N° 1264

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 mai 2023.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 146 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, dE L’Économie gÉnÉrale
et du contrÔLE BUDGÉTAIRE

 

sur l’évaluation de l’adéquation des moyens des services départementaux d’incendie et de secours à leurs missions et aux défis à venir

 

ET PRÉSENTÉ PAR

M. Florian CHAUCHE,
rapporteur spécial

 

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SOMMAIRE

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PRINCIPALES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

RECOMMANDATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

INTRODUCTION

I. DES DÉPENSES EN PROGRESSION AMENÉES À S’AGGRAVER AVEC LE CHANGEMENT CLIMATIQUE

A. LEs dÉpenses des sdis s’affichent en hausse constante

1. Des dépenses de fonctionnement tirées par la hausse des frais de personnel

2. Des dépenses d’investissement en progression et qui devraient se poursuivre

3. Une situation inégale sur le territoire

B. Le changement climatique induit une augmentation des dÉpenses des SDIS

1. La saison des feux 2022, illustration des effets du changement climatique

2. Des dépenses des SDIS amplifiées par le changement climatique dans une proportion qui demeure difficile à estimer

II. au-delÀ des besoins financiers, des besoins humains pour Soutenir un modÈle de sÉcuritÉ civile sous tension

A. la sur-sollicitation des SDIS

1. Des interventions en augmentation avec une surreprésentation de celles qui ne sont pas au cœur des missions d’urgence des SDIS

a. Les interventions des SDIS augmentent continuellement

b. Au sein du secours à personne, des activités qui ne relèvent pas des missions des SDIS

2. Dans ce contexte, la limitation des effectifs aboutit à une qualité dégradée des interventions

B. Une certaine PERTE DE SENS chez lES SAPEURS-POMPIERS qui induit des difficultÉs de recrutement

1. Le « malaise » des sapeurs-pompiers

2. Des difficultés de recrutement qui posent question quant à la soutenabilité du modèle de sécurité civile

III. un financement des sdis À repenser

A. Le financement des sdis, partagÉ entre LES départements et LE bloc communal, doit Être remis À jour

1. Les départements, premiers financeurs des SDIS

2. Des contributions locales peu lisibles et peu liées à des critères pertinents

B. Pour faire face aux besoins de financement des SDIS, l’État doit renforcer son soutien financier

1. L’État est déjà un contributeur direct et indirect au financement des SDIS

2. L’État détient les clés d’un meilleur financement de la sécurité civile

a. Agir sur la fraction de TSCA reversée aux départements

b. « Valoriser le sauvé » et mettre à contribution les compagnies d’assurances

c. Trouver de nouvelles ressources fiscales au bénéfice des SDIS

d. Approfondir la mutualisation des moyens et des achats des SDIS

CONCLUSION

TRAVAUX DE LA COMMISSION

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES  PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL

LISTE DES déplacements menés  PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL

 

 


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   PRINCIPALES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

Le rapporteur spécial a choisi de retenir ce thème d’évaluation car il estime que les services départementaux d’incendies et de secours (SDIS) font aujourd’hui face, de manière simultanée, à plusieurs défis d’importance à un moment où le modèle de financement semble atteindre ses limites.

Parmi ces défis figure tout d’abord une augmentation continue du nombre d’interventions réalisées par les SDIS et notamment une sur-sollicitation croissante des sapeurs-pompiers pour certaines missions dites de « secours à la personne » qui ne relèvent en réalité pas du secours d’urgence. Or, ceci n’est pas sans conséquence pour les SDIS d’un point de vue humain (perte de sens, difficulté de fidélisation et de recrutement…) et d’un point de vue matériel et financier car les investissements des dernières années ont été fortement orientés pour répondre à ce type d’interventions.

Les SDIS sont aussi confrontés à des défis plus ponctuels mais néanmoins importants qui accroissent encore la pression résultant de cette sur‑sollicitation pour des interventions ne relevant pas des missions du secours d’urgence. Il peut ainsi être fait mention de l’accueil et de l’organisation d’évènements sportifs d’envergure internationale que sont la Coupe du Monde de Rugby à XV en 2023 et les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris en 2024. Il s’agit d’évènements pour lesquels nos forces de sécurité civile seront fortement mises à contribution. En outre, l’évolution du marché de l’automobile fait naître des risques nouveaux (notamment liés aux réservoirs à hydrogènes ou aux batteries électriques), pour lesquels les personnels des SDIS doivent se former, s’équiper et s’entraîner.

Le défi le plus important pour les SDIS est sans doute le changement climatique dont les effets commencent à se faire ressentir et qui vont devenir de plus en plus importants. La « saison des feux » 2022 a donné une triste illustration de l’extension géographique du risque incendie tandis que la précocité des feux survenus en 2023 atteste de l’extension temporelle de ce risque. De manière générale, on constate une augmentation de la fréquence et de l’intensité des évènements climatiques extrêmes. Le cas de l’Allier touché en 2022 par un épisode important de grêle et en 2023 par des inondations préfigure ce qui pourrait survenir demain.

Au regard de tous ces éléments, le rapporteur spécial estime donc qu’il faut aujourd’hui nous préparer et renforcer les moyens humains et matériels des SDIS. Il conviendra ainsi de procéder à des investissements matériels importants, mais également d’accroître les dépenses de fonctionnement pour financer la hausse du nombre de sapeurs-pompiers volontaires et professionnels. Le rapporteur spécial formule donc plusieurs recommandations pour accroître les moyens financiers mis à disposition des SDIS.


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   RECOMMANDATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

Recommandation n° 1 : Augmenter la fraction de TSCA reversée aux départements par l’État et engager à cette occasion des mécanismes de péréquation qui tiennent compte des risques respectifs, en matière de sécurité civile, des départements bénéficiaires.

Recommandation n° 2 : Moduler le taux de TSCA en y introduisant une part de progressivité assise sur le coût d’achat du véhicule. Les recettes supplémentaires obtenues seraient fléchées vers les SDIS via l’augmentation de la fraction de TSCA reversée aux départements par l’État.

Recommandation n° 3 : Renforcer la lisibilité et actualiser le mode de calcul du montant de TSCA versé aux départements pour le financement des SDIS afin qu’il se fonde sur des critères transparents et mis à jour.

Recommandation n° 4 : Créer une contribution directe des compagnies d’assurance au financement des SDIS valorisant le bénéfice que tirent les compagnies d’assurance de l’activité de secours aux personnes et aux biens menée par les sapeurs-pompiers.

Recommandation n° 5 : Engager une réflexion sur les conditions du dégel de la contribution du bloc communal au financement des SDIS. Le taux d’évolution de celle-ci pourrait être lié au taux d’évolution de la contribution du département.

Recommandation n° 6 : Instituer une contribution additionnelle à la taxe de séjour pour les collectivités touristiques qui connaissent une augmentation significative des interventions des SDIS du fait de l’afflux de touristes. Celle-ci pourrait s’accompagner d’une augmentation du tarif plafond de la taxe de séjour pour les palaces et les hôtels cinq étoiles.

Recommandation n° 7 : Revaloriser le montant des indemnités de carences ambulancières à hauteur de leur coût réel afin de favoriser la limitation de ce type d’intervention ne relevant pas des missions des sapeurs-pompiers.

Recommandation n° 8 : Explorer l’approfondissement de la mutualisation des moyens et des achats des SDIS afin de permettre des économies d’échelle.

 


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   INTRODUCTION

Si l’État est « garant de la cohérence de la sécurité civile au plan national » et s’il « en définit la doctrine et les moyens ([1]) », il n’est pas le principal financeur de la sécurité civile au quotidien. En effet, la majorité des dépenses publiques de sécurité civile relève des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS).

Ainsi, les dépenses totales des SDIS se sont élevées en 2021 à près de 5,4 milliards d’euros ([2]) alors que celles de l’État s’établissaient à 1,3 milliard d’euros au titre de l’ensemble des crédits qui concourent à la sécurité civile, au-delà du programme 161 Sécurité civile ([3]).

Les SDIS sont donc au cœur du modèle français de sécurité civile et leur action est très majoritairement financée par les collectivités territoriales. Bien que ces dernières aient soutenu avec constance l’augmentation continue des dépenses des SDIS, le fonctionnement actuel de la sécurité civile semble atteindre, aujourd’hui, ses limites.

Ainsi, les besoins supplémentaires liés aux risques engendrés par le changement climatique et la sur-sollicitation en matière de secours à personne préfigurent une situation financière difficile pour les SDIS. Dans ce contexte, leur financement parfois peu lisible et fondé sur des critères contestables ne semble pas pouvoir assumer les chocs à venir. En outre, les sources de financements des SDIS ne présentent pas de lien direct avec leurs activités, ce qui interroge leur pertinence.

L’ambition du présent rapport est donc de présenter certaines pistes pour repenser le modèle français de sécurité civile. À cette fin, les conclusions du rapport de l’Inspection générale de l’administration (IGA) d’octobre 2022 ([4]) apportent un éclairage très précieux dans la réflexion générale qui doit être menée sur le sujet par tous les acteurs de la sécurité civile.

Le rapporteur spécial souhaite remercier ici l’ensemble des personnes qui ont accepté d’être auditionnées ou qui lui ont accordé du temps lors de ses visites. Il tient également à saluer et remercier les 41 800 sapeurs-pompiers professionnels, les 197 800 sapeurs-pompiers volontaires ainsi que les 13 200 militaires pour leur engagement sans faille et leur professionnalisme en toutes circonstances.

I.   DES DÉPENSES EN PROGRESSION AMENÉES À S’AGGRAVER AVEC LE CHANGEMENT CLIMATIQUE

Depuis la départementalisation des services d’incendie et de secours, les dépenses des SDIS ont connu une croissance continue, à un rythme supérieur à celui de la population française. Cette hausse s’est avérée nécessaire pour valoriser le travail des sapeurs‑pompiers et engager des investissements indispensables pour garantir l’efficacité de l’action des SDIS.

Dans ce contexte, la saison des feux 2022 – d’une forte intensité – a rappelé aux SDIS les défis que pose le changement climatique pour lesquels les forces de la sécurité civile sur le territoire ne sont pas armées. Au-delà du risque incendie que le présent rapport d’information approfondit du fait des feux de forêt de 2022, il convient de prendre en considération l’ensemble des conséquences du changement climatique. En particulier, il s’agit d’anticiper l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des évènements climatiques extrêmes dans leur ensemble. Demain, les épisodes de sécheresse, de canicule, de grêle ou encore d’inondation seront plus fréquents et plus intenses et mettront donc à contribution, de manière d’autant plus importante, les forces de la sécurité civile.

A.   LEs dÉpenses des sdis s’affichent en hausse constante

Malgré la crise sanitaire qui a pu affecter une partie de l’activité de sécurité civile en 2020 et, dans une moindre mesure, en 2021, les dépenses des SDIS ont poursuivi leur augmentation engagée depuis la départementalisation des services chargés de la lutte contre l’incendie et des secours consacrée par la loi du 3 mai 1996 ([5]) et achevée en 2001.

Si les premières années qui ont suivi la départementalisation ont été l’occasion d’une hausse significative des dépenses des SDIS (environ + 55 % entre 2002 et 2011 d’après l’Inspection générale de l’administration), le présent rapport s’attachera à commenter les évolutions de la dernière décennie afin de proposer une vision complémentaire à celle apportée par l’IGA dans son rapport de 2022.

Ainsi, entre 2012 et 2021, les dépenses des SDIS ont progressé de 12,8 %. Cette hausse a été majoritairement portée par l’augmentation des dépenses de fonctionnement et en partie par la dynamique des dépenses d’investissement à partir de 2017, ainsi que l’illustre le graphique ci-dessous.

Évolution des dépenses des SDIS

Source : Commission des finances, OFGL, données DGFiP.

Le rapporteur spécial souhaite souligner la difficulté d’obtenir des données chiffrées cohérentes d’une source à l’autre tant l’évaluation des dépenses varie selon les périmètres retenus. Ainsi, il a décidé de fonder son rapport sur les chiffres de l’Observatoire des finances et de la gestion publique locales (OFGL) issus des données de la DGFiP qui ont été actualisées en décembre 2022.

1.   Des dépenses de fonctionnement tirées par la hausse des frais de personnel

Entre 2012 et 2021, les dépenses de fonctionnement des SDIS ont progressé de 13,5 %, atteignant 4,51 milliards d’euros.

Si cette hausse s’explique en partie par l’accroissement de l’activité des SDIS (voir infra), l’augmentation des dépenses de personnel y concourt largement. De fait, en 2012, les frais de personnel (y compris les indemnités des sapeurs-pompiers volontaires) représentaient 80 % des dépenses de fonctionnement des SDIS. Cette proportion a continuellement progressé pour atteindre 82,7 % en 2021.

Évolution des dépenses de fonctionnement des SDIS

(en milliards d’euros)

Source : Commission des finances, OFGL, données DGFiP.

L’augmentation des frais de personnel, passant de 3,18 milliards d’euros en 2012 à 3,73 milliards d’euros en 2021, résulte principalement d’une hausse bienvenue de la rémunération des effectifs permanents : sapeurs-pompiers professionnels (SPP) et personnels administratifs et techniques spécialisés (PATS).

En effet, ces effectifs ont affiché une relative stagnation sur la période (+ 1,5 % entre 2011 et 2021). Dès lors, les revalorisations salariales expliquent majoritairement la hausse récente des dépenses de fonctionnement des SDIS.

En particulier, une nette augmentation des frais de personnel s’observe entre 2020 et 2021 (+ 123 millions d’euros), résultant notamment de la revalorisation de la prime de feu passée de 19 % à 25 % du traitement indiciaire brut ([6]).

Les différentes mesures prises en faveur de la rémunération des SPP ces dernières années constituent une valorisation légitime des missions dangereuses au service de la population, menées par les forces de la sécurité civile.

Ainsi, loin de contester le fondement de ces revalorisations qui correspondent à un métier particulièrement dangereux (le nombre d’accidents de service de la filière « incendie et secours » est le plus élevé de toute la fonction publique territoriale ([7])), le rapporteur spécial déplore toutefois que les SDIS n’aient pas reçu de compensations financières suffisantes de la part de l’État.

À titre d’exemple, la seule revalorisation de la prime de feu constitue un surcoût équivalant à 81 millions d’euros par an pour les départements. Ce coût a été amoindri en loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 avec la suppression de la surcotisation acquittée par les employeurs sur cette prime, permettant une économie d’environ 40 millions d’euros par an. Ces efforts consentis par l’État ne permettent toutefois pas d’enrayer la dynamique haussière des frais de personnel acquittés par les SDIS et assumée par les départements.

En outre, le dispositif d'indemnisation des sapeurs-pompiers volontaires (SPV), comme celui des prestations de fin de service (NPFR), est habituellement indexé sur l'inflation. Dès lors, l’effet budgétaire pour les SDIS devrait être significatif pour les années à venir du fait de la conjoncture économique actuelle.

2.   Des dépenses d’investissement en progression et qui devraient se poursuivre

Les SDIS ont engagé après la départementalisation des investissements significatifs. Ainsi, c’est surtout sur la période 2002-2008 que la hausse des dépenses consacrées aux investissements a été la plus nette (+ 47 %). L’effort des SDIS et des conseils départementaux a été soutenu, aboutissant à la mise en place de nombreuses infrastructures modernes et de qualité.

La majorité des dépenses d’investissement (environ 82 %) est composée de dépenses d’équipement, principalement consacrées à la construction et l’acquisition de matériel et de véhicules.

Entre 2011 et 2016, l’investissement des SDIS a toutefois connu une diminution notable (de près de 20 %), en lien avec les contraintes imposées aux collectivités territoriales par l’État au nom de la contribution de ces dernières au redressement des finances publiques (diminution de la DGF notamment).

À partir de 2017, les dépenses d’investissement des SDIS ont à nouveau augmenté de manière continue, passant de 709 millions d’euros en 2016 à 894 millions d’euros en 2021 (+ 26 %). Le résultat de ces années de soutien à la modernisation des SDIS permet à ces derniers de bénéficier d’infrastructures de qualité, notamment en ce qui concerne les salles de crise et les CTA-CODIS (centre de traitement de l'alerte - centre opérationnel départemental d'incendie et de secours).

Évolution des dÉpenses d’investissement des SDIS

(en millions d’euros)

 

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

Dépenses d’investissement

818,1

831,4

778,1

756,6

709,3

753,1

758,1

859,1

838,5

893,9

Source : OFGL, données DGFiP.

En ce qui concerne les parcs des SDIS, il faut souligner l’augmentation du nombre de véhicules de secours et d’assistance aux victimes (VSAV) utilisés pour le secours à personne et les interventions sur accidents. L’on comptait ainsi 6 535 VSAV en 2011 contre 6 922 en 2021 (soit + 5,9 % en dix ans), traduisant l’évolution de l’activité des SDIS qui se tourne désormais davantage vers le secours à personne (voir infra).

Si le nombre de véhicules incendie affiche une relative stabilité sur la période, une évolution notable apparaît au sein de la flotte. Celle-ci est composée de fourgons pompe-tonne (FPT) et de camions-citernes feux de forêts (CCF) ou ruraux (CCR). Le nombre de CCF – particulièrement efficaces contre les feux de forêt mais plus coûteux ([8]) – a progressivement diminué comme celui des FPT, en partie compensés par les CCR, d’un prix moins élevé mais moins efficaces contre les feux de forêt. Ainsi, le parc de CCF est passé de 5 117 en 2002 à 3 845 en 2020 et celui de FPT a diminué de 4 093 à 3 143 sur la même période. Dans le même temps, le parc de CCR a crû de 453 à 1 590 entre 2002 et 2020.

Du fait de l’aggravation des saisons des feux alliant une intensité et une surface plus importantes des feux de forêts, il est à prévoir que les investissements en matière de véhicules incendie soient amenés à progresser. Le maintien d’un haut niveau d’investissement semble inévitable pour de nombreux SDIS sous-équipés. Ainsi, d’après la FNSPF, le volume du parc de véhicules souhaitable en 2027 s’élèverait à 10 000 CCF, c’est-à-dire près de 2,5 fois plus qu’actuellement.

Ces besoins en investissement présentent un coût d’autant plus important qu’il s’inscrit dans un contexte d’augmentation des prix d’achat des véhicules. Celui-ci est en partie dû à l’inflation qui touche tous les secteurs économiques mais également à une forme de surcoût appliqué par les vendeurs du secteur, d’ailleurs dénoncé par les organisations syndicales des SDIS que le rapporteur spécial a rencontrées.

Dès lors, malgré des équipements de qualité, les SDIS doivent globalement consentir encore à des niveaux d’investissement soutenus à l’avenir.

3.   Une situation inégale sur le territoire

Les dépenses des SDIS sont très inégalement réparties sur le territoire français. Rapportées à la population, les dépenses totales des SDIS s’échelonnent de moins de 70 euros à plus de 100 euros par habitant, la moyenne nationale s’établissant à 86 euros par habitant.

Les SDIS totalisant les dépenses les plus élevées sont majoritairement situés dans le bassin méditerranéen, correspondant à un développement ancien des capacités de ces territoires en matière de sécurité civile. Ainsi, 8 des 14 SDIS qui dépensent plus de 100 euros par habitant font partie de l’Entente Valabre, un établissement public du pourtour méditerranéen qui réunit 31 membres (15 départements, 15 SDIS et la collectivité territoriale de Corse) à la pointe de la compétence en matière de sécurité civile en France et en Europe. Au cours de ses déplacements, le rapporteur spécial a ainsi pu constater l’expérience et le niveau de préparation de ces territoires historiquement touchés par les feux de forêt.

Les dépenses des SDIS par habitant
(dépenses réelles totales en 2021)

(en euros par habitant)

Source : Commission des finances, données DGSCGC.

 

L’étude spécifique des moyens dédiés à la lutte contre les incendies, montre également une répartition territoriale particulièrement inégale. Le rapport de l’IGA d’octobre 2022, souligne ainsi que 45 % du parc national de CCF est regroupé dans seulement 16 départements ([9]). Ainsi, le Calvados ou la Haute-Saône ne disposent d’aucun CCF, alors que le département des Bouches-du-Rhône en comptait 259 en 2020. De manière similaire, une vingtaine de départements ont recours à la location privée d’appareils pour lutter contre les incendies et notamment d’hélicoptères lourds bombardiers d’eau.

Le rapporteur spécial souhaite donc insister sur cette très forte disparité à l’échelle nationale qui, au regard de l’extension géographique du risque incendie, conduira de nombreux départements actuellement sous-dotés en matériel de lutte contre les incendies à procéder à des investissements conséquents.

B.   Le changement climatique induit une augmentation des dÉpenses des SDIS

L’année 2022 a parfaitement illustré les nouvelles caractéristiques que comportent désormais les feux de forêt du fait du changement climatique : des feux plus précoces, qui durent plus longtemps, qui couvrent une surface plus étendue (en développant des nouveaux risques à l’instar des feux de surfaces agricoles) et qui mobilisent les forces et les moyens de la sécurité civile dans des proportions très importantes.

Dès lors, inscrites dans une dynamique déjà haussière, les dépenses des SDIS sont amenées à augmenter encore davantage pour faire face aux besoins croissants que provoque le changement climatique. Le rapport de l’IGA évoque à ce sujet des « chocs déstabilisateurs » qui pourraient entraîner une hausse des dépenses « considérable ».

1.   La saison des feux 2022, illustration des effets du changement climatique

La saison des feux de forêt 2022 a provoqué la destruction de 66 393 hectares ([10]), une surface presque six fois supérieure à la moyenne des quinze années précédentes. Plus de 12 000 départs de feu ont été constatés dont plus de 90 % ont été éteints avant une surface parcourue inférieure à 5 hectares.

Au total, dix feux ont parcouru au moins 1 000 hectares, parmi lesquels figurent :

– le feu de Landiras (Gironde) sur une surface de 21 300 hectares ;

– le feu de La Teste-de-Buch (Gironde) sur une surface de 7 000 hectares ;

– le feu de Brasparts (Finistère) sur une surface de 2 200 hectares.

Cette campagne a ainsi fortement mobilisé les moyens terrestres départementaux et extra-départementaux. Entre 40 000 à 50 000 personnes ont été déployées, en grande majorité sapeurs‑pompiers, mais aussi sapeurs-sauveteurs des formations militaires et personnels du groupement des moyens aériens de la sécurité civile et bénévoles des associations agréées de la sécurité civile (AASC).

En outre, la DGSCGC a déployé 44 colonnes de renfort (contre 24 auparavant) au plus fort de la saison pour soutenir les sapeurs-pompiers locaux. Certaines journées ont vu plus de 10 000 sapeurs-pompiers mobilisés pour des missions feux de forêt.

Par ailleurs, l’ensemble de la flotte nationale est intervenue en réalisant plus de 8 500 largages et 8 hélicoptères bombardiers d’eau lourds ont été réquisitionnés pour complémenter les missions des avions. Les avions de la sécurité civile ont réalisé plus de 3 800 heures de vol sur feu.

Pour la première fois, la France a fait appel à la solidarité européenne. Dans le cadre du mécanisme européen de protection civile (MPCU), des renforts aériens de la part de la Grèce, de la Suède et de l’Italie, ainsi que des moyens terrestres fournis par l’Allemagne, la Pologne, l’Autriche et la Roumanie ont apporté un concours significatif de plus de 360 personnes lors des opérations d’extinction de feux menées en Gironde et dans le Morbihan.

Cette campagne a généré un surcoût significatif pour les SDIS des territoires impactés (notamment 15 millions d’euros pour le seul SDIS de la Gironde).

Loin d’être exceptionnels, ces événements traduisent manifestement les effets du changement climatique, de diverses manières ([11]):

– Une intensification. Cette campagne des feux de forêt est marquée par l’apparition de feux « hors norme » par leur intensité, leur vitesse de propagation, l’étendue de la surface brûlée, ou encore leur durée. En 2022, on observe plus de dix fois plus de surfaces brûlées dans des « grands » feux dans 22 départements. En région méditerranéenne, les surfaces brûlées pourraient ainsi augmenter de 80 % d’ici 2050. Avec une hausse de la fréquence des feux, les espaces boisés pourraient peu à peu laisser place à des maquis.

– Une extension géographique. En 2022, les départements du Sud-Ouest (Gironde, Landes, Pyrénées-Atlantiques) ont été très touchés par les incendies. Mais le phénomène revêt une dimension nationale : en juillet, 1 725 hectares de landes ont ainsi brûlé dans les Monts d’Arrée, plus de 1 500 hectares dans le Maine‑et-Loire entre le 8 et le 11 août et plus de 1 050 hectares dans le Jura la seconde semaine d’août. En 2022, la hausse des surfaces d’incendie a ainsi dépassé de dix fois la moyenne annuelle dans plus d’un quart des départements français.

En 2050, près de 50 % des landes et forêts métropolitaines pourraient être concernées par un risque incendie élevé, contre un tiers en 2010.

– Une extension temporelle. La période à risque fort sera trois fois plus longue, les feux hivernaux devraient se multiplier. Ainsi, 422 feux ont été dénombrés au seul premier semestre 2022, soit presque le triple des années 2010. Aujourd’hui, la « saison » des feux dure toute l’année, conduisant à s’interroger sur la pertinence même de l’usage de cette expression désormais.

– Le développement d’incendies de végétation ou de terres agricoles. Les feux de friches, de récoltes et de chaumes, y compris en milieux périurbains, vont devenir bien plus fréquents.

En outre, lors de son audition en commission des finances de l’Assemblée nationale dans le cadre du Printemps de l’évaluation, le ministre de l’Intérieur et des Outre‑mer a tenu à rappeler que si 90 % des feux sont d’origine humaine, 90 % des surfaces boisées qui ont brûlé étaient des parcelles privées.

Il a ainsi dénoncé le manque d’entretien dont se rendent coupables certains propriétaires privés forestiers, à la différence de la gestion de la forêt publique opérée par l’Office national des forêts (ONF). Le rapporteur spécial souscrit en grande partie aux propos du ministre, estimant que le modèle de gestion des forêts privées dans son ensemble doit être repensé.

La forêt privée : une forêt moins résiliente aux feux de forêts

La saison des feux 2022 a mis en exergue la plus grande sensibilité de la forêt privée au risque incendie. D’après le Centre National de la Propriété Forestière (CNPF), la forêt privée représente 75 % du couvert forestier français, il s’agit donc d’un enjeu majeur de la lutte contre les feux de forêt.

Plusieurs facteurs permettent d’expliquer la surreprésentation (90 %) des forêts privées parmi les surfaces brûlées :

– Un entretien défaillant. Si l’ONF gère correctement le domaine public, les parcelles privées sont moins bien entretenues, l’association Canopée estimant ainsi que seules 30 % des obligations légales de débroussaillement sont effectivement réalisées ;

– La présence d’essences plus sensibles au risque incendie. Les scientifiques ont montré que certaines essences d’arbres sont plus résistantes que d’autres au risque incendie. L’eucalyptus, pourtant réputé hautement inflammable, figure toujours dans la liste agréée des essences pouvant être plantées et bénéficier d’aides publiques ;

– Des espaces forestiers encore trop souvent en monoculture. L’intérêt du mélange des essences est solidement étayé scientifiquement. À titre d’exemple, la présence de feuillus au sein de peuplements de résineux semble ralentir la progression des feux et en diminuer l’intensité, comme il l’a été constaté en Gironde l’été dernier. Pourtant, la pratique du mélange des essences est encore trop faible et peine à s’imposer. L’État doit pouvoir inciter financièrement la création de forêts plus résilientes en conditionnant par exemple le versement d’aides publiques au respect d’un taux minimum de diversification des essences ;

– Des espaces où s’exerce une activité humaine. Nombre de parcelles forestières privées sont utilisées à des fins économiques et connaissent donc une activité humaine qui s’accompagne d’un risque incendie.

2.   Des dépenses des SDIS amplifiées par le changement climatique dans une proportion qui demeure difficile à estimer

La saison des feux 2022 témoigne donc de l’incidence du changement climatique sur les dépenses futures des SDIS. Toutefois, avant même de considérer les besoins à venir résultant du changement climatique, il apparaît d’ores et déjà que les SDIS sont sous-équipés pour affronter les feux de forêt actuels.

En particulier, les camions-citernes feux de forêt (CCF) sont en nombre bien trop insuffisant selon la FNSPF qui estime à 10 000 le nombre de véhicules souhaitable en 2027, c’est-à-dire près de 2,5 fois plus qu’actuellement. Ces véhicules, dont l’efficacité contre les feux de forêt est excellente, sont en outre mal répartis sur le territoire national. Certains départements en sont même dépourvus.

Surface forestière défendue par un camion-citerne de forêt (CCF)

(en km2)

Source : Commission des finances, données DGSCGC.

Outre le manque de matériels de lutte contre les incendies et leur répartition inégale sur le territoire, il convient de noter également leur dégradation qualitative. Le rapport de l’IGA pointe ainsi que le taux de vétusté pour le matériel mobile d’incendie est passé de 51 % en 2011 à 61 % en 2021.

De manière générale, les SDIS habitués aux épisodes de feux de forêt intenses sur le pourtour méditerranéen ont développé un niveau de formation et de pratiques en pointe par rapport à d’autres départements jusqu’ici plutôt épargnés par les incendies. Ainsi, 45 % du parc national de CCF est regroupé dans seulement 16 départements.

Dans ce contexte, l’annonce faite par le ministre de l’Intérieur et des Outre‑Mer le 11 avril à La Teste-de-Buch de l’achat de 1 100 engins et matériels de lutte contre les feux de forêts en cofinancement par les SDIS et l’État, dans le cadre de la mise en place des pactes capacitaires, doit être saluée. Elle ne constitue toutefois qu’une réponse partielle aux besoins, dont la satisfaction doit s’inscrire dans le cadre d’une trajectoire et d’une programmation pluriannuelles. Cet effort d’équipement doit se doubler d’un appui financier de l’État aux collectivités locales à l’acquisition ou la location d’engins et matériels de lutte contre les feux de forêts par les SDIS. Le rapporteur spécial espère ainsi que le ministère de l’Intérieur orientera en priorité les fonds débloqués dans le cadre des pactes capacitaires pour combler les disparités territoriales en matière d’équipements de lutte contre les incendies.

Au-delà des besoins immédiats, l’Institut de l’Économie pour le Climat (I4CE) estime que le changement climatique aura une incidence significative sur les dépenses globales engagées par les acteurs publics et privés de la sécurité civile.

À cet égard, le rapporteur spécial considère que la question de la prévention demeure encore trop confidentielle dans la politique de lutte contre les feux de forêt.

La prévention : impensée des politiques publiques

Au cours de leur audition, de nombreuses personnes ont indiqué au rapporteur spécial qu’un vecteur efficace et peu coûteux pour atténuer les conséquences du changement climatique serait d’agir en amont des crises par une véritable politique de prévention.

Des sapeurs-pompiers aux préfets en passant par les économistes, tous s’accordent à dire que les campagnes de sensibilisation et de prévention sont insuffisantes.

Le ministre de l’Intérieur lui-même l’a rappelé lors de son audition dans le cadre du Printemps de l’évaluation, 90 % des feux sont d’origine anthropique. En dehors des feux déclenchés par des pyromanes, il est possible de réduire sensiblement le nombre d’incendies qui se déclarent en sensibilisant davantage les propriétaires forestiers aux bonnes pratiques de gestion et d’entretien des surfaces forestières et en informant mieux la population sur les pratiques à risque qu’il convient de proscrire.

Une meilleure acculturation de la population aux situations de crises permettrait également de gagner en efficacité lors de la gestion des crises.

Le rapporteur spécial estime ainsi qu’il est primordial de renforcer les actions de sensibilisation et de prévention, considérant qu’il s’agit là de mesures efficaces et sources d’économies.

 

Les éléments de chiffrage déjà présents dans la littérature technique et les rapports institutionnels au cours des dernières années ([12]) établissent une hypothèse – qualifiée de conservatrice par I4CE – d’une hausse d’au moins 115 millions d’euros par an des besoins de financement pour la sécurité civile.

L’Institut regrette toutefois le manque de publicité des travaux qui sont réalisés par le ministère de l’Intérieur pour quantifier précisément les besoins liés au changement climatique. De fait, ceux-ci sont primordiaux pour mieux comprendre sur quels types d’actions il est nécessaire de mobiliser des moyens, notamment publics, afin de mieux anticiper les effets du changement climatique.

Le rapporteur spécial insiste sur la nécessité de mener de véritables études quant aux effets du changement climatique sur la politique de sécurité civile. Disposer d’une évaluation plus fine des besoins requiert :

– Une cartographie à jour de l’évolution du risque sur le territoire. La météo des forêts lancée le 2 juin 2023 par Météo France s’inscrit dans la bonne voie et devra faire l’objet d’une évaluation après la saison des feux 2023 pour estimer son efficacité ;

– Une connaissance plus précise des situations de vulnérabilités propres à chaque département. En effet, l’extension du risque n’est pas homogène et les contextes locaux sont très différents (dépendant de l’existence de réseaux d’acteurs impliqués dans la défense de la forêt contre les incendies ([13]), du niveau d’expérience des sapeurs-pompiers face aux feux de forêt, du type de massifs forestiers). Plus que d’organiser un audit ponctuel des besoins, il convient d’organiser des diagnostics territoriaux et une remontée d’information fiable et systématique.

II.   au-delÀ des besoins financiers, des besoins humains pour Soutenir un modÈle de sÉcuritÉ civile sous tension

Dans le contexte d’augmentation des dépenses des SDIS, il faut également souligner la croissance de leur activité qui mobilise toujours davantage des sapeurs‑pompiers alors que ceux-ci sont en perte de repère. Il faut donc engager une campagne de recrutement de sapeurs-pompiers couplée à une meilleure définition de leurs missions.

Cette politique indispensable induira nécessairement un accroissement supplémentaire des dépenses de fonctionnement des SDIS, rendant d’autant plus urgente une modification de leurs modalités de financement.

A.   la sur-sollicitation des SDIS

Le phénomène d’accroissement du nombre d’interventions des SDIS, dont toutes ne sont pas liées aux missions des sapeurs-pompiers, dans un contexte de limitation des effectifs aboutit à une situation de « sur-sollicitation » qui contribue à dégrader les conditions d’intervention.

1.   Des interventions en augmentation avec une surreprésentation de celles qui ne sont pas au cœur des missions d’urgence des SDIS

Les interventions des SDIS suivent une tendance d’augmentation constante depuis plusieurs années, poussée par la hausse des interventions en matière de secours à personne (SAP). Parmi ces dernières, des missions au caractère davantage médico-social participent à la sur-sollicitation des sapeurs-pompiers.

a.   Les interventions des SDIS augmentent continuellement

En tendance, le nombre d’interventions des SDIS a continuellement augmenté. Ainsi, entre 2011 et 2021 il a crû de plus de 10 %, soit environ 440 000 interventions supplémentaires.

nombre d’interventionS des SDIS (*)

(en milliers)

 

Incendies

Accidents de circulation

Secours à personne

Autres risques (**)

Opérations diverses

TOTAL

2011

318

285

3 082

204

353

4 242

2014

271

279

3 249

192

303

4 294

2017

307

289

3 622

167

267

4 651

2019

316

294

3 801

177

232

4 820

2020

283

238

3 375

163

231

4 291

2021

254

288

3 768

178

193

4 681

Évolution 2011-2021

 20,1 %

+ 1,1 %

+ 22,3 %

 12,7 %

 45,3 %

+10,3 %

(*) Y compris BSPP et BMPM.

(**) Risques technologiques et protection des biens.

Source : DGSCGC.

La hausse du nombre d’intervention est majoritairement portée par le secours à personne qui progresse de près de 22 % en dix ans, passant de 72,7 % des interventions totales des SDIS en 2011 à 80,5 % en 2021.

Le « pic » d’intervention a été atteint en 2018 et 2019, il semblerait en effet que la crise sanitaire en 2020 et 2021 ait signifié de moindres interventions « classiques ». Les données ci-dessus ne rendent toutefois pas compte de la forte mobilisation des sapeurs-pompiers dans la lutte contre la Covid-19 (tests puis vaccination).

Ainsi, il est fort probable que l’année 2022, marquée par d’intenses feux de forêt, s’inscrive dans la tendance haussière qui s’observe depuis plusieurs années et dépasse l’année 2019 en nombre d’interventions.

La tendance à l’augmentation des interventions est d’autant plus importante qu’au fil des années les sapeurs-pompiers ont été déchargés de certaines missions souvent confiées à des acteurs privés ou des AASC et regroupées sous le vocable « opérations diverses » (ouverture de porte, destruction de nids d’hyménoptères, ascenseur bloqué, dispositifs prévisionnels de secours).

L’utilisation du nombre d’interventions comme unité de mesure de la charge des missions est toutefois imparfaite : le secours à personne (SAP) mobilise entre 4,2 et 4,4 hommes par heure contre 11,9 à 12,5 hommes par heure pour les incendies (hors feux de forêt). Ainsi, si le SAP représente près de 80 % des interventions, il constitue 66 % de la sollicitation des effectifs.

Toutefois, même en prenant en compte la « charge humaine » des interventions, le rapport de l’IGA a pointé une augmentation de la sollicitation globale des effectifs comprise entre 12 et 15 % sur la période 2002-2021, soit davantage que la hausse de la population sur la même période (+ 10,5 %). Cette hausse est largement imputable à l’augmentation des activités de SAP.

b.   Au sein du secours à personne, des activités qui ne relèvent pas des missions des SDIS

Le secours et les soins d’urgence aux personnes (SSUP), ou secours à personne, sont un champ d’activité qui concerne une multitude d’acteurs tant publics que privés. Le département reste pour autant le premier acteur des solidarités humaines et territoriales. Il est la collectivité de proximité, pertinente et opérationnelle, principalement en milieu rural où il représente souvent le premier partenaire. La loi NOTRe de 2015 ([14]) a d’ailleurs conforté les départements dans leurs missions de solidarités humaines (prise en charge des situations de fragilité, du développement social, de l’accueil des jeunes enfants et de l’autonomie des personnes) et territoriales.

Les secours aux personnes ainsi que leur évacuation relèvent des missions des SDIS ([15]) lorsque ces personnes :

– sont victimes d’accidents, de sinistres ou de catastrophes ;

– présentent des signes de détresse vitale ;

– présentent des signes de détresse fonctionnelle justifiant l’urgence à agir.

Néanmoins, en pratique, les sapeurs-pompiers interviennent régulièrement pour des personnes en situation sociale difficile monopolisant de manière croissante les services d’incendie et de secours. En particulier, les sapeurs-pompiers interviennent fréquemment pour :

– des transports effectués par les SDIS en cas d’indisponibilité des ambulanciers privés, les carences ambulancières ;

– des interventions dites d’aide à la personne : relevages à domicile, soutiens divers.

Ces interventions, assimilées au SAP mais n’en relevant pas, ont augmenté de près de 86 % entre 2012 et 2021 alors que l’ensemble des interventions de SAP n’a crû que de 29 % sur la période. Les carences ambulancières représenteraient en 2021 près de 17 % des missions de SAP et les interventions d’aide à la personne environ 8 %.

Ces chiffres tirés du rapport de l’IGA sont toutefois soumis à caution tant le décompte des carences est imprécis.

Les carences ambulancières, en progression constante, participent à la sur‑sollicitation des sapeurs-pompiers qui sont parfois mobilisés très longuement dans les établissements de santé du fait de leur encombrement. En outre, si l’indemnisation de ces carences a été revalorisée en 2022 ([16]), passant de 124 à 200 euros, ce tarif demeure inférieur au service rendu par les SDIS qui se situerait plutôt entre 450 et 500 euros.

Le rapporteur spécial estime que la sous-valorisation de cette activité qui représente une contrainte horaire importante pour les sapeurs-pompiers nuit au bon fonctionnement du modèle français de sécurité civile. Il regrette par ailleurs que les sapeurs-pompiers, qui sont souvent désignés comme « le dernier service public de proximité », souffrent de la situation dégradée que connaît l’hôpital public. Dans cette perspective, il propose d’augmenter le montant des indemnités de carences ambulancières perçues par les SDIS.

Recommandation n° 7 : Revaloriser le montant des indemnités de carences ambulancières à hauteur de leur coût réel afin de favoriser la limitation de ce type d’intervention ne relevant pas des missions des sapeurs-pompiers.

Par ailleurs, la hausse du nombre de missions d’aide à la personne résulte de plusieurs facteurs : le vieillissement et l’isolement de la population, les politiques de maintien à domicile et de soins ambulatoires, les phénomènes de désertification médicale subis par les territoires, tant ruraux qu’urbains, ou encore la dégradation de la prise en charge des situations de détresse psychiatrique.

Enfin, les fermetures et la redistribution des services dans les divers hôpitaux allongent sensiblement la distance pour transporter une victime vers le service médical adapté.

Ces phénomènes participent à la sur-sollicitation des sapeurs-pompiers qui demeurent parfois le dernier recours dans des situations sociales complexes qui ne relèvent pourtant pas de leur cœur de mission.

2.   Dans ce contexte, la limitation des effectifs aboutit à une qualité dégradée des interventions

Alors que le nombre d’intervention des SDIS croît à un rythme soutenu, les effectifs de sapeurs-pompiers pour y faire face demeurent limités.

Les sapeurs-pompiers volontaires (SPV), qui représentent 78 % des effectifs des sapeurs-pompiers et 66 % des moyens humains engagés dans les interventions des SDIS, connaissent une stagnation de leurs effectifs au cours de la dernière décennie (+ 2,5 %) après une lente érosion.

Dans le même temps, les effectifs de sapeurs-pompiers professionnels affichent une faible progression entre 2012 et 2021 de 3,4 %.

Évolution des effectifs de sapeurs-pompiers

(en milliers)

 

2012

2015

2017

2019

2021

Évolution 2012-2021

SPV

193,0

193,7

195,0

198,8

197,8

+ 2,5 %

SPP

40,4

41,0

40,5

41,4

41,8

+ 3,4 %

Source : DGSCGC.

Ces faibles progressions d’effectifs s’affichent en dessous de la hausse de la population française qui s’est établie à + 3,7 % entre 2012 et 2021.

Ainsi, dans le contexte d’augmentation de l’activité des SDIS, la limitation des effectifs semble avoir une incidence concrète sur la qualité des interventions menées par les sapeurs-pompiers.

Un indicateur privilégié pour mesurer l’efficacité d’intervention des sapeurs-pompiers est la durée du traitement de l’alerte. Historiquement maintenu à deux minutes, ce temps s’est progressivement allongé.

Par ailleurs, le délai moyen d’arrivée sur les lieux connaît lui aussi un allongement progressif depuis une dizaine d’années, de l’ordre de près de 2,5 minutes entre 2012 et 2021.

Évolution des délais d’intervention des SDIS (*)

 

2012

2014

2016

2019

2021

Évolution 2012-2021

Délai moyen de traitement de l’appel 18

2 min 06 s

2 min 07 s

2 min 14 s

2 min 18 s

2 min 32 s

+ 26 s

+ 20,6 %

Délai moyen d’arrivée sur les lieux pour le secours à victime et les accidents de circulation

10 min 05 s

9 minutes 55

10 min 17 s

11 min 04 s

12 min 27 s

+ 2 min 22 s

+ 23,5 %

(*) Y compris les SIS militaires

Source : Rapport IGA.

Ainsi, ce qui peut ne sembler que quelques secondes représente tout de même un allongement du délai moyen d’arrivée de près de 24 % en dix ans.

Il faut par ailleurs souligner que les chiffres relatifs au délai moyen d’arrivée correspondent uniquement au temps effectif entre l’ordre d’engagement des moyens et l’arrivée sur place du premier véhicule d’intervention. Ce premier véhicule n’est toutefois pas nécessairement opérationnel pour traiter l’urgence (il peut s’agir d’un seul SPV dans un véhicule tout usage) et doit parfois attendre un autre véhicule mieux équipé pour véritablement intervenir.

De plus, ces données ne renseignent que sur une moyenne. Celle-ci dissimule des situations locales très disparates, certains territoires connaissant un allongement du délai d’arrivée encore plus conséquent.

En outre, ces éléments chiffrés sont des indicateurs qui reflètent une obligation de moyens mais pas de résultats. Il n’y a pas de réglementation pour le délai de délivrance des secours.

Ces éléments traduisent donc les besoins en effectif des forces de sécurité civile et ont amené les organisations syndicales de sapeurs-pompiers comme la FNSPF – auditionnées par le rapporteur spécial – à plaider pour des recrutements importants de SPP et de SPV.

Ainsi, la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France a estimé à respectivement 50 000 et 250 000 les besoins en effectifs de sapeurs-pompiers professionnels et volontaires d’ici 2027. Ces recrutements doivent s’accompagner d’un ensemble de mesures permettant de décharger les sapeurs-pompiers d’une partie de leur activité. Entre autres mesures, il convient selon elle de :

– réduire le nombre de sollicitations non urgentes ;

– mobiliser plus activement les dispositifs existants : réserves citoyennes SIS, engagement personnalisé SPV, SNU adapté à la sécurité civile ;

– pérenniser le maillage territorial. Les 6 000 centres d’incendie et de secours sont le socle de la proximité des secours et autant de points de recrutement. Dès lors, il faut encourager la réouverture, si nécessaire, de centres de secours là où le risque a évolué et créer des centres de première intervention dotés d’une réponse de proximité spécifique dans les massifs exposés au risque de feux de forêts et d’espaces naturels.

De manière générale, les sapeurs-pompiers ne peuvent être continuellement la variable d’ajustement, sans compensation, des décisions et des difficultés du système de santé (fin de la permanence des soins, spécialisation des plateaux, fermeture de services d’accueil aux urgences).

Si la DGSCGC rejoint une partie des constats, elle a estimé que l’objectif de recrutement de 50 000 SPV supplémentaires en cinq ans pour atteindre les 250 000 est « hors de portée ». En effet, le nombre de SPV ayant progressé de près de 5 000 en dix ans, il faudrait arriver à un résultat dix fois plus important en un espace de temps deux fois plus court.

Le ministre de l’Intérieur s’est quant à lui fixé pour objectif une hausse de 20 000 SPV en cinq ans. Un nouveau plan volontariat est en cours d’élaboration dans le cadre des travaux initiés par la DGSCGC avec les membres du Conseil national des sapeurs-pompiers volontaires (CNSPV).

Sans avancer d’objectif chiffré, il est apparu au rapporteur spécial qu’une campagne de recrutement efficace pouvait tout de même être menée en améliorant le ciblage et en faisant évoluer les réalités du quotidien des sapeurs-pompiers (voir infra).

Au cours des auditions qu’il a menées, le rapporteur spécial a par ailleurs pu constater que les chiffres relatifs aux effectifs de sapeurs-pompiers sont parfois tronqués. En effet, de nombreux SPP sont également volontaires, ils peuvent donc être comptabilisés deux fois. Cela peut d’ailleurs mener à des situations de repos insuffisant de ces SPP qui effectuent des temps de travail trop longs et il n’existe actuellement aucune règle encadrant l’activité de volontariat des sapeurs-pompiers professionnels.

Concernant le recrutement de près de 8 000 SPP pour atteindre un niveau de 50 000 en 2027, tous les acteurs de la sécurité civile s’accordent à dire qu’une telle mesure engendrerait une augmentation significative de la masse salariale des SDIS et donc de leurs dépenses de fonctionnement qui sont très majoritairement (82,7 %) consacrées aux frais de personnel.

Dès lors, le recrutement de nouveaux SPP doit pouvoir s’accompagner d’un soutien financier de l’État auprès des collectivités qui financent les SDIS.

Enfin, une autre solution parfois évoquée au cours des auditions menées par le rapporteur spécial consiste en la séparation fonctionnelle des activités de lutte contre les feux de forêt et de végétation et celles d’aide à la personne. La question est complexe et ne peut manifestement pas faire l’objet d’une réponse binaire (voir encadré ci-dessous).

La séparation fonctionnelle des activités, une idée inopportune ?

La séparation fonctionnelle des activités de lutte contre les feux de forêt et de végétation et celles d’aide à la personne ne saurait être envisagée sans clarifier auparavant le champ missionnel des SDIS.

En effet, la priorité doit être accordée à l’identification et à la diminution des interventions qui ne relèvent pas de leurs compétences. C’est d’ailleurs l’objectif même de la loi n° 2021-1520 du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers, dite loi « Matras », qui constitue une avancée importante pour les SDIS, permettant une adéquation des textes avec les pratiques actuelles du terrain et la préservation des capacités opérationnelles des sapeurs-pompiers.

Le premier cycle de la démarche nationale sur le SSUAP, lancé par la DGSCGC en 2019, a également permis des avancées concrètes pour l'ensemble des SDIS en la matière, notamment au travers de guides de bonnes pratiques relatifs à la réduction de l’attente des sapeurs-pompiers aux services des urgences et à la temporisation des carences ambulancières. Un second cycle a été amorcé en fin d’année 2022.

Au-delà de ces éléments, le code de la sécurité intérieure et les référentiels de formation en vigueur pour les sapeurs-pompiers volontaires prévoient la possibilité d’un « engagement différencié », c’est-à-dire de réserver leur formation et leur emploi pour certains types d'interventions seulement.

Ce dispositif, en vigueur dans plus de la moitié des SDIS (55), ne concerne qu’une proportion très faible des sapeurs-pompiers volontaires : entre 0 et 5 %, selon une enquête menée fin 2022 par la DGSCGC. Ce dispositif a été mis en place dans l’objectif d'élargir le vivier de recrutement potentiel de sapeurs-pompiers volontaires, en attirant de nouveaux publics tout en répondant à l’augmentation du nombre d’interventions réalisées par les SDIS, essentiellement dans le domaine du SSUAP.

Néanmoins, il apparaît difficile pour beaucoup de SDIS d'envisager une grande proportion d'agents en engagement différencié, notamment au sein des centres de secours de petite taille qui maillent les territoires peu densément peuplés. En effet, compte tenu de leur faible nombre, la polyvalence missionnelle des agents dans ces centres constitue un atout de nature à garantir une couverture opérationnelle pour tous les risques. De plus, la mise en place d’engagements différenciés est source de complexification dans l'élaboration des plannings et le management des agents.

Compte tenu de ces éléments, une séparation fonctionnelle des activités ne semble pas constituer une mesure envisageable dans l’immédiat et nécessite avant tout d’en mesurer toutes les incidences pour les SDIS.

B.   Une certaine PERTE DE SENS chez lES SAPEURS-POMPIERS qui induit des difficultÉs de recrutement

Si le recrutement de sapeurs-pompiers apparaît nécessaire pour assurer la pérennité du modèle de sécurité civile français, il se confronte à une forme de malaise, de perte de sens, ressentis par les SPP et les SPV qui connaissent un mode de travail intense où le sens de leur engagement initial est mis à mal.

Dès lors, permettre un recrutement efficace de sapeurs-pompiers, en particulier des SPV, doit impliquer de rendre ces métiers à nouveau attractifs. Si cela n’est pas conduit à bien, les risques à court et moyen terme sont grands pour un modèle de sécurité civile en tension.

1.   Le « malaise » des sapeurs-pompiers

Dans son ouvrage Retour de flammes ([17]), le sociologue Romain Pudal – auditionné par le rapporteur spécial – a mis en exergue le quotidien difficile des sapeurs‑pompiers. M. Romain Pudal a effectué son service militaire à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) et s’est par la suite engagé comme sapeur‑pompier volontaire pendant plusieurs années.

Parmi ses constats, M. Pudal a documenté le sentiment « trop fréquent » chez les sapeurs-pompiers d’être « sur-utilisé » ou « sur-employé », se traduisant par des effets d’usure physique et psychologique conséquents et sous-estimés.

De nombreux phénomènes d’usure et d’épuisement ont ainsi été recensés : conduites addictives, dégoût du métier, dépersonnalisation des victimes. Pour M. Pudal ces constats établis en 2016 sont encore d’actualité et les formes d’épuisement professionnel se sont même accentuées depuis.

D’après le sociologue, les sapeurs-pompiers évoluent dans un milieu professionnel où « l’on ne se plaint pas, où l’on encaisse et on se fait une gloire d’encaisser, où l’on met ses problèmes de côté, où l’on gère son stress, ses angoisses et ses difficultés par le sport, par des conduites addictives diverses ou grâce au groupe de pairs – “les gars de la caserne” ».

Selon lui, il s’agit d’un ensemble de techniques qui tendent à invisibiliser les effets, notamment psychologiques et psychosomatiques, de l’activité de sapeur‑pompier. Pourtant, M. Pudal a pu se rendre compte qu’il existe dans le milieu de nombreux cas d’insomnie, des formes de dépression, des sentiments d’impuissance, des angoisses et des stress qui peuvent être des stress post-traumatiques. Ces problématiques, sans doute minimisées par les agents, ne sont selon lui « pas assez prises en considération par la hiérarchie, à quelque niveau que ce soit. »

Le sentiment de « malaise » des sapeurs-pompiers est également largement imputable au changement progressif de leurs missions, comme cela a été évoqué plus haut. Ainsi, bien que porter assistance à la population fasse partie du rôle du sapeur-pompier, l’augmentation ressentie de cette nature d’intervention accélère le sentiment de « changement de métier » et la perte de sens dans l’engagement des personnels, sans négliger les multiples impacts sur les ressources des SDIS. Les conséquences concrètes de ce malaise sont multiples : réduction de la durée d’engagement, démission ou baisse du nombre de candidats.

Enfin, il faut souligner la forte progression des agressions et incivilités à l’égard des sapeurs-pompiers en intervention, malgré une décélération du phénomène à la suite des mesures prises par les pouvoirs publics (caméras-piétons, sanctions pénales).

Ainsi, le rapport de l’IGA atteste de l’augmentation de la violence dans les interventions des sapeurs-pompiers. Les cas de violence sont ainsi passés de 1 569 en 2014 à 3 411 en 2018 puis 3 742 en 2021. Les agressions simples ou avec projectiles ou armes progressent dans des proportions inquiétantes, passant de 648 en 2018 à 984 en 2021 (+ 51,9 % en trois ans).

L’Observatoire national des violences envers les sapeurs-pompiers a mesuré que près de 80 % des agressions sont le fait des personnes secourues elles-mêmes qui se trouvent dans un état d’alcoolisme, d’intoxication ou de détresse majeure.

Les sapeurs-pompiers pâtissent donc des phénomènes d’individualisation et d’isolement croissant de la population mais également de leur rôle de « dernier recours » dans des situations qui ne correspondent pas à leur engagement initial.

2.   Des difficultés de recrutement qui posent question quant à la soutenabilité du modèle de sécurité civile

La difficile réalité du métier de sapeur-pompier a pu donner l’impression d’une « crise des vocations », en particulier chez les SPV.

Toutefois, comme le rappelle le président de la FNSPF M. Jean-Paul Bosland, il n’y a pas, à proprement parler, de crise des vocations chez les SPV (le vivier de citoyens, en particulier de jeunes, prêts à s’engager en faveur de la santé, de la solidarité, de l’action humanitaire et de l’environnement le démontre), mais plutôt une difficulté de fidélisation liée aux facteurs précédemment exposés.

Il faut également souligner un management encore trop souvent inadapté à l’engagement citoyen et un déficit de souplesse et de personnalisation dans la gestion des engagements (formation, aptitude physique et médicale).

Cette difficulté de fidélisation mène à la relative stagnation des effectifs de SPV dans le temps (+ 2,5 % entre 2012 et 2021) et rend peu probable l’objectif de recrutement de 250 000 SPV d’ici 2027.

De fait, les « Missions Volontariat » de 2013 et de 2018 commandées par le ministre de l’Intérieur ne semblent pas avoir eu d’effets significatifs sur le recrutement de nouveaux SPV.

À l’appui des efforts actuels de recrutement de SPV, le rapporteur spécial estime qu’une campagne nationale d’envergure, ouverte à la diversité et à la féminisation, doit être menée sur le modèle de ce qui est fait dans l’armée et qui semble connaître un certain succès.

Selon le rapporteur spécial, un effort doit notamment être réalisé quant à la féminisation de la profession. Les femmes représentent en effet une part encore bien trop faible des effectifs de la sécurité civile, seulement 20 % des sapeurs-pompiers civils d’après la DGSCGC (soit 48 204 femmes sapeurs-pompiers en 2021). Il existe néanmoins, des disparités importantes selon les secteurs : les femmes sont plus nombreuses au sein des effectifs de Services de santé et de secours médical (SSSM) où elles représentent 44 % des effectifs alors qu’elles ne constituent que 4 % des effectifs de sapeurs-pompiers militaires.

De manière générale, le rapporteur spécial observe que la proportion de femmes diminue au fur et à mesure de l’avancée dans la hiérarchie. Les femmes ne représentent en outre que 31 % des SPV. Dès lors, le rapporteur spécial estime que le ministère de l’Intérieur doit envisager des campagnes de communication ciblée pour susciter l’engagement de personnels féminins. Il faut par ailleurs continuer le travail effectué pour ouvrir la profession aux femmes et ce à tous les niveaux de la sécurité civile.

En outre, le rapporteur spécial souhaite mettre en exergue l’importance et l’efficacité du dispositif « Jeunes Sapeurs-Pompiers » qui permet de susciter de l’engagement auprès des nouvelles générations. Il s’agit aujourd’hui de l’une des principales voies pour devenir sapeur-pompier professionnel ou volontaire. Les jeunes qui intègrent ce dispositif sont formés progressivement et durablement. Un tel dispositif a fait la preuve de son efficacité de par la durée des engagements constatés, à tel point que les unités militaires ont développé des dispositifs similaires.

Ces efforts en faveur du recrutement de SPV sont primordiaux tant ces derniers sont un des piliers du modèle français de sécurité civile. Cela ne doit naturellement pas exclure le recrutement de SPP, d’autant plus qu’il faudra s’interroger, au regard de la réglementation européenne, sur la nécessité d’une évolution encore plus importante des effectifs de SPP et de leur part dans les forces de sécurité civile ([18]).

Par ailleurs, le récent jugement du tribunal administratif de Strasbourg ([19]) visant à reconnaître les sapeurs-pompiers volontaires comme des travailleurs et en conséquence d’encadrer leur temps de travail hebdomadaire réduirait drastiquement la disponibilité des sapeurs-pompiers volontaires si elle venait à faire jurisprudence.

Ainsi, le manque de SPV pose, à très court terme, de grands défis à la sécurité civile. De fait, de nombreuses personnes auditionnées par le rapporteur spécial ont fait état de l’inquiétude que représente l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris en 2024 pour les forces de sécurité civile.

En effet, les JOP de 2024 mobiliseront de manière très intense les forces de sécurité civile, ce qui entraînera des besoins importants de volontaires. Or, dans le même temps, cette période coïncidera avec un moment traditionnel d’embauches saisonnières entraînant une moindre disponibilité des volontaires.

De surcroît, si la saison des feux 2024 se caractérise par une intensité comparable à celle de 2022, est-il garanti que les colonnes de renfort déployées l’an passé (au nombre inédit de 44) soient à nouveau disponibles aux mois de juillet et d’août de l’année prochaine, période particulièrement sensible aux feux de forêt ?

Au-delà de cette échéance, c’est la pérennité du modèle de sécurité civile dans son ensemble qui est en danger ou, pour reprendre le terme du rapport de l’IGA, « à bout de souffle ». Le changement climatique induira à terme des besoins croissants en personnels qu’il faudra financer.

III.   un financement des sdis À repenser

Afin de soutenir l’augmentation des dépenses des SDIS – amenées à croître du fait du changement climatique – et d’engager la rénovation du modèle de sécurité civile à travers le recrutement de sapeurs-pompiers, il faut assurer un financement pérenne aux services d’incendie et de secours.

Toutefois, force est de constater que le modèle de financement actuel des SDIS, reposant largement sur les collectivités territoriales, atteint ses limites. Peu lisible, son fonctionnement doit être réactualisé. L’État doit également assumer ses responsabilités en la matière en renforçant son soutien financier aux SDIS.

A.   Le financement des sdis, partagÉ entre LES départements et LE bloc communal, doit Être remis À jour

Les contributions des départements, des EPCI et des communes forment la quasi-totalité (92 %) des recettes de fonctionnement des SDIS. Au sein des collectivités territoriales, les départements assument la majorité des financements des SDIS.

Origine des recettes de fonctionnement des SDIS

(en pourcentage, en 2021)

Source : Commission des finances, Rapport 2022 de l’Inspection générale de l’administration.

1.   Les départements, premiers financeurs des SDIS

La loi de modernisation de la sécurité civile de 2004 ([20]) confie aux départements un rôle de pilotage des SDIS et précise que le conseil départemental détermine sa contribution annuelle « au vu du rapport sur l'évolution des ressources et des charges prévisibles du service au cours de l'année à venir, adopté par le conseil d'administration » du SDIS.

Dans la plupart des départements, une convention pluriannuelle – pour une durée de trois ans généralement – définit les relations entre le conseil départemental et le SDIS et prévoit la contribution financière du département.

Si le rapport des participations financières entre le bloc communal et le département s’établissait en 2002 à 57 % pour les blocs communaux contre 43 % pour les départements, cet équilibre s’est progressivement inversé, s’établissant à 45 % pour le bloc communal et à 55 % pour les départements en 2021. Dès lors, le département est devenu le principal financeur des SDIS.

Cette modification de la structure de financement des SDIS s’explique par une progression accrue des contributions des départements par rapport à celle des communes et intercommunalités (+ 122 % entre 2002 et 2021 contre + 37 % pour le bloc communal).

Ce différentiel de contribution découle de la règle prévue par la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité ([21]). Cette dernière précise que le montant global des contributions des communes et des EPCI au service départemental d'incendie et de secours ne pourra excéder le montant atteint à l'exercice précédent, augmenté de l'indice des prix à la consommation. En d’autres termes, l’augmentation de la contribution du bloc communal aux SDIS est plafonnée chaque année au niveau de l’inflation.

Ainsi, près de 5 % des dépenses de fonctionnement des départements sont dédiées aux SDIS alors que le bloc communal y consacre en moyenne moins de 2 %. Naturellement, ces valeurs sont des moyennes et cachent des situations très diverses localement.

Cet état de fait contribue à ce que, depuis l’exercice 2003, le département supporte la quasi-totalité de l’augmentation des dépenses des SDIS. À terme, cette situation sera difficilement tenable pour les départements compte tenu de l’augmentation prévisible des dépenses des SDIS déjà évoquée dans ce rapport.

Dès lors, il convient d’engager une réflexion sur un éventuel déblocage des contributions communales. Il s’agit en effet d’une piste pertinente et légitime pour au moins deux raisons :

– les maires détiennent la compétence de police et de protection de la population ;

– cette piste correspond à la réalité démographique. Déplafonner les contingents communaux permettrait non seulement d’augmenter les ressources mais aussi de prendre en compte les variations positives du nombre d’habitants qui imposent « mécaniquement » des moyens supplémentaires pour faire face à un nombre d’opérations de secours augmentant proportionnellement.

À l’appui de cette réflexion, il convient de souligner un système expérimental élaboré en Gironde et reposant sur la base de participations complémentaires volontaires du bloc communal. Ce modèle intéressant demeure toutefois fragile car il est soumis à la reconduction d’une convention entre les acteurs qui limite la visibilité financière pour le SDIS de Gironde. Le risque de non-reconduction du dispositif est aujourd'hui renforcé compte tenu de l’augmentation des contributions obligatoires du fait de la hausse de l’inflation constatée depuis fin 2021 et des difficultés financières que peuvent rencontrer les collectivités locales du territoire.

Dans le cadre d’une hypothèse de déblocage du taux d’évolution annuel du montant global des contributions versées par le bloc communal la DGSCGC a souligné qu’un doublement du plafond actuel devrait permettre de rapprocher ce taux du rythme de hausse des dépenses constatées entre 2002 et 2021.

Une des pistes pertinentes serait de lier le taux d’évolution de la contribution du bloc communal à celle du département en prévoyant, par exemple, que la contribution du bloc communal ne pourrait augmenter plus fortement que celle du département lorsque le CASDIS décide qu’elle soit supérieure à l’inflation.

Ce critère supplémentaire permettrait d’éviter le risque d’un transfert de charges du département au bloc communal, les conseils d’administration des SDIS étant majoritairement composés de représentants du département.

Recommandation n° 5 : Engager une réflexion sur les conditions du dégel de la contribution du bloc communal au financement des SDIS. Le taux d’évolution de celle-ci pourrait être lié au taux d’évolution de la contribution du département.

2.   Des contributions locales peu lisibles et peu liées à des critères pertinents

Au-delà d’une répartition déséquilibrée des contributions aux SDIS des collectivités territoriales, le financement des SDIS se fonde sur un ensemble de paramètres souvent illisibles et parfois obsolètes.

À l’appui de leur contribution au financement des SDIS, les départements bénéficient d’une fraction du produit de la taxe sur les conventions d’assurances (TSCA) ([22]) déterminée par la loi de finances pour 2005 ([23]).

Cette fraction a donc été arrêtée en 2005 en fonction du rapport, à la date du 31 décembre 2003, entre le nombre de véhicules terrestres à moteur enregistrés sur le territoire de chaque département et le nombre total de véhicules terrestres à moteur enregistrés sur le territoire national. Cette clé de répartition n’a, depuis lors, pas été modifiée.

Rapportée à la population, il en résulte une répartition de la TSCA relativement homogène sur le territoire national. Toutefois, le procédé n’intègre aucun autre facteur objectif tel que le degré de contribution au financement du SDIS par le département et le bloc communal ou encore l’exposition départementale aux risques de sécurité civile.

Le détail du calcul de TSCA transférée

La clé de répartition fixée à l’article 53 de la loi de finances pour 2005 a attribué aux départements une fraction de TSCA de 874 millions d’euros destinée à contribuer au financement des SDIS, en contrepartie d’une diminution équivalente opérée sur leur dotation globale de fonctionnement (DGF).

La recette fiscale concernée correspondait à une fraction de taux de 6,155 % de la TSCA afférente aux contrats d’assurance contre les risques de toute nature relatifs aux véhicules terrestres à moteur. Cette fraction a ensuite été portée à 6,45 % à partir de 2006 pour tenir compte du montant définitif de l’assiette de TSCA.

Les 874 millions d’euros de recettes ont été répartis entre chaque département selon une clé fixe : le rapport entre le nombre de véhicules terrestres à moteur immatriculés sur le territoire de chaque département au 31 décembre 2003 rapporté au nombre total de véhicules terrestres à moteur immatriculés sur le territoire national à cette même date. Cette clé doit permettre de maintenir un lien entre la collectivité et la ressource transférée.

 

Alors que les paramètres servant de calcul au versement de TSCA aux départements datent de près de 20 ans, ils doivent être réactualisés pour tenir compte de la réalité de l’activité actuelle des SDIS. Le rapporteur spécial considère donc qu’il conviendrait d’élaborer des hypothèses de mise à jour de ces critères et de réaliser des simulations préalables avant de procéder à cette actualisation.

Outre le manque de pertinence de la clé de répartition de la fraction de TSCA reversée aux départements pour le financement des SDIS, le montant effectivement reversé aux départements demeure entouré d’une certaine opacité.

Plusieurs directeurs de SDIS ignorent en effet le niveau des montants départementaux de TSCA, tout comme de nombreux sapeurs-pompiers qu’ils soient volontaires ou professionnels. À cet égard, le rapporteur spécial regrette que les parlementaires doivent déposer une question écrite chaque année pour connaître les montants affectés à chacun des départements. Il estime donc utile que cette information soit rendue accessible afin qu’elle puisse être connue de tous.

Toutefois, le rapport 2022 de l’IGA a clairement établi que quasiment toutes les contributions des départements au financement des SDIS sont supérieures aux montants de TSCA perçus à cette fin. Seul un département (les Ardennes) transfère une somme à son SDIS à peu près égale à la fraction de TSCA qu’il reçoit.

Ainsi, sur l’ensemble de la période de 2005 à 2021, l’évolution des contributions globales versées par les départements aux SDIS (+ 52 %) est supérieure à celle des montants de TSCA (+ 42 %). Il convient donc de renforcer la transparence sur cette réalité afin d’éviter d’entretenir les fantasmes et les fausses représentations.

Recommandation n° 3 : Renforcer la lisibilité et actualiser le mode de calcul du montant de TSCA versé aux départements pour le financement des SDIS afin qu’il se fonde sur des critères transparents et mis à jour.

Par ailleurs, les critères de répartition de la contribution aux SDIS entre communes du même bloc communal sont très variables et parfois obsolètes.

Chaque conseil d’administration de SDIS fixe les modalités de calcul des contributions plafonnées au niveau de l’inflation pour les communes et les EPCI. Les critères retenus prennent généralement en compte la population, le potentiel fiscal, et l’existence d’un centre de secours sur le territoire de la commune. Toutefois, il est loisible à chaque conseil d’administration de retenir d’autres critères comme la présence de SPV parmi les agents publics des collectivités contributrices.

Outre la confusion qu’entretiennent ces disparités, certains critères retenus ne sont pas régulièrement actualisés. Ainsi, le rapport de l’IGA estime qu’environ 20 % des SDIS n’ont pas réexaminé les critères de répartition depuis les années 2000. Cet état de fait aboutit à une situation de blocage où chacun des acteurs se satisfait d’un statu quo qui ne correspond pourtant plus aux réalités (économiques, démographiques…) du territoire. Certaines répartitions se fondent donc encore sur des critères de population en date de 2002.

Un éventuel déblocage des contributions du bloc communal pourrait être l’occasion pour les conseils d’administration d’engager de véritables discussions qui « remettent à plat » les critères de répartition.

Une autre hypothèse pour améliorer la répartition des contributions à l’échelle communale est de généraliser un versement mutualisé de la contribution des communes au niveau de l’intercommunalité. Plusieurs avantages peuvent être tirés d’un tel mode de fonctionnement :

– Une simplification administrative forte pour les SDIS. En effet, lorsque le versement des contributions des communes est centralisé au niveau de l’EPCI, le service financier du SDIS travaille avec un seul interlocuteur et émet un seul titre exécutoire (et non pas autant qu’il y a de communes) afin de recouvrer le montant total des contributions de l’ensemble des communes concernées. À charge pour l’EPCI de solliciter les contributions des communes selon une répartition définie entre les différents acteurs ;

– Davantage de souplesse entre les communes à l’intérieur de l’EPCI. Le SDIS ne peut pas faire évoluer les contributions des communes autrement que de façon uniforme, avec le seul levier de l’inflation. En revanche, l’EPCI, en restant dans l’enveloppe appelée par le SDIS, peut faire « bouger les lignes » entre communes sur la base de critères pertinents ;

– Les EPCI peuvent avoir des ressources plus dynamiques. Prise sur le budget global de l’EPCI, la contribution pour le SDIS peut être ressentie comme moins douloureuse pour les communes et la concertation reste possible au sein de l’EPCI.

Il convient tout de même de signaler qu’il demeure important que subsiste un lien entre le maire et les sapeurs-pompiers. Ce lien se justifie pleinement du fait des pouvoirs étendus que le maire détient en matière de gestion de crise et à son rôle dans l’organisation du commandement des opérations de secours.

Les sapeurs-pompiers et l’Association des maires de France (AMF) rencontrés par le rapporteur spécial ont insisté à de nombreuses reprises sur l’importance de maintenir ce lien particulier, aussi le rapporteur spécial ne souscrit‑il pas pleinement à une obligation de mutualisation du versement au niveau de l’EPCI.

B.   Pour faire face aux besoins de financement des SDIS, l’État doit renforcer son soutien financier

Si l’État contribue déjà par divers canaux au financement des SDIS, il est le principal détenteur des leviers de ressources supplémentaires dont ces derniers pourraient bénéficier.

1.   L’État est déjà un contributeur direct et indirect au financement des SDIS

Si l’on exclut la fraction de TSCA reversée aux départements, une partie importante des actions de soutien direct de l’État à la sécurité civile figurent dans le programme budgétaire 161 Sécurité civile. Celui-ci porte le financement des moyens nationaux de la sécurité civile, en particulier les moyens aériens.

Il convient cependant de noter que d’autres programmes budgétaires figurant en loi de finances ([24]) comportent des crédits au profit de la sécurité civile pour un montant total de 728,4 millions d’euros pour l’année 2021 ([25]), soit un niveau supérieur à celui porté par le programme 161 pour l’année 2021 qui s’élevait à 678,0 millions d’euros ([26]).

Parmi les financements directs de l’État aux services d’incendie et de secours figurant dans le programme 161 peuvent être cités :

– le financement des dépenses de fonctionnement de la brigade des sapeurspompiers de Paris (BSPP) qui s’est élevé en 2022 à 97,1 millions d’euros, en hausse progressive depuis plusieurs années ;

– le financement des colonnes de renfort. L’État prend en charge les coûts liés à la mobilisation de ses propres moyens et à l’engagement de moyens publics ou privés extérieurs aux départements faisant face à un évènement particulier, dès lors qu’ils ont été mobilisés par le préfet. En 2022, ce financement s’est élevé à près de 48,6 millions d’euros du fait de l’importance du dispositif des colonnes de renfort face à la saison des feux intense de l’année passée ;

– une dotation de soutien aux investissements structurants des services d’incendie et de secours (DSIS²) destinée à appuyer les équipements structurants des SDIS. Depuis 2020, la DSIS² est fléchée en totalité vers le projet NexSIS 18‑112 de mutualisation des systèmes d'information des SDIS. Toutefois, la loi de finances pour 2023 a prévu un abondement exceptionnel de la dotation au profit du dispositif de pacte capacitaire (voir ci-dessous).

Le financement par l’État de la démarche des pactes capacitaires

La démarche des pactes capacitaires prévoit la participation financière de l’État dans l’acquisition par les SDIS de moyens spécifiques visant à renforcer leurs capacités matérielles à faire face aux risques complexes et émergents.

Ce financement par l’État des pactes capacitaires s’est déroulé en deux temps :

– La loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (LOPMI) prévoit pour la période 2023-2027 un financement de 30 millions d’euros en AE et en CP. 8 millions d’euros d’AE et un million d’euros de CP sont ainsi consacrés dans la loi de finances 2023 aux pactes capacitaires.

– Afin de renforcer les capacités de détection et de lutte contre les incendies après la saison feux de forêts 2022 , il a été décidé d’octroyer 150 millions d’AE et 37,5 millions d’euros de CP supplémentaires aux pactes capacitaires, intégrés dans la loi de finances pour 2023 par le biais d’un amendement déposé par le Gouvernement.

Ce sont ainsi 180 millions d’euros qui sont consacrés par l’État au cofinancement des pactes capacitaires, dont 150 millions d’euros dédiés à la lutte contre les feux de forêts à programmer en 2023.

La mise en œuvre des pactes capacitaires en 2023 a été précisée par une instruction transmise aux préfets de département et de zone de défense et de sécurité le 31 janvier 2023. Cette circulaire fixe les échéances de présentation des dossiers de cofinancement. Le cofinancement des projets par l’État est fixé à 50 %. Ce taux peut être réévalué selon un besoin justifié par les préfets de zone et de défense.

Le mode de financement est celui de la dotation de soutien aux investissements structurants des services d’incendie et de secours (DSIS²) dont les crédits sont inscrits au programme 161.

Les dossiers de cofinancement se concrétiseront par une convention entre l’État et le SDIS acquéreur d’un moyen cofinancé. Cette convention fixera les engagements financiers pluriannuels des parties.

L’instruction détermine un calendrier prévoyant de signer les conventions pactes capacitaires et de passer les premières commandes de véhicules dès la fin du premier semestre 2023.

Les projets de renforcement des moyens de lutte contre les feux de forêts ont été transmis par les zones de défense à la DGSCGC et sont en cours d’analyse en vue des arbitrages.

L’éligibilité des projets aux fins d’un cofinancement pour les SDIS est soumise au respect des principes suivants :

– la cohérence opérationnelle du projet, évaluée au niveau de la zone de défense et de sécurité ;

– l’acquisition de moyens renforçant les capacités opérationnelles ;

– le respect des référentiels techniques définis pour certains véhicules (CCFM, CCFS et VLHR) par le ministère de l’Intérieur ;

– l’efficacité de l’achat.

Dans le cadre de la démarche des pactes capacitaire, les SDIS demeurent les acheteurs.

Par ailleurs, l’État contribue indirectement au financement des SDIS par plusieurs canaux comme les dotations de soutien à l’investissement octroyées aux collectivités territoriales (DSIL, DETR) bien que le fléchage vers des projets bénéficiant aux SDIS n’ait rien d’obligatoire et demeure soumis à la volonté de la collectivité.

2.   L’État détient les clés d’un meilleur financement de la sécurité civile

Malgré les dispositifs listés précédemment, le soutien de l’État au financement des SDIS demeure bien inférieur à celui des collectivités territoriales.

Dans le contexte de progression anticipée des dépenses des SDIS, l’État pourrait donc apporter un soutien direct au financement des SDIS plus important. Le rapporteur spécial a estimé que certaines pistes de financement étaient particulièrement à privilégier.

a.   Agir sur la fraction de TSCA reversée aux départements

La TSCA est au cœur du financement des SDIS par les départements. Un moyen simple d’augmenter les recettes des SDIS est donc d’élever la fraction du taux de la taxe reversée aux départements qui s’établit actuellement à 6,45 %.

Même si le transfert du montant de TSCA aux départements est libre d’emploi par ces derniers, il n’est pas douteux qu’ils répercuteraient une telle hausse au bénéfice des SDIS. De fait, comme explicité précédemment, les départements ne se contentent pas de transférer le montant de TSCA qu’ils perçoivent actuellement mais engagent au contraire des financements à la hauteur des besoins des SDIS, c’est-à-dire au-delà de ce que leur verse l’État via la TSCA.

Une telle revalorisation doit toutefois s’accompagner de mesures pour actualiser la clé de répartition de TSCA et tenir compte de l’activité et de l’exposition aux risques des départements bénéficiaires. L’utilisation de ressources nouvelles pourrait ainsi permettre une certaine péréquation, voire la restauration d’un fonds d’aide à l’investissement des SDIS, objectivement réparti en fonction des données de la planification capacitaire.

Recommandation n° 1 : Augmenter la fraction de TSCA reversée aux départements par l’État et engager à cette occasion des mécanismes de péréquation qui tiennent compte des risques respectifs, en matière de sécurité civile, des départements bénéficiaires.

Par ailleurs, désireux de ne pas faire peser de manière indifférenciée sur l’ensemble des contribuables une augmentation du taux de TSCA, le rapporteur spécial souhaiterait moduler l’augmentation de ce taux en y introduisant un caractère progressif. Ainsi, la TSCA afférente aux contrats d’assurance contre les risques de toute nature relatifs aux véhicules terrestres à moteur comporterait un taux de prélèvement progressif en fonction du coût d’achat du véhicule assuré en conservant un taux plancher de 18 %. Cette modification s’accompagnerait d’une augmentation de la fraction de TSCA reversée aux départements par l’État pour le financement des SDIS afin que ces derniers puissent pleinement bénéficier de la progressivité de la taxe.

Recommandation n° 2 : Moduler le taux de TSCA en y introduisant une part de progressivité assise sur le coût d’achat du véhicule. Les recettes supplémentaires obtenues seraient fléchées vers les SDIS via l’augmentation de la fraction de TSCA reversée aux départements par l’État.

b.   « Valoriser le sauvé » et mettre à contribution les compagnies d’assurances

La logique qui consiste à ne voir dans les SDIS que des coûts financés par de l’argent public occulte une réalité très concrète de l’activité des sapeurs‑pompiers : en luttant contre des feux de forêt et en protégeant les personnes, les biens ainsi que les écosystèmes, ils contribuent à sauver de la valeur qui, sinon, aurait été détruite.

Cet impensé de la « valeur du sauvé » doit être corrigé. La DGSCGC doit engager des études plus poussées pour estimer la valeur financière de ce qui est sauvé chaque année par les sapeurs-pompiers.

Le rapporteur spécial souhaite par ailleurs saluer la démarche entreprise par l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (ENSOSP) en matière de soutien à la recherche car cette école finance simultanément quatre thèses relatives à la sécurité civile. Une thèse consacrée à la valeur du sauvé y avait d’ailleurs été soutenue la veille de la visite du rapporteur spécial à l’ENSOSP.

Sur cette base, le rapporteur spécial estime qu’il faut pouvoir mettre à contribution les compagnies d’assurances qui bénéficient gratuitement de cette externalité positive. Cette contribution prendra une forme qui reste encore à déterminer sur le fondement des travaux effectués sur la « valeur du sauvé » par les SDIS.

Recommandation n° 4 : Créer une contribution directe des compagnies d’assurances au financement des SDIS valorisant le bénéfice que tirent les compagnies d’assurances de l’activité de secours aux personnes et aux biens menée par les sapeurs-pompiers.

c.   Trouver de nouvelles ressources fiscales au bénéfice des SDIS

Une des pistes évoquées au cours des auditions menées par le rapporteur spécial pour améliorer le financement des SDIS est la création ou le transfert de ressources fiscales au bénéfice des collectivités territoriales afin qu’elles augmentent leur contribution financière aux SDIS.

Parmi les pistes évoquées – telle que la création d’une taxe additionnelle sur des taxes locales –, il est apparu que celle qui avait le plus de lien avec l’activité des SDIS était l’instauration d’une contribution additionnelle à la taxe de séjour.

En effet, l’afflux de visiteurs dans les territoires touristiques s’accompagne d’un surplus d’activité pour les forces de sécurité civile – souvent pendant la saison des feux – sans que cela ne soit nécessairement pris en compte dans les contributions au financement des SDIS.

Dans beaucoup de communes touristiques peu peuplées, la population peut doubler voire tripler avec l’afflux de touristes. Dès lors, il apparaît cohérent qu’une partie des recettes fiscales générées par les lieux touristiques puisse bénéficier à ceux qui participent à les protéger.

Afin d’assurer un traitement de la situation juste socialement et écologiquement, le rapporteur spécial estime pertinent d’accompagner cette mesure d’un rehaussement du tarif maximal de la taxe de séjour appliquée aux palaces et hôtels cinq étoiles, ce qui permettra de mettre à contribution les personnes les plus aisées qui sont celles qui contribuent le plus, de par leur mode de vie, au changement climatique.

Recommandation n° 6 : Instituer une contribution additionnelle à la taxe de séjour pour les collectivités touristiques qui connaissent une augmentation significative des interventions des SDIS du fait de l’afflux de touristes. Celle-ci pourrait s’accompagner d’une augmentation du tarif plafond de la taxe de séjour pour les palaces et les hôtels cinq étoiles.

d.   Approfondir la mutualisation des moyens et des achats des SDIS

En complément de la recherche de ressources supplémentaires, il ne faut pas négliger les économies d’échelle qui peuvent être engendrées par la mutualisation des moyens et des achats des SDIS. Dans un contexte marqué par l’inflation et un allongement général des délais lors des passations de commandes, le groupement d’achat paraît d’autant plus pertinent.

La mutualisation des achats des SDIS constitue un enjeu important puisque ces derniers dépensent plus de 500 millions d’euros par an pour l’acquisition de matériels, d’équipements de protection individuelle (EPI) et de véhicules, alors que seulement 3 % des marchés publiés au Bulletin officiel des annonces des marchés publics (BOAMP) en 2021 ont été mutualisés sur un potentiel que la DGSCGC estime à 50 % environ.

La mutualisation des achats des SDIS a toutefois progressé au cours des dernières années. À titre d’exemple, le taux d’achats mutualisés inter-SDIS de VSAV s’élevait à 11,3 % des achats totaux en 2012, contre 31 % en 2020. La DGSCGC doit donc poursuivre sa politique d’encouragement à la mutualisation des achats. À cet égard, l’élaboration de référentiels techniques relatifs aux matériels, équipements et véhicules pour faciliter les achats groupés de SDIS s’inscrit dans une démarche utile.

Au-delà des achats, plusieurs personnes auditionnées ont évoqué la possibilité d’étendre la mutualisation entre SDIS :

– Des mutualisations à renforcer sur les fonctions support. Les services qui sont les plus fréquemment mutualisés, totalement ou partiellement, sont la gestion et l’entretien des véhicules, les marchés publics, l’immobilier et la gestion du patrimoine. Les autres fonctions d’administration traditionnelles ou supports (finances, ressources humaines, juridique, informatiques) font moins fréquemment l’objet de ces mutualisations ;

– Une mutualisation inter-SDIS pourrait être envisagée, au niveau régional ou zonal, sur les plans administratif, comptable et des ressources humaines à l'image d’autres réseaux, afin d'optimiser et de professionnaliser les fonctions supports ;

– En matière opérationnelle, des pistes sont à examiner : appuis en matière de planification, mise en commun de certaines composantes médicales (notamment les pharmacies internes), traitement des appels d’urgence dans certains cas (décroché du 18 la nuit, par exemple), ateliers et logistique.

Recommandation n° 8 : Explorer l’approfondissement de la mutualisation des moyens et des achats des SDIS afin de permettre des économies d’échelle.

Le rapporteur spécial souligne toutefois que certains sapeurs‑pompiers ont pu émettre un avis différent sur la question en insistant sur la nécessité de laisser à chaque SDIS une certaine liberté d’organisation et de fonctionnement. Le rapporteur spécial n’est, quant à lui, pas opposé par principe à un approfondissement et un élargissement de la mutualisation si cela se fait en concertation avec les sapeurs-pompiers directement concernés.

 


  1  

   CONCLUSION

La période qui s’ouvre pour nos forces de sécurité civile est cruciale, les défis à relever sont nombreux et il nous faut aujourd’hui faire des choix qui seront déterminants pour les années à venir. En France, la sécurité civile s’est construite en réaction à des crises, la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris a ainsi été créée à la suite de l’incendie de l’ambassade d’Autriche survenu le 1er juillet 1810. Le rapporteur spécial formule le vœu que face au défi que constitue le changement climatique pour nos forces de sécurité civile, notre pays fasse preuve d’anticipation.

Engager des dépenses importantes pour renforcer les effectifs de nos forces de sécurité civile et les équiper pour faire face à de potentiels risques multiples apparaît d’un point de vue comptable comme superflu. Pourtant, c’est bien la logique de la sécurité civile, « être prêt au cas où » pour reprendre les mots d’un sapeur-pompier auditionné. Le rapporteur spécial estime ainsi que la question qui doit guider les choix des décideurs publics aujourd’hui est la suivante : « À quel niveau de risque souhaitons-nous être en capacité de faire face ? »

Pour clore son propos, le rapporteur spécial aimerait insister sur le fait que l’action des forces de sécurité civile consiste essentiellement en une action de gestion de crises. Aussi est-il nécessaire d’agir en amont afin de prévenir la survenance de telles crises, la lutte contre le changement climatique bénéficiant directement aux forces de sécurité civile. L’académie des sciences a récemment publié un rapport intitulé « Les forêts françaises face au changement climatique » qui a révélé que dans plusieurs régions les forêts françaises sont devenues émettrices de CO₂. La situation de sécheresse inédite que connaît notre pays amène également à nous interroger collectivement sur la manière dont nous serons, demain, en capacité de lutter contre les incendies avec une ressource en eau devenue rare.

Enfin, le rapporteur spécial formule le vœu que les futurs budgets alloués aux SDIS permettront de préserver les personnes, les biens et les écosystèmes sans que nos pompiers, dont la devise est « Sauver ou périr », n’aient à en payer le prix.

 


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Lors de sa réunion de 21 heures, le mardi 23 mai 2023, la commission des finances, réunie en commission d’évaluation des politiques publiques, a entendu M. Florian Chauche, rapporteur spécial sur les crédits du programme Sécurité civile.

M. Florian Chauche, rapporteur spécial. Pour commencer, je tiens à remercier l’ensemble des personnes qui m’ont accordé du temps lors des auditions et visites que j’ai menées dans le cadre de ce rapport d’évaluation.

J’ai pu m’appuyer sur le rapport de l’Inspection générale de l’administration d’octobre 2022 et sur l’audition de ses auteurs. Ce document présente l’avantage d’analyser dans la durée l’évolution des dépenses des Sdis, de leurs interventions et de leurs modes de financement. J’ai bien évidemment rencontré les organisations syndicales des Sdis, dont je salue l’engagement et que je remercie pour la qualité de nos échanges ainsi que pour leur franc-parler. Je remercie les préfets du Var et des Vosges qui ont partagé avec moi leur expérience en matière de gestion de crise. La comparaison entre deux départements inégalement confrontés à des incendies était intéressante.

Puisqu’il était question du financement des Sdis et de son adéquation au changement climatique, j’ai auditionné des chercheurs de l’Institut de l’économie pour le climat. Il était aussi indispensable d’entendre les représentants de l’Assemblée des départements de France et de l’Association des maires de France, qui sont les premiers financeurs des Sdis. Je tiens à remercier aussi la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises, ainsi que les personnels et les représentants syndicaux de la base aérienne de la sécurité civile de Nîmes, dont la visite a été particulièrement instructive.

Je souhaite, enfin, avoir un mot pour les personnels de l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers et de l’Entente Valabre, où j’ai pu mesurer le professionnalisme et le degré de compétence de nos forces de sécurité civile. La France dispose d’un pôle d’excellence que beaucoup de pays lui envient en matière de formation et de préparation aux incendies et à la gestion de crise.

Si j’ai choisi cette thématique, c’est parce que j’ai été frappé, lors de l’examen du projet de loi de finances, de voir à quel point la sécurité civile était un sujet transpartisan. Tous les groupes politiques avaient déposé des amendements au PLF sur l’exonération de malus écologique et le tarif réduit de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). De nombreux groupes avaient également déposé des amendements pour faire évoluer la fraction de TSCA dédiée au financement des Sdis. Nous sommes nombreux sur ces bancs à vouloir offrir à nos Sdis des moyens supplémentaires et je regrette que le Gouvernement, en faisant un usage répété de l’article 49.3 lors de l’examen du projet de loi de finances, nous ait empêchés d’en débattre. Je crois sincèrement qu’il aurait été possible de trouver un accord, et que c’est toujours le cas. Nous l’avons d’ailleurs constaté la semaine dernière, lors de l’examen de la proposition de loi relative à la lutte contre le risque incendie, où nous avons voté à la quasi-unanimité pour l’exonération de malus écologique pour nos Sdis et pour un tarif réduit de TICPE, ainsi que pour rejeter les amendements de suppression du Gouvernement sur ces sujets.

Notre modèle fait face à deux problèmes majeurs : d’une part, une sursollicitation de nos sapeurs-pompiers dans le domaine sanitaire et, d’autre part, le défi climatique, qui va induire une forte augmentation des crises et de leur intensité, et face auquel nous sommes insuffisamment préparés. Entre 2002 et 2021, le nombre d’interventions réalisées par nos sapeurs-pompiers est passé de 3,6 à 4,7 millions, mais seules les interventions de secours aux personnes ont augmenté ; elles représentent désormais plus de 80 % du total. Cela n’est pas sans conséquences : les Sdis ont logiquement investi prioritairement dans des véhicules de secours et d’assistance aux victimes, au détriment des véhicules d’intervention et de lutte contre les incendies, comme les camions-citernes feux de forêt (CCF).

Surtout, près de 20 % des interventions des Sdis ne relèvent pas de leur mission. Je pense aux fameuses carences ambulancières ou aux activités d’aide à la personne. Cela pose un certain nombre de problèmes. Le premier est d’ordre financier, puisque l’indemnisation des carences ambulancières ne couvre pas le coût réel de l’intervention et que le nombre de carences indemnisé est encore trop faible. Le deuxième est d’ordre opérationnel : il arrive souvent que les pompiers doivent attendre plusieurs heures une prise en charge dans un hôpital, ce qui n’est pas acceptable.

Tout cela entraîne une perte de sens pour de nombreux sapeurs-pompiers volontaires ou professionnels, des difficultés de recrutement et de nombreuses démissions, ce qui est inédit. Les volontaires ont aussi tendance à s’engager pour une durée plus courte. Soit dit en passant, les exonérations de cotisations patronales n’y changeront rien : si vous souhaitez recruter 25 000 sapeurs-pompiers supplémentaires, Monsieur le ministre, il va falloir prendre des mesures pour les recentrer sur leur cœur de mission et redonner ainsi du sens à leur engagement. La loi Matras a certes apporté des avancées mais vous devez poursuivre ce travail avec le ministère de la santé.

J’en viens au changement climatique. Il est inutile de détailler ses conséquences pour nos forces de sécurité civile. Les événements récents ont montré à quel point le risque s’est étendu géographiquement et à quel point il s’est intensifié. Les épisodes de grêle, l’été dernier, et d’inondations en ce moment dans l’Allier témoignent également de l’accroissement des événements climatiques extrêmes, auxquels nous devons nous préparer. Or, force est de constater que nous ne sommes pas prêts à faire face aux conséquences du changement climatique. Le nombre de camions-citernes feux de forêt, qui sont un outil de base dans la lutte contre les incendies, est passé de 5 117 en 2002 à 3 143 en 2020. Et ce matériel moins nombreux est aussi en moins bon état, puisque le taux de vétusté du matériel mobile d’incendie est passé de 51 % en 2011 à 61 % en 2021.

La mise en place des pactes capacitaires est bienvenue et je la salue, mais elle ne permettra pas de rattraper le retard accumulé. Le coût de ces engins a par ailleurs explosé et il faut désormais compter deux ans entre la commande et la livraison. Nos Sdis vont devoir faire des efforts d’investissement énormes et ceux-ci ne seront pas répartis équitablement, car 40 % du parc national des CCF est regroupé dans seulement seize départements. Si les départements du pourtour méditerranéen, historiquement confrontés au risque incendie, sont relativement bien armés et préparés, d’autres territoires ont tout à faire : acheter du matériel, former leurs sapeurs-pompiers et sensibiliser la population.

S’agissant des moyens aériens de l’État, je regrette que les recommandations de la mission interministérielle de 2010 n’aient pas été suivies. Nous aurions dû et pu adapter le dimensionnement de notre flotte aérienne à l’extension du risque incendie. Au lieu de cela, on a attendu au maximum avant de remplacer les Tracker et on se retrouve, pour l’été 2023, avec une flotte aérienne en moyens propres de douze Canadair, huit Dash et trois Beechcraft, une flotte quantitativement identique à celle des années 1990, alors même que le risque a augmenté, que la durée des feux s’est allongée et que le territoire à défendre s’est étendu. Nous voilà donc contraints de procéder à des locations onéreuses, que nous aurions pu éviter en anticipant.

Vous l’aurez compris, je suis convaincu que nous devons augmenter significativement les moyens alloués à nos Sdis et j’ai des propositions à vous faire en ce sens.

Je crois, premièrement, qu’il convient d’augmenter le taux de la TSCA pour dégager des moyens supplémentaires pour les Sdis. Afin de ne pas faire peser cette hausse indistinctement sur l’ensemble de nos concitoyens, il serait judicieux de moduler le taux en fonction du coût d’achat des véhicules. Vous avez évoqué, monsieur le ministre, l’idée d’un mécanisme de péréquation. Ne pourrait-on pas envisager de consacrer une partie de l’augmentation de la TSCA à un fonds de solidarité et d’investissements au profit de nos Sdis les moins bien dotés ? Surtout, l’utilisation de cette ressource pose un problème de lisibilité, puisque les Sdis pensent que les départements ne la leur reversent pas intégralement. Il faut mettre fin à cette opacité et faciliter l’accès à l’information, afin de ne pas alimenter ces fantasmes.

Le fait que la contribution des communes soit plafonnée à l’évolution de l’inflation pose également des problèmes. En Gironde, par exemple, la forte augmentation de la population entraîne un accroissement des interventions du Sdis, à moyens constants. Je connais les difficultés financières des communes et je ne dis pas qu’elles ne contribuent pas assez au financement des Sdis, mais il me paraîtrait judicieux de relever le taux plafond de la taxe de séjour sur les hébergements luxueux, afin de faire contribuer ceux qui en ont les moyens et qui, par ailleurs, contribuent le plus fortement au changement climatique. Ainsi, les communes qui le souhaitent pourraient dégager des moyens supplémentaires pour le financement des Sdis.

Enfin, le rapport de l’IGA souligne que les ressources qui financent les Sdis sont sans lien direct avec l’activité des sapeurs-pompiers. Les pompiers le réclament depuis longtemps. Il est temps de réfléchir à une contribution directe de la part des compagnies d’assurances. Ces dernières en ont les moyens ; elles réalisent des bénéfices importants, notamment grâce à l’action des sapeurs-pompiers, qui protègent les personnes et les biens.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je me retrouve dans nombre de vos propos.

Vous avez raison, les pompiers ont souvent à mener des interventions qui ne relèvent pas de leur cœur de mission, ce qui les décourage et coûte de l’argent aux Sdis : il s’agit des carences ambulancières et de l’aide à la personne, notamment aux personnes âgées. Ce qui est un peu paradoxal, c’est que le département est la collectivité qui gère les Sdis, mais aussi la politique de l’âge et du handicap. Dans mon département du Nord, beaucoup de personnes âgées appellent les sapeurs-pompiers parce qu’elles sont seules à leur domicile, ou parce que dans leur Ehpad, souvent géré par le département, il n’y a plus de gardien ou d’infirmer de nuit. Ce sont les pompiers qu’on appelle alors pour relever une personne qui est tombée de son lit, voire ramasser une télécommande. Cela relève un peu de la bobologie.

Les départements doivent concilier ces deux politiques publiques en renforçant les moyens en personnel dans les Ehpad – j’ai pu constater, quand j’étais maire, que lorsque les effectifs baissaient, ils étaient remplacés par les pompiers – ou bien en prévoyant que les dispositifs de téléalarme, en cas de maintien à domicile, fassent plutôt passer un agent du conseil départemental, voire d’un autre opérateur, comme La Poste, pour faire la levée de doute. Cela permet d’éviter d’engager un véhicule avec quatre sapeurs-pompiers pour ramasser la télécommande d’une vieille dame. Si vous avez donc parfaitement raison sur le constat, il faut que les départements, qui gèrent ces deux politiques publiques parfois de manière contradictoire, règlent ce problème avec l’État.

Le deuxième problème est celui des déserts médicaux, qui obligent les pompiers à compenser le manque de praticiens. Cela soulève la question de l’implantation des médecins dans les zones rurales et dans les zones urbaines socialement défavorisées. Il faudra peut-être revoir le statut de la médecine libérale ou l’organisation de la médecine de jour.

La loi Matras a lancé l’expérimentation d’un numéro unique pour les appels d’urgence dans certains départements. En organisant la régulation des appels en amont, elle permet d’éviter la compétition entre les différents numéros existants – le 18, le 115 et même parfois le 17. Cela fait gagner beaucoup de temps aux sapeurs-pompiers. Il est également important de souligner que certains professionnels de santé – infirmières libérales, pharmaciens, professions paramédicales – sont capables d’accomplir les gestes médicaux actuellement pratiqués par les sapeurs-pompiers.

Je partage donc votre constat : les sapeurs-pompiers font en très grande partie un métier qui ne correspond pas à celui pour lequel ils se sont engagés, avec le risque de décourager les vocations. Nous devons donc travailler avec les départements pour qu’ils soient cohérents dans leur politique du grand âge et du handicap, et avec le ministère de la santé afin de mieux nous organiser pour envoyer les pompiers dans des interventions correspondant à leurs fonctions.

S’agissant des feux de forêt de l’été dernier, je ne suis pas tout à fait d’accord avec votre analyse. Je souhaite rappeler que 90 % de ces feux sont provoqués par l’homme, de manière volontaire ou non. Plutôt que le nombre de pyromanes, c’est notre comportement qui est en cause – s’arrêter sur le bord de la route pour fumer une cigarette, ne pas éteindre le barbecue... Il n’est donc pas tout à fait exact d’affirmer que le réchauffement climatique est la seule cause de l’augmentation des feux de forêts : il ne fait qu’amplifier ce phénomène. Si vous jetez votre mégot de cigarette par terre en période de sécheresse, le feu prend plus facilement, c’est certain, mais ce sont les comportements individuels qui sont en très grande partie responsables des feux de forêt.

Autre chiffre qu’il est important d’avoir à l’esprit : 90 % des feux ont touché des forêts privées. Ceux des Landes et du Jura ont pris dans des forêts privées mal entretenues, où des gens organisaient une forme coutumière de récupération, notamment de sève, avec l’installation de caravanes qui n’auraient pas dû être là. Tous les professionnels de la nature savent qu’on gère une forêt en coupant du bois ; or les propriétaires s’y sont parfois opposés. Certes, on peut toujours acheter des avions, renforcer le pacte capacitaire ou augmenter la fraction de TSCA dédiée au financement des Sdis. Mais avant même de dépenser, il faut s’interroger sur le mode de gestion. Les ministères de l’écologie et de l’intérieur doivent travailler sur la prévention en imposant des obligations aux propriétaires privés. La gestion du domaine public par l’ONF et les communes est très différente de celle des forêts coutumières ou privées.

S’agissant du recrutement des pompiers, comme vous l’avez dit, il n’y a pas moins de volontaires en France mais moins de jours de volontariat, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Cela est peut-être dû à une crise de la vocation ou à des difficultés entre volontaires et professionnels, mais cela tient également aux employeurs qui ne libèrent pas suffisamment les pompiers – des employeurs privés bien sûr, et il faut leur demander de faire des efforts, mais aussi des employeurs publics : commençons donc par libérer davantage nos personnels. Le statut du sapeur-pompier doit être plus ou moins calqué sur celui de l’élu municipal, qui dispose d’un droit d’absence pour exercer son mandat.

Enfin, la gestion des Sdis doit être améliorée. Lorsque je me suis rendu en Gironde, j’ai constaté que seuls 6 % des effectifs du Sdis étaient mobilisés alors que les feux ravageaient le département depuis plusieurs jours. Si certains pompiers étaient en vacances ou bien déjà mobilisés par d’autres interventions, ce taux apparaît tout de même très bas. Il a été nécessaire de faire venir des colonnes de renfort de Bretagne et du nord de la France, ce qui fait perdre du temps et coûte cher. Le plus simple est pourtant de mobiliser les pompiers du département. C’est une affaire complexe, je le sais, mais quand moins de 10 % des effectifs d’un Sdis sont mobilisés sur des feux gigantesques, c’est que quelque chose ne va pas dans notre fonctionnement. Nous y travaillons actuellement avec les départements de France.

M. le président Éric Coquerel. Je ne peux m’empêcher d’être inquiet quand je vous entends minimiser les effets du réchauffement climatique. À vous entendre parler des 90 % des feux qui sont dus à des individus et de la gestion privée des forêts, on pourrait supposer que ces facteurs jouent un rôle plus important que le réchauffement et la sécheresse. Or ces phénomènes climatiques s’étendent désormais à des régions qui, autrefois, n’étaient pas susceptibles de s’enflammer. Des départements du centre de la France subissent dorénavant des feux importants, et la Bretagne est désormais une région à risque !

Le déclenchement de feux par des individus a toujours existé, notamment dans les départements de climat méditerranéen. Mais dès lors que le risque s’étend à tout le territoire, le problème est d’une autre nature. Cela explique en partie pourquoi la France, qui jusque-là aidait chaque été ses voisins à lutter contre les incendies, a dû leur demander de l’aide l’été dernier. Malheureusement, il faut s’attendre à ce que cela se reproduise et s’y préparer. On peut certes travailler sur la gestion des forêts ou les moyens dévolus à la sécurité, mais ce phénomène ne cessera pas de progresser, année après année. Le jour viendra où il n’y aura même plus de renforts provenant de Bretagne parce que celle-ci devra elle aussi lutter contre des incendies. Je me permets de vous alerter sur ce point car on se trompe si on pense que cela n’arrivera pas.

Un travail d’estimation du coût global des phénomènes climatiques de l’été 2022 a-t-il été effectué au niveau interministériel ? Cela nous donnerait une idée un peu plus précise des moyens qu’il faudra mobiliser dans les années à venir.

M. Gérald Darmanin, ministre. Loin de minorer le réchauffement climatique, j’ai dit que c’est un accélérateur. Si 90 % des feux ont une origine humaine, ce qui est un fait, leurs conséquences sont amplifiées par le réchauffement climatique : alors qu’un jet de mégot ne déclenchait pas nécessairement un feu autrefois, c’est le cas quasiment systématiquement désormais.

La difficulté en Bretagne, dans le Jura ou dans les Vosges, c’est que les Sdis ne sont pas équipés pour faire face à des feux de forêt, contrairement aux départements méditerranéens. Or, l’été dernier, 50 % des feux étaient situés au nord de la Loire. Il s’agit d’un problème capacitaire, qui n’est pas lié au changement climatique.

Le plus grand ennemi du pompier, ce n’est pas la sécheresse mais le vent. Notre problème principal, c’est que, contrairement à d’autres pays européens, nous ne disposions pas encore d’un supercalculateur météo nous permettant de prédisposer les moyens de lutte contre les incendies. Cette année, grâce à Météo France, il sera possible d’anticiper les alertes.

Vous avez cependant raison sur un point, monsieur le président : la lutte contre les incendies ou contre les calamités climatiques relève du niveau interministériel. Le ministère de l’intérieur se charge du curatif et le ministère de l’écologie du préventif.

M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général. Je partage une très grande majorité des constats du rapporteur spécial. Je le remercie d’avoir ainsi mis en valeur le rôle essentiel des sapeurs-pompiers dans nos territoires.

Je veux réaffirmer le soutien indéfectible de l’État aux Sdis. Il assure près d’un quart de leur financement, à hauteur de 1,5 milliard d’euros, alors que c’est une compétence des départements. Nous avons voté, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023, une hausse historique du pacte capacitaire, de 150 millions d’euros. Les départements, et c’est normal, assument la plus grande partie de la hausse des dépenses des Sdis depuis 2003. Il faut aussi noter que, selon le rapport de l’IGA d’octobre 2022, on observe une légère baisse de leur contribution nette depuis 2016. Cela reste donc assez stable.

Vous évoquez l’expertise particulière des Sdis des départements méditerranéens. Celle-ci peut-elle servir à d’autres départements ? Comment organiser ce transfert de compétences ? Par ailleurs, en matière de financement, vous évoquez une contribution supplémentaire des compagnies d’assurances : avez-vous interrogé ces dernières pour savoir si elles la répercuteraient dans les primes d’assurance ?

M. le président Éric Coquerel. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Emmanuel Lacresse (RE). Monsieur le ministre, vous avez souligné l’augmentation du risque de feux de forêt, lesquels frappent d’ailleurs successivement plusieurs États membres de l’Union européenne.

Le 28 octobre dernier, le Président la République a reçu les représentants des forces vives mobilisées lors de la campagne de feux de 2022. À cette occasion, il a annoncé une nouvelle stratégie, consistant pour l’essentiel en un vaste plan de réarmement aérien : l’investissement atteindra 250 millions, dont 150 destinés aux Sdis. Les principales mesures sont organisées en trois volets.

Le premier vise à soutenir le volontariat. Lors des feux en Gironde, l’an dernier, certaines grandes entreprises avaient pris des initiatives pour libérer leurs salariés exerçant les fonctions de sapeur-pompier volontaire. En octobre, dans le cadre du congrès des sapeurs-pompiers, à Nancy, vous aviez, monsieur le ministre, témoigné de votre réelle ambition dans ce domaine. Le plan aura pour objet d’allonger la durée pendant laquelle les entreprises pourront libérer les sapeurs-pompiers volontaires en améliorant l’indemnisation.

Deuxièmement, le nombre de colonnes de renfort sera doublé. Dans sa note relative à l’exécution budgétaire, le rapporteur spécial rappelle que quarante-quatre colonnes ont été mobilisées en 2022, soit vingt de plus que les années précédentes.

Troisièmement, la France procédera au renouvellement de sa flotte de douze Canadair et en achètera quatre de plus d’ici à 2027. Dès cette année, elle fera en outre l’acquisition de deux hélicoptères lourds supplémentaires.

Comme le rapporteur général, le groupe Renaissance salue cette impulsion décisive.

Vous venez de nous signifier de nouveau votre engagement dans ce domaine. Pourriez-vous nous éclairer sur le rythme prévu pour la concrétisation de ces annonces présidentielles importantes ?

M. Émeric Salmon (RN). Votre discussion avec le président de la commission était intéressante, monsieur le ministre, et, une fois n’est pas coutume, je suis d’accord avec vous. Si je ne nie pas le réchauffement climatique ni la nécessité de faire des efforts, il me semble que nous obtiendrons plus rapidement des résultats en éduquant les gens, notamment afin d’éviter les négligences, quitte à sanctionner parfois les responsables d’incendies involontaires. Certes, je ne connais pas, s’agissant des incendies, la part des départs de feux dus à des négligences et celle des feux provoqués par des pyromanes, mais je pense que nous pouvons faire diminuer le nombre de sinistres en luttant contre la négligence, le cas échéant en menaçant les gens de sanctions et en communiquant autour de la question.

En Haute-Saône, un feu a eu lieu l’année dernière, alors qu’avant il n’y en avait jamais. Vous donniez l’exemple du mégot jeté : un tel geste, qui n’avait pas d’incidence, en a désormais partout en France. Il faut vraiment communiquer et prévoir des sanctions.

Mme Marina Ferrari (Dem). La flotte d’hélicoptères de la sécurité civile connaît de grandes difficultés. La Cour des comptes a pointé un risque concernant le marché relatif à son maintien en condition opérationnelle. Pouvez-vous nous dire un mot de l’avancement de ce dossier ?

En ce qui concerne le financement des Sdis, vous avez parlé assez longuement de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance. Elle devrait faire l’objet d’une réflexion, ce dont je vous remercie. Que penseriez-vous, en tant qu’ancien ministre du budget, d’une remise à plat de la contribution du bloc communal ? Cela me semble être une piste intéressante.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je ne suis pas sûr qu’il faille demander aux communes de contribuer davantage, car les plus petites sont déjà, en proportion, les plus sollicitées, alors même que leurs moyens sont très limités. En revanche, on pourrait imaginer que les intercommunalités, qui ont davantage de recettes, soient au rendez-vous. C’est le cas pour les métropoles, qui exercent une partie des compétences des Sdis.

Les régions pourraient participer davantage elles aussi, dans la mesure où elles sont chargées du tourisme et du développement économique, domaines pour lesquels les feux de l’été dernier ont été désastreux, notamment dans les Landes et en Gironde. Elles jouent également un rôle important en matière d’aménagement du territoire et de transition écologique – certaines ont produit des plans très élaborés en la matière. Or le lien entre le réchauffement climatique et les incendies est évident. Je salue le président de la région Nouvelle‑Aquitaine, qui s’est dit prêt à contribuer à des transitions de grande ampleur dans le cadre des compétences régionales. L’an dernier, plusieurs feux se sont déclenchés à proximité des lignes de train express régional en raison de la combinaison de la chaleur, d’un manque de débroussaillage et de la vétusté du réseau. Je suis sûr que de nombreuses régions souhaitent avancer en matière de lutte contre les incendies, y compris à travers une contribution volontaire.

En ce qui concerne la flotte aérienne, nous avons trois problèmes, qui tiennent à la vétusté des appareils, à leur nombre et à la capacité d’en produire.

Pour remédier à la vétusté, nous renouvelons la flotte, notamment celle d’hélicoptères. Nous en avons commandé trente-six à Airbus ; ils seront opérationnels dès 2024. Les capacités de bombardement d’eau et de surveillance augmentent au fil du temps. Le renouvellement de la flotte améliore donc la sécurité des équipages, qui interviennent dans des conditions très difficiles – le vent, par exemple, est une des principales sources de risque – et augmente les capacités de largage.

Il existe deux catégories d’avion : les appareils de reconnaissance et ceux de largage, du type Canadair, tout en sachant que certains avions de reconnaissance transportent également du retardant, ce qui permet donc une action immédiate. En Australie et aux États-Unis notamment, on a vu intervenir des gros avions associant de la sorte reconnaissance et largage de produits. Nous nous sommes demandé si nous devions faire pareil.

Nous travaillons avec plusieurs constructeurs d’avions assez connus pour essayer d’utiliser pour la reconnaissance des avions n’ayant pas été conçus dans ce but. L’enjeu n’est pas tant de larguer de l’eau que de repérer très rapidement les feux : plus vite on identifie un incendie, moins on a besoin d’eau pour l’éteindre.

Une partie de la flotte aérienne pourrait aussi être remplacée par des drones militaires – d’où le lien avec l’opération Héphaïstos, dans sa nouvelle version. En effet, contrairement aux avions de reconnaissance et aux hélicoptères, ces drones peuvent voler la nuit, ce qui permet de voir l’intensité du feu et de déterminer la manière et le lieu où il convient d’intervenir.

En matière de reconnaissance, le nombre d’appareils n’est donc pas le seul critère : ceux dont nous disposerons seront plus rapides, plus efficaces, dotés de technologies plus avancées, et des drones pourront venir s’y ajouter.

S’agissant du largage, la difficulté tient au fait qu’il faut commencer par construire en Europe une usine qui produira des Canadair, ce qui est en cours. Tous les pays européens sont confrontés au même problème. Nous aurons donc un nombre limité de Canadair pendant un certain temps, mais il est prévu de l’augmenter. Vous avez voté la trajectoire financière permettant de les acquérir dans le cadre de la Lopmi. Si d’autres pays sont capables de produire des avions bombardiers d’eau avant l’achèvement de l’usine en question, nous les achèterons bien volontiers.

Entre-temps, nous devons louer des appareils, notamment des hélicoptères. Cela ne me choque pas. Vous dites que le coût de la location est important. La comparaison n’a pas été menée pour l’été dernier, mais si nous faisions le calcul, le coût de la location ne serait sans doute pas très différent de celui de l’achat, car lorsqu’on loue un appareil, on n’en assure pas la maintenance. Or, dans ce domaine, non seulement il n’est pas facile de trouver des techniciens – vous l’avez dit, les postes budgétés ne sont pas toujours pourvus – mais leurs services se paient très cher la nuit lorsqu’il s’agit d’employés de sociétés privées. S’il convient donc de travailler sur l’attractivité du métier et d’augmenter les rémunérations, la location d’appareils peut aussi se révéler un bon « deal ». C’est ce que nous faisons l’hiver pour assurer la protection dans les montagnes : en plus des hélicoptères de la gendarmerie et de la sécurité civile, nous louons aussi, parfois, des appareils de reconnaissance. Le personnel des sociétés en question paie d’ailleurs le prix de son héroïsme : l’hélicoptère qui s’est écrasé en montagne il y a deux ans avait été loué et, outre les CRS, les personnes qui se trouvaient à bord et ont trouvé la mort dans l’accident étaient des employés de la compagnie privée.

Il n’y a pas de contradiction à considérer que le réchauffement climatique est responsable d’une partie de la situation et à constater que le comportement humain explique les départs de feu : les deux phénomènes se conjuguent. Il faut à la fois entretenir la forêt, consacrer des moyens très importants à la transition de notre modèle de sécurité civile pour répondre aux calamités supplémentaires auxquelles nous serons confrontés, et faire davantage de prévention.

Je vous donnerai quelques exemples tout bêtes. Tous les pompiers vous diront que la suppression des cendriers dans les voitures pose d’énormes problèmes de sécurité civile. De même, les barbecues en forêt et le défaut de débroussaillement sont responsables d’une grande partie des feux. Moi non plus je ne suis pas en mesure de distinguer ce qui relève de l’activité criminelle et ce qui relève de l’incendie involontaire, mais quand une trentaine de départs de feux se produisent dans le même massif au même moment, on se doute bien, même si l’on ne trouve pas le responsable, qu’il ne s’agit pas là d’événements purement accidentels.

Notre modèle de sécurité civile a tout de même fait la preuve de sa résilience. On peut le critiquer tant qu’on veut, et oui, les mégafeux sont une catastrophe écologique, mais nous n’avons pas à déplorer le moindre mort, contrairement à ce qui s’est passé chez tous nos voisins européens – alors que des vacanciers avaient été entourés par les flammes, notamment en Gironde et dans les Landes. Moins d’une quinzaine de maisons ont été détruites, toutes les entreprises et exploitations agricoles ont été dédommagées. Grâce aux agriculteurs et aux collectivités locales, nous avons su faire face à la situation. Il est vrai que des difficultés importantes doivent être résolues et que nous devons opérer une transition, mais si nous nous comparons, nous pouvons être très fiers de notre modèle et de l’héroïsme des pompiers et du personnel navigant.

M. le président Éric Coquerel. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : je n’ai pas contesté le fait que le modèle ait des qualités, à commencer par les personnes qui le servent. Je dis simplement que, dans la mesure où il y aura de plus en plus de feux partout, la question des moyens finira par se poser.

M. Gérald Darmanin, ministre. C’est la raison pour laquelle nous augmentons le budget.

M. Florian Chauche, rapporteur spécial. En matière de prévention, monsieur le rapporteur général, l’Entente Valabre, établissement public qui réunit des collectivités et départements du sud de la France, accomplit effectivement un travail formidable : elle forme les sapeurs-pompiers à combattre les feux de forêt et mène un travail de prévention, notamment à travers des campagnes de publicité. Nous pourrions développer ce modèle dans d’autres zones de défense du pays.

Il serait intéressant de consacrer une étude à la valeur de tout ce qui est sauvé par les pompiers, et donc aux économies réalisées par les compagnies d’assurances grâce aux Sdis : vies, bâtiments, véhicules, tout cela a une valeur. Sur la base de cette évaluation, nous pourrions faire contribuer un peu plus les assureurs.

J’ai une pensée pour les sapeurs-pompiers, professionnels et volontaires, et pour les associations de sécurité civile : tous vont être fortement sollicités à court terme lors de la Coupe du monde de rugby, et durant les Jeux olympiques et paralympiques de 2024.

Je remercie M. le ministre pour ses réponses. Toutefois, je partage l’avis du président de notre commission : du fait du changement climatique, les feux vont se développer un peu partout en France et de manière simultanée. Dès lors, il sera plus difficile de déployer des colonnes de renfort.

Pour finir, je formule le vœu – pieux ou non, l’avenir nous le dira – que nous puissions approfondir les discussions relatives au financement des Sdis lors du prochain projet de loi de finances.

La commission autorise, en application de l’article 146, alinéa 3, du Règlement de l’Assemblée nationale, la publication du rapport d’information de M. Florian Chauche, rapporteur spécial.


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   LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL

– Mme Romain Pudal, sociologue

 

Institute For Climate Economics (I4CE) *

– M. Vivian Dépoues, Chef de projet sénior Adaptation

 

Inspection générale de l’Administration

– Mme Patricia Janin, inspectrice générale de l’administration

– M. Philippe Sauzey, inspecteur général de l’administration

 

Assemblée des départements de France

– M. André Accary, président de la commission SDIS de Départements de France, président du département de Saône-et-Loire

– M. Jean-Baptiste Estachy, conseiller sécurité Départements de France

– M. Brice Lacourieux, conseiller relations avec le Parlement

 

Association des Maires de France

– M. Alexandre Touzet, maire de Saint-Yon

– M. Bastien Coriton, maire de Rives-en-Seine

– M. Thierry Lagneau, maire de Sorgues

– Mme Judith Mwendo, responsable du Département Administration et Gestion communale

– Mme Elodie Vin, Relations avec le Parlement.

 

Fédération autonome des sapeurs-pompiers professionnels et des personnels administratifs et techniques spécialisés (FA SPP-PATS)

– M. Pascal Cousseau

– M. Xavier Boye

 

CGT des SDIS

– M. Peter Gurruchaga

– M. Sébastien Delavoux

L’union nationale FO-SIS

– M. Bruno Gibert, secrétaire général FO du SDIS77

 

SUD

– M. Thierry Vogne, adjoint au secrétaire national

– M. Nicolas Braz, membre de SUD33

 

Préfecture du Var

– M. Evence Richard, préfet du Var

 

Préfecture des Vosges

– Mme Valérie Michel-Moreaux, préfète des Vosges

 

Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France *

– M. Jean-Paul Bosland, président

– M. Marc Vermeulen, membre du comité exécutif

 

Direction générale de la sécurité civile et de la gestion de crise (DGSCGC)

– M. Alain Thirion, préfet, directeur général de la sécurité civile

– M. Frédéric Papet, directeur des sapeurs-pompiers

– M. Stéphane Thebault, sous-directeur des affaires internationales, des ressources et de la stratégie

 

 

 

 

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique


  1  

   LISTE DES déplacements menés
PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL

Groupement avions de la sécurité civile (GASC), 26 avril 2023

– Mme Adeline Savy, cheffe du groupement des moyens aériens (GMA)

– M. Olivier Bertrand, chef du groupement avions de la sécurité civile (GASC)

 

Groupement hélicoptères de la sécurité civile (GHSC), 26 avril 2023

– Mme Adeline Savy, cheffe du groupement des moyens aériens (GMA)

– M. Pascal Boucher, chef du groupement hélicoptères de la sécurité civile (GHSC)

 

École Nationale Supérieure des Officiers de Sapeurs-Pompiers (ENSOSP), 27 avril 2023

– Colonel Ludovic Inès, directeur-adjoint de l'ENSOSP

 

Entente Valabre, 27 avril 2023

– Contrôleur général Jean-Marc Bedogni, directeur général de l’Entente Valabre

– M. Jacky Gérard, président de l’Entente Valabre, conseiller départemental des Bouches-du-Rhône

 

 

*

*     *

 


([1]) Article 1er de la loi n° 2004-811 du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile.

([2]) Hors Brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) et Bataillon des marins-pompiers de Marseille (BMPM).

([3]) Le document de politique transversale annexé au projet de loi de finances pour 2022 fait état de 11 programmes qui concourent à la politique de sécurité civile.

([4])  P. Sauzey, P. Jannin, T. Montbabut, Le financement des services d’incendie et de secours : réalisations – défis – perspectives, Inspection générale de l’administration, Octobre 2022.

([5]) Loi n° 96-369 du 3 mai 1996 relative aux services d'incendie et de secours.

([6])  Revalorisation engagée par le décret n° 2020-903 du 24 juillet 2020.

([7])  Selon le rapport annuel sur la fonction publique de 2019, le nombre d’accidents de services de la filière 6 incendie et secours 8 était le plus élevé de la fonction publique territoriale, s’établissant à 15,4 pour 100 agents contre 6,5 en moyenne.

([8])  En se référant à la base Infosdis 2021, une estimation des prix peut être établie :

– coût moyen d’un CCF (camion-citerne feux de forêt) : 200 000 € ;

– coût moyen d’un CCR (camion-citerne rural) : 140 000 €. Adapté aux « petites interventions », le CCR dispose de qualités « moyennes », il se situe à mi-chemin entre le Fourgon-Pompe Tonne (FPT) et le CCF.

([9]) 13 départements de la zone Sud (Alpes-Maritimes, Ardèche, Aude, Bouches-du-Rhône, Corse-du-Sud, Haute-Corse, Drôme, Gard, Hérault, Lozère, Pyrénées-Orientales, Var, Vaucluse) et 3 départements du sud-ouest (Charente-Maritime, Gironde, Landes).

([10]) Chiffres du système européen d’information sur les feux de forêt intégré à Copernicus, programme de l’Union européenne.

([11]) Éléments chiffrés provenant de la FNSPF.

([12]) Comme le rapport de la mission interministérielle Changement climatique et extension des zones sensibles aux feux de forêts publié en 2010 dit « rapport Chatry ». Celui-ci précise notamment que « sur la base du constat actuel des dépenses actuellement engagées par les acteurs publics et privés de la prévention et de la lutte (plus de 500 millions d’euros par an) et d'un ratio de charges variables estimé à 2/3, une augmentation de 30 % des surfaces sensibles se traduira par une augmentation des coûts d'au moins 20 % d'ici 2040 (en euro constant) ».

([13]) DFCI.

([14]) Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.

([15]) En vertu de l’article 1424-2 du Code général des collectivités territoriales (CGCT).

([16]) Arrêté interministériel du 22 avril 2022.

([17])  Romain Pudal, Retour de flammes, La Découverte, 2016.

([18]) Sur les implications de l’arrêt de la CJUE du 21 février 2018, Ville de Nivelles contre Rudy Matzak, voir le rapport de l’Inspection générale de l’administration d’octobre 2022.

([19]) Jugement n°2101694 du tribunal administratif de Strasbourg, 24 mai 2023.

([20]) Loi n° 2004-811 du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile.

([21]) Loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité.

([22]) Les départements bénéficient également d’une autre fraction de TSCA en compensation des nouvelles compétences qui leur sont attribuées.

([23]) Loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004 de finances pour 2005.

([24]) Il s’agit des programmes 354, 149, 205, 181, 204, 190 et 159.

([25]) Chiffre de la DGSCGC.

([26]) Crédits de paiement exécutés en 2021.