N° 5112

______

ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 février 2022

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DE la dÉfense nationale et des forces armÉes

en conclusion des travaux d’une mission d’information (1)

sur la défense NRBC

ET PRÉSENTÉ PAR

MME Carole bureau-bonnard et M. André chassaigne

Députés

——

 

(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.


La mission d’information sur la défense NRBC est composée de : Mme Carole Bureau-Bonnard et M. André Chassaigne, rapporteurs.

 


—  1  —

SOMMAIRE

___

Pages

Introduction

Première partie : Malgré l’adoption de conventions internationales, la menace NRBC redevient un enjeu opérationnel majeur pour les armées

I. Un encadrement, par le droit international et l’action diplomatique, de la prolifération d’armes de destruction massive

A. Une interdiction progressive des armes de destruction massive pendant et au lendemain de la Guerre froide

1. Le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires est associé à des modalités de vérification appuyées par une agence internationale

2. La Convention sur l’interdiction des armes biologiques et à toxines prévoit, sur base du volontariat, la présentation par les États parties de mesures de confiance, sans régime de vérification

3. La Convention sur l’interdiction des armes chimiques : un régime performant pour l’élimination des stocks déclarés, assorti d’un mécanisme d’inspection

B. Des dispositions transposées dans le code de la défense

C. Une contribution essentielle du ministère des armées au volet diplomatique de la lutte contre la prolifération

II. La recrudescence de la menace NRBC depuis une dizaine d’années en fait un enjeu opérationnel majeur pour les armÉes

A. Une recrudescence de la menace en provenance d’acteurs plus diversifiés

1. Une recrudescence de la menace depuis une dizaine d’années

2. Une évaluation de la menace assurée par l’état-major des armées et les services de renseignement

a. Une évaluation assurée dès la phase de planification par la cellule de contre-prolifération NRBC du CPCO

b. La nécessité d’un effort significatif en matière de renseignement d’intérêt militaire

3. Une diversification des adversaires potentiels

a. Les États « dotés ou capables ».

b. Les États proliférants

c. Les États « inédits ».

d. Les acteurs non étatiques et les groupes terroristes

B. Une menace complexe aux effets multiples

1. La distinction entre risque, menace, environnement et incident NRBC

2. Une menace protéiforme appréhendée dans sa globalité

a. Quatre types de dangers

b. Une menace appréhendée dans sa globalité

i. Une menace appréhendée dans sa globalité du point de vue des capacités de défense et de la réponse opérationnelle

ii. Des distinctions en matière de recherche de renseignement, de détection, d’identification et de neutralisation

3. Des armes de destruction et de désorganisation massives aux effets matériels et immatériels susceptibles de remettre en cause l’efficacité des forces armées

a. Les effets matériels : destruction massive ou désorganisation massive ?

b. Les effets immatériels : un impact psychologique majeur

i. Des effets traumatisants pour l’opinion publique susceptibles de se répercuter sur les armées

ii. Un effet de surprise pouvant conduire à une rupture dans la conduite des opérations

c. Des armes visant à remettre en cause l’efficacité des forces armées

d. Des effets complexes dans le temps

Deuxième partie : La France est dotée de réelles capacités de défense NRBC

I. Une doctrine fondée sur trois missions, trois principes d’action et cinq capacités

A. Une triple mission et trois principes d’action

1. Une triple mission : protéger les forces, contribuer à la protection de la population et à la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive

2. Trois principes d’action : prévenir, gérer, restaurer

B. Cinq piliers capacitaires

II. Une organisation fondée sur la complémentarité et la non duplication, dans un contexte de rareté des moyens

A. Un pilotage interministériel du domaine NRBC assuré par le secrétariat général de la dÉfense et de la sécurité nationale

B. Une organisation de la défense NRBC clairement répartie entre les armées, directions et services du ministère des armées

1. La direction générale de l’armement est chargée de la recherche-développement et conduit les opérations d’armement du domaine NRBC

2. Une organisation à deux niveaux au sein de l’état-major des armées pour assurer permanence et complémentarité

a. L’état-major des armées

b. Une organisation fondée sur la distinction entre moyens génériques et spécialisés

i. La défense NRBC générique permet à toutes les unités de survivre et de continuer à combattre

ii. La défense NRBC spécialisée constitue un réservoir unique de capacités rares

c. Le 2e régiment de dragons : régiment spécialisé de l’armée de Terre remplissant un contrat opérationnel interarmées

d. La composante aérienne, avec la brigade des pompiers de l’air et les treize escadrons de sécurité incendie et de sauvetage, obéit à une logique d’emprise

e. La Marine ne dispose pas d’unité de défense NRBC spécialisée mais de capacités réparties dans ses différentes forces

f. Le service de santé des armées

g. Les centres experts

III. La formation des personnels, enjeu clef pour préserver un vivier rare et éviter toute perte de compétences

IV. Les équipements : l’amorce d’un rattrapage

A. Le schéma directeur SAFIR établi en 2012 visait à pérenniser l’existant et à combler les lacunes jugées critiques

B. Le programme à effet majeur CINABRE s’appuie sur une approche incrémentale

1. Le premier incrément vise au renouvellement des capacités et à combler les lacunes critiques

2. Les incréments suivants devraient permettre de développer des équipements de nouvelle génération

C. L’opération « EPIA » vise à assurer la production des équipements de protection individuelle

D. Le volet recherche : l’importance stratégique de l’innovation

V. Une soutenabilité de l’effort reposant sur la capacité à assurer dans la durée le soutien des équipements

VI. Une préparation opérationnelle prenant en compte la défense NRBC

Troisième partie : Bien que réelles et reconnues par nos alliés, nos capacités de défense NRBC doivent impérativement être renouvelées et consolidées au plus tôt

I. Sanctuariser et renforcer les moyens humains et capacitaires en loi de programmation militaire

A. Sanctuariser les acquisitions d’équipement en loi de programmation militaire pour éviter toute rupture temporaire de capacité

1. Garantir aux forces un développement capacitaire cohérent et compatible avec un engagement de haute intensité

a. Les forces armées sont confrontées à un risque de rupture capacitaire lié à l’obsolescence de certains matériels et à la vétusté des porteurs

i. Les matériels n’ont pas tous le même niveau d’ancienneté

ii. Les équipements lourds de l’armée de Terre se caractérisent par leur ancienneté

iii. L’armée de l’Air et de l’espace souffre elle aussi de lacunes et de la vétusté de nombre de ses équipements, à l’exception notable de ceux de ses pilotes de chasse

b. Le premier incrément du programme CINABRE ne permettra pas de combler les retards accumulés pendant la décennie 2010

c. Consacrer à la défense NRBC un budget de 2 milliards d’euros d’ici à 2030

d. Acquérir au plus tôt 25 GRIFFON NRBC

e. Mieux prendre en compte les spécificités de chaque armée dans les contrats d’acquisition d’équipement

2. Mettre un terme à l’érosion des crédits dédiés à la recherche-développement dans le domaine NRBC

B. Faire des ressources humaines une priorité

II. Approfondir la coopération internationale tout en garantissant le maintien de la souveraineté nationale

A. Approfondir la coopération internationale

1. Une contribution active de la France, compte tenu de ses compétences reconnues, à la force opérationnelle interarmées de défense NRBC de l’Alliance atlantique

2. Une contribution à la coopération européenne en matière de recherche et développement

3. Des coopérations renforcées possibles avec certains États européens, à condition de bien choisir ses partenaires

B. Conserver une autonomie stratégique

1. Disposer d’une appréciation autonome de la situation grâce au renseignement et conserver une capacité d’intervention

2. Soutenir une base industrielle et technologique de défense aujourd’hui fragmentée, condition sine qua non de notre souveraineté

a. Un enjeu de souveraineté

b. Une base industrielle et technologique de défense très fragmentée, composée de nombreux petits acteurs fabriquant des produits de niche

c. Un soutien notable de la DGA aux PME et ETI de la filière NRBC

d. Un droit de la commande publique adapté aux spécificités de matériels qualifiés comme équipements militaires

e. Une BITD qui pourrait être renforcée, moyennant un effort de rationalisation des stratégies capacitaires au niveau interministériel

f. Une BITD dont il faut aussi sécuriser la matière grise et les filières de matières premières afin de lui permettre de faire face à la concurrence étrangère

III. Conférer à la défense NRBC une plus grande visibilité pour renforcer son attractivité au sein du ministère des armées

Examen en commission

Synthèse des propositions

Annexes

Annexe  1 : Liste des personnes auditionnées, des contributions écrites et des déplacements des rapporteurs

1. Auditions

2. Contributions écrites

3. Déplacements

Annexe  2 : Les missions des forces de sécurité en cas d’événement NRBC sur le territoire national

I. Le rôle central de la sécurité civile en cas d’événement NRBC

II. Des formations militaires de la sécurité civile couvrant l’ensemble des risques et des menaces NRBC

A. Un commandement de l’armée de Terre mis pour emploi à la disposition du ministre de l’Intérieur

B. Des missions caractérisées par la polyvalence

C. Des capacités NRBC couvrant l’ensemble des risques et menaces mais des moyens financiers qui restent comptés

1. Des capacités NRBC couvrant l’ensemble des risques et des menaces

a. Un contrat opérationnel exigeant, alliant permanence et polyvalence

b. Une organisation adaptée au contrat opérationnel

c. Une ressource humaine qualifiée

d. Des matériels diversifiés, complexes et coûteux

e. Des entraînements réguliers avec des acteurs variés

2. Des innovations et des perspectives européennes à développer

a. Des efforts dans le domaine de la décontamination

b. Des projets européens en cours de développement

D. La militarité des ForMiSC, gage de leur efficacité et de leur résilience

1. La spécificité militaire des ForMiSC

a. Le recrutement

b. La formation de cursus

c. Les entraînements

d. Les missions

2. Les atouts de la militarité

III. La gendarmerie nationale : un acteur doté de capacitÉs majeures dans le domaine NRBC

A. Une stratégie de réponse NRBC fondée sur la complémentarité et la subsidiarité

B. Une force armée s’appuyant sur un réseau d’experts

C. Une intervention coordonnée des forces de sécurité intérieure en cas d’événement NRBC

D. Une action de la gendarmerie qui s’articule avec celle des autres acteurs du domaine NRBC

IV. La police nationale, un acteur au cœur de la gestion de crise

A. Une doctrine opérationnelle

B. Des personnels formés et entraînés

C. Du matériel de protection adapté au risque


  1  

 

   Introduction

 

 

Abondamment illustrées au cinéma, évoquées dans la presse et objet des plus hautes attentions politiques et diplomatiques, les armes nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC) – plus couramment appelées armes de destruction massive – demeurent dans l’ombre du secret et le flou d’une perception collective trop souvent tronquée par les lacunes historiques. Comment ne pas penser à ces poilus rescapés des tranchées – que les plus anciens d’entre nous ont connus, marqués dans leur chair par les effets durables des gaz de combat dont la tristement célèbre ypérite ? La compréhension de l’organisation, du rôle, de l’emploi, des contraintes et des effets de ces armes a, de tout temps, été déformée par la recherche du sensationnalisme, la simplification hâtive ou l’instrumentalisation délibérée.

Pourtant, l’histoire des armes de destruction massive, souvent méconnue, est riche d’enseignements. Depuis le Premier conflit mondial, avec la naissance de la guerre chimique, ces armes offrent l’image d’une forme de combat très paradoxale. Parfois d’emploi très limité et marqué par le secret et la dénégation, ces armes mystérieuses, redoutables et terrifiantes – maintes fois condamnées et rejetées avec vigueur – n’ont jamais disparu en dépit d’interdictions formelles. Au contraire, les évolutions technologiques n’ont cessé de permettre leur perfectionnement. L’usage de poisons et la propagation volontaire de maladies sont des procédés aussi anciens que la guerre elle-même. Les « progrès » scientifiques et industriels ont permis à ces moyens souvent empiriques de devenir de véritables armes au début du XXe siècle. La maîtrise de l’atome apporta ensuite une dimension apocalyptique supplémentaire. Les armes de destruction massive soulèvent des enjeux dont les réponses suivent une ligne globalement similaire depuis près d’un siècle, aux contraintes juridiques et aux progrès technologiques près. Par ailleurs, la rareté des cas concrets suffisamment détaillés entraîne celle des retours d’expérience, pourtant cruciaux dans l’anticipation de la menace.

Depuis l’Antiquité, l’utilisation des armes biologiques et chimiques au cours d’opérations militaires est récurrente. L’emploi de fumées irritantes ou toxiques, obtenues selon de nombreux procédés, de même que l’empoisonnement de puits et le catapultage de pestiférés sont relatés dans de nombreux ouvrages.

À l’époque moderne, c’est à la fin du XIXe siècle que les « progrès » réalisés dans le domaine de la chimie rendent crédible la perspective de développement de l’utilisation de ces armes nouvelles lors d’un futur conflit. La Déclaration faite à La Haye le 29 juillet 1899 interdit l’emploi de projectiles ayant pour but unique de répandre des gaz asphyxiants ou délétères. La deuxième Conférence de La Haye, tenue en 1907, réitère l’interdiction d’emploi de poisons ou d’armes empoisonnées.

Pourtant, l’arme chimique fait son apparition sur le champ de bataille dès l’automne 1914 et l’emploi des gaz de combat ne cesse de croître durant tout le conflit. L’efficacité de la guerre chimique est en revanche réduite dès lors que des moyens de protection efficaces et immédiatement disponibles sont mis à disposition des troupes – qui doivent néanmoins être correctement instruites et respecter strictement les consignes. Si les pertes par gaz furent parfois exagérées par la propagande, l’opinion publique considéra les gaz de combat comme une arme barbare et les états-majors comme un moyen efficace et « prometteur » pour l’avenir…

Utilisée par l’Espagne à partir de 1923 durant la guerre du Rif, prohibée par le Protocole de Genève de 1925, l’arme chimique est également employée par l’Italie lors de la conquête de l’Éthiopie en 1935-1936 puis par le Japon contre la Chine dès 1938. En dépit d’une certaine émotion de l’opinion publique, les réactions internationales ne furent sans doute pas à la hauteur des épreuves subies par les victimes, rarement protégées et incapables de riposter.

Largement redoutée, mais consciencieusement préparée par les belligérants, la guerre chimique ne fut pas menée durant la Seconde Guerre mondiale. Cependant, on note la rupture technologique et morale qu’entraîna l’emploi de la bombe atomique à Hiroshima et à Nagasaki, que résume si bien Albert Camus dans son éditorial de Combat du 8 août 1945 : « La civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir proche, entre le suicide collectif ou l’utilisation intelligente des conquêtes scientifiques ».

La Guerre froide est le théâtre d’un développement accéléré sans précédent, les deux camps militarisant toute substance toxique ou agent biologique jugés efficaces. C’est le début de la prolifération, tous domaines confondus – avec la constitution d’arsenaux nucléaires, l’amoncellement de munitions chimiques et le développement d’armes biologiques sophistiquées. Considérées comme incontournables sur un éventuel champ de bataille en Europe centrale, les armes de destruction massive marquent durablement de leur empreinte près d’un demi-siècle d’histoire mondiale. Les conflits périphériques voient eux aussi l’emploi de l’arme chimique, jamais revendiqué et souvent nié.

La conclusion de conventions et de traités pendant la Guerre froide vise une nouvelle fois à contraindre ou à interdire l’emploi des armes NRBC. Enjeu incontournable au cours de cette période et fait marquant durant la guerre du Golfe en 1990-1991, la défense NRBC a ensuite connu une désaffection générale à partir du début des années 1990, cet aspect des opérations étant largement absent des théâtres en dépit de situations présentant des dangers réels pour les forces, notamment en Bosnie et au Kosovo. Ainsi, la nature des engagements opérationnels depuis les années 1990 a considérablement réduit la prise en compte de la défense NRBC dans les activités de préparation opérationnelle ([1]). Ce phénomène est marqué non seulement en France mais aussi plus globalement chez nos Alliés.

On assiste à un tournant après les attentats du 11 septembre 2001 et la prise en compte de la menace terroriste NRBC ([2]).Toutefois, cette évolution ne concerne que les moyens spécialisés ([3]) de défense NRBC et le volet stratégique – en particulier, les aspects politico-diplomatiques de la lutte contre le terrorisme et la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive. Certaines capacités militaires ont néanmoins conservé des standards adaptés en matière de défense NRBC, tels que les moyens des composantes de dissuasion ou les bâtiments de premier rang de la Marine nationale.

Depuis une dizaine d’années, l’évolution de la situation internationale se traduit par l’aggravation constante de la menace et des risques NRBC qui ont dorénavant atteint un niveau au plus haut depuis la fin de la Guerre froide. Ainsi, l’emploi d’armes chimiques par des États parties à la Convention d’interdiction des armes chimiques montre que le recours aux armes NRBC doit désormais être considéré comme une réalité. Le caractère hybride d’un conflit renforce l’intérêt d’employer ce type d’armes à petite échelle et de façon très discrète tout en causant des effets significatifs. La remise en cause de certains traités internationaux, tels que le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI), et la poursuite des activités de recherche nucléaire à application militaire par certains pays fragilise les grands équilibres étatiques précédemment établis.

La guerre civile syrienne et l’emploi d’armes chimiques par les belligérants marquent un regain réel d’intérêt avec le développement de capacités spécifiques tournées vers la lutte contre la prolifération ([4]) et l’appui aux forces spéciales. L’empoisonnement de Sergueï Skripal en 2018, l’accélération des activités proliférantes de l’Iran et de la Corée du Nord dans le domaine nucléaire ainsi que le développement d’armes stratégiques de nouvelle génération par la Russie et la Chine associés à un contexte géostratégique de plus en plus menaçant ont permis une prise en compte accrue de la défense NRBC ([5]) .

À la recrudescence des menaces s’ajoute celle des risques biologiques, comme celui du SARS-COV-2, ou chimiques, comme l’accident industriel de Lubrizol. Les tensions politiques et la multiplication des conflits en zone urbanisée ne cessent d’augmenter la probabilité d’assister à des accidents technologiques et industriels majeurs, susceptibles d’être favorisés également par les catastrophes naturelles, dans un contexte de croissance démographique exponentielle dans les villes. Le développement des échanges, les flux de population ainsi que l’impact des activités humaines sur les écosystèmes contribuent à l’augmentation du risque biologique naturel, et notamment des épidémies, voire des pandémies.

Face à l’aggravation marquée des menaces et des risques NRBC, le chef d’état-major des armées a décidé en décembre 2020 la remontée en puissance des capacités de défense NRBC des armées. Un plan interarmées spécifiquement consacré au NRBC a été adopté le 5 août 2021, visant à faire en sorte que, dans les meilleurs délais possible, les armées, directions et services soient capables de mener l’ensemble de leurs missions dans le cadre d’un conflit de haute intensité ([6]) sous menace NRBC avérée. Face à un événement d’une probabilité toujours extrêmement difficile à évaluer, il convient de préparer une réaction adaptée et réaliste. L’évaluation la plus fine possible de la menace permet de proportionner raisonnablement la réponse. Face à des armes dont l’efficacité repose avant tout sur l’emploi par surprise, la clef du succès consiste à être doté d’une doctrine réaliste, d’une organisation simple et robuste, d’équipements performants et disponibles et de ressources humaines suffisamment nombreuses, correctement instruites et régulièrement entraînées. La leçon de l’histoire des armes NBC est très simple : être prêt, partout, tout le temps. Depuis le 22 avril 1915 ([7]), il n’est plus possible de baisser la garde.


  1  

 

   Première partie : Malgré l’adoption de conventions internationales, la menace NRBC redevient un enjeu opérationnel majeur pour les armées

Pendant et au lendemain de la Guerre froide, la lutte contre la prolifération d’armes de destruction massive s’est appuyée sur le droit international et l’action diplomatique (I). La recrudescence, depuis une dizaine d’années, de la menace NRBC est telle que cette dernière redevient un enjeu majeur pour les armées (II).

I.   Un encadrement, par le droit international et l’action diplomatique, de la prolifération d’armes de destruction massive

Une arme de destruction massive est un type d’arme capable, par la mise en œuvre limitée de forces et de moyens, d’infliger des pertes humaines et des destructions massives allant jusqu’à modifier de façon irréversible l’environnement. Les principales caractéristiques d’une arme de destruction massive sont sa grande capacité de destruction, le nombre élevé de destructions durables et leur dispersion au-delà de la zone de l’objectif, le traumatisme psychologique prolongé, les graves conséquences génétiques et écologiques, ainsi que la difficulté à protéger les unités et la population, puis l’élimination des conséquences de son emploi. Les armes nucléaires, radiologiques, chimiques et biologiques font partie des armes de destruction massive.

Pendant et au lendemain de la Guerre froide, on assiste à l’interdiction progressive des armes nucléaires, biologiques et chimiques (A). Les conventions prohibant les armes biologiques et chimiques ont été transposées dans le code de la défense (B) et le ministère des Armées continue de jouer un rôle majeur dans la lutte contre la prolifération d’armes de destruction massive (C).

A.   Une interdiction progressive des armes de destruction massive pendant et au lendemain de la Guerre froide

1.   Le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires est associé à des modalités de vérification appuyées par une agence internationale

Le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) ([8]) ([9]) vise à prévenir la prolifération des armes nucléaires, à promouvoir la coopération aux fins de l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire et à faire progresser l’objectif du désarmement nucléaire et du désarmement général et complet.

Le traité, ouvert à la signature en 1968, est entré en vigueur le 5 mars 1970. Le 11 mai 1995, il a été prorogé indéfiniment. C’est le traité qui compte le plus d’États parties – 191 – dans les domaines de la non-prolifération nucléaire, des utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire et du désarmement nucléaire.

Par le TNP, les États parties non dotés d’armes nucléaires se sont engagés à ne pas fabriquer ou acquérir par tout autre moyen des armes nucléaires ou tout autre dispositif nucléaire explosif tandis que les États parties dotés d’armes nucléaires se sont engagés à ne pas aider, encourager ou amener, en aucune manière, un État partie non doté d’armes nucléaires à fabriquer ou acquérir par tout autre moyen des armes nucléaires ou d’autres dispositifs explosifs nucléaires. On entend par États dotés d’armes nucléaires parties au Traité les États qui ont fabriqué et fait exploser une arme nucléaire ou tout autre dispositif explosif nucléaire avant le 1er janvier 1967. Cinq États dotés d’armes nucléaires – les États-Unis, la Russie, le Royaume-Uni, la Chine et France – sont parties au Traité. Les autres États dotés de l’arme nucléaire, ou réputés en être dotés – soit Israël, l’Inde et le Pakistan – ne l’ont pas signé ([10]).

L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), créée en 1957, assume des responsabilités essentielles de vérification découlant du Traité. De fait, l’article III du TNP impose à chaque État non doté d’armes nucléaires de conclure un accord de garanties généralisées permettant de vérifier que cet État respecte l’obligation prévue par le traité, ce afin d’empêcher que l’énergie nucléaire soit détournée des utilisations pacifiques vers des armes nucléaires ou d’autres dispositifs explosifs nucléaires. À la fin de l’année 2020, 176 États parties non dotés d’armes nucléaires avaient mis en vigueur les accords de garanties généralisées prévus par le Traité et 10 devaient encore le faire.

2.   La Convention sur l’interdiction des armes biologiques et à toxines prévoit, sur base du volontariat, la présentation par les États parties de mesures de confiance, sans régime de vérification

La Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes bactériologiques (biologiques) ou à toxines et sur leur destruction, plus communément appelée Convention sur les armes biologiques ou à toxines ([11])  (CABT), bannit la mise au point, la fabrication et le stockage de toute une catégorie d’armes de destruction massive. Elle a été ouverte à la signature le 10 avril 1972 et est entrée en vigueur le 26 mars 1975. Les États parties à la Convention sur les armes biologiques se sont engagés à ne jamais, et en aucune circonstance, mettre au point, fabriquer, stocker, ni acquérir d’une manière ou d’une autre ni conserver :

– des agents biologiques ainsi que des toxines, quels qu’en soient l’origine ou le mode de production, de types et en quantités qui ne sont pas destinés à des fins prophylactiques, de protection ou à d’autres fins pacifiques ;

– des armes, de l’équipement ou des vecteurs destinés à l’emploi de tels agents ou toxines à des fins hostiles ou dans des conflits armés.

La convention interdit la mise au point, la fabrication, l’acquisition, le transfert, la conservation, le stockage des armes biologiques et de toxines et constitue un élément essentiel pour la communauté internationale dans sa lutte contre la prolifération des armes de destruction massive.

À l’issue des deuxième et troisième conférences d’examen (1986 et 1991), les États parties ont entrepris de présenter, sur la base du volontariat, des mesures de confiance : données sur les centres de recherche et laboratoires ; informations sur les installations de production de vaccins ; informations sur les programmes nationaux de recherche-développement en matière de défense biologique ; déclaration des activités menées dans le passé au titre de programmes de recherche-développement biologique de caractère offensif ou défensif ; informations sur l’apparition de maladies infectieuses ou autres accidents similaires causés par des toxines ; encouragement à la publication des résultats et promotion de l’utilisation des connaissances et des contacts ; informations sur les mesures législatives, réglementaires et autres.

La convention compte actuellement 183 États parties. Cependant, son efficacité reste limitée en l’absence de régime de vérification du respect de ses dispositions, du fait de l’absence de consensus.

3.   La Convention sur l’interdiction des armes chimiques : un régime performant pour l’élimination des stocks déclarés, assorti d’un mécanisme d’inspection

La Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi des armes chimiques et sur leur destruction ([12]), encore appelée Convention sur les armes chimiques, a été ouverte à la signature à Paris le 13 janvier 1993. Quatre ans plus tard, en avril 1997, la Convention entrait en vigueur. Il s’agit du premier traité multilatéral interdisant toute une catégorie d’armes de destruction massive et prévoyant la vérification internationale de la destruction de celles-ci.

La convention a été négociée dans un cadre entièrement multilatéral avec la participation active de l’industrie chimique du monde entier, garantissant ainsi le concours continu de cette dernière au régime de vérification de l’industrie établi par la Convention sur les armes chimiques. La convention prévoit l’inspection des installations de l’industrie afin de garantir que les produits chimiques toxiques servent uniquement à des fins non interdites par la Convention.

L’objectif de la convention est à la fois de pouvoir vérifier la destruction des armes chimiques à l’échelle mondiale et de garantir la non-prolifération de ces armes et des produits chimiques toxiques entrant dans leur fabrication.

Selon l’Organisation internationale pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), 193 États se sont engagés à respecter la Convention sur l’interdiction des armes chimiques, 98 % de la population mondiale vit sous la protection de la convention et 99 % des stocks d’armes chimiques déclarés par les États détenteurs ont été détruits de manière vérifiable. Toutefois, certains États, tels que la Corée du Nord, l’Égypte et le Soudan du Sud, n’ont pas signé cette convention. Israël ne l’a, quant à lui, pas ratifiée.

B.   Des dispositions transposées dans le code de la défense

Tous les travaux menés par le ministère des Armées en matière de défense NRBC s’inscrivent dans le cadre du droit international, et en particulier des conventions d’interdiction des armes biologiques et d’interdiction des armes chimiques précitées, auxquelles la France est partie. Les obligations fixées par ces conventions ont été transposées au sein d’un chapitre II du titre IV code de la défense, dont la version en vigueur résulte de la loi du 14 mars 2011 relative à la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs.

L’article L. 2341 du code de la défense dispose ainsi que sont interdits la mise au point, la fabrication, la détention, le stockage, le transport, l’acquisition, la cession, l’importation, l’exportation, le commerce et le courtage des agents microbiologiques, des autres agents biologiques et des toxines biologiques, quels qu’en soient l’origine et le mode de production, des types et en quantité non destinés à des fins prophylactiques, de protection ou à d’autres fins pacifiques. Les articles L. 2341-3 à L. 2341-7 prévoient un arsenal de dispositions pénales visant au respect de cette interdiction.

Les articles L. 2342-1 à L. 2342-84 du code de la défense concernent l’interdiction des armes chimiques. L’article L. 2342-3 dispose ainsi que sont interdits l’emploi d’armes chimiques, leur mise au point, leur fabrication, leur stockage, leur détention, leur conservation, leur acquisition, leur cession, leur importation, leur exportation, leur transit, leur commerce et leur courtage. Il est interdit d’entreprendre tous préparatifs en vue d’utiliser des armes chimiques.

C.   Une contribution essentielle du ministère des armées au volet diplomatique de la lutte contre la prolifération

Placée au rang de priorité nationale par les autorités gouvernementales, la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive vise à prévenir et à neutraliser les activités de pays proliférants sur le territoire national, en particulier l’acquisition de biens à double usage ou de connaissances, savoir-faire ou technologies, utiles à leur programme d’arme de destruction massive.

Le cadre juridique international, évoqué supra, pourrait être amendé régulièrement, en particulier lors des conférences d’examen, compte tenu des évolutions technologiques et de l’apparition de nouveaux agents – chimiques, biologiques ou encore de technologies artisanales ([13]). En outre, le besoin d’attribution des actes illégaux et le transfert devant des cours pénales représentent de nouveaux défis.

Le succès de la lutte contre la prolifération repose sur la vigilance, la permanence, le refus du fait accompli, l’échange d’informations et la condamnation de toute complaisance.

La direction générale des relations internationales et de la stratégie du ministère des armées (DGRIS), en étroite coordination avec les états-majors, directions et services œuvrant dans le domaine de la lutte contre la prolifération des armes chimiques et biologiques et de leurs vecteurs, élabore la position du ministère en la matière. En lien avec le Quai d’Orsay – autorité nationale devant l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques – et les administrations nationales compétentes, la DGRIS concourt directement à la définition des positions françaises sur ces sujets et assure une analyse prospective de leurs développements dans les différentes enceintes multilatérales.

Elle siège par ailleurs au titre du ministère des Armées au Comité Prolifération, au format défense, de l’OTAN où elle soutient les positions du ministère définies en étroite coordination avec les états-majors, directions et services œuvrant dans le domaine de la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, mais aussi avec le ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

Les armées contribuent au vivier d’experts internationaux ainsi qu’aux exercices d’analyse en laboratoire dans le cadre du Mécanisme du Secrétaire Général des Nations unies qui permettrait de diligenter une enquête internationale visant à confirmer ou infirmer une allégation d’emploi d’armes chimiques ou biologiques ([14]).

Dans le cadre de la participation de la France au Partenariat mondial du G7 dévolu à la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et des matières connexes, la DGRIS assure le pilotage des projets développés par le ministère des Armées. Ces projets de coopération scientifique répondent aux besoins du ministère des Armées. Les résultats concourent à la réduction du risque biologique dans une perspective d’aide au développement ainsi qu’au renforcement de la connaissance stratégique pour la protection des forces et le conseil aux autorités politiques en cas d’allégation d’emploi d’une arme biologique.

Les armées contribuent aussi à différentes initiatives ad hoc qui complètent, sur un volet plus opératoire, l’architecture internationale de lutte contre la prolifération :

l’Initiative de sécurité contre la prolifération (PSI), lancée en 2003, a pour objectif l’entrave des transports de biens et de matières pouvant être détournés au profit de programmes d’armes de destruction massive ;

– le Plan gouvernemental Interception Prolifération (PIP) établit le cadre d’intervention permettant de répondre aux trafics de biens ou de technologies liés à la prolifération d’armes de destruction massive. Son actualisation est en cours.

II.   La recrudescence de la menace NRBC depuis une dizaine d’années en fait un enjeu opérationnel majeur pour les armÉes

Si la menace NRBC a constitué un défi incontournable pendant la Guerre froide, la défense NRBC a connu une désaffection générale à partir du début des années 1990. Un tournant eut lieu après les attentats du 11 septembre 2001 et la prise en compte accrue de la menace terroriste NRBC. Ce n’est cependant que depuis une dizaine d’années que l’on parle véritablement, sur le plan stratégique, d’une recrudescence de la menace NRBC.

Cette menace recrudescente est le fait d’acteurs plus diversifiés (A). Elle est complexe et présente des effets multiples (B).

A.   Une recrudescence de la menace en provenance d’acteurs plus diversifiés

1.   Une recrudescence de la menace depuis une dizaine d’années

Depuis une dizaine d’années, l’évolution de la situation internationale montre l’aggravation constante de la menace et des risques NRBC qui ont dorénavant atteint leur plus haut niveau depuis la fin de la Guerre froide.

Ainsi, l’emploi d’armes chimiques par des États parties de la Convention d’interdiction des armes chimiques démontre que le recours aux armes NRBC doit désormais être considéré comme une réalité. Le caractère hybride d’un conflit renforce l’intérêt d’employer ce type d’armes à petite échelle et de façon très discrète tout en causant des effets significatifs. De plus, la remise en cause de certains traités internationaux comme le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire ([15]) et la poursuite des activités de recherche nucléaire à application militaire par certains pays vient fragiliser les grands équilibres étatiques précédemment établis.

L’histoire, fortement médiatisée, du démantèlement du programme chimique syrien a remis au cœur de l’actualité cette menace particulière. Plus récemment, la conception et l’emploi d’agents chimiques par l’État islamique (EI) et l’empoisonnement du demi-frère de Kim Jong Un, Kim Jong-nam, de Sergueï Skripal et d’Alexeï Navalny, par des agents neurotoxiques illustrent eux aussi l’actualité de la menace.

L’aggravation de la menace se caractérise par des tendances lourdes, telles que la multiplication de l’emploi ou des tentatives d’emploi et la modernisation et l’adaptation des vecteurs ([16]) – notamment, avec les nanotechnologies et les missiles hypervéloces. La menace NRBC peut être employée sur tout le spectre de la surprise, technique et tactique, dans un contexte de fragilisation des traités internationaux et de recul des tabous. Elle est aussi l’une des facettes des stratégies hybrides : on assiste ainsi à une diminution des seuils d’emploi des armes de destruction massive ainsi qu’à une dissimulation de l’emploi lui-même, rendant difficile l’imputation de ce dernier. Par ailleurs, les objectifs et les effets d’emploi des armes NRBC sont diversifiés. L’usage d’armes NRBC par divers acteurs favorise le déni d’accès ([17]) et la neutralisation de cibles de grande valeur (high value targets).

2.   Une évaluation de la menace assurée par l’état-major des armées et les services de renseignement

L’évaluation des risques procède d’études technico-scientifiques associant les retours d’expérience de situations réelles, telles que les accidents industriels ou l’emploi historique d’armes NRBC, et la modélisation.

L’évaluation de la menace est assurée par le ministère des Armées s’agissant des théâtres d’opérations extérieures ([18]).

a.   Une évaluation assurée dès la phase de planification par la cellule de contre-prolifération NRBC du CPCO

S’agissant des théâtres d’opérations extérieures, dès la phase de planification et en fonction de l’évaluation des risques, la contribution des moyens de défense NRBC à la protection de la population est analysée et fait l’objet d’une décision politique. La veille stratégique permet d’identifier et de suivre l’évolution de la menace ou du risque NRBC. Au sein du Centre de préparation et de conduite des opérations (CPCO), la cellule de contre-prolifération nucléaire, radiologique biologique et chimique est chargée de l’évaluation des risques et des menaces NRBC et environnementaux. Elle s’appuie sur l’expertise technico-opérationnelle de l’état-major des armées, de la direction générale de l’armement (DGA) et du service de santé des armées ainsi que sur un réseau d’organismes civils spécialisés. À partir de cette évaluation, la cellule de contre-prolifération NRBC identifie les réponses ou contributions que peuvent apporter les armées face à une situation exposant les forces à des risques et des menaces NRBC.

b.   La nécessité d’un effort significatif en matière de renseignement d’intérêt militaire

L’aggravation de la menace et l’évolution de la situation géostratégique imposent un effort significatif en matière de renseignement d’intérêt militaire NRBC.

L’action des services de renseignement contribue directement à la contre-prolifération en décrivant les capacités, les emplacements, les mouvements, les développements, les doctrines d’emploi, les vecteurs, les infrastructures et les personnes-clefs ainsi que l’emploi d’agents NRBC ou d’armes de destruction massive ou de tout autre type de produits dont la prolifération est préoccupante. L’identification des nouveaux acteurs ayant la volonté ou pouvant disposer d’armes NRBC – ainsi que le suivi des acteurs en disposant ou en développant déjà – et de leurs capacités, est primordiale. Dans l’exercice de leurs missions, les services de renseignement développent une connaissance des réseaux et programmes de pays cherchant à développer tout type d’armes de nature NRBC.

L’action des services de renseignement contribue aussi directement à la défense NRBC en permettant l’appréciation de la menace, l’analyse des modes d’action ennemis et l’évaluation des capacités de défense NRBC de l’adversaire.

Enfin, elle favorise plus largement la connaissance générale de l’environnement (infrastructures, géographie et météorologie) dans le cadre du renseignement visant l’analyse tactique du champ de bataille (Intelligence Preparation of the Battlefield) en prenant en compte les spécificités du domaine NRBC.

Le suivi des menaces NRBC est défini, au sein de la communauté nationale du renseignement, par des documents classifiés, dont le Plan national d’orientation du renseignement (PNOR) et la directive annuelle des actions de renseignement, émis par la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme.

3.   Une diversification des adversaires potentiels

Le spectre de la menace NRBC est large et protéiforme, du fait de la diversité des modes d’action, opérationnels et techniques, de la variété des agents et de leur létalité. Il s’étend de la menace étatique de grande ampleur de type Guerre froide, susceptible d’être dissuasive et utilisée à des fins stratégiques, aux utilisations terroristes d’ampleur circonscrite visant la déstabilisation et la désorganisation, et peut concerner également des emplois tactiques, dans le cadre notamment de conflits asymétriques.

La doctrine de certains États n’exclut pas l’emploi éventuel de l’arme nucléaire sur le champ de bataille et donc à des fins tactiques. Dans le cadre d’un conflit de haute intensité ([19]), certains belligérants peuvent envisager un usage non restrictif de la coercition. Le respect des conventions, des traités internationaux et du droit des conflits armés est aujourd’hui clairement en question.

Par ailleurs, un conflit de haute intensité verra s’affronter, directement ou indirectement, des belligérants dotés de l’arme nucléaire, ayant souvent possédé des capacités de guerre chimique par le passé et disposant de ressources scientifiques et technologiques très importantes ou des compétiteurs stratégiques capables de développer ou d’acquérir des armes de destruction massive. Le recours aux armes de destruction massive, bien que prohibé, ne peut donc être exclu dans le cadre d’un conflit majeur.

a.   Les États « dotés ou capables ».

Tous les États dotés, au sens du Traité de non-prolifération, et non alliés de la France constituent de facto une potentielle menace nucléaire et radiologique, en ceci que la détention d’armements et de capacités nucléaires constitue, en cas d’affrontement de haute intensité, une menace existentielle pour la Nation.

b.   Les États proliférants

Les États proliférants le sont potentiellement sur l’ensemble du spectre des armes de destruction massive, soit sur tout le périmètre des armements NRBC et de leurs vecteurs (missiles balistiques, bombes, munitions, drones etc.).

Ainsi, la Syrie, la Corée du Nord ([20]) mais également l’Iran ([21]) peuvent être considérés comme des États proliférants dans la mesure où ils développent – ou ont cherché à développer – une ou plusieurs capacités parmi celles citées supra.

Concernant l’arme nucléaire, les programmes sont clandestins ou menés sous couvert de développement du nucléaire civil. S’agissant des armes chimique et biologique, les capacités industrielles et technologiques peuvent permettre de synthétiser assez aisément des quantités significatives d’agents chimiques de guerre voire d’agents biologiques et donc, là aussi, de dissimuler des programmes militaires clandestins. Les États proliférants peuvent également partager leurs connaissances et leur appui matériel avec des pays tiers cherchant à se doter de telles capacités.

c.   Les États « inédits ».

Ces États ont ratifié le Traité de non-prolifération, la Convention d’interdiction des armes chimiques et la Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes biologiques ou à toxines et sur leur destruction. Ils n’ont jamais déclaré de stocks d’armes chimiques et ne possèdent aucune arme nucléaire. Toutefois, ils disposent des capacités scientifiques et technologiques et des ressources financières qui leur permettraient de développer rapidement ou d’acquérir, sur court préavis, avec l’aide d’un pays tiers, des armes de destruction massive. Ils peuvent donc rapidement devenir des États proliférants sans pour autant avoir été formellement identifiés comme des adversaires potentiels, notamment pour répondre à une menace régionale de même nature ou pour appuyer des ambitions particulières.

d.   Les acteurs non étatiques et les groupes terroristes

Les acteurs paraétatiques, notamment les groupes terroristes comme l’État islamique, ne représentent aujourd’hui qu’une menace chimique, jugée modérée. Les services restent toutefois vigilants quant au développement de ces armements chez ces groupes ou aux velléités d’acquisition d’autres compétences – éventuellement à faible ambition technologique de type « bombes sales » – dans la gamme NRBC.

Des acteurs non étatiques peuvent synthétiser de façon plus ou moins rudimentaire certains agents chimiques de guerre et les employer avec des vecteurs de circonstance. Ils peuvent aussi se procurer puis utiliser des armes nucléaires, des matières radiologiques, ou des agents chimiques ou biologiques à des fins terroristes (sources radioactives médicales ou industrielles, usage détourné de pesticides organophosphorés, synthèse de toxines …). Les engins improvisés constituent l’un des moyens pour réaliser une attaque NRBC contre les forces ou la population. Le recours à ce type de procédé peut permettre à un adversaire de franchir soit un seuil quantitatif en matière de victimes, soit un seuil en termes d’impacts médiatique, psychologique, voire politique. Dans le cadre d’un conflit hybride, un État doté, proliférant ou « inédit » peut utiliser un acteur non étatique comme intermédiaire afin de masquer son intervention ou frapper sur le territoire national et ainsi crédibiliser sa puissance.

B.   Une menace complexe aux effets multiples

1.   La distinction entre risque, menace, environnement et incident NRBC

On distingue la menace NRBC, par essence intentionnelle, du risque NRBC, non intentionnel.

Le risque NRBC représente un potentiel de danger matériel ou immatériel dont le déclenchement ou la propagation sont non intentionnels. Le risque est connu et couvre essentiellement les activités quotidiennes et industrielles. Les réactions sont prévues et organisées au travers de plans. L’activité d’un site est organisée et les moyens de réaction sont prévus, de même que les moyens permettant le retour à un état de fonctionnement normal. Les équipements sont présents et les personnels interviennent en sécurité. La lutte contre le risque se traduit par des obligations préventives autour des produits à risques, le pré-positionnement de dispositifs de protection et la diffusion d’informations sur les réactions en cas d’incident.

La menace NRBC correspond, quant à elle, à l’acquisition, à la possession, à la possibilité d’emploi et à la volonté d’utilisation d’armes ou de matières NRBC de façon malveillante ou à des fins d’agression par un adversaire. La menace NRBC renvoie à la surprise et est par essence difficilement prévisible. Seule la recherche et l’exploitation du renseignement permettent d’y faire face autant que possible.

Un incident NRBC est une situation générée par l’emploi suspecté ou avéré d’armes NRBC ou, la dispersion intentionnelle, accidentelle ou naturelle d’agents NRBC. Il peut avoir pour conséquences de menacer la force ou de provoquer une crise majeure.

Un environnement NRBC décrit une situation dans laquelle les armées et le service de santé des armées peuvent se trouver sous menace ou dans une « ambiance » NRBC. Il résulte d’un ou de la combinaison de plusieurs incidents NRBC.

2.   Une menace protéiforme appréhendée dans sa globalité

a.   Quatre types de dangers

Le NRBC renvoie à quatre types de dangers ([22]) : le nucléaire, le radiologique, le biologique et le chimique ([23]).

La menace nucléaire suppose une attaque menée sur une installation nucléaire civile ou militaire, ou sur un transport de matières. L’objectif est d’obtenir une réaction de fission ou de fusion qui s’accompagne de forts effets mécaniques et thermiques en raison d’un puissant dégagement d’énergie. La menace sommitale d’attaque nucléaire par un pays doté de cette arme ne doit pas être exclue mais la France dispose de ses postures permanentes de protection du territoire national – dissuasion nucléaire, défense aérienne et défense maritime.

L’arme nucléaire reste un outil de statu quo politique et permet, au titre de la dissuasion, de sanctuariser le territoire national afin d’accroître la liberté d’action extérieure ou de valoir comme gage de survie. Elle est aussi devenue une arme de contestation de l’ordre établi et un facteur de cohésion nationale lorsqu’un pays émergent cherche à s’en doter au mépris des conventions internationales. Depuis quelques années, on assiste à une nouvelle compétition nucléaire par comparaison aux efforts accomplis en ce domaine pendant la Guerre froide. Les armes nucléaires offrent un large panel de vecteurs et d’effets et donc une grande souplesse d’emploi.

Le danger radiologique désigne l’irradiation ([24])  par une source ionisante ou la contamination ([25])  par de la matière radioactive dispersée, leurs effets ayant des conséquences néfastes sur l’organisme. La dispersion peut viser à contaminer des personnes, des objets ou une zone. La contamination d’un territoire d’étendue limitée est possible par la dispersion de produits radioactifs et permet de neutraliser une zone et y interrompre toute activité, sans pour autant détruire les installations existantes. Elle peut ainsi soit retarder l’occupation, soit ralentir l’activité ou la remise en état de zones déjà attaquées par d’autres moyens. La menace peut provenir du vol de sources médicales ou pharmaceutiques. L’emploi détourné de ces dernières aurait un impact psychologique élevé.

Une menace possible pourrait être une bombe sale constituée d’une charge pyrotechnique de dispersion entourée de matériaux radioactifs destinés à être répandus en poussière lors de l’explosion. Les effets thermiques et mécaniques sont uniquement liés à la quantité d’explosif utilisée. Le but principal n’est donc pas de détruire, mais de contaminer une zone et les personnes présentes par l’ingestion et l’inhalation de particules radioactives et d’avoir un effet psychologique majeur. L’efficacité est proportionnelle au temps d’exposition, à la quantité et l’activité des matériaux radioactifs utilisés dont le contrôle strict réduit d’autant la probabilité d’emploi à des fins malveillantes.

Quant au danger biologique, il est représenté par les agents infectieux, tels que les virus ([26]) , bactéries ([27])  et champignons, et les toxines ([28]) , telles que la ricine et la toxine botulique, qui existent à l’état naturel mais qui peuvent être utilisés à des fins malveillantes.

Bien qu’abondamment décrit et étudié, l’emploi d’agents biologiques militarisés reste difficile à maîtriser. Toutefois, le recours à des agents naturels, peut-être moins efficaces, ne peut être exclu. La pandémie du SARS-COV-2 a ainsi illustré l’ampleur des conséquences possibles d’un tel scénario.

Des idées peuvent germer au sein de groupes terroristes, voire d’États, pour tenter cette voie, dont l’obtention et la maîtrise des agents restent très délicates. La crise des enveloppes au bacille de charbon ayant circulé entre septembre et novembre 2001 aux États-Unis a marqué les esprits. D’autres tentatives portèrent sur la ricine en raison de la facilité d’accès aux graines végétales contenant cette toxine. L’arme biologique ne peut pas être considérée comme une arme à effets immédiats : les dommages qu’elle entraîne sont différés a minima de quelques heures et son action est insidieuse. Elle est difficilement contrôlable et peut se retourner contre son utilisateur dans certains cas.

Le choix de l’agent biologique en tant qu’arme est le fruit d’un compromis entre différents facteurs permettant d’atteindre le niveau d’efficacité espéré. Dix critères ont été définis en 1949 par Théodore Rosebury, permettant de caractériser l’efficacité opérationnelle d’un agent infectieux détourné pour un usage en tant qu’arme biologique. Toutefois, ces critères ne sont pas exclusifs et reflètent les préoccupations de leur époque. En effet, la pandémie COVID-19 a eu des conséquences militaires telles que la baisse de capacité opérationnelle et la réduction de la liberté de mouvement notamment alors que le virus incriminé ne satisfait pas aux critères précités.

Les agents chimiques désignent les produits toxiques fabriqués par l’homme et portant atteinte à la santé par inhalation, ingestion, ou pénétration cutanée. Il s’agit notamment du chlore, du sarin (comme à Matsumaro en juin 1994 et à Tokyo en mars 1995) et des acides. Le chlore et l’ypérite ont ainsi été utilisés dans le cadre d’attaques par l’État islamique (EI) en Irak et en Syrie depuis 2014 avec démantèlement de laboratoires associés entre 2018 et 2020. Les produits toxiques sont très répandus dans les industries et par conséquent faciles à obtenir. Les munitions, dispositifs et autres matériels spécifiquement conçus pour transformer en arme des produits chimiques toxiques entrent également dans la définition des armes chimiques ([29]).

L’arme chimique n’est pas une arme de destruction massive si le personnel est correctement équipé et entraîné. En revanche, cette arme peut entraîner des pertes massives si le personnel n’est pas, ou mal, protégé ou en cas de surprise tactique ou technique absolue. Elle a un impact psychologique évident. L’arme chimique permet facilement de réduire la capacité opérationnelle des unités attaquées. En outre, la persistance de certains agents donne une dimension supplémentaire à l’effet des armes et aux conséquences sur les opérations.

Outre les effets psychologiques qu’il peut occasionner – angoisse et insécurité –, le danger chimique revêt un caractère propre et de nature très différente des autres dangers. Les effets des armes chimiques varient suivant les agents utilisés, les modes de dispersion et les conditions extérieures.

Source : Centre interarmées NRBC

b.   Une menace appréhendée dans sa globalité

i.   Une menace appréhendée dans sa globalité du point de vue des capacités de défense et de la réponse opérationnelle

Les interlocuteurs de la mission d’information sont unanimes : la menace NRBC doit être considérée dans sa globalité. Seules les capacités de l’adversaire permettent de hiérarchiser les conséquences éventuelles et la nature exacte de la menace.

Les capacités de défense NRBC, considérées dans leur globalité, permettent de couvrir l’ensemble des besoins opérationnels, quelle que soit la nature de l’arme ou de l’agent utilisé. La réponse opérationnelle – zonage, port des équipements de protection individuelle, point de rassemblement des victimes – face à un événement NRBC sera assez standardisée, quel que soit l’agent utilisé. Lors des mises en sécurité, c’est bien la menace NRBC dans son ensemble qui est prise en compte avec la recherche des différents agents.

Sur le plan fonctionnel, c’est-à-dire quant aux moyens permettant de se prémunir et de se défendre de la menace NRBC, les cinq piliers de la défense NRBC (détection, identification et surveillance ; protection ; décontamination, contre-mesures médicales et C4I ([30])), sur lesquels les rapporteurs reviennent en détail en deuxième partie de ce rapport, sont communs aux trois menaces R, B et C.

Si l’on peut considérer que la menace nucléaire présente des spécificités, les menaces RBC ont des effets recherchés similaires : effets incapacitant ou létal, peur et désorganisation, interdiction de zone et déni d’accès – sur lesquels les rapporteurs reviennent infra. Pour un même effet, le choix d’un agent pourra donc être fonction de sa disponibilité, de la maîtrise technique qu’en a l’agresseur ou des capacités de défense de l’agressé.

Il existe aussi des points communs en matière de protection ([31]).

ii.   Des distinctions en matière de recherche de renseignement, de détection, d’identification et de neutralisation

Dans le cadre de la recherche de renseignement, on distinguera les quatre menaces car un acteur malveillant, à moins qu’il ne soit étatique, ne pourra que difficilement se concentrer sur tous les aspects NRBC pour développer son mode d’action. Certaines matières ou vecteurs nécessitent des connaissances ou des moyens que seuls des États peuvent rassembler et développer et le développement des différents produits relève de capacités et de vecteurs différenciés.

Autre domaine qui distingue les quatre menaces, il n’existe pas d’appareillage unique permettant de détecter tous les agents NRBC. À cet égard, on distinguera entre trois agents : radiologique, biologique et chimique. Les spécificités de chaque agent obligent à apprécier chaque situation de manière distincte.

Il en va de même en matière d’identification et de surveillance qui font appel à des technologies et à des moyens différents.

Enfin, chaque menace présente des enjeux et suppose des réponses différentes en vue de la neutralisation du produit et du choix du type de protection ([32]).

3.   Des armes de destruction et de désorganisation massives aux effets matériels et immatériels susceptibles de remettre en cause l’efficacité des forces armées

L’emploi d’armes de destruction massive correspond à un mode d’action défini par des objectifs et des effets à obtenir dans un cadre spatio-temporel précis. Un État, ou un acteur, employant des armes NRBC peut provoquer des effets matériels et immatériels lui permettant d’atteindre des objectifs stratégiques, opératifs ou tactiques. En outre, l’emploi d’armes de destruction massive prolonge une attitude politique et diplomatique intransigeante et marque la détermination absolue d’un État dans un conflit.

a.   Les effets matériels : destruction massive ou désorganisation massive ?

Les armes NRBC ont des effets complémentaires dans l’espace et dans le temps, ce qui peut expliquer l’intérêt qu’elles suscitent.

Les armes nucléaires, biologiques et chimiques sont considérées comme des armes de destruction massive en raison des effets de grande ampleur qu’elles sont susceptibles de produire. Mais la facilité d’utilisation des agents biologiques et chimiques – qui s’accroît –, la capacité qu’ont certains acteurs de doser l’ampleur des dégâts causés par ces armes et la difficulté que l’on peut avoir à désigner l’acteur qui les emploie (attribution), confèrent à ces armes une capacité d’emploi tactique, associée à un effet psychologique fort, qui les distinguent de l’arme nucléaire, aux effets dévastateurs incomparables, vecteur stratégique et politique de dissuasion et principalement de non-emploi. C’est le cas également de la menace radiologique associée à une bombe sale. Pour ces raisons, le qualificatif de « destruction massive » apparaît moins approprié aux armes R, B et C que celui de « désorganisation massive » (mass disruption).

Les effets physiques des armes de destruction et de désorganisation massives sont immédiats ou différés et s’étendent dans une zone de dimensions variables selon les agents, les vecteurs et les objectifs :

– les effets de l’arme nucléaire la caractérisent, on l’a dit, comme une arme de destruction massive. Cette arme permet en effet de détruire massivement des équipements, installations ou infrastructures, de provoquer des pertes humaines massives, de provoquer l’interdiction d’accès à certaines zones par contamination radioactive, de neutraliser définitivement tout ou partie du dispositif militaire et de marquer la détermination politique par une frappe d’ultime avertissement ;

– l’arme radiologique peut avoir pour effet physique d’interdire l’accès à des zones par contamination ;

– les effets d’une arme biologique sont plus ou moins différés dans le temps selon la durée de la période d’incubation et dépendent des agents employés. Bien que capable de provoquer des pertes humaines significatives – tant civiles que militaires – et d’entraîner une interdiction d’accès à certaines zones par contamination, sans parler du risque de désorganisation du système de santé, l’arme biologique est avant tout d’une arme de désorganisation massive par le fort impact psychologique induit sur les populations ciblées et le risque d’épidémie échappant à tout contrôle. Dans le même objectif, des agents biologiques dirigés contre les cultures céréalières et le bétail entraîneraient une désorganisation massive de la chaîne agroalimentaire ([33]). Ces agents peuvent néanmoins être employés à des fins tactiques ou pour de la destruction à grande échelle dépendant de l’objectif visé, de l’agent biologique choisi et du moyen de dissémination utilisé ;

– les effets de l’arme chimique dépendent des agents employés. Ces derniers peuvent viser à provoquer la mort, des blessures, une incapacité temporaire plus ou moins longue ou une irritation sensorielle. Compte tenu des moyens de protection disponibles, il s’agit d’une arme de baisse de la capacité opérationnelle si elle est employée contre des forces armées. L’emploi de l’arme chimique peut entraîner une interdiction d’accès à certaines zones par contamination, neutraliser avec un effet immédiat une partie du dispositif militaire par la baisse de la capacité opérationnelle inhérente au port des équipements de protection et provoquer des pertes humaines à grande échelle contre des civils voire contre les forces si elles ne sont pas protégées.

b.   Les effets immatériels : un impact psychologique majeur

L’impact psychologique des armes de destruction ou de désorganisation massive, sur les populations comme sur les forces, doit être considéré comme majeur, avec des conséquences sur la conduite des opérations, le niveau d’attrition ou encore la perception du conflit.

i.   Des effets traumatisants pour l’opinion publique susceptibles de se répercuter sur les armées

Les effets immatériels des armes de destruction massive peuvent directement contribuer à la déstructuration des organisations et de la société. Ces armes ont une résonance très forte dans les opinions publiques mais aussi dans les armées : menace imperceptible, horreur de l’attaque, incertitude quant à l’évolution et à la gravité de la situation, blessures traumatisantes, difficultés de mise en place d’une protection totalement efficace, réduction de la liberté de manœuvre et de l’aptitude à combattre.

Les mouvements d’opinion, les réactions disproportionnées et irrationnelles, voire la panique des populations, pourraient ainsi, notamment en étant relayées par les réseaux sociaux, avoir des conséquences tactiques et stratégiques importantes, restreignant de manière considérable la liberté d’action des armées à tous les niveaux de commandement.

De fausses attaques ou des allégations de développement ou d’emploi par nos propres forces d’armes NRBC prohibées peuvent être utilement exploitées par l’adversaire.

Enfin, une coalition peut être fragilisée, par l’intermédiaire de l’opinion publique, par la simple menace d’emploi par l’adversaire d’armes de destruction massive.

ii.   Un effet de surprise pouvant conduire à une rupture dans la conduite des opérations

L’effet de surprise est la « clef du succès », si l’on ose dire, de l’emploi des armes NRBC. Celui-ci pourrait conduire à une véritable rupture dans la conduite des opérations voire entraîner une banalisation de leur utilisation.

Ainsi, l’emploi des armes de destruction massive peut être pleinement intégré à une stratégie hybride comme un mode d’action à part entière pour, par exemple, favoriser un effet de surprise, atteindre des objectifs spécifiques, obtenir des effets particuliers, paralyser les stratégies de dissuasion en abaissant les seuils d’emploi ou en dissimulant les frappes.

Toute structure de décision ou de commandement, qu’elle soit civile ou militaire, peut être frappée par un événement NRBC. Sans mesures visant à anticiper le risque, à planifier des mesures de protection particulières, à se protéger efficacement et à recouvrer ses capacités, les chaînes de commandement risquent d’être désorganisées pendant une durée significative. Les redondances et les structures de secours doivent assurer la continuité de l’action gouvernementale et des armées et ainsi pallier toute interruption, même momentanée, de la chaîne de commandement. Même un événement réduit peut frapper de stupeur ou de panique des dirigeants mal préparés par un changement de la nature du conflit. Des pertes massives et une rupture des communications peuvent aggraver ce phénomène qui sera d’ailleurs décuplé par les inquiétudes du personnel sur son niveau de protection et les inévitables rumeurs qui se développeront sur les effets des armes NRBC.

c.   Des armes visant à remettre en cause l’efficacité des forces armées

Les armes NRBC entraînent des effets communs sur l’efficacité des forces armées :

– le port d’effets de protection NRBC, même adaptés, entraîne de lourdes contraintes physiologiques, en particulier pour les unités non dotées de moyens de protection collective ;

– la présence d’agents NRBC sur un site, dans une zone, sur des véhicules ou sur des équipements, peut rendre ces derniers inutilisables ou inaccessibles jusqu’à leur décontamination, remettant en cause la liberté de mouvement des forces ;

l’impact psychologique majeur, voire la panique, que peut entraîner sur les populations l’usage d’armes NRBC est susceptible de « contaminer » et donc de fragiliser les unités ;

– l’atteinte des populations civiles, en entraînant par exemple des mouvements de population ou la désorganisation des systèmes de santé et de certains secteurs économiques, peut avoir des conséquences significatives sur l’action de la force.

d.   Des effets complexes dans le temps

L’illustration ci-dessous décrit la complexité dans le temps des différents effets des agents NRBC.

C:\Users\oscheffmann\AppData\Local\Microsoft\Windows\INetCache\Content.Outlook\IMU7H0B3\effets complexes 6-cor.png

Source : Centre interarmées NRBC


  1  

 

   Deuxième partie : La France est dotée de réelles capacités de défense NRBC

« Da materiam splendescam » ([34])

 

La défense NRBC désigne l’ensemble des actions et capacités visant à protéger les forces contre la menace NRBC. Active en permanence, dès le temps de paix, sur le territoire national comme en opérations, elle a pour mission principale de permettre l’action des forces sans contraintes, de porter assistance à la population et de lutter contre la prolifération des armes de destruction massive. Elle s’applique aussi directement à la force de dissuasion nucléaire et à ses installations opérationnelles de mise en œuvre afin de contribuer à l’impératif de permanence de la dissuasion nucléaire. Elle contribue à la connaissance et à l’anticipation des risques NRBC par l’analyse experte des données du renseignement et de la surveillance épidémiologique. Elle renforce les capacités d’intervention en garantissant à la force projetée une capacité d’engagement sous menace NRBC et de poursuite de la mission en ambiance NRBC. Elle participe à la prévention, notamment au travers de sa contribution à la lutte contre la prolifération.

La défense NRBC est une capacité transverse qui concerne l’ensemble des missions des armées et qui repose sur cinq piliers capacitaires : la détection-identification et la surveillance ; la protection individuelle et collective ; la décontamination du personnel et du matériel ; les contre-mesures médicales ; enfin, la gestion du risque, qui inclut les moyens de commandement et de communication.

Contrairement à certains alliés, la France, grâce à une volonté exprimée au plus haut niveau, demeure dotée de réelles capacités de défense NRBC, s’articulant autour de six axes que résume l’acronyme « DORESE » : la doctrine ; l’organisation, c’est-à-dire la structure ; les ressources humaines et leur formation ; les équipements ; le soutien logistique, qui inclut la gestion des stocks et le maintien en condition opérationnelle ; enfin, l’entraînement. Ces moyens sont comptés.

En outre, l’efficacité de la défense NRBC repose sur :

– le renseignement qui permet de s’adapter à la menace ([35])  ;

– le triptyque formation, entraînement, équipements-stocks-soutien ;

– le pré-positionnement des moyens qui permet de réduire les délais de réaction.

 

La doctrine de défense NRBC vise à remplir trois missions et est fondée sur trois principes d’action et cinq capacités (I).

Son organisation s’appuie sur la complémentarité et la non-duplication, dans un contexte de rareté des moyens (II).

En matière de ressources humaines, la formation des personnels est un enjeu essentiel à la préservation d’un vivier rare, permettant d’éviter toute perte de compétences (III).

Les équipements de défense NRBC font depuis 2020 l’objet d’un effort budgétaire de rattrapage indispensable (IV).

La soutenabilité de l’effort de défense NRBC repose sur la capacité à assurer dans la durée le soutien des équipements (V).

Enfin, pour que la défense NRBC soit efficace, la préparation opérationnelle des forces doit impérativement la prendre en compte (VI).

I.   Une doctrine fondée sur trois missions, trois principes d’action et cinq capacités

Les capacités de défense NRBC s’appuient tout d’abord sur une doctrine. Cette doctrine repose elle-même sur la définition de trois missions et de trois familles d’action ainsi que sur cinq piliers capacitaires, comme le synthétise le schéma ci-dessous.

C:\Users\adelvaux\AppData\Local\Microsoft\Windows\INetCache\Content.Outlook\417SPXK3\capacités.png

Source : Centre interarmées NRBC

A.   Une triple mission et trois principes d’action

L’objectif global de la défense NRBC est la poursuite de la mission sans baisse significative de capacité opérationnelle. La doctrine de défense NRBC a pour objet trois missions et repose sur trois familles d’actions.

1.   Une triple mission : protéger les forces, contribuer à la protection de la population et à la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive

La doctrine assigne à la défense NRBC une triple mission :

– protéger les forces déployées contre l’ensemble des risques et menaces NRBC ;

– participer à la protection des populations en cas d’événement NRBC ;

– contribuer à la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive.

Les rapporteurs reviennent tout au long du rapport sur la mission de protection des forces et ont évoqué en première partie la contribution du ministère des Armées à la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive.

S’agissant de la mission de protection des populations civiles, les rapporteurs tiennent à rappeler qu’en dehors de situations d’urgence et des cas où des moyens spécifiques seraient stationnés ou prépositionnés à proximité d’un événement, les capacités de défense NRBC ne sont pas destinées à se substituer aux « primo-intervenants » civils que sont les forces de sécurité civile et de sécurité intérieure – sapeurs-pompiers, gendarmes et policiers ([36]).  Qu’il s’agisse des forces armées ou des services de soutien, tels que le service de santé des armées, les capacités militaires sont uniquement mises en œuvre au moyen de réquisitions ou de demandes de concours selon la règle des « 4 i » ([37]). Compte tenu des effets dévastateurs des armes NRBC décrits en première partie du rapport, les rapporteurs estiment qu’il ne faut pas écarter l’éventualité que les civils qui sont primo-intervenants sur le territoire national exercent leur droit de retrait en cas d’incident ou d’événement NRBC. D’où l’intérêt majeur que présente le modèle de gestion des événements NRBC sur le territoire national qui place au cœur du dispositif des militaires exerçant des missions civiles – au premier rang desquels les formations militaires de la sécurité civile (ForMiSC) ([38]). Les rapporteurs présentent ce modèle en annexe 2.

2.   Trois principes d’action : prévenir, gérer, restaurer

Selon les termes de la doctrine interarmées de défense NRBC du 11 janvier 2012, en cours de révision, la défense NRBC a pour but de participer à la prévention d’incidents NRBC, d’assurer la protection des forces à la suite d’un incident de cette nature et de mettre en place les actions nécessaires pour un retour à une situation de risque acceptable. Elle doit ainsi permettre aux forces de continuer leurs missions, de préserver et restaurer leur capacité opérationnelle et de maintenir la liberté d’action du commandement.

La prévention des événements NRBC consiste notamment à mener des expertises de théâtres et des reconnaissances. La gestion des conséquences des événements NRBC consiste notamment à effectuer des prélèvements d’échantillons et des reconnaissances de zones contaminées. Il s’agit alors de conseiller le commandement pour lui permettre de prendre les décisions les plus adaptées. La restauration des capacités opérationnelles des forces après un événement NRBC consiste à décontaminer le personnel et le matériel.

La défense NRBC doit pouvoir en tout temps et en tout lieu :

– maintenir et renforcer la capacité opérationnelle des forces sur le territoire national et en opérations ainsi que l’impératif de permanence de la dissuasion nucléaire ;

– intervenir en complément du dispositif civil de protection des populations ;

– contribuer à la connaissance et à l’anticipation des risques NRBC ;

– participer à la prévention, notamment au travers de sa contribution à la lutte contre la prolifération.

B.   Cinq piliers capacitaires

La défense NRBC repose sur cinq piliers capacitaires :

– la détection, l’identification et la surveillance ;

– la protection individuelle et collective ;

– la décontamination du personnel et du matériel ;

– les contre-mesures médicales ;

– les moyens de commandement et de communication.

Le tableau ci-dessous présente les caractéristiques et conséquences opérationnelles pouvant être tirées d’un incident NRBC, en fonction du type d’agent ou d’engin utilisé.

Type d’agent ou d’engin

Chimique

Biologique

Radiologique

Nucléaire

Toxique
industriel

Impact

Surfacique

Relativement restreinte

Potentiellement

Vaste

Relativement restreinte

Vaste

Fonction de la quantité

Facilité de
détection

Difficile sans instruments spécialisés

Très difficile

Possible avec instruments spécialisés

Signature
caractéristique

Possible avec instruments spécialisés

Délai
d’identification

De quelques
secondes à

quelques
minutes

De quelques minutes

à plusieurs jours

De quelques minutes à

plusieurs heures

Instantanément

De quelques
secondes

à quelques
minutes

Délai entre
l’exposition et les premiers
effets

De quelques
secondes à

plusieurs heures

De quelques heures à
plusieurs jours. En quelques
secondes pour certaines toxines.

Fonction de la dose absorbée

Immédiat pour le souffle et la chaleur.

Fonction de la dose absorbée pour les

radiations

De quelques
secondes à

plusieurs

minutes

 

Traitement

médical

 

 

 

 

 

Traitement

efficace pour

certains agents

 

 

 

 

Efficacité des mesures de
prévention pour certains agents.

Traitement

efficace pour

certains agents.

Fonction de la

dose

équivalente

 

 

Fonction des

blessures et

de la dose

équivalente

Traitement
efficace pour

certains agents

 

Cinétique

Rapide

Lente

Rapide

Extrêmement rapide

Rapide

Source : 2e régiment de dragons

II.   Une organisation fondée sur la complémentarité et la non duplication, dans un contexte de rareté des moyens

L’organisation de la défense NRBC est fondée sur une complémentarité des moyens, compte tenu de la rareté de ces derniers.

A.   Un pilotage interministériel du domaine NRBC assuré par le secrétariat général de la dÉfense et de la sécurité nationale

Au niveau interministériel, c’est le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), organe sous tutelle du Premier ministre, qui assure le pilotage du domaine NRBC. Le schéma ci-dessous décrit cette organisation interministérielle.

C:\Users\adelvaux\AppData\Local\Microsoft\Windows\INetCache\Content.Outlook\417SPXK3\ministeres.png

Source : Centre interarmées NRBC

Le SGDSN assure la présidence du comité stratégique NRBC-E. Ce comité est chargé d’assurer la cohérence interministérielle des capacités de protection contre les menaces NRBC et E ainsi que la bonne exécution des programmes afférents à ces capacités. Présidé par le secrétaire général du SGDSN, il regroupe des autorités désignées par chaque ministère pour coordonner l’action de l’ensemble des directions et services dans le domaine NRBC-E. Y sont représentés les ministères de la Transition écologique ; de l’Économie et des finances ; des Armées ; de l’Intérieur ; de la Justice ; des Solidarités et de la santé ; de l’Agriculture et de l’alimentation ; et, éventuellement, de l’Europe et des affaires étrangères. Ce comité stratégique se réunit une à deux fois par an en comité « ordinaire » et autant que nécessaire en comité exceptionnel. Le SGDSN définit l’ordre du jour en choisissant les actions pertinentes du programme national NRBC qui doivent être traitées, arbitrées ou validées. Le SGDSN rend compte au Premier ministre ([39]).

B.   Une organisation de la défense NRBC clairement répartie entre les armées, directions et services du ministère des armées

La défense NRBC s’inscrit pleinement dans le triptyque compétition-contestation-affrontement et dans un objectif de résilience générale des forces et de préservation de la liberté d’action en opération. Reposant impérativement sur des capacités interdépendantes, la défense NRBC doit, dans un conflit marqué par la haute intensité et la surprise, être permanente, immédiate et massive.

En juin 2019, le ministère des Armées a institué une nouvelle organisation de la défense NRBC afin de couvrir de façon indépendante cinq aspects du domaine NRBC :

– la recherche et développement, ainsi que les activités spécifiques sont sous la responsabilité de la direction générale de l’armement (DGA) ;

– le volet capacitaire est placé sous la responsabilité de l’état-major des armées (EMA) ;

– les relations internationales sont, on l’a vu, sous la responsabilité de la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) ([40]) ;

–  la défense et la sécurité sont placées sous la responsabilité de la direction de la protection des installations, moyens et activités de la défense ([41]) (DPID) ;

– enfin, l’emploi relève de l’EMA.

C:\Users\adelvaux\AppData\Local\Microsoft\Windows\INetCache\Content.Outlook\417SPXK3\blasons.png

Source : Centre interarmées NRBC

1.   La direction générale de l’armement est chargée de la recherche-développement et conduit les opérations d’armement du domaine NRBC

Dans le domaine NRBC, la direction générale de l’armement (DGA) exerce plusieurs fonctions :

– elle conduit les opérations d’armement du domaine, qui serviront à équiper les forces armées en matériels de défense NRBC ;

– elle contribue en collaboration avec l’état-major des armées, à la cohérence capacitaire globale de l’ensemble du système de défense. Elle conduit également des projets technologiques de défense (activités de recherche et développement – R et D) en lien fort avec l’Agence de l’innovation de défense (AID).

Pour ce faire, la DGA mobilise des ressources d’expertise technique et des moyens d’essais parfois uniques nécessaires à la conduite des opérations d’armement. Elle assure la qualification des équipements mais aussi la sécurité des biens et des personnes utilisatrices de ces équipements ([42]), la lutte contre la prolifération, l’innovation et la préparation de l’avenir, un rôle d’expert opérationnel en « base arrière » au profit direct des forces armées ou des entités chargées de la sécurité du territoire national ([43]) , la réalisation de prestations au profit de la base industrielle et technologique de défense (BITD) ([44]) et, enfin, l’organisation de campagnes de formation et d’entraînement des forces mobilisant certaines installations uniques détenues par la DGA dans les centres DGA Maîtrise NRBC et DGA Techniques terrestres.

Le centre DGA Maîtrise NRBC de Vert-le-Petit et le centre DGA Techniques terrestres de Bourges

Situé à Vert-le-Petit, le centre « DGA Maîtrise NRBC » exerce des missions d’expertise dans les domaines des risques biologique et chimique, des systèmes de défense NRBC, du durcissement des équipements biologiques et chimiques, de la lutte contre la prolifération des armes biologiques et chimiques et dans celui de la dépollution et de la destruction des armes chimiques.

Le laboratoire P4 de DGA Maîtrise NRBC permet l’expertise et la caractérisation des agents de classe 4, et notamment de mettre au point des techniques et sondes de détection et d’identification, ainsi que d’évaluer la persistance de ces agents dans différentes conditions environnementales ou de décontamination. Dans ce cadre, il contient une copie du souchier défense qui regroupe les agents biologiques détenus par le ministère des Armées ([45]).

Les capacités de ce centre sont complétées par celles du centre DGA Techniques terrestres, situé à Bourges, dans le domaine radiologique : les forces peuvent s’y entraîner depuis plus de 50 ans en ambiance radiologique réelle et en vraie grandeur. Les unités spécialisées (armées de Terre et de l’Air principalement, Marine plus occasionnellement) viennent s’y entraîner six semaines par an dans les domaines de la reconnaissance, de la réalisation de prélèvement et de l’intervention en ambiance NBRC ainsi que de la décontamination.

Enfin, au titre de ses missions définies par l’arrêté du 30 décembre 2019, l’inspecteur de l’armement chargé de la sécurité du domaine biologique et chimique (ISBC) s’assure du respect des dispositions de la Convention d’interdiction des armes chimiques au sein du ministère des Armées. Il exerce une fonction de conseiller de sécurité, sûreté, prévention des risques auxquels sont exposés les travailleurs lors de la manipulation des agents biologiques pathogènes et des agents chimiques hautement toxiques. Il exerce ses compétences au profit du ministère des Armées dans le domaine chimique, auprès des organismes qui sont amenés à fabriquer, détenir ou mettre en œuvre des agents chimiques toxiques du tableau I de la Convention d’interdiction des armes chimiques. L’ISBC exerce ses compétences dans le domaine de la biologie au sein de la DGA. L’ISBC assure ses missions de contrôle par des prescriptions techniques vérifiées lors d’inspections, enquêtes et contrôles prévus aux articles L. 2342-51 et L. 2342-52 du code de la défense. L’ISBC est assisté des services de la DGA et du service de santé des armées pour exercer ses missions.

2.   Une organisation à deux niveaux au sein de l’état-major des armées pour assurer permanence et complémentarité

a.   L’état-major des armées

Dans le périmètre du chef d’état-major des armées, le sous-chef d’état-major « plans », responsable de la réalisation et de la cohérence du modèle d’armée et des capacités de défense qui y sont rattachées, pilote le domaine NRBC.

Sous ses ordres, l’officier général commandant la division maîtrise des armements de l’état-major des armées est l’autorité fonctionnelle interarmées pour la défense NRBC. À ce titre, il préside le comité exécutif de la défense NRBC, le comité stratégique ministériel des collections biologiques de défense, et siège au comité directeur du Centre national civil et militaire de formation et d’entraînement NRBC (CNCMFE) ([46]) dont il exerce alternativement la présidence avec un représentant de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises. L’officier général commandant la division maîtrise des armements préside avec la DGA le comité de pilotage du système de défense NRBC « SAFIR », sur lequel les rapporteurs reviennent infra. Il assure l’autorité fonctionnelle sur le Centre interarmées de défense NRBC, plus couramment appelé CIA NRBC, situé à Saumur et que les rapporteurs ont eu l’honneur de visiter ([47]). Cet officier général dispose d’un bureau « défense NRBC » ([48]). Le commandant de la division « maîtrise des armements » et le bureau DNRBC travaillent en synergie avec les autres divisions de l’état-major des armées ([49]) ainsi qu’avec la DGRIS, la direction générale de l’armement et les états-majors d’armée sur les sujets portant un caractère NRBC à l’exclusion des questions portant strictement sur la dissuasion et les forces nucléaires.

b.   Une organisation fondée sur la distinction entre moyens génériques et spécialisés

L’efficacité de la défense NRBC repose à la fois sur les capacités des unités génériques et celles des unités spécialisées.