N° 1240

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 mai 2023

RAPPORT D’INFORMATION

FAIT

 

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L’ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES ([1]),

sur la « budgétisation intégrant l’égalité »

par

Mmes Céline calvez et Sandrine josso,

Députées

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La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes est composée de :

 

Mme Véronique Riotton, présidente ; Mme Virginie Duby-Muller, Mme Marie-Charlotte Garin, M. Guillaume Gouffier Valente, Mme Sandrine Josso, viceprésidents ; Mme Julie Delpech, Mme Anne-Cécile Violland, secrétaires ; Mme Emmanuelle Anthoine ; Mme Anne-Laure Babault ; Mme Marie-Noëlle Battistel ; Mme Soumya Bourouaha ; Mme Céline Calvez ; Mme Agnès Carel ; Mme Émilie Chandler ; Mme Mireille Clapot ; M. Jean-François Coulomme ; Mme Béatrice Descamps ; Mme Christine Engrand ; Mme Géraldine Grangier ; Mme Fatiha Keloua Hachi ; Mme Amélia Lakrafi ; Mme Élise Leboucher ; Mme Julie Lechanteux ; Mme Sarah Legrain ; Mme Brigitte Liso ; Mme Marie-France Lorho ; Mme Pascale Martin ; Mme Graziella Melchior ; Mme Frédérique Meunier, Mme Sophie Panonacle, Mme Josy Poueyto, Mme Anaïs Sabatini, Mme Ersilia Soudais, M. Emmanuel Taché de la Pagerie, Mme Prisca Thevenot, M. Stéphane Viry.

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

Synthèse des recommandations

introduction

I. Qu’EST-CE QUE LA BUDGÉTISATION INTÉGRANT L’ÉgalitÉ ET À QUOI SERT-ELLE ?

A. TERMINOLOGIE ET DÉfinition

1. Un choix des mots qui a son importance

a. Genre ou égalité

b. Budget(s) ou budgétisation

c. « Sensible » ou « intégrant »

2. Définition

a. Un concept découlant de celui de gender mainstreaming ou approche intégrée de l’égalité

b. Une définition bien balisée à l’échelle internationale

i. Ce que n’est pas la budgétisation intégrant l’égalité

ii. Ce qu’est la budgétisation intégrant l’égalité

B. LES BÉNÉFICES ATTENDUS DE LA BIE

1. La diffusion de la culture de l’égalité chez les concepteurs des politiques publiques

a. La diffusion encore trop réduite de la culture de l’égalité dans l’administration

b. La BIE offre un cadre très efficace pour intégrer de façon plus homogène la perspective du genre à l’ensemble des politiques publiques

2. L’amélioration de la démarche de performance

3. Un facteur de développement économique et humain

a. Un outil de développement économique et de redressement des finances publiques

b. Un facteur de développement humain

II. UNE MÉTHODOLOGIE POUVANT ÊTRE ADAPTÉE À DIFFÉRENTS NIVEAUX D’AMBITION POSSIBLES

A. LeS PRÉREQUIS À LA MISE EN PLACE D’UNE BIE

1. Clés de réussite

a. Des objectifs clairs et un portage politique fort

b. Un cadre juridique

c. Des personnels formés et accompagnés par un pilotage dynamique

2. Les principaux outils nécessaires

a. Des données chiffrées suffisantes et pertinentes

b. Un volet performance intégré au processus budgétaire existant

c. Des analyses sectorielles approfondies

d. Une méthode systématique d’analyse des dépenses

B. LES DIFFÉRENTS NIVEAUX D’AMBITION POSSIBLES

1. Le périmètre retenu

a. Quel(s) budget(s) ?

b. Les différentes catégories de dépenses

c. Stock et flux de dépenses

d. Faut-il inclure la commande publique ?

e. Quid des recettes ?

2. L’échelle ou la maille d’analyse

a. Quelle unité retenir pour l’analyse des crédits ?

b. Quelle unité retenir pour la définition des objectifs et indicateurs ?

3. De l’outil de mesure à l’instrument de correction

a. D’un outil d’observation et d’analyse à un levier de transformation

b. D’un exercice d’analyse ex ante à un bouclage vertueux d’un exercice budgétaire à l’autre

III. PROPOSITION DE FEUILLE DE ROUTE POUR LA MISE EN PLACE d’UNE BIE AMBITIEUSE POUR LES BUdGETS NATIONAUX EN France

A. LA France DISPOSE DÉJÀ D’ACQUIS SOLIDES ET d’oUTILS EFFICACES MAIS LARGEMENT PERFECTIBLES

1. Une approche intégrée de l’égalité à travers différents outils

a. Les rapports annuels des collectivités sur l’égalité

b. La labellisation des ministères

c. Des analyses sectorielles très complètes dans certains domaines

d. Des études d’impact désormais généralisées mais inégales

e. Un appareil statistique puissant mais perfectible pour ce qui est de la prise en compte du genre

2. Des expériences qualifiantes en matière budgétaire

a. La mise en œuvre des budgets verts

b. Le document de politique transversale (DPT)

c. L’expérimentation du « budget intégrant l’égalité » conduite en 20182019

B. Proposition de feuille de route

1. Une phase de cadrage cruciale en six étapes

a. Première étape : donner une impulsion politique à la démarche

b. Deuxième étape : donner un cadre juridique à la BIE

c. Troisième étape : préciser le périmètre et la gouvernance de la BIE

d. Quatrième étape : sur cette base, former les pilotes et ministères « dépensiers » par un accompagnement spécialisé

e. Cinquième étape : inclure le service de la statistique publique dès le lancement de la démarche

f. Sixième étape : adapter les systèmes d’information

2. Illustration de la méthode sur deux cycles budgétaires (N0 et N+2)

ConClusion

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

annexe n° 1 :  liste des personnes auditionnées par la délégation

annexe n° 2 : Liste des personnes auditionnées par les rapporteurEs


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   Synthèse des recommandations

Recommandation n° 1 : modifier le code général des collectivités territoriales, afin de rendre obligatoire la présentation orale du rapport sur la situation en matière d’égalité entre les femmes et les hommes.

Recommandation n° 2 : spécifier le Guide pratique pour accompagner les collectivités territoriales, mis à leur disposition par le service des droits des femmes et de l’égalité (SDFE) et le centre Hubertine Auclert, notamment en mentionnant un certain nombre de statistiques et indicateurs clés pouvant utilement figurer dans ce rapport, afin de permettre la remontée des informations et les comparaisons.

Recommandation n° 3 : modifier la loi organique n° 2009-403 pour insérer au huitième alinéa de l’article 8, après le mot « intéressées », les mots : « en particulier les femmes et les hommes ». Compléter cet article en précisant que ce document fait l’objet d’une présentation orale par le Gouvernement lors de la première lecture du projet de loi devant chaque assemblée et est actualisé, le cas échéant, au cours de la navette parlementaire.

Recommandation n° 4 : lancer des états généraux de la statistique publique genrée sous l’égide du Conseil national de l’information statistique.

Recommandation n° 5 : donner une impulsion politique à la budgétisation intégrant l’égalité (BIE) au plus haut niveau et assortir la décision politique de la déclinaison de macro-objectifs ambitieux et lisibles.

Recommandation n° 6 : appliquer la démarche de BIE de façon progressive au périmètre des dépenses de l’État et aux dépenses de la sécurité sociale, ainsi qu’à l’ensemble des recettes situées dans ce périmètre. Prioriser dans un premier temps les mesures de l’année.

Recommandation n° 7 : inscrire au niveau organique, par une révision de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) et du code de la sécurité sociale, l’objectif de la BIE. Créer, toujours en loi organique, une annexe explicative spécifique, plus complète que le document de politique transversale (DPT) et donc s’y substituant, retraçant l’ensemble des informations issues de la démarche de BIE, en élaboration et en exécution.

Recommandation n° 8 : confier à l’Inspection générale des finances et au SDFE une mission de précision de la méthode à retenir pour l’application de la BIE (analyse des dépenses par catégorie, des recettes, de la commande publique, intégration aux documents budgétaires, gouvernance et formation requise).

Recommandation n° 9 : appliquer des méthodes d’analyse distinctes pour certaines catégories de dépenses et pour les recettes.

Recommandation n° 10 : développer des méthodes innovantes pour intégrer l’objectif d’égalité à la commande publique (nudge) et insérer des clauses relatives à l’égalité dans l’ensemble des conventions d’objectifs et de moyens et conventions pluriannuelles d’objectifs conclues par l’État.

Recommandation n° 11 : mettre en place un accompagnement spécialisé en amont de la démarche et au minimum jusqu’à l’été suivant la fin de l’exécution du premier exercice budgétaire pour les agents concernés, y compris au niveau des managers.

Recommandation n° 12 : associer les représentants du service de la statistique publique dès le début de la démarche et leur transmettre une note rédigée par les pilotes de la BIE et précisant l’ensemble des données attendues.

Recommandation n° 13 : étudier la pertinence de créer au sein de l’INSEE un service transversal dédié au genre.

Recommandation n° 14 : prévoir au sein de l’équipe de pilotage une cellule de maîtrise d’ouvrage chargée de faire évoluer progressivement l’application Tango ainsi que les applications back office sectorielles pour simplifier la mise en œuvre et le suivi de l’exécution de la BIE.

Recommandation n° 15 : afin d’améliorer la qualité des études d’impact et des simulations en matière d’égalité, lancer un audit des codes source des principaux modèles économétriques de l’État, en particulier Mésange et Saphir, et les faire évoluer si nécessaire.

Recommandation n° 16 : inscrire en loi de programmation des finances publiques un objectif chiffré de réduction de la part des dépenses ayant un impact négatif sur l’égalité au regard de celles ayant un impact positif direct ou indirect.

Recommandation n° 17 : décliner tous les indicateurs de la maquette budgétaire visant un public en sous-indicateurs genrés.

Recommandation n° 18 : à l’occasion des réformes de la LOLF et de l’article LO 111-4 du code de la sécurité sociale, prévoir que la nouvelle annexe explicative relative à la BIE créée fasse l’objet d’une présentation orale par le Gouvernement au Parlement, soit en séance, soit devant les délégations aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Recommandation n° 19 : confier au Haut Conseil à l’égalité la mission de remettre au Parlement un rapport d’évaluation de la qualité et de la sincérité de la démarche de BIE.

 


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   introduction

Atteindre l’égalité réelle entre les femmes et les hommes requiert un engagement pérenne, volontariste et transversal et une large diffusion de la culture de l’égalité. Dans cette perspective, la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a souhaité explorer un outil pouvant apporter un élan décisif à la marche vers l’égalité et pourtant encore méconnu et souvent mal compris en France en lançant une mission d’information initialement intitulée « budget genré ».

L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le Conseil de l’Europe, l’Organisation des nations unies (ONU) comme le Fonds monétaire international (FMI) promeuvent cet outil à l’échelle internationale. À l’échelle de l’Union européenne (UE), la Commission européenne, sur recommandation de la Cour des comptes européenne, l’a intégré à son processus budgétaire et dans sa Stratégie pour l’égalité entre les femmes et les hommes 2020‑2025 du 5 mars 2020. Le Parlement européen a insisté sur la nécessité de mettre en œuvre cette démarche, tant à l’échelle de l’Union que de ses États membres dans sa résolution du 10 mars 2022 sur l’approche intégrée de l’égalité des femmes et des hommes. Enfin, la présidence suédoise du Conseil est un fervent soutien de cette démarche, qu’elle met pleinement en œuvre dans son propre pays, à l’instar d’une vingtaine des pays membres de l’OCDE. À l’échelle mondiale, depuis ses prémices en Australie en 1984, environ quatre-vingts pays aux systèmes politico-juridiques très hétérogènes, tels que l’Autriche, le Canada, le Maroc, l’Afrique du Sud, la Belgique ou encore l’Inde ou le Japon, ont initié une approche genrée des budgets, à des niveaux très divers et de façon plus ou moins aboutie.

C’est notamment le cas en France, où le Gouvernement annexe chaque année depuis 2008 ([2]) un document de politique transversale (DPT) relatif à la politique de l’égalité femmes-hommes au projet de loi de finances (PLF) et où une expérimentation parcellaire des budgets genrés a été engagée en 2018-2019, ce qui lui a valu d’être classée au troisième rang mondial par le FMI en la matière, sans toutefois que la démarche soit reconduite. De façon plus pérenne et aboutie, des collectivités territoriales telles que les villes de Paris, Strasbourg, Nantes, Lyon, Rennes ou encore le département de la Charente, ont mis en place des budgets genrés, avec l’appui du centre Hubertine Auclert, qui, de même que le Haut Conseil à l’égalité (HCE), promeut cette démarche depuis plusieurs années en tant qu’outil incontournable pour atteindre l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

Malgré ces impulsions et les nombreuses initiatives de la France en matière de gender mainstreaming ou approche intégrée de l’égalité depuis une vingtaine d’années, force est de constater que « les politiques publiques nationales françaises sont le plus souvent aveugles au genre », selon les termes par lesquels Mme Isabelle Gueguen, l’une des spécialistes du sujet, introduisait son propos lors de son audition devant vos rapporteures. Le relatif échec de l’expérimentation de 2018-2019 a pu être expliqué par un contexte temporel peu favorable : cette expérimentation était concomitante de la mise en œuvre du budget vert, et l’urgence de la crise de la Covid‑19 a conduit les décideurs à délaisser cette thématique.

Toutefois, le contexte culturel français a également pu jouer en défaveur de cette expérimentation. Le concept de « budget genré » peut en effet heurter à première vue les principes républicains d’universalisme et de neutralité, qui continuent d’influencer largement la conception française du principe d’égalité. Si la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel énonce que « le principe d’égalité […]ne fait nullement obstacle à ce que, en fonction des objectifs poursuivis, à des situations différentes soient appliquées des règles différentes », la mise en œuvre de mesures spécifiques à un groupe d’êtres humains, fût-il majoritaire et placé dans une position structurellement inégalitaire, achoppe très souvent sur des considérations d’ordre juridique.

Bien sûr, des mesures spécifiques, ou de niche, ont vocation à résoudre certains des problèmes spécifiques que rencontrent les femmes. Toutefois, l’ensemble des dépenses associées, si l’on s’en tient au périmètre tracé par le DPT « Égalité entre les femmes et les hommes », se monte à environ 2,4 milliards d’euros, soit environ 0,5 % du budget de l’État. Les dépenses de la sécurité sociale sont quant à elles absentes de cette réflexion, de même que l’essentiel des prélèvements. Ainsi, 99,8 % des dépenses nationales et la quasi-totalité des recettes sont conçues et exécutées ou prélevées sans que leur impact sur la situation respective des femmes et des hommes soit nécessairement considéré.

Pourtant, après analyse, l’apparente universalité ou l’apparente neutralité des politiques budgétaires et fiscales peut souvent révéler des biais inconscients de conception et se traduire dans les faits par une aggravation des inégalités entre femmes et hommes, comme l’ont illustré les récentes annonces de la Première ministre Élisabeth Borne sur l’individualisation par défaut du taux de l’imposition sur le revenu. Vos rapporteures n’avancent en aucun cas que cet état de fait révèle une intention, un dessein caché, mais plutôt un impensé séculaire, lequel se traduit d’ailleurs par l’absence, dans de très nombreux domaines de la performance, d’indicateurs permettant de l’objectiver.

Loin d’opposer femmes et hommes ou de retirer quelque chose aux hommes, concevoir des politiques qui n’auront a minima aucun impact négatif sur la situation socio-économique, le bien-être et la santé des femmes est un enjeu de justice, de croissance économique, de gestion budgétaire saine et transparente, de stabilité et d’amélioration du bien-être de l’ensemble de la population.

C’est dans cette perspective que vos rapporteures ont rédigé ce rapport. Elles s’assignent comme objectifs de rappeler les bénéfices attendus de la mise en œuvre d’une budgétisation intégrant l’égalité, d’en présenter les approches possibles au vu des expériences existantes et en fonction du niveau d’ambition fixé, et de proposer de façon concrète et opérationnelle un chemin pour la mise en œuvre, dès les prochains exercices budgétaires, d’une telle démarche en France, en se concentrant sur l’échelle nationale, qui correspond aux budgets dont elles ont à connaître en tant que parlementaires.

 


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I.   Qu’EST-CE QUE LA BUDGÉTISATION INTÉGRANT L’ÉgalitÉ ET À QUOI SERT-ELLE ?

Avant de déterminer quelle pourrait être la méthode à adopter pour engager une démarche de budget genré, il convient de définir cette démarche et d’identifier les bénéfices que l’on peut en attendre.

A.   TERMINOLOGIE ET DÉfinition

1.   Un choix des mots qui a son importance

Le choix des termes désignant la démarche que vos rapporteures ont étudiée au cours de cette mission d’information n’est pas anodin. Si le terme gender budgeting prévaut à l’international, sa traduction littérale en français « budgétisation genrée » peut être source d’incompréhension, voire de rejet, comme l’ont souligné de nombreuses personnes auditionnées. Or, il serait regrettable que les questionnements que la mise en œuvre de cette démarche ne manquerait pas de susciter se polarisent davantage sur les termes employés que sur ses objectifs et les modalités de sa mise en œuvre. La terminologie a donc toute son importance, car c’est également de celle-ci que va dépendre l’acceptabilité de la notion et son appropriation par les acteurs concernés.

Diverses traductions de « gender budgeting » ont été essayées en français, les deux principales étant le budget ou la budgétisation sensible au genre (BSG) et le budget ou la budgétisation intégrant l’égalité (BIE). Vos rapporteures ont donc été conduites à s’interroger en profondeur sur la terminologie qu’elles souhaitaient retenir.

 

a.   Genre ou égalité

À l’international, l’utilisation du terme « gender » prévaut. Vos rapporteures ont donc tenu à interroger les personnes auditionnées sur les éventuelles conséquences qu’emporterait l’usage de sa traduction, « genre », eu égard à la cristallisation de nombreuses polémiques autour de ce terme dans le paysage politique français.

 Pour les experts et chercheurs qui encouragent la mise en œuvre de cette démarche, le choix du terme revêt peu d’importance, le terme « genre » étant parfaitement banalisé dans la sphère académique. Ces mêmes auditionnés ont pourtant été une majorité à considérer qu’au regard de la réalité politique du pays, l’utilisation du terme « genre » risquait de faire apparaître la démarche comme un marqueur idéologique plutôt que comme une démarche à vocation transpartisane, au service de l’intérêt général et de l’égalité. Mme Marie-Pierre Badré, présidente du centre Hubertine Auclert, a ainsi suggéré que le retard français sur la scène internationale en la matière résultait en partie de l’utilisation de ce terme, trouvant peu d’écho, voire un écho négatif, chez nombre d’élus et dans l’opinion publique en général. Quant à Mme Isabelle Gueguen, co-fondatrice du cabinet Perfégal, elle a estimé que l’usage du terme « genre » par certaines grandes collectivités territoriales françaises ne devait pas peser dans cet arbitrage, puisqu’il résultait selon elle de leur couleur politique, marquée à gauche. Elle concluait que l’utilisation d’un terme neutre faciliterait l’appropriation de cette démarche par l’administration, elle-même garante de son application et de sa continuité au-delà des cycles politiques. Mme Elhadad, du centre Hubertine Auclert, a en outre souligné que le terme « égalité » présentait l’avantage de rendre explicites les objectifs de la démarche, qui vise à concevoir un processus conduisant à faire progresser l’égalité réelle entre les femmes et les hommes

C’est au terme de ces échanges que vos rapporteures, regrettant toutefois le décalage que cela induit dans l’ensemble des enceintes internationales, ont été conduites à retenir, comme l’ont fait les gouvernements français successifs depuis le milieu des années 2010 dès lors qu’il était question du genre, le terme d’« égalité ».

 

b.   Budget(s) ou budgétisation

Les personnes auditionnées ont été plus partagées sur le choix entre « budget » et « budgétisation », avec toutefois une préférence pour le second terme.

Le premier présente certes l’avantage d’être plus accessible et clair, favorisant ainsi sa bonne appropriation par le grand public. Toutefois, Mme Margaux Lelong, analyste politique à l’OCDE, a alerté vos rapporteures sur les incompréhensions qu’il risquait d’induire. En effet, le terme « budget » peut évoquer l’idée d’une enveloppe budgétaire dédiée aux questions d’égalité femmes-hommes, ou laisser supposer qu’il implique de nouvelles dépenses budgétaires.

Le terme budgétisation a quant à lui le mérite de montrer qu’il s’agit d’un processus, d’une démarche visant à intégrer l’enjeu de l’égalité dans le processus budgétaire global et ses quatre étapes successives. Mme Ambre Elhadad a également considéré que le terme « budgétisation » traduisait une méthode et non une fin en soi.

Pour ces raisons, vos rapporteures considèrent que « budgétisation » est le terme idoine. En outre, associé au mot « intégrant », il montre bien que c’est la démarche, la méthode, qui intègre les considérations d’égalité, et pas nécessairement – ou pas déjà – son résultat, c’est-à-dire le budget en lui-même.

c.   « Sensible » ou « intégrant »

Enfin, traduisant la formulation anglophone « gender sensitive budgeting », le terme « sensible » s’est imposé au sein de plusieurs institutions internationales et européennes. Le HCE l’a également adopté, considérant que cette dénomination était plus lisible pour le grand public. Sa présidente, Mme Sylvie Pierre-Brossolette, estime que l’usage de la formulation « intégrant l’égalité » laissait trompeusement entendre que cette démarche visait à intégrer l’égalité entre les femmes et les hommes, déjà acquise, au processus de budgétisation.

Il est vrai que la terminologie, notamment retenue par le Gouvernement pour son expérimentation de 2019, de « budget intégrant l’égalité », pouvait introduire cette confusion. Toutefois, vos rapporteures n’ayant pas retenu le terme de « budget » mais celui de « budgétisation », elles considèrent que cette confusion n’est alors plus permise, et que le mot « intégrant » permet de retranscrire la définition établie par le Conseil de l’Europe, intégrant la dimension de genre à chaque étape budgétaire.

Compte tenu de ces considérations, vos rapporteures choisissent de retenir la formulation « budgétisation intégrant l’égalité » (BIE), qui leur paraît être la plus représentative des objectifs de cette démarche. C’est donc cette expression qui sera utilisée tout au long du présent rapport.

 

2.   Définition

a.   Un concept découlant de celui de gender mainstreaming ou approche intégrée de l’égalité

 

La budgétisation intégrant l’égalité est issue du concept de gender mainstreaming, traduit en français par « approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes ». Cette notion est définie par le Conseil de l’Europe comme étant « la (ré)organisation, l’amélioration, l’évolution et l’évaluation des processus de prise de décision, aux fins d’incorporer la perspective de l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines et à tous les niveaux, par les acteurs généralement impliqués dans la mise en place des politiques ».

Évoqué pour la première fois lors de la Conférence de Nairobi de 1985, le gender mainstreaming fut ensuite adopté comme stratégie pour les politiques internationales en matière d’égalité entre les femmes et les hommes dans le cadre du Programme d’action de Pékin de l’ONU (Conférence de Pékin, 1995). Celui-ci proposait une déclinaison de cette démarche en divers items, parmi lesquels figurait la nécessité d’intégrer une perspective de genre dans les processus budgétaires.

Le gender mainstreaming est introduit en France au début des années 2000. La Charte de l’égalité du 8 mars 2004 identifiait quatre étapes pour son déploiement :

 

        réaliser des diagnostics sur la situation respective des hommes et des femmes dans tous les champs grâce à la mise à disposition de données sexuées ;

        former l’ensemble du personnel étatique afin de le sensibiliser à la démarche ;

        intégrer des actions concrètes en faveur de l’égalité femmes-hommes dans les politiques publiques et les assortir d’objectifs de progression quantifiés ;

        évaluer ces politiques à l’aide d’indicateurs idoines.

Si les deux concepts sont souvent confondus, on voit donc que le gender mainstreaming est un concept plus large que celui de gender budgeting, qui en est une des applications concrètes, sans doute la plus exigeante mais également la plus aboutie.

 

b.   Une définition bien balisée à l’échelle internationale

 

i.   Ce que n’est pas la budgétisation intégrant l’égalité

La budgétisation intégrant l’égalité a donné lieu à un certain nombre d’interprétations.

Elle est parfois confondue, à tort, avec le financement de mesures correctives ou de politiques dédiées à l’égalité femmes-hommes, faisant l’objet d’une enveloppe budgétaire séparée. En réalité, elle vise plutôt à comprendre les effets différenciés des mesures budgétaires sur les femmes et les hommes et sur les inégalités existantes, certains biais de conception inconscients ou constructions historiques ancrées dans les systèmes administratifs et budgétaires pouvant conduire à perpétuer, voire à accentuer, les inégalités.

Avant de donner une définition de ce qu’est la BIE, sans doute convient-il donc de rappeler, afin d’éviter des incompréhensions fréquemment observées, ce qu’elle n’est pas.

 

ii.   Ce qu’est la budgétisation intégrant l’égalité

En 2019, la direction du budget (DB) a défini la budgétisation intégrant l’égalité comme étant « un outil permettant de mesurer l’impact sur les femmes et les hommes des recettes et des dépenses d’un budget ». Cette définition souligne la dimension analytique et informative de cette démarche.

Cependant, elle occulte la dimension corrective comprise dans la démarche de BIE. En effet, bien qu’une première étape et un premier bénéfice attendu de la budgétisation intégrant l’égalité soient l’observation et l’analyse complète et fine ex ante du paysage des inégalités et de l’impact des mesures budgétaires sur celles‑ci, il semblerait à vos rapporteures que la démarche serait incomplète si elle ne conduisait pas à des ajustements ex post issus des résultats ainsi obtenus. À l’instar d’une majorité des auditionnés, vos rapporteures lui préfèrent donc la définition adoptée par le Conseil de l’Europe :

C:\Users\alenahenec\AppData\Local\Microsoft\Windows\INetCache\Content.Outlook\D7G5EX6B\Définition-BIE-V3.png

 

Le HCE a également fait sienne cette définition en rappelant que la budgétisation intégrant l’égalité doit comprendre une double action de mesure, d’une part, et de correction, d’autre part.

Vos rapporteures tiennent cependant à préciser que peu d’entités peuvent aujourd’hui se prévaloir d’une BIE intégrant l’ensemble des critères identifiés par le Conseil de l’Europe. Comme indiqué infra, le processus de budgétisation intégrant l’égalité doit être adapté au contexte, notamment politique et juridique, dans lequel il s’inscrit, et peut être mis en place par étapes, avec un niveau d’ambition plus ou moins élevé et évolutif.

 

B.   LES BÉNÉFICES ATTENDUS DE LA BIE

Les bénéfices attendus de la BIE dépendront du niveau d’ambition que l’on se fixe dans sa mise en œuvre. Le premier d’entre eux est de faire progresser la culture même de l’égalité, tant parmi les acteurs du processus budgétaire que dans la population générale. Ce seul bénéfice comporte en lui-même des vertus transformatives, lesquelles seront démultipliées si la BIE est conduite dans une logique de bouclage budgétaire vertueux, avec des effets mesurables sur le développement économique et humain.

1.   La diffusion de la culture de l’égalité chez les concepteurs des politiques publiques

a.   La diffusion encore trop réduite de la culture de l’égalité dans l’administration

En France, l’approche intégrée de l’égalité est mentionnée dans les plans d’actions du service des droits des femmes et de l’égalité (SDFE) depuis le début des années 2000, sous l’impulsion des ministres chargés de l’égalité et des délégations parlementaires aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, créées en 1999.

Force est toutefois de constater que le niveau d’acculturation des administrations publiques reste variable et encore trop dépendant du volontarisme des personnes qui les composent. Cette disparité semble notamment dépendre :

        du degré de sensibilité des acteurs du secteur à cette question ;

        du degré de sensibilisation de l’opinion publique sur les inégalités pouvant exister dans ce secteur ;

        de l’existence de travaux de recherche, d’associations dédiées, et de leur écho médiatique ;

        du degré de mixité du secteur, y compris au sein même de l’administration.

Ce manque d’acculturation explique que certaines politiques publiques soient encore trop peu sensibles aux questions de genre et, de ce fait, vidées d’une partie de leur efficacité.

En effet, si certaines problématiques sont identifiées et quantifiées de longue date, à l’instar des inégalités dans la sphère politique et professionnelle, d’autres sont longtemps demeurées largement impensées par les pouvoirs publics. Récemment, les réflexions autour de la lutte contre les violences ou de la moindre représentation des femmes dans les sphères culturelle et médiatique ont gagné en intensité à la faveur du mouvement #Metoo ; plus récemment encore, et de façon assez marginale, l’impact sur l’égalité des politiques fiscales ou les inégalités femmes-hommes dans le domaine de la santé ([3]) ont émergé dans le débat public, les constats opérés tardant dans de trop nombreux domaines à se traduire en mesures correctives.

L’approche intégrée de l’égalité, en plus de vingt ans de mise en œuvre, n’a donc pas permis que la culture de l’égalité se diffuse largement dans les administrations. Elle reste largement l’apanage de certains secteurs, tels que la culture ou l’éducation, et les mesures prises en la matière le sont souvent en réaction à des stimuli externes davantage qu’à une anticipation de la part des pouvoirs publics, faute d’un processus intégré de réflexion sur ces sujets. Pourtant, une diffusion large et homogène de la culture de l’égalité parmi les décideurs contribuerait non seulement à la qualité et à l’efficacité des politiques publiques, mais également à enrichir les connaissances de l’ensemble des acteurs de la société civile (chercheurs, monde associatif, etc.). La collecte et la diffusion suivie et régulière de données dans tous les champs qu’implique la BIE permettrait en effet d’enrichir leurs travaux et réflexions, d’objectiver ou d’expliquer certaines situations jusqu’alors à l’état d’hypothèses ou non expliquées, et de nourrir le débat public. Par ailleurs, comme l’ont indiqué plusieurs auditionnés, elle permettrait de lutter contre l’illusion encore trop répandue selon laquelle les inégalités entre les femmes et les hommes seraient derrière nous.

 

b.   La BIE offre un cadre très efficace pour intégrer de façon plus homogène la perspective du genre à l’ensemble des politiques publiques

De ce point de vue, la méthode de la BIE, par le travail de réflexion, le cadre et les procédures qu’elle implique, constitue un outil très puissant pour diffuser très largement et de façon plus homogène la culture de l’égalité parmi l’ensemble des concepteurs et acteurs des politiques publiques. Son caractère très concret impose en effet aux gouvernements et à leur administration, ainsi qu’aux Parlements, dans le cadre de leurs missions législatives et de contrôle sur les budgets nationaux, des temps encadrés, définis et obligatoires pour « chausser les lunettes de l’égalité », selon l’expression employée de façon récurrente par les auditionnés. C’est sa méthode et son processus même qui font la puissance de cet outil, contrairement aux autres aspects plus diffus de l’approche intégrée de l’égalité.

Bien sûr, cette démarche implique d’être conduite avec sincérité et de ne pas craindre de faire apparaître de mauvais résultats, comme l’indiquait la présidente du HCE, Mme Sylvie Pierre-Brossolette. La BIE permet toutefois aussi aux pouvoirs publics de détecter des situations et de proposer des correctifs, sans nécessairement attendre que le sujet surgisse dans la sphère médiatique par le biais d’autres acteurs.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2.   L’amélioration de la démarche de performance

 

Mme Sophie Clerc, coordinatrice de la mission « Droits des femmes et égalité des genres » à Strasbourg, expliquait lors de son audition que la mise en place de la BIE dans sa ville avait permis de « passer de la prise en compte de l’égalité femmes-hommes comme un fait de société à un outil qui vient améliorer les pratiques, les projets, et la façon dont les fonds publics sont utilisés ».

La BIE est parfois perçue de prime abord comme une démarche chronophage et coûteuse. Pourtant, en proposant un objectif clair et transversal à l’ensemble des politiques publiques, elle vient redonner du sens et de la cohérence et replacer la justice et l’humain au cœur de la démarche de performance. Sa mise en œuvre intégrée serait facilitée et aurait d’autant plus d’impact en France qu’elle s’inscrit parfaitement dans la logique de résultat définie par la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 (LOLF). En effet, le Guide de la performance publié par la DB précise que « les données de performance doivent permettre de montrer comment, dans le cadre des moyens alloués, l’effet des politiques ou la qualité des services publics peuvent être accrus au meilleur coût. Le but est de concentrer l’attention des décideurs, des gestionnaires et des agents publics sur la conception même des politiques financées par l’État ainsi que sur la façon d’améliorer le choix des leviers d’action, plutôt que sur des solutions consistant uniquement à augmenter les moyens. ». La BIE correspond à cette démarche, les décideurs devant, aux étapes-clés du cycle budgétaire, chausser pour un temps « les lunettes de l’égalité » afin de permettre à l’État de mesurer et de concrétiser ses engagements nationaux et internationaux en matière d’égalité entre les femmes et les hommes.

Elle contribuerait en outre à réaliser des arbitrages budgétaires plus justes, en particulier s’agissant des dépenses dédiées à l’égalité femmes-hommes, mais également des investissements et des nouvelles dépenses. En renforçant le suivi budgétaire via la performance, elle permettrait de s’assurer que les dépenses exécutées correspondent effectivement aux besoins exprimés et atteignent effectivement leurs objectifs, améliorant ainsi la redevabilité et la transparence budgétaires.

Enfin, la BIE contribuerait à approfondir le contrôle du Parlement sur la démarche de performance. Dans le cas de la France, l’article 15 de la loi organique n° 2021-1836 du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques a ouvert pour la première fois, à compter du PLF pour 2023, un droit d’amendement parlementaire sur les objectifs et indicateurs de performance « pour chaque mission du budget général, chaque budget annexe et chaque compte spécial ». Une trentaine d’amendements ont été déposés en ce sens par les parlementaires lors du premier exercice, et l’on peut escompter que la BIE encouragerait le Parlement à s’approprier encore davantage ce nouvel outil de contrôle budgétaire, notamment en proposant de créer de nouveaux indicateurs genrés, d’améliorer certains indicateurs, ou de renforcer l’ambition de certains objectifs.

3.   Un facteur de développement économique et humain

Le budget de l’État embrasse tous les champs de la société, et les dépenses publiques représentent plus de la moitié de la richesse produite et donc distribuée chaque année en France. Il a donc un très fort impact normatif en contribuant à influencer très largement les comportements des citoyens. Une BIE réellement intégrée à l’ensemble du cycle budgétaire, y compris dans sa phase de contrôle, pourrait donc avoir un effet majeur sur le développement économique et humain du pays, les femmes restant selon Mme Scherie Nicol, spécialiste de la budgétisation sensible au genre à l’OCDE, des « ressources trop largement inexploitées ».

a.   Un outil de développement économique et de redressement des finances publiques

 

En premier lieu, il convient sans doute d’insister sur le fait que la justice sociale et l’égalité doivent être les premiers moteurs de la décision de mettre en œuvre une budgétisation intégrant l’égalité, comme l’a souligné Mme Hélène Périvier, économiste à l’OFCE, devant vos rapporteures. Cette précaution prise, il paraît nécessaire de rappeler ce que coûtent les inégalités entre les femmes et les hommes à l’économie dans son ensemble, et donc, mécaniquement, aux finances publiques. Ce coût « colossal » des inégalités (FMI, 2018) a été estimé par la Fondation des femmes en mars 2022 à 118 milliards d’euros par an ([4]) pour l’économie française.

La BIE, par la méthode qu’elle propose et l’ampleur du champ qu’elle couvre, constitue un outil extrêmement puissant de résorption de ces inégalités et par là-même, de développement économique, en contribuant à l’accélération de la croissance et de la productivité ou en éliminant certains obstacles concourant à son ralentissement.

Le levier le mieux documenté à cet égard est sans doute celui de l’égalité professionnelle, tant en ce qui concerne la moindre participation des femmes au marché du travail, qui relève des politiques de l’emploi, que de leur moindre représentation dans les secteurs les plus porteurs, qui relèvent en grande partie des politiques de l’éducation et de l’enseignement supérieur.

En dépit d’une progression très nette amorcée dans les années 1970, la participation des femmes au marché du travail reste sensiblement inférieure à celle des hommes. Ce phénomène s’explique tout d’abord par des facteurs culturels et en particulier par leur très forte surreprésentation dans « l’économie des services non rémunérés à la personne » selon la formule du Conseil de l’Europe (en tant que mères, épouses, aidantes, etc.). Elle est également en partie liée à la structuration du marché du travail lui-même (spécialisation sexuée de certains métiers, persistance de discriminations dans certains secteurs employant une main d’œuvre peu qualifiée, temps partiels imposés, etc.).

Ainsi, selon l’INSEE, le taux d’activité des femmes en 2023 est de 70,8 %, contre 76,6 % pour les hommes. En outre, le temps de travail rémunéré des femmes actives est sensiblement inférieur à celui des hommes : le temps partiel concerne plus d’une femme sur quatre, contre moins d’un homme sur dix, et même parmi les salariés à temps complet, le temps de travail moyen des femmes s’établit à 1 611 heures par an contre 1 735 heures pour les hommes. Ainsi, au total, parmi les personnes en emploi, les femmes travaillent en moyenne 1 467 heures par an contre 1 762 heures pour les hommes. À l’inverse, elles consacrent en moyenne deux fois plus de temps au travail domestique et au temps parental que les hommes.

Or, les effets économiques de cette participation inégale au marché du travail sur la croissance économique sont patents puisque l’on peut estimer que l’élimination des disparités de genre sur le marché du travail entraînerait en moyenne une augmentation du PIB de 10 % dans les pays avancés (FMI, 2019). En France, la Fondation Concorde a estimé que le coût des écarts de genre sur le marché du travail français s’élevait à 62 milliards d’euros en 2017. L’amélioration de la contribution des femmes au marché du travail induirait en outre mécaniquement un accroissement des recettes de l’État (impôts sur le revenu) de la sécurité sociale (cotisations sociales), en même temps qu’une réduction de certaines dépenses publiques (dépenses de l’assurance chômage, dépenses de solidarité tels que les minima sociaux ([5]), etc.).

En outre, les stéréotypes de genre conduisent à une concentration des femmes dans certains secteurs, souvent faiblement rémunérateurs voire dévalorisés, et à leur sous-représentation dans les secteurs d’activité les plus porteurs mais aussi les plus rémunérateurs, comme les filières numériques ou scientifiques. Le numérique compte par exemple 30 % de femmes, contre 46.8 % tous secteurs d’activité confondus. Ces disparités s’aggravent pour les filières plus techniques telles que l’informatique et l’ingénierie, qui sont les premiers secteurs mobilisés face aux enjeux de transition numérique et écologique. Les chiffres de la DARES révèlent ainsi que les femmes ne représentent que 29 % des élèves diplômés d’une école d’ingénieur en 2023, alors même que les profils d’ingénieurs sont très fortement recherchés sur le marché du travail et leur nombre insuffisant.

Le Haut-commissariat aux droits de l’homme des Nations unies alerte sur l’effet néfaste de ces stéréotypes puisqu’ils tendent à limiter la capacité des femmes et des hommes de développer leurs compétences personnelles, d’exercer un métier ou de prendre des décisions concernant leur vie. Ils perpétuent donc les inégalités, et sont une cause fréquente de discrimination à l’égard des femmes.

Pourtant, davantage de mixité améliorerait le bien-être au travail, favorisant ainsi l’accroissement de la productivité (FMI, 2019). Dans son rapport « Inégalités hommes-femmes : il est temps d’agir », l’OCDE considère qu’en France, un usage plus efficace des compétences des hommes et des femmes en termes d’éducation et de participation économique aurait conduit à une hausse de la population active de 5,2 % et à une hausse annuelle de 0,4 % du PIB par habitant, soit une augmentation du PIB de 9,4 % entre 2010 et 2023.

Or, l’État consacre, pour l’année 2023, environ 20 milliards d’euros aux politiques de l’emploi et plus de 110 milliards d’euros à l’enseignement au sens large. Dans le domaine de l’emploi, le centre Hubertine Auclert et le cabinet Perfégal ont cité quelques exemples de politiques publiques auxquelles l’application de la BIE permettrait de conférer davantage d’efficacité. En premier lieu, l’aide à l’entrepreneuriat, dont les critères d’attribution impliquent des plafonds d’âge assez bas ayant un effet discriminatoire et entraînant une sous-représentation des femmes parmi les bénéficiaires, y compris en ramenant le nombre de femmes aidées au nombre de femmes dans la population générale des entrepreneurs. Les auditionnés expliquaient ce phénomène, après de nombreuses et fastidieuses recherches, par le fait que les femmes se lancent dans l’entrepreneuriat plus tardivement en moyenne que les hommes et se retrouvent donc souvent non éligibles aux dispositifs d’aide. Ils ont également souligné que les aides aux entreprises ciblaient le plus souvent des secteurs à dominante masculine, Mme Isabelle Gueguen a notamment indiqué que ses propres analyses du plan de relance post Covid-19 concluaient que celui-ci avait bénéficié à 80 % à des secteurs d’activité masculins alors que les femmes étaient surreprésentées dans les secteurs les plus touchés par la pandémie.

Le même raisonnement peut être décliné à l’ensemble des champs de l’action publique : la lutte contre les violences faites aux femmes améliore leur santé mentale et physique (et sur le long terme, celle de leurs éventuels enfants), ainsi que leurs capacités professionnelles, et réduit à terme les coûts de prise en charge des effets de ces violences ; la prise en compte des inégalités en matière de santé permet d’améliorer la santé des femmes, et donc leur productivité, tout en réduisant les coûts pour les finances publiques, etc.

 

b.   Un facteur de développement humain

Au-delà de ces gains économiques et budgétaires, Mme Scherie Nicol soulignait à juste titre que « l’amélioration de la situation des femmes à travers la BIE bénéficie à l'ensemble de la société sur le plan économique, mais aussi social ». En effet, il peut être utile de rappeler que l’amélioration de la situation des femmes, loin de se faire au détriment de celle des hommes, ne peut qu’améliorer le bien-être général, tant les vies des femmes et des hommes – et de leurs enfants – sont imbriquées. L’analyse de l’impact des politiques publiques à l’aune du genre peut en outre permettre de déceler et corriger des effets négatifs touchant plus spécifiquement la population masculine.

Les parcours scolaires des élèves reflètent par exemple d’importantes disparités de genre et illustrent que la prise en compte de cet aspect peut être bénéfique à tous les étudiants, indépendamment de leur genre. En effet, si la persistance des stéréotypes conduit souvent les filles à délaisser des secteurs à dominante masculine, les garçons sont bien plus nombreux à connaître un décrochage scolaire et à sortir non diplômés de leurs parcours scolaires. Selon la DARES, le risque de décrochage scolaire en France s’élève à 16 % pour les étudiants, quand celui des étudiantes ne dépasse pas 11 %. Cette situation ne fait pas exception au regard des chiffres européens, puisque le taux de sortants précoces des hommes est de 5 points supérieur à celui des femmes dans l'ensemble de l’Union européenne. Enfin, au Canada, le taux de décrochage des élèves masculins est supérieur d’au moins 3,1 points à celui des filles depuis 1990.

Dès lors, analyser les politiques éducatives à l’aune du genre permettrait de combler en profondeur ces manques, d’anticiper des situations pouvant s’avérer désastreuses à moyen ou long terme, et d’envisager de nouvelles solutions bénéfiques à tous, en agissant à la fois sur la sous-représentation des jeunes femmes dans les secteurs d’avenir et sur l’accroissement préoccupant des situations de décrochage scolaire chez les jeunes garçons.

Cette dimension essentielle de développement humain a notamment conduit les Nations unies à consacrer l’un de ses objectifs de développement durable (ODD) au genre dans son Agenda 2030, considérant qu’« une société ne saurait pleinement se développer à son plein potentiel sans avoir atteint son plein potentiel en termes d’égalité femmes-hommes ». L’un des indicateurs de cet objectif est d’ailleurs spécifiquement consacré à la « budgétisation sensible au genre ».

 

Les principaux bénéfices attendus de la BIE tels qu’ils ont été listés dans la présente partie sont illustrés dans l’exemple très concret de l’encadré ci-dessous :

 

        objectivation d’inégalités existant dans la société ;

        découverte d’inégalités non détectées ;

        identification de biais dans la conception de politiques apparemment neutres ;

        prise de conscience des autorités politiques et administratives ;

        diffusion plus large de la culture de l’égalité par l’implication d’autres secteurs (services hospitaliers, personnels assurant le déneigement, habitants de la ville) ;

        mesures correctives ;

        baisse des coûts de santé pour la collectivité ;

        plus de justice ;

        amélioration du bien-être de l'ensemble de la population.

Comme on le verra dans la deuxième partie, la concrétisation de l’ensemble de ces bénéfices dépend toutefois assez largement du niveau d’ambition fixé par le pouvoir politique et de la méthodologie retenue.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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II.   UNE MÉTHODOLOGIE POUVANT ÊTRE ADAPTÉE À DIFFÉRENTS NIVEAUX D’AMBITION POSSIBLES

De façon très schématique, la BIE peut être décrite comme consistant à prendre chaque ligne budgétaire et à en analyser l’impact au regard de l’objectif d’égalité entre les femmes et les hommes, en fonction de leurs besoins. Ainsi livrée, cette description schématique soulève toutefois un grand nombre de questions méthodologiques et de principe, dont les réponses dépendront en grande partie du niveau d’ambition fixé au lancement de la démarche.

A.   LeS PRÉREQUIS À LA MISE EN PLACE D’UNE BIE

Si la méthodologie retenue peut être adaptée au niveau d’ambition que l’on se fixe, certains principes clés et certains outils semblent toutefois indispensables, au vu des enseignements tirés de la mise en œuvre de la BIE à l’international, pour que ses bénéfices se concrétisent.

1.   Clés de réussite

Au regard des bilans tirés des expériences mises en œuvre à l’international, se dégagent des propos de l’ensemble des auditionnés trois éléments-clés de réussite : un portage politique fort, un cadre juridique et la formation ou l’accompagnement des personnels.

a.   Des objectifs clairs et un portage politique fort

Les auditionnés ont été unanimes à exprimer la nécessité que le lancement de la démarche de BIE soit précédé de l’expression de macro-objectifs clairs, portés au plus haut niveau. L’exemple a notamment pu être donné de l’Autriche, où l’efficacité de la BIE reste réduite en dépit d’une boîte à outils très riche et développée, faute de définition claire des grands objectifs associés à la démarche.

La définition politique de grands objectifs, à la fois ambitieux et susceptibles de recueillir un large consensus dans la classe politique afin de s’inscrire dans le temps, constitue donc une étape indispensable. Cette étape permet, de plus, de mettre en marche les administrations, qui identifient dès lors la démarche comme l’une de leurs priorités et en comprennent le sens et l’utilité.

La fixation de ces grands objectifs permet, de plus, d’éviter un écueil pointé à plusieurs reprises par les auditionnés et particulièrement relevé par vos rapporteures : en effet, l’analyse des inégalités à l’aune du genre qu’implique la BIE et la conception des éventuelles mesures correctives qu’elle implique doivent impérativement toujours être croisées avec les macro-objectifs et rester évolutives, au risque de conduire à figer ces inégalités, à essentialiser les rôles et à contribuer à perpétuer certains stéréotypes.

Prenons l’exemple des inégalités de revenus entre les femmes et les hommes : les analyses qui pourront être conduites en la matière et surtout les éventuelles mesures correctives envisagées peuvent être très différentes selon que le macro-objectif associé sera « améliorer le niveau de vie des femmes » ou « favoriser l’autonomie économique des femmes ».

Dans le premier cas, l’analyse portera plutôt sur l’impact des politiques publiques dans le partage de la richesse nationale à destination des femmes : sans nécessairement exclure les mesures proposées dans le second cas, dans ce scénario, les mesures envisagées consisteront plutôt à accentuer les mécanismes de solidarité familiale ou nationale : quotient conjugal, régimes matrimoniaux de communauté de biens, compensation a posteriori des interruptions de carrière par l’attribution automatique de trimestres de retraite ou de bonifications aux mères de familles, allocations de solidarité à destination des familles monoparentales, etc.

Dans le second cas, l’analyse se portera davantage sur l’impact des politiques publiques sur la participation des femmes au marché du travail et à l’entrepreneuriat, sur leur capacité à se constituer un patrimoine et sur les revenus qu’elles peuvent en tirer : les mesures correctives éventuelles viseront à inciter les femmes à participer davantage au marché du travail, à se constituer un patrimoine, à encourager la parentalité partagée, le développement de modes de garde abordables, etc.

Il conviendra de noter que ces deux objectifs ne sont pas exclusifs l’un de l’autre, mais qu’ils peuvent en partie entrer en contradiction, et que le premier peut avoir pour effet, s’il n’est pas correctement explicité, de figer les positions respectives des femmes et des hommes au regard du marché du travail.

Il conviendra donc :

        de veiller à formuler les macro-objectifs de façon claire, simple et concise, en un document lisible et appréhendable par tous ;

        d’associer à chacun un ou deux macro-indicateurs pertinents, simples, et explicites ;

        de ne pas multiplier les macro-objectifs ;

        de s’assurer que ceux-ci puissent être ajustés au fur et à mesure de l’évolution des sociétés ;

        de veiller à ce que les mesures mises en place pour garantir l’un des macro-objectifs ne soient pas en contradiction avec un autre macro-objectif ;

        de privilégier les mesures correctives n’ayant pas pour effet de figer les inégalités dans le temps et les positions respectives des femmes et des hommes dans les différents secteurs de la société.

 

 

 

Le Cadre des résultats relatifs au genre (CRRG) met en lumière les enjeux prioritaires du Canada en matière d’égalité des genres, en identifiant six domaines clés assortis de macro-objectifs accompagnés d'indicateurs :

Éducation et perfectionnement des compétences

Participation à l’économie et prospérité

  Leadership et participation à la démocratie

  Violence fondée sur le genre et accès à la justice

  Réduction de la pauvreté, santé et bien-être

  Égalité des genres dans le monde

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

b.   Un cadre juridique

Pour être efficace, une démarche telle que la BIE doit s’inscrire dans le temps. En effet, tant le travail d’analyse des dépenses ex ante, que de définition des indicateurs, de suivi ex post des résultats ou de définition progressive de mesures correctrices nécessitent que la démarche se poursuive sur le long terme, les premiers effets tangibles pouvant être mesurés après au minimum deux ou trois cycles budgétaires.

La BIE ne doit donc pas être conçue comme un instrument propre à un parti ou une tendance politique, mais autant que possible faire l’objet d’un consensus large dans la classe politique et être maintenue en cas d’alternance. À ce titre, il semble essentiel que le portage politique initial se traduise par la mise en place d’un cadre juridique, qui peut s’inscrire, selon les contextes politiques et les systèmes juridiques, dans la Constitution, la loi organique ou la loi.

Dans le contexte français, plusieurs propositions peuvent être formulées, en fonction du niveau d’ambition fixé à la démarche :

Au niveau législatif, plusieurs options sont possibles, n’étant pas exclusives les unes des autres :

        le principe de la démarche de BIE pourrait être inscrit à l’article 1er de la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, et introduire ou non cette obligation pour les collectivités territoriales ; le HCE proposait ainsi de retenir la formulation suivante : « L’État et les collectivités territoriales, ainsi que leurs établissements publics […] veillent à l’évaluation de l’impact sur la situation des femmes et des hommes de l’ensemble de leurs actions et des budgets associés, en vue d’éviter ou de corriger d’éventuelles inégalités […]. » ;

        le contenu du document de politique transversale (DPT) ([6]) pourrait être précisé à l’article 128 de la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005 ;

        à l’instar du budget vert, le BIE pourrait également être prévu en loi de finances et/ou en loi de financement de la sécurité sociale ;

Au niveau organique, une révision de la LOLF et le cas échéant de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale (LOLFSS) serait également possible. S’agissant de la LOLF, les articles 52 et 54 pourraient être complétés pour prévoir des annexes explicatives retraçant respectivement les impacts identifiés et moyens mis en œuvre dans le cadre de la BIE (ce nouveau document pouvant se substituer au DPT) et les résultats obtenus. S’agissant de la LOLFSS, une modification similaire pourrait être introduite à l’article LO 111-4 du code de la sécurité sociale.

Au niveau constitutionnel, le HCE a formulé plusieurs propositions, parmi lesquelles on retiendra ici :

        à l’article 20 de la Constitution, après le deuxième alinéa, insérer l’alinéa suivant : « Il vise l’égalité des femmes et des hommes dans sa gestion budgétaire » ;

        avant le dernier alinéa de l’article 34, insérer : « Les lois de finances, les lois de financement de la sécurité sociale et les lois de programmation s’inscrivent dans l’objectif d’égalité femmes-hommes » ou créer un article 47-3 reprenant cette disposition.

Quel que soit le niveau de norme retenu, si la démarche en elle-même et l’objectif transversal d’égalité doivent être mentionnés dans la loi (le cas échéant organique ou constitutionnelle), les macro-objectifs politiques qui le déclinent doivent en revanche pouvoir être ajustés :

        en fonction de l’évolution de la situation respective des femmes et des hommes, afin d’éviter de figer leurs rôles ;

        afin de faire face à des défis nouveaux ;

        en fonction des sensibilités politiques des gouvernements successifs.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Drapeau du Maroc — Wikipédia

 

 

 

Drapeau de l'Islande — Wikipédia 

 

 

 

 

 

 

c.   Des personnels formés et accompagnés par un pilotage dynamique

La formation des personnels mettant en œuvre la démarche a elle aussi été soulignée comme indispensable par l’ensemble des auditionnés. Cette formation peut impliquer un investissement initial plus ou moins important selon le degré de diffusion de la culture de l’égalité dans l’unité géographique concernée, et à l’intérieur de celle-ci, au sein des différentes structures qui seront chargées de mettre en œuvre et de faire vivre la BIE.

Cette formation vise à la fois :

        à créer une culture commune autour des grands objectifs fixés ;

        à permettre aux concepteurs des politiques publiques de conduire des analyses sectorielles pertinentes des inégalités dans leur secteur ;

        à établir une méthode commune d’analyse des lignes budgétaires afin de donner de la cohérence à la démarche.

Elle doit en premier lieu impliquer la ou les structures qui seront les pilotes de l’opération et auront donc la charge de faire vivre la démarche et d’assurer un dialogue régulier et constructif avec l’ensemble des acteurs. Pour que la BIE soit efficace, l’ensemble des auditionnés ont insisté sur le rôle central que doit jouer le ministère des finances ou son équivalent dans ce pilotage, lequel ne doit pas reposer sur le seul ministère des droits des femmes (ou équivalent). À ce titre, il est donc important que des personnels du ministère des finances soient formés, et en nombre suffisant pour assurer la continuité et la pérennité de la démarche en dépit d’éventuels mouvements de personnels.

Il est également essentiel que les personnels des structures « dépensières » se trouvant dans le périmètre retenu pour mettre en œuvre la BIE soient formés, afin de pouvoir établir des analyses sectorielles approfondies, de fixer les objectifs de leurs structures et les indicateurs de progression associés.

 

 

 

 

 

 

 

 

2.   Les principaux outils nécessaires

On a vu que la mise en place d’une BIE requiert une forte implication initiale de la part des concepteurs des politiques publiques et de leur administration. Les auditions ont également permis de faire ressortir trois types d’outils qui apparaissent incontournables pour pouvoir mettre en place une BIE de façon satisfaisante.

a.   Des données chiffrées suffisantes et pertinentes

 

Ainsi qu’on a pu le voir, la première étape de la mise en œuvre de la BIE est une phase de comptage et d’observation. Cette étape, permettant d’objectiver et d’analyser les inégalités et l’impact que les politiques publiques exercent sur elles, requiert de disposer d’un appareil statistique robuste, complet et fiable. L’État doit en effet être capable de collecter des données en nombre suffisant pour que celles‑ci soient représentatives, de pouvoir décliner l’ensemble de ces données par sexe, et d’effectuer de nombreux croisements de données.

 

L’investissement initial que requiert éventuellement cette première étape dépend donc beaucoup de l’existence d’un service statistique public fiable et reconnu, du niveau de dématérialisation des démarches administratives, de la qualité des systèmes d’information, du niveau d’avancement de la réflexion stratégique sur les métadonnées, de l’interopérabilité des différentes sources, etc. Le manque de données – ou de données sexuées – est en effet un facteur très limitant au développement d’une BIE.

 

L’OCDE recommande ainsi en premier lieu que toutes les données collectées soient ventilées en fonction du genre, et estime que l’existence d’une culture de l’étude d’impact constitue en général un bon tremplin vers la mise en place d’une BIE.

 

 

Drapeau du Canada — Wikipédia 

 

 

 

 

 

 

b.   Un volet performance intégré au processus budgétaire existant

 

Afin que sa mise en œuvre soit fluide et efficace, la BIE doit impérativement être intégrée au cadre et au processus budgétaire préexistants, être conduite par les mêmes acteurs et à l’aide des mêmes outils de gestion, au besoin en faisant évoluer ces derniers, de même que les acteurs auront été formés. Vos rapporteures ont déjà insisté sur la nécessité de présenter dès le démarrage de la démarche des macro‑objectifs clairs et lisibles, de niveau politique, destinés à orienter l’action de l’ensemble des services et à assurer la communication auprès du grand public autour de la démarche de BIE et de ses résultats. Ceux-ci ne doivent toutefois pas être confondus avec les objectifs intermédiaires ou opérationnels définis à l’échelle de chacun des acteurs se trouvant dans le périmètre de la démarche et déclinés dans les documents budgétaires habituels.

 

En France, ces objectifs, indicateurs et sous-indicateurs devraient donc s’insérer dans les projets annuels de performance. Ils peuvent, selon les contextes sectoriels, consister en la création de nouveaux objectifs et indicateurs et/ou en une déclinaison genrée d’objectifs ou indicateurs existants, singulièrement de l’ensemble des indicateurs visant un public.

 

Ainsi, au-delà des facteurs qui conditionnent la quantité et la qualité des données mises à disposition, l’existence d’un dialogue préalable entre les services statistiques publics et les services pilotant la performance de l’action publique est également un facteur crucial de réussite : si les données produites et mises à disposition par les services statistiques sont directement exploitables dans le cadre de la démarche de BIE, les services qui la mettent en œuvre verront leur démarche allégée. En lien avec la nécessaire formation des personnels, cela implique un choix d’indicateurs de performance pertinents dès le début de la démarche, et une certaine stabilité de ces indicateurs, celle-ci étant gage d’efficacité et de transparence. La présidente du HCE a ainsi insisté auprès de vos rapporteures sur la stabilité des indicateurs et estimé que leur choix initial devrait faire l’objet d’un avis indépendant.

 

À titre d’exemple, si le ministère de l’éducation nationale souhaite analyser l’impact des politiques éducatives sur la mixité des filières scientifiques, et que l’on se fixe pour objectif d’accroître cette mixité au fil des ans dans un certain nombre de filières sélectionnées, il sera sans doute plus utile de choisir des indicateurs tels que le taux d’élèves filles – au regard du taux d’élèves garçons – ayant choisi la spécialité physique-chimie en classe de première générale, ou d’élèves filles dans les classes préparatoires scientifiques, que de connaître le taux d’insertion sur le marché du travail à un an/cinq ans/dix ans des filles ayant choisi ces filières. En effet, ce dernier indicateur ne permet pas d’évaluer la représentation des filles au sein de ces filières, mais la performance de celles qui s’y trouvent et l’éventuelle discrimination à l’embauche qu’elles pourraient y subir.

 

 

Drapeau de l'Autriche — Wikipédia 

 

 

 

 

 

c.   Des analyses sectorielles approfondies

 

Comme on l’a vu dans l’exemple précédent, la définition des sous-objectifs et sous-indicateurs nécessite une analyse préalable approfondie du secteur concerné à l’aune du genre. Ainsi, chaque entité (ministère, organisme, opérateur) située dans le périmètre de la démarche doit au préalable réaliser une analyse sectorielle visant à identifier l’ensemble des inégalités observées dans son secteur, mais également celles qui n’auraient pas encore été mises au jour ou objectivées – la démarche de BIE venant par la suite alimenter ces analyses).

 

La plupart des pays ayant mis en place une budgétisation intégrant l’égalité disposaient déjà dans de nombreux secteurs de ces analyses, qui avaient été conduites dans une logique préalable d’approche intégrée de l’égalité. Quand ils n’en disposaient pas ou que ces analyses ne couvraient pas l’ensemble des secteurs du périmètre, une première phase de rattrapage a été conduite en amont de la mise en œuvre de la démarche de BIE. Cette première étape est cruciale pour la mise en place de la BIE : elle permet d’ancrer la démarche dans son contexte, de lui donner tout son sens pour les acteurs du secteur, et, pour chaque entité, de définir les objectifs et indicateurs les plus pertinents.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

d.   Une méthode systématique d’analyse des dépenses

Enfin, il est apparu au fil des différentes auditions et des travaux de recherche de vos rapporteures que la démarche de BIE impliquait une forme de systématisation de l’analyse des dépenses. Bien qu’elle puisse paraître fastidieuse, une telle démarche est une condition essentielle afin que :

        la culture de l’égalité en tant que culture commune puisse également se diffuser dans les secteurs où elle ne l’était pas ou peu jusqu’ici, la formalisation d’un processus d’analyse obligatoire ayant pour effet d’astreindre systématiquement les concepteurs des politiques publiques à un temps de réflexion sur l’impact de leurs actions sur l’égalité entre les femmes et les hommes ;

        des inégalités qui n’avaient pas été décelées ou des biais non identifiés puissent être mis au jour. En effet, l’un des principaux mérites de la BIE est de permettre de « débusquer » les inégalités ou les biais pouvant se cacher derrière des politiques qui, en apparence neutres, ne tiennent pas compte de la situation initiale différente des femmes et des hommes en un temps T dans les différents secteurs analysés, et contribuent donc involontairement à perpétuer voire à aggraver les inégalités.

La méthode la plus couramment employée est la démarche d’analyse tricatégorielle ([7]) des dépenses, qui consiste à coter les différentes lignes budgétaires de la façon suivante :

        cotation « 0 » : lignes neutres ou ayant un faible impact en matière d’égalité, par exemple les dépenses de fonctionnement telles que la consommation d’électricité des écoles ou bâtiments administratifs ;

        cotation « 1 » : lignes ayant un impact direct ou indirect, positif ou négatif, sur l’égalité entre femmes et hommes : cette catégorie est la plus délicate, et est le plus souvent découpée en sous-catégories, a minima « 1a » impact positif et « 1b » impact négatif. Elle implique que les agents chargés de l’analyse disposent d’une méthode à la fois commune et adaptée à leur secteur, consistant en général à passer les lignes considérées au filtre de différents critères, souvent formulés sous forme de questions, et à coter les dépenses en fonction des réponses apportées à ces questions ;

        cotation « 2 » : dépenses dédiées aux droits des femmes et/ou à l’égalité entre les femmes et les hommes : en France, ces dépenses correspondent approximativement à celles qui sont actuellement retracées dans le DPT.

Cette méthode été mise en œuvre avec plus ou moins de succès et d’efficacité dans la plupart des pays ayant instauré la BIE. Deux écueils de cette démarche ont pu être fréquemment cités :

        le premier consiste à coter un très grand nombre de lignes « 0‑dépense neutre », faute de formation ou de temps suffisant des agents pour effectuer cette analyse préalable. Il convient toutefois de souligner que cette analyse, si elle peut se révéler longue et fastidieuse pour le ou les premiers cycles budgétaires, pourra être largement reprise au cours des exercices suivants, bien que des mises à jour soient nécessaires à intervalles réguliers, au gré des évolutions constatées dans la société à travers les données statistiques et indicateurs de résultat. Il est également possible de la mettre en œuvre de façon progressive, par cercles concentriques ;

        le second consiste à effectuer cette analyse et à n’en tirer aucune conclusion ex post, ce qui limite les bénéfices attendus de la démarche aux premier d’entre eux, à savoir la diffusion de la culture de l’égalité par une observation fine des inégalités et l’analyse de l’impact du budget sur celles-ci.

Ainsi, si l’analyse tricatégorielle semble être un outil indispensable à une démarche de BIE, elle ne peut pas nécessairement s’appliquer de façon pertinente ou uniforme à tous les types de dépense et doit s’accompagner d’autres outils. Le reste de la boîte à outils devra donc être déterminé en fonction notamment du périmètre d’analyse retenu.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

B.   LES DIFFÉRENTS NIVEAUX D’AMBITION POSSIBLES

L’une des principales difficultés lorsqu’il s’agit d’appréhender la méthode de la budgétisation intégrant l’égalité provient de ce que celle-ci peut prendre autant de formes qu’il existe de cultures politiques, de cadres juridiques et institutionnels, de règles budgétaires ou encore d’organisations administratives. Outre les éléments qui sont apparus incontournables à vos rapporteures, et qui ont été recensés dans la partie précédente, de nombreux points de méthode doivent être définis en amont du lancement de la démarche et dépendront du cadre dans lequel la BIE s’inscrit et surtout, du niveau d’ambition fixé.

Comme indiqué dès l’introduction du présent rapport, vos rapporteures ont choisi d’axer leurs recommandations sur l’échelon national, c’est-à-dire sur les budgets relevant de leur compétence de parlementaires. Les différentes options qui seront présentées s’inscriront donc dans le cadre de l’échelon national français, tout en étant illustrées d’exemples issus des expériences d’autres pays ou de collectivités territoriales.

1.   Le périmètre retenu

Certains États ou collectivités territoriales ont choisi d’appliquer la BIE à l’ensemble des lignes budgétaires relevant de leur compétence, tandis que d’autres ont choisi de n’en sélectionner que certaines.

a.   Quel(s) budget(s) ?

L’une des premières questions que se posent les entités qui décident de mettre en place une BIE est de savoir si l’ensemble du budget doit être concerné ou non par la démarche. Comme on l’a vu, l’Italie a par exemple décidé de l’appliquer d’emblée à la totalité des lignes de son budget national. Au contraire, la ville de Nantes, par exemple, a préféré commencer avec quelques directions volontaires.

En France, la démarche pourrait potentiellement concerner un périmètre extrêmement large, même en ne considérant que l’échelle nationale. En effet, la BIE pourrait être appliquée :

        à une ou plusieurs missions ou programmes du budget de l’État. Des périmètres ministériels pourraient également être retenus pour des raisons organisationnelles ;

        à l’ensemble du budget de l’État ;

        à l’ensemble du budget des administrations centrales (État et ses opérateurs, par le biais des conventions d’objectifs et de moyens) ;

        à l’ensemble du budget des administrations centrales et à tout ou partie du budget des administrations de sécurité sociale.

La démarche pourrait ainsi potentiellement concerner un montant de plus de 1 100 milliards d’euros.

En premier lieu, pour ce qui est du budget des administrations centrales, il convient sans doute déjà de concentrer la réflexion sur la nouvelle norme « PDE » – périmètre des dépenses de l’État – qui exclut les remboursements et dégrèvements ainsi que les dépenses liées à la charge ou au remboursement de la dette, mais inclut, contrairement à l’ancienne « norme de dépenses pilotables », les mesures d’urgence et plans de relance. Cette précision faite, l’ampleur de la préparation que nécessiterait le traitement d’un périmètre aussi large que le PDE a conduit un certain nombre des auditionnés à préconiser une démarche progressive. La présidente du HCE a par exemple suggéré de choisir dans un premier temps les domaines conditionnant selon elle particulièrement l’avenir de l’égalité : éducation, recherche, formation, culture et presse.

S’agissant des dépenses de la sécurité sociale, elles ont assez peu été mentionnées au cours des auditions. Pour autant, vos rapporteures considèrent que cette masse financière, supérieure à celle du budget de l’État, mériterait très certainement d’être analysée à l’aune de la BIE, comme l’a mis en lumière le récent débat sur les inégalités de pensions qui frappent les femmes et les différents types de réponses qui peuvent y être apportées. Une analyse des dépenses de l’assurance maladie présenterait également un intérêt certain pour objectiver les inégalités entre femmes et hommes en matière de santé et engager des mesures correctives. Le même raisonnement s’applique à la branche « famille » : les différentes prestations et leurs critères d’attribution peuvent avoir un fort impact normatif sur les comportements sociaux, en particulier en matière d’égalité professionnelle. L’analyse à l’aune du genre des prestations versées par la branche Accident du travail/maladies professionnelles (AT/MP) permettrait sans doute également d’éclairer certains débats relatifs aux conditions de travail dans les différents secteurs d’activité, en particulier ceux présentant une faible mixité. Enfin, la position démographique spécifique qu’occupent les femmes dans le domaine couvert par la branche « autonomie » récemment créée mériterait également très probablement qu’une analyse genrée de cette politique de solidarité soit conduite.

Pour conclure, on peut voir que le périmètre retenu peut être très variable en fonction du niveau d’ambition fixé, qu’il peut évoluer dans une logique progressive, et que l’impact de la démarche sera d’autant plus fort que le périmètre sera large. Un large périmètre permet également d’éviter des incohérences entre les différentes politiques publiques au regard de l’objectif d’égalité.

 

 

 

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b.   Les différentes catégories de dépenses

D’autres distinctions peuvent être opérées pour déterminer non seulement le périmètre mais également les modalités de mise en œuvre de la BIE. Par exemple, certains États ou collectivités ont pu traiter de façon spécifique les dépenses de personnel. D’autres encore ont pu se concentrer sur les dépenses de type « subventions » ou encore exclure les dépenses de fonctionnement.

La nomenclature budgétaire classe en France les dépenses du budget de l’État en sept catégories.

Les dépenses de titre 1 – Dotations des pouvoirs publics ne relèvent pas de la compétence du Gouvernement puisqu’elles sont établies directement par les institutions concernées. Ces institutions (Présidence de la république, Assemblée nationale, Sénat, Conseil constitutionnel et Cour de justice de la République) pourraient toutefois être encouragées à mettre elles-mêmes en œuvre une budgétisation intégrant l’égalité. Une modification de la LOLF telle que proposée par vos rapporteures infra aurait pour effet de rendre la démarche également applicable à ces institutions.

Les dépenses de titre 4 – Charge de la dette semblent quant à elles pouvoir être exclues du périmètre de la démarche.

Les autres catégories pourraient faire l’objet d’approches distinctes :

Dépenses de titre 2 – Dépenses de personnel

Ces dépenses pourraient faire l’objet d’un traitement spécifique et être analysées, au moins dans un premier temps, à travers d’autres outils que l’analyse tricatégorielle, pour des raisons à la fois pratiques et symboliques. Elles doivent toutefois être intégrées au cadre de la BIE, sous le prisme de la responsabilité de l’État employeur, par la définition d’objectifs et le suivi d’indicateurs visant à améliorer la parité dans les recrutements, l’avancement et les nominations à des fonctions d’encadrement, à faire progresser les conditions de travail (conciliation vie privée-vie professionnelle, lutte contre le harcèlement et toutes les formes de violence). Elles pourraient également faire l’objet d’une observation fine et d’une réflexion sur les régimes indemnitaires applicables aux différents secteurs d’activité, en particulier ceux présentant une faible mixité, etc.

 

Dépenses de titre 3 - Dépenses de fonctionnement

Ces dépenses sont pour beaucoup neutres ou ayant un faible impact et pourraient sembler en première analyse devoir échapper à la démarche de BIE, ou être en grande partie cotées « 0 » dans le cadre d’une analyse tricatégorielle ; le faible impact a priori de ces dépenses n’interdit toutefois pas leur mobilisation en faveur de l’égalité par le levier de la commande publique responsable (voir d. infra).

 

Dépenses de titre 5 - Dépenses d’intervention

Les dépenses d’intervention se trouvent particulièrement adaptées à la mise en place d’une démarche de budgétisation intégrant l’égalité avec analyse de type tricatégorielle. L’impact de l’octroi de subventions ou aides aux ménages ou aux entreprises doit pouvoir faire l’objet d’une analyse genrée. Les résultats obtenus, s’ils révèlent un impact négatif, doivent pouvoir conduire les concepteurs de ces politiques à interroger les biais pouvant exister dans les critères d’attribution des aides ou dans les différentes modalités d’exécution des crédits concernés. Cette analyse peut conduire ex post, et en fonction des réalités du secteur observé, à mettre en place des mesures d’égaconditionnalité, sous forme d’incitation ou de bonus ou encore sous une forme plus contraignante, selon les choix politiques retenus.

 

Dépenses de titre 6 - Dépenses d’investissement et dépenses de titre 7  Dépenses d’opérations financières (avances, prêts, dotations en capital)

Les dépenses d’investissement ont beaucoup été mentionnées par les différents auditionnés. À l’instar des dépenses de titre 3, les dépenses de titre 6 seront probablement largement concernées par un traitement spécifique dans le cadre d’une démarche de BIE appliquée à la commande publique (voir d. infra). Pour le reste, ces deux titres pourraient utilement faire l’objet d’une analyse tricatégorielle. En effet, les dépenses de titre 6 et de titre 7 sont en principe soumises à une moindre inertie, puisqu’elles s’inscrivent dans le cadre de décisions politiques nouvelles, et sont le reflet des priorités de moyen voire long terme du Gouvernement. Il semble donc crucial de les inclure, au moins pour certains secteurs clés, dans une démarche de BIE.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En ce qui concerne les dépenses de sécurité sociale, l’analyse sera également probablement spécifique, tant en ce qui concerne sa méthode que sa portée, l’analyse tricatégorielle n’étant pas a priori pertinente ici. On imagine mal en effet que certaines dépenses de l’assurance maladie, qui sont essentiellement des dépenses de prise en charge de soins ou d’arrêts de travail, puissent être cotées comme ayant un impact négatif sur l’égalité entre les femmes et les hommes. Dans un premier temps, une observation fine par branche et par type de prestation (retraite, famille, autonomie) ou de pathologie (maladie, AT/MP) de la proportion de femmes et d’hommes bénéficiaires et de la part des dépenses allouées respectivement aux femmes et hommes serait sans doute déjà très riche d’enseignements.

 

c.   Stock et flux de dépenses

Un raisonnement similaire à celui qui peut s’appliquer aux dépenses d’investissement a conduit certains pays à mettre en place une distinction entre les mesures nouvelles et le stock de dépenses. C’est notamment le cas du Canada, lequel traite ces deux catégories de dépenses, mais de façon distincte, tant d’un point de vue formel que d’un point de vue méthodologique.

Cette distinction peut avoir une utilité pratique dans une logique d’élargissement progressif du périmètre de la BIE : elle permet en effet de limiter dans un premier temps l’ambition de la démarche aux mesures nouvelles, ou à tout le moins de leur accorder une attention particulière, afin de s’assurer qu’a minima celles-ci n’aient pas d’impact négatif sur l’égalité. Plusieurs auditionnés ont pu indiquer qu’appliquée à la France, cette distinction achoppe sur le cadre juridique établi par la LOLF, laquelle a mis fin à la pratique des « services votés », qui constituaient le stock des dépenses déjà autorisées et représentaient 90 % environ des crédits des PLF. Aux « services votés » a été substitué le vote « au premier euro » des crédits par le Parlement, c’est pourquoi certains auditionnés ont conclu qu’une distinction entre le flux et le stock des dépenses ne pouvait être envisagée dans le cadre budgétaire français.

Vos rapporteures tiennent toutefois à nuancer cette appréciation, la distinction entre stock de dépenses et « mesures de l’année » continuant d’exister dans la pratique comme dans différents documents budgétaires, y compris ceux relatifs à la justification au premier euro. Ainsi, bien que préconisant une démarche ne s’arrêtant pas aux mesures nouvelles, vos rapporteures considèrent que celles-ci devraient en tout état de cause être priorisées dans le cadre de la mise en œuvre de la démarche de BIE en France.

 

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d.   Faut-il inclure la commande publique ?

La commande publique peut constituer un levier efficace pour favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes dans le secteur privé. L’ONU préconise ainsi dans son Agenda 2030 de « promouvoir des pratiques durables dans le cadre de la passation des marchés publics, conformément aux politiques des priorités nationales ».

Cette démarche de responsabilisation des achats publics est déjà enclenchée dans de nombreux États. Dans un rapport publié en 2021 ([8]), l’OCDE mentionne notamment la Suisse, laquelle conditionne la participation des entreprises aux marchés publics à l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes, ou l’Espagne, où les entreprises de plus de 250 salariés ne peuvent participer aux procédures d’appels d’offres que si elles disposent d’un plan égalité.

En France, les dépenses exécutées par le biais de la commande publique s’élevaient à plus de 111 milliards d’euros en 2020. Très fortement encadré par le droit de l’Union européenne ([9]) et le code de la commande publique, ce domaine est régi par le principe d’égalité de traitement entre les candidats, lequel limite fortement les marges de manœuvre des acheteurs et pourrait à première vue plaider pour une exclusion des achats publics du périmètre de la BIE.

Toutefois, une réflexion s’est engagée sur le sujet dans les dernières années. Ainsi, la dernière édition du Guide sur les aspects sociaux de la commande publique de la direction des affaires juridiques de Bercy (DAJ), publié en juillet 2022, consacre une partie entière à la « promotion de l’égalité femmes-hommes » et formule un certain nombre de recommandations visant à favoriser la prise en compte des enjeux d’égalité dans les différentes pièces des marchés publics dans le respect de ces contraintes juridiques. Il préconise notamment d’intégrer dans les contrats des exigences relatives aux stéréotypes de genre. Ainsi, par exemple, l’achat d’un support de communication mettant en scène un homme et une femme peut être conditionné au fait que celui-ci ne véhicule pas de stéréotypes. Le guide recommande également d’intégrer à tout achat une réflexion visant à s’assurer que celui-ci bénéficie autant aux femmes qu’aux hommes. Dans cette lignée, le Plan interministériel pour l’égalité entre les femmes et les hommes 2023-2027 prévoit d’exclure des marchés publics les entreprises dont le score à l’index égalité est inférieur à 75 points.

Par ailleurs, de nombreux acteurs auditionnés ont plébiscité devant vos rapporteures l’utilisation de méthodes de type nudge. Des institutions ou des collectivités, à l’instar du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, du ministère de la culture, ou encore des villes de Paris et de Strasbourg, font ainsi parvenir aux candidats des questionnaires portant sur la façon dont ils traitent le sujet égalité femmes-hommes dans leur entreprise. Bien que ces questionnaires soient facultatifs, le SDFE rapportait lors de son audition qu’à l’échelle ministérielle, 80 % des candidats en moyenne y répondaient, témoignant d’un intérêt certain porté à cette question.

Enfin, au-delà de la commande publique, le cadre moins contraint de la démarche partenariale avec le tissu associatif chargé de certaines missions de service public et le développement de la contractualisation dans ce cadre doivent être autant d’occasions pour l’État de veiller à ce que ses partenaires adoptent des comportements vertueux en matière d’égalité.

Il est donc tout à fait possible d’inclure la commande et les contrats publics dans le périmètre de la BIE.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

e.   Quid des recettes ?

Tout budget ou démarche de budgétisation implique nécessairement un volet dépenses et un volet recettes. Pourtant, si le volet dépenses est largement traité par l’ensemble des États ou collectivités ayant mis en place une budgétisation intégrant l’égalité, le volet recettes, et avec lui la très sensible question de la fiscalité, reste trop peu souvent ou trop peu systématiquement traité.

Lorsqu’elle est mise en œuvre, la démarche de BIE appliquée à la fiscalité consiste à :

         observer les taux réels d’imposition ou de taxation respectifs des hommes et des femmes dans les différents domaines (cotisations sociales incluses) ; cette seule démarche permet en premier lieu l’objectivation d’inégalités entre hommes et femmes à un niveau macroéconomique, indépendamment des politiques fiscales ;

         rechercher les biais dans la conception (assujettissement, assiette, abattements, réductions ou crédits d’impôts, etc.) ou les modalités de recouvrement des impôts et taxes ;

         apporter le cas échéant des mesures correctives.

La récente émergence en France de cette question avec l’annonce par la Première ministre d’une prochaine individualisation par défaut du taux d’imposition sur le revenu dénote une prise de conscience de ce qui était auparavant un impensé : l’application de mécanismes fiscaux apparemment neutres car s’appliquant à tous les contribuables sans distinction, peut en réalité comporter des biais et contribuer à perpétuer voire à aggraver certaines inégalités. Ici, l’on voit que les nouvelles modalités de recouvrement de l’impôt sur le revenu à la suite du passage à l’imposition à la source ont pu avoir pour conséquence d’aggraver les inégalités en faisant peser par défaut le même taux d’imposition sur les deux membres d’un couple. En conséquence, le pouvoir d’achat et/ou l’autonomie financière du deuxième apporteur de revenus, qui est une femme dans la majorité des cas, se voient diminués. La correction annoncée par la Première ministre procède d’une démarche ex post d’analyse de l’impact de cette modification. Une BIE appliquée dès la conception des politiques publiques aurait peut-être pu permettre d’éviter cet écueil. En tout état de cause, la démarche de BIE aurait permis de déceler ex post l’inégalité ainsi induite dès les premiers exercices budgétaires.

Surtout, la BIE permettrait d’analyser plus largement les conséquences de la structuration de l’imposition sur le revenu en France autour de l’unité « ménage », très largement conçue pour favoriser des ménages de type traditionnel (couples mariés dont l’unité n’est pas rompue dans le temps) et monoactifs. Les représentantes du HCE auditionnées par vos rapporteures estiment ainsi que « la fiscalité fondée sur le ménage telle qu’elle existe aujourd’hui peut participer à invisibiliser les femmes, à les appauvrir, et à les éloigner de l’emploi ». Mme Elhaddad responsable de l’accompagnement des collectivités au centre Hubertine Auclert, considère quant à elle que « l’existence même du quotient conjugal peut avoir pour effet d’entraîner une impression de surimposition du revenu pour les conjoints ayant les revenus les plus faibles, donc majoritairement les femmes [et qu’il] n’incite pas les femmes à une reprise d’une activité professionnelle plus importante. »

Ces analyses rejoignent celle du Conseil d’analyse économique (CAE), qui estimait dans un rapport publié en 2014 que « la fiscalité française contient un élément bien connu qui contribue à la construction des inégalités entre hommes et femmes : le quotient conjugal. [...] Les travaux existants s’accordent sur le fait que cette forme de traitement fiscal nuit à l’activité et aux salaires des femmes. Ils préconisent de réduire le taux marginal du second apporteur de ressources du couple afin de favoriser sa participation au marché du travail. Les quelques chiffrages existants suggèrent que le quotient conjugal réduit de 1 à 2 points de pourcentage le taux d’emploi des femmes en France ». ([10])

Pourtant, si des mesures de réduction des niches fiscales ont pu être prises en matière d’imposition sur le revenu depuis, elles ont consisté à plafonner le bénéfice tiré du quotient familial (parts enfants), sans qu’il ait été envisagé de plafonner le bénéfice du quotient conjugal.

Plus largement, cette modalité d’imposition des ménages induit aussi un biais très fort, confirmé par les services statistiques auditionnés, dans les études sur la richesse, les revenus ou les niveaux de vie, lesquelles assimilent, pour des raisons tant techniques que probablement du fait d’une certaine inertie, les niveaux de vie des deux membres du couple, présupposant que l’ensemble des éléments sont intégralement partagés. Si cette approche peut être utile pour mettre en lumière les inégalités sociales, elle contribue en revanche à une invisibilisation des inégalités femmes-hommes, cette assimilation n’étant pertinente – ce point même pouvant se discuter – que tant que l’unité du ménage est préservée. Elle ne dit donc rien de l’autonomie économique des individus composant le ménage. On s’étonne donc de la quasi-totale absence de données genrées sur les inégalités de niveaux de vie, de revenus (hors écarts salariaux qui ne constituent qu’une des nombreuses sources de revenus), ou de patrimoine, quand bien même un très grand nombre de données en la matière sont individualisables et connues de l’administration fiscale.

Parmi les autres sujets soulevés par les auditionnés en matière de fiscalité, on pourra citer la fiscalité des pensions alimentaires, qui pèse sur le parent qui reçoit la pension (et donc assume la garde principale de l’enfant pour lequel il la reçoit), tandis que le parent qui verse la pension (en très grande majorité le père) peut déduire la somme de son revenu imposable. Ont également été cités le mécanisme de solidarité fiscale ([11]), la fiscalité des indemnités compensatoires en cas de rupture, ou encore selon les propos de Mme Hélène Périvier, économiste et chercheuse à l’OFCE, un certain « sexisme de l’administration fiscale », laquelle continue d’adresser, par exemple, les avis de taxes foncières à l’homme et à lui seul, quelle que soit sa part, même minoritaire, dans la propriété d’un bien.

La démarche de BIE pourrait ainsi potentiellement s’appliquer à l’ensemble des impôts existants, mais aussi aux cotisations sociales, à certaines taxes, ainsi qu’aux dépenses fiscales.

 

 

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2.   L’échelle ou la maille d’analyse

Une fois le périmètre de la démarche défini, il convient ensuite de déterminer la méthodologie d’application de la démarche de BIE à ce périmètre. Comme on l’a vu, certains types de dépenses telles que les dépenses de personnel ou les achats publics peuvent faire l’objet d’une méthode spécifique. S’agissant des dépenses – ou des recettes – soumises à l’analyse tricatégorielle en revanche, se pose la question du maillage de l’analyse et de l’application ou non d’une méthode parfaitement homogène à l’ensemble des acteurs et du périmètre définis.

 

a.   Quelle unité retenir pour l’analyse des crédits ?

La question qui se pose lorsque l’on évoque l’analyse de « chaque ligne budgétaire » est de savoir lesquelles retenir. L’Institut européen pour l’égalité femmes-hommes précise à cet égard que le niveau d’analyse des budgets varie fortement d’un pays à l’autre ([12]), au niveau de programmes, de programmes opérationnels, de plans d’action, ou encore d’appels d’offres, ponctuels ou récurrents.

En se concentrant ici encore sur le cadre budgétaire français, l’on peut donc se demander s’il convient de procéder à l’analyse à l’échelle des programmes budgétaires, des actions, voire de sous-actions. De ce point de vue, les personnes auditionnées comme les différents travaux sur le sujet semblent préconiser :

        qu’une méthode commune à l’ensemble des acteurs soit définie en amont de la mise en œuvre de la BIE ;

        que cette méthode soit adaptable, par les ministères / opérateurs / organismes concernés par le périmètre, à leur propre secteur en fonction de ses spécificités ;

Ainsi, l’unité retenue pour l’analyse des différentes lignes ne doit pas nécessairement être identique pour tous les secteurs d’activité et pour toutes les catégories de lignes budgétaires. Une certaine souplesse intellectuelle doit être permise pour éviter de transformer la démarche de BIE en un exercice artificiel ou en une « usine à gaz ».

Les acteurs en charge d’un périmètre devront donc définir en amont l’unité ou les unités retenues, en lien avec les pilotes de la démarche et en fonction de la nature des dépenses qu’ils ont à gérer et de la réalité de leur secteur, avec les lignes directrices suivantes :

        la finesse des unités retenues doit être proportionnée aux enjeux que présente le secteur en matière d’égalité ;

        les unités doivent être assez fines pour présenter une certaine homogénéité fonctionnelle ;

        elles ne doivent toutefois pas être systématiquement trop fines, pour ne pas alourdir inutilement la démarche ;

        dans la mesure du possible et quand cela se justifie, elles doivent être cohérentes avec la nomenclature (les unités) d’exécution des crédits (subventions notamment).

Si cet exercice peut sembler fastidieux, le découpage des dépenses en unités fonctionnelles est dans les faits déjà très largement pratiqué par les administrations (au-delà même des budgets opérationnels de programmes et unités opérationnelles), pour des raisons pratiques ou tenant à l’application des différentes règles régissant les finances publiques (démarche de performance, comptabilité analytique, etc.). De plus, cet exercice, qui s’effectue en amont du premier exercice budgétaire, n’est plus à refaire au cours des cycles suivants, la pérennité des unités retenues étant un gage de transparence et d’efficacité de la démarche.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

b.   Quelle unité retenir pour la définition des objectifs et indicateurs ?

Comment intégrer les objectifs et indicateurs de la BIE à la démarche de performance ? Vos rapporteures ont déjà insisté sur la nécessité d’intégrer les objectifs et indicateurs de la BIE à la démarche globale de performance, au sein de la maquette de performance.

Pour ces objectifs intermédiaires ou opérationnels – qui sont des déclinaisons des objectifs stratégiques fixés par le Gouvernement en amont de la démarche – selon le niveau d’ambition que l’on se fixe, il est possible d’adapter certains indicateurs existants ou de les décliner en sous-indicateurs genrés.

Cette approche a minima se révèlera toutefois souvent insuffisante ou peu conclusive. Une BIE plus ambitieuse impliquerait plutôt :

        de créer de nouveaux indicateurs spécifiques sur le périmètre des unités les plus significatives retenues pour l’analyse des crédits (voir a. supra) ;

        de créer de nouveaux objectifs intermédiaires permettant d’orienter le pilotage de l’exécution des crédits dans le sens d’une prise en compte des enjeux d’égalité ;

        d’associer de nouveaux objectifs stratégiques (ici, des objectifs d’efficacité socio-économique) en nombre limité à certains programmes, missions ou documents annexés au budget tels que les documents de politique transversale et de les assortir d’indicateurs ad hoc.

En tout état de cause, il convient de rester attentif à ce que les objectifs opérationnels et intermédiaires soient conformes aux macro-objectifs, sous l’égide des responsables de programmes.

 

 

 

 

 

 

 

 

3.   De l’outil de mesure à l’instrument de correction

a.   D’un outil d’observation et d’analyse à un levier de transformation

Selon les pays où elle a été mise en place, la BIE est principalement considérée :

-         comme un outil permettant de dresser un panorama complet des inégalités existantes, et de mettre en place des mesures ciblées ou dépenses dédiées visant à les réduire ;

-         comme un outil de mesure de l’impact et de la performance des politiques budgétaires au regard de l’objectif d’égalité ;

-         comme un outil de correction des inégalités, soit par la modification des modalités d’exécution des crédits, soit par la modification de l’allocation des crédits, à budget constant ou non.

Certains pays ou collectivités analysent donc la démarche de BIE comme un instrument de mesure, sans nécessairement en tirer de mesures correctives, les résultats étant simplement présentés de façon brute, dans l’optique d’éclairer les décideurs et la société civile, sans que des conclusions en soient nécessairement tirées. Ce niveau d’ambition, certes modeste, présente tout de même le bénéfice d’objectiver des inégalités et des biais dans la conception des politiques publiques et donc de contribuer à une large diffusion de la culture de l’égalité. Cette restriction prive toutefois la démarche de BIE d’une large partie des bénéfices que l’on peut en attendre, notamment en termes de développement économique et humain.

Une BIE réellement ambitieuse implique donc une dimension corrective. Cet aspect de la démarche demande toutefois à être explicité, une telle ambition de correction de la répartition des dépenses publiques pouvant susciter des inquiétudes voire des crispations. Ces inquiétudes pourraient notamment, dans le contexte français, être exploitées par certains détracteurs des études ou politiques sensibles au genre, lesquels pourraient présenter la BIE comme une démarche idéologique visant une réallocation égalitariste et brutale des crédits et ne tenant pas compte des réalités économiques et sociales, des besoins réels des citoyens ou de l’interdépendance des individus entre eux quel que soit leur sexe.

Ces deux écueils, une ambition trop modeste ou une ambition risquant de freiner l’adhésion à la démarche ou de provoquer des coupes budgétaires brutales voire injustes, ne sont en réalité pas spécifiques à la démarche de BIE, mais constituent bien la ligne de crête sur laquelle cheminent tous les acteurs de la démarche de performance. Comme le résume le Guide de la performance de la DB précité :

« L’orientation de la gestion vers les résultats ne doit pas être confondue avec une budgétisation directe par objectif, qui consisterait à fixer d’abord les objectifs et les valeurs cibles souhaités puis à déterminer les enveloppes de crédits nécessaires pour les réaliser. Cela n’est pas possible pour plusieurs raisons :

        le budget de l’État se construit sous contrainte d’enveloppe globale. […]

        le lien entre dotation budgétaire et objectifs de performance n’est pas mécanique : une amélioration des résultats socio-économiques ou de la qualité de service peut, par exemple, être obtenue à moyens constants grâce à une amélioration des modalités de mise en œuvre des crédits ou grâce à une meilleure allocation des moyens ;

        il existe des limites techniques : un résultat peut être bon ou mauvais pour de multiples raisons (responsabilité propre du manager mais aussi éléments de contexte, cas de force majeure, niveau de priorisation insuffisant par rapport aux moyens alloués, etc.).

Il n’y a donc pas de conséquences financières mécaniques directes à tirer des résultats : de mauvais résultats doivent-ils conduire à réduire les moyens ou à les concentrer ? Peuvent-ils, à moyens constants, être améliorés grâce à une révision des modalités de mise en œuvre de la politique ou de sa conception ? Seule l’explication précise des résultats constatés peut orienter la décision. »

On voit ainsi qu’il n’y aura pas de réponse uniforme à apporter aux résultats issus de l’exercice de BIE. Seule l’interprétation précise et contextualisée de ces résultats pourra guider la décision de mettre en œuvre d’éventuelles mesures correctives et permettre de déterminer lesquelles seraient pertinentes, en conciliation avec les autres objectifs stratégiques de la performance.

 

b.   D’un exercice d’analyse ex ante à un bouclage vertueux d’un exercice budgétaire à l’autre

Pour ce faire, la BIE doit donc consister en une première analyse ex ante, dont l’exactitude devra être vérifiée ex post, les résultats de l’exécution devant être analysés, discutés et surtout, pris en compte dans la préparation du cycle budgétaire qui suit leur publication. La BIE devrait donc être intégrée à toutes les étapes du cycle budgétaire, et ne pas se cantonner, comme cela est trop souvent le cas pour les démarches de performance, à l’analyse ex ante. Ainsi, la BIE devrait se décliner :

        au stade de l’élaboration du budget, par la définition d’objectifs et d’indicateurs de performance pertinents et l’analyse tricatégorielle : cette étape est déterminante et requiert un réel investissement durant la ou les premières années de mise en œuvre, puis sera sensiblement concentrée sur les mesures nouvelles ou l’actualisation des données en fonction des progrès observés ;

        au stade de l’approbation du budget, le Parlement ayant tout son rôle à jouer, par le biais de son droit d’amendement, pour contrôler la pertinence des objectifs, des cibles et des indicateurs retenus et veiller à l’adéquation entre les objectifs et les crédits associés ;

        au stade de l’exécution budgétaire, l’exécutif et en particulier les gestionnaires devant veiller à ce que celle-ci soit orientée vers une progression dans le sens des objectifs assignés : cela implique une analyse des biais éventuels de conception des politiques publiques, des critères de dévolution des crédits, etc. ;

        au stade du contrôle, notamment par le truchement des rapports sur l’exécution des crédits. Il convient d’insister sur l’importance de cette étape, faisant trop souvent l’objet d’une attention moindre des administrations dans le cadre de la démarche de performance. Le Parlement a là aussi un rôle décisif à jouer, en particulier pour contrôler les résultats obtenus au regard des cibles que l’exécutif s’était fixées. Dans le contexte français, la Cour des comptes, à travers ses rapports annuels sur les budgets nationaux, peut également apporter un éclairage décisif à cette étape.

C’est à cette condition que la BIE pourra donner toute sa mesure, la prise en compte des résultats de l’exercice N-2 pour l’élaboration du budget de l’année permettant seule un chaînage vertueux à tous les stades du processus budgétaire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Drapeau européen — Wikipédia 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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III.   PROPOSITION DE FEUILLE DE ROUTE POUR LA MISE EN PLACE d’UNE BIE AMBITIEUSE POUR LES BUdGETS NATIONAUX EN France

Au regard des différentes possibilités méthodologiques décrites dans la deuxième partie, et de la situation déjà très avancée de la France dans de nombreux domaines incontournables pour la mise en place d’une BIE, vos rapporteures ont souhaité proposer au Gouvernement une feuille de route intégrant un certain nombre de recommandations. Cette feuille de route, à la fois ambitieuse et équilibrée, leur semble pouvoir permettre un déploiement de la démarche à court terme sur les budgets nationaux.

A.   LA France DISPOSE DÉJÀ D’ACQUIS SOLIDES ET d’oUTILS EFFICACES MAIS LARGEMENT PERFECTIBLES

1.   Une approche intégrée de l’égalité à travers différents outils

a.   Les rapports annuels des collectivités sur l’égalité

La loi confère aux collectivités territoriales une responsabilité et un rôle certain pour favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes. Ainsi, la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes introduit dans le code général des collectivités territoriales (CGCT) l’obligation pour ces dernières et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre de plus de 20 000 habitants de présenter, préalablement aux débats sur le projet de budget, un rapport sur la situation en matière d’égalité entre les femmes et les hommes.

Celui-ci doit comporter deux volets : un volet interne portant sur les ressources humaines de la collectivité et la situation en matière d’égalité professionnelle, et un volet territorial relatif aux politiques publiques que la collectivité mène sur son territoire. Cette approche intégrée permet de sensibiliser les élus et les agents de collectivités à l’égalité femmes-hommes.

La mise en application de cette loi demeure cependant incomplète. Une étude réalisée par le HCE en 2018 ([13]), soit trois ans après la mise en application de cette loi, montrait qu’une commune/EPCI sur dix ignorait encore l’existence de cette disposition légale. En revanche, l’ensemble des départements et régions ayant répondu à l’enquête – soit 40 % du total – avaient présenté un rapport en 2017. Aujourd’hui encore, cette loi est inégalement et diversement appliquée Ainsi, les auditionnés ont pu regretter que les rapports soient parfois simplement mis à disposition des organes délibérants, sans faire l’objet d’une présentation orale, encore moins d’un débat ou d’un vote. De même, ils ont pu regretter l’absence dans certains rapports d’objectifs clairs ou d’indicateurs de suivi des informations présentées. Enfin, la comparaison entre collectivités équivalentes ou le traitement des informations à l’échelle nationale est rendu impossible par l’absence totale d’harmonisation des données présentées.

Recommandation n° 1 : modifier le CGCT afin de rendre obligatoire la présentation orale du rapport sur la situation en matière d’égalité entre les femmes et les hommes.

Recommandation n° 2 : spécifier le Guide pratique pour accompagner les collectivités territoriales mis à leur disposition par le SDFE et le centre Hubertine Auclert, notamment en mentionnant un certain nombre de statistiques et indicateurs clés pouvant utilement figurer dans ce rapport, afin de permettre la remontée des informations et les comparaisons.

 

b.   La labellisation des ministères

Depuis le Comité interministériel Égalité entre les femmes et les hommes du 8 mars 2018, les ministères doivent être en mesure de candidater au label égalité professionnelle, ou à la double labellisation égalité professionnelle et diversité. Les deux autres versants de la fonction publique sont également encouragés à obtenir ces labels.

Ce label permet d’évaluer, et le cas échéant, de parfaire, dans une logique d’amélioration continue, les actions menées par l’employeur en matière d’égalité professionnelle. Tout au long du processus de labellisation, il permet à l’organisme candidat d’évaluer les actions menées en faveur de l’égalité, ses pratiques de gestion des ressources humaines, son management, son organisation du travail favorisant une articulation optimale des temps de vie, ainsi que, par exemple, la prise en compte de la parentalité dans le cadre professionnel, et de les améliorer si nécessaire.

Au 30 juin 2022, l'ensemble des ministères a obtenu et conservé le label égalité, ainsi que plus d’une dizaine d’établissements publics, collectivités territoriales et établissements publics de santé. Les données collectées dans le cadre de cette démarche pourraient constituer un excellent tremplin pour une application spécifique de la BIE aux dépenses de personnel (dépenses de titre 2).

 

c.   Des analyses sectorielles très complètes dans certains domaines

Si leurs rapports annuels ont conduit les collectivités territoriales et EPCI concernés à s’interroger de façon transverse, quoiqu’à des degrés variables, sur la question de l’égalité dans leurs champs de compétences, ce n’est pas encore le cas de toutes les administrations centrales, qui n’ont pu avoir à conduire cette réflexion que sous l’angle de leur responsabilité d’employeurs dans le cadre des labellisations.

Certains ministères ont pourtant déjà conduit des analyses systématiques de leur domaine à l’aune du genre, et établi un panorama des inégalités identifiées à tous les niveaux, parfois accompagné de différentes mesures visant à les corriger. Le ministère de la culture a par exemple réalisé avec ses opérateurs une analyse sectorielle très complète. Mme Aude Accary-Bonnery, secrétaire générale adjointe, indiquait à vos rapporteures lors de son audition que « pour compter, il faut se compter ». Pour cela, le ministère dispose depuis 2013 d’un Observatoire de l’égalité entre les femmes et les hommes. Il publie chaque année, à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, un rapport annuel rendant compte de la part des femmes dans l’administration, les institutions et les entreprises culturelles et médiatiques. Celui-ci permet, à partir d’un panel d’indicateurs, d’objectiver de façon assez concrète les inégalités, au sein des directions des structures culturelles, en termes de programmation, de salaires, etc. et ce, dans des secteurs culturels très divers, allant du public au privé, du patrimoine à la création contemporaine.

Les entités ayant déjà conduit ce type de réflexion seraient à même de mettre en œuvre la BIE sans passer par l’étape préalable indispensable de l’analyse sectorielle, de fait déjà réalisée de manière très satisfaisante et dénotant une diffusion déjà très avancée de la culture de l’égalité en interne.

 

d.   Des études d’impact désormais généralisées mais inégales

Les principales mesures des lois de finances et de finances rectificatives et des lois de financement de la sécurité sociale font l’objet d’une évaluation préalable ([14]), de même que l’ensemble des projets de loi ordinaires : la loi organique du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution instaure en effet l’obligation de joindre à ces projets une étude d’impact, afin de mieux éclairer les choix effectués en matière de législation, d’améliorer la qualité de la loi et de lutter contre l’inflation législative.

Une certaine culture de l’étude d’impact existe donc désormais en France. On peut toutefois regretter, d’une part, que la qualité de ces études d’impact soit très inégale, d’autre part, que celles-ci ne fassent pas systématiquement l’objet d’une présentation orale devant le Parlement lors de la discussion générale des textes ou juste avant l’examen du premier article. Une étude ([15]) menée par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) pointe en outre le fait que les études ne sont actualisées, ni au cours de la procédure législative, ni à son issue, ce qui les rend de facto incomplètes, notamment lorsque le projet de loi initial se trouve profondément modifié.

Surtout, la loi ne mentionne pas l’analyse d’impact à l’aune du genre, dont le seul fondement juridique repose sur une circulaire du 23 août 2012, laquelle instaurait une étude d’impact des textes législatifs et règlementaires sur le handicap, la jeunesse et, enfin, les droits des femmes et l’égalité entre les femmes et les hommes. Sur cette dernière thématique, la circulaire précise que les études d’impact poursuivent trois objectifs : en premier lieu, elles visent à contribuer à l’égalité réelle et à l’approche intégrée de l’égalité. Ensuite, elles concourent à développer l’évaluation des politiques publiques et à s’interroger systématiquement sur un éventuel impact différentiel des mesures. Enfin, elles permettent de s’assurer de la bonne information de la représentation nationale avant le vote.

S’il faut se réjouir de cette première étape vers l’évaluation continue des politiques à l’aune du genre, ces études d’impact demeurent cependant incomplètes, et se résument parfois à quelques lignes, quand elles ne font pas simplement apparaître la mention « sans objet ». La circulaire de 2012 avait créé un poste dédié au sein du SDFE, chargé de former les équipes ministérielles à leur réalisation, poste qui a, depuis, changé d’attribution. Pour cela, le CESE préconise dans son rapport de sensibiliser davantage les rédacteurs à la possibilité de recourir au soutien du SDFE pour la réalisation de ces études.

Endossant son rôle de vigie, le HCE alerte ainsi régulièrement sur l’absence de prise en compte du genre lors de la conception de nombreuses lois ou mesures réglementaires, telles que l’ordonnance du 2 juin 2021 portant sur la réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique d’État, ou encore de nombreuses politiques de santé. La généralisation et l’amélioration des études d’impact permettrait, sans doute, de combler ces failles et de renforcer l’approche intégrée du genre pour toutes les politiques. Mme Périvier estimait quant à elle que l’utilité et l’efficacité des études d’impact impliquait :

        qu’elles soient faisables ;

        qu’elles soient de bonne qualité ;

        que leurs prédictions soient vérifiées ex post ;

        que leurs résultats soient pris en compte pour aménager les dispositifs législatifs et réglementaires.

 

Recommandation n° 3 : modifier la loi organique n° 2009-403 pour insérer au huitième alinéa de l’article 8, après le mot « intéressées », les mots : « en particulier les femmes et les hommes ». Compléter cet article en précisant que ce document fait l’objet d’une présentation orale par le Gouvernement lors de la première lecture du projet de loi devant chaque assemblée et est actualisé, le cas échéant, au cours de la navette parlementaire.

 

e.   Un appareil statistique puissant mais perfectible pour ce qui est de la prise en compte du genre

Comme cela a été préalablement mentionné par vos rapporteures, la disponibilité et l’accessibilité des statistiques sexo-spécifiques est une condition indispensable à la mise en œuvre d’une budgétisation sensible au genre. De nombreux bénéfices résultent de leur collecte, tels que la prise de conscience des inégalités, l’enrichissement des études d’impact, l’amélioration des données de la performance ou encore le renforcement de la transparence budgétaire et le suivi de l’efficacité de la BIE.

Fort de ses seize services statistiques ministériels (SSM) et de l’INSEE, le service de la statistique publique (SSP) français est reconnu internationalement pour la qualité et la fiabilité de ses données et enquêtes. Cependant, force est de constater que la prise en compte du genre dans ses travaux peut encore être améliorée.

C’est à ce constat que répondait déjà la circulaire du 8 mars 2000 relative à l’adaptation de l'appareil statistique de l'État pour améliorer la connaissance de la situation respective des femmes et des hommes. Celle-ci disposait que « la politique de l’égalité doit pouvoir s'appuyer sur un appareil statistique adapté. […] D’une part, il est nécessaire de disposer de données pertinentes par sexe pour affiner le diagnostic de la situation respective des hommes et des femmes dans les différents domaines, et être ainsi à même de repérer les besoins, de fixer des objectifs pertinents et, également, de procéder à l’évaluation des actions engagées. D’autre part, la publicité qui sera donnée à ces éléments statistiques et aux études qui, en tant que de besoin, viendront les compléter, contribuera à mettre en évidence l’existence de situations d’inégalité, les domaines dans lesquels on les rencontre, et pourra inciter les acteurs concernés à y remédier ».

La circulaire en tirait quatre instructions principales à destination du SSP :

        compléter la production de données (« dans certains domaines fondamentaux, on se réfère à des notions neutres telles que celles de « foyer fiscal », « d’assuré social », de « chef d’entreprise », « d’élu », de « représentant du personnel ») ;

        exploiter plus systématiquement les données en fonction du critère du sexe (« c’est dans le domaine de l'exploitation des données en fonction du sexe (« tri croisé ») que l’insuffisance est la plus manifeste et la plus préjudiciable à l'élaboration de politiques visant à promouvoir l’égalité ») ;

        veiller à faire apparaître la situation comparée des hommes et des femmes dans les publications ;

        compléter les résultats statistiques par des études permettant de mieux analyser les causes des inégalités.

Dans un rapport portant sur l’information statistique sexuée dans la statistique publique paru en 2013, Mme Sophie Ponthieux, économiste à l’INSEE, alertait également sur les lacunes dans la prise en compte du genre dans l’appareil statistique français mais également sur les difficultés à trouver les données.

Dix ans plus tard, des améliorations en la matière peuvent certainement être constatées. Vos rapporteures ont toutefois relevé une certaine dissonance entre les propos des auditionnés du SSP, et ceux d’autres auditionnés ou des différents rapports dont elles ont pu prendre connaissance sur le sujet. En effet, les représentants du SSP estimaient lors de la table ronde consacrée à cette thématique que des données genrées très nombreuses étaient disponibles ou a minima existantes et pouvaient être mises à disposition des concepteurs des politiques publiques sur simple demande pour la mise en place d’une BIE, tout en faisant état des difficultés méthodologiques qu’imposerait une réflexion sur les niveaux de vie et la fiscalité affranchie de l’unité « ménage » pour descendre à l’unité « individus ».

A contrario, il est ressorti d’autres auditions que de nombreuses données restaient très difficiles à trouver ou à obtenir, y compris brutes, et que les tris croisés et enquêtes impliquant le genre faisaient apparaître une implication très hétérogène des différents SSM sur le sujet. Dans cet esprit, le SDFE et la DB écrivaient dans leur rapport sur le bilan de l’expérimentation du budget intégrant l’égalité, que « le constat [était] fait d’un retard tant sur l’exploitation de données sexuées que sur la production de ces données par les SSM », relevant au passage que l’INSEE ne disposait pas de « service dédié au genre ». De même, le HCE, dans son rapport relatif à l’expérimentation du budget intégrant l’égalité de 2019, recommandait notamment de sensibiliser les SSM à la systématisation de la collecte de données désagrégées par sexe et d’améliorer celles qui sont actuellement produites.

Loin de vouloir ou de pouvoir trancher ce débat, vos rapporteures considèrent toutefois qu’il témoigne, d’une part, des inégalités d’investissement des différentes composantes du SSP sur la question du genre et, d’autre part, de l’importante marge de progression restant pour fluidifier et enrichir les échanges entre le SSP et les concepteurs des politiques publiques afin d’améliorer sinon la production, au moins le processus de mise à disposition de données statistiques genrées et de nourrir la démarche de performance.

Recommandation n° 4 : lancer des états généraux de la statistique publique genrée sous l’égide du Conseil national de l’information statistique (CNIS).

 

2.   Des expériences qualifiantes en matière budgétaire

a.   La mise en œuvre des budgets verts

À l’image du Canada, où la méthodologie en cours de conception pour la mise en place du budget vert est très fortement inspirée de celle utilisée pour le gender budgeting, la France pourrait, à l’inverse, tirer des enseignements de la méthodologie développée pour le budget vert – et la parfaire par la même occasion – pour construire celle de la BIE.

Premier pays au monde à analyser l’impact environnemental de l'ensemble de son budget, la France a inscrit le budget vert dans la loi n° 2019-1479 du 27 décembre 2019 de finances pour 2020. Celui-ci permet de classifier les dépenses budgétaires et fiscales selon leur impact sur l’environnement et d’identifier les ressources publiques à caractère environnemental.

La méthode du budget vert a été largement conçue par une mission préalable portée en 2019 par l’Inspection générale des finances (IGF) et par le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD). Celle-ci recommandait une analyse tricatégorielle (favorable, neutre, défavorable) pour chaque action ou sous-action du budget de l’État, la démarche étant articulée autour de six objectifs environnementaux : la lutte contre le changement climatique, l’adaptation au changement climatique, la gestion des ressources en eau, la gestion des déchets, la lutte contre les pollutions et la préservation de la biodiversité.

Depuis, chaque année, le Gouvernement est chargé de remettre au Parlement, en annexe du PLF, un rapport sur « l’impact environnemental du budget », fruit d’une coopération interministérielle entre, d’une part, le Commissariat général au développement durable (CGDD) et, d’autre part, la DB, la direction de la législation fiscale (DLF) et la direction générale du Trésor (DG Trésor). La première partie de ce document est consacrée au budget vert, les deux suivantes portant sur l’ensemble des financements de la transition écologique et sur la fiscalité environnementale.

Après un démarrage de l’exercice sur quatre missions du budget de l’État, un élargissement progressif et rapide du périmètre a été effectué, puisque l’ensemble du périmètre des dépenses de l’État (PDE) est couvert par la démarche dans le PLF pour 2023. À ce périmètre s’ajoutent les dépenses fiscales, pour un montant total de 569,4 Md€, dont 37,5 Md€ ont été cotés comme ayant un effet favorable sur l’environnement, et 19,6 Md€ comme ayant un impact négatif.

La méthodologie acquise à la faveur de la mise en œuvre du budget vert constitue ainsi, selon de nombreux auditionnés, une excellente base pour le déploiement de la BIE, tous deux étant des formes spécifiques de budgétisation par la performance, destinées à l’accomplissement d’objectifs environnementaux et sociaux. Le budget vert a notamment permis de familiariser l’administration à la cotation tricatégorielle des dépenses, désormais maîtrisée par de nombreux services de l’État.

Mme Mahaut Chaudouet-Delmas, chargée de mission au HCE, soulignait donc l’importance de ne pas opposer budget vert et BIE, expliquant que, loin d’être concurrentes, ces démarches se complétaient et pouvaient même être sources d’améliorations mutuelles. En effet, le très jeune budget vert peut encore très nettement être amélioré, comme l’indiquait la Cour des comptes dans son rapport annuel Le budget de l’État en 2021 : résultats et gestion. La Cour pointait par exemple le fait que 74 % des montants inscrits dans le PLF pour 2022 étaient classés comme neutres. La quasi-totalité de ces montants étaient des dépenses de personnel et de transferts aux ménages et aux entreprises. Par ailleurs, 17 % des montants n’étaient pas cotés du tout (en particulier les prélèvements sur recettes au profit de l’Union européenne et des collectivités territoriales). La Cour des comptes considérait ainsi qu’il serait nécessaire de réduire cette part, selon elle trop élevée au regard des objectifs ambitieux que porte le budget vert. Enfin, la Cour estimait essentiel d’associer davantage les ministères sectoriels à l’exercice, encore trop centralisé, afin d’assurer sa pérennité et sa bonne appropriation par les acteurs concernés.

 

b.   Le document de politique transversale (DPT)

Prévus par l’article 128 de la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005, dix‑neuf documents de politique transversale (DPT) permettent aujourd’hui de présenter les efforts financiers de l’État consacrés à des politiques transversales pour l’année à venir. L’année dernière, près de 2,4 Md€ ont ainsi pu être retracés dans le DPT portant sur l’égalité entre les femmes et les hommes, qui a remplacé en 2009 le jaune budgétaire « égalité ». Fruit d’un effort collectif et interministériel, celui-ci retrace des crédits allant bien au-delà du seul programme 137 (60 M€).

Le DPT s’inscrit pleinement dans cet écosystème favorable à la mise en œuvre de la BIE. En effet, il recense l’ensemble des dépenses ayant un impact positif direct sur l’égalité femmes-hommes, constituant l’amorce d’une cotation tricatégorielle des crédits. En outre, il détermine six axes concourant à la politique de l’égalité (culture de l’égalité, violences faites aux femmes, santé des femmes, égalité professionnelle et autonomisation économique, pauvreté et exclusion, droit des femmes à l’international). Ces derniers pourraient ainsi constituer une base pour la définition des macro-objectifs de la BIE.

Bien qu’il constitue, selon les termes de Mme Valérie Plomb, cheffe du bureau de l’animation et de la veille du SDFE, « une première marche pour la BIE », de nombreux auditionnés ont expliqué à vos rapporteures que le DPT comportait encore de nombreuses limites, qui ne sont sans doute pas étrangères au fait que ce document n’est que l’un des dix-neuf DPT que les services se doivent de réaliser chaque été, sans que cet exercice ait de pendant en exécution ni fasse l’objet d’une priorisation particulière. Parmi les principales limites recensées par votre rapporteure sur le PLF pour 2023, Mme Julie Delpech, on peut notamment regretter que seulement dix-huit des cinquante programmes recensés dans le PLF pour 2023 soient rattachés à l’un des six axes. De même, de nombreux programmes sont rattachés à des objectifs alors que leur contribution ne présente qu’un lien très indirect avec ceux-ci. Plus préoccupant, l’intitulé de nombreux objectifs ne semble pas présenter de lien avec la politique d’égalité. Enfin, certains objectifs ne sont pas assortis d’indicateurs genrés, ceux-ci étant repris tels quels du projet annuel de performances (PAP) associé, tandis que certains ne présentent pas d’indicateurs du tout. Ces différents éléments démontrent que la démarche du DPT est encore très éloignée d’une véritable démarche de BIE, intégrée au processus budgétaire.

Par ailleurs, les méthodes de calcul du volume des crédits retracés dans le DPT manquent de clarté, les éléments apportés dépendant du niveau de formation et d’investissement des différents contributeurs. Les auditionnées du HCE ont ainsi regretté que cela conduise à de fortes variations du périmètre du DPT d’une année à l’autre, lesquelles ne sont pas toujours correctement justifiées.

Enfin, le DPT opère un mélange entre les dépenses dédiées à l’égalité et celles ayant un impact positif, direct ou parfois indirect sur l’égalité, et ne mentionne pas les dépenses ayant un impact négatif, ce qui limite considérablement les possibilités de le mobiliser comme levier de transformation.

C’est pourquoi vos rapporteures considèrent que, si une partie non négligeable de ses éléments peuvent être réutilisés, cet outil doit être remplacé dans le cadre de la mise en place de la BIE, par un outil plus complet (cf recommandation n° 7).

 

c.   L’expérimentation du « budget intégrant l’égalité » conduite en 2018‑2019

Lancée lors du comité interministériel à l’égalité entre les femmes et les hommes (CIEFH) du 8 mars 2018, l’expérimentation d’un « budget intégrant l’égalité », visait à analyser, dans le cadre de la préparation du PLF pour 2020, une à deux actions d’un programme de chacun des quatre ministères pilotes (ministère de la culture, ministère de l’agriculture, ministère des affaires sociales – par le biais de la DGCS – et ministère de la cohésion des territoires) à l’aune du genre. L’ambition, somme toute modeste, de cette démarche portée par la DB et le SDFE était d’identifier par une démarche de tricatégorisation les impacts de ces actions sur l’égalité entre les femmes et les hommes.

Dans ce contexte, la circulaire de la direction du budget n° DF62PERF193083 du 18 avril 2019 relative à la préparation des volets performance des projets annuels de performances mentionnait cette expérimentation et demandait à l'ensemble des ministères expérimentateurs de prendre en compte, dans la définition ou la revue de leurs indicateurs de performance, le besoin de joindre à ceux visant un public un sous-indicateur sexué afin de permettre un suivi du BIE au-delà de cette expérimentation. Les ministères expérimentateurs étaient également invités, dans une annexe de la circulaire de la DB 1BLF-19-3362 du 24 juillet 2019 à présenter les éléments relatifs à cette expérimentation soit dans la présentation stratégique de leurs projets annuels de performance soit par une déclinaison plus fine dans la partie « justification au premier euro », dès lors que des mesures pouvaient être identifiées comme étant des leviers agissant sur la réduction des inégalités. Deux des entités expérimentatrices, le ministère de la culture et le commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) ont également mis en place à cette occasion des mesures d’égaconditionnalité pour l’exécution des crédits concernés : le CGET réalisait par exemple une analyse des dossiers de demande de subvention à l’aune de leurs objectifs, du contenu de l’action (publics cibles, lutte contre les stéréotypes) et des instances de gouvernance proposées. Les dossiers étaient ensuite classés selon un ordre croissant d’impact en matière d’égalité suivant la méthode de tricatégorisation. L’objectif était de réduire progressivement la part des actions cotées 0 (pas de prise en compte de l’égalité femmes-hommes) et de maximiser les financements accordés pour les actions cotées 1 ou 2 (l’égalité femmes-hommes est un objectif secondaire ou significatif, ou un objectif principal).

Le rapport du SDFE et de la DB tirant le bilan de cette expérimentation ([16]) reste toutefois extrêmement mitigé. Certes, l’épidémie de Covid-19 a pu contribuer à reléguer cette démarche au second plan, mais cet état de fait ne suffit pas à expliquer l’abandon si rapide de la démarche, alors que l’expérimentation portait sur un périmètre extrêmement resserré – et sans doute bien trop restreint pour créer une véritable dynamique. Parmi les causes identifiées de cet échec, le rapport avance les raisons suivantes :

        l’hétérogénéité de la conduite de l’expérimentation par les différentes parties prenantes, faute de clarification des attentes et formalisation d’un cadre précis de mise en œuvre ;

        l’absence de définition de priorités gouvernementales ;

        le besoin en formation des agents ;

        le besoin de disposer de statistiques sexuées.

L’expérimentation aura cependant laissé de discrètes traces dans le processus budgétaire. Mme Margaux Lelong citait à cet égard l’apparition de sous‑indicateurs sexués dans la maquette de performance. La ventilation par genre des sous‑indicateurs des programmes pilotes n’a cependant pas été systématisée, loin s’en faut, et il n’existe aujourd’hui que 98 sous-indicateurs genrés sur les 1 970 recensés dans le PLF pour 2023. Bien que ce chiffre soit en progression – il s’établissait à 59 en 2020, il demeure très insuffisant et montre que les sous‑indicateurs visant un public restent rarement déclinés à l’aune du genre, malgré l’impulsion voulue par l’expérimentation, laquelle n’apparaît plus depuis 2022 dans les circulaires de performance.

B.   Proposition de feuille de route

Au vu de l’ensemble des éléments mentionnés au fil de ce rapport, des exemples internationaux, du contexte et des acquis spécifiques de la France, vos rapporteures ont souhaité formuler ici, sous forme d’une feuille de route, leurs recommandations pour la mise en place d’une BIE ambitieuse à l’échelle nationale française.

1.   Une phase de cadrage cruciale en six étapes

Il ressort de l’ensemble des expériences recensées au fil de ce rapport que la phase de cadrage préalable à la mise en place de la BIE est absolument cruciale et qu’elle ne saurait être négligée au risque de voir la démarche péricliter. Vos rapporteures ont donc identifié six étapes, décrites ci-dessous selon un schéma idéal correspondant à un niveau d’ambition élevé. La durée de mise en œuvre de cette phase de cadrage requiert qu’elle soit initiée environ dix mois à un an avant les premières conférences budgétaires du premier exercice d’application pleine de la BIE.

a.   Première étape : donner une impulsion politique à la démarche

Cette étape pourrait se décliner de la façon suivante :

        prise de décision politique à haut niveau (Premier ministre ou Président de la République, avec une forte implication du ministre des finances et/ou des comptes publics) ;

        définition politique des macro-objectifs, en retenant des objectifs susceptibles de recueillir un large consensus au sein de la population et des différentes familles politiques, à l’instar des six axes actuellement déclinés dans le DPT ;

        macro-définition du périmètre d’application (tout ou partie des PLF/PLFSS). Vos rapporteures préconisent de retenir a minima le périmètre des dépenses de l’État (PDE) et les dépenses de la sécurité sociale, ainsi qu’une analyse des recettes (en particulier des impôts personnels directs), la mise en œuvre pouvant se faire de façon progressive sur plusieurs exercices ; le cas échéant, la priorité doit être donnée aux mesures de l’année et à quelques missions clés, par exemple enseignement scolaire, recherche et enseignement supérieur, solidarité, insertion, égalité des chances, travail et emploi, culture, santé, sport, jeunesse, vie associative ou plan de relance ;

        communication interne et externe autour de la démarche et de ses objectifs.

Recommandation n° 5 : donner une impulsion politique à la BIE au plus haut niveau et assortir la décision politique de la déclinaison de macro-objectifs ambitieux et lisibles.

Recommandation n° 6 : appliquer la démarche de BIE de façon progressive au PDE et aux dépenses de la Sécurité sociale, ainsi qu’à l’ensemble des recettes situées dans ce périmètre. Prioriser dans un premier temps les mesures de l’année.

 

b.   Deuxième étape : donner un cadre juridique à la BIE

Selon vos rapporteures, une traduction législative au minimum de niveau organique serait seule à même d’assurer une pérennité à la BIE et d’impliquer les familles politiques composant le Parlement, dans une démarche aussi transpartisane que possible.

En effet, donner pour base juridique à la BIE une loi ordinaire permettrait d’y déroger par les mêmes formes, c’est-à-dire, par exemple, à l’occasion de chaque PLF ou PLFR. Il convient également de préciser suffisamment, au niveau de la loi et même de la loi organique le contenu attendu de la démarche, au risque que celle‑ci reste lettre morte. Pour mémoire, la circulaire du 8 mars 2000 précitée venait préciser le contenu du jaune budgétaire, prédécesseur du DPT, prévu par la loi de finances pour 2000, laquelle prévoyait seulement que cette nouvelle annexe « [retracerait] les crédits publics consacrés aux actions favorisant l’égalité entre les femmes et les hommes ». La circulaire précisait ainsi qu’« au-delà de l’identification des crédits spécifiquement consacrés à l’égalité, il [était] nécessaire de mettre en évidence dans ce document, pour l'ensemble des ministères, la part représentée par les femmes parmi les bénéficiaires de toutes les politiques publiques », disposition restée lettre morte.

Aussi, à l’instar de la DB et du SDFE dans leur rapport sur le bilan du budget intégrant l’égalité précité, vos rapporteures considèrent-elles que « si un fondement juridique devait être donné [à la] BIE, il devrait nécessairement passer par une révision de la LOLF ».

Cette révision pourrait consister en une affirmation de l’objectif d’égalité aux articles 1er A (relatif aux lois de programmation des finances publiques) et 1er de la LOLF et en l’ajout d’une annexe explicative spécifique sur la BIE aux articles 52 (loi initiale) et 54 (loi de règlement). Cette annexe, qui serait présentée chaque année, serait plus complète que le DPT et s’y substituerait. L’annexe prévue à l’article 52 présenterait le périmètre examiné pour l’exercice concerné au regard des exercices précédents, l’ensemble des objectifs et sous-objectifs retenus, les indicateurs afférents, la synthèse de l’analyse tricatégorielle, les principales dépenses ayant un impact négatif sur l’égalité et les mesures mises en œuvre pour atténuer ou supprimer cet impact, l’impact prévisionnel en matière d’égalité des mesures de l’année, les dépenses dédiées à l’égalité, incluant le cas échéant les dépenses fiscales ([17]), ainsi qu’une analyse spécifique des recettes (en particulier des impôts personnels directs) et de la commande publique. L’annexe prévue à l’article 54 reprendrait la même structure, avec une explication des résultats obtenus en exécution, en particulier sur les mesures de l’année N-2.

Le III de l’article LO 111-4 du code de la sécurité sociale pourrait de même prévoir un document annexé au projet de loi de financement de la sécurité sociale et retraçant les principales inégalités observées entre les femmes et les hommes au cours de l’exercice N-2, en particulier en ce qui concerne les dépenses des branches maladie et vieillesse ([18]), les mesures pouvant être prises, y compris hors périmètre PLFSS, pour corriger ces inégalités, l’impact sur l’égalité des mesures de l’année, et une analyse spécifique des recettes.

Recommandation n° 7 : inscrire au niveau organique, par une révision de la LOLF et du code de la sécurité sociale, l’objectif de la BIE. Créer, toujours en loi organique, une annexe explicative spécifique, plus complète que le DPT et donc s’y substituant, retraçant l’ensemble des informations issues de la démarche de BIE, en élaboration et en exécution.

 

c.   Troisième étape : préciser le périmètre et la gouvernance de la BIE

Il convient de noter que cette étape peut tout à fait être effectuée « en temps caché », parallèlement à la première étape. Vos rapporteures recommandent, à l’instar de ce qui a été fait pour les budgets verts, de confier à l’IGF et au SDFE une mission commune, ayant pour objectif de proposer :

        un périmètre et une méthodologie adaptés au cadre budgétaire français pour la cotation des dépenses (analyse tricatégorielle), en particulier sur les unités pouvant être retenues pour appliquer cette cotation ;

        la définition, le cas échéant, des catégories ou types de dépenses ne relevant pas de l’analyse tricatégorielle mais d’une autre méthode (par exemple, les dépenses de titre 2 ou les dépenses de sécurité sociale, voir IIB1b du présent rapport) ;

        une première cotation des dépenses ;

        une méthode d’analyse/de cotation des recettes ;

        une méthode d’intégration de la démarche dans les documents budgétaires ;

        une gouvernance pour l’ensemble de la démarche, la DB et le SDFE devant y jouer un rôle central, en lien avec le réseau des hauts fonctionnaires à l’égalité ;

        des mesures communes d’analyse et d’optimisation de la commande publique au regard de la BIE, qui seraient mises en œuvre sous l’égide de la DAJ et de la Direction des achats de l’État ;

        des clauses-type pouvant être insérées dans les conventions d’objectifs et de moyens (COM) conclues avec les opérateurs et les conventions pluriannuelles d’objectifs (CPO) conclues avec les organismes recevant des subventions de l’État ;

        un plan de formation/d’accompagnement des acteurs de la démarche (publics concernés, objectifs visés) ;

 

Recommandation n° 8 : confier à l’IGF et au SDFE une mission de précision de la méthode à retenir pour l’application de la BIE (analyse des dépenses par catégorie, des recettes, de la commande publique, intégration aux documents budgétaires, gouvernance et formation requise).

Recommandation n° 9 : appliquer des méthodes d’analyse distinctes pour certaines catégories de dépenses et pour les recettes.

Recommandation n° 10 : développer des méthodes innovantes pour intégrer l’objectif d’égalité à la commande publique (nudge) et insérer des clauses relatives à l’égalité dans l’ensemble des COM et CPO conclues par l’État.

 

d.   Quatrième étape : sur cette base, former les pilotes et ministères « dépensiers » par un accompagnement spécialisé

Comme on l’a vu, la BIE a déjà été mise en œuvre dans de nombreux pays et collectivités territoriales. Afin de bénéficier des expériences acquises et d’éviter les écueils de la première expérimentation, il convient que les ministères soient accompagnés au moins en amont et au cours du premier exercice budgétaire, y compris pour la phase d’exécution et de contrôle. Des organismes tels qu’Expertise France, le cabinet Perfégal auditionné par vos rapporteures, ou l’OCDE, ont développé une expertise en la matière, en accompagnant au plus près les acteurs chargés de la mise en œuvre concrète de la démarche, en particulier de l’analyse tricatégorielle. Un accompagnement de ce type, assuré par des personnes connaissant le cadre juridique et budgétaire français, semble indispensable, et peut faire l’objet de financements de l’Union européenne. Il pourrait se décliner ainsi :

  1. Un premier temps pour procéder avec les acteurs les moins avancés à l’analyse sectorielle de leur domaine de compétence

Avec l’organisme spécialisé, chaque ministère / organisme / opérateur fera l’état des lieux de ses travaux, réflexions et analyses. Un accompagnement plus ou moins poussé pourra être proposé selon le degré d’avancement des acteurs dans l’analyse de leur secteur à l’aune du genre et de l’approche intégrée de l’égalité. Le but de cette première étape est de dresser un panorama complet des enjeux du secteur en matière d’égalité, de fixer les objectifs sectoriels et de déterminer des indicateurs clés, y compris ad hoc, à intégrer au projet de loi de finances.

  1. Un deuxième temps pour accompagner les pilotes de la démarche à l’élaboration de guides très concrets de mise en œuvre de la méthode

Sur la base du cadre posé et des propositions formulées par la mission IGF/SDFE, l’organisme spécialisé pourra accompagner les pilotes pour les décliner en une méthode opérationnelle et très concrète (guides, questionnaires, tutoriels), le cas échéant adaptée au ministère /organisme / opérateur concerné. Les méthodes d’animation et de pilotage du réseau des acteurs de la BIE pourront aussi faire l’objet d’un accompagnement initial.

  1. Un troisième temps pour accompagner les personnels des ministères durant le premier exercice budgétaire

Les personnels concernés dépendront du périmètre et de la méthode définis dans les étapes précédentes. On peut toutefois considérer que l’accompagnement devrait concerner la DB, y compris au niveau des managers, le SDFE et tout ou partie de ses deux réseaux, au moins deux référents dans les directions des affaires financières (DAF) de chacun des ministères / organismes / opérateurs concernés, ainsi que les responsables de programme ou de budgets opérationnels de programme dans les secteurs identifiés comme à fort enjeu. Pourraient également être concernées les directions des ressources humaines et des achats, la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), la DLF, la DG Trésor, la direction générale des finances publiques, etc.

Enfin, il pourrait être utile que des personnels de l’administration parlementaire et de la Cour des comptes soient également formés à la démarche de BIE, dans le cadre de leurs missions d’approbation et de contrôle des budgets.

 

Recommandation n° 11 : mettre en place un accompagnement spécialisé en amont de la démarche et au minimum jusqu’à l’été suivant la fin de l’exécution du premier exercice budgétaire pour les agents concernés, y compris au niveau des managers.

 

e.   Cinquième étape : inclure le service de la statistique publique dès le lancement de la démarche

Dès le lancement de la démarche, le CNIS, l’INSEE et les SSM doivent être impliqués, avec les objectifs suivants :

        simplifier voire automatiser la mise à disposition de l’ensemble des données nécessaires pour alimenter les résultats de la performance, et en particulier pouvoir décliner à l’aune du genre l’ensemble des indicateurs et sous-indicateurs de la maquette de performance touchant un public ;

        associer davantage les ministères et les pilotes de l’expérimentation BIE à la définition des programmes de travail des services de la statistique publique, notamment à travers le CNIS.

 

Recommandation n° 12 : associer les représentants du SSP dès le début de la démarche et leur transmettre une note rédigée par les pilotes de la BIE et précisant l’ensemble des données attendues.

Recommandation n° 13 : étudier la pertinence de créer au sein de l’INSEE un service transversal dédié au genre.

 

f.   Sixième étape : adapter les systèmes d’information

  1. Cette adaptation pourra être lancée sur la base de la deuxième étape, et nécessiter des évolutions au cours des deux ou trois premiers exercices budgétaires. Elle concerne au principal et en premier lieu l’application Tango, laquelle permet d’élaborer les documents budgétaires ; elle ne doit toutefois pas omettre les outils de back office des ministères sectoriels permettant notamment de suivre l’exécution de leurs crédits ; elle pourra être conduite par une maîtrise d’ouvrage placée au sein de l’équipe pilote de la BIE, et consister en des demandes d’évolution progressives.
  1. La démarche de BIE doit également être l’occasion de procéder à un audit au regard des enjeux d’égalité des codes sources des modèles économétriques, et si nécessaire à des évolutions de ceux-ci. Sont notamment concernés les modèles tels que Mésange (permet de réaliser des évaluations ex ante de l’impact de différentes mesures de politique économique sur les grandeurs macroéconomiques), Saphir (sert à simuler des réformes de la législation socio-fiscale sur les revenus des ménages et les transferts monétaires induits par les prestations sociales et les prélèvements obligatoires), Inès (utilisé pour mesurer l'impact des réformes fiscales), ou encore Destinie, dont les principales applications concernent les retraites.

Recommandation n° 14 : prévoir au sein de l’équipe de pilotage une cellule MOA chargée de faire évoluer progressivement l’application Tango ainsi que les applications back office sectorielles pour simplifier la mise en œuvre et le suivi de l’exécution de la BIE.

Recommandation n° 15 : afin d’améliorer la qualité des études d’impact et des simulations en matière d’égalité, lancer un audit des codes source des principaux modèles économétriques de l’État, en particulier Mésange et Saphir, et les faire évoluer si nécessaire.

2.   Illustration de la méthode sur deux cycles budgétaires (N0 et N+2)

Une fois les différentes étapes de la phase de cadrage achevées (étapes 1 et 2) ou suffisamment avancées (étapes 3, 4 et 5), commence la mise en application concrète de la budgétisation intégrant l’égalité.

Comme indiqué plus haut, vos rapporteures considèrent que la démarche doit être intégrée à l’ensemble du processus budgétaire (préparation, approbation, exécution et contrôle), et s’enrichir au fil des cycles budgétaires par un bouclage vertueux qui implique obligatoirement qu’une analyse ex post soit mise en regard des prévisions, cibles et analyses effectués ex ante puis serve de base à la préparation de l’exercice budgétaire suivant. Chacun des acteurs habituels du processus budgétaire devra prendre tout son rôle dans la démarche afin que celle-ci puisse produire tous ses effets.

Les deux premières années, la tâche du Gouvernement sera concentrée sur :

        l’analyse – le cas échéant tricatégorielle - ex ante ;

        la définition ou redéfinition des objectifs et indicateurs BIE des PAP en s’assurant de décliner l'ensemble des indicateurs visant un public en sous-indicateurs genrés ;

        l’élaboration du document sur la BIE annexé à la loi de finances, tel que prévu dans la LOLF modifiée en phase de cadrage ;

        la transparence de la démarche, par une communication claire, active et sincère, notamment devant le Parlement ; en particulier, le Gouvernement pourrait définir, en loi de programmation des finances publiques, ses objectifs en matière de réduction des dépenses ou mesures fiscales ayant un impact négatif sur l’égalité. Un tel objectif était notamment fixé, dans le cadre de la démarche « budgets verts », par le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027. Celui-ci prévoyait une réduction de 10 % du ratio entre les dépenses défavorables à l’environnement et les dépenses dont l’impact est favorable et mixte entre la LFI pour 2022 et le PLF pour 2027 » ;

        la bonne assimilation et la prise en compte par les responsables de programme (Rprog) de l’objectif transversal d’égalité et des nouveaux objectifs opérationnels qui leur sont assignés. Il leur reviendra ainsi de mener une réflexion sur les moyens d’atteindre ces objectifs en exécution et de s’assurer de la bonne déclinaison de ces objectifs par les responsables de budgets opérationnels de programme (Rbop) et d’unités opérationnelles (Ruo).

 

Recommandation n° 16 : inscrire en loi de programmation des finances publiques un objectif chiffré de réduction de la part des dépenses ayant un impact négatif sur l’égalité au regard de celles ayant un impact positif direct ou indirect.

Recommandation n° 17 : décliner tous les indicateurs de la maquette budgétaire visant un public en sous-indicateurs genrés.

À partir de l’année N+2, il sera essentiel que :

        les rapports annuels de performances (RAP) intègrent les résultats en exécution de la démarche de BIE ;

        soit annexé à la loi de règlement le pendant du document sur la BIE annexé à la loi de finances initiale, tel que prévu dans la LOLF et le code de la sécurité sociale modifiés ;

        le lien soit fait entre l’exécution N+1 et la préparation du budget N+3.

Le Parlement doit également prendre toute sa place dans la démarche, dès la phase de préparation par l’envoi de questionnaires budgétaires intégrant cette problématique et des questions adressées au Gouvernement lors du débat d’orientation sur les finances publiques. Lors de la phase d’approbation, il apporte si nécessaire des amendements aux objectifs et indicateurs proposés par le Gouvernement. Pour cela, et afin de donner davantage de portée à l’ensemble de la démarche, il semble à vos rapporteures que les annexes explicatives créées en phase de cadrage (cf recommandation n° 6) fassent l’objet d’une présentation orale par le Gouvernement. Cette présentation pourrait se faire à l’occasion de la première lecture en séance et/ou, en amont, devant les délégations aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, le cas échéant sous la forme d’une réunion conjointe des deux délégations (Assemblée et Sénat), comme le prévoit le V de l’article 6 septies de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

Recommandation n° 18 : à l’occasion des réformes de la LOLF et de l’article LO 111-4 du code de la Sécurité sociale, prévoir que la nouvelle annexe explicative relative à la BIE créée fasse l’objet d’une présentation orale par le Gouvernement au Parlement, soit en séance, soit devant les délégations aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

En phase de contrôle, les rapporteurs spéciaux doivent porter leur attention sur les résultats obtenus par les gestionnaires pendant la phase d’exécution.

La Cour des comptes doit également jouer un rôle d’aiguillon dans la mise en œuvre de la démarche, notamment dans son rapport annuel relatif aux résultats de l’exécution de l’exercice antérieur, dans lequel elle examine les programmes et les performances, analyse la cohérence et la fiabilité des informations présentées dans les documents budgétaires ainsi que les écarts manifestes entre objectifs et réalisations.

Enfin, il pourrait être utile que le HCE produise une évaluation annuelle de la qualité et de la sincérité de la démarche de BIE et des progrès obtenus. Cette évaluation pourrait prendre la forme d’un rapport remis au Parlement, et porter notamment sur la lisibilité de l’annexe explicative BIE, la pertinence des objectifs et indicateurs retenus et des résultats atteints.

Recommandation n° 19 : confier au HCE la mission de remettre au Parlement un rapport d’évaluation de la qualité et de la sincérité de la démarche de BIE.

 

 

 

 


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   ConClusion

 

En 2021 le Forum économique mondial estimait qu’au rythme actuel, il faudrait encore 52,1 ans en moyenne aux pays d’Europe de l’Ouest pour atteindre l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, le chemin le plus long à parcourir concernant les inégalités économiques, bien plus lentes à se résorber que les inégalités politiques ou en matière d’éducation. L’épidémie de Covid-19 n’a fait qu’aggraver cette situation.

Accélérer le rythme de cette convergence dans le but de développer le bien‑être de tous et en particulier des générations futures implique une forte volonté politique et le développement d’une véritable culture de l’égalité chez les concepteurs des politiques publiques, par la mobilisation du levier le plus puissant dont disposent les États, à savoir les budgets publics.

Vos rapporteures forment donc le vœu que la budgétisation intégrant l’égalité soit mise en œuvre en France dans les meilleurs délais, afin que ses premiers effets se fassent sentir dès le présent quinquennat. Compte tenu des acquis déjà non négligeables de la France, si la phase de cadrage de la démarche était entamée à la date de publication du présent rapport, elle permettrait une première mise en œuvre dès 2024, dans le cadre de la préparation du PLF pour 2025. Une première impulsion pourrait être donnée dès la loi de finances pour 2024 et dans le cadre de la plus prochaine loi de programmation des finances publiques.

 

 


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   TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

Lors de sa réunion du 16 mai 2023, sous la présidence de Mme Véronique Riotton, la Délégation a adopté le présent rapport et les recommandations présentées supra.

La vidéo de cette réunion est accessible en ligne sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

https://assnat.fr/RFNTPE

 

 


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   annexe n° 1 :
liste des personnes auditionnées par la délégation

● Mardi 6 décembre 2022

Délégation de parlementaires marocains

–  Mme Zineb Amahrouk, députée, membre de la commission des affaires étrangères, de la défense nationale, des affaires islamiques et des Marocains résidant à l’étranger (groupe Haraki) ;

–  M. Idriss Chraibi, député, membre de la commission des affaires étrangères, de la défense nationale, des affaires islamiques et des Marocains résidant à l’étranger (groupe du Rassemblement national des indépendants) ;

–  Mme Seloua Demnati, députée, membre de la commission des finances et du développement économique (Groupe socialiste) ;

–  M. Mohammed Doukha, conseiller général de la Chambre des représentants, homologue du conseiller résident de jumelage pour la mise en œuvre du jumelage ;

–  Mme Ilham Saki, Secrétaire du Bureau, membre de la commission de justice, de législation et des droits de l’homme (groupe Authenticité et modernité) ;

–  Mme Hakima S’haki, députée, membre de la commission des affaires étrangères, de la défense nationale, des affaires islamiques et des Marocains résidant à l’étranger (groupe constitutionnel, démocratique populaire) ;

–  Mme Nadia Thami, vice-présidente, membre de la commission des secteurs sociaux (groupe du Progrès et du Socialisme).

● Jeudi 2 mars 2023

Table ronde avec des représentants administratifs et politiques de collectivités territoriales françaises

ville de Lyon :

–  Mme Audrey Henocque, première adjointe.

ville de Nantes :

–  Mme Mahaut Bertu, adjointe en charge de l’égalité, de la ville non sexiste, de la lutte contre les discriminations et de la vie associative.

ville de Paris :

–  Mme Alice Constant, adjointe à la cheffe du pôle budgets localisés et budget participatif - service de la synthèse budgétaire - sous-direction du budget - direction des finances et des achats ;

–  Mme Christine Guillemaut, chargée de projet égalité femmes hommes au service égalité, intégration, inclusion (SEII), direction de la démocratie, des citoyen·nes et des territoires ;

–  M. Nathan Morin, adjoint à la cheffe du service de la synthèse budgétaire - direction des finances et des achats.

ville de Rennes :

–  Mme Geneviève Letourneux, conseillère municipale aux droits des femmes.

ville de Strasbourg :

–  Mme Sophie Clerc, coordonnatrice de la mission droits des femmes et égalité de genre.

 

 


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   annexe n° 2 :
Liste des personnes auditionnées par les rapporteurEs

 Jeudi 8 décembre 2022

Centre Hubertine Auclert

–  Mme Marie-Pierre Badré, présidente ;

–  Mme Ambre Elhadad, responsable de l’accompagnement des collectivités territoriales.

 Jeudi 19 janvier 2023

Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE)

–  Mme Sylvie Pierre-Brossolette, présidente ;

–  Mme Mahaut Chaudouët-Delmas, conseillère.

Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)

–  Mme Scherie Nicol, responsable du groupe d’experts sur la budgétisation sensible au genre à l’OCDE ;

–  Mme Margaux Lelong, spécialiste de la BSG.

Expertise France

–  Mme Charlotte Groppo, cheffe de projet sur les questions de genre et d’égalité femmes-hommes.

 Jeudi 26 janvier 2023

Société Perfégal

–  Mme Isabelle Gueguen – co-dirigeante de Perfégal, experte genre et budgétisation sensible au genre.

 Vendredi 17 février 2023

–  Mme Hélène Périvier, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), coresponsable du programme Presage de Sciences Po Paris ;

 Lundi 27 février 2023

Table ronde avec des représentants du secteur de la culture

Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac)

–  M. Nicolas Dubourg, président ;

–  M. Julien Derouet, en charge de l’égalité femmes-hommes ;

–  M. Vincent Moisselin, directeur du Syndeac.

Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC)

–  Mme Leslie Thomas, secrétaire générale.

Centre national de la musique

–  Mme Corinne Sadki, conseillère en charge de la mission égalité femmes-hommes.

Mouvement hommes-femmes Île-de-France

–  Mme Emmanuelle Cordoliani, membre du CA de HF Île de-France ;

–  Mme Rozenn Bartra, co-fondatrice et membre de l'association HF Normandie et de la Fédération interrégionale du mouvement HF.

Ministère de la culture

–  Mme Aude Accary-Bonnery, secrétaire générale adjointe.

 Jeudi 2 mars 2023

Table ronde avec les représentants des organismes statistiques nationaux

Ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse

–  Mme Fabienne Rosenwald, directrice de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP).

Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES)

–  M. Benoît Ourliac, sous-directeur de l’observation de la santé et de l’assurance‑maladie.

Conseil national de l’information statistique (CNIS)

–  M. Arnaud Montus, responsable du pôle social au secrétariat général.

Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE)

–  Mme Christel Colin, directrice des statistiques démographiques et sociales.

Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES)

–  M. Michel Houdebine, directeur de la Dares.

 Lundi 13 mars 2023

Table ronde avec des représentants des administrations centrales

Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) - Service des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes (SDFE)

–  Mme Valérie Plomb, cheffe du bureau de l’animation et de la veille (B1) ;

–  M. Benoit Boussinesq, chargé de la stratégie budgétaire.

Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires

–  Mme Hélène Fernandez, chargée de l’égalité des droits F‑H et de la lutte contre les discriminations ;

–  M. Emmanuel Kozal, adjoint au sous-directeur du budget et de la fiscalité à la direction des affaires financières au secrétariat général du ministère de la transition écologique.

Ministère de la culture

–  Mme Aude Accary-Bonnery, secrétaire générale adjointe ;

–  Mme Agnès Saal, haute fonctionnaire égalité, diversité et prévention des discriminations.

Ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique - direction du budget

–  M. Benoît Laroche de Roussane, sous-directeur ;

–  M. Jacques Poinso, adjoint de bureau en charge de la performance.

*

*     *

Par ailleurs, votre rapporteure Céline Calvez a pu rencontrer sur cette thématique les personnes suivantes :

 Mardi 21 mars 2023

Women Political Leaders

–  Mme Silvana Koch-Mehrin, présidente-fondatrice de Women Political Leaders, ancienne vice-présidente du Parlement européen.

 Mardi 4 avril 2023

Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)

–  Mme Ragnheiður Elín Árnadóttir, directrice du centre de développement de l'OCDE, ancienne ministre de l'industrie et du commerce de l’Islande.

Elle a également participé aux événements suivants :

 Mercredi 14 décembre 2022

Ambassade du Canada à Paris

–  Atelier de leadership pour femmes parlementaires francophones, animé par Mme Laurence Jacquet, consultante et experte en formation, spécialiste en finances publiques et budgétisation sensible au genre, traitant du thème éponyme.

 du lundi 6 au vendredi 10 mars 2023

CSW UN Women New York - 67e commission de la condition de la femme des Nations Unies (CSW 67).

 


([1]) La composition de la Délégation figure au verso de la présente page.

([2]) Entre 2000 et 2008 était également publié un « jaune budgétaire », prévu par la loi de finances pour 2000, intitulé « État des crédits qui concourent aux actions en faveur des droits des femmes ».

([3]) Sur les questions de santé, si les inégalités femmes-hommes face aux grands maux que sont par exemple les troubles psychiques ou les maladies cardiovasculaires restent peu traitées, on note toutefois ces dernières années une prise en compte accrue de certaines problématiques spécifiquement féminines, essentiellement liées à la santé sexuelle et reproductive.  

([4]) Le coût des inégalités en France, Lucile Peytavin et Ginevra Bersani, mars 2022.

([5]) Les femmes représentent 53,6 % des bénéficiaires du RSA et 96 % des bénéficiaires du RSA majoré.

([6]) Cette annexe au PLF retrace l’effort financier de l’État en faveur de l’égalité femmes-hommes.

([7]) Certains pays ou collectivités retiennent davantage de catégories, ou utilisent des systèmes de numérotation différents. La démarche reste toutefois similaire dans la méthode comme dans les effets attendus.

([8]) Promoting gender equality through public procurement : challenges and good practices, OCDE, 2021.

([9]) Notamment, directive 2014/24/UE du 26 février 2014.

([10]) Conseil d’analyse économique, Réduire les inégalités de salaires entre femmes et hommes, note du CAE n° 17, 2014, p. 11.

([11]) Prévu par l’article 1691 bis du code général des impôts, ce mécanisme qui continue à lier les époux séparés, notamment pour le paiement de l’impôt sur le revenu, a été en partie allégé par la loi de finances pour 2022 : la situation financière nette du conjoint demandant une décharge de cette obligation s’apprécie désormais sur une durée de trois années.

([12]) Gender budgeting, step-by-step toolkit, EIGE, 2020  

([13]) Rapport des collectivités en matière d’égalité femmes-hommes : poursuivre le déploiement pour atteindre l’égalité partout, HCE, 2018.

([14]) Articles 51 et 53 de la LOLF et article LO111-4 de la LOLFSS.

([15]) Études d’impact : mieux évaluer pour mieux légiférer, CESE, septembre 2019.

([16]) Rapport bilan/perspectives sur le budget intégrant l’égalité, DB, SDFE, novembre 2019.

([17]) Ceci correspondant au périmètre de l’actuel DPT.

([18]) Les prestations de la branche famille étant le plus souvent versées à l’échelle du foyer, elles peuvent s’avérer plus complexes – mais pas impossibles, en particulier pour les foyers monoparentaux - à analyser à l’aune du genre.