N° 1522

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 juillet 2023

RAPPORT D’INFORMATION

FAIT

 

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L’ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES ([1]) ,

sur la santé mentale des femmes

par

Mmes Pascale MARTIN et Anne-Cécile VIOLLAND,

Députées

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La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes est composée de :

 

Mme Véronique Riotton, présidente ; Mme Virginie Duby-Muller, Mme Marie-Charlotte Garin, M. Guillaume Gouffier Valente, Mme Sandrine Josso, viceprésidents ; Mme Julie Delpech, Mme Anne-Cécile Violland, secrétaires ; Mme Emmanuelle Anthoine ; Mme Anne-Laure Babault ; Mme Marie-Noëlle Battistel ; Mme Soumya Bourouaha ; Mme Céline Calvez ; Mme Agnès Carel ; Mme Émilie Chandler ; Mme Mireille Clapot ; M. Jean-François Coulomme ; Mme Béatrice Descamps ; Mme Christine Engrand ; Mme Géraldine Grangier ; Mme Fatiha Keloua Hachi ; Mme Amélia Lakrafi ; Mme Élise Leboucher ; Mme Julie Lechanteux ; Mme Sarah Legrain ; Mme Brigitte Liso ; Mme Marie-France Lorho ; Mme Pascale Martin ; Mme Graziella Melchior ; Mme Frédérique Meunier, Mme Sophie Panonacle, Mme Josy Poueyto, Mme Anaïs Sabatini, Mme Ersilia Soudais, M. Emmanuel Taché de la Pagerie, Mme Prisca Thevenot, M. Stéphane Viry.

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

SYNTHÈSE DES RECOMMANDATIONS

SYNTHÈSE DES RECOMMANDATIONS PAR THÉMATIQUES

introduction

I. LA SANTÉ MENTALE DES FEMMES, UN ENJEU MAJEUR TROP SOUVENT MÉCONNU

A. L’IMPORTANCE DE LA SANTÉ MENTALE

1. La santé mentale, son champ, ses caractéristiques

2. Un des premiers postes de dépenses de l’Assurance maladie

3. Un sujet davantage pris en compte à la suite de la crise sanitaire

B. DES SPÉCIFICITÉS FÉMININES NON PRISES EN COMPTE

1. Une prévalence de troubles sensiblement supérieure chez les femmes

2. Des problématiques différentes de celles des hommes

3. Une prise en charge déficitaire et inadaptée aux besoins des femmes

C. LE POIDS DE LA CHARGE MENTALE CHEZ LES FEMMES

1. Des stéréotypes genrés toujours prégnants

2. Une charge familiale et domestique très lourde

3. La difficile conciliation entre vie familiale et vie professionnelle

II. DES PÉRIODES DE VULNÉRABILITÉ DANS LA VIE DES FEMMES NÉCESSITANT UN MEILLEUR ACCOMPAGNEMENT

A. L’ADOLESCENCE, UN MOMENT DE CONSTRUCTION DÉLICAT POUR LES FILLES

1. Une souffrance psychologique parfois importante qui semble croître avec l’usage intensif des réseaux sociaux

2. La nécessité de rompre l’isolement et de mieux informer

3. Le rôle fondamental du parcours scolaire dans l’autonomisation des filles

B. LA SANTÉ MENTALE DES FEMMES À L’ÉPREUVE DE LA GROSSESSE ET DE LA MATERNITÉ

1. La grossesse et la maternité peuvent occasionner des souffrances psychiques

2. Un accompagnement postnatal indispensable

3. Le deuil périnatal, un tabou culturel à lever

C. LA SANTÉ MENTALE DES FEMMES SÉNIOReS, UN ENJEU MAJEUR LARGEMENT PASSÉ SOUS SILENCE

1. La prévalence des troubles de santé mentale chez les femmes séniores et ses conséquences

2. Les facteurs de risques expliquant la prévalence de troubles chez les femmes séniores

3. Les femmes séniores : entre invisibilisation et dénigrement

III. UNE SANTÉ MENTALE DES FEMMES ÉTROITEMENT CONDITIONNÉE PAR L’ENVIRONNEMENT

A. DES FACTEURS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX QUI FRAGILISENT LES FEMMES

1. Travail et logement, les préalables de la sécurité et du bien-être

2. Lutter contre la précarité et favoriser l’insertion des femmes

3. Des familles monoparentales à soutenir

B. LES VIOLENCES, UN FLÉAU RAVAGEUR POUR LA SANTÉ MENTALE DES FEMMES

1. L’impact délétère des violences sur la santé mentale des femmes

2. Une lutte contre les violences intrafamiliales à intensifier

3. Les violences que subissent les femmes au travail

C. DES ADDICTIONS JOUANT LE RÔLE DE BÉQUILLES QUI DÉGRADENT LA SANTÉ MENTALE DES FEMMES

1. Les aspects spécifiques des addictions féminines

2. Une détection et un suivi médico-social à améliorer

3. Une plus forte stigmatisation des femmes victimes d’addictions

ConClusion

TRAVAUX DE la délégation

I. audition de Mme Agnès firmin le bodo, MINISTRE DELÉGUÉE AUPRÈS DU MINISTRE DE LA SANTÉ ET DE LA PRÉVENTION, CHARGÉE DE L’ORGANISATION TERRITORIALE ET DES PROFESSIONS DE SANTÉ

II. EXAMEN du rapport d’informatION

annexe : Liste des personnes auditionnÉes par les rapporteurEs

 


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   SYNTHÈSE DES RECOMMANDATIONS

Recommandation n° 1 : Mettre l’accent sur les spécificités propres aux femmes dans la formation initiale et continue des professionnels de santé, afin de lutter contre les préjugés liés au genre dans le système de santé, notamment s’agissant de la santé mentale. Communiquer régulièrement auprès du grand public pour améliorer les connaissances et la perception en matière de santé mentale, de façon à parvenir à une déstigmatisation des troubles mentaux et des personnes qui en souffrent.

Recommandation n° 2 : Introduire une perspective sexuée dans les essais cliniques médicamenteux chez l’animal et chez l’humain. Faire participer les femmes en âge de procréer aux essais cliniques. Exiger que chaque composé pharmaceutique mentionne clairement si les essais cliniques ont été menés sur des femmes ou non et si des effets secondaires différents peuvent être attendus chez les femmes.

Recommandation n° 3 : Favoriser le diagnostic et la prise en charge précoce des troubles mentaux. Améliorer le dispositif MonParcoursPsy, en agissant sur les indications, la durée des séances et le montant de la prise en charge, afin de susciter une meilleure adhésion des psychologues et de leur permettre de prendre leur place dans le parcours de soins. Assurer un accueil de première ligne plus efficace en développant les maisons de l’enfance et de l’adolescence. Renforcer le réseau des centres médico‑psychologiques (CMP), unités d’accueil et de coordination dispensant des soins psychiatriques en milieu ouvert, pour réduire les délais d’obtention de rendez‑vous. Structurer et coordonner l’offre de soins dans le cadre d’un plan national décliné par les Agences régionales de santé (ARS), afin de proposer des réponses rapides et un suivi dans la durée.

Recommandation n° 4 : Mener des campagnes d’information et de sensibilisation en milieu scolaire, dans les services publics, dans les médias, pour lutter contre les stéréotypes de genre relatifs à la répartition des rôles entre les femmes et les hommes et inclure cette dimension dans l’ensemble des programmes de formation.

Recommandation n° 5 : Mener des campagnes d’information régulières sur les contenus d’internet, en mettant l’accent sur la falsification de la réalité que peuvent induire les images retouchées et la promotion de certaines pratiques ou produits nuisibles pour la santé. Assurer l’application sur tout le territoire de l’article L.312-9 du code de l’éducation dans sa rédaction issue de la loi n°2023-451 du 9 juin 2023, sur la formation à l’utilisation responsable des ressources numériques en milieu scolaire, en particulier en ce qui concerne l’image des femmes qui y est véhiculée.

Recommandation n° 6 : Encourager les filles à se diriger vers les filières scientifiques et techniques, secteurs porteurs des métiers d’avenir, en renforçant l’information au moment de l’orientation, en stimulant les vocations par le développement des rôles modèles et en formant les enseignants, ainsi que l’ensemble du personnel éducatif, aux enjeux de l’orientation pour l’avenir des filles.

Recommandation n° 7 : Faire de la lutte contre la dépression du post-partum une priorité de santé publique, en systématisant l’information des mères pendant la grossesse, en mettant en place des grilles d’évaluation en prénatal comme en postnatal, en assurant un accompagnement renforcé des mères en postnatal, tant sur le plan matériel que psychologique, en renforçant les moyens et le personnel (présence de psychologues et d’addictologues) des services de protection maternelle et infantile (PMI).

 

Recommandation n° 8 : Prendre en charge de manière précoce les enfants de mères en souffrance. Organiser des consultations en milieu scolaire propices au diagnostic de ces enfants, en renforçant les dispositifs présents à l’école (médecins scolaires, infirmières scolaires, assistantes sociales, …).

Recommandation n° 9 : Intégrer l’enseignement de l’accompagnement au deuil périnatal dans toutes les formations liées aux soins des femmes et développer les unités de soins apportant une attention particulière à la prise en charge du deuil périnatal dans le cadre d’une équipe pluridisciplinaire. Mener une campagne d’information nationale sur les fausses couches et sur le deuil périnatal.

Recommandation n° 10 : Mettre à profit la consultation de prévention à 45 ans, mise en place dans le cadre des trois consultations de prévention aux âges clés de la vie, pour délivrer des informations et répondre aux questions des femmes sur la ménopause et améliorer le remboursement des traitements hormonaux de la ménopause par la sécurité sociale.

Recommandation n° 11 : Prévoir une campagne nationale, en remboursant une consultation psychologique permettant d’évaluer le risque de souffrance morale aux âges clés de la vie. Élaborer un canevas de consultation type, avec un questionnaire systématique permettant de diagnostiquer et d’évaluer les problématiques de dépression, comme celle des violences faites aux femmes qui pourrait servir de support aux médecins généralistes, aux médecins du travail, aux spécialistes, aux sages-femmes.

Recommandation n° 12 : Appliquer et renforcer l’index Pénicaud, en améliorant les indicateurs de l’index de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et en alourdissant et systématisant les pénalités financières, en cas de non-publication de l’index ou d’absence de progression dans la note globale, lorsque celle-ci est inférieure à 75 points. Pour ces mêmes entreprises, conditionner l’attribution et le renouvellement des aides publiques à la publication de l’index, ainsi qu’à la progression de la note globale, lorsque celle-ci est inférieure à 75 points.

Recommandation n° 13 : Revaloriser les filières professionnelles fortement féminisées (secteurs du social, de la santé, de l’enseignement), en améliorant les rémunérations, les conditions de travail, les déroulements de carrière et la formation. Encourager la mixité au sein des professions les plus féminisées, en luttant contre les stéréotypes et en redonnant de l’attractivité à ces filières.

Recommandation n° 14 : Permettre aux femmes disposant de faibles ressources ou désireuses de se soustraire à un conjoint violent, de se loger dans des conditions décentes, en développant le parc de logements sociaux adaptés, salubres et abordables, ainsi que les aides pour le dépôt de garantie ou la caution d’un logement.

Recommandation n° 15 : Faciliter l’accès aux soins des femmes les plus précaires, en simplifiant l’accès à la complémentaire santé solidaire, par le développement d’initiatives d’aller vers des travailleurs sociaux et des professionnels de santé, visant à informer les bénéficiaires potentielles et à les accompagner dans les démarches.

Recommandation n° 16 : Développer les équipes mobiles psychiatrie précarité (EMPP) et renforcer leurs moyens, afin d’assurer une meilleure prise en charge psychiatrique aux femmes en situation de grande précarité sociale et médicale, dont les difficultés peuvent les empêcher d’accéder aux soins.

 

 

 

 

Recommandation n° 17 : Faire du soutien aux familles monoparentales à faibles ressources une priorité des politiques publiques, en leur proposant une aide à la parentalité ; en systématisant l’intermédiation du versement des pensions alimentaires ; en développant les aides financières et les activités sportives et de loisirs gratuites pour leurs enfants ; en renforçant leur accès à des modalités de garde d’enfants, notamment en augmentant le nombre de places dans les crèches à vocation d’insertion professionnelle (AVIP) ; en les accompagnant dans la formation professionnelle ; en leur réservant des logements sociaux adaptés à la dimension de leur famille ; en leur assurant une protection contre leurs ex‑conjoints violents.

Recommandation n° 18 : Faire du dépistage des violences subies par les femmes, un module spécifique et obligatoire de la formation initiale et continue de l’ensemble des professionnels de santé (médecins généralistes, gynécologues, psychiatres, sages-femmes, infirmiers, psychologues, …), des travailleurs sociaux (assistantes sociales, éducateurs, …) et des personnels d’éducation. Mettre l’accent sur le dépistage de celles-ci lors du suivi de la grossesse et à la suite de l’accouchement, en en faisant un point clé des consultations prénatales et postnatales.

Recommandation n° 19 : Former l’ensemble des acteurs de la prise en charge des femmes victimes de violences (policiers, gendarmes, magistrats, médecins généralistes, psychiatres) au psychotraumatisme (caractéristiques, mécanismes, impact, traitement).

Recommandation n° 20 : Étendre le dispositif des centres régionaux de psychotraumatisme qui assurent une prise en charge globale et pluridisciplinaire et assurer un maillage de l’ensemble du territoire. Assurer une prise en charge à 100 % des soins psychologiques pour les victimes de violences et les psychotraumatismes.

Recommandation n° 21 : Améliorer le traitement policier et judiciaire des violences intrafamiliales en approfondissant la formation de l’ensemble des intervenants (travailleurs sociaux, policiers, gendarmes, avocats, magistrats) ; en renforçant et systématisant le recours aux dispositifs existants (ordonnances d’éloignement, téléphones grave danger, bracelets anti‑rapprochement) ; en développant des pôles spécialisés dans les commissariats, les gendarmeries et les tribunaux ; en garantissant la prise en charge médicale et sociale des victimes ; en assurant le suivi des auteurs et en créant une base de données rassemblant les informations relatives aux victimes, à l’instar du dispositif Viogen en Espagne.

Recommandation n° 22 : Organiser des campagnes d’information et de sensibilisation régulières en milieu scolaire, dans tous les lieux d’accueil des femmes, sur les lieux de travail, auprès du personnel médical et social, pour rappeler que le harcèlement sexiste et sexuel constitue un délit pénal. Mettre l’accent auprès des employeurs, tant publics que privés, sur leurs obligations légales en la matière, leur imposant de prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d’y mettre un terme et de les sanctionner, sous peine d’engager leur responsabilité.

 

 

 

Recommandation n° 23 : Réformer l’éducation à la sexualité en milieu scolaire, actuellement centrée sur l’anatomie et la contraception, en prévoyant des contenus plus explicites, afin de répondre aux véritables attentes et interrogations des adolescents. Ce nouveau programme devra mettre l’accent sur le respect de l’autre, la notion de consentement, ainsi que sur la prévention contre la pornographie. Il devra prévoir de faire appel à des intervenants spécialisés (associations, médecins ou infirmières scolaires, psychiatres, psychologues, …), afin de ne pas faire reposer l’éducation à la sexualité uniquement sur les enseignants. Contrôler le caractère effectif des trois séances annuelles obligatoires, en organisant une vérification périodique par les rectorats auprès des différents établissements d’enseignement et renforcer le rythme de ces séances.

Recommandation n° 24 : Renforcer la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme au féminin, en informant de manière claire et précise sur les dangers spécifiques pour la santé des femmes, comme pour celle des fœtus. Élaborer des brochures d’information mises à disposition dans les établissements scolaires, dans les cabinets médicaux, les lieux d’accueil des femmes. Faire des consultations chez le généraliste un moment d’information sur les dangers du tabac et de l’alcool et de dépistage systématique de l’alcoolisme chez les femmes, en s’appuyant sur une grille d’analyse. Faire de l’orientation vers le sevrage tabagique et alcoolique, un élément indissociable des consultations au cours de la grossesse et mettre à profit le séjour à la maternité pour sensibiliser les mères et leur proposer une prise en charge.

Recommandation n° 25 : Lutter contre le rejet et la stigmatisation dont sont victimes les femmes souffrant d’addictions et qui constituent des barrières à l’accès aux soins, en mettant l’accent sur la sensibilisation des professionnels de santé et des travailleurs sociaux ; en informant largement le public sur la dimension de problème de santé publique et non de comportements déviants que représentent les addictions chez les femmes ; en alertant sur les conséquences pour les enfants, en cas de non-prise en charge de celles-ci.


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   SYNTHÈSE DES RECOMMANDATIONS PAR THÉMATIQUES

 

 

AXE 1 : DÉCONSTRUIRE LES STÉRÉOTYPES, LUTTER CONTRE LES INÉGALITES, RESTAURER L’IMAGE DE SOI

Recommandation n° 4 : Mener des campagnes d’information et de sensibilisation en milieu scolaire, dans les services publics, dans les médias, pour lutter contre les stéréotypes de genre relatifs à la répartition des rôles entre les femmes et les hommes et inclure cette dimension dans l’ensemble des programmes de formation.

Recommandation n° 5 : Mener des campagnes d’information régulières sur les contenus d’internet, en mettant l’accent sur la falsification de la réalité que peuvent induire les images retouchées et la promotion de certaines pratiques ou produits nuisibles pour la santé. Assurer l’application sur tout le territoire de l’article L.312-9 du code de l’éducation dans sa rédaction issue de la loi n°2023-451 du 9 juin 2023, sur la formation à l’utilisation responsable des ressources numériques en milieu scolaire, en particulier en ce qui concerne l’image des femmes qui y est véhiculée.

Recommandation n° 6 : Encourager les filles à se diriger vers les filières scientifiques et techniques, secteurs porteurs des métiers d’avenir, en renforçant l’information au moment de l’orientation, en stimulant les vocations par le développement des rôles modèles et en formant les enseignants, ainsi que l’ensemble du personnel éducatif, aux enjeux de l’orientation pour l’avenir des filles.

Recommandation n° 12 : Appliquer et renforcer l’index Pénicaud, en améliorant les indicateurs de l’index de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et en alourdissant et systématisant les pénalités financières, en cas de non-publication de l’index ou d’absence de progression dans la note globale, lorsque celle-ci est inférieure à 75 points. Pour ces mêmes entreprises, conditionner l’attribution et le renouvellement des aides publiques à la publication de l’index, ainsi qu’à la progression de la note globale, lorsque celle-ci est inférieure à 75 points.

Recommandation n° 13 : Revaloriser les filières professionnelles fortement féminisées (secteurs du social, de la santé, de l’enseignement), en améliorant les rémunérations, les conditions de travail, les déroulements de carrière et la formation. Encourager la mixité au sein des professions les plus féminisées, en luttant contre les stéréotypes et en redonnant de l’attractivité à ces filières.

Recommandation n° 14 : Permettre aux femmes disposant de faibles ressources ou désireuses de se soustraire à un conjoint violent, de se loger dans des conditions décentes, en développant le parc de logements sociaux adaptés, salubres et abordables, ainsi que les aides pour le dépôt de garantie ou la caution d’un logement.

 

 

Recommandation n° 17 : Faire du soutien aux familles monoparentales à faibles ressources une priorité des politiques publiques, en leur proposant une aide à la parentalité ; en systématisant l’intermédiation du versement des pensions alimentaires ; en développant les aides financières et les activités sportives et de loisirs gratuites pour leurs enfants ; en renforçant leur accès à des modalités de garde d’enfants, notamment en augmentant le nombre de places dans les crèches à vocation d’insertion professionnelle (AVIP) ; en les accompagnant dans la formation professionnelle ; en leur réservant des logements sociaux adaptés à la dimension de leur famille ; en leur assurant une protection contre leurs ex‑conjoints violents.

Recommandation n° 21 : Améliorer le traitement policier et judiciaire des violences intrafamiliales en approfondissant la formation de l’ensemble des intervenants (travailleurs sociaux, policiers, gendarmes, avocats, magistrats) ; en renforçant et systématisant le recours aux dispositifs existants (ordonnances d’éloignement, téléphones grave danger, bracelets anti‑rapprochement) ; en développant des pôles spécialisés dans les commissariats, les gendarmeries et les tribunaux ; en garantissant la prise en charge médicale et sociale des victimes ; en assurant le suivi des auteurs et en créant une base de données rassemblant les informations relatives aux victimes, à l’instar du dispositif Viogen en Espagne.

 

AXE 2 : FORMER LES PROFESSIONNELS ET SENSIBILISER LE PUBLIC

Recommandation n° 1 : Mettre l’accent sur les spécificités propres aux femmes dans la formation initiale et continue des professionnels de santé, afin de lutter contre les préjugés liés au genre dans le système de santé, notamment s’agissant de la santé mentale. Communiquer régulièrement auprès du grand public pour améliorer les connaissances et la perception en matière de santé mentale, de façon à parvenir à une déstigmatisation des troubles mentaux et des personnes qui en souffrent.

Recommandation n° 2 : Introduire une perspective sexuée dans les essais cliniques médicamenteux chez l’animal et chez l’humain. Faire participer les femmes en âge de procréer aux essais cliniques. Exiger que chaque composé pharmaceutique mentionne clairement si les essais cliniques ont été menés sur des femmes ou non et si des effets secondaires différents peuvent être attendus chez les femmes.

Recommandation n° 9 : Intégrer l’enseignement de l’accompagnement au deuil périnatal dans toutes les formations liées aux soins des femmes et développer les unités de soins apportant une attention particulière à la prise en charge du deuil périnatal dans le cadre d’une équipe pluridisciplinaire. Mener une campagne d’information nationale sur les fausses couches et sur le deuil périnatal.

Recommandation n° 18 : Faire du dépistage des violences subies par les femmes, un module spécifique et obligatoire de la formation initiale et continue de l’ensemble des professionnels de santé (médecins généralistes, gynécologues, psychiatres, sages-femmes, infirmiers, psychologues, …), des travailleurs sociaux (assistantes sociales, éducateurs, …) et des personnels d’éducation. Mettre l’accent sur le dépistage de celles-ci lors du suivi de la grossesse et à la suite de l’accouchement, en en faisant un point clé des consultations prénatales et postnatales.

 

Recommandation n° 19 : Former l’ensemble des acteurs de la prise en charge des femmes victimes de violences (policiers, gendarmes, magistrats, médecins généralistes, psychiatres) au psychotraumatisme (caractéristiques, mécanismes, impact, traitement).

Recommandation n° 22 : Organiser des campagnes d’information et de sensibilisation régulières en milieu scolaire, dans tous les lieux d’accueil des femmes, sur les lieux de travail, auprès du personnel médical et social, pour rappeler que le harcèlement sexiste et sexuel constitue un délit pénal. Mettre l’accent auprès des employeurs, tant publics que privés, sur leurs obligations légales en la matière, leur imposant de prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d’y mettre un terme et de les sanctionner, sous peine d’engager leur responsabilité.

Recommandation n° 23 : Réformer l’éducation à la sexualité en milieu scolaire, actuellement centrée sur l’anatomie et la contraception, en prévoyant des contenus plus explicites, afin de répondre aux véritables attentes et interrogations des adolescents. Ce nouveau programme devra mettre l’accent sur le respect de l’autre, la notion de consentement, ainsi que sur la prévention contre la pornographie. Il devra prévoir de faire appel à des intervenants spécialisés (associations, médecins ou infirmières scolaires, psychiatres, psychologues, …), afin de ne pas faire reposer l’éducation à la sexualité uniquement sur les enseignants. Contrôler le caractère effectif des trois séances annuelles obligatoires, en organisant une vérification périodique par les rectorats auprès des différents établissements d’enseignement et renforcer le rythme de ces séances.

Recommandation n° 25 : Lutter contre le rejet et la stigmatisation dont sont victimes les femmes souffrant d’addictions et qui constituent des barrières à l’accès aux soins, en mettant l’accent sur la sensibilisation des professionnels de santé et des travailleurs sociaux ; en informant largement le public sur la dimension de problème de santé publique et non de comportements déviants que représentent les addictions chez les femmes ; en alertant sur les conséquences pour les enfants, en cas de non-prise en charge de celles-ci.

 

AXE 3 : PRÉVENIR, DÉPISTER ET PRENDRE EN CHARGE

Recommandation n° 3 : Favoriser le diagnostic et la prise en charge précoce des troubles mentaux. Améliorer le dispositif MonParcoursPsy, en agissant sur les indications, la durée des séances et le montant de la prise en charge, afin de susciter une meilleure adhésion des psychologues et de leur permettre de prendre leur place dans le parcours de soins. Assurer un accueil de première ligne plus efficace en développant les maisons de l’enfance et de l’adolescence. Renforcer le réseau des centres médico‑psychologiques (CMP), unités d’accueil et de coordination dispensant des soins psychiatriques en milieu ouvert, pour réduire les délais d’obtention de rendez‑vous. Structurer et coordonner l’offre de soins dans le cadre d’un plan national décliné par les Agences régionales de santé (ARS), afin de proposer des réponses rapides et un suivi dans la durée.

Recommandation n° 7 : Faire de la lutte contre la dépression du post-partum une priorité de santé publique, en systématisant l’information des mères pendant la grossesse, en mettant en place des grilles d’évaluation en prénatal comme en postnatal, en assurant un accompagnement renforcé des mères en postnatal, tant sur le plan matériel que psychologique, en renforçant les moyens et le personnel (présence de psychologues et d’addictologues) des services de protection maternelle et infantile (PMI).

 

Recommandation n° 8 : Prendre en charge de manière précoce les enfants de mères en souffrance. Organiser des consultations en milieu scolaire propices au diagnostic de ces enfants, en renforçant les dispositifs présents à l’école (médecins scolaires, infirmières scolaires, assistantes sociales).

Recommandation n° 10 : Mettre à profit la consultation de prévention à 45 ans, mise en place dans le cadre des trois consultations de prévention aux âges clés de la vie, pour délivrer des informations et répondre aux questions des femmes sur la ménopause et améliorer le remboursement des traitements hormonaux de la ménopause par la sécurité sociale.

Recommandation n° 11 : Prévoir une campagne nationale, en remboursant une consultation psychologique permettant d’évaluer le risque de souffrance morale aux âges clés de la vie. Élaborer un canevas de consultation type, avec un questionnaire systématique permettant de diagnostiquer et d’évaluer les problématiques de dépression, comme celle des violences faites aux femmes qui pourrait servir de support aux médecins généralistes, aux médecins du travail, aux spécialistes, aux sages‑femmes.

Recommandation n° 15 : Faciliter l’accès aux soins des femmes les plus précaires, en simplifiant l’accès à la complémentaire santé solidaire, par le développement d’initiatives d’aller vers des travailleurs sociaux et des professionnels de santé, visant à informer les bénéficiaires potentielles et à les accompagner dans les démarches.

Recommandation n° 16 : Développer les équipes mobiles psychiatrie précarité (EMPP) et renforcer leurs moyens, afin d’assurer une meilleure prise en charge psychiatrique aux femmes en situation de grande précarité sociale et médicale, dont les difficultés peuvent les empêcher d’accéder aux soins.

Recommandation n° 20 : Étendre le dispositif des centres régionaux de psychotraumatisme qui assurent une prise en charge globale et pluridisciplinaire et assurer un maillage de l’ensemble du territoire. Assurer une prise en charge à 100 % des soins psychologiques pour les victimes de violences et les psychotraumatismes.

Recommandation n° 24 : Renforcer la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme au féminin, en informant de manière claire et précise sur les dangers spécifiques pour la santé des femmes, comme pour celle des fœtus. Élaborer des brochures d’information mises à disposition dans les établissements scolaires, dans les cabinets médicaux, les lieux d’accueil des femmes. Faire des consultations chez le généraliste un moment d’information sur les dangers du tabac et de l’alcool et de dépistage systématique de l’alcoolisme chez les femmes, en s’appuyant sur une grille d’analyse. Faire de l’orientation vers le sevrage tabagique et alcoolique, un élément indissociable des consultations au cours de la grossesse et mettre à profit le séjour à la maternité pour sensibiliser les mères et leur proposer une prise en charge.

 

 


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   introduction

 

La délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de l’Assemblée nationale suit de près de nombreuses thématiques, parmi lesquelles la santé des femmes occupe une place privilégiée. Plusieurs rapports d’information de la délégation ont abordé cette question au cours des dernières années, qu’elle en constitue un aspect important (rapport n° 1986 sur la séniorité des femmes, juin 2019, rapport n° 371 sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, octobre 2022) ou qu’une problématique de santé particulière fasse l’objet d’un rapport spécifique (rapport n° 2691 sur les menstruations, février 2020).

En ce début de législature, la délégation a décidé d’accorder une place prépondérante à la santé des femmes, en lui consacrant un rapport complet. Devant l’étendue des aspects qu’englobe ce sujet, vos rapporteures ont choisi de centrer leur réflexion sur la question de la santé mentale des femmes.

Selon la définition établie lors de la première conférence ministérielle européenne de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2005 à Helsinki, la santé mentale est un « état de bien-être qui permet à chacun de réaliser son potentiel, de faire face aux difficultés normales de la vie, de travailler avec succès et de manière productive, et d’être en mesure d’apporter une contribution à la communauté ». Cette définition fait clairement apparaître l’influence déterminante de l’environnement et des politiques publiques sur la santé mentale.

Pourtant, celle-ci constitue une thématique trop peu explorée, ou de manière parcellaire, sans qu’une réflexion globale soit réellement engagée, en particulier sur les spécificités pourtant marquées que présente la santé mentale des femmes.

Si l’importance de la santé physique apparaît évidente, aussi bien aux yeux du grand public que des professionnels de santé et des responsables politiques, il n’en va pas de même pour la santé mentale, l’impact de sa dégradation sur la qualité de vie des individus et son coût pour la collectivité étant perçus de manière plus diffuse et moins immédiate. De plus, même si certaines pathologies physiques engendrent encore un sentiment de peur et de rejet, dans l’ensemble, la diffusion des connaissances médicales et l’amélioration des traitements ont permis d’assurer une place prépondérante aux problématiques de santé publique quand il s’agit de la santé physique et de mettre l’accent sur la prévention et l’hygiène de vie. Tel n’est pas le cas de la santé mentale, en raison de la forte stigmatisation qui entoure les troubles mentaux, laquelle conduit bien souvent à l’invisibilisation des personnes qui en souffrent. Dans un tel contexte, rien d’étonnant à ce que la santé mentale des femmes constitue encore largement un continent inexploré et que les particularités des femmes dans ce domaine soient négligées, y compris par les femmes elles‑mêmes, à qui le rôle social qui leur est assigné commande souvent de faire passer la santé de leur famille avant la leur.

Cette absence d’intérêt et d’implication de l’ensemble de la société sur cette question considérée comme secondaire voire totalement méconnue, a des conséquences néfastes qui vont au-delà des conséquences personnelles pour les intéressées. En effet, les problèmes de santé mentale constituent aujourd’hui le premier poste de dépenses de l’Assurance maladie, avec un coût annuel de 23,4 milliards d’euros, et un coût macroéconomique estimé à 109 milliards d’euros. Il ne s’agit donc pas seulement d’un enjeu de santé publique majeur mais bien d’un enjeu de société global. Celui-ci doit donc mobiliser l’ensemble de la population, y compris masculine, tant les vies des femmes et des hommes – ainsi que celles de leurs éventuels enfants – sont imbriquées. Pour améliorer la santé mentale des femmes, il est donc indispensable d’associer les garçons et les hommes au processus par une sensibilisation des garçons dès le plus jeune âge à la lutte contre les violences, contre les stéréotypes, ou encore à une meilleure répartition de la charge domestique et de la parentalité.

Ainsi, c’est l’ensemble de notre modèle social qui doit être revisité pour que la santé mentale des femmes soit prise en compte à tous les niveaux : individuel, familial, relationnel, professionnel, médical, éducatif et sociétal.  La question de la santé mentale des femmes irrigue un nombre considérable d’éléments constitutifs du bon fonctionnement de notre société et questionne en profondeur notre rapport à la justice et à l’équité. En ce sens, les actions menées par les pouvoirs publics, afin de promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes, doivent nécessairement intégrer une réflexion sur les moyens à mettre en œuvre pour assurer les conditions d’une bonne santé mentale de la population féminine de notre pays et apporter aux femmes dont la santé mentale est dégradée le soutien pluridisciplinaire et coordonné qui leur est indispensable pour surmonter leurs vulnérabilités et leurs traumatismes.

Le présent rapport a donc pour ambition d’amener à une prise de conscience collective de la spécificité des femmes en matière de santé mentale et de l’enjeu sociétal majeur que celle-ci représente. Les nombreuses auditions menées par vos rapporteures, auprès d’institutionnels, de professionnels de santé, de sociologues, de représentants d’associations, tant de patients que de familles, leur ont permis de mesurer l’ampleur et l’importance de la tâche à accomplir pour améliorer la santé mentale des femmes et l’urgence à agir, aussi bien sur la prise en charge médicale que sur l’environnement dans lequel elles évoluent, lequel conditionne fortement la préservation de leur santé mentale.

Vos rapporteures considèrent que la première étape incontournable pour assurer une bonne santé mentale des femmes passe par une prise en compte de celle‑ci comme élément majeur du bien-être et de l’équilibre des femmes. En outre, la santé au sens large est très souvent abordée en se calquant sur les caractéristiques des hommes, il convient donc de tenir compte des spécificités des femmes dans ce domaine, pour leur proposer une prise en charge adaptée à leurs besoins. En effet, la santé mentale des femmes constitue une problématique beaucoup moins linéaire que celle des hommes, certaines étapes de l’existence des femmes entraînant des bouleversements importants pouvant conduire à des difficultés qu’elles ne sont pas toujours en capacité d’affronter seules. Ainsi, l’adolescence est une période délicate, susceptible d’engendrer un mal être ou une souffrance psychologique marqués ; la maternité s’accompagne également d’une transformation profonde nécessitant un accompagnement qui n’est pas toujours au rendez-vous ; quant à la ménopause, c’est encore bien souvent un sujet tabou dont les conséquences en termes de santé mentale sont généralement minorées. Par ailleurs, il s’avère que l’environnement dans lequel évoluent les femmes a un impact déterminant sur leur santé mentale. La précarité à laquelle elles peuvent être exposées détériore leur santé mentale, de même que les violences auxquelles elles sont confrontées qu’il s’agisse de violences conjugales ou de harcèlement sexiste ou sexuel, entraînant des symptômes de stress post‑traumatique difficiles à surmonter et qui les isolent socialement. Rien d’étonnant, dans de telles situations, de voir les femmes qui les subissent se réfugier dans des addictions diverses, lesquelles, loin de résoudre leurs problèmes, ne font que les aggraver.

Fortes de ces constats, vos rapporteures ont acquis la conviction que des politiques volontaristes, prenant en compte l’ensemble des éléments influant sur la santé mentale des femmes, sont de nature à améliorer sensiblement celleci et, par voie de conséquence, le mieux vivre ensemble en société. C’est ce qu’elles vont s’efforcer de démontrer et de proposer dans le rapport présenté ci-dessous.

 


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I.   LA SANTÉ MENTALE DES FEMMES, UN ENJEU MAJEUR TROP SOUVENT MÉCONNU

La santé mentale fait l’objet d’une attention beaucoup moins soutenue que la santé physique, à la fois pour les professionnels de santé et pour les pouvoirs publics. Ce manque d’intérêt, conjugué au fait que la médecine est pensée et organisée par rapport à un modèle de référence qui est le modèle masculin, explique que les spécificités féminines dans le domaine de la santé mentale sont généralement méconnues, y compris dans le milieu médical. Or, la santé mentale représente un élément majeur du bien-être de chaque individu et constitue un facteur important de cohésion sociale. Il est donc primordial qu’elle se trouve au cœur des politiques de santé publique et que la perception, ainsi que la prise en charge des déterminants spécifiques aux femmes, soient développées à tous les niveaux.

A.   L’IMPORTANCE DE LA SANTÉ MENTALE

Il n’est pas possible de maintenir une bonne santé générale quels que soient l’âge ou le sexe, si l’on n’intègre pas la santé mentale en tant que composante à part entière de la santé, envisagée de manière globale, au même titre que la santé physique.

1.   La santé mentale, son champ, ses caractéristiques

Ces dernières années, la place croissante qu’occupe la santé mentale à l’échelle internationale est attestée par son inclusion dans les objectifs de développement durable (ODD) du programme des Nations unies pour le développement (PNUD). À l’échelle mondiale, la dépression constitue l’une des principales causes d’incapacité et le suicide représente la quatrième cause de décès chez les 15‑29 ans. Les personnes atteintes de troubles mentaux graves meurent prématurément, jusqu’à vingt ans plus tôt, en raison de comorbidités évitables. Il est donc essentiel de mener des politiques volontaristes visant à préserver ou à restaurer la santé mentale des populations.

Bien que certains pays aient enregistré des progrès, les personnes souffrant de troubles mentaux sont souvent victimes de graves violations de leurs droits fondamentaux, de discrimination et de stigmatisation. Lors de la conférence de l’OMS d’Helsinki précitée, les ministres des États membres de la région européenne de l’OMS ont reconnu que la promotion de la santé mentale, la prévention, le traitement, les soins des troubles mentaux, ainsi que la réadaptation, constituaient une priorité.

Dans son plan d’action global pour la santé mentale 2013-2030, l’OMS estime ainsi qu’il reste encore beaucoup à faire pour garantir que toutes les personnes jouissent du meilleur niveau de santé mentale et de bien-être possible et que des mesures doivent être prises pour remédier à des décennies d’inattention et de sous-développement des services et des systèmes de santé mentale, d’atteintes aux droits de l’homme et de discrimination à l’encontre des personnes souffrant de troubles mentaux et de handicaps psychosociaux. L’OMS met l’accent sur la nécessité d’une approche portant sur toute la durée de la vie et sur la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir la santé mentale et le bien-être de tous, à prévenir les problèmes de santé mentale chez les personnes à risque et à assurer la couverture universelle des soins de santé mentale.

La santé mentale comporte trois dimensions ([2]):

– la santé mentale positive qui recouvre le bien-être, l’épanouissement personnel, les ressources psychologiques et les capacités d’agir de l’individu dans ses rôles sociaux.

– la détresse psychologique réactionnelle (induite par les situations éprouvantes et les difficultés existentielles (deuil, échec relationnel, scolaire, ...), qui n’est pas forcément révélatrice d’un trouble mental. Les symptômes, relativement communs et le plus souvent anxieux ou dépressifs, apparaissent généralement dans un contexte d’accidents de la vie ou d’événements stressants et peuvent être transitoires. Dans la majorité des cas, les personnes en détresse psychologique ne nécessitent pas de soins spécialisés. Toutefois, mal repérée ou mal accompagnée, la détresse psychologique peut faire basculer la personne dans une maladie ou multiplier les difficultés sociales. Lorsqu’elle est temporaire et survient après un événement stressant, elle est considérée comme une réaction adaptative normale. En revanche, lorsqu’elle devient intense et perdure, elle peut constituer l’indicateur d’un trouble psychique.

– les troubles psychiatriques de durée variable, plus ou moins sévères et/ou handicapants, qui se réfèrent à des classifications diagnostiques renvoyant à des critères, à des actions thérapeutiques ciblées, et qui relèvent d’une prise en charge médicale. Les conséquences liées aux affections psychiatriques peuvent être majeures : handicaps, décès prématurés, discrimination et exclusion. L’expression « troubles mentaux » désigne un ensemble de troubles mentaux et de troubles du comportement répertoriés dans la classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes (dixième révision, CIM-10) ([3]).

Il s’agit notamment de troubles qui englobent la dépression, le trouble affectif bipolaire, la schizophrénie, les troubles anxieux, la démence, les troubles liés à la consommation de substances, les déficiences intellectuelles et les troubles du développement et du comportement dont l’apparition survient généralement dans l’enfance et l’adolescence, y compris l’autisme.

 

 

La santé mentale ne signifie donc pas ne pas avoir de troubles. C’est un état qui varie tout au long de la vie en fonction de facteurs qui nous sont extérieurs (conditions d’environnement, de logement ou d’emploi, etc.), mais également de facteurs davantage personnels (notre histoire de vie ou notre patrimoine génétique). C’est donc une ressource qui peut se dégrader à force d’exposition à des facteurs socio-environnementaux. Ainsi, la santé mentale, comme d’autres aspects de la santé, peut être influencée par toute une série de facteurs socio‑économiques, biologiques et environnementaux sur lesquels il est possible d’agir par des stratégies globales de promotion, de prévention, d’offre de soins et d’amélioration des conditions de vie et d’inclusion sociale mobilisant l’ensemble du spectre des actions gouvernementales.

2.   Un des premiers postes de dépenses de l’Assurance maladie

Les chiffres clés de la santé mentale sont révélateurs. Selon l’OMS, un Européen sur quatre est touché par des troubles psychiques au cours de sa vie. Pour la France, selon Santé publique France :

        une personne sur cinq est touchée chaque année par un trouble psychique, soit 13 millions de Français ;

        on estime que15 % des 10‑20 ans ont besoin de suivi ou de soins ;

        en 2016, le suicide était à l’origine du décès de 9 300 personnes ; s’y ajoutaient 200 000 tentatives de suicides ;

        la psychiatrie représente 2,4 millions de personnes prises en charge en établissement de santé.

En conséquence :

        les troubles mentaux constituent le premier poste de dépenses du régime général de l’Assurance maladie, avant les cancers et les maladies cardio-vasculaires, soit 23,4 milliards d’euros par an. Ils représentent l’une des principales causes d’années de vie perdues en bonne santé et sont responsables de 35 à 45 % de l’absentéisme au travail. Les indemnités journalières constituent donc un poste de dépenses important et dynamique ;

        selon l’OMS, le coût économique et social des troubles psychiques est évalué à 109 milliards d’euros par an pour la France.

Les troubles mentaux présentent un très large spectre, allant des troubles légers et ponctuels à des troubles sévères, chroniques et invalidants. De plus, une mauvaise santé mentale est associée à des comorbidités : elle se traduit par une plus forte exposition aux conduites addictives et par une dégradation des habitudes de vie, qui peut conduire notamment à une augmentation des risques d’AVC ou de cancers. En moyenne, les personnes atteintes de troubles psychiques meurent 10 à 20 ans plus tôt.

En outre, la santé mentale des Français semble se dégrader. Les épisodes dépressifs ont connu « une accélération sans précédent entre 2017 et 2021 (+ 36 %), en particulier chez les jeunes adultes » observe le Baromètre santé 2021 de Santé publique France : ils ont touché un jeune adulte sur 5 (20,8 %) en 2021, soit une hausse de près de 80 % par rapport à 2017 (11,7 %). Les jeunes adultes de 18 à 24 ans sont la catégorie la plus touchée par un épisode dépressif dans l’année, quelle que soit son intensité, alors que la prévalence observée dans cette tranche d’âge dans les précédentes éditions du baromètre (2005, 2010, 2017) était comparable à celle du reste de la population. Le taux est également près de deux fois plus élevé chez les femmes que chez les hommes de 18 à 24 ans (26,5 % contre 15,2 %).

La cinquième édition de l’observatoire-place de la santé de la Mutualité française dresse un état des lieux de la santé mentale en France. Prévention, accès aux soins et restes à charge sont analysés, et résumés dans le schéma ci-après ([4]).

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3.   Un sujet davantage pris en compte à la suite de la crise sanitaire

Depuis mars 2020, l’épidémie de la Covid-19 et les décisions prises pour la freiner ont bouleversé la vie de tous avec des conséquences visibles au niveau économique, social, comme psychologique. L’enjeu majeur a été de préserver un équilibre entre nécessité sanitaire et impact sur la vie en société. Pour éclairer la décision publique, Santé publique France a mis en œuvre des études spécifiques et renforcé la surveillance : l’étude CoviPrev pour suivre les différentes dimensions de la santé mentale en période de crise sanitaire, les bulletins hebdomadaires de surveillance syndromique de la santé mentale, pour mesurer par exemple les gestes suicidaires ou les troubles anxieux à partir des passages aux urgences (Oscour®) ou des consultations SOS Médecins. Une attention particulière a également été portée à des populations spécifiques comme les enfants et adolescents (étude Confeado), les femmes enceintes (étude Covimater), les populations vulnérabilisées (Étude CovSa Familles 93) et les travailleurs (cohortes Coset, surveillance des maladies à caractère professionnel - MCP).

La crise sanitaire a eu un rôle de catalyseur des problèmes de santé mentale en France, mettant en exergue la nécessité de porter une attention spécifique à cette dimension. En effet, la propagation du virus s’est accompagnée d’une montée de l’inquiétude face à l’infection et de la mise en place de mesures restrictives sur le plan social, dimension essentielle du bien-être. De même, l’isolement, la baisse d’activité physique, l’augmentation du stress, l’ennui, l’organisation du travail à domicile couplée à la gestion de la vie familiale, sont autant de facteurs qui ont pu avoir un impact sur la santé mentale.

Les travaux réalisés par le biais des enquêtes menées auprès de la population confirment l’impact des confinements sur les troubles du sommeil, de symptômes anxieux, de symptômes dépressifs, ainsi que de symptômes persistants associés à un stress post-traumatique. Ces augmentations ont été particulièrement observées chez les jeunes, ainsi que chez des populations ayant un statut socio‑économique modeste. Elles se sont révélées aussi plus fréquentes dans le cas de connexion importante aux médias délivrant des informations relatives à la Covid‑19. 34 % des personnes interrogées au cours de la vague 21 (15‑17 février 2021) de l’enquête CoviPrev présentaient un état anxieux ou dépressif. Les facteurs associés à une plus forte anxiété sont le sexe féminin, un âge inférieur à 50 ans, le fait d’être dans une situation financière difficile, d’être actuellement en situation de télétravail, d’être parents d’enfant de 16 ans et moins, d’avoir un proche ayant des symptômes évocateurs de la Covid-19, de percevoir la Covid-19 comme une maladie grave, d’avoir une mauvaise connaissance des modes de transmission du virus, de se sentir peu capable d’adopter les mesures préconisées et d’avoir peu confiance dans les pouvoirs public.

Depuis le 23 mars 2020, Santé publique France a lancé l’enquête CoviPrev en population générale, afin de suivre l’évolution des comportements (gestes barrières, confinement, consommation d’alcool et de tabac, alimentation et activité physique) et de la santé mentale (bien-être, troubles).

Les résultats de la vague 36 de l’enquête CoviPrev (5 au 9 décembre 2022) sont les suivants :

        79 % des Français déclarent avoir une perception positive de leur vie en général (niveau bas, - 5 points par rapport au niveau hors épidémie, tendance stable par rapport à la vague précédente) ;

        17 % des Français montrent des signes d’un état dépressif (niveau élevé, + 7 points par rapport au niveau hors épidémie, tendance stable par rapport à la vague précédente) ;

        24 % des Français montrent des signes d’un état anxieux (niveau très élevé, + 11 points par rapport au niveau hors épidémie, tendance stable par rapport à la vague précédente) ;

        69 % des Français déclarent des problèmes de sommeil au cours des 8 derniers jours (niveau très élevé, + 19 points par rapport au niveau hors épidémie, tendance stable par rapport à la vague précédente) ;10 % des Français ont eu des pensées suicidaires au cours de l’année (niveau élevé, + 5,5 points par rapport au niveau hors épidémie, tendance en baisse, - 2 points par rapport à la vague précédente).

Les analyses présentées portaient également sur les évolutions déclarées des niveaux de consommation de tabac et du poids et de l’alimentation pendant le confinement.

Consommation de tabac

27 % de consommateurs au total (et 31 % de femmes) déclaraient que leur consommation de tabac a augmenté depuis le confinement.

Les raisons mentionnées par les fumeurs déclarant avoir augmenté leur consommation étaient, dans l’ordre l’ennui, le manque d’activité (74 %) ; le stress (48 %) ; le plaisir (10 %).

L’augmentation de la consommation de tabac est liée au niveau d’anxiété et elle est plus fréquente en cas de dépression probable ou certaine.

 

Évolution du poids et de l’alimentation

27 % des personnes interrogées déclaraient avoir pris du poids pendant les confinements.

Avoir pris du poids est plus fréquemment mentionné en cas de situation financière très difficile (36 %) ; par les parents de jeunes enfants (34 %) ; chez les moins de 40 ans (31 %), en cas de troubles dépressifs (42 %), de problèmes de sommeil (36 %) et de niveau élevé d’anxiété (37 %).

 

M. Enguerrand du Roscoat, responsable de l’unité santé mentale, à la direction de la prévention et de la promotion de la santé de Santé publique France, résumait ainsi ces résultats lors de son audition : « la santé mentale, en particulier les troubles anxieux, sont identifiés dans les publications internationales comme un risque majeur lié à la situation épidémique (peur de la maladie pour soi et son entourage) et aux conditions de vie en période de confinement (promiscuité, isolement social, perte de salaire, frustration, etc.). Il est ainsi prioritaire de maintenir un niveau minimal de bien-être et de prévenir à court terme le développement de troubles au sein de la population, afin de limiter la sollicitation du système de santé et en particulier des hôpitaux et des urgences par l’afflux des personnes présentant des symptômes d’anxiété ou de stress aigus. Enfin, une dégradation de la santé mentale pourrait avoir des conséquences sur l’adoption d’habitudes de vie défavorables (consommation d’alcool et autres substances psychoactives, nutrition, sommeil, etc.), contribuer à l’augmentation des violences (notamment intrafamiliales) ou encore participer au fardeau économique (arrêts de travail) ».

Deux publics ont été particulièrement touchés par la crise sanitaire. En premier lieu, on a observé un fort impact chez les plus jeunes (plus de dix points de prévalence des troubles psychiques chez les 18‑24 ans), avec un fort écart de prévalence filles-garçons.

Les pouvoirs publics ont tenté d’apporter une réponse à l’urgence avec le dispositif MonParcoursPsy. Ce dispositif unifié, mis en œuvre dès 2022, fera l’objet d’une évaluation d’ici 2024, dans l’optique de poursuivre l’intégration des psychologues dans le parcours en santé mentale. Il a vocation à apporter une réponse à l’explosion des problèmes de santé mentale après la pandémie de Covid-19 et à rendre les consultations chez le psychologue accessibles au plus grand nombre. MonParcoursPsy permet ainsi aux personnes souffrant de « troubles psychiques d’intensité légère à modérée » de bénéficier de huit séances par an chez le psychologue, intégralement remboursées par l’Assurance maladie, les mutuelles ou les complémentaires santé. Ces consultations durent 30 minutes et sont payées 30 euros. En un an, 372 547 séances ont été enregistrées, pour une durée moyenne de 4,1 séances par patient. Selon les chiffres du ministère de la santé et de la prévention publiés le 3 mars 2023, 90 642 patients en auraient bénéficié, dont 71 % de femmes. Au total, 2 200 psychologues volontaires se sont inscrits sur la plateforme et sont conventionnés à ce jour. Si après un an le ministère de la santé et de la prévention évoque une « montée en charge rapide » de ce dispositif, les professionnels concernés considèrent plutôt qu’il s’agit d’un échec. En effet, selon un comptage de Franceinfo, plus de 50 000 professionnels y seraient éligibles mais le boycottent et refusent de s’y engager. En un an, il n’a touché que 0,13 % des Français, dont seulement 10 % de public précaire, qui était pourtant la population initialement visée par MonParcoursPsy.

Entendue par vos rapporteures, Mme Edvick Elia, présidente de la commission médicale de groupement (CMG) du groupe hospitalier de territoire (GHT) Psychiatrie Nord-Pas-de-Calais, regrettait le nombre réduit de psychologues inscrits dans ce dispositif, ce qui affaiblit sa portée. Elle remarquait également que beaucoup d’entre eux travaillent seuls et manquent d’informations lorsqu’ils reçoivent des jeunes. En effet, ils doivent fréquemment faire face à des situations intermédiaires : quand une situation est très inquiétante, elle sera traitée aux urgences, quand elle l’est moins, elle relève de l’ambulatoire. Entre les deux, Mme Edvick Elia estimait que de nombreux psychologues ne savent pas quelle attitude adopter. Les jeunes évoquant des idées suicidaires sont, par exemple, immédiatement envoyés aux urgences : même s’ils ne sont pas forcément en risque immédiat, les urgences se doivent alors de les prendre en charge.

Au-delà des jeunes publics, le Baromètre santé mené en 2021 par Santé publique France montrait que 12,5 % des personnes âgées de 18 à 85 ans auraient connu un épisode dépressif caractérisé au cours des 12 mois précédant l’enquête. Cette augmentation concernait tous les segments de population analysés, mais le taux était sensiblement plus élevé chez les femmes que chez les hommes (15,6 % contre 9,3 %) quel que soit l’âge. M. Enguerrand du Roscoat indiquait par exemple que les données recueillies par Santé Publique France entre 2017 et 2021 faisaient apparaître deux fois plus de troubles dépressifs, trois fois plus de troubles anxieux et deux fois plus de tentatives de suicide chez les femmes que chez les hommes.

Ainsi, la dégradation de la santé mentale des Français consécutive à la crise sanitaire de la Covid-19 a eu le mérite de mettre en lumière l’importance de l’environnement sur le bien-être de la population et, surtout, les écarts de prévalence majeurs entre femmes et hommes sur de nombreux aspects de la santé mentale.

Cette situation, qui perdure au-delà de la crise sanitaire, nécessite une attention particulière à l’égard des femmes.

B.   DES SPÉCIFICITÉS FÉMININES NON PRISES EN COMPTE

La méconnaissance ou l’insuffisante prise en compte des spécificités féminines en matière de santé mentale conduit à une prise en charge inadaptée et insuffisante des femmes lorsqu’elles se trouvent en situation de souffrance psychique.

1.   Une prévalence de troubles sensiblement supérieure chez les femmes

 

La cartographie des effectifs de patients par pathologie de l’Assurance maladie est éloquente : pour l’année 2021, pour ce que la CNAM range sous la catégorie « maladies psychiatriques et psychotropes » pris conjointement, l’effectif de personnes prises en charge, par le biais de traitements et/ou d’arrêts de travail est de 5,2 millions de femmes contre 3,2 millions d’hommes.

Les effectifs femmes-hommes sont assez similaires pour les maladies psychiatriques prises isolément (troubles névrotiques, déficience mentale, troubles addictifs et troubles psychiatriques ayant débuté dans l’enfance) : 1,29 million d’hommes et 1,48 million de femmes soit 4,08% d’hommes concernés contre 4,27 % de femmes.

La différence d’effectifs est en revanche extrêmement marquée, allant presque du simple au double, si l’on s’en tient à la catégorie « psychotropes », avec respectivement 1,92 et 3,73 millions de patients, soit 6,05 % d’hommes concernés contre 10,71 % de femmes.

Il apparaît donc nettement que les femmes sont presque deux fois plus touchées, non par les maladies psychiatriques, mais par les troubles donnant lieu à la prescription de traitements psychotropes. Celles-ci recouvrent, hors pathologies psychiatriques :

-         les traitements par antidépresseurs ou régulateurs de l’humeur ;

-         les traitements anxiolytiques ;

-         les traitements hypnotiques ;

-         dans une moindre mesure, les traitements neuroleptiques.

Comme chez les hommes, la prévalence augmente de façon continue avec l’âge. La présentation, la temporalité, l’évolution clinique et le traitement de certains troubles psychiques peuvent toutefois différer entre les femmes et les hommes, les étapes de la vie féminine (grossesse, post-partum, ménopause, séniorité plus souvent vécue seule) pouvant favoriser les troubles anxieux et dépressifs.

Selon M. Enguerrand du Roscoat, dès l’adolescence, les plaintes psychosomatiques concernent 48 % des filles et 32 % des garçons et les symptômes psychologiques 61 % des filles et 48 % des garçons. Les indicateurs de dépression sont deux fois plus importants chez les filles que chez les garçons, avec un pic très marqué chez les filles de 15 à 19 ans, accompagné de pensées suicidaires.

2.   Des problématiques différentes de celles des hommes

Les difficultés et le vécu des femmes en matière de santé mentale ne s’apparentent pas véritablement à ceux des hommes.

Ces spécificités féminines ont été particulièrement soulignées dans une étude suisse réalisée par plusieurs médecins des Hôpitaux universitaires de Genève. Les femmes, à tout âge, souffrent de façon plus fréquente de certains troubles mentaux, avec davantage de comorbidités, ceci ayant également un impact sur leur santé physique et l’équilibre familial et social.

Cette étude ([5]) , parue dans la revue médicale suisse de septembre 2015 distingue des facteurs de vulnérabilité individuels, relationnels, ainsi que communautaires et sociétaux.

En ce qui concerne les facteurs de vulnérabilité individuelle, les femmes vivraient une fréquence plus élevée d’événements critiques (dépression post‑partum, charge mentale, violences, harcèlement sexiste et sexuel, etc.) dans leur vie. Ceci, combiné à de nombreux facteurs culturels, explique qu’elles traitent et interprètent souvent le stress et les émotions différemment des hommes, présentant davantage de symptômes psychosomatiques et de besoin d’un support social. L’augmentation du stress chronique dans nos sociétés ne fait qu’aggraver leur vulnérabilité, y compris sur le plan physique. La conviction de pouvoir maîtriser son existence est un facteur important d’équilibre psychique. Cette conviction est moins marquée chez les femmes, davantage touchées par la précarité (par exemple, les femmes représentent 53,6 % des bénéficiaires du RSA et 96 % des bénéficiaires du RSA majoré).

En outre, les expériences telles que la survenue des menstruations, quand celle-ci est mal accompagnée ou vécue, d’éventuels avortements ou fausses couches, d’accouchements difficiles et de parentalité insuffisamment partagée ont plus d’impact sur la santé mentale des femmes que sur celle des hommes. Chez les jeunes femmes, la quête d’autonomie à l’adolescence est plus compliquée pour les filles, qui font souvent l’objet d’un contrôle social plus serré.

Plus que les facteurs strictement biologiques, il semblerait que la santé mentale des femmes soit surtout liée à des variables socio-économiques, environnementales, et à l’état général de santé.

Les facteurs de vulnérabilité relationnels interviennent également fortement en matière de santé mentale des femmes. Les parents isolés (très majoritairement des femmes) sont souvent confrontés à des défis supplémentaires. La charge importante et constante de la famille est un facteur de risque de maladie psychique chez la femme. Un autre facteur de risque majeur est la violence interpersonnelle et notamment les violences sexuelles et conjugales, dont les victimes sont essentiellement des femmes. Ces violences existent dans tous les milieux socio-économiques et peuvent entraîner de nombreux troubles psychiques, outre des états de stress post-traumatique.

Les facteurs de vulnérabilité communautaires et sociétaux sont également non négligeables, s’agissant de la santé mentale des femmes. Il existe indéniablement une forte relation entre le statut socio-économique, la position dans la hiérarchie sociale et la santé mentale des individus, l’exemple le plus classique étant celui de l’impact des conditions de travail. Bien que la plupart des recherches manquent d’une perspective de genre, les études montrent que les femmes sont plus souvent victimes de harcèlement au travail que les hommes. Elles sont aussi plus touchées par le burn-out, tant au niveau professionnel que parental (les deux étant parfois liés).

Les femmes sont donc plus affectées que les hommes par certains troubles mentaux. Surtout, la forte stigmatisation dont sont victimes les personnes atteintes de troubles psychiques touche encore plus fortement les femmes que les hommes.

Entendue par vos rapporteures, Mme Claude Finkelstein, présidente de la fédération nationale des association d’usagers en psychiatrie (FNAPSY) indiquait qu’en matière de troubles psychiques et mentaux, on dénote un plus grand sentiment de honte chez les femmes. Cette honte est gérée différemment par les hommes qui arrivent à mieux s’en sortir, notamment par des stratégies de fuite hors du domicile (rencontres amicales, sport, travail, etc.). Selon elle, « les femmes se cachent beaucoup, souffrent en silence et n’osent pas le dire, ni le montrer.  Lorsqu’elles l’expriment, elles sont d’ailleurs beaucoup plus stigmatisées que les hommes. À cet égard, on se trouve dans une transition sociétale, avec un regard sur la souffrance psychique qui n’est pas identique suivant qu’il s’agit des femmes ou des hommes ».

3.   Une prise en charge déficitaire et inadaptée aux besoins des femmes

 

L’article L.3222-1 du code de la santé publique dispose que « la politique de santé mentale comprend des actions de prévention, de diagnostic, de soins, de réadaptation et de réinsertion sociale. Elle est mise en œuvre par des acteurs diversifiés intervenant dans ces domaines, notamment les établissements de santé autorisés en psychiatrie, des médecins libéraux, des psychologues et l’ensemble des acteurs de la prévention, du logement, de l’hébergement et de l’insertion ».

L’offre de soins en établissements de santé pour la psychiatrie a longtemps été organisée autour de trois types de prise en charge :

        le temps complet, reposant essentiellement sur les 53 000 lits d’hospitalisation à temps plein ;

        le temps partiel, s’appuyant principalement sur les 28 000 places d’accueil en hôpital de jour ou de nuit ;

        l’ambulatoire, réalisée majoritairement par l’un des quelques 3 100 centres médico-psychologiques.

 

Synoptique des différents types de prise en charge de la santé mentale en France (DREES, Statistiques annuelles des établissements de santé, 2020)

 

Pratique générale

Définition

Capacité d’accueil

Prise en charge à temps complet

Unités d’hospitalisation à temps complet

Ce sont des lieux de soins, de prévention et de diagnostic sous surveillance médicale, 24 heures sur 24.

53 699

Accueil familial thérapeutique

Ils s’adressent à des patients adultes ou enfants susceptibles de retirer un bénéfice d’une prise en charge dans un milieu familial. Les familles d’accueil sont des salariées de l’établissement et les équipes soignantes suivant le patient.

3 134

Centre postcure

Ce sont des unités de moyen séjour, destinées à assurer après la phase aiguë de la maladie, le prolongement des soins actifs ainsi que les traitements nécessaires à la réadaptation en vue d’un retour à une existence autonome.

1 689

Appartement thérapeutique

Ces unités de soin visent la réinsertion par le logement, à la disposition de quelques patients pour des durées limitées et nécessitant une présence importante sinon continue de personnels soignants.

1 028

Hospitalisation à domicile

Ce dispositif intensif s’inscrit dans le cadre de la post-urgence. Elle permet à la personne de retourner à son domicile tout en bénéficiant d’une prise en charge quotidienne.

424 

Centre de crise

Situées au sein d’hôpitaux généraux, elles assurent la prise en charge d’urgence psychiatrique en consultation et hospitalisation.

634

Prise en charge à temps partiel

Hôpital de jour

Ils assurent des soins polyvalents individualisés et intensifs, à la journée ou à temps partiel.

28 125

Hôpital de nuit

Ils organisent une prise en charge thérapeutique en fin de journée, une surveillance médicale de nuit et, le cas échéant, de fin de semaine.

1 073

Atelier thérapeutique

Ils visent à ré-entraîner à l’exercice de l’activité professionnelle, à assurer un soutien aux patents dans une démarche de resocialisation et de reprise de vie autonome. Ils accueillent des personnes ayant un lieu d’hébergement mais présentant des difficultés à reprendre une vie sociale.

267

Prise en charge ambulatoire

Centre médico-psychologique (CMP)

Ils organisent des actions de prévention, de diagnostic et de soins ambulatoires et d’intervention ou visite à domicile du patient.

3 067

Unité de consultation des services

 

1 921

Centre d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP)

Ils visent à maintenir ou à favoriser une existence autonome par des actions de soutien et de thérapie de groupe. Ils s’adressent à une population ayant des difficultés à s’insérer dans le tissu social (par détresse psychologique ou sociale).

1 811

Autres formes de prise en charge ambulatoire

Sont comptabilisés les actes réalisés à domicile ou en institutions substitutives au domicile, en unité d’hospitalisation somatique, en établissements sociaux ou médico-sociaux, en milieu scolaire ou en centres de protection maternelle et infantile.

2 970 094

 

Malgré un nombre de psychiatres s’élevant à 15 500, dont 4 500 exerçaient exclusivement en libéral en 2021 ([6]), soit 20 pour 100 000 habitants, ce qui situe la France à la quatrième place de l’Union européenne, le secteur de la psychiatrie connaît actuellement une « crise profonde d’attractivité ». Tel était le constat dressé par M. Franck Bellivier, délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie, s’exprimant lors du Congrès de l’encéphale le 20 janvier 2023, et que partagent l’ensemble des professionnels du secteur. En effet, cette spécialité est très peu choisie par les étudiants, souvent conduits à se détourner d’un secteur victime de stigmatisation et qui génère des préjugés persistants. Ainsi, les nombreux départs à la retraite des professionnels prévisibles dans la prochaine décennie chez une profession dont la moyenne d’âge s’établissait à 52 ans en 2021, ne seront pas ou pas suffisamment compensés par de nouvelles arrivées. 30 % des postes dans le secteur public sont déjà actuellement vacants et les disparités territoriales se caractérisent par des densités variant de 1 à 4 entre les départements.

Dans ce contexte déjà très dégradé, la pédopsychiatrie est plus gravement touchée encore. Un rapport de la Cour des comptes de mars 2023 évaluait la baisse du nombre de pédopsychiatres à 34,5 % en France entre 2010 et 2022, les effectifs chutant de 3 113 à 2 039. Seulement environ 800 d’entre eux assureraient uniquement des consultations à destination des enfants et des jeunes, avec une moyenne d’âge de la profession supérieure à 60 ans. Cet effondrement démographique est d’autant plus préoccupant que le nombre d’enfants et d’adolescents suivis chaque année en psychiatrie infanto-juvénile a augmenté de plus de 60 % en vingt ans. Le Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) alerte pour sa part sur l’augmentation continue des prescriptions de psychotropes chez les 6-17 ans entre 2014 et 2021. Les chiffres sont en effet éloquents : + 48,5 % pour les antipsychotiques, + 62,6 % pour les antidépresseurs, + 78 % pour les psychostimulants, + 155,5 % pour les hypnotiques et sédatifs, mettant en exergue l’effet ciseau entre l’augmentation de prescriptions de psychotropes pour les enfants et, parallèlement, une diminution par quatre des consultations dans les CMP. Pourtant, beaucoup de professionnels considèrent que le traitement principal des pathologies psychiques consiste en des entretiens réguliers, qui se retrouvent escamotés au profit des prescriptions médicamenteuses, dès lors que les effectifs de médecins sont singulièrement réduits.

Face à ce constat, la psychiatrie a fait l’objet d’un certain nombre de réformes ces dernières années, visant à améliorer la prise en charge des patients en homogénéisant le fonctionnement des établissements et en renforçant le maillage territorial des politiques de santé mentale.

Les projets territoriaux de santé mentale (PTSM), introduits par la loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, visent ainsi à élaborer et mettre en œuvre, de manière collective, des projets répondant aux enjeux de santé mentale identifiés sur les territoires – à l’échelle départementale, voire infra départementale quand les spécificités d’un territoire le justifient. Ils permettent ainsi à des acteurs locaux, et en premier lieu aux agences régionales de santé (ARS), de décliner, à partir de diagnostics territoriaux, la politique nationale de santé mentale. Chaque PTSM doit se pencher sur six thématiques fixées par le décret n°2017-1200 du 27 juillet 2017 relatif au projet territorial de santé mentale :

        repérage précoce et accès aux soins,

        parcours de santé sans rupture,

        accès aux soins somatiques,

        lutte contre la stigmatisation,

        action sur les déterminants,

        prise en charge des situations d’urgence.

En mars 2023, 104 PTSM étaient recensés.

Par ailleurs, le décret n°2021-1255 du 29 septembre 2021 relatif à la réforme des financements des activités de psychiatrie prévoit de proposer un modèle de tarification plus attractif pour la psychiatrie. Ce nouveau mode de financement vise deux principaux objectifs :  tout d’abord, il établit un modèle commun entre le secteur public et le secteur privé, le premier étant dans une situation particulièrement défavorable du fait d’une croissance des dotations moindre par rapport à celle du second (respectivement 1,2 % contre 3,2 % annuels en 2020). Ensuite, cette réforme doit permettre de rééquilibrer la répartition de l’enveloppe nationale entre les régions, sur le fondement notamment des PTSM.

Enfin, le décret n°2022-1263 du 28 septembre 2022 relatif aux conditions d’implantation de l’activité de psychiatrie a réformé les régimes d’autorisation en psychiatrie en décrivant les socles et les conditions minimales attendus pour les établissements exerçant une activité de psychiatrie. Présentée par le ministre de la Santé Olivier Véran aux assises de la psychiatre en 2021, elle doit permettre « d’améliorer l’accessibilité et la qualité des prises en charge, de renforcer les coopérations entre acteurs sur un même territoire et de clarifier les prises en charge en cohérence avec la réforme du financement ». L’activité psychiatrique, initialement structurée autour de la prise en charge, est répartie à compter de 2023, en quatre mentions :

        psychiatrie de l’adulte ;

        de l’enfant et de l’adolescent ;

        périnatale ;

        soins sans consentement.

Chaque établissement doit être titulaire d’une autorisation par mention et être en mesure d’assurer l’ensemble des prises en charge (temps complet, partiel ou ambulatoire). Cette réforme permet également de préciser un certain nombre d’éléments dans l’organisation des structures, à l’instar de la pluridisciplinarité des équipes ou encore des équipements dont elles doivent impérativement disposer.

Un suivi attentif de ces réformes, un effort financier pour améliorer l’attractivité et le fonctionnement global de la psychiatrie, seront essentiels afin d’assurer que les patients, et donc les patientes, plus nombreuses, disposent du suivi indispensable à leur bien-être et à celui de leur entourage. Il est essentiel d’enrayer, notamment chez les plus jeunes, la tendance à la dégradation de la santé mentale de nos concitoyens et d’éviter que les pénuries et déserts médicaux ne les conduisent tout bonnement à renoncer aux soins.

En effet, on observe un plus grand recours aux soins chez les femmes, lesquelles sont plus enclines à consulter, si tant est qu’elles en aient la possibilité matérielle (accessibilité géographique et financière, prise de rendez-vous dans des délais décents, etc.). Les femmes sont également davantage concernées par la consommation de médicaments psychotropes, les professionnels de santé étant davantage enclins à les prescrire lorsqu’il s’agit de femmes. De même, les femmes ont plus recours à une aide médicale dans le cas de pensées suicidaires. Toutefois, en présence de symptômes caractérisés, le recours aux soins devient identique entre les hommes et les femmes.

Entendu par vos rapporteures, le docteur Elie Winter, président du Conseil national professionnel de psychiatrie, faisant référence aux actes de psychiatrie libérale de l’année 2021, indiquait qu’à partir de l’âge de 15 ans, on dénombre une proportion deux fois plus importante de femmes qui consultent. Selon lui, cela tient probablement au fait qu’il est plus acceptable, plus facile pour elles d’en parler. Les sociologues tentent d’expliquer ce phénomène en le corrélant au suivi gynécologique dès l’adolescence, à l’occasion desquels les femmes établissent une relation de confiance avec le corps médical.

Pourtant, la psychiatrie, comme d’autres sciences de la santé, demeure l’une des disciplines scientifiques utilisées pour justifier les rôles de genre et les pratiques parfois négligentes à l’endroit des femmes qui peuvent en découler :  sous-estimation avérée des symptômes, surmédication en psychiatrie, traitement parfois paternaliste par certains professionnels, pratiques négligentes voire violence médicale dans les traitements de santé mentale pour les femmes. L’histoire de la recherche médicale en santé mentale se caractérise en outre par une longue invisibilité des femmes, ou leur transformation en objets de recherche passifs, ce qui peut induire des diagnostics stéréotypés voire erronés.

Entendue par vos rapporteures, Mme Caroline de Pauw, sociologue, indique qu’il existe une conception historique de la femme instable psychologiquement, plus fragile, plus sensible. Quand on décortique les chiffres, on remarque que les femmes sont plus diagnostiquées parce que les symptômes des troubles correspondent au rôle social qu’on attend d’elles. On peut citer par exemple le syndrome de dépendance. Le contraire s’observe aussi : si des femmes ne répondent pas aux attentes sociales, qu’elles s’y opposent notamment par la violence, elles vont être diagnostiquées bipolaires. Les rôles sociaux influencent l’identification des symptômes chez les deux sexes.

Dans leur ouvrage Va te faire soigner, t’es malade !, publié dans les années 1980, les psychologues et anthropologues canadiennes, Louise Guyon, Roxane Simard et Louise Nadeau dénoncent les préjugés du système de santé. À l’issue d’une recherche empirique, elles ont constaté que la façon dont le système de santé perçoit les femmes influence grandement le type et la formulation du diagnostic, ainsi que les modalités de prise en charge, particulièrement en matière de santé mentale. Elles estiment que les professionnels, cliniciens et chercheurs, femmes comme hommes, participent à ce système inégalitaire par leurs représentations liées au genre.

Par ailleurs, alors qu’il est bien établi qu’hommes et femmes présentent des particularités biologiques dont la recherche médicale et pharmacologique doit tenir compte, de nombreuses études sont effectuées avec un échantillon uniquement masculin ou sont publiées sans préciser l’effet du sexe sur leurs résultats. Ainsi, à travers la littérature scientifique, c’est souvent le sexe et le genre masculins qui servent de référence pour les soins des femmes.

En France, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a mis en place en 2014 au sein de son comité d’éthique, un groupe de réflexion intitulé « genre et recherches en santé », dont l’objectif est de favoriser une meilleure prise en compte du sexe, du genre, des rôles sociaux et du contexte culturel dans les travaux de recherche. Il s’agit ainsi de lutter contre les discriminations qui touchent les femmes dans les domaines de la santé, et notamment de la santé mentale. De nombreuses voix provenant des milieux associatifs ou professionnels militent encore aujourd’hui pour un système de santé qui prenne mieux en compte les différences entre les femmes et les hommes et veille à ne pas entretenir des préjugés nuisibles pour la santé physique et mentale des femmes. Dans cette démarche, les psychologues doivent être partie prenante, tant dans le cadre de leurs activités de recherche que dans celui de l’accompagnement et du soin psychique.

Recommandation n° 1 : Mettre l’accent sur les spécificités propres aux femmes dans la formation initiale et continue des professionnels de santé, afin de lutter contre les préjugés liés au genre dans le système de santé, notamment s’agissant de la santé mentale. Communiquer régulièrement auprès du grand public pour améliorer les connaissances et la perception en matière de santé mentale, de façon à parvenir à une déstigmatisation des troubles mentaux et des personnes qui en souffrent.

Selon une étude publiée en 2015 dans la Revue médicale suisse, « des différences ont été identifiées dans l’observance, de même que dans les effets thérapeutiques et indésirables des médicaments psychotropes, même si elles n’ont pas été signalées de façon constante dans la littérature. Il faudrait donc renforcer l’accompagnement lors de la prise de ces traitements. Chez les femmes, les antipsychotiques sont plus susceptibles d’induire des effets secondaires comme la prise de poids, le syndrome métabolique, l’arythmie cardiaque ou la sévérité des dysfonctionnements sexuels. L’incidence de la toxicité hépatique, des troubles gastro-intestinaux et des éruptions cutanées allergiques est également accrue chez elles, de même que l’incidence et la présentation des symptômes cliniques associés aux effets indésirables des psychotropes. Il faut rappeler les interactions entre les psychotropes et les anticonceptionnels (le millepertuis par exemple, qui diminue l’efficacité des contraceptifs oraux), se méfier des psychotropes administrés en phase préconceptionnelle (50 % des grossesses ne seraient pas planifiées), pendant la grossesse et l’allaitement. Il est donc essentiel de choisir avec soin le traitement en fonction des étapes de vie de la patiente ; l’avertir des effets secondaires potentiels ; encourager les mesures hygiéno-diététiques et notamment la pratique régulière du sport ; répéter si besoin les examens complémentaires (bilan hépatique, ECG) ; ne pas hésiter à réaliser un test de grossesse avant d’initier un traitement, ni à demander un dosage thérapeutique ».

La docteure Edvick Elia s’est félicitée de la multiplication des ressources permettant de tenir compte des indications propres aux femmes pour les prescriptions. En cela, le centre de référence sur les agents tératogènes (CRAT) constitue une source de référence pour tous les psychiatres, en fournissant notamment des guides de prescription pour les femmes enceintes, selon le moment de leur grossesse et leurs spécificités.

Il apparaît donc indispensable d’appliquer une grille d’analyse genrée lorsqu’on souhaite aborder le sujet de la santé mentale car dans ce domaine, comme dans tant d’autres, les stéréotypes sont légion. Les contraintes que vivent les femmes dans notre société ne sont pas les mêmes que celles que les hommes subissent. Or, les approches psychiatriques et/ou psychologiques ne tiennent pas toujours compte de tous ces paramètres. 

Recommandation n° 2 : Introduire une perspective sexuée dans les essais cliniques médicamenteux chez l’animal et chez l’humain. Faire participer les femmes en âge de procréer aux essais cliniques. Exiger que chaque composé pharmaceutique mentionne clairement si les essais cliniques ont été menés sur des femmes ou non et si des effets secondaires différents peuvent être attendus chez les femmes.

La prévention et les interventions précoces sont insuffisantes et les diagnostics trop tardifs. Les ruptures de parcours sont trop nombreuses et entraînent une détérioration des trajectoires de soins et de vie. De même que pour des maladies chroniques « classiques », une prise en charge adaptée et précoce améliorerait considérablement le pronostic, ainsi que la qualité de vie des patientes souffrant de troubles psychiatriques. Pilier d’une politique active de prévention, la précocité du dépistage et du diagnostic constitue un préalable incontournable pour améliorer la santé mentale des femmes.

Lors de son audition, Mme Marie-Jeanne Richard, présidente de l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam) indiquait qu’« en cas de diagnostic, il est indispensable de mettre en place un traitement. Or, actuellement, plusieurs mois d’attente sont nécessaires pour un premier rendez-vous dans un centre médicopsychologique (CMP). Les personnes ne sont donc pas diagnostiquées tôt. On attend qu’une crise se produise et que tout craque pour qu’il y ait une hospitalisation, ce qui présente le risque de soins sans consentement, dans des établissements fermés, à l’isolement et avec contention. Il est donc essentiel de mettre en place une prise en charge pluridisciplinaire en amont. Pour que les personnes comprennent les troubles dont elles sont atteintes et qu’elles se maintiennent en soins, il faut qu’elles soient aidées. » Il faut ajouter à cela que les décompensations majeures sont souvent davantage « bruyantes », se traduisent par davantage de passages à des actes violents chez les hommes que chez les femmes, ce qui peut conduire à une réaction plus rapide et à un suivi plus abouti des patients que des patientes par les différents acteurs concernés ».

 

Recommandation n° 3 : Favoriser le diagnostic et la prise en charge précoce des troubles mentaux. Améliorer le dispositif MonParcoursPsy, en agissant sur les indications, la durée des séances et le montant de la prise en charge, afin de susciter une meilleure adhésion des psychologues et de leur permettre de prendre leur place dans le parcours de soins. Assurer un accueil de première ligne plus efficace en développant les maisons de l’enfance et de l’adolescence. Renforcer le réseau des Centres médico‑psychologiques (CMP), unités d’accueil et de coordination dispensant des soins psychiatriques en milieu ouvert, pour réduire les délais d’obtention de rendez‑vous. Structurer et coordonner l’offre de soins dans le cadre d’un plan national décliné par les Agences régionales de santé (ARS), afin de proposer des réponses rapides et un suivi dans la durée.

 

C.   LE POIDS DE LA CHARGE MENTALE CHEZ LES FEMMES

L’une des principales différences entre les conditions de vie des hommes et des femmes est constituée par la charge mentale beaucoup plus lourde en ce qui concerne les femmes, du fait des multiples injonctions sociales qui pèsent sur elles, rendant leur quotidien difficile et fragilisant ainsi leur santé mentale.

1.   Des stéréotypes genrés toujours prégnants

Les représentations et les mentalités n’ont pas évolué au même rythme que les transformations de la société et le combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes demeure toujours d’actualité. Très tôt les parents, la famille, le milieu scolaire, la société, font intégrer aux filles, comme aux garçons, des caractéristiques dites féminines ou masculines, censées représenter la norme et qui dictent les comportements et le rôle assignés à chaque sexe. Ces modèles contraignants sont rapidement assimilés par les filles et les garçons, mus par un désir d’appartenance et d’intégration. Les stéréotypes et les préjugés liés au genre s’impriment dans l’esprit des individus dès l’enfance. Cette intériorisation et cette reproduction de comportements freine l’évolution des mentalités et ne permet pas encore de garantir l’égalité réelle entre les femmes et les hommes que ce soit en matière de partage des tâches au sein des couples, ou dans le domaine professionnel, culturel et politique.

Cette différenciation entre les sexes, qui va bien au-delà des différences biologiques et qui participe à la construction du genre, s’avère contraire à l’égalité car elle introduit une hiérarchisation entre le masculin et le féminin, qui conduit à reléguer le féminin au second plan. Le masculin apparaît comme la norme, doté de toutes les valeurs positives, tandis que le féminin est synonyme d’imperfection, de faiblesse et d’insuffisance. Rien d’étonnant, dans ces conditions, à ce que le dévouement soit considéré comme la vertu principale chez la femme, celui-ci pouvant aller jusqu’au sacrifice, que ce soit envers ses enfants, son conjoint, sa famille (notamment les ascendants), les autres (métiers du care essentiellement féminins), l’incitant à s’effacer et à s’oublier, en faisant passer le bien-être de tous ceux qui l’entourent avant ses propres besoins. Un tel contexte n’autorise guère les femmes à se préoccuper de leur santé que ce soit en matière de soins ou de prévention, à se ménager du temps pour elles, ni à réaliser leurs aspirations les plus profondes. La réprobation et la stigmatisation des femmes affichant leur volonté de ne pas vouloir d’enfant en est une des illustrations, la fonction principale de la femme dans l’imaginaire collectif restant la maternité. L’invisibilisation des femmes à partir de la ménopause en est également le témoignage, la fin de la capacité à procréer étant bien souvent perçue comme une perte d’utilité sociale.

La modernisation de la société a contribué à ajouter de nombreuses injonctions à l’égard des femmes qui, depuis qu’elles ont accès à la sphère économique et sociale, se trouvent assujetties à des injonctions de performance, auparavant réservées aux hommes. Les injonctions en matière de dévouement étant toujours présentes, la conciliation de ces exigences contradictoires aboutit à ce que les femmes se trouvent en permanence sous tension, tenues de faire face sur tous les fronts à la fois. En effet, la valorisation de la performance nécessite un investissement complet pour parvenir à la réalisation des objectifs fixés, laquelle est difficilement compatible avec le temps et l’énergie que l’on demande aux femmes de consacrer aux autres. Le culte de la perfection et de la performance sont générateurs de frustration, de sentiment d’échec, de perte de confiance en soi et de dégradation de l’estime de soi face à cette pression sociale qui pousse les femmes à être accomplies sur tous les plans : elles doivent réussir leur carrière professionnelle, leur vie de femme, d’épouse, d’amante et de mère également, en donnant à leurs enfants une éducation parfaite. Cette tension constante, source d’épuisement, obère indéniablement le bien-être et l’équilibre psychologique des femmes et peut déboucher sur des troubles psychiques avérés, ainsi que des addictions.

De très nombreuses recherches ont montré la manière insidieuse dont les stéréotypes créent des attentes chez les individus, et dictent aux femmes et aux hommes la manière dont elles ou ils doivent se comporter. Ces attentes fondées sur le genre influencent la manière dont les individus se perçoivent eux-mêmes et interagissent avec les autres, et cela, généralement à leur insu. Qu’ils soient ouvertement hostiles (par exemple, « les femmes sont irrationnelles ») ou paraissent inoffensifs (« les femmes sont maternelles »), les stéréotypes sont préjudiciables et perpétuent les inégalités. Ils contribuent aux atteintes d’un large éventail de droits tels que le droit à la santé, à un niveau de vie suffisant, à l’éducation, au mariage et aux relations familiales, au travail, à la liberté d’expression, à la liberté de mouvement, à la participation et à la représentation politiques, à un recours effectif à la protection contre la violence fondée sur le genre.

 

Recommandation n° 4 : Mener des campagnes d’information et de sensibilisation en milieu scolaire, dans les services publics, dans les médias, pour lutter contre les stéréotypes de genre relatifs à la répartition des rôles entre les femmes et les hommes et inclure cette dimension dans l’ensemble des programmes de formation.

2.   Une charge familiale et domestique très lourde

Selon la chercheuse Nicole Brais (Université Laval, Québec), la charge mentale est un « travail de gestion, d’organisation et de planification qui est à la fois intangible, incontournable et constant, et qui a pour objectif la satisfaction des besoins de chacun et la bonne marche de la résidence ».

Le tableau dressé par Marie Robert Halt, écrivaine qui a connu le succès au tournant du XIXe siècle et du XXe siècle, trouve encore des échos à l’époque moderne : « Les travaux intérieurs et les soins qui sont à la charge de la mère de famille se rapportent aux enfants, à la tenue de la maison, à la préparation des aliments, à l’entretien du linge et des vêtements. Il s’y ajoute à la campagne, la direction de la basse-cour et la culture d’une partie du jardin […]. Elle prépare le déjeuner, allume les feux, habille les enfants ; plus tard, elle s’occupe du ménage, range, nettoie, époussète. A-t-elle fini ? Peut-elle avoir un moment de loisir ? Non, il faut songer aux autres repas, aux vêtements déchirés, au linge sali et usé, aux achats divers, sans compter les visites obligatoires et la tenue de la comptabilité domestique. Son rôle, en un mot, est de s’oublier et de se sacrifier pour tous » ([7]).

La manière d’occuper ses journées dépend d’abord du fait d’avoir ou non une activité professionnelle et secondairement, surtout pour les femmes, de vivre en couple et d’avoir des enfants. Sans surprise, les conjointes et les mères de famille sont celles qui s’investissent le plus dans les activités domestiques. L’implication des femmes dans la vie professionnelle ne s’est pas traduite par une répartition équitable des tâches domestiques et de l’éducation des enfants entre les femmes et les hommes, sans parler des familles monoparentales (dans 82 % des cas, il s’agit de femmes seules avec enfants).

Les inégalités de partage des tâches au sein du foyer ont des répercussions dans bien d’autres domaines pour les femmes : elles les freinent dans la vie professionnelle comme dans l’engagement politique ou associatif. L’inégale répartition des tâches domestiques explique en effet une partie de l’essor du temps partiel féminin, ou le fait que, même à temps plein, leur temps de travail demeure inférieur à celui des hommes. Cela explique également leur faible représentation en politique ou dans les instances dirigeantes d’associations, ainsi que leur temps libre relativement restreint (lecture, promenade, télévision, sport, etc.).

Les dernières études portant sur l’allocation des temps au sein des familles en France portaient spécifiquement sur l’effet de la COVID-19 sur cette dernière et ont mis en lumière la persistance d’inégalités en matière de répartition du travail domestique ([8]). Ainsi, durant le premier confinement, les femmes étaient 54 % à avoir mobilisé plus de quatre heures par jour à s’occuper des enfants, contre 38 % des hommes. Lorsqu’au moins l’un des enfants a moins de trois ans, cette part atteignait 91 % chez les femmes contre 49 % chez les hommes. De profondes inégalités subsistaient également sur la répartition des tâches domestiques : 20 % des femmes et 10 % des hommes consacraient quotidiennement moins de quatre heures à s’occuper des tâches courantes (cuisine, courses, ménage, linge), et respectivement 31 % et 16 % entre deux et quatre heures ([9]) .

L’INSEE a en outre établi un classement de quelques activités définies selon le degré de satisfaction qu’elles procurent. Affectées d’un indice de satisfaction de 1,3 sur une échelle de - 3 à + 3, les tâches domestiques sont jugées globalement peu attrayantes par les femmes comme par les hommes. Avec une note moyenne de 0,7, des tâches ménagères comme la vaisselle, le rangement et le nettoyage figurent en bas du classement général car elles aboutissent rarement à la réalisation d’objets durables. À l’inverse, avec une satisfaction respectivement de 1,8 et 2, des tâches à dominante masculine, comme le bricolage et le jardinage, sont nettement plus appréciées, presqu’autant que l’écoute de la télévision. Outre qu’elles permettent de s’abstraire de l’intérieur des maisons souvent vécu comme étouffant, ces deux occupations sont l’occasion d’exprimer des savoir-faire qui ne sont pas forcément reconnus dans l’univers professionnel. Avec un indice moyen de 1,9 le temps consacré aux enfants est lui-aussi très diversement apprécié : les jeux réalisés en compagnie des enfants surpassent la plupart des activités de loisirs (2,6) ; mais les autres activités parentales ont des scores beaucoup plus faibles, notamment les trajets pour les conduire à l’école ou aux activités périscolaires, ces derniers incombant généralement aux femmes, tout comme le suivi des devoirs ([10]) .

La différence est encore plus marquée quand les enfants sont en bas âge, avec une spécialisation des tâches pour les femmes autour de la préparation des repas, de l’entretien du linge, du ménage et des soins matériels aux enfants. Le surinvestissement des femmes dans les soins et l’éducation des enfants est encore plus massif si l’on considère, non pas seulement le temps qu’elles leurs consacrent directement, mais les nombreux moments où elles effectuent des activités (tâches ménagères, loisirs) en leur présence, assurant ainsi une forme de garde indirecte. Cette attention permanente aux enfants contribue à augmenter la charge mentale qui pèse sur les mères de famille.

Selon une étude ([11]) , réalisée par les chercheurs Sarah Flèche, Anthony Lepinteur et Nattavudh Powdthavee, le recours à des services domestiques externalisés (comme l’aide au ménage et à la garde d’enfants) permettrait aux femmes de consacrer moins de temps et d’énergie aux tâches domestiques, améliorant ainsi leur bien-être, à condition d’en avoir les moyens financiers, ce qui n’est pas le cas de la majorité des femmes. La charge mentale provient de normes sociales inculquées par l’attribution de rôles et comportements distincts en fonction du genre. Les femmes ont évolué en s’émancipant de leur rôle de femmes au foyer, épouses et mères, mais les normes sociales liées à la gestion du foyer peinent à progresser au même rythme. C’est pourquoi les auteurs recommandent également d’encourager les hommes à faire davantage de tâches domestiques, ce qui passe par une modification des rôles et comportements genrés inculqués dès le plus jeune âge.

La charge mentale à laquelle les femmes sont assujetties engendre fatigue et dépression. Continuellement occupé par des flots d’informations et de tâches à accomplir, l’esprit de ces femmes concernées par une surcharge mentale n’a pas de répit : la nuit, le sommeil est agité et ne permet pas de récupérer, le jour, la liste des tâches à accomplir s’allonge et l’anxiété paralyse toute action. Elle conduit à une dégradation des relations. En effet, la fatigue mentale entraîne des conséquences sociales importantes qui peuvent mener jusqu’à l’isolement : disputes et conflits au sein du couple ; insatisfaction constante ; sentiment d’injustice et culpabilité ; dépression. Elle peut être à l’origine de burn-out professionnel et domestique. Sommées d’être des épouses parfaites, des mères présentes et des travailleuses hors pair, les femmes subissent une pression sociale telle qu’elles n’arrivent plus à gérer leur quotidien et se sentent submergées à la maison comme au travail : manque de concentration, mémoire défaillante, mauvaise gestion des priorités, etc.

La charge mentale peut donc avoir un impact déterminant sur la santé mentale des femmes. Sa réduction significative passe par une éducation visant à déconstruire les stéréotypes de genre, par un meilleur partage des tâches et/ou par des facilités matérielles mises à leur disposition, en particulier pour les cheffes de familles monoparentales. Il en va de leur bien-être et de leur capacité à concilier vie privée et vie professionnelle. À cet égard, la question des modes de garde est primordiale et nécessite un renforcement des services publics dédiés à la petite enfance : places de crèche en nombre suffisant, horaires adaptés.

3.   La difficile conciliation entre vie familiale et vie professionnelle

Le difficile exercice d’équilibre entre vie familiale et vie professionnelle pèse particulièrement sur la santé mentale des femmes, pouvant même conduire au burn-out lorsque le poids de leurs multiples obligations génère un tel épuisement et un tel découragement qu’elles ne parviennent plus à faire face. La question des conditions de travail et de rémunérations et de leur place sur le marché de l’emploi, est donc particulièrement cruciale pour les femmes, de même que celle du partage des tâches domestiques et d’éducation des enfants car lorsque celles-ci engendrent une pression excessive, elles ont de lourdes conséquences sur le bien-être et la santé mentale des femmes.

Si au cours du XXe siècle, les femmes ont acquis de nouveaux droits et se sont émancipées de leur rôle d’épouses et de mères au foyer pour accéder à l’éducation et au marché du travail, malgré des décennies de luttes et d’importants progrès en la matière, elles peinent toujours à être les égales des hommes dans la sphère professionnelle. Les discriminations à l’embauche, les comportements sexistes au travail, le fameux plafond de verre qui bloque leur accès à des postes à responsabilités et freine leur évolution de carrière, sont autant d’éléments qui creusent le fossé des disparités entre les hommes et les femmes.

Comment expliquer que les femmes, pourtant en moyenne plus diplômées que les hommes, font des choix professionnels qui les désavantagent ? On l’a vu dans la partie précédente, les causes de ces inégalités professionnelles résident en partie dans la sphère privée : pour les femmes, leur réalisation professionnelle dépend, plus que celle des hommes, des contraintes familiales. En France, plus de la moitié des mères d’enfants de huit ans ou plus s’est arrêtée de travailler après la naissance de ses enfants ou a réduit temporairement son activité rémunérée, au moins un mois au‑delà de son congé de maternité, contre 12 % des pères (INSEE, 2013).

Cette charge liée à la sphère privée ne s’ajoute pas simplement à l’activité professionnelle mais empiète sur celle-ci. Les femmes la portent au travail, ce qui influence leurs choix, ainsi que leurs comportements professionnels. Ce sont précisément ces choix et comportements qui diffèrent de ceux des hommes et participent à creuser le fossé entre les genres sur le marché du travail. Aujourd’hui, 39,9 % des femmes sont des employées, souvent précaires (temps partiel), elles sont plus touchées par le chômage. Peu de femmes accèdent aux plus hautes fonctions, en particulier dans le secteur privé : par exemple, on compte seulement 5 femmes sur 68 postes de présidence et/ou direction générale dans les entreprises du CAC 40, soit environ 7,4 %.

 

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La persistance de ces nombreuses inégalités apparaît aujourd’hui d’autant plus étonnante que les entreprises ont de plus en plus d’obligations en matière d’égalité professionnelle en Europe. En France, plusieurs lois ont été promulguées depuis 1983, portant notamment sur la négociation relative à l’égalité professionnelle femmes-hommes (2001), l’égalité salariale (2006), la mixité des conseils d’administration (2011), l’index d’égalité professionnelle (2019) ou encore la mixité des instances de direction (2021).

 Les stéréotypes à l’égard des femmes sont également tenaces dans la sphère professionnelle. Dans son ouvrage intitulé Stéréotypes de genre et inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes. Quelles responsabilités pour les organisations ? (EMS, 9 mars 2023), Clotilde Coron, professeure des universités en sciences de gestion à l’université Paris Saclay, explique que les stéréotypes de genre au travail peuvent être divisés en quatre dimensions :

        les compétences (les hommes seraient plus compétents dans certains domaines);

        le rôle de la mère  (la place de la femme est auprès de ses enfants, lesquels risquent de souffrir en son absence);

        l’essentialisation (certains souhaits professionnels sont spécifiques aux femmes);

        la justification des inégalités (certaines inégalités sont normales).

Les stéréotypes influent également sur la performance individuelle. Celle‑ci recouvre les situations dans lesquelles, même à performance égale, les femmes ressentent de l’anxiété liée à la peur d’être évaluée de façon négative, ce qui va in fine dégrader leur performance. Ceux-ci contribuent donc à expliquer, d’une part, la persistance de comportements et perceptions sexistes à l’égard des femmes dans le monde du travail, mais également les inégalités profondes qui perdurent, en termes de rémunération, de déroulement de carrière et d’équilibre entre vie privée et vie professionnelle.

En 2019, dans l’UE, 29 % des femmes contre 6 % des hommes à temps partiel ([12])  l’étaient du fait de leur statut de parent ou d’aidant, qui contribue donc également fortement aux inégalités de revenus. Au niveau organisationnel, les stéréotypes jouent sur les décisions d’évaluation et de promotion prises dans les entreprises. Enfin, au niveau national ou institutionnel, les biais de conception de certaines politiques peuvent contribuer à figer les rôles sociaux. Par exemple, le fait que le congé de maternité soit beaucoup plus long que le congé de paternité dans la très grande majorité des pays engendre des inégalités de partage des tâches domestiques dès la naissance, inégalités qui tendent à se perpétuer par la suite, même quand les femmes concernées ont repris le travail à la fin du congé de maternité. Les liens entre inégalités et stéréotypes sont réciproques : les stéréotypes expliquent en partie le maintien des inégalités, mais en retour, les inégalités contribuent au maintien des stéréotypes : ainsi, la faible présence des femmes dans les filières scientifiques et techniques peut renforcer le stéréotype selon lequel les femmes sont moins douées ou intéressées par ces filières. Les filles se sentent donc moins légitimes ou capables de s’y engager.

Cette inégale répartition des rôles, à laquelle s’ajoute la faible flexibilité du travail, en particulier dans les métiers les moins qualifiés et rémunérés pèse sur leur bien-être. Déjà en 1999, l’OMS affirmait que les multiples rôles que les femmes sont amenées à occuper, ainsi que le poids des nombreuses responsabilités qu’elles endossent, les exposent davantage à des problèmes de santé mentale ([13]) . Comme le stress, la charge mentale devient dangereuse au-delà d’un certain seuil puisqu’elle favorise le burn-out et peut gravement nuire à la santé.

La souffrance psychique au travail est aujourd’hui un vrai débat de société et le terme de burn-out est entré dans notre langage courant. Le burn-out ou syndrome d’épuisement professionnel, désigne un état d’« épuisement physique, émotionnel et mental qui résulte d’un investissement prolongé dans des situations de travail exigeantes sur le plan émotionnel ([14]). Il apparaît dans la classification internationale de l’OMS dans le chapitre qui liste les facteurs impliquant un recours aux services de santé. Pour autant, il n’est pas considéré comme une maladie, mais plutôt comme un syndrome lié à un stress chronique au travail. Il n’existe pas à ce jour de système de calcul officiel pour mesurer le burn-out chez les salariés, mais de nombreuses études ont permis de dresser un bilan chiffré et de mettre en avant certains faits sur le sujet. Ainsi, selon l’Institut de veille sanitaire, 480 000 personnes seraient en détresse psychologique au travail en France et le burn-out en concernerait 7 %, soit 30 000 personnes sur le territoire français. Une étude du cabinet Technologia révèle un chiffre bien plus inquiétant : 3,2 millions de salariés, c’est-à-dire 12 % de la population active, présenteraient un risque de burn‑out ([15]) .

Celui-ci se caractérise par un processus de dégradation du rapport subjectif au travail. Concrètement, face à des situations de stress professionnel chronique, la personne en burn-out ne parvient plus à faire face. Le burn-out peut se traduire par des manifestations plus ou moins importantes, d’installation progressive, souvent insidieuse, qui sont en rupture avec l’état antérieur. Ces manifestations peuvent être d’ordre émotionnel (anxiété, tensions musculaires, tristesse, manque d’entrain, irritabilité, hypersensibilité, absence d’émotion), cognitif (troubles de la mémoire, de l’attention, de la concentration,) comportemental (repli sur soi, isolement, comportement agressif, diminution de l’empathie, ressentiment et hostilité, comportements addictifs) ou motivationnel (désengagement progressif, baisse de motivation et de moral, effritement des valeurs associées au travail, dévalorisation). Des manifestations d’ordre physique non spécifiques peuvent aussi être présentes : asthénie, troubles du sommeil, troubles musculo-squelettiques (lombalgies, cervicalgies, etc.), crampes, céphalées, vertiges, anorexie, troubles gastro-intestinaux.

Il existe des facteurs de risque :

        intensité et organisation du travail (surcharge de travail, imprécision des missions, objectifs irréalistes, etc.) ;

        exigences émotionnelles importantes avec confrontation à la souffrance, à la mort, dissonance émotionnelle ;

        manque d’autonomie et marge de manœuvre ;

        mauvaises relations de travail  (conflits interpersonnels, manque de soutien du collectif de travail, management délétère, etc.);

        conflits de valeurs ;

        insécurité de l’emploi ([16]) .

L’épuisement professionnel touche davantage les femmes que les hommes et c’est encore plus flagrant chez celles qui ont des responsabilités. Dans le monde professionnel, du fait de la persistance des stéréotypes genrés, les femmes doivent démontrer en permanence leur légitimité et doivent ainsi se battre, travailler plus durement qu’un homme, affronter au quotidien des considérations sexistes et machistes, s’imposer, trouver leur place, ce qui nécessite une vigilance de tous les instants et engendre une tension permanente. Pour les femmes actives, il s’agit d’assumer au quotidien une double journée de travail, quand on connaît l’implication dont les femmes peuvent faire preuve dans leur quotidien personnel. Cette question est d’autant plus prégnante pour les femmes à la tête de familles monoparentales. Seules aux commandes d’une famille d’un ou de plusieurs enfants, elles assument tout à la maison, sans mettre de côté, pour autant, leurs obligations professionnelles, ainsi que les tâches administratives. Se sentant parfois dépassées par la situation, les cheffes de familles monoparentales parlent d’un stress permanent et latent, de cette sensation de courir perpétuellement après un temps précieux qui leur manque.

Selon l’Institut national de recherche et de sécurité, (INRS), « initialement identifié parmi les personnels soignant et aidant, très majoritairement féminisés, le burn-out peut concerner toutes les professions qui demandent un engagement personnel intense. L’exposition au risque de burn-out est susceptible de concerner les professions d’aide, de soins, de l’enseignement, professions essentiellement féminisées où la relation à l’autre est au centre de l’activité et constitue un enjeu, parfois vital, pour les bénéficiaires de cette relation (les usagers, les patients, les clients, etc.) Toutefois le burn-out peut également concerner d’autres secteurs d’activité susceptibles de mobiliser et d’engager les personnes sur des valeurs professionnelles très prégnantes. Il est donc essentiel de veiller à ce que l’organisation du travail et les contraintes qu’elle génère ne surchargent pas les salariées et ne les mettent pas en porte-à-faux vis-à-vis des règles et des valeurs de leur métier ».

Or, les facteurs de pénibilité sont plus clairement reconnus pour les métiers fortement masculinisés. Pourtant, de nombreuses données attestent des conditions de travail difficiles dans les métiers féminisés de service qui représentent, selon l’INSEE, 25 % des salariés dont 77 % de femmes. Y sont principalement exercées des activités de soin (30 % des salariés), d’enseignement (15 %), de commerce (15 %) et de nettoyage (15 %). L’organisation de leur temps de travail est contraignante, leur laissant peu la possibilité de changer leurs horaires de travail (72 % ne le peuvent pas) ou de s’absenter en cas d’imprévu personnel (50 %). Ces métiers s’avèrent éprouvants sur le plan émotionnel : le contact direct avec le public concerne la plupart des salariés (92 %), ce qui génère des tensions pour la moitié d’entre eux. Ces salariés souffrent aussi d’un manque de soutien et de reconnaissance, considérant être mal voire très mal payés, tout en ayant peu de perspectives professionnelles pour la moitié d’entre eux. Ils bénéficient de peu d’autonomie, principalement du fait de l’impossibilité pour 48 % d’entre eux de s’interrompre lorsqu’ils le souhaitent. Leurs conditions de travail peuvent en outre être pénibles physiquement, notamment en raison d’un environnement de travail insalubre pour 69 % d’entre eux (saleté, humidité, courants d’air, mauvaises odeurs, température inadaptée) ou de sollicitations physiques (port de charges lourdes, mouvements pénibles). Ce quotidien au travail éprouvant dans beaucoup de professions majoritairement féminisées est source de fatigue, quand ce n’est pas d’épuisement, et peut même conduire au burn-out.

Tout cela augmente la tension au travail, notamment pour les femmes : une femme sur quatre serait concernée, contre un homme sur cinq. Pour Florence Chappert, il est donc crucial de voir la pénibilité au travail sous l’angle du genre et d’en faire un objet de dialogue social et professionnel ([17]).

Des changements de mentalités passant par un travail éducatif commencé dès le plus jeune âge, une adaptation de l’organisation du travail tenant compte des contraintes spécifiques des femmes, ainsi que des infrastructures renforcées, notamment en matière de garde d’enfants, sont donc indispensables pour permettre aux femmes de mieux concilier vie familiale et vie professionnelle, gage incontournable de leur santé mentale. Cela passe aussi, tout simplement, par le respect du droit du travail en vigueur (droit au repos et à la déconnexion, respect des horaires de travail, etc.).


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II.   DES PÉRIODES DE VULNÉRABILITÉ DANS LA VIE DES FEMMES NÉCESSITANT UN MEILLEUR ACCOMPAGNEMENT

Les femmes franchissent des caps dans l’existence qui sont beaucoup plus marqués que pour les hommes, où causes physiologiques, ainsi qu’attendus et idées reçues de la société, s’entremêlent, entraînant parfois d’importants bouleversements qui fragilisent la santé mentale des femmes.

A.   L’ADOLESCENCE, UN MOMENT DE CONSTRUCTION DÉLICAT POUR LES FILLES

Définie par l’OMS comme étant « la période de la vie située entre l’enfance et l’âge adulte, c’est-à-dire entre 10 et 19 ans », le concept d’adolescence comme classe d’âge est relativement récent. C’est à la fin du XIXe et au début du XXe siècle que celui-ci naît véritablement. La notion d’adolescence est étroitement liée à celle de la puberté, mais ces deux notions ne se superposent pas. Elle comprend aussi d’autres dimensions, psycho-affectives, sociales, voire économiques, pour définir le passage du statut d’enfant à celui d’adulte. Pour bien des jeunes et leurs parents, l’adolescence est une phase riche en émotions parsemée de hauts et de bas. Cette période délicate remplie de changements est celle au cours de laquelle le jeune bâtit pas à pas sa personnalité et son autonomie. Les pressions sociales que les jeunes peuvent ressentir au moment de l’adolescence sont particulièrement marquées pour les filles : entre les attentes et les préjugés sexistes, elles ne sont pas épargnées.

1.   Une souffrance psychologique parfois importante qui semble croître avec l’usage intensif des réseaux sociaux

En matière de santé mentale, les adolescentes sont en plus grande souffrance que les garçons. Les résultats d’une enquête nationale de santé en milieu scolaire, menée par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) ([18])  indiquent que trois adolescents interrogés sur quatre n’ont jamais présenté de problème de détresse psychique. La moitié des adolescentes, en revanche, affirme en avoir déjà vécu. Côté sommeil, le constat est semblable : 25 % des filles disent avoir un sommeil de mauvaise qualité contre 10 % des adolescents. Les pensées suicidaires sont deux fois plus importantes chez les collégiennes (14 %) que chez leurs camarades masculins (7 %). Par ailleurs, les tentatives de suicide sont davantage commises par les filles (5,5 %) que par les garçons (2,5 %). À noter que les filles sont davantage atteintes de troubles des comportements alimentaires (6,5 %) que les garçons (moins de 3 %).

Face à l’expansion des gestes suicidaires chez les adolescents et préadolescents, entre 2019 et 2021, attestée par Santé publique France, les services de pédiatrie et de pédopsychiatrie sont débordés. Chez les filles de moins de 15 ans, Santé Publique France observe en 2021 une augmentation de 40 % sur les admissions aux urgences pour tentative de suicide, par rapport aux trois années précédentes. Idem du côté des jeunes femmes entre 15 et 29 ans, avec une augmentation de 22 % des gestes suicidaires en 2021, contre seulement 1 % chez les garçons.

Multifactorielles, ces causes de la souffrance psychologique des jeunes se révèlent au cours des soins, tant au niveau individuel que familial et sociétal. Pour Mme Marie-Rose Moro, professeure en pédopsychiatrie et auteure de l’ouvrage Et si nous aimions nos adolescents, plusieurs facteurs pourraient expliquer le déséquilibre entre filles et garçons. Selon elle, « il est important d’envisager les tentatives de suicide chez les jeunes filles comme des modalités d’expression de leur souffrance psychique ». Elle explique aussi qu’il est très difficile de donner des raisons précises à cette tendance de fond, qui semble fondamentalement liée au manque d’estime de soi très présent chez les adolescentes. Parmi ces raisons, l’on peut évoquer les bouleversements plus marqués, ou à tout le moins plus remarqués dans nos sociétés, que connaissent les corps des jeunes femmes à l’adolescence, de l’apparition des premières règles aux modifications visibles de leur silhouette. Ces changements peuvent très fortement affecter leur représentation d’elles-mêmes, mais également la façon dont elles peuvent occuper l’espace et utiliser ce corps, par exemple à travers la pratique sportive, qui peut nécessiter certaines adaptations souvent peu accompagnées par les adultes référents.

Si le taux de suicide suivi d’un décès reste plus important chez les garçons, il ne doit pas masquer le nombre bien plus important de tentatives de suicide chez les jeunes filles : pour les adolescentes, les gestes suicidaires s’observent plus souvent à travers des méthodes engageant moins le pronostic vital, en particulier par prise médicamenteuse. Pour Marie-Rose Moro, cela peut relever de constructions identitaires et sociétales profondes. « Les filles vont avoir tendance à exprimer leur mal-être plus aisément que les garçons. En ce sens, elles vont aller consulter, vont plus facilement reconnaître qu’elles vont mal, et ainsi utiliser des stratégies d’appel au secours. La tentative de suicide est donc une forme d’expression, plus qu’une fin en soi. Là où les garçons, plus renfermés et impulsifs, vont aller vers des solutions plus radicales ».

L’amplification du phénomène observé depuis le milieu des années 2010 peut peut-être en partie s’expliquer par les pratiques nouvelles liées aux réseaux sociaux, quand on sait que le premier d’entre eux, Facebook, créé en 2004, est passé de 400 000 à près de 3 milliards d’utilisateurs actifs entre la fin 2008 et la fin 2022. En effet, selon le psychiatre Christophe André, on note chez les adolescentes trois composantes dans l’estime de soi, dont la principale, pour des raisons culturelles, est souvent l’apparence physique, ce que les autres perçoivent en premier. Autre aspect : le sentiment de popularité, c’est-à-dire le sentiment que l’on a d’être apprécié par les autres et d’avoir sa place auprès d’eux. Enfin, la troisième dimension de l’estime de soi fait référence aux compétences. Par exemple, si l’on est doué en sport ou que l’on a un talent artistique particulier, on se sent alors valorisé. La comparaison sociale, si elle commence dès les premières socialisations à l’école élémentaire et dans le cercle proche avec le désir d’appartenance à un groupe, est donc très largement accentuée par les réseaux sociaux qui jouent pleinement sur ces trois composantes. Son corollaire, le rejet, lorsqu’il est social est virtuel, peut être aussi douloureux, si ce n’est plus, que l’expulsion réelle d’un groupe. Certains parlent même de « cyber-ostracisme », pour qualifier cette mise à l’écart numérique.

Les réseaux sociaux posent ainsi la question de l’exacerbation de l’approbation sociale (l’obsession d’avoir des likes, des followers). Contempler la vie apparemment parfaite des autres peut avoir un impact sur la santé mentale des jeunes et entraîner des dérives telles que la dysmorphophobie. Ce phénomène a été mis en exergue par la Haute autorité de santé, laquelle souligne dans son rapport d’analyse prospective de 2020 que ces normes « sont transmises […] et appuyées par l’exposition quasi-permanente à ces idées stéréotypées d’un « idéal » féminin, et appuyées par l’exposition quasi-permanente à ces idées et aux pressions des pairs via le développement des réseaux sociaux » ([19]).

Qu’elle soit explicitement ou implicitement suggérée via la promotion de standards de beauté, la chirurgie esthétique semble également avoir connu un important développement, parallèle à celui des réseaux sociaux. Des femmes, parfois très jeunes, ont recours à ces pratiques pour tenter de se rapprocher le plus possible des normes édictées. Ainsi, 744 000 actes esthétiques avaient été pratiqués en 2019, dont 321 000 en chirurgie esthétique (avec principalement l’augmentation mammaire, la liposuccion et la chirurgie des paupières) et 423 000 en médecine esthétique (injections d’acide hyaluronique ou de botox). Un rapport publié par la société internationale de chirurgie plastique esthétique (ISAPS) ([20]) indiquait que le nombre total d’interventions chirurgicales et non chirurgicales avait augmenté de 2,3 % entre 2020 et 2021 en France, laquelle demeure cependant loin des États-Unis (+ 17 %) ou du Brésil (+ 13,6 %). La loi n° 2023-451 du 9 juin 2023 visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux a tenté de prendre la mesure de ce phénomène et de lutter contre la multiplication de ces actes en interdisant les publicités faisant la promotion de la chirurgie et de la médecine esthétique. Elle prévoit également que les photos ou vidéos de visages ou de silhouettes modifiés soient assorties de la mention « images retouchées » ou « images virtuelles ». Entendus par la Délégation aux droits des femmes, ses rapporteurs, MM. Arthur Delaporte et Stéphane Vojetta, ont notamment indiqué que ce texte s’inscrivait dans un combat plus large pour lutter contre l’artificialisation massive du corps des femmes par les réseaux sociaux, fixant des objectifs irréalistes et inatteignables qui entraînent une dégradation de l’image de soi chez les jeunes filles.

Selon Bruno Humbeeck, psychopédagogue et auteur de L’estime de soi pour aider à grandir, « l’émergence des réseaux sociaux et leur omniprésence dans la vie quotidienne à un âge bien trop précoce contribuent à accentuer de façon drastique les injonctions à correspondre à une image stéréotypée chez les petites filles. La mésestime de soi prend des proportions inquiétantes, sous prétexte qu’on n’est pas suffisamment suivie, likée ou aimée par sa communauté. C’est comme si on ne pouvait plus vivre sans être validé par le regard des autres ».

Si l’on assiste récemment à une évolution des profils de certaines influenceuses, aux formes généreuses, racisées, androgynes ou porteuses d’un handicap, cette tendance reste toutefois largement minoritaire et doit être encouragée par un renforcement de l’information et de l’éducation à tous les niveaux. L’article L.312-9 du code de l’éducation prévoit que « la formation à l'utilisation responsable des outils et des ressources numériques est dispensée dans les écoles et les établissements d'enseignement, y compris agricoles, ainsi que dans les unités d'enseignement des établissements et services médico-sociaux et des établissements de santé », incluant notamment « une éducation aux droits et devoirs liés à l’usage d’internet et des réseaux sociaux ». Le renforcement de son application sur tout le territoire semble donc indispensable, en tenant compte en particulier des modifications concernant l’image des femmes qui peut être véhiculée sur internet, apportées par l’article 16 de la loi n° 2023-451 du 9 juin 2023 visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux.

 

Recommandation n° 5 : Mener des campagnes d’information régulières sur les contenus d’internet, en mettant l’accent sur la falsification de la réalité que peuvent induire les images retouchées et la promotion de certaines pratiques ou produits nuisibles pour la santé. Assurer l’application sur tout le territoire de l’article L.312-9 du code de l’éducation dans sa rédaction issue de la loi n°2023-451 du 9 juin 2023, sur la formation à l’utilisation responsable des ressources numériques en milieu scolaire, en particulier en ce qui concerne l’image des femmes qui y est véhiculée.

Au-delà de cette focalisation sur l’apparence physique, le développement des réseaux sociaux et leur utilisation massive et intensive par les jeunes adolescents peuvent paradoxalement renforcer le sentiment d’isolement, qui est l’un des éléments pronostiques majeurs de la dégradation de la santé mentale.

2.   La nécessité de rompre l’isolement et de mieux informer

La solitude de certains jeunes est une réalité : une étude de la Fondation de France parue en 2017 ([21]) démontrait déjà que « 6 % de jeunes n’ont aucun réseau de sociabilité et 12 % ne peuvent compter que sur un seul de ces réseaux : famille, amis, camarades de classe, voisins, collègues. Les histoires des jeunes interviewés lors de l’étude le confirmaient : manque de confiance, complexes comme le surpoids, problème de harcèlement, conduisent peu à peu certains d’entre eux à se replier sur eux-mêmes. S’ensuivent une méfiance croissante vis-à-vis des autres (seul un jeune sur trois pense qu’il peut faire confiance aux autres) et un sentiment d’inutilité sociale (60 % des jeunes isolés se sentent inutiles). Les jeunes isolés se démarquent de l’ensemble des 15-30 ans par leurs représentations des liens numériques jugés moins propices à une relation de qualité. 54 % des jeunes isolés considèrent que les liens numériques ne sont pas adaptés pour avoir des échanges chaleureux (contre 40 % de l’ensemble des 1530 ans). La moitié des jeunes isolés estiment que les contacts à distance ne sont pas adaptés pour demander de l’aide, c’est 15 points de plus que l’ensemble des 1530 ans. Ils se montrent également plus dubitatifs sur les possibilités de confier des soucis ou des difficultés (49 % des jeunes isolés contre 36 % des jeunes en moyenne). Une situation alarmante quand on sait que la jeunesse est une période d’expérimentation de différents liens sociaux, de renouvellement et de construction de son réseau relationnel. »

Le contexte socio-culturel est également un élément à prendre en compte, et notamment le harcèlement scolaire, amplifié par les réseaux sociaux, ou encore les violences intrafamiliales, pouvant précipiter des envies de passage à l’acte. La lutte contre le harcèlement scolaire apparaît ainsi comme un élément déterminant, compte tenu des conséquences dramatiques de celui-ci sur l’estime de soi et le bien‑être psychologique des victimes. En effet, il peut engendrer des difficultés scolaires importantes, causées par les difficultés de concentration, l’absentéisme et parfois le décrochage. Le harcèlement produit aussi un impact négatif sur la santé. Les victimes peuvent souffrir de dépression, d’angoisse, de troubles du sommeil ou du métabolisme. Parfois, des troubles du comportement sont également constatés. Sur le long terme, le harcèlement peut nuire à l’épanouissement personnel, les victimes ayant des difficultés à se sociabiliser. Elles peuvent être violentes envers elles-mêmes et envers les autres. Dans les cas les plus graves, des suicides sont constatés. Selon l’Observatoire de la santé, en France, plus d’un élève sur dix scolarisé en CE2, CM1 et CM2 est victime de harcèlement scolaire. Parmi les concernés, 3 % souffrent d’un harcèlement jugé « sévère ». La tendance ne s’inverse pas à l’arrivée en classe de sixième, puisque 10 % des collégiens sont touchés, parmi lesquels 7 % d’une forme grave. Au lycée, enfin, les chiffres sont un peu moins inquiétants, mais le harcèlement ne disparaît pas pour autant. Près de 4 % des lycéens restent concernés.

La Fondation de France a complété ses travaux sur l’isolement des jeunes à la suite de la crise sanitaire, laquelle a particulièrement affecté les adolescents. Les restrictions liées à la crise sanitaire ont en effet entravé le besoin impérieux d’exploration extra-familiale des adolescents. Les symptômes liés à la peur et au contrôle (phobies, anorexie, somatisations) ont particulièrement augmenté à la suite de cette période de repli sur soi et l’on a assisté à une explosion de décompensations psychiatriques et de situations de crises chez les adolescents à la fin de l’année 2020. Là encore, la situation était particulièrement marquée chez les jeunes filles, plus enclines à respecter les règles des différents confinements. Ainsi, selon la Fondation de France, alors qu’« en réduisant considérablement les sorties et les rencontres en face à face qui composent la vie ordinaire de la plupart des jeunes, la crise sanitaire a fortement marqué leur sociabilité, à une période de la vie où les échanges entre pairs sont particulièrement importants et a exacerbé les différences entre les deux sexes. Les jeunes femmes ont souvent restreint leur réseau relationnel à des contacts réguliers avec leurs voisins (43 % contre 38 %), tandis que les jeunes hommes, en revanche, ont plus souvent maintenu les contacts avec leurs amis (49 % contre 44 %) ou leurs collègues de travail (44 % contre 39 %). »

La diminution des liens sociaux et les difficultés qu’ont connues ceux qui auraient dû entrer dans l’emploi à cette période pourrait entraîner des séquelles durables pour cette génération née entre 1990 et le début des années 2000, un « effet cicatrice », et alourdir la balance des inégalités générationnelles. L’action des pouvoirs publics envers cette classe d’âge semble dès lors indispensable. En effet, la solitude couplée au sentiment d’avoir pris un mauvais départ peuvent être déclencheurs d’anxiété, de dépression, d’idées suicidaires et de mauvaises habitudes en matière de santé, comme les troubles de l’alimentation, la consommation de substances et la mauvaise qualité du sommeil.

La rupture de l’isolement par une utilisation plus intense, voire intensive des réseaux sociaux, a constitué une réponse pour de nombreux adolescents, cette pratique s’étant dès lors ancrée durablement dans leurs habitudes. Or, selon la psychologue Nancy Sokarno, alors que le monde numérique est considéré comme une zone sociale, on n’y obtient généralement pas les connexions plus profondes dont les humains ont besoin et que l’on trouve plus aisément dans la vie réelle. Ces plateformes conçues pour rapprocher les gens sont de nature à contribuer et intensifier les sentiments de solitude et la peur de l’échec personnel, autant d’éléments qui ont un impact négatif sur la santé mentale. Les réseaux sociaux peuvent offrir un moyen de s’exprimer et d’établir un lien envers d’autres personnes avec lesquelles on ne serait pas en mesure d’échanger sans ces outils, mais ces amitiés souvent factices et superficielles peuvent également amplifier le sentiment de solitude dès lors que l’on est déconnecté.

3.   Le rôle fondamental du parcours scolaire dans l’autonomisation des filles

Sous l’égide du Partenariat mondial pour l’éducation des filles et des femmes (une vie meilleure, un avenir meilleur), le Programme sur l’autonomisation des adolescentes et des jeunes femmes par l’éducation est réalisé conjointement par l’UNESCO, ONU-Femmes et le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP), afin de promouvoir l’éducation et l’autonomisation des filles dans le cadre d’une approche multisectorielle. Le programme conjoint a pour objet d’investir dans le secteur de l’éducation, mais aussi de renforcer les liens avec la santé et d’autres secteurs pertinents, de manière à parvenir à une meilleure autonomisation des femmes et des filles et à contribuer à la réalisation du programme de développement durable à l’horizon 2030. Ses objectifs sont les suivants : faire en sorte que les filles et les jeunes femmes bénéficient d’un cycle éducatif complet de qualité ; autonomiser les filles et les jeunes femmes en les équipant de connaissances et de compétences utiles ; accompagner les filles et les jeunes femmes dans leur transition vers l’âge adulte et le marché du travail et faire en sorte qu’elles puissent participer pleinement à la société.

Si le chantier est immense dans les pays en voie de développement où la scolarisation des filles est loin d’être acquise et en lien étroit avec le fléau des mariages forcés et des grossesses précoces, empêchant les filles d’acquérir la maîtrise de leur destinée, pour autant, le rôle déterminant de l’éducation comme voie d’autonomisation des filles est encore insuffisamment assuré dans les pays avancés. Ainsi, en France, la culture de l’égalité et l’orientation des filles vers les secteurs les plus porteurs d’avenir, à commencer par les filières scientifiques et techniques, est insuffisante et nécessite une politique publique volontariste pour faire bouger les lignes. Cette impulsion, au moment de la construction de la personnalité des adolescentes, est déterminante pour leurs perspectives futures, tant sur le plan professionnel que personnel. Les actions en ce sens doivent impérativement inclure les garçons, afin d’éviter la perpétuation des stéréotypes genrés et d’un modèle de société patriarcal, nuisible à l’épanouissement des femmes et donc à leur équilibre psychologique et à leur santé.

Il s’agit là d’un enjeu majeur pour la santé mentale des femmes. En effet, les conditions de vie pèsent d’un poids considérable sur leur bien-être et leur équilibre. La faiblesse des ressources et la précarité contribuent à dégrader leur santé mentale. Les inégalités salariales persistantes entre les femmes et les hommes et le fait que les femmes se concentrent dans les professions les plus faiblement rémunérées nécessitent d’agir en amont, au niveau scolaire, pour déconstruire les stéréotypes de genre en matière d’orientation, redonner confiance aux filles et les inciter à se diriger vers les secteurs d’avenir, à commencer par les métiers scientifiques et techniques vers lesquels elles hésitent trop souvent à s’orienter.

Un signal positif a été envoyé en ce sens : à la veille de la journée internationale des droits des femmes, le 7 mars 2023, la première ministre a annoncé le déploiement d’un plan interministériel 2023-2027 pour l’égalité entre les femmes et les hommes comportant un volet éducatif important. Ce plan a pour ambition de diffuser la culture de l’égalité à l’école, autour de l’école et en dehors de l’école, dont l’action doit pouvoir se répercuter sur toutes les activités proposées aux jeunes avant, après, en dehors de la classe, y compris dans les loisirs ou la pratique sportive.

Les mesures du plan interministériel concernant la lutte contre les stéréotypes et la diffusion de la culture de l’égalité sont les suivantes :

        déployer un plan de formation du personnel de l’éducation nationale et diffuser des ressources pédagogiques pour faciliter la mise en œuvre des séances d’éducation à la sexualité par les équipes pédagogiques ;

        réaliser et publier chaque année une enquête quantitative, qui permettra d’évaluer au niveau national la mise en œuvre des séances d’éducation à la sexualité. Puis, en complétant cette enquête par des remontées de terrain permettant d’apprécier les conditions de cette mise en œuvre ;

        déployer un processus de labellisation « égalité filles-garçons » pour les établissements du second degré avec pour objectif que l’intégralité des établissements soient engagés dans la démarche d’ici 2027. Ce label, structuré en trois niveaux, met en valeur et encourage les actions notamment en faveur de la culture du respect, de la lutte contre toutes les formes de violences sexistes et sexuelles et contre les stéréotypes ;

        compléter ces dispositifs par des approches innovantes dans le périscolaire et l’extrascolaire, notamment en finançant des appels à projet pour encourager les initiatives en faveur de l’égalité entre les filles et les garçons ;

        inciter les collectivités à développer des collections et médiations promouvant l’égalité femmes-hommes dans le cadre des politiques contractuelles entre l’État et les collectivités.

Le plan interministériel a également pour ambition d’agir pour davantage de mixité dans les filières d’avenir. En effet, les filles sont significativement sous-représentées dans les filières STIM (sciences, technologie, ingénierie et mathématiques) et numériques. Elles ne constituent que 30 % des effectifs des écoles d’ingénieurs. Les filles s’orientent moins vers les filières scientifiques et techniques dans l’enseignement supérieur, d’abord en raison du manque de visibilité des femmes ayant choisi ces filières (38 % des filles âgées de 15 ans ou plus considèrent qu’il s’agit de l’un des principaux freins à l’orientation dans ces filières), mais aussi du fait de la moindre attirance des filles pour celles‑ci (32 %), de l’influence des professeurs et psychologues de l’éducation nationale, qui conseillent d’autres filières (31 %) ou encore de l’influence des parents, de la famille (30 %) ([22]). Selon une enquête menée en 2021 par l’école informatique Epitech et IPSOS, 33 % des filles sont encouragées par leurs parents à s’orienter vers les métiers du numérique, contre 61 % pour les garçons. Il est donc nécessaire de susciter des vocations en ouvrant la cartographie des possibles des jeunes filles. Il s’agit également de répondre aux besoins d’un secteur professionnel d’avenir, affecté par une pénurie de compétences que l’on résoudrait sans doute en palliant la sous-représentation des femmes.

Les mesures du plan interministériel visant à favoriser la mixité des métiers et formations sont les suivantes :

        apporter un accompagnement global à 10 000 jeunes femmes désirant poursuivre des études supérieures dans les filières du numérique en agissant sur l’ensemble des freins identifiés : ressources financières, confiance en soi, réseaux ;

        mettre en place des objectifs cibles de mixité dans les enseignements de spécialités maths et physique-chimie en première, ainsi que l’option maths expertes en terminale ;

        mettre à disposition une plateforme créant le lien entre établissements scolaires et réseaux professionnels, notamment féminins.

Cette prise de conscience des pouvoirs publics de l’urgence à agir est la bienvenue et il sera important de dresser des bilans d’étape réguliers pour s’assurer du déploiement effectif de l’ensemble de ces mesures.

Recommandation n° 6 : Encourager les filles à se diriger vers les filières scientifiques et techniques, notamment l’informatique, secteurs porteurs des métiers d’avenir, en renforçant l’information au moment de l’orientation, en stimulant les vocations par le développement des rôles modèles et en formant les enseignants, ainsi que l’ensemble du personnel éducatif, aux enjeux de l’orientation pour l’avenir des filles.

 

B.   LA SANTÉ MENTALE DES FEMMES À L’ÉPREUVE DE LA GROSSESSE ET DE LA MATERNITÉ

Les femmes, longtemps subordonnées aux hommes, ont toujours été valorisées en tant que mères, la maternité étant souvent considérée comme l’aboutissement du rôle qui leur est assigné. L’accès à la contraception et à l’IVG leur a ouvert une liberté de choix qui pourrait laisser penser que grossesse et maternité sont nécessairement synonymes d’épanouissement et d’accomplissement pour les femmes.

Pourtant, selon Santé publique France ([23]), « sur la période 2013-2015, les suicides représentaient la première cause connue de décès maternels en période périnatale (13,4% de l’ensemble des décès), soit 1,4 femme pour 100 000 naissances vivantes. La majorité des suicides (77 %) s’étaient produits après le 42e jour post-partum et en médiane vers le 4e mois post-partum. Les différents facteurs de risque retrouvés en France comme à l’international étaient notamment : la précarité, l’isolement, des événements de vie douloureux, des antécédents psychiatriques et des complications pendant la grossesse ou l’accouchement ».

1.   La grossesse et la maternité peuvent occasionner des souffrances psychiques

Vos rapporteures, dans le cadre de leurs auditions, ont consacré une table ronde spécifique à la périnatalité et la santé mentale des femmes, tant le sujet leur est apparu crucial, aussi bien pour les mères que pour les enfants. En effet, la naissance d’un enfant, souvent présentée comme l’événement le plus heureux d’une vie, représente également un bouleversement immense de la vie quotidienne qui peut être difficile à vivre. Cette idéalisation de la parentalité peut entraîner de la honte ou de la culpabilité, ainsi que l’impression d’être un mauvais parent, quand la situation est vécue différemment.

Les femmes évoquent aisément leur sentiment de satisfaction en traversant la grossesse, les défis de la naissance, le fait d’avoir grandi personnellement et atteint un sentiment de maîtrise. Pour se conformer aux injonctions sociales, certaines affichent fièrement et avec soulagement les détails de leur accouchement parfait : peu d’interventions médicales et un accouchement par voie basse qui plus est rapide, font qu’une mère considère ce moment comme réussi, ce qui augmente son estime d’elle-même.

Pourtant, la réalité ne correspond pas toujours à cette représentation idéalisée. Entendue par vos rapporteures, Mme Joëlle Belaisch-Allart, cheffe du service de médecine de la reproduction au centre hospitalier des quatre villes à Saint Cloud, présidente du collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNOGF), indique que le désarroi des mères est plus fréquent qu’on ne l’imagine. Elle constate que les femmes sont très souvent isolées, notamment dans les grandes villes et que la Covid‑19 a fait perdre toute humanité dans les hôpitaux. Selon elle, 17 % des femmes déclarent que la période écoulée entre la naissance et les deux mois après l’accouchement a été ressentie comme difficile ou très difficile, et plus d’un tiers ont moins de trois personnes proches qu’elles pourraient solliciter en cas de graves difficultés personnelles.

À la suite d’une expérience plutôt négative ou douloureuse, une mère peut donc ne pas vivre cette expérience comme « magique » et éprouver un certain décalage avec son entourage, un sentiment de déception, voire d’échec, ce qui diminue l’estime de soi et s’accompagne d’un fort sentiment de culpabilité. Au‑delà de ce ressenti, les difficultés physiologiques ou psychologiques qui peuvent survenir dans les mois qui suivent un accouchement difficile, par exemple, sont également accompagnées d’un sentiment de honte. Ce vécu négatif a pour conséquence un repli sur soi et la non-communication sur ces problèmes et leurs symptômes. Le manque de reconnaissance des possibles expériences négatives autour d’une naissance, alors que s’impose partout une représentation de l’accouchement qui se doit d’être parfait, rend taboue l’évocation des difficultés du post‑partum. Notre société a plus tendance à valoriser les succès et à rejeter les difficultés ou les expériences négatives vécues.

Le fait que la maternité soit généralement présentée sous un jour très positif finit par compromettre les discussions sérieuses sur le sujet, principalement liées à la santé mentale en maternité. Lorsque l’on parle des troubles mentaux et psychologiques liés à la maternité, il est courant de penser à la dépression post‑partum ou de les attribuer aux hormones, donnant ainsi une idée de « naturel » ou d’une phase transitoire. Cela finit malheureusement par nuire à un nombre non négligeable de mères et, par conséquent, également d’enfants. En effet, ces troubles engendrent des souffrances pour les mères touchées mais affectent aussi la croissance et le développement de leurs enfants. Dans les cas critiques, la souffrance des mères s’avère si grave qu’elles peuvent même se suicider. Dans l’année suivant l’accouchement, le suicide est la première cause de mortalité chez les mères.

Santé publique France a participé à la sixième édition de l’enquête nationale périnatale 2021 auprès d’environ 15 000 femmes venant d’accoucher en maternité, afin de recueillir des informations sur leur santé et celle de leur nouveau‑né. Ce rapport décrit l’état de santé des mères et des nouveau-nés, leurs caractéristiques, les pratiques médicales durant la grossesse et au moment de l’accouchement, et les caractéristiques des lieux d’accouchements en France. Pour la première fois, l’enquête s’est enrichie d’un suivi des femmes deux mois après leur accouchement, avec un intérêt particulier porté à leur santé mentale. Des données inédites ont été obtenues concernant la santé mentale des femmes durant la grossesse et après l’accouchement :

        la part des femmes ayant déclaré se sentir « bien » sur le plan psychologique durant la grossesse est en diminution (63,2 % en 2021 contre 67,7 % en 2016) ;

        les données obtenues deux mois après l’accouchement révèlent que 16,7 % des femmes présentent une dépression du post-partum, évaluée à partir de l’échelle EPDS ([24]), sans qu’il soit possible d’établir quel est le lien entre ce constat d’une santé mentale dégradée et le contexte pandémique.

Les mères souffrant de dépression post-partum éprouvent souvent de la tristesse ou de la perte d’intérêt, une fatigue constante, des inquiétudes excessives pour le nourrisson, une irritabilité et une anxiété importantes. La réalité du post-partum et de la parentalité est en fait souvent moins idéale que dans les représentations sociales. Il est admis que les femmes ressentent une fatigue importante, des changements physiologiques, et une augmentation de leur vigilance afin d’assurer un environnement sécurisant pour le nourrisson. De plus, des problèmes physiques sont fréquents comme les douleurs, le manque d’appétit et de désir sexuel ou la présence de nausées.

Toutefois, les problèmes du post-partum ne sont pas seulement physiques. Peuvent également survenir des troubles psychiques, comme la dépression post‑partum, relativement reconnue, et la possibilité de développer un trouble de stress post-traumatique (TSPT), beaucoup moins connue. Même si la plupart des femmes vivent bien leur accouchement et le post-partum, 15 à 20 % d’entre elles décrivent un vécu traumatique de leur accouchement.

La persistance de tels troubles peut avoir des conséquences sur le comportement de la mère face aux besoins de l’enfant, le lien d’attachement entre la mère et l’enfant et sur le développement de l’enfant. En effet, la dépression post-partum d’un des parents peut entraîner des retards dans le développement cognitif de l’enfant, comme des difficultés au niveau langagier, ainsi que des troubles affectifs et comportementaux, si le lien d’attachement est altéré. Dans les premiers mois et années de sa vie, l’enfant a besoin des soins et des interactions avec l’adulte pour se développer et se constituer un sentiment d’identité. Dans le cas de dépression post-partum, même si les soins de base auprès de l’enfant peuvent être garantis, la qualité et le nombre des échanges affectifs, comme les échanges vocaux et visuels sont compromis. De plus, l’enfant est exposé à un plus grand risque de dépression vers l’adolescence.

Après la naissance, une mère souffrant de dépression peut également ne pas manger correctement, ne pas se laver ou ne pas prendre soin d’elle-même. Le risque accru de suicide et la potentialisation des maladies qui ont accompagné la mère pendant la grossesse (psychose, dépression, etc.) peuvent ainsi avoir de graves conséquences pour la cellule familiale. Une maladie mentale prolongée ou grave entrave l’attachement mère-bébé et peut entraîner des problèmes familiaux qui auront des répercussions tout au long de la vie de l’enfant, puis de l’adulte.

Entendue par vos rapporteures, Mme Sarah Bydlowski, pédopsychiatre, directrice du département de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du centre Alfred Binet et de l’association de santé mentale (ASM) du 13ème arrondissement de Paris, indiquait qu’il existe des facteurs de risques synergiques, comme les grossesses gémellaires ou la précarité de la mère. Elle soulignait que la période périnatale est celle durant laquelle le nombre de suicides est le plus élevé. La dépression périnatale est donc une période à grand risque qui peut rejaillir sur l’enfant jusqu’à l’adolescence (addictions, conduites à risque, etc.). S’agissant des mères addictives, ce sont, selon elle, « des mères fusionnelles qui ont des difficultés à faire face aux mouvements d’autonomisation des bébés ». Par ailleurs, elle affirmait constater des attitudes chaotiques de la part des mères atteintes de troubles psychiques. Il existe parfois des traumatismes plus anciens de la mère, dont la mémoire est effacée, dont elle n’a même plus conscience et qui refont surface à l’occasion de la réactualisation que constitue la naissance d’un enfant. C’est parfois le bébé qui va faire signe (pleurs inconsolables, coliques, etc.).

Mme Sarah Bydlowski soulignait enfin que la grossesse et la maternité donnent lieu à des remaniements psychologiques extrêmement complexes. Un important travail psychique est nécessaire pour pouvoir accueillir un nouveau-né car il existe une très grande perméabilité des nouveau-nés à l’état psychique des mères.

2.   Un accompagnement postnatal indispensable

Dans un sondage réalisé par OpinionWay ([25]), « seulement 5 % des mères souffrant de dépression post-partum disent avoir été diagnostiquées par un spécialiste et 78 % des parents n’avaient jamais entendu parler de la dépression post-partum lors des rendez-vous médicaux ». Cela est principalement dû au fait qu’après la naissance, l’attention est davantage portée sur l’enfant que sur les parents, tout comme pour le suivi médical.

De nouvelles unités de psychiatrie périnatale ont vu le jour en France et un protocole d’entretiens systématiques a été déployé : depuis le 1er juillet 2022, un entretien postnatal précoce est obligatoire pour les jeunes mamans. Destinée à repérer très tôt les premiers signes de mal-être, cette mesure était recommandée depuis 2014 par la Haute autorité de santé (HAS) et a été concrétisée par un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022. L’entretien postnatal précoce est effectué par un médecin ou une sage-femme entre la quatrième et la huitième semaine qui suit l’accouchement. Il est pris en charge par l’Assurance maladie à hauteur de 70 %. Un deuxième entretien peut alors être proposé, entre la dixième et la quatorzième semaine qui suit l’accouchement, si la mère en exprime le besoin ou si des signes de dépression post-partum sont constatés.

Néanmoins, ces mesures nécessitent d’être renforcées. L’accompagnement des mères pendant la grossesse et en postnatal doit former un continuum, afin d’assurer un suivi pluridisciplinaire. Plusieurs études ont démontré que les troubles du post-partum peuvent être évités par des soins appropriés pendant la grossesse et un soutien important lors de la naissance. Il est aussi important d’évaluer les antécédents psychiques et traumatiques antérieurs, afin d’en tenir compte dans la prise en charge. D’autres professionnels que les sages-femmes et les médecins, tels que les psychologues, psychiatres, pédopsychiatres et assistants sociaux, sont susceptibles d’intervenir dans l’identification de ces difficultés, en particulier pour la dépression postnatale.

Un suivi renforcé s’impose particulièrement lorsqu’il s’agit de femmes souffrant déjà de troubles psychiques et mentaux avant la grossesse. Ainsi, si nous disposons de peu de données en France, on estime en revanche que 63 % des femmes avec psychose en Grande Bretagne et 56 % en Australie sont mères ([26]). Or, le risque de rechute durant et juste après la grossesse parmi les femmes qui ne respectent pas les bons usages des psychotropes est très élevé (68 % pour celles atteintes d’un trouble dépressif majeur, 85 % pour les bipolaires, 50 % pour les schizophrènes). Le risque de rechute existe aussi, même si ces femmes prennent leur traitement correctement, la grossesse et le post-partum représentant des moments de vulnérabilité psychique, ainsi que de modifications dans le métabolisme. Les enfants de mères souffrant de troubles psychiques ont également plus de risque d’être exposés à des complications néonatales, des troubles du développement, ainsi que des troubles psychiques.

Lors de son audition devant vos rapporteures, Mme Marie-Jeanne Richard, présidente de l’Unafam, indiquait que lorsqu’une femme présente des troubles psychiques et qu’elle a un projet de parentalité, elle est souvent très mal prise en charge. Selon elle, un certain nombre de psychiatres nient tout projet de parentalité, sans les accompagner, considérant que la maternité n’est pas compatible avec des troubles psychiques, alors qu’il conviendrait d’accompagner ces femmes. Mme Richard ajoutait qu’il est essentiel de prendre la personne en compte dans sa globalité, dont la contraception et le désir de maternité font partie : « les femmes atteintes de troubles psychiques sont confrontées au jugement des autres qui leur dénie le droit d’avoir un enfant. Cela les amène à ne pas demander d’aide, de peur de devoir affronter ce jugement. En ce qui concerne les enfants de ces femmes, il faut travailler sur l’aide à la parentalité pour que les enfants soient protégés par la société. Beaucoup de ces enfants se retrouvent dans l’aide sociale à l’enfance. La dépression résistante de la mère exerce une influence sur la vie des enfants. Il s’agit d’enfants à qui l’on ne parle pas, à qui on ne donne pas les clés pour comprendre et qui ne savent pas à quoi correspondent les hospitalisations de leur mère ».

Au-delà du respect des traitements médicamenteux, c’est le bon usage des services de soins (PMI, psychiatrie, pédopsychiatrie, unités mère-bébé) qui permet de prévenir ces troubles. Aussi convient-il :

        de détecter des troubles mentaux initiaux ou l’aggravation de pathologies mentales préexistantes ;

        d’effectuer des choix thérapeutiques éclairés en pesant le bénéfice/risque de chaque molécule pour la mère et pour l’enfant, tant pendant la grossesse qu’en postnatal ;

        de définir des parcours de soins personnalisés et coordonnés en fonction de la pathologie, des comorbidités et de l’environnement, dans l’objectif d’une sécurisation de ces parcours.

Il est essentiel pour les mères de développer un réseau de soutien émotionnel, familial, amical ou professionnel, afin de partager leurs inquiétudes et de s’éduquer sur les gestes de soins pour l’enfant. Des soins psychiques conjoints parent-enfant sont également possibles et améliorent la qualité de vie de la mère, de l’enfant et de toute la famille.

De nombreuses associations interviennent ainsi pour apporter leur soutien et leurs conseils aux mères en détresse. Vos rapporteures ont notamment entendu des représentantes de l’association professionnelle francophone de l’accompagnement périnatal (AFAP), de l’association SuperMamans France et de l’association Maman Blues, qui ont présenté les actions qu’elles mettent en œuvre.

Entendues par vos rapporteures, Mmes Camille Kolebka et Véronique Grédé, co-présidentes de l’AFAP, indiquaient que les mères ressentent souvent un profond sentiment de solitude, du fait notamment, selon elles, de l’augmentation de la socialisation virtuelle en ligne. En outre, les familles qui font appel à elles regrettent un manque d’information complète et loyale sur les éventuelles difficultés de la parentalité. Elles ajoutaient que la multiplicité des interlocuteurs peut entraîner des informations contradictoires et que l’attention n’est pas suffisamment portée sur les mères. Elles décrivaient un fréquent sentiment d’infantilisation, pouvant conduire à diminuer l’estime de soi parentale, puis d’une rupture dans le suivi post-accouchement, laquelle peut engendrer un sentiment d’abandon.

Le plus souvent, lors de l’apparition des premiers symptômes de dépression post‑partum, la mère consulte peu et a tendance à s’isoler. Pourtant, une prise en charge rapide est nécessaire pour la soigner et lui permettre d’établir une relation de qualité avec son nourrisson. Le père ou la conjointe peuvent également présenter des syndromes dépressifs dans les mois qui suivent la naissance de l’enfant, d’autant plus que la mère souffre de dépression. Un comportement difficile chez l’enfant ou encore des difficultés à surmonter dans le couple, tout comme une absence de soutien pratique ou émotionnel, sont également des facteurs de risques de la dépression à ne pas négliger.

Les services de soins dédiés à la prise en charge des mères et de leurs enfants manquent toutefois cruellement de moyens, par rapport à l’étendue des besoins.

Lors de son audition, la professeure Joëlle Belaisch-Allart considérait ainsi que le problème majeur était que « la salle de naissance » et la grossesse n’attirent plus les professionnels de santé, ce travail étant insuffisamment rémunéré au regard de l’énergie qu’il requiert. « On constate une fuite des sages-femmes vers l’exercice libéral qui est catastrophique. Le même constat vaut pour les médecins. En effet, il s’agit d’un travail stressant, comportant une responsabilité majeure, puisque la vie de la mère et de l’enfant sont entre leurs mains. Il faut donc revaloriser le travail en salle de naissance et lui redonner de l’attractivité, en augmentant les rémunérations et les effectifs. C’est indispensable pour que ces personnels puissent bien s’occuper des patients ».

Entendue par vos rapporteures, Mme Lucille Cloarec, psychologue au pôle femme/enfant du centre hospitalier des quatre villes à Saint-Cloud, regrettait également le manque de moyens des services de protection maternelle et infantile (PMI), en particulier la pénurie de psychologues. Or, les PMI se trouvent dans une situation difficile et une majorité de familles les méconnaît. Quant au centres médico-psychologiques (CMP), lieux de soins publics et sectorisés, proposant des consultations médico‑psychologiques et sociales à toute personne en difficulté psychique, les délais pour y obtenir un rendez-vous sont beaucoup trop longs. Cet état de fait accroît la responsabilité des psychologues des maternités, qui rencontrent les femmes quand elles sont suivies à l’hôpital, puis les réorientent si nécessaire. Elle considérait également qu’un discours préventif à l’égard des familles « qui vont bien » était indispensable, afin qu’elles ne soient pas démunies en cas d’apparition de difficultés. Les PMI se situent au cœur du dispositif de suivi postnatal.

Entendue par vos rapporteures, Mme Claudine Schalck, de l’Association nationale des sages-femmes territoriales (ANSFT) précisait que la PMI organise notamment des consultations gratuites sur place ou à domicile et des actions médico-sociales de prévention et de suivi en faveur des femmes enceintes, des parents et des enfants de moins de six ans, ainsi que des activités de planification familiale et d’éducation familiale. Elle met l’accent sur la proximité avec les femmes et les familles, et essaie de prendre sa place dès le retour à domicile des mères. La PMI évalue avec les personnes quelles sont leurs ressources et la nature de leurs difficultés. Elle ajoutait qu’« en général, les femmes ne refusent pas d’être prises en charge par les sages-femmes. Celles-ci ne sont pas psychologues mais elles accompagnent les femmes. Quand la PMI va vers les familles, elle s’accompagne de tout un réseau de professionnels (sages-femmes, pédiatres, psychologues, puéricultrices, diététiciens, éducatrices, gynécologues, etc.) ».

Mme Claudine Schalck considérait également qu’il convient de préparer le postnatal en anténatal. Or le système est selon elle morcelé, alors qu’il aurait besoin d’être globalisé. Elle constatait que les pouvoirs publics ont réalisé des économies conséquentes, le prix de journée à l’hôpital étant de l’ordre de 1 600 euros, en réduisant le nombre de jours passés en maternité, sans pour autant renforcer les moyens des PMI et considérait que l’offre des PMI aurait besoin d’être étoffée par un certain nombre de professionnels, notamment des psychologues et des psychomotriciens.

En conclusion de son audition par vos rapporteures, Mme Marinette Ardouin, de l’association Maman Blues, déclarait que « si l’on dépensait 500 euros pour la prévention pendant la maternité, on pourrait économiser 13 000 euros sur la santé des adultes ». Ce constat souligne l’importance de la détection et de la prise en charge précoces des troubles du post-partum. Elle ajoutait que cela « nécessitait tout un maillage, absolument indispensable pour assurer une prise en charge pluridisciplinaire », laquelle implique un renforcement conséquent des moyens actuels.

 

Recommandation n° 7 : Faire de la lutte contre la dépression du post-partum une priorité de santé publique, en systématisant l’information des mères pendant la grossesse, en mettant en place des grilles d’évaluation en prénatal comme en postnatal, en assurant un accompagnement renforcé des mères en postnatal, tant sur le plan matériel que psychologique, en renforçant les moyens et le personnel (présence de psychologues et d’addictologues) des services de protection maternelle et infantile (PMI).

Recommandation n° 8 : Prendre en charge de manière précoce les enfants de mères en souffrance. Organiser des consultations en milieu scolaire propices au diagnostic de ces enfants, en renforçant les dispositifs présents à l’école (médecins scolaires, infirmières scolaires, assistantes sociales, etc.).

3.   Le deuil périnatal, un tabou culturel à lever

En France, selon les autorités de santé, la mortalité périnatale concerne les fœtus et les bébés décédés entre 22 semaines d’aménorrhée et 27 jours de vie révolus. Dans les faits, le sentiment de deuil périnatal concerne de nombreuses situations : les morts fœtales in utero (MFIU), les interruptions médicales de grossesse (IMG) décidées en raison de graves malformations, les décès précoces, les réductions embryonnaires, les fausses couches, voire, dans certains cas, l’interruption volontaire de grossesse (IVG) mais aussi la stérilité. La mort périnatale nécessite un travail d’élaboration psychique tout à fait singulier chez les parents, ainsi qu’une approche particulière des équipes médicales et des psychiatres et psychologues qui doivent affronter ce traumatisme.

Faire face au désespoir des parents, de même qu’à leur colère, mobilise chez les soignants une part intime et profonde d’eux-mêmes. La question de la souffrance psychique des équipes doit faire partie intégrante de leur formation. Intégrer l’enseignement de l’accompagnement au deuil périnatal dans les écoles de sages-femmes, de puériculture, d’infirmiers et à l’université est donc indispensable.

Lors d’un deuil périnatal, les parents perdent une partie d’eux-mêmes et tout ce qu’ils avaient projeté dans la relation au bébé. Au cours des deux dernières décennies, les professionnels et associations de parents endeuillés sont parvenus à renforcer la reconnaissance de la mort de l’enfant via la circulaire du 19 juin 2009 relative à l’enregistrement à l’état civil des enfants décédés avant la déclaration de naissance et de ceux pouvant donner lieu à un acte d’enfant sans vie, à la délivrance du livret de famille, à la prise en charge des corps des enfants décédés, des enfants sans vie et des fœtus. Elle permet notamment de déclarer les fœtus morts quels que soient le terme et le poids, en respectant toutefois le délai légal de l’IVG. Cependant, le manque de reconnaissance de la mort de l’enfant est encore trop grand.

Vos rapporteures ont consacré une audition au deuil périnatal, avec un gynécologue et une psychologue travaillant dans une unité de soins apportant une attention particulière à la prise en charge du deuil périnatal : M. Grégoire Théry, gynécologue obstétricien et Mme Marie-Dominique Poli, psychologue au pôle mère enfant des hôpitaux du Léman à Thonon-les-Bains.

Le docteur Grégoire Théry précisait à cette occasion que les hôpitaux du Léman à Thonon-les-Bains constituaient une structure assez importante pour rencontrer souvent ces situations, tout en demeurant suffisamment à dimension humaine pour permettre la continuité des soins par les mêmes acteurs et une grande qualité de la relation humaine. S’agissant des équipes médicales confrontées au deuil périnatal, il estimait qu’« il faut être attentif à ce que les professionnels de santé soient mieux accompagnés. », expliquant qu’actuellement, les professionnels subissent à répétition du stress post-traumatique.

Il soulignait en outre que les équipes médicales abordent la question du deuil périnatal d’un point de vue essentiellement somatique : « d’abord en termes de temporalité : s’agit-il d’un deuil précoce, tardif ou en postnatal ? En ce qui concerne les modalités, est-on en présence de l’anticipé volontaire (IVG), de l’anticipé probable (fausses-couches) ou du subi pur (fin de grossesse, décès postnatal) ? Par ailleurs, on observe une culture médicale qui considère que les fausses couches et décès font partie du quotidien banal des services d’urgence en gynécologie. La banalisation se met en place car il y a un flot de patientes assez intense, avec beaucoup d’activité. Il s’agit donc d’une pratique à haut débit, avec une pression temporelle forte. L’inconvénient de la répétition, c’est que les professionnels s’habituent, avec la banalisation du deuil que cela peut représenter ». Les services d’urgence sont le premier endroit où les professionnels de santé débutants sont autonomisés, dans une logique de maîtrise technique de la gestuelle, les aspects psychologiques pouvant dès lors être mis de côté.

M. Grégoire Théry ajoutait que « la banalisation liée à la répétition quotidienne des gestes s’observe également sur les deuils tardifs et périnataux. Pour les professionnels, il est difficile de s’interroger sur le protocole mis en œuvre, au risque de glisser vers le sentiment que l’on n’a pas bien fait, alors que leur rôle est d’assurer la sécurité de la mère et de l’enfant. On constate ainsi des postures de distance qui sont en fait des postures de survie et on a encore tendance à penser dans la culture médicale que la force, c’est de ne pas montrer ses faiblesses. On se retrouve donc avec des professionnels qui s’usent vite. Il y a là un vrai risque de perdre des professionnels, soit parce qu’ils vont se déshumaniser, soit parce qu’ils vont quitter ce domaine médical. Il n’y a pas de débriefing à chaud, ni de renfort psychologique des équipes dans ces situations. C’est également dans la logique de formation, comme si le fait de confronter de jeunes professionnels à des situations dures constituait une sorte de rite d’initiation. »

Le tabou est aussi sociétal. M. Grégoire Théry estimait, à propos du 15 octobre, journée internationale du deuil périnatal, « qu’il est important qu’il y ait une commémoration nationale et que cela compte pour les parents. Celle-ci permet l’émergence d’associations, comme l’association Hespéranges, qui met à disposition des familles différents outils pour les aider à traverser cette épreuve, en permettant une mise en situation très humanisée. Ces associations permettent aux parents d’échanger avec leurs pairs qui ont vécu des situations similaires, car il est difficile d’en parler en famille et aussi dans la société. En effet, les fausses couches et les deuils périnataux font partie des souffrances des femmes qui font l’objet d’un déni sociétal. »

La proposition de loi de Mme Sandrine Josso, visant à favoriser l’accompagnement des couples victimes d’une interruption spontanée de grossesse participe également de la levée du déni entourant ces situations. Elle met en place, à compter de septembre 2024 un parcours spécifique pour les interruptions spontanées de grossesse, associant professionnels médicaux et psychologues. Elle supprime le délai de carence en cas de fausse couche, et interdit aux employeurs de rompre le contrat de travail d’une salariée dans les dix jours qui suivent l’événement. S’agissant de cette loi, M. Grégoire Théry considère, en tant que gynécologue générique, « qu’elle constitue une mesure positive, les gynécologues s’étant parfois montrés réticents à des avancées sur ces questions, estimant pour certains que pour résister émotionnellement, les gynécologues sont dans le déni par rapport au deuil périnatal. ».

Ces dernières décennies, les travaux de nombreux psychiatres et psychanalystes ont pourtant montré que le décès d’un nouveau-né en maternité entraîne la nécessité d’un véritable travail de deuil. Mme Marie-Dominique Poli indiquait quant à elle qu’il existait plusieurs phases dans le deuil périnatal : la phase préliminaire, s’apparentant à une forme d’anesthésie (état de choc, de stupeur, d’incompréhension) ; ensuite la phase de souffrance dépressive des parents (colère, culpabilité, sentiment d’injustice) ; puis le processus de désinvestissement, d’adaptation, de transformation : durant cette dernière phase, une partie de la personne reste endeuillée tandis que l’autre va se tourner vers la vie.

L’objectif de la prise en charge est d’accompagner les parents autour du traumatisme de la perte. Le deuil périnatal a des répercussions importantes : blessure narcissique, perte de confiance en soi et mésestime de soi, modification du rapport au corps avec un désinvestissement par rapport à celui-ci, parfois ressenti comme un « corps cercueil ». Le deuil périnatal a des répercussions également au niveau du couple, de la fratrie, de la famille. Dans le cas d’une interruption médicale de grossesse (IMG), autorisée par une commission médicale au sein d’un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal (CPDPN) à partir du moment où le fœtus aurait pu naître viable, on pratique une injection létale intra‑utérine. Pour les équipes, comme pour les parents, l’annonce d’anomalies ou de graves malformations est donc un moment difficile.

Le travail autour de la mort, bien que souvent difficile pour des soignants, toujours douloureux pour les parents, est source d’un enrichissement mutuel et d’un progrès vers plus d’humanité. Il est d’autant plus indispensable que l’expérience traumatisante d’un décès périnatal, qu’il soit précoce ou tardif, a des conséquences sur la santé mentale des parents.

Une relation parents/soignants basée sur une confiance mutuelle et le respect de l’investissement parental quel que soit l’âge gestationnel exige de la part des soignants et des administratifs concernés une compétence professionnelle, mais aussi humaine (écoute, disponibilité et respect), une réflexion, une formation, une volonté spécifique et un travail d’équipe.

 

Recommandation n° 9 : Intégrer l’enseignement de l’accompagnement au deuil périnatal dans toutes les formations liées aux soins des femmes et développer les unités de soins apportant une attention particulière à la prise en charge du deuil périnatal dans le cadre d’une équipe pluridisciplinaire. Mener une campagne d’information nationale sur les fausses couches et sur le deuil périnatal.

 

C.   LA SANTÉ MENTALE DES FEMMES SÉNIOReS, UN ENJEU MAJEUR LARGEMENT PASSÉ SOUS SILENCE

Les différences de prévalence des troubles de la santé mentale entre les hommes et les femmes persistent jusqu’aux dernières périodes de leur vie. Ce sujet revêt une acuité toute particulière dans le contexte du vieillissement de la population, puisque les femmes séniores, en première ligne face à ces troubles, seront de plus en plus nombreuses. En effet, selon le ministère de la santé et de la prévention, les personnes âgées de 60 ans ou plus étaient 15 millions en 2021, et seront 24 millions en 2060 ([27]). L’accroissement de la population des séniors résulte principalement de l’augmentation de l’espérance de vie, les plus de 85 ans, qui représentent 1,4 million de Français aujourd’hui, devant passer à 5 millions à l’horizon 2060 ([28]). Cette évolution démographique touche en premier lieu les femmes, leur part étant déjà largement supérieure à celle des hommes dans les tranches d’âges les plus élevées : elles représentent 58 % des plus de 65 ans, deux tiers des plus de 85 ans, et les trois quarts des plus de 95 ans.

Cependant, si elles vivent de manière générale plus longtemps que les hommes, les femmes vivent surtout plus longtemps en situation de difficulté. En effet, l’INSEE montrait qu’en 2020, l’espérance de vie à la naissance s’élevait à 79,1 ans pour les hommes contre 85,1 ans pour les femmes. En revanche, l’espérance de vie sans incapacité ([29]) s’élève à 64,4 ans pour les hommes et 65,9 ans pour les femmes. Cet état de fait constitue l’un des principaux fondements de la prévalence patente de troubles de santé mentale chez les femmes âgées par rapport aux hommes, dont il est nécessaire de tenir compte pour que les réponses apportées soient adaptées aux difficultés spécifiques qu’elles rencontrent.

1.   La prévalence des troubles de santé mentale chez les femmes séniores et ses conséquences

En 2006, le projet Esprit ([30]) a mis en lumière l’ampleur des problèmes de santé mentale chez les personnes âgées de plus de 65 ans. Cette étude révélait que 17 % des sujets présentaient un trouble psychiatrique, dont la dépression majeure (3,1 %), les troubles anxieux généralisés (4,7 %), les phobies (10,7 %) et les pensées suicidaires (10 %). Surtout, elle démontrait qu’à âge constant, ces pathologies étaient deux fois plus présentes chez les femmes que chez les hommes.

Ces tendances se sont confirmées avec le temps, en témoignent les données publiées en 2020 par la CNAM ([31]). Celles-ci font notamment apparaître que, parmi les 3 025 400 personnes traitées par antidépresseurs ou régulateurs de l’humeur en 2020, 26 % avaient plus de 75 ans. Dans ce groupe, 72 % sont des femmes. Concernant les neuroleptiques, les chiffres sont très proches : sur les 3 millions de personnes y ayant recours, 36 % ont plus de 75 ans, et 67 % d’entre elles sont des femmes. Ces tendances sont similaires pour les personnes traitées par anxiolytiques et hypnotiques.

Si la proportion de femmes touchées par des maladies psychiatriques ou traitées par des psychotropes ne cesse de croître tout au long de leur vie, on observe une hausse extrêmement marquée de ces troubles après 75 ans. Toujours selon les chiffres de la CNAM, entre 65 et 74 ans, elles sont déjà 25,31 % (contre 16,68 % d’hommes) à en être affectées, mais cette proportion bondit après cet âge, pour atteindre 38,25 % (contre 24,26 % d’hommes). La réalité dévoilée par ces chiffres est donc alarmante, illustrant que les femmes les plus âgées sont les premières à souffrir de troubles psychiques, loin devant les adolescentes et jeunes adultes (5,14 % des 15-34 ans) ou les adultes (14,25 % des 35-54 ans) ([32]).

Les conséquences de ces troubles mentaux chez les personnes âgées sont nombreuses. En particulier, elles ont un effet aggravant sur certaines maladies chroniques dont elles souffrent déjà. En avril 2023, Patrick Peretti-Wattel expliquait par exemple devant le Conseil économique, social et environnemental (CESE), que « le stress a […] des conséquences directes sur l’état de santé : il aurait des effets aux niveaux neuroendocrinien et neuro-immunitaire, provoquerait notamment une hausse de la tension artérielle et du taux de cholestérol, et contribuerait plus généralement à un vieillissement précoce de l’organisme » ([33] . Le lien entre santé physique et santé mentale, du reste réciproque, a également été confirmé par l’étude Esprit précitée, laquelle illustre qu’une maladie physique entraînant une perte d’autonomie fait augmenter le risque de dépression, de même que de nombreux troubles psychiatriques aggravent les conséquences des affections chroniques. L’enquête Care-institutions ([34]), menée auprès d’habitants d’établissements spécialisés, confirme cette tendance, puisqu’elle montre que 76 % des résidents interrogés jugeant leur état de santé très mauvais sont en détresse psychologique, contre 14 % de ceux qui estiment leur santé très bonne.

2.   Les facteurs de risques expliquant la prévalence de troubles chez les femmes séniores

L’OMS identifiait en 2017 les facteurs de risques expliquant la proportion plus importante de femmes parmi les personnes souffrant de troubles mentaux ([35]). Ainsi, si le stress est cité en premier lieu, l’OMS précisant qu’il s’agit d’un facteur commun à tous les âges de la vie, il a toutefois tendance à se renforcer du fait de la perte importante et régulière des capacités et d’une baisse des aptitudes fonctionnelles des personnes âgées, lesquelles peuvent contribuer à augmenter leur anxiété.

Chez les personnes séniores, l’OMS identifie par ailleurs la récurrence d’événements tels que les deuils, qui renforcent l’isolement, la solitude et la détresse psychologique des personnes âgées. La disparition d’un conjoint peut par exemple mener à de réels bouleversements, en particulier pour les femmes, qui sont majoritaires à vivre cette situation. En effet, au-delà de 70 ans, une femme sur deux vit seule ([36]). Or, la DREES révélait en 2006 que, par rapport à une femme mariée, une veuve court un risque 1,4 à 2,4 fois plus élevé de vivre un épisode dépressif ([37]).

Au-delà de la perte du conjoint, l’isolement familial, dont les femmes les plus âgées souffrent particulièrement, est un facteur majeur d’apparition de troubles psychiques. À cet égard, l’enquête Care-institutions précitée indiquait que dans les établissements, où près des trois quarts des résidents sont des femmes de plus de 75 ans, un senior sur quatre n’a aucun enfant en vie – contre un sur dix à domicile. Or, toujours selon M. Patrick Peretti‑Wattel, « le réseau relationnel procure […] un soutien permettant de modérer le stress suscité par certains événements ».

Une situation socio-économique défavorable, ou la chute brutale de celle-ci intervenant souvent après la perte du conjoint, constituent également selon l’OMS un facteur explicatif, les femmes bénéficiant, en moyenne, de pensions de retraite inférieures de 42 % à celles des hommes ([38]). La précarité a des effets sur la santé mentale qui sont reconnus, puisque ces situations « sont à l’origine d’une souffrance psychique importante et d’une aggravation des troubles » ([39]).

Renforçant encore ces difficultés, la perte d’autonomie est, elle aussi, identifiée comme facteur majeur d’apparition de tels troubles par l’OMS. Or, l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), à laquelle ne sont éligibles que les personnes de plus de 60 ans, bénéficie à 1,4 million de personnes, parmi lesquelles près de 70 % des bénéficiaires sont des femmes.

Enfin, l’OMS met en exergue la plus grande vulnérabilité des femmes séniores à la maltraitance physique, verbale, psychologique et financière, aux abus sexuels, aux abandons, à la négligence, aux atteintes graves à la dignité et au manque de respect. Les révélations de M. Victor Castanet, auteur de l’ouvrage Les Fossoyeurs, synthèse d’investigations conduites pendant trois ans au sein d’établissements du groupe Orpea, ont mis ces faits en lumière et permis une prise de conscience salvatrice sur la situation faite aux personnes âgées en Ehpad, dont 73,6 % des résidents sont des femmes selon les chiffres du ministère de la santé. Dénonçant le manque de soins, les restrictions alimentaires et les problèmes d’hygiène vécus par les résidents de ces établissements, sans commune mesure avec les frais d’hébergement particulièrement élevés dont s’acquittaient ces derniers et leurs familles, le journaliste a mis en évidence de nombreuses formes de maltraitances, accentuées par la réduction drastique des coûts érigée en système par ce groupe leader mondial des Ehpad et cliniques privées. La mission d’information sur la situation dans certains établissements du groupe Orpea, conduite par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, a rendu ses travaux le 9 mars 2022  ([40]) et proposé des pistes d’amélioration dont il conviendrait de s’emparer afin de préserver l’intégrité physique et la santé mentale des personnes âgées résidant en Ehpad.

Il ressort enfin d’une vaste enquête publiée par Mediapart  ([41]) en décembre 2022 que les résidentes d’Ehpad seraient victimes de violences sexuelles. Selon le journal d’information numérique, des dizaines d’entre elles auraient été agressées ou violées au sein de maisons de retraite, un phénomène dont l’ampleur serait méconnue et sous-estimée. La situation, le profil médical et l’âge moyen des victimes rendraient extrêmement difficile la verbalisation de leur agression et le lancement de poursuites judiciaires et plus difficile encore l’aboutissement de ces dernières. On observerait chez les victimes une prévalence de troubles de la cohérence de 80 % et 40 % de maladies neurodégénératives, et l’agression subie enclencherait un déclin généralisé et rapide de la santé physique et mentale. Selon une étude américaine citée par Mediapart  ([42]), plus de la moitié des victimes décèderaient dans l’année suivant leur agression.

S’il s’agit d’un sujet encore largement invisibilisé, ces données et enquêtes récentes invitent à approfondir ce sujet et ne peuvent qu’alerter sur la nécessité de déconstruire les effets de domination et les préjugés qui touchent les femmes séniores.

3.   Les femmes séniores : entre invisibilisation et dénigrement

Ainsi qu’il a été précédemment exposé, les politiques publiques ne tiennent pas suffisamment compte des spécificités de la situation des femmes. Ceci est encore plus patent s’agissant de la santé mentale des femmes séniores, lesquelles demeurent invisibilisées dans tous les secteurs.

Pour preuve de cette invisibilisation, et bien qu’elles semblent avérées, les violences faites aux personnes âgées sont très peu documentées et l’absence de données statistiques constitue un réel obstacle pour analyser en profondeur cette situation. En effet, les principales sources de documentation sur les violences faites aux femmes portent sur des échantillons ne tenant tout simplement pas compte des femmes les plus âgées. L’enquête Cadre de vie et sécurité de l’INSEE se fonde par exemple sur des échantillons allant de 18 à 75 ans, l’enquête Virage sur un groupe allant de 20 à 69 ans, et le Panorama des violences en France métropolitaine, réalisé par le ministère de l’Intérieur, est largement abondé de données constituées auprès de groupes allant de 18 à 74 ans. Pourtant, en 2019, les femmes de plus de 70 ans représentaient 21 % des victimes de féminicides, alors qu’elles ne constituent que 16 % de la population générale, faisant de cette tranche d’âge la deuxième la plus exposée aux morts violentes, après les 30-49 ans.

Cette absence de données concernant les femmes les plus âgées interdit toute prise de conscience de l’ampleur de leur situation et donc la recherche de solutions préventives à destination de ce public. Ainsi, en 2019, seules 3 % des femmes ayant appelé le numéro national de référence à destination des femmes victimes de violences, le 3919, avaient plus de 70 ans.

De la même façon, une étude publiée en 2021 par la revue scientifique médicale britannique The Lancet, visant à identifier « les différences entre les sexes dans l’adaptation des pays au vieillissement de la société » ([43]) à travers une comparaison internationale, ne prenait pas en compte la situation française, faute de données suffisantes sur le sujet.

À cette invisibilisation dans le champ de la recherche, s’ajoute le poids des stéréotypes sur le vieillissement, dont les femmes pâtissent particulièrement à mesure qu’elles avancent en âge, et qui renforce ce phénomène d’occultation de leur situation. Les femmes séniores, doublement stigmatisées du fait de leur âge et de leur genre, sont tout d’abord sous-représentées dans la culture populaire. Une étude d’Actrices et acteurs de France associés (AAFA) illustre leur invisibilisation, en montrant qu’en 2021, seuls 7 % des rôles sont attribués à des actrices de plus de 50 ans, alors qu’elles représentent une femme majeure sur deux en France ([44]), alors que 16 % des rôles d’hommes sont attribuée à des acteurs de la même tranche d’âge. Les conséquences de ces stéréotypes sur les risques de dépression ainsi que sur leur santé physique et mentale de manière plus générale ont été démontrées ([45]) : le Collectif contre les violences familiales et l’exclusion affirme ainsi que « des enquêtes montrent que l’activation de stéréotypes négatifs génère chez les seniors une augmentation du stress, une diminution de leur estime, une moindre volonté de vivre » ([46]).

Préalable à cette invisibilisation des femmes séniores, la perception stéréotypée de la femme ménopausée constitue à cet égard un autre exemple patent, puisqu’elle est souvent décrite sur le fondement d’une culture patriarcale ne tenant pas compte de la réalité de ce que vivent les femmes. Ces représentations obsolètes de la ménopause sont au fondement du phénomène d’âgisme, terreau de discriminations aux niveaux professionnel, social et économique, qui frappe les femmes de plein fouet. Il serait donc bienvenu de réinventer les discours sur la ménopause, loin des constructions culturelles stigmatisantes. Daniel Delanoë, psychiatre et anthropologue, dénonçait dès 2004 le fait que, « contrairement à une idée reçue et très largement partagée, la ménopause n’est pas tant un fait biologique, qu’un fait social, historiquement et récemment construit » ([47]). Selon lui, souvent perçue comme étant un « âge critique », la période de la ménopause est décrite comme « la fin de la féminité et de la jeunesse ». Ainsi, bien que Daniel Delanoë reconnaisse que la ménopause puisse constituer, chez certaines, un « remaniement psychologique douloureux », celui-ci « n’atteint pas le seuil de la pathologie ». Pour cette raison, il estime qu’il est « important de distinguer réaction individuelle à l’arrêt de la fonction reproductive et réaction à la situation sociale faite aux femmes, phénomène de nature et domination symbolique », afin de ne pas faire peser sur les femmes âgées une nouvelle pression n’ayant pas de justification, et susceptible d’altérer leur santé mentale.

Cette analyse ne doit pas occulter le fait que les changements hormonaux associés à la ménopause peuvent avoir des conséquences sur le bien-être physique, émotionnel et social. Les symptômes ressentis pendant et après la transition vers la ménopause varient considérablement d’une femme à l’autre, mais pour certaines, ils peuvent avoir des répercussions sur leurs activités quotidiennes et leur qualité de vie, parfois pendant plusieurs années.

Or, les femmes se retrouvent souvent seules face à ces changements, ce sujet restant encore largement tabou : un accompagnement médical permettrait d’ouvrir le dialogue, de répondre à des interrogations et d’envisager un traitement médicamenteux s’il s’avère nécessaire. L’OMS considère ainsi que le soutien social, psychologique et médical pendant la transition vers la ménopause et après celle-ci devrait faire partie intégrante des soins de santé. Elle s’est ainsi engagée à améliorer la compréhension de la ménopause en :

        sensibilisant à son impact sur les femmes aux niveaux individuel et sociétal, ainsi que sur la santé et le développement socio-économique des pays ;

        plaidant en faveur de l’introduction du diagnostic, du traitement et des conseils liés à la prise en charge des symptômes dans le cadre de la couverture sanitaire universelle ;

        promouvant l’inclusion d’une formation sur la ménopause et les choix de traitement dans les programmes d’études initiales des agents de santé ;

        mettant l’accent sur une approche de la santé et du bien-être (y compris la santé et le bien-être sexuels) portant sur toute la durée de la vie ;

        veillant à ce que les femmes aient accès à des informations et à des services de santé appropriés pour favoriser un vieillissement en bonne santé et une qualité de vie élevée avant, pendant et après la ménopause.

La consultation de prévention à 45 ans, récemment mise en place dans le cadre des trois consultations de prévention aux âges clés de la vie, pourrait ainsi être mise à profit pour délivrer des informations médicales utiles. « Cette consultation me paraît plus que nécessaire », affirmait ainsi Brigitte Letombe, gynécologue et membre du comité scientifique du groupe d’étude sur la ménopause et le vieillissement hormonal (GEMVI), expliquant que « les femmes ont souvent une certaine angoisse lorsqu’elles s’approchent de cette période. Il est important de les laisser s’exprimer et poser des questions, d’autant que l’information sur la ménopause sur le plan sociétal est absolument déplorable » ([48]).

 

Recommandation n° 10 : Mettre à profit la consultation de prévention à 45 ans, mise en place dans le cadre des trois consultations de prévention aux âges clés de la vie, pour délivrer des informations et répondre aux questions des femmes sur la ménopause et améliorer le remboursement des traitements hormonaux de la ménopause par la sécurité sociale.

 

Comme on l’a vu dans cette partie, certaines périodes spécifiques de la vie des femmes peuvent, pour des raisons qui tiennent à la fois aux spécificités de leur corps et aux stéréotypes dont elles pâtissent, être porteuses de vastes bouleversements. S’ils ne sont pas correctement anticipés et accompagnés, ceux-ci peuvent occasionner des souffrances psychologiques et être à l’origine d’une dégradation de leur santé mentale.

 

Recommandation n° 11 : Prévoir une campagne nationale, en remboursant une consultation psychologique permettant d’évaluer le risque de souffrance morale aux âges clés de la vie. Élaborer un canevas de consultation type, avec un questionnaire systématique permettant de diagnostiquer et d’évaluer les problématiques de dépression, comme celle des violences faites aux femmes qui pourrait servir de support aux médecins généralistes, aux médecins du travail, aux spécialistes, aux sages-femmes.

 


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III.   UNE SANTÉ MENTALE DES FEMMES ÉTROITEMENT CONDITIONNÉE PAR L’ENVIRONNEMENT

Quel que soit l’âge, la santé mentale des femmes apparaît plus fragile que celle des hommes car elle est dépendante d’un ensemble de facteurs environnementaux que ne subissent pas les hommes ou dans une moindre mesure.

A.   DES FACTEURS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX QUI FRAGILISENT LES FEMMES

 

Si l’on prend en compte les principales dimensions de l’existence qui façonnent la qualité de vie, les femmes sont globalement plus souvent désavantagées que les hommes. Elles sont plus exposées à des conditions de vie matérielles difficiles. Ceci est lié en partie à une situation moins favorable sur le marché du travail, dont les répercussions se font sentir aussi pendant la retraite. C’est également dû au fait qu’elles sont plus souvent que les hommes à la tête de familles monoparentales ou isolées lorsqu’elles parviennent à un âge avancé.

1.   Travail et logement, les préalables de la sécurité et du bien-être

La perception de la notion de bien-être diffère selon les époques. L’intérêt pour l’étude du bien-être est plutôt tardif et ne s’est développé qu’au début du XXe siècle. Il découle de facteurs tels que l’autosatisfaction, les conditions de vie des personnes et la situation économique du pays. Le niveau de revenus et la qualité du logement constituent une dimension importante de la sensation de bien-être des individus. En cas de ressources insuffisantes ou de logement inadapté aux besoins, surtout lorsqu’il y a des enfants à charge, le bien-être des individus se trouve altéré et leur santé mentale menacée par des conditions de vie difficile ou par l’angoisse qu’engendre le sentiment d’insécurité matérielle. Les femmes sont concernées au premier chef par ces phénomènes.

blob:moz-extension://09afdfec-5e66-4dc5-a7cc-c7da79e40191/f848c737-1ce7-4ac7-b447-ac575fa56676En effet, selon l’INSEE, en 2021, le revenu salarial moyen des femmes était inférieur de 24 % à celui des hommes dans le secteur privé : 18 630 euros annuels pour les premières contre 24 640 euros pour les seconds. Cet écart reflète d’abord des différences de volume de travail annuel car les femmes sont moins souvent en emploi au cours de l’année, davantage à temps partiel et, lorsqu’elles sont à temps plein, leur temps de travail hebdomadaire reste en moyenne inférieur à celui des hommes. Cependant, à temps de travail identique, le salaire moyen des femmes est tout de même inférieur de 15 % à celui des hommes. Les différences de salaires s’expliquent surtout par la répartition genrée des professions : les femmes n’occupent pas le même type d’emplois, ne travaillent pas dans les mêmes secteurs que les hommes et accèdent moins aux postes les plus rémunérateurs. À poste comparable, l’écart de salaire en équivalent temps plein demeure de l’ordre de 4 %. Les écarts de revenus salariaux et de volume de travail entre femmes et hommes sont encore plus marqués entre parents : les mères ont des temps de travail mais aussi des salaires moyens en équivalent temps plein nettement inférieurs aux pères et les écarts croissent avec le nombre d’enfants. L’écart de salaire entre femmes et hommes en ETP croît avec le nombre d’enfants : en 2019, il est en moyenne de 7,3 % parmi les salariés du privé n’ayant pas d’enfant, mais atteint 30,9 % entre les mères et les pères de 3 enfants ou plus. Ces différences proviennent à la fois de la baisse de salaire observée après la naissance pour les femmes mais aussi des carrières durablement ralenties des mères par la suite.

La mise en place, en 2019, de l’index de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes a, certes, permis des avancées mais celles-ci demeurent insuffisantes. En 2023, 72 % des entreprises concernées ont publié leur note au 1er mars (contre seulement 61 % en 2022). La note moyenne est également en progression : 88/100 contre 86 l’an passé. La note moyenne des entreprises de plus de 1000 salariés est de 89,7 points. Seules 2 % des entreprises obtiennent une note de 100.

Il existe deux pénalités différentes concernant l’index. La première est encourue quand l’entreprise n’a pas publié les informations relatives aux écarts de rémunération ou pas défini de mesures de correction. Dans ce cas, l’inspection du travail peut la mettre en demeure de le faire dans un délai minimum d’un mois, au risque d’une pénalité. La seconde concerne les entreprises dont les résultats ont été insuffisants et qui n’ont pas agi dans un délai de 3 ans. Depuis 2019, l’inspection du travail a conduit 42 017 interventions et prononcé 695 mises en demeure. 49 pénalités ont finalement été notifiées aux entreprises, pour absence de publication de l’index, de définition de mesures correctrices ou du fait d’un index inférieur à 75 points pendant plus de trois exercices consécutifs.

 

Recommandation n° 12 : Appliquer et renforcer l’index Pénicaud, en améliorant les indicateurs de l’index de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et en alourdissant et systématisant les pénalités financières, en cas de non publication de l’index ou d’absence de progression dans la note globale, lorsque celle-ci est inférieure à 75 points. Pour ces mêmes entreprises, conditionner l’attribution et le renouvellement des aides publiques à la publication de l’index, ainsi qu’à la progression de la note globale, lorsque celle-ci est inférieure à 75 points.

 

On observe également que la part des femmes diminue à mesure que l’on s’élève dans l’échelle salariale. En 2021, les femmes représentent 41,5 % des emplois dans le secteur privé (en ETP). Leur part est toutefois nettement plus élevée parmi les bas salaires (jusqu’à 55 % pour les niveaux de salaire autour de 1 300 euros net mensuel), puis diminue ensuite à mesure que l’on s’élève dans la distribution des salaires : les femmes ne forment plus qu’un tiers des effectifs percevant un salaire au niveau du neuvième décile (4 010 euros). Au‑dessus du 99e centile (9 602 euros), c’est-à-dire parmi les 1 % de salariés les mieux rémunérés, leur part n’est plus que de 21,9 %.

Les inégalités salariales tout au long de la vie active ont des conséquences au moment de la retraite : les pensions sont moindres, du fait des salaires moins élevés et des carrières incomplètes (congés parentaux, temps partiel). En 2020, la pension de droit direct des femmes résidant en France est, en moyenne, inférieure de 40,2 % à celle des hommes. Selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), une fois prise en compte la pension de réversion, l’écart est de 28,4 %. La pension de retraite moyenne brute des hommes s’élève à 1 924 euros, tandis que la pension de retraite moyenne brute des femmes n’est que de 1 145 euros.

Par ailleurs, les femmes et les hommes ne sont pas égaux face à un choc professionnel ou familial, dans le domaine financier. L’impact est plus ou moins fort, selon le type d’union, l’âge ou la présence d’enfant, mais très majoritairement en défaveur des femmes. Les femmes entrent notamment plus souvent dans la pauvreté que les hommes, suite à une séparation ou un veuvage. Le divorce est la séparation aux effets les plus négatifs : selon l’INSEE, il engendre une perte de niveau de vie de 22 % pour les femmes contre 3 % pour les hommes, en partie comblée dans les deux ans suivant la séparation.

Si les femmes ont gagné leur indépendance financière, elles perdent sur le plan patrimonial lorsqu’elles se mettent en ménage. Depuis vingt ans, les différences de richesse se creusent au sein des couples. « Elles ont quasiment doublé dans notre pays en presque vingt ans, passant de 9 % en 1998 à 16 % en 2015, c’est-à-dire qu’en moyenne les hommes ont un patrimoine qui a augmenté plus vite que celui des femmes », constate Marion Leturcq, chercheuse à l’Institut national d’études démographiques ([49]). Depuis la fin des années 1980, on observe un recul de la mise en commun des biens du ménage, au profit d’une individualisation croissante, causée par le recul du mariage et le recours accru au régime de la séparation de biens parmi les mariés. Il existe des écarts importants entre hommes et femmes pour le patrimoine financier et plus faibles pour le patrimoine immobilier.

Les revenus généralement peu élevés des femmes, auxquels s’ajoutent les conditions de travail difficiles dans certains métiers fortement féminisés (cf I C 3 supra) ont indéniablement des conséquences importantes sur leur qualité de vie.

 

 

Recommandation n° 13 : Revaloriser les filières professionnelles fortement féminisées (secteurs du social, de la santé, de l’enseignement), en améliorant les rémunérations, les conditions de travail, les déroulements de carrière et la formation. Encourager la mixité au sein des professions les plus féminisées, en luttant contre les stéréotypes et en redonnant de l’attractivité à ces filières.

 

Les conditions de logement ont également un impact direct sur le bienêtre des individus. Un des premiers éléments qui détermine la qualité de vie est l’éloignement entre le domicile et le lieu de travail. En effet, le temps passé dans les transports influe sur la fatigue et le stress et alourdit encore la charge qui pèse sur les mères de famille. Une étude, publiée en mai 2017 et menée par Vitality Health, en partenariat avec l’Université de Cambridge, a révélé que « les travailleurs effectuant de longs trajets domicile-travail étaient 33 % plus susceptibles de souffrir de dépression et 12 % plus susceptibles de signaler de multiples dimensions de stress lié au travail ».

En outre, Santé publique France mettait en exergue dans sa publication « La santé en action » que le logement constituait un déterminant majeur de la santé des populations, démontrant les effets de la mauvaise qualité du logement et de sa suroccupation sur la santé mentale, l’anxiété, la dépression et l’agressivité. En 2012, une enquête réalisée par l’organisation non gouvernementale (ONG) Médecins du monde auprès de ménages vivant en habitat indigne dans le Val‑de‑Marne illustrait déjà les conséquences du mal-logement sur la santé mentale. Plus de la moitié des adultes interrogés déclaraient en effet manifester des troubles de l’humeur (tristesse, colère, perte d’énergie), et un quart d’entre eux présentaient des symptômes de fatigue, dont une partie était possiblement attribuée aux troubles du sommeil (22 %).

Les inégalités sociales d’accès à un logement touchent particulièrement les jeunes générations, les femmes et certaines minorités. La crise sanitaire a mis en lumière les conséquences sur la santé mentale des inégalités de logement. Ainsi, il n’y a pas eu de commune mesure, en matière d’effet du confinement, entre les cadres disposant d’une résidence secondaire à la campagne et les mères isolées vivant dans un espace exigu. Les femmes avaient également moins la possibilité de s’isoler et de disposer d’un espace de travail. Une étude de l’Institut national d’études démographiques (INED) menée pendant le premier confinement a permis d’établir que les femmes en télétravail bénéficiaient moins souvent d’une pièce dédiée au travail (25 %, contre 39 % des hommes) et d’un équipement adapté, et qu’elles étaient plus souvent interrompues dans leur travail (48 % vivent avec un ou plusieurs enfants, contre 37 % des hommes).

D’une manière générale, les femmes rencontrent davantage de difficultés d’accès au logement que les hommes car elles disposent de ressources moindres, la situation des femmes élevant seules des enfants étant la plus problématique. À classes sociales égales, les familles monoparentales présentent un risque plus élevé d’habiter dans un logement indigne ou suroccupé. Dans son 28e rapport sur l’état du mal-logement en France, publié en février 2023, la Fondation Abbé Pierre s’est penchée sur la question du sexe « comme facteur déclenchant ou aggravant du mal-logement ». Les femmes racisées, les femmes seules qui ont la charge d’un ou de plusieurs enfants, les femmes qui veulent quitter leur ménage, les femmes âgées isolées, subissent de plein fouet la pénurie de logements adaptés, salubres et abordables et sont trop souvent victimes de discrimination quand il s’agit de louer ou d’acquérir un bien. Un logement inadapté, précaire et surpeuplé affecte la santé mentale. Les mauvaises conditions de logement détériorent la confiance en soi et augmentent les risques de dépression et de stress, ce qui favorise les violences familiales.

Recommandation n° 14 : Permettre aux femmes disposant de faibles ressources ou désireuses de se soustraire à un conjoint violent, de se loger dans des conditions décentes, en développant le parc de logements sociaux adaptés, salubres et abordables, ainsi que les aides pour le dépôt de garantie ou la caution d’un logement.

 

Ressources réduites et logement inadapté constituent des facteurs de vulnérabilité qui sont susceptibles de fragiliser la santé mentale des femmes en rendant leur quotidien difficile. Des actions visant à améliorer la situation matérielle des femmes sont indispensables pour leur permettre de préserver leur santé mentale.

2.   Lutter contre la précarité et favoriser l’insertion des femmes

Les femmes sont plus souvent en situation de pauvreté que les hommes (15,2 % contre 14,3 %). Ces différences s’expliquent principalement par un nombre plus important de mères isolées qui ont des taux de pauvreté très élevés (29,8 % quand elles sont actives et même 70,2 % quand elles sont inactives). Chez les seniors (hors ceux vivant en institution, Ehpad, maisons de retraite, hôpitaux de long séjour), le taux de pauvreté des femmes augmente fortement autour de 75 ans (10,1 % contre 6,6 % pour les hommes) : en effet, le décès du conjoint, l’homme décédant souvent le premier, peut entraîner une dégradation de la situation financière des femmes, en particulier pour les anciennes générations pour lesquelles l’activité féminine était moins répandue ; beaucoup de femmes ne perçoivent alors qu’une pension de réversion.

Cette précarité économique entraîne de facto ces femmes dans un cercle vicieux affectant leur santé physique et mentale. Le manque de revenus empêche enfin les femmes victimes de violences conjugales de disposer d’alternatives économiques et sociales pour s’affranchir de leur situation.

Les femmes, qui constituent la majorité des personnes précaires, se privent souvent de soins. Selon une étude de juin 2016 ([50]) , les femmes représentent 64 % du total des personnes ayant reporté ou renoncé à des soins au cours des douze derniers mois, soit 9,5 millions de femmes chaque année. Le manque d’argent est la première cause de renoncement aux soins (impossibilité notamment de payer les dépassements d’honoraires). Les freins culturels et symboliques jouent également. Les femmes précaires recourent plus tardivement et difficilement aux professionnels de santé. Leurs préoccupations quotidiennes font passer leur santé au dernier plan, après leurs enfants ou leurs difficultés financières. En outre, les aides financières trop complexes rendent également plus difficile l’accès aux soins (un tiers des bénéficiaires potentiels de la complémentaire santé solidaire ne la demande pas).

 

Recommandation n° 15 : Faciliter l’accès aux soins des femmes les plus précaires, en simplifiant l’accès à la complémentaire santé solidaire, par le développement d’initiatives d’aller vers des travailleurs sociaux et des professionnels de santé, visant à informer les bénéficiaires potentielles et à les accompagner dans les démarches.

 

Ce sont les ruptures de parcours, professionnels et personnels, qui engendrent la précarité ou son risque. Quand les caractéristiques des emplois occupés témoignent d’une relation instable au marché du travail (contrats à durée déterminée) ou stable dans le sous-emploi (temps partiels imposés), les femmes peuvent basculer vers la précarité, tout particulièrement après une rupture conjugale, car se cumulent alors plusieurs facteurs défavorables. Elles peuvent même tomber dans la pauvreté, quand, sans emploi stable ou parce qu’elles occupent des emplois mal rémunérés, elles ont des charges de famille.

Les frontières de l’emploi et du sous-emploi, de l’activité et de l’inactivité sont fluctuantes pour nombre de femmes, en particulier pour les plus jeunes et les moins qualifiées d’entre elles. Les situations intermédiaires sont nombreuses. Les femmes qui sont en CDD y restent davantage que les hommes et obtiennent moins souvent un emploi à durée indéterminée (CDI) ; elles basculent aussi plus souvent vers l’inactivité. Si les chômeuses sont proportionnellement moins nombreuses que les chômeurs à rester en demande d’emploi, c’est parce qu’elles en sortent davantage par l’inactivité ; parmi celles qui retrouvent un emploi, elles sont bien plus nombreuses que les hommes à n’obtenir qu’un CDD. De plus, les faibles qualifications et l’emploi discontinu vont de pair avec les interruptions d’activité plus fréquentes lors de la naissance des enfants.

La surreprésentation des troubles psychiques au sein de la population en situation de précarité est bien établie.

En France, l’étude SAMENTA (SAnté MENTale et Addictions chez les personnes sans logement personnel d’Île-de-France) montrait en 2009 que :

        environ un tiers des personnes sans domicile fixe en Île-de-France souffraient de troubles psychiatriques sévères (troubles psychotiques et troubles de l’humeur, dépression et troubles anxieux sévères), en particulier, la prévalence des troubles psychotiques était dix fois plus importante que dans la population générale ;

        la dépendance ou la consommation régulière de substances psychoactives (alcool, drogues illicites et médicaments détournés de leur usage) concernaient près de 30 % des personnes ;

        le risque suicidaire moyen ou sévère identifié chez environ 10 % des personnes sans logement était plus élevé qu’en population générale, de même que les tentatives de suicide au cours de la vie rapportées par près d’un quart des personnes ;

        les troubles de la personnalité et du comportement étaient aussi plus fréquents que dans la population générale : ils concernaient un quart des personnes ;

        40 % des personnes sans logement déclaraient avoir subi au cours de leur vie des violences psychologiques ou morales répétées ; près de 30 % déclaraient des violences physiques ([51]) .

Le développement d’équipes mobiles paraît la solution la plus adaptée à la prise en charge de ces personnes en situation de grande détresse, tout particulièrement des femmes, qui représentent 38 % des personnes sans domicile fixe, près de la moitié d’entre elles ayant entre 18 et 29 ans ; et près d’un tiers plus de 50 ans, selon l’INSEE. Les équipes mobiles psychiatrie précarité (EMPP) se situent à l’interface de la psychiatrie et du champ social. Elles visent à favoriser l’accès aux soins des personnes très précaires souffrant de troubles psychiques. Une EMPP travaille en partenariat avec les équipes de psychiatrie, les acteurs hospitaliers, les professionnels libéraux et les intervenants sociaux et médico-sociaux.

 

Recommandation n° 16 : Développer les équipes mobiles psychiatrie précarité (EMPP) et renforcer leurs moyens, afin d’assurer une meilleure prise en charge psychiatrique aux femmes en situation de grande précarité sociale et médicale, dont les difficultés peuvent les empêcher d’accéder aux soins.

 

Proposer des soins et un accompagnement de qualité aux personnes en situation de précarité et présentant des troubles psychiques, et favoriser ainsi leur rétablissement et leur insertion sociale répond à un enjeu de santé publique en contribuant à la lutte contre les inégalités de santé. Au-delà, c’est aussi plus largement un enjeu éthique et politique puisqu’il s’agit de permettre à tous d’accéder à des conditions de vie dignes, rendant possibles un exercice de l’ensemble des droits ainsi qu’une réalisation personnelle.

3.   Des familles monoparentales à soutenir

En France, en 2020, 25 % des familles comportant au moins un enfant mineur sont monoparentales (soit deux millions de familles où les enfants résident avec un seul parent, sans conjoint cohabitant), selon l’INSEE et 82 % des familles monoparentales reposent sur des femmes. Ces femmes doivent assumer à la fois leurs responsabilités maternelles et leur vie professionnelle.

La monoparentalité va souvent de pair avec des conditions de vie plus difficiles, tant d’un point de vue matériel que psychologique. Cette situation s’avère particulièrement problématique en termes d’emploi. Avec un niveau de diplôme en moyenne moins élevé qu’en population féminine générale, et des contraintes familiales plus importantes, les cheffes de famille monoparentale sont à 65 % ouvrières, employées ou sans emploi (en recul par rapport à 2003, 70 %).

Cette situation a des répercussions importantes sur le niveau de vie des enfants. En 2018, 41 % des enfants mineurs vivant en famille monoparentale vivent au-dessous du seuil de pauvreté monétaire, contre 21 % de l’ensemble des enfants. Lorsque le parent est sans emploi, cette proportion atteint 77 %, contre 23 % quand le parent est en emploi.

Les enfants en famille monoparentale avec leur père sont dans une situation en général moins défavorable. Ils sont moins souvent en situation de pauvreté, qui concernait 22 % des enfants en famille monoparentale avec leur père en 2018. Les pères sont plus souvent propriétaires du logement : la moitié, contre un quart des enfants en famille monoparentale avec leur mère. Ils sont aussi nettement plus souvent en emploi (81 % contre 67 %, en 2020) et moins fréquemment au chômage (10 % contre 18 %) que les mères dans la même situation familiale.

Les cheffes de monoparentales éprouvent donc, pour beaucoup, un sentiment de vulnérabilité et une attente forte de soutien à la parentalité. Les parents isolés se heurtent en effet à des difficultés dans la gestion du quotidien

La Fédération habitat et humanisme propose à cet égard plusieurs types d’accompagnement aux mères en difficulté : des logements autonomes à faible loyer, des résidences sociales faisant office de foyers, ou encore des immeubles intergénérationnels où personnes âgées et mères seules peuvent s’entraider. À Paris, une aide a été mise en place pour les parents isolés, « Paris logement familles monoparentales » qui a permis, depuis 2002, à 8 600 familles de se maintenir dans la capitale. Autre organisme très précieux pour les mères isolées : le fonds d’action sociale du travail temporaire (FASTT). Il apporte durant trois ans des garanties de loyers gratuites pour les femmes qui sont logées dans le parc privé. 4 600 mères isolées en ont jusqu’à présent bénéficié. Ces dispositifs mériteraient d’être étendus et développés pour permettre aux mères élevant seules leurs enfants d’être logées dans de meilleures conditions. Ceci est d’autant plus important que leurs ressources réduites ne leur permettent pas de financer activités et sorties pour leurs enfants et que ceux-ci passent beaucoup de temps à la maison.

En outre, l’absence de mode de garde ou leur coût élevé pouvant constituer des obstacles à la reprise ou au maintien dans l’emploi, de plus en plus de communes considèrent la monoparentalité comme un critère de priorité pour l’attribution de places en établissement collectif, moins onéreuses.

Malgré ces quelques mesures, la charge financière et mentale qui pèse sur les mères seules est considérable et peut engendrer angoisse et détresse, surtout lorsqu’elles se trouvent, et c’est souvent le cas, confrontées à des difficultés matérielles permanentes. Élever un ou plusieurs enfants seule, avec des ressources émotionnelles, financières et relationnelles limitées, représente un défi quotidien que les mères ne sont pas toujours en situation de relever sans aide. Or, un parent qui ne va pas bien aura beaucoup de mal à jouer correctement son rôle auprès de ses enfants. La prévention implique d’aider, d’éduquer et de soutenir les parents isolés en priorité. Ce sont eux qui accompagnent leurs enfants au cours de leur évolution.  Une mauvaise couverture parentale n’est pas forcément volontaire, mais laisse des traces jusqu’à l’âge adulte.

 Il est donc essentiel de soutenir matériellement et psychologiquement les mères élevant seules leurs enfants, en leur proposant un réseau d’entraide conjuguant mesures sociales et soutien psychologique. Pour que ces deux millions de femmes qui élèvent seules leurs enfants puissent espérer un avenir meilleur, il convient que l’État les soutienne de manière plus large, à travers des mesures et des campagnes de sensibilisation, et que les entreprises s’approprient ces questions en créant des cadres de travail adaptés à ces profils spécifiques, en mettant fin à des mentalités stigmatisantes qui perdurent.

 

Recommandation n° 17 : Faire du soutien aux familles monoparentales à faibles ressources une priorité des politiques publiques, en leur proposant une aide à la parentalité ; en systématisant l’intermédiation du versement des pensions alimentaires ; en développant les aides financières et les activités sportives et de loisirs gratuites pour leurs enfants ; en renforçant leur accès à des modalités de garde d’enfants, notamment en augmentant le nombre de places dans les crèches à vocation d’insertion professionnelle (AVIP) ; en les accompagnant dans la formation professionnelle ; en leur réservant des logements sociaux adaptés à la dimension de leur famille ; en leur assurant une protection contre leurs ex-conjoints violents.

 

B.   LES VIOLENCES, UN FLÉAU RAVAGEUR POUR LA SANTÉ MENTALE DES FEMMES

Les services de sécurité ont enregistré 208 000 victimes de violences commises par leur partenaire ou ex-partenaire en 2021, soit une augmentation de 21 % par rapport à 2020. En 2021, 88 % des mis en cause pour violence conjugale sont des hommes ([52]). Ces violences constituent l’une des manifestations les plus aiguës de l’inégalité entre les femmes et les hommes. La déclaration des Nations Unies sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes les lie explicitement à la domination masculine, puisqu’elle reconnaît que « la violence à l’égard des femmes traduit des rapports de force historiquement inégaux entre hommes et femmes, lesquels ont abouti à la domination et à la discrimination exercées par les premiers et freiné la promotion des secondes, et qu’elle compte parmi les principaux mécanismes sociaux auxquels est due la subordination des femmes aux hommes. ».

1.   L’impact délétère des violences sur la santé mentale des femmes

Entendue par vos rapporteures, Mme Muriel Salmona, psychiatre, spécialisée dans la prise en charge des violences, indiquait que, très tôt dans sa pratique, elle a constaté que les femmes hospitalisées en psychiatrie avaient souvent subi de très graves violences depuis l’enfance. Elle précisait que les femmes en population générale présentent trois fois plus de troubles traumatiques que les hommes, souvent à la suite de viols ou de situations de violences conjugales.

Il existe quatorze fois plus de risques de subir des violences à l’âge adulte quand on en a déjà subi dans l’enfance. Ainsi, pour tous les grands problèmes de santé mentale, les violences constituent un facteur de risque majeur. Les violences conjugales peuvent être verbales, psychologiques, physiques ou sexuelles, et s’accompagner de violences économiques et de privation d’accès à des soins, à des droits administratifs et sociaux, à des études et à un travail. Parmi les femmes victimes de violences conjugales, une sur trois subit des violences sexuelles, une sur deux des violences physiques et plus de quatre sur cinq des violences psychologiques  ([53]). Le confinement de 2020 a exacerbé ces violences : près de 45 000 appels au 3919 ont été enregistrés pendant cette période.

Lors de son audition par vos rapporteures, Mme Marie-France Hirigoyen, psychiatre, auteure de nombreux ouvrages sur le phénomène de l’emprise et première à démocratiser la notion de harcèlement moral, a rappelé que la violence physique a longtemps été la seule prise en compte, ce qui ne permettait pas de comprendre les mécanismes de l’emprise, dont les violences psychologiques sont un ressort essentiel. « Encore maintenant, si l’on veut que les gens réagissent, il faut mettre en avant les violences physiques, plus évidentes à constater, alors qu’il est plus malaisé de faire reconnaître les violences psychologiques » regrettait-elle. Elle reconnaissait néanmoins que la compréhension des violences a évolué et qu’elles sont aujourd’hui mieux appréhendées comme un rapport de pouvoir, impliquant du contrôle et de l’emprise, et non plus seulement comme l’épisode d’agression physique. Malgré tout, Mme Hirigoyen admettait la prise en charge de ces violences, notamment lors du dépôt de plainte, reste difficile. Le dénigrement ou encore les hurlements ne sont pas souvent pris en compte, même lorsqu’ils se déroulent en présence des enfants, ce qui pourrait être une circonstance aggravante. Le procédé même de l’emprise, ajoutait-elle, consiste à dégrader l’estime et la confiance en soi. L’emprise est une façon de prendre le pouvoir pour que l’autre personne se soumette : « dans le phénomène d’emprise, il y a d’abord une phase de séduction, puis d’isolement (la femme perd ses alliés, ses amis, parfois arrête de travailler), puis de contrôle, enfin de dénigrement et de disqualification. L’isolement fait partie du processus d’emprise mais n’en est que la partie la plus visible. À cela s’ajoutent des intimidations, une alternance de chaud et de froid, du chantage affectif et de la culpabilisation ».

Les recherches ont notamment montré que la violence exercée par un partenaire est associée à des problèmes de santé, tant physique que mentale. Les conséquences peuvent se manifester à court, moyen ou long terme. Contrairement aux idées reçues, la violence psychologique (insultes, humiliations, comportement de contrôle, etc.) peut avoir un impact aussi grave sur la santé que la violence physique ou sexuelle, provoquant stress et anxiété, voire dépression ou idées suicidaires.

Mme Marie-France Hirigoyen soulignait également que les violences subies par les mères ont des conséquences préoccupantes sur l’équilibre psychologique des enfants. La plupart des violences commencent pendant la grossesse et le stress précoce peut en effet entraîner des modifications cérébrales. Le dépistage systématique des violences pendant la grossesse est donc absolument nécessaire. Certains nouveau-nés présentent en effet un état de souffrance et de stress, responsable de pleurs incessants, de troubles du sommeil et de l’alimentation, ainsi que d’états de dissociation traumatique les rendant très peu réactifs et perturbant leur développement psychomoteur et affectif. Plus tard, les enfants exposés aux violences conjugales présentent un risque plus élevé de troubles du comportement (10 à 17 fois plus que des enfants dans un foyer sans violence) dont des conduites à risque, des addictions, une hyperactivité et des comportements agressifs vis-à-vis des autres enfants (50 % des jeunes délinquants ont vécu dans un milieu familial violent dans l’enfance), et ils sont à risque important de subir de nouvelles violences. À l’âge adulte, on retrouvera chez eux, une augmentation des comportements agressifs, des conduites à risque, des actes de délinquance et des troubles psychiatriques, avec le risque de reproduire des violences conjugales ou d’en être victime. Les petits garçons exposés à la violence ont quatorze fois plus de risques de devenir des adultes violents et les petites filles des risques également bien plus importants de devenir victimes.

Entendue par vos rapporteures, Mme Annie Soussy, médecin légiste, responsable de l’unité médico-judiciaire du centre hospitalier intercommunal de Créteil, mettait l’accent sur le rôle des enfants dans ces situations de violence : « souvent, les femmes disent avoir subi cela pour préserver leurs enfants. Quand elles se rendent compte que les enfants en ont également souffert, même si elles ont essayé de le leur cacher, cela constitue un élément déclencheur pour dénoncer les faits. Toutefois, si les enfants peuvent être un facteur déterminant pour choisir de sortir des violences, ils représentent également un frein lié à la peur des changements induits par une séparation (déménagement, changement d’école, etc.), et en particulier la crainte de tomber dans la précarité ».

La dimension des violences conjugales n’est pas seulement interpersonnelle : une véritable culture de la violence, transmise de générations en générations, règne au sein de beaucoup de couples et de familles, contribue à banaliser et minimiser ces violences et organise le déni de leurs conséquences. Elle est alimentée par de nombreux stéréotypes et une profonde méconnaissance du traumatisme de celles et ceux qui en sont victimes.

 

Recommandation n° 18 : Faire du dépistage des violences subies par les femmes, un module spécifique et obligatoire de la formation initiale et continue de l’ensemble des professionnels de santé (médecins généralistes, gynécologues, psychiatres, sages-femmes, infirmiers, psychologues, …), des travailleurs sociaux (assistantes sociales, éducateurs, …) et des personnels d’éducation. Mettre l’accent sur le dépistage de celles-ci lors du suivi de la grossesse et à la suite de l’accouchement, en en faisant un point clé des consultations prénatales et postnatales.

 

L’impact psychotraumatique dévastateur des violences conjugales sur la vie et la santé des femmes et des enfants qui en sont victimes est donc un enjeu de politique publique majeur. Selon une enquête réalisée en 2017 par l’OMS, le risque de développer un trouble de stress post-traumatique après avoir subi un choc psychologique est évalué à 4 %. Ce risque est multiplié par 3 et atteint près de 12 % quand les traumatismes sont associés à des violences sexuelles ou des violences commises par le partenaire. De même, lorsque l’on se penche sur la situation des femmes victimes de violences conjugales et qu’on les compare à celles qui n’ont subi aucune violence de ce type, on note qu’elles présentent un risque multiplié par 7 de souffrir d’un TSPT ([54]) .

Connaître les conséquences psychotraumatiques des violences est donc absolument nécessaire pour mieux protéger, accompagner et soigner les personnes qui en sont victimes. Sans cette connaissance, beaucoup de symptômes et de comportements de victimes sont perçus comme paradoxaux par l’entourage et les professionnels qui les prennent en charge, et sont mal interprétés, alors que ce sont des réactions normales à des situations traumatiques. Ces symptômes sont toujours trop peu diffusés auprès des professionnels et du grand public. De ce fait, les victimes ne sont pas identifiées, leur traumatisme n’est pas repéré et face aux nombreuses plaintes psychologiques et somatiques des victimes, aucun lien n’est fait avec les violences et des diagnostics sont portés à tort, donnant lieu à des traitements inadaptés.

De plus, cette méconnaissance est à l’origine d’une profonde incompréhension et d’un manque de reconnaissance de ce que vivent les victimes, de leurs souffrances, du danger qu’elles courent et de l’emprise qu’elles subissent. Elle participe à l’abandon où sont laissées nombre d’entre elles et alimente le déni des violences, les idées fausses, la mise en cause et la culpabilisation des victimes.

La méconnaissance des troubles psychotraumatiques et de leurs mécanismes porte donc préjudice aux victimes. Une meilleure prise en charge médico-psychique des victimes, notamment en traitant les troubles psychotraumatiques, permettrait d’éviter en grande partie les conséquences de ces violences sur la vie affective, sociale, scolaire ou professionnelle des femmes ; et permettrait également de fortement diminuer le risque pour les victimes de subir de nouveau des violences.

Les derniers plans de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux femmes et les travaux de la mission interministérielle de protection des femmes victimes de violences (MIPROF) ont fait une priorité de la formation des professionnels de santé au dépistage systématique des victimes de violences, à leur protection et à la prise en charge des conséquences psychotraumatiques de ces violences sur leur santé, mais le chemin reste long et l’offre de soins adaptés est encore bien trop rare.

Selon Mme Muriel Salmona, « ces violences, par leur pouvoir de sidération et de paralysie psychique, empêchent toute possibilité de contrôler les réactions émotionnelles et génèrent un état de stress dépassé avec la production d’une grande quantité d’hormones de stress […]. Pour échapper à ce risque, un mécanisme de sauvegarde neurobiologique exceptionnel déclenché par le cerveau va faire disjoncter le circuit émotionnel, ainsi que celui de la mémoire qui lui est lié, ce qui permet un arrêt brutal de la production d’hormones de stress et génère une anesthésie émotionnelle et physique. Cette disjonction […] est responsable de l’apparition de deux symptômes traumatiques qui sont au cœur des troubles psychotraumatiques et des processus d’emprise : une dissociation traumatique, se traduisant par une anesthésie émotionnelle et physique, un sentiment d’étrangeté, d’irréalité et de dépersonnalisation, […] ; et une mémoire traumatique se traduisant par une mémoire émotionnelle des violences non intégrée et non consciente qui fait revivre à l’identique les pires moments, de façon incontrôlée et envahissante, avec la même terreur, les mêmes douleurs, les mêmes ressentis sensoriels sous forme de flashbacks (images, bruits, odeurs, sensations, …), comme une machine à remonter le temps se déclenchant au moindre lien rappelant les violences et leur contexte. Le traitement des troubles psychotraumatiques est essentiellement psychothérapeutique, centré sur la mémoire traumatique des violences. Le travail psychothérapeutique a pour but d’intégrer la mémoire traumatique en mémoire autobiographique. Cela se fait dans un premier temps en donnant aux victimes et à leurs proches protecteurs des informations et des explications précises et détaillées sur leurs droits et sur les troubles psychotraumatiques, leurs mécanismes et leur impact, ce temps de psychoéducation est un temps thérapeutique fondamental. Dans ce cadre, les groupes de parole peuvent être d’un grand apport. Il s’agit de lutter contre le déni et tous les stéréotypes, de permettre aux victimes de se comprendre, de connaitre leurs droits, de dénoncer les stratégies mystifiantes de leur conjoint violent, et de se libérer des sentiments de honte et de culpabilité. » ([55]).

Mme Muriel Salmona insistait également durant son audition par vos rapporteures sur la nécessité d’une prise en charge psychothérapeutique pour aider les victimes à se libérer de leur traumatisme. En effet, selon elle, les zones du cerveau atteintes par les violences peuvent dans certains cas se réparer si la personne est correctement prise en charge. Elle ajoutait que, « d’une manière générale, on est traumatisé par les violences qu’on subit, dont on est témoin ou que l’on exerce. Le traitement évite les conséquences de la violence et la reproduction de celle-ci. Il permet de réparer le cerveau. Il y a une perte de chance si l’on ne met pas de traitement en place. Il faut ouvrir des centres, faciliter la prise en charge et améliorer la formation des médecins ».

Entendue également par vos rapporteures, Mme Frédérique Martz, présidente de l’association Women Safe & Children, lieu d’accueil, d’écoute et d’accompagnement des femmes et enfants victimes de violences, soulignait que le psychotraumatisme a des conséquences sociales très importantes. Souvent, on ne comprend pas que la victime a été lourdement choquée et que son cerveau est en pleine transformation, d’où l’importance de la formation des policiers. Elle indiquait que l’accès à des soins adaptés est encore plus problématique dans les zones rurales, avec peu de professionnels, qui ne sont pas formés au psychotraumatisme. Dans certains départements, il n’existe pas d’unités médico-judiciaires et les femmes ne sont donc pas orientées pour la prise en charge de leur traumatisme. D’une manière générale, elle constate un problème de formation continue des professionnels, induisant un manque de compétences sur le psychotraumatisme.

 

Recommandation n° 19 : Former l’ensemble des acteurs de la prise en charge des femmes victimes de violences (policiers, gendarmes, magistrats, médecins généralistes, psychiatres, etc.) au psychotraumatisme (caractéristiques, mécanismes, impact, traitement).

Recommandation n° 20 : Étendre le dispositif des centres régionaux de psychotraumatisme qui assurent une prise en charge globale et pluridisciplinaire et assurer un maillage de l’ensemble du territoire. Assurer une prise en charge à 100 % des soins psychologiques pour les victimes de violences et les psychotraumatismes.

2.   Une lutte contre les violences intrafamiliales à intensifier

La prise en charge psychothérapeutique des victimes nécessite un travail en réseau avec tous les acteurs de la prise en charge, mais aussi une protection complète vis-à-vis de l’agresseur, la justice ne prenant pas toujours suffisamment en compte cette nécessité. La persistance de contacts met les victimes en danger de subir de nouvelles violences, d’être à nouveau traumatisées et de voir réactivés les processus de dissociation qui les vulnérabilisent. Cela constitue un facteur de risque pour leur santé, ainsi qu’un frein au traitement.

Dans une enquête publiée dans Le Monde le 25 novembre 2022, la journaliste Anne Chemin évoquait l’évolution de la perception qu’a la société sur les violences faites aux femmes. En effet, depuis le Moyen Âge, le regard que porte la société française sur les violences conjugales a bien changé. Encouragées à une époque, acceptables jusqu’au XXe siècle, elles sont désormais perçues comme intolérables. La journaliste explique « [qu’]au Moyen Age, la « correction » des femmes par leurs maris est non seulement un droit, mais un devoir. Il faut attendre le siècle des Lumières pour que ce principe tombe en désuétude et la fin du XIXe siècle pour que la tolérance sociale envers les brutalités, peu à peu, recule ».

Malgré une prise de conscience récente, résultant notamment du travail des associations comptabilisant le nombre de victimes afin d’interpeler les pouvoirs publics, à l’instar de #NousToutes, la sortie des violences demeure un processus laborieux. Le Haut Conseil à l’égalité le divise en quatre étapes : la révélation des faits et l’accès au droit, la mise en sécurité des victimes, la phase judiciaire, puis la sortie effective et durable du schéma violent ([56]) .

Lancé en octobre 2019, le Grenelle des violences conjugales a fait évoluer la protection et la prise en charge des femmes victimes de leur conjoint ou ex‑conjoint. Malgré la mise en œuvre d’ordonnances de protection (OP), le déploiement de téléphones grave danger (TGD)[57] et de bracelets anti-rapprochement (BAR), la levée du secret médical en cas de danger immédiat pour la victime ou encore la mise en place de grilles communes d’évaluation de la dangerosité pour les policiers et gendarmes, le nombre de féminicides ne diminue pas. Trop de femmes victimes qui avaient dénoncé les violences commises par leur conjoint ou ex‑conjoint, sont encore laissées sans protection. Le faible nombre de BAR (environ 2000) par exemple, s’explique par le fait que le consentement des deux parties est requis lors de l’audience, après que le juge a délivré les informations relatives au dispositif. Quant aux ordonnances de protection, plusieurs facteurs expliquent leur nombre insuffisant :

        l’absence de formation des juges aux affaires familiales (JAF), la délivrance des ordonnances variant considérablement d’un département à l’autre, en fonction de leur niveau de connaissance et de conviction ;

        le manque de moyens des associations qui accueillent les femmes victimes. Elles n’ont pas la possibilité de faire face à l’ensemble des demandes et d’accompagner toutes les femmes dans leurs démarches ;

        la méconnaissance par les victimes de leurs droits. Face à des faits de violences conjugales, le principal réflexe demeure le dépôt de plainte. Il s’agit pourtant d’un dispositif complémentaire efficace puisqu’il permet de prononcer un ensemble de mesures, aussi bien civiles que de protection immédiate et effective à l’égard des victimes. L’ordonnance de protection constitue, en outre, une alternative pour la victime qui n’est pas prête à engager des poursuites à l’encontre de celui qui partage ou a partagé sa vie et une première étape pour se défaire de l’emprise de l’auteur des violences.

Les associations féministes, telles que Solidarité femmes, le Mouvement du Planning familial ou encore la Fédération nationale des CIDFF, sont unanimes quant à la nécessité de mieux protéger les femmes en danger. Elles dénoncent le manque de moyens financiers et humains, une justice souvent trop frileuse, ainsi que des mesures trop disparates.

En mai 2019, la ministre de la justice a publié une circulaire visant à remobiliser parquets et juges aux affaires familiales sur les violences faites aux femmes. Quelques mesures concrètes ont été proposées aux procureurs : mise en place de l’ordonnance de protection civile le plus souvent possible, généralisation du téléphone grave danger et prise en compte des liens entre violences conjugales et maltraitance des enfants. Le 22 mai 2023, de nouvelles mesures contre les violences conjugales ont été annoncées, faisant suite aux 59 propositions du rapport de Mmes Émilie Chandler et Dominique Vérien sur le traitement judiciaire des violences intrafamiliales ([58]). Outre une réévaluation systématique du danger en fin de peine, notamment), le garde des sceaux s’est engagé à mettre en place une ordonnance de protection provisoire immédiate déclenchée dans les 24 heures par le juge aux affaires familiales, sans contradictoire, en cas d’urgence et de danger ; des pôles spécialisés au sein de toutes les juridictions ; le renforcement de l’organisation des tribunaux judiciaires (comité de pilotage unique au sein du pôle spécialisé pour garantir le partage d’informations, par exemple) ; le développement d’outils techniques plus performants, avec par exemple le déploiement de BAR 5G dès juin 2023.

De même, afin de pallier les difficultés matérielles rencontrées par certaines femmes victimes de violences conjugales pour quitter leur domicile, la loi  2023140 du 28 février 2023 a créé une aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales. Sous réserve que les violences aient été attestées par une ordonnance de protection délivrée par le juge aux affaires familiales, après dépôt de plainte ou signalement adressé au procureur de la République, elle prévoit l’octroi d'un prêt sans intérêt ou d'une aide non remboursable, en fonction de la situation financière et sociale de la victime. Cette avancée permet de répondre à l’urgence de la situation, en ce que le versement de l'aide intervient dans un délai de trois jours ouvrés à compter de la réception de la demande.

Afin d’aller plus loin, il pourrait être intéressant de s’inspirer, comme ce fut largement le cas pour les mesures précitées, du modèle espagnol, en particulier pour ce qui concerne le volet de l’accès aux droits. Les femmes victimes y bénéficient en effet d’une assistance juridique gratuite, d’un accompagnement psychologique, d’aides économiques spécifiques, d’un accès prioritaire aux logements sociaux et aux maisons de retraite. Dans le domaine du travail, elles peuvent prétendre à un aménagement de leur emploi du temps, ont droit à la mobilité géographique et peuvent demander une suspension temporaire du poste avec le maintien du contrat de travail. En matière de suivi et de prévention également, il pourrait être utile de s’inspirer de la plateforme espagnole Viogen, alimentée par les forces de l’ordre et les diverses institutions qui prennent en charge les femmes victimes de violences, et qui recense des données telles que le nombre de victimes, le nombre de plaintes déposées, le nombre d’ordonnances de protection demandées, le nombre d’ordonnances de protection accordées et le nombre de recours des victimes. Ces statistiques actualisées et accessibles sont consultables par les services dédiés mais également par les médias et le grand public. Cette plateforme permet également d’évaluer le niveau de danger encouru par les victimes, ainsi que les jours les plus à risque pour les femmes dans l’année. Il semble que le dispositif soit efficace, la part de victimes qui avaient porté plainte et ont été tuées par leurs conjoints ensuite étant en effet passée de 75 % à 20 % entre 2009 et 2019. Il convient toutefois de noter que ce système prédictif, reposant sur un algorithme qui peut comporter des imperfections, constitue une aide à la décision et ne doit pas se substituer à l’appréciation des policiers ou des juges.

Il est donc crucial que les dispositifs dédiés à l’accompagnement et à la protection des femmes victimes de violences conjugales soient mieux connus, mieux mobilisés, mieux dotés et renforcés. Cela passe par des campagnes d’information régulières, ainsi que pour les acteurs de la prise en charge des victimes, par une formation et une incitation à s’emparer de ces outils.

 

Recommandation n° 21: Améliorer le traitement policier et judiciaire des violences intrafamiliales en approfondissant la formation de l’ensemble des intervenants (travailleurs sociaux, policiers, gendarmes, avocats, magistrats) ; en renforçant et systématisant le recours aux dispositifs existants (ordonnances d’éloignement, téléphones grave danger, bracelets anti-rapprochement) ; en développant des pôles spécialisés dans les commissariats, les gendarmeries et les tribunaux ; en garantissant la prise en charge médicale et sociale des victimes ; en assurant le suivi des auteurs et en créant une base de données rassemblant les informations relatives aux victimes, à l’instar du dispositif Viogen en Espagne.

 

Cela implique probablement aussi d’accorder davantage de moyens financiers et humains, ou à tout le moins une plus grande visibilité budgétaire aux associations. Le rapport rouge VIF précité met en exergue le fait que les associations ne reposent pas sur des ressources financières pérennes, et doivent constamment répondre à des appels à projets pour pouvoir poursuivre leurs actions. Elles sont donc contraintes de consacrer beaucoup de temps à la recherche de financements auprès d’une grande diversité d’acteurs. Or, ce sont autant de moyens humains qui ne sont pas consacrés à l’aide aux victimes.

Enfin, pour mieux protéger les victimes, il est indispensable de prendre en charge les auteurs. Le Gouvernement a annoncé qu’il allait développer les centres accueillant ces hommes dans le but de réduire le nombre de récidives. Le dispositif a fait ses preuves, en France et à l’étranger. Selon la fédération nationale des associations et des centres de prise en charge d’auteurs de violences conjugales et familiales (FNACAV), il aurait permis de faire baisser le taux de récidive de 50 à 20 %. En 2022, 30 centres sont répartis sur l’ensemble du territoire, l’objectif étant d’atteindre à terme un maillage de deux centres par département. Ils proposent une approche pluridisciplinaire, un suivi psychologique et un accompagnement à la réinsertion de ce public.

3.   Les violences que subissent les femmes au travail

Les violences conjugales ne sont pas les seules violences dont les femmes doivent être protégées. Elles subissent également des violences sexistes et sexuelles au travail, lesquelles ont des conséquences désastreuses sur leur santé mentale et restent trop souvent impunies, alors qu’il s’agit de délits pénaux. Entendue par vos rapporteures, Mme Mathilde Cornette, juriste auprès de l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), indiquait que parmi les femmes que son association accompagne, quasiment toutes se trouvent en arrêt de travail, y compris des femmes qui n’y ont jamais eu recours auparavant, tant la répercussion des violences sexuelles au travail sur la santé des femmes est intense et critique. Selon elle, même pour celles qui conservent leur emploi, ces violences ont un retentissement à la fois en termes de rémunérations et de déroulement de carrière en les extrayant du collectif de travail. Selon Mme Cornette, « ce sont des femmes qui ne vont pas faire de vagues, étant déjà heureuses d’avoir conservé leur travail. Elles vont donc éviter les initiatives, les prises de risques qui leur permettraient justement de progresser dans leur carrière. Elles ont peur d’être exposées à des représailles pour avoir dénoncé le harcèlement sexuel dont elles ont été victimes et ont tendance à se faire toutes petites. ».

Des pratiques trahissant des manquements aux obligations de l’employeur persistent en outre, ce dont Mme Mathilde Cornette concluait qu’ « il faut former toutes les personnes ressources et, en urgence, la médecine du travail. L’importance de la formation concerne également la justice. Les démarches judiciaires, tant au pénal que devant les juridictions du travail, se heurtent à tellement d’obstacles, à certains procureurs qui classent massivement sans suite, qu’il est difficile pour les victimes d’obtenir condamnation et réparation. Les plaidoiries de la défense sont extrêmement destructrices, de même que les questions des juges ».

Or, l’obligation de prévention du harcèlement sexuel s’intègre dans l’obligation générale de l’employeur d’assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale des travailleurs. L’employeur est donc tenu de prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d’y mettre un terme et de les sanctionner. La responsabilité de l’employeur peut être engagée, dès lors qu’il n’a pas pris toutes les mesures de prévention visées aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et, notamment qu’il n’a pas :

        mis en œuvre des actions d’information et de formation propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement sexuel ;

        pris toutes les mesures propres à mettre un terme aux faits de harcèlement sexuel.

Par ailleurs, la responsabilité de l’employeur sur le fondement de l’obligation de sécurité peut être engagée, quand bien même la qualification pénale de harcèlement sexuel n’a pas été retenue par les juges. Il est donc impératif que les pouvoirs publics rappellent les employeurs à leurs obligations en la matière, en organisant des campagnes d’information et de sensibilisation à périodicité régulière et que des formations soient proposées aux employeurs, tant publics que privés, pour leur permettre de repérer et de sanctionner les faits de harcèlement sexiste et sexuel au travail.

Par ailleurs, l’environnement de travail se révèle parfois assez hostile aux femmes du fait de la persistance de comportements sexistes. Ainsi, 38,5 % des femmes disent avoir été victimes de comportements sexistes et sexuels au travail au moins une fois dans leur vie professionnelle, contre 14,0 % des hommes. Parmi les types de situations rapportées, on retrouve :

        des plaisanteries indécentes à caractère sexuel ou des remarques offensantes sur le corps ou la vie privée (62 %) ;

        des contacts physiques non désirés (31 %) ;

        des propositions sexuelles déplacées (26 %) ([59])

Recommandation n° 22 : Organiser des campagnes d’information et de sensibilisation régulières pour rappeler que le harcèlement sexiste et sexuel constitue un délit pénal. Mettre l’accent auprès des employeurs, tant publics que privés, sur leurs obligations légales en la matière, leur imposant de prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d’y mettre un terme et de les sanctionner, sous peine d’engager leur responsabilité.

 

En France comme à l’étranger, les violences que subissent les femmes dans tous les secteurs de la société nécessitent donc également de s’attaquer à leur racine, par la déconstruction des stéréotypes sexistes, y compris auprès des professionnels, dont persistent utiliser des stéréotypes, (la femme vénale, la femme trop fragile ou instable, la femme manipulatrice, etc.) dans certaines procédures. De tels stéréotypes freinent la reconnaissance des femmes en tant que victimes. Il s’agit d’une entreprise de longue haleine et c’est donc aussi auprès des enfants et sur les mentalités qu’il faut aujourd’hui travailler.

 

Recommandation n ° 23 : Réformer l’éducation à la sexualité en milieu scolaire, actuellement centrée sur l’anatomie et la contraception, en prévoyant des contenus plus explicites, afin de répondre aux véritables attentes et interrogations des adolescents. Ce nouveau programme devra mettre l’accent sur le respect de l’autre, la notion de consentement, ainsi que sur la prévention contre la pornographie. Il devra prévoir de faire appel à des intervenants spécialisés (associations, médecins ou infirmières scolaires, psychiatres, psychologues, …), afin de ne pas faire reposer l’éducation à la sexualité uniquement sur les enseignants. Contrôler le caractère effectif des trois séances annuelles obligatoires, en organisant une vérification périodique par les rectorats auprès des différents établissements d’enseignement et renforcer le rythme de ces séances.

 

C.   DES ADDICTIONS JOUANT LE RÔLE DE BÉQUILLES QUI DÉGRADENT LA SANTÉ MENTALE DES FEMMES

Les addictions sont des pathologies cérébrales définies par une dépendance à une substance ou une activité, avec des conséquences délétères. Les addictions ont des répercussions médicales, psychologiques et psychiatriques sur le long terme. Les addictions ont également des conséquences sociales durables et significatives dans la vie de la personne : isolement, marginalisation, stigmatisation, déscolarisation, perte d’emploi. Les femmes et les hommes ne sont pas égaux face aux addictions. Au-delà des différences de consommation et d’usages, les femmes sont plus fragilisées, soumises à des pressions morales et sociétales. Leur prise en charge nécessite donc une approche adaptée.

1.   Les aspects spécifiques des addictions féminines

L’addiction ne touche pas les femmes comme les hommes. Si les produits sont similaires, les usages, les conséquences et les circonstances diffèrent en partie. Les femmes absorbent les mêmes produits mais ne les consomment pas de la même manière et subissent d’autres conséquences liées à leurs pratiques.

En population générale, les consommations de drogues licites sont celles qui ont les conséquences les plus graves en matière de santé. Le nombre de décès annuels attribuables à l’alcool en France est évalué à 45 000 et à 60 000 pour le tabac. Selon les derniers chiffres publiés dans le rapport 2019 de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), l’alcool et le tabac, substances licites, demeurent les produits les plus consommés. Le tabac est moins consommé que l’alcool mais son usage est plus quotidien. 27 % des adultes fument tous les jours (14 millions de personnes de 11 à 75 ans) et 10 % boivent quotidiennement de l’alcool (5 millions de personnes).

Concernant les médicaments psychotropes, un Français sur dix a utilisé des anxiolytiques au cours de l’année et leur utilisation est deux fois plus fréquente chez les femmes. En dix ans, la consommation d’antalgiques opioïdes a augmenté et, parallèlement, ses mésusages (intoxications et décès). La situation n’est cependant pas comparable à la crise sanitaire observée aux États-Unis.

Parmi les substances illicites, le cannabis reste de très loin la substance la plus consommée avec 1,4 million de consommateurs réguliers (17 millions d’expérimentateurs). Au niveau européen, la France se distingue par le haut niveau de consommation chez les jeunes (équivalent à celui observé aux États-Unis et au Canada). La cocaïne est le deuxième produit illicite le plus consommé avec 450 000 usagers dans l’année (2,2 millions d’expérimentateurs). Elle est suivie de près par l’ecstasy qui compte 400 000 usagers et 1,7 million d’expérimentateurs. En 2017, l’ecstasy, jusque-là cantonnée aux usagers des scènes festives alternatives, est devenue la drogue la plus consommée chez les 18-25 ans après le cannabis et devant la cocaïne[60].

Les addictions peuvent avoir des objets divers, dont la liste s’étend sans cesse. Aux dépendances classiques et reconnues (drogues, alcool, tabac, jeux d’argent et de hasard), viennent s’ajouter les dépendances à internet, aux achats, au sport, au sexe, au travail. Les conduites addictives ont des conséquences sanitaires et sociales multiples (maladies, handicaps, suicides, violence, isolement, précarité, etc.).

Les addictions chez les femmes ne présentent tendanciellement pas les mêmes caractéristiques que chez les hommes et on observe des prévalences différentes suivant les addictions. Entendu par vos rapporteures, le professeur Michel Lejoyeux, chef du service de psychiatrie et d’addictologie de l’hôpital Bichat à Paris, président de la commission nationale de la psychiatrie, estime qu’il est nécessaire de disposer de données genrées. Selon lui, on compte actuellement environ 40 % de femmes pour 60 % d’hommes, en ce qui concerne les addictions. Il y a une quinzaine d’années, celles-ci étaient essentiellement une problématique masculine.

S’agissant du tabac, chez les femmes de 18 à 75 ans, 23 % fument quotidiennement en 2021, contre 20,7 % en 2019. Cette hausse peut être liée à l’impact de la crise de la Covid-19, avec l’augmentation de la charge mentale et la dégradation des conditions de travail des femmes. La cigarette a alors été considérée comme un outil de gestion du stress. En 2019, le tabac a causé la mort de 20 000 femmes, un chiffre qui a doublé depuis les années 2000. Chez les femmes de moins de 65 ans, 1 décès sur 5 est imputable au tabac. Une femme qui fume voit en moyenne son espérance de vie se réduire de 11 années.

Lors de son audition par vos rapporteures, Mme Florence Thibaut, professeure de psychiatrie et d’addictologie à l’hôpital Cochin et à l’Université Paris Cité, indique que le tabagisme féminin est le produit d’un siècle de marketing : association à l’idée d’émancipation des femmes, collaborations avec le monde de la haute couture, messages publicitaires portés par des actrices. Avant que leur packaging soit neutralisé par la loi du 26 janvier 2016 relative à la modernisation du système de santé, les paquets de cigarettes étaient élaborés de telle sorte qu’ils puissent passer pour des accessoires de mode.

À cette image d’émancipation et de glamour, s’ajoute selon elle l’aspiration des femmes à l’égalité : pendant des dizaines d’années, l’industrie du tabac a présenté la cigarette comme un symbole de la puissance masculine. À partir du moment où les mouvements féministes se sont mis à revendiquer l’égalité entre les sexes, si la cigarette est un symbole de la puissance masculine, elle peut donner l’illusion d’atteindre cette égalité. À cette image très positive de la femme libre et émancipée s’adjoignent des facteurs psycho-sociaux qui encouragent la consommation de tabac et qui sont plus marqués chez les femmes, au premier rang desquels le contrôle du poids. S’y ajoute l’idée que fumer facilite la gestion du stress et des émotions négatives, voire aide à soulager la charge mentale, contrairement aux hommes qui tendent majoritairement à profiter de l’effet stimulant de la cigarette.

L’alcoolisme au féminin est aujourd’hui une réalité que l’on ne peut plus occulter. Selon le baromètre de Santé publique France de novembre 2021, 14,7 % des Françaises de 18 à 75 ans consomment trop d’alcool. Le professeur Michel Lejoyeux précisait que l’utilisation de l’alcool comme moyen de gestion de la charge mentale est spécifiquement féminine. Il indiquait qu’ « il y a une phénoménologie, une clinique et un déterminisme différents chez les hommes et chez les femmes en matière d’alcool. L’alcool est utilisé comme médicament par les femmes qui y recherchent plus fréquemment une consolation, tandis que les hommes recherchent davantage une stimulation. L’alcool participe également à une convivialité paradoxale, les substances étant facteurs d’intégration. Une véritable incitation sociale à cette consommation existe, d’autant que les lobbies des producteurs d’alcool, comme de tabac, sont très actifs et qu’il existe des promoteurs de toutes les substances addictives. Or, la pression pro-produits cible particulièrement les jeunes femmes ».

Entendue par vos rapporteures, Mme Elsa Taschini, présidente de l’association Addict’Elles indiquait pour sa part que, chez les femmes, on note une augmentation de la consommation d’alcool corrélée au niveau d’éducation et de revenus : il s’agit généralement de femmes à bac + 5 ou bac + 8, avec de fortes responsabilités au travail. Elle précisait que les femmes consomment de l’alcool pour mieux supporter la charge mentale, qu’elle soit familiale ou professionnelle, ou pour lutter contre des douleurs chroniques. Beaucoup de femmes consomment pour faire face à une douleur morale mais aussi à des douleurs physiques (règles douloureuses, endométriose, douleurs de dos, etc.). Mme Taschini affirmait même devant vos rapporteures que « l’alcool constitue le premier anxiolytique sans ordonnance ».

Le professeur Michel Lejoyeux observait devant vos rapporteures que l’alcool peut également être utilisé comme une drogue de soumission psychique par des conjoints violents. L’alcool rend les femmes plus vulnérables à la violence car en les empêchant affaiblissant leur perception du contexte émotionnel et des menaces qui les entourent. Les liens entre addictions et violences conjugales sont pluriels car elles peuvent à la fois constituer une cause - une porte d’entrée vers la violence pour les auteurs, et une réaction à ces violences en agissant comme échappatoire pour les victimes.

La consommation de cannabis est très fréquemment associée à celle du tabac et de l’alcool. Dans les contextes festifs, le cannabis est très présent, accompagnant souvent, lorsqu’elles sont rencontrées, les prises de produits stimulants et de produits hallucinogènes. La dernière enquête ESCAPAD ([61]) de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) révèle que les adolescents fument de plus en plus de cannabis et que cette évolution est plus forte chez les jeunes filles bien que celles-ci restent moins nombreuses que les garçons à se droguer. Historiquement, l’usage des drogues est bien plus répandu dans l’univers masculin que dans l’univers féminin. Mais la société change, et les comportements aussi. Comme avec le travail et la cigarette par le passé, les femmes « investissent » progressivement un domaine qui leur était assez inaccessible auparavant. Ce phénomène est particulièrement chez les cadres, où les femmes ont un niveau de consommation beaucoup plus proche de celui des hommes.

L’évolution du rôle des femmes dans la société a par ailleurs entraîné l’émergence d’un comportement qui leur est plus particulier, celui de la prise de médicaments psychotropes car si les femmes exercent dans leur grande majorité une activité professionnelle, elles n’en sont pas pour autant dispensées du rôle de gestion du foyer qui leur a été historiquement attribué. En dehors des classiques alcools, cafés, cannabis, beaucoup ont donc recours à des somnifères, antidépresseurs, des benzodiazépines, médicaments à base d’opiacés et autres, qu’elles se procurent aussi bien légalement qu’illégalement, tantôt pour rester au meilleur niveau, tantôt pour parvenir à se détendre. Le succès des médicaments auprès du public féminin tient sans doute à des raisons culturelles, à leur aspect plus « propre », moins dangereux, car légitime médicalement. Une consommation qui peut bien souvent être légale, et pas trop mal vue, pourvu que cela permette aux femmes de continuer à entretenir le double rôle que la société continue de vouloir leur imposer. Par ailleurs, leur santé étant plus souvent abordée sous l’angle de la psychologie plutôt que de la douleur physique, elles sont plus spontanément renvoyées vers les produits qui sont classiquement attachés à la santé mentale.

En outre, les femmes ressentent plus de douleurs chroniques que les hommes et sont plus susceptibles de se rendre chez le médecin pour obtenir de l’aide pour soulager la douleur. Les médecins remettent généralement plus d’ordonnances aux femmes et ils prescrivent des analgésiques opioïdes pour des périodes en moyenne plus longues. Les femmes ont non seulement un accès plus facile aux analgésiques, mais elles passent de la consommation initiale à la dépendance plus rapidement que les hommes. La recherche indique également que les femmes dépendantes aux opiacés ont une incidence plus élevée d’anxiété, de dépression et de troubles alimentaires que leurs homologues masculins. Les chercheurs ignorent si les problèmes de santé mentale poussent les femmes à s’auto‑médicamenter avec des analgésiques, ou si l’inverse est vrai.

Les femmes sont également concernées par les troubles du comportement alimentaire (TCA). La dimension psycho-affective de la nourriture agit sur le fonctionnement biologique et psychologique, tout comme les substances psychoactives. Entendue par vos rapporteures, Mme NathaliGodart, pédopsychiatre, présidente de la Fédération française anorexie boulimie (FFAB), indiquait que les TCA sont extrêmement liés à la régulation émotionnelle et comportent une dimension psychique, somatique et d’insertion sociale. Selon l’INSERM, l’anorexie toucherait 1,4 % des femmes au cours de leur vie (contre 0,2 % des hommes), avec deux pics, à 14 et 17 ans. La boulimie touche quant à elle environ 1,5 % des jeunes gens et concernerait environ trois jeunes filles pour un garçon. La boulimie débute généralement plus tard que l’anorexie mentale, avec un pic de fréquence vers 19-20 ans. L’hyperphagie boulimique est plus fréquente (3 à 5 % de la population). Elle touche presque autant les hommes que les femmes et elle est plus souvent diagnostiquée à l’âge adulte, mais il existe des formes précoces souvent plus sévères. L’hyperphagie boulimique a un rôle important dans la survenue d’un surpoids ou d’une obésité, lesquels génèrent une souffrance psychique. En effet, si la boulimie se caractérise par des prises compulsives de quantités importantes de nourriture suivies de comportements compensatoires (vomissements, prise de laxatifs, jeûne ou exercice physique excessif), ces derniers sont absents dans l’hyperphagie boulimique.

La professeure Nathalie Godart précisait devant vos rapporteures que les TCA sont observés dans l’ensemble de la population, sous forme de troubles chroniques qui concernent près d’un million de personnes, ajoutant que la crise de la Covid-19 avait entraîné leur augmentation, conjuguée à une difficulté d’accès aux soins. Elle indiquait que ces troubles ont un impact sur la fertilité et qu’il conviendrait en conséquence qu’ils puissent être repérés par les gynécologues et les sages-femmes.

Femmes et adolescentes témoignent de comportements et de représentations particulières envers les substances psychoactives. Ces particularités appellent à s’interroger sur le besoin de réponses spécifiques, en soins comme en prévention.

2.   Une détection et un suivi médico-social à améliorer

Les femmes sont les grandes absentes des structures de soins en addictologie. Elles ne représentent que 23 % du public des centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) et 18 % des centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction de risques pour usagers de drogues (CAARUD) implantés en France ([62]). Malgré un usage du cannabis en hausse chez les filles, la fréquentation féminine des consultations jeunes consommateurs (CJC) n’a pas suivi. Ainsi, l’OFDT note que 82 % des jeunes qui ont consulté pour un usage de cannabis étaient des garçons ([63]).

À cela s’ajoute la problématique des addictions pendant la grossesse, qui peuvent avoir des conséquences désastreuses sur le développement du fœtus et hypothéquer l’avenir de ces enfants.

Les femmes fumeuses s’exposent aux mêmes risques pour la santé que les hommes fumeurs mais elles encourent des risques supplémentaires spécifiques souvent méconnus et négligés : à tabagisme égal, les femmes sont exposées à un surrisque de maladie coronaire de l’ordre de 25 % ([64]). Certains risques sont en outre spécifiques aux femmes. L’association du tabac avec la contraception œstro-progestative induit un risque plus important d’accident cardiovasculaire. D’autres conséquences sanitaires associées sont spécifiques aux femmes, comme un risque plus important de cancer du sein (les fumeuses voient leur risque de contracter un cancer du sein augmenter de 50 %), de cancers du col de l’utérus, de perturbation des cycles menstruels, de problèmes pour le développement du fœtus en cas de grossesse, ou encore d’incidence sur la ménopause. Le tabagisme réduirait en outre la fertilité des femmes, cette réduction étant majorée par l’âge et le niveau du tabagisme (avec une relation dose-effet). Par ailleurs, la ménopause interviendrait en moyenne deux ans plus tôt chez les fumeuses.

S’agissant de l’alcool, sa consommation, même non addictive, a une influence sur le développement de nombreuses pathologies : cancers (17 % des cancers du sein sont dus à une consommation régulière d’alcool ([65])), maladies cardiovasculaires et digestives, maladies du système nerveux, mais aussi troubles psychiques. L’alcool peut également être à l’origine de difficultés plus banales (fatigue, troubles du sommeil, problèmes de mémoire ou de concentration).

Les médecins soulignent la progression de l’alcoolisme féminin, sans qu’il existe de donnée fiable sur le nombre des femmes alcooliques en France. Le retentissement social de l’alcoolisme peut également être important : perte d’emploi, stigmatisation, déclassement social.

La consommation d’alcool et autres substances peut enfin avoir de lourdes conséquences sur le fœtus et sa santé. Entendue par vos rapporteures, la professeure Florence Thibaut mettait l’accent sur les complications obstétricales et néonatales liées aux addictions :

        avortement spontané, mort à la naissance, prématurité, retards de poids et de croissance à la naissance, malformations congénitales, trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale (TSAF) ;

        risque accru de sevrage à la naissance (bébé) et de mort subite ultérieure (tabac) ;

        handicap intellectuel ou moteur ; troubles de l’apprentissage, de l’attention et/ou du langage, mauvais contrôle des impulsions et hyperactivité ;

        dépression, anxiété, troubles liés à la consommation de drogues et d’alcool, ainsi que des troubles du comportement.

 

Recommandation n° 24 : Renforcer la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme au féminin, en informant de manière claire et précise sur les dangers spécifiques pour la santé des femmes, comme pour celle des fœtus. Élaborer des brochures d’information mises à disposition dans les établissements scolaires, dans les cabinets médicaux, les lieux d’accueil des femmes. Faire des consultations chez le généraliste un moment d’information sur les dangers du tabac et de l’alcool et de dépistage systématique de l’alcoolisme chez les femmes, en s’appuyant sur une grille d’analyse. Faire de l’orientation vers le sevrage tabagique et alcoolique, un élément indissociable des consultations au cours de la grossesse et mettre à profit le séjour à la maternité pour sensibiliser les mères et leur proposer une prise en charge.

 

Entendue par vos rapporteures, Mme Isabelle Vidal, sage-femme référente en addictologie dans un centre dédié, considère que la difficulté en matière de prise en charge consiste à assurer une transversalité entre des spécialités qui n’arrivent pas à communiquer. Selon elle, « cette prise en charge devrait se faire par une équipe multidisciplinaire ayant une formation adéquate, comprenant des pédiatres, psychologues, assistantes sociales, sages-femmes et gynécologues. Il est important de renforcer les connaissances des professionnels de santé du secteur médico-social et social (formation initiale et continue), ainsi que ceux intervenant dans les établissements d’information sur le conseil conjugal et familial (EICCF) et dans les centres de planification familiale, sur les risques et sur les pratiques, afin d’effectuer un repérage précoce des situations de consommation. En cas de projet de parentalité, il ne s’agit pas d’adopter un discours moralisateur, hygiéniste ou culpabilisant, mais de mieux informer les futurs parents et leur entourage, dès le projet de grossesse et d’offrir un accompagnement adapté aux femmes en difficulté avec leur consommation et aux enfants nés après une exposition durant la grossesse. La présence de professionnels de l’addictologie dans les structures telles que les PMI serait également hautement souhaitable. Il faut en faire un sujet de l’entretien prénatal précoce.

Mme Elsa Taschini soulignait le lien étroit entre addictions et santé mentale, les deux devant donc être traités conjointement : « la dépression touche tous les âges de la vie. On constate un manque de soutien social en cas de problèmes de santé mentale. 35 à 50 % des patientes soignées pour addiction souffrent d’un état de stress post traumatique (ESPT). On constate une fréquence d’éléments critiques au cours de leur vie ».

Entendu par vos rapporteures, M. Bruno Leroy, médecin addictologue auprès de l’association Le Cap, indiquait que son association ne peut malheureusement plus proposer d’ateliers au féminin pour des raisons budgétaires. Or, cet espace réservé aux femmes « les fidélisait, en leur proposant un univers sécurisé. En effet, il s’agit de femmes qui ont subi beaucoup de violences et pour lesquelles les tensions souvent observées en salle d’attente mixte constituent un obstacle. L’association reçoit des femmes de toutes catégories sociales, qu’il s’agisse de femmes désocialisées, présentant une instabilité professionnelle et émotionnelle ou de femmes exerçant des responsabilités et qui subissent une charge mentale importante ». M. Bruno Leroy constatait également que les structures se délitent, en raison notamment du départ à la retraite de nombreux professionnels, des problèmes financiers des hôpitaux, et des nouvelles modalités de financement sur appels à projet, qui ne permettent plus un financement pérenne. Par ailleurs, selon lui, « la formation en addictologie est insuffisante. Les professionnels ne sont pas formés à communiquer. Or, une empathie profonde et un travail collaboratif sont essentiels pour parvenir à prendre en charge les addictions et les femmes, en particulier celles qui ont subi des violences, ont tout particulièrement besoin d’une communication adaptée ».

Une réflexion doit en conséquence être menée par les professionnels de l’addictologie sur la mise en place d’une approche particulière pour orienter, accueillir et prendre en charge les femmes, au regard du faible nombre d’entre elles qui consultent dans les structures. Les difficultés d’accès aux soins des femmes souffrant d’addictions tiennent en effet autant à une difficulté d’orientation du secteur de droit commun vers le secteur spécialisé en addictologie qu’à des réticences de la part des usagères. Les équipes professionnelles font face à la complexité organisationnelle de ces réponses, ainsi qu’à un recrutement souvent difficile, notamment du fait de la stigmatisation des structures spécialisées. Ces limites soulèvent la problématique de l’aller vers : il s’agit de trouver comment approcher ces femmes, créer et maintenir le lien, afin d’initier et de consolider leur prise en charge.

3.   Une plus forte stigmatisation des femmes victimes d’addictions

Au-delà des différences de consommation et d’usages, les femmes sont plus fragilisées, soumises à des pressions culturelles plus importantes : chez les hommes, déjà, l’addiction n’a pas bonne presse, mais chez les femmes, l’effet de stigmatisation est décuplé. Il existe une forte stigmatisation sociale des femmes alcooliques et/ou toxicomanes, particulièrement marquée lorsqu’elles sont enceintes ou quand elles ont un ou des enfants à charge.

Gaussot & Palierne (2010) ([66]) , ont ainsi mis en évidence l’importante dissymétrie qui existe entre les stéréotypes masculins et féminins de l’alcoolisme. Selon les auteurs, « le stéréotype de la femme « nécessairement sobre » intervient à la fois comme une injonction de prohibition de la consommation d’alcool et comme un jugement négatif à l’encontre des femmes alcooliques, qui ne respectent pas cette injonction. Les stéréotypes liés à la femme alcoolique induisent chez les femmes qui en font l’objet, une prédisposition à la honte et la culpabilité. L’alcoolisme masculin est perçu comme un alcoolisme d’entraînement, convivial et festif, tandis que l’alcoolisme féminin est perçu comme un alcoolisme plus problématique, caché et culpabilisé. D’une manière générale, on attribue à la femme alcoolique la clandestinité des alcoolisations au sens d’une disqualification de la femme alcoolique qui aurait une personnalité dissimulatrice et pathologique. Les valeurs liées à la féminité et à la maternité s’opposent de manière parfois violente au stéréotype de l’alcoolique. La dissimulation des alcoolisations des femmes pourrait alors s’expliquer par la honte liée au stéréotype de la femme alcoolique, conséquence de l’opposition entre féminité et alcoolisme. La crainte d’être jugée négativement engendrerait la dissimulation de sa consommation. Ainsi, plus que les hommes, les consommatrices d’alcool doivent faire face aux reproches de la société et à des attitudes stigmatisantes, que ce soit de la part de leur entourage ou des praticiens de santé. Malgré l’étendue des problèmes liés aux addictions, les femmes doivent donc affronter un jugement moral stigmatisant de la part de la société tout entière, avec parfois des conséquences dramatiques ».

Quant aux femmes usagères de drogues, elles contreviennent également aux stéréotypes de genre et aux rôles sociaux traditionnels qui leurs sont assignés. Pour des raisons aussi bien biologiques que sociales, les femmes toxicomanes présentent une vulnérabilité accrue au VIH et à l’hépatite C car elles peuvent avoir des difficultés à négocier l’usage du préservatif ou être en situation de prostitution. Elles font face à une plus grande stigmatisation de leur usage de drogues et à des barrières à l’accès au traitement. Même lorsqu’elles cherchent à entrer dans un protocole de traitement substitutif aux opiacés (méthadone), ces femmes se heurtent aux perceptions négatives et attitudes punitives encore très présentes dans les systèmes de santé ou d’aide sociale. L’usage de drogues chez les femmes ayant des enfants à charge peut par exemple limiter leurs possibilités de suivre assidument un traitement, voire conduire au placement de ceux-ci.

Il est donc indispensable de sensibiliser l’opinion aux conséquences physiques et psychologiques du rejet social chez les femmes aux prises avec des addictions. L’impact de la stigmatisation est en effet immense :

        elle peut affecter le travail, la capacité à trouver un logement, les relations sociales, ainsi que la santé physique et mentale.

        elle constitue un obstacle à l’accès au traitement ainsi qu’à l’accès aux soins en général.

        elle est susceptible d’augmenter les comportements à risques.

Sans cette stigmatisation, il serait beaucoup plus facile aux femmes de faire une évaluation objective de leur situation et d’en parler ouvertement avec leur médecin. Il est donc primordial de mener des campagnes de sensibilisation, afin d’inviter le public, ainsi qu’un certain nombre de cibles spécifiques, à réfléchir à l’importance de respecter les droits et la dignité des personnes. Les images et les messages sont aussi un appel à l’action : mettre fin à la stigmatisation et à la discrimination est un élément clé pour promouvoir des politiques de lutte contre les addictions centrées sur la personne et respectueuses des droits humains. Il semble plus que jamais important de plaider pour la fin des rôles de genre et des attentes qui y sont liées, et s’abstraire des stéréotypes qui pèsent sur les femmes, afin qu’elles n’aient plus peur de chercher de l’aide quand elles estiment en avoir besoin.

 

Recommandation n° 25 : Lutter contre le rejet et la stigmatisation dont sont victimes les femmes souffrant d’addictions et qui constituent des barrières à l’accès aux soins, en mettant l’accent sur la sensibilisation des professionnels de santé et des travailleurs sociaux ; en informant largement le public sur la dimension de problème de santé publique et non de comportements déviants que représentent les addictions chez les femmes ; en alertant sur les conséquences pour les enfants, en cas de non‑prise en charge de celles‑ci.

 


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   ConClusion

 

La santé mentale est un enjeu crucial pour notre société. Dans le monde entier, les problèmes de santé mentale sont importants, mais les réponses insuffisantes et inadaptées. Il convient d’œuvrer pour que la santé mentale se voie accorder plus d’importance et suscite un plus large engagement et de repenser les politiques publiques, tant en matière de prévention que de traitement.

Ce sujet ne concerne pas uniquement les personnes touchées, mais la société dans son ensemble. Dans une tribune parue dans la revue Molecular Psychiatry, trente‑deux experts du monde entier appellent à une stratégie de politique publique pour préserver notre « capital santé mentale » et celui des générations futures. Selon eux, prendre en compte le bien-être de la population améliore la prospérité économique d’une nation, ainsi que sa cohésion et l’inclusion sociale.

L’oppression, l’injustice, la discrimination, l’exclusion sociale, la violence, la pauvreté participent de ces enchaînements d’événements qui, au cours d’une vie, peuvent conduire à la détresse ou aux troubles mentaux. La détresse mentale peut ainsi être appréhendée comme une réaction de révolte consciente ou inconsciente à une expérience d’injustice. Les femmes sont en conséquence plus particulièrement concernées, et les luttes pour leur émancipation économique et contre les stéréotypes et toutes les formes de violences qu’elles subissent seront seules à même d’améliorer la situation sur le long terme. À plus court terme, la réponse médicale doit être adaptée, par une meilleure détection des troubles psychiques dès le plus jeune âge et par une prise en charge pluridisciplinaire et tenant compte des spécificités des patientes.

Comme le résumait lors de son audition Mme Marie-France Hirigoyen, « les femmes ont changé, elles exercent une activité professionnelle rémunérée et accèdent davantage à l’autonomie économique. De même, le mouvement #Me Too a largement contribué à redonner confiance aux femmes, mais les hommes, eux, n’ont pas tant changé. Il y a bien sûr des jeunes hommes éduqués qui sont favorables à l’égalité entre les femmes et les hommes, mais l’éducation traditionnelle continue à valoriser la force. Les messages d’éducation à l’égalité sont insuffisamment diffusés dans les médias et à l’école. Une évolution des mentalités est donc nécessaire, et doit s’accompagner d’une structuration, d’une coordination et d’un maillage renforcés des soins, dans un contexte d’augmentation des troubles psychiques et psychiatriques et d’effondrement démographique des professions qui les soignent. »

Un changement de paradigme est donc indispensable pour qu’il soit enfin pris soin de manière efficace de la santé mentale des femmes à tous les âges de la vie. Dans cette optique, vos rapporteures considèrent essentiel de développer une véritable culture de l’aller vers, notamment auprès de l’ensemble des intervenants, travailleurs sociaux et professionnels de santé, afin qu’ils soient formés au repérage, à la détection et au diagnostic des troubles mentaux chez les femmes, ainsi qu’à l’identification des situations à risque, telles que les violences ou les addictions. Tous les acteurs de la santé mentale des femmes, à quelque titre que ce soit, doivent ainsi être dans une démarche dynamique à l’égard des patientes, en particulier les plus précaires, pour les intégrer le plus tôt possible dans un parcours de soins leur assurant un suivi pluridisciplinaire.

Une action volontariste des pouvoirs publics apparaît donc indispensable, avec le déploiement d’un plan ambitieux pour la santé mentale des femmes. Cela passe nécessairement par un renforcement des moyens financiers et humains consacrés à celle-ci, en termes de prévention et de prise en charge. Il s’agit là d’un enjeu de santé publique majeur, tant pour les femmes que pour l’ensemble de la société.

 


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   TRAVAUX DE la délégation

I.   audition de Mme Agnès firmin le bodo, MINISTRE DELÉGUÉE AUPRÈS DU MINISTRE DE LA SANTÉ ET DE LA PRÉVENTION, CHARGÉE DE L’ORGANISATION TERRITORIALE ET DES PROFESSIONS DE SANTÉ

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a auditionné, mercredi 5 avril 2023, Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.

Les débats sont accessibles sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

https://assnat.fr/qGizf4

Mme la présidente Véronique Riotton. Madame la ministre, notre délégation est honorée de vous recevoir. Ce temps d’échange permettra d’éclairer nos membres quant à votre feuille de route en matière d’offre de soins et d’accès aux soins et concernant les problématiques particulières des femmes, mais aussi l’avenir, les conditions de travail et la santé des professionnels de santé, lesquels sont très majoritairement des femmes.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Mesdames les députées, puisque je ne vois aucun homme parmi vous – c’est une façon assez sympathique de concevoir la parité ! –, je vous remercie de me recevoir pour échanger sur les enjeux liés à la santé de la femme.

Le sujet qui nous réunit requiert la mobilisation de chacun : les parlementaires – je serai attentive aux travaux de la mission d’information sur la santé mentale des femmes –, les ministères, le monde associatif et académique, les collectivités locales et le monde de l’innovation. Loin d’être des sujets uniquement sanitaires, la santé des femmes et la lutte contre les violences faites aux femmes appellent des réponses collectives qui dépassent les clivages politiques.

J’aborderai la prise en charge des femmes victimes de violences et la santé de nos professionnelles de santé avant de détailler les différentes mesures liées au suivi de la loi de bioéthique.

L’égalité entre les femmes et les hommes est à nouveau grande cause nationale en ce deuxième quinquennat. La lutte contre les violences faites aux femmes, qui sont la première manifestation de la rupture d’égalité entre les sexes, constitue une priorité pour notre gouvernement. Avec le Grenelle des violences conjugales, en 2019, de nombreuses actions ont été entreprises pour que la parole se libère et que chaque victime puisse être prise en charge. La déclinaison adaptée et réactive des plans de lutte contre les violences faites aux femmes et, plus globalement, la prise en charge des violences intrafamiliales sont inscrites sur la feuille de route de mon ministère.

En 2021, on dénombrait 208 000 victimes de violences commises par leur partenaire ou ex-partenaire et 143 homicides conjugaux, contre 125 en 2020, concernant à 85 % des femmes. Les viols et tentatives de viol ont crû de 31 %, contre une hausse de 27 % en 2020. La part des victimes étrangères, de 15 %, est deux fois plus élevée que la proportion d’étrangers vivant en France. La Guyane, la Seine-Saint-Denis, le Nord, La Réunion, le Pas‑de‑Calais et le Lot-et-Garonne sont les départements dans lesquels le nombre de victimes conjugales enregistré est le plus élevé. Nul ne peut rester indifférent face à ces chiffres.

Le 25 novembre, j’ai installé au ministère de la santé et de la prévention le comité de suivi des mesures du Grenelle des violences conjugales, afin de réunir tous les acteurs concernés – administrations, mécènes et associations. Cette installation a été précédée d’une représentation de la pièce de théâtre Je me porte bien ! de Sonia Aya, femme policière et auteure ; c’est un outil pédagogique de formation et de prévention.

Mon ministère est notamment chargé du développement des structures dédiées à la prise en charge sanitaire, psychologique et sociale des femmes victimes de violences, suivant le modèle de la Maison des femmes, fondée à Saint-Denis par le docteur Ghada Hatem, au travail de laquelle je rends hommage. Un cahier des charges national du dispositif a été établi, en lien avec un groupe d’experts issus du comité de suivi du Grenelle des violences conjugales. Une instruction nationale destinée aux agences régionales de santé (ARS) a permis de diffuser ce cahier des charges. Un soutien financier national dans le cadre d’une mission d’intérêt général (MIG) de trois ans, de 2020 à 2022, d’un total de 5,1 millions d’euros, complété, le cas échéant, de financements ARS du Fonds d’intervention régional (FIR), et de financements autres venant de collectivités locales, de mécènes et du privé, a permis le soutien de 56 structures avec une moyenne de 3,5 dispositifs soutenus par région.

Alors que les maisons des femmes sont dédiées aux femmes victimes de violences, les centres de santé sexuelle s’adressent à un public plus large. Anciennement centres de planification et d’éducation familiale, ils sont financés par les conseils départementaux. Il s’agit de lieux ouverts à tous pour favoriser l’écoute et la prévention en matière de sexualité : contraception, IST – infections sexuellement transmissibles –, IVG – interruption volontaire de grossesse – et tout ce qui touche à la vie affective et relationnelle. L’on peut y bénéficier d’une consultation médicale par des sages-femmes ou des médecins. Certains centres pratiquent des IVG.

Les maisons des femmes sont situées dans des hôpitaux assurant au moins une activité d’urgence de gynécologie-obstétrique. Elles pratiquent des activités spécialisées comme l’IVG, la chirurgie générale et spécialisée, la psychiatrie et les permanences d’accès aux soins de santé. L’objet de ce dispositif dédié est d’assurer un panel de prestations garantissant la complétude et la qualité des parcours des femmes victimes. Il n’est pas toutefois nécessaire de proposer in situ la totalité des prises en charge visées. Le cas échéant, celles-ci sont organisées par voie de convention avec d’autres établissements de santé ou partenaires de ville, notamment avec les centres de santé sexuelle. À l’occasion du comité interministériel à l’égalité entre les femmes et les hommes, le 8 mars, la Première ministre a annoncé le doublement du nombre de maisons des femmes afin qu’il y en ait une par département à l’horizon 2025.

En 2021, moins d’une victime de violences conjugales sur quatre a porté plainte. Pour faciliter le dépôt de plainte des femmes victimes de violences et encourager le recueil des preuves sans plainte, mon ministère, en lien avec ceux de l’intérieur et de la justice, veille à accélérer la signature de conventions santé-sécurité-justice – 269 avaient été signées fin 2022 et 54 étaient en cours de signature. Il s’agit de permettre le dépôt de plainte à l’hôpital. Un travail conjoint des trois ministères sera engagé pour identifier les freins au développement, favoriser la signature de ces conventions et adapter les modalités de dépôt de plainte pour faciliter l’« aller vers » les victimes.

Le recueil de preuves sans plainte, qui permet aux femmes de prendre le temps de la réflexion et de porter plainte quand elles s’y sentent prêtes, est également une priorité. Entre le 1er janvier et le 30 septembre 2022, 5 367 examens ont été effectués dans ce cadre au sein des unités médico-judiciaires hospitalières. Cela représente une augmentation de 44 % par rapport à 2021.

Les violences conjugales sont à l’origine de nombreux traumatismes psychologiques pour les femmes. Nous devons donc proposer aux victimes une prise en charge adaptée. Le développement des centres régionaux du psychotraumatisme, les CRP, découle des mesures prises dans le cadre des plans de lutte contre les violences faites aux femmes. Certains CRP étaient historiquement spécialisés dans la lutte contre les violences faites aux femmes. En 2021, les données d’activité font état d’une file active composée à 72 % de femmes. Ces centres ont évolué vers d’autres dispositifs concernant toutes les formes de psychotraumatisme : violences faites aux enfants, violences intrafamiliales, actes terroristes, traite des êtres humains. De nouveaux moyens ont été déployés pour la création, en 2020, de cinq nouveaux dispositifs de prise en charge du psychotraumatisme, portant leur nombre à quinze et permettant la couverture de l’Ouest du territoire national. L’ensemble des régions est ainsi couvert, à l’exception de la Corse, de la Guadeloupe, de la Guyane et de Mayotte.

Ces structures doivent assurer deux missions principales : d’une part, prendre en charge tout type de victimes et de violences ; d’autre part, proposer des ressources, des formations et leur expertise concernant le psychotraumatisme, pour favoriser la prise en charge dans les territoires. Les dispositifs retenus constituent des points d’animation et de contact, des pilotes régionaux qui ont vocation à impulser et à soutenir une dynamique de prise en charge. Il est essentiel que tous les acteurs du soin et, plus largement, de la santé travaillent de manière coordonnée pour proposer à chaque personne ayant besoin du système de santé une offre diversifiée et de qualité permettant de l’accompagner dans son parcours vers la résilience.

Pour former les professionnels de santé, un outil d’évaluation de la gravité et de la dangerosité des situations de violence conjugale a été élaboré, en lien avec la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof). Il a été validé par les ordres en novembre 2022. Il comporte un logigramme, un tableau de caractères, une fiche de signalement, un guide pour la remplir, un rappel des recommandations de bonnes pratiques de la Haute Autorité de santé (HAS) ainsi que des ressources utiles pour aller plus loin.

Le 25 novembre, la HAS a largement diffusé un outil et des vidéos consacrés au dépistage systématique pour encourager les médecins généralistes à questionner systématiquement leurs patientes sur l’existence de violences conjugales actuelles ou passées.

Nous menons également des actions de formation des professionnels en addictologie. La littérature montre que la consommation de substances psychoactives, en premier lieu l’alcool, est constatée dans 40 % des cas de violences conjugales. Aussi avons-nous lancé une campagne de formation ciblée pour les référents chargés des violences faites aux femmes dans les centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie, les Csapa, et dans les centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues, les Caarud. Tous les référents ont été formés.

Mieux connaître pour mieux agir : toujours selon cette logique, je souhaite documenter davantage le sujet des violences sexistes et sexuelles en milieu étudiant. Une étude de large envergure sera lancée avec la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildec) afin de mesurer la prévalence des violences envers les femmes étudiantes et d’identifier les moyens de prévention les plus efficaces.

La santé des professionnels de santé me tient particulièrement à cœur, comme à chacun de nous. Nos professionnels de santé sont précieux ; prendre soin de ceux qui nous soignent est un devoir. Ce sujet n’est pas nouveau, mais il a été mis en exergue par la crise sanitaire. Les problèmes demeurent aigus et vont le rester : bien que nous soyons à l’œuvre pour apporter des réponses rapides, il faudra du temps pour que les résultats se fassent sentir concrètement. J’ai donc souhaité, en prenant appui sur les travaux menés depuis 2017, donner une nouvelle impulsion à ce chantier.

La grande majorité des Français mesure combien l’engagement de ces professionnels qui épousent leur métier par vocation est précieux. C’est une richesse qu’il nous appartient de préserver, ensemble, dans un esprit de solidarité. Or le surmenage auquel ces professionnels sont très souvent confrontés induit des conséquences au plan individuel et collectif et fait peser un risque sur l’ensemble du système de santé.

Si tous les professionnels et toutes les générations sont concernés, deux populations s’avèrent plus à risque : les professionnelles de santé et les étudiants se préparant aux métiers de la santé. La charge de travail et le déséquilibre entre la vie professionnelle et la vie privée affectent leur santé psychique. L’organisation et les conditions de travail ont des incidences sur leur santé physique ; un quart des professionnels de santé a le sentiment d’être en mauvaise santé. En outre, les professionnelles de santé semblent spécifiquement exposées à certains risques sanitaires, dont certains types de cancers. Cette conjugaison de facteurs nuit à l’attractivité des métiers de la santé, lesquels comptaient pourtant encore récemment parmi les orientations professionnelles très valorisées.

En tant que ministre chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé, cette situation m’oblige à rechercher avec vous des réponses structurelles et des solutions durables.

En tant que pharmacienne, en relation avec de nombreux collègues médicaux et paramédicaux, je mesure la force du déni et la détresse qui s’empare des soignants lorsqu’ils perdent pied. J’ai donc engagé un chantier visant à coconstruire avec les professionnels concernés les mesures pragmatiques qui apporteront des réponses concrètes à leurs besoins de santé. J’ai demandé à trois personnes qualifiées – Philippe Denormandie, Marine Crest‑Guilluy et Alexis Bataille-Hembert – d’en assurer le pilotage, en lien avec mon ministère. La première de nos priorités est d’arriver à préciser finement les problèmes de santé auxquels sont exposés les soignants.

Le 7 novembre, nous avons lancé avec la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) et la fondation mutuelle nationale des hospitaliers (MNH) un appel à manifestation d’intérêt relatif à la recherche sur la santé des professionnels de santé. Quatre projets ont été retenus le 30 mars, consacrés aux thématiques suivantes : grossesse et maternité chez les professionnelles de santé ; exposome et pénibilité professionnelle dans le secteur de la santé ; santé mentale et addictions, impact du parcours professionnel ; dépistage, incidence et mortalité des cancers chez les personnels du secteur de la santé.

Nous avons lancé, le même jour, une enquête coconstruite avec les différentes fédérations – FHF (Fédération hospitalière de France), FHP (Fédération de l’hospitalisation privée), FEHAP (Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs), Unicancer (Fédération des centres de lutte contre le cancer) –, le groupe SOS, la Croix-Rouge et les organisations représentatives des professionnels de santé – l’UNPS (Union nationale des professionnels de santé), les représentants des libéraux et l’Association française des directeurs de soins (AFDS). Nous souhaitons que cette liste d’une quarantaine de questions soit accessible à tous les soignants. Il s’agit de les solliciter directement et de leur montrer que nous souhaitons apporter des réponses à chacun et chacune d’entre eux.

J’ai également noué un partenariat avec l’association Solidarité avec les soignants, fondée par Anne Roumanoff durant la crise sanitaire pour accompagner leur action et améliorer leur bien-être.

L’application de la loi de bioéthique, enfin, a ouvert aux femmes des droits inédits et attendus de longue date en matière d’AMP (assistance médicale à la procréation). C’est une avancée collective, conforme à l’engagement pris par le Président de la République en 2017. Nous nous réjouissons que les femmes se saisissent de ce nouveau droit : en 2022, 15 100 demandes de première consultation ont été enregistrées en vue d’une AMP avec don de spermatozoïdes au bénéfice de couples de femmes ou de femmes non mariées, contre 6 800 en 2021. Au 31 décembre 2022, l’on recensait 444 grossesses évolutives, correspondant à plus de douze semaines d’aménorrhée, et 21 accouchements issus de ces tentatives depuis août 2021.

Malgré les moyens déployés pour permettre au système d’assumer l’afflux de nouvelles demandes, le délai moyen de prise en charge pour une AMP avec don de spermatozoïdes, de la prise de rendez-vous à la première tentative, est estimé à 14,4 mois, contre 12 avant la loi. Ce délai reste trop important et nous travaillons activement à le réduire. Le ministère a décidé de réunir les centres publics et privés au sein d’un groupe de travail pour poser les bases d’une meilleure coopération entre les acteurs, notamment pour gérer les files d’attente et harmoniser les parcours. Nous sommes convaincus qu’il est possible de réduire le délai moyen en généralisant les bonnes pratiques de prise en charge au cours de l’année 2023. Cela passe, par exemple, par le fait de fournir aux patientes, préalablement au premier rendez‑vous, une liste des pièces nécessaires, à la manière de ce qui se pratique en mairie lors des demandes de titres d’identité, ou encore par une meilleure coordination de la prise de rendez-vous avec les différents professionnels durant le parcours, pour éviter que les délais d’attente ne s’additionnent.

En amont de l’AMP se pose la question de la santé reproductive des femmes et de ce qu’elle implique pour les femmes concernées et pour notre société. L’infertilité s’explique par des facteurs environnementaux – des perturbateurs endocriniens –, d’origine médicale – une endométriose, le syndrome des ovaires polykystiques – ou par des comportements sociétaux. Ces derniers ont sur la fertilité des conséquences soit directes – dans le cas de la consommation de tabac ou de cannabis, de l’obésité, des troubles de l’alimentation – soit indirectes, lorsqu’ils entraînent un recul de l’âge de la maternité, sachant que le déclin naturel de la fertilité avec l’âge est le premier facteur d’infertilité.

Dans le cadre de mon action en matière de santé environnementale, je souhaite avancer pour une prise en compte globale de la santé reproductive lors des travaux du quatrième plan national santé environnement, le PNSE4, qui comprend un volet dédié au caractère reprotoxique des produits ménagers, et dans le cadre de la deuxième stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens, la SNPE2.

En lien avec votre délégation, je suis pleinement engagée concernant l’ensemble de ces sujets. Je forme le vœu que nous avancions ensemble. Je sais que vous partagez cet état d’esprit.

Mme la présidente Véronique Riotton. Merci, madame la ministre. Nous serons heureuses de vous réentendre dans le cadre de notre mission de contrôle du Gouvernement : l’évaluation est un volet important.

Je donne d’abord la parole aux deux rapporteures de la mission d’information sur la santé mentale des femmes.

Mme Pascale Martin (LFI-NUPES). La délégation nous a désignées, Anne Cécile Violland et moi-même, rapporteures d’une mission d’information sur la santé des femmes. Le sujet étant vaste, nous avons décidé de nous concentrer sur la question souvent négligée et pourtant primordiale de leur santé mentale.

Nous avons mené de nombreuses auditions, notamment auprès de professionnels de santé, tant dans le secteur hospitalier et libéral qu’auprès d’associations d’usagers et d’usagères. En outre, Santé publique France nous a fourni des données chiffrées dont il ressort que la demande de soutien psychologique et de soins lorsque des troubles psychiques apparaissent est en constante augmentation, renforcée par la crise du covid-19, notamment chez les jeunes et tout particulièrement les jeunes filles. Or l’offre de soins peine à répondre à ces besoins accrus. Le nombre de professionnels de santé et de structures dédiées tend même à diminuer, du fait des départs à la retraite et de la désaffection des nouvelles générations, que les conditions d’exercice découragent.

Mme Anne-Cécile Violland (HOR). Il en va de même des associations, lesquelles ne peuvent pas lancer ou poursuivre toutes les actions voulues, en raison de l’insuffisance ou de l’absence de pérennité des moyens financiers alloués par la puissance publique. Cela vient notamment du recours à l’appel à projets, qui ne permet pas de pérenniser les financements.

Nos interlocuteurs ont par ailleurs souligné l’importance de la prévention en matière de santé mentale. Pour préserver celle-ci ou la restaurer, il faut mener des actions de dépistage précoce et assurer une prise en charge rapide. Cela passe par une information et une sensibilisation tant du public que des professionnels de santé. Or la formation de ces derniers ne consacre qu’un temps réduit au dépistage et au traitement des troubles psychiques. C’est particulièrement le cas pour les médecins généralistes, qui sont souvent le premier interlocuteur des personnes en souffrance psychologique, voire le seul.

La santé mentale est-elle une priorité des politiques de santé publique ? Si oui, les moyens qui lui sont consacrés seront-ils renforcés ? Le dispositif MonParcoursPsy pourrait-il être adapté pour une meilleure articulation avec les professionnels ?

De nombreuses inégalités territoriales sont observées en matière d’accès aux soins. L’absence de praticiens spécialisés – psychologues, psychiatres, infirmiers en pratique avancée – ou de structures dédiées ne permet pas à toutes les femmes d’avoir accès dans des délais raisonnables à une prise en charge pour elles ou pour leurs enfants, notamment lorsque ces derniers sont traumatisés par des violences conjugales, ou à un suivi prolongé. Qu’est-il prévu pour améliorer l’accès aux soins en matière de santé mentale dans tout le territoire national, en mettant l’accent sur les territoires les plus déshérités ? Je pense aux zones rurales, aux territoires touchés par la précarité économique et à ceux d’outre-mer.

L’accompagnement périnatal des femmes est trop souvent négligé, et l’absence de soutien durant cette période de particulière vulnérabilité peut avoir un retentissement important sur leur santé mentale comme sur celle de leur enfant, y compris à long terme. À cet égard, je salue le travail de ma collègue Sandrine Josso et la proposition de loi visant à favoriser l’accompagnement psychologique des femmes victimes de fausse couche. Est-il prévu d’instaurer un accompagnement périnatal systématique, en donnant la priorité à la pluridisciplinarité et à la continuité du suivi ?

Mme Pascale Martin (LFI-NUPES). Est-il prévu d’approfondir la formation des professionnels de santé amenés à repérer et à prendre en charge les troubles psychiques des femmes – médecins généralistes, sages-femmes, infirmiers et infirmières en pratique avancée, psychiatres et psychologues ? S’agirait-il de formation initiale ou de formation continue ?

Qu’est-il prévu pour améliorer l’attractivité des métiers de la santé en lien avec la prise en charge de la santé mentale des femmes, notamment en matière de conditions de travail et de rémunération, surtout en milieu hospitalier, pour éviter une fuite des professionnels qui préfèrent se tourner vers l’exercice libéral, voire abandonner la profession ? La question est cruciale pour la salle de naissance. Je me suis entretenue avec une sage-femme qui m’a alertée à ce sujet.

Enfin, dans des métiers de la santé fortement féminisés, la souffrance des personnels est évidente. Les taux de démission deviennent astronomiques, notamment chez les infirmières. Les soignantes avec qui j’ai échangé m’ont parlé de burn-out et de dépression – cela ne vous surprendra pas. Comment comptez-vous agir, à court et à long terme, pour améliorer la santé mentale des personnels soignants ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Je vais répondre à vos nombreuses questions, puis je vous transmettrai un complément écrit.

La santé des professionnels de santé, particulièrement des femmes, puisqu’elles sont majoritaires dans le système de santé, est un enjeu majeur. La mission dont j’ai parlé est chargée d’objectiver les problématiques de santé, notamment dans le milieu libéral – elles sont beaucoup mieux documentées en établissement, grâce à la médecine du travail et à la réflexion sur la qualité de vie au travail (QVT). Le questionnaire que nous venons de diffuser a déjà reçu plus de 8 500 réponses. Cela confirme que l’enjeu est de taille et concerne tous les professionnels de santé. Nous vous transmettrons le lien vers ce questionnaire, afin que vous le diffusiez aux professionnels que vous connaissez. Plus la question sera documentée, plus nous pourrons lui apporter des réponses.

En réponse à l’appel à manifestation d’intérêt que nous avons lancé avec la fondation MNH et la Drees, nous avons reçu onze projets sérieux et intéressants. Il a fallu en sélectionner quatre, d’une durée de deux ans. Le premier concernera la grossesse, la santé des femmes et le travail. La prévalence du cancer chez les femmes, notamment celles qui travaillent de nuit, sera également étudiée. Parmi les trois professionnels qui nous accompagnent, il y a une femme médecin à Marseille et un aide-soignant devenu cadre et militaire – il suivra le sujet au cordeau !

Vous me demandez si la santé mentale est une priorité. La réponse est évidemment affirmative, a fortiori depuis la crise sanitaire : nous savons l’incidence qu’a eue cette dernière sur le système de santé et sur nombre de nos concitoyens, notamment les jeunes. Concernant les plus jeunes, en particulier les jeunes filles, les chiffres sortis en novembre dernier font froid dans le dos : les tentatives d’autolyse ont plus que doublé chez les filles âgées de 10 à 12 ans. Cela nous incite à aller encore plus vite en matière de prévention.

Longtemps, la psychiatrie n’a pas bénéficié de la même considération que les autres professions médicales. En décembre 2017, Agnès Buzyn en avait fait l’une de ses priorités et nommé un délégué interministériel à la santé mentale et à la psychiatrie, M. Bellivier. Celui‑ci a développé des réflexions sur des schémas d’organisation territoriale en psychiatrie. C’est un véritable enjeu, que nous souhaitons prendre à bras-le-corps. La première réponse après la crise sanitaire a été la création du dispositif MonPsy, devenu MonParcoursPsy. Il a été fortement débattu, mais nous voyons son intérêt puisque plus de 90 000 consultations ont été effectuées dans ce cadre. La difficulté est d’augmenter le nombre de tous les professionnels de santé et d’inciter les jeunes étudiants à choisir cette spécialité. La résoudre implique de renforcer l’attractivité des métiers, notamment celui de psychiatre, à l’hôpital comme en ville, la pédopsychiatrie représentant un enjeu particulier.

Concernant l’accompagnement périnatal, 16,7 % des femmes qui ont accouché en mars 2021 ont présenté des signes de dépression post-partum deux mois après l’accouchement. Cela a également été le cas de près de 10 % des pères. Le suicide constitue la deuxième cause de mortalité maternelle dans l’année qui suit la naissance. Pour mieux accompagner les jeunes parents durant cette période potentiellement marquée par des bouleversements psychiques, le chantier interministériel des 1 000 premiers jours de l’enfant, lancé par Adrien Taquet, a permis d’instaurer un entretien prénatal précoce (EPP), et un entretien postnatal.

Depuis le 1er mai 2020, un nouveau temps fort de l’accompagnement prénatal des mères a été ancré dans le parcours périnatal grâce à la généralisation de l’EPP, devenu obligatoire à l’instar des sept consultations prénatales. Il s’agit d’un temps privilégié d’échange et d’écoute, au début d’un parcours périnatal, entre la femme enceinte ou le couple et un professionnel de santé – médecin ou sage-femme. Dans une logique de prévention, cet entretien prend en compte la dimension psychologique et émotionnelle, ainsi que l’environnement social de la grossesse, pour repérer les besoins d’accompagnement des parents avant l’accueil de l’enfant. Il offre également un soutien précoce à la parentalité avant la naissance, constituant aussi un outil de prévention de la dépression du post-partum et des troubles de la relation parent-enfant. En 2021, 60 % des femmes en ont bénéficié au cours de leur grossesse, soit 423 512 femmes.

Depuis le 1er juillet 2022, l’entretien postnatal est également devenu une étape obligatoire du parcours de soins des femmes en post-partum. Il est effectué par un médecin ou une sage-femme entre la quatrième et la huitième semaine suivant l’accouchement. Il a pour objet de repérer les premiers signes ou les facteurs de risque de dépression du post-partum. Au 31 décembre 2022, 26 400 femmes en avaient bénéficié. Il faudra en évaluer le bénéfice à plus long terme, mais nous n’avons aucun doute quant à son intérêt. S’agissant de la formation des professionnels de santé, nous avons supprimé le numerus clausus et augmenté le nombre de médecins formés de 10 à 15 % par an. Mais il faudra entre huit et dix ans pour que la loi que nous avons votée porte ses fruits – en espérant que les jeunes choisissent la psychiatrie.

Mme la présidente Véronique Riotton. En ce qui concerne le déploiement d’une maison des femmes par département, comment procéderez-vous concrètement au maillage ? Quels seront le financement et le calendrier ? Comment nos territoires peuvent-ils se saisir de ce sujet ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. La Première ministre a fixé un objectif clair : au moins une maison des femmes par département fin 2025. De mémoire, il en existe déjà cinquante-six, ce qui représente à peu près la moitié des départements. Il nous reste deux ans pour couvrir les autres. Ce travail devra s’effectuer avec les territoires, en commençant par les régions qui n’ont aucune maison des femmes, avant d’en venir aux grands départements pour lesquels leur situation géographique et les financements prévus permettent d’en avoir une deuxième.

Il importe que ces maisons soient liées à une structure hospitalière pour permettre une prise en charge globale des femmes victimes de violences, à leur arrivée mais aussi après : la prise en charge du psychotraumatisme est un enjeu important. J’ai observé à La Réunion le développement, grâce au lien entre les ministères concernés, du dépôt de pré-plainte à l’hôpital puis de la prise en charge du psychotraumatisme ; le résultat est remarquable. Plus on facilitera le dépôt de plainte, plus on accompagnera ces femmes rapidement.

L’idée est de travailler avec les systèmes de soins, les hôpitaux et les ARS pour atteindre l’objectif – ambitieux – de couverture du territoire. L’État consacrera, de mémoire, 5 millions d’euros au développement de cet outil essentiel.

Mme la présidente Véronique Riotton. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Graziella Melchior (RE). Le 5 avril 1971 paraissait dans Le Nouvel Observateur une pétition historique pour les droits des femmes, le manifeste des 343, dans lequel 343 femmes avaient le courage de dire qu’elles s’étaient fait avorter, s’exposant à des poursuites pénales pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement. Les signataires appelaient à une législation pour le droit à l’avortement en France. Cinquante-deux ans plus tard, les exemples des États-Unis, de la Hongrie ou de la Pologne montrent à quel point il demeure pour les femmes un droit fondamental que nous devons encore et toujours défendre.

Le Président de la République a annoncé un projet de loi visant à inscrire dans la Constitution la liberté des femmes à recourir à l’interruption volontaire de grossesse (IVG). En novembre, l’Assemblée nationale s’est exprimée à une très large majorité en ce sens en adoptant le texte de compromis présenté par La France insoumise.

Pourtant, sur le terrain, ce droit est parfois menacé. Nous devons nous assurer qu’il est pleinement accessible à toutes les femmes de notre pays et dans tout le territoire. Ce matin, le centre du planning familial de Strasbourg a été tagué par des militants d’extrême droite, comme avait été attaqué celui de Brest en août. Compte tenu d’autres préoccupations exprimées par ce dernier, j’ai organisé une réunion entre ses membres et le centre de planification et d’éducation familiale du centre hospitalier universitaire (CHU) de Brest, afin que les bénévoles et le corps médical se comprennent et coopèrent mieux. La première étape a consisté à proposer aux bénévoles du planning familial de venir en stage dans les services du CHU pour mieux comprendre la prise en charge des femmes qui, quelles que soient leurs raisons, souhaitent mettre fin à une grossesse.

Comment pouvons-nous mieux protéger les centres du planning familial face aux menaces des extrémistes ?

Envisagez-vous de favoriser le rapprochement entre les antennes du planning familial et les CHU, pour que nous puissions dire à toutes les femmes de notre pays que la France les protège ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Nous devons condamner fortement ces actes odieux. Le ministère de la santé n’est pas le plus à même de protéger ces lieux ; il faudra demander aux forces de police d’être présentes là où ils sont visés. Mais nous devons tous – et pas seulement les femmes – regretter qu’en 2023, dans un pays comme le nôtre, il faille encore dénoncer des tags sur des centres pratiquant l’IVG et faire protéger ces derniers par la police.

Le rapprochement entre les centres du planning familial et les centres de santé sexuelle, l’information mutuelle, la formation des bénévoles comme des professionnels sont bénéfiques et à encourager.

Lorsque j’étais parlementaire, nous avions débattu dans l’hémicycle de la prolongation du délai pour pratiquer une IVG. Notre objectif doit être de rendre ce droit effectif. À cette fin, je m’engage à donner des moyens aux plannings familiaux, mais aussi des moyens de s’informer sur la santé sexuelle aux jeunes femmes et aux jeunes filles ainsi qu’aux jeunes garçons. Face au nombre insuffisant de gynécologues, nous avons également permis aux sages-femmes de pratiquer des IVG.

Mme Géraldine Grangier (RN). Après dix-sept ans d’interruption de la formation à la gynécologie et le rétablissement d’un diplôme spécifique, la progression du nombre de postes d’internes a permis d’aboutir au chiffre de près de 1 000 gynécologues médicaux en exercice ou en cours de formation, dont 87 pour la rentrée 2022. Légèrement encourageant, ce chiffre ne répond pourtant pas aux besoins puisqu’il ne suffit pas à compenser les départs à la retraite. Le nombre de gynécologues médicaux continue de baisser. Il est ainsi passé de 1 945 en 2007 à 851 en 2022, pour 30 millions de femmes en âge de consulter.

En 2013, on ne dénombrait que sept départements sans gynécologue. Aujourd’hui, on en compte quatorze, et les effectifs ne font que diminuer. Les conséquences sont très lourdes pour les femmes : difficulté voire impossibilité d’un suivi régulier, retard de diagnostic aux conséquences très graves, recours aux urgences, augmentation des infections sexuellement transmissibles, etc. S’y ajoute la faible représentation de la gynécologie médicale dans les conseils nationaux professionnels, structures essentielles pour le fonctionnement et l’évolution d’une profession : six représentants de la gynécologie médicale, contre dix pour la gynécologie obstétrique.

Comptez-vous ouvrir davantage de postes d’internes en gynécologie médicale ?

Ferez-vous respecter dans les instances l’égalité entre gynécologie obstétrique et gynécologie médicale, afin que cette dernière, une médecine spécifique et indispensable de la femme, soit à nouveau accessible à chacune ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Ma réponse, la même que pour la formation des psychiatres, ne sera hélas pas plus satisfaisante. L’enjeu est de développer et de rendre attractifs tous les métiers de la santé, et de leur redonner du sens. La France est à 87 % un désert médical. Nous manquons de médecins. Nous manquons de médecins généralistes. Nous manquons de psychiatres. Nous manquons de tous les spécialistes.

Une façon de pallier le manque de gynécologues – de ville et obstétriciens – a consisté à travailler avec les sages-femmes et à leur permettre de prendre en charge le suivi des grossesses.

Le nombre de postes en gynécologie augmentera nécessairement. J’ignore si ce sera de manière uniforme dans tous les territoires. De façon globale, le nombre de médecins formés augmentera de 15 % dans les années à venir. Même s’ils s’expriment partout, les besoins sont plus ou moins marqués selon les territoires. Le travail que nous menons dans le cadre du CNR, le Conseil national de la refondation, vise à construire des réponses territoire par territoire. Une piste est l’universitarisation, qui permet aux territoires dépourvus de faculté d’accueillir des internes, afin d’augmenter le nombre de praticiens dans certaines spécialités.

Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES). À l’occasion de la journée internationale pour les droits des femmes, j’ai déposé avec mes collègues de la NUPES une proposition de loi visant à mieux reconnaître le travail des femmes et sa pénibilité. En tant que ministre déléguée chargée des professions de santé, j’imagine que vous êtes intéressée par cette question. En effet, les professions de santé recouvrent un grand nombre de métiers féminisés : 87 % des infirmiers et 91 % des aides-soignants sont en réalité des infirmières et des aides‑soignantes. Je pourrais aussi évoquer les sages-femmes, les orthophonistes, et j’en passe.

Les professions féminisées restent un angle mort de la législation en matière d’égalité salariale, comme l’a montré l’économiste Rachel Silvera. Leurs salaires, leurs qualifications et la pénibilité de leurs métiers sont systématiquement sous-évalués. Au nom d’une prétendue nature féminine, les compétences requises par le soin aux enfants, aux personnes malades et aux personnes âgées dépendantes sont dévalorisées. La pénibilité liée aux postures difficiles, au port de charges et à l’exposition au bruit est invisibilisée quand il s’agit du soin. Quant à la charge émotionnelle liée à ces métiers, elle est tout simplement un impensé dans les critères de pénibilité.

En pleine crise du covid-19, Emmanuel Macron affirmait que « notre pays tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies rémunèrent si mal ». Mais, comme législateur et comme employeur, l’État a une responsabilité dans la sous-rémunération de ces métiers essentiels.

Notre proposition de loi prévoit, en s’inspirant de ce qui s’est fait au Québec, que les négociations de branche et d’entreprise ainsi que les plans d’action dans la fonction publique appliquent une méthode de comparaison entre différents emplois en tenant compte du diplôme, de l’expérience et de la pénibilité, pour revaloriser par équivalence les emplois occupés majoritairement par les femmes, sous-payés et sous-évalués par rapport à ceux occupés par les hommes. Nous proposons aussi de créer de nouveaux critères de pénibilité liés aux contraintes émotionnelles fortes inhérentes aux métiers du lien, du handicap, de l’éducation et du soin, et d’améliorer la prise en compte de la pénibilité pour les fonctionnaires. Qu’en pensez-vous ?

J’ai avec moi un exemplaire de cette proposition de loi, que j’aimerais que vous regardiez de près avant de nous préciser les objections que vous y apporterez, ou la façon dont vous la soutiendrez, de façon à revaloriser les métiers féminisés.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. J’étudierai bien volontiers votre proposition de loi. Des mesures ont déjà été prises conformément à notre volonté d’instaurer une égalité salariale entre les hommes et les femmes, et des progrès sont observés. Malheureusement, à travail égal, il reste encore des inégalités de salaire, jamais en faveur des femmes. Il nous faut encore et toujours les combattre.

Dans le cadre de mon action pour la santé des professionnels de santé, j’entends mettre l’accent sur la santé des femmes. Nous avons déjà constaté la prévalence d’un certain type de cancer chez les femmes qui travaillent de nuit. Nous devons œuvrer pour la santé des professionnelles de santé, notamment dans le cadre du suivi de la grossesse.

Par ailleurs, les sénateurs examinent ce jour une proposition de loi prévoyant notamment l’instauration d’un index de l’égalité professionnelle entre hommes et femmes dans la fonction publique. Nous progresserons donc aussi dans ce cadre.

Nul doute, enfin, que vos propositions seront regardées avec attention dans le cadre du projet de loi « emploi ».

Mme Frédérique Meunier (LR). Madame la ministre, vous vous attaquez à de nombreux chantiers, mais la quantité ne fait pas toujours la qualité. Le chantier des maisons des femmes est à saluer. J’ai la chance d’avoir une maison des femmes dans mon département, la Maison de soie. Encore faut-il pouvoir conserver ces structures.

Le surmenage des soignants vient uniquement du manque de personnels. Augmentez leur nombre dans les hôpitaux et leurs problèmes de santé diminueront énormément. Nul besoin d’experts pour le savoir.

Je siège au conseil de surveillance d’un hôpital, et je peux évoquer de nombreux exemples de problèmes quotidiens. Les professionnelles de santé qui y travaillent auraient besoin d’une crèche pour leurs enfants, mais cela coûte trop cher. Par ailleurs, il n’existe pas d’infirmières en pratique avancée dans la médecine du travail, alors que cela permettrait de décharger les médecins d’une partie de leurs tâches.

Je m’apprête à déposer une proposition de loi visant à permettre aux juges aux affaires familiales saisis dans le cadre d’une ordonnance de protection d’enfants victimes de violences de s’emparer d’office de la question de l’autorité parentale, qu’il s’agisse de son exercice, de sa suspension ou de son retrait. C’est tout simple !

Il existe un vivier de propositions de loi, à l’Assemblée nationale et au Sénat. Elles pourraient faire rapidement avancer votre travail concernant le quotidien. Regardez ce que nous écrivons.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Merci de votre solution, mais notre problème est que nous n’avons pas de personnels. Nous avons la volonté et les budgets, mais il n’y a pas de professionnels. L’enjeu, pour nous tous, est de répondre aux besoins de santé et, pour cela, d’éviter la fuite des personnels en redonnant du sens à leur métier. C’est la priorité des priorités. Ce n’est pas en affirmant qu’il suffit d’augmenter leur nombre qu’on leur permettra d’aller mieux. Pour l’instant, nous devons accompagner les personnels en poste pour les fidéliser.

Les premières maisons des femmes ont été construites à marche forcée et, pour certaines, grâce à des mécènes – j’invite d’ailleurs ces derniers à continuer. Mais il s’agit bien pour nous, désormais, de les pérenniser une fois créées et d’en assurer le financement.

Nous manquons aussi de médecins du travail, comme nous manquons de médecins scolaires. Là encore, il s’agit d’accompagner les professionnels. L’idée du recours aux infirmiers en pratique avancée fait son chemin.

Quant aux crèches, elles sont un élément d’attractivité du métier, de qualité de vie au travail, des projets d’entreprises et de ceux de certains hôpitaux. L’objectif est de faciliter le cumul entre parentalité et emploi dans les professions dont nous manquons. De tels projets existent et se développent – sans doute pas assez vite.

Mme Sandrine Josso (Dem). Ma récente proposition de loi visant à favoriser l’accompagnement psychologique des femmes victimes de fausse couche s’appuyait sur MonParcoursPsy. Disposez-vous de données genrées concernant le recours à ce dispositif ?

À l’échelle mondiale, les femmes comptabilisent deux à quatre fois plus de tentatives de suicide que les hommes. Quelles sont les données disponibles en France ? Comment nous situons-nous par rapport à nos voisins européens ? Les dispositifs d’accompagnement sont‑ils suffisants ? Quelles évolutions pourraient être envisagées pour mieux accompagner les femmes confrontées à des épisodes dépressifs et prévenir le passage à l’acte ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Les 90 000 patients qui ont recours à MonParcoursPsy sont à 71 % des femmes. Les femmes admettent-elles plus facilement que les hommes qu’elles ne vont pas bien ? Peut-être. En tout cas, ce taux laisse songeur.

Par ailleurs, le suicide représente la deuxième cause de mortalité chez les 15-24 ans, après les accidents de la route. Le nombre de décès par suicide est nettement plus élevé chez les hommes, puisqu’il s’élève à 6 278 par an, contre 2 088 chez les femmes. En revanche, le nombre de tentatives de suicide est plus élevé pour les femmes : 13,8 pour 10 000 femmes, contre 8,7 pour 10 000 hommes. Même si tous ces chiffres doivent nous alerter, je répète que le nombre de tentatives de suicide chez les jeunes filles, notamment les plus modestes, nous incite à prendre des mesures de prévention. Une vigilance particulière mérite d’être assurée à l’école.

Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Le rapport que j’avais rédigé avec Cécile Muschotti en 2020 relevait les difficultés d’accès à l’IVG dans de nombreux départements. Ce parcours de la combattante conduisait nombre de femmes à dépasser le délai légal, d’où notre proposition de le porter de douze à quatorze semaines, votée en 2022. Par ailleurs, vous avez évoqué l’extension de cette compétence aux sages-femmes. Comment la situation a‑t‑elle évolué depuis 2020 ?

Après le scandale d’Orpea et à la suite de nombreuses sollicitations de la part de personnels et de familles, j’ai entrepris une tournée des Ehpad de ma circonscription. J’en ai visité une douzaine et dressé un état des lieux dont il ressort que ces établissements fonctionnent en mode dégradé permanent. Les personnels sont proches du burn-out, mais tiennent parce qu’ils aiment leur métier et savent que, sans eux, la maison ne tourne pas. Cette situation ne peut pas durer. Vous indiquiez qu’il n’est pas possible de multiplier le nombre de médecins dans les hôpitaux puisqu’il n’y en a pas ; il est peut-être plus facile de former aux métiers exercés en Ehpad et de les rendre attractifs. Les contrats de court terme y sont nombreux, mais les directeurs souhaitent pouvoir recruter à long terme ; on pourrait suivre l’exemple des hôpitaux qui titularisent les personnels après six mois d’activité. En tout cas, il est temps d’agir pour revaloriser ces métiers dont nous avons grand besoin, a fortiori du fait du vieillissement de la population. Avez-vous engagé un travail à ce sujet ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Le besoin d’aides-soignantes et d’infirmières en Ehpad est le même qu’à l’hôpital et partout. Il fait l’objet d’un travail interministériel entrepris par Jean-Christophe Combe, Geneviève Darrieussecq, François Braun et moi-même. L’enjeu est effectivement de donner des perspectives de carrière, par exemple en permettant à une aide-soignante de devenir infirmière grâce à la validation des acquis de l’expérience. En revanche, je ne pense pas qu’il soit plus facile de former une infirmière qu’un médecin. En effet, c’est chez les élèves infirmiers que le taux d’abandon en cours de formation est le plus élevé. Sur 100 jeunes qui entrent en institut de formation aux soins infirmiers, seuls 50 en sortent formés. Entre 20 et 25 % abandonnent leurs études la première année, et les autres en cours de cursus. Ces chiffres nous ont alertés ; une mission de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) a été diligentée et a rendu ses conclusions il y a quelques semaines. L’adaptation de la formation aux soins infirmiers est un enjeu majeur.

L’attractivité des métiers du soin et de la santé nous préoccupe. Nous pourrons apporter des réponses dans les semaines à venir. Il ne suffit pas de décréter qu’il faut du personnel : dans de nombreux établissements, les postes sont financés, mais personne ne les occupe.

Pour arrêter la spirale négative dans laquelle nous nous trouvons, nous devons aussi dire qu’il s’agit de beaux métiers, porteurs de sens. Malheureusement, l’affaire Orpea ne nous a pas aidés à parler positivement de ce qui se passe en Ehpad. Pourtant, il existe de beaux Ehpad, dans lesquels des femmes – elles y sont majoritaires – effectuent un travail extraordinaire pour accompagner nos aînés. Comment voulez-vous que nos jeunes s’engagent dans ces filières s’ils les entendent dénigrer à longueur de journée ? Bien sûr, il ne faut pas nier l’évidence : ces métiers sont difficiles et il faut chercher à résoudre ces difficultés. Nous nous y attelons. Je suis preneuse du rapport que vous avez rédigé après vos visites dans des Ehpad.

Je vous communiquerai les chiffres dont je dispose concernant l’IVG.

Mme Marie-Charlotte Garin (Écolo-NUPES). La part de la population française vivant dans un désert médical s’élève à 30,2 %. Chaque année, 1,6 million de personnes renoncent à des soins. Parmi les médecins généralistes, 45 % déclarent être en situation d’épuisement professionnel. Ces chiffres alarmants reflètent la chute de l’hôpital public, qui pénalise en premier lieu les femmes et les publics les plus fragiles.

En 2023, dans la septième puissance économique mondiale, les zones rurales – dans lesquelles vit une femme sur trois – sont toujours des zones blanches de l’égalité. Entre 2007 et 2022, le nombre de gynécologues médicaux a drastiquement diminué, passant de 1 945 à 851, pour plus de 30 millions de femmes en âge de consulter. Quatorze départements ne comptent aucun gynécologue médical, et les maternités sont de plus en plus nombreuses à fermer leurs portes.

Être soignant, c’est souvent être soignante. Ce métier est passionnant mais, pour certaines, il ne fait plus rêver. C’est aisément compréhensible quand on connaît les difficultés quotidiennes, l’épuisement et le manque de moyens auxquels ces personnes sont confrontées. Nous les rencontrons dans nos circonscriptions, nous échangeons avec elles. Ces mauvaises conditions de travail laissent des traces et créent des vides, au détriment, bien souvent, de la santé des femmes.

À la rentrée 2022, 20 % des places en deuxième année de maïeutique sont restées vacantes et une étudiante sage-femme sur deux envisage d’arrêter ou de suspendre sa formation du fait du niveau de stress quotidien, de la maltraitance en stage, du manque d’accompagnement pédagogique et d’une situation financière précaire. Cette situation n’est pas le fruit du hasard : elle découle de choix politiques. Nous avons évoqué la dégradation des conditions de travail des professionnels du soin ; c’est aussi à ces personnes, déjà usées physiquement et mentalement, que votre gouvernement demande de travailler plus longtemps.

Notre pays manque de soignants. C’est en en recrutant plus, en les payant mieux et en leur assurant des conditions de travail dignes et à la hauteur du service rendu que l’on rendra ces professions essentielles plus attractives. Que faites-vous pour améliorer de manière structurelle et concrète les conditions de travail des professionnels de santé ?

Comment revaloriser ces métiers ? Vous avez indiqué que les budgets étaient là. Dans ces conditions et dès lors qu’un récit positif ne suffira pas, envisagez-vous d’augmenter les salaires et la gratification des stagiaires et de reconnaître la pénibilité de ces professions ? Le sujet a été abordé lors du débat relatif aux retraites, mais peu de réponses ont été apportées concernant la prise en compte de la pénibilité des métiers du soin, en majorité féminins.

Une maison des femmes par département est une bonne chose. Mais comment les remplir sans suffisamment de professionnels formés pour être au service des femmes au quotidien ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. J’ai en partie déjà répondu à vos questions, mais je compléterai ces réponses dans deux domaines.

Le 6 janvier, le Président de la République nous a demandé de travailler à la refondation du système de santé. Il faut le faire à l’hôpital et en ville. À l’hôpital, il s’agit d’abord d’améliorer l’autonomie de gestion à l’échelle des services, car il faut des emplois du temps permettant une meilleure qualité de vie au travail et une meilleure articulation entre vie personnelle et vie professionnelle. Ce constat a été fait après la crise sanitaire dans tous les métiers, sachant que ceux du soin étaient déjà en difficulté auparavant. Notre relation au travail a profondément changé et nous devons répondre aux nouvelles attentes, y compris dans le système de santé.

Nous avons commencé à travailler sur la sécurité des professionnels de santé, ce qui nous a amenés au problème majeur de la violence qui leur est faite. Une mission est en cours concernant les violences des patients envers les professionnels de santé. À l’occasion de son lancement, nous avons auditionné toutes les fédérations des étudiants en santé – accessoirement, elles sont toutes présidées par des femmes. L’ensemble des personnes présentes ont été marquées par le témoignage récurrent de tous les étudiants – en médecine, sages-femmes, kinésithérapeutes, dentistes, pharmaciens – sur la violence interprofessionnelle subie pendant les stages. C’est sans doute aussi l’une des raisons de la difficulté de ces jeunes lorsqu’ils entrent sur le marché du travail. Nous avons mesuré l’ampleur du phénomène. Peu importe qu’il soit plus marqué qu’avant ou non : désormais, la parole est libérée, et nous avons le devoir de répondre. Pour assurer l’attractivité de ces métiers, pour faire en sorte que l’on y reste, il faut aussi accompagner les étudiants, et surtout les étudiantes. Nous avions intégré ce sujet à notre démarche sur la sécurité et les violences, mais nous allons en faire l’objet d’une réflexion spécifique.

Pour le reste, l’enjeu est global. C’est celui de la création de mon département ministériel et de la lutte contre les déserts médicaux. C’est un enjeu territorial, mais aussi de refondation de notre système de santé. Les salaires ont déjà été revalorisés en 2020, dans le cadre du Ségur de la santé. Nous avons tous conscience du fait que c’était un rattrapage ; nous l’avons présenté ainsi. Mais cela n’avait jamais été fait auparavant. En outre, il ressort de nos discussions avec les professionnels que les salaires ne sont pas le seul problème. La priorité est de redonner du sens à l’exercice de leur métier. Cela passe par la qualité de vie au travail, la santé des personnels et leur protection.

Mme Soumya Bourouaha (GDR-NUPES). Les patients ont de plus en plus de mal à obtenir un rendez-vous avec un médecin généraliste, premier praticien vers lequel ils se tournent et qui parvient à nouer avec eux un lien de confiance particulier – il est d’ailleurs encore souvent appelé médecin de famille. Trouver un médecin à même de prendre de nouveaux patients et qui accepte de consulter sans rendez-vous est devenu un véritable parcours du combattant. Cette situation affecte évidemment les femmes, alors que, en novembre 2022, la HAS a publié une fiche pratique destinée à encourager les médecins généralistes à déceler d’éventuels cas de violences conjugales. Cette initiative a pour objectif de prendre en charge plus rapidement les femmes victimes de violences et de mieux les protéger. Comment l’atteindre dans ces conditions ?

Par ailleurs, des médecins m’ont alertée à propos de l’arrêt du financement dédié à la formation de généralistes titulaires d’une maîtrise de stage qui encadrent des internes et des externes en médecine générale. Cette décision met gravement en péril une formation essentielle. De futurs médecins généralistes ayant exercé dans des déserts médicaux, en zone rurale ou en zone urbaine sensible s’y installent plus facilement ou restent dans la structure qui les a formés. Le dispositif contribue ainsi à remédier au problème des déserts médicaux. Je l’ai constaté dans les centres municipaux de santé (CMS) de mon département.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Plus qu’une seule solution, une addition de réponses est nécessaire. Comme je l’ai dit, la France est à 87 % un désert médical et les médecins généralistes y sont de moins en moins nombreux. Néanmoins, ils travaillent beaucoup et répondent autant que faire se peut aux besoins de nos concitoyens. Il nous faut absolument les accompagner durant les huit à dix ans qui seront nécessaires pour récolter les fruits de la suppression du numerus clausus, d’autant que notre population vieillit et que le besoin de soins ira donc croissant.

Des chantiers ont été ouverts pour développer les assistants médicaux – un assistant médical permet de gagner 15 % de temps médical –, diminuer la charge administrative et permettre aux médecins généralistes de prendre des jeunes en stage. C’est essentiel. Je vérifierai l’information que vous évoquez : pour moi, le financement de la formation des maîtres de stage n’est pas arrêté. Je demande systématiquement aux médecins généralistes que je rencontre s’ils sont maîtres de stage. Certes, ce n’est pas toujours facile : leur cabinet n’est pas toujours adapté ; par ailleurs, la formation n’est pas simple. Pourtant, cela permet d’avoir un remplaçant pendant les vacances et un potentiel successeur. La seconde question que je leur pose systématiquement est de savoir s’ils ont un assistant médical.

Parce que les médecins ne pourront pas répondre seuls aux besoins de santé de nos concitoyens, il faut travailler à des délégations de compétences, tout en s’assurant que le médecin reste la pierre angulaire du système de santé, et au développement de l’exercice coordonné à l’échelle des territoires. C’est ce que nous faisons.

Nous cherchons aussi à identifier les besoins dans toutes les professions à l’horizon de dix, quinze ou vingt ans. Ce travail ne saurait concerner la seule pyramide des âges : il convient de tenir aussi compte du fait que notre relation au travail a changé. Il faut désormais trois médecins pour en remplacer un qui part à la retraite. Contrairement à ce que certains disent, cette évolution n’est pas liée au nombre croissant de femmes médecins. Les jeunes, et pas seulement les femmes, souhaitent exercer différemment leur métier. Le médecin d’aujourd’hui veut être un travailleur comme un autre. Il faut accepter ce phénomène sans porter de jugement et l’intégrer dans nos projections. Malheureusement, cela n’a pas vraiment pu être anticipé. Nous ne pouvons pas en blâmer nos prédécesseurs, car ce changement est très brutal. Il faut le prendre en compte dans l’organisation du système de santé et s’adapter à la volonté des jeunes médecins arrivants d’être parfois salariés, parfois non, et d’exercer en milieu privé et public. Que seront demain la médecine libérale, la médecine générale ? Nous sommes à un moment charnière pour la transmission. C’est avec les jeunes que nous devons construire le nouveau modèle.

Dans le même temps, en tant que responsables politiques, nous sommes confrontés à l’urgence de répondre aux besoins de santé de nos concitoyens et de nos concitoyennes.

Mme la présidente Véronique Riotton. Nous en venons aux questions des autres députés.

Mme Amélia Lakrafi (RE). À rebours de mes collègues, je parlerai de la réputation de nos professionnels de santé et de nos services de soins, dont les compétences sont reconnues dans le monde entier par les étrangers et par les Français de l’étranger. Nombreux sont d’ailleurs les ressortissants étrangers qui viennent, chaque année, se faire soigner dans nos établissements de santé pour bénéficier de compétences de pointe. Cette technicité française est, dans certains segments de métier, mise en œuvre par des femmes. Vous l’avez longuement expliqué.

En ma qualité de députée représentant les Français établis hors de France, je veux témoigner de la forte demande qui s’exprime dans les pays de ma circonscription, dont ceux du Moyen-Orient, en faveur du développement de projets de coopération avec la France dans le domaine de la formation médicale et paramédicale, plus particulièrement s’agissant des soins infirmiers. L’Arabie Saoudite, notamment, investit massivement pour développer le secteur de la santé et souhaite s’appuyer sur l’expertise française pour former son personnel. Favoriser nos compétences est un atout pour faire rayonner notre savoir-faire, valoriser les professionnels et améliorer la reconnaissance de leurs métiers. C’est peut-être aussi un atout pour attirer de nouvelles personnes et offrir d’autres perspectives de carrière. Avez-vous une ambition spécifique pour ces coopérations à l’international ?

J’ai été récemment sollicitée par différents acteurs institutionnels et privés pour accompagner un projet de valorisation de ces compétences au Moyen-Orient. Je serais heureuse de vous en présenter plus directement les contours.

Par ailleurs, une maison des femmes sera-t-elle dédiée aux femmes françaises de l’étranger ? Dans neuf couples sur dix qui partent à l’étranger, ce sont les femmes qui suivent leur mari. Elles sont donc plus vulnérables. Quand celles qui sont victimes de violences rentrent en France et ont besoin d’aide, les centres dans lesquels elles se rendent leur répondent souvent qu’elles n’y ont pas droit ou accès parce qu’elles ne sont pas résidentes françaises.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Je vous remercie d’avoir souligné que notre système de santé est de qualité – cela ne veut évidemment pas dire que tout va bien, mais il faut le redire, et en parler positivement. Notre système de santé, fondé sur la solidarité, fait des envieux à l’étranger.

Chaque année, soixante-dix projets de coopération sont soutenus dans le cadre d’un appel à projets, pour un montant de 1 million d’euros financé par la mission d’intérêt général Coopération hospitalière internationale. Parmi eux, le projet du CHU de Rouen et de l’Hôtel Dieu de France à Beyrouth visant à renforcer les coopérations infirmières au Liban, le projet de coopération entre le CHU d’Angers et l’Hôtel-Dieu de France à Beyrouth, celui de la Pitié‑Salpêtrière et de l’hôpital universitaire Rafic-Hariri pour les équipes de liaison et de soins en addictologie, ou encore celui du CHU de Toulouse visant à renforcer les compétences au sein de l’hôpital de Tubas, en Cisjordanie.

En outre, dans le cadre des protocoles d’accord bilatéraux que nous avons signés avec l’Arabie Saoudite, Bahreïn, les Émirats arabes unis, le Koweït, le sultanat d’Oman et le Qatar, le dispositif Fellowship permet aux médecins originaires des pays du Golfe de venir suivre une formation de médecine spécialisée en France. Chaque année, 130 postes leur sont ouverts dans les universités françaises en vue d’obtenir un diplôme d’études spécialisées reconnu dans leur pays d’origine. Ce programme est réputé à l’étranger pour la qualité de la formation médicale dispensée. Il nous paraît essentiel de le préserver et de soutenir son développement, sous réserve impérative de respecter les contraintes diplomatiques et sanitaires. Certains pays souhaitent l’intégrer, comme Djibouti. D’autres qui y appartiennent déjà souhaitent voir augmenter les cohortes de médecins accueillis – c’est le cas de l’Arabie Saoudite – ou étendre le programme aux chirurgiens-dentistes et aux infirmiers.

Concernant une maison des femmes pour les Françaises de l’étranger, pourquoi pas ? Il faudrait l’identifier. Angèle Malâtre, qui travaille à mes côtés, pourra étudier la question avec vous. C’est une bonne idée.

Mme la présidente Véronique Riotton. Merci, madame la ministre, pour la qualité de vos réponses.

 


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II.   EXAMEN du rapport d’informatION

Lors de sa réunion du mardi 11 juillet 2023, sous la présidence de Mme Véronique Riotton, la Délégation a adopté le présent rapport et les recommandations présentées supra.

 

La vidéo de cette réunion est accessible en ligne sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

 

https://assnat.fr/iJGNwA

 

 


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   annexe :
Liste des personnes auditionnÉes par les rapporteurEs

 

–  Mme Claude Finkelstein, présidente de la FNAPSY, Fédération nationale des associations d’usagers en Psychiatrie.

–  Mme Marie-Jeanne Richard, présidente de l’UNAFAM, Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapés psychiques.

Santé publique France :

–  M. Enguerrand du Roscoat, responsable de l’unité santé mentale de la direction de prévention et de la promotion de la santé ;

–  Mme Alima Marie-Malikité, directrice de cabinet de la directrice générale de l’agence Santé Publique France.

–  CNPP, Conseil National Professionnel de Psychiatrie : docteur Elie Winter, Président ;

–  M. le docteur Bernard Odier, psychiatre à l’ASM 13 ;

–  Mme Sylvie Péron présidente de la commission médicale d’établissement (CME) du centre hospitalier Henri-Laborit à Poitiers.

–  Mme Edvick Elia, Présidente de la Commission médicale de groupement (CMG) du GHT Psychiatrie Nord-Pas-de-Calais.

Table ronde addictions et santé mentale des femmes :

–  M. Michel Lejoyeux, chef du service de psychiatrie et d’addictologie de l’hôpital Bichat à Paris, président de la Commission nationale de la psychiatrie ;

–  Mme Nathalie Godart, pédopsychiatre, présidente de la Fédération Française Anorexie Boulimie (FFAB) ;

–  Mme Isabelle Vidal, sage-femme en Dordogne, spécialisée dans la prise en charge des addictions ;

–  Mme Elsa Taschini, psychologue et psychothérapeute, présidente de l’association Addict’Elles ;

–  M. Bruno Leroy, médecin addictologue auprès de l’association le Cap ;

–  Mme Jacqueline Kerjean, médecin addictologue, vice-présidente de l’association Addictions France.

Table ronde maternité et santé mentale des femmes :

–  Mme Joëlle Belaisch-Allart, cheffe du service de médecine de la reproduction au centre hospitalier des Quatre Villes à Saint Cloud, présidente du Collège National des Gynécologues et Obstétriciens français (CNOGF) ;

–  Mme Sarah Bydlowski, pédopsychiatre, Directeur du Département de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent du centre Alfred Binet ;

–  Mme Lucille Cloarec, psychologue au Pôle femme/enfant du centre hospitalier des 4 Villes à Saint Cloud ;

–  Association Nationale des Sages-Femmes Territoriales (ANSFT), Mmes Claudine Schalck et Chantal de Vitry, membres du conseil d’administration ;

–  Association professionnelle francophone de l’accompagnement périnatal (AFAP), Mmes Camille Kolebka et Véronique Grédé, co-présidentes ;

–  Association Maman Blues, Mme Marinette Ardouin, membre du bureau ;

–  Association SuperMamans France, Mmes Clémentine Bertrand, présidente et Amélie Lecorné, trésorière.

–  Mme Marie-France Hirigoyen, psychiatre et psychanalyste, auteure de nombreux ouvrages sur le harcèlement moral.

Table ronde violences et santé mentale des femmes :

–  Mme Muriel Salmona, psychiatre, présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie ;

–  Mme Annie Soussy, médecin légiste, responsable de l’unité médico-judiciaire du CHI de Créteil ;

–  Mme Frédérique Martz, présidente de l’association Women Safe & Children, lieu d’accueil, d’écoute et d’accompagnement des femmes et enfants victimes de violences ;

–  Mme Mathilde Cornette, juriste, Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT).

Sur le thème du deuil périnatal :

–  M. Grégoire Théry, gynécologue obstétricien, Hôpitaux du Léman à Thonon‑les‑Bains ;

–  Mme Marie-Dominique Poli, psychologue au Pôle Mère / Enfant des Hôpitaux du Léman à Thonon-les-Bains.

–  Mme Caroline de Pauw, docteure en sociologie, chercheuse associée au Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques (Clerse), auteure de La santé des femmes Un guide pour comprendre les enjeux et agir.

–  Mme Florence Thibaut, professeure de Psychiatrie et d’Addictologie, Hôpital Cochin et Université Paris Cité.


([1]) La composition de la Délégation figure au verso de la présente page.

([2]) https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/sante-mentale

([3]) La classification internationale des maladies, publiée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) est utilisée pour coder les diagnostics dans les recueils d’information des différents domaines du programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI). La version utilisée en France depuis 1996 est la dixième révision (CIM-10).

([4]) https://www.mutualite.fr/actualites/les-10-chiffres-cles-de-lobservatoire-2021-sur-la-sante-mentale/

([5]) Santé mentale au féminin : entre vulnérabilité intrinsèque et impacts des facteurs psychosociaux, Revue médicale suisse, 2015

([6])  Source :Observatoire national des professions de santé

([7])  Suzette, livre de lecture courante à l'usage des jeunes filles, 1888.

([8]) INSEE, Premier confinement et égalité femmes-hommes : une articulation des temps de vie plus difficile pour les femmes, 2022

([9]) A. Pilhé, A. Solaz, Lionel Wilner et l’équipe EpiCov dans Economics and Statistics, Travail domestique et parental au fil des confinements en France : comment ont évolué les inégalités socio-économiques et de sexe ? 2022

([10]) https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/1303226/ES478E.pdf

([11]) Flèche, Sarah & Lepinteur, Anthony & Powdthavee, Nattavudh, 2020. "Gender norms, fairness and relative working hours within households," Labour Economics, Elsevier, vol. 65(C)

([12]) European institute for gender equality, 2021

([13]) OMS, La prévention primaire des troubles mentaux, neurologiques et psychosociaux, 1999

([14]) Khireddine I et al., La souffrance psychique en lien avec le travail chez les salariés actifs en France entre 2007 et 2012, 2015

([15]) Technologia, Étude clinique et organisationnelle permettant de définir et de quantifier le burn-out, 2014

([16]) Haute autorité de santé, Burn-out – Repérage et prise en charge, 2019

([17]) https://www.centre-hubertine-auclert.fr/entretien-avec-florence-chappert-experte-des-questions-des-inegalites-femmes-hommes

 

([18]) DREES, La santé mentale des adolescents de 3e en 2017, 2020.

([19]) Haute autorité de santé, Sexe, genre et santé – Rapport d’analyse prospective 2020, 2020

([20]) ISAPS, Global survey 2021, 2012

([21]) Fondation de France, Jeunes et sans amis : quand la solitude frappe les 15-30 ans, septembre 2017

[22]) https://www.insee.fr/fr/statistiques/6047767?sommaire=6047805

[23]) Bulletin épidémiologique hebdomadaire, n°3-4 du 14 mars 2023

[24]) L’EPDS est un questionnaire portant sur dix aspects spécifiques de la période postnatale. Il permet de calculer un score de dépression variant entre 0 et 30.

([25]) Le Monde avec AFP. (2021, 28 septembre). Un repérage systématique de la dépression postpartum mis en place en 2022. Le Monde.fr.

[26]) https://handirect.fr/grossesse-et-troubles-de-la-sante-mentale/

([27]) INSEE, Tableaux de l’économie française, 2018.

([28]) Ministère de la Santé et de la Prévention, Personnes âgées : les chiffres clé, 2021.

([29]) L’espérance de vie sans incapacité correspond au nombre d’années que peut espérer vivre une personne sans être limitée dans ses activités quotidiennes.

([30]) Ancelin M.L., Artero S., Belluche I. et al. : The Esprit Project : A longitudinal general population study of psychiatric disorders in France in subjects over 65 Years old, 2006.

([31]) Caisse nationale d’Assurance maladie, Fiches pathologies, 2023.

([32]) Caisse nationale d’assurance maladie, Effectif de patients par pathologie et par classe d’âge selon le sexe en 2020, 2020

([33]) La prévention de la perte d’autonomie liée au vieillissement, Michel Chassang, CESE, 2023

([34]) Care-Institutions, L’entourage des personnes âgées en établissements : relations familiales et sociales, aides reçues, 2016

([35]) OMS, Santé mentale et vieillissement, 2017

([36]) Dialogue et Solidarités, Le veuvage en France.

([37]) DREES, La santé des femmes en France, 2009.

([38]) INSEE, Tableaux de l’économie française, 2018.

([39]) Haute autorité de santé, Grande précarité et troubles psychiques, 2021.

([40]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion-soc/l15b5152_rapport-information

([41]) https://www.mediapart.fr/journal/france/191222/violences-sexuelles-en-ehpad-les-femmes-vulnerables-sont-des-proies

([42]) https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/10868369/

([43]) Chen C, Maung K, Rowe J., Gender differences in countries’ adaptation to societal ageing : an international cross-sectional comparison, 2021.

([44]) AAFA, Comptage des rôles dans les films français de 2021.

([45]) Macia E., Chapuis-Lucciani N, Boëtsch G., Stéréotypes liés à l’âge, estime de soi et santé perçue, 2007.

([46]) Pahaut C., Le vieillissement dans le miroir des différences de genre, 2021.

([47]) Delanoë D., La ménopause, 2004.

([48]) Pourquoi avons-nous une si mauvaise image de la ménopause ? Slate, avril 2021.

([49]) Dans le couple, les inégalités de patrimoine entre hommes et femmes se creusent, Le Monde, 11 octobre 2021

([50]) Citée dans le rapport du Haut Conseil à l’égalité : Santé et accès aux soins, une urgence pour les femmes en situation de précarité, 2017

([51]) Haute autorité de la santé, Note de cadrage grande précarité et troubles psychiques, 2021

([52]) https://www.vie-publique.fr/en-bref/287560-violences-conjugales-une-forte-hausse-en-2021

([53]) INED, Enquête Virage et premiers résultats sur les violences sexuelles, 2017

([54]) Cn2r, Centre national de ressources et de résilience, mars 2023

([55]) Violences conjugales, Muriel Salmona, 2017

([56]) Haut Conseil à l’égalité, Rapport 2018 : Où est l’argent contre les violences faites aux femmes ?, 2018

[57] En mars 2023, selon le ministère de la Justice, environ 5000 TGD étaient déployés en juridiction, dont 3 556 attribués.

([58]) E. Chandler et D. Vérien, Plan rouge VIF : Améliorer le traitement judiciaire des violences intrafamiliales, 2023 

([59]) SSMSI-Eurostat, Panorama des violences en France métropolitaine, 2022

[60] https://www.vie-publique.fr/eclairage/19506-addictions-drogues-et-sante-publique-les-donnees-recentes

([61]) OFDT, Enquête sur la santé et les consommations lors de la Journée d’appel et de préparation à la défense (ESCAPAD), 2022.

([62]) Observatoire français des drogues et des toxicomanies, Résultats enquête Ad-femina, 2017.

([63]) Observatoire français des drogues et des toxicomanies, Évolution du public des CJC (2014 – 2015), 2016.

([64]) R.R. Huxley ; M. Woodward, Cigarette smoking as a risk factor for coranary heart disease in women compared with men : a systematic review and meta-analysis of prospective cohort studies, 2001.

([65]) Institut national du cancer, Nutrition et prévention des cancers : des connaissances scientifiques aux recommandations, 2009.

([66]) Représentations sociales de l’alcoolisme féminin, Cahiers internationaux de psychologie sociale, mars 2015.