N° 5052

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 février 2022.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES

en conclusion des travaux d’une mission d’information (1)

sur les enjeux de défense en Méditerranée

ET PRÉSENTÉ PAR

MM. Jean-Jacques FERRARA et Philippe MICHEL-KLEISBAUER,

Députés.

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(1)    La composition de cette mission figure au verso de la présente page.


La mission d’information sur les enjeux de défense en Méditerranée est composée de :

MM. Jean-Jacques Ferrara et Philippe Michel-Kleisbauer, rapporteurs ;

– MM. Thomas Gassilloud, Jean-Christophe Lagarde, Jacques Marilossian et Stéphane Vojetta, membres.

 


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SOMMAIRE

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Pages

Introduction

Première partie : un espace crisogène

I. Des États de la rive Sud fragilisés

A. La Libye : le spectre d’un État failli

1. La crise libyenne, foyer de déstabilisation

2. Une situation encore précaire

a. Des facteurs de stabilisation encourageants

b. Des sources de tensions qui perdurent

3. Les menaces en cas de résurgence du conflit

B. Des États sous tensions

1. L’Algérie à un tournant : transition ou bouleversement ?

2. La Tunisie face au risque de décomposition politique

3. Le Maroc, un pôle de stabilité en proie à des tensions persistantes

4. L’Égypte face à des défis sociaux et sécuritaires

C. La multiplication des flux illicites

1. Des flux migratoires illicites en forte recomposition

a. Des flux repartis à la hausse en 2021

b. La Méditerranée centrale, principale voie d’accès à l’Europe

c. Les enjeux sécuritaires liés aux migrations

2. Le trafic d’armes : le risque de prolifération

II. Des territoires disputés

A. Chypre : au cœur des tensions régionales

1. Un conflit ancien et non résolu

a. À l’origine du conflit : l’occupation militaire turque

b. L’échec des tentatives de règlement du conflit

2. Une île stratégique pour les puissances régionales

3. Une récente résurgence des tensions

a. Le renforcement des capacités militaires turques

b. La remise en cause du statu quo par la Turquie

B. Le Sahara occidental : enjeu des rivalités au Maghreb

1. Un conflit gelé, en l’absence de règlement politique

a. Un conflit vieux de 45 ans

b. L’absence de solution politique

2. La montée des tensions entre le Maroc et l’Algérie

a. La reprise des hostilités au Sahara occidental

b. Une source de tensions, mais un risque de conflit limité

III. Des espaces maritimes contestés

A. La réactivation des différends frontaliers

1. La délimitation contestée des espaces maritimes

2. Le nouvel enjeu de l’appropriation des ressources gazières

a. La découverte d’importants gisements

b. La course aux accords de délimitation maritime

c. L’émergence d’une « diplomatie du gaz »

B. Le risque d’escalade : la crise de l’été 2020

1. Une stratégie turque de la montée des tensions

2. L’intervention décisive de la France

3. Le scénario à venir le plus réaliste : des tensions, mais pas de conflit

Deuxième partie : le retour des stratégies de puissance

I. L’affirmation des puissances régionales

A. L’enhardissement de la Turquie

1. Une politique du fait accompli, facteur de déstabilisation

a. Un durcissement de la politique étrangère

b. En Libye, une intervention au mépris du droit et de ses alliés

c. En Méditerranée orientale, la recherche du rapport de forces

d. Des signes récents d’apaisement à la pérennité incertaine

2. Une modernisation de son armée, au service de son ambition régionale

B. Un réarmement généralisé

1. Un réarmement qui couvre l’ensemble du spectre capacitaire

a. L’exemple du réarmement naval

b. L’exemple des drones

2. Un réarmement révélateur des tensions : l’exemple Algérie/Maroc

a. L’Algérie, un développement capacitaire massif

b. Le Maroc, engagé dans une course aux armements

II. Des compétiteurs stratégiques mondiaux à nos portes

A. Le « retour » de la Russie

1. Le renforcement des moyens russes en Méditerranée

2. La présence russe : un défi pour nos forces

3. Une influence qui s’étend à l’ensemble du bassin méditerranéen

B. L’émergence de la Chine

1. Une présence chinoise essentiellement économique à ce stade

2. La menace d’une militarisation de la présence chinoise

III. Une présence occidentale en retrait

A. Les États-Unis : entre désengagement et intérêt

1. Un relatif désengagement de la zone

2. Un acteur qui restera malgré tout présent en Méditerranée

a. Des intérêts structurels en Méditerranée

b. Un intérêt renouvelé dans la période récente

B. L’OTAN à la recherche d’une stratégie

1. La Méditerranée, une zone de responsabilité du SACEUR

2. L’opération Sea Guardian, révélatrice des tensions entre alliés

3. Une stratégie « Sud » qui reste encore à développer

a. Des initiatives vers la rive Sud aux résultats limités

b. À la recherche d’une stratégie globale envers le Sud

C. L’Union européenne, un acteur trop peu présent

1. La mission IRINI, une opération exposée à de multiples défis

a. Une mission principale centrée sur le (difficile) respect de l’embargo

b. Des missions secondaires qui se heurtent à de nombreux obstacles

c. Quel avenir pour IRINI ?

2. Les opérations de l’agence Frontex

Troisième partie : la France face au défi sécuritaire méditerranéen

I. Une présence permanente sur l’ensemble de la Méditerranée

A. Dans un cadre national

1. En Méditerranée occidentale : protéger le territoire

2. En Méditerranée centrale et orientale : contrer les logiques de sanctuarisation

a. Les finalités de la présence française

b. La présence navale

c. La présence aérienne

B. Dans un cadre international

1. Une présence intense au titre de nos engagements internationaux

2. Une contribution importante aux opérations de l’UE

II. L’intensification de la préparation opérationnelle

A. La préparation aux crises et conflits

1. Se préparer aux actions hybrides

2. Se préparer aux conflits de haute intensité : l’exercice Polaris

B. Le renforcement de l’interopérabilité avec nos alliés

1. Une coopération avec l’ensemble de nos partenaires régionaux

2. Eunomia : un exercice aux fins de réassurance

III. La consolidation des partenariats régionaux

A. Les partenariats bilatéraux

1. L’Italie : un partenaire incontournable

a. Un partenaire essentiel

b. Le traité du Quirinal, une opportunité d’approfondir notre alliance

2. La Grèce : l’Europe de la défense en marche

a. Une coopération renforcée en matière d’armements

b. Un partenariat stratégique inédit

3. La Croatie : nouvel acteur de la « communauté Rafale »

4. L’Égypte : une coopération qui s’est intensifiée

B. Les partenariats multilatéraux

1. L’Initiative 5+5 Défense : des résultats mitigés

2. L’initiative Quad : une réassurance en Méditerranée orientale

3. EuroMed 7, un lieu de dialogue politique utile

IV. Les recommandations des rapporteurs

A. À l’échelon national, consolider nos efforts capacitaires

1. Anticiper et prévenir les crises

a. Développer nos capacités de renseignement

b. Se donner les moyens de lutter contre la guerre informationnelle

2. Être prêt au combat

a. Combler nos lacunes capacitaires

b. Des prélèvements au titre des exportations à compenser

3. Consolider nos partenariats

B. Construire l’Europe de la défense en Méditerranée

1. Faire de la Méditerranée une priorité stratégique

2. Renforcer la présence européenne

Conclusion

Examen en commission

Annexe :  auditions et déplacements des rapporteurs

1. Auditions

2. Déplacements


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   Introduction

La Méditerranée est notre bien commun.

Elle est naturellement le bien commun des États riverains. Représentant seulement 1 % de la surface des océans, elle relie 22 États, abritant près de 520 millions d’habitants. Pont entre plusieurs continents et civilisations, la Méditerranée contribue à sceller une communauté de destins entre ces pays, comme l’a rappelé le vice-amiral Laurent Isnard ([1]) : « ‘‘Mare nostrum’’ signifie que la France est voisine de l’Espagne et de l’Italie, mais également de la Turquie, la Russie, l’Ukraine, la Syrie, l’Égypte, Israël et la Palestine puisqu’il n’y a pas d’État entre eux et nous. Nous sommes donc directement accessibles et nos destins sont liés par cette passerelle que constitue la mer. » Cela est d’autant plus vrai que le théâtre méditerranéen est relativement petit : un jour de navigation suffit pour parcourir les 700 kilomètres du Nord au Sud et quatre jours pour les 3 600 kilomètres d’Est en Ouest.

La Méditerranée est également un bien commun mondial, en raison notamment de son insertion dans les flux économiques internationaux. Elle constitue en effet le lieu de transit de 25 % du trafic maritime mondial, de 30 % du transport pétrolier mondial et de 65 % des flux énergétiques vers l’Union européenne. L’axe Gibraltar-Suez est crucial pour le commerce mondial, ainsi que l’a mis en exergue l’obstruction du canal de Suez par l’Ever Given en mars 2021, qui a provoqué une perte pour le commerce mondial estimée à plus de 40 milliards d’euros. La Méditerranée est également un des trois principaux axes mondiaux pour le passage des câbles sous-marins de télécommunication par lesquels transite 99 % du flux d’information mondial et dont la sécurisation constitue un défi majeur pour les États.

Or, ce bien commun est aujourd’hui menacé. D’espace partagé, la Méditerranée est devenue un espace toujours plus contesté, cristallisant les tensions, les rapports de force et les rivalités entre puissances. D’espace relativement permissif pour nos forces armées, la Méditerranée est devenue l’épicentre des stratégies de sanctuarisation territoriale et de logiques de déni d’accès. D’interface rapprochant les pays des deux rives, la Méditerranée est plus que jamais devenue le foyer de crises multiples.

Les évènements de ces dernières années sont symptomatiques de cette résurgence des tensions dans l’ensemble du bassin méditerranéen : conflit en Libye, qui a déstabilisé l’ensemble de la région ; instabilité de certains pays de la rive Sud, qui alimente flux migratoires illégaux et autres flux illicites ; remise en cause du statu quo dans les conflits gelés de Chypre et du Sahara occidental ; contestation des frontières maritimes ; escalade des tensions en Méditerranée orientale, dans un contexte de découverte d’importantes ressources énergétiques.

 

Si cette dégradation sécuritaire en Méditerranée est naturellement multifactorielle, elle est néanmoins alimentée par un fait majeur et relativement récent : le retour des stratégies de puissance en Méditerranée. Ce phénomène concerne aussi bien les puissances régionales, telles que la Turquie, qui développent une politique d’affirmation illustrée par un réarmement massif, que les puissances extérieures, telles que la Russie, qui s’implantent de façon croissante en Méditerranée. Cette affirmation des logiques de puissance dans l’espace méditerranéen intervient en outre dans un contexte de relatif retrait des États-Unis, qui a créé un vide stratégique dans la zone dont ont profité les compétiteurs mondiaux.

La Méditerranée est à cet égard un concentré des évolutions géostratégiques mondiales : désinhibition des compétiteurs ; réarmement généralisé des puissances sur l’ensemble du spectre capacitaire ; contestation du droit international, avec une remise en cause croissante de la liberté de navigation et de la liberté d’opérer dans l’espace aérien ; prédilection du rapport de forces et du fait accompli ; recours à des actions sous le seuil et des actes hybrides ; interventions de proxys pour le compte de puissances.

Certes, d’autres foyers de tension que la Méditerranée concentrent actuellement, de façon légitime, l’attention politique et médiatique. Toutefois, cela ne diminue en rien la nécessité de comprendre les dynamiques de cet espace, et ce pour une raison simple : une crise en Ukraine, un conflit en Indo-Pacifique, ou encore une dégradation sécuritaire au Sahel, auront nécessairement des répercussions, directes ou indirectes, sur la Méditerranée. Les différentes crises actuelles rehaussent en vérité l’importance de comprendre les rapports de force et les logiques à l’œuvre en Méditerranée.

En outre, quelles que soient les tensions sur les autres théâtres, il convient de garder à l’esprit que la Méditerranée est notre frontière, notre « première approche » : toute crise qui s’y déroule affecte directement la France, qui a donc vocation à être en première ligne en cas de conflit. Ce n’est pas nécessairement le cas des autres théâtres d’engagement.

C’est dans ce contexte que la commission de la Défense nationale et des forces armées a créé la présente mission d’information relative aux enjeux de défense en Méditerranée.

Pour la conduite de leurs travaux, les rapporteurs ont choisi de se concentrer sur ce que les armées et les experts militaires nomment le « haut du spectre » et par conséquent de ne pas aborder spécifiquement les enjeux propres à l’action de l’État en mer. En effet, dans un environnement marqué par le retour de la compétition et de la conflictualité entre les puissances, ainsi que par la résurgence de l’hypothèse d’une crise majeure voire d’un conflit de haute intensité, les rapporteurs ont entendu privilégier une approche centrée sur les menaces auxquelles pourraient faire face nos forces armées dans cet espace stratégique qu’est la Méditerranée.

Dans ce contexte, l’objet de la mission est de faire le point sur l’évolution des différents facteurs de tensions en Méditerranée, d’analyser les logiques de puissances qui s’y déploient et de mettre en exergue les enjeux auxquels sont confrontées nos forces armées dans le bassin méditerranéen.

Les rapporteurs ont en outre décidé de s’en tenir à la définition géographique de la mer Méditerranée : la mer Noire, qui fait l’objet d’enjeux spécifiques, n’est donc pas incluse, bien que celle-ci soit rattachée opérationnellement par la marine nationale à la zone Méditerranée. Enfin, les problématiques relatives aux pays du Levant (Liban, Jordanie, Syrie, Israël et Palestine), qui ont fait l’objet d’une mission d’information récente ([2]), ne seront pas non plus abordées, bien que les rapporteurs soient particulièrement attentifs à l’évolution de la situation au Liban, qui ne cesse de se dégrader.

Le présent rapport est le fruit de dix-sept auditions et de deux déplacements, à Toulon, au centre opérationnel de la marine (COM), et en Italie, à Rome, notamment au siège de la mission de l’Union européenne IRINI, ainsi qu’à Naples, au commandement de forces interarmées de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN).

Au terme de leurs travaux, les rapporteurs ont une conviction : la Méditerranée doit être une priorité en matière de défense non seulement au niveau national, mais également à l’échelon européen.

Ce sont en effet l’ensemble des pays membres de l’Union européenne qui seraient affectés par une crise majeure en Méditerranée.

Ce sont également l’ensemble des pays européens qui partagent les mêmes défis pour préserver la stabilité de cet espace : prévenir les menaces de déstabilisation provenant de la rive Sud ; assurer la liberté de navigation et d’opérer dans l’espace aérien contre les logiques de sanctuarisation et de territorialisation ; faire respecter le droit international contre les logiques du fait accompli ; réduire l’influence et la capacité de nuisance des compétiteurs stratégiques à nos portes.

Par conséquent, la Méditerranée peut et doit devenir le pilier de l’autonomie stratégique européenne, au service de la stabilité de la zone et de la construction de la « Pax Mediterranea » que la France appelle de ses vœux. ([3])

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   Première partie : un espace crisogène

I.   Des États de la rive Sud fragilisés

A.   La Libye : le spectre d’un État failli

1.   La crise libyenne, foyer de déstabilisation

L’écroulement de l’État libyen, consécutif à la chute du régime du colonel Kadhafi en 2011 et à la guerre civile subséquente entre le Gouvernement d’entente nationale (GNA) basé en Tripolitaine et l’Armée nationale libyenne (LNA) de Cyrénaïque, a plongé le pays dans un chaos institutionnel et sécuritaire qui perdure depuis une décennie. Cette crise a également eu trois conséquences majeures sur la stabilité de la région.

Le conflit libyen a tout d’abord alimenté l’expansion djihadiste dans la région. La Libye a en effet constitué le principal foyer de développement en Afrique du Nord d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et de Daech. L’implantation entre 2015 et 2016 de Daech dans le port de Syrte, aux portes de l’Europe, a constitué l’acmé de cette emprise du pays par les groupes terroristes.

En outre, l’accroissement de la porosité des frontières et la perte de contrôle des flux de population consécutives à la guerre civile ont fait de la Libye l’un des principaux foyers de la crise migratoire touchant l’Europe. Plus de 610 000 migrants ont ainsi été recensés en Libye en septembre 2021, la majorité d’entre eux provenant de pays limitrophes. ([4])

Enfin, la crise libyenne a favorisé l’implantation opportuniste de puissances étrangères, telles que la Turquie et la Russie, dans le but de faire de la Libye un relais de puissance en Méditerranée et plus largement en Afrique. Celles-ci ont notamment acheminé en Libye du matériel d’armements, en violation de l’embargo mise en place sous l’égide des Nations unies (ONU), et facilité le déploiement de mercenaires étrangers, notamment soudanais, syriens ou membres du groupe russe Wagner. L’ONU relevait ainsi en mars 2021 que « des combattants syriens sont actifs en Libye depuis la fin du mois de décembre 2019. De 4 000 au début de la période, leur nombre a atteint 13 000, en fonction du conflit, de la dynamique régionale et de disponibilité de fonds. » ([5])

Cette ingérence étrangère a eu une influence majeure sur l’évolution du conflit. D’une part, elle a participé à son escalade, en contribuant à élever l’intensité du conflit par le déploiement de moyens militaires sophistiqués, tels que les drones turcs Bayraktar TB-2. D’autre part, elle a directement influé sur l’issue des combats. L’intensification du soutien militaire turc au profit du GNA a en effet renversé le rapport de force militaire et stoppé l’offensive sur Tripoli de la LNA du maréchal Haftar, appuyée quant à elle par la Russie et les Émirats arabes unis.

La situation en LiBye en 2021

Source : M. Benoît de La Ruelle, « Quel avenir pour la Libye ? », FMES, 22 avril 2021.

2.   Une situation encore précaire

a.   Des facteurs de stabilisation encourageants

Dans le cadre du processus de Berlin débuté en janvier 2020, des avancées ont été réalisées vers le rétablissement de la stabilité et de la paix en Libye.

La situation sécuritaire s’est ainsi améliorée, à la suite du cessez-le-feu conclu le 23 octobre 2020 par la commission militaire mixte « 5+5 » réunissant le GNA et la LNA. Ce cessez-le-feu a mis fin à la bataille de Tripoli, issue de l’offensive de la LNA, qui a causé 3 000 victimes.

La situation politique a également connu des avancées significatives, avec l’adoption à Tunis le 15 novembre 2020 d’une feuille de route prévoyant la mise en place d’un processus électoral, ainsi que l’approbation du Gouvernement d’unité nationale de transition le 10 mars 2021. La France est pleinement impliquée dans cette transition politique, comme l’illustre la tenue à Paris de la conférence internationale pour la Libye le 12 novembre 2021.

Enfin, selon le groupe d’experts de l’ONU, l’expansion djihadiste dans la zone connaît un reflux significatif, AQMI apparaissant dorénavant « inactif en Libye », tandis que la présence de l’État islamique est aujourd’hui cantonnée à la partie désertique du sud du pays. ([6])

b.   Des sources de tensions qui perdurent

Aux yeux des rapporteurs, la Libye fait face à trois enjeux majeurs, qui sont interconnectés.

● Le premier tient au devenir des combattants étrangers et des milices opérant en Libye, comme l’a souligné lors de son audition M. Bertrand Le Meur, directeur à la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) du ministère des Armées. Ainsi, la réussite du processus en faveur du désarmement, de la démobilisation et de la réinsertion dans la société (DDR) des membres des groupes armés et des acteurs non-étatiques, comme du plan d’action ([7]) mis en place par la commission militaire mixte 5+5, reste conditionnée à la stabilisation politique du pays.

● Le deuxième enjeu, corollaire du premier, est lié au respect de l’embargo de l’ONU sur les armes. Dans son rapport du 8 mars 2021, le groupe d’experts sur la Libye relève ainsi que « l’embargo sur les armes est d’une inefficacité totale. Les violations commises par les États Membres qui appuient directement les parties au conflit sont généralisées et flagrantes et témoignent d’un mépris total à l’égard des mesures de sanctions. Le fait qu’ils contrôlent l’intégralité de la filière d’approvisionnement complique la détection, la désorganisation et l’interdiction de ces activités. » ([8])

● Le troisième et dernier enjeu est la pérennité de la stabilisation politique de la Libye, alors que l’élection présidentielle, initialement prévue le 24 décembre 2021, a été reportée à une date indéterminée.

3.   Les menaces en cas de résurgence du conflit

La résurgence de la crise libyenne constituerait sans nul doute une menace majeure pour l’ensemble de la région, y compris pour les pays de la rive Nord de la Méditerranée. Un tel scénario serait en effet de nature à réactiver trois types menaces :

– le renouveau de la menace terroriste, avec un risque significatif de connexion des groupements djihadistes, encore sporadiquement présents dans la région du Fezzan, avec ceux situés en bande sahélo-saharienne ;

– le renforcement de la présence militaire de puissances extérieures et de compétiteurs aux portes de l’Europe. À cet égard, l’installation de bases militaires permanentes turques ou russes en Libye n’est pas à exclure, comme l’illustre la montée en puissance de la présence turque sur la base aérienne d’Al Watiyah, où ont été déployés des systèmes de défense anti-aérienne et des drones ([9]) ;

– enfin, l’intensification de flux migratoires illicites vers l’Europe et son corollaire qu’est le risque d’instrumentalisation desdits flux à des fins politiques par des acteurs étatiques ou non.

En définitive, l’évolution de la situation en Libye constitue un élément clé pour la stabilité à venir de l’ensemble de la zone méditerranéenne. L’action diplomatique de la France et de ses partenaires en faveur du processus de transition politique en Libye doit être poursuivie car seule une stabilité politique est susceptible de restaurer une paix durable.

B.   Des États sous tensions

Dix ans après l’onde de choc provoquée par les « printemps arabes », la situation interne des pays de la rive Sud demeure dans l’ensemble fragile, en raison d’un ensemble de facteurs souvent communs : instabilité politique ; tensions sociales sur fond de pression démographique et de chômage endémique, notamment des jeunes ; situation sécuritaire dégradée avec un risque terroriste persistant, bien qu’affaibli.

Dans ce contexte, les auditions conduites par les rapporteurs ont mis en lumière le risque de déstabilisation de ces pays comme la nécessité, pour la France, de mieux anticiper les défis sécuritaires d’une éventuelle dégradation de la situation : flux migratoires incontrôlés ; instrumentalisation de ces derniers par un compétiteur ; résurgence du terrorisme au Maghreb ; nécessité d’évacuer nos ressortissants ; voire risque d’escalade avec un État hostile. C’est sous ce prisme que les rapporteurs ont souhaité consacrer quelques développements synthétiques sur l’évolution de la situation politique et sécuritaire interne de ces pays.

1.   L’Algérie à un tournant : transition ou bouleversement ?

En février 2019, l’annonce de la candidature d’Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat présidentiel a provoqué une mobilisation populaire d’une ampleur inédite, contre le « système » mis en place depuis l’indépendance du pays. Cette mobilisation, dite Hirak, qui a touché l’ensemble du territoire algérien, a conduit à la démission du président Bouteflika le 2 avril 2019.

Élu à la présidence de la République le 12 décembre 2019, M. Abdelmadjid Tebboune a entrepris une révision de la Constitution, adoptée par référendum le 1er novembre 2020, et dissout l’Assemblée populaire nationale le 21 février 2021, entraînant de nouvelles élections législatives en juin 2021. Ces votes ont été marqués par une abstention massive et historique, signe d’une défiance politique majeure. ([10])

Cette instabilité politique s’est couplée à une situation économique dégradée, en raison de la pandémie mais également de la baisse des cours du pétrole depuis 2014. Cette dernière a notamment entraîné l’épuisement en février 2017 du fonds de régulation des recettes chargé de la gestion des excédents budgétaires liés aux exportations d’hydrocarbure, comme l’ont souligné Mme Dorothée Schmid et M. Elie Tenenbaum, chercheurs à l’Institut français des relations internationales (IFRI). Une telle situation est de nature à réduire les marges de manœuvre du régime pour soutenir financièrement la population en cas de nouvelles crises sociales.

Sur le plan sécuritaire, la présence d’AQMI en Algérie a été fortement réduite, notamment à la suite d’un raid des forces algériennes conduit dans le Jelel en décembre 2020, qui a neutralisé l’état-major itinérant de l’organisation. L’Algérie est cependant préoccupée par l’évolution de la situation au Sahel et la crainte de se voir constituer « un grand Azawad » à ses frontières.

Il semble en définitive à vos rapporteurs que la stabilité de l’Algérie dépendra de la capacité du pouvoir politico-militaire de répondre aux aspirations légitimes de la population algérienne. Dans le cas contraire, l’hypothèse d’une déstabilisation importante du pays est à craindre et ne peut être écartée à moyen terme. Comme l’a résumé un officier de la DGRIS, « le système FLN contrôle les principaux leviers du pouvoir et ne peut disparaître brutalement sans faire basculer le pays dans le chaos. » ([11])

2.   La Tunisie face au risque de décomposition politique

Dix ans après le soulèvement du peuple tunisien ayant conduit, en 2011, à la chute du dictateur Zine el-Abidine Ben Ali, à la tête du pays depuis 1987, la situation politique demeure cependant très précaire. Dans un contexte de paralysie des institutions politiques, le président Kaïs Saïed a décidé en juillet 2021 d’invoquer l’état d’exception, de suspendre l’Assemblée des Représentants du peuple et de limoger le chef du gouvernement. Ce coup de force institutionnel a provoqué une crise politique majeure avec le parti islamiste Ennahdha, première force politique du pays. L’arrestation en janvier 2022 d’un des leaders du parti islamiste pour « soupçons de terrorisme » fait craindre une radicalisation du conflit politique.

Cette paralysie politique se double d’une crise financière, qui se caractérise par l’incapacité des autorités tunisiennes à finaliser son budget 2022 sans un soutien du Fonds monétaire international (FMI). Cette crise financière intervient dans un contexte de forte crise économique, près de 20 % de la population se trouvant au chômage, ce taux dépassant 40 % parmi les jeunes de 15 à 24 ans. Les tensions sociales sont également vives, comme en témoignent les émeutes qui ont éclaté dans plusieurs villes du pays en janvier 2018 et janvier 2021.

Sur le plan sécuritaire, la menace terroriste s’est très fortement réduite depuis 2016 : 16 personnes ont été victimes du terrorisme djihadiste en Tunisie depuis 2016, contre 214 entre 2011 et 2016 ([12]). La Tunisie est toutefois encore confrontée à la présence sporadique de groupes terroristes dans le sud du pays et dans le Djebel, tel que le groupe algéro-tunisien Jund al-Khilafah, affilié à l’État islamique, ou la katiba Okba Ibn Nafi, affilié à AQMI. Selon le comité contre le terrorisme de l’ONU, la Tunisie est en outre le premier pourvoyeur de combattants djihadistes, en proportion de sa population, sur les théâtres irakien, libyen et syrien, avec quelque 6 000 combattants recensés.

Dans ce contexte de crise politique et économique, plusieurs personnes auditionnées ont alerté les rapporteurs sur le risque d’une déstabilisation majeure du pays et, par conséquent, de son environnement régional.

3.   Le Maroc, un pôle de stabilité en proie à des tensions persistantes

Le Maroc représente un pôle de stabilité politique dans la région, comme l’a démontré le bon déroulement des élections législatives de septembre 2021.

Cependant, les tensions économiques et sociales perdurent, comme le démontrent le mouvement de mobilisation de l’« Hirak du Rif » en 2016 et 2017 ou encore les manifestations en 2018 à Jerada. Elles sont également illustrées par l’importante pression migratoire venant du Maroc, comme l’ont rappelé les évènements du 17 mai 2021, où plus de plus de 9 000 migrants (dont 1 200 mineurs non accompagnés) ont franchi les frontières de l’enclave espagnole de Ceuta. À cette occasion le Parlement européen avait condamné « l’utilisation par le Maroc des contrôles aux frontières et de la migration, notamment des mineurs non-accompagnés, comme moyen de pression politique sur un État membre de l’Union européenne. » ([13])

Sur le plan sécuritaire, la menace terroriste reste prégnante bien que contenue. Depuis 2002, plus de 200 cellules terroristes auraient ainsi été démantelées (dont 83 depuis 2015) par les autorités marocaines et plus de 4 000 personnes interpellées dans le cadre d’affaires liées au « terrorisme ». ([14])

4.   L’Égypte face à des défis sociaux et sécuritaires

Depuis la destitution de Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans, en juillet 2013 par le maréchal Abdel Fattah al-Sissi, l’Égypte jouit d’une relative stabilité politique, contrebalancée par la mise en place d’un système particulièrement répressif, cible des critiques des défenseurs des droits de l’homme. Les autorités égyptiennes font en outre face à de nombreux défis, sécuritaires et sociaux.

● Le premier défi est social. La population égyptienne s’appauvrit : 29,7 % de celle-ci vit sous le seuil de pauvreté, contre 16,7 % vingt ans plus tôt ([15]). La pression démographique est forte : la population a passé le cap symbolique des 100 millions d’habitants en février 2020 et pourrait atteindre 150 millions en 2050, tandis que 700 000 jeunes entrent chaque année sur le marché du travail.

● Le second défi est la persistance du terrorisme, particulièrement dans la zone du Nord-Sinaï, où opère notamment le groupe Wilayat Sinaï, branche de l’État islamique ([16]). Le fait que l’opération anti-terroriste « Sinaï 2018 », lancée en février 2018, soit toujours en cours reflète l’intensité de la présence des groupes terroristes dans cette zone. Plus de 900 combattants islamistes présumés auraient ainsi été neutralisés par les forces égyptiennes dans le Nord Sinaï depuis 2018. ([17])

Si la situation sécuritaire le long de sa frontière occidentale de 1 200  kilomètres avec la Libye s’est améliorée depuis 2018, celle-ci reste une source de préoccupation majeure pour le pouvoir égyptien, qui craint l’infiltration de terroristes djihadistes, ainsi que la multiplication des trafics dans cette zone, notamment la contrebande d’armements à destination du Sinaï. Cette situation sécuritaire instable a motivé l’instauration en 2017 de l’état d’urgence, qui a été renouvelé tous les trois mois jusqu’en novembre 2021.

● Le troisième défi concerne l’évolution de la confrérie des Frères musulmans. Certes, celle-ci a été fortement affaiblie par la répression systématique de son mouvement, classé comme « organisation terroriste » par les autorités égyptiennes en décembre 2013. Cependant, la résurgence de cette organisation n’est pas à exclure à moyen terme, tant elle a imprégné le tissu social et religieux de l’Égypte durant des décennies. En outre, cette répression a entraîné une certaine radicalisation du mouvement, avec la formation de groupes clandestins et violents (Résistance populairePunition Révolutionnaire, Ajnad Masr).

C.   La multiplication des flux illicites

Si les tensions politiques, sécuritaires et sociales que connaissent les pays de la rive Sud sont porteuses de menaces de déstabilisation à court ou moyen terme, elles engendrent déjà de nombreux flux illicites, qui participent à la dégradation de la situation sécuritaire en Méditerranée.

1.   Des flux migratoires illicites en forte recomposition

a.   Des flux repartis à la hausse en 2021

De façon tendancielle, les flux migratoires irréguliers à destination de l’Europe ont diminué significativement depuis le pic de 2015, année au cours de laquelle plus d’un million de migrants avaient rejoint l’Europe.

Cependant l’année 2021 a été marquée par une forte recrudescence des migrations irrégulières : selon les données de l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex), plus de 200 000 personnes ont migré en Europe de façon irrégulière, soit une augmentation de 57 % par rapport à 2020 et de 36 % comparé à 2019. Les migrations illicites ont ainsi atteint leur plus haut niveau depuis 2017. ([18])

La Méditerranée constitue encore la principale voie d’accès vers l’Europe, notamment à travers la Méditerranée centrale, qui compte à elle seule pour près du tiers de l’ensemble des migrations illicites à destination de l’Europe, avec plus de 65 000 migrations illicites, en hausse de 83 % par rapport à 2020.

Les flux migratoires illicites en 2021

    Source : Frontex, janvier 2022.

b.   La Méditerranée centrale, principale voie d’accès à l’Europe

La prédominance de la route de la Méditerranée centrale est révélatrice d’une recomposition importante des flux migratoires intervenue ces dernières années.

Auparavant, le principal point d’accès à l’Europe était la Méditerranée orientale ([19]), plus de 885 000 migrants ayant emprunté cette voie en 2015. Cependant, l’accord conclu entre l’Union européenne et la Turquie de mars 2016 ([20]) a abouti à une très forte réduction des flux dans cette zone. En 2021, moins de 20 % des migrants irréguliers ayant emprunté les routes méditerranéennes sont ainsi passés par cette voie.

S’agissant de la Méditerranée occidentale ([21]), après avoir atteint un pic en 2018, le nombre d’arrivées n’a cessé de diminuer en 2019 et 2020, en raison notamment du renforcement de la coopération entre l’Union européenne et le Maroc. En 2021, cette voie a représenté près de 18 % des arrivées en Europe depuis la Méditerranée.

A contrario, la Méditerranée centrale ([22]) s’est donc imposée comme la principale voie d’accès à l’Europe. Comme l’illustre le document ci-dessous, elle concentre en effet en 2021 plus de 60 % des flux depuis les trois routes méditerranéennes. En outre, la dynamique sur cette voie est particulièrement forte, puisque les flux en provenance de la Méditerranée centrale ont augmenté de près de 83 % en 2021 par rapport à 2020.

La rÉpartition des flux migratoires illicItes en mÉditerranÉe en 2021

Source : IRINI

La montée en puissance de la route de la Méditerranée centrale est directement liée au conflit libyen. Selon les données fournies par la mission européenne IRINI aux rapporteurs, la Libye représente en effet plus de 63 % des départs depuis la Méditerranée centrale. Les départs depuis la Libye, estimés à plus de 40 000, ont en outre doublé par rapport à 2020. Pour les rapporteurs, il faut s’attendre à ce qu’une telle évolution se poursuive du fait du nombre important de migrants bloqués en Libye : ils seraient évalués à plus de 600 000, dont 67 % proviennent de pays limitrophes (Niger, Égypte, Soudan, Tchad). ([23])

La recomposition des routes migratoires en Méditerranée a également entraîné une modification des principaux pays d’origine des migrants. Alors qu’en 2015, les Syriens représentaient la moitié des migrants venant en Europe, ce sont désormais la Tunisie, l’Algérie, l’Égypte et le Maroc qui constituent les principaux pourvoyeurs de migrants arrivés en Europe par les routes méditerranéennes, selon les données de l’agence Frontex.

 

c.   Les enjeux sécuritaires liés aux migrations

Les évolutions des flux migratoires en Méditerranée mettent en exergue plusieurs enjeux d’ordre sécuritaire.

● Tout d’abord, le rôle central joué par la Libye dans les flux migratoires actuels vers l’Europe nécessite la sécurisation non seulement de sa frontière méditerranéenne, mais également de ses frontières Sud dès lors que la majorité des migrants en Libye proviennent de pays limitrophes. À cet égard, la mission de l’Union européenne d’assistance aux frontières (EUBAM) en Libye pourrait utilement être davantage orientée son action vers la sécurisation des frontières Sud, sous réserve d’un accord politique avec les autorités libyennes.

● En outre, la présence de puissances étrangères en Libye renforce la vulnérabilité stratégique des pays européens en cas de crise. En effet, celles-ci pourraient instrumentaliser les 600 000 migrants présents en Libye comme un moyen de levier ou de pression à l’encontre de l’Europe, notamment en cas de crise ou conflit sur un théâtre extérieur mettant en cause leurs intérêts. À cet égard, comme l’ont relevé plusieurs personnes auditionnées, une présence durable de la Turquie en Libye aurait pour effet de confier à cette dernière la gestion du « double verrou » des migrations vers l’Europe, à savoir la route orientale (depuis la Turquie) et la route centrale (depuis la Libye). L’attitude récente de la Biélorussie démontre que l’instrumentalisation des flux de migrants comme instrument d’une guerre hybride est une menace à prendre au sérieux.

● Le troisième enjeu sécuritaire relatif aux migrations est lié à la déstabilisation potentielle des pays de la rive Sud de la Méditerranée face à l’afflux de migrants. Le contrôle et la gestion des flux migratoires constituent en effet un défi humain, logistique et financier pour ces pays déjà fragilisés par la crise socio-économique et la pandémie de Covid-19, comme le souligne un récent rapport de l’OTAN. ([24])

Enfin, au titre des enjeux sécuritaires liés aux migrations, les rapporteurs tiennent à souligner que si le risque d’infiltration des flux migratoires par des organisations terroristes existe, il doit cependant être relativisé, comme le démontrent les statistiques rassemblées à ce sujet par l’OTAN : « Pour la période allant de 2014 à 2018, 104 extrémistes radicaux religieux ont traversé les frontières de l’Union européenne (UE) à travers des moyens irréguliers. 28 ont pu mener des attaques faisant 170 victimes et 878 blessés. 37 autres préparaient des attentats mais furent arrêtés ou tués, et 39 autres furent arrêtés pour leur participation à des organisations terroristes étrangères. Bien qu’alarmant, ces chiffres ne représentent qu’une infime proportion du nombre total de migrants pour la période (0,005 %). »  ([25])

2.   Le trafic d’armes : le risque de prolifération

Le trafic d’armes a connu une expansion majeure dans les pays de la rive Sud, dans le prolongement de la chute du régime du colonel Kadhafi en 2011 : le démantèlement des services de sécurité a permis aux milices et à divers acteurs non étatiques d’accéder aux dépôts d’armes des forces armées libyennes. Il a résulté de ce pillage que ces groupes ont pris possession d’armes légères, mais également des missiles sol-air, des lance-grenades et des mines anti-personnel. ([26])

L’augmentation des armes en circulation en Libye à la faveur du conflit est ainsi frappante : en 2012, il a été estimé que vingt millions d’armes circulaient et que 90 000 Libyens étaient armés ([27]) ; en 2014, le nombre d’armes en circulation en Libye est estimé à quarante millions selon un rapport de l’ONU, soit six armes par habitant. ([28]) La Libye est ainsi devenue la plaque tournante du trafic d’armes dans la zone. Il est désormais établi que ces trafics ont alimenté des groupes terroristes au Sahel et au Sinaï, ainsi que les acteurs de conflits au Moyen-Orient.

Le développement de ce trafic a notamment abouti à une prolifération inédite dans la zone de missiles sol-air de type MANPADS, c’est-à-dire portatifs, et de missiles anti-chars. ([29])

 

II.   Des territoires disputés

A.   Chypre : au cœur des tensions régionales

1.   Un conflit ancien et non résolu

a.   À l’origine du conflit : l’occupation militaire turque

Ancienne colonie britannique, Chypre a accédé à l’indépendance en 1960, avec la création de la République de Chypre. Le nouvel État est toutefois resté sous la protection de trois « puissances garantes » : le Royaume-Uni, la Grèce et la Turquie. En vertu du Traité de garantie conclu la même année, ces trois puissances s’engagent notamment à garantir « l’ordre public » chypriote, qui interdisait toute « réunion de l’île avec un autre État ou sa partition ».

En 1964, à la suite de fortes tensions entre communautés grecques et turques, qui représentent respectivement 80 et 20 % de la population de l’île, l’ONU a déployé une force d’interposition (FNUCHYP) le long d’une ligne de démarcation faisant office de zone tampon (la « ligne verte »).

En 1974, la Turquie, se prévalant des dispositions du Traité de garantie, est intervenue militairement au nord de Chypre dans le cadre de l’opération Attila, à la suite du coup d’État à Chypre organisé par le régime des colonels grecs en vue d’un rattachement de l’île à la Grèce.

L’occupation militaire turque, mobilisant 35 000 soldats, et les transferts de populations consécutifs, avec l’exode de près de 200 000 Chypriotes grecs vers le Sud, ont abouti à une séparation géographique de facto des deux communautés, de part et d’autre de la « ligne verte ». Le nord de Chypre, rassemblant la communauté chypriote turque, représente 37 % du territoire de l’île. Cette partition géographique est devenue une séparation politique, avec l’autoproclamation, le 15 novembre 1983, de la République turque de Chypre du nord (RTCN), reconnue comme État souverain par la seule Turquie.

 

b.   L’échec des tentatives de règlement du conflit

Si les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU (résolutions 550 en 1984 et 774 en 1992) posent le principe d’un « règlement durable, global, et juste fondé sur une fédération bi-communautaire et bizonale et sur l’égalité politique », les tentatives de règlement de réunification de l’île n’ont pas abouti. En 2004, le plan dit Annan, promu par le secrétaire général des Nations unies, a été massivement rejeté par les Chypriotes grecs, de sorte que c’est une île non réunifiée qui a fait son entrée dans l’Union européenne le 1er mai 2004. De même, en 2017, la conférence de Crans Montana (Suisse) s’est soldée par un échec, compte tenu de la difficulté des parties à s’entendre sur le stationnement des forces turques sur l’île.

La perspective d’un règlement politique à court terme paraît d’autant moins plausible que le 20 juillet 2021, dans le cadre d’un déplacement pour célébrer le 47e anniversaire de l’intervention militaire turque, le président Erdogan a affirmé son soutien à une partition définitive de l’île entre deux États, en contradiction avec les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU.

la partition de Chypre

2.   Une île stratégique pour les puissances régionales

La situation géographique privilégiée de cette dernière, au cœur de la Méditerranée orientale et proche du Levant, a fait de Chypre un point d’appui recherché par de nombreuses puissances régionales.

Héritage de la période coloniale, Chypre abrite tout d’abord deux bases militaires britanniques souveraines, représentant près de 3 % du territoire de l’île :  les bases d’Akrotiri et de Dhekelia. Ces deux bases ont une importance stratégique majeure pour le déploiement des forces britanniques au Moyen-Orient. Elles ont ainsi servi de points d’appuis à l’opération Shader (volet britannique de l’opération Inherent Resolve) contre l’État islamique en Irak et au Levant.

La République de Chypre constitue également un point d’appui essentiel pour les forces aéromaritimes françaises, dans le cadre de la présence permanente française en Méditerranée orientale. Les bâtiments français, y compris le groupe aéronaval (GAN), font ainsi régulièrement escale à Chypre dans les ports de Larnaca et de Limassol. En outre, des avions de patrouille maritime sont fréquemment déployés sur la base aérienne de Paphos.

Enfin, la Russie dispose également d’un accès facilité aux infrastructures du port de Limassol, en vertu d’accords conclus en février 2015. En mars et en septembre 2021, des frégates russes de la « Flotte du Nord » ont ainsi fait une escale à Limassol.

3.   Une récente résurgence des tensions

a.   Le renforcement des capacités militaires turques

Outre la présence de 30 000 soldats turcs en soutien aux forces de sécurité de la RTCN, la Turquie cherche à consolider son emprise sur Chypre-Nord, dans un contexte de tensions croissantes liées non seulement au statut de l’île, mais également à la découverte d’importants gisements de gaz au large de la zone économique exclusive (ZEE) de Chypre.

L’armée turque a notamment déployé des drones à Chypre-Nord fin 2019 et projetterait d’installer une base de drones à Geçitkale. Ainsi que le met en exergue une note de l’IFRI, le stationnement permanent à Chypre de drones turcs Bayraktar TB2 a pour conséquence d’élargir significativement « l’aire de surveillance possible pour la Turquie » ([30]) dans la zone.

Sur le plan naval, des patrouilleurs turcs de classe Kilic sont régulièrement présents dans le port de Famagouste. La Turquie assure en outre une présence navale continue dans la ZEE chypriote, comme il sera vu plus en avant dans la suite du présent rapport. Enfin, l’hypothèse de l’installation d’une base navale turque à Chypre-Nord ressurgit régulièrement depuis 2018, bien qu’il n’y ait pas à ce stade de « trace d’avancée concrète en ce sens. » ([31])

b.   La remise en cause du statu quo par la Turquie

Ce renforcement de la présence militaire turque est couplé à la mise en œuvre d’une politique du fait accompli, qui s’est caractérisée dans la période récente par trois principaux éléments.

● Tout d’abord, la Turquie a mené des activités d’exploration et de prospection illicites dans la ZEE chypriote. Ce point sera étudié plus en détail dans la section du rapport relative aux tensions liées aux enjeux énergétiques.

● En outre, la Turquie viole délibérément le statu quo militaire le long de la ligne de cessez-le-feu administrée par l’ONU. Dans son rapport du 14 novembre 2019, le secrétaire général de l’ONU relève ainsi que « les violations du statu quo militaire se sont poursuivies sans discontinuer depuis 2000 et se sont même intensifiées en février, en juillet et en septembre 2019. Ces violations commises par l’armée d’occupation turque illustrent clairement la volonté de celle-ci de faire avancer la ligne du cessez-le-feu des forces turques vers le sud en prenant le contrôle de nouveaux territoires. » ([32])

● Enfin, la décision unilatérale, annoncée par les autorités turques en octobre 2020 et confirmée par le président Erdogan lors de sa venue sur l’île en juillet 2021, de rouvrir la ville fermée de Varosha, en violation des résolutions 550 (1984) et 789 (1992) du Conseil de sécurité de l’ONU, confirme le durcissement de la stratégie turque à Chypre.

L’incident en date de juillet 2021, dénoncé par les autorités chypriotes mais démenti par les autorités turques, lié aux coups de semonces qu’aurait tirés un patrouilleur turc en direction d’un bateau de la garde-côte chypriote ([33]) illustre la montée des tensions liée à cette politique turque.

Face à ce risque d’escalade, l’ONU recommande la mise en place de contacts directs entre les deux armées : « Étant donné les tensions qui règnent à Chypre et dans les environs, y compris les menaces de recours à la force militaire, encouragées par le renforcement des capacités militaires dans les zones occupées, il devient urgent d’établir un mécanisme pour des contacts militaires directs entre les forces adverses à Chypre, qui sera facilité par l’UNFICYP. » ([34])

Toutefois, selon les rapporteurs, en l’absence d’une solution politique durable sur le statut de l’île, au demeurant peu vraisemblable, Chypre restera à court et moyen terme un foyer de tensions majeur en Méditerranée orientale. Il est à cet égard symptomatique que parmi les scénarios de crise majeure en Méditerranée, plusieurs personnes auditionnées aient mentionné un éventuel coup de force de la Turquie à Chypre.

B.   Le Sahara occidental : enjeu des rivalités au Maghreb

1.   Un conflit gelé, en l’absence de règlement politique

a.   Un conflit vieux de 45 ans

Le conflit a débuté en novembre 1975 avec l’annexion du territoire par le Maroc, dans le prolongement de l’opération « Marche verte » mobilisant 350 000 volontaires civils marocains.

Fruit d’une politique du fait accompli, la souveraineté du Maroc sur ce territoire n’est pas reconnue par la communauté internationale. En réaction à cette annexion, les indépendantistes du Front populaire pour la libération de la Saguiae el-Hamra et du Rio de Oro (Front Polisario), soutenus par l’Algérie, ont quant à eux proclamé la République arabe sahraouie démocratique en 1976, reconnue par une trentaine de pays dans le monde.

En 1980, le Maroc a construit un « mur de défense » long de 2 700 kilomètres, qui délimite encore aujourd’hui la zone contrôlée par les Marocains (soit 80 % du territoire) de celle du Front Polisario. Le conflit entre le Maroc et le Front Polisario de 1976 à 1991, date du cessez-le-feu, a fait plus de 20 000 victimes.

b.   L’absence de solution politique

Malgré « le plan de règlement » approuvé par la Conseil de sécurité des Nations Unies en 1990, l’accord relatif au cessez-le-feu en 1991 et la création, la même année, de la mission des Nations Unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO), l’incapacité des parties à s’entendre sur la délimitation du corps électoral a mis un terme à tout processus référendaire.

La recherche d’une solution politique s’est également heurtée à l’absence de consensus des acteurs sur le degré d’autonomie octroyée à la population sahraouie ([35]). Plus récemment, le plan d’autonomie présenté par le Maroc au secrétaire général de l’ONU le 11 avril 2007, a été jugé comme une base de discussion sérieuse et crédible par les gouvernements français ([36]) et américain. ([37])

le sahara occidental coupÉ par le « mur » marocain

2.   La montée des tensions entre le Maroc et l’Algérie

a.   La reprise des hostilités au Sahara occidental

La période récente a été marquée par une forte dégradation de la situation sécuritaire au Sahara Occidental, avec la rupture du cessez-le-feu de 1991 par le Front Polisario en novembre 2020, à la suite notamment du déploiement de forces marocaines dans la zone tampon de Guergarate.

En outre, le recours supposé dans cette zone à des drones de combats ou de surveillance par les deux belligérants démontre la sophistication des capacités militaires employées, ce qui suggère une montée en gamme du conflit. ([38])

Si les hostilités, principalement concentrées dans le nord du territoire près de Mahbas, demeurent à ce stade de faible intensité, la rupture du cessez-le-feu fait craindre un risque d’escalade, comme le souligne le secrétaire général de l’ONU : « La reprise des hostilités entre le Maroc et le Front Polisario représente un recul considérable pour la recherche d’une solution politique à ce différend de longue date. Depuis lors, les incursions quotidiennes dans cette zone et les hostilités entre les parties ont gravement compromis les arrangements qui garantissaient le cessez-le-feu depuis trois décennies. Le risque d’escalade reste évident tant que persistent les hostilités. » ([39])

b.   Une source de tensions, mais un risque de conflit limité

La question du Sahara occidental reste au cœur des tensions entre l’Algérie et le Maroc et a directement contribué à la dégradation des relations entre les deux pays ces deux dernières années. À cet égard, la reconnaissance par les États-Unis, à travers une proclamation présidentielle de Donald Trump du 10 décembre 2020, de « la souveraineté du Maroc sur l’intégralité du territoire du Sahara occidental », dans le contexte des accords d’Abraham, a contribué à durcir les positions des acteurs en présence sur le plan diplomatique et militaire.

La rupture du cessez-le-feu et la reprise des hostilités au Sahara occidental ont ainsi entraîné une crise majeure entre les deux pays. La situation au Sahara occidental constitue en effet un des principaux motifs de la rupture des relations diplomatiques entre l’Algérie et la Maroc, décidée par le gouvernement algérien le 24 août 2021. Au soutien de cette décision, l’Algérie a ainsi invoqué « l’abandon par le Maroc de l’engagement pris par le roi Hassan II dans un communiqué conjoint [du 16 mai 1988] de soutenir une solution juste et définitive du conflit du Sahara occidental à travers un référendum d’autodétermination régulier et libre se déroulant dans la sincérité la plus totale et sans aucune contrainte. » ([40])

Cette rupture des relations diplomatiques a été suivie non seulement par la fermeture de l’espace aérien algérien aux avions civils et militaires marocains, mais également par la non-reconduction par la société publique algérienne Sonatrach du contrat d’approvisionnement en gaz conclu avec le Maroc dans le cadre du Gazoduc Maghreb-Europe. En dépit de cette crise diplomatique, les rapporteurs partagent cependant l’avis de plusieurs personnes auditionnées, selon lequel le risque d’une transformation des hostilités au Sahara occidental en un conflit conventionnel entre acteurs étatiques apparaît limité à ce stade. En novembre 2021, le bombardement –  attribué par l’Algérie au Maroc – de camions transitant à l’Est du Sahara occidental ([41]) et ayant causé la mort de trois Algériens n’a ainsi, fort heureusement, pas été suivi d’une escalade militaire entre les deux pays.

III.   Des espaces maritimes contestés

A.   La réactivation des différends frontaliers

1.   La délimitation contestée des espaces maritimes

Signée en 1982, la convention des Nations Unies sur le droit de la mer (convention dite de Montego Bay) a pour objet de délimiter les frontières maritimes. En vertu de cette convention, les eaux territoriales peuvent s’étendre à un maximum de douze milles nautiques (soit 22,2 kilomètres) de la ligne de base (la côte). Cette convention crée en outre les zones économiques exclusives (ZEE) au sein desquelles l’État côtier a des « droits souverains », notamment à des fins d’exploration, d’exploitation et des gestions des fonds marins et de leur sous-sol ([42]). Cette ZEE peut s’étendre jusqu’à 200 milles (soit 370 kilomètres) au large de la mer territoriale.

Cependant, les caractéristiques géographiques de la Méditerranée, particulièrement dans sa partie orientale, aboutissent à ce que l’application stricte des délimitations maritimes prévues par la convention de Montego Bay créerait des zones de chevauchement entre deux États. Dans une telle configuration, l’usage est que les États délimitent, dans le cadre d’accords bilatéraux, leurs ZEE à équidistance des deux côtes. ([43])

Cette difficulté est au cœur de l’enjeu lié à la délimitation des frontières maritimes entre la Grèce et la Turquie. En effet, l’extension de 6 à 12 milles des eaux territoriales grecques ([44]) entraverait tout passage turc en mer Égée, en raison de la présence de multiples îles grecques le long de la côte turque. La présence d’îles grecques à proximité de la Turquie rend également délicate l’application de la règle de l’équidistance. Pour lutter contre ce qu’elle perçoit comme un risque d’encerclement, la Turquie revendique quant à elle le prolongement de son plateau continental dans des zones incluant des îles grecques, conformément à sa doctrine de la « Patrie bleue » (« Mavi Vatan ») ([45]), au cœur du roman national turc, comme l’ont souligné M. Vincent Tourret et Mme Aude Thomas, chercheurs à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).

Les négociations entre la Turquie, qui n’est pas signataire de la convention de Montego Bay, et la Grèce, n’ont jamais abouti, de sorte que cette absence d’accord sur la délimitation des frontières maritimes constitue une source de tensions majeure entre les deux pays. Une résolution du 8 juin 1995 du Parlement turc a ainsi qualifié de casus belli le scénario d’extension des eaux territoriales à 12 milles par la Grèce.

Enfin, la Turquie est également en conflit avec Chypre, puisqu’elle revendique le droit à une ZEE pour la République turque de Chypre du Nord (RTCN), bien que celle-ci ne soit pas reconnue par la communauté internationale, et nie le droit de la République de Chypre à posséder une ZEE tant que le statut de l’île n’est pas réglé.

2.   Le nouvel enjeu de l’appropriation des ressources gazières

a.   La découverte d’importants gisements

La Méditerranée orientale a été le foyer d’importantes découvertes de gisements de gaz entre 2009 et 2019, principalement en Israël, à Chypre et en Égypte. Ces gisements représenteraient environ 1,5 % des réserves mondiales de gaz naturel, soit l’équivalent des réserves gazières de la Norvège.

les gisemEnts de gaz dÉcouverts en mÉditerranÉe orientalE

Champs

Date de découverte

 

Estimation

(Gm3 : milliards de mètres cubes de gaz)

Tamar (Israël)

 

2009

320 Gm3

Leviathan (Israël)

 

2010

600 Gm3

Aphrodite (Chypre)

 

2011

200 Gm3

Zohr (Égypte)

 

2015

850 Gm3

Calypso (Chypre)

 

2018

226 Gm3

Nour (Égypte)

 

2018

283 Gm3

Glacus-1 (Chypre)

2019

Entre 142 et 227 Gm3

Source : Nicolas Mazzuchi, « Méditerranée orientale : les hydrocarbures de la discorde », RDN, été 2019.

Si la taille exacte ainsi que les modalités d’exploitation de certains de ces gisements restent à déterminer, notamment pour ceux situés à Chypre, leur découverte a rehaussé les enjeux liés aux délimitations frontalières dans la zone.

 

 

Ainsi que l’a résumé devant la commission de la Défense nationale et des forces armées un officier du centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) : « la découverte en 2009 d’importants gisements gaziers au large d'Israël a fait de la Méditerranée orientale un enjeu énergétique et stratégique majeur pour les pays riverains, alors qu’auparavant, elle était essentiellement une zone de transit ou un espace de manœuvre militaire. » ([46])

b.   La course aux accords de délimitation maritime

● À la suite de la découverte de ses gisements de gaz, la République de Chypre a multiplié les accords bilatéraux de délimitation des zones maritimes avec les pays riverains, comme l’illustrent les accords conclus avec l’Égypte (2003), le Liban (2007) et Israël (2010), afin de sécuriser l’exploitation de ses ressources.

● La Turquie a quant à elle conclu, le 27 novembre 2019, avec le gouvernement libyen de M. Fayez el-Sarraj, un accord de délimitation maritime entre les deux pays. Celui-ci étend les plateaux continentaux des deux pays en Méditerranée afin d’établir une continuité entre les espaces maritimes turcs et libyens, qui se joignent au sud-est de la Crète ([47]). Cet accord, qui ne tient pas compte des espaces maritimes revendiqués par la Grèce (au large de la Crète et de Rhodes), a été jugé contraire au droit international maritime par l’Union européenne. ([48])

À travers cet accord, l’objectif de la Turquie est « de ‘‘couper’’ le futur gazoduc EastMed entre l’Europe et la Méditerranée orientale, le passage pouvant dès lors soumis à son veto » ([49]). L’importance stratégique de ce protocole pour la Turquie est soulignée par le fait qu’il a été conclu concomitamment – sinon en contrepartie – avec le protocole sur la sécurité et la coopération militaire, qui a ouvert la voie au soutien militaire turque en Libye.

● Enfin, la Grèce a répliqué à ce protocole turco-libyen en concluant avec l’Égypte le 6 août 2020 un accord de délimitation partielle de leur ZEE dans la zone située entre le sud-est de l’île de Crète et la partie occidentale de l’Égypte. Cet accord s’inscrit directement en opposition avec les dispositions de l’accord entre la Turquie et la Libye, comme le montre la carte ci-dessous.

les conflits de dÉlimitation maritime en mÉditerranÉe orientale

        Source : The Economist, 19 août 2020.

c.   L’émergence d’une « diplomatie du gaz »

Outre la multiplication de ces accords de délimitation, la volonté de structurer l’exploitation et la distribution du gaz a abouti à l’émergence de coopérations inédites et, in fine, d’une recomposition des alliances autour du gaz, qui s’illustre de trois façons :

● Premièrement, par un rapprochement de l’Égypte avec Chypre et Israël. En 2018, l’Égypte a en effet conclu un accord de coopération historique avec Israël. Celui-ci prévoit l’exportation du gaz israélien, issu du gisement de Léviathan, vers l’Égypte pendant plus de dix ans. Un accord similaire a également été conclu par l’Égypte avec Chypre, en vue de l’installation d’un gazoduc entre le champ d’Aphrodite et les usines de liquéfaction égyptiennes, afin d’assurer l’exportation du gaz chypriote ainsi liquéfié vers l’Europe. L’Égypte s’impose ainsi comme un hub énergétique de premier plan en Méditerranée orientale, grâce à ces infrastructures de liquéfaction et l’exploitation du gisement de Zohr, aux réserves les plus importantes de la zone. ([50])

● Deuxièmement, par le projet EastMed, révélateur des nouvelles formes de coopérations liées à l’exploitation du gaz. Ce projet a pour finalité la création d’un gazoduc sous-marin de près de 2 000 kilomètres transportant entre neuf et 12 milliards de mètres cubes par an depuis les réserves de Chypre et Israël vers l’Europe, en transitant par la Grèce et l’Italie. Le protocole d’accord a été conclu en janvier 2020 par les autorités chypriotes, grecques et israéliennes en vue de débuter les travaux. S’il est en outre soutenu par l’Union européenne, qui l’a qualifié de projet d’intérêt commun, EastMed fait toutefois face à de nombreux obstacles. D’abord, son financement, dont le coût est estimé à 5,5 milliards d’euros, comme sa rentabilité ne sont pas assurés ([51]). Quant au tracé, sujet particulièrement sensible compte tenu des revendications de la Turquie sur certaines zones maritimes, il n’est pas arrêté à ce stade ([52]). Enfin, les États-Unis ont annoncé le 10 janvier 2022 qu’ils n’avaient pas l’intention de soutenir le projet EastMed. ([53])

● Troisièmement, par la création en janvier 2019 du Forum du gaz de la Méditerranée orientale, autre exemple de l’émergence d’une « diplomatie du gaz ». Cette organisation, dont le siège est au Caire, a pour objet de favoriser le dialogue et l’émergence d’un consensus entre les acteurs de la région sur les questions énergétiques. L’organisation regroupait initialement six États des deux rives de la Méditerranée, producteurs et consommateurs : Égypte, Chypre, Israël, Jordanie, Italie, Grèce, ainsi que l’Autorité palestinienne. La France a rejoint le Forum en 2021, ce qui témoigne de notre volonté d’apparaître comme un acteur à part entière dans la région, au service du respect du droit international.

 

B.   Le risque d’escalade : la crise de l’été 2020

1.   Une stratégie turque de la montée des tensions

La Turquie, qui se projetait en hub énergétique vers l’Union européenne, s’est retrouvée de facto marginalisée, en raison de son absence de participation aux projets énergétiques dans la région, dans un contexte de contestations sur les délimitations maritimes. En outre, les ressources énergétiques découvertes en Méditerranée orientale constituent une opportunité pour la Turquie, qui importe plus de 70 % de ses besoins énergétiques et 97 % de sa production de gaz.

La Turquie a par conséquent fait le choix délibéré d’appuyer militairement ses revendications relatives à l’appropriation des ressources énergétiques en Méditerranée orientale, afin de tester la solidarité des partenaires de Chypre et de la Grèce et d’être en position de force dans l’éventualité d’une négociation sur le partage des ressources énergétiques et la délimitation des frontières maritimes.

Outre la conclusion susvisée en novembre 2019 d’un accord de délimitation des frontières avec la Libye contraire au droit international, cette stratégie s’est traduite en Méditerranée orientale par :

– l’occupation permanente par la marine turque des eaux autour de Chypre ;

– les manœuvres d’intimidation voire d’entrave à l’encontre de navires d’exploitation ou de forage opérant légitimement, dans le cadre des concessions octroyées par Chypre, comme l’a subi en février 2018 un navire de prospection de la compagnie italienne ENI expulsé de la ZEE de Chypre par la marine turque ;

– le refus de libérer l’espace concerné par les opérations de prospection gazière, y compris au profit des activités militaires de ses alliés lors de l’opération Inherent Resolve ;

– l’accompagnement par des navires militaires des activités menées par les navires de forage turcs dans la ZEE de Chypre ;

– les violations multiples de l’espace aérien grec ;

– le déploiement de drones en République turque de Chypre du Nord. ([54])

 

2.   L’intervention décisive de la France

L’été 2020 a constitué le paroxysme de cette stratégie du fait accompli turque en Méditerranée orientale.

CHRONOLOGIE DES ÉVÈNEMENTS DE L’ÉTÉ 2020 EN MÉDITERRANÉE ORIENTALE

 

- le 21 juillet, la Turquie déploie le navire de recherches sismiques Oruç Reis au sud et à l’est de l’île grecque de Kastellorizo, tandis que 18 navires militaires turcs sont déployés au sud de la mer Egée, ainsi que deux avions F-16 turcs ;

- le 10 août, la Turquie annonce son intention de reprendre ses prospections du 10 au 23 août dans une zone située entre la Crète et Chypre, appartenant principalement à la zone maritime grecque ;

- le 11 août, le navire de recherches sismique, escorté de sept frégates turques, pénètre dans la zone maritime grecque et atteint le sud de la Crète ;

- le 12 août, une collision a lieu entre la frégate grecque Limnos et la frégate turque Kemal Reis ;

- le 13 août, la France envoie deux Rafales dans la zone, ainsi que le porte-hélicoptère Tonnerre et la frégate La Fayette participer à un exercice commun avec la marine grecque, aux fins de réassurance ;

- du 26 au 28 août, déroulement de l’activité aéromaritime interalliée QUAD-EUNOMIA 2020 au sud-ouest de Chypre organisée par la République de Chypre, la Grèce, l’Italie et de la France ;

- le 13 septembre, le navire de prospection sismique Oruç Reis regagne les côtes turques.

L’opération de réassurance menée par la France aux côtés de la Grèce et de Chypre en août 2020 a joué un rôle déterminant dans la désescalade. Pour les rapporteurs, il ne fait nul doute que sans ce soutien de la France, la Turquie aurait continué à mener ses activités illégales de prospection et de forage en Méditerranée orientale, ainsi que sa stratégie de harcèlement à l’encontre de la Grèce et de Chypre.

L’engagement de la France au soutien de la Grèce et de Chypre marque en outre une inflexion politique majeure eu égard à la position traditionnelle des Alliés de l’OTAN, qui ne souhaitent pas prendre parti dans les conflits opposant la Grèce et la Turquie. Ainsi que l’a souligné M. Patrick Maisonnave, l’ambassadeur de France en Grèce, l’opération de réassurance de la France a donc une signification politique forte : il s’agit d’affirmer le caractère prioritaire de la solidarité européenne quand un État membre de l’UE est victime de provocations de la part d’une autre puissance.

Les rapporteurs tiennent enfin à souligner que :

● le soutien français s’est effectué dans une logique non escalatoire : les exercices n’ont pas été conduits dans des zones proches de la Turquie et les distances appropriées entre navires ont été respectées ;

● cette intervention ne constitue pas une prise de position en faveur des revendications de la Grèce dans ses litiges territoriaux avec la Turquie, mais vise à prévenir toute politique du fait accompli par la Turquie en la matière ([55]). Ainsi que l’ont rappelé les représentants du ministère de l’Europe et des affaires étrangères auditionnés par les rapporteurs, la France ne prend pas parti sur le fond de ces différends frontaliers et considère qu’ils devront à terme être réglés en conformité avec le droit international de la mer, par la négociation, l’arbitrage ou la voie judiciaire.

COMMUNIQUÉ DU MINISTÈRE DES ARMÉES DU 13 AOÛT 2020

 

« Renforcement de la coopération en Méditerranée orientale

Comme annoncé par le Président de la République à la suite d’un entretien avec son homologue grec, les armées renforcent temporairement leur présence en Méditerranée orientale.

Dans l’immédiat, au plan aérien, ce renforcement temporaire s’appuiera d’abord sur une étape à La Sude, en Crète, le jeudi 13 août, de deux Rafale précédemment déployés à Chypre du 10 au 12 août pour un exercice.

Au plan naval ensuite, le porte-hélicoptères amphibie (PHA) Tonnerre, en route pour porter assistance aux Libanais, a été rejoint cette nuit par la frégate Lafayette, qui a appareillé de Larnaca et a réalisé un exercice à la mer avec la marine grecque.

Cette présence militaire a pour but de renforcer l’appréciation autonome de la situation et d’affirmer l’attachement de la France à la libre circulation, à la sécurité de la navigation maritime en Méditerranée et au respect du droit international. »

3.   Le scénario à venir le plus réaliste : des tensions, mais pas de conflit

Une certaine désescalade a pu être constatée dans la région depuis les évènements de l’été 2020. Celle-ci a été notamment favorisée par la découverte à la fin de l’année 2020 par la Turquie d’importants gisements gaziers dans une zone non contestée en mer Noire. ([56])

Les rapporteurs estiment cependant que la probabilité de résurgence de telles crises en Méditerranée orientale est forte. La marine turque a ainsi repris en septembre 2021 ses opérations de harcèlement à l’encontre de navires, en l’espèce le navire maltais Nautical Geo, opérant dans les ZEE grecques et chypriotes contestées.

Le risque d’escalade dans la zone perdurera ainsi tant que les problématiques sous-jacentes à celles-ci ne seront pas réglées. À cet égard, seuls un règlement de la question chypriote et un accord sur la délimitation des frontières maritimes entre la Turquie, Chypre et la Grèce seraient de nature à réduire les tensions liées à l’exploitation des hydrocarbures dans la zone.

Cependant, comme la majorité des personnes auditionnées, les rapporteurs estiment improbable le scénario d’une véritable guerre conventionnelle entre acteurs étatiques en Méditerranée orientale. En revanche, une reprise des tensions dans cette zone pourrait favoriser des actions hybrides de la part des acteurs concernés (instrumentalisation des flux migratoires, guerre informationnelle, instrumentalisation de la diaspora dans certains pays…).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   Deuxième partie : le retour des stratégies de puissance

I.   L’affirmation des puissances régionales

A.   L’enhardissement de la Turquie

1.   Une politique du fait accompli, facteur de déstabilisation

a.   Un durcissement de la politique étrangère

La Turquie occupe une position stratégique pour les forces occidentales en Méditerranée. Elle contrôle en effet les détroits du Bosphore et des Dardanelles et abrite des bases militaires de l’OTAN dont elle est membre depuis 1952.

Cependant, l’éloignement des perspectives d’adhésion à l’Union européenne, la tentative de coup d’État contre le président Erdogan en 2016 et la persistance de la question kurde, notamment dans le cadre du conflit syrien, ont accéléré le phénomène de désalignement de la politique étrangère turque avec les positions du bloc occidental.

Cette politique s’est notamment traduite par un rapprochement avec la Russie, comme l’ont démontré la participation de la Turquie aux côtés de la Russie et de l’Iran au processus d’Astana en Syrie en 2017, ainsi que l’acquisition par la Turquie de systèmes de défense anti-aérienne russe S-400 la même année.

Ce durcissement de la politique étrangère de la Turquie s’est également manifesté par la volonté de « s’affirmer comme puissance régionale », de « contester l’ordre mondial » et de « saisir les opportunités stratégiques pour conforter [son] statut ou [ses] intérêts au prix d’un aventurisme grandissant » ([57]), selon les constats établis par l’Actualisation stratégique de 2021. Fort logiquement, cette politique d’affirmation s’est déployée en Méditerranée.

b.   En Libye, une intervention au mépris du droit et de ses alliés

L’intervention de la Turquie en Libye a fait suite à la signature des protocoles d’accord (« Memorandum of understanding ») entre la Turquie et le gouvernement d’entente nationale (GNA) du 26 novembre 2019 sur la coopération militaire et la délimitation des frontières maritimes.

L’implication turque en Libye, à compter de janvier 2020, a pris la forme d’un dispositif militaire robuste, ainsi résumé par M. Benoît de la Ruelle, dans une note de la Fondation méditerranéenne d'études stratégiques (FMES) : « capacité de commandement pour planifier et conduire des opérations interarmées, forces spéciales, capacités de renseignement, bulles de défense aérienne, moyens de frappe dans la profondeur, infanterie ‘‘consommable’’ d’environ 3 000 mercenaires syriens. » ([58])

Le soutien militaire turc au GNA a été suffisamment conséquent pour avoir un impact décisif sur le conflit, comme le confirme l’ONU : « L’introduction par la Turquie de technologies militaires avancées dans le conflit a été un élément décisif dans la guerre d’usure souvent clandestine et certainement inégale qui a entraîné la défaite des forces affiliées à Haftar dans l’ouest libyen en 2020. La technologie aérienne à distance, associée à une fusion efficace des données du renseignement et à des capacités de renseignement, de surveillance et de reconnaissance, a inversé le cours des événements en faveur des forces affiliées au Gouvernement d’entente nationale. » ([59])

Le soutien de la Turquie au GNA s’est en outre traduit par des livraisons d’armes, réalisées en violation de l’embargo de l’ONU, sous la protection de frégates turques, qui n’ont pas hésité à instrumentaliser leur appartenance à l’Alliance, ainsi que l’a confirmé un officier de l’état-major de la marine : « La Turquie a intensifié sa présence dans le Golfe de Syrte où elle maintient un groupe de combat depuis plusieurs mois, c'est-à-dire quatre frégates et un pétrolier-ravitailleur. Elle y transgresse bien des règles : ces frégates inscrites à une opération de l’OTAN participent à l'escorte de bâtiments civils armés par Ankara pour acheminer du matériel militaire en violation de l'embargo sur la livraison d'armes en Libye. Non contente de transgresser cet embargo, elle le fait sous couvert d'une opération de l'OTAN, en s’écartant pendant douze heures pour accompagner ces navires, en falsifiant les positions de ses unités, en simulant la poursuite de la mission en cours par des interrogations VHF de façade. » ([60])

C’est dans ce contexte de violation caractérisée de l’embargo de l’ONU par la Turquie qu’est intervenu l’incident avec la frégate Courbet le 10 juin 2020, symbolisant l’agressivité de la stratégie turque en Méditerranée.

L’INCIDENT COURBET

 

Le 10 juin 2020, dans le cadre de l’opération Sea Guardian de l’OTAN, la frégate française Courbet a tenté de contrôler le cargo Cirkin, alors escorté par trois navires turcs. Ces derniers, ont empêché le contrôle du cargo et ont illuminé la frégate française avec son radar de conduite de tir à trois reprises. L’illumination constitue la dernière étape avant l’ouverture du feu.

Lors de son audition par la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat le 18 juin 2020, la ministre des Armées, Mme Florence Parly, est revenu sur cet incident en ces termes :

« Je conclus par l'incident de mercredi dernier en mer Méditerranée impliquant une frégate française, le Courbet, sous le commandement de l'OTAN, MARCOM. Dans le cadre de l'opération Sea Guardian, elle a identifié un navire d'intérêt suspecté de contrebande d'armes à destination de la Libye en violation de l'embargo. Son numéro d'identification était masqué, il a donné des informations erronées sur sa présence et il a arrêté à plusieurs reprises sa balise AIS, qui permet l'identification. Ce comportement avait déjà été repéré chez des cargos livrant leur cargaison en Libye et ce n'était pas la première fois qu'ils étaient accompagnés de frégates turques. À trois reprises, alors que le Courbet faisait une interrogation totalement légale du navire, les frégates turques l'ont illuminé avec leur radar de conduite de tir. Par ailleurs, des personnels en gilet pare-balles et casques lourds se sont postés aux affûts des armes légères du navire.

C'est un acte extrêmement agressif qui ne peut pas être celui d'un allié face à un autre allié qui fait son travail sous commandement de l'OTAN. J'ai donc été extrêmement claire lors de la réunion des ministres de la défense de l'OTAN d'hier et j'y suis revenue aujourd'hui : il ne peut pas y avoir la moindre complaisance à l'égard de ce genre de comportement. Cet incident particulièrement grave doit être relevé. Nos alliés partagent nos préoccupations. Huit alliés européens, dont des pays majeurs, m'ont apporté un clair soutien. Une réflexion est nécessaire sur ce qui se passe dans l'alliance. Il faut regarder en face les dérives ».

 

À la suite de cet incident et face à l’absence de réaction ferme de l’OTAN, la France a suspendu sa participation à l’opération Sea Guardian en juillet 2020. La réintégration des moyens français à cette opération a été soumise à de strictes conditions, exposées au Parlement européen par la ministre des Armées : « Nous avons donc formulé quatre demandes pour que ce type d’incidents ne se reproduise pas : une réaffirmation solennelle du respect de l’embargo ; un rejet catégorique de l’utilisation par la Turquie des indicatifs OTAN pour mener ses trafics ; une meilleure coopération entre UE et OTAN ; et des mécanismes de déconfliction. Dans l’attente de clarifications sur ces différents points, le Président de la République Française a pris la décision de retirer les moyens français consacrés à Sea Guardian et ceci, jusqu’à nouvel ordre. » ([61])

Les rapporteurs jugent que le retrait de la France de l’opération Sea Guardian était nécessaire face à l’absence de fermeté de l’OTAN. Au regard de la gravité de ces incidents, il est en effet particulièrement regrettable que seuls huit pays de l’OTAN aient soutenu la France et condamné fermement le comportement de la Turquie, lors de la réunion des ministres de la défense de l'OTAN du 17 juin 2020. À l’instar de la majorité des personnes auditionnées, les rapporteurs estiment en outre hautement improbable à court terme un retour de la France au sein de l’opération Sea Guardian, dès lors que les conditions pour un tel retour ne sont pas réunies, notamment du fait de l’opposition turque à toute coopération de l’OTAN avec la mission IRINI.

En définitive, l’intervention de la Turquie en Libye a été déstabilisatrice à plusieurs titres : en soutenant militairement le GNA, elle a participé à l’escalade du conflit, en provoquant par réaction une plus forte implication de la Russie ; en violant l’embargo, elle a renforcé le risque de prolifération des armes dans la zone, notamment vers le Sahel à travers le sud de la Libye, et a durablement affaibli la cohésion de l’Alliance atlantique ; enfin, en envoyant des mercenaires syriens, elle a accru le risque d’islamisation du conflit libyen ([62]). À terme, le risque est que la Libye devienne la tête de pont de la stratégie d’influence en Afrique, au cœur de la politique turque : la Turquie a ainsi multiplié par quatre le nombre de ses ambassades en Afrique depuis 2002, comme l’a rappelé M. Didier Billion, représentant de l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS).

c.   En Méditerranée orientale, la recherche du rapport de forces

Comme il a été indiqué en première partie du rapport, la Turquie n’a pas hésité à appuyer ses revendications territoriales en Méditerranée orientale par une politique du fait accompli : conclusion en novembre 2019 d’un accord de délimitation maritime avec le gouvernement libyen, qui remet notamment en cause les droits à une ZEE grecque sur la Crète et Rhodes, en violation du droit international maritime ; présence navale permanente au large de Chypre ; intimidation des navires opérant dans les concessions octroyées par la République de Chypre ; exploration des fonds marins dans les zones maritimes grecque et chypriote par des navires de prospection turcs escortés par des frégates militaires ; réservation de zones de patrouilles de sous-marins tout autour de la Turquie et de Chypre.

La Turquie remet ainsi en cause la liberté de navigation dans cette zone, dans une logique « soft » de déni d’accès, comparable à celle pratiquée par la marine chinoise en mer de Chine. Le but recherché par la Turquie est ainsi d’instaurer un rapport de force favorable à ses intérêts, dans l’optique d’une renégociation avec Chypre et la Grèce de la délimitation des frontières maritimes, sur fond d’enjeux relatifs aux appropriations des ressources énergétiques.

d.   Des signes récents d’apaisement à la pérennité incertaine

Les rapporteurs tiennent tout d’abord à relever que, d’après l’ensemble des acteurs concernés auditionnés, les relations avec les membres de la marine turque affectés au sein de l’Alliance sont toujours restées professionnelles et courtoises, ce qui tend à démontrer que les relations de coopération entre militaires au sein de l’OTAN n’ont pas souffert des tensions politiques entre alliés.

En outre, une certaine désescalade des tensions a été constatée en 2021 en Méditerranée. Celle-ci est due à un ensemble de facteurs : la dégradation importante de la situation économique actuelle en Turquie ; la fin de la relation privilégiée avec le président Donald Trump ; la réussite des efforts français pour mobiliser ses partenaires européens, tels qu’illustrés par la prorogation du régime européen de sanctions en novembre 2021 ; enfin, la découverte d’importants gisements gaziers par la Turquie en août 2020 dans une zone non contestée en mer Noire, qui offre à la Turquie, selon certains experts, une alternative aux gisements en Méditerranée orientale ([63]).

Dans le cadre de la crise actuelle en Ukraine, la Turquie a ainsi réaffirmé son ancrage au sein de l’OTAN, en approfondissant sa relation d’armement avec l’Ukraine et en adoptant une position ferme à l’encontre de la Russie. Cela tend également à démontrer qu’elle ne souhaite pas devenir le vassal de la Russie, comme l’a rappelé M. Didier Billion. Au niveau bilatéral, cet apaisement a notamment été illustré par l’exercice commun le 30 décembre 2021 effectué entre la frégate multi-missions (FREMM) Auvergne et la frégate turque Yildirim en mer Noire. ([64])

Si les rapporteurs ne peuvent que se satisfaire d’un tel apaisement, il est cependant permis de s’interroger sur sa pérennité. À cet égard, la plupart des personnes auditionnées ont souligné que la politique d’affirmation turque au sein de son environnement régional persisterait, quel que soit le président issu de l’élection de juin 2023. En effet, celle-ci ne dépendrait pas tant de la personnalité du président actuel que de facteurs structurels liés notamment à la dynamique du nationalisme turc. En outre, les causes des tensions précitées persistent, notamment l’absence de résolution des litiges frontaliers maritimes et de la question chypriote. Les entraves turques au déploiement du Nautical Geo opérant dans les ZEE grecques et chypriotes dans le cadre du projet EastMed en septembre 2021 sont de nature à confirmer ces inquiétudes sur le caractère précaire de cet apaisement.

2.   Une modernisation de son armée, au service de son ambition régionale

Au service de sa volonté de s’imposer comme une puissance incontournable en Méditerranée, la Turquie développe un programme d’armement particulièrement ambitieux.

● Le premier objectif de ce programme est de renforcer l’autonomie stratégique de la Turquie. Dans un contexte marqué par l’interdiction des exportations américaines à la suite de l’acquisition par la Turquie du système de défense anti aérienne russe S-400 ([65]), la Turquie promeut en effet le développement d’armements et de capacités de production nationale. Aujourd’hui, plus de 70 % de sa production en matière d’armements serait ainsi d’origine domestique, selon les informations communiquées aux rapporteurs.

● Le second objectif de ce programme d’armement est de renforcer de façon conséquente les capacités navales turques. La marine turque, composée d’environ 50 000 hommes, est d’ores et déjà la plus puissante force navale de la Méditerranée orientale : outre soixante-quinze avions, elle comprend dix-neuf frégates, sept corvettes, quatorze sous-marins et 108 vedettes rapides ([66]).

Dans le cadre de cette modernisation des capacités navales, la Turquie prévoit d’ici 2025 la livraison de : quatre frégates de type TF-100 ; un navire d’assaut amphibie (LHD) de type Juan Carlos, susceptible notamment de servir de porte-drones ; six sous-marins à propulsion anaérobie de production allemande. Cette montée en gamme des capacités navales est également illustrée par un projet de six frégates anti-aériennes TF-2000 pour 2027 et par la construction d’un sous-marin de production exclusivement nationale à l’horizon 2035. L’exercice Denizkurdu-2019, qui a mobilisé en mai 2019 en mer Méditerranée et en mer Noire 131 navires, 57 avions et 33 hélicoptères, constitue un signal fort des capacités navales de la Turquie.

● La Turquie s’est également imposée comme un producteur et un exportateur de premier plan de drones (drones de surveillance Anka-S et drones d’attaque MALE Bayraktar TB2). Cette spécialisation dans le développement des drones confère trois atouts à la Turquie. Sur le plan interne, les drones offrent à la marine turque un outil stratégique pour surveiller la zone méditerranéenne. Sur le plan externe, la politique d’exportation des drones participe à la stratégie d’influence de la Turquie, y compris au sein du bassin méditerranéen, comme l’illustrent les acquisitions de TB-2 et d’Anka-S par le Maroc et la Tunisie. Enfin, ces drones ont permis à la Turquie de jouer un rôle déterminant dans les conflits en Libye et au Haut Karabakh. Ces deux conflits démontrent du reste que l’envoi de mercenaires, d’une part, et la livraison de drones, d’autre part, constituent les deux principaux vecteurs de la stratégie d’influence turque dans les conflits contemporains.

Enfin, bien que la présence navale turque soit principalement cantonnée à l’heure actuelle à la Méditerranée orientale, ses capacités permettent de se déployer dans les autres zones de la Méditerranée, comme le démontre la présence navale turque permanente durant le conflit libyen. Il n’est donc pas exclu que la Turquie cherche à développer à l’avenir ses points d’appui en Méditerranée centrale, notamment en Libye. Pour M. Vincent Tourret et Mme Aude Thomas, chargés de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique auditionnés par les rapporteurs, le renforcement des équipements turcs sur la base aérienne libyenne d’Al-Watiyah et dans le port de Misrata démontre que la présence militaire de la Turquie en Libye a vocation à perdurer.

B.   Un réarmement généralisé

1.   Un réarmement qui couvre l’ensemble du spectre capacitaire

a.   L’exemple du réarmement naval

La Méditerranée est le théâtre d’un « réarmement naval mondial actuel, sans équivalent, à la fois dans l’histoire récente et en proportion des autres composantes » mis en exergue par l’amiral Pierre Vandier ([67]). Ce réarmement naval concerne l’ensemble des puissances de la zone, et l’ensemble des bâtiments, de surface ou de sous-marins, comme l’illustrent les documents ci-dessous.

le rÉarmement naval en MÉditerranÉe

Source : marine nationale

le dÉveloppement des sous-marins

Source : marine nationale

Les marines alliées ne sont pas en reste, à l’instar de l’Italie. Celle-ci maintient son effort de renouvellement de son matériel, avec notamment le porte-aéronefs LHD Trieste destiné à remplacer le Giuseppe Garibaldi en 2022, ou l’acquisition de quatre sous-marins à l’horizon 2025 en vue de maintenir un format de huit sous-marins. En outre, l’Italie poursuit un effort conséquent pour développer ses frégates de premier rang, qui passeraient de dix à dix-neuf entre 2008 et 2027, soit une augmentation de plus de 90 %, tandis que la France resterait à un format de quinze frégates sur la même période.

les frÉgates : comparaison France-Italie

Source : marine nationale

b.   L’exemple des drones

Devenus incontournables, tant pour des opérations de surveillance que pour des actions cinétiques, les drones figurent aujourd’hui parmi les équipements militaires les plus prisés, en particulier par des puissances intermédiaires, nombreuses autour du bassin méditerranéen.

À Chypre, les deux parties s’arment ainsi en drones. Au nord, la Turquie a déployé de nombreux appareils depuis 2019, la République de Chypre ayant, quant à elle, acquis plusieurs appareils de fabrication israélienne au cours de la même année. Un accord aurait même été conclu avec les autorités israéliennes en vue de l’établissement d’un système de surveillance électronique sur la frontière dite de la « ligne verte ».

De la même manière, le Sahara occidental aurait été, comme il a déjà été indiqué par les rapporteurs, le théâtre d’importants déploiements de drones. Le Maroc a fourni un effort particulier en ce domaine et disposerait d’une flotte de drones particulièrement diverse : Heron et Hermes 900 (Israël), Harfang (France), Wing Loong I (Chine), Bayrak TB-2 (Turquie), MQ-9B Sea Guardian (États-Unis) de dernière génération. L’Algérie aurait quant à elle acquis des drones Yahbon flash 20 aux Émirats arabes unis (EAU) et fabrique en coopération avec les EAU le drone United 40.

L’Égypte emploie également des drones de type Wing Loong I (Chine), notamment dans le cadre de sa lutte anti-terroriste. Enfin, la Tunisie a également acquis des drones ANKA-S auprès de la Turquie.

2.   Un réarmement révélateur des tensions : l’exemple Algérie/Maroc

a.   L’Algérie, un développement capacitaire massif

Depuis 2006, l’Algérie promeut une politique de modernisation massive de son armée, comme en témoigne la part conséquente du PIB qu’elle consacre à l’effort à l’effort de défense, à hauteur de 6, 5 %  ([68]), soit plus de 10 milliards d’euros. Ces chiffres sont à mettre en regard de la situation qui prévalait en 2006, date à laquelle seul 2,5 % du PIB algérien était consacré à la défense. Aujourd’hui, l’Algérie constitue le cinquième importateur d’armes du monde et le premier en Afrique, ainsi que l’a souligné le colonel Stéphane Richou, attaché de défense de l’ambassade de France en Algérie.

Dans le domaine naval, le développement capacitaire est particulièrement significatif. Auditionné par la commission de la Défense à l’automne 2022, l’amiral Pierre Vandier, chef d’état-major de la marine, déclarait ainsi que « l’Algérie est en train de construire deux porte-hélicoptères d’assaut. Elle possédera bientôt dix frégates et quinze corvettes. En outre, elle vient d’acheter à la Russie quatre sous-marins supplémentaires, capables de tirer des missiles de croisière navals (MdCN). » ([69])

La modernisation des capacités a notamment permis la constitution de :

– capacités offensives hauturières, notamment avec les forces navales concentrées à Mars El Kébir ;

– capacités de frappes dans la profondeur, y compris en Europe, avec ses six sous-marins Kilo dotés de missiles SS-N30 de type Kalibr, et ses avions de chasse Su30MKA et Mig 25 PDA ;

– capacités de tirs quasi-balistiques, avec le SS26 Iskander ;

– capacités de déni d’accès et d’interdiction de zone en Méditerranée occidentale, à travers un dispositif de défense anti-aérienne composé de S-300 et prochainement S-400 et des systèmes perfectionnés de radars (notamment de type Rezonans), de brouillage et de guerre électronique.

Lors de son audition par les rapporteurs, le général Philippe Moralès, commandant de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA), a ainsi mis en exergue que l’Algérie pourrait constituer une véritable bulle de déni d’accès dans le détroit de Gibraltar et jusqu’au sud de l’Espagne, dans une logique de sanctuarisation de la Méditerranée occidentale.

L’ampleur de ce réarmement, notamment au regard des contraintes économiques que connaît l’Algérie, interroge sur les finalités poursuivies par les autorités algériennes. Il s’inscrit en effet dans un contexte caractérisé par un certain durcissement de la politique étrangère algérienne, notamment à l’égard du Maroc, telle que l’illustre la rupture des relations diplomatiques en août 2021, inédite depuis 1976, et la fin de l'utilisation du gazoduc Maghreb-Europe passant par le Maroc, sur fond de tension au Sahara occidental. En outre, la révision constitutionnelle de novembre 2020 autorise désormais la projection de l’armée algérienne hors de ses frontières dans le cadre d’opérations de maintien de la paix, à rebours de la tradition non-interventionniste du pays.

Cependant, d’après plusieurs personnes auditionnées, l’Algérie n’a pas à ce stade de volonté de projection de puissance. Ce réarmement massif obéirait par conséquent à des finalités principalement dissuasives : signal stratégique à l’égard du rival marocain ; protection du territoire, dans un contexte de forte préoccupation sécuritaire à ses frontières (Mali et Libye) ; préservation du prestige de l’armée et illustration de l’influence de cette dernière sur le pouvoir politique.

 

Enfin, le partenariat de l’Algérie avec la Russie est également un motif de préoccupation, a fortiori dans un contexte d’implantation du groupe Wagner au Sahel. La Russie constitue ainsi de loin le premier fournisseur de l’Algérie : elle pourvoirait à hauteur de 67 % aux besoins en équipements militaires de l’Algérie  ([70]). En outre, les deux États ont intensifié leur coopération opérationnelle, avec un premier entraînement commun des forces terrestres russes et algériennes, qui s’est déroulé en octobre 2021.

Dans ce contexte, l’apaisement des tensions et le rétablissement de relations de confiance entre la France et l’Algérie doivent être encouragés, au service de la stabilité de la zone. Les rapporteurs saluent à cet égard la décision récente des autorités algériennes de lever l’interdiction du survol de l’espace aérien des vols militaires français.

b.   Le Maroc, engagé dans une course aux armements

Dans un contexte d’accroissement des tensions avec l’Algérie au Sahara occidental, le Maroc a augmenté son budget de défense de 29 % en 2021 et de 12 % en 2022 (4,28 % du PIB). Il s’agit du plus important effort budgétaire de l’histoire du Maroc en faveur de sa politique de défense.

Outre l’acquisition massive de drones précitée, les efforts capacitaires marocains portent principalement sur le développement d’un système de défense anti-aérienne, avec notamment l’acquisition du système américain Patriot et des missiles chinois FD-2000B.

Le développement capacitaire des forces marocaines s’appuie sur un partenariat privilégié avec les États-Unis, comme le démontrent l’acquisition par le Maroc en 2019 de 25 avions de chasse F-16 Viper pour près de quatre milliards d’euros, ainsi que la commande en 2020 de 24 hélicoptères d’attaque AH-64E Apache.

En outre, dans le prolongement de la normalisation des relations diplomatiques avec Israël consécutive aux accords d’Abraham de décembre 2020, le Maroc a intensifié sa coopération en matière de défense avec Israël, ainsi que l’illustre la conclusion du « mémorandum d’entente en matière de défense » en novembre 2021. Cet accord laisse présager une consolidation de la relation d’armement entre les deux pays, notamment en matière de drones et de renseignement.

 

II.   Des compétiteurs stratégiques mondiaux à nos portes

A.   Le « retour » de la Russie

1.   Le renforcement des moyens russes en Méditerranée

La Méditerranée représente un espace stratégique pour la Russie, dès lors qu’il s’agit de sa voie d’accès aux mers chaudes, ainsi qu’au Moyen-Orient. Après une longue période d’absence postérieurement à la fin de la Guerre froide, l’établissement d’une présence navale russe permanente en Méditerranée est redevenu prioritaire, comme l’illustre le document stratégique « Fondements de la politique de l’État dans le domaine naval à l’horizon 2030 », signé par le président Poutine le 20 juillet 2017. ([71])

Cette volonté de réinvestissement en Méditerranée s’est manifestée par la création en 2013 de la « force opérationnelle permanente de la marine russe en Méditerranée », formellement rattachée à la « flotte de la mer Noire ». Ce groupement de forces permanent en Méditerranée peut compter, selon les experts, plus d’une quinzaine de bâtiments de combat, dont certains sont équipés du missile de croisière Kalibr. ([72])

C’est cependant grâce à son intervention en Syrie en 2015 que la Russie a pu disposer d’un véritable point d’appui pour ces forces armées en Méditerranée. Cette intervention lui a en effet permis de consolider son occupation du port syrien de Tartous. Jusqu’alors modeste point d’appui naval, le port s’est considérablement développé à la faveur du conflit syrien et abriterait désormais de façon permanente une dizaine de bâtiments de tonnages faibles mais relativement récents, dont deux sous-marins. La Russie y déploie également des systèmes de défense anti-aérienne de type S-400, ainsi qu’un système de défense côtière Bastion-P dotée de missiles de croisière anti-surface ([73]). La présence russe à Tartous a par ailleurs vocation à s’inscrire dans la longue durée, puisque la gestion opérationnelle de la base a été confiée par la Syrie à la Russie pour une durée de 49 ans en décembre 2017.

Outre la base de Tartous, la présence russe dans la région prend également appui sur une présence permanente au sein de la base aérienne de Lattaquié. En septembre 2019, plus d’une trentaine d’avions (Su-35, SU-34 et Su-24) et hélicoptères (Mi-35 et Mi-8) y étaient ainsi déployés ([74]). Grâce à l’agrandissement de cette base effectué en juillet 2020, la Russie a même déployé ses bombardiers supersoniques TU 22 M3 en mai 2021, en réaction au déploiement dans la zone de bombardiers américains.

Cette implantation russe en Syrie fait donc de la Méditerranée orientale le pôle de rayonnement de la puissance russe en Europe.

2.   La présence russe : un défi pour nos forces

Le dispositif russe est de nature à restreindre fortement la liberté d’action de la France et de ses partenaires dans la zone. Tout d’abord, les déploiements de nos capacités en Méditerranée orientale sont désormais régulièrement sources d’interactions, d’intensité variable, avec les forces russes, comme l’ont confirmé le capitaine de vaisseau Hervé Siret et le colonel Romain Canepa, représentant le centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) de l’état-major des Armées auditionnés par les rapporteurs.

Celles-ci ont lieu tant dans le milieu naval – à l’occasion des déploiements du groupe aéronaval (GAN) dans le canal de Syrie par exemple – que dans le milieu aérien. Les déploiements de Mirage 2000D ou de Rafale en Méditerranée orientale donnent quasi systématiquement lieu à des interactions avec les forces russes. Ainsi que l’a mis en exergue le capitaine de vaisseau Bruno, « on assiste aujourd’hui à un pistage souple des forces navales étrangères déployées en Méditerranée orientale, en particulier dans le canal de Syrie et à l’interception systématique des vols de surveillance et de reconnaissance effectuées au-dessus de ce canal. » ([75])

Par ailleurs, la mise en place par la Russie de systèmes de défense anti-aérienne participe à la création de bulles de déni d’accès. Dans cette perspective, la réitération de l’opération Hamilton ([76]) serait aujourd’hui plus complexe à mettre en œuvre, comme l’a reconnu le général Philippe Moralès. Ainsi, en cas de crise, « ces dispositifs russes pourraient être mis à profit à des fins offensives et être mobilisés par les armées russes pour restreindre l’accès des forces occidentales au canal de Suez, à la mer Noire et à la Méditerranée orientale », comme le relève une note de la Fondation pour la recherche stratégique. ([77])

la prÉsence russe en Syrie : une menace de dÉni d’accÈs

Source : Charles Frattini III et Geneviève Casagrande, « Russia’s Mediterranean Threat to NATO, Institute for the Study of

War (ISW), juillet 2017.

3.   Une influence qui s’étend à l’ensemble du bassin méditerranéen

Au-delà de sa seule présence en Méditerranée orientale depuis son point d’appui en Syrie, la Russie cherche également à élargir son influence dans les autres zones de Méditerranée.

En Libye, elle a soutenu l’Armée nationale libyenne (ANL) du maréchal Haftar. Ce soutien s’est notamment effectué par l’intermédiaire du groupe Wagner, qui comptait en 2020 selon l’ONU plus de 2 000 agents en propre, outre les 2 000 combattants syriens qu’il a recrutés et déployés ([78]). Selon l’ONU les agents du groupe Wagner « ont participé à des tâches militaires spécialisées en tant qu’observateurs d’artillerie avancés et de contrôleurs aériens avancés, mettant à profit leurs compétences en contre-mesures électroniques et se déployant comme des équipes de francs-tireurs. Leur déploiement a été un multiplicateur de force efficace pour les forces affiliées à Haftar en 2019 et au début de 2020. » ([79])

L’implication russe en Libye a pu également prendre des formes plus directes, comme l’ont illustré les images diffusées en mai 2020 par le commandement des États-Unis pour l’Afrique indiquant la présence d’au moins 14 avions de combat russes dans les bases aériennes libyennes d’Al Khadim et d’Al Jufra. ([80])

L’influence de la Russie dans le reste de la région s’exerce principalement à travers une politique d’exportation d’armement soutenue à destination de certains partenaires. La livraison des systèmes de défense aérienne russes S-400 à la Turquie en 2019, qui pourrait être complétée par la vente d’un second lot ([81]), a ainsi symbolisé le rapprochement diplomatique entre les deux pays initié dans le cadre du processus d’Astana.

Comme l’ont déjà indiqué les rapporteurs, l’Algérie, partenaire historique de la Russie, continue également d’être fortement dépendante des livraisons d’armes russes : selon certaines estimations, elle aurait ainsi reçu près des deux tiers de ses armes entre 2014 et 2018 de la Russie ([82]). Les exercices navals russo-algériens à Alger en novembre 2021 sont également révélateurs de la coopération militaire étroite entre les deux pays.

Enfin, l’Égypte constitue un autre partenaire clé, comme en témoignent la conclusion d’un accord de coopération stratégique en octobre 2018, l’acquisition en 2020 d’une vingtaine d’avions de chasse russes Su-35 par l’armée égyptienne, ou encore la tenue d’exercices militaires conjoints (« Gardiens de l’amitié » et « Flèches de l’amitié »).

Les relations privilégiées de la Russie avec ces acteurs régionaux posent la question d’une éventuelle implantation de la marine russe sur la partie occidentale de la Méditerranée, dans un contexte d’accroissement de l’influence russe au Sahel. Les rapporteurs tiennent à rappeler à cet égard les propos du vice-amiral Laurent Isnard devant la commission en février 2020 : « nous sommes face à un acteur assez opportuniste : partout où l’Occident se désengage, la Russie est présente. Nous l’avons constaté sur le théâtre syrien, nous le constatons sur le théâtre libyen. » ([83])

En outre, la Russie pourrait profiter de façon opportuniste d’une crise en Indo-Pacifique qui aboutirait à une concentration des moyens américains et otaniens dans cette zone, pour faire avancer ses intérêts en Méditerranée, ainsi que l’a souligné M. Pierre Haroche, chercheur à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM).

B.   L’émergence de la Chine

1.   Une présence chinoise essentiellement économique à ce stade

Ainsi que le souligne la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017 du ministère des Armées, l’intensification des flux commerciaux entre la Chine et l’Union européenne – la Chine étant le deuxième partenaire commercial de l’Union – rend crucial pour la Chine l’accès à la mer Méditerranée via le canal de Suez, dès lors que plus de deux tiers de ce commerce emprunte la voie maritime. Cette volonté chinoise de sécuriser ses accès aux routes commerciales et aux détroits maritimes s’inscrit dans le cadre global de l’initiative des nouvelles Routes de la soie (Belt and Road ou BRI) lancée en 2013. Son volet maritime, baptisé les « Routes maritimes de la soie », a pour but de créer un réseau mondial de ports interconnectés et se traduit notamment par des investissements massifs de la Chine dans des infrastructures portuaires.

Dans cette perspective, les ports méditerranéens constituent une cible de choix pour les intérêts chinois. L’exemple emblématique de cette politique chinoise est la prise de contrôle par la société publique chinoise Cosco du port du Pirée, en Grèce, en 2008. Néanmoins, les investissements chinois dans les infrastructures portuaires méditerranéennes concernent l’ensemble de la zone : Cherchell en Algérie ; Port-Saïd et Alexandrie en Égypte ; Ashdod et Haïfa en Israël ; le terminal Kumport du port Ambarli d’Istanbul ; les ports de Savone, Trieste, Gênes et Naples en Italie ([84]). À cet égard, l’adhésion de l’Italie à la BRI en mars 2019, contre l’avis des États-Unis et de la France, est révélatrice de l’attractivité du projet chinois des Routes maritimes de la soie pour les pays méditerranéens.

Enfin, la Chine, à travers la société Huawei Marine Networks, est également très présente dans le secteur des câbles sous-marins en Méditerranée, ainsi que l’illustrent le développement du câble Hannibal reliant la Tunisie à l’Italie en 2009 et celui reliant la Libye à la Grèce en 2013 ([85]). En 2021, la Chine a ainsi posé pour la première fois par ses propres moyens des câbles en Méditerranée, selon les informations recueillies par les rapporteurs lors des auditions. L’objectif de la Chine est de posséder 60 % du marché mondial des câbles sous-marins en 2025. ([86])

2.   La menace d’une militarisation de la présence chinoise

D’après les personnes auditionnées, la marine chinoise est pour l’heure peu présente en Méditerranée. Le dernier déploiement naval chinois d’importance dans la zone remonte ainsi à mars 2015, dans le cadre d’un important exercice commun avec la Russie en Méditerranée orientale qui a duré dix jours. Entre 2017 et 2019, un groupe naval chinois par an s’est déployé en Méditerranée, l’activité s’étant par la suite réduite en raison notamment de la pandémie ([87]). Toutefois, plusieurs personnes auditionnées ont alerté les rapporteurs sur le risque d’une militarisation de la présence chinoise en Méditerranée.

Dans cette perspective, le développement capacitaire de la marine chinoise permettrait assurément à la Chine d’assurer une présence permanente en Méditerranée. Selon les projections actuelles, la taille de la marine chinoise aura ainsi augmenté de 138 % entre 2008 et 2030. Ainsi que l’a souligné l’amiral Pierre Vandier, la Chine met ainsi à l’eau l’équivalent de notre flotte nationale tous les trois ans ([88]). Outre la dimension quantitative, la marine chinoise a monté en gamme et renforcé ses capacités de projection, comme l’illustrent le lancement de deux premiers porte-avions chinois, le Liaoning en 2012 et le Shandong en 2019, et la mise en service d’un troisième porte-avions prévue en 2025.

La volonté de la Chine d’établir des points d’appui militaires au-delà de sa périphérie régionale est démontrée par la construction d’une importante base militaire chinoise à Djibouti, inaugurée en 2017, sur un site proche du détroit de Bab el Mandeb, porte d’entrée vers le canal de Suez et la mer Méditerranée. Les travaux d’infrastructure considérables effectués sur cette base confirment l’ambition chinoise d’établir des forces de projection : la base de Djibouti serait en effet susceptible d’accueillir des porte-avions, grâce à la construction d’une importante jetée. ([89])

Dans ce contexte, la mise en œuvre d’un processus de militarisation similaire à celui développé à Djibouti des infrastructures portuaires chinoises en Méditerranée est une hypothèse qui ne saurait être exclue, ainsi que l’ont confirmé aux rapporteurs de nombreuses personnes auditionnées. Une telle militarisation de ces infrastructures aurait certes pour objectif premier de sécuriser ses investissements économiques et de protéger ses ressortissants dans la région. Sur ce dernier point, la Chine garde en effet en mémoire l’évacuation de ses 35 000 ressortissants en Libye en 2011, qui n’a pu être effectuée qu’avec l’aide de pays européens, et notamment de la Grèce. Toutefois, l’établissement d’infrastructures militaires en Méditerranée constituerait naturellement un atout stratégique significatif pour la Chine en cas de crise.

III.   Une présence occidentale en retrait

A.   Les États-Unis : entre désengagement et intérêt

1.   Un relatif désengagement de la zone

Alors que la Méditerranée était considérée comme un « lac américain » à la fin de la Guerre froide, les auditions conduites par les rapporteurs ont mis en exergue le désinvestissement américain à l’œuvre depuis plusieurs années dans le bassin méditerranéen.

Ce constat est une réalité. Lors de son audition précitée, le vice-amiral d’escadre Laurent Isnard, a ainsi rappelé qu’alors que des groupes aéronavals américains étaient présents en permanence en Méditerranée il y a encore quelques années, tel n’était plus le cas aujourd’hui. Ceux-ci ne sont désormais souvent que « de passage », sur le trajet qui les mène du détroit de Gibraltar au canal de Suez puis vers le détroit d’Ormuz. ([90])

Ce retrait américain est également illustré par la forte réduction des moyens de la VIe flotte. Selon les informations transmises aux rapporteurs, elle ne comprendrait plus à l’heure actuelle, en propre, qu’un bâtiment de commandement, quatre destroyers aux fins de défense anti-aérienne et trois navires de transport rapides expéditionnaires basés à Rota (Espagne), ainsi que des avions de patrouille maritimes sur la base aérienne de Sigonella (Italie), exerçant essentiellement une fonction de dissuasion à l’égard de la Russie.

Ce désengagement est la conséquence de la réorientation, engagée sous la présidence Obama, de la politique de sécurité américaine vers l’Indo-Pacifique (le « pivot stratégique »), et de la focalisation des États-Unis sur la compétition stratégique avec la Chine. Ce reflux de la présence américaine a indéniablement contribué à l’enhardissement des puissances régionales et au réinvestissement en Méditerranée des puissances extérieures, telles que la Russie.

2.   Un acteur qui restera malgré tout présent en Méditerranée

a.   Des intérêts structurels en Méditerranée

Si le relatif désengagement américain en Méditerranée au cours des dernières années est incontestable, il convient toutefois, selon les rapporteurs, de nuancer un tel constat, notamment au vu des évolutions les plus récentes.

Tout d’abord, si la VIe flotte a été fortement réduite, un certain nombre d’unités d’autres flottes peuvent lui être rattachées sur une base rotationnelle. En outre, les États-Unis disposent de points d’appui majeurs dans la région, notamment avec les bases navale et aérienne de Rota et Moron en Espagne, la base aérienne de Sigonella en Italie (avions de patrouille maritime) et de la base de Souda en Grèce (plateforme logistique), pour appuyer une telle montée en puissance capacitaire en cas de crise.

les points d’appui amÉricains en MÉditerranÉe

Source : Otan

Sur le plan stratégique, la Méditerranée demeurera une zone d’intérêts pour les États-Unis à l’avenir, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le respect de la préservation de la liberté de navigation en Méditerranée est crucial pour garantir les échanges commerciaux et la capacité d’action des États-Unis ([91]). Le renforcement de la présence russe et chinoise en Méditerranée est également susceptible de rehausser l’intérêt des États-Unis pour cette zone.

Enfin, d’autres facteurs stratégiques expliquent la permanence des intérêts américains pour la zone méditerranéenne, comme l’explique le chercheur Pierre Razoux : « Pour Washington, la Méditerranée constitue également : l’artère vitale qui lui permet de soutenir – voire secourir – son partenaire stratégique israélien ; une ligne de front majeure face à l’expansion du terrorisme islamiste radical (…) ; une ligne de défense avancée dans le cadre de sa défense antimissile (…) ; une ligne d’endiguement permettant de contenir les velléités d’expansionnisme russe, chinois et iranien ; à cet égard, on note le retour actif des États-Unis en Méditerranée orientale comme à Chypre. » ([92])

b.   Un intérêt renouvelé dans la période récente

Les évolutions récentes confirment le constat selon lequel les États-Unis resteront malgré tout fortement impliqués en Méditerranée, notamment dans sa partie orientale.

● Tout d’abord, le renouvellement en 2019 puis 2021 de l’« accord de coopération et de défense mutuelle » [MDCA] avec la Grèce, qui octroie notamment à l’US Navy un accès sans entrave aux bases de Souda (Crète) et d’Alexandroupolis, confirme le rôle de la Grèce comme point d’appui majeur des forces américaines dans la zone, notamment dans la perspective d’une crise avec la Russie.

● En outre, à la fin de l’année 2021, les États-Unis ont explicitement affirmé leur volonté de renforcer leur présence en mer Noire, ainsi que l’a confirmé aux rapporteurs un amiral américain en poste à l’OTAN, dans le contexte de montée des tensions avec la Russie sur l’Ukraine. Dans cette perspective, la Méditerranée, en tant que porte d’accès à la mer Noire, regagne une importance stratégique essentielle pour les États-Unis. Il est symptomatique à cet égard qu’en décembre 2021, le porte-avions américain USS Harry S. Truman, qui devait initialement franchir le canal de Suez pour se rendre dans le golfe Persique, soit finalement resté stationné en Méditerranée orientale sur décision du commandement américain. ([93])

● La conclusion, annoncée par le ministère des Armées le 17 décembre 2021, du plan stratégique d’interopérabilité entre la marine nationale et l’US Navy est également un signe de l’engagement américain continu dans la zone ([94]). Le ravitaillement, en Méditerranée orientale, de la FREMM Provence en janvier 2022 par le pétrolier ravitailleur américain USNS Laramie illustre l’interopérabilité entre nos deux marines dans la zone. ([95])

C’est pourquoi les rapporteurs ne souscrivent pas pleinement à l’hypothèse d’un désengagement définitif des États-Unis de la région. Cependant, la présence des États-Unis à l’avenir sera vraisemblablement circonscrite à la Méditerranée orientale, comme l’a souligné M. Arnaud Danjean. Enfin, dans l’hypothèse d’une concentration des forces américaines en Indo-Pacifique, la logique de réassurance américaine sera nécessairement affaiblie en Méditerranée, y compris en Méditerranée orientale, ainsi que l’a souligné le représentant de la DGRIS.

B.   L’OTAN à la recherche d’une stratégie

1.   La Méditerranée, une zone de responsabilité du SACEUR

La Méditerranée relève de la zone de responsabilité du commandement suprême pour l’Europe (SACEUR). L’action militaire de l’OTAN en Méditerranée et en mer Noire est coordonnée par le commandement de forces interarmées situé à Naples (Allied Joint Forces Command ou JFC Naples). Le siège du JFC, où les rapporteurs se sont rendus dans le cadre de leurs travaux, compte plus de 800 personnes, dont 10 % de Français. Le JFC Naples pilote notamment, en alternance avec le JFC de Brunssum, la Force de réaction de l’OTAN (Nato Response Force), composée d’unités multinationales mobilisables rapidement en cas de crise.

L’OTAN peut s’appuyer en Méditerranée sur un réseau d’infrastructures militaires unique, grâce naturellement à ses membres méditerranéens (notamment la France, la Grèce, l’Italie, l’Espagne et la Turquie), mais également les États-Unis, avec la VIe flotte, et le Royaume-Uni, qui dispose de bases à Gibraltar et à Chypre. L’ampleur des forces de l’OTAN dans la zone permet à celle-ci de conserver, sur le plan militaire, « une supériorité écrasante en Méditerranée. » ([96])

 

 

 

 

 

LES MOYENS DE l’OTAN EN MÉDITERRANÉE

   

-          Deux quartiers généraux importants : le commandement terrestre allié (LANDCOM) à
Izmir, en Turquie, et le commandement des forces interalliées de Naples. Le mandat
principal de ce dernier est de planifier et de conduire les opérations militaires de
l’OTAN, non seulement en Méditerranée mais aussi au-delà ;

-          Deux groupes navals multinationaux - le Standing NATO Maritime Group 2 (SNMG2)
et le Standing NATO Mine Countermeasures Group 2 (SNMCMG2) - dans sa
périphérie sud, principalement en Méditerranée. Les deux autres groupes permanents
de l’OTAN – SNMG1 et SNMCMG1 – visitent également la Méditerranée
régulièrement. Chacun de ces groupes est constitué de plusieurs navires, déployés par
rotation. Ils font partie de la Force de réaction de l’OTAN et relèvent du
commandement maritime allié (MARCOM) au Royaume-Uni ;

-          Des éléments importants des systèmes de défense de l’OTAN contre les missiles
balistiques, en Turquie et en Espagne ;

-          Le pôle régional pour le Sud, un nouvel organisme de l’OTAN qui vise à
réunir les pays membres et les partenaires de l’OTAN avec des universitaires, des
experts et des ONG d’Afrique et du Moyen-Orient, afin de mieux comprendre et identifier des solutions aux menaces régionales ;

-          L’avion de surveillance AWACS, qui a été utilisé pour soutenir l’intervention dirigée par
l’OTAN en Libye en 2011 et, depuis 2016, pour fournir une meilleure connaissance de
la situation à la coalition internationale contre Daech dirigée par les États-Unis.
En Méditerranée, les avions AWACS utilisent des bases opérationnelles avancées en
Grèce (Aktion), en Italie (Trapani) et en Turquie (Konya) ;

-          Le système unique de capacité alliée de surveillance terrestre (AGS) de l’OTAN, qui
opère depuis la base de Sigonella en Sicile, où sont déployés des avions RQ -4D
pilotés à distance. En février 2021, l’AGS a atteint sa capacité opérationnelle initiale.
Le système de pointe AGS devrait fournir aux Alliés des renseignements de haute qualité et une image complète des conditions au sol, à tout moment ;

-          Trois pays alliés hébergent au total cinq centres d’excellence : la Grèce [défense
aérienne et antimissile intégrée (IAMD)], l’Italie [assistance aux forces de sécurité
(SFA) et opérations de stabilité (SP)] et la Turquie [défense contre le terrorisme (DAT)
et sûreté maritime (MARSEC)]. Ces centres ont reçu l’accréditation officielle de l’OTAN en 2006 (DAT), 2015 (SP), 2018 (SFA), 2020 (MARSEC) et 2021 (IAMD).

Source : extrait de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, « L’agenda de l’OTAN quant au maintien de la sécurité en Méditerranée », par Mme Sonia Krimi, novembre 2021.

2.   L’opération Sea Guardian, révélatrice des tensions entre alliés

La principale opération de l’OTAN en Méditerranée est actuellement la mission Sea Guardian, qui a pris la suite de l’opération Active Endeavour ([97]) à compter de 2016. La mission Sea Guardian a pour objectifs de renforcer les capacités des partenaires en matière sûreté maritime, de contribuer à la connaissance de la situation maritime (recueil de renseignements et d’informations) et de soutenir la lutte contre le terrorisme.

Elle peut également remplir l’une des quatre tâches supplémentaires, sur décision du Conseil, notamment en cas de crise : faire respecter la liberté de navigation, mener des actions d’interdiction, lutter contre la prolifération des armes de destruction massive, ou encore protéger les infrastructures critiques.

Les agissements de la Turquie ont toutefois affecté la mission de deux façons.

● D’une part, comme il a été rappelé, la violation par la Turquie de l’embargo de l’ONU et son comportement agressif à l’égard de la frégate Courbet, conjugués à l’absence de réaction ferme de l’OTAN, a abouti à la suspension de la participation de la France à la mission en juillet 2020.

À ce titre, l’absence de soutien de l’OTAN à la France s’explique essentiellement par la volonté de l’OTAN et des États-Unis de ne pas s’aliéner la Turquie, acteur crucial de l’Alliance dans la zone, qui abrite non seulement d’importants dispositifs de l’OTAN mais également une présence militaire américaine, comme l’illustre la carte ci-dessous.

la prÉsence militaire amÉricaine et otanienne en turquie

Source : Congressional Research Service, « Turkey : Background and U.S. Relations in Brief », 30 décembre 2021

● D’autre part, la Turquie s’est opposée à toute coordination de Sea Guardian avec l’opération de l’Union européenne IRINI, alors même que Sea Guardian avait activement coopéré avec la précédente opération de l’Union européenne de sûreté maritime « Sophia ».

Selon un rapport parlementaire de l’AP-OTAN, c’est avant tout le rôle joué par la Turquie dans le conflit libyen qui explique le refus de cette dernière de toute coopération les opérations européenne et otanienne : « Bien que l’UE apprécierait le soutien continu des ressources uniques de l’OTAN en Méditerranée, les Alliés n’ont pu parvenir à un consensus sur les avantages de l’opération Irini, reflétant en cela des approches divergentes quant au conflit en Libye (…) la Turquie fait valoir spécifiquement que l’opération Irini, en pratique, désavantage le gouvernement d’accord national libyen et profite aux forces de Khalifa Haftar. » ([98]) Selon les personnes auditionnées à ce sujet, il est malheureusement peu vraisemblable que le blocage turc à tout accord de coopération avec IRINI soit levé à court terme.

Enfin, les résultats de l’opération Sea Guardian sont ambivalents. La menace terroriste a fortement décru dans la zone méditerranéenne depuis la mise en place de la mission et le renforcement des capacités des partenaires (Tunisie, Égypte) en matière de sûreté maritime est encourageant selon les représentants de l’OTAN. L’opération souffre cependant d’un manque de forces à disposition pour pleinement assurer sa mission relative à la connaissance de la situation maritime. La refonte en cours du plan d’opérations stratégiques, dans le cadre de la mise en œuvre du concept de dissuasion et de défense pour la zone euro-atlantique (DDA) pourrait être l’occasion pour l’OTAN de revoir les objectifs et les modalités de cette opération pour tenir compte de ces résultats ambivalents.

3.   Une stratégie « Sud » qui reste encore à développer

a.   Des initiatives vers la rive Sud aux résultats limités

Traditionnellement davantage tournée vers la protection des pays de la rive nord de la Méditerranée, pour des raisons historiques et stratégiques, l’OTAN a cependant promu une politique d’ouverture vers les pays de la rive Sud à compter de 1994, à travers la mise en place du « Dialogue méditerranéen » (DM), qui inclut aujourd’hui sept pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient ([99]).

Outre un volet politique, ce Dialogue prend essentiellement la forme d’activités de coopération (séminaires, formations dans le domaine de la sécurité) définies annuellement avec chaque pays membre. Cependant, ce processus souffre « d’un manque de ressources et d’attention » ([100]) selon certains experts, dès lors que la plupart des projets de partenariat sont financés et dotés en personnel par des contributions nationales, qui se révèlent inadaptées.

 

Seules la Tunisie et la Jordanie sont ainsi fortement impliquées dans le Dialogue méditerranéen, à travers notamment leur participation à « l’initiative de renforcement des capacités de défense et des capacités de sécurité se rapportant à la défense » (initiative dite « DCB »). À titre d’exemple, le paquet DCB pour la Tunisie, établi en 2018, prévoit une aide de l’OTAN dans les domaines suivants :  cyberdéfense, lutte contre les engins explosifs improvisés (EEI), défense chimique, biologique, radiologique et nucléaire (NRBC), promotion de la transparence dans la gestion des ressources, et promotion de l’interopérabilité avec l’OTAN. La mise en œuvre de ce paquet prend la forme d’activités de formation et d’entraînement ainsi que d’échanges d’expertise et de bonnes pratiques, conformément aux normes de l’OTAN.

Le relatif échec du Dialogue méditerranéen n’a cependant pas dissuadé l’OTAN de poursuivre ses efforts en vue de consolider son positionnement vers le flanc Sud, comme l’illustre la création, en 2008, d’un pôle régional Sud (NSD-S Hub ou Hub South) au sein du commandement allié de forces interarmées à Naples. Ce pôle a notamment vocation à coordonner et développer les partenariats de l’OTAN dans la région, ainsi qu’à contribuer à améliorer la capacité de compréhension et de connaissance par l’OTAN des pays de la rive Sud.

b.   À la recherche d’une stratégie globale envers le Sud

La recherche par l’OTAN d’une stratégie globale à l’égard du Sud est fragilisée par l’absence de consensus entre les Alliés sur la nature de l’implication de l’OTAN dans cette région. Comme le note le rapport de l’AP-OTAN, « les défis émanant du Sud sont tout aussi redoutables que ceux provenant de l’Est, et pourtant les Alliés n’ont pas encore fait preuve du même niveau de concentration stratégique sur leur périphérie sud. En outre, le Sud continue de représenter une zone de désaccords, voire de tensions, entre les Alliés. Alors que les Alliés d’Europe centrale et orientale sont unis dans leur évaluation de la menace russe et dans leur demande de « plus d’OTAN » sur le flanc oriental, les Alliés méditerranéens sont en désaccord sur l’étendue de l’implication de l’OTAN dans les affaires régionales ».  ([101])

Cependant, la prochaine révision du concept stratégique de l’OTAN pourrait être l’occasion de promouvoir la mise en place d’une véritable politique méditerranéenne de l’OTAN, comme le propose le groupe de réflexion « OTAN 2030 » ([102]). La mise en œuvre d’une véritable stratégie « Sud » pour l’OTAN paraît d’autant plus s’imposer que, comme il a été souligné, la Russie accroît sa sphère d’influence sur la rive Sud de la Méditerranée, et même au-delà vers la bande sahélo-saharienne, ainsi que le montre l’actualité récente.

C.   L’Union européenne, un acteur trop peu présent

1.   La mission IRINI, une opération exposée à de multiples défis

a.   Une mission principale centrée sur le (difficile) respect de l’embargo

L’opération IRINI, qui a pris la suite de l’opération Eunavfor Med Sophia  ([103]), a été lancée le 31 mars 2020 par l’Union européenne, afin de soutenir le processus de Berlin sur la Libye. Comme l’a rappelé M. Mathieu Briens, chef de cabinet adjoint du Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, IRINI constitue à ce jour la seule opération dont la mission prioritaire est de faire respecter l’embargo de l’ONU sur les armes à destination de la Libye, ce qui doit être salué en tant que tel pour les rapporteurs.

Dans le cadre de cette mission, selon les données fournies aux rapporteurs, IRINI a interrogé plus de 5 200 navires et procédé à 220 approches avec le consentement du capitaine du navire (procédures dites de « friendly approach »). Une vingtaine de navires ont en outre été arraisonnés et inspectés, tandis qu’un navire a été dérouté vers la Grèce, à la suite de la découverte de kérosène (considéré comme du matériel militaire par l’ONU).

Outre son action directe à destination de certains navires, l’activité de collecte et de partage d’information sur les violations relatives à l’embargo revêt un aspect essentiel, comme l’a souligné M. Stefano Tomat, directeur au Service européen pour l’action extérieure (SEAE). IRINI a ainsi transmis aux États membres 56 recommandations d’inspections de navires suspects approchant les ports européens, parmi lesquelles 42 ont été exécutées. Enfin, IRINI a adressé au groupe d’experts de l’ONU sur la Libye 33 rapports spéciaux, dont 28 relatifs au trafic d’armes et à l’exportation illicite de pétroles, ce qui permet à l’ONU de documenter lesdites violations et d’en tirer les conséquences.

Selon la majorité des personnes auditionnées à ce sujet, la mission d’IRINI est utile, en ce qu’elle désorganise les filières d’approvisionnement et surtout exerce un effet dissuasif sur les acteurs impliqués dans le trafic d’armes.

Si les rapporteurs prennent acte de ce constat relatif au caractère dissuasif de la mission IRINI, qui est néanmoins difficilement quantifiable, il convient néanmoins de souligner les deux principales limites d’IRINI dans l’exercice de cette délicate mission de respect de l’embargo.

 

LES PRINCIPALES VIOLATIONS DE L’EMBARGO IDENTIFIÉES PAR IRINI

 

-          en avril 2020, identification d’une cargaison de camions militaires provenant de Novorossiysk (Russie) à destination de Benghazi (Libye) ;

-          en mai 2020, détection de la présence d’avions russes de type SU-24 sur la base aérienne d’Al Khadim, à l’est de la Libye ;

-          en juillet 2020, documentation de l’installation d’équipements militaires turcs, notamment des missiles anti-aérien de type Hawk, sur la base d’Al Watiyah, à l’Ouest de la Libye ;

-          en septembre 2020, arraisonnement puis déroutage vers la Grèce d’un navire parti des Émirats arabes unis et transportant, à destination de Benghazi, 13 000 mètres cubes de kérosène (considéré comme du matériel de guerre par l’ONU).

 

● La première limite concerne les capacités affectées à cette mission, qui sont particulièrement restreintes. Au niveau maritime, quatre navires sont actuellement mobilisés au service de la mission, ce qui est insuffisant. Selon les données fournies aux rapporteurs, le nombre moyen de navires disponibles était ainsi de 1,9 en 2020 et de 3,1 en 2021, soit bien en dessous du seuil de 5 navires prévu par le plan d’opération de la mission. Quant aux moyens aériens, seuls trois des six avions qui sont affectés à l’opération IRINI le sont sur une base continue, les trois autres étant mis à disposition par les États pour seulement quelques sorties par mois.

● La seconde limite concerne le mandat opérationnel de la mission. Les agents d’IRINI ne peuvent passer outre le refus d’inspection de l’État du navire, ce qui limite considérablement l’efficacité de leur action. Ainsi, il a été confirmé aux rapporteurs que la Turquie refuse systématiquement toute inspection par IRINI de ces navires : sur le premier semestre 2021, les agents d’IRINI ont ainsi notifié six inspections de navires turcs, qui ont toutes été refusées par les autorités turques.

Dans ce contexte, l’absence de recueil de preuves spécifiques de violation de l’embargo sur les armes par voie maritime au cours des derniers mois est d’interprétation délicate : s’agit-il d’une conséquence du cessez-le-feu en Libye, qui aurait entraîné une forte diminution du trafic d’armes, ou au contraire de la traduction de la difficulté de la tâche confiée à la mission IRINI, compte tenu de ces faibles capacités et des contraintes inhérentes à son cadre juridique actuel ? Pour les rapporteurs, la question est ouverte et mérite en tout état de cause d’être débattue.

b.   Des missions secondaires qui se heurtent à de nombreux obstacles

● À titre secondaire, l’opération IRINI a pour mission de contribuer à la mise en œuvre des mesures des Nations unies visant à prévenir l’exportation illicite de pétrole depuis la Libye. Or, contrairement à la mission relative au respect de l’embargo sur les armes, les agents de l’opération IRINI n’ont pas de mandat pour effectuer des inspections et des déroutages de navires suspectés de participer à l’exportation illicite du pétrole. L’opération est donc réduite à la surveillance et au recueil d’informations. En outre, la reprise depuis le cessez-le-feu de l’exploitation légale du pétrole, qui avait sensiblement diminué durant le conflit, a réduit fortement les trafics et les exportations illicites de pétrole, de sorte que la pertinence de cette mission pourrait être interrogée si cette tendance se poursuivait à l’avenir.

● La deuxième mission secondaire de l’opération IRINI consiste dans le renforcement des capacités et la formation des garde-côtes libyens, en particulier pour prévenir le trafic de migrants et la traite des êtres humains. Cependant, cette mission n’a pas pu être mise en œuvre à ce stade, faute d’un accord politique entre l’Union européenne et le gouvernement libyen. Cette mission secondaire est donc en l’état gelée et son avenir est conditionné à l’évolution de la situation politique en Libye.

● Enfin, IRINI a pour troisième tâche secondaire d’apporter un appui à la détection et à la surveillance des réseaux de trafic de migrants et de traite des êtres humains. Toutefois, dans le cadre du mandat actuel, cette mission ne peut être remplie qu’à l’aide de moyens aériens, en nombre insuffisant, y compris pour la mission prioritaire de l’opération.

c.   Quel avenir pour IRINI ?

L’avenir de l’opération IRINI est juridiquement assuré à court terme. En mars 2021, le Conseil de l’Union européenne a en effet étendu le mandat de la mission pour deux ans, jusqu’au 31 mars 2023. La question de l’avenir de la mission au-delà est cependant ouverte.

Les rapporteurs estiment qu’en dépit des limites identifiées ci-dessus, la mission IRINI reste utile. Ainsi que l’a rappelé aux rapporteurs son commandant, le contre-amiral Stefano Turchetto, s’il est illusoire de considérer que l’opération IRINI puisse à elle seule représenter une solution au conflit libyen, elle constitue néanmoins un outil important pour faire en sorte que les conditions sur le terrain soient réunies en vue de trouver une solution pérenne diplomatique et politique en Libye. En outre, la disparition à court terme de la présence de l’UE dans cette zone serait de nature à créer un vide, dont profiteraient les compétiteurs stratégiques dans la région.

En fonction du développement de la situation en Libye, deux évolutions sont envisageables selon les rapporteurs. En cas de durcissement de la crise libyenne, voire de reprise des hostilités, la mission sur le respect de l’embargo devra être consolidée. Cela requiert des capacités opérationnelles renforcées, en termes d’équipement et de renseignement, ainsi qu’un mandat juridique plus robuste. Si en revanche la situation sécuritaire en Libye s’améliore, la pérennité de la mission relative au respect de l’embargo pourrait être questionnée. Dans cette configuration, la mission pourrait utilement être réorientée vers le recueil de renseignements sur les trafics migratoires, comme l’a suggéré M. Arnaud Danjean. En outre, la stabilisation de la situation politique en Libye pourrait permettre de relancer la mission relative à la formation des garde-côtes libyens, ou encore de lever le veto turc à la coopération avec la mission Sea Guardian.

2.   Les opérations de l’agence Frontex

Outre l’opération IRINI, l’Union européenne est également présente en mer Méditerranée à travers l’agence Frontex.

En cohérence avec les principales routes migratoires à destination de l’Europe, trois des quatre principales opérations de Frontex se déroulent en effet en Méditerranée – la quatrième prenant place aux Balkans. Dans le cadre de ces opérations, l’agence Frontex intervient en soutien des États membres, qui sont en première ligne des flux migratoires. La finalité de ces interventions est triple :  surveiller et contrôler les frontières, désorganiser les réseaux de passeurs et participer aux opérations de recherche et de sauvetage en mer.

Les trois opérations de Frontex en Méditerranée, sont les suivantes :  l’opération Themis, en Méditerranée centrale, en soutien de l’Italie ; l’opération Poséidon, en Méditerranée orientale, en soutien de la Grèce ; l’opération Indalo, en Méditerranée occidentale, en soutien à l’Espagne. Les moyens mis à disposition coordonnés par Frontex sont à la fois humains (600 experts sont ainsi déployés en Grèce, 180 en Espagne) et capacitaires (bâtiments, aéronefs, hélicoptères). Selon les données officielles, plus de 541 600 personnes ont été sauvées en Méditerranée grâce à ces opérations, étant précisé que depuis 2015, plus de 20 000 personnes ont péri ou ont disparu en Méditerranée et dans l'Atlantique en tentant de rejoindre l'Europe. ([104])

 Deux évolutions notables sont à relever au sujet de ces opérations.

 ● Tout d’abord, les missions proprement sécuritaires de Frontex ont été renforcées. À titre d’exemple, l’opération Themis, qui a remplacé l’opération Triton en 2018 en Méditerranée centrale, comprend un volet sécuritaire renforcé par rapport à la précédente mission, notamment en ce qui concerne la collecte de renseignements et d’autres mesures visant à détecter les menaces, notamment terroristes, aux frontières extérieures.

 ● La seconde évolution majeure concerne le développement par Frontex des capacités de déploiement rapide aux frontières en cas de crise. Ainsi, en mars 2020, à la demande du gouvernement grec dans un contexte de forte poussée migratoire en mer Égée, Frontex a déployé 100 gardes-frontières supplémentaires, ainsi qu’un patrouilleur de haute mer et six patrouilleurs côtiers, deux hélicoptères et un avion, en plus des moyens déjà existants sur place. Selon les rapporteurs, le renforcement de cette capacité de déploiement rapide en cas de crise doit constituer une priorité et pourrait s’avérer particulièrement précieux en Méditerranée, dans un contexte où des compétiteurs n’hésitent pas à instrumentaliser les flux migratoires, comme l’a rappelé l’actualité récente en Biélorussie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Troisième partie : la France face au défi sécuritaire méditerranéen

I.   Une présence permanente sur l’ensemble de la Méditerranée

A.   Dans un cadre national

Du point de vue opérationnel, la zone maritime Méditerranée est composée de quatre zones « régionales » : la Méditerranée occidentale (MEDOC) ; la Méditerranée centrale (MEDCENT) ; la Méditerranée orientale (MEDOR) ; mais également la mer Noire.

La France est le seul pays européen à être en mesure d’assurer une présence régulière sur l’ensemble du bassin méditerranéen, comme l’ont indiqué les officiers du centre opérationnel de la marine (COM) aux rapporteurs. Les objectifs et les modalités d’une telle présence varient cependant en fonction des zones.

1.   En Méditerranée occidentale : protéger le territoire

En Méditerranée occidentale, la mission essentielle est naturellement la protection de notre territoire et la surveillance des 2 000 kilomètres de frontière maritime en Méditerranée, dont 1 000 sur le continent et 1 000 autour de la Corse.

Dans cette perspective, l’objectif est notamment « d’assurer la liberté de manœuvre de nos forces militaires pour assurer la surveillance des côtes, près des côtes, mais aussi loin des côtes, c’est-à-dire jusqu’à Gibraltar et jusqu’au canal de Sicile. Il s’agit aussi de protéger et de défendre notre souveraineté. » ([105])

Cette mission est exercée notamment dans le cadre des postures permanentes de sauvegarde maritime et de sûreté aérienne, avec l’utilisation quotidienne dans nos approches de patrouilleurs, de vols de surveillance et la veille permanente assurée par les dix-neuf sémaphores de surveillance, dont sept en Corse.

la dÉfense maritime du territoire

Source : marine nationale

Dans le domaine naval, la base de Toulon constitue naturellement le centre névralgique du dispositif avec « les trois quarts des frégates de premier rang, tout le corps expéditionnaire de la marine, c’est-à-dire les bâtiments amphibies, le porte-avions, les hélicoptères embarqués, les sous-marins nucléaires d’attaque ou les marins-pompiers au titre de la protection civile » ([106]).

les capacitÉs de la marine sur la faÇade MÉditerranÉenne

Source : Cols bleus, marine nationale, janvier 2021

S’agissant de l’armée de l’air et de l’espace, la base aérienne 115 d’Orange joue un rôle clé dans le dispositif de protection du territoire dans la zone méditerranéenne. Elle assure en effet la mission de permanence opérationnelle (PO), qui a pour objet la projection rapide d’aéronefs en cas d’alerte, avec la présence d’un escadron d’avions de chasse et d’un escadron d’hélicoptères ([107]). La base 125 située à Istres est également importante dans le cadre de ce dispositif de permanence opérationnelle, puisqu’y sont stationnés des ravitailleurs. Enfin, la base aérienne de 126 de Ventiseri-Solenzara en Corse constitue, en raison de sa position géographique, une base avancée importante pour la projection des forces aériennes en Méditerranée.

2.   En Méditerranée centrale et orientale : contrer les logiques de sanctuarisation

a.   Les finalités de la présence française

En Méditerranée centrale et orientale, la présence permanente française obéit à trois principales finalités.

● La première est de conserver une faculté d’appréciation autonome de la situation sur les différents théâtres méditerranéens, afin d’anticiper les crises et de ne pas être dépendant des renseignements fournis par des tiers, fussent-ils alliés. La collecte de renseignements permise par cette présence française est par conséquent la condition sine qua non de l’autonomie de décision et d’action de la France dans la zone.

● Le second objectif est de réaffirmer et de préserver la liberté de navigation en haute mer et la liberté d’opérer dans l’espace aérien international, dans le respect du droit international, à l’encontre de toute tentative de sanctuarisation des espaces maritimes et aériens par nos compétiteurs stratégiques. Cet aspect est en effet essentiel, comme l’ont souligné de nombreuses personnes auditionnées, dans un contexte de contestation croissance de l’espace maritime et de tentative accrue de dénis d’accès aériens. Ainsi que l’a résumé le vice-amiral Laurent Isnard, « si nous laissons la loi du plus fort s’appliquer en mer, c’est l’ensemble du dispositif bâti avec la rédaction de la Convention de Montego Bay qui devient caduque. » ([108])

● Enfin, une telle présence permanente permet de garantir une réactivité forte en cas de crise, comme cela a été le cas lors de la montée des tensions en Méditerranée orientale, avec le déploiement le 13 août 2020 de deux Rafale, du Porte-hélicoptères amphibie (PHA) Tonnerre et de la frégate Lafayette en soutien à la Grèce dans une démarche de réassurance face aux agissements turcs.

b.   La présence navale

En Méditerranée centrale, comme l’a rappelé M. le vice-amiral Laurent Isnard, « des sous-marins, des avions de patrouille maritime et des frégates sont déployés régulièrement devant la Libye » ([109]), tandis que des patrouilleurs peuvent être déployés au large de Gibraltar et du Maroc, notamment pour surveiller les trafics.

En Méditerranée orientale, respectivement cinq et six navires se sont relayés en 2020 et 2021 pour assurer la présence permanente de la France dans cette zone stratégique. Toutefois, dans certaines zones particulièrement contestées, seul le déploiement d’un sous-marin permet à la France d’être présente, comme l’a rappelé le capitaine de vaisseau Bruno au sujet du canal de Syrie : « Dans le canal de Syrie, nous essayons de maintenir en permanence un moyen, ce qui n’est pas toujours facile, soit parce que les moyens sont comptés, soit parce que la zone est contestée. Dans de telles conditions, pour continuer à surveiller, il ne reste plus que les satellites et les sous-marins. Nous avons maintenu la permanence de cette surveillance grâce aux sous-marins. » ([110])

 

LA PRÉSENCE NAVALE PERMANENTE EN MÉDITERRANÉE ORIENTALE : L’EXEMPLE DE LA FRÉGATE ACONIT

 

« Cinquième engagement en MEDOR pour la frégate Aconit

Le 5 août 2021, la Frégate de type La Fayette (FLF) Aconit a appareillé de son port base de Toulon en direction de la Méditerranée orientale (MEDOR) pour y conduire son second déploiement de l’année. Régénérée par un arrêt technique de trois mois, l’Aconit et son équipage ont rejoint pour la cinquième fois une zone d’opérations qu’ils connaissent bien, six mois à peine après l’avoir quittée. La FLF a succédé à la Frégate de défense aérienne (FDA) Forbin pour être placée en soutien direct de l’opération CHAMMAL, conduite par les armées françaises au Levant.

L’Aconit a ainsi mis le cap vers la Méditerranée orientale, pour remplir des objectifs dans de nombreux domaines : connaissance et maîtrise de l’espace aéromaritime, soutien à la lutte contre le terrorisme, coopération régionale ou encore affirmation de l’attachement de la France au respect du droit de la mer. La frégate Aconit patrouillera principalement dans le canal de Syrie. Elle restera, toutefois prête à répondre aux sollicitations du Commandant en chef pour la Méditerranée (CECMED), son contrôleur opérationnel, partout ailleurs en Mer Méditerranée.

Intervenant de manière autonome, la FLF participe, grâce à ses capteurs et à son détachement hélicoptère composé d’un Panther de la flottille 36F, à l’appréciation autonome de situation de la France dans une région sensible, fonction essentielle pour connaître et anticiper les évolutions des théâtres d’opérations et prévenir les atteintes au droit de la mer.

Durant sa patrouille, le bâtiment conduira plusieurs exercices de coopération avec les pays riverains afin de renforcer les liens et l’interopérabilité de la France avec ses alliés. »

Source : extrait du communiqué du 11 août 2021 du ministère des Armées

c.   La présence aérienne

Des missions d’appréciation de la situation sont également régulièrement menées en Méditerranée centrale par des moyens aériens dédiés, notamment à travers des missions de type ISR (renseignement, surveillance et reconnaissance), aux fins d’assurer l’autonomie d’appréciation de la France. Ces missions sont notamment assurées par des Rafale équipés de pods de reconnaissance, ou des avions radars AWACS de type E-3F, dont la capacité de détection champ large est utile pour établir la situation maritime.

En Méditerranée orientale, des campagnes de renseignements d’origine électromagnétique (ROEM) sont également menées, notamment grâce à des Mirage 2000D équipés de pods ASTAC opérant depuis la base aérienne 133 de Nancy-Ochey.

 

En outre, des opérations interarmées comme Anaximandre, mobilisant des frégates (FLF et FREMM) ainsi que des Rafale sont aussi régulièrement conduites par les armées en Méditerranée orientale, aux fins de conforter la visibilité des moyens français dans la zone et de réaffirmer l’attachement de la France à la liberté d’opérer dans les espaces aériens et maritimes, comme l’illustrent les manœuvres effectuées le 8 janvier 2022 par les FREMM Auvergne et Provence avec des Rafale provenant de la base aérienne projetée (BAP) H5, située en Jordanie. Il est d’ailleurs de plus en plus fréquent que les chasseurs déployés sur H5 prennent part à des missions en Méditerranée orientale.

Cette réorientation vers la zone méditerranéenne des moyens aériens situés sur la BAP H5, mise en exergue par le commandant de la défense aérienne et des opérations aériennes, s’effectue dans un contexte marqué par la moindre intensité des missions dans le cadre de l’opération Chammal, qui se concentre désormais sur son pilier « appui » : ainsi que le rappelait l’un des rapporteurs dans son avis sur les crédits de l’armée de l’air et de l’espace proposés par le projet de loi de finances pour 2022, « sur les quelque 2 500 frappes effectuées au total depuis la base aérienne 104 d’Al Dhafra et, surtout, depuis la BAP H5 depuis 2014, à peine une soixantaine ont eu lieu au cours des deux dernières années. » ([111])

À cet égard, les rapporteurs relèvent que le débat sur l’avenir de la base H5 doit aussi être appréhendé au regard des enjeux actuels en Méditerranée orientale et de l’importance de cette base comme point d’appui logistique pour assurer une présence aérienne dans cette zone stratégique.

B.   Dans un cadre international

1.   Une présence intense au titre de nos engagements internationaux

● L’opération Chammal, qui constitue le volet français de l’opération interalliée de lutte contre le terrorisme Inherent Resolve (OIR), constitue toujours un facteur de mobilisation important des forces armées en Méditerranée. Le groupe aéronaval (GAN), qui a été déployé en Méditerranée orientale en 2020 et 2021 dans le cadre des missions Foch 20 et Clemenceau 21, a ainsi apporté un soutien opérationnel particulièrement significatif à l’opération Chammal : « Au cours de la dernière phase opérationnelle en Méditerranée orientale, 36 sorties de Rafale marine et de 12 sorties d’E2C Hawkeye ont été effectuées, portant à 104 le nombre de sorties de Rafale marine et 38 celles d’E2C Hawkeye au cours des cinquante jours d’engagement du GAN en OIR, pendant la mission Clemenceau 21. » ([112])

 

● Dans le cadre otanien, les moyens navals français participent également aux groupes navals permanents de l’OTAN (Standing Nato Forces) opérant en Méditerranée. En 2021, le bâtiment de commandement et de ravitaillement (BCR), de la marine nationale a ainsi pris le commandement du Standing Nato Mine Countermeasures Group 2 (SNMCMG2) ; c’est la première fois que la France prend le commandement d'un des quatre groupes navals permanents de l'OTAN. En outre, d’autres bâtiments ont intégré les groupes navals de l’OTAN en 2021 : la frégate anti-sous-marine Latouche-Tréville, la frégate multi-missions Bretagne et le chasseur de mines Orion. Quant aux moyens aériens, il convient de relever que la France assure, depuis le 1er janvier 2022, le commandement de la composante aérienne de la force de réaction rapide de l’OTAN (Nato Response Force).

● La Méditerranée est enfin le point de passage des navires français vers la mer Noire, notamment dans le cadre de la « présence avancée adaptée » (Tailored Forward Presence) de l’OTAN dans cette zone. La présence française en mer Noire est certainement appelée à se renforcer à court terme en raison du contexte de crise avec la Russie en Ukraine, ainsi que l’illustre le déploiement dans cette zone de la frégate Auvergne en décembre 2021. Toutefois elle s’inscrit bien dans la durée :  depuis 2004, une trentaine de navires français ont ainsi fait escale en mer Noire, que ce soit dans un cadre national ou sous la bannière de l’OTAN. ([113])

2.   Une contribution importante aux opérations de l’UE

La France est l’un des principaux contributeurs de la mission IRINI. Trois bâtiments français se sont ainsi succédé en soutien direct à la mission depuis son lancement en avril 2020. C’est à l’heure actuelle le patrouilleur de haute mer (PHM) Commandant Bouan qui est affecté à la mission depuis novembre 2021. Des moyens aériens sont également mis à disposition de l’opération IRINI, à raison de deux vols par mois du Falcon 50 ou de l’Atlantique 2 en soutien direct et d’un vol de l’avion radar AWACS par mois en soutien associé.

En outre, en 2021, l’armée de l’air et de l’espace a déployé un drone Reaper au profit de la mission IRINI depuis la base de Cognac. La précision des capteurs du Reaper complète en effet utilement les moyens de détection « champ large » tels que l’AWACS, en vue d’assurer un haut niveau de surveillance de la situation maritime. L’augmentation de l’efficacité opérationnelle de cet outil doit donc être une priorité pour les prochaines années si la France souhaite conserver des capacités ISR à même de préserver son autonomie d’appréciation dans la zone.

Comme l’a rappelé aux r apporteurs le commandant de la mission IRINI, la France a également accepté en 2021 que le port de Marseille soit utilisé comme port de déroutement des navires, ce qui est essentiel pour le bon accomplissement de la mission IRINI.

Enfin, des unités participent aux côtés de l’agence européenne Frontex à des opérations conjointes de surveillances des approches européennes. C’est à ce titre que les bâtiments de soutien et d’assistance métropolitain (BASM) Seine et Loire sont déployés une fois par an en mer d’Alboran ou mer Ionienne, tandis qu’une vedette des douanes assure en moyenne deux missions par an en Méditerranée.

LE DÉPLOIEMENT DU DRONE MQ-9 REAPER AU SOUTIEN DE LA MISSION IRINI

 

« Le 5 juin 2021, l’armée de l’Air et de l’Espace (AAE) a déployé un drone Reaper au profit de l’opération IRINI, opération de l’Union européenne visant à faire respecter l’embargo sur les armes à destination de la Libye voté par le conseil de sécurité des Nations unies.

Planifié et conduit par le Commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA), un vol de drone Reaper a été réalisé au départ de la base aérienne 709 de Cognac. Télépiloté depuis la France et commandé en temps réel depuis le CDAOA à Lyon, ce drone a évolué dans des corridors aériens dédiés, jusqu’en Méditerranée centrale. Ce vol réaffirme l’attachement de la France et de ses alliés au respect du droit international dans la région.

L’autonomie en vol et la performance des capteurs du drone Reaper en font un atout pour l’opération IRINI. Cette mission permet d’envisager un haut niveau de surveillance notamment en cas de vol combiné du Reaper avec un AWACS, deux vecteurs parfaitement complémentaires. Les données ainsi recueillies sur les trafics maritimes et aériens dans la zone sont transmises aux responsables de l’opération, qu’ils soient nationaux ou alliés.

Ce vol permet de répondre à de nombreuses questions tant techniques qu’opérationnelles pour envisager, si nécessaire, ce type de mission dans d’autres cadres d’engagement. Elle est une démonstration de notre capacité à agir avec nos partenaires européens. »

 

Source : ministère des Armées, communiqué du 15 juin 2021.

II.   L’intensification de la préparation opérationnelle

A.   La préparation aux crises et conflits

1.   Se préparer aux actions hybrides

La lutte contre le terrorisme maritime constitue un défi sécuritaire, avec plus de cinq millions de passagers circulant en Méditerranée dans nos eaux territoriales méditerranéennes. Étant donné l’implication de la France dans la lutte contre le terrorisme sur de nombreux théâtres d’opérations, la France constitue naturellement une cible importante des mouvements terroristes.

Or, comme l’a rappelé le vice-amiral Laurent Isnard « nos bateaux sont des espaces fragiles. Une fois qu’un terroriste est à bord, il est plus difficile d’intervenir et nous pouvons craindre des actions redoutables à l’encontre des passagers ; les bateaux peuvent également être utilisés comme les brûlots du temps de la marine à voile, c’est-à-dire comme des bombes que des terroristes peuvent conduire quelque part et faire exploser. » ([114])

 

Les principales actions de prévention consistent à embarquer des gendarmes et des fusiliers marins à bord de certains bâtiments, à titre préventif, et à ce que les services de gendarmerie, de la police de l’air et des frontières et des douanes effectuent un criblage des listes de passagers. En outre, une cinquantaine de dispositifs de protection spécifiques sont mis en œuvre chaque année sur la zone littorale, lors de grands rassemblements, avec l’utilisation d’embarcations rapides ou de patrouilleurs en vue de prévenir une attaque venue de la mer.

La réactivité des forces françaises a été démontrée en septembre 2020, lors de l’incident du ferry Pascal Paoli, dans le cadre duquel les autorités ont été alertées, heureusement à tort, en raison du comportement étrange d’une demi-douzaine de passagers ([115]). À ce titre, la cellule de crise activée au centre opérationnel de la marine (COM) de Toulon a réorienté des frégates pour les pré-positionner à proximité du ferry, mis en alerte des hélicoptères et un avion de patrouille maritime, ainsi que les commandos marines et le GIGN, et fait appareiller des patrouilleurs de la gendarmerie maritime, tandis que des gendarmes maritimes et des fusiliers marins ont embarqué sur le ferry à la faveur de son transit. Cet épisode démontre l’ampleur des moyens susceptibles d’être mobilisés rapidement en cas d’alerte.

Enfin, l’exercice Rhéa de contre-terrorisme, organisé le 13 mars 2021, a démontré la capacité de l’armée française d’engager dans un délai très court des moyens significatifs au large de la Crète, à 2 000 kilomètres des côtes françaises.

L’EXERCICE RHÉA

Dans le cadre de cet exercice simulant une prise d’otages par des terroristes sur un navire commercial, l’armée française a déployé 450 militaires des forces conventionnelles et spéciales en quelques heures sur la zone d’intervention, dans le cadre d’une mobilisation de moyens interarmées et multi-domaines.

La marine nationale a ainsi mobilisé le porte-hélicoptères amphibie (PHA) Mistral, la frégate multi- missions (FREMM) Languedoc, le bâtiment de soutien et d’assistance métropolitain (BSAM) Loire, un avion de patrouille Atlantique 2 et un hélicoptère Caïman Marine, tandis que l’armée de l’Air et de l’Espace a déployé des Rafale, des ravitailleurs C135, un Awacs E-3F et un aéronef de transport C130 Hercules en configuration ravitailleur. Des forces du commandement des forces spéciales (COS) complétaient ce dispositif avec des commandos Marine, des hélicoptères Caracal, qui ont été ravitaillés en vol.

Cet exercice anti-terroriste, inédit par sa localisation et son ampleur, est par conséquent un signal fort à l’égard des compétiteurs stratégiques quant à la capacité de projection des forces françaises en Méditerranée orientale, pour assurer la stabilité et la sécurité du bassin contre tout type de menaces.

2.   Se préparer aux conflits de haute intensité : l’exercice Polaris

L’exercice Polaris, conduit du 18 novembre au 3 décembre 2020, a mobilisé près de 600 militaires et plus de vingt navires de guerre et une quarantaine d’aéronefs, dans un scénario de crise régionale conduisant « à une guerre complète entre deux forces symétriques déployées dans un affrontement de haute intensité, plongeant les unités dans la fulgurance des frappes ainsi que le brouillard de la guerre, épaissi par les attaques cyber, la désinformation, les brouillages radio, radar ou GPS ou encore la perte des communications satellites. » ([116])

l’exercice polaris

  Source : marine nationale

Ainsi que l’a indiqué aux rapporteurs le contre-amiral Emmanuel Slaars, l’exercice Polaris avait pour objectif de contribuer, d’une part, à la préparation opérationnelle de nos forces armées et, d’autre part, à la communication stratégique de la France et de ses alliés. Cet exercice s’inscrit ainsi pleinement dans la nouvelle vision stratégique du chef d’état-major des armées qui consiste à « gagner la guerre avant la guerre », en signalant aux compétiteurs la crédibilité et la détermination de l’armée française et de ses partenaires. Il est également cohérent avec le plan Mercator-Accélération 2021 du chef d’état-major de la marine, qui insiste sur la possibilité d’un retour du combat de haute intensité et la nécessité de s’y préparer par l’intensification de la préparation opérationnelle de haute intensité (POHI).

La mer Méditerranée constituait le principal théâtre de cet exercice interarmées et interalliés (Grèce, Espagne, Italie, États-Unis, Royaume-Uni), qui a mobilisé notamment des capacités livrées dans le cadre de la loi de programmation militaire 2019-2025, telles que le sous-marin nucléaire d’attaque Suffren et la frégate multi-missions à capacités de défense aérienne renforcée (FREMM DA) Alsace.

Les scénarios pris en compte au titre de cet exercice illustrent les défis à relever en cas d’un conflit de haute intensité entre puissances en mer Méditerranée : conduite d’une opération de type « entrée en premier » (passage de détroits, menaces hybrides) ; lutte multi-milieux et multi-champs (mer, terre, air, cyberespace, espace exo-atmosphérique, champ électromagnétique, sphère informationnelle) ; maîtrise de l’espace maritime et protection des lignes de communication (conduite des opérations sans satellite de communication) ; projections de puissance (frappes combinées, rupture d’une bulle de déni d’accès) ([117]).

L’innovation opérationnelle était au cœur de l’exercice, par le recours à de nouvelles capacités (connectivité, guerre électronique, drones, sollicitation de capacités spatiales, recours à la simulation) et à travers la conception tactique et opérationnelle (frappes sidérantes coordonnées avec des actions spéciales, prise en compte des menaces hybrides, actions non cinétiques).

Ainsi que le résume le ministère des Armées, « actions spéciales navales, guerre des mines, lutte anti-sous-marine, anti-navire et antiaérienne, lutte information d’influence, récupération de pilote en terrain hostile, frappes combinées de missiles de croisière, raids amphibies, guerre électronique … avec Polaris 21, tous les milieux et champs de conflictualité sont pour la première fois pris en compte en adéquation avec la réalité des menaces actuelles du haut du spectre. » ([118])

 

Selon le contre-amiral Emmanuel Slaars, cet exercice a confirmé l’importante valeur ajoutée du groupe aéronaval, ainsi que la complémentarité entre l’aviation embarquée et les hélicoptères, en dépit des problèmes de disponibilité bien connus des NH-90. L’opportunité de prévoir des drones embarqués sur les navires a également été reconnue comme un atout stratégique dans ce type de conflits de haute intensité. Les axes principaux de développement mis en exergue par cet exercice concernent les capacités de nos missiles anti-navires, le volume de nos stocks de munitions ainsi que la nécessité de renforcer la sécurité de nos systèmes de communication.

B.   Le renforcement de l’interopérabilité avec nos alliés

1.   Une coopération avec l’ensemble de nos partenaires régionaux

Le renforcement de la coopération et de l’interopérabilité avec nos partenaires prend la forme d’exercices, particulièrement nombreux en Méditerranée et couvrant l’ensemble des partenariats dans la zone.

● Dans le domaine naval, des frégates légères furtives (FLF) conduisent chaque année un entraînement avec le Maroc (Rais Hamidou) et la Tunisie (Chebec) et régulièrement avec l’Égypte (Cleopatra). Dans le domaine de la guerre des mines, les chasseurs de mines participent également à plusieurs exercices annuels, notamment dans un cadre interalliés (Italian ou Spanish Minex).

● S’agissant de l’armée de l’air et de l’espace, des exercices majeurs sont également menés avec les différents partenaires de la région, notamment dans le cadre de l’établissement d’une « communauté Rafale » dans la zone. La mission Skyros de projection d’aéronefs, qui a mobilisé du 5 janvier au 20 février 2021 quatre Rafale, deux A400M Atlas et un A330 Phénix et plus de 170 aviateurs, a ainsi fait escale en Égypte et en Grèce aux fins de mener des activités opérationnelles conjointes avec les Rafale et Mirage 2000 égyptiens et les F-16 et Mirage 2000 grecs, centrées sur l’enjeu de l’entrée en premier au déclenchement d’une opération. Dans la même perspective, la coopération avec la Grèce a été illustrée par la présence de onze Rafale et de cinq Mirage 2000 D lors de l’exercice Iniochos organisée par l’Hellenic Air Force du 12 au 22 avril 2021, qui a réuni une soixantaine d’appareils de sept nations (Grèce, Chypre, États-Unis, Israël, Émirats arabes unis, Espagne et France).

Enfin, des exercices interarmées du « haut du spectre », impliquant notamment le GAN, sont menés plusieurs fois par an, souvent dans un cadre interarmées et interalliés, comme l’illustrent les exercices Dynamic Manta de l’OTAN en mars 2021, Flotex avec l’Espagne ou Mare Aperto avec l’Italie.

2.   Eunomia : un exercice aux fins de réassurance

L’exercice le plus emblématique de la coopération militaire avec nos partenaires en Méditerranée est l’activité aéromaritime Eunomia, concrétisation de l’initiative quadripartite de coopération (QUAD) réunissant la République de Chypre, la Grèce, la France et l’Italie.

La première édition de cet exercice est en effet intervenue du 26 au 28 août 2020, au paroxysme des tensions entre la Grèce et Chypre, d’une part, et la Turquie, d’autre part, en raison de l’incursion d’un navire de prospection turc, escorté par des navires militaires, dans l’espace maritime grec et chypriote.

L’EXERCICE EUNOMIA

« Du 26 au 28 août, au sud-ouest de Chypre, s’est déroulée l’activité aéro-maritime interalliée QUAD-EUNOMIA 2020. Cet entraînement mutuel d’envergure a pour objectif de valoriser l’attachement de la France et de ses alliés au respect du droit maritime international dans la région. La Quadripartite initiative est la concrétisation d’une initiative multilatérale commune de la République de Chypre, la Grèce, l’Italie et de la France. Afin de renforcer la coopération et l’interopérabilité entre leurs forces maritimes et aériennes, les quatre pays de l’initiative ont déployé des bâtiments avec leurs hélicoptères mais également des avions de chasse. Étaient donc présents le patrouilleur Ioannides (Chypre), un AW-139 chypriote, la frégate HS Kountouriotis et son hélicoptère SH-60 (Grèce), la frégate Luigi Durand de la Penne et son hélicoptère SH-60 (Italie), et la frégate La Fayette et son hélicoptère Panther. Quatre F-16 grecs et 3 Rafale français prenaient également part à cette activité. Au bilan, ces activités menées dans une zone d’intérêt stratégique illustrent l’attachement des participants au respect du droit maritime international. Ces derniers ont ainsi pu accroître leur connaissance mutuelle, partager des bonnes pratiques et valider des modes opératoires communs ».

Source : extrait du communiqué du 31 août 2020 du ministère des Armées

L’exercice Eunomia a donc essentiellement eu une fonction de réassurance et de dissuasion à l’égard de la Turquie. Son objectif explicite est en effet de réaffirmer la solidarité de ces quatre pays et de défendre le respect du droit maritime international face aux agissements de la Turquie dans la zone.

Nonobstant la baisse des tensions en Méditerranée orientale en 2021, une seconde édition de cet exercice s’est déroulée du 4 au 7 octobre 2021 en Grèce, afin de réaffirmer le partenariat entre ces quatre pays.

 

 

 

III.   La consolidation des partenariats régionaux

A.   Les partenariats bilatéraux

1.   L’Italie : un partenaire incontournable

a.   Un partenaire essentiel

L’Italie constitue un partenaire majeur de la France dans la zone méditerranéenne.

La coopération en matière d’armement, pilier du partenariat entre les deux pays, couvre l’ensemble du spectre : le domaine naval, avec les programmes communs de frégates de classe Horizon et de frégates multi-missions, ainsi que la coproduction des torpilles légères MU90 ; le domaine spatial, à travers le développement des satellites Athéna-Fidus et Sicral 2 ; le secteur des missiles, avec le lancement du programme SAMP/T NG (sol-air moyenne portée terrestre nouvelle génération), dans le cadre du renouvellement de la capacité sol-air moyenne portée de l’armée de l’air et de l’espace française et de l’armée de terre italienne.

Les deux pays collaborent en outre avec d’autres acteurs européens sur des programmes ambitieux, tels que le programme de drone MALE européen dit Eurodrone, ou les programmes de coopération structurées permanentes (CSP) que sont le projet de radio logicielle ESSOR et celui relatif aux corvettes de nouvelle génération European Patrol Corvette (EPC).

Sur le plan opérationnel, malgré les tensions qui ont pu exister au sujet de la crise en Libye, l’Italie est le seul pays à avoir été aux côtés de la France, lors de l’opération de réassurance menée, comme il a été vu, en août 2020 aux côtés de la Grèce et de la République de Chypre, dans le cadre de l’initiative quadripartie Quad et du déploiement des exercices interarmées Eunomia.

b.   Le traité du Quirinal, une opportunité d’approfondir notre alliance

La conclusion du « traité pour une coopération bilatérale renforcée », dit traité du Quirinal, le 26 novembre 2021, est l’opportunité d’approfondir la coopération entre les deux pays en matière de défense. Les dispositions en matière de sécurité et de défense prévues dans ce traité, telles que complétées par la « feuille de route franco-italienne », prévoient notamment :

– au niveau opérationnel : l’identification de « synergies en matière de soutien et de préparation aux opérations » dans le cadre des déploiements des forces des deux pays ;

– sur le plan capacitaire : l’intensification des coopérations existantes, et le développement de nouvelles coopérations en « matière terrestre et aérienne », ainsi que la promotion d’« alliances structurelles » au niveau industriel ; la mise en œuvre de nouvelles formes de coopérations dans le secteur des approvisionnements militaires ; le renforcement du Groupe d’experts de haut niveau en armements, forum bilatéral de discussions capacitaires ;

– dans le domaine spatial : la signature d’une lettre d’intention bilatérale pour « identifier les futurs axes de développements capacitaires dans les domaines de la sécurité et de la défense spatiales » et « favoriser les échanges d’informations entre les commandements et centres opérationnel spatiaux » ;

– au niveau politique : le développement du dialogue stratégique sur l’ensemble des sujets d’intérêt commun (contre-terrorisme, sécurité maritime, maîtrise des armements, menaces hybrides et défis énergétiques), notamment au sein du Conseil franco-italien de Défense et de Sécurité, associant les ministres des affaires étrangères et de défense.

Au titre des initiatives qui pourraient être prises en application de ce traité, la présidence de la République a notamment évoqué l’établissement d’une « nouvelle coopération entre nos groupes aéronavals, sous forme par exemple d’accompagnements réciproques de nos groupes aéronavals. » ([119])

Comme l’a indiqué le général italien Giovanni Ianucci aux rapporteurs, ce traité doit ainsi être l’occasion pour la France et l’Italie d’approfondir la mutualisation de nos équipements, seul moyen de relever le défi soulevé par le réarmement généralisé et la rupture technologique de nombreuses capacités.

2.   La Grèce : l’Europe de la défense en marche

a.   Une coopération renforcée en matière d’armements

Dans la continuité de la déclaration conjointe sur la défense et la sécurité de juin 2008 et la déclaration helléno-française sur un partenariat stratégique du 23 octobre 2015, les relations bilatérales dans le domaine de la défense avec la Grèce se sont fortement intensifiées avec la conclusion du partenariat stratégique dans le domaine de la sécurité et de la défense le 28 septembre 2021.

Ce partenariat s’inscrit, d’une part, dans le contexte des fortes tensions en Méditerranée orientale de l’été 2020, à l’occasion desquelles la France a soutenu militairement la Grèce, et, d’autre part, dans le prolongement de la décision des autorités grecques, en janvier 2021, de commander dix-huit avions Rafale (dont douze d’occasion). ([120])

 

Ainsi que l’a souligné l’ambassadeur de France en Grèce lors de son audition, cet effort d’armement marque une volonté de rattrapage des investissements en matière de défense, qui avaient fortement diminué à l’occasion de la crise financière et économique de 2009, et manifeste l’ambition de la Grèce de disposer de capacités dissuasives dans un environnement régional instable.

C’est dans ce cadre que, parallèlement à la conclusion du partenariat, la Grèce a souhaité amplifier cette coopération en matière d’armement, en annonçant sa volonté d’acquérir non seulement six Rafale supplémentaires, mais également trois frégates de défense et d’intervention (FDI), avec une option d’achat pour une quatrième, aux fins de moderniser sa marine. La Grèce est ainsi devenue le premier pays européen à acquérir des Rafale et des FDI, en cohérence avec la volonté française de consolider ses exportations d’armement à destination des pays européens.

b.   Un partenariat stratégique inédit

Le partenariat de coopération stratégique établit plusieurs axes de coopération : une coopération stratégique, avec l’intensification du dialogue politique en matière de défense et de sécurité et de politique étrangère sur l’ensemble des sujets d’intérêt communs, en ce compris naturellement la Méditerranée ; une coopération militaire, visant à optimiser l’interopérabilité entre les deux armées, qui se traduira certainement en pratique par la multiplication d’exercices communs et des escales plus régulières des forces françaises en Grèce ; enfin, une coopération industrielle, qui s’inscrit notamment dans le cadre des acquisitions de Rafale et de FDI précitées.

Ce partenariat traduit donc, du côté de la Grèce, un besoin de réassurance stratégique et, du côté français, le pari que la Grèce pourra être à l’avenir un allié militaire majeur dans la zone, grâce notamment à notre collaboration pour l’aider à développer ses capacités en matière d’équipements.

S’agissant de la réassurance de la France à l’égard de la Grèce, la principale spécificité de cet accord bilatéral réside dans le fait qu’il inclut une clause d’assistance mutuelle pouvant aller jusqu’à l’emploi de la force si l’un des deux pays constate une agression armée sur son territoire ([121]).

Une telle clause d’assistance bilatérale dans un accord intergouvernemental signé par la France est en effet particulièrement rare ([122]) et soulève en l’espèce deux interrogations.

LA CLAUSE D’ASSISTANCE MUTUELLE DANS LE PARTENARIAT STRATÉGIQUE

« Les Parties se portent mutuellement aide et assistance, par tous les moyens appropriés en leur possession, si besoin l’emploi de la force armée, si elles constatent conjointement qu’une agression armée survient contre le territoire de l’une d’entre elles, conformément à l’article 51 de la Charte des Nations unies. »

● La première question est celle de son éventuelle redondance avec les engagements pris par la France dans le cadre de son appartenance à l’OTAN et à l’UE, au titre de l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord ([123]), d’une part, et au titre de l’article 42 §7 du traité sur l’Union européenne (TUE), d’autre part ([124]).

Toutefois, il convient de relever que la clause d’assistance mutuelle prévue à l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord est d’application délicate si le conflit se déroule entre deux pays membres de l’OTAN. En outre, l’article 42 § 7 du TUE laisse à chaque État membre le soin « déterminer en totale discrétion l’aide et l'assistance qu’il peut fournir » ([125]), alors que l’article 2 du partenariat stratégique fait expressément référence à « l’emploi de la force armée ».

Il s’ensuit que, pour les rapporteurs, la clause d’assistance mutuelle contenue dans le partenariat stratégique complète juridiquement, à des fins de réassurance, les dispositifs déjà existants entre les deux pays au titre de leurs engagements otaniens et européens. En ce sens, ce partenariat consolide et approfondit la solidarité européenne et, par conséquent, l’Europe de la défense.

● La seconde question soulevée par cette clause d’assistance mutuelle est sa portée territoriale, qui a fait l’objet de vifs débats au parlement grec dans le cadre la ratification de l’accord. Cette clause fait en effet référence à une agression armée contre « le territoire » d’un des pays. Or, juridiquement, les ZEE ne font pas partie du « territoire » en application de la convention de Montego Bay. En conséquence, la question est ouverte de savoir si les Grecs pourraient invoquer cette clause en cas d’agression armée se déroulant dans sa ZEE.

Enfin, le risque, soulevé par certains, de voir la France entraînée voire instrumentalisée dans le cadre de simples incidents impliquant la Grèce et la Turquie paraît faible, dès lors que la clause d’assistance mutuelle ne peut être activée qu’en cas de constat « conjoint », c’est-à-dire fait par les deux pays, d’une « agression armée ».

3.   La Croatie : nouvel acteur de la « communauté Rafale »

La France a conclu le 25 novembre 2021 un partenariat stratégique avec la Croatie. Cet accord intervient notamment dans le contexte de l’acquisition par la Croatie de 12 avions Rafale d’occasion. Il est prévu que les six premiers Rafale seront livrés entre le troisième trimestre 2023 et début 2024 et les six autres avant le printemps 2025.

Ce partenariat stratégique contient un volet défense conséquent, à travers notamment :

– la mise en place d’un cadre bilatéral afin de promouvoir la coopération des deux pays dans le cadre du Fonds européen de défense (FEDEF), en vue de « soutenir la participation des entreprises croates et françaises à des consortia industriels recevant des financements européens » et de partager le cas échéant leur savoir-faire pour la mise en œuvre dans le cadre des appels à proposition du FEDEF ;

– la participation des entreprises aux activités de suivi liées au contrat Rafale, « afin de renforcer l’autonomie stratégique de la Croatie dans ce domaine » ;

– le développement de la coopération militaire dans les cinq domaines suivants : le renseignement ; les forces spéciales ; les exercices militaires ; la logistique et le soutien ; la formation universitaire.

Le développement de cette coopération avec la Croatie permet donc à la France de consolider la « communauté Rafale » et l’interopérabilité avec ces partenaires dans la zone méditerranéenne, dans le prolongement des acquisitions effectuées par l’Égypte et la Grèce.

4.   L’Égypte : une coopération qui s’est intensifiée

Bien que nouée dès les années 1970, la coopération entre la France et l’Égypte en matière de défense s’est renforcée de façon significative depuis 2014. L’embargo américain sur la vente d’armes à la suite de la prise de pouvoir du général al-Sissi a en effet conduit l’Égypte à diversifier ses sources d’approvisionnement, tandis que la France a fait le choix d’approfondir son partenariat avec le nouveau régime égyptien, engagé dans la lutte contre le terrorisme islamique et considéré comme un facteur de stabilité dans la région.

 

Le développement de cette relation est notamment marqué par la conclusion de contrats d’armements significatifs. Depuis 2014, la France a ainsi successivement vendu à l’Égypte, dans le domaine naval, quatre corvettes de classe Gowind (dont trois assemblées dans les chantiers navals d’Alexandrie, avec un transfert de technologies et une assistance assurée par Naval Group), une frégate multi-missions (FREMM Normandie) et les deux bâtiments de projection et de commandement (BPC) de classe Mistral initialement destinés à la Russie.

La coopération est également forte dans le domaine aérien. Alors que l’Égypte avait été le premier pays à acquérir des Rafale à l’export, avec une commande de vingt-quatre Rafale en 2014, ce partenariat s’est consolidé récemment avec la conclusion d’un contrat, entré en vigueur en novembre 2021, relatif à la fourniture de trente Rafale supplémentaires, pour un montant de près de quatre milliards d’euros.

Au total, les ventes d’armes à l’Égypte se sont élevées à 7,7 milliards d’euros entre 2010 et 2020, faisant de l’Égypte le quatrième pays client de la France en matière d’armements (derrière l’Inde, le Qatar et l’Arabie saoudite) ([126]).

Consécutivement à la conclusion de ces contrats, de nombreuses coopérations sur le plan opérationnel et en termes de formation ont été réalisées. À titre d’exemple, les rapporteurs relèvent l’escale de Rafale français en Égypte dans le cadre de l’exercice Skyros au début de l’année 2021, ou encore l’exercice naval Cléopâtre, qui s’est déroulé en mars 2021 dans les eaux égyptiennes et auquel a participé le Porte-hélicoptères amphibie (PHA) Mistral.

L’approfondissement de ce partenariat stratégique passe désormais par l’établissement d’une véritable « communauté Rafale », notamment à travers l’échange de savoir-faire et la formation des pilotes égyptiens.

B.   Les partenariats multilatéraux

1.   L’Initiative 5+5 Défense : des résultats mitigés

L’« Initiative 5+5 Défense », lancée sous l’impulsion de la France en 2004, est un instrument de coopération multilatérale de sécurité et de défense en Méditerranée occidentale. Il s’agit du volet défense du « Dialogue 5+5 », qui est un forum de coopération multilatérale rassemblant cinq États de la rive sud de la Méditerranée occidentale (Algérie, Libye, Mauritanie, Maroc et Tunisie) et cinq États de la rive nord (France, Italie, Malte, Portugal et Espagne).

L’objectif de cette initiative est de renforcer la connaissance mutuelle, de favoriser le dialogue et le partage d’expériences entre pays membres et de promouvoir des activités pratiques d’intérêt commun dans quatre domaines principaux : la surveillance maritime, la sûreté aérienne, la contribution des forces armées à la protection civile et la formation/recherche.

Cependant, d’après certaines personnes auditionnées, cette Initiative, certes utile comme forum de dialogue, n’a pas débouché sur un véritable renforcement de la coopération multilatérale entre ces pays, en raison notamment du manque de cohésion des pays de la rive Sud consécutif aux tensions entre l’Algérie et la Maroc et au conflit libyen. Ce manque d’engagement de certains pays est également illustré par l’absence de désignation de la co-présidence de la rive Sud qui doit se joindre à l’Espagne pour 2021, comme l’a rappelé M. Paul Zajac, sous-directeur des affaires stratégiques et de la cybersécurité au ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

Dans ce contexte, les principales manifestations en 2021 de cette Initiative ont pris la forme d’une réunion annuelle des chefs d’état-major des armées des dix  États membres et d’un exercice naval dit « Sea Border » au large du Portugal, centré sur les enjeux de surveillance maritime et de sécurité en mer et auquel a participé le bâtiment de soutien et d’assistance métropolitain (BSAM) Loire. L’année 2021 a également été marquée par une montée en puissances des activités de coopération cyberdéfense et la proposition de l’Italie de créer un forum cyberdéfense 5+5.

2.   L’initiative Quad : une réassurance en Méditerranée orientale

Lancée en 2020, dans le contexte de montée des tensions avec la Turquie, l’initiative quadripartite de coopération (Quad) est une coalition regroupant Chypre, l’Italie, la France et la Grèce. Son objectif principal est de renforcer la présence navale et aérienne en Méditerranée orientale pour réaffirmer l’attachement de ces pays au respect du droit international en général et du droit de la mer en particulier. L’engagement conjoint de ces États dans la région se traduit notamment par l’organisation d’exercices navals communs, dont l’exercice annuel Eunomia, qui a été évoqué supra.

3.   EuroMed 7, un lieu de dialogue politique utile

Le sommet des pays du Sud de l’Union européenne (dit Med7), lancé en 2016 à l’initiative de la Grèce, rassemble annuellement les chefs d’État et de gouvernement des pays membres de l’UE du Sud de l’Europe (initialement Chypre, Espagne, France, Grèce, Italie, Malte, puis Slovénie et Croatie).

Cette alliance informelle permet aux pays de se coordonner sur les enjeux communs dans l’espace méditerranéen, y compris naturellement les enjeux de défense. Le sommet qui s’est tenu le 10 septembre 2020 à Porticcio (Corse) était ainsi largement consacré aux tensions en Méditerranée orientale et a permis de réaffirmer la solidarité des pays du Med 7 à l’égard de la Grèce et de Chypre. Ce forum politique a ainsi un rôle important dans la définition d’une position commune de ces pays en cas de crise dans l’espace méditerranéen et plus largement dans la promotion des enjeux de défense en Méditerranée auprès de l’Union européenne.

DÉCLARATION À L’ISSUE DU MED7 DE SEPTEMBRE 2020 À PORTICCIO (CORSE)

« Nous réitérons notre plein soutien et notre entière solidarité avec Chypre et la Grèce face aux atteintes répétées à leur souveraineté et à leurs droits souverains ainsi qu’aux mesures agressives prises par la Turquie. Nous appelons l’ensemble des pays de la région à respecter le droit international, notamment le droit international de la mer, et nous encourageons toutes les parties prenantes à régler leurs différends par le dialogue et la négociation. À cet égard, nous saluons les efforts de médiation du haut représentant et vice-président et de l’Allemagne visant à permettre une reprise du dialogue entre la Grèce et la Turquie sur la question de la zone maritime. En outre, nous accueillons favorablement l’invitation du Gouvernement de Chypre à négocier avec la Turquie, en relevant que la délimitation des zones économiques exclusives et du plateau continental devrait être traitée par le dialogue et la négociation de bonne foi, dans le plein respect du droit international et en accord avec le principe des bonnes relations de voisinage. Nous appelons en outre la Turquie à répondre à l’invitation du gouvernement chypriote afin d’engager des négociations de bonne foi pour délimiter les zones maritimes à l’ouest et au nord de l’île, ainsi qu’à soumettre le problème de la délimitation des frontières maritimes à la Cour internationale de Justice. Dans le prolongement des conclusions récentes du Conseil européen et du Conseil de l’UE, nous regrettons que la Turquie n’ait pas répondu aux appels répétés de l’Union européenne à mettre fin à ses activités unilatérales et illégales en Méditerranée orientale et dans la mer Egée. Nous réaffirmons notre détermination à utiliser tous les moyens adéquats dont dispose l’Union européenne pour répondre à ces actions agressives (…) »

IV.   Les recommandations des rapporteurs

Au terme de leurs travaux, les rapporteurs font le constat que les menaces auxquelles nos forces armées peuvent être confrontées en Méditerranée sont multiples :

– dégradation sécuritaire consécutive à une déstabilisation majeure de la rive Sud, susceptible de donner lieu à de nouvelles vagues migratoires, à la résurgence du terrorisme dans la zone et à l’accroissement des multiples flux illicites ;

– durcissement des politiques d’affirmation de puissances, avec une amplification des logiques de contestation et de sanctuarisation des espaces, de déni d’accès et de remise en cause des principes de liberté de navigation et de liberté d’opérer dans l’espace aérien ;

– risque d’escalade non maîtrisée des tensions, par exemple à la suite d’un « incident » naval ou aérien impliquant des compétiteurs, dans cet espace militairement congestionné qu’est devenue la Méditerranée ;

– conflit conventionnel impliquant des rivaux régionaux, notamment au Maghreb et en Méditerranée orientale ;

– importation en Méditerranée d’une crise sur un autre théâtre, par exemple avec la Russie, l’Iran ou la Chine ;

Ces menaces n’ont évidemment pas le même degré de probabilité. Les rapporteurs partagent l’analyse de la plupart des personnes auditionnées, selon lesquelles le risque d’un conflit conventionnel de haute intensité entre acteurs étatiques est à ce stade limité en Méditerranée. Pour autant, ils estiment que la France doit s’y préparer. En outre, pour les rapporteurs, la menace d’actions hybrides en cas de crise majeure en Méditerranée est forte : instrumentalisation des flux migratoires ; mise en place de bulles d’interdiction navales et aériennes ; dégradation de l’environnement électromagnétique pour nos forces armées ; rupture des axes de communications maritimes ; actions contre les câbles sous-marins ; terrorisme maritime ; développement d’une guerre informationnelle. ([127])

Dans cet environnement, les objectifs de nos armées et de nos partenaires en Méditerranée doivent rester les suivants : assurer une présence permanente sur l’ensemble de l’espace méditerranéen ; faire respecter le droit international et la liberté de navigation et d’opérer dans l’espace aérien ; prévenir l’escalade des tensions par des opérations de réassurance auprès de nos partenaires ; dissuader nos compétiteurs stratégiques de toute action hostile, en démontrant nos capacités ; anticiper les crises et se préparer aux conflits.

Face à ces défis stratégiques et opérationnels, les rapporteurs considèrent que les efforts doivent être développés non seulement à l’échelon national, mais également à l’échelon européen.

A.   À l’échelon national, consolider nos efforts capacitaires

1.   Anticiper et prévenir les crises

a.   Développer nos capacités de renseignement

Nos capacités de renseignement sont cruciales pour permettre à la France d’avoir une appréciation autonome de la situation en Méditerranée. Les rapporteurs estiment que des efforts pourraient être développés dans deux directions : le renseignement humain et les drones.

● Le premier point d’attention concerne le renseignement humain, alors qu’un des risques majeurs identifié porte sur une déstabilisation des pays de la rive Sud. Or, certaines personnes auditionnées ont souligné que les évolutions politiques et sociales de ces pays nous restent particulièrement opaques. De fait, en 2011, la France avait ainsi mal anticipé les « printemps arabes » et l’onde de choc géopolitique provoquée dans l’ensemble des pays de la zone. Il convient donc de ne pas rééditer un tel manque d’anticipation, en cas de nouvelle crise majeure dans cet espace. À cet égard, les rapporteurs saluent la création récente d’un « plateau Méditerranée » au sein de la direction du renseignement militaire (DRM), qui permettra de coordonner nos actions de renseignements militaires dans l’espace méditerranéen.

Dans le prolongement de ce qu’ont mis en exergue certaines personnes auditionnées, les rapporteurs estiment ainsi que le développement du renseignement humain dans ces pays doit être une priorité stratégique, afin d’être en mesure d’anticiper les crises à venir.

● En second lieu, force est de constater que malgré de récents efforts, nos capacités en drones demeurent encore limitées, tant en quantité qu’en qualité, en particulier sur le segment des drones MALE.

Aux yeux des rapporteurs, il y a d’abord urgence à accroître les capacités de renseignement d’origine électromagnétique des drones Reaper actuellement en parc. Sans cesse retardé, l’ajout d’une charge utile de renseignement d’origine électromagnétique est d’autant plus nécessaire que l’actualisation de la programmation militaire décidée par le Gouvernement au printemps 2021 s’est accompagnée du retrait anticipé des C-160 Transall Gabriel, dont l’efficacité était unanimement reconnue, y compris par nos alliés les plus exigeants.

En outre, alors que le déploiement d’un Reaper dans le cadre de l’opération IRINI ne semble pas avoir donné entière satisfaction lors des phases de survol de la mer, il convient, d’une part, d’en accroître les performances et, d’autre part, de veiller à ce que le développement de l’Eurodrone tienne compte des besoins de survol maritime.

Les autres segments de drones ne doivent pas être négligés. C’est ainsi que les rapporteurs recommandent d’accélérer le programme de système de drone aérien marine (SDAM), afin de permettre à la marine nationale de rattraper le retard qu’elle a accumulé en la matière sur certains de ses concurrents.

Enfin, de manière plus générale, l’attention des rapporteurs a également été portée sur une difficulté persistante relative à la longueur des processus de certification des drones. Dans un domaine très évolutif, il est indispensable d’identifier les voies et moyens de s’affranchir de certaines lourdeurs administratives au profit de solutions innovantes et recherchées par nos armées.

b.   Se donner les moyens de lutter contre la guerre informationnelle

Le second point d’attention des rapporteurs concerne la nécessité de prévenir toute montée d’escalade consécutive à un incident, réel ou supposé, entre nos bâtiments et celui d’un compétiteur. Le risque d’un tel incident est d’autant plus élevé que la Méditerranée est caractérisée par la multiplication des interactions entre les forces armées des différentes puissances dans les zones contestées.

À ce titre, la France pourrait par exemple être accusée d’avoir causé un incident qu’elle n’a pas provoqué, dans le cadre d’une guerre informationnelle lancée à son encontre par un compétiteur. En septembre 2018, la Russie avait ainsi imputé à la frégate Auvergne d’être impliquée dans la destruction d’un avion de renseignement russe au large de la Syrie, information erronée qui avait été relayée par plusieurs médias russes.

Dans cette perspective, il est essentiel de pouvoir réagir en temps réel. Or, ainsi que l’ont souligné des officiers aux rapporteurs, les systèmes de communication actuels limitent la capacité pour la marine d’enregistrer et de transmettre les images des évènements en temps réel, du fait notamment du manque de débit procuré par le satellite sécurisé Syracuse. Cette situation est préjudiciable et nuit à nos capacités d’auto-défense informationnelle.

Les rapporteurs estiment en conséquence que le développement des systèmes de communication permettant une transmission d’images en temps réel doit constituer une priorité pour les prochaines années.

2.   Être prêt au combat

a.   Combler nos lacunes capacitaires

Le réarmement généralisé des puissances en Méditerranée, associé aux multiples foyers de tensions et au développement des stratégies de puissance dans la zone, impose de consolider et d’amplifier notre effort capacitaire dans les domaines navals et aériens. Le présent rapport n’est pas le lieu de rappeler l’ensemble des axes de développement capacitaires, largement documentés. Les points suivants ont toutefois retenu l’attention des rapporteurs.

● Dans le domaine naval, les rapporteurs estiment qu’il y a deux urgences pour faire face aux défis en Méditerranée. D’une part, au titre de la sécurisation de notre approche maritime, il conviendrait d’accélérer la commande et la livraison des patrouilleurs océaniques, qui n’arriveront en Méditerranée qu’en 2027-2028. En effet, les patrouilleurs de haute mer (PHM), âgés de près de quarante ans, ne sont plus adaptés. D’autre part, au titre de la préservation de nos capacités de projection, l’accélération du programme des bâtiments ravitailleurs de force (BRF) serait opportune, afin de remédier à la réduction de capacité de 50 % des bâtiments de commandement et de ravitaillement (BCR) jusqu’en 2027.

À moyen terme, deux axes principaux de réflexion doivent être engagés selon les rapporteurs. Tout d’abord, un travail sur la capacité de nos missiles anti-navires, qui n’apparaissent en effet plus compétitifs face aux missiles supersoniques utilisés par nos compétiteurs, tels que les SS-N-26 et SS-N-27 russes. D’autre part, une réflexion sur l’accroissement du nombre de nos bâtiments de premier rang, notamment les frégates, parait nécessaire en vue de consolider la position de la marine nationale, au regard du réarmement naval des puissances en Méditerranée tel que rappelé dans le présent rapport.

Évolution du tonnage des marines dans la zone

     Source : marine nationale

● Dans le domaine aérien, outre le rehaussement capacitaire attendu sur le segment des drones, les rapporteurs estiment nécessaire de doter les futurs hélicoptères interarmées légers (HIL) Guépard de l'armée de l'air et de l'espace d'une capacité de ravitaillement en vol.

En effet, au-delà des équipements prévus "de série", l’armée de l’air et de l’espace avait exprimé des besoins spécifiques pour cet hélicoptère destiné à remplacer l'ensemble de la flotte d'hélicoptères légers des armées : liaison 16 et perche de ravitaillement en vol.

Or, en l'état, la direction générale de l'armement n'a pas prévu d'ajouter une perche aux hélicoptères qui seront livrés aux escadrons de l'armée de l'air et de l'espace, du moins pas dans leur première version. Produit d'un arbitrage strictement budgétaire, un tel choix ne prend pas en compte les besoins opérationnels, en particulièrement s'agissant de nos capacités d'intervention dans notre environnement régional.

 

C'est ainsi que l'exercice Rhéa, présenté ci-dessus, a mis en lumière l'apport opérationnel de la capacité de ravitaillement en vol des hélicoptères Caracal, qui leur a permis de rejoindre directement la zone d'intervention, au large de la Crète. Déjà, en 2015, à la suite d'une opération conduite au Sahel au cours de laquelle un Caracal avait été ravitaillé par un avion Hercules américain, le ministère des Armées avait souligné combien cette capacité était utile afin de s’affranchir de la contrainte constituée par l’élongation du théâtre sahélien, précisant que « le domaine d’intervention des hélicoptères est alors démultiplié et ne rencontre plus d’autres limites que les capacités physiologiques de l’équipage et les contraintes météorologiques. » ([128])

Dans ce contexte, les rapporteurs sont convaincus de la pertinence de disposer de la capacité à conduire une opération associant Caracal et Guépard, tous deux « ravitaillables ». Cela serait un atout considérable, en particulier sur le théâtre méditerranéen, où le ravitaillement en vol permettrait de s'affranchir des contraintes d'élongation. C'est pourquoi ils appellent de leurs vœux une rapide évolution des capacités des futurs Guépards de l'armée de l'air et de l'espace dans cette direction.

b.   Des prélèvements au titre des exportations à compenser

Enfin, si les rapporteurs se félicitent du succès à l’export des Rafale ainsi que de la vente des frégates FDI à la Grèce, ils tiennent à faire part de leurs préoccupations sur les conséquences pour nos forces armées de ces exportations. Ces équipements sont en effet pour partie prélevés sur les capacités de nos forces armées.

La vente des FDI à la Grèce aura ainsi pour conséquence que la marine française devra attendre 2028 pour en avoir autant que la Grèce, ainsi que l’a rappelé l’amiral Pierre Vandier : « La Grèce est entrée en négociations exclusives pour l’acquisition de FDI. Il est prévu que les FDI 2, 3, 5 et peut-être 7 soient prélevées sur la chaîne de production « France » au profit de la Grèce. Notre marine se verra donc livrer la première FDI en 2023, la deuxième en 2026, puis la troisième en 2027. Il faudra donc attendre 2028 pour que la France possède autant de FDI que la Grèce. Les prélèvements de FDI se feront au détriment de celles prévues pour la Marine. » ([129])

La même logique est à l’œuvre avec les Rafale, comme l’a rappelé l’un des rapporteurs dans son avis budgétaire « Air » 2022 : « sur les 18 Rafale achetés à ce jour par la Grèce, 12 sont des avions d’occasion, tout comme les 12 avions que la Croatie doit acquérir : ce sont donc 24 Rafale qui seront prélevés sur le parc de l’armée de l’air et de l’espace, qui en compte 102. D’ici à la fin 2024, 27 Rafale seront livrés, suivis par 12 autres en 2025 pour compenser la commande grecque. Fin 2025, l’armée de l’air comptera donc 117 Rafale au lieu des 129 prévus par la LPM. J’ai bien noté que la ministre s’était engagée à passer une commande de 12 Rafale pour compenser la cession des appareils d’occasion à la Croatie, mais quand ? » ([130])

En conséquence, les rapporteurs estiment indispensable de procéder aux commandes permettant à nos forces armées de restituer intégralement les capacités qu’elles auraient dû avoir en l’absence de ces exportations.

À plus long terme, une réflexion de fond devra être menée par l’ensemble des acteurs, afin d’éviter que les exportations se traduisent systématiquement par un prélèvement sur les stocks destinés à nos forces armées. Dans un contexte stratégique qui incite les puissances à vouloir disposer des équipements achetés le plus rapidement possible, le prélèvement des capacités sur les stocks de nos forces armées ne saurait devenir une solution pérenne, sauf à fragiliser nos armées de façon structurelle. Toutes les pistes doivent donc être étudiées, y compris celles consistant à intégrer dans les commandes publiques à destination de nos armées un quota prévisible destiné à l’exportation, ainsi que le pratiqueraient les Italiens selon certaines personnes auditionnées.

3.   Consolider nos partenariats

● L’enjeu pour les années à venir sera de mettre en œuvre les partenariats et « feuilles de route » conclus durant la période récente, notamment avec l’Italie, la Grèce et la Croatie ou encore l’Égypte.

Dans cette perspective, aux yeux des rapporteurs, le principal défi consistera à faire fructifier ses partenariats, principalement axés sur les relations d’armement, en coopération véritablement opérationnelle entre les forces armées. Cela passe par une intensification des activités de préparation opérationnelle avec nos partenaires ainsi que des programmes de formation. Le cas échéant, une réflexion pourrait être menée sur la possibilité de développer des points d’appui pour nos forces armées dans la zone.

S’agissant du renforcement d’une « communauté Rafale », les rapporteurs partagent l’avis du représentant du commandant de la défense aérienne et des opérations aériennes, selon lequel il est préférable de développer des relations bilatérales souples plutôt qu’une coopération globale multilatérale avec l’ensemble des utilisateurs de Rafale. Il convient en effet de préserver la flexibilité nécessaire à ces coopérations, dans un contexte où l’ensemble des utilisateurs n’ont pas nécessairement les mêmes besoins, ni les mêmes intérêts.

 

● La consolidation de nos partenariats pourrait également passer par un approfondissement de notre relation stratégique avec l’Espagne, qui constitue la grande absente des différents accords de coopération conclus récemment par la France. Il est ainsi ressorti des auditions que si l’Espagne est impliquée dans les différents projets capacitaires européens, à travers sa participation aux programmes SCAF, drone MALE et European Patrol Corvette, la coopération bilatérale n’est quant à elle pas à la hauteur des enjeux communs que doivent affronter les deux pays en Méditerranée occidentale. La feuille de route établie lors de la réunion de la réunion du conseil franco-espagnol de défense et de sécurité (CFEDS) en 2013 gagnerait ainsi à être actualisée, comme le prévoit la déclaration conjointe de Montauban du 15 mars 2021 issue du 26e sommet franco-espagnol. Le déplacement en septembre 2021 d’une délégation de la commission de la Défense nationale et des forces armées à Madrid a permis de constater le souhait des diverses autorités politiques espagnoles d’approfondir notre partenariat.

B.   Construire l’Europe de la défense en Méditerranée

1.   Faire de la Méditerranée une priorité stratégique

La place Méditerranée dans l’ordre des priorités stratégiques de l’Union européenne doit être rehaussée, et ce pour quatre raisons principales :

– les défis sécuritaires précités sont communs à l’ensemble des pays de la rive Nord ;

– une crise majeure en Méditerranée aura nécessairement des conséquences sur l’ensemble des pays de l’Union européenne, comme l’a du reste rappelé la vague migratoire de 2015 ;

– les États-Unis, comme il a été vu, n’exerceront plus le même rôle de réassurance qu’auparavant dans la zone, notamment en Méditerranée occidentale et centrale ;

– l’action de l’OTAN en faveur d’un État membre pourrait être paralysée en cas de crise entre deux de ses membres, ainsi que l’illustre l’absence de coopération entre IRINI et Sea Guardian

Face aux tensions et aux crises auxquels font face certains pays européens en Méditerranée, il est ainsi crucial de réaffirmer une véritable solidarité européenne, susceptible de prodiguer de la réassurance à ces États membres lorsque cela est nécessaire. Cette solidarité a ainsi cruellement fait défaut à l’été 2020, lorsque seule la France, aux côtés de l’Italie, a soutenu la Grèce et la République de Chypre face à la politique turque du fait accompli. En conséquence, pour les rapporteurs, s’il y a un espace dans lequel doit se déployer l’autonomie stratégique de l’Union européenne que la France appelle de ses vœux, c’est bien la Méditerranée.

L’Union européenne dispose d’une fenêtre d’opportunité inédite pour affirmer et promouvoir cette priorité méditerranéenne, avec l’adoption de la Boussole stratégique prévue en mars 2022 dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne (PFUE) et l’actualisation à venir de la stratégie de sûreté maritime de 2014. Or, en l’état des négociations sur la Boussole stratégique, il est malheureusement à craindre que la Méditerranée ne fasse pas l’objet du traitement que les enjeux de défense dans cet espace imposent. Il est donc crucial de faire évoluer la position de certains de nos partenaires, notamment d’Europe centrale, sur ce point. Les rapporteurs ont conscience que l’affirmation d’une telle priorité stratégique est source de défis, notamment en raison du délicat équilibre à trouver pour l’UE entre les politiques visant l’Est et le Sud de l’Europe, du fait des rapports de force entre États membres. Mais il est nécessaire de dépasser un tel clivage : la promotion d’une politique de défense européenne en Méditerranée, visant à sécuriser cet espace stratégique pour les infrastructures et les axes de communication de l’ensemble du continent, confortera la sécurité de tous les États membres et non des seuls États riverains.

2.   Renforcer la présence européenne

● Selon les rapporteurs, la première étape d’une véritable stratégie européenne de défense serait l’établissement de bases navales communes pour les marines européennes ([131]). La France coordonne actuellement le projet dit de colocalisation (« co-basing »), dans le cadre d’une coopération structurée permanente (CSP) de l’UE à laquelle participent l’Allemagne, l’Espagne, les Pays-Bas la Belgique la République Tchèque. Cependant, ce projet a principalement vocation à développer le partage de bases hors d’Europe et en tout état de cause de grandes puissances méditerranéennes telles que l’Italie ou la Grèce n’y participent pas. Il pourrait donc être envisagé, en complément de cette coopération permanente, un volet spécifique pour les pays méditerranéens, afin d’optimiser les points d’appui d’une présence navale européenne dans les zones contestées telles que la Méditerranée orientale.

● Le second axe de développement pourrait consister, comme le proposent certains pays méditerranéens, à mettre en place une présence maritime coordonnée (PMC) européenne en Méditerranée orientale. Les rapporteurs sont partagés sur cette idée, qui n’est pas à ce stade promue par la France, celle-ci soutenant la mise en place d’une PMC en Indo-Pacifique.

Il est indéniable que les différentes marines européennes sont déjà très présentes en Méditerranée. En outre, il a été vu que l’OTAN assure aussi une présence navale importante dans cette zone. Il n’y a donc pas véritablement en Méditerranée de vide stratégique à combler par une présence coordonnée, contrairement par exemple au golfe de Guinée où une telle PMC a été mise en œuvre. Enfin, l’établissement d’une PMC en Méditerranée nécessiterait que l’ensemble des participants partagent les mêmes objectifs et intérêts dans la zone, ce qui est loin d’être assuré en l’état, comme l’a rappelé la relative solitude de la France lorsqu’il s’est agi de soutenir la Grèce et Chypre face aux provocations turques à l’été 2020.

Cependant, il est vrai que la situation en Méditerranée orientale, source principale des tensions rappelées dans le présent rapport et foyer de rayonnement de la présence russe en Méditerranée, a un impact sur la sécurité de l’ensemble des États membres. En outre, la mise en œuvre d’une PMC dans nos approches maritimes serait plus aisée opérationnellement, en ce qu’elle poserait moins de difficultés en termes d’élongation des marines.

Les rapporteurs, sans avoir d’avis définitif sur l’opportunité d’une telle PMC, plaident donc pour qu’un véritable débat s’engage sur cette question au niveau européen. En tout état de cause, que cela soit dans le cadre d’une PMC ou non, l’Union européenne gagnerait à sortir d’une logique d’« opérations » ou de « missions » ponctuelles et temporaires en Méditerranée. Il faut désormais qu’elle ait pour objectif d’assurer une présence pérenne dans cet espace, au profit de la stabilité de l’ensemble des États membres.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   Conclusion

Faut-il faire de la Méditerranée une priorité stratégique par rapport aux autres espaces d’intérêt et zones d’intervention de nos forces armées ?

La Revue stratégique de 2017, comme l’Actualisation stratégique de 2021, ont privilégié la dimension globale de notre politique de défense et n’ont pas fait de la Méditerranée une priorité. Au vu des évolutions de l’espace méditerranéen telles que décrites dans le présent rapport, il est permis de s’interroger sur la pertinence de ce choix.

Les rapporteurs ne préconisent nullement d’abandonner les autres théâtres d’opérations pour se recentrer exclusivement sur l’espace méditerranéen. La France est une puissance globale et doit rester en capacité d’intervenir là où nos intérêts sont en jeu, partout dans le monde. En outre, il ne faut pas opérer une distinction qui est largement artificielle entre les différents espaces qui constituent en vérité un même terrain de jeu pour les puissances. Les rapporteurs ont ainsi rappelé que la Méditerranée ne doit pas être considérée comme un espace clos, mais bien comme le maillon d’une chaîne : ce qui se passe au Sahel, en Indo-Pacifique ou même en Ukraine est susceptible d’avoir des répercussions sur la Méditerranée.

Il n’en reste pas moins que s’il y a un théâtre où nos intérêts souverains pourraient être directement affectés à court et moyen terme, s’il y a une zone où nos frontières pourraient connaître une déstabilisation majeure, s’il y a un espace où la France serait en première ligne pour défendre son territoire, c’est bien la Méditerranée. Le fait que l’exercice de haute intensité Polaris se soit déroulé en Méditerranée n’est à cet égard pas une coïncidence.

Alors que cet espace a longtemps été analysé sous le prisme du « risque de la faiblesse » lié aux menaces engendrées par des États faibles, c’est désormais le « risque de la force » qui prédomine dans cette zone, avec le retour de la compétition stratégique entre puissances.

Les rapporteurs ambitionnent que ce rapport puisse contribuer à cette prise de conscience collective que la Méditerranée est devenue l’épicentre de la confrontation des puissances.

Ils espèrent également qu’il alimentera la nécessaire réflexion sur les moyens pour nos forces armées de faire face à un tel défi à nos frontières, notamment dans le cadre de l’élaboration de la prochaine loi de programmation militaire.

Enfin, ils appellent à saisir l’opportunité de la Boussole stratégique, qui doit être arrêtée dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne, pour faire de la Méditerranée l’avant-poste de l’Europe de la défense et de l’autonomie stratégique européenne.


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Examen en commission

La commission procède à l’examen du rapport de la mission d’information sur les enjeux de défense en Méditerranée au cours de sa réunion du mercredi 16 février 2022.

Madame la présidente Françoise Dumas. Messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, pour clôturer cette journée particulièrement riche et dense, nous avons le plaisir d’entendre les conclusions de nos collègues Jean-Jacques Ferrara et Philippe Michel-Kleisbauer sur les enjeux de défense en Méditerranée.

Notre commission a naturellement déjà eu l’occasion de s’intéresser à la Méditerranée, notamment à travers la récente mission d’information sur « la stabilité au Moyen-Orient dans la perspective de l’après Chammal » que j’avais eu l’honneur de présider, aux côtés de nos collègues rapporteurs Philippe Meyer et Gwendal Rouillard, qui abordait également la situation de certains pays méditerranéens au Levant.

Toutefois, au regard du caractère stratégique de cet espace et de l’évolution de son contexte géopolitique, il nous est apparu essentiel de consacrer une mission spécifique à cette zone, centrée sur les enjeux de défense.

Car la Méditerranée est en effet un espace stratégique en soi. Pour la France bien sûr : la Méditerranée constitue notre frontière, notre première approche maritime, de sorte que la protection de notre territoire, notre sécurité, notre stabilité se jouent aussi, évidemment, en Méditerranée. Un espace stratégique aussi pour ses 22 États riverains, rassemblant près de 520 millions d’habitants : la Méditerranée est un pont entre ces différents pays, ces différentes civilisations, dont le destin est irrémédiablement lié par cette mer qui les rapproche, qui les réunit, cette mer si importante dans notre histoire et notre patrimoine commun. La situation de chacun des pays riverains de la Méditerranée ne peut donc nous laisser indifférent : toute crise qui s’y déroule aura en effet tôt ou tard un impact sur la France et l’Europe, comme l’ont rappelé la crise migratoire de 2015 ou la résurgence du terrorisme.

Un espace stratégique enfin pour le reste du monde, en raison de l’importance des flux économiques qui transitent par la Méditerranée : celle-ci représente 25 % du commerce maritime mondial, 30 % du trafic pétrolier. L’obstruction du canal de Suez par l’Ever Given en mars 2021 a ainsi coûté au commerce mondial plus de 6 milliards de dollars par jour de blocage.

Or, ce pont entre les deux rives qu’est la Méditerranée semble être aujourd’hui devenu surtout « un pont entre l’Europe et des zones de tensions qui ne cessent de s’intensifier, de s’imbriquer et de se rapprocher », pour reprendre les propos du président de la République Emmanuel Macron dans son discours aux forces armées du 13 juillet 2020.

Le président poursuivait ainsi : « la zone Méditerranée sera le défi des prochaines années, tant les facteurs de crise sont nombreux : contestation des zones maritimes, affrontements entre pays riverains, déstabilisation de la Libye, migrations, trafics (…). Un jeu de nouvelles puissances s’y joue aussi ».

Dans ce contexte, l’enjeu est double, Messieurs les rapporteurs. D’une part, quelle est votre appréciation sur l’évolution des tensions et des menaces dans cet espace ? D’autre part, comment la France, et plus particulièrement nos forces armées, font face au défi sécuritaire que représente la Méditerranée ?

Avant de vous laisser la parole, je tiens à vous remercier pour la grande qualité de votre travail et à vous féliciter pour votre investissement au titre de ce rapport, comme pour l’ensemble des travaux que vous avez menés les uns et les autres dans le cadre de vos rapports budgétaires.

Dans le cadre de cette mission, vous avez effectué deux déplacements : l’un à Toulon, au centre des opérations de la marine ; l’autre en Italie, d’une part à Naples, au quartier général du commandement de forces interarmées de l’OTAN, et, d’autre part, à Rome, notamment au siège de la mission européenne IRINI.

Sans plus tarder, Messieurs les rapporteurs, vous qui êtes très attachés à la Méditerranée, tout comme moi, je vous cède la parole. Je vous remercie.

Monsieur Jean-Jacques Ferrara, co-rapporteur. Madame la présidente, mes chers collègues. Je vous remercie, Madame la présidente, pour vos mots d’introduction. Je remercie également la commission pour nous avoir confié la conduite de cette mission sur les enjeux de défense en Méditerranée. Mission qui nous tenait à cœur avec mon collègue, pour des raisons évidentes, puisque nous sommes députés respectivement du Var et de la Corse. C’est une mission qui a été passionnante et nous sommes ravis aujourd’hui de pouvoir vous présenter les conclusions de nos travaux.

Je devine ce que pourrait être votre premier sentiment, mes chers collègues, sur l’objet de cette mission : la Méditerranée, vous dites-vous peut-être, ce n’est pas vraiment la priorité du moment. La situation au Sahel, en Ukraine, voire en Indo-Pacifique est bien plus préoccupante. J’en conviens bien volontiers, il existe actuellement d’autres théâtres de crises qui concentrent, légitimement, l’attention politique et médiatique. Cependant, cela n’enlève rien à la nécessité de comprendre les enjeux en Méditerranée, bien au contraire, et cela pour deux raisons majeures à mon sens.

La première est que la Méditerranée n’est pas un espace clos, mais le maillon d’une chaîne mondiale : une crise en Ukraine, une dégradation sécuritaire au Sahel ou encore un conflit en Indo-Pacifique aura nécessairement des conséquences, directes ou indirectes, en Méditerranée. D’où la nécessité de comprendre les dynamiques de puissance et les rapports de force à l’œuvre en Méditerranée.

La seconde raison est que la Méditerranée est, comme vous l’avez souligné Madame la présidente, notre frontière, notre première approche : toute crise qui s’y déroule affecte directement nos intérêts et notre sécurité ; la France a donc vocation à se retrouver en première ligne en cas de conflit dans cet espace. Ce n’est pas forcément le cas de tous les autres théâtres précités.

C’est dans cette optique que nous avons concentré nos travaux sur le « haut du spectre », afin d’identifier les facteurs de tensions, les logiques de puissance qui se déploient dans cet espace et les défis auxquels sont confrontées nos forces armées. Or, ce qui ressort de nos travaux, c’est que la Méditerranée est devenue un espace de compétition et de conflictualité. Et ce en raison principalement de deux dynamiques : d’une part, la multiplication des foyers de tensions, que je vais évoquer brièvement, et, d’autre part, un fait relativement récent : le retour des stratégies de puissance – des puissances régionales mais aussi des puissances mondiales – en Méditerranée, qu’évoquera mon collègue.

La Méditerranée est tout d’abord le foyer de multiples tensions. Première cause de tension majeure, la fragilité des États de la rive Sud. Il y a bien sûr le conflit libyen, qui a déstabilisé l’ensemble de la région. Malgré l’accord de cessez-le-feu d’octobre 2020, les défis restent nombreux à l’heure actuelle : la Turquie et la Russie veulent faire de la Libye le relais de leur puissance en Afrique ; les milices et mercenaires étrangers sont toujours présents dans le pays ; enfin, le processus de stabilisation politique demeure précaire, comme l’a démontré le report de l’élection présidentielle en décembre 2021.

Au-delà de la Libye, l’évolution de la situation interne de certains autres pays de la rive Sud pourrait également être une source de déstabilisation majeure, comme l’ont souligné de nombreuses personnes auditionnées. Je pense notamment au mouvement de contestation dit du Hirak en Algérie ; je pense également à la paralysie des institutions politiques en Tunisie, dans un contexte de crise économique et financière. Les fragilités des pays de la rive Sud alimentent en outre la multiplication des flux illicites, notamment migratoires, la Méditerranée centrale constituant actuellement la principale voie d’accès vers l’Europe, essentiellement depuis la Libye.

Deuxième cause de tension majeure, les conflits territoriaux. Le statut de Chypre constitue le « nœud gordien » des tensions en Méditerranée orientale. La Turquie, qui souhaite une bipartition définitive de l’île en deux États, y mène une politique agressive caractérisée par : le renforcement de sa présence militaire à Chypre Nord ; les violations répétées du statu quo militaire le long de la « ligne verte » administrée par l’ONU ; la réouverture unilatérale de la ville fermée de Varohsa. Parmi les possibles scénarios de crises majeures en Méditerranée, de nombreuses personnes auditionnées ont ainsi évoqué un coup de force de la Turquie à Chypre.

 

L’autre conflit territorial de la zone concerne le Sahara occidental. La rupture à la fin de l’année 2020 du cessez-le-feu en place depuis 1991 a été à l’origine de la recrudescence des tensions entre l’Algérie et le Maroc, conduisant à la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays en août 2021. Toutefois, d’après la majorité des personnes auditionnées, le risque d’un conflit conventionnel entre ces deux acteurs régionaux reste faible à l’heure actuelle.

Enfin, troisième et dernière cause de tension majeure dans la zone, la contestation des espaces maritimes. La découverte d’importants gisements gaziers durant la dernière décennie au large de Chypre a réactivé les contestations historiques relatives à la délimitation des espaces maritimes. La crise de l’été 2020 a ainsi démontré le risque d’escalade suscité par les enjeux énergétiques, avec la conduite d’activités de prospection illicites par des navires turcs, escortés militairement, dans les zones économiques exclusives de Chypre et de la Grèce. L’intervention de la France, avec l’envoi en Grèce de Rafale, d’un porte-hélicoptère et d’une frégate, a été déterminante pour stopper cette stratégie turque du fait accompli.

L’année 2021 a certes été marquée par une certaine désescalade, mais celle-ci est bien fragile. Une résurgence des tensions est ainsi vraisemblable et pourrait éventuellement s’accompagner d’actions hybrides. En revanche, la majorité des personnes auditionnées ne croient pas à l’avènement d’un conflit conventionnel en Méditerranée orientale.

M. Philippe Michel-Kleisbauer, co-rapporteur. Madame la présidente, je vous remercie pour vos mots introductifs et vos encouragements. Mes chers collègues, je me joins aux remerciements de Jean-Jacques Ferrara pour la confiance que vous nous avez accordée. Je tiens à souligner également la participation de nos collègues Jacques Marilossian, Thomas Gassilloud, Stephane Vojetta et Jean-Christophe Lagarde à cette mission. Vous nous avez confié une mission d’information qui soulève des enjeux stratégiques pour notre pays et nos forces armées.

Outre les différents facteurs de tensions évoqués à l’instant par Jean-Jacques Ferrara, une autre dynamique nous a frappés dans le cadre de nos travaux : il s’agit du retour des stratégies de puissance en Méditerranée. L’affirmation des puissances régionales constitue la première illustration de ce phénomène. On pense évidemment à la Turquie, dont l’ambition est de devenir une puissance qui compte sur l’ensemble du bassin méditerranéen, et pratique à cette fin une stratégie assumée de rapports de force.

En Libye, son intervention en soutien du gouvernement d’entente nationale s’est ainsi effectuée au mépris de l’embargo des Nations unies sur les armes, mais également au mépris de ses alliés, comme l’a illustré l’affaire du Courbet, où une frégate turque a illuminé la frégate française qui souhaitait contrôler un cargo turc, illumination radar de notre frégate Courbet.

À ce sujet, nous estimons avec mon Jean-Jacques Ferrara que le retrait de la France de l’opération de l’OTAN Sea Guardian était la bonne décision, au regard du manque de soutien des alliés. Il y a par ailleurs peu de chance, selon la majorité des personnes auditionnées, que la France réintègre Sea Guardian, les conditions posées par la France n’étant pas réunies à ce stade.

En Méditerranée orientale, la Turquie cherche à appuyer ses revendications territoriales en harcelant les navires de prospection opérant dans les ZEE chypriotes et grecques. Elle a également conclu un accord de délimitation des frontières maritimes avec le gouvernement libyen, qui est contraire au droit international, et dont l’objet est de bloquer le passage du gazoduc EastMed développé par la Grèce, Chypre et Israël.

Enfin, la Turquie développe une politique d’armement très ambitieuse centrée sur la production nationale, afin de développer son autonomie stratégique. Sa spécialisation dans les drones lui permet en outre de gagner en influence auprès des acteurs régionaux à travers une politique d’exportation volontariste.

Seconde illustration de cette affirmation des puissances régionales : le réarmement massif et généralisé. Ce réarmement couvre l’ensemble du spectre capacitaire et concerne l’ensemble des pays. Deux exemples, mes chers collègues, pour mesure l’ampleur du phénomène. Le premier concerne l’évolution projetée du tonnage des marines entre 2008 et 2030 : Égypte : + 170 % ; Israël : + 166 % ; Algérie : + 120 % ; Turquie : + 32 %. À comparer au + 3,5 % de la France sur la même période. Ces chiffres me semblent assez éloquents sur l’ampleur du défi auquel doit faire face la marine française en Méditerranée.

Le second exemple de ce réarment massif est la course aux armements entre l’Algérie et le Maroc, sur fond de tensions régionales, notamment au Sahara occidental comme l’a rappelé Jean-Jacques Ferrara. L’Algérie consacre 10 milliards de dollars à sa politique de défense, soit 6, 5 % de son PIB, tandis qu’en 2006, ces dépenses ne représentaient que 2,6 % du PIB. Grâce à cet effort, l’Algérie a développé des facultés importantes de déni d’accès et d’interdiction en Méditerranée occidentale, ainsi que des capacités de frappe dans la profondeur, y compris en Europe, avec notamment ses six sous-marins dotés de missiles Kalibr. Le Maroc s’est également lancé dans une course aux armements, avec une augmentation de son budget de défense de 29 % en 2021 puis de 12 % en 2022. Acquisition de systèmes de défense anti-aérienne, d’avions de chasse F-16, de drones, l’effort du Maroc couvre l’ensemble du spectre capacitaire.

Néanmoins, ce retour des stratégies de puissance en Méditerranée ne se limite pas aux acteurs régionaux, mais concerne également les puissances mondiales. La première illustration de ce réinvestissement des puissances mondiales est le retour de la Russie en Méditerranée. À la faveur de son intervention en Syrie, la Russie s’est notamment implantée dans le port de Tartous, modeste point d’appui logistique qu’elle a transformé en véritable base navale accueillant une dizaine de bâtiments, dont deux sous-marins. Le dispositif russe en Syrie est complété par la base aérienne de Lattaquié, qui a été agrandie et sur laquelle a déjà été déployée des bombardiers supersoniques.

La présence russe en Syrie constitue un véritable défi pour nos forces armées en Méditerranée orientale, même si les interactions se déroulent à ce stade de façon professionnelle. Plusieurs officiers auditionnés ont ainsi souligné que la réitération de l’opération Hamilton serait aujourd’hui rendue bien plus complexe à mettre en œuvre du fait de la présence russe à Tartous et Lattaquié. La Russie renforce également son influence dans la région : outre son rapprochement avec la Turquie dans le cadre du processus d’Astana et son soutien aux forces du maréchal Haftar en Libye, elle développe des relations privilégiées avec l’Égypte, et surtout avec l’Algérie, ce qui est une source de préoccupation dans le contexte de l’implantation du groupe Wagner au Sahel, dont nous avons parlé précédemment avec le chef d’état-major des Armées.

De même, la Chine a également renforcé sa présence en Méditerranée, bien qu’elle soit pour l’heure essentiellement économique, avec la prise de participations dans de nombreux ports méditerranéens dans le cadre des « Routes maritimes de la soie ». Diverses personnes auditionnées nous ont cependant mis en garde quant à une possible militarisation à terme des infrastructures chinoises en Méditerranée, sur le modèle de ce qui a été pratiqué sur la base de Djibouti.

L’affirmation de ces stratégies de puissances s’inscrit dans un contexte de relatif retrait des puissances occidentales en Méditerranée. Dans le cadre de leur « pivot stratégique », les États-Unis se sont sensiblement désengagés de la Méditerranée, qui est devenue essentiellement une zone de transit pour leurs navires. L’illustration de ce désengagement est la forte réduction de la VIe flotte. Toutefois, nous considérons que les États-Unis resteront malgré tout un acteur important en Méditerranée, notamment dans sa partie orientale. Et ce en raison de facteurs structurels, les États-Unis disposant de nombreux points d’appui dans la zone, mais également conjoncturels. Nous faisons ici référence à la présence renforcée des Américains en mer Noire, dans le cadre des tensions actuelles avec la Russie.

Quant à l’OTAN, son action sur ce théâtre est entravée par la division entre alliés, consécutive aux provocations de la Turquie. Cette dernière a non seulement provoqué le départ de la France de l’opération Sea Guardian, comme nous l’avons dit, mais elle s’oppose aussi à toute collaboration avec l’opération européenne IRINI. L’OTAN est enfin à la recherche d’une stratégie globale à l’égard de la rive Sud, le « Dialogue méditerranéen » initié dans les années 90 ayant abouti à des résultats très contrastés.

Je finirai ce rapide panorama en évoquant l’Union européenne, essentiellement présente en Méditerranée à travers l’opération IRINI, centrée sur le respect de l’embargo de l’ONU sur les armes en Libye. Cette opération est utile et a un effet dissuasif certain. Cependant, elle souffre de trois limites majeures : des capacités restreintes ; un mandat insuffisamment robuste, les agents ne pouvant pas passer outre les refus d’inspection des pays des navires, tels que la Turquie ; enfin, l’absence de collaboration avec l’OTAN, qui limite la collecte et le partage de renseignements.

M. Jean-Jacques Ferrara, co-rapporteur. Mes chers collègues, nous avons évoqué les principaux facteurs de tensions en Méditerranée, puis le retour des stratégies de puissance dans cette zone, venons-en maintenant à l’action de la France et de nos forces armées. Trois axes se dégagent dans la stratégie française en Méditerranée : premièrement, assurer une présence permanente sur l’ensemble du bassin ; deuxièmement, intensifier la préparation opérationnelle ; troisièmement, consolider nos partenariats dans la zone.

Sur le premier axe relatif à la présence française, un constat nous a été confirmé par l’ensemble des acteurs : la France est le seul pays européen à être présent sur l’ensemble du bassin méditerranéen. Naturellement, les finalités de cette présence diffèrent selon les zones : en Méditerranée occidentale, il s’agit avant tout de défendre notre territoire, de surveiller nos côtes et d’assurer la liberté de manœuvre de nos forces militaires ; en Méditerranée centrale et orientale, la présence permanente française a pour objectif, d’une part, de conserver une faculté d’appréciation autonome de la situation, et, d’autre part, de préserver la liberté de navigation et la liberté d’opérer dans l’espace aérien contre les logiques de sanctuarisation.

Dans le domaine naval, cinq à six frégates se relaient ainsi chaque année pour assurer une présence quasi-permanente en Méditerranée orientale. La présence aérienne dans la zone est quant à elle assurée par la conduite régulière de campagnes de renseignements d’origine électromagnétique assurée par des Rafale et des Mirage équipés de pods de reconnaissance, ainsi que par des avions radars AWACS. Les Rafale de la base H5 en Jordanie participent ainsi de plus en plus à des missions en Méditerranée.

Nos forces armées sont également présentes en Méditerranée dans un cadre international. Le groupe aéronaval a ainsi été déployé en Méditerranée en soutien à l’opération interalliés Chammal dans le cadre des missions Foch 20 et Clemenceau 21 et le sera encore cette année. La France participe également aux groupes navals permanents de l’OTAN (Standing Nato Forces) et contribue à la « présence avancée adaptée » de l’OTAN en mer Noire. Enfin, la France est un des principaux contributeurs à la mission IRINI, évoquée par mon collègue, avec notamment un bâtiment français affecté de façon permanente en soutien direct à la mission, et des moyens aériens, dont un drone Reaper, qui a été mis à disposition sur une base ponctuelle.

Le deuxième axe de la stratégie française est d’intensifier la préparation opérationnelle. La Méditerranée est ainsi le lieu des principaux exercices de nos forces armées, qu’il s’agisse de se préparer aux actions hybrides, comme l’a illustré l’exercice anti-terroriste Rhéa de mai 2021, ou de se préparer à un conflit de haute intensité, comme c’était l’objet de l’exercice Polaris, présenté par nos collègues rapporteurs de la mission d’information sur la haute intensité ce matin. Les exercices menés en Méditerranée ont également pour finalité de renforcer notre interopérabilité avec nos partenaires. Pour s’en tenir au domaine aérien, dans le cadre de l’établissement d’une « communauté Rafale » en Méditerranée, des aéronefs ont participé en 2021 à l’exercice Skyros avec l’Égypte et la Grèce et à l’exercice Iniochos organisé par la Grèce. Enfin, les exercices dans la zone peuvent être menés aux fins de réassurance : tel était l’objet de l’exercice Eunomia mené avec la Grèce, Chypre et l’Italie en août 2020, au paroxysme des tensions avec la Turquie en Méditerranée orientale.

Enfin, le troisième et dernier axe de la stratégie française en Méditerranée repose sur la consolidation de nos partenariats régionaux. La période récente a en effet été caractérisée par l’intensification de la coopération en matière d’armements, avec la Grèce, bien sûr, mais également la Croatie et l’Égypte. Le traité dit du « Quirinal » ouvre également la voie à un approfondissement de notre alliance avec l’Italie, et ce dans tous les domaines : une lettre d’intention sur la coopération en matière de défense spatiale a ainsi été signée récemment par les deux pays.

Un mot si vous le permettez sur le partenariat avec la Grèce. Tout d’abord, si ce partenariat n’est dirigé contre personne, selon la formule consacrée des autorités, il n’en reste pas moins que, du côté grec, il s’inscrit dans le prolongement des fortes tensions de l’été 2020 avec la Turquie. À ce titre, ce partenariat caractérise la volonté de la Grèce non pas de résorber mais à tout le moins de réduire la disparité capacitaire existante avec les forces turques. Il exprime également le besoin de réassurance de la Grèce contre les provocations de la Turquie, comme l’illustre la clause de défense mutuelle contenue dans l’accord. Côté français, ce partenariat est cohérent avec, d’une part, la volonté de donner la priorité à la solidarité européenne, et, d’autre part, de renforcer la dimension européenne de notre politique d’exportation d’armements. La France fait également le pari que la montée en gamme de la Grèce permettra à celle-ci de constituer un allié solide pour relever les défis à venir en Méditerranée orientale. Enfin, le risque, évoqué par certains, que la France soit instrumentalisée dans des différends bilatéraux entre la Grèce et la Turquie nous paraît faible, dès lors que la clause d’assistance mutuelle nécessite le constat « conjoint » d’une agression armée.

M. Philippe Michel-Kleisbauer, co-rapporteur. Comme vous l’avez compris, chers collègues, les menaces auxquelles sont confrontées nos forces armées en Méditerranée sont protéiformes : dégradation sécuritaire consécutive à une déstabilisation majeure d’un pays de la rive Sud ; amplification des logiques de sanctuarisation et de déni d’accès ; risque d’escalade non maîtrisé des tensions, notamment à la suite d’un incident dans cet espace militairement congestionné qu’est la Méditerranée ; importation en Méditerranée d’une crise venant d’un autre théâtre ; voire conflit conventionnel entre rivaux régionaux.

 

Si un conflit de haute intensité n’est pas le plus probable selon nous - ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas s’y préparer -, en revanche, la menace d’actions hybrides en cas de crise majeure en Méditerranée paraît forte. Celles-ci pourraient prendre des formes variées :  instrumentalisation de flux migratoires ; mise en place de bulles d’interdiction navale et aérienne ; rupture des axes de communication maritimes ; dégradation de l’environnement électromagnétique pour nos forces armées ; guerre informationnelle, etc.

Face à ces défis opérationnels, il convient dans un premier temps d’être en capacité d’anticiper et de prévenir les crises. Anticiper les crises tout d’abord, en développant le renseignement. Deux points d’attention majeurs à ce titre. D’une part, développer le renseignement humain dans les pays de la rive Sud, pour mieux appréhender les évolutions de ces pays et ne pas réitérer l’absence totale d’anticipation de la France à l’égard des printemps arabes. D’autre part, développer nos capacités en drones, avec trois axes d’amélioration à ce sujet : accroître les capacités de renseignement d’origine électromagnétique des drones Reaper ; développer les capacités de survol maritime ; enfin, réduire les lourdeurs du processus de certification qui ont été soulignées par de nombreux officiers auditionnés et qui est un sujet souvent abordé par notre commission.

Prévenir les crises ensuite, en se donnant les moyens de lutter en cas de guerre informationnelle. Dans cette perspective, l’urgence est de développer dans nos navires des systèmes de communication capables de transmettre en temps réel les images d’un incident supposé ou réel. En l’état, ce n’est pas possible en raison d’un manque de débit. Or, un tel système permettrait non seulement de prévenir tout malentendu lié à un incident, mais également de lutter contre les campagnes de désinformation. Nous en avons parlé ce matin, à propos d’un incident en 2018 en Méditerranée orientale.

Anticiper et prévenir les crises, c’est bien, être prêt au combat, c’est mieux. Le chef d’état-major des Armées ne cesse de nous le dire. À cet égard, il est nécessaire de combler nos lacunes capacitaires. Dans le domaine naval, outre les problématiques liées aux réductions de capacités temporaires des patrouilleurs de haute mer et des bâtiments de commandement et de ravitaillement, le réarmement naval généralisé doit nous inciter à une réflexion sur le nombre de bâtiments de premier rang de notre marine, comme cela a été abordé tout à l’heure. En outre, en cas de conflit de haute intensité, l’exercice Polaris a rappelé combien nos missiles anti-navires, tels que l’Exocet, étaient devenus peu compétitifs face aux missiles supersoniques de nos compétiteurs, tels que le Zircon russe.

Dans le domaine aérien, au-delà des drones, il faut développer nos capacités de ravitaillement en vol, qui permettent de s’affranchir des contraintes d’élongation, comme l’a montré l’exercice Rhéa. Il est ainsi essentiel que les futurs hélicoptères Guépard soient dotés d’une telle capacité de ravitaillement en vol, ce qui ne semble pas garanti à ce stade.

Le dernier point d’attention relatif à nos capacités concerne les conséquences de nos exportations de Rafale et de frégates, qui sont pour partie prélevées sur nos stocks. Il convient non seulement de compenser ces prélèvements, mais également d’engager une véritable réflexion pour que nos succès en termes d’exportations – que nous ne pouvons que saluer – ne se traduisent pas systématiquement en prélèvements sur nos forces armées, sauf à fragiliser de façon structurelle ces dernières.

Être prêt au combat en Méditerranée certes, mais avec nos partenaires. À ce titre, le défi pour les prochaines années sera de transformer nos accords d’armement en véritables partenariats opérationnels. La France gagnerait également à approfondir sa relation avec l’Espagne, qui est la grande absente des différents accords conclus récemment avec nos partenaires méditerranéens.

Enfin, notre conviction, et j’en terminerai par-là, c’est qu’il faut construire l’Europe de la Défense en Méditerranée. Deux raisons majeures à cela : d’une part, les défis sécuritaires en Méditerranée sont communs à l’ensemble des pays européens et une crise majeure en Méditerranée aurait un impact sur l’ensemble des États membres, comme l’a montré la vague migratoire de 2015 ; d’autre part, les États-Unis n’exerceront plus le même rôle de réassurance qu’auparavant, notamment en Méditerranée occidentale et centrale. Il faut donc se saisir de l’opportunité de la Boussole stratégique et de l’actualisation de la stratégie de sûreté maritime dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne pour faire de la Méditerranée une priorité stratégique et construire l’Europe de la défense dans cet espace.

Comme avancée concrète pour construire cette Europe de la défense en Méditerranée, nous proposons l’établissement de bases navales communes dans le bassin méditerranéen, afin d’optimiser les points d’appuis d’une présence navale européenne dans la zone. En outre, la question de l’établissement d’une présence maritime coordonnée en Méditerranée orientale pourrait se poser, même si nous n’avons pas d’avis tranché à ce sujet. Il est vrai que les différentes marines européennes et l’OTAN sont déjà présents dans la zone. Nous comprenons en outre que la France n’y est pas à ce stade favorable. Cependant, au vu du caractère stratégique de cette zone pour la sécurité de l’Europe, une discussion ouverte sur l’opportunité d’une telle PMC paraît légitime.

Enfin, je conclurai par un souhait : que notre rapport puisse contribuer à la prise de conscience que la Méditerranée est devenue un espace de compétition intense entre les puissances et qu’il alimente la nécessaire réflexion pour que nos forces armées puisse faire face à un tel défi à nos frontières. J’observe enfin que nos travaux sont est en parfaite complémentarité avec l’excellent rapport qui nous a été présenté ce matin sur la haute intensité par Patricia Mirallès et Jean-Louis Thiériot. Je vous remercie mes chers collègues.

 

 

M. André Chassaigne. Merci chers collègues pour ce rapport extrêmement précis et intéressant. Depuis l’antiquité, la Méditerranée est au cœur de conflits. Elle reste une zone où se déploie tout l’éventail des grands enjeux contemporains :  stratégique, économique, énergétique, migratoire, juridique… Un constat : pendant que les puissances régionales investissent dans la défense, avec une présence croissante de la Russie et de la Chine, les capacités opérationnelles de nos partenaires européens tels que l’Espagne et l’Italie semblent se dégrader. Il est donc d’autant plus essentiel que la France maintienne de bonnes relations avec les pays et les peuples de cette région, représente un facteur de stabilité et joue un rôle moteur dans les relations UE-Méditerranée.

Ma question porte sur les relations franco-algériennes. Pour le ministre des Affaires étrangères algérien, M. Ramtane Lamamra, « les relations franco-algériennes dépendent du moment, sont bonnes ou mauvaises mais jamais banales ». Il est vrai que pendant ce quinquennat, nos relations bilatérales ont souvent été tendues, que ce soit sur les questions mémorielles ou sur notre coopération économique et sécuritaire en matière de chaînes d’approvisionnement. L’escalade des tensions avec le Maroc à propos du Sahara occidental n’a, par ailleurs, rien arrangé.

La remise en question de l’influence française s’amplifie, que ce soit dans le cadre des relations politique et diplomatique, de l’entreprenariat et de la relation commerciale, ou de nos liens avec l’armée algérienne. On dit que l’émergence d’élites arabophones formées au pays et n’ayant pas la culture francophone peut jouer dans cette dégradation. Sans doute y a-t-il d’autres explications que celles-ci. Néanmoins, dans un entretien avec des médias français le 5 février, M. Ramtane Lamamra a jugé que les relations franco-algériennes sont dans une phase « laborieusement ascendante ». Il a pris en compte la demande de réouverture de l’espace aérien aux avions militaires français. D’où ma première question : quelle est votre analyse sur nos relations avec l’Algérie ?

J’en viens maintenant à un aspect plus militaire. L’Algérie opère un réarmement massif, largement approvisionné par la Russie, mais aussi par la Chine. Entre 2010 et 2020, l’Algérie a dépensé 90 milliards de dollars en équipements militaires. Le pays dispose désormais de la deuxième marine la plus étoffée et la plus moderne de la rive sud de la Méditerranée, après l’Égypte, et a fait part de son intention d’acquérir auprès de la Russie des missiles anti-aériens S-500 et la quatrième génération d’avions de combat russes Su-57. Vu la coopération intensifiée entre les deux pays, y a-t-il, à votre connaissance, des relations avec les mercenaires russes présents au Mali ?

Enfin, depuis août dernier, les tensions entre le Maroc et l’Algérie montent :  rupture des relations diplomatiques, révélations sur l’usage par le Maroc du logiciel israélien Pegasus, signature d’un accord sécuritaire entre le Maroc et Israël, fermeture par l’Algérie des vannes des gazoducs Maghreb-Europe. L’Algérie accuse le Maroc d’une guerre de 4e génération, d’importation massive d’armements et d’une alliance militaire d’un type nouveau ainsi que d’une vente drones d’attaques de la part d’Israël. Quel pourrait être le rôle de la France dans cette crise ?

M. Jean-Jacques Ferrara, co-rapporteur. Que nos relations avec l’Algérie soient fluctuantes est tout à fait vrai, comme est également vrai le fait que les élites émergentes algériennes soient de moins en moins tournées vers la France et plus vers d’autres pays, comme la Russie.

Sur les moyens à mettre en œuvre, nos interlocuteurs ont attiré notre attention sur la nécessité de renforcer nos moyens de renseignement humain dans les pays du Maghreb, lesquels ont montré leurs défaillances en n’anticipant pas le « printemps arabe ».

Pour l’Algérie, le danger n’est pas au Nord, mais au Sud, au Sahel, comme pour nous, ce qui explique qu’elle ait levé l’interdiction de survol de son territoire par nos avions militaires. Ils ont conscience que nous menons dans cette région un combat commun, par bien des aspects.

Nos relations avec ce pays sont soumises aux aléas de la situation intérieure algérienne. Le réarmement actuel et la crise avec « l’ennemi héréditaire » marocain peuvent apparaître comme une volonté de détourner l’attention populaire et, ainsi, d’apaiser les tensions internes.

M. Philippe-Michel Kleisbauer, co-rapporteur. Dans le cadre de nos travaux, il est apparu rapidement que personne n’imagine qu’un accrochage en Méditerranée puisse dégénérer en guerre ouverte. En revanche, s’il y a des inquiétudes s’agissant des pays de la rive Sud, c’est plutôt le risque d’effondrement d’un de ces pays.

S’agissant de l’Algérie, les auditions nous ont permis, à défaut de nous y rendre, de mieux appréhender la réalité du pays : le poids de l’armée toujours fort, une contestation importante, une jeunesse nombreuse moins tournée vers la France.

La réouverture de l’espace aérien, que nous avons appris en audition, a été consécutive aux évènements récents au Burkina-Faso, ce qui démontre que l’Algérie est préoccupée par la situation au Sud.

J’ai également été frappé par la qualité de sa marine, vantée par nombre d’interlocuteurs. Les capacités maritimes de l’Algérie sont très élevées, comme l’ont montré les exercices conjoints menés avec la Marine française. En comparaison, le Maroc est très loin derrière dans le domaine naval.

 Cette question mérite certainement un approfondissement dans le cadre des travaux à venir car le véritable « cygne noir », c’est-à-dire le pire scénario pour la Méditerranée, serait un effondrement d’un pays de la rive Sud.

Mme Marianne Dubois. Chers collègues, en tant qu’orateur du groupe LR, je tenais à vous remercier et vous féliciter pour ce rapport de qualité sur la Méditerranée. Madame la présidente Dumas, dans vos propos liminaires, vous avez insisté, à juste titre, sur le fait que la Méditerranée était notre frontière et que d’elle dépendait notre stabilité. Or, on observe une multiplication des foyers de tensions dans cette zone. Chers collègues, vous avez fait référence au partenariat stratégique avec la Grèce. Dans un contexte de rivalité avec la Turquie et de multiplication des incidents en Méditerranée orientale, n’y a-t-il pas le risque d’une instrumentalisation de notre pays, qui se retrouverait entraîné, par le jeu des alliances, dans un conflit gréco-turc ?

Par ailleurs, les sous-marins russes, lorsqu’ils quittent leur base du grand nord pour rejoindre la Méditerranée, passent par la ZEE française. Ils sont alors suivis par un bâtiment de la marine nationale. Pour cette dernière, c’est un non-évènement qui ne fait l’objet habituellement d’aucune communication. Mais avec la crise ukrainienne, la présence russe dans ces eaux prend une autre dimension. Est-ce que la marine nationale a revu à la hausse les moyens de surveillance de ces mouvements ?

M. Jean-Jacques Ferrara, co-rapporteur. Pour ma part, je ne suis pas inquiet de l’éventuelle implication de la France dans un conflit gréco-turc, dans le cadre du partenariat conclu avec la Grèce.

L’accord de défense signé avec la Grèce comporte deux volets : l’un capacitaire, l’autre sur la réassurance. Le volet capacitaire vise à permettre à la Grèce de rattraper le retard capacitaire qu’elle a pris à la suite de la crise financière, en renforçant ses capacités de dissuasion à l’égard du rival turc dans un contexte de fortes tensions régionales. Le volet sur la réassurance est quant à lui illustré par la clause d’assistance mutuelle contenue dans cet accord de partenariat. Par une telle clause, la France réaffirme la prédominance de la solidarité européenne, face à la neutralité que l’OTAN garde vis-à-vis du conflit gréco-turc, les deux pays étant membres de l’Alliance. Par cet accord, nous contribuons donc à l’édification d’une véritable Europe de la défense et, à titre personnel, je m’en félicite.

Quant au risque d’entraînement dans un conflit, il faut être prudent, mais nous n’y croyons pas. Pour que cette clause d’assistance mutuelle soit activée, encore faut-il que les deux parties aient la même lecture d’un incident et le qualifient d’« agression armée ». Il faudrait en conséquence un incident de très grande ampleur. En revanche, on peut penser que le caractère dissuasif de cet accord de défense mutuelle, notamment à l’égard de la Turquie, participe à la désescalade en Méditerranée orientale.

M. Philippe Michel-Kleisbauer, co-rapporteur. Je me félicite, en ce qui me concerne, que la France soit capable de réassurer un pays, un pays européen qui plus est, soumis à une menace d’agression. C’est pour la France un signe de puissance et un signal politique fort vis-à-vis de l’OTAN et de l’Union européenne.

S’agissant de la Russie, il est vrai que la marine française ne communique pas beaucoup sur les mouvements des sous-marins russes, mais on peut être sûr qu’elle les suit très attentivement. Sur ce point, j’ai pu constater dans le cadre de nos travaux le respect que les Russes avaient pour notre marine et, d’une manière générale, pour la France. Alors que le contact est rugueux avec les Américains et les Britanniques, comme l’a montré l’épisode du Queen Elizabeth, ils restent très professionnels vis-à-vis des marins français. Ce respect a des conséquences très pratiques. En septembre 2018, la frégate Auvergne a été accusée d’avoir abattu un avion russe. Grâce à ce respect, à cette confiance et aux canaux de discussion directs, la vérité a pu être rétablie et la France disculpée.

M. Jean-Jacques Ferrara, co-rapporteur. Ce n’était certes pas un sous-marin mais le 23 janvier dernier, un navire de renseignement russe a fait une incursion vers le Golfe du Lion puis au large de la Corse. Des moyens de surveillance aériens et maritimes ont été déployés mais ces moyens sont notoirement insuffisants, compte tenu de l’ampleur de la tâche. Il est par exemple envisagé d’acquérir sur étagère des drones, en attendant que soit disponible le drone MALE européen. Il y a certainement une urgence dans ce domaine.

M. Philippe-Michel Kleisbauer, co-rapporteur. Je rappelle que l’amiral Prazuk a lui aussi longé les côtes russes mais que lui n’a pas été repéré.

M. Fabien Lainé. Merci Madame la présidente et merci à cette tribune de parlementaires méditerranéens, mieux à même de nous décrire la situation. C’était nourrissant sur l’état des lieux, sur vos analyses et sur votre effort de prospective.

Le retour des stratégies de puissances mondiales en Méditerranée que vous évoquez largement, semble s’inscrire dans un contexte de relatif vide laissé par le retrait des États-Unis. Dès lors, pourriez-vous, Messieurs les rapporteurs, nous donner des précisions quant au rôle à venir des États-Unis ?

Par ailleurs, comment les forces françaises sont-elles perçues par les puissances présentes en Méditerranée ? Et comment nos partenaires perçoivent-ils cette puissance française sur le bassin méditerranéen ? Pour eux, sommes-nous légitimes à être l’« embryon de départ » d’une puissance maritime européenne ? Vous avez évoqué des bases navales communes que vous appelez de vos vœux :  est-ce qu’on est crédible et est-ce que nos partenaires nous suivraient sur cette voie ?

M. Philippe Michel-Kleisbauer, co-rapporteur. On a tous constaté ces dernières années que la VIe flotte des États-Unis se désengageait en raison du changement de stratégie lié au recentrage vers l’Indo-Pacifique. Cependant, nos interlocuteurs, notamment à Naples, ont souligné qu’on est probablement arrivé au bout d’un cycle. Aujourd’hui, la tendance est davantage à un renforcement de la présence américaine qu’à la poursuite de ce désengagement, en raison notamment des tensions en mer Noire.

Ce retour en Méditerranée est facilité par le fait qu’ils disposent de nombreuses infrastructures, en Espagne, en Italie, en Grèce et en Turquie, sur lesquelles ils peuvent s’appuyer pour monter en puissance très rapidement.

En outre, comme l’a souligné Madame la présidente dans son propos liminaire, 25 % des échanges commerciaux transitent par la Méditerranée, sur la route du canal de Suez jusqu’à Gibraltar. Cela signifie que les Américains sont nécessairement attachés à la sécurisation des échanges commerciaux et à la liberté de navigation dans cette zone.

M. Jean-Jacques Ferrara, co-rapporteur. Il nous a été dit par un officier supérieur à Naples que la doctrine du Pentagone s’était en effet quelque peu infléchie, en raison du contexte actuel. Ainsi, le porte-avion américain stationne plus régulièrement qu’auparavant en Méditerranée orientale depuis quelques mois. On le comprend à cause de la présence russe et de ses points d’appui en Syrie. Les Américains considèrent donc la Méditerranée comme un continuum de sécurité avec l’Indo-Pacifique. Il me paraît important que les Européens adoptent le même état d’esprit, notamment dans le cadre de la Boussole stratégique. Tel était le sens de ma question d’hier à Madame la ministre sur les orientations de la Boussole stratégique.

M. Philippe Michel-Kleisbauer, co-rapporteur. Il s’agit du point peut-être le plus fort de notre conclusion, à savoir que la Méditerranée aujourd’hui ne doit plus être appréhendée comme un espace clos, mais comme le maillon d’une chaîne mondiale qu’elle forme avec l’Indo-Pacifique, par où transitent les principaux flux économiques et énergétiques, a fortiori avec la découverte de gisement de gaz en Méditerranée orientale. Ce caractère stratégique de la Méditerranée dans cette chaîne mondiale explique que toutes les puissances y soient présentes et y soient en compétition. Même la Chine aura, à terme, des velléités sur la Méditerranée. La Méditerranée est une « petite baignoire » dans laquelle toutes les puissances vont se retrouver.

M. Jean-Jacques Ferrara, co-rapporteur. Concernant notre crédibilité auprès des autres puissances et de nos partenaires, je pense que nous sommes crédibles. Contrairement aux autres pays, la France continue d’être présente sur l’ensemble du bassin méditerranéen, dans ses parties occidentale, orientale et centrale, bien qu’avec des moyens insuffisants. Pour autant, nous ne sommes naturellement pas en mesure de mener seul un conflit dans la zone.

M. Philippe Michel-Kleisbauer, co-rapporteur. L’exercice mené ces derniers jours entre les porte-avions italien, américain et français démontre la volonté des États-Unis de réinvestir la Méditerranée. Les Italiens en outre montent en puissance en termes de capacité et ils sont amenés à être un partenaire privilégié dans la zone. Le traité du Quirinal est à cet égard très important.

 

 

Mme Sereine Mauborgne. L’amiral de La Faverie du Ché, ancien préfet de la façade méditerranéenne et grand homme de la mer, disait à propos des enjeux en Méditerranée : « On danse sur un volcan ». Il y a la question du trafic maritime, avec un dumping social très important, qui accroît le risque d’accidents et de non-respect des règles de navigabilité. Il faisait aussi référence à la partie orientale de la Méditerranée que vous avez déjà évoquée dans votre propos, notamment quant à la rivalité gréco-turque et chypriote. On peut en effet se demander si la France ne risque pas de se retrouver instrumentalisée en cas d’incidents entre les nations, en raison du jeu des alliances.

En outre, en tant que présidente de la commission des droits de l’homme à l’AP-OSCE, je pense à la question de la migration et de l’usage qui en est fait parfois, notamment par la Turquie. Ainsi, à Chypre, il y a des vagues de migrants qui sont poussées au Sud et qui tendent à étouffer économiquement la partie sud de Chypre. Ce n’est pas une tentative de colonisation mais bien une logique d’étouffement, du fait de la nécessité humanitaire des Chypriotes du Sud de répondre à cette invasion qui est complètement instrumentalisée, comme en Biélorussie. Quel est votre point de vue sur cette question de l’instrumentalisation des migrations ?

M. Jean-Jacques Ferrara, co-rapporteur. Merci chère collègue pour cette question très importante et très intéressante. L’amiral du Ché, que j’apprécie beaucoup, a raison. L’outil migratoire, l’arme migratoire, fait partie des stratégies déployées dans le cadre guerres hybrides et constitue un levier puissant qui a été utilisé et qui pourra naturellement l’être à nouveau à l’avenir. En Méditerranée, la voie principale des migrations illicites est la route de la Méditerranée centrale, depuis la Libye, où est présente la Turquie. Or, celle-ci a déjà utilisé l’arme migratoire par le passé. En outre, une éventuelle déstabilisation des États du Maghreb, qui sont dans une situation très instable, pourrait générer une importante problématique migratoire, et ce à nos portes. Je rappelle que la Méditerranée, du Nord au Sud, c’est un jour de navigation.

M. Philippe Michel-Kleisbauer, co-rapporteur. L’OTAN a fait un rapport sur la question des migrations, qui démontre que celles-ci sont globalement en baisse, après le pic atteint en 2015, et que la présence d’éléments dangereux au sein de ces migrations est vraiment anecdotique. Par ailleurs, le risque migratoire concerne également les pays du Sud. Nous revenons ainsi d’une mission où Madame la présidente a rencontré les plus hautes autorités gabonaises la semaine dernière. Or, ces dernières nous ont indiqué craindre une augmentation de l’immigration du fait notamment du réchauffement climatique. C’est un réel sujet, qui peut effectivement être instrumentalisé dans le cadre de stratégies hybrides.

M. Jean-Jacques Ferrara, co-rapporteur. Nous avons eu à Rome un entretien avec un général italien, qui est le directeur d’un département équivalent de notre DGRIS. Il a fait un constat très lucide sur la question migratoire, en insistant sur sa dimension démographique et en soulignant que le problème persistera tant que les populations toujours plus nombreuses du Sud ne bénéficieront pas de moyens suffisants pour leur permettre de rester chez eux.

Dans cette perspective, l’instrumentalisation des flux migratoires va certainement devenir de plus en plus fréquente.

M. Jacques Marilossian. Chers collègues, merci pour l’exposé de votre rapport et vos réponses. En tant que membre de la mission d’information, je salue la qualité du travail fourni au titre de ce rapport. Les auditions ont toutes été très instructives. Dans vos conclusions, j’ai noté que la Méditerranée est en passe de devenir une zone de compétition pour certaines puissances comme la Russie et la Turquie. À ce titre, vous avez soulevé la nécessité de faire la Méditerranée un enjeu central de la réflexion autour de nos moyens capacitaires dans le cadre de la prochaine loi de programmation militaire (LPM). Deux questions très simples. Y a- t-il selon vous des programmes en cours dans le cadre de l’actuelle LPM qui devraient être accélérés ? Deuxièmement, quelles sont vos pistes quant aux moyens capacitaires supplémentaires qui doivent être développés et intégrés dans le cadre de la prochaine LPM ?

M. Philippe Michel-Kleisbauer, co-rapporteur. La principale demande concerne, comme vous le savez en votre qualité d’ancien rapport du budget « Marine », les bâtiments de surface et notamment le vieillissement des patrouilleurs de haute mer. Or, la LPM ne prévoit l’arrivée de bâtiments de remplacement en Méditerranée que d’ici 2027-2028.

L’autre enjeu est le risque de déclassement eu égard aux évolutions capacitaires des autres marines. Sans parler de la Chine, qui livre en bâtiments nouveaux l’équivalent de notre marine tous les 3 ou 4 ans, l’Italie par exemple monte en puissance. En 2030, les Italiens auront ainsi 19 frégates, tandis que la France n’en aura que 15. Il est donc nécessaire de rester au niveau des Italiens, voire de les dépasser.

Enfin, une autre problématique concerne le prélèvement sur les stocks de nos armées de certaines exportations, notamment de Rafale. Afin d’éviter que de tels prélèvements deviennent permanents et affaiblissent nos armées, nous faisons une proposition dans notre rapport, consistant à intégrer dans les commandes publiques à destination de nos armées un quota prévisible destiné à l’exportation. Cela fera certainement l’objet de discussions dans le cadre de la prochaine LPM.

M. Jean-Jacques Ferrara, co-rapporteur. Les drones constituent également un véritable sujet pour nos forces armées, comme cela a été souligné lors de notre visite à Toulon. Peut-être faudrait-il faire l’acquisition de drones, compte tenu des insuffisances que nous connaissons.

 

 

M. Philippe Michel-Kleisbauer, co-rapporteur. Cela fait en effet partie des éléments qui ont été mis en avant par nos interlocuteurs, à savoir que la marine doit avoir ses propres drones dotés de capacités de survol maritime. L’autre problématique est celle de la lenteur de nos procédures administratives et techniques pour valider et homologuer nos équipements, de sorte qu’au moment où l’armée est dotée, le matériel est quasiment obsolescent. Il s’agit d’un vrai sujet sur lequel nous devons nous pencher.

M. Jean-Jacques Ferrara, co-rapporteur. Si nous voulons conserver une faculté d’appréciation autonome de la situation sur l’ensemble de la Méditerranée, les drones sont une nécessité absolue.

Mme Françoise Ballet-Blu. J’ai une question complémentaire sur la question migratoire : quelle est la mission de la marine nationale française quant au sauvetage des migrants ?

M. Jean-Jacques Ferrara, co-rapporteur. Concernant la question du sauvetage des migrants, nous ne nous sommes pas intéressés à cette mission de la marine nationale car nos travaux ont porté davantage sur le « haut du spectre ». Cependant, la mission IRINI, au siège duquel nous nous sommes rendus, est source d’information et de renseignement concernant les trafics migratoires, même s’il ne s’agit pas de sa mission principale.

M. Philippe Michel-Kleisbauer, co-rapporteur. Le mandat actuel d’IRINI s’achevant en 2023, la question se pose de savoir si la mission va être prolongée ou non. S’agissant de la mission relative à l’embargo des exportations d’armes à destination de la Libye, nous sommes dans une situation de relatif échec, comme cela est souligné dans le rapport, avec un sous-dimensionnement marin et aérien. En outre, en raison des contraintes du droit international qui impose le consentement de l’État du navire civil pour toute inspection, il est impossible de contrôler les bâtiments turcs. La question du devenir d’IRINI, par exemple une évolution de sa mission vers les questions migratoires, dépendra de l’évolution de la situation en Libye.

M. Jean-Jacques Ferrara, co-rapporteur. Les capacités de la marine nationale en termes de collecte d’informations et de renseignement sont exploitables dans de nombreux domaines, notamment dans le cadre de l’action de l’État en mer, que ce soit pour le sauvetage des migrants ou encore la détection des pollutions marines. On l’a encore vu récemment, lorsqu’un Mirage s’entraînant au large de Solenzara a découvert une nappe d’hydrocarbures. Plus on sera présent, plus on aura des moyens de collecte d’informations, plus on sera efficace sur tout le spectre.

Mme Patricia Mirallès. Je suis ravie que vous ayez pu présenter ce rapport le même jour que notre rapport sur la haute intensité car les deux rapports sont parfaitement complémentaires. Pour nous Méditerranéens, ce travail est important et permettra d’avoir une lecture plus claire des enjeux nationaux et internationaux dans cet espace.

Mme la présidente Françoise Dumas. Il y avait effectivement une très belle continuité entre ces travaux, qui ouvrent également des perspectives pour les travaux à venir. Il nous faut effectivement monter en puissance, consolider la loi de programmation militaire pour faire face aux défis actuels et futurs, notamment dans cette Méditerranée qui nous est si chère, porteuse de tant d’Histoire et malheureusement de tant de conflits.

Je vous remercie d’avoir rappelé combien la Méditerranée est un espace stratégique, et d’avoir donné des pistes susceptibles d’apporter, à moyen terme, des réponses très concrètes et pragmatiques aux défis dans cet espace. Je suis très fière de l’ensemble des travaux présentés aujourd’hui, qui montrent à quel point nous avons une cohérence politique lorsqu’il s’agit d’enjeux majeurs.

La commission de la Défense nationale et des forces armées autorise à l’unanimité le dépôt du rapport d’information sur les enjeux de défense en Méditerranée en vue de sa publication.

 

 

 

 

 

 


— 1 —

Annexe :

auditions et déplacements des rapporteurs

(Par ordre chronologique)

 

1.   Auditions

  Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO)M. le capitaine de Vaisseau Hervé Siret, chef J3 Europe et M. le colonel Romain Canepa, CAS (chargé d’anticipation stratégique) Europe ;

  Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) ‒ M. Bertrand Le Meur, directeur de la Stratégie de défense, prospective et contre-prolifération ;

  Ministère de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE)M. Paul Zajac, sous-directeur des Affaires Stratégiques et de la Cybersécurité (ASP) à la direction des affaires stratégiques, de sécurité et du désarmement et M. Robin Galan, chef du pôle « opérations » de la sous-direction ASP ;

  M. le général de corps aérien Philippe Moralès, commandant de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA), et M. le colonel Emmanuel Boiteau, responsable du groupe action et commandement auprès du major général de l’armée de l’air et de l’espace (MGAAE) ;

  Un représentant de la Direction du renseignement militaire (DRM) ;

  Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM) M. Pierre Haroche, chercheur Sécurité européenne ;

  Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS)M. Didier Billion, directeur adjoint ;

  Institut français des relations internationales (IFRI)M. Elie Tenenbaum, directeur du Centre des Études de Sécurité et Mme Dorothée Schmid, responsable du programme Turquie/Moyen-Orient ;

  Fondation pour la recherche stratégique (FRS)M. Vincent Tourret, chargé de recherche et Mme Aude Thomas, chargée de recherche ;

  Mme Claire Raulin, ambassadrice et représentante permanente au Comité politique et de sécurité de l'Union européenne ;

  M. Arnaud Danjean, député européen, membre de la sous-commission Défense et Sécurité du Parlement européen ;

  M. Mathieu Briens, chef de cabinet adjoint de M. Josep Borrell, Haut-représentant de l'Union européenne pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, Vice-président de la Commission européenne ;

  Service européen pour l’action extérieure – M. Stefano Tomat, directeur pour l’approche intégrée pour la sécurité et la paix ;

  M. Hervé Magro, ambassadeur de France en Turquie ;

  M. le colonel Stéphane Richou, attaché de défense à l’ambassade de France en Algérie ;

  État-major de la marineM. le contre-amiral Emmanuel Slaars, adjoint au commandant de la force aéromaritime de réaction rapide, en charge de la direction de l'exercice Polaris ;

  M. Patrick Maisonnave, ambassadeur de France en Grèce.

2.   Déplacements

● Toulon – 16 novembre 2021

– Entretien avec M. le contre-amiral Emmanuel Roux de Luze, adjoint opération au Commandant de la zone maritime Méditerranée, ainsi qu’avec d’autres officiers du centre opérationnel de la marine (COM) de Toulon.

– Entretien avec M. le vice-amiral d'escadre Gilles Boidevezi, Préfet maritime de la Méditerranée, Commandant de la zone maritime Méditerranée, Commandant de l’arrondissement maritime Méditerranée ;

– Entretien avec M. le vice-amiral d’escadre (2S) Pascal Ausseur, directeur de l’institut de la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques (FMES), M. Pierre Razoux, directeur académique et de la recherche de la FMES, et M. le général de corps aérien (2S) Patrick Lefebvre, Directeur des Sessions méditerranéennes des hautes études stratégiques de la FMES.

● Naples (Italie) et Rome (Italie) – 14-15 décembre 2021

– Entretien avec M. le général de division Frédéric Boucher, sous-chef d’état-major opérations au JFC de Naples (OTAN), ainsi qu’avec d’autres officiers français du JFC de Naples : M. le colonel Lancrenon, M. le colonel Marechal, M. le capitaine de frégate Renault, M. le capitaine de frégate Martin et M. le capitaine de corvette Lemoine.

– Entretiens avec M. le contre-amiral Larry LeGree, assistant chief of staff for Operations au JFC de Naples, et M. le contre-amiral Francisco Jose Asensi Pérez ;

– Entretien avec M. Laurent Burin des Roziers, consul général de France à Naples ;

– Entretien avec M. le commissaire général des Armées Jérôme Theillier, attaché de défense à l’ambassade de France en Italie ;

– Entretien avec M. le général Giovanni Ianucci, chef du IIIème Département, Politique et Militaire et Planification, de l’état-major des armées (Italie) ;

– Entretien avec M. le contre-amiral Stefano Turchetto, commandant de l’opération IRINI, et M. le contre-amiral Jean Jourdain de Muizon, commandant adjoint de l’opération IRINI.


([1]) Audition de M. le vice-amiral d’escadre Laurent Isnard, préfet maritime de la Méditerranée, par la commission de la Défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 12 février 2020.  

([2])  Rapport d'information n° 4316 sur la stabilité au Moyen-Orient dans la perspective de l’après Chammal, par Mme Françoise Dumas, présidente, et MM.  Philippe Meyer et Gwendal Rouillard, rapporteurs, 6 juillet 2021.

([3]) Discours du Président la République, Forum Moyen-Orient Méditerranée de Lugano, 29 août 2020.

([4])  Conseil de l’Union européenne, https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/eu-migration-policy/central-mediterranean-route.

([5])  Rapport final du groupe d’experts sur la Libye crée par la résolution 1973 (2011) du Conseil de sécurité, mars 2021, p.10.

([6]) Rapport final du groupe d’experts sur la Libye crée par la résolution 1973 (2011) du Conseil de sécurité, mars 2021, p. 8.

([7]) Plan d’action pour le retrait des mercenaires, des combattants étrangers et des forces étrangères du territoire libyen.

([8]) Rapport final du groupe d’experts sur la Libye crée par la résolution 1973 (2011) du Conseil de sécurité, mars 2021, p. 2.

([9]) Mme Aude Thomas, « La montée en puissance de la Turquie sur la base aérienne d’Al-Watiyah », Fondation pour la recherche stratégique, 11 août 2020.

([10]) Le taux de participation n’était que de 24 % au référendum et de 30 % aux législatives, soit le taux le plus bas depuis 20 ans.

([11]) Audition de M. le colonel Jérôme, de la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS), M. le capitaine de vaisseau Bruno, de l’état-major de la Marine et M. le colonel Guillaume, de l’état-major des Armées (centre de planification et de conduite des opérations), par la commission de la Défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 26 février 2020.

([12]) International Crisis Group, « Jihadisme en Tunisie : éviter la recrudescence des violences », 4 juin 2021.

([13]) Résolution du Parlement européen du 10 juin 2021 sur la violation de la convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant et l’instrumentalisation des mineurs par les autorités marocaines dans la crise migratoire à Ceuta.

([14]) Observatoire marocain de l'extrémisme et de la violence, juin 2021.

([15]) Direction générale du Trésor, Indicateurs et conjoncture, Égypte.

([16]) M. Samuel Forey, « Les dynamiques socio-économiques et les ressorts des réseaux de la Wilayat Sinaï », Fondation pour la recherche stratégique, 8 juin 2016.

([17]) Mme Fanny Passelegue, « Escalade de violence dans le Sinaï : longue tradition d’instabilité, insurrection armée et terrorisme », les Jeunes IHEDN, mai 2021.

([18]) Frontex, « EU external borders in 2021 : Arrivals above pre-pandemic levels », 11 janvier 2022.

([19]) La route de la Méditerranée orientale se rapporte aux arrivées irrégulières de migrants en Grèce, à Chypre et en Bulgarie, principalement en provenance de la Turquie.

([20]) En mars 2016, l’UE et la Turquie ont adopté une déclaration ayant pour objet de lutter contre les migrations irrégulières à la suite de l'afflux massif de migrants passant par la Turquie. La déclaration énonce les deux principes suivants : tous les nouveaux migrants en situation irrégulière qui gagnent les îles grecques seront renvoyés en Turquie s'ils ne demandent pas l'asile ou si leur demande d'asile est rejetée ; pour chaque Syrien renvoyé en Turquie au départ des îles grecques, un autre Syrien sera réinstallé dans l'UE. En outre, la Turquie s'est engagée à prendre des mesures plus fermes pour éviter que de nouvelles routes de migration irrégulière, maritimes ou terrestres, ne s'ouvrent au départ de son territoire en direction de l'UE. Enfin, l’UE s’engage à soutenir les réfugiés syriens à l'aide de la facilité en faveur des réfugiés en Turquie.

([21]) La route de la Méditerranée occidentale concerne les arrivées irrégulières en Espagne, tant par la mer Méditerranée vers l'Espagne continentale que par voie de terre vers les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla en Afrique du Nord.

([22]) La route de la Méditerranée centrale a trait aux arrivées irrégulières en Italie et à Malte, depuis l’Afrique du Nord.

([23]) IOM, « Libya Migrant Report », juillet 2021.

([24]) Nato Strategic Direction-South, « Le phénomène de la migration dans la région méditerranéenne », juillet 2021.

([25]) Ibid.

([26]) Mme Nathalie Ruffié, MM. Philippe Gros et Vincent Tourret, « Stratégies de sécurité en Méditerranée », Fondation pour la recherche stratégique, 3 octobre 2018.

([27]) M. Mathieu Pellerin, « Le Sahel et la contagion libyenne », Politique étrangère 2012/4.

([28]) MM. Cyril Blanchard et Adrien Sémon, « Libye : vers une réunification bien fragile », Revue Défense Nationale 2021/HS3.

([29]) MM. Giacomo Persi Paoli, Jacopo Bellasio, « Against the rising tide : an overview of the growing criminalisation of the Mediterranean region », RAND Perspective, 2017.

 

([30]) Mmes Dorothée Schmid et Yasmina Dahech « La méthode turque en Méditerranée : l’emprise sur Chypre-Nord », Briefings de l’IFRI, 21 juillet 2021.

([31]) Ibid.

([32]) Conseil de sécurité de l’ONU, « Rapport du Secrétaire général sur sa mission de bons offices à Chypre », 14 novembre 2019.

([33]) M. Laurent Laigneau, « Un patrouilleur turc a tiré des coupes de semonce en direction d’un bateau de la garde-côtière chypriote », opex360.com, 16 juillet 2021.

([34]) Conseil de sécurité de l’ONU, « Rapport du Secrétaire général sur sa mission de bons offices à Chypre », 9 juillet 2021.

([35]) Le plan Baker I de 2001, qui prévoyait une forte autonomie de la population sahraouie, contrebalancée par l’octroi de compétences exclusives au Maroc dans le domaine régalien, a été rejeté par le Polisario. Le Plan Baker II de 2003, qui envisageait une autonomie temporaire de 5 ans suivie d’un référendum d’autodétermination assortie d’une option pour l’indépendance, a quant à lui été refusé par le Maroc.

([36]) Déclaration de M. Clément Beaune, secrétaire d’État aux affaires européennes, en réponse à une question sur le Sahara occidental, à l’Assemblée nationale, 13 avril 2021.

([37]) Le Figaro, « Washington appuie le plan ‘‘sérieux’’ du Maroc pour le Sahara occidental », 23 novembre 2021.

([38]) Rapport du Secrétaire général au Conseil de sécurité des Nations Unies sur la situation concernant le Sahara occidental, 1er octobre 2021 : « Entre le 13 novembre 2020 et le 31 août 2021, l’Armée royale marocaine a signalé à la MINURSO 1 099 incidents impliquant des tirs contre ses unités stationnées le long du mur de sable ou à proximité, dont 83 % à Mahbas. Elle a également signalé à la MINURSO 22 ‘‘tentatives d’infiltration’’ au travers du mur de sable et 724 vols de reconnaissance effectués par des drones utilisés par le Front POLISARIO, dont 88 % dans les zones de Mahbas et d’Auserd (…). Les médias sahraouis ont également fait état de frappes réalisées par l’Armée royale marocaine à l’aide de drones aériens près de la rivière Erni, à Tifariti – l’une le 6 avril, qui aurait causé la mort du chef de la ‘‘Gendarmerie’’ du Front Polisario, Dah Al-Bendir, l’autre le 19 avril. L’Armée royale marocaine a réfuté l’utilisation de drones de combat ou de surveillance à l’est du mur de sable ».

([39]) Ibid.

([40]) Rapport du Secrétaire général au Conseil de sécurité des Nations Unies sur la situation concernant le Sahara occidental, 1er octobre 2021.

([41]) ONU, « Daily Press Briefing by the Office of the Spokesperson for the Secretary General », 5 novembre 2021.

([42]) Article 56 de la convention de Montego Bay.

([43]) Mme Manon Laroche, « Le gaz : un nouvel enjeu géopolitique en Méditerranée orientale », Questions internationales, octobre 2020.

([44]) Depuis 1936, la largeur de la mer territoriale de la Grèce fut fixée à 6 milles marins de la côte (loi 230/1936 et décret-loi 187/1973) Lors de la ratification de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (loi 2321/1995), la Grèce a déclaré expressément se réserver le droit d’étendre à tout moment la largeur de sa mer territoriale jusqu’à 12 milles marins.

([45]) M. Aurélien Denizeau, « Mavi Vatan, la ‘‘Patrie bleue’’ : Origines, influence et limites d’une doctrine ambitieuse pour la Turquie, Études de l'Ifri, avril 2021.

 

 

([46]) Audition de M. le colonel Jérôme, de la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS), M. le capitaine de vaisseau Bruno, de l’état-major de la Marine et M. le colonel Guillaume, de l’état-major des Armées (centre de planification et de conduite des opérations), par la commission de la Défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 26 février 2020.

([47]) Audition de M. le vice-amiral d’escadre Laurent Isnard, préfet maritime de la Méditerranée, par la commission de la Défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 12 février 2020.

([48]) M. Jean Marcou, « La Turquie en Méditerranée orientale : des revendications énergétiques aux ambitions stratégiques », Diplomatie n° 104, 2020.

([49]) FMES, « Vers une politique turque de délimitation maritime encore plus agressive en Méditerranée ? », 13 août 2020.

 

 

([50]) IFRI, « L’Égypte, nouvelle plateforme gazière en Méditerranée orientale », septembre 2018.

([51]) Mme Chloé Bernard, « EastMed, un projet viable ? », Les Jeunes IHEDN.

([52]) Portail de l’IE, « EastMed, un nouveau tracé révélateur des tensions énergétiques en Méditerranée », 9 mars 2021.

([53]) Euractiv, « Le gazoduc EastMed n’intéresse plus Washington, la Grèce s’en inquiète », 10 janvier 2022.

([54]) Audition de M. le colonel Jérôme, de la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS), M. le capitaine de vaisseau Bruno, de l’état-major de la Marine et M. le colonel Guillaume, de l’état-major des Armées (centre de planification et de conduite des opérations), par la commission de la Défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 26 février 2020.

([55]) M. Aris Marghelis, « The French Military’s perception of the Turkish Military and Turkey’s expansion in the Eastern Mediterranean », IFRI, novembre 2021.

([56]) M. Nicolas Mazzuchi, « Que penser de la découverte turques d’hydrocarbures en Mer Noire ? », FMES, 19 octobre 2020.

 

 

([57]) Ministère des Armées, « Actualisation stratégique 2021 », p. 22.

([58]) M. Benoît de la Ruelle, « La Turquie en Libye », FMES, 4 octobre 2021.

([59]) Rapport final du Groupe d’experts sur la Libye crée par la résolution 1973 (2011) du Conseil de sécurité, pp. 20-21.

([60]) Audition de M. le colonel Jérôme, de la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS), M. le capitaine de vaisseau Bruno, de l’état-major de la Marine et M. le colonel Guillaume, de l’état-major des Armées (centre de planification et de conduite des opérations), par la commission de la Défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 26 février 2020.

([61]) Propos liminaire de la ministre des Armées devant la sous-commission défense et sécurité du Parlement européen le 2 juillet 2020.

([62]) M. Aris Marghelis, « The French Military’s perception of the Turkish Military and Turkey’s expansion in the Eastern Mediterranean », IFRI, novembre 2021.

 

([63]) M. Hasan Selim Özertem, « La découverte par la Turquie d’un nouveau gisement de gaz en mer Noire et ses implications potentielles », 1er octobre 2020.

([64]) Communiqué du ministère des Armées du 4 janvier 2022.

([65]) En décembre 2020, les États-Unis ont interdit les exportations d’armes à la Turquie sur le fondement du Countering America’s Adversaries Trough Sanction Act (CAATSA). À la suite de ces sanctions, les États-Unis ont notamment annulé la livraison prévue de 100 avions de chasse de type F-35.

([66])Audition de M. le colonel Jérôme, de la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS), M. le capitaine de vaisseau Bruno, de l’état-major de la Marine et M. le colonel Guillaume, de l’état-major des Armées (centre de planification et de conduite des opérations), par la commission de la Défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 26 février 2020.

([67]) Audition de l’amiral Pierre Vandier, Chef d’état-major de la Marine, par la commission de la Défense nationale et des forces armées de l’assemblée nationale, 13 octobre 2021.

([68]) Stockholm International Peace Research Institute ( SIPRI ), « Yearbook : Armaments, Disarmament and International Security ».

([69]) Audition de l’amiral Pierre Vandier, Chef d’état-major de la Marine, par la commission de la Défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, 13 octobre 2021.

 

([70]) M. Adlene Mohammedi « Russie-Algérie : un partenariat flexible et pragmatique », FMES, 2 décembre 2020 : « Si Alger est un client historique de Moscou, et ce depuis la période soviétique, la visite de Vladimir Poutine à Alger en 2006 marque un tournant. À cette occasion, le président russe annonce l’effacement de la dette algérienne, soit 4,7 milliards de dollars. Dans la foulée, l’Algérie s’engage à dépenser 7,5 milliards de dollars en armes russes. Selon des médias russes spécialisés, entre 2006 et 2018, l’Algérie aurait dépensé plus de 13,5 milliards de dollars en armement russe. »

 

([71]) Mme Isabelle Faucon, MM. Philippe Gros et Vincent Tourret, « L’empreinte militaire russe en Méditerranée orientale à l’horizon 2035 », Fondation pour la recherche stratégique et Observatoire des conflits futurs, juin 2020.

([72]) Ibid.

([73]) M. Arnaud Peyronnet, « Les stratégies de déni d’accès en Méditerranée, problème ou solution », FMES, 28 avril 2020.

([74]) Mme Isabelle Faucon, MM. Philippe Gros et Vincent Tourret, « L’empreinte militaire russe en Méditerranée orientale à l’horizon 2035 », Fondation pour la recherche stratégique et Observatoire des conflits futurs, juin 2020.

([75]) Audition de M. le colonel Jérôme, de la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS), M. le capitaine de vaisseau Bruno, de l’état-major de la Marine et M. le colonel Guillaume, de l’état-major des Armées (centre de planification et de conduite des opérations), par la commission de la Défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 26 février 2020.

([76]) Opération menée, dans la nuit du 13 au 14 avril 2018, par la France, les États-Unis et le Royaume-Uni aux fins de détruire le stock d’armes chimiques du régime syrien.

([77]) Mme Isabelle Faucon, MM. Philippe Gros et Vincent Tourret, « L’empreinte militaire russe en Méditerranée orientale à l’horizon 2035 », Fondation pour la recherche stratégique et Observatoire des conflits futurs, juin 2020.

([78]) Lettre datée du 8 mars 2021, adressée à la Présidente du Conseil de sécurité par le Groupe d’experts sur la Libye créé par la résolution 1973 (2011) du Conseil de sécurité Nations Unies S/2021/229, 8 mars 2021.

([79]) Ibid, p. 37.

([80]) M. Bermudez, J. S., « Moscow’s Next Front : Russia’s Expanding Military Footprint in Libya », Center for Strategic and International Studies, 7 juillet 2020.

([81]) M. Laurent Laigneau, « La Turquie confirme son intention de se procurer un second lot de systèmes russes de défense aérienne S400 », 27 septembre 2021.

([82]) M. Ramani,, « Russia’s Cautious Calculus in Algeria », Carnegie Endowment, 22 mars 2019.

([83]) Audition de M. le vice-amiral d’escadre Laurent Isnard, préfet maritime de la Méditerranée, par la commission de la Défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 12 février 2020.

 

([84]) IFRI, « La Chine en Méditerranée : une présence émergente », février 2018.

([85]) Ibid.

([86]) Stratégie « Made in China 2025 ».

([87]) Entretien avec M. le vice-amiral d’escadre Gilles Boidevezi préfet maritime de la Méditerranée, Mer et Marine, 11 octobre 2021.

([88]) Audition de M. l’amiral Pierre Vandier, chef d’état-major de la marine, sur le projet de loi de finances pour 2021, par la commission de la Défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 13 octobre 2021.

([89]) Ministère des armées, « Actualisation stratégique 2021 », p. 22.

([90]) Audition de M. le vice-amiral d’escadre Laurent Isnard, préfet maritime de la Méditerranée, par la commission de la Défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 12 février 2020.

([91]) Mme Margaux Chopin, « De l’intérêt des États-Unis à conserver leur présence en Méditerranée », FMES, 26 mars 2021.

([92]) M. Pierre Razoux, « Quelle(s) stratégie(s) pour la France en Méditerranée ? », FMES, septembre 2019.

([93]) M. Laurent Lagneau, « Avant des discussions avec Moscou, Washington décide de maintenir le porte-avions USS Harry S. Truman en Méditerranée », opex 360.com, 29 décembre 2021.

([94]) Ministère des Armées, communiqué du 17 décembre 2021 : « ce plan, fruit d’un travail initié il y a deux ans, fixe des objectifs précis destinés à améliorer continuellement, pendant les 20 prochaines années, l'interopérabilité entre les deux marines et comporte notamment un effort ciblé sur le haut du spectre opérationnel : maitrise des espaces océaniques et projection de puissance. Il facilite les contacts entre les états-majors et prévoit l’établissement du cadre autorisant l’échange d’informations et de données classifiées Ce corpus marque donc une avancée très significative et l’aboutissement d’une volonté commune de renforcer la coopération entre les deux marines, en dépit des mers agitées que les deux pays ont récemment traversées. »

([95]) Cols bleus, « Méditerranée orientale – la FREMM Provence ravitaillé par l’USNS Laramie », 13 janvier 2022.

([96]) Assemblée parlementaire de l’OTAN, « L’agenda de l’OTAN quant au maintien de la sécurité en Méditerranée », par Mme Sonia Krimi, novembre 2021.

([97]) L’opération Active Endeavour est une opération maritime créée par l’OTAN à la suite des attaques du 11 septembre 2001, en vue de décourager et de déjouer les actes de terrorisme en Méditerranée. Il s’agit de la seule opération antiterroriste de l’OTAN à ce jour fondée sur l’article 5 du traité de Washington.

([98]) Assemblée parlementaire de l’OTAN, « L’agenda de l’OTAN quant au maintien de la sécurité en Méditerranée », par Mme Sonia KRIMI, novembre 2021, p. 18.

([99]) L’Égypte, Israël, la Mauritanie, le Maroc et la Tunisie (1994) ; la Jordanie (1995) ; l’Algérie (1995).

([100]) M. C. Brandsma, « NATO and the Mediterranean », IEMed. Mediterranean Yearbook 2019, avril 2019.

([101]) Assemblée parlementaire de l’OTAN, « L’agenda de l’OTAN quant au maintien de la sécurité en Méditerranée », par Mme Sonia Krimi, novembre 2021.

([102]) « OTAN 2030 :Unis pour une nouvelle ère, Analyse et recommandations du Groupe de réflexion constitué par le secrétaire général de l’OTAN », 25 novembre 2020.

([103]) Opération créée par la décision (PESC) 2015/778 relative à une opération militaire de l’Union européenne dans la partie sud de la Méditerranée centrale (EUNAVFOR Med opération Sophia).

 

([104]) https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/eu-migration-policy/saving-lives-at-sea/.

 

([105]) Audition de M. le colonel Jérôme, de la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS), M. le capitaine de vaisseau Bruno, de l’état-major de la Marine et M. le colonel Guillaume, de l’état-major des Armées (centre de planification et de conduite des opérations), par la commission de la Défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 26 février 2020.

([106]) Audition de M. le vice-amiral d’escadre Laurent Isnard, préfet maritime de la Méditerranée, devant la commission de la Défense nationale et des forces armées, assemblée nationale, 12 février 2020.

([107]) Pour davantage de développements sur la posture permanente de sûreté aérienne, voir le rapport d’information n° 2166 de MM. Jean-Jacques Ferrara et Christophe Lejeune sur l’action aérospatiale de l’État, 17 juillet 2019.

([108]) Audition de M. le vice-amiral d’escadre Laurent Isnard, préfet maritime de la Méditerranée, devant la commission de la Défense nationale et des forces armées, assemblée nationale, 12 février 2020.

([109]) Ibid.

([110]) Audition de M. le colonel Jérôme, de la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS), M. le capitaine de vaisseau Bruno, de l’état-major de la Marine et M. le colonel Guillaume, de l’état-major des Armées (centre de planification et de conduite des opérations), par la commission de la Défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 26 février 2020.

([111]) Avis N° 4601 (Tome VI) sur le projet de loi de finances pour 2022 (n° 4482) de M. Jean-Jacques Ferrara, 20 octobre 2021.

([112]) Ministère des Armées, « CLEMENCEAU 21 : Fin de l’engagement du Groupe aéronaval dans l’opération CHAMMAL », 1er juin 2021.

([113]) Cols Bleus, « En franchissant les Dardanelles, la FREMM Auvergne rend hommage aux marins du cuirassé Bouvet », 14 décembre 2021.

 

([114]) Audition de M. le vice-amiral d’escadre Laurent Isnard, préfet maritime de la Méditerranée, devant la commission de la Défense nationale et des forces armées, assemblée nationale, 12 février 2020.

([115]) Ibid.

([116]) Ministère des Armées, communiqué du 3 décembre 2021.

([117]) Présentation de l’exercice Polaris par la marine nationale.

([118]) Ministère des Armées, communiqué de presse du 3 décembre 2021 .

([119]) Élysée, Traité entre la République française et la République italienne pour une coopération bilatérale renforcée, 26 novembre 2021

([120]) Les six premiers Rafale ont été livrés le 19 janvier 2022 sur la base aérienne grecque de Tanagra.

([121]) Ministère des Armées, communiqué du 30 septembre 2021.

([122]) M. Bruno Tertrais, « Reassurance and Deterrence in the Mediterranean : the Franco-Greek Defense Deal », Institut Montaigne, 17 novembre 2021.

([123]) Article 5 du Traité de l’Atlantique Nord : « Les parties conviennent qu'une attaque armée contre l'une ou plusieurs d'entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d'elles, dans l'exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l'article 51 de la Charte des Nations Unies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d'accord avec les autres parties, telle action qu'elle jugera nécessaire, y compris l'emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l'Atlantique Nord. Toute attaque armée de cette nature et toute mesure prise en conséquence seront immédiatement portées à la connaissance du Conseil de Sécurité. Ces mesures prendront fin quand le Conseil de Sécurité aura pris les mesures nécessaires pour rétablir et maintenir la paix et la sécurité internationales. »

([124]) Article 42§7 du TUE : « Au cas où un État membre serait l'objet d'une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l'article 51 de la charte des Nations unies. Cela n'affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres. Les engagements et la coopération dans ce domaine demeurent conformes aux engagements souscrits au sein de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord, qui reste, pour les États qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l'instance de sa mise en œuvre. »

([125]) Rapport d'information n° 626 (2018-2019) de M. Ronan Le Gleut et Mme Hélène Conway-Mouret, Défense européenne : le défi de l'autonomie stratégique, commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, 3 juillet 2019.

([126]) Rapport au Parlement 2021 sur les exportations d’armement de la France.

([127]) Mme Nathalie Ruffié, MM. Philippe Gros, Vincent Tourret, « Stratégies de sécurité en Méditerranée », Fondation pour la recherche stratégique, 3 octobre 2018.

 

([128]) Ministère des Armées, « Barkhane : Premier ravitaillement en vol d’hélicoptères », 6 novembre 2015.

([129]) Audition de l’amiral Pierre Vandier, chef d’état-major de la marine, sur le projet de loi de finances pour 2022, par la commission de la Défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 13 octobre 2021.

([130]) Avis N° 4601 (Tome VI) sur le projet de loi de finances pour 2022 (n° 4482) de M. Jean-Jacques Ferrara, 20 octobre 2021.

 

 

([131]) M. Édouard Jonnet, « Des bases navales communes pour les marines européennes », IRSEM, 1er avril 2020.