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N° 1314

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er juin 2023.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 146 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, dE L’Économie gÉnÉrale
et du contrÔLE BUDGÉTAIRE

 

sur les obligations assimilables du Trésor indexées sur l’indice des prix à la consommation en France (OATi) et sur l’indice des prix de la zone euro (OAT€i)

 

ET PRÉSENTÉ PAR

M. Kévin MAUVIEUX,
rapporteur spécial

 

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SOMMAIRE

 

 

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Pages

Introduction

I. Un outil de diversification de la dette de l’État qui n’est pas sans risques

A. L’indexation d’une partie de la dette de l’État répond à une demande de marché

1. L’indexation de la dette relève d’une exception à la désindexation de l’économie

a. Une exception au principe général de non-indexation établi pour prévenir les spirales inflationnistes

b. Une exception qui bénéficie aux investisseurs et aux épargnants

2. Une demande de marché qui a conduit à accroître et à diversifier l’encours de dette indexée

a. Une gestion du portefeuille de dette de l’État qui dépend de l’estimation des décisions d’investissement

b. Le succès des titres de dette indexée auprès des investisseurs

B. La dette indexée présente des risques spécifiques par rapport à la dette nominale

1. La dette indexée présente des caractéristiques et des risques spécifiques

a. Les caractéristiques des obligations indexées sur l’inflation

b. Une stratégie de diversification du portefeuille de dette de l’État

2. La dette indexée n’est pas exempte des risques par ailleurs associés à la dette nominale

a. La dette indexée contribue à la variation de la charge de la dette par l’effet taux

b. La dette indexée contribue à la variation de la charge de la dette par l’effet volume

II. Des risques importants qui justifient de réévaluer l’opportunité du recours à la dette indexée dans une période d’incertitude sur l’évolution du niveau des prix

A. L’encours de dette indexée est à l’origine d’une hausse exceptionnelle de la charge de la dette depuis le début du choc d’inflation en 2022

1. La hausse exceptionnelle de la charge de la dette en 2022 résulte en quasi-totalité de l’effet de l’inflation sur l’encours de dette indexée

a. Une hausse exceptionnelle de la charge de la dette sous l’effet de l’inflation

b. Un risque sous-estimé à la suite de plusieurs années de gains

2. L’évolution du niveau des prix demeure incertaine à moyen et long terme

a. Un choc d’inflation toujours en cours et à l’évolution incertaine

b. Une volatilité des prix qui pourrait s’accentuer à l’avenir

B. dans le cadre d’une maîtrise accrue de l’endettement, une résorption de l’encours de dette indexée est souhaitable

1. Un encadrement et une évaluation accrue du recours à la dette indexée sur l’inflation apparaissent nécessaires à brève échéance

a. La révision des programmes de financement de l’État, en lien avec l’Agence France Trésor

b. Le rôle de contrôle du Parlement, notamment dans le cadre du débat annuel sur la dette et de l’examen du projet de loi de finances de l’année

2. À plus longue échéance, la fin de la création et de l’abondement des souches de dette indexée pourrait être envisagée dans le cadre d’un désendettement d’ensemble

a. La situation britannique : une trajectoire de réduction des émissions de dette indexée

b. Le cas français

Liste des recommandations

Travaux de la commission

PERSONNES AUDITIONNÉES et déplacements effectués par le rapporteur spécial

 


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   Introduction

Au cours de la décennie écoulée entre 2011 et 2021, la charge de la dette de l’État a connu une baisse tendancielle, alors même que les taux bas et les crises ont renforcé le recours à l’endettement. L’encours de dette de l’État a progressé de plus de 63 % sur la période, mais son coût annuel, mesuré par l’exécution du programme 117 Charge de la dette et de la trésorerie de l’État, a diminué de plus de 18 % en valeur.

Cette situation, qui ne pouvait pas être durable, a brutalement pris fin en 2022. Alors que le nouvel environnement de politique monétaire, marqué par une remontée rapide des taux d’intérêt, produira ses effets à moyen et long termes au rythme des nouvelles émissions, la charge de la dette a connu, dès 2022, une hausse inédite de l’ordre de 13 milliards d’euros. Celle-ci résulte essentiellement de l’effet de la hausse des prix sur le stock de dette de l’État indexée sur l’inflation.

L’État émet depuis 1998 des obligations assimilables du Trésor indexées sur l’inflation française (OATi). S’y sont ajoutées, à partir de 2001, des OAT indexées sur l’inflation en zone euro (OAT€i), aujourd’hui largement majoritaires. Ces titres indexés présentent des avantages théoriques qui tiennent en particulier à l’économie d’une prime de risque et à la diversification du marché de la dette souveraine. À la différence de celui des OAT nominales, leur capital croît chaque année en fonction du niveau d’inflation constaté ; en contrepartie, leur taux de rendement dit réel est plus faible. Au total, les obligations indexées représentent aujourd’hui environ 11,5 % de l’encours de dette de l’État.

En 2022, le coût budgétaire de l’indexation de ces titres, du point de vue de la charge de la dette, s’est accru de 414 % par rapport à 2021. Il devrait demeurer élevé en 2023 et jusqu’au retour de niveaux d’inflation plus modérés en France et en zone euro. Une telle variabilité n’est pas sans risque pour le pilotage budgétaire de l’État. Elle interroge sur le bilan financier à long terme, pour l’État, des OAT indexées, qu’aucune étude exhaustive et récente ne permet d’établir avec précision.

Dans ce contexte et à la suite des travaux qu’il a menés dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023, le rapporteur spécial a souhaité procéder à un état des lieux de la dette indexée et de son coût pour l’État. Les auditions qu’il a menées et les déplacements qu’il a effectués lui permettent de formuler plusieurs préconisations. Il recommande en premier lieu qu’un bilan financier de long terme du programme d’indexation soit établi afin de mesurer l’impact effectif des OAT indexées sur le budget de l’État. Cette évaluation pourrait permettre d’envisager, à court terme, un recalibrage de la stratégie d’émissions de l’Agence France Trésor.

Les travaux menés par le rapporteur spécial lui ont par ailleurs permis de conforter l’idée selon laquelle, en définitive, les inconvénients de la dette indexée l’emportent sur ses avantages. Le cas britannique, marqué par un objectif de décrue de la part de l’encours indexé au cours des cinq années écoulées, démontre la crédibilité qui peut s’attacher à une stratégie de désindexation de la dette. Le rapporteur spécial appelle à appliquer une stratégie comparable et à mettre en extinction, à terme, l’indexation de valeurs du Trésor sur l’inflation. Il juge en effet irresponsable que les gouvernements aient conservé cette pratique alors qu’un retour de l’inflation était anticipé depuis plusieurs années.

I.   Un outil de diversification de la dette de l’État qui n’est pas sans risques

A.   L’indexation d’une partie de la dette de l’État répond à une demande de marché

1.   L’indexation de la dette relève d’une exception à la désindexation de l’économie

a.   Une exception au principe général de non-indexation établi pour prévenir les spirales inflationnistes

i.   Le principe de non-indexation des prix et des salaires

Dès 1958, le législateur a mis en place un régime juridique prévoyant l’interdiction de principe des clauses d’indexation et encadrant strictement les exceptions à ce principe. Il entendait ainsi faire obstacle à la propagation de l’inflation en désolidarisant les contrats du niveau des prix.

Le cadre juridique relatif à l’indexation des prix et des salaires

 

Depuis la loi de finances pour 1959, la loi encadre strictement l’indexation des prix et revenus sur l’inflation ainsi que sur le niveau des salaires :

– l’article L. 112-1 du code monétaire et financier interdit l’indexation automatique des prix de biens ou de services ;

– l’article L. 112-2 du même code prohibe, dans les dispositions statutaires ou conventionnelles, toute clause prévoyant des indexations fondées sur le salaire minimum de croissance (Smic), sur le niveau général des prix ou des salaires ou sur les prix des biens, produits ou services n’ayant pas de relation directe avec l’objet du statut ou de la convention ou avec l’activité de l’une des parties, à l’exception des dettes d’aliments.

Outre les indexations ayant une relation directe avec le contrat et les dettes d’aliments, le code monétaire et financier autorise plusieurs exceptions au principe de non-indexation :

– l’article L. 112-3 prévoit une dizaine d’exceptions, au nombre desquelles figurent depuis 2004 les livrets d’épargne réglementée ;

– l’article L. 112-4 autorise l’indexation du Smic.

Aux termes de l’article L. 3231-3 du code du travail, sont par ailleurs interdites, dans les conventions ou accords collectifs de travail, les clauses comportant des indexations sur le Smic.

Plusieurs exceptions ont été prévues dès l’origine, parmi lesquelles figure l’indexation du salaire minimum sur le niveau des prix. Par la suite, le législateur a notamment autorisé en 2004 l’indexation sur le niveau général des prix des livrets d’épargne réglementée ([1]), dont le livret A, afin d’assurer une meilleure correspondance entre la rémunération de ces livrets du point de vue des épargnants, le taux des prêts consentis adossés à ces fonds et les conditions générales de l’économie. Depuis le 1er juillet 2004, le taux de rémunération du livret A est fixé selon une formule tenant compte de l’inflation, mesurée désormais par l’indice mensuel des prix à la consommation (IPC) hors tabac publié par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) ([2]).

ii.   La création de titres souverains indexés

Les premières obligations souveraines indexées sur l’inflation ont été émises au cours des années 1960 par des États aux économies émergentes et marquées par une inflation importante, dans le but de préserver leur accès au marché de la dette de long terme ([3]). En 1998, la France a été parmi les premiers États membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à créer de tels titres, après le Royaume-Uni en 1981, l’Australie en 1985, le Canada en 1990 et les États-Unis en 1997.

Dans le cas d’une obligation indexée et contrairement aux obligations nominales, le capital remboursé est indexé sur l’inflation constatée entre l’émission et la date d’échéance du titre. En contrepartie, le taux réel de ces obligations, fixé à l’émission et servant au calcul du coupon annuel sur la base du capital indexé, est plus faible que celui des obligations nominales. L’émission de titres indexés permet donc à l’État d’économiser une prime de risque liée à l’inflation, mais le conduit en retour à supporter lui-même ce risque.

La création d’obligations indexées a été autorisée par le législateur en 1998, par la voie d’une nouvelle exception au principe de non-indexation des contrats sur le niveau général des prix ([4]). L’article L. 112-3-1 du code monétaire et financier prévoit ainsi que l’indexation des titres de créance et des contrats financiers est libre. Sur ce fondement, des souches d’obligations indexées, auxquelles sont associés, comme pour les obligations nominales, une maturité et un taux de coupon, peuvent être créées par arrêté du ministre chargé de l’économie et des finances. La France procède à l’émission de deux types d’obligations assimilables du Trésor (OAT) indexées :

– depuis 1998, des obligations indexées sur l’inflation française (OATi), dont l’indice de référence est l’IPC hors tabac publié par l’Insee. La première OATi, d’échéance 25juillet 2009 et au taux de 3 %, a été émise pour la première fois le 15 septembre 1998 pour un montant de 24 milliards de francs ;

– depuis 2001, des obligations indexées sur l’inflation européenne (OAT€i), dont la référence est l’indice harmonisé des prix à la consommation (IPCH) hors tabac de la zone euro publié par Eurostat. La première OAT€i, d’échéance 25 juillet 2012 et au taux de 3 %, a été émise pour la première fois le 25 octobre 2001 pour un montant de 6,5 milliards d’euros.

Les différents indicateurs du niveau d’inflation

 

Indices mensuels publiés par l’Insee :

L’indice des prix à la consommation (IPC), publié chaque mois au Journal officiel, retrace l’évolution moyenne des prix des biens et des services consommés par les ménages. Il est calculé sur la base d’un panier de biens et services pondéré, représentatif de la consommation des ménages, dont la composition et les pondérations sont actualisées chaque année. L’évolution des prix est calculée à qualité constante.

La composante hors tabac de l’IPC constitue l’indice de référence de l’évolution générale du niveau des prix en France, utilisé par exemple pour l’indexation du Smic.

L’indice d’inflation sous-jacente traduit la tendance de fond de l’évolution des prix. En sont exclus les prix des biens et services administrés (électricité, gaz, tabac) ou soumis à une forte volatilité (produits pétroliers, produits frais). À la différence de l’IPC, il s’agit d’un indice de prix nets, neutralisant les effets de la fiscalité indirecte et des mesures gouvernementales. Cet indice sert de référence pour la conduite des politiques économique et monétaire.

L’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) est un indice de prix nets conçu à des fins de comparaison internationale et calculé, selon une méthodologie commune européenne, à partir des collectes de prix menées au titre de l’IPC. Cette méthodologie conduit notamment à une pondération plus importante des prix de l’énergie et des produits alimentaires que pour l’IPC.

Indice mensuel publié par Eurostat :

L’indice des prix à la consommation harmonisé de la zone euro agrège les IPCH de ses vingt pays membres.

Des bons du Trésor à intérêts annuels (BTAN) indexés sur l’inflation européenne (BTAN€i 1,25 % 25 juillet 2010, créé en avril 2006) et française (BTANi 0,45 % 25 juillet 2016, créé en janvier 2011) ont par la suite complété la gamme des produits indexés du Trésor, mais ont désormais été intégralement remboursés. Le dernier BTAN est par ailleurs arrivé à échéance en 2017 sans être réabondé et ces titres sont, depuis cette date, absents de l’encours de dette de l’État.

Comme l’indiquait l’exposé des motifs de la loi du 2 juillet 1998 portant diverses dispositions d’ordre économique et financier, l’élargissement de la gamme des valeurs du Trésor par l’émission d’obligations indexées visait notamment à attirer plus d’investisseurs étrangers, dans un contexte de concurrence accrue entre États émetteurs du fait de l’introduction de l’euro. Celle‑ci a eu lieu le 1er janvier 1999 pour les paiements électroniques et notamment les émissions de dette souveraine, soit un trimestre après la première adjudication d’OATi. D’autres États de la zone euro ont par la suite pris la décision d’émettre des titres de dette indexés, dont l’Italie en 2004, l’Allemagne en 2006 et l’Espagne en 2014.

iii.   Un objectif contre-intuitif d’ancrage des anticipations d’inflation

Alors que l’interdiction législative des clauses d’indexation a pour objectif de faire obstacle à la propagation de l’inflation, l’indexation d’une partie de la dette souveraine a pu dans certains cas constituer un signal de la crédibilité des politiques monétaires visant à assurer la stabilité des prix. L’indexation d’une partie de la dette britannique dès 1981, en période de désinflation à la suite de plusieurs années de forte hausse du niveau général des prix (+ 18 % en 1980), a contribué à crédibiliser du point de vue des marchés l’engagement du Royaume‑Uni en faveur de la stabilité des prix – l’État émetteur de dette indexée ayant un intérêt financier à la maîtrise de l’inflation.

Le marché des obligations souveraines indexées constitue par ailleurs un indicateur de l’état d’ancrage des anticipations d’inflation. L’écart entre les taux des obligations nominales et des obligations indexées renseigne sur la trajectoire d’inflation anticipée par les marchés. En ce qui concerne l’inflation en zone euro, cet indicateur – qui n’est pas propre aux OAT€i émises par la France – peut contribuer à éclairer la banque centrale sur la crédibilité de sa politique de stabilité des prix.

b.   Une exception qui bénéficie aux investisseurs et aux épargnants

i.   La recherche d’une couverture du risque représenté par l’inflation

Pour la durée de vie d’une obligation nominale, l’inflation est compensée du point de vue de l’investisseur par le taux d’intérêt fixé à l’émission. Une partie de ce taux, généralement prépondérante par rapport au rendement réel du titre, dépend des anticipations d’inflation qui prévalent sur le marché et, par l’intégration d’une prime de risque, de leur niveau d’incertitude. Au contraire, les obligations indexées offrent aux investisseurs une compensation ex-post égale au niveau d’inflation effectivement constaté, qui s’ajoute au taux réel de rendement du titre.

Si les produits à taux fixes demeurent majoritaires tant du point de vue de la demande que de celui des émissions de dette, certains investisseurs recherchent un rendement spécifiquement lié à l’inflation effectivement constatée. Cette aversion au risque de décalage entre les anticipations et l’inflation effective peut notamment être causée par des engagements fortement exposés aux variations du niveau des prix.

Le secteur des fonds de pension, particulièrement développé au Royaume‑Uni et au Pays-Bas du fait des caractéristiques des systèmes de retraite de ces pays, est à l’origine d’une demande importante pour les titres souverains indexés, qui a contribué à leur forte part dans l’encours total de la dette britannique (de l’ordre de 25 %). Celui des assurances – notamment dans le cadre de l’assurance-vie – est également un important pourvoyeur de demande pour ces titres. Les obligations souveraines indexées émises par les États de la zone euro étaient par ailleurs éligibles, sur le marché secondaire et au même titre que les obligations nominales, aux programmes d’achats d’actifs de la Banque centrale européenne (BCE) menés à partir de 2015 dans le cadre de l’Eurosystème.

Cette structure particulière de la demande pour les obligations souveraines indexées explique une maturité moyenne à l’émission supérieure à celle des obligations nominales. Pour la dette française, comme l’a indiqué l’Agence France Trésor (AFT) au rapporteur spécial, cet écart moyen de maturité est d’environ un an. La demande pour les OAT indexées s’exprime notamment peu à une maturité à l’émission inférieure à cinq ans, contrairement aux OAT nominales.

La détention par les investisseurs des obligations souveraines indexées tend par ailleurs à être plus longue que celle des obligations nominales. La protection contre le risque d’écart aux prévisions d’inflation explique une détention jusqu’à maturité plus fréquente et une moindre liquidité sur le marché secondaire.

ii.   La demande spécifique liée aux livrets d’épargne réglementée

Alors que l’indexation des produits d’épargne réglementée français a été autorisée postérieurement à la création des OATi et OAT€i, en 2004, elle a été à l’origine d’un surplus de demande pour ces titres qui explique certaines caractéristiques de l’encours de dette de l’État. Les distributeurs de produits d’épargne réglementée, dont la formule de taux prend en compte l’inflation, ont exprimé une demande de couverture du risque lié aux variations du niveau des prix qui les a conduits à acquérir des titres souverains indexés sur l’inflation de la zone euro (OAT€i ou titres émis par d’autres États de la zone euro) ou domestique (OATi).

La demande liée au secteur de l’épargne réglementée explique notamment le maintien, en France, d’un marché de la dette indexée sur l’inflation domestique, alors même que les titres indexés sur l’inflation de la zone euro s’inscrivent dans un marché plus large qui leur confère une liquidité supérieure. Les OATi représentent environ 31 % de l’encours de dette indexée émise par la France. En Italie, l’émission d’obligations pluriannuelles du Trésor indexées sur l’inflation domestique à destination des particuliers (BTP Italia) a été décidée en 2012 dans le but d’élargir le marché de la dette, notamment auprès des investisseurs résidents.

Le rapporteur spécial juge surprenant que les OATi, dont le maintien s’expliquerait par la demande liée à l’épargne réglementée, aient été créées alors même que l’épargne n’était pas, en 1998, indexée sur l’inflation.


Composition de l’encours de dette indexée de l’État
au 30 avril 2022 (capital initial)

(encours en millions d’euros)

Souche

Encours

Part dans l’encours indexé

Année de création

Dernière adjudication

OAT€i 0,25 % 25 juillet 2024

17 919

8,1 %

2013

17 octobre 2019

OAT€i 0,10 % 1er mars 2026

11 900

5,4 %

2020

20 janvier 2022

OAT€i 1,85 % 25 juillet 2027

22 671

10,3 %

2011

18 août 2022

OAT€i 0,10 % 1er mars 2029

12 111

5,5 %

2019

16 mars 2023

OAT€i 0,70 % 25 juillet 2030

17 232

7,8 %

2014

18 novembre 2021

OAT€I 0,10 % 25 juillet 2031

10 986

5,0 %

2021

17 novembre 2022

OAT€i 3,15 % 25 juillet 2032

11 527

5,2 %

2002

17 novembre 2022

OAT€i 0,10 % 25 juillet 2036

11 402

5,2 %

2018

19 janvier 2023

OAT€i verte 0,10 % 25 juillet 2038

5 743

2,6 %

2022

20 avril 2023

OAT€i 1,80 % 25 juillet 2040

12 929

5,9 %

2007

16 juin 2022

OAT€i 0,10 % 25 juillet 2047

13 027

5,9 %

2016

17 novembre 2022

OAT€i 0,10 % 25 juillet 2053

5 060

2,3 %

2022

20 avril 2022

Total OAT indexées zone euro

152 507

69,1 %

 

 

OATi 2,10 % 25 juillet 2023

18 048

8,2 %

2008

16 mai 2019

OATi 0,10 % 1er mars 2025

12 793

5,8 %

2015

15 septembre 2022

OATi 0,10 % 1er mars 2028

15 127

6,9 %

2017

20 avril 2023

OATi 3,40 % 25 juillet 2029

9 185

4,2 %

1999

17 octobre 2019

OATi 0,10 % 1er mars 2032

5 891

2,7 %

2021

16 février 2023

OATi 0,10 % 1er mars 2036

7 127

3,2 %

2020

16 mars 2023

Total OAT indexées domestiques

68 171

30,9 %

 

 

TOTAL OAT indexées

220 678

100 %

 

 

Note : l’encours présenté correspond au capital initial et exclut le supplément d’indexation accumulé, qui contribue à former le capital indexé.

Source : commission des finances d’après les données de l’AFT.

Part des obligations indexées dans l’encours de dette de moyen
et long termes de la France et de ses voisins (septembre 2022)

(en pourcentage)

Source : AFT.

Pour la couverture du risque que fait peser l’inflation sur leur portefeuille, les distributeurs de produits d’épargne réglementée peuvent, alternativement, avoir recours à des produits dérivés (swaps inflation), mais ceux-ci sont eux-mêmes généralement adossés à des titres souverains indexés.

iii.   Un marché plus large pour les titres indexés sur l’inflation européenne

Après le lancement de l’euro, comme l’a indiqué l’AFT au rapporteur spécial, la convergence des standards de marché et le mandat de la BCE ont renforcé progressivement la demande de titres indexés sur inflation européenne, y compris auprès des investisseurs français. Les besoins de couverture des investisseurs européens concernent en effet majoritairement l’inflation en zone euro. Le marché est aussi plus large du point de vue de l’offre en raison de la pluralité d’États émetteurs de titres indexés sur l’inflation européenne, de sorte que des investisseurs exposés au risque d’inflation française peuvent considérer l’inflation en zone euro comme une approximation avantageuse, du fait de la corrélation entre les deux références. En France, les OAT€i constituent plus de 69 % de l’encours de dette indexée. D’autres pays de la zone euro, comme l’Allemagne et l’Espagne, n’ont pas d’autre référence d’indexation que l’inflation européenne.

2.   Une demande de marché qui a conduit à accroître et à diversifier l’encours de dette indexée

a.   Une gestion du portefeuille de dette de l’État qui dépend de l’estimation des décisions d’investissement

L’Agence France Trésor (AFT), chargée de la gestion de la dette et de la trésorerie de l’État ([5]), procède aux émissions, rachats et remboursements de titres, selon les orientations d’un programme indicatif de financement fixé chaque année par le ministre chargé de l’économie et des finances et rendu public par communiqué de presse. Elle prend en compte, pour déterminer les modalités de chaque opération – notamment les souches et les montants concernés –, les conditions de marché et les recommandations de quinze spécialistes en valeurs du Trésor (SVT).

Le rapporteur spécial souligne à cet égard que la responsabilité de la structure de la dette de l’État incombe en définitive au ministre chargé de l’économie et des finances.

Les SVT, sélectionnés pour un mandat de trois ans, sont des établissements de crédit français et étrangers. Ils sont les contreparties privilégiées de l’AFT dans le cadre du marché primaire – notamment pour l’achat de titres à l’émission – et ont un rôle d’animation du marché secondaire. Leur action est encadrée par une charte actualisée au début de chaque mandat ([6]).

Les adjudications d’obligations indexées ont lieu le troisième jeudi de chaque mois à 11 heures 50, à l’exception des mois d’août et décembre – le programme de financement pour 2023 précisant qu’une adjudication pourrait avoir lieu le 1er jeudi du mois de décembre en fonction des conditions de marché.

Comme le relève la Cour des comptes dans sa note d’exécution budgétaire 2022 sur le compte de commerce Gestion de la dette et de la trésorerie de l’État ([7]) et comme a pu le constater le rapporteur spécial au cours de ses travaux, l’AFT procède aux émissions de dette indexée en fonction des conditions de marché et au regard :

– d’une part, de la proportion des titres indexés dans le total des émissions annuelles. Depuis 2009, la cible d’émission d’OAT indexées de l’AFT est d’environ 10 % du programme de financement ([8]), mais le niveau effectif des émissions dépend de la demande des investisseurs ;

– d’autre part, du niveau de l’encours de dette indexée. L’AFT apprécie notamment le risque que ce niveau d’encours fait peser sur la charge de la dette et la diminution des coûts de financement qu’il est susceptible d’apporter par rapport à un stock de dette nominale.

b.   Le succès des titres de dette indexée auprès des investisseurs

i.   Une progression de l’encours de dette indexée

Comme le montrent les débats parlementaires sur le projet de loi autorisant l’indexation de produits du Trésor, les émissions initialement envisagées par l’étude d’impact ciblaient l’encours de dette indexée à moins de 3 % de l’encours total de dette de l’État. Le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, Dominique Strauss‑Kahn, précisait dans le cadre de ces débats que : « Si un gouvernement avait l’idée saugrenue de transformer 20, 30, 40 % de notre dette publique en dette indexée, un problème pourrait alors se poser. […] Ce n’est pas l’intention du Gouvernement. ([9]) »

Comme l’a indiqué l’AFT au rapporteur spécial, en 2000, une première cible indicative a été fixée à environ 5 % du programme d’émission. Entre 2004 et 2008, les communiqués de presse relatifs aux programmes de financement annuels de l’État comportaient la formule suivante : « le programme prévoit que les émissions d’obligations indexées sur l’inflation, tant française qu’européenne, atteindront au minimum 10 % des émissions nettes à moyen et long terme. L’AFT pourra émettre significativement plus de 10 % de son programme sous forme d’obligations indexées si la demande le justifie. »

En 2006, une publication de la direction générale du Trésor, modélisant plusieurs stratégies d’endettement au regard de leur risque pour le solde budgétaire, indiquait « qu’une augmentation de la partie indexée de la dette dans l’encours total jusqu’à 20 % pourrait diminuer à la fois le coût et la variabilité budgétaires. ([10]) » Conformément à la nouvelle stratégie d’émissions, la part de l’encours de dette indexée est passée de 5,9 % en 2003 à 15 % en 2008.

En 2009, la cible d’émission a été révisée à la baisse. Depuis cette révision, les programmes de financement annuels indiquent que « les émissions d’obligations indexées, tant sur l’inflation française qu’européenne, représenteront environ 10 % des émissions nettes à moyen et long terme. » L’AFT a indiqué que cette actualisation faisait suite à l’observation d’une stabilisation de la demande autour d’environ 10 % des nouvelles émissions. Conjuguée à un effet de base résultant de la hausse de l’encours total de dette à la suite de la crise économique et financière de 2009, la nouvelle cible d’émissions a conduit à une décrue de la part des OAT indexées jusqu’en 2013 (11,9 %), puis à une stabilisation les années suivantes.

Évolution de la part de l’encours de titres indexés
dans l’encours de dette de l’État (1998-2022)

(en milliards d’euros et en pourcentage)

Note : la part des titres indexés est calculée en intégrant le supplément d’indexation qui correspond à la différence entre le principal indexé et le principal initial.

Source : AFT.

En 2022, les émissions de titres indexés ont représenté 25,4 milliards d’euros, soit 8,9 % des émissions brutes totales de dette à moyen et long termes qui se sont élevées à 286,2 milliards d’euros. Ces émissions sont en progression depuis 2021 (23,6 milliards d’euros, soit 8,3 % des émissions totales), après des années 2019 et 2020 marquées par une faible demande des investisseurs du fait de faibles perspectives d’inflation.

L’encours total de dette indexée sur l’inflation s’élevait en fin d’exercice 2022 à 262,2 milliards d’euros. Les titres indexés constituent 11,5 % de l’encours total de dette de l’État, qui s’élève à 2 277,8 milliards d’euros, et 12,3 % de l’encours de dette à moyen et long termes (2 129,3 milliards d’euros).

Proportion de titres indexés dans les émissions annuelles
et dans l’encours de dette de l’État (2010-2022)

(en pourcentage)

Source : Cour des comptes, AFT.

ii.   Une diversification des titres indexés

Deux nouveaux titres de dette indexée sur l’inflation ont été créés au premier semestre 2022 par arrêté ministériel : une obligation indexée sur l’indice des prix de la zone euro (OAT€i 0,10 % de maturité 25 juillet 2053) ([11]) et la première obligation verte indexée sur l’indice des prix de la zone euro (OAT€i verte 0,10 % de maturité 25 juillet 2038) ([12]). Alors que le taux de coupon des nouvelles souches nominales créées est arrondi au quart de pourcent (0,25 %), le taux de coupon des titres indexés sur l’inflation, plus faible, est arrondi au dixième de pourcent (0,1 %).

La première émission par syndication de l’OAT€i verte, le 25 mai 2022, s’est élevée à un montant de 4 milliards d’euros, la demande ayant été très supérieure aux montants effectivement servis. Cette souche a par la suite été abondée par adjudication à trois reprises. L’AFT a indiqué au rapporteur spécial que le volume annuel de dépenses vertes éligibles (11 milliards d’euros en 2023) permettait d’assurer la liquidité des trois OAT vertes existantes, dont cette souche indexée, mais contraignait le nombre des souches pouvant être créées.

Le rapporteur spécial alerte sur le fait que, malgré la hausse exceptionnelle de la charge de la dette en 2022 en raison de l’impact de l’inflation sur les OATi et OAT€i, le Gouvernement ait créé cette nouvelle souche indexée, ne prenant pas la mesure du risque pesant, à moyen et long termes, sur la soutenabilité de la dette et sur l’économie française.

B.   La dette indexée présente des risques spécifiques par rapport à la dette nominale

1.   La dette indexée présente des caractéristiques et des risques spécifiques

a.   Les caractéristiques des obligations indexées sur l’inflation

i.   Les caractéristiques communes aux titres indexés

Une OAT indexée comporte un principal initial dont la valeur nominale à l’émission est de 1 euro. Ce capital évolue chaque année en fonction de l’inflation constatée dans le cadre de l’indice de référence du titre (l’IPC hors tabac publié par l’Insee pour les OATi et l’IPCH de la zone euro publié par Eurostat pour les OAT€i). Le capital indexé, qui se compose du principal initial et du supplément d’indexation, est remboursé par l’État à l’échéance du titre.

Chaque année, une OAT indexée ouvre droit, comme les OAT nominales, au versement d’un coupon calculé par application du taux réel du titre, qui dépend de la souche concernée, au principal indexé. La valeur des coupons des OAT indexées est plus faible que dans le cas des OAT nominales en raison des taux réels inférieurs (voir ci-dessus). En revanche, elle progresse pendant la durée de vie du titre sous l’effet de l’indexation du capital. La différence entre le taux d’intérêt des différentes souches et le taux de marché donne lieu, comme pour les OAT nominales, au versement d’une prime par l’investisseur (si le taux de la souche est supérieur au taux de marché) ou à l’octroi d’une décote par l’État (dans le cas inverse).

Par exception aux règles générales de la comptabilité budgétaire, l’article 125 de la loi de finances pour 2000 prévoit que le coût représentatif de l’indexation des OAT est inscrit chaque année en loi de finances comme charge budgétaire au sein du budget général de l’État, alors même qu’il ne donne pas lieu à un décaissement effectif avant l’échéance du titre. Cette provision pour charge d’indexation est calculée en fonction des références d’inflation disponibles à la date de détachement du coupon, soit, selon les souches, le 25 juillet ou le 1er mars.

Par ailleurs, le remboursement du capital des OAT indexées est garanti à leur valeur nominale. Par conséquent, les OAT indexées protègent les investisseurs contre le risque – jamais réalisé à ce jour – d’une inflation en moyenne négative sur l’ensemble de la durée de vie du titre. Comme l’a indiqué l’AFT au rapporteur spécial, un tel plancher est également prévu pour les titres indexés des États-Unis, de l’Allemagne, de l’Espagne ou de l’Italie. Au Japon, où des obligations indexées arrivant à échéance en 2011 et 2012 ont été remboursées à une valeur inférieure à leur capital nominal initial à la suite d’une déflation durable, un plancher a également été prévu pour les obligations indexées créées à partir de 2013 afin de renforcer la demande pour ces titres.

ii.   Les risques spécifiques à certaines souches

En raison de leurs caractéristiques, certains titres indexés présentent des risques spécifiques pour les investisseurs et pour l’État :

– les OATi, qui offrent une meilleure couverture aux investisseurs exposés spécifiquement à l’inflation française, présentent également une moindre liquidité que les OAT€i, inscrites dans un marché plus large ;

– en cas de choc d’inflation asymétrique entre la France et le reste de la zone euro, les OAT€i peuvent offrir une couverture imparfaite aux investisseurs exposés à l’inflation française qui auraient choisi ce segment de marché. Au contraire, les coûts de financements de l’État peuvent s’en trouver rehaussés, alors même que le niveau d’inflation demeure maîtrisé en France. Une telle situation s’est notamment produite en 2021 et 2022, l’inflation française étant inférieure en moyenne à celle de la zone euro du fait notamment de la mise en place des boucliers tarifaires.

À cet égard, le rapporteur spécial souligne que le coût pour l’État des OATi évolue, comme ses recettes fiscales, corrélativement à l’inflation française. Il en résulte qu’en cas de choc asymétrique d’inflation plus fort en moyenne dans la zone euro, la charge de la dette est susceptible de progresser, par l’intermédiaire des OAT€i, sans que cet effet de compensation par les recettes puisse pleinement se réaliser. De ce point de vue, le rapporteur spécial note que les OATi présentent un moindre risque de dégradation du solde budgétaire que les OAT€i – qui composent pourtant 69 % de l’encours de dette indexée – en cas de choc d’inflation asymétrique.

b.   Une stratégie de diversification du portefeuille de dette de l’État

i.   Une stratégie gagnante lorsque l’inflation n’excède pas les anticipations

Du point de vue de l’État et en théorie, l’indexation de la dette peut constituer une stratégie avantageuse de financement à plusieurs égards :

– par l’économie de la prime de risque liée à l’incertitude du niveau de l’inflation qui contribue à la formation du taux de rendement des OAT nominales. En 1998, le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie estimait le gain associé à cet effet à un demi-point de taux d’intérêt ;

– par la diversification des canaux de financement qui permet, par rapport à un niveau d’émissions identique intégralement réalisé sur le marché des OAT nominales, de bénéficier de meilleures conditions financières, sans que cet effet soit aisément quantifiable faute de données contrefactuelles ;

– ex-post, par l’effet d’un niveau d’inflation réalisée plus faible que les anticipations, qui renchérit comparativement le coût pour l’État des OAT nominales.

ii.   Une sensibilité forte et immédiate à l’effet inflation

Lorsque, au contraire, l’inflation réalisée est supérieure aux anticipations à la date de l’émission du titre, la charge représentée par une obligation indexée tend à dépasser celle d’une OAT nominale. Or, contrairement à l’effet de renchérissement de la charge d’intérêts lié à une hausse des taux d’intérêt, qui est limité aux nouvelles émissions, l’inflation affecte immédiatement la totalité de l’encours de dette indexée par l’intermédiaire de la provision pour charge d’indexation. Elle peut donc être à l’origine de variations rapides de la charge de la dette.

Comme l’a indiqué l’Agence France Trésor au cours de son audition par le rapporteur spécial, compte tenu d’un portefeuille de dette indexée de l’ordre de 250 milliards d’euros, une variation d’un point à la hausse ou à la baisse du taux d’inflation entraîne, sur une année, une variation de la charge d’indexation de plus ou moins 2,5 milliards d’euros.

iii.   Un effet de lissage du solde budgétaire

Si les OAT indexées renforcent la sensibilité de la charge de la dette de l’État à l’inflation, leur effet sur le solde budgétaire est plus nuancé car, lorsque l’inflation est supérieure aux prévisions, la progression de la charge d’indexation qui en résulte s’accompagne en principe de meilleures rentrées fiscales. Inversement, lorsque l’inflation est inférieure aux prévisions, la provision pour charge d’indexation tend à diminuer dans un contexte de recettes fiscales moins dynamiques.

Le rapporteur spécial rappelle toutefois que l’inflation n’est pas seulement source de recettes fiscales dynamiques, mais également de dépenses supplémentaires pour l’État, comme l’illustre la situation actuelle. Il souligne que, dans les périodes de hausse du niveau général des prix, une forte variabilité de la charge de la dette contraint fortement le pilotage des dépenses, alors même que cette charge n’est source d’aucun bénéfice. La capacité de l’État à protéger les Français face à ce type de choc économique s’en trouve fortement amoindrie.

2.   La dette indexée n’est pas exempte des risques par ailleurs associés à la dette nominale

a.   La dette indexée contribue à la variation de la charge de la dette par l’effet taux

En 2022, les dépenses d’intérêts liées aux OAT indexées sur l’inflation, hors charge d’indexation, se sont élevées à 2,76 milliards d’euros, soit 7,8 % de l’ensemble des dépenses d’intérêts associées aux titres de dette de l’État ([13]). Cette proportion est plus faible que la part des titres indexés dans l’encours total de dette (11,5 %). Cela s’explique par des taux d’intérêt moins importants, toutes choses égales par ailleurs, que ceux des valeurs nominales du Trésor, du fait de l’absence de prime de risque liée à l’inflation. Ces dépenses d’intérêts ne sont toutefois pas négligeables, de sorte que l’encours de dette indexée contribue effectivement aux variations de la charge de la dette de l’État sous l’effet de l’évolution des taux d’intérêt.

En 2022, en réponse à la forte hausse de l’inflation en zone euro, la Banque centrale européenne a entamé une normalisation progressive de sa politique monétaire en relevant ses taux directeurs et en mettant fin aux politiques d’assouplissement quantitatif. Dans ce contexte, comme le relève le rapport annuel de performances, les taux d’intérêt sur les marchés obligataires se sont inscrits dans une tendance haussière, avec des périodes de forte volatilité. La moyenne des taux à l’émission pour l’ensemble des titres de moyen et long termes émis par l’AFT s’est établie à 1,43 % en 2022, contre – 0,05 % en 2021. Cette situation laisse présager une hausse importante des charges d’intérêts de la dette dans les années à venir.

b.   La dette indexée contribue à la variation de la charge de la dette par l’effet volume

En 2022, l’accroissement de l’encours de dette de l’État (+ 132,7 milliards d’euros dont + 25,9 milliards d’encours indexés, y compris le supplément d’indexation) a contribué à hauteur de 1,3 milliard d’euros à l’augmentation de la charge de la dette.

Une partie de cette hausse (700 millions d’euros) résulte de l’augmentation de la charge d’intérêts de l’ensemble des OAT sous l’effet de la progression de leur encours, à laquelle contribuent les OAT indexées pour une part non quantifiée par le rapport annuel de performances.

L’effet volume sur la provision pour indexation du capital des titres indexés a pour sa part contribué à hauteur de 600 millions d’euros à la hausse de la charge de la dette.


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II.   Des risques importants qui justifient de réévaluer l’opportunité du recours à la dette indexée dans une période d’incertitude sur l’évolution du niveau des prix

A.   L’encours de dette indexée est à l’origine d’une hausse exceptionnelle de la charge de la dette depuis le début du choc d’inflation en 2022

1.   La hausse exceptionnelle de la charge de la dette en 2022 résulte en quasi-totalité de l’effet de l’inflation sur l’encours de dette indexée

a.   Une hausse exceptionnelle de la charge de la dette sous l’effet de l’inflation

La charge de la dette du budget général de l’État s’est établie à 50,7 milliards d’euros en 2022, à un niveau très supérieur aux prévisions de loi de finances initiale (38,7 milliards d’euros) ainsi qu’à l’exécution de l’année précédente (37,8 milliards d’euros). Cette progression de 12,9 milliards d’euros de la charge de la dette constitue la principale contribution à la hausse des dépenses du budget général de l’État en 2022 par rapport à 2021 (+ 19 milliards d’euros au total). Le rebond exceptionnel de la charge de la dette en 2022 (+ 34 % par rapport à 2021) met fin à une décennie de baisse tendancielle, marquée par une diminution de 8,5 milliards d’euros entre l’exécution 2012 et l’exécution 2021.

La majeure partie de la charge de la dette, soit 49,5 milliards d’euros, est imputable aux titres de moyen et long termes, contre 1,2 milliard d’euros pour les titres de court terme. En excluant les opérations de trésorerie, la variation de la charge de la dette entre 2021 et 2022 s’établit à + 13,2 milliards d’euros.

évolution de la charge de la dette de l’état (2012-2022)

(en milliards d’euros)

Source : Cour des comptes, AFT.

La hausse de la charge de la dette de l’État en 2022 s’explique principalement par celle de la provision pour charge d’indexation du capital des titres indexés, qui y contribue à hauteur de + 12,5 milliards d’euros. La provision pour indexation s’établit à 15,5 milliards d’euros en comptabilité budgétaire, contre 3 milliards d’euros en 2021. L’effet volume lié à la progression de l’encours des titres indexés explique une faible part de cette hausse (+ 600 millions d’euros).

Contribution des effets volume, taux et inflation
à la variation de la charge de la dette de l’état (2016-2022)

(en milliards d’euros)

Source : Cour des comptes, AFT.

La cause principale et directe de l’augmentation de la provision pour indexation est le relèvement du niveau d’inflation en 2022, qui y a contribué à hauteur de 11,9 milliards d’euros. Comme le relève le rapport annuel de performances, les indices servant de référence au calcul de la provision budgétaire pour charge d’indexation des titres indexés ont fortement progressé en 2022, s’établissant à + 8,06 % pour l’inflation en zone euro, contre + 1,85 % en 2021, et + 5,24 % pour l’inflation française, après + 1,29 % en 2021.

La charge d’indexation des titres indexés est encore plus importante en droits constatés et s’élèverait à 23 milliards d’euros en 2022 en comptabilité générale, contre 8 milliards d’euros en 2021, selon la Cour des comptes. Cet écart avec la comptabilité budgétaire s’explique par les dates prises en compte pour le calcul de la charge d’indexation. Si c’est le glissement annuel d’inflation de la période précédant la date de paiement des coupons – soit le 1er mars ou, plus fréquemment, le 25 juillet – qui est retenu comme référence en comptabilité budgétaire ([14]), la charge est appréciée au regard du niveau d’inflation en fin d’exercice en comptabilité générale. L’inflation élevée du second semestre 2022 n’est donc pas prise en compte pour le calcul de la charge d’indexation de 2022 en comptabilité budgétaire et sera imputée sur l’exercice 2023.

b.   Un risque sous-estimé à la suite de plusieurs années de gains

Les débats parlementaires sur le projet de loi de 1998 portant diverses dispositions d’ordre économique et financier mettaient en avant les perspectives d’inflation faible qui prévalaient alors, dans le contexte de la mise en place de l’euro. Le rapporteur de la commission des finances du Sénat concluait à l’adoption de l’article autorisant l’émission d’instruments financiers indexés sur le niveau général des prix « en raison, d’une part, du faible montant des encours envisagés et, d’autre part, des faibles risques de reprise de l’inflation du fait de la mise en place de la monnaie unique ([15]) ». Le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie indiquait pour sa part qu’il s’agissait « non de donner une garantie supplémentaire aux porteurs, mais de profiter de cette indexation, avec laquelle nous ne prenons pas grand risque, car l’inflation est vraiment très faible, pour verser des intérêts moins élevés ([16]) ».

Comme le relève la Cour des comptes dans sa note d’exécution 2022 sur le compte de commerce Gestion de la dette et de la trésorerie de l’État, l’apport financier des OAT indexées à la gestion de la dette n’est pourtant « qu’épisodiquement mesuré ». En réponse à un questionnaire du rapporteur spécial de la commission des finances du Sénat sur la mission Engagements financiers de l’État, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023 ([17]), l’AFT a notamment évalué, pour chaque année, l’impact budgétaire cumulé du programme d’émission de titres indexés, par différence entre le montant de la provision pour indexation et les économies d’intérêts estimées par rapport à un encours similaire de dette nominale.

Cette évaluation met en évidence :

– un impact budgétaire faible entre 1999 et 2012, malgré un surcoût de l’ordre de 2,5 milliards d’euros en 2008, causé par une forte provision pour charge d’indexation (4,6 milliards d’euros) et compensé l’année suivante grâce à une provision très faible (84 millions d’euros). Le surcoût constaté en 2008 s’explique par une inflation de 2,8 % en moyenne annuelle, supérieure de plus d’un point aux prévisions, qui a, comme le relevait un rapport du Sénat, « singulièrement compliqué le pilotage de la dépense de l’État » ([18]) ;

– des gains budgétaires entre 2013 et 2021, pour un montant total cumulé de l’ordre de 10 à 15 milliards d’euros en fin de période, du fait d’une inflation faible ;

– un effacement de ces gains en une seule année sous l’effet de la progression exceptionnelle de la provision pour charge d’indexation en 2022. À cette date, les gains cumulés du programme d’indexation ne s’élèveraient plus qu’à environ 2 milliards d’euros.

Compte tenu du montant élevé de la provision pour charge d’indexation anticipé en loi de finances (13,9 milliards d’euros) – probablement sous-estimé étant donné le relèvement des prévisions d’inflation en cours d’année –, le programme d’indexation devrait, en 2023, avoir représenté au total un coût budgétaire pour l’État sur l’ensemble de sa période d’existence. Le rapporteur spécial considère donc qu’on ne saurait prétendre que le recours à ce type d’instrument financier est, dans la durée, avantageux pour le financement de la dette publique.

2.   L’évolution du niveau des prix demeure incertaine à moyen et long terme

a.   Un choc d’inflation toujours en cours et à l’évolution incertaine

L’inflation réalisée en glissement annuel sur l’ensemble de l’année 2022 s’est élevée à 9,2 % pour l’IPCH de la zone euro et 6 % en France pour l’IPC hors tabac (indice au mois de décembre). Ce choc d’inflation a pour causes notables les tensions sur l’offre constatées dès 2021 à la suite de la crise sanitaire, le choc énergétique lié à la reprise économique puis à l’invasion de l’Ukraine par la Russie ainsi que les tensions sur les matières premières agricoles liées à cette invasion.

L’inflation de la zone euro a connu une décrue depuis son pic de l’automne (10,8 % en octobre 2022), s’établissant à 6,9 % sur l’année en mars 2023 et se stabilisant en légère hausse à 7 % en avril. Elle demeure supérieure à l’évolution de l’IPC hors tabac, qui connaît une relative stabilité sur un plateau élevé (5,8 % sur un an en avril 2023 après 5,7 % en mars). Comme l’a indiqué la direction générale du Trésor au rapporteur spécial, les prix de l’alimentation sont désormais le principal facteur de l’inflation, après une année 2022 marquée par la forte progression des prix de l’énergie. La contribution des prix des produits manufacturés est par ailleurs en progression. Cette évolution de la structure de l’inflation résulte d’une transmission progressive des prix des intrants aux produits alimentaires et manufacturés.

évolution du glissement annuel de l’inflation en France et en zone euro

(données mensuelles en pourcentage d’évolution)

Source : commission des finances d’après Insee, Eurostat et AFT. Les données pour le mois d’avril 2023 sont issues, pour l’IPCH de la zone euro, de l’estimation rapide publiée par Eurostat le 2 mai 2023 et, pour l’IPC hors tabac, des résultats provisoires de l’IPC publiés par l’Insee le 28 avril 2023, retranchés de leur composante tabac.

L’issue de ce choc d’inflation demeure incertaine, d’autant plus, comme l’a également indiqué la direction générale du Trésor, que les périodes de choc brutal peuvent conduire à une modification rapide des comportements et réduire la qualité des méthodes statistiques de prévision.

Le Gouvernement a, d’ailleurs, récemment rehaussé sa prévision d’inflation pour 2023. Prévue à 4,3 % en 2023 dans le cadre du projet de loi de programmation des finances publiques déposé le 26 septembre 2022 à l’Assemblée nationale, elle est désormais anticipée à 4,9 % dans le cadre du programme de stabilité présenté au mois d’avril. Le Haut Conseil des finances publiques a relevé que les prévisions d’inflation du Gouvernement pour 2023 et 2024 paraissaient « un peu sousestimées, comme cela a été le cas régulièrement au cours des deux dernières années, même si les incertitudes entourant l’évolution à venir des prix à la consommation restent importantes ([19]) ». Cette tendance confirme le surcoût budgétaire qui devrait résulter de l’encours de dette indexée en 2023 et ne laisse pas présager, dans l’immédiat, un retour à une situation de gains financiers.

Prévisions d’inflation en France entre 2023 et 2027

(évolution annuelle en pourcentage)

 

2023

2024

2025

2026

2027

Projet de loi de programmation des finances publiques (automne 2022, IPC hors tabac)

4,3

3,0

2,1

1,75

1,75

Programme de stabilité (avril 2023, IPC)

4,9

2,6

2,0

1,8

1,8

Source : projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 et programme de stabilité 2023-2027.

Les anticipations d’inflation de long terme, estimées par le point mort d’inflation qui rend compte de l’écart entre le taux de rendement des obligations nominales et celui des obligations indexées, semblent s’établir en mars 2023 à un niveau légèrement supérieur à 2,5 % par an pour la zone euro et compris entre 2,5 % et 3 % pour la France. La volatilité du point mort d’inflation demeure importante.

Évolution du point mort d’inflation en zone euro à 10 ans et 30 ans

(valeurs quotidiennes en points d’inflation)

Source : AFT et Bloomberg.

b.   Une volatilité des prix qui pourrait s’accentuer à l’avenir

Comme l’a indiqué la direction générale du Trésor au cours de son audition par le rapporteur spécial, la stabilité des prix pourrait à l’avenir être affectée notamment par les conséquences de la transition écologique.

Une récente étude de la Banque de France ([20]) identifie plusieurs canaux par lesquels les politiques de transition pourraient accentuer la volatilité des prix. Parmi ces canaux figurent des hausses du prix du carbone, « des tensions sur des minéraux critiques nécessaires aux énergies renouvelables », des « délais d’ajustement des prix relatifs des biens intensifs en énergie » ou « des perturbations économiques liées aux restructurations et adaptations de l’appareil productif ».

B.   dans le cadre d’une maîtrise accrue de l’endettement, une résorption de l’encours de dette indexée est souhaitable

1.   Un encadrement et une évaluation accrue du recours à la dette indexée sur l’inflation apparaissent nécessaires à brève échéance

a.   La révision des programmes de financement de l’État, en lien avec l’Agence France Trésor

Alors même que l’exercice 2022 a vu la provision pour charge d’indexation des OATi et OAT€i progresser de 12,5 milliards d’euros – ce qui représente une évolution de 414 % par rapport à 2021 et 630 % par rapport à la moyenne de la période de 2016 à 2021 , le recours à la dette indexée s’est accru par rapport à l’année précédente. En réponse à une demande soutenue, la part des titres indexés a progressé à la fois dans les émissions (+ 0,6 point) et dans l’encours total de dette de l’État (+ 0,5 point).

Le niveau de la provision pour charge d’indexation des titres indexés résulte essentiellement de l’encours de dette indexée, de sorte qu’un abaissement de la part des OATi et OAT€i dans le flux d’émission n’aurait eu qu’un impact marginal sur son montant en 2022. Toutefois, le rapporteur spécial considère que la progression des émissions de dette indexée en 2022, en l’absence d’une évaluation précise du bilan financier de long terme du programme d’indexation, entraîne un risque pour le pilotage des dépenses de l’État à moyen et long termes. Il recommande en conséquence que soit évalué l’impact financier de la dette indexée sur le budget de l’État, compte tenu de la conjoncture macroéconomique actuelle et de l’incertitude sur les niveaux futurs d’inflation.

Cette évaluation permettrait de quantifier, pour chaque année et sur une longue période, l’évolution des pertes et gains réalisés par l’État du fait de l’écart entre l’inflation réalisée et les anticipations à l’émission des titres indexés. Elle permettrait en outre d’évaluer les moindres dépenses résultant pour l’État, d’une part, de l’économie de la prime de risque d’inflation et, d’autre part, de l’effet de diversification de la base d’investisseurs.

 

Recommandation n° 1 : procéder à une évaluation, communiquée au Parlement, des impacts financiers sur le budget de l’État, à court, moyen et long termes, de l’encours de dette indexée sur l’inflation ainsi que du flux d’émissions.

Compte tenu des conclusions de cette évaluation, qui pourrait être rendue publique ou, à tout le moins, communiquée au Parlement, le rapporteur spécial appelle, à court terme, à réviser les programmes de financements annuels afin de fixer une cible et des modalités d’émission de dette indexée correspondant effectivement aux besoins de l’État et aux risques financiers avérés.

 

Recommandation n° 2 : à court terme et en fonction des résultats de l’évaluation de l’impact financier de la dette indexée, réviser les programmes de financement indicatifs annuels afin, le cas échéant, de fixer une cible et des modalités d’émission de dette indexée correspondant mieux aux besoins de l’État et aux risques financiers avérés.

Le rapporteur spécial relève à cet égard que la Cour des comptes a formulé, dans le cadre de sa campagne de notes d’exécution budgétaire 2022, une recommandation similaire, tendant à l’actualisation des conditions et limites des émissions de titres indexés. La Cour indique que « le changement important de conjoncture économique depuis dix ans et, plus encore en 2022, la vive augmentation de l’inflation invitent à réexaminer d’ici l’automne les modalités de recours aux titres indexés. La documentation publique autour des cibles et des bornes appliquées par l’AFT concernant ces titres pourrait ainsi être davantage développée et actualisée, que ce soit sur l’encours maximal ou sur le volume approximatif d’émissions annuelles » ([21]).

b.   Le rôle de contrôle du Parlement, notamment dans le cadre du débat annuel sur la dette et de l’examen du projet de loi de finances de l’année

Comme l’indiquait en 2006 la publication précitée de la direction générale du Trésor relative à la modélisation des stratégies d’endettement, « la part optimale d’obligations indexées dépend […] de l’aversion pour le risque de l’État. Si cette aversion est très grande, la part d’indexée doit être nulle. Si elle est faible, la part d’indexée peut être très importante » ([22]).

Le rapporteur spécial considère que les modalités de financement de l’État, notamment le niveau et les conditions de recours à la dette indexée, doivent donner lieu à une ample information du Parlement dans le cadre du vote et du suivi de l’exécution des lois de finances. S’il relève à cet égard le caractère détaillé des données publiées par l’AFT quant aux émissions et à l’encours de dette, il considère que le Parlement pourrait être mieux informé sur les déterminants des orientations stratégiques du financement de l’État en ce qui concerne le recours à la dette indexée.

Dans la continuité des recommandations nos 1 et 2, il estime souhaitable que soit actualisée annuellement l’évaluation de l’impact financier de la dette indexée. Une telle actualisation pourrait trouver sa place dans le rapport sur la dette des administrations publiques, présenté chaque année par le Gouvernement avant le début de la session ordinaire ([23]), qui peut donner lieu à un débat à l’Assemblée nationale et au Sénat. Le premier débat sur la dette organisé dans ce cadre à l’Assemblée nationale a eu lieu le 10 octobre 2022.

 

Recommandation n° 3 : renforcer l’information du Parlement en prévoyant, au sein du rapport sur la dette des administrations publiques présenté par le Gouvernement en application du II de l’article 48 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, une actualisation annuelle de l’impact financier de la dette indexée.

2.   À plus longue échéance, la fin de la création et de l’abondement des souches de dette indexée pourrait être envisagée dans le cadre d’un désendettement d’ensemble

a.   La situation britannique : une trajectoire de réduction des émissions de dette indexée

À la fin de l’année 2022, la dette indexée sur l’inflation (index-linked gilts) constituait 25,3 % de l’encours total de dette de l’État britannique. Le montant de l’encours indexé s’élevait à 549,4 milliards de livres, soit environ 630 milliards d’euros ([24]). Ce haut niveau d’encours indexé entraîne une forte sensibilité des finances publiques du Royaume-Uni aux chocs d’inflation, comme le relevait un rapport sur les risques budgétaires publié en juillet 2017 par le Bureau pour la responsabilité budgétaire ([25]).

À la suite de la hausse de l’inflation britannique en 2022 ([26]), cet encours indexé a été à l’origine d’une forte progression de la charge de la dette au Royaume-Uni. Les dépenses brutes d’intérêts au titre de la dette britannique se sont élevées à plus de 115 milliards de livres en 2022 contre un peu plus de 40 milliards en 2020, essentiellement sous l’effet de la charge d’indexation supplémentaire.

Dès 2018, le gouvernement britannique a engagé une réduction de la part de ses émissions annuelles de dette indexée, « de manière mesurée et à moyen terme », afin de réduire l’exposition du stock de dette à l’inflation ([27]). Alors que la dette indexée représentait environ 25 % des émissions entre 2013 et 2017, ce taux n’était plus que d’environ 10 % en 2022. En conséquence, l’encours de dette indexée a décru, passant de 28,4 % en 2019 à 24 % en 2020, y compris le supplément d’indexation. Si, par la suite, l’encours nominal indexé a continué à diminuer en proportion, la part totale de dette indexée a en revanche recommencé à progresser sous l’effet de la hausse du supplément d’indexation causée par l’inflation, notamment en 2022.

b.   Le cas français

À l’issue de ses travaux, le rapporteur spécial considère que les inconvénients des OAT indexées sur l’inflation, tant du point de vue de leur impact financier effectif sur le budget général qu’en termes de risques pour le pilotage des dépenses de l’État, excèdent les gains escomptés, au demeurant imparfaitement quantifiés.

Il recommande donc de mettre fin à terme à l’indexation de dette sur l’inflation en mettant en extinction les souches d’OATi et d’OAT€i existantes et en s’abstenant d’en créer de nouvelles. Au regard de la maturité de certaines OAT indexées comme des contraintes liées au maintien de bonnes conditions de financement, cette extinction s’inscrirait dans le long terme, mais la diminution progressive de l’encours de dette indexée produirait des effets croissants au cours du temps du point de vue des finances publiques.

Afin de ne pas dégrader les conditions d’emprunt de l’État dans d’autres segments du marché de la dette, la mise en extinction des OAT indexées ne devra pas se traduire par une hausse, pour des montants similaires, des émissions de titres de dette nominaux. La fin du programme d’indexation doit donc être menée dans le cadre d’une diminution des besoins de financement de l’État. Le rapporteur spécial souligne à cet égard l’importance qui s’attache à la mise en œuvre d’une trajectoire crédible de réduction du déficit budgétaire, qui permettra seule d’engager le désendettement de l’État.

Si, comme l’a indiqué l’AFT, une réduction brutale des émissions de dette indexée pourrait être dommageable du point de vue de la liquidité des souches existantes et porter ainsi atteinte aux conditions de financement de l’État, l’exemple britannique démontre qu’une trajectoire plus progressive peut être menée sans conduire à l’acquittement d’une prime « d’illiquidité » importante.

 

Recommandation n° 4 : au regard des risques que fait peser l’encours de dette indexée sur le budget de l’État et à l’issue de l’évaluation de ses impacts financiers, fixer un objectif législatif d’extinction, à terme, du programme d’indexation. Inscrite dans le cadre d’un désendettement plus général, cette extinction aurait un caractère progressif, afin d’assurer la liquidité des OATi et OAT€i existantes.


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   Liste des recommandations

 

1. Procéder à une évaluation, communiquée au Parlement, des impacts financiers sur le budget de l’État, à court, moyen et long termes, de l’encours de dette indexée sur l’inflation ainsi que du flux d’émissions.

 

2. À court terme et en fonction des résultats de l’évaluation de l’impact financier de la dette indexée, réviser les programmes de financement indicatifs annuels afin, le cas échéant, de fixer une cible et des modalités d’émission de dette indexée correspondant mieux aux besoins de l’État et aux risques financiers avérés.

 

3. Renforcer l’information du Parlement en prévoyant, au sein du rapport sur la dette des administrations publiques présenté par le Gouvernement en application du II de l’article 48 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, une actualisation annuelle de l’impact financier de la dette indexée.

 

4. Au regard des risques que fait peser l’encours de dette indexée sur le budget de l’État et à l’issue de l’évaluation de ses impacts financiers, fixer un objectif législatif d’extinction, à terme, du programme d’indexation. Inscrite dans le cadre d’un désendettement plus général, cette extinction aurait un caractère progressif, afin d’assurer la liquidité des OATi et OAT€i existantes.

 


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   Travaux de la commission

Lors de sa réunion de 17 heures 30, le jeudi 1er juin 2023, la commission des finances a entendu M. Kévin Mauvieux, rapporteur spécial des crédits de la mission Engagements financiers de l’État, sur son rapport d’information sur les obligations assimilables du Trésor indexées sur l’inflation, présenté en application de l’article 146, alinéa 3, du règlement de l’Assemblée nationale.

M. Kévin Mauvieux, rapporteur spécial. Je voudrais pour commencer vous donner un chiffre : 414 %. C’est la hausse en 2022 du coût pour l’État et donc pour le contribuable de la dette indexée sur l’inflation. De tels taux d’évolution sont rares en exécution budgétaire, à plus forte raison lorsque les montants en jeu sont importants. Nous parlons ici d’une hausse de 12,5 milliards d’euros par rapport à 2021, soit un montant net supérieur, par exemple, au budget de la justice, qui est de 10,7 milliards d’euros en 2022. Autrement dit, les OAT indexées comptent pour deux tiers dans la hausse totale du budget de l’État entre 2021 et 2022, qui s’est établie à près de 19 milliards d’euros hors remboursements et dégrèvements.

Lorsqu’en 1998, le Gouvernement socialiste de Lionel Jospin et son ministre de l’économie et des finances Dominique Strauss-Kahn ont proposé au Parlement d’autoriser l’indexation sur l’inflation d’obligations assimilables du Trésor, plusieurs arguments étaient mis en avant. D’abord, la France serait l’un des premiers États européens à émettre de tels titres et attirerait donc plus d’investisseurs étrangers, dans le contexte de la création de l’euro. Le marché des OATi permettrait ainsi de diversifier les sources de financement de l’État. Les OATi permettraient par ailleurs l’économie d’une prime de risque inflation qui est intégrée dans le taux de marché des OAT nominales. En contrepartie, l’État consentirait à supporter lui-même ce risque, qui apparaissait faible à l’époque, car l’inflation était basse. Troisièmement, le risque lié aux effets de l’inflation sur la dette indexée apparaissait comme maîtrisé, car la part de titres indexés représentait initialement seulement 3 % du total.

Les bénéfices de la dette indexée sont demeurés relativement théoriques ou sont en tout cas difficilement quantifiables. En revanche, nous voyons aujourd’hui à quel point les risques identifiés dès l’origine sont, eux, avérés. Le principe de l’indexation de la dette est simple : alors que le capital d’une OAT classique est fixe, celui d’une OAT indexée croît avec l’inflation constatée chaque année. En contrepartie de cette progression du capital remboursé à l’échéance, le taux de coupon qui sert au calcul des intérêts est plus faible. Il s’agit donc d’un pari sur le niveau futur d’inflation. S’il s’avère inférieur aux prévisions, l’État est gagnant, mais s’il est supérieur, les OAT indexés coûtent plus cher que les OAT classiques.

Une première alerte avait été donnée en 2008. Sous l’effet d’une inflation de 2,8 %, supérieure aux prévisions, la provision budgétaire représentative du coût des OAT indexées avait été multipliée par 2,5 par rapport à 2007. Son montant n’atteignait alors que 4,6 milliards d’euros, un niveau qui est resté inégalé jusqu’en 2022. Par la suite, la part de la dette indexée, qui avait atteint 15 % en 2008, a certes été réduite. Elle est de 11,5 % de la dette totale aujourd’hui et plus de 12 % de l’encours de moyen et long terme.

Si la baisse de taux peut sembler rassurante à un œil non averti, elle cache une évolution bien plus alarmante qui a contribué à la situation actuelle. En termes de montant, l’encours de dette indexée a considérablement progressé sous l’effet de l’endettement croissant de l’État. Entre 2008 et 2022, l’encours total de dette indexée a presque été doublé en valeur, s’élevant aujourd’hui à 262 milliards d’euros. Les mesures à même de prévenir le risque constaté en 2008 n’ont donc pas été prises. Avec un tel encours de dette indexée, une variation durable d’un seul point d’inflation à la hausse entraîne un surcoût annuel de plus de 2,5 milliards d’euros. Pire encore, l’encours de dette indexée continuant à progresser sous l’effet conjugué de l’inflation et des nouvelles émissions, la sensibilité de la charge de la dette à l’inflation continue de s’accroître. Pour 2023, près de 14 milliards d’euros ont d’ores et déjà été provisionnés au titre du coût des OAT indexées en loi de finances initiale. Ce montant semble déjà sous-estimé au regard du relèvement des prévisions d’inflation du Gouvernement, qui peuvent parfois être erronées. Comme le montre une récente étude de la Banque de France, l’inflation devrait en outre s’avérer plus volatile à l’avenir, sous l’effet notamment de la lutte contre le réchauffement climatique. Au total, nous ne pouvons donc pas prétendre, monsieur le ministre, que le recours à ce type d’instruments financiers est, dans la durée, avantageux pour le financement de la dette publique. Si l’État a bien enregistré quelques gains limités à la suite de plusieurs années d’inflation plus faible qu’anticipée, ceux-ci ont été plus qu’effacés par le choc d’inflation qui est toujours en cours. Rien ne permet d’envisager un redressement de cette situation, ni à court terme ni à long terme, bien au contraire. Les gains réalisés pendant quelques années ont été effacés en à peine deux ans.

Je voudrais, monsieur le ministre, vous soumettre quelques propositions pour trouver une issue à cette impasse. Premièrement, à court terme, il est urgent de dresser un bilan chiffré de l’impact sur les finances publiques de la dette indexée. C’est d’ailleurs ce que vous conseille également la Cour des comptes. Il est indispensable de savoir ce que rapportent et ce que coûtent à l’État les OAT indexées via l’économie de la prime d’inflation, la diversification des sources de financement et surtout l’écart aux prévisions d’inflation. Ce bilan doit vous permettre d’ajuster dès que possible le programme de financement annuel que votre Gouvernement détermine et qui s’impose à l’Agence France Trésor.

Comme j’ai pu le constater au cours des travaux que j’ai menés, le choc d’inflation actuel a révélé des failles dans la structure de la dette de l’État. En premier lieu, la part largement majoritaire d’OAT indexées sur l’inflation européenne (presque 70 %) expose nos finances publiques au risque d’un choc asymétrique en plus du simple choc inflationniste. En 2022, l’inflation a été plus forte en zone euro qu’en France : 9,2 % en zone euro contre 6 % en France pour les indices de référence du mois de décembre 2022. C’est d’ailleurs toujours le cas en 2023. Dans une telle situation, le coût des OAT indexées progresse fortement, mais la maîtrise de l’inflation en France modère la progression automatique des recettes fiscales sous l’effet de la hausse des prix. Il y a là un risque pour le présent, mais aussi pour l’avenir et il vous revient, monsieur le ministre, d’y apporter une solution. Vous pourriez par exemple décider dans un premier temps de diminuer les émissions d’OAT indexées, qui représentent 25,4 milliards d’euros en 2022, en faisant prioritairement porter l’effort sur les OAT€i.

En second lieu, la France se distingue par une proportion et un encours de dette indexée supérieurs à ceux de ses voisins de la zone euro, comme l’Allemagne et l’Espagne. Cela doit nous conduire à nous interroger. Il serait notamment intéressant d’évaluer l’importance réelle de la dette indexée dans l’architecture de l’épargne réglementée, qui est une spécificité française.

L’évaluation que je vous propose de mener doit par ailleurs présenter des gages d’indépendance et être absolument transparente. Depuis 2023, un rapport annuel sur la dette des administrations publiques donne lieu à un débat au Parlement. C’est un progrès pour l’information des parlementaires. Je vous invite, monsieur le ministre, à vous saisir pleinement de cet outil, en y incluant une actualisation du bilan de la dette indexée. De cette manière, l’autorisation annuelle que le Parlement vous concède serait accordée sur des bases réellement éclairées.

J’ai mené mes travaux dans un esprit de justesse et avec comme seule boussole l’intérêt de la France et des Français. Je remercie d’ailleurs les différents interlocuteurs, y compris les services de Bercy, qui y ont participé en toute transparence. J’en tire une conclusion simple : à terme, l’intérêt de l’État est de mettre en extinction les OAT indexées. Je vous soumettrai d’ailleurs une proposition de loi en ce sens. Je crois que nous pouvons parvenir à mettre un terme à l’émission de dette indexée en cinq ans. C’est l’objectif que je vous propose de nous fixer.

L’exemple britannique nous montre d’ailleurs qu’il est possible d’inscrire la part des émissions de dette indexée sur une trajectoire nettement décroissante. Depuis 2018, le Royaume-Uni a abaissé ses émissions de 25 % du total, une part très excessive, à environ 10 %, dans le but de réduire l’exposition de sa dette à l’inflation. Ils avaient, rappelons-le, été précurseurs dans ce domaine en Europe. Je note à cet égard que notre cible d’émissions actuelle, de 10 %, certes indicative, correspondrait à ce que réalise le Trésor britannique, alors même que celui-ci est marqué par une forte demande de titres indexés émanant du secteur particulièrement actif des fonds de pension. Je souhaite préciser que l’extinction des titres de dette indexée doit intervenir dans le cadre d’un désendettement global de notre pays, qui connaît un taux d’endettement excessif. Cela garantira en outre l’absence de report des émissions de dette indexée vers des titres nominaux.

Monsieur le ministre, disposez-vous d’une estimation actualisée du coût de la dette indexée pour 2023 à la suite du relèvement des prévisions d’inflation ? Considérez-vous que le coût des OAT indexées en 2022 (15,5 milliards d’euros) et en 2023, qui résulte des programmes de financement dont le Gouvernement a la responsabilité, relève d’une gestion de la dette au mieux des intérêts du contribuable ? Quelles sont les mesures que vous imaginez pour prévenir à l’avenir de telles charges liées à l’effet de l’inflation sur le stock de dette ? Enfin, lors de la création des OATi en 1998 par Lionel Jospin et Dominique Strauss-Kahn, il n’avait pas été évoqué le fait que le secteur institutionnel et en particulier les banques, pour leurs investissements, avaient besoin de couvrir l’obligation de rémunération de l’épargne réglementée qui est indexée sur l’inflation. À plusieurs reprises au cours des auditions, des investisseurs ont dit avoir besoin de ces souches pour financer l’épargne réglementée indexée sur l’inflation. Pourquoi les OATi ont-elles été créées alors même qu’à l’époque, l’épargne n’était pas soumise, réglementairement parlant, à une indexation sur l’inflation ?

M. Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics. Il s’agit d’un sujet important et tout à fait légitime, dont nous avons déjà eu l’occasion de discuter dans l’hémicycle. Nous sommes un pays qui a besoin d’emprunter beaucoup, notamment parce que nous avons une dépense publique qui reste extrêmement élevée. J’aimerais que nous entendions ceux qui dénoncent le recours à des OAT indexées sur l’inflation, lequel participe à une logique de diversification nécessaire si nous souhaitons être capables de couvrir nos besoins, nous défendre et nous accompagner quand nous portons une politique qui vise à réduire la part de la dépense publique dans notre richesse nationale. J’aimerais que nous sortions également de solutions avancées avec facilité, c’est‑à‑dire la contribution à l’Union européenne ou l’immigration. Ceux qui critiquent le recours à l’emprunt devraient nous faire un certain nombre de propositions pour réduire la dépense publique.

Nous devons couvrir un niveau de dépenses qui est élevé et faire face à deux incertitudes fondamentales, d’une part sur l’évolution de la demande de titres de la part des investisseurs et d’autre part sur les conditions économiques et financières futures. Nous n’avons donc pas d’autre choix que de diversifier nos émissions. Un certain nombre de canaux nous permettent ainsi de nous financer : la dette de court terme, de moyen terme, de long terme, de très long terme et enfin, pour environ 10 %, la dette indexée sur l’inflation française ou de la zone euro. Chaque canal correspond à des besoins d’investissement différents que l’État peut ainsi mobiliser.

Les titres indexés sur l’inflation nous donnent accès aux investisseurs qui doivent offrir une protection contre l’inflation à leurs clients. C’est notamment le cas des fonds d’épargne qui collectent le livret A, qui est à moitié indexé sur l’inflation. Ces investisseurs paient une prime pour acheter ce type de titres par rapport à un titre non indexé équivalent. Lorsque nous apprécions seulement l’évolution de la charge d’indexation, nous oublions l’autre partie pertinente pour évaluer le programme des OAT indexées, à savoir le moindre coût de financement ex ante grâce à la prime de risque qui est payée par ceux qui ont recours à ce type d’obligation.

Une incertitude pèse en outre sur les conditions économiques et financières futures. Le fait de disposer d’une diversité de titres permet de diviser les risques auxquels est exposé l’État. La charge de la dette de très long terme est figée pour longtemps. Elle repose sur les anticipations d’inflation à la date de l’émission. La charge de la dette indexée reflète les évolutions de l’inflation réalisée et la charge de la dette de court terme varie rapidement. L’approche ne peut donc se limiter à un compartiment de la dette de l’État, mais doit intégrer la dynamique de l’ensemble du portefeuille, dont chaque composante voit ses conditions de financement évoluer en fonction de la croissance, de l’inflation et des anticipations d’inflation, raison pour laquelle tous les pays du G7 ont recours à des OAT indexées sur l’inflation, plutôt dans les mêmes proportions que la France.

Sur la question de la transparence et de l’information, d’abord, je suis d’accord avec la nécessité de renforcer l’information du Parlement et sa capacité à analyser ces sujets, en prévoyant, au sein du rapport sur la dette des administrations publiques qui est présenté par le Gouvernement de façon annuelle, une actualisation annuelle en ce qui concerne la dette indexée. Je note d’ailleurs que le ministère des finances a d’ores et déjà réalisé une étude à la demande du rapporteur spécial du Sénat, qu’il a publiée dans son rapport public sur le projet de loi de finances pour 2023 en novembre, qui permet de visualiser l’impact global du programme au fil des années. Nous voyons bien que le choc d’inflation enregistré depuis fin 2021 fait suite à des gains importants liés aux périodes de faible inflation enregistrée depuis le lancement du programme en 1999. Ce choc fait office d’exception depuis ces vingt-cinq dernières années. Dans ce contexte, supprimer de nos produits les OAT indexées sur l’inflation en France et sur l’inflation européenne serait une mesure lourde de conséquences. En termes de canaux de financement, il nous faudrait rebasculer nos besoins de financement sur les OAT à taux fixe et sur les bons du Trésor à court terme, sous l’hypothèse que cela soit possible lorsque l’on doit lever 270 milliards à moyen et long terme, ce qui est un montant inédit. Cette hausse de la demande entraînerait mécaniquement une hausse du coût de la dette des compartiments associés. En termes de risque financier, ce serait faire un pari avec l’argent des Français, à savoir le pari que l’inflation sera structurellement plus élevée que les anticipations. Ce pari serait perdant si, par exemple, la hausse des taux engagée par la BCE permettait de ramener l’inflation à son niveau cible et plus encore si la zone euro retombait dans un régime d’inflation basse. Notre stratégie de gestion de la dette consiste à ne pas prendre de pari hasardeux et à gérer ces risques par la diversification des produits.

Par ailleurs, sur la distinction en termes de risques entre les titres indexés sur l’inflation française d’une part et européenne d’autre part, si une différence a pu apparaître en 2022, qui est le fait d’une meilleure protection face à l’inflation en France que dans les autres pays de l’Union européenne, les deux inflations sont en réalité très étroitement corrélées. Les investisseurs achètent des OAT indexées sur l’inflation européenne pour couvrir leurs engagements indexés sur l’inflation française. Par ailleurs, l’émission d’OAT indexées sur l’inflation européenne nous donne accès à une base d’investisseurs beaucoup plus large. Il me semblerait limité d’opposer une exposition de l’État à l’inflation française, qui serait bonne, à une exposition qui serait excessive s’agissant de l’inflation européenne.

Les États sont particulièrement bien positionnés pour émettre des obligations indexées, dans la mesure où leurs recettes sont elles-mêmes très corrélées à l’inflation. D’ailleurs, en cas d’inflation importante, il y a certes un surcroît de charge de la dette sur les OAT concernées, mais aussi un surcroît de recettes pour l’État.

Mme Marina Ferrari, présidente. Vous l’avez rappelé, depuis 1998, l’État français émet des obligations assimilables du Trésor indexées sur l’indice des prix à la consommation en France et, depuis octobre 2001, des obligations indexées sur l’indice des prix de la zone euro. Il est important de rappeler, et c’est là que nous avons une divergence de vues, que l’émission des titres obligataires indexés sur l’inflation est un outil très intéressant de diversification pour réduire la charge d’intérêts moyenne de l’État qui, en vendant une assurance contre l’inflation, économise une prime de risque. Vous l’avez également évoqué. Par ailleurs, les avantages de l’émission de ce type de produit doivent être envisagés sur le temps long. En effet, celle-ci permet à l’État de lisser son déficit sur l’ensemble du cycle économique lorsque l’inflation est à un niveau faible.

Alors qu’une partie importante de la dette actuelle arrivera à maturité dans les prochaines années, monsieur le ministre, pourriez-vous évoquer la stratégie d’émission de dette souveraine mise en œuvre par l’Agence France Trésor et plus spécifiquement la place qui sera donnée dans les mois à venir aux émissions d’OATi et d’OAT€i ? Est-elle comparable à celle de nos voisins européens ?

M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général. Je voudrais remercier le rapporteur spécial, qui nous parle d’un sujet important, bien que je ne partage pas ses conclusions. Les OAT indexées permettent à l’État de diversifier sa base d’investisseurs, ce qui, dans la durée, renforce la sécurité de son financement et minimise son coût pour le contribuable du point de vue des intérêts. Pour payer les intérêts du livret A, les banques ont besoin elles-mêmes de se financer sur des ressources variables et achètent donc notamment des titres d’État indexés pour trouver des prêteurs. Ces mêmes banques achèteraient des OAT indexées à d’autres pays si la France venait à ne plus en émettre. Par ailleurs, l’Agence France Trésor n’a pas d’obsession à augmenter la part indexée. Elle était de 16 % en 2008, et est aujourd’hui de 12 %. Cette part variable a permis de faire baisser significativement la charge de la dette entre 2008 et 2022, alors que le montant en euros de la dette a augmenté. Nous devons faire confiance à l’Agence France Trésor.

Enfin, en ne choisissant que des OAT à taux fixe, il est possible que l’inflation soit amenée à diminuer et les taux d’intérêt à augmenter. Cette solution serait ainsi perdante.

M. Gabriel Attal, ministre. Je souscris à cette remarque du rapporteur général, que je remercie pour avoir rappelé un certain nombre de choses. Je n’avais pas répondu à une question de monsieur Mauvieux sur le fait de savoir pourquoi, en 1998, mon prédécesseur avait pris cette décision alors que le livret A n’était pas explicitement indexé. Je crois que l’intérêt n’est pas limité aux banques et que d’autres investisseurs souhaitent se couvrir contre l’inflation, par exemple les assureurs.

Concernant l’estimation actualisée du coût de la dette indexée pour 2023, je vais vous répondre dans un instant, puisque Marina Ferrari m’a interrogé sur le programme prévisionnel lié aux émissions de titres indexés pour 2023. L’État maintient son engagement de réaliser environ 10 % de ses émissions via des obligations indexées sur l’inflation, comme annoncé dans son programme indicatif de financement pour 2023, qui est public. À fin mai 2023, la part des obligations indexés dans le volume des émissions 2023 est de 6,3 %. L’État a également indiqué dans son programme indicatif de financement la création d’un nouveau titre de référence à dix ans indexé sur l’inflation de la zone euro. S’agissant de la création d’un nouveau titre indexé sur l’inflation française, un titre de référence d’une maturité comprise entre quinze et vingt ans pourra être émis par syndication en 2023, en fonction de l’évolution de la demande et de l’opportunité d’émettre. Sur la question de la prévision financière, le choc d’inflation en 2022 s’est traduit par une provision d’inflation. La dernière révision réalisée en comptabilité nationale est de 23 milliards d’euros en 2022. Ce montant devrait refluer à 8,9 milliards d’euros en 2023 selon le programme de stabilité.

M. Mathieu Lefèvre (RE). Il s’agit en effet d’un thème intéressant et je salue les annonces du ministre pour aller vers davantage de transparence à l’endroit du Parlement. Nous avons objectivement le risque de faire d’un thème d’évaluation un thème polémique. Il s’agirait de se demander pourquoi la France aurait fait ce choix ces vingt dernières années, si ce n’est, à entendre certains, pour se tirer une balle dans le pied. Il me semble très risqué de penser ainsi. Vous l’avez rappelé, cette pratique date de 1998, avec des taux moyens qui étaient plus élevés avant l’élection du Président de la République actuel. En 2007, 19 % de notre endettement était indexé. Au Royaume-Uni, ce taux s’est élevé jusqu’à 25 %. Dans la mesure où 70 % sont indexés sur l’inflation européenne et 30 % sur l’inflation française, il s’agit d’une façon pour nos opposants politiques de reconnaître que nous avons l’inflation la plus basse de la zone euro.

Par ailleurs, nous n’avons pas entendu les opposants à cette politique dans les années 2010, quand l’inflation était en dessous de 2 %. Le rapport du Sénat précise que cette opération est neutre pour les finances publiques.

Combien cette politique a-t-elle permis de rapporter aux finances publiques dans les années 2010, à un moment où l’inflation était inférieure à la cible de 2 % fixée par la BCE ?

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Je remercie notre collègue Kévin Mauvieux pour ce très bon rapport. Je salue le fait que nous puissions débattre de ce sujet, sans esprit de polémique, en échangeant sur les intérêts et les désavantages de ce mécanisme.

Il s’agit effectivement d’un problème politique, mais il n’est pas déshonorant d’avoir des divergences politiques sur ce que doivent être la politique monétaire et la politique d’emprunt. Nous avons un désaccord sur le rôle de la Banque centrale ainsi que sur le fait que l’État ne devrait pas, pour ce qui relève de l’investissement et pour un certain nombre de dépenses d’avenir, emprunter avec des risques. À partir du moment où nous ne reconnaissons pas la pertinence de la prime de risque, reconnaissez que nous sommes cohérents en affirmant qu’utiliser des titres indexés sur l’inflation parce que cela supprime la prime de risque n’a pas grand intérêt.

Face à votre cohérence, qui consiste à libéraliser les marchés monétaires et considérer que l’État est un emprunteur comme un autre sur les marchés financiers, notre cohérence, qui est souverainiste, consiste à considérer que l’État n’est pas un acteur économique comme un autre. Deux débats s’affrontent ainsi dans le respect mutuel. Je remercie le ministre d’être dans une démarche de transparence.

M. David Guiraud (LFI-NUPES). Je n’ai pas d’opposition à la dette en soi, mais une question se pose sur les techniques d’emprunt et la perte d’argent parce que les titres de dette indexés sur l’inflation nous font perdre 15 milliards d’euros en 2022.

Certaines réponses me surprennent, monsieur le ministre, bien que je salue l’effort de transparence. Vous indiquez que nous avons recours aux emprunts indexés sur l’inflation notamment pour trouver des acheteurs de nos titres de dette, mais nous n’avons jamais manqué d’acheteurs. L’offre est supérieure à la demande. Dans le cas contraire, je vous invite à me préciser quand la France n’a pas réussi à vendre ses titres de dette et sur quel marché. Vous indiquez également que nous devons diversifier pour réduire les risques, mais quel est le risque d’un emprunt à taux fixe à 0 % ?

Nous le savons, depuis 2015 environ, la BCE a une politique d’assouplissement quantitatif. Quand la France trouve un preneur d’un titre de dette, les dettes sont rachetées immédiatement par la BCE via la Banque de France. Pourquoi donc diversifier ?

Pour revenir sur les propos de monsieur Cazeneuve, la question qui se pose est de savoir pourquoi le Gouvernement a pris cette décision. Vous avez suggéré d’emprunter à présent parce que l’inflation allait peut-être baisser. Je ne le ferais pas, car je ne sais pas quels seront les chocs dans les dix prochaines années.

Mme Véronique Louwagie (LR). L’essentiel réside dans le niveau de la dette et la soutenabilité de la charge qui en découle. Des arbitrages ont été effectués entre le recours à des OAT indexées ou non et l’avenir nous dira ce qu’il en sera.

Monsieur le ministre, l’Agence France Trésor avait estimé qu’une hausse d’un point de taux d’intérêt avait pour effet de renchérir la charge d’intérêt la première année de 2,5 milliards d’euros, la deuxième année de 6,1 milliards d’euros et à dix ans de 29,5 milliards d’euros. Pouvez-vous nous indiquer si ces éléments sont toujours d’actualité ?

M. Philippe Brun (SOC). Monsieur le ministre, nous ne critiquons pas de manière générale le recours à ce type d’obligation. Il est bien normal que dans le panier des obligations auxquelles nous avons recours figurent des obligations indexées sur l’inflation. En revanche, nous ne comprenons pas ce recours répété compte tenu des circonstances et de la situation durable d’inflation que nous avons à affronter. Je ne comprends pas que, le 21 avril dernier, nous ayons fait une nouvelle émission obligataire de 1,7 milliard d’euros puis, le 16 mars, une autre émission obligataire de 1,4 milliard d’euros. Nous voyons chaque mois se succéder de nouvelles émissions d’OAT indexées.

Nous sommes le troisième pays du monde en termes d’encours de la dette indexés sur l’inflation, avec 267 milliards d’euros en 2023. 30 % des 50 milliards d’euros de notre charge de la dette en 2023 sont liés à ces obligations indexées sur l’inflation. Un problème se pose donc. Les conséquences budgétaires sont écrasantes pour nos finances publiques. Nous ne comprenons pas pourquoi le Gouvernement continue à utiliser ces obligations. Nous pourrions réduire la charge des nouvelles émissions d’obligations que nous faisons.

Je me permets aussi d’attirer votre attention sur le fait que trois quarts des OAT indexées le sont sur l’inflation européenne et que cette dernière est particulièrement mal calculée par Eurostat. Eurostat avait estimé l’inflation des Pays-Bas à 10 % pour l’année 2022. L’institut économique de référence aux Pays-Bas l’a quant à lui estimée entre 7,6 et 8 %.

Je souhaite en outre rappeler que 1 % d’inflation représente 1,5 milliard d’euros de plus pour nos finances publiques. Pour toutes ces raisons, nous ne comprenons pas l’entêtement du Gouvernement à recourir à ces actifs qui, dans ces circonstances, sont particulièrement toxiques. Nous vous demandons donc, monsieur le ministre, de mettre fin à ces émissions obligataires et de permettre une vraie transparence vis-à-vis du Parlement sur ce sujet.

M. François Jolivet (HOR). Monsieur le ministre, lorsque vous avez parlé des emprunteurs, vous avez parlé des banques qui avaient des contrats et des livrets réglementés à gérer. J’imagine que la Caisse des dépôts est un gros acheteur de cette dette. Combien avons‑nous de propriétaires français de la dette indexée, rapportés aux détenteurs étrangers ? Cela permettrait peut-être d’ailleurs de clore le débat, parce que s’il apparaît que seules les banques françaises et la Caisse des dépôts ont acheté cette dette, cela leur permet de se couvrir de leurs risques pour faire en sorte que la rémunération de l’épargne populaire soit proche de l’inflation.

Ensuite, je souhaite savoir, monsieur le ministre, si vous avez des informations particulières sur la forte remontée de l’inflation que nous vivons actuellement. D’autres pays qui produisent des obligations indexées sur l’inflation s’assurent pour couvrir le taux de l’inflation. Je souhaiterais savoir si, aujourd’hui, notre pays s’assure sur le risque du taux d’inflation montant.

Enfin, j’ai compris que l’Agence France Trésor continue à émettre ce type de titres de dette. Quelle trajectoire de taux celle-ci envisage-t-elle pour la dette indexée ?

M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général. Je trouve la question de Mathieu Lefèvre, qui souhaite savoir combien nous aurait coûté la dette si nous n’avions eu, depuis 2008, que des taux fixes, très intéressante. Avec toutes les réserves de rigueur s’agissant d’un calcul sommaire, j’estime ce coût de l’ordre de 200 milliards. Le fait d’avoir 10 à 12 % de nos dettes en taux variable nous a permis d’économiser ce coût sur les intérêts.

Par ailleurs, je perçois une contradiction dans les propos de nos deux éminents membres de la NUPES.

M. David Guiraud (LFI-NUPES). Le débat sur le fait de savoir si nous devons emprunter en indexant sur l’inflation s’entend. La question est de savoir pourquoi, entre 2014 et 2020, nous indexions sur l’inflation, alors qu’en réalisant des projections, il apparaissait que pour obtenir un résultat gagnant, l’inflation devait demeurer à 1 ou 1,5 %. Nous savions pourtant que la politique de rachat massif pouvait créer de l’inflation.

M. Philippe Brun (SOC). La France n’a pas toujours eu 10 % de sa dette indexée sur l’inflation. Ce chiffre a progressé, il est vrai, notamment sous le quinquennat Hollande. Le sujet en débat n’est pas le fait que la France ait recours à des obligations indexées sur l’inflation, ce que font tous les pays du monde. Il porte en revanche sur la part de ces titres dans le stock total de dette, qui est élevé, à près de 12 %. Pourquoi ce montant progresse-t-il et pourquoi continuons-nous à tant recourir à ces actifs toxiques pour nos finances publiques et particulièrement coûteux ?

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). En cas de déflation, l’indexation des titres indexés demeure limitée à 0 % et ne peut pas être négative. Nous pourrions donc aussi imaginer une clause introduisant une limite au coût de l’inflation, en période d’hyper inflation.

M. Gabriel Attal, ministre. Ce débat et cette discussion sont légitimes et peuvent justifier des échanges entre les parlementaires intéressés et l’Agence France Trésor. Je crois qu’aucun parlementaire ici ne remet en cause le très grand professionnalisme et la grande expertise de l’Agence France Trésor et de ses agents, qui opèrent des choix afin de protéger notre pays, de lui permettre de financer ses politiques publiques et de prendre le moins de risques possible.

Je souhaite revenir sur quelques points, notamment une question de Marina Ferrari à laquelle je n’avais pas répondu sur un benchmark avec des pays comparables. Tous les pays du G7 émettent des OAT indexées, notamment les pays qui émettent des volumes de dette importants, à l’image des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’Italie et de l’Allemagne. Le Royaume-Uni est passé à 10 % sur les nouvelles émissions, compte tenu de la part déjà très élevée des titres indexés dans son endettement. L’Italie, en proportion, est au-dessus de nous.

Sur la question de Mathieu Lefèvre, en reprenant les informations que nous avons communiquées au rapporteur spécial du Sénat, qu’il a reprises dans son rapport en novembre dernier, à partir de 2012, lorsque la zone euro est entrée dans un régime d’inflation basse, les économies annuelles ont pu atteindre certaines années jusqu’à trois milliards d’euros. Avec le choc d’inflation de 2022, l’impact budgétaire cumulé pour le budget de l’État réduisait l’économie à environ 2 milliards d’euros en 2022, un passage en négatif étant anticipé en 2023. Il est donc faux de dire que l’intérêt d’avoir eu recours à ces produits depuis 2012 a complètement disparu.

Pour répondre à monsieur Guiraud, pendant trente ans, nous avons par ailleurs bénéficié de rendements de – 1 % grâce à des obligations indexées sur l’inflation. Même avec des taux d’intérêt à zéro, des produits qui sont émis nous permettent de bénéficier de – 2 % sur des obligations indexées sur l’inflation.

Nous n’avons en outre jamais autant levé de dette qu’aujourd’hui, d’où la nécessité de baisser notre dépense publique. Nous n’avons pas eu de difficulté majeure à lever de la dette en raison d’une diversification de produits qui sont proposés.

S’agissant de la question de madame Louwagie, je vous confirme que les ordres de grandeur que vous avez donnés sont toujours avérés.

Pour répondre à monsieur Brun, en proportion, il y a eu plus d’émissions sous François Hollande que sous Emmanuel Macron. Nous avons stabilisé la part qui existait sous François Hollande, le pic ayant eu lieu sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Je ne qualifierai pas ces produits de toxiques, comme vous l’avez fait, précisément parce que l’inflation a aussi un impact positif sur le désendettement, que ce soit en matière de recettes ou sur le stock de dette.

Je répète que l’Agence France Trésor est disponible pour poursuivre l’échange avec vous après cette audition.

M. Kévin Mauvieux, rapporteur spécial. Ce qui rend les OAT indexées toxiques dans la dette française est la part de 70 % indexée sur l’inflation européenne, car nous n’en avons pas la maîtrise. Certes, nous avons des rentrées fiscales qui correspondent à l’inflation et qui permettent une soutenabilité de la dette en période d’inflation, mais si une part de cette dette est indexée sur une inflation européenne plus élevée que celle de France, les rentrées fiscales sont moins importantes qu’elles ne devraient l’être.

Nous avons en outre évoqué l’importance de la diversification. Le Royaume-Uni, qui a été souvent pris en exemple et qui a été précurseur dans la mise en place des OAT indexées, est dans un mouvement de décroissance de la quantité de titres indexés. Le Royaume-Uni est aujourd’hui au même niveau que la France, alors que les fonds de pension sont très actifs et très demandeurs. Cela signifie bien qu’ici, la part d’OAT indexées représente malgré tout un risque : nous pourrions être contraints, en période inflationniste, d’agir moins pour le pouvoir d’achat des Français en raison d’une explosion de la charge de la dette. A minima, une forte réduction des émissions d’OAT indexées est donc à mon sens indispensable.

La commission autorise, en application de l’article 146, alinéa 3, du Règlement de l’Assemblée nationale, la publication du rapport d’information de M. Kévin Mauvieux, rapporteur spécial.

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   PERSONNES AUDITIONNÉES et déplacements effectués
par le rapporteur spécial

 

Direction générale du Trésor, ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique :

– Mme Nathalie Georges, cheffe du service des politiques macroéconomiques et des affaires européennes ;

– M. Antoine Boiron, chef de la sous-direction diagnostic et prévisions (par intérim).

Agence France Trésor :

– M. Cyril Rousseau, directeur général ;

– M. Mathieu Marceau, chef du bureau de la trésorerie de l’État.

Fédération bancaire française * :

– Mme Maya Atig, directrice générale.

Fitch Ratings :

– M. Jan Friederich, responsable notation souverains Europe et Asie.

 

DÉPLACEMENTS :

 

Lundi 27 février 2023 :

– Agence France Trésor

Jeudi 20 avril 2023 :

– Crédit agricole Corporate and Investment Bank

 

Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.


([1]) Article 3 de la loi n° 2004-804 du 9 août 2004 relative au soutien à la consommation et à l’investissement.

([2]) Cette formule, indexée sur l’inflation au 1er juillet 2004 en application du règlement n° 2003-03 du 24 juillet 2003 du Comité de la réglementation bancaire et financière, est désormais prévue par l’arrêté du 27 janvier 2021 des ministres de l’économie, des finances et de la relance et des outre-mer relatif aux taux d’intérêt des produits d’épargne réglementée.

([3]) Fitch Ratings, « Sovereign Impacts of Inflation-Linked Bonds », 27 janvier 2022.

([4]) Article 19 de la loi n° 98-546 du 2 juillet 1998 portant diverses dispositions d’ordre économique et financier.

([5]) Arrêté du 8 février 2001 portant création d’une agence de la dette (NOR : ECOP0001091A).

([6]) Pour le mandat 2022-2024, les quinze SVT sont Bank of America Securities, Barclays, BNP Paribas, Citi, Commerzbank, Crédit agricole – CIB, Deutsche Bank, Goldman Sachs, HSBC, J. P. Morgan, Morgan Stanley, Natixis, Natwest Markets, Nomura et Société générale. La charte des SVT est accessible à l’adresse : https://www.aft.gouv.fr/fr/presentation-svt.

([7]) Cour des comptes, avril 2023.

([8]) La Cour relève que cette cible « est indicative mais apparaît tout de même dans les échanges entre l’agence et le cabinet du ministre » et qu’elle est par ailleurs connue des SVT.

([9]) Assemblée nationale, compte rendu de la première séance du mercredi 1er avril 1998 (XIe législature, session ordinaire 1997-1998).

([10]) Direction générale du Trésor et de la politique économique, « Une modélisation analytique des stratégies d’endettement de l’État » in Diagnostics Prévisions et Analyses Économiques, n° 99, février 2006. Les effets des OAT indexées sont plus importants quant à la variabilité de la charge de la dette que quant à celle du solde budgétaire. Une hausse de la charge de la dette sous l’effet de l’inflation par l’intermédiaire de la provision pour indexation des titres indexés peut par exemple être compensée du point de vue du solde budgétaire par des rentrées fiscales supplémentaires.

([11]) Arrêté du ministre de l’économie, des finances et de la relance du 25 janvier 2022 relatif à la création d’obligations assimilables du trésor indexées sur l’indice harmonisé des prix à la consommation, hors tabac, de la zone euro 0,10 % 25 juillet 2053.

([12]) Arrêté du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique du 25 mai 2022 relatif à la création d’obligations assimilables du Trésor indexées sur l’indice harmonisé des prix à la consommation, hors tabac, de la zone euro 0,10 % 25 juillet 2038.

([13]) La Cour des comptes indique dans sa note d’exécution budgétaire 2022 sur le compte de commerce Gestion de la dette et de la trésorerie de l’État (avril 2023) que : « Si l’on inclut la dette SNCF réseau […], les dépenses et provision relatives à la charge de la dette représentent finalement un total de 51,77 Md€ en exécution. Elles correspondent à des dépenses d’intérêts des titres (35,3 Md€ dont 2,76 Md€ sur les OAT indexées, 31,7 Md€ pour les OAT nominales et 857 M€ pour les BTF, redevenus une charge nette du fait des taux positifs) et à la charge d’indexation du capital des obligations indexées, pour 15,53 Md€. »

([14]) En application de l’article 125 de la loi n° 99‑1172 du 30 décembre 1999 de finances pour 2000. Dans le cas des OAT indexées ayant une échéance au 1er mars, la référence d’inflation prise en compte correspond au glissement annuel au 31 décembre précédent. Dans le cas d’une OAT indexée d’échéance 25 juillet, il s’agit du glissement annuel constaté à la fin du mois de mai précédent.

([15]) Sénat, rapport n° 413, tome II (1997-1998), de M. Philippe Marini, sénateur, déposé le 29 avril 1998, sur le projet de loi portant diverses dispositions d’ordre économique et financier.

([16]) Assemblée nationale, compte rendu de la première séance du mercredi 1er avril 1998 précité.

([17]) Sénat, annexe n° 13 de M. Jérôme Bascher, sénateur, au rapport général n° 115 (2022-2023), déposé le 17 novembre 2022, sur le projet de loi de finances pour 2023.

([18]) Sénat, rapport d’information n° 549 (2008-2009) de M. Philippe Marini, sénateur, déposé le 8 juillet 2009, « La France en état d’apesanteur financière : retrouver des repères pour préparer la sortie de crise ».

([19]) Haut Conseil des finances publiques, 26 avril 2023, avis n° 2023-6 relatif aux prévisions macroéconomiques associées au programme de stabilité pour les années 2023 à 2027

([20])  S. Dees, O. Wegner, A. de Gaye et C. Thubin, « Transition vers la neutralité carbone : quels effets sur la stabilité des prix ? », in Bulletin de la Banque de France n° 245/3, mars-avril 2023.

([21]) Cour des comptes, note d’exécution budgétaire 2022 sur le compte de commerce Gestion de la dette et de la trésorerie de l’État, avril 2023.

([22]) Direction générale du Trésor et de la politique économique, « Une modélisation analytique des stratégies d’endettement de l’État » in Diagnostics Prévisions et Analyses Économiques, n° 99, février 2006.

([23]) La remise de ce rapport est prévue par le II de l’article 48 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances depuis la réforme du 28 décembre 2021 (loi  2021-1836 du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques).

([24]) Selon les données du Trésor britannique publiées dans le cadre du rapport annuel sur la gestion de la dette publié en mars 2023 et y compris le supplément d’indexation. La conversion en euros a été réalisée au taux de change constaté au 5 mai 2023 (source : Bloomberg).

([25]) Office for Budget Responsability, Fiscal risks report, juillet 2017.

([26]) La référence d’indexation de la dette britannique est l’indice des prix à la consommation du Royaume-Uni (retail prices index).

([27]) HM Treasury, rapport sur la gestion de la dette 2023-2024, mars 2023.