N° 1089
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 avril 2023
RAPPORT D’INFORMATION
déposé
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE,
en conclusion des travaux d’une mission d’information ([1])
sur les enjeux de l’utilisation d’images de sécurité dans le domaine public
dans une finalité de lutte contre l’insécurité
et présenté par
MM. Philippe GOSSELIN et Philippe LATOMBE,
Députés
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La mission d’information sur les enjeux de l’utilisation d’images de sécurité dans le domaine public dans une finalité de lutte contre l’insécurité est composée de MM. Philippe Gosselin et Philippe Latombe, rapporteurs.
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SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION............................................ 7
A. La complexification du régime juridique à l’épreuve des évolutions technologiques
1. Une sédimentation législative et règlementaire à la fois complexe et inachevée
a. Les caméras de vidéoprotection et de lecture automatisée de plaques d’immatriculation (LAPI)
i. Les caméras de vidéoprotection
ii. Les lecteurs automatisés de plaques d’immatriculation (LAPI)
b. Les caméras piétons, embarquées et aéroportées
c. La nécessité d’une refonte du cadre juridique de la captation d’images de sécurité
2. Le déploiement de moyens techniques modernes confronté à des enjeux opérationnels multiformes
a. Un soutien financier croissant en faveur des dispositifs de captation d’images
b. Des enjeux opérationnels multiformes
i. Les caméras de vidéoprotection
b. Les modalités de réquisitions des images gagneraient à être modernisées
a. Une efficacité à la fois préventive et pour certaines enquêtes
i. Un effet préventif qui peut être délicat à objectiver
b. Une preuve parmi d’autres pendant les débats devant le juge
c. Un constat partagé : le potentiel inexploité des caméras
II. Les images de sÉcuritÉ face aux dÉfis contemporains de l’intelligence artificielle
1. Des potentialités réelles confrontées à un vide juridique regrettable
a. Un outil d’aide à la décision impliquant de définir préalablement des cas d’usage
b. Des expérimentations récentes aux résultats contrastés
c. Le silence du droit : un vide qu’il revient au législateur de combler
2. La nécessité de définir un cadre conciliant souplesse et stabilité
a. Le cadre expérimental prévu par le projet de loi JOP 2024
b. Une efficacité à évaluer avant d’envisager l’éventuelle pérennisation de la mesure
B. La reconnaissance faciale et biomÉtrique
1. Une utilisation très limitée de la reconnaissance faciale en France
i. Un fichier créé en 2012 qui utilise un logiciel de reconnaissance faciale
ii. Le respect des garanties juridiques est fragilisé par le recours massif au TAJ
b. L’utilisation d’un logiciel de reconnaissance faciale pour faciliter le passage aux frontières
c. Des expérimentations très limitées dont il est difficile de tirer des conclusions définitives
i. La mise en œuvre de la reconnaissance faciale hors des frontières européennes
ii. Alors qu’un règlement européen doit être adopté, des recours ponctuels ont déjà lieu en Europe
i. La société française divisée sur le recours à la reconnaissance faciale
A. Les structures institutionnelles À conforter et À (RÉ)inventer
1. La nécessaire revalorisation des organes chargés de la vidéoprotection
a. Les commissions départementales de vidéoprotection
2. Quelle gouvernance de l’intelligence artificielle ?
a. La CNIL : l’autorité administrative indépendante de référence
b. La création d’un « NIST » à l’échelle nationale ou européenne
1. La justice doit anticiper les problématiques qui se poseront demain pour les images de sécurité
a. La jurisprudence sur les données de connexion pourrait faire tache d’huile
b. Anticiper la multiplication d’images manipulées produites devant le tribunal
2. Les enjeux de souveraineté liés au développement du marché de la vidéo améliorée
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Le premier cadre juridique régissant la captation d’images sur le domaine public a été créé par la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité. Depuis, la vidéoprotection s’est largement répandue. Initialement objet de méfiances, parfois source de fantasmes, l’utilisation de caméras fixes et mobiles suscite aujourd’hui une large adhésion de la population. Les forces de l’ordre la présentent comme un outil désormais incontournable afin d’accomplir leurs missions.
Opérationnellement, les forces de l’ordre s’appuient à la fois sur les caméras fixes installées par les municipalités et par les opérateurs de transport, ainsi que sur les caméras mobiles, qu’elles soient individuelles, embarquées ou aéroportées. À chaque vecteur de captation est associé un encadrement juridique spécifique, qui précise les finalités pour lesquelles il est utilisé, la durée de conservation des données ou le droit d’accès des personnels aux enregistrements. Produit d’une sédimentation législative et règlementaire de près de trente ans, il en découle un cadre juridique fragmenté, non seulement complexe mais aussi inadapté aux évolutions technologiques survenues au cours de la dernière décennie. La CNIL a rappelé le 19 juillet 2022 que la loi française n’autorisait pas l’usage par la puissance publique de caméras dites « augmentées » pour la détection et la poursuite d’infractions.
Un premier pas a été franchi avec l’adoption du projet de loi relatif aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, mais le cadre proposé n’est qu’expérimental. Or il n’est plus possible de faire l’autruche. Dans ce domaine, ne pas encadrer, c’est déjà faire un choix : celui de fermer les yeux sur le caractère inéluctable de l’intelligence artificielle et d’être pris de court à l’avenir lorsqu’il s’agira d’en encadrer l’usage.
Se retrancher derrière le seul constat d’un risque pour les libertés fondamentales, c’est se priver d’outils qui ne sont pas intrinsèquement mauvais et qui peuvent grandement aider nos forces de l’ordre dans leurs missions quotidiennes. Les jeux Olympiques et Paralympiques ne sont que la dernière illustration des défis auxquels sont confrontés les pouvoirs publics pour garantir la sécurité sur le territoire français : prévention du terrorisme, maintien de l’ordre public dans des villes particulièrement denses, lutte contre une criminalité férue de nouvelles technologies.
Aucun compromis ne doit être fait concernant la protection des libertés fondamentales. Des institutions comme la CNIL et le Conseil d’État, qui sont garantes de l’équilibre entre préservation de l’ordre public et respect du droit à la vie privée, devront être associées à chaque étape du processus de construction juridique.
Ne pas encourager le développement de solutions françaises et européennes, c’est courir le risque d’être dépendant plus tard des logiciels développés par des puissances étrangères. Or, en matière d’intelligence artificielle, perdre la maîtrise, c’est fragiliser notre souveraineté.
La réticence de la population française vis-à-vis du recours à des logiciels d’intelligence artificielle ne doit pas être sous-estimée : l’une des réponses à y apporter est de garantir que les logiciels utilisés répondent à des critères rigoureux en termes de protection des données à caractère personnel.
La mission a organisé 47 auditions à Paris et entendu plus de deux cents intervenants de tous horizons, qu’il s’agisse des membres des forces de l’ordre, des représentants des ministères, des experts scientifiques, des acteurs associatifs, ou encore entreprises. Ils ont rencontré des élus défendant des positions différentes sur ces sujets, à Nice, Nantes et Cannes. Ils se sont rendus sur les sites connaissant de forts enjeux opérationnels : la maison de la Sûreté de la SNCF, le centre de commandement de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle. Enfin, soucieux de voir ce qui existe à l’étranger, ils se sont déplacés à Monaco et en Israël.
Vos rapporteurs ont d’emblée exclu la vidéosurveillance des lieux privés du champ de leur mission, considérant que les enjeux n’étaient pas les mêmes. Le choix a également été fait d’écarter la vidéosurveillance des lieux de privation de liberté, où les problématiques sont différentes de celles qui se posent dans l’espace public. À l’inverse, ils se sont penchés sur l’usage de la vidéoprotection par les opérateurs de transport, considérant que leurs emprises appartiennent au domaine public.
Au terme de six mois de travaux, la mission d’information formule 41 recommandations. Celles-ci portent sur les dispositifs de captation existants, mais esquissent également des pistes relatives aux caméras « augmentées » et à la reconnaissance biométrique. L’objectif est d’anticiper les évolutions pour mettre l’intelligence artificielle au service de la sécurité.
Vos rapporteurs souhaitent que ces recommandations puissent aboutir au dépôt d’une proposition de loi dont le Parlement devra débattre : il est urgent que la représentation nationale se saisisse de ces enjeux, alors même que les institutions européennes examinent la proposition de règlement européen sur l’intelligence artificielle. Il ne s’agit pas de prévoir un cadre rigide susceptible de devenir rapidement obsolète, mais bien de fixer, de façon souple et claire, les grands principes qui concourront à renforcer la sécurité de nos concitoyens, dans le respect des libertés fondamentales.
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I. Le dÉveloppement des dispositifs de captation d’images dans l’espace public : une course de vitesse parsemÉe d’embûches
La loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité a élaboré le premier cadre régissant la captation d’images de sécurité dans l’espace public. Près de trente ans plus tard, les évolutions politiques, sociales et technologiques ont abouti à généraliser le recours à la vidéo afin de lutter contre l’insécurité. L’usage de caméras fixes ou mobiles suscite aujourd’hui un intérêt croissant des pouvoirs publics locaux et nationaux, ainsi qu’un large consensus parmi la population ([2]).
Cette acculturation progressive de la société aux outils de captation d’images s’est accompagnée d’un empilement de dispositions législatives et règlementaires destinées à encadrer les pratiques en la matière. Sous le contrôle étroit de la jurisprudence constitutionnelle et européenne, un subtil équilibre entre préservation de l’ordre public et respect du droit à la vie privée se dessine, alors que le déploiement de ces dispositifs se heurte, en pratique, à certaines difficultés juridiques et opérationnelles.
A. La complexification du régime juridique à l’épreuve des évolutions technologiques
La multiplication des règles relatives à l’ensemble des dispositifs de captations d’images de sécurité dans l’espace public, qu’il s’agisse des caméras fixes ou mobiles, souligne la nécessité de clarifier et d’unifier ce régime juridique dans le code de la sécurité intérieure. Si l’utilisation croissante de ces outils par les forces de sécurité bénéficie d’un fort soutien financier, elle demeure confrontée à des enjeux opérationnels qu’il convient de surmonter.
1. Une sédimentation législative et règlementaire à la fois complexe et inachevée
Depuis 1995, le cadre légal de la captation d’images à des fins de lutte contre l’insécurité a fait l’objet de nombreuses évolutions. Outre les lois du 18 mars 2003 ([3]) et du 14 mars 2011 ([4]), qui ont respectivement autorisé l’usage des dispositifs de lecture automatique de plaques d’immatriculation (LAPI) et étendu le champ de la vidéoprotection, les lois du 3 juin 2016 ([5]), du 25 mai 2021 ([6]) et du 24 janvier 2022 ([7]) ont précisé les règles relatives à l’usage des caméras mobiles par les forces de l’ordre, qu’il s’agisse des caméras piétons, embarquées ou aéroportées.
Il en résulte une forme de « sédimentation législative » qui complexifie le régime juridique de la captation d’images prévu par le code de sécurité intérieure (CSI) ([8]), alors même que des mesures règlementaires d’application se font toujours attendre. Vos rapporteurs estiment qu’un effort de rationalisation doit être mené afin d’améliorer dès que possible la lisibilité et la cohérence des règles en vigueur.
a. Les caméras de vidéoprotection et de lecture automatisée de plaques d’immatriculation (LAPI)
i. Les caméras de vidéoprotection
Les articles L. 251-1 à L. 255-1 du CSI fixent les règles générales applicables à la vidéoprotection. Les articles L. 223-1 à L. 223-9 du même code complètent ces dispositions, s’agissant spécifiquement de la vidéoprotection mise en œuvre dans le cadre de la lutte antiterroriste.
« Vidéoprotection » et « vidéosurveillance »
Depuis la loi du 14 mars 2011, le terme de « vidéoprotection » correspond aux dispositifs fixes de captation d’images utilisés dans l’espace public. Il se distingue de la « vidéosurveillance », qui concerne les dispositifs installés dans les lieux non-ouverts au public. Bien que cette évolution sémantique, déjà ancienne, ne soit pas exempte d’arrière-pensées idéologiques ([9]), le présent rapport utilise ces termes conformément à leur acception juridique actuelle.
L’article L. 251-2 du CSI énumère les onze finalités pour lesquelles un dispositif de vidéoprotection peut être installé par une autorité publique, après autorisation préfectorale.
Finalités pour lesquelles la vidéoprotection peut être mise en œuvre selon l’article L. 251-2 du code de la sécurité intérieure
1° La protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords ;
2° La sauvegarde des installations utiles à la défense nationale ;
3° La régulation des flux de transport ;
4° La constatation des infractions aux règles de la circulation ;
5° La prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés à des risques d’agression, de vol ou de trafic de stupéfiants ainsi que la prévention, dans des zones particulièrement exposées à ces infractions, des fraudes douanières prévues par le dernier alinéa de l’article 414 du code des douanes et des délits prévus à l’article 415 du même code portant sur des fonds provenant de ces mêmes infractions ;
6° La prévention d’actes de terrorisme, dans les conditions prévues aux articles L. 223-1 à L. 223-9 du code de la sécurité intérieure ;
7° La prévention des risques naturels ou technologiques ;
8° Le secours aux personnes et la défense contre l’incendie ;
9° La sécurité des installations accueillant du public dans les parcs d’attractions ;
10° Le respect de l’obligation d’être couvert, pour faire circuler un véhicule terrestre à moteur, par une assurance garantissant la responsabilité civile ;
11° La prévention et la constatation des infractions relatives à l’abandon d’ordures, de déchets, de matériaux ou d’autres objets.
Depuis 1995, le Conseil constitutionnel a développé une jurisprudence relativement favorable au déploiement de la vidéoprotection. Les dispositions législatives soumises à son examen sont systématiquement appréhendées à travers la conciliation entre, d’une part, l’objectif à valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et, d’autre part, l’exercice du droit au respect de la vie privée découlant notamment de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 ([10]).
L’appréciation souveraine de cet équilibre par le Conseil constitutionnel implique un encadrement strict des modalités de recours et d’utilisation des caméras de vidéoprotection par les pouvoirs publics, tout en leur offrant une souplesse suffisante pour garantir l’opérationnalité de ces dispositifs.
Ainsi, un système de vidéoprotection ne saurait visualiser les images de l’intérieur des immeubles d’habitation ni, de façon spécifique, celles de leurs entrées ([11]). Le public est informé de la mise en œuvre d’un tel système par l’apposition de panonceaux ou d’affiches et dispose d’un droit d’accès aux enregistrements qui le concernent ([12]).
L’installation des caméras, qu’elles soient fixes ou déplaçables, est soumise à une autorisation préfectorale, d’une durée de cinq ans, prise après avis de la commission départementale de vidéoprotection ([13]). L’autorisation peut prescrire que les agents individuellement désignés et dûment habilités des services de police et de gendarmerie nationales, des douanes, des services d’incendie et de secours, des services de police municipale ainsi que les agents individuellement désignés et dûment habilités sont destinataires des images et enregistrements ([14]). Elle précise aussi les modalités de transmission des images et d’accès aux enregistrements, ainsi que la durée de conservation des images, dans la limite d’un mois ([15]) à compter de cette transmission ou de cet accès – sans préjudice des nécessités de leur conservation pour les besoins d’une procédure pénale.
Selon les chiffres communiqués à vos rapporteurs par la délégation ministérielle aux partenariats, aux stratégies et aux innovations de sécurité (DPSIS) du ministère de l’Intérieur et des outre-mer, seules 26 816 des 42 387 demandes d’installation de caméras de vidéoprotection ont bénéficié d’une autorisation préfectorale en 2022, soit un taux d’acceptation de 63 % ([16]). Ce résultat traduit la rigueur avec laquelle les services préfectoraux instruisent les dossiers qui leur sont soumis ([17]), conformément aux dispositions légales et règlementaires prévues par le CSI.
Interrogé sur la lenteur supposée de la procédure d’autorisation ([18]), le Gouvernement a indiqué en mars 2022 ne pas souhaiter confier aux forces de l’ordre ou aux communes l’initiative d’installer des dispositifs de vidéoprotection sans l’intervention de l’autorité préfectorale ([19]).
Dans un objectif de réactivité, l’article L. 252-6 du CSI permet au préfet d’autoriser provisoirement une collectivité locale à mettre en œuvre un système de vidéoprotection en cas de tenue imminente d’une manifestation ou d’un rassemblement de grande ampleur présentant des risques particuliers d’atteinte à la sécurité des personnes et des biens. Cette autorisation vaut pour une période maximale de quatre mois ([20]). Dans les mêmes conditions, le préfet peut également prescrire, sans l’avis préalable de la commission départementale de vidéoprotection, la mise en œuvre d’un système de vidéoprotection pour la seule durée de la manifestation ([21]). En outre, l’article R. 252-3 du CSI a instauré la notion de périmètre vidéoprotégé. Au lieu d’autoriser l’installation d’une ou plusieurs caméras précisément situées, le préfet définit une zone « vidéoprotégée » par des caméras dont le nombre, l’implantation et les éventuels déplacements sont susceptibles d’évoluer au gré des besoins de l’autorité responsable.
Sur le fondement de l’article L. 253-2 du CSI, les caméras installées peuvent faire l’objet de contrôles par la commission départementale de vidéoprotection et la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) ([22]). Chaque dispositif doit satisfaire à certaines normes techniques définies par l’arrêté ministériel du 3 août 2007 afin de permettre l’exploitation des images par les forces de sécurité. L’article R. 252-13 du CSI rappelle les exigences de disponibilité, de confidentialité et d’intégrité des enregistrements, ainsi que la traçabilité des consultations des images.
En outre, l’article L. 254-1 du CSI réprime pénalement le non-respect de l’ensemble des règles précitées. Le fait d’installer un système de vidéoprotection ou de le maintenir sans autorisation, de procéder à des enregistrements sans autorisation, de ne pas les détruire dans le délai prévu, de les falsifier, d’entraver l’action de la commission départementale ou de la CNIL, de faire accéder des personnes non habilitées aux images ou d’utiliser ces images à d’autres fins que celles pour lesquelles elles sont autorisées est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ([23]).
ii. Les lecteurs automatisés de plaques d’immatriculation (LAPI)
Autorisés par la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003, les lecteurs automatisés de plaques d’immatriculation (LAPI) sont des systèmes intégrés à des caméras ayant pour objet de capturer et de traiter l’image des plaques d’immatriculation des véhicules ([24]) dans le but d’en extraire les informations correspondantes. Il s’agit principalement de dispositifs fixes installés sur la voie publique, placés sur des poteaux de signalisation ou des murs.
Traitements automatisés de données signalétiques des véhicules, les LAPI sont régis par les articles L. 233-1 à L. 233-2 du CSI. L’article L. 233-1 prévoit que les services de police et de gendarmerie nationales et des douanes peuvent installer ces dispositifs en tous points appropriés du territoire, en particulier dans les zones frontalières, portuaires ou aéroportuaires ainsi que sur les grands axes de transit national ou international, selon plusieurs finalités limitatives :
– prévenir et réprimer le terrorisme ;
– faciliter la constatation des infractions criminelles ou liées à la criminalité organisée ;
– faciliter la constatation des infractions de vol et de recel de véhicules volés ;
– faciliter la constatation des infractions de contrebande.
Leur emploi est également autorisé par le préfet à l’occasion d’événements particuliers ou de grands rassemblements de personnes en vue de préserver l’ordre public. Une commune n’est pas autorisée à recourir aux LAPI quand bien même les données collectées seraient destinées à être mises à la disposition de la gendarmerie nationale à des fins d’aide à l’identification des auteurs d’infractions ([25]).
L’article L. 233-2 du CSI précise que les traitements comportent une consultation du traitement automatisé des données contenues dans le fichier des objets et des véhicules signalés (FOVeS) ainsi que dans le système d’information Schengen (SIS) ([26]). Les données collectées sont conservées pour une durée maximale de quinze jours, au-delà de laquelle elles sont effacées dès lors qu’elles n’ont donné lieu à aucun rapprochement positif avec les fichiers précités ([27]). Les données qui font l’objet d’un rapprochement positif avec ces mêmes traitements sont conservées pour une durée d’un mois, sans préjudice des nécessités de leur conservation pour les besoins d’une procédure pénale ou douanière.
b. Les caméras piétons, embarquées et aéroportées
Le titre IV du livre II du CSI encadre l’utilisation des caméras mobiles par les forces de l’ordre. Leur usage s’est fortement développé au cours de la dernière décennie, en l’absence de tout cadre légal jusqu’à la loi du 3 juin 2016 s’agissant des caméras piétons et à la loi du 24 janvier 2022 en ce qui concerne les caméras embarquées et aéroportées ([28]).
À l’issue d’une expérimentation jugée satisfaisante dans plusieurs zones de sécurité prioritaire depuis mai 2013 ([29]), la loi du 3 juin 2016 a fixé les règles applicables aux caméras piétons portées par les policiers et les gendarmes lors de leurs interventions. Ces dispositions ont été complétées par la loi du 25 mai 2021 ([30]) et par la loi du 24 janvier 2022, celle-ci se bornant à tirer les conséquences d’une réserve d’interprétation précédemment posée par le Conseil constitutionnel ([31]). En outre, la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités a ouvert la possibilité aux agents assermentés des entreprises de transport d’expérimenter l’usage des caméras piétons, jusqu’au 1er juillet 2024 ([32]).
Le dispositif a été précisé au niveau règlementaire par les décrets n° 2022-605 du 21 avril 2022 et n° 2022-1395 du 2 novembre 2022 relatifs à la mise en œuvre de traitements de données à caractère personnel provenant des caméras piétons des gendarmes et des agents de la police nationale et de police municipale. Ces dispositions font également l’objet d’une doctrine d’emploi commune à la police et à la gendarmerie publiée le 28 octobre 2022.
L’article L. 241-1 du CSI précise que les agents de police et les gendarmes sont autorisés à procéder à l’enregistrement audiovisuel de leurs interventions dans des conditions et selon des finalités limitativement énumérées.
Premièrement, si la décision d’enregistrement appartient uniquement à l’agent, elle demeure conditionnée à l’existence potentielle ou avérée d’un incident, eu égard aux circonstances de l’intervention ou au comportement des personnes concernées par celle-ci. L’enregistrement, non-permanent, se matérialise par un signal visuel spécifique. Son déclenchement fait l’objet d’une information des personnes filmées, sauf si les circonstances l’interdisent.
Deuxièmement, les finalités du dispositif sont circonscrites à la prévention des incidents au cours des interventions, au constat des infractions et à la poursuite de leurs auteurs par la collecte de preuves, ainsi qu’à la formation et la pédagogie des agents.
Conformément à l’article R. 241-2 du CSI, les traitements de données issues des caméras piétons font apparaître les informations suivantes :
– les images et les sons captés ;
– le jour et les plages horaires d’enregistrement ;
– l’identification de l’agent porteur de la caméra lors de l’enregistrement des données ;
– le lieu où ont été collectées les données ;
– l’identifiant de la caméra ;
– l’identification des personnels utilisateurs du logiciel d’exploitation des fichiers vidéo ;
– le motif d’export du fichier vidéo, le nom de l’agent et du service demandeurs, et le numéro de procédure.
En cas de menace sur la sécurité des personnes, les images captées et enregistrées au moyen de caméras individuelles peuvent être transmises en temps réel au poste de commandement du service concerné et aux personnels impliqués dans la conduite et l’exécution de l’intervention ([33]).
Lorsque cette consultation est nécessaire pour faciliter la recherche d’auteurs d’infractions, la prévention d’atteintes imminentes à l’ordre public, le secours aux personnes ou l’établissement fidèle des faits lors des comptes rendus d’interventions, les personnels auxquels les caméras individuelles sont fournies peuvent avoir accès directement aux enregistrements auxquels ils procèdent dans le cadre d’une procédure judiciaire ou d’une intervention. Les caméras sont équipées de dispositifs techniques permettant de garantir l’intégrité des enregistrements jusqu’à leur effacement et la traçabilité des consultations lorsqu’il y est procédé dans le cadre de l’intervention. Les enregistrements audiovisuels sont conservés dans la limite d’un mois, à l’exception des cas où ils sont consultés dans le cadre d’une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire.
Les articles L. 241-2 et L. 241-3 du CSI déclinent l’ensemble de ces règles à l’usage des caméras piétons par les agents de police municipale ([34]) et par les sapeurs-pompiers et les marins-pompiers des services d’incendie et de secours ([35]).
À la suite de la censure par le Conseil constitutionnel des dispositions encadrant le recours aux caméras embarquées dans les véhicules des forces de l’ordre ([36]), la loi du 24 janvier 2022 a défini le régime juridique auquel elles sont assujetties. Inspirées partiellement des règles relatives aux caméras piétons, les dispositions des articles L. 243-1 à L. 243-5 du CSI précisent les conditions d’utilisation des caméras embarquées.
Ainsi, les agents de la police nationale, les agents des douanes, les militaires de la gendarmerie nationale, les sapeurs-pompiers professionnels et volontaires des services d’incendie et de secours ainsi que les personnels des services de l’État et les militaires des unités investis à titre permanent de missions de sécurité civile peuvent procéder, au moyen de caméras embarquées dans leurs véhicules, embarcations et autres moyens de transport fournis par le service, à un enregistrement de leurs interventions dans des lieux publics lorsque se produit ou est susceptible de se produire un incident, eu égard aux circonstances ou au comportement des personnes concernées.
Les règles relatives à l’information du public et à la transmission en temps réel des images au poste de commandement sont similaires à celles prévues pour l’usage des caméras piétons ([37]). En revanche, l’article L. 243-3 du CSI prévoit spécifiquement que les caméras embarquées ne peuvent ni comporter de traitements automatisés de reconnaissance faciale, ni procéder à aucun rapprochement, interconnexion ou mise en relation automatisée avec d’autres traitements de données à caractère personnel. Dans sa décision n° 2021-834 DC du 20 janvier 2022 sur la loi relative à la responsabilité pénale et la sécurité intérieure, le Conseil constitutionnel a considéré que le législateur n’avait pas méconnu le droit au respect de la vie privée. Mais il assortit la constitutionnalité du dispositif d’une réserve d’interprétation limitant potentiellement l’intérêt futur de ces dispositifs :
« Toutefois, ces dispositions ne sauraient, sans méconnaître le droit au respect de la vie privée, être interprétées comme autorisant les services compétents à procéder à l’analyse des images au moyen d’autres systèmes automatisés de reconnaissance faciale qui ne seraient pas installés sur les caméras » ([38]).
Par ailleurs, la durée maximale de conservation des images s’élève à sept jours, hors procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire.
Conformément à la jurisprudence constitutionnelle, les contraintes relatives aux modalités d’enregistrement apparaissent particulièrement strictes. L’article L. 243-4 du CSI prévoit que les caméras sont employées de telle sorte qu’elles ne visent pas à recueillir les images de l’intérieur des domiciles ni, de façon spécifique, celles de leurs entrées. Lorsque l’emploi de ces caméras conduit à visualiser de tels lieux, l’enregistrement est immédiatement interrompu. Toutefois, lorsqu’une telle interruption n’a pu avoir lieu compte tenu des circonstances de l’intervention, les images enregistrées sont supprimées dans un délai de quarante-huit heures à compter de la fin du déploiement du dispositif.
Près de quinze mois après l’entrée en vigueur de la loi, le décret d’application prévu par l’article L. 243-5 du CSI est toujours en cours d’élaboration, retardant ainsi le déploiement effectif des caméras embarquées. Si vos rapporteurs ne sous-estiment pas le travail règlementaire qui incombe aux services du ministère de l’Intérieur, ils considèrent en l’espèce que les délais de publication du décret ne sont pas satisfaisants. Cette situation suscite une impatience légitime, voire une frustration compréhensible, de la part des représentants des forces de l’ordre auditionnés dans le cadre des travaux de la mission d’information, indépendamment des enjeux opérationnels qui entourent la mise en œuvre du dispositif.
L’usage de drones équipés de caméras dans le cadre de missions de police administrative ou de police judiciaire s’est développé à la fin des années 2010. En l’absence de tout cadre légal ou règlementaire approprié, le recours à des caméras aéroportées par les forces de sécurité intérieure – notamment au cours de la crise sanitaire du premier semestre 2020 ([39]) – s’est heurté à la jurisprudence du Conseil d’État statuant en référé ([40]) et à la position de la CNIL.
En effet, dans sa délibération du 12 janvier 2021, la formation restreinte de la CNIL a rappelé à l’ordre le ministère de l’Intérieur pour avoir méconnu plusieurs dispositions du règlement général sur la protection des données (RGPD) ([41]) du fait de l’usage de drones équipés d’un dispositif de captation d’images. Considérés comme des traitements de données à caractère personnel assujettis aux règles du RGPD, ces dispositifs requièrent l’élaboration préalable d’un cadre normatif aux fins d’autoriser la mise en œuvre de traitements de telles données.
Dans l’attente d’une telle évolution juridique, la CNIL a ainsi enjoint le ministère de l’Intérieur de ne plus recourir à la captation de données à caractère personnel à partir de drones.
La première tentative d’encadrement législatif des caméras aéroportées a été intégralement censurée par le Conseil constitutionnel, celui-ci considérant, à l’occasion de l’examen de la loi du 25 mai 2021, que les finalités et les modalités de l’usage des drones étaient insuffisamment précises ([42]). Tirant les enseignements de la censure constitutionnelle, la loi du 24 janvier 2022 a établi un cadre strict autorisant, d’une part, le recours aux caméras aéroportées en matière de police administrative et de sécurité civile et, d’autre part, à des fins de police judiciaire ([43]).
S’agissant des drones utilisés dans le cadre de missions de police judiciaire, les articles 230-47 à 230-53 du code de procédure pénale fixent les règles applicables aux conditions de recours et d’utilisation des caméras aéroportées. L’article 230-47 énumère trois cas de figure :
– la réalisation d’une enquête ou d’une instruction portant sur un délit ou un crime puni d’au moins trois ans d’emprisonnement ;
– la réalisation d’une enquête ou d’une instruction de recherche des causes de la mort ou de la disparition d’un individu ;
– la recherche d’une personne en fuite.
Le recours aux dispositifs aéroportés est autorisé pour une durée maximale d’un mois, renouvelable une fois, dans le cadre d’une enquête préliminaire. En ce qui concerne l’instruction, il est autorisé pour une durée maximale de quatre mois, renouvelable sans que la durée totale des opérations ne puisse excéder deux ans. ([44])
L’autorisation du procureur de la République ou du juge d’instruction précise l’objet, les lieux concernés et la durée du recours à ces dispositifs. Le déroulement des opérations est placé sous l’autorité et le contrôle du magistrat qui les a autorisées et qui peut ordonner leur interruption à tout moment ([45]). L’officier de police judiciaire compétent décrit les données enregistrées utiles à la manifestation de la vérité. Les enregistrements sont placés sous scellés fermés et il est procédé à la destruction de ces données à l’expiration du délai de prescription de l’action publique et à la diligence du procureur qui en dresse le procès-verbal ([46]). Dans le cadre de leurs missions de police judiciaire, les forces de sécurité peuvent recourir aux drones, sans qu’il ne leur soit interdit de filmer l’intérieur d’un lieu privé, contrairement à l’usage prévu en matière de police administrative.
Cependant, ces évolutions législatives sont restées lettres mortes à ce jour. Auditionnée le 25 janvier 2023, la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la Justice considère que cette base légale est insuffisante pour autoriser l’usage de drones en matière judiciaire : selon le Gouvernement, un décret est en effet indispensable afin de satisfaire les exigences fixées notamment par les articles 97 à 107 de la loi du 6 janvier 1978 dite « Informatique et Libertés », en ce qui concerne les modalités de conservation des données.
S’agissant des drones utilisés dans le cadre des missions de police administrative et de sécurité civile, les articles L. 242-1 à L. 242-8 du CSI précisent les règles applicables à leur usage par les agents de police nationale, les gendarmes et les personnes intervenant dans le cadre de la sécurité civile ([47]).
Sur le fondement de l’article L. 242-2 de ce code, les images captées peuvent être transmises et visionnées en temps réel ou différé par le personnel du poste de commandement impliqué dans sa conduite et son exécution, pendant une durée strictement nécessaire. Le personnel doit garantir techniquement l’intégrité des enregistrements et la traçabilité des consultations. Sauf si les circonstances l’interdisent ou que cette information entre en contradiction avec les objectifs poursuivis, le public doit être informé par tout moyen approprié de l’emploi de dispositifs aéroportés et de l’autorité responsable de leur mise en œuvre. Le ministère de l’Intérieur doit veiller à une information générale du public ([48]).
Plusieurs principes limitent le recours aux caméras aéroportées : celui-ci doit être strictement nécessaire, adapté aux circonstances et temporaire. Il peut donner lieu à la collecte et au traitement strictement nécessaires de données à caractère personnel dans le respect de la loi « Informatique et Libertés » et des règles du RGPD. La captation du son, le traitement automatisé de reconnaissance faciale et le rapprochement automatisé avec d’autres traitements de données à caractère personnel sont expressément exclus ([49]).
L’autorité responsable tient un registre qui précise la finalité des traitements, la durée des enregistrements ainsi que les personnes ayant accès aux images. Ils sont conservés sous la responsabilité du chef de service les ayant mis en œuvre pendant une durée maximale de sept jours à compter du déploiement du dispositif, sans que nul ne puisse y avoir accès sauf dans le cadre d’une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire ([50]).
En ce qui concerne les seules missions de police administrative, l’article L. 242-5 du CSI restreint l’usage des caméras aéroportées à six finalités :
– la prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés, en raison de leurs caractéristiques ou des faits qui s’y sont déjà déroulés, celle des risques d’agression, de vol ou de trafic d’armes, d’êtres humains ou de stupéfiants, ainsi que la protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords immédiats, lorsqu’ils sont particulièrement exposés à des risques d’intrusion ou de dégradation ;
– la sécurité des rassemblements de personnes sur la voie publique ou dans des lieux ouverts au public ainsi que l’appui des personnels au sol, en vue de leur permettre de maintenir ou de rétablir l’ordre public, lorsque ces rassemblements sont susceptibles d’entraîner des troubles graves à l’ordre public ;
– la prévention d’actes de terrorisme ;
– la régulation des flux de transport, aux seules fins du maintien de l’ordre et de la sécurité publics ;
– la surveillance des frontières, en vue de lutter contre leur franchissement irrégulier ;
– le secours aux personnes.
L’autorisation est délivrée par décision écrite et motivée du préfet, qui s’assure du respect des dispositions énoncées dans la présente note, pour une durée maximale de trois mois, renouvelable selon les mêmes modalités. Les caméras aéroportées ne peuvent recueillir les images de l’intérieur des domiciles et de leurs entrées. Si tel est le cas, l’enregistrement est immédiatement interrompu ou supprimé dans un délai de quarante-huit heures à compter de la fin du déploiement du dispositif, sauf dans le cadre d’un signalement à l’autorité judiciaire sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale.
Conseil constitutionnel, décision n° 2021-834 DC du 20 janvier 2022
Le Conseil constitutionnel a censuré la mise en place d’une procédure d’urgence d’emploi des drones en raison de l’exposition particulière et imprévisible à un risque d’atteinte caractérisé aux personnes et aux biens. Cette procédure avait pour objet d’autoriser les services compétents à déployer des caméras aéroportées pendant une durée de quatre heures maximum sans l’autorisation du préfet, sans la réserver à des cas précis d’une gravité particulière, et sans préciser les informations portées à la connaissance de ce dernier. Le Conseil constitutionnel a jugé que cette disposition n’assurait pas une conciliation équilibrée des objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions, d’une part, et de droit au respect de la vie privée, d’autre part.
Deux réserves d’interprétation ont également été posées : d’une part, l’autorisation du préfet déterminant la finalité et les conditions d’utilisation des drones ne peut être accordée uniquement si le service ne peut employer d’autres moyens moins intrusifs et, d’autre part, le renouvellement d’une telle autorisation ne saurait être décidé par le préfet sans qu’il soit établi que le recours aux drones demeure le seul moyen d’atteindre la finalité poursuivie.
À l’instar de l’usage des caméras aéroportées en matière judiciaire, l’application de ces dispositions reste suspendue à la publication du décret mentionné à l’article L. 242-8 du CSI. Selon les informations recueillies par vos rapporteurs, ce texte règlementaire serait en cours de finalisation et devrait entrer en vigueur d’ici à la fin du premier semestre 2023.
En ce qui concerne la sécurité civile, l’article L. 242-6 du CSI restreint l’usage des caméras aéroportées à deux finalités :
– la prévention des risques naturels ou technologiques ;
– le secours aux personnes et la lutte contre l’incendie.
Contrairement à l’usage des drones dans le cadre des missions de police judiciaire et administrative, le décret d’application de ces dispositions relatives aux seules missions de sécurité civile est entré en vigueur le 27 avril 2022. Les pompiers ont ainsi pu utilement recourir à des caméras aéroportées pour lutter contre les feux qui ont ravagé des dizaines de milliers d’hectares de forêt en bordure du littoral atlantique au cours de l’été 2022.
Dans son discours prononcé le 28 octobre 2022, le président de la République a annoncé l’engagement de moyens supplémentaires dès 2023 afin de renforcer les moyens dont disposent les services d’incendie et de secours, ce qui implique notamment l’acquisition de drones équipés de caméras ([51]).
c. La nécessité d’une refonte du cadre juridique de la captation d’images de sécurité
Les multiples évolutions législatives et règlementaires précitées témoignent d’une approche parcellaire de l’encadrement des images de sécurité dans notre ordonnancement juridique. Contraintes par la jurisprudence administrative et constitutionnelle, elles donnent l’impression d’une superposition normative manquant de cohérence et de lisibilité. Auditionné le 25 octobre 2022, M. Jérôme Léonnet, directeur général adjoint de la police nationale, a ainsi déploré « la complexité et l’incomplétude » du cadre juridique actuel.
Cette complexification s’explique en partie par le besoin d’adapter les règles prévues par le code de la sécurité intérieure aux spécificités propres à chaque vecteur de captation. Cependant, elle illustre désormais la nécessité d’harmoniser et d’unifier le droit applicable à la captation de l’ensemble des images dans l’espace public aux fins de lutter contre l’insécurité.
Il convient donc de clarifier et d’uniformiser, dans la mesure du possible, les règles relatives aux finalités pour lesquelles les caméras fixes ou mobiles peuvent être installées, aux modalités opérationnelles de leur utilisation, à l’information et au droit d’accès des personnes concernées par ces enregistrements, à la durée de conservation des images et aux conditions dans lesquelles celles-ci sont stockées et consultées.
Outre l’exigence d’intelligibilité du droit, vos rapporteurs considèrent que le « grand soir » des images de sécurité est d’autant plus nécessaire qu’il est impératif de garantir la conformité de leur régime juridique aux règles de protection des données personnelles prévues par le RGPD et la loi « Informatique et Libertés ».
Auditionnés par la mission d’information, la CNIL ([52]) et le Conseil d’État ([53]) partagent de longue date cette analyse. S’agissant spécifiquement des caméras de vidéoprotection, la Cour des comptes a récemment rappelé le nécessaire respect des nouvelles exigences liées à l’entrée en vigueur du RGPD :
« La réglementation relative à la vidéoprotection sur l’espace public a été définie dans les années 1990 et n’a pas été modifiée pour tenir compte des évolutions des technologies, des pratiques, ou de l’environnement juridique. Il apparaît désormais urgent de la réformer. Plusieurs dispositions de code de la sécurité intérieure sont obsolètes par rapport à certains outils devenus d’usage courant. Surtout, le code n’a pas encore tiré les conséquences du nouveau cadre juridique relatif à la protection des données à caractère personnel entré en vigueur en mai 2018. […] Le cloisonnement entre le régime de la vidéoprotection et celui de la protection des données à caractère personnel doit être remis en cause.
Par ailleurs, le cadre légal n’identifie pas la gestion du maintien de l’ordre comme finalité de la vidéoprotection, alors que la direction de l’ordre public et de la circulation de la préfecture de police de Paris l’utilise fréquemment à cette fin. De même, le code de la sécurité intérieure n’évoque pas explicitement l’élucidation à des fins judiciaires comme finalité de la vidéoprotection » ([54]) .
Si elle recueille une certaine unanimité, la refonte complète dont il est question représente un travail d’envergure que le Gouvernement a renoncé à mener à court terme. Dans l’étude d’impact annexée au projet de loi relatif aux jeux Olympiques et Paralympiques adopté par l’Assemblée nationale le 11 avril 2023, le ministère de l’Intérieur et des outre-mer en précise les raisons :
« Une rationalisation de ces règles éparses et disparates a été envisagée afin d’unifier les régimes en vigueur. Néanmoins, dans la mesure où les dispositions applicables aux caméras mobiles […] viennent très récemment d’être créées ou modifiées par les lois n° 2021-646 du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés et n° 2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure, et où toutes les mesures d’application de cette dernière ne sont pas encore toutes publiées, il a été estimé préférable de ne pas les faire évoluer de nouveau » ([55]).
Néanmoins, vos rapporteurs se félicitent de la mise en conformité, prévue par l’article 6 de ce projet de loi, des articles L. 251-1 à L. 255-1 du code de la sécurité intérieure avec les règles du RGPD et de la loi « Informatique et Libertés ».
L’objectif poursuivi consiste à rendre applicables aux images captées par des caméras de vidéoprotection l’ensemble des garanties protectrices que prévoit la loi « Informatique et Libertés », s’agissant aussi bien du contrôle opéré par la CNIL que des obligations incombant aux responsables des traitements ou du droit d’information et d’accès aux images par les personnes concernées.
Le rapport de notre collègue Guillaume Vuilletet sur l’article 6 de ce projet de loi explicite les enjeux de cette réforme :
Assujettissement de la vidéoprotection aux règles fixées par le RGPD et la loi « Informatique et Libertés », prévu par l’article 6 du projet de loi JOP 2024
L’article L. 251-1 du code de la sécurité intérieure (CSI) établit un régime dual selon l’utilisation des images captées par les caméras de vidéoprotection. En effet, seules les images enregistrées dans des traitements automatisés permettant d’identifier des personnes physiques sont soumises aux règles de protection des données prévues par la loi « Informatique et Libertés » et le RGPD. Les autres images de vidéoprotection ne sont pas assimilées, en l’état du droit, à des données à caractère personnel : elles ne sont donc assujetties ni aux règles de la loi « Informatique et Libertés », ni à celles du RGPD, mais relèvent du régime ad hoc fixé par les articles L. 251-2 à L. 251-5 du CSI.
La directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des données personnelles avait explicitement exclu de son champ d’application des traitements de données à caractère personnel relevant de la sécurité publique, de la sûreté de l’État et du droit pénal des États-membres.
Pour autant, la Cour de justice de l’Union européenne a considéré, dans un arrêt rendu le 11 décembre 2014 ([56]), que les systèmes de caméras de vidéoprotection constituent des traitements de données à caractère personnel ayant vocation à être assujettis aux règles encadrant la protection des données personnelles telles qu’elles découlent aujourd’hui du RGPD ([57]) et de la directive (UE) 2016/680 du 27 avril 2016 dite « police-justice », dont la transposition a été opérée par la loi n° 2018-493 du 20 juin 2018.
Par conséquent, la dualité du régime juridique précité, sur le fondement de l’article L. 251-1 du CSI, s’avère aujourd’hui obsolète. Les systèmes de vidéoprotection mis en œuvre suivant l’ensemble des finalités mentionnées à l’article L. 251-2 du même code, à l’exception des finalités relatives à la sauvegarde des installations utiles à la défense nationale ([58]) et à la prévention d’actes de terrorisme ([59]), doivent être appréhendés comme des traitements de données à caractère personnel assujettis au RGPD et à la loi « Informatique et Libertés ».
Source : rapport n° 939 de Guillaume Vuilletet au nom de la commission des Lois de l’Assemblée nationale sur le projet de loi relatif aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions, p. 59.
Auditionnée le 7 février 2023, la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ) du ministère de l’Intérieur et des outre-mer admet que les textes relatifs à la captation et aux usages des images collectées dans l’espace public sont « éparpillés ». Elle souhaite donc participer à la construction d’un « cadre cohérent, lisible et harmonisé » de tous les usages.
Onze ans après l’entrée en vigueur du code de la sécurité intérieure, vos rapporteurs estiment que ce moment est venu.
Recommandation n° 1 : Engager une refonte des règles applicables à l’ensemble des dispositifs de captation d’images dans l’espace public, suivant un double objectif de rationalisation et d’unification du cadre juridique fixé par le code de la sécurité intérieure.
Enfin, vos rapporteurs déplorent les retards accumulés par le ministère de l’Intérieur et des outre-mer comme par le ministère de la Justice quant à la publication des décrets d’application relatifs, d’une part, aux caméras embarquées et, d’autre part, aux caméras aéroportées utilisées à des fins de police judiciaire et de police administrative. Près de quinze mois après la promulgation de la loi qui autorise les forces de sécurité à recourir à ces dispositifs, et alors même que la préparation de ces textes règlementaires aurait pu être anticipée au regard des décisions jurisprudentielles survenues depuis 2020, l’absence de ces décrets interdit encore le déploiement de ces caméras.
S’agissant des drones, les tergiversations du ministère de la Justice sur la délimitation de leur cadre légal et règlementaire en matière judiciaire pénalisent fortement les services enquêteurs, en les privant d’un outil pourtant utile à leurs missions. En outre, cette situation révèle une asymétrie de moyens pour le moins paradoxale au détriment des forces de police et gendarmerie, ce qui provoque, à raison, l’incompréhension de leurs dirigeants et représentants syndicaux auditionnés par la mission d’information.
Recommandation n° 2 : Publier de toute urgence les décrets d’application prévus par la loi du 24 janvier 2022 relatifs à l’utilisation des caméras embarquées et des caméras aéroportées en matière de police judiciaire et de police administrative.
2. Le déploiement de moyens techniques modernes confronté à des enjeux opérationnels multiformes
a. Un soutien financier croissant en faveur des dispositifs de captation d’images
Selon les chiffres communiqués par les directions générales de la police et de la gendarmerie nationales à vos rapporteurs, environ 38 000 caméras de vidéoprotection sont installées sur la voie publique en zone gendarmerie ([60]) et près de 52 000 en zone police ([61]). À la fin de l’année 2022, la police et la gendarmerie disposaient respectivement d’un stock de 31 000 et de 21 000 caméras piétons, ce qui représente, à l’échelle des effectifs des deux forces, une caméra piéton pour cinq agents. Par ailleurs, la gendarmerie détient une flotte d’un peu moins de 500 drones, contre 300 environ pour la police.
Le déploiement de la vidéoprotection dans l’espace public bénéficie d’un fort soutien financier de l’État, agissant à la fois en tant qu’« acheteur » au profit des forces de sécurité intérieure que « co-financeur » des matériels acquis par les collectivités territoriales.
Le recours croissant à ces outils s’inscrit dans une perspective plus large dépassant les seules finalités sécuritaires. Dans sa contribution écrite remise à l’issue de son audition le 18 octobre 2022, la CNIL fait état d’un marché global de ventes de solutions de vidéosurveillance en constante augmentation depuis dix ans, atteignant désormais plus de 1,7 milliard d’euros :
La CNIL précise également que le « marché français est détenu essentiellement par des acteurs étrangers. En 2015, plus d’un tiers des équipements de vidéoprotection installés étaient importés de Chine, mais des acteurs étasuniens, allemands et suédois sont également présents. De fait, si la France dispose de leaders mondiaux en matière de sécurité électronique, gestion des identités d’accès et cybersécurité, elle ne dispose pas encore d’acteurs de cette taille pour ce qui est des équipements vidéo ». ([62])
Cet engouement pour la vidéoprotection s’appuie sur des sources de financement étatique pérennes. La loi du 5 mars 2007 a créé le Fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (FIPDR), destiné à financer la réalisation d’actions dans le cadre des plans de prévention de la délinquance faisant l’objet d’une contractualisation entre l’État et les collectivités territoriales. Selon les documents annexés au projet de loi de finances pour 2023, les actions de sécurisation des sites sensibles au risque terroriste, les projets relatifs à la vidéoprotection de voie publique – caméras et centres de supervision urbains – et aux raccordements aux centres opérationnels de la police ou de la gendarmerie nationales, ainsi que les subventions d’équipements des polices municipales seront financés à hauteur de 30 millions d’euros. Ce montant représente plus du double de celui des crédits annuellement engagés en la matière entre 2007 et 2009 au titre du FIPDR.
Le Laboratoire d’innovation numérique de la CNIL observe que cette stratégie volontariste, inspirée de l’exemple du Home Office britannique dans les années 1990, avait grandement facilité l’acquisition des systèmes de vidéoprotection par les communes :
« […] En février 2014, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, 2 820 communes et 173 établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) avaient été accompagnés pour installer 26 614 caméras, pour un montant total de 148,52 millions d’euros de subventions ». ([63])
Les subventions de l’État accordées aux collectivités territoriales désireuses de s’équiper de dispositifs de vidéoprotection peuvent couvrir jusqu’à la moitié de leur coût total, sans préjudice des autres leviers de financement locaux. Lors de son audition, la DPSIS a estimé que le coût moyen d’acquisition et d’installation d’une caméra oscille entre 9 000 euros ([64]) et 20 000 euros, hors charges d’exploitation. La maintenance avoisine 10 % de l’investissement initial chaque année.
Ces efforts financiers ont vocation à s’amplifier. Le rapport annexé à la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur et des outre-mer du 24 janvier 2023 indique que « les crédits du fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (FIPDR) consacrés à la vidéoprotection seront triplés sur les cinq années à venir et viendront cofinancer les projets portés par les collectivités ». ([65])
L’instruction ministérielle du 16 février 2023 relative aux orientations du FIPDR pour l’année en cours précise que le déploiement de la vidéoprotection « reste la priorité » au sein du programme intitulé « Sécurisation », qui regroupe l’ensemble des subventions dédiées à l’acquisition de ces dispositifs.
C’est dans cette perspective que la ville de Nantes a annoncé, le 16 mars 2023, le déploiement de 90 caméras de vidéoprotection supplémentaires d’ici à la fin de l’année 2023, dans le but notamment de sécuriser les grands événements sportifs organisés en 2023 et 2024. Confrontée à une augmentation des vols sans violence et des cambriolages au cours de ces dernières années ([66]), la municipalité bénéficiera d’un co-financement intégral par Nantes Métropole et par l’État, pour un montant total de 2,8 millions d’euros.
Lors du déplacement de la mission d’information à Nantes le 27 octobre 2022, les auditions conduites par vos rapporteurs avec les élus aux conseils municipal et communautaire, les agents des services de police et de gendarmerie et les représentants de la préfecture de Loire-Atlantique ont fait état de la réticence exprimée par certains élus vis-à-vis de la vidéoprotection ([67]). Cette prudence tient en partie au « reste à charge » supporté par la ville de Nantes s’agissant des coûts liés au fonctionnement de son centre de supervision urbaine ([68]). Elle peut aussi s’expliquer par une méfiance de principe, plus ou moins assumée, quant à l’efficacité et au caractère intrusif de ces dispositifs.
Si les financements croisés dont bénéficient les communes peuvent contribuer à lever certains obstacles, ils permettent également aux plus petites communes de s’équiper à moindre coût, comme le révèle l’étude menée par le laboratoire d’innovation numérique de la CNIL :
« Selon une délibération du conseil régional d’Ile-de-France, Nointel (Val d’Oise, 798 habitants) a pour projet d’installer sept caméras sur son territoire en 2020 pour un montant total de 105 156 euros. La municipalité sollicite des financements auprès de la Région Ile-de-France (35 %), du département (6 %) et du fonds de dotation d’équipement des territoires ruraux (25 %). Il ne restera à sa charge qu’environ un tiers du montant total, soit un peu moins de 36 000 euros ». ([69])
Pour autant, ces modes de financement soulèvent d’importantes incertitudes juridiques, au risque de fragiliser le déploiement des systèmes de vidéoprotection sur l’ensemble du territoire. Dans une réponse publiée le 29 décembre 2022 à la question de notre collègue sénateur Jean-Louis Masson, le ministère de l’Intérieur et des outre-mer rappelle que « le président du conseil régional ne dispose […] d’aucune compétence qui justifierait l’octroi de subventions aux communes dans le but de financer le recrutement d’agents de police municipale ou le matériel communal de vidéoprotection sur la voie publique ». ([70])
Au regard des compétences limitativement attribuées au conseil régional par le législateur ([71]), la jurisprudence administrative a annulé une délibération décidant de la mise en place de subventions pour financer l’équipement communal de vidéoprotection ([72]). Le Gouvernement estime que cette annulation contentieuse pourrait subséquemment impliquer le remboursement par les communes des sommes que le conseil régional leur aurait déjà versées.
Vos rapporteurs s’inquiètent de l’insécurité juridique qui semble caractériser les aides financières dont les communes sont susceptibles de bénéficier. Une clarification du droit applicable mériterait d’être apportée par le ministère de l’Intérieur et des outre-mer, dans le respect du principe constitutionnel de libre-administration des collectivités territoriales tel qu’encadré par la loi.
Recommandation n° 3 : Clarifier les règles de financement de l’acquisition et de l’installation des systèmes de vidéoprotection par les collectivités territoriales.
Si les moyens financiers investis dans l’équipement de dispositifs de captation d’images s’accroissent, l’emploi sur le terrain des caméras fixes et mobiles par les forces de sécurité demeure confronté à de nombreux enjeux opérationnels.
b. Des enjeux opérationnels multiformes
Que le dispositif soit actuellement déployé – caméras de vidéoprotection et caméras piétons – ou non – caméras embarquées et aéroportées ([73]) –, plusieurs enjeux d’ordre opérationnel entourent leur utilisation respective.
i. Les caméras de vidéoprotection
Parmi l’ensemble des défis opérationnels que soulève l’utilisation des systèmes de vidéoprotection, trois d’entre eux peuvent plus particulièrement être analysés : la fiabilité des dispositifs techniques mis en place, le déport des images filmées par les caméras et la captation du son.
Premièrement, l’article L. 254-2 du code de la sécurité intérieure prévoit que les systèmes de vidéoprotection installés doivent être conformes à des normes techniques définies par arrêté du ministre de l’Intérieur. L’arrêté actuellement applicable a été publié le 3 août 2007. Il n’a fait l’objet d’aucune modification depuis son entrée en vigueur, alors même que la technologie de captation vidéo s’est constamment perfectionnée au cours de ces quinze dernières années. Les dispositions prévues par l’arrêté ne sont pas véritablement obsolètes, dans la mesure où elles se contentent de fixer des exigences minimales à respecter, qu’il s’agisse du niveau de résolution ([74]) et de la fréquence d’images par seconde ([75]) ou des garanties de traçabilité et d’accès à celles-ci.
Dans sa réponse à la question écrite posée en 2018 par notre collègue Denis Masséglia, le ministère de l’Intérieur s’est lui-même interrogé quant à la nécessité de réviser cet arrêté :
« Ces exigences techniques ont offert des progrès incontestables en termes d’exploitation d’images issues de ces dispositifs, à la grande satisfaction des services opérationnels. Il est vrai cependant qu’après plus de dix ans de mise en œuvre, ce texte apparaît aujourd’hui perfectible afin d’intégrer les importantes évolutions technologiques et de progresser encore sur l’usage de cette technologie concourant à la sécurité de nos concitoyens ». ([76])
Pour autant, aucune évolution n’a été apportée à ce texte à ce jour. Le besoin de renouveler les spécifications techniques applicables aux systèmes de vidéoprotection est d’autant plus réel que certains dispositifs peuvent faire l’objet de défaillances altérant considérablement leurs fonctions capacitaires. Le laboratoire d’innovation numérique de la CNIL fait état de plusieurs dysfonctionnements ayant affecté certains systèmes installés dans des communes faiblement peuplées :
« Les problèmes techniques, notamment dus aux conditions météorologiques et à la nuit, ne sont pas rares, et sont loin de se limiter à de simples questions de réglages. En 2014, le maire nouvellement élu de Toufflers (Nord, 3 902 habitants) témoignait des limites de l’installation : " Depuis que j’ai été élu en mars, j’ai fait quatre demandes de visionnage des bandes à la police intercommunale de Hem. Pour un feu de poubelles, un cambriolage chez le kiné, une voiture cassée et des dégradations sur le stade. Ça n’a jamais servi à rien ! On voit des ombres, mais on ne peut identifier personne... ". […] Les maires pointent les insuffisances techniques de ces caméras fixes : leur champ de vision est limité et leur résolution ne permet pas d’identifier les plaques d’immatriculation.
Les pannes peuvent avoir d’autres origines, que ce soient les logiciels, serveurs ou encore les caméras elles-mêmes, quand il ne s’agit pas d’une combinaison de ces divers éléments. À deux reprises, en 2009 et en 2016, la ville de Ploërmel (Morbihan, 9 571 habitants) constata à l’occasion d’un audit technique l’obsolescence de son système de vidéo-protection. La première fois, la qualité des images était en cause pour une vingtaine de caméras sur les 42 installées, et la seconde, tout un ensemble de défaillances techniques fut identifié. L’ampleur et la vitesse de dégradations des dispositifs interrogent : à Etaples (Pas de Calais, 10 865 habitants), en 2015, plus de la moitié du parc de 40 caméras installées en 2010, ne fonctionne plus. Toutefois ces limites techniques conduisent généralement les maires à s’équiper de caméras plus performantes et de technologies plus intrusives plutôt que de remettre en cause l’installation des caméras existantes. » ([77]).
Vos rapporteurs considèrent que la refonte des règles encadrant la captation des images de sécurité pourrait utilement inclure la mise à jour de l’arrêté du 3 août 2007. Dans cette perspective, il conviendrait sans doute de modifier l’alinéa 2 de l’article L. 254-2 du code de la sécurité intérieure, afin de laisser un délai suffisamment long ([78]) pour garantir la mise en conformité progressive des systèmes de vidéoprotection avec les exigences du futur arrêté.
Recommandation n° 4 : Réviser l’arrêté ministériel du 3 août 2007 afin de mettre à jour les exigences techniques auxquelles doivent satisfaire les systèmes de vidéoprotection.
Deuxièmement, le déport des images filmées par les caméras de vidéoprotection vers les services de police et les unités de gendarmerie constitue l’une des priorités identifiées par l’instruction ministérielle du 16 février 2023 relative aux orientations des politiques soutenues dans le cadre du FIPDR. Conformément à l’objectif de continuum de sécurité, il peut aussi être envisagé de favoriser le raccordement des systèmes de vidéoprotection installés par des communes de taille réduite ou moyenne vers des centres de supervision urbaine (CSU) mutualisés avec d’autres communes même taille ([79]).
Le laboratoire d’innovation numérique de la CNIL mentionne plusieurs projets menés à cette fin :
« Dans le Loir-et-Cher, dès 2014, 12 communes décident de déporter leurs flux vers le centre d’opérations et de renseignement de la Gendarmerie. Autre exemple, la ville de Carnac (Morbihan, 4 250 habitants, 26 caméras) est la première commune du Morbihan à avoir signé, en 2015, une convention de partage des images de vidéosurveillance avec la gendarmerie du Morbihan. Deux écrans de visualisation ont ainsi été installés : l’un au sein de la police municipale, l’autre au sein de la gendarmerie. […] Auparavant réservés aux municipalités dotées de ressources importantes […] la mutualisation de ces équipements à l’échelle intercommunale permet aux municipalités plus petites d’en bénéficier » ([80]).
Vos rapporteurs estiment que le déport des images présente un intérêt opérationnel majeur, comme l’ont souligné les chefs de la Brigade de recherches et d’intervention (BRI) de la Préfecture de police, du RAID et du GIGN lors de leur audition le 25 octobre 2022. De façon plus large, l’interopérabilité des systèmes de vidéoprotection facilite la coordination des interventions des forces de l’ordre en cas de crise, en leur garantissant l’accès à une même information en temps réel.
Troisièmement, des interrogations émergent quant à la possibilité technique, et surtout à l’opportunité, d’autoriser la captation sonore par le truchement des systèmes de vidéoprotection. Là encore, une telle évolution est matériellement envisageable et n’engendrerait pas de contrainte technique excessive ([81]). Auditionnée le 11 octobre 2022, Mme Hélène Gaury, directrice technico-commerciale de la société Bouygues ES, a indiqué que la captation sonore peut répondre à des besoins exprimés par certaines personnes publiques ou privées afin, par exemple, de détecter l’usage d’une arme à feu ou des bris de verre ([82]).
En l’état du droit, la captation sonore est interdite dans le cadre de la mise en œuvre de la vidéoprotection ([83]). Si les règles applicables aux caméras piétons autorisent un enregistrement « audiovisuel », ce qui inclut par nature la captation sonore, l’expérimentation menée en 2019 par la ville de Saint-Étienne visant à détecter et à capter des sons sur la voie publique a été interrompue par la CNIL. Dans le cadre de son contrôle, la CNIL a en effet estimé qu’un tel dispositif méconnaissait les règles relatives à la protection des données à caractère personnel prévues par le RGPD et la loi « Informatique et Libertés », en l’absence de base légale appropriée.
Vos rapporteurs estiment qu’une captation sonore en continu dans l’espace public ne respecterait pas les garanties de nécessité et de proportionnalité exigées par la jurisprudence constitutionnelle. Cette pratique, dont l’utilité opérationnelle devrait par ailleurs être démontrée, risquerait fort de porter une atteinte excessive au respect du droit à la vie privée.
Pérennisé depuis la loi du 3 juin 2016 et généralisé depuis 2020, l’usage des caméras piétons par les agents de police et les gendarmes s’est rapidement heurté à une contrainte opérationnelle difficile à surmonter. En effet, la batterie des premières caméras piétons utilisées par les forces de l’ordre jusqu’en 2021 présentait un problème majeur d’autonomie. Elle ne permettait pas de procéder à des enregistrements au-delà d’une heure ou deux, alors même que la durée des patrouilles peut dépasser six heures consécutives.
L’ensemble des organisations syndicales de la police nationale auditionnées par la mission d’information ont ainsi relayé la frustration des agents de police quant à l’impossibilité pratique de recourir à cet outil. La résiliation du marché conclu par le ministère de l’Intérieur et le choix, en 2021, d’un nouveau prestataire ([84]) a permis de résoudre ces difficultés, en dépit de la taille jugée parfois « encombrante » ([85]) du modèle utilisé.
Le principal enjeu entourant l’usage des caméras piétons concerne les modalités de déclenchement de l’enregistrement. En l’état du droit, seul l’agent équipé de la caméra peut décider de recourir à l’enregistrement. Cette condition restrictive fait l’objet de critiques. D’une part, les contraintes opérationnelles liées au contexte particulier de l’intervention ([86]) ne permettent pas systématiquement à l’agent de déclencher en temps utile l’enregistrement ([87]). D’autre part, cet enregistrement « à la main » de l’agent suscite des débats quant au caractère discrétionnaire et potentiellement partial du choix d’enregistrer ou non son intervention ([88]).
Plusieurs solutions ont été évoquées afin d’améliorer l’emploi des caméras piétons, telles qu’un enregistrement continu opéré par la caméra, du début à la fin de la patrouille. Au-delà des éventuelles difficultés techniques, voire juridiques, qu’un tel enregistrement continu et systématique pourrait engendrer, vos rapporteurs rejettent cette idée qui traduit finalement, en creux, une défiance à l’encontre des policiers et des gendarmes justifiant ainsi de filmer chacun de leurs faits et gestes.
En revanche, il pourrait être envisageable d’élargir les conditions de déclenchement de l’enregistrement afin de préserver l’intérêt opérationnel que revêtent les caméras piétons. Ainsi, l’enregistrement pourrait être déclenché à distance par l’autorité hiérarchique en salle de commandement, et automatiquement dès lors que l’agent décide d’utiliser son arme de service. Ces évolutions, auxquelles souscrivent plusieurs syndicats, tels que Alternative Police CFDT et Unité SGP Police FO, auditionnés le 30 novembre 2022, permettraient de pallier les difficultés propres à certaines interventions ([89]) en garantissant de façon effective leur enregistrement audiovisuel.
Recommandation n° 5 : Autoriser le poste de commandement à déclencher à distance les caméras-piétons uniquement à la demande des agents sur le terrain et prévoir un déclenchement automatique de l’enregistrement lorsque l’agent fait usage de son arme.
Comme précisé précédemment, aucune caméra embarquée n’est utilisée par la police et la gendarmerie à ce jour, en l’absence du décret d’application prévu par l’article L. 243-5 du code de la sécurité intérieure (CSI). Auditionné le 25 octobre 2022, le service des technologies et des systèmes d’information de la sécurité intérieure rattaché à la DGGN et à la DGPN précise que ce type de caméras, dont le coût unitaire oscille entre 2 000 et 10 000 euros, serait destiné à filmer l’extérieur et l’intérieur du véhicule dans le but d’objectiver les éventuelles atteintes à l’intégrité physique des agents et les conditions de leur intervention.
Un sourcing ([90]) a été réalisé par le ministère de l’Intérieur à la fin du premier semestre 2022. Compte tenu du retard règlementaire et des délais d’approvisionnement, la mise en œuvre de ces dispositifs ne devrait pas intervenir avant la fin de l’année 2023. L’une des difficultés pratiques consiste à déterminer la localisation précise de la caméra sur la carrosserie ou dans l’habitacle du véhicule, qu’il s’agisse d’une moto, d’une automobile, ou d’une embarcation fluviale.
L’entreprise Axon ([91]) et la direction générale de la gendarmerie nationale ([92]) ont souligné le caractère singulièrement contraignant de la rédaction de la première phrase du second alinéa de l’article L. 243-4 du CSI. Celle-ci prévoit que les caméras embarquées sont employées de telle sorte qu’elles ne visent pas à recueillir les images de l’intérieur des domiciles ni, de façon spécifique, celles de leurs entrées. Dans le cas contraire, l’enregistrement doit être immédiatement interrompu. À défaut, les images enregistrées doivent être supprimées dans un délai maximal de quarante-huit heures.
Concrètement, l’interdiction de filmer les entrées de domiciles met en péril le caractère opérationnel des caméras embarquées. Celles-ci pourront en effet être amenées à filmer, même subrepticement, l’entrée de maisons ou d’immeubles d’habitation selon la physionomie des lieux où se déroule l’intervention.
Vos rapporteurs considèrent que l’expression « de façon spécifique » n’est pas adaptée aux contraintes pratiques auxquelles seront confrontées les forces de l’ordre sur le terrain. Ils proposent de modifier cette rédaction afin de circonscrire l’interdiction visée par le second alinéa au recueil « permanent » de l’image de l’entrée de domiciles, ce qui garantirait la souplesse nécessaire à l’emploi des caméras embarquées conformément aux règles prévues par les articles L. 243-1 et suivants du CSI.
Selon vos rapporteurs, cet ajustement rédactionnel mineur ne déséquilibrerait aucunement le dispositif au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel à l’occasion des décisions rendues sur la loi du 25 mai 2021, puis sur celle du 24 janvier 2022.
Recommandation n° 6 : Circonscrire l’interdiction de recueil des images de l’entrée d’un domicile par une caméra embarquée à son seul caractère « permanent ».
Le recours aux drones par les forces de sécurité présente des contraintes opérationnelles et procédurales très nettement supérieures à celles qui entourent l’utilisation des autres dispositifs de captation d’images de sécurité.
D’une part, du fait de leur position en surplomb, l’interdiction faite aux caméras aéroportées de filmer l’entrée et l’intérieur des domiciles, par analogie avec la règle applicable aux caméras embarquées, s’avère a priori difficilement conciliable avec l’utilisation même du drone. Si M. Gil Ancelin, président du Groupe Protec ([93]), estime que les progrès technologiques permettront d’ici deux ans de parvenir à flouter en temps réel ces images « interdites », il convient de constater que cette évolution n’est pas encore d’actualité.
D’autre part, l’article L. 242-2 du CSI impose aux caméras aéroportées d’être équipées de dispositifs techniques permettant de garantir l’intégrité des enregistrements jusqu’à leur effacement, ainsi que la traçabilité des consultations lorsqu’il y est procédé dans le cadre de l’intervention. Cette contrainte ne semble pas poser de difficulté particulière s’agissant des caméras piétons et des caméras embarquées. Néanmoins, elle présente un degré de contrainte plus élevé pour les caméras aéroportées.
Lors de son audition, le service des technologies et des systèmes d’information de la sécurité intérieure a rappelé la nécessité de disposer d’une bande de fréquence adaptée, afin de permettre la transmission des images captées depuis l’air jusqu’au sol, grâce à une connectivité sans fil utilisant des fréquences radio. En l’absence de technique de chiffrement des modèles acquis par la gendarmerie et la police ces dernières années, il est donc indispensable de sécuriser la fréquence, en prévoyant idéalement à cette fin une bande de fréquence dédiée aux services de police et aux unités de gendarmerie.
Auditionnée le 29 novembre 2022, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) précise que les fréquences sont réparties entre les différents affectataires ([94]), dont font notamment partie le ministère de l’Intérieur et des outre-mer et l’ARCEP. Selon l’ARCEP, et sous réserve du type de drone auquel les forces de sécurité auront recours, les fréquences utilisées pourraient être celles du ministère lui-même ou correspondre à des fréquences libres utilisées, après autorisation, par le ministère de l’Intérieur.
Recommandation n° 7 : Disposer d’une bande de fréquence dédiée à la transmission sécurisée des données captées par des caméras aéroportées.
B. Simplifier le cadre juridique de conservation des données et évaluer l’efficacité des dispositifs de captation d’images
1. Des évolutions de nature à faciliter l’utilisation des images de sécurité par les forces de l’ordre et les magistrats
a. Si les conditions d’accès doivent être différenciées selon le dispositif de captation utilisé, les délais de conservation des données doivent être harmonisés
Déterminer la durée de conservation des données et les conditions d’accès aux enregistrements est un équilibre à trouver entre l’objectif de prévention des atteintes à l’ordre public et le droit au respect de la vie privée. La durée doit être limitée et adaptée aux finalités pour lesquelles sont mis en œuvre les systèmes.
● Les délais de conservation varient de sept à trente jours.
En matière d’images captées sur la voie publique, les durées de conservation varient selon les dispositifs de captation utilisés.
Pour les images captées sur la voie publique par des caméras fixes, la durée de conservation des images est précisée dans l’autorisation donnée par l’autorité préfectorale et ne peut pas excéder trente jours (article L. 252-3 du CSI). L’autorisation peut prévoir une durée minimale de conservation (article L. 252-5 du CSI).
Pour les images captées par des caméras individuelles, les enregistrements sont effacés au bout d’un mois, sauf lorsqu’ils sont utilisés dans le cas d’une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire (article L. 241-1 du CSI). Cette durée a été modifiée par l’article 14 de la loi RPSI ([95]) : elle était auparavant de six mois. L’article 14 a été introduit par amendement lors de l’examen du texte au Sénat par le rapporteur, qui souhaitait aligner le temps de conservation des données sur celui déjà prévu pour les autres dispositifs de captation d’images sur la voie publique.
L’enregistrement n’est pas permanent : il est déclenché lorsqu’un incident se produit ou est susceptible de se produire. Vos rapporteurs, au cours de leurs travaux, ont écarté l’idée de basculer vers un enregistrement permanent, qui serait trop intrusif pour les porteurs de caméras et trop coûteux en termes de stockage.
Une exception existe pour les caméras individuelles portées par les sapeurs-pompiers et les marins-pompiers : l’article L. 241-3 du CSI prévoit que les enregistrements audiovisuels sont effacés au bout de six mois.
Pour les images captées par des caméras installées sur des aéronefs, la durée de conservation ne peut pas excéder sept jours, sauf si les enregistrements sont utilisés dans le cadre d’une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire (article L. 242-4 du CSI). La durée de conservation a été modifiée par l’article 15 de la loi RPSI : le passage de trente à sept jours était proposé par le Gouvernement dans le projet de loi initial et tenait compte de l’avis rendu par le Conseil d’État ([96]). Lorsqu’il n’a pas été possible d’interrompre l’enregistrement et que des images de l’intérieur ou de l’entrée de domiciles ont été filmées, les images doivent être supprimées dans un délai de 48 heures, hors cas de transmission à l’autorité judiciaire sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale (III de l’article L. 242-5 du CSI).
Pour les images captées par les caméras embarquées, la durée de conservation ne peut également pas excéder sept jours, à l’exception des cas où les enregistrements sont utilisés dans le cadre d’une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire. Ce délai a été modifié par l’article 17 de la loi RPSI : il était auparavant de trente jours. Lorsqu’il n’a pas été possible d’interrompre l’enregistrement et que des images de l’intérieur ou de l’entrée de domiciles ont été filmées, les images doivent être supprimées dans un délai de 48 heures, hors cas de transmission à l’autorité judiciaire sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale (article L. 243-4 du CSI).
Les données captées par les dispositifs de lecture automatique de plaques d’immatriculation (LAPI) font l’objet d’un cadre particulier : elles peuvent être conservées pendant quinze jours. La durée de conservation était auparavant fixée à huit jours : elle a été allongée à quinze jours par l’article 104 de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale. L’arrêté du 18 mai 2009 portant création d’un traitement automatisé de contrôle des données signalétiques des véhicules n’a pas été mis à jour et mentionne toujours huit jours.
Cette période de quinze jours doit permettre de comparer les données issues des lecteurs avec les données relatives aux véhicules volés ou signalés (FOVeS) et avec le système d’information Schengen (SIS). Si cette comparaison a donné lieu à un rapprochement, les données peuvent être conservées un mois. M. Florian Colas, le directeur du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), a indiqué être favorable à ce que cette durée soit étendue à quatre mois. Le projet de loi portant mise en conformité du droit de visite douanière et de modernisation de l’action douanière, présenté par les ministres Bruno Le Maire et Gabriel Attal le 3 avril 2023, propose justement d’expérimenter pendant trois ans un allongement de la durée de conservation des données des LAPI à quatre mois ([97]). Vos rapporteurs ne souhaitent pas aller jusque-là et suggèrent d’étendre la durée à trente jours.
Les systèmes de vidéoprotection installés par les opérateurs de transports
Les systèmes de vidéoprotection installés par les opérateurs de transports doivent respecter le cadre instauré par le code de sécurité intérieure aux articles L. 251-1 à L. 255-1.
À titre d’exemple, la SNCF possède un parc de 70 000 caméras, dont 17 000 installées dans les gares et 45 000 embarquées à travers les trains.
L’article 113 de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités a autorisé le port de caméras individuelles pour les agents assermentés des exploitants de services de transport. La SNCF a mis en œuvre cette possibilité dès 2020. L’expérimentation doit durer quatre ans.
Le parc de caméras de l’emprise de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle comporte environ 10 000 caméras, réparties à la fois sur les parkings, les pistes mais aussi dans les parties ouvertes au public.
Dans les deux cas, la durée de conservation des données maximale s’établit à trente jours pour les dispositifs fixes. L’accès aux images est possible soit dans le cadre de réquisitions judiciaires, soit dans le cadre de l’exercice du droit d’accès par une personne filmée.
Les durées de conservation varient donc de sept à trente jours selon les dispositifs de captation déployés, les caméras individuelles des sapeurs-pompiers mis à part. Vos rapporteurs sont favorables à une harmonisation consistant à fixer à trente jours la durée maximale de conservation quel que soit le dispositif de captation employé.
Recommandation n° 8 : Harmoniser les temps de conservation des images en fixant une durée de 30 jours quel que soit le vecteur de captation utilisé.
Dans tous les cas évoqués ci-dessous, la durée de conservation fixée par la loi constitue une borne maximale, et non une obligation. Dans les faits, la durée de conservation dépend largement de la capacité des opérateurs du système à conserver ces données. Les données étant conservées sur des serveurs physiques, le stockage représente un coût très important. Il est donc extrêmement fréquent que les durées de conservation soient bien inférieures à 30 jours, les données étant automatiquement écrasées pour en enregistrer de nouvelles.
Vos rapporteurs ont pu ainsi constater, au cours de leurs travaux, que les images n’étaient pas systématiquement conservées pendant le délai maximal fixé par la loi. À Nice, les données sont conservées pendant 10 jours. S’agissant du parc de caméras de la SNCF, les durées de conservation varient même d’une gare à l’autre. Ainsi, le temps de conservation des données captées par les caméras installées Gare du Nord à Paris est de 4 jours (avec le projet de monter à 14 jours), alors qu’il est de 30 jours en région Auvergne-Rhône-Alpes. Il a cependant été indiqué à vos rapporteurs que si des faits intéressants se produisaient, la SNCF était susceptible de faire une extraction pour conserver les images pendant trente jours ([98]).
Cette différence d’un système de vidéoprotection à l’autre est source de confusion lors des réquisitions et peut provoquer des pertes de chance pour les victimes d’infractions. Si imposer une durée minimale de conservation immédiatement paraît brutal pour les opérateurs des systèmes, des solutions pour allonger la durée de conservation effective des images captées sur la voie publique devraient être explorées.
Une solution pourrait être de prévoir des durées minimales pour certains évènements, comme les évènements sportifs. C’est l’une des recommandations formulées par les sénateurs MM. François-Noël Buffet et Laurent Lafon dans leur rapport sur les incidents survenus au Stade de France pendant la finale de la Ligue des champions en mai 2022 ([99]).
Recommandation n° 9 : Tendre à la fixation d’une durée minimale de conservation des données.
● L’accès aux enregistrements par les professionnels
Pour les caméras fixes, le régime d’accès diffère sensiblement de celui qui est en vigueur pour les caméras mobiles. Cela s’explique par le fait que peu de caméras appartiennent aux forces de l’ordre, la plupart des caméras fixes ayant été installées par les municipalités ou par les opérateurs de transport.
L’article L. 251-2 du CSI dresse la liste des finalités pour lesquelles la transmission et l’enregistrement d’images prises sur la voie publique au moyen de la vidéoprotection peuvent être mis en œuvre par les autorités publiques.
Certaines finalités concernent directement les services spécialisés de renseignement, notamment la prévention d’actes de terrorisme. La mission de prévention contre toute forme d’ingérence étrangère, prévue à l’article L. 811-3 du CSI, ne figure pourtant pas dans la liste, alors même que l’exploitation d’images dans le cadre du contre-espionnage pourrait être extrêmement utile aux services. Vos rapporteurs s’interrogent donc sur l’opportunité d’élargir la liste des finalités prévues à l’article L. 251-2 du CSI, afin de garantir aux services de renseignement spécialisés un accès plus large aux images de sécurité.
Recommandation n° 10 : Élargir la liste des finalités d’accès aux images de la vidéoprotection à certaines des missions des services de renseignement spécialisés, notamment le contre-espionnage.
L’accès par les forces de l’ordre aux images issues d’un système de vidéoprotection est prévu par l’autorisation d’installation délivrée par l’autorité préfectorale (article L. 252-3 du CSI) : celle-ci peut ainsi prescrire que certains agents sont destinataires des images et enregistrements. L’autorisation doit préciser les modalités de la transmission ou de l’accès à ces images. La décision peut également être prise à tout moment par arrêté préfectoral, qui doit être signé après avis de la commission départementale de vidéoprotection. Seules l’urgence et l’exposition particulière à un risque d’actes de terrorisme permettent à l’autorité préfectorale de ne pas saisir la commission départementale.
Les personnels qui visionnent les images doivent être individuellement désignés et habilités (article L. 255-1 du CSI). Pour être habilités, les agents doivent suivre une formation en matière de données à caractère personnel, régulièrement mise à jour (article R. 252-12 du CSI).
L’article R. 252-13 du CSI prévoit également que les systèmes de vidéoprotection doivent comporter des dispositifs pour assurer la disponibilité, la confidentialité et l’intégrité des enregistrements, ainsi que la traçabilité des consultations.
Les services de renseignement ont un accès aux images issues des systèmes de vidéoprotection limité par les finalités prévues à l’article L. 251-2 du CSI.
Pour les caméras individuelles, une transmission en temps réel du flux vidéo au poste de commandement du service concerné et aux personnels impliqués dans l’intervention est possible depuis la loi n° 2021-646 du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés, « lorsque la sécurité des agents de la police nationale ou des militaires de la gendarmerie nationale ou la sécurité des biens et des personnes est menacée » (article L. 241-1 du CSI). Auparavant, les images ne pouvaient être consultées qu’à l’issue de l’intervention. Le Conseil constitutionnel a estimé que l’encadrement des conditions de la mise en œuvre de cette transmission et des destinataires possibles était de nature à préserver le droit au respect de la vie privée ([100]).
Le déclenchement de la caméra individuelle ne peut pas être activé à distance à ce jour.
L’article 241-1 du CSI prévoit également la faculté, pour les personnels auxquels les caméras sont fournies, de consulter les images enregistrées pendant une intervention lorsque cela est nécessaire pour « faciliter la recherche d’auteurs d’infractions, la prévention d’atteintes imminentes à l’ordre public, le secours aux personnes ou l’établissement fidèle des faits lors des comptes rendus d’intervention ». Cette faculté, ouverte par la loi « Sécurité globale », devait être encadrée au regard des possibilités de visualisation sans motif légitime ou de modification et suppression de l’enregistrement. L’article précise donc que « les caméras sont équipées de dispositifs techniques permettant de garantir l’intégrité des enregistrements jusqu’à leur effacement et la traçabilité des consultations lorsqu’il y est procédé dans le cadre de l’intervention ».
Considérant que la nouvelle possibilité de consultation ne concernait qu’un nombre restreint d’hypothèses et était accompagnée de garanties techniques renforcées, le Conseil constitutionnel a validé le dispositif. Il a néanmoins formulé une réserve d’interprétation : l’intégrité des enregistrements et la traçabilité des consultations doivent être garanties jusqu’à leur effacement – à défaut, les droits de la défense et le droit à un procès équitable risqueraient d’être méconnus.
Pour les caméras installées sur les aéronefs, les images peuvent être transmises au poste de commandement du service concerné et aux personnels impliqués dans l’intervention en temps réel ou différé pendant la durée de l’intervention. Comme pour les caméras individuelles, des dispositifs techniques doivent garantir l’intégrité des enregistrements et la traçabilité des consultations (article L. 242-2 du CSI). Dans sa contribution écrite aux travaux de vos rapporteurs ([101]), la direction générale de la police nationale (DGPN) a indiqué que les drones acquis par les services avant l’encadrement juridique ne permettaient pas de répondre aux exigences posées par la loi s’agissant de l’intégrité des enregistrements. Cette inadéquation du matériel déjà acquis aux exigences posées par le législateur est particulièrement regrettable.
La transmission en temps réel n’est pas subordonnée à l’existence de conditions particulières, contrairement à ce qui est prévu pour la transmission en temps réel des images issues des caméras individuelles : la transmission est possible pour les mêmes finalités que la captation.
L’autorité responsable de la mise en œuvre des traitements doit tenir un registre qui précise la finalité poursuivie et la durée des enregistrements réalisés, mais aussi les personnes ayant accès aux images, y compris celles transmises en temps réel (article L. 242-4 du CSI).
L’accès aux enregistrements est interdit, sauf lorsque cela est nécessaire à la suite d’un signalement sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale (CPP), et à l’exception du cas où elles sont utilisées dans le cadre d’une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire (article L. 242-4 du CSI).
Pour les caméras embarquées, la transmission en temps réel des images au poste de commandement et aux personnels impliqués dans l’intervention est possible lorsque la sécurité des agents est concernée (article L. 243-3 du CSI).
L’article L. 243-3 prévoit également la possibilité, pour les personnels participant à l’intervention, de consulter les images dans deux cas : lorsqu’il s’agit d’assurer la sécurité de leurs interventions ou lorsque cette consultation vise à faciliter l’établissement fidèle des faits lors des comptes rendus d’interventions. Cette faculté a été ouverte par l’article 17 de la loi RPSI. Elle s’accompagne des mêmes garanties que celles prévues pour les caméras individuelles : des dispositifs techniques doivent permettre de préserver l’intégrité de l’enregistrement et la traçabilité des consultations. Au-delà de ces consultations, les conditions d’accès aux enregistrements sont similaires à celles détaillées pour les caméras installées sur les aéronefs : l’accès n’est possible que dans le cas d’un signalement à l’autorité judiciaire sur le fondement du même article 40 du code de procédure pénale (article 243-4 du CSI).
Comme pour les caméras installées sur des aéronefs, un registre doit être tenu afin de retracer les enregistrements réalisés et les personnes ayant eu accès aux images (y compris en temps réel).
Pour les caméras mobiles (caméras individuelles, caméras installées sur des aéronefs, caméras embarquées), les mécanismes de traçabilité ont été détaillés à vos rapporteurs par la DGPN :
– mécanismes d’authentification forte des utilisateurs (notamment au moyen d’une carte professionnelle) ;
– historique de la cause d’extraction de la vidéo (cadre judiciaire, administratif, disciplinaire, ou formation) ;
– effacement automatique à l’expiration du délai légal.
S’agissant des LAPI, les données sont comparées avec le fichier des objets et des véhicules trouvés (FOVeS) et le système d’information de Schengen (SIS). Pour permettre cette consultation, les données sont conservées pendant une période quinze jours. Dans le cas où un rapprochement positif avec les fichiers mentionnés précédemment est constaté, les données sont conservées pendant un mois, sans préjudice de leur consultation pour les besoins d’une procédure pénale ou douanière. Dans le cas inverse, les données sont effacées après la période de quinze jours (article L. 233-2 du CSI).
M. Florian Colas, directeur du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) à la direction générale des douanes et des droits indirects du ministère de l’Économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, a déploré lors de son audition ([102]) que la base de données des LAPI ne puisse pas être interrogée autrement que lorsqu’un rapprochement positif a été constaté. Il a également souligné que la durée de conservation était relativement courte.
Comme indiqué précédemment, vos rapporteurs sont favorables à une extension de la durée de conservation des données LAPI à trente jours quel que soit le cas de figure. Ils souhaitent également que l’accès aux données LAPI soit facilité pour permettre une constatation plus aisée de certaines infractions (terrorisme et criminalité organisée).
Recommandation n° 11 : Modifier l’article L. 233-2 du code de la sécurité intérieure afin de permettre la consultation des données LAPI pour prévenir et caractériser les infractions liées au terrorisme et à la criminalité organisée.
Il convient de souligner que les enregistrements issus des caméras individuelles et des caméras installées sur des aéronefs peuvent être utilisés à des fins de pédagogie et de formation des agents (articles L. 241-1 et L. 242-4 du CSI). Les données sont alors anonymisées.
Comme l’ont souligné plusieurs des interlocuteurs de vos rapporteurs, le cadre juridique en matière de captation d’images, qui privilégie une approche par vecteurs, manque de lisibilité et gagnerait à être simplifié.
Recommandation n° 12 : Réviser le code de la sécurité intérieure pour simplifier le cadre juridique relatif à la captation d’images, en adoptant une approche transversale plutôt qu’une approche par vecteurs.
Les données issues des vidéos sont stockées sur des serveurs physiques, ce qui représente un coût certain pour les forces de l’ordre, mais reste une option plus sécurisée que le stockage dans le cloud [nuage numérique] si celui-ci n’est pas souverain. L’accroissement du volume de flux vidéos à sauvegarder doit être anticipé par le ministère de l’Intérieur, pour éviter de devoir recourir à des solutions extra-européennes de stockage dans quelques années.
Recommandation n° 13 : Anticiper la saturation du stockage sur des serveurs physiques et financer la création d’un cloud souverain.
b. Les modalités de réquisitions des images gagneraient à être modernisées
En matière de police judiciaire, les images provenant de caméras installées sur la voie publique peuvent être réquisitionnées par un officier de police judiciaire (OPJ) ou par un magistrat. Dans le cadre d’une enquête de flagrance, l’officier de police judiciaire peut, sans l’autorisation du procureur de la République, requérir des informations issues d’un système de données ou d’un traitement de données nominatives (article 60-1 du CPP). Dans le cadre d’une enquête préliminaire, l’OPJ agit sur autorisation du procureur de la République (article 77-1-1 du CPP).
La police municipale peut notamment être sollicitée pour transmettre des images issues des caméras appartenant à la municipalité. Dans les municipalités équipées d’un parc de caméras conséquent, cela peut représenter un volume important. Ainsi, le procureur de Nice, M. Xavier Bonhomme, a indiqué à vos rapporteurs qu’environ 1 500 réquisitions par an étaient délivrées dans le cas d’une enquête judiciaire (flagrance ou préliminaire). Les opérateurs de transports sont aussi régulièrement sollicités par réquisition pour donner aux services d’enquête des images issues de leurs caméras.
Or, les modalités de réquisition sont aujourd’hui contraignantes : après leur extraction, les images doivent être enregistrées sur un support physique (CD-roms, DVD, clé USB), qui doit ensuite être récupéré par un enquêteur. Ce support physique constitue le scellé et permet d’assurer l’intégrité et l’authenticité des preuves.
Au vu du volume et du développement de la vidéoprotection, il apparaît prioritaire à vos rapporteurs de travailler à créer un scellé numérique, qui permettrait de transmettre de manière dématérialisée les images issues de caméras. Dans la conception du logiciel permettant la création de ce scellé devront être intégrés des dispositifs techniques permettant de garantir l’intégrité de la vidéo.
Recommandation n° 14 : Créer un scellé numérique pour permettre une transmission dématérialisée des images issues de caméras.
Le service des technologies et des systèmes d’information de la sécurité intérieure (STI(SI)²) recommande lui d’envisager la création d’un cloud [nuage numérique] « vidéoprotection », sur lequel les différents opérateurs de système de vidéoprotection pourraient télécharger leurs données. Cette solution permettrait également de dématérialiser les réquisitions judiciaires et administratives.
Recommandation n° 15 : Créer un socle d’hébergement mutualisé et hautement sécurisé, sur lequel les différents détenteurs d’images de vidéo protection (opérateurs de transports, collectivités territoriales) pourraient les télécharger.
La DACG du ministère de la Justice a fait état de travaux en cours pour créer une plateforme numérique permettant un accès à distance aux images de vidéo-surveillance détenues par la SNCF : vos rapporteurs ne peuvent qu’être favorables à la création d’une telle plateforme, de nature à simplifier considérablement le travail des officiers de police judiciaire.
c. Prévoir l’information du public et garantir le droit d’accès par les citoyens est indispensable pour maintenir l’équilibre des dispositifs de captation d’images
● L’information du public
Pour les caméras fixes, l’article L. 251-3 du CSI prévoit que l’information du public sur l’existence du système de vidéoprotection et sur l’autorité qui en est responsable doit être claire et permanente.
Pour les caméras individuelles, l’article L. 241-1 du CSI prévoit une information des personnes filmées par le porteur de la caméra lorsqu’il déclenche l’enregistrement, mais aussi une information générale du public faite par le ministre de l’Intérieur.
Pour les caméras installées sur les aéronefs, l’article L. 242-3 du CSI prévoit une information du public par tout moyen approprié de leur utilisation, sauf lorsque les circonstances l’interdisent ou que cette information entre en contradiction avec les objectifs poursuivis. Comme pour les caméras individuelles, une information générale du public doit être faite par le ministre de l’Intérieur.
Pour les caméras embarquées, l’article L. 243-2 du CSI prévoit l’information du public par une signalétique sur le moyen de transport, à l’exception des véhicules utilisés pour des missions où l’absence d’identification est requise.
Pour les dispositifs de lecture automatique de plaques d’immatriculation (LAPI), aucune information du public n’est prévue.
● Le droit d’accès par les personnes filmées
Le droit d’opposition n’est pas applicable aux systèmes de vidéoprotection. Pour les caméras individuelles et les caméras installées sur les aéronefs, il est explicitement prévu que le droit d’opposition ne s’applique pas (articles R. 241-6, R. 246-6 et R. 241-15 du CSI). Le droit d’opposition n’est également pas applicable aux LAPI, mais le droit d’accès et de rectification s’exerce de manière indirecte auprès de la CNIL ([103]).
Si le droit d’opposition ne s’applique pas, toute personne intéressée peut demander un accès aux enregistrements d’un système de vidéoprotection qui la concernent. Cet accès peut être refusé « pour un motif tenant à la sûreté de l’État, à la défense, à la sécurité publique, au déroulement de procédures engagées devant les juridictions ou d’opérations préliminaires à de telles procédures, ou au droit des tiers » ([104]).
● Le contrôle des systèmes de vidéoprotection s’exerce à deux niveaux.
La commission départementale de vidéoprotection, qui donne un avis sur les demandes d’autorisation de systèmes de vidéoprotection (article L. 251-4 du CSI), peut également exercer un contrôle à tout moment sur les conditions de fonctionnement de ces systèmes (article L. 253-1 du CSI). À l’issue de ces contrôles, elle émet des recommandations, qui peuvent aller jusqu’à la suppression des dispositifs non autorisés.
L’article L. 253-2 du CSI prévoit la possibilité pour la CNIL d’exercer un contrôle sur un système de vidéoprotection afin de vérifier qu’il est utilisé conformément à son autorisation, soit sur demande de la commission départementale de vidéoprotection ou soit sur demande du responsable du système. Elle peut également procéder à ce contrôle de sa propre initiative.
Ce pouvoir de contrôle a été octroyé à la CNIL par l’article 18 de la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (dite « loi LOPSI II »). Entre 2011 et 2021, la CNIL a procédé à 620 contrôles et a prononcé 6 mises en demeure pour de mauvais usages de dispositifs de vidéoprotection ([105]).
Tableau récapitulatif des durées de conservation, de l’accès aux images et de l’information du public en fonction du dispositif de captation d’images utilisé
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Durée de conservation |
Transmission en temps réel |
Accès aux images |
Information du public |
Interdiction de filmer l’intérieur des domiciles ou leur entrée de manière spécifique |
Caméras fixes |
30 jours |
Autorisation préfectorale peut prévoir que des agents des FDO soient destinataires des images et, en cas d’urgence, l’avis de la commission départementale de vidéoprotection n’est pas indispensable |
Autorisation préfectorale peut prévoir que des agents des FDO soient destinataires des images. |
Information du public claire et permanente sur l’existence du système de vidéoprotection et sur l’autorité qui en est responsable |
X |
Caméras individuelles |
30 jours |
Transmission en temps réel possible lorsque la sécurité des agents ou des biens et des personnes est menacée |
Les agents peuvent y accéder en cas de nécessité pour la sécurité des personnes ou des biens, ou pour des besoins opérationnels, à la condition que des dispositifs garantissent l’intégrité des enregistrements et la traçabilité des consultations jusqu’à leur effacement |
Information des personnes filmées au moment du déclenchement de la caméra. |
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Caméras installées sur des aéronefs |
7 jours |
Transmission au centre de commandement possible en temps réel ou différé |
Pas d’accès aux images dans le délai de sept jours, sauf signalement sur le fondement de l’article 40 du CPP |
Information du public lorsque les dispositifs aéroports sont mis en œuvre par tout moyen approprié, sauf si les circonstances l’interdisent ou que l’information entrerait en contradiction avec les objectifs poursuivis. |
X |
Caméras embarquées |
7 jours |
Transmission au poste de commandement concerné et aux personnels possible lorsque la sécurité des agents est menacée |
Les agents ayant participé à l’intervention peuvent les consulter pour assurer la sécurité de leurs interventions ou faciliter la rédaction de leurs comptes rendus d’intervention |
Information du public par une signalétique sur le moyen de transport, sauf lorsque le véhicule, pour les besoins de la mission, ne doit pas être identifié |
X |
Dispositifs de lecture automatique de plaques d’immatriculation (LAPI) |
15 jours si aucun rapprochement avec le FOVeS et le SIS, un mois si un rapprochement positif a été constaté |
Non pertinent |
Consultation des données interdites, sauf pour tester si rapprochement avec le fichier des véhicules volés et le système d’information Schengen |
Non pertinent |
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Source : commission des Lois.
2. Si le manque de données complique l’évaluation de l’efficacité de la vidéoprotection, il apparaît clairement que son potentiel n’est pas aujourd’hui totalement exploité
La réflexion sur le sujet de l’efficacité de la vidéoprotection n’est pas nouvelle : un rapport des inspections (IGPN, IGGN et IGA) daté de juillet 2009 ([106]) conclut ainsi, en des termes non équivoques, à l’efficacité de la vidéoprotection à la fois pour prévenir la délinquance et dans le cadre des enquêtes.
« Les dispositifs de vidéoprotection ont montré leur efficacité en matière de prévention de la délinquance et leur impact en prévention dépasse le périmètre des zones vidéoprotégées. Bien qu’ils apportent une aide indiscutable à de nombreuses enquêtes et interpellations, leur impact sur le taux global d’élucidation reste encore modéré en raison d’une densité de caméras souvent insuffisante, ou de matériels qui ne permettent pas toujours une identification précise des personnes. »
Ce rapport, qui s’appuie sur l’analyse des statistiques de circonscriptions de police et de brigades de gendarmerie, a fait l’objet de certaines critiques portant notamment sur la méthodologie employée. La Cour des comptes, dans un rapport de juillet 2011, estimait ainsi que « les résultats contradictoires de cette enquête, ainsi que sa méthode, entièrement basée sur l’analyse des statistiques de l’état 4001, ne permettent pas d’en tirer des enseignements fiables » ([107]).
M. Guillaume Gormand, chercheur associé au Centre d’études et de recherche sur la diplomatie, l’administration publique et le politique, exprime également des doutes sur la méthodologie suivie par les inspections.
La date de publication du rapport des inspections, 2009, c’est-à-dire il y a 14 ans, n’en fait pas un outil très pertinent d’analyse aujourd’hui. Il mérite néanmoins d’être mentionné pour contextualiser les réflexions autour de la vidéoprotection.
a. Une efficacité à la fois préventive et pour certaines enquêtes
i. Un effet préventif qui peut être délicat à objectiver
● La désescalade permise par les caméras individuelles
Les caméras individuelles portées par les agents ont trois finalités :
– la prévention des incidents au cours d’interventions des agents de la police nationale et des militaires de la gendarmerie nationale ;
– le constat des infractions et la poursuite de leurs auteurs ;
– la formation et la pédagogie des agents.
S’agissant de la première finalité, la DGPN a confirmé que le déclenchement de la caméra individuelle lors d’une intervention était de nature à prévenir une escalade. En effet, comme rappelé supra, le déclenchement de la caméra individuelle est visible et fait l’objet d’une information par l’agent qui la porte, ce qui peut suffire parfois à calmer la situation.
Ces éléments rejoignent les conclusions du rapport d’évaluation réalisé par le ministère de l’Intérieur et adressé au Parlement sur l’emploi des caméras mobiles par les agents de police municipale :
« il ressort de l’analyse des rapports transmis que l’utilité du dispositif de caméras mobiles réside davantage dans le caractère dissuasif du port de l’équipement que par son exploitation, en termes d’enregistrement, de consultation ultérieure ou d’extraction de données provenant des caméras pour les besoins d’une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire. Un nombre important de communes précisent que leurs agents de police municipale n’ont pas eu l’occasion de procéder à un enregistrement » ([108]).
● L’aspect dissuasif des caméras fixes
Pour M. David Lisnard, maire de Cannes ([109]), les caméras fixes ont un réel effet dissuasif et contribuent à générer un sentiment de sécurité parmi les citoyens. Cela se traduit par une demande forte d’installation de caméras supplémentaires par les habitants. M. Bernard Gonzalez, préfet des Alpes-Maritimes a également fait état d’un effet dissuasif.
Les élus locaux entendus par vos rapporteurs à l’occasion d’une table ronde ont également souligné le rôle dissuasif des caméras. M. Romain Colas, représentant de l’Association des petites villes de France, a évoqué au cours de l’audition une utilité « objectivement avérée ». Les caméras contribueraient à dissuader la commission de certains types de délits : les atteintes aux véhicules, les trafics et même les rixes.
Si le ressenti des parties prenantes est un élément à prendre en compte, peu d’études ont été menées pour objectiver l’effet dissuasif des caméras sur la délinquance, et leurs résultats peuvent apparaître contradictoires.
Une étude rendue à la ville de Nice en mars 2022 ([110]) s’est penchée sur l’impact des caméras de vidéoprotection de la ville de Nice sur la délinquance de voie publique. L’auteur de l’étude a observé l’évolution de la délinquance de proximité dans un secteur progressivement doté de caméras et constaté une division par deux des faits constatés dans le secteur en question. Il conclut que les caméras jouent effectivement un rôle dissuasif.
Les résultats de cette étude peuvent être nuancés par les différents travaux menés par M. Guillaume Gormand. Dans sa thèse soutenue en novembre 2017, le chercheur s’est penché sur le programme de vidéoprotection de la ville de Montpellier ([111]). Il constate, à l’issue de son évaluation conduite sur plusieurs secteurs de Montpellier :
« malgré donc l’intuition communément partagée dans l’imaginaire collectif, il apparaît donc clairement que la mise à l’épreuve rigoureuse de ce bénéfice supposé révèle que l’intérêt dissuasif de la vidéosurveillance demeure parfaitement illusoire lorsqu’elle est installée sur des espaces publics ouverts » ([112]).
Ainsi, il paraît difficile d’affirmer avec certitude que les caméras fixes ont réellement un effet dissuasif sur la délinquance.
ii. Une efficacité opérationnelle soulignée par les forces de l’ordre, mais qui mériterait d’être évaluée
Il est nécessaire de s’interroger sur l’efficacité opérationnelle de la vidéoprotection.
Pour des municipalités comme Cannes et Nice, qui accueillent régulièrement de grands évènements, la vidéoprotection est perçue comme très utile au maintien de l’ordre public, ainsi que comme un réel atout pour la gestion de crise. La DGGN souligne, quant à elle, l’apport des caméras aéroportées pour les interventions, notamment pour la gestion de grands évènements.
Les représentants des collectivités locales ont fait valoir que les caméras étaient précieuses pour calibrer le niveau d’intervention, par exemple. Ils l’envisagent comme une aide complémentaire de la présence des policiers municipaux sur le terrain.
Les élus locaux ont également évoqué l’« effet plumeau » des systèmes de vidéoprotection, c’est-à-dire le déplacement de la délinquance vers les quartiers et les communes dépourvus de caméras. Les collectivités seraient ainsi progressivement incitées à s’équiper si elles ne le sont pas.
L’étude conduite à Nice et mentionnée précédemment considère aussi que les caméras de la ville constituent « une aide à l’enquête précieuse ». Elle conclut que les secteurs les plus vidéosurveillés sont ceux où la part d’élucidation est la plus grande. Elle souligne également qu’entre janvier et février 2022, 18,82 % des faits ont été élucidés grâce à la vidéo. Enfin, elle observe que l’utilisation des caméras permet de diminuer de près de 17 % le temps d’investigation. M. Bernard Gonzalez, préfet des Alpes-Maritimes, lors de son entretien avec vos rapporteurs ([113]), avait lui aussi mentionné le gain de temps, pour les enquêteurs, rendu possible par les caméras.
Les forces de l’ordre présentent le recours aux images filmées sur la voie publique comme incontournable.
Selon la DGPN ([114]), le recours par les forces de l’ordre aux images de sécurité peut avoir plusieurs objectifs :
– établir la matérialité des faits ;
– obtenir une description physique de l’auteur de l’infraction ;
– identifier un mode opératoire ;
– orienter les investigations.
Dans sa contribution écrite, la DGPN souligne notamment l’apport des caméras individuelles pour caractériser une infraction, notamment s’agissant de troubles à l’ordre public.
La DGPN comme la DGGN estiment que les enregistrements issus des caméras individuelles sont des éléments précieux pour confirmer la conformité de l’action des forces de l’ordre en intervention.
S’agissant plus particulièrement des LAPI, le renseignement douanier a confirmé qu’il s’agissait d’une technique particulièrement efficace pour lutter contre le trafic de stupéfiants. L’installation de LAPI aux points stratégiques de franchissement des frontières permet de capter beaucoup de passages, et de détecter des convois.
S’il est compliqué d’obtenir des chiffres à l’échelle nationale, certaines statistiques obtenues par vos rapporteurs au cours de leurs déplacements font état d’une utilité de la vidéoprotection lors des enquêtes.
Ainsi, selon la gendarmerie de Loire-Atlantique, de 2017 à 2021, entre 21 et 26 % des délits d’atteinte aux biens ont été élucidés grâce à la vidéoprotection. Cette gendarmerie a communiqué à vos rapporteurs, à titre d’exemple, une gazette de la vidéoprotection qui répertorie un certain nombre de dossiers résolus grâce à l’exploitation des systèmes de vidéoprotection.