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N° 5055

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 février 2022

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 1463, alinéa 6, du Règlement

PAR le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques

 

sur l’évaluation de l’adaptation des politiques de lutte contre la pauvreté
au contexte de crise sanitaire

ET PRÉSENTÉ PAR

Mmes Nathalie SARLES et Sylvie TOLMONT

Députées

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   SOMMAIRE

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Pages

PROPOSITIONS DES RAPPORTEURS

SYNTHÈSE

INTRODUCTION

I. Le premier impact de LA CRISE SANITAIRE a été important

A. LA CRISE SANITAIRE A PERTURBÉ LE DÉPLOIEMENT DE LA STRATÉGIE NATIONALE DE LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ

1. État des lieux de la pauvreté en France en 2018 : des situations de pauvreté plus répandues et durables depuis 20 ans

2. Les principes de la Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté présentée en septembre 2018

a. Une action dès le plus jeune âge pour éviter la reproduction sociale de la pauvreté

b. Des actions visant prioritairement l’insertion dans l’emploi parallèlement au renforcement de l’accès aux droits sociaux

c. L’ambition d’une gouvernance renouvelée et décentralisée via une contractualisation entre l’État et les collectivités territoriales

3. Une mise en œuvre partielle et ralentie par la crise sanitaire

a. Les actions d’initiative territoriale : un cadre installé mais une exécution perturbée par la crise sanitaire

b. Un état d’avancement très inégal des mesures de la Stratégie en 2020

c. La Stratégie manque de lisibilité aujourd’hui du fait de réajustements fréquents en fonction de la conjoncture

B. LA CRISE SANITAIRE A DEGRADÉ LES CONDITIONS DE VIE DES PLUS PRÉCAIRES

1. Le confinement a posé des difficultés spécifiques aux personnes les plus vulnérables

a. Une précarité alimentaire en hausse

b. Des situations de mallogement exacerbées par le confinement

c. Des conditions d’apprentissage plus dégradées pour les enfants et adolescents de milieux modestes

d. Un accompagnement social à l’arrêt ?

e. Le risque d’exposition à la Covid19, un révélateur de précarité

2. La crise atelle entraîné l’émergence de « nouveaux pauvres » ?

a. Des travailleurs précaires en première ligne du choc économique

b. De « nouveaux vulnérables » dans les secteurs à l’arrêt

c. Des jeunes actifs et des étudiants sans filet de protection

3. Une insécurité sociale exprimée en forte hausse

C. LES EFFETS IMMÉDIATS DE LA CRISE SANITAIRE ONT NÉANMOINS ÉTÉ CONTENUS PAR LE SYSTÈME DE PROTECTION SOCIALE ET L’ADOPTION RAPIDE DE MESURES EXCEPTIONNELLES

1. Le filet de sécurité en place en France a joué un rôle d’amortisseur de la crise

a. La redistribution sociale contribue à réduire la pauvreté monétaire et son intensité

b. Les bénéficiaires des prestations sociales et minima sociaux ont augmenté durant la crise sanitaire

2. Des dispositifs exceptionnels et des aides monétaires d’urgence ont été mis en place dès le printemps 2020

a. Des aides monétaires exceptionnelles ont été versées de façon automatique aux ménages à bas revenus

b. L’activité partielle a pu éviter le basculement de millions de salariés dans le chômage

c. Des mesures de solidarité d’urgence ont été mises en œuvre pour soutenir les conditions de vie des personnes les plus vulnérables

i. Le secteur de l’hébergement d’urgence a été renforcé de façon inédite

ii. Une aide d’urgence alimentaire a été mise en place

iii. Un engagement soutenu du secteur associatif et des collectivités territoriales

II. L’ADAPTATION DES POLITIQUES DE LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ A PERMIS DE STABILISER LE TAUX DE PAUVRETÉ MONÉTAIRE

A. L’ACTE II DE LA STRATÉGIE PAUVRETÉ : S’AJOUTANT AUX MESURES D’URGENCE, DES MESURES CIBLÉES SUR CERTAINES CATÉGORIES DE LA POPULATION

1. Mesures à destination de la jeunesse : le plan « 1 jeune 1 solution » du 23 juillet 2020

2. Les actions pour améliorer la cohésion : 36 milliards d’euros dans le plan de relance du 3 septembre 2020 dont 800 millions pour les personnes précaires

3. Les mesures nouvelles pour lutter contre la bascule dans la pauvreté annoncées le 24 octobre 2020

B. CES MESURES ONT PERMIS DE LIMITER LES EFFETS DE LA CRISE

1. L’explosion redoutée de la pauvreté semble avoir été contenue

a. La stabilité du taux de pauvreté monétaire

b. Le nombre d’allocataires de minima sociaux a retrouvé son niveau d’avantcrise

c. Les impayés de loyer n’ont pas augmenté

2. L’emploi des jeunes s’est redressé après le creux observé en 2020

a. Un taux d’emploi des jeunes en croissance en 2021

b. Une proportion de jeunes ni en emploi ni en formation en forte baisse

III. LA NÉCESSITÉ DE RÉPONSES DURABLES, D’UN EFFORT FINANCIER SOUTENU ET DE RÉFORMES STRUCTURELLES

A. LA VIGILANCE RESTE DE MISE EN SORTIE DE CRISE

1. De nombreuses personnes demeurent à l’écart des politiques de lutte contre la pauvreté

a. Les invisibles de la statistique publique

b. La persistance de la grande pauvreté

2. Le nécessaire maintien d’un effort financier soutenu

a. L’impossible suivi budgétaire de la Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté

b. Les enseignements de l’évolution de l’agrégat pauvretéexclusion sociale

3. La multiplicité des acteurs nécessite une gouvernance plus opérationnelle

a. Renforcer la visibilité du pilotage national

b. Les ambiguïtés de la contractualisation avec les départements

4. Redonner du sens à la mission des travailleurs sociaux

B. IL EST NÉCESSAIRE DE POURSUIVRE DES RÉFORMES STRUCTURELLES

1. Le nonrecours doit être combattu en envisageant une automaticité de certaines aides

2. Faire de la jeunesse un axe prioritaire de lutte contre la pauvreté

a. La crise sanitaire a accentué les difficultés des jeunes

b. Le ciblage des dispositifs d’insertion dans l’emploi des jeunes est perfectible

c. Comment atteindre les jeunes les plus en difficulté ?

3. Assurer la mise en place du service public de l’insertion et de l’emploi

a. Des expérimentations diverses et variées

b. La faiblesse de l’accompagnement des bénéficiaires du RSA relevée par la Cour des comptes

c. La nécessaire revalorisation du RSA

4. Le chantier du revenu universel d’activité (RUA) reste inachevé

a. Une concertation inaboutie dont les résultats doivent être publiés

b. Définir un revenu social de référence servant de base pour l’ensemble des minima sociaux

EXAMEN PAR LE COMITÉ

ANNEXE N° 1 : PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURS

ANNEXE N° 2 : contribution de mme Sylvie Tolmont Au nom du groupe socialisteS et apparentéS

CONTRIBUTION DE FRANCE STRATÉGIE


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   PROPOSITIONS DES RAPPORTEURS

Proposition n° 1 :

Accélérer le déploiement du système d’information (SI) sur lequel doit reposer le repérage des jeunes décrocheurs du système scolaire, et plus largement, renforcer les interactions entre les établissements scolaires et les dispositifs d’accompagnement dont les missions locales, de façon à faire respecter l’obligation de formation jusqu’à 18 ans.

Proposition n° 2 :

Lancer dès 2022 une enquête statistique nationale (INSEE) relative aux personnes sans domicile afin d’actualiser des données remontant à 2012.

Proposition n° 3 :

Faire de la sortie de la grande pauvreté la priorité de la prochaine Stratégie nationale.

Proposition n° 4 :

Rétablir un secrétariat d’État dédié à la lutte contre la pauvreté afin de renforcer la visibilité de cette politique publique de première importance.

Proposition n° 5 :

Réaliser une évaluation globale des politiques sociales intégrant leurs incidences sur les travailleurs sociaux.

Proposition n° 6 :

Généraliser les démarches d’« aller vers » afin d’orienter les nouveaux publics de la pauvreté vers des aides éventuelles.

Proposition n° 7 :

Créer un acteur pilote induisant une dynamique et une culture commune sur l’ensemble du territoire en matière de non‑recours.

Proposition n° 8 :

Mettre en place, pour les jeunes les plus en difficulté, des parcours d’aide à la reconstruction avec un accompagnement global, personnalisé et pluridisciplinaire, mobilisant notamment des éducateurs spécialisés.

Proposition n° 9 :

Accélérer le déploiement du service public national de l’insertion et de l’emploi après avoir clarifié sa gouvernance.

Proposition n° 10 :

Appliquer une revalorisation du RSA afin d’assurer des moyens convenables d’existence à ses bénéficiaires et lutter contre la pauvreté monétaire.

Proposition n° 11 :

Assurer dans les meilleurs délais la publication du rapport Lenglart comme outil d’aide à la décision exposant les différents scenarii applicables au revenu universel d’activité (RUA).

Proposition n° 12 :

S’inspirer du rapport du Conseil d’État publié le 10 novembre 2021 afin de simplifier et d’harmoniser les bases des ressources prises en compte pour l’éligibilité aux minima sociaux.

 

 


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   SYNTHÈSE

 


  


















  

 

 


   INTRODUCTION

Lors de sa réunion du 21 octobre 2020, le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) a inscrit à son programme de travail une évaluation de l’adaptation des politiques de lutte contre la pauvreté au contexte de crise sanitaire demandée par le groupe Socialistes et apparentés (SOC), et a désigné Mme Sylvie Tolmont (SOC) et Mme Nathalie Sarles (LaREM) comme rapporteures.

Au cours de cette même réunion, le Comité a sollicité l’assistance de France Stratégie, sur le fondement de l’article 3 du décret n° 2013‑333 du 22 avril 2013 portant création du Commissariat général à la stratégie et à la prospective.

La contribution de cette institution s’est faite sous la forme de l’exploitation des travaux du comité d’évaluation de la Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté mis en place par France Stratégie en septembre 2019 et dont le président est M. Louis Schweitzer et la rapporteure Mme Marine de Montaignac.

L’objectif des rapporteures n’est pas de dupliquer les travaux du comité d’évaluation de France Stratégie mais bien de les utiliser afin de mesurer la capacité d’adaptation dont ont fait preuve les politiques de lutte contre la pauvreté au cours de la pandémie et de dresser une première évaluation de leur impact sur la pauvreté dans notre pays ainsi que d’esquisser les voies d’amélioration de ces politiques pour l’avenir.

Les rapporteures ont pu constater l’insuffisance des données disponibles sur la mise en œuvre de ces politiques et ne peuvent donc qu’abonder dans le sens des conclusions du rapport du comité d’évaluation Schweitzer rendu au printemps 2021 sur ce point. L’évaluation qui en est faite ici ne peut donc être qu’une évaluation de mi‑parcours. La portée des mesures mises en place en matière de lutte contre la pauvreté demeure encore incertaine dans le contexte d’une crise sanitaire qui n’est pas achevée au moment où ces lignes sont écrites.


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I.   Le premier impact de LA CRISE SANITAIRE a été important

A.   LA CRISE SANITAIRE A PERTURBÉ LE DÉPLOIEMENT DE LA STRATÉGIE NATIONALE DE LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ

1.   État des lieux de la pauvreté en France en 2018 : des situations de pauvreté plus répandues et durables depuis 20 ans 

En 2018, 14,8 % des personnes habitant en logement ordinaire vivaient en‑dessous du seuil de pauvreté en France métropolitaine (fixée par convention à 60 % du niveau de vie médian, soit 1 063 euros par mois pour une personne seule et 2 232 euros pour un couple avec deux enfants âgés de moins de 14 ans), c’est‑à‑dire 9,3 millions de personnes pauvres habitant en logement ordinaire et dont le niveau de vie médian s’élevait à 885 euros par mois. Si l’on y ajoute des populations habituellement non comptabilisées et « invisibles » dans les statistiques publiques (communautés, maisons de retraite, établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes – EHPAD, cités universitaires, sans‑abris, habitations mobiles, étudiants non cohabitants), le nombre de personnes pauvres en France en 2018 s’élevait à environ 10 millions de personnes ([1]).

La part de personnes pauvres en termes monétaires était en hausse de 0,7 point en 2018 par rapport à 2017 notamment du fait de la baisse des allocations logement et d’une plus faible progression des revenus d’activité des ménages les plus modestes.

Sur longue période, de 2004 à 2018, le taux de pauvreté a pu varier à la hausse ou à la baisse d’une année à l’autre mais tendrait néanmoins à concerner une proportion de la population en hausse depuis vingt ans (le taux de pauvreté atteignait un minimum de 12,7 % en 2004).

évolution du taux de pauvreté avant et après redistribution entre 1996 et 2018

La comparaison internationale permet néanmoins de nuancer ce constat, la France ayant également un taux de pauvreté monétaire parmi les plus bas des 28 pays de l’Union européenne. Avec un taux de pauvreté qui s’élève à 13,6 % contre 16,8 % en moyenne européenne, la France se situe en 10ème position derrière certains pays nordiques (Danemark, Finlande) et pays d’Europe de l’Est comme la République tchèque (mais leurs seuils de pauvreté sont aussi plus faibles) et devant l’Allemagne (16,5 %), l’Italie (20,8 %) et l’Espagne (22,3 %).

Le taux de risque persistant de pauvreté ([2]) en France est également plus faible (7,8 % contre 11,3 % en moyenne européenne), de même que l’intensité de la pauvreté ([3]) (16,8 % contre 24,4 %).

seuil et taux de pauvreté monétaire dans l’union européenne en 2018

Certaines catégories de la population demeurent structurellement surreprésentées parmi les personnes en situation de pauvreté, notamment les chômeurs (37,8 %) et les adultes inactifs hors retraités (32,7 %). En revanche, le taux de pauvreté des retraités (8,7 %) apparaît relativement faible en raison du caractère protecteur des prestations de retraite contributives et non contributives.

La pauvreté monétaire touche également davantage les familles monoparentales (35,3 %, + 1,7 point par rapport à 2017), la situation de ces familles étant d’autant plus préoccupante que ce type de configuration familiale est plus fréquent (9 % des ménages, soit 1,8 million de familles). Cette surexposition à la pauvreté s’explique notamment par le fait que l’adulte y est nettement plus fréquemment sans emploi ou dans la catégorie socio‑professionnelle des employés.

La situation des enfants de moins de 18 ans (21 %) et des jeunes âgés de 18 à 24 ans (22,7 %) est également moins favorable que celle de la population globale. Sur ce point spécifique, le système français n’apparaît pas particulièrement protecteur puisque la situation des jeunes Français est comparable à la moyenne européenne.

Enfin, la pauvreté apparaît comme une situation persistante tant à l’échelle individuelle qu’intergénérationnelle. Ainsi, 70 % des personnes qui étaient en 2016 en situation de pauvreté monétaire l’étaient toujours en 2017 (en hausse de 7 points par rapport à 2008) ([4]). À long terme, d’après l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), il faudrait en moyenne six générations en France pour qu’un descendant d’une famille située en bas de l’échelle des revenus (les 10 % les plus bas) se hisse au niveau du revenu moyen (contre cinq générations en moyenne dans l’OCDE) ([5]).

2.   Les principes de la Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté présentée en septembre 2018

Dans ce contexte, le travail de définition d’une Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté (SNPLP) en 2018 s’est fortement appuyé sur ce constat statistique d’une hausse tendancielle de la pauvreté en France depuis 20 ans, en particulier celle des enfants, et d’un « fort déterminisme de la pauvreté » ([6]) avec de faibles perspectives de sortie de la pauvreté.

La Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, présentée par le Président de la République le 13 septembre 2018, a été élaborée plus précisément à l’issue d’un vaste processus de concertation mené au niveau national et territorial pendant un an. Une consultation en ligne auprès du grand public a également permis de recueillir des contributions de personnes ayant vécu en situation de pauvreté.

La Stratégie fait suite au Plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale mis en œuvre entre 2013 et 2017. Dotée d’un budget de 8,4 milliards d’euros pour la période 2019‑2022, elle s’en distingue néanmoins en donnant une priorité à la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes, et en faisant de l’accompagnement vers l’emploi le principal levier pour sortir les gens de la pauvreté.

Elle a été précédée sur les problématiques relatives au logement, par le plan quinquennal pour le logement d’abord et la lutte contre le sans-abrisme 20182020 fondé sur le principe d’un accès direct au logement pour les personnes sans‑abri, sans passage en hébergement.

a.   Une action dès le plus jeune âge pour éviter la reproduction sociale de la pauvreté

La petite enfance a été identifiée dans la Stratégie comme un premier chantier majeur de la lutte contre la pauvreté et sa reproduction.

Dans le but de réduire les inégalités liées à l’origine sociale, les actions en la matière ont visé tout d’abord à encourager et favoriser l’accès à un accueil collectif ou individuel de qualité aux enfants entre 1 et 3 ans en situation de pauvreté.

La Stratégie prévoyait notamment la création d’un « bonus territoires » pour inciter les communes à créer des places en crèches dans les quartiers de la politique de la ville en réduisant leur reste à charge annuel à moins de 10 % du coût moyen d’une place (pour un budget prévisionnel de 90 millions d’euros). Un « bonus mixité sociale » doté d’une enveloppe de 75 millions d’euros et destiné à 90 000 places d’accueil en crèche visait à faire respecter le taux minimum de 10 % d’enfants en situation de pauvreté dans les accueils collectifs.

Des objectifs plus qualitatifs ont également été fixés s’agissant de l’apprentissage du français avant l’entrée à l’école maternelle, ou encore de l’éveil « culturel et artistique ». Un plan de formation continue de 600 000 professionnels était prévu à cet effet pour diffuser un référentiel éducatif commun dans le secteur de la petite enfance. Au stade de l’école maternelle, deux adultes par classe étaient également envisagés dans la Stratégie pour 60 quartiers prioritaires.

Enfin, des actions concrètes ont également été envisagées pour améliorer les conditions de vie des enfants en situation de pauvreté avec notamment un objectif de mise à l’abri des enfants dans la rue ou mal logés (via par exemple le déploiement de maraudes spécifiques), une offre ciblée de petits déjeuners à l’école, l’extension de la tarification sociale des cantines dans les petites communes, le renforcement de la protection maternelle et infantile (PMI), ou encore le déploiement de 400 Points conseil budget (PCB) pour lutter contre le surendettement des ménages.

b.   Des actions visant prioritairement l’insertion dans l’emploi parallèlement au renforcement de l’accès aux droits sociaux

Pour les personnes en situation de pauvreté éloignées de l’emploi, la Stratégie a mis l’accent sur des politiques d’insertion conjuguant un accompagnement social renforcé et un objectif d’insertion dans l’emploi de façon « à mettre fin à la dichotomie entre suivi social et suivi professionnel » et « combattre les clichés fallacieux assimilant les bénéficiaires des minima sociaux à des personnes ayant renoncé au travail. » ([7])

Elle a fixé comme objectif d’accompagner près de 300 000 allocataires par an dans le cadre d’un nouveau dispositif « Garantie d’activité », et de dispositifs d’accompagnement préexistants mis en œuvre par Pôle emploi et les départements. Le secteur de l’insertion par l’activité économique (IAE) ciblant les publics les plus en difficultés vis‑à‑vis de l’emploi bénéficie également d’un soutien renforcé dans la Stratégie avec un objectif de 100 000 salariés supplémentaires.

Visant spécifiquement l’insertion des jeunes issus des milieux défavorisés, la Stratégie a souhaité mettre en place une obligation de formation pour tous les jeunes jusqu’à 18 ans dans un objectif de lutte contre l’échec scolaire et d’investissement dans les compétences.

Dans cette perspective, le choix a été fait de renforcer les moyens de l’offre de formation existante destinée aux jeunes les plus vulnérables avec en particulier la création de places supplémentaires dans les missions locales dans le cadre des parcours d’accompagnement contractualisé vers l’emploi et l’autonomie (PACEA) et de la « Garantie jeunes ».

Enfin, la Stratégie prévoyait le lancement des concertations sur la mise en place d’un revenu universel d’activité (RUA) incitatif à l’activité et de nature à simplifier le système actuel des minima sociaux. D’autres actions étaient également envisagées pour lutter contre le non‑recours et favoriser l’accès aux droits sociaux.

c.   L’ambition d’une gouvernance renouvelée et décentralisée via une contractualisation entre l’État et les collectivités territoriales

Au niveau national, la mise en œuvre de la Stratégie a été confiée à la nouvelle délégation interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté (DIPLP) appuyée par un conseil scientifique, composé de personnalités qualifiées.

Surtout, la Stratégie a ambitionné de renouveler la gouvernance en matière de lutte contre la pauvreté de façon à laisser davantage de place aux initiatives des collectivités territoriales et autres acteurs locaux et permettre une adaptation plus fine des actions aux spécificités et besoins des territoires.

Dans cette perspective, la Stratégie a engagé une contractualisation entre l’État et les collectivités territoriales prenant la forme de conventions d’appui à la lutte contre la pauvreté et l’accès à l’emploi (CALPAE). Ces contrats visaient initialement à décliner sept objectifs de la Stratégie au niveau territorial ([8]), évalués par des indicateurs nationaux, et incluant notamment la prévention des sorties sèches de l’aide sociale à l’enfance (ASE), la mise en place d’un accueil social inconditionnel de proximité et d’une démarche de référent parcours, la réduction des délais d’orientation des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) et la mise en place d’une garantie d’activité départementale.

Outre ces objectifs dits « objectifs socles » contractualisés, les contrats pouvaient également prévoir des actions spécifiques menées à l’initiative des départements.

Dans le cadre de ces contrats, l’État s’engageait à allouer un financement aux actions contractualisées à hauteur de 735 millions d’euros pour 2019‑2022 soit 9 % du budget total de la Stratégie.

3.   Une mise en œuvre partielle et ralentie par la crise sanitaire

L’évaluation ex post de la mise en œuvre de la Stratégie a été confiée à France Stratégie qui a mis en place en septembre 2019 un comité d’évaluation présidé par M. Louis Schweitzer. Ce comité a publié une première note d’étape méthodologique en mars 2020, et de premiers éléments d’évaluation dans un rapport publié en mars 2021 ([9]). Ces travaux soulignent l’impossibilité d’établir une vue d’ensemble exhaustive de la mise en œuvre de la Stratégie au 31 décembre 2020 en raison du manque de données et d’informations détaillées disponibles.

Par ailleurs, la mise en œuvre a été largement impactée par la crise sanitaire. En effet, à partir de mars 2020, les administrations, tant au niveau national que local, en charge de la mise en œuvre de la Stratégie ont dû gérer la crise sanitaire en priorité, ce qui a retardé voire suspendu plusieurs chantiers de la Stratégie.

a.   Les actions d’initiative territoriale : un cadre installé mais une exécution perturbée par la crise sanitaire

Au niveau régional, 18 commissaires à la lutte contre la pauvreté (CLP) ayant un rôle d’animation territoriale de la SNPLP ont été nommés en 2019. Leurs budgets d’intervention pour financer des projets sur le terrain ont été augmentés avec une enveloppe de 4 millions d’euros en 2019, portée à 23 millions d’euros en 2020 et 28 millions d’euros en 2021. Environ 1 000 projets ont été soutenus entre 2019 et 2020 sur la base des appels à projets (AP) des commissaires. La tenue de conférences régionales maintenues en visioconférence durant la crise sanitaire a également permis de définir des feuilles de route régionales déclinant la Stratégie pauvreté selon les spécificités territoriales.

Le dispositif de contractualisation avec les collectivités a rencontré un accueil plutôt favorable puisque 97 collectivités locales (dont 92 conseils départementaux, la collectivité de Corse et 4 collectivités d’Outremer), 22 métropoles et 5 conseils régionaux en sont signataires en 2021 ([10]) ; le dispositif ayant été étendu aux régions et métropoles en 2020 toutefois sans objectifs socles dans le contexte de la crise sanitaire et avec un recentrement des objectifs des conventions métropolitaines sur le soutien au secteur de l’aide alimentaire.

Les crédits étatiques engagés dans le cadre des CALPAE (environ 730 millions d’euros sur 20192022) ont globalement été perçus comme étant attractifs – même si manquant de souplesse de gestion – de même que la possibilité d’approfondir des relations avec les services et opérateurs de l’État a encouragé les collectivités à contractualiser. Les premiers résultats concernant les objectifs socles et notamment la prévention des sorties sèches de l’ASE, la couverture territoriale de l’accueil social inconditionnel de proximité (ASIP) et l’orientation des bénéficiaires du RSA, sont encourageants (même s’ils sont à relativiser au regard de la faiblesse des remontées des départements) ([11]).

Au total, 1 594 projets territoriaux auraient été financés par la Stratégie pauvreté via la contractualisation et des crédits régionaux des commissaires d’après le rapport d’étape de la DIPLP publié en octobre 2021.

Toutefois, l’exécution des contrats s’est trouvée fortement perturbée par la crise sanitaire. De nombreuses actions n’ont pu être mises en œuvre par les départements si bien que la remise des rapports d’exécution départementaux a dû être reportée d’avril à juillet 2020. En l’absence d’information claire sur l’utilisation des crédits, plus d’un tiers des départements n’a pas obtenu la totalité des crédits pré‑notifiés pour l’année 2020 ([12]).

b.   Un état d’avancement très inégal des mesures de la Stratégie en 2020

La grande majorité des mesures a été lancée (28 sur 35 mesures selon l’état d’avancement réalisé par le comité d’évaluation Schweitzer), mais leur avancement apparaît très inégal.

S’agissant de la politique de la petite enfance qui était une priorité affichée de la Stratégie, seulement deux des dix mesures auraient bien avancé d’après le comité d’évaluation.

Le bonus « Mixité » a notamment quasiment atteint l’objectif fixé (73 100 places en crèche ayant bénéficié du bonus sur un objectif de 90 000 d’ici 2022 soit 81 % de l’objectif).

En revanche, la création de nouvelles places en crèche dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) encouragée par le bonus « Territoires » a été modeste au regard de l’objectif final. D’après le rapport de la DIPLP, seules 8 927 places de crèches ont été créées depuis 2018 dont 570 en QPV et 917 en zone de revitalisation rurale (sur un objectif initial de 30 000 d’ici 2022). Le plan de formation de 600 000 professionnels de la petite enfance a pris du retard et n’a pas débuté en 2020 comme annoncé. La mesure de soutien aux 60 QPV avec deux adultes par classe de maternelle a été abandonnée.

Les mesures concrètes visant une meilleure alimentation ont en revanche rencontré un relatif succès mais ont été fortement ralenties par la crise sanitaire. C’est le cas de la distribution des petits déjeuners gratuits en classe, expérimentée de mars à juin 2019 dans 400 écoles volontaires REP et REP+ et situées dans des QPV et des territoires ruraux fragiles, puis généralisée à la rentrée de septembre 2019. Mais la mesure a dû être ralentie par la fermeture partielle des écoles : alors que 153 000 enfants avaient bénéficié de petits déjeuners à l’école pour l’année scolaire 2019‑2020, ils n’étaient plus que 100 000 en 2020‑2021 (soit la moitié de l’objectif final). Toutefois, le dispositif devrait pouvoir remonter en puissance : l’aide de l’État a été revalorisée au 1er septembre 2020, passant de 1 euro par petit déjeuner à 1,3 euro en métropole et 2 euros dans les Outre‑mer. 1 000 communes sont engagées dans le dispositif à la rentrée 2021 avec l’objectif d’atteindre 300 000 enfants d’après la DIPLP. Toutefois, ces objectifs chiffrés sont à mettre en perspective avec l’état plus global de la pauvreté des enfants en France : en 2018, 2,8 millions d’enfants vivent dans un foyer touché par la pauvreté.

S’agissant des tarifs sociaux dans les cantines, le dispositif a bien été déployé mais n’a pas atteint ses objectifs (25 700 enfants concernés fin 2020 sur un objectif de 90 000 enfants).

En matière d’accès aux droits sociaux, la concertation publique sur le revenu universel d’activité (RUA) lancée en juin 2019 a été suspendue au moment du premier confinement. La réforme n’a pas été reprise depuis (voir infra).

Quelques avancées sont à notifier en matière d’accès aux droits. Le renouvellement automatique de la couverture maladie universelle complémentaire (CMUC) pour les allocataires du RSA a par exemple bien été mis en place, et même adapté dans le contexte de la crise sanitaire de façon à prévenir des situations de rupture de droits préjudiciables pour la santé publique.

Enfin, s’agissant des objectifs affichés en matière d’accompagnement, de formation et d’emploi, le bilan apparaît mitigé.

Le nombre de jeunes accompagnés dans les PACEA et en « Garantie jeunes » a augmenté notamment dans le cadre du plan « 1 jeune 1 solution » (voir infra).

En revanche, l’objectif de formation obligatoire jusqu’à 18 ans n’apparaît pas opérationnel. L’obligation devait être contrôlée via un signalement systématique des élèves décrocheurs aux plateformes de suivi et d’appui aux décrocheurs (PSAD) et aux missions locales. Ces dernières étaient par la suite chargées d’informer et d’orienter les jeunes, et de contrôler le respect de leur obligation de formation. Si le cadre législatif est aujourd’hui défini à l’article 15 de la loi n° 2019‑791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, il n’est pas encore possible à ce jour d’avoir des informations sur le nombre de jeunes identifiés et accompagnés en raison de la non-opérabilité du système d’information (SI) sur lequel repose le repérage des jeunes décrocheurs ([13]).

Proposition n° 1 :

Accélérer le déploiement du système d’information (SI) sur lequel doit reposer le repérage des jeunes décrocheurs du système scolaire, et plus largement, renforcer les interactions entre les établissements scolaires et les dispositifs d’accompagnement dont les missions locales, de façon à faire respecter l’obligation de formation jusqu’à 18 ans.

En matière d’insertion par l’activité économique (IAE), les objectifs visant 100 000 salariés dans le secteur sont loin d’être atteints puisque moins de personnes y travaillaient fin 2019 par rapport à 2018. Fin 2020, le secteur comptait toujours 135 400 salariés (contre 134 329 en 2019) ([14]). Toutefois la mesure a fait l’objet d’une relance en 2021 dans le cadre de France relance avec un plan de 300 millions d’euros au bénéfice du secteur.

c.   La Stratégie manque de lisibilité aujourd’hui du fait de réajustements fréquents en fonction de la conjoncture

La lisibilité de la Stratégie a pu être entravée par la redéfinition permanente de nouvelles mesures et priorités afin de répondre à l’urgence sociale et sanitaire. Toutefois, c’était une nécessité liée aux impératifs de gestion de crise.

Dès fin 2018, en réponse à la crise des Gilets jaunes, des nouvelles mesures de lutte contre la pauvreté ont été prises, notamment la revalorisation de la prime d’activité entrée en vigueur au 1er janvier 2019 qui peut atteindre 90 euros au niveau du salaire minimum de croissance (Smic). Le relèvement du plafond de ressources a également permis à 1,3 million de personnes supplémentaires de bénéficier de la prime. Cette mesure aurait été particulièrement efficace en matière de lutte contre la pauvreté puisqu’elle aurait permis de baisser de 0,7 point le taux de pauvreté en 2019 ([15]).

En réaction à la crise sanitaire, certaines mesures de la Stratégie ont été amplifiées notamment l’extension de la « Garantie jeunes » à 100 000 jeunes et 80 000 allocataires PACEA en 2021, qui se sont ajoutés aux objectifs initiaux de 500 000 bénéficiaires supplémentaires de la « Garantie jeunes » et 500 000 PACEA. L’obligation de formation des jeunes de moins de 18 ans a également été complétée par le dispositif « La promo 1618 » issue du programme « 1 jeune 1 solution » confiée à l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), visant à offrir à 35 000 mineurs ne respectant pas l’obligation de formation, un hébergement, un apprentissage des soft skills, une découverte des métiers et un accompagnement social. 100 Points conseil budget (PCB) ont été créés en un an s’ajoutant aux 400 prévus par la Stratégie.

Le bilan de la Stratégie n’est ainsi pas aisé aujourd’hui tant au regard du manque d’informations détaillées disponibles sur l’atteinte de nombreux objectifs que de l’impact incertain qu’aurait eu la crise sanitaire sur sa mise en œuvre. En effet, il n’est pas toujours évident d’établir si le retard pris sur certains chantiers voire l’abandon de certaines mesures est bien directement imputable aux impératifs de gestion de crise, même si celle‑ci est venue perturber la mise en œuvre de la Stratégie dans les administrations.

Il n’en reste pas moins que la crise sanitaire, en ayant particulièrement impacté les conditions de vie des plus démunis, a mis en lumière la nécessité de maintenir une politique de lutte contre la pauvreté efficace, de même qu’elle a pu servir de révélateur de certaines insuffisances de la Stratégie initiale.

B.   LA CRISE SANITAIRE A DEGRADÉ LES CONDITIONS DE VIE DES PLUS PRÉCAIRES

Alors que la hausse quantitative de la pauvreté attendue ne semble pas s’être produite en 2020 en partie grâce aux mesures exceptionnelles prises par les pouvoirs publics et au « filet de sécurité » constitué par le système de protection sociale, des observations plus qualitatives issues de rapports de terrain et une attention plus fine aux multiples dimensions de la pauvreté et aux « invisibles », conduisent à nuancer ce constat.

Le comité d’évaluation de la SNPLP invite ainsi à faire de la crise sanitaire un « révélateur des manques des politiques en matière de lutte contre la pauvreté » ([16]) et à inscrire la lutte contre la pauvreté sur le temps long.

1.   Le confinement a posé des difficultés spécifiques aux personnes les plus vulnérables

La crise sanitaire, et le choc social et économique qui s’en est suivi lié au confinement de mars à mai 2020, ont en effet entraîné des difficultés importantes et spécifiques pour les plus vulnérables, notamment en matière d’accès à l’alimentation, à des conditions de logement soutenables et également d’accès aux services publics, aux soins, et à l’éducation pour les enfants et les jeunes.

a.   Une précarité alimentaire en hausse

La hausse de la précarité alimentaire a constitué un premier signal d’alerte d’une nette dégradation des conditions de subsistance des plus démunis ; le manque de ressources étant la première cause de recours à l’aide alimentaire avec un niveau de vie médian des ménages rencontrés en demande d’aide alimentaire de 537 euros mensuels en 2020 dans une association comme le Secours catholique ([17]).

Un dispositif de suivi, conjointement élaboré par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) et la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), a permis d’appréhender cette augmentation de la fréquentation des centres de distribution alimentaire. De premières données provisoires issues des remontées des réseaux associatifs ont pu mettre en évidence une nette hausse des volumes de denrées alimentaires distribués en 2020 (estimée à + 10,6 % par rapport à 2019) ainsi qu’un afflux de nouveaux inscrits (+ 7,3 % d’inscriptions) ([18]).

Cette hausse se confirme au printemps 2021 par rapport à la situation d’avant‑crise sanitaire dans plus de 50 % des centres de distribution d’aide alimentaire. Elle s’observe dans de plus grandes proportions dans les grands centres (fréquentés par au moins 150 personnes par semaine), dans les régions d’Île‑de‑France, de Provence‑Alpes‑Côte d’Azur (PACA) et en Outre‑mer, ainsi que dans les grandes unités urbaines exposées à la pauvreté et au chômage ([19]).

Pour des personnes vivant dans la rue, exposées à la précarité alimentaire avant la crise, le confinement aura « perturbé bon nombre de stratégies quotidiennes de subsistance (…) de la fermeture des marchés à l’impossibilité de faire la manche, les systèmes de "débrouille" auront été mis à mal et ce malgré la perpétuation de réseaux informels de solidarité. » ([20])

Surtout, les responsables des centres de distribution ont identifié de nouveaux bénéficiaires de l’aide alimentaire : les centres d’Île‑de‑France ont cité plus souvent des personnes seules, des travailleurs précaires et des étudiants tandis que les centres de la région PACA ont évoqué des personnes non francophones et des familles monoparentales. Le Secours catholique a constaté à son échelle une hausse des demandes d’aide alimentaire avec la crise chez les jeunes de moins de 25 ans (+ 6 points entre 2019 et 2020) ainsi que pour les familles avec enfants et monoparentales qui ont notamment dû faire face à une augmentation de leurs charges liées à la fermeture des cantines et aux frais induits par l’école à la maison. Les Restos du cœur ont identifié une plus grande proportion de femmes, de jeunes et d’indépendants parmi leurs nouveaux bénéficiaires.

Les associations d’aide alimentaire ont pu rencontrer des difficultés à faire face à cette hausse de la demande en raison d’un manque croissant de bénévoles notamment lié au phénomène de vieillissement de leur vivier et de la prédominance d’une population âgée particulièrement vulnérable à la Covid‑19.

b.   Des situations de mal‑logement exacerbées par le confinement

Les situations de mallogement qui concerneraient 4 millions de personnes dont environ 300 000 sans domicile et 900 000 en situation de surpeuplement accentué d’après les estimations de la Fondation Abbé Pierre, ont été spécifiquement exacerbées par le confinement.

D’après l’enquête Épidémiologie et conditions de vie (EpiCov), 29 % des 10 % des ménages ayant les revenus les plus faibles ont vécu le confinement dans un logement surpeuplé (c’est‑à‑dire n’offrant pas 18 m² par personne). Ces conditions de logement plus difficiles ont pu avoir des répercussions sur les conditions d’apprentissage des enfants et des jeunes, ainsi que sur la qualité des relations familiales et conjugales ; le surpeuplement étant apparu comme un facteur d’exacerbation des tensions et conflits ([21]).

Les personnes sans‑abri vivant dans la rue qui ont pu être qualifiées d’« inconfinables » ([22]) ont été tout particulièrement impactées par la crise. L’étude de la Fédération nationale des samusociaux (FNSS) sur les missions des maraudes et Samu Sociaux en 2020 souligne leurs difficultés spécifiques dans un contexte où les possibilités d’aide et de soutien se sont trouvées très réduites : l’accès à l’alimentation est devenu plus difficile pour 34 % des ménages rencontrés du fait de la fermeture de nombreux lieux de distribution alimentaire, des restaurants, et de la perte de ressources (arrêt de la mendicité, moins de « petits boulots »). Dans ce contexte, les chèques d’urgence alimentaire distribués par les pouvoirs publics ont pu être vitaux. Les ménages rencontrés par les maraudes ont également exprimé des difficultés liées à l’hygiène (50 %) et à l’accès à l’eau potable (32 %) du fait de la fermeture des accueils de jour, des vestiaires, des parcs, des cafés et restaurants, etc. ([23])

Le confinement a également accru l’isolement des personnes âgées quel que soit leur mode d’habitat (à domicile, en résidence et en EHPAD). La perte du lien social aura eu des conséquences dramatiques sur la santé psychologique et physique de cette population. D’après le baromètre sur la solitude et l’isolement des plus de 60 ans en France, réalisé par CSA Research avec le soutien des Petits Frères des Pauvres, le nombre de personnes âgées en situation de mort sociale (c’est‑à‑dire sans contacts avec un cercle de sociabilité) est passé significativement de 300 000 en 2017 à 530 000 en 2021. Les facteurs socio‑économiques semblent avoir joué un rôle aggravant : les personnes âgées ayant des revenus mensuels inférieurs à 1 000 euros déclarent en effet beaucoup plus fréquemment avoir mal vécu le confinement. Avant même le confinement, elles étaient aussi plus nombreuses à déclarer un sentiment de solitude. ([24])

c.   Des conditions d’apprentissage plus dégradées pour les enfants et adolescents de milieux modestes

Le manque d’espace dans les logements, exacerbé dans les familles les plus modestes, a notamment contribué à dégrader les conditions d’apprentissage des enfants et adolescents. Des études soulignaient déjà hors situation d’école à la maison, l’atout que constitue un espace de travail personnel dans la scolarité ; l’absence de chambre individuelle augmentant de 9,4 points la probabilité de retard scolaire à 15 ans ou plus toutes choses égales par ailleurs ([25]). Le confinement a exacerbé cet handicap ([26]).

L’absence d’une connexion Internet et le manque d’équipement informatique, plus fréquents dans les ménages les plus modestes, ont également pu dégrader le suivi de l’enseignement à distance pour les enfants issus de milieux défavorisés, voire favoriser des situations de décrochage scolaire. D’après l’enquête du ministère l’éducation nationale sur la continuité pédagogique menée auprès des familles en 2020, 14 % des élèves issus de milieux défavorisés déclarent avoir manqué de matériels pour travailler et 27 % ont rencontré des difficultés de connexion (contre 5 % et 15 % parmi les élèves issus de milieux très favorisés).

Les élèves dont les parents estiment qu’ils rencontrent des difficultés scolaires (35 % des élèves enquêtés) ont consacré moins de temps à leur scolarité (notamment 15 % ont travaillé moins d’une heure par jour contre 6 % des bons et excellents d’élèves). À niveau scolaire équivalent, les élèves issus de milieux favorisés ont travaillé en moyenne plus longuement.

Source : Les inégalités sociales à l’épreuve de la crise sanitaire : un bilan du premier confinement, INSEE, Portrait social, éd. 2020

d.   Un accompagnement social à l’arrêt ?

De nombreuses administrations ont fermé leurs guichets physiques au public, ce qui a pu compliquer voire suspendre des démarches administratives, l’accès aux droits, et les dispositifs d’accompagnement social dont pouvaient bénéficier prioritairement les publics les plus précaires. C’est le cas notamment de Pôle emploi, des caisses d’assurance maladie, des caisses d’allocations familiales (CAF), ou encore des préfectures et des services de tutelle.

L’accueil à distance (en ligne ou par téléphone) et les procédures dématérialisées n’ont pas toujours permis de compenser la fermeture physique des lieux du fait de la saturation de ces services et des difficultés rencontrées par les publics les plus précaires liées au manque d’équipement informatique et à l’utilisation des outils numériques.

Le cas des missions locales, qui suivaient au 31 décembre 2019, 412 000 jeunes en parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie (PACEA) et 89 000 jeunes ni en emploi, ni en études, ni en formation (NEET) en « Garantie jeunes », est particulièrement significatif puisque les deux tiers des missions locales ont complètement fermé leurs lieux d’accueil pendant le confinement, le dernier tiers ayant maintenu un accueil en situation d’urgence uniquement. Si dans une mission locale sur deux, le contact avec 80 % des jeunes a pu être maintenu à distance non sans difficultés (manque d’équipement Internet, illectronisme, mal‑logement…), l’accueil de nouveaux jeunes et les entrées dans les parcours d’insertion ont été complètement interrompus ([27]).

Les étrangers ont également particulièrement souffert du ralentissement des services publics de l’immigration. Les préfectures ont fermé leurs guichets d’accueil pour les demandeurs d’asile et les étrangers demandant la délivrance ou le renouvellement de leurs titres de séjour. Outre la fermeture de l’accueil physique, les procédures ont surtout été fortement ralenties, voire suspendues ; ce qui a contribué à précariser les étrangers notamment au regard de leur situation sur le marché du travail formel. Toutefois, afin de sécuriser le droit au séjour des personnes en situation régulière, le gouvernement a prolongé, par ordonnance, la durée de validité des titres de séjour ayant expiré entre le 16 mars et le 15 juin 2020 de 6 mois (90 jours pour le cas particulier des attestations de demande d’asile).

Saisi par des associations dont la Ligue des droits de l’homme et le Groupe d’information et de soutien des immigrés, le Conseil d’État a dû enjoindre l’État de reprendre l’enregistrement des demandes d’asile dans une décision du 30 avril 2020. Il a également ordonné la reprise de la délivrance de visas de regroupement familial aux conjoints et enfants d’étrangers non-européens (interrompue au motif d’une limitation de la circulation des personnes en provenance de l’étranger) dans une décision du 21 janvier 2021.

Le suivi des personnes majeures placées sous une mesure de protection judiciaire, dont le nombre s’élevait en 2020 à 730 000 d’après le rapport du Sénat sur le PLF 2020 sur la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », a également été gravement impacté par la pandémie. Les services de protection des majeurs dans les tribunaux ont d’abord été fermés au public, ce qui a entraîné le report des auditions et audiences. Seules des ordonnances de sauvegarde ont pu être prises pour nommer dans l’urgence un mandataire pouvant prendre la main sur les comptes bancaires des personnes protégées en cas de décès de leurs tuteurs ou curateurs ([28]). Toutefois, pour compenser l’arrêt du contentieux à la protection, les mesures de protection juridique ont été prorogées par l’ordonnance n° 2020‑304 du 25 mars 2020. Concernant les services assurés par les mandataires judiciaires à la protection des majeurs (MJPM), si ces derniers ont été incité à maintenir la continuité de leur activité, certaines missions indispensables n’ont pas toujours pu être effectuées à distance ou en différé (par exemple, la distribution de bons alimentaires) ([29]).

e.   Le risque d’exposition à la Covid‑19, un révélateur de précarité

Enfin, il est significatif de souligner que le risque d’exposition à la Covid‑19 est apparu significativement plus élevé pour les personnes les plus modestes en raison d’un ensemble de facteurs pouvant se cumuler comme la probabilité plus élevée de vivre dans un logement surpeuplé, de continuer à travailler à l’extérieur (plus fréquent parmi les ouvriers et employés que parmi les cadres) ou de souffrir d’obésité ou d’une pathologie associée à un risque élevé de développer une forme grave de Covid19 ([30]). Également, l’exposition au risque a pu dépendre de l’accès aux masques, et aux produits d’hygiène, et de comportements préventifs inégalement adoptés dans la population ([31]).

À la sortie du premier confinement, en 2020, la séroprévalence du Sars‑CoV‑2 c’était‑à‑dire la proportion de personnes avec des anticorps contre le virus, était deux fois plus élevée pour les personnes vivant dans un quartier prioritaire de politique de la ville (QPV) (8,2 %) que pour les personnes vivant hors QPV (4,2 %). Elle était également plus élevée pour les personnes vivant dans un logement surpeuplé (9,3 %), les immigrés de pays hors Europe (9,4 %) du fait de conditions socio‑économiques moins favorables, et les 10 % les plus modestes en termes de niveaux de vie (5,7 % contre 2,9 % pour le 6ème décile).

Les habitants de la Seine‑Saint‑Denis ont été tout particulièrement exposés à la Covid‑19. Le département enregistre le plus fort taux de surmortalité de l’ÎledeFrance (+ 134 % contre 74 % à Paris entre le 1er mars et le 19 avril 2020), ce qui est à rapporter à des situations de sur‑occupation dans les logements plus fréquentes (21 %), un état de santé de la population plus dégradé avec des facteurs de comorbidité importants, le maintien du travail à l’extérieur en raison de la plus forte proportion d’emplois ouvriers, mais aussi une offre de soins plus limitée sur le territoire. ([32])

2.   La crise a‑t‑elle entraîné l’émergence de « nouveaux pauvres » ?

La hausse observée du recours aux aides notamment alimentaires des grands réseaux associatifs, ainsi que l’apparition de « nouveaux publics » en demande d’aide dans les centres communaux d’action sociale (CCAS) et les départements ont beaucoup interrogé sur le basculement dans la pauvreté d’un grand nombre de foyers du fait de la crise économique. La crise aurait contribué à déstabiliser les trajectoires socio‑professionnelles et fait chuter dans des situations de précarité des personnes qui jusque‑là apparaissaient préservées.

Les premières études invitent néanmoins à nuancer cette idée. En effet, rares sont les parcours ayant mené d’une situation de bonne insertion socio‑économique à la grande pauvreté d’une façon brutale. La crise sanitaire a rarement constitué une rupture radicale dans les trajectoires de vie. Les « nouveaux publics » s’inscrivent fréquemment dans des trajectoires de précarisation et de paupérisation sur le temps long, la crise sanitaire ayant souvent été un élément supplémentaire de déstabilisation et déclenché le recours à l’aide sociale ([33]). La pauvreté nouvelle doit donc être relativisée.

Toutefois, la crise sanitaire est venue mettre en lumière et exacerber des fragilités et des vulnérabilités existantes, tout particulièrement pour certaines catégories de la population qui ont été plus impactées que d’autres – c’est le cas des jeunes actifs, des étudiants précaires dépendants d’un job étudiant, des travailleurs précaires (en contrat précaire ou en situation d’emploi non déclaré), des mères de familles monoparentales, des ménages étrangers ayant un moindre accès aux prestations sociales et au travail formel, ou encore de certains indépendants (artisans, commerçants, micro‑entrepreneurs).

a.   Des travailleurs précaires en première ligne du choc économique

Les premières évaluations de la crise sanitaire ont montré que si les revenus des ménages ont été globalement préservés, les pertes d’emploi et/ou de revenus du fait des interruptions et restrictions d’activité (– 6 % au premier trimestre) ont tout particulièrement impacté les travailleurs en contrats précaires et les intérimaires, ainsi que les indépendants.

Le déploiement de l’activité partielle les a notamment relativement moins bien protégés par rapport aux salariés en emploi stable. Les contrats à durée déterminée (CDD) arrivant à leur terme n’ont pas toujours été renouvelés (y compris dans la fonction publique) tandis que les emplois intérimaires ont chuté (les emplois intérimaires représentant 319 000 des emplois détruits sur les 500 000 destructions d’emplois enregistrées au premier trimestre 2020). Les travailleurs précaires ont ainsi constitué la variable d’ajustement principale du choc économique sur un marché du travail français particulièrement segmenté. Les indépendants (commerçants, artisans, auto‑entrepreneurs) ont quant à eux, été également particulièrement impactés par la chute d’activité économique notamment du fait d’une moindre protection sociale. 53 % des artisanscommerçants ont ainsi déclaré que leur situation financière s’était dégradée en mai 2020 (contre 35 % des ménages les plus modestes).

évolution de l’emploi des salariés

Note : Données corrigées des variations saisonnières en fin de trimestre ; glissement trimestriel.

Lecture : Au premier trimestre 2020, les destructions nettes d’emplois atteignent 500 000, dont 492 000 dans le privé, parmi lesquels 319 000 emplois intérimaires.

Champ : France hors Mayotte, personnes de 15 ans ou plus.

Sources : Estimations d’emploi, INSEE ; Estimations trimestrielles Acoss‑URSSAF, DARES, INSEE

Une étude conduite sur les publics du Restos du cœur durant le premier confinement ([34]) identifie ainsi essentiellement parmi les bénéficiaires de l’aide alimentaire dont la situation a été particulièrement perturbée et dégradée par la crise sanitaire (un quart des bénéficiaires environ), des personnes qui occupaient des emplois peu protecteurs. Ces personnes, dont de nombreux jeunes, femmes et indépendants, se sont retrouvées confrontées à une perte de leurs revenus, parfois combinée à une hausse de leurs charges de famille liée notamment à la suspension de services publics (cantines scolaires, gardes d’enfants).

La même étude alerte également tout particulièrement sur la situation des travailleurs sans papiers, dont les démarches de régularisation auprès de l’administration se sont compliquées, et plus largement des travailleurs dépendants de l’économie informelle. Les opportunités de travail dans le secteur informel s’étant considérablement réduites sous l’effet des mesures de confinement, ces travailleurs ont été particulièrement impactés par la crise sans pouvoir bénéficier d’un filet de sécurité (allocations chômage, assurance maladie…).

b.   De « nouveaux vulnérables » dans les secteurs à l’arrêt 

Certains secteurs d’activité ont été tout spécifiquement impactés par la crise sanitaire du fait des confinements successifs, des restrictions voire des interdictions d’activité. C’est le cas de l’hôtellerierestauration, des services de transport, et des services aux particuliers (notamment le secteur des arts, spectacles et des activités récréatives) qui ont connu des baisses de consommation de plus de 60 % au deuxième semestre 2020 ([35]). Les personnes en emploi dans ces secteurs ont pu ainsi être considérées comme de « nouveaux vulnérables » ([36]) plus exposés au risque de chômage et aux pertes de revenus. Ces « nouveaux vulnérables » viendraient s’ajouter aux « vulnérables de toujours » qui conjuguent des statuts précaires (CDD, intérim) et des difficultés à travailler à distance.

c.   Des jeunes actifs et des étudiants sans filet de protection

L’ensemble des études converge pour mettre en lumière les spécificités de la situation des jeunes, actifs ou étudiants, et leur surexposition à la précarisation durant la crise sanitaire et le confinement. L’exploitation de données bancaires des ménages montre de façon significative que si la fragilité financière des ménages (définie par un solde négatif en fin de mois) a globalement diminué (du fait d’un excès d’épargne lié à la baisse de la consommation tandis que les revenus ont pu être maintenus grâce aux dispositifs de solidarité), celle‑ci a augmenté spécifiquement pour les étudiants et les jeunes actifs ([37]).

Plus souvent en contrats courts, les jeunes actifs ont davantage subi la dégradation de l’activité économique  9 % des 1524 ans en emploi avant le confinement ont ainsi perdu leur emploi contre 2 % des 4065 ans – tout en bénéficiant de moins de protection de la part du système de protection sociale.

La crise a également aggravé la précarité étudiante. Selon des données de l’Observatoire de la vie étudiante (OVE), le premier confinement a en effet entraîné une baisse importante de l’activité rémunérée chez les étudiants : alors que 46 % des étudiants exerçaient une activité rémunérée en 2019, ils ne sont plus que 27 % au printemps 2020 ([38]). À la rentrée universitaire de septembre 2020, la part d’étudiants exerçant un mi‑temps ou en emploi s’élevait à nouveau à 37 %, mais demeurait inférieure à son niveau précité de 46 % d’avant la crise.

Cette baisse du travail des étudiants a pesé sur leurs conditions de vie matérielles. Un quart des étudiants déclare avoir rencontré des difficultés financières importantes ou très importantes durant l’année universitaire 2020‑2021, soit 4 points de plus que l’année 2019‑2020 (21 %). Les étudiants étrangers éloignés de leur famille sont les plus touchés (52 %, contre 20 % des étudiants de nationalité française). 18 % des étudiants ayant rencontré des difficultés financières n’ont « pas toujours eu l’impression de manger à leur faim pour des raisons financières » ; une réalité dramatique révélée par les images diffusées dans les médias de files d’étudiants souhaitant accéder à l’aide alimentaire.

3.   Une insécurité sociale exprimée en forte hausse

La dégradation observée des conditions de vie des personnes situées en bas de l’échelle des niveaux de vie se confirme dans les enquêtes d’opinion. Le Baromètre de la DREES a pu notamment permettre d’interroger les personnes sur leurs perceptions de la situation au niveau tant personnel que collectif ([39]).

Fin 2020, un quart des personnes interrogées estime que leur situation financière s’est détériorée depuis la crise. Les personnes les plus modestes (1er quintile de niveau de vie) déclarent plus souvent une dégradation de leur situation financière (38 %). La part des personnes qui jugent « leur situation globale actuelle mauvaise » s’accroît également passant de 19 % à 25 % en un an. La hausse apparaît marquée pour les jeunes adultes (+ 13 %), et les indépendants (+ 24 %).

 

part des personnes jugeant que leur situation actuelle est mauvaise

Lecture : 25 % des personnes interrogées en 2020 jugeaient leur situation actuelle mauvaise, contre 19 % en 2019.

Champ : Personnes âgées de 18 ans ou plus résidant en France métropolitaine. Les catégories professionnelles renvoient à la profession actuelle ou, pour les chômeurs, au dernier emploi occupé. La catégorie « indépendants » regroupe les indépendants employeurs et ceux qui n’emploient pas de salarié, hors professions libérales et professions intellectuelles supérieures.

Source : Baromètre d’opinion de la DREES, 2019‑2020

En revanche, le sentiment d’être pauvre ainsi que le risque perçu de pauvreté dans les 5 prochaines années restent stables au niveau individuel en 2020 (à hauteur de 20 % de la population), à l’exception significative des jeunes qui sont plus nombreux à se déclarer pauvres en 2020 (26 % contre 20 %).

Enfin et surtout, les inquiétudes exprimées par rapport à l’avenir se renforcent notamment la crainte du chômage et de perte de revenus pour soi ou l’un de ses proches augmente. Elle s’exprime tout particulièrement chez les ouvriers (62 %), les jeunes (63 %), et les personnes en emploi précaire (76 %).

Mesurer la pauvreté subjective

La pauvreté est classiquement mesurée de façon objective à l’aide de critères de seuils monétaires absolus ou relatifs (le taux de pauvreté monétaire selon lequel est pauvre tout individu vivant dans un ménage dont le niveau de vie est inférieur à 60 % du niveau de vie médian) ou de critères plus qualitatifs relatifs aux privations ou difficultés matérielles (la pauvreté en conditions de vie des ménages au niveau français, la privation matérielle et sociale – ou PMS–  au niveau européen). La pauvreté peut également être approchée d’un point de vue administratif : ce sont les publics ciblés par les dispositifs publics de lutte contre la pauvreté selon des conditions de ressources ou des seuils d’éligibilité.

Outre ces approches objectives, il est également possible et souhaitable d’approcher la pauvreté de façon subjective au prisme du sentiment de pauvreté, c’est‑à‑dire des personnes qui s’identifient comme étant pauvres. Le Baromètre d’opinion de la DREES permet d’établir qu’en 2017, 13 % de la population s’affirmaient comme étant pauvres (soit une proportion proche de la pauvreté monétaire).

Toutefois, les populations en situation de pauvreté objective et subjective ne se recoupent pas totalement puisqu’une part significative des personnes qui se déclarent pauvres ont un niveau de vie supérieur au seuil de pauvreté. La pauvreté subjective permet ainsi de dessiner un « halo de la pauvreté » et de mettre en lumière des situations d’insécurité sociale. Si les situations d’assistance (avoir perçu le RSA par exemple) et l’éloignement du marché du travail (être au chômage ou sans activité) favorisent bien le sentiment de pauvreté, les personnes se déclarant pauvres se trouvent majoritairement dans d’autres configurations : en particulier, les personnes qui occupent un emploi précaire ou à temps partiel, les personnes vivant seules, les chefs ou cheffes de famille monoparentale, ainsi que les retraités locataires sont des publics particulièrement exposés au sentiment de pauvreté (sans vivre nécessairement en‑dessous des seuils de pauvreté) ([40]).

 

Tableau 7

Source : Qui se sent pauvre en France ? Pauvreté subjective et insécurité sociale, Duvoux et Papuchon, 2018

Ainsi, si la crise ne semble pas avoir entraîné une explosion généralisée de la pauvreté ni une dégradation des conditions de vie objectives de l’ensemble des ménages, elle a généré dans de plus larges proportions une hausse de l’insécurité sociale au sens d’une dégradation des projections et des certitudes quant à l’avenir. Les citoyens du panel interrogé par le comité d’évaluation de la stratégie de lutte contre la pauvreté ont ainsi exprimé massivement leurs craintes d’un basculement dans la pauvreté de catégories jusque‑là épargnées : « personne n’est à l’abri », « il va y avoir de nouveaux pauvres » ([41]).

La crise sanitaire semble ainsi avoir tout particulièrement impacté les conditions de vie des plus démunis et contribué à déstabiliser les trajectoires socio‑professionnelles des personnes les plus vulnérables. Elle a également participé à majorer le sentiment d’insécurité sociale dans la population générale.

Ces premiers effets de la crise sur la pauvreté en France ont été partiellement anticipés par les pouvoirs publics qui ont mis en place des mesures d’urgence préventives dès mars 2020.

C.   LES EFFETS IMMÉDIATS DE LA CRISE SANITAIRE ONT NÉANMOINS ÉTÉ CONTENUS PAR LE SYSTÈME DE PROTECTION SOCIALE ET L’ADOPTION RAPIDE DE MESURES EXCEPTIONNELLES

Si la crise sanitaire a significativement dégradé les conditions de vie des plus précaires et contribué à déstabiliser une frange de la population, le système de protection sociale ainsi que les premières mesures d’urgence prises par les pouvoirs publics ont permis d’atténuer l’exposition des ménages pauvres au choc économique et social.

Toutefois, les moyens engagés ne semblent pas toujours avoir ciblé les publics les plus en difficulté. Le comité d’évaluation Schweitzer constate que « les pouvoirs publics ont engagé des moyens considérables pour prévenir l’entrée dans la pauvreté, des moyens plus limités pour aider les ménages déjà pauvres ».

1.   Le filet de sécurité en place en France a joué un rôle d’amortisseur de la crise

Le système socio‑fiscal français, et tout particulièrement les prestations de solidarité, ont joué un rôle d’amortisseur automatique des conséquences sociales de la crise sanitaire. Ce filet de sécurité a contribué à prévenir une forte croissance de la pauvreté monétaire ([42]).

a.   La redistribution sociale contribue à réduire la pauvreté monétaire et son intensité

Les prestations sociales non contributives, qui composent 40 % du revenu disponible des ménages pauvres, contribuent en effet à réduire significativement la pauvreté monétaire et son intensité (définie comme l’écart relatif entre le niveau de vie médian de la population pauvre et le seuil de pauvreté) ([43]).

En 2019, la redistribution réduit ainsi de 7,6 points le taux de pauvreté monétaire qui s’élève à 14,6 % après redistribution contre 22,2 % avant redistribution ; les minima sociaux contribuant pour 1,8 point à cette baisse, les allocations logement pour 1,7 point, les prestations familiales pour 1,9 point et la prime d’activité pour 1,3 point. L’effet apparaît tout particulièrement marqué pour les familles monoparentales, les familles nombreuses, les jeunes de moins de 20 ans, et les personnes handicapées.

Le système socio‑fiscal soutient également le pouvoir d’achat des personnes en situation de pauvreté, en diminuant l’intensité de la pauvreté (par ailleurs en forte hausse depuis la crise de 2008). L’intensité de la pauvreté avant redistribution aurait ainsi été de 38,5 % en 2019 contre 19,7 % après redistribution soit un niveau de vie médian de la population pauvre de 678 euros par mois sans redistribution (contre 885 euros après redistribution).

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Source : L’essentiel sur la pauvreté, INSEE, novembre 2021

Pour illustrer l’effet concret des prestations sur les ressources perçues et leurs ordres de grandeur, quelques exemples peuvent être présentés : une personne seule locataire dans le parc privé et n’ayant pas de ressources dispose en 2021 de 781 euros mensuels de prestations sociales, soit 510 euros de RSA et 271 euros d’aides au logement. Pour une personne ayant un revenu d’activité équivalent au Smic, son revenu disponible atteint 1 464 euros mensuels, dont 233 euros au titre de la prime d’activité.

b.   Les bénéficiaires des prestations sociales et minima sociaux ont augmenté durant la crise sanitaire

Les premières données disponibles sur les bénéficiaires des minima sociaux et prestations sociales montrent que le système de protection sociale a joué son rôle d’amortisseur durant la crise. En effet, le nombre d’allocataires des minima sociaux a augmenté de 4,3 % pour atteindre 4,48 millions de personnes fin 2020 (contre une hausse de + 1,2 % fin 2019 par rapport à 2018) ([44]).

En particulier, la hausse des bénéficiaires a particulièrement concerné le RSA (+ 7,4 %). Alors que le nombre d’allocataires était resté proche de 1,9 million depuis 2017, il a dépassé les 2 millions en 2020. Les effectifs ont particulièrement augmenté au début de l’année 2020 du fait des mesures de maintien des droits (ce qui a gelé les flux de sorties) et de la situation économique dégradée suite aux mesures de confinement prises en mars‑avril 2020 ([45]).

Concernant les autres prestations, la crise a enrayé en 2020 la baisse continue du nombre d’allocataires de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) (+ 0,9 % contre – 7,4 % entre 2018 et 2019) et orienté à la hausse le nombre de foyers allocataires d’une aide au logement (+ 2 %) ainsi que celui des bénéficiaires de la prime d’activité (+ 1,6 %).

Le système de protection sociale semble ainsi avoir joué son rôle de stabilisateur économique et social durant la crise sanitaire. Toutefois, ces prestations ont pu apparaître insuffisantes au regard de l’ampleur de la crise, et certaines populations en situation de grande vulnérabilité y échappent toujours, en raison d’une relation très précaire à l’emploi et/ou aux services sociaux, ce qui a justifié des aides financières exceptionnelles et la mise en place de dispositifs d’urgence pour tenter d’atteindre ces précaires « invisibles ».

2.   Des dispositifs exceptionnels et des aides monétaires d’urgence ont été mis en place dès le printemps 2020

a.   Des aides monétaires exceptionnelles ont été versées de façon automatique aux ménages à bas revenus

À partir du mois de mai 2020, un ensemble d’aides d’urgence destinées aux ménages les plus modestes a été déployé de façon complémentaire aux prestations sociales dont ils étaient déjà bénéficiaires.

Deux aides exceptionnelles de solidarité (AES) d’un montant de 150 euros chacune, majorées de 100 euros par enfant, ont été versées automatiquement en mai et novembre 2020 aux bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) et de l’allocation de solidarité spécifique (ASS). Les familles bénéficiaires des aides au logement mais ne touchant pas le RSA ou l’ASS ont bénéficié de l’aide de 100 euros par enfant à charge.

L’allocation de rentrée scolaire a fait l’objet d’une revalorisation exceptionnelle de 100 euros par enfant en août 2020.

Deux aides exceptionnelles de 200 euros et de 150 euros ont été versées en juin et novembre 2020 à 800 000 étudiants en difficulté (étudiants ayant perdu leur emploi ou n’ayant pu réaliser tout ou partie d’un stage gratifié, étudiants ultramarins en mobilité en métropole au moment de la mise en œuvre des mesures d’interdiction de certains déplacements) et à 560 000 jeunes de moins de 25 ans non étudiants bénéficiaires des allocations logement. Le barème de rémunération des stagiaires en formation professionnelle a également été revalorisé en mai 2021.

Au total, les aides exceptionnelles versées aux ménages modestes ont mobilisé 2,2 milliards d’euros. La Direction générale du Trésor (DGT) a estimé que ces aides sociales exceptionnelles (hors étudiants) ont représenté 2,4 % du niveau de vie des ménages appartenant au premier décile ([46]) ; les deux tiers des 10 % les plus pauvres en ayant bénéficié. Si elles n’avaient pas été versées, l’INSEE estime que le taux de pauvreté monétaire aurait été plus élevé de 0,5 point en 2020 ([47]).

b.   L’activité partielle a pu éviter le basculement de millions de salariés dans le chômage

Le dispositif exceptionnel de chômage partiel, mis en place dès mars 2020, largement renforcé et mobilisé durant les premiers mois de la crise, a permis aux entreprises de verser une indemnité d’environ 85 % du salaire net (jusqu’à 4,5 fois le Smic) et jusqu’à 100 % au niveau du Smic pour les salariés étant dans l’impossibilité de travailler en raison d’une baisse d’activité.

Alors qu’elle concernait moins de 40 000 salariés par mois entre 2015 et 2019, l’activité partielle a concerné 6,7 millions de salariés en mars 2020 et atteint un point haut en avril 2020 avec 8,4 millions de salariés.

recours à l’activité partielle selon le motif depuis mars 2020

Lecture : En mars 2020, 24,7 % des salariés travaillent dans une entreprise ayant eu recours à l’activité partielle en raison de la réduction des débouchés. Au total, tous motifs confondus, 60,3 % des salariés travaillaient dans une entreprise utilisant l’activité partielle pour tout ou partie de ses salariés au cours de ce même mois (histogrammes échelle de gauche). Les courbes représentent le nombre de salariés effectivement placés en activité partielle au cours du mois (6,9 millions de salariés en mars 2020).

Sources : Enquête Acemo Covid19 de mars 2021, séries chronologiques – Données DARES

Ce dispositif a permis de limiter les destructions d’emplois et de compenser partiellement ou totalement les pertes de revenus des salariés concernés. Le chômage est ainsi resté relativement contenu (à l’exception du chômage des jeunes qui a augmenté de façon significative). De même, les pertes d’emploi, estimées à – 1,3 % de l’emploi total, soit 284 000 emplois salariés détruits en 2020, ont pu apparaître modestes au regard de la dégradation de la situation économique ([48]).

Toutefois, le dispositif d’activité partielle, s’il a contribué à limiter la hausse des inégalités et de la pauvreté, a principalement bénéficié aux personnes de niveau de vie intermédiaire. En effet, les personnes les modestes ont relativement moins bénéficié du dispositif car elles sont moins en emploi salarié et plus souvent en contrats courts. Le dispositif n’est pas non plus redistributif puisque les montants des indemnités sont proportionnels aux salaires et donc augmentent avec le niveau de vie. Si l’activité partielle a prévenu un chômage massif, ses effets en matière de prévention et de lutte contre la pauvreté durant la crise sanitaire sont donc à nuancer.

Pour les micro‑entrepreneurs, indépendants et professions libérales, un fonds de solidarité destiné à verser une aide de 1 500 euros au maximum pour compenser les pertes de chiffre d’affaires a été spécifiquement mis en place et prolongé jusqu’au 31 décembre 2020.

c.   Des mesures de solidarité d’urgence ont été mises en œuvre pour soutenir les conditions de vie des personnes les plus vulnérables

i.   Le secteur de l’hébergement d’urgence a été renforcé de façon inédite

Pour faire face à la précarité accrue des personnes à la rue dans le contexte du premier confinement, le secteur de l’hébergement d’urgence a été renforcé de façon inédite pour soutenir et mettre à l’abri les sans domiciles fixes.

Dès le 19 mars 2020, une instruction aux préfets ([49]) a prévu l’ouverture de centres d’hébergement spécialisés pour les personnes hébergées malades non graves, ainsi que la continuité des activités des centres d’hébergement et la prise en charge du plus grand nombre de personnes à la rue.

40 000 places d’hébergement supplémentaires environ ont été ouvertes à la fin de l’année 2020, principalement dans des hôtels (environ 30 000), si bien que les demandes d’hébergement formulées par les personnes à la rue auprès des services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO), ont pu être satisfaites à un niveau plus élevé que d’habitude. Le taux de réponse des SIAO aux demandes d’hébergement était de 34 % en 2018, 45 % en 2019 et 42 % en 2020 et au cours de l’hiver 2020-2021, le nombre moyen de demandes non pourvues était d’environ 2 000.

Le parc d’hébergement a atteint un niveau record, comprenant de façon pérenne au 30 juin 2020, 103 365 places dont 45 262 places en centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) ; et de façon temporaire en mars 2021, 15 375 places en centres d’hébergement et 3 197 places exceptionnelles ([50]). Le nombre de places d’hôtel a augmenté de 37,2 % en mars 2021 par rapport au début de la période hivernale 2019‑2020.

évolution du nombre de places en hébergement d’urgence entre novembre 2019 et février 2021

http://www.senat.fr/rap/r20-632/r20-6329.png

Source : Politique d’hébergement d’urgence, M. Philippe Dallier – Rapport d’information du Sénat n° 632 fait au nom de la commission des finances, mai 2021

Toutefois, si la Cour des comptes reconnaît la mise en place de ces mesures exceptionnelles, elle pointe également, dans son rapport public annuel de 2021, une « absence de préparation opérationnelle » dans les premières semaines de la crise dans le secteur : « l’ensemble des services concernés (…) a été pris de court, puis soumis à des injonctions contradictoires ou largement livrés à eux-mêmes pour assurer la continuité de leurs activités et la protection des personnes » (notamment pour répondre aux besoins d'équipement en masques). Les centres d’hébergement spécialisés créés pour les personnes hébergées atteintes de la Covid‑19 ont été sous-utilisés. Et dans la pratique, l’augmentation du parc d’hébergement a été principalement obtenue garce aux places d’hôtels laissées vacantes du fait de la crise (avec un coût financier élevé pour l’État du fait du niveau élevé des tarifs hôteliers négociés dans l’urgence), ainsi qu’au prolongement des places d’hébergement provisoire du fait du report de la fin de trêve hivernale. En somme, selon la Cour, le confinement a révélé que le secteur de l’hébergement d’urgence restait largement impréparé pour faire face à toute crise prolongée présente ou à venir.

Le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre abonde dans ce sens en soulignant que malgré l’augmentation du parc, le secteur de l’hébergement d’urgence demeure saturé dans les grandes villes. Début décembre 2020, près de 4 000 personnes appelaient chaque soir le 115 sans obtenir d’hébergement faute de places, sans compter les nombreuses personnes à la rue rencontrées par les maraudes qui renoncent à appeler le 115 (80 % d’après l’enquête de la Fédération des Samu sociaux) ([51]).

ii.   Une aide d’urgence alimentaire a été mise en place

Afin de soutenir les associations dans la mise en place d’une aide d’urgence alimentaire pour les foyers les plus précaires fragilisés par la crise, deux plans d’aide alimentaire, représentant un montant total de 94 millions d’euros, ont été adoptés par le Gouvernement en avril et juillet 2020.

Le premier plan doté de 39 millions d’euros a permis de compenser les surcoûts engendrés par la crise et supportés par les associations (dépenses logistiques plus importantes, hausse des besoins et réponses aux situations d’urgence…) à hauteur de 25 millions d’euros. Le reste de la dotation a permis de financer des mesures spécifiques pour les Outre-mer (4 millions d’euros) ainsi que la mise en place de dispositifs de distribution de chèques d’urgence alimentaire permettant l’achat direct de produits d’alimentation et d’hygiène, notamment dans les quartiers prioritaires de la ville (QPV) de 18 départements (10 millions d’euros dont 2,6 millions d’euros pour la Seine‑Saint‑Denis).

Le second plan d’urgence doté de 55 millions d’euros a été délégué à plus de 80 % aux services déconcentrés pour financer les dispositifs d’aide alimentaire généralistes et ceux visant les personnes sans domicile.

Également pour lutter spécifiquement contre la précarité alimentaire étudiante en hausse, les étudiants boursiers ont pu bénéficier de repas à 1 euro dans les restaurants universitaires. La mesure a été étendue à tous les étudiants sans conditions de ressources le 25 janvier 2021.

La nette hausse de la précarité alimentaire durant la crise a contribué à faire progresser le dialogue et les actions sur le sujet de façon plus pérenne. Un Comité national de coordination de la lutte contre la précarité alimentaire (Cocolupa), présidé par la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), a été créé le 6 septembre 2020, pour structurer durablement les échanges entre les acteurs de l’aide alimentaire.

En 2021, 12 millions d’euros supplémentaires ont été débloqués pour renforcer la lutte contre la précarité alimentaire dont 6 millions d’euros délégués aux préfectures de région dans les territoires les plus en difficultés, et 6 millions d’euros versés aux quatre associations nationales Restos du cœur, Fédération française des banques alimentaires, Secours populaire et Croix rouge. Ce budget est venu s’ajouter aux financements européens en hausse pour la période 2021‑2027 (via le Fonds européen d’aides aux plus démunis ou FEAD intégré au Fonds social européen – FSE+).

iii.   Un engagement soutenu du secteur associatif et des collectivités territoriales

Enfin, les collectivités et les réseaux associatifs ont pu assurer le relai de l’État pour proposer des réponses adaptées aux besoins des populations les plus précaires.

L’engagement du secteur associatif au bénéfice des plus démunis durant la crise peut être salué dans de nombreux domaines, notamment la fabrication de masques en tissus et la distribution de masques et gels, la lutte contre la précarité alimentaire via la préparation de colis alimentaires, la lutte contre les violences intrafamiliales, le soutien aux victimes de violences conjugales, l’aide aux personnes vivant dans la rue, l’accompagnement dans les démarches administratives, le soutien scolaire, l’aide à l’équipement et l’utilisation d’outils numériques, etc.

Dans le cadre du plan de relance, un plan de soutien de 100 millions d’euros a été lancé en novembre 2020 destiné à prolonger cet engagement associatif via le financement de projets en matière de lutte contre la précarité alimentaire, d’accès aux droits, de soutien aux familles, et d’insertion sociale et professionnelle. Ce budget a permis de financer 741 projets (dont 33 nationaux pour une enveloppe de 33,5 millions d’euros) sélectionnés au terme d’un appel à projets unique ouvert entre novembre 2020 et janvier 2021.

Les collectivités territoriales ont également mis en place des actions spécifiques, notamment à l’échelle du département, chef de file de l’action sociale. Par exemple, le département du Gers a cherché à initier des politiques d’ « aller vers ». Une cellule départementale de crise et de vigilance réunie chaque semaine aura permis par exemple la création d’un « Vaccibus » destiné à vacciner directement au domicile les personnes isolées et fragiles. Le département de la Seine‑Saint‑Denis aura mis en place un service d’appel des personnes recensées dans les fichiers des aides sociales pour repérer les situations d’urgence sociale et y apporter des solutions. L’opération aura donné lieu à plus de 26 000 entretiens et 1 600 signalements ([52]).

L’action des collectivités semble avoir été reconnue par la population puisque d’après le Baromètre d’opinion de la DREES, fin 2020, 57 % des enquêtés estimaient que la crise avait été bien gérée par les collectivités locales ([53]).

Plus largement, de nombreuses initiatives ayant associé une multitude d’acteurs territoriaux (entreprises, collectivités locales, associations, services de l’État) ont pu émerger pour aider les personnes précaires dans le contexte de la crise sanitaire : c’est par exemple le cas de l’opération « Lait du cœur » en Centre-Val de Loire qui a permis de collecter un don d’un million de litres de lait sur toute la France via le réseau des banques alimentaires.

La crise sanitaire aura eu comme retombée positive l’émergence de partenariats fructueux dans l’urgence qui ont su perdurer (par exemple dans le secteur de l’aide alimentaire). Elle aura permis de décloisonner le fonctionnement habituel en silos des administrations centrales, des organismes sociaux, des collectivités locales ou des associations, voire des entreprises pour répondre au mieux aux besoins des populations.

Ainsi, outre l’effet de stabilisateur automatique joué par le système de protection sociale et renforcé par des aides exceptionnelles de solidarité versées aux ménages à bas revenus, plusieurs mesures d’urgence ont été déployées rapidement au niveau national au printemps 2020 pour atténuer l’impact de la crise sur les plus précaires notamment dans le secteur de l’hébergement d’urgence et de l’aide alimentaire. Ces mesures d’urgence, renforcées par les initiatives nombreuses des collectivités locales et du secteur associatif, ont trouvé de nombreux prolongements après l’été 2020 et semblent avoir joué un rôle décisif pour atténuer les conséquences sociales et économiques immédiates de la crise sur la pauvreté.

Cette réponse exceptionnelle par son caractère immédiat et massif ne doit pas masquer néanmoins certaines insuffisances : des publics sont demeurés à la marge des dispositifs déployés. Si les mesures semblent avoir été relativement bien ciblées, il y a eu des « trous dans la raquette » (les personnes précaires éloignées des services sociaux ne bénéficiant ni du RSA ou des allocations logement et donc non éligibles aux aides, les jeunes avec un job étudiant, les sans‑abri non hébergés, les demandeurs d’asile, etc.).

Selon l’enquête menée par le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CRÉDOC) en mai 2021, environ 35 % des « nouveaux » vulnérables identifiés auraient bénéficié d’aides et 24 % des personnes en situation de vulnérabilité avant la crise, ce qui laisserait deux personnes sur trois fragilisées sans aide ([54]).

Le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE) a plus généralement relevé « la multiplication des situations de rupture ». Les confinements auront mis à jour « la fragilité des solidarités privées et des relations familiales lorsqu’il n’y a plus de soupape », et entraîné une hausse des violences intrafamiliales, des ruptures d’hébergement et des informations préoccupantes. ([55])


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II.   L’ADAPTATION DES POLITIQUES DE LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ A PERMIS DE STABILISER LE TAUX DE PAUVRETÉ MONÉTAIRE

Confrontés aux premiers effets de la crise, les pouvoirs publics ont tenté d’apporter des réponses complémentaires, soit en prolongeant ou renouvelant les mesures d’urgence du printemps 2020, soit en mettant en place des adaptations plus conséquentes, notamment dans le cadre du plan de relance.

Au regard des indicateurs disponibles début 2022, il est permis d’affirmer que l’ensemble de ces mesures a permis de globalement limiter les effets de la crise sur la pauvreté et d’apporter une réponse, au moins temporaire, aux inquiétudes exprimées au printemps 2020.

A.   L’ACTE II DE LA STRATÉGIE PAUVRETÉ : S’AJOUTANT AUX MESURES D’URGENCE, DES MESURES CIBLÉES SUR CERTAINES CATÉGORIES DE LA POPULATION

Afin de limiter les effets de la crise sanitaire, de nouvelles mesures de lutte contre la pauvreté sont venues s’ajouter à la Stratégie nationale.

1.   Mesures à destination de la jeunesse : le plan « 1 jeune 1 solution » du 23 juillet 2020

Présenté par le Premier ministre le 23 juillet 2020, le plan « 1 jeune 1 solution » a pour but de faciliter l’insertion professionnelle de tous les jeunes et pas seulement de ceux qui sont en situation de pauvreté.

L’emploi des jeunes en France marque en effet une forte vulnérabilité à la conjoncture économique et ceux‑ci étaient déjà en 2019, avant la crise sanitaire, surreprésentés parmi les demandeurs d’emploi touchant les plus faibles indemnités ([56]).

De surcroît les jeunes courent le risque d’être moins couverts par le régime d’activité partielle mis en place durant la crise sanitaire et les droits à l’assurance chômage, car ils connaissent plus que d’autres des périodes alternées de chômage et d’emploi.

Le plan « 1 jeune 1 solution » est structuré autour des trois axes suivants :

– faciliter l’entrée dans la vie professionnelle (2,7 milliards d’euros) notamment par des primes à l’embauche, des aides exceptionnelles à l’apprentissage des contrats de professionnalisation et des missions de service civique ;

– orienter et former les jeunes vers les métiers d’avenir (1,5 milliard d’euros), notamment par des formations qualifiantes ou des créations de place de brevet de technicien supérieur (BTS) ;

– et accompagner plus particulièrement les jeunes éloignés de l’emploi (1,3 milliard d’euros) grâce au développement de dispositifs d’insertion, comme la « Garantie jeunes » mise en œuvre par les missions locales.

C’est ce dernier axe qui cible davantage les jeunes défavorisés.

Il s’est agi principalement de faire monter en puissance des dispositifs déjà bien identifiés dont certains avaient fait l’objet d’évaluations positives, au besoin en assouplissant leurs critères d’éligibilité, pour un total de 500 000 parcours supplémentaires, ce qui est considérable.

principaux dispositifs pour ACCOMPAGNER LES JEUNES LES PLUS ELOIGNéS DE L’emploi sur la période 2020-2021

Source : Projet annuel de la performance (PAP) annexe au projet de loi de finances pour 2021, PNRR.

Le Parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie (PACEA) a été mis en place le 1er janvier 2017, comme cadre contractuel de l’accompagnement des jeunes en mission locale. Il consiste en un accompagnement individualisé et contractualisé d’un jeune de 16 à 25 ans auprès d’une mission locale, d’une durée maximale de 24 mois consécutifs. Le parcours est constitué de phases successives adaptées aux projets du jeune signataire du contrat, qui peuvent être composées de formation, d’une période de mise en situation en milieu professionnel, d’un accompagnement social et professionnel ou d’actions portées par d’autres organismes susceptibles de contribuer à l’accompagnement. Sur décision des conseillers des missions locales, une allocation peut être versée au jeune pour soutenir sa démarche d’insertion.

La « Garantie jeunes », expérimentée à partir de 2013 et généralisée sur l’ensemble du territoire depuis le 1er janvier 2017, vise les jeunes de 16 à 25 ans qui ne sont ni en formation, ni en stage, ni en emploi (NEET). Cette situation concernait environ 1,5 million de jeunes en 2019 soit 12,9 % des 15‑29 ans. Ce dispositif est une modalité spécifique et intensive du PACEA permettant à des jeunes éloignés de l’emploi de s’engager pour un accompagnement d’un an et de bénéficier d’une aide financière, sous conditions de ressources. Le parcours en « Garantie jeunes » repose sur une session collective de quatre à six semaines avec des ateliers collectifs de posture, de comportement en milieu professionnel, de recherche d’emploi, puis d’un accompagnement individuel avec un conseiller de la mission locale pendant l’année suivant l’inscription. Le montant maximum de l’allocation mensuelle est de 497 euros, versée sous condition d’assiduité du jeune à la session collective et à son accompagnement individuel. L’allocation peut être cumulée avec des revenus d’activité : elle est dégressive si ceux‑ci dépassent 300 euros et elle est supprimée au‑delà de 1 235 euros mensuels. L’accompagnement a une durée initiale d’un an avec un renouvellement possible de 6 mois maximum.

Le plan « 1 jeune 1 solution » a pour objectif de financer 100 000 places additionnelles en « Garantie jeunes ».

La « Garantie jeunes »

La « Garantie jeunes » a été créée à titre expérimental en octobre 2013, puis élargie par vagues successives aux missions locales volontaires, et enfin étendue sur tout le territoire national à compter de 2017.

Une étude de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) d’avril 2019 ([57]) dépeint des jeunes bénéficiaires de niveau scolaire inférieur ou égal au CAP‑BEP (67 %), souvent issus de familles en précarité économique, quand ils ne sont pas en rupture avec cellesci. Pour 31 % d’entre eux, ces jeunes sont sans recours financier potentiel, et 30 % seulement ont le permis de conduire contre 70 % de cette classe d’âge, ils sont donc peu autonomes.

L’évaluation d’impact menée par la DARES a montré que 29 % des bénéficiaires sont en emploi 8 mois après l’entrée dans le dispositif et 41 % au bout de 19 mois. On peut toutefois relever que le taux d’emploi des jeunes suivis après la sortie de la « Garantie jeunes », avait progressivement baissé, de 28,7 % en 2015 à 23,9 % en 2019, avant la crise sanitaire, alors que la situation de l’emploi s’est améliorée dans l’intervalle. Par rapport à un contrefactuel constitué de la même population de jeunes n’ayant pas bénéficié du dispositif, la DARES estime que le taux d’emploi des bénéficiaires aurait augmenté de 10 points au terme d’une période de 11 mois dans le dispositif, ce qui traduit mieux la performance relative du dispositif.

Ce sont les résultats de cette évaluation qui ont conduit les pouvoirs publics à encourager sa montée en puissance au risque de dégrader sa performance du fait d’une moindre sélectivité des dossiers de candidature ou d’un accompagnement moins intense (voir infra).

Afin de faciliter sa croissance, le régime de la « Garantie jeunes » a été rendu plus flexible dans la mesure où celle‑ci peut désormais durer de 9 à 18 mois et non plus nécessairement une année entière, ce qui peut attirer des jeunes réticents à l’idée d’un engagement trop durable.

Le critère d’éligibilité relatif au travail partiel a été également assoupli par le décret n° 2021‑664 du 26 mai 2021 en autorisant l’accès de jeunes travailleurs précaires à hauteur de10 % ou 20 % de temps de travail par mois. 5 % ou 6 % de la totalité des jeunes est ainsi nouvellement devenue éligible à la « Garantie jeunes ».

Ces assouplissements ont été complétés par certaines innovations organisationnelles permettant d’adapter l’accueil à des publics spécifiques : certaines missions locales proposent ainsi des adaptations d’horaires et un module d’aide à la parentalité pour des jeunes mères au RSA. De même, des garanties jeunes hors les murs dans des centres de formation d’apprentis (CFA) ont vu le jour, notamment en Île‑de‑France, afin d’ouvrir des perspectives sur différents métiers. En outre, des missions locales délocalisées, comprenant des cohortes réduites à six jeunes, ont émergé dans des communes très rurales.

Cet objectif a nécessité que les missions locales montent en charge pour accueillir plus de jeunes. Elles ont dû renforcer leurs effectifs en un temps limité : les projets de recrutements s’établissaient autour de 2 000 pour l’année 2021, dont environ les deux tiers sur des postes de conseillers, à comparer à environ 13 100 salariés en emploi dans la branche professionnelle des missions locales et autres organismes d’insertion en 2019, dont 8 700 comme conseillers, soit une hausse de l’ordre de 15 %.

Les représentants du réseau n’ont pas dissimulé en audition les difficultés auxquelles ils se heurtaient dans la réalisation de cet effort de recrutement de conseillers en insertion sociale et professionnelle, qui est un métier en tension sur le marché du travail, même si 80 % des recrutements avaient été réalisés en octobre 2021.

Les chiffres d’accueil témoignent de la réactivité des missions locales en 2020, puisqu’elles ont dépassé leurs objectifs d’entrée en accompagnant de l’ordre de 360 000 jeunes dans le cadre du PACEA.

Cependant, les entrées en « Garantie jeunes » ont connu un coup d’arrêt au deuxième trimestre de 2020 (16 600 mais pour la quasi‑totalité des renouvellements contre 25 500 un an auparavant) car le confinement a conduit à la fermeture des lieux d’accueil de deux tiers des missions locales. Celles‑ci ont décidé de ne pas admettre de nouvelles entrées au sein de ce dispositif pendant la crise sanitaire, en arguant du fait qu’il incluait un accompagnement très intensif, qui nécessite une proximité, et qu’il comprenait également un volet collectif. Cet arrêt sur image a été en partie compensé dans la deuxième partie de l’année puisque les premières entrées en « Garantie jeunes » ont atteint un total voisin de 95 000 en 2020 contre 102 000 en 2019.

L’objectif de 200 000 entrées en « Garantie jeunes » pour 2021 n’a pas été atteint puisque le total est de l’ordre de 170 000, ce qui constitue cependant une performance appréciable.

entrées en parcours PACEA et Garantie jeunes et nombre de jeunes en cours de parcours au 31/12 de chaque année

Source : Union nationale des missions locales (UNML)

Le rapport de l’Inspection générale des finances et de France Stratégie au nom du comité d’évaluation du plan France relance présidé par M. Benoît Cœuré estimait en septembre 2021 que l’atteinte des objectifs quantitatifs en matière d’accompagnement et de places supplémentaires de formation « a permis la prise en charge de jeunes fragiles, qui auraient pu se retrouver en grande difficulté sans ces solutions. » Toutefois, la croissance du nombre de prises en charge de la « Garantie jeunes » s’est accompagnée de la suspension de la stratégie pluriannuelle de performance 2019‑2022, qui prévoyait des indicateurs d’insertion des jeunes et de la part des jeunes NEET suivis par les missions locales, ainsi que d’un assouplissement des critères d’éligibilité. Aussi, des évaluations de moyen terme sur le devenir des jeunes ainsi accompagnés seront-elles indispensables.

L’accompagnement intensif des jeunes (AIJ), dispositif mis en place depuis septembre 2014 par Pôle emploi, permet à un jeune de 16 à 25 ans (29 ans dans certains territoires) inscrit à Pôle emploi et ayant des difficultés à trouver ou retrouver un emploi, de bénéficier d’un accompagnement renforcé pendant 3 à 6 mois. L’accompagnement peut être collectif ou individuel. Il se compose en particulier d’un enseignement des techniques de recherche d’emploi, un décryptage des attentes des recruteurs et une préparation aux entretiens d’embauche. Le plan « 1 jeune 1 solution » vise l’accompagnement de 135 000 jeunes en 2020 et 240 000 en 2021 (à comparer à 80 000 jeunes avant‑crise). Le décret n° 2020‑1788 du 30 décembre 2020 prévoit également une aide financière versée à titre exceptionnel pour les jeunes en AIJ, d’un montant mensuel de 497 euros et plafonnée à trois fois ce montant par période de 6 mois.

Les Parcours emploi compétence (PEC) et les Contrats unique d’insertion et contrat initiative emploi (CUICIE) sont des contrats aidés ayant pour objectif l’intégration durable dans l’emploi des personnes les plus éloignées du marché du travail. Ils impliquent trois parties : l’employeur, le salarié et le prescripteur (Pôle emploi, mission locale ou Cap emploi), ce dernier se portant garant de la montée en compétences du salarié. Les contrats sont d’une durée minimale de 6 mois, renouvelables dans la limite de 24 mois, à raison de 20 heures au moins par semaine. L’État prend en charge une partie du salaire. De plus, la prime de précarité de fin de contrat n’est pas due pour ces types d’emploi.

L’insertion par l’activité économique (IAE) est un dispositif permettant à des personnes particulièrement éloignées de l’emploi d’être employées dans des structures spécialisées en insertion sociale et professionnelle. Pôle emploi cible et oriente les bénéficiaires vers les structures de l’IAE. Les contrats peuvent être de différentes natures (CDD d’insertion, contrat unique d’insertion, intérim) selon le type de structure et renouvelables jusqu’à 24 mois en régime courant.

L’accompagnement à la création d’activité prévue par le plan « 1 jeune 1 solution » consiste à financer à hauteur de 1 000 euros par an le coût de l’accompagnement par les réseaux de 15 000 jeunes travailleurs indépendants par an à partir de 2021. Ce dispositif général est accompagné d’une mesure visant plus spécifiquement les jeunes NEET sans diplôme : 2 500 d’entre eux pourront recevoir jusqu’à 10 000 euros pour créer une entreprise et bénéficieront d’un accompagnement.

Le dispositif Sésame vers l’emploi pour le sport et l’animation dans les métiers de l’encadrement (SESAME), mis en œuvre depuis 2015, a pour objet d’accompagner des jeunes en difficulté vers les métiers d’encadrement du sport ou de l’animation. Les bénéficiaires doivent être âgés de 16 à 25 ans, résider au sein d’un quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV) ou d’une zone de revitalisation rurale (ZRR), rencontrer des difficultés d’insertion et justifier d’une première expérience dans le sport et/ou l’animation. Un soutien financier à la formation professionnelle est possible à hauteur de 2 000 euros par an.

Compte tenu des nombreux dispositifs existants, des objectifs et des besoins, il sera nécessaire de recruter davantage de conseillers en insertion, de renforcer l’attractivité du métier et d’ouvrir de nouvelles places de formation.

2.   Les actions pour améliorer la cohésion : 36 milliards d’euros dans le plan de relance du 3 septembre 2020 dont 800 millions pour les personnes précaires

Le troisième volet « Cohésion » du plan France relance du 3 septembre 2020 complète les volets « Écologie » et « Compétitivité ». Doté de 36 milliards d’euros, le volet « Cohésion » vise à éviter la hausse des inégalités, sauvegarder l’emploi, accompagner les personnes précaires et encourager la solidarité.

Les secteurs prioritaires définis sont la santé et les collectivités territoriales, la formation et l’insertion, l’embauche ou la reconversion des jeunes et des travailleurs vulnérables vers les secteurs porteurs.

La prorogation de l’activité partielle de longue durée et du Fonds national de l’emploi pour la formation (FNE‑Formation), l’investissement public au titre du Ségur de la santé et de la dépendance ainsi que la montée en puissance du plan « 1 jeune 1 solution » mobilisent l’essentiel des crédits de ce volet « Cohésion ».

Le volet « Cohésion » du plan de relance prévoit également des mesures ciblées sur le soutien aux personnes précaires, pour un montant de 800 millions d’euros :

– la majoration de 100 euros par enfant de l’allocation de rentrée scolaire pour un montant de 533 millions d’euros. Plus de 3 millions de familles ayant des revenus modestes ont reçu au mois d’août 2020 une allocation de rentrée scolaire pour leurs enfants scolarisés âgés de 6 à 18 ans. Cette allocation a été exceptionnellement majorée de 100 euros par enfant pour aider les familles à faire face aux dépenses de rentrée et contribuer à la relance de la consommation. 28 % des ménages en situation de pauvreté monétaire sont bénéficiaires de l’allocation de rentrée scolaire, et 38 % des bénéficiaires de cette allocation vivent sous le seuil de pauvreté monétaire d’après l’enquête Revenus de l’INSEE ;

– la mise en place de tickets des restaurants universitaires à 1 euro pour les élèves boursiers (57 millions) ;

– un soutien exceptionnel aux personnes en grande précarité au titre de l’hébergement d’urgence (100 millions d’euros) ;

– un plan de soutien aux associations de lutte contre la pauvreté (100 millions d’euros).

Plusieurs associations ont regretté la faible proportion des crédits du plan de relance consacrés à la lutte contre la pauvreté. Dans son rapport d’évaluation précité, M. Benoît Cœuré évoque ce débat dans les termes suivants : « Même si le plan de relance ne propose pas comme objectif prioritaire de lutter contre la pauvreté – objectif poursuivi par d’autres vecteurs –, plusieurs économistes remettent en cause ce point. Sterdyniak (2020) insiste fortement sur le manque d’ambition du volet Cohésion du plan de relance. D’après lui et même si le levier privilégié par le Gouvernement pour diminuer la pauvreté et les inégalités est l’insertion de chacun dans l’emploi (voir le plan " 1 jeune 1 solution "), la cohésion est entendue dans un sens trop large. Sur les 36 milliards annoncés, seuls 800 millions d’euros sont consacrés à l’aide aux plus pauvres. Il regrette l’absence de revalorisation des minima sociaux et des salaires des plus précaires ainsi que le manque de programmes d’embauche, de titularisation et de revalorisation des emplois dans le secteur public. Thomas Piketty partage également cet avis et propose d’augmenter les salaires dans la fonction publique, dans la santé, l’éducation et la recherche. Rexecode (2020) reconnaît que le soutien aux plus démunis fait un peu figure d’absent dans le plan de relance mais favoriserait des transferts exceptionnels plutôt qu’une augmentation générale des minima sociaux ».

On peut toutefois observer que le plan de relance n’a pas mis un terme aux programmes de lutte contre la pauvreté et qu’il faut mesurer l’effort en prenant en compte l’ensemble des décisions intervenues avant et après.

3.   Les mesures nouvelles pour lutter contre la bascule dans la pauvreté annoncées le 24 octobre 2020

Afin de prévenir et lutter contre la bascule dans la pauvreté au pic de la crise sanitaire, le Premier ministre annonce en octobre 2020 un nouveau plan de 19 mesures pour un montant de 1,9 milliard d’euros.

Il s’agit prioritairement de soutenir financièrement les personnes précaires et modestes par :

– le versement d’une aide de solidarité de 150 euros aux bénéficiaires du RSA et de l’ASS et d’une aide de 100 euros par enfant aux personnes touchant le RSA, l’ASS et les aides personnalisées au logement – APL – (4 millions de foyers concernés pour un montant estimé de 916 millions d’euros) sur le modèle de celle versée le 15 mai 2020 ; sur l’année 2020, une famille au RSA de 3 enfants aura donc bénéficié d’une aide directe de 1 200 euros ;

– le versement d’une aide de 150 euros aux 560 000 jeunes de moins de 25 ans non étudiants touchant les allocations logement et aux 740 000 étudiants boursiers (1,3 million de jeunes concernés pour un montant estimé de 195 millions d’euros) qui s’ajoute à celle de 200 euros versée en juin 2020 à 800 000 jeunes en difficulté (160 millions d’euros) ;

– l’envoi de masques lavables gratuits à 9 millions de personnes précaires bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire et de l’aide médicale de l’État et de masques jetables aux personnes sans–abri (138 millions d’euros) ;

– la prolongation de l’aide de 150 euros versée par Action Logement pour prévenir les impayés de loyer (86 millions d’euros) ;

– la création d’équipes mobiles de visite à domicile des personnes menacées d’expulsion (81 millions d’euros).

Ce plan accentue par ailleurs le développement des solutions d’insertion par l’activité économique et propose quelques mesures pour renforcer l’accès à l’hébergement et au logement de populations particulièrement fragiles.

B.   CES MESURES ONT PERMIS DE LIMITER LES EFFETS DE LA CRISE

1.   L’explosion redoutée de la pauvreté semble avoir été contenue

a.   La stabilité du taux de pauvreté monétaire

En novembre 2021, l’INSEE ([58]) a créé un effet de surprise en annonçant la stabilité du taux de pauvreté monétaire en France en 2020 par rapport à 2019. Le taux de pauvreté monétaire s’établit en 2020 à 14,6 % de la population (9,3 millions de personnes) à l’égal du chiffre de 2019.

Indicateurs de pauvretÉ MONÉTAIRE

Champ : France métropolitaine, personnes vivant dans un ménage dont le revenu déclaré est positif ou nul et dont la personne de référence n’est pas étudiante.

Sources : Enquête Revenus fiscaux et sociaux de 2015 à 2019, INSEE-DGFiP-CNAF-CNAV-CCMSA

Dans la même note, l’INSEE établit une relation de causalité entre cette stabilité de la pauvreté monétaire et les mesures exceptionnelles mises en place pour lutter contre les effets de la crise sanitaire. Les aides exceptionnelles en direction des ménages modestes parce qu’elles sont très ciblées sur les personnes aux plus faibles revenus (près des 2/3 des 10 % les plus pauvres à hauteur de 2,3 % de leur niveau de vie), diminueraient le taux de pauvreté monétaire de 0,5 % par rapport à une situation où elles n’auraient pas été versées.

Répartition des masses de prestations versées en 2020 par décile de niveau de vie

Champ : Ménages ordinaires vivant en France métropolitaine dont le revenu déclaré au Fisc est positif ou nul et dont la personne de référence n’est pas étudiante et a moins de 60 ans.

Sources : INSEE, enquête Revenus fiscaux et sociaux 2018 (actualisée en 2020) : modèle Ines 2020 provisoire, calculs DREES

Les 10 % des ménages les plus pauvres ont en effet bénéficié de 36 % des aides exceptionnelles de 2020.

Dans un commentaire ([59]) accompagnant la publication du taux de pauvreté monétaire de l’année 2020 et destiné à expliquer l’écart avec les perceptions ou les craintes des associations de lutte contre la pauvreté relayées par la presse, le directeur général de l’INSEE, M. Jean‑Luc Tavernier, a noté que les chiffres définitifs reposant sur les déclarations fiscales paraitraient après le décalage de deux ans nécessaire pour la connaissance de la distribution des revenus, mais que les résultats des micro‑simulations ont rarement été contredits par l’expérience, et jamais inversés.

À partir des informations collectées dans le cadre de l’enquête Revenus fiscaux et sociaux (ERFS) dont le panel est très conséquent (50 000 répondants), la microsimulation consiste à faire vieillir les populations selon les informations dont on dispose (évolution du nombre de personnes en emploi et au chômage, des familles et de leur composition, des différentes catégories de revenus, des agrégats à la disposition de l’administration fiscale, des salaires…). Ce traitement a été un peu plus délicat que d’habitude car l’année 2020 a connu des chocs importants très hétérogènes selon les catégories. Il a également fallu simuler le dispositif d’activité partielle, les baisses d’heures travaillées, les traduire en baisse de salaires et ensuite imputer l’indemnisation de l’activité partielle.

Il faut également noter que les indicateurs monétaires établis à partir de l’enquête Revenus fiscaux et sociaux reposent sur un champ large mais partiel : les ménages ordinaires de France métropolitaine, dont le revenu déclaré à l’administration fiscale est positif ou nul et dont la personne de référence n’est pas étudiante.

Ce champ est très large car il couvre au moins 95 % des ménages. Néanmoins, il reste partiel. Tout d’abord, il ne comprend que les populations de la France métropolitaine. Ensuite, l’INSEE se fonde sur la notion de ménages ordinaires non étudiants. Sont donc exclues les personnes sans‑abri, les personnes en habitat mobile et les personnes vivant en communauté (foyers, maisons de retraite ou résidences universitaires). L’INSEE fait également le choix d’exclure les ménages au sein desquels la personne de référence est étudiante. Cela s’explique par le fait qu’il est très difficile d’estimer le revenu des étudiants, en raison du manque d’informations sur les transferts intrafamiliaux. Les estimations portant sur l’intégralité des ces populations invisibles (voir infra) ont pour effet d’augmenter de l’ordre de 800 000 personnes le nombre de pauvres.

La crise sanitaire a par ailleurs drastiquement limité les petits boulots étudiants et les activités produisant des revenus informels comme la restauration ou les petits services à domicile. Le directeur général de l’INSEE y voit un léger risque de minoration des baisses de revenu.

Les données issues de la Banque postale (la proportion des comptes à découvert a été plus faible en 2020 qu’en 2019) et des commissions de surendettement des ménages n’indiquent toutefois pas non plus de dégradation importante.

Ainsi, l’explosion de la pauvreté a été évitée, mais les évaluations statistiques prennent mal en compte les populations les plus précaires et les plus touchées par la crise. Il est possible que la crise sanitaire ait eu un effet plus marqué pour une partie des personnes les plus fragiles, mal captées par l’enquête Revenus fiscaux et sociaux, comme pourraient le suggérer la hausse prononcée des volumes d’aide alimentaire distribués en 2020 ou l’envolée des demandes d’aide spécifique ponctuelle pour les étudiants.

Pour l’INSEE, la stabilité du taux global de pauvreté monétaire en 2020 serait compatible avec l’aggravation de certaines situations de pauvreté touchant certaines catégories de la population ou certains territoires plutôt qu’elle ne dissimulerait le basculement d’une partie importante de la population dans la précarité.

S’agissant de l’écart entre les perceptions exprimées et les estimations statistiques, le directeur général de l’INSEE n’écarte pas l’existence « d’un biais dans la perception de la situation sociale de 2020. Dans l’enquête mensuelle de conjoncture auprès des ménages que mène l’INSEE depuis des décennies, les points de mars, avril, mai 2020 décrivent un phénomène inédit dans son ampleur : les soldes d’opinion sur le niveau de vie général en France s’effondrent tandis que les soldes d’opinion sur la situation personnelle des enquêtés ne sont que très peu et très transitoirement affectés. La crise est dans tous les esprits mais pas dans tous les comptes bancaires ».

Il faut enfin relever que le taux de pauvreté monétaire ne suffit pas à lui seul à caractériser le phénomène de la pauvreté. Tout d’abord il ne s’attache qu’aux ressources et non au solde entre les ressources et les dépenses, ce qui peut entraîner des biais d’analyse sur l’évolution de l’indicateur : on estime ainsi qu’une grande part de la croissance de la pauvreté monétaire constatée en 2018 (14,8 % contre 14,1 % en 2017) est imputable à la baisse des allocations logement, alors qu’elle a été partiellement compensée par une réduction de loyers sociaux pour les ménages les plus défavorisés.

Plus fondamentalement cet indicateur ne permet pas de caractériser les difficultés concrètes de la vie quotidienne et c’est la raison pour laquelle il est complété par un indicateur de privation matérielle et sociale.

La privation matérielle et sociale mesure conventionnellement la proportion de personnes qui déclarent au moins 5 restrictions matérielles parmi une liste de 13.

En 2019, 13 % de la population est en situation de privation matérielle et sociale en France métropolitaine. En 2014, première année disponible, cet indicateur était au plus haut (13,6 %). Après un point bas en 2017, il est reparti à la hausse. Indicateur composite, il prend en compte des difficultés qui sont plus ou moins répandues dans la population.

En 2019, la difficulté la plus fréquemment rencontrée est de ne pas pouvoir faire face à une dépense inattendue d’un montant de l’ordre du seuil de pauvreté mensuel, soit environ 1 000 euros : elle concerne un tiers des personnes. Viennent ensuite le fait de ne pas pouvoir remplacer des meubles hors d’usage puis celui ne pas pouvoir s’offrir une semaine de vacances hors de son domicile, difficultés rencontrées par un quart des personnes. À l’inverse, seulement 2 % de la population déclarent ne pas pouvoir payer un accès à Internet.

part de personnes déclarant subir une privation en 2019

(en %)

Champ : France métropolitaine, population résidant en ménage ordinaire.

Source : Enquête Statistiques sur les ressources et les conditions de vie (SRCV), INSEE, 2019

Selon le directeur général de l’INSEE, « l’analyse de la pauvreté ne peut se réduire à celle de la pauvreté au sens monétaire. Les travaux menés avec le monde associatif ont assez montré que la pauvreté était multifactorielle. Dans son enquête annuelle sur les conditions de vie, l’INSEE interroge depuis longtemps les ménages sur les éventuelles privations qu’ils subissent, sur l’appréciation de leur bienêtre, de leur santé, des liens sociaux, et désormais des difficultés qu’ils peuvent avoir dans leur rapport aux administrations. À partir de cette enquête, l’INSEE a procédé à des analyses assez structurelles qui montrent que les phénomènes de pauvreté monétaire et de pauvreté en conditions de vie ne se recoupent pas : plus de la moitié des pauvres de par leur revenu ne se déclarent pas en situation de privation matérielle et sociale de par leurs conditions de vie ; à l’inverse, plus de la moitié de ceux en privation matérielle ne sont pas pauvres si on compare leurs revenus au seuil de pauvreté. Les résultats de l’enquête SRCV de 2021 sur la pauvreté en conditions de vie seront disponibles au printemps 2022, et permettront d’aller plus loin dans l’analyse de la pauvreté post Covid ».

b.   Le nombre d’allocataires de minima sociaux a retrouvé son niveau d’avant‑crise

Depuis décembre 2020, la DREES publie chaque mois un tableau de suivi des prestations de solidarité réalisé avec le concours des organismes gestionnaires de ces prestations. Elle a publié une analyse circonstanciée de l’impact de la crise sanitaire sur les effectifs des prestations sociales non contributives (hors prestations familiales) dans son rapport « Minima sociaux et prestations sociales » paru le 21 septembre 2021, que l’on peut résumer comme suit.

Évolution du nombre de foyers bénéficiaires du RSA

(en milliers)

Champ : CAF, France entière.

Source : CNAF – DSER (fichiers Allstat FR2)

Alors que le nombre d’allocataires du RSA était resté proche de 1,9 million de janvier 2017 à février 2020 ([60]), la croissance en glissement annuel des effectifs a augmenté en mars 2020, du fait de la détérioration de la situation économique, jusqu’en août, où elle a atteint son maximum (+ 8,6 %).

Selon la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), sans la crise sanitaire (situation contrefactuelle), le nombre d’allocataires du RSA serait resté quasiment stable pendant les trois premiers trimestres de l’année 2020. Pour elle, la hausse des effectifs entre mars et mai s’explique d’abord par les mesures de maintien de droits, et entre mai et septembre, en premier lieu par le faible nombre de sorties du RSA, principalement celles liées à une amélioration des ressources, puis par l’importance des entrées d’allocataires l’ayant déjà été dans le passé. En revanche, les entrées dans le RSA de nouveaux allocataires (allocataires pour la première fois) sont comparables à la situation contrefactuelle entre mars et septembre 2020.

La croissance du nombre d’allocataires du RSA est moindre en octobre et novembre, essentiellement liée à un facteur saisonnier. Pour la première fois depuis le début de la crise sanitaire, le nombre d’allocataires a diminué en décembre. En dépit de cette baisse, fin décembre 2020, 2,06 millions de foyers bénéficient du RSA, soit une augmentation de 7,4 % en un an.

À partir de fin 2020, le nombre de bénéficiaires du RSA diminue et au printemps 2021, le nombre d’allocataires du RSA redevient quasiment celui d’avant‑crise. Selon la CNAF, cette baisse des effectifs s’explique par la diminution du nombre d’ouvertures de droit au RSA (entrées) associée à des flux de sortie du RSA toujours élevés. On constate un rebond en juillet 2021 du nombre d’allocataires du RSA ainsi que de ceux de l’ASS ([61]), il semblerait toutefois que cela soit dû à un arrêt des prolongations de l’assurance chômage à cette même période, provoquant un report de ces allocataires vers le RSA.

Fin novembre 2021, le nombre d’allocataires du RSA est passé sous la barre des 1,930 million, en baisse de 7 % en glissement annuel.

La crise sanitaire a par ailleurs arrêté la baisse continue du nombre d’allocataires de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) amorcée en 2015. Les effectifs se sont dans un premier temps stabilisés lors du premier confinement, en raison notamment des mesures exceptionnelles de prolongation de durée d’indemnisation prises par le Gouvernement, qui ont schématiquement supprimé les entrées et sorties du dispositif. Puis les effectifs ont fortement augmenté de mai à septembre (+ 11,2 %).

Cette forte hausse résulte en partie de la dégradation du marché du travail. Elle résulte aussi de facteurs règlementaires, certains liés à la crise, d’autres non : une partie des demandeurs d’emploi ayant épuisé leurs droits à l’assurance chômage lors du premier confinement et bénéficié de la mesure de prolongation ont cessé de percevoir leur indemnité à partir de juin et sont entrés dans l’ASS ; par ailleurs, l’augmentation depuis le 1er novembre 2019 de la durée de travail requise pour recharger ses droits à l’indemnisation a pu également contribuer à une hausse des entrées.

D’octobre à décembre, les effectifs ont de nouveau diminué, notamment sous l’effet de nouvelles mesures de prolongation des droits, pour atteindre 354 700 personnes fin décembre 2020. Ils diminuent de nouveau début 2021 et atteignent même fin février un niveau inférieur à celui d’avant la crise. Fin novembre 2021, ils s’établissent à 341 000, en baisse de 9,4 % en glissement annuel.

Concernant l’allocation aux adultes handicapés (AAH), il est difficile de mesurer l’effet de la crise sanitaire sur l’évolution des effectifs pour deux raisons. Elle est moins liée à l’activité économique que celle du RSA et de l’ASS et les facteurs sous‑jacents à la croissance tendancielle des effectifs de l’AAH sont en majorité encore inexpliqués. En hausse depuis la création de la prestation, les effectifs ont continué d’augmenter en 2020 mais de manière moins soutenue que les années précédentes (+ 1,3 % en 2020 avec 1,238 million d’allocataires).

La crise sanitaire a, en 2020, orienté à la hausse le nombre de foyers allocataires d’une aide au logement. Alors que le taux de croissance en glissement annuel était négatif chaque mois depuis octobre 2018 (compris entre – 1,3 % et – 0,4 %), signe d’une lente baisse des effectifs, il est nul en avril 2020 (+ 0,1 %) et redevient positif en mai (+ 0,5 %). Depuis, il a augmenté continuellement pour atteindre + 2 % en décembre. Les effectifs de décembre 2020 sont ainsi les plus élevés de la période 2017‑2020. Fin décembre 2020, avant la mise en place au 1er janvier 2021 de la réforme de la « contemporanéisation » des ressources prises en compte pour calculer les aides au logement, 6,67 millions de foyers perçoivent une aide au logement. Fin novembre 2021, les allocataires sont redescendus à 5,839 millions, en baisse de 9,9 % en glissement annuel.

Les effectifs de la prime d’activité ont également été touchés par la crise sanitaire. Ils ont légèrement augmenté durant le premier confinement (+ 1,4 % entre février et mai 2020). Selon la CNAF, le nombre d’allocataires durant cette période est supérieur à celui qu’il aurait été sans la crise sanitaire (situation contrefactuelle). Cela s’explique par une baisse des ressources liée au recours massif des entreprises au chômage partiel, qui aurait induit un accroissement du nombre de salariés devenant éligibles à la prime. Puis les effectifs ont diminué à l’issue du premier confinement (– 3,4 % entre juin et août 2020). Cette évolution s’expliquerait, dans des proportions comparables, par la hausse des sorties de la prime d’activité avec l’éviction de foyers allocataires ne remplissant plus les conditions d’activité (qui ont pu alors, pour partie, basculer vers le RSA ou vers l’assurance chômage) et par la baisse des entrées liée à un marché de l’emploi déprimé.

Les effectifs sont repartis à la hausse entre août et décembre (+ 4,2 %) dépassant alors légèrement leur niveau d’avant la crise (4,578 millions d’allocataires). En l’absence de crise sanitaire, les effectifs de la prime d’activité auraient dû augmenter plus nettement en 2020. Les effectifs sont relativement stables fin novembre 2021, à 4,566 millions, en hausse de 0,5 % en glissement annuel.

c.   Les impayés de loyer n’ont pas augmenté

Cela résulte tant des observations de la Fondation Abbé Pierre que de l’Observatoire des impayés de loyers mis en place par la ministre déléguée chargée du logement.

En juillet 2021, les données de l’Observatoire ne signalaient pas d’augmentation des impayés de loyer, mais une diminution du nombre d’allocataires CAF en situation d’impayés.

Les agences départementales d’information sur le logement (ADIL) ont également signalé moins de consultations après le pic constaté en juin 2020 (plus de 6 000).

Le rapport du Secours catholique sur l’état de la pauvreté en France, paru fin 2021, rappelle également que la part des impayés n’a pas augmenté, mais relève que le montant moyen des impayés a augmenté plus vite que le niveau de vie (777 euros en 2020 contre 756 euros en 2019).

Cependant, les associations ont fait état de leur inquiétude sur la précarisation des ménages à moyen et long terme. Un guide a été publié par le Gouvernement en juillet 2021, en lien avec l’Agence nationale pour l’information sur le logement (ANIL), visant à lutter contre le non‑recours en informant les ménages sur les aides existantes proposées par les collectivités territoriales comme les Fonds de solidarité pour le logement (FSL), la Caisse d’allocations familiales (CAF), la Mutualité sociale agricole (MSA), les associations comme Action Logement, les bailleurs sociaux ou des associations comme la Fondation Abbé Pierre ou Emmaüs.

Des équipes mobiles de prévention ont été créées dans 26 territoires pour aller vers les ménages inconnus des services sociaux et les aider dans la gestion de leurs impayés de loyer.

En parallèle, un fonds d’aide aux impayés a été créé pour abonder de 30 millions d’euros les Fonds de solidarité pour le logement (FSL) gérés par les conseils départementaux et les métropoles. À ce jour, près de 50 collectivités ont déjà fait part de leur volonté de s’engager avec l’État et de signer une convention pour abonder leur FSL.

Mme Emmanuelle Wargon, ministre chargée du logement, a insisté sur la nécessité de poursuivre les actions de prévention, ainsi que sur le strict respect de l’instruction du 28 avril 2021, qui demande aux préfets d’échelonner les expulsions, de maintenir autant que possible les locataires, notamment dans les plus vulnérables, dans leur logement, en indemnisant les propriétaires, et de conditionner les expulsions à une proposition de relogement ou d’hébergement. Toutefois, selon la fondation Abbé Pierre « l’instruction interministérielle du 28 avril 2021 enjoignant les préfets à ne pas exécuter une décision d’expulsion sans solution d’hébergement n’a été que très partiellement respectée, voire ignorée, sur les territoires les plus touchés où l’expulsion sèche est la norme plus que l’exception ». ([62])

S’il n’y a pas eu d’augmentation massive des expulsions locatives au 1er avril 2021 (8 156 expulsions ont été réalisées en 2020, 12 000 en 2021, contre 17 000 en 2019) notamment du fait des mesures préventives prises par le Gouvernement, le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre alerte également sur le risque que « le stock accumulé de décisions de justice d’expulsion soit exécuté par les préfectures après le relatif sursis accordé ces deux dernières années. On pourrait alors s’attendre à près de 30 000 demandes d’expulsion en 2022. » 

En outre, les expulsions des lieux de vie informels ont enregistré des chiffres records en 2020 malgré le contexte de crise sanitaire. D’après l’Observatoire des expulsions collectives des lieux de vie informels, constitué d’associations,1 330 lieux de vie informels ont été fermés du 1er novembre 2020 au 31 octobre 2021 contre 1 079 l’année dernière sur la même période. Les villes du Calaisis (Calais, Marck, Coquelles) et de Grande Synthe sont surreprésentées par la fréquence des expulsions, ces territoires représentant à eux seuls 77 % des expulsions signalées pour l’ensemble du territoire métropolitain, soit 1 024 expulsions. Les lieux de vie sont expulsés et réoccupés de manière cyclique, certains lieux ont ainsi été expulsés des centaines de fois au cours de cette année.

Dans une moindre mesure, la Gironde (95 expulsions en 2021) et l’Île‑de‑France ont été particulièrement touchées par les expulsions de lieux de vie informels : 86 expulsions y ont été observées en Île‑de‑France, en particulier dans les départements de Seine‑Saint‑Denis et d’Essonne. En dehors des villes du Calaisis et de Grande Synthe, la Gironde et l’Île‑de‑France représentent respectivement 31 % et 28 % des expulsions.

2.   L’emploi des jeunes s’est redressé après le creux observé en 2020

a.   Un taux d’emploi des jeunes en croissance en 2021

Durant la crise, la situation des jeunes sur le marché de l’emploi s’est davantage dégradée que les autres.

Une étude de la DARES ([63]) consacrée à l’évolution de la situation des jeunes sur le marché du travail en 2020 constate que le premier confinement a particulièrement affecté le taux d’embauche des jeunes. En effet, en avril 2020, les déclarations préalables à l’embauche des moins de 30 ans chutent de 77 % sur un an, contre 71 % pour les plus de 30 ans. Toutefois, dès juin 2020, les embauches retrouvent peu à peu leur niveau d’avant‑crise. Elles se dégradent à nouveau au moment du deuxième confinement mais de façon nettement moins importante (– 27 % entre décembre 2019 et décembre 2020 pour les moins de 30 ans contre – 23 % pour les plus de 30 ans).

DÉCLARATIONS PRÉALABLES À L’EMBAUCHE EN CDI OU CDD D’AU MOINS UN MOIS DES MOINS DE 30 ANS

Lecture : En juillet 2021, le nombre de déclarations préalables à l’embauche (DPAE) en CDI et CDD de plus d’un mois pour les moins de 30 ans est de 553 000, inférieur à 5 % à celui de septembre 2019.

Champ : DPAE en CDI et CDD de plus d’un mois.

Source : DPAE (Acoss) – calculs DARES

Le taux d’emploi des 16‑29 ans diminue également de 3,8 points entre les les deuxièmes trimestres 2019 et 2020 (contre – 0,2 point pour les plus de 30 ans). Aussi, le nombre d’inscrits à Pôle emploi a augmenté de 35,7 % entre avril 2019 et avril 2020 et, en décembre 2020, de 10,1 % sur un an contre + 8,2 % pour les plus de 30 ans. Cette dégradation de la situation des jeunes sur le marché du travail est un phénomène structurel constaté lors de tout ralentissement économique, dû au fait de la précarité des emplois occupés. Mais, comme le taux d’embauche, le taux d’emploi des 1629 ans se redresse dès le quatrième trimestre 2020 pour atteindre 47 %, soit un niveau proche de celui d’avantcrise.

S’agissant de la catégorie plus étroite des 15‑24 ans, le constat est le même puisque le taux d’emploi de fin 2021 (32,8 % au troisième trimestre) retrouve un niveau jamais connu depuis 2010. Le chômage des jeunes de 15‑24 ans se situe en 2021 légèrement en dessous du niveau d’avant la crise sanitaire : 19,8 % contre 20 % au dernier trimestre 2019.

Les différentes politiques de l’emploi mises en œuvre, comme l’aide à l’embauche des jeunes ou l’aide à l’apprentissage, ont permis de limiter la baisse du taux d’emploi des jeunes.

Taux d’emploi parmi les 1564 ans et les 1524 ans (en %)

Note : Données CVS en moyenne trimestrielle.

Champ : France hors Mayotte, personnes vivant en logements ordinaires, de 15 ans ou plus.

Source : Enquête Emploi, INSEE

b.   Une proportion de jeunes ni en emploi ni en formation en forte baisse

De même, la part des jeunes de 15 à 29 ans qui ne sont ni en emploi ni en formation (NEET) a atteint un pic à 15,2 % à la mi2020 pour ensuite continûment redescendre. En septembre 2021 (dernière date connue), cette proportion s’établit à 11,6 %, à son plus bas niveau depuis le quatrième trimestre 2008. Appliqué à une population de 11,87 millions de jeunes de 15 à 29 ans au 1er janvier 2022, ce taux conduit à une estimation du nombre de NEET de l’ordre de 1,38 million.

Part des jeunes de 15 à 29 ans qui ne sont ni en emploi ni en formation (NEET)

Champ : France hors Mayotte, personnes de 15 à 29 ans vivant en logement ordinaire.

Source : Enquête Emploi, INSEEla necessité de réponses durables, d’UN effort financier soutenu et de réformes structurelles


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III.   LA NÉCESSITÉ DE RÉPONSES DURABLES, D’UN EFFORT FINANCIER SOUTENU ET DE RÉFORMES STRUCTURELLES

Les indicateurs plutôt positifs ne doivent pas laisser penser que la situation est pleinement satisfaisante.

L’ensemble des associations auditionnées, si elles reconnaissent l’efficacité de ces mesures conjoncturelles, regrettent qu’elles n’aient été que ponctuelles et insistent sur le besoin de réformes structurelles. M. Pascal Brice, président de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) a bien résumé cette position : « l’impression que le point culminant de la crise est passé, que l’explosion redoutée de la pauvreté n’a pas eu lieu et que la reprise économique seule va être la solution à la pauvreté, sans mise en œuvre de politiques publiques structurantes, serait l’expression d’une forme de soulagement coupable des pouvoirs publics. De fait, on constate plutôt un enracinement de la pauvreté qui se constate chez les jeunes, les chômeurs de longue durée, les femmes, et dans certains territoires, aussi bien en milieu urbain que rural ».

Les rapporteures partagent cette position et souhaiteraient évoquer des points de vigilance ainsi que certaines réformes à mettre en place pour y répondre.

A.   LA VIGILANCE RESTE DE MISE EN SORTIE DE CRISE

1.   De nombreuses personnes demeurent à l’écart des politiques de lutte contre la pauvreté

La crise sanitaire a servi de révélateur des manques et des insuffisances des politiques de lutte contre la pauvreté.

a.   Les invisibles de la statistique publique

Le cinquième collège du CNLE, qui regroupe des citoyens en situation de pauvreté, évoque les « invisibles ». Il s’agit principalement dans son esprit des demandeurs d’asile, des étrangers en situation irrégulière présents sur le territoire depuis moins de cinq ans, des sortants de prison, des prostituées, des jeunes majeurs sortis de l’aide sociale à l’enfance (ASE), des toxicomanes, ou des sans‑abris.

De son côté, l’INSEE mesure la pauvreté monétaire à partir des données relatives aux ménages disposant d’un domicile et dont la personne référente n’est pas étudiante.

Ceci exclut les personnes sans domicile, que l’INSEE ne connaît que par une enquête qui remonte à 2012. À cette date, cette population était estimée à 143 000 personnes dont 38 % dormaient dans des centres d’hébergement, 33 % étaient hébergées dans un logement procuré par une association ou un organisme d’aide, 20 % en hôtel et 9 % sans‑abri.

Il est évident que ces chiffres sont obsolètes ce que dénoncent légitimement les associations. Dans son rapport annuel sur le mal logement en date du 2 février 2022, la Fondation Abbé Pierre évoque une estimation de 300 000 personnes issue des travaux de la Cour des comptes, ce qui représenterait une croissance de 10 % chaque année depuis 2012, pour partie explicable par la hausse des migrations internationales.

Les efforts récurrents de dénombrement accompagnés par certaines communes, et, plus récemment, par l’État lors de la Nuit nationale de la solidarité le 20 janvier 2022, ne peuvent pallier les carences de la statistique publique. Interrogés sur ce point, les représentants de l’INSEE ont répondu que ces études étaient complexes et coûteuses mais qu’elles permettaient de chiffrer et aussi de connaître les profils et les parcours des personnes sans domicile. Ils ont ajouté que l’INSEE était en train de rechercher les financements pour conduire une enquête prévue pour 2025 et dont le champ serait étendu aux personnes non francophones et aux centres d’hébergement des demandeurs d’asile.

Les rapporteures considèrent que l’échéance de 2025 est trop lointaine et appellent de leurs vœux une enquête relative aux personnes sans domicile dès 2022.

Proposition n° 2 :

Lancer dès 2022 une enquête statistique nationale (INSEE) relative aux personnes sans domicile afin d’actualiser des données remontant à 2012.

La mesure de la pauvreté monétaire exclut également les personnes en habitation mobile (108 000), les personnes hébergées en communauté (1,3 million dont 574 000 en EHPAD, 268 000 dans des structures de soins, 101 000 dans des foyers de jeunes travailleurs ou 257 000 dans des gendarmeries ou casernes ou cités universitaires). En réintégrant ces populations dans la base de calcul et en y ajoutant 200 000 étudiants non cohabitants, le nombre de personnes relevant de la pauvreté monétaire augmente de 700 000 personnes pour s’établir autour de 10 millions.

Si l’on prend en compte les départements d’outre-mer (DOM), c’est 200 000 personnes de plus estimées en situation de pauvreté monétaire, soit un total de 900 000 invisibles.

Les immigrés en revanche (10 % de la population) ne relèvent pas de la catégorie des invisibles car ils sont couverts par les dispositifs de la statistique publique et l’enquête Revenus fiscaux et sociaux, à l’exception des immigrés en situation irrégulière et des migrants vivant dans des campements.

Dans l’étude Revenus et patrimoine des ménages, le taux de pauvreté des personnes immigrées est estimé à 31,5 % en 2019 (39,2 % pour ceux nés en Afrique). Ces chiffres s’expliquent pour partie pour des raisons structurelles : ils sont en moyenne plus jeunes, moins diplômés et occupent des emplois moins qualifiés et plus souvent au chômage, ce qui les expose davantage au risque de pauvreté.

b.   La persistance de la grande pauvreté

L’étude Revenu et patrimoine des ménages, publiée en 2021 par l’INSEE, consacre pour la première fois un dossier à la grande pauvreté ce dont les rapporteures se félicitent car leurs auditions ont montré que l’enracinement dans la grande pauvreté est un phénomène constaté par les associations et que les politiques publiques ne parviennent pas à réduire.

La grande pauvreté est définie par le cumul d’un taux de pauvreté monétaire plus sévère (seuil de pauvreté à 50 % du niveau de vie médian soit 930 euros par mois pour une personne seule en 2018) et au moins 7 des 13 privations matérielles et sociales.

L’INSEE a essayé de chiffrer la grande pauvreté au sein des ménages ordinaires mais aussi parmi les personnes vivant à la rue, en communauté, dans les habitations mobiles, dans les DOM ce qui est tout à fait légitime afin de combler les angles morts de la statistique publique.

Cette étude estime qu’en 2018, 1,9 million de personnes sont en situation de grande pauvreté et 170 000 sont susceptibles de l’être.

estimation du nombre de personnes en grande pauvreté en 2018

Parmi ces 1,9 million de personnes correspondant à l’estimation basse, 35 % sont des enfants et 24 % vivent dans les DOM dont 10 % à Mayotte.

Un tiers des adultes en grande pauvreté est en emploi dont une grande part d’ouvriers et de personnes travaillant à temps partiel.

La grande pauvreté est souvent durable. Sur huit personnes en grande pauvreté, seule une ne subit plus ni pauvreté monétaire, ni privation matérielle et sociale trois ans plus tard, cinq subissent l’une ou l’autre et eux demeurent en situation de grande pauvreté.

Parmi les 13 privations de l’indicateur de pauvreté, les personnes en grande pauvreté en déclarent en moyenne 8,8 soit plus de sept fois plus que les personnes non pauvres (1,2 privation).

fréquence des privations selon les situations de pauvreté

Lecture : en 2018, 81,1 % des personnes en situation de grande pauvreté déclarent ne pas pouvoir s’acheter de vêtements neufs, contre 21,2 % des personnes pauvres monétairement et 6 % des nonpauvres.

Champ : France hors Mayotte, individus vivant en logement ordinaire.

Source : Enquête Statistiques sur les ressources et conditions de vie (SRCV), INSEE, 2018

Les prestations sociales représentent la majeure partie du revenu des personnes en grande pauvreté, en moyenne 56 % de leur revenu disponible, et pour 22 % d’entre elles, la totalité de leur revenu. C’est pourquoi les associations insistent tout particulièrement sur la nécessité absolue d’éviter les ruptures de versement des prestations. Ces situations doivent être traitées en priorité car elles placent des familles entières dans une précarité extrême.

Proposition n° 3 :

Faire de la sortie de la grande pauvreté la priorité de la prochaine Stratégie nationale.

2.   Le nécessaire maintien d’un effort financier soutenu

S’il est incontestable que l’adaptation de la politique de lutte contre la pauvreté à la crise sanitaire s’est traduite par un effort financier significatif, il est difficile de l’identifier précisément et plus encore de mesurer son impact sur les populations les plus précaires.

Il est cependant nécessaire de se livrer à cet exercice, ne serait-ce que pour mieux quantifier ce qui relève de l’aide exceptionnelle ou du dispositif pérenne et tirer les premiers enseignements de ces abondements budgétaires afin de mieux répondre aux importants besoins de cette politique publique.

a.   L’impossible suivi budgétaire de la Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté

À l’automne 2021, la délégation interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté (DIPLP) a publié un rapport d’étape au sein duquel le budget de la Stratégie était affiché à un montant de 13,1 milliards d’euros pour l’ensemble de ses 4 annuités (2019‑2022).

Budget de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté

Source : Délégation interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté, octobre 2021

Au moment de son lancement, à l’automne 2018, ce montant était de 8,6 milliards d’euros. Il n’existe pas de matrice de transfert permettant de ventiler précisément cette croissance de 4,5 milliards d’euros (52 %) dont, sans surprise puisque c’est l’année de surgissement de la crise, 3,1 milliards d’euros pour la seule année 2020.

Au vu du tableau de 2021, c’est l’engagement relatif aux droits sociaux qui concentre cette augmentation de crédits et notamment l’accès à la santé qui intègre désormais les mesures issues du Ségur de la santé et la refonte des minima sociaux qui elle intègre la revalorisation de la prime d’activité et surtout les aides exceptionnelles d’urgence.

Le comité d’évaluation de France Stratégie a de son côté fait la liste des mesures susceptibles de se rattacher à la lutte contre la pauvreté, parfois avec une approche assez large. Les rapporteures en ont extrait celles qui leur paraissaient les plus significatives dans le tableau infra.

aides de soutien au revenu mises en place entre mars 2020 et août 2021, montant dépensé et nombre de bénéficiaires effectifs de ces aides

MESURES

MONTANT DÉPENSÉ

NOMBRE DE BÉNÉFICIAIRES

(Réalisé)

(Réalisé)

Aide exceptionnelle 150 €/100 € par enfant à charge (bRSA, bASS enfants bAPL) – mai 2020

830 M€

3,8 millions de foyers

Aide de 200 € versée aux jeunes de moins de 25 ans précaires – juin 2020

155 M€

800 000 jeunes

Aide financière individuelle d’urgence familles précaires

33 M€

83 000 foyers

Revalorisation de l’ARS

(allocation de rentrée scolaire)

520 M€

3 millions de foyers

(dont 5 millions d’enfants)

Aides exceptionnelles 150 €/100 € par enfant à charge (bRSA, bASS enfants bAPL) – novembre 2020

930 M€

4,3 millions de foyers

Chèques d’urgence aide alimentaire

8,7 M€

2 500 000 de chèques

Chèques services personnes sans domicile

50 M€

+ de 90 000 personnes

Aide boursiers 150 € – novembre 2020

111 M€

740 000 jeunes

Prolongation des droits RSA, RSO et ensemble des aides sociales versées sous conditions de ressources par les CAF

Dépenses brutes :

RSA : 110 M€ - PA : 173 M€

Dépenses nettes (estimé) :

entre 50 et 100 M€

Tous les bénéficiaires du RSA dont 173 910 avances

PA : 50 000

Prolongation des droits de l’AAH et AEEH

AAH : 20 M€ brut 14 m€ net

AEEH : N/D

AAH + AEEH (6 mois) : 85 173

AEEH (3 mois) : 7 291

Prolongation des droits à la Contribution santé solidaire‑CSS, CSS participative et Aide médicale d’État

Pour CSS et CSSP : 155 M€

N/D

Source : France Stratégie et rapporteures du CEC

Nonobstant l’impact massif de ces mesures sur la Stratégie, le suivi de l’exécution budgétaire des 35 mesures initiales de 2018 présente de sérieuses lacunes, comme l’a relevé le comité d’évaluation dans son rapport de mars 2021.

S’agissant de l’État, la dispersion des crédits entre cinq programmes budgétaires différents avec toutefois une primauté du programme 304 « Inclusion sociale et protection des personnes » dont le responsable est le directeur général de la cohésion sociale, ne facilite pas les choses. On peut toutefois souhaiter que la DIPLP et la Direction du budget parviennent à consolider les informations financières sur ce périmètre.

Mais la contractualisation de nombreuses actions avec les collectivités territoriales (pour 9 % du budget, soit 735 millions d’euros pour 2019‑2022), certains organismes sociaux comme la CNAF, ou de grandes associations, rend l’exercice à ce jour impossible pour la DIPLP sur l’ensemble du champ de la Stratégie.

Il en va de même pour la mesure de la performance et le suivi des indicateurs reflétant la mise en œuvre des mesures de la Stratégie.

Dès le lancement de la Stratégie, on ne disposait d’aucun indicateur pour six des dix mesures en matière de petite enfance et d’éducation, pour deux des cinq mesures en matière de santé et pour deux des trois mesures logement. Une partie seulement des indicateurs sont ou seront disponibles pour quatre des dix mesures en matière d’accompagnement, de formation et d’emploi et pour cinq des sept mesures en matière de droits sociaux selon le rapport du comité d’évaluation de mars 2021.

Lorsqu’il existe des indicateurs, la collecte des données pour les renseigner est parfois difficile voire impossible, pour les mêmes raisons que pour l’information financière. Chaque département dispose de son propre système d’information dont les progiciels ne prévoient pas les indicateurs de la Stratégie et qui n’est pas interopérable avec ceux des CAF, de Pôle emploi ou des associations d’insertion. Ceci explique que la DIPLP ne parvienne pas à tenir des tableaux de bord complets et à jour.

À ce stade, l’évaluation des mesures repose beaucoup sur des études ad hoc entreprises par les différents partenaires de la Stratégie comme l’étude sur les modalités d’accompagnement des jeunes sortant de l’ASE de 16 à 21 ans réalisée par la Direction générale de la cohésions sociale (DGCS) ou l’évaluation par Pôle emploi de l’efficacité de l’accompagnement global de certains chômeurs particulièrement fragilisés.

De ce fait, l’étude de l’impact des mesures de la stratégie reste à faire, d’autant que la crise a perturbé le déroulement de certaines d’entre elles. À ce jour le comité d’évaluation n’a pu identifier, grâce à l’aide de l’INSEE que l’effet de la revalorisation de la prime d’activité sur la pauvreté monétaire (0,7 % sur le taux de 2019) pour les personnes percevant des revenus d’activité supérieurs à 50 % du Smic mensuel.

b.   Les enseignements de l’évolution de l’agrégat pauvreté‑exclusion sociale

Dans l’édition 2021 des comptes de la protection sociale présentée par la DREES, l’analyse du risque pauvreté‑exclusion sociale produit les informations financières les plus stabilisées pour l’année 2020.

Les prestations du risque pauvretéexclusion sociale se sont élevées à 32,1 milliards d’euros en 2020, soit 4 % du total des prestations sociales et 1,4 % du PIB. Elles ont fortement progressé en 2019 (+ 18,8 %) et en 2020 (+ 12 %), en raison de la revalorisation exceptionnelle de la prime d’activité en 2019 et du versement de l’aide exceptionnelle de solidarité en 2020.

les prestations du risque pauvreté‑exclusion sociale entre 2018 et 2020

Lecture : En 2020, les prestations du risque pauvretéexclusion sociale augmentent de 12 %. Compte tenu de son poids dans ce risque (38 %) et de sa hausse de 6,4 %, le RSA contribue à hauteur de 2,6 points de pourcentage à la croissance des prestations du risque pauvretéexclusion sociale.

Source : DREES, CPS

La hausse s’explique majoritairement par l’aide exceptionnelle de solidarité, mise en place en 2020 en raison de la crise sanitaire et à destination des familles les plus modestes. Elle a été versée aux bénéficiaires de certains minima sociaux et aux travailleurs de moins de 25 ans percevant l’APL respectivement en mai et juin 2020, puis à nouveau en novembre 2020. Son montant total est de 2 milliards d’euros.

Le revenu de solidarité active (RSA) accélère nettement en 2020 (+ 6,4 %, après + 1,6 % en 2019), essentiellement sous l’effet d’une forte hausse des bénéficiaires (+ 5,7 % en 2020, après + 0,6 %) et dans une moindre mesure d’une revalorisation de 1,1 % (après 1,5 %). Cette hausse s’explique davantage par de moindres sorties du dispositif, en raison de la situation économique dégradée et de la baisse d’activité à la suite du confinement de mars 2020, qu’à de fortes entrées.

La prime d’activité est en hausse de 5,1 % par rapport à 2019 du fait du nombre de ses bénéficiaires (+ 4,6 %). Les montants versés avaient déjà bondi en 2019 (+ 71 %), dans le cadre des mesures d’urgence économiques et sociales (MUES) votées fin 2018 au titre des réponses à la crise des Gilets jaunes. La prime d’activité avait alors été fortement revalorisée (via la partie bonification individuelle), et le nombre de ses bénéficiaires avait augmenté du fait de l’élargissement du public éligible et de l’amélioration du taux de recours.

Les autres prestations publiques augmentent de 4,2 % en 2020, après une hausse de 15 % en 2019 due à la forte revalorisation du chèque énergie. Leur croissance est portée en 2020 par une aide exceptionnelle versée par l’Agirc‑Arrco à ses cotisants justifiant d’une situation financière difficile.

Les prestations des centres communaux et intercommunaux d’actions sociale (CCAS‑CIAS) diminuent en 2020 (– 0,9 %, après + 0,1 % en 2019) : la hausse des aides apportées aux populations les plus touchées par la crise n’a pas compensé la diminution de leurs autres activités durant les confinements.

Enfin, les prestations des institutions sans but lucratif au service des ménages (ISBLSM) ont également augmenté en 2020 (+ 4 %, après + 4,5 % en 2019). Les associations ont en effet été fortement mobilisées durant la crise, avec la hausse des places d’hébergement et de l’aide alimentaire.

Entre 2013 et 2020, les prestations financées par l’État ont quasiment triplé, passant de 5 à 14,7 milliards. La prime d’activité, les aides exceptionnelles de solidarité, le chèque énergie, etc. sont en effet financés par l’État et sont les premiers contributeurs aux fortes hausses des prestations du risque pauvreté‑exclusion sociale en 2019 et en 2020. De plus, le RSA de certains départements ultramarins (Guyane et Mayotte depuis 2019, La Réunion depuis 2020) est désormais « recentralisé ». Dans le même temps, et du fait de cette recentralisation sur les départements et régions d’outre‑mer (DROM), les montants de prestations financées par les départements (majoritairement composées du RSA) sont stables, d’un montant total de 13,7 milliards d’euros. L’État devient ainsi le principal financeur des prestations du risque pauvretéexclusion sociale en 2020.

L’approche par risque au titre de la protection sociale permet une mesure fiable de l’effort financier de lutte contre la pauvreté mais assurément minimaliste ne serait‑ce que du fait de l’existence d’autres minima sociaux (AAH ou minimum vieillesse par exemple) qui couvrent d’autres risques (invalidité ou vieillesse) mais dont la suppression basculerait de nombreuses personnes dans la pauvreté.

Au-delà des prestations sociales, il conviendrait également de prendre en compte certains coûts de fonctionnement, comme par exemple la prise en compte des personnes sans domicile au titre de l’hébergement d’urgence et des chèques alimentaires que la Cour des comptes évaluait à 650 millions d’euros dans son rapport public 2021, ou encore les programmes ciblant l’insertion professionnelle des jeunes précaires (1,3 milliard d’euros dans le plan « 1 jeune, 1 solution »).

L’effort financier de lutte contre la pauvreté ne peut se limiter au retour à la situation d’avant la crise sanitaire. L’arrêt des mesures d’urgence constitue un risque pour les publics en difficulté fragilisés par la crise. La nécessité de mesures pérennes est manifeste en matière d’aide alimentaire ou d’hébergement d’urgence. La prise en compte de nouveaux besoins en matière d’accompagnement des chômeurs de longue durée ou de jeunes majeurs désocialisés, de logement, de formation et de revalorisation des rémunérations des travailleurs sociaux, d’accès à la santé, ne peut se faire à budget constant.

L’État a su faire face aux besoins en période de crise, mais vos rapporteures souhaitent qu’il traite également les nouvelles priorités qui s’imposent dans le combat contre l’enracinement de la pauvreté et de la grande pauvreté dans notre société.

3.   La multiplicité des acteurs nécessite une gouvernance plus opérationnelle

La crise sanitaire a eu comme conséquence positive de remettre en cause le fonctionnement habituel en silos des administrations et des organismes sociaux, des collectivités locales ou des associations. Une coopération d’urgence, incluant les entreprises, s’est instaurée sous la houlette de la délégation interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté (DIPLP) et de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) sur le sujet de l’aide alimentaire par exemple.

Toutefois, le pilotage des politiques de lutte contre la pauvreté reste complexe.

a.   Renforcer la visibilité du pilotage national

La DIPLP a la charge de superviser la mise en œuvre des 35 actions de la Stratégie, en relation avec les ministères des solidarités et de la santé, du travail, du logement et de l’éducation nationale ainsi que d’animer la contractualisation avec les départements ou les autres grands partenaires que sont la CNAF, Pôle emploi, ou le secteur associatif, ce qui fait beaucoup pour une équipe de l’ordre de dix personnes.

Cette configuration ne permet pas un suivi très rigoureux de la mise en œuvre de la Stratégie nationale, tant sur le plan budgétaire que sur le plan de l’évaluation de la performance (voir supra).

Elle n’empêche pas non plus la multiplication d’initiatives émanant des ministères et relevant du champ de la lutte contre la pauvreté en dehors du périmètre de la Stratégie.

Par ailleurs, la visibilité d’une telle organisation dans le paysage institutionnel ou médiatique est plus réduite que celle d’une incarnation politique dédiée.

Dans son évaluation de la contractualisation entre l’État et les collectivités territoriales dans le cadre de la Stratégie nationale de lutte contre la pauvreté datant de juillet 2021, l’IGAS fait un constat comparable dans les termes suivants « La mission estime nécessaire de renforcer le caractère interministériel de cette stratégie et d’améliorer la lisibilité de l’action de l’État pour préserver la mobilisation de l’ensemble des acteurs publics et associatifs, très critiques visàvis de la multiplication des appels à projets (AAP) et des appels à manifestation d’intérêt. La relance d’un travail de concertation large, à l’instar de celui mené en 2018, et du Comité interministériel de lutte contre les exclusions, en en confiant le secrétariat à la DIPLP, pourrait permettre de mieux coordonner et de davantage réguler les nombreuses initiatives de l’État, au bénéfice de la cohérence d’ensemble ».

Pour leur part, les rapporteures regrettent la disparition en juillet 2020 du portefeuille ministériel confié à Mme Christelle Dubos, chargée de la mise en place de la Stratégie nationale de la lutte contre la pauvreté et appellent de leurs vœux le rétablissement d’un secrétariat d’État dédié à la lutte contre la pauvreté afin d’assurer un véritable portage politique de cette politique publique de première importance.

Proposition n° 4 :

Rétablir un secrétariat d’État dédié à la lutte contre la pauvreté afin de renforcer la visibilité de cette politique publique de première importance.

S’agissant toujours du paysage institutionnel, le positionnement du conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale semble également problématique.

Le conseil national des politiques de lutte
contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE)

Créé par la loi n° 88‑1088 du 1er décembre 1988 relative au revenu minimum d’insertion (RMI), le CNLE est un organisme placé auprès du Premier ministre, conçu sous la forme d’un comité de suivi et d’évaluation du RMI.

Il est chargé d’animer les réflexions sur la coordination des politiques d’insertion au plan national et local, de proposer ou réaliser toutes études sur les phénomènes de pauvreté et de précarité, et de faire des propositions sur les problèmes posés par la pauvreté. Les mandats successifs du CNLE ont vu ses missions de conseil du Gouvernement précisées. Il peut désormais prendre l’initiative de proposer aux pouvoirs publics des mesures propres à réduire la pauvreté et l’exclusion sociale.

Sa composition a été étendue aux organisations syndicales et aux organismes sociaux nationaux : CNAM, CAF, MSA. En 2013, un collège des associations et un nouveau collège composé de 32 personnes en situation de précarité (cinquième collège) ont été ajoutés. En 2019, le CNLE a absorbé l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale.

Dans sa lettre de mission du 11 janvier 2021, le Premier ministre a précisé que le CNLE « assiste le Gouvernement sur toutes les questions de portée générale qui concernent la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale et regroupe les principaux décideurs et acteurs publics et privés impliqués dans la mise en œuvre de ces politiques ». Il est ainsi chargé d’« enrichir la connaissance qualitative de l’évolution de la pauvreté », notamment par la synthèse des témoignages les plus récents, des organismes au contact des personnes les plus précaires sur les effets de la crise sanitaire et de l’évolution des profils des ménages concernés.

Lors de leur audition, les représentants du CNLE n’ont pas caché leur déception devant la faible reconnaissance de leurs travaux par le Gouvernement, illustrée notamment par le mandat confié à France Stratégie pour l’évaluation de la Stratégie nationale, alors que le CNLE semblait tout désigné pour accomplir cette tâche.

b.   Les ambiguïtés de la contractualisation avec les départements

L’IGAS a parfaitement analysé les ambiguïtés de la contractualisation avec les départements dans son rapport précité dans les termes suivants : « La mission relève une ambiguïté dans les ambitions portées par l’État : les conventions conclues avec les collectivités territoriales relèvent à la fois d’une logique de contrats de moyens, en soutien aux initiatives locales, et d’une logique de contrats de performance, avec des objectifs et des indicateurs définis nationalement. L’ambiguïté réside également dans la volonté de contractualiser avec l’ensemble des collectivités au nom du principe d’égalité ou de réserver ces contrats aux collectivités les plus volontaires. Ces hésitations ont pesé sur les orientations retenues pour la mise en œuvre de ces contrats, qui concentrent aujourd’hui les critiques. Elles trahissent la difficulté pour l’État d’intervenir dans le champ de politiques largement décentralisées.

Le processus administratif et budgétaire mis en place est considéré comme inadapté par la plupart des services déconcentrés de l’État et des collectivités. Parmi les principaux griefs formulés par les collectivités, figurent : le caractère annuel des engagements financiers de l’État, la délégation trop tardive des crédits au regard du calendrier budgétaire des collectivités, l’absence de fongibilité des crédits entre les actions contractualisées, ainsi que le nombre élevé et la complexité des indicateurs. Ce processus est jugé, par certaines d’entre elles, excessivement lourd au regard des bénéfices de la contractualisation, et les conduit à s’interroger sur l’intérêt de se réengager dans un tel dispositif audelà de 2022 si celui-ci était reconduit à l’identique. »

Ce constat a été pleinement partagé par les représentants du conseil départemental du Gers lors de leur audition. Ils ont notamment relevé la disproportion entre la charge administrative représentée par la contractualisation et la modestie des subventions accordées par l’État, qui plus est, trop tard dans l’année pour une bonne gestion des crédits.

L’IGAS a toutefois noté les avantages de ce processus dans certains départements « La mission a cependant constaté que la contractualisation avait permis de réelles avancées. Dans la plupart des collectivités, la préparation et le suivi des conventions ont produit des changements de pratiques notables, en favorisant notamment une meilleure transversalité entre les services, un suivi plus resserré des actions et la modernisation des systèmes d’information dans le champ de l’insertion. Dans un certain nombre de territoires, la contractualisation a également permis de renforcer les liens existants entre l’État et les collectivités au service de projets communs. Ces liens ont été particulièrement utiles pour faire face à l’urgence sociale liée à la crise sanitaire, notamment dans le champ de l’aide alimentaire ».

L’IGAS est cependant sceptique sur l’effet de levier de la contractualisation « si l’analyse des conventions laisse à penser que de nouvelles actions ont vu le jour tandis que d’autres ont été amplifiées, les témoignages d’acteurs locaux invitent à relativiser ce constat. En effet, de nombreuses collectivités auraient utilisé les crédits de l’État pour cofinancer certaines de leurs actions habituelles, soit par pragmatisme, du fait d’un calendrier contraint peu propice à l’émergence de nouveaux projets, soit par opportunisme, dans le souci de réduire leurs dépenses. De fait, l’effetlevier des crédits apportés par l’État n’est pas manifeste. Certes, les budgets d’insertion des départements ont, en 2019, selon la DREES, progressé pour la première fois depuis de nombreuses années (+ 0,2 %) mais le montant de cette augmentation (25 millions d’euros) est inférieur aux crédits apportés la même année par l’État au titre des actions contractualisées relatives à l’insertion des bénéficiaires du RSA (29 millions d’euros) ».

Interrogée sur ces premières constatations équivoques, la déléguée interministérielle n’a pas contesté la diversité des situations de coopération avec les départements, ni parfois les difficultés à obtenir de leur part les informations sous‑jacentes à la contractualisation, soit par mauvaise volonté, soit par défaillance (un tiers des départements n’étaient pas capables par exemple de communiquer le nombre de jeunes bénéficiaires de l’aide sociale à l’enfance âgés de 18 ans dans l’année en cours).

Elle a toutefois observé que la modestie des effectifs déconcentrés de l’État, bien souvent le seul commissaire régional à la lutte contre la pauvreté, comme le principe de libre administration des collectivités territoriales, compliquaient l’intervention de l’État dans des compétences décentralisées.

4.   Redonner du sens à la mission des travailleurs sociaux

Les associations de la lutte contre la pauvreté soulignent avec force que les travailleurs sociaux se sentent peu considérés et que leur travail s’est dévalorisé, d’où une crise préjudiciable des vocations dans les écoles et donc des recrutements, ce qui les empêche de développer de nouveaux projets.

Les présidents de l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (UNIOPSS) et de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) ainsi que les associations ont unanimement regretté en audition que le Ségur de la santé ait oublié la reconnaissance du rôle essentiel de ces travailleurs, dont le nombre est estimé à 1,2 million. À titre d’illustration révélatrice, les travailleurs sociaux ont eu le sentiment d’être moins pourvus en masques que les soignants durant les débuts de la crise sanitaire alors que leur exposition au risque était parfois comparable.

Il y a une crise des recrutements, alors même que l’état de la société française impose de mieux accompagner les populations à risque à sortir de la pauvreté. Enfin, il faut que les professionnels retrouvent du sens à leur travail. La DGCS a confirmé en audition que l’empilement des minima sociaux, et la complexité des renseignements à fournir pour bénéficier du RSA, sont tels que les usagers doivent de plus en plus faire appel aux travailleurs sociaux pour remplir leur demande. Ces derniers perdent ainsi un temps précieux, si bien que leur métier est de plus en plus administratif et normé. Enfin, il faudrait également adapter les formations initiales des travailleurs sociaux afin de mieux relier les métiers des secteurs sociaux et médico‑sociaux.

Déjà en 2015, Mme Brigitte Bourguignon dans son rapport « 23 propositions pour reconnaître et valoriser le travail social », faisait le constat d’une perte de sens vécue par les travailleurs sociaux et des difficultés engendrées par l’empilement des dispositifs d’action sociale : « Le constat de morcellement des dispositifs d’action sociale, qui se sont empilés, conduisant au morcellement des travailleurs sociaux euxmêmes, et avec eux, des personnes accompagnées. »

Elle regrettait que l’évaluation des politiques sociales soient effectuées indépendamment les unes des autres, à l’image de leur élaboration, et sans évaluer les effets de ces politiques entre elles et leur incidence sur les personnes accompagnées et ceux qui les accompagnent. La situation est toujours d’actualité.

Ces tensions et ces frustrations n’ont en effet pas été suffisamment entendues par les pouvoirs publics, comme l’a montré l’appel à la grève nationale des travailleurs sociaux en date du 7 décembre 2021.

Proposition n° 5 :

Réaliser une évaluation globale des politiques sociales intégrant leurs incidences sur les travailleurs sociaux.

B.   IL EST NÉCESSAIRE DE POURSUIVRE DES RÉFORMES STRUCTURELLES

Au‑delà de l’attention portée à la pauvreté au titre des suites de la pandémie, les pouvoirs publics se doivent de tirer les enseignements à plus long terme de cette crise en menant des réformes structurelles qui s’imposent.

1.   Le non‑recours doit être combattu en envisageant une automaticité de certaines aides

En octobre 2016, le rapport du CEC de Mme Gisèle Biémouret et M. Jean‑Louis Costes intitulé : « L’accès aux droits sociaux, un objectif majeur de la lutte contre l’exclusion » a étudié en profondeur le phénomène du non‑recours. Il préconisait de nombreuses mesures de suivi et de croisement des données administratives, ou de simplification qui ont parfois fait l’objet d’un début de mise en œuvre mais qui restent une source d’inspiration pour progresser dans ce domaine.

Pour mémoire, nos collègues proposaient les mesures suivantes : l’incitation des organismes de protection sociale à identifier les causes du non‑recours par des enquêtes régulières, une meilleure sensibilisation des travailleurs sociaux à cette problématique notamment lors de leur formation initiale, l’identification par le conseil départemental d’une structure d’accueil unique et d’un référent de parcours, l’introduction d’ objectifs de diminution du non‑recours dans les conventions d’objectifs et de gestion des branches des régimes de sécurité sociale, la publication d’une liste chiffrée des taux de non‑recours aux minima sociaux en annexe au projet de loi de finances (PLF) et au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), la création de liens automatiques entre prestations, l’alignement des périodes de référence, la généralisation des simulateurs en ligne, la suppression de la récupération sur succession (pour les patrimoines supérieurs à 39 000 euros) afin de faciliter l’accès à l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA).

La réduction du non‑recours fait partie de la Stratégie nationale contre la pauvreté, notamment la mesure 5.3 « Moderniser la délivrance des prestations sociales en favorisant les échanges d’informations entre acteurs, en simplifiant les démarches et en favorisant un paiement au juste droit, généraliser le data mining pour le repérage des bénéficiaires potentiels » qui a été retardée à cause de la Covid puis réaffirmée comme prioritaire par le Premier ministre le 24 octobre 2020.

Plus précisément, la Stratégie souhaitait simplifier les modalités d’attribution des prestations (50 % des bénéficiaires du RSA subissent un indu chaque année et 27 % des allocataires des CAF) et expérimenter des territoires « zéro nonrecours ». Il était également prévu de faciliter les démarches en expérimentant le pré‑remplissage des déclarations de ressources.

En matière de santé, la Stratégie prévoyait le renouvellement automatique des droits à la couverture maladie universelle complémentaire (CMU‑C) pour les allocataires du RSA dont la situation n’a pas évolué et l’absorption de l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé (ACS) par la CMU‑C dont les taux de non‑recours étaient estimés entre 24 et 36 % pour la seconde et entre 51 et 64 % pour la première.

Dans son rapport de mars 2021, le comité d’évaluation de la stratégie a fait part d’une incapacité à mesurer les progrès de l’accès aux droits en observant que « trois des indicateurs que le comité souhaitait suivre pour cet ensemble de mesures ne sont pas disponibles : le volume de droits sociaux, le délai de traitement des dossiers et l’évolution des motifs de non-recours. Cela compromet le suivi de l’effet des mesures de la stratégie en la matière ».

Il est exact que beaucoup d’inconnues demeurent, à commencer par la mesure du phénomène de non‑recours. Les rares travaux dont on dispose sont parcellaires et anciens. La DARES a estimé en 2011 le taux de non‑recours au RSA socle et activité à 50 % en 2011 et à 35 % pour le RSA socle seul. La DGCS a estimé le taux de non‑recours de la prime d’activité à 27 % en 2016. La DREES travaille actuellement à l’actualisation de ces évaluations, ce qui semble en effet bien utile.

Les projets de la DREES en matière de non‑recours

Plus précisément, un dossier « Mesurer régulièrement le nonrecours au RSA et à la Prime d’activité : méthode et résultats » sera publié mi‑février 2022 et présentera des premiers résultats sur l’estimation du non‑recours au RSA.

Les déterminants du non‑recours au RSA et à la prime d’activité seront ensuite analysés. Une publication est prévue fin 2022, sous réserve de résultats pertinents.

La DREES mène aussi avec l’Observatoire des non‑recours aux droits et services (Odenore) un projet sur le non‑recours en comparaison internationale intitulé « Mesurer le non-recours en Europe – Scènes de production et méthodes employées dans cinq pays européens ». La DREES produira des analyses sur les méthodes et les données utilisées pour mesurer le non‑recours dans cinq pays : Grande‑Bretagne, Belgique, Pays‑Bas, Allemagne et Finlande, et l’Odenore complètera ces analyses avec une approche de sociologie de l’action publique afin d’identifier les scènes de production des mesures du non‑recours, leurs origines et leurs impacts. Ces travaux devraient être publiés en mars 2022.

Enfin un dossier de la DREES sur le non‑recours au minimum vieillesse est actuellement en cours de finalisation.

Dans son rapport d’étape d’octobre 2021, la DIPLP indique que « l’effort de simplification de l’accès aux droits se poursuit au travers du préremplissage des formulaires et l’allègement des procédures d’obtention et de renouvellement des droits grâce aux échanges de données entre organismes ».

Lors de son audition, la DGCS a souligné que la complexité actuelle des fiches de déclarations de revenus pour les 30 % de demandeurs du RSA qui ont des revenus d’activité (quatre rubriques différentes ne correspondant pas aux lignes du bulletin de salaire) induisait forcément des erreurs de la part des demandeurs, pouvant être considérées comme des fraudes. Même les agents sociaux des CAF ont parfois des difficultés à savoir exactement ce qui doit être déclaré du fait de la rigueur des règles théoriquement en vigueur. Par exemple, les 100 euros reçus à Noël d’un parent doivent normalement être mentionnés sur le bulletin de déclaration de revenus du RSA. Généralement, les gens ne déclarent pas ce type de revenus, mais un contrôle très pointilleux d’un agent de CAF remarquant un transfert sur le compte bancaire pourrait induire une pénalité. Une des causes de non‑recours vient du fait que les personnes risquent un contrôle de la CAF quelques mois après une récupération d’indus.

C’est pourquoi la DGCS travaille à la mise en place d’un préremplissage de la fiche de demande de RSA, au moins pour l’essentiel des revenus, comme les revenus d’activité ou de remplacement, les revenus du capital étant plus difficiles à connaître mais ceux‑ci ne concernent qu’une part infime des bénéficiaires du RSA.

Ce chantier progresse, notamment grâce au prélèvement à la source institué pour l’impôt sur le revenu. Avant son institution, la DGCS avait tenté l’élaboration d’un dossier unique de minima sociaux comprenant les aides de santé, de logement et le RSA, qui faisait 30 pages car il fallait croiser les données de Pôle emploi, des administrations fiscales et des CAF.

S’agissant des échanges d’informations entre administrations, Mme Héléna Revil, directrice scientifique de l’Odenore, a indiqué lors de son audition que, dans le cadre de sa thèse consacrée au non‑recours à la CMU, elle avait contribué à définir un outil de partage d’informations entre les Caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) et les CAF en 2007. La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) avait surveillé ce nouvel outil de très près. Il avait fallu deux ans pour mettre en place le partage d’informations entre ces deux institutions étroitement liées.

Aujourd’hui, grâce à l’identifiant unique de Sécurité sociale, l’usager va pouvoir accéder à différents services via un même portail, France Connect. Il faut poursuivre ce mouvement d’interconnexion entre les différentes administrations.

Le rapport d’étape de la DIPLP confirme également qu’au 1er janvier 2022, les allocataires du RSA bénéficieront automatiquement de la complémentaire santé solidaire, sans aucune démarche de leur part. Il en est allé de même du versement de la prime inflation à l’automne 2021. Plus généralement, vos rapporteures estiment que le versement automatique d’une aide connexe à une aide principale doit être systématique.

Le rapport affirme enfin que les travaux se poursuivent pour détecter les publics en situation de non‑recours, notamment grâce aux techniques de datamining : 45 000 allocataires des CAF ont ainsi été contactés entre janvier et août 2020, permettant plus de 3 150 ouvertures de droit à la prime d’activité.

Selon l’Odenore, certaines administrations utilisent des logiciels informatiques capables de mettre en lumière des incohérences entres les fichiers mais aussi d’améliorer l’efficacité des services d’aides. Néanmoins, ces logiciels sont aujourd’hui utilisés en premier lieu dans une logique de contrôle et de lutte contre la fraude et non de lutte contre le non‑recours. Il n’existe donc pas de mouvement cohérent et uniforme sur le territoire visant à lutter contre le non‑recours.

Des expérimentations de territoires « zéro nonrecours » ont été mises en place dans le 10ème arrondissement de Paris, dans la ville de Vénissieux et dans la ville de Bastia.

Des dispositifs d’« aller vers » qui perdurent encore aujourd’hui ont été mis en place par les CAF et les CPAM pendant la pandémie. Les agents de ces administrations se sont rendus dans les hébergements d’urgence durant la crise sanitaire pour réaliser plus de 2 000 ouvertures de droits et 350 domiciliations.

Une convention nationale type contractualisant ces politiques d’« aller vers » entre les CAF, CNAM et le Service intégré de l’accueil et de l’orientation (SIAO) a été rédigée avec la possibilité d’être déclinée au niveau local. Ces conventions reposent sur la base du volontariat des CAF et des CPAM ainsi que leur capacité à mobiliser leurs travailleurs sociaux et les missions locales.

Les rapporteures considèrent que ces politiques devraient être généralisées afin d’être plus efficaces et toucher les publics qui basculent dans la pauvreté notamment les jeunes.

L’Odenore a suggéré lors de son audition par le CEC la création d’un acteur pilote induisant une dynamique et une culture commune sur l’ensemble du territoire en matière de non‑recours.

Proposition n° 6 :

Généraliser les démarches d’« aller vers » afin d’orienter les nouveaux publics de la pauvreté vers des aides éventuelles.

 

Proposition n° 7 :

Créer un acteur pilote induisant une dynamique et une culture commune sur l’ensemble du territoire en matière de non‑recours.

2.   Faire de la jeunesse un axe prioritaire de lutte contre la pauvreté

a.   La crise sanitaire a accentué les difficultés des jeunes

Le rapport de l’Observatoire des inégalités estimait déjà en 2017 que la pauvreté touchait d’abord les enfants, les adolescents et les jeunes adultes, dont plus d’un sur dix est pauvre au sens du seuil de pauvreté de 50 % du niveau de vie, alors qu’à partir de 65 ans, le taux de pauvreté ne dépasse pas 3 %.

La crise sanitaire a plus durement touché les jeunes, car ceux‑ci occupent des emplois de courte durée. Elle a confirmé les conséquences négatives de l’absence d’un filet de sécurité monétaire pour ceux‑ci, alors que leur taux de chômage était déjà de 19,6 % en 2019. Les jeunes constituent selon M. Nicolas Duvoux « le maillon faible de notre protection sociale ». Le cinquième collège du CNLE a souligné lui aussi l’enjeu de la pauvreté des jeunes précaires et des étudiants, tout comme l’Observatoire des inégalités.

L’audition des Restos du cœur a souligné les lacunes des politiques concernant le logement des jeunes de 18‑25 ans. D’après leur rapport sur l’état du mal‑logement en France en 2019, un quart des personnes à la rue étaient des sortants de l’aide sociale à l’enfance.

b.   Le ciblage des dispositifs d’insertion dans l’emploi des jeunes est perfectible

Dans un rapport de décembre 2021 sur l’insertion des jeunes sur le marché du travail, la Cour des comptes rappelle que, malgré des crédits qui atteignent environ 10 milliards d’euros par an depuis 2016, les résultats des principaux dispositifs mis en œuvre par les ministères, par Pôle emploi et par les 450 missions locales sont trop ténus, cette critique visant le PACEA comme la « Garantie jeunes » et le Plan d’investissement dans les compétences.

La Cour estime que le ciblage des politiques d’incitation pendant la crise sanitaire a été insuffisant et a finalement privilégie les plus diplômés, donc les moins vulnérables, cette observation visant les dispositifs d’accès à l’apprentissage comme l’accompagnement intensif par Pole emploi ou la « Garantie jeunes » ([64]).

La Cour regrette ainsi que « le profil des jeunes en dispositif d’accompagnement intensif ne se distingue pas véritablement de celui des autres jeunes suivis. Ainsi, les critères qui déterminent la difficulté d’accès à l’emploi (niveau de diplôme, situation de chômage de longue durée, résidence en quartier prioritaire de la politique de la ville) ne se différencient qu’à la marge pour les publics du PACEA ou de la " Garantie jeunes ", de même que les résultats en matière d’insertion dans l’emploi. Le choix de l’orientation vers la " Garantie jeunes " est souvent principalement guidé par la motivation du jeune et par ses difficultés financières, et non par l’ampleur objective des difficultés auxquelles il est confronté. " L’accompagnement intensif jeunes " de Pôle emploi n’est pas non plus orienté vers les plus éloignés du marché du travail. Ces résultats observés en 2019 n’ont pas été modifiés en 2020 dans le contexte de crise et d’augmentation du nombre de jeunes accompagnésCe manque de ciblage des publics de jeunes s’explique aussi par l’absence persistante de critères précis et partagés pour apprécier la pertinence de l’orientation proposée par les conseillers de Pôle emploi et des missions locales, tout particulièrement vers les dispositifs intensifs, avec une insuffisante délimitation des frontières entre les deux réseaux. »

La Cour observe également que si la concertation entre les deux réseaux a progressé à l’occasion du plan « 1 jeune 1 solution », la bonne coopération au niveau local demeure aléatoire et que « les tensions se nourrissent d’une concurrence sur les publics résultant d’une ligne de partage peu claire ».

Interrogés lors de leur audition sur ce thème, les représentants des missions locales ont souligné les progrès récents de leur relation avec Pôle emploi. Les publics accueillis par Pôle emploi et les missions locales ne sont pas les mêmes : Pôle emploi reçoit davantage de jeunes plus diplômés. L’accompagnement intensif des jeunes (AIJ) de Pôle emploi est exclusivement axé sur la question de l’emploi, tandis que les missions locales s’avèrent plus polyvalentes. Cependant, Pôle emploi, Cap emploi et l’Union nationale des missions locales (UNML) ont signé à la fin de l’année 2020, à l’occasion du Plan jeunes, une note commune visant à faciliter les orientations entre les structures ainsi que les passerelles, en considérant qu’il était dommageable qu’un jeune doive impérativement choisir entre l’AIJ et les services proposés par la mission locale, alors même que les deux offres peuvent s’avérer complémentaires. Il s’agit ainsi d’autoriser des co‑accompagnements. De fait, les relations entre Pôle emploi et les missions locales sont généralement étroites au niveau local : 14 000 jeunes sont ainsi concernés par cette mise en commun des ressources expérimentale dans le cadre du Plan jeunes.

La Cour signale aussi le risque de dégradation de la qualité de l’accompagnement résultant de la montée en puissance rapide de la « Garantie jeunes » : « De manière préoccupante, la Cour a pu observer que le degré d’intensité de la " Garantie jeunes " tend à baisser. Ainsi, à Paris, entre 2017 et 2019, le nombre d’actions d’accompagnement par jeune est passé de 19 à 15. La " Garantie jeunes " se présente davantage comme l’enveloppe, assortie d’une rémunération assurée sur sa durée (douze à dixhuit mois), d’un accompagnement devenu variable dans ses objectifs et ses modalités. Son contenu réel apparaît peu suivi par les pouvoirs publics. En particulier, le nombre de journées de mise en situation professionnelle, phases qui constituent la clé de voûte de ce parcours, est parfois comptabilisé, mais peu exploité. L’expérience du plan " 1 jeune 1 solution " montre, en outre, que la forte augmentation des effectifs en " Garantie jeunes " a pu s’accompagner d’une baisse de l’intensité de la prestation, notamment, dans certains territoires, en raison de trop faibles possibilités de mise en situation professionnelle dans les entreprises ou d’un vivier trop étroit de jeunes capables de s’engager. L’augmentation forte du nombre de bénéficiaires présente ainsi, même hors situation de crise, des limites selon les territoires.

Plus fondamentalement, lorsqu’une mission locale connaît des difficultés de fonctionnement, l’État ne dispose pas des prérogatives pour y remédier, ces structures associatives, présidées par un élu local, mettant en œuvre les actions décidées par plusieurs financeurs (État, mais aussi région, département et communes) dans des cadres conventionnels distincts. En outre, lorsque les performances d’une mission locale ne sont pas satisfaisantes, malgré le cadre de conventionnement qui prévoit d’en tenir compte dans la subvention versée par l’État, celuici n’est pas appliqué ou ses effets sont compensés, faute d’une alternative pour rendre le service attendu. Le cadre de la contractualisation pluriannuelle sur les objectifs et les moyens des missions locales gagnerait à être élargi et renforcé, pour donner à l’État les leviers nécessaires au pilotage des dispositifs dont il leur confie la mise en œuvre ».

c.   Comment atteindre les jeunes les plus en difficulté ?

Dans le même rapport, la Cour rappelle l’objectif de mieux toucher les publics les plus en difficulté parmi la catégorie non homogène des NEET. Citant un récent travail de la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) la Cour estime qu’en 2018, 37 % des NEET seraient sans contact avec le service public de l’emploi ou tout autre organisme d’insertion et qu’entre 150 000 et 220 000 jeunes précaires seraient sans solution dans le système existant.

Dans cette étude novatrice, la DITP a essayé de dresser une typologie de cette population des jeunes sans solution.

La catégorie de jeunes « sans diplôme éloignés de l’emploi » regroupe notamment les NEET les plus vulnérables (20 %). 77 % n’ont jamais travaillé et 27 % ont un problème de santé.

les jeunes ciblés présentent des caractéristiques diverses mais un trait commun : le cumul de difficultés, dont certaines accentuées par la crise

Source : Analyse DITP sur la base d’une soixantaine d’entretiens et d’une analyse documentaire

La déléguée interministérielle à la lutte contre la pauvreté, Mme Marine Jeantet estime pour sa part que le nombre des jeunes en situation de très grande précarité se situe entre 50 000 et 100 000. Ce sont souvent des personnes qui sortent de l’ASE, ont des problèmes psychiques ou d’addiction et ont connu un parcours de vie chaotique.

Pour ces jeunes‑là, Mme Jeantet a défendu l’idée de créer un parcours d’accompagnement ad hoc allant au‑delà de la « Garantie jeunes ». En effet, ce dispositif est beaucoup trop normé pour des jeunes si éloignés du marché du travail. L’accompagnement de la « Garantie jeunes » commence par des travaux de groupe. Il faut se lever et être à l’heure le matin, ce qui n’est pas évident pour tout le monde.

Pour aider ces jeunes, qui souvent ne font pas confiance aux institutions, il faudrait inventer des parcours d’aide à la reconstruction permettant de développer avec eux un lien de confiance. Pour cela, il est nécessaire qu’ils soient accompagnés par une seule personne, probablement plutôt un éducateur spécialisé qu’un travailleur social. L’idée serait de mettre en place un accompagnement global (médical, social, administratif, insertion professionnelle, linguistique) et sans condition à l’entrée. Il faudrait également leur attribuer une allocation leur permettant d’avoir une sécurité financière notamment pour le paiement de leur logement. Au vu de leur nombre, le financement d’un tel programme serait de l’ordre de 250 millions d’euros.

Le repérage des invisibles figure également comme priorité du ministère du travail qui encourage ce type de démarche auprès des missions locales et des associations. Dans le cadre du Plan d’investissement dans les compétences (PIC), un appel à projets doté de 60 millions d’euros a été lancé en 2019 permettant de financer 237 projets. Selon la Cour, le bilan qui en a été fait est essentiellement quantitatif et descriptif et ne permet pas de tirer des conclusions sur les facteurs de succès des différentes initiatives ni sur la possibilité de les reproduire dans d’autres territoires.

Le 2 novembre 2021 le Gouvernement a annoncé le lancement d’un nouveau programme, le Contrat d’engagement jeune, fortement inspiré de la « Garantie jeunes », avec quelques modifications portant essentiellement sur l’intensité de l’accompagnement (sur toute la durée du contrat et pas seulement sur les six premières semaines et avec un nombre plus important d’immersions en entreprise) afin d’améliorer les performances du dispositif.

Il évoque également des parcours spécifiques et individualisés afin d’aller chercher les jeunes les plus en rupture en associant les acteurs de proximité qui les connaissent (clubs sportifs, associations de quartier ou de lutte contre la pauvreté, bailleurs sociaux, CCAS). Le programme mentionne également la prise en charge des vulnérabilités auxquelles ils peuvent être confrontés (logement, santé, mobilités) ainsi qu’une logique d’engagement progressif afin d’établir progressivement une relation de confiance.

La cible de ce dispositif est néanmoins plus large que celle des jeunes les plus en difficulté puisqu’elle s’élève à 500 000 jeunes pour un coût annuel de 2,6 milliards d’euros.

Proposition n° 8 :

Mettre en place, pour les jeunes les plus en difficulté, des parcours d’aide à la reconstruction avec un accompagnement global, personnalisé et pluridisciplinaire, mobilisant notamment des éducateurs spécialisés.

3.   Assurer la mise en place du service public de l’insertion et de l’emploi

Constatant que les politiques d’emploi et d’insertion n’étaient pas satisfaisantes puisque les garanties minimales prévues par la loi n’étaient pas mises en œuvre au regard notamment des délais préalables à l’orientation des bénéficiaires du RSA, de la faiblesse de leur accompagnement ou de leur faible taux de retour à l’emploi, la Stratégie nationale réaffirme la responsabilité de l’État comme garant du service public de l’insertion. Les objectifs affichés étaient une orientation rapide et un accompagnement personnalisé vers l’emploi.

Cette mesure a subi les contrecoups de la crise sanitaire et la situation reste dans ce domaine très mauvaise selon les conclusions de l’évaluation de politique publique menée par la Cour.

a.   Des expérimentations diverses et variées

Le rapport d’étape de la Stratégie en date d’octobre 2021 fait le point sur la mise en œuvre de cette mesure.

Il est tout d’abord rappelé que le Service public de l’insertion et de l’emploi (SPIE) poursuit plusieurs objectifs, tous centrés sur les personnes accompagnées : simplifier les démarches, mieux coordonner les acteurs, proposer des parcours à visée « emploi » tout en levant les difficultés rencontrées, et garantir un parcours suivi et sans rupture.

Pour répondre à ces ambitions, l’État a engagé une large concertation en septembre 2019. En parallèle, il a soutenu quatorze expérimentations lancées en mars 2020, afin de tester de nouvelles modalités d’organisation, de fonctionnement et de gouvernance. Ces expérimentations portaient notamment sur la structuration des partenariats entre les acteurs du SPIE, dont le conseil départemental, Pôle emploi, la CAF, la Mutualité sociale agricole (MSA), les CCAS, la mission locale, Cap emploi, le Plan local pour l’insertion et l’emploi – PLIE (par exemple sous forme de groupement d’intérêt public – GIP), le déploiement de co‑diagnostic de situation entre les agents du département et les conseillers Pôle emploi, la mise en place d’accompagnements intensifs vers l’emploi, éventuellement ciblés sur les filières en tension, la mise en place d’un dossier unique d’insertion pour favoriser le suivi des parcours, ou encore la création d’un réseau de lieux d’accueil labellisés.

Compte tenu de la crise sanitaire, les expérimentations ont été prolongées d’une année, soit jusqu’en décembre 2022. Une évaluation des expérimentations serait en cours et une enquête de satisfaction auprès des bénéficiaires a été lancée en octobre 2021 pour recueillir leur perception sur leur accompagnement tout au long de leur parcours dans le cadre du SPIE.

Deux appels à manifestation d’intérêt (AMI) ont été lancés en 2020 et 2021 pour poursuivre la dynamique : 31 territoires ont été retenus en avril 2021 au titre du premier appel à manifestations d’intérêt et 35 au titre du deuxième. À compter de janvier 2022, ce sont donc 80 territoires qui sont engagés dans le déploiement du SPIE.

Les projets reposent sur de larges groupements d’acteurs, appelés « consortiums ». Ils sont généralement portés par le conseil départemental, en étroite collaboration avec l’État et Pôle emploi et associent notamment les collectivités territoriales (conseil régional, communes, établissement public de coopération intercommunale – EPCI), les opérateurs dans les domaines sociaux et de l’emploi (CAF, MSA, missions locales, Cap emploi, plans locaux pour l’insertion et l’emploi, organismes de formation, centres communaux ou intercommunaux d’action sociale, agence régionales de santé – ARS, SIAO…), des associations (d’hébergement, d’insertion sociale, les centres sociaux…), des représentants du monde économique et de l’insertion par l’activité économique.

Les projets s’adressent généralement à un public plus large que les seuls allocataires du RSA, notamment les jeunes, les personnes en situation de handicap.

L’État a mis également en place une animation qui repose sur le suivi et l’évaluation des projets mais aussi sur la mise en place d’espaces et de temps d’échanges pour capitaliser les bonnes pratiques et outiller les territoires.

Cette composante de la Stratégie pauvreté démarre lentement et s’articule autour d’expérimentation à géométrie variable. Le pilotage de cet ambitieux projet semble par ailleurs problématique.

Dans certains territoires, les acteurs ont voulu se rassembler en groupement d’intérêt public, d’autres en partenariat très peu formalisé, parfois c’est le conseil départemental qui gère les interactions, parfois Pôle emploi.

Au moment de la concertation sur le SPIE, la question s’est posée de savoir s’il fallait confier à un acteur particulier le pilotage du SPIE. La question n’a toujours pas été tranchée. Par exemple, s’il est confié aux conseils départementaux comment l’État va‑t‑il piloter une politique publique déléguée à des collectivités territoriales ? À l’inverse, s’il est confié à Pôle emploi, les conseils départementaux ne se montreront pas forcément très coopératifs car ils pourront estimer de pas avoir de consignes à recevoir de Pôle emploi.

La partie nationale du SPIE comprend un accompagnement numérique du déploiement local afin de faciliter les échanges sur les bonnes pratiques et la mise en place de nouveaux services comme l’élaboration d’un carnet de bord permettant de suivre le parcours de la personne par ses référents.

Un autre outil numérique en cours de développement est la création d’une cartographie de l’offre d’actions sociales. En effet, on se rend compte que les travailleurs sociaux ainsi que toutes les personnes en charge de l’insertion des personnes n’ont pas forcément connaissance de toutes les institutions compétentes sur un territoire donné.

Par ailleurs, il a été décidé de généraliser une offre de service portant sur un accompagnement plus qualitatif car global (professionnel et social) de la personne dans le cadre de la garantie d’activité au profit des demandeurs d’emploi les plus fragiles. De l’ordre de 90 000 personnes en ont bénéficié en 2020 et l’objectif est de 200 000 en 2022.

b.   La faiblesse de l’accompagnement des bénéficiaires du RSA relevée par la Cour des comptes

Dans son évaluation de politique publique consacrée au RSA publiée en janvier 2022, la Cour relève les grandes faiblesses persistantes de l’accompagnement des bénéficiaires du RSA.

La Cour écrit ainsi que « En ce qui concerne l’accompagnement, il peut être estimé que 60 % des bénéficiaires soumis aux " droits et devoirs " ne disposent pas de contrat d’accompagnement. Même si ce taux repose sur des données imparfaites, il met en lumière un grave dysfonctionnement de ce volet du RSA. Ce mauvais résultat s’explique par le fait que seuls huit allocataires sur dix ont été effectivement orientés vers un organisme d’accompagnement, et que parmi eux, seule la moitié de ceux orientés vers un accompagnement social ont signé un contrat ».

La Cour relève « des dysfonctionnements majeurs » au sujet de l’orientation vers les organismes d’accompagnement « Première étape des parcours individuels, l’orientation vers un organisme d’accompagnement n’est pas réalisée pour 18 % des allocataires – proportion qui se maintient à 12 % pour les allocataires de plus de cinq années d’ancienneté. Le délai d’orientation est quant à lui très éloigné de l’objectif fixé par la loi (deux mois) ainsi que par la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté présentée en 2018 (un mois) : il atteint 95 jours en moyenne. La qualité de l’orientation est plus difficile à apprécier, mais des incohérences notables apparaissent tant à l’échelle nationale que départementale. Les parts respectives de l’accompagnement professionnel, réalisé par Pôle emploi, ou de l’accompagnement social réalisé par le Département et ses délégataires, varient dans des proportions considérables d’un territoire à l’autre, sans qu’il soit possible d’expliquer cette hétérogénéité par la réalité économique et sociale des départements ou par les difficultés spécifiques des bénéficiaires. En 2019, si en moyenne 41 % des personnes bénéficiaires du RSA sont orientés vers Pôle emploi, cette proportion varie de 0 % en Corrèze et 4 % dans la Marne et dans le Var, à 65 % dans l’Allier et 71 % à La Réunion ». 

Elle mentionne également « les graves lacunes » de l’accompagnement social et socio‑professionnel : « Alors que le Contrat d’engagements réciproques (CER) est supposé être l’outil central de l’accompagnement social et la condition de son suivi, seuls 50 % des bénéficiaires du RSA orientés vers ce type de parcours en disposent effectivement. Si la signature initiale intervient en 53 jours en moyenne, le contrat est ensuite peu suivi puisque seules 20 % des personnes disposent d’un contrat en cours de validité.

L’analyse du contenu des contrats révèle part ailleurs un défaut de substance le nombre d’actions proposées est très faible (souvent moins de deux actions par contrat), cellesci sont souvent peu tangibles et peuvent se rapporter à de simples préceptes comportementaux. Enfin, 76 % des CER ne contiennent aucune action orientée vers la préparation à la recherche d’emploi. Par ailleurs, même si la quantification précise de l’accompagnement s’avère difficile en raison de la carence des systèmes d’information, un manque d’intensité très net peut être constaté. Le nombre de personnes suivies par chaque travailleur social varie de 55 à 144 dans les départements étudiés, et le RSA n’est souvent qu’une priorité secondaire en comparaison de la protection de l’enfance ou des situations de violence ou d’urgence que sont amenés à connaître ceux des travailleurs sociaux qui ne sont pas spécialisés. La fréquence des entretiens d’accompagnement est plus mal connue encore, mais elle est quasi systématiquement inférieure à trois par an, avec une moyenne de 1,4 dans l’un des départements étudiés. Enfin, dans plusieurs départements et dans le cadre des auditions organisées par les juridictions financières, une position parfois ambivalente des travailleurs sociaux visàvis de la logique des droits et devoirs a été signalée, ceuxci émettant des réserves quant à la nécessité de rendre compte du contenu des contrats et de sanctionner les manquements aux engagements qui y figurent ».

Tout ceci amène la Cour à conclure que « le contrat d’engagements réciproques n’est aujourd’hui qu’une formalité sans réelle portée ».

Devant cet état de fait, les rapporteures ne peuvent qu’inciter les pouvoirs publics à déployer au plus vite le SPIE en clarifiant la gouvernance du nouveau dispositif.

Proposition n° 9 :

Accélérer le déploiement du service public national de l’insertion et de l’emploi après avoir clarifié sa gouvernance.

c.   La nécessaire revalorisation du RSA

Le RSA constitue le principal instrument de lutte contre la pauvreté. Il est attribué à près de deux millions de foyers (en forte hausse tendancielle, le nombre d’allocataires étant de 1,3 million en 2008) au sein desquels vivent plus de quatre millions de personnes.

Si la loi a fixé comme objectif au RSA « d’assurer à ses bénéficiaires des moyens convenables d’existence afin de lutter contre la pauvreté », ses montants actuels permettent d’en douter. Pour une personne seule, le montant du RSA est en effet de 565,34 euros par mois au 1er avril 2021. Le RSA, même complété par d’autres prestations auxquels les allocataires peuvent avoir accès, ne permet pas de sortir de la pauvreté : le taux de pauvreté monétaire des bénéficiaires du RSA reste très élevé depuis 2010, se situant autour de 65 %. Et 51 % des bénéficiaires sont considérés comme pauvres en conditions de vie.

Le RSA tend seulement à protéger de la très grande pauvreté puisque 16 % des bénéficiaires vivent avec moins de 40 % du revenu médian (contre 65 % au seuil de 60 %).

À titre de comparaison, les montants fixés pour l’allocation de solidarité pour les personnes âgées (ASPA) ou pour l’allocation adultes handicapés (AAH) dépassent 900 euros par mois pour une personne seule sans ressources et elles ont été significativement revalorisées sous cette législature. Rappelé par la Cour des comptes dans son rapport d’évaluation de janvier 2022, l’objectif d’« activation » des dépenses sociales qui a pu présider à la fixation d’un RSA socle minimal, ne doit pas primer sur l’objectif de lutte contre la pauvreté.

À l’exception du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale de 2013 qui a inclus une revalorisation exceptionnelle de 10 % du RSA sur cinq ans, le RSA bénéficie de revalorisations minimales depuis sa création. Il augmente tous les ans au 1er avril en fonction de l’inflation : le 1er avril 2021, le montant de base a par exemple augmenté de 0,1 % pour passer de 564,78 à 565,34 euros. L’évolution du RSA ne suit pas l’évolution des salaires, et l’écart se creuse avec le salaire médian du reste de la population.

Proposition n° 10 :

Appliquer une revalorisation du RSA afin d’assurer des moyens convenables d’existence à ses bénéficiaires et lutter contre la pauvreté monétaire.

4.   Le chantier du revenu universel d’activité (RUA) reste inachevé

La Stratégie de lutte contre la pauvreté constatait en 2018 la complexité de notre système d’aides sociales construit par sédimentation de réformes successives destinées à améliorer la solidarité nationale.

Elle fixait un objectif ambitieux, la mise en place d’un revenu universel d’activité (RUA) à compter de 2022, afin de continuer à garantir aux ménages modestes un soutien financier tout en simplifiant le système et à faire en sorte que le travail paie de la même façon dans toutes les situations.

Le périmètre de cette réforme est très important comme le rappelait M. Fabrice Lenglart devant la Commission des affaires sociales du Sénat le 5 janvier 2022 : « Une quinzaine de prestations de solidarité existent en France, parmi lesquelles figurent les 10 minima sociaux, dont le principal est le revenu de solidarité active (RSA). Alors que, dans notre pays, une personne sur dix vit dans un ménage qui bénéficie d’un minimum social, moins de la moitié touche le RSA. Cela montre bien que celuici est central, mais non hégémonique. Les quatre minima sociaux les plus importants sont, outre le RSA, l’AAH, l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) pour le minimum vieillesse et l’allocation de solidarité spécifique (ASS) pour les chômeurs de longue durée ayant épuisé leurs droits aux allocations de chômage et qui, sous certaines conditions, y sont éligibles. Il existe également des minima sociaux spécifiques pour les personnes invalides, les veufs et résidant en OutremerOutre les dix minima sociaux, la prime d’activité créée en 2016, – qui préexistait, mais sous d’autres formes –, a été augmentée de façon importante au début de l’année 2019. Il s’agit bien d’une prestation de solidarité, car elle est conditionnée aux ressources. En termes de dépenses publiques, le total des prestations représentait en 2019 un peu moins de 60 milliards d’euros ».

a.   Une concertation inaboutie dont les résultats doivent être publiés

Nommé début 2019 rapporteur général des travaux administratifs menés en parallèle d’une large consultation organisée par la DIPLP, M. Fabrice Lenglart n’a, à ce jour, pas publié son rapport.

M. Lenglart a piloté les travaux inter‑administratifs de février 2019 à avril 2020, puis de nouveau à partir du printemps 2021, mais la concertation publique a été interrompue au printemps 2020 sans jamais reprendre, ce qui a déçu les associations de lutte contre la pauvreté dont certaines ont beaucoup investi dans ce chantier.

Illustrant la complexité du sujet, les échanges interadministratifs associaient 24 directions d’administration centrale de 12 ministères différents ainsi que les caisses de sécurité sociale, Pôle emploi et le Centre national des œuvres universitaires et scolaires (CNOUS).

Lors de son audition le 7 octobre 2021, M. Lenglart affirmait qu’il achevait son rapport, décrit comme un outil d’aide à la décision, récapitulant les différentes options possibles avec les étapes de leur mise en œuvre et non comme une solution clé en main à prendre ou à laisser.

Le 5 janvier 2022, devant la commission des affaires sociales du Sénat, il précisait « Je me suis engagé à remettre à l’automne au Gouvernement un rapport de préfiguration, dont j’ai remis une première version à Matignon et que je suis en train de finaliser, en lien avec les conseillers des différents cabinets ministériels et l’Élysée. Ce rapport fait 200 pages, assorties de 300 pages d’annexes. Dans toute ma carrière de fonctionnaire, je n’avais jamais vu un travail aussi fouillé et réalisé dans de telles conditions exceptionnelles de collaboration entre administrations pourtant issues de ministères différents ! ».

Cette description met l’eau à la bouche mais il est bien dommage que ce document reste confidentiel alors qu’il pourrait servir de base au débat public relatif à la lutte contre la pauvreté dans le cadre des élections de l’année 2022, vos rapporteures ne peuvent donc qu’enjoindre au Gouvernement de le publier sans délais.

Proposition n° 11 :

Assurer dans les meilleurs délais la publication du rapport Lenglart comme outil d’aide à la décision exposant les différents scenarii applicables au revenu universel d’activité (RUA).

b.   Définir un revenu social de référence servant de base pour l’ensemble des minima sociaux

Le principal défaut de cet empilement d’aides sociales est qu’il est devenu d’une complexité extrême, M. Lenglart affirme même qu’aucune autorité administrative n’en maîtrise la globalité, ce qui génère d’important dysfonctionnements : illisibilité pour les bénéficiaires et l’ensemble des citoyens ce qui alimente des a priori ou des idées fausses et du non‑recours ainsi que des ruptures de droit, gaspillages des ressources administratives en remplissage de formulaire et contrôles divers et variés ou corrections d’erreurs, démotivation des travailleurs sociaux.

Plus grave encore, ce système est devenu impossible à piloter. Comme l’a dit M. Lenglart au Sénat : « lorsque vous voulez arranger telle ou telle situation, par exemple par des efforts budgétaires, vous convoquez tout un ensemble d’administrations, qui proposent des solutions, mais sans vraie certitude et avec d’éventuels effets de bord non prévus et de nouvelles réformes en vue – pas moins d’une par an ! ».

Suivant la situation des foyers modestes, les personnes vont parfois être éligibles à une, deux ou trois aides. Comme les barèmes n’ont jamais été pensés ensemble, lorsque le revenu du travail augmente, ce n’est pas une prestation qui va diminuer mais parfois les trois en même temps. Le gain au travail est donc parfois bien plus faible dans certains cas que dans d’autres.

Avant toute autre étape, un processus de rapprochement de la définition des bases de ressources ouvrant droit aux minima sociaux permettrait de progresser dans la simplification et l’équité du système.

Le 10 novembre 2021, le Conseil d’État a publié un rapport sur ce sujet comportant 15 propositions précises, portant notamment sur la définition harmonisée des revenus d’activité ou la prise en compte du patrimoine. Vos rapporteures souhaitent que ces propositions soient rapidement mises en œuvre par les pouvoirs publics afin de réduire les effets délétères de la complexité actuelle.

Proposition n° 12 :

S’inspirer du rapport du Conseil d’État publié le 10 novembre 2021 afin de simplifier et d’harmoniser les bases des ressources prises en compte pour l’éligibilité aux minima sociaux.

Cette question sensible, comme beaucoup d’autres évoquées dans ce rapport, devrait trouver sa place pleine et entière dans le débat public préalable aux importantes élections de 2022 car il en va de sujets aussi fondamentaux que ceux de la solidarité et de l’appartenance à la communauté nationale.


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   EXAMEN PAR LE COMITÉ

 

Le Comité a procédé à l’examen du présent rapport d’information lors sa réunion du jeudi 17 février 2022 et a autorisé sa publication.

Les débats qui ont eu lieu au cours de cette réunion sont accessibles sur le portail vidéo du site de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

https://videos.assemblee-nationale.fr/video.11890133_620dff1bc1cb1.cec--lutte-contre-la-pauvrete-au-contexte-de-crise-sanitaire-17-fevrier-2022

 


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  ANNEXE N° 1 :
PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURS

1. Auditions :

– Audition de M. Louis Schweitzer, président du comité d’évaluation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, et de Mme Marine de Montaignac, rapporteure auprès du comité d’évaluation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, cheffe de projet à France Stratégie. (16 septembre 2021)

– Audition de M. Nicolas Duvoux, sociologue et président du comité scientifique du conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE), accompagné de Mme Delphine Aubert, secrétaire générale, de M. Jean‑Claude Barbier, représentant du groupe de travail « suivi et analyse des retombées sociales sur les personnes vulnérables », de Mme Fatouma Soumaré Diop et de M. André Marcel, représentants du cinquième collège. (16 septembre 2021)

– Audition commune d’économistes et de sociologues, avec M. Stéphane Carcillo, professeur affilié au département d’économie de Sciences Po, chef de la division « emploi et revenus » à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ; M. Yannick L’Horty, professeur d’économie à l’Université Gustave Eiffel ; M. Pierre Boyer, professeur à CREST‑École polytechnique ; M. Guillaume Allègre, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). (30 septembre 2021)

– Audition de M. Fabrice Lenglart, directeur de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), rapporteur général à la réforme du revenu universel d’activité (RUA). (7 octobre 2021)

– Audition de Mme Marine Jeantet, déléguée interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté, ministère des solidarités et de la santé. (14 octobre 2021)

– Audition de M. Michel Houdebine, directeur de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques (DARES), ministère du travail, de l’emploi et de l’insertion, accompagné de M. Sébastien Grobon, adjoint au chef de la mission analyse économique. (14 octobre 2021)

– Audition de Mme Sandrine Aboubadra‑Pauly, déléguée générale de l’Union nationale des missions locales (UNML), et de M. Olivier Gaillet, chargé de mission. (14 octobre 2021)

– Audition de M. Jérôme Voiturier, directeur général de l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux* (UNIOPSS), et de Mme Manon Jullien, conseillère technique en charge de la lutte contre l’exclusion. (21 octobre 2021)

– Audition de Mme Héléna Revil, chargée de recherche et responsable scientifique de l’Observatoire des non‑recours aux droits et services (Odenore). (28 octobre 2021)

– Audition de Mme Christel Colin, directrice des statistiques démographiques et sociales à l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), et de Mme Sylvie Le Minez, cheffe de l’unité des études démographiques et sociales (UEDS). (4 novembre 2021)

– Audition de M. Jérôme Jumel, adjoint à la directrice générale de la cohésion sociale (DGCS), chef du service des politiques sociales et médico‑sociales du ministère des solidarités et de la santé, et de M. Denis Darnand, adjoint à la sous‑directrice de l’inclusion sociale, de l’insertion et de la lutte contre la pauvreté. (4 novembre 2021)

– Audition de Mme Charlette Boué, vice‑présidente du conseil départemental du Gers. (18 novembre 2021)

 

2. Tables rondes :

– Table ronde n° 1 regroupant des associations (23 septembre 2021)

. M. Pascal Brice, président de la Fédération des acteurs de la solidarité* (FAS) ;

. Mme Marie‑Aleth Grard, présidente de l’association ATD Quart Monde* ;

. Mme Élodie Charmat et M. Roland Cotton, responsables de l’Observatoire des Restos, Restos du cœur* ;

. Mme Pauline Portefaix, chargée d’études auprès de la Fondation Abbé Pierre*.

– Table ronde n° 2 regroupant des associations (23 septembre 2021)

. M. Alain Christnacht, président du Samusocial de Paris ;

. M. Alain Villez, président de l’association Les Petits frères des pauvres, accompagné de M. Yann Lasnier, délégué général ;

. Mme Valérie Fayard, directrice générale déléguée de l’association Emmaüs France ;

. M. Tarik Touahria, président de la Fédération des centres sociaux et socioculturels de France (FCSF), accompagné de M. Hugo Barthalay, délégué national ;

. Mme Isabelle Martinelli, membre du comité national du Secours populaire français.

 

3. Organismes ayant répondu au questionnaire écrit des rapporteures :

– Conseil d’administration de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF)

– Secours catholique*

– Union nationale des centres communaux et intercommunaux d’action sociale (UNCCAS)

 

 

 

 

 

* Ces organismes ont procédé à leur enregistrement au répertoire des représentants d’intérêts géré par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique.


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  ANNEXE N° 2 :
contribution de mme Sylvie Tolmont
Au nom du groupe socialisteS et apparentéS

En conclusion, à cette présentation formelle de ce rapport, je me permets d’ajouter quelques remarques personnelles.

Tout d’abord, je souhaite saluer le travail des administrateurs du CEC qui l’ont effectué dans des conditions difficiles d’une part en raison de la crise sanitaire qui s’est invitée au cours de la réalisation du rapport et au regard de la difficulté à allier les positions de vos rapporteures sur un certain nombre de mesures.

Malgré toute leur bonne volonté, ce rapport est impacté par sa temporalité. Réalisé en fin de session parlementaire dans un temps restreint, il nous a forcé à éliminer de notre périmètre ou à survoler un certain nombre de champs à commencer par l’accès aux soins, mais nous pourrions également parler du numérique, de l’éducation, du logement, etc.

D’autre part, on ne peut faire l’impasse sur les enjeux de la campagne présidentielle dans laquelle s’inscrit la publication de ce rapport. Ils ont pu cristalliser quelques divergences d’approche qui se ressentent dans la neutralité des propositions du rapport.

Que les choses soient claires, je ne souhaite absolument pas minorer les mesures prises par le Gouvernement durant cette crise sanitaire en faveur des personnes précaires.

Nous avons ainsi dans le rapport toute une liste de dispositifs assorties de masses chiffrées même si nous sommes incapables de savoir réellement si les besoins ont été comblés faute du total de la cible à atteindre.

Simplement, je ne peux que constater et déplorer comme le souligne France Stratégie que des moyens limités aient été mobilisés pour aider les ménages déjà pauvres. Le CNLE souligne que les réponses du Gouvernement, efficaces vis‑à‑vis des salariés, reflètent cette hiérarchie sociale faite par l’État.

Or, la Stratégie pauvreté était déjà en difficulté avant la crise sanitaire. Nicolas Duvoux note cet essoufflement de la dynamique qu’il attribue en grande partie à l’incohérence des orientations contradictoires des politiques publiques : d’un côté on met en place une stratégie pauvreté, de l’autre, on impacte cette même stratégie avec des politiques qui la contredisent.

Tel est le cas avec les réformes des APL ou bien celle de l’assurance chômage en 2021 qui ont durci à un niveau jamais égalé les conditions d’indemnisation des demandeurs d’emploi. Les effets sur la situation de publics fragilisés par la crise doivent être surveillés selon France Stratégie dans ses points de vigilance.

Ainsi on aboutit au creusement des inégalités. L’Institut des politiques publiques a publié, en novembre une évaluation approfondie des conséquences, sur les ménages comme sur les entreprises, des mesures fiscales et sociales prises entre 2017 et 2022. Elle démontre que les 5 % de ménages les plus modestes, ceux qui vivent avec moins de 800 euros par mois, vont perdre jusqu’à 0,5 % de pouvoir d’achat (jusqu’à 39 euros sur un an). À l’échelle individuelle, 80 % des 1 % les plus modestes sont mêmes perdants sur le quinquennat, contre un quart des 1 % les plus aisés.

L’orientation de la lutte contre la pauvreté via le prisme de l’activité et du retour à l’emploi nie un certain nombre de facteurs et ne répond pas à l’ensemble des besoins de certains publics :

Le nombre d’emplois vacants reste très largement inférieur au nombre de demandeurs d’emploi : 13 chômeurs pour un emploi (chiffres de la DARES).

Les personnes âgées qui sont les grandes oubliées de la Stratégie pauvreté comme des mesures ponctuelles de soutien pendant la crise. Or, comme nous l’ont expliqué Les Petits Frères des Pauvres, elles ont été confrontées elles aussi à la dégradation de leur pouvoir d’achat y compris les bénéficiaires de la revalorisation du minimum vieillesse.

Elle ne répond pas non plus au besoin des étudiants en formation qui ne rentrent pas dans les dispositifs liés à l’activité et qui ont besoin pour autant d’un soutien financier.

D’autre part, il me paraît présomptueux d’affirmer aujourd’hui qu’en raison des indicateurs à notre disposition, toute hausse durable de la précarité et de la pauvreté sera évitée au regard d’un certain nombre de signaux faibles ou forts qui ne sont pas pris en compte dans ce rapport, faute de temps.

En figeant l’analyse de la situation, je crains que nous ne sous‑estimions les impacts à long terme, là où la stratégie pauvreté qui souffrait de manques, n’est plus adapté pour y faire face.

Comme le souligne le CNLE qui a caractérisé cette pauvreté de « démultipliée » et irréductiblement plurielle, on ne peut se contenter d’apporter une réponse unique.

Avoir plus de 16 % de la population en situation de pauvreté est une alerte sérieuse en matière de fragilisation toujours plus forte de la cohésion sociale de notre pays. Les convulsions sociales vécues au cours de ce quinquennat ne doivent pas être sous estimées.

Même s’ils ne sont pas plus nombreux, les pauvres sont de plus en plus pauvres. Laisser perdurer ce décrochage représente un coût humain et social pour notre société qui n’est pas évalué.

Certes, en faire l’axe prioritaire de la prochaine stratégie est une bonne chose et j’y adhère, mais une politique de lutte contre la pauvreté se doit d’être globale et nécessite des mesures clairement structurelles et non uniquement conjoncturelles.

Ce qui est encore le cas avec l’exemple de la crise de l’énergie que nous connaissons et la réponse gouvernementale du versement en octobre dernier d’une « indemnité classe moyenne » de 100 euros aux Français vivant avec moins de 2 000 euros nets par mois. L’effort est important mais mal ajusté et aboutit à des situations injustes.

Ainsi, une mère célibataire avec 3 enfants, qui gagne 2 050 € par mois, qui prend sa voiture pour travailler, n’aura pas droit aux 100 € du Gouvernement.

Je terminerai mes propos par la réforme du RUA dont je ne peux que déplorer l’abandon durant ce quinquennat car il a servi de prétexte à l’absence de revalorisation du RSA ces 5 dernières années.

Les contreparties liées au travail président également la philosophie de sa création ce qui a d’emblée soulevé l’inquiétude des associations quant à la corrélation des aides au logement avec l’emploi.

Je rappellerais ce que nous avons entendu lors de l’audition de France Stratégie : « les contreparties sont sources de non‑recours ».

Face à l’incertitude du nouveau périmètre, je défends avec mon groupe, la proposition du revenu de base fusionnant le RSA et la prime d’activité et reposant sur les 3 principes suivants :

1. Ouverture aux 1824 ans. Aujourd’hui le RSA n’est proposé qu’aux personnes qui ont plus de 25 ans,

2. Inconditionnalité et automaticité pour répondre au nonrecours, contemporanéité avec les autres prestations,

3. Dégressivité en fonction des revenus d’activité des personnes, afin de garder une réelle incitation au travail.

Je vous remercie.

 


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   CONTRIBUTION DE FRANCE STRATÉGIE

 

Cette contribution peut être consultée sur le site de France Stratégie à l’adresse suivante :

https://www.strategie.gouv.fr/publications/evaluation-de-strategie-nationale-de-prevention-de-lutte-contre-pauvrete-rapport-2021

 


([1]) Inégalités de niveau de vie et pauvreté entre 2008 et 2018, Revenus et patrimoine des ménages – INSEE Références, 2021.

([2]) Le taux de risque de pauvreté persistant correspond à la part de ménages dont le revenu disponible équivalent est inférieur au seuil de risque de pauvreté pour l’année en cours et l’était également au moins deux des trois années précédentes.

([3]) L’intensité de la pauvreté désigne la différence entre le revenu médian des personnes en‑dessous du seuil de pauvreté et le seuil de pauvreté.

([4]) « 70 % des personnes pauvres en 2016 le restent l’année suivante, une persistance en hausse depuis 2008. », Albouy et Delmas – INSEE Focus, octobre 2020.

([5]) L’ascenseur social en panne ? Comment promouvoir la mobilité sociale – OCDE, 2018.

([6]) Document de présentation de la Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté – Délégation interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté (DIPLP) et Ministère des solidarités et de la santé, octobre 2018.

([7]) Document de présentation de la Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté – DIPLP et Ministère des solidarités et de la santé, octobre 2018.

([8]) Les autres mesures de la Stratégie (28/35) relèvent de politiques publiques mises en œuvre dans les territoires par les services de l’État.

([9]) Comité d’évaluation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté – Rapport 2021, France Stratégie, mars 2021.

([10]) Données issues du rapport d’étape national de la SNPLP de la Délégation interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté (DIPLP), octobre 2021.

([11]) Évaluation de la contractualisation entre l’État et les collectivités territoriales dans le cadre de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté – Rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), juillet 2021.

([12]) Rapport du Comité d'évaluation de la SNPLP, complément n° 9, 2021.

([13]) Fiche thématique, mesure 3.1 – Comité d’évaluation de la SNPLP, rapport 2021.

([14]) L’insertion par l’activité économique en 2020, Blasco et Frances – DARES résultats, n° 78, décembre 2021.

([15]) « Les réformes sociofiscales de 2019 augmentent fortement le revenu disponible des ménages, surtout pour ceux de niveau de vie intermédiaire et ceux en emploi », F. Cornuet, S. Fredon, F. Paquier, M. Sicsic et N. Vergier – in France, portrait social, coll. INSEE Références, édition 2020.

([16]) La lutte contre la pauvreté au temps du coronavirus – Note d’étape de France Stratégie, octobre 2020.

([17]) Faim de dignité. État de la pauvreté en France en 2021 – Secours catholique‑Caritas France, novembre 2021.

([18]) Aide alimentaire : une hausse prononcée des volumes distribués par les associations en 2020 – DREES‑INSEE, juillet 2020.

([19]) Aide alimentaire : une fréquentation accrue des grands centres de distribution dans les grandes villes les plus exposées à la pauvreté début 2021, Radé et Léon – Études et résultat, n° 1218, février 2022.

([20]) Étude flash sur les effets de la crise sanitaire (Covid‑19) sur les publics reçus par les Restos du cœur, Arnal et al. – 2021.

([21]) Les inégalités sociales au temps du Covid‑19, Bajos et al. – Questions de santé publique, n° 40, IRESP, octobre 2020.

([22]) Inconfinables ? Les sans‑abri face au coronavirus, Julien Damon – 2021.

([23])  Étude nationale des maraudes et Samu sociaux sur le sans‑abrisme – Fédération nationale des samusociaux (FNSS) en partenariat avec la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), 2021.

([24]) Isolement des personnes âgées : les impacts de la crise sanitaire – Rapport des Petits Frères des Pauvres, n° 5, mars 2021.

([25]) Une chambre à soi : un atout dans la scolarité ?, Marie Gouyon – Données sociales, 2006.

([26]) Inégalités scolaires, conditions de vie et ressources parentales : quels obstacles sur le chemin de « l’école à la maison ? », Y. Souidi – Blog de l’IPP, 2020.

([27]) Résultats de l’enquête flash Covid‑19 auprès des missions locales – DARES, juin 2020.

([28]) Justice : le difficile suivi des majeurs protégés en temps de pandémie, article du journal Le Monde du 19 mai 2020.

([29]) FAQ : mandataires judiciaires à la protection des majeurs – Guide ministériel, 21 avril 2020.

([30]) Les inégalités sociales à l’épreuve de la crise sanitaire : un bilan du premier confinement – Portrait social, INSEE, éd. 2020.

([31]) « En mai 2020, 4,5 % de la population en France métropolitaine a développé des anticorps contre le SarsCoV2 », Warszawski et al. – Études et résultats, n° 1167, DREES, octobre 2020.

([32]) L’invisibilité des minorités dans les chiffres du Coronavirus : le détour par la Seine‑Saint‑Denis, Solène Brun et Patrick Simon – juillet 2020.

([33]) La pauvreté démultipliée, sous la direction de Nicolas Duvoux et Michèle Lelièvre – Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE), 2021.

([34]) Étude flash sur les effets de la crise sanitaire (Covid‑19) sur les publics reçus par les Restos du cœur, Arnal et al. – 2021.

([35]) Évaluation au 11 décembre 2020 de l’impact économique de la pandémie de Covid‑19 – Policy Brief.

([36]) Les métiers au temps du coronavirus – France Stratégie, avril 2020.

([37]) Consommation, épargne et fragilités financières pendant la crise Covid : quelques enseignements additionnels sur données bancaires, Etienne Fize, Camille Landais et Chloé Lavest – Conseil d’analyse économique, janvier 2021.

([38]) Une année seuls ensemble. Enquête sur les effets de la crise salaire sur l'année universitaire 2020‑2021 –OVE, n° 45, novembre 2021.

([39]) Un sentiment de pauvreté en hausse chez les jeunes adultes fin 2020, Lardeux, Papuchon, Pirus – Études et résultats, DREES, juillet 2021.

([40]) Qui se sent pauvre en France ? Pauvreté subjective et insécurité sociale, Duvoux et Papuchon – Revue française de sociologie, avril 2018.

([41]) La lutte contre la pauvreté au temps du coronavirus – Note d’étape de France Stratégie, octobre 2020.

([42]) « En 2020, les inégalités et le taux de pauvreté monétaire seraient stables » – INSEE Analyses, n° 70, novembre 2021.

([43]) Inégalités de niveau de vie et pauvreté entre 2008 et 2018, Revenus et patrimoine des ménages – INSEE Références, éd. 2021.

([44]) Minima sociaux et prestations sociales‑ménages aux revenus modestes et redistribution –DREES, septembre 2021.

([45]) Estimations avancées des évolutions des foyers allocataires du RSA – RSA conjoncture (supplément exceptionnel lié à la Covid‑19) – CNAF, avril 2021.

([46]) Ménages modestes : impact des mesures de soutien exceptionnelles– Le billet d’Agnès BenassyQuéré, décembre 2020.

([47]) Estimation avancée du taux de pauvreté monétaire et des indicateurs d’inégalités, Buresi et Cornuet – INSEE Analyses, novembre 2021.

([48]) Un an de crise sanitaire. État des lieux du marché du travail et enjeux pour la relance, rapport Coquet – Conseil d’orientation pour l’emploi, avril 2021.

([49]) Covid19/Hébergement d'urgence – Instruction n° D20004663 du ministre chargé de la ville et du logement, 19 mars 2020.

([50]) Politique d’hébergement d'urgence, M. Philippe Dallier – Rapport d’information du Sénat n° 632 fait au nom de la commission des finances, mai 2021.

([51]) L’état du mal‑logement en France en 2022 – Fondation Abbé Pierre, rapport annuel n° 27, février 2022.

([52]) Crise sanitaire et pauvreté : le département de Seine‑Saint‑Denis a maintenu le lien social par téléphone – Article paru dans Le Monde du 4 mai 2021.

([53]) Crise sanitaire : un lien social maintenu fin 2020 – Études et résultats n° 1211, DREES, octobre 2021.

([54]) Quatre millions fragilisés par la crise sanitaire, Hoibian et Croutte – CRÉDOC, n° 320, octobre 2021.

([55]) La pauvreté démultipliée, sous la direction de Nicolas Duvoux et Michèle Lelièvre – Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE), 2021.

([56]) Qui sont les allocataires indemnisés par l’assurance chômage – UNÉDIC, octobre 2020.

([57]) La Garantie jeunes : quels jeunes et quel bilan après cinq ans – DARES analyses, n° 18, avril 2019.

([58]) Estimation avancée du taux de pauvreté monétaire et des indicateurs d’inégalités. En 2020, les inégalités et le taux de pauvreté monétaire seraient stables – INSEE Analyses, n° 70, de novembre 2021.

([59]) https://blog.insee.fr/le-taux-de-pauvrete-serait-stable-en-2020-ce-que-dit-cette-premiere-estimation-et-ce-quelle-ne-dit-pas/

([60]) Minima sociaux et prestations sociales – DREES, p.14, septembre 2021.

([61]) https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/communique-de-presse/suivi-mensuel-des-prestations-de-solidarite-pendant-la-crise-sanitaire-6

([62]) L’état du mal‑logement en France en 2022 – Fondation Abbé Pierre, rapport annuel n°27.

([63]) Les jeunes face à la crise sanitaire, DARES du 16 septembre 2021.

([64]) L’insertion des jeunes sur le marché du travail – Publication de la Cour des comptes, 14 décembre 2021.