N° 1449

______

ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 28 juin 2023.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité,

 

 

ET PRÉSENTÉ

par Mme Sophia CHIKIROU et Mme Mireille CLAPOT,

Députées

——

 

(1)    La composition de la commission figure au verso de la présente page.


 

La Commission des affaires européennes est composée de : M. Pieyre-Alexandre ANGLADE, président ; M. Pierre-Henri DUMONT, Mme Marietta KARAMANLI, MM. Frédéric PETIT, Charles SITZENSTUHL, vice-présidents ; M. Henri ALFANDARI, Mmes Louise MOREL, Nathalie OZIOL, Sandra REGOL secrétaires ; MM. Gabriel AMARD, Rodrigo ARENAS, Pierrick BERTELOOT, M. Manuel BOMPARD, Mme Pascale BOYER, MM. Stéphane BUCHOU, André CHASSAIGNE, Mmes Sophia CHIKIROU, Mireille CLAPOT, Annick COUSIN, Laurence CRISTOL, MM. Thibaut FRANÇOIS, Guillaume GAROT, Mmes Félicie GÉRARD, Perrine GOULET, Michel HERBILLON, Alexandre HOLROYD, Philippe JUVIN, Mmes Brigitte KLINKERT, Julie LAERNOES, Constance LE GRIP, Nicole LE PEIH, M. Denis MASSÉGLIA, Mmes Joëlle MÉLIN, Yaël MENACHE, M. Thomas MÉNAGÉ, Mmes Lysiane MÉTAYER, Danièle OBONO, Anna PIC, M. Christophe PLASSARD, Mme Barbara POMPILI, MM. Jean-Pierre PONT, Alexandre SABATOU, Nicolas SANSU, Vincent SEITLINGER, Mmes Michèle TABAROT, Liliana TANGUY, Sabine THILLAYE, Estelle YOUSSOUFFA.

 


—  1  —

SOMMAIRE

___

 Pages

Introduction

PREMIÈRE PARTIE : LA PROPOSITION DE DIRECTIVE « CSDD » APPROFONDIT LA LOGIQUE DE LA LOI FRANÇAISE DU 27 MARS 2017 ET PROMEUT UNE APPROCHE AMBITIEUSE À L’ÉCHELLE EUROPÉENNE

I. La proposition de directive « CSDD », inspirÉe par la loi française pionniÈre de 2017, prolongÉE à l’Échelle europÉenne une « rÉvolution juridique » au service d’une mondialisation raisonnÉe

A. La proposition de directive complÈte le « puzzle rÈglementaire » europÉen et généralise le principe d’un devoir de vigilance à l’Échelle europÉenne

1. Le devoir de vigilance puise ses sources dans la due diligence et répond à une forte demande pour une mondialisation équitable

2. La proposition de directive « CSDD », qui s’inscrit dans une architecture juridique cohérente, vise aussi à prévenir la fragmentation du marché

3. La proposition de directive approfondit ainsi la logique de compliance et durcit les exigences du droit de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE)

B. Les dÉcisions en rÉfÉrÉ sur le fondement de la loi du 27 mars 2017 apportEnt de premiers enseignements sur la portÉe du devoir de vigilance et nourrissent un dÉbat instructif pour les colÉgislateurs europÉens

1. Les ordonnances de référé rendues le 28 février 2023 sur le fondement de la loi française du 27 mars 2017 ont des vertus pédagogiques

3. Les principes directeurs de l’OCDE pourraient en outre constituer une référence pour guider le juge

II. La proposition de directive « CSDD » consacre un champ d’application personnel extensif par rapport à la loi française et apporte davantage de détails sur ce que recouvrent les mesures de vigilance

A. Les seuils d’assujettissement au devoir de vigilance sont plus variés et plus ambitieux que ceux de la loi française

1. Les seuils d’assujettissement de la loi française sont trop élevés, excluant de nombreuses entreprises dont l’activité présente des risques

2. La proposition de directive de la Commission repose sur une approche multicritère et des seuils moins élevés

3. Les États membres ont affirmé la dimension extraterritoriale de la directive

4. Vos rapporteures saluent la proposition encore plus ambitieuse du Parlement européen

B. Les mesures de vigilance « raisonnables » sont davantage dÉtaillÉes dans la proposition de directive que dans la loi française

1. Le contenu du devoir de vigilance est clairement détaillé

2. Les entreprises seront guidées et contrôlées par des autorités administratives indépendantes nationales

III. Le rÉfÉrentiel normatif de la proposition de directive est plus prÉcis que celui de la loi française, ce qui ne devra nÉanmoins pas limiter la crÉativitÉ de ce droit en construction

A. Le rÉfÉrentiel normatif DÉtaillÉ de la proposition de directive peut contribuer À une plus grande sÉcuritÉ juridique

1. La proposition de directive cite un grand nombre de conventions relatives aux droits humains et environnementaux

2. La référence aux Principes directeurs de l’OCDE et des Nations Unies permet d’éclairer l’esprit des obligations de vigilance « raisonnables »

B. NÉANMOINS, la liste des conventions INTERNAtIONALES devra pouvoir être actualisÉe et complÉtÉe en tant que de besoin

1. La liste des conventions internationales citées dans les annexes devrait pouvoir être complétée en tant que de besoin

2. Il conviendra de veiller, dans la pratique, à ce que la définition des droits environnementaux soit opérationnelle

DEUXIÈME PARTIE : LES POSITIONS DIVERGENTES DU CONSEIL ET DU PARLEMENT EUROPÉEN DOIVENT ÊTRE CONCILIÉES, SANS RENONCER À L’AMBITION INITIALE DU TEXTE, MALGRÉ UNE PHASE DE TRILOGUE CONTRAINTE PAR LE CALENDRIER ÉLECTORAL EUROPÉEN

I. L’orientation du Conseil, qui limite les ambitions de la proposition de directive sur plusieurs points, a ÉtÉ adoptÉe aprÈs des dÉbats Âpres entre États membres

A. L’orientation du Conseil privilÉgie la notion de « chaîne d’activitÉ », moins prÉcise et moins exigeante, sur le concept de « chaîne de valeur »

B. La responsabilitÉ civile a ÉtÉ limitÉe dans l’orientation du Conseil aux « fautes intentionnelles ou liÉes À la nÉgligence », ce qui rÉduit excessivement le champ du devoir de vigilance

C. L’orientation du Conseil fait de l’inclusion des opérations de financement et d’investissement une simple faculté

II. La position du Parlement europÉen, adoptÉe le 1er juin aprÈs quelques rebondissements, est plus ambitieuse que la proposition originelle de la Commission

A. Sur le champ personnel, le Parlement europÉen souhaite Étendre les obligations aux sociÉtÉs mères, et abaisser les seuils d’application du texte

B. Le Parlement européen souhaite Élargir le champ d’application du devoir de vigilance au-delÀ de la chaîne d’approvisionnement au sens strict

C. Le Parlement europÉen propose d’inclure certains acteurs financiers – mais pas les fonds de pension – dans le champ du devoir de vigilance

D. Le Parlement européen insiste sur la « mise en œuvre » des plans de transition climatique devant être adoptés par les entreprises

E. Du fait de l’adoption d’un amendement de derniÈre minute du Parti Populaire europÉen, LES DISPOSITIONS RELATIVES à LA responsabilitÉ des administrateurs ONT ÉtÉ supprimÉes

TROISIÈME PARTIE : LORS DU TRILOGUE, DE GRANDES PRIORITÉS – LIÉES À LA PROFONDEUR DES chaînes DE VALEUR CONCERNÉES ET À L’ENGAGEMENT DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE DES ENTREPRISES – DEVRONT IMPÉRATIVEMENT ÊTRE DÉFENDUES POUR ASSURER L’EFFECTIVITÉ DE LA DIRECTIVE, DONT LA TRANSPOSITION DEVRA ENSUITE ÊTRE HOMOGÈNE

I. Lors de la phase de trilogue, la prioritÉ consistera À assurer l’effectivitÉ de la directive en crÉant un cadre de responsabilitÉ civile clair et des obligations prÉcises pour les entreprises

A. Sensibiliser les entreprises sur la diffÉrence de nature entre le devoir de vigilance dÉcoulant de la directive CSDD et les obligations de reporting de la directive CSRD

B. Expliciter les conditions d’engagement de la responsabilitÉ civile des entreprises en cas de manquement À leurs obligations de vigilance

C. dÉfendre un accÈs Élargi À l’information pour les parties prenantes dans le cadre des litiges sur le fondement du devoir de vigilance

II. Le champ du devoir de vigilance doit inclure les sociÉtÉs mÈres de grands groupes et ne saurait se limiter au premier rang des partenaires commerciaux dans les chaînes de valeur

A. La nÉcessaire intÉgration des sociÉtÉs mÈres des grands groupes dans le champ personnel d’application de la directive

B. ConformÉment aux Principes directeurs de l’ONU et de l’OCDE, les diligences raisonnables sur les chaînes de valeur des entreprises ne sauraient se limiter aux partenaires de premier rang

C. Les points de vue de vos rapporteures divergent sur L’intensitÉ du devoir de vigilance qui devrait incomber aux institutions financiÈres

D. L’inclusion de l’industrie de l’armement dans le champ des obligations de vigilance

III. Le devoir de vigilance climatique des grandes entreprises ne saurait constituer un objectif de second rang

IV. L’application de la directive – qui ne doit pas procÉder d’une harmonisation maximale – dÉpendra aussi de la rÉactivitÉ, de la coordination et de l’indÉpendance des autoritÉs administratives nationales

A. Le devoir de vigilance restant un droit en construction, l’application de la directive ne doit pas Être d’harmonisation maximale

B. Les autoritÉs administratives nationales devront Être dotÉes de pouvoirs d’enquÊte et de sanction Étendus pour contrÔler en toute indÉpendance les entreprises

C. Pour une application harmonieuse de la directive à l’Échelle europÉenne, un rÉseau europÉen assurera la coordination entre les autoritÉs administratives nationales

D. Les rÉpercussions Éventuelles sur les petites et moyennes entreprises devront Être ÉvaluÉes

Conclusion

RECOMMANDATIONS DES RAPPORTEURES

TRAVAUX DE LA COMMISSION

AVIS POLITIQUE INITIAL

AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION

AVIS POLITIQUE

annexe  1 : Liste des personnes auditionnées par les rapporteurEs

Annexe  2 : Présentation des ordonnances du 28 fevrier 2023  (affaire « TotalEnergies »)

Annexe  3 : Les QUATRE GRANDES STRUCTURES DE PCN

 


—  1  —

   Introduction

 

 

 

 

Mesdames, Messieurs,

Le « devoir de vigilance » – façonné en partie par le législateur français au travers de la loi pionnière du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre ([1])– est un instrument de régulation de la mondialisation, dont l’inscription dans le droit de l’Union sera un enjeu crucial d’ici aux élections européennes du printemps 2024.

L’année 2023 marque les dix ans du drame du Rana Plaza, du nom du bâtiment de Dacca abritant des ateliers de confection de plusieurs multinationales, dont l’effondrement avait causé la mort d’au moins 1 127 personnes, jetant une lumière crue sur les dérives liées à l’externalisation des risques humains et juridiques vers les sous-traitants et les fournisseurs ([2]). Le découplage entre la responsabilité juridique et la responsabilité morale des entreprises donneuses d’ordre, sur le fondement de leur « personnalité juridique », était apparu comme une faille particulièrement choquante.

Répondant aux vives préoccupations de la société civile – dont le Parlement européen s’était fait l’écho avec l’adoption d’une résolution en ce sens en 2021 ([3])– la Commission européenne publiait le 23 février 2022 sa proposition de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (dite Corporate sustainability due diligence directive, ou directive « CSDD »). Selon ce texte, les entreprises européennes ou issues de pays tiers, répondant à des conditions de seuils d’effectifs et de chiffre d’affaires ([4]) réalisé sur le marché européen, devraient mener des opérations de « diligence requise » (ou due diligence) sur leur chaîne d’activité, afin d’identifier, de prévenir et de remédier aux incidences négatives pour les droits humains et environnementaux.

Ainsi, ce projet de législation vise à créer un cadre européen harmonisé, durcissant le droit de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), pour empêcher les acteurs économiques peu vertueux de « masquer des maux sous les mots » ([5]).

L’Union européenne constitue le cadre pertinent pour la consécration d’un « devoir de vigilance » : sa puissance commerciale et sa capacité d’influence sont autant de leviers pour assurer son effectivité et créer, à terme, un effet d’entraînement à l’échelle internationale. Il est donc essentiel, à l’orée de la phase de trilogue, que les positions divergentes du Conseil de l’Union européenne ([6]) et du Parlement européen ([7]) puissent être rapprochées, sans renoncer pour autant à l’ambition du texte.

Vos rapporteures souhaitent vivement que la présidence espagnole du Conseil de l’Union européenne – qui débutera à compter du 1er juillet 2023 – fasse de l’adoption définitive de la directive « CSDD » une priorité. Les différents interlocuteurs rencontrés dans le cadre de ce rapport se sont montrés confiants à ce sujet. Néanmoins, le calendrier contraint des négociations du trilogue et les incertitudes du contexte politique ([8]) ne doivent pas conduire à l’adoption d’un texte édulcoré.

Ce rapport d’information, fruit d’une vingtaine d’auditions de spécialistes d’horizons variés et d’un déplacement à Bruxelles au début du mois de juin 2023, s’inscrit dans le prolongement des travaux menés sur le sujet du devoir de vigilance dans cette même commission, sous la précédente législature ([9]). La majorité des priorités qui avaient été identifiées pourraient être satisfaites par la future directive, à condition que la position du Parlement européen prévale – sur des sujets tels que les conditions d’engagement de la responsabilité civile des entreprises, la profondeur des chaînes de valeur concernées et les conditions d’accès à la justice pour les requérants – sur l’orientation sensiblement moins ambitieuse du Conseil de l’Union européenne.

Vos rapporteures ont souhaité offrir un aperçu des négociations – parfois âpres – qui se sont tenues entre les États membres au sein du Conseil de l’Union européenne, et qui ont conduit à l’adoption le 1er décembre 2022 d’une orientation commune sur la base d’un consensus fragile. Seront également abordés les ultimes rebondissements au Parlement européen avant l’adoption de son mandat de négociation le 1er juin 2023.


Alors que s’engage la phase des trilogues, vos deux rapporteures ontd’un commun accord – identifié différents points devant faire l’objet d’une attention particulière pour préserver l’effectivité de la future directive. Les enjeux relatifs à l’application de la loi française du 27 mars 2017 ont notamment nourri leur réflexion : il apparaît que les difficultés rencontrées, en France, dans la mise en œuvre du devoir de vigilance résultent de l’insuffisante précision des notions qui déterminent la portée des obligations incombant aux entreprises, aux obstacles à l’accès à la justice, ou encore à l’absence d’autorité administrative chargée de guider et de contrôler les entreprises.

Ces priorités communes, qui devront prospérer au cours des trilogues pour ne pas décevoir les attentes exprimées par les opinions publiques, ont été consignées dans le projet d’avis politique soumis au vote des membres de la commission des Affaires européennes.

Vos rapporteures ont constaté que leurs positions divergeaient sur un nombre plus limité de sujets, ayant notamment trait à l’opportunité d’un renversement de la charge de la preuve pour les requérants, à la couverture de « l’aval » des chaînes d’approvisionnement par les obligations de vigilance, et au degré d’intensité des obligations de vigilance devant s’imposer aux institutions du secteur financier. Sur ces points, il a été décidé de consigner leurs analyses respectives, afin de verser leurs arguments à la réflexion.

 


—  1  —

   PREMIÈRE PARTIE : LA PROPOSITION DE DIRECTIVE « CSDD » APPROFONDIT LA LOGIQUE DE LA LOI FRANÇAISE DU 27 MARS 2017 ET PROMEUT UNE APPROCHE AMBITIEUSE À L’ÉCHELLE EUROPÉENNE

 

I.   La proposition de directive « CSDD », inspirÉe par la loi française pionniÈre de 2017, prolongÉE à l’Échelle europÉenne une « rÉvolution juridique » au service d’une mondialisation raisonnÉe

A.   La proposition de directive complÈte le « puzzle rÈglementaire » europÉen et généralise le principe d’un devoir de vigilance à l’Échelle europÉenne

1.   Le devoir de vigilance puise ses sources dans la due diligence et répond à une forte demande pour une mondialisation équitable

Le « devoir de vigilance » a été forgé par le législateur français, qui a innové en 2017 en adoptant – à l’initiative du député Dominique Potier – une loi cherchant à « lever le voile juridique interposé » ([10]) entre les sociétés donneuses d’ordre et la chaîne de leurs sous-traitants ou fournisseurs. Le « cloisonnement juridique » découlant du principe de personnalité juridique – ancré dans les territoires nationaux – était vu comme un obstacle majeur à la saisine du juge, ce dernier étant en outre incompétent pour les dommages survenus à l’étranger.

Afin d’y remédier, le législateur s’est saisi du concept de « diligence requise » (ou due diligence), en le prolongeant. Le « devoir de vigilance » et la due diligence répondent tous deux à l’exigence d’imposer aux entreprises disposant d’une capacité d’influence l’adoption d’instruments susceptibles de prévenir les risques découlant de leurs propres activités ou de celles des entités constituant leur chaîne d’approvisionnement ([11]).

La notion de « vigilance » s’inscrit quant à elle dans la lignée des normes de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT) en matière bancaire et financière, qui impliquent des procédures de « connaissance du client » (know your customer), conduisant à une surveillance externe, par-delà de la seule entreprise assujettie.

Le devoir de vigilance puise ses sources dans la notion de due diligence

La due diligence désigne un ensemble de règles et de processus que les entreprises sont invitées à intégrer dans leur organisation afin d’identifier, prévenir et remédier aux incidences négatives pour les droits de l’homme qui peuvent découler de leurs activités, produits ou services ou de leur relation commerciale avec d’autres entités.

Le devoir de vigilance va plus loin que la due diligence en répondant aux questions de l’imputation et de la réparation des dommages. Ainsi, la « révolution juridique » incarnée par le devoir de vigilance consiste à « introduire une nouvelle règle de la responsabilité permettant d’imputer juridiquement aux grandes entreprises les dommages réalisés par les multiples entités constituant leur chaîne globale d’approvisionnement » ([12]).

Le Parlement européen s’est fait, à plusieurs reprises, l’écho des demandes tendant à une « plus grande responsabilisation le long de la chaîne de sous-traitance » ([13]).

L’adoption, le 10 mars 2021, d’une résolution « contenant des recommandations à la Commission sur le devoir de vigilance et la responsabilité des entreprises » ([14]) a marqué un tournant. À travers celle-ci, le Parlement européen a appelé la Commission à proposer une initiative législative, et a annexé à la résolution une proposition de directive à l’attention de la Commission ([15]).

La proposition de directive de la Commission dite « CSDD », portée par le commissaire à la Justice Didier Reynders, a été présentée le 22 février 2022, au cours de la présidence française de l’Union européenne (PFUE). Cette proposition de directive reprend largement les recommandations de la résolution du Parlement européen, en particulier la possibilité d’engager la responsabilité civile des entreprises en réparation des préjudices causés par des manquements avérés, ou encore la constitution d’autorités nationales chargées de l’application de la directive et détenant un pouvoir de sanction administrative. Néanmoins, la proposition de directive « CSDD » ne va pas jusqu’à proposer un « renversement de la charge de la preuve » au profit des requérants (ou, en d’autres termes, une présomption de responsabilité des entreprises) ([16]).

2.   La proposition de directive « CSDD », qui s’inscrit dans une architecture juridique cohérente, vise aussi à prévenir la fragmentation du marché

Pour reprendre l’expression de la Professeure Marie-Anne Frison-Roche, auditionnée par vos rapporteures, la proposition de directive « CSDD » est une nouvelle pièce d’un « puzzle européen » ([17]), qui ne doit « pas (…) être séparée d’autres textes, car l’Union européenne avance selon un plan d’ensemble ».

En particulier, comme l’affirme l’eurodéputé Pascal Durand que vos rapporteures ont rencontré à Bruxelles, la directive « CSDD » devra pouvoir s’appuyer sur le vocabulaire harmonisé des informations extra-financières découlant de la directive du 14 décembre 2022 sur la publication d’information en matière de durabilité par les entreprises (dite « CSRD ») ([18]). À plus long terme, comme le préconise le député Dominique Potier, il conviendra de s’assurer de la bonne articulation de la future directive CSDD dans l’« architecture » plus vaste comprenant, d’une part, le devoir de vigilance général et, d’autre part, les obligations de vigilance sectorielles.

Les obligations de vigilance sectorielles en vigueur
et en discussion dans l’Union européenne

 

Certains secteurs d’activité sont soumis à des législations sectorielles en matière de durabilité, en particulier dans des secteurs à risques.

-          Le règlement (UE) 2023/1115 du 31 mai 2023 relatif à la mise à disposition sur le marché de l’Union ainsi qu’à l’exportation à partir de l’Union de certains produits de base et produits associés à la déforestation et à la dégradation des forêts,

Ce règlement interdira (à compter de décembre 2024 pour les opérateurs et commerçants, et de juin 2025 pour les TPE/PME) la mise sur le marché ou l’exportation depuis le marché européen de produits ayant contribué à la déforestation ou à la dégradation des forêts. Le règlement imposera un devoir de diligence raisonnable aux entreprises commercialisant ou exportant sur le marché de l’Union certains produits (café, cacao, caoutchouc, huile de palme, soja, bœuf, bois et charbon de bois, cuir et papier imprimé).

Plus précisément, les opérateurs et commerçants des entreprises visées auront pour obligation de réaliser une « diligence raisonnée » avant l’exportation ou la mise en marché de leur produit. Cette déclaration de diligence raisonnée sera enregistrée dans un registre européen, avec pour objectif de démontrer que le produit comporte un risque « nul » ou « négligeable » de déforestation, et avec une obligation de géolocaliser à la parcelle l’origine du produit.

-          Le règlement (UE) 2017/821 du 17 mai 2017 fixant des obligations liées au devoir de diligence à l’égard de la chaîne d’approvisionnement pour les importateurs de l’Union qui importent de l’étain, du tantale et du tungstène, leurs minerais et de l’or provenant de zones de conflit ou à haut risque

Ce règlement a pour objectifs d’assurer la traçabilité des flux, de permettre la création de chaînes d’approvisionnement transparentes et vérifiables, de faciliter et promouvoir l’importation responsable dans l’Union et de prévenir les atteintes aux droits de l’homme qui y sont associées, de manière à contribuer au développement économique et aux moyens de subsistance des communautés locales.

Dans ce cadre, les importateurs de l’Union européenne sont tenus à la mise en place de la gestion des risques, de l’élaboration d’une politique de chaîne d’approvisionnement et d’un système de gestion, des contrôles financiers par des tiers indépendants et l’obligation de communication des informations.

-          Le règlement (UE) 2021/821 du 20 mai 2021 instituant un régime de l’Union de contrôle des exportations, du courtage, de l’assistance technique, du transit et des transferts en ce qui concerne les biens à double usage.

Ce règlement vise à renforcer l’action de l’Union européenne en matière de non‑prolifération des armes de destruction massive, de sécurité et de stabilité régionales, de paix, de respect des droits de l’homme et de droit international humanitaire.

Plus précisément, l’exportation hors de l’espace douanier communautaire est soumise à l’obtention d’une autorisation de l’État après examen du produit, de son utilisation et de sa destination. Certains biens sont contrôlés sur pièces, dans le cadre du commerce hors Union européenne et du transfert intracommunautaire. Des sanctions fiscales et pénales sont également possibles en cas d’infraction.

-          En outre, une proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l’interdiction des produits issus du travail forcé sur le marché de l’Union (COM[2022]453 final) est également à l’étude :

La Commission européenne a publié, le 14 septembre 2022, une proposition de réglementation pour instituer un cadre juridique commun interdisant, pour tous les opérateurs économiques, la mise sur le marché européen des produits issus du travail forcé, ainsi que l'exportation de tels produits depuis l'Union européenne.

Le concept juridique de « devoir de vigilance » a désormais été repris dans plusieurs États de l’Union européenne. À ce jour, trois États membres de l’Union (France, Pays-Bas et Allemagne ([19])) sont effectivement dotés d’une législation nationale relative au devoir de vigilance des entreprises, tandis que des débats législatifs ont lieu à ce sujet au Danemark, en Belgique, aux Pays-Bas, en Espagne ou encore en Suède.

La promotion d’un cadre harmonisé à l’échelle de l’Union permettrait donc d’assurer, pour les entreprises opérant sur le marché européen, un terrain de jeu équitable (level playing field), de nature à minimiser les distorsions sur le marché intérieur pouvant résulter des législations nationales disparates.

La Commission européenne présente sa proposition de directive comme un moyen de lutter contre la fragmentation du marché intérieur, du fait de divergences entre les exigences nationales qui risquent, en compromettant la sécurité juridique, d’être « inefficace[s] et de donner lieu à des conditions de concurrence inégales » ([20]).

La loi sur le devoir de vigilance en Allemagne

L’Allemagne a adopté en 2021 une loi sur le devoir de vigilance des entreprises pour prévenir les violations des droits de l’homme dans les chaînes d’approvisionnement (Lieferkettensorgfaltspflichtengesetz).

Entrée en vigueur à compter du 1er janvier 2023, cette loi s’applique dans un premier temps aux entreprises de plus de 3 000 salariés ; ce seuil étant abaissé à 1 000 salariés en 2024. Les entreprises visées doivent mettre en place des procédés visant à identifier, prévenir et atténuer les risques et les atteintes causées par leur propre activité ou celle des entités de leur chaîne d’approvisionnement.

La loi allemande ne prévoit pas d’action en responsabilité civile pour compenser les préjudices causés sur le fondement d’une violation du devoir de vigilance. Elle prévoit des sanctions administratives, en donnant compétence à l'Office fédéral de l'économie et du contrôle des exportations (BAFA) d'ordonner des mesures sous astreinte. Ces amendes peuvent atteindre jusqu’à huit millions d’euros ou 2 % du chiffre d’affaires annuel du groupe, auxquelles peut s’ajouter une exclusion des marchés publics. Le BAFA peut être saisi par des personnes étrangères s’estimant victimes de violations de leurs droits humains, ou par des tierces parties établies en Allemagne (ONG, syndicats). Il doit alors ouvrir une enquête pour vérifier les allégations et, le cas échéant, y remédier.

Certaines ONG ont mis en doute la capacité du BAFA à mener lesdites enquêtes, eu égard à ses moyens limités, et lui reprochent également de manquer d’indépendance, du fait notamment de son rattachement au ministère de l’Économie.

3.   La proposition de directive approfondit ainsi la logique de compliance et durcit les exigences du droit de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE)

Le « devoir de vigilance » approfondit et dépasse la logique de la compliance, qui correspond à « une démarche volontaire d’adoption de mesures destinées à assurer le respect des règles et à prévenir et détecter les possibles manquements » ([21]). La Professeure Marie-Anne Frison-Roche montre que la compliance – qui constitue un champ du droit en extension – consiste à confier aux entreprises des « buts monumentaux » ([22]), afin que celles-ci assument des missions de protection des droits humains et de l’environnement.

Le « devoir de vigilance » s’inscrit dans le prolongement de la compliance, en ce qu’il appelle les entreprises à mettre en œuvre, en amont, des programmes de conformité afin de limiter les risques juridiques et éviter ainsi les sanctions. Cette logique de compliance a ceci de novateur, comme le rappelle la Professeure Marie-Anne Frison-Roche, qu’elle permet de concilier éthique interne (gestion des risques propres) et éthique externe des entreprises (à l’égard de leurs filiales, de leurs sous-traitants et fournisseurs), conduisant in fine à une prise en compte des risques que l’activité de l’entreprise fait peser pour la société tout entière.

Le « devoir de vigilance », tel que défini dans la proposition de directive « CSDD », dépasse la logique de la compliance en prévoyant, en aval, la possibilité d’engager la responsabilité civile des entreprises devant le juge judiciaire, ainsi que la supervision par des autorités administratives indépendantes, pouvant prononcer des sanctions. L’autorégulation, bien que celle-ci ait ses vertus, trouve en effet ses limites : l’expérience de la loi française du 27 mars 2017 enseigne que l’absence d’autorité de contrôle était une « lacune » dans « le suivi de [son] application » ([23]).

Il apparaît ainsi que la proposition de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité permettrait de transcrire en « droit dur » européen les principales normes internationales en matière de responsabilité sociétale des entreprises (« RSE »).

B.   Les dÉcisions en rÉfÉrÉ sur le fondement de la loi du 27 mars 2017 apportEnt de premiers enseignements sur la portÉe du devoir de vigilance et nourrissent un dÉbat instructif pour les colÉgislateurs europÉens

Les débats doctrinaux entourant l’effectivité de la loi française du 27 mars 2017 offrent un premier aperçu des points d’attention auxquels les colégislateurs européens devront veiller, afin d’anticiper certaines difficultés d’application de la future directive.

1.   Les ordonnances de référé rendues le 28 février 2023 sur le fondement de la loi française du 27 mars 2017 ont des vertus pédagogiques

En début d’année 2023, on recensait 17 mises en demeure sur le fondement de la loi française sur le devoir de vigilance, dont 9 avaient donné lieu à une saisine des juridictions.

Comme l’ont rappelé le Professeur Antoine Touzain et le Maître de conférences Jean-Baptiste Barbièri lors de leur audition par vos rapporteures, il convient de faire preuve de prudence dans la lecture des premières ordonnances rendues par le tribunal judiciaire de Paris, celles-ci ne préjugeant nullement des futures décisions au fond ([24]).

Néanmoins, les ordonnances du 28 février 2023 (affaire dite « TotalEnergies ») se livrent à une analyse critique (et critiquable ?) de la loi française et de ses lacunes, dont les enseignements peuvent éclairer les débats pour assurer l’effectivité du devoir de vigilance à l’échelle européenne. En particulier, le tribunal de Paris souligne l’absence d’organisme de contrôle indépendant (lacune que la proposition de directive CSDD prévoit de combler) mais aussi l’absence de référence à des principes directeurs ou à des normes internationales préétablies (la proposition de directive CSDD listera, dans ses annexes, de nombreuses conventions internationales afin d’assurer une meilleure effectivité). En outre, le juge des référés regrette l’absence de décret d’application de la loi du 27 mars 2017 – plus de cinq ans après son adoption –, condition pourtant nécessaire pour en préciser les contours.

Selon la doctrine, l’une des difficultés majeures pouvant être attendues dans le cadre des jugements rendus au fond a trait à « l’analyse causale de la faute de vigilance » de la société mère ou donneuse d’ordre à l’égard du dommage causé par ses filiales ou ses relations commerciales. Le juge devra effectivement disposer des moyens et ressources suffisants pour pouvoir se livrer à un raisonnement contrefactuel et démontrer ainsi qu’un dommage produit par une filiale, un sous-traitant ou un fournisseur ne serait pas advenu en cas de mise en œuvre d’une vigilance effective de la part de l’entreprise débitrice des obligations de vigilance ([25]).

L’ONG CCFD-Terre Solidaire, représentée par Mme Clara Alibert et que vos rapporteures ont rencontrée, plaide pour sa part pour une « interprétation téléologique ([26]) et in concreto du devoir de vigilance » ([27]), centrée sur les droits et les réalités des personnes que la législation vise à protéger.


3.   Les principes directeurs de l’OCDE pourraient en outre constituer une référence pour guider le juge

Le fait que les ordonnances du 28 février 2023 du tribunal judiciaire de Paris regrettent l’absence de référence à des principes directeurs ne manquera pas de surprendre, puisque le « devoir de vigilance » puise ses sources dans les Principes directeurs de l’OCDE, explicitement mentionnés dans l’exposé des motifs de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre ([28]). Dès lors, pour mettre en œuvre leurs obligations dans le cadre du devoir de vigilance, les entreprises peuvent se référer aux décisions des points de contact nationaux de l’OCDE ainsi qu’aux bonnes pratiques sectorielles associées aux guides pratiques ([29]).

Ainsi que le rappelait Mme Maylis Souque, Conseillère Économique à la Représentation permanente de la France auprès de l'OCDE, lors de son audition par vos rapporteures, chaque État adhérent aux Principes directeurs de l’OCDE doit établir un « point de contact national » (PCN), qui a pour mission de proposer ses « bons offices » sur des questions relatives à la mise en œuvre des Principes directeurs de l’OCDE. En France, le PCN relève de la Direction Générale du Trésor et prend la forme d’un dispositif de médiation multipartite.

Si son bilan a pu être qualifié d’honorable ([30]), sa visibilité reste cependant insuffisante selon les représentants des ONG que vos rapporteures ont auditionnés. À l’instar de Sherpa, ces dernières estiment aussi que la composition du PCN devrait être revue pour en garantir l’impartialité, en s’inspirant notamment des PCN norvégien, danois et néerlandais, dont les membres sont des experts indépendants ([31]).

Surtout, le rôle même du PCN – dont la nature n’est pas judiciaire – est de chercher un accord entre les parties, notamment au travers d’actions de médiation ou de dialogue informel, ce qui ne constitue pas nécessairement la solution la plus pertinente. En cas d’échec des bons offices, le PCN publie un communiqué final sur l’affaire, assorti d’éventuelles recommandations. Dès lors que le rôle de contrainte du PCN est très limité, vos rapporteures constatent qu’il sera indispensable de permettre – à travers l’application de la proposition de directive « CSDD » – des procédures contentieuses efficaces.

II.   La proposition de directive « CSDD » consacre un champ d’application personnel extensif par rapport à la loi française et apporte davantage de détails sur ce que recouvrent les mesures de vigilance

La proposition de directive « CSDD », plus ambitieuse que les législations nationales existantes – et en particulier que la loi française – élargirait le champ des entreprises concernées et préciserait le contenu des obligations de vigilance.

A.   Les seuils d’assujettissement au devoir de vigilance sont plus variés et plus ambitieux que ceux de la loi française

1.   Les seuils d’assujettissement de la loi française sont trop élevés, excluant de nombreuses entreprises dont l’activité présente des risques

Pour rappel, la loi française du 27 mars 2017 avait retenu – selon une logique que l’on pourrait qualifier d’expérimentale ([32]) – un critère unique et des seuils particulièrement élevés (emploi direct ou indirect de 5 000 salariés pour les entreprises établies en France et de 10 000 salariés pour les entreprises étrangères ayant une activité en France).

Le rapport sur l’évaluation de la loi du 27 mars 2017 préconisait d’« abaisser les seuils de salariés au-delà desquels une entreprise est assujettie au devoir de vigilance et [d’]introduire un nouveau critère d’assujettissement au devoir de vigilance lié au chiffre d’affaires, alternatif à celui du nombre de salariés ».

La proposition de directive de la Commission européenne s’inscrit en tout point en cohérence avec cette recommandation.

2.   La proposition de directive de la Commission repose sur une approche multicritère et des seuils moins élevés

La proposition de directive « CSDD » propose d’inclure le nombre de salariés et le chiffre d’annuel net, ainsi qu’un critère supplémentaire de prise en compte du risque attaché à certains secteurs d’activité.


Il convient cependant de noter que, contrairement à la loi française du 27 mars 2017, le calcul des effectifs et du chiffre d’affaires mondial net n’est pas fondé sur une approche consolidée ([33]) mais sur une approche individuelle ([34]). À noter que le Parlement européen a adopté un amendement visant à étendre le champ d’application du devoir de vigilance aux sociétés mères ultimes, initiative que vos rapporteures soutiennent toutes deux.

La proposition initiale de la Commission avait vocation à s’appliquer ([35]) :

-         aux entreprises basées ou opérant dans l’UE, employant plus de 500 personnes (contre 1 000 pour la loi française) et réalisant un chiffre d’affaires (CA) annuel net de 150 M€ ;

-         aux entreprises établies au sein de l’UE employant plus de 250 personnes et réalisant un CA net supérieur à 40 M€ si au moins 50 % de celui-ci a été réalisé dans un secteur à risque (textile, agriculture, secteur minier ([36])).

Cette proposition couvrirait, selon les estimations de la Commission, quelque 11 900 sociétés européennes ([37]) dont 1 582 françaises – et 6 000 sociétés non européennes.

3.   Les États membres ont affirmé la dimension extraterritoriale de la directive

Les seuils proposés par la Commission ont été repris dans l’orientation du Conseil de l’Union européenne du 30 novembre 2022, en précisant néanmoins que ces seuils devraient s’appliquer pour deux exercices consécutifs. Au cours des discussions au Conseil, certains pays (notamment Malte, la Croatie, la Slovaquie, la Hongrie) avaient plaidé pour rehausser ces seuils afin de limiter le nombre d’entreprises concernées par les obligations de vigilance.

Après des débats sur l’opportunité d’un calcul des seuils selon une approche individuelle (soutenue par la Finlande et la Croatie pour des raisons de facilité de mise en œuvre) ou consolidée (solution soutenue par la France), l’orientation du Conseil de l’Union a retenu une approche individuelle, tout en posant le principe du réexamen ultérieur de l’opportunité d’un passage à une approche consolidée avec augmentation des seuils ([38]).

Pour assurer un « terrain de jeu équitable », les États membres ont en outre réaffirmé la dimension extraterritoriale de la proposition de directive. Ainsi, l’orientation du Conseil vise également les entreprises constituées en conformité avec la législation d’un pays tiers, mais ayant une activité au sein de l’UE ([39]).

4.   Vos rapporteures saluent la proposition encore plus ambitieuse du Parlement européen

Dans sa position adoptée le 1er juin 2023, le Parlement européen a proposé d’abaisser ces seuils à 250 salariés et 40 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel net.

Vos rapporteures soutiennent une approche ambitieuse et observent qu’un seuil d’assujettissement abaissé à 250 salariés aurait le mérite de la cohérence, en s’alignant sur celui fixé pour les obligations de reporting extra-financier dans la directive « CSRD », et en touchant les entreprises dont les effectifs sont supérieurs au critère retenu dans la nomenclature européenne ([40]) pour définir les PME.

Recommandation n° 1 : Vos rapporteures soutiennent la position ambitieuse du Parlement européen consistant à étendre le champ d’application, d’une part, aux entreprises à partir de 250 salariés et, d’autre part, aux sociétés mères ultimes.

B.   Les mesures de vigilance « raisonnables » sont davantage dÉtaillÉes dans la proposition de directive que dans la loi française

La proposition de directive « CSDD » est sensiblement plus détaillée que la loi française du 27 mars 2017, dont le caractère succinct reflétait la volonté d’offrir un cadre général et adaptable.

1.   Le contenu du devoir de vigilance est clairement détaillé

Les entreprises sont tenues, tout à la fois, de prévenir les « incidences négatives potentielles » (article 7) et de supprimer les « incidences négatives réelles » sur les droits de l’Homme et sur l’environnement (article 8), résultant de leurs propres activités, des activités de leurs filiales et des opérations de la chaîne de valeur. Par souci de sécurité juridique, les définitions des « incidences négatives potentielles » et « réelles » sont fixées à l’article 3 de la proposition de la Commission.

En outre, suivant la proposition de directive, les entreprises seront tenues :

-           d’intégrer le devoir de vigilance dans les politiques et les systèmes de gestion des risques internes de l’entreprise (article 5) ;

-           de recenser les incidences négatives réelles et potentielles, selon une procédure similaire à la « cartographie des risques » de la loi française (article 6) ;

-           d’établir une procédure relative aux plaintes, ouverte aux personnes directement concernées par les incidences négatives, aux syndicats et représentants des travailleurs dans la chaîne de valeur, aux organisations de la société civile active dans les domaines liés à la chaîne de valeur (article 9) ;

-           de contrôler l’efficacité de la politique et des mesures de vigilance (article 10) ;

-           de communiquer publiquement sur le devoir de vigilance au travers d’un rapport annuel (article 11).

2.   Les entreprises seront guidées et contrôlées par des autorités administratives indépendantes nationales

La proposition de directive CSDD comble une lacune de la loi française du 27 mars 2017, en prévoyant l’intervention directe de la puissance publique afin de guider les entreprises dans le respect de leur devoir de vigilance, via la création ou la désignation d’autorité(s) administrative(s) nationale(s) chargée(s) de surveiller la mise en œuvre du devoir de vigilance des sociétés, tout en disposant de prérogatives d’enquête et de sanction administrative.

Vos rapporteures insistent sur le fait que les autorités administratives indépendantes ne sauraient être instituées au détriment des mécanismes d’engagement de la responsabilité civile des entreprises, qui devront impérativement être préservés ou renforcés dans la phase des trilogues. Le rôle des autorités administratives indépendantes, en amont pour accompagner et guider les entreprises, puis en aval pour prononcer le cas échéant des sanctions dans des délais réduits, s’inscrit en complément de l’action du juge judiciaire.

Ainsi, pour MM. Antoine Touzain et Jean-Baptiste Barbièri, la compétence confiée à une ou des autorités administratives indépendantes à l’échelle nationale serait plutôt de nature à accroître l’efficacité du dispositif et, partant, à combler une lacune de la loi française du 27 mars 2017.

III.   Le rÉfÉrentiel normatif de la proposition de directive est plus prÉcis que celui de la loi française, ce qui ne devra nÉanmoins pas limiter la crÉativitÉ de ce droit en construction

A.   Le rÉfÉrentiel normatif DÉtaillÉ de la proposition de directive peut contribuer À une plus grande sÉcuritÉ juridique

La loi française du 27 mars 2017 vise un champ d’application matériel très vaste, sans que celui-ci ne soit déterminé avec précision (le plan de vigilance doit prévenir les atteintes graves envers les droits humains, les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes, et l’environnement). Ce manque de précision, s’il laisse libre champ à l’interprétation et à des adaptations, a pu aussi être considéré comme une faiblesse pour l’application effective de la loi.

La proposition de directive est à cet égard beaucoup plus précise, en citant des conventions internationales et des textes variés dans ses annexes.

1.   La proposition de directive cite un grand nombre de conventions relatives aux droits humains et environnementaux

La proposition de directive sanctionne les violations d’un ensemble de normes, essentiellement par référence à des conventions internationales annexées, relatives aux droits humains et environnementaux.

La proposition de directive CSDD s’appuie (dans son annexe) sur le cadre international existant, découlant des principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme ; des principes directeurs de l’OCDE à l’attention des entreprises multinationales ; du guide de l’OCDE sur le devoir de diligence pour une conduite responsable des entreprises ou encore des déclarations de l’OIT ([41]):

-          la première partie de l’annexe liste les droits humains concernés par les obligations en matière de vigilance, avec des références au cadre international applicable ;

-          la deuxième partie de l’annexe liste des violations des objectifs et interdictions internationalement reconnus figurant dans les conventions environnementales.

Concrètement, toute atteinte aux droits reconnus dans les conventions listées, au sein d’une filiale de l’entreprise concernée par les obligations de vigilance découlant de la directive, ou de l’un de ses partenaires commerciaux directs ou indirects, emportera l’obligation pour l’entreprise soumise à la directive de prendre les mesures de vigilance appropriées et proportionnées, pouvant aboutir jusqu’à la rupture du contrat avec le partenaire en cause.

La règle s’appliquera, que le partenaire commercial soit ou non établi dans l’Union européenne ou dans un pays tiers, et ce même si ce pays n’a pas ratifié les conventions internationales protégeant les droits. En cas de manquement à ses obligations de vigilance, l’entreprise pourra être condamnée par le juge à réparer le dommage qu’elle a causé ou auquel elle a contribué par sa faute, et pourra faire l’objet de sanctions administratives.

En réponse à une question écrite (n°4580) de la députée Marie-Pierre Rixain, relative à l’application du devoir de vigilance en matière d'égalité économique et professionnelle, le ministère de l’Économie, des Finances et de la souveraineté industrielle et numérique soulignait ainsi que les conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail (OIT) – citées en annexe de la proposition de directive – auraient vocation à s’appliquer dans le cadre du devoir de vigilance, que le pays où se trouve l’entité concernée de la chaîne de valeur ait ou non ratifié les conventions de l’OIT.

La proposition de directive consacrerait par exemple l’égalité de rémunération entre les mains-d’œuvre féminine et masculine pour un travail de valeur égale, et l’égalité des chances et de traitement en matière d’emploi et de profession, afin d’éliminer toute distinction, exclusion ou préférence fondée notamment sur le sexe.

2.   La référence aux Principes directeurs de l’OCDE et des Nations Unies permet d’éclairer l’esprit des obligations de vigilance « raisonnables »

En tant que normes internationales de référence, les Principes directeurs de l’OCDE et des Nations Unies (abondamment mentionnés dans les considérants de la proposition CSDD ([42]), ainsi que dans son annexe) pourront servir à résoudre les éventuelles ambiguïtés de définition en termes de portée et de contenu des obligations de vigilance « raisonnables ».

Ainsi, les Principes directeurs de l’OCDE pourront servir de « point d’appui pour l’imputation à l’entreprise défaillante des dommages réalisés par des entités de sa chaîne de production » ([43]).

Ces Principes revêtent une forte portée opérationnelle, adaptée aux réalités du monde économique, et ne constituent aucunement un « fardeau bureaucratique » pour les entreprises. Les Principes directeurs des Nations Unies précisent par exemple que la procédure de gestion des risques pour les droits de l’homme « sera plus ou moins complexe suivant la taille de l’entreprise » (Principe directeur n° 17). Le guide interprétatif des Principes directeurs des Nations Unies ([44]) ajoute que les obligations de diligence raisonnables correspondent à une procédure de gestion continue, qu’une entreprise raisonnable et prudente doit réaliser « à la lumière des circonstances (à savoir le secteur, le contexte d’exploitation, la taille et autres facteurs similaires) ».

En somme, le devoir de vigilance, loin de paralyser les initiatives ou d’être un principe d’abstention, doit être vu comme un « principe d’action ». La notion même de devoir de vigilance, préférée à celle d’obligation de vigilance, insiste sur l’aspect proactif du concept, qui implique la mise en œuvre continue de « mesures effectives et proportionnées » ([45]).

B.   NÉANMOINS, la liste des conventions INTERNAtIONALES devra pouvoir être actualisÉe et complÉtÉe en tant que de besoin

1.   La liste des conventions internationales citées dans les annexes devrait pouvoir être complétée en tant que de besoin

Le CCFD-Terre Solidaire – dont vos rapporteures ont auditionné la représentante Mme Clara Alibert – appelle à compléter la liste des droits humains annexée en mentionnant notamment la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA), la Convention 169 de l'Organisation internationale du travail (OIT) relative aux peuples indigènes et tribaux et, plus généralement, en incluant des normes relatives aux droits fonciers et collectifs, ainsi que le principe du « consentement libre, préalable et éclairé » (CLIP).

En tout état de cause, vos rapporteures insistent sur la nécessité de prévoir un mécanisme de mise à jour de l’annexe de la future directive CSDD, afin que la définition des droits humains internationaux et environnementaux protégés reste suffisamment ouverte et puisse être complétée en tant que de besoin.

Ainsi, le traité sur la protection de la haute mer, adopté le 19 juin 2023 dans le cadre de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, et qui comprend des obligations importantes de conservation et de gestion durable de la biodiversité marine, devra pouvoir être inclus une fois celui-ci ratifié.

Recommandation n° 2 : Vos rapporteures préconisent une mise à jour régulière de l’annexe de la future directive, afin de pouvoir y intégrer de nouvelles conventions et garder une définition suffisamment ouverte des droits à protéger.

Mme Sophia Chikirou est par ailleurs favorable à ce que la loi française sur le devoir de vigilance du 27 mars 2017 soit, le cas échéant, modifiée et enrichie afin de renvoyer explicitement à des textes de référence en matière de droit environnemental. L’objectif serait de combler les possibles lacunes qui apparaîtraient à la suite de la transposition de la future directive, si des atteintes aux droits et à l’environnement (pollution des sols et des eaux notamment) n’étaient pas efficacement couvertes à l’échelle européenne.

2.   Il conviendra de veiller, dans la pratique, à ce que la définition des droits environnementaux soit opérationnelle

Mme Lucie Chatelain, représentante de l’association Sherpa, que vos rapporteures ont auditionnée, s’inquiète de ce que la citation des conventions relatives à l’environnement (deuxième partie de l’annexe de la directive) forme une définition sensiblement plus restrictive que celle retenue par la loi française sur le devoir de vigilance ([46]). Le droit international de l’environnement, « éminemment sectoriel et fragmenté » ([47]), comprend plus de 500 conventions internationales, dont certaines ne sont pas citées dans l’annexe de la directive (à l’instar de la Convention de Ramsar relative aux zones humides d’importance internationale ; ou de la Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires MARPOL 73/7). Certains principes généraux du droit international de l’environnement – tel que le principe de précaution – n’apparaissent pas non plus dans l’annexe de la directive.

En outre, certaines atteintes à l’environnement – telles que la pollution des sols ou la déforestation – ne font pas l’objet d’accords contraignants au niveau international. En somme, selon Sherpa, « l’approche consistant à renvoyer à une liste de conventions internationales pour définir son champ d’application risque de créer des angles morts dans la prévention et la réparation des atteintes à l’environnement perpétrées par les entreprises ».


Suivant cette logique, la commission de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire (ENVI) du Parlement européen, saisie pour avis, avait recommandé l’ajout d’une définition générale des atteintes à l’environnement dans le texte de la directive ([48]). La position du Parlement européen s’en tient finalement à une définition des incidences négatives sur l’environnement comme « résultant de la violation de l’une des interdictions et obligations découlant des conventions internationales en matière d’environnement énumérées en annexe » de la directive.

Le représentant de la Direction des Affaires Civiles et du Sceau (DACS) du ministère de la Justice auditionné par vos rapporteures a souligné que la technique consistant à lister des conventions n’était certes pas usuelle dans le droit français – qui n’est par tradition pas limitatif – tout en partageant néanmoins l’avis exprimé par MM. Antoine Touzain et Jean-Baptiste Barbièri, qui se sont montrés assez rassurants sur l’effectivité d’un tel dispositif.

En tout état de cause, il s’agira de veiller à ce que la protection des droits environnementaux soit effective une fois la proposition de directive CSDD transposée.


   DEUXIÈME PARTIE : LES POSITIONS DIVERGENTES DU CONSEIL ET DU PARLEMENT EUROPÉEN DOIVENT ÊTRE CONCILIÉES, SANS RENONCER À L’AMBITION INITIALE DU TEXTE, MALGRÉ UNE PHASE DE TRILOGUE CONTRAINTE PAR LE CALENDRIER ÉLECTORAL EUROPÉEN

 

La position commune du Conseil adoptée le 1er décembre 2022, qui résulte d’un équilibre fragile, limite la portée de la proposition de la Commission (en substituant notamment la notion de « chaîne d’activités » à celle de « chaîne de valeur », en supprimant le devoir de sollicitude des administrateurs, ou encore en excluant du champ d’application certaines activités financières).

Le mandat de négociation voté le 1er juin 2023 par le Parlement européen est, quant à lui, beaucoup plus ambitieux. L’enjeu de la phase de trilogue, initiée par une réunion de cadrage sous présidence suédoise du Conseil le 8 juin 2023, mais qui se déploiera véritablement sous présidence espagnole à compter du 1er juillet 2023, sera de rapprocher les positions divergentes des deux colégislateurs européens.

I.   L’orientation du Conseil, qui limite les ambitions de la proposition de directive sur plusieurs points, a ÉtÉ adoptÉe aprÈs des dÉbats Âpres entre États membres

Les négociations entre États membres, souvent âpres, ont été menées à une cadence soutenue par la Présidence tchèque du Conseil au second semestre 2022. Le mandat du Conseil a été voté le 1er décembre 2022, à partir du huitième texte de compromis. Deux États ont voté contre (Estonie et Pays-Bas, ces derniers défendant une approche plus ambitieuse), tandis que cinq États se sont abstenus (Slovaquie, Belgique, Lituanie, Autriche, Danemark) ([49]).

L’orientation du Conseil limite la portée de la proposition de la Commission, en substituant notamment la notion de « chaîne d’activités » à celle de « chaîne de valeur » et en faisant de la couverture des activités financières par les obligations de vigilance une simple faculté.

A.   L’orientation du Conseil privilÉgie la notion de « chaîne d’activitÉ », moins prÉcise et moins exigeante, sur le concept de « chaîne de valeur »

La proposition de directive de la Commission consacrait la notion de « chaîne de valeur », englobant à la fois les activités de production de biens ou de prestations de services, mais aussi les activités « connexes des relations commerciales de l’entreprise établies en amont et en aval ». Entraient ainsi dans le champ d’application de la proposition de directive « CSDD » les relations commerciales – directes ou indirectes – bien établies, en amont et en aval de la chaîne d’approvisionnement.

Lors des négociations au Conseil, la France (soutenue sur ce point par l’Italie, l’Espagne, la Pologne ou encore la Hongrie) a émis de fortes réserves, estimant que la mise en place des mesures de vigilance à en aval comprendrait des facteurs externes à la société, difficilement mesurables ([50]) et échappant au contrôle des entreprises visées. Par ailleurs, les obligations de vigilance sur les relations en aval risquaient selon elle de freiner le développement à l’international des entreprises européennes ou de les conduire à se désengager de certains marchés (en particulier dans les pays en développement). La France a plaidé pour limiter les obligations de vigilance à la « chaîne d’approvisionnement », sur le modèle de la loi française du 27 mars 2017.

À l’inverse, les Pays-Bas, le Luxembourg, le Danemark, l’Espagne ont insisté pour l’inclusion de l’ensemble de la chaîne de valeur.

Finalement, la notion de « chaîne d’activités » a été retenue dans l’orientation du Conseil, qui précise que ce « terme neutre » vise à « refléter les divergences de vues des États membres sur la question de savoir s'il y a lieu de couvrir l'ensemble de la "chaîne de valeur" ou de limiter le champ d'application à la « chaîne d'approvisionnement ». Plus restrictive, la notion de « chaîne d’activités » se rapproche du concept de « chaîne d’approvisionnement », en écartant la phase d’utilisation des produits de l’entreprise ainsi que la fourniture de services.

Force est de constater que les divergences entre États membres n’auront pas contribué à la précision juridique de l’orientation du Conseil ; il apparaît ici que « la diplomatie et le droit n’ont pas le même langage » ([51]).


À noter que le Conseil de l’UE, tout comme le Parlement européen, a supprimé la référence au concept de « relation commerciale établie » ([52]) (inspiré de la loi française du 27 mars 2017).

L’Allemagne et le Danemark craignaient que la notion incite les entreprises donneuses d’ordre à multiplier les contrats de très court terme avec leurs sous-traitants pour se soustraire au devoir de vigilance, tandis que certains États membres jugeaient la notion trop restrictive. La Commission estimait néanmoins que le concept de « relation commerciale établie » n’était pas incompatible avec la couverture de l’ensemble de la chaîne de valeur.

À la place, une approche (proportionnelle) fondée sur les risques a été préférée, dans la lignée des recommandations de l’OCDE.

B.   La responsabilitÉ civile a ÉtÉ limitÉe dans l’orientation du Conseil aux « fautes intentionnelles ou liÉes À la nÉgligence », ce qui rÉduit excessivement le champ du devoir de vigilance

L’orientation du Conseil de l’Union européenne modifie l’article 22 de la proposition afin d’y introduire la notion de « faute intentionnelle ou résultant d’une négligence » comme condition d’engagement de la responsabilité civile des entreprises.

Le Parlement européen préfère au contraire un engagement plus vaste de la responsabilité des entreprises, qui pourrait être engagée non plus seulement sur la base des seules obligations des articles 7 et 8, mais sur le fondement de l’ensemble des obligations prévues par la directive.

Ainsi que le rappelait le commissaire à la Justice Didier Reynders lors du débat en session plénière du 31 mai 2023, la future directive sur le devoir de vigilance a vocation à s’appliquer aux entreprises qui ont la capacité de mener des opérations de « diligence raisonnable » sur leurs chaînes de valeur, étant entendu que ces diligences seront proportionnées et adaptées au contexte économique.

Dans ce contexte, vos rapporteures plaident pour des conditions d’engagement de responsabilité suffisamment larges : la responsabilité civile devrait pouvoir être engagée en cas de non-respect des mesures de vigilance explicitées dans la proposition de directive. Ceci d’autant qu’un régime spécial est prévu pour les relations commerciales indirectes, limitant les risques juridiques puisque l’entreprise donneuse d’ordre ne sera pas tenue responsable en cas de défaillance d’un sous-traitant si elle peut prouver que des vérifications ont été effectuées et que des garanties contractuelles ont été posées (système contractuel en cascade, qui devra au demeurant faire l’objet d’une attention particulière pour ne pas promouvoir une approche formaliste de la vigilance).

 

Recommandation n° 3 : Vos rapporteures, qui préconisent de larges conditions d’engagement de la responsabilité civile, sur le modèle de la proposition du Parlement européen, regrettent que l’orientation du Conseil entende réduire l’engagement de la responsabilité civile des entreprises pour un dommage causé à une personne physique et morale aux « fautes intentionnelles ou de négligence ».

C.   L’orientation du Conseil fait de l’inclusion des opérations de financement et d’investissement une simple faculté

La proposition initiale de la Commission prévoyait l’application des obligations de vigilance aux services financiers, tout en tenant compte de ses « particularités, notamment en ce qui concerne la chaîne de valeur et les services offerts ».

Ainsi que le rappelaient les représentants du Secrétariat général des affaires européennes et de la Direction générale du Trésor lors de leur audition par vos rapporteures, la proposition de la Commission prévoyait l’intégration de l’emprunteur dans la chaîne de vigilance. Or, selon eux, la capacité d’influence d’un banquier ou d’un gestionnaire de fonds sur son client serait trop limitée pour que l’application du devoir de vigilance soit réaliste. Cette position est partagée par la Fédération bancaire française (FBF), qui estime que les réglementations pesant sur les banques sont déjà nombreuses et que la directive « CSDD » risque le cas échéant de faire peser un risque concurrentiel au détriment des banques européennes.

En outre, la France s’inquiète de ce que ses industries d’export à l’instar du projet de métro d’Alstom au Caire – exemple cité à plusieurs reprises lors des auditions – soient pénalisées en ne pouvant plus compter sur le service de « crédit export » (permettant à l’État acheteur de bénéficier de conditions de financement favorables grâce à un service financier fourni par une banque) si le partenaire commercial potentiel n’a pas ratifié certaines conventions internationales. En somme, pour le Secrétaire général adjoint du SGAE, M. Benoit Catzaras, la couverture de l’aval du secteur financier par des obligations de vigilance pose à la fois un problème de « concurrence et d’effectivité ».

Lors des négociations au Conseil, plusieurs États – et en particulier les Pays-Bas – ont néanmoins contesté l’argument d’une perte de compétitivité des banques en lien avec l’application du devoir de vigilance, et ont plaidé pour une approche plus ambitieuse. La France a exprimé de fortes réserves au Conseil sur ce sujet, mais le Gouvernement français s’est défendu de vouloir exempter les banques de l’application du devoir de vigilance ([53]). La position de la France consistait plus précisément à demander que les obligations de vigilance s’appliquant au secteur financier pèsent essentiellement sur l’amont – mais non pas sur l’aval – de leur « chaîne » d’approvisionnement.

Après des débats âpres sur ce point, l’orientation générale adoptée par le Conseil a fait de l’inclusion des services financiers une simple faculté. Les États membres disposeraient ainsi d’un droit d’option pour déterminer si la future directive doit ou non s’appliquer aux entreprises du secteur financier. Sur ce point, et à la demande notamment des Pays-Bas, une clause de révision est prévue à l’article 29 de l’orientation du Conseil.

II.   La position du Parlement europÉen, adoptÉe le 1er juin aprÈs quelques rebondissements, est plus ambitieuse que la proposition originelle de la Commission

Les principaux points de discussion lors des trilogues peuvent d’ores et déjà être anticipés, en confrontant l’orientation du Conseil à la position du Parlement européen.

A.   Sur le champ personnel, le Parlement europÉen souhaite Étendre les obligations aux sociÉtÉs mères, et abaisser les seuils d’application du texte

En amendant le considérant 21 de la proposition de directive CSDD, le Parlement européen a voté pour l’extension des obligations de vigilance aux sociétés mères ultimes de plus de 500 salariés et dont le chiffre d’affaires et de plus de 150 millions d’euros.

En outre, selon la position du Parlement européen, la proposition « CSDD » s’appliquerait aux entreprises dès 250 salariés et 40 millions d’euros de chiffre d’affaires.

Si certains États membres ont exprimé des réticences eu égard à leur tissu productif ([54]), l’argument d’un fardeau bureaucratique accru pour les PME n’est pas établi, comme le soulignait l’eurodéputé Renew Europe Barry Andrews, rapporteur du texte pour la Commission du commerce international, au cours des débats du 31 mai 2023 sur la proposition de directive ([55]).

Vos rapporteures réitèrent donc leur soutien à la position ambitieuse du Parlement européen (cf. supra, recommandation n° 1).

B.   Le Parlement européen souhaite Élargir le champ d’application du devoir de vigilance au-delÀ de la chaîne d’approvisionnement au sens strict

Alors que l’orientation du Conseil visait à appliquer les obligations de vigilance aux activités de distribution, de stockage, de transport et d’élimination des produits par les seuls partenaires commerciaux des entreprises visées exerçant ces activités « pour l’entreprise et au nom de l’entreprise », le Parlement européen propose une formule plus exigeante, en visant toutes les « entités impliquées » dans les activités de vente, de distribution ou de fourniture des produits, mais également des services.

Recommandation n° 4 : Vos rapporteures soutiennent la position du Parlement européen adoptée le 1er juin 2023, consistant à appliquer les obligations de vigilance, au-delà des seules chaînes d’approvisionnement, à toutes les « entités impliquées » dans les activités de vente, de distribution ou de fourniture des produits et services.

Il convient de relever que le Parlement européen comme le Conseil de l’Union européenne ont renoncé à un contrôle de « l’aval », ou de l’utilisation, des produits et services.

C.   Le Parlement europÉen propose d’inclure certains acteurs financiers – mais pas les fonds de pension – dans le champ du devoir de vigilance

Conformément à la position de la commission des Affaires juridiques, saisie au fond, le Parlement européen a voté pour inclure certains établissements financiers dans le champ d’application du devoir de vigilance – en particulier les banques et les investisseurs institutionnels – qui devraient alors assurer des opérations de « vigilance raisonnable » sur leurs clients directs.

En revanche, comme l’a relevé Mme Sandrine Ménard, Conseillère à la Représentation permanente de la France, lors de son audition par vos rapporteures, les fonds de pension ont été exclus des obligations de vigilance au cours de l’examen en commission des Affaires juridiques de la proposition de directive. Cette situation est de nature à créer une distorsion de concurrence injustifiée entre, d’une part, les États dont l’économie est fortement intermédiée et dépend des banques (tels que la France ou l’Allemagne) et les États dans lesquels les fonds de pension occupent une place essentielle dans le financement de l’économie (à l’instar des Pays-Bas).

Si vos rapporteures portent deux visions distinctes quant à l’intensité et à la profondeur des obligations de vigilance que devraient assumer les institutions financières sur leurs clients (cf. infra, troisième partie.), elles s’accordent toutes deux pour soutenir la position du Parlement européen, en déplorant toutefois que les fonds de pension ne soient pas inclus dans les obligations de vigilance au même titre que les banques.

 

Recommandation n° 5 : Vos rapporteures saluent la volonté du Parlement européen d’associer le secteur financier aux efforts pour la promotion d’une économie respectueuse des droits humains et environnementaux, tout en soulignant que ces obligations de vigilance devraient concerner les fonds de pension au même titre que les banques.

D.   Le Parlement européen insiste sur la « mise en œuvre » des plans de transition climatique devant être adoptés par les entreprises

Le Parlement européen s’est saisi de la question de l’inclusion du risque climatique dans les obligations de vigilance, considérant que les objectifs fixés par l’Union européenne méritaient d’être traduits dans les faits.

Si la proposition de directive CSDD impose la conception d’un « plan de transition » climatique (article 15 de la proposition de directive), la position adoptée par le Parlement va plus loin, en en imposant désormais la « mise en œuvre » (au travers de l’adoption d’un amendement à l’article 7 de la proposition de directive).

Dans les groupes de plus de 1 000 salariés, la rémunération variable des dirigeants serait également liée au respect d’objectifs d’émissions de CO₂ compatibles avec l’Accord de Paris, suivant la nouvelle rédaction du considérant 51 de la proposition de directive CSDD issue du Parlement européen ([56]). Vos rapporteures souscrivent pleinement aux objectifs poursuivis par le Parlement européen. Au demeurant, Mme Mireille Clapot tient à souligner que le conditionnement de « la rémunération des dirigeants à la réussite de critères environnementaux préalablement fixés » était une proposition de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron en 2022 ([57]).

Alors que l’association Notre Affaire à Tous propose un benchmark annuel sur la mise en œuvre du devoir de vigilance climatique, à partir d’une méthodologie de calcul des émissions des multinationales ([58]), l’inclusion du risque climatique dans les plans de vigilance apparaît de plus en plus réaliste sur le plan technique. L’un des enjeux sera néanmoins de mettre en place une méthodologie harmonisée et reconnue dans tous les pays de l’Union européenne, afin de pouvoir effectivement mesurer la bonne mise en œuvre des plans de transition climatique.

La causalité « climatique » est certes difficile à établir puisque celle-ci est à la fois complexe (fruit de plusieurs causes), diffuse (dans le temps comme dans l’espace) et cumulative ([59]). Une solution pourrait consister, dans la cartographie de l’entreprise, à anticiper sa participation au dérèglement au regard de ses émissions passées, pour aller vers une « responsabilité du fait de sa contribution » selon la formule du Professeur François-Guy Trébulle ([60]).

Recommandation n° 6 : Vos rapporteures soutiennent la position du Parlement européen consistant à prévoir la « mise en œuvre » d’un plan pour la transition climatique prévu à l’article 15 de la directive, conformément aux objectifs de transition climatique et à l’accord de Paris.

E.   Du fait de l’adoption d’un amendement de derniÈre minute du Parti Populaire europÉen, LES DISPOSITIONS RELATIVES à LA responsabilitÉ des administrateurs ONT ÉtÉ supprimÉes

L’article 25 de la proposition de directive CSDD prévoit un devoir général de vigilance (ou de « sollicitude ») des administrateurs à l’égard de l’entreprise, précisant que ces derniers doivent tenir compte des conséquences de leurs décisions sur les questions de durabilité lorsqu’ils remplissent leur « devoir d’agir dans le meilleur intérêt de l’entreprise » ([61]).

L’article 26 de la proposition de directive détaillait quant à lui les dispositions relatives à la mise en place et au contrôle des mesures de vigilance énoncées dans la directive, en obligeant les administrateurs des entreprises de l’Union à « adapter la stratégie d’entreprise au devoir de vigilance » en « tenant dûment compte des contributions pertinentes des parties prenantes et des organisations de la société civile ». L’objectif était ainsi que la responsabilité en matière de vigilance incombe aux administrateurs de l’entreprise, c’est-à-dire aux membres du conseil d’administration, de gestion ou de surveillance de l’entreprise.

Sans surprise, au sein du Conseil de l’Union européenne, plusieurs États membres (en particulier la Suède, le Danemark, la Finlande, l’Estonie) avaient remis en cause les dispositions de l’article 26 au nom du principe de subsidiarité, considérant que la fixation des règles de gouvernance devait incomber aux États membres. Seuls la France, la Pologne et le Luxembourg s’étaient prononcés favorablement à ces règles, qui n’avaient donc pas été retenues dans le mandat de négociation du Conseil.

En revanche, la position du Parlement européen sur ce point a évolué « à la dernière minute » ([62]), après l’adoption d’un amendement ([63]) présenté au nom du Parti Populaire Européen (PPE). Comme l’ont expliqué à vos rapporteures l’eurodéputé Pascal Durand et les représentants de la Coalition Européenne pour la Responsabilité Sociale et Environnementale, les positions de certains eurodéputés du PPE ont évolué entre le vote du rapport de la commission des Affaires juridiques le 25 avril 2023, et la session plénière tenue le 1er juin 2023. Alors que le vote en session plénière devait être un exercice largement formel, des revirements ont eu lieu, et plusieurs amendements du PPE, susceptibles de vider le texte de sa substance ont été rejetés de justesse.

L’amendement du PPE supprimant la disposition relative à la responsabilité des administrateurs a été adopté, ce que vos rapporteures déplorent toutes deux vivement. Mme Sophia Chikirou rappelle que le principe d’une rémunération variable des administrateurs lié à la bonne application du devoir de vigilance sous tous ses aspects – humains et environnementaux – était une position agréée lors des débats en commission des Affaires juridiques du Parlement européen, et défendue par de nombreux eurodéputés, à l’instar de Mme Manon Aubry qui a insisté sur ce point lors de son audition par vos rapporteures.

Les représentants de la Coalition Européenne pour la Responsabilité Sociale et Environnementale se sont fait l’écho de la campagne de lobbying ([64]) qui a eu lieu dans le mois précédant le vote en session plénière. Le directeur de BusinessEurope Markus J. Beyrer avait notamment fait savoir que les devoirs des administrateurs créaient « une interférence inutile avec la gouvernance d’entreprise ».


Recommandation n° 7 : Vos rapporteures souhaitent toutes deux vivement que les dispositions relatives à la responsabilité des administrateurs sur la mise en place et la supervision du devoir de vigilance soient réintroduites dans le texte final de la directive « CSDD ».

*

En somme, à l’orée des trilogues, les points de divergence entre le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne restent importants. Les deux paramètres additionnels à prendre en considération pour parvenir à un accord politique sont, d’une part, le calendrier contraint des négociations eu égard aux élections prévues au Parlement européen en 2024 et, d’autre part, le contexte politique incertain en Espagne alors que des élections législatives anticipées se dérouleront prochainement, et que la présidence espagnole du Conseil débutera le 1er juillet 2023. Le commissaire européen à la Justice Didier Reynders, responsable du dossier, a fait montre d’un volontarisme certain ([65]) et son cabinet a confirmé à vos rapporteures sa volonté de faciliter un accord lors des trilogues.

Vos deux rapporteures forment le vœu que le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne parviennent à un accord ambitieux sur la proposition de directive CSDD avant la fin de la présidence espagnole du Conseil ou, au plus tard, avant les élections européennes du printemps 2024.

 


   TROISIÈME PARTIE : LORS DU TRILOGUE, DE GRANDES PRIORITÉS – LIÉES À LA PROFONDEUR DES chaînes DE VALEUR CONCERNÉES ET À L’ENGAGEMENT DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE DES ENTREPRISES – DEVRONT IMPÉRATIVEMENT ÊTRE DÉFENDUES POUR ASSURER L’EFFECTIVITÉ DE LA DIRECTIVE, DONT LA TRANSPOSITION DEVRA ENSUITE ÊTRE HOMOGÈNE

Vos rapporteures ont identifié des priorités communes, qu’elles ont souhaité consigner dans le projet d’avis politique annexé à ce rapport et soumis aux membres de la commission des Affaires européennes. Ces priorités devront prospérer au cours de la phase des trilogues afin de garantir l’effectivité de la future directive sur le devoir de vigilance.

Sur un nombre de sujets plus limité, les rapporteures ont pris acte de divergences de vues, et ont souhaité verser à ce rapport leurs analyses afin d’apporter leurs contributions respectives à la réflexion.

 

I.   Lors de la phase de trilogue, la prioritÉ consistera À assurer l’effectivitÉ de la directive en crÉant un cadre de responsabilitÉ civile clair et des obligations prÉcises pour les entreprises

A.   Sensibiliser les entreprises sur la diffÉrence de nature entre le devoir de vigilance dÉcoulant de la directive CSDD et les obligations de reporting de la directive CSRD

Vos rapporteures souhaitent toutes deux insister sur la nécessité d’assurer une articulation ([66]) fructueuse entre la future directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CSDD) et la directive du 14 décembre 2022 sur la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD, qui entrera en vigueur d’ici au 6 juillet 2024). Les définitions précises découlant de la directive CSRD devront être placées au service de l’effectivité de la future directive CSDD, ce qui permettra notamment au juge de s’appuyer sur un vocabulaire harmonisé pour évaluer le respect des obligations de diligence.

Un point d’attention majeur, qui est notamment ressorti des auditions avec les eurodéputés Manon Aubry et Pascal Durand, est de prévenir toute confusion entre les obligations de reporting de la directive CSRD et les obligations de remédiation des impacts négatifs et de diligences concrètes de la future directive CSDD.

L’ambiguïté doit être levée en rappelant d’abord ce que n’est pas le devoir de vigilance. Il existe en effet un risque, si les négociations du trilogue conduisaient à édulcorer les obligations substantielles des entreprises, que la législation se transforme en un simple « exercice de reporting, consistant dans une évaluation de conformité formelle au devoir de vigilance faite in abstracto », se limitant ainsi à des « obligations essentiellement cosmétiques » ([67]).

Recommandation n° 8 : Insister sur la différence de nature fondamentale entre le devoir de vigilance – qui implique le déploiement continu de procédures de diligence raisonnable – et les obligations de reporting.

B.   Expliciter les conditions d’engagement de la responsabilitÉ civile des entreprises en cas de manquement À leurs obligations de vigilance

Vos rapporteures convergent également sur la nécessité d’assurer, au cours des trilogues, une définition précise des mécanismes d’engagement de la responsabilité civile des entreprises, qui constitue une condition sine qua non de l’effectivité du devoir de vigilance.

À l’issue des trilogues, la future directive devra permettre d’engager la responsabilité civile des entreprises en cas de violation de leurs obligations de vigilance, ou de survenance d’un dommage engendré à la suite d’une incidence négative qui aurait dû être recensée, évitée, atténuée ou réduite par les mesures appropriées définies par la directive.

Pour concilier effectivité et réalisme économique, les diligences requises seront « graduées et proportionnées par rapport à la nature du risque identifié et à l’évaluation de sa gravité », ainsi que le recommandent les Principes directeurs de l’OCDE.

En cas de survenance d’un dommage, les efforts de diligence des entreprises ([68]) seront pris en compte par le juge. Un point d’attention soulevé par le Député Dominique Potier, auditionné par vos rapporteures, consiste à veiller à ce que les exonérations de responsabilité des entreprises en cas de dommages résultant de partenaires indirects sur leurs chaînes d’approvisionnement soient suffisamment encadrées par la directive, afin notamment d’éviter tout « audit complaisant ».

La proposition de directive offre en l’état un certain degré de sécurité juridique et de précision quant aux conditions d’exonération de responsabilité, qui ne peuvent concerner que les dommages causés par les partenaires commerciaux indirects et trouvent à s’appliquer à condition que les entreprises puissent démontrer :

-         qu'elles ont inséré des garanties contractuelles suffisantes obligeant leurs partenaires commerciaux à respecter leur code de conduite ou leur plan de vigilance ;

-         qu’elles ont réalisé des audits suffisants pour s’assurer que ces garanties seront respectées.

La qualité des audits et des garanties contractuelles visés devra être contrôlée (ce qui pourrait être l’une des missions des futures autorités administratives chargées du contrôle des obligations de vigilance), afin de prévenir le risque que le donneur d’ordre se défausse de sa responsabilité sur des fournisseurs au travers de contrats « en cascade ».

Recommandation n° 9 : Veiller au strict encadrement des conditions d’exonération de responsabilité civile des entreprises, afin d’éviter tout phénomène d’« audit de complaisance ».

C.   dÉfendre un accÈs Élargi À l’information pour les parties prenantes dans le cadre des litiges sur le fondement du devoir de vigilance

Vos rapporteures partagent l’objectif d’une diminution des obstacles auxquels sont confrontés les requérants pour faire valoir leur droit, avec des positions toutefois nuancées sur les moyens d’y parvenir.

Tout d’abord, les deux rapporteures saluent la nouvelle rédaction de l’article 22 de la proposition de directive CSDD, issue de la position du Parlement européen, et permettant :

-         aux juridictions d’ordonner à l’entreprise que des preuves soient divulguées, dans le respect du secret des affaires, lorsqu’un demandeur fournit des éléments étayant la probabilité d’une responsabilité de celle-ci ;

-         aux requérants d’être représentés en cas de plainte ou de contentieux par un syndicat ou une organisation de la société civile, sous réserve que leur caractère non lucratif et d’intérêt public puisse être vérifié par le juge.


Mme Mireille Clapot estime que le Parlement européen a trouvé ici une position d’équilibre intéressante, en proposant un régime adapté aux difficultés d’administration de la preuve de nature à alléger le fardeau pesant sur les requérants. En revanche, la rapporteure n’est pas favorable à un renversement de la charge de la preuve, qui constitue un sujet de débat légitime, mais dérogerait aux règles applicables en France en matière de responsabilité civile et pourrait être une source importante de contentieux.

Mme Sophia Chikirou, convaincue par les arguments des représentants des associations lors des auditions (coalition Justice is everybody’s business, les Amis de la Terre-France, CCFD-Terre Solidaire et Sherpa), souhaite au contraire préconiser l’inversion de la charge de la preuve par l’institution d’une présomption simple de responsabilité ([69]) des entreprises soumises au devoir de vigilance. Les entreprises devraient ainsi, en cas de préjudice, prouver l’existence de moyens et procédures de mise en conformité, et conserveraient la possibilité de dégager leur responsabilité.

Ainsi, les échanges de Mme Sophia Chikirou avec des membres de l’Africa Institute for Energy Governance (AFIEGO) ont parfaitement mis en lumière l’asymétrie d’information, d’accès à la justice et de ressources existant entre les grandes entreprises et les plaignants. M. Maxwell Atuhura, engagé contre le projet pétrolier Tilenga/EACOP, explique ainsi que « la collecte de preuves en Ouganda est terrible, vous êtes entre la vie et la mort » ([70]).

Mme Sophia Chikirou rejoint sur ce point l’eurodéputée Manon Aubry, auditionnée par vos rapporteures, et qui a insisté sur la nécessité de réduire les obstacles procéduraux qui ne laissent que peu d’espoir à « un paysan en Ouganda » de voir son action civile prospérer contre les « juristes » d’une multinationale pétrolière. Un requérant reprochant un manquement d’une entreprise à son devoir de vigilance devrait de surcroît simuler un plan, « dégager les hypothèses de suivi, d’action de prévention, d’évaluation et de réparation, et […] démontrer que sa mise en œuvre aurait permis d’éviter le dommage » ([71]).

 

Recommandation spécifique : Mme Sophia Chikirou appelle à établir, en cas de préjudice, une présomption simple de responsabilité des entreprises, pour alléger le fardeau de la preuve incombant aux requérants.

L’inversion de la charge de la preuve pourrait être envisagée, faute d’accord au niveau européen, dans le cadre de la loi n° 2017‑399 du 27 mars 2017.

II.   Le champ du devoir de vigilance doit inclure les sociÉtÉs mÈres de grands groupes et ne saurait se limiter au premier rang des partenaires commerciaux dans les chaînes de valeur

A.   La nÉcessaire intÉgration des sociÉtÉs mÈres des grands groupes dans le champ personnel d’application de la directive

Comme mentionné dans leur recommandation n° 1, vos rapporteures appellent à adopter une approche consolidée des effectifs des entreprises. Elles prennent note des difficultés techniques évoquées par la Commission pour le calcul des effectifs consolidés, mais estiment nécessaire de prévenir les stratégies de contournement des obligations de vigilance.

La France a défendu, au Conseil de l’Union européenne, une position consistant à appliquer les obligations de vigilance au niveau des sociétés mères. Comme le rappelait M. Jean-Baptiste Barbièri lors de son audition par vos rapporteures, « le devoir de vigilance a vocation à peser sur la société tête de groupe ».

B.   ConformÉment aux Principes directeurs de l’ONU et de l’OCDE, les diligences raisonnables sur les chaînes de valeur des entreprises ne sauraient se limiter aux partenaires de premier rang

La profondeur des chaînes de valeur fait partie des principaux enjeux d’effectivité : l’exhaustivité des plans de vigilance et, partant, l’effectivité du devoir de vigilance, dépendent principalement de ce critère. Ainsi, le Guide interprétatif des Principes directeurs de l’OCDE précise que les entités couvertes par le devoir de vigilance d’une entreprise concernée devraient comprendre « les relations commerciales indirectes dans sa chaîne de valeur, au-delà du premier niveau, ainsi que les positions minoritaires des actionnaires au sein des coentreprises ».

L’expérience de la loi française du 27 mars 2017, qui promeut le concept de « relation commerciale établie » ([72]), a montré que l’application du devoir de vigilance au-delà du premier niveau des partenaires commerciaux était très hétérogène malgré la volonté exprimée par le législateur ([73]). En pratique, dans les plans de vigilance publiés sur le fondement de la loi française, « la prise en considération des fournisseurs de rang 2, lorsqu’elle existe, passe par un fonctionnement en chaîne où l’on attend du fournisseur de rang 1 qu’il audite ses propres fournisseurs » ([74]). Certes, le Conseil général de l'économie (CGE) juge, dans son rapport d’évaluation de la loi du 27 mars 2017, qu’il est « impossible en pratique d’exiger une couverture complète d’une seule entreprise sur toute sa chaîne d’approvisionnement » ([75]). Le contrôle de la chaîne de valeur peut néanmoins passer par des relais organisés avec les différents fournisseurs, au travers de garanties contractuelles couplées à des obligations de diligence raisonnable.

L’orientation du Conseil et la position du Parlement européen privilégient toutes deux une approche par les risques, qui devrait donc consister à mettre en œuvre une logique proportionnée aux risques, sans se limiter aux premiers rangs des fournisseurs et des sous-traitants. Si l’application du devoir de vigilance implique des efforts de la part des entreprises visées pour atteindre un niveau de connaissance suffisant de leur chaîne de valeur et mettre en œuvre des stratégies de vigilance efficaces, la période de transposition leur laissera un délai d’adaptation, tandis que la Commission européenne et les autorités administratives indépendantes seront chargées de la publication de lignes directrices pour guider les entreprises.

Recommandation n° 10 : Appeler les colégislateurs européens à préciser explicitement que les diligences raisonnables sur les chaînes de valeur des entreprises ne sauraient se limiter aux partenaires de premier rang.

C.   Les points de vue de vos rapporteures divergent sur L’intensitÉ du devoir de vigilance qui devrait incomber aux institutions financiÈres

Au cours de leurs auditions, vos rapporteures ont sondé chaque interlocuteur sur la pertinence d’inclure le secteur financier dans le champ des obligations de vigilance. Sur ce point, les réponses ont été très variées :

-         les représentants des ONG ont considéré unanimement qu’il s’agissait là d’une condition d’effectivité de la directive, car le secteur financier irrigue l’économie ;

-         les représentants de l’administration se sont souvent montrés très réservés, insistant sur les difficultés techniques, sur les enjeux de compétitivité du secteur financier de l’Union européenne ou encore sur les risques pesant sur les crédits export qui soutiennent l’industrie française sur certains marchés internationaux ;

-         la Fédération bancaire française (FBF) a défendu une position proche de celle portée par la France au Conseil de l’Union européenne, consistant à plaider pour que les entreprises concernées par le devoir de vigilance, quels que soient leurs secteurs d’activité, aient des obligations de vigilance à respecter sur leurs propres opérations ([76]), mais non pas sur leurs clients ([77]) ;

-         l’Institut de la Finance durable, tout en s’interrogeant sur l’accumulation de normes concomitantes au niveau européen (CSRD, taxonomie verte), s’est montré plus ouvert sur la possibilité d’envisager des contrôles sur les clients directs.

Dans ce contexte, les positions de vos deux rapporteures varient quant à la question de l’intensité des opérations de diligence que les institutions financières devraient assumer.

Mme Mireille Clapot estime pertinente l’inclusion du secteur financier dans le champ du devoir de vigilance, tout en privilégiant – à l’instar de la position retenue par le Parlement européen – des obligations portant sur les clients directs de ces institutions. Elle observe par ailleurs que certaines questions restent en suspens, du fait de la capacité d’influence limitée des institutions financières sur leurs clients. Ainsi, il paraît difficile, en première analyse, d’exiger d’une banque que celle-ci obtienne un plan de vigilance aux normes européennes de la part d’une entreprise extra-européenne qu’elle finance, sauf à devoir renoncer à de nombreux clients.

Mme Sophia Chikirou, considérant que les institutions financières constituent un moteur de l’économie, défend une inclusion des institutions financières dans le champ des obligations de vigilance. La rapporteure estime qu’il s’agit là d’une condition incontournable pour remplir les objectifs de la législation. En outre, les risques du secteur financier étant concentrés essentiellement « en aval » de leurs activités propres, l’obligation de vigilance devrait s’étendre aux clients, au-delà de la chaîne d’activité définie par le Conseil. Enfin, il est regrettable que la position du Parlement européen ne couvre pas également les fonds de pension : en l’état cette situation n’est que partiellement satisfaisante et il conviendra de veiller, au moins en France, à élargir le champ du devoir de vigilance aux fonds de pension, par souci d’équité.


Recommandation spécifique : Mme Mireille Clapot souligne la pertinence du principe posé par le Parlement européen, consistant à ce que les établissements financiers s’efforcent, dans la mesure de leur capacité, à identifier, mesurer et prévenir les risques associés à leurs clients directs.

Recommandation spécifique : Mme Sophia Chikirou, considérant que les institutions financières sont un moteur de l’économie, et que les risques du secteur financier sont concentrés essentiellement en « aval », défend l’application d’un devoir de vigilance élargi et étendu aux clients.

D.   L’inclusion de l’industrie de l’armement dans le champ des obligations de vigilance

Mme Mireille Clapot insiste pour qu’il soit fait explicitement mention, dans la proposition de directive CSDD, que les industries d’armement devraient être concernées – au même titre que les autres entreprises – par les obligations de vigilance.

Recommandation spécifique : Mme Mireille Clapot souhaite que soit inscrit le principe selon lequel les industries d’armement sont concernées par les obligations de vigilance, au même titre que les autres entreprises.

III.   Le devoir de vigilance climatique des grandes entreprises ne saurait constituer un objectif de second rang

Une méthodologie et des standards harmonisés seront nécessaires pour vérifier la mise en œuvre effective des plans climatiques établis par les entreprises.

L’article 15 de la proposition de directive CSDD, dans sa rédaction issue du Parlement européen, impose aux entreprises de « mettre en œuvre » un plan garantissant la compatibilité de leur modèle et de leur stratégie économique avec la transition vers une économie durable et avec la limitation du réchauffement climatique à 1,5 °C d’ici à la fin du siècle, conformément à l’Accord de Paris. Vos rapporteures soutiennent la position du Parlement européen en la matière (cf. recommandation n° 6).

Néanmoins, l’absence de méthodologie pour la surveillance de la mise en œuvre de ces plans constitue une lacune tant pour la sécurité juridique que pour l’effectivité de la proposition de directive.

De ce point de vue, Mme Sophia Chikirou insiste sur la pertinence des travaux du groupe consultatif européen sur l’information financière (Efrag), dont l’eurodéputé Pascal Durand a souligné la qualité lors de son audition par vos rapporteures. L’Efrag s’efforce de mettre au point des standards de reporting sur le climat à l’usage des entreprises, contribue à l’harmonisation du vocabulaire du reporting extra-financier pour lutter contre le greenwashing et défend en outre la généralisation de la double matérialité financière et d’impact. Dès lors, les propositions de l’Efrag doivent primer celles – moins ambitieuses – de l’International Sustainability Standards Board (ISSB).

Recommandation spécifique : Pour mieux évaluer les risques et permettre in fine l’application effective du devoir de vigilance climatique, Mme Sophia Chikirou insiste sur la nécessité de promouvoir les standards de l’Efrag pour réglementer l’information extra-financière des entreprises.

IV.   L’application de la directive – qui ne doit pas procÉder d’une harmonisation maximale – dÉpendra aussi de la rÉactivitÉ, de la coordination et de l’indÉpendance des autoritÉs administratives nationales

A.   Le devoir de vigilance restant un droit en construction, l’application de la directive ne doit pas Être d’harmonisation maximale

Au cours des débats en séance plénière le 1er juin 2023, le Parti populaire européen (PPE) a tenté d’introduire une harmonisation dite « maximale ». Ce principe avait également été introduit dans l’avis de la rapporteure de la commission du marché intérieur du Parlement européen, saisie pour avis. Ceci aurait privé les États membres de la possibilité d’introduire, dans leur droit national, des règles plus strictes que celles définies dans la future directive CSDD, réduisant ainsi considérablement l’ambition du nouveau cadre européen.

Or, la vivacité du « devoir de vigilance » – droit en construction – dépend tout particulièrement de la capacité des États à adapter les règles en tant que de besoin.

Recommandation n° 11 : Vos rapporteures insistent pour que la directive soit d’harmonisation minimale, afin de laisser une marge de manœuvre suffisante pour que les États membres puissent adopter, en tant que de besoin, des règles plus protectrices à l’égard des droits humains et environnementaux.

B.   Les autoritÉs administratives nationales devront Être dotÉes de pouvoirs d’enquÊte et de sanction Étendus pour contrÔler en toute indÉpendance les entreprises

L’article 17 de la proposition de directive CSDD prévoit, dans chaque État membre, la désignation d’une ou de plusieurs autorité(s) administrative(s), chargées notamment du contrôle de l’établissement et de l’exécution des plans de vigilance. Il importera que ces autorités contrôlent en toute indépendance les entreprises visées par le champ d’application de la directive, tout en publiant des lignes directrices de nature à guider les acteurs économiques.

Il pourrait être envisagé de confier à l’autorité administrative, dans les situations d’urgence, le pouvoir d’ordonner des mesures conservatoires, pour ordonner en cas d’urgence la suspension des activités génératrices des violations, jusqu’à ce que les entreprises se conforment à leur devoir de vigilance.

Vos rapporteures insistent sur le fait que les autorités administratives désignées devront être complémentaires, et en aucun cas concurrentes, de la voie judiciaire. Elles ne devront donc pas entraîner « l’éviction du juge répressif » ([78]). Il conviendra en outre, en vertu de la règle non bis in idem, de s’assurer de la bonne articulation des sanctions administratives et pénales ([79]). En France, il est probable que cette prérogative supplémentaire soit confiée à l’Autorité des Marchés financiers (AMF).

Une formation adaptée des juges judiciaires devrait être prévue sur les sujets liés à la RSE : Mme Sophia Chikirou plaide pour une spécialisation de certains juges en la matière.

Mme Sophia Chikirou émet des réserves sur le choix potentiel de l’AMF, dont la logique procède davantage de la protection du marché que de celle des droits humains et environnementaux. Mme Sophia Chikirou exprime sa préférence pour la création d’une AAI ad hoc, aux pouvoirs d’investigation et d’enquête étendus, forte d’agents spécialisés ayant la capacité d’accéder aisément aux informations utiles (en bénéficiant par exemple de pouvoirs de visite et de saisie) et qui entretiendraient – en toute indépendance – un dialogue nourri avec les différents ministères et les entreprises.

Par ailleurs, le plafond des sanctions – fixé par le Parlement européen à « 5 % au moins » du chiffre d’affaires net mondial de l’entreprise – devra être porté à un niveau élevé dans les différents États membres, pour que les amendes soient alignées in fine sur le droit de la concurrence européen. Mme Sophia Chikirou relève en effet qu’au sein de l’Union européenne, les infractions à la législation en matière de concurrence, sont aujourd’hui plus durement sanctionnées (l’amende pouvant aller jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires annuel mondial) que les atteintes aux droits humains et environnementaux.

Vos rapporteures plaident toutes deux pour que la société civile soit associée à l’AAI désignée, par exemple via des collèges d’experts.

Ainsi, Mme Mireille Clapot souligne la possibilité de créer une véritable « politique publique de prévention », qui pourra associer des ONG.

Mme Sophia Chikirou suggère aussi que des syndicats de travailleurs soient associés dans les collèges d’experts.

Recommandations spécifiques :

Mme Sophia Chikirou plaide pour que les montants des sanctions prononcées par les autorités administratives sur le fondement du devoir de vigilance soient similaires aux montants des sanctions prononcées sur le fondement du droit de la concurrence.

Mme Sophia Chikirou privilégie la création d’une nouvelle autorité administrative indépendante spécialisée, aux forts pouvoirs d’investigation et d’enquête, sur le modèle de l’Arcom ([80]) et de l’AMF.

Recommandation spécifique :

Mme Mireille Clapot appelle à la création d’une véritable politique publique de prévention fondée sur une expertise publique indépendante, le dialogue avec la société civile et l’accompagnement des acteurs économiques.

C.   Pour une application harmonieuse de la directive à l’Échelle europÉenne, un rÉseau europÉen assurera la coordination entre les autoritÉs administratives nationales

Les autorités de contrôle, constituées dans chaque État membre, seront inscrites elles-mêmes dans un réseau européen d’autorités administratives nationales, qui pourrait s’inspirer des offices européens rassemblant les autorités nationales dans le domaine de la régulation (à l’instar de l’Organe des régulateurs européens des communications électroniques [BEREC] ou de L'Agence de coopération des régulateurs de l'énergie [ACER] pour l’énergie)

Suivant les principes posés par la résolution du Parlement européen du 10 mars 2021 sur le devoir de vigilance des entreprises, la Commission européenne devrait déployer ce réseau, chargé « d’assurer la coordination et la convergence des pratiques de réglementation, d’enquête, d’exécution et de surveillance, de partager des informations et de contrôler l’action des autorités nationales compétentes. »

D.   Les rÉpercussions Éventuelles sur les petites et moyennes entreprises devront Être ÉvaluÉes

La proposition de directive CSDD, dans un souci de sécurité juridique, prévoit des outils visant à apporter une assistance aux PME. Ainsi, la Commission devra fournir des lignes directrices sur des clauses contractuelles types, qui auront vocation à être insérées dans les contrats conclus pour prévenir ou corriger les « incidences négatives ».

Mme Sophia Chikirou souligne que le Parlement européen a souhaité inclure, dans un souci d’efficacité, les entreprises de taille moyenne (entre 250 et 500 salariés), afin de ne pas diluer le devoir de vigilance.

En tout état de cause, l’article 29 de la proposition prévoit de réévaluer l’impact indirect (effet d’entraînement ou trickle-down effect) de la directive sur les PME, afin d’adapter en tant que de besoin les mesures d’accompagnement.

   

 


—  1  —

   Conclusion

 

La loi du 27 mars 2017 sur le devoir de vigilance – innovation du législateur français – a fortement inspiré la proposition de directive « CSDD » publiée par la Commission européenne le 22 février 2022.

Les premières limites apparues dans l’application de la loi française permettent d’identifier certaines priorités à l’orée des trilogues. Pour assurer l’effectivité de la future directive, il importe de veiller à la clarté des définitions, de faire référence à des normes précises, de faciliter l’accès au juge judiciaire ou encore de charger une autorité de supervision de guider et de contrôler les entreprises.

Sous ces conditions, et appliqué à l’échelle de l’Union européenne, le « devoir de vigilance » sera un levier au service d’une mondialisation raisonnée, et un instrument puissant contre les violations de droits humains et environnementaux le long des chaînes de production.

Vos rapporteures forment le souhait que leurs recommandations puissent prospérer au cours de la phase des trilogues, et que leur travail ait également permis de sensibiliser les esprits.

Le « devoir de vigilance » est un principe d’action, qui vise à responsabiliser les entreprises sans que les autorités publiques n’abdiquent pour autant leurs responsabilités. Au-delà même de l’éthique, il trouve sa justification en matière économique, pour réduire les externalités négatives et assurer la bonne information des consommateurs.

Alors que débutera dans les prochains jours la présidence espagnole du Conseil de l’Union européenne, la volonté politique sera déterminante pour obtenir un accord et, à plus long terme, assurer la bonne transposition d’une directive qui pourrait être – selon le mot de l’eurodéputé Pascal Durand – « une avancée majeure pour l’accès à la justice des ouvrières et des ouvriers sur toute la planète ».

 

 


—  1  —

   RECOMMANDATIONS DES RAPPORTEURES

 

Vos deux rapporteures ont identifié une majorité de priorités communes afin de veiller à l’effectivité du devoir de vigilance des entreprises.

 

Recommandation n° 1 : Soutenir la position ambitieuse du Parlement européen consistant à étendre le champ d’application, d’une part, aux entreprises à partir de 250 salariés et, d’autre part, aux sociétés mères ultimes.

 

Recommandation n° 2 : Veiller à la mise à jour régulière de l’annexe de la future directive, afin de pouvoir y intégrer de nouvelles conventions et garder une définition suffisamment ouverte des droits à protéger.

 

Recommandation n° 3 : Plaider, sur le modèle de la proposition du Parlement européen, pour des conditions d’engagement de la responsabilité civile des entreprises suffisamment larges. Vos deux rapporteures regrettent que l’orientation du Conseil entende réduire l’engagement de la responsabilité civile des entreprises pour un dommage causé à une personne physique et morale aux « fautes intentionnelles ou de négligence ».

 

Recommandation n° 4 : Soutenir la position du Parlement européen consistant à appliquer les obligations de vigilance, au-delà des seules chaînes d’approvisionnement, à toutes les « entités impliquées » dans les activités de vente, de distribution ou de fourniture des produits et services.

 

Recommandation n° 5 : Saluer la volonté du Parlement européen d’associer le secteur financier aux efforts pour la promotion d’une économie respectueuse des droits humains et environnementaux, tout en soulignant que ces obligations de vigilance devraient concerner les fonds de pension au même titre que les banques.

 

Recommandation n° 6 : Soutenir la position du Parlement européen consistant à prévoir la « mise en œuvre » d’un plan pour la transition climatique prévu à l’article 15 de la proposition de directive, conformément aux objectifs de transition climatique et à l’accord de Paris.

 

Recommandation n° 7 : Réintroduire les dispositions relatives à la responsabilité des administrateurs sur la mise en place et la supervision du devoir de vigilance dans le texte final de la directive « CSDD ».

 

Recommandation n° 8 : Insister sur la différence de nature fondamentale entre le devoir de vigilance – qui implique le déploiement continu de procédures de diligence raisonnable – et les obligations de reporting.

 

Recommandation n° 9 : Veiller au strict encadrement des conditions d’exonération de responsabilité civile des entreprises, afin d’éviter tout phénomène d’« audit de complaisance ».

 

Recommandation n° 10 : Appeler les colégislateurs européens à préciser explicitement que les diligences raisonnables sur les chaînes de valeur des entreprises ne sauraient se limiter aux partenaires de premier rang.

 

Recommandation n° 11 : Insister pour que la directive soit d’harmonisation minimale, afin de laisser une marge de manœuvre suffisante pour que les États membres puissent adopter, en tant que de besoin, des règles plus protectrices à l’égard des droits humains et environnementaux.

 


Par ailleurs, les rapporteures ont souhaité insister, chacune en leur nom, sur certains points complémentaires, afin de nourrir la réflexion sur le devoir de vigilance.

  1. Recommandations spécifiques de Mme Sophia Chikirou

-          Établir, en cas de préjudice, une présomption simple de responsabilité des entreprises, pour alléger le fardeau de la preuve incombant aux requérants. L’inversion de la charge de la preuve pourrait être envisagée, faute d’accord au niveau européen, dans le cadre de la loi n° 2017‑399 du 27 mars 2017.

-          Défendre l’application d’un devoir de vigilance élargi et étendu aux clients des institutions financières, sachant que les risques du secteur financier sont concentrés essentiellement en « aval » de leurs chaînes de valeur.

-          Pour mieux évaluer les risques et permettre in fine l’application effective du devoir de vigilance climatique, insister sur la nécessité de promouvoir les standards de l’EFRAG pour réglementer l’information extra-financière des entreprises.

-          Plaider pour que les montants des sanctions prononcées par les autorités administratives sur le fondement du devoir de vigilance soient similaires aux montants des sanctions prononcées sur le fondement du droit de la concurrence.

-          Privilégier la création d’une nouvelle autorité administrative indépendante spécialisée, aux forts pouvoirs d’investigation et d’enquête, sur le modèle de l’Arcom et de l’AMF.

  1. Recommandations spécifiques de Mme Mireille Clapot

 

-          Saluer la pertinence du principe posé par le Parlement européen, consistant à ce que les établissements financiers s’efforcent, dans la mesure de leur capacité, à identifier, mesurer et prévenir les risques associés à leurs clients directs.

 

-          Inscrire dans la future directive le principe selon lequel les industries d’armement sont concernées par les obligations de vigilance, au même titre que les autres entreprises.

 

-          Porter, dans le cadre du futur réseau européen d’autorités administratives nationales, une politique publique de prévention fondée sur une expertise publique indépendante, le dialogue avec la société civile et l’accompagnement des acteurs économiques.


—  1  —

   TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le 28 juin 2023, sous la présidence de M. Pieyre‑Alexandre Anglade, Président, pour examiner le présent rapport d’information.

Mme Mireille Clapot, co-rapporteure. En décembre 2021, devant cette même commission, mon collègue Dominique Potier et moi-même avions présenté une proposition de résolution appelant à « inscrire parmi les priorités de la présidence française de l’Union européenne l’adoption d’une législation ambitieuse sur le devoir de vigilance des multinationales ». En janvier 2022, cette résolution avait été adoptée à l’unanimité en séance publique.

En février 2022, la Commission européenne a publié une proposition de directive encourageante, portée par le commissaire à la Justice Didier Reynders. Cette proposition de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité – dite « CSDD » – tire son inspiration de la loi française pionnière du 27 mars 2017, dite loi Potier, tout en visant à combler certaines de ses lacunes et en approfondissant son champ.

Selon ce texte, les entreprises européennes ou issues de pays tiers, répondant à des conditions de seuils d’effectifs et de chiffre d’affaires, devront mener des opérations de « diligence raisonnable » sur leur chaîne d’activité, afin d’identifier, de prévenir et de remédier aux atteintes aux droits humains et environnementaux.

Il y a dix ans, l’effondrement du Rana Plaza causait la mort d’au moins 1127 ouvriers de l’industrie textile. La passivité complice et le silence de grandes marques occidentales face à l’absence de respect des normes de sécurité élémentaires par leurs sous-traitants avaient été largement soulignés. Le découplage entre leur responsabilité juridique et leur responsabilité morale était apparu comme particulièrement choquant.

L’Allemagne et les Pays-Bas se sont récemment dotés de législations sur le devoir de vigilance, et des débats législatifs ont lieu dans plusieurs États membres. Il était donc grand temps que l’Union européenne adopte un cadre ambitieux, pour mettre fin aux modèles d’affaires irrespectueux des droits humains et environnementaux.

L’enjeu est que nous tenions pleinement compte, à chaque fois que nous achetons un article textile ou un appareil, des conséquences du modèle d’affaires sur les conditions de travail et sur l’environnement.

À l’orée des trilogues, l’avis politique que nous portons avec ma collègue vise à envoyer un signal fort aux co-législateurs européens. La présidence espagnole du Conseil, qui débute le 1er juillet 2023, doit être l’occasion de rapprocher les positions divergentes des co-législateurs, sans renoncer à l’ambition de la directive.

En adoptant son mandat le 1er juin 2023, le Parlement européen a porté une vision équilibrée, tout en renforçant l’ambition du texte sur des questions cruciales telles que l’accès à la justice ou encore l’inclusion de certaines institutions financières dans le champ des obligations de vigilance. Au Parlement européen, le responsable du dossier pour le groupe Renew a salué « un texte équilibré » qui « concilie la liberté et la compétitivité économique avec la responsabilité et la protection ».

Néanmoins, le Conseil a porté une vision beaucoup moins ambitieuse au travers de son orientation adoptée le 1er décembre 2022. Regrettant le manque d’ambition du texte, certains États membres n’ont pas soutenu l’orientation soumise au vote, en particulier la Belgique, qui s’est abstenue, et les Pays-Bas, qui ont voté contre.

L’Assemblée nationale a une forte légitimité pour donner un avis politique éclairé, ce d’autant que les députés français ont été à l’origine de la loi française du 27 mars 2017 sur le devoir de vigilance, et que nous avons désormais un certain recul sur ses atouts et ses faiblesses.

Mme Sophie Chikirou, rapporteure. Nous avons mené de nombreuses auditions de personnalités diverses, à Paris et à Bruxelles, qui nous ont convaincues que la position des eurodéputés était bien plus pertinente que celle du Conseil pour assurer l’effectivité du devoir de vigilance. Avec Mireille Clapot, nous sommes tombées d’accord sur l’essentiel des recommandations présentées dans le rapport d’information et l’avis politique, même si nous avons aussi quelques points de divergence.

La directive européenne peut avoir un effet systémique, ce qui explique notre engagement sur le sujet. Or, sur plusieurs points essentiels, l’orientation du Conseil risque d’édulcorer le texte, voire de le vider de sa substance.

En particulier, l’exclusion des services financiers du champ des obligations de vigilance n’est pas acceptable : les députés européens, de Renew jusqu’au Groupe de la Gauche (GUE), souhaitent donc les y inclure. Pour rendre la législation opérante, et rester fidèle à ses objectifs, l’inclusion du secteur financier ne saurait être une simple option à la discrétion des États membres, une sorte de devoir de vigilance « à la carte » comme le propose le Conseil.

La position française à ce sujet est ambivalente, mais peut être assez compréhensible lorsque l’on sait que les fonds de pension ont été exclus du champ des obligations de vigilance, ce qui est bien regrettable. Pour autant, il convient de ne pas céder au très fort lobbying des grandes banques systémiques.

À mon sens, la position du Parlement aurait certes pu être plus ambitieuse. Pour l’heure, seuls les clients directs de certaines institutions financières seraient concernés par les obligations de vigilance, et les fonds de pension en seraient exemptés.

Par ailleurs, et nous nous en inquiétons toutes les deux, l’orientation du Conseil retient une conception plus restrictive des conditions d’engagement de la responsabilité civile des entreprises. Le Conseil a en effet introduit les notions « d’intentionnalité et de négligence », ce qui constitue un recul par rapport à la proposition initiale de la Commission. Ceci peut s’expliquer par le fait que la tradition juridique de certains États membres s’éloigne de la conception défendue par la France. Par exemple, la loi allemande sur le devoir de vigilance ne prévoit pas d’engagement de la responsabilité civile des entreprises : seule une autorité administrative, dont l’indépendance est contestée, est chargée de la bonne application de la loi.

En outre, nous regrettons que le Conseil entende décharger les administrateurs de leurs responsabilités dans la mise en œuvre des mesures de vigilance énoncées dans la directive. Au Parlement européen, un amendement de dernière minute, porté par des membres du Parti Populaire européen (PPE), suite à un lobbying très agressif, a conduit à supprimer le principe d’une rémunération variable des administrateurs en fonction de la bonne application du devoir de vigilance, qui avait pourtant fait l’objet d’un accord au sein de la commission des Affaires juridiques du Parlement européen.

Mme Mireille Clapot, co-rapporteure. Nous estimons toutes les deux que la position adoptée par le Parlement européen, bien qu’affaiblie par des compromis politiques, doit prévaloir sur l’orientation du Conseil.

Sur plusieurs points clefs, la position des eurodéputés permettrait en effet des avancées concrètes.

Tout d’abord, en étendant le champ d’application pour couvrir les entreprises de 250 à 500 salariés. Ce seuil reste suffisamment élevé pour ne pas nuire à la compétitivité européenne. Aux frontières de l’Union, la Norvège a adopté une loi sur le devoir de vigilance, qui concerne les entreprises dès 50 salariés.

Surtout, le Parlement européen prévoit de couvrir les sociétés mères, pour prévenir les stratégies de contournement des obligations de vigilance. À défaut, les holdings, bien que tête de groupe, pourraient échapper à leurs responsabilités dès lors qu’elles seraient en deçà des seuils fixés.

La position du Parlement européen permettrait de rendre les entreprises visées comptables de la « mise en œuvre » de leurs plans de transition climatique. Au Conseil, les États membres sont restés au milieu du gué, en posant le principe d’un plan de transition climatique, sans en imposer la mise en œuvre effective. L’Union européenne doit se donner les moyens de respecter les objectifs ambitieux qu’elle s’est fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. L’écueil serait d’imposer le principe d’un plan pour cocher des cases, sans véritable mise en œuvre.

Pour conclure, j’insisterai sur la pertinence de la proposition du Parlement européen consistant à lier la rémunération variable des dirigeants des groupes de plus de 1.000 salariés au respect d’objectifs d’émissions de CO₂ compatibles avec l’Accord de Paris. En 2022, lors de sa campagne de réélection, le Président de la République avait justement proposé de conditionner la « rémunération des dirigeants à la réussite de critères environnementaux préalablement fixés ». Cet objectif a été réitéré dans le discours de politique générale de la Première ministre.

Mme Sophie Chikirou, co-rapporteure. La proposition de directive CSDD prévoit, dans chaque État membre, la désignation d’une ou de plusieurs autorité(s) administrative(s), chargée(s) du contrôle des plans de vigilance. Il s’agit selon nous de l’un des principaux points d’attention, sur lequel le législateur sera amené à se prononcer. Pour garantir l’effectivité de la loi, nous avons besoin d’une autorité administrative complémentaire, et en aucun cas concurrente, de la voie judiciaire.

Pour ma part, j’émets des réserves sur le possible choix, en France, de l’AMF pour guider et contrôler les entreprises dans l’application du devoir de vigilance. En effet, l’AMF se spécialise davantage dans la protection du marché que dans celle des droits humains et environnementaux. Il me semble dès lors préférable de privilégier la création d’une autorité administrative indépendante ad hoc, dont les pouvoirs d’investigation et d’enquête devront être étendus, comme ceux de l’AMF, et qui pourra travailler en collaboration avec d’autres administrations et autorités. Le plafond des sanctions, fixé par le Parlement européen à « 5 % au moins » du chiffre d’affaires net mondial de l’entreprise, devra être effectivement porté à un niveau élevé pour être dissuasif. Il serait incompréhensible – et tellement européen ! – que les atteintes au droit de la concurrence soient plus durement sanctionnées que les atteintes aux droits humains et environnementaux.

Enfin, si la position du Parlement européen permet aux juridictions de demander aux entreprises de divulguer des preuves lorsqu’un demandeur fournit des éléments suffisants, je suis convaincue pour ma part qu’il aurait fallu aller plus loin. Je me suis entretenue ce 27 juin avec des victimes ougandaises du projet East African Crude Oil Pipeline (EACOP), qui ont mis en lumière l’asymétrie d’information, d’accès à la justice et de ressources entre les citoyens et les multinationales aux pouvoirs phénoménaux. À cela s’ajoute la répression du gouvernement ougandais contre les opposants au projet EACOP, portant directement atteinte aux droits humains.

Dans ce contexte, l’inversion de la charge de la preuve est nécessaire. Il s’agit là d’un point de divergence avec ma collègue, auquel je suis néanmoins attachée, car il convient d’alléger le fardeau de la preuve incombant aux victimes et de répondre à l’asymétrie d’information avec les multinationales.

Ma collègue et moi insistons pour que la directive « CSDD » ne devienne pas une seconde directive de reporting. Au contraire, la directive sur la publication d'informations en matière de durabilité, dite « CSRD », doit être au service de la directive sur le devoir de vigilance. Les juges pourront s’appuyer sur des définitions précises pour évaluer le respect des obligations. Je salue à ce sujet les propositions du groupe consultatif européen sur l’information financière (EFRAG) qui, j’espère, seront retenues.

L’exposé du rapporteur a été suivi d’un débat.

Mme Constance Le Grip (RE). Je vous remercie tout d’abord pour votre travail. Il est intéressant d’adopter une approche transpartisane dans le cadre de cette commission.

La France a joué un rôle précurseur dans la mise en place du devoir de vigilance des entreprises. Les débats autour d’une législation à l’échelle européenne traduisent la préoccupation croissante exprimée par les opinions publiques quant aux impacts potentiels des activités des entreprises sur les droits humains et environnementaux.

Il convient de répondre de manière exigeante et réaliste à cette demande, afin d’assurer la mise en œuvre effective de la responsabilité sociétale et environnementale (RSE) des entreprises. L’instauration de règles à la fois claires, précises et réalistes est la condition sine qua non pour que le devoir de vigilance soit applicable et appliqué.

En même temps, des garanties doivent être apportées afin de prévenir les recours abusifs. Ainsi, le Parlement européen n’a pas préconisé l’inversement de la charge de la preuve, qui engendrerait une exposition juridique aggravée et constituerait un risque pernicieux pour nos entreprises.

Vous attachez une importance toute particulière aux travaux des députés européens. Nous essaierons, nous aussi, d’être fidèles à ce travail, qui est le fruit de concertations transpartisanes.

M. Pierrick Berteloot (RN). L’idée de rendre les grandes entreprises responsables de leurs actions est compréhensible et même souhaitable. En effet, l’impact des entreprises sur notre environnement et notre société est indéniable. Vouloir limiter et encadrer lesdits impacts via des normes et des règlements n’est donc pas déraisonnable.

Beaucoup d’entreprises ont d’ores et déjà mis en place des outils de diligence raisonnable, en s’appuyant notamment sur les normes volontaires internationales existantes. Certains États membres ont adapté leur cadre juridique national, à l’instar de la France avec la loi nº 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre.

Renforcer le devoir de vigilance des entreprises ne doit néanmoins pas être un prétexte pour aller vers toujours plus de normes et de règlements, qui se multiplient sans que les entreprises ne puissent y répondre convenablement.

Face à cette inflation normative, de nombreuses entreprises nous ont déjà fait savoir à quel point les règles et les procédures imaginées à Paris ou Bruxelles étaient hors-sol. Ce d’autant que la conduite d’une activité entrepreneuriale nécessite un investissement total, et que les chefs d’entreprise n’ont donc que très peu de temps à consacrer aux nouvelles normes décrétées à Bruxelles. Les multiples indicateurs à renseigner sont souvent trop complexes pour les entreprises. Notre position est partagée par le Président de la République lui-même, qui appelait le 11 mai 2023 à une « pause réglementaire européenne ».

Le risque est in fine de lutter contre nos propres intérêts nationaux, en adoptant toujours plus de contraintes. Nous avons déjà fait suffisamment d’efforts, et nous pensons qu’il faut laisser nos entreprises digérer l’énorme masse de normes et de règlements promulgués depuis Bruxelles.

Mme Louise Morel (Dem). Au nom du groupe Démocrate je voudrais saluer le travail que vous venez de nous présenter. Il aurait certes été souhaitable de disposer plus en amont du projet de rapport à l’appui de l’avis politique.

Le concept de RSE, né dans les années 1970, reposait à l’origine sur le volontariat des entreprises, qui pouvaient prendre en compte les impacts sociaux, environnementaux et économiques de leurs activités. Cette base volontaire a néanmoins été remise en cause à la suite de plusieurs évènements, en particulier de l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh en 2013.

Dans ce contexte, la proposition de directive CSDD établit comment le droit européen pourrait rendre contraignantes des normes internationales en matière de RSE, approfondissant ainsi la logique dite de compliance.

Il y a quelques mois, la députée européenne Valérie Hayer a proposé la mise en place d’une taxe équitable aux frontières, qui devrait être payée par les multinationales vendant dans l’Union européenne des produits fabriqués, en bout de chaîne d’approvisionnement, par des travailleurs payés sous le seuil d’extrême pauvreté. L’objectif est triple : lutter contre l’extrême pauvreté, lutter contre la concurrence déloyale, et agir ensemble là où les consommateurs se sentent impuissants pour changer à eux seuls la situation.

Si une partie de ces éléments sont repris en substance dans l’avis politique, la notion de « taxe équitable aux frontières » et l’aspect fiscal ne sont pas directement abordés. Comment ce sujet pourrait-il être mis en relation avec la proposition de directive sur le devoir de vigilance ?

Mme Marietta Karamanli (SOC). Je vous félicite tout d’abord pour votre travail sur ce sujet très important, tant pour l’Europe que pour le monde.

Cette proposition de directive s’inscrit dans le droit fil de la loi sur le devoir de vigilance adoptée par notre assemblée en 2017, mais également des législations entrées depuis en vigueur dans d’autres pays tels que l’Allemagne ou la Norvège.

Le champ d’application de la proposition de directive est très large, même si des exceptions sont prévues. La proposition de directive précise à ce stade que la législation des États membres pourra aller plus loin que le futur droit européen, ce qui permettrait au droit français actuel de perdurer.

La proposition de directive demande aux États de prévoir une série d’obligations à imposer aux entreprises, qui devront prévenir toute atteinte grave envers les droits de l’Homme par leurs filiales ou opérateurs de leur chaîne de valeur, avec lesquels une relation économique établie est entretenue.

Le texte impose également aux États membres de prévoir l’engagement de la responsabilité civile des entreprises défaillantes. La proposition de directive tire le bilan des législations nationales existantes et en compense parfois les faiblesses, même si les seuils prévus par la législation allemande étaient par exemple déjà plus faibles que ceux fixés dans la loi française.

La loi du 27 mars 2017 a conduit les entreprises à prévoir une gestion globale des risques intégrant le devoir de vigilance, et à poursuivre un travail en profondeur sur les relations avec les fournisseurs et la société civile.

Le groupe Socialiste est très engagé sur ce sujet. Nous présenterons des amendements ayant pour finalité de préciser certaines dispositions qui nous semblent importantes. Il s’agira en particulier de préciser la portée de l’extension du devoir de vigilance aux sociétés étrangères, d’enjoindre aux autorités européennes de rendre contraignantes les dispositions négociées au plan international, d’augmenter le niveau des amendes possibles, ou encore d’étendre les obligations au secteur financier et de préciser la place des autorités indépendantes chargées du contrôle de l’application des obligations de vigilance.

Au-delà de ces amendements, nous sommes favorables à toutes les recommandations exprimées dans ce rapport.

Mme Danièle Obono (LFI). Nous saluons le travail des co-rapporteures sur cet avis politique extrêmement important, qui soutient les avancées exprimées dans la position du Parlement européen.

Le mandat voté le 1er juin 2023 par les eurodéputés entérine le travail entamé depuis plusieurs années, et vise à contraindre les plus grandes entreprises, à identifier et, le cas échéant, à prévenir et faire cesser, l’impact négatif de leurs activités sur les droits humains et sur l’environnement.

Pour reprendre les termes de la députée européenne Manon Aubry, qui a été à l’avant-garde de ce combat, l’adoption de la position du Parlement européen est une « victoire », qui fait suite au long travail entamé depuis le drame du Rana Plaza, dont les enjeux ont été à nouveau mis en lumière dans le contexte de la coupe du monde au Qatar avec les investissements de grandes entreprises telles que Vinci.

À travers le monde, de grandes firmes sont accusées de profiter du travail forcé des enfants, par exemple en Côte d’Ivoire, ou encore de participer à la déforestation en Amazonie.

La position du Parlement européen est une avancée, qui permettrait d’approfondir l’ambition de la loi pionnière du 27 mars 2017, en intégrant par exemple le devoir de vigilance climatique.

Nous présenterons également des amendements afin d’aller plus loin. L’absence de renversement de la charge de la preuve est une lacune pointée par les organisations non gouvernementales (ONG) qui travaillent sur ce sujet. Si la proposition de loi française relative au devoir de vigilance, déposée en 2015, l’envisageait initialement, l’inversion de la charge de la preuve n’avait finalement pas été retenue.

Au-delà de ces amendements, nous soutiendrons le travail effectué par les rapporteures et l’avis politique associé.

M. Charles Sitzenstuhl (RE). Dix ans après le drame du Rana Plaza, qui avait ému la terre entière, les contradictions de nos sociétés apparaissent de manière criante. Les phénomènes de consommation non durables n’ont cessé de se développer au travers de la fast fashion et l’industrie textile mondiale continue sa course « délirante » à la consommation et à des prix toujours plus bas. Il est également paradoxal, et sans lui faire injure, qu’une partie de la jeunesse engagée dans la lutte contre le changement climatique soit également très consommatrice de produits textiles à bas coût.

Ensuite, je ne partage pas l’avis de Sophia Chikirou, selon lequel l’AMF ne devrait pas se voir confier le contrôle de la mise en œuvre des obligations de vigilance. La création d’une autorité ad hoc renforcerait la confrontation entre les idéologies que vous évoquez. Je pense au contraire que le législateur devrait demander à l’AMF de se saisir de ces thématiques, pour contribuer à l’émergence d’une finance plus responsable.

Mme Mireille Clapot, co-rapporteure. Je salue le travail accompli par Valérie Hayer, qui est une eurodéputée très engagée. Nous n’avons pas spécifiquement travaillé sur la question fiscale dans le cadre du rapport : l’idée d’une taxe équitable aux frontières ne correspond pas exactement à l’esprit du devoir de vigilance. L’esprit de la directive n’est pas de prévoir une compensation par une taxe, mais bien de détecter, de prévenir et de sanctionner d’éventuels manquements dans la chaîne de valeur.

Plusieurs conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail (OIT) sont annexées à la proposition de directive, qui visent à assurer des conditions de travail décentes, même si celles-ci ne vont pas jusqu’à fixer avec précision un minimum salarial dans les pays de production. Ainsi, l’esprit du devoir de vigilance est de rendre les entreprises responsables, tandis que la taxation relève d’un autre champ.

Mme Sophia Chikirou, co-rapporteure. Cette taxe n’entre pas dans l’esprit de la directive, mais a vocation à être discutée dans le cadre de la renégociation des traités de libre-échange. L’accord signé en novembre 2018 entre les États-Unis de Donald Trump, le Mexique et le Canada avait par exemple imposé des augmentations de salaire dans les usines mexicaines. Ceci avait conduit à des augmentations de salaire de l’ordre de 25 à 30 %.

Ensuite, je ne partage pas les craintes de recours abusifs contre les entreprises. Ce risque est très limité, d’abord parce que toute procédure est coûteuse. Les ONG n’ont pas de moyens financiers leur permettant de démultiplier les procédures. L’esprit de la directive est de permettre que justice soit rendue. Comme le rappelait Mireille Clapot, l’objectif est que les entreprises se saisissent de leur devoir de vigilance tout au long de la chaîne de valeur, mais également que les réparations puissent avoir lieu. Or, l’un des freins à la réparation et à la justice est l’incapacité des ONG et des plaignants à réunir des preuves. Quand ils y parviennent, des témoignages font état d’arrestations et de destructions des preuves, notamment en Ouganda. Dès lors, il est difficile de demander aux plaignants de réunir des preuves face à TotalEnergies, qui est en lien avec le gouvernement ougandais.

Par ailleurs, les entreprises visées ne sont pas des PME, qui devraient supporter plus de règles et de normes, mais bien les entreprises de plus de 250 salariés et de 40 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel net. Ces entreprises ne sont pas des PME et ont suffisamment de poids et d’influence pour entreprendre ces démarches.

Notre structure d’entreprise en France est marquée par le poids des multinationales. D’autres pays de l’Union européenne peuvent exprimer des réticences à l’abaissement des seuils, de peur que leur tissu productif soit concerné – y compris indirectement – par les obligations de vigilance. De plus, la proposition de directive prévoit des mesures pour soutenir et accompagner les PME, y compris un soutien financier et administratif ciblé pour limiter les répercussions éventuelles.

Mme Mireille Clapot, co-rapporteure. Les entreprises sont de plus en plus sensibles à l’image qu’elles renvoient, et trouvent ainsi un intérêt dans l’application des normes liées au devoir de vigilance. De même, les consommateurs avisés sont attentifs aux engagements des entreprises. Les associations d’entreprises que Dominique Potier et moi avons auditionnées dans le cadre d’un précédent rapport sur le devoir de vigilance des multinationales soulignent qu’il s’agit d’un critère de différenciation important.

À rebours de ce point de vue défaitiste et misérabiliste, j’estime que la position de l’Union européenne lui permet d’affirmer ses valeurs, en démontrant que les entreprises peuvent prospérer dans le respect du devoir de vigilance.

Je souhaite ensuite porter à l’attention de Marietta Karamanli l’importance de ne pas ajouter des contraintes qui risqueraient de rompre l’équilibre assez fragile entre les négociateurs européens. La France a joué un rôle pionnier dans le devoir de vigilance des entreprises, avant que d’autres pays lui emboîtent le pas. Néanmoins, parmi les 27 États membres de l’Union, certains sont beaucoup moins sensibles à ces préoccupations et sont susceptibles d’influencer le cours des trilogues. Il convient dès lors de préserver l’équilibre et de ne pas placer la barre trop haut, pour ne pas précipiter l’échec des négociations.

Mme Sophia Chikirou, co-rapporteure. La désignation potentielle de l’AMF comme autorité administrative chargée du contrôle des obligations de vigilance poserait de mon point de vue plusieurs difficultés. L’AMF est spécialisée dans le suivi et le contrôle des sociétés cotées. Or, le devoir de vigilance des entreprises a vocation à s’appliquer bien au-delà de ce champ. Je suis donc favorable à la création d’une autorité administrative indépendante, avec une gouvernance adaptée. Néanmoins, cette autorité ad hoc devra pouvoir travailler en bonne entente avec l’AMF.

Ainsi, Charles Sitzenstuhl évoquait plus tôt – dans le cadre de la présentation de son rapport d’information sur le projet de loi relatif à l’industrie verte – le fonds d’investissement « Lac d’argent », géré par Bpifrance. Ce fonds a été lui-même alimenté par le fonds souverain d’Abu Dhabi Mubadala Investment Company. Je souhaiterais justement que l’AMF puisse fournir des informations et des documents relatifs à de tels fonds d’investissement. Je rappelle que l’émir d’Abu Dhabi est visé en France par des plaintes pour crimes de guerre, torture et financement de terrorisme.

Si l’AMF doit donc assurer des missions de surveillance et de contrôle, son rôle doit être complété par une autorité ad hoc, spécialisée dans les questions de RSE.

M. le Président Pieyre-Alexandre Anglade. Je vous propose que nous en venions à l’examen des amendements.

Article unique

Amendement n° 4 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier (SOC). Permettez-moi en préambule de saluer le travail des rapporteures dans le cadre de ce rapport d’information. Le groupe Socialiste a acquis une certaine expertise depuis les débats sur la loi française du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre.

Nos propositions d’amendements se nourrissent des échanges avec le Parlement européen, la Commission européenne, ainsi que du dialogue tenu dans le cadre du cercle parlementaire transpartisan constitué sur ce sujet. Ces amendements visent à apporter des précisions qui ne rompront pas l’équilibre évoqué par Mireille Clapot.

En particulier, l’amendement n° 4 vise à ajouter un alinéa saluant le renforcement des conditions de l’application extraterritoriale de la directive pour toutes les entreprises étrangères ayant réalisé un chiffre d’affaires de plus de 150 millions d’euros, dont 40 millions sur le sol européen, que ce soit par elle-même ou par l’intermédiaire de leurs filiales.

Mme Sophia Chikirou, co-rapporteure. Nous émettons toutes deux un avis favorable à cet amendement.

Mme Constance Le Grip (RE). Les députés du groupe Renaissance voteront en faveur de cet amendement porté par nos collègues socialistes. Il est bienvenu de s’attacher à ce que l’extraterritorialité de pans entiers de la législation européenne soit effective.

L’amendement est adopté.

Amendement n° 5 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier (SOC). Les rapporteures insistent sur l’application rigoureuse du devoir de vigilance dans les secteurs les plus sensibles aux atteintes aux droits humains et l’environnement, à savoir le textile, l’agroalimentaire et les industries extractives.

L’ajout de l’adverbe « notamment » permettrait de tenir compte des enjeux de travail forcé dans le secteur des semi-conducteurs. En Chine et à Taiwan, un lumpenprolétariat s’est constitué dans le cadre de cette production. Plus généralement, et sans qu’il soit besoin d’allonger la liste des secteurs prioritaires, cet amendement permet d’ouvrir le champ des industries visées.

Mme Sophia Chikirou, co-rapporteure. Nous émettons toutes deux un avis favorable à cet amendement.

L’amendement est adopté.

Amendement n° 1 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono (LFI-NUPES). Cet amendement vise à insérer une mention pour étendre le champ d’application des obligations de vigilance à l’ensemble de la chaîne de valeur des entreprises financières, afin de garantir l’effectivité de la future directive.

Les institutions financières constituent un moteur du capitalisme contemporain. C’est pourquoi leur inclusion dans le champ des obligations de vigilance est une condition incontournable pour remplir les objectifs de la législation. De plus, les risques du secteur financier sont concentrés essentiellement « en aval » de leurs activités propres.

Limiter la responsabilité des institutions financières sur leurs seuls clients directs constitue un régime d’exception par rapport aux autres secteurs de l’économie, une sorte de faveur injustifiée pour le secteur financier. Le risque serait de permettre aux acteurs de ce secteur de se soustraire à leur devoir de vigilance, en vidant ainsi la législation de sa substance.

À travers cet amendement, nous voulons donc rappeler que l’obligation de vigilance des acteurs financiers devrait s’étendre à l’ensemble de leur chaîne de valeur. Pour rappel, la proposition de directive adoptée par le Parlement européen prévoit en outre, à son article 29, que la définition de cette chaîne de valeur puisse faire l’objet d’un réexamen.

Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). J’émets un avis favorable à cet amendement.

Mme Mireille Clapot, co-rapporteure. J’émets pour ma part un avis défavorable.

Au travers de notre projet d’avis politique, nous regrettons que les fonds de pension soient exclus des obligations de vigilance dans le compromis adopté par le Parlement européen.

Néanmoins, il faut se garder d’aller trop loin. Il n’est pas réaliste d’imposer aux institutions financières un contrôle étendu de leurs clients en aval de leur chaîne de valeur. Par exemple, les banques qui financent les projets de leurs clients ne disposent pas toujours d’une capacité d’influence suffisante, et risqueraient d’être déstabilisées dans un environnement particulièrement concurrentiel.

L’amendement est rejeté.

Amendement n° 7 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier (SOC). Cet amendement vous surprendra peut-être, venant du groupe Socialiste. Je me dois néanmoins de défendre une position partagée au sein du cercle parlementaire transpartisan constitué autour du devoir de vigilance.

Au nom de la souveraineté nationale, les actifs stratégiques – tels que ceux de l’industrie de l’armement – doivent être traités différemment de ceux des autres industries.

Je rends hommage aux rapporteures pour leur courage en matière de défense des droits de l’Homme, et il serait une erreur que l’industrie de l’armement soit exclue du champ du devoir de vigilance. Cet amendement vise cependant à exprimer un équilibre consistant à préserver la souveraineté étatique, dans des limites restant à définir à l’échelle européenne.

Mme Sophia Chikirou, co-rapporteure. J’émets un avis favorable à cet amendement.

Mme Mireille Clapot, co-rapporteure. Les industries d’armement sont soumises aux contrôles effectués par la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG). Il est pertinent d’insister sur la nécessité de veiller à ce que les obligations de vigilance n’enfreignent pas le caractère singulier propre à la souveraineté des États en matière de politique de défense et de sécurité.

J’émets donc également un avis favorable à cet amendement.

M. Denis Masseglia (RE). Étant soumis au déport, eu égard à mes engagements personnels, je ne me prononcerai pas sur le vote de cet amendement.

Mme Constance Le Grip (RE). Je salue l’amendement de nos collègues socialistes, qui nous semble bienvenu. Il est important de souligner le caractère singulier propre à l’exercice de la souveraineté.

L’amendement est adopté.

Amendement n° 13 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier (SOC). L'orientation du Conseil, qui résulte du secret des délibérations, fait de l'inclusion du secteur financier dans le champ du devoir de vigilance une simple faculté.

Le Parlement européen a exprimé clairement sa position, fruit d'un compromis entre les partis politiques du centre, de la droite et de la gauche, suivant laquelle l'inclusion du secteur financier ne saurait être facultative. Ce point essentiel doit être défendu au cours de la phase des trilogues.

L'ensemble des États membres doivent être soumis aux mêmes obligations de vigilance : les règles doivent être homogènes dans l'Union européenne. L'orientation du Conseil n’est pas acceptable : il serait insensé que des places financières telles que Paris ou Francfort puissent être exemptées d’obligations de vigilance par la directive, alors que certains pays pourraient décider de l’appliquer à leur secteur financier.

Enfin, il est clair que l'exclusion du secteur financier du champ d'application de la future directive affaiblirait fortement l'effectivité du devoir de vigilance.

Mme Sophia Chikirou, co-rapporteure. Je suis favorable à cet amendement.

Mme Mireille Clapot, co-rapporteure. J’hésite quelque peu. Ma crainte est que cette précision soit de nature à remettre en cause le fragile compromis avec les États membres. Je suis néanmoins sensible aux arguments qui ont été exposés, qui répondent à la logique de terrain de jeu équitable et d’équivalence entre les différents pays.

Je donne donc un avis de sagesse !

Mme Sophia Chikirou, rapporteure. Pour convaincre nos collègues de voter pour cet amendement, je rappellerai que notre rôle, en tant que parlementaires nationaux, est d’émettre des souhaits. Nous ne participons pas aux trilogues, mais il nous revient de mettre un peu de pression sur les négociateurs.

L’amendement est adopté.

Amendement n° 10 de M. Dominique Potier.

Mme Marietta Karamanli (SOC). Nous souhaitons compléter le point 34 de l’avis politique, en précisant que l’extension de responsabilité en aval des chaînes de production doit s’étendre sans limites dans certains secteurs où les produits et services ont un fort impact sur la protection des libertés fondamentales.

Mme Mireille Clapot, co-rapporteure. Je suis défavorable à cet amendement. L’inclusion de l’aval et l’utilisation ou l’usage des produits causerait des difficultés. À titre d’exemple, dans le cas d’une entreprise fabriquant des couteaux de cuisine, si un individu ou un groupe armé se rend coupable de meurtre en utilisant ces ustensiles comme armes blanches, l’entreprise ayant fabriqué ces produits pourrait-elle vraiment être blâmée par l’usage qui en a été fait ? L’usage de certains produits par les clients ne peut pas être de la responsabilité de l’entreprise.

M. Dominique Potier (SOC). L’amendement est rédigé de façon précise : il est écrit « dès lors que l’entreprise est en situation de donneur d’ordre ». Ainsi les entreprises visées occupent une position dominante, de nature à influencer profondément les intérêts majeurs sur un marché. Ces entreprises seraient celles qui dépendent d’un secteur où les produits et services ont un impact sur la protection des libertés fondamentales.

On pourrait certes préciser quels seraient ces secteurs, qui englobent notamment les questions de sécurité et de numérique. Ainsi, les géants de l’électronique ne devraient pas pouvoir s’affranchir du fait qu’ils alimentent durablement des dictatures au bout du monde en matière d’outils de sécurité, qui permettent un contrôle des populations en dépit des droits fondamentaux.

Mme Constance Le Grip (REN). Nous ne voterons pas en faveur de cet amendement. Nous sommes favorables à l‘exercice d’un devoir de vigilance dont les règles doivent être claires, précises, exigeantes et surtout réalistes. Or, il paraît difficile d’aller aussi loin dans le contrôle de l’aval des chaînes de valeur.

Mme Sophia Chikirou, co-rapporteure. Je suis favorable à cet amendement. L’Histoire nous a appris que des industriels et des entreprises pouvaient contribuer directement à des crimes de masse. Il faut être capable d’établir la responsabilité des entreprises qui fournissent certains États tels que la Syrie, dont le régime gaze des populations.

 

L’amendement est rejeté.

Amendement n° 3 de Mme Nathalie Oziol.

Mme Nathalie Oziol (LFI-NUPES). En raison d’un amendement du Parti Populaire européen, l’article 26 de la proposition de directive instaurant une responsabilité des administrateurs des entreprises dans la mise en œuvre du devoir de vigilance a été supprimé par le Parlement européen. Cette suppression fait suite à une campagne de lobbying agressive menée à Strasbourg et Bruxelles. Le directeur de BusinessEurope a estimé que les devoirs des administrateurs créaient « une interférence inutile avec la gouvernance d’entreprise ».

Pourtant, loin d’être inutile, cette responsabilisation est un levier efficace pour garantir l’effectivité de la loi et plus largement l’application du devoir de vigilance. À ce titre, l’instauration d’une rémunération variable constituerait également une forte incitation. Le présent amendement vise donc à rappeler la nécessité de réintégrer cette responsabilité des administrateurs, position agréée lors des débats en commission des Affaires juridiques du Parlement européen, et d’instaurer dans la directive, et dans la future transposition française, un principe de rémunération variable.

Mme Sophia Chikirou, co-rapporteure. Je suis favorable à cet amendement.

Mme Mireille Clapot, co-rapporteure. La rédaction de cet amendement n’est pas assez précise, car elle renvoie à deux éléments différents.

Il est certes regrettable que la rémunération variable soit liée uniquement aux plans de transition climatique. Néanmoins, la responsabilité des administrateurs correspond à un autre principe.

Je comprends que l’esprit de l’amendement était de revenir à la position exprimée par la commission des Affaires juridiques du Parlement européen avant l’adoption de l’amendement de dernière minute du Parti Populaire européen. Néanmoins, dans sa rédaction actuelle, l’amendement n’est pas satisfaisant. Un sous-amendement pourrait être envisageable.

M. Dominique Potier (SOC). À titre personnel, j’estime qu’indexer les revenus des dirigeants sur leurs performances sociales et environnementales me paraît insensé sur le plan éthique. En revanche, la responsabilité des administrateurs est fondamentale. Si les deux sujets étaient distingués dans cet amendement, nous pourrions trouver un accord.

L’amendement est rejeté.

Amendement n° 2 de Mme Nathalie Oziol.

Mme Nathalie Oziol (LFI-NUPES). La loi française de 2017 n’a, à ce jour, abouti à aucune condamnation pour manquement au devoir de vigilance. Si cela peut s’expliquer en partie par un délai d’application encore court et un cadre juridique trop flou, ceci est aussi dû au fait qu’il est extrêmement difficile pour les plaignants de mener une action en justice dans un cadre équitable face à une grande entreprise.

En effet, les victimes n’ont pas le même pouvoir d’influence ni les mêmes ressources humaines et techniques que les grandes entreprises qui possèdent une armée de juristes, et n’ont même pas accès aux informations confidentielles pouvant permettre d’établir clairement des preuves, ces dernières étant la propriété des entreprises concernées.

Peut-on sérieusement croire qu’un paysan ougandais, habitant sur le site du projet EACOP, ou qu’un ouvrier qatari ayant travaillé sur les chantiers de la coupe du monde de football a les moyens de faire valoir leurs droits ?

Face à cette asymétrie d’information et de moyens avérée, cet amendement préconise, comme plusieurs ONG spécialisées, la mise en place d’une inversion de la charge de la preuve.

Mme Mireille Clapot, co-rapporteure. Je suis contre cet amendement. L’enfer est pavé de bonnes intentions. Avec cette disposition, toute entreprise serait suspecte a priori de violations des droits humains et environnementaux. Cela créerait un important contentieux, qui serait contreproductif pour la mise en œuvre effective de la directive sur le devoir de vigilance.

Mme Sophia Chikirou, co-rapporteure. Je suis favorable à cet amendement. Cette disposition consiste à demander à l’entreprise de démontrer, le cas échéant, qu’elle a tout mis en œuvre pour ne pas se mettre hors la loi, donc pour ne pas enfreindre des règles environnementales et les droits humains. Comment les plaignants pourraient-ils le démontrer ? Seule l’entreprise dispose des informations et des documents nécessaires pour cela.

Ainsi, une entreprise qui respecte la loi n’aurait strictement rien à craindre : il lui reviendrait seulement de démontrer qu’elle s’est conformée à son devoir de vigilance tout au long de sa chaîne de valeur. Une entreprise vertueuse n’aurait aucun problème à démontrer qu’elle a respecté la législation et ne serait pas jugée coupable. Elle éviterait les poursuites judiciaires ou les sanctions par l’autorité administrative.

Mme Danièle Obono (LFI-NUPES). Cette mesure est demandée par les ONG compétentes, et ne relève pas de la suspicion. Elle est conforme à l’essence du devoir de vigilance. En cas de procédure, il s’agit de montrer que l’entreprise a bien fait ce à quoi elle est tenue. Cela procède d’une obligation de moyens : l’entreprise démontrant qu’elle a mis en œuvre tous les moyens exigés valide sa conformité au devoir de vigilance.

Mme Louise Morel (Dem). S’il était adopté, cet amendement ferait obligation à une entreprise vertueuse de prouver son innocence, ce qui créerait une surcharge administrative massive. Beaucoup d’entreprises en développement ne sont pas pourvues de services juridiques et administratifs étoffés. Pour les entreprises ayant des activités à l’international, la mise en conformité avec les différents droits et règles serait particulièrement complexe.

Si l’intention de cet amendement est bonne, sa mise en œuvre supposerait le recours à des avocats et à des cabinets pour prouver l’innocence de l’entreprise. Cet amendement rendrait plus complexe le quotidien des chefs de petites entreprises.

L’amendement est rejeté.

Amendement n° 15 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier (SOC). Cet amendement vise à soutenir les modifications proposées par le Parlement européen et le Conseil, consistant à ajouter les textes internationaux manquants dans l’annexe I : l’Accord de Paris, la Convention Aarhus, la Convention de Ramsar, la Convention MARPOL. C’est une précision de liste, qui a été ajoutée et qui manquait au rapport initial.

Mme Sophia Chikirou, co-rapporteure. Nous sommes favorables à cet amendement.

L’amendement est adopté.

Amendement n° 11 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier (SOC). La notion « d’effectivité » est au cœur du devoir de vigilance, point sur lequel la garde des Sceaux de l’époque, Mme Christiane Taubira, avait insisté lors des discussions sur la loi française relative au devoir de vigilance des entreprises. Sur le plan juridique, c’est l’effectivité de la mise en œuvre qui doit être jugée, et non la seule mise en œuvre. Je suis très attaché à cet amendement « hommage à Christiane Taubira » !

Mme Mireille Clapot, co-rapporteure. Nous sommes favorables à cet amendement.

L’amendement est adopté.

Amendement n° 14 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier (SOC). Cet amendement, inspiré par l’eurodéputé Pascal Durand, vise à assurer la bonne articulation du texte sur le devoir de vigilance avec la directive CSRD. Les enjeux sont très importants, notamment pour les organismes de contrôle : le reporting extrafinancier nouvelle version sera le langage commun des plans de vigilance et d’une responsabilité sociale des entreprises publiques.

Mme Sophia Chikirou, co-rapporteure. Notre avis est défavorable sur ce point.

L’amendement est rejeté.

Amendement n° 8 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier (SOC). Au Parlement européen, tous les députés progressistes ont demandé à aligner les sanctions afférentes au devoir de vigilance sur le droit de la concurrence, soit une amende de 10 % du chiffre d’affaires mondial. Le compromis avec les forces libérales a été de ramener ce seuil de 10 à 5 %, et de faire ainsi une différence avec le droit de la concurrence. Cet amendement vise à aligner les sanctions en matière de devoir de vigilance sur les sanctions en matière de droit de la concurrence.

Mme Sophia Chikirou, co-rapporteure. Je suis favorable à cet amendement.

Mme Mireille Clapot, co-rapporteure. J’y suis défavorable. Je comprends l’intention, mais je pense qu’il ne faut pas effaroucher certains États à la table des négociations avec ce montant de sanction. Le jeu n’en vaut pas la chandelle.

L’amendement est rejeté.

Amendement n° 9 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier (SOC). Cet amendement vise à prévenir tout risque de moins-disance environnementale et sociale et à tendre vers la création d’un référentiel commun à l’ensemble des réglementations, traduisant l’intention éthique de l’Union européenne dans la mondialisation. L’ensemble des dispositions européennes, par exemple sur la déforestation et la lutte contre le travail des enfants, doivent converger vers un référentiel commun. Ceci est autant dans l’intérêt des citoyens que des entreprises.

Mme Sophia Chikirou, co-rapporteure. Mon avis est favorable. Même si celle-ci n’apparaît pas dans l’avis politique, j’ai formulé dans le rapport d’information une recommandation appelant à s’aligner sur les 12 standards de l’EFRAG.

Mme Mireille Clapot, co-rapporteure. Mon avis est défavorable, pas tant sur le fond que sur la forme. Cette précision me semble superfétatoire.

L’amendement est rejeté.

Amendement n° 12 de M. Dominique Potier

M. Dominique Potier (SOC). Il existe deux types de transposition : maximale et minimale. Je souhaite poser un principe simple : la transposition de la directive en France ne doit pas conduire à une régression par rapport aux objectifs posés par la loi de 2017. C’est une question de principe.

Mme Sophia Chikirou, co-rapporteure. Je suis favorable à cet amendement. Nous avons formulé dans le rapport une recommandation sur l’harmonisation minimale.

Mme Mireille Clapot, co-rapporteure. Mon avis est défavorable, car j’estime que cet amendement est redondant avec d’autres dispositions de l’avis politique.

L’amendement est rejeté.

Amendement n° 6 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier (SOC). Cet amendement invite les négociateurs européens à contraindre les États membres à accorder une portée conventionnelle aux déclarations internationales ou, à tout le moins, à rendre leur contenu obligatoire et invocable à l’encontre des entreprises devant les tribunaux internes. Il insiste sur la nécessité de mettre en place, au niveau de la France et de l’Union européenne, un plaidoyer en faveur d’un traité ou d’un accord juridiquement contraignant prévoyant l’instauration d’obligations de vigilance au niveau mondial, en s’appuyant sur les travaux du groupe de travail intergouvernemental de l’Organisation des Nations unies (ONU) sur les sociétés transnationales et autres entreprises et les droits de l’homme.

Mme Sophia Chikirou, co-rapporteure. Mon avis est favorable.

Mme Mireille Clapot, co-rapporteure. Le premier paragraphe me semble mal formulé. Comment en effet inviter les négociateurs européens à « contraindre » les États membres ? Cela n’est pas possible. Le deuxième paragraphe est redondant avec le point 23 de l’avis politique.

M. Dominique Potier (SOC). Le deuxième paragraphe est effectivement déjà satisfait. Quant au premier paragraphe, il y a un problème de rédaction : nous voulions appeler à prévoir une contrainte pour les États, non pas à les contraindre directement. Nous retirons notre amendement.

L’amendement est retiré.

L’avis politique est adopté à l’unanimité.

La commission a ensuite autorisé le dépôt du rapport d’information en vue de sa publication.

 


—  1  —

   AVIS POLITIQUE INITIAL

La commission des Affaires européennes,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu les articles 6, 50 et 114 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

Vu le règlement (UE) 2023/1115 du 31 mai 2023 du Parlement européen et du Conseil relatif à la mise à disposition sur le marché de l’Union ainsi qu’à l’exportation à partir de l’Union de certains produits de base et produits associés à la déforestation et à la dégradation des forêts, et abrogeant le règlement (UE) nº 995/2010,

Vu le règlement (UE) 2017/821 du Parlement européen et du Conseil du 17 mai 2017 fixant des obligations liées au devoir de diligence à l’égard de la chaîne d’approvisionnement pour les importateurs de l’Union qui importent de l’étain, du tantale et du tungstène, leurs minerais et de l’or provenant de zones de conflit ou à haut risque,

Vu le règlement (UE) 2021/1119 du Parlement européen et du Conseil du 30 juin 2021 établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique et modifiant les règlements (CE) nº 401/2009 et (UE) 2018/1999 (« loi européenne sur le climat »),

Vu les principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme approuvés par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies dans sa résolution 17/4 du 16 juin 2011 intitulée « Les droits de l’homme et les sociétés transnationales et autres entreprises »,

Vu les principes directeurs de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) à l’intention des entreprises multinationales (mis à jour en 2023), les recommandations sur la conduite responsable des entreprises, le guide sur le devoir de vigilance pour une conduite responsable des entreprises (2018) et les guides sectoriels,

Vu la loi n° 2017‑399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l’interdiction des produits issus du travail forcé sur le marché de l’Union (COM[2022]453 final),

Vu la résolution du Parlement européen du 10 mars 2021 contenant des recommandations à la Commission sur le devoir de vigilance et la responsabilité des entreprises,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité et modifiant la directive (UE) 2019/1937 (COM[2022] 71 final),

Considérant que l’expérience française, découlant de l’application de la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 susvisée, enseigne que les principales difficultés rencontrées par les entreprises dans la mise en œuvre du devoir de vigilance résultent de l’insuffisante précision des notions qui déterminent son champ d’application et la portée des obligations de vigilance ainsi que de l’absence d’autorité administrative en charge de son contrôle ;

Constatant que d’autres États membres de l’Union européenne ont par la suite, à l’instar de l’Allemagne et des Pays-Bas, adopté des législations de portée générale ou plus ciblées en matière de devoir de vigilance des entreprises, ou sont en train d’en élaborer ;

Considérant dès lors la nécessité de prévenir tout risque de fragmentation du marché intérieur et de moins-disance sociale ou environnementale entre les États membres ;

Considérant que l’application effective du devoir de vigilance contribue à la protection des droits humains des salariés et des parties concernées tout au long des chaînes de valeur ;

Considérant que l’adoption d’une législation ambitieuse en matière de devoir de vigilance des entreprises contribuera à la réalisation des objectifs de l’Union en matière d’atténuation et d’adaptation au changement climatique ;

Considérant les effets vertueux pour les entreprises, sur le long terme, d’une démarche d’identification et de prévention des risques sociaux et environnementaux tout au long de leur chaîne de valeur ;

Considérant le rôle moteur que doit jouer l’Union européenne pour la promotion des principes du devoir de vigilance des entreprises, en particulier au sein du Conseil des droits de l’homme de l’ONU ;

 Sur l’agenda des négociations

1. Appelle le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne à parvenir à un accord ambitieux sur la proposition de directive COM(2022) 71 final avant les prochaines élections européennes prévues au printemps 2024 ;

 

 

 Sur le champ des entreprises concernées par les obligations de vigilance

2. Soutient pleinement le choix du Parlement européen consistant, dans sa position adoptée le 1er juin 2023, à étendre le champ d’application du devoir de vigilance aux sociétés mères ultimes, conformément à une approche consolidée reflétant l’influence réelle des acteurs économiques ;

3. Se félicite de la position ambitieuse du Parlement européen, consistant à étendre le champ d’application de la proposition de directive COM(2022) 71 final aux entreprises à partir de 250 salariés, tout en veillant à garantir une charge proportionnée, en cohérence avec la nomenclature européenne découlant de la recommandation actualisée de la Commission du 6 mai 2003 concernant la définition des micro, petites et moyennes entreprises (2003/361/CE) ;

4. Souligne, conformément à la position du Parlement européen du 1er juin 2023, l’importance d’évaluer, au plus tard six ans après la date d’entrée en vigueur de la directive sur le devoir de vigilance en matière de durabilité, son efficacité pour atteindre ses objectifs au regard, notamment, des seuils retenus concernant le nombre de salariés et le chiffre d’affaires net à partir desquels les entreprises sont soumises aux obligations de vigilance en matière de durabilité ;

 Sur l’application du devoir de vigilance selon les secteurs d’activité

5. Appelle, en cohérence avec les orientations sectorielles du guide de l’OCDE sur le devoir de diligence pour une conduite responsable des entreprises, à maintenir une attention particulière à l’application des obligations de vigilance aux chaînes d’approvisionnement des activités identifiées comme ayant un « fort impact » sur les droits humains et sur l’environnement, à savoir les secteurs des industries extractives et des minéraux, de l’habillement et de la chaussure, et des produits agricoles ;

6. Reconnaît la pertinence du principe posé par le Parlement européen, consistant à ce que les établissements financiers, également couverts par les orientations sectorielles du guide de l’OCDE, s’efforcent dans la mesure de leur capacité à identifier, mesurer et prévenir les risques associés à leurs clients directs, mais s’étonne que ces obligations ne trouvent pas à s’appliquer de la même manière pour les fonds de pension ;

7. Insiste pour que les industries d’armement soient concernées par les obligations de vigilance, au même titre que les autres entreprises ;

 

 

 Sur la portée des obligations de vigilance et la profondeur des chaînes de valeur concernées

8. Appelle les institutions européennes à définir précisément les obligations incombant aux entreprises donneuses d’ordres, afin de garantir l’effectivité du devoir de vigilance et dans un souci de sécurité juridique ;

9. Invite les négociateurs européens à préciser que le devoir de vigilance constitue un processus continu et adapté au contexte des entreprises, leur imposant d’identifier, d’atténuer et, le cas échéant, de prévenir les atteintes réelles ou potentielles aux droits de l’Homme et à l’environnement attachés à l’ensemble des sous-traitants et fournisseurs de leurs chaînes de valeur, sans se limiter aux premiers rangs de ces derniers ;

10. Soutient la position du Parlement européen adoptée le 1er juin 2023, consistant à appliquer les obligations de vigilance, au-delà des seules chaînes d’approvisionnement, à toutes les « entités impliquées » dans les activités de vente, de distribution ou de fourniture des produits et services, étant entendu que la responsabilité des entreprises ne pourra pas être engagée sur l’usage qui pourrait être fait des biens ou services fournis aux clients de l’entreprise ;

 Sur la nécessité de prévoir des voies de recours mettant en jeu la responsabilité civile des entreprises

11. Rappelle que le devoir de vigilance, qui implique de mettre en œuvre de manière effective des mesures adaptées d’identification et d’atténuation des risques et de prévention des atteintes, ne saurait se borner à une approche formelle reposant sur de simples obligations de reporting ;

12. Insiste sur le fait que l’existence d’une voie de recours judiciaire, permettant à toute personne justifiant d’un intérêt à agir d’engager la responsabilité civile des entreprises manquant à leurs obligations de vigilance, est une condition sine qua non de l’effectivité du devoir de vigilance ;

13. S’inquiète de ce que l’orientation du Conseil du 30 novembre 2022 entende réduire l’engagement de la responsabilité civile des entreprises pour un dommage causé à une personne physique et morale à la condition que ladite entreprise ait manqué « intentionnellement ou par négligence » à ses obligations de vigilance, et soutient au contraire sur l’article 22 de la proposition de directive la position ambitieuse du Parlement européen, telle qu’adoptée le 1er juin 2023 ;

14. Salue l’introduction à l’article 22 de la proposition de directive par le Parlement européen, dans sa position du 1er juin 2023, de la possibilité pour les victimes d’être représentées au contentieux par des syndicats mandatés, des organisations de la société civile ou d’autres acteurs concernés, sous réserve que leur caractère non lucratif et d’intérêt public puisse être vérifié par le juge ;

15. Estime que la nouvelle rédaction de l’article 22 de la proposition de directive, proposée par le Parlement européen dans sa position du 1er juin 2023, est de nature à faciliter l’effectivité de la justice en permettant aux juridictions d’ordonner que des preuves soient divulguées par l’entreprise, dans le respect des règles en matière de confidentialité et de proportionnalité, lorsqu’un demandeur fournit des éléments étayant la probabilité d’une responsabilité de celle-ci ;

 Sur la mise à jour du périmètre de vigilance

16. Préconise un mécanisme de mise à jour de l’annexe de la future directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité, pour permettre la prise en compte des incidences découlant de la violation de nouvelles interdictions et obligations liées aux conventions internationales en matière d’environnement, à l’instar des obligations de conservation et de gestion durable de la biodiversité marine qui découleront, une fois celui-ci ratifié, du traité sur la protection de la haute mer adopté le 19 juin 2023 dans le cadre de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer ;

 Sur la nécessité de mise en œuvre des plans de transition climatique

17. Soutient la position du Parlement européen adoptée le 1er juin 2023, consistant à amender l’article 7 de la proposition de directive COM(2022) 71 final, afin de prévoir la mise en œuvre du plan pour la transition climatique prévu à l’article 15 de ladite directive, conformément aux objectifs de transition de l’économie européenne vers une économie verte et neutre sur le plan climatique et à l’accord de Paris ;

 Sur la mise en place des autorités de contrôle chargées de veiller à l’application du devoir de vigilance

18. Rappelle que la compétence confiée aux autorités administratives indépendantes des États membres pour guider et, le cas échéant, sanctionner les entreprises est un gage d’effectivité du devoir de vigilance, à la seule condition de préserver les voies de recours judiciaires ;

19. Soutient la position du Parlement européen fixant un plafond minimum de 5 % du chiffre d’affaires net mondial de l’exercice précédent pour les sanctions pécuniaires pouvant être prononcées par les autorités nationales de supervision, afin de garantir l’efficacité de ces dernières et assurer l’harmonisation des règles entre les États membres ;

20. Insiste sur la nécessité de veiller, une fois la directive transposée, à la bonne coordination des autorités administratives nationales au sein du futur réseau de supervision européen, à la centralisation et la publication d’informations permettant de nourrir la cartographie des risques d’incidences négatives, afin de prévenir tout risque de moins-disance environnementale et sociale ;

 Sur les modalités d’harmonisation et d’entrée en vigueur de la directive

21. Insiste pour que la directive soit d’harmonisation minimale, afin de laisser une marge de manœuvre suffisante pour que les États membres puissent adopter, en tant que de besoin, des règles plus protectrices à l’égard des droits humains et environnementaux ;

22. Appelle la Commission européenne, une fois la directive transposée, à publier les lignes directrices dédiées, de nature à accompagner les entreprises en amont et leur permettre d’assumer pleinement leurs obligations ;

 Sur la généralisation des principes du devoir de vigilance à l’échelle internationale

23. Réitère son appel aux autorités européennes à jouer un rôle moteur dans les négociations en cours au sein du groupe de travail intergouvernemental des Nations unies visant à élaborer un instrument international juridiquement contraignant sur les sociétés transnationales et autres entreprises concernant les droits de l’homme.

 

 


—  1  —

   AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

28 juin 2023

Rectangle

PROJET D’AVIS POLITIQUE RELATIF À LA PROPOSITION DE DIRECTIVE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL SUR LE DEVOIR DE VIGILANCE DES ENTREPRISES EN MATIÈRE DE DURABILITÉ

 

AMENDEMENT

No 4

 

présenté par

Dominique POTIER, Marietta KARAMANLI, Anna PIC, Guillaume GAROT et les membres du groupe Socialistes et apparentés

 

----------

ARTICLE UNIQUE

 

Après l’alinéa 25, rajouter un alinéa ainsi rédigé :

« Se réjouit du renforcement des conditions de l’application extraterritoriales de la directive pour toutes les entreprises étrangères ayant réalisé un chiffre d’affaires de plus de 150 millions d’euros dont 40 millions sur le sol européen - que ce soit par elle-même ou par l’intermédiaire de leurs filiales ; »

EXPOSÉ SOMMAIRE

 

Cet amendement du groupe Socialistes et apparentés vise à préciser que le texte voté par le Parlement européen élargit le champ institutionnel du texte en prévoyant une applicabilité aux sociétés étrangères selon certaines conditions.

 

 

Cet amendement est adopté.

 

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

28 juin 2023

Rectangle

 

AMENDEMENT

No 5

PROJET D’AVIS POLITIQUE RELATIF À LA PROPOSITION DE DIRECTIVE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL SUR LE DEVOIR DE VIGILANCE DES ENTREPRISES EN MATIÈRE DE DURABILITÉ

 

présenté par

Dominique POTIER, Marietta KARAMANLI, Anna PIC, Guillaume GAROT et les membres du groupe Socialistes et apparentés

 

----------

ARTICLE UNIQUE

 

À l’alinéa 28, après les mots :

« à savoir »

Ajouter le mot :

« notamment »

EXPOSÉ SOMMAIRE

 

Cet amendement du groupe Socialistes et apparentés est un amendement de précision rédactionnelle.

 

 

 

 

 

Cet amendement est adopté.


COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

28 juin 2023


PROJET D’AVIS POLITIQUE RELATIF À LA PROPOSITION DE DIRECTIVE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL SUR LE DEVOIR DE VIGILANCE DES ENTREPRISES EN MATIÈRE DE DURABILITÉ

 

 

AMENDEMENT

No 1

 

présenté par

Gabriel AMARD, Rodrigo ARENAS, Manuel BOMPARD, Danièle OBONO, Nathalie OZIOL

----------

ARTICLE UNIQUE

 

À l’alinéa 29 :

  1. Supprimer le mot « mais » 

 

  1. Après les mots : « pour les fonds de pension », insérer les mots : « et insiste sur la nécessité d’étendre la définition de la chaîne de valeur des entreprises financières pour garantir l’effectivité de la loi »

EXPOSÉ SOMMAIRE

Les institutions financières constituent un moteur du capitalisme financiarisé. C’est pourquoi, leur inclusion dans le champ des obligations de vigilance est une condition incontournable pour remplir les objectifs de la législation. De plus, les risques du secteur financier sont concentrés essentiellement « en aval » de leurs activités propres.

Limiter leur responsabilité sur leurs seuls clients directs constitue donc un régime d’exception par rapport aux autres secteurs de l’économie, une sorte de faveur à l’attention du secteur financier qui n’a pas lieu d’être et vide le texte de sa substance. Cela ouvre notamment la porte à des stratégies d’intermédiation permettant à ces acteurs de se soustraire à leur devoir de vigilance.

Cet amendement vise donc à rappeler que l’obligation de vigilance des acteurs financiers devrait plus largement s’étendre à l’ensemble de leur chaîne de valeur. La version de la directive européenne adoptée par le Parlement européen prévoit d’ailleurs à son Article 29 que la définition de cette chaîne de valeur puisse faire l’objet d’un réexamen dans le cadre de la clause de revoyure.

Cet amendement est rejeté.

 

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

28 juin 2023

Rectangle

 

AMENDEMENT

No 7

PROJET D’AVIS POLITIQUE RELATIF À LA PROPOSITION DE DIRECTIVE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL SUR LE DEVOIR DE VIGILANCE DES ENTREPRISES EN MATIÈRE DE DURABILITÉ

 

présenté par

Dominique POTIER, Marietta KARAMANLI, Anna PIC, Guillaume GAROT et les membres du groupe Socialistes et apparentés

----------

ARTICLE UNIQUE

À l’alinéa 30 :

I. Remplacer les mots :

« Insiste pour »

Par les mots :

« Souhaite »

II. Avant le mot « soient », ajouter le mot « ne »

III. Après le mot « soient », ajouter le mot « pas »

IV. Remplacer les mots :

« concernées par les »

Par les mots

« exclues des »

V. Après le mot « entreprises », ajouter la phrase « , tout en veillant à ce que celles-ci n’enfreignent pas le caractère singulier propre à la souveraineté des États en matière de politique de défense et de sécurité ; »

EXPOSÉ SOMMAIRE

Cet amendement du groupe Socialistes et apparentés précise le considérant relatif aux industries d’armement pour que cette disposition n’enfreigne pas le caractère singulier propre à la souveraineté des Etats membres en matière de politique de défense et de sécurité.

Cet amendement est adopté.


COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

28 juin 2023

Rectangle

 

AMENDEMENT

No 13

PROJET D’AVIS POLITIQUE RELATIF À LA PROPOSITION DE DIRECTIVE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL SUR LE DEVOIR DE VIGILANCE DES ENTREPRISES EN MATIÈRE DE DURABILITÉ

 

présenté par

Dominique POTIER, Marietta KARAMANLI, Anna PIC, Guillaume GAROT et les membres du groupe Socialistes et apparentés

 

----------

ARTICLE UNIQUE

 

Après l’alinéa 30, ajouter l’alinéa suivant :

« Rappelle, au vu du levier hautement stratégique qu’il constitue et pour éviter toute distorsion de concurrence au sein de l’Union européenne, que l’inclusion du secteur financier dans les obligations propres au devoir de vigilance ne peut en aucun cas relever d’une option facultative ; »

EXPOSÉ SOMMAIRE

 

Cet amendement du groupe Socialistes et apparentés vise à ajouter dans cet avis politique la prise en compte de l’inclusion du secteur financier dans les obligations propres au devoir de vigilance.

 

 

 

 

 

 

 

Cet amendement est adopté.


COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

28 juin 2023

Rectangle

 

AMENDEMENT

No 10

PROJET D’AVIS POLITIQUE RELATIF À LA PROPOSITION DE DIRECTIVE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL SUR LE DEVOIR DE VIGILANCE DES ENTREPRISES EN MATIÈRE DE DURABILITÉ

 

présenté par

Dominique POTIER, Marietta KARAMANLI, Anna PIC, Guillaume GAROT et les membres du groupe Socialistes et apparentés

 

----------

ARTICLE UNIQUE

 

À l’alinéa 34, après le mot « services, » remplacer la fin de l’alinéa par la phrase suivante :

« dès lors que l’entreprise est en situation de donneur d’ordre ; cette extension de responsabilité en aval des chaînes de production s’étendant sans limite dans certains secteurs où les produits et services ont potentiellement un impact fort sur la protection des libertés fondamentales ; »

 

EXPOSÉ SOMMAIRE

 

Cet amendement du groupe Socialistes et apparentés vise à préciser ce considérant qui énonce à ce stade des principes contradictoires en indiquant l’exclusion de la responsabilité des entreprises sur l’usage fait des biens ou services fournis aux clients de l’entreprise.

 

 

 

 

 

Cet amendement est rejeté.


COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

28 juin 2023


PROJET D’AVIS POLITIQUE RELATIF À LA PROPOSITION DE DIRECTIVE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL SUR LE DEVOIR DE VIGILANCE DES ENTREPRISES EN MATIÈRE DE DURABILITÉ

 

AMENDEMENT

No 3

 

présenté par

Gabriel AMARD, Rodrigo ARENAS, Manuel BOMPARD, Danièle OBONO, Nathalie OZIOL

----------

ARTICLE UNIQUE

 

Après l’alinéa 38, insérer un nouvel alinéa ainsi rédigé :

« Regrette que la disposition relative à la responsabilité des administrateurs ait été supprimé par le Parlement européen et rappelle qu’un principe de rémunération variable est un levier efficace pour garantir la bonne application du devoir de vigilance »

EXPOSÉ SOMMAIRE

En raison d’un amendement du Parti populaire européen, l’article 26 de la directive européenne instaurant une responsabilité des administrateurs des entreprises dans la mise en œuvre du devoir de vigilance a été supprimé par le Parlement.

Cette suppression fait suite à une campagne de lobbying agressive menée à Strasbourg et Bruxelles, le directeur de BusinessEurope, M. Markus J. Beyrer, ayant par exemple fait savoir que les devoirs des administrateurs créaient « une interférence inutile avec la gouvernance d’entreprise ».

Pourtant, loin d’être inutile, cette responsabilisation est un levier efficace pour garantir l’effectivité de la loi et plus largement la bonne application du devoir de vigilance.

A ce titre, l’instauration d’une rémunération variable constituerait également une forte incitation.

Le présent amendement vise donc à rappeler la nécessité de réintégrer cette responsabilité des administrateurs, position agréée lors des débats en commission des Affaires juridiques du Parlement européen, et d’instaurer dans la directive et dans la future transposition française qui en sera faite un principe de rémunération variable.

 

Cet amendement est rejeté.

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

28 juin 2023


PROJET D’AVIS POLITIQUE RELATIF À LA PROPOSITION DE DIRECTIVE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL SUR LE DEVOIR DE VIGILANCE DES ENTREPRISES EN MATIÈRE DE DURABILITÉ

 

AMENDEMENT

No 2

 

présenté par

Gabriel AMARD, Rodrigo ARENAS, Manuel BOMPARD, Danièle OBONO, Nathalie OZIOL

----------

ARTICLE UNIQUE

 

Après l’alinéa 40, insérer un nouvel alinéa ainsi rédigé :

« 16. Considère que l’asymétrie d’informations entre grandes entreprises et plaignants est un frein important à l’application de la loi et qu’une inversion de la charge de la preuve, c’est-à-dire une présomption de responsabilité des entreprises telle qu’elle était prévue dans la résolution du Parlement européen, doit être envisagée par les États membres pour garantir un égal accès à la justice pour tous »

EXPOSÉ SOMMAIRE

 

La loi française de 2017 n’a à ce jour abouti à aucune condamnation pour manquement au devoir de vigilance. Si cela peut s’expliquer en partie par un délai d’application encore court et un cadre juridique trop flou, c’est aussi dû au fait qu’il est extrêmement difficile pour les plaignants de mener une action en justice dans un cadre équitable face à une grande entreprise.

En effet, les victimes n’ont pas le même pouvoir d’influence, ni les mêmes ressources humaines et techniques que les grandes entreprises qui possèdent une armée de juristes, et n’ont même pas accès aux informations confidentielles pouvant permettre d’établir clairement des preuves, ces dernières étant la propriété des entreprises concernées.

Peut-on sérieusement croire par exemple qu’un paysan ougandais habitant sur le site du projet EACOP ou qu’un ouvrier qatari ayant travaillé sur les chantiers de la coupe du monde de football 2022 ont les moyens de faire valoir leurs droits ?

Face à cette asymétrie d’information et de moyens avérée, cet amendement préconise comme plusieurs ONG spécialisées la mise en place d’une inversion de la charge de la preuve.

Cet amendement est rejeté.

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

28 juin 2023

Rectangle

PROJET D’AVIS POLITIQUE RELATIF À LA PROPOSITION DE DIRECTIVE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL SUR LE DEVOIR DE VIGILANCE DES ENTREPRISES EN MATIÈRE DE DURABILITÉ

 

AMENDEMENT

No 15

 

 

présenté par

Dominique POTIER, Marietta KARAMANLI, Anna PIC, Guillaume GAROT et les membres du groupe Socialistes et apparentés

 

----------

ARTICLE UNIQUE

 

Après l’alinéa 42, ajouter deux alinéas ainsi rédigés :

« Soutient les modifications proposées par le Parlement européen ou le Conseil consistant à ajouter des textes internationaux manquant dans l’annexe I, notamment sur les conventions environnementales comme l’Accord de Paris et la Convention Aarhus dans la position du Parlement et la Convention Ramsar, la Convention MARPOL et la Convention sur le patrimoine culturel et naturel mondial dans l’approche générale du Conseil ;

Soutient la position du Parlement européen proposant en annexe une définition générale des impacts environnementaux basée sur les catégories environnementales développées par l’OCDE pour pallier l’insuffisance des conventions internationales sur le sujet ; »

 

 

 

 

 

 

 

Cet amendement est adopté.

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

28 juin 2023

Rectangle

 

AMENDEMENT

No 11

PROJET D’AVIS POLITIQUE RELATIF À LA PROPOSITION DE DIRECTIVE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL SUR LE DEVOIR DE VIGILANCE DES ENTREPRISES EN MATIÈRE DE DURABILITÉ

 

présenté par

Dominique POTIER, Marietta KARAMANLI, Anna PIC, Guillaume GAROT et les membres du groupe Socialistes et apparentés

 

----------

 

ARTICLE UNIQUE

 

À l’alinéa 44, après le mot « mise en œuvre », ajouter le mot « effective »

 

 

EXPOSÉ SOMMAIRE

 

Cet amendement du groupe Socialistes et apparentés est un amendement de précision.

 

 

 

 

 

 

 

Cet amendement est adopté.

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

28 juin 2023

Rectangle

 

AMENDEMENT

No 14

PROJET D’AVIS POLITIQUE RELATIF À LA PROPOSITION DE DIRECTIVE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL SUR LE DEVOIR DE VIGILANCE DES ENTREPRISES EN MATIÈRE DE DURABILITÉ

 

présenté par

Dominique POTIER, Marietta KARAMANLI, Anna PIC, Guillaume GAROT et les membres du groupe Socialistes et apparentés

----------

ARTICLE UNIQUE

Après l’alinéa 46, ajouter trois nouveaux alinéas ainsi rédigés :

« Insiste sur la nécessité́ d’assurer une transposition de la Directive en matière de supervision par une ou des autorités administratives qui soient compétentes pour assurer le contrôle des déclarations sur les plans de vigilance par des entreprises cotées et non cotées ;

Appelle le gouvernement à veiller à ce que le ou les autorités en charge de veiller à la supervision administrative du devoir de vigilance puissent en accord avec l’application au niveau national de la CSRD - 2022/2464 et de la présente proposition de Directive, de manière indépendante des instances compétentes pour la supervision de la profession d’auditeur, être dotées des compétences et de moyens nécessaires à la surveillance, au contrôle, à l’enquête et à la sanction des entreprises entrant dans le champ d’application de la Directive ;

Appelle en conséquence le gouvernement à doter l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) des moyens nécessaires à l’exécution de ces pouvoirs administratifs en prenant en compte la nécessaire ouverture de ses instances de gestion à des personnalités spécialisées sur les enjeux climatiques, environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance, en renforçant le rôle de la commission climat et finance durable et en élargissant la capacité de sanction de l’Autorité aux manquements relatifs aux obligations de la Directive ; »

EXPOSÉ SOMMAIRE

 

Cet amendement du groupe Socialistes et apparentés vise à préciser la bonne mise en place d’autorités de contrôle chargées de veiller à l’application du devoir de vigilance.

 

 

Cet amendement est rejeté.

 

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

28 juin 2023

Rectangle

 

AMENDEMENT

No 8

PROJET D’AVIS POLITIQUE RELATIF À LA PROPOSITION DE DIRECTIVE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL SUR LE DEVOIR DE VIGILANCE DES ENTREPRISES EN MATIÈRE DE DURABILITÉ

 

présenté par

Dominique POTIER, Marietta KARAMANLI, Anna PIC, Guillaume GAROT et les membres du groupe Socialistes et apparentés

 

----------

ARTICLE UNIQUE

 

À l’alinéa 47, après le mot « membres », ajouter la phrase suivante : « mais propose d’aligner le niveau de sanction prévu pour les atteintes aux règles de la concurrence soit 10% ; »

 

EXPOSÉ SOMMAIRE

 

Cet amendement du groupe Socialistes et apparentés vise à aligner le niveau de sanction pécuniaire prévu pour les atteintes aux règles de la concurrence pouvant être prononcées par les autorités nationales de supervision à 10% contre 5% prévu à ce stade de la Directive.

 

 

 

 

 

Cet amendement est rejeté.

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

28 juin 2023

Rectangle

 

AMENDEMENT

No 9

PROJET D’AVIS POLITIQUE RELATIF À LA PROPOSITION DE DIRECTIVE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL SUR LE DEVOIR DE VIGILANCE DES ENTREPRISES EN MATIÈRE DE DURABILITÉ

 

présenté par

Dominique POTIER, Marietta KARAMANLI, Anna PIC, Guillaume GAROT et les membres du groupe Socialistes et apparentés

 

----------

ARTICLE UNIQUE

 

À l’alinéa 48, après le mot « sociale », rajouter une phrase ainsi rédigée :

« , afin de prévenir tout risque de moins-disante environnementale et sociale et permettre de tendre vers la création d’un référentiel commun à l’ensemble des réglementations, traduisant l’intention éthique de l’Union européenne dans la mondialisation ; »

 

EXPOSÉ SOMMAIRE

 

Cet amendement du groupe Socialistes et apparentés vise à préciser l’importance de créer un référentiel commun à l’ensemble des réglementations, en suivant l’une des recommandations proposées dans le rapport d’information n°5124 sur les enseignements de la loi sur le devoir de vigilance des entreprises en vue d’une réglementation européenne (mars 2022) des députés Dominique Potier et Coralie Dubost. 

 

 

 

 

 

Cet amendement est rejeté.

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

28 juin 2023

Rectangle

 

AMENDEMENT

No 12

PROJET D’AVIS POLITIQUE RELATIF À LA PROPOSITION DE DIRECTIVE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL SUR LE DEVOIR DE VIGILANCE DES ENTREPRISES EN MATIÈRE DE DURABILITÉ

 

présenté par

Dominique POTIER, Marietta KARAMANLI, Anna PIC, Guillaume GAROT et les membres du groupe Socialistes et apparentés

 

----------

ARTICLE UNIQUE

 

À l’alinéa 50, après le mot « environnementaux », rajouter une phrase ainsi rédigée :

«, et que la transposition de la directive ne conduise pas à une régression des lois nationales concourant aux mêmes objectifs ; »

 

EXPOSÉ SOMMAIRE

 

Cet amendement du groupe Socialistes et apparentés vise à préciser les modalités d’harmonisation et d’entrée en vigueur de la directive et rappelle que la transposition de cette directive européenne ne doit pas conduire à une régression des lois nationales qui concourent aux mêmes objectifs.

 

 

 

 

 

 

 

Cet amendement est rejeté.

 

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

28 juin 2023

Rectangle

 

AMENDEMENT

No 6

PROJET D’AVIS POLITIQUE RELATIF À LA PROPOSITION DE DIRECTIVE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL SUR LE DEVOIR DE VIGILANCE DES ENTREPRISES EN MATIÈRE DE DURABILITÉ

 

présenté par

Dominique POTIER, Marietta KARAMANLI, Anna PIC, Guillaume GAROT et les membres du groupe Socialistes et apparentés

----------

ARTICLE UNIQUE

 

Après l’alinéa 53, rajouter deux nouveaux aliénas ainsi rédigés :

  1. « Invite les négociateurs européens à contraindre les États membres à accorder une portée conventionnelle aux déclarations internationales ou à tout le moins, à rendre leur contenu obligatoire et invocable à l’encontre des entreprises devant les tribunaux internes ;
  2. Insiste sur la nécessité de mettre en place, au niveau de la France et de l’Union européenne, un plaidoyer en faveur d’un traité ou un accord juridiquement contraignant prévoyant l’instauration d’obligations de vigilance au niveau mondial, en s’appuyant sur les travaux du groupe de travail intergouvernemental de l’ONU sur les sociétés transnationales et autres entreprises et les droits de l’homme. »

EXPOSÉ SOMMAIRE

Cet amendement du groupe Socialistes et apparentés vise à préciser avec deux nouveaux aliénas le problème du renvoi à des déclarations qui n’ont pour l’instant aucune valeur juridique contraignante en droit international dans le texte de la Directive actuel.  

 

Cet amendement est retiré.


—  1  —

 

   AVIS POLITIQUE

La commission des Affaires européennes,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu les articles 6, 50 et 114 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

Vu le règlement (UE) 2023/1115 du 31 mai 2023 du Parlement européen et du Conseil relatif à la mise à disposition sur le marché de l’Union ainsi qu’à l’exportation à partir de l’Union de certains produits de base et produits associés à la déforestation et à la dégradation des forêts, et abrogeant le règlement (UE) nº 995/2010,

Vu le règlement (UE) 2017/821 du Parlement européen et du Conseil du 17 mai 2017 fixant des obligations liées au devoir de diligence à l’égard de la chaîne d’approvisionnement pour les importateurs de l’Union qui importent de l’étain, du tantale et du tungstène, leurs minerais et de l’or provenant de zones de conflit ou à haut risque,

Vu le règlement (UE) 2021/1119 du Parlement européen et du Conseil du 30 juin 2021 établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique et modifiant les règlements (CE) nº 401/2009 et (UE) 2018/1999 (« loi européenne sur le climat »),

Vu les principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme approuvés par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies dans sa résolution 17/4 du 16 juin 2011 intitulée « Les droits de l’homme et les sociétés transnationales et autres entreprises »,

Vu les principes directeurs de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) à l’intention des entreprises multinationales (mis à jour en 2023), les recommandations sur la conduite responsable des entreprises, le guide sur le devoir de vigilance pour une conduite responsable des entreprises (2018) et les guides sectoriels,

Vu la loi n° 2017‑399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l’interdiction des produits issus du travail forcé sur le marché de l’Union (COM[2022]453 final),

Vu la résolution du Parlement européen du 10 mars 2021 contenant des recommandations à la Commission sur le devoir de vigilance et la responsabilité des entreprises,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité et modifiant la directive (UE) 2019/1937 (COM[2022] 71 final),

Considérant que l’expérience française, découlant de l’application de la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 susvisée, enseigne que les principales difficultés rencontrées par les entreprises dans la mise en œuvre du devoir de vigilance résultent de l’insuffisante précision des notions qui déterminent son champ d’application et la portée des obligations de vigilance ainsi que de l’absence d’autorité administrative en charge de son contrôle ;

Constatant que d’autres États membres de l’Union européenne ont par la suite, à l’instar de l’Allemagne et des Pays-Bas, adopté des législations de portée générale ou plus ciblées en matière de devoir de vigilance des entreprises, ou sont en train d’en élaborer ;

Considérant dès lors la nécessité de prévenir tout risque de fragmentation du marché intérieur et de moins-disance sociale ou environnementale entre les États membres ;

Considérant que l’application effective du devoir de vigilance contribue à la protection des droits humains des salariés et des parties concernées tout au long des chaînes de valeur ;

Considérant que l’adoption d’une législation ambitieuse en matière de devoir de vigilance des entreprises contribuera à la réalisation des objectifs de l’Union en matière d’atténuation et d’adaptation au changement climatique ;

Considérant les effets vertueux pour les entreprises, sur le long terme, d’une démarche d’identification et de prévention des risques sociaux et environnementaux tout au long de leur chaîne de valeur ;

Considérant le rôle moteur que doit jouer l’Union européenne pour la promotion des principes du devoir de vigilance des entreprises, en particulier au sein du Conseil des droits de l’homme de l’ONU ;

1. Appelle le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne à parvenir à un accord ambitieux sur la proposition de directive COM(2022) 71 final avant les prochaines élections européennes prévues au printemps 2024 ;


2. Soutient pleinement le choix du Parlement européen consistant, dans sa position adoptée le 1er juin 2023, à étendre le champ d’application du devoir de vigilance aux sociétés mères ultimes, conformément à une approche consolidée reflétant l’influence réelle des acteurs économiques ;

3. Se félicite de la position ambitieuse du Parlement européen, consistant à étendre le champ d’application de la proposition de directive COM(2022) 71 final aux entreprises à partir de 250 salariés, tout en veillant à garantir une charge proportionnée, en cohérence avec la nomenclature européenne découlant de la recommandation actualisée de la Commission du 6 mai 2003 concernant la définition des micro, petites et moyennes entreprises (2003/361/CE) ;

4. Se réjouit du renforcement des conditions de l’application extraterritoriale de la directive pour toutes les entreprises étrangères ayant réalisé un chiffre d’affaires de plus de 150 millions d’euros, dont 40 millions sur le sol européen, que ce soit par elle-même ou par l’intermédiaire de leurs filiales ;

5. Souligne, conformément à la position du Parlement européen du 1er juin 2023, l’importance d’évaluer, au plus tard six ans après la date d’entrée en vigueur de la directive sur le devoir de vigilance en matière de durabilité, son efficacité pour atteindre ses objectifs au regard, notamment, des seuils retenus concernant le nombre de salariés et le chiffre d’affaires net à partir desquels les entreprises sont soumises aux obligations de vigilance en matière de durabilité ;

6. Appelle, en cohérence avec les orientations sectorielles du guide de l’OCDE sur le devoir de diligence pour une conduite responsable des entreprises, à maintenir une attention particulière à l’application des obligations de vigilance aux chaînes d’approvisionnement des activités identifiées comme ayant un « fort impact » sur les droits humains et sur l’environnement, à savoir notamment les secteurs des industries extractives et des minéraux, de l’habillement et de la chaussure, et des produits agricoles ;

7. Reconnaît la pertinence du principe posé par le Parlement européen, consistant à ce que les établissements financiers, également couverts par les orientations sectorielles du guide de l’OCDE, s’efforcent dans la mesure de leur capacité à identifier, mesurer et prévenir les risques associés à leurs clients directs, mais s’étonne que ces obligations ne trouvent pas à s’appliquer de la même manière pour les fonds de pension ;


8. Souhaite que les industries d’armement ne soient pas exclues des obligations de vigilance, au même titre que les autres entreprises, tout en veillant à ce que celles-ci n’enfreignent pas le caractère singulier propre à la souveraineté des États en matière de politique de défense et de sécurité ;

9. Rappelle, au vu du levier hautement stratégique qu’il constitue et pour éviter toute distorsion de concurrence au sein de l’Union européenne, que l’inclusion du secteur financier dans les obligations propres au devoir de vigilance ne peut en aucun cas relever d’une option facultative ;

10. Appelle les institutions européennes à définir précisément les obligations incombant aux entreprises donneuses d’ordres, afin de garantir l’effectivité du devoir de vigilance et dans un souci de sécurité juridique ;

11. Invite les négociateurs européens à préciser que le devoir de vigilance constitue un processus continu et adapté au contexte des entreprises, leur imposant d’identifier, d’atténuer et, le cas échéant, de prévenir les atteintes réelles ou potentielles aux droits de l’Homme et à l’environnement attachés à l’ensemble des sous-traitants et fournisseurs de leurs chaînes de valeur, sans se limiter aux premiers rangs de ces derniers ;

12. Soutient la position du Parlement européen adoptée le 1er juin 2023, consistant à appliquer les obligations de vigilance, au-delà des seules chaînes d’approvisionnement, à toutes les « entités impliquées » dans les activités de vente, de distribution ou de fourniture des produits et services, étant entendu que la responsabilité des entreprises ne pourra pas être engagée sur l’usage qui pourrait être fait des biens ou services fournis aux clients de l’entreprise ;

13. Rappelle que le devoir de vigilance, qui implique de mettre en œuvre de manière effective des mesures adaptées d’identification et d’atténuation des risques et de prévention des atteintes, ne saurait se borner à une approche formelle reposant sur de simples obligations de reporting ;

14. Insiste sur le fait que l’existence d’une voie de recours judiciaire, permettant à toute personne justifiant d’un intérêt à agir d’engager la responsabilité civile des entreprises manquant à leurs obligations de vigilance, est une condition sine qua non de l’effectivité du devoir de vigilance ;

15. S’inquiète de ce que l’orientation du Conseil du 30 novembre 2022 entende réduire l’engagement de la responsabilité civile des entreprises pour un dommage causé à une personne physique et morale à la condition que ladite entreprise ait manqué « intentionnellement ou par négligence » à ses obligations de vigilance, et soutient au contraire sur l’article 22 de la proposition de directive la position ambitieuse du Parlement européen, telle qu’adoptée le 1er juin 2023 ;

16. Salue l’introduction à l’article 22 de la proposition de directive par le Parlement européen, dans sa position du 1er juin 2023, de la possibilité pour les victimes d’être représentées au contentieux par des syndicats mandatés, des organisations de la société civile ou d’autres acteurs concernés, sous réserve que leur caractère non lucratif et d’intérêt public puisse être vérifié par le juge ;

17. Estime que la nouvelle rédaction de l’article 22 de la proposition de directive, proposée par le Parlement européen dans sa position du 1er juin 2023, est de nature à faciliter l’effectivité de la justice en permettant aux juridictions d’ordonner que des preuves soient divulguées par l’entreprise, dans le respect des règles en matière de confidentialité et de proportionnalité, lorsqu’un demandeur fournit des éléments étayant la probabilité d’une responsabilité de celle-ci ;

18. Préconise un mécanisme de mise à jour de l’annexe de la future directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité, pour permettre la prise en compte des incidences découlant de la violation de nouvelles interdictions et obligations liées aux conventions internationales en matière d’environnement, à l’instar des obligations de conservation et de gestion durable de la biodiversité marine qui découleront, une fois celui-ci ratifié, du traité sur la protection de la haute mer adopté le 19 juin 2023 dans le cadre de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer ;

19. Soutient les modifications proposées par le Parlement européen ou le Conseil consistant à ajouter des textes internationaux manquant dans l’annexe I, notamment sur les conventions environnementales comme l’Accord de Paris et la Convention Aarhus dans la position du Parlement et la Convention Ramsar, la Convention MARPOL et la Convention sur le patrimoine culturel et naturel mondial dans l’approche générale du Conseil ;

20. Soutient la position du Parlement européen proposant en annexe une définition générale des impacts environnementaux basée sur les catégories environnementales développées par l’OCDE pour pallier l’insuffisance des conventions internationales sur le sujet ;

21. Soutient la position du Parlement européen adoptée le 1er juin 2023, consistant à amender l’article 7 de la proposition de directive COM(2022) 71 final, afin de prévoir la mise en œuvre effective du plan pour la transition climatique prévu à l’article 15 de ladite directive, conformément aux objectifs de transition de l’économie européenne vers une économie verte et neutre sur le plan climatique et à l’accord de Paris ;

22. Rappelle que la compétence confiée aux autorités administratives indépendantes des États membres pour guider et, le cas échéant, sanctionner les entreprises est un gage d’effectivité du devoir de vigilance, à la seule condition de préserver les voies de recours judiciaires ;

23. Soutient la position du Parlement européen fixant un plafond minimum de 5 % du chiffre d’affaires net mondial de l’exercice précédent pour les sanctions pécuniaires pouvant être prononcées par les autorités nationales de supervision, afin de garantir l’efficacité de ces dernières et assurer l’harmonisation des règles entre les États membres ;

24. Insiste sur la nécessité de veiller, une fois la directive transposée, à la bonne coordination des autorités administratives nationales au sein du futur réseau de supervision européen, à la centralisation et la publication d’informations permettant de nourrir la cartographie des risques d’incidences négatives, afin de prévenir tout risque de moins-disance environnementale et sociale ;

25. Insiste pour que la directive soit d’harmonisation minimale, afin de laisser une marge de manœuvre suffisante pour que les États membres puissent adopter, en tant que de besoin, des règles plus protectrices à l’égard des droits humains et environnementaux ;

26. Appelle la Commission européenne, une fois la directive transposée, à publier les lignes directrices dédiées, de nature à accompagner les entreprises en amont et leur permettre d’assumer pleinement leurs obligations ;

27. Réitère son appel aux autorités européennes à jouer un rôle moteur dans les négociations en cours au sein du groupe de travail intergouvernemental des Nations unies visant à élaborer un instrument international juridiquement contraignant sur les sociétés transnationales et autres entreprises concernant les droits de l’homme.

 

 

 


—  1  —

   annexe n° 1 :
Liste des personnes auditionnées par les rapporteurEs

-          Mme Maylis SOUQUE, Conseillère économique (investissements, conduite responsable des entreprises)

-          Mme Sandrine MÉNARD, Conseillère et adjointe à la cheffe du service économique, commercial et financier

-          Mme Lucrezia BUSA, membre du cabinet chargée des questions juridiques

-          M. Ludovic PIERRE, membre du cabinet chargé des relations avec les parlements nationaux

-          M. Jérôme Brouillet, Directeur de cabinet

-          M. Dominique POTIER, Député et rapporteur de la loi du 27 mars 2017 sur le devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre

-          M. Pascal DURAND, Député européen et rapporteur au Parlement européen de la directive européenne « CSRD »

-          Mme Manon AUBRY, Députée européenne et rapporteure fictive de la proposition de directive européenne « CSDD »

-          Mme Lucie CHATELAIN, responsable plaidoyer et contentieux de l’association Sherpa

-          M. Marcellin JELH, Chargé de contentieux et plaidoyer de l’association les Amis de la Terre – France

-          Mme Clara ALIBERT, Chargée de plaidoyer acteurs économiques chez CCFD-Terre Solidaire

-          M. Antoine TOUZAIN, Professeur agrégé de droit privé à l'Université de Rouen Normandie

-          M. Jean-Baptiste BARBIÈRI, Maître de conférences, membre de l’Institut de Recherche en Droit des Affaires de l’Université Paris-Panthéon-Assas

-          Mme Marie-Anne FRISON-ROCHE, Professeure agrégée de droit privé, spécialiste du droit de la régulation.


-          M. Benoit CATZARAS, Secrétaire général adjoint du SGAE

-          Mme Morgane BASTARDIÉ, Conseillère financière

-          M. Benjamin DARTEVELLE, Chef du bureau finance durable, droit des sociétés, comptabilité et gouvernance des entreprises

-          M. Pierre ROHFRITSCH, Chef du bureau des droits des sociétés de l’audit, Direction des Affaires Civiles et du Sceau (DACS)

-          Mme Marion LUPIN, chargée de mission politique, European Coalition for Corporate Justice

-          M. Alban GROSDIDIER, chargé de campagne environnement, Friends of the Earth Europe

-          M. Ben VANPAPERSTRATE, conseiller juridique sénior, European Constitutional Center on Human Rights

-          M. Giuseppe CIOFFO, chargé de mission règlementation des entreprises, Coopération Internationale pour le Développement et la Solidarité

-          Mme Pauline BECQUEY, Directrice générale

-          M. Stanislas POTTIER, Senior advisor chez Amundi et conseiller du président de l’Institut de la Finance durable.

 

 

 

CONTRIBUTION ECRITE

 


—  1  —

   Annexe n° 2 :
Présentation des ordonnances du 28 fevrier 2023
(affaire « TotalEnergies »)

TJ Paris, 28 février 2023 [n° 22/53942 et 22/53943], affaire dite « TotalEnergies »

Le 24 juin 2019, deux ONG françaises (Amis de la Terre France et Survie) et quatre ONG ougandaises (Africa Institute for Energy Governance, Civic Response on Environment and Development, National Association of Professional Environmentalists et Navigators of Development Association) ont mis en demeure la société française Total (désormais TotalEnergies) de se conformer à ses obligations au titre de la loi sur le devoir de vigilance.

Les ONG requérantes mettaient en cause le projet pétrolier « Tilanga » en Ouganda, porté par TotalEnergies (54,9 %) et les groupes chinois China National Offshore Oil Corporation (CNOOC) (33,33 %) et britannique Tullow (11,76 %). Ce projet visant à exploiter 419 puits dans six champs pétroliers et à construire une usine de traitement du pétrole, s’inscrit dans le cadre du programme d’oléoduc géant de l’East African Crude Oil Pipeline (« EACOP »).

Depuis la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, le tribunal judiciaire de Paris connaît des actions relatives au devoir de vigilance fondées sur les articles L. 225-102-4 et L. 225-102-5 du Code de commerce, et ce notamment dans une logique de spécialisation.

Les juges de première instance, tout en reconnaissant l’intérêt à agir des ONG requérantes, se sont penchés sur le mécanisme de la mise en demeure (article L. 225-102-4 du Code de commerce). Les juges ont estimé que la demande des requérants était irrecevable, car les demandes et griefs présentés dans la mise en demeure de la société au titre de son plan de vigilance différaient « de manière substantielle » de ceux débattus devant le juge, notamment car ils avaient pour objet un plan de vigilance postérieur.

Ainsi, la solution retenue dans l’affaire dite « TotalEnergies » ferme « très largement la voie à l’action en référé concernant le devoir de vigilance » ([81]), à moins d’une erreur grossière telle que l’absence de plan.

Comme le notent MM. Antoine Touzain et Jean-Baptiste Barbièri, il reviendra, le cas échéant, au juge du fond d’apprécier le « caractère raisonnable » des mesures adoptées par le plan de vigilance, en évaluant l’efficacité et l’effectivité au regard des objectifs poursuivis à travers le devoir de vigilance.


—  1  —

   Annexe n° 3 :
Les QUATRE GRANDES STRUCTURES DE PCN

 

Les PCN sont chargés d’assurer la promotion des Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales et la conduite responsable des entreprises. Ils offrent une plateforme de médiation et de conciliation en cas d’allégation de non-respect de ces Principes directeurs. Cette plateforme peut être saisie par toute personne, organisation ou collectivité considérant que les activités d’une entreprise multinationale enfreignent les Principes directeurs de l’OCDE.

A screenshot of a computer

Description automatically generated with medium confidence

 


([1])  Loi n° 2017399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre.

([2])  Laurent Gayer, « Multinationales : le retour de la régulation ? », AOC, 9 juin 2023.

([3])  Résolution du Parlement européen du 10 mars 2021 contenant des recommandations à la Commission sur le devoir de vigilance et la responsabilité des entreprises.

([4]) Seuils dont les niveaux restent à déterminer dans le cadre des trilogues, la position du Parlement européen étant sur ce point plus ambitieuse que celle du Conseil de l’Union européenne.

([5])  Nicolas Cuzacq, « La RSE, le masque et la plume », Revue des Sociétés, 2023, 02, p.71.

([6])  Le mandat du Conseil de l’Union européenne a été adopté le 1er décembre 2022.

([7]) Le mandat du Parlement européen a été voté en séance plénière le 1er juin 2023.

([8]) Des élections législatives anticipées étant prévues en Espagne dans le courant du mois de juillet 2023.

([9])  Commission des Affaires européennes, rapport d’information relatif au devoir de vigilance des multinationales, présenté par Mme Mireille Clapot et M. Dominique Potier (2022).

([10]) Assemblée nationale, Compte rendu intégral des débats, deuxième séance du 29 novembre 2016, discussion sur la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre.

([11]) Luca d’Ambrosio, « Le devoir de vigilance : une innovation juridique entre continuités et ruptures », Droit et société, vol. 106, no. 3, 2020, p.. 633-647.

([12]) Luca d’Ambrosio. « Le devoir de vigilance : une innovation juridique entre continuités et ruptures », Droit et société, vol. 106, no. 3, 2020, p. 633-647.

([13]) À l’instar de la résolution du Parlement européen du 26 février 2014 sur la « promotion du développement par des pratiques responsables dans les affaires », ici citée.

([14])  Procédure d’initiative législative 2020/2129(INL).

([15]) Pour rappel, si le Parlement européen ne dispose pas d’un droit d’initiative législative, il peut, en application de l’article 225 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) demander à la Commission de lui soumettre une proposition d’acte législatif.

([16]) La résolution du Parlement européen demandait une forme « d’inversion de la charge de la preuve » par l’institution d’une présomption de responsabilité des entreprises au titre du devoir de vigilance qui devraient, en cas de préjudice, prouver l’existence de moyens et de procédures de mises en conformité.

([17]) Marie-Anne Frison-Roche, « La vigilance, pièce d'un puzzle européen », document de travail, mars 2023.

([18])  La directive du 14 décembre 2022, dite « CSRD », sera applicable en 2024 à certaines grandes entreprises, pour améliorer la pertinence, la comparabilité et la fiabilité des informations de durabilité. À terme, quelque 50 000 entreprises de l’UE seront tenues de respecter la CSRD, qui vise un reporting « de durabilité » selon une approche plus transverse que le règlement Taxonomie et que le règlement Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR). Ce reporting couvrira des droits environnementaux, sociaux, les droits de l’Homme, les enjeux de gouvernance et de lutte contre la corruption.

([19]) La France (loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre) et l’Allemagne (Sorgfaltspflichtengesetz, 2021) ont introduit des lois horizontales (ou générales) sur le devoir de vigilance. Les Pays-Bas ont introduit en 2019 une loi plus ciblée sur la diligence raisonnable contre le travail des enfants (Wet Zorgplicht Kinderarbeit).

([20]) Proposition de directive COM (2022) 71 final, 23 févr. 2022, prop., exposé des motifs, p. 16.

([21])  Claire Ballot-Squirawski, « Regard critique sur le développement d'un droit punitif de la compliance », Droit pénal 2020, étude 22, § 3.

([22])  Marie-Anne Frison-Roche, Le droit de la compliance, D. 2016, p. 1871.

([23]) Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies (CGE), Évaluation de la mise en œuvre de la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, janv. 2020, p. 20.

([24]) Antoine Touzain, « Affaire Total : il est urgent d’attendre ? », Responsabilité civile et assurances, n° 5, mai 2023.

([25])  Luca d’Ambrosio, « Le devoir de vigilance : une innovation juridique entre continuités et ruptures », Droit et société, vol. 106, no. 3, 2020, p.. 633-647.

([26])  Interprétation consistant, pour le juge, à interpréter la législation en fonction des objectifs que le législateur a recherché, en l’espèce la prévention des atteintes aux personnes et à la planète résultant des activités transnationales des entreprises.

([27])  Rapport « Des droits à la réalité : garantir une application du devoir de vigilance axée sur les détenteurs de droits », CCFD-Terre Solidaire, le Centre Européen pour les droits constitutionnels et les droits humains (ECCHR) et l'Organisation Mexicaine PRoDESC (mai 2023).

([28])  Proposition de loi de M. Bruno Le Roux et plusieurs de ses collègues relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre, n° 2578, déposée le 11 février 2015.

([29])  S. Brabant, C. Michon et E. Savourey, « Le plan de vigilance, clé de voute de la loi relative au devoir de vigilance », Rev. int. Compliance 2017, n° 4, étude 93.

([30])  Rapport d’information (n° 5124, XVe législature) de Mme Coralie Dubost et M. Dominique Potier sur l’évaluation de la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (24 février 2022).

([31]) Communiqué « Point de Contact National français de l’OCDE : des ONG tirent la sonnette d’alarme » du 30 mars 2018.

([32]) Rapport d’information (n° 5124, XVe législature) de Mme Coralie Dubost et M. Dominique Potier sur l’évaluation de la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, p. 54 : « les seuils retenus pour l’application de la loi française s’expliquaient, lors du vote de la loi, par son caractère profondément novateur, ce qui justifiait de n’imposer cette nouvelle obligation qu’aux entreprises les plus importantes ».

([33]) Calcul selon une approche consolidée (modèle de la loi française sur le devoir de vigilance) : les seuils sont calculés au niveau de la société, mais aussi de ses filiales.

([34]) Calcul selon une approche individuelle (proposition de la Commission européenne) : les seuils sont calculés au niveau des sociétés, sans tenir compte des filiales.

([35]) Article 2 de la proposition de directive CSDD.

([36])  Secteurs dits « à fort impact », à partir de la liste fondée sur les travaux de l’OCDE, à savoir : (1) les vêtements - textile, habillement, cuir / (2) l’agriculture, industrie agroalimentaire / (3) les minéraux : industries extractives de ressources minérales, industries manufacturières produits métalliques et minéraux sauf machines et équipements, commerces de gros de ressources minérales, de produits minéraux de base et intermédiaires.

([37])  En particulier : 2 864 entreprises allemandes (soit 24 % du total) / 1 582 entreprises françaises (soit 13 % du total) / 1 233 entreprises italiennes (10 % du total) / 1 060 entreprises néerlandaises (9 % du total) / 938 entreprises espagnoles (8 % du total) / 716 entreprises polonaises (6 % du total).

([38])  En activant la clause de révision prévue à l’article 29 de la proposition de directive.

([39])  L’appréciation du chiffre d’affaires pour les entreprises de pays tiers sur le périmètre de l’Union européenne et non à l’échelle mondiale conforte la compatibilité avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), en fixant un seuil moins exigeant (et non discriminatoire) pour les entreprises extra européennes.

([40])  Voir la nomenclature européenne découlant de la recommandation actualisée de la Commission du 6 mai 2003 concernant la définition des micros, petites et moyennes entreprises (2003/361/CE).

([41])  Réponse de la Commission européenne à la proposition de résolution du Sénat relative à la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité et modifiant la directive (UE) 2019/1937 [COM(2022) 71 final].

([42])  Le 6e considérant de la proposition de directive énonce par exemple que « Le guide de l’OCDE sur une conduite responsable des entreprises et des orientations sectorielles constituent un cadre international reconnu qui définit des mesures pratiques en matière de vigilance afin d’aider des entreprises à recenser, prévenir et atténuer les incidences négatives réelles et potentielles de leurs activités, de leurs chaînes de valeur et de leurs autres relations commerciales, et à rendre compte de la manière dont elles traitent ces incidences. ».

([43]) Luca d’Ambrosio, « Le devoir de vigilance : une innovation juridique entre continuités et ruptures », Droit et société, vol. 106, no. 3, 2020, p. 633-647.

([44])  Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, La responsabilité des entreprises de respecter les droits de l’homme. Guide interprétatif, p. 4.

([45]) Suivant une logique qui pourrait à cet égard être comparée à celles des « principes de précaution » et du « principe d’action préventive et de correction », qui s’imposent quant à eux aux autorités publiques (article L. 110-1 du Code de l’environnement et article 5 de la Charte de l’environnement).

([46]) Au sens de la loi française, la notion de préjudice écologique est définie à partir de l’article 1247 du Code civil comme toute « atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement ».

([47])  Sherpa, « Note d’analyse sur la proposition de directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité », septembre 2022.

([48]) Suivant la proposition de la commission « ENVI » du Parlement européen, le considérant 25 de la proposition de directive serait complété afin que les incidences négatives sur l’environnement portent sur les « catégories environnementales que sont l’atténuation du changement climatique, l’adaptation au changement climatique, l’utilisation durable et la protection des ressources terrestres, aquatiques et marines, la transition vers une économie circulaire, la prévention et le contrôle de la pollution, y compris les substances nocives, ainsi que la protection et la restauration de la biodiversité et des écosystèmes », outre les incidences négatives sur l’environnement résultant du non-respect d’obligations découlant des dispositions applicables des instruments énumérés en annexe de la directive.

([49])  Agence Europe, « Accord politique à l'arraché au Conseil de l'UE sur le devoir de vigilance des entreprises », 1er décembre 2022.

([50])  En outre, la France a insisté sur la difficulté d’assurer les obligations de vigilance en aval de la chaîne de valeur pour les industriels du secteur de la défense, en raison de la spécificité des produits qu’ils développent et commercialisent.

([51]) Nicolas Cuzacq, « La RSE, le masque et la plume », Revue des Sociétés, 2023, 02, p.71.

([52])  Ce concept était défini à l’article 3 (point g) de la proposition de directive comme : « une relation commerciale, directe ou indirecte, qui est ou devrait être durable, compte tenu de son intensité ou de sa durée, et qui ne constitue pas une partie négligeable ou simplement accessoire de la chaîne d’activités ».

([53])  Selon le ministère de l’Économie, le Gouvernement revendique « une application du texte à tous les secteurs économiques » et « n'a donc en aucun cas demandé d'exempter les banques de l'application du devoir de vigilance, comme certains ont pu l'indiquer » (communiqué de presse du 30 novembre 2022).

([54])  Voir par exemple sur ce point la position exprimée par le Bundesrat allemand (juillet 2022) dans sa résolution relative à la proposition de directive CSDD.

([55])  Intervention lors du débat du 31 mai 2023 au Parlement européen sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité.

([56])  À noter que le considérant 51 de la proposition de directive de la Commission, visant à « tenir dûment compte » du plan de réduction des émissions » au moment de fixer la « rémunération variable [des administrateurs], si celle-ci est liée à la contribution d’un administrateur à la stratégie commerciale de l’entreprise, à ses intérêts à long terme et à sa durabilité. » avait été auparavant maintenu de justesse, après qu’un amendement de suppression présenté au nom du PPE a obtenu 313 voix pour, 313 voix contre et 2 abstentions.

([57]) Pour une présentation de cette proposition de campagne d’Emmanuel Macron, on pourra se référer à cette analyse des programmes par l’institut Montaigne.

([58])  La quatrième édition du benchmark climatique (rapport 2023) de « Notre Affaire à tous », consultable en suivant ce lien, détaille la méthodologie de calcul permettant d’aboutir aux résultats présentés.

([59])  Judith Rochfeld, in Entreprises et Communs. Entretiens approfondis menés sur le devoir de vigilance des multinationales, p. 28.

([60])  François-Guy Trébulle, « Responsabilité et changement climatique : quelle responsabilité pour le secteur privé ? », Énergie – Environnement – Infrastructures, n° 8-9 – Août – septembre 2018, Lexis Nexis, p. 26.

([61])  À noter que la notion de « directors’ duty of care » (obligation d’agir dans les meilleurs intérêts de l’entreprise) n’étant pas consacrée dans le droit français, cette disposition pourrait soulever des difficultés de transposition. Voir Bernard Cazeneuve et Pierre Sellal, « Projet de directive concernant un devoir de vigilance européen : quels défis pour les entreprises assujetties ? », Le droit en débat, Dalloz.

([62])  János Allenbach-Ammann, « Devoir de vigilance : le PPE attaque en dernière minute le compromis du Parlement européen », 1er juin 2023.

([63])  Amendement 391 présenté au nom du groupe PPE (identique à l’amendement 405 présenté au nom du groupe Conservateurs et Réformistes européens [ECR]), adopté à 312 voix pour, 305 voix contre et 5 absentions.

([64])  Voir par exemple le communiqué rédigé à la suite du vote en session plénière par l’ONG Collectif éthique sur l’étiquette (1er juin 2023).

([65])  Silvia Ellena, Euractiv : « Devoir de vigilance : les règles de l’UE devraient inclure la finance, selon le commissaire à la Justice ».

([66])  À l’échelle française, on notera que l’article L. 225-102-1 du Code de commerce dispose que les déclarations résultant du reporting extrafinancier peuvent renvoyer aux informations mentionnées dans le plan de vigilance, dans une logique de complémentarité – et non pas de confusion – afin d’éviter toute redondance entre les deux dispositifs.

([67]) Ingrid Landau, “Human Rights Due Diligence and the Risk of Cosmetic Compliance”, (2019), Melbourne Journal of International Law, p 222.

([68])  Les efforts de l’entreprise pourraient par exemple être évalués à l’aune de formations dispensées, de plans d’action correctifs, de l’intégration de clauses spécifiques dans les contrats avec les partenaires, de l’existence de mécanismes d’alerte effectifs, de la mise en place de procédures de règlement des litiges.

([69]) Si les principes du droit civil français exigent que la preuve incombe au demandeur, la loi peut toutefois établir des présomptions (définies à l’article 1349 du Code civil).

([70]) Citation originale en anglais “collecting evidence in Uganda is terrible, you’re between life and death”, lors d’une rencontre entre Mme Sophia Chikirou et M. Maxwell Atuhura le 26 juin 2023.

([71])  Charley Hannoun, Le devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre après la loi du 27 mars 2017 : Dr soc. 2017, p. 806.

([72])  La Commission européenne, qui défendait le principe de « relation commerciale établie » dans sa proposition de directive initiale, estimait que celui-ci n’était pas incompatible avec une approche par les risques, ce qui ne correspond cependant pas à la position de l’OCDE.

([73])  Le rapporteur de la loi, M. Dominique Potier, ayant notamment souligné qu’il allait « de soi » que l’obligation de vigilance ait vocation à aller au-delà des sous-traitants de premier rang.

([74])  Pauline Barraud de Lagerie, Elodie Béthoux, Rémi Bourguignon, Arnaud Mias, Élise Penalva-Icher, « Mise en œuvre de la Loi sur le devoir de vigilance – Rapport sur les premiers plans adoptés par les entreprises », 6 juin 2020.

([75])  Conseil général de l’économie, Évaluation de la mise en œuvre de la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, janv. 2020.

([76])  Selon la FBF, élargir l’obligation de vigilance au-delà de la chaîne d’activité définie par le Conseil comporterait des risques juridiques et opérationnels importants. En outre, la FBF rappelle que les banques sont déjà soumises à de nombreuses régulations (en particulier : processus Know Your Customer et obligations prudentielles).

([77])  La FBF souligne notamment que les banques ne disposent pas de données suffisamment fiables et exhaustives de la part des entreprises clientes sur leurs impacts potentiels ou avérés sur l’environnement et les droits humains.

([78])  Haritini Matsopoulou, Juge pénal - Les Autorités administratives indépendantes, nouveaux juges répressifs ?, Dr Pénal n° 5, mai 2023. Dossier.

([79])  Afin de prévenir les cumuls pour des faits identiques : voir CEDH, 4 mars 2014, Grande Stevens et a. c/ Italie et loi n° 2016-819 du 21 juin 2016.

([80])  Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.

([81])  Jean-Baptiste Barbièri, La semaine juridique LexisNexis, Entreprises et affaires, n° 12, 23 mars 2023