanuel, et Claire Rodier. « « Crise migratoire » : ce que cachent les mots », Plein droit, vol. 111, n°. 4, 2016, pp. 3-6.

([6])  De nombreux reportages ont documenté ce phénomène. Voir par exemple Boëton, Marie, « J’ai été esclave en Libye », La Croix – L’Hebdo, 6 décembre 2020.

([7]) Décision (UE) 2015/1523 du Conseil du 14 septembre 2015 et décision (UE) 2015/1601 du Conseil du 22 septembre 2015.

([8]) CJUE 6 sept. 2017, aff. C-643/15 et C-647/15, République slovaque et Hongrie (soutenues par République de Pologne) c/ Conseil de l’Union européenne.

([9]) CJUE, 2 avril 2020, aff. C-715/17, C-718/17 et C-719/17, Commission c/ Pologne, Hongrie et République tchèque.

([10])  Accord sur l’immigration entre la Turquie et l’Union européenne prévoyant des mesures réciproques en matière d’immigration, 18 mars 2016.

([11])  Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, « Un agenda européen en matière de migration », 13 mai 2015, COM(2015) 240 final.

([12]) Commission européenne – communiqué de presse, « L'agenda européen en matière de migration quatre ans plus tard: les avancées importantes réalisées doivent être consolidées en raison de la situation instable », 16 octobre 2019.

([13]) L’OIM est une organisation intergouvernementale composée de 174 États membres et appartenant au système des Nations Unies.

([14]) Rappelons que cet incendie a été allumé par deux jeunes Afghans en guise de protestation. Mineurs au moment des faits, ils ont été reconnus coupables en première instance au mois de mars 2021.

([15]) La Convention de Dublin du 15 juin 1990, puis le règlement dit « Dublin II » du 18 février 2003.

([16])  Règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (refonte).

([17]) Assemblée générale des Nations Unies, Résolution adoptée le 19 septembre 2016 à l’unanimité.

([18]) Commission européenne, Communication relative au rapport sur la migration et l’asile, COM(2021) 590 final, 29 septembre 2019.

([19])  Gemenne, François, Discours au musée national de l’histoire de l’immigration – Séminaire annuel du réseau des écoles associées de l’UNESCO, 16 mars 2016.

([20])  Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu cette protection […], COM(2016) 466 final.

([21])  Proposition modifiée de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l’Agence de l’Union européenne pour l’asile et abrogeant le règlement (UE) nº 439/2010, COM(2018) 633 final.

([22])  Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un cadre de l’Union pour la réinstallation et modifiant le règlement (UE) nº 516/2014 du Parlement européen et du Conseil, COM(2016) 468 final.

([23])  Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (refonte, COM(2016) 465 final.).

([24])  Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (refonte), COM(2018) 634 final.

([25]) Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

([26]) Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la gestion de l’asile et de la migration et modifiant la directive 2003/109/CE du Conseil et la proposition de règlement (UE) XXX/XXX [établissant le Fonds « Asile et migration »], COM/2020/610 final.

([27]) Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil visant à faire face aux situations de crise et aux cas de force majeure dans le domaine de la migration et de l’asile, COM/2020/613 final.

([28]) La conséquence serait l’abrogation de la directive 2001/55/CE du 20 juillet 2001 sur l’octroi d’une protection temporaire.

([29])  Prévus par l’art. 291 TFUE, ces actes juridiques correspondent à une compétence d’exécution de la Commission dans des domaines où une application uniforme du droit de l’Union est particulièrement nécessaire.

([30]) Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un filtrage des ressortissants de pays tiers aux frontières extérieures et modifiant les règlements (CE) nº 767/2008, (UE) 2017/2226, (UE) 2018/1240 et (UE) 2019/817.

([31]) Proposition modifiée de règlement du Parlement européen et du Conseil instituant une procédure commune en matière de protection internationale dans l'Union et abrogeant la directive 2013/32/UE, COM(2020) 611 final.

([32]) Pour une revue du consensus international, voir : Commission nationale consultative des droits de l’Homme, Avis relatif à la proposition de loi visant à encadrer strictement la rétention des familles avec mineurs, A-2020-12, 24 septembre 2020.

([33]) Vignon, Jérôme et De Brouwer, Louis, « Nouveau pacte pour la migration : une proposition équilibrée à approfondir », Institut Jacques Delors, 28 septembre 2020.

([34])  Proposition modifiée de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la création d’« Eurodac » pour la comparaison des données biométriques, COM/2020/614 final.

([35]) Recommandation de la Commission relative à un mécanisme de l’UE de préparation et de gestion de crise en matière de migration, C(2020) 6469 final , 23 septembre 2020.

([36]) Communication de la Commission (2020/C 323/01), 1er octobre 2020.

([37]) Recommandation (UE) 2020/1365 de la Commission du 23 septembre 2020.

([38]) Recommandation de la Commission sur les voies légales d’accès à une protection dans l’UE: promouvoir la réinstallation, l’admission humanitaire et d’autres voies complémentaires, C(2020) 6467 final, 23 septembre 2020.

([39]) Résolution du Parlement européen du 17 décembre 2020 sur la mise en œuvre du règlement Dublin III (2019/2206(INI)).

([40]) Scherrer, Amandine, Service de recherche du Parlement européen, « Règlement de Dublin relatif aux demandes de protection internationale - Évaluations de la mise en œuvre européenne », février 2020.

([41])  HCR, Left in Limbo: UNHCR Study on the Implementation of the Dublin III Regulation, août 2017.

([42]) Commission européenne, Exposé des motifs du règlement « gestion de l’asile et des migrations ».

([43])  Grèce, Italie, Espagne, Chypre, Malte, auxquelles s’associe la Bulgarie.

([44]) Données INSEE, Produit intérieur brut par habitant dans l'Union européenne en 2020, 5 juillet 2021.

([45])  Projet annuel de performance annexé au projet de loi de finances pour 2022, Programme 104- Intégration et accès à la nationalité française.

([46]) Sur les chiffres relatifs au manque de coopération des États tiers, voir l’avis présenté au nom de la commission des affaires étrangères sur le projet de loi de finances pour 2022 par Pierre-Henri Dumont, 8 octobre 2021.

([47]) Art. 31 de la convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés.

([48]) Pétin, Joanna, « La Convention de Genève et l’Union européenne : les heures sombres », Réseau universitaire européen dédié à l’étude du droit de l’ELSJ, 19 février 2016.

([49]) Résolution du Parlement européen du 11 décembre 2018 contenant des recommandations à la Commission sur les visas humanitaires (2018/2271(INL).

([50]) Conseil constitutionnel, QPC, M. Cédric H. et autres, 6 juillet 2018.

([51]) En 2019, une enquête conjointe de médias allemands (Correctiv, ARD) et britannique (Guardian) avait rapporté que Frontex tolérait les maltraitances de garde-frontières en Hongrie, Grèce et Bulgarie.

([52]) Commission LIBE, Report on the fact-finding investigation on Frontex concerning alleged fundamental rights violations, 14 juillet 2021.

([53])  Directive (UE) 2021/1883 du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2021 établissant les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers aux fins d’un emploi hautement qualifié, et abrogeant la directive 2009/50/CE du Conseil.

([54]) Al-Sahlani, Abir (Renew Europe), Draft report with recommendations to the Commission on legal migration and law (2020/2255(INL)), 12 juillet, 2021.

([55])  Aurioln Emmanuelle, Rapoport, Hillel, « L’immigration qualifiée : un visa pour la croissance », Conseil d’analyse économique, novembre 2021.

([56]) De Genova, Nicholas, « The Legal Production of Mexican/Migrant “Illegality” », Lat Stud 2, 160–185, 2004.

([57]) Règlement (UE) 2019/1896 du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2019 relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes et abrogeant les règlements (UE) n° 1052/2013 et (UE) 2016/1624.

([58])  Audition de la commissaire Ylva Johansson par les rapporteurs le 15 avril 2021.

([59]) Règlement (UE) 2021/1148 du Parlement européen et du Conseil du 7 juillet 2021 établissant, dans le cadre du Fonds pour la gestion intégrée des frontières, l’instrument de soutien financier à la gestion des frontières et à la politique des visas.

([60])  Règlement (UE) 2021/1147 du Parlement européen et du Conseil du 7 juillet 2021 établissant le Fonds « Asile, migration et intégration ».

([61])  Paulic, Solène, « Les États membres demandent à la Commission de financer de nouvelles actions aux frontières extérieures, à l'exception en principe des murs anti-migrants », Agence Europe, 22 octobre 2021.

([62]) Voir en particulier « Viktor Orbán's letter to Ursula von der Leyen on the costs of border protection », 2 novembre 2021.

([63]) Rapport du Parlement européen relatif à la position du Conseil sur le projet de budget général de l’Union européenne pour l’exercice 2022, 12 octobre 2021.

([64]) Citation de la députée au Parlement européen Tineke Strik (Verts/ALE) in Paulic, Solenn, « Manfred Weber estime que le budget européen doit pouvoir financer des clôtures anti-migrants », Agence Europe, 27 novembre 2021.

([65]) Le groupe de contrôle parlementaire conjoint (JPSG) est fondé sur l’art. 88 du TFUE et le règlement (UE) n° 2016/794 du Parlement européen et du Conseil relatif à Europol.

([66]) Rapport spécial de la Cour des comptes européenne présenté en vertu de l'article 287, paragraphe 4, deuxième alinéa, du TFUE, 2021.

([67]) Les taux en rouge sont peu représentatifs car le nombre de décisions rendues est inférieur à 400.

([68]) Op. cit. Commission européenne, COM(2021) 590 final.

([69]) Selon le ministère de l’intérieur, les demandeurs sous procédure Dublin représentent environ un tiers des demandeurs d’asile en France.

([70])  Makszimov, Vlagyiszlav, « Vers une adhésion de la Géorgie à l’UE en 2024 ? », Euractiv, 22 janvier 2021.

([71]) Gatinois, Claire, Bobin, Frédéric et Kadiri, Ghalia, « Immigration : la France durcit « drastiquement » l’octroi de visas aux Algériens, Marocains et Tunisiens », Le Monde, 28 septembre 2021.

([72])  Règlement (CE) n° 810/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 établissant un code communautaire des visas (version consolidée).

([73])  Do, Stéphanie et Dumont, Pierre-Henri, Rapport d’information déposé par le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l’évaluation des coûts et bénéfices de l’immigration en matière économique et sociale, 22 janvier 2020.

([74]) Reichardt, André et Leconte, Jean-Yves, Rapport d’information fait au nom de la commission des affaires européennes du Sénat sur le nouveau Pacte sur la migration et l’asile, 29 septembre 2021.

([75]) Op. cit. Vignon et De Brouwer.

([76]) Conclusions du Conseil sur la Biélorussie, 11661/20, 12 octobre 2020.

([77]) Règlement (UE) 2021/907 du Conseil du 4 juin 2021 modifiant le règlement (CE) nº 765/2006 concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie et décision (PESC) 2021/908 du Conseil du 4 juin 2021 modifiant la décision 2012/642/PESC concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie.

([78]) Haski, Pierre, « A la frontière Biélorussie-Pologne, les migrants doublement victimes », France Inter, 30 septembre 2021.

([79])  Commission européenne, exposé des motifs de la proposition de décision COM(2021) 612 final, 29 septembre 2210.

([80])  Proposition de décision du Conseil, relative à la suspension partielle de l’application de l’accord entre l’Union européenne et la République de Biélorussie visant à faciliter la délivrance de visas, COM(2021) 612 final, 29 septembre 2021.

([81]) CNCDH, Assemblée plénière, Avis sur la situation des personnes exilées à Calais et Grande-Synthe, A-2021‑13, 11 février 2021.

([82])  Le Roy, Thierry, « Alerte sur les conséquences du Brexit sur l’asile à la frontière britannique », Vues d’Europe – France terre d’asile, 21 juin 2021.