N° 1306

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er juin 2023.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 146 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, dE L’Économie gÉnÉrale
et du contrÔLE BUDGÉTAIRE

 

sur l’évaluation du système dual en matière de sûreté nucléaire, garanti par l’indépendance entre la fonction de régulateur assurée par l’Autorité de sûreté nucléaire et celle d’expertise assurée par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire

 

ET PRÉSENTÉ PAR

Mme Alma DUFOUR et M. Sébastien ROME,
rapporteurs spéciaux

 

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SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION

LISTE DES RECOMMANDATIONS DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

PremiÈre partie : l’organisation du contrÔle de la sÛretÉ nuclÉaire en France rÉsulte d’une Évolution historique ayant abouti À la sÉparation entre l’autoritÉ de contrÔle et un organisme principal d’expertise

I. La construction du contrÔle de la sÛretÉ nuclÉaire a ÉtÉ progressive au cours de la seconde moitiÉ du XXe siÈcle

A. La sÛretÉ nuclÉaire, composante de la sÉcuritÉ nuclÉaire, est liÉe À la radioprotection

B. Le contrÔle de la sÛretÉ nuclÉaire est le fruit d’une Évolution historique visant notamment À rÉpondre aux crises industrielles et sanitaires de la fin du XXe siÈcle

1. Le contrôle de la sûreté, corollaire du développement de la filière de l’industrie nucléaire, apparaît en France dès l’après-guerre

2. L’accident de Tchernobyl ainsi que les différentes crises sanitaires des années 1990 ont conduit à une refonte de l’organisation du contrôle de la sûreté nucléaire

II. Le systÈme français de contrÔle de la sÛretÉ nuclÉaire repose aujourd’hui sur une autoritÉ de contrÔle indÉpendante, l’ASN, et un appui technique principal, l’IRSN

A. L’ASN est l’autoritÉ de contrÔle de la sÛretÉ nuclÉaire en France

1. L’ASN est l’autorité décisionnaire en matière de contrôle de la sûreté nucléaire

2. Présente sur tout le territoire, l’ASN est organisée de façon à garantir son indépendance et son impartialité vis-à-vis du Gouvernement et des exploitants

B. L’IRSN est le principal organisme d’appui technique en matiÈre de sÛretÉ nuclÉaire

1. L’IRSN exerce des missions principales d’expertise et de recherche

2. Établissement public à caractère industriel et commercial, l’IRSN est principalement régi par le droit privé

DeuxiÈme partie : Le contrÔle de la sÛretÉ nuclÉaire est aujourd’hui un processus bien organisÉ et efficace, malgrÉ certaines complexitÉs budgÉtaires et administratives

I. Les compÉtences de contrÔle et d’expertise sont clairement rÉparties entre l’asn et l’irsn

A. L’ASN et l’IRSN entretiennent un dialogue constant À toutes les Étapes de l’inspection des installations

1. Les relations entre l’ASN et l’IRSN sont organisées par une convention cadre pluriannuelle, déclinée en protocoles annuels d’application

2. Lorsqu’une inspection de l’ASN rend nécessaire l’expertise de l’IRSN, ce dernier est associé à toutes les étapes de la procédure

B. En dehors des inspections, plusieurs instances permettent d’assurer un dialogue rÉgulier entre l’ASN et l’IRSN

II. le mode de financement de la sÛretÉ nuclÉaire est peu lisible, et sa charge administrative parfois lourde

A. Le financement de la sÛretÉ nuclÉaire provient DE DIFFÉRENTS canaux budgÉtaires, ce qui affaiblit sa lisibilitÉ et in fine son contrÔle dÉmocratique

1. Les moyens budgétaires de l’ASN sont répartis sur plusieurs programmes relevant de ministères différents

2. Le financement de l’IRSN est assuré à la fois par des dotations du budget de l’État, une taxe affectée et des ressources propres

3. La connaissance du montant global du budget consacré à la sûreté nucléaire est un exercice complexe

B. Le contrÔle de la sûretÉ nuclÉaire fait face À certaines rigiditÉs administratives

1. Une fluidification des échanges entre l’ASN et l’IRSN est possible, en particulier pour les dossiers les plus techniques

2. L’ASN pourrait être davantage associée aux arbitrages sur le financement de l’activité d’expertise de l’IRSN dont elle bénéficie

3. La répartition des missions entre l’ASN et l’IRSN en situation de crise devrait être clarifiée

TroisiÈme partie : Face aux nombreux enjeux auquel doit faire face le parc nuclÉaire actuel et futur, il convient de ne pas dÉstabiliser l’organisation du contrÔle de la sÛretÉ nuclÉaire

I. Il est urgent de rÉpondre aux besoins humains et financiers de l’ASN et de l’IRSN pour leur permettre d’absorber la charge de travail supplÉmentaire RÉSULTANT DES Évolutions que connaÎt le parc nuclÉaire français

A. La sÛretÉ nuclÉaire fait face À de nombreux enjeux liÉs au VIEILLISSEMENT du parc existant, À la construction de nouveaux rÉacteurs ainsi qu’au changement climatique

B. Pour faire face À ces enjeux, il est nÉcessaire de renforcer les moyens budgÉtaires et financiers de l’ASN et de l’IRSN ainsi que l’attractivitÉ de leurs mÉtiers

1. Il est urgent de renforcer des moyens financiers et humains de l’ASN et de l’IRSN

2. L’attractivité des métiers de l’ASN et de l’IRSN doit impérativement être revalorisée, dans un contexte de forte concurrence avec les industriels sur le marché du travail

II. Le projet gouvernemental de transfert des compÉtences techniques paraÎt dÈs lors peu opportun, au risque de mobiliser les forces sur la conduite du changement plutÔt que sur les tÂches de contrÔle

A. Le Gouvernement souhaite transfÉrer les compÉtences techniques suivant une mÉthode qui n’est pas de nature À renforcer la confiance des citoyens dans son projet

B. Au regard des diffÉrentes menaces que fait planer ce transfert sur un systÈme ayant largement fait ses preuves, un tel projet doit Être ÉcartÉ afin de mobiliser LES forces sur le contrÔle

1. Le projet de transfert désorganisera sur plusieurs années le fonctionnement de deux organismes qui ont appris au fil des années à travailler en bonne intelligence

2. Le projet de transfert privera la recherche en sûreté nucléaire des financements issus des partenariats autorisés par le statut d’EPIC de l’IRSN

3. Le projet de transfert risque de menacer l’attractivité des métiers du contrôle et de l’expertise de la sûreté nucléaire, sur un marché du travail déjà très concurrentiel

TRAVAUX DE LA COMMISSION

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

 


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   INTRODUCTION

Le 8 février 2023, la ministre de la transition énergétique annonçait dans un communiqué de presse le transfert des compétences d’expertise et de recherche de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) vers l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Le 25 février 2023, moins d’un mois après l’annonce de ce chantier d’ampleur, le Gouvernement a déposé, lors de l’examen en première lecture du projet de loi de relance du nucléaire par la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, deux amendements proposant ce transfert.

Au-delà de la question de la méthode employée par le Gouvernement, consistant à faire passer sa réforme par voie d’amendement sans consultation préalable des différentes parties concernées et des parlementaires, ce qui n’est pas de nature à renforcer la confiance, pourtant essentielle, de nos concitoyens dans le système de contrôle de la sûreté de nos installations nucléaires, ce transfert pose de véritables questions de fond.

En effet, après l’annonce de la relance du nucléaire civil en France et face aux nombreux enjeux du parc nucléaire français liés au vieillissement du parc, à la hausse des chantiers de démantèlement ou encore à l’adaptation des installations nucléaires au changement climatique, un projet de transfert de compétences de l’IRSN à l’ASN mobilisera des énergies et des moyens considérables alors que ceux-ci pourraient être employés sur les activités de contrôle et d’expertise, lesquelles ont vocation à augmenter considérablement dans les années à venir.

Si ce projet de transfert a finalement été écarté par le Parlement au terme de l’examen du projet de loi de relance du nucléaire, le ministère de la transition énergétique a indiqué que le Gouvernement entendait poursuivre ses réflexions.

Aussi, les rapporteurs spéciaux ont souhaité évaluer le contrôle de la sûreté nucléaire en France, et plus spécifiquement la répartition des missions entre l’ASN et l’IRSN. Ils ont entendu la direction de ces deux organismes ainsi que les représentants de leurs personnels respectifs, afin d’avoir une vision concrète des conditions de travail au sein de l’Autorité et de l’Institut ainsi que des relations entre leurs équipes lorsqu’elles sont amenées à travailler ensemble. Ils ont également souhaité interroger le ministère de la transition écologique, par l’intermédiaire de la direction générale de la prévention des risques (DGPR), afin qu’il puisse leur faire part des réflexions du Gouvernement sur ces différents sujets.

À l’issue de leurs travaux, les rapporteurs spéciaux estiment que l’actuelle organisation du contrôle et de l’expertise de la sûreté nucléaire est la plus adaptée afin de faire face aux nombreux enjeux de notre parc nucléaire.

Cette organisation, résultant d’une évolution historique liée au développement de la filière industrielle du nucléaire, repose sur la séparation entre l’autorité de contrôle, l’ASN, et un principal organisme d’expertise et de recherche, l’IRSN, dont les fonctions sont clairement identifiées et réparties (Première partie). Si ce contrôle est aujourd’hui un processus bien organisé et efficace, il connaît certaines complexités budgétaires et administratives, qu’il est parfaitement possible de corriger (Deuxième partie). Aussi, face aux nombreux enjeux auxquels devra faire face notre parc nucléaire, il faut renforcer les moyens de l’ASN et de l’IRSN sans bouleverser l’organisation du système de contrôle de la sûreté nucléaire (Troisième Partie).

 

 

 


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   LISTE DES RECOMMANDATIONS DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

Recommandation n° 1 :

Créer une annexe au projet de loi de finances retraçant l’ensemble de l’effort financier consacré à la sûreté nucléaire en France.

Recommandation n° 2 :

Réaliser des audits et des retours d’expérience sur la qualité des échanges entre l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), pouvant aboutir à une révision de la convention cadre entre ces deux organismes, afin de fluidifier les relations entre eux.

Recommandation n° 3 :

Modifier le calendrier de consultation de l’ASN sur les crédits d’expertise de l’IRSN prévue à l’article L. 592-14 du code de l’environnement, afin que celle-ci ait lieu avant que les arbitrages budgétaires du Gouvernement ne soient rendus.

Recommandation n° 4 :

Clarifier la répartition des compétences en matière de gestion de crise entre l’ASN et l’IRSN, et étudier la mise en place d’un centre de crise commun entre les deux organismes. Les modalités d’organisation de ce centre devront faire l’objet d’échanges entre le Gouvernement, l’ASN et l’IRSN afin de disposer de la structure la plus efficace pour clarifier la chaîne de réponse en cas de situation d’urgence.

Recommandation n° 5 :

Évaluer le dispositif de l’ASN permettant de signaler des irrégularités rencontrées dans les installations nucléaires, afin de s’assurer de sa connaissance par les agents et salariés du secteur et connaître les suites concrètes données à ces signalements. À la lumière des résultats de cette évaluation, la création d’un régime juridique spécifique aux lanceurs d’alerte dans le domaine du nucléaire pourrait être souhaitable.

Recommandation n° 6 :

Augmenter les ressources de l’IRSN pour garantir sa soutenabilité sur le long terme, par une hausse de la subvention portée par le programme 190 ainsi qu’une hausse du produit de la taxe affectée acquittée par les exploitants des INB.

Recommandation n° 7 :

Créer une dotation supplémentaire pour financer les activités de recherche de l’IRSN, afin de consolider les connaissances et compétences de ses agents.

Recommandation n° 8 :

Poursuivre l’effort d’augmentation des moyens humains pour l’ASN et l’IRSN afin de leur permettre de disposer de suffisamment d’agents face à la hausse de la charge de travail dans les années à venir.

Recommandation n° 9 :

Augmenter la rémunération des agents de l’ASN et de l’IRSN et l’aligner sur celle pratiquée dans le secteur privé, afin de garantir l’attractivité de leurs métiers dans un contexte de forte concurrence sur le marché du travail.

Recommandation n° 10 :

Revoir la politique de ressources humaines de l’ASN afin de renforcer l’attractivité de ses métiers, et ouvrir un concours massif et pluriannuel d’ingénieurs de l’industrie et des mines pour faire face à l’importante charge de travail à venir.

Recommandation n° 11 :

Abandonner le projet de transfert des compétences d’expertise et de recherche de l’IRSN vers l’ASN, afin de concentrer les forces en présence sur l’importante charge de travail dans les années à venir plutôt que sur la mise en place d’une nouvelle architecture incertaine du contrôle de la sûreté nucléaire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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   PremiÈre partie :
l’organisation du contrÔle de la sÛretÉ nuclÉaire en France rÉsulte d’une Évolution historique ayant abouti À la sÉparation entre l’autoritÉ de contrÔle et un organisme principal d’expertise

I.   La construction du contrÔle de la sÛretÉ nuclÉaire a ÉtÉ progressive au cours de la seconde moitiÉ du XXe siÈcle

A.   La sÛretÉ nuclÉaire, composante de la sÉcuritÉ nuclÉaire, est liÉe À la radioprotection

La sûreté nucléaire est définie à l’article L. 591-1 du code de l’environnement comme « l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets ».

La sûreté vise ainsi à assurer les conditions de fonctionnement normal des installations nucléaires sans exposition excessive des travailleurs aux rayonnements ionisants et sans rejets excessifs de radioactivité dans l’environnement, à prévenir les incidents et accidents, et dans les cas où ces derniers se produisent, à en limiter les effets sur les travailleurs, les populations et l’environnement.

Cette sûreté est une composante de la notion, plus large, de sécurité nucléaire qui, selon le même article du code de l’environnement, comprend, en plus de la sûreté nucléaire, la radioprotection, la prévention et la lutte contre les actes de malveillance (sabotage, vol, détournement de matières nucléaires, etc.) ainsi que les actions de sécurité civile en cas d’accident, que ce dernier soit d’origine naturelle ou humaine.

Le contrôle de la sûreté nucléaire implique le plus souvent celui de la radioprotection, définie par le même article comme « la protection contre les rayonnements ionisants, c’est-à-dire l’ensemble des règles, des procédures et des moyens de prévention et de surveillance visant à empêcher ou à réduire les effets nocifs des rayonnements ionisants produits sur les personnes, directement ou indirectement, y compris par les atteintes portées à l’environnement ». Hors industrie, la radioprotection intéresse particulièrement le secteur médical (imagerie, radiothérapie, etc.).

B.   Le contrÔle de la sÛretÉ nuclÉaire est le fruit d’une Évolution historique visant notamment À rÉpondre aux crises industrielles et sanitaires de la fin du XXe siÈcle

1.   Le contrôle de la sûreté, corollaire du développement de la filière de l’industrie nucléaire, apparaît en France dès l’après-guerre

En France, le contrôle de la sûreté nucléaire a été pensé dès l’origine comme la nécessaire contrepartie du développement de l’industrie de l’atome à la fin de la Seconde Guerre mondiale, avec la création en 1945 du Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Sa mission, toujours d’actualité, était d’étudier toutes les applications de l’atome au bénéfice de l’industrie, de la défense et de la santé de la population.

Les préoccupations de sûreté et de radioprotection des installations nucléaires exploitées par le CEA ont entraîné la création, en son sein, d’un service spécifique en 1951, puis celle du groupe technique de sûreté des piles (GTSP) en 1957, marquant le début de l’institutionnalisation du contrôle de la sûreté nucléaire en France. Ce groupe technique, recensant les différentes problématiques de sûreté constatées sur les réacteurs, s’est substitué à des contrôles réalisés jusqu’alors au cas par cas. En 1960 sera créée, toujours au sein du CEA, la Commission de sûreté des installations atomiques (CSIA), chargée d’avaliser toute décision de construction, de mise en fonctionnement ou de modification des conditions de fonctionnement des installations nucléaires. L’expertise technique du CEA destinée à préparer les avis de la CSIA fut regroupée en 1970 au sein d’un département de sûreté nucléaire (DSN).

En parallèle, le développement de l’utilisation des rayonnements ionisants, en particulier dans le secteur médical, a entraîné la création en 1956 du service central de protection contre les rayonnements ionisants (SCPRI) au sein de l’Institut national d’hygiène (devenu Institut national de la santé et de la recherche médicale – INSERM – en 1964), chargé d’une mission de contrôle de la radioprotection et doté de capacités d’expertise propres. Cette création témoigne de l’importance des enjeux de contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en dehors du seul secteur de l’industrie.

En 1973, l’État décide d’exercer lui-même le contrôle de la sûreté nucléaire, alors dévolu au CEA : fut ainsi créé, au sein du ministère de l’industrie, le service central de sûreté des installations nucléaires (SCSIN), édictant des prescriptions générales que devront mettre en œuvre les constructeurs et les exploitants sur leurs installations.

Influencé par les débats qui eurent lieu à l’étranger sur la séparation entre l’expertise technique et la promotion de l’énergie d’origine nucléaire, qui reposait alors sur le CEA, le gouvernement opta pour une solution de compromis en créant, au sein du CEA, l’Institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN) en 1976.

Électricité de France (EDF) ayant commencé à exploiter des réacteurs, il devint nécessaire de l’associer aux travaux du CEA : furent ainsi créés dès 1967 les groupes d’experts ad hoc, composés de représentants du CEA, d’EDF et du ministère de l’industrie, qui deviendront les groupes permanents d’experts en 1973. Ces groupes permanents ont ainsi institutionnalisé les échanges entre les trois acteurs de la sûreté nucléaire que sont l’exploitant (EDF), le contrôleur (le SCSIN) et l’expert (l’IPSN).

2.   L’accident de Tchernobyl ainsi que les différentes crises sanitaires des années 1990 ont conduit à une refonte de l’organisation du contrôle de la sûreté nucléaire

L’accident de Tchernobyl en avril 1986 et les polémiques engendrées par la communication autour des déplacements du nuage radioactif ont entamé la confiance de l’opinion publique dans le dispositif de contrôle de la sûreté nucléaire. Les réflexions sur l’organisation de ce contrôle à l’issue de cet accident ont rencontré celles suscitées par les crises sanitaires des années 1990 (affaire du sang contaminé, crise de la vache folle) pour aboutir à une organisation reposant sur une forte séparation entre les fonctions d’expertise et celles de gestion du risque : l’objectif est de ne pas faire reposer sur les épaules des experts le poids de la décision, garantissant ainsi l’indépendance de leur jugement.

L’évolution de cette organisation commence en 1991 avec la transformation du SCSIN en direction de la sûreté des installations nucléaires (DSIN), placée sous la double tutelle des ministères de l’industrie et de l’environnement.

En 1994, l’Office de protection contre les rayonnements ionisants (OPRI), établissement public de l’État à caractère administratif (EPA) placé sous la tutelle du ministère de la santé et du ministère du travail, succède au SCPRI. Il fusionnera ensuite avec l’IPSN en 2002 pour former l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), établissement public de l’État à caractère industriel et commercial (EPIC) placé sous la tutelle des ministères chargés de la défense, de l’environnement, de l’industrie, de la recherche et de la santé.

En 2002, la direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection (DGSNR) succède à la DSIN et ajoute officiellement le domaine de la radioprotection au champ de son contrôle. Elle sera remplacée en 2006 par une autorité administrative indépendante (AAI), l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).

 

 

 

II.   Le systÈme français de contrÔle de la sÛretÉ nuclÉaire repose aujourd’hui sur une autoritÉ de contrÔle indÉpendante, l’ASN, et un appui technique principal, l’IRSN

A.   L’ASN est l’autoritÉ de contrÔle de la sÛretÉ nuclÉaire en France

1.   L’ASN est l’autorité décisionnaire en matière de contrôle de la sûreté nucléaire

Créée par la loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire de 2006 ([1]), l’ASN est une AAI chargée, au nom de l’État, de contrôler les activités nucléaires civiles et la radioprotection (usines d’enrichissement et de fabrication des combustibles, réacteurs, traitement des déchets, etc.), ce qui exclut les installations et activités nucléaires en matière de défense pour lesquelles l’Autorité de sûreté nucléaire de la défense (ASND) est compétente.

L’Autorité de sûreté nucléaire et de défense (ASND)

Selon l’article R. 1333-67-8 du code de la défense, l’ASND est un service placé auprès du ministre des armées, composé du délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les installations et activités intéressant la défense (DSND) et du personnel mis à sa disposition pour l’exercice de ses missions et placé sous sa responsabilité.

Nommé par décret sur proposition du ministre des armées pour une durée de 5 ans renouvelable, le DSND participe au contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection des installations et activités nucléaires intéressant la défense mentionnées à l’article L. 1333-15 du code de la défense (installations nucléaires de base secrètes, systèmes nucléaires militaires, sites et installations d’expérimentations nucléaires intéressant la défense, anciens sites d’expérimentations nucléaires du Pacifique, transports de matières fissiles ou radioactives liés aux activités d’armement nucléaire et de propulsion nucléaire navale). Il est chargé d’étudier et de proposer au ministre des armées la politique de sûreté nucléaire et de radioprotection dans le domaine militaire, politique qui sera ensuite définie par le ministre. L’ASND exerce des fonctions similaires à celles de l’ASN, notamment en contrôlant les mesures prises par l’exploitant sur les installations ou concernant les activités relevant de sa compétence et en conseillant les pouvoirs publics en cas de crise.

Pour l’exercice de ses missions, le DSND peut avoir recours à des experts de son choix. Il établit des échanges réguliers d’informations avec l’ASN.

L’ASN exerce cinq missions principales :

 la réglementation : l’ASN donne son avis au Gouvernement sur les projets de décrets et d’arrêtés ministériels en matière de sûreté et prend des décisions réglementaires à caractère technique ;

 les décisions individuelles : l’ASN instruit l’ensemble des demandes d’autorisations individuelles des installations nucléaires et accorde ces autorisations. Les autorisations les plus importantes (création, démantèlement, etc.) devront être homologuées par la direction générale de la prévention des risques (DGPR) relevant du ministère de la transition écologique. L’ASN délivre également les autorisations prévues par le code de la santé publique pour le nucléaire de proximité (activités médicales ou industrielles qui mettent en œuvre des rayonnements ionisants ou des sources radioactives) et accorde les autorisations ou agréments relatifs au transport de substances radioactives ;

 le contrôle : l’ASN contrôle le respect des règles auxquelles sont soumises les installations et activités entrant dans son champ de compétence. La sûreté relève avant tout de la responsabilité de l’exploitant, sous le contrôle de l’ASN. Depuis la loi de 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte ([2]), les missions de l’ASN s’étendent à la protection des sources de rayonnements ionisants contre les actes de malveillance. L’ASN dispose de pouvoirs de coercition et de sanction gradués (mise en demeure, amende administrative, astreinte journalière, possibilité de procéder à des saisies, prélèvements ou consignations, etc.).

Pour exercer ses pouvoirs de décision et de contrôle, l’ASN peut avoir recours à des activités d’expertise technique, consistant à évaluer les risques d’incident et d’accident et les mesures prises par l’exploitant pour y faire face. Cette expertise peut être assurée par l’ASN elle-même dans certains domaines (par exemple en matière d’environnement et d’équipements sous pression). Quand elle a besoin de compétences externes, l’ASN a principalement recours à l’expertise de l’IRSN conformément à l’article L. 592-14 du code de l’environnement ([3]). Cet appui technique de l’IRSN à l’ASN couvre l’ensemble des problématiques liées à la sûreté nucléaire et à la radioprotection dans le domaine civil et peut prendre différentes formes, comme des avis, des rapports ou des notes techniques, la participation à des groupes de travail organisés par l’ASN, ou encore des formations destinées à son personnel. En 2022, l’IRSN a adressé à l’ASN 489 livrables, dont 239 avis techniques.

 l’information du public : l’ASN rend compte de son activité au Parlement et informe le public de son activité et de l’état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France ;

 l’assistance au Gouvernement en cas de situation d’urgence : l’ASN contrôle les opérations de mise en sûreté de l’installation accidentée prises par l’exploitant, informe le public et ses homologues étrangers de la situation et assiste le Gouvernement dans la gestion de la crise. Elle réalise des exercices de crise réguliers et a mis en place en 2018 un dispositif d’astreinte dans le cadre duquel des agents, désignés par périodes de sept jours consécutifs, doivent rester joignables afin d’intervenir rapidement face à l’évènement problématique.

2.   Présente sur tout le territoire, l’ASN est organisée de façon à garantir son indépendance et son impartialité vis-à-vis du Gouvernement et des exploitants

Fruit de l’évolution historique décrite supra, l’ASN a le statut d’AAI afin d’exercer ses différentes missions sans l’intervention directe de l’État. Elle est ainsi placée sous l’autorité d’un collège de cinq commissaires nommés pour un mandat de six ans et irrévocables pour la durée de celui-ci. Trois membres du collège (dont le président) sont nommés par le Président de la République et deux par les présidents des deux assemblées. Ces commissaires exercent leurs fonctions en toute impartialité, sans recevoir d’instruction du Gouvernement ni d’aucune autre institution. Le collège définit la politique générale de l’ASN en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection et prend publiquement position sur les sujets majeurs qui relèvent de sa compétence. Les services de l’ASN sont dirigés par un directeur général.

L’ASN comprend un siège à Montrouge (Hauts-de-Seine) ainsi que onze divisions territoriales compétentes sur une ou plusieurs régions administratives, couvrant ainsi l’ensemble du territoire national et les collectivités territoriales d’outre‑mer. Ces divisions réalisent l’essentiel du contrôle de terrain sur les installations nucléaires, les transports de substances radioactives et le nucléaire de proximité. Elles représentent l’ASN en région et contribuent à l’information du public dans leur périmètre géographique. Dans les situations d’urgence, ces divisions assistent le représentant de l’État responsable de la protection des populations et assurent le contrôle des opérations de mise en sûreté de l’installation accidentée.

Pour exercer ses différentes missions, l’ASN s’appuie sur 516 agents en 2022, qui se répartissent comme suit :

– 5 commissaires (soit 1,0 % des effectifs) ;

– 381 fonctionnaires (73,8 %), majoritairement des agents du corps des ingénieurs de l’industrie et des mines (262 agents). Recrutés sur concours au niveau bac+5, ces ingénieurs sont issus d’un corps technique à vocation interministérielle ([4]) intervenant sur les domaines de la gestion des risques industriels et de l’innovation ;

– 72 contractuels (14,0 %), de droit public, qui réalisent aussi des inspections ;

– 58 agents mis à disposition (11,2 %), notamment issus de l’IRSN (23 agents) et du CEA (20 agents).

Hors mises à disposition, les effectifs de l’ASN ont évolué à la hausse. Cette évolution est liée à une augmentation de la charge de travail de l’ASN et non à une modification du périmètre de ses missions.

Évolution du plafond d’emplois DE L’ASN depuis 2014

(en ETPT réalisés)

Source : ASN.

B.   L’IRSN est le principal organisme d’appui technique en matiÈre de sÛretÉ nuclÉaire

1.   L’IRSN exerce des missions principales d’expertise et de recherche

Créé par la loi du 9 mai 2001 créant une Agence française de sécurité sanitaire environnementale ([5]), l’IRSN est un EPIC résultant de la fusion de l’OPRI avec l’IPSN, placé sous la tutelle conjointe des ministres chargés de l’environnement, de la défense, de l’énergie, de la recherche et de la santé.

Ses missions, définies aux articles L. 592-45 à L. 592-49 du code de l’environnement, sont les suivantes :

 l’expertise de sûreté, de surveillance radiologique et en radioprotection : l’IRSN est le principal organisme d’expertise technique dans le domaine de la sûreté nucléaire, réalisant des analyses, des mesures et des dosages. Intervenant sur site, l’IRSN engage un dialogue technique avec les exploitants et rédige des rapports d’expertise et des avis. Les experts et chercheurs mettent en œuvre des approches scientifiques et techniques pour comprendre les phénomènes physiques, se prononcent sur leurs effets et évaluent le caractère adapté des dispositions mises en œuvre par les exploitants au regard des risques présents et potentiels du point de vue nucléaire et radiologique.

Ainsi, alors que le contrôle vise à vérifier que l’exploitation est conforme au référentiel défini par la loi et que l’exploitant tient ses différents engagements, l’expertise a pour fonction d’examiner la pertinence et la suffisance du référentiel de sûreté d’une installation, sur la base des connaissances scientifiques et techniques disponibles.

L’ASN est le commanditaire principal de l’expertise de l’IRSN : sur les 110,3 millions d’euros de dépenses d’appui technique aux autorités et services de l’État en 2022, 82,7 millions d’euros sont consacrés à l’ASN. Cet appui à l’ASN, qui mobilise environ 430 ETP de l’IRSN, représente de l’ordre de 25 % des activités de l’Institut.

D’autres organismes font également appel à l’appui technique de l’IRSN, comme la direction générale du travail (DGT) pour la surveillance radiologique des expositions professionnelles, ou encore la direction générale de la santé (DGS) en ce qui concerne l’usage des rayonnements ionisants dans le secteur médical.

● la recherche : cette recherche est dite « orientée » puisqu’elle a pour objectif de développer les connaissances et les outils dont l’IRSN a besoin pour répondre aux questions soulevées par ses expertises. L’article L. 592-46 du code de l’environnement mentionne ainsi expressément que les activités d’expertise de l’Institut sont « soutenues par des activités de recherche ». La recherche a également vocation à anticiper les questions nouvelles qui pourraient résulter de l’évolution des installations, des pratiques ou encore de l’environnement. Les missions de recherche et l’expertise de l’IRSN sont donc synergiques : la recherche vise à améliorer l’expertise, et les situations analysées lors de l’expertise peuvent faire apparaître de nouveaux sujets de recherche ([6]).

Parmi les grands projets de recherche en cours, peuvent être cités la mise en œuvre du projet européen de recherche pour la radioprotection PIANO-FORTE rassemblant 58 partenaires issus de 22 États membres ainsi que le Royaume-Uni et la Norvège et coordonné par l’IRSN, la recherche dédiée aux systèmes de sûretés passifs dont la vulnérabilité a été mise en lumière lors de l’accident de la centrale de Fukushima, ou encore la caractérisation des effets des rayonnements ionisants sur les tissus sains dans les traitements contre le cancer.

Dans le cadre de l’activité de recherche, l’IRSN est engagé dans une démarche partenariale avec des entités françaises, institutionnelles (CEA), académiques (CNRS, université) ou industrielles (EDF, Framatome), ainsi qu’avec des autorités de régulation du nucléaire européennes et étrangères (États-Unis, Japon, etc.).

En 2022, la dépense de recherche de l’IRSN s’élève à 108,6 millions d’euros, soit un peu moins de 40 % du budget de l’Institut, en baisse ces dernières années.

● l’assistance aux pouvoirs publics en cas d’accident ou d’incident impliquant des sources de rayonnement ionisant : l’IRSN propose à l’ASN et au délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les installations et activités intéressant la défense, et si nécessaire à d’autres autorités de l’État, des mesures techniques, sanitaires et médicales visant à assurer la protection de la population, des travailleurs et de l’environnement et à rétablir la sécurité des installations ;

 l’information du public : l’article L. 592-47 du code de l’environnement dispose ainsi que l’IRSN « contribue à l’information du public », ce qui passe notamment par la publicité des avis rendus sur saisine de l’ASN ou d’une autre autorité publique, sauf lorsque ces derniers relèvent de la défense nationale. L’Institut publie les données scientifiques qui résultent de ses programmes de recherche ainsi qu’un rapport annuel d’activité.

2.   Établissement public à caractère industriel et commercial, l’IRSN est principalement régi par le droit privé

Présent sur le territoire via huit sites en région en plus de son siège à Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine), l’IRSN se voit conférer le statut d’EPIC par la loi ([7]). Ce statut a pour conséquence de soumettre l’Institut au droit privé pour de nombreux actes relatifs à son organisation et à sa gestion, notamment s’agissant du recrutement de son personnel et de la passation des contrats.

Au 31 mars 2023, l’IRSN emploie 1 770 personnes dont 1 748 salariés de droit privé. Le statut de ces derniers est déterminé par le code du travail et les accords collectifs négociés avec les partenaires sociaux. Ces salariés se répartissent entre les différentes activités de l’Institut :

– la recherche et l’innovation (33 %) ;

– la prévention des risques (48 %) ;

– les fonctions transversales (19 %).

De manière globale, le plafond d’emplois de l’IRSN est relativement stable dans le temps et s’élève à 1 652 ETPT en loi de finances initiale pour 2023. La baisse des emplois constatée en 2022 s’explique principalement par des tensions sur le marché du travail dans le contexte de relance du nucléaire civil, les campagnes de recrutement de l’ASN n’ayant pas permis de compenser les sorties d’emplois.

Évolution des effectifs de l’IRSN entre 2013 et 2022

(en ETPT réalisés)

Source : IRSN.

Le statut d’EPIC permet également à l’IRSN de réaliser certains actes commerciaux, comme la vente de prestations en dosimétrie ou encore de licences de codes de calculs à des exploitants d’installations nucléaires.

 


   DeuxiÈme partie :
Le contrÔle de la sÛretÉ nuclÉaire est aujourd’hui un processus bien organisÉ et efficace, malgrÉ certaines complexitÉs budgÉtaires et administratives

I.   Les compÉtences de contrÔle et d’expertise sont clairement rÉparties entre l’asn et l’irsn

A.   L’ASN et l’IRSN entretiennent un dialogue constant À toutes les Étapes de l’inspection des installations

1.   Les relations entre l’ASN et l’IRSN sont organisées par une convention cadre pluriannuelle, déclinée en protocoles annuels d’application

L’article L. 592-14 du code de l’environnement dispose qu’une convention cadre pluriannuelle conclue entre l’ASN et l’IRSN règle les modalités de l’appui technique apporté par l’Institut à l’Autorité. Cette convention précise les différents domaines que peut couvrir l’appui technique de l’IRSN à l’ASN (expertise de dossier de sûreté, participation à des inspections, analyses d’évènements, appui en situation d’urgence, etc.) ainsi que les principales réunions qui structurent les relations entre les deux entités. Elle est révisée tous les cinq ans (la version actuelle couvre la période 2022-2026).

Cette convention pluriannuelle est ensuite déclinée chaque année par des protocoles d’application, signés par l’ASN et l’IRSN, qui définissent le programme de travail des deux entités ainsi que les moyens mis en œuvre pour sa réalisation. Ces protocoles permettent d’identifier les dossiers prioritaires et de déterminer les échéances afin de permettre à l’ASN de rendre sa décision dans les meilleures conditions. Les équipes de l’ASN et de l’IRSN se réunissent trois fois par an afin d’échanger sur ces délais, sur la disponibilité des experts de l’IRSN ainsi que sur d’éventuelles contraintes auxquelles doit faire face l’ASN pour sa prise de décision.

2.   Lorsqu’une inspection de l’ASN rend nécessaire l’expertise de l’IRSN, ce dernier est associé à toutes les étapes de la procédure

Schématiquement, une inspection se déroule en six grandes étapes.

● l’exploitant transmet sa demande à l’ASN (création ou modification d’exploitation, réexamen de sûreté, compte rendu d’un évènement significatif pour la sûreté, etc.). Des inspections peuvent également avoir lieu de manière inopinée ;

● l’ASN ouvre une phase préparatoire à l’inspection, à laquelle participe de manière quasi-systématique l’IRSN, y compris lorsque sa présence n’est pas nécessaire lors de l’inspection à proprement parler (notamment quand les compétences internes d’expertise de l’ASN suffisent) ;

● lorsqu’il est prévu de faire appel aux compétences de l’IRSN, ce qui représente une minorité de dossiers mais souvent les plus complexes, l’ASN adresse à ce dernier une saisine délimitant le périmètre de l’expertise, les différentes questions à traiter ainsi qu’une échéance pour rendre son rapport. En amont, le projet de saisine aura fait l’objet d’échanges entre l’ASN et l’IRSN ;

● sur la base de cette saisine, l’IRSN définit une stratégie d’expertise : un pilote de l’expertise est désigné et procède à une première analyse du dossier de l’exploitant. Il adresse des demandes de contributions aux spécialistes des questions soulevées par le dossier et sera chargé de consolider leurs différentes contributions. L’IRSN informe l’ASN de l’avancement de l’expertise en cours, notamment en cas de difficulté. L’ASN et l’IRSN organisent une réunion avec l’exploitant pour cadrer l’expertise (planning, stratégie, etc.) ;

 un dialogue technique s’engage alors entre les experts de l’IRSN et l’exploitant : ce dialogue prend la forme d’envoi de questionnaires, de visites sur site, d’échanges de documents complémentaires, etc. Les inspecteurs de l’ASN suivent le processus d’expertise même s’ils n’interviennent pas directement ;

● l’IRSN rédige un rapport d’expertise contenant des projets de recommandations. Ces derniers font l’objet d’échanges avec l’exploitant. Selon la complexité du dossier, deux procédures peuvent ensuite être mises en œuvre :

– pour les sujets peu complexes, l’IRSN envoie à l’ASN son rapport et son avis, sur la base desquels l’Autorité adressera une lettre de suite à l’exploitant afin d’analyser les réponses de ce dernier aux demandes figurant dans le rapport. L’avis de l’IRSN est publié sur le site de l’ASN depuis 2016, dans un délai de 15 à 30 jours après sa transmission. Pour certains avis sensibles, l’ASN et l’IRSN peuvent décider que la publication sera différée, notamment afin de mettre en place une communication conjointe ;

– pour les sujets complexes, l’IRSN présente son rapport, son avis et ses recommandations au groupe permanent d’experts compétent, qui sur cette base formulera ses propres avis et recommandations avant de les transmettre à l’ASN. Cette dernière rédigera sa lettre de suite sur la base des travaux du groupe permanent d’experts et la transmettra à l’exploitant.

Les groupes permanents d’experts (GPE)

Organisés par le directeur général de l’ASN, les GPE sont des instances thématiques composées d’experts nommés en raison de leur compétence et de leur expérience professionnelle dans un ou plusieurs domaines de la sûreté nucléaire. Ces experts sont issus de la société civile, des laboratoires de recherche universitaires, des bureaux de contrôle, des institutions, des organismes d’expertise, des exploitants concernés par les sujets traités ainsi que des autorités de sûreté étrangères.

Il existe actuellement sept GPE :

 réacteurs nucléaires (GPR) ;

 laboratoires et usines (GPU) ;

déchets (GPD) ;

démantèlement (GPDEM) ;

transports (GPT) ;

équipements sous pression nucléaires (GPESPN) ;

radioprotection (GPRP).

Consultés par le directeur général de l’ASN, ces groupes disposent des dossiers techniques remis par les exploitants ainsi que des rapports présentant les résultats des analyses effectuées par l’IRSN ou directement par l’ASN, sur la base desquels ils émettent un avis assorti éventuellement de recommandations afin de permettre à l’ASN de prendre position sur les dossiers qui lui sont soumis.

Il n’y a donc pas de séparation hermétique entre le contrôle et la prise de décision d’une part, et l’expertise d’autre part, avec d’un côté des experts travaillant dans l’ignorance des conséquences de leurs avis, et de l’autre les décideurs. Non seulement l’ASN dispose de compétences d’expertise en interne, mais surtout le dialogue entre l’ASN et l’IRSN est permanent lors de la réalisation des inspections. Durant certaines phases de l’inspection, l’IRSN est amené à échanger directement avec l’exploitant sur les résultats de l’expertise et les solutions à apporter, et dispose ainsi d’une vision exhaustive du dossier qui lui est soumis.

Le système actuel est parvenu à un équilibre satisfaisant : il permet d’assurer un véritable continuum entre expertise et prise de décision, tout en assurant une répartition claire des responsabilités de chacun et en évitant toute confusion. Les experts ne portent pas le poids de la décision et les agents de l’ASN peuvent prendre le recul nécessaire pendant la phase d’expertise pour se positionner, quitte à demander une expertise contradictoire à un autre organisme en cas de désaccord profond entre l’IRSN et l’exploitant.

Ce système, qui n’a cessé de s’améliorer au fil du temps grâce à des retours d’expérience et des audits réguliers, a conduit à une amélioration continue du niveau de sûreté des installations. L’ASN et l’IRSN ont tous deux un domaine de compétence propre, qui s’articule clairement avec celui de l’autre institution, ce qui contribue à la légitimité et la crédibilité de leur action, et par voie de conséquence à la réputation de ces deux organismes à l’international. Il connaît toutefois certaines rigidités, qu’il est possible d’améliorer sans toucher à son architecture même (voir infra).

B.   En dehors des inspections, plusieurs instances permettent d’assurer un dialogue rÉgulier entre l’ASN et l’IRSN

Plusieurs instances ont été créées entre l’ASN et l’IRSN afin d’assurer un dialogue constant entre la direction et les équipes de ces deux organismes.

Premièrement, des réunions de concertation stratégiques se tiennent deux fois par an entre les directions de l’ASN et de l’IRSN. Des réunions entre présidents et directeurs généraux peuvent également être organisées.

Ensuite, le suivi de la mise en œuvre du protocole annuel est assuré par le groupe d’évaluation des analyses de sûreté (GEAS), constitué des directions de l’ASN et de l’IRSN. Celui-ci organise des réunions d’avancement et de suivi des expertises du, trois fois par an (début de l’année, automne et fin d’année), qui permettent d’informer les membres du GEAS des affaires en cours, d’évoquer les éventuelles difficultés rencontrées dans l’exécution du protocole annuel et le cas échéant de proposer des arbitrages et des solutions d’amélioration. Ces réunions sont précédées de réunions préparatoires (« pré-GEAS ») afin d’évoquer, par domaine technique, les sujets ayant vocation à être abordés lors de la réunion du GEAS.

De plus, le collège de l’ASN auditionne le directeur général et la présidente du conseil d’administration de l’IRSN deux fois par an à propos du suivi de la programmation des expertises. L’audition de début d’année vise à présenter au collège de l’ASN la synthèse des expertises de l’année écoulée. La seconde audition a lieu à l’automne et permet de préparer le programme de l’année suivante, notamment en identifiant les expertises prioritaires. Cette audition permet également d’aborder l’aspect financier du programme à venir.

Enfin, il existe des échanges périodiques plus informels au niveau des services de l’ASN et de l’IRSN.

Au total, en dehors des réunions techniques sur les dossiers, plus de trente réunions dédiées à la programmation et au suivi des activités sont réalisées chaque année.

S’agissant de la gouvernance des deux institutions, le président de l’ASN est membre du conseil d’administration de l’IRSN, et la direction de l’ASN est représentée au sein du comité d’orientation des recherches de l’IRSN.

II.   le mode de financement de la sÛretÉ nuclÉaire est peu lisible, et sa charge administrative parfois lourde

A.   Le financement de la sÛretÉ nuclÉaire provient DE DIFFÉRENTS canaux budgÉtaires, ce qui affaiblit sa lisibilitÉ et in fine son contrÔle dÉmocratique

1.   Les moyens budgétaires de l’ASN sont répartis sur plusieurs programmes relevant de ministères différents

● Plusieurs programmes budgétaires contribuent au financement de l’ASN :

– l’action 9 Contrôle de la sûreté nucléaire du programme 181 Prévention des risques de la mission Écologie, développement et mobilités durables finance les emplois et dépenses de personnel (53,8 millions d’euros en CP en LFI pour 2023), ainsi que les dépenses de fonctionnement, d’investissement et d’intervention engagées au titre de la réalisation des cinq grandes missions de l’ASN (17,8 millions d’euros) ;

– les programmes supports du ministère de la transition écologique (programme 217 Conduite et pilotage des politiques de l’écologie, du développement et de la mobilité durables), des ministères économiques et financiers (programme 218 Conduite et pilotage des politiques économiques et financière) ainsi que du Secrétariat général du Gouvernement (programme 354 Administration territoriale de l’État) financent certaines charges de fonctionnement de l’ASN, notamment s’agissant de son siège et de ses divisions territoriales.

● Le budget de l’ASN est complété par des fonds de concours et l’attribution de produits, pour un montant annuel d’environ 400 000 euros, essentiellement destinés à financer les activités d’expertise et de soutien auprès de ses homologues étrangers.

Au total, les moyens budgétaires de l’ASN, de 71,6 millions d’euros en CP en 2023, ont évolué à la hausse ces dernières années (+ 21 % depuis 2014).

Montant global du budget de l’ASN

(CP en LFI, en millions d’euros)

Source : ASN.

2.   Le financement de l’IRSN est assuré à la fois par des dotations du budget de l’État, une taxe affectée et des ressources propres

Schématiquement, les ressources budgétaires de l’IRSN peuvent se répartir en deux catégories :

● le financement par l’État (81 % du budget en 2023), qui se répartit entre :

– le programme 190 Recherche dans les domaines de l’énergie, du développement et de la mobilité durables, qui constitue la principale source de financement de l’IRSN. Les ressources portées par ce programme 190 s’élèvent à 167,4 millions d’euros en 2022 ;

Financement de l’IRSN au titre du programme 190

(en millions d’euros)

Source : IRSN.

– le programme 212 Soutien de la politique de la défense, relevant du ministère des armées, pour un montant de 4,1 millions d’euros en loi de finances pour 2023 ;

– le produit de la taxe additionnelle affectée à l’IRSN à la taxe acquittée par les exploitants des installations nucléaires de base (INB) : instaurée par la loi de finances rectificative pour 2010 ([8]) afin notamment de maintenir les recettes de l’IRSN malgré la diminution de 30 millions d’euros, en 2011, de la dotation au titre du programme 190, cette taxe affectée est due par les exploitants d’INB dont la liste est actualisée chaque année par l’ASN, à compter de l’autorisation de création de l’installation et jusqu’à la décision de radiation de la liste. Son montant est déterminé, selon chaque catégorie d’INB, sur la base d’un montant forfaitaire établi en loi de finances, auquel est appliqué un coefficient multiplicateur fixé par arrêté et pouvant varier, par catégorie, entre 1 et 2.

La loi de finances pour 2022 ([9]) plafonne le produit de cette taxe affectée à l’IRSN à 61,1 millions d’euros, seuil au-delà duquel l’excédent est reversé au budget général de l’État.

Le rendement de cette taxe pour l’IRSN a correspondu en 2022, à son niveau plafond, et représente environ 23 % des recettes de l’IRSN. Selon la DGPR, chaque installation en fonctionnement rapporte environ 600 000 euros au titre de cette taxe.

Montants perçus par l’IRSN au titre de la taxe affectÉe acquitTÉe
par les exploitants des inb


(en millions d’euros)

Source : IRSN.

La hausse globale du produit de cette taxe depuis son instauration a notamment permis de compenser la baisse de la subvention issue du programme 190. Le rendement est toutefois en baisse depuis 2021, en raison du déclassement et du changement de catégorie de certaines INB, à l’image de la mise à l’arrêt définitif des réacteurs de la centrale de Fessenheim. Cette baisse a elle-même été compensée par une hausse des crédits du programme 190. Elle devrait toutefois se poursuivre dans les années à venir selon l’IRSN, compte tenu de la contraction du parc des INB, sans que celle-ci n’entraîne de réduction significative de la charge d’expertise associée.

● les ressources propres de l’IRSN (15 % du budget en 2023), qui se répartissent entre :

– les cofinancements de recherche : l’IRSN intervient dans de nombreux projets, nationaux et internationaux, dont la plupart font l’objet d’un financement par des organismes de programmation et de financement de la recherche (Agence nationale de la recherche, Euratom, etc.). Il participe également à des partenariats avec des industriels ou ses homologues étrangers, bénéficiant ainsi du financement de ces derniers ;

– le produit de prestations commerciales : autorisées par le statut d’EPIC de l’IRSN, ces prestations sont en lien avec les compétences de l’Institut, notamment dans le domaine de la dosimétrie (fourniture de dosimètres, réalisation d’analyses radiotoxicologiques des personnes, mesurages de radioactivité dans l’environnement pour des demandeurs privés, etc.). L’IRSN fournit également des formations en radioprotection, en sûreté et en sécurité nucléaires.

Enfin, 4 % du budget de l’IRSN (12,2 millions d’euros en 2023) est financé par le plan de relance, afin de financer certains de ses projets immobiliers.

RÉpartition et Évolution du budget de l’IRSN

(en millions d’euros)

Source : commission des finances, d’après les documents de l’IRSN.

Les écarts entre la somme des ressources et le total constaté de 2012 à 2014 s’expliquent principalement par des corrections comptables en début de période.

3.   La connaissance du montant global du budget consacré à la sûreté nucléaire est un exercice complexe

Les différentes auditions réalisées par les rapporteurs spéciaux ont fait apparaître la difficulté à chiffrer précisément le budget total alloué à la sûreté nucléaire en France.

Cette difficulté s’explique notamment par l’absence d’un périmètre de référence de la sûreté nucléaire. En effet, le chiffrage du budget alloué à la sûreté nécessite au préalable de délimiter le périmètre retenu, que cela soit le domaine (nucléaire civil ou militaire), le secteur (inclure ou non la radioprotection, la sécurité nucléaire), ou encore les acteurs concernés (ASN, IRSN, directions ministérielles ayant des compétences dans la gestion des risques nucléaires, voire des associations et instances comme le Haut comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire). En fonction du périmètre ainsi retenu, le chiffrage du budget peut sensiblement varier.

De plus, certains programmes budgétaires sont indirectement liés au contrôle de la sûreté nucléaire. C’est notamment le cas des programmes supports 217, 218 et 354, finançant certaines charges de fonctionnement de l’ASN (voir supra), mais dont le caractère global et mutualisé ne permet pas de chiffrer avec précision le financement consacré à l’Autorité.

CrÉdits allouÉs À la sÛretÉ nuclÉaire en LFI pour 2022

(en millions d’euros)

Source

Objet

LFI 2022

ASN

Programme 181 Prévention des risques

Action 9 Contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

68,3

Action 1 Prévention des risques technologiques et des pollutions

0,15

Programme 217 Conduite et pilotage des politiques de l’écologie

Fonctionnement des divisions territoriales de l’ASN et de la DEP

Crédits mutualisés non identifiables

Programme 354 Administration territoriale de l’État

Programme 218 Conduite et pilotage des politiques économiques et financières

Fonctionnement des services centraux de l’ASN

Crédits mutualisés non identifiables

Sous-total ASN

68,45

IRSN

Programme 190 Recherche dans les domaines de l’énergie, du développement et de l’aménagement durables

Action 11 Recherche dans le domaine des risques

170,75

dont appui technique pour l’ASN

41,76

hors appui technique

128,99

Affectation des recettes liées à la taxe additionnelle au profit de l’IRSN

61,09

dont appui technique pour l’ASN

41,24

hors appui technique

19,85

Sous-total IRSN

231,84

TOTAL

300,29

Source : ASN.

Ces dépenses sont en partie financées par une fiscalité assise sur l’activité des exploitants dans le secteur nucléaire : taxe sur les INB, taxes additionnelles sur la recherche, l’accompagnement et le stockage, taxe additionnelle au profit de l’IRSN, et taxe spéciale au profit de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA). Ces différentes impositions représentaient 827,75 millions d’euros de recettes fiscales en 2022.

L’ensemble des acteurs auditionnés par les rapporteurs spéciaux ont souligné l’importance de renforcer la lisibilité du financement de la sûreté nucléaire, en particulier dans un contexte de relance de la filière. Les rapporteurs spéciaux proposent donc de créer une annexe au projet de loi de finances retraçant l’ensemble de l’effort financier consacré à la sûreté nucléaire, ce qui améliorerait son contrôle par le Parlement et les citoyens. La création d’un tel document avait été proposée dans de nombreux rapports ([10]), illustrant l’ancienneté de cette question.

Recommandation n° 1 : Créer une annexe au projet de loi de finances retraçant l’ensemble de l’effort financier consacré à la sûreté nucléaire en France.

B.   Le contrÔle de la sûretÉ nuclÉaire fait face À certaines rigiditÉs administratives

1.   Une fluidification des échanges entre l’ASN et l’IRSN est possible, en particulier pour les dossiers les plus techniques

Les représentants du personnel de l’ASN ont fait part aux rapporteurs spéciaux de certaines rigidités dans les échanges entre l’Autorité et l’IRSN, en particulier s’agissant des dossiers complexes, générant des délais supplémentaires dans la prise de décision.

Est notamment évoquée la nouvelle convention cadre entre l’ASN et l’IRSN, qui n’autorise pas ce dernier à commencer la lecture d’un dossier tant que le projet de saisine ne lui a pas été transmis par l’ASN.

Ces représentants ont également souligné la difficulté d’accès à certains spécialistes de l’IRSN particulièrement sollicités, ce qui peut conduire l’ASN à renoncer à saisir l’Institut afin de rendre sa décision dans les délais requis.

Aussi, les rapporteurs spéciaux recommandent de réaliser de nouveaux audits et retours d’expérience afin d’évaluer la qualité des échanges entre l’ASN et l’IRSN et d’identifier des pistes d’amélioration. Une révision de la convention cadre entre les deux organismes pourrait être réalisée sur la base des résultats de ces audits et retours d’expérience.

Recommandation n° 2 : Réaliser des audits et des retours d’expérience sur la qualité des échanges entre l’ASN et l’IRSN, pouvant aboutir à une révision de la convention cadre entre ces deux organismes, afin de fluidifier les relations entre eux.

2.   L’ASN pourrait être davantage associée aux arbitrages sur le financement de l’activité d’expertise de l’IRSN dont elle bénéficie

Alors que l’ASN est la principale bénéficiaire de l’expertise technique de l’IRSN, l’Autorité ne participe pas directement aux arbitrages budgétaires déterminant le montant versé par l’État à l’IRSN au titre de sa mission d’appui technique à l’Autorité.

Si l’article L. 592-14 du code de l’environnement dispose que l’ASN « est consultée par le Gouvernement sur la part de la subvention de l’État à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire correspondant à la mission d’appui technique apporté par cet institut à l’autorité », les représentants de l’Autorité ont souligné au cours de leur audition par les rapporteurs spéciaux que cette consultation intervenait en septembre de l’année N-1 pour la loi de finances de l’année N, soit après que les arbitrages gouvernementaux ont été rendus.

Les rapporteurs spéciaux recommandent donc de modifier le calendrier de consultation de l’ASN sur ces crédits d’expertise afin qu’elle ait lieu avant que les arbitrages du Gouvernement ne soient rendus.

Recommandation n° 3 : Modifier le calendrier de consultation de l’ASN sur les crédits d’expertise de l’IRSN prévue à l’article L. 592-14 du code de l’environnement, afin que celle-ci ait lieu avant que les arbitrages budgétaires du Gouvernement ne soient rendus.

3.   La répartition des missions entre l’ASN et l’IRSN en situation de crise devrait être clarifiée

L’ASN et l’IRSN exercent tous les deux des compétences en cas de survenance d’une situation de crise, en principe bien délimitées. L’ASN assiste officiellement le Gouvernement, représenté au niveau national par la cellule interministérielle de crise et au niveau local par le préfet, dans la gestion de la crise, en lui adressant des recommandations concernant les mesures de protection des populations et en contrôlant les opérations de mise en sûreté de l’installation prises par l’exploitant. Pour ce faire, l’ASN prend appui sur l’expertise de l’IRSN, qui dispose de données et de modèles permettant à l’Autorité de prendre du recul sur la vision de la situation fournie par l’exploitant.

En théorie, donc, l’ASN recueille les informations transmises par l’IRSN, se les approprie puis propose des recommandations au Gouvernement et vérifie les actions entreprises par l’exploitant.

En pratique, cependant, les différents exercices de crise et notamment le dernier exercice national SECNUC ont montré les limites de cette organisation : la nécessité d’apporter une réponse rapide à la crise peut conduire l’IRSN à être directement sollicité par le Gouvernement et à communiquer sans passer par le « filtrage » de l’ASN. Par ailleurs, l’ASN et l’IRSN disposent chacun de leur centre de crise, ce qui ne favorise pas les nécessaires synergies entre les deux organismes.

Les rapporteurs spéciaux proposent donc de clarifier la répartition des compétences en matière de gestion de crise entre l’ASN et l’IRSN afin d’assurer une réponse unifiée face à la crise. La mise en place d’un centre de crise commun entre l’ASN et l’IRSN pourrait être étudiée. Les modalités d’organisation de ce centre devront faire l’objet d’échanges entre le Gouvernement, l’ASN et l’IRSN afin de disposer de la structure la plus efficace pour clarifier la chaîne de réponse en cas de situation d’urgence.

Recommandation n° 4 : Clarifier la répartition des compétences en matière de gestion de crise entre l’ASN et l’IRSN, et étudier la mise en place d’un centre de crise commun entre les deux organismes. Les modalités d’organisation de ce centre devront faire l’objet d’échanges entre le Gouvernement, l’ASN et l’IRSN afin de disposer de la structure la plus efficace pour clarifier la chaîne de réponse en cas de situation d’urgence.


   TroisiÈme partie :
Face aux nombreux enjeux auquel doit faire face le parc nuclÉaire actuel et futur, il convient de ne pas dÉstabiliser l’organisation du contrÔle de la sÛretÉ nuclÉaire

I.   Il est urgent de rÉpondre aux besoins humains et financiers de l’ASN et de l’IRSN pour leur permettre d’absorber la charge de travail supplÉmentaire RÉSULTANT DES Évolutions que connaÎt le parc nuclÉaire français

A.   La sÛretÉ nuclÉaire fait face À de nombreux enjeux liÉs au VIEILLISSEMENT du parc existant, À la construction de nouveaux rÉacteurs ainsi qu’au changement climatique

Dans les années à venir, la charge d’activité en matière de contrôle et d’expertise de la sûreté nucléaire est appelée à augmenter, en raison de la réunion de plusieurs facteurs.

● Le vieillissement du parc nucléaire existant. Si les réacteurs du parc en fonctionnement ont été initialement conçus pour être exploités durant quarante ans, l’évolution des connaissances techniques et scientifiques a permis d’envisager de les exploiter au-delà de cette limite. EDF a mis en place des démarches de maîtrise de vieillissement, de qualification progressive des équipements et de maîtrise du risque d’obsolescence, qui seront expertisées dans le cadre du 4e réexamen décennal (2019-2030) des 32 plus anciens réacteurs français (d’une puissance de 900 mégawatts électriques - MWe). De la validation de ces démarches dépendra à terme la possibilité de poursuivre leur exploitation au-delà de cinquante voire soixante ans, comme cela est actuellement envisagé.

Cet enjeu du vieillissement du parc mobilisera une partie importante des ressources de l’ASN et de l’IRSN, notamment s’agissant du contrôle des équipements non remplaçables comme les cuves des réacteurs et les enceintes de confinement. Lors de son audition par la commission des finances de l’Assemblée nationale le 7 décembre 2022, le directeur général de l’ASN a souligné la nécessité d’être en mesure d’anticiper les difficultés qui pourraient faire obstacle à la prolongation des installations nucléaires, les travaux sur celles-ci, ou, à défaut de pouvoir les prolonger, leur démantèlement, lequel devra se dérouler sur plusieurs années. Les exploitants doivent être associés à ces réflexions afin d’avoir de la visibilité, alors que la période qui s’ouvre va voir se dérouler beaucoup de travaux sur les installations existantes et nouvelles pour les industriels.

La découverte de l’apparition de phénomènes de corrosion sous contrainte sur certains réacteurs dès l’automne 2021 rappelle l’importance de ces contrôles afin de s’assurer de la conformité des installations à la réglementation en vigueur, en prévision des échanges sur la prolongation de la durée de fonctionnement du parc.

Le phénomène de corrosion sous contrainte

La corrosion sous contrainte est un type de corrosion caractérisé par la fissuration d’un matériau au contact d’un environnement chimique. La fissure va ensuite se propager au sein du matériau concerné. Il s’agit d’un phénomène particulièrement pernicieux puisqu’il n’est généralement détectable qu’une fois la fissuration amorcée, après une période d’incubation qui peut durer plusieurs années.

Assez répandue dans l’industrie conventionnelle, la corrosion sous contrainte est un phénomène relativement rare dans l’industrie nucléaire, en raison de l’utilisation d’aciers inoxydables peu sensibles au phénomène et de procédés de soudage précisément étudiés. Ainsi, 150 cas ont été recensés dans le monde ces trente dernières années, sur des circuits primaires ou des circuits connectés.

Malgré ces précautions, EDF a détecté des fissures attribuées à la corrosion sous contrainte sur certains réacteurs de la centrale de Civaux (Vienne) durant l’automne 2021, et a mis à l’arrêt les réacteurs concernés pour réaliser des contrôles complémentaires, en lien avec l’ASN et l’IRSN. L’ASN a considéré que la stratégie de contrôle des réacteurs mise en place par EDF suite à ces détections était appropriée compte tenu des connaissances disponibles sur le phénomène et des enjeux de sûreté associés. D’autres fissures ont ensuite été détectées sur la centrale de Penly (Seine-Maritime) au premier trimestre 2023, conduisant l’ASN à demander à EDF de réviser sa stratégie pour tenir compte de ces nouvelles informations.

Cet épisode, au cours duquel l’ASN a engagé un dialogue technique très dense avec EDF, avec l’appui de l’IRSN, et qui a conduit à la réalisation de nombreuses inspections sur site, expertises et analyses, illustre la grande qualité du système de contrôle de la sûreté nucléaire français. Les rapporteurs spéciaux saluent l’appréciation de ces dossiers par l’ASN et l’IRSN, l’impératif de sécurité ayant constamment primé l’enjeu économique lié à l’exploitation des réacteurs concernés.

La découverte de ces phénomènes de corrosion sous contrainte met en lumière l’importance de disposer d’outils de signalement de tout élément de nature à menacer la sûreté de nos installations, tel que le dispositif de protection des lanceurs d’alerte créé en 2016 ([11]). Ce dispositif a été renforcé en 2022 par l’obligation faite aux personnes morales de droit public employant au moins cinquante agents de créer une procédure interne de recueil et de traitement des signalements des irrégularités couvertes par le régime juridique de protection des lanceurs d’alerte ([12]). De tels dispositifs sont nécessaires et contribuent à renforcer la confiance des citoyens dans un domaine aussi sensible que la sûreté nucléaire.

À cet égard, les rapporteurs spéciaux saluent l’initiative prise dès 2018 par l’ASN de créer sur son site une plateforme de signalement d’irrégularités rencontrées dans les installations nucléaires et lors d’activités présentant un risque lié aux rayonnements ionisants, suite à la découverte en 2016 d’irrégularités pouvant s’apparenter à des falsifications dans la fabrication de composants nucléaires à l’usine Creusot Forge (Saône-et-Loire). Cette procédure garantit la confidentialité des informations recueillies dans le signalement, notamment l’identité de son auteur. Le signalement peut aussi être effectué de manière anonyme.

Les rapporteurs spéciaux souhaitent qu’une évaluation de ce dispositif de signalement puisse être menée, afin de s’assurer de sa connaissance par les agents et les salariés du secteur du nucléaire et de connaître les suites concrètes données à ces signalements. À la lumière des résultats de cette évaluation et des éventuels obstacles à l’application du régime juridique de la protection des lanceurs d’alerte, la création d’un régime consacré au secteur du nucléaire pourrait être souhaitable.

Recommandation n° 5 : Évaluer le dispositif de l’ASN permettant de signaler des irrégularités rencontrées dans les installations nucléaires, afin de s’assurer de sa connaissance par les agents et salariés du secteur et de connaître les suites concrètes données à ces signalements. À la lumière des résultats de cette évaluation, la création d’un régime juridique spécifique aux lanceurs d’alerte dans le domaine du nucléaire pourrait être souhaitable.

● Le démantèlement. En lien avec la question du vieillissement du parc, la thématique du démantèlement connaît une véritable montée en puissance, avec une croissance forte du nombre de chantiers ces dernières années et pour l’avenir, mobilisant des compétences techniques de pointe.

 La relance du programme nucléaire français. Annoncée lors du discours du Président de la République à Belfort le 10 février 2022, cette relance du nucléaire civil passe par la construction de six réacteurs de type EPR (Evolutionary power reactor) de deuxième génération (« EPR2 »), qui présentent un niveau de sûreté supérieur à celui du parc en fonctionnement, y compris après les modifications qui seront apportées à l’issue du quatrième réexamen décennal. Ces réacteurs EPR2, pour lesquels la France a accusé plusieurs retards, seront complétés par des petits réacteurs modulaires dits « SMR » (Small Modular Reactors), d’une puissance inférieure à 300 MWe.

Ces différents chantiers mobiliseront fortement les équipes de l’ASN et de l’IRSN dans les années à venir afin de s’assurer que la construction des nouveaux réacteurs se fasse suivant les meilleurs standards de sûreté, tout en visant à respecter le calendrier prévu, dans un contexte de tensions sur l’approvisionnement énergétique.

● L’adaptation du parc nucléaire au changement climatique. Si la contrainte climatique est déjà prise en compte dans le contrôle et l’expertise de la conception des installations nucléaires, notamment les conditions météorologiques et climatiques extrêmes (canicule, grands froids, tornade, neige, grêle, foudre, etc.), le changement climatique va conduire à réviser de plus en plus régulièrement les niveaux d’intensité des aléas climatiques à prendre en compte pour définir les standards de protection de ces installations.

Les réexamens périodiques de sûreté seront de plus en plus fréquents, ce qui représentera là aussi une importante charge de travail pour l’ASN et l’IRSN ([13]). L’effort de recherche de l’IRSN sur le réchauffement climatique, en particulier s’agissant de la ressource en eau, devra également s’intensifier.

 La complexification des expertises. Afin de mieux apprécier les marges de sûreté et en tirer bénéfice face à ces différents enjeux, les exploitants d’installations nucléaires ont de plus en plus recours à des méthodes complexes, nécessitant de la part de l’IRSN des moyens plus importants en termes d’outils et de ressources humaines.

B.   Pour faire face À ces enjeux, il est nÉcessaire de renforcer les moyens budgÉtaires et financiers de l’ASN et de l’IRSN ainsi que l’attractivitÉ de leurs mÉtiers

1.   Il est urgent de renforcer des moyens financiers et humains de l’ASN et de l’IRSN

Face à l’augmentation de la charge de travail de l’ASN et de l’IRSN dans les années à venir, tant ces deux organismes ainsi que les représentants de leurs personnels ont fait part aux rapporteurs spéciaux de la nécessité d’augmenter leurs moyens financiers et humains.

● Sur le plan des moyens financiers, la Cour des comptes faisait état en 2021 d’une situation budgétaire fragile de l’IRSN, avec une projection de déficit cumulé de 2021 à 2024 de 17,5 millions d’euros ([14]). En 2022, le déficit budgétaire de l’institut a été financé par un prélèvement de trésorerie à hauteur de 12 millions d’euros. Face à cette situation, la Cour a identifié deux voies de restauration de la soutenabilité budgétaire de l’Institut : d’une part une revue stratégique de ses activités et des conditions de leur exécution, afin de s’assurer que la dépense soit la plus efficiente possible, d’autre part un engagement plus important de l’État en allouant des moyens supplémentaires.

Si des efforts ont d’ores et déjà été engagés par l’IRSN s’agissant de la révision de ses dépenses, efforts qui se poursuivent aujourd’hui, les rapporteurs spéciaux demandent que l’État prenne davantage sa part dans l’effort financier et augmente les ressources de l’Institut. En effet, l’Institut a estimé ses besoins à 21,4 millions d’euros supplémentaires par an entre 2023 et 2027. Dans le cadre des arbitrages budgétaires pour 2023, une augmentation des moyens de l’institut à hauteur de 9,5 millions d’euros par an a été décidée. En loi de finances initiales pour 2023, la SCSP de l’institut a ainsi progressé de 8,7 millions d’euros par rapport à 2022.

Cet effort de l’État doit être poursuivi. La hausse des ressources de l’IRSN pourrait être obtenue par deux actions complémentaires :

– une hausse de la subvention budgétaire au titre du programme 190 ;

– une hausse du produit de la taxe affectée acquittée par les exploitants des INB, via l’augmentation du plafond d’affectation (fixé à 61,1 millions d’euros depuis la loi de finances pour 2022) et une modification des coefficients multiplicateurs, aujourd’hui tous fixés à 1, alors que la loi prévoit qu’ils peuvent varier entre 1 et 2. Cette évolution de la taxe apparaît comme une solution efficace et relativement simple à mettre en œuvre.

Recommandation n° 6 : Augmenter les ressources de l’IRSN pour garantir sa soutenabilité sur le long terme, par une hausse de la subvention portée par le programme 190 ainsi qu’une hausse du produit de la taxe affectée acquittée par les exploitants des INB.

Cette hausse des crédits d’expertise doit se coupler à une hausse des crédits de la recherche, en baisse ces dernières années, sans quoi l’Institut risque une perte de connaissances et de compétences.

Recommandation n° 7 : Créer une dotation supplémentaire pour financer les activités de recherche de l’IRSN, afin de consolider les connaissances et compétences de ses agents.

● Sur le plan des moyens humains, tant l’ASN que l’IRSN ont fait part aux rapporteurs spéciaux de la nécessité d’ETP supplémentaires.

Ainsi, l’ASN souhaite de disposer au total de 29 ETPT supplémentaires sur la période 2024-2027 : 15 ETP déjà demandés en 2022, 7 nouveaux ETP dédiés à la thématique « SMR » et 7 nouveaux ETP dédiés à la thématique « poursuite d’exploitation des réacteurs ». Sur ces 29 ETPT demandés, 14 ont déjà été accordés.

L’IRSN quant à lui a évalué le besoin en ressources humaines supplémentaires pour l’appui technique à l’ASN à 38 ETPT sur la période 2023-2027. À ce stade, 20 ETPT ont été accordés.

Recommandation n° 8 : Poursuivre l’effort d’augmentation des moyens humains pour l’ASN et l’IRSN afin de leur permettre de disposer de suffisamment d’agents face à la hausse de la charge de travail dans les années à venir.

2.   L’attractivité des métiers de l’ASN et de l’IRSN doit impérativement être revalorisée, dans un contexte de forte concurrence avec les industriels sur le marché du travail

Au cours de leurs auditions, les représentants des personnels de l’ASN et de l’IRSN ont fait part aux rapporteurs spéciaux de l’urgence à revaloriser leurs rémunérations afin de renforcer l’attractivité de leurs métiers.

Si les conditions de travail semblent plutôt bonnes au sein des deux organismes, notamment s’agissant de la qualité des échanges entre les équipes de l’ASN et de l’IRSN, la rémunération de leurs agents est souvent inférieure à celles des salariés travaillant pour les industriels privés, à compétences et expériences équivalentes. Il y a là une véritable menace pour le recrutement et la fidélisation de ces agents, en particulier dans le contexte de relance du nucléaire qui va accentuer la concurrence du secteur privé sur le marché du travail, déjà particulièrement forte.

Aussi, les rapporteurs spéciaux recommandent d’augmenter la rémunération de ces agents et de l’aligner sur celle pratiquée dans le secteur privé.

Recommandation n° 9 : Augmenter la rémunération des agents de l’ASN et de l’IRSN et l’aligner sur celle pratiquée dans le secteur privé, afin de garantir l’attractivité de leurs métiers dans un contexte de forte concurrence sur le marché du travail.

S’agissant plus particulièrement de l’ASN, dont le statut d’AAI est plus rigide que celui d’EPIC pour la gestion de carrière de ses agents (notamment s’agissant de la rémunération), les représentants du personnel de l’Autorité ont fait part aux rapporteurs spéciaux du retard pris par celle-ci dans sa politique de ressources humaines, bien que des progrès soient visibles : faiblesse de la rémunération, insuffisance des mécanismes de promotion interne, charge de travail de plus en plus importante, matériels de communication et numériques parfois vétustes, remboursement des frais de mission faible, notamment s’agissant des déplacements, etc.. Ces insuffisances rendent difficile la fidélisation de compétences rares dans un secteur technique de pointe.

Les rapporteurs spéciaux recommandent de mener une réflexion d’ensemble sur la politique de ressources humaines de l’ASN, afin de renforcer l’attractivité de ses métiers, et d’ouvrir un concours massif et pluriannuel d’ingénieurs de l’industrie et des mines pour faire face à l’importante charge de travail à venir.

Recommandation n° 10 : Revoir la politique de ressources humaines de l’ASN afin de renforcer l’attractivité de ses métiers, et ouvrir un concours massif et pluriannuel d’ingénieurs de l’industrie et des mines pour faire face à l’importante charge de travail à venir.

II.   Le projet gouvernemental de transfert des compÉtences techniques paraÎt dÈs lors peu opportun, au risque de mobiliser les forces sur la conduite du changement plutÔt que sur les tÂches de contrÔle

A.   Le Gouvernement souhaite transfÉrer les compÉtences techniques suivant une mÉthode qui n’est pas de nature À renforcer la confiance des citoyens dans son projet

Dans un communiqué de presse en date du 8 février 2023, la ministre de la transition énergétique Agnès Pannier-Runacher a annoncé le projet du Gouvernement selon lequel « les compétences techniques de l’IRSN seront réunies avec celles de l’ASN ». La ministre justifiait alors ce projet par la volonté de renforcer le contrôle de la sûreté nucléaire au sein d’un pôle unique et indépendant et de fluidifier le processus d’examen technique et de prise de décision de l’ASN afin de répondre au volume croissant d’activités lié à la relance de la filière nucléaire. Elle chargeait ensuite le président de l’ASN, le directeur général de l’IRSN et l’administrateur général du CEA « de lui proposer, d’ici fin février, les premières mesures et une méthode de travail permettant de mettre en œuvre ces orientations, avant une feuille de route plus détaillée en vue de la loi de finances 2024 ».

À la lumière de ce calendrier défini par la ministre, les rapporteurs spéciaux ont été surpris de l’initiative prise par le Gouvernement de déposer, le 25 février 2023, deux amendements à l’occasion de l’examen en première lecture du projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires par la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale. Ces amendements avaient pour objet :

– d’étendre les missions de l’ASN à l’expertise et à la recherche dans les domaines de la sûreté nucléaire et de la radioprotection ;

– de transférer à l’ASN les contrats de travail des agents de l’IRSN exerçant actuellement ces missions.

La rédaction de ces amendements, adoptés en commission des affaires économiques puis écartés au stade de la séance via l’adoption d’un amendement réaffirmant l’organisation de la sûreté nucléaire garantissant l’indépendance entre les activités de contrôle de l’ASN et celles d’expertise de l’IRSN, opérait donc un véritable transfert de compétences et de moyens de l’IRSN vers l’ASN. L’avenir de l’Institut, amputé de ses principales missions, apparaissait dès lors incertain.

Au-delà de la question de l’opportunité d’un tel transfert, les rapporteurs spéciaux tiennent à souligner la brutalité de la méthode employée par le Gouvernement, consistant à modifier son projet de loi en cours d’examen par voie d’amendement, sans annonce ni concertation préalables. Le communiqué de presse de la ministre, publié moins d’un mois avant le dépôt de ces amendements, suggérait pourtant que le Gouvernement souhaitait engager un dialogue avec l’ensemble des parties concernées afin de construire progressivement son projet de réforme, qui aurait eu par définition des conséquences importantes sur l’architecture de la sûreté nucléaire en France. Les représentants du personnel de l’ASN ont d’ailleurs fait part aux rapporteurs spéciaux de leur « stupéfaction » et de leur « insatisfaction » quant aux modalités d’annonce et de mise en œuvre de cette réforme, compte tenu de l’absence de concertation et de travaux sur le sujet avec les parties prenantes et les parlementaires.

L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), dans son compte rendu de l’audition publique du 16 février 2023 consacrée à la réforme du contrôle et de la recherche en sûreté nucléaire et radioprotection, avait pourtant insisté sur la nécessité pour le Gouvernement d’évaluer les forces et les faiblesses du système de contrôle actuel avant de mettre en œuvre la réforme, faute de quoi « le risque est de faire apparaître ce projet, au mieux comme un simple « meccano administratif », au pire comme un moyen de ne pas faire obstacle aux objectifs fixés à la filière pour le renouveau du programme électronucléaire national ».

Si la DGPR a indiqué aux rapporteurs spéciaux que le rapprochement des compétences techniques de l’ASN et de l’IRSN a été plusieurs fois envisagé par le passé, notamment lors de la création de l’Institut puis de l’Autorité, force est de constater que le projet actuel, et notamment sa mise en œuvre par voie d’amendement, a pris l’ensemble des acteurs de la sûreté nucléaire ainsi que les parlementaires par surprise. Les rapporteurs spéciaux considèrent qu’une telle méthode de la part du Gouvernement est de nature à porter atteinte à la lisibilité de son action sur un sujet aussi important que le contrôle de nos installations nucléaires, et in fine à entamer la confiance des citoyens dans ce contrôle. Ce lien de confiance a pourtant été décrit par l’ensemble des personnes auditionnées comme la pierre angulaire du contrôle : il est, par exemple, au fondement de la publicité des travaux de l’ASN et de l’IRSN, sous réserve des informations concernant la défense nationale.

B.   Au regard des diffÉrentes menaces que fait planer ce transfert sur un systÈme ayant largement fait ses preuves, un tel projet doit Être ÉcartÉ afin de mobiliser LES forces sur le contrÔle

Si le texte du projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires définitivement adopté le 16 mai 2023 exclut ce transfert de compétences de l’IRSN vers l’ASN, le ministère de la transition énergétique a indiqué que le Gouvernement entendait poursuivre ses réflexions.

Alors que la DGPR justifie le projet du Gouvernement par la nécessité d’avoir une nouvelle organisation du contrôle de la sûreté nucléaire en prévision de la hausse d’activité liée à la relance du nucléaire, les rapporteurs spéciaux considèrent au contraire qu’au regard des différentes menaces qu’il fait planer sur le bon fonctionnement de notre système de contrôle et d’expertise, ce projet, qui par définition sera mis en œuvre sur le temps long en mobilisant une énergie et des ressources considérables, doit être abandonné. À titre d’exemple, les rapporteurs spéciaux constatent que le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA), opérateur de la mission Écologie, développement et mobilités durables, est issu de la fusion de différentes structures dont le travail d’intégration administrative a duré huit ans. Ces temporalités ne sont pas acceptables dans le secteur du contrôle de la sûreté nucléaire.

1.   Le projet de transfert désorganisera sur plusieurs années le fonctionnement de deux organismes qui ont appris au fil des années à travailler en bonne intelligence

Les représentants du personnel de l’ASN et de l’IRSN ont fait part de leurs inquiétudes quant à ce projet de transfert de compétences, qui bouleversera une organisation de la sûreté nucléaire consolidée par le temps. Si, comme l’ont rappelé les rapporteurs spéciaux, cette organisation présente certaines rigidités, qu’il est par ailleurs parfaitement possible de corriger, l’ensemble des personnes auditionnées ont souligné la grande qualité des échanges entre les équipes de l’ASN et de l’IRSN, avec une répartition des compétences clairement identifiée de part et d’autre.

La mise en œuvre de ce projet de transfert mobilisera de nombreux agents, qui ne seront donc pas disponibles pour réaliser les instructions et inspections, ces dernières ayant vocation à croître à l’avenir à la lumière des différents éléments identifiés par les rapporteurs spéciaux.

De plus, la centralisation des activités d’expertise et de recherche autour d’un pôle unique mutualisant des agents de l’ASN auquel s’additionneraient plusieurs centaines d’agents issus de l’IRSN, alourdissant ainsi le processus, n’est pas nécessairement de nature à simplifier le circuit de décision de l’Autorité, qui n’y gagnerait donc pas en agilité contrairement aux objectifs affichés.

2.   Le projet de transfert privera la recherche en sûreté nucléaire des financements issus des partenariats autorisés par le statut d’EPIC de l’IRSN

S’il devait être mené à son terme, le projet du Gouvernement conduirait à créer un pôle unique d’expertise et de recherche auprès de l’ASN, laquelle conserverait son statut d’AAI.

Or, le statut d’EPIC de l’IRSN permet à ce dernier de conclure de nombreux partenariats, en particulier avec les industriels. Les financements issus de ces partenariats sont essentiels afin d’alimenter la recherche en sûreté nucléaire, qui elle-même sert ensuite à l’expertise. Cette activité de recherche, pour laquelle l’IRSN a acquis une forte notoriété aux niveaux français comme international depuis sa création, devra nécessairement s’intensifier afin de suivre la hausse de l’activité issue de la relance du nucléaire, en particulier s’agissant des technologies nouvelles comme les SMR.

Si la recherche devait être centralisée auprès de l’ASN, son statut d’AAI rendra la conclusion de ces partenariats beaucoup plus complexes, voire impossible pour certains.

3.   Le projet de transfert risque de menacer l’attractivité des métiers du contrôle et de l’expertise de la sûreté nucléaire, sur un marché du travail déjà très concurrentiel

Dans un contexte de forte concurrence de la part des industriels sur le marché du travail, concurrence qui a vocation à se renforcer avec la relance du nucléaire, l’attractivité des métiers de l’ASN et de l’IRSN est un enjeu central de la sûreté nucléaire.

Or, le projet du Gouvernement menace directement cette attractivité, au sein des deux organismes.

S’agissant des métiers de l’ASN, le transfert de compétences de l’Institut vers l’Autorité créerait de l’incertitude et un manque de visibilité sur les parcours professionnels chez de potentiels futurs agents, ce qui diminuera l’attractivité de l’ASN dont il a été souligné que celle-ci était largement perfectible.

S’agissant des métiers de l’IRSN, ce projet privera les agents de la souplesse permise par le statut d’EPIC, notamment en matière de recrutement et de rémunération. Si le projet du Gouvernement prévoyait le transfert des contrats des agents de l’IRSN à l’ASN ainsi que la possibilité pour cette dernière d’employer des agents de droit privé ([15]), l’Autorité resterait confrontée à la difficulté de gérer des statuts différents et de maintenir une cohérence entre les rémunérations des fonctionnaires et des contractuels. Les représentants du personnel de l’IRSN ont fait part aux rapporteurs spéciaux de leur crainte que les salariés issus de l’Institut passent après les fonctionnaires s’agissant des avancements, mobilités et promotions.

Recommandation n° 11 : Abandonner le projet de transfert des compétences d’expertise et de recherche de l’IRSN vers l’ASN, afin de concentrer les forces en présence sur l’importante charge de travail dans les années à venir plutôt que sur la mise en place d’une nouvelle architecture incertaine du contrôle de la sûreté nucléaire.

 


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Lors de sa réunion de 21 heures, le 31 mai 2023, la commission des finances, réunie en commission d’évaluation des politiques publiques, a entendu Mme Alma Dufour et M. Sébastien Rome, rapporteurs spéciaux des programmes 113, 159, 181 et 217 de la mission Écologie, développement mobilité durables.

M. Sébastien Rome, rapporteur spécial (Paysage, eau et biodiversité ; Prévention des risques ; Expertise, information géographique et météorologie ; Conduite et pilotage des politiques de l’écologie, du développement et de la mobilité durable). Au regard des choix opérés par notre pays, les questions liées à la sûreté et à la sécurité nucléaires doivent être traitées, tant du point de vue technique que du point de vue démocratique. Il en va de la confiance de nos concitoyens : nous ne pouvons souffrir du défaut d’information. Aussi, nous exprimons, Madame la ministre, la grande surprise ressentie après le dépôt par le gouvernement, le 25 février dernier, de deux amendements transférant les compétences d’expertise et de recherche de l’IRSN vers l’ASN, sans consultation préalable des organismes concernés et des parlementaires, ce qui relève très nettement du défaut d’information.

Pourtant, le 8 février, vous aviez confié comme mission aux acteurs de la sûreté nucléaire le soin de formuler des propositions et de proposer une méthode de travail commune. Toutefois, 15 jours plus tard, la méthode expéditive a eu votre faveur, ce qui n’étonnera personne lorsqu’on considère les débats actuels sur les retraites. Or ce projet pose des questions de fond et de forme. Concernant les questions de forme, tout d’abord, la méthode employée par le Gouvernement a suscité la stupéfaction et l’insatisfaction des représentants du personnel de l’ASN que nous avons auditionnés. Une telle méthode a jeté un réel trouble sur les intentions de l’exécutif concernant le contrôle de nos installations nucléaires. Il entame in fine la confiance des citoyens dans ce contrôle.

Est-ce pour aller plus vite, pour accélérer ? Nos entretiens nous ont permis d’établir que nous ne gagnerons au mieux que quelques mois sur les nouveaux projets et sur la programmation des contrôles qui s’étalent sur plusieurs années. Y a-t-il des dysfonctionnements, des désaccords, des blocages entre les opérateurs justifiant la démarche du Gouvernement ? Aucun exemple de blocage ne nous a pourtant été soumis, même s’il peut y avoir des débats. Ces derniers sont même un objet de ce projet de sûreté, car ils permettent d’aligner les esprits sur un point haut d’équilibre entre savoir scientifique et protection.

Ce projet de transfert pose en outre d’importantes questions de fond. Premièrement, il remet en cause une organisation du contrôle de sûreté qui n’est pas absolument le fruit du hasard. Cette organisation est le résultat d’une construction progressive liée à la volonté de tirer les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl, puis des crises sanitaires des années 1990, avec la séparation entre les fonctions d’expertise et celles de gestion du risque pour atteindre ce point haut d’équilibre. Aussi, le contrôle de la sûreté nucléaire repose aujourd’hui sur la séparation entre l’autorité de contrôle, l’ASN, et un organisme principal d’expertise, l’IRSN, alors que les compétences sont clairement réparties de part et d’autre.

La séparation ne signifie pas étanchéité. Notre constat est qu’il existe un continuum entre expertise et prise de décision. La répartition des responsabilités de chacun est claire pour tous. Même sans changer l’architecture, tout fonctionnement est perfectible. Nous soumettons des propositions très concrètes dans ce sens, comme la création d’un centre de crise commun entre ASN et IRSN pour ordonner la chaîne de réponse en cas de situation d’urgence, ainsi que la création d’un régime juridique dédié aux lanceurs d’alerte dans le secteur du nucléaire. Nous proposons également une simplification de la lisibilité du budget consacré à la sûreté, fragmentée entre différents programmes relevant de plusieurs ministères, une taxe affectée et des ressources propres, en créant un jaune budgétaire retraçant l’ensemble de l’effort financier consacré à la sûreté nucléaire en France.

Deuxièmement, ce projet de transfert n’apparaît absolument pas opportun dans l’optique même du gouvernement au regard de sa politique nucléaire à venir. L’objectif de prolonger les centrales de 40 ans, voire 60 ans, les chantiers de démantèlement, la relance du nucléaire civil, ainsi que l’adaptation au changement climatique vont conduire à une très forte hausse de l’activité de contrôle et d’expertise. La mise en œuvre du projet de fusion du gouvernement mobiliserait des énergies et des moyens financiers et humains considérables, lesquels ne seront donc pas affectés à des activités de contrôle et d’expertise.

Nous avons de surcroît été convaincus qu’une telle fusion interviendrait au pire moment qui soit, alors même que l’organisation du contrôle a largement fait ses preuves et est reconnue à l’étranger. La conséquence, déjà sensible sur le terrain, pourrait être une fuite de notre expertise vers le privé, confronté à un besoin grandissant de personnel. On ne doit donc pas manquer d’experts pour le contrôle de nos installations nucléaires. Ce constat soulève aussi des questions d’ordre salarial, sur lesquelles je laisserai la parole à ma collègue, Alma Dufour.

Mme Alma Dufour, rapporteure spéciale (Paysage, eau et biodiversité ; Prévention des risques ; Expertise, information géographique et météorologie ; Conduite et pilotage des politiques de l’écologie, du développement et de la mobilité durable). Comme l’a dit mon collègue, Monsieur Rome, aucun des acteurs auditionnés n’a pu réellement nous donner des arguments définitifs sur les gains réels qu’apporterait la fusion au regard des risques qu’elle comporte quant au départ accéléré des salariés et à la désorganisation des services, alors que ces derniers sont confrontés à une forte charge de travail. L’argument principal mis en avant par les personnes que nous avons pu auditionner, y compris au sein de votre cabinet, Madame la ministre, est qu’il n’y a jamais eu autant de travail dans le nucléaire (relance des EPR, nouvelles technologies à l’étude et grand carénage à venir d’une partie très importante de nos réacteurs).

Sur ce point, personne ne peut discuter de la masse de travail à venir : vous l’avez dit vous-même, la résilience des prix de l’énergie sur le moyen terme en France dépend de notre capacité à éviter les risques de coupure. La question est de savoir comment s’y prendre pour éviter ces risques de coupures. Néanmoins, le réel enjeu par rapport à cette masse de travail supplémentaire semble résider dans le besoin en travailleurs, en ingénieurs, en experts, et non dans une fusion directement. Puisque nous avons besoin de ressources humaines supplémentaires, suite aux décisions prises sur la relance, quel est le plan du gouvernement concernant l’augmentation des effectifs au sein de l’ASN et de l’IRSN ? Qu’en est-il de l’augmentation des rémunérations des salariés, afin de rendre la profession plus attractive qu’elle ne l’est aujourd’hui par rapport à la concurrence du privé ?

L’ASN a demandé 29 ETP supplémentaires de cette année jusqu’en 2027, alors que, de son côté, l’IRSN a sollicité 38 ETP supplémentaires. Or pour l’instant, seule la moitié des ETP a été accordée, soit 15 ETP pour l’ASN et 20 pour l’IRSN. La DGPR, que nous avons auditionnée, nous assure de l’intention de l’État de débloquer la totalité des ETP demandés. Malheureusement, ces chiffres ne sont pas aujourd’hui dans la loi de programmation des finances publiques.

Comment être rassurés, sachant que l’ASN et l’IRSN ont une estimation conservatoire des besoins supplémentaires, connaissant le climat de contraintes budgétaires général qui pèse sur l’ensemble des établissements publics ? En réalité, les besoins semblent plus importants encore, d’autant plus s’il y a une volonté d’accélérer les calendriers tout en ne rognant pas sur les enjeux de sûreté ou si l’on souhaite adapter l’expertise actuelle à l’aggravation notable des impacts du changement climatique, notamment dans certaines régions du sud de la France.

Il en va de même concernant l’attractivité des métiers. Tous les acteurs auditionnés nous ont confirmé leurs craintes de voir les agents de l’ASN et de l’IRSN partir dans le secteur privé, considérant la faiblesse comparative de leur rémunération et les incertitudes pesant sur l’organisation et, de facto, sur la fusion. Une fois encore, il n’y a pas de proposition concrète d’augmentation salariale, certainement pas concernant les fonctionnaires, mais pas davantage d’annonces claires concernant l’ouverture à l’ASN de la possibilité de recruter des CDI. Nous alertons sur le risque de créer des distorsions de traitement entre fonctionnaires et nouveaux contractuels, qui ne feraient que précipiter les départs des agents déjà recrutés en tant que fonctionnaires à l’ASN ou l’IRSN.

Enfin, les enjeux de la fusion ne sont apparus qu’en dernier lieu, lorsque nous avons auditionné la Direction de l’ASN lors de notre rapport spécial que nous avons présenté tout à l’heure. Cette dernière s’inquiète du retard pris dans les économies d’énergie et le développement des énergies renouvelables, qui risque de générer des tensions de plus en plus fortes entre offre et demande d’électricité dans les prochaines années en France, puisque les nouveaux EPR ne seront pas disponibles avant 2037, voire 2040, et de créer pour l’ASN et l’IRSN un environnement susceptible de nuire à la protection de la sûreté nucléaire.

Alors que la fusion semble être programmée dans l’immédiat, les recrutements et les conditions de travail semblent pouvoir attendre. De même, les économies d’énergie et les ENR traînent aussi en termes d’objectifs chiffrés. Comment comptez-vous en conséquence tenir vos objectifs, si vous ne rassurez pas les salariés de l’ASN et de l’IRSN dès aujourd’hui, avec des annonces claires sur les ETP et sur leur traitement salarial ? Merci beaucoup.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique. Pour revenir sur différents éléments de votre présentation, et notamment sur la forme, je tiens à préciser, puisque vous mentionnez la mission confiée à Messieurs Niel et Doroszczuk sur la préparation d’un travail relatif à la fusion entre l’ASN et l’IRSN, que ces deux amendements ont été préparés dans le cadre de cette mission. Le résultat de leurs travaux a donc été présenté en commission des affaires économiques. Il s’agit bien de la continuité de cette mission qui comportait deux temps.

Le premier temps était consacré à l’établissement de propositions pour des amendements dans le cadre d’un projet à court terme. Le deuxième temps consistait à préparer le projet de loi de finances 2024, dans le cadre de cette potentielle réforme.

Sur le fond, ces amendements tiraient un premier renseignement puisqu’il ne s’agissait pas de supprimer l’IRSN, comme je l’ai beaucoup entendu, ni de supprimer des moyens, mais tout simplement de reconnaître la capacité d’expertise de l’ASN et de permettre un rapprochement entre les deux institutions. C’est le fruit d’un premier enseignement des rapports répétés de la Cour des comptes depuis 2007.

Je rappelle que l’ASN a été créée en 2006 et l’IRSN en 2002. Ce qui avait conduit initialement à la séparation entre ces deux organismes, alors qu’ils sont le fruit de regroupements successifs d’institutions, c’est le fait que l’ASN, devenue une autorité administrative indépendante, était une direction d’administration directement placée sous l’autorité d’un ministre. Vous pouvez mesurer le chemin parcouru par l’ASN en prenant cette dimension d’autorité administrative indépendante. Effectivement, dans la notion de travail et de prise de décision et d’accompagnement de la décision de la régulation, cette dimension d’autorité administrative indépendante est fondamentale et change complètement la donne.

Que dit la Cour des comptes, de manière répétée ? Je cite quelques extraits de son rapport de 2014 : « les recommandations formulées par la Cour à l’occasion de ses précédents contrôles ont globalement été suivies d’effets. Néanmoins, des efforts restent à réaliser pour rationaliser les implantations de l’établissement, pour mieux hiérarchiser et prioriser la stratégie de recherche et pour que la communication externe soit menée de façon plus concertée avec l’ASN. Les coûts complets par action nourrissent un conflit latent entre l’ASN et l’IRSN. Les relations entre ASN et IRSN sont difficiles et nourrissent une tension permanente. Tous les rapports de la Cour de ces dernières années ont mis en exergue cette tension jusqu’à considérer qu’il serait utile de rechercher des voies pour améliorer la collaboration entre les deux organismes. Les relations entre l’ASN et l’IRSN sont fondées sur une complémentarité qui n’exclut pas tensions et dysfonctionnements. »

Je ne vais pas rentrer dans les différents éléments, mais je constate qu’en dépit de la bonne volonté déployée, cela n’a pas empêché ces dernières années des actions de communication autonomes de l’IRSN qui posent des problèmes de principe. Ces constats sont documentés par la Cour des comptes. Nous ne partons pas d’un problème qui n’existerait pas, mais d’une situation qui demande à être traitée.

Quant à l’organisation de la sûreté nucléaire au plan international, le modèle le plus proche du nôtre est celui de l’Allemagne. Vous m’accorderez, compte tenu des décisions qui appartiennent au gouvernement allemand et qu’il ne nous appartient pas de commenter, ce n’est pas forcément l’organisation qui correspond le mieux à nos intentions pour la filière nucléaire. Si maintenant nous considérons la réalité des organisations d’autres pays (Japon, États-Unis, Canada, Royaume-Uni), nous pouvons constater que cette dualité n’est pas du tout organisée de la même manière et qu’en plus, on a un sujet de concentration des ressources ou de manque de concentration des ressources, pour l’ASN, pour accompagner la sûreté nucléaire, alors même que nous sommes en train de travailler à la relance d’un programme nucléaire, que la question de la prolongation des réacteurs en sûreté est une question majeure, et qu’un certain nombre de projets innovants émergent de la part d’acteurs qui n’ont pas cette forcément complètement cette culture du nucléaire qu’avaient les trois grands opérateurs internationaux, Westinghouse, EDF et la Korea. Ces acteurs devront réaliser des processus de validation, pour lesquels ils seront peut-être un peu inexpérimentés. Dans ce contexte, se poser la question de la meilleure organisation de notre sûreté nucléaire me paraît assez fondé.

Vous affirmez que les compétences sont clairement séparées entre l’ASN et l’IRSN, mais ce n’est pas le cas. Je rappelle que les compétences d’expertise sur ce qui fait les éléments les plus centraux d’un réacteur nucléaire, en particulier les équipements sous pression et la cuve, se trouvent à l’ASN. Faut-il donc couper l’ASN et la renvoyer à l’IRSN ? C’est ce que vous sous-entendez. Or, à ce jour, personne ne s’est jamais plaint du fait que cette expertise soit à l’ASN, alors qu’elle porte sur les équipements les plus critiques. Vous voyez bien qu’il y a des marges de progrès et des marges d’organisation à revoir sur l’organisation de la sûreté nucléaire.

Quant à la concurrence du privé, elle induit une très bonne question relative à l’attractivité des métiers et des rémunérations. J’ai pris une mesure à court terme, en intervenant personnellement auprès des acteurs de notre filière pour leur demander de ne pas recruter, de ne pas faire la chasse aux compétences au sein de l’IRSN puisque l’ASN applique strictement une déontologie de transfert de l’ASN vers les opérateurs. Les mailles du filet sont un peu plus lâches en matière de déontologie de l’IRSN vers les opérateurs, ce qui d’ailleurs pourrait être une question qu’on pourrait se poser, dans la mesure où d’un point de vue juridique, les deux organismes relèvent des mêmes textes.

Il est vrai qu’il existe des écarts de rémunération entre les deux institutions. Par ailleurs, certains écarts de rémunération pourraient être appelés à se creuser si effectivement nous relançons un programme, puisqu’il va y avoir des appels d’air de recrutement, et donc probablement des tensions sur un certain nombre de fonctions. Ce sujet-là doit être traité, à la fois dans la dimension parcours de carrière, c’est-à-dire comment permettre des évolutions au sein d’une institution qui gère la sûreté nucléaire, permettant de passer d’une entité à l’autre et d’avoir des parcours de carrière complets et passionnants, mais aussi sous l’angle de la rémunération et de ses modalités.

Le dernier point porte sur les moyens supplémentaires. Sur ce plan, je partage votre vision. A priori, si la filière nucléaire estime avoir besoin de 100 000 recrutements supplémentaires dans les années qui viennent, afin de couvrir les départs à la retraite et le recrutement de compétences supplémentaires nécessaires à la réalisation d’un nouveau programme nucléaire, à la mise en œuvre d’une prolongation des réacteurs et au fait de demeurer proactif sur les sujets d’amont du combustible, d’aval de combustible des déchets et des nouveaux réacteurs qui font l’objet d’innovations technologiques, il apparaît clairement que nous allons devoir renforcer les compétences de l’ASN et de l’IRSN. Dans quelle mesure ? Je n’ai pas les chiffres à ce jour, mais une analyse est en cours.

C’est un exercice que nous devons faire, comme nous le faisons pour toutes les filières. Cette analyse relève en réalité d’une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences en réel, que nous avons précisément fait pour le nucléaire. J’ai demandé que cet exercice soit réalisé pour la filière énergies renouvelables et pour les réseaux. Ce sujet nous concerne également dans les différents espaces administratifs, la délégation interministérielle au nouveau nucléaire, la question de l’ASN, de l’IRSN, de la direction générale Énergie Climat. Ces organismes travaillent sur des sujets absolument stratégiques dans le cadre de la transition énergétique. On leur demande de faire plus, mais ils vont avoir besoin de compétences supplémentaires.

Quant au retard que vous avez évoqué sur les énergies renouvelables, je précise qu’en 2022, nous avons connecté cinq gigawatts d’énergies renouvelables, soit le niveau maximal réalisé par la France au cours de son histoire énergétique. Ce chiffre est intéressant. Par ailleurs, le rythme de la France entre 2012 et 2021 est exactement identique à celui de l’Allemagne sur les énergies renouvelables, pays qui est plutôt présenté comme un bon élève en matière de déploiement des énergies renouvelables. En France, nous avions 13 % de la consommation finale en énergies renouvelables en 2012, comme l’Allemagne, et nous étions à 19,4 % en 2021, contre 19,2 % pour l’Allemagne. Chaque année, les résultats sont proches entre ces deux pays, l’écart n’excédant pas 0,3 %.

L’Espagne présente certes un meilleur résultat que nous, alors que l’Italie se trouve derrière nous. Parmi les pays les plus peuplés, nous nous positionnons effectivement juste derrière l’Espagne. Cela permet de remettre en perspective la perception que nous avons des énergies renouvelables en France et de leur déploiement. Il est vrai que, lors de sa présidence européenne, la France s’était engagée à atteindre un objectif plus élevé, 23 %, ce qui explique cet écart de perception au regard de l’engagement politique pris en 2010, qui n’a pas été tenu et qui aurait pu l’être par le biais de l’achat de transferts statistiques, comme de nombreux autres pays l’ont fait. Cinq pays ont ainsi procédé à des achats de transferts statistiques de mégawatts pour revenir sur leur production.

Nous sommes en discussion avec la Commission européenne, puisque nous considérons avoir su développer des énergies renouvelables. Il convient probablement de trouver un dispositif qui nous rassemble afin de tenir notre engagement politique et de faire en sorte que les mesures prises bénéficient à la filière des énergies renouvelables française.

M. le président Éric Coquerel. Cette thématique d’évaluation nous permet de revenir sur un débat parlementaire récent.

Il est heureux que nous n’ayons pas réalisé la fusion entre l’ASN et l’IRSN, organismes dont il convient de saluer la compétence. En matière de contrôle, d’expertise technique et de recherche, il n’existe que peu d’équivalents dans le monde dans le domaine du nucléaire, ce qui est normal, puisque nous avons un des programmes nucléaires les plus importants au monde. Il est normal de se donner les moyens de conserver cette expertise.

Je ne suis toujours pas convaincu par les arguments invoqués, notamment les arguments de comparaison avec des pays dont les profils sont assez différents. En outre, par coutume, je n’évalue pas forcément nos politiques en matière de sécurité nucléaire à l’aune de ce qui se fait ailleurs, notamment parce que les ressorts diffèrent, par exemple en termes d’intervention de la puissance publique.

Pourquoi changer quelque chose qui fonctionne ? L’indépendance entre ces deux structures, leur complémentarité, la reconnaissance internationale dont bénéficient ces deux organismes font que ce système, en dépit des besoins d’effectifs supplémentaires pour ces deux organismes, a largement fait ses preuves. À l’heure où le gouvernement veut relancer l’énergie nucléaire, notamment avec des centrales EPR dont on connaît les problématiques d’installation, de retards de coûts et de questions relatives à la sécurité, je ne vois vraiment pas d’un bon œil le fait de déstabiliser un établissement et deux fonctions aussi importantes. Je n’ai toujours pas trouvé d’arguments convaincants, autres que l’idée d’économie du fait d’une mutualisation, que je n’espère pas. À mon avis, ce n’est pas dans le secteur du nucléaire qu’il faut réaliser des économies, si tant est qu’il faille en faire ailleurs.

De surcroît, les rumeurs qui courent m’inquiètent, dans la mesure où elles proviennent de certaines communications de l’IRSN par rapport aux EPR et, dit-on, de l’intervention d’un opérateur très connu, aujourd’hui à 100 % public, sur les questions de développement industriel. Les représentants de l’IRSN seraient considérés comme des gêneurs, ce qui, à mon avis, correspond largement à la réalité de ce qui nous a conduits à cette situation.

Pour ma part, je ne suis toujours pas convaincu. Ce rapport a un mérite, puisqu’il tient compte effectivement de certaines remarques et critiques. J’espère qu’il pourra prévaloir par rapport à d’autres missions ambitionnant une fusion. Monsieur le rapporteur, c’est à vous.

M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général. Puisque notre collègue Sébastien Rome en a parlé, je tiens à lui dire qu’en matière de retraite, je serais assez prudent si j’étais lui, après les leçons d’obstruction et d’agressivité dont son groupe a fait preuve aujourd’hui, tout au long de la journée en commission des affaires sociales.

Nous nous accordons sur la nécessité, pour la France, de conserver une expertise et un contrôle nucléaire d’excellence, ce qui est absolument essentiel. Je ne suis pas convaincu par vos arguments visant à éviter la fusion. Je perçois quelques contradictions dans ces derniers. En premier lieu, vous démontrez que l’un des organismes est le premier commanditaire de l’autre, et que l’autre organisme est le premier prestataire de l’un. Il existe probablement des synergies extrêmement importantes entre ces deux organismes. Vous mentionnez d’ailleurs une vaste coopération entre les deux. Nous nous inscrivons déjà dans une coopération extrêmement forte. Pourtant, vous appelez à une meilleure clarification des compétences et à la mise en place d’un centre de crise commun qui, si ces deux organismes fusionnaient, seraient de facto des objectifs souhaités et atteints.

Ensuite, vous décrivez les fusions entreprises et évoquez une désorganisation sur plusieurs années, des pertes de financement et de pertes d’attractivité des métiers, ce qui me semble une vision assez apocalyptique. Or cela peut très bien se passer pour peu que, l’on s’entende sur les compétences, sur les objectifs en matière effectifs et sur les sujets de salaire après la fusion. Ces éléments peuvent au contraire alimenter une fusion.

En conclusion, je partage votre objectif de maintenir une sûreté absolue sur notre parc nucléaire. Je suis plus réservé quant à vos réserves sur la fusion entre les deux organismes.

M. Daniel Labaronne (RE). Nous pouvons nous féliciter d’une annonce de la relance du nucléaire civil en France, mais cette annonce doit s’accompagner d’une organisation de la sécurité nucléaire qui ne laisse place à aucun dysfonctionnement, qui développe une expertise incontestable, et qui assure notre protection nucléaire en toute sécurité. Cette annonce, par conséquent, doit tenir compte des observations formulées à de nombreuses reprises sur la relation entre l’ASN et l’IRSN, notamment les observations faites par la Cour des comptes et, Madame la ministre, vous avez rappelé quelques-unes des recommandations émises en la matière par la Cour des comptes.

Mes questions relatives aux relations entre l’ASN et l’ISRN portent notamment sur les pistes d’amélioration de l’organisation actuelle de notre sécurité nucléaire pour répondre justement au défi de la relance de la filière nucléaire, s’agissant par exemple du lancement de nouveaux programmes, du prolongement du parc actuel et des SMR. La région Touraine, qui souhaite candidater pour obtenir un SMR sur son territoire, est tout à fait attentive à vos propos sur les pistes d’amélioration de cette organisation.

Mme Véronique Louwagie (LR). La sûreté nucléaire est un enjeu primordial et une préoccupation qui doit être quotidienne. Elle repose sur deux acteurs, un régulateur, l’ASN, in fine autorité décisionnaire en matière de contrôle de la sûreté nucléaire, et un expert, l’IRSN, qui vient en appui technique, en matière de recherche et d’expertise. Ce sont finalement des missions complémentaires induisant une coopération.

Plusieurs questions peuvent se poser à cette aune, mais deux d’entre elles me paraissent essentielles pour vérifier s’il est effectivement nécessaire de fusionner ces deux acteurs. L’indépendance de ces deux acteurs est-elle nécessaire ? La réponse à cette question conditionne la suite à donner, parce que si nous y répondons de manière positive, la fusion n’est pas envisageable. En revanche, si nous pouvons y répondre de manière négative, la question de la fusion peut être évoquée.

Une deuxième question a été un peu évoquée par le président de la commission. Cette fusion est-elle souhaitable ? Quels en sont les avantages ? C’est à ce niveau qu’il faut apporter des réponses. Comme cela a été dit par les rapporteurs, il convient de mettre fin à certaines complexités budgétaires et administratives. Il en ressort de réelles pistes d’amélioration, sur lesquelles nous devons pouvoir travailler très sereinement. Je crois qu’on ne peut pas éluder la question de l’évolution de ces dispositifs, mais il convient d’y réfléchir.

Mme Marina Ferrari (Dem). À la lecture de votre rapport d’information, je comprends que vous considérez que le transfert des compétences d’expertise et de recherche de l’IRSN vers l’ASN ne doit pas se faire, car, je vous cite, « elle mobiliserait des énergies et des moyens considérables, alors que ceux-ci pourraient être employés sur des activités de contrôle et d’expertise. » Cette opposition me semble, sur le fond, assez catégorique, tant l’appréhension des enjeux du secteur est complexe.

En effet, s’il est évident que la méthode n’a pas convaincu lors de l’examen du projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires, nous ne sommes idéologiquement pas opposés à l’existence d’une seule et unique structure de contrôle indépendante, car les défis techniques de ce secteur sont tels qu’une organisation simplifiée semble toujours plus efficace. En effet, nous nous apprêtons à engager un nouveau programme nucléaire. Les enjeux du vieillissement du parc sont de plus en plus importants. Il est indéniablement bienvenu de réfléchir à la manière dont sera assuré un fort degré d’exigence en matière de sûreté nucléaire. Vous considérez d’ailleurs que le rôle de contrôle de la sûreté nucléaire présente des complexités budgétaires, administratives qu’il serait nécessaire de corriger.

En outre, notre organisation duale est une spécificité française. Une grande majorité de nos voisins bénéficient d’une structure indépendante effectuant la recherche d’expertises et le contrôle en termes de sûreté nucléaire. Une fois n’est pas coutume, notre exception n’est pas un problème dès lors qu’elle fait sens et preuve d’efficacité. Je souhaitais savoir, Madame la ministre, si un travail d’évaluation et de comparaison était en cours sur le fonctionnement des structures d’autres pays, mais vous nous avez déjà éclairés sur le sujet (budget, ressources humaines, objectifs de résultats et de moyens). Ces éléments peuvent être intéressants afin de penser et analyser sereinement l’évolution de notre propre système.

Pour cela, vous aviez d’ailleurs missionné en début d’année les dirigeants de l’ASN, de l’IRSN et du CEA pour faire des propositions d’ici au mois de juin et en vue de la construction du PLF 2024, notamment sur le périmètre des transferts des différentes missions sur les sujets budgétaires et financiers et les évolutions réglementaires à prévoir. Ce travail est-il toujours en cours ? Si tel est le cas, pourriez-vous nous en faire un point d’étape ? Je vous remercie.

M. Mickaël Bouloux (SOC). Je souhaite redire notre attachement à cette organisation duale et indépendante que nous avons âprement défendue il y a quelques mois, dans le cadre du projet de loi d’accélération du nucléaire, défendue contre le gouvernement et les partis présidentiels. La mobilisation des oppositions et des organisations représentant les salariés de l’ASN et de l’IRSN a permis de repousser, du moins pour le moment, un projet de fusion brutal et expéditif décidé en catimini dans un Conseil de défense.

Ce rapport est le bienvenu, parce qu’il vient compléter d’autres rapports sur les matières qui intéressent particulièrement notre commission des finances. À deux reprises, la Cour des comptes a loué cette organisation et nous a mis en garde contre une fusion. Dans un référé du 25 juin 2021, elle soulignait, s’agissant de l’IRSN, que la gouvernance et l’organisation de l’Institut, bien que complexes, avaient trouvé un équilibre, que ce dernier remplissait les missions qui lui étaient confiées par le Code de l’environnement et qu’il avait atteint les objectifs du contrat d’objectifs et de performance.

Dans un rapport du 10 décembre 2014, la Cour des comptes indiquait que la fusion des deux organismes constituerait une réponse inappropriée par les multiples difficultés juridiques, sociales, budgétaires, matérielles qu’elle soulèverait. Il n’apparaît donc pas pertinent de remettre en cause cette organisation. En revanche, et dès le prochain PLF, nous devrons accompagner une montée en charge des moyens de ces deux structures au regard des objectifs nouveaux qui leur sont fixés par la loi d’accélération du nucléaire.

Mme Christine Arrighi (Écolo-NUPES). Je vous interrogeais, Madame la ministre, le 17 mars 2023, alors que nous découvrions par un communiqué du 8 février la décision du gouvernement de réunir les compétences techniques de l’IRSN et de l’ASN, et donc d’entreprendre une réforme du contrôle de la sûreté nucléaire, qui nous était présentée comme décision, et non pas comme discussion au Parlement.

L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), par la volonté de ses président et vice-président, s’était saisi du sujet, et, à l’issue d’une audition publique le 16 février, les approches étaient pour le moins différenciées, les uns plaidant pour la réforme, d’autres indiquant qu’ils s’y conformeraient, tandis que d’autres encore se sont exprimés en faveur de la préservation du système actuel. À cette occasion, je vous posais deux questions. La première était simple : pourquoi mettre la charrue avant les bœufs ? Pourquoi ne pas faire précéder cette réforme d’une phase de diagnostic et d’étude d’impact, suivie d’une phase de négociation ?

Je vous posais une deuxième question à laquelle vous n’avez pas répondu, mais que je vais vous reposer bien sûr. Au préalable, je voulais vous demander si vous pourriez convenir ici que la méthode qui consiste à décider d’abord, puis expliquer, sans d’ailleurs faire état des avantages et inconvénients de l’organisation actuelle et de l’organisation prévue est complément contre-productif, conduisant nécessairement au blocage et/ou au passage en force, toujours préjudiciable à court terme et à long terme à tout fonctionnement démocratique.

Ma deuxième question est la suivante : compte tenu de ce qui a été dit par nos deux co-rapporteurs et des conclusions de la mission sur ce projet de réforme confiée à l’OPECST, et menée par Jean-Luc Fugit et Stéphane Piednoir, quelles sont vos options si cette mission remettait en cause votre projet, considérant les multiples réserves déjà exprimées ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. L’ASN est la seule autorité nucléaire dans les pays ayant une politique nucléaire ambitieuse qui ne dispose pas de moyens d’expertise internes forts pour l’instruction de ses dossiers. Sous cet angle, il est intéressant d’examiner les ressources disponibles. On recense plus de 2 000 agents au sein de l’autorité de sûreté américaine, mais seulement 500 agents pour l’ASN.

Ces comparaisons étaient disponibles. Je tiens d’ailleurs à vous rassurer sur le fait que nous avions transmis des éléments évaluant l’impact au moment de l’examen des amendements, lesquels ont été travaillés dans le cadre de la mission menée, non par l’OPECST, mais par messieurs Niel et Doroszcuk.

L’enjeu est effectivement de faire en sorte que l’ASN dispose, sur les activités d’expertise, des ressources adéquates et qu’elle puisse par ailleurs faire appel à des expertises externes qui ne sont pas nécessairement toutes situées au sein de l’IRSN. Quant à la question de savoir s’il y a une raison cachée, tenant à l’intervention d’un opérateur, et puisque vous citez le rapport de la Cour des comptes, je rappelle que les éléments du rapport que je vous ai lus existent et me semblent assez clairs.

Que disait la Cour des comptes en 2019 ? Elle indiquait finalement que le rapprochement allait être compliqué à mettre en œuvre, parce qu’il supposait une loi et une stratégie immobilière commune. Au moment des investigations de la Cour des comptes, donc avant l’écriture du rapport et son approbation en chambre, le programme de relance du nucléaire n’était effectivement pas totalement dans l’air du temps. En tout état de cause, la mise en œuvre d’un rapprochement nécessite effectivement une stratégie immobilière commune et une loi sur les statuts.

Or ces deux motifs, dans le dossier qui nous occupe, la relance du nucléaire, ne justifient pas de ne pas initier un tel projet. Par ailleurs, tous les autres éléments pointés dans le rapport existent. Ils existent d’ailleurs dans les différents rapports, et je ne crois pas que la Cour des comptes soit sous l’influence d’un grand opérateur à 100 % public.

M. le président Éric Coquerel. Je n’ai pas dit cela, Madame la ministre.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Ce n’est pas un constat fantasmé ou inexistant. Un exercice de crise a été mené en 2021, au cours duquel il est apparu que notre autorité de sûreté nucléaire manquait de moyens d’expertise en cas de crise.

L’idée d’établir une organisation commune s’apparente d’ailleurs au rassemblement des équipes. En fait, sur le plan matériel, vous affirmez qu’il faut faire ce que l’on propose. La question de l’indépendance est aussi très intéressante. Quelle est l’autorité administrative ? C’est l’ASN. Quel est l’établissement public soumis au contrôle des ministres et donc du pouvoir politique ? C’est l’IRSN. Vous mentionnez la complexité. Il ne faut pas sous-estimer la complexité du rapprochement de deux structures. Il en découle des enjeux culturels et des enjeux d’identité. Chacun doit y trouver son compte. J’accepte complètement cette critique ou ce questionnement.

Néanmoins, de quoi parle-t-on ? On parle du rapprochement de deux structures publiques, qui mènent une mission commune de sûreté nucléaire au sein de l’État. Ce rapprochement permettra de mettre en cohérence leurs règles déontologiques et de renforcer leurs moyens. Même si l’on ne doit pas sous-estimer la complexité de la démarche, puisqu’il faut définir une animation commune et des organisations, ce rapprochement ne sous-tend pas d’enjeu de restructuration. Il ne s’agit pas de réduire les moyens ou de revoir les implantations géographiques. L’objectif est d’avoir la force de frappe la plus efficace possible, permettant effectivement à l’Autorité de sûreté nucléaire d’avoir de l’expertise en interne, de l’expertise en externe et de pouvoir mener à bien ses missions.

Pour répondre à votre question sur l’indépendance de ces deux acteurs très directement, Madame la députée Louwagie, je suis sûre que l’indépendance de l’Autorité de sûreté nucléaire est nécessaire et qu’une telle indépendance ne peut pas être apportée à l’IRSN. Cette fusion est-elle souhaitable et quels sont ses avantages ? Elle permet le renforcement qui est souhaité.

Effectivement, une mission de l’OPECST est en cours. Elle auditionne différents acteurs, avant de formuler des propositions. Pour ma part, je fonde ma position sur la science et sur une analyse contrefactuelle de la meilleure organisation.

La phase d’instruction correspond à la qualification et aux enjeux qui avaient été mis en avant par certaines autorités de contrôle. La phase de négociation devait être mise en œuvre, sachant que les amendements ne faisaient que créer un cadre permettant d’entrer dans cette phase de négociation autour d’une organisation et d’un rapprochement. En aucun cas, elle ne supprimait l’IRSN et ne portait atteinte à ses missions. Les amendements qui étaient proposés élargissaient les missions de l’ASN.

Mme Alma Dufour, rapporteure spéciale. Je souhaite revenir brièvement sur plusieurs points. Vous nous avez beaucoup parlé des rapports de la Cour des comptes. Nous essayons d’attirer votre attention sur l’état d’esprit des salariés de l’ASN et de l’IRSN, puisque vous compterez in fine sur eux pour mettre en œuvre le plan de relance du nucléaire que vous vous êtes en train de décider. Nous avons interrogé les syndicats et leur position est différente.

Les syndicats et de l’ASN et de l’IRSN nous affirment qu’il n’y a pas de problème relationnel aujourd’hui entre l’ASN et l’IRSN. Je vous cite le personnel de l’ASN qui nous dit : « Les liens sont professionnels et le travail se fait en bonne entente. Tout le monde est conscient de son rôle dans le domaine du contrôle et de la sûreté et de la radioprotection, et les rôles et missions font l’objet de notes de fonctionnement partagées entre les deux organismes. » Nous vous demandons de ne pas jouer avec le feu. Ne mettez pas la charrue avant les bœufs. Cela a déjà été dit : il y a des enjeux de recrutement et de rémunération. Vous ne pouvez pas arriver d’abord avec une fusion non concertée avec les acteurs, puis traiter plus tard ces questions majeures. Les acteurs nous ont alertés en premier lieu sur ces dernières, et non sur les enjeux de fusion. Ne cassez pas le jouet, parce que, pour l’instant, cela n’a pas l’air d’être un enjeu majeur pour les deux acteurs. Au contraire, nous sommes confrontés à une situation critique côté salariés. C’est aussi eux qu’il faut écouter en premier, puisque nous valorisons leur expertise et leur savoir-faire.

M. Sébastien Rome, rapporteur spécial. Je vais appuyer sur deux points un peu plus politiques ou philosophiques. On nous présente le rapprochement comme une étape technique. Je crois qu’il existe un élément démocratique extrêmement fort de communication auprès du grand public. Nous sommes d’accord sur l’ordonnancement de la communication auprès du grand public. Nous l’avons vu lors de la crise ukrainienne. Effectivement, je pense qu’une cellule de crise unique, avec peut-être un chef de file qui serait l’ASN et une expertise technique, susceptible d’être menée par l’IRSN, peut être une bonne chose. Nous pouvons y parvenir, mais cela ne suppose pas la nécessité de fusionner l’ensemble des équipes qui travaillent ensemble. Ce qui est important, c’est de maintenir cette séparation classique entre l’expertise et la décision. Elle est nécessaire, aussi pour les experts qui font la recherche et qui n’ont donc pas à prendre la décision, que pour le public, qui a besoin d’une expertise de confiance. Il doit avoir la certitude que le décisionnaire et l’expert ne sont pas la même personne. L’histoire des crises sanitaires nous a enseigné le caractère essentiel de cette séparation aussi entre expertise et décision.

Par ailleurs, j’entends bien les conclusions de la Cour des comptes. Nous pouvons le constater : il existe parfois des débats parfois un peu tendus entre les deux institutions, pour définir l’ordre d’agencement du travail. Mais il faut avoir conscience de ce qu’est la science. Cette controverse permet d’approfondir les sujets. Y a-t-il eu un problème de sûreté en France ? Non, et heureusement, parce que, justement, nous nous appuyons sur des experts avec des rôles différents, capables d’avoir des controverses de haut niveau et d’approfondir de ce fait leur enquête. Il est nécessaire de conserver ces débats entre les deux institutions, parce qu’au final, les organismes ont toujours trouvé une solution pour pouvoir avancer sur les questions de sécurité et de sûreté.

M. le président Éric Coquerel. Nous en rediscuterons probablement lors du prochain PLF.

La commission autorise, en application de l’article 146, alinéa 3, du Règlement de l’Assemblée nationale, la publication du rapport d’information de Mme Alma Dufour et M. Sébastien Rome, rapporteurs spéciaux.

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   LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

 

Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) :

– M. Jean-Christophe Niel, directeur général de l’IRSN.

– M. Patrice Bueso, directeur de la stratégie.

– Mme Karine Herviou, directrice générale adjointe en charge de la sûreté nucléaire.

 

Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) :

– M. Olivier Gupta, directeur général.

– M. Daniel Delalande, directeur général adjoint.

 

Syndicats IRSN :

– M. Luc Codron, DSC CFE-CGC.

– Névéna Latil-Querrec, ingénieur sûreté nucléaire BEADS/SSyR/PSN-EXP, CFDT.

– M. François Jeffroy, délégué syndical, CFDT.

 

Syndicats ASN :

– M. Matthias Farges, coordinateur des délégués du personnel UNSP-FO, secrétaire général adjoint du SNIIM (Syndicat national des Ingénieurs de l’Industrie et des Mines)

– Mme Marion Couturier, déléguée du personnel UNSP-FO.

 

Direction générale de la prévention des risques (DGPR) :

– M. Cédric Bourillet, directeur général de la prévention des risques.

 

 

Commissariat à l’énergie atomique (CEA) *

– Contribution écrite.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

 

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([1]) Loi n° 2006-686 du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire.

([2]) Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

([3]) L’ASN a parfois recours à d’autres organismes que l’IRSN, comme l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS), l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) ou encore le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).

([4]) Les principaux employeurs des ingénieurs de l’industrie et des mines sont, outre l’ASN (qui emploie environ 15 % des effectifs totaux du corps), les ministères de l’économie et des finances, de la transition écologique et des armées.

([5]) Loi n° 2001-398 du 9 mai 2001 créant une Agence française de sécurité sanitaire environnementale.

([6]) Cette synergie a été reconnue comme performante par le Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres) en 2022.

([7]) Article 5 de la loi n° 2001-398 du 9 mai 2001 précitée.

([8]) Article 96 de la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010.

([9]) Article 45 de la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022.

([10]) Notamment par le Sénat en 2014 (Rapport d’information fait au nom de la commission des finances du Sénat sur le financement public de la sûreté nucléaire, de la radioprotection et de la transparence nucléaire), l’Inspection générale des finances en 2015 (Le financement du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection) ou encore la Cour des comptes en 2021 (référé n° S2021-1340).

([11]) Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

([12]) Loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte.

([13])  Dans son rapport sur l’adaptation au changement climatique du parc des réacteurs nucléaires de mars 2023, la Cour des comptes recommande que l’ASN et l’IRSN « disposent effectivement des compétences et des moyens humains nécessaires à l’anticipation et à la prise en compte concertées des questions liées à l’adaptation du parc nucléaire au changement climatique ».

([14]) Référé n° S2021-1340 du 25 juin 2021.

([15])  Le texte définitivement adopté du projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires permet à l’ASN de recruter de nouveaux agents contractuels, de droit privé ou public.