N° 5113

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 février 2022.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES

en conclusion des travaux d’une mission d’information (1)

sur les enjeux géopolitiques et de défense en Europe de l’Est

ET PRÉSENTÉ PAR

MM. Jean-Charles LARSONNEUR et Charles DE LA VERPILLIÈRE,

Députés.

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(1)    La composition de cette mission figure au verso de la présente page.


La mission d’information sur les enjeux géopolitiques et de défense en Europe de l’Est est composée de :

MM. Jean-Charles Larsonneur et Charles de la Verpillière, rapporteurs.

 


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SOMMAIRE

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Pages

Introduction

Première partie : la France entretient des relations nourries avec de nombreux États sur le flanc oriental de l’Alliance dans le domaine de la défense

I. Peu connue, La relation de défense avec les polo-baltes est plus dense qu’il n’y paraît, en particulier avec l’Estonie et la Lituanie dans le cadre de l’OTAN

A. L’Estonie est le partenaire privilégié de la France dans la région, notamment dans le domaine de la défense

1. Dans les domaines politique et économique, la coopération bilatérale s’illustre dans plusieurs secteurs clés

2. Dans le domaine de la défense, en plus de la coopération dans le cadre de l’OTAN, l’Estonie est un partenaire important

B. Si La Lettonie est l’état avec lequel la coopération bilatérale est la moins développée, celle-ci n’est pas nulle pour autant

1. La situation intérieure de la Lettonie est relativement stable

2. Des convergences de vues sur les plans politique et européen qui ne masquent pas la faible densité de la relation bilatérale

3. Une coopération modeste dans le domaine de la défense

C. Si la France n’est pas dans le premier cercle des partenaires de la Lituanie, les deux pays entretiennent des relations nourries, notamment dans le domaine de la défense

1. Un rapprochement récent de la France et de la Lituanie sous l’effet conjugué de deux facteurs

2. Si la coopération bilatérale en matière de défense était surtout forte en 2018 et en 2020 dans le cadre de la présence avancée renforcée, elle n’en demeure pas moins significative aujourd’hui

D. La Pologne, puissance régionale, est un partenaire ambivalent mais prometteur pour la France

1. La situation intérieure et les relations bilatérales se sont dégradées en Pologne à la suite de l’arrivée au pouvoir du parti « Droit et Justice »

a. La Pologne s’est progressivement éloignée des valeurs européennes de l’État de droit et entretient désormais une relation conflictuelle regrettable avec l’Union européenne

b. Membre de l’OTAN, la Pologne fait de la garantie de sécurité américaine face à la menace russe l’axe fondamental de sa politique étrangère

2. Une relation bilatérale entre la France et la Pologne tumultueuse

a. La relation bilatérale a été durablement affectée par l’arrivée au pouvoir du PiS

b. La relation bilatérale dans le domaine de la défense, qui n’est pas inexistante, peine à se relancer depuis l’affaire des Caracal

II. la Roumanie, un pays francophile sur lequel la France doit investir dans tous les domaines, y compris et surtout dans le domaine de la défense dans le cadre de l’OTAN

A. En dépit d’un irritant relatif à l’adhésion de la Roumanie à l’espace Schengen, la relation bilatérale est excellente

B. La relation bilatérale en matière de défense devrait se développer considérablement à la suite de l’annonce du président de la République relative au déploiement d’un contingent français dans le cadre de l’OTAN

III. La Moldavie, un État confronté à une menace constante liée au conflit gelé en transnistrie

A. Une situation intérieure caractérisée par la persistance du conflit gelé en Transnistrie

B. La Moldavie entretient une relation forte et complexe avec la Russie mais se rapproche progressivement de l’Ouest

C. La relation bilatérale avec la Moldavie est relativement réduite

IV. L’Ukraine, un état fragilisé par l’agression russe dont il est victime depuis 2014

A. Le partenariat entre la France et l’Ukraine est important sur les plans économique et culturel

B. La relation bilatérale en matière de défense est ancienne mais relativement modeste en comparaison avec autres alliés occidentaux de l’Ukraine

V. La Biélorussie, un État autoritaire et antidémocratique aux portes de l’Europe qui menace gravement la stabilité régionale

A. La situation intérieure en Biélorussie a justifié la quasi-rupture des relations bilatérales entre la France et la Biélorussie

1. La situation politique intérieure de la Biélorussie est caractérisée par la mainmise absolue du président Alexandre Loukachenko, au pouvoir depuis 1994

2. Des relations bilatérales historiquement fortes mais qui sont désormais quasiment au point mort

3. Quel avenir pour la démocratie et les droits humains en Biélorussie ?

B. Les relations bilatérales en matière de défense existent mais sont très limitées et en très forte régression à cause du contexte

Deuxième partie : La France est un acteur majeur pour la sécurité en Europe de l’Est dans le cadre des mesures de réassurance de l’OTAN et dans le domaine de l’Europe de la défense

I. La France est pleinement impliquée dans les mesures de réassurance de l’OTAN dans l’espace polo-balte

A. la France est présente alternativement en Estonie et en Lituanie dans le cadre de la présence avancée renforcée de l’OTAN

1. L’armée de Terre participe à la politique de réassurance de l’OTAN par le déploiement d’un sous-groupement tactique interarmes en Estonie

2. Symbole de la coopération fructueuse entre la France et l’Estonie, la mission Lynx présente un bilan très satisfaisant

a. La participation de l’armée de Terre à la mission Lynx lui est bénéfique à plusieurs titres

b. La conduite de la mission Lynx constitue un avantage fort en matière de relations internationales militaires

3. L’excellent bilan de la mission Lynx ne doit cependant pas masquer certains axes d’amélioration

a. L’interopérabilité sur les systèmes d’informations et communications

b. La problématique de l’acheminement des matériels

c. La menace aérienne et la défense sol-air

d. Des perspectives de coopération dans le cyber

B. La France contribue également aux mesures de police du ciel de l’OTAN

1. L’armée de l’Air et de l’Espace est pleinement investie pour la sécurisation de l’espace aérien des États polo-baltes

2. L’armée de l’Air et de l’Espace conduit des opérations dans le cadre de la police du ciel

3. L’interopérabilité et les partenariats : l’enjeu des F35 et de chaînes de commandement

4. Les perspectives d’évolution du format du détachement français de la police du ciel

5. L’armée de l’Air et de l’Espace conduit également des missions de surveillance de l’espace aérien de l’Islande et de la Roumanie

C. la présence avancée adaptée en Roumanie, une modeste contribution de la France dans le cadre de l’OTAN sur le flanc sud-est

II. Si La prédominance de l’OTAN est une réalité dans l’espace balte, l’Europe de la défense n’est pas pour autant inexistante

A. Une articulation délicate entre l’Europe de la défense et l’OTAN : l’exemple de la Pologne

B. Les États polo-baltes n’en demeurent pas moins impliqués dans l’Europe de la défense

1. L’Estonie participe à de nombreux instruments de l’Europe de la défense et est le partenaire principal de la France au Sahel

2. La Lettonie s’investit également dans le domaine de l’Europe de la défense, à la hauteur de ses possibilités compte tenu de la petitesse de son administration de défense

3. La Lituanie partage plusieurs analyses françaises sur l’Europe de la défense et y contribue

4. La Pologne s’investit de manière fluctuante mais réelle dans le domaine de l’Europe de la défense

Troisième partie : l’Europe de l’Est est traversée par de nombreuses crises ayant toutes pour dénominateur commun la Russie et la Biélorusssie

I. La crise migratoire orchestrée par la Biélorussie témoigne de nouvelles formes de guerres hybrides qui menacent l’Europe

A. Une crise fomentée par Alexandre Loukachenko contre l’Europe en guise de représailles à la politique de sanctions de l’Union européenne

B. Une crise qui a frappé la Pologne mais également la Lettonie et la Lituanie

1. La Pologne a été la plus grande victime de cette crise

2. La Lettonie et la Lituanie ont également subi les conséquences de cette crise

a. En Lettonie

b. En Lituanie

II. La Russie et la Biélorussie, deux États en situation de quasi-fusion sur le plan militaire qui constituent une menace directe et sérieuse pour la sécurité du territoire européen

A. La Russie et la Biélorussie sont liées par des relations politiques, culturelles et linguistiques anciennes et profondes

B. Une intégration militaire entre la Russie et la Biélorussie, qui confine à la fusion

C. La quasi-fusion de la Russie et de la Biélorussie sur le plan militaire est d’autant plus inquiétante au regard de la vulnérabilité de la frontière biélorusso-ukrainienne

III. De la surmilitarisation de Kaliningrad aux provocations en mer Noire et en mer d’Azov, la Russie est indéniablement une puissance déstabilisatrice en Europe de l’Est

A. L’enclave de Kaliningrad constitue une menace directe pour le territoire polonais, et donc de l’Europe

B. Une présence accrue de la Russie en mer Baltique

C. La mer Noire et la mer d’Azov, deux zones de très fortes tensions dues aux violations du droit international commises par la Russie

IV. Le spectre d’un conflit de haute intensité entre l’Ukraine et la Russie aux portes de l’Union européenne et de l’OTAN

A. La crise ukrainienne est l’illustration parfaite de la stratégie russe de la baÏonnette

1. Aux sources des tensions actuelles : la crise de 2013 consécutive au projet d’accord d’association entre l’Ukraine et l’Union européenne

2. La conclusion des Accords de Minsk avait pour objectif de mettre un terme au conflit dans le Donbass

3. La France ne reconnaît toujours pas l’annexion illégale de la Crimée et tente de trouver une issue diplomatique à la crise dans le Donbass, tout en continuant à apporter une aide matérielle à l’Ukraine

B. Les accords de Minsk, une issue diplomatique fragile dont les limites étaient toutefois visibles dès 2014

C. La question de la Crimée est restée absente des réflexions sur la situation de l’Ukraine

V. La sortie de la Russie du traité sur les forces nucléaires intermédiaires, du traité sur les forces conventionnelles en Europe et du traité dit « ciel ouvert » menacent directement la paix sur le continent européen

A. La dénonciation du traité sur les forces nucléaires intermédiaires par la Russie fait ressurgir le spectre d’une guerre nucléaire en Europe

B. Le traité sur les forces armées conventionnelles en Europe et le document de Vienne ont également été dénoncés par la Russie

1. Le Traité sur les forces armées conventionnelles en Europe

2. Le Document de Vienne

C. La sortie récente de la Russie du traité dit « ciel ouvert » s’inscrit dans sa logique d’escalade

VI. Que veut la Russie ?

Conclusion : De l’urgence d’opposer une résistance à la politique russe du fait accompli

Liste des recommandations des rapporteurs

Examen en commission

Annexe 1 :  Auditions et déplacements de la mission d’information

1. Auditions

2. Déplacements

Annexe 2 : Traité de l’Atlantique Nord

Annexe 3 :  Mémorandum sur les garanties de sécurité en relation avec l'adhésion de l'Ukraine au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, à Budapest, le 5 décembre 1994

Annexe 4 :  Étude sur l’élargissement de l’OTAN du 3 septembre 1995

Annexe 5 :  Acte fondateur sur les Relations, la Coopération et la Sécurité Mutuelles entre l'OTAN et la Fédération de Russie, à Paris, le 27 mai 1997

Annexe 6 :  Discours de Vladimir Poutine, président de la Fédération dE RUSSIE, lors de la 43e édition de la conférence de Munich sur la sécurité, le 10 février 2007

Annexe 7 :  Déclaration du sommet de Bucarest, publiée par les chefs d’État et de gouvernement participant à la réunion du Conseil de l’Atlantique Nord, à Bucarest, le 3 avril 2008

Annexe 8 :  Discours de Vladimir Poutine, président de la Fédération de Russie, sur la situation en Ukraine et l’indépendance des républiques autoproclamées, à Moscou, le 21 février 2022

Annexe 9 :  Discours de Vladimir Poutine, président de la Fédération de Russie, sur l’invasion de l’Ukraine, à Moscou, le 24 février 2022

Annexe 10 :  Glossaire des principaux acronymes


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Introduction

 

La commission de la Défense nationale et des forces armées a créé une mission d’information sur les enjeux géopolitiques et de défense en Europe de l’Est le 3 novembre 2021 afin de dresser un état des lieux de la situation sécuritaire dans la région, dans un contexte marqué par une recrudescence inédite des tensions aux frontières de l’Europe.

À cette fin, nous avons effectué 15 auditions. Nous avons eu l’opportunité d’échanger avec des militaires mais également avec des ambassadeurs et des chercheurs. Par ailleurs, nous avons effectué deux déplacements en Estonie et en Pologne. Nous avons eu l’occasion d’échanger avec les militaires français déployés à Tapa dans le cadre de la mission Lynx de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), mais également avec des parlementaires et avec le ministre de la Défense. En Pologne, nous avons pu échanger avec des parlementaires et avec des représentants du ministère chargé de la Défense, du ministère chargé des Affaires étrangères et de la présidence de la République de Pologne. Nos interlocuteurs dans le cadre de ces échanges ont tous contribué utilement à nos travaux. Qu’ils en soient ici remerciés.

Eu égard au caractère limité du temps dont nous disposions pour effectuer nos travaux, nous avons délibérément choisi de limiter notre périmètre d’étude. En effet, nous avons choisi de circonscrire le cadre de nos travaux aux seuls États suivants : l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la Biélorussie, l’Ukraine, la Moldavie et la Roumanie. Ainsi, nous avons choisi de ne pas traiter certains États comme la Finlande, la Slovaquie, la Hongrie ou la Bulgarie, faute de temps. La Russie a naturellement fait l’objet d’une attention particulière. La teneur de ce rapport devra donc être appréciée à l’aune de cette restriction volontaire.

Le rapport comprend trois axes :

– le premier axe traite des coopérations bilatérales avec l’ensemble des États du flanc oriental retenus dans le périmètre de la mission d’information, en particulier dans le domaine de la défense ;

– le deuxième axe a trait à l’implication de la France en Europe de l’Est dans le cadre de l’OTAN et de l’Europe de la défense ;

– et le troisième axe traite des crises en l’Europe de l’Est consécutives aux actions de la Russie et de la Biélorussie dans la région, et en particulier de la crise en Ukraine.

Le présent rapport a été publié le 25 février 2022, c’est-à-dire au deuxième jour de l’attaque militaire russe sur le territoire ukrainien. Son contenu doit donc être apprécié au regard du contexte très volatil qui prévalait lors de sa rédaction.


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   Première partie : la France entretient des relations nourries avec de nombreux États sur le flanc oriental de l’Alliance dans le domaine de la défense

 

I.   Peu connue, La relation de défense avec les polo-baltes est plus dense qu’il n’y paraît, en particulier avec l’Estonie et la Lituanie dans le cadre de l’OTAN

A.   L’Estonie est le partenaire privilégié de la France dans la région, notamment dans le domaine de la défense

1.   Dans les domaines politique et économique, la coopération bilatérale s’illustre dans plusieurs secteurs clés

Les relations bilatérales sont excellentes et il n’existe aucun contentieux bilatéral. Ces relations reposent sur un partenariat stratégique franco-estonien dont la première feuille de route, pour la période 2021-2025, a été signée au niveau des ministres chargés des Affaires étrangères des deux pays le 9 juin dernier. Cette feuille de route décline les principaux axes de développement de nos relations bilatérales à la suite de la signature par le président de la République et le Premier ministre estonien d’une déclaration conjointe le 28 octobre 2020.

L’année 2021 a été l’occasion de célébrer un double anniversaire dans les relations franco-estoniennes : le centenaire de nos relations diplomatiques avec Tallinn et le trentième anniversaire du rétablissement de celles-ci, intervenu le 30 août 1991. À cette occasion, le secrétaire d’État chargé des Affaires européennes s’est rendu en Estonie les 3 et 4 septembre derniers. Le centenaire de la reconnaissance de l’Estonie et de la Lettonie (intervenu en janvier 1921 à l’occasion de la Conférence des Alliés de Paris), a également permis l’organisation de la première réunion des ministres chargés des Affaires étrangères en format « France + pays baltes », à Paris, le 26 janvier 2021.

En 2020, le volume des échanges commerciaux entre les deux pays s’élevait à 573 millions d’euros, accusant, en raison de la crise sanitaire, une légère baisse par rapport à 2019. La France est le 11e fournisseur de l'Estonie et représente 2,06 % des importations estoniennes. Elle reste néanmoins seulement son 13e client, avec 1,83 % des exportations estoniennes. En 2020, la France est devenue le 12e investisseur en Estonie avec un stock de 455,2 millions d’euros (contre 418 millions d’euros en 2019), représentant 1,62 % des investissements directs étrangers totaux dans le pays. On dénombre une cinquantaine d’implantations françaises sur place. La France et l’Estonie ont conclu en mars 2018 un mémorandum d’entente visant à renforcer la coopération bilatérale dans le domaine du numérique et de la e-gouvernance.

2.   Dans le domaine de la défense, en plus de la coopération dans le cadre de l’OTAN, l’Estonie est un partenaire important

La France contribue à la sécurité et à la stabilité de l’espace baltique notamment dans le cadre de la présence avancée renforcée de l’OTAN où elle déploie de manière rotationnelle un sous-groupement tactique interarmes (cf. infra). Elle participe depuis 2014 au Centre d’excellence en cyberdéfense de l’OTAN situé à Tallinn avec la mise à disposition de deux personnels. En matière d’armement, l’Estonie a négocié ses plus gros contrats d’acquisition de matériels neufs avec la France, en particulier au bénéfice de MBDA.

B.    Si La Lettonie est l’état avec lequel la coopération bilatérale est la moins développée, celle-ci n’est pas nulle pour autant

1.   La situation intérieure de la Lettonie est relativement stable

La Lettonie est souvent perçue en France comme le pays balte le moins connu et avec lequel les relations bilatérales sont les moins développées. Angoissée par sa démographie déclinante, la population lettone s’élève à 1,9 million d’habitants, marquée par une perte démographique nette depuis le retour à l’indépendance du pays. Ces départs se sont faits au profit notamment du Canada, de l’Australie et du Royaume-Uni, destinations privilégiées des citoyens lettons. La société lettone est divisée en deux : une partie très moderne, caractérisée par une population jeune, urbaine, polyglotte et mobile, et, in fine, aux caractéristiques semblables à celles des grandes villes européennes ; et une partie rurale, conservatrice et souvent réticente aux réformes et qui peut être tentée par des dérives populistes. Ce clivage s’ajoute aux divisions linguistiques : 35 % de la population est russophone avec des profils très divers (origines russe, biélorusse, ukrainienne…, différents niveaux sociaux). Seule une petite partie de cette minorité reste hors de la citoyenneté lettone, par choix ou à cause de difficultés à maîtriser le niveau minimal de letton requis.

En Lettonie, régime parlementaire, le Parlement donne mandat au Gouvernement sur les questions de politique étrangère. Le processus de décision est parfois laborieux car il nécessite des négociations interministérielles, puis au sein de la coalition gouvernementale qui rassemble quatre partis sur un large spectre politique, avant de soumettre enfin un projet au Parlement. Le Premier ministre doit d’abord négocier en interne au sein de son gouvernement puis mener des tractations au sein de la coalition afin de soumettre au Parlement un projet de décision que ce dernier a le pouvoir d’amender. De ce fait, en France, on pense souvent à tort que le Premier ministre exprime une position définitive de la Lettonie sur des dossiers de politique extérieure, ce qui peut être faux, car c’est le Parlement qui détient in fine le pouvoir dans le pays. Le Gouvernement actuel est dans sa dernière année de mandat, les prochaines élections étant prévues en octobre 2022. La crise de la Covid-19 et les débats sociétaux en cours (ratification de la convention d’Istanbul, partenariat civil) divisent la coalition et ont donné lieu à la création de plusieurs partis populistes qui pourraient fusionner dans la perspective des prochaines élections et représenter une force politique conséquente, ce qui fait peser sur la Lettonie un risque de retour du populisme dans la coalition gouvernementale.

2.   Des convergences de vues sur les plans politique et européen qui ne masquent pas la faible densité de la relation bilatérale

Un accord-cadre bilatéral a été signé en 2008. Il s’applique désormais dans le cadre d’un plan d’action bilatéral signé en 2018 pour 5 ans. En septembre 2020, à l’occasion de la visite du Président de la République en Lettonie, les deux ministres des Affaires étrangères ont signé une déclaration conjointe sur leurs priorités et les projets à mettre en œuvre dans le cadre de ladite feuille de route pour la période 2020-2022. Dans la mesure où nos deux États sont membres de l’Union européenne (UE), les liens sont déjà relativement forts. Les deux pays ont bien progressé dans leur connaissance mutuelle, notamment dans le cadre du format de réunions en 3+1 avec les ministères chargés des Affaires étrangères des autres États baltes : ce format est désormais bien enraciné, la dernière réunion ayant eu lieu en marge de la réunion ministérielle de l’OTAN à Riga le 1er décembre 2021. La Lettonie apprécie ce type de format car elle a conscience qu’elle doit faire partie d’un cercle plus large pour exister sur la scène internationale. La France et la Lettonie travaillent également de manière efficace sur les sujets relatifs à la promotion du multilatéralisme et à la protection des démocraties, notamment dans le cadre d’initiatives au sein de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Enfin, dans le cadre de l’UE, les deux pays veulent travailler ensemble dans le domaine des technologies quantiques et partagent nos vues sur de nombreux points dans le domaine de la régulation d’internet, notamment dans le cadre du règlement européen sur les marchés numériques (Digital Markets Act, DMA) et du règlement européen sur les services numériques (Digital Services Act, DSA).

En outre, le dialogue interparlementaire entre les deux pays est nourri et les relations sont étroites dans le domaine de la défense des valeurs de l’État de droit, qui se caractérisent notamment par une collaboration entre les cours de justice des deux pays. À cet égard, le Conseil constitutionnel et la cour constitutionnelle lettone entretiennent de bons contacts. Le Président letton travaille à la création d’un organe public chargé de la qualité de la loi, qui serait l’équivalent letton du Conseil d’État dans ses fonctions consultatives.

Cela étant, la relation franco-lettone est moins dense que la relation franco-estonienne et la relation franco-lituanienne. La crise de la Covid-19 a également rendu la coopération plus difficile. Par ailleurs, une large partie de la classe politique en Lettonie soupçonne toujours la France de défendre ses intérêts nationaux avant de défendre l’intérêt général européen, notamment dans ses relations avec la Russie. La Lettonie est d’abord proche de ses voisins baltes et nordiques. Elle a une relation historique dense avec l’Allemagne et le Royaume-Uni mais veut par-dessus tout préserver ses liens forts avec les États-Unis.

3.   Une coopération modeste dans le domaine de la défense

Tout comme dans le domaine politique, la relation franco-lettone en matière de défense est modeste. Cependant, le dialogue stratégique fonctionne bien, en particulier dans le cadre du format 3+1 précité. La France n’a jamais été en Lettonie dans le cadre de la présence avancée renforcée (enhanced forward presence, eFP). Elle n’y assure pas de mission de police du ciel, sauf indirectement lorsqu’elle est en Lituanie ou en Estonie, mais la Marine nationale française effectue des escales maritimes régulières à Riga. La France mène également des activités de conseil et d’expertise auprès des militaires lettons, un officier spécialiste de la coordination et de la planification des feux d’artillerie étant présent depuis l’été 2021 et pour une durée de 3 ans au sein de l’état-major de la division multinationale NORD implanté sur le camp letton d’Adazi. Enfin, la France entretient des relations avec la Lettonie dans le domaine de l’armement, ce qui constitue une opportunité pour la France car la Lettonie cherche à développer sa base industrielle et technologique de défense (BITD). La France profite d’ores et déjà de cette opportunité et arrive à se positionner dans certains secteurs de niche. Dans le domaine maritime, la France investit dans la rénovation de petites flottilles et de patrouilleurs. De manière générale, la Lettonie estime que toute acquisition doit faire l’objet d’un retour sur investissement et doit, si possible, donner lieu à une production locale.

En revanche, la coopération pâtit de l’absence relative de francophones au sein des forces armées lettones, ce qui a notamment un impact négatif dans le domaine du renseignement. En outre, la France et la Lettonie ne font pas d’exercices conjoints. En réalité, la France passe après les États-Unis, le Canada, l’Allemagne, le Royaume-Uni, les pays nordiques et les partenaires étrangers de la Lettonie au sein de l’eFP. Mais il s’agit en réalité d’un niveau de coopération qui nous convient car nous ne sommes pas en mesure de la développer davantage. La Lettonie, elle, tient un discours double : elle reconnaît les capacités françaises et considère la France comme une puissance européenne majeure, mais elle exprime aussi un sentiment d’attente déçue. Elle reproche en creux à la France de ne pas être davantage présente, au regard de sa puissance.

Un personnel français était présent de 2016 à 2019 dans le centre d’excellence de la communication stratégique de l’OTAN (NATO Strategic Communications Centre of Excellence) basé à Riga, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les autorités lettones expriment le souhait qu’un personnel civil français y soit inséré. Dans la mesure où ce centre fait la fierté de la Lettonie, la France pourrait utilement accroître sa présence dans le pays en répondant favorablement à cette demande, et ce d’autant plus que les Lettons sont performants dans ce domaine. En outre, l’absence d’attaché de défense résident en Lettonie n’aide pas la France à s’engager durablement dans le pays.

La coopération bilatérale dans le domaine de la défense avec la Lettonie est encadrée par l’accord intergouvernemental de février 2017. Elle est modeste et limitée (la plus faible des trois États baltes), en dépit de notre participation aux mesures de dissuasion et de réassurance de l’OTAN dans la région, et n’a pas vocation à se développer à l’heure actuelle.

Elle repose sur :

– notre présence globale en région balte, même si nous ne sommes pas présents formellement en Lettonie : le détachement français qui participe à l’eFP vient ponctuellement s’entraîner et manœuvrer sur le camp d’Ādaži en Lettonie. La France participe par ailleurs à la police du ciel des États baltes depuis les bases d’Ämari en Estonie et de Šiauliai en Lituanie, au profit également de la Lettonie. Elle a assuré depuis Šiauliai trois missions de type Focus Collection Activity (FCA) avec des aéronefs Transall C160G (dernière mission réalisée en 2020), survolant également l’espace aérien letton ;

– les escales de bâtiments de la Marine nationale : c’est en Lettonie qu’ils sont les plus nombreux (frégates, chasseurs de mines, patrouilleurs), déployés dans divers cadres tels que l’exercice Baltops ou l’opération Open Spirit de lutte contre les mines sous-marines ;

– le conseil, le soutien et l’expertise : la France a occupé de 2016 à 2019 un poste de chef de branche soutien aux opérations au centre d’excellence sur la communication stratégique de l’OTAN, pour lequel il n’a pas été trouvé de relève. En revanche nous avons depuis l’été 2021 un officier français de l’armée de Terre spécialiste de la coordination interarmées des feux d’artillerie, inséré au sein de l’état-major de la division MN Nord implanté sur le camp letton d’Adazi ;

– l’entretien des relations industrielles et d’armement : deux séminaires franco-lettons de l’industrie de défense ont eu lieu à Riga (décembre 2018 et décembre 2019), et une réunion en septembre 2021 dans le cadre du forum économique franco-balte organisé par l’ambassade de France et le Medef. L’objectif est d’entretenir les liens en matière d’acquisitions d’équipements militaires et l’intérêt letton pour développer son industrie de défense en échange ou partenariat avec la BITD française sur des secteurs de haute technologie. Actuellement les choix politiques en termes d’acquisitions d’équipements militaires, réalisées principalement auprès des États-Unis, du Royaume-Uni ou encore de l’Autriche, ne favorisent pas les entreprises françaises, qui ont néanmoins des cartes à jouer et obtiennent des succès sur des secteurs de niche.

En revanche, la Lettonie ne dispose pas de suffisamment d’officiers francophones pour une participation régulière au cycle de formation à l’École de guerre. L’échange de cadets n’est pas possible, du fait de cycles de formation non compatibles entre académies militaires. Sur financement de la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD), l’enseignement du français au profit des militaires lettons, assuré par l’Institut français de Riga, vise à favoriser l’interopérabilité en opérations, notamment en Afrique. Toutefois, la Lettonie n’est pas directement engagée auprès de la France en opérations. Chaque année, la Marine nationale fournit un instructeur au Naval Intermediate Command and Staff Course (NICSC). Enfin, nos deux pays ne conduisent pas d’exercices bilatéraux ou conjoints même si nos armées sont régulièrement engagées dans les exercices de grande ampleur de l’OTAN dans la région (Brilliant Jump et Cold Response en 2022).

Malgré son adhésion à l’UE et à l’OTAN en 2004, la Lettonie se sent toujours vulnérable car elle dispose de moyens très modestes en matière de défense. En définitive, la priorité pour la Lettonie ira toujours à la garantie otanienne, donc américaine, et fera toujours preuve de réserve vis-à-vis de la défense européenne, voire de défiance pour l’autonomie stratégique européenne. Elle a acté un plan d’investissement sur 10 ans dans le domaine de la défense et le budget consacré à ce secteur s’élève à 700 millions d’euros, soit environ 2,3 % de son PIB.

C.   Si la France n’est pas dans le premier cercle des partenaires de la Lituanie, les deux pays entretiennent des relations nourries, notamment dans le domaine de la défense

1.   Un rapprochement récent de la France et de la Lituanie sous l’effet conjugué de deux facteurs

La France et la Lituanie se sont fortement rapprochées récemment, sous l’effet de deux facteurs :

– la méthode du président de la République, qui a réinvesti les relations sur le plan bilatéral, afin également de mieux l’articuler à l’échelle européenne, comme en témoigne la visite du président de la République en septembre dernier, qui a donné une nouvelle impulsion et une qualité nouvelle à la relation bilatérale. Ce fut la première visite d’un chef d’État français depuis 19 ans, la dernière en date étant celle du président Jacques Chirac. Cette visite a également été l’occasion d’expliquer le réengagement de la France vis-à-vis de la Russie amorcé par le président de la République en 2017, qui était incompris par les Lituaniens, de clarifier certains malentendus et de marquer la convergence de vues sur les mesures à adopter à l’encontre du régime d’Alexandre Loukachenko à la suite de sa réélection frauduleuse en Biélorussie ;

– et l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement pro-européen en Lituanie, qui a cherché à nouer de nouveaux partenariats, notamment à la suite du Brexit, comme en témoigne le choix de la France pour le premier déplacement du ministre lituanien chargé des Affaires étrangères lors de sa prise de fonction dans le cadre de la réunion au format 3+1.

La densité de contacts entre les deux pays a été inédite cet automne : les ministres lituaniens chargés de l’Économie, de la Défense, des Affaires étrangères et de la Culture, entre autres, se sont rendus à Paris. M. Clément Beaune, secrétaire d’État chargé des Affaires européennes, s’est rendu à Vilnius début septembre. Enfin, des échanges ont également eu lieu au niveau parlementaire, comme en témoigne la visite de M. Gérard Larcher, président du Sénat, en décembre dernier.

Le choix de la France et de l’Europe fait par la Lituanie s’est aussi incarné récemment par le vote du Parlement lituanien autorisant l’implication du pays dans la task force Takuba au Mali. La Lituanie est d’ailleurs déjà impliquée en Afrique car 80 % de sa force armée engagée sur des théâtres extérieurs se trouve sur le continent africain.

2.   Si la coopération bilatérale en matière de défense était surtout forte en 2018 et en 2020 dans le cadre de la présence avancée renforcée, elle n’en demeure pas moins significative aujourd’hui

La coopération bilatérale franco-lituanienne s’articule principalement autour de la participation de la France à l’eFP en Lituanie en 2018 et en 2020, qui a constitué un temps fort de la coopération opérationnelle franco-lituanienne. La participation d’un détachement à l’eFP en Lituanie en 2024 est déjà planifiée. Elle se manifeste également dans la participation de la France à la police du ciel dans les pays baltes.

En outre, la relation prend la forme d’une participation régulière à des missions et exercices de l’OTAN : participation des bâtiments de la marine nationale aux activités de l’OTAN en mer Baltique (chasseurs de mines, navires écoles ou patrouilleurs) et celle de l’armée de Terre à des exercices tels que Iron Wolf, Saber Strike, Steadfast Cobalt et Tobruq Legacy.

Enfin, la relation dans le domaine du renseignement a été relancée avec succès en 2021 et va s’appuyer sur la signature d’un arrangement technique entre la direction du renseignement militaire (DRM) et le service de renseignement militaire letton.

Toutefois, si la relation dans le domaine de l‘armement existe, elle n’est pas structurée. Elle est liée aux acquisitions sporadiques de matériels français dans un contexte qui voit la Lituanie privilégier les acquisitions américaines et allemandes pour s’assurer des garanties de sécurité, aux projets capacitaires européens financés par le Fonds européen de la défense (FEDef) et aux partenariats entre les industriels et la recherche qui peuvent en découler.

D.   La Pologne, puissance régionale, est un partenaire ambivalent mais prometteur pour la France

1.   La situation intérieure et les relations bilatérales se sont dégradées en Pologne à la suite de l’arrivée au pouvoir du parti « Droit et Justice »

a.   La Pologne s’est progressivement éloignée des valeurs européennes de l’État de droit et entretient désormais une relation conflictuelle regrettable avec l’Union européenne

La Pologne a rejoint l’Union européenne en 2004 et y joue un rôle important avec une capacité réelle d’influence, voire de nuisance, sur de nombreux dossiers : migrations (refus des mécanismes de relocalisation obligatoires), révision de la directive sur le détachement des travailleurs (saisine de la Cour de justice de l’Union européenne, CJUE), ou climat (réticence à souscrire à titre national à l’objectif de neutralité carbone de l’UE d’ici à 2050). La Pologne possède 53 députés au Parlement européen, en comptant un siège supplémentaire attribué à la suite du Brexit.

Lors des négociations du cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027, la Pologne faisait partie des Amis de la cohésion, demandant la préservation de la politique de cohésion et la stabilisation en volume de son budget. La Pologne s’est montrée attachée à la stabilisation en valeur du budget de la politique agricole commune (PAC) et au renforcement du second pilier. Sur le volet recettes, la Pologne s’est opposée comme la France aux rabais dont le maintien a finalement été acté par le Conseil européen dans ses conclusions du 21 juillet 2020. Elle est opposée à l’introduction des nouvelles ressources proposées par la Commission mais s’est montrée ouverte à l’introduction d’autres nouvelles ressources comme la taxe sur les services numériques, la taxe sur les transactions financières ou le mécanisme d’inclusion carbone.

En novembre 2020, la Pologne, opposée au nouveau mécanisme de conditionnalité financière liée à l’État de droit, a bloqué (de même que la Hongrie) l’adoption du plan de relance et du Cadre financier pluriannuel, mettant en avant la perspective d’une non-ratification du paquet global par son parlement. In fine, après de longues négociations, le plan de relance et le CFP ont été adoptés à l’occasion du Conseil européen de décembre 2020. Varsovie est l’un des principaux bénéficiaires du Plan de relance avec 23 milliards d’euros de subventions plus 34 milliards d’euros qu’elle pourrait emprunter. Par ailleurs, elle devrait bénéficier de 74,8 milliards d’euros au titre du CFP 2021-2027.

S’agissant de la situation de l’État de droit, dans le cadre de la procédure de l’article 7 du traité sur l’Union européenne (TUE), les autorités polonaises ont été auditionnées à trois reprises, sans rien céder sur le fond, avec l’espoir que la procédure sera in fine abandonnée, soit du fait de la Commission, soit en raison d’une minorité de blocage au sein du Conseil. Elles poursuivent leur politique d’affaiblissement du système judiciaire polonais, qui s’éloigne de plus en plus des normes juridiques de l’UE. Le clivage croissant entre les juridictions politisées (Tribunal constitutionnel, Conseil national de la magistrature) et celles attachées à la primauté du droit (Cour suprême) présente des risques graves pour la sécurité juridique, l’application du droit européen et le fonctionnement de la coopération judiciaire européenne. Dans son bras de fer avec les institutions européennes sur l’État de droit et maintenant sur la hiérarchie des normes, la Pologne s’expose à présent à de possibles sanctions financières, alors que son plan de relance n’a toujours pas été adopté.

Cela étant, la société polonaise est très europhile : plus de 80 % des Polonais sont favorables à une Pologne dans l’Europe. Pour eux, le « Polexit » serait un non-sens complet. Cet attachement à l’UE s’explique par plusieurs raisons, principalement économiques. Depuis son adhésion en 2004, la Pologne est le premier bénéficiaire des fonds structurels européens, qui ont largement contribué à la montée en puissance et à la modernisation de l’économie polonaise. La Pologne a également bénéficié du plan de relance européen, à hauteur de 36 milliards d’euros, ce qui en fait le quatrième bénéficiaire à l’échelle de l’UE. La Pologne affiche également un attachement marqué au marché intérieur, qui facilite l’accès des entreprises polonaises au marché européen et qui constitue un facteur de modernisation important du pays.

Toutefois, la Pologne plaide pour un renforcement du rôle des États-nations au sein de l’UE et évoque sans ambages la notion d’Europe des nations. Elle plaide notamment pour une réduction du rôle et des prérogatives de la Commission européenne, notamment dans le domaine de la justice et de l’État de droit. Concernant la réforme de son système judiciaire, la Pologne a précisément considéré qu’elle pouvait la mener de manière souveraine et que la Commission européenne n’avait pas son mot à dire. En voulant créer une chambre disciplinaire, la Pologne a adopté une posture de confrontation avec l’UE, qui reflète l’euroscepticisme d’une frange (minoritaire) du parti « droit et justice » (PiS). Tout en marquant son opposition à la création de cette chambre disciplinaire, la France a indiqué que ni les sanctions, ni l’exclusion n’étaient des solutions à terme et que ces différends devaient se résoudre dans un dialogue avec la Commission. Lors d’une audition devant le Parlement européen en novembre 2021, le Premier ministre polonais a toutefois indiqué que la chambre disciplinaire serait supprimée. Aujourd’hui, la France attend des signaux concrets de la part des autorités polonaises pour répondre aux demandes de la Commission européenne sur ce sujet.

b.   Membre de l’OTAN, la Pologne fait de la garantie de sécurité américaine face à la menace russe l’axe fondamental de sa politique étrangère

Ayant engrangé des résultats avec la précédente administration américaine, les autorités polonaises essaient de maintenir de bonnes relations avec l’administration Biden, mais doivent faire face à moins de complaisance des États-Unis sur l’État de droit. La Pologne privilégie son partenariat avec les États-Unis, à titre bilatéral (acquisition du système de défense antimissiles américain Patriot pour un montant de 3,8 milliards d’euros en mars 2018, commande de 20 missiles mobiles pour 365 millions d’euros en février 2019, achat de 32 avions de combat F-35A en janvier 2020) et dans le cadre de l’OTAN, au sein de laquelle elle continue à affirmer la nécessité d’un renforcement du flanc Est (présence de 4 500 militaires américains en Pologne sur une base rotationnelle, destinée à être portée à environ 5 500 suite à la signature de l’accord polono-américain du 15 août 2020). Par ailleurs, la Pologne, membre de l’OTAN depuis 1999, consacre 2 % de son PIB à la défense depuis 2016.

Dans le domaine de l’énergie, Varsovie s’est opposée et s’oppose toujours au projet Nord Stream 2, considéré comme renforçant la dépendance énergétique européenne à l’égard de Moscou et comme affaiblissant l’Ukraine, et a été surprise et déçue de la levée des sanctions américaines. L’autorité de la concurrence polonaise avait annoncé une première amende de 40 millions d’euros à l’encontre d’Engie pour non-transmission de documents liés au projet Nord Stream 2 en novembre 2019 et une deuxième, de 12 millions d’euros, en octobre 2020.

La Pologne est membre du groupe de Visegrad, avec la République tchèque, la Hongrie et la Slovaquie. Créé en 1991, ce groupe est une enceinte de concertation informelle au sein de l’Union européenne. La Pologne a assuré la présidence de ce groupe entre juillet 2020 et juillet 2021. Le groupe de Visegrad apparaît cependant de plus en plus divisé (Slovaquie-République tchèque versus Hongrie-Pologne). La Pologne est également partie prenante du format de Weimar. Suite au report du Sommet des chefs d’État et de gouvernement en format Weimar prévu initialement le 14 juillet 2020 à Paris, une rencontre entre les ministres des Affaires étrangères a eu lieu à Paris le 15 octobre 2020, suivie d’une réunion le 10 septembre 2021 à Weimar, à l’occasion des 30 ans du Triangle. Un sommet sous ce format s’est tenu en février 2022 à Berlin, à l’issue du déplacement du président de la République à Moscou puis à Kiev.

2.   Une relation bilatérale entre la France et la Pologne tumultueuse

a.   La relation bilatérale a été durablement affectée par l’arrivée au pouvoir du PiS

La Pologne est un partenaire très important pour la France sur le plan bilatéral et dans le contexte européen. La Pologne est la sixième économie européenne et la vingt-troisième économie mondiale. Elle joue un rôle capital dans la sécurisation de l’Europe orientale, ce qui explique la phase nette de réinvestissement des relations bilatérales initiée par le président de la République en février 2020 lors de son déplacement dans le pays. Depuis, tous les canaux de dialogue politique ont été réactivés, à tous les niveaux, y compris dans le domaine de la défense.

Toutefois, le dialogue politique bilatéral s’est dégradé après le retour du PiS au pouvoir en 2015. Nos convergences avec la Pologne s’avèrent limitées du fait de l’orientation eurosceptique des autorités, des atteintes portées à l’État de droit et du souvenir de l’affaire des Caracal en octobre 2016. Une relance progressive du dialogue politique est intervenue depuis 2019. Une nouvelle séquence a été engagée lors de la visite du Président de la République à Varsovie et à Cracovie, les 3 et 4 février 2020, accompagné de quatre ministres (Europe et Affaires étrangères, Armées, Transition écologique et solidaire, Économie et Finances). Le Président a signé avec Mateusz Morawiecki, Premier ministre polonais, une déclaration sur la coopération en matière européenne (avec trois volets : sécurité/défense, climat et politique industrielle, fiscale et de la concurrence) et un nouveau Programme de coopération (2020-2023) du Partenariat stratégique franco-polonais. Le ministre des Affaires étrangères a également signé avec le ministre polonais de la Numérisation une Déclaration d'intention en vue d’un renforcement de la coopération dans le domaine de la cybersécurité.

Suite à la signature du Programme de coopération franco-polonais pour la période 2020-2023, sa mise en œuvre, retardée par la pandémie, ne fait que débuter, certains ministères ayant déjà présenté des initiatives en cours. Au plan économique, la Pologne reste le premier partenaire de la France en Europe centrale, avec un stock d’investissements français dans le pays de 18 milliards d’euros (quatrième investisseur étranger, voire deuxième compte tenu des investissements directs étrangers transitant par les Pays-Bas et le Luxembourg) et un flux d’échanges commerciaux désormais supérieur à 20 milliards d’euros. Dans l’ensemble, l’économie polonaise aura relativement mieux résisté à la première année de pandémie (estimation de recul du PIB de -2,8 % en 2020) que la plupart des États membres, y compris en Europe centrale, mais les effets de la crise sanitaire se sont fait ressentir sur nos échanges.

b.   La relation bilatérale dans le domaine de la défense, qui n’est pas inexistante, peine à se relancer depuis l’affaire des Caracal

La décision du gouvernement polonais en octobre 2016 de mettre fin aux négociations exclusives entamées en avril 2015 portant sur la signature d’un contrat d’acquisition de 50 hélicoptères Caracal auprès d’Airbus Helicopters pour un montant d’environ 3 milliards d’euros a constitué un choc politique important en France, qui s’est traduit notamment par un arrêt complet de la coopération de défense en 2017. Toutefois, le contentieux financier a été clos par la signature à la mi-décembre 2021 d’un accord de compensation entre le gouvernement polonais et Airbus Helicopters, ce qui constitue une bonne nouvelle pour notre coopération bilatérale et nous permet désormais de regarder vers l’avenir.

Dans le domaine de la défense, le déficit de coopération opérationnelle entre la France et la Pologne ces dernières années explique en partie le manque d’appétence polonais pour les systèmes d’armes français, voire européens. Mais la relance de la coopération de défense récente peut permettre de recréer, à terme, un besoin capacitaire. Mais il faut reconnaître que la France part d’assez loin dans ce domaine.

De manière générale, en Pologne, les acquisitions d’armement sont très politisées ce que confirme le renforcement récent du pouvoir de contrôle dans ce domaine du ministre de la Défense, vice-président du PiS. La passation des contrats d’armement reste fortement conditionnée par un fort tropisme américain, les États-Unis ayant remporté ces dernières années les principaux contrats. La présence américaine significative sur le sol polonais (4 500 militaires américains contre 23 militaires français) n’y est pas étrangère ; et, pour l’anecdote, le directeur adjoint de la politique d’acquisition d’armement est un ancien sergent américano-polonais.

En outre, des exemples récents laissent entendre que la France n’est pas dans une position privilégiée dans ce domaine. Le système de passation des contrats d’armement en Pologne est compliqué et ne prévoit pas nécessairement l’octroi du marché à la meilleure offre : il a été indiqué lors d’un comité armement – le premier depuis trois ans – que ce n’est pas parce qu’un État a fait la meilleure offre qu’il sera nécessairement retenu in fine. Il est donc toujours possible d’avoir un retour en arrière. En outre, beaucoup d’achats se font en Pologne hors planification technique : on ne connaît donc pas le contrat que nous pourrions obtenir dans un ou deux ans, car celui-ci n’existe peut-être pas encore.

Mais la France a participé à la mission de police du ciel en Pologne en 2014 en mobilisant 4 Rafale. Cette mission a été interrompue en 2015 et est actuellement assurée par les forces aériennes turques, auxquelles succéderont potentiellement les forces aériennes françaises en 2024. La participation de la France à la police du ciel qui continue dans les États baltes pourrait s’avérer utile pour renforcer le crédit porté par les Polonais à la France car ils mesurent l’intérêt qu’on leur porte au nombre de personnes déployées sur leur territoire.

II.   la Roumanie, un pays francophile sur lequel la France doit investir dans tous les domaines, y compris et surtout dans le domaine de la défense dans le cadre de l’OTAN

A.   En dépit d’un irritant relatif à l’adhésion de la Roumanie à l’espace Schengen, la relation bilatérale est excellente

La France bénéficie traditionnellement en Roumanie d’un capital de sympathie important, qui trouve son origine dans le soutien de Napoléon III à la création de l’État roumain, puis une fraternité d’armes durable née pendant la Première Guerre mondiale. Les relations entre la France et la Roumanie s’inscrivent dans le cadre d’un Partenariat stratégique, conclu en février 2008 et dont la Feuille de route a été renouvelée lors de la visite du Premier ministre, Ludovic Orban, à Paris le 26 octobre 2020.

Les intérêts économiques français sont importants en Roumanie. La France est le troisième partenaire économique (échanges commerciaux de l’ordre de 9 milliards d’euros en 2021) ainsi que le troisième investisseur en Roumanie. Nos entreprises sont implantées, pour la plupart, depuis plus de vingt ans et font partie du tissu économique du pays. En 2021, l’économie roumaine comptait plus de 4 000 entreprises à capitaux majoritairement français employant directement plus de 125 000 personnes et cumulant un chiffre d’affaires de 16,4 milliards d’euros, soit 7,5 % du PIB. La quasi-totalité des entreprises du CAC 40 (37 sur 40) est présente sur le marché roumain.

Dans le prolongement de la Saison France-Roumanie, qui s’est déroulée au cours de la présidence roumaine du Conseil de l’UE au premier semestre 2019, les principaux axes de notre action culturelle et de coopération sont la promotion de la langue française (trois-quarts des élèves apprennent le français en LV1 ou en LV2), la mobilité étudiante, la promotion de notre culture, à travers les industries culturelles et créatrices avec des priorités concernant le livre, le cinéma, la musique, le design et les jeux vidéo, ainsi que la coopération dans le domaine de la gouvernance et de l’État de droit.

La relation bilatérale connaît cependant un irritant. La Roumanie identifie la France comme l’un des principaux obstacles concernant son adhésion à l’espace Schengen, car elle considère qu’une réforme de cet espace est un préalable nécessaire avant son élargissement, tandis que les autorités roumaines estiment de cette adhésion est désormais méritée (au moins dans un premier temps pour les aéroports roumains).

B.   La relation bilatérale en matière de défense devrait se développer considérablement à la suite de l’annonce du président de la République relative au déploiement d’un contingent français dans le cadre de l’OTAN

Les relations bilatérales entre la France et la Roumanie dans le domaine de la défense s’inscrivent dans le contexte d’une double visite française, à la fois de Mme Florence Parly, ministre des Armées, le 26 janvier, et de M. Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, les 2 et 3 février, à l’occasion de la célébration du quinzième anniversaire de l’adhésion de la Roumanie à l’Union européenne. M. Le Drian a également participé à une réunion du B9, dont le format avait été créé en 2015 après l’invasion de la Crimée dans une perspective de dialogue entre les membres de l’OTAN issus de l’ex-bloc soviétique. La visite de Mme Parly a quant à elle porté sur la mise en œuvre de la disponibilité de la France en Roumanie annoncée par le président de la République le 19 janvier. Si la décision n’a pas encore été prise par l’OTAN, elle devrait normalement conduire à un renforcement de la présence otanienne sur le territoire roumain, à l’image du dispositif en vigueur en Estonie depuis 2017.

Dès 2014, la Roumanie a sensibilisé la France sur la menace russe en mer Noire dans le cadre du dialogue 2+2. Le Partenariat stratégique entre la France et la Roumanie remonte à 2008. Sa dernière feuille de route a été renouvelée en octobre 2020. Elle comprend une coopération en matière de défense mais également une dimension européenne. Dans ce contexte, le président de la République a indiqué lors de son discours du 19 janvier que la France était disposée à déployer des troupes en Roumanie dans le cadre de l’OTAN. Cet engagement a un caractère politique mais il traduit également le renforcement des différentes strates de la coopération bilatérale en matière de défense, dont témoignent par exemple les nombreuses escales maritimes. La coopération porte aussi sur le renseignement ou sur les enjeux de sécurité intérieure. À ce dernier titre, 30 policiers roumains sont envoyés en France chaque année.

Le déploiement militaire français dans le cadre de l’OTAN pourrait prendre la forme d’une eFP, sur un modèle similaire à celui déployé en Estonie. Toutefois, la décision officielle n’a pas encore été prise à ce stade et ce sujet a été discuté lors de la réunion des ministres de la Défense de l’OTAN les 16 et 17 février. À la demande de la Roumanie, la France serait la nation-cadre si elle devait s’installer dans le pays. Des discussions sont en cours pour déterminer quels États pourraient accompagner la France. Si le dispositif français n’est pas encore arrêté, il est cependant clairement défini comme un élément de l’outil de réassurance de l’OTAN, et non escalatoire, car face à la menace immédiate représentée par la Russie, il est nécessaire à la fois de maintenir le dialogue et de présenter des éléments de dissuasion. Enfin, afin de bien cerner les enjeux en mer Noire, il convient de lier les questions de sécurité aux questions énergétiques, qui sont fondamentales dans la crise actuelle.

La relation bilatérale dans le domaine capacitaire constitue un sujet actif d’intervention de l’ambassade depuis un an. Les États-Unis sont perçus en Roumanie comme les principaux bailleurs et fournisseurs des forces de sécurité roumaines depuis 30 ans, au détriment de la France, même si, à titre d’exemple, les forces aériennes roumaines civiles et militaires sont dotées d’hélicoptères Puma, notamment dans la sécurité civile. Mais la Roumanie a des difficultés pour mettre en œuvre les appels d’offres européens. Pendant deux ans et demi, des procès ont été intentés contre la décision du ministère roumain chargé de la Défense d’octroyer à Naval Group le contrat pour la construction de corvettes Gowind. En outre, le ministère roumain chargé de la Défense a davantage l’habitude de recourir aux équipements américains dans le cadre des Foreign Military Sales (FMS). L’enjeu aujourd’hui est donc celui d’une normalisation de la gouvernance économique des marchés de défense roumains, car actuellement, on travaille beaucoup pour obtenir des contrats, avec des résultats qui ne sont pas toujours évidents. En réalité, la Roumanie promet souvent de nombreux contrats et, in fine, les États-Unis passent devant les autres concurrents grâce à l’ouverture de nombreuses lignes de crédits et grâce à leurs contrats dans le cadre des FMS. Mais les États-Unis n’ont fait qu’occuper un terrain délaissé par la France, singulièrement depuis l’adhésion de la Roumanie à l’UE et à l’OTAN.

De ce point de vue, le lien entre la future présence militaire française dans le cadre de l’OTAN et les perspectives de contrats est évident car la Roumanie fait clairement un lien entre la présence militaire pour la garantie de sa sécurité et la conclusion de contrats d’armement. La Roumanie est certainement le pays le plus francophile de la région. Un retour militaire de la France dans le pays serait très bien perçu, à tous les niveaux de la société roumaine.

Actuellement, dans le domaine naval, le contrat signé avec Naval Group pour la fourniture de corvettes n’a pas encore abouti. Dans le domaine terrestre, un contrat a été conclu avec la société Technamm pour la livraison de véhicules aux forces spéciales roumaines, notamment en vue de leur déploiement au Sahel. Un futur programme devrait s’ouvrir prochainement pour la fourniture de véhicules blindés et non-blindés. Arquus va répondre à l’appel d’offres pour une première tranche de 1059 véhicules.

En matière d’équipements, la Roumanie n’a pas sollicité à ce stade d’aide financière. Toutefois, un don de véhicules et/ou de matériels, et en particulier de camions équipés d’un système d’artillerie (CAESAR), pourrait être envisagé. Il est à noter que les CAESAR font déjà partie des prospects envisagés pour la Roumanie. Un tel don serait par ailleurs très bien accueilli en Bulgarie. Afin d’apporter une garantie juridique à la coopération en matière d’armement, il pourrait être pertinent de développer des accords bilatéraux en matière d’exportation d’armements, sur le modèle du partenariat stratégique franco-belge CaMo. Le livre blanc de la défense roumain montre d’ailleurs qu’il y a des trous capacitaires dans le domaine des équipements, ce qui ne peut que nous inciter à faire des propositions dans ce secteur.

III.   La Moldavie, un État confronté à une menace constante liée au conflit gelé en transnistrie

A.   Une situation intérieure caractérisée par la persistance du conflit gelé en Transnistrie

Dans un environnement régional instable, l’élection de Maïa Sandu le 15 novembre 2020 a suscité d’importantes attentes, après plusieurs années de dérives oligarchiques qui avaient contribué à faire du meilleur élève du Partenariat oriental un État capturé par des intérêts privés. Maïa Sandu s’est engagée à renverser cette tendance en remettant le pays sur la voie des réformes en faveur de l’État de droit et de la lutte contre la corruption, prévues par l’ambitieux accord d’association signé avec l’Union européenne en 2014. Malgré sa victoire convaincante lors de l’élection présidentielle, Maia Sandu ne disposait pas de majorité en sa faveur au Parlement et a dû composer avec un gouvernement intérimaire, essentiellement constitué de partisans de son prédécesseur, Igor Dodon, désormais principal opposant. La convocation d’élections législatives anticipées en juillet 2021 lui a permis d’obtenir une majorité qui la soutienne. Le 6 août, le nouveau Parlement a largement voté la confiance au gouvernement de la Première ministre, Natalia Gavrilita, malgré l’opposition de la coalition de l’ex-président Igor Dodon.

Le pays est marqué par la persistance d’un conflit gelé dans la région de Transnistrie, située sur la rive gauche du fleuve Dniestr/Nistru et majoritairement peuplée de russophones. Cette région a tenté de faire sécession de la Moldavie en 1990 et s’est autoproclamée indépendante à la suite d’un conflit violent en 1992 sous le nom de République moldave du Dniestr. Si cette dernière se donne toutes les apparences d’un État constitué, elle est en réalité une zone de non-droit, non reconnue par la communauté internationale. Les combats ont certes cessé depuis 1992 mais un bataillon de l’armée russe y stationne toujours, malgré l’engagement pris par la Russie en 1999 de le retirer. La crise sanitaire a encore renforcé davantage les divisions entre les deux rives du Nistru. Alors que deux états d’urgence distincts ont été proclamés, les difficultés administratives aux points de passage se sont multipliées. Les autorités de facto ont ainsi pris prétexte du contexte sanitaire pour installer près de 37 points de contrôle supplémentaires.

Des négociations en vue d’un règlement du conflit se tiennent sous l’égide de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), dans un format dit 5+2, à savoir les deux parties litigieuses, trois médiateurs (OSCE, Russie, Ukraine) et deux observateurs (UE et États-Unis). Elles ont permis d’obtenir des avancées sur certains dossiers socio-économiques contribuant au rapprochement des populations des deux rives. Néanmoins, elles n’ont jamais été en mesure d’amener les parties à s’engager sur une discussion de fond s’agissant du règlement politique du conflit, et notamment de l’octroi d’un statut spécial à la Transnistrie dans le cadre d’une Moldavie réunifiée.

B.   La Moldavie entretient une relation forte et complexe avec la Russie mais se rapproche progressivement de l’Ouest

Les relations avec la Russie sont complexes en raison du poids historique, culturel et économique de cette dernière en Moldavie depuis plus de deux siècles, et notamment du fait de son implication dans le conflit transnistrien. Les transferts d’argent des migrants depuis la Russie pèsent de manière importante dans le PIB moldave mais tendent à diminuer. Les liens avec la Russie demeurent un facteur de clivage au sein de la classe politique moldave. Durant sa campagne et depuis son arrivée à la présidence, Maia Sandu a affiché son souhait d’une relation équilibrée et pragmatique avec Moscou. Outre les questions relatives au règlement du conflit en Transnistrie, la politique russe de Maia Sandu se concentre sur la situation des travailleurs migrants en Russie (plus de 300 000) ainsi que sur la levée des restrictions aux importations russes de nombreux produits moldaves.

La proximité géographique, historique, linguistique et culturelle explique les relations privilégiées de la Moldavie avec la Roumanie. La Roumanie est traditionnellement le principal défenseur de la Moldavie auprès de l’UE en soutenant sa volonté d’y adhérer et reste le premier partenaire commercial du pays en 2019. Le président roumain Klaus Iohannis s’est rendu à Chisinau dès le mois de janvier 2021 afin d’apporter son soutien à la présidente Maia Sandu.

La Moldavie entretient également de bonnes relations avec l’Ukraine. La présidente Maia Sandu a effectué son premier déplacement à l’étranger à Kiev en janvier 2022. L’Ukraine est le troisième partenaire économique du pays derrière la Roumanie et la Chine. Cette visite a souligné la proximité idéologique avec Volodymyr Zelensky et le souhait des deux pays de faire front commun pour promouvoir un rapprochement plus ambitieux avec l’Union européenne.

Dans le domaine de la défense, la Moldavie est membre du Partenariat pour la paix de l’OTAN depuis 1994. Une accentuation de la coopération a eu lieu en 2015 avec l’adoption d’un pacte d’assistance pour appuyer la Moldavie dans le renforcement et la modernisation de ses forces armées. Un nouveau bureau de liaison de l’OTAN a été ouvert à Chisinau en décembre 2017. La Moldavie reste très attachée à son statut de neutralité, garanti par sa Constitution.

C.   La relation bilatérale avec la Moldavie est relativement réduite

La France est l’un des États les plus anciennement représentés à Chisinau. Les relations diplomatiques ont en effet été établies dès 1992. Cette relation a connu une nouvelle dynamique à la suite de la crise politique de juin 2019 quand le nouveau ministre des Affaires étrangères a été reçu à Paris par la secrétaire d’État chargée des Affaires européennes. La présidente Maia Sandu s’est rendue en visite de travail à Paris en février 2021, effectuant ainsi la première visite bilatérale d’un chef d’État moldave en France en 24 ans. Cette visite avait permis de marquer le soutien de la France au programme de Maia Sandu et de définir un agenda bilatéral ambitieux.

IV.   L’Ukraine, un état fragilisé par l’agression russe dont il est victime depuis 2014

A.   Le partenariat entre la France et l’Ukraine est important sur les plans économique et culturel

La France est actuellement le cinquième investisseur étranger en Ukraine, avec presque 5 % du stock d’investissements directs étrangers, soit un montant de 1,5 milliard de dollars selon les statistiques ukrainiennes. La France est le quatrième investisseur européen, derrière l’Allemagne, l’Autriche et la Grande Bretagne.

Près de 160 entreprises françaises sont aujourd’hui implantées en Ukraine et emploieraient ente 25 000 et 30 000 personnes, ce qui fait de la France, particulièrement présente dans les secteurs de la grande distribution et de la banque, le premier employeur international en Ukraine selon l’OCDE. Les entreprises françaises continuent de se développer sur le marché ukrainien (3,7 % de parts de marché en 2017).

Plusieurs contrats d’envergure ont été signés avec l’Ukraine au cours des dernières années : signature d’un contrat historique de 555 millions d’euros pour la vente de 55 hélicoptères civils Airbus en 2018 pour renouveler la flotte du ministère de l’Intérieur ukrainien, lancement de la construction d’une usine d’approvisionnement en eau potable à Marioupol en juillet 2020 (grâce à l’octroi d’un prêt du Trésor allant jusqu’à 64 millions d’euros), signature d’un contrat pour la fourniture de 20 patrouilleurs fluviaux en juillet 2020. Plusieurs contrats totalisant plusieurs milliards d’euros pourraient aboutir dans les prochains mois. Les autorités ukrainiennes sont également intéressées par le savoir-faire français en matière d’infrastructures, d’environnement et d’énergie ou encore dans les secteurs aéronautique et naval.

B.   La relation bilatérale en matière de défense est ancienne mais relativement modeste en comparaison avec autres alliés occidentaux de l’Ukraine

Dans le domaine de l’armement, la relation franco-ukrainienne a longtemps été suspendue, jusqu’en février 2020, date à laquelle elle a été réactivée par décision du ministère des Armées. Cette autorisation a permis la tenue d’un comité armement, qui ne s’était pas réuni depuis 2017. La France a assoupli ses positions depuis un an et se montre plus ouverte que l’Allemagne, qui refuse systématiquement. Mais elle reste prudente et s’oppose, par exemple, à la livraison de missiles antinavires. Par ailleurs, elle ne propose que la livraison d’armements défensifs.

La formation et le conseil constituent le cœur de la coopération de défense entre nos deux pays. La France finance l’apprentissage du français en milieu militaire dans 4 académies de défense. Elle finance une place tous les deux ans à l’École de guerre, et cette année, une place à l’École nationale supérieure des techniques avancées (ENSTA) Bretagne. Des échanges d’élèves-officiers ont lieu entre Saint-Cyr Coëtquidan et les académies de défense ukrainiennes. Des échanges d’expertises ont également eu lieu en 2021 malgré la crise de la Covid-19, notamment dans le domaine des ressources humaines, de la formation aéronautique et la recherche stratégique. La DCSD du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE) a financé des programmes de formations à destination des élites militaires ukrainiennes à hauteur de 56 000 euros en 2021.

La France et l’Ukraine mènent très peu d’exercices conjoints. La France n’envoie pas en général de détachement dans les grands exercices conduits par l’Ukraine sur son territoire ou en mer Noire. Mais la frégate multi-missions (FREMM) Auvergne a fait escale en Ukraine à partir du 24 décembre 2021 – la Marine nationale a fait environ 30 escales en Ukraine depuis 2014 – en vue d’un bref exercice le 28 décembre. La Marine nationale entretient d’ailleurs d’excellentes relations avec la Marine ukrainienne.

V.   La Biélorussie, un État autoritaire et antidémocratique aux portes de l’Europe qui menace gravement la stabilité régionale

A.   La situation intérieure en Biélorussie a justifié la quasi-rupture des relations bilatérales entre la France et la Biélorussie

1.   La situation politique intérieure de la Biélorussie est caractérisée par la mainmise absolue du président Alexandre Loukachenko, au pouvoir depuis 1994

La situation politique intérieure de la Biélorussie est caractérisée par la mainmise absolue du président Alexandre Loukachenko, au pouvoir depuis 1994. Il a été réélu le 9 août 2020 pour un sixième mandat de cinq ans avec 80 % des voix, au prix de fraudes massives et d’une campagne électorale caractérisée par une fuite en avant répressive du régime, des manipulations grossières, la disqualification et l’emprisonnement de ses adversaires les plus sérieux (dont l’époux de Svetlana Tikhanovskaïa, devenue la plus visible représentante de l’opposition en exil) et l’absence d’observation internationale. Cette campagne a toutefois permis de mettre en lumière l’extrême impopularité du régime, l’aspiration au changement des Biélorusses et la capacité de l’opposition - jusque-là de faible envergure et peu audible - à capter cette aspiration.

Aujourd’hui, un peu plus d’un an après le début du mouvement de contestation, le régime d’Alexandre Loukachenko n’a fait aucune concession. Sur le plan institutionnel, les perspectives d’un dialogue inclusif et d’une véritable réforme constitutionnelle se sont éloignées à mesure qu’Alexandre Loukachenko s’employait à raffermir son pouvoir. Cela se traduit par une aggravation de la répression contre tous les éléments de la société civile. Les opposants sont aujourd’hui tous exilés ou emprisonnés. Plus de 13 000 personnes ont quitté la Biélorussie depuis le mois d’août 2020. L’institution judiciaire n’est plus qu’un vaste outil de répression au service du régime et la législation sur les libertés publiques est destinée dorénavant à criminaliser toutes les activités considérées comme étant anti-régime. En outre, la justice biélorusse continue à prononcer des condamnations à la peine capitale et à procéder à des exécutions. Les conditions de détention sont déplorables compte tenu de la surpopulation carcérale et de nombreux cas de torture ont été documentés.

Sur le plan international, la crise a conduit à une dégradation substantielle des relations avec les États-Unis et l’UE, qui ne reconnaissent pas la légitimité d'Alexandre Loukachenko et ont adopté des sanctions contre les responsables des répressions.

Avec la Russie, la Biélorussie est liée par un traité sur l’union des deux États, conclu à la fin des années 1990. Les deux pays entretiennent des relations étroites à tous les niveaux, stratégique et militaire, économique et commercial, douanier et financier ou encore juridique et culturel. Leurs liens se sont encore renforcés depuis la création, en 2014, de l’Union économique eurasiatique dont ils sont, avec le Kazakhstan, membres fondateurs. Alors que Minsk affichait depuis plusieurs années des signes d’ouverture à l’égard de l’Occident pour se créer des marges de manœuvre et réduire sa dépendance vis-à-vis de la Russie, Moscou est désormais le garant de la survie politique d’Alexandre Loukachenko. Cette situation devrait entraîner un approfondissement de l’intégration entre les deux pays, comme en atteste la signature de 28 programmes d’intégration économique le 4 novembre, et conduire Alexandre Loukachenko à accorder à Moscou des concessions substantielles dans les secteurs économique et politique.

Troisième économie de l’Union économique eurasiatique par son PIB, la Biélorussie présente une économie centralisée (plus de 70 % du PIB est généré par des entreprises publiques) et structurellement dépendante de la Russie, qui détient 50 % de la dette publique biélorusse, et représente plus de 50 % de son commerce extérieur. La crise économique interne et sa mise sous sanctions européennes et américaines devraient permettre à Moscou de renforcer sa main sur l’économie biélorusse, notamment par le biais du rachat de ses entreprises stratégiques et du refinancement de la dette.

2.   Des relations bilatérales historiquement fortes mais qui sont désormais quasiment au point mort

La France a été l’un des premiers États à reconnaître l’indépendance de la Biélorussie en 1991 et à y ouvrir une ambassade permanente dès 1992. La relation bilatérale n’a cependant jamais été très dense, compte tenu du tournant autoritaire pris dès son élection en 1994 par Alexandre Loukachenko. De fait, les visites politiques ont été rares.

Notre relation bilatérale avait connu une dynamique positive à partir de 2014, en écho au réchauffement progressif des relations entre l’Union européenne et la Biélorussie, à la suite de l’annexion par la Russie de la Crimée. Les sanctions européennes à l’encontre de la Biélorussie avaient été partiellement levées en 2016. Les contacts entre la France et la Biélorussie s’étaient alors développés dans les domaines politique mais aussi économique, culturel et parlementaire, comme en témoigne la reprise des visites.

Cette période est désormais révolue. Notre relation politique avec la Biélorussie pâtit naturellement de la crise post-électorale, ni la France ni les autres pays de l’Union européenne n’ayant reconnu les résultats du scrutin de l’élection présidentielle du 9 août 2020. Notre relation bilatérale pâtit également du raidissement des autorités locales depuis le début de la crise, dans un contexte d’hostilité croissante aux ingérences extérieures, que la rhétorique du régime associe aux pays occidentaux. Comme ses partenaires européens, la France ne reconnaît pas la légitimité d’Alexandre Loukachenko et soutient la mobilisation démocratique. Par conséquent, notre ambassadeur a été contraint de quitter le territoire biélorusse le 17 octobre à la suite du refus français de remettre les lettres de créance au président non reconnu. En réciprocité, l’ambassadeur biélorusse à Paris a également dû quitter le territoire français.

La France a fait partie des pays ayant activé le mécanisme de Moscou et le mécanisme de Vienne à l’OSCE, respectivement en septembre 2020 et novembre 2021, afin d’enquêter sur les violations des droits de l’homme commises avant et après les élections du 9 août 2020. Elle a également soutenu au Comité des droits de l’Homme des Nations Unies le renforcement du mandat de la Haute-Commissaire pour enquêter sur les violations des droits de l’Homme en Biélorussie.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : plus de 36 200 interpellations ou arrestations intervenues depuis août 2020, 5 000 affaires pénales en cours, plus de 1 000 prisonniers politiques (dont un grand nombre soumis au travail forcé dans des conditions difficiles), 352 chaînes Telegram fermées pour extrémisme, près de 300 organisations non-gouvernementales (ONG) liquidées ou en cours de liquidation, une centaine de médias y compris régionaux et locaux interdits, 40 avocats ayant perdu leur licence de travail ou en prison, 32 journalistes en garde à vue ou en prison, une trentaine de juges limogés ou ayant démissionné et la poursuite de l’application de la peine de mort en Biélorussie, fait unique en Europe. Aujourd’hui, personne n’est à l’abri de poursuites, notamment toutes les personnes ayant exprimé à un titre ou à un autre leur rejet du système pendant l’été 2020.

Enfin, les moyens français et européens consacrés au soutien à la société civile biélorusse ont été accrus et des programmes spécifiques, surtout pour les étudiants et les journalistes, ont été mis en place à Varsovie et Vilnius. Plusieurs représentants de l’opposition démocratique ont été invités à Paris pour y rencontrer nos autorités en avril et en septembre 2021. Compte tenu de la répression tous azimuts qui s’est abattue sur le pays depuis août 2020, une bonne partie des responsables des mouvements de contestation sont aujourd’hui soit en prison, soit en exil à Vilnius, Varsovie, Kiev, Tbilissi ou Athènes.

Contrairement toutefois à ce que l’on peut lire ou entendre, le mouvement de contestation n’a pas été totalement éradiqué par le régime et de nombreux activistes, journalistes, volontaires, cyber-partisans actifs sur les réseaux informatiques, continuent leur action sur le terrain, dans des conditions de semi-clandestinité. Plusieurs plateformes créées à l’étranger par les Biélorusses eux-mêmes, parfois avec l’aide internationale, ont été mises en place pour apporter une aide, notamment financière, aux familles des prisonniers politiques, aux médias et aux volontaires actifs sur le terrain.

3.   Quel avenir pour la démocratie et les droits humains en Biélorussie ?

Il n’y a aucune raison pour que la Biélorussie ne finisse pas par tendre, un jour, vers la démocratie. Les manifestants dans les rues de Minsk et dans les grandes villes n’avaient aucune ambition géopolitique : personne ne souhaite arracher la Biélorussie à la Russie, ni faire adhérer la Biélorussie à l’OTAN ou à l’UE, contrairement à ce que semblait indiquer un diplomate russe qui disait : « ne nous faites pas le coup d’il y a 30 ans en Europe centrale ! ». Il faut cependant indiquer aux Russes que leur popularité en Biélorussie pourrait décroître à mesure de leur soutien à Alexandre Loukachenko.

Davantage que lors des précédents épisodes de protestation en Biélorussie, l’opposition actuelle a réussi à se structurer à l’étranger, à Vilnius, à Varsovie, à Kiev et à Athènes. Elle a participé au scrutin et Mme Svetlana Tikhanovskaïa a une légitimité populaire forte tant auprès de l’opposition qu’auprès de la population, cette dernière ne souhaitant en réalité qu’une chose : qu’on la laisse tranquille. La diaspora biélorusse est bien organisée et soutient financièrement l’opposition sur le terrain par des transferts d’argent : par des petits canaux, la protestation continue de vivre.

B.   Les relations bilatérales en matière de défense existent mais sont très limitées et en très forte régression à cause du contexte

Fin 2019, les relations entre la France et la Biélorussie étant relativement détendues, les autorités des deux pays ont décidé de renouer un dialogue politico-militaire. Une délégation de la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) s’est alors rendue à Minsk à l’automne 2019 à l’occasion du Minsk Security Forum. Lors de cette rencontre, la délégation française a échangé avec des représentants du ministère de la Défense, à un niveau strictement symétrique à celui de la délégation française. Si l’échange n’a pas été substantiel, cela a tout de même permis de renouer un dialogue. Mais la réélection falsifiée d’Alexandre Loukachenko d’une part, et le détournement de l’avion RyanAir puis la crise migratoire d’autre part, ont entraîné un gel des relations.

Depuis, un canal de dialogue est maintenu au niveau de la mission de défense. L’attachée de défense non-résidente peut se rendre en mission en Biélorussie sur autorisation expresse du ministère des Armées, et au cas par cas, ce qui fut le cas lors de l’exercice militaire russe Zapad 2021. Mais les visites de sites militaires sont toujours limitées à des unités sans importance stratégique, comme des brigades cynophiles ou des postes de gardes-frontières. L’armée biélorusse, forte de 50 000 soldats environ, dispose d’un outil de défense vieillot mais bien entretenu, et se caractérise par un fort niveau de discipline et une fidélité prononcée au régime d’Alexandre Loukachenko.

La France et la Biélorussie n’entretiennent aucune relation dans le domaine de l’armement à la suite de l’embargo décidé par l’UE. En 2019, deux missions d’expertise en matière de sécurité des systèmes d’information (SI) et une offre de contribution au contingent français à la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL) étaient sur la table, mais cela n’a pas pu se faire à cause de la crise de la Covid-19. Une demande a été formulée pour la mise à disposition d’un lecteur de français langue étrangère (FLE) en 2021 mais celle-ci a été annulée à cause de la dégradation du contexte politique. D’autres domaines de coopération font l’objet de demandes de la part du ministère biélorusse de la défense, comme le déminage humanitaire, les opérations de maintien de la paix (OMP) ou encore la cyberdéfense. Le jour venu, des domaines de coopération communs seraient donc envisageables.

Mais le domaine dans lequel la coopération était très efficace jusqu’en 2020 est celui de la maîtrise des armements. Il s’agit d’un domaine important aux niveaux politique et militaire, mais qui, dans l’état actuel des choses, est limité par des différends politiques sur les outils et leurs mises en œuvre (traité sur les forces conventionnelles en Europe (FCE), Document de Vienne, traité « Ciel ouvert » (TCO)). À la suite de l’adoption du DV de 2011 sur les mesures de confiance et de sécurité, les unités de vérification des ministères de la Défense des deux pays ont passé un accord bilatéral pour appliquer des mesures supplémentaires, hors quotas fixés par ledit document en termes de visite. Cette coopération a été interrompue au moment de la crise de la Covid-19. Dans la mesure où le ministère biélorusse de la Défense est intéressé, il serait utile de reprendre cette coopération dès que les circonstances le permettront, ce domaine participant des mesures de confiance entre nos deux pays.

En outre, dans le domaine mémoriel, la reprise de la participation aux commémorations annuelles des soldats morts lors de la traversée de la Bérézina est envisageable. 441 dépouilles mortuaires ont été retrouvées et inhumées à ce stade, mais il y en a certainement encore davantage sur le terrain.

 


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   Deuxième partie : La France est un acteur majeur pour la sécurité en Europe de l’Est dans le cadre des mesures de réassurance de l’OTAN et dans le domaine de l’Europe de la défense

 

I.   La France est pleinement impliquée dans les mesures de réassurance de l’OTAN dans l’espace polo-balte

A.   la France est présente alternativement en Estonie et en Lituanie dans le cadre de la présence avancée renforcée de l’OTAN

1.   L’armée de Terre participe à la politique de réassurance de l’OTAN par le déploiement d’un sous-groupement tactique interarmes en Estonie

Lors de la réunion des ministres de la Défense et de l’OTAN des 15 et 16 février 2017 à Varsovie consacrée à la posture de dissuasion et de défense de l’OTAN et aux mesures engagées pour rassurer les alliés d’Europe centrale et de l’Est qui se sentent menacés par la Russie, une présence avancée renforcée a été instaurée dans les territoires des pays baltes et de la Pologne, sous la forme de quatre bataillons multinationaux (battle group (BG)).

Les forces françaises participent à l’eFP depuis mars 2017, à hauteur d’une compagnie, déployée alternativement en Estonie, au sein d’un bataillon britannique, et en Lituanie, au sein d’un bataillon allemand. Le déploiement actuel, le cinquième depuis 2017, a débuté en mars 2021, pour une durée d’un an. L’état-major de l’eFP en Estonie est situé à Tapa. Le Royaume-Uni en est la nation-cadre. Le détachement français constitue une des composantes interarmées de ce bataillon multinational. Un élément français est inséré dans l’état-major du BG avec un Senior National Representative (SNR) occupant la fonction de chef des opérations. Des militaires français sont affectés dans les domaines du renseignement, des opérations, de la logistique et des systèmes d’information et de communication (SIC).

La mission Lynx constitue la contribution des armées françaises au dispositif de l’eFP. Le détachement français compte environ 300 soldats et est déployé un an dans le cadre de la mission. Trois mandats ont déjà été réalisés, le quatrième étant en cours, jusqu’en mars 2022. Dans le cadre de cette mission, un sous-groupement tactique interarmes (SGTIA) agit comme force dissuasive sur tout le territoire estonien, en intervenant en appui des forces estoniennes dans le cadre de nombreuses activités opérationnelles notamment. Le SGTIA est accompagné dans sa mission par un détachement logistique d’une centaine de personnes qui lui assure sur le champ de bataille le soutien en carburant et en munitions, le dépannage ou l’acheminement de matériels et de véhicules. La présence à Tapa du bataillon de présence avancée renforcée et sa composition multinationale lui confèrent une posture dissuasive mais non-agressive.

Source : état-major des armées

Source : état-major des armées

La mission du détachement à Tapa est triple : participer à la réassurance de l’Estonie au sein du BG de l’OTAN ayant pour nation cadre la Grande-Bretagne, adopter une posture dissuasive et participer au plan de défense pour faire face à une éventuelle attaque. Ce dernier point est bien défini dans les plans élaborés avec l’Estonie. De ce point de vue, le recours aux chars Leclerc est tout à fait adapté pour faire face à la menace, en particulier sur le plan tactique.

Le détachement français est placé au sein d’un groupement tactique sous commandement britannique, dirigé par le lieutenant-colonel britannique Simon Worth. Il se décompose en deux parties : le pôle opérationnel, incarné par le SGTIA, et un élément de soutien national (ESN). Le détachement français est composé de 300 personnels et comprend 150 véhicules. La maintenance des véhicules est optimale : le bataillon dispose d’ailleurs de trois chars Leclerc en réserve, au titre de la maintenance.

Les programmations 11 et 12 de la mission Lynx se termineront en mars 2022. Des exercices nombreux entre alliés et les campagnes de tir permettent au SGTIA d’entretenir les savoir-faire, de les développer avec les alliés et de bénéficier d’opportunités de tir qu’il est plus difficile d’obtenir en France compte tenu des emplois du temps régimentaire bien remplis. Le détachement français est totalement disponible pour des exercices quotidiens sur place, ce qui nous permet de maintenir un niveau opérationnel élevé dans un contexte de haute intensité. Dans la mesure où certains pays doutent de la réactivité de l’OTAN, la France plaide pour trouver des solutions afin d’améliorer sa réactivité. De ce point de vue, la France est en pointe par rapport aux alliés de l’OTAN, grâce à sa culture de projection, comme elle l’a montré pour la conduite de l’opération Serval, et l’expérience du centre de planification et de conduite des opérations (CPCO).

Le format du déploiement français, sous la forme d’un SGTIA, est adapté et permet de travailler en permanence en interarmes. Par ailleurs, le bataillon bénéficie d’une grande autonomie tactique et évolue sur un terrain qui est un laboratoire pour le combat de haute intensité : les soldats se déploient dans des environnements inhabituels (marécages, milieu ouvert) et dans des conditions rigoureuses, voire rustiques (froid, humidité, moustiques), ce qui permet de développer des savoir-faire nouveaux. Les exercices menés avec les Estoniens et les Britanniques, à l’image de l’exercice Bold Panzer, sont volontairement longs, pour apprendre à tenir dans la durée. L’exercice précité durait 10 jours. Les Estoniens, qui jouent souvent la force adverse, ont des manières de combattre différentes des nôtres, davantage axées sur les embuscades de tous types, ce qui permet à l’armée de Terre d’apprendre beaucoup.

2.   Symbole de la coopération fructueuse entre la France et l’Estonie, la mission Lynx présente un bilan très satisfaisant

a.   La participation de l’armée de Terre à la mission Lynx lui est bénéfique à plusieurs titres

En 2016, l’armée de Terre avait moins d’intérêt pour l’Europe de l’Est car, à partir de 2015, la priorité était donnée à l’antiterrorisme, comme en a témoigné la création des opérations Barkhane et Sentinelle. La question de la multiplication des fronts avait logiquement interrogé à l’époque sur la pertinence de l’ouverture d’un nouveau front à l’est. Aujourd’hui, l’armée de Terre a atteint un équilibre avec une participation de la France à hauteur de 300 hommes insérés dans un total de 4 500 hommes, tous bataillons tactiques confondus.

La mission Lynx dans les pays baltes et en Pologne se distingue par des phases opérationnelles inédites qui évoluent à proximité directe du compétiteur russe. Elle constitue une opportunité unique pour se préparer aux nouvelles formes de conflictualité. À ce titre, la mission Lynx est une sorte de laboratoire revêtant une portée éminemment stratégique et préfiguratrice des opérations futures. Elle est arrivée à maturité sur un format considéré efficient qui remplit son objectif de réassurance tout en entretenant un partenariat militaire fructueux avec le Royaume-Uni en Estonie et l’Allemagne en Lituanie.

Le déploiement de l’armée de Terre dans le cadre de la mission Lynx présente de réelles opportunités. Tout d’abord, le déploiement offre une opportunité en termes d’européanité avec les nations hôtes et la nation-cadre. Ce type d’opération permet en effet une mutualisation des acheminements stratégiques entre les partenaires, une interopérabilité tactique ainsi qu’une expérimentation de nouvelles procédures de combat. À cet égard et malgré quelques incompatibilités au niveau de certains systèmes de communication, la France s’est très rapidement intégrée au bataillon britannique. Dans ce domaine, l’interopérabilité logistique devra faire l’objet de progrès futurs. Ensuite, ce déploiement constitue une opportunité pour combattre ensemble dans les affrontements futurs, et non plus seulement côte à côte. La France le fait déjà au Sahel et y montre sa capacité d’intégration envers les autres pays. Cela pourrait être reproduit dans le cadre de la mission Lynx si la France souhaitait devenir une nation-cadre. Enfin, elle représente une opportunité en termes d’entraînement à la haute intensité, en ce qu’elle permet l’appréhension d’un milieu climatique rugueux, au sein d’un environnement contesté à 1 000 lieues de la bande sahélo-saharienne (BSS). Les entraînements développés, qu’ils soient des exercices de tirs ou de la planification d’exercices, sont d’un très bon niveau à la fois d’un point de vue de leur qualité et de leur quantité, avec un focus particulier sur l’aguerrissement et le combat tactique de haute intensité.

De fait, la mission Lynx est une opération dont le format donne satisfaction à la fois à la France et au pays hôte. Son meilleur point d’application est en Estonie, partenaire inscrit dans une logique transactionnelle, aux infrastructures également plus intéressantes que celles des autres pays de la région et répondant aux attendus opérationnels. De plus, le format actuel avec le Royaume-Uni comme unique partenaire est plus efficient qu’un format multinational.

b.   La conduite de la mission Lynx constitue un avantage fort en matière de relations internationales militaires

En complément des gains opérationnels, notre engagement au sein de la mission Lynx nous donne des leviers importants en termes de relations internationales militaires, c’est-à-dire dans le temps long des opérations.

Dans le cadre de la mission Lynx, la participation de la France aux mesures de réassurance témoigne de notre solidarité stratégique auprès de nos alliés occidentaux et orientaux. La mission Lynx permet par ailleurs de maintenir une capacité d’influence de la France. La posture ferme à l’égard de la Russie rend crédible la voix de la France au sein de l’Union européenne (UE) et de l’OTAN. Elle nous permet de rester influents auprès de nos partenaires et de maintenir l’OTAN et ses alliés dans une démarche non-escalatoire. La mission Lynx contribue ainsi à la maîtrise des rapports de puissance dans la région.

Enfin, la présence d’officiers de l’armée de Terre dans les différents organismes (coopération, liaison) concourt directement à notre capacité d’appréciation autonome de situation, atout déterminant qui permet à la France de décider librement. Cette présence est déterminante dans un contexte de guerre informationnelle où se multiplient les stratégies hybrides afin de comprendre les intentions des différents acteurs, de mettre en œuvre une stratégie et d’éviter la bascule vers l’affrontement. À cet égard, si l’OTAN dispose de son propre système de réaction et de commandement, l’armée de Terre affiche également un dispositif d’alerte propre et permanent, prêt en toute situation. Depuis le 1er janvier 2022, la France participe massivement au tour d’alerte de la force de réaction de l’OTAN (NATO Response Force, NRF). Notre pays a notamment pris la tête de la force opérationnelle interarmées à très haut niveau de préparation (Very High Readiness Joint Task Force, VJTF). De fait, l’armée de Terre se prépare sérieusement car le risque d’escalade le justifie. Des exercices d’alerte et de déploiement sont organisés à ce titre, par exemple en Norvège.

Notre responsabilité au sein de la VJTF souligne plus encore l’enjeu de notre capacité autonome d’appréciation de situation qui s’appuie en particulier sur le réseau des attachés de défense. Le besoin d’informations objectives et fiables est essentiel. Nos capacités cyber viennent compléter ce que le réseau, au contact de la population et des décideurs, parvient à faire remonter ; et à ce titre, l’épaisseur du réseau est importante.

Ainsi, efficient pour l’armée de Terre dans son format, équilibré dans son rythme, le dispositif Lynx est également créateur d’avantages collatéraux de divers ordres : stratégiques auprès des partenaires européens du nord et de l’est, opératifs grâce à la réalisation d’exercices de planification et d’acheminements stratégiques gages d’une liberté d’action, et tactiques puisque l’armée de Terre se déploie dans un environnement contesté pouvant préfigurer les combats de demain. Pour toutes ces raisons, la présence de l’armée de Terre dans la région participe à la mise en œuvre de notre stratégie de puissance.

3.   L’excellent bilan de la mission Lynx ne doit cependant pas masquer certains axes d’amélioration

a.   L’interopérabilité sur les systèmes d’informations et communications

La mission a également pour objectif de développer l’interopérabilité, tant avec les Estoniens qu’avec les Britanniques. Le principal défi a trait aux modes de communication : nous n’avons pas les mêmes systèmes, ni les mêmes matériels, et la communication entre les différents systèmes d’information (SI) peut être complexe car nos systèmes sont cryptés. En revanche, l’interopérabilité avec les Britanniques dans le domaine de l’artillerie est excellente : nous savons que nous pouvons compter sur leur appui en cas de besoin.

Toutefois, les armées conduisent un travail de long terme et en constante évolution sur l’interopérabilité. Contrairement aux États-Unis qui tiennent à un haut niveau de confidentialité, la France affiche une position plus souple avec un agrément laissé aux partenaires. Des solutions sont toujours trouvées pour travailler et l’interopérabilité fait l’objet de groupes de travail avec ses partenaires.

b.   La problématique de l’acheminement des matériels

La France apporte elle-même ses matériels depuis le territoire national jusqu’en Estonie. Il n’y a pas de stock dédié en Estonie, sur lequel les unités tournent : l’armée de Terre prend le matériel avec elle quand elle quitte l’Estonie. À titre d’exemple, l’acheminement d’un char Leclerc prend entre 4 et 5 jours par bateau aujourd’hui, et ce serait également le cas dans un contexte de haute intensité. Cependant, en cas d’urgence, la France peut recourir à des prestataires civils pour le transport stratégique.

Par ailleurs, si le transport logistique par chemin de fer est théoriquement envisageable, la présence d’un écartement dans les pays baltes datant de l’époque soviétique impose une rupture de charge rendant plus difficile le recours à ce mode d’acheminement. Des discussions seraient en cours à l’échelle de l’Union européenne (UE) sur ce thème mais les moyens consacrés à l’amélioration de ce type de transport sont insuffisants. Des programmes sont menés au sein de l’OTAN et de l’UE pour améliorer la mobilité pour les convois militaires. Si les voies ferroviaires sont vulnérables, notamment à l’arme aérienne, les moyens navals peuvent également être confrontés à des dénis d’accès. L’enjeu est donc de multiplier les vecteurs.

Ces matériels sont prélevés sur le potentiel global à l’échelle du TN, qui est ensuite redistribué par le commandement des forces terrestres entre les différentes opérations et les différents régiments. Par conséquent, l’armée de Terre doit parfois se limiter : aujourd’hui, le détachement s’entraîne à hauteur de 150 heures par mois pour les chars Leclerc, soit 15 heures par char. Il faudrait au moins 100 à 150 heures par mois en plus pour atteindre une moyenne de 25 à 30 heures par char.

c.   La menace aérienne et la défense sol-air

Le bataillon français travaille également sur la menace aérienne, qui serait une des principales menaces en cas d’attaque. De ce point de vue, dans la mesure où les ennemis ont toujours bénéficié d’une avance dans ce domaine, la mission se doit de prendre en compte cette menace. La France a gardé une seule unité de défense aérienne. Les Britanniques ont une section dédiée à la défense anti-aérienne, sur laquelle l’armée de Terre compte pour assurer la couverture du dispositif du bataillon en Estonie. Concrètement, il nous faut insister véritablement sur des moyens sol-air pour accompagner un combat aéroterrestre. En outre, il faudrait également doubler le nombre de canons dans l’armée de Terre pour atteindre les standards de l’OTAN. En l’absence de moyens de lutte antiaérienne, les militaires déployés sur place sont vigilants sur le camouflage de nos chars.

Par ailleurs, le besoin en petits matériels est prégnant, et en particulier le développement de dispositifs de lutte anti-drone (LAD), tout comme le besoin en radars terrestres pour surveiller ce qui se passe de l’autre côté de la frontière estonienne. Ces moyens sont présents dans nos armées mais pas en nombre suffisant.

d.   Des perspectives de coopération dans le cyber

Enfin, la France aurait également intérêt à travailler davantage avec l’Estonie dans le domaine du cyber, où les Estoniens sont en pointe. Aujourd’hui, il n’y a qu’un seul Français dans le centre d’excellence cyber de l’OTAN, ce qui est très peu. Un partenariat avec Saint-Cyr Coëtquidan pourrait être fructueux. En effet, le centre de recherche de Saint-Cyr Coëtquidan dispose de compétences reconnues dans ce domaine.

B.   La France contribue également aux mesures de police du ciel de l’OTAN

1.   L’armée de l’Air et de l’Espace est pleinement investie pour la sécurisation de l’espace aérien des États polo-baltes

Dans un contexte de menace forte en provenance de la Russie, la France cherche à se positionner comme une puissance d’équilibre, agissant en amont des crises à partir du triptyque compétition-contestation-affrontement élaboré par le chef d’état-major des armées (CEMA). L’objectif est de gagner la guerre avant la guerre. Dans cette optique, l’enjeu consiste à détecter les signaux faibles dans les pays baltes et à être actif dès la phase de compétition.

L’armée de l’Air et de l’Espace (AAE), pleinement intégrée à l’OTAN, s’inscrit dans la posture française de solidarité vis-à-vis de l’Alliance. Répondant aux standards de l’OTAN, l’AAE est considérée comme fiable et pleinement opérable. L’AAE est non seulement capable de mener des démonstrations de force mais elle offre également un large panel de capacités particulièrement adaptées à cette posture d’équilibre : réactivité et fulgurance, faible empreinte au sol, allonge à l’échelle mondiale, gradation des effets et réversibilité. Dans son action contribuant à la sécurité de la zone, l’AAE contribue donc à préserver la liberté d’action et de manœuvre des forces françaises, tout en contenant les rapports de force entre les différents acteurs et le maintien du dialogue avec la Russie. Il s’agit donc d’assurer la connaissance des capacités de nos compétiteurs (nécessitant des déploiements de capteurs, notamment pour le renseignement d’origine électromagnétique (ROEM)), de réaliser des actions de signalement stratégique manifestant une présence aérienne régulière dans la zone et une capacité d’intervention immédiate ainsi que de développer des points d’appui accessibles et interopérables pour nos forces aériennes.

Enfin, si l’OTAN demeure le socle de notre défense collective, il y a aussi intérêt à renforcer les capacités européennes, sans que ces deux entités soient considérées comme concurrentes ou en doublon, pour défendre l’accès aux espaces aériens contestés, par des déploiements conjoints (notamment de moyens de renseignement, de surveillance et de reconnaissance ainsi que des moyens de signalement), des exercices communs agrégeant de nouveaux partenaires régionaux et la dynamisation des projets capacitaires européens dans le cadre de la coopération structurée permanente (CSP).

2.   L’armée de l’Air et de l’Espace conduit des opérations dans le cadre de la police du ciel

L’AAE participe à des opérations dans le cadre et hors de l’OTAN dans la zone. La police du ciel (enhanced Air Policing, eAP) est un format d’opération compact mobilisant pour l’AAE un peu moins de 100 personnels pour un mandat de 4 mois tous les deux ans. Entre 650 et 700 heures de vol sont effectuées par mandat. D’un point de vue opérationnel, l’eAP traduit une présence visible et crédible dans le cadre de la démarche de réassurance de l’Alliance tout en permettant d’apprécier de manière autonome le jeu des compétiteurs de la zone. L’objectif est toujours d’adopter un comportement et des manœuvres maîtrisés afin d’éviter tout risque d’escalade. Une attention particulière est portée à la perception de nos compétiteurs comme de nos Alliés, pour marquer auprès d’eux également la singularité de la posture française. Bien que le commandement de l’eAP relève de l’OTAN, le contrôle national s’y applique également, notamment pour les missions d’entraînement.

Outre son caractère opérationnel, l’activité conduite dans la zone est enrichie par les opportunités d’entraînement et par les opportunités bilatérales avec d’autres pays à l’instar de la Finlande et de la Suède, rendues possibles par des protocoles et le caractère rotationnel de l’eAP : au cours d’un détachement de 4 mois, lorsque d’autres nations de l’OTAN sont présentes pour assurer la police du ciel, des périodes dites cold (aéronefs du détachement français non armés) permettent à l’AAE de s’entraîner sur des missions du haut du spectre avec ses partenaires. Toutes les opportunités pour renforcer les liens avec les pays de la zone balte sont ainsi saisies. Par exemple, l’AAE entraîne les contrôleurs aériens des pays hôtes et bénéficie en échange de l’accès à leurs champs de tir.

En dehors de l’eAP, l’AAE est également engagée dans des missions d’appréciation autonome de situation par le déploiement d’E-3F AWACS, de C-160G Gabriel ainsi que de nacelles de recueil ASTAC. Les informations collectées dans le cadre de ces missions de renseignement sont ensuite traitées puis partagées au sein de l’Alliance. Enfin, en termes de coopérations bilatérales, des officiers des pays baltes sont formés par l’AAE aux standards de commandement aérien au sein du centre d’analyse et de simulation pour la préparation aux opérations aériennes (CASPOA) de l’OTAN sur la base aérienne de Lyon Mont Verdun.

Dans ce contexte de la région balte, les enjeux de l’AAE sont donc multiples : posture pour que la France apparaisse comme un allié ferme et équilibré, effets de masse et mesures pour faire face au risque de conflit de haute intensité, supériorité technologique, entraînement et interopérabilité avec les principaux acteurs locaux. La France joue ainsi le rôle de puissance d’équilibre, en étant un acteur majeur de l’OTAN et un contributeur de la construction de l’Europe de la défense, mais elle assure aussi un rôle de puissance stratégique disposant d’une appréciation autonome de situation et s’attachant à la liberté de navigation et de manœuvre dans la zone.

3.   L’interopérabilité et les partenariats : l’enjeu des F35 et de chaînes de commandement

Le maintien de l’interopérabilité avec les États-Unis est indispensable pour nos opérations. Plusieurs partenaires européens ont recours aux F35 dans le cadre de l’eAP, notamment l’Italie qui en a déployé l’an dernier. La mission a pu être tenue en toute interopérabilité et grâce au fait que la mission est principalement centrée sur le commandement et non sur l’armement. Si l’AAE n’a pas à se prononcer sur le choix du F35 par nos partenaires européens, la préservation de l’interopérabilité sur tous les théâtres est un enjeu primordial pour la France, ce qui implique de travailler davantage avec les partenaires européens dotés de F35, tels que les Britanniques, les Hollandais, les Italiens et bientôt les Finlandais.

Si la programmation des entraînements souhaités par l’OTAN reflète de plus en plus une logique interarmées, chaque déploiement aérien national dans le cadre de l’eAP conserve une certaine autonomie, tant dans l’opération qu’en termes d’entraînement. À ce titre, le détachement français au sein de l’eAP fait l’objet d’un double contrôle, à la fois national et otanien. Chaque mission de l’OTAN détaille des règles d’engagement auxquelles sont libres d’adhérer dans leur entièreté ou non les États membres de l’Alliance. Pour l’eAP, la France adhère à l’ensemble de ces règles qui sont celles de la police du ciel du temps de paix. Pour les missions de renseignement, une planification jusqu’à un an en amont est réalisée mais la programmation des opérations reste flexible en conduite.

Les deux centres de commandement de l’OTAN sont situés en Allemagne avec le centre d’opérations aériennes d’Uedem (échelon opératif) et le commandement aérien allié de Ramstein (échelon stratégique). La partie tactique est répartie entre les pays baltes, dont les radars sont interconnectés et qui hébergent trois centres de commandements selon un fonctionnement rotatif.

4.   Les perspectives d’évolution du format du détachement français de la police du ciel

En participant actuellement à la mission de l’OTAN, l’AAE inscrit sa participation dans les créneaux proposés par l’Alliance et contribue à l’atteinte de l’objectif global de police du ciel permanente dans cette zone. Aujourd’hui, en présentant un plot de 4 avions, sur une durée de 4 mois tous les 2 ans, on participe pleinement au remplissage des créneaux souhaités par l’OTAN. Deux réunions de génération de force de l’OTAN sont organisées chaque année afin d’établir les besoins à court et moyen termes et permettre aux États d’annoncer leurs contributions. En 2024, il y a encore des contributions non honorées à ce stade, mais le temps nous permettra in fine de les remplir. L’AAE étudie actuellement sa propre participation pour 2024.

Actuellement avec 4 avions de chasse et environ 100 personnes par détachement, la participation de la France à cette mission assure un équilibre raisonnable à l’échelle stratégique et opérationnelle. En effet, en y déployant ces moyens aériens, la France assume sa position ferme face au compétiteur russe et crédible vis-à-vis des Alliés, tout en maîtrisant les risques d’escalade. D’autre part, parallèlement aux enjeux opérationnels, les opportunités d’entraînements sont très profitables puisque la moitié des heures de vols réalisées à chaque détachement concernent des décollages pour des interceptions réelles ou d’entraînement, tandis que l’autre moitié correspond à des exercices avec les partenaires régionaux. Le travail préparatoire actuel sur une huitième participation française en 2022 témoigne de cette position.

5.   L’armée de l’Air et de l’Espace conduit également des missions de surveillance de l’espace aérien de l’Islande et de la Roumanie

En 2004, la France a participé pour la première fois à la police du ciel en Islande. Si la mission a été concluante, elle ne portait pas le même message que dans les pays baltes. C’est l’une des raisons expliquant le recentrage sur le nord-est de l’Europe. Dans la zone balte, le nombre d’interceptions y est deux fois plus important. Au-delà de l’activité plus dense de la région, la richesse de l’environnement rend intéressantes les possibilités d’entraînement, et ce d’autant plus dans la perspective d’une préparation à la haute intensité.

Toutefois, l’AAE est également présente en Roumanie et en mer Noire, où elle mène des missions aériennes de renseignement dans le cadre des FCA de l’OTAN.

C.   la présence avancée adaptée en Roumanie, une modeste contribution de la France dans le cadre de l’OTAN sur le flanc sud-est

Le principe d’une présence avancée adaptée (tailored forward presence, tFP) pour la Roumanie a également été agréé lors du Sommet de Varsovie pour le flanc sud-est de l’Alliance. Développée progressivement à compter de 2017, la tFP est le pendant du dispositif de présence avancée renforcée sur le flanc sud-est de l’Alliance. Elle comporte trois volets : terrestre, aérien et maritime. Elle repose sur quatre initiatives, complétées par des besoins additionnels en matière de renseignement, de surveillance et de reconnaissance interarmées et de déni d’accès. Fondée sur le développement et la mise en place d’un programme international interarmées d’entraînements accrus et sur des missions de surveillance aérienne et maritime, la tFP contribue à renforcer la posture de dissuasion et de défense de l’OTAN et à améliorer l’interopérabilité et la réactivité. En mer Noire, la tFP se concrétise par le renforcement de la présence navale de l’OTAN et assure la fonction de coordination maritime pour les forces navales permanentes de l’OTAN lorsqu’elles opèrent avec d’autres forces alliées dans la région.

Dans ce cadre, la France contribue activement aux composantes maritime et aérienne en mer Noire. Elle est le seul Allié à avoir utilisé les bases roumaines pour déployer des avions de patrouille aérienne. La France contribue régulièrement à des missions ISR dans le domaine maritime. Dès lors qu’ils patrouillent dans la zone de l’opération maritime Sea Guardian, les bâtiments français sont placés en soutien associé.

Outre la tFP, la France est présente au sein des différentes structures et quartiers généraux roumains, notamment au commandement de l’OTAN à Bucarest et à Sibiu.

II.   Si La prédominance de l’OTAN est une réalité dans l’espace balte, l’Europe de la défense n’est pas pour autant inexistante

A.   Une articulation délicate entre l’Europe de la défense et l’OTAN : l’exemple de la Pologne

Lors de notre déplacement en Pologne, nous avons pu apprécier par nous-mêmes les difficultés relatives à l’articulation entre, d’une part, l’appartenance à l’OTAN, et d’autre part, le souhait de développer l’Europe de la défense. Les différents interlocuteurs rencontrés sur place estiment que les tensions actuelles avec la Russie permettent de tester la solidité des relations à l’échelle de l’UE et de l’OTAN ainsi que la solidarité entre ses membres. Ils estiment également que la menace russe doit prendre toute sa place dans la boussole stratégique et dans le futur concept stratégique de l’OTAN. En somme, il convient de garantir un niveau de force adéquat dans l’environnement proche de la Russie, et pour ce faire, il faut miser tant sur l’OTAN que sur l’UE. À ce titre, l’état-major de l’Union européenne et l’OTAN doivent disposer de capacités de réponse adéquates face à la Russie. En particulier, l’OTAN doit renforcer ses capacités de résistance aux attaques hybrides, qui sont, pour la Russie, toujours le prélude à une attaque militaire. L’UE dispose d’un BG depuis une quinzaine d’années mais la Pologne estime que celui-ci doit être amélioré et qu’il est indispensable d’augmenter les effectifs de l’Eurocorps.

Toutefois, nos interlocuteurs ont tous estimé qu’il est indispensable de ne pas proposer d’initiative au sein de l’UE qui dédoublerait les structures existant au sein de l’OTAN, pour ne pas entraver l’action conjointe des membres de la communauté euro-atlantique. Cet impératif est constamment revenu lors de nos entretiens.

Les discussions relatives à la boussole stratégique illustrent les divergences d’approches entre la France et les États polo-baltes. Lors de notre déplacement en Pologne, on nous a clairement indiqué qu’il était surprenant que l’UE et l’OTAN éditent deux documents différents – la boussole stratégique et le futur concept stratégique de l’Alliance – aux objectifs relativement similaires et à quelques semaines d’intervalles. La Pologne estime que le défi sera de faire de ces deux documents des instruments concrets. En particulier, selon la Pologne, la boussole stratégique est très – trop ? – ambitieuse et comprend des objectifs très élevés en matière de défense, notamment dans la zone indopacifique. La Pologne estime que le niveau d’ambition ne doit pas porter atteinte à la crédibilité de la posture : il convient de proposer des actions qui pourront effectivement être mises en œuvre, car beaucoup de gens liront ce document, ce qui implique de développer des analyses et des propositions crédibles pour être pris au sérieux et ne pas susciter de déceptions. En outre, la force de réaction rapide de l’UE a été qualifiée de serpent de mer, dont la crédibilité n’était pas reconnue. Il est donc indispensable, selon nos interlocuteurs, de faire attention au niveau d’ambition fixé dans la boussole stratégique afin d’être crédible.

B.   Les États polo-baltes n’en demeurent pas moins impliqués dans l’Europe de la défense

1.   L’Estonie participe à de nombreux instruments de l’Europe de la défense et est le partenaire principal de la France au Sahel

Tout en craignant les duplications avec l’OTAN, au niveau européen, l’Estonie ne s’oppose pas à l’approfondissement de l’Europe de la défense, comme en témoigne sa participation à la CSP et son soutien au lancement du FEDef. Par ailleurs, la France et l’Estonie coopèrent dans le cadre du programme européen de développement industriel dans le domaine de la défense (PEDID) pour le projet mené par l’Estonie de développement d’un système terrestre sans pilote modulaire intégré (integrated Modular Unmanned Ground System, iMUGS). L’Estonie participe également à l’initiative européenne d’intervention (IEI), et ce dès son lancement en 2018, qui vise à développer une culture stratégique commune en renforçant la solidarité et les capacités au sein d’un noyau d’États européens.

Surtout, l’Estonie est le seul pays européen, en dehors de la France, impliqué dans les quatre opérations au Sahel (Barkhane, Takuba, mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) et la mission de formation de l’UE au Mali (European Union Training Mission in Mali (EUTM Mali))), avec respectivement 50, 22, 4 et 2 militaires estoniens déployés. La contribution de l’Estonie à la Coalition pour le Sahel est d’autant plus importante au regard de la taille limitée de ses forces armées (3 200 personnes).

2.   La Lettonie s’investit également dans le domaine de l’Europe de la défense, à la hauteur de ses possibilités compte tenu de la petitesse de son administration de défense

Pour la Lettonie, les premières garanties en matière de défense collective européenne sont les États-Unis et l’OTAN. Elle observe toutes les initiatives et peut s’impliquer dans des projets, dès lors qu’il n’y a pas de duplication avec les projets ou les structures de l’OTAN. Les Lettons sont également sceptiques, voire méfiants, vis-à-vis de la sémantique de l’Europe de la défense : les concepts de souveraineté européenne et d’autonomie stratégique sont perçus comme des mises en danger, voire une forme de sécession, de l’OTAN et du leadership américain. Cette idée a été exprimée clairement lors d’une réunion récente avec le président de la République letton, qui a indiqué que la sécurité européenne s’incarne dans l’OTAN, sous le leadership stratégique des États-Unis.

Toutefois, ils ne sont pas hostiles par principe à des initiatives européennes en matière de défense. Ils partagent des objectifs communs avec la France et voient d’un œil positif plusieurs initiatives, notamment la boussole stratégique, même s’ils ont toujours une forme de méfiance vis-à-vis des initiatives françaises, perçues comme excessivement franco-françaises et pas assez européennes. De manière générale, la Lettonie ne dispose que d’une petite administration, que la machinerie européenne effraie souvent. Ils sont impliqués dans trois projets dans le cadre de la CSP mais ont indiqué qu’ils ne s’impliqueront pas davantage car ils n’ont ni la capacité financière, ni le personnel administratif nécessaires pour ce faire. Ainsi, nos initiatives en matière de défense européenne les effraient un peu : ils estiment qu’ils n’y arriveront pas et que les grands États vont rafler la mise, tandis qu’au sein de l’OTAN, il y a moins de complexité et plus de fluidité. Cette difficulté a également été visible en matière de santé européenne, où on a proposé des dispositifs difficilement gérables par l’administration lettone, avec des procédures de suivi et des reportings très lourds. En revanche, les Lettons adhèrent au FEDef, dans le cadre duquel ils ont obtenu des financements et qu’ils apprécient.

3.   La Lituanie partage plusieurs analyses françaises sur l’Europe de la défense et y contribue

En matière de sécurité et de défense, la Lituanie considère que l’OTAN est la clé de voûte de la sécurité européenne. Elle n’envisage l’Europe de la défense que dans la mesure où elle ne se substitue pas à l’OTAN et où elle ne duplique pas des initiatives qui existent déjà au sein de l’OTAN. Sous réserve de ces deux conditions, la Lituanie partage toutefois l’analyse française selon laquelle l’Europe doit être plus forte, plus résiliente et plus souveraine en matière de sécurité et de défense. À titre d’exemple, elle est engagée au sein de l’EUTM Mali, dans la mission de formation de l’Union européenne en République centrafricaine (European Union Training Mission in Central African Republic, EUTM RCA) et au sein de la CSP à hauteur de quatre projets en tant qu’observateurs et deux projets en tant que pilotes, dans les domaines du cyber et de la mobilité. Leur investissement dans la CSP est cependant contraint par la taille de leur administration, qui ne leur permet pas de s’investir autant que d’autres grands États européens.

Ils sont également impliqués dans les discussions relatives à la boussole stratégique, dans le cadre desquelles ils appuient les thèmes de la menace russe et du nécessaire partenariat avec l’OTAN. À ce sujet, ils voient les piliers de la boussole stratégique par rapport aux problèmes auxquels ils sont confrontés : la crise avec l’Ukraine, la crise avec la Biélorussie, les menaces hybrides venues de Chine ou de Russie, ou encore la menace nucléaire incarnée par la centrale nucléaire d’Astraviets en Biélorussie. Les entreprises lituaniennes s’impliquent également dans le FEDef. En définitive, les Lituaniens ne freinent aucune initiative européenne qui contribue à la résolution des difficultés auxquelles ils sont confrontés à l’échelle de l’Europe, dès lors que lesdites initiatives produisent des effets tangibles et ne dupliquent pas des dispositifs qui existent au sein de l’OTAN.

4.   La Pologne s’investit de manière fluctuante mais réelle dans le domaine de l’Europe de la défense

L’engagement de Varsovie au sein de l’Europe de la défense reste limité. Cependant, en août 2021, la Pologne a fait part de son souhait de rejoindre la task force Takuba. Par ailleurs, la Pologne a reconnu, dans la déclaration conjointe signée entre le président de la République et le Premier ministre polonais le 3 février 2020 à Varsovie, la nécessité pour les États européens d’assumer davantage de responsabilités, en termes de capacités, d’opérations et de dépenses. Cette déclaration mentionnait ainsi une intensification de la coopération industrielle bilatérale dans le cadre de la CSP sur les systèmes de combat collaboratifs et les futurs systèmes de combat terrestre, et évoquait l’éventualité d’une possible adhésion future de la Pologne à l’IEI (conditionnée à un renforcement de notre coopération opérationnelle). La Pologne est aujourd’hui engagée dans 25 projets au titre de la CSP, dont 5 projets français. Elle ne coordonne qu’un seul projet, participe à 12 d’entre eux et est observatrice dans les 12 autres. Elle a également signé en 2020 5 lettres d’intention communes avec la France via le Programme européen de développement de l’industrie de défense (PEDID) afin de soutenir les consortiums présentant des offres à la Commission européenne dans les domaines du cyber, de la détection de missiles balistiques et hypersoniques, de la surveillance de l’espace, de la situation maritime et de l’observation spatiale.

Depuis quelques mois, la Pologne a développé une vision à 360 degrés de la notion de sécurité : ils continuent à être impliqués dans le cadre de l’OTAN, mais ils s’impliquent également en Afrique et s’intéressent aux vues françaises en Indopacifique. Cette prise de conscience s’est matérialisée par la décision récente du gouvernement polonais de rejoindre la task force Takuba. De ce point de vue, il s’agit d’un signal politique fort, car cela était inconcevable il y a encore quelques années.

Si la Pologne ne manifeste pas d’intérêt notable pour l’Europe de la défense, sa sensibilité pourrait se développer dans le contexte actuel d’une moindre complicité entre les autorités polonaises et l’administration américaine depuis l’arrivée au pouvoir de Joe Biden. La Pologne est en effet la nation-cadre de l’Eurocorps depuis le 26 janvier 2022 et envisage de doubler une partie de ses effectifs. La Pologne n’est pas hostile au projet de boussole stratégique mais elle souhaite avant tout un outil opérationnel plutôt qu’un outil incantatoire. De ce point de vue, l’investissement de la Pologne sera fonction de son contenu, c’est-à-dire selon son adéquation avec l’approche polonaise à 360 degrés et la place accordée à la coopération avec l’OTAN et à la menace russe.

Mais la Pologne se montre prudente à l’égard de toute initiative qui viendrait concurrencer l’OTAN. Elle plaide pour que la CSP comme le FEDef soient le plus ouverts possibles aux pays non-membres de l’UE, et en particulier ses alliés tels que le Royaume-Uni, Israël ou les États-Unis, considérant que les exclure reviendrait à se priver des meilleures technologies de défense, notamment américaines. Par ailleurs, la Pologne ne respecte pas l’engagement contraignant de la CSP de favoriser l’acquisition d’équipements européens lorsqu’ils existent.

 


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   Troisième partie : l’Europe de l’Est est traversée par de nombreuses crises ayant toutes pour dénominateur commun la Russie et la Biélorusssie

 

I.   La crise migratoire orchestrée par la Biélorussie témoigne de nouvelles formes de guerres hybrides qui menacent l’Europe

A.   Une crise fomentée par Alexandre Loukachenko contre l’Europe en guise de représailles à la politique de sanctions de l’Union européenne

Alexandre Loukachenko menaçait les Européens de répondre aux sanctions que l’Union européenne (UE) envisageait d’adopter à l’époque par l’orchestration d’une crise migratoire dès septembre 2020. Il a mis à exécution sa menace en juin 2021, à la suite de l’adoption d’une série de sanctions par l’UE. L’orchestration de cette crise poursuivait en réalité deux objectifs :

– susciter un débat entre les États membres de l’UE sur la politique de sanctions à l’encontre de la Biélorussie ;

– et susciter une scission entre les pays frontaliers visés (Pologne, Lituanie, Lettonie) et les autres États membres de l’UE.

Or, ces deux objectifs n’ont pas été atteints, comme en témoignent les messages de solidarité exprimés par l’UE et l’ensemble des États membres à l’endroit des pays frontaliers visés par cette crise. À l’époque, des diplomates de l’ambassade de France en Biélorussie se sont rendus à l’aéroport de Minsk pendant la crise : des circuits parallèles avaient été mis en place afin que les autres voyageurs ne voient pas les migrants. Ils ont été tout de suite pris en charge, placés dans des hôtels et transportés vers la frontière. Tout était parfaitement huilé, opaque et organisé. Un dépôt transformé en centre d’accueil pour migrants accueille en Pologne entre 600 et 800 migrants, c’est-à-dire beaucoup moins qu’au pic de la crise mi-novembre, quand des colonnes entières de centaines de migrants se dirigeaient vers la frontière. Aujourd’hui, les arrivées de nouveaux migrants sont peu nombreuses et les vols charter ont été interrompus. Chaque jour, les autorités polonaises, lituaniennes et lettones font état de tentatives de franchissement de la frontière biélorusse avec ces trois pays, qui sont le fait essentiellement de petits groupes de jeunes hommes.

Si Frontex estime que la frontière est bien gardée, force est de constater que les autorités allemandes indiquent que des ressortissants irakiens arrivent chaque jour dans leurs camps de regroupement. Cette frontière était pourtant réputée être l’une des mieux gardées de l’UE avant la crise, grâce à une coopération étroite entre les garde-frontières biélorusses et les garde-frontières des États frontaliers, les Biélorusses ayant à cœur de montrer qu’ils étaient sérieux en la matière. Les tentatives de migration des personnes originaires de Tchétchénie étaient notamment bien endiguées.

Cependant, la responsabilité des États d’origine des migrants ainsi que des États de transit ne saurait être passée sous silence. Des vols charter ont été organisés directement depuis la Syrie, ce qui n’a pas pu se faire sans une totale proximité, voire une complicité, entre les deux pays. Il est plus difficile aujourd’hui de faire une lecture précise du rôle de la Syrie dans cette crise car la France n’y a plus d’ambassade mais nous savons que l’ambassade de Biélorussie en Syrie ainsi que les consuls honoraires ont encouragé le départ de Syriens vers la Biélorussie.

L’attitude de la Turquie relève sûrement davantage de l’opportunisme : au début, la Turquie a laissé faire, mais la Pologne a eu des échanges soutenus avec le pays, ce qui l’a fait changer d’attitude. Aujourd’hui, pour se rendre à Vilnius, un Biélorusse est obligé de passer par Moscou ou Istanbul, à la suite de la fermeture de l’espace aérien de l’UE aux compagnies aériennes biélorusses. Quant à l’UE, elle a dépêché une mission rapide et efficace en Irak et au Liban et a passé des messages à la Turquie.

Avant cette crise, il était très difficile d’obtenir des visas car les autorités biélorusses avaient pour instruction de n’en délivrer que très peu, voire pas du tout, y compris lorsqu’il s’agissait de faire venir des personnes originaires du Moyen-Orient ou de l’Afrique pour des séminaires. Pendant la crise, les visas étaient accordés directement à l’aéroport de Minsk à tous les migrants qui venaient par charters. Aujourd’hui, des vols ont été affrétés par les autorités irakiennes pour rapatrier leurs ressortissants kurdes. En Lituanie, les autorités ont rapatrié plusieurs centaines de migrants en Irak avec un pécule de 1 000 euros par personne. Par ailleurs, si la Russie n’a pas encouragé la crise, elle n’a pas dissuadé non plus la Biélorussie d’agir en ce sens, notamment parce que toute crise à l’encontre de l’UE est bonne à prendre pour Vladimir Poutine.

Si la situation s’est stabilisée, notamment grâce aux conditions climatiques actuelles qui rendent plus difficile la traversée de la frontière, la situation n’est que gelée et l’arrivée du printemps pourrait rebattre les cartes et entraîner une recrudescence de la crise. Mais, à ce jour, rien n’est réglé : cette épée de Damoclès continue de peser sur nos têtes, et le jour où Alexandre Loukachenko voudra relancer la crise en faisant venir des migrants en masse, il n’hésitera pas à le faire.

Cette crise migratoire est une excellente illustration d’une attaque hybride, terme utilisé à l’échelle de l’UE pour qualifier l’agression de la Biélorussie à l’encontre du territoire polonais mais également des territoires lituanien et letton. Ces États n’ont pas été choisis par hasard : ils ne reconnaissent pas l’élection d’Alexandre Loukachenko et accueillent une partie de l’opposition biélorusse.

B.   Une crise qui a frappé la Pologne mais également la Lettonie et la Lituanie

1.   La Pologne a été la plus grande victime de cette crise

Dans le cadre de cette crise, la Pologne a mobilisé des moyens exceptionnels depuis le mois de septembre. Environ 20 000 militaires, policiers et garde-frontières polonais ont été déployés le long de la frontière. Les migrants ont été pris en charge dès leur arrivée sur le territoire biélorusse, ont été acheminés à la frontière polonaise et ont bénéficié d’un encadrement de la part des autorités biélorusses, qui leur ont fourni parfois des cisailles ou des haches. Cette situation explique la réaction des Polonais, qui ont fait face en ayant recours à des canons à eau et à des gaz lacrymogènes. Des initiatives diplomatiques ont rapidement été prises par la France, Allemagne et l’UE, notamment vis-à-vis des pays d’origine des migrants, des pays de transit comme la Turquie ou des compagnies aériennes impliquées dans leur acheminement. Ces différentes actions ont contribué à la réduction significative des flux migratoires et des tensions. On estime aujourd’hui qu’environ 20 000 migrants sont toujours en Biélorussie, dont 1 500 à 1 600 au poste-frontière de Kuznica. En outre, environ 2 000 migrants sont actuellement dans des centres d’accueil polonais en vue de leur rapatriement dans leur pays d’origine. La Pologne a également déclaré l’état d’urgence tout le long de la frontière dès le début de la crise et l’a prolongé jusqu’à mars 2022. L’accès des journalistes y est réglementé : tout journaliste souhaitant s’y rendre est encadré par les autorités polonaises, tandis que le Haut-Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (HCR) a un accès très restreint. La Pologne n’a pas jugé utile dans un premier temps de faire appel à Frontex, considérant qu’elle pouvait faire face seule à la crise. Mais depuis décembre 2021, elle a accepté ponctuellement de recourir à l’aide de Frontex pour le retour des migrants dans leurs pays d’origine, notamment pour l’obtention des laissez-passer consulaires ou pour les vérifications d’identité.

En outre, la Pologne a bénéficié d’une aide symbolique du Royaume-Uni et de l’Estonie pour faire face à cette crise avec l’envoi de militaires, notamment du génie, pour notamment construire le mur de barbelés le long de la frontière. De son côté, le ministre de l’Intérieur français a échangé avec son homologue polonais pour examiner les différentes mesures d’assistance technique que la France pouvait proposer à la Pologne, pour éviter que cette crise ne redémarre. En effet, aujourd’hui, la crise est nettement moins forte : on ne dénombre qu’une cinquantaine de tentatives de passage par jour, contre environ 750 tentatives de passage par jour en octobre et en novembre. Mais si le pic de la crise est passé, ses ferments sont toujours là, et un incident grave n’est pas à exclure. La France a beaucoup échangé avec la Pologne au sujet de cette crise et a plusieurs fois manifesté sa disponibilité pour l’aider à y faire face.

La Pologne a répondu à l’agression biélorusse par une logique de sécurité et de protection des frontières. De ce point de vue, face à ce qui était en réalité un test de la solidarité européenne, le soutien unanime apporté par l’ensemble des institutions de l’UE à la Pologne a envoyé un signal clair à la Biélorussie. Cette crise a également permis à l’UE de prendre conscience du risque de conflit hybride à ses frontières.

2.   La Lettonie et la Lituanie ont également subi les conséquences de cette crise

a.   En Lettonie

La crise migratoire orchestrée par la Biélorussie est perçue par la Lettonie comme une attaque hybride, largement supervisée par, ou au moins avec la bénédiction de la Russie. Elle se flatte d’ailleurs d’avoir été le premier pays à l’avoir qualifiée ainsi. La crise perdure et la situation était très mouvante d’un jour à l’autre fin décembre 2021. La Lettonie a réagi de la même manière que la Pologne, en déclarant un état d’urgence dans les zones frontalières qui interdit notamment l’accès à la presse. Elle a également demandé des financements européens pour mettre en place des obstacles à la frontière avec la Biélorussie et a débuté la construction d’une clôture. Elle souhaite une révision des règles européennes relatives à l’asile. Si on pouvait avoir l’impression que la crise se tarissait il y a quelques jours, le nombre de personnes tentant de traverser la frontière a été récemment multiplié par deux, voire par trois : il s’agit peut-être d’une tendance, qu’il convient, en tout état de cause, de surveiller, et ce d’autant plus que la frontière entre les deux pays, marécageuse, est plus facile à franchir grâce au gel. Aujourd’hui, la Lettonie n’accepte plus de migrants, sauf les personnes en situation de détresse. Au total, 420 migrants ont été accueillis en Lettonie. Mais les quelques groupes de migrants, majoritairement irakiens, arrivés en Lettonie cherchent tous à quitter le pays dès qu’ils en ont la possibilité, pour rejoindre l’Allemagne le plus souvent. Il convient de noter que certains en Lettonie, notamment dans les petites villes, expriment de l’amertume vis-à-vis des Syriens accueillis à la suite de la crise des migrants de 2015 car ils ont le sentiment que les efforts faits pour les intégrer ont été inutiles, dans la mesure où ils ont migré, notamment en Suède, dès qu’ils en ont eu l’opportunité.

Les relations entre la Biélorussie et la Lettonie n’en demeurent pas moins importantes. Les minorités russophones lettones sont en partie originaires de Biélorussie (3 % de la population), et, dans une moindre mesure, d’Ukraine. De nombreux jeunes cadres biélorusses dans le secteur du numérique vivent en Lettonie, où des communautés d’affaires importantes sont installées. Une partie de l’opposition biélorusse s’était réfugiée en Lettonie après la victoire usurpée d’Alexandre Loukachenko mais elle a rapidement quitté le pays. Enfin, les ports lettons, longtemps dépendants du fret biélorusse, doivent désormais chercher d’autres clients.

b.   En Lituanie

Si le pic migratoire est vraisemblablement passé et la situation aujourd’hui stabilisée, celle-ci reste volatile. Les autorités lituaniennes restent donc vigilantes face à ce qu’elles qualifient de stratégie d’instrumentalisation de la part d’Alexandre Loukachenko. En réponse, la Lituanie a joué la carte de l’Union européenne (UE) en faisant appel à Frontex pour gérer une situation dont l’ampleur était inédite pour le pays, avec plus de 4 000 migrants sur le sol lituanien, contre une moyenne de 90 personnes par an avant la crise. Les autorités lituaniennes ont rapidement adopté différentes mesures tenant compte de cette situation d’urgence, en complément des soutiens reçus de la part de l’UE et de ses États membres, dont la France. L’appui européen apporté dans le cadre de la crise migratoire a été significatif, sans que la revendication lituanienne de financement européen de la construction d’une barrière physique à ses frontières ne soit, par principe, acceptée par la Commission européenne.

II.   La Russie et la Biélorussie, deux États en situation de quasi-fusion sur le plan militaire qui constituent une menace directe et sérieuse pour la sécurité du territoire européen

A.   La Russie et la Biélorussie sont liées par des relations politiques, culturelles et linguistiques anciennes et profondes

Les relations bilatérales entre la Russie et la Biélorussie se sont structurées dans le cadre de deux accords, signés en 1997 et 1999, visant à aboutir à un projet de nature confédérale, resté largement lettre morte. Les relations entre les deux pays se déroulent également dans un cadre multilatéral au sein de la Communauté des États indépendants (CEI), de l’Union économique eurasiatique (avec le Kazakhstan, l’Arménie, le Kirghizstan) et, sur le plan militaire, l’Organisation du traité pour la sécurité collective (OTSC). Le rapprochement entre les deux pays se confirme mois après mois à chaque rencontre d’Alexandre Loukachenko avec Vladimir Poutine, dont la dernière le 29 décembre à Saint-Pétersbourg. Les deux Gouvernements ont signé le 10 septembre une feuille de route comprenant vingt-huit programmes d’intégration économique. Des manœuvres militaires conjointes, Zapad 2021, tenues du 10 au 16 septembre, ont illustré l'extrême proximité entre les deux pays sur le plan militaire. De nouvelles manœuvres sont annoncées pour les mois de janvier et février.

Sur le plan politique, l’aide de Moscou, notamment dans les semaines qui ont suivi le scrutin du 9 août 2020, a été décisive. Le 27 août, au pic des manifestations, Vladimir Poutine déclarait que la Russie n’hésiterait pas à intervenir en Biélorussie en cas de déstabilisation. Ce message a eu un double effet. En premier lieu, il s’agissait d’un signal clair pour l’appareil de sécurité biélorusse, qui a compris que Moscou n’abandonnerait pas Alexandre Loukachenko. En second lieu, pour la population, la réaction russe a été dissuasive pour le mouvement de contestation, qui a dès lors nettement baissé en intensité.

Toutefois, les relations entre Minsk et Moscou ne sont pas indemnes de tensions et ressemblent à une négociation permanente et brutale. Le régime de Loukachenko monnaye en effet au prix fort le maintien du pays dans la sphère d’influence de la Russie. Par un jeu permanent d’allers et retours entre l’Occident et la Russie, Loukachenko fait monter les enchères. Les subventions russes massives au secteur énergétique, sous la forme de réduction du prix du gaz et du pétrole livré à la Biélorussie, sont fondamentales pour l’équilibre de son budget. Pour la Russie, Alexandre Loukachenko a rétabli l’ordre constitutionnel en Biélorussie en sauvant le pays en 2020. Selon toute vraisemblance, elle devrait continuer à soutenir Loukachenko et ce, malgré le coût croissant du soutien économique russe qu’imposent les sanctions occidentales.

En position de force, la Russie cherche toutefois à imposer une réforme institutionnelle en Biélorussie comme moyen de sortir de l’impasse politique. Elle pousse notamment à l’adoption d’une nouvelle Constitution qui offrirait une place aux partis politiques, aujourd’hui inexistants tout comme l’opposition. Le projet de nouvelle Constitution, présenté le 27 décembre, n’offre en première analyse aucune ouverture de ce côté. Moscou devrait toutefois s’en satisfaire, d’autant plus qu’il comporte des avancées majeures pour la Russie, à savoir notamment la suppression de la mention de la neutralité (dans l’ancienne Constitution, la Biélorusse devait tendre vers la neutralité) et de l’objectif de faire de la Biélorussie une zone exempte d’armes nucléaires (ZEAN). Alexandre Loukachenko s’est dit récemment en faveur d’un tel stationnement d’armes nucléaires russes, certes en cas d’attaque de l’OTAN, liée notamment à la situation en Ukraine.

La Russie, qui a appelé à un déroulement sans pressions extérieures du prochain référendum, devrait se résigner à traiter avec Alexandre Loukachenko encore quelques années. Contrairement à une idée reçue, la Russie, semble-t-il, ne cherchera pas pour autant à absorber la Biélorussie. Bien au contraire, Moscou a intérêt à conserver et à contrôler cet allié diplomatique certes turbulent, mais le dernier qui lui reste en Europe, tout en veillant à ce qu’il ne l’entraîne pas non plus dans des escalades inconsidérées avec l’Occident.

La Russie et la Biélorussie parlent désormais d’une même voix dans toutes les enceintes internationales. Néanmoins, les approches sont quelque peu différentes. Les responsables russes évoquent une souveraineté commune entre les deux pays, ou encore une histoire, une destinée et une frontière extérieure commune. En revanche, Alexandre Loukachenko se plaît à évoquer deux pays cohabitant sous le même toit, mais dans deux appartements séparés. Toutefois, la capacité de résistance d’Alexandre Loukachenko aux pressions russes se réduit. Le 30 novembre dernier, il a ainsi reconnu l’annexion de la Crimée par la Russie, ce qu’il s’était refusé de faire pendant sept ans.

B.   Une intégration militaire entre la Russie et la Biélorussie, qui confine à la fusion

Dans le domaine de la défense, la Russie constitue le partenaire stratégique de la Biélorussie. Ces deux pays s’avèrent complémentaires dans le domaine de la défense et le rapprochement observé depuis août 2020 entre les deux pays contribue à renforcer cette interdépendance, au-delà de ce que souhaitait Alexandre Loukachenko.

En 1999, la Russie et la Biélorussie ont établi l’État de l’Union, qui prévoit une étroite collaboration en matière de sécurité et de défense. Une quarantaine d’accords bilatéraux ont été signés depuis dans ce domaine. Ils prévoient notamment la coordination des politiques d’armement, des forces armées et des moyens antiaériens, du renseignement militaire, de la formation du personnel ainsi que l’usage conjoint des infrastructures militaires et une coordination politique sur les questions de sécurité régionale. En 2000, le Groupement régional de Forces russo-biélorusse est établi, et intégré en 2009 aux forces collectives de réaction rapide de l’OTSC. Ce mécanisme a d’ailleurs été activé en janvier 2022 lors des émeutes au Kazakhstan. La partie biélorusse a contribué au contingent international de l’OTSC à hauteur de 100 hommes.

Les accords bilatéraux de 1999 prévoient notamment un système intégré de défense aérienne et antiaérienne commune. En novembre 2021 est adoptée une doctrine militaire commune, censée répondre aux nouveaux défis et nouvelles menaces, dans un contexte de pression extérieure de l’Occident sans précédent. En vertu de ces accords, les deux pays tiennent des exercices conjoints réguliers :

– l’exercice Fraternité Slave : exercice tactique annuel. En 2021, il s’agissait d’un exercice russo-biélorusse-serbe de 1 000 participants, dont 200 parachutistes biélorusses, organisé en Russie ;

– l’exercice Bouclier de l’Union : exercice biennal, alternativement en Biélorussie et en Russie. La dernière édition a eu lieu en 2019 en Russie. Il n’a exceptionnellement pas eu lieu en 2021 ;

– et l’exercice Zapad, exercice quadriennal qui se déroule à la fois en Russie et en Biélorussie. La dernière édition a eu lieu en septembre 2021, impliquant 6 300 militaires, dont 2 500 soldats russes et 50 Kazakhstanais sur le territoire biélorusse.

Par ailleurs, la Russie loue deux sites militaires en Biélorussie (850 militaires), en vertu de l'accord russo-biélorusse du 6 janvier 1995, entré en vigueur en 1996 pour 25 ans, et reconduit en novembre 2021 pour 25 années supplémentaires. Ces deux entités ne sont jamais désignées en tant que bases militaires. Il s’agit :

– de la station radar Volga, près de Gantsavichy. Il s’agit d’une station radar de détection de missiles balistiques intercontinentaux, qui fonctionne depuis 2003. Elle peut détecter des missiles balistiques et surveiller les patrouilles sous-marines de l'OTAN dans l'Atlantique Nord et la mer de Norvège ;

– et du 43e centre de communication de la marine russe Vileyka près de Minsk, utilisé par l’état-major de la marine russe pour les communications avec les sous-marins nucléaires, la reconnaissance radio et la guerre électronique.

Alexandre Loukachenko a toujours refusé l’installation de sites russes supplémentaires sur le territoire biélorusse, mais en mars 2021, la décision a été prise de créer deux centres russo-biélorusses d’entraînement au combat : un premier centre pour la formation à l’utilisation des Soukhoï Su-30, et un second centre à Grodno pour la formation à l’utilisation des systèmes de défense antiaérienne et antimissile S400. Cela a permis à la Russie de placer quelques S400 sur ce dernier site.

Le 5 mars 2021, la décision a été prise de créer 3 centres conjoints d'entraînement au combat, l’un basé en Biélorussie, à Grodno, les deux autres en Russie dans les régions de Nijnii Novgorod (centre pour l'entraînement des forces terrestres) et de Kaliningrad (entraînement aux plongées dans les unités d’infanterie de marine). En réalité, 2 centres ont commencé à fonctionner en Biélorussie en septembre 2021 : à Baranovichi pour la formation sur les avions SU-30M, et à Grodno pour la formation sur le système de défense aérienne S-400 Triumph.

Dans le domaine de l’industrie de défense, la Biélorussie est un maillon essentiel du complexe militaro-industriel russe, principalement dans trois domaines : la production et la maintenance de châssis à usage dual qui servent, entre autres, au transport et au lancement de missiles sol-air ; la production et la maintenance de matériels d’optique (appareils de visée et de tir), et d’outils de communication (radio) et de surveillance (radars) ; enfin, la maintenance d’équipements. Enfin, le 30 novembre, Alexandre Loukachenko a déclaré qu'il n'exclurait pas de proposer d'héberger des armes nucléaires russes en Biélorussie si l'OTAN déployait des armes nucléaires en Europe de l'Est.

En outre, la Biélorussie est un atout central pour la Russie en matière d’armement, et ce depuis la création de l’Union soviétique, en particulier dans trois domaines :

– la production et la maintenance des châssis à usage dual, nécessaires au support des missiles russes sol-air, atout du complexe militaro-industriel biélorusse que la Russie tente de capter ;

– la production et la maintenance des matériels optiques ;

– et la maintenance des équipements.

La Biélorussie a déjà fait des concessions à la Russie, en particulier dans le projet de nouvelle Constitution publié fin décembre 2021. Alors que la Biélorussie a mis dans sa Constitution son engagement à tendre vers la neutralité et à devenir une zone exempte d’armes nucléaires, dans le nouveau projet de Constitution, qui sera soumis à référendum fin février, il n’est plus question ni de neutralité, ni de devenir une zone exempte d’armes nucléaires, ce qui constitue un changement de paradigme important. Alexandre Loukachenko a d’ailleurs indiqué qu’en cas de conflit entre des États membres de l’OTAN et la Russie, la Biélorussie ne resterait pas neutre et accueillerait volontiers sur son sol un arsenal nucléaire russe si l’OTAN déployait des armes nucléaires en Europe de l’Est, ce qui suscite une inquiétude légitime de nos partenaires d’Europe centrale et de la zone baltique.

En réalité, Alexandre Loukachenko est entre les mains de Vladimir Poutine, comme en atteste le rôle qu’a joué la Russie lorsque la Biélorussie traversait des crises : il a fallu que la Russie menace d’intervenir en Biélorussie en cas de déstabilisation pour que la situation revienne au calme – Alexandre Loukachenko ayant, entre autres frasques, traité les opposants qui manifestaient contre sa réélection de rats, et ce depuis un hélicoptère qui survolait la foule – ou encore que Vladimir Poutine le rappelle à l’ordre pour qu’il renonce au blocage du transit du gaz dans son pays.

Toutefois, il arrive que la Biélorussie tienne tête à la Russie. Par exemple, jusqu’à une période très récente, la Biélorussie ne reconnaissait pas l’annexion de la Crimée par la Russie, en dépit de la pression médiatique très forte exercée sur Alexandre Loukachenko ; les médias russes proches du Kremlin étant très suivis en Biélorussie. En outre, les liens qui unissent la Russie et la Biélorussie, à commencer par la langue et la religion, sont peu ou prou comparables à ceux qui unissaient la Russie à l’Ukraine, ce qui n’a pas empêché les deux pays de s’affronter depuis 2014.

C.   La quasi-fusion de la Russie et de la Biélorussie sur le plan militaire est d’autant plus inquiétante au regard de la vulnérabilité de la frontière biélorusso-ukrainienne

Les relations entre l’Ukraine et la Biélorussie ont connu un tournant avec la guerre russo-ukrainienne de 2014. Avec cette crise, Alexandre Loukachenko a une intuition et comprend qu’il a une carte à jouer : faire de Minsk le lieu des négociations pour sortir de la crise. Ainsi, il fait de Minsk un lieu de discussion entre les Occidentaux, les Russes et les Ukrainiens, et un lieu neutre où la cause de la paix en Europe avance. Voyant que la Russie a annexé la Crimée, Alexandre Loukachenko a choisi de se rapprocher de l’Ukraine, qui est un débouché très important pour la Biélorussie. Par ailleurs, l’Ukraine a besoin d’entretenir de bonnes relations avec la Biélorussie, notamment pour son approvisionnement entre autres en produits raffinés d’hydrocarbures et en électricité.

Mais les relations entre les deux États se sont singulièrement dégradées en août 2020, à la suite de la réélection frauduleuse d’Alexandre Loukachenko. Aujourd’hui, Kiev est de plus en plus un hub pour l’opposition biélorusse et pour les experts indépendants, et la Russie entend faire de la Biélorussie sa base arrière en cas de conflit avec l’Ukraine.

Face à la crise migratoire orchestrée par la Biélorussie, l’Ukraine a tardé à réagir. Elle a mis en place fin novembre une opération dénommée Forêt, sous l’égide du ministère de l’Intérieur. Début 2022, l’Ukraine souhaiterait déployer 8 500 gardes-frontières et des hélicoptères pour surveiller sa frontière commune avec la Biélorussie. Si, du côté du ministère de l’Intérieur ukrainien, il n’y a pas de crainte d’une menace forte et imminente, du côté du ministère de la Défense ukrainien, la crainte est forte, à tel point que, pour eux, la Biélorussie n’existe quasiment plus, le CEMA ukrainien parlant même d’Anschluss. Les militaires ukrainiens estiment que la Biélorussie n’est plus souveraine et craignent qu’un front ne s’ouvre au nord du pays, qui pourrait achever de déstabiliser le pays, dans la mesure où il y a déjà un front à l’est et au sud. La frontière commune entre l’Ukraine et la Biélorussie, longue de 1 000 kilomètres, n’est pas gardée et constitue une très grande source de fragilité, en dépit des frontières naturelles qui rendraient des manœuvres militaires difficiles, caractérisées par les marais et par la zone d’exclusion de Tchernobyl.

Du côté de la Biélorussie, si Alexandre Loukachenko a dit qu’il soutiendra la Russie en cas d’attaque contre celle-ci depuis l’Ukraine, il a également indiqué qu’il n’attaquera jamais l’Ukraine. Le ministère de la Défense biélorusse indique d’ailleurs qu’il ne souhaite attaquer personne.

En réalité, l’Ukraine représente pour la Biélorussie un partenaire économique de premier plan, et notamment un débouché essentiel pour son industrie lourde (transports) et dans le domaine de l’énergie (produits pétroliers raffinés dont carburants, électricité). Dans sa phase de rapprochement avec l’Occident, Alexandre Loukachenko a mis à profit le conflit entre la Russie et l’Ukraine en faisant de Minsk une plateforme de contacts entre Russes, Ukrainiens et Occidentaux (voir propos liminaires). Les liens interpersonnels sont très forts de part et d’autre de la frontière, jusqu’à une date récente ouverte entre les deux pays, renforcés par la proximité linguistique et culturelle. Kiev abrite aujourd’hui une importante diaspora biélorusse, composée notamment d’ingénieurs du secteur des hautes technologies, délocalisés depuis Minsk, de nombreux journalistes et experts biélorusses et des représentants de l’opposition.

Dans le domaine sécuritaire, la frontière commune représente clairement une zone de tension pour les temps à venir. Lors d’une interview donnée à Belta le 29 novembre 2021, Viktor Khrenin, ministre biélorusse de la Défense, a dénoncé des regroupements de troupes autour des frontières à la fois à l’ouest et au sud, référence à l’opération Polissia menée en Ukraine en déclarant : « les pays voisins se militarisent activement, et cela ne peut que nous inquiéter, nous sommes donc obligés de prévoir des mesures en réponse ».

Le 29 novembre Alexandre Loukachenko a déclaré que la Biélorussie soutiendrait la Russie en cas d’escalade militaire dans le Donbass. Pour lui, si l'Occident menait une opération militaire dans le Donbass ou contre les frontières russes, alors la Biélorussie ne sera pas laissée de côté. Il est très clair de quel côté sera la Biélorussie. Le 6 décembre, Alexandre Loukachenko a ajouté que la Russie n'attaquerait pas l'Ukraine et a réitéré le soutien de la Biélorussie à la Russie. Il a également déclaré que l'OTAN cherchait à encercler la Russie avec une chaîne d'États hostiles à la Russie de la mer Noire à la mer Baltique et a répété son affirmation selon laquelle l'Occident mène une révolution de couleur de guerre hybride contre la Biélorussie.

De son côté, le ministère biélorusse de la défense ne s’exprime pas sur ce risque. Il positionne la Biélorussie comme un pays pacifique, qui a une doctrine strictement défensive et qui respecte l’ordre international. Il déplore la suspension de la coopération militaire avec l’Ukraine, l’augmentation des cas de violation de la frontière aérienne biélorusse (vol d’un hélicoptère ukrainien à un kilomètre à l’intérieur du territoire biélorusse le 4 décembre 2021), la création de nouvelles unités et la conduite d’exercices près de la frontière avec la Biélorussie, et préconise de créer un groupe de travail conjoint pour restaurer des mesures de confiance.

III.   De la surmilitarisation de Kaliningrad aux provocations en mer Noire et en mer d’Azov, la Russie est indéniablement une puissance déstabilisatrice en Europe de l’Est

A.   L’enclave de Kaliningrad constitue une menace directe pour le territoire polonais, et donc de l’Europe

Sur le plan militaire, l’enclave de Kaliningrad constitue un avant-poste stratégique pour la Russie et une épine au sein du flanc oriental de l’OTAN. Sa remontée en puissance depuis 2018 en fait une plateforme militaire d’importance qui fragilise la sécurité des États baltes, reliés au reste du bloc atlantique par l’étroit corridor de Suwałki, mais aussi de la Pologne. Les missiles sol-air russes SA21 ou S400, les missiles sol-mer et le système Iskander créent de facto une bulle de défense relativement dissuasive et contribuent à protéger très en amont les approches aériennes et maritimes de la Russie. Afin de compenser la vulnérabilité liée à l’isolement de l’enclave, les forces armées russes ont significativement renforcé les capacités militaires de Kaliningrad avec la création d’un régiment de chars et d’une division de fusiliers motorisés. L’armée russe compense ainsi le déséquilibre avec les blindés de l’OTAN dans la zone et disposerait sur le front ouest de près de 100 000 hommes, 900 chars et 3 100 autres blindés.

Si Kaliningrad n’a pas fait l’objet d’une attention politique et médiatique particulière ces derniers mois, à l’inverse de la frontière polono-biélorusse, cette enclave russe, non-soumise au traité sur les forces nucléaires intermédiaires depuis le retrait de la Russie en 2019, reste un point d’attention majeur du renseignement polonais comme otanien. Avec leur portée officielle d’un peu moins de 500 kilomètres, les missiles balistiques Iskander sont susceptibles de menacer la quasi-totalité du territoire polonais. Hormis ces missiles, les forces russes à Kaliningrad ne représentent néanmoins pas un défi militaire direct pour la Pologne ou pour la Lituanie. C’est surtout à l’échelle d’un affrontement entre la Russie et l’OTAN que l’enclave de Kaliningrad constituerait un enjeu stratégique car cette stratégie de déni d’accès permettrait l’isolement des États baltes et mettrait en question la supériorité aérienne alliée dans la zone.

B.   Une présence accrue de la Russie en mer Baltique

La mer Baltique n’est pas considérée par la Russie comme un bastion sanctuarisé à l’image de la mer de Barents, dont l’enjeu est la liberté d’action des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) russes vers l’océan Atlantique. Elle ne figure pas dans la doctrine navale russe parue en 2017.

Elle s’assimile en revanche à une zone maritime d’influence permanente, qui s’inscrit historiquement dans la volonté russe d’accès aux mers chaudes et de protection du territoire (Saint-Pétersbourg et Kaliningrad). À ce titre, elle se compare à la mer Noire, tout aussi stratégique pour la flotte russe dans sa politique de libre accès aux mers du Sud et de protections des approches maritimes (la Crimée et la côte sud de la Russie).

La posture russe en mer Baltique s’inscrit dans une logique de constitution d’une ceinture stratégique qui s’étend de l’Arctique au Moyen-Orient. La mer Baltique est avant tout une zone de passage historique qui permet à la Russie d’accéder aux océans et que Moscou entend maintenir libre de navigation. Cumulée à la mise en place d’une bulle défensive renforcée par la Flotte russe au large de Kaliningrad et de Saint-Pétersbourg, la Russie adopte une posture plus défensive, capable de contre-attaquer si ses intérêts étaient menacés.

C.   La mer Noire et la mer d’Azov, deux zones de très fortes tensions dues aux violations du droit international commises par la Russie

Au cœur des enjeux de sécurité énergétique, la région de la mer Noire est une zone de transit d’importance stratégique tant pour les pays importateurs d’Europe centrale et orientale que pour les pays producteurs tels que la Russie ou l’Azerbaïdjan, ou plus largement les pays de la région caspienne. Les détroits du Bosphore et des Dardanelles représentent l’un des passages maritimes les plus importants au monde. Environ 3 millions de barils de pétrole en provenance de Russie, d’Ukraine et du bassin caspien y transitent quotidiennement.

Depuis le début des années 2000, les crises russo-ukrainiennes ont redessiné la carte des réseaux de transport d’hydrocarbures. Le volume global de gaz transitant par l’Ukraine a ainsi diminué de 80 à 35 % environ pour les seules livraisons de gaz russe à destination d’Europe et l’épicentre du transit gazier s’est déplacé de l’Ukraine vers la Turquie, l’Europe du sud-est et la région baltique. Ces évolutions s’expliquent par la volonté russe de contourner le territoire ukrainien par le nord avec les gazoducs Nord Stream 1 et Nord Stream 2 et par le sud avec le Turk Stream. Cela s’explique également par la volonté de l’UE de diminuer sa dépendance gazière vis-à-vis de la Russie. Enfin, 70 % des gisements potentiels de gaz naturel de la mer Noire seraient concentrés sur deux sites, Neptune et Trident, localisés dans la ZEE autour de la Crimée.

Plusieurs incidents ont eu lieu entre les forces navales russes et ukrainiennes depuis 2014 en mer Noire et en mer d’Azov, parmi lesquels l’incident du 25 novembre 2018 dans le détroit de Kertch entre les garde-côtes du Service Fédéral de Sécurité russe (FSB) et trois navires militaires ukrainiens. La Russie a accusé la Marine ukrainienne d’être entrée illégalement dans ses eaux territoriales bordant la Crimée, après avoir refusé de reculer face aux sommations. Les commandos du FSB ont alors arraisonné les navires de force. Il s’agissait de la première confrontation militaire avec l’Ukraine officiellement reconnue par la Russie depuis l’annexion de la Crimée en 2014.

Depuis cet incident, la Russie et l’Ukraine se renvoient la responsabilité de cet accrochage. Les deux parties ont saisi le Conseil de sécurité des Nations unies afin de dénoncer une agression. L’Ukraine a sollicité le soutien de l’OTAN et a saisi la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) le 30 novembre 2018 ainsi que le Tribunal international du droit de la mer (TIDM). En application de la convention de Montego Bay, le TIDM a enjoint la Russie de libérer les marins et les navires ukrainiens retenus prisonniers depuis la survenance de l’incident. L’Ukraine a également initié une procédure auprès de la Cour permanente d’arbitrage (CPA) de La Haye sur le respect de ses droits en mers Noire et d’Azov. Les audiences d’arbitrage ont eu lieu du 10 au 14 juin 2019. Toutefois, Moscou récuse la compétence du TIDM et de la CPA dans cette affaire. Le 10 avril 2019, le Conseil de la Fédération de Russie a averti l’Ukraine des risques d’un conflit militaire dans le détroit de Kertch si elle s’obstinait dans son attitude.

La communauté internationale a fait preuve de mesure quant à cet incident. Si l’Union européenne, l’OTAN et l’ONU ont réaffirmé leur soutien à l’Ukraine et à la liberté de navigation dans le détroit de Kertch, elles ont également appelé à une résolution pacifique du différend russo-ukrainien afin d’éviter une escalade militaire. Les États-Unis ont imposé de nouvelles sanctions économiques ciblées envers la Russie depuis mars 2019 à la suite de cet incident, tandis que l’OTAN a renforcé ses déploiements en mer Noire.

La remontée en puissance de la Russie en mers Noire et d’Azov s’inscrit dans la volonté de Vladimir Poutine d’un renouveau national intégrant un volet naval. Au vu des difficultés économiques et des priorités militaires terrestres, le nouveau programme russe Armement 2018-2027 de décembre 2017 se caractérise par une inflexion majeure en faveur de ses forces navales. En outre, la nouvelle base navale de Novorossisk, à l’Est du détroit de Kertch, est opérationnelle depuis 2020.

Le déséquilibre entre les flottes russes et ukrainiennes est flagrant. Les forces navales ukrainiennes ne disposaient que de 14 navires et de 6 000 militaires début 2020, tandis que la Russie disposait de 62 navires et de 25 000 militaires à cette même période. Parallèlement, l’empreinte militaire russe autour de sa région militaire Sud s’accroît. Moscou a reconnu en 2008 l’indépendance des provinces géorgiennes d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie. Elle a renforcé dans cette dernière sa présence (3 500 soldats) et utilise le long de ses 240 km de littoral la base navale de Goudaouta jusqu’en 2059 et le port en eaux profondes de Soukhoumi. Ce mouvement s’est accéléré depuis l’annexion de la Crimée en mars 2014 et l’intervention en Syrie à partir de 2015, avec le déploiement dans ces deux cas de systèmes de défense anti-aériennes S-400 Triumph. La Crimée a vu doubler ses effectifs militaires (28 000 soldats) et l’arrivée de chars de combat ainsi que des avions de supériorité aérienne.

En réalité, la Russie ne respecte plus les stipulations de l’Accord russo-ukrainien de 2003 en mer d’Azov et entrave le droit de passage inoffensif prévu par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer de 1982, convention dite de Montego Bay, ratifiée par 168 pays, dont la Russie. Depuis 2020, la Russie organise des exercices militaires de plus en plus souvent et pour des durées de plus en plus longues, dans des zones de la mer Noire de plus en plus nombreuses et de plus en plus vastes, où la Russie décourage et déconseille aux navires militaires étrangers d’accéder. À titre d’exemple, la Russie a bloqué une zone de la mer Noire allant d’Odessa jusqu’au détroit de Kertch pendant plus de 6 mois, entre avril et octobre 2021.

Au fond, la Russie souhaite faire de la mer d’Azov une mer russe et renforcer sa domination sur la mer Noire. La remilitarisation de la Crimée l’aide évidemment dans cet objectif. Dans les faits, la Russie contrôle directement les trois-quarts de la mer d’Azov (contre 40 % avant 2014) et le détroit de Kertch, unique passage maritime entre ces deux mers. Le pont de Kertch sert de facto aux Russes de régulateur du trafic maritime, d’autant qu’ils peuvent aisément le bloquer. Régionalement, le Kremlin veut maintenir une pression sur l’Ukraine pour empêcher toute adhésion à l’OTAN et l’UE afin de maintenir son influence dans ce qu’elle considère comme son étranger proche.

Les Russes cherchent ainsi à défendre leurs infrastructures et gêner les déploiements de l’OTAN. Ils veulent aussi une capacité de frappe au Moyen-Orient, en Asie centrale et sur le flanc sud de l’Alliance, incluant les Balkans, depuis leurs bases arrière protégées des mers Noire et Caspienne. À la différence du bastion Nord, cette dissuasion reste conventionnelle. Dans sa vision obsidionale, la Russie considère les mers Baltique, Méditerranée, Noire et d’Azov comme autant de fronts face à la communauté euro-atlantique. Malgré des désaccords avec les USA, l’UE est perçue comme le bras civil de l’OTAN. À moyen terme, Moscou espère une reconnaissance même tacite de sa sphère d’intérêts privilégiés qui consacre son statut de grande puissance flattant une population sensible au concept de renaissance de la Russie promu par Vladimir Poutine.

S’agissant de la France, des tensions peuvent parfois se faire jour en mer Noire, sans pour autant qu’il n’y ait eu d’escalade notoire à ce jour. La FREMM Auvergne a été suivie dès le détroit du Bosphore par un navire russe, et lorsque la FREMM a atteint Odessa, elle a reçu une communication dudit navire qui lui indiquait qu’elle devait faire attention car elle se situait à 200 miles du territoire russe ; ce à quoi la France a répondu qu’elle se trouvait dans les eaux internationales. Les AWACS déployés par l’AAE font également l’objet d’une surveillance étroite de la part de la Russie. Il n’y a cependant pas d’escalade et, par sa présence, la France veut montrer qu’elle peut naviguer en mer Noire, en vertu du droit international.

IV.   Le spectre d’un conflit de haute intensité entre l’Ukraine et la Russie aux portes de l’Union européenne et de l’OTAN

A.   La crise ukrainienne est l’illustration parfaite de la stratégie russe de la baÏonnette

1.   Aux sources des tensions actuelles : la crise de 2013 consécutive au projet d’accord d’association entre l’Ukraine et l’Union européenne

Le conflit entre l’Ukraine et la Fédération de Russie a éclaté à la faveur de la crise politique qu’a connue l’Ukraine fin novembre 2013. La décision du président Ianoukovitch de suspendre le processus devant conduire à la signature de l’Accord d’association avec l’Union européenne déclenche la « Révolution de la dignité » (« Euromaïdan »).

En Crimée, des soldats russes cagoulés et sans insignes prennent le contrôle de l’ensemble des points stratégiques de la région à partir du 27 février 2014. Le 16 mars 2014, un « référendum » d’indépendance et de rattachement à la Fédération de Russie est organisé. Cette annexion n’a pas été reconnue par la communauté internationale.

Au même moment débute à l’Est de l’Ukraine une opération de déstabilisation. À partir de mars 2014, des groupes armés sans insignes sous contrôle russe appuient des manifestants appelant à l’indépendance de ces régions. Le 11 mai, les entités de facto de la « République populaire de Donetsk » (RPD) et de la « République populaire de Louhansk » (RPL) proclament leur indépendance à la suite d’un « référendum ». Ce vote, organisé en dehors du cadre fixé par la législation ukrainienne et entaché de nombreuses irrégularités, est jugé illégal par l’Ukraine et n’est pas reconnu par la communauté internationale (y compris la Fédération de Russie).

La France a soutenu l’adoption par l’Union européenne de sanctions en réponse à l’annexion illégale de la Crimée et à la déstabilisation de l’Ukraine.

2.   La conclusion des Accords de Minsk avait pour objectif de mettre un terme au conflit dans le Donbass

Dès juin 2014, des pourparlers diplomatiques ont été engagés. Les commémorations du Débarquement du 6 juin 1944 ont été l’occasion d’ouvrir une séquence diplomatique entre les présidents ukrainien et russe sous les auspices du Président de la République française et de la Chancelière fédérale allemande, dans le Format de Normandie.

Des négociations ont également été engagées à Minsk au sein du Groupe de contact trilatéral, composé de représentants ukrainiens et russes, sous médiation de la présidence en exercice de l’OSCE, et associant des séparatistes (représentants de « certaines régions des oblasts de Louhansk et Donetsk ») dans quatre groupes de travail.

Le 5 septembre 2014, les parties présentes au Groupe de contact trilatéral signent le Protocole de Minsk, qui contient 13 mesures d’ordre sécuritaire et politique qui visent à mettre fin au conflit :

– assurer immédiatement la cessation bilatérale du recours aux armes ;

– assurer la surveillance et la vérification par l’OSCE du régime de non-recours aux armes ;

– procéder à une décentralisation des pouvoirs, notamment grâce à l’adoption d’une Loi de l’Ukraine relative aux modalités temporaires de l’exercice de l’autonomie locale dans certains arrondissements des régions de Donetsk et de Lougansk (Loi portant statut particulier) ;

– assurer une surveillance à la frontière d’État entre l’Ukraine et la Russie et une vérification permanentes exercées par l’OSCE, avec la création d’une zone de sécurité dans les arrondissements frontaliers de l’Ukraine et de la Fédération de Russie ;

– procéder sans retard à la libération de tous les otages et de toutes les personnes illicitement retenues ;

– adopter une loi interdisant toutes poursuites et toutes sanctions à l’encontre de personnes en rapport avec les événements qui se sont produits dans certains arrondissements des régions ukrainiennes de Donetsk et de Lougansk ;

– poursuivre un dialogue national inclusif ;

– adopter des mesures afin d’améliorer la situation humanitaire dans le Donbass ;

– assurer la tenue d’élections locales anticipées conformément à la Loi de l’Ukraine relative aux modalités temporaires de l’exercice de l’autonomie locale dans certains arrondissements des régions de Donetsk et de Lougansk (Loi portant statut particulier) ;

– procéder au retrait du territoire ukrainien des formations armées et du matériel militaire illicites, ainsi que des combattants irréguliers et des mercenaires ;

– adopter un programme de relèvement économique du Donbass et de rétablissement des activités vitales de la région ;

– et accorder des garanties de sécurité personnelle aux participants aux consultations.

Les 11 et 12 février 2015, le sommet des chefs d’État ou de gouvernement en format « Normandie » s’est réuni à Minsk. Les parties au Groupe de contact trilatéral ont signé le « Paquet de mesures pour la mise en œuvre des Accords de Minsk », parfois improprement appelé « Minsk II ». Celui-ci fixe les étapes opérationnelles pour la mise en œuvre du protocole de Minsk :

– cessez-le-feu immédiat et général dans certaines zones des régions ukrainiennes de Donetsk et de Lougansk et mise en œuvre rigoureuse de celui-ci à partir du 15 février 2015 à minuit ;

– retrait par les deux parties de toutes les armes lourdes à des distances égales afin d’établir une zone de sécurité d’une largeur minimale de 50 km pour les systèmes d’artillerie d’un calibre de 100 mm et plus et une zone de sécurité de 70 km de largeur pour les systèmes de lance-roquettes multiples et de 140 km de largeur pour les systèmes de lance-roquettes multiples Tornado-S, Ouragan et Smertch et les systèmes de fusées tactiques Totchka (Totchka-Ou) : pour les troupes ukrainiennes, à partir de la ligne de contact de fait, et pour les unités armées de certaines zones des régions ukrainiennes de Donetsk et de Louhansk, à partir de la ligne de contact établie conformément au mémorandum de Minsk du 19 septembre 2014. Le retrait des armes lourdes énumérées ci-dessus devra débuter au plus tard le deuxième jour suivant le cessez-le-feu et prendre fin dans un délai de quatorze jours. L’OSCE contribuera à ce processus avec l’appui du Groupe de contact tripartite ;

– assurer un suivi et une vérification effectifs, de la part de l’OSCE, du régime de cessez-le-feu et du retrait des armes lourdes dès le premier jour de celui-ci, avec recours à tous les dispositifs techniques nécessaires, y compris satellites, drones, systèmes radar et autres ;

– le premier jour suivant le retrait engager un dialogue sur les modalités de la tenue d’élections locales conformément à la législation ukrainienne et à la Loi de l’Ukraine relative aux modalités temporaires de l’exercice de l’autonomie locale dans certains arrondissements des régions de Donetsk et de Louhansk, ainsi que sur le régime futur de ces arrondissements en vertu de ladite loi. Sans retard, trente jours au plus tard à compter de la signature du présent document, faire adopter par la Rada suprême d’Ukraine une résolution précisant le territoire relevant d’un régime particulier en vertu de la Loi de l’Ukraine relative aux modalités temporaires de l’exercice de l’autonomie locale dans certains arrondissements des régions de Donetsk et de Louhansk, sur la base de la ligne établie par le mémorandum de Minsk du 19 septembre 2014 ;

– garantir la grâce et l’amnistie en promulguant la loi interdisant toutes poursuites et toutes sanctions à l’encontre de personnes en rapport avec les événements qui ont eu lieu dans certaines zones des régions ukrainiennes de Donetsk et de Louhansk ;

– assurer la libération et l’échange de l’ensemble des otages et des personnes retenues illicitement sur la base du principe « tous contre tous ». Ce processus devra prendre fin au plus tard le cinquième jour suivant le retrait ;

– garantir la sécurité de l’accès à l’aide humanitaire, de sa livraison, de son stockage et de sa distribution aux personnes nécessiteuses sur la base d’un mécanisme international ;

– définir les modalités du plein rétablissement des rapports socio-économiques, notamment les transferts sociaux tels que le versement des pensions et autres prestations (recettes et revenus, paiement en temps voulu de toutes les charges collectives, reprise de l’imposition dans le cadre juridique ukrainien). À cette fin, l’Ukraine rétablira le contrôle du segment de son système bancaire dans les zones affectées par le conflit et un mécanisme international en vue de faciliter ces transferts sera éventuellement mis en place ;

– rétablissement du contrôle total de la frontière d’État par le gouvernement de l’Ukraine dans l’ensemble de la zone du conflit, qui devra commencer le premier jour suivant les élections locales et s’achever après le règlement politique global (élections locales dans certains arrondissements des régions de Donetsk et de Louhansk sur la base de la Loi de l’Ukraine et réforme constitutionnelle) à la fin de 2015, sous réserve de la mise en œuvre du paragraphe 11 en consultation et en accord avec les représentants de certains arrondissements des régions de Donetsk et de Louhansk dans le cadre du Groupe de contact tripartite ;

– retrait du territoire de l’Ukraine de l’ensemble des unités armées étrangères et équipements militaires et mercenaires étrangers, sous le contrôle de l’OSCE. Désarmement de tous les groupes illégaux ;

– mise en œuvre d’une réforme constitutionnelle en Ukraine avec entrée en vigueur d’ici à la fin de 2015 d’une nouvelle Constitution prévoyant comme élément clef une décentralisation compte tenu des spécificités de certains arrondissements des régions de Donetsk et de Louhansk définies en accord avec les représentants de ceux-ci, ainsi qu’adoption, avant la fin de 2015, d’une législation permanente relative au statut spécial de certains arrondissements des régions de Donetsk et de Louhansk ;

– sur la base de la Loi de l’Ukraine relative aux modalités temporaires de l’exercice de l’autonomie locale dans certains arrondissements des régions de Donetsk et de Louhansk, les questions afférentes aux élections locales feront l’objet de discussions et d’un accord avec des représentants de certains arrondissements des régions de Donetsk et de Louhansk dans le cadre du Groupe de contact tripartite. Les élections auront lieu dans le respect des normes pertinentes de l’OSCE et seront suivies par le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme (BIDDH) de l’OSCE ;

– et intensifier l’action du Groupe de contact tripartite, notamment en mettant en place des groupes de travail chargés de la mise en œuvre des aspects correspondants des accords de Minsk. Ils refléteront la composition du Groupe de contact tripartite.

L’esprit de cet accord était de faire avancer conjointement, sans préalables, la situation sécuritaire sur le terrain et le processus politique. In fine l’objectif est de permettre de réintégrer les zones sous contrôle séparatiste dans le cadre de la souveraineté ukrainienne selon une organisation décentralisée. La résolution 2202 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, adoptée le 17 février 2015, endosse le Paquet de mesures et appelle à sa pleine mise en œuvre.

L’adoption en février 2015 du "paquet de mesures pour la mise en œuvre des accords de Minsk" a contribué à une réduction sensible du nombre de victimes, les trois-quarts des près de 14 000 victimes que le conflit a occasionnées étant antérieures à sa signature. Mais la crise s’enlise faute de volonté politique des parties de mettre en œuvre leurs engagements. Des tensions régulières continuent d’alimenter le conflit russo-ukrainien. Dans l’Est de l’Ukraine, les violations répétées du cessez-le-feu menacent directement les populations civiles et la situation humanitaire demeure très dégradée, en particulier concernant la situation des personnes les plus vulnérables (personnes âgées), y compris dans la période très récente, comme ce fut le cas le 19 février 2022, jour où l’OSCE a dénombré près de 1 500 violations du cessez-le-feu en 24 heures.

L’année 2019 a été marquée par l’élection de Volodymyr Zelensky comme président de l’Ukraine. Élu avec plus de 73 % des voix, il a fait du règlement du conflit la priorité de son mandat. Depuis l’élection du président Zelensky, plusieurs avancées ont été obtenues sur le terrain :

– le cessez-le-feu obtenu le 21 juillet 2019 a permis une baisse inédite de la violence ;

– le désengagement a été mené à bien dans 3 zones pilotes (Stanitsa-Louhanska, Petrivske, et Zolote) ;

– le pont de Stanitsa-Louhanska a été reconstruit, permettant un meilleur transit des civils au niveau de la ligne de contact ;

– et en décembre 2019 puis en avril 2020, deux échanges de prisonniers liés au conflit ont permis la libération de 239 personnes âgées au total de part et d’autre.

Par ailleurs, la Russie et l’Ukraine ont procédé à l’échange de soixante-dix prisonniers politiques (distincts des détenus liés au conflit depuis 2014) dont le réalisateur Oleg Sentsov et les 24 marins ukrainiens détenus depuis le 25 novembre 2018 à la suite du grave incident naval survenu au Sud du détroit de Kertch.

3.   La France ne reconnaît toujours pas l’annexion illégale de la Crimée et tente de trouver une issue diplomatique à la crise dans le Donbass, tout en continuant à apporter une aide matérielle à l’Ukraine

La France ne reconnaît pas l’annexion illégale de la Crimée : la remise en cause par la force des frontières est contraire au droit international, ainsi qu’aux engagements souscrits par la Fédération de Russie. Elle déplore par ailleurs la détérioration de la situation des droits humains dans la péninsule, affectant notamment les Tatars de Crimée. Elle en appelle à la libération de toutes les personnes détenues en violation du droit international.

La France a accueilli le 9 décembre 2019 un sommet des chefs d’États et de gouvernement en format de Normandie, après le précédent sommet d’octobre 2016 à Berlin. Ce sommet avait permis de définir un certain nombre de mesures pour améliorer la situation sur le terrain et faciliter la mise en œuvre des accords de Minsk, qu’il s’agisse de la consolidation du cessez-le-feu, des progrès sur le déminage, de l’ouverture de nouveaux points de passage, de l’identification de nouvelles zones de désengagement, ou enfin d’un échange de prisonniers liés au conflit. Les parties avaient également exprimé le souhait que des progrès soient obtenus sur tous les aspects juridiques liés au volet politique des accords de Minsk.

Les échanges entre conseillers politiques du format Normandie se sont poursuivis depuis. Le 26 janvier 2022, ceux-ci s’étaient réunis à Paris et avaient publié une déclaration conjointe – la première depuis le sommet de Paris – affirmant leur volonté de poursuivre les travaux.

Dans le contexte de la montée des tensions avec la Russie à la frontière ukrainienne depuis fin 2021, la France a mené une politique de fermeté et de dialogue ainsi que de solidarité avec l’Ukraine pour aller vers un règlement politique du conflit et faciliter une désescalade. C’est dans ce contexte que le Président de la République et le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères s’étaient rendus à Kiev le 8 février 2022, après un déplacement à Moscou le 7 février. La France avait réitéré dans ce contexte que toute nouvelle atteinte à la souveraineté ukrainienne entraînerait des sanctions massives et un coût très élevé pour la Russie.

La France apporte son assistance à l’Ukraine depuis 2014 dans plusieurs domaines : aide humanitaire et médicale d’urgence, assistance aux déplacés, soutien à la mise en œuvre des réformes. Elle est pleinement engagée dans le soutien à l’Ukraine apporté dans le cadre européen. Depuis 2018, la France, via le Centre de crise et de soutien du MEAE a alloué 4,2 millions d’euros d’aide humanitaire pour répondre à la crise en Ukraine, principalement pour des projets d’assistance alimentaire et d’accès aux services de base (distribution d’articles d’hygiène, de médicaments et de nourriture à des personnes vulnérables), pour des projets visant à réhabiliter des infrastructures (réhabilitation d’un hôpital et d’une école à Krasnohorivka, rénovation d’un réservoir d’eau à Popasna), et enfin en soutien à des projets de déminage à travers des actions de dépollution et le financement de programmes éducatifs concernant les risques liés aux mines.

En 2022, la France a programmé 1,5 million d’euros d’assistance humanitaire à l’Ukraine, à travers l’octroi d’une aide au Groupe de déminage danois, ainsi qu’aux associations Triangle génération humanitaire et à Première urgence internationale. Ces actions doivent prioritairement permettre d’améliorer la situation des centaines de milliers de personnes vivant aux abords de la ligne de contact, notamment en matière de déminage, d’alimentation et de santé.

Cette solidarité s’exerçait également dans le cadre de l’OSCE : la France a participé aux missions d’observation électorale organisées par le BIDDH de l’OSCE en 2014, 2015-2016 et 2019. Par ailleurs, la mission spéciale d’observation de l’OSCE en Ukraine comptait 17 observateurs français, présents sur le terrain (dans l’Est du pays mais également dans d’autres régions) depuis le début du conflit.

B.   Les accords de Minsk, une issue diplomatique fragile dont les limites étaient toutefois visibles dès 2014

Les accords de Minsk constituaient le seul cadre agréé pour un règlement pacifique du conflit, y compris par la Russie qui en était signataire. La France, aux côtés de l’Allemagne, encourageait une mise en œuvre de ces accords par l’ensemble des parties et ne ménageait pas ses efforts en ce sens.

Toutefois, force est de constater que ses stipulations n’étaient pas appliquées. La plus importante, celle qui concerne le cessez-le-feu, était quotidiennement violée. Dès la signature du Protocole de Minsk en 2014, et avant même que les mesures de sécurité ne soient appliquées, la Russie a poussé l’Ukraine à s’acquitter intégralement de la partie politique de l’Accord, en exigeant qu’elle révise sa Constitution et organise des élections dans les républiques auto-proclamées de Donetsk et de Lougansk avant même que l’Ukraine n’ait pu rétablir son contrôle sur sa frontière et avant que le cessez-le-feu ne soit effectif.

Entre la conclusion du Protocole de Minsk et le « Paquet de mesures pour la mise en œuvre des Accords de Minsk », la Russie a poursuivi ses opérations contre l’aéroport de Donetsk et a attaqué le nœud ferroviaire de Debaltseve. Après la conclusion du « Paquet de mesures pour la mise en œuvre des Accords de Minsk », les forces séparatistes russes ont poursuivi leur offensive sur Debaltseve et ont mené des combats intenses pour prendre possession de Shyrokin et Mariinka.

Le cessez-le-feu était violé quasi quotidiennement, chaque camp accusant l’autre d’avoir lancé les hostilités. Les armes lourdes n’avaient pas été retirées et les observateurs de l’OSCE chargés de surveiller la trêve étaient régulièrement gênés dans leurs actions. Ceux-ci n’étaient d’ailleurs autorisés à exercer leurs fonctions de surveillance qu’à deux portes de contrôle sur 11 à la frontière russo-ukrainienne, ce qui garantissait une circulation totale des armes et des militaires venus de Russie. Avant l’invasion russe, l’Ukraine estimait qu’il fallait d’abord mettre fin aux hostilités, proclamer un cessez-le-feu général, retirer le matériel militaire et libérer le Donbass des troupes russes. La Russie soutenait quant à elle que son armée n’était pas présente dans le Donbass et que ceux qui s’y trouvaient sont des volontaires qui faisaient partie des unités de police locales.

En dépit des offensives armées que les forces séparatistes russes n’avaient pas cessé de lancer, l’Ukraine avait adopté certaines des dispositions politiques des accords de Minsk, en partie à la suite de pressions occidentales. Le Parlement ukrainien avait adopté une loi relative aux dispositions spéciales gouvernant l’administration locale dans certains districts des régions de Donetsk et Lougansk en septembre 2014. Cette loi prévoyait des mesures d’amnistie, un statut particulier pour la langue russe et une coopération transfrontalière avec la Russie. Après la conclusion du « Paquet de mesures pour la mise en œuvre des Accords de Minsk », la loi avait été amendée, de sorte que la plupart de ses dispositions ne devaient entrer en vigueur qu’après la tenue d’élections locales aux termes de la loi ukrainienne avec un suivi assuré par des observateurs internationaux.

Fin août 2015, le Parlement ukrainien avait également adopté des amendements constitutionnels de décentralisation en application des Accords de Minsk, qui mentionnaient notamment les spécificités de l’exercice de la gouvernance locale dans certains districts des régions de Donetsk et de Lougansk, qui devaient être définis dans une loi distincte. Ce vote avait été considéré par l’opinion ukrainienne comme le fruit d’une ingérence étrangère inacceptable. Des nationalistes ukrainiens se sont rassemblés devant le Parlement et des heurts ont éclaté, faisant 4 morts et une centaine de blessés.

En réalité, il y avait des divergences d’interprétation entre la Russie et l’Ukraine sur le statut des républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk. La Russie souhaitait que ces territoires disposent d’un droit de véto sur toute décision prise à l’échelle de l’Ukraine et qu’ils soient considérés comme des entités distinctes. Cette interprétation, jugée inacceptable par l’Ukraine, était permise par le caractère flou des stipulations de l’accord, ce qui permettait de facto des divergences d’interprétation. La Russie exigeait aussi que l’Ukraine échange directement avec les représentants des républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk, ce que l’Ukraine refusait de faire.

L’opinion ukrainienne considérait dans sa grande majorité que les accords de Minsk avaient été signés par l’Ukraine sous la contrainte. L’objectif premier était de faire cesser les hostilités après une défaite militaire humiliante. L’Ukraine avait donc abordé les pourparlers de paix après une défaite militaire et sous la menace d’une intervention russe et les Ukrainiens estimaient que les accords étaient caducs car impossibles à mettre en œuvre. Oleksiy Danilov, secrétaire du Conseil de sécurité nationale et de défense ukrainien, disait dans un entretien à Associated Press que « la mise en œuvre des Accords de Minsk signifie la destruction du pays ». Il poursuivait en disant que « lorsqu’ils ont été signés, un pistolet russe sur la tempe – les Français et les Allemands regardant – il était déjà clair pour toutes les personnes rationnelles qu’il est impossible de mettre en œuvre ces accords ». Il concluait en disant que « si les Occidentaux insistent sur la mise en œuvre de ces accords tels qu’ils existent aujourd’hui, ce sera très dangereux pour l’Ukraine ».

L’invasion de l’Ukraine par la Russie lancée le 23 février 2022 a entraîné la fin des accords de Minsk.

C.   La question de la Crimée est restée absente des réflexions sur la situation de l’Ukraine

Surtout, les tensions dans le Donbass ont éclipsé la situation de la Crimée. Annexée par la Russie à l’issue d’un référendum illégal en mars 2014, la Crimée, qui ne faisait pas partie du périmètre des accords de Minsk, est toujours considérée comme un territoire russe par la Russie.

Cette péninsule au sud de l’Ukraine revêt une importante stratégique majeure pour la Russie. À l’époque soviétique, la Crimée était déjà une importante base militaire, navale et aérienne, puis spatiale et nucléaire, qui assurait la domination de l’URSS sur la région de la mer Noire ainsi que son influence en Méditerranée et au Moyen-Orient. La base industrielle de la Crimée était également constituée de dizaines d’entreprises de fabrication de matériels militaires, de construction et de réparation pour les navires de l’Armée rouge, des torpilles autoguidées, les systèmes de contrôle de missiles, les équipements de navigation et de radios mais aussi les systèmes de visée et les opérations de débarquement des chars.

Bien qu’en 2014, l’objectif principal de l’annexion de la péninsule était stratégique et militaire, l’idée d’une Crimée qui serait une « nouvelle vitrine de la Russie », sur le modèle de la ville olympique de Sotchi, était très populaire. Mais dès le début de 2015, la Russie s’est rendu compte que ses projets ambitieux de développement économique de la Crimée étaient irréalistes. Le Kremlin s’est alors concentré sur l’intégration militaire de la région, sans même se cacher derrière le développement touristique. L’usine de construction navale Pella de Leningrad a reçu la location du chantier naval de More de Théodosie, qui appartient en réalité à l’État ukrainien mais qui a été « transféré » à l’État fédéral de Russie après l’annexion. Le 15 novembre 2016, la société More a été officiellement louée à l’usine russe jusqu’à la fin de 2020. Elle a ensuite été intégrée au consortium Kalachnikov. L’usine More a entrepris la construction de trois corvettes lance-missiles de type Karkurt. Cette corvette est munie de huit missiles qui sont très utilisés par les flottes russes de la mer Noire et de la mer Caspienne pour attaquer des cibles en Syrie. Dans les prochaines années, au moins 9 corvettes munies de missiles devraient être construites dans les usines de Crimée expropriées par la Russie. Il s’agit là d’une menace pour l’Ukraine mais également pour l’ensemble des pays de l’UE et pour l’ensemble des États de la Méditerranée.

En outre, dès août 2014, la Russie a adopté un programme fédéral pour le développement de la Crimée, à hauteur de 9,8 milliards de dollars. Plus de 80 % des crédits de ce programme ont été affectés à trois grands projets : la construction du pont de Crimée, qui traverse le détroit de Kertch séparant le territoire russe de la Crimée, la construction de l’autoroute Tavrida pour relier le pont de Kertch à Sébastopol et la construction de deux nouvelles centrales électriques. La répartition des crédits montre clairement la volonté du Kremlin de développer l’infrastructure énergétique et logistique indispensable à l’installation d’une base militaire en Crimée. Le pont de Crimée a été inauguré le 15 mai 2018. Sa construction simplifie grandement l’acheminement des troupes et du matériel militaire.

V.   La sortie de la Russie du traité sur les forces nucléaires intermédiaires, du traité sur les forces conventionnelles en Europe et du traité dit « ciel ouvert » menacent directement la paix sur le continent européen

A.   La dénonciation du traité sur les forces nucléaires intermédiaires par la Russie fait ressurgir le spectre d’une guerre nucléaire en Europe

Signé le 8 décembre 1987 par les États-Unis et l’URSS, le traité sur les FNI est entré en vigueur le 1er juin 1988. Il imposait aux deux pays d’éliminer leurs missiles balistiques et de croisière à lanceur terrestre d’une portée comprise entre 500 et 5 500 kilomètres, pour une date fixée au 1er juin 1991. À cette échéance, les deux pays avaient détruit au total 2 692 missiles à courte portée ou à portée intermédiaire : 1 846 missiles soviétiques et 846 missiles américains. C’était la première fois qu’une catégorie entière d’armes capables d'emporter une charge nucléaire était éliminée.

Aux termes du traité sur les FNI, les États-Unis et la Russie ne pouvaient ni posséder, ni produire de missile balistique ou de croisière à lanceur terrestre d'une portée comprise entre 500 et 5 500 kilomètres. Ils ne pouvaient pas effectuer d'essais de vol d'un tel missile et ne pouvaient ni posséder, ni produire de lanceurs de tels missiles. Le traité définit de manière précise les missiles balistiques et les missiles de croisière à lanceur terrestre qui sont interdits :

– les missiles à portée intermédiaire, dont la portée est comprise entre 1 000 et 5 500 kilomètres. Le terme missile balistique désigne un missile dont la trajectoire est en majeure partie balistique ;

– et les missiles à courte portée, dont la portée est comprise entre 500 et 1 000 kilomètres. Le terme missile de croisière désigne un vecteur sans pilote autopropulsé qui est maintenu en vol par une poussée aérodynamique ascendante sur la plus grande partie de sa trajectoire.

Toutefois, ces dernières années, la Russie a mis au point, produit, testé et déployé un nouveau missile à portée intermédiaire : le SSC-8. Ce missile, mobile et facile à camoufler, peut emporter des charges nucléaires et réduit le délai d'alerte à quelques minutes, ce qui abaisse le seuil d'un conflit nucléaire. En outre, il peut atteindre les capitales européennes. En juillet 2018, les pays membres de l’OTAN ont déclaré qu’après des années de dénégation et d’obscurcissement par la Russie, et malgré leurs préoccupations répétées, cette dernière n’avait reconnu que récemment l’existence de ce système de missile sans fournir le niveau nécessaire de transparence ou d’explication. Depuis de nombreuses années, le comportement et la manière de communiquer de la Russie suscitaient un doute généralisé quant à son respect de ses obligations. Les États membres de l’OTAN ont déclaré qu'en l’absence de toute réponse crédible de la part de la Russie au sujet de ce nouveau missile, l’analyse la plus plausible était que la Russie enfreignait le traité.

En décembre 2018, les ministres des Affaires étrangères des États membres de l'OTAN ont appuyé l'analyse des États-Unis selon laquelle la Russie manquait gravement à ses obligations au titre du traité sur les FNI et ont appelé la Russie à revenir sans délai à un respect total et vérifiable. Les Alliés sont restés ouverts au dialogue et ont abordé ce manquement avec la Russie, notamment dans le cadre d’une réunion du Conseil OTAN-Russie le 25 janvier 2019. La Russie a continué de nier cette violation du traité sur les FNI, a refusé d’apporter une réponse crédible, et n’a pris aucune mesure concrète dans le sens d’un retour à un respect total et vérifiable.

Le 1er février 2019, en raison de la persistance du non-respect par la Russie des stipulations du traité, les États-Unis ont annoncé leur décision de suspendre, en vertu de son article 15, leurs obligations au titre de ce traité. Le même jour, les États membres de l’OTAN ont déclaré que si la Russie n’honorait pas les obligations qui lui incombaient, en éliminant de manière vérifiable l’ensemble de ses SSC-8, celle-ci porterait l’entière responsabilité de l’extinction du traité. Les Alliés ont par ailleurs indiqué que l’OTAN continuerait à suivre de près les implications des missiles à portée intermédiaire russes sur le plan de la sécurité et continuerait à prendre les mesures nécessaires pour assurer la crédibilité et l’efficacité de la posture globale de dissuasion et de défense de l’Alliance.

Le 15 février 2019, à la conférence de Munich sur la sécurité, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a fait observer que c’était précisément à cette tribune, lors de l'édition 2007 de la conférence de Munich sur la sécurité, que le président Vladimir Poutine avait pour la première fois exprimé publiquement la volonté de voir la Russie sortir du traité sur les FNI.

Le 26 juin 2019, les ministres de la Défense des États membres de l’OTAN ont une nouvelle fois exhorté la Russie à revenir à un respect total et vérifiable du traité. Ils ont également examiné les mesures que l’OTAN pourrait prendre – dans des domaines tels que les exercices, les activités de renseignement, surveillance et reconnaissance, la défense aérienne et antimissile, et les capacités conventionnelles – et sont convenus que l’OTAN maintiendrait un dispositif de dissuasion nucléaire sûr, sécurisé et efficace. Dans le même temps, les ministres de la Défense ont confirmé que l’OTAN n'avait pas l'intention de déployer de nouveaux missiles nucléaires basés à terre en Europe et qu’elle ne voulait pas d’une nouvelle course aux armements.

Le 2 août 2019, la décision des États-Unis de se retirer du traité a pris effet. Les pays membres de l’OTAN ont publié une déclaration dans laquelle ils appuyaient pleinement cette décision et attribuaient l’entière responsabilité de l’extinction du traité à la Russie. Ils y ont indiqué que l’OTAN répondrait d’une manière mesurée et responsable aux risques liés aux SSC-8, par un ensemble de mesures équilibré, coordonné et défensif garantissant une dissuasion et une défense crédibles et efficaces. Les Alliés ont par ailleurs précisé qu’ils étaient fermement attachés au maintien d’un système international efficace de maîtrise des armements, de désarmement et de non-prolifération.

B.   Le traité sur les forces armées conventionnelles en Europe et le document de Vienne ont également été dénoncés par la Russie

1.   Le Traité sur les forces armées conventionnelles en Europe

Présenté comme la clé de voûte de la sécurité européenne, le traité sur les FCE de 1990 imposait pour la première fois dans l'histoire de l'Europe des limites juridiques vérifiables à la structure de forces de ses 30 États parties, situés dans la zone allant de l'Atlantique à l'Oural. Depuis l'entrée en vigueur du traité, en 1992, il a été établi que plus de 100 000 équipements des catégories limitées par le traité (chars, véhicules blindés de transport de troupes, pièces d'artillerie, hélicoptères d'attaque et avions de combat) avaient été détruits et près de 6 000 inspections sur le terrain ont été menées. Ce traité a ainsi atteint son objectif qui était de créer un équilibre et de limiter la possibilité d'attaques conventionnelles par surprise dans sa zone d'application.

À la première conférence d'examen du traité sur les FCE en 1996, des négociations ont été entamées pour adapter le traité aux réalités de l’après-Guerre froide. Ce processus s'est clôturé en marge du sommet de l’OSCE tenu à Istanbul en 1999. Les États parties au traité ont également approuvé des engagements supplémentaires. Le texte du traité a été considérablement adapté au nouvel environnement de sécurité mais il n'a pas été ratifié par les pays de l'Alliance car la Russie n'avait pas respecté entièrement les engagements relatifs au retrait des forces russes de Géorgie et de République de Moldova ; engagements sur lesquels était fondée l'adoption du traité adapté par les Alliés. Depuis 2000, lors des sommets et des réunions ministérielles organisés par l'OTAN, les Alliés ont rappelé leur attachement au traité sur les FCE et ont réaffirmé qu'ils étaient prêts et déterminés à ratifier le traité adapté.

À la troisième conférence d'examen du traité sur les FCE, en juin 2006, la Russie a fait part de ses préoccupations concernant la ratification du traité adapté et a fait valoir que la version adaptée était elle-même dépassée. Après la conférence extraordinaire des États parties au traité en juin 2007, le président russe a signé, le 14 juillet 2007, une loi suspendant unilatéralement l'exécution des obligations juridiques qui incombent à la Russie en vertu du traité sur les FCE, et ce à compter du 12 décembre 2007.

En 2008 et en 2009, des consultations ont été organisées entre les États-Unis – au nom de l'Alliance – et la Russie mais les résultats n'ont pas été probants. D'autres efforts pour sortir de l'impasse ont été déployés sur la base d’une initiative des États-Unis, qui visait à parvenir à un accord sur un cadre de négociation pour la modernisation du traité, avec des consultations à 36 entre tous les États parties au traité et les États membres de l'OTAN qui ne sont pas signataires du traité. Le processus s'est enlisé à l'automne 2011, faute d'accord entre les parties.

Comme aucun accord ne pouvait être trouvé pour sortir de l'impasse, les pays de l'OTAN parties au traité ont annoncé en novembre 2011 leur décision de ne plus honorer certaines obligations à l'égard de la Russie, tout en continuant de respecter pleinement leurs obligations à l'égard de tous les autres États parties au traité. Mais dans le communiqué de décembre 2011 de leurs ministres des Affaires étrangères, les pays de l'OTAN ont précisé que ces décisions étaient réversibles si jamais la Russie revenait à l'application intégrale du traité.

Au sommet du pays de Galles, en septembre 2014, les Alliés ont réaffirmé leur attachement de longue date à la maîtrise des armements conventionnels, élément essentiel de la sécurité euro-atlantique, et ont souligné l'importance d'une mise en œuvre intégrale et d'un respect total des engagements pour restaurer la confiance. Ils ont souligné que les activités militaires unilatérales de la Russie à l'intérieur et autour de l'Ukraine avaient porté atteinte à la paix, à la sécurité et à la stabilité dans toute la région et que l'application sélective que fait la Russie du Document de Vienne et du TCO comme sa non-application prolongée du traité sur les FCE avaient affaibli les contributions positives apportées par ces instruments de maîtrise des armements. Enfin, le 11 mars 2015, la Russie a annoncé qu'elle suspendait sa participation aux réunions du Groupe consultatif commun sur le traité sur les FCE, qui se réunit régulièrement à Vienne.

2.   Le Document de Vienne

Le Document de Vienne, auquel sont parties tous les États d'Europe et d’Asie centrale, est un texte politiquement contraignant destiné à promouvoir la confiance mutuelle et la transparence sur le plan des forces et des activités militaires d'un État. Dans le cadre du Document de Vienne, des milliers d'inspections et d'évaluations ont été effectuées, en plus des visites de bases aériennes et d'installations militaires.

En 2019, les pays de l’OTAN, rejoints par la Finlande et la Suède, ont introduit une nouvelle proposition qui visait à moderniser le Document de Vienne. Cette proposition avait pour but de rétablir la confiance, de renforcer la prévisibilité mutuelle, de réduire les risques et de contribuer à éviter tout déclenchement involontaire de conflits. À ce jour, la Russie doit encore donner suite à cette proposition de modernisation et elle continue d'appliquer de manière sélective le Document de Vienne.

C.   La sortie récente de la Russie du traité dit « ciel ouvert » s’inscrit dans sa logique d’escalade

Le TCO est un document juridiquement contraignant qui autorise les vols d'observation aérienne non armés au-dessus du territoire d'un pays signataire. Depuis son entrée en vigueur en janvier 2002, et jusqu'à ce jour, plus de 1 500 missions d'observation ont été conduites. Les photographies aériennes et autres données qui sont recueillies lors des missions d'observation assurent la transparence et complètent les activités de vérification qui sont effectuées au sol dans le cadre d'autres traités.

Ce traité prévoit une large coopération pour l'utilisation des avions et de leurs capteurs, ce qui permet de renforcer l'ouverture et la confiance. Au terme de longues négociations, les États parties au traité ont décidé, lors de la conférence d'examen de 2010, d'autoriser à l’avenir l'utilisation des capteurs numériques. Certains États parties procèdent actuellement à la modernisation de leurs aéronefs et sont en train de suivre le processus de certification nécessaire établi par le traité pour que ces appareils soient opérationnels dans les années à venir.

En réponse à l'application sélective et aux violations répétées de ce traité par la Russie, les États-Unis s’en sont retirés en novembre 2020. En juin 2021, la Russie a annoncé sa décision de se retirer du traité. Malgré le fait que les Alliés aient exhorté la Russie à mettre à profit le temps restant avant l'entrée en vigueur de son retrait pour reconsidérer sa décision, le retrait de la Russie est devenu effectif le 18 décembre 2021.

VI.   Que veut la Russie ?

La publication par la Russie des deux projets de traités le 17 décembre dernier dans le cadre de sa négociation avec l’OTAN sur l’architecture de sécurité européenne constitue une manœuvre diplomatique inhabituelle par laquelle la Russie exprime ouvertement ce qu’elle voudrait. Cette manœuvre doit conduire la France à s’interroger sur les intentions de la Russie.

Sur la relation américano-russe, l’article 4 stipule que l’expansionnisme otanien impulsé par les États-Unis vers l’est doit cesser, ainsi que l’utilisation des infrastructures des anciennes républiques soviétiques qui n’appartiennent pas à l’OTAN, ce qui comprend donc l’Ukraine et la Géorgie. Cela revient, en somme, à revenir à l’état des relations entre la Russie et l’OTAN de 1997. Le renoncement à l’activité militaire sur ces territoires, tel que défini par l’article 7, concerne également les forces nucléaires otaniennes, ce qui remet de facto en cause le devenir de la mission otanienne en matière de politique et de dissuasion nucléaire. Sur la relation russo-otanienne, l’article 2 demande la création d’une ligne téléphonique directe. Enfin, l’article 6 met quant à lui fin à l’élargissement et aux activités militaires de l’OTAN en Europe de l’Est, particulièrement en Ukraine et dans le Caucase.

Pourquoi la Russie a-t-elle recours à cette méthode et fixe-t-elle des objectifs hors de portée ? Cette question doit être mise en perspective avec le contexte russe des années 1990. La seconde guerre de Tchétchénie a permis à Vladimir Poutine d’émerger. Il a par la suite affirmé sa position lors du discours de Munich en 2007 qui dénonçait l’unilatéralisme américain et l’activisme de l’OTAN. Mais c’est le rejet du traité constitutionnel européen au Pays-Bas et en France en 2005 qui a constitué un tournant important dans la construction de la position des Russes à l’égard de l’Union européenne : c’est là que la donne s’est inversée en Europe selon eux. Le Brexit a conforté la vulnérabilité de l’UE pour la Russie. La guerre de Géorgie en 2008, l’annexion de la Crimée et le conflit du Donbass en 2014 puis l’intervention russe en Syrie en 2015 ont également été des éléments constitutifs de la position russe actuelle. En matière de politique intérieure, la Russie verra la tenue de ses prochaines élections présidentielles en 2024, dans un contexte où la révision constitutionnelle de 2020 permet notamment à Vladimir Poutine d’effectuer deux nouveaux mandats. Concernant les autres acteurs que sont les États-Unis, l’Allemagne et la France, ils se trouvent chacun confrontés à des enjeux politiques de coalition (pour le nouveau gouvernement allemand) ou d’élection (les élections présidentielles françaises et les midterms américains pour l’administration Biden).

Au regard de la situation actuelle, la Russie recherche trois choses. Tout d’abord, figer la situation en Ukraine et faire oublier l’épisode de la Crimée. Ensuite, réintroduire une forme de blocage au sein des institutions internationales – comme le Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU) – ainsi que la notion de sphère d’influence dans une logique de concert européen. L’objectif est de placer la Russie en situation de force et d’affaiblir l’influence américaine. Enfin, obtenir une victoire symbolique et idéologique contre l’OTAN en faisant de la période 1991-2021 une parenthèse et en montrant que la Russie n’a, en réalité, pas perdu la Guerre froide. Cette ambition russe soulève toutefois deux problèmes immédiats. Le premier est celui du risque d’escalade entre l’OTAN et la Russie. Si la Russie a jusqu’à présent maîtrisé ce risque, une erreur de calcul peut toujours arriver. Sur ce point, il convient de s’interroger sur le point de conversion, c’est-à-dire le moment à partir duquel l’OTAN devrait réagir. Cette question est d’autant moins évidente que la Russie combine la pression militaire et la pression politique afin de modifier le comportement de l’autre, sans nécessairement recourir à une logique de conquête territoriale. Enfin, le tir de missile antisatellite en novembre 2021 envoie un message fort et témoigne des progrès russes dans ce domaine. Il s’agit du quatrième État qui y a recours. Cette situation place de plus en plus les Européens dans une position de spectateur au sein d’un dialogue se restructurant entre la Russie et les États-Unis.

Contrairement à la caricature qui peut en être faite parfois, le problème russe illustre une situation plus complexe qu’une opposition entre une tendance russophile et une tendance otanienne. Les relations franco-russes témoignent d’une compréhension de l’establishment russe largement inférieure à la compréhension russe de l’establishment français. Par ailleurs, l’analyse erronée de l’héritage politique du Général de Gaulle par les partenaires européens conduit à une lecture incomplète du positionnement français. En effet, la politique étrangère du Général de Gaulle a historiquement été celle de la simultanéité entre rapprochement avec les États-Unis lors de la crise de Cuba de 1962, avec l’Allemagne en 1963 avec le traité de l’Élysée, et avec l’URSS par l’accueil en France de Nikita Khrouchtchev. Les Russes estiment qu’ils ont toujours été constants dans leur refus de l’ingérence étrangère et considèrent que la France a évolué sur ce point depuis le refus de participer à la guerre en Irak en 2003 à l’intervention en Libye en 2011.

En France, la situation géopolitique conduit souvent à se positionner entre les États-Unis et la Russie alors que le véritable choix est davantage celui de la Russie ou de l’Europe. Ainsi, à la suite du dernier reset en date auprès de la Russie, les relations bilatérales de la France avec les pays d’Europe de l’Est se sont dégradées et il a fallu tout reconstruire. Outre l’asymétrie de compréhension entre la Russie et la France sur leurs systèmes respectifs, la situation actuelle souligne également une asymétrie dans les rapports de force. La Russie entretient l’illusion d’un dialogue franco-russe valorisant la France comme une grande puissance, membre permanent du CSNU, qui exercerait une influence auprès de ses partenaires européens. De ce point de vue, les Russes nous tendent l’image qu’on aimerait avoir de nous-mêmes, c’est-à-dire celle d’une puissance capable de développer un dialogue d’égal à égal avec les grandes puissances alors que la France n’a jamais été perçue comme telle dans la réalité, et ce depuis 1944.

 


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   Conclusion : De l’urgence d’opposer une résistance à la politique russe du fait accompli

 

L’invasion de l’Ukraine par la Russie constitue un tournant majeur pour l’Europe. En dépit du caractère extrêmement volatil de la situation, il est possible de dresser quelques constats et d’évaluer les risques d’escalade :

– l’Union européenne n’a été que très peu, voire pas du tout, associée aux négociations entre les États-Unis et la Russie sur la crise russo-ukrainienne et celles relatives à la nouvelle architecture de sécurité européenne, ce qui ne peut que nourrir l’idée selon laquelle un condominium russo-américain a été rétabli en Europe. Il est inconcevable que l’Union européenne ne soit pas davantage associée aux discussions qui concernent la sécurité de son territoire et de celui de ses voisins immédiats comme l’Ukraine ;

– les Européens demeurent encore trop divisés quant aux réponses à apporter aux provocations de la Russie et à la nature du soutien à l’Ukraine. La suspension de la certification de Nord Stream 2, qui est intervenue tardivement, après l’entrée des troupes russes dans le Donbass, apparaît pour le moment comme une mesure temporaire et potentiellement réversible ;

– contrairement à ce que l’on peut entendre aujourd’hui, l’Ukraine est en réalité en guerre depuis 2014 et n’a cessé de l’être jusqu’à aujourd’hui. La période actuelle ne constitue en réalité qu’une accélération d’un phénomène ancien que les Occidentaux ont trop ignoré jusqu’à une période récente ;

– malgré de très nombreuses tentatives de renouer le dialogue avec la Russie, celle-ci refuse dans les faits obstinément de privilégier la voie diplomatique, en dépit des déclarations en ce sens de Vladimir Poutine, et menace l’Europe toute entière, à la fois par l’invasion de l’Ukraine mais aussi par ses activités en mer Noire, en mer d’Azov et en mer Baltique, par sa politique de surmilitarisation de Kaliningrad, par son retrait du traité sur les forces nucléaires intermédiaires, du traité sur les forces conventionnelles en Europe et du traité « Ciel Ouvert », et par l’intégration croissante de la Russie et de la Biélorussie sur le plan militaire. L’invasion de l’Ukraine en est le prolongement logique et prévisible, qui s’inscrit dans une stratégie globale de la Russie pour étendre son influence et retrouver le prestige et la puissance qu’elle estime avoir perdue depuis la chute de l’URSS ;

– sur le plan diplomatique, la France a fait preuve d’initiative tant au niveau bilatéral qu’au niveau européen, en réactivant différents formats : la rencontre entre le président de la République et Vladimir Poutine le 7 février 2022, le format de Normandie ou encore les réunions du B9 de l’Estonie à la Bulgarie avec l’adoption d’une position commune (dite « décalogue de Brest ») lors du sommet « Affaires étrangères / Défense » de Brest du 13 janvier 2022 en sont des illustrations. En outre, le président de la République a proposé une ultime tentative de médiation en proposant le 21 février 2022 la tenue à Paris d’un sommet entre Joe Biden et Vladimir Poutine, qui serait ensuite élargi à toutes les parties prenantes et qui porterait sur la sécurité et la stabilité stratégique en Europe ;

– ces initiatives, à défaut d’avoir enclenché un mouvement de désescalade, ont mis en évidence l’absence de volonté de compromis de la partie russe, qui a maintenu ses demandes irréalistes et a finalement reconnu l’indépendance des républiques séparatistes du Donbass ;

– les accords de Minsk, qui, certes, constituent à ce jour le seul cadre agréé pour un règlement pacifique du conflit, ont échoué dans leur mission première de rétablir la paix dans le Donbass, et sont désormais caducs, du fait de la reconnaissance de l’indépendance des républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk par Vladimir Poutine et de l’entrée de troupes de « maintien de la paix » dans la région ;

– le silence coupable sur la situation en Crimée, qui, rappelons-le une fois encore, a été annexée illégalement par la Russie et qui n’est pas reconnue comme un territoire russe par la communauté internationale, ne peut que renforcer la menace militaire que fait peser la Russie sur l’Europe mais également sur la Méditerranée et sur le Moyen-Orient ;

– les conflits actuels en Ukraine empêchent de fait toute perspective d’adhésion de cet État à l’OTAN, en rupture avec l’engagement pris par l’Alliance en 2008 lors du Sommet de Bucarest, dans la mesure où l’étude sur l’élargissement de l’OTAN de 1995, qui constitue le fondement juridique du processus d’adhésion à l’Alliance, dispose que l’existence d’un conflit au sein de l’État candidat ou dans son environnement proche rend impossible toute adhésion. Cette disposition, instrumentalisée par la Russie depuis 2014, lui confère de facto un droit de veto sur l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN et encourage l’instabilité dans le pays ;

– et il est important que les États membres de l’Union européenne montrent un front uni sur la question des sanctions. À elles seules, comme l’histoire récente le démontre, elles ne constituent pas pour autant un élément de dissuasion suffisant. Si les sanctions ciblées adoptées n’ont pour impact que d’entraîner le déplacement des avoirs financiers de quelques oligarques dans des paradis fiscaux, elles n’infléchiront en rien la détermination de la Russie. En outre, les sanctions commerciales mises en œuvre à l’encontre de Vladimir Poutine n’ont pas prouvé leur efficacité. La Russie s’est d’ailleurs déjà préparée à des sanctions variées, touchant autant à la politique énergétique qu’aux domaines bancaire et financier.

La Russie n’est pas à l’origine de conflits et d’entorses au droit international qu’en Europe : elle sévit également en dehors du territoire européen, et porte atteinte directement aux intérêts français. Le déploiement de mercenaires du groupe Wagner au Sahel, qui, contrairement aux dénégations de Vladimir Poutine, a bien été supervisé et décidé par le Kremlin, explique en partie les difficultés actuelles auxquelles nos armées sont confrontées au Mali. Souhaitons que la reconfiguration du dispositif militaire français au Sahel permettra de faire perdurer l’esprit de Takuba au-delà du Mali.

Le discours prononcé le 21 février 2022 par Vladimir Poutine, suivi par la reconnaissance immédiate de l’indépendance des républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk et le lancement d’une offensive militaire en Ukraine, est un tournant dans l’évolution des relations entre la Russie et l’Occident. Lénine, théoricien de la stratégie de la baïonnette, nous éclaire sur la stratégie mise en œuvre depuis 2007 par Vladimir Poutine : une stratégie qui consiste à pousser son avantage partout où il y a un point de faiblesse, jusqu’à ce qu’on lui oppose une résistance. Dès lors, jusqu’où Vladimir Poutine veut-il aller ? Souhaite-t-il annexer l’intégralité du Donbass, voire d’autres régions ukrainiennes ? Vise-t-il un changement de régime à Kiev, voire une vassalisation complète de l’Ukraine à la manière de la Biélorussie ? Enhardi par des succès trop faciles, visera-t-il, demain, d’autres États non-membres de l’OTAN tels que la Moldavie, la Bosnie-Herzégovine, voire la Finlande ? Plus improbable, mais difficile à exclure totalement, pourrait-il envisager de s’en prendre à des États membres de l’OTAN, à commencer par les pays baltes et la Pologne ?

Est-ce à dire que l’Europe pourrait, demain, devenir une zone de conflits et, partant, un théâtre d’opérations potentiel pour nos armées ? Le général d’armée Thierry Burkhard, CEMA, ne semble pas l’exclure lorsqu’il tient les propos suivants : « le jour où les États-Unis, la Chine et Taïwan commenceront à se battre en Indopacifique, les Français pourraient avoir suffisamment à faire en Europe, où d’ailleurs les Américains compteront sur nous pour maintenir la stabilité. […] Un conflit en Indopacifique déstabiliserait nécessairement l’Europe, parce que les Russes pourraient essayer d’en profiter, parce que les lignes de communication seraient menacées et parce qu’il s’agirait d’un conflit majeur offrant de multiples opportunités. […] La Russie est une grande puissance nucléaire et dispose d’un outil militaire de qualité qui lui permet sinon d’imposer sa volonté, du moins d’empêcher que les choses se déroulent comme les Européens le souhaiteraient »[1].

Il est permis de penser que cette hypothèse est de plus en plus vraisemblable. La France, l’Europe et l’OTAN sont au milieu du gué. Si elles refusent de soutenir l’Ukraine aux plans économique et militaire dans le cadre du conflit actuel, elles enverront le signal clair à la Russie qu’elle peut continuer à pousser impunément son avantage partout où l’Europe et son voisinage présentent un point de faiblesse. On ne peut exclure que des États tels que la Moldavie ou la Bosnie-Herzégovine fassent ainsi demain l’objet de tentatives de déstabilisation avec de graves conséquences pour la stabilité et la paix en Europe.

Notre histoire, nos valeurs, nos principes et nos engagements nous commandent de ne pas emprunter la voie funeste de la lâcheté, que nous finirons tôt ou tard par regretter.

 

« Le gouvernement avait le choix entre la guerre et le déshonneur ; il a choisi le déshonneur et il aura la guerre »

 

Winston Churchill


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Liste des recommandations des rapporteurs

 

– S’agissant de nos relations bilatérales avec les États polo-baltes, il convient de les renforcer tant au niveau bilatéral qu’au sein de l’Union européenne et de l’OTAN. En particulier, la France doit approfondir tous les domaines de coopération avec l’Estonie, partenaire privilégié, avec lequel la France gagnerait à s’investir davantage, tant dans le domaine de la défense que dans le domaine cyber. La France gagnerait également à approfondir ses relations avec la Pologne, puissance régionale avec laquelle elle peut avoir de nombreuses convergences de vues dans le domaine de la sécurité européenne, tout en ayant un discours ferme sur l’État de droit et les valeurs européennes ;

– s’agissant de notre relation avec la Roumanie, nous ne pouvons que nous féliciter de l’annonce du président de la République relative au déploiement de troupes françaises dans le cadre de l’OTAN. La France n’a que des avantages à tirer de cette coopération, en particulier en tant que nation-cadre. Elle devra toutefois veiller, d’une part, à ce que ce projet soit bien mené à son terme, et d’autre part à s’entourer des États avec lesquels elle pourra coopérer utilement en matière de mutualisation des équipements ;

– s’agissant du dispositif de présence avancée renforcée en Estonie et en Lituanie, le format actuel donne satisfaction. Toutefois, il pourrait être envisagé de muscler le dispositif, à la faveur de la réduction des effectifs dédiés à l’opération Barkhane. Il y a clairement une opportunité à saisir car l’Estonie est très favorable à la présence française sur son territoire. Si la France faisait un tel choix, elle devrait envisager une permanence des troupes et un renforcement au niveau tactique, afin notamment de se préparer plus efficacement à la haute intensité ;

– s’agissant de la politique de sécurité et de défense communes, tout en ayant pleinement conscience de la primauté accordée à l’OTAN par les États polo-baltes, la France gagnerait à persévérer dans ce domaine, notamment en proposant des coopérations adaptées à la taille des États partenaires. De ce point de vue, la coopération structurée permanente et le Fonds européen de la défense sont des exemples à suivre. Le renforcement de la posture de l’OTAN à l’est, synonyme de solidarité pour les États membres du B9, contribue à maintenir l’adhésion et la dynamique autour d’une Europe de la défense ambitieuse ;

– s’agissant du futur concept stratégique de l’OTAN, dont le contenu sera arrêté lors du sommet de Madrid en juin 2022, il est indispensable de veiller au recentrage de l’OTAN sur l’Europe. L’Alliance s’est excessivement concentrée sur la menace représentée par la Chine ces dernières années, au détriment de l’Europe, qui constitue le cœur historique de son action. Si la vigilance de l’Alliance vis-à-vis des desseins de la Chine est pleinement justifiée, l’attaque russe sur le territoire ukrainien rappelle de manière tragique que l’Europe est toujours menacée par le spectre de la guerre, ce que l’OTAN doit clairement acter à l’occasion de la révision de son concept stratégique ;

– s’agissant de la Biélorussie, nous sommes particulièrement inquiets de l’évolution de la situation des droits humains et de l’intégration militaire grandissante avec la Russie. Cette menace directe pour la sécurité de l’Europe devrait être pleinement intégrée dans les réflexions de la boussole stratégique et du futur concept stratégique de l’OTAN. Les leçons de la crise migratoire orchestrée par la Biélorussie devront également figurer dans ces deux documents ;

– s’agissant de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN et à l’UE, la France doit réaffirmer sans ambiguïté le droit plein et entier de l’Ukraine, État souverain, d’adhérer à l’OTAN et à l’UE. Cette perspective ne pourra cependant se concrétiser qu’à la suite d’une révision des critères otaniens relatifs à l’adhésion à l’Alliance, inscrits dans l’étude sur l’élargissement de l’OTAN de 1995, car la situation de conflit actuelle ne permet pas, en l’état, à l’Ukraine de rejoindre l’OTAN. De ce point de vue, la Russie dispose de facto d’un droit de véto inacceptable lui permettant d’empêcher toute adhésion d’un État à l’OTAN ;

– s’agissant des accords de Minsk, dont les dispositions n’ont jamais été respectées par les deux parties, ils sont, du fait de la reconnaissance de l’indépendance des républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk et de l’envoi par Vladimir Poutine d’une « mission de maintien de la paix » dans ces territoires, en grande partie obsolètes. Comme il ne saurait être question d’abandonner l’Ukraine dans un tête-à-tête mortifère avec la Russie, il conviendrait d’envisager un cadre de discussion multilatéral s’inspirant du Format de Normandie pour trouver une issue au conflit ;

– s’agissant de la situation en Crimée, la France ne peut se résigner à une politique du fait accompli et doit réaffirmer le caractère illégal de l’annexion de ce territoire par la Russie ;

– enfin, s’agissant de la Russie, tout en saluant les efforts déployés pour tenter de la dissuader de recourir à la force, la France s’honorerait d’adopter une position plus ferme. Les autorités politiques françaises doivent acter le fait que la Russie, en application de sa stratégie de la baïonnette, ne reculera que lorsqu’on lui opposera une résistance, ce qui implique de renforcer la politique de l’OTAN sur l’ensemble du flanc oriental et de rouvrir les discussions sur l’adhésion à l’Alliance d’autres États européens comme la Bosnie-Herzégovine, la Suède, voire la Finlande.

 


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Examen en commission

La commission de la défense nationale et des forces armées procède à l’examen du rapport de la mission d’information sur les enjeux géopolitiques et de défense en Europe de l’Est au cours de sa réunion du 23 février 2022.

 

Mme Françoise Dumas, présidente. Messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, notre ordre du jour pour cette matinée est très riche, puisque nous allons examiner deux rapports d’information, dont l’actualité met en exergue toute la pertinence et l’acuité.

Nous allons commencer tout de suite par les conclusions de la mission d’information sur les enjeux géopolitiques et de défense en Europe de l’Est, confiée à nos estimés collègues Jean-Charles Larsonneur et Charles de la Verpillière.

Avant toute chose, je tiens à remercier et à féliciter les rapporteurs pour le travail effectué dans le cadre de cette mission. Cette mission ayant été créée le 3 novembre dernier, vos travaux n’ont pu s’étendre que sur 3 mois. À cette courte durée, s’est ajouté comme difficulté supplémentaire le caractère très évolutif de la situation à l’est de l’Europe, et notamment, bien sûr, en Ukraine.

Dans le cadre de vos travaux, vous avez effectué une quinzaine d’auditions, auprès d’un large panel d’experts, au sein des armées évidemment mais également avec des diplomates et des chercheurs. Vous avez également effectué deux déplacements, en Estonie d’abord, puis en Pologne.

Cette mission d’information est l’occasion d’évoquer deux sujets que nous n’avons pas encore eu l’occasion d’expertiser en détail au sein de notre commission : les enjeux stratégiques et les conflits en Europe de l’Est d’une part, et le rôle qu’y joue l’OTAN d’autre part.

Les tensions à la frontière russo-ukrainienne étaient déjà vives lorsque la mission d’information a été créée, mais le discours de Vladimir Poutine, qu’il a tenu avant-hier et au cours duquel il a dit reconnaître l’indépendance des républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk, dans le Donbass, est un tournant historique qui fait craindre le retour d’un conflit majeur en Europe. Nous sommes évidemment très impatients d’entendre votre analyse et vos recommandations sur ce sujet.

Mais si la crise russo-ukrainienne est, légitimement, au cœur de l’actualité, les foyers de tension en Europe de l’Est sont en réalité plus nombreux, et c’est aussi l’une des autres richesses de votre rapport que de les pointer : la crise migratoire orchestrée par la Biélorussie à l’encontre de la Pologne, de la Lettonie et de la Lituanie ; l’intégration croissante de la Russie et de la Biélorussie sur le plan militaire et le risque que cela fait peser sur l’Ukraine ; la surmilitarisation de l’enclave russe de Kaliningrad ou les tensions en mer Noire et en mer d’Azov sont autant de sources d’inquiétude légitimes pour la sécurité de l’Europe, et donc de la France.

Dans ce contexte, comment la France doit-elle selon vous envisager sa présence militaire en Europe de l’Est ? Quelles leçons tirez-vous des diverses crises précitées ? Quelles réponses la France, l’Union européenne et l’OTAN doivent-elles apporter à l’agression russe de l’Ukraine ? Voilà quelques questions auxquelles votre rapport apportera, à n’en point douter, des éléments de réponses. Votre éclairage sera précieux et ce rapport fera sûrement l’objet d’une lecture attentive bien au-delà de nos bancs.

Messieurs les rapporteurs, je vous cède la parole.

M. Jean-Charles Larsonneur, co-rapporteur. Madame la présidente, mes chers collègues,

Je suis extrêmement heureux de vous présenter les travaux de notre mission d’information sur les enjeux géopolitiques et de défense en Europe de l’Est. À titre liminaire, j’aimerais remercier mon collègue co-rapporteur Charles de la Verpillière, pour la très grande qualité de notre coopération et pour tout le travail que nous avons effectué depuis novembre dernier, date à laquelle nous avons débuté nos travaux. Nous avons d’ailleurs débuté nos travaux à Tallinn, en Estonie, où la première chose qui nous a été dite par nos collègues parlementaires et le ministre de la Défense est : « une intervention de la Russie aura lieu en février, pendant les Jeux olympiques ». Nous y sommes ; et c’est dire avec quel esprit de sérieux et quelle gravité nous abordons ce sujet.

Eu égard au caractère limité du temps dont nous disposions pour effectuer nos travaux, nous avons délibérément choisi de circonscrire le périmètre d’étude. En effet, nous avons choisi de circonscrire le cadre de nos travaux aux seuls États suivants : l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la Biélorussie, l’Ukraine, la Moldavie et la Roumanie. Ainsi, nous avons choisi de ne pas inclure certains États dans notre périmètre, tels que la Finlande, la Slovaquie, la Hongrie ou la Bulgarie, faute de temps. Par ailleurs, la Russie a naturellement et évidemment fait l’objet d’une attention toute particulière.

En outre, nous avons choisi de restreindre notre présentation à deux axes principaux, à savoir :

– le premier axe, qui a trait à l’implication de la France en Europe de l’Est dans le cadre de l’OTAN ;

– et le second axe, qui a trait aux foyers de tensions en Europe de l’Est, et en particulier en Ukraine.

M. Charles de la Verpillière, co-rapporteur. Je tiens également à remercier chaleureusement mon collègue co-rapporteur Jean-Charles Larsonneur. Cette mission était passionnante et notre coopération a été plus que fructueuse, et ce malgré le caractère extrêmement mouvant de l’actualité. Pour dire vrai, nous avons eu le sentiment, un peu frustrant, de courir en permanence derrière les évènements. Néanmoins, nous avons dû, à un moment, stabiliser nos conclusions.

Venons-en donc au premier axe de notre présentation, en commençant par la participation de la France à la mission Lynx de l’OTAN.

Lors de la réunion des ministres de la Défense et de l’OTAN des 15 et 16 février 2017 à Varsovie consacrée à la posture de dissuasion et de défense de l’OTAN et aux mesures engagées pour rassurer les alliés d’Europe centrale et de l’Est qui se sentent menacés par la Russie, une présence avancée renforcée a été instaurée sur les territoires des pays baltes et de la Pologne, sous la forme de quatre bataillons multinationaux.

Les forces françaises participent à la présence avancée renforcée depuis mars 2017, à hauteur d’une compagnie, déployée alternativement en Estonie, au sein d’un bataillon britannique, et en Lituanie, au sein d’un bataillon allemand. Le déploiement actuel, le cinquième depuis 2017, a débuté en mars 2021, pour une durée d’un an. L’état-major de la présence avancée renforcée en Estonie est situé à Tapa. Le Royaume-Uni en est la nation-cadre. Le détachement français constitue une des composantes interarmées de ce bataillon multinational.

Le déploiement de l’armée de Terre dans le cadre de la mission Lynx présente plusieurs opportunités. Tout d’abord, l’implication avec les nations hôtes et la nation-cadre. Ce type d’opération permet en effet une mutualisation des acheminements stratégiques entre les partenaires, une interopérabilité tactique ainsi qu’une expérimentation de nouvelles procédures de combat. Ensuite, ce déploiement nous apprend à combattre ensemble, et non plus seulement côte à côte. Enfin, c’est un excellent entraînement au combat de haute intensité, dans un milieu climatique rugueux, au sein d’un environnement contesté. Cela est d’autant plus utile que, depuis des décennies, les armées françaises sont engagées dans des conflits de nature asymétrique. Les entraînements, qu’ils soient des exercices de tirs ou de la planification d’exercices, sont d’un très bon niveau, par leur qualité et leur quantité, avec un focus particulier sur l’aguerrissement et le combat tactique de haute intensité.

De fait, la mission Lynx donne satisfaction à la fois à la France et au pays hôte. Son meilleur point d’application est en Estonie, partenaire inscrit dans une logique transactionnelle, aux infrastructures également plus intéressantes que celles des autres pays de la région et répondant aux attendus opérationnels. De plus, le format actuel avec le Royaume-Uni comme unique partenaire est plus efficient qu’un format multinational. Le dispositif Lynx est également créateur d’avantages collatéraux de divers ordres : stratégiques, auprès des partenaires européens du nord et de l’est ; opératifs, grâce à la réalisation d’exercices de planification et d’acheminements stratégiques gages d’une liberté d’action ; et tactiques, puisque l’armée de Terre se déploie dans un environnement contesté pouvant préfigurer les combats de demain.

M. Jean-Charles Larsonneur, co-rapporteur. En outre, l’armée de l’Air et de l’Espace participe à la police du ciel de l’OTAN. D’un point de vue opérationnel, la police du ciel traduit une présence visible et crédible dans le cadre de la démarche de réassurance de l’Alliance tout en permettant d’apprécier de manière autonome le jeu des compétiteurs de la zone. L’objectif est toujours d’adopter un comportement et des manœuvres maîtrisés afin d’éviter tout risque d’escalade.

Enfin, la France participe également à la présence avancée adaptée de l’OTAN en Roumanie. Développée progressivement à compter de 2017, la présence avancée adaptée est le pendant du dispositif de présence avancée renforcée sur le flanc sud-est de l’Alliance, et qui pourrait être renforcé à la suite des annonces du président de la République le 19 janvier dernier.

En mer Noire, la présence avancée adaptée se concrétise par le renforcement de la présence navale de l’OTAN et assure la fonction de coordination maritime pour les forces navales permanentes de l’Alliance lorsqu’elles opèrent avec d’autres forces alliées dans la région. Dans ce cadre, la France contribue activement aux composantes maritime et aérienne en mer Noire. Elle est le seul Allié à avoir utilisé les bases roumaines pour déployer des avions de patrouille aérienne. La France contribue régulièrement à des missions ISR dans le domaine maritime.

Venons-en maintenant au deuxième axe de notre présentation, relatifs aux trois foyers de tensions que nous avons identifiés dans le cadre de nos travaux.

Tout d’abord, nous évoquerons la crise migratoire orchestrée par la Biélorussie. Alexandre Loukachenko menaçait les Européens de répondre aux sanctions que l’Union européenne (UE) envisageait d’adopter à l’époque par l’orchestration d’une crise migratoire dès septembre 2020. Il a mis à exécution sa menace migratoire en juin 2021, à la suite de l’adoption d’une série de sanctions par l’UE. L’orchestration de cette crise poursuivait en réalité deux objectifs :

– susciter un débat entre les États membres de l’UE sur la politique de sanctions à l’encontre de la Biélorussie ;

– et créer une scission entre les pays frontaliers visés (Pologne, Lituanie, Lettonie) et les autres États membres de l’UE.

Or, ces deux objectifs n’ont pas été atteints, comme en témoignent les messages de solidarité exprimés par l’UE et l’ensemble des États membres à l’encontre des pays frontaliers visés par cette crise. L’UE a fait preuve de réactivité en révisant temporairement les règles relatives à l’asile, ce qui a permis d’endiguer la crise. Aujourd’hui, les arrivées de nouveaux migrants sont peu nombreuses et les vols charter ont été interrompus. Chaque jour, les autorités polonaises, lituaniennes et lettones font état de tentatives de franchissement de la frontière biélorusse avec ces trois pays, qui sont le fait essentiellement de petits groupes de jeunes hommes.

Il convient de rappeler la responsabilité des États d’origine des migrants ainsi que des États de transit dans cette crise. Des vols charter ont été organisés directement depuis l’Irak et la Syrie, ce qui n’a pas pu se faire sans une totale proximité, voire une complicité, entre ces pays.

Si la situation s’est stabilisée, elle n’est en réalité que gelée. Cette épée de Damoclès continue de peser sur nos têtes, et le jour où Alexandre Loukachenko voudra relancer la crise en faisant venir des migrants en masse, il n’hésitera pas à le faire. Cette crise migratoire est une excellente illustration d’une attaque hybride, terme utilisé à l’échelle de l’UE pour qualifier l’agression de la Biélorussie à l’encontre du territoire polonais mais également des territoires lituanien et letton. Ces États n’ont d’ailleurs pas été choisis par hasard : ils ne reconnaissent pas l’élection d’Alexandre Loukachenko et accueillent une partie de l’opposition biélorusse.

M. Charles de la Verpillière, co-rapporteur. Le deuxième foyer de tensions se situe en mer Noire et en mer d’Azov. Au cœur des enjeux de sécurité énergétique, la région de la mer Noire est une zone de transit d’importance stratégique tant pour les pays importateurs d’Europe centrale et orientale que pour les pays producteurs tels que la Russie ou l’Azerbaïdjan. Environ 3 millions de barils de pétrole en provenance de Russie, d’Ukraine et du bassin caspien y transitent chaque jour.

Depuis le début des années 2000, les crises russo-ukrainiennes ont redessiné la carte des réseaux de transport d’hydrocarbures. Le volume global de gaz transitant par l’Ukraine a ainsi diminué de 80 à 35 % environ pour les seules livraisons de gaz russe à destination d’Europe et l’épicentre du transit gazier s’est déplacé de l’Ukraine vers la Turquie, l’Europe du Sud-Est et la région baltique. Ces évolutions s’expliquent par la volonté russe de contourner le territoire ukrainien par le nord avec les gazoducs Nord Stream 1 et Nord Stream 2 et par le sud avec le Turk Stream.

Plusieurs incidents ont eu lieu entre les forces navales russes et ukrainiennes depuis 2014 en mer Noire et en mer d’Azov, le plus grave étant celui du 25 novembre 2018 dans le détroit de Kertch entre les garde-côtes du Service Fédéral de Sécurité russe (FSB) et trois navires militaires ukrainiens. La Russie a accusé la Marine ukrainienne d’être entrée illégalement dans ses eaux territoriales bordant la Crimée, après avoir refusé de reculer face aux sommations. Les commandos du FSB ont alors arraisonné les navires de force.

Depuis cet incident, la Russie et l’Ukraine se renvoient la responsabilité de cet accrochage. Les deux parties ont saisi le Conseil de sécurité des Nations unies afin de dénoncer une agression. L’Ukraine a sollicité le soutien de l’OTAN et a saisi la Cour européenne des droits de l'Homme le 30 novembre 2018 ainsi que le Tribunal international du droit de la mer, dont Moscou récuse la compétence dans cette affaire. Le 10 avril 2019, le Conseil de la Fédération de Russie a averti l’Ukraine des risques d’un conflit militaire dans le détroit de Kertch si elle s’obstinait dans son attitude.

La remontée en puissance de la Russie en mers Noire et d’Azov s’inscrit dans la volonté de Vladimir Poutine d’un renouveau national intégrant un volet naval. Le déséquilibre entre les flottes russes et ukrainiennes est flagrant. Parallèlement, l’empreinte militaire russe autour de sa région militaire Sud s’accroît. Moscou a reconnu en 2008 l’indépendance des provinces géorgiennes d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie. Elle a renforcé dans cette dernière sa présence (3 500 soldats) et utilise le long de ses 240 km de littoral la base navale de Goudaouta jusqu’en 2059 et le port en eaux profondes de Soukhoumi. Ce mouvement s’est accéléré depuis l’annexion de la Crimée en mars 2014 et l’intervention en Syrie à partir de 2015, avec le déploiement dans ces deux zones de systèmes de défense anti-aériennes S-400 Triumph. La Crimée a vu ses effectifs militaires doubler (28 000 soldats) ainsi que l’arrivée de chars de combat et d’avions de supériorité aérienne.

Depuis 2020, la Russie organise des exercices militaires de plus en plus souvent et pour des durées de plus en plus longues, dans des zones de la mer Noire de plus en plus nombreuses et de plus en plus grandes, où la Russie décourage et déconseille aux navires militaires étrangers d’accéder. À titre d’exemple, la Russie a bloqué une zone de la mer Noire allant d’Odessa jusqu’au détroit de Kertch pendant plus de 6 mois, entre avril et octobre 2021.

Au fond, la Russie souhaite faire de la mer d’Azov une mer russe et renforcer sa domination sur la mer Noire. La remilitarisation de la Crimée l’aide évidemment dans cet objectif. Dans les faits, la Russie contrôle directement les trois-quarts de la mer d’Azov (contre 40 % avant 2014) et le détroit de Kertch, unique passage maritime entre ces deux mers. Le pont de Kertch sert de facto aux Russes de régulateur du trafic maritime, d’autant qu’ils peuvent aisément le bloquer.

S’agissant de la France, des tensions peuvent parfois se faire jour en mer Noire, sans pour autant qu’il n’y ait eu d’escalade notoire à ce jour. La frégate multi-missions (FREMM) Auvergne a été suivie dès le détroit du Bosphore par un navire russe, et lorsqu’elle a atteint Odessa, elle a reçu une communication dudit navire qui lui indiquait qu’elle devait faire attention car elle se situait à 200 milles du territoire russe ; ce à quoi la France a répondu qu’elle se trouvait dans les eaux internationales. Les AWACS déployés par l’armée de l’Air et de l’Espace font également l’objet d’une surveillance étroite de la part de la Russie. Il n’y a cependant pas eu d’escalade à ce stade et, par sa présence, la France veut montrer qu’elle peut naviguer librement en mer Noire, en vertu du droit international.

M. Jean-Charles Larsonneur, co-rapporteur. Enfin, le troisième et dernier foyer de tensions concerne évidemment la crise actuelle dans le Donbass, en Ukraine. Nous ne referons pas ici l’historique de la crise de 2014, qui a abouti à l’annexion illégale de la Crimée par la Russie et à la naissance des républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk dans le Donbass. Nous estimons que la crise actuelle est directement liée au contenu des accords de Minsk, qui ont volé en éclats avant-hier soir à la suite de la reconnaissance par Vladimir Poutine de l’indépendance des deux républiques autoproclamées et l’invasion consécutive des régions concernées dans le Donbass.

Un examen lucide de la situation ne peut que nous inciter à constater que les stipulations des accords de Minsk n’ont jamais été vraiment respectées. La plus importante, celle qui concerne le cessez-le-feu, a été quotidiennement violée. Dès la signature du Protocole de Minsk en 2014, et avant même que les mesures de sécurité ne soient appliquées, la Russie a poussé l’Ukraine à s’acquitter intégralement de la partie politique de l’Accord, en exigeant qu’elle révise sa Constitution et organise des élections dans les républiques autoproclamées avant même que l’Ukraine n’ait pu rétablir son contrôle sur sa frontière et avant que le cessez-le-feu ne soit effectif.

En réalité, il y avait des divergences d’interprétation irréconciliables entre la Russie et l’Ukraine sur le statut des républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk. La Russie souhaitait que ces territoires disposent d’un droit de véto sur toute décision prise à l’échelle de l’Ukraine et qu’ils soient considérés comme des entités distinctes. Cette interprétation, jugée inacceptable par l’Ukraine, a été permise par le caractère flou des stipulations de l’accord, qui ont permis de facto des divergences d’interprétation. La Russie exigeait aussi que l’Ukraine échange directement avec les représentants des républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk, ce que l’Ukraine a toujours refusé de faire.

L’opinion ukrainienne considérait dans sa grande majorité que les accords de Minsk ont été signés par l’Ukraine sous la contrainte. L’objectif premier était de faire cesser les hostilités après une défaite militaire humiliante. L’Ukraine a donc abordé les pourparlers de paix après une défaite militaire et sous la menace d’une intervention russe ; et les Ukrainiens estiment aujourd’hui que les accords sont caducs car impossibles à mettre en œuvre. M. Oleksiy Danilov, secrétaire du Conseil de sécurité nationale et de défense ukrainien, disait dans un entretien à Associated Press que « lorsque les accords ont été signés, un pistolet russe sur la tempe – les Français et les Allemands regardant – il était déjà clair pour toutes les personnes rationnelles qu’il était impossible de mettre en œuvre ces accords ».

Au fond, que veut la Russie ? La publication par la Russie des deux projets de traités le 17 décembre dernier dans le cadre de sa négociation avec l’OTAN sur l’architecture de sécurité européenne constitue une manœuvre diplomatique peu habituelle, par laquelle la Russie a ouvertement exprimé ce qu’elle voudrait.

Sur la relation américano-russe, l’article 4 stipule que l’expansionnisme otanien impulsé par les États-Unis vers l’est doit cesser, ainsi que l’utilisation des infrastructures des anciennes républiques soviétiques qui n’appartiennent pas à l’OTAN, ce qui comprend donc l’Ukraine et la Géorgie. Cela revient, en somme, à revenir à l’état des relations entre la Russie et l’OTAN de 1997. Le renoncement à l’activité militaire sur ces territoires, tel que défini par l’article 7, concerne également les forces nucléaires otaniennes, ce qui remet de fait en cause le devenir de la mission otanienne en matière de politique et de dissuasion nucléaire. Sur la relation russo-otanienne, l’article 2 demande la création d’une ligne téléphonique directe. Enfin, l’article 6 met quant à lui fin à l’élargissement et aux activités militaires de l’OTAN en Europe de l’Est, particulièrement en Ukraine et dans le Caucase.

Pourquoi la Russie a-t-elle recours à cette méthode diplomatique et fixe-t-elle de tels objectifs, évidemment hors de portée ? Cette question doit être mise en perspective avec le contexte russe des années 1990. La seconde guerre de Tchétchénie a permis à Vladimir Poutine d’émerger sur la scène internationale. Il a par la suite affirmé sa position lors du discours de Munich en 2007 qui dénonçait l’unilatéralisme américain et l’activisme de l’OTAN. Mais c’est le rejet du traité constitutionnel européen au Pays-Bas et en France en 2005 qui a constitué un tournant important dans la construction de la position des Russes à l’égard de l’Union européenne : c’est là que la donne s’est inversée en Europe selon eux. La guerre de Géorgie en 2008, l’annexion de la Crimée et le conflit du Donbass en 2014 puis l’intervention russe en Syrie en 2015 ont également été des éléments constitutifs de la position russe actuelle.

En matière de politique intérieure, la Russie verra la tenue de ses prochaines élections présidentielles en 2024, dans un contexte où la révision constitutionnelle de 2020 permet notamment à Vladimir Poutine d’effectuer deux nouveaux mandats. Concernant les autres acteurs que sont les États-Unis, l’Allemagne et la France, ils se trouvent chacun confrontés à des enjeux politiques de coalition (pour le nouveau gouvernement allemand) ou d’élection (les élections présidentielles françaises et les midterms américains pour l’administration Biden).

Au regard de la situation actuelle, la Russie recherche trois choses :

– tout d’abord, figer la situation en Ukraine et faire oublier l’épisode de la Crimée, mais aussi la vassalisation à peu près totale de la Biélorussie ;

– ensuite, réintroduire une forme de blocage au sein des institutions internationales ainsi que la notion de sphère d’influence, l’objectif étant de placer la Russie en situation de force et de diminuer l’influence américaine ;

– et enfin, obtenir une victoire symbolique et idéologique contre l’OTAN en faisant de la période 1991-2021 une parenthèse et en montrant que la Russie n’a, en réalité, pas perdu la Guerre froide.

Cette ambition russe soulève toutefois deux problèmes immédiats. Le premier est celui du risque d’escalade entre l’OTAN et la Russie. Si la Russie a jusqu’à présent maîtrisé ce risque, une erreur de calcul peut toujours arriver. Sur ce point, il convient de s’interroger sur le point de conversion, c’est-à-dire le moment à partir duquel l’OTAN devrait réagir. Cette question est d’autant moins évidente que la Russie combine la pression militaire et la pression politique afin de modifier le comportement de l’autre, sans nécessairement recourir à une logique de conquête territoriale. Par ailleurs, le tir de missile antisatellite en novembre 2021 a envoyé un message fort et témoigne des progrès russes dans ce domaine. Cette situation place de plus en plus les Européens dans une position de spectateur au sein d’un dialogue se restructurant entre la Russie et les États-Unis.

Contrairement à la caricature qui peut en être faite parfois, le problème russe illustre une situation plus complexe qu’une opposition entre une tendance russophile et une tendance otanienne. Les relations franco-russes témoignent d’une compréhension de l’establishment russe largement inférieure à la compréhension russe de l’establishment français. Par ailleurs, l’analyse erronée de l’héritage politique du Général de Gaulle par les partenaires européens conduit à une lecture incomplète du positionnement français. En effet, la politique étrangère du Général de Gaulle a historiquement été celle de la simultanéité entre le rapprochement avec les États-Unis, par exemple lors de la crise de Cuba de 1962, avec l’Allemagne, par exemple en 1963 avec le traité de l’Élysée, et avec l’URSS, par exemple avec l’accueil en France de Nikita Khrouchtchev. Les Russes estiment qu’ils ont toujours été constants dans leur refus de l’ingérence étrangère et considèrent que la France a évolué sur ce point, entre le refus de participer à la guerre en Irak en 2003 et l’intervention en Libye en 2011.

En France, la situation géopolitique conduit souvent à se positionner entre les États-Unis et la Russie. Outre l’asymétrie de compréhension entre la Russie et la France sur leurs systèmes respectifs, la situation actuelle souligne également une asymétrie dans les rapports de force. La Russie entretient l’illusion d’un dialogue franco-russe valorisant la France comme une grande puissance, membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies, qui exercerait une influence auprès de ses partenaires européens. De ce point de vue, les Russes nous tendent l’image qu’on aimerait avoir de nous-mêmes, c’est-à-dire celle d’une puissance capable de développer un dialogue d’égal à égal avec les grandes puissances alors que la France n’a jamais été perçue comme telle dans la réalité par la Russie, et ce depuis 1944.

M. Charles de la Verpillière, co-rapporteur. Eu égard au niveau extrêmement élevé des tensions et au caractère très volatil de la situation à la frontière russo-ukrainienne, tout exercice de prospective quant à l’issue de la crise serait vain. Il est toutefois possible de dresser quelques constats et d’évaluer les risques d’escalade.

L’Union européenne n’a été que très peu, voire pas du tout, associée aux négociations entre les États-Unis et la Russie sur la crise russo-ukrainienne et celles relatives à la nouvelle architecture de sécurité européenne, ce qui ne peut que nourrir l’idée selon laquelle un condominium russo-américain a été rétabli en Europe. Il est inconcevable que l’Union européenne ne soit pas davantage associée aux discussions qui concernent la sécurité de son territoire et de celui de ses voisins immédiats comme l’Ukraine.

Les Européens demeurent encore trop divisés quant aux réponses à apporter aux provocations de la Russie et à la nature du soutien à l’Ukraine. La suspension de la certification de Nord Stream 2, qui est intervenue tardivement, après l’entrée des troupes russes dans le Donbass, apparaît pour le moment comme une mesure temporaire et potentiellement réversible.

Contrairement à ce que l’on peut entendre aujourd’hui, l’Ukraine est en réalité en guerre depuis 2014 et n’a cessé de l’être jusqu’à aujourd’hui. La période actuelle ne constitue en réalité qu’une accélération d’un phénomène ancien que les Occidentaux ont trop ignoré jusqu’à une période récente. Malgré de très nombreuses tentatives de renouer le dialogue avec la Russie, celle-ci refuse dans les faits obstinément de privilégier la voie diplomatique, en dépit des déclarations en ce sens de Vladimir Poutine, et menace l’Europe toute entière, à la fois par l’invasion de l’Ukraine mais aussi par ses activités en mer Noire, en mer d’Azov et en mer Baltique, par sa politique de surmilitarisation de Kaliningrad, par son retrait du traité sur les forces nucléaires intermédiaires, du traité sur les forces conventionnelles en Europe et du traité « Ciel Ouvert », et par l’intégration croissante de la Russie et de la Biélorussie sur le plan militaire. L’invasion de l’Ukraine en est le prolongement logique et prévisible, qui s’inscrit dans une stratégie globale de la Russie pour étendre son influence et retrouver le prestige et la puissance qu’elle estime avoir perdue depuis la chute de l’URSS.

Sur le plan diplomatique, la France a fait preuve d’initiative tant au niveau bilatéral qu’au niveau européen, en réactivant différents formats : la rencontre entre le président de la République et Vladimir Poutine le 7 février 2022, le format de Normandie ou encore les réunions du B9, de l’Estonie à la Bulgarie, avec l’adoption d’une position commune (dite « décalogue de Brest ») lors du sommet « Affaires étrangères / Défense » de Brest du 13 janvier 2022 en sont des illustrations. En outre, le président de la République a proposé une ultime tentative de médiation en proposant le 21 février 2022 la tenue à Paris d’un sommet entre Joe Biden et Vladimir Poutine, qui serait ensuite élargi à toutes les parties prenantes et qui porterait sur la sécurité et la stabilité stratégique en Europe. Ces initiatives, à défaut d’avoir enclenché un mouvement de désescalade, ont mis en évidence l’absence de volonté de compromis de la partie russe, qui a maintenu ses demandes irréalistes et a finalement reconnu l’indépendance des républiques séparatistes du Donbass.

M. Jean-Charles Larsonneur, co-rapporteur. Par ailleurs, les accords de Minsk, qui, certes, constituent à ce jour le seul cadre agréé pour un règlement pacifique du conflit, ont échoué dans leur mission première de rétablir la paix dans le Donbass, et sont désormais caducs, du fait de la reconnaissance de l’indépendance des républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk par Vladimir Poutine et de l’entrée de troupes dites de « maintien de la paix » dans la région. Le silence coupable au sujet de la situation en Crimée, qui, rappelons-le une fois encore, a été annexée illégalement par la Russie et qui n’est pas reconnue comme un territoire russe par la communauté internationale, ne peut que renforcer la menace militaire que fait peser la Russie sur l’Europe mais également sur la Méditerranée et sur le Moyen-Orient. Les conflits actuels en Ukraine empêchent de fait toute perspective d’adhésion de cet État à l’OTAN, en rupture avec l’engagement pris par l’Alliance en 2008 lors du Sommet de Bucarest, dans la mesure où l’étude sur l’élargissement de l’OTAN de 1995, qui constitue le fondement juridique du processus d’adhésion à l’Alliance, dispose que l’existence d’un conflit au sein de l’État candidat ou dans son environnement proche rend impossible toute adhésion. Cette disposition, instrumentalisée par la Russie depuis 2014, lui confère de facto un droit de veto sur l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN et encourage l’instabilité dans le pays.

Enfin, il est important que les États membres de l’Union européenne montrent un front uni sur la question des sanctions. À elles seules, comme l’histoire récente le démontre, elles ne constituent pas pour autant un élément de dissuasion suffisant. Si les sanctions ciblées adoptées n’ont pour impact que d’entraîner le déplacement des avoirs financiers de quelques oligarques dans des paradis fiscaux, elles n’infléchiront en rien la détermination de la Russie. En outre, les sanctions commerciales mises en œuvre à l’encontre de Vladimir Poutine n’ont pas prouvé leur efficacité. La Russie s’est d’ailleurs déjà préparée à des sanctions variées, touchant autant à la politique énergétique qu’aux domaines bancaire et financier.

La Russie n’est pas à l’origine de conflits et d’entorses au droit international qu’en Europe : elle sévit également en dehors du territoire européen, et porte atteinte directement aux intérêts français. Le déploiement de mercenaires du groupe Wagner au Sahel, qui, contrairement aux dénégations de Vladimir Poutine, a bien été supervisé et décidé par le Kremlin, explique en partie les difficultés actuelles auxquelles nos armées sont confrontées au Mali. Souhaitons que la reconfiguration du dispositif militaire français au Sahel permettra de faire perdurer l’esprit de Takuba au-delà du Mali.

Le discours prononcé le 21 février 2022 par Vladimir Poutine, suivi par la reconnaissance immédiate de l’indépendance des républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk, est un tournant dans l’évolution des relations entre la Russie et l’Occident. Lénine, théoricien de la stratégie de la baïonnette, nous éclaire sur la stratégie mise en œuvre depuis 2007 par Vladimir Poutine : une stratégie qui consiste à pousser son avantage partout où il y a un point de faiblesse, jusqu’à ce qu’on lui oppose une résistance.

M. Charles de la Verpillière, co-rapporteur. Dès lors, jusqu’où Vladimir Poutine veut-il aller ? Souhaite-t-il annexer l’intégralité du Donbass, voire d’autres régions ukrainiennes ? Vise-t-il un changement de régime à Kiev, voire une vassalisation complète de l’Ukraine à la manière de la Biélorussie ? Enhardi par des succès trop faciles, visera-t-il, demain, d’autres États non-membres de l’OTAN tels que la Moldavie, la Bosnie-Herzégovine, voire la Finlande ? Plus improbable, mais difficile à exclure totalement, pourrait-il envisager de s’en prendre à des États membres de l’OTAN, à commencer par les pays baltes et la Pologne ? Ces questions ne sont pas illégitimes.

Par conséquent, au terme de nos travaux, nous en sommes parvenus aux conclusions suivantes :

– s’agissant de nos relations bilatérales avec les États polo-baltes, il convient de les renforcer tant au niveau bilatéral qu’au sein de l’Union européenne et de l’OTAN. En particulier, la France doit approfondir tous les domaines de coopération avec l’Estonie, partenaire privilégié, avec lequel la France gagnerait à s’investir davantage, tant dans le domaine de la défense que dans le domaine cyber. La France gagnerait également à approfondir ses relations avec la Pologne, puissance régionale avec laquelle elle peut avoir de nombreuses convergences de vues dans le domaine de la sécurité européenne, tout en ayant un discours ferme sur l’État de droit et les valeurs européennes ;

– s’agissant de notre relation avec la Roumanie, nous ne pouvons que nous féliciter de l’annonce du président de la République relative au déploiement de troupes françaises dans le cadre de l’OTAN. La France n’a que des avantages à tirer de cette coopération, en particulier en tant que nation-cadre. Elle devra toutefois veiller, d’une part, à ce que ce projet soit bien mené à son terme, et d’autre part à s’entourer des États avec lesquels elle pourra coopérer utilement en matière de mutualisation des équipements ;

– s’agissant du dispositif de présence avancée renforcée en Estonie et en Lituanie, le format actuel donne satisfaction. Toutefois, il pourrait être envisagé de muscler le dispositif, à la faveur de la réduction des effectifs dédiés à l’opération Barkhane. Il y a clairement une opportunité à saisir car l’Estonie est très favorable à la présence française sur son territoire. Si la France faisait un tel choix, elle devrait envisager une permanence des troupes et un renforcement au niveau tactique, afin notamment de se préparer plus efficacement à la haute intensité ;

– s’agissant de la politique de sécurité et de défense communes, tout en ayant pleinement conscience de la primauté accordée à l’OTAN par les États polo-baltes, la France gagnerait à persévérer dans ce domaine, notamment en proposant des coopérations adaptées à la taille des États partenaires. De ce point de vue, la coopération structurée permanente et le Fonds européen de la défense sont des exemples à suivre. Le renforcement de la posture de l’OTAN à l’est, synonyme de solidarité pour les États membres du B9, contribue à maintenir l’adhésion et la dynamique autour d’une Europe de la défense ambitieuse ;

– s’agissant du futur concept stratégique de l’OTAN, dont le contenu sera arrêté lors du sommet de Madrid en juin 2022, il est indispensable de veiller au recentrage de l’OTAN sur l’Europe. L’Alliance s’est excessivement concentrée sur la menace représentée par la Chine ces dernières années, au détriment de l’Europe, qui constitue le cœur historique de son action. Si la vigilance de l’Alliance vis-à-vis des desseins de la Chine est pleinement justifiée, l’attaque russe sur le territoire ukrainien rappelle de manière tragique que l’Europe est toujours menacée par le spectre de la guerre, ce que l’OTAN doit clairement acter à l’occasion de la révision de son concept stratégique ;

– s’agissant de la Biélorussie, nous sommes particulièrement inquiets de l’évolution de la situation des droits humains et de l’intégration militaire grandissante avec la Russie. Cette menace directe pour la sécurité de l’Europe devrait être pleinement intégrée dans les réflexions de la boussole stratégique et du futur concept stratégique de l’OTAN. Les leçons de la crise migratoire orchestrée par la Biélorussie devront également figurer dans ces deux documents ;

M. Jean-Charles Larsonneur, co-rapporteur. S’agissant de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN et à l’UE, la France doit réaffirmer sans ambiguïté le droit plein et entier de l’Ukraine, État souverain, d’adhérer à l’OTAN et à l’UE. Cette perspective ne pourra cependant se concrétiser qu’à la suite d’une révision des critères otaniens relatifs à l’adhésion à l’Alliance, inscrits dans l’étude sur l’élargissement de l’OTAN de 1995, car la situation de conflit actuelle ne permet pas, en l’état, à l’Ukraine de rejoindre l’OTAN. De ce point de vue, la Russie dispose de facto d’un droit de véto inacceptable lui permettant d’empêcher toute adhésion d’un État à l’OTAN ;

– s’agissant des accords de Minsk, dont les dispositions n’ont jamais été respectées par les deux parties, ils sont, du fait de la reconnaissance de l’indépendance des républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk et de l’envoi par Vladimir Poutine d’une « mission de maintien de la paix » dans ces territoires, en grande partie obsolètes. Comme il ne saurait être question d’abandonner l’Ukraine dans un tête-à-tête mortifère avec la Russie, il conviendrait d’envisager un cadre de discussion multilatéral s’inspirant du Format de Normandie pour trouver une issue au conflit ;

– s’agissant de la situation en Crimée, la France ne peut se résigner à une politique du fait accompli et doit réaffirmer le caractère illégal de l’annexion de ce territoire par la Russie ;

– enfin, s’agissant de la Russie, tout en saluant les efforts déployés pour tenter de la dissuader de recourir à la force, la France s’honorerait d’adopter une position plus ferme. Les autorités politiques françaises doivent acter le fait que la Russie, en application de sa stratégie de la baïonnette, ne reculera que lorsqu’on lui opposera une résistance, ce qui implique de renforcer la politique de l’OTAN sur l’ensemble du flanc oriental et de rouvrir les discussions sur l’adhésion à l’Alliance d’autres États européens comme la Bosnie-Herzégovine, la Suède, voire la Finlande.

M. Charles de la Verpillière, co-rapporteur. Aussi douloureux soit-il, nous devons faire le constat que la stratégie diplomatique de la France a échoué en Ukraine. Cet échec doit collectivement nous interroger, car ce n’est qu’en regardant la réalité en face que nous pourrons dresser des perspectives.

La France, l’Europe et l’OTAN sont au milieu du gué. Si elles refusent de soutenir l’Ukraine aux plans économique et militaire dans le cadre du conflit actuel, elles enverront le signal clair à la Russie qu’elle peut continuer à pousser impunément son avantage partout où l’Europe et son voisinage présentent un point de faiblesse. On ne peut exclure que des États tels que la Moldavie ou la Bosnie-Herzégovine fassent ainsi demain l’objet de tentatives de déstabilisation avec de graves conséquences pour la stabilité et la paix en Europe.

Notre histoire, nos valeurs, nos principes et nos engagements nous commandent de ne pas emprunter la voie funeste de la lâcheté, que nous finirons tôt ou tard par regretter.

Permettez-moi de finir par une citation que chacun pourra interpréter à sa façon : « Le gouvernement avait le choix entre la guerre et le déshonneur ; il a choisi le déshonneur et il aura la guerre » (Winston Churchill).

Nous vous remercions pour votre attention et sommes à votre disposition pour répondre à toutes vos questions.

Mme la présidente Françoise Dumas. Merci pour ce rapport complet que vous avez eu à cœur d’actualiser jusqu’à la dernière minute en réaction à une actualité qui tend à s’accélérer. Sans tarder, je cède la parole aux orateurs de groupe.

M. Jacques Marilossian. Dans le rapport de l’an dernier consacré à la boussole stratégique de l’Union européenne, nos excellents collègues sénateurs Ronan Le Gleut et Hélène Conway-Mouret ont évoqué le besoin de redimensionnement de l’action de l’Union européenne pour sa sécurité. À ce titre, l’actuelle Commission européenne, qui se veut très géopolitique dans son action, veut notamment mobiliser la puissance économique de l’Union au service de sa stratégie globale. Le groupe de Visegrád (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie) rassemble des États de l’Europe de l’Est censés avoir des intérêts communs sur certaines politiques européennes. S’agissant de la défense, leur confiance se porte avant tout sur bouclier de l’OTAN et non, vous l’avez évoqué, sur la politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Cependant, ces quatre États n’ont pas une vision commune sur la Russie. Si la Hongrie, la Slovaquie et la République tchèque ont des liens économiques importants avec ce pays, la Pologne est plus méfiante, pour des raisons historiques. Dans le cadre de vos auditions, avez-vous relevé des éléments qui permettraient de redonner confiance à ces États dans les capacités de la PSDC à les protéger ?

M. Philippe Meyer. Votre mission d’information est au cœur de l’actualité. Ma question concerne les pays baltes. Ces trois pays sont membres de l’Union européenne et ils craignent l’escalade à laquelle nous assistons en Ukraine et au-delà, dans la région. Le président américain a annoncé le redéploiement de forces américaines dans ces trois pays. Avez-vous ressenti une forte inquiétude de la part des dirigeants de ces pays à propos de la Russie ? Ces pays attendent-ils de l’Union européenne une intervention diplomatique pour empêcher une crise générale qui pourrait toucher leur pays, comme des sanctions économiques ? Ou misent-ils surtout et avant tout sur les États-Unis et l’OTAN pour assurer leur protection ?

M. Christophe Blanchet. Puisque c’est la dernière réunion de cette session ordinaire, je voudrais commencer par remercier tous les rapporteurs qui se sont succédé à ces micros pour la qualité constante de leurs rapports et pour ces échanges, qui sont toujours dans la recherche de l’intérêt général plus que dans une posture médiatique, sans doute à cause de la fréquence des huis clos. Merci à vous tous, mes chers collègues, au nom du groupe Démocrates, pour ces réunions de commission. Le rapport qui vient de nous être présenté est à nouveau à la hauteur des enjeux. Il doit faire réfléchir. Chacun et chacune, devant son écran, doit prendre conscience des tenants et des aboutissants. J’aurai trois questions, avant de revenir sur la boussole stratégique européenne. Premièrement, au début de votre introduction, vous avez dit qu’un de vos homologues estoniens avait affirmé que la Russie interviendrait pendant les Jeux olympiques en février 2022. Qu’avez-vous fait de cette information ? A-t-elle été reprise ? Comment, le cas échéant ? Deuxièmement, vous avez évoqué la crise migratoire en Biélorussie. N’est-elle pas un prélude, une répétition, avant une action similaire de plus grande ampleur engagée par Vladimir Poutine ? Troisièmement, vous avez évoqué très justement la stratégie dite « de la baïonnette », qui veut qu’on continue à pousser tant qu’on ne rencontre pas de résistance. Quelle forme de résistance efficace doit-on opposer pour faire cesser les agissements de Moscou ? En conclusion, cher Charles de la Verpillière, je ne reprendrai pas les mots de Winston Churchill mais la guerre, si elle n’est là aujourd’hui le sera demain ! Avec votre hauteur de vue et votre expertise, comment voyez-vous notre avenir et dans quel délai ?

M. Yannick Favennec-Bécot. J’ai trois questions. Premièrement, la boussole stratégique ne représente-t-elle pas une chance pour l’Union européenne de se positionner au centre d’une nouvelle architecture de sécurité européenne et internationale ? La France, dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne, pourrait-elle devenir la chef de file et organiser une nouvelle conférence européenne permettant la révision de conditions de la sécurité en Europe, actualisant ainsi le traité d’Helsinki de 1975 ? Enfin, à la lumière de la crise ukrainienne, quelle est selon vous la véritable menace ? Autrement dit, quel est le combat de demain auquel une défense commune doit nous préparer ?

M. André Chassaigne. Mon groupe et moi-même partageons, pour partie du moins, le constat de la division de l’Europe sur les sujets géopolitiques et de défense. Les pays de l’Est mettent leur destin dans les mains des États-Unis et de l’OTAN. J’en ai fait moi-même un constat implacable comme président du groupe d’amitié avec la Roumanie. L’Allemagne est quant à elle déchirée entre ses intérêts économiques et ses engagements au sein de l’OTAN. L’Union européenne est bien évidente dépendante de la Russie pour le gaz mais, disons-le, elle est aussi dépendante des États-Unis. Déjà à la tête d’une coalition contre le gazoduc Nord Stream 2, les États-Unis avaient annoncé sans consentement public du chancelier allemand qu’ils arrêteraient le projet en cas d’agression armée russe, pensant sans aucun doute aussi à la vente de leur propre gaz. Nous y sommes ! Comment évaluez-vous cette situation ? La France quant à elle a du mal à faire vivre son indépendance stratégique et diplomatique, refusant de se libérer des chaînes de l’OTAN. Au fond, l’Union européenne, et la France donc, n’est que la simple spectatrice du conflit qui se déroule à ses frontières alors que le conflit la toucherait beaucoup plus que les États-Unis. Par sa dépendance, ne pensez-vous pas qu’elle met ses peuples en danger ? Qui écrivait : « Faites attention à l'Histoire officielle que l'imposture se charge de décrire. » ? C’était Chateaubriand dans ses Mémoires d’outre-tombe. L’Europe devrait y penser si elle veut retrouver une vision claire, non troublée par les contes de fée si bien écrits par les États-Unis érigés en pays de Bisounours. Ne pensez-vous pas qu’il faut modérer notre confiance aux États-Unis qui exagèrent et provoquent des conflits, qui inventent des armes de destruction massive, qui détruisent les pays à la place de les reconstruire, qui donnent la chasse à leurs lanceurs d’alerte ? Vous semblez nier que l’Ouest avait fait la promesse aux Russes de ne pas intégrer les anciens pays de l’Union soviétique à l’OTAN, celle-ci devant être une alliance défensive et non offensive. Or depuis 1996, l’OTAN poursuit une politique systématique d’encerclement de la Russie en multipliant notamment les manœuvres militaires provocatrices dans les pays baltes et en Pologne. Vous l’approuvez, semble-t-il, en approuvant l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Partagez-vous le souhait porté cependant par beaucoup d’observateurs d’un meilleur dialogue avec la Russie, une relation stable avec elle étant la meilleure garantie de la paix ? Pour terminer, vous connaissez mon point de vue sur l’OTAN – je suis sans doute très isolé dans cette commission – qui est selon moi l’instrument des États-Unis et de ses lobbies militaro-industriels qui imposent l’achat de leurs armes et équipements aux membres de l’OTAN, bloquant l’autonomie stratégique européenne avec, notamment, sa réglementation sur le trafic d’armes international (International Traffic in Arms Regulations, ITAR). Je termine en citant cette fois Victor Hugo : « La guerre, c’est la guerre des hommes. La paix, c’est la guerre des idées. » N’êtes-vous pas d’accord qu’il est temps d’ouvrir en France un vrai débat, un large débat, sur ce que doit être une politique de défense et de sûreté assurant la liberté et l’indépendance des peuples dans une Europe de la paix et de la sécurité collective, et donc, selon moi, libérée de l’OTAN ?

M. Loïc Kervran. Je salue le travail des rapporteurs et aussi, la contribution du groupe Agir ensemble, singulièrement aujourd’hui, puisque cet après-midi nous entendrons le rapport de notre collègue Thomas Gassilloud sur la résilience, ainsi que, comme député du Cher, les aviateurs de la base d’Avord qui, avec les AWACS, contribuent aux missions de réassurance dont vous avez parlé. Il y a eu beaucoup de citations, celles de notre excellent collègue Charles de la Verpillière, celles de l’orateur du groupe précédent, et moi je vais citer un écrivain ukrainien de langue russe, Andreï Kourkov, qui, dans un roman paru récemment, Les Abeilles grises, disait ceci : « tous les bruits discrets qui ne suscitent pas d’agacement, ni ne font se retourner, deviennent au bout du compte des éléments du silence. Il en était ainsi autrefois du silence de la paix. » Malheureusement, maintenant, c’est le bruit de la guerre qui surgit. Ce sera sans doute celui des canons mais aussi celui, plus discret, de cette guerre hybride – vous avez parlé des migrants, de l’énergie. Mais je crois que le cyber sera aussi un enjeu de défense important dans ce conflit. Pouvez-vous nous faire quelques commentaires sur cet enjeu crucial à mon sens ?

M. Stéphane Trompille. Vous avez évoqué la participation de la France à la protection de la Roumanie. Il y a environ 4 000 soldats sur place et les États-Unis souhaiteraient une augmentation d’environ mille soldats. Qu’en est-il de notre présence sur place et que pouvons-nous envisager comme augmentation ?

Mme Monica Michel. Nous voyons comment la disparition progressive des zones tampon entre le pôle occidental et celui de la Russie exacerbe les tensions en Europe de l’Est où nous devons tout faire pour qu’une solution diplomatique soit trouvée. Le président du Conseil européen faisait part récemment d’une supposée vertu unificatrice de ces tensions du point de vue de l’OTAN, saluant « un sursaut de force et d’unité qui nous a amenés à agir ensemble avec une qualité de coopération que l’on n’avait pas vue depuis de nombreuses années ». Partagez-vous cet avis ? Selon vous, l’OTAN sortira-t-elle vraiment renforcée de cette crise ?

Mme Françoise Ballet-Blu. Ma question est conjointe avec ma voisine Sereine Mauborgne qui doit partir dans quelques minutes. Je fais le porte-parole ! La population ukrainienne semble s’inquiéter de la présence de troupes tchétchènes massée à la frontière par Poutine. Quelle vision avez-vous du rempart contre l’islamisme dont parle le président Poutine ?

M. Gwendal Rouillard. Pour prolonger les interrogations de notre collègue Philippe Meyer, pouvez-vous nous faire part de vos analyses, de vos constats et réflexions sur le positionnement de la Finlande et de la Suède ?

M. Jean-Michel Jacques. Dans ce conflit, l’information et la désinformation jouent un rôle important. Comme le dit le chef d’état-major des armées, maintenant, la guerre se fait « avant la guerre ». Gagner les cœurs et les esprits à travers la sphère informationnelle est un enjeu important. Quel regard portez-vous sur cette nécessité pour les pays européens de pouvoir émettre leur propre vision des choses ? La nature ayant horreur du vide, les Européens ne laissent-ils pas le champ libre à certaines perceptions ?

M. Jean-Charles Larsonneur. Je vais d’abord répondre à notre collègue Jacques Marilossian sur les nuances entre les pays de l’Est de l’Europe, et leur vision de l’OTAN et de la PSDC. J’ai coutume de dire et de répéter qu’il n’y a pas de petits pays en Europe. Il n’y a pas de petits alliés. Parfois, on l’oublie un peu. Il est pour moi essentiel de cultiver nos relations avec ces pays, qui ont leur sensibilité, afin de les entraîner dans une dynamique positive. Il faut leur donner confiance, au fond. Cela n’a pas toujours été le cas. Très modestement, les déplacements que nous avons faits y contribuent, afin de mieux nous comprendre et de mieux nous connaître. Nous n’avons pas vu d’hostilité de principe à la PSDC, et même une forme d’adhésion, si ce n’est d’enthousiasme, à l’égard de l’exercice de la boussole stratégique. Les pays baltes participent activement à la PSDC, à la CSP au travers de nombreux projets, à la task force Takuba et à l’EUTM Mali ; l’Estonie, singulièrement. La crainte exprimée est celle d’une duplication entre les initiatives de l’Union européenne et celles de l’OTAN. Il me semble qu’il faut insister sur la complémentarité totale entre le renforcement d’un pilier européen de l’OTAN et ce que nous pouvons faire au niveau de l’Union européenne. D’ailleurs, l’un ne peut pas aller sans l’autre. Si nous voulons que ces pays participent avec enthousiasme et motivation à l’exercice de la boussole stratégique et dans les missions de l’Union européenne, il faut aussi que nous donnions un certain nombre de gages sur notre volonté de nous impliquer au sein de l’OTAN. Et c’est ce que nous faisons ! La crise actuelle nous y amène. Quand nous sommes présents au travers de la mission Lynx en Estonie, quand nous renforçons très significativement notre présence en Roumanie, nous rassurons ces pays, nous leur donnons confiance et nous leur donnons aussi envie d’Europe.

M. Charles de la Verpillière. Je vais répondre à notre collègue Philippe Meyer ainsi qu’à d’autres points soulevés par plusieurs collègues et notamment le président Chassaigne. Notre collègue Philippe Meyer nous a demandé ce que les pays baltes attendaient de l’OTAN ou de l’Union européenne et s’ils se sentaient menacés. Oui, les pays baltes se sentent menacés. Ils sont en première ligne, si je puis dire. Ils mettent surtout leur confiance dans l’OTAN. Je ne peux que constater – même si cela ne me réjouit pas particulièrement – que l’affirmation selon laquelle l’OTAN était en « état de mort cérébrale » s’est révélée fausse. Au contraire, cette crise a remis en selle l’OTAN – que cela nous réjouisse ou pas. C’est un constat : l’OTAN en sort renforcée.

M. André Chassaigne. Malheureusement !

M. Charles de la Verpillière. Peut-être ! Mais c’est certain. Cela ne veut pas dire qu’il faut faire preuve de naïveté. Le président Chassaigne a raison de dire que l’OTAN, ce sont d’abord les États-Unis. Néanmoins, cela veut dire pas qu’il faille faire preuve de naïveté. Le Président Chassaigne a raison de dire que l’OTAN c’est d’abord les États-Unis. Les États-Unis sont évidemment un grand allié pour l’Europe mais ils poursuivent aussi des objectifs qui sont les leurs, notamment en termes de ventes d’armements. Comment pourrait-on leur en vouloir ? Il faut avoir d’autres moyens de développer notre industrie d’armement et d’en faire valoir sa qualité. Par ailleurs, les États-Unis en parlant de l’OTAN, ne perdent jamais de vue leur propre stratégie, qui est désormais plutôt orientée vers la Chine. Cela peut expliquer un comportement parfois plus accommodant que ce que l’on souhaiterait par rapport à ce qui arrive en Europe. Il s’agit d’un constat face auquel il ne faut pas faire preuve de naïveté.

M. Jean-Charles Larsonneur, co-rapporteur. En réponse à Monsieur Blanchet, oui, l’information selon laquelle la Russie envahirait l’Ukraine en février circulait. Elle nous a été donnée lors de nos échanges en Estonie, mais également en Pologne. Elle a été reprise dans la presse et partagée par un certain nombre d’alliés. Les autorités françaises en avaient bien sûr connaissance. Au-delà de cette circulation de l’information, son usage illustre une communication assez nouvelle autour des plans d’invasions russes. Au fond, et pour répondre à la question de Monsieur Jacques, c’est la situation inverse de celle qui a prévalu en Crimée ou dans le Donbass en 2014. En effet, la Russie a annoncé ses plans à travers un certain nombre de discours et de prises de positions. Le camp occidental a quant à lui adopté dans un premier temps un plan de désescalade, dans le cadre duquel la France est sûrement le principal représentant et dont les efforts diplomatiques ont permis de gagner du temps. Puis dans un second temps, une communication assez étonnante du Royaume-Uni et des États-Unis consistant à révéler les plans russes avant leur mise en œuvre. Il semble que cela ait permis de retarder l’invasion. Il s’agit donc d’une nouvelle stratégie de l’information et de guerre de communication, qui s’oriente davantage vers une communication consistant à confronter les visions afin de contrecarrer les projets de l’adversaire.

S’agissant de la crise migratoire orchestrée par la Biélorussie, il s’agit évidemment d’une nouvelle forme de guerre hybride, qui peut se reproduire. Je rappelle que la Turquie, dans une logique relevant davantage du chantage, a également utilisé l’arme migratoire en 2015. La guerre hybride fait désormais partie des moyens utilisés par des pays n’ayant pas les mêmes vues que les nôtres.

Quelle force de résistance doit-on proposer face à la stratégie de la baïonnette ? Nous avons désormais dépassé le stade de la dissuasion car les troupes russes sont actuellement dans le Donbass. Il nous a semblé, et nous l’avons établi clairement, que la France ne peut pas ne pas réagir à ce qui se déroule actuellement en Ukraine. La France peut fournir une assistance économique mais aussi une assistance militaire, à la fois en termes de formation et d’armement. Il faut poser ces questions sur la table. Ensuite, nous l’avons évoqué, nous renforçons actuellement la posture défensive de l’OTAN ; alliance strictement défensive. Ce que nous faisons en Estonie et en Roumanie avec le renforcement des effectifs présents, a un caractère dissuasif. Cela contribue et participe à la logique de coup d’arrêt face à d’éventuelles menées russes qui pourraient aller plus loin. Au fond, la France est au milieu du gué. Souhaite-t-on avoir une posture encore plus ferme pour stopper la baïonnette, sans quoi, le risque que la Russie choisisse de s’enfoncer plus loin et d’aller piquer ailleurs sera élevé ? Comme vous l’aurez compris, nous plaidons pour une posture de fermeté.

M. Charles de la Verpillière, co-rapporteur. Le Président Chassaigne s’est fait l’écho d’une information selon laquelle en 1997, l’OTAN se serait engagée à ce qu’il n’y ait plus d’élargissement et que l’Ukraine, qui n’est pas membre de l’OTAN, ne rejoigne pas l’Alliance. Cette information a circulé mais elle n’a pas de base juridique. Il n’y a aucun texte dans lequel l’OTAN, les États-Unis ou tous les États pouvant prendre un tel engagement juridique, le signifient. Il n’y a aucun texte juridique au sein duquel cet engagement aurait été pris.

Deuxièmement, nous avons parlé de la perspective d’un déploiement français dans le cadre de l’OTAN en Roumanie. Le président de la République a annoncé la disponibilité de la France pour déployer une présence avancée renforcée sur le modèle du dispositif qui existe en Estonie. Cependant, en Roumanie nous aurions un rôle plus éminent puisque nous serions nation-cadre. Si le projet voit le jour, il impliquera de déployer plusieurs centaines de militaires français, voire un millier. Les discussions sont en cours. Nous aurions là un rôle plus important que celui que nous avons en Estonie où nous sommes simplement intégrés dans un bataillon britannique, les Britanniques exerçant le rôle de nation-cadre. En Roumanie cela serait l’inverse.

M. Jean-Charles Larsonneur, co-rapporteur. En réponse à notre collègue Monsieur Favennec-Bécot, la boussole stratégique est un exercice ambitieux, qui peut être une chance si elle prend bien en compte les leçons de la crise et si elle articule correctement les questions concomitantes. D’ailleurs, il y a deux exercices parallèles entre l’UE et l’OTAN avec, d’une part, la boussole stratégique, et d’autre part, le concept stratégique de l’OTAN. Je pense qu’il s’agit d’un élément clé. Si l’on veut emmener avec nous nos partenaires, il faut que nous menions ces deux exercices ensemble, et de manière complémentaire afin de se renforcer mutuellement sur les deux volets.

S’agissant de la conférence de sécurité et du rôle de la France au regard de ladite conférence, la France a eu une action diplomatique extrêmement active. Elle doit rester à être à l’initiative et un fer de lance dans le jeu diplomatique, qui a joué son rôle et continuera certainement à le jouer dans les semaines à venir, même si la phase que nous voyons actuellement est plutôt une phase militaire, en particulier en vue du règlement du conflit. La France doit continuer à jouer son rôle et à être ferme face à la Russie qui, je le répète, a refusé la diplomatie, ou l’a pratiquée d’une manière totalement hypocrite. Les demandes posées par le président Vladimir Poutine à l’Occident étaient conçues pour ne pas pouvoir offrir de réponse acceptable. La France doit donc continuer à jouer son rôle.

En qui concerne les menaces de demain, rappelons tout de même que la menace est constituée principalement par l’activité de la Russie en Ukraine mais aussi dans d’autres zones, comme expliqué dans le rapport, comme la mer Noire, et demain, qui sait, dans des pays instables ou potentiellement instables tels que la Moldavie ou la Bosnie-Herzégovine. Il faut donc faire montre d’une grande vigilance car la menace peut s’étendre si nous ne mettons pas un coup d’arrêt suffisamment ferme.

Ensuite, pour répondre à la question de Loïc Kervran, d’abord, il convient de rappeler que la guerre cyber a lieu tous les jours en Ukraine. Les guerres hybrides prennent différentes formes : déstabilisation politique, guerre informationnelle ou encore déstabilisation liée à des crises migratoires. Il y a quelques partenaires privilégiés qui peuvent nous permettre de développer une expertise supplémentaire sur ces questions. Nous travaillons avec l’Ukraine mais je pense aussi à l’Estonie qui a été un partenaire extrêmement allant en matière de cybersécurité, et ce, pour des raisons évidentes car la menace russe est à ses frontières. L’Estonie a renforcé ses capacités dans le domaine du cyber depuis 2007. La relation bilatérale gagnerait à être renforcée dans ce domaine. D’ailleurs lors de nos auditions, l’idée d’un partenariat avec Saint-Cyr sur les questions cyber a été évoquée. Vous pourrez la retrouver dans le rapport.

M. Charles de la Verpillière, co-rapporteur. Pour répondre à notre collègue Monica Michel, s’agissant de la réaction des Européens, nous voyons que les réactions ont varié. Les États baltes sont évidemment en première ligne et ont fait front, de manière unanime. Ils se sont plutôt tournés vers l’OTAN. En revanche, pour l’Allemagne, comme l’a indiqué le Président Chassaigne, sa position est liée à sa dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie. L’Allemagne, à tort ou à raison, s’est privée de l’énergie nucléaire et dépend maintenant totalement du gaz, qui, en grande partie, provient de Russie. Sa dépendance a une influence logique sur sa position.

Par ailleurs, en effet, l’OTAN, qui n’est pas en état de mort cérébrale, sort renforcée de la crise. Elle est revenue sur le devant de la scène à la faveur de cette crise : c’est incontestable.

M. Jean-Charles Larsonneur, co-rapporteur. Pour répondre à Madame Ballet-Blu et à Madame Mauborgne, Vladimir Poutine a des postures et des positions à géométrie variable sur la question. Évidemment, si l’on écoute, Vladimir Poutine, la Russie dit lutter contre le terrorisme. On voit qu’elle l’utilise aussi comme prétexte quand il s’agit de justifier une politique parfois agressive ou certaines opérations militaire comme en Syrie. Mais peut-elle être considérée comme un rempart contre le terrorisme ? Je crois que ce n’est pas la vision de ses partenaires, ni non plus celle du camp occidental et de la France. Au contraire, en intervenant dans certaines crises, ou en les réglant à sa manière, la Russie a pu contribuer à l’expansion du terrorisme et de l’islamisme. On pourrait d’ailleurs élargir cette question à la question africaine. La présence du groupe Wagner en Afrique est-elle vraiment une garantie pérenne et efficace dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et l’islamisme ? Il est permis d’en douter, notamment au vu de l’expérience en République Centrafricaine.

S’agissant de la question de Monsieur Gwendal Rouillard sur la Suède et la Finlande, il est nécessaire que les opérations de Vladimir Poutine en Ukraine soient coûteuses, afin de la dissuader et de le stopper. Cela peut-être un coût politique, ou militaire si l’option militaire se dessinait de manière plus nette en Ukraine. Il nous semble que l’un des coûts politiques qui marquerait un coup d’arrêt à l’entreprise générale de Vladimir Poutine d’affaiblissement de l’OTAN serait que la conséquence de son action en Ukraine aboutisse à un renforcement significatif de l’Alliance ; non seulement par le développement de la posture à l’Est évoqué, de l’Estonie à la Roumanie, mais aussi, pourquoi pas, par l’adhésion de nouveaux partenaires. Quelle est la maturité de ces discussions en l’état ? Il y a un débat interne en Suède assez vif et, dans un degré moindre, en Finlande. Il s’agit évidemment de décisions souveraines de ces pays, qui ont une tradition historique de non-alignement, pour des raisons parfaitement compréhensibles liées au contexte de la Guerre froide. Tout va dépendre de l’évolution de la situation, mais la crise en Ukraine ne peut qu’inciter ces pays à réfléchir de plus en plus sérieusement à une telle adhésion à l’OTAN.

M. Charles de la Verpillière, co-rapporteur. Je souhaiterais revenir sur un sujet qui est sous-jacent à quasiment l’ensemble des questions posées : quel est l’interlocuteur que la Russie privilégie ? À qui le Président Poutine veut-il parler ? Ce n’est pas au Président Emmanuel Macron, ni à l’Union européenne, ni même à l’OTAN, mais c’est au Président Biden que le Président Poutine souhaite parler, pour deux raisons. La première raison est une question de prestige : parler au Président Biden signifie un retour au duopole diplomatique de la Guerre froide. Il y a aussi une raison de fond : le président Poutine peut penser, à tort ou à raison, que les États-Unis, qui ont une vision plus distanciée à l’égard de la Russie que les acteurs européens et qui sont davantage tournés vers la Chine, feront preuve de plus de souplesse.

M. Jean-Charles Larsonneur, co-rapporteur. S’agissant de la question de Monsieur Trompille sur la Roumanie, les prémisses d’une action de la France avec l’OTAN dans ce pays ont été posées dès 2017. L’idée sous-jacente était de couvrir l’ensemble du B9, des pays baltes jusqu’au flanc Sud-Est, dans un contexte où la mer Noire s’imposait comme un enjeu de plus en plus saillant. Dans le cadre de la crise actuelle, il s’agit de renforcer les relations bilatérales, déjà excellentes avec la Roumanie, aux côtés de l’OTAN. Des discussions sont en cours pour que la France devienne soit nation-cadre dans ce pays. Nous sommes en mesure de dégager des moyens et des effectifs supplémentaires, de l’ordre d’un millier, en raison de la réduction de nos effectifs en Afrique. Au regard des tensions en mer Noire, de nos excellentes relations avec la Roumanie, ainsi que de la situation difficile de pays frontaliers tels que la Moldavie – avec la Transnistrie qui pourrait être un des leviers utilisés demain par Vladimir Poutine pour déstabiliser la région – il nous semble nécessaire de poursuivre ce renforcement. Naturellement, il ne faut pas que celui-ci se fasse au détriment de notre présence dans les États baltes, mais qu’il soit complémentaire. Ce qui est envisagé aujourd’hui, c’est ainsi a minima de maintenir notre posture dans le cadre de la mission Lynx et de renforcer notre présence en Roumanie. Nous proposons en outre dans notre rapport un renforcement de notre présence en Estonie dans le cadre d’une posture permanente et non plus rotationnelle.

Pour répondre à la question de Monsieur Jacques relative aux enjeux informationnels, le premier point à souligner est que les Russes ont posé des exigences diplomatiques inacceptables de manière ouverte. Plus largement, dans le cadre de la crise actuelle, la nouveauté réside dans le caractère très ouvert de la communication, comme l’illustre le fait que le ministère de la défense britannique ait diffusé sur Twitter des plans très précis d’invasion de l’Ukraine. L’idée sous-jacente de cette politique informationnelle est que le meilleur moyen de lutter contre des plans annoncés d’invasion est d’assurer la publicité de ces derniers. Cette contre-communication a certainement contribué à retarder le calendrier prévu par les Russes. De la même manière que nos efforts diplomatiques et la mise en scène qui a été faite de ce dialogue diplomatique ont permis de gagner un peu de temps.

En outre, l’ensemble des pays de l’Est, de l’Estonie à l’Ukraine, font l’objet d’une guerre informationnelle perpétuelle, qui cherche à jouer sur les dissensions entre les minorités russophones et à instrumentaliser les initiatives d’actions agressives. Il nous faudra être très vigilant sur ces questions relatives aux origines des agressions, car le jeu du blame game ne fait que commencer et la mauvaise foi de la Russie à ce titre sur ces questions est totale. La question de l’attribution des actions peut ainsi se poser en cas de bombardement d’un hôpital, d’une cyberattaque ou encore d’attaques chimiques. Sur ce dernier aspect, il est intéressant de relever que les médias russes accusent depuis plusieurs mois l’Ukraine de développer des capacités chimiques et même, plus récemment, un arsenal nucléaire ; et ce alors que l’emploi récent d’armes chimiques par les Russes est avéré et qu’il n’est pas du tout avéré que les Ukrainiens aient cette capacité. Quant à la capacité des Ukrainiens de disposer d’armes nucléaires tactiques opérationnelles, elle est évidemment plus que douteuse. Cela fait donc partie d’une guerre informationnelle, qui cherche à inverser la position de l’agresseur et de l’agressé. Notre devoir est de lutter contre cette désinformation et de contribuer à rétablir la vérité.

M. André Chassaigne. Ne pensez-vous pas que le renforcement des relations militaires avec la Roumanie est en réalité une conséquence d’un accord implicite sur le fait que l’Ukraine ne rentrera pas dans l’OTAN, ce qui impose la nécessité de renforcer militairement les pays tampons ?

M. Jean-Charles Larsonneur, co-rapporteur. Il n’a échappé à personne que l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN n’est pas à l’ordre du jour de l’agenda diplomatique de la plupart des parties prenantes. Je pense cependant que les deux éléments que vous évoquez sont disjoints et qu’il ne faut pas considérer le renforcement des relations militaires avec la Roumanie comme le fruit d’un compromis qui serait déjà arrêté concernant l’Ukraine. En revanche, il s’agit certainement de construire avec les pays qui sont aujourd’hui dans l’OTAN un rempart, dans le cadre d’une alliance strictement défensive. Les forces positionnées de l’OTAN n’ont pas vocation à « défendre » un territoire au sens opérationnel du terme, même si la VJTF (Very High Readiness Joint Task Force), avec ses 1 500 hommes, peut se déplacer d’un point chaud vers un autre. L’enjeu n’est pas de défendre en tant que tel un territoire, mais de signifier que si vous attaquez un pays de l’Alliance, vous attaquez tous les membres de l’Alliance : c’est ce qu’on fait en Estonie, en Lituanie, en Lettonie, en Pologne, ainsi qu’en Roumanie. Il y a par ailleurs bien sûr d’autres enjeux, en termes de renseignement, de positionnement de capteurs et de présence.

M. Charles de la Verpillière, co-rapporteur. Pour répondre à la question du Président André Chassaigne sur l’éventualité d’une adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, il faut savoir qu’il y a une règle qui figure dans l’étude sur l’élargissement de l’OTAN de 1995, aux termes de laquelle on n’intègre pas un État qui est menacé ou en conflit. Pour rentrer à l’hôpital, il faut donc être en bonne santé.

M. Jean-Charles Larsonneur, co-rapporteur. De ce point de vue, la stratégie de Vladimir Poutine de mise sous pression de l’Ukraine et d’invasion est le meilleur moyen de garantir de facto que l’Ukraine ne rentrera jamais dans l’OTAN, à tout le moins si nous ne changeons pas nos règles. C’est la raison pour laquelle nous interrogerons dans le rapport la pertinence du maintien d’une telle règle.

Mme la Présidente Françoise Dumas. Merci mes chers collègues pour cet excellent travail, réalisé dans des conditions qui n’étaient pas faciles et qui nous éclaire sur ce contexte si particulier de la crise en Ukraine.

La commission de la défense nationale et des forces armées autorise à l’unanimité le dépôt du rapport d’information sur les enjeux géopolitiques et de défense en Europe de l’Est en vue de sa publication.

 

 


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   Annexe 1 :

Auditions et déplacements de la mission d’information

(Par ordre chronologique)

 

1.   Auditions

M. le colonel Romain Canepa, chargé d’anticipation et de synthèse pour la zone Europe au sein du centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) de l’état-major des armées (EMA) ;

M. Pierre Lévy, ambassadeur de France en Russie ;

M. Frédéric Billet, ambassadeur de France en Pologne, et M. le colonel Jérôme Mallard, attaché de défense ;

M. Guillaume Ollagnier, chef du bureau Europe, Amérique du Nord, Action multilatérale au sein de la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS), et Mme Marianne Paire, chargée de mission pays baltes / Takuba au sein de la DGRIS ;

M. le colonel Sébastien Delporte, adjoint au délégué pour les relations extérieures de l’armée de l’Air et de l’Espace (AAE) et chef du bureau relations extérieures de l’état-major de l’AAE (EMAAE), et M. le lieutenant-colonel Joan Dussourd, officier au sein du commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA), ancien chef du détachement enhanced Air Policing (eAP) en Estonie en 2020 ;

Mme Aurélie Royet-Gounin, ambassadrice de France en Lettonie, et M. le lieutenant-colonel Frédéric Lemoine, attaché de défense non-résident ;

Mme Alix Everard, ambassadrice de France en Lituanie, et M. le lieutenant-colonel Frédéric Lemoine, attaché de défense ;

M. Etienne de Poncins, ambassadeur de France en Ukraine, et Mme le colonel Andrée Evrard, attachée de défense ;

M. Nicolas de Bouillane de Lacoste, envoyé spécial pour la Biélorussie, et Mme le colonel Andrée Evrard, attachée de défense non-résidente ;

M. le vice-amiral d’escadre Hervé Bléjean, directeur général de l’état-major de l’Union européenne (EMUE) ;

Un représentant de la Direction du renseignement militaire (DRM) ;

M. Thomas Gomart, directeur de l’Institut français des relations internationales (Ifri), et M. Élie Tenenbaum, directeur du centre des études de sécurité de l’Ifri ;

M. le général Denis Mistral, sous-chef des opérations aéroterrestres (SCOAT) au sein de l’armée de Terre, et M. le général de brigade Geoffroy de Larouzière, officier général, chef du pôle relations internationales de l’état-major de l’armée de Terre (EMAT) ;

Mme Laurence Auer, ambassadrice de France en Roumanie, et M. le colonel Daniel Parpaillon, attaché de défense ;

Son Excellence Monsieur Luca Niculescu, ambassadeur de Roumanie en France.

2.   Déplacements

Déplacement en Estonie (du 21 au 23 novembre 2021) ;

M. Éric Lamouroux, ambassadeur de France à Tallinn ;

M. Enn Eesmaa, président de la commission de la Défense du Parlement estonien, M. Marko Mihkelson, président de la commission des Affaires étrangères du Parlement estonien, M. Leo Kunnas, vice-président de la commission de la Défense, M. Eerik-Niiles Kross et Mme Mailis Reps, membres de la commission des Affaires étrangères ;

M. le colonel Éric Mauger, chef de la mission Lynx à Tapa ;

M. Kalle Laanet, ministre estonien chargé de la Défense.

Déplacement en Pologne (du 24 au 25 janvier 2022)

M. Frédéric Billet, ambassadeur de France à Varsovie, M. le colonel Jérôme Mallard, attaché de défense, et Mme Anna Cherner-Drieux, conseillère politique ;

M. Marcin Kazmierski, directeur des analyses stratégiques au bureau de la sécurité nationale du Président polonais ;

M. Piotr Pacholski, directeur de la politique de défense au ministère de la Défense polonais ;

Mme Lucyna Golc-Kozak, directrice adjointe de la politique de sécurité et de défense du ministère polonais des Affaires étrangères, M. Marek Kret, chef de l’unité OTAN, et Mme Maryla Otachel, cheffe de l’unité PSDC ;

M. Cezary Gragarczyk, président de la sous-commission permanente OTAN et membre de la commission de la Défense de la Diète, M. Przemyslaw Czarnecki, vice-président de la commission des Affaires étrangères de la Diète, et M. Wladyslaw Bartoszewski, membre de la commission des Affaires étrangères de la Diète ;

Mme Anaïs Marin, chercheuse au centre de civilisation francophone à l’université de Varsovie, spécialiste de la Biélorussie ;

Mme Beata Gorka-Winter, experte en sécurité à l’université de Varsovie, et M. Marek Swierczynski, responsable du bureau sécurité du think tank Polityka Insight ;

M. Marcin Bosacki, vice-président de la commission des Affaires étrangères et membre de la commission de la Défense du Sénat polonais, et M. Tomasz Orlowski, conseiller auprès de la commission de la Défense du Sénat, ancien ambassadeur de Pologne au Canada.

 


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   Annexe 2 : Traité de l’Atlantique Nord

 

Les États parties au présent Traité, réaffirmant leur foi dans les buts et les principes de la Charte des Nations Unies et leur désir de vivre en paix avec tous les peuples et tous les gouvernements.

Déterminés à sauvegarder la liberté de leurs peuples, leur héritage commun et leur civilisation, fondés sur les principes de la démocratie, les libertés individuelles et le règne du droit.

Soucieux de favoriser dans la région de l'Atlantique Nord le bien-être et la stabilité. Résolus à unir leurs efforts pour leur défense collective et pour la préservation de la paix et de la sécurité. Se sont mis d'accord sur le présent Traité de l'Atlantique Nord :

Article 1

Les parties s'engagent, ainsi qu'il est stipulé dans la Charte des Nations Unies, à régler par des moyens pacifiques tous différends internationaux dans lesquels elles pourraient être impliquées, de telle manière que la paix et la sécurité internationales, ainsi que la justice, ne soient pas mises en danger, et à s'abstenir dans leurs relations internationales de recourir à la menace ou à l'emploi de la force de toute manière incompatible avec les buts des Nations Unies.

Article 2

Les parties contribueront au développement de relations internationales pacifiques et amicales en renforçant leurs libres institutions, en assurant une meilleure compréhension des principes sur lesquels ces institutions sont fondées et en développant les conditions propres à assurer la stabilité et le bien-être. Elles s'efforceront d'éliminer toute opposition dans leurs politiques économiques internationales et encourageront la collaboration économique entre chacune d'entre elles ou entre toutes.

Article 3

Afin d'assurer de façon plus efficace la réalisation des buts du présent Traité, les parties, agissant individuellement et conjointement, d'une manière continue et effective, par le développement de leurs propres moyens et en se prêtant mutuellement assistance, maintiendront et accroîtront leur capacité individuelle et collective de résistance à une attaque armée.


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Article 4

Les parties se consulteront chaque fois que, de l'avis de l'une d'elles, l'intégrité territoriale, l'indépendance politique ou la sécurité de l'une des parties sera menacée.

Article 5

Les parties conviennent qu'une attaque armée contre l'une ou plusieurs d'entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d'elles, dans l'exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l'article 51 de la Charte des Nations Unies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d'accord avec les autres parties, telle action qu'elle jugera nécessaire, y compris l'emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l'Atlantique Nord.

Toute attaque armée de cette nature et toute mesure prise en conséquence seront immédiatement portées à la connaissance du Conseil de Sécurité. Ces mesures prendront fin quand le Conseil de Sécurité aura pris les mesures nécessaires pour rétablir et maintenir la paix et la sécurité internationales.

Article 6

Pour l'application de l'article 5, est considérée comme une attaque armée contre une ou plusieurs des parties, une attaque armée :

– contre le territoire de l'une d'elles en Europe ou en Amérique du Nord, contre les départements français d'Algérie, contre le territoire de la Turquie ou contre les îles placées sous la juridiction de l'une des parties dans la région de l'Atlantique Nord au nord du Tropique du Cancer ;

– contre les forces, navires ou aéronefs de l'une des parties se trouvant sur ces territoires ainsi qu'en toute autre région de l'Europe dans laquelle les forces d'occupation de l'une des parties étaient stationnées à la date à laquelle le Traité est entré en vigueur, ou se trouvant sur la mer Méditerranée ou dans la région de l'Atlantique Nord au nord du Tropique du Cancer, ou au-dessus de ceux-ci.

Article 7

Le présent Traité n'affecte pas et ne sera pas interprété comme affectant en aucune façon les droits et obligations découlant de la Charte pour les parties qui sont membres des Nations Unies ou la responsabilité primordiale du Conseil de Sécurité dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales.

 


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Article 8

Chacune des parties déclare qu'aucun des engagements internationaux actuellement en vigueur entre États n'est en contradiction avec les dispositions du présent Traité et assume l'obligation de ne souscrire aucun engagement international en contradiction avec le Traité.

Article 9

Les parties établissent par la présente disposition un Conseil, auquel chacune d'elle sera représentée pour examiner les questions relatives à l'application du Traité. Le Conseil sera organisé de façon à pouvoir se réunir rapidement et à tout moment. Il constituera les organismes subsidiaires qui pourraient être nécessaires; en particulier, il établira immédiatement un comité de défense qui recommandera les mesures à prendre pour l'application des articles 3 et 5.

Article 10

Les parties peuvent, par accord unanime, inviter à accéder au Traité tout autre État européen susceptible de favoriser le développement des principes du présent Traité et de contribuer à la sécurité de la région de l'Atlantique Nord. Tout État ainsi invité peut devenir partie au Traité en déposant son instrument d'accession auprès du gouvernement des États-Unis d'Amérique. Celui-ci informera chacune des parties du dépôt de chaque instrument d'accession.

Article 11

Ce Traité sera ratifié et ses dispositions seront appliquées par les parties conformément à leurs règles constitutionnelles respectives. Les instruments de ratification seront déposés aussitôt que possible auprès du gouvernement des États-Unis d'Amérique, qui informera tous les autres signataires du dépôt de chaque instrument de ratification. Le Traité entrera en vigueur entre les États qui l'ont ratifié dès que les ratifications de la majorité des signataires, y compris celles de la Belgique, du Canada, des États-Unis, de la France, du Luxembourg, des Pays-Bas et du Royaume-Uni, auront été déposées et entrera en application à l'égard des autres signataires le jour du dépôt de leur ratification.

Article 12

Après que le Traité aura été en vigueur pendant dix ans ou à toute date ultérieure, les parties se consulteront à la demande de l'une d'elles, en vue de réviser le Traité, en prenant en considération les facteurs affectant à ce moment la paix et la sécurité dans la région de l'Atlantique Nord, y compris le développement des arrangements tant universels que régionaux conclus conformément à la Charte des Nations Unies pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales.


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Article 13

Après que le Traité aura été en vigueur pendant vingt ans, toute partie pourra mettre fin au Traité en ce qui la concerne un an après avoir avisé de sa dénonciation le gouvernement des États-Unis d'Amérique, qui informera les gouvernements des autres parties du dépôt de chaque instrument de dénonciation.

Article 14

Ce Traité, dont les textes français et anglais font également foi, sera déposé dans les archives du gouvernement des États-Unis d'Amérique. Des copies certifiées conformes seront transmises par celui-ci aux gouvernements des autres États signataires.

La définition des territoires auxquels l'article 5 s'applique a été modifiée par l'article 2 du Protocole d'accession au Traité de l'Atlantique Nord de la Grèce et de la Turquie, signé le 22 octobre 1951

Le 16 janvier 1963, le Conseil de l'Atlantique Nord a noté que, s'agissant des anciens départements français d'Algérie, les clauses pertinentes du Traité étaient devenues inapplicables à la date du 3 juillet 1962.

Le Traité est entré en vigueur le 24 août 1949, après le dépôt des instruments de ratification de tous les États signataires.

 


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   Annexe 3 :

Mémorandum sur les garanties de sécurité en relation avec l'adhésion de l'Ukraine au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, à Budapest, le 5 décembre 1994

 

Les États-Unis d'Amérique, la Fédération de Russie et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord,

Se félicitant de l'adhésion de l'Ukraine au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires en tant qu'État non doté d'armes nucléaires,

Tenant compte de l'engagement pris par l'Ukraine d'éliminer toutes les armes nucléaires de son territoire dans un délai déterminé,

Notant les changements intervenus dans la situation mondiale en matière de sécurité, y compris la fin de la guerre froide, qui ont créé des conditions propices à de profondes réductions des forces nucléaires.

Confirment ce qui suit :

1. Les États-Unis d'Amérique, la Fédération de Russie et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord réaffirment leur engagement envers l'Ukraine, conformément aux principes de l'Acte final de la CSCE, à respecter l'indépendance et la souveraineté de l'Ukraine ainsi que ses frontières existantes.

2. Les États-Unis d'Amérique, la Fédération de Russie et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord réaffirment leur obligation de s'abstenir de recourir à la menace ou à l'emploi de la force contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de l'Ukraine, et qu'aucune de leurs armes ne sera jamais utilisée contre l'Ukraine, sauf en cas de légitime défense ou autrement, conformément à la Charte des Nations Unies.

3. Les États-Unis d'Amérique, la Fédération de Russie et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord réaffirment leur engagement envers l'Ukraine, conformément aux principes de l'Acte final de la CSCE, à s'abstenir de toute coercition économique visant à subordonner à leur propre intérêt l'exercice par l'Ukraine des droits inhérents à sa souveraineté et à s'assurer ainsi des avantages de quelque nature que ce soit.

4. Les États-Unis d'Amérique, la Fédération de Russie et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord réaffirment leur engagement à demander au Conseil de sécurité des Nations Unies d'agir immédiatement pour fournir une assistance à l'Ukraine, en tant qu'État non doté d'armes nucléaires et partie au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, si l'Ukraine devait être victime d'un acte d'agression ou faire l'objet d'une menace d'agression dans laquelle des armes nucléaires sont utilisées.

5. Les États-Unis d'Amérique, la Fédération de Russie et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord réaffirment, dans le cas de l'Ukraine, leur engagement à ne pas utiliser d'armes nucléaires contre un État non doté d'armes nucléaires qui est Partie au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, sauf en cas d'attaque contre eux-mêmes, leurs territoires ou territoires dépendants, leurs forces armées ou leurs alliés, par un tel État en association ou en alliance avec un État doté d'armes nucléaires.

6. Les États-Unis d'Amérique, la Fédération de Russie et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord se consulteront dans le cas où une situation soulevant une question concernant ces engagements se présenterait.

Le présent mémorandum deviendra applicable dès sa signature.

Signé en quatre exemplaires ayant la même validité dans les langues anglaise, russe et ukrainienne.

 


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   Annexe 4 :

Étude sur l’élargissement de l’OTAN du 3 septembre 1995

 

Chapitre 1 : Objectifs et principes de l'élargissement

A. Pourquoi l'OTAN s'élargira-t-elle ? / Buts de l'élargissement

La fin de la guerre froide offre une occasion unique d'édifier une meilleure architecture de sécurité dans l'ensemble de la zone euro-atlantique. L'objectif est d'assurer pour tous une plus grande stabilité et une plus grande sécurité dans la zone euro-atlantique, sans recréer des lignes de division. L'OTAN considère la sécurité comme un large concept englobant des éléments politiques et économiques, ainsi que des éléments relatifs à la défense. C'est sur ce large concept que doit reposer la nouvelle architecture de sécurité, qui doit être mise en place grâce à un processus graduel d'intégration et de coopération résultant d'une interaction des institutions multilatérales existant en Europe, telles que l'Union européenne, l'UEO et l'OSCE, qui auraient chacune un rôle à jouer, selon leurs responsabilités et leurs vocations respectives, dans la mise en application de ce large concept de sécurité. Dans ce processus, qui est déjà bien engagé, l'Alliance a joué et jouera un rôle fort, actif et essentiel, étant l'une des pierres angulaires de la stabilité et de la sécurité en Europe. L'OTAN reste une alliance purement défensive dont le but fondamental est de préserver la paix dans la zone euro-atlantique et d'assurer la sécurité de ses membres.

Lorsque l'OTAN invitera d'autres pays européens à entrer dans l'Alliance, ainsi qu'il est prévu à l'article 10 du Traité de Washington et comme cela a été réaffirmé au Sommet de Bruxelles de janvier 1994, il s'agira là d'un nouveau pas en direction de l'objectif fondamental de l'Alliance qui est d'étendre la sécurité et la stabilité à toute la zone euro-atlantique, dans le contexte d'une vaste architecture de sécurité européenne. L'élargissement de l'OTAN étendra à de nouveaux membres les bénéfices de la défense commune et de l'intégration dans les institutions européennes et euro-atlantiques. Les bénéfices de la défense commune et de cette intégration sont importants, s'agissant de protéger la poursuite de l'évolution démocratique des nouveaux membres. En intégrant d'autres pays dans la communauté de valeurs et dans les institutions existantes, conformément aux objectifs du Traité de Washington et de la Déclaration de Londres, l'élargissement de l'OTAN permettra de préserver la liberté et la sécurité de tous les pays membres suivant les principes exposés dans la Charte des Nations Unies. Atteindre les objectifs de sécurité fondamentaux de l'OTAN et faciliter l'intégration de nouveaux membres dans les institutions européennes et euro-atlantiques sont donc des objectifs complémentaires du processus d'élargissement, conformes au concept stratégique de l'Alliance.

En conséquence, l'élargissement contribuera à accroître la stabilité et la sécurité de tous les pays de la zone euro-atlantique en permettant :

– d'encourager et de soutenir les réformes démocratiques, y compris le contrôle civil et démocratique des forces armées ;

– de favoriser, dans les nouveaux pays membres de l'Alliance, les modes et habitudes de coopération, de consultation et de recherche de consensus qui caractérisent les relations entre les Alliés actuels ;

– de promouvoir les relations de bon voisinage, ce qui profiterait à tous les pays de la zone euro-atlantique, qu'ils soient ou non membres de l'OTAN ;

– de mettre l'accent sur la défense commune et d'en étendre les bénéfices, et d'accroître la transparence des plans de défense et des budgets militaires, en réduisant ainsi les risques d'instabilité que pourrait engendrer une approche exclusivement nationale des politiques de défense ;

– de renforcer la tendance à l'intégration et à la coopération en Europe sur la base de valeurs démocratiques communes et ainsi de freiner la tendance inverse à la désintégration selon des axes ethniques et territoriaux ;

– d'accroître la capacité de l'Alliance de contribuer à la sécurité européenne et internationale, y compris dans le cadre d'activités de maintien de la paix menées sous la responsabilité de l'OSCE et d'opérations de maintien de la paix placées sous l'autorité du Conseil de sécurité des Nations Unies, ainsi qu'à la faveur d'autres missions nouvelles ;

– de consolider et d'élargir le partenariat transatlantique.

B. Principes de l'élargissement

L'élargissement de l'Alliance se fera par l'accession de nouveaux États membres au Traité de Washington. L'élargissement doit obéir aux principes suivants :

– être conforme et favorable aux buts et principes de la Charte des Nations Unies, ainsi qu'à la sauvegarde de la liberté, de l'héritage commun et de la civilisation - fondés sur les principes de la démocratie, des libertés individuelles et du règne du droit - de tous les membres de l'Alliance et de leurs peuples. Les nouveaux membres devront se conformer à ces principes fondamentaux ;

– être strictement conforme à l'article 10 du Traité de Washington, où il est stipulé que « les parties peuvent, par accord unanime, inviter à accéder au Traité tout autre État européen susceptible de favoriser le développement des principes du présent Traité et de contribuer à la sécurité de la région de l'Atlantique Nord... » ;

– impliquer que les nouveaux membres, en adhérant, jouiront de tous les droits et assumeront toutes les obligations que comporte l'appartenance à l'Alliance aux termes du Traité de Washington et accepteront et observeront les principes, politiques et procédures déjà adoptés par tous les membres de l'Alliance au moment de cette adhésion ;

– renforcer l'efficacité et la cohésion de l'Alliance, et préserver la capacité politique et militaire de l'Alliance de remplir ses fonctions essentielles de défense commune, ainsi que d'entreprendre des missions de maintien de la paix et d'autres missions nouvelles ;

– s'inscrire dans le cadre d'une vaste architecture de sécurité européenne fondée sur une coopération véritable et englobant l'ensemble de l'Europe. L'élargissement ne menacera personne et accroîtra la stabilité et la sécurité pour toute l'Europe ;

– tenir compte du rôle important que le PfP continue de jouer, s'agissant à la fois de contribuer à préparer les Partenaires intéressés – grâce à leur participation aux activités du PfP – aux avantages et aux responsabilités qu'entraînerait une future adhésion et d'affermir les relations avec les pays partenaires qui pourraient être peu susceptibles d'adhérer prochainement ou ultérieurement à l'Alliance. La participation active au Partenariat pour la paix jouera un rôle important dans le processus évolutif d'élargissement de l'OTAN ;

– venir en complément de l'élargissement de l'Union européenne, processus parallèle qui, pour sa part, contribue également de façon significative à étendre la sécurité et la stabilité aux nouvelles démocraties, à l'est.

Les nouveaux membres, au moment de leur accession, doivent s'engager, comme le font tous les Alliés actuels en vertu du Traité de Washington, à :

– unir leurs efforts pour la défense collective et pour la préservation de la paix et de la sécurité, régler par des moyens pacifiques tous différends internationaux dans lesquels ils pourraient être impliqués, de telle manière que la paix et la sécurité internationales, ainsi que la justice, ne soient pas mises en danger, et s'abstenir dans leurs relations internationales de recourir à la menace ou à l'emploi de la force de toute manière incompatible avec les buts des Nations Unies ;

– contribuer au développement de relations internationales pacifiques et amicales en renforçant leurs libres institutions, en assurant une meilleure compréhension des principes sur lesquels ces institutions sont fondées et en développant les conditions propres à assurer la stabilité et le bien-être ;

– maintenir l'efficacité de l'Alliance en partageant les rôles, les risques, les responsabilités, les coûts et les avantages qu'implique la poursuite de buts et d'objectifs communs en matière de sécurité.

Les États en proie à des querelles ethniques ou ayant des litiges territoriaux d'ordre externe, y compris des revendications irrédentistes, ou des litiges juridictionnels d'ordre interne, doivent s'employer à régler ces différends par des moyens pacifiques conformément aux principes de l'OSCE. Le règlement de tels différends serait un facteur entrant en ligne de compte dans la décision d'inviter un État à devenir membre de l'Alliance.

Il appartiendra à l'OTAN de décider elle-même de son élargissement. Celui-ci se déroulera suivant un processus graduel, actif et transparent, incluant un dialogue avec toutes les parties intéressées. Il n'y a pas de liste fixe ou rigide de critères sur la base desquels inviter de nouveaux États à devenir membres de l'Alliance. La décision sera prise au cas par cas et certains pays pourront accéder au statut de membre de l'Alliance avant d'autres. La décision d'admettre ou de ne pas admettre de nouveaux membres ne doit pas être prise sur la base de leur appartenance à un certain groupe ou une certaine catégorie. Au bout du compte, les Alliés décideront par consensus, pour chaque nouveau membre potentiel, s'il convient de l'inviter à adhérer à l'Alliance, selon qu'ils jugeront que cela contribuera à la sécurité et à la stabilité dans la région de l'Atlantique Nord au moment où une telle décision devra être prise. L'élargissement de l'OTAN se déroulerait conformément aux dispositions des divers documents de l'OSCE qui confirment le droit souverain de chaque État de rechercher librement ses arrangements propres en matière de sécurité, d'appartenir ou de ne pas appartenir à des organisations internationales, y compris d'être partie ou non à des traités d'alliance. Aucun pays non membre de l'Alliance ne doit se voir conférer un droit de veto ou un droit de regard sur le processus et les décisions.

Les dispositions de défense collective de l'OTAN, qui sont décrites aux paragraphes 47 et 48 de l'étude, sont une expression concrète de l'engagement des Alliés à maintenir et développer leur capacité individuelle et collective de résister à une attaque armée. Dans le contexte des arrangements existants relatifs à la contribution à la défense collective, les Alliés souhaiteront savoir comment les nouveaux membres possibles entendent contribuer à la défense collective de l'OTAN, et ils examineront en détail tous les aspects de cette question dans un dialogue bilatéral avant les négociations sur l'adhésion.

Chapitre 2 : Comment faire en sorte que l'élargissement contribue à la stabilité et à la sécurité de l'ensemble de la région euro-atlantique, dans le cadre d'une vaste architecture de sécurité européenne, et favorise la réalisation de l'objectif d'une Europe sans division

A. Introduction - L'élargissement de l'OTAN dans son contexte général

L'OTAN joue un rôle essentiel au sein de l'architecture de sécurité européenne qui se développe. L'appartenance à l'OTAN de pays alliés animés d'un même esprit et déterminés à travailler ensemble a contribué, pendant les quarante-cinq années d'existence de l'Organisation, à améliorer fondamentalement la nature des relations entre les États membres. De plus, l'engagement pris par tous les Alliés d'assurer mutuellement la défense de leurs territoires a fait ses preuves pendant plus de quatre décennies, en tant que point d'ancrage de la stabilité et de la confiance en Europe. Cet engagement a aidé les pays alliés à se doter de moyens militaires puissants et souples, strictement placés sous contrôle politique. Le fait que l'OTAN s'appuie sur la défense collective garantit qu'aucun pays allié n'est contraint de compter uniquement sur ses propres moyens pour répondre aux principaux défis de sécurité. Partager ces avantages avec de nouveaux membres peut contribuer à étendre la sécurité et la stabilité en Europe. L'élargissement de l'OTAN s'inscrira dans le cadre de l'évolution plus générale de la coopération et de la sécurité en Europe qui est actuellement en cours. L'élargissement ne doit être considéré que comme un élément important d'une vaste architecture de sécurité européenne qui transcende et rend obsolète la notion de "lignes de division" en Europe.

Le débat actuel sur l'élargissement se déroule dans des conditions très différentes de celles qui prévalaient à l'époque de la guerre froide. Dans ce contexte, la décision d'admission de nouveaux membres doit refléter le fait que les défis et les risques auxquels l'OTAN doit faire face aujourd'hui en matière de sécurité ont changé de nature. En 1991, il était indiqué dans le concept stratégique que « la menace d'attaque massive et simultanée sur tous les fronts européens de l'OTAN a bel et bien été éliminée... ». Depuis lors, le risque de voir réapparaître une menace militaire de grande envergure s'est encore atténué. Il subsiste néanmoins des risques pour la sécurité de l'Europe, qui se présentent sous des formes complexes et proviennent de directions multiples, ce qui les rend difficiles à prévoir et à évaluer. L'OTAN doit être capable de faire face à de tels risques et défis nouveaux à mesure qu'ils apparaîtront, si l'on veut que la stabilité en Europe et la sécurité des membres de l'Alliance, anciens et nouveaux, soient préservées. Pour leur part, de nombreux pays aspirent à devenir membres de l'OTAN dans le contexte plus large de l'adhésion aux structures européennes et euro-atlantiques existantes et du renforcement de leur sécurité et de leur stabilité.

La stabilité et la sécurité en Europe seront renforcées grâce à un processus évolutif, tenant compte des éléments nouveaux sur le plan politique et sur celui de la sécurité dans l'ensemble de l'Europe. L'élargissement de l'OTAN fera partie de ce processus, il ne menacera personne et il apportera une contribution à une vaste architecture de sécurité européenne en pleine évolution, fondée sur une coopération véritable à travers toute l'Europe, en accroissant la stabilité et la sécurité de tous.

L'architecture européenne de sécurité se compose d'institutions européennes (telles que l'Union européenne et l'Union de l'Europe occidentale) et transatlantique (OTAN). Elle comprend également l'OSCE, qui réunit tous les États du continent ainsi que les pays nord-américains, et qui est ainsi l'institution européenne de sécurité la plus large, dans le cadre de laquelle ont été conclus des accords d'une importance particulière pour la sécurité européenne (Traité FCE et Pacte de stabilité). L'OTAN a développé, quant à elle, des arrangements de coopération : le CCNA et le Partenariat pour la paix. La coopération s'inscrivant dans le cadre du CCNA/PfP continuera à jouer un rôle important dans l'architecture de sécurité européenne, s'agissant à la fois de l'élargissement de l'Alliance et du renforcement des relations de celle-ci avec les pays partenaires qui pourraient ne pas devenir membres de l'Alliance prochainement ou ultérieurement. Ce sujet est traité au Chapitre 3.

L'élargissement aura des incidences pour tous les pays d'Europe, y compris les États qui ne deviendront pas membres de l'OTAN prochainement ou ultérieurement. Il importera d'entretenir des relations de coopération actives avec les pays qui n'adhèrent pas à l'Alliance, en vue d'éviter de créer des divisions ou des incertitudes en Europe et d'assurer une approche large et inclusive de la sécurité fondée sur la coopération. L'Alliance devrait faire valoir qu'il ne peut être question de « sphères d'influence » dans l'Europe d'aujourd'hui. Les relations de l'OTAN avec d'autres États européens, qu'il s'agisse ou non de Partenaires de la coopération, sont des éléments importants à prendre en considération dans toute décision visant à engager le processus d'élargissement, comme l'est le renforcement de la sécurité pour les États qui pourraient ne pas devenir membres de l'OTAN. Toute décision en ce sens aura des répercussions importantes sur le contexte de la sécurité en Europe, et le moment où elle sera prise devra donc faire l'objet d'un examen attentif.

La mise en pratique du programme de partenariat individuel de la Russie dans le cadre du PfP et celle de notre dialogue et de notre coopération avec la Russie au-delà du PfP contribueront ensemble à renouveler et à étendre la coopération entre l'Alliance et la Russie, coopération dont nous estimons qu'elle est de nature à accroître la stabilité et la sécurité en Europe, dans le cadre de notre approche générale du développement d'une architecture de sécurité européenne fondée sur la coopération. De même, nous entendons poursuivre le développement de nos relations avec tous les nouveaux États indépendants, dont l'indépendance et le caractère démocratique constituent un important facteur de sécurité et de stabilité en Europe. Dans ce contexte, nous accordons une importance particulière à nos relations avec l'Ukraine, que nous comptons développer davantage, spécialement grâce à une coopération accrue dans le cadre du PfP.

B. L'élargissement de l'OTAN et les autres institutions européennes de sécurité, en particulier l'OSCE, l'UE et l'UEO

Il existe plusieurs institutions qui ont un rôle critique à jouer dans l'architecture de sécurité européenne qui se dessine. Il importe d'évaluer l'élargissement de l'OTAN en se demandant en quoi il peut contribuer à assurer la stabilité et la sécurité de concert avec ces autres institutions.

Étant l'institution la plus large de l'architecture de sécurité européenne, l'OSCE a un rôle clé à jouer, s'agissant de maintenir la sécurité et de transcender les divisions en Europe, et il faut continuer de la renforcer, indépendamment de l'élargissement de l'OTAN. Une OSCE plus forte contribuerait à fournir les assurances voulues aux États qui pourraient ne pas devenir membres de l'OTAN prochainement ou ultérieurement. Dans ses vingt années d'existence, l'OSCE a établi des moyens uniques de contribuer à la sécurité et à la stabilité dans des domaines tels que l'alerte rapide, la prévention des conflits et la gestion des crises, les mesures de confiance et de sécurité, la coopération économique et la promotion de la démocratie et des droits de l'homme.

Les activités de l'OSCE et de l'OTAN sont complémentaires et se renforcent mutuellement. L'OTAN constitue un important forum pour des consultations politiques entre Alliés animés d'un même esprit, de même qu'elle fournit des moyens militaires uniques pour permettre de relever les défis en matière de sécurité. Les engagements pris par l'OTAN pour le soutien, au cas par cas et selon les procédures de l'Alliance, d'activités de maintien de la paix relevant de la responsabilité de l'OSCE et d'opérations de maintien de la paix menées sous l'autorité du Conseil de sécurité des Nations Unies, resteront valables après un élargissement. Une Alliance élargie serait mieux à même de soutenir de telles activités et opérations de maintien de la paix. Les débats de l'OSCE sur un modèle de sécurité européenne pour le 21e siècle doivent tenir compte du processus d'élargissement de l'OTAN, mais non le retarder. Une OSCE renforcée, une OTAN élargie, un CCNA et un PfP actifs constitueraient, avec d'autres entités, des parties complémentaires d'une vaste architecture de sécurité au niveau de l'Europe tout entière, contribuant ainsi à la réalisation de l'objectif d'une Europe sans division.

Le Pacte de stabilité en Europe, dont le suivi a été confié à l'OSCE et qui comporte de nombreux traités et accords bilatéraux entre pays européens, est un fondement essentiel de la sécurité et de la stabilité dans l'ensemble de l'Europe. Le Pacte de stabilité vise à développer les relations de bon voisinage, à promouvoir le respect des droits de l'homme, y compris les droits des personnes appartenant à des minorités nationales, et à permettre le règlement des litiges entre les États d'Europe. Comme cela a été indiqué au Chapitre 1, le règlement de tels différends serait un facteur entrant en ligne de compte dans la décision d'inviter un État à devenir membre de l'Alliance. La mise en œuvre du Pacte de stabilité et d'autres accords internationaux déjà conclus peut contribuer à créer les conditions nécessaires à l'élargissement de l'OTAN. À son tour, cet élargissement facilitera aussi l'exécution des accords existants et le plein respect des obligations qu'ils comportent.

L'élargissement de l'Alliance est destiné à étendre la stabilité dans la zone euro-atlantique et à améliorer la sécurité à long terme pour tous les pays membres de l'OTAN ainsi que pour d'autres pays. L'élargissement de l'OTAN est un processus parallèle à celui de l'UE et il en sera le complément. L'OTAN et l'Union européenne ont des intérêts stratégiques en commun, de même qu'une vision élargie de la stabilité et de la sécurité, qui englobe les aspects politiques, économiques, sociaux et écologiques, ainsi que la dimension de défense. Les deux processus d'élargissement contribueront de façon significative à étendre la sécurité, la stabilité et la prospérité dont jouissent leurs membres à d'autres États européens démocratiques animés d'un même esprit. Par la conclusion d'accords, l'UE a laissé entrevoir à un certain nombre de pays européens la possibilité d'une adhésion à l'UE et d'une intégration dans ses structures.

L'élargissement des deux organisations s'effectuera de manière autonome, conformément à leurs dynamiques et à leurs processus internes respectifs. Cela signifie qu'il est peu vraisemblable que le rythme soit exactement le même dans les deux cas. Mais l'Alliance considère que son propre élargissement et celui de l'Union européenne constituent des processus qui se soutiennent mutuellement et sont parallèles, processus qui, ensemble, apporteront une importante contribution au renforcement de la structure de sécurité de l'Europe. Ainsi, l'une et l'autre organisations doivent veiller à ce que leurs processus respectifs aient un véritable effet de synergie, favorable à la réalisation de l'objectif qui est d'accroître la stabilité et la sécurité en Europe. Il n'y aura pas nécessairement un parallélisme rigoureux, mais chaque organisation devra prendre en considération l'évolution du processus chez l'autre.

Les membres de l'Union européenne sont attachés à la réalisation d'une politique étrangère et de sécurité commune, qui inclura l'ensemble des questions relatives à la sécurité de l'Union, y compris la définition, à terme, d'une politique de défense commune, qui pourrait conduire, le moment venu, à une défense commune compatible avec celle de l'Alliance atlantique. L'UEO fait partie intégrante du développement de l'Union. Dans son double rôle de composante de défense de l'Union européenne et de pilier européen de l'Alliance atlantique, l'UEO apporte une dimension supplémentaire importante à la sécurité européenne. Prenant acte de ce double rôle et souhaitant contribuer à son renforcement, les chefs d'État et de gouvernement des pays de l'OTAN, réunis en janvier 1994, se sont déclarés prêts à mettre à disposition les moyens collectifs de l'Alliance, sur la base de consultations au sein du Conseil de l'Atlantique Nord, pour des opérations de l'UEO menées par les Alliés européens en application de leur politique étrangère et de sécurité commune.

Tous les membres de plein droit de l'UEO sont également membres de l'OTAN. En raison de l'effet cumulatif des garanties de sécurité de l'article V du Traité de Bruxelles modifié et de l'article 5 du Traité de Washington, le maintien de ce lien est essentiel. Les deux processus d'élargissement devraient donc être compatibles et se renforcer mutuellement. En même temps, l'UEO se développe comme la composante de défense de l'Union européenne, ce qui renforce la relation entre les deux organisations. Une large convergence, à terme, de la composition, pour ce qui concerne les pays européens, de l'OTAN, de l'UE et de l'UEO aurait des effets positifs sur la sécurité européenne. L'Alliance devrait, à un moment approprié, accorder une considération particulière aux pays qui ont la perspective d'adhérer à l'Union européenne et qui ont témoigné de l'intérêt pour une adhésion à l'OTAN, afin d'examiner, sur la base indiquée dans cette étude, comment ils peuvent contribuer à la sécurité transatlantique dans le cadre du Traité de Washington et de déterminer s'il faut les inviter à rejoindre l'OTAN.

Tous les États parties au Traité sur les FCE reconnaissent le rôle fondamental que le Traité continue de jouer dans l'établissement et le maintien de la stabilité et de la sécurité en Europe. C'est le cas aussi de tous les autres États participants de l'OSCE. Les membres de l'OTAN considèrent que le Traité sur les FCE est la pierre angulaire de la sécurité européenne. Par conséquent, il est d'une importance fondamentale de préserver l'intégrité du Traité et de veiller à ce que ses dispositions soient appliquées intégralement et en temps voulu. L'OTAN en tant que telle n'est pas signataire du Traité sur les FCE ni signataire d'aucun autre accord de maîtrise des armements. Par conséquent, d'un point de vue juridique, l'élargissement de l'OTAN n'a en soi aucune incidence sur le Traité. De toute façon, les éventuelles répercussions de l'élargissement de l'OTAN sur le Traité sur les FCE ne pourront être évaluées que lorsque l'élargissement se produira effectivement. Étant donné qu'aucune décision n'est prise pour l'instant sur le calendrier ni sur l'ampleur de l'élargissement de l'OTAN, il serait prématuré de tirer des conclusions à ce stade.

Les accords existant sur les mesures de confiance, le désarmement et la maîtrise des armements sont des fondements essentiels de la sécurité et de la stabilité dans l'ensemble de l'Europe. L'OTAN doit faire en sorte que ces accords gardent leur validité et leur pertinence à mesure qu'elle s'élargira. L'élargissement pourrait renforcer la capacité de l'Alliance de promouvoir de nouvelles mesures de maîtrise des armements et de désarmement et les moyens de lutte contre la prolifération des armes de destruction massive.

C. Relations avec la Russie

La Russie a une importante contribution à apporter à la stabilité et à la sécurité en Europe. Nous sommes convenus que des relations constructives de coopération, fondées sur le respect et l'intérêt mutuels et sur l'amitié entre l'Alliance et la Russie constituent un élément clé de la sécurité et de la stabilité en Europe. En juin 1994, nous avons décidé que ces relations devaient être développées d'une façon qui rende compte des objectifs communs et qui complète et renforce les relations avec tous les autres États, sans menacer les intérêts de pays tiers, et dans la transparence pour tous. Des relations entre l'OTAN et la Russie fondées sur la coopération sont dans l'intérêt non seulement de l'OTAN et de la Russie, mais de tous les autres États de la zone OSCE.

L'OTAN et la Russie sont convenues de poursuivre sur la voie d'un dialogue et d'une coopération larges et renforcés dans les domaines où la Russie à des contributions uniques et importantes à apporter, à la mesure de son poids et de sa responsabilité de puissance européenne, internationale et nucléaire majeure.

En juin 1994, l'OTAN et la Russie ont décidé de mettre en route le développement de relations de coopération d'une grande portée entre elles, afin d'accroître la confiance et l'ouverture mutuelles. À cette époque, la Russie a signé le document cadre du PfP. En décembre, un accord était intervenu sur le programme de partenariat individuel de la Russie et sur les domaines dans lesquels poursuivre sur la voie d'un dialogue et d'une coopération larges et renforcés entre l'OTAN et la Russie au-delà du PfP, que la Russie a acceptés officiellement le 31 mai 1995.

L'Alliance considère qu'il est souhaitable de pousser encore plus loin le développement des relations entre l'OTAN et la Russie, dans le cadre de notre approche générale du développement d'une architecture de sécurité européenne fondée sur la coopération. L'OTAN et la Russie ont engagé un dialogue – devant être mené au titre des contacts récemment établis au-delà du PfP – sur l'orientation future que devraient prendre leurs relations, dans le but d'établir, d'ici à la fin de l'année, un cadre politique pour les relations entre l'OTAN et la Russie, qui fixerait des principes fondamentaux pour la coopération en matière de sécurité ainsi que pour le développement de consultations politiques mutuelles. Des relations plus fortes entre l'OTAN et la Russie devraient constituer une autre pierre angulaire d'une nouvelle structure de sécurité européenne inclusive et globale. La coopération entre l'Alliance et la Russie peut aider à dissiper toute défiance laissée par la période de la guerre froide, et contribuer à garantir que l'Europe ne sera jamais plus divisée en camps opposés. Ce développement accru et, à terme, l'éventuelle formalisation des relations entre l'Alliance et la Russie devraient se dérouler à peu près en parallèle avec l'élargissement de l'OTAN, le but étant d'accroître encore la stabilité et la sécurité en Europe. Le fond et la forme de ces relations renforcées seront précisés dans le cadre d'un dialogue entre l'OTAN et la Russie.

Les relations entre l'OTAN et la Russie devraient refléter l'importance de cette dernière dans le domaine de la sécurité européenne et être fondées sur la réciprocité, sur le respect mutuel et la confiance, sur le principe qu'aucune des parties ne devrait prendre "par surprise" des décisions pouvant mettre en cause les intérêts de l'autre. Ces relations ne peuvent prospérer que si elles s'enracinent dans le strict respect des obligations et des engagements internationaux – tels que ceux qui découlent de la Charte des Nations Unies et de la participation à l'OSCE, y compris le Code de bonne conduite et le Traité sur les FCE – ainsi que dans le plein respect de la souveraineté des autres États indépendants. Toutefois, aucun pays non membre ne peut exercer un droit de veto ou un droit de regard sur les décisions de l'OTAN, et l'Alliance ne peut être subordonnée à aucune autre institution européenne de sécurité.

La Russie a fait part de préoccupations à l'égard de l'élargissement de l'Alliance. L'Alliance prend en compte ces préoccupations en développant des relations renforcées avec la Russie et elle a bien indiqué que le processus d'élargissement, y compris les arrangements militaires de l'Alliance qui y sont associés, ne menacerait personne et apporterait une contribution à une vaste architecture de sécurité européenne en pleine évolution, fondée sur une coopération véritable à travers toute l'Europe, en accroissant la sécurité et la stabilité pour tous.

D. Incidences du processus de décision sur la sécurité et la stabilité en Europe

Le processus de décision sur l'élargissement se déroulera conformément au Traité de Washington. Pour chaque invitation, la décision sera prise selon ses mérites propres, cas par cas et suivant les principes définis dans cette étude, en tenant compte de l'évolution de la situation en matière de politique et de sécurité dans l'ensemble de l'Europe. Il importera, surtout d'ici là, de ne pas exclure la possibilité de l'adhésion d'un État européen quelconque à l'Alliance conformément à l’article 10 du Traité de Washington.

Des pays pourraient être invités à adhérer successivement à l'Alliance ou plusieurs pays pourraient être invités simultanément à devenir membres, étant entendu que tous les Alliés devront prendre une décision par consensus sur chaque invitation, c'est-à-dire que les nouveaux Alliés devront se joindre au consensus pour les invitations ultérieures. Il pourrait y avoir deux ou plusieurs séries d'invitations simultanées. Des adhésions successives pourraient donner moins à penser que d'autres pays pourraient être exclus et elles permettraient plus aisément de commencer par un ou plusieurs pays, mais il y aurait aussi un risque que le calendrier des adhésions ne s'allonge et ne détourne ainsi l'attention d'autres activités importantes de l'Alliance. Dans le cas d'adhésions simultanées, les nouveaux membres n'auraient pas la possibilité d'imposer leur veto à l'adhésion concomitante d'autres pays ; toute décision sur des adhésions simultanées devrait être prise en tenant compte des relations entre les nouveaux membres potentiels concernés et des incidences qu'elle aurait sur d'autres États, y compris sur les rapports de ces autres États avec l'OTAN. Les considérations d'ordre législatif/touchant à la ratification qui entrent en jeu dans les pays alliés en ce qui concerne l'accession d'un ou plusieurs nouveaux membres au Traité de Washington devraient également être prises en compte.

La crainte qu'un nouveau membre puisse "fermer la porte" derrière lui et empêcher ainsi l'admission ultérieure d'autres pays pouvant également aspirer à une adhésion à l'OTAN a déjà été exprimée dans le cadre du débat sur l'élargissement. Une telle situation doit être évitée. L'Alliance est fondée sur une communauté de vues et sur la volonté d'œuvrer en faveur du consensus. L'engagement envers ce processus et ces valeurs entrera dans l'évaluation des qualifications de tout nouveau membre possible. Nous inviterons les nouveaux membres potentiels à confirmer qu'ils comprennent et acceptent cela, et qu'ils agiront de bonne foi à cet égard. S'il y a lieu, l'Alliance pourrait exiger des engagements politiques spécifiques pendant les négociations en vue d'une adhésion.

Chapitre 3 : Comment le CCNA et le Partenariat pour la paix (PfP) peuvent contribuer concrètement au processus d'élargissement

A. Introduction

Le PfP et le CCNA peuvent aider à faire en sorte que, en accueillant de nouveaux membres, l'Alliance contribue à accroître la sécurité et la stabilité dans une Europe sans division, objectif fondamental de l'Alliance traité dans le chapitre 2. Au fur et à mesure du processus d'élargissement, le CCNA/PfP demeurera le cadre fondamental qui permettra de développer les relations avec les pays partenaires. Une coopération dynamique dans le cadre du CCNA/PfP fait partie intégrante de l'architecture de sécurité européenne, approfondissant l'interaction et développant la sécurité et la stabilité dans l'ensemble de l'Europe, et en tant que moyen d'amélioration des relations avec les pays partenaires, qu'ils soient ou non de nouveaux membres possibles. Dans le contexte de l'élargissement, cela exigera de l'Alliance une attention et un effort particuliers.

Le PfP jouera un rôle important, s'agissant à la fois de contribuer à préparer les nouveaux membres possibles - grâce à leur participation aux activités du PfP - aux avantages et aux responsabilités qu'entraînerait une future adhésion et d'affermir les relations avec les pays partenaires qui pourraient être peu susceptibles d'adhérer prochainement ou ultérieurement à l'Alliance. Il sera nécessaire de faire en sorte que des ressources humaines et financières appropriées soient consacrées au soutien de ces activités, conformément à la politique de financement du PfP.

Comme il le fait depuis sa création, en 1991, le CCNA continuera de jouer un rôle majeur dans l'établissement de relations de confiance et dans le rapprochement entre les pays membres de l'OTAN et les Partenaires de la coopération. Dans le contexte de l'élargissement, le CCNA acquerra davantage d'importance encore, en particulier en tant qu'instance commune réunissant les pays de l'OTAN et les Partenaires du CCNA/PfP pour un dialogue et des consultations sur des questions politiques et des questions liées à la sécurité et pour une coopération entre ses membres destinée à renforcer la sécurité.

B. Le rôle durable du CCNA et du PfP dans le renforcement de la sécurité européenne

Dans le cadre général du PfP, dont c'est là un aspect essentiel, les Partenaires ont réaffirmé leur attachement aux principes des Nations Unies et de l'OSCE, et leur disposition à établir des relations militaires avec l'OTAN, fondées sur la coopération, pour renforcer leur aptitude à entreprendre des missions de maintien de la paix et d'autres missions sous l'autorité des Nations Unies et/ou la responsabilité de l'OSCE. L'Alliance devrait veiller, à cet égard, à ce que le PfP bénéficie de toute l'attention voulue et que son rôle soit reconnu à sa juste valeur.

Le CCNA/PfP doit offrir aux pays qui ne deviennent pas membres de l'Alliance un moyen permanent de coopération active avec l'OTAN, leur apporter la preuve concrète du soutien et du souci constants de l'OTAN envers leur sécurité et leur assurer un lien primordial avec l'Alliance en tant qu'institution clé de la sécurité euro-atlantique, y compris pour des consultations avec l'OTAN au cas où un Partenaire actif percevrait une menace directe contre son intégrité territoriale, son indépendance politique ou sa sécurité. L'Alliance préservera l'importance, la vitalité et la crédibilité du CCNA/PfP tout au long du processus d'élargissement, afin d'en maintenir la valeur aux yeux des pays qui pourraient être peu susceptibles d'adhérer prochainement ou ultérieurement à l'OTAN. La préservation de la vitalité du CCNA/PfP pourrait exiger que de nouvelles approches et de nouveaux mécanismes soient conçus parallèlement au processus d'élargissement de l'Alliance. Dans ce contexte, les Ministres ont chargé le Conseil d'étudier les possibilités d'intégrer les structures et procédures de coopération existantes pour le CCNA et le Partenariat pour la paix.


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La coopération établie dans le cadre du PfP devrait être développée pour permettre :

– d'aider les Partenaires à développer davantage le contrôle démocratique exercé sur leurs forces armées et la transparence dans les processus d'établissement des plans et des budgets de défense, mais les mesures qu'ils prendront à titre individuel seront prépondérantes à cet égard ;

– d'améliorer le schéma de coopération militaire et de coopération en matière de défense, afin d'apporter un soutien efficace aux Partenaires dans l'adaptation de leur dispositif de défense au nouveau contexte de sécurité ;

– de développer les éléments du PfP concernant la coopération, par exemple en associant davantage les Partenaires à l'élaboration, à la planification et à la mise en œuvre des activités du PfP, notamment en augmentant leur aptitude/disposition à contribuer avec d'autres à des activités dans les domaines du maintien de la paix, des opérations humanitaires, et de la recherche et du sauvetage, et dans d'autres domaines agréés ;

– d'accroître la transparence de la coopération dans le domaine militaire et dans celui de la défense, ainsi que la mise en valeur des aspects de cette coopération propres à renforcer la confiance, avec les Alliés et entre les Partenaires ;

– d'instaurer des mécanismes appropriés en complément de la constitution de forces interopérables, afin d'associer, comme il convient, les Partenaires à la planification et à l'exécution d'opérations communes de maintien de la paix.

C. Le rôle du PfP dans la préparation à l'adhésion

Les activités et les programmes qui relèvent du PfP sont ouverts à tous les Partenaires, qui décideront eux-mêmes des options qu'ils suivront et de l'intensité de leur collaboration avec l'Alliance au travers du Partenariat. Ce degré de participation variable est un élément clé du processus d'autodifférenciation. La participation active au PfP jouera un rôle important dans la préparation des nouveaux membres possibles, mais elle ne sera pas la garantie de l'adhésion à l'Alliance. Une participation active au CCNA/PfP constituera, pour les nouveaux membres possibles, le cadre leur permettant d'établir des schémas de coopération politique et militaire avec l'Alliance qui faciliteront le passage au statut de membre. Par leur participation à l'établissement de plans, à des exercices communs et à d'autres activités dans le cadre du PfP, y compris des séminaires, des journées d'étude et une représentation permanente à Bruxelles et à Mons, les nouveaux membres possibles pourront se familiariser davantage avec les rouages de l'Alliance, s'agissant en particulier de l'élaboration des politiques, du maintien de la paix et de la gestion des crises. L'attachement des nouveaux membres possibles aux valeurs et principes communs de l'Alliance se reflétera dans leur comportement sur la scène internationale et leur adhésion aux principes pertinents de l'OSCE ; toutefois, leur participation au PfP constituera également un moyen important de démontrer un tel attachement ainsi que leur aptitude à contribuer à la défense commune.

Pour les nouveaux membres possibles, le PfP contribuera à leur préparation sur le plan politique comme sur le plan militaire, à les familiariser avec les structures et procédures de l'Alliance et à approfondir leur compréhension des obligations et des droits qu'impliquera le statut de membre.

Le PfP aidera les Partenaires à entreprendre l'indispensable réforme du secteur de la défense à mesure qu'ils établiront les processus et mécanismes nécessaires pour faire fonctionner une organisation militaire soumise à un contrôle démocratique, dans des domaines tels que la planification de la défense, l'affectation des ressources et l'établissement des budgets au niveau national dans la transparence, la législation appropriée, et l'obligation de rendre des comptes au Parlement et à l'opinion publique. Le PfP aidera les nouveaux membres possibles à établir des procédures de contrôle et des usages démocratiques bien éprouvés et à faire la preuve de leur attachement à des normes de conduite internationalement acceptées. Dans le domaine défini par le Document cadre, le PfP constitue aussi un moyen de promouvoir et de développer l'interopérabilité avec les forces de l'Alliance en familiarisant les nouveaux membres possibles avec des éléments importants pour l'interopérabilité.

Le processus de planification et d'examen du PfP et les exercices du PfP initieront les Partenaires à la planification de la défense collective et prépareront la voie à une planification opérationnelle plus détaillée. Tous les Partenaires se sont vu offrir la faculté de participer à un processus bisannuel de planification et d'examen du PfP qui constituera un moyen d'autodifférenciation. La participation à ce processus sera la formule la plus efficace pour développer à plus long terme, au niveau des pays partenaires, des forces qui seront mieux en mesure de mener des opérations avec celles des pays membres de l'OTAN. La coopération entre les Partenaires et l'Alliance dans ce processus s'élargira et s'approfondira, en tant que de besoin, au fil du temps. Les résultats de ce processus devraient être pris en compte dans les plans de défense des pays partenaires et se refléter, comme il convient, dans les IPP et le programme de travail du Partenariat. Les nouveaux membres ne seront pas tenus d'atteindre une interopérabilité complète avec l'OTAN avant leur adhésion, mais ils devront se conformer à certaines normes minimales qui sont essentielles au fonctionnement et à la crédibilité de l'Alliance. Ces normes continueront d'être définies par l'OTAN et se fonderont, en partie, sur les conclusions dérivées du processus de planification et d'examen. Les efforts des Partenaires eux-mêmes détermineront, dans une large mesure, la rapidité avec laquelle ils prépareront leur adhésion possible à l'OTAN, mais l'aide extérieure qui leur sera fournie pourra contribuer à l'accomplissement de progrès dans ce sens.

La préparation des Partenaires intéressés par une adhésion à l'OTAN peut être facilitée par un renforcement et un approfondissement appropriés de leurs programmes de partenariat individuels. Ce renforcement et cet approfondissement sont essentiels pour l'autodifférenciation. Entre autres choses, ils permettraient aux Partenaires de se différencier les uns des autres en mettant en évidence leurs capacités et leur engagement en vue d'une possible adhésion à l'OTAN et d'une contribution à des missions de l'Alliance. En ce qui concerne le processus de préparation à l'adhésion, il faut éviter d'élaborer prématurément des mesures en dehors du PfP pour les nouveaux membres possibles. Il convient de maintenir une distinction claire entre la participation au PfP et une éventuelle invitation à adhérer à l'Alliance. Il arrivera un moment, après qu'un pays aura été invité à adhérer à l'Alliance, où il faudra élaborer des mesures spécifiques pour préparer l'adhésion de ce pays.

Chapitre 4 : Comment faire en sorte que l'élargissement renforce l'efficacité de l'Alliance, préserve son aptitude à remplir ses fonctions essentielles de défense commune, ainsi qu'à entreprendre des missions de maintien de la paix et d'autres missions nouvelles, et soutienne les principes et objectifs du Traité de Washington

A. Maintenir l'efficacité de l'Alliance face à ses fonctions essentielles et à ses nouvelles missions

En s'élargissant, l'Alliance voudra s'assurer qu'elle reste en mesure de prendre rapidement des décisions importantes fondées sur le principe du consensus et que, par suite de l'élargissement, elle sera entièrement à même de remplir ses fonctions essentielles et ses nouvelles missions. Outre qu'elle présente en soi une importance fondamentale, la capacité de l'Alliance d'agir avec rapidité, de façon décisive et avec efficacité est cruciale pour son rôle dans l'architecture de sécurité européenne et pour son aptitude à y intégrer de nouveaux membres.

En adhérant à l'Alliance, les nouveaux membres doivent accepter intégralement les obligations du Traité de Washington, notamment la participation au processus de consultation à l'intérieur de l'Alliance et le principe de la prise de décision par consensus, qui réclame un engagement à rechercher un consensus au sein de l'Alliance sur toutes les questions qui la concernent. Les nouveaux membres doivent aussi être disposés à contribuer à la défense collective au titre de l'article 5, aux missions nouvelles et en évolution de l'Alliance, ainsi qu'à ses budgets. Ceci peut supposer des contributions appropriées à l'infrastructure et aux structures des forces armées et de commandement de l'Alliance. Les nouveaux membres doivent, en adhérant, accepter et observer les principes, politiques et procédures déjà adoptés par tous les membres de l'Alliance au moment de cette adhésion. À cet égard, les nouveaux membres décidant de participer à la structure militaire intégrée doivent accepter les politiques et procédures qui s'y appliquent.

L'OTAN devra veiller à ce que toutes les obligations militaires de l'Alliance, en particulier celles qui découlent de l'article 5, soient remplies dans une Alliance élargie. Il faudra donc procéder au cas par cas à une évaluation des facteurs militaires pour chacun des nouveaux membres potentiels, y compris le temps de préparation nécessaire à l'OTAN pour assumer de nouveaux engagements au titre de l'article 5, en tenant compte du contexte stratégique, des risques auxquels peuvent être exposés les nouveaux membres potentiels, des capacités et de l'interopérabilité de leurs forces, de leur approche et de celle des Alliés quant au stationnement de forces étrangères sur leur territoire, et des capacités de renforcement correspondantes des forces de l'Alliance, y compris la mobilité stratégique. L'Alliance devra aussi assurer la possibilité d'accès de ses forces au territoire de nouveaux membres aux fins de renforcement, d'exercices, de gestion des crises et, le cas échéant, de stationnement. Cette question devra être examinée dans le contexte d'une décision sur l'accession de chaque nouveau membre.

L'Alliance devra prendre en compte un certain nombre d'éléments pour faire en sorte que l'OTAN conserve sa crédibilité militaire quand elle s'élargira. Beaucoup de ces éléments pourraient devoir être analysés et développés plus avant par l'Alliance au cours du processus d'élargissement. C'est à l'Alliance qu'il incombe de déterminer les mesures qui seront prises en vue de préserver la crédibilité militaire à l'intérieur de chacun de ces éléments. Lesdits éléments, qui sont développés plus loin, dans d'autres paragraphes du présent chapitre et dans le chapitre 5, entrent dans les catégories suivantes :

– Défense collective

Défense collective. Selon un principe clé du processus d'élargissement, les nouveaux membres bénéficieront de la défense collective de l'Alliance, mais on attendra d'eux également être prêts à contribuer à d'autres missions de l'Alliance.

– Structure de commandement

Tous les nouveaux membres devraient participer d'une façon appropriée à la structure de commandement de l'Alliance. Les nouveaux membres rejoignant la structure intégrée devront être intégrés dans les quartiers généraux existants de l'OTAN. L'Alliance devra examiner la question de savoir s'il pourrait être nécessaire de constituer un nombre limité de nouveaux quartiers généraux, et si des quartiers généraux existants pourraient devoir couvrir de nouvelles zones de responsabilité. Le contrôle des opérations de l'OTAN sera assuré par les quartiers généraux existants ou nouveaux de l'OTAN, ou, le cas échéant, par les futurs quartiers généraux de GFIM.

 Forces conventionnelles - entraînement et exercices

Les nouveaux membres devront participer aux exercices de l'OTAN, y compris à ceux qui sont destinés à assurer la défense commune. Des exercices devraient être tenus régulièrement sur le territoire des nouveaux membres.

 Forces nucléaires

La garantie suprême de la sécurité des Alliés est assurée par les forces nucléaires stratégiques de l'Alliance. Les nouveaux membres partageront les avantages et les responsabilités qui y sont liés de la même façon que tous les autres Alliés conformément au concept stratégique. On attendra des nouveaux membres qu'ils soutiennent le concept de la dissuasion et le rôle essentiel que jouent les armes nucléaires dans la stratégie alliée de prévention de la guerre, telle qu'elle est exposée dans le concept stratégique.

 Structure des forces

Il importe pour la structure des forces de l'OTAN que des forces d'autres Alliés puissent être déployées, le cas échéant, sur le territoire de nouveaux membres. L'Alliance ne pose aucune exigence a priori en ce qui concerne le stationnement de troupes de l'Alliance sur le territoire de nouveaux membres. Les nouveaux membres devraient participer à la structure des forces de l'Alliance. Pour établir les modalités de cette participation, il faudra peut-être examiner encore diverses questions, notamment le point de savoir si les nouveaux membres devraient constituer des unités spécialement entraînées, capables de renforcer les forces de l'OTAN et d'être renforcées par des unités de l'OTAN, le prépositionnement de matériels dans des zones critiques, les moyens de faire en sorte que l'infrastructure permette de faire face aux missions prévues, et le point de savoir s'il est nécessaire d'accroître la mobilité stratégique et la mobilité à l'intérieur du théâtre.

 Renseignement

Les nouveaux membres auront la possibilité de participer aussi pleinement que possible aux processus de l'OTAN en matière de renseignement.

 Aspects financiers

On attendra des nouveaux membres qu'ils apportent leur contribution aux programmes de l'OTAN financés en commun. Les nouveaux membres devraient aussi être conscients que l'adhésion à l'Alliance implique pour eux des obligations financières substantielles.

 Interopérabilité

On attendra de tous les nouveaux membres qu'ils mettent tout en œuvre pour satisfaire aux normes d'interopérabilité de l'OTAN, en particulier pour le matériel de commandement, de contrôle et de communication. Les nouveaux membres devront introduire les procédures opérationnelles normalisées de l'OTAN dans certains domaines, y compris pour leurs quartiers généraux nationaux.

Dans une Alliance élargie, il sera déterminant pour le maintien de l'efficacité de l'Organisation que la prise de décision se déroule de façon harmonieuse et efficace. Le maintien de la règle du consensus sera essentiel dans les domaines politique et militaire, ainsi que dans celui de la défense. Tous les Alliés doivent donc être disposés à y œuvrer de manière constructive. À cette fin, il sera important que les nouveaux membres potentiels se familiarisent avec le processus de décision de l'Alliance et avec les modalités et les traditions du consensus et du compromis avant leur adhésion. La plus haute priorité devrait être donnée à la participation de tout nouveau membre aux éléments appropriés des processus de décision au siège de l'OTAN et dans les commandements militaires.

B. Incidences de l'élargissement dans le domaine militaire et pour la défense

 Défense collective

Comme il est dit au paragraphe 38 du concept stratégique, « le caractère collectif de la défense de l'Alliance se concrétise dans des dispositions pratiques qui apportent aux Alliés les avantages primordiaux qui découlent, sur les plans politique et militaire comme sur celui des ressources, d'une défense collective, et qui empêchent la renationalisation des politiques de défense, sans priver les Alliés de leur souveraineté. Ces dispositions sont fondées sur une structure de commandement intégrée ainsi que sur des accords de coopération et de coordination. Parmi leurs éléments clés figurent des plans de forces collectifs, des plans opérationnels communs, des formations multinationales, le stationnement de forces hors du territoire national, le cas échéant sur une base de réciprocité, des mesures pour la gestion des crises et le renforcement, des procédures de consultation, des normes et des procédures communes pour l'équipement, l'entraînement et la logistique, des exercices conjoints et combinés, et une coopération en matière d'infrastructure, d'armements et de logistique ».

Il existe à l'heure actuelle trois modes de contribution des Alliés à la défense collective de l'OTAN : la participation pleine et entière à la structure militaire intégrée et au processus de planification de la défense collective ; la participation pleine et entière au processus de planification de la défense collective mais sans participation à la structure militaire intégrée, moyennant cependant une série d'accords de coordination prévoyant une coopération avec la structure militaire intégrée dans certains domaines définis ; enfin, sans qu'il y ait participation à la structure militaire intégrée ni à la planification de la défense collective, une coopération avec la structure militaire intégrée dans des domaines précis, plus limités, en vertu des accords passés entre le chef d'état-major et les grands commandants de l'OTAN. Un principe général est que nous devrions éviter des formes de contribution nouvelles à la défense collective de l'OTAN, qui compliqueraient inutilement la coopération pratique entre Alliés et le processus de décision de l'Alliance.

Dans le contexte des arrangements existants relatifs à la contribution à la défense collective, les Alliés souhaiteront savoir comment les nouveaux membres possibles entendent contribuer à la défense collective de l'OTAN, et ils examineront en détail tous les aspects de cette question dans un dialogue bilatéral avant les négociations sur l'adhésion. Dans cette optique, la capacité de contribuer à la défense collective et la manière dont un nouveau membre possible entend y contribuer seront des critères importants pour les Alliés au moment de décider si ce nouveau membre possible est capable et désireux de contribuer à la sécurité et à la stabilité dans la zone transatlantique au sens de l'Article 10 du Traité de Washington.

L'Alliance adoptera une approche souple à l'égard de l'assimilation de nouveaux membres dans ses structures de défense et ses structures militaires et dans ses processus de planification. L'approche choisie garantira qu'une OTAN élargie conserve un dispositif militaire crédible.

 Structure de commandement

La structure de commandement de l'OTAN doit être préparée à la probabilité de l'entrée de nouveaux membres dans la structure militaire intégrée. Si l'élargissement s'opère par adhésions successives, une très grande souplesse devra être prévue sur le plan militaire, pour déterminer de nouvelles zones de responsabilité et la structure de commandement correspondante. Il faudra donc disposer d'un plan général propre à assurer l'efficacité et la souplesse maximales de la structure de commandement à la suite de l'adhésion de nouveaux membres, compte tenu de l'effet potentiel du concept de GFIM et de toutes adaptations structurelles.

Il pourrait être nécessaire d'implanter des quartiers généraux de l'OTAN sur le territoire de nouveaux pays membres, de manière à tenir compte de la révision des tâches et des zones de responsabilité qui résultera de leur adhésion. Il pourrait certes être possible d'accroître, s'il y a lieu, la capacité de quartiers généraux existant sur le territoire de nouveaux pays membres pour répondre à un besoin de l'OTAN pas encore défini jusqu'à présent, mais il est peu probable que l'infrastructure actuelle et les équipements actuels de C3 répondent aux normes minimales de l'OTAN. L'implantation de quartiers généraux sur le territoire de nouveaux membres pourrait aussi avoir des conséquences pour l'actuelle structure de commandement de l'Alliance. La construction de nouveaux quartiers généraux et/ou l'adaptation de quartiers généraux existants aux normes de l'OTAN entraîneraient des dépenses très importantes, bien que les progrès accomplis en ce qui concerne le développement du concept de GFIM puissent avoir une incidence sur les besoins en quartiers généraux de l'Alliance. Avant qu'un nouveau pays membre adhère à la structure militaire intégrée, il convient de procéder à un examen des besoins et des coûts, consacré spécifiquement à ce pays.

La multinationalité reste une caractéristique essentielle de la politique de l'Alliance. Tout nouveau quartier général de l'OTAN situé sur le territoire d'un nouveau pays membre exigerait donc une représentation multinationale, laquelle devrait refléter les besoins opérationnels. Les nouveaux membres devront aussi être représentés de façon appropriée au sein des grands quartiers généraux (à l'échelon des grands commandements subordonnés et au-dessus), des éléments de soutien, des agences de l'OTAN financées en commun, ainsi que de l'État-major militaire international. Il est donc probable que l'élargissement nécessitera un réexamen de la taille des états-majors de la plupart des quartiers généraux de l'OTAN, de même que de la représentation nationale. Ce processus serait inévitablement plus compliqué si de nouveaux pays membres adhéraient à l'Alliance de manière consécutive.

 Forces conventionnelles - Entraînement et exercices

La présence de forces alliées sur le territoire d'autres membres contribue à renforcer l'aptitude de l'Alliance à remplir ses tâches fondamentales de sécurité, à favoriser la cohésion de l'Alliance et à exprimer la solidarité et la confiance. Elle pourrait prendre différentes formes. Le stationnement de forces alliées présente des avantages militaires bien précis en ce qui concerne la défense collective. Il permet de répondre plus rapidement à une menace ou à une attaque, et de disposer d'un plus long délai pour préparer et déployer les renforts, le recours à la mobilité étant ainsi le plus efficace. En outre, les forces opèrent plus efficacement lorsqu'elles connaissent bien le terrain et les conditions. En revanche, le redéploiement des forces alliées existantes ou le prépositionnement des matériels coûteraient cher. Cela risquerait de faire croire à tort à certaines préoccupations de l'Alliance. La présence régulière et fréquente de forces alliées à l'occasion d'exercices ou lorsque d'autres situations l'exigent est une autre manière de témoigner de l'attachement de l'OTAN à la défense collective. Cette formule pourrait ne pas être appropriée dans tous les cas. Elle supposerait, en tout état de cause, que l'on dispose de moyens et de plans efficaces de réaction rapide et de renforcement, ainsi que d'un délai d'alerte suffisamment long pour pouvoir prendre une décision politique et déployer des forces en période de crise. La double implantation de moyens aériens ou le prépositionnement de matériels et de munitions pourraient figurer parmi d'autres formules possibles (par exemple, augmentation de la quantité de matériels prépositionnés dans les domaines clés et accroissement du nombre de dépôts pour ces matériels dans les zones géographiques de première importance).

Les politiques des différents pays alliés en ce qui concerne le stationnement de forces d'autres pays alliés sur leur territoire en temps de paix varient considérablement, en fonction d'une série de facteurs nationaux et plus larges. Pour les nouveaux membres, le stationnement en temps de paix de forces d'autres pays alliés sur leur territoire ne doit ni être une condition de l'adhésion ni être exclu a priori en tant qu'option. Les décisions concernant le stationnement de forces conventionnelles de pays alliés sur le territoire de nouveaux membres devront être prises par l'Alliance compte tenu des avantages à la fois pour l'Alliance dans son ensemble et pour les nouveaux membres individuellement, des avantages militaires d'une telle présence, de la capacité militaire de renforcement rapide et effectif de l'Alliance, des vues des nouveaux membres concernés, du coût des formules militaires possibles, et de l'impact plus large au niveau politique et stratégique. Tous les Alliés devront naturellement être prêts en période de crise ou en temps de guerre, à autoriser des forces d'autres Alliés à pénétrer sur leur territoire et à y opérer, ainsi qu'à apporter le soutien essentiel en tant que pays hôte, comme il aura été mutuellement convenu, pour que l'OTAN puisse assurer une défense commune effective.

Les politiques des différents pays alliés en ce qui concerne le stationnement de leurs forces hors de leurs frontières en temps de paix varient aussi considérablement. Certains Alliés en sont par exemple empêchés par des contraintes juridiques. Pour les nouveaux membres, le stationnement en temps de paix de forces sur le territoire d'autres Alliés ne doit ni être une condition de l'adhésion ni être exclu a priori en tant qu'option. Tous les Alliés sont néanmoins prêts en principe à déployer leurs forces hors de leur territoire à l'intérieur de la zone d'application du Traité, dans le cadre de leur contribution à la défense collective de l'OTAN, compte tenu de facteurs tels que les capacités opérationnelles et les limitations géographiques. On doit attendre des nouveaux membres qu'ils soient prêts à faire de même.

La conduite d'activités d'entraînement et d'exercices multinationaux sur le territoire des nouveaux membres contribuera de façon significative à la préservation du potentiel et de l'efficacité militaires de l'Alliance et améliorera l'aptitude de l'Alliance à remplir tout l'éventail de ses missions. Ces exercices et cet entraînement aideraient à familiariser les forces concernées avec le terrain et les conditions d'opérations et contribueraient directement à la tenue des engagements découlant de l'article 5. Le renforcement devrait aussi faire l'objet d'exercices de temps à autre. Les conditions dans lesquelles de telles activités se déroulent actuellement varient entre les Alliés et doivent tenir compte de facteurs nationaux. Toutefois, en règle générale, les nouveaux membres devraient prendre l'engagement d'accueillir des activités d'entraînement et des exercices multinationaux en rapport avec toutes les missions de l'Alliance.

 Forces nucléaires

La garantie assurée au titre de l'article 5, y compris sa composante nucléaire, s'appliquera aux nouveaux membres. Il n'y a pas d'exigence a priori en ce qui concerne l'implantation d'armes nucléaires sur le territoire de nouveaux membres. Compte tenu à la fois du contexte international actuel et des menaces auxquelles l'Alliance pourrait être confrontée, le dispositif nucléaire existant de l'OTAN continuera, dans l'avenir prévisible, de répondre aux besoins d'une Alliance élargie. Il n'est donc nullement nécessaire actuellement de transformer ou de modifier un quelconque aspect du dispositif ou de la politique nucléaires de l'OTAN, mais l'on continuera d'évaluer les incidences à long terme de l'élargissement tant sur ce dispositif que sur cette politique. L'OTAN devrait conserver ses capacités nucléaires existantes ainsi que son droit de modifier son dispositif nucléaire en fonction des circonstances. Comme les membres actuels, les nouveaux membres contribueront au développement et à la mise en œuvre de la stratégie de l'OTAN, y compris de ses composantes nucléaires ; les nouveaux membres devraient être admis à faire partie du Groupe des plans nucléaires et de ses organes subordonnés, et à participer à la consultation nucléaire au cours des exercices et en cas de crise. Les décisions relatives aux modalités et aux détails de cette contribution seront fondées sur des consultations et sur des accords entre les Alliés.

 Structures de forces

Les atouts militaires et la cohésion de l'Alliance reposent sur ses forces et ses structures multinationales, ainsi que sur la répartition équitable des risques, des responsabilités, des coûts et des avantages. Les structures de forces actuelles sont essentiellement fondées sur les besoins en matière de défense collective, mais la participation de l'Alliance à des opérations n'entrant pas dans le cadre de l'article 5 continuera d'influer sur les capacités futures. L'aptitude de tous les pays de l'Alliance à mener des opérations ensemble est déjà grande, quoiqu'il soit possible de faire mieux encore.

Sous réserve de tout changement survenant dans le contexte de la sécurité, les caractéristiques principales des structures de forces actuelles de l'OTAN demeureront valables dans une Alliance élargie. L'OTAN devra néanmoins accorder une attention particulière aux besoins de renforcement interrégionaux, et aux incidences qu'ils pourraient avoir sur les diverses catégories de forces. Afin d'assurer le maintien de l'efficacité militaire de l'Alliance, les membres actuels et les nouveaux membres potentiels doivent s'engager à développer, doter en effectifs et soutenir toutes les nouvelles structures de forces de l'OTAN. On attendrait des forces des nouveaux membres qu'elles prennent part à toute la gamme des missions de l'Alliance suivant leurs capacités, et compte tenu de la nécessité d'examiner cas par cas les missions ne relevant pas de l'article 5. L'évolution des structures militaires de l'Alliance, y compris des niveaux de forces et de l'état de préparation, devrait faciliter une telle participation à tout l'éventail des missions potentielles de l'Alliance.

Les forces multinationales ont une importance politique et militaire accrue. Ainsi, les missions de défense et les missions nouvelles exigeant de plus en plus de mobilité, de souplesse et d'interopérabilité entre armées et entre pays, la politique actuelle de l'Alliance en matière de multinationalité devrait s'appliquer lorsque les forces des nouveaux pays membres seraient intégrées à la structure des forces de l'OTAN, compte tenu de la nécessité de préserver l'efficacité militaire.

Traiter les limitations actuelles des moyens des forces de réaction est une nécessité constante, dont il faudra tenir compte afin d'éviter toute diminution de l'efficacité militaire. Le principe de multinationalité devrait également être d'application pour l'intégration des forces des nouveaux membres aux forces de défense principale. L'élargissement ne semblerait nécessiter aucun changement de la politique actuelle relative aux forces d'appoint. Il aura toutefois des incidences importantes, dont la portée est encore à déterminer, sur l'établissement des plans de circonstance et de renforcement, y compris sur les besoins en forces, et sur les dispositions concernant le soutien du pays hôte. Le prépositionnement de matériels, et les moyens de transport à l'intérieur d'un théâtre d'opérations aussi bien qu'entre différents théâtres peuvent contribuer à la souplesse et à l'efficacité militaire. Ces éléments devront être examinés de manière plus approfondie au moment de l'élargissement.

 Mise en commun des données du renseignement

La mise en commun entre Alliés des données du renseignement contribue à l'efficacité de l'Alliance. L'adhésion de nouveaux pays membres créera pour l'Alliance à la fois des besoins et des capacités supplémentaires dans le domaine du renseignement. La mise en commun des données du renseignement est fondée sur la confiance mutuelle et la coopération. Les nouveaux membres doivent être en mesure d'assurer la protection des informations de l'OTAN conformément aux normes de l'Alliance.

C. Programme d'investissement au service de la sécurité

   Le programme OTAN d'investissement au service de la sécurité devrait être utilisé pour accélérer le processus d'assimilation des nouveaux membres. La portée de cette disposition dépendra des conditions de participation de chaque nouveau membre. Sur le plan des procédures et de l'organisation, l'incorporation de nouveaux membres dans le programme ne posera pas de problèmes bien que le processus puisse prendre du temps. Les mécanismes rénovés d'établissement des priorités et d'affectation des ressources sont parfaitement à même de faire face aux besoins nouveaux résultant de l'élargissement.

    Sur le plan financier, il serait attendu des nouveaux membres qu'ils apportent leur contribution, dès le début, à toutes les activités nouvelles incluses dans le programme, avec un niveau de contribution basé, d'une manière générale, sur la "capacité de paiement". En raison du temps nécessaire à la mise en œuvre des activités prévues dans un programme d'investissement, et étant donné la capacité d'absorption limitée des nouveaux membres, les incidences financières seront limitées durant les premières années. La participation élargie au programme devrait donc être possible sans incidence sur la mise en œuvre des engagements et programmes existants. Il est toutefois important de faire en sorte que les nouveaux membres en puissance participent le plus tôt possible aux processus de planification et de préparation et qu'ils soient pleinement au courant de leurs obligations potentielles.

D. Administration et budgets

    Le nombre de nouveaux membres potentiels n'étant pas connu, les problèmes de gestion ne peuvent guère être traités que d'une manière générale. L'élargissement se traduira par des activités nouvelles et par un besoin accru de ressources. De nouveaux locaux devront être prévus au siège de l'OTAN pour accueillir les nouveaux membres et l'éventuel personnel supplémentaire du Secrétariat international et de l'État-major militaire international. Les dépenses de fonctionnement et d'équipement inscrites au budget civil s'accroîtront. Les nouveaux membres seront censés apporter leur contribution. Les quotes-parts devront être calculées et des décisions devront être prises quant à leurs obligations. L'élargissement entraînera également des majorations du budget militaire, mais les conséquences budgétaires effectives dépendront en grande partie du niveau de participation des nouveaux membres.

    Il sera important de faire en sorte que les nouveaux membres potentiels sachent bien que leur adhésion à l'Alliance entraînera des obligations financières considérables.

Chapitre 5 : Quelles sont les implications du statut de membre pour les nouveaux membres, y compris leurs droits et obligations, et que doivent-ils faire pour se préparer à leur adhésion ?

    Les nouveaux membres seront membres à part entière de l'Alliance, avec tous les droits et obligations que leur confère le Traité de Washington. Il ne doit pas y avoir de garanties de sécurité ou de membres « de second ordre » au sein de l'Alliance, ni non plus de modifications au Traité de Washington pour les pays qui entrent dans l'Alliance. Les nouveaux membres possibles devraient se préparer à l'adhésion compte tenu de ces principes. Bien que le présent chapitre décrive les principaux droits et obligations des nouveaux États membres, certains droits et obligations plus spécifiques sont exposés ailleurs, aux chapitres 2, 3 et 4.

A. Qu'attendra-t-on des nouveaux membres sur le plan politique ?

Les engagements souscrits par les nouveaux États membres devraient être les mêmes que ceux des membres actuels, y compris l'acceptation des principes, politiques et procédures déjà adoptés par tous les membres de l'Alliance au moment de l'adhésion du ou des nouveaux membres. La volonté et la capacité de remplir de tels engagements, non seulement sur le papier mais dans la pratique, seraient un facteur déterminant dans toute décision d'inviter un pays à adhérer à l'Alliance.

Étant entendu qu'il n'y a pas de liste fixe ou rigide de critères sur la base desquels inviter de nouveaux États à adhérer à l'Alliance, il sera néanmoins attendu des nouveaux États membres possibles :

– qu'ils se conforment aux principes fondamentaux énoncés dans le Traité de Washington : démocratie, libertés individuelles et règne du droit ;

– qu'ils voient dans l'OTAN une communauté de pays animés par le même esprit et unissant leurs forces pour la défense collective et pour la préservation de la paix et de la sécurité, chaque pays contribuant à la sécurité et à la défense dont bénéficient tous les pays membres ;

– qu'ils soient fermement attachés aux principes, objectifs et engagements figurant dans le document cadre du Partenariat pour la paix ;

– qu'ils s'engagent à rechercher de bonne foi le consensus sur toutes les questions qui se posent au sein de l'Alliance, puisque le consensus est la base de la cohésion et du processus de décision de l'Alliance ;

– qu'ils s'engagent à participer pleinement au processus de consultation et de décision de l'Alliance sur les questions politiques et les questions de sécurité intéressant l'Alliance ;

– qu'ils établissent une représentation permanente au siège de l'OTAN ;

– qu'ils établissent une représentation militaire nationale appropriée au SHAPE/SACLANT ;

– qu'ils soient disposés à présenter des candidats qualifiés à des postes du Secrétariat international et des organismes de l'OTAN ;

– qu'ils fournissent du personnel qualifié à l'État-major militaire international et à la structure militaire intégrée, en tant que de besoin ;

– qu'ils contribuent aux budgets de l'Alliance sur la base des quotes-parts convenues ;

– qu'ils participent comme il conviendra à l'échange de données du renseignement alliées, fondé entièrement sur les contributions des pays ;

– qu'ils appliquent les règles et procédures de sécurité de l'OTAN ;

– qu'ils acceptent les documents qui fixent les orientations existantes de l'Alliance.

L'Alliance escompte que les nouveaux membres ne vont pas "fermer la porte" et empêcher l'adhésion d'un ou de plusieurs candidats ultérieurs, comme cela est évoqué également au paragraphe 30 du chapitre 2.

B. Que devront faire, sur le plan politique, les nouveaux membres potentiels pour se préparer à l'adhésion ?

Les nouveaux membres potentiels devront avoir :

– démontré qu'ils sont attachés aux normes et aux principes de l'OSCE et qu'ils les respectent, y compris le règlement, par des moyens pacifiques, des querelles ethniques, des litiges territoriaux d'ordre externe, y compris des revendications irrédentistes, ou des litiges juridictionnels d'ordre interne (voir également le chapitre 1, paragraphe 6) ;

– montré qu'ils s'attachent à promouvoir la stabilité et le bien-être par la liberté économique, par la justice sociale et par la responsabilisation en matière d'environnement ;

– établi un contrôle démocratique et civil approprié de leurs forces de défense ;

– pris l'engagement de faire en sorte que des ressources suffisantes soient consacrées à l'exécution des obligations énoncées dans les sections A et C.

C. Qu'attendra-t-on des nouveaux membres sur le plan militaire ?

Les nouveaux membres de l'Alliance doivent être prêts à partager les rôles, les risques, les responsabilités, les avantages et les charges d'une sécurité commune et d'une défense collective. Il faudrait attendre d'eux qu'ils souscrivent à la stratégie alliée telle qu'elle est exposée dans le concept stratégique et affinée dans des déclarations ministérielles ultérieures.

Un élément important de la contribution militaire des nouveaux membres sera leur engagement, de bonne foi, de poursuivre les objectifs de normalisation qui sont essentiels pour la stratégie de l'Alliance et pour l'efficacité opérationnelle. Les nouveaux membres devraient se préoccuper, en premier lieu, de l'interopérabilité. Ils devraient, au moins, adhérer à la doctrine et aux orientations de l'OTAN concernant la normalisation et, de surcroît, rechercher les moyens propres à atteindre un niveau suffisant en matière de formation et d'équipement, afin de pouvoir opérer efficacement avec les forces de l'Alliance. La coopération s'inscrivant dans le cadre du PfP, y compris le processus de planification et d'examen, peut contribuer à améliorer l'interopérabilité des forces des Partenaires avec celles des Alliés, et les nouveaux membres possibles devraient participer activement aux activités du PfP; dans leur portée, celles-ci sont toutefois limitées aux forces que les Partenaires mettent à disposition pour la coopération à des missions de maintien de la paix, des missions humanitaires et des missions de recherche et de sauvetage, et pour les activités d'entraînement et exercices correspondants.

D. Que devront faire, sur le plan militaire, les nouveaux membres potentiels pour se préparer à l'adhésion ?

La capacité des membres potentiels d'apporter une contribution militaire à la défense collective et aux nouvelles missions de l'OTAN influera sur la décision concernant le point de savoir s'il faut les inviter à adhérer à l'Alliance.

Les nouveaux membres devront tenir compte du fait que la stratégie et la structure de forces de l'OTAN visent à tirer parti de la multinationalité et de la souplesse pour assurer une défense efficace moyennant un coût minimal. La politique de l'OTAN est donc largement tributaire de la normalisation, s'agissant en particulier des opérations, de l'administration et des matériels. Les priorités actuelles de l'OTAN en matière de normalisation comprennent l'harmonisation des doctrines et des procédures, l'interopérabilité du commandement, du contrôle et des communications, ainsi que des systèmes d'arme d'importance majeure, et l'interchangeabilité des munitions et des principaux approvisionnements de combat.

Il y a actuellement plus de 1 200 accords et publications que les nouveaux membres devraient s'engager à observer, ce qui devrait se faire de façon progressive et dans des conditions bien définies, en vue d'accroître l'efficacité opérationnelle de l'Alliance. Bien que la participation des pays à la normalisation soit facultative, elle est indispensable du point de vue militaire dans un certain nombre de domaines, par exemple les systèmes d'information et de communication et les mesures visant à faciliter les renforcements. Une façon de parvenir à une plus grande interopérabilité serait, éventuellement, que les nouveaux membres désignent certaines unités pouvant servir d'unités de base autour desquelles le reste de leurs forces pourrait s'articuler, la priorité étant donnée aux mesures propres à rendre ces unités aussi interopérables que possible avec les unités existantes de l'OTAN. Un réexamen des STANAG et des publications interalliées est déjà en cours, afin que soient déterminés les besoins minimaux liés à l'efficacité opérationnelle. Il sera également nécessaire de procéder, pour chaque nouveau membre potentiel, à une évaluation de la normalisation, qui soit fondée sur les niveaux de normalisation constatés pour toute la gamme des activités militaires et des activités de défense menées au titre du PfP. Une proposition devrait être élaborée par l'Alliance en consultation avec le nouveau membre potentiel, afin que celui-ci comprenne bien ce qui sera attendu de lui. En outre, les écoles et les activités d'entraînement de l'OTAN devront être développées, de manière que les forces des nouveaux membres puissent parvenir à l'interopérabilité avec l'OTAN dans un délai raisonnable et qu'ils puissent s'adapter à la doctrine de l'OTAN dans une large gamme d'activités.

Bien que le financement de l'accroissement de l'interopérabilité des forces des nouveaux membres incombe à ces derniers, il pose d'importants problèmes pour l'Alliance dans son ensemble. Il est impératif, du point de vue militaire, de parvenir le plus rapidement possible au niveau minimum d'interopérabilité requis pour assurer l'efficacité militaire. Il est aussi impératif, du point de vue politique, de démontrer la cohésion interne de l'Alliance, de faire en sorte que les nouveaux membres considèrent qu'ils participent pleinement à l'Alliance, et de leur permettre d'apporter assez rapidement une contribution équitable à la défense collective. En principe, les deux objectifs devraient être atteints dans le cadre des dispositions actuelles applicables au financement des dépenses de développement, d'acquisition et d'infrastructure ainsi que des autres dépenses des Alliés (c'est-à-dire par l'utilisation des ressources nationales et du programme d'investissement au service de la sécurité, selon le cas).

Chapitre 6 : Modalités suivant lesquelles le processus d'élargissement devrait se dérouler

Les modalités de l'élargissement découlent de l'article 10 du Traité de Washington. Les précédentes accessions conformément à cet article ne doivent pas nécessairement être considérées comme des modèles précis pour les accessions futures, étant donné que le contexte politique et de sécurité général des accessions futures sera différent, de même que le nombre des nouveaux membres accédant au Traité, ainsi que la situation et les caractéristiques particulières de chacun d'eux. Dans ce contexte, un processus qui soit prévisible et transparent en ce qui concerne les nouvelles accessions pourrait être nécessaire afin de rassurer l'opinion publique et parlementaire dans les actuels États membres. Les modalités des accessions futures ne devraient pas donner à penser qu'il existe différentes catégories de membres.

Chaque invitation à adhérer à l'Alliance fera l'objet d'une décision spécifique, au cas par cas, mais les accessions futures pourraient être soit successives, soit simultanées, en une ou plusieurs séries. Dans tous les cas, il sera important de marquer clairement que l'Alliance reste ouverte à l'accession d'autres pays n'ayant pas été parmi les premiers à être invités à adhérer. La publication, au moment où la(les) première(s) invitation(s) serai(en)t adressée(s), d'une déclaration le précisant clairement aurait pour effet à la fois de rassurer les pays qui n'auraient pas été parmi les premiers invités et de réduire la probabilité que certains de ces pays présentent des demandes d'adhésion à l'Alliance non sollicitées.

Le moment, le déroulement séquentiel et le contenu précis du processus d'accession doivent faire l'objet d'un examen attentif, particulièrement en ce qui concerne les conversations et les négociations avec les pays qui doivent être invités à adhérer. Des exposés détaillés destinés à fournir les informations nécessaires à ces pays devront être faits à un stade précoce du processus d'accession, avant l'ouverture des négociations formelles. La décision d'entreprendre les contacts exploratoires qui pourraient être nécessaires sera prise par le Conseil, après quoi toute accession future au Traité de Washington devrait se faire selon les étapes suivantes :

– décision du Conseil (à un niveau approprié) d'autoriser le Secrétaire général à informer un ou plusieurs pays que les Alliés sont favorablement disposés à l'égard de son(leur) accession, et à engager des conversations avec lui(eux) ;

– notification officielle par le(s) pays concerné(s) au Secrétaire général de son(leur) ferme engagement d'adhérer à l'Alliance, conformément aux conditions requises au plan interne dans le domaine juridique ;

– consultations détaillées, avec le(s) pays concerné(s), au sujet du protocole d'accession ;

– formulation par les Alliés du protocole d'accession ;

– approbation et signature du protocole d'accession par le Conseil ;

– ratification, acceptation ou approbation du protocole d'accession par les Alliés et entrée en vigueur ;

– envoi au(x) pays concerné(s) d'une invitation officielle à accéder au Traité de l'Atlantique Nord ;

– dépôt par le(s) pays concerné(s) de son (leurs) instrument(s) d'accession auprès du gouvernement des États-Unis.

Il se pourrait que les pays invités à adhérer ne soient pas en mesure de fournir l'assurance que toutes les conditions requises au plan interne pour qu'ils puissent le faire ont été remplies en même temps qu'ils donneront notification officielle de leur désir d'adhérer. Ce point pourrait donc demander à être précisé. Il sera toutefois important d'éviter que des procédures de ratification législatives concernant de nouvelles accessions soient engagées dans les actuels pays alliés sans qu'on soit assuré que le pays concerné souhaite adhérer et le fera.

Il faudra décider dans quelle mesure les dispositions préparatoires à l'adhésion de pays pourront être entreprises avant l'accession officielle, ou si beaucoup d'entre elles peuvent être différées après cette accession officielle. Le moment auquel il conviendra de traiter des problèmes budgétaires et administratifs devra être décidé. Les consultations au sujet de l'accession avec tel ou tel pays concerné ne devraient pas retarder les consultations avec tel ou tel autre ; autrement dit, le rythme de l'évolution vers l'accession d'un certain nombre de pays invités ne devrait pas être dicté par celui du plus lent.

 


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   Annexe 5 :

Acte fondateur sur les Relations, la Coopération et la Sécurité Mutuelles entre l'OTAN et la Fédération de Russie, à Paris, le 27 mai 1997

 

L'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord et ses États membres, d'une part, et la Fédération de Russie, d'autre part, ci-après dénommés l'OTAN et la Russie, se fondant sur un engagement politique durable souscrit au plus haut niveau politique, construiront ensemble une paix durable et ouverte à tous dans la région euro-atlantique, reposant sur les principes de la démocratie et de la sécurité coopérative.

L'OTAN et la Russie ne se considèrent pas comme des adversaires. Elles ont pour objectif commun d'éliminer les vestiges de l'époque de la confrontation et de la rivalité, et d'accroître la confiance mutuelle et la coopération. Le présent Acte réaffirme la détermination de l'OTAN et de la Russie de donner corps à leur engagement commun de construire une Europe stable, pacifique et sans division, une Europe entière et libre, au profit de tous ses peuples. Prendre cet engagement au plus haut niveau politique marque le début d'une relation fondamentalement nouvelle entre l'OTAN et la Russie. Celles-ci ont l'intention de développer, sur la base de l'intérêt commun, de la réciprocité et de la transparence, un partenariat fort, stable et durable.

Le présent Acte définit les objectifs et le mécanisme de consultation, de coopération, de décision conjointe et d'action conjointe qui seront au cœur des relations mutuelles entre l'OTAN et la Russie.

L’OTAN a entrepris une transformation historique, qui est appelée à se poursuivre. En 1991, l'Alliance a revu sa doctrine stratégique pour tenir compte du nouvel environnement de sécurité en Europe. En conséquence, l'OTAN a réduit de manière radicale ses forces conventionnelles et nucléaires, et en poursuit l'adaptation. Tout en préservant la capacité de remplir les engagements pris dans le Traité de Washington, l'OTAN a renforcé et continuera de renforcer ses fonctions politiques et s'est chargée de nouvelles missions de maintien de la paix et de gestion des crises à l'appui des Nations Unies et de l’OSCE, comme en Bosnie-Herzégovine, pour relever de nouveaux défis dans le domaine de la sécurité en étroite association avec d'autres pays et d'autres organisations internationales. L'OTAN est engagée dans l'élaboration de l'Identité européenne de sécurité et de défense (IESD) au sein de l'Alliance. Elle continuera de développer un mode de coopération large et dynamique avec les États participants de l'OSCE, en particulier au travers du Partenariat pour la paix, et travaille avec les pays partenaires sur l'initiative visant à créer un Conseil de partenariat euro-atlantique. Les États membres de l'OTAN ont décidé d'examiner le concept stratégique de l'OTAN afin de veiller à ce qu'il soit pleinement compatible avec la nouvelle situation et les nouveaux défis qui existent en Europe sur le plan de la sécurité.

La Russie poursuit l'édification d'une société démocratique et la réalisation de sa transformation politique et économique. Elle élabore le concept de sa sécurité nationale et révise sa doctrine militaire afin qu'ils soient parfaitement adaptés aux nouvelles réalités dans le domaine de la sécurité. La Russie a procédé à de profondes réductions de ses forces armées, a opéré, à une échelle sans précédent, un retrait de ses forces des pays d'Europe centrale et orientale et de la région de la Baltique, et a retiré toutes ses armes nucléaires vers son propre territoire national. La Russie est déterminée à réduire encore plus ses forces conventionnelles et nucléaires. Elle participe activement à des opérations de maintien de la paix à l'appui des Nations Unies et de l'OSCE, ainsi qu'à la gestion des crises dans différentes régions du monde. La Russie contribue aux forces multinationales en Bosnie-Herzégovine.

I. Principes

Partant du principe que la sécurité de tous les États de la communauté euro-atlantique est indivisible, l'OTAN et la Russie travailleront ensemble pour contribuer à l'instauration en Europe d'une sécurité commune et globale, fondée sur l'adhésion à des valeurs, engagements et normes de comportement communs dans l'intérêt de tous les États.

L'OTAN et la Russie aideront à renforcer l’OSCE, notamment à développer encore son rôle d'instrument fondamental de diplomatie préventive, de prévention des conflits, de gestion des crises, de relèvement après un conflit et de coopération en matière de sécurité régionale, ainsi qu'à développer ses capacités opérationnelles pour l'accomplissement de ces tâches. L'OSCE, seule organisation de sécurité paneuropéenne, a un rôle clé dans la paix et la stabilité en Europe. En renforçant l'OSCE, l'OTAN et la Russie coopéreront à prévenir toute possibilité de retour à une Europe de division et de confrontation, ou l'isolement d'un État quel qu'il soit.

Tenant compte des travaux de l'OSCE sur un modèle de sécurité commun et global pour l'Europe du XXIe siècle, ainsi que des décisions du Sommet de Lisbonne concernant une Charte sur la sécurité européenne, l'OTAN et la Russie rechercheront la coopération la plus large possible entre les États participants de l'OSCE, afin de créer en Europe un espace de sécurité et de stabilité commun, sans lignes de division ni sphères d'influence limitant la souveraineté d'un État quel qu'il soit.

L'OTAN et la Russie posent en prémisse que l'objectif commun du renforcement de la sécurité et de la stabilité dans la région euro-atlantique au profit de tous les pays impose de faire face à des risques et à des défis nouveaux, tels que le nationalisme agressif, la prolifération des armes nucléaires, biologiques et chimiques, le terrorisme, la persistance de violations des droits de l'homme et des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ainsi que les différends territoriaux non résolus, qui sont autant de menaces pour la paix, la prospérité et la stabilité communes.

Le présent Acte n'affecte pas, et ne peut être considéré comme affectant, la responsabilité primordiale du Conseil de sécurité des Nations Unies pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales, ou le rôle de l'OSCE en tant qu'organisation générale et globale de consultation, de prise de décisions et de coopération dans sa zone et en tant qu'accord régional aux termes du Chapitre VIII de la Charte des Nations Unies.

En appliquant les dispositions du présent Acte, l'OTAN et la Russie observeront de bonne foi les obligations qui sont les leurs en vertu du droit international et d'instruments internationaux, y compris les obligations découlant de la Charte des Nations Unies et des dispositions de la Déclaration universelle des droits de l'homme, ainsi que les engagements qu'elles ont pris aux termes de l'Acte final d'Helsinki et des documents ultérieurs de l'OSCE, y compris la Charte de Paris et les documents adoptés au Sommet de l'OSCE à Lisbonne.

Pour réaliser les objectifs du présent Acte, l'OTAN et la Russie fonderont leurs relations sur un engagement commun en faveur des principes ci-après :

– développement, sur la base de la transparence, d'un partenariat fort, stable, durable et égal ainsi que de la coopération pour renforcer la sécurité et la stabilité dans la région euro-atlantique ;

– reconnaissance du rôle essentiel que jouent la démocratie, le pluralisme politique, la primauté du droit, le respect des droits de l'homme et des libertés civiles et le développement d'économies de marché dans le développement de la prospérité commune et de la sécurité globale ;

– abstention du recours à la menace ou à l'emploi de la force l'une contre l'autre ainsi que contre tout autre État, sa souveraineté, son intégrité territoriale ou son indépendance politique, de toute manière qui soit incompatible avec la Charte des Nations Unies et avec la Déclaration sur les principes régissant les relations mutuelles des États participants consignée dans l'Acte final d'Helsinki ;

– respect de la souveraineté, de l'indépendance et de l'intégrité territoriale de tous les États et de leur droit inhérent de choisir les moyens d'assurer leur sécurité, de l'inviolabilité des frontières et du droit des peuples à l'autodétermination tels qu'ils sont consacrés dans l'Acte final d'Helsinki et dans d'autres documents de l'OSCE ;

– transparence mutuelle dans la formulation et la mise en œuvre de la politique de défense et des doctrines militaires ;

– prévention des conflits et règlement des différends par des moyens pacifiques conformément aux principes des Nations Unies et de l'OSCE ;

– soutien, au cas par cas, d'opérations de maintien de la paix menées sous l'autorité du Conseil de sécurité des Nations Unies ou la responsabilité de l'OSCE.

II. Mécanisme de consultation et de coopération, le Conseil Conjoint Permanent OTAN-Russie

Afin de mener les activités et de poursuivre les buts prévus par le présent Acte, ainsi que d'élaborer des approches communes de la sécurité européenne et des problèmes politiques, l'OTAN et la Russie créeront le Conseil conjoint permanent OTAN-Russie. L'objectif central de ce Conseil conjoint permanent sera d'instaurer des niveaux croissants de confiance ainsi qu'une unité de dessein et des habitudes de consultation et de coopération entre l'OTAN et la Russie, afin de renforcer la sécurité de l'une et de l'autre et celle de tous les pays de la région euro-atlantique, sans réduire la sécurité de qui que ce soit. Si des désaccords surgissent, l'OTAN et la Russie s'efforceront de les régler dans un esprit de bonne volonté et de respect mutuel, dans le cadre de consultations politiques.

Le Conseil conjoint permanent offrira un mécanisme de consultation, de coordination et, dans toute la mesure du possible, là où il y aura lieu, de décision conjointe et d'action conjointe sur les questions de sécurité d'intérêt commun. Les consultations ne s'étendront pas aux affaires internes de l'OTAN, des États membres de l'OTAN, ou de la Russie.

L'OTAN et la Russie ont pour objectif commun d'identifier et d'exploiter le maximum de possibilités d'action conjointe. Elles comptent qu'à mesure que leurs relations se développeront, d'autres possibilités d'action conjointe se présenteront.

Le Conseil conjoint permanent sera le principal lieu de consultation entre l'OTAN et la Russie en cas de crise ou dans toute autre situation mettant en cause la paix et la stabilité. Des réunions extraordinaires du Conseil se tiendront en plus des réunions ordinaires, pour permettre de procéder rapidement à des consultations en cas d'urgence. Dans ce contexte, l'OTAN et la Russie se consulteront rapidement au sein du Conseil conjoint permanent au cas où l'un des membres du Conseil constaterait l'existence d'une menace pour son intégrité territoriale, son indépendance politique ou sa sécurité.

Les activités du Conseil conjoint permanent se fonderont sur les principes de la réciprocité et de la transparence. Dans le cadre du processus de consultation et de coopération, l'OTAN et la Russie s'informeront mutuellement des problèmes de sécurité qu'elles rencontreraient et des mesures que chacune compterait prendre pour y remédier.

Les dispositions du présent Acte ne donnent ni à l'OTAN ni à la Russie, de quelque façon que ce soit, un droit de veto sur les actions de l'autre partie ; de même, elles n'empiètent pas sur le droit de l'OTAN ou de la Russie de prendre des décisions et de mener des actions de manière indépendante, et ne restreignent pas ce droit. Elles ne peuvent servir de moyen de porter préjudice aux intérêts d'autres États.

Le Conseil conjoint permanent se réunira à différents niveaux et sous différentes formes, selon la question à traiter et les souhaits de l'OTAN et de la Russie. Il se réunira deux fois par an au niveau des Ministres des affaires étrangères et au niveau des Ministres de la défense, et une fois par mois au niveau des ambassadeurs/représentants permanents auprès du Conseil de l'Atlantique Nord.

Le Conseil conjoint permanent pourra également se réunir, en tant que de besoin, au niveau des chefs d'État et de gouvernement.

Le Conseil conjoint permanent pourra établir des comités ou des groupes de travail pour des sujets ou des domaines de coopération particuliers, sur une base ad hoc ou à titre permanent, comme il conviendra.

Sous les auspices du Conseil conjoint permanent se tiendront également des réunions des représentants militaires et des chefs d'état-major ; ces réunions auront lieu au moins deux fois par an au niveau des chefs d'état-major, et une fois par mois au niveau des représentants militaires. Des réunions d'experts militaires pourront être convoquées en tant que de besoin.

Le Conseil conjoint permanent sera présidé conjointement par le Secrétaire général de l'OTAN, par un représentant de l'un des États membres de l'OTAN par roulement, et par un représentant de la Russie.

L'OTAN et la Russie mettront en place les structures administratives nécessaires au soutien des travaux du Conseil conjoint permanent.

La Russie établira une mission auprès de l'OTAN dirigée par un représentant ayant le rang d'ambassadeur. Un représentant militaire de haut niveau et son personnel feront partie de cette mission aux fins de la coopération militaire. L'OTAN conserve la possibilité d'établir une présence appropriée à Moscou, selon des modalités qui restent à déterminer.

L'ordre du jour des réunions ordinaires sera établi conjointement. Des modalités d'organisation et un règlement intérieur seront mis au point pour le Conseil conjoint permanent. Ces dispositions seront en place pour la réunion inaugurale du Conseil conjoint permanent, qui se tiendra au plus tard quatre mois après la signature du présent Acte.

Le Conseil conjoint permanent s'engagera dans trois activités distinctes :

– procéder à des consultations sur les questions énumérées dans la section III du présent Acte et sur toute autre question politique ou de sécurité déterminée d'un commun accord ;

– sur la base de ces consultations, mettre au point des initiatives conjointes dans le cadre desquelles l'OTAN et la Russie conviendraient de s'exprimer ou d'agir en parallèle ;

– une fois le consensus réalisé au cours des consultations, prendre des décisions conjointes et mener des actions conjointes, cas par cas, qui comprennent la participation, sur une base équitable, à la planification et à la préparation d'opérations conjointes, y compris des opérations de maintien de la paix sous l'autorité du Conseil de sécurité des Nations Unies ou la responsabilité de l'OSCE.

Toutes les actions entreprises par l'OTAN ou la Russie, ensemble ou séparément, devront être en conformité avec la Charte des Nations Unies et les principes directeurs de l'OSCE.

Considérant l'importance d'un approfondissement des contacts entre les organes législatifs des États signataires du présent Acte, l'OTAN et la Russie encourageront également le développement du dialogue et de la coopération entre l'Assemblée de l'Atlantique Nord et l'Assemblée fédérale de la Fédération de Russie.

III. Domaines de consultation et de coopération

En construisant leurs relations, l'OTAN et la Russie concentreront leur attention sur des domaines spécifiques d'intérêt commun. Elles se consulteront et s'efforceront de coopérer dans toute la mesure du possible dans les domaines suivants :

– questions d'intérêt commun liées à la sécurité et à la stabilité dans la région euro-atlantique ou à des crises concrètes, ce qui inclut la contribution de l'OTAN et de la Russie à la sécurité et à la stabilité dans cette région ;

– prévention des conflits, y compris diplomatie préventive, gestion des crises et règlement des conflits, compte tenu du rôle et des responsabilités des Nations Unies et de l'OSCE et des travaux de ces organisations dans ces domaines ;

– opérations conjointes, y compris opérations de maintien de la paix, cas par cas, sous l'autorité du Conseil de sécurité des Nations Unies ou la responsabilité de l'OSCE, et, si des Groupes de forces interarmées multinationales (GFIM) sont utilisés dans de tels cas, participation à ces Groupes de forces à un stade précoce ;

– participation de la Russie au Conseil de partenariat euro-atlantique et au Partenariat pour la paix ;

– échange d'informations et consultations sur la stratégie, la politique de défense et les doctrines militaires de l'OTAN et de la Russie, ainsi que sur les budgets et sur les programmes de développement des infrastructures ;

– questions de maîtrise des armements ;

– questions de sûreté nucléaire sous tous leurs aspects ;

– prévention de la prolifération des armes nucléaires, biologiques et chimiques ainsi que de leurs vecteurs, lutte contre le trafic de matières nucléaires et renforcement de la coopération dans certains domaines de la maîtrise des armements, y compris les aspects politiques et de défense de la prolifération ;

– possibilités de coopération en matière de défense contre les missiles de théâtre ;

– amélioration de la sécurité de la circulation aérienne à l'échelle régionale, accroissement de la capacité de circulation aérienne et échanges mutuels, en tant que de besoin, pour promouvoir la confiance par des mesures accrues de transparence et des échanges d'informations concernant la défense aérienne et les aspects connexes de la gestion/du contrôle de l'espace aérien. Cela comprendra l'exploration des possibilités de coopération dans des domaines appropriés liés à la défense aérienne ;

– recherche d'une transparence et d'une prévisibilité accrues ainsi que d'une plus grande confiance mutuelle au sujet de la taille et des rôles des forces conventionnelles des États membres de l'OTAN et de la Russie ;

– échanges réciproques, en tant que de besoin, sur les questions relatives aux armes nucléaires, y compris les doctrines et la stratégie de l'OTAN et celles de la Russie ;

– coordination d'un programme de coopération étendue entre les institutions militaires respectives, selon les modalités détaillées ci-après ;

– recherche de possibilités de coopération en matière d'armement sous la forme d'une association de la Russie à la Conférence des Directeurs nationaux des armements de l'OTAN ;

– conversion des industries de défense ;

– mise au point de projets de coopération décidés d'un commun accord sur des questions économiques, environnementales et scientifiques en rapport avec la défense ;

– conduite d'activités et d'exercices conjoints dans le domaine de la préparation civile aux situations d'urgence et des secours en cas de catastrophe ;

– lutte contre le terrorisme et le trafic de stupéfiants ;

– amélioration de la compréhension par le public de l'évolution des relations entre l'OTAN et la Russie, notamment par l'établissement d'un centre de documentation ou d'un bureau d'information de l'OTAN à Moscou.

D'autres domaines pourront être ajoutés d'un commun accord.

 


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IV. Questions politico-militaires

L'OTAN et la Russie affirment leur désir commun de parvenir à une stabilité et une sécurité plus grandes dans la région euro-atlantique.

Les États membres de l'OTAN réitèrent qu'ils n'ont aucune intention, aucun projet et aucune raison de déployer des armes nucléaires sur le territoire de nouveaux membres, et n'ont aucunement besoin de modifier un quelconque aspect du dispositif ou de la politique nucléaire de l'OTAN - et n'en prévoient nullement le besoin pour l'avenir. Cela inclut le fait que l'OTAN a décidé qu'elle n'a aucune intention, aucun projet et aucune raison d'établir des dépôts d'armes nucléaires sur le territoire de ces membres, que ce soit par la construction de nouvelles installations de stockage nucléaires ou par l'adaptation d'anciennes installations de stockage nucléaires. Par "dépôts nucléaires", on entend des installations spécifiquement connues pour le stationnement d'armes nucléaires, et ce terme inclut toutes les catégories d'installations durcies, enterrées ou non (silos ou casemates de stockage d'armes) qui sont connues pour entreposer des armes nucléaires.

Reconnaissant l'importance de l'adaptation du Traité sur les FCE pour le contexte plus vaste de sécurité dans la zone de l'OSCE et les travaux sur un modèle de sécurité commun et global pour l'Europe du XXIe siècle, les États membres de l'OTAN et la Russie œuvreront de concert, à Vienne, avec les autres États Parties pour adapter le Traité FCE afin d'en améliorer la viabilité et l'efficacité, compte tenu de l'évolution de l'environnement de sécurité en Europe et des intérêts légitimes de sécurité de tous les États participants de l'OSCE. Ils ont pour objectif commun de conclure un accord sur l'adaptation dans les meilleurs délais possibles et, à titre de première étape dans ce processus, ils chercheront, de concert avec les autres États Parties au Traité FCE, à conclure, dès que possible, un accord-cadre exposant les éléments fondamentaux d'un Traité FCE adapté, conformément aux objectifs et principes du Document sur la portée et les paramètres adopté à Lisbonne en décembre 1996.

L'OTAN et la Russie estiment qu'un but important de l'adaptation du Traité FCE devrait être de réduire dans des proportions sensibles, et compatibles avec les impératifs de défense légitimes de chaque État Partie, la quantité totale d'équipements limités par le Traité qui est permise dans la zone d'application du Traité. L'OTAN et la Russie encouragent tous les États Parties au Traité FCE à envisager des réductions de leurs droits à dotation en équipements FCE, dans le cadre d'un effort global pour parvenir à des niveaux d'équipement plus bas conformes à la transformation de l'environnement de sécurité en Europe.

Les États membres de l'OTAN et la Russie s'engagent à faire preuve de retenue au cours de la période de négociation, comme il est prévu dans le Document sur la portée et les paramètres, en ce qui concerne les postures et les capacités actuelles de leurs forces armées conventionnelles - et en particulier leurs niveaux de forces et leurs déploiements – dans la zone d'application du Traité, de manière à éviter toute évolution de la situation en matière de sécurité en Europe qui affaiblisse la sécurité d'un État Partie, quel qu'il soit. Cet engagement ne préjuge pas des éventuelles décisions volontaires des différents États Parties de réduire leurs niveaux de forces ou leurs déploiements, ni de leurs intérêts légitimes de sécurité.

Les États membres de l'OTAN et la Russie partent du principe que l'adaptation du Traité FCE doit contribuer à garantir le même degré de sécurité à tous les États Parties, indépendamment de leur appartenance à une alliance politico-militaire, à la fois pour préserver et renforcer la stabilité et continuer de prévenir tout accroissement de forces déstabilisateur dans différentes régions d'Europe et dans l'ensemble du continent européen. Un Traité FCE adapté devrait aussi renforcer encore la transparence sur le plan militaire par un échange d'informations et une vérification étendus, et permettre l'accession éventuelle de nouveaux États Parties.

Les États membres de l'OTAN et la Russie proposent aux autres États Parties de procéder à une adaptation du Traité FCE qui permette aux États Parties de parvenir, dans la transparence et la coopération, à des conclusions au sujet des réductions qu'ils pourraient être prêts à effectuer et des plafonds nationaux qui en résultent pour les équipements limités par le Traité. Ces plafonds auront alors valeur de limites obligatoires dans le Traité adapté qui sera à approuver par consensus par l'ensemble des États Parties, et à réexaminer en 2001, puis tous les cinq ans. Dans ce contexte, les États Parties tiendront compte de tous les niveaux d'équipements limités par le Traité fixés par le Traité FCE initial pour la zone de l'Atlantique à l'Oural, des réductions substantielles opérées depuis lors, des changements dans la situation en Europe et de la nécessité de veiller à ce qu'aucun État ne voie sa sécurité diminuer.

Les États membres de l'OTAN et la Russie réaffirment que les États Parties au Traité FCE ne devraient maintenir, individuellement ou conjointement avec d'autres, que les capacités militaires à la mesure de leurs besoins légitimes de sécurité individuelle ou collective, eu égard à leurs obligations internationales, dont le Traité FCE.

Chaque État Partie se fondera, pour accepter les dispositions du Traité adapté relatives à l'ensemble des plafonds nationaux des États Parties, sur ses évaluations de la situation de sécurité actuelle et future en Europe.

De plus, au cours des négociations sur l'adaptation du Traité FCE, les États membres de l'OTAN et la Russie chercheront, avec d'autres États Parties, à renforcer la stabilité en développant encore les mesures destinées à prévenir toute concentration de forces conventionnelles pouvant constituer une menace dans des régions agréées de l'Europe, qui comprendront l'Europe centrale et orientale.

L'OTAN et la Russie ont clarifié leurs intentions en ce qui concerne leurs dispositifs de forces conventionnelles dans le nouvel environnement de sécurité en Europe et sont prêtes à se consulter sur l'évolution de ces dispositifs dans le cadre du Conseil conjoint permanent.

L'OTAN réaffirme que dans l'environnement de sécurité actuel et prévisible, l'Alliance remplira sa mission de défense collective et ses autres missions en veillant à assurer l'interopérabilité, l'intégration et la capacité de renforcement nécessaires plutôt qu'en recourant à un stationnement permanent supplémentaire d'importantes forces de combat. En conséquence, elle devra compter sur une infrastructure adéquate à la mesure des tâches précitées. Dans ce contexte, le renforcement peut s'opérer, en cas de besoin, pour assurer la défense contre une menace d'agression et pour des missions de soutien de la paix en conformité avec la Charte des Nations Unies et les principes directeurs de l'OSCE, ainsi que pour des exercices compatibles avec le Traité FCE adapté, les dispositions du Document de Vienne de 1994 et les mesures de transparence agréées d'un commun accord. La Russie fera preuve d'une retenue comparable dans ses déploiements de forces conventionnelles en Europe.

Les États membres de l'OTAN et la Russie s'efforceront de parvenir à une transparence, à une prévisibilité et à une confiance mutuelle plus grandes en ce qui concerne leurs forces armées. Ils respecteront pleinement les obligations qui leur incombent au titre du Document de Vienne de 1994 et développeront leur coopération avec les autres États participants de l'OSCE, y compris par le biais de négociations menées sous la forme appropriée, notamment dans le cadre de l'OSCE, pour promouvoir la confiance et la sécurité.

Les États membres de l'OTAN et la Russie utiliseront et amélioreront les régimes existants de maîtrise des armements et les mesures de confiance existantes pour créer des relations en matière de sécurité fondées sur une coopération pacifique.

L'OTAN et la Russie, afin de développer la coopération entre leurs institutions militaires, renforceront les consultations et la coopération politico-militaires, dans le cadre du Conseil conjoint permanent, grâce à un dialogue intensifié entre les hautes autorités militaires de l'OTAN et de ses États membres et celles de la Russie. Elles appliqueront un programme d'activités et de coopération pratique sensiblement élargies entre l'OTAN et la Russie dans le domaine militaire, à tous les niveaux. En conformité avec les principes du Conseil conjoint permanent, ce dialogue intensifié entre militaires reposera sur le principe selon lequel aucune partie ne considère l'autre comme une menace ou ne cherche à porter préjudice à la sécurité de l'autre. Ce dialogue intensifié entre militaires comprendra des exposés réciproques, à intervalles réguliers, sur la doctrine militaire et la stratégie de l'OTAN et de la Russie et sur le dispositif de forces qui en résulte, et il portera notamment sur les possibilités générales d'activités de formation et d'exercices conjoints.

Afin de favoriser ce dialogue intensifié et d'apporter un soutien aux éléments militaires du Conseil conjoint permanent, l'OTAN et la Russie établiront des missions de liaison militaires à différents niveaux sur la base de la réciprocité et d'arrangements mutuels additionnels.

Afin d'intensifier leur partenariat et d'avoir l'assurance que ce partenariat soit fondé autant que possible sur des activités pratiques et sur une coopération directe, les autorités militaires respectives de l'OTAN et de la Russie étudieront le développement d'un concept d'opérations de maintien de la paix conjointes de l'OTAN et de la Russie. Cette initiative devrait s'inspirer de l'expérience positive de leur coopération en Bosnie-Herzégovine, et les enseignements qui en ont été tirés serviront à l'établissement de Groupes de forces interarmées multinationales.

 


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   Annexe 6 :

Discours de Vladimir Poutine, président de la Fédération dE RUSSIE, lors de la 43e édition de la conférence de Munich sur la sécurité, le 10 février 2007

 

Madame la chancelière fédérale, Monsieur Teltschik, Mesdames, Messieurs,

Je vous remercie pour cette invitation à participer à une conférence aussi représentative, qui a réuni hommes politiques, militaires, entrepreneurs et experts de plus de 40 pays du monde.

Le format de conférence me permet d'éviter les formules de politesse superflues et de recourir aux clichés diplomatiques aussi agréables à entendre que vides de sens. Le format de la conférence me permet de dire ce que je pense des problèmes de la sécurité internationale et, si mes jugements vous semblent inutilement polémiques ou même imprécis, je vous demande de ne pas m'en vouloir. Ce n'est qu'une conférence et j'espère que dans deux ou trois minutes Monsieur Teltschik n'allumera pas la « lampe rouge ». On sait que les problèmes de la sécurité internationale sont bien plus larges que ceux de la stabilité militaro-politique. Ces problèmes concernent la stabilité de l'économie mondiale, la lutte contre la pauvreté, la sécurité économique et le développement du dialogue entre les civilisations.

Le caractère universel et indivisible de la sécurité est reflété dans son principe de base : « la sécurité de chacun signifie la sécurité de tous ». Franklin Roosevelt avait déclaré au début de la Seconde Guerre mondiale : « Où que la paix soit rompue, c'est le monde entier qui est menacé ». Ces paroles restent valables aujourd'hui. D'ailleurs, le sujet de notre conférence en témoigne : « Les crises globales impliquent une responsabilité globale ».

Il y a vingt ans, le monde était divisé sur le plan économique et idéologique et sa sécurité était assurée par les potentiels stratégiques immenses des deux superpuissances. La confrontation globale reléguait les problèmes économiques et sociaux urgents à la périphérie des relations internationales et de l'agenda mondial. De même que n'importe quelle guerre, la guerre froide nous a laissé, pour ainsi dire, des « obus non explosés ». Je pense aux stéréotypes idéologiques, aux doubles standards et autres clichés hérités de la mentalité des blocs.

Le monde unipolaire proposé après la guerre froide ne s'est pas non plus réalisé.

Certes, l'histoire de l'humanité a connu des périodes d'unipolarité et d'aspiration à la domination mondiale. L'histoire de l'humanité en a vu de toutes sortes.

Qu'est-ce qu'un monde unipolaire ? Malgré toutes les tentatives d'embellir ce terme, il ne signifie en pratique qu'une seule chose : c'est un seul centre de pouvoir, un seul centre de force et un seul centre de décision. C'est le monde d'un unique maître, d'un unique souverain. En fin de compte, cela est fatal à tous ceux qui se trouvent au sein de ce système aussi bien qu'au souverain lui-même, qui se détruira de l'intérieur. Bien entendu, cela n'a rien à voir avec la démocratie, car la démocratie, c'est, comme on le sait, le pouvoir de la majorité qui prend en considération les intérêts et les opinions de la minorité.

À propos, on donne constamment des leçons de démocratie à la Russie. Mais ceux qui le font ne veulent pas, on ne sait pourquoi, eux-mêmes apprendre. J'estime que le modèle unipolaire n'est pas seulement inadmissible pour le monde contemporain, mais qu'il est même tout à fait impossible. Non seulement parce que, dans les conditions d'un leader unique, le monde contemporain (je tiens à le souligner : contemporain) manquera de ressources militaro-politiques et économiques. Mais, et c'est encore plus important, ce modèle est inefficace, car il ne peut en aucun cas reposer sur la base morale et éthique de la civilisation contemporaine. Cependant, tout ce qui se produit actuellement dans le monde – et nous ne faisons que commencer à discuter à ce sujet – est la conséquence des tentatives pour implanter cette conception dans les affaires mondiales : la conception du monde unipolaire.

Quel en est le résultat ?

Les actions unilatérales, souvent illégitimes, n'ont réglé aucun problème. Bien plus, elles ont entraîné de nouvelles tragédies humaines et de nouveaux foyers de tension. Jugez par vous-mêmes : les guerres, les conflits locaux et régionaux n'ont pas diminué. Monsieur Teltschik l'a mentionné d'une manière très délicate. Les victimes de ces conflits ne sont pas moins nombreuses, au contraire, elles sont bien plus nombreuses qu'auparavant.

Nous sommes en présence de l'emploi hypertrophié, sans aucune entrave, de la force – militaire – dans les affaires internationales, qui plonge le monde dans un abîme de conflits successifs. Par conséquent, aucun des conflits ne peut être réglé dans son ensemble. Et leur règlement politique devient également impossible.

Nous sommes témoins d'un mépris de plus en plus grand des principes fondamentaux du droit international. Bien plus, certaines normes et, en fait, presque tout le système du droit d'un seul État, avant tout, bien entendu, des États-Unis, a débordé de ses frontières nationales dans tous les domaines : dans l'économie, la politique et dans la sphère humanitaire, et est imposé à d'autres États. À qui cela peut-il convenir ?

Dans les affaires internationales, on se heurte de plus en plus souvent au désir de régler tel ou tel problème en s'inspirant de ce qu'on appelle l'opportunité politique, fondée sur la conjoncture politique. Évidemment, cela est très dangereux, personne ne se sent plus en sécurité, je tiens à le souligner, parce que personne ne peut plus trouver refuge derrière le droit international. Évidemment, cette politique est le catalyseur de la course aux armements. La domination du facteur force alimente inévitablement l'aspiration de certains pays à détenir des armes de destruction massive. Qui plus est, on a vu apparaître des menaces foncièrement nouvelles qui étaient connues auparavant, mais qui acquièrent aujourd'hui un caractère global, par exemple, le terrorisme.

Je suis certain qu'en ce moment crucial il faut repenser sérieusement l'architecture globale de la sécurité. Il faut rechercher un équilibre raisonnable des intérêts de tous les acteurs du dialogue international. D'autant plus que le « paysage international » change très rapidement et substantiellement en raison du développement dynamique de toute une série d'États et de régions.

Mme la chancelière fédérale l'a déjà mentionné. Ainsi, le PIB commun de l'Inde et de la Chine en parité de pouvoir d'achat dépasse déjà celui des États-Unis. Le PIB des États du groupe BRIC – Brésil, Russie, Inde et Chine – évalué selon le même principe dépasse le PIB de l'Union européenne tout entière. Selon les experts, ce fossé va s'élargir dans un avenir prévisible. Il ne fait pas de doute que le potentiel économique des nouveaux centres de la croissance mondiale sera inévitablement converti en influence politique, et la multipolarité se renforcera.

Le rôle de la diplomatie multilatérale s'accroît considérablement dans ce contexte. L'ouverture, la transparence et la prévisibilité en politique n'ont pas d'alternative raisonnable et l'emploi de la force doit effectivement être une ultime mesure, de même que la peine de mort dans les systèmes judiciaires de certains États.

Aujourd'hui, au contraire, nous observons une situation où des pays dans lesquels la peine de mort est interdite même à l'égard des assassins et d'autres dangereux criminels participent allégrement à des opérations militaires qu'il est difficile de considérer comme légitimes et qui provoquent la mort de centaines, voire de milliers de civils !

Une question se pose en même temps : devons-nous rester impassibles face à divers conflits intérieurs dans certains pays, aux actions des régimes autoritaires, des tyrans, à la prolifération des armes de destructions massive ? C'est le fond de la question posée à la chancelière fédérale par Monsieur Lieberman, notre vénérable collègue. Ai-je bien compris votre question (dit-il en s'adressant à Joseph Lieberman) ? Bien entendu, c'est une question importante ! Pouvons-nous assister impassiblement à ce qui se produit ? J'essaierai de répondre à votre question. Bien entendu, nous ne devons pas rester impassibles. Bien sûr que non.

Mais avons-nous les moyens de faire face à ces menaces ? Oui, nous les avons. Il suffit de se rappeler l'histoire récente. Le passage à la démocratie n'a-t-il pas été pacifique dans notre pays ? Le régime soviétique a subi une transformation pacifique, malgré la grande quantité d'armes, y compris nucléaires, dont il disposait ! Pourquoi donc faut-il bombarder et pilonner aujourd'hui à tout bout de champ ? Manquerions-nous de culture politique, de respect pour les valeurs démocratiques et le droit, en l'absence d'une menace d'extermination réciproque ?

Je suis certain que la Charte des Nations unies est l'unique mécanisme d'adoption de décisions sur l'emploi de la force en tant que dernier recours. Dans cet ordre d'idées, ou bien je n'ai pas compris ce qui vient d'être déclaré par notre collègue ministre italien de la Défense, ou bien il ne s'est pas exprimé clairement. En tout cas, j'ai entendu ce qui suit : l'usage de la force ne peut être légitime que si cette décision a été prise par l'OTAN, l'Union européenne ou l'ONU. S'il l'estime effectivement, alors nos points de vue sont différents. Ou bien j'ai mal entendu. L'usage de la force n'est légitime que sur la base d'un mandat des Nations unies. Il ne faut pas substituer l'OTAN et l'Union européenne à l'Organisation des Nations unies. Lorsque l'ONU réunira réellement les forces de la communauté internationale qui pourront réagir efficacement aux événements dans certains pays, lorsque nous nous débarrasserons du mépris du droit international, la situation pourra changer. Sinon, elle restera dans l'impasse et les lourdes erreurs se multiplieront. Il faut œuvrer pour que le droit international soit universel aussi bien dans sa compréhension que dans l'application de ses normes.

Il ne faut pas oublier qu'en politique, le mode d'action démocratique suppose nécessairement une discussion et une élaboration minutieuse des décisions.

Mesdames et messieurs !

Le risque potentiel de déstabilisation des relations internationales tient également à l'absence évidente de progrès dans le domaine du désarmement. La Russie se prononce pour la reprise du dialogue à ce sujet.

Il est très important d'appliquer les normes juridiques internationales en matière de désarmement, tout en poursuivant la réduction des armements nucléaires. Nous avons convenu avec les États-Unis de ramener nos charges nucléaires équipant les vecteurs stratégiques à 1 700-2 200 unités d'ici au 31 décembre 2012. La Russie a l'intention de respecter strictement ses engagements. Nous espérons que nos partenaires agiront en toute transparence, eux aussi, et ne garderont pas sous le coude quelques centaines de charges nucléaires pour les « mauvais jours ». Donc, si le nouveau ministre américain de la Défense annonce que les États-Unis se garderont de mettre leurs charges excédentaires en stock, ni de les dissimuler « sous un coussin » ou « sous une couverture », je vous demanderai de vous lever pour applaudir ses paroles. Ce serait une déclaration très importante.

La Russie respecte strictement le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires et le régime multilatéral de contrôle de la technologie des missiles, et elle a l'intention de les respecter à l'avenir également. Les principes à la base de ces documents revêtent un caractère universel.

À cette occasion, je tiens à rappeler que dans les années 1980, l'URSS et les États-Unis ont signé un Traité sur l'élimination des missiles à moyenne et plus courte portée sans toutefois conférer de caractère universel à ce document.

À l'heure actuelle, toute une série de pays possèdent des missiles de cette classe : la République populaire démocratique de Corée, la République de Corée, l'Inde, l'Iran, le Pakistan, l'État d'Israël. De nombreux autres pays sont en train de concevoir ces systèmes et envisagent d'en doter leurs forces armées. Or, seuls les États-Unis d'Amérique et la Russie restent fidèles à leur engagement de ne pas construire ces armes.

Il est clair que dans ces conditions nous sommes obligés de veiller à assurer notre sécurité. En même temps, il faut empêcher l'apparition de nouveaux types d'armes de pointe susceptibles de déstabiliser la situation. Je ne parle pas des mesures visant à prévenir la confrontation dans de nouveaux milieux, surtout dans l'Espace. On sait que les « guerres des étoles » ne relèvent plus de la fiction, mais de la réalité. Dès le milieu des années 1980, nos partenaires américains ont réussi à intercepter un de leurs satellites.

Selon la Russie, la militarisation de l'Espace est susceptible d'avoir des conséquences imprévisibles pour la communauté mondiale, conséquences qui ne seraient pas moins graves que l'avènement de l'ère nucléaire. C'est pour cela que nous avons maintes fois lancé des initiatives visant à prévenir le déploiement d'armes dans l'Espace.

Aujourd'hui, je tiens à vous dire que nous avons préparé un projet de Traité sur le non-déploiement d'armes dans l'Espace. D'ici peu, nous l'enverrons à nos partenaires en qualité de proposition officielle. Je propose de travailler ensemble sur ce document.

En ce qui concerne les projets prévoyant le déploiement en Europe d'éléments du système de défense antimissiles, ils ne manquent pas non plus de nous inquiéter. Qui a besoin d'une nouvelle relance - inévitable en l'occurrence - de la course aux armements ? Je doute fort que ce soient les Européens.

Aucun des pays dits « à problèmes » ne possède de missiles ayant une portée de l'ordre de 5 000 à 8 000 kilomètres et susceptibles de menacer l'Europe. Mieux, dans un avenir prévisible, leur apparition dans ces pays n'est pas envisageable. Je dirais même plus : une tentative de lancer un missile nord-coréen, par exemple, vers les États-Unis via l'Europe serait contraire aux lois de la balistique.

Profitant de mon séjour en Allemagne, je tiens à évoquer la crise que traverse le Traité sur les forces armées conventionnelles en Europe.

Signé en 1999, ce Traité était adapté à une nouvelle réalité géopolitique : le démantèlement du bloc de Varsovie. Sept ans se sont écoulés depuis, mais il n'a été ratifié que par quatre pays, dont la Fédération de Russie.

Les pays de l'OTAN ont ouvertement déclaré qu'ils ne ratifieraient pas le Traité, dont les dispositions relatives aux limitations dans la zone des « flancs » (déploiement sur les « flancs » d'un certain nombre de forces armées) tant que la Russie ne procéderait pas au retrait de ses bases de la Géorgie et de la Moldavie. Le retrait de nos troupes de la Géorgie est en cours et ce, à un rythme accéléré. Tout le monde sait que nous avons déjà réglé ces problèmes avec nos collègues géorgiens. Quant à la Moldavie, on y trouve pour le moment une formation de 1 500 militaires chargés de maintenir la paix et de protéger les entrepôts de munitions qui y subsistent depuis l'époque soviétique. Nous discutons en permanence de cette question avec Monsieur Solana : il connaît bien notre position. Nous sommes prêts à aller plus loin dans cette direction.

Mais que se passe-t-il pendant ce temps-là ? Eh bien, on voit apparaître en Bulgarie et en Roumanie des « bases américaines légères avancées » de 5 000 militaires chacune. Il se trouve que l'OTAN rapproche ses forces avancées de nos frontières, tandis que nous – qui respectons strictement le Traité – ne réagissons pas à ces démarches.

Il est évident, je pense, que l'élargissement de l'OTAN n'a rien à voir avec la modernisation de l'alliance, ni avec la sécurité en Europe. Au contraire, c'est un facteur représentant une provocation sérieuse et abaissant le niveau de la confiance mutuelle. Nous sommes légitimement en droit de demander ouvertement contre qui cet élargissement est opéré. Que sont devenues les assurances données par nos partenaires occidentaux après la dissolution du Pacte de Varsovie ? Où sont ces assurances ? On l'a oublié. Néanmoins, je me permettrai de rappeler aux personnes présentes dans cette salle ce qui a été dit. Je tiens à citer des paroles tirées du discours de M. Werner, alors Secrétaire général de l'OTAN, prononcé à Bruxelles le 17 mai 1990 : « Que nous soyons prêts à ne pas déployer les troupes de l'OTAN à l'extérieur du territoire de la RFA, cela donne à l'Union soviétique des garanties sûres de sécurité ». Où sont aujourd'hui ces garanties ?

Les blocs de béton et les pierres du Mur de Berlin sont depuis longtemps des souvenirs. Mais il ne faut pas oublier que sa chute est devenue possible notamment grâce au choix historique de notre peuple - le peuple de Russie - en faveur de la démocratie et de la liberté, de l'ouverture et du partenariat sincère avec tous les membres de la grande famille européenne.

Or, maintenant, on s'efforce de nous imposer de nouvelles lignes de démarcation et de nouveaux murs. Même s'ils sont virtuels, ils ne manquent pas de diviser, de compartimenter notre continent. Faudra-t-il à nouveau des années et des décennies, une succession de plusieurs générations de responsables politiques pour démanteler ces murs ?

Mesdames, Messieurs !

Nous préconisons le renforcement du régime de non-prolifération. L'actuelle base juridique internationale permet de mettre au point des technologies de production de combustible nucléaire pour l'utiliser ensuite à des fins pacifiques. Et bon nombre d'États veulent, à juste titre, développer leur propre nucléaire civil en tant que base de leur indépendance énergétique. En même temps, nous comprenons que ces technologies peuvent se transformer rapidement en know-how pour la production de matériaux nucléaires militaires.

Cela suscite une grave tension internationale. La situation autour du programme nucléaire iranien en est un exemple éclatant. Si la communauté internationale n'élabore pas de solution raisonnable à ce conflit d'intérêts, le monde sera ébranlé, à l'avenir également, par ce genre de crises déstabilisatrices, car l'Iran n'est pas l'unique pays du seuil, et nous ne le savons que trop, nous et vous. Aussi, nous serons en permanence confrontés à la menace de prolifération des armes de destruction massive (ADM).

L'année dernière, la Russie a proposé de créer des centres d'enrichissement d'uranium multinationaux. Nous acceptons que de tels centres se créent non seulement en Russie, mais aussi dans d'autres pays où le nucléaire civil se développe sur une base légale. Les États cherchant à développer leur nucléaire civil pourraient recevoir du combustible, en participant directement au travail de ces centres, évidemment, sous le contrôle rigoureux de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).

Or, les dernières initiatives du président des États-Unis, George W. Bush, sont à l'unisson de cette initiative russe. Je pense que la Russie et les États-Unis sont objectivement et également intéressés au durcissement du régime de non-prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs. Et ce sont justement nos deux pays, leaders pour leur potentiel nucléaire et balistique, qui doivent, eux aussi, devenir leaders de la mise au point de nouvelles mesures plus rigoureuses en matière de non-prolifération. La Russie est prête à effectuer un tel travail. Nous menons des consultations avec nos amis américains.

Somme toute, il doit y être question de la mise en place de tout un système de leviers politiques et de stimulants économiques qui n'incitent pas les États à créer leurs propres capacités en matière de cycle du combustible nucléaire, mais leur permettent de développer leur nucléaire civil, en renforçant ainsi leur potentiel énergétique.

À cette occasion, je tiens à parler plus en détail de la coopération énergétique internationale. Mme la chancelière fédérale en a parlé, elle aussi, bien que brièvement. Dans la sphère énergétique, la Russie s'oriente vers l'élaboration de principes de marché et de conditions transparentes qui soient les mêmes pour tous. Il est évident que le prix des hydrocarbures doit être établi par le marché et ne doit pas faire l'objet de spéculations politiques ni de pressions ou de chantages économiques.

Nous sommes ouverts à la coopération. Des compagnies étrangères participent à nos plus grands projets économiques. Selon différentes évaluations, jusqu'à 26 % de l'extraction de pétrole en Russie reviennent – réfléchissez bien à ce chiffre – jusqu'à 26 % de l'extraction de pétrole en Russie reviennent au capital étranger. Essayez donc de me citer un exemple de présence aussi large du business russe dans les branches clés de l'économie des États d'Occident. Il n'y en a pas !

Je tiens aussi à rappeler la proportion d'investissements arrivant en Russie et partant de Russie vers d'autres pays du monde. Ce rapport est à peu près de quinze pour un. Voilà un exemple éclatant de l'ouverture et de la stabilité de l'économie russe.

La sécurité économique est une sphère où tous doivent s'en tenir à des principes uniques. Nous sommes prêts à une concurrence loyale.

L'économie russe a de plus en plus de possibilités pour cela. Cette dynamique est objectivement évaluée par des experts et nos partenaires étrangers. Récemment, par exemple, la Russie a été mieux notée au sein de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) : notre pays est passé notamment du groupe à risque 4 au groupe 3. Profitant de l'occasion, ici, aujourd'hui à Munich, je voudrais remercier tout particulièrement nos collègues allemands de leur concours à l'adoption de la décision évoquée.

Continuons. Comme vous le savez, le processus d'adhésion de la Russie à l'Organisation mondiale du Commerce (OMC) est entré dans sa phase finale. Je rappellerai qu'au cours des négociations longues et difficiles, nous avons plus d'une fois entendu des paroles sur la liberté d'expression, la liberté de commerce et des possibilités égales, mais seulement quand il s'agissait du marché russe.

Et encore un thème très important qui influe directement sur la sécurité globale. On parle beaucoup aujourd'hui de la lutte contre la pauvreté. Mais qu'est-ce qui se produit en réalité ? D'une part, des ressources financières – et souvent importantes – sont allouées à des programmes d'assistance aux pays les plus pauvres. Quoi qu'il en soit, et beaucoup le savent ici également, il n'est pas rare que les compagnies des pays donateurs eux-mêmes « les utilisent ». D'autre part, l'agriculture dans les pays industrialisés est toujours subventionnée, alors que l'accès des hautes technologies est limité pour d'autres.

Appelons donc les choses par leurs noms : il s'avère qu'une main distribue les « aides caritatives », alors que l'autre entretient l'arriération économique, mais récolte aussi des bénéfices. La tension sociale surgissant dans de telles régions dépressives se traduit inévitablement par la croissance du radicalisme et de l'extrémisme, tout en alimentant le terrorisme et les conflits locaux. Et si tout cela se produit de surcroît, par exemple, au Proche-Orient dans le contexte d'une vision aggravée du monde extérieur, en tant que monde injuste, une déstabilisation globale risque de se produire.

Il va sans dire que les principales puissances mondiales doivent voir cette menace et organiser, par conséquent, un système plus démocratique et plus équitable de rapports économiques qui donne à tous une chance et une possibilité de développement.

Intervenant à une conférence sur la sécurité, on ne peut pas, non plus, Mesdames et Messieurs, passer sous silence l'activité l’OSCE. L'OSCE a été créée pour examiner tous les aspects, je tiens à le souligner, tous les aspects de la sécurité, qu'il s'agisse des aspects politico-militaires, économiques ou humanitaires et ce, dans leurs rapports réciproques.

Mais que voyons-nous aujourd'hui en réalité ? Nous voyons que cet équilibre est manifestement perturbé. On essaie de transformer l'OSCE en instrument vulgaire au service des intérêts politiques extérieurs d'un seul pays ou d'un groupe de pays à l'égard d'autres États. Et c'est pour cette tâche, que l'on a aussi « monté de toutes pièces » l'appareil bureaucratique de l'OSCE qui n'est nullement lié aux États fondateurs. On a « monté de toutes pièces » pour cette tâche également les procédures d'adoption des décisions et d'utilisation des fameuses « organisations non gouvernementales (ONG) ». Formellement, il s'agit effectivement d'organisations indépendantes, mais financées rationnellement et, par conséquent, contrôlées.

Conformément aux documents fondateurs, dans la sphère humanitaire, l'OSCE est appelée à accorder aux pays membres, à leur demande, un concours en matière de respect des normes internationales dans le domaine des droits de l'homme. C'est une importante mission. Nous la soutenons. Mais cela ne signifie pas qu'on peut s'ingérer dans les affaires intérieures d'autres pays et encore moins tenter de leur dicter la manière dont ils doivent vivre et se développer.

Il est parfaitement évident qu'une telle ingérence ne contribue pas du tout à la maturation d'États authentiquement démocratiques. Par contre, elle les rend dépendants, avec comme conséquence l'instabilité sur les plans économique et politique.

Nous espérons que l'OSCE se guidera sur ses tâches immédiates et organisera ses relations avec des États souverains sur la base du respect, de la confiance et de la transparence.

Mesdames, Messieurs !

En conclusion, je voudrais retenir ceci. Nous entendons très souvent – et je les entends personnellement – les appels de nos partenaires, y compris nos partenaires européens, exhortant la Russie à jouer un rôle de plus en plus actif dans les affaires internationales.

Je me permettrai à cette occasion une petite remarque. Nous n'avons pas besoin d'être éperonnés ou stimulés. La Russie a une histoire millénaire, et pratiquement elle a toujours eu le privilège de pratiquer une politique extérieure indépendante.

Nous n'avons pas l'intention aujourd'hui non plus de faillir à cette tradition. En même temps, nous voyons que le monde a changé et nous évaluons avec réalisme nos propres possibilités et notre propre potentiel. Et évidemment nous voudrions aussi avoir affaire à des partenaires sérieux et tout aussi indépendants avec lesquels nous pourrions travailler à l'édification d'un monde plus démocratique et plus équitable, tout en y garantissant la sécurité et la prospérité non seulement des élites, mais de tous.

Je vous remercie de votre attention.

 


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   Annexe 7 :

Déclaration du sommet de Bucarest, publiée par les chefs d’État et de gouvernement participant à la réunion du Conseil de l’Atlantique Nord, à Bucarest, le 3 avril 2008

 

Nous, chefs d'État et de gouvernement des pays membres de l'Alliance atlantique, nous sommes réunis aujourd'hui pour élargir notre Alliance et renforcer encore notre capacité à faire face aux menaces existantes et émergentes pour la sécurité au XXIe siècle. Nous avons fait le point des progrès importants réalisés ces dernières années dans la transformation de l’OTAN, étant entendu qu’il s’agit là d’un processus qui doit se poursuivre. Conscients que le lien transatlantique conserve toute sa valeur, à l’instar de l'OTAN, qui reste le forum essentiel de consultations sur la sécurité entre l’Europe et l'Amérique du Nord, nous avons réaffirmé notre solidarité, notre cohésion, ainsi que notre attachement à la vision et aux valeurs démocratiques communes énoncées dans le Traité de Washington. Le principe de l’indivisibilité de la sécurité des Alliés est fondamental. Une solide défense collective de la population, du territoire et des forces de nos pays constitue la finalité première de notre Alliance et demeure la tâche la plus importante qui nous incombe en matière de sécurité. Nous réaffirmons notre foi dans les buts et les principes de la Charte des Nations Unies.

Aujourd'hui, nous avons décidé d'inviter l’Albanie et la Croatie à engager des pourparlers en vue de leur adhésion à notre Alliance. Nous adressons à ces pays nos félicitations pour ce résultat historique, qui vient couronner des années de travail intense et récompenser l’attachement manifesté à l’égard de notre sécurité commune et des valeurs qui sont celles de tous les pays de l'OTAN. L’adhésion de ces nouveaux membres renforcera la sécurité pour tous dans la zone euro-atlantique et permettra de nous rapprocher de notre objectif d'une Europe entière, libre et en paix.

Nous nous réjouissons à la perspective du sommet du 60e anniversaire, en 2009, qui viendra souligner que le lien transatlantique conserve toute son importance. Nous poursuivons la transformation de notre Alliance en admettant de nouveaux membres, en apportant de meilleures réponses aux défis de sécurité, compte tenu des enseignements tirés, en la dotant de capacités plus déployables et en nouant de nouvelles relations avec nos partenaires. Le sommet sera l’occasion de préciser davantage et de renforcer la vision que l'Alliance a de son rôle s’agissant de relever les défis du XXIe siècle, en constante évolution, de maintenir sa capacité à accomplir toute la gamme de ses missions, et d’assurer collectivement la défense de la sécurité dans nos pays tout en contribuant à la stabilité en dehors de nos frontières. En conséquence, nous demandons au Conseil en session permanente d'élaborer, en vue de son adoption à ce sommet, une déclaration sur la sécurité de l’Alliance définissant plus avant le contexte dans lequel s’inscrira cette tâche importante.

Nous avons accueilli à Bucarest un certain nombre de nos partenaires, ainsi que M. Ban Ki-moon, Secrétaire général de l'ONU, et de hauts responsables d'autres organisations internationales. Nombre des défis de sécurité d'aujourd'hui ne sauraient être vaincus par l'OTAN à elle seule. Le meilleur moyen d’y parvenir est de recourir à un vaste partenariat avec la communauté internationale au sens large, dans le cadre d'une approche véritablement globale, dans un même esprit d'ouverture et de coopération, et avec une détermination partagée par tous. Nous sommes résolus à promouvoir ensemble la paix et la stabilité, et à relever les défis mondiaux, qui, de plus en plus, pèsent sur la sécurité de tous nos pays.

Le succès de cet effort commun dépend en grande partie de l'engagement de chacun. Nous rendons hommage au professionnalisme et à la bravoure des femmes et des hommes, de pays de l’Alliance et d’autres pays, qui sont plus de soixante mille à participer aux missions et aux opérations de l'OTAN. Nous exprimons notre profonde sympathie aux familles et aux proches de ceux qui ont perdu la vie ou ont été blessés en service. Leur sacrifice ne sera pas vain.

La sécurité euro-atlantique et, plus largement, la sécurité internationale sont étroitement liées à l'avenir de l'Afghanistan, qui doit être un État pacifique, démocratique, respectueux des droits de l’homme et libéré de la menace du terrorisme. C’est pourquoi la mission de la Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS), que nous menons sous mandat de l’ONU et à laquelle contribuent actuellement 40 pays, est notre première priorité. Aux côtés des Afghans, nous avons accompli des progrès importants, mais nous sommes conscients que les défis qui subsistent exigent des efforts supplémentaires. Nous ne permettrons pas, et nos partenaires afghans ne permettront pas non plus, que les extrémistes et les terroristes reprennent le contrôle de l’Afghanistan ou s’en servent comme base pour le terrorisme qui menace la population de tous nos pays. Nous allons publier avec nos partenaires de la FIAS, et avec le concours du président Karzaï, une déclaration sur l’Afghanistan. Cette déclaration énonce une vision claire, fondée sur quatre principes : un engagement ferme et commun, qui s’inscrive dans la durée ; le soutien au renforcement du leadership des Afghans et de la prise de responsabilité par ces derniers ; une approche globale de la communauté internationale, conjuguant efforts civils et militaires, ainsi qu'une coopération et un engagement accrus avec les pays voisins de l'Afghanistan, en particulier le Pakistan. Nous nous réjouissons de ce que des Alliés et des partenaires aient annoncé de nouvelles contributions de forces et d’autres formes de soutien, témoignage supplémentaire de notre détermination, et nous espérons que d’autres contributions suivront. Nous nous félicitons par ailleurs de la nomination de M. Kai Eide, représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU pour l'Afghanistan et chef de la Mission d'assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA), qui donnera un élan supplémentaire et une plus grande cohérence aux efforts de la communauté internationale. Nous nous félicitons de la tenue prochaine de la Conférence de Paris, qui sera l’occasion de faire le point sur l'avancement des efforts internationaux pour la mise en œuvre du Pacte pour l’Afghanistan, et de les renforcer.

Notre engagement en faveur de la sécurité et de la stabilité de toute la région des Balkans reste constant. Nous saluons la rapidité, l’impartialité et l’efficacité de la KFOR face aux actes de violence, et nous déplorons toutes les attaques visant la KFOR, dirigée par l’OTAN sous mandat de l’ONU, et les autres présences internationales au Kosovo. Nous réaffirmons qu’en vertu de la résolution 1244 du Conseil de sécurité de l’ONU et à moins que ce dernier n'en décide autrement, la KFOR restera sur place afin de garantir un environnement sûr et sécurisé, y compris la liberté de mouvement, pour l'ensemble de la population du Kosovo.

Au Kosovo, l'OTAN et la KFOR continueront de travailler avec les autorités, et, dans le cadre de son mandat opérationnel, la KFOR coopérera avec les Nations Unies, l'Union européenne et d'autres acteurs internationaux, lorsqu'il y a lieu, et leur prêtera assistance, pour aider à l'établissement d'un Kosovo stable, démocratique, multiethnique et pacifique. Nous soutenons l'action que mène l'ONU pour faire respecter l'état de droit et appelons toutes les parties à prendre des mesures fermes en vue de prévenir et de condamner les violences au Kosovo. L'OTAN et la KFOR se félicitent de la retenue dont ont fait preuve jusqu'ici les autorités au Kosovo. Nous comptons bien voir se poursuivre la pleine mise en œuvre de leurs engagements à l’égard des normes, en particulier celles qui ont trait à l’état de droit ou qui concernent la protection des minorités et des communautés ethniques ainsi que la protection des sites historiques et religieux, de même qu'en matière de lutte contre la criminalité et la corruption.

L'OTAN se tient prête à jouer son rôle dans l'application de futures dispositions de sécurité. Rappelant la résolution 1244 du Conseil de sécurité de l’ONU, nous prenons note de la nécessité de maintenir dans tout le Kosovo des présences internationales dont les efforts contribuent à la liberté de mouvement et à la circulation des personnes et des biens, notamment par la surveillance des frontières. Nous appelons tous les acteurs de la région à travailler de manière constructive et à éviter toute action ou déclaration susceptible de compromettre la sécurité au Kosovo ou ailleurs dans la région. La KFOR continuera de mener un dialogue étroit sur la sécurité avec toutes les parties.

L’environnement informationnel d’aujourd'hui, en particulier pour ce qui est de nos opérations en Afghanistan et au Kosovo, met en relief le besoin d’une communication appropriée, souple, précise et menée en temps opportun avec les publics locaux et internationaux s'agissant des politiques de l’OTAN et de son engagement dans des opérations internationales. Nous nous félicitons des progrès accomplis dans le renforcement de la capacité de communication stratégique de l'OTAN, qu’illustre bien le Centre d'opérations médias de réaction rapide. Nous saluons également le lancement, à notre sommet, d’une chaîne de télévision OTAN sur Internet, qui diffusera régulièrement des bulletins d'information ainsi que des reportages vidéo, réalisés notamment dans les différentes régions de l'Afghanistan. Nous soulignons notre détermination à soutenir de nouvelles améliorations dans notre communication stratégique d'ici au sommet de 2009.

L'expérience en Afghanistan et dans les Balkans montre que la communauté internationale doit agir en collaboration plus étroite et adopter une approche globale pour affronter avec succès les défis de sécurité d'aujourd'hui et de demain. La mise en œuvre efficace d'une approche globale exige que tous les acteurs importants y coopèrent et y contribuent, de même que les organisations non gouvernementales et les instances locales compétentes. À cette fin, il est essentiel que tous les grands acteurs internationaux agissent de manière coordonnée et fassent usage d'une vaste gamme d'instruments civils et militaires dans un effort concerté qui tienne compte de leurs mandats et de leurs atouts respectifs. Nous avons entériné un plan d’action comprenant une série de propositions pragmatiques pour le développement et la mise en œuvre de la contribution de l’OTAN à une approche globale. Ces propositions ont pour but une application plus cohérente des instruments de gestion des crises propres à l'OTAN et un renforcement de la coopération pratique à tous les niveaux avec d'autres acteurs, chaque fois qu'il y aura lieu, y compris des dispositions concernant le soutien à la stabilisation et à la reconstruction. Ces propositions ont trait à des domaines tels que la planification et la conduite des opérations, la formation et l'entraînement, et le renforcement de la coopération avec des acteurs extérieurs. Nous chargeons le Conseil en session permanente de procéder à la mise en œuvre de ce plan d'action à titre prioritaire et de le garder continuellement à l’examen en tenant compte de tous les développements en la matière ainsi que des enseignements tirés.

Nous saluons la coopération établie depuis plus d'une décennie entre l’Organisation des Nations Unies et l’OTAN à l’appui de l’action que mènent les Nations Unies pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales. Nous avons développé la coopération opérationnelle pour ce qui est du maintien de la paix grâce aux opérations dirigées par l’OTAN sous mandat de l’ONU dans les Balkans et en Afghanistan. Ces expériences partagées ont montré la valeur d’une coordination efficace et rationnelle entre les deux organisations. Une coopération plus poussée contribuera de manière importante à la réponse de la communauté internationale aux menaces et aux défis auxquels elle est appelée à faire face. Comme énoncé dans le Traité de Washington, l’OTAN réaffirme sa foi dans les buts et les principes de la Charte des Nations Unies, y compris l’exercice du droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l’article 51 de cette charte. La responsabilité primordiale du maintien de la paix et de la sécurité internationales appartient au Conseil de sécurité de l’ONU.

L’OTAN apporte également sa contribution à l'application par les pays de la résolution 1373 du Conseil de sécurité de l’ONU et des résolutions connexes dans la lutte contre le terrorisme, et elle œuvre en faveur de la non-prolifération des armes de destruction massive en apportant sa contribution à l'application par les pays de la résolution 1540 du Conseil de sécurité de l’ONU.

Les relations OTAN-UE couvrent un large éventail de questions d'intérêt commun liées à la sécurité, à la défense et à la gestion des crises, dont la lutte contre le terrorisme, le développement de capacités militaires cohérentes se renforçant mutuellement et les plans civils d’urgence. Le succès de notre coopération dans les Balkans occidentaux, y compris dans le cadre de l’opération Althea de l’UE en vertu des arrangements Berlin Plus, contribue à la paix et à la sécurité dans la région. En vertu des valeurs et des intérêts stratégiques qu’elles ont en commun, l’OTAN et l’UE travaillent côte à côte dans le cadre d’opérations majeures de gestion des crises, et elles continueront de le faire. Nous reconnaissons la valeur qu’apporte une défense européenne plus forte et plus performante, offrant des capacités pour relever les défis communs auxquels tant l'OTAN que l'UE sont confrontées. Nous soutenons donc les efforts déployés en ce sens et se renforçant mutuellement. Afin de réussir dans ces entreprises de coopération et dans celles qui suivront, il faudra un engagement accru pour garantir des méthodes de collaboration efficaces. Nous sommes dès lors résolus à apporter des améliorations au partenariat stratégique OTAN-UE, comme convenu par nos deux organisations, à parvenir à une coopération plus étroite et à une efficacité plus grande, et à éviter les doubles emplois inutiles, dans un esprit de transparence et dans le respect de l'autonomie des deux organisations. Plus forte, l’Union européenne contribuera davantage à notre sécurité commune.

Nous condamnons avec la plus grande fermeté tous les actes de terrorisme, quelles qu'en soient les motivations ou les manifestations. Nos pays restent déterminés à combattre ce fléau, individuellement et collectivement, aussi longtemps qu'il le faudra, dans le respect du droit international et des principes des Nations Unies. Les terroristes emploient divers types d’armes conventionnelles et de tactiques, y compris des tactiques asymétriques, et ils pourraient chercher à utiliser des armes de destruction massive (ADM) pour menacer la paix et la sécurité internationales. Nous attachons une grande importance à la protection de la population, du territoire, des infrastructures et des forces de nos pays contre les conséquences des attentats terroristes. Nous continuerons à élaborer des politiques de prévention de la prolifération et de contre-prolifération, et à contribuer à de telles politiques, en vue d’empêcher les terroristes de se procurer et d'utiliser des ADM. Nous poursuivrons également nos efforts à l'appui de notre programme de travail visant le développement de moyens évolués pour contribuer à la défense contre les attentats terroristes, notamment en continuant de développer de nouvelles technologies. Nous restons attachés au renforcement de la capacité de l'Alliance à partager les informations et le renseignement sur le terrorisme, en particulier pour les besoins des opérations de l'OTAN. Notre Alliance apporte une dimension transatlantique indispensable à la réponse au terrorisme, et nos pays continueront de contribuer à la pleine application de la résolution 1373 du Conseil de sécurité de l’ONU et des résolutions connexes, en particulier la résolution 1540, ainsi qu'aux efforts déployés plus largement par la communauté internationale dans ce domaine. Le dialogue et la coopération avec d'autres organisations internationales, lorsqu’il y a lieu, et avec nos partenaires, sont essentiels, et nous nous félicitons des efforts visant à donner un nouvel élan à la mise en œuvre du plan d'action du Partenariat contre le terrorisme. Nous confirmons notre attachement à l'opération Active Endeavour, notre opération maritime en Méditerranée, qui continue d'apporter une contribution importante à la lutte contre le terrorisme.

Nous restons profondément préoccupés par les actes de violence et les atrocités qui continuent d'être perpétrés au Darfour, et nous appelons toutes les parties à cesser les hostilités. L’OTAN reste disposée, après avoir mené des consultations avec l’ONU et l’Union africaine (UA) et obtenu leur accord, à soutenir leurs efforts de maintien de la paix dans la région. À la demande de l’Union africaine, l'OTAN a accepté d'apporter son soutien à la mission de l'UA en Somalie, et nous sommes prêts à prendre en considération d'autres demandes de soutien pour cette mission. Nous nous félicitons de voir s’exercer, en illustration de notre approche globale, la coopération directe entre l'OTAN et l'UA, comme en témoignent le soutien apporté jusqu'à récemment à la mission de l'UA au Soudan ainsi que le soutien actuellement fourni à la Force africaine en attente. L’OTAN salue l’opération EUFOR Tchad / République centrafricaine menée par l’Union européenne, ainsi que la contribution de l’UE à la stabilité et à la sécurité dans la région.

Nous réaffirmons l’engagement de l'Alliance à apporter son soutien au gouvernement et au peuple iraquiens, et à aider au développement des forces de sécurité iraquiennes. Nous avons répondu positivement à la requête du Premier ministre iraquien, M. al-Maliki, qui souhaitait voir la Mission OTAN de formation - Iraq (NTM-I) prolongée jusqu’à la fin de 2009. En outre, nous envisageons favorablement la demande formulée par le gouvernement iraquien en vue d’un renforcement de la NTM-I dans des domaines tels que l’entraînement des cadres des forces navales et des forces aériennes, la formation de la police, la sécurité des frontières, la lutte contre le terrorisme, la réforme de la défense, l'établissement d'institutions de défense, ainsi que la traçabilité des armes légères et de petit calibre. La NTM-I continue d'apporter une contribution importante aux efforts internationaux visant à former et à équiper les forces de sécurité iraquiennes, et à ce jour, elle a assuré la formation de plus de 10 000 membres de ces forces. En complément de ces efforts, l’OTAN a également approuvé des propositions relatives à un cadre de coopération structuré afin de développer sa relation à long terme avec l’Iraq et de continuer à développer les capacités nécessaires à ce pays pour faire face aux menaces et aux défis communs.

Le processus d’élargissement en cours à l’OTAN est une réussite historique, qui a permis de faire avancer la stabilité et la coopération, et de nous rapprocher de notre but commun, d’une Europe entière et libre, unie dans la paix, dans la démocratie et par des valeurs communes. Conformément à l’article 10 du traité de Washington, la porte de l’OTAN restera ouverte aux démocraties européennes désireuses et capables d’assumer les responsabilités et les obligations liées au statut de membre. Nous rappelons que les décisions concernant l'élargissement sont du seul ressort de l'OTAN.

L'invitation que nous lançons à l'Albanie et à la Croatie d'engager des pourparlers en vue de leur adhésion à notre Alliance marque le début d’un nouveau chapitre pour les Balkans occidentaux et ouvre la voie à un avenir qui verra la pleine intégration dans les institutions euro-atlantiques d’une région stable, en mesure d’apporter une contribution majeure à la sécurité internationale.

Nous reconnaissons le travail important accompli par l’ex-République yougoslave de Macédoine et l’engagement dont elle fait preuve à l’égard des valeurs de l’OTAN et des opérations de l’Alliance. Nous saluons les efforts mis en œuvre par ce pays pour instaurer une société multiethnique. Dans le cadre des Nations Unies, de nombreux acteurs se sont employés activement au règlement de la question du nom, mais l’Alliance a noté avec regret que ces pourparlers n'avaient pas abouti. C’est pourquoi nous sommes convenus qu’une invitation serait faite à l’ex-République yougoslave de Macédoine dès qu’une solution mutuellement acceptable aura été trouvée à la question du nom. Nous souhaitons vivement voir les négociations reprendre sans délai et comptons bien qu’elles seront menées à bonne fin dès que possible.

Avec l’adhésion de l’Albanie et de la Croatie, l’Alliance sera mieux à même de faire face aux défis d’aujourd'hui et de demain. Ces pays ont fait la preuve de leur ferme attachement aux principes fondamentaux énoncés dans le Traité de Washington, ainsi que de leur capacité et de leur volonté de préserver la liberté et nos valeurs communes en contribuant à la défense collective de l’Alliance et à toute la gamme de ses missions.

Nous allons engager immédiatement des pourparlers avec ces pays en vue de la signature des protocoles d'accession d'ici à la fin du mois de juillet 2008 et de l'achèvement sans délai du processus de ratification. Durant la période qui précédera leur adhésion, l'OTAN associera à ses activités, dans toute la mesure du possible, les pays invités, et elle continuera de leur fournir soutien et assistance, notamment au travers du plan d'action pour l'adhésion (MAP). Nous attendons avec intérêt les calendriers de réforme des pays invités, qui détermineront les nouveaux progrès à accomplir par ces pays, avant et après l’adhésion, en vue d'accroître leur contribution à l'Alliance.

L’OTAN se félicite des aspirations euro-atlantiques de l’Ukraine et de la Géorgie, qui souhaitent adhérer à l’Alliance. Aujourd’hui, nous avons décidé que ces pays deviendraient membres de l’OTAN. Ils ont l’un et l’autre apporté de précieuses contributions aux opérations de l'Alliance. Nous nous félicitons des réformes démocratiques menées en Ukraine et en Géorgie, et nous attendons avec intérêt la tenue, en mai, d'élections législatives libres et régulières en Géorgie. Le MAP représente, pour ces deux pays, la prochaine étape sur la voie qui les mènera directement à l’adhésion. Nous déclarons aujourd’hui que nous soutenons la candidature de ces pays au MAP. Nous allons maintenant entrer dans une période de collaboration intensive avec l’un et l’autre à un niveau politique élevé afin de résoudre les questions en suspens pour ce qui est de leur candidature au MAP. Nous avons demandé aux ministres des Affaires étrangères de faire, à leur réunion de décembre 2008, une première évaluation des progrès accomplis. Les ministres des Affaires étrangères sont habilités à prendre une décision sur la candidature au MAP de l'Ukraine et de la Géorgie.

Nous restons attachés à la région stratégiquement importante que sont les Balkans, où l’intégration euro-atlantique, fondée sur les valeurs démocratiques et la coopération régionale, reste nécessaire à l’instauration d’une paix et d’une stabilité durables. Nous nous félicitons des progrès réalisés depuis le sommet de Riga dans le développement de notre coopération avec la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro et la Serbie. Nous encourageons chacun de ces trois pays à mettre pleinement à profit les possibilités qu’offre le Partenariat euro-atlantique en matière de dialogue, de réforme et de coopération, et nous avons chargé le Conseil en session permanente de garder à l’examen le développement des relations avec chacun de ces Partenaires.

Nous saluons la décision prise par la Bosnie-Herzégovine et par le Monténégro d’établir avec l'OTAN un plan d'action individuel pour le Partenariat (IPAP). Nous attendons avec intérêt des plans d'action ambitieux et concrets, qui permettront à ces pays de progresser dans leurs aspirations euro-atlantiques, et nous nous engageons à les aider l’un et l’autre dans les efforts de réforme qu’ils mèneront en ce sens. Soucieux d’encourager et de guider la Bosnie-Herzégovine et le Monténégro dans cette démarche, nous avons décidé de les inviter à entamer un Dialogue intensifié sur toute la gamme des questions politiques, militaires, financières et de sécurité liées à leurs aspirations à l’adhésion, sans préjudice de toute décision que pourrait prendre l’Alliance.

Nous nous tenons prêts à développer avec la Serbie une relation à la fois ambitieuse et substantielle, en faisant pleinement usage de son statut de membre du Partenariat pour la paix, en vue de permettre à ce pays de progresser encore sur la voie de l'intégration dans la communauté euro-atlantique. Nous réaffirmons notre volonté d'approfondir notre coopération avec la Serbie, notamment au travers de l'élaboration d'un IPAP, et nous examinerons, à sa demande, la possibilité d'instaurer un Dialogue intensifié.

Nous attendons de la Serbie et de la Bosnie-Herzégovine qu’elles coopèrent pleinement avec le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, et nous suivrons de près les efforts que chacune d’elles déploiera à cet égard.

Nous rappelons que le partenariat OTAN-Russie a été conçu comme un élément stratégique pour ce qui est de promouvoir la sécurité dans la région euro-atlantique, sur la base de principes, de valeurs et d'engagements fondamentaux parmi lesquels figurent la démocratie, les libertés civiles et le pluralisme politique. Depuis plus de dix ans que ce partenariat existe, nous avons instauré un dialogue politique et entrepris des projets concrets sur un large éventail de questions de sécurité internationale dans lesquelles nous avons des intérêts et des objectifs communs. Si nous avons des inquiétudes quant aux déclarations et aux actions récentes de la Russie sur de grandes questions de sécurité suscitant de part et d'autre des préoccupations, telles que le Traité sur les forces armées conventionnelles en Europe (FCE), nous nous tenons néanmoins prêts à continuer de travailler avec elle en tant que partenaires égaux dans des domaines d'intérêt commun, comme le prévoient la Déclaration de Rome et l’Acte fondateur. Il nous faut poursuivre nos efforts communs dans les domaines de la lutte contre le terrorisme et de la non-prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs. Nous exhortons la Russie à donner suite aux importantes offres de coopération qui lui ont été faites. Nous estimons que les discussions bilatérales États-Unis-Russie portant, entre autres, sur la défense antimissile et les FCE, peuvent apporter une contribution importante dans ce domaine. Nous estimons en outre que le potentiel que renferme le Conseil OTAN-Russie n’est pas pleinement exploité, et nous restons prêts à définir et à mettre à profit les possibilités d’actions conjointes, à 27, tout en rappelant le principe selon lequel l’OTAN et la Russie prennent leurs décisions et agissent de manière indépendante. Nous réaffirmons à la Russie que la politique de la porte ouverte adoptée par l’OTAN et les efforts que cette dernière mène actuellement, de même que ceux qu’elle pourrait mener à l’avenir, en matière de défense antimissile, ont pour but de mieux répondre aux défis de sécurité auxquels nous sommes tous confrontés, et nous rappelons que, loin de faire peser une menace sur notre relation, cette politique et ces efforts offrent des possibilités d’approfondir la coopération et d’accroître la stabilité.

Nous prenons note de la ratification par la Russie de la Convention sur le statut des forces applicable au Partenariat pour la paix, et nous espérons qu’elle facilitera la poursuite de la coopération pratique. Nous apprécions que la Russie soit disposée à apporter son soutien à la mission de la FIAS dirigée par l'OTAN en Afghanistan en facilitant le transit par le territoire russe. Nous souhaiterions voir s’approfondir la coopération entre l’OTAN et la Russie à l’appui du gouvernement afghan, et ce avec l’accord de celui-ci, et nous espérons pouvoir mettre à profit le solide travail déjà accompli en matière de formation des officiers chargés de la lutte antidrogue en Afghanistan et en Asie centrale. La collaboration qui se poursuit au titre de notre initiative sur l'espace aérien en coopération et le soutien que la Russie apporte à l'opération Active Endeavour en Méditerranée contribuent à notre lutte commune contre le terrorisme. Nous nous félicitons également de notre coopération pour ce qui est de l’interopérabilité militaire, de la défense contre les missiles de théâtre, de la recherche et du sauvetage en mer, ainsi que des plans civils d’urgence.

Nous réaffirmons que la politique d’ouverture de l’OTAN, fondée sur les partenariats, le dialogue et la coopération, est un élément essentiel à la réalisation de l’objectif et des tâches de l’Alliance. Les partenariats de l’Alliance à travers le monde, dont l’utilité ne se dément pas, contribuent à la stabilité et à la sécurité dans la région euro-atlantique et au-delà. Dans cet esprit, nous nous félicitons des progrès accomplis depuis notre dernier sommet, tenu à Riga, s’agissant de renforcer la politique de partenariats et de coopération qui est celle de l’OTAN, et nous réaffirmons notre engagement à entreprendre de nouveaux efforts en ce sens.

Nous attachons une grande importance aux contributions que nos partenaires apportent aux missions et aux opérations menées par l'OTAN. Dix-sept pays extérieurs à l'Alliance fournissent des forces pour nos opérations et nos missions, et de nombreux autres pays offrent un soutien sous différentes formes. Nous continuerons de nous employer à favoriser une plus grande interopérabilité entre nos forces et celles des pays partenaires, à accroître encore le partage des informations et les consultations avec les pays contribuant aux opérations dirigées par l'OTAN, ainsi qu'à fournir aux pays partenaires des avis et une assistance concernant les aspects de la réforme liés à la défense et à la sécurité.

Nous sommes heureux d’accueillir nos Partenaires euro-atlantiques au sommet de Bucarest et réaffirmons que le Conseil de partenariat euro-atlantique (CPEA) et le programme du Partenariat pour la paix (PPP) conservent toute leur valeur. Nous restons attachés à ce que ces structures soient le cadre de discussions politiques de fond et d’une coopération efficace. Nous nous félicitons du retour de Malte au sein du PPP, et nous nous réjouissons à la perspective de voir ce pays participer activement au CPEA. Nous sommes satisfaits du renforcement du dialogue politique que permet le Forum du CPEA sur la sécurité. Nous accorderons la priorité à plusieurs nouvelles initiatives concrètes concernant, entre autres, le développement de l’intégrité dans les institutions de défense, ou encore le rôle important des femmes dans le règlement des conflits, tel que le décrit la résolution 1325 du Conseil de sécurité de l’ONU. Nous saluons le travail du Centre euro-atlantique de coordination des réactions en cas de catastrophe, qui, à diverses reprises au cours des dix dernières années, a assuré avec succès la coordination des contributions apportées par les pays de l’OTAN et par les pays partenaires aux opérations de secours en cas de catastrophe. Nous continuerons de faire pleinement usage des fonds d'affectation spéciale OTAN/PPP et de les étendre à d'autres pays partenaires. Nous apprécions et continuerons de soutenir l'engagement de tous les Partenaires intéressés de la zone euro-atlantique dans des programmes destinés à appuyer les réformes dans le domaine de la défense et dans des domaines plus larges, y compris le plan d'action individuel pour le Partenariat. Rappelant la décision prise au sommet d’Istanbul, nous sommes résolus à collaborer avec nos Partenaires des régions stratégiquement importantes que sont le Caucase et l’Asie centrale, notamment en renforçant les arrangements de liaison dans ces régions, et nous poursuivrons le dialogue sur l’Afghanistan avec nos Partenaires d'Asie centrale. Nous apprécions les contributions importantes fournies par nos Partenaires du CPEA aux opérations de l’Alliance, et nous nous réjouissons à la perspective de travailler avec ces pays afin de relever les défis de sécurité du XXIe siècle.

Nous prenons note avec satisfaction des progrès importants accomplis dans le cadre du Dialogue méditerranéen depuis les sommets d’Istanbul et de Riga. Les consultations politiques avec nos partenaires du Dialogue méditerranéen ont gagné à la fois en fréquence et en substance, et la réunion qu’ont tenue en décembre dernier les ministres des Affaires étrangères de nos pays et des sept pays du Dialogue méditerranéen a contribué à l'approfondissement de notre partenariat. Nous comptons donc poursuivre dans cette voie par le renforcement, sur base volontaire, de nos arrangements de liaison avec les pays de la région. Notre coopération pratique s’est développée dans plusieurs domaines, et de nouvelles possibilités ont été créées, notamment en matière de formation et d’entraînement. Nous nous félicitons des progrès réalisés dans la mise en œuvre de l’initiative OTAN de coopération en matière de formation, dans un esprit de coappropriation et dans la perspective du lancement du cours OTAN de coopération régionale au Collège de défense de l’OTAN, où deux cours pilotes se sont déroulés avec succès. Nous engageons nos partenaires du Dialogue méditerranéen à collaborer avec nous en vue de développer encore cette initiative. L’adoption de programmes de coopération individuels avec l’Égypte et Israël contribuera à l’établissement d’une coopération durable, structurée et efficace avec ces pays. Nous encourageons nos autres partenaires du Dialogue méditerranéen à élaborer à leur tour, dans un avenir proche, un programme de coopération individuel. Nous nous réjouissons de la mise en œuvre du tout premier projet mené au titre d'un fonds d'affectation spéciale dans le cadre du Dialogue méditerranéen, projet destiné à aider la Jordanie à procéder à la neutralisation des explosifs et des munitions, ainsi que du lancement de l’étude de faisabilité d’un fonds d’affectation spéciale visant à aider la Mauritanie dans la neutralisation des munitions. Nous remercions nos partenaires du Dialogue méditerranéen pour les diverses contributions qu’ils apportent à nos opérations et à nos missions.

Nous nous réjouissons de la suite donnée par quatre pays de la région du Golfe à l’offre de coopération que nous avons faite dans le cadre de l’Initiative de coopération d’Istanbul (ICI), et nous encourageons les autres pays de la région à saisir cette offre. À cette fin, nous prévoyons le développement, sur base volontaire, de nos arrangements de liaison avec les pays de la région. Nous sommes satisfaits de voir ces pays manifester un intérêt accru pour les activités de formation et d’entraînement de l’OTAN et y participer davantage, et nous sommes prêts à renforcer notre coopération dans ce domaine comme dans d’autres. Nous nous félicitons des progrès réalisés dans la mise en œuvre de l’initiative OTAN de coopération en matière de formation, dans un esprit de coappropriation et dans la perspective du lancement du cours OTAN de coopération régionale au Collège de défense de l’OTAN, où deux cours pilotes se sont déroulés avec succès. Nous engageons nos partenaires de l’ICI à collaborer avec nous en vue de développer encore cette initiative. Nous les encourageons à établir un programme de coopération individuel en vue de mieux structurer notre coopération. Nous apprécions vivement le soutien apporté par nos partenaires de l’ICI aux opérations et aux missions que mène l’Alliance.

L’Alliance attache un grand prix aux relations diverses qu’elle développe avec d’autres partenaires dans le monde. Les objectifs que nous poursuivons dans ces relations sont notamment le soutien des opérations, la coopération en matière de sécurité, et le rapprochement des positions au service d’intérêts de sécurité et de valeurs démocratiques partagés. Nous avons accompli des progrès substantiels dans l’instauration d’un dialogue politique et dans l'établissement de paquets individuels et adaptés d'activités en coopération avec un certain nombre de ces pays. Nous nous réjouissons en particulier de la contribution importante qu’apportent l’Australie, le Japon, la Nouvelle-Zélande et Singapour aux efforts menés sous la direction de l’OTAN en Afghanistan. Nous nous réjouissons également des contributions appréciables de la République de Corée aux efforts de soutien de la mission dirigée par l’OTAN en Afghanistan. Reconnaissant que ces pays recherchent chacun un degré différent de relation avec l’OTAN, et que d’autres pays pourraient à leur tour souhaiter engager avec elle un dialogue et une coopération, nous réaffirmons que nous sommes à la fois désireux de développer les relations individuelles existantes et disposés à en établir de nouvelles, sous réserve de l'approbation du Conseil de l'Atlantique Nord, à un rythme qui respecte les intérêts de chaque partie.

Nous réaffirmons que la région de la mer Noire demeure importante pour la sécurité euro-atlantique. À cet égard, nous nous félicitons des progrès réalisés dans le renforcement de l’appropriation régionale, grâce à l’usage efficace des initiatives et des mécanismes existants. L’Alliance continuera d’apporter, comme il conviendra, un soutien à ces efforts, en fonction des priorités régionales et suivant les principes de transparence, de complémentarité et d’inclusivité, afin de développer le dialogue et la coopération avec les États de la mer Noire et entre eux.

La prolifération des missiles balistiques représente une menace croissante pour les forces, le territoire, et la population des pays de l'Alliance. La défense antimissile s’inscrit dans le cadre d’une réponse plus large visant à contrer cette menace. Nous reconnaissons donc la contribution substantielle que le projet d'implantation en Europe de moyens de défense antimissile des États-Unis apporte à la protection des Alliés contre les missiles balistiques à longue portée. Nous analysons actuellement les moyens d’associer cette capacité aux efforts en cours à l'OTAN en matière de défense antimissile de manière à ce qu’elle puisse être intégrée dans toute architecture future de défense antimissile à l’échelle de l’OTAN. Soucieux de respecter le principe de l’indivisibilité de la sécurité des Alliés, ainsi que la solidarité au sein de l’OTAN, nous chargeons le Conseil en session permanente de définir des options pour une architecture globale de défense antimissile visant à étendre la couverture au territoire et à la population de tous les pays de l’Alliance non couverts par le système des États-Unis ; ces options, destinées à préparer toute décision politique qui pourrait être prise à l’avenir, seront examinées à notre sommet de 2009.

Nous nous félicitons également des travaux déjà entrepris en vue de renforcer la coopération OTAN-Russie dans le domaine de la défense antimissile. Nous sommes déterminés à assurer la plus grande transparence et à mettre en place des mesures de confiance réciproques afin de répondre à toute préoccupation éventuelle. Nous encourageons la Fédération de Russie à mettre à profit les propositions de coopération en matière de défense antimissile formulées par les États-Unis, et nous sommes prêts à étudier les possibilités de relier les systèmes de défense antimissile des États-Unis, de l’OTAN et de la Russie en temps opportun.

Nous réaffirmons que la maîtrise des armements, le désarmement et la non-prolifération continueront d'apporter une contribution importante à la paix, à la sécurité et à la stabilité, et plus particulièrement à la prévention de la dissémination et de l’emploi d’armes de destruction massive et de leurs vecteurs. Nous avons pris note du rapport élaboré à notre intention sur la mise en valeur du rôle de l’OTAN dans ce domaine. Dans le cadre d’une réponse plus large aux questions de sécurité, l’OTAN doit continuer de contribuer aux efforts internationaux en matière de maîtrise des armements, de désarmement et de non-prolifération, et nous chargeons le Conseil en session permanente de suivre activement ces questions.

L’Alliance a considérablement réduit ses forces conventionnelles depuis l’époque de la Guerre froide, et elle a réduit de plus de 90 % le nombre d’armes nucléaires affectées à l’OTAN. Les Alliés ont également réduit leurs arsenaux nucléaires. La France n'a plus que deux types de systèmes nucléaires, et elle a diminué de plus de moitié le nombre de ses vecteurs nucléaires ; elle a aussi annoncé qu’elle allait ramener à moins de 300 le nombre de ses têtes nucléaires, et qu’elle n’aurait aucune autre arme que celles de ses stocks opérationnels. Le Royaume-Uni n’a plus qu’un seul système nucléaire, il a réduit de 75 % la puissance explosive de son stock d’armes nucléaires, et il a ramené à moins de 160 le nombre de ses têtes nucléaires disponibles opérationnellement. Les États-Unis ont, quant à eux, ramené leur stock d'armes nucléaires à moins de 25 % de ce qu'il était au plus fort de la Guerre froide, et ils ont diminué de près de 90 % le nombre d’armes nucléaires tactiques affectées à l'OTAN.

Nous restons profondément préoccupés par les risques de prolifération que représentent les programmes de l'Iran dans les domaines du nucléaire et des missiles balistiques. Nous appelons ce pays à se conformer pleinement aux résolutions 1696, 1737, 1747 et 1803 du Conseil de sécurité de l'ONU. Nous sommes en outre profondément préoccupés par les activités de prolifération auxquelles se livre la République populaire démocratique de Corée, et nous appelons ce pays à se conformer pleinement à la résolution 1718 du Conseil de sécurité de l’ONU. Les Alliés réaffirment leur soutien aux accords multilatéraux de non-prolifération en vigueur, tel que le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, et ils appellent au respect universel de ce traité, à l’adhésion universelle au protocole additionnel à l’accord de garanties de l’Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), et au plein respect de la résolution 1540 du Conseil de sécurité de l’ONU. Les Alliés sont convenus de redoubler leurs efforts en vue de la pleine application des accords de non-prolifération et des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, auxquels ils réaffirment leur soutien et par lesquels ils sont liés.

Nous souscrivons pleinement à la déclaration du Conseil de l’Atlantique Nord du 28 mars 2008 et réaffirmons l’attachement de l’Alliance au régime du Traité FCE, exprimé dans la position de l’Alliance décrite au paragraphe 42 de la déclaration diffusée en 2006 à l'issue du sommet de Riga, dans la déclaration finale des Alliés à la conférence extraordinaire des États parties au Traité FCE tenue à Vienne et dans d'autres déclarations de l'Alliance reflétant les développements intervenus depuis lors. Nous attachons le plus grand prix au régime du Traité FCE et à tous ses éléments, et nous soulignons l’importance stratégique du Traité FCE, notamment de son régime des flancs, en tant que pierre angulaire de la sécurité euro-atlantique. Nous sommes vivement préoccupés par le fait que la Fédération de Russie ait maintenu la « suspension » unilatérale des obligations juridiques qui sont les siennes au titre du Traité FCE. Cette action ne sert pas notre objectif commun consistant à préserver la viabilité à long terme du régime FCE, et nous appelons instamment la Fédération de Russie à reprendre l’application du Traité. La situation actuelle, qui voit des Alliés parties au Traité FCE en appliquer les dispositions, alors que la Russie ne les applique pas, ne peut se prolonger indéfiniment. Nous avons avancé un ensemble de propositions constructives et tournées vers l'avenir, qui portent sur des actions parallèles relatives à des questions clés, notamment sur des mesures qui seraient prises par les Alliés sur la ratification du Traité FCE adapté et par la Fédération de Russie sur les engagements restant à remplir concernant la Géorgie et la République de Moldova. Nous pensons que ces propositions répondent à toutes les préoccupations exprimées par la Russie. Nous encourageons les autorités russes à travailler en coopération avec nous, et avec les autres États parties au Traité FCE concernés, pour parvenir à un accord sur la base du plan d’actions parallèles proposé afin qu'ensemble nous puissions préserver les avantages de ce régime historique.

Nous sommes préoccupés par la persistance de conflits régionaux dans le Sud-Caucase et en République de Moldova. Nos pays appuient l’intégrité territoriale, l’indépendance et la souveraineté de l’Arménie, de l’Azerbaïdjan, de la Géorgie et de la République de Moldova. Nous continuerons de soutenir les efforts visant à parvenir à un règlement pacifique de ces conflits régionaux, compte tenu de ces principes.

Nous avons déjà bien avancé dans nos travaux visant à transformer nos forces et nos capacités suivant nos objectifs politiques, en particulier les priorités énoncées dans la directive politique globale, et suivant notre expérience opérationnelle. Nous poursuivrons ce processus pour faire en sorte que l’Alliance reste à même d'assumer ses engagements opérationnels et de mener à bien toute la gamme de ses missions. Nos opérations mettent en évidence la nécessité de développer et d'aligner des forces modernes, interopérables, souples et soutenables. Ces forces doivent être capables de conduire, sur décision du Conseil, des opérations de défense collective et de réponse aux crises sur le territoire de l’Alliance et au-delà, à sa périphérie et à distance stratégique, avec un soutien faible ou nul de la part du pays hôte. Nous veillerons aussi à disposer des capacités adéquates pour pouvoir faire face à l’évolution des défis de sécurité du XXIe siècle et, dans cette optique, nous procéderons aux transformations, aux adaptations et aux réformes nécessaires.

La transformation est un processus de longue durée qui exige une attention constante et active. Nous soutenons par conséquent les travaux de nos ministres de la Défense, qui supervisent la gestion des aspects de la transformation relatifs à la défense pour faire en sorte que l’OTAN demeure efficace et efficiente, en particulier en poursuivant les efforts engagés dans divers domaines, mentionnés ci-après.

Nous devons veiller à mettre à disposition les forces requises pour nos opérations et autres engagements. À cette fin, nous poursuivrons les efforts qui doivent nous permettre de déployer et soutenir davantage de forces. Nous sommes résolus à appuyer la Force de réaction de l’OTAN en mettant à sa disposition les forces nécessaires, et à améliorer la disponibilité des forces de réserve stratégiques et opérationnelles pour nos opérations. Nous chercherons à obtenir dans nos pays un plus grand soutien à l’égard de nos opérations, y compris en adoptant de meilleures stratégies de diplomatie publique.

Nous poursuivrons le développement des capacités requises pour mener à bien toute la gamme de nos missions et pour remédier à certaines insuffisances spécifiques. Nous nous emploierons particulièrement à améliorer le transport stratégique et le transport aérien intrathéâtre, notamment en ce qui concerne la fourniture d’hélicoptères aptes à la mission, et nous saluons les initiatives nationales appuyant ces travaux ; nous nous attacherons aussi à la question de la logistique multinationale. Nous accroîtrons encore la supériorité informationnelle par des capacités en réseau, y compris un système intégré de commandement et de contrôle aériens, par une meilleure connaissance de la situation maritime et par la mise sur pied, dans les délais, de la capacité alliée de surveillance terrestre. Nous continuerons d’accroître la capacité et l’interopérabilité de nos forces d'opérations spéciales. Nous appuyant sur les processus de planification de défense, nous intensifierons nos efforts en vue de mettre sur pied et de déployer les capacités et les forces appropriées, dont l’interopérabilité et la normalisation seront aussi poussées que possible. Notre action sera renforcée par l’amélioration de la coopération transatlantique s’agissant des industries de défense.

Nous sommes déterminés à développer des politiques et des capacités permettant de faire face aux menaces et aux défis nouveaux. Il s'agit notamment d'élaborer une politique globale pour prévenir la prolifération des armes de destruction massive (ADM) et se défendre contre les menaces chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires.

Nous poursuivons l’adaptation et la réforme des structures et des processus de l'Alliance. Dans ce contexte, nous réexaminons le tableau d’effectifs du temps de paix de la structure de commandement de l'OTAN pour rendre cette structure plus légère, plus efficace et plus efficiente ; et nous réformons les processus de planification de défense afin de faciliter la fourniture en temps voulu des capacités visées par la directive politique globale.

Cette transformation n’est possible que si l’on y consacre des ressources suffisantes, assorties de priorités adéquates. Nous entendons continuer de fournir, individuellement et collectivement, les ressources nécessaires pour permettre à notre Alliance d’accomplir les tâches que nous lui assignons. Ainsi, nous encourageons les pays dont les dépenses de défense sont en diminution à mettre fin à cette situation et à s'efforcer d'accroître leurs dépenses de défense en termes réels.

L’OTAN reste déterminée à renforcer la protection de ses systèmes informatiques clés contre les cyberattaques. Nous avons récemment adopté une politique sur la cyberdéfense, et nous définissons les structures et les autorités pour son application. Notre politique sur la cyberdéfense souligne la nécessité pour l'OTAN et pour les pays de protéger les systèmes d'information clés conformément à leurs responsabilités respectives, de mettre en commun les meilleures pratiques, et de mettre en place une capacité visant à aider, sur demande, les pays de l'Alliance à contrer les cyberattaques. Nous comptons bien poursuivre le développement des capacités de l’OTAN en matière de cyberdéfense et renforcer les liaisons entre l’OTAN et les autorités nationales.

Nous avons pris note du rapport intitulé « Rôle de l'OTAN en matière de sécurité énergétique », qui a été élaboré suite au mandat donné au sommet de Riga. Les Alliés ont établi les principes qui régiront l'approche de l'OTAN dans ce domaine, et ils ont exposé des options et formulé des recommandations pour la poursuite des activités. Sur la base de ces principes, l’OTAN travaillera dans les domaines suivants : fusion et partage des informations et du renseignement, projection de la stabilité, promotion de la coopération internationale et régionale, soutien à la gestion des conséquences, et soutien à la protection des infrastructures énergétiques essentielles. L’Alliance continuera de mener des consultations sur les risques les plus immédiats en matière de sécurité énergétique. Nous veillerons à ce que les actions de l’OTAN apportent une valeur ajoutée et à ce qu'elles s’intègrent, en pleine coordination avec elles, dans celles de la communauté internationale, qui compte un certain nombre d’organisations spécialisées dans la sécurité énergétique. Nous avons chargé le Conseil en session permanente d'élaborer un rapport de synthèse sur les progrès accomplis dans le domaine de la sécurité énergétique, que nous examinerons au sommet de 2009.

Au cours des vingt dernières années, la complexité des exigences auxquelles est soumise notre Alliance a augmenté à mesure qu’évoluait l'environnement de sécurité et tandis que s’accroissaient la portée de nos missions et de nos opérations, comme le nombre de nos membres. Cela implique une adaptation et une réforme constantes des structures et des processus du siège de l'OTAN. Nous prenons note des progrès accomplis à cet égard dans le cadre de la transformation générale de l’OTAN, mais il faut aller plus loin, notamment pour tirer pleinement parti du déménagement vers un nouveau Siège. Dans l’examen des domaines où il nous faut apporter des changements, nous devons davantage mettre à profit les enseignements tirés de notre expérience s’agissant de remplir nos fonctions essentielles, et notamment de répondre aux besoins liés aux opérations, au développement des capacités, au partenariat et à la communication stratégique. Dans le prolongement des travaux menés par nos ministres de la Défense pour faire progresser le volet défense de la transformation, les Alliés devront aussi étudier les moyens de parvenir à une rapidité et à une cohérence maximales dans la transmission de solides avis politiques, militaires et en matière de ressources à l'appui de notre prise de décision par consensus, ainsi que les moyens d’accroître notre réactivité aux besoins opérationnels tributaires du facteur temps, y compris ceux des commandants de l'OTAN. Nous avons demandé au Secrétaire général de définir la voie à suivre pour atteindre ces objectifs à temps pour le sommet de 2009.

Nous exprimons notre sincère gratitude au gouvernement roumain pour sa gracieuse hospitalité. La ville de Bucarest a accueilli le plus grand sommet jamais tenu par l’OTAN, témoignage de la détermination de l’Alliance à collaborer étroitement avec la communauté internationale et de sa contribution unique s’agissant de promouvoir la sécurité et la stabilité dans un environnement stratégique en mutation rapide. À notre réunion, nous avons pris des décisions et donné de nouvelles orientations en vue de la poursuite de l’adaptation de l’OTAN à cet environnement par ses missions et ses opérations, par la modernisation de ses structures et de ses capacités, par le resserrement des liens avec d’autres pays et d’autres organisations, ainsi que par le maintien de son ouverture à l'adhésion de nouveaux États. Nous avons renforcé notre dialogue et notre coopération avec les pays et les organisations qui sont essentiels à notre sécurité. Nous nous réunirons de nouveau l’année prochaine à Strasbourg et à Kehl pour célébrer le 60e anniversaire de l’OTAN, pour faire le point sur son adaptation, et pour continuer de tracer la voie de la modernisation de notre Alliance en vue de relever les défis de sécurité du XXIe siècle.

 


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   Annexe 8 :

Discours de Vladimir Poutine, président de la Fédération de Russie, sur la situation en Ukraine et l’indépendance des républiques autoproclamées, à Moscou, le 21 février 2022

 

Chers citoyens de Russie ! Chers amis !

Le sujet de mon discours est les événements en Ukraine et pourquoi c'est si important pour nous, pour la Russie. Bien entendu, mon adresse s'adresse également à nos compatriotes d'Ukraine.

Je vais devoir parler longuement et en détail. La question est très sérieuse.

La situation dans le Donbass est redevenue critique et aiguë. Et aujourd'hui, je m'adresse directement à vous, non seulement pour faire le point sur ce qui se passe, mais aussi pour vous informer des décisions qui sont prises et des éventuelles étapes ultérieures dans cette direction. Je tiens à souligner une fois de plus que l'Ukraine n'est pas pour nous un simple pays voisin. Elle fait partie intégrante de notre propre histoire, de notre culture et de notre espace spirituel. Il s'agit de nos amis, de nos parents, non seulement de nos collègues, amis et anciens collègues de travail, mais aussi de nos parents et des membres de notre famille proche.

Depuis les temps anciens, les habitants des terres historiques du sud-ouest de l'ancienne Russie se sont appelés Russes et chrétiens orthodoxes. Il en était ainsi avant le XVIIe siècle, lorsqu'une partie de ces territoires a été réunifiée avec l'État russe, et après. Il nous semble qu'en principe, nous sommes tous au courant, que nous parlons de faits connus. Toutefois, pour comprendre ce qui se passe aujourd'hui, pour expliquer les motifs des actions de la Russie et les objectifs que nous nous sommes fixés, il est nécessaire de dire au moins quelques mots sur l'histoire de la question.

Permettez-moi donc de commencer par le fait que l'Ukraine moderne a été entièrement créée par la Russie, ou plus précisément, par la Russie bolchevique et communiste. Le processus a commencé presque immédiatement après la révolution de 1917, et Lénine et ses compagnons d'armes l'ont fait d'une manière très grossière à la Russie elle-même – par la sécession, en arrachant des parties de ses propres territoires historiques. Personne, bien sûr, n'a demandé quoi que ce soit aux millions de personnes qui y vivaient.

Puis, à la veille et après la Grande Guerre patriotique, Staline avait déjà annexé à l'URSS et transféré à l'Ukraine certaines terres qui appartenaient auparavant à la Pologne, à la Roumanie et à la Hongrie. En guise de compensation, Staline a donné à la Pologne certaines de ses terres allemandes ancestrales et, en 1954, Khrouchtchev a pris la Crimée à la Russie pour une raison quelconque et l'a également donnée à l'Ukraine. En fait, c'est ainsi que s'est formé le territoire de l'Ukraine soviétique.

Mais je veux maintenant accorder une attention particulière à la période initiale de la création de l'URSS. Je pense que c'est très important pour nous. Nous devrons y aller, comme on dit, de loin. Permettez-moi de vous rappeler qu'après la révolution d'octobre 1917 et la guerre civile qui a suivi, les bolcheviks ont commencé à construire un nouvel État et qu'il y a eu pas mal de désaccords entre eux. Staline, qui cumule en 1922 les fonctions de secrétaire général du Comité central du PCR(b) et de commissaire du peuple pour les nationalités, propose de construire le pays sur les principes de l'autonomisation, c'est-à-dire de donner aux républiques – les futures unités administratives-territoriales – de larges pouvoirs au fur et à mesure de leur adhésion à l'État unifié.

Lénine critique ce plan et propose de faire des concessions aux nationalistes, comme il les appelle à l'époque – les « indépendants ». Ce sont les idées de Lénine sur une structure étatique essentiellement confédérative et sur le droit des nations à l'autodétermination jusqu'à la sécession qui ont constitué le fondement de l'État soviétique : d'abord en 1922, elles ont été consacrées dans la Déclaration sur l'Union des républiques socialistes soviétiques, puis, après la mort de Lénine, dans la Constitution de l'URSS de 1924.

De nombreuses questions se posent immédiatement ici. Et la première d'entre elles, en fait, est la principale : pourquoi était-il nécessaire d'assouvir du haut de l'épaule de l'aubaine les ambitions nationalistes sans cesse croissantes aux confins de l'ancien empire ? Transférer d'immenses territoires, souvent sans lien entre eux, à des unités administratives nouvellement créées, et souvent formées de manière arbitraire – les républiques d'union. Je répète, pour être transféré avec la population de la Russie historique.

De plus, dans les faits, ces unités administratives ont reçu le statut et la forme d'entités étatiques nationales. Je me demande une fois de plus : pourquoi fallait-il faire des cadeaux aussi généreux dont les nationalistes les plus ardents ne rêvaient même pas auparavant, et en plus donner aux républiques le droit de se séparer de l'État unique sans aucune condition ?

À première vue, c'est totalement incompréhensible, c'est de la folie. Mais ce n'est qu'à première vue. Il y a une explication. Après la révolution, la tâche principale des bolcheviks était de conserver le pouvoir, c'est-à-dire à n'importe quel prix. Pour cela, ils sont allés jusqu'au bout : aux conditions humiliantes du traité de Brest, à une époque où l'Allemagne du Kaiser et ses alliés se trouvaient dans la situation militaire et économique la plus difficile, et où l'issue de la Première Guerre mondiale était en fait prédéterminée, et pour répondre à toutes les exigences, à tous les désirs des nationalistes à l'intérieur du pays.

Du point de vue des destins historiques de la Russie et de ses peuples, les principes de construction de l’État de Lénine se sont avérés n’être pas seulement une erreur, c’était, comme on dit, bien pire qu’une erreur. Après l’effondrement de l’URSS en 1991, cela est devenu absolument évident.

Bien sûr, les événements du passé ne peuvent pas être changés, mais nous devons au moins en parler directement et honnêtement, sans aucune réserve et sans aucune coloration politique. Je ne peux qu’ajouter que les considérations de la situation politique actuelle, aussi spectaculaires et avantageuses qu’elles puissent paraître à un moment donné, ne doivent en aucun cas et ne peuvent servir de base aux principes fondamentaux de l’État.

Je n’accuse personne de quoi que ce soit maintenant, la situation dans le pays à cette époque et après la guerre civile, la veille, était incroyablement difficile et critique. Aujourd’hui, je veux juste dire que tout était comme ça. C’est un fait historique. En fait, comme je l’ai déjà dit, à la suite de la politique bolchevique, l’Ukraine soviétique est apparue, qui peut aujourd’hui être appelée à juste titre « Ukraine nommée d’après Vladimir Ilitch Lénine ». Il en est l’auteur et l’architecte. Ceci est pleinement confirmé par des documents d’archives, y compris les directives sévères de Lénine sur le Donbass, qui a été littéralement coincé en Ukraine. Et maintenant, les « descendants reconnaissants » ont démoli des monuments à Lénine en Ukraine. Ils appellent cela la décommunisation.

Voulez-vous la décommunisation ? Eh bien, nous sommes d’accord avec cela. Mais il n’est pas nécessaire, comme on dit, de s’arrêter à mi-chemin. Nous sommes prêts à vous montrer ce que signifie une véritable décommunisation pour l’Ukraine.

Pour en revenir à l’histoire de la question, je répète qu’en 1922, l’URSS a été formée dans l’espace de l’ancien Empire russe. Mais la vie elle-même a immédiatement montré qu’il est tout simplement impossible de préserver un territoire aussi vaste et complexe, ou de le gérer sur la base des principes amorphes proposés, en fait confédéraux. Ils étaient complètement divorcés de la réalité et de la tradition historique.

Il est naturel que la Terreur rouge et la transition rapide vers la dictature stalinienne, la domination de l’idéologie communiste et le Monopole du Parti communiste sur le pouvoir, la nationalisation et le système planifié de l’économie nationale – tout cela s’est en fait transformé en une simple déclaration, en une formalité les principes déclarés, mais non fonctionnels, de la structure étatique. En réalité, les républiques de l’Union n’avaient aucun droit souverain, elles n’existaient tout simplement pas. Et dans la pratique, un État strictement centralisé, absolument unitaire a été créé.

En fait, Staline a pleinement mis en œuvre dans la pratique non pas celle de Lénine, mais ses propres idées de la structure de l’État. Mais il n’a pas apporté de modifications correspondantes aux documents de formation de système à la Constitution du pays, et n’a pas formellement révisé les principes léninistes proclamés de la construction de l’URSS. Oui, apparemment, il semblait que ce n’était pas nécessaire – dans les conditions d’un régime totalitaire, tout fonctionnait de toute façon, et avait l’air beau, attrayant et même super-démocratique.

Et pourtant, il est dommage, c’est dommage, que des fondements fondamentaux, formellement légaux sur lesquels tout notre État a été construit, odieux, utopique, inspiré par la révolution, mais absolument destructeur pour tout fantasme de pays normal n’aient pas été nettoyés en temps opportun. À propos de l’avenir, comme cela nous arrivait souvent auparavant, personne n’y pensait.

Les dirigeants du Parti communiste semblaient confiants qu’ils avaient réussi à former un système de gouvernement solide, que par leur politique, ils avaient finalement résolu la question nationale. Mais les falsifications, la substitution de concepts, la manipulation de la conscience publique et la tromperie coûtent cher. Le bacille des ambitions nationalistes n’a pas disparu, et la mine initiale, sapant l’immunité de l’État contre la contagion du nationalisme, n’attendait que dans les coulisses. Une telle mine, je le répète, était le droit de se retirer de l’URSS.

Au milieu des années 1980, dans le contexte de problèmes socio-économiques croissants et de la crise évidente de l’économie planifiée, la question nationale, dont l’essence n’était pas certaines attentes et aspirations insatisfaites des peuples de l’Union, mais surtout les appétits croissants des élites locales, est devenue de plus en plus aiguë.

Cependant, la direction du PCUS, au lieu d’une analyse approfondie de la situation, prenant des mesures adéquates, principalement dans l’économie, ainsi qu’une transformation progressive, réfléchie et équilibrée du système politique et de la structure de l’État, s’est limitée à un verbiage franc sur la restauration du principe léniniste de l’autodétermination nationale.

De plus, au cours de la lutte pour le pouvoir au sein du Parti communiste lui-même, chacun des partis belligérants, afin d’élargir la base de soutien, a commencé à stimuler, à encourager sans réfléchir les sentiments nationalistes, à jouer sur eux, en promettant à leurs partisans potentiels tout ce qu’ils voulaient. Dans le contexte de bavardages superficiels et populistes sur la démocratie et d’un avenir brillant construit sur la base d’un marché ou d’une économie planifiée, mais dans des conditions d’appauvrissement réel des personnes et de pénuries totales, aucune des puissances qui doivent penser aux conséquences tragiques inévitables pour le pays.

Et puis ils ont complètement suivi le chemin emprunté à l’aube de la création de l’URSS pour satisfaire les ambitions des élites nationalistes adultes dans leurs propres rangs du parti, tout en oubliant que le PCUS n’a plus, et Dieu merci, de tels outils pour conserver le pouvoir et le pays lui-même comme la terreur d’État, une dictature de type stalinien. Et que même le rôle de leadership notoire du parti, comme le brouillard matinal, disparaît sans laisser de trace sous leurs yeux.

Et en septembre 1989, lors du plénum du Comité central du PCUS, un document fatidique a été adopté – la soi-disant politique nationale du parti dans des conditions modernes, la plate-forme du PCUS. Il contenait les dispositions suivantes, pour citer : « Les républiques de l’Union ont tous les droits correspondant à leur statut d’États socialistes souverains. »

Autre point : « Les organes représentatifs suprêmes du pouvoir des républiques de l’Union peuvent protester et suspendre l’effet des résolutions et des ordres du gouvernement de l’Union sur leur territoire. ». Et enfin : « Chaque république de l’Union a sa propre citoyenneté, qui s’applique à tous ses habitants ».

N’était-il pas évident à quoi conduiraient une telle formulation et de telles décisions ?

Ce n’est pas le moment, pas le lieu d’entrer dans les questions de droit de l’État ou constitutionnel, de définir le concept même de citoyenneté. Mais la question se pose toujours : pourquoi dans ces conditions déjà difficiles était-il nécessaire de secouer encore plus le pays de cette manière ? Le fait demeure.

Deux ans avant l’effondrement de l’URSS, son sort était en fait prédéterminé. Ce sont maintenant les radicaux et les nationalistes, y compris et surtout en Ukraine, qui s’attribuent le mérite d’obtenir l’indépendance. Comme nous pouvons le constater, ce n’est pas du tout le cas. La désintégration de notre pays uni a été causée par les erreurs historiques et stratégiques des dirigeants des bolcheviks, la direction du PCUS, commises à différents moments dans la construction de l’État, la politique économique et nationale. L’effondrement de la Russie historique sous le nom de l’URSS sur leur conscience.

Malgré toutes ces injustices, tromperies et vols purs et simples de la Russie, notre peuple, à savoir le peuple, a reconnu les nouvelles réalités géopolitiques qui ont surgi après l’effondrement de l’URSS, a reconnu les Nouveaux États indépendants. Et non seulement il a admis que la Russie elle-même, étant dans une situation difficile à ce moment-là, a aidé ses partenaires de la CEI, y compris des collègues ukrainiens, de qui de nombreuses demandes de soutien matériel ont commencé à venir dès le moment de la déclaration d’indépendance. Et notre pays a fourni un tel soutien dans le respect de la dignité et de la souveraineté de l’Ukraine.

Selon les estimations des experts, qui sont confirmées par un simple calcul des prix de nos ressources énergétiques, le volume des prêts préférentiels, des préférences économiques et commerciales que la Russie a accordés à l’Ukraine, le bénéfice total pour le budget ukrainien pour la période de 1991 à 2013 s’élevait à environ 250 milliards de dollars.

Mais ce n'est pas tout. À la fin de 1991, les obligations de l'URSS envers les pays étrangers et les fonds internationaux s'élevaient à environ 100 milliards de dollars. Et initialement, il était supposé que ces prêts seraient remboursés par toutes les anciennes républiques soviétiques de manière solidaire, proportionnellement à leur potentiel économique. Cependant, la Russie a repris la totalité de la dette soviétique et l'a remboursée intégralement. Elle a finalement achevé ce processus en 2017.

En contrepartie, les nouveaux États indépendants devaient renoncer à une partie de leurs avoirs étrangers soviétiques, et des accords en ce sens ont été conclus avec l'Ukraine en décembre 1994. Cependant, Kiev n'a pas ratifié ces accords et, plus tard, a tout simplement refusé de les mettre en œuvre, revendiquant le fonds diamantaire, la réserve d'or, ainsi que des biens et d'autres actifs soviétiques à l'étranger.

Pourtant, malgré les problèmes bien connus, la Russie a toujours coopéré avec l'Ukraine de manière ouverte, honnête et, je le répète, dans le respect de ses intérêts, et nos liens se sont développés dans divers domaines. Par exemple, en 2011, le chiffre d'affaires du commerce bilatéral a dépassé 50 milliards de dollars. Je tiens à souligner que le volume des échanges de l'Ukraine avec l'ensemble des pays de l'UE en 2019, c'est-à-dire avant même la pandémie, était inférieur à cet indice. Dans le même temps, il est frappant de constater que les autorités ukrainiennes préfèrent agir de manière à avoir tous les droits et avantages dans les relations avec la Russie, mais sans aucune obligation.

Au lieu d'un partenariat, c'est la dépendance qui a prévalu, laquelle a parfois pris un caractère absolument cavalier de la part des autorités officielles de Kiev. Il suffit de rappeler le chantage permanent dans le domaine du transit énergétique et le vol banal de gaz. J'ajouterai que Kiev a tenté d'utiliser le dialogue avec la Russie comme prétexte pour négocier avec l'Occident, le faire chanter en se rapprochant de Moscou, gagner des préférences pour lui-même : dire que sinon l'influence russe en Ukraine grandirait.

Dans le même temps, les autorités ukrainiennes ont d’abord, je tiens à le souligner, commencé à construire leur État sur le déni de tout ce qui nous unit, ont cherché à déformer la conscience et la mémoire historique de millions de personnes, de générations entières vivant en Ukraine. Sans surprise, la société ukrainienne est confrontée à la montée du nationalisme extrême, qui a rapidement pris la forme d’une russophobie agressive et d’un néonazisme. D’où la participation des nationalistes ukrainiens et des néonazis aux gangs terroristes dans le Caucase du Nord, et les revendications territoriales de plus en plus fortes contre la Russie.

Des forces extérieures ont également joué un rôle qui, avec l’aide d’un vaste réseau d’ONG et de services spéciaux, a élargi leur clientèle en Ukraine et promu ses représentants au pouvoir.

Il est également important de comprendre que l’Ukraine, en fait, n’a jamais eu une tradition stable de son véritable État. Et depuis 1991, elle a suivi la voie de la copie mécanique des modèles d’autres personnes, divorcée à la fois de l’histoire et des réalités ukrainiennes. Les institutions politiques de l’État ont été constamment redessinées en faveur de clans rapidement formés avec leurs propres intérêts égoïstes qui n’avaient rien à voir avec les intérêts du peuple ukrainien.

Le but du soi-disant choix civilisationnel pro-occidental des autorités oligarchiques ukrainiennes était et n’est pas de créer de meilleures conditions pour le bien-être du peuple, mais de fournir obséquieusement des services aux rivaux géopolitiques de la Russie et d’économiser des milliards de dollars volés aux Ukrainiens et cachés par les oligarques dans des comptes dans les banques occidentales.

Certains groupes financiers industriels, pris par eux pour le maintien du parti et de la politique, se sont d’abord appuyés sur les nationalistes et les radicaux. D’autres ont salué du bout des lèvres les bonnes relations avec la Russie, la diversité culturelle et linguistique et l’arrivée au pouvoir par la voix de citoyens qui soutenaient véritablement de telles aspirations, y compris des millions de personnes dans le Sud-Est. Mais, ayant reçu des postes, des postes, ils ont immédiatement trahi leurs électeurs, abandonné leurs promesses électorales, et la véritable politique a été menée sous la dictée des radicaux, persécutant parfois leurs alliés d’hier – ces organisations publiques qui prônaient le bilinguisme, pour la coopération avec la Russie. Ils ont profité du fait que les gens qui les soutenaient, en règle générale, respectueux de la loi, des opinions modérées, habituées à faire confiance aux autorités, eux, contrairement aux radicaux, ne feront pas preuve d’agressivité, recourront à des actions illégales.

À leur tour, les radicaux sont devenus arrogants, leurs revendications ont augmenté d’année en année. Il n’était pas difficile pour eux d’imposer leur volonté à maintes reprises à un gouvernement faible, qui a lui-même été frappé par le virus du nationalisme et de la corruption et a habilement remplacé les véritables intérêts culturels, économiques et sociaux du peuple, la souveraineté réelle de l’Ukraine par divers types de spéculation sur des raisons nationales et des attributs ethnographiques externes.

L’État stable en Ukraine ne s’est pas développé, et les procédures politiques et électorales ne servent que de couverture, d’écran pour la redistribution du pouvoir et de la propriété entre divers clans oligarchiques.

La corruption, qui est sans aucun doute un défi et un problème pour de nombreux pays, y compris la Russie, a déjà acquis un caractère spécial en Ukraine. Il a littéralement imprégné et corrodé l’État ukrainien, l’ensemble du système, toutes les branches du gouvernement. Les radicaux ont profité du mécontentement juste de la population, ont participé à la manifestation et, en 2014, ont mené le Maïdan à un coup d’État. Dans le même temps, ils ont reçu une aide directe de pays étrangers. Selon les rapports, le soutien matériel du soi-disant camp de protestation sur la place de l’Indépendance à Kiev de l’ambassade des États-Unis s’élevait à un million de dollars par jour. D’autres sommes très importantes ont été effrontément transférées directement sur les comptes bancaires des dirigeants de l’opposition. Et c’était environ des dizaines de millions de dollars. Et combien de personnes vraiment blessées, les familles de ceux qui sont morts dans des affrontements provoqués dans les rues et les places de Kiev et d’autres villes, ont finalement reçu ? Il est préférable de ne pas poser de questions à ce sujet.

Les radicaux qui ont pris le pouvoir ont organisé la persécution, une véritable terreur contre ceux qui s’opposaient à des actions inconstitutionnelles. Les politiciens, les journalistes, les personnalités publiques ont été moqués, ils ont été publiquement humiliés. Les villes ukrainiennes ont été balayées par une vague de pogroms et de violence, une série de meurtres très médiatisés et impunis. Il est impossible sans frissonner de rappeler la terrible tragédie d’Odessa, où les participants à l’action de protestation pacifique ont été brutalement assassinés, brûlés vifs dans la Maison des syndicats. Les criminels qui ont commis cette atrocité ne sont pas punis, personne ne les recherche. Mais nous les connaissons par leur nom et nous ferons tout pour les punir, les retrouver et les traduire en justice.

Le Maïdan n’a pas rapproché l’Ukraine de la démocratie et du progrès. Après avoir mené un coup d’État, les nationalistes et les forces politiques qui les soutenaient ont finalement mis la situation dans une impasse, ont plongé l’Ukraine dans l’abîme de la guerre civile. Huit ans après ces événements, le pays est divisé. L’Ukraine traverse une crise socio-économique aiguë.

Selon les organisations internationales, en 2019, près de six millions d’Ukrainiens, je le souligne, soit environ 15 %, pas des valides, à savoir de toute la population du pays ont été contraints de partir à l’étranger à la recherche de travail. Et souvent, en règle générale, sur des revenus quotidiens non qualifiés. Le fait suivant est également indicatif : depuis 2020, plus de 60 000 médecins et autres agents de santé ont quitté le pays au milieu de la pandémie.

Depuis 2014, les tarifs pour l’approvisionnement en eau ont augmenté de près d’un tiers, pour l’électricité - plusieurs fois, pour le gaz pour les ménages - des dizaines de fois. Beaucoup de gens n’ont tout simplement pas l’argent pour payer les services publics, ils doivent littéralement survivre.

Que s’est-il passé ? Pourquoi tout cela se produit-il ? La réponse est évidente : parce que la dot reçue non seulement de l’ère soviétique, mais aussi de l’Empire russe, a été gaspillée et volée dans les poches. Des dizaines et des centaines de milliers d’emplois ont été perdus, ce qui, grâce à une coopération étroite avec la Russie, a donné aux gens un revenu stable et a apporté des impôts au Trésor. Des industries telles que la construction mécanique, la fabrication d’instruments, l’industrie électronique, la construction navale et la construction aéronautique, soit sont complètement détruites, et en fait, elles étaient autrefois fières non seulement de l’Ukraine, mais aussi de toute l’Union soviétique.

En 2021, le chantier naval de la mer Noire à Nikolaev a été liquidé, où les premiers chantiers navals ont été construits sous Catherine II. La célèbre entreprise Antonov n’a pas produit un seul avion de série depuis 2016, et l’usine de Yuzhmash, spécialisée dans la production de fusées et de technologies spatiales, était au bord de la faillite, comme l’usine sidérurgique de Kremenchug. La triste liste continue.

Quant au système de transport de gaz que toute l’Union soviétique était en train de créer, il est devenu si délabré que son fonctionnement est associé à de grands risques et à des coûts environnementaux.

Et à cet égard, la question se pose : pauvreté, désespoir, perte de potentiel industriel et technologique – c’est le choix civilisationnel très pro-occidental qui a été trompé et abruti par des millions de personnes pendant de nombreuses années, leur promettant des tabernacles célestes ?

En fait, tout cela s’est résumé au fait que l’effondrement de l’économie ukrainienne s’accompagne d’un vol pur et simple des citoyens du pays, et que l’Ukraine elle-même a simplement été conduite sous contrôle extérieur. Elle est menée non seulement à la demande des capitales occidentales, mais aussi, comme on dit, directement sur place – par l’intermédiaire de tout un réseau de conseillers étrangers, d’ONG et d’autres institutions déployées en Ukraine. Ils ont un impact direct sur toutes les décisions les plus importantes en matière de personnel, sur toutes les branches et tous les niveaux de gouvernement : du central et même de la municipalité, sur les principales entreprises et sociétés d’État, y compris Naftogaz, Ukrenergo, les chemins de fer ukrainiens, Ukroboronprom, Ukrposhta, l’administration des ports maritimes de l’Ukraine.

Il n’y a tout simplement pas de tribunal indépendant en Ukraine. À la demande de l’Occident, les autorités de Kiev ont accordé aux représentants des organisations internationales le droit préférentiel de choisir des membres des plus hautes instances judiciaires - le Conseil de la justice et la Commission de qualification des juges.

En outre, l’ambassade des États-Unis contrôle directement l’Agence nationale pour la prévention de la corruption, le Bureau national de lutte contre la corruption, le Bureau du procureur spécialisé anticorruption et la Haute Cour anticorruption. Tout cela se fait sous un prétexte plausible pour accroître l’efficacité de la lutte contre la corruption. Bon, d’accord, mais où sont les résultats ? La corruption a fleuri et continue de prospérer.

Les Ukrainiens eux-mêmes sont-ils conscients de toutes ces méthodes de gestion ? Comprennent-ils que leur pays n’est même pas sous protectorat politique et économique, mais réduit au niveau d’une colonie avec un régime fantoche ? La privatisation de l’État a conduit au fait que le gouvernement, qui se fait appeler le « pouvoir des patriotes », a perdu son caractère national et conduit constamment à la dé-souverainisation complète du pays.

La politique de dérussification et d’assimilation forcée se poursuit. La Verkhovna Rada émet sans cesse de nouveaux actes discriminatoires, la loi sur les soi-disant peuples autochtones est déjà en vigueur. Les gens qui se considèrent comme des Russes et qui voudraient préserver leur identité, leur langue, leur culture, ont été directement amenés à comprendre qu’ils sont des étrangers en Ukraine.

Conformément aux lois sur l’éducation et sur le fonctionnement de la langue ukrainienne en tant que langue officielle, le russe est expulsé des écoles, de toutes les sphères publiques, jusqu’aux magasins ordinaires. La loi sur la soi-disant lustration, la « purification » du pouvoir a permis de traiter avec les fonctionnaires indésirables.

Les actes prolifèrent qui donnent aux forces de sécurité ukrainiennes des motifs pour une répression sévère de la liberté d’expression, de la dissidence et de la persécution de l’opposition. Le monde connaît la triste pratique des sanctions unilatérales illégitimes contre d’autres États, des personnes étrangères et des personnes morales. En Ukraine, ils ont surpassé leurs conservateurs occidentaux et inventé un outil tel que des sanctions contre leurs propres citoyens, entreprises, chaînes de télévision, autres médias et même des membres du parlement.

À Kiev, ils continuent de préparer un massacre de l’Église orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Moscou. Et ce n’est pas une évaluation émotionnelle, cela est mis en évidence par des décisions et des documents spécifiques. La tragédie du schisme ecclésiastique des autorités ukrainiennes a été cyniquement transformée en un instrument de la politique de l’État. Les dirigeants actuels du pays ne répondent pas aux demandes des citoyens ukrainiens d’abolir les lois qui portent atteinte aux droits des croyants. En outre, la Rada a enregistré de nouvelles factures contre le clergé et des millions de paroissiens de l’Église orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Moscou.

Je parlerai séparément de la Crimée. Les habitants de la péninsule ont fait leur libre choix : être avec la Russie. Les autorités de Kiev n’ont rien pour contrer cette volonté claire et précise du peuple, de sorte que l’enjeu est mis sur des actions agressives, sur l’activation de cellules extrémistes, y compris des organisations islamiques radicales, sur le déploiement de groupes de sabotage pour commettre des actes terroristes dans des infrastructures critiques, pour enlever des citoyens russes. Nous avons des preuves directes que de telles actions agressives sont menées avec le soutien de services spéciaux étrangers.

En mars 2021, l’Ukraine a adopté une nouvelle stratégie militaire. Ce document est presque entièrement consacré à la confrontation avec la Russie, vise à entraîner des États étrangers dans un conflit avec notre pays. La stratégie propose l’organisation en Crimée russe et sur le territoire du Donbass, en fait, d’un terroriste clandestin. Il énonce également les contours de la guerre proposée, et il devrait prendre fin, comme le pensent les stratèges de Kiev d’aujourd’hui, je cite plus loin – « avec l’aide de la communauté internationale à des conditions favorables pour l’Ukraine ». Et aussi, comme on dit aujourd’hui à Kiev, je cite aussi ici, s’il vous plaît écoutez plus attentivement – « avec le soutien militaire de la communauté mondiale dans la confrontation géopolitique avec la Fédération de Russie ». En fait, ce n’est rien de plus qu’une préparation à des opérations militaires contre notre pays – contre la Russie.

Nous savons également qu’il y a déjà eu des déclarations selon lesquelles l’Ukraine allait créer ses propres armes nucléaires, et ce n’est pas une bravade vide. En effet, l’Ukraine dispose toujours de la technologie nucléaire soviétique et des moyens de livrer de telles armes, y compris l’aviation, ainsi que des missiles opérationnels et tactiques « Tochka-U », également de conception soviétique, dont la portée dépasse 100 kilomètres. Mais ils feront plus, ce n’est qu’une question de temps. Il y a des réserves de l’ère soviétique.

Ainsi, il sera beaucoup plus facile pour l’Ukraine d’acquérir des armes nucléaires tactiques que pour d’autres États, je ne les appellerai pas maintenant, menant en fait de tels développements, en particulier dans le cas d’un soutien technologique de l’étranger. Et nous ne devrions pas l’exclure non plus.

Avec l’avènement des armes de destruction massive en Ukraine, la situation dans le monde, en Europe, en particulier pour nous, pour la Russie, va changer radicalement. Nous ne pouvons que réagir à ce danger réel, d’autant plus que, je le répète, les mécènes occidentaux peuvent contribuer à l’émergence de telles armes en Ukraine afin de créer une autre menace pour notre pays. Nous voyons à quel point le pompage militaire du régime de Kiev est mené de manière persistante. Depuis 2014, les États-Unis à eux seuls ont alloué des milliards de dollars à ces fins, y compris la fourniture d’armes, d’équipements et la formation de spécialistes. Ces derniers mois, les armes occidentales sont arrivées en Ukraine dans un flux continu, de manière démonstrative, sous les yeux du monde entier. Les activités des forces armées et des services spéciaux de l’Ukraine sont dirigées par des conseillers étrangers, nous le savons bien.

Ces dernières années, sous prétexte d’exercices, des contingents militaires de pays de l’OTAN ont été presque constamment présents sur le territoire de l’Ukraine. Le système de commandement et de contrôle des troupes ukrainiennes a déjà été intégré à celui de l’OTAN. Cela signifie que le commandement des forces armées ukrainiennes, même des unités et des subdivisions individuelles, peut être effectué directement à partir du siège de l’OTAN.

Les États-Unis et l’OTAN se sont lancés dans le développement éhonté du territoire ukrainien en tant que théâtre d’opérations militaires potentielles. Les exercices conjoints réguliers ont une orientation anti-russe claire. Rien que l’année dernière, plus de 23 000 soldats et plus d’un millier d’équipements y ont participé.

Une loi a déjà été adoptée sur l’admission en 2022 des forces armées d’autres États sur le territoire de l’Ukraine pour participer à des exercices multinationaux. Il est clair que nous parlons principalement des troupes de l’OTAN. Et dans l’année à venir, au moins dix de ces manœuvres conjointes sont prévues.

De toute évidence, de tels événements servent de couverture à la constitution rapide du groupement militaire de l’OTAN sur le territoire de l’Ukraine. De plus, le réseau d’aérodromes modernisé avec l’aide des Américains – Boryspil, Ivano-Frankivsk, Chuhuiv, Odessa, etc. – est en mesure d’assurer le transfert d’unités militaires dans les plus brefs délais. L’espace aérien de l’Ukraine est ouvert aux vols d’avions stratégiques et de reconnaissance des États-Unis, de véhicules aériens sans pilote utilisés pour surveiller le territoire de la Russie.

Je dois ajouter que le centre d'opérations maritimes construit par les Américains à Ochakov permet aux navires de l'OTAN d'opérer, y compris en utilisant des armes de précision contre la flotte russe de la mer Noire et nos infrastructures sur toute la côte de la mer Noire.

À une certaine époque, les États-Unis avaient l’intention de créer des installations similaires en Crimée, mais les Criméens et les Sébastopoliens ont contrecarré ces plans. Nous nous en souviendrons toujours.

Permettez-moi de répéter qu’aujourd’hui, un tel centre a été déployé et l’a déjà été à Ochakiv. Permettez-moi de vous rappeler qu’au XVIIIe siècle, les soldats d’Alexandre Souvorov se sont battus pour cette ville. Grâce à leur courage, il est devenu une partie de la Russie. Dans le même temps, au XVIIIe siècle, les terres de la région de la mer Noire, annexées à la Russie à la suite de guerres avec l’Empire ottoman, ont été appelées Novorossiya. Maintenant, ces jalons de l’histoire tentent d’être oubliés, ainsi que les noms des figures militaires de l’Empire russe, sans les œuvres desquelles l’Ukraine moderne n’aurait pas beaucoup de grandes villes et même l’accès même à la mer Noire.

Récemment, un monument à Alexandre Souvorov a été démoli à Poltava. Que puis-je dire ? Abandonner son propre passé ? De l’héritage soi-disant colonial de l’Empire russe ? Eh bien, alors soyez cohérent ici.

Plus loin. Je note que l’article 17 de la Constitution de l’Ukraine n’autorise pas le déploiement de bases militaires étrangères sur son territoire. Mais il s’est avéré que ce n’est qu’une convention qui peut être facilement contournée. Des missions de formation des pays de l’OTAN ont été déployées en Ukraine. En fait, il s’agit déjà de bases militaires étrangères. Ils ont juste appelé la base une « mission » et il s’agit du chapeau. Kiev a longtemps proclamé une voie stratégique pour rejoindre l’OTAN. Oui, bien sûr, chaque pays a le droit de choisir son propre système de sécurité, de conclure des alliances militaires. Et tout semble être ainsi, si ce n’est pour un « mais ». Les instruments internationaux consacrent explicitement le principe de sécurité égale et indivisible qui, comme vous le savez, comprend l’obligation de ne pas renforcer sa sécurité au détriment de la sécurité des autres États. Je peux me référer ici à la Charte de l’OSCE pour la sécurité européenne de 1999, adoptée à Istanbul, et à la Déclaration d’Astana de l’OSCE de 2010.

En d’autres termes, le choix des moyens d’assurer la sécurité ne devrait pas constituer une menace pour d’autres États, et l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN est une menace directe pour la sécurité de la Russie.

Permettez-moi de vous rappeler qu’en avril 2008, au sommet de Bucarest de l’Alliance de l’Atlantique Nord, les États-Unis ont fait adopter la décision que l’Ukraine et, soit dit en passant, la Géorgie deviendraient membres de l’OTAN. De nombreux alliés européens des États-Unis étaient déjà bien conscients de tous les risques d’une telle perspective, mais ont été contraints d’accepter la volonté de l’associé principal. Les Américains les ont simplement utilisés pour poursuivre une politique antirusse prononcée.

Un certain nombre d’États membres de l’Alliance sont encore très sceptiques quant à l’apparition de l’Ukraine dans l’OTAN. Dans le même temps, nous recevons un signal de certaines capitales européennes, disant : « Que traversez-vous ? Cela n’arrivera pas littéralement demain. » En fait, nos partenaires américains en parlent aussi. « D’accord, » répondons-nous, « pas demain, donc après-demain. Qu’est-ce que cela change d’un point de vue historique ? En gros, rien.

En outre, nous sommes conscients de la position et des paroles des dirigeants des États-Unis selon lesquelles les hostilités actives dans l’est de l’Ukraine n’excluent pas la possibilité de l’adhésion de ce pays à l’OTAN, s’il peut répondre aux critères de l’Alliance de l’Atlantique Nord et vaincre la corruption.

En même temps, ils essaient de nous convaincre à maintes reprises que l’OTAN est une alliance pacifique et purement défensive. Comme, il n’y a pas de menaces pour la Russie. Encore une fois, ils proposent de se croire sur parole. Mais nous sommes bien conscients du prix réel de tels mots. En 1990, lorsque la question de la réunification allemande a été discutée, les dirigeants soviétiques ont été promis par les États-Unis qu’il n’y aurait pas d’extension de la juridiction ou de la présence militaire de l’OTAN d’un seul pouce dans la direction orientale. Et que l’unification de l’Allemagne ne conduira pas à l’expansion de l’organisation militaire de l’OTAN à l’Est. C’est une citation.

Ils parlaient, donnaient des assurances verbales, et tout s’est avéré être des mots vides. Plus tard, on nous a assuré que l’adhésion des pays d’Europe centrale et orientale à l’OTAN ne ferait qu’améliorer les relations avec Moscou, débarrasser ces pays des craintes d’un héritage historique difficile et même, en outre, créer une ceinture d’États amis à la Russie.

Tout s’est avéré être exactement le contraire. Les autorités de certains pays d’Europe de l’Est, faisant le commerce de la russophobie, ont apporté à l’Alliance leurs complexes et leurs stéréotypes sur la menace russe, ont insisté pour construire les potentiels de la défense collective, qui devrait être déployée principalement contre la Russie. Et cela s’est produit dans les années 1990 et au début des années 2000, lorsque, grâce à l’ouverture et à notre bonne volonté, les relations entre la Russie et l’Occident étaient à un niveau élevé.

La Russie a rempli toutes ses obligations, y compris le retrait des troupes d’Allemagne, des États d’Europe centrale et orientale et a ainsi apporté une énorme contribution pour surmonter l’héritage de la guerre froide. Nous avons constamment proposé diverses options de coopération, y compris dans le cadre du Conseil OTAN-Russie et de l’OSCE.

D’ailleurs, je vais dire maintenant quelque chose que je n’ai jamais dit publiquement, je vais le dire pour la première fois. En 2000, lors d’une visite à Moscou du président américain sortant Bill Clinton, je lui ai demandé : « Comment l’Amérique réagira-t-elle à l’admission de la Russie à l’OTAN ? »

Je ne divulguerai pas tous les détails de cette conversation, mais la réaction à ma question a semblé, disons, très modérée, et la façon dont les Américains ont vraiment réagi à cette possibilité peut en fait être vue dans leurs mesures pratiques vers notre pays. Il s’agit d’un soutien ouvert aux terroristes dans le Caucase du Nord, d’une attitude dédaigneuse à l’égard de nos exigences et de nos préoccupations en matière de sécurité dans l’expansion de l’OTAN, du retrait du Traité ABM, etc. Alors je veux demander : pourquoi, pourquoi tout cela, pour quoi ? D’accord, vous ne voulez pas nous voir comme un ami et un allié, mais pourquoi faire de nous un ennemi ?

Il n’y a qu’une seule réponse : il ne s’agit pas de notre régime politique, il ne s’agit pas de quoi que ce soit d’autre, ils n’ont tout simplement pas besoin d’un pays aussi grand et indépendant que la Russie. C’est la réponse à toutes les questions. C’est la source de la politique américaine traditionnelle envers la Russie. D’où l’attitude à l’égard de toutes nos propositions dans le domaine de la sécurité.

Aujourd’hui, un coup d’œil sur la carte suffit pour voir comment les pays occidentaux ont « tenu » leur promesse d’empêcher l’OTAN d’avancer vers l’est. Ils ont juste triché. Nous avons eu cinq vagues d’élargissement de l’OTAN l’une après l’autre. En 1999, la Pologne, la République tchèque, la Hongrie ont été admises à l’Alliance, en 2004 – Bulgarie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Roumanie, Slovaquie et Slovénie, en 2009 – Albanie et Croatie, en 2017 – Monténégro, en 2020 – Macédoine du Nord. En conséquence, l’Alliance et son infrastructure militaire sont allées directement aux frontières de la Russie. Ce fut l’une des principales causes de la crise de la sécurité européenne, a eu l’impact le plus négatif sur l’ensemble du système de relations internationales, a conduit à la perte de confiance mutuelle.

La situation continue de se détériorer, y compris dans le domaine stratégique. Ainsi, en Roumanie et en Pologne, dans le cadre du projet américain de création d’un système mondial de défense antimissile, des zones de position pour les antimissiles sont déployées. Il est bien connu que les lanceurs stationnés ici peuvent être utilisés pour les missiles de croisière Tomahawk – des systèmes de frappe offensive.

En outre, les États-Unis développent un missile universel « Standard-6 », qui, en plus de résoudre les tâches de défense aérienne et antimissile, peut frapper des cibles aériennes et de surface. C’est-à-dire que le système prétendument défensif du système de défense antimissile américain est en expansion et de nouvelles capacités offensives émergent.

Les informations dont nous disposons donnent toutes les raisons de croire que l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN et le déploiement ultérieur des installations de l’Alliance de l’Atlantique Nord ici est une évidence, c’est une question de temps. Nous comprenons clairement que dans un tel scénario, le niveau des menaces militaires contre la Russie augmentera considérablement, de manière significative. Et je voudrais attirer votre attention particulière sur le fait que le danger d’une frappe soudaine sur notre pays augmentera plusieurs fois.

Permettez-moi d’expliquer que les documents de planification stratégique des États-Unis (dans les documents !) consacrent la possibilité d’une frappe dite préventive sur les systèmes de missiles ennemis. Et nous savons aussi qui est le principal adversaire des États-Unis et de l’OTAN. C’est la Russie. Dans les documents de l’OTAN, notre pays est officiellement explicitement déclaré la principale menace pour la sécurité euro-atlantique. Et l’Ukraine servira de tremplin vers l’avant pour une telle frappe. Si nos ancêtres en avaient entendu parler, ils ne l’auraient probablement pas cru. Et nous ne voulons pas le croire aujourd’hui, mais c’est le cas. Je veux que la Russie et l’Ukraine comprennent cela.

De nombreux aérodromes ukrainiens sont situés près de nos frontières. L’aviation tactique de l’OTAN stationnée ici, y compris les porte-avions d’armes de haute précision, sera en mesure de frapper notre territoire jusqu’à la frontière Volgograd-Kazan-Samara-Astrakhan. Le déploiement d’équipements de reconnaissance radar sur le territoire de l’Ukraine permettra à l’OTAN de contrôler étroitement l’espace aérien de la Russie jusqu’à l’Oural.

Enfin, après que les États-Unis ont rompu le Traité sur les missiles à portée intermédiaire et à courte portée, le Pentagone développe déjà ouvertement un certain nombre d’armes de frappe au sol, y compris des missiles balistiques capables d’atteindre des cibles à une distance allant jusqu’à 5,5 mille kilomètres. Si de tels systèmes sont déployés en Ukraine, ils pourront frapper des objets sur tout le territoire européen de la Russie, ainsi qu’au-delà de l’Oural. Le temps de vol vers Moscou des missiles de croisière Tomahawk sera inférieur à 35 minutes, des missiles balistiques de la région de Kharkov - 7-8 minutes et des avions de frappe hypersoniques - 4-5 minutes. C’est ce qu’on appelle, à droite, « couteau à la gorge ». Et je n’ai aucun doute qu’ils s’attendent à mettre en œuvre ces plans de la même manière qu’ils l’ont fait à plusieurs reprises au cours des dernières années, en élargissant l’OTAN à l’est, en promouvant des infrastructures et des équipements militaires aux frontières russes, en ignorant complètement nos préoccupations, nos protestations et nos avertissements. Désolé, ils leur ont juste craché dessus et ont fait ce qu’ils voulaient, ce qu’ils jugeaient bon.

Et bien sûr, ils supposent également de se comporter davantage selon le dicton bien connu – « Le chien aboie et la caravane s’en va. » Je dirai tout de suite que nous n’étions pas d’accord et que nous ne serons jamais d’accord. Dans le même temps, la Russie a toujours préconisé de résoudre les problèmes les plus complexes par des méthodes politiques et diplomatiques, à la table des négociations.

Nous sommes bien conscients de notre énorme responsabilité en faveur de la stabilité régionale et mondiale. En 2008, la Russie a présenté une initiative visant à conclure un traité sur la sécurité européenne. Cela signifiait qu’aucun État et aucune organisation internationale dans l’Euro-Atlantique ne pouvait renforcer sa sécurité au détriment de la sécurité des autres. Cependant, notre proposition a été rejetée dès le départ : il est impossible, disent-ils, de permettre à la Russie de limiter les activités de l’OTAN.

En outre, on nous a explicitement dit que seuls les membres de l’Alliance de l’Atlantique Nord peuvent avoir des garanties de sécurité juridiquement contraignantes. En décembre dernier, nous avons remis à nos partenaires occidentaux un projet de traité entre la Fédération de Russie et les États-Unis d’Amérique sur les garanties de sécurité, ainsi qu’un projet d’accord sur les mesures de sécurité pour la Fédération de Russie et les États membres de l’OTAN. En réponse, il y a eu beaucoup de mots communs de la part des États-Unis et de l’OTAN. Des graines rationnelles étaient également contenues, mais tout cela concernait des points secondaires et ressemblait à une tentative de déformer la question, de détourner la discussion vers le côté.

Nous avons réagi en conséquence et souligné que nous étions prêts à suivre la voie des négociations, mais à condition que toutes les questions soient examinées de manière globale, sous forme d’ensemble, sans interruption par rapport aux principales propositions russes fondamentales. Et ils contiennent trois points clés. La première est d’empêcher une nouvelle expansion de l’OTAN. Le second est le refus de l’Alliance de déployer des systèmes d’armes de frappe aux frontières russes. Et enfin, le retour du potentiel militaire et de l’infrastructure du bloc en Europe à l’État de 1997, lorsque l’Acte fondateur OTAN-Russie a été signé.

Ce sont nos propositions fondamentales qui ont été ignorées. Je le répète, nos partenaires occidentaux ont une fois de plus exprimé un langage mémorisé selon lequel chaque État a le droit de choisir librement comment assurer sa sécurité et de rejoindre toute alliance militaire. C’est-à-dire que rien n’a changé dans leur position, toutes les mêmes références à la fameuse politique des « portes ouvertes » de l’OTAN sont entendues. De plus, ils essaient à nouveau de nous faire chanter, nous menaçant à nouveau de sanctions, qu’ils introduiront d’ailleurs à mesure que la souveraineté de la Russie se renforcera et que le pouvoir de nos forces armées augmentera. Et le prétexte d’une autre attaque de sanctions sera toujours trouvé ou simplement fabriqué, quelle que soit la situation en Ukraine. Il n’y a qu’un seul objectif : freiner le développement de la Russie. Et ils le feront comme ils l’ont fait auparavant, même sans aucun prétexte formel, simplement parce que nous sommes et ne renoncerons jamais à notre souveraineté, à nos intérêts nationaux et à nos valeurs.

Je tiens à le dire clairement, franchement, dans la situation actuelle, alors que nos propositions pour un dialogue égal sur des questions fondamentales sont restées sans réponse de la part des États-Unis et de l’OTAN, alors que le niveau de menaces pour notre pays augmente considérablement, la Russie a tout à fait le droit de prendre des mesures de rétorsion pour assurer sa propre sécurité. C’est ce que nous allons faire.

En ce qui concerne la situation dans le Donbass, nous voyons que l’élite dirigeante à Kiev déclare constamment et publiquement son refus de mettre en œuvre le paquet de mesures de Minsk pour résoudre le conflit, n’est pas intéressée par une solution pacifique. Au contraire, il tente à nouveau d’organiser une guerre éclair dans le Donbass, comme c’était déjà le cas en 2014 et 2015. Comment ces aventures se sont terminées alors, nous nous souvenons.

Maintenant, presque pas un seul jour n’est complet sans bombarder les colonies du Donbass. Le grand groupe militaire formé utilise constamment des drones d’attaque, de l’équipement lourd, des missiles, de l’artillerie et des systèmes de roquettes à lancement multiple. Les meurtres de civils, le blocus, les mauvais traitements infligés aux personnes, y compris les enfants, les femmes et les personnes âgées, ne cessent pas. Comme on dit, il n’y a pas de fin en vue.

Et le monde soi-disant civilisé, dont nos collègues occidentaux se sont autoproclamés, préfère ne pas le remarquer, comme s’il n’y avait pas d’horreur, de génocide auquel près de 4 millions de personnes sont soumises, et seulement parce que ces gens n’étaient pas d’accord avec le coup d’État soutenu par l’Occident en Ukraine en 2014, s’opposaient au mouvement étatique élevé au rang de caverne et de nationalisme agressif et néonazisme. Et ils se battent pour leurs droits élémentaires – vivre sur leur terre, parler leur langue, préserver leur culture et leurs traditions.

Combien de temps cette tragédie peut-elle durer ? Combien de temps encore pouvons-nous tolérer cela ? La Russie a tout fait pour préserver l’intégrité territoriale de l’Ukraine, toutes ces années se sont battues avec persistance et patience pour la mise en œuvre de la résolution 2202 du Conseil de sécurité de l’ONU du 17 février 2015, qui a consolidé le paquet de mesures de Minsk du 12 février 2015 pour résoudre la situation dans le Donbass.

En vain. Les présidents et les députés de la Rada changent, mais l’essence, la nature agressive et nationaliste du régime lui-même, qui a pris le pouvoir à Kiev, ne change pas. C’est entièrement un produit du coup d’État de 2014, et ceux qui se sont ensuite engagés sur la voie de la violence, de l’effusion de sang, de l’anarchie, n’ont pas et ne reconnaissent aucune autre solution à la question du Donbass, à l’exception de la solution militaire.

À cet égard, j’estime qu’il est nécessaire de prendre la décision attendue depuis longtemps de reconnaître immédiatement l’indépendance et la souveraineté de la République populaire de Donetsk et de la République populaire de Lougansk.

Je demande à l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie d’appuyer cette décision et de ratifier ensuite les traités d’amitié et d’assistance mutuelle avec les deux républiques. Ces deux documents seront préparés et signés dans un avenir très proche.

Et de la part de ceux qui ont pris et détiennent le pouvoir à Kiev, nous exigeons une cessation immédiate des hostilités. Sinon, toute responsabilité pour la poursuite éventuelle de l’effusion de sang incombera entièrement à la conscience du régime au pouvoir sur le territoire de l’Ukraine.

En annonçant les décisions prises aujourd’hui, je suis confiant dans le soutien des citoyens russes et de toutes les forces patriotiques du pays.

Je vous remercie de votre attention.

 


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   Annexe 9 :

Discours de Vladimir Poutine, président de la Fédération de Russie, sur l’invasion de l’Ukraine, à Moscou, le 24 février 2022

 

Chers citoyens de Russie ! Chers amis !

Aujourd'hui, je pense qu'il est à nouveau nécessaire de revenir sur les événements tragiques qui se déroulent à Donbass et sur les questions essentielles de la sécurité de la Russie.

Je commencerai par ce que j'ai dit dans mon discours du 21 février de cette année. Je me réfère à quelque chose qui nous préoccupe particulièrement, les menaces fondamentales qui sont, étape par étape, créées de manière flagrante et sans cérémonie année après année par des politiciens irresponsables de l'Ouest contre notre pays. Je fais référence à l'expansion du bloc de l'OTAN à l'est, à la proximité de ses infrastructures militaires aux frontières de la Russie.

Il est bien connu que, depuis 30 ans, nous essayons avec persistance et patience de parvenir à un accord avec les principaux pays de l'OTAN sur les principes d'une sécurité égale et indivisible en Europe. En réponse à nos propositions, nous nous sommes constamment heurtés soit à des tromperies et à des mensonges cyniques, soit à des tentatives de pression et de chantage, alors qu'entre-temps, l'Alliance de l'Atlantique Nord, malgré toutes nos protestations et nos préoccupations, ne cesse de s'étendre. La machine de guerre est en marche et, je le répète, elle s'approche de nos frontières.

Pourquoi tout cela arrive-t-il ? Pourquoi cette attitude arrogante consistant à parler depuis la position de notre propre exclusivité, infaillibilité et permissivité ? D'où vient cette attitude indifférente et dédaigneuse à l'égard de nos intérêts et de nos demandes absolument légitimes ?

La réponse est claire, compréhensible et évidente. L'Union soviétique s'est affaiblie à la fin des années 1980, puis s'est tout simplement effondrée. Toute la suite des événements est une bonne leçon pour nous aujourd'hui ; elle a démontré de manière convaincante que la paralysie du pouvoir et de la volonté est le premier pas vers la dégradation et l'oubli complets. Lorsque nous avons perdu notre confiance pendant un certain temps, l'équilibre du pouvoir dans le monde a été rompu.

Cela a conduit à une situation où les traités et accords antérieurs ne sont plus réellement en vigueur. La persuasion et les demandes n'ont pas aidé. Tout ce qui ne convient pas à l'hégémon, aux pouvoirs en place, est déclaré archaïque, obsolète et inutile. Et vice versa : tout ce qui leur semble avantageux est présenté comme la vérité ultime, à faire passer à tout prix, sans ménagement, par tous les moyens. Les dissidents sont brisés sur leurs genoux.

Ce dont je parle maintenant ne concerne pas seulement la Russie et pas seulement nous. Elle concerne l'ensemble du système des relations internationales, et parfois même les alliés des États-Unis eux-mêmes. Après l'effondrement de l'URSS, une redistribution du monde a effectivement commencé, et les normes établies du droit international – et les principales, fondamentales, ont été adoptées à la fin de la Seconde Guerre mondiale et ont largement consolidé ses résultats – ont commencé à gêner ceux qui se sont déclarés vainqueurs de la guerre froide.

Bien sûr, dans la vie pratique, dans les relations internationales, dans les règles qui les régissent, il fallait tenir compte des changements dans la situation mondiale et dans l'équilibre des forces lui-même. Toutefois, cela devait être fait de manière professionnelle, sans heurts, avec patience, en tenant compte et en respectant les intérêts de tous les pays et en comprenant leur responsabilité. Mais non - un état d'euphorie de la supériorité absolue, une sorte d'absolutisme moderne, qui plus est, sur fond de faible niveau de culture générale et d'arrogance de ceux qui ont préparé, adopté et fait passer les décisions qui n'étaient profitables que pour eux-mêmes. La situation a commencé à évoluer d'une manière différente.

Il n'est pas nécessaire d'aller bien loin pour trouver des exemples. Premièrement, une opération militaire sanglante a été menée sans aucune autorisation du Conseil de sécurité de l'ONU contre Belgrade en utilisant des avions et des missiles en plein centre de l'Europe. Plusieurs semaines de bombardements continus de villes civiles, d'infrastructures indispensables à la vie. Nous devons rappeler ces faits car certains collègues occidentaux n'aiment pas se souvenir de ces événements et, lorsque nous en parlons, ils préfèrent invoquer non pas le droit international, mais des circonstances qu'ils interprètent à leur guise.

Puis ce fut le tour de l'Irak, de la Libye, de la Syrie. L'utilisation illégitime de la force militaire contre la Libye et la perversion de toutes les décisions du Conseil de sécurité des Nations unies sur la question libyenne ont conduit à la destruction totale de l'État, créant un immense foyer de terrorisme international et plongeant le pays dans un désastre humanitaire et dans l'abîme d'une longue guerre civile qui se poursuit encore. La tragédie qui a condamné des centaines de milliers, des millions de personnes non seulement en Libye, mais dans toute la région, a créé une migration massive de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient vers l'Europe.

Un sort similaire est réservé à la Syrie. L'action militaire de la coalition occidentale sur le territoire de ce pays sans le consentement du gouvernement syrien et sans la sanction du Conseil de sécurité des Nations unies n'est rien d'autre qu'une agression, une intervention.

Cependant, l'invasion de l'Irak, également sans aucune base légale, bien sûr, occupe une place particulière dans cette série. Ils ont choisi comme prétexte les informations prétendument fiables dont disposent les États-Unis sur la présence d'armes de destruction massive en Irak. Pour le prouver publiquement, devant le monde entier, le secrétaire d'État américain a secoué un tube contenant une poudre blanche, assurant à tout le monde qu'il s'agissait de l'arme chimique qui devait être développée en Irak. Et puis il s'est avéré que c'était une fabrication, un bluff : il n'y avait pas d'armes chimiques en Irak. Incroyable, incroyable, mais le fait demeure. Il y a eu des mensonges au plus haut niveau de l'État et du haut de la tribune de l'ONU. Et le résultat a été d'énormes pertes, des destructions et une incroyable poussée de terrorisme.

D'une manière générale, l'impression est que presque partout, dans de nombreuses régions du monde, là où les USA viennent établir leur ordre, des blessures sanglantes, non cicatrisantes, des plaies du terrorisme international et de l'extrémisme subsistent en conséquence. Tout ce que j'ai dit est le plus flagrant, mais loin d'être le seul exemple de mépris du droit international.

Les promesses de notre pays de ne pas étendre l'OTAN d'un pouce à l'est en font également partie. Je le répète : ils ont été trompés, ou, pour le dire en termes vernaculaires, tout simplement abandonnés. Oui, on entend souvent dire que la politique est un sale métier. Peut-être, mais pas aussi sale, pas à ce point. Après tout, un tel comportement de tricherie est non seulement contraire aux principes des relations internationales, mais surtout aux normes de moralité et d'éthique généralement acceptées. Où sont la justice et la vérité ici ? Rien que des mensonges et de l'hypocrisie.

D'ailleurs, les politiciens, politologues et journalistes américains eux-mêmes écrivent et disent qu'un véritable « empire du mensonge » a été créé à l'intérieur des États-Unis ces dernières années. Il est difficile de ne pas être d'accord avec cela – c'est ainsi. Mais il n'y a pas lieu d'être modeste : les États-Unis restent un grand pays, une puissance formatrice de systèmes. Ses satellites ne se contentent pas de l'approuver docilement et docilement, de chanter à chaque occasion, mais ils copient son comportement et acceptent avec enthousiasme les règles qu'il propose. C'est pourquoi, à juste titre, on peut affirmer avec confiance que l'ensemble du soi-disant bloc occidental, formé par les États-Unis à son image et à sa ressemblance, est le même « empire du mensonge ».

Quant à notre pays, après l'effondrement de l'URSS, malgré l'ouverture sans précédent de la nouvelle Russie moderne et sa volonté de travailler honnêtement avec les États-Unis et d'autres partenaires occidentaux, dans des conditions de désarmement quasi unilatéral, ils ont immédiatement essayé de nous écraser, de nous achever et de nous détruire pour de bon. C'est exactement ce qui s'est passé dans les années 90 et au début des années 2000, lorsque le soi-disant Occident collectif a soutenu activement le séparatisme et les bandes de mercenaires dans le sud de la Russie. Quels sacrifices et quelles pertes cela nous a coûté, quelles épreuves nous avons dû traverser avant de pouvoir enfin briser le dos du terrorisme international dans le Caucase. Nous nous en souvenons et ne l'oublierons jamais.

En fait, jusqu'à récemment, les tentatives de nous utiliser dans leurs intérêts, de détruire nos valeurs traditionnelles et de nous imposer leurs pseudo-valeurs, qui nous corroderaient, nous, notre peuple, de l'intérieur, ces attitudes qu'ils imposent déjà agressivement dans leurs pays et qui mènent directement à la dégradation et à la dégénérescence, car c'est contre la nature humaine elle-même, n'ont pas cessé. Cela n'arrivera pas, cela n'a jamais marché pour personne. Elle n'y parviendra pas non plus maintenant.

Malgré tout, nous avons tenté une nouvelle fois, en décembre 2021, de parvenir à un accord avec les États-Unis et leurs alliés sur les principes de sécurité en Europe et sur la non-extension de l'OTAN. En vain. La position des États-Unis n'a pas changé. Ils ne considèrent pas qu'il est nécessaire de parvenir à un accord avec la Russie sur cette question essentielle pour nous, ils poursuivent leurs propres objectifs et ne tiennent pas compte de nos intérêts.

Et bien sûr, dans cette situation, nous nous posons la question : que faire ensuite, à quoi s'attendre ? L'histoire nous apprend qu'en 40 et au début de 41, l'Union soviétique a tenté d'empêcher ou du moins de retarder le déclenchement de la guerre. Pour ce faire, il faut notamment essayer littéralement jusqu'à la dernière minute de ne pas provoquer un agresseur potentiel, ne pas effectuer ou reporter les mesures les plus nécessaires et évidentes pour se préparer à repousser l'attaque inévitable. Et les mesures qui ont finalement été prises étaient désastreusement tardives.

En conséquence, le pays n'était pas prêt à faire face à l'invasion de l'Allemagne nazie, qui a attaqué notre patrie sans déclaration de guerre le 22 juin 1941. L'ennemi a été arrêté puis écrasé, mais à un coût colossal. La tentative de plaire à l'agresseur à la veille de la Grande Guerre Patriotique a été une erreur qui a coûté cher à notre peuple. Au cours des premiers mois de combat, nous avons perdu de vastes territoires stratégiquement importants et des millions de personnes. Nous ne ferons pas une telle erreur une deuxième fois, nous n'avons pas le droit.

Ceux qui aspirent à la domination du monde, publiquement, en toute impunité et, je le souligne, sans aucune justification, nous déclarent, nous la Russie, leur ennemi. En effet, ils disposent aujourd'hui de grandes capacités financières, scientifiques, technologiques et militaires. Nous en sommes conscients et évaluons objectivement les menaces qui sonnent constamment à notre adresse dans le domaine de l'économie, ainsi que notre capacité à résister à ce chantage impudent et permanent. Je le répète, nous les évaluons sans illusions, de manière très réaliste.

Dans le domaine militaire, la Russie moderne, même après l'effondrement de l'URSS et la perte d'une grande partie de son potentiel, est aujourd'hui l'une des puissances nucléaires les plus puissantes du monde et dispose en outre d'avantages certains dans un certain nombre d'armements de pointe. Il ne devrait donc faire aucun doute qu'une attaque directe contre notre pays entraînerait la défaite et des conséquences désastreuses pour tout agresseur potentiel.

Cependant, la technologie, y compris celle de la défense, évolue rapidement. Le leadership dans ce domaine a changé et changera de main en main, mais le développement militaire des territoires adjacents à nos frontières, si nous le permettons, se poursuivra pendant des décennies, peut-être pour toujours, et constituera une menace toujours plus grande et totalement inacceptable pour la Russie.

Aujourd'hui déjà, alors que l'OTAN s'étend vers l'est, la situation de notre pays empire et devient chaque année plus dangereuse. En outre, ces derniers jours, les dirigeants de l'OTAN ont explicitement évoqué la nécessité d'accélérer, de forcer l'avancée des infrastructures de l'alliance vers les frontières de la Russie. En d'autres termes, ils renforcent leur position. Nous ne pouvons plus nous contenter de regarder ce qui se passe. Ce serait complètement irresponsable de notre part.

La poursuite de l'expansion de l'infrastructure de l'Alliance de l'Atlantique Nord, le développement militaire des territoires de l'Ukraine qui a commencé, est inacceptable pour nous. Le problème, bien sûr, ne concerne pas l'organisation de l'OTAN elle-même – elle n'est qu'un instrument de la politique étrangère des États-Unis. Le problème est que sur les territoires adjacents aux nôtres – je note, sur nos propres territoires historiques – une "anti-Russie" est en train de se créer, qui a été placée sous un contrôle extérieur total, est intensivement colonisée par les forces armées des pays de l'OTAN et remplie des armes les plus modernes.

Pour les États-Unis et leurs alliés, il s'agit d'une politique dite d'endiguement de la Russie, un dividende géopolitique évident. Mais pour notre pays, c'est en fin de compte une question de vie ou de mort, une question d'avenir historique en tant que nation. Et ce n'est pas une exagération – c'est tout simplement comme ça. Il s'agit d'une menace réelle, non seulement pour nos intérêts, mais aussi pour l'existence même de notre État, sa souveraineté. C'est la ligne rouge qui a été évoquée à plusieurs reprises. Ils l'ont franchi.

Dans ce contexte, la situation à Donbass. Nous constatons que les forces qui ont réalisé un coup d'État en Ukraine en 2014, se sont emparées du pouvoir et l'ont conservé au moyen de procédures électorales essentiellement décoratives, ont définitivement refusé de résoudre le conflit de manière pacifique. Pendant huit ans, huit années infiniment longues, nous avons tout fait pour que la situation soit résolue par des moyens pacifiques et politiques. En vain.

Comme je l'ai dit dans mon discours précédent, on ne peut pas regarder ce qui se passe là-bas sans compassion. C'était tout simplement impossible de le supporter plus longtemps. Il était nécessaire de mettre immédiatement un terme à ce cauchemar – ce génocide contre les millions de personnes vivant là-bas qui n'espèrent qu'en la Russie, qui n'espèrent qu'en vous et moi. Ce sont ces aspirations, les sentiments, la douleur de la population qui ont été la principale motivation de notre décision de reconnaître les républiques populaires de Donbass.

Ce qu'il me semble important de souligner davantage. Les principaux pays de l'OTAN, afin d'atteindre leurs propres objectifs, soutiennent les nationalistes extrêmes et les néonazis en Ukraine, qui, à leur tour, ne pardonneront jamais aux habitants de Crimée et de Sébastopol leur libre choix de se réunir avec la Russie.

Ils iront, bien sûr, en Crimée, comme ils l'ont fait au Donbass, avec la guerre, pour tuer comme les bandes punitives des nationalistes ukrainiens, collaborateurs d'Hitler pendant la Grande Guerre patriotique, ont tué des gens sans défense. Ils ne cachent pas non plus leurs revendications sur toute une série d'autres territoires russes.

L'ensemble du déroulement des événements et l'analyse des informations qui nous parviennent montrent qu'un affrontement entre la Russie et ces forces est inévitable. Ce n'est qu'une question de temps : ils se préparent, ils attendent le moment opportun. Maintenant, ils prétendent également posséder des armes nucléaires. Nous ne laisserons pas cela se produire.

Comme je l'ai dit précédemment, la Russie a accepté les nouvelles réalités géopolitiques après l'effondrement de l'URSS. Nous respectons et continuerons à respecter tous les pays nouvellement formés dans l'espace post-soviétique. Nous respectons et continuerons à respecter leur souveraineté, et l'aide que nous avons apportée au Kazakhstan, qui a été confronté à des événements tragiques et à des défis pour son statut d'État et son intégrité, en est un exemple. Mais la Russie ne peut se sentir en sécurité, ne peut se développer, ne peut exister avec une menace constante provenant du territoire de l'actuelle Ukraine.

Permettez-moi de vous rappeler qu'en 2000-2005, nous avons riposté militairement contre les terroristes dans le Caucase, défendu l'intégrité de notre État et maintenu la Russie intacte. En 2014, nous avons soutenu la population de Crimée et de Sébastopol. En 2015, nous avons utilisé les forces armées pour mettre une barrière fiable à l'infiltration des terroristes depuis la Syrie vers la Russie. Nous n'avions aucun autre moyen de nous défendre.

La même chose se produit maintenant. Vous et moi n'avons tout simplement pas d'autre moyen de défendre la Russie et notre peuple que celui que nous sommes obligés d'utiliser aujourd'hui. Les circonstances nous obligent à agir de manière décisive et immédiate. Les républiques populaires de Donbas ont demandé l'aide de la Russie.

À cet égard, conformément à l'article 51 de la partie 7 de la Charte des Nations unies, avec la sanction du Conseil de la Fédération de Russie et en application des traités d'amitié et d'assistance mutuelle avec la République populaire de Donetsk et la République populaire de Louhansk ratifiés par l'Assemblée fédérale le 22 février de cette année, j'ai pris la décision de mener une opération militaire spéciale.

Son objectif est de protéger les personnes qui ont été soumises à des abus et à un génocide par le régime de Kiev pendant huit ans. Et à cette fin, nous nous efforcerons de démilitariser et de dénazifier l'Ukraine et de traduire en justice ceux qui ont commis des crimes nombreux et sanglants contre des civils, y compris des citoyens de la Fédération de Russie.

Dans le même temps, nos plans n'incluent pas l'occupation des territoires ukrainiens. Nous n'avons pas l'intention d'imposer quoi que ce soit à qui que ce soit par la force. Dans le même temps, nous entendons de plus en plus souvent à l'Ouest que les documents signés par le régime totalitaire soviétique, qui consacrent les résultats de la Seconde Guerre mondiale, ne devraient plus être appliqués. Eh bien, quelle est la réponse à cette question ?

L'issue de la Seconde Guerre mondiale est sacrée, tout comme les sacrifices consentis par notre peuple sur l'autel de la victoire sur le nazisme. Mais cela ne contredit pas les hautes valeurs des droits de l'homme et des libertés, fondées sur les réalités des décennies d'après-guerre. Elle n'annule pas non plus le droit des nations à l'autodétermination consacré par l'article premier de la Charte des Nations unies.

Permettez-moi de vous rappeler que ni lors de la fondation de l'URSS ni après la Seconde Guerre mondiale, personne n'a jamais demandé aux habitants des territoires qui constituent l'actuelle Ukraine comment ils voulaient organiser leur vie. Notre politique est fondée sur la liberté, la liberté de choix pour chacun de déterminer son propre avenir et celui de ses enfants. Et nous pensons qu'il est important pour tous les peuples vivant sur le territoire de l'actuelle Ukraine, tous ceux qui veulent exercer ce droit – le droit de choisir.

À cet égard, je lance également un appel aux citoyens de l'Ukraine. En 2014, la Russie avait l'obligation de protéger les habitants de Crimée et de Sébastopol contre ceux que vous appelez vous-même des « nazis ». Les habitants de Crimée et de Sébastopol ont fait le choix d'être avec leur patrie historique, avec la Russie, et nous l'avons soutenu. Encore une fois, nous ne pouvions tout simplement pas faire autrement.

Les événements d'aujourd'hui ne visent pas à porter atteinte aux intérêts de l'Ukraine et du peuple ukrainien. Il s'agit de protéger la Russie elle-même contre ceux qui ont pris l'Ukraine en otage et tentent de l'utiliser contre notre pays et son peuple.

Encore une fois, nos actions relèvent de l'autodéfense contre les menaces qui pèsent sur nous et contre une calamité encore plus grande que celle qui se produit aujourd'hui. Aussi difficile que cela soit, je vous demande de le comprendre et j'appelle à la coopération pour que nous puissions tourner cette page tragique le plus tôt possible et avancer ensemble, sans permettre à quiconque de s'immiscer dans nos affaires, dans nos relations, mais en les construisant de manière indépendante, afin de créer les conditions nécessaires pour surmonter tous les problèmes et, malgré les frontières étatiques, nous renforcer de l'intérieur comme une entité unie. Je crois en cela - c'est notre avenir.

Je dois également m'adresser aux militaires des forces armées de l'Ukraine.

Camarades ! Vos pères, grands-pères, arrière-grands-pères n'ont pas combattu les nazis, défendant notre patrie commune, pour que les néonazis d'aujourd'hui puissent prendre le pouvoir en Ukraine. Vous avez prêté serment d'allégeance au peuple ukrainien, et non à la junte anti-populaire, qui vole l'Ukraine et intimide ce même peuple.

N'exécutez pas ses ordres criminels. Je vous demande de déposer vos armes immédiatement et de rentrer chez vous. Soyons clairs : tous les membres de l'armée ukrainienne qui se plieront à cette exigence pourront quitter la zone de guerre sans entrave et retourner auprès de leurs familles.

Permettez-moi de le souligner une fois de plus : toute la responsabilité d'une éventuelle effusion de sang reposera entièrement sur la conscience du régime au pouvoir sur le territoire de l'Ukraine.

Maintenant, quelques mots importants, très importants pour ceux qui pourraient être tentés de l'extérieur d'interférer dans les événements qui se déroulent. Quiconque tente d'interférer avec nous, et encore moins de mettre en danger notre pays et notre peuple, doit savoir que la réponse de la Russie sera immédiate et vous conduira à des conséquences auxquelles vous n'avez jamais été confrontés dans votre histoire. Nous sommes prêts à faire face à tout développement d'événements. Toutes les décisions nécessaires ont été prises à cet égard. J'espère que je serai entendu.

Chers citoyens de Russie !

Le bien-être, l'existence même d'États et de peuples entiers, leur succès et leur viabilité trouvent toujours leur origine dans le puissant système de racines de leurs cultures et de leurs valeurs, dans l'expérience et les traditions de leurs ancêtres, et ils dépendent bien sûr de leur capacité à s'adapter rapidement à une vie en constante évolution, de la cohésion de la société, de sa volonté de se consolider, de rassembler toutes les forces pour aller de l'avant.

La force est toujours nécessaire – toujours – mais la force peut être de différentes qualités. La politique de « l'empire du mensonge » à laquelle j'ai fait référence au début de mon discours est basée avant tout sur la force brute et directe. Dans de tels cas, nous disons : "Vous avez le pouvoir, vous n'avez pas besoin d'intelligence".

Mais vous et moi savons que la vraie force réside dans la justice et la vérité, qui sont de notre côté. Et si cela est vrai, alors il est difficile de ne pas convenir que la force et la volonté de combattre sont le fondement de l'indépendance et de la souveraineté, le fondement nécessaire sur lequel seul on peut construire son avenir, son foyer, sa famille, sa patrie.

Chers compatriotes !

Je suis convaincu que les soldats et les officiers dévoués des forces armées russes rempliront leur devoir avec professionnalisme et courage. Je ne doute pas que tous les niveaux de pouvoir et les professionnels responsables de la stabilité de notre économie, de notre système financier et de la sphère sociale, ainsi que les dirigeants de nos entreprises et de l'ensemble des entreprises russes travailleront de manière coordonnée et efficace. Je compte sur la position consolidée et patriotique de tous les partis parlementaires et des forces publiques.

Après tout, comme cela a toujours été le cas dans l'histoire, le destin de la Russie est entre les mains expertes de notre peuple multiethnique. Cela signifie que les décisions que nous avons prises seront mises en œuvre, que nos objectifs seront atteints et que la sécurité de notre patrie sera garantie de manière fiable.

Je crois en votre soutien et en la force invincible que nous donne l'amour de notre Patrie.

 


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   Annexe 10 :

Glossaire des principaux acronymes

 

AAE : armée de l’Air et de l’Espace

BG : battle group

BIDDH : bureau des institutions démocratiques et des droits de l’Homme

BITD : base industrielle et technologique de défense

BSS : bande sahélo-saharienne

CAESAR : camion équipé d’un système d’artillerie

CEDH : Cour européenne des droits de l’Homme

CEI : Communauté des États indépendants

CEMA : chef d’état-major des armées

CFP : cadre financier pluriannuel

CJUE : Cour de justice de l’Union européenne

CPA : cour permanente d’arbitrage

CPCO : centre de planification et de conduite des opérations

CSNU : Conseil de sécurité des Nations unies

CSP : coopération structurée permanente

DCSD : direction de la coopération de sécurité et de défense

DGRIS : direction générale des relations internationales et de la stratégie

DMA : Digital Markets Act

DRM : direction du renseignement militaire

DSA : Digital Services Act

eAP : enhanced Air Policing

eFP : enhanced forward presence

ENSTA : École nationale supérieure des techniques avancées

ESN : élément de soutien national

EUTM Mali : European Union Training Mission in Mali

EUTM RCA : European Union Training Mission in Central African Republic

FCA : Focus Collection Activity

FCE : forces conventionnelles en Europe

FEDef : Fonds européen de la défense

FINUL : force intérimaire des Nations unies au Liban

FLE : français langue étrangère

FMS : Foreign Military Sales

FREMM : frégate multi-missions

FSB : service fédéral de sécurité russe

HCR : Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés

IEI : initiative européenne d’intervention

iMUGS : integrated Modular Unmanned Ground System

LAD : lutte anti-drone

MEAE : ministère de l’Europe et des Affaires étrangères

MINUSMA : mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali

NICSC : Naval Intermediate Command and Staff Course

NRF : NATO Response Force

OMP : opération de maintien de la paix

ONG : organisation non-gouvernementale

ONU : Organisation des Nations unies

OSCE : Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe

OTAN : Organisation du traité de l’Atlantique Nord

OTSC : Organisation du traité pour la sécurité collective

PAC : politique agricole commune

PEDID : programme européen de développement industriel dans le domaine de la défense

PiS : parti « droit et justice »

ROEM : renseignement d’origine électromagnétique

RPD : République populaire de Donetsk

RPD : République populaire de Louhansk

SGTIA : sous-groupement tactique interarmes

SI : système d’information

SIC : système d’information et de communication

SNLE : sous-marins nucléaires lanceurs d’engins

SNR : Senior National Representative

TCO : traité « Ciel ouvert »

tFP : tailored forward presence

TIDM : tribunal international du droit de la mer

TUE : traité sur l’Union européenne

UE : Union européenne

VJTF : Very High Readiness Joint Task Force

ZEAN : zone exempte d’armes nucléaires

 


[1] Entretien publié dans Politique internationale, n° 174, hiver 2021-2022.