N° 913
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er mars 2023.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DEs affaires ÉTRANGÈRES
en conclusion des travaux d’une mission d’information flash constituée le 23 novembre 2022
sur le bilan de la COP27 et les défis de la future COP28
et présenté par
m. Carlos martens bilongo et Mme Barbara pompili
Députés
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Pages
I. Une cop organisÉe dans un contexte climatique et gÉopolitique international dÉfavorable
2. Des émissions aux origines diverses
B. DES ÉMISSIONS IMPUTABLES À UN NOMBRE LIMITÉ DE PAYS
1. Les gaz à effet de serre demeurent le fait de quelques grands pays émetteurs
2. La répartition des émissions par habitant dans le monde est également très concentrée
C. UN CONTEXTE INTERNATIONAL DE CRISE QUI COMPLIQUE LES AMBITIONS CLIMATIQUES
1. En Europe, la recherche de solutions court-termistes pour faire face à l’urgence
2. Dans le reste du monde, une situation contrastée
II. La cop27 : de fortes attentes pour un rÉsultat mitigÉ
A. Les ENJEUX D’UNE COP AFRICAINE PRÉSENTÉE COMME le temps de « la mise en œuvre »
1. Une COP attendue avec une certaine appréhension
2. Des progrès non négligeables, en particulier sur la question des pertes et préjudices
a. Les pertes et préjudices : l’avancée majeure de la COP27
b. La poursuite des partenariats pour une transition énergique juste
c. L’agrément d’une floraison d’initiatives
C. Vers la cop28 : ENJEUX ET DÉBATS AUTOUR D’UNE COP DÉCISIVE
1. Quels enjeux pour la COP28 ?
3. Les prochaines échéances climatiques
1. La finance climat : quelle définition ?
2. Des montants insuffisants au regard des enjeux
B. LA RÉFORME DE LA FINANCE CLIMAT EN QUESTION : UN CHANTIER EN COURS
1. La construction d’un nouveau cadre d’action
a. Clarifier le mandat des banques multilatérales de développement
c. Renforcer la connaissance des fondamentaux du développement durable
2. Identifier de nouveaux instruments de financement et de gestion de la dette des pays vulnérables
a. Trouver de nouvelles sources de financement
i. La réforme des droits de tirage spéciaux du Fonds monétaire international
ii. Les banques multilatérales de développement : prêter plus et autrement
b. Faire face à l’urgence : un accès facilité aux financements en cas de catastrophe climatique
c. Améliorer la gestion de la dette des pays les plus vulnérables
i. La création de clauses « catastrophe naturelle »
ii. Aller plus loin : vers une annulation de la dette des pays les plus vulnérables ?
3. Créer les conditions de la mobilisation de la finance privée
a. La promotion d’instruments et d’un environnement favorables au déploiement de financements privés
annexe N° 1 : SYNTHÈSE DES RECOMMANDATIONS DES RAPPORTEURS
annexe n° 2 : Liste des personnes auditionnÉes par LEs RAPPORTEURs
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Au cours de l’été 2022, le Pakistan a été touché par les pires inondations de son histoire. Causant la mort de 1 700 personnes, affectant 33 millions de Pakistanais, détruisant des centaines de milliers de maisons et endommageant des milliers de kilomètres de routes à travers tout le pays, ces inondations ont certes rappelé, une fois de plus, l’urgence à agir contre le réchauffement climatique mais elles ont également cristallisé une nouvelle forme de narratif politique dans ce pays. En effet, la presse pakistanaise comme de nombreuses personnalités politiques ont tenu à dénoncer l’injustice de cette catastrophe alors que le pays est responsable de moins de 1 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre et ont appelé à davantage de justice climatique, notamment à travers le financement des pertes et préjudices.
C’est dans ce contexte que s’est tenue la 27ème Conférence des parties à la convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) – COP27 – du 6 au 18 novembre 2022, à Charm el-Cheikh, sous présidence égyptienne. Présentée comme une COP de transition entre la COP26 de Glasgow, qui a finalisé les règles d’application de l’accord de Paris et relevé les ambitions des parties, et la COP28, aux Émirats arabes unis, qui tirera un premier bilan mondial de l’action climatique, le risque était grand de n’aboutir à aucune avancée significative, et ce d’autant plus que le contexte international était particulièrement défavorable. La guerre en Ukraine et la crise énergétique qui l’accompagne contraignent les États à poursuivre des politiques énergétiques court‑termistes, dont les choix sont parfois peu compatibles avec les objectifs climatiques de l’accord de Paris, qui semblent s’éloigner un peu plus. Les tensions diplomatiques entre les États-Unis et la Chine, principaux pollueurs à l’échelle mondiale, n’incitaient guère à plus d’optimisme.
Pourtant, il est rapidement apparu que cette COP ne pourrait se réduire à un rendez-vous manqué. Les pays en voie de développement, réunis au sein du groupe du « G77 ([1]) + Chine », présidé par le Pakistan, ont fait montre d’une grande constance et d’une solidarité manifeste pour exiger l’inscription à l’ordre du jour de la question du financement des pertes et préjudices, qui n’avait pu faire l’objet d’aucune avancée réelle lors de la COP26, au risque de nourrir un peu plus la crise de confiance entre pays du Nord et pays du Sud.
Or, c’est précisément sur ce sujet que la COP27 présente les résultats les plus ambitieux. Grâce à une proposition de l’Union européenne, la COP a, en effet, agréé la création d’un fonds dédié à cette question, qui devra être rendu opérationnel au plus tard lors de la tenue de la COP28 à l’automne 2023. Trouvant sa place au sein d’une mosaïque de solutions, ce fonds, de même que l’opérationnalisation du réseau de Santiago, créé à la COP25 dans le but de catalyser l’assistance technique relative aux pertes et préjudices dans les pays particulièrement vulnérables au changement climatique, traduisent l’importance croissante prise par cette question.
Si les progrès obtenus sur les pertes et préjudices constituent donc des avancées majeures, la COP27 s’est en revanche montrée très décevante en matière d’atténuation du changement climatique ([2]). Bien que les négociations aient pu être aidées par les résultats encourageants du sommet du G20 à Bali sur le volet climat, qui réaffirmait l’objectif de limiter l’augmentation de température à 1,5 °C – plutôt que 2 °C –, objectif qui a donc pu être confirmé dans la décision de couverture de la COP, elles n’ont pas permis de relever l’ambition climatique, que ce soit par la mention d’une sortie des énergies fossiles ou de la nécessité d’atteindre un pic d’émissions globales avant 2025. En ce sens, ses résultats sont loin d’être à la hauteur des enjeux climatiques actuels. Nul doute donc que l’atténuation – et en particulier la nécessité de sortir des énergies fossiles – sera au cœur des débats de la COP28, dont la tenue dans un pays du Golfe arabo-persique traditionnellement hostile à tout engagement contraignant sur les questions énergétiques devra appeler la vigilance des parties.
Par ailleurs, la COP27 a fait ressortir le besoin urgent de réformer la finance climat pour soutenir efficacement la transition écologique et la lutte contre le changement climatique dans les pays en voie de développement, en particulier les plus vulnérables. La teneur des négociations a mis en évidence que ces États ne se satisferont plus de seules promesses d’aides et attendent une mobilisation réelle de l’ensemble de la communauté internationale. Les besoins financiers sont tels que tous les acteurs, y compris privés, doivent désormais prendre en compte l’urgence climatique. Les rapporteurs ont donc souhaité consacrer une partie de leurs travaux à une telle réforme, qui se trouve au cœur de l’actualité, alors que le président de la République française, Emmanuel Macron, et la première ministre de la Barbade, Mia Mottley, ont proposé de tenir un sommet international à Paris, en juin 2023, pour définir les contours d’un nouveau pacte financier avec le Sud. La mise en œuvre de l’initiative de Bridgetown, soutenue par la France, et la réforme des institutions financières internationales constitueront sans doute des enjeux centraux des négociations internationales dans les mois à venir et justifient que la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale y accorde une attention particulière.
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I. Une cop organisÉe dans un contexte climatique et gÉopolitique international dÉfavorable
A. UN CONSTAT INQUIÉTANT : L’AUGMENTATION DES ÉMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE À L’ÉCHELLE INTERNATIONALE
1. Une dynamique des émissions de gaz à effet de serre incompatible avec les objectifs de l’accord de Paris
Selon les données disponibles, issues du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, les émissions de gaz à effet de serre mondiales ont augmenté en moyenne de 1,3 % par an au cours de la dernière décennie. Elles n’ont connu qu’une brève stabilisation entre 2014 et 2016. En 2019, elles ont ainsi augmenté pour la quatrième année consécutive (+ 1,1 %) pour atteindre le chiffre record de 59,1 gigatonnes d’équivalent CO2 (Gt-CO2).
Les émissions de CO2 représentent, à elles seules, environ 75 % du total des émissions de gaz à effet de serre suivies par les émissions de méthane (18 % des émissions totales), des oxydes d’azote (4 %) et des gaz fluorés (2 %). Elles se sont certes stabilisées en 2019, après une augmentation de 2 % en 2018, atteignant 38,0 Gt‑CO2 par an, cette stabilité s’expliquant principalement par une nette décrue des émissions de CO2 générées par le secteur de l’énergie dans les pays développés, au sein desquels la part des énergies décarbonées monte progressivement en puissance, ainsi que par un ralentissement de la croissance économique de la Chine et de l’Inde, principaux pollueurs à l’échelle mondiale. En 2020, les mesures sanitaires prises par les gouvernements durant la pandémie de la Covid‑19 ont même conduit à une réduction de 5,4 % de ces émissions et à un bouleversement des schémas de la demande énergétique dans le monde. Cette baisse fut toutefois conjoncturelle. En atteste le niveau d’émissions du mois de décembre 2020, 2 % plus élevé que celui du même mois de l’année 2019. Cette tendance s’est poursuivie au cours de l’année 2021, pour laquelle les émissions de CO2 générées par le secteur de l’énergie ont augmenté de 6 % par rapport à 2020, atteignant le plus haut niveau jamais enregistré de 36,3 Gt‑CO2, principalement imputable à la reprise économique en Asie qui a engendré une accélération de la demande en charbon et en gaz naturel.
Or, ces évolutions sont incompatibles avec l’objectif de limitation de l’élévation de la température mondiale prévu par l’accord de Paris. En effet, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) montre, dans son sixième rapport d’évaluation publié au début de l’année 2022 ([3]), qu’il est nécessaire, pour maintenir une trajectoire permettant de limiter l’augmentation de la température mondiale à 1,5 °C, que le pic d’émissions soit atteint entre 2020 et 2025, puis de réduire ces mêmes émissions de 43 % d’ici à 2030.
2. Des émissions aux origines diverses
La décomposition des émissions mondiales par secteur est représentée sur le graphique ci-après pour l’année 2019. Celui-ci indique que les usages énergétiques, qui pèsent pour près de 75 % du CO2 émis à l’échelle mondiale, dont 32 % pour la production d’électricité et le chauffage, 14,3 % pour le transport et 6,2 % pour la consommation d’énergie dans le résidentiel et le secteur tertiaire, sont responsables de l’essentiel des émissions de gaz à effet de serre. L’agriculture et les procédés industriels représentent respectivement 12 % et 6 % de ces émissions.
Répartition sectorielle des émissions de gaz à effet de serre en 2019
Il est à noter que l’origine des émissions de gaz à effet de serre de chaque État, en particulier s’agissant des émissions de CO2, dépend également de son mix énergétique, c’est-à-dire de la répartition des différentes sources d’énergies primaires consommées dans une zone géographique donnée.
Ainsi, en 2020, le mix énergétique mondial se composait à 29 % de produits pétroliers, 27 % de charbon, 24 % de gaz naturel, 15 % d’énergies renouvelables et de déchets et 5 % de nucléaire. D’importantes différences existent cependant entre États. En France, le nucléaire représente presque 41 % de la consommation primaire d’énergie, devant les produits pétroliers (29 %), le gaz naturel (16 %), les énergies renouvelables et les déchets (13 %), ainsi que le charbon (2 %). La Chine se caractérise, quant à elle, par un recours important au charbon (61 % de son mix énergétique) alors que la part d’énergies renouvelables et de déchets dans le mix énergétique de l’Inde, également très dépendante au charbon, est conséquent (environ 26 % de sa consommation primaire). Enfin, les consommations énergétiques des États-Unis et du Japon reposent principalement sur l’usage de produits pétroliers (35 % et 38 % de leur mix énergétique respectif).
Le graphique ci‑après présente la répartition de la consommation primaire d’énergie en 2020 de différents ensembles géographiques.
Répartition de la consommation primaire d’énergie - 2020 |
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Charbon |
Produits pétroliers |
Gaz naturel |
Nucléaire |
ENR et déchets |
Mix énergétique (calculé à partir de la consommation primaire) |
Monde |
26,8 % |
29,5 % |
23,7 % |
5,0 % |
15,0 % |
Chine (y.c. Hong Kong) |
60,6 % |
18,9 % |
7,7 % |
2,7 % |
10,1 % |
|
France |
2,4 % |
28,5 % |
16,0 % |
40,5 % |
12,6 % |
|
Inde |
43,5 % |
23,8 % |
6,0 % |
1,3 % |
25,5 % |
|
Japon |
26,5 % |
38,4 % |
24,0 % |
2,6 % |
8,4 % |
|
États-Unis |
10,9 % |
34,5 % |
35,3 % |
10,7 % |
8,7 % |
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Union européenne à 28 |
10,2 % |
31,9 % |
26,5 % |
13,3 % |
18,0 % |
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Union européenne à 27 |
11,0 % |
31,9 % |
24,9 % |
13,7 % |
18,4 % |
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ENR : Énergies renouvelables |
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Source : calculs du service des données et études statistiques du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires
B. DES ÉMISSIONS IMPUTABLES À UN NOMBRE LIMITÉ DE PAYS
Le classement des principaux pays contributeurs au dérèglement climatique, en termes d’émissions de gaz à effet de serre, varie en fonction des paramètres retenus mais réunit toujours un nombre limité d’États.
1. Les gaz à effet de serre demeurent le fait de quelques grands pays émetteurs
Les quatre principaux émetteurs de gaz à effet de serre que sont la Chine, les États‑Unis, l’Union européenne en y ajoutant le Royaume-Uni et l’Inde ont représenté plus de 55 % des émissions mondiales au cours de la dernière décennie. Cette estimation atteint même 65 % pour les six premiers émetteurs ([4]) et 78 % pour l’ensemble des pays du G20.
Pays ou ensemble géographique |
Part des émissions mondiales de gaz à effet de serre générées par le secteur de l’énergie en 2021 (source : Agence internationale de l’énergie - AIE) |
Chine |
31,5 % |
États-Unis |
12,8 % |
Union européenne |
6,9 % |
Inde |
6,7 |
Toutefois, chacun de ces États ou organisations régionales connaît des dynamiques différentes en termes d’émissions.
Celles attribuées à la Chine ont régulièrement augmenté au cours de la dernière décennie, à l’exception d’une légère baisse des émissions de CO2 entre 2014 et 2016. Elles ont ainsi connu une hausse de respectivement 1,7 % en 2017, 2,3 % en 2018 et 2,6 % en 2019, avant de diminuer légèrement en 2020 (- 1,7 %) sous l’effet de la mise en œuvre de mesures de confinement particulièrement strictes pour lutter contre la Covid-19.
Aux États-Unis, les émissions de gaz à effet de serre ont diminué de 1,1 % par an depuis 2005. Ce recul s’explique par une réduction de 10 % résultant de l’utilisation moindre du charbon et, de manière moins prononcée, du pétrole (- 0,5 %), seulement partiellement compensée par les émissions imputables au recours accru au gaz naturel (+ 3,5 %) et aux énergies éolienne et solaire. En 2020, les émissions américaines de gaz à effet de serre ont également fortement diminué (- 10,3 % par rapport à 2019), là encore du fait des mesures de confinement liées à la pandémie de la Covid‑19.
S’agissant de l’Union européenne, les émissions de gaz à effet de serre des États membres, considérés dans leur ensemble, ont régulièrement diminué au cours de la dernière décennie, lui permettant d’atteindre dès 2018 son objectif de réduction de 20 % d’ici à 2020 par rapport aux niveaux de 1990. Ces émissions ont en effet chuté de 2,1 % en 2018 et 3,7 % en 2019 ([5]), principalement dans le secteur de l’énergie du fait du remplacement progressif de l’électricité produite à partir de charbon.
Contrairement aux bons résultats européens, les émissions indiennes de gaz à effet de serre ont connu une hausse de 3,3 % par an au cours de la dernière décennie. Leur dynamique de croissance a toutefois ralenti en 2019, augmentant de 1,4 % seulement, suite à une hausse de 8 % entre 2017 et 2018 : la faible croissance économique de ce pays sur cette période a, en effet, entraîné un ralentissement de l’utilisation du pétrole et du gaz naturel. En 2020, ses émissions ont même chuté de 6 % à 10 %.
2. La répartition des émissions par habitant dans le monde est également très concentrée
Bien que les données mondiales fournissent des enseignements utiles pour comprendre l’augmentation continue des émissions de gaz à effet de serre, il est nécessaire d’examiner l’évolution des principaux émetteurs, afin d’obtenir une vision plus claire des tendances sous-jacentes à l’œuvre. Le classement des pays contributeurs au changement climatique se modifie, en effet, lorsque l’on compare les émissions totales aux émissions par habitant.
Principaux émetteurs de gaz à effet de serre en termes absolus ([6]) (graphique de gauche) et par habitant (graphique de droite) et moyenne mondiale des émissions par habitant.
Source : Programme des Nations Unies pour l’environnement, Emissions Gap Report 2020, 2020.
Les émissions de CO2 par habitant témoignent de grandes disparités entre pays et régions du monde, qui tiennent au niveau de développement et d’industrialisation des différents États. Les pays avec le plus haut niveau d’émissions de CO2 par habitant sont ceux du Golfe (Qatar, Koweït, Brunei, Bahreïn et Émirats arabes unis) suivis par de grandes économies, telles que l’Australie, le Canada et les États-Unis, qui conjuguent un haut niveau de développement, une part importante de charbon dans leur mix énergétique et des activités d’extraction d’hydrocarbures. En 2020, les émissions de CO2 par habitant aux États-Unis (14,23 tonnes équivalent CO2 par habitant – t-CO2/hab.) sont ainsi près de deux fois plus élevées qu’en Chine (7,4 t‑CO2/hab.) et plus de huit fois supérieures à celles de l’Inde (1,7 t‑CO2/hab.).
Les dynamiques d’évolution sont également très contrastées selon les espaces géographiques considérés. Si les émissions par tête sont globalement stables à l’échelle mondiale (+ 4,57 % depuis 1990), elles ont diminué dans les économies développées (- 38,9 % dans l’Union européenne depuis 1990 ; - 29,8 % pour les États‑Unis) et, a contrario, fortement augmenté dans les économies en développement (+ 251 % en Chine depuis 1990 ; + 167 % en Inde au cours de la même période).
C. UN CONTEXTE INTERNATIONAL DE CRISE QUI COMPLIQUE LES AMBITIONS CLIMATIQUES
1. En Europe, la recherche de solutions court-termistes pour faire face à l’urgence
La guerre en Ukraine a des impacts globaux, en raison du statut de la Russie, premier exportateur mondial de gaz (principalement par gazoducs), de liquides d’hydrocarbures (pétrole brut et produits raffinés), mais aussi l’un des premiers exportateurs de charbon, d’uranium, de métaux et de minerais, ainsi que de matières premières agricoles et d’engrais. La Russie est également en passe de se hisser au tout premier rang des pays exportateurs de gaz naturel liquéfié (GNL), juste derrière les États-Unis, le Qatar et l’Australie.
Face à cette situation, l’Europe cherche à réduire sa dépendance aux hydrocarbures russes et à accélérer la diversification de ses approvisionnements et de son mix énergétiques, quitte à poursuivre des politiques de court terme peu compatibles avec les exigences de réduction des gaz à effet de serre. Dans ce contexte, la diplomatie gazière a, en partie, remplacé la diplomatie climatique ([7]), afin de s’assurer que les stockages gaziers européens soient remplis en novembre 2022 à hauteur de 80 % contre 15 % fin avril 2022. Malgré l’objectif annoncé de sortir des énergies fossiles, les États européens cherchent désormais à sécuriser des alternatives au gaz russe, ce qui requiert la construction de nouvelles infrastructures d’importation de gaz naturel liquéfié et la signature de contrats d’approvisionnement de long terme, principalement avec des fournisseurs américains, alors même que la production de gaz naturel liquéfié a une empreinte environnementale problématique. À titre d’exemple, l’Allemagne construit de nouveaux terminaux d’importation de gaz naturel liquéfié et s’est dotée, en attendant leur construction, de terminaux flottants de regazéfication installés sur des barges. Certains États, tels que la Grèce et le Danemark, ont indiqué qu’ils envisageaient de relancer leurs activités de forage pour trouver du gaz.
Parallèlement, la fermeture de certaines centrales à charbon a été reportée dans plusieurs pays ([8]) – le Royaume-Uni a même autorisé en décembre 2022 l’ouverture d’une mine à charbon à Whitehaven, en Cumbria, dans le Nord-Ouest de l’Angleterre – et la plupart des gouvernements européens ont décidé d’introduire des mesures de subventions aux énergies fossiles.
2. Dans le reste du monde, une situation contrastée
La guerre en Ukraine a des conséquences variées selon les pays considérés. Du fait de la crise et de l’augmentation de la demande mondiale, notamment européenne, les États-Unis voient augmenter leurs exportations en gaz naturel liquéfié, tandis que la hausse de la production d’hydrocarbures sur leur territoire va provoquer un accroissement des émissions américaines de gaz à effet de serre.
En Chine, le président Xi Jinping a décidé de sécuriser l’approvisionnement énergétique de son pays en relançant la production intérieure de charbon, en particulier pour le secteur électrique. Une telle politique est également poursuivie par l’Inde, qui souhaite accélérer sa production de charbon plutôt que d’augmenter ses importations en gaz naturel liquéfié devenu coûteux.
Quant aux producteurs du Moyen-Orient, ils développent une double stratégie consistant à réduire leurs émissions ([9]) pour libérer des hydrocarbures à l’export ([10]) et bénéficier ainsi pleinement de l’augmentation des prix de l’énergie.
À ce contexte de crise s’est ajoutée la suspension, à l’initiative de la Chine, des discussions sino-américaines sur les questions climatiques, alors même que ces deux États, principaux pollueurs à l’échelle internationale, ont un rôle décisif à jouer en matière de lutte contre le changement climatique ([11]).
3. La guerre en Ukraine, potentiel accélérateur de l’émergence d’alternatives aux énergies carbonées ?
Si la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine crée incontestablement de nouvelles contraintes pour les États, au risque de compromettre leurs engagements climatiques, elle peut aussi jouer un rôle d’accélérateur quant au déploiement de technologies et solutions bas-carbone capables de garantir la sécurité énergétique, économique et climatique et de nouvelles technologies, telles que la production de batteries avec de nouvelles chimies, de petits réacteurs nucléaires ou des solutions de stockage et de réutilisation du charbon, par exemple. L’économie circulaire devrait connaître un nouvel élan et le contexte actuel pourrait favoriser une réflexion sur la réduction accélérée de la consommation énergétique.
Sans doute la crise a-t-elle, par exemple, contribué à accélérer la conclusion d’un accord entre les États membres de l’Union européenne et le Parlement européen pour interdire, à compter de 2035, la vente de nouveaux véhicules à moteur thermique ainsi que d’ un accord provisoire sur le troisième texte du paquet législatif « Fit for 55 », qui rehausse l’objectif européen pour 2030 en matière d’absorption nette des gaz à effet de serre dans le secteur des sols, du changement d’affectation des terres et des forêts à 310 millions de tonnes d’équivalent CO2, soit environ 15 % de plus qu’actuellement.
II. La cop27 : de fortes attentes pour un rÉsultat mitigÉ
A. Les ENJEUX D’UNE COP AFRICAINE PRÉSENTÉE COMME le temps de « la mise en œuvre »
La COP27 est certes une COP de transition, en tant qu’elle fait le lien entre la COP26 de Glasgow, qui a finalisé les règles d’application de l’accord de Paris et relevé les ambitions des parties, et la COP28, qui se tiendra aux Émirats arabes unis à l’automne 2023 et tirera un premier bilan mondial de l’action climatique, conformément aux termes de cet accord. Toutefois, elle a également été présentée par les autorités égyptiennes comme une COP de la « mise en œuvre » (implementation COP ) ([12]) et de « l’adaptation », relayant en cela les espoirs et les attentes des pays du Sud – en particulier autour des questions de l’adaptation, des pertes et préjudices et de la finance climat – de voir les engagements des grandes puissances mondiales se traduire dans les faits. Il s’agissait ainsi de parvenir à une plus grande responsabilisation des acteurs concernés, à une plus grande solidarité et à une meilleure coordination entre les parties, autant de critères à l’aune desquels peuvent être évalués ses résultats ([13]).
1. Rehausser l’ambition climatique, mettre en œuvre les engagements des États en matière d’atténuation et approfondir la réflexion sur l’objectif mondial d’adaptation
Le pacte de Glasgow sur le climat, adopté le 13 novembre 2021 par les parties à la CCNUCC, a réaffirmé la nécessité d’intensifier les efforts globaux en matière de réduction de gaz à effet de serre. Ce pacte les exhorte, d’une part, à aligner leur contribution déterminée au niveau national (CDN) ([14]) avec l’objectif de température de l’accord de Paris et, d’autre part, à soumettre une stratégie de long terme (STL) visant la neutralité climatique aux alentours du milieu du siècle. Un enjeu important de la COP27 était donc de faire en sorte que l’objectif de limiter la hausse des températures à 1,5 °C, affirmé avec force à Glasgow, reste atteignable (« keeping 1.5 alive ») notamment par le biais d’un processus appelé le programme de travail sur l’atténuation (Mitigation Work Programme – MWP), dont les activités doivent débuter en 2023 et qui devait faire l’objet d’une décision en Égypte. Ce programme doit permettre, dans le prolongement des travaux de la COP26 ([15]), d’élargir les discussions climatiques aux moyens de parvenir à la réduction des gaz à effet de serre et à rapprocher les résultats effectifs des engagements pris par toutes les parties.
Si la COP27 avait donc un rôle non négligeable à jouer en matière d’atténuation du changement climatique, la présidence égyptienne n’en a pas fait l’une de ses priorités, bien qu’affirmant vouloir travailler sur tous les volets de l’accord de Paris, lui privilégiant la question des pertes et préjudices et de la finance climat.
L’adaptation au changement climatique a également constitué l’un des enjeux de cette COP africaine. La décision de Glasgow avait mandaté les parties pour opérationnaliser l’objectif mondial d’adaptation, inscrit à l’article 7.1 de l’accord de Paris, mais dont les contours restent mal définis, les pays en développement souhaitant parvenir à un objectif quantifié, tandis que les pays développés militent davantage pour une approche qualitative. Aussi avait-elle décidé de mettre en œuvre un programme de travail sur deux ans (2022-2023) relatif à cet objectif mondial d’adaptation, afin que toutes les parties puissent partager leur compréhension de cet objectif et définir comment progresser vers sa réalisation. Si la COP27 n’était pas censée marquer l’aboutissement de ce processus, la présidence égyptienne avait indiqué souhaiter en faire un point d’étape important, répondant à la forte demande manifestée en ce sens par les pays en développement.
2. Finance climat : assurer un soutien effectif des pays les plus vulnérables aux effets du changement climatique
La COP26 s’est déroulée dans un contexte complexe, alors que les pays développés n’ont pas tenu leur objectif collectif de consacrer 100 milliards de dollars par an à partir de 2020 et jusqu’en 2025 à l’action climatique et que le groupe des 77 (G77), principale coalition de négociation des pays en développement, a fait de la finance climat sa priorité. L’objectif de la COP27 était de convaincre que l’augmentation de la mobilisation des financements pour le climat, nécessaire afin d’atteindre l’objectif de 100 milliards de dollars à court terme, et dans le cadre des négociations sur l’objectif post‑2025 à plus long terme, dépendait de la capacité à mobiliser toutes les sources de financement disponibles, privées et publiques, nationales et internationales.
Le pacte de Glasgow restreint, en effet, les enjeux d’alignement des flux financiers publics et privés sur un développement bas-carbone et résilient avec l’accord de Paris (article 2.1, al. c) aux seuls pays développés, banques multilatérales de développement et institutions financières internationales, alors qu’il pourrait s’agir d’un objectif s’appliquant à toutes les parties. Son opérationnalisation est au cœur de la définition de la finance climat ([16]). À la COP27, l’objectif porté en particulier par l’Union européenne était donc de pousser ce sujet dans les discussions sur le nouvel objectif collectif quantifié post‑2025. Il ne s’agissait pas, à ce stade, de fixer un nouveau chiffre pour la finance climat mais de s’entendre sur certains paramètres, tels que le périmètre retenu et la détermination ou non de sous‑objectifs.
En outre, à Glasgow, après de longues discussions, les pays développés ont promis de doubler les financements consacrés à l’adaptation au changement climatique pour 2025 par rapport à leur montant de 2019, c’est‑à‑dire de passer de 20 milliards à 40 milliards de dollars. Il s’agit d’un effort important ; la question est de savoir comment y parvenir.
3. Éviter, réduire et remédier aux pertes et préjudices dans un contexte de fortes attentes des pays les plus vulnérables et de la société civile
Les pays développés et les pays en développement n’étaient pas encore parvenus à un accord significatif sur les pertes et les préjudices, qui fait référence aux conséquences irréversibles du changement climatique, principalement quant à la mise en œuvre de mécanismes de financement visant à compenser les pertes induites par le changement climatique. Ce sujet n’est toutefois pas nouveau : ces enjeux étaient présents dès l’instauration de la CCNUCC et sont progressivement montés en puissance au cours des différentes COP. Il avait tout de même donné lieu au Warsaw International Mechanism for Loss and Damage associated with Climate Change Impacts (WIM) ([17]) lors de la COP19 de Varsovie en 2013, ainsi qu’à article 8 de l’accord de Paris, distinct de l’article 7 relatif à l’adaptation.
À la COP 26, ce sujet avait surgi avec force sous la pression des petites îles et des pays les plus vulnérables qui avaient exigé la création d’une facilité dédiée mais n’avaient obtenu que le lancement d’un « dialogue de Glasgow », qui doit perdurer jusqu’en 2024, pour examiner la question sous toutes ses facettes. Ce résultat n’a pas satisfait ces pays qui ont rallié à leur cause l’ensemble du G77 augmenté de la Chine. Le groupe a fait front uni pour réclamer que la question soit évoquée à la COP27 avec un point d’agenda dédié. Son objectif était d’obtenir l’augmentation substantielle des financements des pays développés en faveur des pertes et préjudices et la création d’un mécanisme de financement structurel destiné à l’indemnisation nécessaire des populations touchées. De nombreux pays en développement insistent sur le fait que financer de telles pertes relève, en effet, d’une « responsabilité légale » des nations développées historiquement les plus responsables des émissions de gaz à effet de serre accumulées.
Si les États développés ont manifesté leur réticence face à cette proposition, craignant que la reconnaissance des pertes et préjudices débouche sur des poursuites judiciaires et des demandes de compensations financières à leur égard, leur position sur ce sujet a toutefois évolué progressivement. Fin octobre 2022, l’envoyé spécial des États-Unis pour le climat, John Kerry, a indiqué que son pays était ouvert à des discussions sur des arrangements financiers potentiels, sans pour autant se prononcer sur un mécanisme spécifique ni utiliser le terme de « réparations », et en expliquant que toute disposition légalement contraignante serait considérée comme inacceptable. Dès la COP26, l’Écosse et la Wallonie s’étaient engagés, de leur côté, à verser un million d’euros aux États les plus vulnérables pour les aider à faire face aux pertes et préjudices ; en septembre 2022, le Danemark a promis 100 millions de couronnes (environ 13,4 millions d’euros) d’aides climatiques.
Finalement, la demande d’inscription à l’ordre du jour de cette question fut acceptée en début de session, selon une formulation dont chaque mot a été pesé ([18]) et à condition que les discussions ne se déplacent pas sur la question des réparations et de la responsabilité juridique, conformément à la ligne rouge établie par les États-Unis.
Par ailleurs, en réponse aux préoccupations des États en développement vulnérables face aux risques climatiques croissants, les parties devaient arriver à Charm el-Cheikh avec des propositions constructives, fondées sur les besoins des États vulnérables et permettant concrètement de faire avancer la réduction des risques de pertes et préjudices liés aux impacts du changement climatique. Dans cette perspective, des échanges ont eu lieu tout au long de l’année 2022 entre la France et ses partenaires de l’Union européenne et du G7 ([19]), afin d’augmenter l’effort des États développés en matière d’adaptation, de réduction des risques de catastrophe, de financement et d’assurance des risques climatiques.
B. UN BILAN contrastÉ au regard des ENJEUX, MALGRÉ UNE AVANCÉE MAJEURE SUR LA QUESTION DES PERTES ET PRÉJUDICES
1. Une COP attendue avec une certaine appréhension
La préparation et la tenue de la COP27 s’est faite dans un contexte géopolitique difficile, sur fond de guerre en Ukraine et de critiques adressées au régime égyptien, laissant craindre l’échec des négociations.
Lors de l’intersession climat de Bonn ([20]), en juin 2022, des crispations sont ainsi apparues sur presque tous les sujets parmi lesquels le programme de travail sur l’atténuation du changement climatique prévu à la COP26. Les pays présents ne sont pas parvenus à se mettre d’accord sur son contenu, en raison de l’opposition ferme de certains États, au premier rang desquels la Chine, qui estimaient qu’il fallait s’en tenir au bilan mondial prévu en 2023 sans se projeter au‑delà.
Les discussions ont aussi été difficiles aux réunions ministérielles sur l’environnement et le climat tenues du 31 août au 2 septembre 2022 à Bali, en Indonésie, dans le cadre du G20 ([21]), lesquelles n’ont pu aboutir à l’adoption d’un communiqué final pour plusieurs raisons. La présence de la Russie a rendu impossible tout accord sur un langage consensuel condamnant l’agression illégale russe contre l’Ukraine. La présidence indonésienne, un peu débordée par les discussions, a proposé un texte sans doute trop long, sur lequel il était impossible de s’entendre à temps. Surtout, est apparue une nette division entre les pays du G7 avec l’Espagne, les Pays-Bas, la Corée du Sud et l’Australie, d’une part, et certaines parties, à commencer par la Chine soutenue par l’Arabie saoudite, l’Afrique du Sud et le Brésil, d’autre part, qui ont semblé vouloir remettre en cause les avancées du pacte de Glasgow et le leadership du G20, pourtant acquis lors de la précédente réunion ministérielle à Naples, en juillet 2021.
Toutefois, l’atmosphère des négociations s’est améliorée lors du G20 qui s’est tenu à Bali les 15 et 16 novembre 2022. L’engagement des États présents de poursuivre leurs efforts pour limiter la hausse de la température mondiale à 1,5 °C, conformément à l’accord de Paris, en accélérant notamment la réduction progressive de l’utilisation du charbon, a été interprété comme un signe particulièrement positif pour l’issue de la COP27. Dans sa déclaration finale, le G20 demande également aux délégués de la COP de réaliser des progrès sur la question des pertes et préjudices. En revanche, à l’exception notable de la réduction de la consommation du charbon, déjà mentionnée dans le pacte de Glasgow, nulle référence n’est faite à l’élimination progressive des énergies fossiles.
Les conditions d’organisation de la COP et sa présidence ont également fait l’objet de critiques nourries avant même le début des négociations.
Des organisations non gouvernementales (ONG) internationales, pour la première fois présentes sur le territoire égyptien depuis sept ou huit ans et disposant, fait exceptionnel, du droit de manifester dans l’enceinte même de la COP ([22]), ont dénoncé les violations des droits humains dont se rendrait coupable le régime égyptien, les obstacles en matière de financement, de recherche et d’enregistrement opposés à la participation de la société civile égyptienne et un adoubement international supplémentaire à peu de frais pour un gouvernement égyptien parfois qualifié d’autoritaire, relayant en cela le message d’ONG locales peu nombreuses. Les pressions internationales pour la libération de l’écrivain britanno‑égyptien, Alaa Abdel Fattah, prisonnier politique condamné en 2021 à cinq ans de prison, en grève de la faim et de la soif, fut l’exemple paradigmatique des reproches formulés au pouvoir égyptien à l’occasion de la COP et largement relayés par les médias, en particulier avant et au début de l’évènement.
La qualité de la présidence égyptienne elle-même a été contestée pour sa préparation jugée insuffisante – elle aurait tardé à définir ses priorités et sa vision des négociations – et son manque de leadership. Ces critiques ont trouvé une vigueur nouvelle dans les dernières heures de la COP27, la présidence étant accusée de mener les négociations de façon chaotique, en privilégiant les consultations bilatérales et la convocation en pleine nuit des représentants des États pour leur présenter à la dernière minute des textes de compromis incomplets sans les leur remettre.
Enfin, les associations de défense de l’environnement ont critiqué la présence de près de 600 lobbyistes sur le site de la COP, dont certains avaient directement accès aux salles de négociations, ainsi que le partenariat entre la multinationale de boissons sucrées, Coca-Cola, productrice de 100 milliards de bouteilles plastiques ([23]) fabriquées à partir de pétrole, et le ministère des affaires étrangères égyptien pour l’organisation de la COP, dénonçant un projet d’« écoblanchiment » ([24]) de la part de l’entreprise.
De nombreux acteurs soulignent le caractère particulièrement dommageable de tels partenariats qui contribuent à décrédibiliser l’image des COP auprès de la société civile. En ce sens, une réflexion pourrait être ouverte avec la CCNUCC sur l’opportunité de mieux encadrer – voire d’interdire – à l’avenir ces partenariats qui génèrent sans aucun doute des profits participant à la bonne organisation des COP. De la même manière, il paraîtrait opportun de s’interroger sur la place des groupes de pression dans ces négociations, lesquels sont particulièrement bien structurés et ont accès aux salles de négociations, souvent invités par les parties elles-mêmes. Davantage de régulation permettrait de lutter contre le discrédit qui accompagne inévitablement ce type de pratique, alors même que la société civile peine parfois à se faire une place dans les négociations.
Le rapporteur Carlos Martens Bilongo est, pour sa part, favorable à une interdiction totale des partenariats avec des entreprises polluantes ainsi qu’à un encadrement strict de la présence des groupes de pression sur les sites des COP, lesquels ne devraient pas se voir autoriser, selon lui, l’accès aux salles de réunion.
Proposition n° 1 : Ouvrir une réflexion au sein de la CCNUCC sur l’opportunité d’encadrer, voire d’interdire, les activités de parrainage et la présence de groupes de pression, en particulier dans les salles de négociations des COP.
Cette question risque d’ailleurs de trouver un nouvel écho lors de la COP28 de Dubaï. Les autorités émiriennes soutiennent, en effet, la pleine ouverture de leur COP à l’ensemble des acteurs concernés, y compris aux groupes de pression et aux entreprises, dès lors qu’ils remplissent un certain nombre de critères – dont les rapporteurs ne connaissent toutefois pas la teneur exacte – et s’engagent à trouver des solutions concrètes pour participer à la lutte contre le réchauffement climatique.
Malgré ces multiples obstacles, la COP est parvenue à un relatif succès logistique. Les pressions autour de la libération d’Alaa Abdel Fattah sont quelque peu retombées lorsque ce dernier a décidé de mettre un terme à sa grève de la faim et de la soif ([25]). De même, la COP27 est parvenue à réunir plus de 33 000 personnes, ce qui en fait la deuxième COP la plus fréquentée, après celle de Glasgow. Le segment des « leaders », par lequel elle a débuté, à l’instar de l’organisation de la COP26, s’est imposé comme un succès pour la présidence égyptienne de la Conférence et le président Abdel Fattah al-Sissi, avec près de 130 chefs d’État et de gouvernement (et vice‑présidents) présents, malgré l’absence notable de la Chine et de l’Inde.
Sur le plan politique, et malgré une méthode de négociations qui a fait craindre un échec final, la COP est parvenue à aboutir à l’adoption de quelque 61 décisions, pour un bilan certes mitigé mais qui présente tout de même des avancées significatives, y compris d’un point de vue symbolique, sur la question des pertes et préjudices.
2. Des progrès non négligeables, en particulier sur la question des pertes et préjudices
a. Les pertes et préjudices : l’avancée majeure de la COP27
L’avancée déterminante de la COP27 concerne la question des pertes et préjudices – qui représenteraient, dans les pays en développement, 435 milliards de dollars en 2020 et pourraient se chiffrer au-delà des 1 000 milliards de dollars annuels à l’horizon 2050 – ([26]), sujet majeur aux yeux du G77 et de la Chine, qui se sont montrés particulièrement tenaces et solidaires pour faire progresser cette question. Une telle avancée a été rendue possible grâce à l’initiative décisive de l’Union européenne qui, face au blocage des négociations, a décidé de faire preuve d’ouverture en proposant la création d’un fonds spécifique dédié à ce sujet, à condition que ce dernier s’adresse aux pays les plus vulnérables et non à l’ensemble des pays en développement, qu’il fasse partie d’une mosaïque de solutions et que tous les donateurs potentiels soient invités à y contribuer, et non pas seulement les pays développés. Cette initiative, saluée par la société civile, a emporté l’adhésion générale. Un comité de transition, en vue de l’opérationnalisation du fonds d’ici la tenue de la COP28 en 2023, devrait être prochainement établi ; il comprendra dix représentants des pays développés, dont quatre issus des États membres de l’Union européenne, et quatorze représentants des pays en développement, ces deux groupes de pays se partageant également la co-présidence. Le calendrier de sa mise en œuvre n’est pas encore connu : l’expérience du Fonds vert pour le climat rappelle toutefois qu’il peut s’écouler entre cinq à six ans entre la création d’un fonds multilatéral sous l’égide d’une instance onusienne et le moment où il est en mesure d’engager véritablement ses premières dépenses.
L’une des pistes avancées pour financer un tel fonds pourrait être la mise place d’une taxe exceptionnelle sur les profits records des entreprises pétrolières et gazières proposée par le secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, en septembre 2022.
Plus généralement, ce fonds trouve sa place, conformément à la volonté européenne, dans le cadre plus large d’un ensemble de solutions proposées pour traiter la question des pertes et préjudices, constituant autant d’avancées sur ce sujet sensible, parmi lesquelles :
- l’initiative CREWS ([27]) (Climate Risk and Early Warning Systems), soutenue par la France et pour laquelle elle double son financement annuel à 8 millions d’euros. Pour la première fois, une section de la décision de couverture est dédiée spécifiquement aux systèmes d’alerte précoce, conformément à l’objectif fixé par le secrétaire général des Nations Unies d’atteindre une couverture universelle par ces systèmes pour 2025. Bien que l’initiative CREWS ne soit pas mentionnée, cette section confirme la pertinence des systèmes d’alerte précoce en matière de réponse aux risques climatiques ;
- le bouclier global contre les risques climatiques (Global Shield), proposé par la présidence allemande du G7 et pour laquelle la France a annoncé une contribution de 20 millions d’euros en 2023, qui doit permettre de développer des outils assurantiels et de couvrir des populations vulnérables ;
- l’initiative du président de la République, Emmanuel Macron, en liaison avec la première ministre de la Barbade, Mia Mottley, de développer des financements innovants et de réformer les institutions financières internationales pour répondre aux besoins de pays vulnérables, y compris à revenu intermédiaire, confrontés à un choc climatique, afin de traiter de la question de façon systémique. Un sommet international sur ce sujet, annoncé après la COP par Emmanuel Macron, sera organisé à Paris, en juin 2023.
L’autre succès de la COP27 sur les pertes et préjudices tient à l’opérationnalisation réussie du réseau de Santiago. Ses six fonctions avaient été agréées à Glasgow mais le réseau n’avait pu être complètement opérationnalisé lors de cette conférence, faute de consensus. L’accord obtenu à la COP27 permettra son entrée en fonctionnement rapidement après la COP28. Sa structure a ainsi été décidée : il sera composé d’un conseil consultatif, d’un secrétariat ainsi que des membres du réseau. S’agissant de l’hôte du secrétariat, le processus de sélection sera lancé après la COP27 en vue d’une décision à la COP28. Les critères agréés sont robustes et un groupe d’évaluation aura pour rôle d’examiner les candidatures, afin d’aider à la sélection.
b. La poursuite des partenariats pour une transition énergique juste
Le partenariat ([28]) signé avec l’Afrique du Sud, en marge de la COP26, a été conforté. Le pays a, en effet, présenté son plan d’investissement détaillé, ce qui a permis le déblocage par les bailleurs de premiers financements, dont 300 millions d’euros de la part, respectivement, de la France et de l’Allemagne.
Le partenariat pour une transition énergétique juste avec l’Afrique du Sud :
quels objectifs ?
L’Afrique du Sud a présenté à la COP27 la version finale de son plan d’investissement pour une transition énergétique juste qui détaille sa stratégie et ses projets prioritaires pour mettre en œuvre le partenariat dans le domaine des énergies renouvelables, de l’hydrogène et des véhicules électriques. D’un montant total de 98 milliards de dollars, ce plan englobe les investissements publics et privés et a été approuvé par la présidence sud-africaine et les pays bailleurs.
La déclaration politique sur le partenariat en Afrique du Sud s’engage à mobiliser un montant initial d’environ 8,5 milliards de dollars de la part des bailleurs au cours des trois à cinq prochaines années, en vue d’engagements bilatéraux et multilatéraux à plus long terme. Les pays bailleurs prévoient de mobiliser 6,8 milliards en prêts, dont 5,3 milliards de dollars en prêts concessionnels et 1,5 milliard de dollars en prêt à taux du marché, 329 millions de dollars en subventions et 1,5 milliard de dollars en garantie.
Les financements des bailleurs permettent d’assurer près de 12 % des financements nécessaires, principalement orientés vers le démantèlement des centrales à charbon, le financement d’emplois alternatifs dans les zones d’extraction du charbon et le déploiement d’énergies renouvelables.
La combinaison d’instruments financiers permet de répondre spécifiquement aux besoins de la transition du pays. Les prêts permettent, en effet, de financer les actifs rentables, tels que les infrastructures énergétiques, tandis que les dons visent à ce qu’aucune communauté ne soit laissée pour compte.
La France s’est engagée à fournir 1 milliard d’euros dans le cadre de ce partenariat sous forme de prêts concessionnels. Dans le cadre de cet engagement, l’agence française de développement (AFD) a signé un prêt budgétaire de 300 millions d’euros adossé à des indicateurs spécifiques, qui ont fait l’objet d’une annonce lors de la COP27. S’agissant du reste de la contribution française, l’AFD est en discussion avec la compagnie d’électricité sud-africaine Eskom pour un éventuel prêt de 500 millions d’euros.
Un nouveau partenariat a, par ailleurs, été conclu avec l’Indonésie : Jakarta y rehausse de manière significative ses engagements climatiques en échange d’un soutien financier de 20 milliards de dollars. Si l’annonce en a été faite au G20 de Bali dans les derniers jours de la COP27, les négociations de ce partenariat se sont conclues à la COP.
c. L’agrément d’une floraison d’initiatives
La COP27 a donné lieu à la conclusion de très nombreuses initiatives proposées tant par des États que par des acteurs non-étatiques. La présidence égyptienne avait souhaité en lancer une douzaine ; la France a décidé d’en rejoindre quatre : sur l’agriculture, (Food and Agriculture for Sustainable Transformation Initiative – FAST), les solutions fondées sur la nature (Enhancing Nature-based Solutions for Climate Transformation – ENACT), la résilience urbaine (Sustainable Urban Resilience for the next Generation – SURGe), ainsi que sur le climat et la paix (Climate Responses for Sustaining Peace – CRSP). Force est de constater, cependant, que la publicité donnée durant la COP27 à ces initiatives est restée modeste. La présidence n’a pas communiqué sur la liste des pays rejoignant chacune d’entre elles et il est à craindre que certaines soient vite oubliées, faute d’un engagement suffisant de l’Égypte pour les faire vivre au-delà de la COP. Les autorités émiriennes ont d’ailleurs insisté auprès des rapporteurs sur la nécessité d’évaluer la mise en œuvre de ces initiatives avant d’en poursuivre de nouvelles tout en appelant la France à soutenir son alliance des mangroves pour le climat, lancée conjointement avec l’Indonésie lors de la COP27, dans le but d’intensifier et d’accélérer la conservation et la restauration des écosystèmes de mangrove.
La France a initié ou rejoint d’autres initiatives : elle a lancé un Buildings Breakthrough pour accélérer la transition du secteur du bâtiment. Elle a également rejoint l’alliance internationale pour la résilience à la sécheresse (IDRA), proposée par l’Espagne et le Sénégal durant le segment des chefs d’État et de gouvernement ; l’initiative Net-Zero Government, créée par les États-Unis, appelant les gouvernements à accélérer la transition écologique de leurs services publics, afin qu’ils atteignent la neutralité carbone pour 2050 ; la coalition Accelerating to Zero (A2Z), définie par le Royaume-Uni, visant à ce que toutes les ventes de voitures neuves soient à zéro émission d’ici 2040, ainsi que le Green Shipping Challenge porté par les États-Unis avec l’objectif de promouvoir les actions de décarbonation sur la chaîne de valeur du transport maritime.
L’initiative des États-Unis et de l’Union européenne sur le méthane (Global Methane Pledge), initiée à la COP26 afin de réduire les émissions de ce gaz de 30 % d’ici à 2030, a pu trouver une audience renouvelée à la COP27 grâce à de nouveaux ralliements, tels que celui de l’Égypte, de l’Australie et du Qatar, portant le nombre de soutiens à plus de 150, malgré l’absence notable de celui de la Chine, de la Russie ou encore du Turkménistan.
La COP27 a octroyé une place renforcée aux débats sur l’agriculture et l’alimentation, lesquels représentent plus du tiers des émissions de gaz à effet de serre mondiales. L’élevage, en particulier, est un secteur à la fois extrêmement polluant, mais aussi un levier pour la réduction de la pauvreté, la contribution à la sécurité alimentaire et le développement territorial. Dans le même temps, le secteur des terres est un puits de carbone important, séquestrant 2 % des émissions totales de gaz à effet de serre. Aussi, l’agriculture représente-t-elle à la fois un problème et une solution à l’atténuation. En outre, ce secteur est l’une des premières victimes du changement climatique : les sécheresses de plus en plus longues et fréquentes, les cyclones et les inondations menacent la sécurité alimentaire des pays concernés. Malgré les enjeux majeurs qu’elles recouvrent, les questions agricoles et alimentaires souffrent d’une faible prise en compte à la fois dans les financements publics consacrés au climat (seuls 3 % de ces financements leur sont dédiés) ([29]), mais aussi au sein des négociations climatiques internationales.
Or, des discussions constructives, encouragées par l’inscription à l’ordre du jour des négociations de la question des pertes et préjudices ont permis d’élargir le champ de la réflexion à la mise en œuvre d’actions climatiques pour l’agriculture et la sécurité alimentaire, tenant notamment compte des besoins d’adaptation des pays les plus vulnérables. Ces avancées, auxquelles la présidence égyptienne a pleinement contribué en consacrant pour la première fois une journée thématique à l’agriculture, doivent encourager les agences spécialisées à déployer des financements axés sur ces priorités. Les discussions ont toutefois été tendues et de réelles dissensions sont apparues. Les négociations autour de l’atténuation des émissions du secteur agricole ont généré des tensions, les pays du Sud, menés par l’Inde, craignant que cela ne leur impose de nouvelles contraintes en plus de celles relatives à l’adaptation, obligeant la France et l’Union européenne à faire des concessions, en supprimant toute mention à l’agroécologie ([30]), à la nutrition et en s’engageant à ne pas promouvoir de travail à l’échelle des systèmes alimentaires au-delà de l’agriculture.
Parallèlement, certaines initiatives ont été adoptées sur ces sujets. Outre le projet FAST, déjà mentionné, les États-Unis et les Émirats arabes unis ont ainsi lancé l’initiative « AIM for climate » (AIM4C), qui devrait être abondée à hauteur de 8 milliards de dollars sur cinq ans. Cette initiative, qui prévoit notamment le déploiement d’additifs dans l’alimentation du bétail pour réduire les émissions de méthane du secteur de l’élevage, est emblématique d’une approche fondée sur le déploiement de solutions technologiques à l’atténuation n’impliquant aucune réflexion systémique sur le modèle agricole à promouvoir, en l’occurrence la réduction de la taille des cheptels.
Si l’attitude constructive de l’Union européenne sur la question des pertes et préjudices aurait pu laisser espérer le rehaussement, en contrepartie, de l’ambition de l’ensemble des parties en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, il n’en a rien été du fait de la persistance des réticences de nombreux pays émergents, principalement de la Chine et de l’Arabie saoudite ; celle dernière a pu déclarer en séance plénière qu’il ne fallait pas se concentrer sur les ressources énergétiques mais sur les réductions d’émissions, et prôner le développement de technologies, telles que la capture et le stockage du carbone, pour justifier la poursuite de l’utilisation des énergies fossiles. La présidence égyptienne s’est peu investie pour surmonter ces divergences.
Ainsi, la décision de couverture de la COP27, « Sharm el-Sheikh Implementation Plan », réaffirme certes, dans le prolongement et grâce à la déclaration finale du G20 de Bali, l’objectif de limiter l’augmentation de la température mondiale à 1,5 °C, plutôt que 2 °C, ce qui peut être considéré comme un succès en soi étant donné les craintes existantes d’un possible recul par rapport aux avancées de la COP26 de Glasgow. Toutefois, cette décision de couverture s’apparente à une simple reprise du pacte de Glasgow, sans recul donc, mais sans avancées non plus. Les efforts déployés par les progressistes – au premier rang desquels la France et l’Union européenne – pour relever l’ambition, que ce soit par l’inclusion d’une sortie des énergies fossiles avec, entre autres, le soutien des États-Unis et du Canada, pour aller au-delà de la réduction (phase down ) du charbon, telle que mentionnée dans le pacte de Glasgow, ou la référence à un pic d’émissions globales avant 2025 se sont soldés par un échec ([31]). Ces éléments avaient pourtant figuré dans une déclaration tardive à la presse de la coalition pour la haute ambition pour la nature et les peuples (High Ambition Coalition –HAC) ([32]) relancée à cette occasion et avaient obtenu le ralliement de nombreux pays, y compris des États-Unis, du Canada, de la Norvège, du Royaume‑Uni, de l’Italie, de l’Allemagne, des pays insulaires ainsi que des pays d’Amérique latine et des Caraïbes (AILAC).
De même, les parties avaient été mandatées à Glasgow pour établir un programme de travail sur l’atténuation destiné à contribuer à rehausser l’ambition climatique au cours de la décennie. Or, devant l’opposition de la Chine et de l’Arabie saoudite, qui ne voulaient pas en faire un exercice contraignant, le programme se réduit à un échange non prescriptif, non punitif, respectueux de la souveraineté et des circonstances nationales, qui doit tout de même perdurer jusqu’en 2026, quand ses opposants souhaitaient le voir s’achever dès l’édiction du bilan mondial de 2023. Aussi la décision finale ne peut-elle que constater avec « vive inquiétude » ([33]) l’écart existant entre les contributions déterminées nationalement par les États – qui permettraient de réduire les émissions de seulement 0,3 % en 2030 par rapport à 2019 – et les niveaux de réduction des émissions effectivement requis pour limiter le réchauffement à 1,5 °C, soit 43 % sur la même période.
Quelques initiatives en marge de la décision finale peuvent toutefois être signalées. Le Tuvalu et le Vanuatu sont les premiers États membres d’un traité de non-prolifération des combustibles fossiles ([34]) soutenu par 70 villes et gouvernements locaux, 101 prix Nobels, 3 000 scientifiques et chercheurs et plus de 500 000 individus. Le groupe BOGA (Beyond Oil and Gas Alliance), créé à Glasgow pour sortir progressivement des hydrocarbures – ses membres s’engagent à cesser immédiatement l’octroi de nouvelles licences et concessions pour la production et l’exploration d’hydrocarbures et à fixer une date de fin d’exploitation et d’exploration pour les licences déjà en cours – a par ailleurs accueilli de nouveaux membres, tels que le Portugal et l’État de Washington, ainsi que de nouveaux « États amis ».
Peu d’avancées ont également été obtenues s’agissant de la mise en œuvre de l’article 6 de l’accord de Paris. Alors que la COP26 avait permis d’obtenir un accord sur les règles d’échanges de crédits carbone, de nombreux points de détail restaient à régler pour garantir l’intégrité du système et la transparence des échanges concernant, par exemple, les trames des rapports qui garantiront la transparence des échanges, les modalités d’évaluation de ces rapports et la conception du système informatique, qui permettra le suivi des transactions. Or, les négociations sur des textes longs et techniques ont été laborieuses et il a finalement été décidé, en toute fin de COP, de reporter de nombreux éléments non consensuels dans un programme de travail qui sera examiné en 2023 lors de la COP28. Le bilan est, en ce sens, mitigé pour l’Union européenne : même si elle a réussi à obtenir des trames de rapports détaillées, elle déplore que leur utilisation ne soit pas obligatoire, tandis que le compromis sur les infrastructures informatiques a permis de concilier l’approche européenne d’un système de suivi centralisé avec celui, décentralisé, demandé par les États‑Unis.
Il peut néanmoins être souligné que la décision de couverture comporte quelques avancées bienvenues. Si elle ne contient pas de date de pic d’émissions, elle souligne tout de même « le besoin urgent de réductions immédiates, profondes, rapides et durables des émissions mondiales de gaz à effet de serre de la part des Parties ». Pour la première fois, une décision de couverture de la COP mentionne les solutions fondées sur la nature, l’existence de points de bascule en matière environnementale, ainsi que le droit à un environnement sain. Elle note la nécessité d’une transformation du système financier et de ses structures, appelant les banques multilatérales de développement et les institutions financières internationales à réformer leurs pratiques et leurs priorités pour faire face à l’urgence climatique mondiale, en plein accord avec l’appel lancé par le président de la République, Emmanuel Macron, en faveur de la réforme des institutions financières internationales et son annonce d’un sommet, avant la COP28, sur cette question.
Par ailleurs, l’Union européenne n’a certes pas réussi à ouvrir les discussions sur une vision de la finance climat élargie à l’alignement de tous les flux financiers avec un développement bas-carbone et résilient (troisième objectif de long terme de l’accord de Paris, article 2.1, al. c), mais la décision de couverture crée tout de même « le dialogue de Charm el-Cheikh », qui vise à échanger sur la compréhension de l’article 2.1, al. c à travers deux ateliers de travail en 2023, dont les conclusions seront non contraignantes. L’un des enjeux de ces ateliers sera de prendre garde à ce que la définition de l’alignement des flux financiers ne soit pas réduite à la provision de la finance climat publique, comme le souhaiteraient l’Arabie Saoudite et la Chine. On peut d’ailleurs penser que la solution proposée par l’Union européenne quant à la création d’un fonds sur les pertes et préjudices s’explique, en partie du moins, par le fait qu’un tel fonds s’inscrit dans la perspective d’un alignement de tous les flux financiers, publics et privés, sur les objectifs de l’accord de Paris.
S’il a souvent été reproché à l’Union européenne d’être en retrait lors des négociations internationales, ses multiples initiatives lors de la COP27 lui ont permis de s’imposer comme l’un des acteurs majeurs de cet évènement, plus proactif que les États-Unis ou le Royaume-Uni, par exemple. La Commission européenne a d’ailleurs souligné sa satisfaction quant à l’excellente coopération qui s’est nouée entre elle et ses États membres, facilitée par l’investissement de la présidence tchèque du Conseil de l’Union européenne ([35]). En revanche, sa main tendue aux pays en développement, que représente le fonds dédié aux pertes et préjudices, n’a pas été saisie par ces derniers : la ligne de fracture entre pays du Nord et pays du Sud reste bien vivace. De manière plus inquiétante, la COP27 a vu se nouer une alliance de circonstances, cimentée autour du groupe « G77+Chine », entre pays – vulnérables pour certains, à forte croissance et producteurs de combustibles fossiles pour d’autres – aux intérêts divergents et aboutissant à cadenasser les débats sur la question des énergies fossiles.
L’influence des États africains sur l’issue de cette COP, présentée par la présidence égyptienne comme la première COP africaine, doit, en revanche, être relativisée. Ces pays ont toujours disposé, au sein des COP, d’un groupe de négociation commun, l’African Group of Negotiators (AGN), lequel, assez logiquement, a été reconduit lors de la COP27. Ce groupe a été particulièrement visible à Charm el-Cheikh, l’enjeu de l’adaptation étant une priorité portée en grande part par les pays africains, qui considèrent que les efforts en matière d’adaptation, financiers en particulier, sont insuffisants en comparaison de ceux menés pour l’atténuation ; ils plaident ainsi en faveur d’une parité des financements dédiés à l’adaptation et à l’atténuation et se montrent également extrêmement sensibles à la question de la transition juste et solidaire. Si des divergences existent au sein du groupe, en particulier autour de la question du gaz ([36]), les pays africains ont néanmoins fait montre de détermination et d’unité pour porter leurs intérêts lors de la COP comme de la pré-COP27 de Kinshasa, en octobre 2022, laquelle a poussé à inscrire la problématique des pertes et préjudices à l’agenda de la COP27 pour la justice climatique. Surtout, les convergences idéologiques avec les pays membres du groupe « G77+Chine » ont incontestablement permis aux États africains de faire entendre leurs voix. Certains progrès ont ainsi pu être obtenus, à l’instar de nouvelles promesses de dons, d’un montant total de plus de 230 millions de dollars, faites au Fonds d’adaptation lors de la COP 27 ; l’Union européenne et l’Union africaine ont également annoncé, en collaboration avec le Danemark, la France, l’Allemagne et les Pays‑Bas, une nouvelle initiative, le paquet d’investissement « Global Gateway » Afrique-Europe, qui réunira des programmes d’adaptation d’un montant de plus d’un milliard d’euros, dont 60 millions d’euros pour les pertes et préjudices provenant de la contribution globale de l’Union européenne. De même, la présidence de la COP27 a demandé au comité permanent des finances de la CCNUCC de préparer un rapport sur le doublement du financement de l’adaptation en vue de son examen lors de la COP28 et a lancé l’agenda d’adaptation de Charm el-Cheikh, programme global et partagé pour rallier l’action mondiale autour de 30 résultats d’adaptation nécessaires pour combler le déficit d’adaptation et parvenir à un monde résilient pour 2030 au plus tard. Toutefois, au-delà de ces quelques progrès, les pays africains sont prudents, voire déçus, quant aux résultats de la COP. Celle‑ci a certes abouti à la création d’un nouveau fonds dédié aux pertes et préjudices mais ses contours restent flous et aucun financement n’a, pour le moment, été agréé. Par ailleurs, leur tentative de faire des « circonstances spéciales » du continent africain face au changement climatique un point d’agenda de la COP27 a été une nouvelle fois repoussée, les pays membres du G77 ne souhaitant pas permettre à l’Afrique de se singulariser plus que d’autres ensembles géographiques.
Les rapporteurs estiment que l’un des enjeux futurs sera, pour les pays développés, d’aider certains pays africains désireux d’exploiter leurs énergies fossiles, comme le Sénégal et la République démocratique du Congo, à trouver un modèle de développement alternatif qui leur permettra de lutter efficacement contre la pauvreté sur leur territoire sans recourir à des énergies polluantes. Dans le cas contraire, il leur sera difficile de convaincre ces États de renoncer à utiliser leurs ressources, alors même que certains pays occidentaux n’hésitent pas, par exemple, à rouvrir des centrales à charbon pour faire face aux conséquences de la crise en Ukraine.
Enfin, la décision de couverture de la COP27 ne mentionne pas explicitement la COP15 de la biodiversité, ce qui aurait pourtant permis de renforcer les liens entre ces deux COP. Toutefois, certains ponts ont tout de même pu être établis. Plusieurs personnalités architectes de l’accord de Paris sur le climat ont profité de la COP27 pour appeler de leurs vœux la conclusion d’un accord équivalent à celui de Paris lors de la COP15 ([37]). Surtout, les enjeux des négociations se recoupent partiellement, puisque l’une des parties les plus critiques de la COP15 a concerné la mobilisation des ressources, en particulier financières, pour l’action au service de la protection de la biodiversité dans les pays du Sud. En ce sens, l’expérience de la mise en œuvre – qui se veut rapide et efficace – d’un fonds sur les pertes et préjudices a pu nourrir les débats autour de l’opportunité de la création d’un fonds ad hoc pour la biodiversité, qui s’est imposée comme l’un des thèmes des négociations de la COP15.
C. Vers la cop28 : ENJEUX ET DÉBATS AUTOUR D’UNE COP DÉCISIVE
Les Émirats arabes unis, forts d’une croissance économique de 7 % en 2022 grâce à l’augmentation des prix des hydrocarbures et à la reprise économique post‑Covid 19, poursuivent avec constance et détermination une politique d’affirmation nationale. Dans ce cadre, le pays se tourne vers des enjeux de long‑terme en matière économique – avec l’objectif annoncé de doubler son produit intérieur brut (PIB) d’ici à 2031 –, d’éducation et de formation de sa jeunesse, ainsi que d’attractivité et d’influence grâce à son soft power ([38]). La tenue, à l’automne 2023, sur l’ancien site reconverti de l’Exposition universelle de 2020 ([39]) de Dubaï de la COP28 – déjà présentée par la présidence émirienne comme une « COP des solutions » – s’inscrit dans cette perspective et doit constituer, pour les Émirats arabes unis, le point d’orgue de leur année 2023, dont ils souhaitent faire un succès climatique et diplomatique.
1. Quels enjeux pour la COP28 ?
La question de l’atténuation, délaissée par la COP27, devra figurer parmi les premières priorités de la COP28, et ce d’autant plus que les membres du G7 n’ont guère émis de signaux en faveur de la réduction des émissions pour la tenue de cette conférence. En effet, seule l’Union européenne a manifesté son souhait de relever son ambition, par la voix du vice-président exécutif de la Commission européenne, Frans Timmermans, qui a indiqué que les avancées permises par la mise en place du paquet législatif « Fit for 55 » permettaient d’envisager une réduction de 57 %, au lieu des 55 % initialement prévus, d’ici à 2030 et par rapport à 1990. Aucun autre membre du G7 n’a annoncé relever son objectif de réduction des émissions ; les États-Unis, malgré le vote du paquet législatif de l’Inflation Reduction Act (IRA) d’un montant de 369 milliards de dollars, devraient réduire leurs émissions de 40 %, au mieux, d’ici à 2030 par rapport à 2005, loin de l’objectif fixé par le président américain Joe Biden d’une réduction de 50 % à 52 %.
La situation n’est guère plus rassurante en dehors des pays membres du G20. À l’exception de l’Afrique du Sud, aucun grand pays émetteur n’a, pour l’heure, de contribution déterminée au niveau national compatible avec l’objectif de température de l’accord de Paris. Quelques signes encourageants existent toutefois : le Brésil du président Luiz Inácio Lula da Silva pourrait souhaiter relever son ambition, notamment au regard de sa candidature pour l’organisation de la COP30 en Amazonie ; la Chine développe massivement les énergies renouvelables, même si elle continue, dans le même temps, de construire des centrales à charbon ; quant à l’Inde, elle pourrait vouloir jouer un rôle constructif durant sa présidence du G20. Il serait opportun que les Émirats arabes unis, dont la contribution déterminée au niveau national parue en amont de la COP27 a déçu, consentent davantage d’efforts dans la perspective de la COP28, comme cela semble d’ailleurs être le cas ([40]).
Les rapporteurs estiment qu’il est nécessaire que la France se mobilise pleinement, aux côtés de ses partenaires, pour encourager la Chine et les États‑Unis à prendre leur pleine part à l’effort collectif en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et, plus généralement, d’action climatique.
Il paraît donc nécessaire que la présidence émirienne de la COP28 s’investisse suffisamment en amont sur ce sujet. Elle pourrait être aidée par la parution du rapport de synthèse du GIEC en mars 2023, après les trois rapports parus en 2021 et 2022, qui devrait souligner l’insuffisante mobilisation de la communauté internationale sur le sujet. La France pourrait défendre, avec ses partenaires, la présentation de ce rapport en ouverture de la COP28, afin de mobiliser l’ensemble de la communauté internationale. Sans doute cette question devra-t-elle également être au cœur des discussions climat au G7, sous présidence japonaise, et au G20, sous présidence indienne.
L’autre enjeu majeur de la COP28 sera l’établissement du premier bilan mondial, exercice quinquennal prévu par l’accord de Paris, qui vise à évaluer les progrès collectifs accomplis en vue de la réalisation des trois piliers de l’accord que sont l’atténuation, l’adaptation et la mobilisation des moyens nécessaires à sa mise en œuvre. Cet exercice implique non seulement les États mais aussi, plus largement, tous les acteurs du climat. La présidence émirienne, bien consciente de l’enjeu, souhaite lui donner une grande ampleur en allant au-delà de l’exercice de bilan pour y intégrer une dimension prospective qui pourra guider les parties dans la définition de leur contribution pour la période post-2030. Sa préparation interviendra tout au long de l’année 2023, les parties devant soumettre leurs nouvelles contributions dès le mois de février. L’une des principales difficultés pour la présidence sera de cadrer les débats pour en faire un exercice utile et structuré.
L’établissement du bilan mondial réalisé dans le cadre de la COP28 pourra utilement être enrichi et s’appuyer sur le programme international pour l’action sur le climat de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), lancé en mai 2021, qui poursuit l’objectif essentiel d’établir des référentiels communs et crédibles pour décrire et évaluer l’action climatique des États. Ainsi, ce programme se propose d’établir, pour un large éventail de pays – l’ensemble des pays membres de l’OCDE auxquels s’ajoutent des partenaires clés (Afrique du Sud, Inde, Indonésie et Chine), les six candidats à l’adhésion à l’OCDE (Argentine, Brésil, Bulgarie, Croatie, Pérou, Roumanie) et certains pays du G20 –, un tableau de bord présentant des indicateurs permettant d’identifier de manière synthétique et rapide les mesures adoptées par chaque pays et les progrès qu’ils ont accomplis dans la réalisation de leurs objectifs climatiques et de leurs trajectoires vers la neutralité en gaz à effet de serre. Les données retenues dans ce tableau de bord servent ensuite à renseigner l’observateur annuel de l’action climatique dressant, chaque année, un condensé des progrès accomplis par les pays dans la réalisation des objectifs climatiques précités et à attribuer des notes à chacun de ces pays qui s’accompagnent de conseils ciblés sur la façon de procéder pour concevoir des plans d’action à la fois cohérents et économiquement et socialement viables.
Outre l’établissement de ce bilan mondial, les autorités émiriennes ont défini comme prioritaires les questions de l’adaptation, à travers l’opérationnalisation de l’objectif mondial d’adaptation et la fin du programme de travail mandaté à cet effet à la COP26, de l’énergie, incluant une réflexion sur les questions de transition, de politiques nationales et de sécurité énergétiques, de l’agriculture et de l’alimentation, ainsi que la thématique de l’inclusion.
Enfin, étant donné les avancées de la COP27 sur la question des pertes et préjudices et la constance avec laquelle les États du groupe G77 ont réclamé des engagements financiers concrets de la part des États du Nord, il ne fait guère de doute que les questions financières continueront de nourrir les discussions climatiques de la COP28.
Quant à la diplomatie française, elle souhaite poursuivre ses efforts pour engager les parties à accélérer leurs réductions d’émissions de gaz à effet de serre et la sortie des énergies fossiles et portera cette discussion en G20 dont les membres représentent 80 % des émissions mondiales. Elle désire également avancer sur le sujet de la solidarité Nord – Sud à travers le nouveau pacte financier mondial, qu’elle promouvra lors du sommet de juin 2023 à Paris, ainsi que sur la mise en place des arrangements financiers et du fonds dédié aux pertes et préjudices décidé à la COP27. Elle insiste, enfin, sur la nécessité de continuer d’avancer sur la question de l’établissement de liens entre l’action climatique et la biodiversité dans la continuité de l’adoption d’un nouveau cadre mondial pour la biodiversité lors de la COP15 de Montréal, en décembre 2022, forme de pendant à l’accord de Paris. La tenue du One Forest Summit en mars 2023, à Libreville, conformément à l’annonce des présidents français et gabonais, permettra d’approfondir les questions des réserves vitales de carbone et de biodiversité évoquées par Emmanuel Macron lors d’une table-ronde organisée à son initiative pendant la COP27.
S’agissant de l’Union européenne, elle entend jouer un rôle moteur en s’appuyant sur une coopération renforcée des États membres, méthode qui a fait ses preuves au cours de la COP27. Elle souhaite accentuer les ambitions climatiques dans tous les domaines (atténuation, adaptation, finance climat), aborder de front la question énergétique, qu’il s’agisse de la transition énergétique et de l’utilisation des énergies fossiles, et tenter de mettre à l’ordre du jour la question de l’alignement des flux financiers sur les objectifs de l’accord de Paris.
Il semble enfin aux rapporteurs que la France, de manière indépendante mais aussi comme membre influent de l’Union européenne, aurait un rôle à jouer pour encourager et accompagner certains pays, tels que le Brésil et les États africains, prêts à avancer sur la question de la décarbonation. De la même manière, elle pourrait faciliter l’approfondissement des relations entre l’Union européenne et le G7, d’une part, et l’Inde – qui semble demandeuse d’une telle évolution –, d’autre part, sur les questions climatiques.
Au regard de la position des pays du Golfe arabo-persique – et en particulier de l’Arabie Saoudite – durant la COP27, lesquels se sont montrés très réticents à tout engagement contraignant sur la question des énergies fossiles, et compte tenu du fait que les Émirats arabes unis ont construit leur prospérité sur l’exploitation et l’exportation d’énergies fossiles, les discussions sur les questions énergétiques promettent d’être difficiles et pourraient s’orienter vers un statu quo en matière de production d’énergies fossiles. En particulier, la présidence émirienne pourrait insister sur l’apport des nouvelles technologies comme les procédés d’absorption et de stockage de CO2, pour atteindre la neutralité carbone, au détriment d’une réduction avérée des émissions. Ce point des négociations mérite donc une attention particulière, même s’il faut reconnaître à la présidence émirienne d’avoir d’ores et déjà déployé un réel effort d’organisation et de mobilisation des acteurs internationaux autour de la COP28.
Le choix de confier la présidence de la COP28 à Sultan Ahmed Al Jaber, ministre de l’industrie et des technologies de pointe des Émirats arabes unis, et président‑directeur général de la compagnie pétrolière nationale ADNOC (Abu Dhabi National Oil Company), au lieu de Mariam Almheiri, la ministre du changement climatique et de l’environnement, pose question. Si Sultan Al Jaber dispose incontestablement d’une expertise en matière de négociations climatiques – rappelons qu’il a mené la délégation émirienne à Glasgow et à Charm el-Cheikh en tant qu’envoyé spécial pour le climat de son pays –, sa position à la tête d’une compagnie pétrolière lui vaut déjà les critiques de nombreuses ONG. Le rapporteur Carlos Martens Bilongo déplore également ce choix.
La COP28 aux Émirats arabes unis : les principaux acteurs émiriens
Les principaux acteurs émiriens impliqués dans la préparation et le déroulé de la COP28 sont les suivants :
- Sultan Ahmed Al Jaber : président de la COP28, il est ministre de l’industrie et des technologies de pointe des Émirats arabes unis, président-directeur général de la compagnie pétrolière nationale ADNOC (Abu Dhabi National Oil Company) et l’un des fondateurs de Masdar, l’entreprise émirienne d’énergies renouvelables, dont il est toujours président et qui produit déjà 20 gigawatts d’électricité verte avec l’ambition de porter ce chiffre à 100 avant 2030 ([41]). Il s’est notamment fait connaître, en 2006, avec le projet « Masdar City », vitrine écologique et technologique de la ville durable pour son pays. Il dispose d’une réelle expertise sur les sujets climatiques et a mené la délégation émirienne lors de la COP26 et de la COP27 en tant qu’envoyé spécial pour le climat.
- Mariam Almheiri : ministre du changement climatique et de l’environnement. C’est l’une des figures majeures de l’organisation de la COP28. Elle compte, parmi ses conseillers, un expert reconnu des négociations climatiques internationales, M. Paul Watkinson, détaché par la France du ministère de la transition énergétique.
- Suhaïl bin Mohamed Al Mazrouei : ministre de l’énergie et des infrastructures.
- Shamma Al Mazrui : ministre de la jeunesse jusqu’au remaniement ministériel intervenu le 7 février 2023 et désormais ministre du développement communautaire, elle est également championne du climat. Son rôle principal dans l’organisation de la COP est de s’assurer de la mobilisation et de la pleine participation de la jeunesse.
- Razan Al Mubarak : présidente de l’Union internationale pour la conservation de la nature et championne de haut niveau des Nations Unies sur les changements climatiques, elle est notamment chargée de mobiliser les acteurs non-étatiques autour de la COP28.
- Majid Al Suwaidi : directeur général de la COP28.
Le gouvernement émirien a insisté, lors des rencontres organisées avec les rapporteurs, sur le fait que trois des personnalités de premier plan impliquées dans la préparation de la COP28 étaient des femmes, ce qui été peu relevé, selon eux, par la communauté internationale davantage préoccupée par le choix du président de la conférence.
Les Émirats arabes unis sont pleinement conscients des inquiétudes que suscitent leur modèle et le choix de confier la présidence de la COP28 à Sultan Ahmed Al Jaber, en particulier auprès de la société civile, alors qu’ils considèrent avoir le plein soutien des différents États. Les intervenants émiriens rencontrés par les rapporteurs ont indiqué souhaiter tisser des liens avec ces ONG, afin de renforcer leur connaissance mutuelle et de corriger l’image erronée qu’elles se feraient du modèle émirien. Ils ont souligné, à cette occasion, qu’ils comptaient sur l’expertise de leurs partenaires, dont la France, pour identifier les organisations avec lesquelles ils pourraient dialoguer dans le cadre de la préparation de la future COP.
Au-delà de la question spécifique du choix de la présidence de la COP28, c’est bien l’organisation même de l’évènement par les Émirats arabes unis qui pose question et crée tantôt une certaine attente mêlée de circonspection, tantôt une forme de méfiance, voire une réelle défiance, vis-à-vis de la volonté sincère du pays, dont le modèle de développement s’est fondé sur l’utilisation des énergies fossiles, l’hyperconsommation et l’abondance, de faire progresser les négociations climatiques.
Toutefois, la phase de préparation de la COP28 ne paraît pas suffisamment avancée pour se faire une idée précise de la stratégie émirienne et des moyens réels dont le pays va se doter pour mener ces négociations. En effet, les rapporteurs ont pu constater, lors de leur déplacement, que les autorités émiriennes se montraient extrêmement prudentes quant aux informations qu’elles acceptaient de délivrer et ne paraissaient pas souhaiter, à ce stade, dévoiler leur stratégie ni s’engager, de manière claire, sur la façon dont le pays va lui-même contribuer aux efforts nécessaires en termes de financement de l’adaptation et des pertes et préjudices ou encore d’atténuation.
La séquence médiatique actuelle est dominée par la figure incontournable de Sultan Ahmed Al Jaber et la construction d’un narratif venant légitimer le choix des Émirats arabes unis comme pays hôte de la COP28. La rhétorique déployée consiste à insister sur les efforts déjà consentis par le pays pour développer les énergies renouvelables ([42]) – le pétrole représente moins de 30 % du PIB de la fédération émirienne, même s’il existe d’importants contrastes selon les émirats considérés, et les autorités ont pour objectif de réduire sa contribution au PIB du pays à hauteur de 20 % d’ici à 2030 – et la ferme croyance que les nouvelles technologies permettront de réduire les émissions de gaz à effet de serre sans obérer la croissance économique, ni nécessiter la promotion d’une quelconque forme de sobriété énergétique. En ce sens, Sultan Ahmed Al Jaber, à la fois président-directeur général d’une compagnie pétrolière et président d’une entreprise d’énergies renouvelables, incarne parfaitement l’ambition et la méthode émirienne teintée de pragmatisme : il serait apte, par sa connaissance du monde des affaires et son expérience de négociateur climatique, à réunir l’ensemble des acteurs, y compris économiques, autour des enjeux climatiques et environnementaux. Reste à savoir si, derrière ce discours efficace et bien construit, se cache une réelle ambition ([43]) ou une opération communicationnelle sans véritable consistance. Du moins, s’incarne‑t-il déjà concrètement dans des projets « vitrines » donnés à voir au reste du monde, à l’instar de la ville de Masdar que les rapporteurs ont eu l’occasion de visiter. Ce type de projets est particulièrement intéressant, non pas tant pour lui‑même, dès lors qu’il n’est en rien représentatif de la politique climatique et environnementale du pays, mais plutôt de ce qu’il dit, en creux, du modèle écologique idéal imaginé et promu par les autorités émiriennes. Rappelons qu’en 2012, il a valu à Sultan Ahmed Al Jaber d’être désigné « Champion de la Terre » par l’Organisation des Nations Unis dans la catégorie « vision entrepreneuriale » en tant que fondateur de l’entreprise à l’origine du projet.
Située près de l’aéroport international d’Abou Dabi, en plein désert, la ville de Masdar est à l’image de la démesure émirienne. Lancé en 2006, à la même période que d’autres grands chantiers tels que le Louvre et la Sorbonne Abou Dabi, le projet consiste à créer une « ville du futur » autosuffisante, dessinée par le prestigieux cabinet d’architecture de Norman Foster, guidée par les énergies renouvelables, un réseau de transport bas carbone et une stratégie zéro déchet. Cette « ville verte » fait partie d’une tentative de diversification de l’économie de l’émirat d’Abou Dabi, de manière à le positionner en leader dans le secteur des énergies renouvelables, qui passe également par le développement d’activités renouvelables (Masdar Clean Energy), de start-ups (Masdar Special Projects) et d’un outil d’investissement spécifique (Masdar Capital). La réalisation de ce projet faramineux, d’un coût total estimé à 15 milliards d’euros environ et dont l’objectif est d’accueillir à terme 52 000 habitants et 40 000 emplois, a pris beaucoup de retard, en particulier avec la crise économique et financière de 2008, et s’organise pour l’heure autour de quelques bâtiments emblématiques : une tour à vent, inspirée d’un modèle de construction traditionnelle venu d’Iran et conçue pour garder la fraîcheur, le siège de l’agence internationale pour les énergies renouvelables (The International Renewable Energy Agency – IRENA) ou encore l’institut des sciences et des technologies (Masdar Institute of Science and Technology – MIST). Construite sur une plateforme et connectée par un réseau de transport souterrain, alimenté par des voiturettes électriques à guidage magnétique, le projet révèle les ambitions émiriennes en matière de développement des énergies renouvelables, autant que ses difficultés, et illustre parfaitement la confiance du pays dans les bienfaits des technologies de pointe comme solutions au changement climatique.
Voiturette électrique à Masdar City. Source : site officiel de Masdar City, https://masdarcity.ae/
Un autre risque serait de voir les questions financières prendre le pas sur tous les autres sujets. Il s’agit d’une question centrale, ne serait‑ce que parce que la COP27 a démontré que les États du Sud étaient prêts à bloquer les négociations si aucune avancée tangible n’était obtenue sur ce point. Le fonds des pertes et préjudices devrait être rendu opérationnel d’ici à la COP28 et sera sans nul doute de nouveau au cœur de l’attention des membres pays du « G77+Chine ». Toutefois, il paraît également nécessaire d’avancer sur les autres sujets, notamment la question de l’atténuation, qui ont été délaissés par la COP27.
Enfin, les ONG se montrent inquiètes quant à la capacité réelle de la société civile mondiale de participer à l’évènement. Certaines soulignent, en effet, que les prix exorbitants des logements et de la restauration lors de la COP27 ont été des freins à leur participation effective avec un effet démultiplicateur de l’inégalité de situation entre les représentants de la société civile des États riches et ceux des États en développement, ces derniers étant pourtant les premiers concernés par les effets du dérèglement climatique et les conséquences des mesures adoptées ou devant l’être pour lutter contre celui-ci. Les autorités émiriennes reconnaissent qu’il s’agit là d’un enjeu majeur et indiquent travailler à offrir des offres d’hébergement diversifiées et adaptées à tous les revenus, lesquelles seraient facilitées par la large capacité hôtelière de la ville de Dubaï. De manière plus générale, et sur le plan logistique, elles sont désireuses d’ouvrir très largement la COP28 qu’elles envisagent comme un évènement « inclusif ». Elles ont, par exemple, indiqué vouloir rapprocher physiquement, sur le site de la COP, les zones bleue et verte ([44]), voire les fusionner, de manière à permettre davantage de circulations et d’échanges au cours de la conférence entre les différents acteurs présents.
Quant à la France, elle a rappelé aux autorités émiriennes, par la voix de sa ministre de la transition énergétique Agnès Pannier-Runacher en visite aux Émirats arabes unis le 16 janvier 2023, dans le cadre de la semaine de la durabilité d’Abou Dabi, l’importance de la transparence et de l’écoute de toutes les parties prenantes à la COP28 et a proposé la tenue de point d’étapes réguliers, si possible mensuels, avec la présidence.
3. Les prochaines échéances climatiques
Différents rendez-vous vont jalonner l’année 2023 avant la tenue de la COP28, à Dubaï, du 30 novembre au 12 décembre et constitueront autant d’étapes importantes dans la perspective des futures négociations climatiques. Parmi ces moments peuvent être mentionnés le One Forest Summit en mars, à Libreville, organisé à l’initiative du président de la République française et du président du Gabon, les réunions de printemps de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI) en avril, qui permettront d’aborder la question de l’évolution de la finance internationale ([45]), les réunions ministérielles climat‑environnement du G7 en avril également, puis du G20 en juillet, le dialogue de Petersberg, qui réunit chaque année, à l’initiative de l’Allemagne, plusieurs États de manière à préparer les négociations lors des conférences COP sur le climat mondial, la réunion ministérielle sur l’action climatique (Ministerial On Climat Action – MOCA), à l’invitation de l’Union européenne, du Canada et de la Chine, les intersessions de Bonn en juin, le sommet pour un nouveau pacte financier mondial à Paris en juin également, à la demande de la France, le sommet climat de l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre, organisé par le secrétaire général des Nations Unies, et la pré‑COP28 dont les dates sont encore à déterminer.
Les autorités émiriennes ont indiqué être en lien avec le G7, le G20 dont ils sont pays invité et être associés à la préparation du sommet international de juin 2023 en tant que pays membre de son comité directeur.
La multitude d’évènements autour des COP rappelle, par ailleurs, que ces dernières ne sont pas les seuls forums de discussion des questions climatiques mais s’inscrivent au sein d’une myriade de rencontres internationales marquantes. Or, les liens entre ces différentes instances de négociation sont parfois encore ténus et gagneraient à être approfondis, de même que les thèmes de discussion qui s’y tiennent. Si la décision finale de la COP27 mentionne la nécessité de repenser le système financier international et ses structures, une telle réforme ou celle de la gouvernance du commerce mondial ne sont pas encore à l’agenda des COP et ainsi très peu discutées dans ce cadre. Les parties pourraient encourager cette évolution ainsi que l’articulation entre la CCNUCC et d’autres arènes internationales à l’instar du G7, du G20 et de l’Organisation mondiale du commerce notamment.
Proposition n° 2 : Encourager l’approfondissement des relations entre la CCNUCC et d’autres arènes internationales de négociation autour des questions climatiques, comme le G7, le G20 ou encore l’Organisation mondiale du commerce.
III. LA RÉFORME DE LA FINANCE CLIMAT : UNE NÉCESSITÉ POUR FAIRE FACE AUX ENJEUX CLIMATIQUES ET DE DÉVELOPPEMENT ACTUELS
La question des pertes et préjudices, à travers la création d’un fonds spécifique, s’est imposée comme le thème central de la COP27. Elle s’ancre plus largement au cœur des débats autour de la mobilisation, à l’échelle internationale, des financements nécessaires pour réduire les vulnérabilités et verdir les outils de croissance et de développement. Or, ces financements apparaissent aujourd’hui insuffisants pour répondre aux besoins des pays en développement, en particulier des États les plus vulnérables, nourrissant les critiques et la rancœur de ces derniers. La montée en puissance de cette thématique, et les débats qu’elle suscite aujourd’hui, en font l’un des enjeux majeurs de la COP28 et, plus généralement, des futures négociations internationales, qu’il s’agisse de la définition du nouvel objectif quantitatif de mobilisation de la finance climat pour la période post-2025 ou de la tenue à Paris, en juin 2023, du sommet international pour un nouveau pacte financier avec le Sud.
A. Des financements en deçà des sommes À mobiliser pour accompagner efficacement les pays en dÉveloppement dans leur transition Écologique
1. La finance climat : quelle définition ?
La définition, et par conséquent le périmètre, de la finance climat n’a rien d’évident et mérite une attention particulière. Au moins deux définitions distinctes peuvent être évoquées, mobilisant des systèmes référentiels, des montants, des géographies et des types de flux distincts.
Une première acception est celle retenue jusqu’alors par les négociations climatiques internationales. Elle repose sur une logique de solidarité des pays du Nord envers les pays du Sud dans le prolongement de la CCNUCC, adoptée lors du premier sommet de la Terre de Rio en 1992, qui fixe quelques principes dont celui de responsabilité commune mais différenciée au changement climatique et des capacités restrictives, fournissant un cadre durable au financement de la lutte contre le changement climatique ([46]). Si la CCNUCC engageait l’ensemble des États à prendre leur part en matière d’atténuation, elle précise qu’il revient aux pays dits « développés », listés dans l’annexe II de la CCNUCC, de prendre en charge les effets du changement climatique. L’accord de Paris a repris cette dichotomie entre pays développés et pays en développement tout en reconnaissant la spécificité des pays les moins avancés et des petits États insulaires en développement.
C’est dans ce cadre qu’en 2009, lors de la COP15 de Copenhague, les pays du Nord ([47]) se sont engagés à mobiliser 100 milliards de dollars en 2020 en faveur de l’atténuation et de l’adaptation dans les pays en développement ([48]), grâce à une combinaison de sources multiples, à la fois publiques, privées et alternatives (financements innovants). La COP21, tenue en 2015, leur a permis de prolonger cet engagement collectif pour chaque année de 2020 à 2025, lequel compte parmi les contreparties proposées pour passer d’un système contraignant de réduction des émissions de gaz à effet de serre portant sur les seuls pays du Nord, fondement de l’accord de Kyoto, à un système volontaire et global reposant sur des stratégies nationales de réduction des émissions ([49]).
Cette acception de la finance climat s’est, en partie, construite sur le paradigme de l’aide publique au développement ; elle en diffère toutefois sur deux points essentiels. Alors que l’aide publique au développement consiste en un transfert volontaire reposant sur les principes de réciprocité et d’humanisme, le financement de l’action climatique, et plus généralement des biens publics mondiaux, relève de l’intérêt collectif, de la gestion des interdépendances et du principe de responsabilité dans une démarche négociée de justice corrective. Par ailleurs, les géographies du développement et du climat ne correspondent pas nécessairement. Le changement climatique d’origine humaine est, en effet, lié aux émissions historiques de gaz à effet de serre et non au revenu par tête de chaque pays. De nombreux États en développement se classent désormais parmi les principaux pollueurs à l’échelle mondiale, à l’instar de la Chine, de l’Inde et du Brésil. De plus, la notion de vulnérabilité, au cœur des questions climatiques, est associée à de nouvelles catégories géographiques : les petits États insulaires peuvent ainsi prétendre à un accès financier élargi compte tenu des dommages et risques élevés qu’ils rencontrent alors même que le revenu par tête de certains de ces États est relativement élevé.
Toutefois, le périmètre agréé par les négociations climatiques ne recouvre pas l’ensemble des volumes et des acteurs de la finance climat. Faute de déclinaison opérationnelle du troisième objectif de long terme de l’accord de Paris (article 2.1, al. c) relatif à l’alignement des flux financiers, la définition de la finance climat s’avère restrictive, limitant notamment l’inclusion des financements privés aux seuls financements catalysés par des financements publics. La finance climat recouvre pourtant l’ensemble des flux financiers dédiés au climat, publics comme privés, domestiques et internationaux. Ces flux ne sont donc pas nécessairement internationaux et, lorsqu’ils le sont, ils ne se réduisent pas à des transferts Nord-Sud fondés sur un principe de solidarité. C’est précisément la raison pour laquelle les pays en développement sont pour la plupart opposés à cette approche plus large qui présente, à leurs yeux, le désavantage de décentrer la responsabilité du changement climatique – et donc du financement – des seuls pays du Nord vers l’ensemble des pays développés et des puissances émergentes.
Pourtant, une telle acception de la finance climat semble être la plus pertinente pour appréhender à leur juste échelle les enjeux climatiques actuels. En prenant en compte l’ensemble de ces flux et des nouvelles géographies qu’ils impliquent, la finance climat mobilise des sommes bien plus importantes. Au niveau mondial, elle serait estimée à environ 653 milliards de dollars en 2019‑2020 ([50]) répartis de manière pratiquement paritaire entre sources publiques et privées. Sur les dix dernières années, elle a presque doublé, puisqu’elle représentait 364 milliards de dollars en 2011.
Les principaux acteurs de la finance climat
Parmi les financements publics Nord-Sud (68,3 milliards de dollars), les banques multilatérales de développement, avec 33,2 milliards de dollars, représentent la première source de financement climat, juste devant les financements bilatéraux (31,4 milliards de dollars) et les fonds climatiques multilatéraux (3,5 milliards de dollars). Les nouvelles contributions en capital auprès des institutions multilatérales représentent, quant à elles, une part très minoritaire de ces financements (0,2 milliard de dollars).
Concernant les acteurs publics multilatéraux de la finance climat, l’OCDE recense plus de 200 institutions multilatérales dont 41 fonds verticaux actifs dans ce domaine. Toutefois, les 10 premières institutions, à savoir la Banque mondiale via l’association internationale de développement, la Banque internationale pour la reconstruction et le développement et la société financière internationale, la Banque asiatique de développement, l’Union européenne via la Banque européenne d’investissement, la Banque interaméricaine de développement, la Corporación Andina de Fomento (banque sudaméricaine de développement), la Banque européenne pour la reconstruction et le développement et la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures représentent 70 % des volumes octroyés.
La finance climat privée Nord-Sud (13,1 milliards de dollars), au sens strict de l’OCDE, se comprend exclusivement comme celle mobilisée à travers les soutiens des financements multilatéraux et bilatéraux. Les premiers ont ainsi permis de mobiliser 8 milliards de dollars et les seconds 5,1 milliards de dollars.
S’agissant de la finance climat au sens large, les banques publiques d’investissement sont la première source de financement en 2020 (elles représentent 130 milliards de dollars soit 19,5 % de la finance climat globale) devant les banques multilatérales de développement (avec 75 milliards de dollars soit 11,3 %) et les agences de financement public (52 milliards de dollars soit 7,8 %). Les autres acteurs (financements gouvernementaux directs, agences bilatérales de développement, fonds climat multilatéraux, agences de crédits export, etc.) se répartissent les 11 % restants.
Parmi les acteurs privés, les entreprises sont la première source de financement de la finance climat avec 132 milliards de dollars (19,8 % de la finance climat globale), suivies des banques et sociétés financières, qui représentent 128 milliards de dollars (19,2 %), et des ménages avec 59 milliards de dollars (8,9 %). Les investisseurs institutionnels, fonds privés et autres, se répartissent les 2 % restants.
Il convient enfin de ne pas confondre la finance climat avec les financements labellisés « alignés sur l’accord de Paris », lesquels ne contrarient certes pas les trajectoires bas-carbone des États mais ne relèvent pas nécessairement de la finance climat.
Le Fonds vert pour le climat :
rôle et défis
1°) Qu’est-ce que le Fonds vert pour le climat ?
Le Fonds vert pour le climat (FVC) a été créé en 2010 par les pays parties à la CCNUCC avec pour mandat la promotion d’un changement de paradigme en faveur de trajectoires de développement à faibles émissions tout en assurant la résilience des États face au changement climatique. Il opère sous le patronage de la Conférence des parties en tant qu’entité opérationnelle du mécanisme financier de la CCNUCC. Concrètement, son action consiste à soutenir financièrement les pays en développement dans la limitation et la réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre, ainsi que dans leur adaptation aux conséquences du changement climatique.
Sa création repose sur le besoin de mobiliser des financements en faveur de la transition et de l’adaptation (objectif de 50 % des financements en équivalent-don) dans les pays en développement, notamment les pays les moins avancés (objectif de 50 % de la finance adaptation à leur destination) ayant peu ou pas accès aux financements des banques multilatérales de développement et des banques commerciales. Le but est également de faciliter l’opérationnalisation des décisions de la CCNUCC en finançant sur dons des programmes d’accompagnement pour la préparation de stratégies nationales bas-carbone et de résilience (contributions nationales déterminées, plans d’adaptation nationaux) ainsi que la préparation de projets par les États et les entités accréditées des pays en développement pour leur montée en capacité (objectif de 15 % du volume nominal d’octroi en leur faveur). Il poursuit enfin l’objectif de favoriser la coopération entre les agences multilatérales des pays développés et celles des pays en développement.
Le FVC est une institution de partenariat qui fonctionne avec un réseau d’entités accréditées et de partenaires de mise en œuvre travaillant directement avec les pays en développement, représentés par les autorités nationales désignées ou les points focaux du FVC, pour proposer des projets et des programmes au Fonds. Il est financé par les contributions des pays développés sous forme de dons ou de prêts. Sa dotation initiale, actée en 2015, était de 8,3 milliards de dollars. Sa première reconstitution en 2019 a permis de mobiliser 9,9 milliards de dollars et sa deuxième reconstitution pour la période 2024-2027 doit se conclure en octobre 2023 avec l’objectif fixé par la COP27 de dépasser l’engagement de la première reconstitution. La France a déjà contribué aux deux premières mobilisations à hauteur de 2,32 milliards de dollars, se plaçant ainsi parmi les premiers contributeurs du Fonds ; elle dispose également d’une chaise autonome au conseil d’administration.
2°) Quelles sont les défis et les difficultés que rencontre le Fonds dans son fonctionnement quotidien ?
Le Fonds dispose d’une gouvernance très ouverte et inclusive avec un conseil d’administration paritaire entre pays développés et pays en développement et un mécanisme de décision qui repose principalement sur le consensus, contrairement au fonctionnement des banques multilatérales dans lesquelles le vote est plus courant et la pondération des voix se fait sur la base de la contribution au capital. Cette gouvernance inspirée par les enceintes onusiennes procure certes une légitimité forte aux décisions prises mais celle-ci se paye toutefois par la politisation des débats, d’autant que seule une minorité de pays en développement sont représentés par leurs ministères des finances ou leurs ministères techniques (développement ou environnement).
Les débats – et la recherche de consensus – sont compliqués par l’existence d’une certaine défiance entre les pays du Sud et les pays du Nord, à l’instar de ce qui s’observe lors des COP, les premiers accusant les seconds de ne pas suffisamment contribuer à la finance climat à l’échelle mondiale (non atteinte de l’objectif des 100 milliards de dollars), de ne pas assez respecter les enjeux d’appropriation locale et de vouloir substituer le secteur privé aux donateurs publics, les entreprises étant perçues comme, au mieux, un palliatif, au pire, une façon pour les donateurs de retrouver une partie de leurs contributions, et non comme des acteurs à part entière apportant des financements additionnels.
L’efficacité du processus de décision au sein du conseil d’administration est par ailleurs obérée par la mainmise de certains négociateurs issus de pays émergents qui, profitant d’un processus onusien peu transparent, monopolisent la représentation, en laissant peu de place aux pays les plus vulnérables et exagèrent parfois les divergences Nord-Sud, afin d’éviter qu’émergent des consensus entre pays vulnérables et donateurs.
2. Des montants insuffisants au regard des enjeux
Les estimations des besoins annuels mondiaux de financements climatiques sont assez fluctuantes et varient, selon les sources, entre 1 000 et 4 000 milliards de dollars. Un rapport commandé par la présidence égyptienne de la COP27 et la présidence britannique de la COP26 ([51]) estime, quant à lui, que les trajectoires mondiales modélisées, qui limitent le réchauffement planétaire à 1,5 °C, impliquent des besoins annuels en matière d’investissements moyens en provenance des pays développés autres que la Chine de 1 000 milliards de dollars par an pour 2025 (4,1 % du PIB contre 2,2 % en 2019) et même 2 400 milliards de dollars (6,5 % du PIB) par an d’ici à 2030.
Or, les sommes allouées à la finance climat sont encore éloignées de ces montants. L’objectif des 100 <