N° 4922
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 janvier 2022.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145-7, alinéa 3, du Règlement
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
sur l’évaluation de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel,
ET PRÉSENTÉ PAR
Mme Catherine FABRE et M. Gérard CHERPION,
rapporteurs pour le titre Ier, Députés
M. Sylvain MAILLARD et M. Joël AVIRAGNET,
rapporteurs pour le titre II, Députés
Mme Carole GRANDJEAN et Mme Michèle de VAUCOULEURS,
rapporteures pour le titre III, Députées.
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SOMMAIRE
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Pages
Avant‑propos de Mme Fadila Khattabi, présidente de la commission des affaires sociales
I. Une réforme ambitieuse de la formation professionnelle
1. Le CPF a été profondément transformé depuis 2018
a. Rappel de l’existant avant la réforme et des objectifs poursuivis
b. Les objectifs affichés de la loi « Avenir professionnel »
c. Principales dispositions introduites
2. Le recours accru au CPF est incontestable
a. Les chiffres sont sans appel quant à la réussite du CPF rénové
b. Le profil des bénéficiaires du CPF a évolué en faveur d’un meilleur accès pour tous
c. La question de la fraude au CPF est devenue un sujet sensible
3. La co-construction gagnerait à se développer
b. Les pratiques de co-abondement se développent mais restent faibles
c. Les formations moins professionnalisantes, un enjeu hautement stratégique
1. La montée en charge du CEP est incontestable mais reste encore limitée…
a. Le CEP reste un dispositif trop confidentiel
b. Un excellent taux de satisfaction des bénéficiaires du CEP
c. La mobilisation du CEP reste très orientée vers la reconversion professionnelle...
2. ... malgré des initiatives qui vont dans le bon sens
a. Le maillage territorial est renforcé par la diversification des opérateurs du CEP
b. La communication autour du CEP s’est améliorée
3. Résorber le déficit de notoriété du CEP est un impératif à court terme
a. Le constat d’une méconnaissance du CEP est unanimement partagé
b. Assurer une communication plus forte, sur tout le territoire, autour du CEP
1. Le nouveau système de mutualisation au profit des petites entreprises peine à convaincre
2. L’esprit de la réforme doit être consolidé
b. Pour les entreprises de 50-299, co-investir pour pallier la fin des fonds mutualisés
D. LE NOUVEAU PROJET DE TRANSITION PROFESSIONNELLE
1. La nouvelle architecture institutionnelle s’est mise en place rapidement
a. Le lien entre les associations « Transitions Pro »et France compétences est bien établi
b. Les relations sont fluides entre les différents acteurs de la transition professionnelle
2. Les projets de transition professionnelle restent sous-dotés
a. Les fonds dédiés à la transition professionnelle sont insuffisants
b. « Pro-A », un dispositif mis en œuvre très récemment
E. LES NOUVELLES MODALITÉS d’ACTION DE FORMATION
a. La formation à distance, un atout précieux pendant le confinement
F. LA CERTIFICATION « QUALIOPI », BIEN QUE RETARDÉE PAR LA CRISE, REÇOIT DÉJÀ UN ACCUEIL POSITIF
II. réforme de l’alternance : la révolution copernicienne a bien eu lieu
A. un succès reconnu de tous dans l’apprentissage
1. Un bond « quantitatif » et « qualitatif » pour l’apprentissage
a. Une hausse très importante dans un contexte particulier
b. Un saut « qualitatif » : une diversification des profils, des parcours et des diplômes visés
B. La simplification des démarches autour du contrat d’apprentissage
a. Les mesures de simplification contenues dans la loi
b. Un bilan globalement positif même s’il est difficile d’en mesurer quantitativement les effets
2. Un transfert du dépôt vers les OPCO qui nécessite encore un travail d’harmonisation
C. La révolution du « coût-contrat »
2. Une première édition fructueuse tant du point de vue de la décentralisation que de la régulation
a. Des premiers effets très prometteurs du coût-contrat
b. Un système largement approuvé malgré quelques difficultés sur l’investissement
c. Une logique de la réforme à prolonger à l’avenir
D. Le rôle des régions après la réforme
1. La comptabilité analytique au service de la régulation et de la convergence
2. Les résultats du CFA au service de la transparence
F. Une réforme des aides, « recouverte » jusqu’ici par la mise en place de dispositifs exceptionnels
1. Une réforme à la marge des dispositions relatives aux contrats de professionnalisation
2. Des évolutions incidentes importantes depuis la réforme
a. La diminution du nombre d’entrées en contrat de professionnalisation
b. Une évolution des profils pour les contrats de professionnalisation
H. Les « prépa-apprentissages » : un bilan positif
J. La reconnaissance bienvenue des écoles de production
III. La réforme de l’orientation : une transformation encore limitée
1. La création des « prépa-métiers »
2. Les nouvelles compétences des régions en matière d’orientation
3. Faciliter l’immersion en entreprise
IV. Architecture institutionnelle et financIÈre du nouveau système
A. LA GOUVERNANCE DE France COMPÉTENCES
3. La gouvernance de France compétences reste toutefois contestée
a. Le risque d’une logique « bloc contre bloc » au sein du conseil d’administration
b. Les orientations stratégiques doivent être mieux suivies et développées
b. Le rôle central de France compétences comme financeur et répartiteur unique
a. Une construction financière qui n’est pas « automatiquement » équilibrée
b. Des déficits liés notamment au succès de l’apprentissage
2. Une mise en œuvre de la réforme ralentie par la crise
a. Les dispositions transitoires prévues par la loi
b. La crise a ralenti la restructuration du réseau d’opérateurs
3. Le pari réussi du périmètre des nouveaux opérateurs de compétences
a. L’installation de ces opérateurs n’a pas entraîné de surcoût significatif
b. Un regroupement cohérent des opérateurs de compétences qui a fait naître de réelles synergies
c. Des relations fluides avec France compétences
2. Un calendrier reporté à plusieurs reprises
3. Les inquiétudes sur sa mise en œuvre devront être levées au gré de la mise en œuvre
Titre II : La réforme du cadre et des règles de l’assurance chômage et de la recherche d’emploi
I. La réforme de la gouvernance et du financement de l’assurance chômage
A. Une nouvelle articulation entre État et partenaires sociaux
2. Un premier processus de cadrage-négociation qui s’est soldé par un échec
a. Le cadrage de la négociation
c. Les mesures décidées par décret par le Gouvernement
a. Un objectif partagé : rétablir la confiance entre les acteurs
b. Des voies différentes pour y parvenir
a. Le choix de la CSG « activité » pour compenser de nouvelles exonérations
b. Un mécanisme qui fait jouer la sécurité sociale comme « chambre de compensation »
a. Une articulation chômage-sécurité sociale en débat
b. Un solde de l’Unédic en voie d’amélioration sans qu’ait été tranchée la question de sa dette
II. La réforme des règles de l’assurance chômage issue de la loi « avenir professionnel »
1. La loi « Avenir professionnel » a entendu ouvrir un nouveau droit aux travailleurs indépendants
a. Une conception difficile éclairée par une mission « IGAS-IGF »
b. Un dispositif ciblé et encadré
c. Un objectif quantitativement modéré au regard des critères retenus
2. Un bilan pour l’heure limité
b. Les facteurs explicatifs de ce faible recours à l’ATI
3. Des perspectives d’évolution dans le cadre du projet de loi « indépendants »
B. L’ouverture de l’assurance chômage aux démissionnaires
1. Les motifs de l’élargissement des motifs « légitimes » de démission
2. Les dispositions de la loi « Avenir professionnel » et ses modalités d’application
3. Un bilan globalement positif quoique plus faible qu’attendu
C. Les réformes relatives à Pôle emploi
1. La redéfinition de l’« offre raisonnable d’emploi »
2. La modernisation des règles de contrôle et de sanction des demandeurs d’emploi
3. Des précisions accrues sur les voies de recours dans les courriers de Pôle emploi
titre III : Les dispositions relatives à l’emploi
I. les mesures relatives À l’entreprise inclusive
A. la simplification de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapÉs
2. L’impact des mesures adoptées
B. les autres mesures en faveur de l’insertion des personnes handicapÉes
C. le renforcement du cadre d’intervention des entreprises adaptÉes
2. L’impact des mesures adoptées
II. les mesures relatives au dÉtachement des travailleurs et À la lutte contre le travail illÉgal
A. l’Adaptation des exigences administratives pour certaines situations de dÉtachement
2. L’impact des mesures adoptées
B. le renforcement des outils de contrÔle et de l’effectivitÉ des sanctions administratives
2. L’impact des mesures adoptées
C. la consolidation de l’arsenal juridique de lutte contre le travail illÉgal
2. L’impact des mesures adoptées
A. l’index de l’ÉgalitÉ professionnelle entre les femmes et les hommes
1. Un nouvel outil au service de la promotion de l’égalité professionnelle
2. Un dispositif qui produit des résultats encourageants
4. Un dispositif à étendre aux entreprises de moins de cinquante salariés ?
B. la lutte contre le harcÈlement sexuel et les agissements sexistes au travail
I. Contribution du groupe la république en marche
II. Contribution de Mme Fadila Khattabi, présidente de la commisson des affaires sociales
III. Contribution de MME aNNE bRUGNERA
IV. cONTRIBUTION DE mME Christine Cloarec-Le Nabour
V. Contribution de Mme Monique Limon
VI. Contribution de M. Thierry Michels
VII. Contribution de Mme Muriel Roques-Etienne
annexe : Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs
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Avant‑propos de Mme Fadila Khattabi,
présidente de la commission des affaires sociales
La loi n° 2018‑771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel représente une loi de portée majeure, qui a permis de profondes réformes à la fois en matière de formation professionnelle, d’apprentissage, de gouvernance, d’organisation des opérateurs, de financement mais aussi en matière d’indemnisation du chômage et d’emploi. Face à l’ampleur des changements qu’elle a engendrés, elle apparaît sans nul doute comme l’un des textes les plus importants renvoyés à la commission des affaires sociales durant cette législature. Bien que la crise sanitaire ait retardé la mise en œuvre de certaines de ses mesures, leur évaluation, plus de trois ans après leur adoption, semble particulièrement intéressante et utile, tant pour les acteurs concernés que pour notre commission.
Par conséquent, sur les fondements de l’article 24, alinéa 1er, de la Constitution et de l’article 145‑7, alinéa 3, du Règlement de l’Assemblée nationale, la commission a décidé d’évaluer la loi de 2018.
Les travaux effectués auront été à la mesure de l’ampleur de la tâche : lancés le 5 mai 2021, il se sont achevés le 19 janvier 2022. Ce temps était nécessaire pour mener à bien l’évaluation des dispositions d’un texte comptant plus d’une centaine d’articles. Ce travail traduit également le fort investissement des six rapporteurs désignés par la commission et que je tiens ici à remercier chaleureusement ; une équipe parfaitement paritaire et au sein de laquelle les quatre principaux groupes politiques de notre Assemblée sont représentés.
Avant de revenir sur les trois principaux axes de la loi, il me paraît tout d’abord essentiel de rappeler qu’elle est avant tout le résultat d’un constat : celui d’un chômage de masse persistant alors que des milliers d’emplois, dits « en tension », restaient encore et toujours non pourvus, et avec par‑dessus tout un financement dans les compétences qui ne visait pas les publics les plus fragiles. C’est aussi le constat d’une jeunesse souvent mal orientée et mal accompagnée dans ses choix de parcours, et qui peine à s’insérer dans l’emploi.
Face à ce diagnostic, la loi de 2018 répond donc à une nécessité en faisant le pari de la montée en compétences, en prêtant une attention toute particulière aux personnes les plus vulnérables et les moins qualifiées. Une ambition qui se concrétise notamment par des moyens inédits qui ont pu être déployés à l’instar du Plan d’investissement dans les compétences (le « PIC ») d’un montant de 15 milliards d’euros.
Aussi, j’aimerais saluer les grandes avancées permises par la réforme, d’une part en matière de formation professionnelle et d’autre part en matière d’apprentissage, objets du titre Ier.
Sur le premier point, la loi a grandement facilité l’accès à la formation, en permettant à chacun de devenir acteur de son propre parcours. En la matière, la création du compte personnel de formation (CPF) constitue un outil novateur auquel les actifs ont eu largement recours : selon les chiffres de la DARES, en 2020, 2,8 % de la population active française a eu recours au CPF pour bénéficier d’une formation, contre 1,5 % en moyenne entre 2016 et 2019. Ces chiffres significatifs doivent désormais être pérennisés tout en renforçant l’aspect qualitatif des formations dispensées. Enfin, dans le contexte de la crise actuelle, et afin de renforcer la lutte contre le chômage de masse, il paraît opportun de mener une réflexion sur la valorisation des parcours consacrés aux métiers dits d’avenir et pour lesquels il existe actuellement une véritable demande sur le marché du travail (numérique, industrie, médico‑social).
Sur le second point, la réforme a opéré une véritable révolution de notre système d’apprentissage. Malgré les inquiétudes exprimées par les régions suite à la recentralisation de la compétence de l’apprentissage, les résultats sont là : en décembre dernier, le ministère du travail a comptabilisé la signature de près de 650 000 contrats ; un chiffre historique qui contribue à revaloriser l’apprentissage, véritable voie d’excellence et tremplin vers l’emploi durable pour des milliers de jeunes. Cette dynamique incontestable a notamment pu être préservée grâce à l’engagement des entreprises, soutenues par les aides exceptionnelles mises en œuvre par le Gouvernement dans le cadre de la crise sanitaire. Sur le long terme, il conviendra donc d’envisager le maintien de ces chiffres hors dispositifs de soutien, et de réfléchir au renforcement des mécanismes d’orientation afin d’accompagner au mieux tous les jeunes qui souhaitent s’engager dans ce parcours.
Le rapport consacre également une large part à la question de l’emploi et à nos règles d’indemnisation du chômage, objets du titre II. Sur ce volet, la loi porte un objectif clair : permettre à toutes et tous de s’insérer durablement dans l’emploi. Pour ce faire, différents dispositifs ont pu être consolidés tels que le conseil en évolution professionnelle (CEP) afin d’accompagner les demandeurs d’emploi dans l’élaboration de leur projet professionnel et leur recherche d’emploi. Si plusieurs dispositions rappellent les droits et devoirs des demandeurs, il semble essentiel de renforcer l’ensemble des dispositifs permettant à chacun d’eux de se réinsérer professionnellement.
Enfin, je souhaiterais souligner plusieurs avancées contenues dans le dernier titre de la loi, notamment la création de l’index de l’égalité femmes-hommes, un outil récemment renforcé par la loi du 24 décembre 2021 visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle, portée par la présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, Mme Marie‑Pierre Rixain. Sur le volet de l’inclusion, plusieurs mesures sont également consacrées à l’emploi des personnes en situation de handicap et visent à responsabiliser davantage les entreprises tout en réformant les mécanismes du dialogue social, l’objectif étant d’en faire un véritable levier pour l’emploi des travailleurs handicapés.
En conclusion, je souhaite insister sur l’état d’esprit général de la loi, dont le projet, ambitieux et volontariste, réforme de façon globale la politique de l’emploi dans notre pays et repose sur un principe simple mais ô combien bénéfique : rendre chaque individu maître de son destin, de son parcours et de ses choix. Afin de concrétiser dans la durée ce cercle vertueux, l’engagement de tous les acteurs impliqués est requis et garantira le changement de paradigme si nécessaire à la redynamisation de notre économie et du marché du travail français et ce, dans un monde sans cesse en pleine mutation.
Fadila KHATTABI
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Le 5 mai 2021, la commission des affaires sociales décidait, sur le fondement de l’article 145-7, alinéa 3, du Règlement de l’Assemblée nationale, d’évaluer l’impact de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel et confiait à trois binômes de rapporteurs, Mme Catherine Fabre et M. Gérard Cherpion, MM. Sylvain Maillard et Joël Aviragnet, Mmes Carole Grandjean et Michèle de Vaucouleurs, le soin de mener à bien le travail en se penchant respectivement sur les dispositions du titre Ier, consacré à la formation professionnelle et à l’apprentissage, du titre II, consacré à l’assurance chômage, et du titre III, consacré à l’emploi.
Le présent rapport est le fruit d’un travail qui aura duré plus de six mois et qui aura donné lieu à la tenue de plusieurs dizaines d’auditions, indispensables pour appréhender dans leur globalité les conséquences de la loi et en prendre toute la mesure. Les rapporteurs remercient l’ensemble de leurs interlocuteurs pour leur éclairage toujours précieux et leur contribution à la réflexion commune sur les nombreuses questions auxquelles il leur revenait d’apporter des réponses. Ils remercient également les services de l’État pour l’aide qu’ils leur ont fournie au cours des mois écoulés.
Le lecteur trouvera, dans les développements qui suivent, le détail de leurs conclusions sur les effets d’une part importante des mesures contenues dans le texte ainsi qu’un certain nombre de recommandations pour en renforcer l’efficacité à l’avenir. Il constatera cependant, cela mérite d’être souligné d’emblée, que l’évaluation de toute une série de dispositifs s’est avérée difficile en raison du peu de recul disponible et de l’impact que la crise sanitaire a eu sur leur mise en œuvre.
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Titre Ier : rÉformer la formation professionnelle et L’ALTERNANCE POUR PROMOUVOIR UNE NOUVELLE SOCIÉTÉ DE COMPÉTENCES
Évaluer le titre Ier de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel s’est avéré un exercice aussi exigeant qu’instructif. Pendant six mois, les rapporteurs se sont attachés à recueillir l’avis des acteurs concernés par cette réforme systémique (organismes de formation, fédérations, organisations syndicales de salariés, organisations professionnelles d’employeurs, acteurs institutionnels, opérateurs de compétences, etc.), qu’ils tiennent ici à remercier chaleureusement pour leurs contributions très riches.
Le titre Ier de la loi « Avenir professionnel » représente si ce n’est le cœur, à tout le moins un pan majeur de la réforme tant il introduit de ruptures, parfois radicales, avec le droit existant. La monétisation du compte personnel de formation (CPF) en est, bien sûr, un exemple éclatant, faisant du droit à la formation un droit à la main des salariés. La simplification et la libéralisation de l’apprentissage ont constitué une « révolution copernicienne » au service d’une meilleure insertion professionnelle des plus jeunes. La création de France compétences, opérateur désormais unique de la gouvernance, est une autre illustration des bouleversements entraînés dans le paysage de la formation professionnelle et de l’alternance.
Le présent rapport n’est pas un rapport d’application. Il n’a pas vocation à assurer un simple suivi législatif et réglementaire de la loi mais bien à en évaluer l’esprit. Les rapporteurs ont mené leurs travaux animés par ce souci de rendre compte de la philosophie qui a présidé à la réforme pour en mesurer les effets.
Trois ans après l’entrée en vigueur des premières dispositions de la loi, plusieurs constats se font jour :
– tout d’abord, il est évident que la crise sanitaire puis la crise économique et sociale qui en a découlé ont fortement impacté le déploiement de la loi. Il suffit de penser à la constitution de certains opérateurs de compétences. Dans le même temps, les dispositifs mobilisés pour faire face à la crise, à l’instar de « Transitions collectives », sont venus enrichir l’arsenal de la formation professionnelle. Les aides exceptionnelles ont également permis de maintenir la dynamique de l’apprentissage ;
– la réforme est très largement perçue comme un succès par les acteurs entendus par la mission, ainsi qu’en témoigne le recours accru au CPF ou à l’apprentissage, même si la question financière mérite d’être posée et l’a d’ailleurs été tout au long de ses travaux ;
– les points de vigilance quant à l’application de la réforme ou à certains effets de bord qu’elle a créés, comme le nouveau fléchage des fonds de la formation prioritairement vers les entreprises de moins de cinquante salariés, ont fait l’objet de toute l’attention des rapporteurs. Il est clair que certains dispositifs n’ont, à ce stade, pas encore connu leur plein déploiement à l’instar du conseil en évolution professionnelle, qui souffre toujours d’un déficit de notoriété ;
– enfin, le travail d’évaluation de la loi mené parallèlement par les partenaires sociaux au cours de l’année 2021 a été une source de réflexion précieuse pour l’évaluation de ce titre Ier.
Les rapporteurs se félicitent de l’esprit de construction qui a présidé à l’ensemble des travaux pour bâtir un diagnostic et des préconisations aussi largement partagés que possible. Forts des constats qu’ils ont pu faire lors des auditions, ils formulent, en effet, un certain nombre de recommandations qui visent toutes à consolider la philosophie de la réforme de 2018.
I. Une réforme ambitieuse de la formation professionnelle
A. LE COMPTE PERSONNEL DE FORMATION, UN DISPOSITIF DÉSORMAIS PLUS ACCESSIBLE QUI A RENCONTRÉ SON PUBLIC
1. Le CPF a été profondément transformé depuis 2018
a. Rappel de l’existant avant la réforme et des objectifs poursuivis
Porté par l’accord national interprofessionnel du 14 décembre 2013 qui s’est traduit dans la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, le compte personnel de formation répond à une triple ambition qui tire les conséquences des nouvelles trajectoires professionnelles et des mutations du marché du travail, rappelée par la rapporteure lors de l’examen de la loi « Avenir professionnel » de 2018 ([1]) :
– la personnalisation avec le rattachement du droit à la formation directement à l’actif, garantissant la préservation des droits acquis et leur portabilité ;
– l’universalité qui garantit l’ouverture d’un CPF pour tout actif, quel que soit son statut professionnel, y compris dans la fonction publique, favorisant ainsi la mobilité professionnelle ;
– la simplicité avec une utilisation facilitée des droits dans le cadre d’un outil unique qui rassemble l’ensemble des informations relatives aux abondements acquis et aux formations qu’ils peuvent financer.
Le CPF a succédé au 1er janvier 2015 au droit individuel à la formation (DIF) dont le relatif insuccès tenait, notamment, au manque d’articulation avec les autres dispositifs de formation professionnelle continue et à une portabilité limitée de ce droit. Pour y remédier, le CPF introduit plusieurs dimensions originales :
– il est créé automatiquement pour tous les actifs dès 16 ans et mis en œuvre pour les salariés et les demandeurs d’emploi ;
– il est portable, à la différence du DIF puisque les droits acquis suivent le bénéficiaire tout au long de sa vie professionnelle, indépendamment de son statut professionnel ;
– le bénéficiaire doit pouvoir mobiliser son compte de façon autonome et sans accord de l’employeur, lorsque la formation s’effectue hors du temps de travail. Quant au demandeur d’emploi, son projet est validé de droit dès lors que son CPF suffit à le financer ;
– le CPF est alimenté en heures et rechargeable.
Dans le bilan d’étape du déploiement du compte personnel de formation qu’elle dresse en juillet 2017, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) fait le constat « qu’au regard de ces ambitions, et malgré un volontarisme incontestable dans son déploiement depuis le vote de la loi, la place du CPF reste fragile et qu’il existe un risque réel de s’éloigner des objectifs initiaux. ([2]) ». C’est dans ce contexte qu’intervient la loi « Avenir professionnel » dont l’ambition est de lever les derniers blocages qui freinent le développement du CPF. La loi part du constat que les usagers ont du mal à s’emparer seuls de ce droit dont ils ne sont pas forcément conscients et pour lequel les modalités d’utilisation restaient à l’époque relativement complexes et opaques.
b. Les objectifs affichés de la loi « Avenir professionnel »
L’étude d’impact du projet de loi pointe les critiques récurrentes du compte personnel de formation ([3]) :
– des modalités d’accès encore difficiles aux formations ;
– un système de listes donc limitatif et incompréhensible ;
– un plafond d’acquisition du nombre d’heures jugé trop bas ;
– une gouvernance éclatée donnant peu de lisibilité et de possibilité de régulation financière d’ensemble.
L’objectif poursuivi est donc clairement identifié : le CPF doit devenir un outil accessible et lisible, un droit personnel à la main de ses titulaires dans une logique d’appropriation directe. Cette ambition est partagée par les organisations représentatives de salariés et d’employeurs dans l’accord national interprofessionnel (ANI) pour l’accompagnement des évolutions professionnelles, l’investissement dans les compétences et le développement de l’alternance qu’elles signent le 22 février 2018.
c. Principales dispositions introduites
L’article 1er de la loi rénove en profondeur le compte personnel de formation tout en en conservant les fondations originelles.
La première modification d’ampleur apportée par la loi « Avenir professionnel » est sans conteste le passage d’un CPF décompté en heures à un CPF monétisé. La monétisation a vocation à garantir une plus grande lisibilité du dispositif pour ses bénéficiaires, l’unité de mesure en euros étant réputée plus concrète et précise pour les utilisateurs que l’heure de formation. Elle permet aussi de sortir d’une vision figée de la formation, traditionnellement conçue comme un bloc standardisé d’heures d’enseignement descendant à destination d’une classe spatio-temporellement réunie, et de moderniser la pédagogie. Aller vers un tarif forfaitaire comprenant, non pas des heures de formation, mais un contenu pédagogique à dispenser et des compétences à faire acquérir, de façon personnalisée et adaptée à chacun, ce qui suppose de sortir du format « classe » et d’utiliser des formes hybrides alliant « distanciel » et présentiel.
Le Gouvernement avait précisé, dès l’exposé des motifs du projet de loi, que, dans la limite d’un plafond de 5 000 euros, le rythme d’alimentation s’établirait à 500 euros par an pour un salarié effectuant au moins un mi-temps. Ces seuils ont bien été fixés par l’article 1er du décret n° 2018-1329 du 28 décembre 2018 relatif aux montants et aux modalités d’alimentation du compte personnel de formation. Il précise, en outre, que ces montants sont respectivement portés à 800 et 8 000 euros pour les salariés non qualifiés tels que définis à l’article L. 6323-11-1. L’article 4 fixe les mêmes seuils de 800 et 8 000 euros pour les personnes handicapées accueillies dans un établissement ou service d’aide par le travail, dans une volonté d’accompagner l’insertion dans l’emploi.
En sus de l’alimentation régulière des droits acquis chaque année qui constitue le « socle » du CPF, celui-ci peut faire l’objet d’abondements complémentaires notamment lorsque le coût de la formation est supérieur au montant des droits inscrits sur le compte ou aux plafonds susmentionnés, à la demande de son titulaire, conformément à l’article L. 6323-4 du code du travail.
Il est à noter que la loi du 5 mars 2014 ([4]) puis l’ordonnance du 22 septembre 2017 relative à la prévention et à la prise en compte des effets de l’exposition à certains facteurs de risques professionnels et au compte professionnel de prévention ([5]) avaient déjà ouvert et complété la possibilité d’enrichir le CPF d’heures complémentaires par plusieurs sources d’abondements :
– le titulaire lui-même et son employeur, lorsque le titulaire est salarié ;
– un organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) ou un organisme paritaire agréé au titre du congé individuel de formation (OPACIF) ;
– les organismes gestionnaires des branches « Maladie » et « Accidents du travail – maladies professionnelles », au titre du compte professionnel de prévention ;
– l’État, les régions et les communes :
– Pôle emploi, l’association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des handicapés (AGEFIPH) et les fonds d’assurance-formation des non-salariés ;
– les chambres régionales de métiers et de l’artisanat et les chambres de métiers et de l’artisanat de région ;
– l’Agence nationale de santé publique, au titre de la réserve sanitaire.
Aux termes de l’article 1er, dorénavant, toute collectivité territoriale peut procéder à un abondement complémentaire ainsi que l’Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (UNÉDIC) aux côtés de Pôle emploi et les opérateurs de compétences (OPCO) qui ont succédé aux OPCA et aux OPACIF.
La multiplication de ces sources d’abondement a pour objectif d’inciter les titulaires d’un CPF à le mobiliser pour des formations qualifiantes et professionnalisantes dont le coût peut excéder le capital qu’ils ont constitué. En effet, les entreprises ou les branches peuvent trouver un intérêt à ce que les salariés choisissent d’investir dans des formations en lien avec les enjeux de l’entreprise ou du secteur. Co-investir sur ces formations est un vecteur important d’incitation. De même l’organisation de ces abondements suppose la mise en place d’un dialogue social au sein de la branche ou de l’entreprise qui ne peut être que bénéfique à l’avènement d’une vision stratégique et partagée de la formation.
Cette réforme réaffirme donc la volonté du législateur en ce sens.
Dans une optique de simplification, la loi « Avenir professionnel » est revenue sur le système de listes de formations éligibles devenu trop complexe et inégal puisque les salariés et les demandeurs d’emploi n’avaient pas accès aux mêmes formations d’un territoire à l’autre. La suppression de ce système de listes était d’ailleurs recommandée par les partenaires sociaux dans l’ANI précité du 22 février 2018.
L’éligibilité d’une certification professionnelle n’est désormais plus conditionnée à son inscription sur une liste par les partenaires sociaux.
Aux termes du I de l’article L. 6323-6 du code du travail, sont éligibles les actions de formation sanctionnées par les certifications professionnelles enregistrées au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP), celles sanctionnées par les attestations de validation de blocs de compétences et celles sanctionnées par les certifications et habilitations enregistrées dans le répertoire spécifique des certifications et des habilitations (RSCH), comprenant notamment la certification relative au socle de connaissances et de compétences professionnelles.
Par ailleurs, aux termes du II sont également éligibles :
– les actions permettant de faire valider les acquis de l’expérience ;
– les bilans de compétences ;
– la préparation de l’épreuve théorique du code de la route et de l’épreuve pratique du permis de conduire des véhicules du groupe léger et du groupe lourd ;
– les actions de formation, d’accompagnement et de conseil dispensées aux créateurs ou repreneurs d’entreprises ayant pour objet de réaliser leur projet de création ou de reprise d’entreprise et de pérenniser l’activité de celle-ci ;
– les actions de formation destinées à permettre aux bénévoles et aux volontaires en service civique d’acquérir les compétences nécessaires à l’exercice de leurs missions, financées au titre du compte d’engagement citoyen.
La Caisse des dépôts et consignations s’est vue doter d’une mission renforcée sur le volet à la fois financier et technique. Elle est en effet saisie, en direct, par l’actif souhaitant mobiliser son CPF à travers un service dématérialisé gratuit. Aux termes de l’article L. 6323-8 du code du travail, ce service délivre les informations sur les formations éligibles. Il assure la prise en charge des actions de formation de l’inscription du titulaire du compte aux formations jusqu’au paiement des prestataires.
Les titulaires d’un CPF ont accès depuis le 21 novembre 2019, à travers le site Internet et l’application mobile « Mon Compte Formation » à leurs droits individuels et aux formations disponibles. Le paiement de l’organisme de formation est effectué par la Caisse des dépôts et consignations. L’ambition du législateur était vraiment que les bénéficiaires prennent conscience qu’ils ont des ressources à leur main dont ils peuvent facilement s’emparer. Il est prévu que cette application s’enrichisse au fil du temps pour intégrer notamment des conseils, des évaluations des formations par les utilisateurs, la possibilité d’acheter la formation en direct, etc.
2. Le recours accru au CPF est incontestable
a. Les chiffres sont sans appel quant à la réussite du CPF rénové
Il faut préciser, d’emblée, qu’à plusieurs reprises, certains acteurs auditionnés ont fait part des difficultés à évaluer l’efficacité du CPF puisqu’une réussite quantitative peut masquer des difficultés qualitatives persistantes. Néanmoins, les rapporteurs ont estimé que deux indicateurs principaux permettaient de vérifier le succès de la réforme du CPF : d’une part, l’utilisation du compte par ses bénéficiaires qui se traduit par l’ouverture du nombre de dossiers de formation et d’autre part, l’activation du compte et le téléchargement de l’application « Mon Compte Formation ». Deux autres indicateurs sont particulièrement parlants : le profil des utilisateurs du CPF (parvient-il à cibler ceux qui accèdent relativement moins à la formation que les autres, notamment les moins qualifiés, les salariés de petites entreprises, les femmes ?) et la nature des formations achetées (permettent-elles de sécuriser et de dynamiser les parcours professionnels individuels et de répondre aux besoins en compétences de l’économie ?)
L’étude d’impact du projet de loi n’avait pas quantifié le nombre de formations qui seraient suivies dans le cadre du nouveau compte personnel de formation tant l’exercice aurait été complexe.
Toutefois, on peut rappeler qu’en 2017, 579 836 formations avaient été validées dont 277 936 dossiers salariés et 301 900 dossiers demandeurs d’emploi ([6]).
D’après le rapport mené conjointement par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l’Inspection générale des finances (IGF) sur les conséquences financières de la réforme de l’apprentissage et de la formation professionnelle en avril 2020 ([7]), « les premiers résultats répondent aux attentes : entre le 21 novembre 2019, date d’initiation de la campagne de communication sur l’application dédiée, et le 24 février 2020, 1 270 000 personnes ont activé leur profil et 154 000 formations ont été engagées pour un montant de 170,2 millions d’euros financé par la Caisse des dépôts et consignations. Un dynamisme accru est attendu avec la mise en œuvre effective de la possibilité d’abondement des entreprises via l’application numérique, prévue au second semestre 2020. »
Les dernières données de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du travail (DARES) révèlent l’intérêt suscité par le CPF dès l’année 2020 : en 2020, 984 000 formations ont été suivies dans le cadre du compte personnel de formation contre 517 000 un an auparavant ([8]), soit un quasi-doublement des entrées en formation via le CPF.
FORMATIONS SUIVIES DANS LE CADRE DU CPF EN 2020
Source : DARES, octobre 2021.
Concernant l’indicateur relatif à l’utilisation du portail « Mon Compte Formation », le succès quantitatif est réel puisqu’au 31 décembre 2021, l’application avait fait l’objet de 3,8 millions de téléchargements, 2,96 millions de personnes ayant fait une demande d’inscription ([9]). Au total, 16 millions de visiteurs uniques se sont rendus sur le portail numérique.
NOMBRE DE VISITEURS uniques depuis le lancement de mon compte formation
Source : Caisse des dépôts et consignations
Concrètement, en 2020, 2,8 % de la population active française a eu recours au CPF pour réaliser une formation professionnelle continue, contre 1,5 % en moyenne entre 2016 et 2019.
ENTRÉES EN FORMATION CPF PAR MOIS ENTRE 2017 et 2020
Janvier 2019 marque l’entrée en vigueur de la réforme du CPF / novembre 2019 marque l’initiation de la campagne de communication sur l’application dédiée
Lecture : 109 600 entrées en formation CPF sont dénombrées en décembre 2020.
Champ : entrants en formation CPF ; France.
Source : Caisse des dépôts ; SI-CPF, extraction juillet 2021, traitement DARES.
Au vu de tous ces éléments chiffrés, on ne peut que souscrire à l’analyse de la DARES selon laquelle « cette forte hausse s’explique par l’ouverture fin novembre 2019 du parcours achat direct » ([10]).
Le constat de la Caisse des dépôts et consignations confirme cet engouement puisqu’elle évoque, pour sa part, une « année 2020 marquée par une explosion de la demande : le volume d’achats de formation double par rapport aux années précédentes. Ce dynamisme de la demande de formation se confirme en 2021, avec sur les six premiers mois un nombre de dossiers équivalent à celui de l’ensemble de l’année 2020. ([11]) »
Aucune voix ne s’est faite entendre lors des auditions pour contester le bilan quantitatif du CPF. Néanmoins, les opérateurs de compétences ainsi que les partenaires sociaux ont relevé que le CPF restait peu connu par les salariés, en particulier pour les entreprises de moins de 50 salariés. Certains opérateurs de compétences comme OPCO Santé ou UNIFORMATION font valoir que les OPCO pourraient jouer un rôle de levier majeur dans l’intermédiation du CPF et permettraient aux branches de se réapproprier le dispositif et de le faire connaître des salariés. Toutefois, les rapporteurs ne sont pas favorables à ce point de vue qui remettrait en cause la volonté du législateur de faire du CPF un outil à la main des salariés.
b. Le profil des bénéficiaires du CPF a évolué en faveur d’un meilleur accès pour tous
Le recours au CPF est particulièrement élevé pour les demandeurs d’emploi (4,6 % en 2020) et retrouve le niveau de l’année 2016 durant laquelle les demandeurs d’emploi avaient bénéficié d’abondements exceptionnels. Les demandeurs d’emplois représentent, en 2020, 38 % des dossiers financés par le CPF, contre 32 % en 2019 ([12]).
Ainsi que le relève la DARES, la mise en place du « parcours accès direct » « rapproche la structure des bénéficiaires de celle de la population active. » Parmi les évolutions les plus significatives, figurent le recours croissant des femmes au CPF qui représentent 50 % des utilisateurs en 2020 et le doublement pour les moins de 30 ans ([13]).
Le pari réussi d’un meilleur engagement des femmes dans la formation professionnelle grâce au CPF
L’étude d’impact du projet de loi estimait que le projet de loi, en prévoyant que tous les salariés qui travaillent à mi-temps ou plus bénéficieront des mêmes droits que les salariés à temps plein (500 euros par année de travail crédités sur le CPF), profiterait aux femmes qui représentent 80 % des salariés à temps partiel.
Il précisait que « cette mesure aura pour conséquences de renforcer l’accès des femmes à la formation professionnelle et de pallier les impacts d’un temps de travail à temps partiel très majoritairement subi. (1) »
Force est de constater que les femmes, sous-représentées aux débuts du CPF (46,2 % en 2019 selon la DARES), sont désormais presque aussi nombreuses que les hommes à mobiliser leur CPF puisque leur proportion atteint 49,8 % en 2020, ce qui les rapproche de leur part dans la population active.
(1) Étude d’impact, p. 40.
Globalement, l’âge moyen des bénéficiaires du CPF est inférieur à celui de la population active, ce qui démontre une appétence pour la formation continue dès le début de la carrière.
RÉPARTITION DES ENTRANTS EN FORMATION CPF ET DE LA POPULATION ACTIVE PAR CLASSE D’ÂGE ENTRE 2018 et 2020
Lecture : En 2020, 23 % des entrants en formation CPF ont moins de 30 ans. Les moins de 30 ans représentent 19 % de la population active en 2020.
Champ : entrants en formation CPF ; France.
Sources : Caisse des dépôts, SI-CPF, extraction juillet 2021 ; Insee, enquête Emploi 2018-2020 ; traitement Dares
Si le nombre de bénéficiaires augmente pour toutes les classes d’âge, les bénéficiaires sont plus jeunes que l’ensemble de la population active puisqu’un tiers ont entre 30 et 39 ans alors que cette classe d’âge représente moins d’un quart de la population active. La part des 40-49 ans correspond à la place qu’elle occupe parmi les bénéficiaires et parmi l’ensemble de la population active. On observe un déclin à partir de la catégorie des 50 ans et plus.
ÉVOLUTION DU NOMBRE D’ENTRANTS EN FORMATION CPF PAR CATÉGORIE SOCIOPROFESSIONNELLE EN 2019 ET EN 2020
Lecture : 100 000 ouvriers ont eu recours à leur CPF pour se former en 2020. Le nombre d’entrants ouvriers en formation CPF s’accroît de 73 % entre 2019 et 2020.
Champ : entrants en formation CPF ; France.
Sources : Caisse des Dépôts, SI-CPF ; Insee, enquête Emploi 2018-2020 ; traitement Dares.
Si toutes les catégories socioprofessionnelles ont vu leur nombre d’entrants en formation CPF très nettement augmenter entre 2019 et 2020, cette hausse est extrêmement significative pour les professions intermédiaires (+ 87 %), les ouvriers (+ 73 %) et les employés (+ 53 %), témoignant d’une démocratisation du CPF.
Au total, le succès quantitatif du CPF ne peut être démenti et a fait l’objet d’un large consensus des personnes auditionnées par la mission d’évaluation, de France compétences évoquant « une montée en puissance très forte du CPF ([14]) » aux partenaires sociaux se félicitant, lors des auditions ainsi que dans le préambule de leur accord cadre national interprofessionnel que « les salariés comme les demandeurs d’emploi sont de plus en plus nombreux à consulter et à mobiliser leur compte personnel de formation. »
c. La question de la fraude au CPF est devenue un sujet sensible
Certains acteurs auditionnés ont soulevé cette question de la fraude au CPF, devenue un sujet sensible car les démarchages sont nombreux et constants.
Trois types de fraudes peuvent être rencontrés sur l’application « Mon Compte Formation » :
– des irrégularités quant à l’éligibilité à la formation ou l’habilitation de l’organisme de formation à dispenser la formation. Ces fraudes peuvent avoir lieu au sein du système « Mon Compte Formation » ;
– des démarches commerciales agressives visant à pousser les potentiels acheteurs à acheter contre leur gré.
– dans des cas plus graves mais heureusement moins nombreux, de faux dossiers ou d’usurpations d’identité. Ces fraudes ont lieu en dehors du système (sites internet fictifs, centres d’appels, etc.) par des acteurs qui n’ont pas signé les conditions générales d’utilisation mais ils se traduisent au sein de Mon Compte Formation par des entrées en formation.
Concrètement, le bilan établi au 1er mars 2021 par la Caisse des dépôts et consignations est le suivant : 2 469 signalements qui concernent 1 186 SIRET, soit 7,3 % environ des organismes de formation sur l’ensemble du marché. Toutefois, ce chiffre reflète des réalités très différentes les unes des autres et il est difficilement interprétable en l’état. C’est pourquoi, les rapporteurs seront vigilants à la ventilation des signalements pour chacun des types de fraude qui leur sera communiquée.
Le démarchage agressif constitue aujourd’hui une nuisance massive qui envahit le quotidien des Français, bien que sans gravité. En revanche, les fraudes plus graves constituent beaucoup moins de cas mais ont des conséquences autrement plus importantes qui nous obligent à agir. Face aux inquiétudes soulevées lors des auditions, les rapporteurs ont souhaité interroger l’administration quant aux actions entreprises pour lutter contre ces cas de fraude de plus en plus médiatisés ([15]). Dans sa réponse aux rapporteurs, la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) a qualifié cette fraude « d’ampleur et de gravité inégales », indiquant qu’un travail conjoint était d’ores et déjà engagé entre les différents acteurs intervenant dans le champ de la lutte contre la fraude avec plusieurs objectifs :
– mieux identifier et anticiper les types de fraude afin de minimiser les risques ;
– agir le plus rapidement possible pour faire cesser les actes répréhensibles ;
– développer les relations partenariales entre les services et ainsi renforcer le maillage de surveillance.
Elle précise « qu’en l’état actuel, le champ de la fraude rencontrée sur Mon Compte Formation recoupe notamment des infractions aux dispositions du code du travail : réalisation de l’action, éligibilité de la formation, habilitation à dispenser la formation, et des fraudes de droit commun, relevant notamment du droit de la consommation : non-respect du code de la consommation, usurpation d’identité, escroquerie, etc. Le contrôle des prestataires de formation dans le cadre du CPF fait intervenir au premier plan la Caisse des dépôts et consignations dans le cadre des procédures prévues par les conditions générales d’utilisation de la plateforme mais également les agents de contrôle de la formation professionnelle dans le cadre du contrôle administratif et financier prévu par le code du travail. La nature des cas de fraudes constatées a toutefois rendu nécessaire l’intervention conjointe d’autres services de l’État et partenaires. »
Concernant les structures malveillantes et les pratiques commerciales agressives, la Caisse des dépôts a porté plainte à chaque fois qu’elle a pu le faire et remboursé les utilisateurs lésés.
Par ailleurs, la Caisse des dépôts a mis en place des mesures qui visent à :
– Développer les actions préventives pour détecter en amont les risques des fraudes au CPF ;
– Renforcer la sécurité à l’entrée et tout au long du dispositif de formation ;
– Porter des actions de communication ciblées en direction des publics concernés pour les sensibiliser aux enjeux de la fraude. Sur ce point, la mission d’évaluation reprend à son compte la proposition exposée par la DGEFP de « compléter l’arsenal juridique existant par l’interdiction du démarchage téléphonique des organismes de formation, sur le modèle du dispositif en vigueur pour Maprimerenov ». Cette mesure permettra d’accompagner l’ouverture de l’offre de formation engagée à partir de 2018 d’un contrôle accru de la qualité des formations dispensées et d’une plus grande régulation des pratiques commerciales des acteurs.
Proposition n° 1 : Compléter l’arsenal juridique existant par l’interdiction du démarchage téléphonique des organismes de formation.
En complément, les rapporteurs préconisent de communiquer massivement auprès des usagers sur la manière de signaler les mauvaises pratiques afin d’enrayer ce phénomène qui nuit au déploiement du CPF.
Proposition n° 2 : Communiquer massivement auprès des usagers sur la manière de signaler les mauvaises pratiques.
3. La co-construction gagnerait à se développer
Lors de l’examen du projet de loi, la rapporteure rappelait que « la possibilité de bénéficier d’abondements complémentaires rest[ait] encore largement confidentielle. ([16]) ». La loi avait précisément vocation à y remédier mais il semblerait aujourd’hui que le temps de la mise en œuvre opérationnelle et de l’appropriation de la réforme en empêche le parfait déploiement.
a. La possibilité d’abondements complémentaires n’a été ouverte que progressivement à partir de l’été 2020
La Caisse des dépôts et consignations a mis en œuvre de manière progressive les différents abondements :
– à compter du 3 juillet 2020, la possibilité d’effectuer des demandes d’abondement auprès de Pôle emploi par le biais du site ou de l’application a été ouverte ;
– à compter du 3 septembre 2020, la possibilité d’effectuer une demande auprès de son employeur ou pour un employeur de compléter les droits à la formation d’un de ses salariés a été ouverte via le lancement du Portail des Entreprises (EDEF) ;
Les modalités du portail employeurs
L’employeur dispose de 4 modalités pour compléter le CPF :
– la dotation volontaire pour inciter les salariés à se former ou à compléter le financement de leur projet de formation en cours ;
– les droits supplémentaires au titre des accords collectifs : lors de la mise en œuvre d’un accord collectif prévoyant une alimentation plus favorable pour le CPF de personnes ciblées, il revient à l’employeur d’effectuer annuellement, pour chacun des salariés concernés, le calcul des droits venant abonder son compte personnel de formation ;
– la dotation salariés-licenciés : en application d’un accord de performance collective, en cas de licenciements pour refus de modification du contrat de travail, engendrée par cet accord, l’employeur doit verser aux salariés concernés une dotation d’un montant de 3 000 euros minimum. L’accord peut prévoir un montant supérieur ;
– les droits correctifs : à la suite du bilan des entretiens professionnels réalisé au bout de six ans, si l’employeur n’a pas rempli ses obligations, il devra verser à son salarié 3 000 euros de droits à la formation.
Concrètement, l’employeur peut désormais engager un co-investissement de deux manières : soit individuellement, entre salariés et employeurs, notamment à l’occasion de l’entretien professionnel durant lequel les questions de co-construction et d’ingénierie de formation sont abordées, soit collectivement à travers un accord d’entreprise qui peut définir la population ou les métiers cibles.
Exemples d’abondements par les entreprises et les opérateurs de compétences
● Depuis juillet 2021, l’opérateur de compétences OCAPIAT a signé un accord permettant d’abonder les CPF pour les entreprises de moins de 50 salariés en provisionnant une enveloppe de 5 millions d’euros. Avec plus de 98 % d’entreprises de moins de 50 salariés et 96 % de moins de 11, un gros enjeu d’OCAPIAT est de parvenir à faciliter l’accès à la formation pour les salariés des TPE. Cette enveloppe est financée pour partie par leurs fonds propres. L’initiative connaît un réel succès, puisque seulement quelques mois après sa mise en route, 94 % des montants dédiés ont été utilisés.
Par ailleurs, l’OPCO a également signé un accord portant sur un abondement conventionnel doté d’une enveloppe d’1 million d’euros pour le secteur alimentaire. Les abondements sont ciblés sur des formations répondant aux besoins de ces branches et les métiers en tension. Il concerne toutes les entreprises de ces branches, quelle que soit leur taille. Le succès est moindre, seulement 13 % de l’enveloppe ayant été dépensée à ce jour. L’explication qu’ils donnent est que l’activation de ces financements est plus complexe pour le deuxième dispositif. Dans le premier, le montant est abondé automatiquement lors de l’achat de la formation par le salarié. Dans le second, la démarche semblerait plus complexe. Des échanges sont en cours entre OCAPIAT et la CDC pour identifier les possibilités de simplification du processus, et adopter au maximum une orientation client dans la mise en œuvre de ces abondements.
● Certaines entreprises, comme L’Oréal ou Schneider Electric, abondent les dossiers CPF à la hauteur du reste à charge. Schneider Electric a conclu un accord avec les partenaires sociaux permettant de financer en totalité les dossiers CPF pour les salariés dont le niveau est infra bac et à plus de 50 % pour ceux qui ont un niveau supérieur au bac.
Source : Table ronde « Une dynamique de financement ouverte à l’ensemble des acteurs de formation » organisée par le ministère du Travail le 28 octobre 2021.
Évolution des validations de dotations ENTREPRISES par type
Source : Caisse des dépôts et consignations
b. Les pratiques de co-abondement se développent mais restent faibles
Au 30 octobre 2021, 105 millions d’euros d’abondement étaient financés par Pôle emploi et 49 millions par les entreprises ([17]). Seuls 6 000 employeurs environ ont initié des dotations complémentaires, un chiffre encore faible pour engager une réelle co-construction avec les salariés.
LES ABONDEMENTS PAR PÔLE EMPLOI ET LES EMPLOYEURS
Source : DGEFP.
Il est vrai que la table ronde réunissant les partenaires sociaux ainsi que les auditions des organisations patronales ont permis de mettre en évidence les difficultés rencontrées par les employeurs dans la procédure d’abondement. En effet, les partenaires sociaux font valoir que l’interface de gestion des accords manque d’opérationnalité pour réellement permettre à une branche professionnelle ou à une entreprise qui a négocié un accord collectif d’acheter les formations.
Depuis fin 2020, une expérimentation a été lancée avec les Régions afin de simplifier le traitement de l’abondement pour l’employeur. Cette expérimentation s’est amplifiée en 2021 et sera suivie de près par les rapporteurs qui estiment que cette expérimentation semble aller dans le bon sens. Grâce à une convention signée entre le financeur et la Caisse des dépôts, la Région délègue à la Caisse à la fois l’instruction de l’attribution de l’abondement, sur la base des conditions fixées par lui, et les crédits afférents.
Lors des tables rondes réunissant les nouveaux opérateurs de compétences, il est apparu que les accords de branche tardaient également à se mettre en place pour abonder les CPF des salariés. Ainsi, l’OPCO Santé a précisé que si l’accord avait bien été signé en septembre 2020, il n’était toujours pas étendu à la branche en juin 2021 ([18]).
Dans l’accord-cadre, les partenaires sociaux estiment que « la réforme de 2018 n’a pas atteint ses objectifs en matière de co-construction et de co-investissement : les pratiques d’abondement par les entreprises se développent mais demeurent marginales, peu connues et difficiles à mettre en œuvre ([19]). » Pour y remédier, ils préconisent en plus de la simplification de l’interface sur le site et l’application déjà évoquée supra, un « accès dynamique au fichier source de la Caisse des dépôts et consignations de l’ensemble des certifications et formations éligibles au CPF ouvert aux entreprises. »
Les rapporteurs souscrivent au constat d’une nécessaire simplification, notamment pour les actions collectives, sur le site et l’application « Mon Compte Formation. »
Proposition n° 3 : Simplifier la procédure d’abondement, notamment pour les actions collectives sur le site et l’application « Mon Compte Formation ».
Ce constat est d’autant plus regrettable que la co-construction permet aux salariés de s’orienter vers des formations plus longues et plus professionnalisantes qui répondent aux problématiques et aux défis en termes de compétences de la branche dans laquelle ils évoluent. Cette dimension de la réforme est importante pour développer une culture de la formation dans le dialogue social, pour que les entreprises de plus de 50 salariés puissent mobiliser des fonds co-investis, pour assurer l’efficacité de la formation. Les rapporteurs sont convaincus que ce modèle conduit à une bonne qualité et une efficacité de la formation professionnelle en France et saluent les efforts déjà fournis en ce sens.
c. Les formations moins professionnalisantes, un enjeu hautement stratégique
Les données de la DARES sur les domaines de formation les plus sollicités en 2020 font état d’un engouement toujours prononcé pour les formations visant à l’obtention du permis de conduire et à l’apprentissage des langues vivantes. En effet, les formations visant à l’obtention du permis de conduire de catégorie B ont été multipliées par quatre entre 2018 et 2020 et représentent 12,8 % des entrées en formation en 2020. Cette formation est bien évidemment profitable dans de nombreux cas et il ne s’agit pas de remettre en cause son caractère nécessaire dans l’accès à l’emploi. De la même manière, les langues restent le deuxième domaine le plus important, représentant 17 % des entrées en formation. Toutefois, cette part a nettement diminué puisque les langues représentaient plus d’un quart des formations en 2018 (25,9 %).
En revanche, le CPF est devenu un véritable outil d’accompagnement pour les bénéficiaires aspirant à une activité indépendante puisque parmi les diverses formations entrepreneuriales, les actions de formation dispensées aux créateurs/repreneurs d’entreprise ont été multipliées par onze entre 2019 et 2020 et représentent 7,7 % des formations réalisées. En ce qui concerne les bilans de compétences, ils continuent à croître au même rythme qu’avant la réforme.
Les usagers achètent donc des formations générales et généralistes qui peuvent avoir leur utilité mais n’entrent pas directement en lien avec leur activité ou les perspectives de développement de leur secteur économique.
ÉVOLUTION DU NOMBRE D’ENTRÉES EN FORMATION POUR LES FORMATIONS PARMI LES PLUS DEMANDÉES ENTRE 2016 et 2020
Lecture : 126 243 formations au permis de conduire de catégorie B ont été réalisées en 2020 contre 32 596 en 2019.
Champ : Entrants en formation CPF ; France.
Sources : Caisse des dépôts, SI-CPF, extraction juillet 2021 ; traitement Dares.
Il ressort également que le coût moyen des dossiers de formation a nettement diminué depuis l’entrée en vigueur de la réforme.
ÉVOLUTION DU COÛT MOYEN DES DOSSIERS DE FORMATION
Le coût moyen « MCF » désigne le coût moyen après le déploiement du portail numérique et de l’application « Mon Compte Formation » en novembre 2019.
Source : Caisse des dépôts et consignations, septembre 2021.
Toujours dans son étude d’octobre 2021, la DARES constate que le choix des salariés s’est davantage porté sur des formations courtes, ce qui peut expliquer la baisse du coût moyen de celles-ci. Ce recours accru aux formations courtes peut lui-même s’expliquer par la faible possibilité de bénéficier de financements supplémentaires. C’est là un vrai point de blocage si l’on veut tendre vers un recours à des formations plus professionnalisantes, qui était la volonté du législateur en 2018. De l’avis unanime des partenaires sociaux lors de la table ronde organisée dans le cadre des travaux de la mission, la professionnalisation du CPF est un impératif à court terme. Le législateur appelait clairement de ses vœux, lors de la réforme, une réorientation du CPF trop mobilisé pour des formations comme le permis de conduire – bien qu’il contribue dans de nombreuses situations à l’insertion dans l’emploi – ou aux formations en langues vivantes.
Le Pic, un dispositif qui privilégie les formations longues
Le plan d’investissement dans les compétences a donné la priorité aux formations longues pour les publics en difficulté, ce qui est bienvenu, et une action complémentaire aux formations plus courtes mobilisées via le CPF.
Dans son rapport du 25 novembre 2021, le comité scientifique indépendant d’évaluation du plan d’investissement dans les compétences estime « qu’il n’est pas encore possible de mesurer l’effet du Pic sur la valeur ajoutée de la formation des demandeurs d’emploi en France à la fois parce que c’est trop tôt et en raison des effets sanitaires qui ont percuté sa mise en œuvre ». Toutefois, il est indéniable que le Pic est monté rapidement en puissance avec 905 000 personnes formées grâce à ce dispositif en 2019.
Parmi les acteurs auditionnés, tant pour Régions de France que pour le Syndicat national des organismes de formation (Synofdes), le Pic a permis grâce à l’accent mis sur les formations longues de réinsérer un certain nombre de personnes éloignées de la formation professionnelle, ce qui représente une avancée très importante.
Le comité scientifique observe, en effet, une corrélation entre les formations suivies et l’insertion professionnelle : un an après l’entrée en formation, le taux de retour à l’emploi était supérieur de sept points pour les personnes formées par rapport à des demandeurs d’emploi de profil comparable.
Avec un montant moyen du compte de formation qui s’établit à 1 235 euros, les bénéficiaires cherchant à réaliser une formation plus longue et donc plus coûteuse peuvent peiner aujourd’hui à la financer grâce à leur seul abondement, bien qu’ils puissent atteindre des cumuls de droits plus élevés puisque ceux-ci sont plafonnés à 5 000 euros voire 8 000 euros selon les profils. Le co-investissement par les entreprises ou par les branches est un moyen prometteur de conseiller et d’inciter les salariés à faire des investissements pertinents pour leur secteur d’activité. Les rapporteurs plaident pour que ces acteurs s’emparent de cette possibilité et de cette philosophie du co-investissement.
Aussi, les rapporteurs estiment que le salarié doit pouvoir utiliser son CPF abondé pour financer toute formation prévue dans l’accord de branche. Cette utilisation doit pouvoir valoir pour des formations qui ne font pas partie de la liste des formations éligibles au CPF. Le double objectif poursuivi par cette recommandation est d’une part, de professionnaliser les formations accessibles par le CPF et d’autre part, de favoriser la concordance entre les formations suivies via le CPF et les besoins stratégiques de la branche. Il y a, de surcroît, toutes les raisons de penser que cette utilisation du CPF permettra de faire vivre le dialogue social autour de la formation. C’est d’ailleurs la démarche qu’a choisie un opérateur de compétences comme OCAPIAT.
Proposition n° 4 : Mobiliser son CPF pour financer toute formation prévue dans l’accord de branche.
Dans le même ordre d’idée, les rapporteurs partagent la mesure proposée par les partenaires sociaux dans l’accord-cadre de mieux informer les salariés vers une démarche de professionnalisation à l’occasion des entretiens professionnels.
Proposition n° 5 : Mieux informer les salariés vers une démarche de professionnalisation à l’occasion des entretiens professionnels.
4. Le succès du CPF demande à revoir les modes de financement et de régulation du système pour en assurer la soutenabilité
a. Le compte personnel de formation coûte un peu plus de 2 milliards chaque année et est appelé à encore se développer
Le financement du compte personnel de formation est assuré par la Caisse des dépôts et consignations sans autre contingentement que celui des droits individuels ouverts, selon une logique dite de « guichet ouvert ». Cette logique de « guichet ouvert » est un choix politique assumé très fort qu’il ne s’agit, en aucun cas, de remettre en cause.
Le succès du CPF est tel qu’il pose la question d’un financement revu pour en assurer la pérennité, une question qui sera développée ultérieurement dans la partie abordant le déficit de France compétences lié à la fois au financement du compte personnel de formation et à la réforme des contrats d’apprentissage.
L’étude d’impact du projet de loi estimait, compte tenu de l’évolution de la masse salariale, le financement dédié au CPF suivant ([20]) :
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2,1 milliards |
2,1 milliards |
2,2 milliards |
2,3 milliards |
Dans sa délibération du 24 juin 2021 révisant sa délibération du 17 décembre 2020, France compétences estime à 2,3 milliards le budget 2021 consacré au compte personnel de formation, soit une hausse de 857 millions d’euros par rapport au budget initial.
Pour 2022, France compétences prévoit un financement du CPF de l’ordre de 2,6 milliards d’euros, selon sa dernière délibération du 25 novembre 2021.
La montée en charge du CPF semble donc légèrement supérieure à ce qui était attendu par l’étude d’impact.
Dans leur accord-cadre d’octobre 2021, les partenaires sociaux se montrent inquiets pour le financement à terme du CPF pointant que la « volonté gouvernementale de faire du CPF un outil à la main des individus, sans intermédiation, a entraîné une situation de dépenses incontrôlées, obligeant les acteurs à penser des solutions de régulation. ([21]) ».
Dans le rapport précité sur les conséquences financières de la réforme de l’apprentissage et de la formation professionnelle, l’IGAS et l’IGF estimaient que « sous l’effet du développement de l’apprentissage et du recours au CPF, et dans l’hypothèse d’une stabilité du montant moyen du niveau de prise en charge des dispositifs, le volet dépenses est soumis à une forte dynamique haussière. Dans le même temps, les recettes demeurent contraintes […]. Ainsi, sur la période 2020-2023, la réforme devrait produire, selon la projection tendancielle dite centrale de la mission, un besoin de financement de l’ordre de 4,9 milliards d’euros. ([22])
Pour autant, au vu de ces chiffres, il semble que le déficit de financement concerne surtout l’apprentissage, la montée en charge du CPF n’étant pas très éloignée de l’attendu. Par ailleurs, toute régulation du CPF irait à l’encontre de la philosophie de la réforme de 2018 qui visait précisément à en faire un droit à la seule main des salariés.
b. La logique de guichet ouvert est un choix politique fort qu’il ne s’agit en aucun cas de remettre en cause
Le rapport conjoint de l’IGAS et l’IGF admet qu’un système « d’enveloppes fermées » pour le CPF paraît à exclure absolument tant il serait contraire à la réforme et reviendrait finalement à une version très centralisée du système antérieur ([23]).
Il va même plus loin en reconnaissant que « la conception même du CPF empêche en pratique tout mécanisme de régulation qui ne remette pas en cause son principe même » ([24]). Les mécanismes envisagés par cette mission sont, en effet, incompatibles avec l’esprit de la réforme ;
– l’instauration d’un ticket modérateur pour plafonner la quote-part de la formation pouvant être financée via le CPF pour certaines formations comme le permis de conduire serait contraire à la maîtrise de son compte par le titulaire d’un compte CPF ;
– plafonner le montant pris en charge par le CPF laisserait un reste à charge aux salariés ou nécessiterait un abondement des entreprises ;
– abaisser le montant du crédit annuel de 500 euros à 400 euros n’aurait qu’un effet budgétaire incertain et sans doute très différé dans le temps. Cette mesure désinciterait, de surcroît, le recours à des formations plus longues donc plus coûteuses.
B. LE CONSEIL EN ÉVOLUTION PROFESSIONNELLE, UN DISPOSITIF À FORT POTENTIEL QUI GAGNERAIT À ÊTRE MIEUX CONNU DES SALARIÉS
La loi a introduit une nouveauté de taille pour accompagner l’usager et le conseiller dans la bonne utilisation de ses ressources pour se former : le conseil en évolution professionnelle. Si ce dispositif existait déjà depuis 2014 ([25]), il n’était pas financé pour les salariés du privé, qui en pratique, n’avaient pas accès à ce service de conseil. La réforme a permis ce financement et la désignation d’opérateurs, partout sur le territoire.
Ainsi concrètement, tout travailleur peut maintenant bénéficier à sa demande d’un conseil gratuit et personnalisé, complètement indépendant de son employeur, au sujet de son parcours professionnel et de formation. C’est un dispositif complémentaire au CPF, car en laissant la main aux individus dans leur achat de formation, il est également nécessaire de les accompagner, de les aider à se poser certaines questions, à y répondre, à faire les choix qui leur correspondent le mieux.
1. La montée en charge du CEP est incontestable mais reste encore limitée…
a. Le CEP reste un dispositif trop confidentiel
L’étude d’impact établissait le nombre de bénéficiaires du CEP à 1,5 million en 2016, une hausse significative en comparaison avec les 732 195 bénéficiaires en 2015. Toutefois, ce conseil restait essentiellement, dans les faits, réservé aux demandeurs d’emploi (89,55 % des accompagnements CEP) ([26]). Le dispositif n’étant pas financé pour les actifs occupés, ils ne représentaient logiquement que 10 % des bénéficiaires de cet accompagnement.
Les prestations de conseil en évolution professionnelle sont désormais financées par une part de la contribution formation professionnelle comprise entre 0,5 % et 6 %. En 2021, France compétences y a consacré 82 millions d’euros, soit 0,93 % de ses dépenses, ([27]) et envisage de dépenser 100 millions d’euros en 2022 ([28]).
D’après les données fournies par la DGEFP, 79 760 actifs occupés ont eu recours au CEP au premier semestre 2021, soit 75 % de plus qu’au premier semestre 2020. 100 937 actifs occupés ont été accompagnés en 2020 ([29]), ce qui représente une part très faible de la population active. L’étude d’impact estimait que le financement du CEP pour les actifs occupés permettrait à environ 200 000 actifs d’être accompagnés par an.
Force est de constater que l’objectif quantitatif n’est pas atteint. Toutefois, pour France compétences, le recours au conseil en évolution professionnelle par les actifs occupés est prometteur car supérieur au recours auprès des Fongecif et Opacif en 2018 qui comptait 88 528 premières entrées.
b. Un excellent taux de satisfaction des bénéficiaires du CEP
Afin de s’assurer de la qualité du service rendu, France compétences diffuse des questionnaires de satisfaction aux bénéficiaires du CEP.
Sur le premier semestre 2021, un premier bilan a permis d’évaluer le taux de satisfaction des bénéficiaires du CEP actifs occupés à 91 %. D’après France compétences, ce taux reflète principalement la qualité de la relation avec le conseiller.
Quant au taux de satisfaction relatif aux critères d’accessibilité, d’efficacité et d’utilité, il avoisine les 90 %, ce qui en fait également un excellent score.
Il est d’autant plus regrettable qu’un dispositif si plébiscité par ses bénéficiaires reste autant méconnu des salariés.
c. La mobilisation du CEP reste très orientée vers la reconversion professionnelle...
D’après l’Association pour l’emploi des cadres (APEC) auditionnée par les rapporteurs lors d’une table ronde consacrée au CEP, le recours au CEP est élevé pour les projets de reconversion, de création d’entreprise et de formation chez les cadres de moins de 35 ans. Ce constat est corroboré par les données fournies par France compétences. En effet, la prise de recul sur sa situation et la reconversion représentent 42 % des motifs de sollicitations du CEP auxquels s’ajoutent l’appui à la rédaction et le dépôt d’un dossier de demande de prise en charge d’un projet de transition professionnelle (17 %) ou de démission reconversion (15 %).
Le lien entre CEP et transition professionnelle est somme toute assez logique puisque le CEP a été intégré de manière obligatoire dans le parcours « démission reconversion » puis dans le parcours « transition collective », ce qui a eu pour effet d’en favoriser la visibilité.
Toutefois, il est vrai que le CEP gagnerait à être reconnu dans sa fonction de référent de confiance pour tout conseil professionnel (par exemple : projets d’évolution ou de formation au sein même de son entreprise, équilibre de vie au travail, projet de validation des acquis de l’expérience, etc.). Il serait regrettable qu’il soit réduit à la seule fonction de réorientation vers d’autres services d’accompagnement ou d’appui administratif pour engager des projets lourds de reconversion.
Lors de son audition, l’APEC a souligné l’impact très positif auprès des cadres en emploi accompagnés par le conseil en évolution professionnelle. Les cadres concernés estiment être davantage acteurs de leur parcours professionnel. Le recours au CEP permettrait à plus de cadres de concrétiser leur projet de mobilité externe et diminuerait la durée de chômage de trois mois ([30]).
2. ... malgré des initiatives qui vont dans le bon sens
a. Le maillage territorial est renforcé par la diversification des opérateurs du CEP
L’une des principales innovations introduites par la réforme de 2018 est la participation de nouveaux opérateurs du CEP, désignés par France compétences par appel d’offres, pour délivrer le service auprès des salariés du secteur privé. La proximité géographique entre les opérateurs du CEP et les bénéficiaires du conseil, avec un fort maillage territorial, a été un critère prééminent dans la désignation de ces nouveaux acteurs.
Les opérateurs historiques (Pôle emploi, CAP Emploi, les missions locales et l’APEC) continuent d’exercer leurs missions aux côtés de ces nouveaux opérateurs. Seul l’OPACIF a disparu avec la transformation du CIF.
Lors de la table ronde consacrée au CEP ([31]), France compétences a rappelé que la plupart des dix-huit opérateurs régionaux sélectionnés étaient des groupements de plusieurs entreprises. Deux types de groupements sont représentés dans plusieurs régions : le « Groupement évolution » qui réunit les entreprises Tingari et Catalys, d’une part et les groupements impliquant un centre interinstitutionnel de bilans de compétences (CIBC), fédérés au sein du « réseau Eva », d’autre part. France compétences a conclu avec chacun d’entre eux un accord-cadre d’une durée de quatre ans. En 2019, le budget du marché a été estimé à 450 millions d’euros ([32]).
LES OPÉRATEURS DÉSIGNÉS PAR France COMPÉTENCES
Source : France compétences
Selon France compétences, les opérateurs régionaux se sont attachés à déployer, dans leurs outils, leurs méthodes et leurs partenariats des liens avec les OPCO, Pôle emploi, les centres animation ressources d’information sur la formation-observatoire régional emploi formation (Carif-Oref) et les organisations professionnelles présentes sur les territoires pour matérialiser la prise en compte des besoins économiques et sociaux de ces derniers, clairement définis par la loi.
Ces opérateurs doivent toujours respecter un cahier des charges, revu par l’arrêté du 29 mars 2019 qui s’est substitué au précédent cahier des charges en date du 16 juillet 2014. Ce nouveau cahier des charges a été construit, comme le précédent, sur la base des recommandations de l’accord national interprofessionnel du 22 février 2018.
Il faut préciser que France compétences s’est vue confier par la loi le suivi et l’évaluation de la mise en œuvre du CEP au niveau national, en associant des représentants des opérateurs, afin d’ajuster en continu les objectifs en termes de volume d’activité fixés aux opérateurs pour organiser la montée en charge du dispositif.
Le suivi de la mise en œuvre est réalisé sur la base d’un socle d’indicateurs communs à l’ensemble des opérateurs du CEP. Au grand regret de France compétences, ce suivi n’a, à ce stade, pas été déployé faute de ressources disponibles pour l’organiser au sein de la Commission évaluation de France compétences. L’opérateur précise néanmoins qu’un projet d’évaluation du marché du CEP à destination des actifs occupés doit être stabilisé pour un déploiement en 2022.
Pour les acteurs auditionnés sur ce sujet à l’instar de Cheops, intervenant pour le réseau Cap Emploi, l’arrivée des opérateurs régionaux a mis en avant une grande communication et une meilleure lisibilité du dispositif, un constat corroboré par l’APEC qui estime que « la communication autour de la loi puis la modernisation et l’harmonisation autour de l’identité du CEP ont eu une vertu de visibilité certaine ».
b. La communication autour du CEP s’est améliorée
Faire en sorte que le CEP soit identifié par les salariés comme un service public gratuit et accessible est un gage de la réussite de la réforme de 2018.
Lors de la table ronde regroupant les différents opérateurs, l’APEC a pointé un écueil potentiel de la réforme : la multiplication des opérateurs a d’un côté, permis d’augmenter la visibilité du CEP mais l’a, en même temps, positionné dans un champ concurrentiel qui rend difficile pour les actifs d’identifier ces opérateurs privés comme un service public gratuit et accessible.
Afin d’enrichir la communication autour de ce dispositif d’accompagnement, la DGEFP signale les nombreuses actions déjà entreprises depuis 2019 pour améliorer la communication autour de ce service :
– la réalisation et la mise à jour de documents de communication à destination des actifs ;
– la refonte et le développement du site mon-cep.org amené à devenir le site de référence des actifs occupés ;
– la valorisation et le renforcement de la visibilité du CEP sur la page d’accueil du site moncompteformation.gouv.fr, rénové en novembre 2021.
PAGE D’ACCUEIL DU PORTAIL MON COMPTE FORMATION
– l’organisation des « semaines de l’évolution professionnelle » qui se sont déroulées du 4 au 15 octobre 2021 et ont réuni 7 558 participants aux 100 webinaires gratuits animés par des conseillers en évolution professionnelle. 45 % des participants avaient le statut de salarié et 27 % étaient demandeurs d’emploi.
3. Résorber le déficit de notoriété du CEP est un impératif à court terme
a. Le constat d’une méconnaissance du CEP est unanimement partagé
La table ronde organisée sur le CEP a permis de mettre en évidence le défi que représente le déficit de notoriété du CEP. Pour Cheops, « la communication autour du CEP pour le grand public ne permet pas aux personnes concernées de se saisir pleinement du dispositif ». Dans le même état d’esprit, France compétences regrette que les actifs ayant connu le CEP par leur employeur restent trop rares (seulement 6 %).
Lors de la table ronde organisée avec les opérateurs de compétences, plusieurs d’entre eux ont souligné que le CEP était également trop éloigné des branches professionnelles qui pourraient, pourtant, concourir à en assurer la publicité auprès des salariés.
Pour la Caisse des dépôts et consignations, il faudrait renforcer l’information sur la plateforme « Mon parcours handicap » et visibiliser le rôle du CEP dans les territoires pour accompagner les personnes en situation de handicap.
b. Assurer une communication plus forte, sur tout le territoire, autour du CEP
Reprenant à son compte le constat de l’Union nationale des missions locales pour qui les conseils régionaux ne se sont pas emparés de la même manière du CEP, créant des disparités selon les régions, les rapporteurs estiment opportun d’évaluer et de s’assurer d’un niveau de qualité égal des CEP entre les Régions.
S’il est vrai que France compétences ne peut pas faire de campagne nationale pour promouvoir les CEP, il n’en demeure pas moins que chaque salarié et demandeur d’emploi doit être mieux informé de l’existence du CEP.
Proposition n° 6 : Renforcer l’information de l’existence du CEP pour chaque salarié et demandeur d’emploi.
C. UN NOUVEAU FLÉCHAGE des fonds DU PLAN DE DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES VERS LES PETITES ENTREPRISES
Afin de remédier au faible accès des salariés des PME à la formation professionnelle, le législateur a souhaité bâtir un nouveau système de solidarité financière entre petites et grandes entreprises pour le financement du plan de développement des compétences, qui vise à mutualiser uniquement au profit des entreprises de moins de 50 salariés.
Avant la réforme, le plan de formation – qu’a remplacé le plan de développement des compétences – était financé par les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) selon les contributions de la masse salariale brute suivantes ([33]) :
– 0,40 % pour les entreprises de moins de 11 salariés ;
– 0,20 % pour les entreprises de 11 à 49 salariés ;
– 0,10 % pour les entreprises de 50 à 299 salariés.
Pour rappel, la contribution générale, qui n’a pas été modifiée par la réforme, s’élève à 0,55 % pour les entreprises de moins de 11 salariés et 1 % pour les entreprises de plus de 11 salariés.
Les entreprises de 300 salariés et plus contribuaient au développement de la formation professionnelle continue à hauteur de 1 % de la masse salariale, comme toutes les entreprises d’au moins 11 salariés mais leur contribution ne faisait l’objet d’aucune affectation au titre du plan de formation. C’est par le biais de financement direct de la formation ou de versements conventionnels ou volontaires à un OPCA que les entreprises assuraient le financement de leur plan de formation.
DONNÉES RELATIVES AU PLAN DE FORMATION EN 2018 AVANT LA RÉFORME
|
Plan moins de 11 salariés |
Plan 11 à 49 |
Plan 50 à 299 |
Collecte comptabilisée en 2018 |
418 millions d’euros |
193 millions d’euros |
121 millions d’euros |
Nombre d’entreprises versantes au titre de l’année 2018 |
1,2 million |
135 408 |
31 550 |
Nombre de salariés concernés |
6 millions |
4,7 millions |
3,5 millions |
Contribution moyenne par entreprise au titre de l’année 2018 |
352 euros |
1 423 euros |
3 850 euros |
Source : Annexe au projet de loi de finances pour 2020 – Formation professionnelle.
Depuis la réforme, la contribution unique à la formation et à l’apprentissage finance le plan de développement des compétences des TPE ainsi que le CPF, la formation des demandeurs d’emploi et les formations en alternance.
Avant la réforme, toutes les entreprises de moins de 300 salariés pouvaient accéder aux fonds mutualisés pour financer leur plan de formation.
En nette rupture avec cette philosophie, les contributions sont à présent réparties au regard du nombre d’entreprises de moins de 50 salariés et du nombre de salariés couverts de chaque opérateur de compétences et sont donc déconnectées des entreprises versantes du champ de l’OPCO, le poids de chaque critère étant décidé par délibération du Conseil d’administration de France compétences.
Cette modification a été introduite progressivement puisqu’en 2019, les OPCO avaient toujours une base directe issue de la collecte des entreprises de leur champ d’intervention, et se voyaient ensuite attribuer une enveloppe supplémentaire. D’après les données fournies par la DGEFP, les OPCO ont collecté sur cette année 500 millions d’euros auprès de leurs entreprises adhérentes et reçu une dotation supplémentaire de 127 millions de France compétences ([34]).
Les mesures relatives à l’entretien professionnel sont difficilement évaluables
Dans la lignée de la réforme du plan de développement des compétences à l’article 8 de la loi, l’entretien professionnel obligatoire a lui aussi été amenagé pour répondre aux besoins des entreprises et des salariés.
L’entretien professionnel a été conçu par l’ANI du 5 décembre 2003 afin d’instaurer un dialogue entre le salarié et l’entreprise autour du développement des compétences et des perspectives d’évolution professionnelle.
Depuis la loi du 5 mars 2014, tout salarié bénéficie, quelle que soit la taille de son entreprise, d’un entretien professionnel tous les deux ans.
Un régime spécifique est prévu tous les six ans par la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 : à cette échéance, l’entretien professionnel se transforme en un état des lieux récapitulatif du parcours professionnel du salarié au cours duquel il se voit remettre un document permettant de vérifier qu’il a bien bénéficié de différentes actions de formation.
La loi « Avenir professionnel » a permis qu’un accord collectif d’entreprise ou de branche puisse prévoir une périodicité différente.
La crise sanitaire a, malheureusement, différé la possibilité d’établir un bilan des premiers entretiens « état des lieux » à six ans puisque la date limite de mars 2020 fixée pour les salariés présents depuis mars 2014 dans l’entreprise a été reportée par l’ordonnance du 1er avril 2020 qui prévoit d’une part, que la date limite de réalisation des entretiens prévus en 2020 et au premier semestre 2021 soit reportée au 30 juin 2021 et d’autre part, que les dispositions relatives à l’abondement correctif soient suspendues jusqu’au 30 septembre 2021.
Néanmoins, les enquêtes réalisées par le CEREQ montrent que la mise en œuvre des entretiens professionnels demeure très insuffisante puisque seulement une moitié des salariés en ont bénéficié en 2017-2018, un niveau stable depuis 2015 (1).
(1) Christine Durieux, Laurence Baraldi, « L’entretien professionnel peut-il contribuer au développement des compétences ? », CEREQ, septembre 2020.
1. Le nouveau système de mutualisation au profit des petites entreprises peine à convaincre
Les ressources globales destinées au financement du plan de développement des compétences ont baissé de 17 %, entre 2019 et 2020, passant de 627 millions d’euros à 524 millions d’euros ([35]). Cette baisse doit toutefois être replacée dans le contexte de la crise sanitaire qui a eu un impact très fort sur les ressources de France compétences et des opérateurs de compétences. En l’état, cette donnée est donc difficilement évaluable et comparable.
Concrètement, la réforme a eu pour effet de redistribuer les fonds entre OPCO. Ainsi l’OPCO interindustriel (OPCO 2i) qui se caractérise par des entreprises de grande taille reverse un montant à France compétences alors qu’un OPCO qui comprend de nombreuses entreprises de petite taille comme Constructys ou OPCO EP se voit attribuer une dotation supplémentaire.
OPCO 2i précise qu’il disposait avant la réforme d’une capacité de 100 millions d’euros pour les entreprises de moins de 50 salariés et ne reçoit désormais de la part de France compétences qu’une enveloppe de 30 à 35 millions d’euros, qu’il estime très nettement insuffisante pour faire face aux besoins de formation dans ce secteur industriel clé. Dans le même temps, l’industrie se retrouve première contributrice du développement des compétences de l’ensemble des salariés des autres branches avec une collecte de près de 80 millions d’euros.
Les rapporteurs soulignent à ce sujet qu’il est précisément dans l’esprit de la réforme de réserver les fonds mutualisés pour les petites entreprises qui n’ont aujourd’hui pas les moyens d’investir en propre sur la formation et non pour celles qui ont des services experts en ingénierie financière qui savent aller chercher les financements mutualisés.
De manière générale, la réforme ayant abouti à la réduction du nombre de bénéficiaires des fonds de financement, il n’est pas illogique qu’un certain nombre de critiques, plus ou moins virulentes, se soient exprimées lors des travaux de la mission d’évaluation. Certains opérateurs de compétences portent un regard acerbe sur ce point de la réforme, Opco 2i estimant par exemple que « les conséquences de la loi sur les moyens à disposition du développement des salariés des entreprises de moins de cinquante salariés sont catastrophiques ([36]) », rejoignant le bilan d’un « effondrement » des plans de développement des compétences pour les entreprises de moins de 50 salariés dressé par l’OPCO ATLAS ([37]).
Interrogée sur ce point, la DGEFP indique que la rupture radicale avec le système précédent « a pu occasionner des incompréhensions et des mécontentements, en particulier pour les OPCO marqués par les grandes entreprises : ATLAS (banque et conseil), OPCO 2i et OPCO Santé » ([38]).
Les partenaires sociaux s’alarment dans leur accord-cadre que la réforme soit également préjudiciable aux entreprises de 50 à 300 salariés qui ne bénéficient plus de l’accès à la mutualisation des fonds, ce qui s’est traduit par « une baisse significative des dépenses engagées en matière de formation par ces entreprises » et les privent d’un interlocuteur dédié.
Ainsi que l’ont souligné les organisations patronales, à l’instar de l’U2P, beaucoup d’entreprises de 50 à 299 salariés ne disposent pas de service de ressources humaines, ni d’équipes dédiées à l’ingénierie des dossiers de formation. Or, quand le financement mutualisé existait, ces entreprises pouvaient se reposer sur les OPCA, ce qui n’est plus possible aujourd’hui étant donné les OPCO n’ont plus de mandat pour intervenir en soutien aux entreprises de plus 50 salariés.
Toutefois, interrogée sur ce point important de la réforme, la DGEFP tient à relativiser la baisse des ressources globales. D’une part, les OPCO disposaient de réserves sur le plan de développement des compétences qu’ils ont pu mobiliser. D’autre part, les conséquences économiques de la crise sanitaire ont conduit à la mobilisation du FNE-Formation, renforcé de manière temporaire pour faire face aux besoins des entreprises en activité partielle pour un montant de 333,8 millions d’euros en 2020. 99 % des dossiers ont été mis en place par les opérateurs de compétences. Selon la DGEFP, 40 % de ces crédits ont, de surcroît, bénéficié aux entreprises de moins de 50 salariés ([39]).
La DGEFP confirme le maintien d’un effort significatif en 2021 et 2022 avec un budget de près de 390 millions d’euros consacré à la formation des salariés des entreprises impactées par la crise, avec un « régime d’intervention plus avantageux pour les entreprises de petite taille. »
2. L’esprit de la réforme doit être consolidé
a. Réaffirmer l’aide au développement des compétences dans les entreprises de moins de 50 salariés comme une priorité
Dans le cadre de l’ACNI d’octobre 2021, les parties signataires demandent que l’aide au développement des compétences et des qualifications dans les entreprises de moins de 50 salariés, soit renforcée et réaffirmée comme une cible prioritaire de la réforme, estimant de surcroît que « le passage du plan de formation au plan de développement des compétences est aujourd’hui inégalement pris en compte et mis en perspective dans la stratégie des entreprises » ([40]).
Les rapporteurs font pleinement leur cette ambition.
b. Pour les entreprises de 50-299, co-investir pour pallier la fin des fonds mutualisés
Les partenaires sociaux proposent d’inscrire au budget de France compétences une ligne budgétaire dédiée à l’accompagnement des entreprises de 50 à 299 salariés via la création d’une section financière dédiée au sein des OPCO.
La Fédération de la formation professionnelle considère le co-investissement comme indispensable via les abondements CPF pour les entreprises de 50 à 299 salariés afin de pallier la fin des fonds mutualisés. Les rapporteurs pensent également que le co-investissement peut être une voie alternative au fonds mutualisé pour les entreprises de 50 à 299 salariés. Cette solution permet de drainer des financements déjà existants vers des formations utiles à l’entreprise ou à la branche, tout en impliquant fortement les salariés dans la démarche, ce qui leur permettra de tirer tout le bénéfice des formations suivies. Ce co-investissement est, de ce point de vue, gagnant-gagnant.
D. LE NOUVEAU PROJET DE TRANSITION PROFESSIONNELLE
L’étude d’impact sur cet aspect de la réforme était relativement succincte, aucun objectif chiffré n’ayant été fixé. L’esprit général de la réforme était d’encourager le recours au projet de transition professionnelle dans le cadre de la mobilisation de son droit individuel à la formation à travers le CPF.
Le projet de transition professionnelle vise à financer une action de formation certifiante ou qualifiante destinée à changer de métier ou de profession.
Plusieurs acteurs interviennent désormais dans l’élaboration et la conduite du projet : l’opérateur du CEP, d’une part, qui accompagne, informe et oriente le salarié dans la définition de son projet, lui propose un plan de financement et la commission paritaire interprofessionnelle régionale, d’autre part, qui apprécie la pertinence du projet, instruit la demande de prise en charge financière et autorise la réalisation et le financement du projet. Cette décision est motivée et notifiée au salarié. En cas de rejet du projet, il est possible de saisir la médiatrice de France compétences.