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N° 1329

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 juin 2023.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES,
dE L’Économie gÉnÉrale et du contrÔLE BUDGÉTAIRE

en conclusion des travaux d’une mission d’information ([1])

sur la rationalisation de notre administration
comme source d’économies budgétaires

et prÉsentÉ par
 

Mme  Véronique LOUWAGIE et M. Robin REDA, 
Rapporteurs

––––


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La mission d’information est composée de : Mme Véronique LOUWAGIE, rapporteure ; M. Robin REDA, rapporteur ; MM. Karim BEN CHEIKH, Philippe BRUN, Michel CASTELLANI, Luc GEISMAR, Mmes Constance Le GRIP, Karine LEBON, Charlotte LEDUC, Lise MAGNIER, MM. Kévin MAUVIEUX, et Charles SITZENSTHUL, membres.

SOMMAIRE

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Pages

Avant-propos

SynthÈse des recommandations

SynthÈse des Économies proposÉes

Introduction

I. L’administration française mobilise d’importantes ressources financiÈres, mais elle peine À se rÉformer et À attirer de nouveaux talents

A. Une fraction majeure des dÉpenses publiques

1. Des charges de personnel et de fonctionnement significatives

a. Une dynamique qui varie d’un sous-secteur à l’autre

i. Les charges de fonctionnement de l’État : un effort de maîtrise réel mais encore insuffisant

ii. Les dépenses de personnel des collectivités territoriales et des établissements de santé et médico-sociaux : une augmentation soutenue

b. Une comparaison internationale défavorable

2. Un risque de bureaucratie qui naît des rigidités et des enchevêtrements

a. Des statuts peu agiles

i. Des corps multiples et parfois sources de complexité

ii. Un recrutement peu efficient

iii. Une gestion de carrière qui manque de souplesse au détriment du service rendu

b. Des organisations mal articulées

i. Les doublons administratifs : entre confusion et dépenses inutiles

ii. Les nombreux démembrements de l’État : une perturbation de l’action publique rarement justifiée

B. Un service public qui ne satisfait parfois plus

1. Des usagers victimes de la complexité

2. Des agents en perte de sens

a. Les effets pervers de la mesure de la productivité

b. L’absentéisme

II. Seul un volontarisme politique fort et une culture de la confiance peuvent conjuguer rÉforme de l’État et baisse des dÉpenses publiques

A. Des projets rÉcents aux rÉsultats ambivalents

1. La révision générale des politiques publiques a permis de dégager des économies budgétaires certaines

a. La méthodologie retenue : une impulsion politique forte, un pilotage centralisé

i. Un lancement opéré par des équipes d’audit mixtes, facteur d’opacité

ii. Un pilotage efficace mais trop centralisé

b. Une rationalisation de l’organisation de l’État réelle mais limitée

i. Une refonte substantielle du paysage institutionnel de l’État

ii. Un effort d’efficience et de simplification

iii. Une révision générale des politiques publiques trop restreinte

c. Des économies budgétaires d’un montant significatif

i. Plus de 12 milliards d’euros d’économies budgétaires

ii. Un décalage entre les gains envisagés et les gains effectifs

2. La modernisation de l’action publique

a. Une démarche d’évaluation plus que de réduction des dépenses

i. L’impulsion initiale

ii. La réduction des dépenses publiques : un objectif secondaire

b. Un pilotage rénové

i. L’évaluation des politiques publiques

ii. L’organe de décision

iii. Une véritable concertation rompant avec la verticalité de la RGPP

c. Des résultats très mitigés

i. Un portage politique insuffisant

ii. Des objectifs chiffrés sans réel suivi

iii. L’échec de la revue des missions de l’État territorial

3. Le programme Action publique 2022 : une démarche prometteuse mais interrompue par les crises

a. Une démarche ambitieuse de transformation de l’action publique

i. Le lancement d’un vaste programme de transformation publique

ii. Les propositions issues du travail du comité Action publique 2022

iii. Une démarche s’inscrivant dans un objectif de réduction de la dette

b. Un mouvement de transformation publique qui a dépassé le champ initial du programme Action publique 2022

i. Une ambition rapidement réduite mais poursuivie par les comités interministériels à la transformation publique successifs

ii. Des actions en matière de simplification et de numérisation

iii. Des mesures réformant l’administration territoriale de l’État

c. Des économies budgétaires difficiles à évaluer

i. Une réduction de la dépense sans doute moins élevée que prévu

ii. L’exemple du fonds pour la transformation de l’action publique

B. Un chantier À engager de nouveau

1. Des objectifs pragmatiques sous la présente législature

a. Les politiques prioritaires du Gouvernement

b. Un pilotage pouvant encore être amélioré

i. La direction interministérielle de la transformation publique

ii. Des outils spécifiques

iii. Un bilan récent par la Cour des comptes

c. L’enjeu central de la numérisation

i. La direction interministérielle du numérique

ii. Les chantiers des mois à venir

iii. La question des appels téléphoniques

2. La nécessité d’une plus grande ambition

a. L’allègement des procédures

b. La lutte contre les doublons

i. Les commissions consultatives

ii. Les opérateurs

iii. Les défauts de mutualisation entre services

EXAMEN EN COMMISSION

Liste des personnes auditionnÉes

Liste des contributions Écrites reçues

 


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   Avant-propos

Le 16 septembre 1969, M. Jacques Chaban-Delmas, Premier ministre, tenait devant l’Assemblée nationale une déclaration de politique générale.

Il affirmait à cette occasion son souhait de « faire lever la pâte de formes nouvelles et plus riches de démocratie et de participation, dans tous les organismes sociaux comme dans un État assoupli, décentralisé, désacralisé ».

Puis, il prescrivait aux ministres de lui « présenter dans les trois mois un plan de réorganisation de leur administration centrale visant à la suppression de directions ou services dont la nécessité a cessé d’exister » et annonçait que « pour accroître la souplesse de l’administration, seront constituées, sous [s]on égide, des équipes administratives douées d'une grande mobilité et susceptibles d’être affectées rapidement à des tâches urgentes ou à des missions nouvelles, sans pour autant accroître définitivement les moyens des administrations concernées ».

Enfin, il concluait que « c’est cette remise en cause des fonctions et de l’organisation de l’État qui nous permettra de réaliser des économies à la fois réelles et définitives ; […] dès le budget suivant, les contraintes […] de réexamen approfondi des missions de l’administration, commenceront à produire leurs effets, c’est-à-dire à libérer des moyens ».

Demeuré, plus de cinquante ans après son prononcé, un modèle d’élégance oratoire et d’engagement politique, le discours du maire de Bordeaux, Président de l’Assemblée à plusieurs reprises, frappe aussi son lecteur contemporain par la justesse du diagnostic qu’il posait sur l’administration française.

Nul ne peut se satisfaire qu’avec une masse salariale de 312,4 milliards d’euros, soit 13,6 % du produit intérieur brut (PIB), nos services publics, si souvent présentées comme un trésor, soient déclassés aux yeux des Français eux-mêmes comme à ceux de nos observateurs étrangers.

Les responsables politiques successifs en sont conscients ; les démarches de transformation publique conduites au cours des trois dernières législatures ont permis des avancées notables, mais aussi montré de trop nombreuses limites.

De 2007 à 2012, la révision générale des politiques publiques (RGPP) s’est caractérisée par une forte centralisation et le recours à des équipes mixtes, accueillant des cabinets d’audit. Cette méthode n’a pas facilité le dialogue social, notamment sur l’idée demeurée célèbre du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux faisant valoir ses droits à la retraite. La RGPP a permis des résultats tangibles au plan budgétaire, mais sa méthode ne s’est pas révélée appropriée. En fin de compte, les économies réalisées par la RGPP sont de 12 milliards d’euros à court terme, mais elles n’auront été qu’une inflexion, rapidement rattrapée par la réalité de la demande citoyenne, plutôt qu’un changement structurel.

● De 2012 à 2017, la modernisation de l’action publique (MAP) a été présentée avant tout comme un cycle d’évaluation des politiques publiques, motivée par l’importance du virage numérique et la demande de transparence de la part des Français. Les économies budgétaires n’étant pas affichées comme une ambition majeure, sur un chiffrage initial de 5 à 7 milliards d’euros, moins de la moitié est vérifiable.

● De 2017 à 2022, le programme Action publique 2022 constitue la dernière démarche de transformation publique. Si elle a permis d’engager des chantiers importants, la double crise du mouvement social dit des gilets jaunes puis de l’épidémie de covid-19 a interrompu son élan. Par ailleurs, le caractère relativement vaste des mesures recommandées dans ce cadre a limité la capacité à les traduire de façon concrète.

Ces différents plans ont tous tenté de répondre à deux objectifs que les rapporteurs considèrent comme complémentaires : réarmer le service public et en améliorer l’efficacité au profit de nos concitoyens ; contribuer au redressement des comptes de la Nation par la rationalisation de l’action et du fonctionnement de l’administration.

À l’heure où les Français jugent le service rendu par l’administration peu satisfaisant et où le déficit public s’établirait à 4,7 % du PIB, l’atteinte de ces deux buts est plus que jamais un impératif.

Au regard des expériences passées et des auditions menées, les rapporteurs ont confirmé leur intuition qu’il ne peut exister d’économies budgétaires durables dans les solutions de facilité. La rationalisation de l’administration est en tout point une question de temps. Nous devons être tout de suite tranchants avec l’inutile mais savoir nous montrer patients pour ne pas abîmer ce qui fonctionne.

Les rapporteurs sont convaincus que seule une très forte volonté politique, combinée à un consensus simplificateur dans la durée, peuvent produire des résultats concrets au bénéfice de la compétitivité de notre pays. Certes, les mesures prises pour réduire les dépenses publiques tout en améliorant le fonctionnement de l’administration ne doivent pas s’inscrire dans une logique d’austérité, qui n’a jamais été souhaitable ni audible pour nos concitoyens.

Il convient, en reprenant le fil de l’histoire là où il a connu une pause quand les propositions du comité Action publique 2022 allaient être mises en application, de relancer rapidement un élan de modernisation s’attachant à préserver le service public, à redonner du sens aux agents qui y concourent et à réinterroger chacune des missions remplies par l’État. À l’inverse de la manière de travailler suivie par la RGPP, les rapporteurs prônent un véritable changement de culture sur le long terme qui doit se traduire par des économies budgétaires structurelles. À l’inverse de celle de la MAP, ils estiment que l’effort doit se traduire texte financier après texte financier et que les agents publics doivent être intéressés aux améliorations.

Au sein de l’administration mais également dans les relations avec les usagers des services publics, la culture de la confiance doit prendre le dessus sur celle du contrôle. Il s’agit d’un levier incontournable de simplification, d’allègement et    de modernisation de l’action de l’État.

L’objectif des rapporteurs pourrait être résumé en ces quelques mots : « plus de confiance pour moins de dépenses ».

Début 2023, le Gouvernement a décidé de mettre en œuvre un nouveau chantier de revue des dépenses avec trois conditions de réussite affichées :

– un portage politique de haut niveau ;

– un objectif assumé de recherche d’économies ;

– une articulation claire avec les calendrier administratif et parlementaire des lois financières.

Présenté devant la commission des finances une dizaine de jours avant la tenue des assises des finances publiques, sous l’égide du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, le rapport de cette mission d’information constitue une contribution qui se veut à la fois complémentaire et distincte de la démarche engagée par le Gouvernement.

Ces assises sont l’opportunité d’enclencher un mouvement : il importe que des signaux forts soient émis et que l’administration soit impliquée à tous les niveaux hiérarchiques par la nécessité d’un sursaut que nos concitoyens exigent.

Les travaux conduits par les rapporteurs et leurs collègues aboutissent à la présentation d’un plan chiffré, réaliste et ambitieux, mobilisant des facettes complémentaires de l’action publique et de la gestion des services qui la font vivre, pour une économie incrémentale de 15 milliards d’euros d’ici à 2030.

Nos engagements européens prévoient un retour du déficit public sous le seuil de 3 points de PIB à l’horizon de 2027 et une baisse du poids de la dette publique à compter de 2024.

L’effort pour passer d’un déficit public de 4,7 points de PIB à 3 points implique une économie de l’ordre de 45 milliards d’euros. Le travail fourni par la mission entend donc participer à hauteur d’un tiers de l’effort de réduction du déficit public.

Les deux derniers tiers pourraient être trouvés dans le double programme de lutte contre la fraude fiscale et sociale annoncé – quelques jours avant la conclusion des travaux de la commission des finances – par le ministre délégué, chargé des comptes publics, ainsi que par une nouvelle vague de décentralisation que les rapporteurs appellent de leurs vœux.

Dans le cadre de ce plan de sobriété administrative, des économies budgétaires peuvent être réalisées dès le projet de loi de finances pour 2024, y compris si celles-ci ne sont de l’ordre que de quelques millions d’euros.

Une démarche de rationalisation de notre administration doit être progressive et réaliste, conditions déterminantes de l’adhésion de nos concitoyens à cet effort.


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   SynthÈse des recommandations

Sous le prisme « simplifier plus, dépenser moins », les rapporteurs proposent une série de simplifications et de modernisations de l’action publique permettant une économie de plus de 650 millions d’euros dès 2024 et de 15 milliards d’euros, en cumul, d’ici à 2030.

Le détail de l’incidence financière est présenté à la page suivante.

1. – Utiliser la gestion immobilière comme double levier de baisse des dépenses publiques et d’amélioration du cadre de travail des agents et d’accueil des usagers.

2. – Mettre en place un « bouclier déontologique » ; sous la forme d’un rescrit, ce dispositif permettrait d’autoriser dans le même mouvement, contre un engagement de l’intéressé sur l’honneur et une vérification sérieuse par la HATVP, un départ vers le privé puis le retour dans le cas des titulaires et simplifierait grandement la possibilité pour le contractuel de faire profiter l’État de son expérience, plutôt que de lui interdire des initiatives risquant de caractériser un conflit d’intérêt.

3. – Oser un véritable changement des mentalités et des pratiques pour passer, enfin, d’une culture du contrôle à une culture de la confiance ; commencer par mettre en place une démarche « zéro reporting », qui redonnera aux agents le temps nécessaire à œuvrer pour les missions qui sont l’objet central de leur poste, améliorera la qualité du travail et participera à la réduction de l’absentéisme.

4. – Supprimer trois normes réglementaires décrets, arrêtés, instructions, etc. –à la publication d’une norme nouvelle, de contrainte équivalente.

5. – Intégrer l’objectif d’une réduction et d’une simplification des normes dans les lettres de cadrage adressées par la Première ministre à chacun des membres du Gouvernement en amont du dépôt du projet de loi de finances.

6.  Faire apparaître, dans les études d’impact des projets de loi, un « scoring » de la simplification administrative visées par leurs dispositions.

7. – Désigner un référent chargé de la simplification administrative dans toutes les directions ministérielles et, à terme, tous les services publics.

8. – En modifiant le dernier alinéa de l’article 72 de la Constitution, supprimer le contrôle de légalité exercé par les préfets sur les actes des collectivités territoriales ; dans un premier temps, prévoir dans la loi une expérimentation « territoires zéro contrôle a priori pendant trois ans ».

9. – Renforcer la transparence sur le coût des commissions consultatives et diminuer leur nombre par la fusion de celles ayant un objet analogue et la suppression de celles dont l’absence de réunion traduit la faible utilité.

10. – Par une revue de leurs missions respectives et de celles de leurs ministères de tutelle, ainsi que par des mutualisations fonctionnelles, réduire d’un tiers la subvention des opérateurs employant moins de 250 personnes.


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   SynthÈse des Économies proposÉes

Les rapporteurs jugent utile de présenter l’effet financier de six de leurs dix recommandations dans un tableau distinguant l’échéance à laquelle chacune a vocation à s’appliquer.

Les trois premières lignes traduisent un effort constant sur l’ensemble de la période de 2024 à 2030 : elles comprennent trois économies de l’ordre de la dizaine de millions d’euros par an.

Les trois lignes suivantes traduisent un effort incrémental permettant de franchir dès la seconde année le cap du milliard d’euros et, courant 2027, celui des cinq milliards d’euros.

À l’horizon de la projection, une économie de quinze milliards d’euros peut avoir été atteinte si les préconisations du présent rapport sont appliquées.

Est rappelé le numéro de chacune des recommandations reproduites.

(en millions d’euros)

 

2024

2025

2026

2027

2028

2029

2030

4. Contraintes et normes

9,4

9,4

9,4

9,4

9,4

9,4

9,4

8. Contrôle de légalité

14,0

14,0

14,0

14,0

14,0

14,0

14,0

9. Commissions consultatives

11,1

11,1

11,1

11,1

11,1

11,1

11,1

1. Immobilier

244,0

488,0

732,0

976,0

976,0

976,0

976,0

7. Référent simplification

250,0

500,0

750,0

1 000,0

1 000,0

1 000,0

1 000,0

10. Opérateurs

138,9

277,9

416,9

555,8

694,75

833,7

972,65

Total

667,5

1 300,4

1 933,4

2 566,3

2 705,3

2 844,2

2 983,15

Total cumulé

667,5

1 967,9

3 901,2

6 467,5

9 172,8

12 017,0

15 000,1

 

Source : commission des finances.


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   Introduction

Ce rapport présente les observations et préconisations de Mme Véronique Louwagie et de M. Robin Reda, au nom de la mission d’information sur la rationalisation de notre administration comme source d’économies budgétaires.

● À l’initiative du groupe Les Républicains, la création de cette mission a été décidée par le bureau de la commission des finances le 8 décembre 2022.

Elle a tenu sa réunion constitutive le 10 janvier 2023 et ses membres ont adopté ses conclusions le 1er juin 2023.

Dans l’intervalle, une quarantaine de personnes ont été auditionnées au cours de onze réunions :

– deux membres du Gouvernement, à savoir MM. Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques, et Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics ;

– six directeurs d’administration centrale ;

– les dirigeants des deux principaux établissements gestionnaires des fonctions publiques territoriale et hospitalière et des trois plus importantes associations d’élus locaux ;

– des personnalités qualifiées, qu’il s’agisse de hauts fonctionnaires du Conseil d’État, de la Cour des comptes et de l’inspection générale des affaires sociales ou de chercheurs universitaires et indépendants.

Les rapporteurs ont également reçu des réponses écrites de la plupart des ministres : ils remercient Mme Claire Landais, conseillère d’État, secrétaire générale du Gouvernement, pour son implication personnelle.

Enfin, par l’intermédiaire du Centre européen de recherche et de documentation parlementaires (CEPRD), dont ils remercient également les services, les rapporteurs ont recueilli une contribution de la part des chambres basses ou uniques allemande, autrichienne, danoise, espagnole, israélienne, néerlandaise, portugaise, suédoise et suisse.

● Avec un humour souvent mordant mais parfois las, nombre d’écrivains ont su, de longue date, témoigner du sentiment qui étreint le citoyen désireux d’obtenir de l’administration un conseil, une prestation, une autorisation ou un dédommagement, mais faisant face à une porte close, à une avalanche de papiers à comprendre puis à remplir ou encore à des recommandations, injonctions et interdictions contradictoires. Le lecteur se reportera donc avec fruit aux romans d’Honoré de Balzac – Les employés ou la femme supérieure (1838) – ou de Georges Courteline – Messieurs les ronds de cuir (1883).

La vingt-troisième édition du baromètre des services publics de l’Institut Paul Delouvrier, réalisée par le cabinet Kantar du 25 octobre au 8 novembre 2022 auprès de deux échantillons de 2 500 et 2 502 personnes puis rendue publique le 1er février 2023, « révèle que l’opinion des Français concernant l’action de l’État s’est dégradée », perdant six points pour retomber à un taux de 46 % seulement d’avis favorable, et que « s’ils ont pu faire preuve d’une certaine indulgence pendant la crise sanitaire, les usagers se montrent exigeants à l’égard de leurs services publics et l’on assiste à un tassement de la satisfaction moyenne ».

Animés par le double souci de la préservation du service public, de son renforcement même tant la fracture entre les territoires et l’ampleur des défis des prochaines années sont grandes, et du redressement des comptes de la Nation, alors que la dette publique atteint 111,6 % de la richesse annuelle, les membres de la mission ont suivi trois axes.

D’abord, ils ont fait le choix de s’intéresser principalement à l’État, dans la mesure où c’est vers lui que les Français tournent leurs regards avec la plus grande attente et que c’est, de fait, dans son organisation que résident les plus grandes marges de simplification et d’économies.

Ils ne se sont toutefois pas interdit des comparaisons avec les collectivités territoriales et les organismes de sécurité sociale, tant leurs missions sont essentielles et tant un meilleur partage de celle-ci paraît souhaitable ; en effet, le proposer n’est pas d’ignorer les gisements d’économies qui pourraient être rechercher dans ces deux autres sous-secteurs d’administration, mais bien plutôt de souligner le fait que c’est à l’État d’être exemplaire dans un premier temps avant de demander des efforts aux tiers.

Ensuite, ils ont décidé d’aborder la question des agents publics, qu’ils soient titulaires ou contractuels, plutôt sous l’angle de leurs effectifs, ainsi que de leur performance, que sous celui de leur statut : une telle analyse relèverait en effet davantage de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Le 5 mai dernier, le ministre de la fonction et de la transformation publiques rappelait, par voie de presse, avoir lancé le site internet www.choisirleservicepublic.fr, sur lequel sont mis en avant les offres correspondant aux « 57 479 postes vacants ». Le cas des rentrées scolaires de septembre 2021 et septembre 2022 a particulièrement marqué les esprits : dans son avis sur la mission Enseignement scolaire du projet de loi de finances (PLF) pour 2023, M. Jacques Grosperrin, sénateur du Doubs, indiquait que « compte tenu des tensions sur les moyens humains [du ministère de l’éducation nationale], aggravées par les difficultés de recrutement observées lors des concours de 2022, […] 3 756 postes [étaient] non pourvus dans les premier et second degrés à l’issue des concours de 2022, soit trois fois plus qu’en 2021 (1 065) » ([2]). À elle seule, cette situation justifierait pleinement des travaux sur le statut des agents.

Enfin, ils ont considéré les sujets des doublons, de l’empilement des règles et de la numérisation pour ce qu’ils sont : un motif de complexité ou de fluidité dans les échanges entre les administrations et leurs usagers.

Des entretiens qu’ils ont menés, les rapporteurs retiennent que le constat d’une efficience insuffisante de l’administration est partagé, mais que, par construction, l’on ne saurait chiffrer le coût de ce fonctionnement sous-optimal.

Toute proposition, à cet aulne, doit par conséquent faire montre à la fois de courage et de modestie : rappeler que le service public doit répondre à des impératifs plus contraignants que le secteur privé, comme assurer des tâches y compris lorsqu’elles ne sont pas rentables, et refuser l’austérité, que notre pays n’a au demeurant jamais connue et que ni le Gouvernement actuel ni la majorité des députés n’envisagent, ne doit pas signifier s’enfermer dans le déni.

Les préconisations du rapport s’accompagnent des échéances auxquelles des efforts de rationalisation devraient être entrepris, du budget étudié à l’automne 2023 jusqu’à un horizon de quelques années, car le réalisme appelle une capitalisation progressive sur de premiers résultats.

Elles s’inscrivent dans un schéma ternaire :

– il conviendrait que les lettres de cadrage de la Première ministre et les études d’impact des projets de loi exigent et justifient la suppression de trois procédures, normes ou formulaires à chaque instauration d’une contrainte équivalente, ce à quoi pourrait aider la désignation dans tous les services d’un référent traquant les complexités inutiles et valorisant le bon sens du terrain ;

– pour désengorger dans le même temps les services municipaux que les équipes des préfectures, il serait intéressant de prévoir une expérimentation « zéro contrôle a priori pendant trois ans », dans un champ thématique défini, car cela participerait d’une forme de « sobriété administrative » et de consolidation de la confiance entre l’État et les élus locaux, que M. David Lisnard, maire de Cannes et président de l’Association des maires de France appelle de ses vœux, pleinement rejoint par les rapporteurs ;

– l’action de l’État repose, quand elle ne s’y superpose pas, sur celle de centaines d’opérateurs et de commissions consultatives dont tous n’ont pas démontré leur utilité, ce qui invite à réduire leurs frais de support, voire à poser la question de leur existence.

En somme, rendre plus agile le service public ne revient pas à l’appauvrir, mais tout au contraire à le réarmer en déchargeant ses personnels d’errements qui leur font perdre, comme aux administrés, du temps, de l’argent et de la motivation – trois biens de plus en plus précieux.

Rapporteurs spéciaux des missions Santé et Enseignement scolaire du budget général de l’État, les rapporteurs ont porté un intérêt particulier aux secteurs de la protection sociale, de l’offre de soins et de l’éducation nationale. Ils relèvent d’ailleurs qu’il s’agit de services publics parmi ceux auxquels les Français sont, fort légitimement, le plus attachés – le baromètre Delouvrier précité les place en première et deuxième positions, chez 48 % et 38 % des sondés.

*

*     *

Dans une première partie, le rapport pose un diagnostic juridique et budgétaire sur l’efficacité parfois trop faible de l’administration (I) : avec une masse salariale de 312,4 milliards d’euros, la fonction publique et l’emploi public contractuel (A) se caractérise également par une organisation statutaire comme fonctionnaire lourde (B).

La seconde partie étudie les points positifs, mais aussi les trop nombreuses lacunes de plans de modernisation antérieurement conduits, pour proposer d’aller plus loin (II) : sous les XIIIème, XIVème et XVème législatures, lesquelles correspondent aux mandats de MM. Nicolas Sarkozy et François Hollande puis au premier mandat de M. Emmanuel Macron à la Présidence de la République, trois programmes ont eu des résultats certains, mais limités en raison d’une ambition mal calibrée ou de la survenue de crises (A), de sorte qu’il est indispensable d’engager de nouveaux chantiers, dont une réduction du nombre de démembrements de l’État et un allègement de ses relations normatives avec les particuliers, les entreprises et les collectivités territoriales (B).


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I.   L’administration française mobilise d’importantes ressources financiÈres, mais elle peine À se rÉformer et À attirer de nouveaux talents

L’ensemble des administrations publiques bénéficie d’un effort financier conséquent (A) mais, entre lourdeurs et doublons, le service public peine à donner du sens à ses métiers et à satisfaire ses usagers (B).

A.   Une fraction majeure des dÉpenses publiques

La masse salariale publique ([3]) constitue une part significative des dépenses publiques. Par le poids de ses dépenses de personnel, la France occupe une place à part parmi les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Ce constat résulte pour partie d’un choix d’organisation différent des services publics mais également d’une « exception » française qui traduit une insuffisante rationalisation de l’administration.

À la lourdeur des dépenses liées à la rémunération des agents (1) s’ajoute celle de leur cadre d’emploi (2).

1.   Des charges de personnel et de fonctionnement significatives

L’évolution récente des charges de personnel et de fonctionnement n’est pas similaire dans les trois versants de la fonction publique. Il reste que, au global, le niveau très élevé des dépenses de personnels est sans comparaison avec les autres pays développés.

Dès lors, les rapporteurs soutiennent l’idée que la réalisation d’économies budgétaires doit – entre autres – passer par une maîtrise de l’évolution des effectifs des administrations. Ils constatent également que l’organisation de l’administration française est parfois mal articulée, ce qui fait naître de la complexité et de trop nombreux doublons.

Si les chiffres montrent des différences entre les administrations publiques centrales, locales et de sécurité sociale (a), ils traduisent aussi la position dégradée de la France au regard de celle de ses principaux voisins (b).

a.   Une dynamique qui varie d’un sous-secteur à l’autre

Si son poids est différent pour l’État, les collectivités territoriales et les hôpitaux, la masse salariale représente une fraction importante des dépenses des administrations publiques. Elle s’est accrue continûment au cours des dernières années, sans que les réformes de l’action publique successives ne parviennent à freiner cette évolution. La maîtrise de l’évolution de la masse salariale des administrations est un enjeu majeur pour les finances publiques, puisqu’elle représente 13,6 % du produit intérieur brut (PIB), soit 312,4 milliards d’euros.

Seront abordées les dépenses de fonctionnement (i), puis de personnel (ii).

i.   Les charges de fonctionnement de l’État : un effort de maîtrise réel mais encore insuffisant

● La fonction publique d’État, constituée des personnels statutaires des administrations centrales de l’État et des services déconcentrés, emploie 2,52 millions d’agents en 2022, soit 45 % du total des agents publics.

Les effectifs dans la fonction publique d’État (FPE) ont été stables entre 2003 et 2007, puis ont diminué sous l’effet de la politique de non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite initiée dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP). À partir de 2012 et jusqu’en 2015, ces effectifs se sont de nouveau stabilisés pour ensuite très légèrement augmenter.

Le rapport sur l’état de la fonction publique et les rémunérations, annexé au projet de loi de finances (PLF) pour 2023, permet d’apprécier les évolutions les plus récentes des effectifs de la fonction publique d’État. En 2020, la hausse des effectifs est principalement liée à la hausse de l’emploi public dans les EPA ([4])  et les EPLE ([5]) (+ 6,6 %) tandis que l’emploi se replie légèrement dans les ministères (–  0,2 %). En 2021, les effectifs totaux de la fonction publique d’État diminuent légèrement (– 0,1 %). Les réductions de postes se concentrent notamment dans les ministères sociaux, le ministère chargé de l’écologie ainsi que dans les ministères économiques et financiers. À l’inverse, les effectifs augmentent dans les ministères régaliens que sont l’intérieur et la justice.

La réduction de la masse salariale et des effectifs du ministère de l’économie,
des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

Au sein des ministères économiques et financiers, les emplois ont baissé de 14,6 % entre 2012 et 2021 et de 6,1 % entre 2018 et 2021, en passant de 149 675 ETPT en 2012 à 127 857 ETPT en 2021. En moyenne, de 2012 à 2021, la baisse est de 2 400 ETPT par an, affectant essentiellement la direction générale des finances publiques (DGFiP). En conséquence, la masse salariale hors contributions au compte d’affetation spéciale (CAS) Pensions a évolué à la baisse de 6,1 % entre 2012 et 2021, en passant de 6 853 millions d’euros en 2012 à 6 684 millions d’euros en 2018 et 6 438 millions d’euros en 2021. Lors de son audition, le ministre délégué chargé des comptes publics, a manifesté son souhait de stabiliser les effectifs de la DGFiP afin de renforcer la lutte contre les fraudes, sources de recettes complémentaires aux économies en crédits.

Sources : réponses au questionnaire des rapporteurs.

Les dépenses de personnel de l’État se sont élevées à 138,8 milliards d’euros en 2022, soit 31 % des dépenses du budget général.Elles ont permis de rémunérer 1,9 million d’agents en équivalents temps plein travaillés (ETPT) – la FPE compte 2,5 millions d’agents mais une partie est employée et rémunérée par des établissements publics – et comprennent 44,4 milliards d’euros de contributions de l’État employeur au financement des pensions de ses agents. Le ministère de l’éducation nationale représente 52,8 % des dépenses de personnel de l’État, le ministère de l’intérieur 15,2 % et le ministère de la défense 13,9 %.

Sur le champ du budget général et des budgets annexes, la masse salariale a progressé de 15,9 % entre 2012 et 2022, tandis que l’inflation sur la même période s’est élevée de 13,5 %, soit une hausse nette de 2,4 % :

– les mesures catégorielles, comme les plans de revalorisations sectoriels pour la police ou les enseignants, ont contribué à hauteur de 8,3 points ;

– les mesures générales, essentiellement la hausse du point d’indice, ont représenté 3,7 points.

● Les rapporteurs ont interrogé l’ensemble des ministères au sujet du montant et de la répartition de leur masse salariale et de leurs effectifs. Des réponses qui leur ont été apportées découlent deux principales observations.

La part des fonctions de support au sein de la masse salariale varie de façon importante selon les ministères mais reste plutôt stable dans le temps. À titre d’exemple, la part de ces fonctions s’élevait à 4,8 % en 2021 au sein du ministère de l’agriculture et de l’alimentation et à 9 % au sein du ministère de la justice. Au ministère de la culture, cette part est significativement plus importante puisqu’elle représente 21 % de la masse salariale. Ce pourcentage élevé est notamment lié au fait que ce dernier ministère assure la tutelle de plus de 80 établissements répartis sur tout le territoire. Les rapporteurs n’observent pas d’évolution significative de la part des fonctions de support depuis les cinq dernières années dans l’ensemble des ministères.

Les fonctions de support au sein des ministères de l’éducation nationale
et de la jeunesse, de l’enseignement supérieur et de la recherche,
des sports et des Jeux olympiques et paralympiques

En 2022, le ministère estime à 22 416 ETP les emplois dédiés aux fonctions de support, dont 1 510 en administration centrale et 20 906 dans les services déconcentrés.

Ces emplois représentent 2 % de sa masse salariale (hors agents rémunérés par les opérateurs), soit un milliard d’euros, sur une masse salariale totale de 50,8 milliards d’euros hors contributions au CAS Pensions sur le même périmètre.

Sources : réponses au questionnaire des rapporteurs.

La part des postes affectés en administration centrale demeure importante mais dépend des ministères. À titre d’exemple, au sein du ministère de la culture, 40 % des effectifs sont affectés en administration centrale contre 27 % de ceux du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Logiquement, certains ministères disposent d’une administration centrale plus légère par rapport à leurs effectifs. À titre d’exemple, l’administration centrale du ministère de la justice ne représente que 2,3 % des 89 483 agents y travaillant (4 % de la masse salariale) et celle du ministère de l’éducation nationale ne s’élève qu’à 0,38 %.

● La loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques (LPFP) pour les années 2018 à 2022 prévoyait une réduction nette des effectifs des administrations de 120 000 emplois, dont 50 000 pour l’État. Cet objectif a été réduit du fait de créations de postes prévues sur plusieurs missions prioritaires, en particulier dans les secteurs de la justice et de la sécurité.

Au total, seulement 4 444 emplois ont été supprimés sur la période.

Les rapporteurs observent que l’effort de réduction des effectifs s’est essentiellement porté sur les services de l’État territorial, notamment sous l’impulsion de la réforme de l’administration territoriale de l’État (RéATE) engagée en 2010 (cf. infra). Entre 2012 et 2020, l’administration territoriale a perdu 11 763 ETPT tous ministères confondus, soit 14 % de l’effectif initial.

L’une des critiques fréquemment exprimées à l’encontre de la révision générale des politiques publiques (RGP), conduite entre 2007 et 2012 et présentée infra, tient à ce risque de « paupérisation de l’État local ».

La Cour des comptes constate néanmoins que « les suppressions de postes en préfecture n’ont pas été réalistes » ([6]).

L’année 2022 a marqué la fin de cette trajectoire de réduction de postes avec une stabilisation des emplois. Les rapporteurs estiment que la rationalisation des services de l’État territorial peut passer par une meilleure organisation mais difficilement par un nouveau mouvement de réduction des effectifs.

● Les rapporteurs considèrent également que la gestion immobilière de l’État est insuffisamment rationalisée.

L’État et ses établissements publics occupent un patrimoine immobilier de près de 94 millions de mètres carrés de surfaces bâties et 40 millions de mètres carrés de terrains non bâtis pour leurs missions de service public, pour un coût total de 7,87 milliards d’euros ([7]). Le parc de bureaux constitue 17,96 millions de mètres carrés est principalement occupé par le ministère de l’intérieur (24 %), puis ceux de l’économie et des finances (19 %) et des armées (18 %).

La réduction des crédits consacrés à la politique immobilière est un enjeu majeur car « toute surface inutile ou inemployée génère des coûts supplémentaires dont la réduction contribue à une meilleure utilisation des crédits budgétaires » ([8]). Ces coûts comprennent notamment les travaux, l’entretien courant, l’entretien lourd et les loyers budgétaires.

Par exemple, le secrétaire général des ministères sociaux a transmis les éléments suivants aux rapporteurs : « actuellement réparties sur deux sites domaniaux et deux sites en location, les administrations centrales et les cabinets des ministères sociaux occupent une surface globale de 94 621 mètres carrés ; en 2027, elles se répartiront sur trois sites domaniaux uniquement et occuperont 82 891 mètres carrés ; dans cette manœuvre immobilière, les ministères sociaux feront donc une économie de près de 12 000 mètres carrés de surfaces occupées, avec une réduction associée de l’empreinte écologique de ces activités ».

En appliquant ce ratio de 12,4 % à chaque ministère – et tout en étant conscients du fait qu’une pondération devrait être faite selon leur emprise respective –, les rapporteurs estiment qu’une économie immédiate de l’ordre de 975,88 millions d’euros peut être faite à raison de l’abandon des charges de loyer et d’entretien ou de la cession des actifs n’ayant plus vocation à être occupés dans la mesure où, aux dires toujours du SGMAS, « au mieux, 60 % des agents sont présents en même temps, avec une moyenne de 50 % ». À titre illustratif, il serait donc possible d’envisager un gain de plus de 3 milliards d’euros. Le ministre de la transformation et de la fonction publiques a fait état de son engagement pour rationaliser l’occupation domaniale dans le contexte du télétravail.

Recommandation n° 1. – Utiliser la gestion immobilière comme double levier de baisse des dépenses publiques et d’amélioration du cadre de travail des agents et d’accueil des usagers.

ii.   Les dépenses de personnel des collectivités territoriales et des établissements de santé et médico-sociaux : une augmentation soutenue

● La fonction publique territoriale (FPT) emploie 1,94 million de personnes, soit 34 % des effectifs travaillant dans les trois versants de la fonction publique. Ses effectifs ont augmenté de 47 % entre 1996 et 2021, soit une moyenne annuelle de 1,6 %. L’emploi dans la FPT a augmenté de + 0,8 % en 2021 alors qu’il était quasiment stable dans la FPE (– 0,1 %). La masse salariale des administrations publiques locales (APUL) représente 31 % de leurs dépenses et 28 % de la masse salariale totale des APU. Les dépenses de personnel de la FPT sont passées de 70,4 milliards d’euros en 2011 à 86,5 milliards d’euros en 2021, soit une hausse de 23 % sur dix ans. Sur la même période, la masse salariale de l’État n’a progressé que de 11,9 %.

La Cour des comptes, dans son dernier rapport public annuel, largement consacré à la décentralisation, souligne que « les dépenses de personnels des collectivités locales ont progressé plus rapidement que celles de l’État » ([9]). Elle constate également que « les plus fortes augmentations d’effectifs ont concerné les communes et leurs groupements, catégories de collectivités qui n’ont pas fait l’objet de transferts significatifs de compétences de la part de l’État » ([10]).

Le renforcement des intercommunalités ne s’est en effet pas traduit par une réduction des effectifs des communes dans une logique de mutualisation. Or l’existence de telles superpositions pourrait donner lieu à la constitution d’une future mission d’information, animée par le même effort que la présente. Le bloc communal a ainsi représenté 81 % de la hausse de la masse salariale territoriale depuis 2012 (soit 8,7 milliards d’euros sur 10,8 milliards d’euros) et, à lui seul, 24 % de la hausse de l’ensemble de la masse salariale des administrations.

● L’emploi dans la fonction publique hospitalière (FPH) a augmenté de 37 % de 1996 à 2021, soit en moyenne de 1,3 % par an.

L’emploi dans la FPH a progressé de manière soutenue en 2020 (+ 1,9 %) dans un contexte de crise sanitaire. Alors que, les années précédentes, elle avait davantage bénéficié aux établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS), cette hausse a plus largement soutenu les hôpitaux publics.

b.   Une comparaison internationale défavorable

Les comparaisons internationales des dépenses de personnel et plus largement des dépenses de fonctionnement des administrations publiques doivent être prises avec précaution, le périmètre de la fonction publique pouvant être très variable d’un pays à l’autre. Néanmoins, les rapporteurs souhaitent formuler plusieurs observations à la lumière des comparaisons internationales.

Le niveau des rémunérations par emploi public de la France est modéré en comparaison internationale, le poids la masse salariale dans le PIB découlant davantage des effectifs que des rémunérations ([11]). En tout état de cause, la part des rémunérations publiques dans le PIB est stable en France depuis 2022.

Il apparaît que le rapport de l’emploi dans les administrations publiques à l’emploi total s’élève à 21 %, soit un taux inférieur à ceux des pays scandinaves (29 % pour la Suède) mais supérieur à ceux de la majorité des autres pays européens comparables (16 % pour le Royaume-Uni et l’Espagne, 13 % pour l’Italie et 11 % pour l’Allemagne, par exemple). Cette comparaison est limitée puisque certains services publics peuvent être pris en charge par des salariés du secteur privé dans les pays mentionnés. Ces dépenses de personnel peuvent aussi être remplacées par des subventions ou des achats de services à des organismes de droit privé. À titre d’exemple, en Allemagne, les dépenses de personnel engagées au profit des hôpitaux ne sont pas intégrées aux dépenses de personnel des administrations publiques, alors qu’elles correspondent naturellement au financement d’un service public. Dans une étude de juin 2020, France stratégie a constaté que « le taux d’administration de la France (effectifs des administrations publiques rapportés à la population totale) est relativement élevé » ([12]), à un niveau supérieur à celui du Royaume-Uni, de la Belgique et des États-Unis d’Amérique, mais en dessous des pays nordiques.

2.   Un risque de bureaucratie qui naît des rigidités et des enchevêtrements

L’administration française se caractérise par des agents publics dont le statut est source de rigidité. Ce manque de souplesse est à la fois présent au moment du recrutement et au cours de la carrière.

Il se traduit notamment par une mobilité insuffisante, conduisant à une allocation peu optimale des ressources humaines de l’État.

Au-delà des rigidités liées au statut des fonctionnaires, les rapporteurs constatent de trop nombreux doublons dans l’administration et les démembrements de l’État. Cette multiplicité des entités publiques a un coût : celle de son inefficacité et des dépenses inutiles qu’elle implique.

Un tel manque de souplesse caractérise aussi bien les conditions dans lesquelles se déroulent le recrutement et la carrière des agents (a) que l’empilement des structures administratives (b).

a.   Des statuts peu agiles

Les rapporteurs considèrent que la gestion des ressources humaines de l’État est peu efficace et se distingue par un évident manque de souplesse.

S’ils ne remettent pas en question l’existence du statut de la fonction publique ou de ses spécificités par versant, les rapporteurs estiment que des marges de progression existent pour rationaliser le fonctionnement des administrations sur ce plan.

Le nombre de corps (i) rend malaisés l’entrée en leur sein (ii) et, plus largement, l’exercice par la puissance publique de ses missions (iii).

i.   Des corps multiples et parfois sources de complexité

Chaque fonctionnaire appartient à un corps ou relève d’un statut ou, s’agissant de la FPT, d’un cadre d’emploi. Ces corps et statuts d’emploi sont regroupés dans trois catégories désignées par les lettres A (équivalent des cadres dans le secteur privé), B (professions intermédiaires) et C (ouvriers et employés).

Dans un premier temps, les rapporteurs observent et saluent l’effort de réduction du nombre de corps de fonctionnaires opéré ces dernières années. Il existait 700 corps en 2005 contre 270 en 2023, soit une réduction significative de près de 61 %.

La prise de conscience de la nécessité de rationaliser le nombre de corps de fonctionnaires est présente depuis plus d’une dizaine d’années.

Dans les annexes au PLF pour 2008, il était déjà indiqué que « la réduction du nombre de corps de fonctionnaires par fusion de corps ou intégration de corps dans d’autres doit concourir à une meilleure gestion des ressources. Elle vise à favoriser la mobilité du personnel, développer la déconcentration, encourager une allocation rationnelle des ressources humaines, et, si possible, réaliser des économies de gestion » ([13]). Selon les rapporteurs, la suppression ou la fusion de corps de fonctionnaires favorise en effet une allocation rationnelle des ressources humaines tout en dégageant des économies budgétaires potentielles.

Un processus de simplification de l’architecture statutaire a été initié dans le cadre de la mise en œuvre du protocole relatif aux parcours professionnels, aux carrières et aux rémunérations (PPCR) qui découle d’un accord du 30 septembre 2015 relatif à l’avenir de la fonction publique.

La réforme de la haute fonction publique engagée au début de 2021 a entraîné la suppression ou la fusion d’un certain nombre de corps. Le 1er janvier 2022, la création du corps à vocation interministérielle des administrateurs de l’État a permis d’intégrer des administrateurs civils et des conseils économiques. Treize autres corps seraient placés en voie d’extinction dans le cadre de cette réforme ([14]).

Un indicateur est prévu dans la mission Transformation et fonction publiques visant à rendre compte de la performance de la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) dans la fusion et la suppression du nombre de corps de fonctionnaires.

La cible de l’indicateur reste fixée à 275 jusqu’en 2025. Il est en effet précisé qu’au-delà de la réforme de la haute fonction publique de 2021, « seules les réorganisations de services, les restructurations d’établissements publics et d’éventuelles suppressions de corps ministériels aux effectifs réduits fournissent aujourd’hui […] des occasions de procéder à des simplifications et rationalisations statutaires » ([15]).

Les rapporteurs estiment donc que le processus de rationalisation des corps des fonctionnaires va de pair avec une rationalisation de l’ensemble des démembrements de l’État (cf. infra).

ii.   Un recrutement peu efficient

Le recrutement sur concours demeure la voie normale d’accès au statut d’agent titulaire. Certains employeurs publics s’interrogent toutefois sur la pertinence du concours pour le recrutement de leurs agents, notamment face à la perte d’attractivité des métiers et au niveau de sélectivité qui s’érode.

Selon une étude réalisée dans le secteur public local ([16]), seuls 52,9 % des employeurs locaux estiment que le concours permet un recrutement satisfaisant, notamment en raison du manque de réactivité du concours par rapport aux évaluations des besoins des collectivités ou encore du manque d’expérience des candidats. S’agissant des recrutements dans les secteurs connaissant des tensions (secteur sanitaire et social, de l’informatique ou encore de la petite enfance), les employeurs publics considèrent que le concours est un « frein supplémentaire ».

Parfois, le système du concours ne permet pas d’assurer des modalités de recrutement optimisées. À titre d’exemple, de nombreux rapports des chambres régionales des comptes (CRC) sur les centres de gestion de la fonction publique territoriale font état d’un absentéisme aux épreuves très élevé chez les candidats.

Ainsi, dans un rapport de la CRC de Provence-Alpes-Côte d’Azur, il est indiqué que « le niveau [d’absentéisme] constaté se situe entre 20 % et 50 %, voire 55 %, pour la quasi-totalité des concours » ([17]), ce phénomène entraînant une « déperdition pour le centre de gestion qui a déployé les moyens nécessaires à l’accueil des candidats finalement absents ». L’organisation des concours est en effet très coûteuse pour les centres de gestion, notamment du fait des contraintes logistiques. Par exemple, le concours de rédacteur territorial dans le département des Hautes-Alpes a coûté 100 000 euros en 2018 alors que seuls 41 % des candidats inscrits à ce concours s’y sont présentés. Le phénomène des « reçus-collés », c’est-à-dire le fait que des lauréats n’aient pas été nommés fonctionnaires stagiaires avant l’expiration de la validité de la liste d’aptitude, peut être particulièrement marqué pour certains concours de la FPT et témoigne des difficultés qu’éprouvent certaines administrations à mettre en place une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEEC).

L’augmentation tendancielle du nombre de contractuels traduit notamment des difficultés d’adaptation du service public, leur embauche étant parfois liée au fait que les besoins ne sont pas satisfaits par des agents titulaires.

La Cour des comptes observe que les recrutements d’agents contractuels sont souvent « causés par la rigidité des procédures d’affectation et de mobilité des fonctionnaires, qui laissent de nombreux postes d’agents titulaires vacants comme, par exemple, dans l’éducation nationale » ([18]).

Le recrutement de contractuels permet également de répondre à des rémunérations devenues inadaptées à la réalité du marché de l’emploi dans certains secteurs. Enfin, les rapporteurs déplorent le fait que la rigidité inhérente au statut de la fonction publique s’est progressivement étendue au recrutement des agents contractuels, qui a pourtant vocation à présenter une certaine flexibilité ([19]).

Les rapporteurs constatent que le statut public ne suffit plus, par défaut, à assurer l’attractivité des postes et la reconnaissance de ceux qui les occupent, de sorte qu’ils recommandent un recours plus aisé et plus fréquent aux contrats à durée déterminée (CDD) ou indéterminée (CDI). Ce mode de recrutement pourrait convenir aux enseignants à qui seraient proposés un emploi de trois ans, soit une meilleure visibilité qu’une offre valable un an puis renouvelable.

iii.   Une gestion de carrière qui manque de souplesse au détriment du service rendu

La mobilité des fonctionnaires pose également d’importantes difficultés dans la pratique. La Cour des comptes observe, par exemple, que « l’affectation des fonctionnaires sur les emplois disponibles, à l’occasion d’un premier recrutement ou des mobilités ultérieures, ne se fait pas sans difficultés » ([20]). Ce constat s’expliquerait en raison de la place prépondérante accordée à l’ancienneté et au classement dans les procédures d’affectation et de mobilité.

La Cour des comptes remarque également que « les possibilités de dérogation à ces principes […] restent limitées » ([21]). De nombreux postes sont donc non pourvus pendant de longues périodes, y compris à l’issue de concours, faute de candidats. Dans certaines régions très demandées, cette situation provoque un « turnover très important [créant] une instabilité chronique qui affecte la qualité du service rendu aux usagers » ([22]). À ce titre, la gestion des ressources humaines est particulièrement rigide et inadaptée dans les services déconcentrés de l’État. Ce constat traduit notamment des résistances importantes à la déconcentration de cette gestion des ressources humaines.

En tout état de cause, la logique ministérielle reste prégnante dans la gestion des carrières des agents. Les ministères souhaitent en effet disposer de la totalité des moyens qui leur sont ouverts, ce qui peut par exemple expliquer que dans le champ de l’administration territoriale de l’État, coexistent « des missions en tension et des sureffectifs » ([23]).

Les rapporteurs considèrent aussi comme primordiale la capacité pour les administrations de recruter et de fidéliser des personnes de talent.

S’agissant des cadres, les exigences de viduité imposées par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), autorité administrative indépendante créée par la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, pour les agents publics qui souhaiteraient, temporairement, exercer dans une entreprise privée avant de rejoindre leur corps d’origine, ou bien pour les cadres du secteur privé qui rejoindraient l’administration pour la première fois, sont telles qu’elles conduisent dans certain cas à une véritable restriction de leur activité.

Or la transparence ne saurait priver le service public de ses personnels les plus compétents et innovants ; nul ne doit être effrayé par les obligations déclaratives et les lourdeurs de la réinsertion professionnelle.

Recommandation n° 2. – Mettre en place un « bouclier déontologique » ; sous la forme d’un rescrit, ce dispositif permettrait d’autoriser dans le même mouvement, contre un engagement de l’intéressé sur l’honneur et une vérification sérieuse par la HATVP, un départ vers le privé puis le retour dans le cas des titulaires et simplifierait grandement la possibilité pour le contractuel de faire profiter l’État de son expérience, plutôt que de lui interdire des initiatives risquant de caractériser un conflit d’intérêt.

b.   Des organisations mal articulées

L’administration française se caractérise par une articulation défaillante entre les compétences de l’État et celles des collectivités territoriales.

Ces « doublons administratifs » – qui peuvent également exister entre les services de l’État eux-mêmes – engendrent une forme de complexité tant pour les usagers que pour les agents et nuit à la pleine efficacité de l’action publique.

L’administration française est également marquée par un foisonnement d’organismes aux statuts juridiques très variés qui font naître un sentiment de confusion dans la répartition des compétences et représentent une fraction non négligeable de la dépense publique. Selon les rapporteurs, ces deux dimensions de l’administration française – l’existence de doublons et le foisonnement d’organismes aux statuts divers –, révèlent les marges de manœuvre qu’il existe encore pour rationaliser ce fonctionnement et réaliser d’importantes économies.

Non seulement les compétences de l’État et d’autres personnes publiques se chevauchent-elles (i), mais les recoupements concernent aussi l’organisation de l’État lui-même (ii), ce qui génèrent des charges qui devraient être évitées.

i.   Les doublons administratifs : entre confusion et dépenses inutiles

Les mouvements de déconcentration et de décentralisation, parfois opérés sans véritable clarification des compétences, ont entraîné l’existence de doublons entre l’État et les collectivités territoriales. L’existence de ces « redondances » administratives n’est ni efficace sur le plan de la dépense publique ni sur le plan de la qualité du service rendu. Ce manque de cohérence est d’ailleurs très bien identifié par les citoyens eux-mêmes.

La circulaire du Premier ministre du 24 juillet 2018 sur l’organisation territoriale des services publics fait ainsi référence à un sondage réalisé en février 2017 par l’institut Ipsos, selon lequel 85 % des Français considèrent qu’il existe trop de doublons entre les services de l’État et ceux des collectivités territoriales. Pour les élus locaux, cette multiplicité d’acteurs intervenant sur le même champ de compétences fait naître des difficultés à identifier le bon interlocuteur. Dans son dernier rapport public annuel, la Cour des comptes observe que « la confusion qui entoure le partage des compétences entre l’État et les collectivités territoriales d’une part, et entre les collectivités d’autre part, alimente la perception d’une dilution des responsabilités et d’un éloignement voire d’un abandon du service public » ([24]).

À la suite du grand débat national organisé consécutivement au mouvement social dit des « gilets jaunes », le Premier ministre avait pourtant annoncé, dans une circulaire du 12 juin 2019, sa volonté de « désenchevêtrer les compétences de l'État, avec les collectivités territoriales, les opérateurs et les acteurs hors de la sphère publique » ([25]). Ce souhait partait du constat que les réformes de l’organisation territoriale de l’État ont modifié les structures sans toujours poser la question de la nature des missions respectives de l’État, de ses opérateurs et des collectivités territoriales, ce qui peut être « source de complexité et de manque de clarté pour les citoyens » ([26]).

Les rapporteurs considèrent que ces risques de doublons administratifs sont particulièrement prégnants dans certains domaines de l’action publique qui impliquent à la fois l’État et les collectivités territoriales.

● En matière d’intervention économique, la Cour des comptes, dans un chapitre de son rapport public annuel pour 2022 consacré aux interventions économiques des collectivités d’Occitanie, fait état de dispositifs qui ont pu se heurter à une « coordination laborieuse » ([27]).

En ce sens, le chiffre relevé par le rapport de 12 départements sur 13 s’étant placés en dehors de leur champ de compétence est éloquent.

Les régions sont en effet désignées cheffes de file des actions en matière de développement économique. Néanmoins, dans le même temps, des compétences économiques ont été transférées aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), notamment s’agissant de la promotion du tourisme ou encore de la maîtrise d’ouvrage des zones d’activité économique.

En théorie, les départements ne peuvent donc plus mettre en œuvre de politique dans le domaine économique.

Toutefois, en application des dispositions maintenues de l’article L. 1511-3 du code général des collectivités territoriales, l’octroi de tout ou partie des aides à l’immobilier d’entreprise peut être délégué aux départements par les communes et les EPCI, par simple convention. Cette situation peut engendrer une grande complexité source d’inefficacité.

De la même façon, dans son rapport d’octobre 2022 relatif aux dispositifs de soutien à l’exportation, la Cour souligne la nécessité d’aller « au bout de la logique du guichet unique » ([28]), afin d’améliorer la lisibilité de l’action publique et l’efficience de la dépense publique.

En effet, certaines régions ont maintenu un éventail de prestations, géré et piloté par leurs agences régionales de développement (ARD), qui entre directement en concurrence avec l’offre d’accompagnement proposée par la Team France export, fruit de la coopération entre Business France et la tête de réseau des chambres de commerce et d’industrie (CCI).

● Dans les secteurs de l’énergie et le climat, les rapporteurs observent que la répartition des compétences souffre d’un manque de clarté qui nuit à l’efficacité des politiques déployées dans ces deux secteurs. La Cour des comptes s’interroge sur l’efficience et la plus-value réelles des interventions résiduelles des administrations déconcentrées de l’État dans ces domaines ([29]).

À titre d’exemple, les services déconcentrés continuent d’affecter des agents et des services en matière d’élaboration du schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET), alors que cette compétence revient à la région.

● Des risques de doublons existent également entre les services déconcentrés et les agences.

Le rapport d’information relatif aux services préfectoraux et déconcentrés de l’État de Mme Agnès Canayer et M. Éric Kerrouche, sénateurs ([30]), fait notamment état du cas de l’établissement public du Marais poitevin (EPMP) créé par le décret n° 2011-912 du 29 juillet 2011.

En principe, il coordonne la gestion de l’eau et de la biodiversité sur le marais et sur les bassins versants qui l’alimentent.

Cet établissement public coexiste toutefois avec le Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres, les directions départementales des territoires et de la mer (DDTM) des Deux-Sèvres, de Charente-Maritime et de Vendée, la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) et l’agence de l’eau du bassin de Loire-Bretagne.

Le présent rapport n’a pas vocation à établir un recensement exhaustif des doublons administratifs.

Néanmoins, ces quelques exemples illustrent l’enchevêtrement de compétences réparties entre une multiplicité d’acteurs qui, parfois, n’identifient pas eux-mêmes leur champ d’action.

Ce phénomène s’est aggravé avec l’empilement des lois qui ont ajouté de la complexité dans le partage des compétences.

S’il est par construction impossible d’établir le coût de l’existence de ces doublons, leur recensement avec l’aide des agents de terrain et des élus locaux, ainsi que leur suppression permettraient sans doute de réaliser des économies budgétaires substantielles.

ii.   Les nombreux démembrements de l’État : une perturbation de l’action publique rarement justifiée

Si les doublons administratifs sont des facteurs d’inefficience de l’action publique, les nombreux démembrements de l’État ne participent pas non plus à la clarté des politiques publiques conduites.

Dès 2012, le Conseil d’État appelait à mieux encadrer le processus de création de « démembrements » de l’État qui ne pouvaient continuer à être « des créations erratiques et à obéir à d’éclectiques règles de fonctionnement » ([31]).

Le Conseil d’État recommandait déjà de clarifier les relations entre l’État central et territorial et les agences.

Une circulaire du Premier ministre du 9 avril 2013 observait que « les ministères ont abondamment recouru, durant ces quinze dernières années, aux diverses formules d’individualisation des services de l’État que l’on recouvre du terme générique d’« agences » » ([32]).

S’il est constaté une tendance à la réduction du nombre de ces démembrements de l’État, force est de constater que la situation n’a guère évolué.

● Les rapporteurs souhaitent ici essentiellement porter leur attention sur le cas des opérateurs de l’État qui constituent l’une des formes de démembrements de l’État les plus répandues.

Sur les modèles britanniques, suédois et canadien, l’État a significativement augmenté depuis les années 1990 la création d’agences dotées d’une personnalité morale distincte pour décharger l’administration de tâches dont il considérait qu’elles nécessitaient une certaine indépendance statutaire, par exemple dans les secteurs de la régulation commerciale ou de la veille sanitaire, ou une meilleure souplesse en termes de ressources humaines et de moyens généraux.

Cette démultiplication de l’action de l’État présente toutefois un coût important.

Le périmètre de ces agences diffère selon que l’on prenne une approche juridique – autorités publiques (API) et administratives (AAI) indépendantes, établissements publics administratifs (EPA) ou industriels et commerciaux (EPIC) sous la tutelle d’un ministère –, comptable – organismes divers d’administration centrale (ODAC) – ou gestionnaire – structures signataires d’une convention d’objectifs et de performance (COP) ou d’objectifs et de moyens (COM) –, mais une lecture budgétaire invite à retenir la notion d’opérateurs ([33]).

Cette notion n’apparaissait pas dans la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) jusqu’à sa révision par la loi organique n° 2021-1836 du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, mais elle prévoyait dès l’origine la catégorie des « subvention pour charge de service public », bénéficiant à des organismes spécifiques, qui agissent pour le compte de l’État, dans son prolongement.

En 2023, l’on recense ainsi 438 opérateurs de l’État, disposant de 406 932 ETPT sous plafond et de 76,6 milliards d’euros de financements publics sur 56 programmes (+ 17,5 % par rapport à 2022), dont 33,7 milliards d’euros de subventions pour charges de service public (+ 11 %).

Sur cette dernière somme, 12,3 milliards d’euros sont attribués à soixante-dix universités et établissements assimilés, puis 7,7 milliards d’euros à seulement quatre structures, à savoir le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), France compétences – qui chapeaute les opérateurs de compétences (OPCO – et Pôle emploi, et enfin 13,7 milliards d’euros aux opérateurs restants, qui forment pourtant 83 % de l’ensemble.

Sur la foi d’une tendance à partir des données de 2018 à 2023 puis d’une extrapolation, les rapporteurs projettent ces subventions à 40,4 milliards d’euros à l’horizon de 2030.

Si le rôle des opérateurs peut se justifier et relève bien souvent d’une volonté politique partagée à leur création, 50 % des opérateurs comptent moins de 250 emplois, comme le Musée national du sport (MNS), avec 23 ETPT, le Centre interprofessionnel technique d’étude de la pollution atmosphérique (CITEPA), avec 16 ETPT, ou encore l’Académie des technologies, avec 9 ETPT.

Financement public des opÉrateurs de l’État en 2023

Source : annexe « jaune » sur les opérateurs de l’État, jointe au projet de loi de finances pour 2023.

Si leur nombre a considérablement baissé au cours des quinze dernières années, les rapporteurs estiment que des économies demeurent possibles.

Évolution du nombre d’opÉrateurs de 2008 À 2023

Source : annexe « jaune » sur les opérateurs de l’État, jointe au projet de loi de finances pour 2023.

Depuis 2008, le nombre d’opérateurs a néanmoins diminué de 33 %.

L’objectif de rationalisation du paysage des opérateurs a été rappelé dans une circulaire du Premier ministre, datée du 5 juin 2019 : « à partir de maintenant, les administrations centrales ne pourront constituer de nouvelles entités administratives qui leur soient rattachées autrement qu’en supprimant, transformant ou fusionnant des structures déjà existantes, qu’il s’agisse d’opérateurs, d’agences ou de toutes autres formes juridiques d’organismes ; le cas échéant, la création de ces nouvelles entités pourra prévoir une clause de limitation dans le temps ; ces suppressions, transformations ou fusions doivent intervenir dans le même champ ministériel ou dans le cadre d’une même politique publique que les créations d’entités nouvelles ; elles doivent conduire à un allègement global des structures administratives concernées ».

La Cour des comptes, dans son rapport sur les relations entre l’État et ses opérateurs, observe que la coexistence de différents statuts juridiques peut créer des « points de fuite de la régulation des opérateurs » ([34]).

Plus largement, les rapporteurs observent que le démembrement qui résulte de la création de ces nombreux opérateurs rend le pilotage de l’action publique très complexe. Par ailleurs, les opérateurs sont un « élément important de la soutenabilité budgétaire » ([35]) qui, bien que désormais soumis à des contrôles renforcés, constituent également des points de fuite de la dépense publique.


—  1  —

B.   Un service public qui ne satisfait parfois plus

L’organisation de l’administration a des effets négatifs tant sur ceux qui font appel à elle (1) qu’à ceux qui la servent au quotidien (2).

1.   Des usagers victimes de la complexité

Si la lourdeur dans les relations entre l’administration et les administrés tient à de nombreux paramètres comme l’identification du service compétent, la multiplicité des directions ou bureaux à l’intérieur d’une même structure, la langue administrative – un chantier de simplification mobilisant des experts des sciences comportementales a été engagé à l’issue du troisième comité interministériel de la transformation publique (CITP), organisé en juin 2019 –, le maillage des guichets sur le territoire et leurs horaires d’ouverture, l’absence d’homogénéisation entre les sites internet, les délais de traitement des demandes de renseignement ou des réclamations, les rapporteurs souhaitent consacrer une brève monographie à la question des formulaires.

À l’exception de ceux afférents à des dispositifs non pérennes ou donnant lieu à des démarches exclusivement réalisées en ligne, les bordereaux que les services publics demandent aux usagers de remplir sont des CERFA, acronyme désignant le centre d’enregistrement et de révision des formulaires administratifs.

La direction de l’information légale et administrative (DILA) et la DITP estiment le stock de CERFA à 1 800. Leur nombre et leur refonte permanente illustrent la complexité à laquelle les citoyens et les entreprises font face.

Nombre de CERFA modifiés de 2020 à 2022

 

2020

2021

2022

Créations

60

81

78

Modifications

463

810

589

dont nouvelles versions

347

563

461

dont corrections

56

166

50

Suppressions

17

12

6

Source : réponse de la secrétaire générale du Gouvernement au questionnaire des rapporteurs.

Au cours du cinquième CITP, tenu en février 2021, la DITP a été chargée d’accompagner les ministères dans la simplification de 100 formulaires d’ici à la fin de l’année 2022. La démarche a finalement concerné 112 notices, dont par exemple quatre pour les ministères de l’éducation nationale et de la jeunesse et de l’enseignement supérieur et de la recherche, sur le site duquel l’on trouve encore quatre documents différents pour déclarer une course à pied ou cycliste sur la voie publique selon qu’elle soit chronométrée ou non. Les rapporteurs appellent le Gouvernement à poursuivre cet effort, en veillant à ce que les modifications des CERFA soient de véritables simplifications, avec une harmonisation des formats et un allègement du nombre de cases, et que les suppressions soient plus nombreuses que les créations. Il faut aller plus loin dans leur dématérialisation, aujourd’hui souvent arrêtée au stade du document téléchargeable.

2.   Des agents en perte de sens

Outre les difficultés de recrutement et de fidélisation, évoquées supra, deux paramètres renforcent ou illustrent le caractère de moins en moins motivant de l’exercice de fonctions dans le secteur public.

La production excessive d’indicateurs (a) et une tendance croissante à ce que les agents soient absents (b).

a.   Les effets pervers de la mesure de la productivité

Au fil des années, suivant l’idée louable de vouloir connaître au mieux la performance des administrations publiques et de leurs agents afin d’en rendre compte aux supérieurs comme aux citoyens et d’identifier les dysfonctionnements pouvant permettre un travail plus efficace et plus économe des deniers publics, se sont multipliées les tâches de reporting, c’est-à-dire de conception, puis de renseignement, de compilation et enfin d’analyse d’indicateurs.

● Le cas des agences régionales de santé (ARS) – établissements publics administratifs (EPA) de l’État, dont l’article L. 1431-1 du code de la santé publique dispose qu’elles ont « pour mission de définir et de mettre en œuvre [des] programmes et actions concourant à la réalisation […] des principes fondamentaux affirmés au I de l’article L. 111-2-1 du code de la sécurité sociale [et de] contribue[r] au respect de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie »  est éclairant.

Il a été porté à la connaissance des membres de la mission qu’en 2022, pas moins de 8 400 données chiffrées pour chacune des ARS ont été recueillies par le ministère de la santé et de la prévention et que les instructions émises à destination des ARS totalisent 4 300 pages.

● Dans l’hebdomadaire L’Express daté du 17 mai 2023, l’on pouvait lire le témoignage de syndicalistes infirmier et policier, marqués par la même lassitude et le même sentiment d’être dépossédés du sens de leur action et des raisons pour lesquelles ils se sont engagés au service de leurs concitoyens :

– « depuis la mise en place de la tarification à l’acte au début des années 2000 et a fortiori depuis le covid-19, les exigences de traçabilité sont de plus en plus fortes ; si beaucoup sont nécessaires, il existe parfois un excès bureaucratique, au détriment du temps passé avec le patient ; […] il faut cocher des cases en permanence, tracer le moindre pansement, la moindre perfusion ; nous n’avons plus la moindre autonomie […] » ;

– « un policier inscrira par exemple qu’il a dû se rendre dans un centre commercial pour faire une ronde ; ensuite, il devra remplir un autre onglet pour résumer son intervention ; si un incident est intervenu pendant la patrouille, il devra spécifier dans un troisième onglet le problème rencontré ou une information utile à la hiérarchie ; en parallèle, son donneur d’ordre devra remplir une fiche précisant le nombre de personnes contrôlées lors de l’intervention, d’infractions constatées, d’amendes données, etc. ».

Le magazine interrogeait également M. Jérôme Fourquet, politologue, qui, à une question sur le « poids du problème bureaucratique », répondait que « quand, à l’Institut français d’opinion publique (IFOP), nous donnons des coups de sonde dans les différents groupes sociaux, nous voyons revenir très souvent cette question des normes, des procédures, de la paperasse, du contrôle et autres “process” qui, petit à petit, grignotent les motivations, découragent les bonnes volontés et dévitalisent le sens même du travail dans de nombreuses corporations [qui] relèvent de la vocation, voire de la passion ; […] au folklore français s’est ajoutée la novlangue importée des États-Unis via les cabinets de conseil ; […] ceux qui pensaient que le recours au consulting allait simplifier les choses en ont été pour leurs frais ; […] sans aucune vertu d’efficacité, on a même encore un peu compliqué le problème [avec les] tableurs Excel ».

● À la question « fournissez le nombre et la typologie des états qu’il revient aux agents de remplir aux fins d’alimenter des indicateurs, bases de données, tables statistiques, travaux d’audit ou de certification, etc. en usage (stock) et le nombre respectif de ceux publiés et supprimés en 2021 et 2022 (flux) », les ministères interrogés par les rapporteurs ont souvent répondu qu’il « n’existe pas à ce jour de recensement exhaustif ou de typologie de ces états ».

Si la tâche correspondant au remplissage et à l’exploitation des indicateurs est indubitablement moins éloignée de la fonction des cadres à l’échelon central que de celles des agents au plus près du terrain, les précisions fournies par les ministères de l’économie et des finances, celui de la culture et celui de l’éducation nationale ont retenu l’attention des rapporteurs.

Le premier s’illustre par le recours à de très nombreux outils de relevé de la performance, en plus de ceux concernant le budget (progiciel CHORUS) ou les ressources humaines ([36]) et de deux nécessaires au métier même des agents :

– la direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) utilise ainsi les applications AGAT pour la gestion du temps de travail dans les services déconcentrés et SORA/SESAM pour la planification et l’analyse de ses activités d’enquête et de contrôle ;

– la direction générale des entreprises (DGE) indique d’abord avoir réussi à « supprimer l’essentiel des procédures administratives confiées jusqu’alors aux directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS) », de sorte que les services économiques de l’État en région (SEER) « ne participent pas à l’alimentation d’indicateurs ou de renseignement de données statistiques », même s’il leur revient tout de même d’assurer une veille qualitative sur les entreprises, leurs filières et leurs projets, avant d’avancer que ces directions utilisent l’application KANBAN pour alimenter des fiches individuelles, partagées avec d’autres administrations, sur les entreprises en restructuration et diverses bases de données trimestrielles ou annuelles en matière de métrologie, c’est-à-dire de protection des clients de loyauté des échanges, synthétisées dans un outil informatique de surveillance des organismes (OISO), bientôt complété par un autre système en cours de développement ;

– l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) utilise les applications PILOT pour suivre en continu ses ressources, ATHÈNES pour recenser ses travaux d’études et renseigner une partie des indicateurs de performance, le surplus étant rempli grâce à des tableurs, mais aussi des questionnaires aux fins de coordonner les 16 services statistiques ministériels ;

– la direction générale des finances publiques (DGFiP) souligne qu’elle « recherche l’automatisation de ses process » et cite l’info-centre OPERA ;

– la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) essaie de ne pas « provoquer d’enquêtes statistiques » en s’appuyant le plus possible sur les applications fonctionnelles.

Les rapporteurs sont conscients du paradoxe qui tient à ce qu’une partie importante de ce reporting mobilise l’administration pour satisfaire aux exigences des lois organiques relatives aux lois de finances (LOLF) et de financement de la sécurité sociale (LOLFSS), singulièrement à la fin de l’été et à l’automne ([37]), et pour répondre aux questions écrites des députés et sénateurs, aux missions d’information et commissions d’enquête parlementaires, aux enquêtes, audits et contrôles de la Cour des comptes, des chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC) ou du Conseil d’État, aux sollicitations du Conseil économique, social et environnemental (CESE) ou des institutions internationales – direction générale des statistiques de la Commission européenne (EUROSTAT), Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), etc. – , et aux demandes formulées par les corps d’inspection ou par l’autorité judiciaire.

Ainsi, le ministère de la culture, a recensé « quelques exemples, non exhaustifs, mais illustrant le temps passé par les agents pour répondre aux demandes » des structures précitées :

– pour les documents annexés aux projets de loi de finances de tous types (PLF, PLFR et PLR), l’équivalent de 357 jours-agent (1,9 ETPT) ;

– pour les travaux de la Cour des comptes, 73 jours-agent (0,3 ETPT) ;

– pour le contrôle interne conduit par la direction du budget (DB) et la DGFiP, 79 jours-agent (0,4 ETPT) ;

– pour les enquêtes de l’Agence française anticorruption (AFA), parfois communes avec celles de l’OCDE, 18 jours-agent (0,1 ETPT) ;

– pour les audits de la Commission européenne dans le cadre de la facilité pour la reprise et la résilience (FRR), 100 jours-agent (0,45 ETPT).

Enfin, le ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse a répondu avoir « commandé une étude sur la rationalisation des enquêtes à [sa] cellule des consultants internes », dans le but de « réduire la charge pesant sur les académies et les établissements » et de « diminuer les irritants ».

En mars 2021, a été mis en place un réseau de référents, qui peut s’appuyer sur un guide intitulé « comment choisir un outil d’enquête adapté à vos besoins ? ».

b.   L’absentéisme

Selon le dernier rapport annuel sur l’état de la fonction publique :

– « en 2021, les agents de la fonction publique à temps complet, hors enseignants, déclarent une durée annuelle effective de travail de 1 612 heures ; […] ce sont les agents de la fonction publique de l’État (FPE) qui effectuent le plus d’heures de travail (1 661 heures, soit le même niveau que dans le privé) » ;

 « […] les agents de la fonction publique hospitalière (FPH) sont plus exposés à des horaires atypiques ; ils ont plus fréquemment travaillé au moins une fois le samedi (six agents sur dix) et le dimanche (six agents sur dix) au cours des quatre dernières semaines ; un agent de la FPH sur quatre a travaillé la nuit au cours des quatre dernières semaines ; les policiers, militaires et sapeurs-pompiers exercent eux aussi fréquemment leur profession le week-end » ;

– « la part des agents absents au moins un jour durant la semaine de référence est plus faible dans la FPE hors enseignants (4 %) que dans les autres versants de la fonction publique (7 % dans la FPT et dans la FPH) ; dans l’ensemble de la fonction publique, 6 % des femmes ont été absentes pour raison de santé au cours de l’année, contre 4 % des hommes ; les agents de la fonction publique âgés de moins de 30 ans sont moins absents (4 %) que ceux âgés de 50 ans et plus (7 %) » ;

 « enfin, la durée totale des absences pour raison de santé dans la fonction publique est plus faible dans la FPE hors enseignants, avec 10,2 jours en moyenne par agent, soit 4,7 jours de moins que dans la FPT et 5,3 jours de moins que dans la FPH ».

Part des salariÉs absents au moins un jour au cours d’une semaine donnÉe dans les versants de la fonction publique et dans le secteur privÉ

(en pourcentage)

Source : rapport annuel sur l’état de la fonction publique (8 novembre 2022).

Ces données montrent une tendance, mais ne sont qu’une moyenne : lors de son audition, la présidente du Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la FPH (CNG) a indiqué que l’absentéisme des infirmiers et aides-soignants pouvait aller de 10 à 15 %.

Un tel taux ne peut qu’illustrer, de l’avis des rapporteurs, l’épuisement administratif (« burn-out ») d’agents écrasés par les tâches indues, à l’instar des rapports d’activité, et qui ont le sentiment de perdre du sens et du temps utile pour l’exercice de leur mission première (soigner, protéger, juger, etc.).

*

*     *

Recommandation n° 3. – Oser un véritable changement des mentalités et des pratiques pour passer, enfin, d’une culture du contrôle à une culture de la confiance ; commencer par mettre en place dans le plus de services possibles une démarche « zéro reporting », qui redonnera aux agents le temps nécessaire à œuvrer pour les missions qui sont l’objet central de leur poste, améliorera la qualité du travail et participera à la réduction de l’absentéisme.


II.   Seul un volontarisme politique fort et une culture de la confiance peuvent conjuguer rÉforme de l’État et baisse des dÉpenses publiques

Si plusieurs démarches de rationalisation ont été engagées au cours des quinze dernières années (A), l’ouvrage doit être remis sur le métier et les rapporteurs font des propositions concrètes en ce sens (B).

A.   Des projets rÉcents aux rÉsultats ambivalents

Les précédentes démarches de rationalisation de l’administration ont permis des avancées notables à la fois sous l’angle des résultats et de la méthode, mais comportaient également d’importantes limites.

En l’absence de volonté politique forte, certains programmes de transformation de l’action publique n’ont pas atteint les résultats escomptés, en particulier en matière d’économies budgétaires. Les rapporteurs considèrent qu’une analyse chronologique des démarches les plus récentes constitue un prérequis à l’élaboration d’un nouveau plan d’action véritablement efficace pour rationaliser l’administration.

Seront analysés successivement, la révision générale des politiques publiques (1), la modernisation de l’action publique (2), puis, dernière démarche de transformation publique en date, le programme Action publique 2022 (3).

1.   La révision générale des politiques publiques a permis de dégager des économies budgétaires certaines

Les effets de la révision générale des politiques publiques (RGPP) se sont révélés significatifs et durables. Cette démarche de grande ampleur a initié un mouvement de rationalisation tant de l’architecture que du fonctionnement des administrations. Si les résultats de la RGPP sont tangibles, la méthode et la gouvernance retenues se sont montrées parfois défaillantes et insuffisamment concertées avec les agents de l’État.

Néanmoins, les rapporteurs observent que la RGPP est l’un des seuls programmes de transformation de l’action publique ayant permis de réaliser des économies substantielles.

La RGPP se caractérise par un pilotage très centralisé (a), gage d’efficacité en matière de rationalisation de l’administration (b) mais également d’économies budgétaires (c).

a.   La méthodologie retenue : une impulsion politique forte, un pilotage centralisé

La RGPP a été co-construite par les corps d’inspections et des cabinets privés (i) et son pilotage s’opérait au plus haut niveau politique (ii).

i.   Un lancement opéré par des équipes d’audit mixtes, facteur d’opacité

La RGPP succède à une longue série de démarches de rationalisation de l’administration engagées, à titre d’exemples, par la circulaire sur le renouveau du service public du 23 février 1989 ([38]), la loi n° 92-125 du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République ou encore la LOLF, laquelle a profondément réformé les modalités de pilotage des grandes politiques publiques.

Des audits de modernisation sont réalisés à partir de septembre 2005 ([39]) dont le pilotage est confié à la nouvelle direction générale de la modernisation de l’État (DGME) qui occupera un rôle central dans la mise en œuvre de la RGPP ([40]).

La méthode de réduction des dépenses publiques retenue dans le cadre de la RGPP devait s’inspirer des meilleures expériences britanniques, suédoises et canadiennes ; elle a été annoncée au cours du conseil des ministres du 20 juin 2007 et lancée le 10 juillet de la même année par le Premier ministre.

Dans son discours précisant les modalités de mise en œuvre de la RGPP, M. Éric Woerth, alors ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État, indiquait que « des équipes d’audit associant des membres des corps de contrôle de tous les ministères et des consultants seront chargées d’analyser en profondeur les politiques publiques ». Vingt-sept équipes d’audit ont donc été à la tâche pendant la phase de construction de la démarche : elles ont élaboré un certain nombre d’axes de travail et de solutions pour dégager des économies.

Si cette méthode de construction de la réforme publique a pu être intéressante et pertinente, les rapporteurs constatent qu’elle a également engendré une forme d’opacité puisque les conclusions de ses travaux n’ont jamais été rendues publiques. Par ailleurs, une mission d’inspection sur le bilan de la RGPP relevait que l’importance donnée aux consultants, dont le recours a représenté un montant de 21 millions d’euros en moyenne par an, a été « vécue comme un signe de défiance vis-à-vis de l’administration » ([41]).

Aucun véritable processus de dialogue social n’a été organisé en amont, empêchant la bonne appropriation des mesures par les administrations. Ainsi, en dépit de la potentielle efficacité de la méthodologie retenue (cf. infra), la RGPP a été mal perçue par les agents de l’État et s’est parfois heurtée à leur opposition. La forte volonté politique s’est accompagnée d’une forme de précipitation aboutissant à un calendrier de mise en œuvre trop serré. Certaines ambitions se sont alors révélées irréalistes en raison d’une sous-estimation des délais nécessaires à la bonne exécution des mesures.

À ce titre, les rapporteurs considèrent qu’aucun programme de transformation publique ne peut se départir d’un travail de concertation et de préparation suffisamment long en amont. Il s’agit d’un gage d’efficacité dans la mise en œuvre des mesures.

ii.   Un pilotage efficace mais trop centralisé

Le conseil de modernisation des politiques publiques (CMPP) constitue l’organe de décision de la mise en œuvre de chaque mesure de la RGPP. Il réunit le Président de la République, le Premier ministre, le ministre chargé du budget qui en assure la fonction de rapporteur, ainsi que tous les ministres qui sont présentés comme comptables de l’exécution des décisions.

Le portage politique est organisé au plus haut niveau avec le comité de suivi placé directement sous l’autorité du secrétaire général de la Présidence de la République et du directeur de cabinet du Premier ministre. Ce mode de gouvernance place la Présidence de la République en première ligne de la prise de décision permettant une impulsion politique très forte. La DGME occupe un rôle de préparation des comités de suivi. Cette direction assure un suivi actif avec un regard interministériel combiné à la mise en place d’outils de recueil de l’opinion des usagers afin d’ajuster le pilotage de la démarche.

La circulaire du Premier ministre n° 5284/SGG du 18 mars 2008 est venue préciser le fonctionnement de cette démarche à l’attention des ministres.

Étant responsables de la mise en œuvre de la RGPP à titre personnel, les ministres sont chargés de renseigner un « tableau de bord interministériel de la RGPP » afin de contribuer à la synthèse de suivi des réformes réalisée.

Le secrétaire général de chaque ministère assure le pilotage de la mise en œuvre des réformes et contrôle la cohérence des différents chantiers de modernisation. Concrètement, les mesures font l’objet d’une notation par un système dit de « feu tricolore » permettant d’évaluer le degré de mise en œuvre.

Ce pilotage très centralisé avait le mérite de son efficacité. Toutefois, la mission d’inspection susmentionnée concluait que ce dispositif avait conduit à « une médiocre transparence dans le choix de mesures retenues ou abandonnées » ([42]).

La rapidité de la mise en œuvre  de certaines réformes n’a pas permis d’organiser une concertation préalable ce qui a donné une image négative aux démarches engagées par la RGPP.

Les rapporteurs retiennent néanmoins que la verticalité de la prise de décision s’est accompagnée d’une volonté politique forte permettant de mener à bien des transformations d’envergure.

En fin de compte, la logique de la RGPP ne s’est pas suffisamment appuyée sur les besoins et les attentes collectives des usagers ni des agents publics mais a garanti un pilotage resserré source d’efficacité.

b.   Une rationalisation de l’organisation de l’État réelle mais limitée

La RGPP a transformé profondément le paysage institutionnel de l’État (i) et s’est traduite par un véritable effort de simplification (ii). Son champ, restreint à l’État, est apparu toutefois trop limité (iii).

i.   Une refonte substantielle du paysage institutionnel de l’État

Sous l’impulsion de la RGPP, le paysage institutionnel de l’État s’est profondément modifié et allégé, tant au niveau central que déconcentré.

● Au niveau central, la RGPP procède au regroupement des fonctions de support des ministères sous l’autorité de leur secrétaire général et initie des mouvements de recomposition ou de fusion, à l’image de la création de la direction générale des finances publique (DGFiP) qui rassemble les réseaux des impôts et de la comptabilité publique. Le ministère de la défense constitue un exemple saillant de transformation puisque ses implantations territoriales sont substantiellement modifiées avec la suppression de 18 régiments, de deux bases aéronavales et de huit bases aériennes. Au total, environ 10 % des postes de directeurs sont supprimés dans les ministères notamment à l’issue d’un processus de recomposition des directions dites métiers ([43]).

Il convient de noter que les principes de gestion applicables aux services de l’État ont été étendus aux opérateurs, notamment les directives en matière de maîtrise des dépenses de personnel et d’optimisation de la gestion du parc immobilier.

● Au niveau de l’implantation de l’État dans les territoires, la RGPP a impulsé la réforme de l’administration territoriale de l’État (RéATE) initiée le 1er janvier 2010 et pilotée par le secrétariat général du Gouvernement.

Cette réforme, qui reste l’une des mesures les plus importantes de la RGPP, visait à :

– unifier et rendre plus lisible l’organisation de l’État au niveau local ;

– maintenir une présence sur l’ensemble du département ;

– préparer les services de l’État aux grands enjeux.

La RéATE opère une large reconfiguration des services placés sous l’autorité des préfets. En dehors des préfectures en elles-mêmes, les services de l’État passent de dix-huit à huit au niveau régional et, surtout, de treize à quatre au niveau départemental. Des centaines de structures sont supprimées sur l’ensemble du territoire grâce à la mutualisation de certaines compétences techniques. La circulaire du 7 juillet 2008 relative à l’organisation de l’administration départementale de l’État rappelle que « la réforme de l’État a pour but, en effet, de rendre celui-ci mieux à même de répondre à ses missions, d’être plus proche des préoccupations des citoyens, plus accessible, plus simple, pour un coût de fonctionnement moindre » ([44]). La RéATE se traduit également par l’instauration d’une prééminence de droit commun du préfet de région sur les préfets de département ([45]).

Ces réorganisations institutionnelles et administratives sont adossées à des objectifs de réduction du nombre d’ETP dans les préfectures.

La réorganisation territoriale de l’État opérée par la RGPP ne se résume pas à la seule RéATE. Sa dynamique a conduit, entre autres, à la création des agences régionales de santé (ARS) par la loi du 21 juillet 2009 ([46]) ou encore à une réforme d’ampleur de la carte judiciaire, cette dernière entraînant une réduction d’environ 30 % du nombre de juridictions entre juin 2007 et décembre 2010.

ii.   Un effort d’efficience et de simplification

L’effort de rationalisation s’est traduit par une recherche d’efficience dans l’organisation des fonctions supports des administrations. Il s’agit notamment du déploiement de Chorus – le nouveau progiciel budgétaire et comptable de l’État – , de l’optimisation de la politique d’achats de l’État ([47]) ou encore de la création de l’opérateur nationale de paye (ONP) qui a permis de centraliser une fonction éclatée entre les ministères. En matière immobilière, le service des domaines est renforcé dans ses compétences afin d’initier une démarche de performance de l’immobilier de l’État ayant notamment l’ambition de réduire le coût des locaux.

Par ailleurs, un quart des chantiers prévus dans le cadre de la RGPP correspond à des mesures de simplification ou de modernisation à destination des particuliers, des associations, des entreprises ou encore des collectivités territoriales. Cet effort de simplification est présenté comme faisant partie intégrante de la démarche de réduction des dépenses publiques. Le Gouvernement lance par exemple le programme « 100 simplifications » en octobre 2009 ou encore initie la généralisation de la « charte Marianne » à tous les services de l’État. La DGME conduit un effort de simplification avec des approches innovantes de la relation entre l’État et les usagers. À titre d’exemple, le 30 juin 2010, elle met en place un baromètre de la qualité des services publics permettant de mesurer l’efficacité des actions menées du point de vue des usagers. Ce baromètre porte essentiellement sur la qualité de l’accueil du public, les délais de traitement des demandes et la gestion des réclamations.

Par ailleurs, l’accès de l’usager à l’information et à l’administration est simplifié par la création de guichets physiques uniques ou par le développement de l’e-administration.

La démarche de simplification passe également par la suppression d’un certain nombre de commissions consultatives. Une circulaire du 8 décembre 2008 ([48]) invite les ministères à évaluer la pertinence du maintien de certaines de ces commissions. De 2007 à 2009, 225 commissions consultatives sont ainsi supprimées. Des centaines d’autres le sont jusqu’en 2012.

Enfin, un travail sur la modernisation de la gestion des ressources humaines par l’État est fourni. Une loi du 3 août 2009 ([49]) ouvre un droit à la mobilité pour les fonctionnaires, ces derniers pouvant désormais solliciter un détachement dans tous les corps et cadres d’emplois comparables à celui auquel ils appartiennent. Afin de faciliter cette mobilité, des entretiens et des bilans de carrière sont mis en place ([50]). Un chantier de révision des procédures de recrutement est également lancé afin d’adapter les concours à une meilleure évaluation des compétences professionnelles ([51]).

iii.   Une révision générale des politiques publiques trop restreinte

La mission d’inspection susmentionnée relève un certain nombre d’échecs ou plutôt de succès en demi-teinte dans la mise en œuvre de la RGPP.

Premièrement, cette démarche ne s’est pas accompagnée d’un réel allègement des missions de l’État.

Certaines des missions signalées comme supprimées par les ministères ont finalement été transférées à d’autres acteurs. La réflexion n’a donc pas permis de remettre en question le bien-fondé de certaines missions assurées par l’État. La mission d’inspection relève qu’une « bonne moitié des ministères considèrent qu’ils ont dû intégrer des missions nouvelles durant la période de la RGPP » ([52]).

In fine, la RGPP s’est cantonnée à une révision des processus et non à une véritable transformation de l’action publique.

Deuxièmement, l’approche s’est limitée à l’État, ce qui n’a pas permis de conduire une révision des politiques partagées avec les organismes de sécurité sociale et les collectivités territoriales. Or la RGPP aurait pu atteindre des objectifs plus ambitieux en associant tous les acteurs impliqués dans les politiques publiques visées.

Les rapporteurs souhaitent dès à présent rappeler que l’effort de rationalisation de l’administration ne saurait se limiter aux seules administrations centrales. Les exigences liées à l’exercice conduit dans le cadre de cette mission d’information ont rendu nécessaire une délimitation du périmètre de la sphère publique étudiée. Il reste que les rapporteurs appellent de leurs vœux une réforme impliquant l’ensemble des administrations publiques.

c.   Des économies budgétaires d’un montant significatif

La RGPP a permis de réaliser 12 milliards d’économies budgétaires (i), mais ce montant a été moins élevé qu’escompté (ii).

i.   Plus de 12 milliards d’euros d’économies budgétaires

L’évaluation des économies budgétaires dégagées par la mise en œuvre de la RGPP est un exercice délicat. La mission d’inspection relève dans son rapport que les ministères ont rencontré des difficultés de méthode pour analyser le volet budgétaire des projets conduits.

Au terme de la RGPP, la mesure consolidée de l’ensemble des réductions de dépenses publiques obtenues ne peut être qu’approximative.

L’objectif initial fixé en matière d’économies budgétaires était de l’ordre de 10 à 15 milliards d’euros à l’horizon de 2012.

La mission d’inspection estime que la RGPP a permis de dégager 11,9 milliards d’euros d’économies sur la période de 2009 à 2012, soit environ 3 % de la dépense de l’État et de ses opérateurs, dont :

– 2,7 milliards d’euros pour le fonctionnement ;

– 3,6 milliards d’euros pour la masse salariale ;

– 5,8 milliards d’euros pour les interventions de l’État.

Sur la même période, les effectifs de l’État ont diminué d’environ 150 000 ETP, essentiellement du fait de l’opportunité ouverte par le nombre de départs à la retraite sur la période. Les suppressions d’emplois réalisées dans les services de l’État ont représenté 5,4 % des effectifs sur la période de 2009 à 2012 dont 3 % directement liées aux mesures de la RGPP.

Certains ministères ont largement contribué aux réductions de personnel comme celui de l’agriculture (– 7,8 %) ou encore celui chargé du budget et des comptes publics (– 7,9 %).

La moitié des gains issus de la RGPP, hors mesures d’économies liées à la masse salariale, est concentrée sur un très petit nombre de mesures.

Il s’agit notamment de la maîtrise des dépenses fiscales pour un montant évalué à près de 1,2 milliard d’euros ainsi que la rationalisation de la politique d’achats de l’État pour un montant d’un milliard d’euros.

En comptabilisant les efforts réalisés en 2013, les économies dégagées par la RGPP ont dû, in fine, dépasser les 12 milliards d’euros.

ii.   Un décalage entre les gains envisagés et les gains effectifs

La mission d’inspection expliquait le décalage entre les économies budgétaires annoncées et celles effectivement réalisées par deux facteurs :

– hors titre 2, la révision à la baisse des objectifs d’économies s’opère au moment de la décision politique, les ministères négociant une réduction de la cible de dépenses publiques ;

– en matière de suppressions de postes, les décisions de départ à la retraite sont difficilement prévisibles, ce qui a pu conduire à une surévaluation de l’objectif.

Selon la Cour des comptes, la déperdition des économies budgétaires est estimée à 56 % entre l’économie hors titre 2 proposée et l’objectif d’économie décidé, puis à nouveau de 27 % entre la décision et la mise en œuvre ([53]).

Les rapporteurs constatent que la RGPP a, au total, permis de réaliser de réelles économies budgétaires.

Néanmoins, cette vaste réforme de l’action publique comporte de trop nombreuses limites pour qu’elle puisse, aujourd’hui en 2023 après les crises traversées, être initiée de la même façon. Le manque de concertation préalable et le prisme – presque unique – de réduction de la dépense publique ne sauraient être socialement acceptables.

2.   La modernisation de l’action publique

La modernisation de l’action publique (MAP) s’est construite en opposition à la logique chiffrée de la RGPP. Cette nouvelle démarche est présentée comme un large mouvement d’évaluation des politiques publiques, sans véritable objectif de réduction des dépenses publiques.

Le bilan de la MAP est très mitigé en termes de rationalisation de l’administration, le portage politique ayant progressivement réduit l’ambition initiale. Ce nouveau programme est néanmoins intéressant dans sa méthode.

La MAP est davantage une démarche d’évaluation des politiques publiques (a), dotée d’un pilotage moins centralisé que celui de la RGPP (b), mais dont les résultats sont apparus peu concluants (c).

a.   Une démarche d’évaluation plus que de réduction des dépenses

La MAP s’organise autour de plusieurs axes (i) dont l’objectif de réductions des dépenses n’est qu’une finalité secondaire (ii).

i.   L’impulsion initiale

La circulaire du 9 janvier 2013 relative à la modernisation de l’action publique  indique que la MAP « repose sur une méthode nouvelle, caractérisée par la volonté de responsabiliser l’ensemble des acteurs publics, État, collectivités locales, organismes de protection sociale, de placer les réponses aux attentes et aux besoins des citoyens au cœur des objectifs [du Gouvernement] et d’assurer l’adhésion des fonctionnaires et agents publics » ([54]).

La volonté initiale est donc de responsabiliser l’ensemble de la sphère publique, contrairement à la RGPP qui ciblait exclusivement les administrations d’État.

Cette nouvelle démarche de réforme s’organise autour de plusieurs axes :

– la simplification de l’action administrative et des démarches pour les particuliers, les entreprises et les collectivités territoriales, un programme pluriannuel étant annoncé avec l’objectif d’instaurer le principe d’une norme créée pour une norme supprimée et de supprimer 100 commissions consultatives ;

– l’accélération de la transition numérique afin d’améliorer l’accessibilité des services publics et d’étendre le principe de la gratuité de la réutilisation des données publique ;

– la transparence sur la qualité des services rendus avec la création d’un baromètre indépendant de mesure de la qualité des services pour les particuliers et les entreprises afin d’en faire un levier d’amélioration continue de l’action publique ;

– le lancement de plusieurs cycles d’évaluation des politiques publiques pour vérifier leur adéquation avec les besoins et attentes des citoyens, en identifiant des marges d’efficacité et d’efficience, l’ensemble des politiques publiques devant être évalué d’ici l’horizon 2017 ;

– un travail transversal sur les opérateurs afin de simplifier le paysage institutionnel, renforcer la gouvernance et la tutelle, l’objectif de ce chantier étant également de rechercher une meilleure articulation entre les opérateurs et les services de l’État.

La circulaire du 9 janvier 2013 précise également que « l’administration territoriale de l’État ne peut être absente de la dynamique de modernisation […] ; l’État territorial doit affirmer sa cohérence interministérielle ».

Des travaux ont été rapidement lancés dans cette perspective afin de consolider l’administration territoriale en tenant compte de la réduction des effectifs dans les services déconcentrés.

ii.   La réduction des dépenses publiques : un objectif secondaire

La MAP a été largement construite en opposition à la RGPP. L’objectif d’économies budgétaires est présenté comme un objectif secondaire et la mise en œuvre des réformes a été laissée à l’initiative des ministères porteurs des politiques publiques. Le principal objectif de la RGPP est l’assainissement des comptes publics contrairement à la MAP qui n’affiche aucune ambition budgétaire. La MAP a vocation à conduire une évaluation de l’ensemble des politiques publiques.

Fait révélateur, la conduite de la réforme ne relève plus du ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et du commerce extérieur, chargé du budget, MM. Jérôme Cahuzac puis Bernard Cazeneuve, comme pendant la RGPP, mais de la ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique, Mme Marylise Lebranchu.

Le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux est d’ailleurs interrompu, mettant un terme à la réduction des effectifs et aux économies budgétaires qui en découlaient.

La logique d’économies est néanmoins sous-jacente à la démarche de la MAP. La création en janvier 2014 ([55]) d’un conseil stratégique de la dépense publique illustre la volonté de faire de la MAP un outil de réduction des dépenses publiques, sans pour autant que cet objectif soit clairement affiché. Le conseil stratégique est formellement chargé de suivre le programme de réalisation des économies structurelles qui sont présentées dans le cadre du programme de stabilité de la France. Présidé par le Président de la République, il associe les ministres chargés de l’économie et des finances, du budget, des affaires sociales et de la santé, du travail, ainsi que celle chargée de la réforme de l’État.

Cet organe doit identifier les sources d’économies afin d’atteindre 50 milliards d’euros de réduction de dépenses publiques sur la période de 2015 à 2017 en lien avec le pacte budgétaire européen.

L’article 22 de la loi n° 2014-1653 du 29 décembre 2014 de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 instaure également des revues de dépenses dont l’objectif était de « documenter les mesures de réformes structurelles de redressement des comptes ».

Ces revues ne sont toutefois qu’indirectement liées à la MAP et, contrairement à cette dernière, elles présentent un objectif explicite de diminution de la dépense publique.

Il est à noter que le Parlement est associé à ces revues de dépenses par la transmission, en amont des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale, des rapports qui en découlent.

En fin de compte, le seul exemple de baisse de la charge publique initiée par la MAP aura été la réduction des dotations aux collectivités territoriales de l’ordre de 11 milliards d’euros (cf. infra).

Il se sera donc agi d’une forme de diversion à des coupes budgétaires plus brutales et non concertées, mais qui auront eu le mérite de faire réfléchir la sphère locale à leur périmètre d’action, ainsi qu’à rattraper la période de la RGPP au cours de laquelle elle a été épargnée.

b.   Un pilotage rénové

Le pilotage de la MAP diffère largement de celui de la RGPP, notamment s’agissant de l’évaluation des politiques publiques (i), ainsi que du processus de décision (ii) et de concertation avec les différents acteurs (iii).

i.   L’évaluation des politiques publiques

Dans un premier temps, le Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP) est mis en place, intégrant l’ancienne DGME, alors renommée direction interministérielle de la modernisation de l’État.

Le SGMAP est chargé de coordonner l’ensemble des évaluations ministérielles et d’apporter un soutien technique aux équipes d’évaluation.

Concrètement, à l’échelle des ministères, le ministre commandite l’évaluation dans une lettre de mission et élabore un cahier des charges à destination d’un responsable opérationnel dont le rôle est d’établir un diagnostic de la politique publique visée.

ii.   L’organe de décision

Le comité interministériel de la modernisation de l’action publique (CIMAP) est l’instance de décision et d’arbitrage de la MAP ([56]).

Il fixe les orientations de la politique gouvernementale tendant à :

– améliorer l’organisation et le fonctionnement des services et des établissements publics de l’État et veiller à l’articulation de leurs missions avec celles des autres administrations publiques ;

– améliorer le service rendu par les administrations publiques en prenant mieux en compte les attentes des usagers et partenaires de l’administration, développer la simplification des normes et des procédures et évaluer la qualité du service ;

– mieux associer les agents publics à la modernisation de l'action publique et à la qualité du service rendu.

Le CIMAP est présidé par le Premier ministre et composé des ministres de plein exercice. Selon l’ordre du jour, les ministres délégués et secrétaires d’État sont également appelés à y siéger. À la différence de l’instance de décision de la RGPP, le Président de la République est formellement absent du processus. La ministre de la réforme de l’État en est la rapporteure générale. Le suivi des mesures est assuré par le SGMAP qui accompagne les administrations dans la conduite de leurs réformes.

La mise en œuvre de la MAP se caractérise, tout comme la RGPP, par une intervention active de cabinets de consultants privés. Ainsi, 25 % du personnel de la DGME sont issus de cabinets de consultants privés.

iii.   Une véritable concertation rompant avec la verticalité de la RGPP

La MAP a tenté de corriger les points faibles identités dans le cadre de la RGPP notamment en impliquant davantage les agents et les usagers au processus de décision. La concertation avec les syndicats de fonctionnaires est régulière au niveau du ministère de la fonction publique et du SGMAP. Les discussions s’organisent également au sein du conseil commun des trois fonctions publiques et un véritable effort d’implication des agents et des usagers afin de développer des démarches novatrices dans les relations au public est déployé.

Les collectivités territoriales sont associées à la mise en œuvre de la MAP, les élus locaux pouvant participer au comité de pilotage. Les différents organismes de protection sociale sont conviés à la démarche de révision à travers leurs « hauts conseils » ou leurs « conseil d’orientation »

À la différence de la méthode retenue pour la RGPP, le Parlement contribue pleinement au suivi de la démarche. Les résultats des mesures mises en œuvre lui sont régulièrement présentés à travers une procédure prévue par la loi de finances pour 2013. Chaque ministre, ayant une réelle emprise sur l’évaluation des politiques publiques qu’il conduit, rend compte des avancées obtenues devant le Parlement en fournissant des rapports d’évaluation au moment de l’examen de chaque PLF et PLFSS.

c.   Des résultats très mitigés

Le portage politique de la MAP est apparu insuffisant (i), ce qui n’a pas permis de réaliser de véritables économies budgétaires (ii) ni de réformer l’État à l’échelon territorial (iii).

i.   Un portage politique insuffisant

En 2017, le SGMAP a commandé une évaluation externe de la démarche d’évaluation des politiques publiques engagée depuis 2013 dans le cadre de la MAP. Ce travail a été confié à deux cabinets privés, KPMG et Quadrant conseil, et visait à rendre compte des actions réalisées depuis 2013 en matière de rationalisation de l’administration.

Le rapport produit dans ce cadre ([57]) fait état de 77 évaluations engagées sur la période concernant l’ensemble des périmètres ministériels et mobilisant plus de 300 membres des corps d’inspection. Il y est constaté que « la démarche d’évaluation des politiques publiques a bénéficié d’une impulsion gouvernementale forte au début de programme, dont l’intensité a ensuite diminué dans le temps » ([58]).

Ce faible portage n’a pas permis de remettre profondément en question les politiques publiques évaluées. Le suivi des réformes s’est révélé défaillant puisque la SGMAP n’a pas toujours été en mesure d’obtenir des informations sur leur mise en œuvre, empêchant d’établir un bilan clair de la démarche.

De nombreuses évaluations ont été conduites, souvent de qualité, mais l’absence d’une volonté politique forte n’a pas permis de mettre en œuvre les recommandations qui en découlaient.

Le portage politique de la MAP a en effet diminué dès 2014, cédant le pas à d’autres priorités. Le quatrième et dernier CIMAP s’est tenu en décembre 2013, soit moins d’un an après le lancement de la réforme.

Le conseil stratégique de la dépense publique ne s’est réuni que trois fois début 2014, puis une seule fois en 2015, avant d’être mis en sommeil. Ses travaux sont d’ailleurs restés confidentiels.

En janvier 2013, des programmes ministériels de modernisation et de simplification ont été lancés pour améliorer le service aux citoyens et d’optimiser le fonctionnement des administrations. Cette amélioration du service rendu devait conduire les ministres à identifier l’incidence budgétaire des mesures envisagées.

Aucun véritable bilan n’a finalement été établi, ni sur le plan budgétaire ni sur celui de la satisfaction des usagers.

Les rapporteurs constatent la nécessité d’un pilotage politique suffisamment fort pour conduire les réformes de transformation publique dans la durée. Si la MAP s’est construite sur une logique concertée sans doute plus efficace que celle retenue dans le cadre de la RGPP, le portage politique s’est révélé clairement insuffisant.

ii.   Des objectifs chiffrés sans réel suivi

La circulaire du Premier ministre du 7 janvier 2013 qui donne l’orientation des révisions des politiques publiques envisagées par la MAP ne fixe aucun objectif de recherche d’économies.

Les cibles d’économies budgétaires n’ont été présentées que très progressivement au cours du déploiement de la MAP mais sans qu’un véritable suivi ne soit instauré.

Les décisions du CIMAP organisé le 18 décembre 2013 sont présentées comme pouvant permettre de dégager 5 à 7 milliards d’économies sur la période de 2015 à 2017 ([59]).

Plusieurs exemples de chantiers sont détaillés dans le dossier de presse du CIMAP, notamment :

– le développement de la chirurgie ambulatoire qui permettrait de réaliser des économies budgétaires significatives ;

– la promotion des médicaments génériques ;

– la rationalisation de la politique du logement dont le poids en termes de dépense publique était alors deux fois supérieur à la moyenne des autres pays de l’Union européenne.

Les mesures d’amélioration de la gestion publique devaient, quant à elles, conduire à la réalisation de 2 à 3 milliards d’euros d’économies à l’horizon 2017. Il s’agissait en particulier de :

–  la modernisation de l’achat public pour 2 milliards d’euros ;

– la modernisation de l’achat public hospitalier avec le programme PHARE pour 910 millions d’euros.

Dans un rapport de juin 2017 ([60]), la Cour des comptes indique que, si elles couvraient un champ très vaste qui avoisine 60 milliards d’euros de dépenses, les mesures mises en œuvre n’ont représenté qu’un volume d’économies modeste, estimé à 325 millions d’euros au titre de la loi de finances pour 2015 et 156 millions d’euros à celui de la loi de finances pour 2016, auxquels se sont ajoutés 90 millions d’euros d’économies sur les dispositifs médicaux pris en compte dans la LFSS pour 2016. La Cour des comptes souligne également que les économies dégagées relèvent de mesures réglementaires et que seules leurs conséquences budgétaires ont été prises en compte dans les lois financières. Par ailleurs, « aucune recommandation dégagée des revues de dépenses 2016 n’a été intégrée au PLF pour 2017 » ([61]). La principale mesure d’économie prise pendant cette période est la réduction des dotations de l’État aux collectivités territoriales à hauteur de 11,2 milliards d’euros, mais celle-ci ne relevait pas de la MAP.

Les rapporteurs observent que la réduction de la dépense publique est conditionnée à la fixation d’un objectif clair d’économies budgétaires dès le lancement du programme de transformation publique.

iii.   L’échec de la revue des missions de l’État territorial

La démarche pilotée par la SGMAP s’est élargie avec la mise en place de revues des missions de l’État territorial qui a donné lieu à une communication en conseil des ministres le 22 juillet 2015.

Aucune conséquence n’a toutefois été tirée de ce processus de concertation, ce qui a empêché toute indentification des missions inutiles ou inefficaces de l’État dans son action dans les territoires.

3.   Le programme Action publique 2022 : une démarche prometteuse mais interrompue par les crises

Le programme Action publique 2022 a permis d’engager des chantiers importants mais les crises ont interrompu cet élan de transformation.

En dépit de ces crises, l’action réformatrice s’est poursuivie dans le prolongement des programmes précédents.

Le bilan de ce programme en termes d’économies budgétaires est délicat à établir puisque la majorité des actions mises en œuvre sont sorties du champ du seul programme Action publique 2022.

Le programme Action publique 2022 est une démarche ambitieuse (a) qui a rapidement dépassé son périmètre initial (b) et dont les économies budgétaires réalisées sont difficilement quantifiables (c).

a.   Une démarche ambitieuse de transformation de l’action publique

Le programme Action publique 2022 est une démarche dont le champ est large (i) et repose sur le travail du comité Action publique 2022 (ii). L’objectif d’économies budgétaires est clairement établi (iii).

i.   Le lancement d’un vaste programme de transformation publique

Le 4 juillet 2017, dans sa déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale, le Premier ministre annonçait « une véritable transformation de l’administration et de nos services publics ».

Dans le prolongement de cette annonce, le Premier ministre lance le programme Action publique 2022 le 13 octobre 2017 aux côtés du ministre de l’action et des comptes publics et du secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé du numérique.

Dans un premier temps, un comité Action publique 2022 (CAP22) comprenant une trentaine de personnalités dont des économistes, des élus, des personnalités des secteurs public et privé est constitué.

L’objectif est de croiser les expertises grâce aux réflexions conduites par ces personnalités qualifiées mais également grâce à l’association des citoyens, des agents publics et des organisations syndicales.

Les rapporteurs considèrent que cette méthode est intéressante, à la fois plus efficace et plus transparente que les méthodes retenues dans le cadre de la RGPP et de la MAP.

Le comité est alors missionné sur 21 politiques publiques couvrant un champ très large de l’action publique. Afin d’analyser ces politiques, il s’organise par groupes de travail qui se réunissent entre novembre 2017 et mai 2018.

● Ce nouveau programme comporte trois objectifs prioritaires ([62]) :

– du point de vue de l’usager, passer d’une culture du contrôle à une culture de la confiance afin d’améliorer la qualité des services publics et de simplifier les procédures ;

– du point de vue de l’agent public, moderniser l’environnement de travail et mieux tenir compte des suggestions d’amélioration émanant des agents ;

– du point de vue du contribuable, essentiellement maîtriser les dépenses publiques en optimisant les moyens.

● La démarche annoncée repose sur des logiques devant permettre de pallier les difficultés identifiées dans le cadre des précédents programmes de transformation publique :

– l’ensemble de la sphère publique est concerné par la démarche ;

– les ministères sont responsabilisés en tant que « chefs de file » ;

– la priorité est donnée à la transformation numérique des administrations, notamment pour atteindre l’objectif fixé de 100 % de services publics dématérialisés à l’horizon de 2022 ;

– un fonds pour la transformation publique est créé et doté d’une enveloppe de 700 millions d’euros (cf. infra) ;

– les agents publics et les usagers du service public sont impliqués tout au long de la démarche, pour recueillir leurs propositions ;

– le portage politique du programme se fait au plus haut niveau par le Président de la République et le Premier ministre.

Un forum de l’action publique permet de solliciter les avis des usagers et des fonctionnaires entre novembre 2017 et mars 2018.

ii.   Les propositions issues du travail du comité Action publique 2022

CAP22 formule un total de 22 propositions organisées autour trois axes.

● Le premier axe est celui d’un véritable changement de modèle.

L’objectif est de refonder l’administration autour de la confiance et de la responsabilisation afin, notamment, de moderniser la gestion des ressources humaines de l’État. Le numérique prend une place importante dans l’amélioration des relations avec les usagers tout en assurant l’accompagnement de ceux qui en sont le plus éloignés pour lutter contre la fracture numérique.

● Le deuxième axe porte sur la transformation des services publics.

Il comprend douze propositions ayant trait à l’amélioration des services publics essentiels parmi lesquels la justice, le logement ou encore le système d’offre de soins.

● Le troisième axe est centré autour de la nécessité d’éviter les dépenses publiques inutiles.

Il s’agit notamment de supprimer les doublons et d’améliorer le partenariat entre l’État et les collectivités territoriales. Le rapport recommande également de mettre un terme à toutes les interventions publiques dont l’efficacité n’est pas démontrée.

Les rapporteurs s’associent à la volonté de mettre en œuvre une réforme de l’action publique autour de ces trois axes majeurs. Ces derniers se sont d’ailleurs fréquemment retrouvés au cours des travaux et des auditions qu’ils ont conduits. Les rapporteurs considèrent toutefois que ces propositions nombreuses et assez générales ont limité la capacité à identifier les réformes et les mesures d’économies prioritaires.

iii.   Une démarche s’inscrivant dans un objectif de réduction de la dette

En matière d’économies, un objectif clair est fixé.

L’engagement initial est en effet de réduire de trois points la part de dépenses publiques dans le PIB d’ici 2022 afin de maîtriser la dette publique.

Dans le rapport remis par CAP2022, est clairement indiqué qu’« améliorer le service public tout en faisant des économies substantielles est possible » ([63]). Ses membres partent du principe que la réponse aux insuffisances du service public ne « pourra pas passer par une hausse de la dépense publique » ([64]). Ils observent notamment que la dépense publique n’est pas pleinement efficace, surtout en termes d’amélioration du service public.

Le comité se distingue néanmoins de la logique de la RGPP car la recherche indifférenciée d’économies, sans modification de structures, est considérée comme conduisant à la dégradation des conditions de travail des agents et plus largement de la qualité du service public.

Ainsi, « pour faire plus avec moins, il est indispensable de revoir en profondeur les modes d’organisation et les manières de faire » ([65]).

Chaque proposition du comité fait l’objet d’une rubrique sur les « impacts attendus » évaluant les économies potentielles de chaque mesure.

À titre d’exemple, la proposition de « réduire le renoncement aux soins, améliorer l’espérance de vie en bonne santé et désengorger l’hôpital » devait permettre de rendre le système de santé plus efficient en générant plus de 5 milliards d’économies.

Au total, les 22 propositions du comité CAP22 sont présentées comme pouvant créer, au minimum, un total de 15 milliards d’euros d’économies.

Certaines mesures sont également présentées comme permettant de dégager d’importantes recettes fiscales supplémentaires. Ainsi, la proposition de « mettre un terme à toutes les interventions publiques dont l’efficacité n’est pas démontrée » devait permettre d’améliorer le solde public par des recettes fiscales nouvelles pour un montant de 7 milliards d’euros.

b.   Un mouvement de transformation publique qui a dépassé le champ initial du programme Action publique 2022

Le programme Action publique 2022 a été rapidement interrompu (i), mais il a retrouvé un prolongement dans le cadre de mesure de simplification (ii) et de réformes de l’État territorial (iii).

i.   Une ambition rapidement réduite mais poursuivie par les comités interministériels à la transformation publique successifs

En novembre 2017, un comité interministériel à la transformation publique (CITP) est institué afin de définir la politique du Gouvernement dans le domaine de la transformation publique.

Le SGMAP est ainsi supprimé. Le délégué interministériel à la transformation publique (DITP) assure le secrétariat de ce CITP et suit l’application des décisions prises.

Le numérique relève de la direction interministérielle du numérique et des systèmes d’information et de communication de l’État – devenue ultérieurement la direction interministérielle du numérique (DINUM).

La direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) conserve ses compétences de transformation de la fonction publique.

L’ambition initiale est rapidement réduite puisque le Gouvernement décide de ne pas retenir l’ensemble des préconisations issues du CAP 2022. La transformation de l’action publique a en effet été profondément ralentie par la crise du mouvement social dit des « gilets jaunes » et la crise sanitaire.

Les CITP successifs permettent toutefois de poursuivre la mise en œuvre des plans de transformations ministériels et interministériels.

Un premier comité interministériel de la transformation publique est réuni le 1er février 2018. Il a lancé plusieurs initiatives telles que le programme France connect, l’élargissement des possibilités de recrutement d’agents contractuels ou encore le démarrage du fonds pour la transformation de l’action publique (FTAP). En réalité, France connect constitue le prolongement d’un chantier débuté en 2016 : cela restera donc une des réussites de la MAP et les rapporteurs soutiendront naturellement toute nouvelle étape.

Le deuxième CITP se tient le 29 octobre 2019 et initie des mesures visant à faire évoluer la politique immobilière de l’État et à créer un « lab IA » afin de développer des projets d’intelligence artificielle.

Le troisième CITP du 15 novembre 2019 s’attache à réduire le nombre de commissions rattachées aux administrations centrales,

Le quatrième CITP du 15 novembre 2019 engage des actions visant à réduire le nombre de commissions obligatoirement consultées avant de prendre une décision administrative et rationalise le panorama des structures n’atteignant pas la taille critique.

Le cinquième CITP du 5 février 2021 vise à moderniser l’environnement de travail des agents publics et à développer la politique publique de la donnée.

Le sixième CITP du 23 juillet 2021 vise à généraliser l’évaluation des préfets et des directeurs régionaux sur la base de leurs résultats. L’objectif est de renforcer les marges de manœuvre des services déconcentrés de l’État.

Le septième CITP s’est tenu sous l’actuelle législature (cf. infra).

Finalement, les réformes ultérieures au rapport produit par le comité ne font que peu référence à ces travaux.

L’expression « Action publique 2022 » n’est guère plus utilisée fin 2019.

ii.   Des actions en matière de simplification et de numérisation

Si le programme Action publique 2022 n’a pas eu la portée qu’il escomptait, cet élan de transformation a toutefois permis d’initier un certain nombre de chantiers importants.

Dans le champ de la simplification, le Premier ministre annonce notamment une réduction des charges administratives afin de rétablir « un lien de confiance entre la société et l’administration, pour délivrer les citoyens, les entreprises et les collectivités territoriales qui brident les capacités d’innovation » ([66]).

Deux lois s’inscrivent pleinement dans cet objectif :

– la loi dite ESSOC ([67]) du 17 août 2018 qui introduit un droit à l’erreur et comprend de nombreuses mesures de simplification des formalités administratives et d’allègement des normes ;

– la loi dite ASAP ([68]) du 7 décembre 2020 qui prévoit de nombreuses dispositions visant à rationaliser les commissions administratives ou encore à simplifier les démarches et déconcentrer les décisions individuelles.

Des projets majeurs de simplification des ministères et des grands organismes sociaux sont en effet mis en œuvre comme la dématérialisation de la démarche de renouvellement de la carte Vitale ou des autorisations d’urbanisme.

Au total, la DINUM est chargée de dématérialiser près de 250 démarches en poursuivant notamment le programme « dites-le nous une fois » et le développement du service de garantie de l’identité numérique ([69]). Parallèlement à la numérisation des procédures, le Gouvernement a pris des mesures pour aider à surmonter la fracture numérique en mettant en place des assistants dans les maisons France services ou encore des passes de formation.

La politique de la donnée ouverte a été renforcée avec la plateforme « open.data.gouv.fr »

Dans une circulaire en date du 27 avril 2021, le Premier demande à tous les ministres de s’engager davantage dans l’ouverture des données ([70]) en précisant que « l’exploitation des données des administrations permet une meilleure évaluation des politiques publiques et la simplification des relations entre les usagers et le service public ».

En matière d’allègement de la norme, « toute nouvelle norme réglementaire doit être compensée par la suppression ou, en cas d’impossibilité avérée, la simplification d’au moins deux normes existantes » ([71]).

La mise en œuvre de cette règle du « deux pour un » aurait produit une économie immédiate nette de près de 20 millions d’euros, toutes catégories de populations confondues ([72]), mais les gains ont continué sur les exercices suivants (cf. infra).

iii.   Des mesures réformant l’administration territoriale de l’État

Le Premier ministre, par une circulaire du 24 juillet 2018 ([73]), trace les orientations d’une réforme de l’organisation territoriale de l’État.

Cette réforme s’inscrit explicitement dans la suite des préconisations du comité Action publique 2022 et se réfère au rapport de la Cour des comptes de décembre 2017 sur les services déconcentrés de l’État ([74]).

La réforme de l’administration territoriale de l’État (RéATE) issue de la RGPP est en effet poursuivie avec la création dans les préfectures des secrétariats généraux communs (SGC), qui ont permis de supprimer certains doublons en regroupant dans chaque département l’intégralité des fonctions supports des préfectures et des directions départementales interministérielles ([75]).

c.   Des économies budgétaires difficiles à évaluer

Les économies budgétaires découlant du programme Action publique 2022 se sont révélées moins élevées que prévu (i), le fonds pour la transformation de l’action publique étant un exemple d’un succès en demi-teinte (ii).

i.   Une réduction de la dépense sans doute moins élevée que prévu

Dans un rapport de juin 2019, la Cour des comptes observe que les mesures annoncées ne sont pas « à elles seules, suffisantes pour atteindre la cible de dépenses visée par le Gouvernement en loi de programmation des finances publiques » ([76]). Il y est souligné que le périmètre couvert par le programme ne comprend pas toutes les catégories de dépenses publiques, notamment les retraites et les politiques de l’emploi.

La Cour des comptes constate également que le programme de stabilité ne fait plus mention du programme Action publique 2022 comme une source d’économies budgétaires.

Certaines mesures entraînent d’ailleurs des coûts supplémentaires :

– le fonds pour la transformation publique ;

– l’université de la transformation publique ;

– le passe citoyen ;

– le fonds d’accompagnement interministériel des ressources humaines ;

– le doublement des frais de mobilité.

ii.   L’exemple du fonds pour la transformation de l’action publique

Le fonds pour la transformation de l’action publique (FTAP) est annoncé en 2017 à la suite du lancement du programme Action publique 2022 et doté d’une enveloppe prévisionnelle d’environ 700 millions d’euros sur cinq ans.

Cette enveloppe soutient les réformes structurelles de l’État en matière de renforcement de la qualité du service offert aux citoyens et aux entreprises, de modernisation de l’environnement de travail des agents et de baisse des dépenses.

Elle accompagne les projets dont le coût dépasse un million d’euros pour les administrations centrales, 300 000 euros pour les opérateurs et 150 000 euros pour les services déconcentrés.

Dans le cadre de la réforme de l’organisation territoriale de l’État, le Premier ministre a décidé de mettre à la disposition des préfets de région une enveloppe du FTAP à hauteur de 34 millions d’euros.

Depuis 2021, le FTAP est placé sous la responsabilité du DITP. Initialement, chaque projet devait générer au bout de trois ans un montant d’économies pérennes au moins égal du montant du financement demandé.

À l’origine, les économies pérennes annuelles à l’issue du déploiement de l’ensemble des projets étaient estimées à 870 millions d’euros.

Pour les exercices 2018 à 2022, le FTAP a versé 764 millions d’euros au service de 126 projets (30 projets en 2018, 32 en 2019, 35 en 2020, 12 en 2021 et 17 en 2022), avec un montant médian de 3 millions d’euros.

Un des critères d’éligibilité est le retour sur investissement, ce dont s’assure la direction du budget (DB), membre de l’ensemble des comités décisionnels, étant entendu que la décision revient au ministre de la transformation et de la fonction publique pour les versements dépassant 1,5 million d’euros.

Deux exemples ont été cités au cours de son audition par M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics : le « health data hub », qui vise à créer une infrastructure de données autour de la santé (36 millions d’euros), et la refonte des systèmes d’information utilisés par la France pour gérer les fonds de la politique agricole commune (PAC), en limitant les demandes de pièces aux bénéficiaires (28,8 millions d’euros).

Ce dernier volet ne semble pas avoir porté tous ses fruits puisque, d’après l’Agence de services et de paiement (ASP), seuls 179 150 demandes d’aides avaient été déposées le 9 mai 2023 sur la plateforme en ligne TelePAC, soit 54 % des dossiers attendus, alors que le ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire a déjà reporté la date limite de dépôt.

La DITP a apporté les précisions suivantes sur les effets du FTAP :

– il aurait déjà permis d’économiser 100 millions d’euros d’argent public et les gains s’élèveraient à 600 millions d’euros une fois l’ensemble des chantiers achevés, avec une réduction dans les coûts de fonctionnement de certains services (renoncement à l’achat de matériels informatiques ou de prestations intellectuelles etc.) et la suppression ou le redéploiement d’emplois publics ;

– s’y ajouteraient 224 millions d’euros d’économies indirectes pérennes, « liées soit à l’évitement de dépenses certaines ou très probables en l’absence de la réalisation du projet (réduction de coûts de contentieux et d’investissements etc.), soit à une plus grande efficacité de politiques publiques grâce aux projets menés (par exemple, une politique de prévention accrue qui réduit la mobilisation de dispositifs publics de prise en charge) » ;

– enfin, les recettes complémentaires permises par les projets soutenus avec le FTAP atteindraient 470 millions d’euros, notamment grâce aux meilleurs processus de recouvrement et à la lutte contre la fraude.

À partir de 2021, le critère d’économie pérenne a été progressivement remplacé par l’effectivité de l’amélioration présentée par le projet et son inscription dans les orientations stratégiques du Gouvernement.

La Cour des comptes relève que « les économies annoncées lors de la création du FTAP demeurent hors d’atteinte en l’état de la trajectoire » ([77]).

Le suivi des économies est d’ailleurs réalisé sur le fondement de simples remontée déclaratives des porteurs de projets à l’occasion d’enquêtes.

Le rapport du Gouvernement sur la mise en œuvre des engagements du CITP jusqu’à mai 2022 indique que les seuls premiers 70 projets engendreraient des gains de productivité correspondant au temps de travail de 5 650 agents.

Dépenses du fonds pour la transformation de l’action publique de 2018 À 2022

(en millions d’euros)

Source : observations définitives de la Cour des comptes (16 mai 2023).

Le soutien de nouveaux projets par le FTAP sous l’actuelle législature, avec une enveloppe et une méthodologie amendées, est présenté infra.

Les rapporteurs sont d’avis que la démarche du FTAP est une bonne piste mais qu’elle mérite de clarifier les objectifs attendus par les pouvoirs publics, ainsi qu’une prise en compte du fait qu’il demande une certaine ingénierie pour déposer et mettre en œuvre des dossiers.

Ce n’est donc pas pour rien que l’essentiel des premiers chantiers a été engagé par les ministères de l’économie, des finances et de la relance – puis de la souveraineté industrielle et numérique –, des armées et de l’intérieur.

Le rôle transversal de la DINUM devrait être renforcé pour remédier à cet inégal poids des concepteurs de projets dans les ressources humaines.

*

*     *

La Cour des comptes observe que « les expériences passées de la revue générale des politiques publiques (RGPP), de la modernisation de l’action publique (MAP) ou de l’action publique 2022 (AP2022), qui n’ont pas généré les économies initialement espérées, montrent qu’au-delà de la mise en place d’une revue de dépenses, c’est un changement de culture profond vis-à-vis de la dépense publique qu’il convient de favoriser » ([78]).

Si les rapporteurs s’associent pleinement à cette analyse, ils souhaitent néanmoins préciser que le bilan de ces trois démarches permet aujourd’hui d’identifier les conditions de réussite d’une revue de dépenses en France.

Parmi ces conditions de réussite, trois semblent déterminantes :

– un portage politique fort et constant dans la durée ;

– une exigence de recherche d’économies avec un objectif chiffré assumé sur un champ large ;

– une articulation claire avec les calendriers administratif et parlementaire des lois financières.


—  1  —

B.   Un chantier À engager de nouveau

Sans s’être fixé une cible de réduction des dépenses ou du nombre de fonctionnaires d’ici à 2027, le Gouvernement entend consolider la performance du service public, en reprenant ou adaptant des méthodes instaurées sous le précédent quinquennat (1) ; les rapporteurs proposent un ensemble de mesures qui pourraient être prises à brève ou plus longue échéance pour alléger davantage le fonctionnement de l’administration tout en améliorant son efficacité (2).

1.   Des objectifs pragmatiques sous la présente législature

À l’occasion de sa déclaration tenue le 6 juillet 2022 devant l’Assemblée nationale en application de l’article 50-1 de la Constitution, la Première ministre a fait part de sa conviction suivant laquelle « la cohésion des territoires [passe par] un État qui répond vite et bien aux demandes des Français », ainsi que de sa « volonté d’améliorer la présence des services publics » et de « conduire une action publique efficace ».

Intégrant tant les points forts que les limites méthodologiques de la révision générale des politiques publiques (RGPP), de la modernisation de l’action publique (MAP) et du programme Action publique 2022 (cf. supra), l’actuel Gouvernement a défini sept axes d’action (a) au cours d’un séminaire organisé le 31 août 2022 : leur mise en œuvre repose sur une gouvernance éprouvée depuis 2017, quoique partiellement révisée (b) et la plupart d’entre eux traduisent l’importance de l’effort dans la digitalisation des services publics (c).

a.   Les politiques prioritaires du Gouvernement

Ont été désignées comme « politiques prioritaires » les actions tenant à :

– « renforcer notre souveraineté nationale et européenne », ce qui implique de « devenir la première puissance numérique » du continent ;

– « aller vers une société du plein-emploi » ;

– « réussir la transition écologique et aller vers une neutralité carbone » ;

– « protéger les Français et garantir leur sécurité » ;

– « garantir l’égalité des chances et favoriser l’excellence » ;

– « prendre soin des Français », grâce au fait de « répondre aux difficultés de recrutement et de fidélisation dans les métiers de la santé et du social » ;

– enfin, « transformer nos services publics et construire une renaissance démocratique », cette ambition invitant à « simplifier l’accès des services publics dans tous les territoires » et à « favoriser l’attractivité de la fonction publique ».

Tous les ministères ont été appelés à produire une « feuille de route ».

Celui de la transformation et de la fonction publiques, a ainsi mis en avant trois « défis auxquels notre pays fait face » à savoir :

– « une demande croissante de simplification des démarches, de qualité, de réactivité et de proactivité des services publics de la part de nos concitoyens » ;

– « des problématiques d’accessibilité quotidienne des services publics partout sur le territoire, notamment pour les Français en situation de handicap ou ceux qui ne peuvent pas accéder aux services en ligne » ;

– et « des pratiques en ressources humaines qui ne sont pas suffisamment au service de l’attractivité de la fonction publique pour permettre d’offrir des parcours de carrière répondant aux attentes des 5,7 millions d’agents publics ».

Pour répondre à ces questions, l’exécutif s’est fixé sept « chantiers » :

– « mettre les services publics et leurs agents au plus près des usagers » ;

– « rendre toujours plus simple la vie quotidienne des Français, notamment grâce à […] la mise en place de la solidarité à la source » ;

– « encourager les expérimentations comme leviers de transformation » ;

– « continuer de rendre compte de la mise en œuvre des politiques publiques et de leur impact concret sur la vie des Français » ;

– « rendre la fonction publique plus épanouissante et plus attractive, en redonnant tout son sens à l’intérêt général et au service public, en récompensant l’engagement et en proposant des parcours de carrière adaptés » ;

– « poursuivre la réforme de la haute fonction publique et impulser la transformation managériale » ;

– pour finir, « planifier la transition écologique ».

S’ils adhèrent à l’ensemble de ces propositions, les rapporteurs doivent constater qu’elles ne présentent que peu de nouveauté par rapport aux démarches de modernisation de l’action publique entreprises antérieurement et qu’elles sont exprimées dans une novlangue qui en rend certaines quelque peu abstraites.

Le 9 mai 2023 s’est réuni le septième CITP, sous la présidence de la Première ministre, qui a par exemple indiqué vouloir « donner plus de temps aux soignants pour soigner » – en supprimant certaines tâches administratives ou en leur permettant de les déléguer et en améliorant l’organisation du temps de travail – l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP) ayant été chargée de formuler des propositions à son ministre de tutelle d’ici à l’été 2023 – et « mettre fin à l’obligation, pour les familles, de transmettre à chaque rentrée des justificatifs imprimés et à la nécessité, pour l’administration, de les réexaminer ».

Les deux principales annonces sont toutefois celles visant à « faciliter considérablement les démarches des Français à dix moments clefs de leur vie », dont cinq appelant des solutions dès l’année en cours, et à « améliorer [les] services publics en permanence », en y associant les citoyens.

Premièrement, le CITP a rappelé le diagnostic sur lequel repose la mission d’information faisant l’objet du présent rapport : « l’enjeu est de garantir […] des services publics plus simples, plus accessibles et plus efficaces, en agissant sur la transformation des organisations, l’allègement des procédures, la qualité de l’information et la numérisation des tâches ; […] l’objectif est de sortir des silos des administrations, de considérer le parcours de l’usager dans son ensemble, quel que soit le canal retenu et en se mettant à sa place pour mieux comprendre ses difficultés, [ce qui] implique de prêter autant attention aux questions de délais d’obtention des titres d’identité, par exemple, [qu’à celle] de l’accès à un agent physique [et] du respect du droit à l’erreur ».

SchÉma relatif aux dix moments de la vie à propos duquel
le Gouvernement entend simplifier les dÉmarches administratives

Source : dossier de presse du 7ème CITP (9 mai 2023).

L’ambition qu’existent 2 750 espaces du réseau France services d’ici à la fin de l’année doit y contribuer : ils permettent à de nombreux administrés de ne pas avoir à se déplacer auprès du guichet propre des ministères de l’intérieur et de la justice, de Pôle emploi, des caisses d’allocations familiales (CAF), d’assurance maladie (CPAM), d’assurance vieillesse (CARSAT) ou de mutualité sociale agricole (MSA), du fisc (DDFiP) ou de La Poste et il sera prochainement élargi aux œuvres universitaires (CROUS).

Il importe aux rapporteurs de saluer la démarche de mutualisation que permet le réseau France services : ils appellent à son évaluation régulière et au maintien dans la durée de son ambition de fournir un guichet unique, qui constitue une grande simplification pour l’usager comme pour les agents.

L’exécutif souhaite également achever le déploiement du programme Services publics +, qui labellise les administrations en contact avec les Français.

Les rapporteurs saluent l’idée, mais regrettent que le questionnaire soit si laborieusement accessible – de nombreux renvois de page en page doivent être franchis sur le site – et que son périmètre soit si mouvant depuis 2021, avec des « piliers » au nombre de quatre, puis de cinq, et neuf « engagements », devenus huit « indicateurs », dont deux au moins se répètent, concernant la satisfaction des usagers, le délai de traitement de leur demande, la qualité de la relation, etc.

Administrations dont la qualitÉ de la relation aux usagers peut Être ÉvaluÉe sur la plateforme Services publics +

Source : dossier de presse du ministère de la transformation et la fonction publiques (23 mars 2023).

Dans ses récentes observations définitives sur la DITP, la Cour des comptes juge que la plateforme constitue « un effort de transparence inédit », pour un coût de développement de 5,8 millions d’euros.

La juridiction souligne l’existence de « réticences culturelles » dans certains ministères, qui rendent « étonnant d’afficher un taux de 95 % de services publics [inscrits] lorsque des réseaux administratifs aussi importants que les écoles et les universités font encore défaut » et regrette qu’aucune collectivité territoriale n’y participe, nombre d’entre elles ayant mis en place leur propre dispositif.

déploiement de la plateforme Services publics + au 16 juin 2022