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N° 864
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 février 2023.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DE la dÉfense nationale et des forces armÉes
en conclusion des travaux d’une mission d’information (1)
sur le bilan de la loi de programmation militaire 2019-2025
ET PRÉSENTÉ PAR
M. Thomas GASSILLOUD
Président
MM. Yannick CHENEVARD et Laurent Jacobelli
Rapporteurs
Députés
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(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.
La mission d’information sur le bilan de la LPM 2019-2025 est composée de : M. Thomas Gassilloud, président ; MM. Yannick Chenevard et Laurent Jacobelli, rapporteurs ; MM. Jean-Michel Jacques, Fabien Lainé, Jean-Charles Larsonneur, Pierre Morel-À-l’Huissier, Mme Isabelle Santiago, membres ;
SOMMAIRE
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Pages
Première partie : l’exigence de « réparer » nos armées
I. La programmation militaire, un outil Efficace mais rarement respecté
A. L’impératif de la programmation militaire
1. La programmation constitue un outil de planification indispensable
2. La programmation consacre une stratégie de défense
B. une programmation traditionnellement peu respectée en pratique
1. La normativité à géométrie variable des LPM
2. L’absence de respect des LPM dans les dernières décennies
II. Le contexte de la LPM 2019-2025 : des armées affaiblies, des menaces croissantes
A. Des armées affaiblies par les « dividendes de la paix »
B. L’accroissement des menaces
1. Menace terroriste et retour des stratégies de puissance
2. Un modèle d’armée entre continuité et adaptation
III. L’objectif de la LPM 2019-2025 : une loi de « réparation »
A. Une ambition opérationnelle forte
2. L’horizon de la LPM : l’« Ambition 2030 »
1. Une trajectoire financière ambitieuse
2. Une « sincérisation » des ressources
I. Une programmation financière pour une fois respectée
A. Une exécution conforme de la trajectoire financière
1. Des crédits aux montants conformes à la trajectoire
2. Un effort financier prioritaire en faveur des équipements
3. Des dépenses utiles pour la Nation
B. Une gestion souple des aléas et des surcoûts
1. La LPM, un « organisme vivant » qui s’adapte à l’évolution du contexte
2. Des sources de surcoûts dus à de nombreux aléas
a. L’évolution du contexte économique
b. Les opérations (OPEX-MISSINT)
f. Les autres sources de surcoûts
3. Un point de vigilance : l’évolution des restes à payer et des reports de charges
C. Les recommandations de vos rapporteurs
1. Sécuriser les ressources pour la prochaine LPM
2. Renforcer le contrôle du Parlement sur les actualisations et les ajustements
3. Assurer le financement interministériel des surcoûts OPEX-MISSINT
II. Une modernisation capacitaire bien amorcée
A. Un renouvellement majeur des capacités
1. Le renouvellement de notre force de dissuasion
2. Le renouvellement de nos capacités conventionnelles
a. Des livraisons emblématiques
b. Une modernisation capacitaire ayant un fort impact opérationnel
3. Un effort en faveur des petits équipements
B. Des ajustements limités par rapport À la LPM
1. L’impact des ajustements annuels
2. Les prévisions des parcs à l’horizon 2025
3. Un point de vigilance : les coopérations européennes
C. Les recommandations de vos rapporteurs
1. Poursuivre le renouvellement et l’homogénéisation des parcs
2. Ajuster certaines capacités à l’évolution du contexte
3. L’impératif de l’économie de guerre
4. L’avenir des coopérations européennes
III. Une montée en puissance dans les domaines prioritaires de la LPM
A. Le renseignement, une priorité de la LPM
1. Un effort au profit du renseignement selon trois axes : ressources humaines, équipements et cyber
2. Des services de renseignement profondément transformés
3. Les recommandations de vos rapporteurs
b. Relever le défi de la fidélisation et des nouvelles technologies pour la DGSE
c. Conserver la militarité de la DRSD et renforcer son budget
B. Le cyber, une montée en puissance
1. La cyberdéfense, une priorité de la LPM
2. Une montée en puissance progressive
3. Les recommandations de vos rapporteurs
c. Repenser les modalités et les niveaux d’action de la lutte informatique
d. Développer les partenariats
C. L’espace, nouveL enjeu majeur
1. Une ambition forte pour le domaine spatial
2. Les recommandations de vos rapporteurs
D. L’innovation, un effort a poursuivre
c. Le Fonds Innovation Défense
d. ASTRID et ASTRID Maturation
3. Les recommandations de vos rapporteurs
a. Poursuivre les investissements financiers au-delà du milliard d’euros
b. Renforcer les effectifs de l’Agence de l’innovation de défense
c. Investir les domaines prioritaires : l’exemple du quantique
Troisième partie : une activité opérationnelle et un axe « à hauteur d’homme » à consolider
I. Une activité opérationnelle À conforter
A. Une armée au rendez-vous de ses missions…
1. Une armée engagée sur de multiples fronts
d. Les missions de service public
2. Des engagements en cours de redéfinition
3. Les recommandations de vos rapporteurs
a. Accroître et prioriser notre présence en Indo-Pacifique
c. La réactivité, clé de nos engagements futurs
B. Mais une préparation opérationnelle À consolider…
1. Une ambition forte de la LPM
2. Des efforts restent à faire pour atteindre les objectifs
3. Les recommandations de vos rapporteurs
a. Gagner en épaisseur, une exigence pour une préparation opérationnelle durcie
b. L’intégration de la simulation dans les normes ?
C. … Ce qui exige d’accroître les efforts en matiÈre de disponibilité
1. Un effort significatif de la LPM pour le MCO
2. Des résultats encore incertains
3. Les recommandations de vos rapporteurs
a. S’assurer de l’efficacité des contrats verticalisés sur la disponibilité
b. Maîtriser les coûts du MCO en poursuivant l’homogénéisation des flottes
d. Préparer le MCO à la haute intensité
II. Un axe « à hauteur d’homme » à amplifier
A. Le défi des ressources humaines
1. Une politique de recrutement ambitieuse mais sous tension
a. Une dynamique de recrutement ambitieuse…
b. …. mais insuffisante pour tenir les objectifs de la LPM
2. Les difficultés de fidélisation
a. La fidélisation, un enjeu majeur
b. Des efforts en faveur de la fidélisation à poursuivre
3. La NPRM, une réforme saluée mais incomplète
4. Les recommandations de vos rapporteurs
a. Un effort indispensable sur le volet indiciaire
b. Fidéliser en recrutant le plus tôt possible
c. Accentuer le pilotage pluriannuel des schémas d’emplois
d. Renforcer le rôle des réservistes
B. Les infrastructures, un renouvellement à appronfondir
1. Un effort financier qui a permis d’amorcer une modernisation des infrastructures
a. Un effort financier significatif
b. Une modernisation des infrastructures de vie
c. Une modernisation des infrastructures opérationnelles
2. Des infrastructures encore fragilisées par des décennies de sous-investissements
3. Les recommandations de vos rapporteurs
a. Amplifier les investissements pour réduire la « dette grise »
b. L’entretien de l’existant : une priorité
c. Simplifier les normes et les processus décisionnels
C. Un « plan famille » bienvenu à prolonger
1. Une exécution satisfaisante
2. Les recommandations de vos rapporteurs
Annexe 1 : Recommandations de vos rapporteurs
Annexe 2 : auditions et déplacements
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« L’exécution réussie de la LPM 2019-2025 est un socle solide pour poursuivre l’indispensable remontée en puissance de notre outil de défense ».
En adoptant en 2018 une loi de programmation militaire 2019-2025 historique qui mettait un terme à plus de 30 ans de réduction continue de l’effort de défense, le Parlement reconnaissait que les temps changeaient : le retour de la « grammaire de la force » dans les relations internationales, affaiblissant le multilatéralisme et le droit international, exigeait que la France renoue elle-même avec la « grammaire de la puissance » et réinvestisse dans ses forces armées affaiblies par des contractions opérées par de supposées « dividendes de la paix ». Ce sursaut était nécessaire pour que la France puisse garantir la protection de ses intérêts et de ses citoyens, assumer ses responsabilités internationales et, enfin, contribuer aux efforts nécessaires à une autonomie stratégique européenne.
Lancée le 24 février 2022, la nouvelle étape de l’invasion russe de l’Ukraine confirme a posteriori la pertinence de la décision de la France de hausser son budget de la défense de près de 60 % en sept ans. Mais l’accélération des déséquilibres du monde incite surtout à aller plus loin. C’est ce que devrait dessiner la future loi de programmation 2024-2030 que le Parlement étudiera au cours du deuxième trimestre de l’année 2023.
Pour préparer ces travaux, la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale a décidé de lancer une série de travaux, dont des cycles d’auditions - notamment sur la dissuasion nucléaire et le retour d’expérience de la guerre en Ukraine -, de nombreuses visites auprès de nos forces, nos industries et nos alliés, et cinq missions d’information.
La mission d’information sur l’évaluation globale de l’exécution de la LPM 2019-2025 a été confiée aux rapporteurs Yannick Chenevard et Laurent Jacobelli : elle fait l’objet du présent rapport.
Quatre autres missions flash, portant sur des points d’attention spécifiques, ont été réalisées en parallèle : l’une a abordé les fonds marins (rapporteurs : Lysiane Métayer et Aurélien Saintoul), une autre la préparation opérationnelle (rapporteurs : Brigitte Liso et Anna Pic), une autre encore la défense sol-air (rapporteurs : Natalia Pouzireff et Jean-Louis Thiériot), la dernière enfin les stocks de munitions (rapporteurs : Vincent Bru et Julien Rancoule). Ces missions font l’objet de rapports séparés mais alimentent tout autant la réflexion des députés de la commission de la défense en amont de la future LPM.
Une LPM 2019-2025 historique dont l’exécution ne l’est pas moins
Le travail réalisé par Yannick Chenevard et Laurent Jacobelli est considérable. Il apporte un regard inédit sur la mise en œuvre détaillée des quatre premières années de la LPM 2019-2025.
Alors que la période a été marquée par une crise sanitaire majeure, de fortes tensions sociales et les conséquences de la guerre en Ukraine, l’exécution en a été historique :
- la programmation financière a été respectée, le ministère des Armées réussissant des prouesses pour optimiser ses paiements, malgré les difficultés économiques rencontrées depuis 2020, et parvenant à maîtriser jusqu’à présent la reprise de l’inflation comme l’apparition de surcoûts (dont ceux liées aux opérations extérieures et aux missions intérieures dont le financement interministériel est insuffisant) ;
- les traductions capacitaires sont aussi au rendez-vous malgré les impondérables de la conduite des programmes d’armement (25 des 52 équipements listés dans le rapport annexé sont toutefois en retard même si seuls 4,4 Md€ ont été réalloués entre les ouvertures de crédits en LFI et leur exécution) : elles ont permis de nécessaires accélérations (porte-avions de nouvelle génération, avions légers de surveillance et de renseignement, plan de soutien aéronautique, Artémis…) mais aussi le lancement de nouveaux programmes (programme ARES de maîtrise de l’espace, lutte anti-drone, maîtrise des fonds marins…) ;
- les domaines identifiés comme prioritaires ont bénéficié de réels efforts, à commencer par les militaires eux-mêmes (plan famille, nouvelle politique indemnitaire…) bien qu’ils restent marqués par des fragilités (transformation numérique inachevée, préparation opérationnelle en-deçà des objectifs, difficile fidélisation des ressources humaines, détérioration des infrastructures qui souffriront pendant longtemps encore du sous-investissement des 30 dernières années…).
Concrètement, entre 2019 et 2023, la LPM a permis d’engager une véritable phase de réparation de nos forces armées. Nos soldats en perçoivent les premiers effets. Bien plus, ces dernières années ont aussi permis d’engager la modernisation de nos forces (la composante nucléaire aéroportée est passée au « tout Rafale », la modernisation des deux composantes nucléaires se poursuit, SCORPION ouvre l’armée de terre au combat collaboratif malgré un glissement calendaire, le premier patrouilleur outre-mer a été admis au service actif, les composantes satellitaires ont été renouvelées, de nouveaux champs de conflictualité bénéficient de moyens…).
Au-delà des inévitables faiblesses que les rapports de la mission d’information et des missions flash ont pu mettre en exergue, un aspect reste cependant très en-dessous des attentes : la coopération capacitaire avec l’Allemagne, dont la relance engagée en 2017 par le Président de la République n’est pas à la hauteur des attentes françaises (retrait allemand du programme de futur avion de patrouille maritime et de la rénovation du Tigre, retard du MGCS en partie lié à des querelles industrielles allemandes…), en dépit du franchissement de jalons structurants sur le programme d’avion du futur (contractualisation de la phase 1B du SCAF) ou sur l’Eurodrone (lancement de la phase de réalisation, malgré des doutes persistants sur l’intérêt opérationnel de programme).
Une étape vers un modèle modernisé qui doit être en adéquation avec les exigences d’un monde durablement déstabilisé
Le bilan de l’exécution de la LPM 2019-2025 est remarquable ; il faut en féliciter le Président de la République et le Gouvernement, tout en rendant hommage à l’engagement des ministres des Armées, notamment Florence Parly.
Il doit surtout nous inviter à nous projeter dans les dix ans qui viennent en prenant en compte les réalités du monde. Car, une loi de programmation militaire, ce n’est pas un « catalogue d’équipements », c’est d’abord une vision de la France et de sa place dans le monde.
C’est en cela que le rapport de Yannick Chenevard et de Laurent Jacobelli, ainsi que ceux des quatre autres missions flash, sont importants : ils ouvrent des pistes pour penser l’avenir qui sera défini dans la prochaine LPM 2024-2030. Trois enjeux me semblent surpasser les autres.
La puissance au travers du choix du nouveau modèle d’armée
La LPM 2019-2025 était l’étape préalable à l’atteinte du modèle d’armée complet et équilibré décrit dans l’« Ambition 2030 ». Les conclusions de la récente revue nationale stratégique appellent à en ajuster le contenu car les transformations du contexte stratégique et les mutations de la guerre remettent en cause certains des équilibres identifiés en 2018. Les constats de nos rapporteurs nous invitent aussi à nous interroger sur le modèle d’armée que devra viser la future LPM.
Si la nécessité s’impose de poursuivre au rythme prévu le renouvellement de nos composantes nucléaires, le bon dimensionnement des forces conventionnelles sera une question déterminante pour garantir qu’elles puissent utilement épauler la dissuasion et prévenir les tentatives de contournement qu’un éventuel adversaire pourrait imaginer : cela devra avoir des conséquences en matière de volume et d’articulation des fonctions opérationnelles, de répartition géographique, notamment dans nos territoires ultramarins, et de capacité de projection d’urgence ; cela exigera des arbitrages complexes entre les capacités traditionnelles et nos capacités à agir dans les nouveaux champs de la conflictualité, en constante évolution et propices aux opérations de contournement ou d’empêchement (cyber, fonds marins, champ informationnel, très haute altitude, espace…).
Indépendamment des équilibres à trouver, des difficultés seront à surmonter en matière de ressources humaines (attractivité, fidélisation, compétences…), d’infrastructure, de juste autonomie des soutiens, d’épaisseur organique des unités conventionnelles ou de stocks ; mais il conviendra aussi d’accompagner la base industrielle et technologique de défense pour la rendre mieux apte à répondre rapidement à des exigences de recomplètement d’équipements ou de “consommables” (munitions, pièces de rechanges…).
La résilience pour faire de la défense, « l’affaire de tous »
Le deuxième enjeu est celui de la résilience de la Nation. Depuis la fin de la Guerre froide, l’héritage de la « défense globale » s’affaiblit : l’éloignement de la menace, la multiplication d’opérations militaires sur des théâtres lointains, la mondialisation des échanges ont trop conduit à penser que la stabilité du monde reposait sur l’interdépendance plutôt que sur l’autonomie souveraine dans certains domaines critiques. Seule l’horreur terroriste a teinté d’inquiétudes nos horizons pacifiques, sans réussir toutefois à offrir à « l’esprit de défense » les voies d’une réappropriation par les citoyens, au service de la résilience de la Nation.
L’épidémie de COVID et le conflit en Ukraine ont dessillé les yeux. Les citoyens et la plupart des acteurs publics et privés sont désormais conscients de l’utilité et de l’urgence qu’il y a à développer les capacités de résilience de notre société démocratique. Le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) s’est d’ailleurs depuis attelé à la définition d’une stratégie nationale de résilience que j’appelais de mes vœux dans un rapport rendu en février 2022.
Constatons avec nos rapporteurs que ce sujet central était malheureusement l’angle mort de l’actuelle loi de programmation militaire
La France devra renouer avec les promesses de la « défense globale » instituée à la fin des années 1950, pour « faire de la défense l’affaire de tous », pour être collectivement prêt à faire face au pire, ce qui n’est possible que si chacun se considère individuellement concerné. Que la réponse soit portée dans ou hors de la LPM, elle doit être travaillée dans une même séquence pour garantir l’implication effective dans la politique de défense de tous les départements ministériels et l’adhésion éclairée des Français et des forces vives de la nation, à ses objectifs comme à son contenu. Ce qu’inaugurent sans doute déjà les travaux sur « l’économie de guerre » ou l’évolution des réserves.
Les alliances démultiplicatrices de puissance
Le troisième enjeu sur lequel nous devons réfléchir est celui des alliances dans lesquelles la France est engagée, dans un contexte où l’accentuation des déséquilibres du monde a eu des effets profonds sur certaines, comme l’a France en a subi des effets, du pacte AUKUS aux revirements de partenaires africains. En regardant le monde tel qu’il est.
Alors que l’OTAN sort renforcée du conflit ukrainien, sa force d’attraction affaiblit les promesses d’autonomie stratégique de l’UE auxquelles nous sommes légitimement attachés. Il nous faudra continuer à être un allié fiable au sein de l’OTAN, en veillant au niveau de forces que nous sommes capables de mettre à sa disposition, mais continuer à éviter qu’elle ne devienne une alliance qui rime avec dépendance, notamment en matière capacitaire.
L’UE a démontré avec le conflit ukrainien l’ampleur de la solidarité stratégique dont elle était capable. Mais l’approfondissement de la politique de sécurité et de défense commune reste encore un long chemin. La France doit rester l’aiguillon constant qui doit mobiliser les États membres à renforcer l’autonomie stratégique de l’Union. Elle doit aussi soutenir la consolidation d’outils intergouvernementaux et communautaires en évitant leur dilution, dans un contexte où, comme le notent Yannick Chenevard et Laurent Jacobelli, le bilan des coopérations européennes prévues par le LPM n’est pas à la hauteur des ambitions.
Au-delà de l’OTAN et de l’UE, nous devons aussi repenser notre politique de défense à l’aune de partenariats bilatéraux qui doivent savoir s’extraire du « surmoi » du « couple franco-allemand ». Il y a des axes de travail à explorer, tant la France peut être pourvoyeuse fiable de sécurité auprès de partenaires qui souhaitent faire progresser l’Europe de la défense (par exemple la Belgique avec le partenariat CaMo) ou éviter des dépendances qui servent d’autres intérêts que les leurs. Dans ce cadre, il nous faudra penser le bon niveau d’interdépendance que nous acceptons en matière capacitaire, en privilégiant toujours les options qui renforcent l’autonomie stratégique européenne. Il nous faudra aussi imaginer les outils et les méthodes pour accompagner des partenaires dans une logique de “faire faire” et pour les équiper rapidement sans que nous ayons à ponctionner nos propres unités : cela nous est indispensable pour accroître nos capacités d’action par stratégie indirecte ou pour agir en “deuxième rideau” comme nous souhaitons le faire en Afrique par exemple.
Enfin, nous devons entretenir et renforcer nos partenariats stratégiques notamment en Indopacifique pour donner de la profondeur à notre stratégie.
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Le 13 octobre 1960, en présentant devant le Parlement la loi de programme qui allait permettre à la France de bâtir sa force de frappe nucléaire, le Premier ministre Michel Debré insistait sur le fait que pour compter dans le monde, s’il fallait disposer d’institutions et d’une puissance économique solides, il convenait surtout d’avoir « une claire vision de nos responsabilités » mais aussi une articulation cohérente de nos moyens politiques, militaires et industriels.
Rien n’a changé en 2023. Notre objectif doit rester de garantir à la France sa puissance, sa résilience et son influence en définissant par une nouvelle loi de programmation militaire 2024-2030, dotée de 400 milliards d’euros, la meilleure articulation possible entre nos possibilités financières, une stratégie militaire clairement définie et des capacités industrielles aptes à équiper comme à soutenir durablement nos forces militaires. Au service d’une Nation consciente que la défense « est son affaire », qui en comprend les logiques et qui est prête à en assumer les exigences.
Ainsi nous pourrons contribuer à bâtir une France libre et prospère, dans un monde en paix.
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« La défense ! C’est là, en effet, la première raison d’être de l’État. Il n’y peut manquer sans se détruire lui-même ».
Cette citation du général de Gaulle orne les murs de la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale. Elle rappelle à la Représentation nationale la spécificité de la défense dans notre contrat social. Assurer l’organisation de la défense du pays est la source même de la légitimité de l’État et la condition de l’indépendance de la Nation.
La loi de programmation militaire (LPM) constitue l’incarnation de ce pacte entre la Nation et son armée. La LPM est une loi singulière : outil de planification financière, elle est aussi et surtout un geste stratégique. En prévoyant les ressources dédiées aux armées sur plusieurs années, la LPM traduit les moyens consacrés par la Nation pour sa défense. En fixant le format de nos armées, leurs moyens humains et capacitaires, ainsi que leurs contrats opérationnels, la LPM matérialise notre stratégie de défense pour faire face aux menaces. Elle symbolise ainsi, plus que toute autre loi, l’ambition de notre pays et la place qu’il souhaite tenir au sein du concert des Nations.
Si la LPM n’est pas une loi comme une autre, c’est aussi parce qu’elle porte sur nos militaires, ces femmes et ces hommes qui sont engagés chaque jour sur les théâtres d’opérations pour défendre notre Nation, parfois jusqu’au « sacrifice suprême ». N’oublions jamais que la première richesse de nos armées, ce sont ses soldats. Derrière les lignes budgétaires, aux montants parfois abstraits, derrière les programmes capacitaires, issus d’arbitrages qui peuvent faire débat, la LPM a un impact très concret sur nos militaires, sur leur vie quotidienne, sur la nature de leurs missions, de leur préparation opérationnelle et de leur engagement en opérations.
L’importance des enjeux financiers, stratégiques et humains soulevés par la LPM exige un contrôle particulièrement étroit du Parlement sur son exécution. Ce contrôle constitue l’activité quotidienne de la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, à travers notamment la réalisation d’auditions, de rapports pour avis budgétaires, de déplacements et de diverses missions d’information, ainsi que de groupes de travail thématiques.
À la suite de l’annonce faite par le Président de la République d’une nouvelle loi de programmation militaire dans les mois à venir, la commission a décidé la création d’une mission d’information sur le bilan de la LPM 2019-2025. Cette mission est présidée par le président de la commission, M. Thomas Gassilloud, et a pour rapporteurs M. Yannick Chenevard, pour le groupe Renaissance, et M. Laurent Jacobelli, pour le groupe Rassemblement national. Cinq membres, représentant autant de groupes politiques, complètent la composition de la mission d’information.
Dans le cadre de leurs travaux, vos rapporteurs ont mené une quinzaine d’auditions, souvent complétées de questionnaires, auprès de représentants du ministère des Armées et d’autorités militaires, mais aussi des personnels militaires et des industriels. Vos rapporteurs ont également effectué quatre déplacements auprès des forces armées, dans le but d’apprécier, au plus près du terrain, les effets concrets de la LPM ainsi que les enjeux et défis pour l’avenir. Ils ont visité le 1er régiment étranger de cavalerie à Carpiagne, la base navale de Brest, ainsi que les bases aériennes d’Orléans-Bricy et de Nancy-Ochey. Vos rapporteurs remercient à ce titre l’ensemble des personnels rencontrés dans le cadre de ces déplacements et auditions, pour leur mobilisation au service de la Représentation nationale et pour leur témoignage toujours précieux sur l’exécution de la LPM 2019-2025.
La LPM 2019-2025 s’inscrit à la jonction d’un contexte dont elle a hérité et d’une ambition dont elle est porteuse : d’une part, un héritage marqué par une forte dynamique déflationniste dans un contexte des « dividendes de la paix », dont les effets pèsent encore lourdement sur nos armées, comme ont pu le constater vos rapporteurs dans le cadre de leurs travaux ; d’autre part, la perspective de l’ « Ambition 2030 », c’est-à-dire la modernisation d’un modèle d’armée « complet et équilibré » à horizon 2030. Il convient de garder à l’esprit que la période 2019-2023, objet du présent rapport, ne constitue donc que le commencement de la phase de remontée en puissance de nos armées qui doit s’achever en 2030.
L’exécution de la LPM 2019-2025 a certainement marqué une rupture salutaire pour nos forces armées eu égard à la dynamique déflationniste passée. Le respect de la programmation financière (près de 198 milliards d’euros de crédits budgétaires entre 2019 et 2023), fait inédit depuis des décennies, doit être souligné, d’autant plus qu’il a eu lieu dans un contexte marqué par la survenance de nombreux aléas, tels que la crise liée au Covid ou, plus récemment, le retournement de la conjoncture économique.
Cette exécution de la programmation financière a assurément permis d’entamer fermement la phase de « réparation » de nos armées. Celle-ci s’est notamment matérialisée par l’acquisition de nouvelles capacités emblématiques, des investissements conséquents pour améliorer la disponibilité des matériels et l’activité opérationnelle de nos forces armées, la montée en puissance de nos moyens d’actions dans les nouveaux domaines de la conflictualité (cyber, espace, renseignement, etc.), un effort en faveur de l’innovation, ainsi que par une attention bienvenue à la condition des militaires et de leur famille.
Sur l’ensemble de ces sujets, vos rapporteurs ont tenté de dresser un bilan le plus objectif possible, en comparant les ambitions affichées par la LPM avec les résultats obtenus à ce stade, ainsi qu’en mettant en exergue les éventuelles inflexions ou adaptations de la programmation survenues en raison d’arbitrages assumés ou à la suite d’aléas non prévus par la LPM.
Vos rapporteurs se sont également attachés à souligner les défis pour les années à venir, notamment à l’aune de l’évolution du contexte stratégique résultant notamment de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Les nouvelles menaces exigent en effet d’amplifier certaines dynamiques portées par la présente LPM, notamment dans les nouveaux champs de conflictualité, de recompléter des capacités et des stocks, mais également de rehausser l’activité opérationnelle.
Vos rapporteurs ont également identifié deux principaux points de vigilance, qui ont été constamment mis en exergue dans le cadre des auditions ou des déplacements : d’une part, les ressources humaines et, d’autre part, les infrastructures.
Tout d’abord, la fidélisation des militaires constitue un sujet de préoccupation majeur pour l’ensemble des interlocuteurs rencontrés par vos rapporteurs. L’absence de compétitivité des rémunérations avec le civil, les évolutions sociétales telles que l’emploi des conjoints, une moindre acceptabilité des sujétions liés à l’état militaire, notamment la mobilité géographique, ou encore la non-atteinte des objectifs d’activité opérationnelle constituent autant de facteurs qui concourent à une hausse des départs problématique. Les difficultés de fidélisation se traduisent notamment par un déficit d’encadrement au sein des forces armées, dans un contexte où les besoins de formation sont pourtant majeurs, du fait de la hausse des recrutements portée par la LPM.
Il semble crucial à ce titre que la prochaine LPM fasse du défi de la fidélisation des militaires un axe prioritaire de la programmation, a fortiori dans un contexte de besoin accru en personnels qualifiés dans des domaines directement en concurrence avec le monde civil. Le volet indiciaire de la rémunération des militaires devra notamment faire l’objet d’une attention particulière.
Le second point d’attention de vos rapporteurs est lié aux infrastructures opérationnelles et de vie des forces armées. Si la LPM 2019-2025 s’est traduite par un effort important dans ce domaine, l’importance de la « dette grise » résultant de décennies de sous-investissements exige une mobilisation encore accrue dans le cadre de la prochaine programmation. Vos rapporteurs ont pu constater que les efforts doivent perdurer ; ils ont en effet été frappés par la vétusté de certains bâtiments de vie ou de travail, qui seraient considérés certainement comme « indignes » dans le monde civil.
Il parait également essentiel à vos rapporteurs de revoir le processus décisionnel dans le sens d’une plus grande subsidiarité au bénéfice des commandants de base ou de régiments. Les mesures de centralisation, mises en place dans le prolongement de la révision générale des politiques publiques (RGPP) avec pour ambition de faire des économies, ont atteint leurs limites.
Il en va des forces morales de nos militaires : comment ces derniers, dont les régiments et bases aériennes et navales bénéficient des livraisons d’équipements à la pointe de la technologie, peuvent-ils comprendre qu’il faille attendre des mois pour remplacer une vitre cassée ou réparer une fuite d’eau sur un toit ? Nos armées doivent retrouver de la flexibilité et de la souplesse, ce qui passe par une responsabilisation accrue des acteurs au plus près du terrain.
Au-delà de ces points d’attention et des inflexions nécessaires pour s’adapter à l’évolution du contexte stratégique, vos rapporteurs ont une conviction partagée à l’issue de leurs travaux : l’effort de défense, initié et permis par la LPM 2019-2025, doit s’inscrire dans la durée. Le redressement de nos armées exige en effet une mobilisation de notre Nation sur le long terme, tant nos forces armées ont été « abimées » par des décennies de déflation, génératrices de « dettes grises » dans de multiples domaines.
L’enjeu est aujourd’hui de poursuivre la résorption des conséquences de ces décennies de sous-investissement, tout en adaptant notre modèle d’armée aux multiples défis de demain.
Alors que le Président de la République a annoncé un effort budgétaire important à hauteur de 413 milliards d’euros pour le projet de loi de programmation militaire, dont le Parlement sera prochainement saisi, vos rapporteurs émettent donc le souhait que le présent bilan de la LPM 2019-2025 puisse constituer une boussole pertinente, parmi d’autres, pour orienter les travaux à venir.
Les rapporteurs souhaitent également que ce rapport soit l’occasion d’éclairer les citoyens sur le sens et la finalité de l’effort financier, conséquent mais indispensable, fait par la Nation au bénéfice des armées. Vos rapporteurs ont en effet la conviction que le consentement de la Nation à ces efforts financiers ne peut être que facilité par une meilleure compréhension des enjeux et des défis de nos forces armées, qui sont encore malheureusement trop méconnus de nos concitoyens. Cela exige un effort de pédagogie renouvelé de l’ensemble des acteurs impliqués, aussi bien des autorités politiques et militaires que de la Représentation nationale.
Enfin, lors de leurs déplacements, vos rapporteurs ont pu mesurer l’engagement constant de nos militaires à remplir leurs missions et leur détermination à respecter le « contrat opérationnel » assigné aux forces armées, au prix souvent de nombreux sacrifices personnels. Leur abnégation et leur sens du devoir nous obligent. Vos rapporteurs tiennent à leur rendre hommage.
Première partie : l’exigence de « réparer » nos armées
I. La programmation militaire, un outil Efficace mais rarement respecté
A. L’impératif de la programmation militaire
1. La programmation constitue un outil de planification indispensable
Si une programmation pluriannuelle des dépenses de l’État en matière de défense existe depuis 1960, dans un contexte de développement de notre force de dissuasion nucléaire, la notion de LPM date quant à elle de 1976.
La création de la LPM s’est traduite par l’extension du spectre de la programmation, qui était jusqu’alors restreinte aux seuls crédits destinés aux équipements. Le périmètre de la LPM s’est ainsi élargi aux effectifs, à la masse salariale et aux dépenses de fonctionnement relatives au soutien des armées.
La programmation pluriannuelle des ressources est un impératif au regard des spécificités du secteur de la défense :
- les programmes d’équipements s’inscrivent nécessairement dans le temps long, compte tenu de la durée de construction de certaines capacités, comme a pu le souligner l’amiral Pierre Vandier, chef d’état-major de la marine : « L’outil militaire, particulièrement l’outil naval, se forge dans la durée. Il faut vingt ans pour former un commandant de sous-marin, et autant de temps pour construire son bateau. C’est la génération de nos parents qui a dessiné et construit le Charles de Gaulle. C’est à la nôtre qu’il revient de construire les outils militaires qui défendront la génération de nos enfants et petits-enfants dans les quarante prochaines années » ([1]) ;
- les entreprises de la BITD, dont l’activité repose de façon structurelle en grande partie sur les commandes publiques, ont besoin de visibilité sur les commandes à venir, pour déterminer si elles doivent maintenir ou adapter leurs chaînes de production et leur organisation, en fonction des besoins exprimés par l’État ;
- enfin, la construction d’un modèle d’armée cohérent exige lui-même une certaine continuité des investissements dans le temps, comme l’illustre la construction de notre force de dissuasion nucléaire.
Il convient cependant de relever que dans la plupart des grandes nations occidentales, la programmation des dépenses militaires prend une forme différente d’une LPM.
la programmation des dépenses militaire chez nos alliés : des pratiques disparates.
● Aux États-Unis, le National Defense Authorization Act (NDAA) fixe les plafonds de chaque programme budgétaire de défense, le programme d’équipements et le plafond d’emploi autorisé des forces armées. Le NDAA a un caractère annuel. Des lois relatives à la politique étrangère des États-Unis sont également incluses dans les NDAA, tel que le Taïwan Enhanced Resilience Act en 2023. Les commissions des forces armées du Sénat et de la chambre des Représentants ont un rôle clé dans l’élaboration du NDAA. Le NDAA pour l’année 2023 autorise 847,3 milliards d’euros pour le budget de la défense (auxquels il faut ajouter 10 milliards d’euros hors périmètre de la NDAA), dont 16,4 % pour la seule partie R&D.
● Au Royaume-Uni, le Defence Command Paper (DCP) intitulé « Defence in a Competitive Age », publié en mars 2021, est la déclinaison opérationnelle pour les armées de la revue stratégique nationale (« Integrated Review ») « Global Britain in a Competitive Age » parue la même année. Le DCP 2021 prévoit d’investir 188 milliards de livres (soit environ 210 milliards d’euros) dans le budget de la défense pour la période 2021-2025, avec un effort significatif pour la marine (porte-avions et frégates) et l’aviation de chasse. Une actualisation du DCP est toutefois prévue fin mars, dans un contexte de remise en cause de l’objectif fixé d’un effort de défense à hauteur 2,5 % du PIB en 2026. La planification militaire prend également la forme d’un plan ministériel quinquennal du ministère de la défense, actualisé chaque année, qui détermine les budgets alloués aux armées.
● En Allemagne, le budget de la mission défense est fixé annuellement, même s’il s’inscrit dans la planification financière quinquennale des finances publiques (« cadre financier pluriannuel »). La documentation budgétaire ne fournit que peu d’informations sur les programmes financés par le budget de la défense. Le budget 2023 a fixé à 50,1 milliards d’euros le montant alloué à la défense, auxquels il convient d’ajouter 8,5 milliards d’euros issus du fonds spécial (« Sondervermögen ») et destinés à financer certaines capacités prioritaires. Pour la période 2023-2026, le cadre financier pluriannuel prévoit un budget annuel de la défense stabilisé à 50,1 milliards d’euros. La loi créant le fonds spécial précité est assortie d’une liste de projets à financer à hauteur de 90 milliards d’euros. Les cinq premiers projets ont été validés le 14 décembre 2022 par la commission du budget du Bundestag, pour un montant de 13 milliards d’euros (dont 8,2 milliards d’euros pour l’acquisition d’avions de chasse F-35).
● En Italie, le ministère de la défense présente chaque année aux deux chambres parlementaires un document, indicatif, de programmation pluriannuelle (DPP) relatif aux investissements prévus en matière de défense sur une période de trois ans. Une particularité de l’Italie est qu’environ la moitié des investissements dans les programmes d’armement sont inscrits dans le budget du ministère du développement économique. En 2022, les ressources budgétaires de la fonction Défense s’élevaient à 22,5 milliards d’euros et devraient atteindre près de 24 milliards en 2023. L’objectif est d’atteindre la norme Otan de 2 % du PIB en 2028.
Source : Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS), ministère des Armées.
2. La programmation consacre une stratégie de défense
Au-delà d’être un outil de planification budgétaire, la LPM traduit la stratégie de défense de la Nation, en définissant les formats de nos armées et leurs contrats opérationnels. La LPM reflète donc à la fois l’état de la perception des menaces par les pouvoirs publics et l’ambition pour répondre à celles-ci. C’est la raison pour laquelle les LPM ont souvent été précédées d’une réflexion stratégique, prenant la forme d’un livre blanc ou d’une revue stratégique (1972, 1994, 2008, 2013, 2017 et 2022).
Chaque loi de programmation est donc la déclinaison opérationnelle d’une vision stratégique, qui commande le modèle d’armée à construire. Louis Gautier, ancien secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), inscrit ainsi les précédentes programmations militaires dans différents cycles depuis les années 60 ([2]) :
– 1960-1975 : développement de l’arme nucléaire ;
– 1975-1990 : poursuite de l’effort nucléaire et modernisation des équipements conventionnels ;
– 1990-2005 : passage à une armée professionnelle et révision du modèle d’armée ;
– 2005-2020 : stabilisation du modèle d’armée professionnelle.
Si la LPM a donc une portée stratégique forte, il convient cependant de relever qu’elle ne constitue qu’une brique de notre politique de « défense globale ». Celle-ci se construit également grâce à l’ensemble des politiques publiques qui participent à la résilience de la Nation et aux forces morales de notre pays. Ainsi que l’a rappelé le général d’armée Thierry Burkhard, chef d’état-major des armées, « le premier enseignement [du conflit en Ukraine] est l’importance des forces morales (…) Toutefois, la force morale ne se décrète pas. L’Ukraine s’est préparée, elle a consolidé ses forces morales, et pas seulement dans les armées. Les forces morales de l’armée ukrainienne procèdent directement du renforcement de la cohésion nationale » ([3]).
B. une programmation traditionnellement peu respectée en pratique
1. La normativité à géométrie variable des LPM
En vertu de l’article 34 de la Constitution, « les lois de programmation déterminent les objectifs de l'action de l'État ». En application de cette disposition, les LPM ont donc pour vocation de déterminer les objectifs de l’action de l’État en matière de défense.
La LPM est constituée traditionnellement de deux titres : un premier titre consacré aux objectifs de la politique de défense et à la programmation financière ; un second titre consacré à diverses dispositions normatives intéressant la défense nationale (statut et carrière des militaires, droit de l’armement, immobilier de défense…). Les LPM sont également complétées d’un rapport annexé, qui détaille les orientations opérationnelles (contrats opérationnels, format des armées, programme d’équipements…). Ainsi, hormis les dispositions législatives créées ou modifiées par le second titre de la LPM, cette dernière ne fixe que des objectifs. La programmation financière prévue par les LPM devra être notamment traduite par les lois de finances annuelles pour acquérir une véritable portée normative.
La LPM est par conséquent davantage un engagement de nature politique que juridique. C’est malheureusement la raison pour laquelle les trajectoires financières des LPM précédentes n’ont pas été respectées.
2. L’absence de respect des LPM dans les dernières décennies
L’effort de défense de notre Nation a connu une baisse continue sur le long terme. Selon les données SIPRI ([4]) (qui prennent en compte les dépenses de gendarmerie), la part des dépenses militaires dans les dépenses publiques est ainsi passée de 18 % dans les années 1960 à moins de 4 % en 2016.
Évolution des dépenses de défense (SIPRI) de la france
Source : Institut Montaigne, « Repenser la défense face aux crises du 21ème siècle », février 2021.
Outre cette baisse tendancielle, les budgets de nos armées ont souvent servi de variable d’ajustement lorsqu’il s’agissait de trouver des sources d’économies.
Cela s’est notamment matérialisé par le fait que les précédentes LPM n’ont jamais été respectées depuis le début des années 80, c’est-à-dire que les lois de finances fixaient des ressources inférieures à celles prévues dans la programmation, ainsi que l’illustre le graphique ci-dessous.
Source : François André et Joaquim Pueyo, Rapport d’information sur l’exécution de la loi de programmation militaire 2014-2019, Assemblée nationale, 22 février 2018.
Cette absence d’ambition financière pour nos armées a eu des conséquences majeures sur les effectifs, les capacités et les contrats opérationnels de nos armées, comme il sera rappelé ci-après.
II. Le contexte de la LPM 2019-2025 : des armées affaiblies, des menaces croissantes
A. Des armées affaiblies par les « dividendes de la paix »
Si la LPM 2019-2025 a été présentée comme une LPM de « réparation », c’est que nos armées ont été « abimées » par des décennies de réduction de leurs moyens, dans un contexte stratégique marqué par une baisse perçue des périls et dans un contexte politique caractérisé par la volonté de tirer bénéfice des « dividendes de la paix » à des fins d’économie budgétaire.
La dynamique déflationniste a tout d’abord touché les effectifs. Selon la Cour des comptes, de 2008 à 2019, le ministère des Armées a perdu 63 250 emplois, soit 20 % de ses effectifs ([5]). La baisse des effectifs s’est notamment concentrée sur la période 2008-2015, comme l’illustre le graphique ci-dessous, les attentats terroristes de 2015 ayant notamment abouti au renforcement de la force opérationnelle terrestre (FOT) dans le cadre du lancement de l’opération Sentinelle.
Évolution des EFFECtifs (ETP) du ministÈre des armées entre 2000 et 2016
Source : Institut Montaigne, « Repenser la défense face aux crises du 21ème siècle », février 2021.
Cette réduction des effectifs est l’aboutissement de nombreuses réformes structurelles mises en place dans le cadre de la RGPP, dans le prolongement de la fin du service national en 1996. Ces réformes se sont notamment traduites par la mutualisation des soutiens et la dissolution d’une vingtaine de régiments et d’une dizaine de bases aériennes.
Or, si ces réformes se sont soldées par l’échec relatif de leur objectif premier, à savoir la réalisation d’économies, elles ont entraîné en revanche une dégradation certaine des soutiens, comme l’a constaté la Cour des comptes : « si les économies recherchées n’ont pas toujours été au rendez-vous, la dégradation des soutiens et de l’environnement des forces s’est faite sentir. La Cour a notamment relevé dans ses travaux deux cas emblématiques : la perte de contrôle du processus de paye des militaires dans le cadre de l’écosystème Louvois et la dégradation de l’entretien des infrastructures » ([6]).
La diminution des effectifs a eu également un impact majeur sur les capacités opérationnelles de nos forces de combat, comme le rappelait un précédent rapport parlementaire en prenant l’exemple de l’armée de terre : « l’armée de Terre qui comptait quinze divisions à la fin de la Guerre froide, soit environ 300 000 militaires, n’a plus que l’équivalent de deux divisions concentrées sur le segment médian, c’est-à-dire polyvalentes, capables de survivre dans un environnement contesté mais suffisamment légères pour demeurer expéditionnaires » ([7]).
La baisse de l’effort de défense de notre Nation s’est également traduit par une réduction importante des moyens capacitaires de nos armées, ainsi que l’illustre le tableau ci-dessous.
Évolution du nombre de plateformes en dotations dans les armées
Source : Patricia Mirallès et Jean-Louis Thiériot, Rapport d’information sur la préparation à la haute intensité, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 17 février 2022.
À titre d’exemple, le parc total d’aéronefs de l’armée de l’air et de l’espace a ainsi baissé de 139 % entre 1990 et 2025.
Évolution du parc d’aéronefs de l’armée de l’air et de l’espace
Source : Raphaël Briant, Jean-Baptiste Florant, Michel Pesqueur, La masse dans les armées françaises, un défi pour la haute intensité, IFRI, juin 2021.
Cette réduction des capacités a du reste touché l’ensemble des pays européens, dans un contexte d’évolution des modèles d’armées vers un format expéditionnaire, comme le rappelle une étude de l’institut français des relations internationales (IFRI) : « entre 1999 et 2014, les pays européens ont ainsi réduit de 66 % leurs parcs de chars de bataille, de 45 % leur aviation de combat et de 25 % leur flotte de bâtiments de surface. Inversement, les moyens de projection comme le ravitaillement en vol (+ 6 %) et de mobilité tactique comme les hélicoptères (+ 27 %) s’accroissaient, attestant de la transition d’un modèle de haute intensité vers un modèle expéditionnaire à "l’empreinte légère” » ([8]).
Traduction de cette diminution des capacités, les contrats opérationnels, tels qu’issus des différents livres blancs sur la défense et la sécurité nationale (LBDSN), ont été revus à la baisse, notamment dans le cadre d’un conflit de haute intensité, ainsi que le relève la Cour des comptes : « La LPM 2003-2008 envisageait l’intervention de la France dans une opération classique majeure de coercition en coalition interalliée à hauteur de 50 000 soldats et d’une centaine d’avions de combat. Dix ans plus tard, la LPM 2014-2019 a réduit la participation à une telle opération à 15 000 soldats et 45 avions de combat » ([9]).
Évolution des contrats opÉrationnels pour une opÉration de coercition majeure
Source : François André et Joaquim Pueyo, Rapport d’information sur l’exécution de la loi de programmation militaire 2014-2019, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 22 février 2018.
Cette dynamique déflationniste était d’autant plus difficile à supporter pour nos armées que les engagements de nos militaires étaient constants, voire croissants, comme l’illustrent les opérations extérieures menées en Afghanistan (2001-2012), en Libye (2011) ou au Mali (2013), auxquelles il convient d’ajouter les nouvelles missions intérieures telle que Sentinelle (2015).
Une telle contradiction entre, d’une part, la déflation des moyens et, d’autre part, des engagements croissants, n’était plus tenable pour nos armées, comme l’a souligné l’ancienne ministre des Armées, Florence Parly : « Depuis des années, notre défense, nos armées, les personnels militaires et civils qui s’engagent pour servir notre pays sont en fait confrontés à des tendances contraires : d’un côté, des budgets toujours plus contraints, des réductions drastiques d’effectifs, des programmes soit retardés, soit même, pour certains, arrêtés ; de l’autre, un engagement croissant, en opérations extérieures comme sur le territoire national, qui a fortement sollicité notre outil de défense » ([10]).
Comme ont pu le constater vos rapporteurs dans le cadre de leurs travaux, l’héritage de décennies de sous-investissement a laissé des traces profondes au sein de nos forces armées, et ce dans tous les domaines (capacitaires, ressources humaines, infrastructures, soutien…).
B. L’accroissement des menaces
1. Menace terroriste et retour des stratégies de puissance
Le contexte stratégique dans lequel s’est inscrit la LPM 2019-2025 ressort notamment de la revue stratégique de défense et de sécurité nationale, publiée en octobre 2017.
Ce contexte est encore fortement marqué par la menace djihadiste sur notre sol, malgré la baisse de l’activité de Daech au Levant. Celle-ci reste en effet à cette date la menace principale, de l’aveu même de la ministre des Armées de l’époque : « Le terrorisme jihadiste reste la menace qui pèse aujourd’hui le plus directement sur notre territoire (…) Nous avons également pris, ces dernières années, la pleine mesure de ce à quoi pouvait ressembler un monde multipolaire où les rapports de force se développent pendant que le système multilatéral s’affaiblit » ([11]).
Outre la persistance du risque terroriste, la revue stratégique de 2017 mettait en exergue le retour de la « compétition militaire », à travers une militarisation croissante de nos compétiteurs stratégiques et des puissances régionales, dans un contexte de « remise en cause de l’ordre multilatéral » et de « déconstruction de l’architecture de sécurité en Europe ».
Le réarmement opéré depuis les années 2000 par des acteurs comme la Chine, la Russie ou encore la Turquie est en effet massif, comme l’illustre le graphique ci-dessous.
Évolution des dépenses militaires 2000-2019([12]) (données SIRPI)
Source : Institut Montaigne, « Repenser la défense face aux crises du 21ème siècle », février 2021.
Enfin, la revue stratégique soulignait l’évolution de la conflictualité, à travers un double processus : d’une part, l’extension de la conflictualité à de nouveaux domaines (espace numérique, espace exo-atmosphérique…) et, d’autre part, l’émergence d’une forme d’hybridité des conflits, marquée par des actions sous le seuil du conflit et difficilement attribuables.
2. Un modèle d’armée entre continuité et adaptation
Pour faire face à ces défis et menaces, la revue stratégique de 2017 appelait de ses vœux le renforcement d’un modèle d’armée « complet et équilibré pour agir sur tout le spectre », contrairement au choix effectué par d’autres pays européens, tel que le Royaume-Uni. Comme l’a résumé M. Arnaud Danjean, président du comité de rédaction de la revue stratégique, « un modèle d’armée complet et équilibré est à notre sens indispensable. Aucune impasse n’est possible ; la situation internationale ne nous permet évidemment pas de baisser la garde. Toute perte capacitaire ou opérationnelle pourrait avoir des conséquences graves, et serait en outre difficile à réparer par la suite : certaines capacités abandonnées par le Royaume-Uni dans les années 2000 lui font aujourd’hui cruellement défaut. Nous devons éviter une telle situation » ([13]).
Si la revue stratégique ne remettait pas en question les cinq fonctions stratégiques issues du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013, elle promouvait cependant un renforcement de la fonction prévention : « un effort doit être consenti pour rendre à la fonction prévention toute son importance (…) Elle passe par un réinvestissement prioritaire dans nos dispositifs avancés, permanents et non-permanents, et dans ceux de nos alliés ou de nos partenaires » ([14]).
Au final, si l’analyse stratégique ayant servi de fondement à la LPM 2019-2025 soulignait certes l’émergence de tendances qui seront appelées à s’amplifier les années suivantes – retour des stratégies de puissance et extension des domaines de conflictualité –, l’accent mis sur le risque terroriste djihadiste ainsi que la situation sécuritaire au Sahel ne militaient pas pour une remise en cause du modèle expéditionnaire de nos forces armées, principalement vouées à intervenir dans le cadre de conflits asymétriques et d’opérations de gestions de crise.
Telle est du reste l’analyse du Président de la République sur la LPM 2019-2025, dans ses vœux aux Armées du 20 janvier 2023 : « Cela signifie, en premier lieu, de consolider notre cœur de souveraineté, là où le modèle de la précédente loi de programmation militaire [la LPM 2019-2025] mettait plutôt l'accent sur la capacité expéditionnaire et la lutte contre le terrorisme » ([15]).
III. L’objectif de la LPM 2019-2025 : une loi de « réparation »
A. Une ambition opérationnelle forte
Ainsi que l’a résumé le Président de la République, « la loi de programmation militaire 2019-2025 avait une vocation claire : réparer nos armées, leur redonner le souffle, les moyens, sortir de la logique de pénurie et retrouver des leviers d'action » ([16]). Cet objectif de réparation se décline en quatre axes « prioritaires », présentés comme tels dans le rapport annexé de la LPM :
- Une LPM « à hauteur d'homme », pour améliorer « les conditions d'exercice du métier des armes » et « le quotidien du soldat ».
- Le renouvellement des capacités opérationnelles, à travers la modernisation des programmes conventionnels et de dissuasion.
- La garantie de notre autonomie stratégique, avec un effort particulier en faveur des fonctions stratégiques « prévention » et « connaissance anticipation », et l’accroissement de nos moyens d’actions dans les nouveaux espaces de conflictualité. Cet axe promeut aussi la construction d’une autonomie stratégique européenne, à travers une « politique volontariste de coopérations ».
- L’innovation, à travers « des moyens accrus et une organisation renouvelée pour renforcer et accélérer l'innovation au service de nos armées », la préparation des « grands programmes au-delà de 2030 » et le renforcement de la BITD.
2. L’horizon de la LPM : l’« Ambition 2030 »
La LPM est structurée autour de l’« Ambition 2030 », qui consiste à disposer à l’horizon 2030 d’un « modèle d’armée complet et équilibré », en vue « d'atteindre les effets militaires recherchés sur la totalité du spectre des menaces et des engagements possibles, y compris les plus critiques » ([17]). La LPM 2019-2025 avait ainsi pour objectif de construire le socle sur lequel la LPM suivante devait s’appuyer pour atteindre le modèle d’armée promu par l’Ambition opérationnelle 2030.
L’« Ambition 2030 » s’articule concrètement autour de deux objectifs principaux. Le premier a trait aux contrats opérationnels, qui fixent les moyens humains et capacitaires devant être engagés selon la nature des engagements. En l’espèce la LPM prévoit comme objectif que les forces armées soient en mesure de mener leurs missions permanentes, tout en étant engagées simultanément sur trois théâtres d’opérations de gestion de crise et d’intervention, ainsi que dans une opération de coercition majeure en coalition.
Contrat opérationnel des armées dans le cadre d’une opération de coercition majeure en coalition à l’horizon 2030
Source : Patricia Mirallès et Jean-Louis Thiériot, Rapport d’information sur la préparation à la haute intensité, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 17 février 2022.
Le second objectif de l’Ambition 2030 est matérialisé par l’atteinte d’une cible d’équipements à l’horizon 2030, qui figure dans le rapport annexé de la LPM.
Capacités des armées à l’horizon 2030 prévues par la LPM
- Armée de terre : « En matière d'équipements, ces forces disposeront à l'horizon 2030 d'équipements de 4e génération, comprenant 200 chars de combat, 300 blindés médians, 3 479 véhicules blindés modulaires et de combat, 147 hélicoptères de reconnaissance et d'attaque, 115 hélicoptères de manœuvre, 109 canons de 155 mm, 13 systèmes de lance-roquettes unitaire, 7 020 véhicules de mobilité tactique et logistique, et une trentaine de drones tactiques. En 2025, la moitié du segment médian SCORPION aura été livrée ».
- Marine : « A terminaison, les forces navales comprendront 4 sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, 6 sous-marins nucléaires d'attaque, 1 porte-avions nucléaire, 40 avions de chasse et 3 avions de guet aérien embarqués, 15 frégates de premier rang, 3 bâtiments de projection et de commandement, 18 avions de patrouille maritime rénovés, 4 pétroliers ravitailleurs, 27 hélicoptères à vocation anti-sous-marine, 49 hélicoptères légers pour l'éclairage, le combat naval et la sauvegarde maritime, ainsi qu'une quinzaine de drones à décollage vertical, des bâtiments du segment médian, 19 patrouilleurs, des avions de surveillance et d'intervention maritimes, ainsi que des capacités de lutte contre les mines maritimes ».
- Armée de l’air et de l’espace : « Dans les années à venir, l'armée de l'air mettra ainsi en œuvre un système de commandement et de contrôle des opérations aériennes (SCCOA) rénové, 185 avions de chasse polyvalents, 53 avions de transport tactique dont des A400M, 4 avions de détection et de contrôle aérien, 15 avions ravitailleurs multirôles (MRTT), 40 hélicoptères légers, 36 hélicoptères de manœuvre, 8 systèmes de drones de surveillance moyenne altitude et longue endurance (MALE), 8 avions légers de surveillance et de reconnaissance (ALSR), 3 avions de renseignement et de guerre électronique ainsi que 8 systèmes sol-air de moyenne portée ».
Source : Rapport annexé de la LPM 2019-2025.
1. Une trajectoire financière ambitieuse
Au soutien de cette ambition opérationnelle, la LPM 2019-2025 prévoit de porter l’effort de défense à hauteur de 2 % du PIB d’ici 2025 et fixe à 197,8 milliards d’euros les ressources budgétaires pour les années 2019 à 2023, soit une hausse de 23 % par rapport aux crédits prévus dans la LPM 2014-2018. Le séquençage de cette augmentation n’est toutefois pas linéaire, puisque l’effort principal progresse encore en 2023, avec une « marche » à 3 milliards d’euros, contre des « marches » à 1,7 milliard pour la période 2019-2022.
Si les crédits pour les années 2024 et 2025 devaient faire l’objet d’arbitrages ultérieurs en cohérence avec l’objectif susvisé des 2 % du PIB, il résulte de la trajectoire financière projetée que plus de 295 milliards d’euros de besoins sont ainsi programmés sur la période 2019-2025. Cette trajectoire financière constitue une rupture majeure et profonde avec les LPM précédentes, comme l’illustre le graphique ci-dessous.
Évolution du budget de la Défense* depuis 2009 et programmation 2019-2025
(en milliards d’euros courants de crédits de paiement)
Source : Rapport de Jean-Jacques Bridey sur le sur le projet de loi (n° 659) relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025, tome I, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale.
Parallèlement à cet effort financier inédit, la LPM prévoit d’inverser la tendance baissière des effectifs, en programmant une augmentation nette de 6 000 postes sur la période.
2. Une « sincérisation » des ressources
Outre la dynamique des crédits, la LPM 2019-2025 se distinguait également des précédentes lois de programmation par un effort de sincérité budgétaire, à travers un double mécanisme.
D’une part, la programmation financière repose uniquement sur des crédits budgétaires, en rupture avec les LPM passées qui se fondaient partiellement sur des perspectives de recettes exceptionnelles qui, trop ambitieuses, ne furent pas réalisées, comme l’a relevé la Cour des comptes : « Le ministère des armées espérait, dans les programmations précédentes, des recettes exceptionnelles attendues de cessions de bandes de fréquences hertziennes et d’emprises immobilières, pour 3,47 Md€ dans la LPM 2009-2014 et 6,10 Md€ dans la LPM 2014-2019. Ces ressources étaient incertaines, tant dans leur montant que dans leur calendrier, et les hypothèses retenues ne se sont pas réalisées. Les programmes d’entretien des infrastructures et d’équipement des forces auxquelles étaient destinées ces recettes avaient par conséquent pris du retard » ([18]). La LPM 2019-2025 a également évité l’écueil de recourir au financement par de supposées économies issues de réformes structurelles, comme cela a pu être le cas par le passé ([19]).
D’autre part, la « sincérisation » budgétaire mise en œuvre par la LPM 2019-2025 est illustrée par l’augmentation importante de la provision OPEX-MISSINT, qui doit passer de 450 millions d’euros en 2017 par an à 1,1 milliard d’euros à compter de 2020. Cet effort est d’autant plus appréciable que la LPM 2014-2019 s’était traduite par une dérive importante des surcoûts OPEX-MISSINT non provisionnés, dans un contexte d’engagements intenses sur des théâtres d’opérations extérieures (Afghanistan et Sahel).
Au final, la LPM 2019-2025, par sa trajectoire financière et son ambition opérationnelle, marquait incontestablement une nette rupture avec les précédentes LPM, ainsi que le mettait en exergue la ministre des Armées de l’époque : « Alors que les deux précédentes lois de programmation militaire géraient la restriction, voire l’attrition, notre objectif est de cueillir les fruits d’une remontée en puissance » ([20]).
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Deuxième partie : une exécution financière qui a permis de débuter la modernIsation des capacités et de monter en puissance sur les segments prioritaires
I. Une programmation financière pour une fois respectée
A. Une exécution conforme de la trajectoire financière
1. Des crédits aux montants conformes à la trajectoire
Si la LPM avait mis en place des mécanismes visant à « sincériser » les ressources, cela ne préjugeait toutefois pas de l’exécution de la programmation financière, a fortiori dans un contexte où aucune LPM n’avait été respectée depuis près de 40 ans. Or, la trajectoire financière de la LPM 2019-2025 a, quant à elle, été respectée. Les « marches » programmées à hauteur de 1,7 milliard d’euros de 2019 à 2022 puis de 3 milliards d’euros en 2023, ont été franchies.
L’exécution de la programmation financière a été ainsi caractérisée par une double conformité : d’une part, les lois de finances initiales (LFI) ont ouvert des crédits conformes à ceux qui étaient prévus dans la LPM ; d’autre part, les crédits ouverts en LFI ont été effectivement consommés en exécution, comme l’illustre le tableau ci-dessous.
Exécution des crédits par la LPM