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N° 687
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 janvier 2023.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DEs affaires ÉTRANGÈRES
en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 21 septembre 2022
sur la réforme du corps diplomatique
et présenté par
M. Arnaud LE GALL et M. Vincent LEDOUX
Députés
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La mission d’information, conduite par les rapporteurs Arnaud Le Gall et Vincent Ledoux, était adossée sur un groupe de travail composé de : M. Moetai Brotherson (Polynésie française – Gauche démocrate et républicaine), M. Alain David (Gironde – Socialistes et apparentés), Mme Stéphanie Kochert (Bas-Rhin – Horizons et apparentés), M. Frédéric Petit (Français de l’étranger – Démocrate), M. Kévin Pfeffer (Moselle – Rassemblement national), M. Vincent Seitlinger (Moselle – Les Républicains) et M. Aurélien Taché (Val-d’Oise – Écologiste).
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SOMMAIRE
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Pages
I. La rÉforme de l’encadrement supÉrieur de l’État suscite des rÉactions Au Quai d’Orsay
A. Les diplomates sont inclus dans la rÉforme de la haute fonction publique
1. La réforme de la haute fonction publique a plusieurs objectifs affichés
2. Cette réforme a d’importantes conséquences sur le corps diplomatique
a. Les deux corps d’encadrement supérieur du ministère sont mis en extinction
b. La réforme fait évoluer le parcours professionnel des diplomates
iv. Le déroulement des carrières
3. Le Quai d’Orsay a obtenu des garanties dans la mise en œuvre de la réforme
a. Certaines contreparties ont été accordées à tous les administrateurs de l’État
b. Le Quai d’Orsay a obtenu des garanties spécifiques
c. Des états généraux de la diplomatie ont été lancés
4. L’organisation de la fonction diplomatique diffère selon les pays
B. La rÉforme du corps diplomatique est l’objet de critiques À l’intÉrieur du Quai d’Orsay
1. La réforme est contestée au sein du Quai d’Orsay
2. Avec le rapport Bonnafont, les diplomates pensaient tenir leur propre déclinaison de la réforme
3. La réforme du corps diplomatique est l’objet de plusieurs critiques
1. L’ouverture du Quai d’Orsay bénéficiera à la diplomatie française
a. L’objectif central est de préserver un outil diplomatique de qualité
b. Le Quai d’Orsay peut gagner à être plus ouvert sur les autres administrations
c. De façon positive, la réforme décloisonnera les carrières des diplomates
c. La réforme réduira l’arbitraire dans les affectations au Quai d’Orsay
3. La réforme est soucieuse de la préservation des carrières diplomatiques
a. La portée de l’obligation de mobilité sera plus limitée que certains ne le craignent
b. Le risque d’un renforcement de la concurrence sur les postes diplomatiques est limité
4. Les diplomates seront également mieux formés et plus ouverts sur la société
b. D’autres garanties permettraient de rassurer quant à l’avenir de la filière diplomatique
ii. Accompagner la réforme d’une gouvernance robuste permettant d’en assurer un suivi fin
c. Les états généraux doivent permettre d’engager d’autres réformes dont le Quai d’Orsay a besoin
i. « Réarmer » la diplomatie française
ii. Renforcer la formation continue des diplomates
iii. Mieux faire connaître le métier diplomatique
B. Cette rÉforme nuira profondÉment À la qualitÉ de la diplomatie française, selon M. Arnaud Le Gall
a. La réforme est construite sur un postulat erroné, à savoir que le MEAE serait un ministère fermé
c. Il existe une large majorité contre cette réforme
2. La réforme remet en cause la notion de diplomatie professionnelle
c. La suppression des corps ministériels favorisera le « fait du Prince »
3. La réforme fragilisera les perspectives professionnelles des diplomates
b. La réforme fait des victimes collatérales : les secrétaires des affaires étrangères
a. Suivre la mise en œuvre des garanties promises dans le cadre de la réforme
b. Consolider le déroulement des carrières diplomatiques
i. Inscrire explicitement le droit au retour après une mobilité sortante
ii. Garantir les perspectives de carrière des secrétaires des affaires étrangères au MEAE
c. Améliorer la procédure de nomination aux postes d’ambassadeurs
d. Garantir la réversibilité de la réforme
6. Une autre réforme est possible
a. Améliorer la gestion des ressources humaines du MEAE
ii. Remettre à plat les modes d’affectation des personnels
iii. Mieux sélectionner et former les aspirants ambassadeurs
b. Prévoir une mobilité au service de la professionnalisation de la fonction diplomatique de l’État
i. Subordonner toute mobilité entrante au MEAE par un passage en administration centrale
ii. Prévoir, pour tous, une première expatriation dans un pays de difficulté intermédiaire
iii. Créer un vivier des experts des affaires européennes et internationales de la sphère publique
c. Se donner les moyens de nos ambitions
i. Donner une ligne politique claire aux diplomates
ii. Doter le MEAE d’une loi de programmation complète
iii. Réintégrer les opérateurs et les agences au sein du MEAE
d. Renforcer le contrôle démocratique sur les nominations des grands ambassadeurs
e. Mieux faire connaître le métier diplomatique
annexe n° 1 : Liste des personnes auditionnÉes
Annexe n° 2 : DÉcret n° 2022-561 du 16 avril 2022
Annexe n° 4 : Contribution de l’ambassade de France en Allemagne
Annexe n° 5 : Contribution de l’ambassade de France au Royaume-Uni
Annexe n° 6 : Contribution de l’ambassade de France EN ITALIE
Annexe n° 7 : Contribution de l’ambassade de France EN ESPAGNE
Annexe n° 8 : Contribution de l’ambassade de France AUX ÉTATS-UNIS
Annexe n° 9 : Contribution de l’ambassade de France AU CANADA
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La réforme de la haute fonction publique, dont découle la suppression des deux corps d’encadrement supérieur du Quai d’Orsay, a eu un large écho à l’intérieur de ce ministère qui a vécu, le 2 juin dernier, sa première grève depuis vingt ans.
C’est dans ce contexte que la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale a créé, le 21 septembre dernier, une mission d’information sur la réforme du corps diplomatique. Pour tenir compte du large intérêt que suscite cette réforme, la mission d’information, conduite par les rapporteurs Arnaud Le Gall et Vincent Ledoux, a été adossée sur un groupe de travail dont la composition a permis d’associer l’ensemble des groupes politiques. Dans ce cadre, l’objectif de la mission d’information et du groupe de travail était simple : évaluer l’incidence de la réforme de la haute fonction publique sur le Quai d’Orsay et faire des propositions sur l’avenir du corps diplomatique.
Les rapporteurs tiennent à souligner le bon esprit dans lesquels ils ont conduit leurs travaux. Il n’en demeure pas moins que, après avoir entendu toutes les parties prenantes, ils tirent des conclusions très différentes, pour ne pas dire opposées, des enjeux et des conséquences attendues de la réforme.
En conséquence, le rapport est découpé en deux parties. La première tente de décrire, de façon aussi objective que possible, les paramètres de la réforme et les réactions qu’elle a suscitées au sein du Quai d’Orsay. La deuxième partie permet ensuite à chaque rapporteur d’exposer son appréciation de la réforme. Si, pour le rapporteur Vincent Ledoux, cette réforme, qui est mal comprise, est une opportunité pour notre diplomatie, le rapporteur Arnaud Le Gall considère pour sa part qu’elle nuira profondément à la qualité de la diplomatie française.
D’aucuns considéreront qu’un tel écart d’appréciation entre rapporteurs est synonyme d’échec. Bien au contraire, l’un comme l’autre estiment qu’il faut mettre au crédit de l’Assemblée nationale de permettre l’expression de sensibilités politiques différentes sur un même sujet de débat. Effacer les divergences entre rapporteurs aurait conduit, a contrario, à rendre un rapport fade, sans portée critique ni prospective. Or, ces derniers souhaitent que le travail d’analyse ici conduit nourrisse les travaux en cours sur l’avenir du corps diplomatique.
I. La rÉforme de l’encadrement supÉrieur de l’État suscite des rÉactions Au Quai d’Orsay
A. Les diplomates sont inclus dans la rÉforme de la haute fonction publique
1. La réforme de la haute fonction publique a plusieurs objectifs affichés
La réforme de l’encadrement supérieur de l’État ambitionne de rendre la fonction publique :
– plus ouverte. Cet objectif sous-tend la création des « Prépas Talents », qui accueillent des étudiants boursiers ([1]), et l’ouverture pour ces étudiants d’une nouvelle voie d’accès à six concours de la fonction publique ([2]), dans l’objectif de renforcer la diversité sociale de la haute fonction publique ;
– mieux formée. Pour y parvenir, l’École nationale de l’administration (ENA) est remplacée par l’Institut national du service public (INSP), dont les missions sont plus larges puisqu’il assurera la formation initiale des futurs administrateurs de l’État mais aussi la formation de « troncs communs » des élèves issus de quatorze écoles d’encadrement supérieur de l’État. L’INSP s’est également vu adjoindre une mission de formation continue des cadres supérieurs de l’État ;
– mieux gérée. Pour dynamiser les carrières des cadres supérieurs de l’État, la plupart des corps de la catégorie A+ ([3]), quel que soit leur ministère de rattachement, sont fusionnés au sein d’un seul corps interministériel, celui des administrateurs de l’État, selon une logique dite de « fonctionnalisation ». Une gestion plus stratégique et individualisée des carrières doit par ailleurs voir le jour.
2. Cette réforme a d’importantes conséquences sur le corps diplomatique
a. Les deux corps d’encadrement supérieur du ministère sont mis en extinction
Au 31 décembre 2021, le corps diplomatique, ou plutôt les corps diplomatiques, incluaient 1 556 agents de niveaux A et A+, ce qui représente 11 % des personnels du ministère de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE).
Les corps diplomatiques comprennent :
– d’une part, les corps de catégorie A+, à savoir les corps des ministres plénipotentiaires (MP – 128 agents) et des conseillers des affaires étrangères (CAE – 559 agents).
– d’autre part, un corps de catégorie A, celui des secrétaires des affaires étrangères (SAE – 869 agents).
Les corps des secrétaires et des conseillers des affaires étrangères se distinguent l’un comme l’autre entre le « cadre général », permettant de recruter des diplomates généralistes, et le « cadre d’Orient », qui regroupe des diplomates spécialisés sur certaines aires civilisationnelles et qui maîtrisent des langues rares.
RÉpartition des effectifs du corps diplomatique*
GRADE |
F |
H |
Total |
% de F |
Ministres plénipotentiaires |
41 |
87 |
128 |
32 % |
Conseillers des affaires étrangères hors classe |
60 |
175 |
235 |
26 % |
Conseillers des affaires étrangères (CAE) |
112 |
212 |
324 |
35 % |
- dont sortie ENA CAE (2021) |
1 |
4 |
5 |
20 % |
- dont concours CAE (2021)* |
2 |
6 |
8 |
25 % |
- dont promotions au choix CAE (2021)* |
6 |
6 |
12 |
50 % |
Secrétaires des affaires étrangères principaux (SAEP) |
90 |
162 |
252 |
36 % |
Secrétaires des affaires étrangères (SAE) |
293 |
324 |
617 |
47 % |
- dont sortie IRA (2021)* |
4 |
2 |
6 |
67 % |
- dont recrutement au titre du handicap |
4 |
0 |
4 |
100 % |
- dont concours SAE cadre général (2021)* |
6 |
13 |
19 |
32 % |
- dont concours SAE cadre d’Orient (2021)* |
12 |
15 |
27 |
44 % |
- dont promotions au choix SAE (2021)* |
9 |
6 |
15 |
60 % |
*Au 31 décembre 2021.
Source : MEAE.
Comme le prévoit le décret n° 2021-1550 du 1er décembre 2021 portant statut particulier du corps des administrateurs de l’État, la réforme de la haute fonction publique se traduit par la mise en extinction, à compter du 1er janvier 2023, des corps des conseillers des affaires étrangères et des ministres plénipotentiaires, mais pas du corps des secrétaires des affaires étrangères, qui demeure.
Désormais, tous les postes jusqu’ici réservés aux conseillers des affaires étrangères et aux ministres plénipotentiaires, à savoir les emplois de conception, d’expertise et d’encadrement à l’administration centrale du MEAE ainsi que les emplois concourant à la politique extérieure de la France, notamment dans les postes diplomatiques, peuvent être pourvus par des administrateurs de l’État, au-delà des seuls postes d’ambassadeurs sur lesquels le président de la République dispose d’un pouvoir de nomination discrétionnaire.
Ainsi, les administrateurs de l’État issus du nouvel INSP ou de l’un des quinze corps mis en extinction par la réforme, ainsi que les 2 600 administrateurs civils qui ont été versés au corps des administrateurs de l’État sans droit d’option, peuvent notamment être nommés aux postes d’ambassadeurs, de directeurs, de chefs de service, de sous-directeurs et de consuls généraux.
b. La réforme fait évoluer le parcours professionnel des diplomates
i. Les concours
D’après M. Christian Lequesne, professeur à SciencesPo spécialisé sur l’étude des pratiques diplomatiques, la France se distingue, parmi les pays démocratiques, par l’éclatement des modes de recrutement des diplomates. Jusqu’à présent, les diplomates étaient recrutés via le concours de l’ENA pour les conseillers des affaires étrangères « cadre général », ainsi que par des concours organisés par le Quai d’Orsay pour les secrétaires des affaires étrangères « cadre général » et « cadre d’Orient », de même que pour les conseillers des affaires étrangères « cadre d’Orient ».
La réforme ne remet pas en cause les différents concours. Le Quai d’Orsay continuera d’organiser le recrutement des secrétaires des affaires étrangères, tous cadres confondus. En revanche, le concours d’Orient de catégorie A+, à distinguer du concours d’Orient de catégorie A permettant de recruter des secrétaires des affaires étrangères, sera organisé par l’INSP, qui gérera aussi le concours général des administrateurs de l’État. Les épreuves du concours d’Orient qui sera organisé par l’INSP évolueront pour intégrer davantage de mises en situation professionnelle.
Aujourd’hui, tous les diplomates ne reçoivent pas le même niveau de formation initiale. Ceux recrutés par le Quai d’Orsay (secrétaires des affaires étrangères et conseillers des affaires étrangères « cadre d’Orient ») bénéficient de deux mois de formation initiale à l’Institut diplomatique et consulaire (IDC). Les élèves fonctionnaires appelés à devenir conseillers des affaires étrangères « cadre général » bénéficient pour leur part d’une formation de deux ans à l’ENA.
La réforme de l’encadrement supérieur de l’État, qui se traduit par le remplacement de l’ENA par l’INSP, a des conséquences sur la formation des diplomates. D’une part, l’INSP formera un plus grand nombre de diplomates, puisque cette école intègre les lauréats du concours d’Orient de catégorie A+. D’autre part, l’INSP devrait accorder une place plus importante aux compétences managériales dans la formation des hauts fonctionnaires.
Le renforcement de la formation est parallèlement à l’agenda du MEAE qui a décidé de créer une nouvelle école pour former tous les personnels du ministère, au-delà des seuls agents de catégorie A et A+. Créée en mars 2022, peu après l’INSP, l’École pratique des métiers de la diplomatie rassemble les différents dispositifs de formation préexistants : l’Institut de formation aux affaires administratives et consulaires (IFAC), l’Institut diplomatique et consulaire (IDC) et le Collège des hautes études de l’Institut diplomatique (CHEID). La création de l’École pratique répond, outre à un enjeu de meilleure visibilité, au besoin de renforcer la formation des personnels du ministère. D’une durée qui devrait rester de deux mois, le programme de formation initiale des diplomates est en cours de rénovation, l’objectif étant notamment de renforcer les mises en pratique en même temps que les liens avec le monde académique. La France se rapproche ainsi du modèle de l’École diplomatique qui existe dans d’autres pays, dont l’Espagne.
Avec la réforme, les secrétaires des affaires étrangères bénéficieront toujours d’une formation de deux mois à l’École pratique des métiers de la diplomatie, qui a absorbé l’IDC. De la même manière, les administrateurs de l’État issus du concours général bénéficieront toujours de deux ans à l’INSP. En revanche, les lauréats du concours d’Orient organisé par l’INSP bénéficieront à la fois de la scolarité à l’INSP et des deux mois de formation à l’École pratique des métiers de la diplomatie.
iii. L’affectation
Avant la réforme, les lauréats des concours organisés par le Quai d’Orsay (secrétaires des affaires étrangères et conseillers des affaires étrangères « Orient ») revenaient automatiquement au ministère. Pour les élèves de l’ENA, en revanche, le classement de sortie déterminait qui pouvait rejoindre le MEAE.
Sans modifier le régime applicable aux secrétaires des affaires étrangères, la réforme remplace le classement de sortie à la sortie de l’ENA par un principe d’« appariement » à la sortie de l’INSP qui conduira, d’un côté, l’employeur public à choisir et à classer les élèves, sur la base de curriculum vitae anonymisés, et de l’autre côté, les étudiants à classer les employeurs publics par ordre de préférence. Lorsqu’un appariement sera constaté, un entretien aura lieu entre l’étudiant et l’employeur public. Les lauréats du concours d’Orient de catégorie A+ organisé par l’INSP, en revanche, ne seront pas soumis à ce principe d’appariement et reviendront automatiquement au Quai d’Orsay.
iv. Le déroulement des carrières
Jusqu’à présent, les diplomates relevant de toutes les catégories avaient vocation à faire l’intégralité de leur carrière au Quai d’Orsay, la règle étant d’enchaîner successivement un poste en administration centrale et deux postes à l’étranger. Au bout d’une dizaine d’années, la carrière des secrétaires et des conseillers des affaires étrangères divergeait, ces derniers ayant accès aux fonctions d’encadrement. Une partie des conseillers des affaires étrangères accédait au corps des ministres plénipotentiaires en progressant dans la carrière.
Notons que, contrairement à l’image d’immobilisme parfois véhiculée, les évolutions de carrières étaient déjà soumises à une obligation de mobilité ([4]). Comme l’a précisé aux rapporteurs Mme Agnès Romatet-Espagne, directrice des ressources humaines du MEAE, le ministère a oscillé entre une obligation de mobilité contraignante, impliquant un changement d’administration, et une obligation de mobilité plus souple, qui pouvait s’effectuer au sein même du Quai d’Orsay, dans une autre direction ou à l’étranger. Depuis 2008, le MEAE n’imposait plus qu’une mobilité souple à ses diplomates.
Si les lignes directrices de gestion interministérielle adoptées dans le cadre de la réforme n’induisent pas de changement à cet égard ([5]), le Quai d’Orsay devrait prochainement adopter des lignes directrices ministérielles plus précises et plus strictes imposant une mobilité qui se traduise par un changement d’environnement professionnel des diplomates. Le MEAE reviendra ainsi à une obligation de mobilité contraignante, conforme à l’objectif consistant à renforcer la mobilité des hauts fonctionnaires. Le développement de cette mobilité suppose néanmoins d’organiser, à l’échelle de l’État, la fluidité de l’information sur les postes disponibles et d’objectiver les compétences pour permettre aux agents de se valoriser ailleurs que dans leur administration d’origine.
En principe, les administrateurs de l’État affectés au Quai d’Orsay pourront donc servir au sein de plusieurs ministères selon un parcours plus fluide qu’auparavant, que chaque agent devra construire en se portant candidat aux offres de postes à pourvoir quand il le souhaitera. En pratique, la portée de la mobilité pourrait cependant être plus limitée, afin de préserver la cohérence des carrières diplomatiques. En revanche, la situation des secrétaires des affaires étrangères resterait inchangée si ce n’est leurs perspectives de carrière, qui ne se situent plus dans le corps des conseillers des affaires étrangères mais dans celui des administrateurs de l’État.
3. Le Quai d’Orsay a obtenu des garanties dans la mise en œuvre de la réforme
a. Certaines contreparties ont été accordées à tous les administrateurs de l’État
La réforme s’accompagne, en premier lieu, de certaines contreparties qui bénéficient à tous les administrateurs de l’État et donc, par extension, aux diplomates qui seront versés dans le nouveau corps interministériel. Elle réalise en particulier une égalisation des statuts dans la haute fonction publique. C’est en effet l’une des conditions de la mobilité dans l’ensemble du champ des métiers couverts par le nouveau corps. D’après le Gouvernement, la rémunération des hauts fonctionnaires sera plus juste, grâce à la création d’une grille unique de rémunération pour tous les administrateurs de l’État, plus attractive, du fait d’un alignement à la hauteur des niveaux indiciaires et des plafonds indemnitaires les plus élevés, et mieux à même de récompenser le mérite, l’évolution de la rémunération indiciaire étant plus largement déterminée par la prise de responsabilités ou le risque d’exposition dans des postes supérieurs ([6]).
b. Le Quai d’Orsay a obtenu des garanties spécifiques
L’ancien ministre de l’Europe et des affaires étrangères, M. Jean-Yves Le Drian, a par ailleurs obtenu trois garanties spécifiques censées préserver la qualité de l’outil diplomatique.
En premier lieu, le concours d’Orient, qui permet de recruter des profils plus diversifiés, dotés de connaissances approfondies sur des langues rares et des civilisations, restera une voie d’accès directe et spécifique au Quai d’Orsay. De façon transitoire, ce concours reste organisé, sous sa forme actuelle, par le MEAE ([7]) avant d’être organisé par l’INSP à partir de 2024, date prévue de l’entrée en vigueur de la réforme de la formation initiale des hauts fonctionnaires de l’État.
Les modalités définitives du concours d’Orient seront fixées par un décret en cours d’élaboration. Il portera tout à la fois sur les voies d’accès à l’INSP, la scolarité et la procédure d’affectation. Ce décret devrait prévoir un parcours en partie commun avec le reste des administrateurs de l’État, dans l’objectif affiché de favoriser une culture commune et d’inculquer des compétences managériales à tous les hauts fonctionnaires, tout en tenant compte des fortes compétences linguistiques et internationales des lauréats du concours d’Orient. Ainsi :
– le concours d’Orient sera composé d’épreuves communes avec le concours général de l’INSP mais aussi d’un jury et d’épreuves spécifiques ;
– les lauréats bénéficieront d’une formation composée du même schéma de scolarité que les élèves de l’INSP cumulé, à la fin de celle-ci, à une formation de deux mois à l’École pratique des métiers de la diplomatie ;
– à la fin de leur formation, les lauréats du concours d’Orient seront automatiquement affectés au Quai d’Orsay.
SchÉma du parcours des agents recrutÉs sur le concours Orient de catÉgorie A+, avant et aprÈs la rÉforme
Source : INSP, École pratique des métiers de la diplomatie.
En deuxième lieu, les parcours des agents ayant rejoint le ministère comme secrétaires des affaires étrangères, qui ne sont pas inclus dans la réforme mais qui craignent pour leur carrière, seront revalorisés. La promesse faite est que ceux-ci bénéficieront de modalités de passage dans le corps des administrateurs de l’État plus favorables à celles qui existent aujourd’hui pour passer dans le corps des conseillers des affaires étrangères.
Concrètement, une sélection exceptionnelle de 80 secrétaires des affaires étrangères, attachés des systèmes d’information et de communication et traducteurs du MEAE sera versée dans le corps des administrateurs de l’État au titre des années 2023 et 2024 ([8]). Les personnes promues seront titularisées dans le corps des administrateurs de l’État et directement affectées au Quai d’Orsay sans avoir à suivre une formation préalable à l’INSP.
À partir de 2025, une vingtaine de secrétaires des affaires étrangères seront promus chaque année, soit un volume inférieur à 2023-2024 mais revu à la hausse par rapport à 2022. À compter de ce moment-là, les secrétaires des affaires étrangères promus dans le corps des administrateurs de l’État seront, comme les fonctionnaires issus d’autres ministères, affectés selon un principe d’appariement ([9]) et suivront une formation à l’INSP d’une durée de quatre mois environ avant leur prise de fonctions.
Enfin, un troisième grade de hors classe est créé dans le corps des secrétaires des affaires étrangères, avec pour objectif de donner aux agents en fin de carrière un statut et une rémunération plus avantageux.
En dernier lieu, en vertu de la clause dite « du grand-père », qui figure dans le décret 2022-561 du 16 avril 2022 portant application au MEAE de la réforme de la haute fonction publique et ses textes d’application, les personnels qui sont aujourd’hui en poste au Quai d’Orsay en tant que conseillers des affaires étrangères ou ministres plénipotentiaires ont la possibilité de ne pas opter pour le reversement dans le corps des administrateurs de l’État mais d’être versés dans un nouveau corps d’extinction, qui fusionne ces deux corps et qui est dénommé « corps des conseillers des affaires étrangères et ministres plénipotentiaires ». La garantie donnée est que celles et ceux qui feront le choix d’utiliser ce droit d’option, non seulement ne seront pas pénalisés, mais pourront aussi poursuivre leur carrière au ministère dans des conditions satisfaisantes et au moins comparables à celles qui prévalent aujourd’hui.
Concrètement, ce nouveau corps des conseillers des affaires étrangères et ministres plénipotentiaires accueille, depuis le 1er juillet 2022, tous les membres des anciens corps des conseillers des affaires étrangères et des ministres plénipotentiaires mis en extinction au 1er janvier 2023. Ce corps d’extinction a pour intérêt de maintenir les perspectives de carrière : sans sa création, il n’aurait en effet plus été possible pour un conseiller des affaires étrangères d’être promu ministre plénipotentiaire. Dans un second temps, entre le 1er janvier et le 31 décembre 2023, les agents concernés peuvent exercer leur droit d’option et décider de rester dans le corps des conseillers des affaires étrangères et ministres plénipotentiaires ou d’être intégrés dans le corps interministériel des administrateurs de l’État.
c. Des états généraux de la diplomatie ont été lancés
Annoncés par le président de la République, pour tenir compte de la grève du 2 juin (cf. infra), à l’occasion de la conférence des ambassadrices et des ambassadeurs début septembre 2022, les états généraux de la diplomatie ont été lancés par Mme Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, à la fin du mois d’octobre.
D’après l’ambassadeur Jérôme Bonnafont, nommé rapporteur général de ces états généraux, l’objectif de l’exercice est « de faire remonter un témoignage fidèle », des agents mais aussi de toutes les parties prenantes de la diplomatie française, sur l’évolution des missions et des métiers diplomatiques et consulaires.
Les discussions sont structurées autour de trois grandes thématiques, traitées dans le cadre de groupes de travail spécifiques :
– les défis de la diplomatie et la définition du métier de diplomate au XXIe siècle ;
– les conditions d’exercice des métiers, le déroulement des carrières, le fonctionnement et les méthodes de travail ;
– le rôle du MEAE comme chef-de-file interministériel de l’action extérieure de l’État et les interactions avec les partenaires non-étatiques.
La méthode retenue repose sur la consultation large des agents, quels que soient leur grade ou leur statut, afin qu’ils partagent leurs réflexions, leurs interrogations et leurs propositions, et l’audition de partenaires extérieurs. Afin d’assurer la participation du plus grand nombre, un questionnaire anonyme a été mis en ligne à destination des personnels du ministère et des contributions sont transmises directement à l’équipe en charge des états généraux. Les groupes de travail ont organisé des auditions de grands témoins et d’acteurs extérieurs ainsi que des ateliers auxquels tous les agents ont été conviés. La visite de certains postes du réseau est également prévue afin d’échanger directement avec les personnels en poste à l’étranger.
La diplomatie ne fonctionnant pas en vase clos, les états généraux de la diplomatie aspirent à une certaine ouverture sur la société, ce qui se traduit par l’implication de parlementaires, de chefs d’entreprises, d’organisations non-gouvernementales ou encore de partenaires étrangers. L’association des parlementaires, pour leur sens des attentes de nos concitoyens dans un contexte de redevabilité de la diplomatie à l’égard des Français, se traduit de trois manières : les rapports parlementaires portant sur les missions et les métiers diplomatiques et consulaires ont été intégrés dans une « bibliothèque virtuelle » mise à la disposition des agents, le comité consultatif des états généraux, qui supervise les travaux, est composé des présidents des commissions compétentes pour les affaires étrangères à l’Assemblée nationale et au Sénat et les parlementaires ont été invités à témoigner devant les états généraux ([10]).
L’équipe des états généraux de la diplomatie devrait remettre, au mois de février 2023, un rapport qui sera rendu public et qui devrait comprendre deux parties : une partie composée d’une synthèse destinée à refléter objectivement les résultats de la consultation et une partie recensant une série de recommandations concrètes et opérationnelles qui, d’après l’ambassadeur Bonnafont, seront le résultat d’« un arbitrage entre l’optimal et le possible » et qui s’inscriront sur différentes échelles de temps. La synthèse et la remontée des propositions exigeront « une grande discipline intellectuelle et morale » dont les valeurs sont reflétées dans une charte.
4. L’organisation de la fonction diplomatique diffère selon les pays
L’Italie maintient un corps diplomatique unique, distinct des autres grands corps de fonctionnaires, qui est ouvert par un seul et même concours. La carrière diplomatique italienne conduit les agents à gravir progressivement les grades suivants : secrétaire de légation, conseiller de légation, conseiller d’ambassade, ministre plénipotentiaire et ambassadeur. Le corps diplomatique italien est de taille légèrement inférieure au nôtre mais s’y apparente par la sélection stricte qui prévaut à son entrée, les grades d’avancement et le déroulement de la carrière.
L’Espagne dispose également d’un corps diplomatique unique, accessible par un seul concours d’entrée dans la carrera diplomática. Si, dans ce pays, les diplomates relèvent du cadre général des fonctionnaires de l’État, le fonctionnement du corps diplomatique est distinct du reste de la haute fonction publique ([11]).
La diplomatie allemande s’appuie sur un corps diplomatique, distinct du reste de l’administration fédérale, qui repose sur une base législative (Gesetzt über den Auswaertigen Dienst). Le corps diplomatique allemand est géré par l’Auswaertigesamt, le ministère fédéral des affaires étrangères. Les fonctionnaires de la catégorie la plus élevée du service diplomatique, le höherer Dienst, équivalent des catégories A et A+ en France, sont recrutés par des concours exigeants.
La diplomatie américaine, quant à elle, repose sur un corps diplomatique unique servant au Département d’État, équivalent de notre ministère de l’Europe et des affaires étrangères, et dans cinq autres « agences » gouvernementales ([12]). Ce corps diplomatique unique regroupe toutes les catégories de personnels, des ambassadeurs aux fonctions support. Il comprend deux grandes catégories d’agents : les « généralistes » (environ 60 % des membres du corps), qui doivent passer l’examen du Foreign Service pour entrer dans le corps diplomatique, et les « spécialistes » (environ 40 % des membres du corps), recrutés pour leurs connaissances ou leurs compétences particulières, qui ne sont pas obligés de passer l’examen d’entrée mais doivent justifier des qualifications exigées pour le poste auquel ils postulent.
Le Canada a également un corps diplomatique. Le ministère canadien des affaires étrangères, du commerce et du développement, appelé « Affaires mondiales Canada », ne peut cependant pas gérer de manière autonome son personnel, qui est employé par le ministère canadien de la fonction publique. Les membres du corps diplomatique sont par ailleurs soumis aux lois, régimes et conventions collectives négociés pour tous les fonctionnaires fédéraux. À l’intérieur de ce cadre commun, le « service extérieur » a cependant ses spécificités, qui comprennent notamment l’exigence de rotation entre la centrale et l’étranger.
Enfin, au Royaume-Uni, malgré l’absence de corps diplomatique de jure, les agents du Foreign, Commonwealth and Development Office (FCDO) forment une fonction publique distincte, sous l’autorité directe du Foreign Secretary, alors que le reste de la fonction publique d’État est dirigé par le Minister for the Civil Service ([13]). Le code de la fonction publique ne s’applique pas aux agents diplomatiques, qui sont soumis au code de la fonction diplomatique. Le FCDO a ainsi la faculté de définir, sous le contrôle de la Civil Service Commission, les règles de recrutement et de gestion de ses agents. Contrairement aux agents titulaires du MEAE, les diplomates britanniques sont recrutés uniquement par contrat et non sous statut. Toutefois, le FCDO recrute ses diplomates d’un statut équivalent à celui des agents de catégorie A et A+ par une voie spécifique (fast stream), qui s’apparente, en pratique, à un concours. Si un diplomate, quel que soit son grade, n’est pas affecté à l’issue d’un poste, le FCDO n’interrompt ni sa rémunération, ni la relation contractuelle. Le licenciement d’un agent permanent n’est possible qu’en cas d’insuffisance professionnelle ou de faute disciplinaire et le processus est suffisamment long et laborieux pour être rare.
B. La rÉforme du corps diplomatique est l’objet de critiques À l’intÉrieur du Quai d’Orsay
1. La réforme est contestée au sein du Quai d’Orsay
La suppression du corps diplomatique a suscité des résistances importantes au sein du Quai d’Orsay, qui ont d’ailleurs trouvé à s’exprimer dans la presse ([14]).
Fait inédit pour le ministère, une grève a eu lieu le 2 juin 2022, à l’appel d’une intersyndicale ([15]). Selon la direction des ressources humaines du MEAE, 920 agents, en poste en administration centrale ou à l’étranger, se sont déclarés grévistes. Une large majorité des grévistes, 805 sur les 920 déclarés, étaient des agents titulaires et 115 étaient des contractuels, des vacataires ou des agents relevant d’autres statuts. Parmi les agents (titulaires et contractuels confondus), 26 % de l’effectif total des A+ s’est déclaré gréviste, contre 15 % de l’effectif de la catégorie A, 7 % de l’effectif de la catégorie B et 4 % de l’effectif de la catégorie C. Parmi les agents titulaires, les deux corps ayant compté le plus de grévistes sont les conseillers des affaires étrangères (25 % de grévistes) et les secrétaires des affaires étrangères (40 %).
2. Avec le rapport Bonnafont, les diplomates pensaient tenir leur propre déclinaison de la réforme
En septembre 2020, le ministre de l’Europe et des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian avait lancé sa propre réforme des métiers diplomatiques et consulaires, qui visait toutes les catégories et l’ensemble des agents. Pour ce faire, il avait confié à l’ambassadeur Jérôme Bonnafont une mission de réflexion dont le rapport ([16]), remis au premier semestre 2021, n’a pas été rendu public.
Certains regrettent que cet effort de réforme interne ait été partiellement remis en cause par la réforme de l’encadrement supérieur de l’État. Certaines propositions faites par Jérôme Bonnafont ont été reprises ([17]), dont la revalorisation des rémunérations en administration centrale et l’augmentation des promotions de grade, la création d’une troisième voie de recrutement par concours dans le corps des secrétaires des affaires étrangères et la création de l’École pratique des métiers de la diplomatie, par fusion des structures de formation préexistantes.
Mais les propositions relatives à la carrière diplomatique sont en revanche devenues obsolètes. Le rapport Bonnafont, qui prônait l’ouverture, appelait à faire des diplomates des experts des affaires européennes et internationales de la sphère publique, appelés à servir au Quai d’Orsay mais aussi dans l’ensemble des entités publiques françaises, dans les organisations européennes et internationales et même dans le secteur privé. En revanche, l’idée d’une dissolution des corps diplomatiques dans un ensemble interministériel n’était pas retenue.
3. La réforme du corps diplomatique est l’objet de plusieurs critiques
Les rapporteurs ont recensé cinq principales critiques visant la réforme.
Premièrement, cette dernière reposerait sur un postulat erroné, à savoir que le MEAE serait un ministère fermé. Or, le Quai d’Orsay est présenté par tous les tenants de cette thèse comme l’une des administrations les plus ouvertes et les plus diversifiées socialement et professionnellement. En voulant ouvrir un ministère déjà très ouvert, la réforme serait donc, au mieux, inutile.
Deuxièmement, cette réforme conduirait à une remise en cause de la diplomatie professionnelle. Elle serait fondée sur l’idée que les personnels diplomatiques sont interchangeables avec le reste des hauts fonctionnaires de l’État. En ne prenant pas en compte les compétences spécifiques des diplomates, la réforme « déprofessionnaliserait » la fonction diplomatique.
Troisièmement, la réforme est accusée d’aboutir à la politisation des affectations au Quai d’Orsay, en supprimant le garde-fou que représentait à cet égard l’existence de corps ministériels.
Quatrièmement, les diplomates s’inquiètent également d’une fragilisation de leurs perspectives professionnelles. Certains craignent qu’avec cette réforme, qui favorise la circulation des hauts fonctionnaires, la diplomatie ne puisse plus être pratiquée que de façon intermittente alors qu’il s’agit d’un métier vocationnel. Dans la mesure où les changements décidés renforceront les flux entrants au MEAE et la mobilité sortante des diplomates, ces derniers s’inquiètent de ne plus pouvoir faire la carrière imaginée. La réforme romprait ainsi le contrat moral qui lie le ministère aux agents et qui les conduit à accepter les fortes sujétions du métier. Le ministère perdrait par conséquent en attractivité aux yeux des jeunes talents, qui ne seraient plus assurés de pouvoir faire l’intégralité de leur carrière en son sein.
Enfin, les jeunes secrétaires des affaires étrangères, qui étaient nombreux à tenter de devenir conseillers des affaires étrangères, ont le sentiment que la réforme les dépossède de leurs perspectives d’évolution professionnelle. Bien que leur corps ne soit pas supprimé, les secrétaires des affaires étrangères, qui représentent la moitié des effectifs de catégorie A du ministère, sont au final les personnels les plus mobilisés contre cette réforme, dont ils estiment qu’elle les prive de possibilités d’évolution dans leur carrière.
4. La réforme arrive dans un contexte de malaise au Quai d’Orsay après deux à trois décennies de baisse des moyens
Le mécontentement autour de la réforme est aussi attribué au spleen que traverse de longue date le MEAE, attribué à un affaiblissement des moyens et des attributions du ministère sur le temps long qui conduit les personnels à s’interroger sur le sens de leurs missions.
La contestation visant la réforme s’inscrit dans un contexte marqué par des décennies de restrictions des moyens du Quai d’Orsay, malgré la stabilisation intervenue en 2021 et 2022. Le MEAE est l’un des seuls à avoir connu, au cours des vingt dernières années, une si nette et ample diminution de ses dotations budgétaires et effectifs. Depuis 1996, son budget se situe en deçà du seuil de 1 % du budget de l’État. Ces deux dernières décennies, ses effectifs ont baissé de 30 %. Enfin, sous l’effet des cessions, son patrimoine immobilier s’est réduit et l’état d’entretien de ce parc est inquiétant. Les rapporteurs s’entendent sur ce point : la diplomatie française est « à l’os ». Ils relèvent que des inquiétudes de même nature s’expriment aux États-Unis, compte tenu de la diminution de 50 % du budget du Foreign Service depuis 1991, parfois mis en parallèle avec la diminution de l’influence mondiale des États-Unis.
Le MEAE a subi dans le même temps une concurrence accrue – de l’Élysée, d’autres ministères, d’opérateurs ou d’acteurs non-étatiques – qui tend à réduire son poids dans la conduite de l’action extérieure. Le périmètre d’action du ministère s’est réduit sous l’effet de la dévolution à des opérateurs, comme l’Agence française de développement (AFD), Expertise France ou l’Institut français, d’une partie de ses missions d’exécution. Le Quai d’Orsay a aussi perdu une partie de ses compétences migratoires par le rattachement de la sous-direction des visas au ministère de l’intérieur. Dans les régions où l’armée française est engagée sur des théâtres d’opérations extérieures, les prérogatives du Quai d’Orsay tendent à se réduire par rapport à celles du ministère des armées. Enfin, le poids du président de la République et de la cellule diplomatique de l’Élysée tend également à marginaliser le Quai d’Orsay.
Malgré ces tendances, le poids des missions du Quai d’Orsay continue de croître. Ces dernières années, les responsabilités du ministère ont cru par l’amplification des fonctions de gestion de crise, d’action humanitaire et des affaires dites globales. En particulier, beaucoup d’efforts ont été demandés aux diplomates récemment, à l’occasion du rapatriement de 370 000 de nos compatriotes à l’étranger pendant la pandémie, des évacuations d’Afghanistan ou de la gestion des conséquences multidimensionnelles de la guerre en Ukraine.
La déconnexion croissante entre les ambitions et les moyens de la diplomatie explique en partie l’accroissement des sujétions qui pèsent sur les personnels. L’augmentation de la charge de travail est attestée par divers indicateurs, du nombre d’heures supplémentaires au nombre de jours de congé non pris. Les contraintes de l’expatriation sont par ailleurs vécues comme étant plus fortes qu’auparavant, compte tenu des évolutions sociétales, marquées par la réticence croissante des conjoints à suivre un agent affecté à l’étranger, mais aussi des évolutions géopolitiques, sous l’effet des guerres ou des crises de toute sorte. La pandémie mondiale de Covid-19, qui s’est traduite par une forte hausse de la charge de travail et des restrictions de circulation limitant les possibilités de rentrer en France, a provoqué une grande fatigue morale et physique chez les agents.
II. Les enjeux et les consÉquences attendues de la rÉforme de l’encadrement supÉrieur du Quai d’Orsay sont diversement appréciÉs et ÉvaluÉs par les rapporteurs
A. Souffrant d’Être mal comprise, cette rÉforme est une opportunitÉ pour notre diplomatie, selon M. Vincent Ledoux
1. L’ouverture du Quai d’Orsay bénéficiera à la diplomatie française
a. L’objectif central est de préserver un outil diplomatique de qualité
Malgré les interrogations réelles des diplomates sur le sens de leurs missions, il ne fait aucun doute que ceux-ci sont plus nécessaires que jamais à l’action publique. La mondialisation et l’évolution de l’Europe accroissent année après année le poids de la fonction européenne et internationale dans l’action publique. La guerre en Ukraine, aujourd’hui, révèle le degré de nos interdépendances, économique, énergétique ou alimentaire. Pour gérer cette matière européenne et internationale en expansion, la France a besoin d’agents compétents.
L’évolution du contexte international, marqué par le retour des rapports de force entre puissances, se traduit par le renforcement des fonctions traditionnelles de la diplomatie. Dans un monde qui, contrairement aux États, ne comprend ni juge, ni gendarme pour maintenir l’ordre public, il est besoin de diplomates pour négocier avec des pays qui ne partagent pas toujours nos valeurs. Dans un monde plus instable, la gestion de crise voit également son importance renforcée.
En même temps, le métier diplomatique évolue beaucoup. La diplomatie tend à devenir plus technique en raison de l’importance acquise par les sujets liés à la gouvernance mondiale, comme la santé publique ou la lutte contre le réchauffement climatique. Par ailleurs, si la diplomatie « de l’ombre » n’a pas disparu, le travail des diplomates relève, de façon croissante, du champ de la « diplomatie publique », qui consiste à promouvoir l’image de son pays d’origine auprès de l’opinion publique de son pays d’accréditation. La communication tend ainsi à prendre une place considérable dans les fonctions diplomatiques.
Le rapporteur Vincent Ledoux considère que l’argument parfois avancé selon lequel, faute de relever d’un corps spécifique, nos diplomates perdraient de leur prestige aux yeux de leurs principaux homologues étrangers, procède d’une erreur d’analyse profonde.
En effet, si de nombreux États étrangers réservent à leurs diplomates un statut spécifique (cf. supra), c’est que leur modèle administratif ne comporte pas l’équivalent d’un haut encadrement généraliste doté de garanties statutaires et d’un prestige social comparables à celui des très hauts fonctionnaires français.
Aux États-Unis, au Royaume-Uni ou encore en Allemagne, des facteurs tels que la très forte contractualisation de l’encadrement public, le caractère fédéral de l’État ou encore la pratique des « dépouilles » (spoil system) ont pour effet de limiter fortement l’accès des fonctionnaires de carrière aux plus hauts postes de direction en administration centrale. C’est afin de pallier ce manque plus général d’attractivité des carrières administratives que les diplomates y sont, par contraste, dotés de garanties propres, sous la forme de « corps » spécifiques...
Le besoin n’est évidemment pas le même en France. Nos diplomates ne vont rien perdre de leur prestige en rejoignant le nouveau corps interministériel des administrateurs de l’État, héritier direct de celui des administrateurs civils qui avait été voulu par le Conseil national de la Résistance pour doter la France d’une haute administration au service de son redressement.
b. Le Quai d’Orsay peut gagner à être plus ouvert sur les autres administrations
Contrairement à ce qui est souvent avancé par les organisations syndicales du ministère, l’ouverture du Quai d’Orsay est en réalité à géométrie variable.
S’il est vrai que le MEAE a une longue tradition d’accueil de personnels issus d’autres ministères, l’ouverture est limitée à certains domaines : le développement et l’influence, les représentations permanentes auprès des organisations internationales, le consulaire et les fonctions support (ressources humaines, finances, immobilier et logistique). La plupart des postes d’encadrement supérieur du MEAE ouverts à des personnels extérieurs se trouvent ainsi dans les métiers de l’influence et de la coopération. Les représentations permanentes comptent également, aux côtés des spécialistes qui continuent de relever des ministères techniques, de nombreux externes sur des postes du MEAE, car le travail multilatéral rend nécessaire de se doter de tels spécialistes. Enfin, dans le consulaire et dans les fonctions support, l’ouverture est importante car les diplomates n’y ont pas beaucoup de plus-value.
Les métiers politiques du MEAE sont en revanche beaucoup plus fermés à l’extérieur. Or, dans ce domaine, la diversité est un atout, y compris au sommet de la pyramide.
Sous la précédente législature, dans ses fonctions de rapporteur spécial des crédits de la mission Action extérieure de l’État au nom de la commission des finances de l’Assemblée nationale, le rapporteur avait pu directement mesurer la contribution de chefs de postes diplomatiques issus de l’administration préfectorale, à l’exemple de l’ambassadeur Marc Vizy au Bénin, ou ayant eu un parcours dans le secteur de l’humanitaire, comme l’ambassadrice Stéphanie Rivoal en Ouganda.
Le Quai d’Orsay a tout à gagner à une réforme qui lui permettra de recruter plus facilement des administrateurs de l’État ayant démontré, dans l’exercice de leurs missions, qu’ils ont des compétences utiles pour les métiers de la diplomatie. À titre d’exemple, rien ne s’opposerait ainsi à ce qu’un administrateur de l’État qui n’aurait pas choisi le Quai d’Orsay comme première affectation mais qui aurait ensuite multiplié les expériences de négociations européennes ou multilatérales au sein d’un ministère technique puisse poursuivre son parcours professionnel au sein du MEAE, en administration centrale ou dans un poste diplomatique.
Par ailleurs, les diplomates sont aujourd’hui confrontés à des difficultés pour faire des mobilités hors du Quai d’Orsay. Fin novembre 2022, seuls 120 diplomates de catégorie A+ étaient en mobilité en dehors du MEAE. Les postes ouverts dans d’autres ministères, comme ceux de conseillers diplomatiques auprès des préfets de région, sont trop souvent perçus comme des postes d’attente et non comme des accélérateurs de carrière. Les diplomates doivent donc pouvoir, de façon plus fluide, quitter le MEAE puis y retourner, ce qui exige de créer l’architecture qui leur permettra de le faire.
En Allemagne, la mobilité entrante et sortante au niveau de l’encadrement supérieur de l’Auswaertigesamt est soutenue en principe, mais faible en pratique. La part des contractuels est très limitée. Le ministère propose au cas par cas certains postes ou certaines fonctions à des non-diplomates. La proportion des postes d’encadrement occupés par des personnes qui ne sont pas issues du corps diplomatique est par ailleurs très restreinte : à titre d’illustration, ce n’est le cas actuellement que d’un seul poste, celui du directeur général en charge de la culture. La mobilité des diplomates vers d’autres postes à l’extérieur est possible mais relève plus d’opportunités qui s’offrent à certains que d’une politique volontariste de l’Auswaertigesamt.
À l’inverse, d’autres ministères des affaires étrangères, notamment ceux situés dans les pays anglo-saxons, apparaissent plus ouverts.
Aux États-Unis, comme expliqué plus haut, environ 40 % des membres du corps sont des spécialistes, recrutés pour leurs connaissances ou leurs compétences particulières, qui ne sont pas obligés de passer l’examen d’entrée du Foreign Service. De manière spécifique aux États-Unis, les postes d’encadrement peuvent également être attribués à des « political appointees » (cf. infra). Certains diplomates peuvent, dans le sens de la mobilité sortante, être détachés dans d’autres agences américaines et de nombreux haut gradés au sein de l’armée américaine disposent de conseillers diplomatiques issus du Foreign Service. Les diplomates américains peuvent par ailleurs faire valoir leurs droits à la retraite dès 50 ans, ce qui leur permet ensuite de dérouler éventuellement une deuxième carrière.
Au Canada, l’encadrement supérieur du ministère des affaires étrangères a été ouvert aux autres administrations, il y a environ une décennie. Le processus de réflexion et de concertation collective sur l’avenir de la diplomatie actuellement en cours à Ottawa (cf. supra) a toutefois mis en lumière les limites de l’exercice. En sens inverse, la mobilité sortante des diplomates au sein d’autres administrations est limitée à une dizaine de personnes chaque année et la mobilité vers le secteur privé est pratiquement inexistante. Les mobilités dans des cabinets politiques ne sont par ailleurs pas particulièrement valorisées.
Au Royaume-Uni, le FCDO n’a longtemps eu qu’une pratique très limitée des recrutements temporaires, qui ne concernait que des personnels issus de certains ministères régaliens et n’avait cours qu’en ambassade, pour les fonctions support, et en administration centrale, pour les services techniques ou certaines spécialités. Les recrutements à durée limitée et au sein des autres ministères se sont développés, en centrale et dans le réseau. Les diplomates britanniques témoignent notamment d’une flexibilité grandissante pour la mobilité interministérielle, particulièrement entrante. Certains postes auparavant réservés aux diplomates de carrière sont désormais ouverts aux candidatures de civil servants issus d’autres ministères. Au 31 mars 2022, 517 civil servants issus d’autres ministères étaient en fonction au sein de la diplomatie britannique, dont 65 au plus niveau d’encadrement (soit 10 % environ des senior civil servants). En sens inverse, 173 diplomates servaient dans d’autres administrations.
c. De façon positive, la réforme décloisonnera les carrières des diplomates
La réforme permettra de décloisonner et de diversifier les carrières des hauts fonctionnaires en favorisant des parcours plus fluides au sein de l’administration de l’État. Cette évolution est utile pour la puissance publique car la diversité des expériences est de nature à favoriser le renouvellement des regards des hauts fonctionnaires et l’acculturation réciproque des différents univers ministériels. Elle sera aussi bénéfique pour les fonctionnaires, qui pourront avoir des carrières plus riches, ce qui permettra de renforcer l’attractivité de la fonction publique.
Le décloisonnement des parcours professionnels des diplomates obéit aux mêmes considérations que celles qui prévalent pour le reste des hauts fonctionnaires. La mobilité des agents diplomatiques renforcera, au sein de l’État, une culture internationale qui fait actuellement largement défaut. En sens inverse, elle favorisera, au sein du Quai d’Orsay, une meilleure connaissance de la France et de ses territoires, que les personnels du ministère sont chargés de promouvoir à l’étranger. L’imbrication croissante entre le national et l’international, illustrée par la pandémie mondiale de Covid-19 et les conséquences de la guerre en Ukraine, justifie, de la même manière, une plus grande circulation des hauts fonctionnaires au sein de l’État. Pour les diplomates eux-mêmes, qui font légitimement valoir les fortes sujétions qui accompagnent une vie d’expatriations, une mobilité peut représenter un moment de respiration salutaire en même temps qu’une source d’enrichissement professionnel. La réforme pourrait même accroître l’attractivité du Quai d’Orsay pour les jeunes générations, qui ont une envie croissante de mobilité, de flexibilité et de polyvalence.
2. L’intérêt principal de la réforme est de substituer une gestion par les compétences à une gestion par les corps
a. Les compétences des diplomates ne sont pas spécifiques au point de ne pouvoir être assumées par d’autres hauts fonctionnaires
En premier lieu, il est nécessaire de lever un possible malentendu. Il ne fait aucun doute que, pour gérer la matière internationale et européenne, l’État a besoin d’agents dotés d’un certain nombre de savoirs propres, dont une culture générale spécialisée dans les affaires publiques – la guerre et la paix, le terrorisme et la criminalité organisée, l’environnement, la santé publique, etc. –, une connaissance du monde et des langues qui s’acquière avec les études, l’expérience et le voyage, et des savoir-faire professionnels comme la capacité à organiser une conférence, la négociation, la communication ou la gestion de crise. Les personnels diplomatiques doivent par ailleurs avoir certains savoir-être, dont la fiabilité, une capacité d’adaptation au changement et une capacité à prendre de la distance par rapport à ses référentiels, par exemple pour faire l’effort de comprendre pourquoi de nombreux pays n’ont pas condamné la Russie après l’invasion de l’Ukraine.
Le rapporteur comprend que les diplomates, comme d’ailleurs d’autres hauts fonctionnaires très engagés dans leur travail, aient pu percevoir cette réforme comme une remise en cause de leur expertise. Mais contrairement à la manière dont le débat est souvent formulé, la question que pose la réforme n’est pas tant de savoir si les diplomates ont des compétences ou une expertise propre mais si celles-ci sont spécifiques au point de ne pouvoir être exercées, avec autant d’efficacité et de résultats, par des administrateurs de l’État issus d’autres ministères.
En l’occurrence, si les diplomates ont des compétences et une expertise qui sont propres, celles-ci ne paraissent pas spécifiques au point de ne pouvoir être assumées par des hauts fonctionnaires issus d’autres ministères. Contrairement à des médecins ou des ingénieurs, les diplomates ont des compétences généralistes qui sont à la portée, non pas de n’importe qui, mais d’autres hauts fonctionnaires, qui peuvent au demeurant bénéficier, pour les acquérir, d’une formation. Il faut dire, par exemple, que la plupart des diplomates qui ont été récemment confrontés à la gestion de crise, comme en Afghanistan et en Ukraine, l’ont été pour la première fois.
De fait, d’autres corps que les corps diplomatiques comprennent des agents dont les compétences peuvent être utiles à la diplomatie. Les similitudes entre préfets et ambassadeurs illustrent la possibilité d’une plus grande circulation des hauts fonctionnaires. D’abord, les deux exercent une fonction d’incarnation de l’État, sur le territoire national ou à l’étranger, qui suppose des qualités similaires, telles qu’un comportement irréprochable, la neutralité, une aisance dans la prise de parole en public, etc. Ensuite, les missions des préfets et des ambassadeurs consistent à mettre en œuvre des politiques de l’État dans un champ de compétence donné. Elles supposent par ailleurs de développer des partenariats avec tous les acteurs d’un écosystème, à savoir les acteurs politiques, économiques ou culturels. Enfin, les préfets et les ambassadeurs exercent ponctuellement des missions communes, comme la gestion de crise ou le traitement de dossiers touchant aux problématiques de l’immigration, de l’état-civil et des élections.
Comme dans la plupart des métiers, il faut cependant reconnaître l’importance de l’expérience dans l’exercice du métier de diplomate. La valorisation de l’expérience est essentielle pour préserver une filière diplomatique de qualité. Ainsi, même si la nomination des ambassadeurs relève du pouvoir discrétionnaire du chef de l’État, il paraît difficile d’envisager que la majorité des ambassadeurs n’aient pas d’expérience diplomatique précédente.
b. Les corps ne sont pas la meilleure garantie que la diplomatie puisse compter sur les compétences dont elle a besoin
La réforme de la haute fonction publique est trop souvent caricaturée. Contrairement à ce qui est fréquemment avancé, cette réforme ne postule pas que les diplomates sont interchangeables, ni qu’il n’y a pas d’expertise propre au métier diplomatique. La réforme postule seulement que le corps et les concours ne sont pas la meilleure garantie que la diplomatie puisse compter sur les compétences dont elle a besoin. L’idée est, demain, de pouvoir affecter les agents moins en fonction de l’appartenance à un corps spécifique qu’en fonction de leurs compétences.
Le pilotage des carrières des hauts fonctionnaires en fonction de leurs compétences, et non plus en fonction de leurs corps, permettra à l’État de mieux affecter les compétences dont il dispose en fonction de ses besoins. Aujourd’hui, comme l’a rappelé aux rapporteurs le député des Français de l’étranger Frédéric Petit, les personnels extérieurs recrutés par le Quai d’Orsay pour combler des besoins de compétences sont des exceptions, de sorte que le ministère manque de personnels spécialisés. Pour lui, le directeur de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) doit connaître l’école et le responsable du projet de « Grande muraille verte » au Sahel « doit avoir déjà planté un arbre dans sa vie ». La suppression des « silos » que représentent les corps ministériels permettra ainsi de gagner en compétence.
En promouvant les compétences, la réforme permettra aussi de récompenser les agents les plus motivés et les plus méritants. À l’heure actuelle, le mérite compte faiblement dans les trajectoires des agents du Quai d’Orsay. Les contractuels de catégorie A ne sont pas de moins bons diplomates et, pourtant, quel que soit leur mérite, ils ont des perspectives bien moindres que les titulaires. De même, quelles que soient ses qualités, un volontaire international en administration (VIA) ne pourra, à l’issue de son service civique, rejoindre une ambassade en tant que contractuel. La réforme n’améliorera pas les perspectives de carrière des contractuels et des VIA puisqu’elle conserve le concept de corps comme mode d’organisation principal de la haute fonction publique. En revanche, au sein du corps interministériel des administrateurs de l’État, le poids du mérite sera mieux reconnu dans l’évolution des carrières qu’il ne l’est aujourd’hui.
Il n’y a donc pas lieu de craindre une remise en cause du métier diplomatique. D’une part, l’ouverture créée par la réforme est prudente : l’affectation sur des postes au MEAE n’est facilitée que pour les administrateurs de l’État, à savoir pour des hauts fonctionnaires qui ont en commun d’avoir passé un concours très sélectif. D’autre part, les diplomates disposent majoritairement des compétences qui les rendent légitimes pour occuper les postes ouverts au MEAE. Les hauts fonctionnaires issus d’autres ministères qui rejoindront le Quai d’Orsay seront uniquement ceux qui pourront justifier de compétences équivalentes.
c. La réforme réduira l’arbitraire dans les affectations au Quai d’Orsay
Le « fait du Prince » est une réalité dans le jeu des affectations au MEAE. En vertu de l’article 13 de la Constitution, le président de la République dispose d’un pouvoir de nomination discrétionnaire sur les ambassadeurs. Dans tous les pays comparables à la France, l’autorité politique dispose d’un tel pouvoir dans la nomination des ambassadeurs, ce qui est légitime car la diplomatie est une fonction politique. En pratique, la nomination de non-diplomates comme ambassadeurs est cependant l’exception. Au MEAE, la politisation existe toutefois bien au-delà des nominations des ambassadeurs par le chef de l’État. Nombreux sont les diplomates qui ont bénéficié d’une forte accélération de carrière grâce à une expérience en cabinet ministériel ou à la cellule diplomatique de l’Élysée.
Face à la critique selon laquelle la réforme renforcera la politisation des affectations au Quai d’Orsay, il faut répondre que, bien au contraire, elle viendra « sécuriser » les nominations. De fait, elle limitera non seulement la politisation mais également le poids des réseaux et du copinage qui, sans même l’intervention du politique, contribue beaucoup à une forme d’arbitraire dans les affectations.
Pour cela, la réforme prévoit deux garde-fous :
– en premier lieu, l’examen des compétences renforcera la transparence et l’objectivation des conditions de nomination des diplomates. Une personne extérieure au MEAE ne pourra être nommée sur un poste que si elle justifie des compétences nécessaires. Certaines compétences s’acquérant avec l’expérience, la plupart des postes à responsabilité seront de facto confiés aux agents qui auront fait leur carrière au MEAE ou, lorsqu’ils viennent de l’extérieur, à ceux qui auront effectué des mobilités au sein du ministère plus tôt dans leur carrière ;
– en second lieu, une commission d’aptitude dont la compétence est de formuler un avis sur l’aptitude professionnelle des personnes candidates à une première nomination en qualité de chef de mission diplomatique ([18]) est créée. Auparavant, le MEAE disposait d’un comité pour les primo-ambassadeurs, devant lequel ne passait que les agents titulaires du ministère. La commission d’aptitude entendra désormais l’ensemble des candidats, qu’ils soient diplomates de carrière ou candidats externes au MEAE, ce qui renforce les garanties d’égal accès à ces emplois. La composition de cette commission garantira la représentation des diplomates de métier ([19]). Elle permettra de « filtrer » les candidatures extérieures, en obligeant les personnes intéressées à se positionner véritablement en amont. Elle aura pour mission de rendre un avis sur les candidats. Si cet avis n’a qu’une valeur consultative, le président de la République disposant d’un pouvoir discrétionnaire sur la nomination des ambassadeurs, ce dernier aura, en toute hypothèse, certaines difficultés à s’écarter d’un avis très négatif, susceptible de fuiter dans la presse.
3. La réforme est soucieuse de la préservation des carrières diplomatiques
a. La portée de l’obligation de mobilité sera plus limitée que certains ne le craignent
Bien que certains redoutent que la réforme ne se traduise par un va-et-vient permanent entre administrations, la portée de la mobilité imposée aux diplomates sera en réalité limitée, compte tenu de la nécessité de préserver la cohérence des carrières. Comme l’a assuré aux rapporteurs Mme Nathalie Colin, directrice générale de l’administration et de la fonction publique, rien n’empêchera les diplomates de faire carrière. Les articles 10 et 11 du décret du 1er décembre 2021 portant statut particulier du corps des administrateurs de l'État prévoient seulement que ces derniers devront avoir effectué une mobilité avant chaque passage de grade ([20]).
Pour les diplomates, la mobilité pourrait se traduire, d’une façon qui en limite la portée, par le remplacement d’un retour à Paris, entre deux expatriations à l’étranger, par un passage dans une autre administration. Dans l’esprit de la réforme, l’idée est de promouvoir des mobilités qui interviennent relativement tôt dans les carrières, et pas uniquement sur des postes à responsabilité. Il serait par ailleurs judicieux de promouvoir des mobilités fonctionnelles, qui verraient les diplomates occuper des postes à caractère international, par exemple dans les directions internationales des autres ministères, sur des postes de conseillers diplomatiques de préfets ou dans des organisations européennes ou internationales.
Afin de rassurer les agents qui attendent des signes de confiance, la directrice des ressources humaines du Quai d’Orsay a assuré aux rapporteurs que plusieurs garanties de gestion avaient été données aux diplomates. En premier lieu, le pouvoir de nomination du ministre de l’Europe et des affaires étrangères est préservé en même temps que la gestion des parcours des diplomates reste entre les mains du Quai d’Orsay. Ensuite, les lignes directrices de gestion du MEAE mentionnées à l’article 4-6 du décret du 16 avril 2022, qui seront nourries par les réflexions des états généraux de la diplomatie, garantiront que les diplomates pourront dérouler leur carrière au ministère, sous réserve de leur obligation de mobilité. Enfin, face à l’inquiétude des agents diplomatiques relative à la garantie d’un retour au MEAE après une mobilité extérieure, l’article 7 du décret du 1er décembre 2021 prévoit que chaque département ministériel aura l’obligation de garder en gestion ses effectifs en mobilité sortante pendant six ans, période durant laquelle ces derniers conserveront leurs droits à l’avancement et à l’issue de laquelle ceux-ci pourront retrouver une affectation dans leur ministère d’origine.
b. Le risque d’un renforcement de la concurrence sur les postes diplomatiques est limité
Le risque d’un renforcement de la concurrence sur les postes diplomatiques, qui serait lié à un accroissement important du nombre de candidatures des administrateurs de l’État issus d’autres ministères, paraît assez faible. En effet, l’expatriation est perçue par nombre de hauts fonctionnaires comme une contrainte, qui est d’ailleurs d’autant plus importante que le contexte international devient inquiétant. En d’autres termes, vivre à l’autre bout du monde n’est pas un rêve que nourrissent tous les hauts fonctionnaires. La directrice des ressources humaines du Quai d’Orsay a ainsi rapporté n’avoir pas constaté de déferlement de candidatures sur les postes de « numéro 2 » d’ambassade et de consul général, dont un grand nombre a déjà été fonctionnalisé.
Le risque d’une concurrence ciblée sur les postes les plus convoités ne paraît pas plus inquiétant. L’examen des compétences et des expériences précédentes des candidats constitue une garantie solide contre le risque de privilégier des agents en mobilité au détriment des diplomates expérimentés. Par ailleurs, il est à parier que l’autorité de nomination sera très attentive dans l’attribution de ces postes prestigieux, compte tenu du niveau de sensibilité des diplomates sur ce sujet.
c. Pour atteindre les objectifs de la réforme, l’intégration des diplomates dans un corps interministériel était nécessaire
Le rapporteur souligne que l’objet de la réforme n’est pas de « supprimer le corps diplomatique » mais d’intégrer l’ensemble des cadres supérieurs du ministère de l’Europe et des affaires étrangères dans le nouveau corps interministériel des administrateurs de l’État.
Les contempteurs de la réforme de l’encadrement supérieur de l’État avancent souvent que ses objectifs auraient pu être atteints sans fusionner les corps, mais en développant la mobilité. La fusion des corps favorisera cependant une plus grande fluidité que ne le permet actuellement le régime du détachement, qui est plus laborieux qu’un changement de poste au sein d’un même corps.
Surtout, l’intégration des plus hauts diplomates au sein d’un même corps interministériel est un prérequis indispensable à une gestion des ressources humaines fondée, non plus sur la base d’un concours administratif spécifique passé des décennies auparavant, mais sur les compétences et l’expérience. Avec ou sans corps, la nécessité de conserver et même de renforcer les compétences ainsi que l’expertise de ceux qui exercent des fonctions diplomatiques demeurera. La France conservera donc une filière diplomatique. Cependant, la réforme élargira la gamme de personnes sur lesquels le MEAE pourra se reposer et déverrouillera la gestion des personnels.
4. Les diplomates seront également mieux formés et plus ouverts sur la société
Bien loin de favoriser l’endogamie sociale, l’un des objectifs de la réforme est de démocratiser l’accès à la haute fonction publique par la création des « Prépas Talents » et par l’ouverture d’une voie d’accès spécifique à l’INSP pour les élèves de ces classes préparatoires, qui accueillent des étudiants boursiers. Le Quai d’Orsay a adopté sa propre déclinaison des « Prépas Talents » en créant une Académie diplomatique, dont la première édition s’est tenue à l’été 2021. À travers l’Académie diplomatique, des lycéens sélectionnés sur des critères sociaux bénéficient d’un programme de découverte et de formation aux métiers diplomatiques et, par la suite, d’un soutien pour obtenir une première expérience dans la diplomatie ou pour préparer les concours du Quai d’Orsay.
Le rapporteur se félicite par ailleurs de la suppression du classement de sortie de l’ENA, qui permettra de mieux orienter les talents de l’international vers le MEAE. À l’heure actuelle, le classement de sortie contraint le Quai d’Orsay à devoir recruter des élèves qui n’ont pas toujours le profil pour devenir diplomate mais qui souhaitent rejoindre le ministère pour son prestige. À l’inverse, le ministère ne peut recruter d’autres élèves, certes moins bien classés, mais dont le parcours et la vocation laissent penser qu’ils feraient d’excellents diplomates. Le principe d’appariement apportera une réponse à une situation insatisfaisante.
Enfin, la réforme se traduit par un effort très positif pour renforcer la formation des diplomates. De l’avis de la plupart des personnes entendues par les rapporteurs, le système de formation initiale et continue du Quai d’Orsay demeure en deçà des besoins. Les évolutions en cours du métier de diplomate, dont la place acquise par la « diplomatie publique », qui suppose des compétences relationnelles et la maîtrise des outils numériques, exigent par ailleurs d’adapter la formation.
Contrairement à certaines critiques, la formation initiale ne sera pas amoindrie. La réforme a pour conséquence de rehausser le niveau de la formation des lauréats du concours d’Orient de catégorie A+. Alors, qu’aujourd’hui, les lauréats de ce concours bénéficient d’une formation de seulement deux mois à l’IDC, demain, ces derniers bénéficieront, comme les autres administrateurs de l’État, de deux ans de formation à l’INSP en plus des deux mois de formation à l’École pratique des métiers de la diplomatie. La programme de formation à l’INSP devrait avoir une forte composante internationale, matière à laquelle seront donc mieux formés tous les administrateurs de l’État. Il faut ajouter à cela que la formation aux compétences managériales constituait jusqu’à présent un véritable manque dans la formation des lauréats du concours d’Orient, à qui il ne suffit pas de parler des langues rares. Enfin, il est fondamental que les diplomates, qui représentent la France et ses territoires à l’étranger, puissent mieux les connaître.
5. Les états généraux de la diplomatie sont l’occasion d’enrichir la réforme et de répondre au malaise qui affecte le Quai d’Orsay
a. Grâce à l’engagement du ministre Le Drian, le MEAE est l’un des ministères qui a obtenu le plus de contreparties
Le rapporteur se félicite d’abord de l’harmonisation des rémunérations des hauts fonctionnaires, qui mettra fin à des écarts injustifiés. D’après la directrice générale de l’administration et de la fonction publique, les hauts fonctionnaires pouvaient, à la sortie de l’ENA et en fonction de leur ministère d’affectation, subir une différence indemnitaire pouvant aller jusqu’à 14 000 euros par an. Ces écarts sont non seulement injustes mais peuvent aussi créer des effets pervers, le niveau de rémunération pesant dans le choix d’affectation de certains élèves. Les diplomates bénéficieront, de façon considérable, d’un alignement sur le niveau des primes d’administration centrale versées dans les autres administrations de l’État.
Surtout, le MEAE apparaît comme l’un des ministères – si ce n’est le ministère – qui a obtenu le plus de contreparties dans le cadre de cette réforme, grâce à l’engagement de l’ancien ministre Jean-Yves Le Drian. Comme l’a expliqué la directrice des ressources humaines, toutes les garanties données oralement aux diplomates sont ou devraient bientôt être « crantées » dans des textes juridiques, ce qui permet d’affirmer que les engagements sont bien tenus. Le Quai d’Orsay est par ailleurs le seul ministère à avoir obtenu la sanctuarisation d’une voie d’accès spécialisée à l’INSP à travers le concours d’Orient.
Enfin, l’organisation d’états généraux de la diplomatie, qui était une revendication des agents, est une initiative qui mérite d’être saluée et qui semble d’ailleurs l’être par l’ensemble des groupes politiques. Ce moment de réflexion est l’occasion de remettre les agents en situation d’être des acteurs et de faire des propositions sur l’avenir des métiers diplomatiques et consulaires. Il est donc très encourageant d’entendre, de la part de l’équipe chargée d’animer ces états généraux, que les personnels du ministère se sont appropriés l’exercice. La grève du 2 juin 2022 étant le reflet d’un profond malaise au sein du Quai d’Orsay, il était d’opportun d’organiser une réflexion au champ large, qui ne se limite pas aux seules conséquences de la réforme de l’encadrement supérieur de l’État. La diplomatie a en effet besoin d’une réforme en profondeur pour retrouver du souffle.
b. D’autres garanties permettraient de rassurer quant à l’avenir de la filière diplomatique
i. Demander une expérience préalable comme « numéro 2 » de mission diplomatique à la plupart des candidats aux postes d’ambassadeurs
Contrairement à ce qu’elle prévoit pour les préfets, la réforme n’impose aucune condition d’ancienneté pour l’accès au poste de chef de mission diplomatique. Pour sa part, le corps préfectoral a obtenu que les deux-tiers des postes de préfet soient occupés par des personnes ayant au moins cinq années d’expérience sur des fonctions territoriales d’encadrement, dont au moins trois ans en qualité de sous-préfet, ce qui consolide la notion de filière préfectorale.
Ainsi que l’a proposé la mission d’information du Sénat sur l’avenir du corps diplomatique ([21]), l’accès aux postes d’ambassadeur pourrait, comme pour les postes de préfet, être conditionné au fait d’avoir exercé, pendant au moins trois ans, des fonctions de « numéro 2 » de mission diplomatique, avec la possibilité de prévoir une exception pour une minorité de postes d’ambassadeurs. Cette proposition est également portée par l’autre rapporteur (cf. infra).
ii. Accompagner la réforme d’une gouvernance robuste permettant d’en assurer un suivi fin
Afin de rassurer sur la réforme, celle-ci doit s’accompagner d’un dispositif d’évaluation robuste capable d’assurer le suivi de ses effets. Un tableau de bord doit être élaboré et donner lieu à publication annuelle. L’enjeu est de définir les indicateurs qui soient à la fois les plus judicieux et les plus facilement mesurables, afin d’éviter qu’ils ne se traduisent par une charge de « reporting » excessif sur un grand nombre d’agents. En fonction des résultats, le dispositif de la réforme pourra être adapté progressivement.
c. Les états généraux doivent permettre d’engager d’autres réformes dont le Quai d’Orsay a besoin
i. « Réarmer » la diplomatie française
Le manque de moyens n’est certes pas la seule difficulté du Quai d’Orsay. Néanmoins, le réarmement du MEAE est une nécessité et, dès aujourd’hui, une réalité, comme a pu l’annoncer Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, à l’occasion de la conférence des ambassadrices et des ambassadeurs en septembre 2022. Après la fin de l’hémorragie des moyens budgétaires et humains obtenue par son prédécesseur au cours des deux dernières années, la loi de finances pour 2023 incarne une rupture, car elle permet de recréer, pour la première fois depuis 1993 – depuis trente ans – des emplois au ministère. Ce réarmement de la diplomatie française devra être confirmé à l’occasion des prochains exercices budgétaires.
ii. Renforcer la formation continue des diplomates
Après la refonte de la formation initiale, le renforcement de la formation continue des diplomates est un chantier qui doit être ouvert prochainement. L’École pratique des métiers de la diplomatie est la bonne structure pour assurer la formation tout au long de la vie. Par souci d’économie de moyens, il serait opportun que l’École pratique développe des partenariats avec d’autres écoles, comme l’INSP ou l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), pour mutualiser les formations, ce qui lui permettra de recentrer son propre programme de formation continue.
S’agissant de l’apprentissage des langues, le concours d’Orient, qui n’existe dans aucun autre pays comparable, est un des meilleurs dispositifs pour permettre au Quai d’Orsay de recruter des locuteurs de langues rares. Compte tenu de la nécessité de renforcer notre influence en Afrique et de répondre aux narratifs anti-français qui s’y développent, le nombre de langues africaines que les candidats peuvent présenter au concours d’Orient doit être élargi.
iii. Mieux faire connaître le métier diplomatique
Les états généraux de la diplomatie doivent aussi être l’occasion de mieux faire connaître les métiers diplomatiques. En France comme ailleurs, le corps diplomatique jouit d’un certain prestige mais, en pratique, l’opinion publique connaît mal l’activité quotidienne de cet outil de la politique extérieure de notre pays. Si la pandémie mondiale a donné à voir le rôle des consuls dans l’organisation des rapatriements et si la guerre en Ukraine a partiellement restauré dans l’opinion publique l’image de la diplomatie, bien qu’elle ait échoué à prévenir la guerre, le métier de diplomate reste encore mal connu.
D’autres pays tentent aujourd’hui de revaloriser l’image du métier diplomatique. Aux États-Unis, le Département d’État développe des programmes de communication et de diplomatie publique destinés à mieux faire connaître le Foreign Service, y compris à travers une présence massive sur les réseaux sociaux. De même, le ministère canadien des affaires étrangères songe à renforcer sa communication publique, afin de mieux faire connaître l’expertise des diplomates et les résultats concrets de leur action au quotidien. La direction de la communication et de la presse du Quai d’Orsay pourrait développer des actions similaires.
B. Cette rÉforme nuira profondÉment À la qualitÉ de la diplomatie française, selon M. Arnaud Le Gall
1. Les postulats comme la méthode d’une réforme reposant sur une vision néolibérale de l’État expliquent en partie qu’elle soit si contestée
a. La réforme est construite sur un postulat erroné, à savoir que le MEAE serait un ministère fermé
Le Quai d’Orsay est d’ores et déjà l’une des administrations les plus ouvertes et les plus diversifiées. En effet, le ministère est composé pour moitié d’agents contractuels, qui contribuent à « oxygéner » le MEAE et à en compléter les compétences. Fin novembre 2022, 153 administrateurs de l’État ou agents de corps équivalents de niveau A+ venant d’une autre administration étaient affectés au MEAE, dont environ un cinquième était placé sur des postes situés dans le réseau à l’étranger.
Cette ouverture vaut également pour les personnels qui composent l’encadrement supérieur du Quai d’Orsay : en effet, 20 % de l’encadrement du ministère n’est pas issu du corps diplomatique. Plus précisément, d’après les chiffres donnés par le Sénat, en 2019, 19 % des emplois d’ambassadeurs et 41 % des emplois de chefs de service étaient occupés par des personnels en détachement ou intégrés au MEAE. S’agissant des flux sortants, 16 % des agents d’encadrement supérieur du ministère étaient en mobilité extérieure.
Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères apparaît aussi déjà très ouvert sur le plan de la diversité sociale. Malgré les clichés dont les diplomates continuent de faire l’objet, l’endogamie sociale qui caractérisait le Quai d’Orsay est synonyme d’une période révolue. Le concours d’Orient, en particulier, contribue beaucoup à l’intégration dans la diplomatie de personnes issues de l’immigration, qui maîtrisent des langues rares.
Plus que l’ouverture, cette réforme semble motivée par une envie de « fluidifier » la gestion de la haute fonction publique, perçue comme excessivement rigide. C’est d’ailleurs ce qu’a confirmé aux rapporteurs Mme Laurence Badel, professeure d’histoire des relations internationales à l’Université Paris I, selon laquelle la réforme s’inscrit dans un mouvement de rénovation de l’État marqué par les théories du « new public management », c’est-à-dire essentiellement l’introduction des outils de l’entreprise dans la gestion publique, voire l’alignement de l’État sur les entreprises.
Le rapporteur Arnaud Le Gall considère que rappeler l’arrière-plan idéologique de cette réforme est fondamental pour la comprendre, tant ses contours sont par ailleurs flous. On ne peut, sans la resituer dans son contexte, comprendre les oppositions qu’elle suscite. En effet, au premier abord, qui peut s’opposer à des objectifs consistant à « valoriser les compétences », « ouvrir la haute fonction publique », « diversifier les parcours », etc. ? Mais ces expressions clés de la réforme peuvent, dans la réalité, avoir des applications antagonistes. Les craintes quant aux objectifs et effets réels de cette réforme sont d’ailleurs renforcées par l’importance donnée aux « compétences managériales » au sein de l’INSP, les déclarations passées du président de la République considérant comme obsolète le statut de la fonction publique – conquête révolutionnaire contre la captation du bien public qu’est l'État par le monarque et les intérêts particuliers – ou encore le recours croissant à des cabinets de conseil privés onéreux et dont l’esprit de service public est contestable.
b. La défiance avec laquelle la réforme a été accueillie tient en partie aux conditions dans lesquelles celle-ci a été conduite
La méthode de la réforme est critiquable à plusieurs titres.
D’abord, l’environnement de ces changements n’a pas été préparé de sorte que, depuis le début, l’Exécutif donne l’impression de « naviguer à vue », ce qui ne peut que susciter inquiétudes et questionnements s’agissant de la plus profonde réforme de la haute fonction publique depuis 1945.
La réforme a commencé, après le mouvement des « gilets jaunes », avec l’annonce par le président de la République, en avril 2019, de la suppression de l’ENA, qui a finalement été transformée en INSP. Deux ans plus tard, en avril 2021, le chef de l’État annonçait la suppression des grands corps, à l’exception de ceux du Conseil d’État et de la Cour des Comptes. Alors que les diplomates ont un temps pensé qu’ils seraient épargnés, ce n’est que plusieurs mois plus tard qu’il leur a été annoncé que la réforme entraînerait bien la suppression des corps diplomatiques.
Ensuite, aucune concertation n’a eu lieu en amont de l’amorce du processus. Par contraste, le travail conduit par l’ambassadeur Bonnafont a fait l’objet de consultations « tous azimuts », incluant les organisations syndicales et professionnelles, les administrations du Quai d’Orsay et des autres ministères, Matignon et l’Élysée, des personnalités qualifiées, dont des responsables politiques, et des responsables du secteur privé. Outre qu’il est toujours important d’écouter avant de réformer, la concertation se justifiait par le fait que le président de la République n’a qu’une vision parcellaire du métier diplomatique. Ce dernier aurait pu annoncer ses objectifs, demander aux diplomates de lui faire des propositions, organiser une concertation et permettre le débat avant de prendre une décision.
Enfin, cette réforme a contourné la discussion parlementaire. Après sa présentation par le président de la République lors de la convention managériale de l’État du 8 avril 2021, elle a été déclinée dans une ordonnance, comme l’autorisait l’article 59 de la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 ([22]). L’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l'État, qui contient les grandes dispositions de principe de nature législative, a été déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale dans le délai imparti, avec pour effet de lui donner force juridique, mais n’a pas été inscrite à l’ordre du jour. Pour débattre de cette réforme majeure, plusieurs sénateurs ont décidé de déposer une proposition de loi autorisant la ratification de l’ordonnance du 2 juin 2021 ([23]), avant de la rejeter le 30 septembre 2021.
Sur le fondement de cette ordonnance, le Gouvernement a pris – et continue de prendre – toute une série de textes réglementaires destinés à redessiner le paysage de la haute fonction publique de l’État, dont le décret n° 2021-1550 du 1er décembre 2021 portant statut particulier du corps des administrateurs de l’État et le décret n° 2022-561 du 16 avril 2022 portant application au MEAE de la réforme de la haute fonction publique.
Enfin, de l’aveu même des acteurs de la réforme, celle-ci a été mal expliquée et la communication a fait défaut. Le travail d’auditions conduit par les rapporteurs a montré que les principaux intéressés n’ont pas toujours la même compréhension des paramètres des changements qui les concernent. Le rapporteur Arnaud Le Gall considère que les responsables chargés de mettre en œuvre la réforme semblent eux-mêmes ne pas avoir la même perception de sa portée. Ce fonctionnement parfois « en silo » est d’autant plus inquiétant que cette réforme comprend une forte dimension interministérielle. La lisibilité, aux yeux des observateurs comme des acteurs, n’est par ailleurs pas rendue aisée par le temps mis pour rédiger les décrets et les arrêtés, qui ne sont pas encore tous publiés. Il n’est en définitive pas exagéré de dire que le pilotage de cette réforme se fait en partie à vue.
c. Il existe une large majorité contre cette réforme
La réforme arrive non seulement dans un contexte de mal-être de longue date provoqué par la baisse continue des moyens du Quai d’Orsay, mais également de crispations conjoncturelles entre le président de la République et les diplomates, tant sur le choix de nominations que sur les options de politique étrangère. Les diplomates ont notamment très mal vécu l’accusation de constituer un « État profond », formulée en 2019 par le président de la République, qui souhaitait opérer un rapprochement avec la Russie. Ils n’ont pas compris que leur loyauté soit ainsi mise en cause. La réforme est ainsi perçue par certains comme une mesure de représailles destinée à mettre au pas une administration injustement perçue comme réfractaire.
Si la réforme impacte directement une minorité de fonctionnaires du Quai d’Orsay, toutes les organisations syndicales et professionnelles, à l’exception de l’AP-MAE, estiment qu’elle nuira à notre outil diplomatique. Les diplomates étaient fortement représentés lors de la grève du 2 juin, à laquelle ont même participé certains ambassadeurs, mais toutes les catégories d’agents y ont pris part. D’après Mme Laurence Badel, la réforme crée au Quai d’Orsay un séisme comparable à celui produit par la mise en place de l’ENA en 1945, qui avait privé le ministère d’une partie de son autonomie dans le recrutement des diplomates.
Au-delà des diplomates, cette réforme concerne en effet l’ensemble des agents du Quai d’Orsay, qui craignent de ne plus pouvoir compter sur des diplomates expérimentés pour régler les problèmes et gérer les situations de crise. Le risque existe par ailleurs que l’interministérialisation concerne, à terme, toutes les catégories de personnels, ce qui se traduirait par une vraie perte de compétences et d’expérience. Au-delà des personnels du Quai d’Orsay, il faut bien noter que cette réforme fait l’unanimité des groupes politiques contre elle à l’exception de la majorité relative, qui met peu d’entrain à la défendre.
2. La réforme remet en cause la notion de diplomatie professionnelle
a. Le métier diplomatique est spécifique de sorte qu’il ne peut être exercé de la même manière par n’importe quel haut fonctionnaire de l’État
Le rapporteur reconnaît l’importance pour le Quai d’Orsay de recruter des personnels extérieurs, notamment dans les représentations permanentes à l’ONU, auprès de l’Union européenne etc., où le besoin de technicité est important, ou sur les fonctions support, comme les ressources humaines ou les questions immobilières, sur lesquels les diplomates n’ont souvent qu’une faible plus-value.
Pour autant, le métier diplomatique est, à plusieurs égards, spécifique au point de ne pouvoir être exercé de manière aussi satisfaisante par n’importe quel haut fonctionnaire de l’État.
D’abord, le métier diplomatique est une vocation qui suppose une psychologie particulière. Il se distingue par la fréquence de l’expatriation et l’exposition à des contextes culturels différents. Ce métier peut être difficile, puisqu’il s’exerce parfois dans des pays caractérisés par une forte insécurité, notamment en Afrique et au Moyen-Orient, et dans un contexte où la conciliation entre la vie privée et la vie professionnelle est un défi. Il exige toujours un tempérament, une disponibilité, une exigence et une discipline de vie professionnelle.
Par ailleurs, les diplomates sont des « ensembliers ». À l’étranger, où le MEAE a le rôle de chef-de-file de l’action extérieure de l’État, les diplomates acquièrent une profonde connaissance de l’interministériel. Par exemple, la gestion des conséquences de la guerre en Ukraine, qu’elles soient migratoires, alimentaires ou énergétiques, implique l’intervention d’ensembliers capables de synthèse et de coordination.
Contrairement aux agents d’autres ministères, le propre des diplomates, du moins quand ils sont en poste à l’étranger, est d’agir dans des territoires relevant d’autres souverainetés où ils n’ont pas d’autorité, ce qui exige une forte capacité à la négociation pour, entre autres, y faire valoir les intérêts de la France. La réussite d’une négociation d’un traité complexe, par exemple sur les pandémies, le climat ou les grands fonds marins, nécessite aussi bien la compétence de l’expert que celle du diplomate. Les nouveaux moyens de communication ont certes renforcé la possibilité donnée aux chefs d’État et de gouvernement, soucieux de se donner à voir en action sur la scène internationale, de « court-circuiter » les diplomates, par exemple en interpellant directement leurs homologues étrangers. Mais, justement, dans ce contexte, marqué parfois par les invectives et les brusques montées de tensions, il est crucial de disposer de médiateurs capables de s’abstraire de l’immédiateté et du tête-à-tête pour restaurer une relation.
L’exercice du métier diplomatique suppose aussi d’être apte à la gestion des crises, qui sont moins codifiées et plus difficiles à gérer que celles qui se déroulent sur le territoire national. Ce professionnalisme dans la gestion de crise à l’étranger a permis à la France de rapatrier près de 370 000 Français pendant la pandémie et de gérer les évacuations d’Afghanistan et d’Ukraine.
Pour toutes ces raisons, le métier de diplomate se construit sur le temps long, au fil des affectations, par la sédimentation des expériences. Celles-ci apportent une capacité à comparer, à distinguer de ce qui est important de ce qui est contingent et à éviter la répétition des erreurs passées. Lorsqu’un agent devient ambassadeur, celui-ci est d’autant plus compétent qu’il a exercé, au cours de sa carrière, les différentes fonctions remplies par les subordonnés qu’il aura à encadrer. De cette expérience découlent aussi des relations interpersonnelles avec des diplomates étrangers, qui sont cruciales pour tenir des discussions sur des sujets sensibles. À titre d’exemple, un agent en poste au Brésil à plusieurs années d’intervalle aura constitué des réseaux qui pourront s’avérer très utiles à l’heure de l’entrée en fonctions d’un président moins enclin au dialogue. De cette expérience découle aussi une légitimité aux yeux des interlocuteurs de la France à l’étranger.
b. La nouvelle gestion interministérielle par les compétences est un pari très risqué sur les capacités de l’État gestionnaire
Pour le rapporteur le plus critique à l’encontre de cette réforme, les conditions ne sont en l’état pas réunies pour garantir la préservation du métier diplomatique en l’absence des corps diplomatiques. Comme l’a relevé le député Karim Ben Cheikh lors d’une table ronde organisée par les rapporteurs autour des députés des Français de l’étranger, si l’on veut supprimer les corps, alors il faut envisager de créer un autre type d’encadrement professionnel spécifique aux métiers diplomatiques, ce qui n’est pas prévu par cette réforme.
En l’occurrence, le travail d’objectivation des compétences attendues des diplomates est largement inachevé, ce qui ne permet pas de s’en faire une idée précise. Les auditions conduites ont révélé que la gestion interministérielle par les compétences doit reposer sur un référentiel interministériel, qui définira des compétences « métier », des compétences transversales et des « soft skills », mais qui n’existe pas encore. Des viviers interministériels, regroupant les personnels en fonction de leurs domaines d’expertise, devront ensuite être animés. Ce travail sur les compétences sera soutenu par la réforme de la formation dans le cadre de l’INSP.
Chaque employeur public aura par ailleurs la responsabilité de définir, ou de compléter, son référentiel de compétences afin de définir celles attendues de ses cadres. Le MEAE doit ainsi définir les compétences attendues des diplomates, en utilisant le langage du référentiel interministériel, afin de permettre d’articuler ces compétences d’un ministère à l’autre. Plus encore, le Quai d’Orsay devra réfléchir aux parcours permettant l’acquisition de certaines compétences : pour être ambassadeur, par exemple, il sera préférable d’avoir franchi certaines étapes, dont celle d’avoir été au moins une fois « numéro 2 » d’ambassade.
Pour compléter cette architecture, il sera par ailleurs indispensable de renforcer l’évaluation. Si l’article 3 de l’ordonnance de juin 2021 fixe le principe et les objectifs d’évaluations collégiales à intervalles réguliers des cadres supérieurs, ce sujet a été peu évoqué par les personnes entendues par les rapporteurs et ne semble pas avoir été décliné. Dès lors que les carrières ont vocation à être déterminées par les compétences plus que par le concours d’entrée, l’évaluation devient indispensable. Or, l’évaluation des diplomates est encore balbutiante, en partie parce que, jusqu’à présent, la progression à l’ancienneté était déterminante mais aussi, peut-être, parce qu’il est assez difficile de mesurer l’action diplomatique selon les critères d’évaluation privilégiés dans le « néomanagement » public. Pourtant, le rapport de l’ambassadeur Bonnafont faisait plusieurs propositions qui peuvent servir de base de réflexion pour combler cette carence.
Les pistes de renforcement de l’évaluation des diplomates émises par le rapport Bonnafont
Pour renforcer l’évaluation des diplomates, le rapport Bonnafont proposait de :
– renforcer le collège central des évaluateurs du MEAE, qui doit être constitué d’une quinzaine de diplomates chevronnés en activité, potentiellement dotés du titre d’inspecteurs généraux ;
– mettre en place l’« évaluation à 360° » pour tous, pour procéder à une évaluation générale à dix ans ayant valeur d’examen professionnel distinguant ceux qui progresseront et ceux qui gagneront à une réorientation aidée par le ministère ;
– instaurer une évaluation systématique à l’issue de la première prise de poste de responsabilité en centrale ou à l’étranger ;
– réaliser la dernière grande évaluation au bout de vingt-cinq ans de carrière ;
– faire à chaque agent, à l’issue de chaque grande évaluation, une proposition de poursuite du parcours avec formation supérieure, de reconversion accompagnée avec pécule ou de maintien dans le grade.
Lorsque cette nouvelle architecture des ressources humaines sera mise en place, le rapporteur craint que l’État ne soit pas en mesure d’assurer une gestion rationnelle de ses agents en fonction de leurs compétences.
Pire, le pilotage des ressources humaines de l’État risque de devenir ingérable. Les ministères sont d’ores et déjà incapables de gérer les carrières de façon satisfaisante. Au MEAE, par exemple, les affectations ne sont pas transparentes et la gestion des carrières des agents se limite bien souvent à un jeu de « Tetris ». Déjà compliquée à l’échelle des corps ministériels, la gestion des ressources humaines risque d’être encore plus insatisfaisante à l’échelle d’un corps interministériel composé de dizaines de milliers de hauts fonctionnaires.
Il est donc à craindre que les compétences – qu’il faudrait en tout état de cause définir plus précisément comme expliqué précédemment – prévaudront moins dans les décisions d’affectation que le poids des réseaux et des rapports de force, notamment entre les différents ministères. Il faudrait être naïf pour ne pas anticiper de telles logiques : à titre d’exemple, lorsque M. Laurent Fabius, ancien ministre des affaires étrangères et du développement international, a récupéré la compétence sur le commerce extérieur en 2014, le Trésor aurait obtenu dix postes d’ambassadeurs. La réforme risque ainsi de favoriser les administrateurs de l’État qui seront gérés par des ministères plus puissants et qui disposeront donc de réseaux plus efficaces pour les promotions.
L’expérience du Canada, qui a fait le choix d’ouvrir l’encadrement supérieur du ministère des affaires étrangères aux autres administrations, renforce ce scepticisme. En effet, certaines des carences actuelles de l’outil diplomatique canadien sont imputées par les agents à la forte présence de hauts fonctionnaires n’ayant qu’une connaissance trop parcellaire du fonctionnement de la diplomatie.
c. La suppression des corps ministériels favorisera le « fait du Prince »
Alors que, à l’heure actuelle, l’appartenance des agents à des corps ministériels limite la politisation dans les nominations au MEAE, il est à craindre que la réforme vienne renforcer ce risque. Demain, certains hauts fonctionnaires issus d’un autre ministère pourront, après une expérience en cabinet ministériel, bénéficier d’une intervention d’un responsable politique pour obtenir une affectation sur un poste qui était auparavant réservé à un diplomate de métier. Si ce risque se matérialise, la réforme n’aura pas créé plus d’ouverture, elle aura uniquement créé plus de faveur.
Le politique a d’ailleurs souvent la tentation de renforcer sa mainmise sur les nominations des hauts fonctionnaires. Le président de la République, qui avait indiqué souhaiter mettre en œuvre un spoil system à la française, a ainsi braqué les diplomates en tentant de nommer Philippe Besson, auteur d’un livre flateur sur Emmanuel Macron, comme consul général à Los Angeles, avant de renoncer. La récente nomination d’Amélie de Montchalin comme ambassadrice auprès de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), après avoir été pressentie pour Rome, a renforcé les inquiétudes autour de la politisation dans le cadre de cette réforme, que Mme de Montchalin a elle-même pilotée comme ministre de la fonction publique. Dans la même logique, aux États-Unis, le Foreign Service s’est senti particulièrement en danger sous le mandat de Donald Trump, qui avait exprimé l’intention de publier un executive order prévoyant que les senior federal employees puissent être licenciés sans justification.
Or, la politisation apporte des risques contre lesquels la diplomatie doit se prémunir. La liberté de contredire est un élément essentiel à l’objectivité des diplomates, qui n’ont pas seulement comme rôle d’obéir, mais aussi de proposer. Un ambassadeur doit avoir suffisamment de statut et d’indépendance pour pouvoir s’opposer à la décision politique lorsque cela est nécessaire. Contrairement à ce que laissait entendre l’accusation visant les diplomates de constituer un État profond, il faut au contraire regretter que ces derniers soient le plus souvent trop soumis, ce sur quoi le politique porte une part de responsabilité. Certains diplomates ont en effet pu subir des représailles dans leur carrière pour avoir exprimé une opinion dissonante de celle de l’Exécutif. En accentuant la politisation des nominations, le risque est donc de nuire à un conseil indépendant pour aboutir sur un conseil orienté, alimenté par l’inquiétude des diplomates pour leurs carrières.
Avec cette réforme, la France risque ainsi d’aller bien plus loin dans la politisation des affectations que les États-Unis, qui servent pourtant de modèle en la matière. Aux États-Unis, les ambassadeurs, les directeurs (assistant secretaries) et les directeurs-adjoints (deputy assistant secretaries) peuvent être des diplomates de carrière ou des political appointees. Durant l’administration Trump, 45 % des ambassadeurs étaient ainsi des political appointees. En revanche, tous les autres postes au Département d’État sont réservés aux personnels du Foreign Office.
Les political appointees : une exception dans les autres pays
Hormis aux États-Unis, la politisation des affectations des ambassadeurs est peu fréquente.
En Allemagne, la part des affectations qui peuvent être jugées politisées est très limitée. La nomination d’anciens ministres comme ambassadeurs est déjà intervenue dans l’histoire de l’Auswaertigesamt mais représente un fait très rare.
En Espagne également, la quasi-totalité des postes de diplomates et d’ambassadeurs est confiée à des diplomates de carrière de sorte que la part des nominations à caractère politique est considérée comme très résiduelle, de l’ordre de 2 à 5 %. Actuellement, deux ambassadeurs espagnols, sur un total de 117 ambassades et 11 représentations permanentes, sont d’anciens politiques : il s’agit d’une ancienne ministre de l’éducation, ambassadrice auprès du Saint-Siège, et d’un ancien député, représentant permanent de l’Espagne auprès de l’OCDE.
En Italie, la Farnesina résiste à la forte pression pour ouvrir des postes diplomatiques à des personnalités extérieures, considérant que l’instabilité politique chronique constitue un repoussoir pour ce type d’ouvertures. Le gouvernement italien a en théorie les moyens de nommer des personnalités extérieures mais de telles occurrences sont cependant rares dans les faits. Le cas le plus célèbre est celui de M. Carlo Calenda, secrétaire d’État au commerce extérieur de M. Matteo Renzi, alors président du Conseil, brièvement nommé, en janvier 2016, représentant permanent de l’Italie auprès de l’Union européenne, ce qui avait suscité un tollé au sein du corps diplomatique italien.
Au Royaume-Uni, les postes d’ambassadeur et de consul ne sont attribués qu’à des civil servants, à de très rares exceptions près, dont M. Ed Llewellyn, actuel ambassadeur à Rome, auparavant accrédité à Paris, nommé après avoir servi en tant que directeur de cabinet de l’ancien Premier ministre David Cameron.
Au Canada, les nominations politiques discrétionnaires représentaient 10 % des nominations en 2021, un chiffre stable au cours de la dernière décennie. Récemment, le ministère canadien des affaires étrangères a obtenu que certains grands postes (Pékin et Washington) soient attribués à des diplomates de carrière.
Le rapporteur Arnaud Le Gall considère les garde-fous prévus par la réforme comme insuffisants pour limiter le risque lié au « fait du Prince ». Comme expliqué précédemment, l’examen des compétences pourra être neutralisé par les réseaux et les rapports de force. Par ailleurs, le filtre de la commission d’aptitude pour les primo-ambassadeurs risque d’être contourné de la même manière que le sont les différents comités de nomination aujourd’hui. Le plus souvent, l’issue d’une nomination est en effet connue à l’avance. Enfin, il suffit de lire la presse pour s’apercevoir que les avis ne sont pas toujours suivis par l’Exécutif.
3. La réforme fragilisera les perspectives professionnelles des diplomates
a. Les diplomates seront confrontés à un renforcement de la concurrence sur les postes qui leur étaient auparavant attribués
Le rapporteur Arnaud Le Gall n’est pas opposé à la mobilité des diplomates. Il est légitime de vouloir renforcer l’acculturation de tous les secteurs de l’État aux enjeux internationaux. La mobilité est aussi une occasion de mieux faire connaître le métier diplomatique, qui souffre encore d’importants clichés, jusqu’au sein même de l’État, et peut-être de mieux défendre le Quai d’Orsay dans les arbitrages budgétaires, si certains diplomates devaient rejoindre Bercy.
Le cœur du métier s’exerce toutefois au MEAE. Il est donc au premier abord rassurant que plusieurs garanties de gestion aient été données aux diplomates pour limiter la portée de l’obligation de mobilité et préserver les carrières diplomatiques. Mais, à supposer qu’elles soient suffisantes et réellement mises en œuvre, ces garanties ne prémuniront cependant pas les agents du MEAE contre le risque d’un renforcement de la concurrence sur les postes diplomatiques, dont l’effet sera de resserrer les perspectives de carrière. La concurrence risque d’être concentrée sur les postes situés dans des pays jugés faciles, avec pour conséquence de cantonner les diplomates sur les postes aux conditions de vie difficiles.
Le risque ne doit pas être sous-estimé d’un déséquilibre entre les flux entrants, qui risquent d’être importants compte tenu du prestige du Quai d’Orsay et des opportunités d’expatriation qu’il propose, et les flux sortants, qui risquent d’être limités, les diplomates qui exercent un métier vocationnel étant rares à quitter leur ministère. Il n’est d’ailleurs pas exclu que, en définitive, de nombreux administrateurs de l’État en mobilité entrante au MEAE demandent à être rattachés au ministère. Au Royaume-Uni, où certains postes auparavant réservés aux diplomates de carrière sont désormais ouverts aux candidatures de civil servants issus d’autres ministères, nombreux sont ceux qui considèrent que l’interministérialisation des postes a réduit la prime accordée de facto aux diplomates de carrière.
La concurrence pourrait être encore plus forte sur les postes les plus prestigieux du Quai d’Orsay, notamment les postes d’ambassadeurs. Le MEAE est déjà confronté au défi de devoir gérer un encombrement au sommet de la pyramide des âges, avec une centaine d’agents seniors sous-employés. Dans ce contexte compliqué, la réforme risque de renforcer l’engorgement au niveau des postes à responsabilité, qui devraient intéresser de nombreux administrateurs de l’État. Contrairement au Trésor, qui parvenait déjà à gérer ses personnels de catégorie A+ dans le cadre d’un corps interministériel, celui des administrateurs civils, le Quai d’Orsay comprend de nombreux postes qui peuvent être perçus comme des récompenses et qui peuvent susciter les convoitises.
Au final, il serait dangereux de voir ce renforcement de la concurrence comme une remise en cause légitime d’une situation de rente dont bénéficieraient les diplomates. Dans un métier qui conduit ceux qui l’exercent à consentir d’importants sacrifices personnels – il suffit, pour s’en rendre compte, de regarder le taux de divorce des diplomates –, priver ces derniers des postes les plus attractifs pourrait déstabiliser profondément ce qui fait la colonne vertébrale de la diplomatie française.
b. La réforme fait des victimes collatérales : les secrétaires des affaires étrangères
Les secrétaires des affaires étrangères subissaient déjà une série d’injustices avant le lancement de la réforme de l’encadrement supérieur de l’État. Alors qu’ils sont nominalement des fonctionnaires de catégorie A, ces derniers occupent des postes de niveau A+. Les secrétaires et les conseillers des affaires étrangères occupent en effet les mêmes postes en début de carrière, ce qui distingue le MEAE des autres ministères qui différencient clairement les tâches qui sont attribuées aux administrateurs civils et aux attachés d’administration centrale. À fonctions égales, les conseillers sont pourtant mieux rémunérés que les secrétaires des affaires étrangères. Surtout, la carrière des secrétaires et des conseillers des affaires étrangères diverge au bout d’une dizaine d’années, lorsque seuls ces derniers peuvent accéder à des fonctions d’encadrement. Alors que la réforme de la haute fonction publique prétend renforcer le mérite au détriment de l’appartenance à un corps, elle ne s’attaque pas à ce qui apparaît comme l’injustice la plus évidente.
Comme l’a rapporté le député Vincent Seitlinger dans le cadre de son avis budgétaire sur la mission Action extérieure de l’État pour 2023, « la réforme crée aujourd’hui une série d’injustices nouvelles pour les secrétaires des affaires étrangères. En les laissant de côté, elle renforce le cloisonnement entre ces derniers et les nouveaux administrateurs de l’État affectés au Quai d’Orsay » ([24]). En effet, les secrétaires avaient auparavant la possibilité de passer le concours interne pour devenir conseillers, ou alors d’être promus conseillers au moins trois ans après avoir atteint le grade de secrétaire principal. La réforme remet en cause ces voies de progression de carrière, suscitant l’inquiétude légitime des agents concernés. Avec la réforme, lorsqu’ils accéderont, après 2025, au corps des administrateurs de l’État, les secrétaires des affaires étrangères devront interrompre leur carrière pour aller se former à l’INSP et n’ont plus la garantie de demeurer au MEAE. La philosophie de la réforme fait par ailleurs craindre, à plus long terme, que les secrétaires des affaires étrangères soient in fine interministérialisés avec les attachés d’administration centrale, dont ils ne sont pourtant pas les équivalents.
Le rapporteur Arnaud Le Gall souhaite insister sur l’inégalité de traitement entre les secrétaires et les conseillers des affaires étrangères, attesté par le tableau ci-dessous. Si l’harmonisation des rémunérations entre hauts fonctionnaires mérite d’être saluée, l’inégalité de traitement entre secrétaires et conseillers des affaires étrangères résultant de cette réforme devrait s’accentuer.
RÉmunÉration moyenne des diplomates en administration centrale*
*Coût moyen annuel avec charges sociales
Source : MEAE.
c. Les objectifs affichés par la réforme ne justifiaient en rien la suppression des corps diplomatiques
Aucun des objectifs affichés de la réforme n’appelait la suppression des corps diplomatiques. Le renforcement de l’obligation de mobilité, nécessaire à une plus grande circulation des hauts fonctionnaires entre les administrations, ne justifiait en aucune manière de supprimer ces corps. Non seulement rien ne démontre que ces derniers nuisaient à l’exercice du métier diplomatique mais ils sont à ce jour la meilleure garantie de la préservation d’un parcours métier et, par extension, d’une filière diplomatique professionnelle. En supprimant le corps, la frontière entre le diplomate et le non-diplomate disparaît avec le risque, si la gestion par les compétences fonctionne mal, de diluer les compétences diplomatiques et de perdre ce qui faisait l’excellence de la diplomatie française.
La France est aujourd’hui le seul État membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies à se priver d’un corps diplomatique ou, du moins, d’une filière diplomatique spécialisée. Comme décrit plus haut, tous les pays comparables au nôtre distinguent l’organisation de la fonction diplomatique du reste de la haute fonction publique, y compris le Royaume-Uni qui, sans avoir de corps à proprement parler, maintient une filière diplomatique bien identifiée au sein de l’État. Il est d’ailleurs ironique que la France, qui a milité, en amont de la création du service européen d’action extérieure (SEAE) en 2010, pour que ce service qui met en œuvre la diplomatie européenne soit composé de fonctionnaires européens spécialisés et distincts du reste des fonctionnaires de la Commission européenne, décide aujourd’hui de remettre en cause le statut spécial de ses propres diplomates.
La singularisation française entraînée par cette réforme est d’autant plus dommageable que plusieurs pays partenaires considéraient la diplomatie de notre pays comme l’une des meilleures, si ce n’est la meilleure, au monde. En 2012, un panel composé de personnalités qualifiées mandaté par le FCDO pour comparer la performance de la diplomatie britannique avec celle d’autres pays avait appelé le FCDO à s’inspirer de l’organisation de la diplomatie française, considérée comme le meilleur service diplomatique au monde ([25]).
4. La réforme risque de renforcer l’endogamie sociale et d’affaiblir les compétences des agents appelés à occuper des postes diplomatiques
Le rapporteur Arnaud Le Gall s’inquiète, en premier lieu, du remplacement du classement de sortie de l’ENA par le nouveau principe d’appariement entre les besoins des administrations et les souhaits des élèves. Alors que le Quai d’Orsay avait commencé à diversifier l’origine sociale de ses diplomates, ce nouveau système risque de reproduire le recrutement fondé sur l’endogamie sociale qui prévalait avant la création de l’ENA. Si l’ENA n’avait évidemment pas supprimé ce phénomène, il est tout sauf évident que la disparition de l’ENA améliore la situation. Les administrations, désormais en situation de choisir leurs recrues, seront en effet tentées de choisir des candidats qui leur ressemblent. Il faut ajouter à cela que la procédure d’appariement prendra plusieurs mois, le temps d’organiser un dialogue assez long entre les étudiants et les administrations.
La refonte du programme de formation initiale de l’INSP, par rapport à celui de l’ENA, est un autre motif d’inquiétude. La place donnée aux compétences managériales, qui ne sont pas le cœur du métier diplomatique, risque d’aboutir à une dilution de la formation de nos diplomates, qui ont d’abord besoin d’être formés aux affaires du monde.
Il est en revanche difficile de porter une appréciation sur la formation initiale qui devrait être proposée dans le cadre de la nouvelle École pratique des métiers de la diplomatie, car celle-ci n’est pas encore stabilisée. Le renforcement relatif des moyens budgétaires consacrés à la formation n’en garantit cependant pas le succès. À ce stade, le MEAE n’est même pas en mesure de donner des locaux suffisants à l’École pratique, en même temps que celle-ci anticipe des difficultés à identifier des formateurs à la fois disponibles et légitimes pour former les diplomates.
Si la formation initiale compte, son importance est en pratique relativisée par le poids de l’expérience dans l’apprentissage du métier diplomatique. Le MEAE doit bien plus miser sur la formation de ses personnels tout au long de la vie. La formation continue se limite aujourd’hui à des cours de management et des mises à jour des connaissances, qui interviennent tardivement dans la carrière. La formation préalable à la prise de poste à l’étranger et l’apprentissage des langues sont faibles. Par contraste, le Royaume-Uni, les États-Unis et le Canada rémunèrent leurs agents pour suivre une formation linguistique à plein temps, une fois qu’ils sont désignés pour occuper des postes dans des pays dont ils ne maîtrisent pas la langue.
5. La réforme étant actée, le plus important est de garantir la préservation de la filière diplomatique
La diversification des parcours professionnels des diplomates ne doit pas conduire à sacrifier la filière diplomatique, ce qui impose des limites à la fluidité. Dès lors que la réforme est actée et que l’Exécutif ne semble pas tenir compte de l’opposition large qu’elle suscite, l’essentiel est de concilier, autant que possible, la suppression des corps avec le maintien des filières et de l’expertise au MEAE.
a. Suivre la mise en œuvre des garanties promises dans le cadre de la réforme
Si les garanties données aux diplomates semblent bien ancrées dans des textes, ce qui est ancré juridiquement peut être défait. Il faudra donc être vigilant à ce que, d’ici quelques années, ces garanties ne soient pas remises en cause. Tôt ou tard, le corps d’extinction des conseillers des affaires étrangères et des ministres plénipotentiaires pourrait être supprimé et tous les hauts diplomates pourraient être in fine basculés dans le corps des administrateurs de l’État. Le concours d’Orient, qui permet au ministère de recruter des spécialistes des autres civilisations et de diversifier l’origine sociale de ses agents, pourrait aussi être menacé.
S’il est opportun que les états généraux traitent, de façon large, les problèmes du ministère, ceux-ci sont aussi le cadre pour proposer des amendements à la réforme du corps diplomatique. Comme l’a souligné le député Moetai Brotherson devant l’équipe en charge des états généraux, ce moment de réflexion collective aurait dû être un préalable au lancement de la réforme. Ce calendrier illogique jette le doute sur la sincérité de la consultation qui paraît motivée par le souci de « faire passer » la réforme, alors que les arbitrages politiques sont pris depuis longtemps. Des « lignes rouges » semblent d’ailleurs avoir été fixées à l’équipe des états généraux de la diplomatie, le chef de l’État ayant clairement fait savoir qu’il ne reviendrait pas sur cette réforme. Interrogé par les rapporteurs, l’ambassadeur Bonnafont a ainsi expliqué qu’il n’appartiendrait pas aux états généraux de la diplomatie « de dire ce que vaut la réforme de la haute fonction publique » mais que le président de la République avait demandé à « enrichir la réforme » et à « professionnaliser le métier ». Il est donc permis d’espérer que ces états généraux proposent des améliorations à la réforme.
b. Consolider le déroulement des carrières diplomatiques
i. Inscrire explicitement le droit au retour après une mobilité sortante
Le rapporteur Arnaud Le Gall appelle à donner une garantie plus claire et plus solide aux agents sur leur retour au Quai d’Orsay après une mobilité interministérielle. La mobilité suppose en effet de garantir les retours au MEAE, sous peine de nuire aux vocations des diplomates. À l’heure actuelle, il n’est prévu qu’une obligation pour chaque ministère de garder en gestion ses effectifs en mobilité sortante pendant six ans. Dans un contexte marqué par un déficit de confiance, le décret du 16 avril 2022 pourrait être révisé pour inscrire, explicitement, une garantie de réintégration des personnels diplomatiques au MEAE après une mobilité à l’extérieur.
ii. Garantir les perspectives de carrière des secrétaires des affaires étrangères au MEAE
Les contreparties les plus substantielles, du droit d’option pour les conseillers des affaires étrangères et les ministres plénipotentiaires à la création d’un troisième grade pour les secrétaires des affaires étrangères, concernent des populations en fin de carrière et ne sont pas susceptibles de contenter les jeunes secrétaires des affaires étrangères, qui sont les plus mobilisés contre la réforme.
Comme évoqué plus haut, les secrétaires des affaires étrangères sont des victimes collatérales de la réforme alors même que ces derniers subissaient déjà une injustice dans leur évolution professionnelle vis-à-vis des conseillers des affaires étrangères. Afin de protéger leurs perspectives de carrière, il est nécessaire de donner aux secrétaires des affaires étrangères entrés au MEAE avant 2023 un droit d’option leur permettant d’être versé en pied du corps mis en extinction, en créant un premier grade pour ces derniers. Alternativement ou cumulativement, il paraîtrait justifié d’exempter, au-delà de 2024, les secrétaires accédant au corps des administrateurs de l’État d’une scolarité à l’INSP et de leur donner la garantie de pouvoir demeurer au MEAE. Enfin, il est nécessaire de compenser l’inégalité de rémunération que la réforme contribue à creuser entre les secrétaires des affaires étrangères et les administrateurs de l’État, dont la rémunération est rehaussée. Ces mesures permettraient de donner une plus grande sécurité aux secrétaires des affaires étrangères au regard de leurs aspirations et attentes à l’entrée du MEAE.
c. Améliorer la procédure de nomination aux postes d’ambassadeurs
Sauf à réviser la Constitution, le pouvoir de nomination des ambassadeurs par le chef de l’État ne peut être encadré juridiquement. Pour autant, certaines règles ou certains principes permettraient d’améliorer la procédure avant qu’une décision finale ne soit prise par le président de la République.
Dans un métier comme celui de diplomate, qui se construit sur le temps long par le jeu des affectations successives, l’expérience est essentielle pour préserver une filière diplomatique de qualité. Il est donc souhaitable que les personnels amenés à occuper les fonctions de chef de poste diplomatique puissent justifier, dans la plupart des cas, d’une expérience précédente dans la diplomatie.
Les deux rapporteurs se rejoignent donc ici pour demander une expérience préalable comme « numéro 2 » de mission diplomatique à la plupart des candidats à des postes d’ambassadeurs, sur le modèle du corps préfectoral et comme le préconisait la mission d’information du Sénat. Les ambassadeurs ne pouvant justifier d’une expérience diplomatique précédente doivent rester l’exception. Dans la même logique et à titre de comparaison internationale, l’Espagne prépare actuellement un projet de règlement qui fixe une ancienneté minimale de quinze ans dans la fonction diplomatique pour l’accès au rang d’ambassadeur ([26]).
d. Garantir la réversibilité de la réforme
Puisqu’il est très improbable que l’Exécutif accède à la demande d’abrogation de la réforme, il est à tout le moins nécessaire d’en prévoir une évaluation régulière, ce qui est aussi l’une des recommandations portées par l’autre rapporteur. Le suivi des effets de la réforme devra cibler, tout particulièrement, les sujets d’inquiétude pour les diplomates. Le tableau de bord devra notamment inclure un indicateur de suivi de la mobilité, afin de s’assurer que les flux entre ministères soient équilibrés, ce qui n’est d’ailleurs pas le cas aujourd’hui, et un indicateur de suivi de l’attractivité des différents ministères, afin de s’assurer que la réforme ne se traduise pas par une crise des vocations, notamment au MEAE. Cette évaluation régulière doit être enrichie par la conduite d’une étude indépendante de comparaison internationale pour s’inspirer des meilleures pratiques et éviter les écueils. En fonction des résultats, le dispositif de la réforme devra être adapté.
Le rapporteur Arnaud Le Gall appelle par ailleurs à adopter une clause de revoyure politique de la réforme de l’encadrement supérieur de l’État, afin d’anticiper l’éventualité que cette réforme soit un échec et, le cas échéant, d’en assurer la réversibilité. S’il paraît aujourd’hui difficile d’inclure cette clause de revoyure dans la loi, un débat au Parlement devrait a minima avoir lieu d’ici la fin du quinquennat pour dresser le bilan de la réforme et en tirer les conséquences.
6. Une autre réforme est possible
Le rapporteur Arnaud Le Gall estime que la réforme du corps diplomatique mériterait d’être abrogée. Même si cette orientation a peu de chance d’être retenue dans le contexte actuel, il est utile de proposer une autre réforme, dont une prochaine majorité pourrait se saisir.
a. Améliorer la gestion des ressources humaines du MEAE
i. Fusionner les corps des secrétaires et des conseillers des affaires étrangères pour constituer un vrai corps diplomatique
Si l’objectif du Gouvernement est réellement de décloisonner les corps et de valoriser davantage les compétences et le mérite, alors pourquoi n’avoir pas fusionné les corps des secrétaires et des conseillers des affaires étrangères qui, à travail égal, n’ont ni la même rémunération, ni les mêmes perspectives de carrière ? Pourtant, l’injustice dans la gestion de ces deux catégories de diplomates, que la réforme contribue à renforcer, est connue de longue date. Le rapport Bonnafont préconisait ainsi de fusionner les secrétaires et les conseillers des affaires étrangères dans un corps unique respectant la variété des parcours, entre cadre général et cadre d’Orient.
ii. Remettre à plat les modes d’affectation des personnels
La gestion des personnels doit être améliorée dans un contexte où les affectations manquent de transparence, sont trop souvent fonction des réseaux des candidats et prennent insuffisamment en compte les compétences des personnels. Pour cela, il faut envisager de passer d’une gestion des personnels par catégories à une gestion par fonctions, ce qui suppose de définir des filières de métiers plus claires, ayant un réel poids dans les affectations des agents. Une réflexion mériterait également d’être menée sur la durée des affectations des personnels, dont la brièveté semble parfois préjudiciable au niveau de la diplomatie.
iii. Mieux sélectionner et former les aspirants ambassadeurs
Le rapporteur Arnaud Le Gall propose la création d’un système de recrutement et de promotion des personnels ayant vocation à devenir ambassadeurs. Par comparaison, au ministère des armées, un militaire qui aspire à exercer des fonctions de commandement ne doit pas seulement avoir fait une école d’officier mais doit également passer par l’École de Guerre, ce qui implique de passer un examen, d’être formé et de recevoir un diplôme. Ce dispositif a le mérite de recréer de la sélection dans les parcours professionnels et de professionnaliser les métiers. Dans le cas du Quai d’Orsay, une structure analogue, ouverte aux personnels qui auront démontré, au cours de leur carrière, un intérêt pour le métier diplomatique, pourrait permettre de sélectionner ceux qui ont le potentiel pour devenir ambassadeurs.
À défaut, il pourrait être au moins opportun de créer un programme de formation spécifique à destination des personnels candidatant pour la première fois à un poste d’ambassadeur et ayant reçu un avis positif de la commission d’aptitude. Le MEAE pourrait à cet égard s’inspirer des programmes de préqualification mis en œuvre par le ministère de l’intérieur. Les agents de celui-ci ayant passé l’étape de la commission d’aptitude peuvent, en effet, bénéficier de formations permettant de combler des lacunes éventuelles avant de se voir nommer sur un poste à responsabilité. L’École pratique des métiers de la diplomatie pourrait mettre en œuvre ces programmes de formation pour les aspirants primo-ambassadeurs.
b. Prévoir une mobilité au service de la professionnalisation de la fonction diplomatique de l’État
Le rapporteur Arnaud Le Gall estime que, si des personnels extérieurs peuvent légitimement rejoindre le Quai d’Orsay, ces derniers doivent s’inscrire dans un parcours permettant de garantir l’apprentissage du métier diplomatique.
i. Subordonner toute mobilité entrante au MEAE par un passage en administration centrale
Comme tous les diplomates, tout personnel effectuant une mobilité entrante au Quai d’Orsay doit d’abord effectuer un passage en administration centrale pour apprendre le métier.
ii. Prévoir, pour tous, une première expatriation dans un pays de difficulté intermédiaire
Par ailleurs, l’intégration d’un agent en mobilité entrante au MEAE doit être subordonnée à une expatriation dans un pays en zone B, de difficulté intermédiaire, entre les postes A, très difficiles, et les postes C, plus faciles. Pour être cohérente, équitable et acceptable, cette règle doit aussi s’appliquer aux agents du MEAE dont la première affectation à l’étranger pourrait être réalisée dans un pays en zone B. En Espagne et en Italie, le passage par des postes jugés difficiles est ainsi obligatoire pour progresser dans la carrière diplomatique. En Italie par exemple, la promotion au grade de conseiller de légation – le deuxième grade dans la carrière d’un diplomate italien – suppose d’avoir servi au moins quatre ans à l’étranger dans une ambassade située en dehors de la zone euro-atlantique.
Ce système serait utile pour le ministère, qui peine à trouver des candidats pour certains postes plus difficiles, dont certains ont pourtant un poids croissant dans un monde post-occidental. Il serait aussi formateur pour les jeunes, plus équitable et plus incitatif, les postes plus faciles retrouvant leur statut de récompense après un début de carrière plus difficile. Enfin, il répondrait à la crainte que la concurrence ne s’intensifie sur les postes diplomatiques les plus faciles, sur lesquels seront tentés de postuler les hauts fonctionnaires issus d’autres ministères.
iii. Créer un vivier des experts des affaires européennes et internationales de la sphère publique
Plutôt que de se traduire par la suppression des corps diplomatiques, l’ouverture peut être atteinte par la création d’une filière de la fonction diplomatique de l’État, comme le proposait d’ailleurs le rapport Bonnafont (cf. supra). Pour structurer cette filière, des mobilités croisées pourraient être développées entre le Quai d’Orsay, ses opérateurs et les directions internationales des autres ministères.
c. Se donner les moyens de nos ambitions
i. Donner une ligne politique claire aux diplomates
La diplomatie ne doit pas être réglée sur le temps de la communication politique, de l’information en continu et des réseaux sociaux, qui confine à l’immédiateté, mais être au service d’orientations politiques de long terme. Le rapporteur Arnaud Le Gall regrette toutefois le manque de ligne politique claire donnée aux ambassadeurs, quel que soit le Gouvernement en place, dont l’effet est de contribuer à affaiblir l’action de notre réseau.
Une des forces de nos compétiteurs ou rivaux tient à l’existence d’orientations diplomatiques cohérentes et inscrites dans le long terme, même si celles-ci sont parfois contraires à celles qui doivent animer la diplomatie française. La clarté de la ligne politique est en effet la garantie d’une action qui s’inscrit sur le temps long, et non d’une diplomatie du « coup par coup », écartelée entre des objectifs inconciliables, qui prévaut trop souvent actuellement.
ii. Doter le MEAE d’une loi de programmation complète
Dans un contexte où les réductions des moyens ont aujourd’hui atteint la limite de ce qui est supportable et où la réduction des missions n’est pas une option souhaitable pour ceux qui souhaitent que la France maintienne son rang à l’international, il est important de redonner au MEAE les moyens de ses ambitions.
À l’heure actuelle, le Quai d’Orsay est l’un des rares ministères régaliens à ne pas être doté d’une programmation budgétaire couvrant l’ensemble de ses missions. Afin de rassurer quant à la volonté réelle de l’Exécutif de réarmer la diplomatie, le MEAE doit être doté d’une loi de programmation qui détermine une trajectoire pluriannuelle de remontée des moyens qui aille au-delà du seul périmètre de l’aide publique au développement ([27]). Cette loi de programmation pourrait prévoir la création de 1 500 équivalents temps plein sur cinq ans, la mise en place d’un parcours d’intégration des contractuels et la professionnalisation des fonctions support.
iii. Réintégrer les opérateurs et les agences au sein du MEAE
En complément, la diplomatie française ne retrouvera une certaine force qu’en étant confortée dans son rôle d’ensemblier de l’action extérieure de l’État. Ceci suppose de réintégrer les agences et les opérateurs au sein du Quai d’Orsay selon des modalités qui méritent une réflexion spécifique. Pour les agences et les opérateurs qui resteraient extérieurs, une meilleure coordination doit être recherchée.
iv. Restaurer le contrat de confiance entre le Quai d’Orsay et ses agents
En outre, le ministère doit explorer diverses pistes pour réduire les sujétions qui pèsent sur les agents et ajuster les compensations à la hauteur des contraintes vécues par les personnels. Comme évoqué plus haut, ces sujétions sont en augmentation, de sorte que le contrat de confiance qui lie le Quai d’Orsay et les personnels peut paraître, sinon rompu, du moins fragilisé. Le MEAE pourrait notamment réfléchir à acquérir des logements pour héberger les diplomates dans les capitales où le logement est le moins accessible, comme le font beaucoup d’autres pays, à faciliter les déménagements des agents et à mieux prendre en charge les retours des diplomates en France pendant leurs périodes d’affectation à l’étranger.
d. Renforcer le contrôle démocratique sur les nominations des grands ambassadeurs
Comme la mission d’information du Sénat évoquée plus haut, le rapporteur Arnaud Le Gall appelle à étendre le dispositif de consultation des commissions parlementaires permanentes compétentes, prévu par l’article 13 de la Constitution, aux nominations des grands ambassadeurs (G20 et organisations internationales). Ces auditions permettraient de s’assurer que les ambassadeurs, qui exercent une mission politique, présentent toutes les garanties pour exercer ces fonctions. Les États-Unis, où l’intervention du Congrès se traduit par des délais considérables dans la nomination de certains ambassadeurs, ne sont en revanche pas un modèle à suivre, alors même que le MEAE a déjà des difficultés à réaliser ces nominations.
e. Mieux faire connaître le métier diplomatique
Comme le rapporteur Vincent Ledoux, le rapporteur Arnaud Le Gall appelle en dernier lieu à revaloriser l’image des diplomates dans la société française. En effet, les diplomates restent trop souvent victimes de préjugés, celui des « Ferrero Rocher » en France ou celui d’être des « cookie pushers » aux États-Unis. Les deux rapporteurs soutiennent donc la conduite d’actions de communication publique par la direction de la communication et de la presse du Quai d’Orsay.
Ils invitent en outre à appuyer la réalisation d’une série sur la diplomatie, à l’image du « Bureau des légendes », qui a revalorisé l’image de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), alors que le film Quai d’Orsay de Bertrand Tavernier, adapté de la bande dessinée du même nom de Christophe Blain et Abel Lanzac, s’il a rencontré un certain succès, abordait le sujet sous un angle humoristique.
Les rapporteurs rappellent cependant que leur proposition n’est pas nouvelle puisqu’elle avait déjà été formulée, lors de la précédente législature, tant par le rapporteur Vincent Ledoux que par notre collègue Anne Genetet lors des débats budgétaires sur les crédits du ministère ([28]). Le coût d’une nouvelle série mettant en valeur le travail des diplomates serait minime mais représenterait, en cas de succès, un bénéfice très important pour le MEAE.
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Au cours de sa séance du mercredi 11 janvier 2023, la commission examine le présent rapport.
L’enregistrement de cette séance est accessible sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :
La commission autorise le dépôt du rapport d’information sur la réforme du corps diplomatique en vue de sa publication.
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annexe n° 1 :
Liste des personnes auditionnÉes
Auditions à Paris
– M. Fabrice Desplechin, conseiller syndical de la CFDT-MAE ;
– M. Franck Vermeulen, secrétaire général de l’ASAM-UNSA-MEAE ;
– M. Alain Maestroni et M. Yannick Guidoux de la CGT-MAE ;
– M. Olivier Da Silva de la CFTC Affaires étrangères ;
– M. Didier Mari de l’USASCC ;
– Mme Cécile Place-Bernardin et M. Phi-Ho Nguyen de l’AP-MAE ;
– M. Maxime Lefebvre, vice-président de l’ADIENA ;
– Mme Laurence Auer, secrétaire générale de l’ASAO ;
– M. Pierre-Alain Voltz, vice-président de l’OSAE ;
– M. Benjamin Weisz, président de l’Association française des diplomates de métier.
– M. Christopher Weissberg, député des Français d’Amérique du Nord (première circonscription de l’étranger) ;
– Mme Eléonore Caroit, députée des Français d’Amérique latine et de la Caraïbe (deuxième circonscription de l’étranger) ;
– M. Stéphane Vojetta, député des Français de la péninsule ibérique (cinquième circonscription de l’étranger) ;
– M. Frédéric Petit, député des Français d’Europe centrale et des Balkans (septième circonscription de l’étranger) ;
– M. Karim Ben Cheikh, député des Français du Maghreb et de l’Afrique de l’Ouest (neuvième circonscription de l’étranger) ;
– Mme Amélia Lakrafi, députée des Français du Proche-Orient et de la majeure partie de l’Afrique (dixième circonscription de l’étranger).
Contributions écrites
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Annexe n° 2 :
DÉcret n° 2022-561 du 16 avril 2022
Décret no 2022-561 du 16 avril 2022 portant application au ministère de l’Europe et des affaires étrangères de la réforme de la haute fonction publique et modifiant le décret no 69-222 du 6 mars 1969 relatif au statut particulier des agents diplomatiques et consulaires
NOR : EAEA2204635D
Publics concernés : agents appartenant aux corps des administrateurs de l’État, des ministres plénipotentiaires, des conseillers des affaires étrangères, des secrétaires des affaires étrangères, des attachés des systèmes d’information et de communication du ministère de l’Europe et des affaires étrangères.
Objet : mise en extinction des corps des conseillers des affaires étrangères et des ministres plénipotentiaires et création du nouveau corps d’extinction des conseillers des affaires étrangères et ministres plénipotentiaires les fusionnant ; instauration de la possibilité d’ouvrir une troisième voie de recrutement par concours d’accès aux corps des secrétaires des affaires étrangères et des attachés des systèmes d’information et de communication et création d’un troisième grade dans ces corps.
Entrée en vigueur : les dispositions du décret entrent en vigueur le 1er juillet 2022, le 1er janvier 2023 ou le 1er juillet 2023 dans les conditions prévues à son article 32.
Notice : le texte tire les conséquences de la réforme de la haute fonction publique pour ce qui concerne les corps du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Il fixe les modalités de mise en extinction des corps des conseillers des affaires étrangères et des ministres plénipotentiaires, conformément à l’article 13 du décret no 2021-1550 du 1er décembre 2021 portant statut particulier du corps des administrateurs de l’État. Il modifie par ailleurs le décret no 69-222 du 6 mars 1969 en créant un troisième grade dans les corps des secrétaires des affaires étrangères et des attachés des systèmes d’information et de communication et en instaurant la possibilité d’ouvrir une troisième voie de recrutement par concours d’accès à ces deux corps, afin de permettre le recrutement en qualité de fonctionnaire stagiaire de personnes justifiant de l’exercice, pendant un nombre déterminé d’années, d’une ou de plusieurs activités professionnelles, d’un ou de plusieurs mandats de membre d’une assemblée élue d’une collectivité territoriale ou d’une ou de plusieurs activités en qualité de responsable, y compris bénévole, d’une association. Par ailleurs, ce décret modifie les conditions d’accès aux emplois de chefs de mission diplomatique ainsi que le dispositif de la disponibilité spéciale.
Références : le décret et les textes qu’il modifie, dans leur rédaction issue de cette modification, peuvent être consultés sur le site Légifrance (https://www.legifrance.gouv.fr).
Le Premier ministre,
Sur le rapport du ministre de l’Europe et des affaires étrangères et de la ministre de la transformation et de la fonction publiques,
Vu la convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961 et la convention de Vienne sur les relations consulaires du 24 avril 1963 ;
Vu le code général de la fonction publique ;
Vu le code du travail, notamment son article L. 6113-1 ;
Vu le décret no 69-222 du 6 mars 1969 modifié relatif au statut particulier des agents diplomatiques et consulaires ;
Vu le décret no 73-196 du 27 février 1973 relatif à l’octroi de la dignité d’ambassadeur ;
Vu le décret no 79-433 du 1er juin 1979 relatif aux pouvoirs des ambassadeurs et à l’organisation des services de l’État à l’étranger ;
Vu le décret no 2004-1105 du 19 octobre 2004 modifié relatif à l’ouverture des procédures de recrutement dans la fonction publique de l’État ;
Vu le décret no 2005-1090 du 1er septembre 2005 modifié relatif à l’avancement de grade dans les corps des administrations de l’État ;
Vu le décret no 2019-1594 du 31 décembre 2019 modifié relatif aux emplois de direction de l’Etat ;
Vu le décret no 2021-1550 du 1er décembre 2021 portant statut particulier du corps des administrateurs de l’Etat ; Vu l’avis du Conseil supérieur de la fonction publique de l’Etat en date du 25 février 2022 ;
Vu l’avis du comité technique ministériel du ministère de l’Europe et des affaires étrangères en date du 9 mars 2022 ;
Le Conseil d’Etat (section de l’administration) entendu,
Décrète :
CHAPITRE Ier
DISPOSITIONS RELATIVES À LA CRÉATION DU CORPS D’EXTINCTION
DES CONSEILLERS DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET MINISTRES PLÉNIPOTENTIAIRES
Art. 1er. – En vue de leur mise en extinction, le corps des conseillers des affaires étrangères et celui des ministres plénipotentiaires sont fusionnés, à compter du 1er juillet 2022, en un corps unique d’extinction, dénommé
« conseillers des affaires étrangères et ministres plénipotentiaires », régi par les articles 4-1 à 4-6 du décret du 6 mars 1969 susvisé.
Les agents appartenant à ces deux corps sont reclassés dans le corps d’extinction des « conseillers des affaires étrangères et ministres plénipotentiaires » dans les conditions prévues à l’article 26.
Les conseillers des affaires étrangères et les conseillers des affaires étrangères hors classe du cadre d’Orient conservent, au sein du corps d’extinction, l’appellation de ce cadre.
Art. 2. – L’article 13 du décret du 1er décembre 2021 susvisé est ainsi modifié : 1o Le 3o du II est abrogé ;
2o Au III, après les mots : « corps mentionnés au II » sont insérés les mots : « ainsi que les membres du corps d’extinction des conseillers des affaires étrangères et ministres plénipotentiaires régi par le décret no 69-222 du 6 mars 1969 relatif au statut particulier des agents diplomatiques et consulaires ».
Art. 3. – Nul ne peut être détaché dans le corps d’extinction des conseillers des affaires étrangères et ministres plénipotentiaires.
Chapitre II
DISPOSITIONS MODIFIANT LE DÉCRET DU 6 MARS 1969
Art. 4. – Le décret du 6 mars 1969 susvisé est modifié conformément aux dispositions des articles 5 à 24 du présent décret.
Section 1
Dispositions générales
Art. 5. – L’article 1er est remplacé par les dispositions suivantes :
« Art. 1er. – Le personnel diplomatique et consulaire comprend les ambassadeurs de France et les fonctionnaires appartenant aux corps suivants :
« 1o Administrateurs de l’État, lorsqu’ils sont affectés au ministère des affaires étrangères ;
« 2o Conseillers des affaires étrangères et ministres plénipotentiaires (corps mis en extinction) ;
« 3o Secrétaires des affaires étrangères (cadre général, cadre d’Orient et cadre d’administration) ;
« 4o Secrétaires de chancellerie ;
« 5o Attachés des systèmes d’information et de communication ;
« 6o Secrétaires des systèmes d’information et de communication.
« Le personnel diplomatique et consulaire comporte également les fonctionnaires, magistrats de l’ordre judiciaire et militaires détachés dans l’un des corps mentionnés ci-dessus et les personnes recrutées sur un contrat pour occuper un emploi diplomatique ou consulaire, au sens de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961 et de la convention de Vienne sur les relations consulaires du 24 avril 1963, pendant la durée du détachement ou du contrat. »
Section 2
Dispositions relatives à l’encadrement supérieur du ministère de l’Europe et des affaires étrangères
« Art. 2. – La dignité d’ambassadeur de France est conférée par le Président de la République en conseil des ministres dans les conditions prévues par le décret no 73-196 du 27 février 1973 relatif à l’octroi de la dignité d’ambassadeur. »
Art. 7. – Après la section I, il est inséré une section I bis ainsi rédigée :
« Section « I bis
« Administrateurs de l’Etat
« Art. 3-1. – Les membres du corps des administrateurs de l’Etat affectés au ministère des affaires étrangères sont soumis, pendant la durée de leur affectation, aux dispositions du présent décret, sans préjudice des dispositions régissant leur statut particulier. »
Section 3
Dispositions relatives au corps d’extinction des conseillers des affaires étrangères et ministres plénipotentiaires
Art. 8. – Les sections II et III du chapitre 1er sont remplacées par les sections I ter et I quater ainsi rédigées :
« Section I ter
« Conseillers des affaires étrangères et ministres plénipotentiaires
« Art. 4-1. – Le corps d’extinction des conseillers des affaires étrangères et ministres plénipotentiaires comprend trois grades :
« 1o Le grade de ministre plénipotentiaire, qui comporte cinq échelons et un échelon spécial ;
« 2o Le grade de conseiller des affaires étrangères hors classe, qui comporte cinq échelons ;
« 3o Le grade de conseiller des affaires étrangères, qui comporte douze échelons.
« Les changements de grade et d’échelon sont prononcés par arrêté du ministre des affaires étrangères.
« Art. 4-2. – I. – La durée passée dans chacun des échelons des grades du corps des conseillers des affaires étrangères et ministres plénipotentiaires est fixée ainsi qu’il suit :
«
GRADES ET ÉCHELONS |
DURÉE |
|
Ministre plénipotentiaire |
|
|
Échelon spécial |
--- |
|
5e échelon |
--- |
|
4e échelon |
3 ans |
|
3e échelon |
3 ans |
|
2e échelon |
3 ans |
|
1er échelon |
3 ans |
|
Conseiller des affaires étrangères hors classe |
|
|
5e échelon |
--- |
|
4e échelon |
4 ans |
|
3e échelon |
3 ans |
|
2e échelon |
3 ans |
|