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N° 1538

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 juillet 2023.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES,
dE L’Économie gÉnÉrale et du contrÔLE BUDGÉTAIRE

en conclusion des travaux d’une mission d’information ([1])

sur les différentiels de fiscalité entre entreprises

 

et prÉsentÉ par
 

MM. Éric Coquerel et Jean-RenÉ Cazeneuve
Rapporteurs

––––

 

 


 

La mission d’information est composée de : MM. Éric Coquerel et Jean-René Cazeneuve, rapporteurs, Mme Christine Arrighi, M. Mickaël Bouloux, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Charles de Courson, M. Jocelyn Dessigny, Mme Stella Dupont, Mme Sophie Errante, M. Jean-Paul Mattei, M. Christophe Plassard, M. JeanMarc Tellier, membres. 


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SOMMAIRE

Pages

Avant-propos

Propositions des rapporteurs

I. Une fiscalitÉ des entreprises plurielle mais qui converge vers la moyenne DES autres pays europÉens

A. les prÉlèvements obligatoires acquittÉs par les entreprises Établies en France

1. Une fiscalité directe principalement composée de l’impôt sur les bénéfices et des impôts de production

a. La taxation du résultat représente la moitié de la fiscalité des entreprises

b. La singularité des impôts de production

2. L’impôt sur les sociétés : un prélèvement aux règles particulières

a. L’impôt sur les sociétés a été conçu comme l’équivalent, pour les sociétés, de l’impôt sur le revenu pour les personnes physiques

b. L’impôt sur les sociétés est un impôt proportionnel assis sur les bénéfices réalisés en France

c. L’impôt sur les sociétés est un impôt proportionnel assis sur un taux normal, des taux réduits et d’éventuelles contributions exceptionnelles

d. L’impôt sur les sociétés, calculé et payé spontanément par les redevables, est relativement peu coûteux à gérer pour l’administration chargée de son recouvrement

B. une convergence entre la France et la moyenne des autres pays de l’union européenne

1. Une convergence de l’assiette, du taux et des règles régissant l’impôt sur les sociétés avec les autres États de l’Union européenne

a. Un alignement partiel des règles d’assiette applicables à l’imposition des bénéfices

b. La trajectoire de réduction du taux de l’impôt sur les sociétés

c. Une harmonisation des obligations de transparence incombant aux entreprises

2. La réduction du poids des impôts de production

a. La suppression progressive de la CVAE

b. La modernisation des paramètres de la méthode d’évaluation de la valeur locative des établissements industriels

II. Des diffÉrentiels de fiscalitÉ entre entreprises qui ont diminué depuis plusieurs années et qui se concentrent principalement sur l’imposition des bÉnÉfices

A. Les mÉthodes permettant de mesurer l’effort contributif des entreprises selon leur taille ou secteur d’activitÉ

1. Des impôts produisant des différentiels de taxation entre les entreprises de tailles et secteurs d’activité différents

a. Une comparaison fondée sur la part de chaque catégorie d’entreprise dans la valeur ajoutée fiscale

b. Des équilibres modifiés par la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés et des impôts de production

2. Les taux implicites d’imposition des bénéfices des entreprises se sont progressivement rapprochés entre 2007 et 2019

a. Des méthodes différentes montrant une convergence des taux implicites d’imposition entre les entreprises de différentes tailles

b. En 2019, un taux implicite d’imposition brut avant report de 26 % en moyenne

3. Un niveau d’imposition des bénéfices très hétérogène au sein de chacune des différentes catégories d’entreprises

a. Des écarts de taux implicites observés au sein de toutes les catégories d’entreprises

b. Une forte dispersion des niveaux d’imposition des bénéfices des sociétés du CAC 40

B. DEs diffÉrentiels de fiscalitÉ entre entreprises rÉsultant de plusieurs facteurs

1. Les dispositifs de réduction de base ou de taux

a. Les dispositifs résultant de règles communes à l’ensemble des entreprises, mais dont les effets diffèrent en fonction de leur taille ou de leur secteur d’activité

b. Les dispositifs dérogatoires applicables en fonction de la taille des entreprises ou de leur activité

2. Les modalités particulières d’imposition des profits des sociétés : le régime de l’intégration fiscale et le régime mère-fille

3. L’évitement fiscal des entreprises

III. La rÉduction des diffÉrentiels de fiscalitÉ : une dÉmarche qui doit Être poursuivie

A. Les rÉformes de la fiscalitÉ internationale

1. La transposition à venir du pilier 2 des négociations OCDE/G20 : une règle d’imposition minimale des profits

a. Les règles de l’imposition minimale

b. Les effets budgétaires et économiques attendus

2. Le pilier 1 : l’objectif d’une meilleure répartition des droits à taxer

3. L’harmonisation de l’assiette de l’impôt sur les sociétés : une ambition relancée par la Commission européenne

a. Les négociations interrompues dans le cadre des projets ACIS et ACCIS

b. Le projet « Befit »

4. Le renforcement des obligations de transparence incombant aux entreprises

B. Les modalités nationales d’imposition des profits des entreprises

1. Faut-il taxer différemment les revenus des entreprises ?

2. Le renforcement des prérogatives du Parlement

C. le contrôle fiscal

1. Les principaux services chargés du contrôle fiscal des entreprises

2. Les outils juridiques de lutte contre l’évitement fiscal et la fraude fiscale

3. Les résultats du contrôle fiscal

conclusion de M. Éric coquerel

conclusion de M. Jean-renÉ cazeneuve

travaux de la commission

ANNEXE : seuils fiscaux des principaux impôts dont l’assiette est fondée sur le chiffre d’affaires, les bénéfices ou les rémunérations en matière de fiscalité des sociétés

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS

Contributions écrites

 


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   Avant-propos

Les règles applicables en matière de fiscalité des entreprises sont, comme l’ensemble du droit fiscal, soumises au respect des principes constitutionnels d’égalité devant la loi et d’égalité devant les charges publiques.

Ces principes n’ont toutefois pas empêché l’aménagement de dispositifs dérogatoires susceptibles de générer des différentiels de taxation en fonction de la taille ou du secteur d’activité des sociétés.

Pour autant, la différenciation fiscale des entreprises est un sujet bien plus complexe qui renvoie également à la capacité des entreprises à se saisir des mécanismes prévus par la loi, voire à en exploiter les failles. Selon qu’elles disposent de compétences d’ingénierie fiscale, qu’elles sont établies sur le territoire national ou non, qu’elles disposent d’une structure de détention complexe ou qu’elles exercent leurs activités dans un secteur économique donné, l’effort contributif des entreprises est susceptible de varier dans des proportions qu’il n’est pas aisé d’estimer.

Les constats dressés par l’Institut des politiques publiques (IPP) en 2019 sur les différentiels de taux d’imposition implicites des profits en France constituent l’un des principaux points de départ des travaux de la mission d’information, créée par la commission des finances sur proposition de son président.

Cette mission s’inscrit par ailleurs dans la lignée des travaux produits par la mission flash sur les entreprises pétrolières et gazières et celles du secteur du transport maritime qui ont dégagé des profits exceptionnels pendant la crise. Dans ce contexte, les rapporteurs ont donc souhaité mesurer plus largement l’effort fiscal des entreprises et le comparer à leur capacité contributive ainsi qu’à leur taille.

Pour y parvenir, la mission s’est appuyée sur l’étude de l’Institut des politiques publiques ainsi que sur de nombreux travaux conduits depuis plus de 10 ans par la direction générale du Trésor et le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), qu’elle a cherché à actualiser. Elle a par ailleurs entendu près de 70 personnes dans le cadre de plus d’une vingtaine d’auditions et de tables rondes, auxquelles ont été invités des administrations, des organismes de recherche, des associations, des syndicats, des économistes, des avocats, des commissaires aux comptes et des entreprises. A également été sollicitée, en application de l’article L. 411‑3 du code des juridictions financières, l’expertise du CPO, lequel a remis fin juin 2023 à la commission des finances une étude actualisée.


Les travaux de la mission visent également à mieux comprendre les facteurs pouvant expliquer les différentiels de fiscalité entre entreprises, pour identifier ceux qui peuvent être jugés contestables et qui conduisent à une forme d’iniquité fiscale.

Partant de ces constats, la mission formule différentes préconisations afin de limiter ces différentiels et de favoriser une taxation plus juste des entreprises. D’autres pistes, n’étant pas partagées par les deux rapporteurs, sont présentées par chacun d’entre eux dans leurs conclusions respectives. 

 

 


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   Propositions des rapporteurs

Proposition n° 1 : Étudier la faisabilité et la pertinence de réexaminer les plafonds de déductibilité des charges financières, sachant que les négociations de la directive DEBRA sont en cours à ce sujet ;

Proposition n° 2 : Mener une revue des taux réduits de l’impôt sur les sociétés et évaluer leurs effets au regard des objectifs qui leur ont été assignés, dont le taux réduit applicable aux PME ;

Proposition n° 3 : Au regard des dernières évolutions fiscales, évaluer les effets produits par les quotes-parts de frais et charge applicables dans le cadre du régime mère-fille et le régime de l’intégration fiscale ;

Proposition n° 4 : Conduire une évaluation in itinere du pilier 2 et proposer au sein de l’OCDE et de l’Union européenne d’instituer des clauses de revoyure visant à adapter le taux et l’assiette de l’impôt minimum mondial ou réduire la portée des exemptions et clauses dérogatoires lui étant applicables ;

Proposition n° 5 : Soutenir les discussions portant, au niveau européen, sur le projet Befit et tout autre initiative visant à une plus grande harmonisation de l’assiette de l’impôt sur les sociétés, notamment pour lutter contre le dumping social et fiscal ;

Proposition n° 6 : Soutenir les initiatives visant à harmoniser les taux d’imposition des bénéfices au sein de l’Union européenne, notamment pour lutter contre le dumping social et fiscal ;

Proposition n° 7 : Renforcer la transparence fiscale des entreprises : dans le cadre de la révision de la directive 2021/2101, étendre le champ du CbCR public aux entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 750 millions d’euros et à l’ensemble des activités hors Union européenne des entreprises ; rendre obligatoire pour ces mêmes entreprises la publication d’une information sur la localisation des actifs incorporels de ces mêmes entreprises ;

Proposition n° 8 : Rendre progressivement obligatoire pour les entreprises la publication des aides publiques qu’elles perçoivent ;

Proposition n° 9 : Étudier la possibilité et les conditions d’un droit de contrôle des salariés renforcé concernant la politique fiscale de l’entreprise ;

Proposition n° 10 : Inciter ou contraindre plus fortement les entreprises françaises à enregistrer leur propriété intellectuelle sur le territoire national ;

Proposition n° 11 : Améliorer l’information des commissions des finances et des affaires étrangères du Sénat et de l’Assemblée nationale sur l’avancée des négociations menées par la France en matière fiscale ;

Proposition n° 12 : Renforcer les moyens humains et techniques du PNF, des services d’enquête et des services chargés du contrôle fiscal.

 

 


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I.   Une fiscalitÉ des entreprises plurielle mais qui converge vers la moyenne DES autres pays europÉens

La fiscalité acquittée par les entreprises françaises est assise sur différentes capacités contributives. Si l’impôt sur les sociétés et sur les facteurs de production a longtemps été plus élevé en France par rapport à la plupart des pays européens, un mouvement de décrue s’est amorcé dans les années récentes. Ce mouvement de convergence sur les taux s’est également accompagné d’un autre, portant tant sur l’assiette que sur les obligations incombant aux entreprises françaises.

A.   les prÉlèvements obligatoires acquittÉs par les entreprises Établies en France

La fiscalité directe applicable aux entreprises françaises est principalement composée de l’impôt sur les bénéfices et des impôts sur la production. L’impôt sur les sociétés est assis sur le résultat net de l’entreprise. Les impôts de production sont quant à eux des versements obligatoires assis sur la production et l’importation de biens ou de services, l’emploi de main-d’œuvre et les actifs utilisés à des fins de production.

Les cotisations sociales ([2]) ne seront ici pas abordées dans la mesure où ce rapport entend se concentrer sur les différentiels de fiscalité. Or, la cotisation sociale est un versement obligatoire avec contrepartie qui donne accès à des droits servis sous la forme de prestations qui couvrent les salariés et leurs familles ; elle correspond à une part du salaire qui est socialisée. En 2021, les cotisations sociales, principale ressource du système de protection sociale (54 % du total des ressources), se sont élevées à 437 milliards d’euros ([3]), dont 191,7 milliards d’euros pour les cotisations des employeurs du secteur privé liées à l’emploi salarié ([4]). Au total, les prélèvements obligatoires dont s’acquittent les entreprises représentaient 13,5 % du PIB en France en 2021.

Prélèvements obligatoires acquittés par les entreprises

(en milliards d’euros)

 

2018

2019

2020

2021

Cotisations sociales payées par les employeurs

203,1

184,9

173,9

191,7

Fiscalité directe

143,3

158,2

154,3

151,5

Total

346,4

343,1

328,2

343,2

Source : Données de l’INSEE, de la DGFiP, de l’ACOSS et de l’Observatoire des finances et de la gestion publique locales.

 

1.   Une fiscalité directe principalement composée de l’impôt sur les bénéfices et des impôts de production

a.   La taxation du résultat représente la moitié de la fiscalité des entreprises

La fiscalité directe assise sur les entreprises s’est élevée à 151,5 milliards d’euros en 2021.

Elle a représenté 6,1 % du PIB, proportion en baisse de 0,6 point par rapport à 2020 du fait d’une augmentation de 190 milliards d’euros du PIB (+ 8,2 %) et d’une baisse de 2,9 milliards d’euros de cette fiscalité directe assise sur les entreprises (– 1,9 %).

Cette fiscalité est composée à 48 % par la taxation du résultat des entreprises, qui comprend essentiellement l’impôt sur les sociétés (IS) et l’impôt sur le revenu (IR) pour les entreprises individuelles ou les sociétés de personnes, pour 72,3 milliards d’euros ([5]).

Viennent ensuite la taxation de la masse salariale (27 %), celle du capital (18 %) et celle du chiffre d’affaires et de la valeur ajoutée (7 %).

 

répartition de la fiscalité brute assise sur les entreprises

(en millions d’euros)

 

2018

2019

2020

2021

Taxation des résultats

64 892

70 411

66 500

72 378

Impôt sur les sociétés

54 364

59 109

55 712

61 362

Impôt sur le revenu

9 406

10 062

9 617

9 974

Contribution sociale sur les bénéfices

1 118

1 240

1 171

1 042

Taxe de 3 % sur les versements de dividendes

4

0

0

0

Taxation du capital

27 280

28 025

28 483

26 545

Cotisation foncière des entreprises

6 829

7 081

7 142

5 747

Taxe sur le foncier bâti et non bâti

15 481

15 837

16 122

15 717

Imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau

1 346

1 408

1 444

1 390

Imposition forfaitaire sur les pylônes

258

272

283

289

Taxe sur les surfaces commerciales

977

992

1 000

991

Taxes perçues au profit des CCI

720

655

642

531

Taxe perçue au profit des Chambres des métiers

196

200

201

190

Taxe sur les véhicules de sociétés

751

767

801

756

Taxe sur les bureaux

722

813

848

934

Taxation de la masse salariale

33 143

40 610

40 354

41 414

Taxe sur les salaires

13 891

14 111

14 537

15 323

Taxe d’apprentissage

1 938

9 211

9 278

9 036

Versement mobilité

8 791

9 264

8 769

9 475

Forfait social

5 715

5 252

5 428

5 136

Contribution des employeurs au FNAL

2 808

2 772

2 342

2 444

Taxation du chiffre d’affaires et de la valeur ajoutée

18 033

19 150

19 135

11 212

Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises

14 264

15 251

15 028

7 548

Contribution sociale de solidarité des sociétés

3 769

3 899

4 107

3 664

Ensemble

143 348

158 196

154 472

151 549

Source : Données de l’INSEE, de la DGFiP, de l’ACOSS et de l’Observatoire des finances et de la gestion publique locales.

b.   La singularité des impôts de production

La France se distingue de ses voisins européens par un niveau plus élevé d’impôts sur la production, dont certains considèrent qu’il affecte la compétitivité des entreprises installées sur son territoire ([6]). Ces impôts font participer les entreprises au financement des services ou infrastructures payés par la collectivité comme tout agent économique.

Il existe en effet, en France, plusieurs impôts sur la production qui peuvent être classés en cinq catégories : les impôts sur le facteur travail, le capital, la valeur ajoutée, le foncier et le chiffre d’affaires.

  1.   Les différents impôts de production

● Les impôts sur le facteur travail

La taxe sur les salaires

Prévue par l’article 231 du code général des impôts (CGI), la taxe sur les salaires est en principe due par toutes les entreprises et tous les organismes qui paient des sommes à titre de rémunérations à leurs salariés.

Ce champ très large est toutefois fortement réduit par le fait que les employeurs assujettis à cette taxe sont ceux qui ne sont pas assujettis à la TVA ou ne l’ont pas été sur 90 % au moins de leur chiffre d’affaires au titre de l’année civile précédant celle du paiement des rémunérations.

La taxe sur les salaires comporte un taux normal, de 4,25 %, et des taux majorés applicables aux rémunérations individuelles dépassant certains seuils. Ces taux majorés s’élèvent, pour les salaires versés en 2022 :

– à 8,50 % pour la fraction des rémunérations individuelles annuelles comprise entre 8 573 euros et 17 114 euros ;

 et à 13,60 % pour la fraction de ces rémunérations excédant 17 114 euros.

Le produit de la taxe sur les salaires s’est élevé, en 2021, à 15,3 milliards d’euros.

Le versement mobilité

Le versement mobilité ([7]) est une contribution dont sont redevables les employeurs publics ou privés de 11 salariés ou plus, dont l’établissement est situé en région parisienne ou dans le périmètre d’une autorité organisatrice de transport (AOT). Les fondations et associations reconnues d’utilité publique à but non lucratif et à caractère social ainsi que les représentants d’États étrangers et certains organismes internationaux n’y sont pas assujettis.

Le produit de cette imposition est affecté au financement des dépenses d’investissement et de fonctionnement des transports publics urbains.

Le versement mobilité est calculé sur la base des rémunérations des salariés et recouvré par l’Urssaf. Le taux de la contribution est fixé par la commune ou l’intercommunalité :

– en Île-de-France, il est compris entre 1,6 % et 2,95 % ;

– hors Île-de-France, il est compris entre 0 % et 2,5 % et varie selon la taille de l’agglomération.

Son produit a été, en 2021, d’environ 9 milliards d’euros.

Le forfait social

Le forfait social, défini à l’article L. 137‑15 du code de la sécurité sociale (CSS), est une imposition affectée à la sécurité sociale assise sur les revenus d’activité exonérés de cotisations sociales mais assujettis à la contribution sociale généralisée (CSG). Son assiette comprend notamment les sommes versées aux salariés au titre de l’intéressement, de la participation ainsi que les contributions de l’entreprise aux plans d’épargne d’entreprise (PEE), plans d’épargne interentreprises et plans d’épargne retraite collectifs.

Dans le cadre de la mise en œuvre du plan pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) ([8]), la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 ([9]) a exonéré de tout forfait social les dispositifs d’épargne salariale dans les entreprises non tenues de mettre en place un accord de participation, c’est-à-dire les entreprises de moins de 50 salariés, ainsi que les sommes issues des accords d’intéressement dans les entreprises de moins de 250 salariés.

Le taux normal de forfait social, défini à l’article L. 137‑16 du CSS, est de 20 % assorti de plusieurs taux dérogatoires. En particulier, la même loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 a porté à 10 % le taux applicable pour les versements des entreprises d’au moins cinquante salariés qui abondent la contribution du salarié à un PEE pour l’acquisition d’actions, ou de certificats d’investissement, émis par l’entreprise.

Enfin la loi de finances pour 2021 ([10]) a :

– étendu le taux de 10 % aux versements unilatéraux de l’employeur, au lieu des seuls abondements, dans un PEE visant à acquérir des actions, ou des certificats d’investissement, émis par l’entreprise ;

– exonéré temporairement du taux de 10 %, pour les années 2021 et 2022, les abondements de l’employeur complétant les versements volontaires du salarié sur un PEE visant à acquérir des actions, ou des certificats d’investissement, émis par l’entreprise.

● Les impôts sur le capital

Les impôts sur le capital immobilisé, très spécifiques, occupent aujourd’hui une place marginale. Le plus important d’entre eux est l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau (IFER).

Créée en 2010 afin de compenser la suppression de la taxe professionnelle – à l’instar de la contribution économique territoriale (CET) – l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux comprend en réalité neuf composantes, chacune de ces composantes étant associée à une catégorie particulière de biens (article 1635-0 quinquies du CGI). Elle comprend ainsi une composante :

– sur les éoliennes terrestres et les hydroliennes (article 1519 D du CGI) ;

– sur les installations de production d’électricité d’origine nucléaire ou thermique à flamme (article 1519 E du CGI) ;

– sur les centrales de production d’électricité d’origine photovoltaïque ou hydraulique (article 1519 F du CGI) ;

– sur les transformateurs électriques (article 1519 G du CGI) ;

– sur les stations radioélectriques (article 1519 H du CGI) ;

– sur les installations gazières et les canalisations de transport de gaz, d’autres hydrocarbures et de produits chimiques (article 1519 HA du CGI) ;

– sur les matériels ferroviaires roulants utilisés sur le réseau ferré national pour les opérations de transport de voyageurs (1599 quater A du CGI) ;

– sur les matériels roulants utilisés sur les lignes de transport en commun de voyageurs en Île-de-France (1599 quater A bis du CGI) ;

– et sur les répartiteurs principaux de la boucle locale cuivre et certains équipements de commutation téléphonique (article 1599 quater B du CGI).

Les différentes composantes de l’IFER sont affectées aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). La répartition des montants entre communes, EPCI, départements et régions a été volontairement recherchée au moment de la suppression de la taxe professionnelle afin de fournir à chaque niveau de collectivité territoriale une imposition de nature économique ancrée dans leur territoire.

Les montants et tarifs de chacune des composantes de l’IFER sont revalorisés chaque année en fonction du taux prévisionnel d’évolution des prix à la consommation des ménages, hors tabac (article 1635-0 quinquies du CGI).

Le produit des différentes composantes de l’IFER s’est élevé à 1,6 milliard d’euros en 2022.

● Les impôts sur le chiffre d’affaires (CA)

La contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et la cotisation foncière des entreprises (CFE) constituent l’essentiel de la contribution économique territoriale (CET), créée en 2010 dans le cadre de la réforme de la taxe professionnelle. Selon les instigateurs de cette réforme, sa mise en œuvre était motivée par l’amélioration de la compétitivité des entreprises françaises, car la taxe professionnelle avait pour eux le défaut de renchérir le coût d’usage du capital et, de ce fait, de limiter les investissements.

La CVAE est la composante la plus importante de la CET. Le taux est fixé au niveau national, mais les recettes de la CVAE sont affectées aux collectivités territoriales.

Sont redevables de la CVAE les entreprises dont le CA est supérieur à 500 000 euros. Sa base est la valeur ajoutée (VA) fiscale qui représente la création de richesse de l’entreprise : elle se calcule en retranchant du CA, majoré de certains autres produits de gestion, les consommations de biens et services.

La VA fiscale, au sens de la CVAE, diffère de la VA comptable : elle est calculée de manière à appréhender le plus exactement possible la richesse produite par les entreprises dans le cadre de leur activité courante.

En parallèle de l’assiette de droit commun, quatre définitions particulières sont prévues par la loi pour appréhender des activités spécifiques de nature financière.

Les dégrèvements barémiques sont pris en charge par l’État, si bien que les collectivités locales se voient reverser un produit de la CVAE nettement supérieur à celui effectivement payé par les entreprises.

Le taux de la CVAE, appliqué à la VA fiscale, est progressif en fonction du CA et variait, jusqu’en 2021, de 0 à 1,5 %. À cette date, la CVAE a connu une réforme d’ampleur destinée à abaisser le poids des impôts de production pour les entreprises françaises générant un chiffre d’affaires de plus de 500 000 euros (cf. infra B du I).

● Les impôts sur la valeur ajoutée

Instaurée en 1970, la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) est un prélèvement assis sur le CA des sociétés et groupements assimilés (ventes, prestations de services, exportations hors Union européenne, autres opérations non imposables et livraisons intra-communautaires) ; il participe au financement de l’assurance‑vieillesse.

À l’origine, la C3S a été créée afin de compenser les pertes de recettes subies par les régimes des travailleurs indépendants résultant du développement du travail salarié. Elle n’a pas d’équivalent chez nos partenaires européens.

Jusqu’en 2014, étaient exonérées les entreprises dont le chiffre d’affaires annuel hors taxes déclaré à l’administration fiscale était inférieur à 760 000 euros. Dans le cadre du Pacte de responsabilité et de solidarité, une réforme en trois étapes de la C3S était prévue : en 2015 a été instauré un abattement forfaitaire sur le CA de 3,25 millions d’euros ; l’abattement a ensuite été relevé à 19 millions d’euros en 2016 ; la suppression totale prévue en 2017 n’a pas été mise en œuvre.

Le taux global (C3S et sa contribution additionnelle) est fixé nationalement à 0,16 % du CA. En 2022, le produit total recouvré s’est élevé à 4,2 milliards d’euros avec comme trois premiers secteurs contributeurs, à hauteur des deux tiers du produit de la taxe : l’industrie manufacturière, le commerce et la finance.

● Les impôts sur le foncier

La CFE est une taxe sur l’utilisation du foncier et non sur la propriété comme la taxe foncière. Elle est l’équivalent pour les entreprises de la taxe d’habitation des ménages. Son assiette est la valeur locative des locaux professionnels. Ces valeurs, qui n’avaient pas été réactualisées depuis les années 1970, l’ont été en 2017. Cependant plusieurs mécanismes réduisent fortement la variation du montant à payer due à cette réactualisation. À l’instar de la taxe foncière, les taux de la CFE sont fixés par les collectivités locales bénéficiaires, soit les communes ou les intercommunalités (EPCI). La CFE a également été touchée par la réforme des impôts de production (v. infra).

  1.   L’importance des impôts de production

En 2019, la France se distinguait de ses voisins européens à la fois par l’importance de ses impôts sur la production – soit 2 % du PIB et 3,6 % de la VA des entreprises – mais également par leur nombre, participant ainsi à la complexité de la fiscalité des entreprises.

impôts de production acquittés par les entreprises en 2016

Source : Conseil d’analyse économique, Les impôts sur (ou contre) la production, Philippe Martin et Alain Trannoy, juin 2019

En Europe et à la même date, seule la Grèce prélevait plus (2,6 % du PIB), essentiellement à travers un impôt foncier, des licences professionnelles et une taxe sur les activités polluantes.

Le Royaume-Uni prélevait quant à lui 1,6 % du PIB via des impôts portant sur le foncier, avec un équivalent à la CFE française : les business rates. La Belgique (1,4 % du PIB) présente comme la France un profil multi-assiettes mais avec un nombre moins important de taxes, dont plusieurs concernent spécifiquement le secteur financier.

L’Italie est le seul pays avec la France à avoir mis en place un impôt sur la VA avec la taxe locale sur les activités productives (IRAP), proche de la CVAE française qui correspond à la plus grosse part de ces impôts de production.

On ne trouve dans aucun pays européen un équivalent à une taxe sur le chiffre d’affaires comme la C3S française, dont le produit est affecté à la sécurité sociale.

Enfin, quatre pays européens considérés parmi les plus performants sur le plan économique – Allemagne, Autriche, Pays-Bas et Suède – ne prélèvent qu’entre 0,5 % et 1,5 % de la valeur ajoutée de leurs entreprises.

2.   L’impôt sur les sociétés : un prélèvement aux règles particulières

a.   L’impôt sur les sociétés a été conçu comme l’équivalent, pour les sociétés, de l’impôt sur le revenu pour les personnes physiques

L’impôt sur les sociétés (IS) est un impôt direct annuel perçu au profit de l’État. Il est apparu tardivement en France, comparativement aux États-Unis (1909) ou au Royaume-Uni (1920) ; toutefois l’imposition des bénéfices est en réalité aussi ancienne. En effet, l’impôt sur le revenu (IR), introduit en France par la réforme Caillaux en 1914 pour financer l’effort de guerre, visait tous les revenus, notamment les bénéfices, quelle que soit la nature du bénéficiaire, personne physique ou société. Il était composé de deux strates :

– une taxation individuelle des divers revenus selon leur nature, classés en sept catégories d’imposition, appelées cédules ;

– une taxation additionnelle sous la forme d’un impôt général sur le revenu, qui était, lui, progressif.

Dans un souci de simplification du système fiscal, ces sept impôts ont été remplacés en 1948 par deux impôts personnels, dont la ligne de partage n’était plus la nature du revenu mais la nature du contribuable : l’impôt sur le revenu des personnes physiques et l’IS qui est assis de manière symétrique sur le revenu des personnes morales (sociétés de capitaux mais aussi établissements publics et associations).

L’impôt sur les sociétés a été créé aux côtés de l’impôt sur le revenu des personnes physiques pour assurer que tous les bénéfices professionnels, notamment industriels et commerciaux soient effectivement taxés, il est donc en principe assis sur le bénéfice comptable des entreprises. L’IS a donc été créé pour taxer l’enrichissement des sociétés en tant que personnes morales autonomes, par parallélisme à la taxation par l’IR des bénéfices industriels et commerciaux des personnes physiques, pour éviter que certains bénéfices échappent à l’imposition.

En effet, contrairement aux sociétés de personnes, les sociétés de capitaux n’engagent leurs actionnaires que dans la limite de leurs apports. En l’absence de distribution de dividendes ou d’intérêts aux actionnaires, les revenus de l’activité ne peuvent être répartis entre les actionnaires et pourraient échapper à l’impôt sur leurs revenus.

L’impôt sur les sociétés est a priori conçu pour que le système fiscal ne crée pas de lacune en faveur du statut juridique de société de capitaux, qui permettrait aux revenus du capital d’échapper à l’impôt en n’étant pas distribués.

Il assure également que les revenus de l’activité commerciale soient taxés à leur réalisation et non pas seulement à leur distribution. Fonctionnant comme un acompte de l’imposition sur les dividendes et intérêts, il évite de favoriser l’absence de distribution des bénéfices aux actionnaires qui sont des résidents fiscaux en France. Il permet enfin de taxer à la source les revenus du capital (dividendes distribués, bénéfices ou plus-values) gagnés par des actionnaires non-résidents qui, en son absence, échapperaient à l’imposition dans le pays de réalisation de l’activité (dans le cas où il n’y a pas de taxation spécifique des dividendes distribués aux actionnaires étrangers, ni de convention fiscale).

b.   L’impôt sur les sociétés est un impôt proportionnel assis sur les bénéfices réalisés en France

  1.   L’impôt sur les sociétés ne concerne en principe que les bénéfices réalisés en France

En application de l’article 209 du code général des impôts (CGI), seuls les bénéfices « réalisés dans les entreprises exploitées en France » sont en principe imposés à l’impôt sur les sociétés : c’est le principe de territorialité de l’IS.

Le principe est donc que le lieu d’exploitation des entreprises détermine l’imposition des bénéfices à l’impôt sur les sociétés : les résultats (bénéficiaires ou déficitaires) réalisés par une société française dans des entreprises exploitées à l’étranger, comme une succursale par exemple, ne sont pas soumis à l’IS français.

À l’inverse, les sociétés étrangères sont soumises à l’IS à raison des bénéfices tirés de leurs exploitations en France. Encore faut-il toutefois que la personne morale étrangère en cause entre dans le champ de l’IS, tel que défini par l’article 206 du CGI, c’est-à-dire qu’elle soit assimilable à une société de capitaux ou, à défaut, qu’elle se livre à une activité lucrative.

Cette règle distingue nettement l’impôt sur les sociétés de l’impôt sur le revenu puisqu’en application de l’article 4 A du CGI, les personnes qui ont leur domicile fiscal en France sont imposées sur l’ensemble de leurs revenus annuels, de source française comme étrangère (principe de l’obligation fiscale illimitée).

Il ne faut pas pour autant en déduire trop hâtivement que sont soumis à l’IS l’ensemble des bénéfices de source française, ou l’ensemble des bénéfices générés par des activités exercées en France : l’article 209 du CGI retient un critère plus restrictif, et ainsi des revenus de source française pourront échapper à l’IS si la société qui les réalise n’exploite pas d’entreprise en France (sous réserve de l’application des retenues à la source).

Inversement, une société française peut être imposée à l’IS à raison de bénéfices résultant d’une activité dans un État étranger si elle n’y exploite aucune entreprise. Ces principes ne sont toutefois applicables qu’en l’absence de convention fiscale bilatérale.

  1.   En principe, le bénéfice fiscal est égal au résultat brut comptable

Le bénéfice fiscal est défini aux articles 38‑1 et 38‑2 du CGI, exactement comme le résultat comptable selon le plan comptable général : l’impôt sur les sociétés s’applique au « bénéfice net déterminé par les résultats d’ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notamment les cessions d’éléments quelconques de l’actif », au cours de chaque exercice ou période d’imposition.

Ainsi, au-delà des seuls revenus tirés de l’exploitation, tous les revenus ou profits accessoires réalisés par une entreprise sont imposables, notamment les revenus provenant de la location de biens immobiliers, les intérêts de créances, les dépôts, cautionnements ou encore les revenus de valeurs mobilières.

Le lien entre comptabilité et fiscalité est fort : si aucune règle fiscale n’est prévue, c’est la norme comptable qui s’applique. En outre, seules les opérations effectivement comptabilisées peuvent être prises en compte pour la détermination du résultat fiscal.

  1.   L’établissement de l’impôt sur les sociétés fait néanmoins apparaître des dérogations à la norme comptable afin d’en garantir la neutralité économique

● Le mécanisme de report des déficits permet de maintenir une égalité de traitement entre sociétés dont le statut ou la nature de l’activité diffèrent.

Le mécanisme de report des déficits permet de constituer le déficit observé une année donnée en charge à déduire :

– des résultats des exercices suivants (« report en avant » ou carry forward) ;

– des bénéfices de l’exercice précédent (« report en arrière » ou carry back), sur option, depuis 1985.

Ce mécanisme assure que l’imposition porte sur le résultat, qu’il soit positif ou négatif, et pas seulement sur les résultats positifs – les bénéfices – pour ne pas imposer davantage les sociétés de capitaux – qui ne peuvent transférer leurs déficits à leurs actionnaires contrairement aux sociétés de personnes –, ou celles dont l’activité est cyclique.

Jusqu’en 2011, le report en arrière des déficits pouvait se faire sur les trois exercices précédents, sans plafonnement, ce qui constituait un avantage par rapport à l’IR, pour lequel cette option n’existe pas. L’excédent d’IS versé par l’entreprise au titre de l’année d’imputation des déficits ouvre droit pour elle à une créance fiscale dite créance de carry-back. Celle-ci figure en produit, non imposable, de l’entreprise. La créance est remboursée au terme de cinq années. Entre-temps, l’entreprise peut l’utiliser pour payer l’IS, les acomptes et le cas échéant, des rappels d’IS. Les entreprises qui font l’objet d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire peuvent demander le remboursement de leur créance non utilisée à compter de la date du jugement.

La première loi de finances rectificative pour 2011 ([11]) est venue encadrer davantage les conditions dans lesquelles les entreprises relevant de l’IS peuvent reporter ces déficits fiscaux, afin de rendre taxable un minimum de bénéfice pour les entreprises chaque année.

Ces nouvelles règles, inspirées de ce qui se pratique en Allemagne, ont permis d’améliorer le rendement de l’impôt sur les sociétés d’environ 1,5 milliard d’euros dès 2012 :

– le report en avant est désormais plafonné en montant mais illimité dans le temps. Ainsi les déficits passés sont reportables dans la limite de 1 million d’euros, majorée de 50 % de la fraction du bénéfice qui excède cette limite. Il y a toutefois perte du droit au report en cas de cessation d’entreprise, de changement de forme sociale entraînant la création d’une nouvelle personne morale, de changement de régime fiscal, de changement d’objet social ou d’activité réelle, de disparition des moyens de production, ou encore de fusion ou d’opérations assimilées ;

– le report en arrière n’est possible que sur les bénéfices de l’exercice précédent et il est plafonné au montant le plus faible entre lesdits bénéfices et 1 million d’euros. Il n’est en outre ouvert qu’aux bénéfices frappés du taux plein ou du taux réduit des PME.

● Le régime mère-fille vise à supprimer la double-imposition des dividendes versés par une filiale à sa société mère française.

Ce régime, prévu aux articles 145 et 216 du CGI, permet à toute société tête de groupe, qui détient une participation minimale de 5 % dans ses filiales, d’être exonérée d’IS à hauteur de 95 % des produits nets des participations (essentiellement des dividendes) versés par celles-ci, qu’elles soient françaises ou étrangères, si elle en fait la demande : 5 % du montant de total de ces produits (y compris crédit d’impôt) est réintégré dans le résultat fiscal et imposé au taux normal.

Cette fraction, dite quote-part de frais et charges (QPFC), est censée correspondre aux coûts supportés par la société-mère au titre de l’activité de ses filiales, afin que la société mère ne puisse déduire des charges qui ne correspondent pas à un revenu imposable.

Présent dès l’origine de l’imposition sur les sociétés, ce dispositif permet que les bénéfices des filiales ne subissent pas une double imposition, d’abord au sein de la filiale, puis, en cas de distribution, au niveau de la société mère. Il favorise ensuite la croissance interne de l’entreprise en réduisant le coût du capital financé sur fonds propres, évitant ainsi les frottements fiscaux liés au choix d’organisation et de structuration des sociétés.

Ce régime est répandu au sein de l’OCDE et sa version française n’est pas atypique, même si elle impose un seuil et une durée de détention minimaux, contrairement à l’Italie ou au Royaume-Uni qui ne prévoient pas ce genre de critères. Le régime américain est en revanche plus restrictif puisqu’il n’exonère que les distributions entre sociétés affiliées, avec une participation requise supérieure à 80 %.

Le régime mère-fille, dont les modalités de fonctionnement ont pu faire l’objet de critiques (cf. infra B du II), a connu plusieurs évolutions depuis la crise de 2008 dans le but d’augmenter le résultat fiscal et, ainsi, l’imposition :

– la QPFC réintégrée dans le résultat imposable ne peut plus être inférieure à 5 %, même si les dépenses réellement engagées sont inférieures ;

– des clauses anti-abus ont été introduites à partir de 2011, notamment pour exclure du régime les dividendes perçus dans les paradis fiscaux. Ces clauses, qui seront examinées infra, ont néanmoins le défaut de laisser au juge du fond une marge d’interprétation qui implique une harmonisation vigilante du Conseil d’État.

En revanche, le résultat fiscal a été réduit sous l’action du juge européen. En effet, jusqu’en 2015, la quote-part de frais et charges était de 5 % pour tous les redevables : elle a été réduite à 1 % à compter de 2016 ([12]) pour ceux qui optent pour le régime d’intégration fiscale des groupes de sociétés (cf. infra). Il s’agit de l’adaptation du droit français à l’arrêt Steria de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) ([13]), qui vise à harmoniser le traitement des dividendes provenant de filiales européennes dans le régime mère-fille avec le traitement des dividendes remontés des filiales françaises dans les groupes fiscalement intégrés.

● Le régime d’intégration fiscale des groupes répond au principe de neutralité vis-à-vis de l’organisation de la production.

Au-delà du régime mère-fille, qui permet de n’imposer qu’une fois les dividendes distribués au sein d’un groupe, il existe un régime d’intégration fiscale, ou régime de groupe, qui concerne toutes les composantes du résultat. Il est limité toutefois aux groupes très intégrés, la société mère devant détenir la quasi-totalité des titres de ses filiales.

En vigueur depuis 1988, le régime de groupe en France, dont la définition figure aux articles 223 A et suivants du CGI et qui consiste en un mécanisme de consolidation fiscale, est optionnel.

Il permet à une société mère d’intégrer dans ses résultats fiscaux les résultats de ses filiales françaises, sous la condition qu’elle contrôle au moins 95 % de leur capital et que la société tête de groupe ne soit pas elle-même détenue à plus de 95 % par une autre personne morale soumise à l’IS.

La consolidation des résultats du groupe au niveau de la société-mère a pour effet de la rendre redevable de l’impôt sur les sociétés pour l’ensemble des sociétés du groupe. Il permet la compensation des résultats bénéficiaires et déficitaires des sociétés appartenant au même groupe fiscal.

La consolidation fiscale peut donc s’éloigner de la consolidation comptable dont l’objectif est de fournir une information économique globale et pertinente sur la situation patrimoniale des groupes de sociétés.

c.   L’impôt sur les sociétés est un impôt proportionnel assis sur un taux normal, des taux réduits et d’éventuelles contributions exceptionnelles

Le taux normal de l’IS est prévu au deuxième alinéa du I de l’article 219 du code général des impôts. Ayant fait l’objet d’une trajectoire de baisse récente, il est aujourd’hui de 25 %, contre 33,33 % jusqu’en 2017 (v. infra).

Les taux réduits d’IS s’appliquent soit à une fraction du bénéfice imposable, soit à certains types de revenus. Peuvent être mentionnés les situations suivantes :

– les petites et moyennes entreprises (PME) dont le chiffre d’affaires est inférieur à 7,63 millions d’euros sont imposées au taux réduit de 15 % sur leurs premiers 42 500 euros de bénéfice ([14]), sous réserve qu’elles soient détenues à hauteur d’au moins 75 % par des personnes physiques ou par des sociétés qui satisfont elles-mêmes cette condition de détention ; ce « taux réduit PME » est prévu au b du I de l’article 219 du CGI ;

– le montant net des plus-values à long terme fait l’objet d’une imposition séparée au taux réduit de 15 %, ainsi qu’en dispose le premier alinéa du a du I de l’article 219 du CGI ;

– le montant net des plus-values à long terme tirées de la cession de titres de sociétés à prépondérance immobilière cotées est, quant à lui, imposé au taux de 19 %, en application du troisième alinéa du a du I et du IV de l’article 219 du CGI ;

– les produits tirés de la cession ou de la concession de certains actifs incorporels, dont les brevets, font l’objet d’une imposition séparée au taux réduit de 10 %, en vertu du deuxième alinéa du même a (« taux réduit brevet ») ;

– les plus-values tirées de la cession de locaux professionnels destinés à être transformés en locaux d’habitation sont imposées au taux réduit de 19 %, en application de l’article 210 F du CGI et du IV de l’article 219 du même code ;

– les revenus patrimoniaux des organismes sans but lucratif sont imposés au taux réduit de 24 % ou, pour certains types de revenus, aux taux réduits de 10 % (par exemple pour certains intérêts perçus par les caisses de retraite et de prévoyance) ou de 15 % (dividendes), ainsi qu’en disposent les articles 219 bis et 219 quater du CGI.

Les critiques dirigées contre le taux réduit PME

Dans son rapport de décembre 2016 ([15]), le CPO suggérait de supprimer le taux réduit de 15 % pour les PME, permettant une économie de 1,9 milliard d’euros par an par rapport à un taux normal de 28 %, et de 1,47 milliard d’euros par an par rapport à un taux normal de 25 %.

Au-delà des considérations budgétaires pouvant militer pour la suppression de ce taux réduit, le CPO appuyait sa proposition sur une analyse des effets de ce dispositif.

Selon lui, une imposition plus faible des entreprises les moins bénéficiaires n’est justifiée par aucun raisonnement économique, au contraire. Un dispositif tel que le taux réduit pour les PME serait un outil conduisant à la survie artificielle, via une dépense fiscale, des entreprises les moins performantes. Cette analyse, partagée par l’OCDE, considère également que les entreprises les plus performantes, dont le bénéfice croît, sont pénalisées par une imposition plus forte qui limite le réinvestissement des profits ([16]).

Le CPO relevait que l’existence d’un taux réduit est un facteur d’incitation à des stratégies d’évitement de l’impôt. Ses travaux mettaient en évidence une augmentation du nombre de redevables dont le bénéfice se situait autour de 38 120 euros, traduisant un effet de seuil au niveau du plafond de bénéfice sous lequel le taux réduit était alors applicable, et une pratique de structuration artificielle de groupes en petites entités afin que le bénéfice de ces dernières se trouve intégralement imposé au taux réduit.

En plus de l’IS proprement dit, existent ou ont existé des contributions additionnelles à cet impôt, dues par certaines entreprises. Dans la mesure où elles sont assises sur l’IS, elles ont pour effet d’augmenter le taux effectif de ce dernier : il s’agit du taux facial de l’IS, utilisé essentiellement dans le cadre de comparaisons internationales, notamment par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Il n’existe actuellement qu’une contribution additionnelle à l’IS : la contribution sociale sur l’IS prévue à l’article 235 ter ZC du CGI, due par les entreprises dont le chiffre d’affaires est égal ou supérieur à 7,63 millions d’euros de chiffre d’affaires.

Égale à 3,3 % de l’IS dû, elle aboutit à ce que le taux facial de l’IS soit de 25,825 %, pour un taux normal de 25 %.

Jusqu’à récemment encore, d’autres contributions s’appliquaient aux plus grandes entreprises.

D’une part, et au titre de leurs exercices clos entre le 31 décembre 2011 et le 30 décembre 2016, les entreprises dont le chiffre d’affaires était supérieur à 250 millions d’euros acquittaient une contribution exceptionnelle plus connue sous l’appellation de « surtaxe Fillon », prévue à l’article 235 ter ZAA du CGI.

Le taux de cette contribution, initialement fixé à 5 %, fut augmenté à 10,7 % pour les exercices clos à compter du 31 décembre 2013, ayant pour effet de porter le taux facial de l’IS à 38 % entre 2013 et 2015.

D’autre part, deux contributions, chacune égale à 15 % de l’IS dû, ont été mises en place par la première loi de finances rectificative pour 2017 au titre des exercices clos entre le 31 décembre 2017 et le 30 décembre 2018 ([17]).

La première de ces contributions était due par les entreprises dont le chiffre d’affaires dépassait un milliard d’euros, la seconde par celles dont le chiffre d’affaires dépassait 3 milliards d’euros.

Ces deux contributions ont ainsi porté le taux facial de l’IS à 44,43 % en 2018.

On peut ajouter à cela le fait que, de façon plus ponctuelle, le législateur fiscal est régulièrement amené à instaurer des impositions exceptionnelles portant sur une catégorie d’entreprises particulières. On peut citer à ce titre par exemple :

– les dispositifs successifs de taxation exceptionnelle du montant de la provision pour hausse des prix des entreprises pétrolières, par l’article 11 de la loi de finances pour 2001 (qui était toutefois imputable sur l’IS dû), par l’article 25 de la loi de finances pour 2002, par l’article 67 de la loi du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007, par l’article 18 de la loi de finances pour 2009 et enfin par l’article 16 de la loi du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011 ;

– la contribution exceptionnelle sur la valeur des stocks de produits pétroliers, instaurée par l’article 10 de la loi de finances rectificative pour 2012 ;

– plus récemment, la contribution temporaire de solidarité sur les surprofits des entreprises du secteur de l’énergie, instaurée par l’article 40 de la loi de finances pour 2023.

d.   L’impôt sur les sociétés, calculé et payé spontanément par les redevables, est relativement peu coûteux à gérer pour l’administration chargée de son recouvrement

Depuis le 1er janvier 2013, toutes les sociétés soumises à l’IS doivent transmettre une déclaration de résultats de manière dématérialisée, dans les trois mois à compter de la clôture de l’exercice, en utilisant la procédure « transfert de données fiscales et comptables » (TDFC) auprès du service des impôts des entreprises (SIE) de la direction départementale des finances publiques dont dépend l’établissement principal, ou de la direction des grandes entreprises de la direction générale des finances publiques.

 

Les sociétés soumises à l’IS doivent établir elles-mêmes le montant de leur impôt. Elles calculent dans un premier temps l’imposition brute, par application du taux au bénéfice. Elles déduisent ensuite les réductions et crédits d’impôt qui leur sont applicables. Il en existe deux catégories :

– les crédits d’impôt visant à éliminer une double imposition, généralement des crédits d’impôt représentatifs d’une retenue à la source prélevée à l’étranger sur un revenu de source étrangère qui serait également imposable en France (en général prévu par la convention bilatérale avec le pays tiers) ;

– les réductions et crédits d’impôt prévus par le droit national en vue de créer une incitation ou un allègement fiscal, par exemple le crédit d’impôt recherche (CIR). Les sociétés doivent ensuite payer spontanément, par télérèglement, le montant de l’impôt dû, selon un système d’acomptes et de solde.

L’impôt dû au titre de l’année N (calculé sur le bénéfice imposable de l’année N) est payé au moyen de quatre acomptes versés en mars, juin, septembre et décembre de l’année N et liquidé au cours de l’année N+1, le 15 du 4ème mois qui suit la clôture de l’exercice et au plus tard le 15 mai. Le montant des acomptes est déterminé d’après le bénéfice fiscal du dernier exercice clos.

Le montant du dernier acompte versé par les très grandes entreprises (plus de 250 millions d’euros de chiffre d’affaires) est soumis depuis 2005 à un niveau plancher, fonction du montant du chiffre d’affaires, du montant du bénéfice estimé de l’exercice et des acomptes déjà versés. L’écart entre le montant du quatrième acompte et ce versement minimal est appelé « cinquième acompte », même s’il est versé en même temps que le quatrième acompte.

Toutes les entreprises ont la possibilité de moduler à la baisse leurs acomptes lorsque leur bénéfice diminue : on parle « d’autolimitation ». La liquidation de l’impôt est faite par la société au plus tard le 15 mai de l’année N+1 sans démarche préalable. Le solde éventuel est calculé après déduction des acomptes payés en N et après imputation de créances de report en arrière des déficits et autres réductions ou crédits d’impôt.

Si la liquidation de l’impôt faite par l’entreprise fait apparaître un impôt dû inférieur au montant des acomptes versés, les services de la DGFiP restituent cet excédent. La restitution est imputée sur les crédits du programme 200 Remboursements et dégrèvements d’impôt d’État, via l’action Remboursements et restitutions liés à la mécanique de l’impôt.

B.   une convergence entre la France et la moyenne des autres pays de l’union européenne

1.   Une convergence de l’assiette, du taux et des règles régissant l’impôt sur les sociétés avec les autres États de l’Union européenne

a.   Un alignement partiel des règles d’assiette applicables à l’imposition des bénéfices

Le droit européen a conduit à un rapprochement des règles d’assiette entre les États membres de l’Union européenne qui, sans aller jusqu’à un alignement total, permet de rapprocher la méthodologie du calcul de l’impôt quant à la déductibilité des charges financières et la limitation du recours aux dispositifs hybrides.

  1.   L’encadrement de la déductibilité des charges financières

Les charges financières constituent un vecteur privilégié d’évasion fiscale dans la mesure où, étant déductibles du résultat fiscal, elles conduisent à minorer ce dernier. Dès lors, leur manipulation peut avoir pour effet une réduction artificielle et excessive de l’assiette imposable. Dans le but de diminuer de telles pratiques, le droit français comporte plusieurs mécanismes spécifiques.

Ces mécanismes d’encadrement de l’imputation des charges financières ont fait l’objet d’une réforme d’ampleur dans la loi de finances pour 2019 ([18]), qui transposait à cet effet l’article 4 de la directive « ATAD 1 » ([19]).

Les mécanismes d’encadrement sont désormais constitués par trois éléments :

– l’encadrement de la déductibilité des intérêts versés par une entreprise à ses associés, prévu au 3 du 1 de l’article 39 du CGI, ou à des entreprises liées en vertu du a du I de l’article 212 du même code, consistant à plafonner le taux d’intérêt applicable ;

– l’encadrement de la déductibilité des charges financières nettes prévu aux articles 212 bis et, pour les groupes fiscalement intégrés, 223 B bis du CGI, qui résulte de la transposition par l’article 34 de la loi de finances pour 2019 précitée de l’article 4 de la directive « ATAD 1 » ;

– et enfin, plus classiquement, par l’encadrement de la déductibilité des charges financières afférentes à l’acquisition de titres de participation d’une société membre d’un groupe ou qui le devient, par une autre société membre du même groupe auprès d’une troisième société qui la contrôle ; ce dispositif, prévu au sixième alinéa de l’article 223 B du CGI et visant les opérations de « rachat à soi-même » dans le cadre de groupes fiscalement intégrés, est plus connu sous l’appellation d’« amendement Charasse » ([20]).

  1.   La limitation du recours aux dispositifs hybrides

Depuis 2013 à l’échelle internationale et depuis 2015 au niveau de l’Union européenne, se sont succédé plusieurs initiatives en matière de lutte contre l’évasion fiscale.

Lancé en 2013 par le G20, conduit par l’OCDE et associant plus d’une centaine de pays et territoires réunis dans le « Cadre inclusif », le projet « BEPS » (pour base erosion and profit shifting ([21])) s’articule autour de quinze actions destinées à renforcer la lutte internationale contre les pratiques d’évasion fiscale.

Les actions du projet « BEPS »

Les quinze actions du projet « BEPS » sont présentées ci-dessous et sont considérées comme des standards minimums et à ce titre impératives pour l’ensemble des juridictions fiscales.

– action n° 1 : relever les défis fiscaux posés par l’économie numérique ;

– action n° 2 : neutraliser les effets des dispositifs hybrides ;

– action n° 3 : concevoir des règles efficaces concernant les sociétés étrangères contrôlées ;

– action n° 4 : limiter l’érosion de la base d’imposition faisant intervenir les déductions d’intérêts et d’autres frais financiers ;

– action n° 5 : lutter plus efficacement contre les pratiques fiscales dommageables, en prenant en compte la transparence et la substance ;

– action n° 6 : empêcher l’utilisation abusive des conventions fiscales lorsque les circonstances ne s’y prêtent pas ;

– action n° 7 : empêcher les mesures visant à éviter artificiellement le statut d’établissement stable ;

– actions n° 8 à 10 : aligner les prix de transfert calculés sur la création de valeur ;

– action n° 11 : mesure et mise en œuvre du « BEPS » ;

– action n° 12 : règles de communication obligatoire d’informations ;

– action n° 13 : documentation des prix de transfert et déclaration pays par pays ;

– action n° 14 : accroître l’efficacité des mécanismes de règlement des différends ;

– action n° 15 : convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir le BEPS.

L’action n° 2 du projet « BEPS » porte spécifiquement sur les dispositifs hybrides.

Son « Rapport final » publié en 2015 – et paru le 28 février 2017 dans sa version française – contient une série de recommandations susceptibles d’être mises en œuvre au niveau national par les différentes juridictions et fait état des modifications pouvant être apportées aux conventions fiscales, en indiquant les modalités d’enrichissement du modèle de convention fiscale de l’OCDE ([22]).

L’OCDE identifie deux catégories d’asymétries fiscales susceptibles d’être causées par les dispositifs hybrides :

– la déduction / non-inclusion (ou déduction sans inclusion), situation dans laquelle un paiement est déduit du résultat du payeur établi dans une juridiction A sans être inclus dans le résultat du bénéficiaire établi dans une juridiction B ;

– la double déduction, situation dans laquelle un paiement est non seulement déduit du résultat du payeur, mais l’est également du résultat d’une autre personne – généralement l’investisseur, détenant une participation dans le débiteur.

La directive (UE) 2011/64 du 11 juillet 2016, dite ATAD 1, comporte une série de dispositifs renforçant l’arsenal juridique contre les pratiques d’évasion fiscale, dont, à son article 9, un mécanisme de lutte contre les mécanismes hybrides, substantiellement enrichi par la directive « ATAD 2 » du 29 mai 2017 ([23]), qui sont directement inspirés des recommandations de l’OCDE.

Ces dispositions ont été transposées par la loi de finances pour 2020 ([24]), à travers trois nouveaux articles 205 B, 205 C et 205 D du CGI.

Ces nouveaux mécanismes ont défini les notions pertinentes en matière de dispositifs hybrides et ont déterminé les différentes règles applicables en fonction de la nature de l’asymétrie fiscale et du positionnement de la France dans chaque montage.

Cette transposition pourtant peu médiatisée, affectant de nouveaux outils à l’administration pour recouvrer les impositions éludées, a constitué un important progrès en matière de justice et d’équité fiscales.

b.   La trajectoire de réduction du taux de l’impôt sur les sociétés

Les choix des investisseurs reposent avant tout sur l’importance du marché et la qualité, l’abondance et le coût des facteurs de production. Ainsi, un État doté d’une fiscalité lourde peut tout à fait, s’il satisfait aux précédents critères de choix, se montrer particulièrement attractif et performant. Néanmoins la fiscalité a un impact et peut même s’avérer déterminante dans l’arbitrage des investisseurs.

De Mooij et Ederveen (2003) ont ainsi avancé qu’une baisse d’un point du taux de l’impôt sur les sociétés entraîne, toutes choses égales par ailleurs, une hausse des investissements directs étrangers (IDE) de 3 à 4 % ([25]).

Plus généralement, le taux facial de l’imposition des bénéfices constitue une donnée facilement identifiable et permet de procéder à des comparaisons rapides qui, si elles ne sont pas toujours pertinentes, n’en restent pas moins importantes, car commentées et suivies par les investisseurs.

En 2013, une étude réalisée par le cabinet d’audit PricewaterhouseCoopers (PwC) à l’initiative de la Banque mondiale, intitulée Paying Taxes 2013  The Global Picture, a cherché à comparer le poids des prélèvements obligatoires pour les entreprises pays par pays. Ainsi le montant des prélèvements obligatoires de toute nature supportés a été rapporté au profit commercial ([26]).

Les résultats de cette étude, mis en avant par le Gouvernement à l’occasion des discussions budgétaires de l’automne 2018 afin de justifier une baisse de la trajectoire de l’impôt sur les sociétés (v. infra), n’étaient pas favorables à la France, qui affichait un taux de 65,7 %, soit le troisième taux le plus élevé d’Europe (derrière l’Italie et l’Estonie). Ce taux se situait par ailleurs très au-delà de la moyenne des États membres de l’Union européenne et de l’Association européenne de libre-échange, établie à 42,6 %, et nettement supérieure à la moyenne mondiale (taux de 44,7 %).

 

 

 

 

 

Taux apparents de l’IS dans l’Union européenne et aux États-Unis (2017)

Source : Commission européenne, Taxation trends 2017, Staturory tax rates ; OCDE, Statutory corporate income tax, 2017.

Malgré son taux relativement élevé, le rendement net de l’IS a diminué de plus de moitié sur la décennie 2007-2016 ainsi qu’en témoignent le tableau et le graphique ci-après.

Évolution du rendement net de l’is (2007-2017)

(en milliards d’euros)

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

63,3

62,6

55,1

51,4

53

41,3

47,2

35,3

33,5

30

35,7

Source : commission des finances à partir des documents budgétaires.

Il est toutefois à noter que la diminution soudaine du rendement net de l’IS à compter de 2014, au-delà de la question de la volatilité du produit de cet impôt très fortement corrélé à l’activité économique et donc à la conjoncture, trouve sa source principale dans la mise en œuvre du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), dont la première imputation sur l’IS est intervenue en 2014.

Coût budgétaire du CICE (2014-2017)

(en milliards d’euros)

Année

2014

2015

2016

2017

Total

Coût budgétaire

6,6

12,5

12,9

16,5

48,5

Source : évaluation préalable ; Comité de suivi du CICE, Rapport 2016, octobre 2016, et Rapport 2017, octobre 2017 ; commission des finances, Rapport sur le projet de loi de finances pour 2017.

Afin d’améliorer, selon elle, la compétitivité des entreprises et l’attractivité fiscale de la France, la nouvelle majorité présidentielle a prévu, en loi de finances pour 2018, une trajectoire de baisse de l’IS ([27]).

Au titre des exercices ouverts en 2019, il a été ramené à 31 % pour les entreprises réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 250 millions d’euros et il est demeuré à 33 1/3 % pour celles dont le chiffre d’affaires était égal ou supérieur à ce montant ([28]).

Au titre des exercices ouverts en 2020, il a été ramené à 28 % pour les entreprises réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 250 millions d’euros et à 31 % au-delà ([29]).

Au titre des exercices ouverts en 2021, il a été abaissé à 26,5 % pour les entreprises réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 250 millions d’euros et à 27,5 % au-delà.

Enfin, au titre des exercices ouverts à compter de 2022, le taux d’IS est désormais de 25 % sur la totalité du résultat fiscal, hors taux réduit PME.

Le tableau suivant fait état de l’évolution du taux facial entre 2017 et 2022. Il indique, outre le taux normal applicable chaque année, l’ampleur de la majoration de celui-ci résultant des différentes surtaxes.

Évolution du taux facial de l’IS pour les entreprises rÉalisant un ca inférieur à 250 millions d’euros (2017-2022)

(en %)

 

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Taux normal

33,33

33,33

33,33

28

26,5

25

Contribution sociale

1,10

1,10

1,10

0,92

0,87

0,825

« Surtaxe Fillon »

3,57

_

_

_

_

_

Contributions LFR 2017

_

_

_

_

_

_

Taux facial

38

34,43

34,43

28,92

27,37

25,825

NB : pour chaque surtaxe, le taux mentionné au titre d’une année est celui applicable aux exercices ouvrant le 1er janvier de l’année concernée et clôturant au 31 décembre de cette année. Pour l’année 2019, le taux normal retenu est le plus élevé applicable, soit 33 1/3 %, applicable aux entreprises dont le chiffre d’affaires est d’au moins 250 millions d’euros – le taux normal pour les autres entreprises étant de 31 %.

Source : commission des finances.

Évolution du taux facial de l’IS pOur les entreprises rÉalisant un ca compris entre 250 millions d’euros et 1 milliard d’euros (2017-2022)

(en %)

 

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Taux normal

33,33

33,33

33,33

31

27,5

25

Contribution sociale

1,10

1,10

1,10

1,03

0,925

0,825

« Surtaxe Fillon »

3,57

_

_

_

_

_

Contributions LFR 2017

_

_

_

_

_

_

Taux facial

38

34,43

34,43

32,03

28,425

25,825

Source : commission des finances.

Évolution du taux facial de l’IS pOur les entreprises rÉalisant un ca compris entre 1 et 3 milliards d’euros (2017-2022)

(en %)

 

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Taux normal

33,33

33,33

33,33

31

27,5

25

Contribution sociale

1,10

1,10

1,10

1,03

0,925

0,825

« Surtaxe Fillon »

3,57

_

_

_

_

_

Contributions LFR 2017

_

5

_

_

_

_

Taux facial

38

39,43

34,43

32,03

28,425

25,825

Source : commission des finances.

Évolution du taux facial de l’IS pOur les entreprises rÉalisant un ca supérieur à 3 milliards d’euros (2017-2022)

(en %)

 

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Taux normal

33,33

33,33

33,33

31

27,5

25

Contribution sociale

1,10

1,10

1,10

1,03

0,925

0,825

« Surtaxe Fillon »

3,57

_

_

_

_

_

Contributions LFR 2017

_

10

_

_

_

_

Taux facial

38

44,43

34,43

32,03

28,425

25,825

Source : commission des finances.

Le tableau suivant montre que, malgré la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés, son rendement s’est accru ([30]).

Évolution du rendement net de l’is (2018-2022)

(en milliards d’euros)

Année

2018

2019

2020

2021

2022

Rendement net

27,7

33,5

36,3

46,3

62,1

Source : commission des finances à partir des documents budgétaires.

N.B. : les recettes fiscales nettes se calculent par différence entre les recettes brutes et les remboursements et dégrèvements. Pour l’impôt sur les sociétés, le rendement net est calculé après restitution aux entreprises des montants liés à la mécanique de l’impôt lorsque l’impôt dû au titre d’une année N est inférieur aux acomptes versés pour cette même année. De même, il est fait application des remboursements et dégrèvements liés à des politiques publiques, notamment composés du crédit d’impôt recherche et, depuis 2014, des remboursements effectués au titre du crédit d’impôt en faveur de la compétitivité et de l’emploi ; bien que ce crédit d’impôt ait été supprimé, des remboursements doivent avoir lieu pendant encore plusieurs années.

Source : commission des finances.

 

c.   Une harmonisation des obligations de transparence incombant aux entreprises

Dans un contexte international marqué par la volonté des États de limiter certaines pratiques fiscales nuisibles, et à la suite de la mise en œuvre de la loi FATCA ([31]) aux États-Unis, le droit fiscal de l’Union européenne a développé des exigences croissantes de transparence, à la charge tant des États que des entreprises.

L’échange d’informations entre administrations fiscales, qui permet d’identifier les personnes titulaires de comptes non déclarés à l’étranger, constitue l’un des outils majeurs de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales internationales.

Cet échange d’informations a longtemps reposé sur un mécanisme à la demande, qui pouvait avoir une triple base juridique :

– l’assistance administrative bilatérale, que ce soit en application des conventions fiscales signées par la France, qui s’appuient sur l’article 26 du modèle OCDE défini en 2010, ou en vertu d’accords spécifiques d’échange de renseignements – Tax Information Exchange Agreements, ou TIEA – d’après le modèle OCDE de 2002 ;

– la convention multilatérale du 25 janvier 1988 concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, telle que modifiée par le protocole additionnel du 27 mai 2010 ;

– le droit de l’Union européenne, comme la « directive épargne » de 2003 ou les différentes directives sur la coopération administrative.

Néanmoins, l’échange à la demande souffre de faiblesses structurelles. D’une part, cette procédure suppose, par définition, de savoir a priori ce que l’on cherche. Cette nécessaire connaissance préalable des flux et des actifs suspects protège ainsi la plupart des comptes dissimulés. Ensuite, cette procédure demeure soumise à la bonne volonté des États et territoires partenaires, dont la diligence est inégale.

Le passage à l’échange automatique d’informations constitue une réponse à ces faiblesses. Dans la mesure où les États partenaires sont tenus de transmettre de leur propre initiative et de façon exhaustive les informations concernant les comptes détenus par les non-résidents, le système ne requiert ni connaissance préalable ni bonne volonté.

Ce développement de l’échange automatique au niveau européen s’est effectué, à titre principal, au moyen de 7 directives.

  1.   La directive « DAC 1 » : l’ouverture de l’échange automatique d’informations concernant cinq catégories de revenus

La directive du 15 février 2011 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal, dite DAC 1 (directive on administrative cooperation) ([32]) a prévu un échange automatique d’informations sur les revenus ayant leur source dans un État membre et perçus par un résident d’un autre État membre. Cela concerne les catégories de revenus suivantes :

– revenus d’emplois (traitement, salaires, honoraires, etc.) ;

– tantièmes et jetons de présence ;

– produits d’assurance-vie non couverts par d’autres actes juridiques de l’UE concernant l’échange d’informations (directive épargne) ;

– pensions ;

– patrimoine immobilier et revenus immobiliers.

Cette directive est entrée en vigueur à compter de 2015, sur les revenus de 2014 ([33]).

  1.   La directive DAC 2 : l’extension de l’échange automatique aux comptes financiers

La directive dite DAC 2 du 9 décembre 2014 ([34]) reprend la norme mondiale de l’OCDE relative à l’échange automatique d’informations sur les comptes financiers, approuvée en juillet 2014 à la demande des chefs d’État et de gouvernements du G20. Elle élargit le champ d’application de l’échange automatique aux comptes financiers dont le bénéficiaire est une personne résidente d’un autre État membre.

L’obligation, pour les institutions financières, de collecter et de transmettre les informations pour l’application de ce dispositif est prévue à l’article 1649 AC du code général des impôts (CGI). L’échange d’informations entre les pays s’effectue sur le fondement de la directive révisée et des articles L. 114 et L. 114 A du livre des procédures fiscales (LPF).

Les États membres, dont la France, appliquent les dispositions de la directive depuis le 1er janvier 2016, ce qui a permis de premiers échanges en septembre 2017.

Ainsi, depuis 2017 pour les pays de l’Union européenne et depuis 2018 pour l’ensemble des centres financiers mondiaux, les comptes financiers détenus par des non-résidents font l’objet d’un échange automatique d’informations, y compris lorsque le propriétaire réel de ces actifs – appelé « bénéficiaire effectif » – est dissimulé par des structures écrans. Sont en effet échangées :

– les données d’identification du titulaire du compte ;

– les données d’identification du bénéficiaire effectif du compte, le cas échéant ;

– les données d’identification de l’institution financière déclarante ;

– les données relatives au compte : numéro de compte, soldes, montant et type des revenus.

Un tel dispositif apporte une réponse aux pratiques de certaines institutions financières identifiées par des scandales comme celui de la banque UBS.

  1.   La directive DAC 3 : l’extension de l’échange automatique aux rescrits

La directive dite DAC 3 du 8 décembre 2015 ([35]) impose un échange automatique sur les rulings accordés à des entreprises pour le traitement fiscal d’opérations transfrontalières.

Le champ des décisions concernées par cet échange est large puisqu’il s’agit de toutes les décisions émises par l’administration fiscale ayant une portée internationale et sur lesquelles le contribuable est en droit de s’appuyer : accords préalables en matière de prix de transfert, rescrits relatifs à l’existence ou à l’absence d’établissement stable, décisions relatives aux fusions transfrontières, notamment.

L’obligation d’échanger porte non seulement sur les décisions rendues à compter du 1er avril 2016 mais également sur les décisions déjà existantes à cette date.

Ainsi, les informations sur les décisions délivrées par la DGFiP doivent être transmises au service du contrôle fiscal dans les deux mois suivant leur délivrance. Il revient au service du contrôle fiscal de mettre en forme ces données conformément à un standard défini au niveau européen, puis de les transmettre au répertoire central européen qui recense les informations communiquées par l’ensemble des États membres. Symétriquement, le service du contrôle fiscal reçoit les informations sur les décisions étrangères et les transmet aux directions intéressées.

  1.   La directive DAC 4 : l’extension de l’échange automatique aux déclarations par pays

La directive dite DAC 4 du 25 mai 2016 ([36]) impose des exigences de transparence aux entreprises multinationales en mettant en place un échange automatique et obligatoire d’informations concernant les déclarations pays par pays.

Cette directive a été transposée en France à l’article 223 quinquies C du CGI. Les premiers échanges sont intervenus en septembre 2018.

Ainsi, les groupes établis en France qui réalisent, lors de l’exercice qui précède celui faisant l’objet du dépôt de la déclaration, un chiffre d’affaires annuel hors taxes consolidé supérieur à 750 millions d’euros et qui détiennent et contrôlent hors de France des sociétés ou des succursales pour lesquelles un état financier distinct est établi, ont l’obligation de souscrire à la déclaration pays par pays, qui indique la répartition des principaux éléments des états financiers entre les différents pays.

De même, les sociétés établies en France et appartenant à un groupe étranger répondant aux critères cités ci-dessus, lorsqu’elles ont été désignées par le groupe à cette fin ou qu’elles ne peuvent démontrer qu’une autre entité française ou étrangère a été désignée à cette fin, doivent souscrire à une telle déclaration pays par pays. Cette hypothèse vise notamment les filières françaises de groupes établis dans un État ou un territoire qui n’aurait pas mis en place un tel reporting pays par pays. Dans ce cas, deux possibilités sont offertes :

– soit la filiale française du groupe étranger transmet à l’administration fiscale française la déclaration pays par pays avec l’ensemble des informations relatives au groupe ;

– soit une autre filiale du groupe, établie dans un État ou un territoire qui met en œuvre le reporting, a été désignée pour transmettre la déclaration pour le groupe.

  1.   La directive DAC 5 : l’ouverture de l’accès aux procédures de vigilance à l’égard de la clientèle d’établissements financiers dans le cadre de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme

La directive dite DAC 5 du 6 décembre 2016 ([37]) garantit l’accès des administrations fiscales aux informations collectées dans le cadre de la lutte antiblanchiment.

Ces informations permettent de fiabiliser l’information relative aux bénéficiaires effectifs des avoirs financiers au sujet desquels des renseignements sont échangés dans le cadre de la « DAC 2 » et qui sont détenus par l’intermédiaire de structures opaques. Cette directive, qui devait être transposée au plus tard le 31 décembre 2017, l’a été en France par l’article 109 de la loi de finances pour 2018.

  1.   La directive DAC 6 : extension de l’échange automatique à certains montages déclarés par les intermédiaires financiers

La directive dite DAC 6 du 25 mai 2018 ([38]) impose la divulgation des montages d’optimisation fiscale par les intermédiaires et l’échange automatique de ces déclarations entre les États membres. Les États membres doivent l’appliquer à compter du 1er juillet 2020 (transposition au 31 décembre 2019) pour de premiers échanges au mois d’octobre suivant. L’article 22 de la loi relative à la lutte contre la fraude du 23 octobre 2018 a habilité le gouvernement à transposer cette directive par voie d’ordonnance. L’ordonnance n° 2019‑1068 du 21 octobre 2019 a assuré cette transposition.

Cette directive impose aux conseillers fiscaux, entendus au sens large, ainsi que dans certains cas aux contribuables eux-mêmes, de déclarer aux autorités fiscales celles de leurs transactions internationales qui présentent un caractère potentiellement agressif sur le plan fiscal, en raison de la présence d’au moins un élément caractéristique visé par la directive.

Cette nouvelle obligation de transparence vise à procurer aux administrations fiscales des États membres des informations complètes et pertinentes sur les opérations de planification fiscale mises en place par les contribuables, afin de leur permettre de réagir rapidement contre les pratiques fiscales dommageables et de remédier aux éventuelles lacunes constatées. La directive impose à chaque État membre d’instaurer, en cas de violations de ces obligations de transparence, des sanctions « efficaces, dissuasives et proportionnées ».

  1.   La directive DAC 7 : obligations à la charge des opérateurs de plateforme

Enfin, la directive dite DAC 7 du 22 mars 2021 ([39]) met à la charge des opérateurs de plateforme de nouvelles obligations déclaratives et d’information.

Selon l’article L. 111-7 du code de la consommation est opérateur de plateforme toute personne physique ou morale proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication au public en ligne reposant sur :

– le classement ou le référencement, au moyen d’algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers ;

– ou la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un contenu, d’un bien ou d’un service.

Ces obligations, transposées par l’article 134 de la loi de finances pour 2022, sont codifiées aux articles 1649 ter A et suivants du CGI et s’appliquent aux opérations réalisées à compter du 1er janvier 2023.

2.   La réduction du poids des impôts de production

D’une manière générale, la fiscalité de production s’applique indépendamment du bénéfice éventuellement réalisé par l’entreprise redevable, permettant de considérer, de manière simplifiée, que les impôts de production correspondent à l’ensemble de la fiscalité directe des entreprises à l’exception des impôts sur les bénéfices.

Eu égard à leur poids élevé par rapport aux niveaux constatés dans l’Union européenne, une réflexion sur la baisse des impôts de production a été engagée par le Gouvernement à compter de 2017.

La principale caractéristique des impôts de production, qui constitue l’une des critiques majeures qui leur sont adressées, est de taxer les entreprises indépendamment de leur situation économique et financière réelle.

En effet, à la différence de l’imposition des bénéfices à l’IS ou à l’IR, les impôts de productions touchent toutes les entreprises dans leur champ, qu’elles soient bénéficiaires ou déficitaires, en raison de leurs règles d’assiette.

D’un point de vue économique et comptable, ces impôts portent sur le haut du compte de résultat (chiffre d’affaires ou valeur ajoutée) et aboutissent à taxer des intrants tout au long de la chaîne de production, à rebours d’une partie classique de la littérature économique en matière fiscale qui préconise une imposition des biens et des revenus finaux. Ces impôts ne tiennent pas compte d’un certain nombre de charges déductibles du résultat soumis à l’impôt sur les bénéfices.

a.   La suppression progressive de la CVAE

La CVAE est un impôt qui touche des entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 500 000 euros indépendamment de leurs résultats réels, qui peuvent être peu bénéficiaires voire déficitaires, et surtout repose, à travers son taux, sur le niveau de chiffre d’affaires réalisé.

En effet, et ainsi qu’il a été vu, le taux effectif de la CVAE – tout comme son seuil d’assujettissement – repose sur le chiffre d’affaires de l’entreprise, ce qui peut conduire à ce qu’une entreprise dégageant une valeur ajoutée plus faible qu’une autre entreprise acquitte néanmoins un montant supérieur de CVAE en raison d’un chiffre d’affaires supérieur. Selon la même logique, des entreprises ayant la même valeur ajoutée peuvent acquitter des montants de CVAE très différents.

En outre, si l’assiette de la CVAE se situe à un niveau inférieur des impôts de production portant sur le chiffre d’affaires, elle demeure en haut des soldes intermédiaires de gestion précédemment présentés et affecte donc les investissements – les amortissements ne sont pas déductibles de l’assiette de la CVAE, qui porte ainsi sur l’excédent brut d’exploitation (équivalent de l’EBITDA ([40])).

Ce constat concerne les entreprises qui souhaitent investir et renouveler leur tissu productif. Cela vaut tout particulièrement pour les entreprises industrielles, dont le secteur d’activité est le premier contributeur à la CVAE.

Dans la continuité du projet de baisse des impôts de production en France, le Gouvernement a proposé dans le cadre de l’examen de la loi de finances pour 2021 une réduction de la CVAE à hauteur de la part régionale, soit une baisse de 50 %, à compter de 2021 ; cette loi a également abaissé le plafonnement de la CET.

Pour préserver les ressources des collectivités territoriales, la part des départements et du bloc communal a été doublée, tandis que les régions reçoivent désormais, en compensation de la suppression de leur part, une fraction de TVA.

Enfin, la loi de finances pour 2023 prévoit la suppression intégrale de la CVAE en deux ans ([41]) :

– en 2023, la CVAE payée par les entreprises est réduite de moitié (allègement fiscal de près de 4 milliards d’euros) ;

– en 2024, la CVAE serait entièrement supprimée (allègement fiscal total de près de 8 milliards d’euros).

b.   La modernisation des paramètres de la méthode d’évaluation de la valeur locative des établissements industriels

Parmi les impôts directs locaux, on distingue traditionnellement les taxes « ménages » des impôts « économiques » payés par les entreprises.

La cotisation foncière des entreprises (CFE) relève de la seconde catégorie. La taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) relève classiquement de la première catégorie, étant payée sur les locaux d’habitation. Toutefois, elle est également due sur les locaux professionnels et industriels.

Ces deux impôts sont donc acquittés par les entreprises. Ils portent sur une base d’imposition commune, la valeur locative cadastrale des locaux considérés. Cette valeur locative est calculée selon des modalités particulières pour les immeubles industriels.

Longtemps obsolètes, ces paramètres d’évaluation de la valeur locative ont été modifiés par la loi de finances pour 2021, qui a conduit à un allègement d’impôt de 50 % pour les entreprises concernées, c’est-à-dire une charge fiscale moindre de 3,3 milliards d’euros, s’inscrivant dans le mouvement global de réduction des impôts de production.

II.   Des diffÉrentiels de fiscalitÉ entre entreprises qui ont diminué depuis plusieurs années et qui se concentrent principalement sur l’imposition des bÉnÉfices

Les impôts directs acquittés par les entreprises produisent des différentiels d’imposition résultant de plusieurs paramètres. En premier lieu, les règles de calcul de l’assiette et du taux d’imposition peuvent varier selon la taille de l’entreprise ou en fonction de ses activités.

La classification des entreprises selon leur taille

La taille d’entreprise est déterminée selon le décret n° 2008­1354 relatif aux critères permettant de déterminer la catégorie d’appartenance d’une entreprise pour les besoins de l’analyse statistique et économique.

La catégorie des micro-entreprises (TPE) est constituée des entreprises qui :

– d’une part, occupent moins de 10 personnes ;

– d’autre part, ont un chiffre d’affaires annuel ou un total de bilan n’excédant pas 2 millions d’euros.

En 2021, 3,87 millions de TPE étaient recensées par la DGFiP, soit 94,6 % du nombre total d’entreprises en France.

La catégorie des petites et moyennes entreprises (PME) est constituée des entreprises qui n’appartiennent pas à la catégorie des micro-entreprises et qui :

– d’une part, occupent moins de 250 personnes ;

– d’autre part, ont un chiffre d’affaires annuel n’excédant pas 50 millions d’euros ou un total de bilan n’excédant pas 43 millions d’euros.

253 940 PME étaient recensées en 2021 (6,2 % des entreprises).

La catégorie des entreprises de taille intermédiaire (ETI) est constituée des entreprises qui n’appartiennent pas à la catégorie des petites et moyennes entreprises, et qui :

–  d’une part, occupent moins de 5 000 personnes ;

– d’autre part, ont un chiffre d’affaires annuel n’excédant pas 1 500 millions d’euros ou un total de bilan n’excédant pas 2 000 millions d’euros.

Ces entreprises, au nombre de 10 170, représentaient 0,25 % des entreprises en France en 2021.

La catégorie des grandes entreprises (GE) est constituée des entreprises qui ne sont pas classées dans les catégories précédentes. 300 entreprises relèvent de cette catégorie, soit 0,01 % du nombre total d’entreprises en France.

En second lieu, un ensemble de règles s’appliquent indistinctement à l’ensemble des sociétés mais produisent des effets divergents en fonction de la nature des activités des entreprises – notamment si elles disposent d’établissements dans plusieurs pays – et de leur capacité à s’en saisir. À cet égard, la taille des entreprises, leurs compétences en matière d’ingénierie fiscale et leur structuration constituent des facteurs déterminants pour analyser le montant de leur contribution.

A.   Les mÉthodes permettant de mesurer l’effort contributif des entreprises selon leur taille ou secteur d’activitÉ

De manière générale, deux approches principales peuvent être retenues pour quantifier les différentiels de fiscalité entre entreprises. La première repose sur la comparaison de leur effort contributif en fonction de leur part dans la valeur ajoutée fiscale ([42]).

La seconde, s’appliquant seulement à l’imposition des bénéfices, consiste à comparer le montant d’impôt payé par les entreprises selon leur taille ou secteur d’activité par rapport à une base économique permettant de neutraliser la plupart des règles d’assiette de l’impôt sur les sociétés : il s’agit de ce que les économistes nomment le taux implicite d’imposition des bénéfices. Cet indicateur a permis de démontrer que des différentiels de fiscalité significatifs existaient à la fin des années 2000. Des études montrent que ces écarts, bien que toujours visibles, tendaient à se réduire.

1.   Des impôts produisant des différentiels de taxation entre les entreprises de tailles et secteurs d’activité différents

La répartition de l’effort contributif de chaque entreprise doit en premier lieu s’apprécier à l’échelle de l’ensemble des prélèvements dont elles s’acquittent et non impôt par impôt.

a.   Une comparaison fondée sur la part de chaque catégorie d’entreprise dans la valeur ajoutée fiscale

Afin de mesurer la répartition de l’effort fiscal des entreprises selon leur taille et secteur économique, le Conseil des prélèvements obligatoires, dans son rapport relatif à l’adaptation de la fiscalité des entreprises dans une économie mondiale numérisée ([43]), a choisi de rapporter la contribution de chaque catégorie d’entreprises aux impôts de production et à l’impôt sur les sociétés à leur part dans la valeur ajoutée fiscale.

rÉpartition de la contribution des entreprises À l’IS
et À quatre impÔts de production en 2018

(en pourcentage)

 

CVAE

CFE

TF

C3S

IS

Cumul

VA fiscale

Microentreprises

2,2

21,9

15,9

0

20

15,7

16,4

PME

31,5

25

15,7

5,9

21,7

22,1

33,7

ETI

41,1

27,6

22,1

50,7

22,3

27,2

30,7

Grandes entreprises

24,2

19,2

11,2

43,5

35,9

29

18,1

Non classées

1

6,3

35,1

0

0,6

6

1,2

Source : CPO, Adapter la fiscalité des entreprises à une économie mondiale numérisée, octobre 2020.

Les résultats obtenus par le CPO montraient que de manière générale, les microentreprises, les PME et les ETI contribuaient à un niveau plus faible que leur poids dans la valeur ajoutée fiscale, contrairement aux grandes entreprises, dont la part contributive dans les principaux impôts de production et l’IS s’élève à 29 % tandis qu’elles représentaient 18,1 % de la valeur ajoutée fiscale.

Cependant, la répartition de l’effort fiscal entre les entreprises différait selon l’impôt considéré. La CVAE, parce qu’elle est assise sur la valeur ajoutée des entreprises déclarant un chiffre d’affaires supérieur à 500 000 euros et que son taux effectif repose sur un barème progressif, concerne relativement moins les microentreprises et les PME. Il en va de même pour la C3S, dont l’assiette est composée des entreprises dont le chiffre d’affaires excède 19 millions d’euros. À l’inverse, les microentreprises contribuent à un niveau significativement supérieur à la CFE (21,9 %) par rapport à leur part dans la valeur ajoutée fiscale.

Les résultats relatifs à la taxe foncière doivent en outre faire l’objet d’une interprétation prudente, dans la mesure où les données fiscales dont disposait le CPO pour réaliser ses travaux comportaient un grand nombre d’entreprises non classées.

S’agissant des différents secteurs d’activité, les données du CPO montrent que l’industrie manufacturière et le commerce contribuent davantage à la CVAE, la CFE et la CS3 que leur poids dans la valeur ajoutée. À l’inverse, pour l’ensemble des impôts de production, le secteur des activités spécialisées contribue moins que sa part dans la valeur ajoutée fiscale. Ce constat est similaire pour le secteur de l’information et de la communication s’agissant de la CFE, de la taxe foncière et de la C3S.

De manière générale, la C3S et la CVAE sont concentrées sur le commerce, l’industrie manufacturière et les activités financières et d’assurance, tandis que la CFE et la TFPB sont relativement davantage concentrées sur les secteurs mobilisant des infrastructures importantes (industrie, commerce, transports, hébergement et restauration).

 

 

 

 

 

 

 

RÉpartition de la contribution À diffÉrents impôts de production par secteur, rapportÉe À leur part dans la valeur ajoutÉe en 2018

(en pourcentage)

Source : CPO, Adapter la fiscalité des entreprises à une économie mondiale numérisée, octobre 2020.

b.   Des équilibres modifiés par la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés et des impôts de production

Les résultats présentés par le Conseil des prélèvements obligatoires ont été modifiés par la réforme des impôts de production initiée en loi de finances pour 2021 et qui se poursuit en 2023 et en 2024 avec la suppression progressive de la CVAE (cf. supra B du I).

Interrogées par les rapporteurs, la direction générale du Trésor et la DGFiP n’ont pas été en mesure de fournir une répartition actualisée de la contribution de chaque catégorie d’entreprises en fonction de leur valeur ajoutée. Il ressort toutefois des travaux du comité d’évaluation du plan de relance que les entreprises du secteur industriel ont principalement bénéficié de la baisse des impôts de production. La CFE acquittée par les entreprises de ce secteur a ainsi baissé de 42 % en 2021 par rapport à 2020.

 

 

 

 

 

Évolution du montant de CFE payÉ par secteur d’activitÉ en 2021
par rapport à 2020

(en millions d’euros sur l’axe de gauche, en pourcentage sur l’axe de droite)

Source : Comité d’évaluation du plan de relance, d’après les données DGFiP.

La même analyse peut être réalisée s’agissant de la TFPB, qui a davantage diminué pour les entreprises industrielles (– 43,7 %). Les transports et l’entreposage constituent le second secteur bénéficiaire des baisses récentes de CFE et de TFPB (– 21,3 % et – 28,6 % par rapport à 2021).

À l’inverse, d’autres facteurs – comme la revalorisation annuelle des valeurs locatives cadastrales des locaux professionnels ([44]) – ont compensé la baisse des impôts de production pour certaines entreprises : c’est le cas, par exemple, des entreprises de l’hébergement et de la restauration, qui ont connu une hausse de CFE et de TFPB à hauteur de 19,5 % et de 3,2 % en 2021.

En fonction de la taille des entreprises, les travaux du comité d’évaluation du plan de relance montrent que les ETI sont les principales bénéficiaires de la baisse des impôts de production, suivies des grandes entreprises.

Le graphique suivant indique ainsi que les entreprises situées entre le 5ème et le 7ème décile de valeur ajoutée, pour lesquelles l’effectif médian est compris entre 290 et 3 000 employés, ont tiré un gain plus important de la baisse de la CVAE et de la CFE en pourcentage de leur valeur ajoutée (entre 0,75 % et 0,78 %). Les grandes entreprises ont quant à elles tiré un gain compris entre 0,60 % et 0,70 % de leur valeur ajoutée, tandis que les entreprises de plus petite taille ont enregistré un gain compris entre 0,10 % et 0,70 % de leur valeur ajoutée.

Effet de la réduction de la CVAE et de la CFE selon l’effectif
des entreprises en 2021

(en pourcentage de la valeur ajoutée)

Lecture : les entreprises sont classées selon leurs effectifs. Chaque barre représente 10 % de valeur ajoutée et le chiffre figurant au-dessus de chaque barre mentionne l’effectif médian des entreprises par décile. La hauteur des barres représente l’aide qu’a constitué la baisse des impôts de production en 2021 pour chaque décile d’entreprise en fonction de leur valeur ajoutée.

Source : comité d’évaluation du plan de relance, d’après les données de l’Institut des politiques publiques.

Plus spécifiquement, la baisse de la CVAE a davantage bénéficié aux ETI, qui contribuaient à cet impôt dans une proportion supérieure à leur part dans la valeur ajoutée. De la même manière, le fait que les microentreprises contribuent davantage à la CFE au regard de leur poids dans la valeur ajoutée permet d’en déduire qu’elles ont plus fortement bénéficié de la baisse de cet impôt.

En matière d’impôt sur les sociétés, les équilibres décrits par le Conseil des prélèvements obligatoires n’ont pas sensiblement évolué depuis 2018 ([45]). Les rapporteurs ont ainsi sollicité la DGFiP afin d’actualiser les travaux réalisés par le CPO en 2020.

RÉpartition de l’IS brut de crÉdit d’impôt et de la valeur ajoutÉe
entre catÉgorie d’entreprises en 2021*

*Les entreprises sont ici entendues au sens des redevables fiscaux.

Source : DGFiP, déclarations de résultats souscrites au titre de l’exercice 2021 et liquidation d’IS.

La part de chaque catégorie d’entreprise dans l’IS brut était ainsi proche de leur part dans la valeur ajoutée en 2021: les grandes entreprises étaient redevables de 33 % de l’IS brut de crédit d’impôt en 2021 et représentaient 30 % de la valeur ajoutée fiscale ; les PME, dont la part dans la valeur ajoutée s’élevait à 29 %, se sont acquittées de 26 % de l’IS brut de crédit d’impôt.

Cette répartition est toutefois modifiée lorsque seules les déclarations fiscales des sociétés non financières prises isolément sont retenues dans le périmètre de l’analyse.

Dans ce cas, la répartition de l’effort contributif des entreprises est légèrement plus favorable aux grandes entreprises et légèrement moins favorable aux TPE et ETI.

Les différentes analyses fiscales de la notion d’entreprise

Trois approches doivent être distinguées pour analyser les déclarations fiscales des sociétés. L’entreprise peut ainsi être regardée :

– comme une société déclarante prise isolément. Il s’agit de chaque entreprise comme unité légale, indépendamment du groupe auquel elle peut être liée ;

– comme un redevable fiscal. Il s’agit des groupes fiscaux constitués de plusieurs sociétés détenues à plus de 95 % par une société tête de groupe. Cette dernière est l’unique redevable de l’impôt sur les sociétés si elle a opté pour le régime de l’intégration fiscale (cf. supra B du II) ;

– comme une entreprise au sens économique. L’entreprise correspond alors « à la plus petite combinaison d’unités légales qui constitue une unité organisationnelle jouissant d’une certaine autonomie de décision » ([46]). Selon cette définition, les sociétés dont le capital est détenu à plus de 50 % par une même entreprise sont analysées comme une même entreprise au sens économique.

Source : Nicolas Le Ru, rapport particulier n° 3 annexé au rapport du CPO, Toutes les entreprises ontelles le même taux implicite d’impôt sur les sociétés ?, décembre 2016.

Répartition du nombre de sociétés prises isolément soumises à l’is

(en pourcentage)

 

Nombre d’entreprises

Valeur ajoutée

Excédent net d’exploitation (ENE)

IS brut avant reports

IS brut après reports*

TPE

89,15 %

16,14 %

15,85 %

19,45 %

18,22 %

PME

10,44 %

35,46 %

31,88 %

33,22 %

33,08 %

ETI

0,40 %

30,51 %

30,17 %

31,87 %

32,79 %

GE

0,01 %

17,89 %

22,10 %

15,21 %

15,90 %

Total

100,00 %

100,00 %

100,00 %

100,00 %

100,00 %

* L’IS net ne peut être simulé pour les sociétés prises isolément car les crédits d’impôt ne sont imputés qu’au niveau de la tête de groupe en cas d’intégration fiscale.

Source : DGFiP, déclarations de résultats souscrites au titre des exercices clos en 2019, 2020 et 2021 et liquidations d’IS pour les redevables autres que les sociétés financières (secteur KZ).

En retenant comme base de référence les sociétés non financières en tant que redevables fiscaux, le résultat de ces calculs conduit à tirer des conclusions différentes : dans ce cas, les TPE et PME contribuent à l’IS à un niveau supérieur à leur valeur ajoutée fiscale, tandis que la part des ETI et grandes entreprises dans l’IS se maintient à un niveau inférieur à leur part dans la valeur ajoutée.

Répartition des redevables fiscaux soumis à l’is

(en pourcentage)

 

Nombre d’entreprises

Valeur ajoutée

Excédent net d’exploitation (ENE)

IS brut avant reports

IS brut après reports

IS net

TPE

90,16

15,45

16,21

20,15

19,32

20,99

PME

9,50

28,93

27,22

29,71

29,94

31,41

ETI

0,33

25,42

25,87

24,65

24,83

24,20

GE

0,01

30,20

30,70

25,31

25,91

23,40

Total

100,00

100,00

100,00

100,00

100,00

100,00

Source : DGFiP, déclarations de résultats souscrites au titre des exercices clos en 2019, 2020 et 2021 et liquidations d’IS pour les redevables autres que les sociétés financières (secteur KZ).

Comme le rappelle le CPO dans son étude sur les différences d’imposition sur les bénéfices entre les PME et les grandes entreprises, ces données, bien que pertinentes, doivent toutefois être interprétées avec prudence, car « la variable utilisée au dénominateur (la valeur ajoutée) est une mesure de l’activité économique mais pas du profit de l’entreprise ».

D’autre part, il ressort des travaux de l’Institut des politiques publiques (IPP) que la baisse du taux de l’IS n’a pas davantage bénéficié aux grandes entreprises qu’aux ETI et PME.

Effets de la réduction du taux de l’IS selon l’effectif des entreprises
en 2021

(en pourcentage de la valeur ajoutée)

Source : commission des finances, d’après les données de l’Institut des politiques publiques sur l’impact des mesures d’urgence sanitaire et des mesures budgétaires pérennes 2017-2022 sur les entreprises.


2.   Les taux implicites d’imposition des bénéfices des entreprises se sont progressivement rapprochés entre 2007 et 2019

Comme indiqué précédemment, le montant d’IS payé par les entreprises résulte de l’application de règles particulières de taux ou d’assiette qui ne permettent pas d’apprécier la capacité contributive des entreprises sous ce seul prisme. Pour comparer l’effort fiscal consenti par ces dernières en fonction de leur taille ou de leur secteur d’activité, les économistes calculent par conséquent un taux implicite d’imposition qui se fonde sur une base harmonisée.

L’analyse de ces taux fait apparaître des écarts en faveur des plus grandes entreprises qui se réduisent progressivement sur la période étudiée.

a.   Des méthodes différentes montrant une convergence des taux implicites d’imposition entre les entreprises de différentes tailles

Afin de mesurer le poids de l’IS par rapport aux résultats de l’entreprise, l’analyse du taux nominal d’imposition, s’élevant actuellement à 25 %, est limitée. Cela s’explique par l’application de règles d’assiette, de taux réduits ou de lissage de l’impôt dans le temps qui ne permettent pas d’apprécier la capacité contributive réelle des entreprises en comparant les montants d’IS dont elles s’acquittent.

Pour contourner ce problème, plusieurs indicateurs alternatifs peuvent être mobilisés :

– en retenant une approche microéconomique, le taux effectif d’imposition s’appuie sur des cas types simulant le calcul réalisé par une entreprise pour s’assurer de la rentabilité d’un investissement théorique. Cet indicateur fournit une information sur l’imposition moyenne des entreprises mais dépend des hypothèses retenues pour le modéliser (taux d’intérêt, vitesse de dépréciation du capital ou encore nature de l’investissement). Il ne sera pas traité dans le cadre de ce rapport ;

– le taux implicite d’imposition des bénéfices permet de rapporter le montant d’impôt sur les sociétés dû par les entreprises à un indicateur représentatif de leur base taxable. Généralement, l’indicateur retenu pour effectuer ce calcul est l’excédent net d’exploitation (ENE).

Les mesures de la capacité contributive des entreprises et les soldes intermédiaires de gestion

Les différents soldes intermédiaires de gestion des entreprises sont les suivants :

– la valeur ajoutée permet de mesurer la richesse brute créée par une entreprise :

VA = marge commerciale + production de biens et services – consommations de l’exercice

– l’excédent brut d’exploitation (EBE) permet de déterminer le niveau de richesse dégagé par une entreprise grâce à son seul cycle d’exploitation :

EBE = VA + subventions d’exploitation – impôts, taxes et charges

– l’ENE est un indicateur de performance opérationnelle qui correspond, en comptabilité anglo-saxone, à l’EBITDA (earnings before interest, taxes, depreciation and amortization) :

ENE = EBE – dotations aux amortissements et aux provisions

– le résultat d’exploitation mesure la performance de l’activité de l’entreprise, sans tenir compte de sa politique financière :

RE = ENE + autres produits et charges d’exploitation

– le résultat comptable de l’entreprise mesure les ressources nettes de l’entreprise en fin d’exercice :

RC = RE + résultat financier et exceptionnel

– le résultat fiscal est enfin obtenu en appliquant les règles d’assiette applicables :

RF = RC + réintégrations extra-comptables - déductions extra-comptables

Parmi ces indicateurs, retenir la valeur ajoutée comme base économique pour le calcul du taux implicite d’imposition des bénéfices ne serait pas pertinent : elle constitue un indicateur imprécis pour apprécier la profitabilité d’une entreprise dans la mesure où elle n’intègre pas les coûts salariaux et certains impôts. L’EBE ne présente pas cet écueil mais n’intègre pas le montant des investissements réalisés par les entreprises, ce qui ne permet pas de tenir compte de leur intensité capitalistique.

D’un autre côté, la direction générale du Trésor indique que le choix de l’ENE pour calculer le taux implicite d’imposition des entreprises s’explique par la nécessité de ne pas comptabiliser les dividendes reçues par l’entreprise et les plus-values, afin d’éviter les « doubles comptes ». Ces produits peuvent être analysés comme des transferts entre entreprises et seraient, si un autre indicateur était retenu, comptabilisés deux fois : une fois dans l’ENE, une fois en tant que distribution de ce résultat.

Source : Institut des politiques publiques, L’hétérogénéité des taux d’imposition implicites des profits en France : constats et facteurs explicatifs, mars 2019 ; Direction générale du Trésor, note Trésor-éco n° 88, Le taux de taxation implicite des bénéfices en France, juin 2011.

Le taux implicite d’imposition des bénéfices peut en premier lieu être calculé à partir des données de comptabilité nationale. La Commission européenne retient cette approche macroéconomique afin de réaliser des comparaisons internationales, qui ne tiennent néanmoins pas compte de la taille ou du secteur d’activité des entreprises.

En second lieu, une solution à mi-chemin entre l’approche microéconomique et l’approche macroéconomique repose sur le calcul du taux implicite d’imposition des bénéfices en se fondant sur les déclarations fiscales des entreprises, ce qui permet d’effectuer des comparaisons en fonction de leur activité ou de leur taille.

Cette seconde approche a donné lieu à la publication de différents travaux. Néanmoins, ils ne retiennent pas tous la même méthodologie et ne portent pas sur des périodes identiques.

  1.   L’estimation des taux implicites d’imposition des bénéfices de la direction générale du Trésor

La direction générale du Trésor (DG Trésor) a publié une note en 2011 portant sur le taux implicite des sociétés non financières ([47]) établies en France dont l’ENE est positif pour les exercices clos en 2007 ([48]).

● Les résultats des travaux de la DG Trésor, réalisés sur la base des déclarations fiscales des redevables fiscaux, montraient que le taux implicite moyen d’imposition des bénéfices des entreprises était plus faible que le taux d’imposition nominal en vigueur (soit 34,4 %, ce qui correspond au taux de l’IS de 33,33 % auquel s’ajoute la contribution sociale sur les bénéfices pour les entreprises les plus grandes) : ce taux implicite moyen s’élevait à 27,5 %.

Selon la DG Trésor, la différence entre le taux implicite d’imposition des profits et le taux nominal s’explique par plusieurs raisons :

– l’assiette de l’IS diffère de celle de l’ENE. La possibilité pour les entreprises de déduire de leur résultat fiscal une partie de leurs charges d’intérêts et des sommes versées au titre de la participation diminue la valeur du taux implicite par rapport au taux nominal. À l’inverse, certains produits n’entrant pas dans l’assiette de l’ENE sont taxés (dividendes, plus-values non exonérées) et conduisent à une hausse du taux implicite d’imposition des bénéfices par rapport au taux nominal de l’IS ;

– certaines dépenses engagées par les entreprises ouvrent droit à des réductions ou crédits d’impôt ;

– l’imposition forfaitaire annuelle (IFA), assise sur le chiffre d’affaires, augmente le taux implicite ([49]) ;

– le taux réduit d’imposition des bénéfices des entreprises indépendantes réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 7,6 millions d’euros, applicable en 2007, diminue le taux implicite.

À ces éléments s’ajoute également un facteur démographique : des créances accumulées au titre d’un report de déficit peuvent ne jamais ouvrir droit à une réduction d’impôt si l’entreprise a disparu. Ce phénomène joue à la hausse sur le taux implicite.

● Le taux implicite moyen calculé par la DG Trésor masque toutefois de fortes divergences entre les entreprises en fonction de leur taille ou de leur secteur d’activité : le taux d’imposition implicite des bénéfices des microentreprises et des PME s’élevait respectivement à 37 et 39 %, tandis que les ETI bénéficiaient d’un taux dans la moyenne (28 %). Les grandes entreprises présentaient quant à elles un taux significativement inférieur à la moyenne et au taux nominal : 19 %.

Par ailleurs, les travaux de la DG Trésor mettaient en lumière une moindre imposition implicite des bénéfices du secteur manufacturier (25 %) tandis que le taux implicite d’imposition des entreprises relevant du secteur des services s’élevait à 31 %.

Ces écarts résultaient principalement des règles de déductibilité des intérêts d’emprunt et des mécanismes de report en avant et en arrière des déficits, qui bénéficiaient davantage aux grandes entreprises. À l’inverse, le taux implicite d’imposition des PME et microentreprises était principalement diminué par le taux réduit d’IS en vigueur en 2007.

La part des entreprises déficitaires au sein de l’effectif analysé par la DG Trésor explique également le taux élevé d’imposition implicite de plus petites entreprises par rapport au taux nominal : la prise en compte d’entreprises ne payant pas d’IS a pour conséquence de diminuer le montant du dénominateur (composé de l’ENE) tandis que le numérateur (le montant d’IS payé) reste inchangé.

Facteurs explicatifs de l’écart entre le taux implicite et le taux nominal par taille d’entreprise au titre de 2007

Par écart au taux normal (34,4 %)

MICRO

PME

ETI

GE

Manuf.

Services

Toutes sociétés non financières (SNF)

Règles d’assiette et de taux

– 7,2

– 2,3

– 9,3

 12,2

 10,3

– 7,0

– 8,3

Dont Déductibilité des intérêts

– 2,7

 3,7

 8,8

 13,9

 9,3

 10,0

– 9,3

Dont Taux réduit PME

 11,5

 2,0

 0,5

 1,7

– 1,2

Dont Imposition forfaitaire annuelle

3,1

2,7

0,8

0,3

0,9

1,5

1,2

Dont Participation

 0,1

 1,1

 2,4

 2,0

 2,5

 1,6

– 1,7

Dont Crédit impôt recherche

 1,5

 1,2

 1,4

 1,2

 2,8

–0,8

– 1,3

Dont Autres facteurs

5,5

3

2,5

4,6

3,9

5,6

4

Démographie

10,2

7,4

2,9

– 3,6

0,9

3,2

1,7

Dont Part des entreprises déficitaires

14,9

10,4

5,6

3,8

4,2

8,5

6,4

Dont Report en avant et en arrière

 4,7

 3,0

 2,7

 7,4

 3,3

–5,3

– 4,7

Taux implicite

37,4

39,5

28

18,6

25

30,6

27,5

Source : DG Trésor, note Trésor-éco n° 88, Le taux de taxation implicite des bénéfices en France, juin 2011.

  1.   Les travaux du Conseil des prélèvements obligatoires en 2017

Les travaux de la DG Trésor ont été approfondis par le Conseil des prélèvements obligatoires, dans le cadre de son rapport portant sur l’adaptation de l’impôt sur les sociétés à une économie ouverte, publié en 2017 ([50]).

Actualisant les calculs réalisés en 2011 sur les années 2009 à 2014, ce rapport apporte également un éclairage concernant l’incidence des choix méthodologiques pouvant être retenus pour mesurer le niveau des taux d’imposition implicite des bénéfices. Le périmètre des entreprises intégrées dans le champ du calcul modifie significativement l’analyse pouvant être faite s’agissant de la répartition de l’effort fiscal des entreprises :

– lorsque le champ de l’étude porte sur l’ensemble des entreprises dont le résultat d’exploitation est positif (c’est le cas de la note publiée par la DG Trésor), la valeur du dénominateur du taux implicite est maximale, ce qui abaisse la valeur du taux implicite ;

– lorsque le champ de l’étude porte seulement sur les entreprises dont le résultat fiscal est positif (en d’autres termes, les entreprises qui paient un IS), le numérateur est plus élevé, ce qui joue à la hausse sur le taux implicite.

Ces choix méthodologiques découlent par ailleurs de la définition que l’on adopte de la capacité contributive d’une entreprise. Le rapport indique ainsi que « retenir les entreprises de résultat d’exploitation positif revient à considérer que la capacité contributive ne découle que des activités du cycle d’exploitation et pas des opérations exceptionnelles (telles que les cessions) ou financières. Ce périmètre présente l’avantage de la cohérence […] il implique cependant d’évaluer l’IS sur une base qui n’est pas la sienne, c’est-à-dire les bénéfices d’exploitation plutôt que les profits des entreprises ».

À l’inverse, retenir uniquement les entreprises qui paient l’IS conduit à exclure du calcul du taux implicite celles qui dégagent des bénéfices d’exploitation mais dont les profits sont négatifs. Cela concerne avant tout les grandes entreprises, dont une part plus importante du résultat résulte d’opérations financières ou exceptionnelles.

Ces deux méthodes permettent ainsi de mesurer la contribution des entreprises sous un angle différent. Elles conduisent à tirer des conclusions pouvant diverger s’agissant de la répartition de leur effort fiscal.

Le CPO montre ainsi qu’en retenant les entreprises dont le résultat d’exploitation est positif, le taux d’imposition implicite des bénéfices des grandes entreprises s’élevait à 24,3 % en 2014, contre 27,4 % pour les PME. En intégrant dans le champ du calcul les seules entreprises payant un IS, les PME, ETI et grandes entreprises présentent en revanche un taux implicite similaire à la même date.

Toutefois, il convient de noter que les calculs du CPO en 2017 tiennent compte au numérateur de l’impôt avant report, tandis que la DG Trésor en 2011 tenait compte de la démographie des entreprises et des reports en avant et en arrière de déficit ainsi que des crédits d’impôt.

Au-delà de ces différences, les méthodes retenues par le CPO montrent toutes deux une convergence progressive des taux d’imposition implicite des bénéfices des PME, ETI et grandes entreprises sur la période 2009-2014.

taux d’imposition implicite des entreprises (impôt avant report/ rÉsultat d’exploitation) par taille, sur le pÉrimÈtre de toutes les entreprises payant un IS

Catégorie d’entreprise

2009

2010

2011

2012

2013

2014

Microentreprises

19,7 %

34,0 %

27,0 %

27,0 %

26,1 %

25,7 %

PME

24,7 %

33,2 %

33,3 %

33,8 %

32,7 %

31,0 %

ETI

28,1 %

29,5 %

27,8 %

30,0 %

30,0 %

30,8 %

Grandes entreprises

28,1 %

31,2 %

25,2 %

23,9 %

29,5 %

31,0 %

Source : CPO, Adapter l’impôt sur les sociétés à une économie ouverte, décembre 2016.

Taux d’imposition implicite des entreprises (impôt avant report/ rÉsultat d’exploitation) par taille, sur le pÉrimÈtre de toutes les entreprises dont le rÉsultat d’exploitation est positif ([51])

Catégorie d’entreprise

2009

2010

2011

2012

2013

2014

Microentreprises

17,2 %

28,8 %

22,4 %

22,3 %

21,3 %

20,6 %

PME

22,6 %

30,7 %

30,4 %

30,6 %

29,3 %

27,4 %

ETI

23,1 %

25,0 %

24,2 %

25,7 %

25,3 %

25,7 %

Grandes entreprises

19,2 %

18,6 %

19,6 %

19,8 %

23,0 %

24,3 %

Source : CPO, Adapter l’impôt sur les sociétés à une économie ouverte, décembre 2016.

  1.   Le rapport portant sur l’imposition implicite des profits de l’Institut des politiques publiques, publié en 2019

Ces différents travaux ont enfin été complétés par l’Institut des politiques publiques (IPP), qui a publié en mars 2019 un rapport portant sur l’hétérogénéité des taux d’imposition implicites des profits en France ([52]) entre 2005 et 2015.

Le périmètre de cette étude porte sur les entreprises entendues au sens des redevables fiscaux dont l’ENE est positif.

● L’IPP estime que le taux implicite moyen avant report s’élevait à 19 % en 2005 et a progressé de 2 points pour s’établir à 21 % en 2015. Le taux d’imposition implicite calculé sur la base de l’impôt net déclaré par les entreprises s’élevait quant à lui à 17,9 % en 2005 et 18,5 % en 2015.

Taux d’imposition implicite net dÉclarÉ, brut, estimÉ avant et aprÈs reports

Source : Institut des politiques publiques.

Pour l’année 2007, l’IPP obtient un taux brut avant report de 18,4 %, qui diffère du taux de 26 % présenté par la DG Trésor.

Cet écart s’explique par des différences de méthodologie liées à la non prise en compte par l’IPP des entreprises imposées selon le régime réel simplifié (principalement composées de petites entreprises dont le taux implicite est relativement plus élevé). L’IPP indique que ce facteur ne peut néanmoins pas expliquer à lui seul cet écart et que d’autres éléments, potentiellement liés à des différences en matière de sélection sectorielle, ont pu produire des effets sur les résultats obtenus.

En fonction de la taille des entreprises, l’IPP constate que des divergences significatives d’imposition implicite existaient jusqu’à la fin des années 2000.

Ces écarts se sont ensuite partiellement résorbés ; toutefois le taux d’imposition implicite brut avant report des grandes entreprises, à 17,8 % en 2015, restait inférieur à celui des autres catégories d’entreprises. À cette date, le taux d’imposition implicite avant report des PME s’élevait à 23,7 %, contre 22,6 % pour les microentreprises et 20,5 % pour les ETI.

Taux d’imposition implicite brut avant report par catÉgorie d’entreprises

Source : Institut des politiques publiques.

Pour l’année 2007, ces résultats diffèrent également de ceux obtenus par la DG Trésor, qui présentait un taux d’imposition brut avant report de 22,2 % pour les grandes entreprises et de 32,1 % pour les PME (contre 11,9 % et 25,5 % pour l’IPP).

L’IPP propose également une estimation du taux d’imposition implicite des entreprises par rapport à leur IS brut après report et leur IS net déclaré. Dans ce second cas, les taux des différentes catégories d’entreprises sont plus resserrés : ils sont compris entre 17,1 % et 19,5 % en 2015.

Taux implicite net dÉclarÉ par catÉgorie d’entreprises

Source : Institut des politiques publiques.

Ces résultats semblent démontrer, particulièrement pour les exercices antérieurs à 2013, une corrélation claire entre la taille de l’entreprise et la valeur de son taux implicite d’imposition. L’IPP décrit une réalité plus nuancée. Plus spécifiquement, il précise que le taux implicite d’imposition des entreprises est progressif sur la quasi-totalité de l’effectif et que les distorsions se concentrent sur le bas et le haut de la distribution des entreprises.

Taux d’imposition implicite brut avant report
par centile de Valeur ajoutÉe

Source : Institut des politiques publiques.

Comme la DG Trésor, l’IPP pointe l’importance de la déductibilité des charges d’intérêts pour expliquer l’écart entre le taux statuaire de l’IS et le taux implicite. Pour les microentreprises, le taux réduit d’IS est le principal facteur permettant d’expliquer la différence entre le taux de l’impôt sur les sociétés et leur taux implicite.

● L’IPP a également calculé le taux d’imposition implicite des entreprises selon leur secteur d’activité. Ces données démontrent une grande volatilité des taux sur la période 2005-2015 ; elles indiquent également que le taux implicite d’imposition des entreprises du secteur du commerce était relativement plus élevé en 2015.

À l’inverse, les entreprises des secteurs du transport et entreposage ainsi que des activités immobilières étaient relativement moins taxées à cette même date.

taux d’imposition implicite brut avant report
selon les secteurs d’activitÉ

Source : Institut des politiques publiques.

● Si les trois études publiées par la direction générale du Trésor en 2011, le CPO en 2017 et l’IPP en 2019 présentent des divergences en matière de méthodes et de résultats, plusieurs traits communs en ressortent.

En premier lieu, tous ces travaux montrent que le taux implicite d’imposition des bénéfices des grandes entreprises était significativement inférieur à celui des entreprises de plus petite taille jusqu’en 2012. En second lieu, elles mettent en avant l’importance de la déductibilité des charges d’intérêt pour expliquer ces différences. Enfin, pour ce qui concerne les études du CPO et de l’IPP, elles montrent une convergence progressive des taux implicites d’imposition des bénéfices.

b.   En 2019, un taux implicite d’imposition brut avant report de 26 % en moyenne

Parce qu’ils ont été réalisés sur la base de données antérieures à 2015, les rapporteurs ont cherché à actualiser les travaux mentionnés précédemment. Sur leur demande, la DG Trésor a ainsi reproduit une version de leur étude publiée en 2011 en utilisant les données de l’exercice social de 2019 ([53]) et en reprenant la même méthodologie ([54]).

Il ressort de ces travaux que le taux d’imposition implicite des profits brut avant reports de l’ensemble des sociétés non financières s’élevait à 26 % en 2019, contre 27,4 % en 2007.

Avec prise en compte des effets démographiques et des reports de déficits, ce taux moyen atteint 32,5 % en 2019, contre 29,1 % en 2007. Enfin, l’intégration des crédits d’impôt ramène le taux implicite à 18,4 % en 2019, contre 27,5 % en 2007. Cette différence importante s’explique par la création du crédit impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en 2013 et l’élargissement du crédit impôt recherche (CIR) en 2009 (cf. infra B du II).

DÉcomposition des taux implicites d’imposition des bÉnÉfices des entreprises au titre de l’exercice 2019

Par écart à l'ancien taux normal (33,3 %), en points du résultat d'exploitation

MICRO

PME

ETI

GE

Toutes sociétés non financières (SNF)

Règles d’assiette et de taux

-10,7

-5,8

-7,4

-7,5

-7,4

Dont déductibilité des intérêts

-1,0

-1,7

-5,8

-9,4

-5,5

Dont taux réduit PME

-4,6

-0,7

0,0

0,0

-0,7

Dont taux normal : impact de la chronique de baisse séquentielle du taux normal

-3,2

-3,5

-1,2

0,0

-1,6

Dont contribution sociale sur les bénéfices (CSB)

0,0

0,1

0,5

0,7

0,4

Dont autres facteurs

-2,0

0,0

-0,9

1,2

0,0

Taux implicite (entreprises bénéficiaires) avant crédits d'impôt

22,6

27,5

26,0

25,9

26,0

Démographie

11,3

9,3

7,7

2,8

6,5

Dont part des entreprises déficitaires

18,1

13,2

10,6

5,7

10,0

Dont report des déficits passés

-6,8

-3,9

-2,9

-2,9

-3,5

Taux implicite (toutes entreprises) avant crédit d'impôts

33,9

36,8

33,7

28,7

32,5

Crédits d'impôt

-23,0

-16,9

-12,4

-11,6

-14,1

Dont crédit impôt recherche (CIR)

-2,5

-3,6

-3,9

-5,4

-4,3

Dont crédit impôt compétitivité emploi (CICE)

-20,5

-13,4

-8,5

-6,2

-9,8

Taux implicite

10,8

19,9

21,3

17,1

18,4

Source : direction générale du Trésor.

Cette étude confirme par ailleurs la tendance observée par le CPO et l’IPP dans leurs travaux respectifs : les taux implicites bruts avant report des grandes entreprises et des PME ont convergé progressivement autour de la moyenne. Un écart de 1,6 point subsistait toutefois entre ces deux catégories d’entreprises.

Selon le CPO ([55]), il est toutefois probable que cet écart se soit accru entre 2019 et 2022 en raison des modalités de mise en œuvre de la réduction du taux statutaire de l’IS. En 2018 et 2019, cette baisse a principalement concerné les petites entreprises, car le taux de l’IS a été ramené à 28 % pour les premiers 500 000 euros de bénéfice fiscal. À compter de 2020, le taux d’IS a été ramené à 28 % pour l’ensemble des bénéfices des entreprises, ce qui a eu pour effet d’abaisser de manière plus importante le taux implicite des sociétés de plus grande taille. Ce facteur est néanmoins contrebalancé par le fait que les plafonds de chiffres d’affaires et de bénéfices en deçà desquels le taux réduit d’IS de 15 % est applicable ont été rehaussés par les lois de finances pour 2021 et 2023 ([56]).

Les microentreprises ont bénéficié quant à elles d’un taux implicite d’un niveau inférieur à ceux des autres catégories d’entreprises. L’intégration des entreprises déficitaires a néanmoins conduit à rehausser considérablement le taux implicite des PME et des microentreprises ([57]).

Après prise en compte des crédits d’impôt, les ETI avaient le taux implicite le plus élevé (21,3 %) en raison du moindre gain qu’elles retirent du CIR par rapport aux grandes entreprises et du CICE par rapport aux PME. Le taux implicite des microentreprises tombait quant à lui à 10,8, en raison des effets importants produits par le CICE sur cette catégorie d’entreprises.

 

 

 

 

 

 

Évolution du taux implicite d’imposition des entreprises entre 2007 et 2019

(en points du résultat d’exploitation)

Source : commission des finances, d’après les données de la direction générale du Trésor.

3.   Un niveau d’imposition des bénéfices très hétérogène au sein de chacune des différentes catégories d’entreprises

Au-delà d’une analyse du niveau d’imposition des bénéfices en fonction de la taille des entreprises, les travaux mentionnés précédemment font tous état de la grande dispersion du niveau d’imposition des entreprises au sein de chaque catégorie.

a.   Des écarts de taux implicites observés au sein de toutes les catégories d’entreprises

Les taux implicites moyens présentés précédemment ne reflètent pas une situation homogène au sein des entreprises relevant de la même catégorie.

Les travaux de l’IPP montrent ainsi que la moitié des microentreprises ont un taux implicite compris entre 12 et 29 % en 2015 ; à cette date, la moitié des PME présentent un taux compris entre 11,6 % et 32 %, tandis que la moitié des grandes entreprises ont un taux compris entre 6,8 % et 27,5 %.

Ces écarts avaient également été soulignés par le CPO. À titre d’exemple, il était ainsi relevé que pour l’année 2013, si le taux implicite moyen des PME (entendues au sens économique) s’élevait à 31 %, 70 % des entreprises relevant de cette catégorie avaient un taux implicite inférieur à 30 %. Cette dispersion se vérifiait également s’agissant des grandes entreprises, dont un quart affichait un taux implicite inférieur à 10 %, tandis qu’un quart de ces entreprises présentaient un taux supérieur à 33 %.

b.   Une forte dispersion des niveaux d’imposition des bénéfices des sociétés du CAC 40

Afin de compléter ces analyses sur les taux implicites d’imposition des bénéfices, les rapporteurs ont demandé à la direction générale des finances publiques de leur transmettre des informations sur le chiffre d’affaires, le résultat fiscal et le montant dû par chacune des sociétés du CAC 40 au titre des principaux impôts directs pour les exercices clos en 2021 ([58]).

Ces données sont couvertes par le secret fiscal et ne seront donc pas détaillées dans le présent rapport. Elles montrent toutefois que la situation des sociétés du CAC 40 est très hétérogène.

Au total, le chiffre d’affaires et le résultat fiscal agrégés de ces entreprises se sont respectivement élevés à 2 848,4 milliards d’euros et à 30,02 milliards d’euros en 2021 ; leur contribution s’est par ailleurs élevée, pour les différents impôts analysés par les rapporteurs, à 12,8 milliards d’euros.

chiffre d’affaires, RÉsultat fiscal et principaux impôts dÉclarÉs par les groupes du CAC 40 au titre de 2021

(en millions d’euros)

Chiffre d’affaires

Résultat fiscal

IS net

CSB

CVAE

TFPB

CFE

Taxe sur les salaires

IFER

Taxes CCI et Chambres des métiers

Total

2 848 380

30 023

7 641

323

1 388

803

714

1 320

565

38

12 791

Source : commission des finances, d’après les données de la direction générale des finances publiques.

Au sein de cet ensemble, le résultat fiscal moyen des groupes du CAC 40 s’élève à 750,6 millions d’euros. 8 entreprises ont déclaré un résultat en déficit et 8 entreprises ont à l’inverse déclaré un résultat supérieur à un milliard d’euros.

S’agissant de l’impôt sur les sociétés, le montant moyen déclaré par ces sociétés s’élève à 191 millions d’euros. Toutefois, trois quarts des entreprises du CAC 40 ont déclaré un IS net inférieur à 184,5 millions d’euros et la moitié ont déclaré un montant inférieur à 18 millions d’euros. Quatre entreprises ont par ailleurs déclaré un IS supérieur à 800 millions d’euros.

Pour l’année 2021, certaines de ces entreprises s’acquittent d’un IS bien inférieur à ce qui aurait pu être attendu au regard de leur résultat fiscal : 7 entreprises ont ainsi déclaré devoir payer un impôt sur les sociétés inférieur à 10 millions d’euros alors que leur résultat fiscal excède 100 millions d’euros de bénéfices. Ces écarts peuvent principalement s’expliquer par l’utilisation de créances de crédits d’impôt ou par l’imputation de déficits reportés (cf. infra B du II).

D’autre part, pour 13 entreprises, le rapport entre le montant d’IS déclaré et le résultat fiscal est inférieur à 7 %. Ce constat est d’ailleurs d’autant plus saillant pour deux entreprises dont les bénéfices excèdent plusieurs centaines de millions d’euros et pour lesquelles ce même taux approche 0 %. À l’inverse, le rapport entre le montant d’IS déclaré et le résultat fiscal excède 25 % pour 9 entreprises.

Cette hétérogénéité se retrouve également s’agissant des autres impôts payés par les sociétés du CAC 40 :

– le montant moyen de CVAE déclaré par ces entreprises s’élève à 34,7 millions d’euros, toutefois près de 440 millions d’euros relèvent des déclarations de six entreprises ;

– le montant moyen de TFPB déclaré s’élève à 20 millions d’euros, mais 376 millions d’euros relèvent de la déclaration de quatre entreprises ;

– en raison de leur assiette, la taxe sur les salaires et l’IFER sont fortement concentrées sur un petit nombre d’entreprises du CAC 40 ([59]).

La situation fiscale de TotalEnergies ([60])

Parmi les entreprises du CAC 40, les rapporteurs se sont plus particulièrement intéressés à TotalEnergies, qui a réalisé des profits d’un montant inédit au niveau mondial en 2022 (20,5 milliards de dollars).

En France, le chiffre d’affaires de TotalEnergies SE représente, selon les années, entre 20 et 25 % de son chiffre d’affaires mondial. En 2022, il s’est plus particulièrement élevé à 122 milliards d’euros. Le résultat fiscal de TotalEnergies SE s’est quant à lui élevé à 524 millions d’euros. Ce chiffre intègre la remise à la pompe dans les stations services, qui a représenté un coût de 550 millions d’euros en 2022.

Cette société n’a pas payé d’IS en France au titre de 2013, 2014, 2018, 2019, 2020 et 2021, années pour lesquelles son résultat fiscal était déficitaire. Selon TotalEnergies, cette situation se justifie à plusieurs égards : en premier lieu les activités françaises du groupe se composent principalement du raffinage et de la distribution de gaz et de carburant, pour lesquelles la profitabilité est moins importante par rapport à l’extraction‑production de pétrole. Il a ainsi été indiqué aux rapporteurs que l’entreprise dégage en France une marge d’environ un centime d’euro sur le litre de carburant vendu, ce qui, pour 2022, a permis de générer un bénéfice fiscal de 300 millions d’euros pour les activités de distribution.

Par ailleurs, le siège du groupe TotalEnergies SE supporte les dépenses liées à son activité de holding en France (notamment composées de coûts salariaux de 35 000 employés), qui sont partiellement refacturées aux filiales.

Les règles d’assiette applicables en matière d’impôt sur les sociétés permettent également à TotalEnergies SE de diminuer sa base imposable.

En premier lieu, les déficits accumulés par TotalEnergies SE lui ouvrent la faculté d’en reporter une partie sur son résultat fiscal au titre des exercices bénéficiaires. 262 millions d’euros ont ainsi été imputés sur le résultat du groupe en 2022, ramenant ainsi sa base imposable à 262 millions d’euros et le montant de son IS dû à 68 millions d’euros.

En second lieu, TotalEnergies SE a généré en 2022 des créances au titre du crédit impôt recherche (CIR) à hauteur de 91 millions d’euros et de la réduction d’impôt mécénat à hauteur de 34 millions d’euros. Les retenues à la source prélevées sur les bénéfices dans des pays étrangers ont de surcroît généré un crédit d’impôt de 22 millions d’euros ([61]).

Au titre de l’année 2022, TotalEnergies s’acquitte également de taxes exceptionnelles (contribution sur la rente inframarginale et contribution exceptionelle de solidarité ([62]), à hauteur de 156 millions d’euros), de la CFE, de la CVAE et des taxes foncières (pour 98 millions d’euros), de la taxe sur les salaires (112 millions d’euros) et de taxes diverses pour 128 millions d’euros. À ces contributions s’ajoute l’IS dû par les filiales non intégrées du groupe, pour 50 millions d’euros.

Au total, TotalEnergies SE s’acquittera en France de 612 millions d’euros en impôts de toute nature au titre de 2022, ce qui représente 1,2 % des impôts dont elles s’acquittent au total dans le monde.

TotalEnergies est à cet égard taxée sur ses activités réalisées hors du territoire national. Son rapport de transparence fiscale indique qu’au titre de 2022, 33 milliards de dollars seront acquittés par le groupe, dont 19,8 milliards de dollars au titre de ses bénéfices.

Les pays où le groupe est le plus taxé sont la Norvège (7 milliards de dollars), le Nigeria (2,2 milliards de dollars) la Libye (2 milliards de dollars) et l’Angola (1,2 milliard de dollars).

Le reporting pays par pays publié par TotalEnergies atteint un degré de détail qui doit être souligné et participe à une plus grande transparence fiscale. Il peut toutefois être noté que ce rapport intègre pour l’année 2021 dans une catégorie intitulée « reste du monde » une part importante du chiffre d’affaires de TotalEnergies (145 milliards de dollars, soit 34 % du chiffre d’affaires total de la société) sans préciser son origine. Cette catégorie porte néanmoins sur une part relativement faible de l’impôt que l’entreprise paye dans le monde (337 millions de dollars, soit 7,8 % des taxes sur les bénéfices dont la société s’est acquittée en 2021).

B.   DEs diffÉrentiels de fiscalitÉ entre entreprises rÉsultant de plusieurs facteurs

Les différentiels de fiscalité entre entreprises résultent en partie de leur capacité plus ou moins grande à se saisir des mécanismes d’allégement prévus par la loi.

Ces dispositifs peuvent résulter de choix politiques visant à favoriser certains secteurs économiques ou renforcer l’attractivité du territoire national par rapport aux autres pays. Leurs effets peuvent par ailleurs diverger en fonction des caractéristiques objectives des entreprises.

Une société de plus grande taille, parce qu’elle a davantage recours aux marchés financiers ou à l’emprunt bancaire, peut déduire un volume plus important de dépenses au titre de ses charges d’intérêt. La répartition du gain qui peut être tiré des crédits ou réductions d’impôt est également liée à la taille de l’entreprise, dans la mesure où une grande entreprise peut exposer un plus grand volume de dépenses y donnant droit.

D’autre part, ces dispositifs peuvent donner lieu à la définition de stratégies mises en place par les entreprises pour maximiser le bénéfice qu’elles peuvent en tirer. Lorsque ces pratiques sont légales, elles peuvent être assimilées à ce que l’on nomme communément l’optimisation fiscale.

Dans certains cas, l’exploitation de failles que le législateur n’avait pas forcément anticipées et l’organisation de montages pouvant revêtir une grande complexité font basculer ces pratiques dans le champ d’une « zone grise » qui relève davantage d’un évitement de l’impôt non prévu par le législateur, voire de la fraude fiscale.

1.   Les dispositifs de réduction de base ou de taux

Les travaux portant sur le taux implicite d’imposition des bénéfices ([63])  mettent en lumière les effets produits par les dispositifs de réduction d’assiette ou de taux pour expliquer les différentiels de fiscalité entre entreprises.

Si la plupart de ces dispositifs résultent de règles s’appliquant de manière indistincte à l’ensemble des entreprises, plusieurs mécanismes présentent un caractère dérogatoire.

a.   Les dispositifs résultant de règles communes à l’ensemble des entreprises, mais dont les effets diffèrent en fonction de leur taille ou de leur secteur d’activité

Les différentiels de fiscalité entre entreprises résultent en partie de leur capacité plus ou moins grande à déduire de leur résultat fiscal leurs charges d’intérêts. Cette faculté a néanmoins été encadrée, si bien que les principaux écarts en matière d’imposition des bénéfices ont désormais pour origine des dispositifs prenant la forme de réductions ou de crédits d’impôt.

  1.   La déductibilité des intérêts d’emprunt, un facteur dont les effets ont été partiellement limités

Les travaux de la DG Trésor, du CPO et de l’IPP soulignent le caractère déterminant de la déductibilité des charges financières pour expliquer les écarts de taux implicites d’imposition entre les entreprises.

En 2007, selon la DG Trésor, cette faculté permettait aux grandes entreprises d’abaisser de 13,9 points le niveau de leur taux implicite par rapport au taux statutaire de l’impôt sur les sociétés, contre 3,7 points pour les PME.

Cet écart trouve son origine dans le plus grand recours à l’emprunt des grandes entreprises, notamment en raison de leur plus grande capacité à s’endetter.

Il semble toutefois que les effets produits par la déductibilité des charges financières sur les taux implicites d’imposition des entreprises ont baissé entre 2007 et 2019 et ont généré de manière moins saillante des écarts d’imposition entre les entreprises.

dÉcomposition du taux implicite en 2019 des sociÉtÉs non financiÈres en Écart au taux normal lÉgal applicable en 2017

Source : direction générale du Trésor à partir des déclarations fiscales 2019.

Deux facteurs principaux permettent d’expliquer ce phénomène :

– en premier lieu, la baisse des taux d’intérêt a limité le coût de la dette pour les entreprises et consécutivement leur capacité à imputer sur leur assiette leurs charges d’intérêt ;

 les modalités de déduction des charges financières ont été progressivement encadrées par le droit de l’Union européenne et le droit national.

Sur ce second point, la loi de finances pour 2013 a prévu un mécanisme général de réintégration d’une fraction des charges financières au résultat imposable. En vertu de ses dispositions, seuls les premiers 3 millions d’euros de charges financières versées à des sociétés non liées ainsi que 75 % des charges dépassant ce montant pouvaient être déduits du résultat imposable.

Comme le précisait le rapporteur général de l’époque ([64]), cette réforme a été motivée par le fait que le droit jusqu’alors en vigueur favorisait la conception de montages d’optimisation fiscale dépourvus de rationalité économique. Le caractère très favorable du mécanisme de déduction des charges d’intérêt incitait ainsi à la constitution de holdings financières, dont la vocation exclusive était de détenir des titres de participation acquis au moyen d’un fort endettement ([65]). Cette technique permettait de profiter d’un effet de levier particulièrement élevé, dans la mesure où les charges d’intérêt étaient en partie financées par un allégement d’IS.

La directive 016/1164 du Conseil du 12 juillet 2016 établissant des règles pour lutter contre les pratiques d’évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur, dite ATAD (cf. supra B du I), ainsi que la loi de finances pour 2019, qui transpose ses dispositions, ont accru cet encadrement.

Désormais, la déductibilité des charges financières est limitée à 30 % du résultat avant impôts, intérêts, dépréciations et amortissements (ce qui correspond à l’EBITDA fiscal) ou à 3 millions d’euros si cette limite est plus élevée. Selon les avocats fiscalistes auditionnés par les rapporteurs, ces nouvelles modalités de calcul sont plus favorables aux entreprises de taille moyenne ou intermédiaire.

Ces règles ont par ailleurs été durcies dans le cas des entreprises sous-capitalisée ([66]). Pour ces dernières, un plafonnement spécifique s’applique aux intérêts payés aux entreprises liées à hauteur de 10 % de l’EBITDA fiscal ou d’un million d’euros si ce montant est plus élevé.

Le gain qui pouvait être tiré de la déductibilité des charges financières par les grandes entreprises a donc été réduit par le législateur, d’autant plus dans un contexte où le coût de la dette était particulièrement faible.

Il n’en demeure pas moins que la déduction des charges financières relève, de par leurs pratiques de financement, majoritairement du fait des ETI et grandes entreprises ; il n’est également pas exclu que la hausse actuelle des taux d’intérêt offre la possibilité d’imputer plus fortement les charges financières sur la base imposable, ce qui pourrait potentiellement renforcer les écarts d’imposition entre les entreprises de tailles différentes. Ce risque doit néanmoins être nuancé par le fait que certaines entreprises, parce que les plafonds de déductibilité des charges financières ont été abaissés par le législateur, atteignent d’ores et déjà ces mêmes plafonds.

En tout état de cause, les rapporteurs considèrent qu’il serait souhaitable d’évaluer les effets produits par la réforme des plafonds de déductibilité des charges financières et d’étudier la pertinence de les ajuster de nouveau.

Proposition n° 1 : Étudier la faisabilité et la pertinence de réexaminer les plafonds de déductibilité des charges financières, sachant que les négociations de la directive DEBRA sont en cours à ce sujet ([67]).

De plus, l’impact du dispositif de provision déductible fiscalement pour constitution de captive de réassurance, issu de la loi de finances pour 2023 ([68]) et codifié au II de l’article 39 quinquies G du CGI, devra être analysé dans les années à venir.

En effet, ce dispositif permet à une entreprise d’internaliser la couverture de risques exceptionnels en provisionnant une somme pouvant être admise en déduction du résultat fiscal. Ce dispositif, qui contribue à la souveraineté économique en matière assurantielle, bénéficie avant tout aux plus grandes entreprises qui sont les seules disposant tant de l’ingéniérie financière nécessaire que de l’intérêt économique d’y recourir.

Aussi, et même si la survenance du risque implique de réintégrer la provision préalablement déduite au résultat de l’exercice, l’effet d’un tel dispositif sur les différentiels de fiscalité entre entreprises est à surveiller.

  1.   Les dispositifs de report des déficits

Le mécanisme de report de déficits en avant ou en arrière permet de lisser l’impôt dans le temps et de ne pas pénaliser les entreprises dont l’activité serait cyclique.

Le report en avant ([69]), connu sous le nom de carry forward, consiste à considérer le déficit d’un exercice comme une charge déductible du bénéfice réalisé pendant l’exercice suivant. Cette faculté est plafonnée à un million d’euros majoré de 50 % de la fraction du bénéfice qui excède ce montant. La fraction du déficit ne pouvant être imputée en raison de cette limite peut être reportée sur les exercices suivants sans limitation temporelle.

Le mécanisme du report en arrière, ou carry back, constitue un droit optionnel pour une entreprise lui permettant d’imputer une partie du déficit constaté pour un exercice N sur le résultat bénéficiaire de l’exercice N-1. Comme l’IS de cet exercice a déjà été acquitté par l’entreprise, celle-ci bénéficie d’une créance fiscale égale à l’excédent d’IS résultant de l’imputation du déficit. Le carry back est par ailleurs plafonné au plus faible montant entre le bénéfice déclaré au titre de l’exercice précédent ou un million d’euros.

Le report de déficit permet donc aux entreprises constatant des déficits de diminuer leur IS lorsqu’elles dégagent un bénéfice. Comme indiqué précédemment et à titre d’exemple, cela explique la raison pour laquelle TotalEnergies a été en mesure de diminuer sa base imposable par deux en 2017 et 2022 en imputant sur son assiette taxable ses déficits passés.

L’imputation des déficits reportables sur la base imposable : l’exemple de totalenergies

 

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Base fiscale intégrée avant imputation des déficits reportables

759

– 957

– 340

– 2157

– 401

524

Imputation des déficits reportables

– 380

0

0

0

0

– 262

Base fiscale intégrée après imputation des déficits

379

/

/

/

/

262

Total IS dû (taux normal + contributions additionnelles)

168

0

0

0

0

68

Source : réponses au questionnaire transmis à TotalEnergies.

Les travaux menés par la DG Trésor montraient que les règles de calcul des reports de déficit bénéficiaient principalement aux grandes entreprises en 2007, ce qui pouvait s’expliquer par l’application d’un régime particulièrement favorable en France.

En effet, les règles applicables jusqu’en 2011 en matière de report des déficits ne prévoyaient pas de limitation temporelle ou de montant – ce qui permettait aux entreprises connaissant des exercices fortement déficitaires de réduire sensiblement leur assiette taxable – et ouvraient la possibilité de concevoir des montages d’optimisation fiscale. Ces caractéristiques constituaient une singularité dans l’Union européenne, dans la mesure où d’autres pays comme l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie ou l’Autriche avaient institué soit une règle de plafonnement des reports, soit une règle de limitation dans le temps de la faculté d’imputer un déficit sur un résultat bénéficiaire.

Le législateur est donc intervenu à plusieurs reprises pour encadrer les modalités de reports des déficits enregistrés par les entreprises :

– en premier lieu, la loi de finances rectificative pour 2011 ([70]) a limité à un million d’euros et 60 % de la fraction de bénéfice excédant ce montant le déficit pouvant être imputé sur un bénéfice ultérieur. S’agissant des reports en arrière, qui pouvaient être imputés sur les trois exercices précédents sans limitation de montant, cette même loi a ramené cette possibilité à un seul exercice, dans la limite d’un million d’euros – ce qui a permis de limiter plus particulièrement la capacité des grandes entreprises à reporter leurs déficits en arrière ;

– la loi de finances rectificative pour 2012 ([71]) a complété ces dispositions en limitant certaines pratiques fiscales abusives communément nommées « marchés de déficits », qui prenaient la forme d’échanges de déficits reportables en avant entre plusieurs entreprises ([72]). En principe, les déficits cessent d’être reportables en cas de changement d’activité ou d’exploitant (sauf dans le cas d’une fusion ou de la restructuration d’un groupe fiscal et sous condition de l’octroi d’un agrément accordé par le ministre chargé du budget). Les dispositions de la loi de finances rectificatives pour 2012 ont durci les conditions d’obtention de l’agrément en subordonnant sa délivrance à la stabilité pour une période de trois ans de l’activité des sociétés réalisant un transfert de déficit et en excluant les holdings financières du champ de l’agrément ;

– la loi de finances initiale pour 2013 ([73]) a enfin abaissé le plafond du report en avant à 50 % de la fraction de bénéfice excédant un million d’euros.

Au total, la DGFiP a indiqué aux rapporteurs que le montant des créances initialisées au titre des déficits reportables en arrière atteignait 181 millions d’euros en 2021. Ces données n’ont en revanche pas été transmises s’agissant des déficits reportables en avant.

montant des crÉances initialisÉes au titre des dÉficits
reportables en arriÈre

 

2019

2020

2021

Répartition du rendement de l’IS brut de crédit d’impôt en 2021 (en milliards d’euros)

 

Nombre de bénéficiaires (en milliers)

Montant

(en millions d’euros)

Nombre de bénéficiaires (en milliers)

Montant

(en millions d’euros)

Nombre de bénéficiaires (en milliers)

Montant

(en millions d’euros)

TPE

5,01

36

17,64

145

6,74

53

12,4

PME

0,52

31

3,46

201

1,05

90

18,6

ETI

0,04

10

0,16

250

0,05

38

16,7

GE

0,00

0

0,02

247

0,00

1

23,5

Ensemble

5,56

76

21,28

843

7,84

181

71,2

Source : DGFiP, d’après le fichier de suivi des créances d’IS arrêté au 31 décembre 2022.

De manière générale, le mécanisme de report en arrière bénéficie davantage aux plus petites entreprises. L’année 2020 constitue une exception à ce principe, qui s’explique par les effets produits par la crise sanitaire et l’instauration de modalités de calcul temporaires permettant d’imputer un déficit en arrière déplafonné sur le bénéfice de l’exercice précédent et, le cas échéant, sur celui de l’avant-dernier exercice puis sur celui de l’antépénultième ([74]).

La limitation du montant des déficits reportables semble donc avoir participé à la réduction des différentiels de fiscalité entre entreprises ; à l’inverse, la suppression temporaire du plafond de report en arrière des déficits a creusé de manière ponctuelle les écarts d’imposition en faveur des grandes entreprises. Ce constat est confirmé par la direction générale du Trésor, qui estime qu’en 2019 les reports de déficit ont davantage réduit le taux implicite d’imposition des microentreprises et des PME que des grandes entreprises.

  1.   Les crédits et réductions d’impôt

Les différentiels de fiscalité entre entreprises peuvent résulter de l’octroi de crédits et de réductions d’impôt.

Lors de l’audition de la direction générale du Trésor, il a été précisé que les crédits d’impôt devaient, d’un point de vue économique, être plus particulièrement analysés comme des subventions relatives à divers objectifs de politiques publiques et non pas comme des dispositifs directement liés à la mécanique de l’impôt : leur montant dépend de certaines dépenses exposées par les entreprises et donne lieu à la constitution de créances qui s’imputent a posteriori sur le montant d’IS dû par ces dernières.

● Jusqu’en 2019, le CICE était le crédit d’impôt le plus coûteux pour les finances publiques ; il était donc susceptible de produire des effets redistributifs importants s’agissant de l’impôt net acquitté par les différentes catégories d’entreprises. Ce crédit d’impôt, assis sur la masse salariale, portait sur l’ensemble des rémunérations brutes versées aux salariés au cours d’une année civile qui n’excédait pas 2,5 fois le SMIC. Son taux s’élevait à 6 % ([75]).

Il était imputé sur l’IS ou l’impôt sur le revenu au moment de la liquidation du solde de l’impôt – son excédent non imputé pouvant ensuite être utilisé sur les trois exercices suivants.

Les travaux menés par le comité de suivi du CICE montraient que ce dispositif bénéficiait majoritairement aux PME et aux grandes entreprises, qui comptabilisaient plus de 63 % des créances de CICE enregistrées en 2016.

rÉpartition des crÉances de CICE enregistrées au titre de 2015 et 2016
par taille d’entreprise

Source : Comité de suivi du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, rapport 2018.

Note : le nombre de microentreprises bénéficiaires du CICE est ici bien inférieur à leur nombre dans l’économie car ce tableau ne recense que les redevables de l’IS ; or une grande partie d’entre elles sont soumises à l’IR. De plus, celles n’ayant pas de salariés n’entrent pas dans le champ du dispositif.

Le CICE a néanmoins été transformé à compter de 2019 en un allégement de 6 points des cotisations sociales d’assurance maladie au titre des rémunérations versées dans la limite de 2,5 SMIC ([76]).

Ses effets en matière d’impôt sur les sociétés se sont donc progressivement résorbés à mesure que les créances accumulées par les entreprises ont été consommées après l’extinction du crédit d’impôt. Selon la DGFiP, les créances d’IS au titre du CICE représentaient 63 millions d’euros en 2019 et 59 millions d’euros en 2021. Elles étaient principalement concentrées sur les PME et les ETI.

CrÉances de CICE et nombre de bÉnÉficiaires entre 2019 et 2021

 

2019

2020

2021

Répartition du rendement de l’IS brut de crédit d’impôt en 2021 (en milliards d’euros)

 

Nombre de bénéficiaires (en milliers)

Montant

(en millions d’euros)

Nombre de bénéficiaires (en milliers)

Montant

(en millions d’euros)

Nombre de bénéficiaires (en milliers)

Montant

(en millions d’euros)

TPE

4,19

12

1,14

7

0,91

5

12,4

PME

0,97

27

0,44

23

0,46

24

18,6

ETI

0,12

21

0,06

27

0,06

26

16,7

GE

0,01

3

0,01

5

0,01

3

23,5

Ensemble

5,29

63

1,65

61

1,44

59

71,2

Source : DGFiP, d’après le fichier de suivi des créances d’IS arrêté au 31 décembre 2022.

Ces chiffres semblent corroborer les analyses menées par la direction générale du Trésor, qui estimait que le CICE était le principal facteur explicatif de la diminution du taux implicite d’imposition net des microentreprises et des PME en 2019. Il est donc permis de croire que sa bascule en allégement de cotisations sociales conduira à redéfinir les équilibres constatés au titre de l’année 2019 concernant les écarts de taux implicites d’imposition net des profits par catégorie d’entreprises. Toutefois, en tenant compte de l’ensemble des prélèvements obligatoires, la suppression du CICE est neutre pour les entreprises. Cela s’explique par le fait que le crédit d’impôt auxquelles celles-ci avaient droit a été transformé en une réduction de cotisations sociales d’un montant équivalent.

● En dehors du CICE, le crédit d’impôt recherche (CIR) et la réduction d’impôt mécénat (MEC) affectent significativement le montant d’IS acquitté par les entreprises.

Le CIR bénéficie aux entreprises qui exposent des dépenses de recherche au cours de l’année. Son taux s’élève à 30 % pour la fraction de dépenses inférieure ou égale à 100 millions d’euros et de 5 % pour la fraction dépassant ce montant ([77]).

Le champ des dépenses ouvrant droit au crédit d’impôt est large : sont concernées, de manière non exhaustive, les dotations aux amortissements des immobilisations affectées à des opérations de recherche, les dépenses de personnel afférentes aux chercheurs, les dépenses de fonctionnement allouées aux opérations de recherche, les frais de prise et de maintenance de brevets et de certificats d’obtention végétale ou encore les dépenses de veille technologiques exposées lors de la réalisation d’opérations de recherche.

Le CIR : un dispositif significativement étendu par la loi de finances pour 2008

Le CIR a été créé en 1983 sur un modèle similaire à celui retenu aux États-Unis. Il s’élevait à 25 % de l’accroissement des dépenses de recherche réalisées par une entreprise d’une année sur l’autre et était plafonné à 3 millions de francs. Le champ des dépenses éligibles était par ailleurs plus réduit et portait sur les dépenses de personnel de recherche, les amortissements de dépenses immobilisées en vue d’opérations de recherche et les frais de fonctionnement.

Le CIR a été progressivement étendu aux amortissements des brevets acquis en vue de la réalisation de recherche (en 1988) et aux entreprises agricoles (en 1992).

L’article 69 de la loi de finances initiale pour 2008 a modifié l’économie générale du CIR en le faisant reposer sur le volume global des dépenses exposées par les entreprises et en supprimant son plafonnement.

La Cour des comptes, dans un rapport communiqué à la commission des finances de l’Assemblée nationale au titre du 2° de l’article 58 de la loi organique aux lois de finances (LOLF) en juillet 2013 ([78]), estimait que les réformes successives du CIR ont conduit à multiplier par deux et demi le nombre d’entreprises bénéficiaires et par dix l’avantage fiscal accordé au titre de ce crédit d’impôt.

Le CIR est imputé sur l’impôt dû au titre de l’année durant laquelle les dépenses précédemment mentionnées ont été exposées. Le crédit excédentaire constitue par ailleurs une créance sur l’État qui peut être utilisée pour le paiement de l’impôt sur les trois années suivantes. À l’issue de ce délai, l’excédent est restitué à l’entreprise.

Les données transmises par la DGFiP aux rapporteurs montrent que le CIR bénéficie principalement aux grandes entreprises, qui représentent 0,9 % des bénéficiaires et concentrent 36 % des créances de CIR en 2021.

Nombre de bÉnÉficiaires et crÉances de CIR entre 2019 et 2021

 

2019

2020

2021

Répartition du rendement de l’IS brut de crédit d’impôt en 2021 (en milliards d’euros)

 

Nombre de bénéficiaires (en milliers)

Montant

(en millions d’euros)

Nombre de bénéficiaires (en milliers)

Montant

(en millions d’euros)

Nombre de bénéficiaires (en milliers)

Montant

(en millions d’euros)

TPE

11,06

498

10,77

462

9,26

452

12,4

PME

11,48

2 067

11,54

2 045

10,91

2 143

18,6

ETI

1,86

2 055

1,87

2 002

1,84

2 040

16,7

GE

0,20

2 775

0,20

2 597

0,19

2 575

23,5

Ensemble

24,60

7 395

24,37

7 105

22,21

7 210

71,2

Source : DGFiP, d’après le fichier de suivi des créances d’IS arrêté au 31 décembre 2022.

Ce constat peut également être tiré des chiffres transmis par la DG Trésor aux rapporteurs, qui montrent que le CIR diminue de 5,4 points le taux implicite d’imposition net des grandes entreprises, contre 2,5 points et 3,6 points pour les microentreprises et les PME.

Ce dispositif constitue donc une source importante de différentiels de fiscalité entre entreprises : cela s’explique par le plus grand volume de dépenses de recherche exposées par les grandes entreprises, mais également par leurs capacités d’ingénierie fiscale plus élevées que celles des entreprises de taille plus modeste.

Les personnes auditionnées par les rapporteurs ont ainsi expliqué à plusieurs reprises que la constitution d’un dossier de demande de crédit d’impôt recherche peut s’avérer complexe et nécessite du temps ainsi que des compétences dont les PME ne disposent pas systématiquement.

● La réduction d’impôt mécénat s’applique enfin aux dons réalisés par les entreprises à des organismes sans but lucratif pour l’exercice d’activités présentant un intérêt général ([79]). Son taux de droit commun s’élève à 60 % du montant du don pour la fraction inférieure ou égale à 2 millions d’euros et à 40 % pour la fraction excédant ce montant, dans la limite d’un plafond de 20 000 euros ou de 0,5 % du chiffre d’affaires hors taxe de l’entreprise si ce dernier est plus élevé ([80]).

Contrairement aux crédits d’impôt, la réduction d’impôt vient en soustraction du montant d’impôt dû au titre de l’année du don, sans possibilité de restitution de l’excédent non mobilisé.

Le coût de la réduction d’impôt mécénat est principalement concentré sur les grandes entreprises, qui ont bénéficié de 563 millions d’euros à ce titre en 2021 (soit 41 % du coût total de la réduction d’impôt).

Nombre de bÉnÉficiaires et coût de la rÉduction d’impôt mÉcÉnat
entre 2019 et 2021

 

2019

2020

2021

Répartition du rendement de l’IS brut de crédit d’impôt en 2021 (en milliards d’euros)

Réduction d’impôt mécénat (MEC)

Nombre de bénéficiaires (en milliers)

Montant

(en millions d’euros)

Nombre de bénéficiaires (en milliers)

Montant

(en millions d’euros)

Nombre de bénéficiaires (en milliers)

Montant

(en millions d’euros)

TPE

64,69

71

62,28

87

65,65

107

12,4

PME

40,11

289

38,29

294

40,72

335

18,6

ETI

3,18

284

3,29

330

3,60

356

16,7

GE

0,27

712

0,28

654

0,28

563

23,5

Ensemble

108,24

1 356

104,14

1 365

110,25

1 362

71,2

Source : DGFiP, d’après le fichier de suivi des créances d’IS arrêté au 31 décembre 2022.

Selon la Cour des comptes ([81]), ce phénomène s’explique par le fait que les entreprises de cette catégorie sont les mieux outillées pour développer une stratégie de mécénat et, pour ce qui concerne plus particulièrement le secteur de la grande distribution, de la possibilité de bénéficier de la réduction d’impôt au titre des dons en nature de produits alimentaires. À l’inverse, le plafonnement de la réduction d’impôt à 0,5 % du chiffre d’affaires était analysé par la Cour comme un frein au développement du mécénat dans les TPE et PME.

b.   Les dispositifs dérogatoires applicables en fonction de la taille des entreprises ou de leur activité

Les différentiels de fiscalité entre entreprises peuvent également s’expliquer par l’application de dispositifs dérogatoires visant à alléger l’imposition des entreprises de petite taille ou pour répondre à des objectifs de politiques publiques. Ces dispositifs sont nombreux (cf. supra A du I) ([82]) et deux d’entre eux ont plus particulièrement retenu l’attention des rapporteurs.

● Le premier de ces dispositifs concerne le taux réduit de l’impôt sur les sociétés applicables aux PME ; comme indiqué précédemment, celui s’élève à 15 % pour les entreprises dont le chiffre d’affaires hors taxe est inférieur à 10 millions et dont le capital est détenu à au moins 75 % par des personnes physiques, pour la fraction de bénéfices inférieure ou égale à 42 500 euros.

Ce dispositif n’est pas comptabilisé parmi les dépenses fiscales depuis son déclassement en 2006 et ne figure donc plus dans le tome II des voies et moyens annexé chaque année au projet de loi de finances. Selon les informations transmises aux rapporteurs, son coût s’élevait à 2,66 milliards d’euros en 2021.

Deux arguments principaux ont été mis en avant pour justifier la création puis le maintien de ce taux réduit :

– lors de sa création, dans le cadre de la loi de finances pour 2001, l’objectif du taux réduit d’imposition des bénéfices résidait dans la nécessité de renforcer les fonds propres des petites entreprises, qui font face à des difficultés plus importantes que les entreprises de grande taille pour se financer ;

– pour justifier son maintien lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2016, le Gouvernement avait indiqué que ce taux permettait de mieux tenir compte de la capacité contributive particulière des plus petites entreprises.

Ce dispositif semble d’autre part déterminant pour rapprocher l’imposition implicite des bénéfices des petites entreprises par rapport à celles de plus grande taille : les travaux de la direction générale du Trésor mentionnés précédemment montrent ainsi que les microentreprises tirent un gain de 4,6 points de leur ENE du fait de ce taux réduit, l’avantage s’élevant à 0,7 point pour les PME.

● Les entreprises réalisant des activités de recherche peuvent d’autre part bénéficier d’un régime préférentiel applicable aux produits tirés de la cession ou de la concession de certains actifs incorporels ([83]). Le résultat imposable à ce titre est soustrait des bénéfices réalisés par les entreprises pour être imposé distinctement à un taux réduit (initialement de 15 %, abaissé à 10 % par la loi de finances pour 2019). Le coût de ce dispositif, selon le tome II des voies et moyens annexé au PLF pour 2023, s’élevait à 555 millions d’euros en 2021.

Ce dispositif avait été jugé dommageable par l’OCDE puis l’Union européenne au motif qu’il ne liait pas le bénéfice de l’avantage fiscal aux dépenses de recherche effectivement engagées en France. La loi de finances pour 2019 ([84]) a ainsi réformé ce régime pour le rendre compatible avec les exigences définies dans le cadre du projet BEPS en y apportant plusieurs ajustements :

– le régime, à l’origine d’application automatique, est devenu optionnel pour les entreprises tirant des bénéfices de la cession ou de la concession de leurs actifs incorporels ;

– la détermination de l’assiette imposable au titre du régime préférentiel dépend désormais du montant des dépenses de recherche et développement directement liées à la constitution des actifs incorporels.

Pour compenser l’attrition de l’assiette imposable au régime préférentiel, il a par ailleurs été décidé, à l’initiative de la commission des finances de l’Assemblée nationale, de ramener le taux réduit, qui s’élevait auparavant à 15 %, à 10 %.

Les rapporteurs estiment qu’il est nécessaire de réaliser une revue de l’ensemble des taux réduits de l’impôt sur les sociétés afin d’évaluer leurs effets au regard des objectifs qui leur ont été assignés.

Proposition n° 2 : Mener une revue des taux réduits de l’impôt sur les sociétés et évaluer leurs effets au regard des objectifs qui leur ont été assignés, dont le taux réduit applicables aux PME.

2.   Les modalités particulières d’imposition des profits des sociétés : le régime de l’intégration fiscale et le régime mère-fille

Le régime de l’intégration fiscale et le régime « mère-fille » ont une influence certaine sur le montant d’impôt dû par les entreprises établies en France et détenant des filiales françaises par rapport à d’autres sociétés ne possédant pas de participations dans d’autres entreprises.

Comme indiqué précédemment, le régime de l’intégration fiscale permet de reconnaître l’unité économique d’un groupe en consolidant les bénéfices et pertes de l’ensemble des sociétés qu’il détient à plus de 95 % et de neutraliser les transactions intragroupes – sous réserve de la réintégration d’une quote-part de 1 % du montant des dividendes versés à la société tête de groupe.

Le régime mère-fille permet quant à lui d’exonérer les dividendes versés à la société mère ([85]) en échange de la réintégration d’une quote-part de frais et charge s’élevant à 5 %. À ce régime s’ajoute la neutralisation des plus-values de cession des titres de participation de la société mère, sous réserve de la réintégration d’une quote-part de 12 % ([86]) – cette disposition étant plus communément nommée « niche Copé ».

Ces modalités particulières d’imposition ne sont plus comptabilisées parmi les dépenses fiscales et ne figurent pas dans le tome II des voies et moyens annexé au projet de loi de finances : ce déclassement s’explique par le fait que ces régimes sont considérés non pas comme des normes dérogatoires mais, s’agissant de l’intégration fiscale, comme une modalité particulière d’établissement de l’impôt et, pour le régime mère-fille, comme un outil visant à éviter une double imposition des produits de participation. Les avocats fiscalistes entendus par les rapporteurs ont ainsi expliqué qu’en l’absence du régime mère-fille, un bénéfice d’une filiale, après avoir été imposé à l’IS entre ses mains, serait de nouveau imposé au taux normal de l’IS entre les mains de la société mère.

Ces régimes ont toutefois un coût important pour les finances publiques : la liste consolidée des dépenses fiscales transmise par le Gouvernement au Parlement en amont de l’examen du projet de loi de finances pour 2023, dans laquelle figurent des informations sur les dispositifs déclassés, montre ainsi que les produits de participation non imposés au titre du régime mère-fille ont réduit de 20 milliards d’euros les recettes de l’IS en 2021. D’autre part, l’imposition des groupes intégrés conduit à une perte de 16,5 milliards d’euros par rapport à une situation où l’ensemble des sociétés membres d’un groupe feraient l’objet d’une imposition séparée.

Plusieurs syndicats et économistes auditionnés par les rapporteurs ont mis en avant les possibilités d’optimisation ouvertes par le régime de l’intégration fiscale, dont le caractère optionnel offre aux entreprises des marges de manœuvre pour choisir les sociétés à intégrer dans le périmètre du groupe. Une société tête de groupe a ainsi tout intérêt à intégrer ses filiales déficitaires pour minorer sa base imposable ; de la même manière, une holding déficitaire pourra compenser les bénéfices de ses sociétés opérationnelles. Cette liberté d’organisation est par ailleurs renforcée par la possibilité pour les entreprises de définir les modalités de répartition de la charge fiscale entre les sociétés du groupe au moyen de conventions d’intégration fiscale ([87]).

Proposition n° 3 : Au regard des dernières évolutions fiscales, évaluer les effets produits par les quotes-parts de frais et charge applicables dans le cadre du régime mère-fille et le régime de l’intégration fiscale.

3.   L’évitement fiscal des entreprises

En dehors des dispositifs mentionnés précédemment conduisant à taxer différemment des entreprises et, dans certains cas, leur permettant d’optimiser leur charge fiscale, les différentiels de fiscalité entre entreprises peuvent également résulter de comportements fiscaux plus contestables, voire manifestement illégaux.

Ces comportements relèvent d’un champ lexical riche mais ne revêtent pas les mêmes conséquences juridiques :

– la fraude fiscale désigne une violation délibérée de la norme fiscale pour échapper à ses obligations ;

– l’évasion fiscale, qui n’est pas définie en droit français, fait référence à des comportements visant à éluder l’impôt au moyen de comportements réguliers ou en apparence réguliers, reposant sur l’exploitation des subtilités des règles fiscales ainsi que des incohérences entre systèmes fiscaux nationaux. Elle se rapproche de ce que l’OCDE nomme plus spécifiquement « l’évitement fiscal ».

Comme il le sera démontré plus loin, les frontières entre l’évitement fiscal et la fraude fiscale sont toutefois très ténues.

D’autre part, parce qu’elle porte sur des comportements opaques, la mesure de ces phénomènes ne fait pas consensus et fait appel à plusieurs méthodes dont la fiabilité a pu être remise en cause. Un consensus s’est toutefois formé sur le fait de privilégier les analyses fondées sur une extrapolation des résultats du contrôle fiscal. Leur périmètre est cependant variable, selon qu’elles se concentrent sur la seule fraude ou sur la fraude et l’évasion fiscale.

 

SynthÈse des Études portant sur le chiffrage des comportements d’Évitement de l’impôt ([88])

Étude

Comportements ciblés

Impôts concernés

Coût avancé
(en milliards d’euros)

CPO (2007)

Fraude

IS, IR, TVA, impôts locaux, autres impôts

20,5 à 25,6

Solidaires finances publiques (2013)

Fraude (et évasion)

IS, IR, TVA, impôts locaux, autres impôts

60 à 80

OCDE (2013)

Évasion

IS

2,4 à 6

Coham & Gibson

Fraude, évasion

IS

3 à 12

Unu-Wider (2017)

Fraude, évasion

IS

18

Source : Mme Bénédicte Peyrol, rapport d’information n° 1236 relatif à l’évasion fiscale internationale des entreprises, déposé par la commission des finances de l’Assemblée nationale, septembre 2018.

Les comportements d’évitement ou frauduleux ne sont pas l’apanage des seules grandes entreprises et peuvent être réalisés par des entreprises de toute taille. Les auditions des rapporteurs ont toutefois permis de cerner des pratiques spécifiquement mobilisées par les entreprises multinationales.

● Pour apprécier la capacité contributive des entreprises, il est nécessaire de tenir compte de la localisation de leurs activités, de leur bénéfice imposable et du montant d’impôt qu’elles paient dans d’autres juridictions.

À ce titre, la répartition du bénéfice imposable entre les différents États repose en grande partie sur l’application de conventions fiscales et la notion de prix de transfert, qui peut être définie comme les « prix auxquels une entreprise transfère des biens corporels, des actifs incorporels ou rend des services à une entreprise associée » ([89]).

L’usage de prix de transfert résulte donc de l’activité normale d’un groupe internationalisé et reflète le prix des transactions opérées entre ses entités.

Ils peuvent néanmoins constituer un vecteur d’évitement fiscal lorsqu’ils sont manipulés pour minorer l’assiette taxable déclarée dans un pays à plus forte fiscalité et, à l’inverse, majorer la base taxable déclarée dans un pays à fiscalité réduite.

La détermination des prix de transfert repose sur des règles strictes définies par l’OCDE et fondées sur le principe de pleine concurrence : en vertu de ce principe, le prix des transactions intragroupes doit être déterminé de la même manière que le prix de transactions comparables entre entités indépendantes dans un cadre concurrentiel. Pour s’y conformer, les entreprises doivent procéder en plusieurs étapes :

– en premier lieu, mener une analyse fonctionnelle permettant d’identifier les fonctions réalisées, les risques encourus et les actifs utilisés par les différentes entités du groupe ;

– sur cette base, retenir la méthode la plus adéquate de rémunération ([90]).

La détermination des prix de transfert est donc étroitement contrôlée par l’administration fiscale (cf. infra C du III). L’évolution du commerce international et celle des activités des entreprises internationalisées rendent toutefois de plus en plus complexe la définition des prix de transfert et offrent aux entreprises un nombre croissant de possibilités pour optimiser la localisation de leur base imposable. Ce phénomène se caractérise en premier lieu par la fragmentation des chaînes de valeur et la complexification des opérations et montages réalisés par les entreprises à dimension internationale.

● D’autre part, la numérisation de l’économie a favorisé l’expansion de nouveaux modèles d’affaires permettant aux entreprises de se passer de présence physique sur un marché pour exercer leurs activités.

La numérisation de l’économie fait en premier lieu référence à l’apparition d’acteurs du numérique proposant à leurs utilisateurs des plateformes collaboratives d’échanges de biens ou de services ou des services gratuits financés par des annonceurs publicitaires (ce qui renvoie plus particulièrement aux modèles dits multifaces). Elle désigne également l’évolution des activités traditionnelles des entreprises qui se saisissent des nouvelles technologies pour abaisser le coût d’accès aux services qu’elles proposent.

Du point de vue fiscal, la numérisation de l’économie se caractérise par la dissociation entre le lieu de création de la valeur et le lieu de localisation des bénéfices des entreprises. Cela s’explique principalement par le fait que l’économie numérique repose sur l’exploitation d’actifs incorporels fortement mobiles et dont la valorisation se révèle particulièrement complexe, en raison de l’absence d’actifs comparables. Ces caractéristiques facilitent ainsi leur localisation dans des pays à fiscalité réduite et la manipulation des prix de transfert, ce qui concourt plus largement à l’érosion des bases fiscales des pays où se situent les marchés de consommation.

● Plusieurs économistes ont ainsi cherché à mesurer l’évitement fiscal des entreprises multinationales et le montant des bénéfices générés en France puis transférés dans des pays à faible fiscalité.

Les travaux du centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii) montrent que les profits non déclarés en France se seraient élevés à 36 milliards d’euros en 2015 et auraient conduit à une perte de près de 14 milliards d’euros de recettes fiscales à la même date ([91]). Les bénéfices transférés à l’étranger auraient été principalement relocalisés au Royaume-Uni (un peu moins de 5 milliards d’euros) aux Pays-Bas (plus de 4 milliards d’euros) et au Luxembourg (moins de 4 milliards d’euros).

Trois instruments principaux sont mis en avant par le Cepii pour décrire les stratégies retenues par les entreprises pour optimiser leur base taxable :

– la manipulation des prix de transfert ;

– la localisation d’actifs incorporels dans des paradis fiscaux ;

– les emprunts intragroupes contractés auprès d’une filiale située dans un pays à faible fiscalité, qui permettent aux sociétés multinationales de déduire de leur bénéfice imposable une partie de leurs charges d’intérêt.

Les chiffres du Cepii sont par ailleurs comparables à ceux présentés dans une étude publiée par Thomas Torslov, Ludvig Wier et Gabriel Zucman en 2020. Si d’autres travaux proposent des estimations qui peuvent être plus importantes ou plus en retrait, il ne peut toutefois pas être ignoré que les transferts de bénéfices depuis la France vers des pays à plus faible fiscalité constituent un phénomène bien réel et très important.

Estimations du montant des profits
transférés dans plusieurs pays européens*

(en millions de dollars)

 

Tørsløv et al. (2020)

Janský & Palanský (2019)

Garcia-Bernardo & Janský (2021)

Clausing (2016)

Belgique

– 13 802,9

10 025,7

7 217,0

n/a

Danemark

3 119,0

1 041,4

– 6 398,0

3 423,9

France

33 787,9

10 341,0

91 048,0

73 614,4

Allemagne

57 820,0

11 972,9

101 907,0

53 193,1

Grèce

1 102,1

328,4

1 526,0

611,4

Irlande

– 111 975,5

n/a

– 28 062,0

n/a

Italie

23 908,1

4 846,0

50 226,0

17 486,5

Luxembourg

– 49 284,8

n/a

– 17 536,0

n/a

Pays-Bas

– 60 399,1

n/a

-140 896,0

n/a

Espagne

15 124,8

6 181,6

10 569,0

21 644,1

Suisse

– 61 240,9

n/a

– 51 611,0

n/a

* Ce tableau montre en fonction de différentes études publiées entre 2016 et 2020 le solde de bénéfices transférés pour plusieurs pays européens. À titre d’exemple, selon Thomas Tørsløv, le montant de profits transférés depuis la France vers des pays à faible fiscalité s’élève à près de 34 milliards d’euros. À l’inverse, selon cette même étude, le Luxembourg bénéficie d’un transfert entrant de près de 50 milliards d’euros.

Source : Observatoire européen de la fiscalité.

Les estimations proposées par ces différents travaux se fondent néanmoins sur des observations indirectes réalisées à partir des données de la balance des paiements de chaque pays. S’ils ne permettent pas d’identifier individuellement les entreprises ayant cherché à éviter l’impôt ni de déterminer si ces comportements revêtent un caractère frauduleux ou régulier, des études complémentaires du Cepii contribuent en revanche à mieux cerner le profil de ces sociétés ([92]).

Il en ressort que la capacité d’une multinationale à transférer ses profits est étroitement liée à sa structure de détention et que les entreprises suffisamment complexes – c’est-à-dire celles qui présentent une structure de détention verticale et un nombre important de filiales – ont une plus grande faculté à éviter l’impôt.

En effet, lorsqu’une entreprise organise la répartition de ses bénéfices entre différents États, ceux-ci doivent ensuite être distribués sous forme de dividendes vers le siège social et les actionnaires, ce qui donne lieu à une retenue à la source ou une imposition dans le pays du siège social. Pour minimiser cet impôt, les entreprises présentant une structure de détention suffisamment complexe ont la faculté d’exploiter les dispositions favorables de plusieurs conventions fiscales par le truchement, par exemple, d’une entité intermédiaire située dans un pays tiers taxant faiblement les dividendes et autres revenus passifs ([93]).

Un exemple concret de manipulation des prix de transfert : le cas Mcdonald’s

Le contentieux fiscal qui opposait la société Mcdonald’s à l’administration française illustre parfaitement les montages décrits par le Cepii.

En 2009, le groupe Mcdonald’s a réorganisé la gestion de ses actifs incorporels en désignant une société de droit luxembourgeois (MCD Europe Franchising) comme « master-franchiseur ». En conséquence, cette société était chargée de sous-concéder aux franchisés et locataires gérants les droits de propriété intellectuelle de la marque Mcdonald’s en France, en échange d’une redevance annuelle décroissante versée à la société mère du groupe, située aux États-Unis.

En parallèle, MCD Europe Franchising a renégocié avec les sociétés du groupe Mcdonald’s établies en France le taux de redevance de marque dû par ces dernières en le portant de 5 à 10 % de leur chiffre d’affaires. Cette redevance était collectée par la filiale suisse de MCD Europe Franchising et immédiatement reversée à la succursale américaine de la société.

Au terme d’une enquête menée par l’administration fiscale et le parquet national financier, il a été démontré que la méthode d’évaluation de ces redevances n’était pas conforme au principe de pleine concurrence et que la hausse de leur taux opéré en 2009 s’expliquait par la profitabilité croissante de Mcdonald’s en France. Les investigations ont par ailleurs permis de remettre en cause la substance économique de la société de droit luxembourgeoise et de démontrer qu’elle ne payait pas d’impôt au Luxembourg, en Suisse et aux États-Unis.

Parce que ces opérations ont été réalisées dans un seul but fiscal, elles sortaient donc du champ de l’optimisation et revêtaient un caractère frauduleux.

Pour éteindre le contentieux, Mcdonald’s a accepté en 2022 de conclure une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) avec le parquet national financier d’un montant de 508 millions d’euros et un règlement d’ensemble avec l’administration fiscale. Au total, les droits et pénalités réglés par la société se sont élevés à 1,2 milliard d’euros.

Source : Convention judiciaire d’intérêt public entre le procureur de la République financier près le tribunal judiciaire de Paris et les sociétés Mcdonald’s France, Mcdonald’s system of France LLC et MCD Luxembourg Real Estate SARL.

Par ailleurs, les rapporteurs constatent que les entreprises davantage susceptibles d’orchestrer des stratégies d’évitement fiscal sont celles dont le siège est implanté à l’étranger.

Ils ont de surcroît pu prendre connaissance de schémas d’optimisation mobilisés par des entreprises du secteur numérique qu’ils jugent particulièrement agressifs, sans toutefois que leur légalité puisse a priori être remise en cause.

Pour ces entreprises, la majorité des salariés du groupe et l’intégralité de la propriété intellectuelle sont situés dans le pays du siège. Les actifs incorporels sont ensuite concédés à une filiale établie aux Pays-Bas ou en Irlande, qui est ensuite chargée de la distribuer aux autres filiales européennes.

Dans ce cadre, la répartition des profits du groupe repose sur l’utilisation de la méthode transactionnelle de la marge nette et de la facturation, pour chaque filiale, de redevances s’élevant à 98 % de leur chiffre d’affaires. Ce système aboutit à déclarer un bénéfice s’élevant à seulement 2 % du chiffre d’affaires réalisé par le groupe dans chaque pays où est établie une de ses filiales.

Cet exemple démontre à quel point il peut être difficile d’établir un prix de pleine concurrence pour valoriser les actifs incorporels. Quand bien même la méthode transactionnelle de la marge nette fait partie des méthodes recommandées par l’OCDE, les rapporteurs estiment qu’elle s’applique imparfaitement dans des cas similaires à celui exposé précédemment.

À l’inverse, certaines entreprises françaises du numérique détenant leurs actifs incorporels sur le territoire national ne disposent pas des mêmes facultés d’optimisation et peuvent être plus facilement contrôlées par l’administration fiscale. Cela concerne par exemple le groupe Leboncoin, spécialisé dans les petites annonces en ligne, dont l’activité et le bénéfice sont principalement concentrés en France. Cette situation génère ainsi des différentiels de fiscalité entre des entreprises exerçant dans le même secteur selon que leurs actifs sont situés en France ou dans un autre pays, et expose de façon défavorable les entreprises françaises à la concurrence internationale.

III.   La rÉduction des diffÉrentiels de fiscalitÉ : une dÉmarche qui doit Être poursuivie

Si un certain nombre de réformes ont eu pour but de limiter la capacité des grandes entreprises à réduire leur impôt et à recourir à des schémas d’optimisation revêtant pour certains un caractère agressif, beaucoup reste à faire pour assurer une juste contribution de l’ensemble des entreprises. Le projet d’une imposition minimale des bénéfices au taux effectif de 15 % au niveau mondial pourrait constituer une première étape pour tendre vers cet objectif.

A.   Les rÉformes de la fiscalitÉ internationale

Dans le prolongement du projet BEPS, les pays membres du cadre inclusif de l’OCDE et du G20 ont lancé des négociations pour définir une solution à deux piliers visant à limiter l’érosion des bases fiscales des entreprises.

Ces deux piliers visent à instaurer une imposition minimale des bénéfices des groupes multinationaux au taux effectif de 15 % et aménager une meilleure répartition des droits à taxer. En parallèle, l’Union européenne est parvenue à un accord pour renforcer les obligations de transparence fiscale des entreprises et a récemment relancé un projet d’harmonisation de l’assiette de l’impôt sur les bénéfices.

Ces différentes initiatives présentent chacune des limites, liées aux difficultés rencontrées par les États parties aux négociations pour trouver un consensus. Elles peuvent toutefois constituer des avancées importantes pour limiter la capacité des entreprises à éluder l’impôt.

1.   La transposition à venir du pilier 2 des négociations OCDE/G20 : une règle d’imposition minimale des profits

Parmi les différentes réformes de la fiscalité internationale, le pilier 2 des travaux de l’OCDE est le plus abouti. Un accord, conclu le 14 décembre 2021 par 136 pays membres du cadre inclusif, a défini différents types de règles globales de lutte contre l’érosion de la base d’imposition (dites GloBE) qui ont été suivies de commentaires adoptés le 11 mars 2022, et d’une série d’instructions complémentaires publiées le 2 février 2023.

a.   Les règles de l’imposition minimale

Ces règles ont été largement reprises par les dispositions de la directive 2022/2523 du Conseil du 14 décembre 2022 visant à assurer un niveau minimum d’imposition mondial pour les groupes d’entreprises multinationales et les groupes nationaux de grande envergure dans l’Union, dont la transposition doit intervenir au 31 décembre 2023 au plus tard.

Le principe de l’imposition mondiale des bénéfices concerne les groupes internationaux ou nationaux réalisant un chiffre d’affaires annuel consolidé supérieur à 750 millions d’euros ainsi que l’ensemble de leurs filiales. Il consiste en l’application d’un taux d’imposition effectif de leurs bénéfices de 15 %, qui se traduit par l’application de deux règles :

– la règle d’inclusion du revenu (RIR) permet au pays du siège de l’entité mère de prélever un impôt complémentaire égal à la différence entre le taux minimum de 15 % et le taux effectif d’imposition des filiales dans leur pays d’implantation ;

– la règle relative aux bénéfices insuffisamment imposés (RBII) assure l’effectivité de l’imposition minimale dans le cas où le siège d’une entreprise serait implanté dans un pays n’appliquant pas la RIR. Dans cette hypothèse, les entités du groupe situées dans des pays appliquant la RBII devront payer la différence entre le taux effectif d’imposition du groupe et le taux minimum. La répartition du produit de cet impôt complémentaire entre les pays sera par ailleurs déterminée en fonction du nombre de salariés et de la valeur des actifs corporels des entités du groupe.

Le taux effectif d’imposition de chaque entité d’une société sera calculé à partir de son résultat net comptable et au moyen d’une déclaration spécifique (nommée déclaration « GloBE »).

Les règles définies par l’OCDE aménagent cependant un certain nombre d’exemptions. Un régime de protection temporaire pourra en premier lieu être applicable jusqu’aux exercices ouverts au plus tard le 31 décembre 2026. Ce régime maintient l’obligation pour toute entreprise entrant dans le champ des règles « GloBE » de déposer une déclaration mais prévoit l’exonération du paiement de l’impôt complémentaire au titre d’une juridiction si l’entreprise répond à l’un des trois critères suivants ([94]) :

– le critère de minimis, si le groupe déclare au titre de cette juridiction un chiffre d’affaires de moins de 10 millions d’euros et un bénéfice avant impôt de moins de 1 million d’euros. La directive du 14 décembre 2022 prévoit par ailleurs que cette exemption sera permanente ([95]) ;

– le critère du taux effectif simplifié, qui schématiquement, est rempli si le rapport entre les impôts couverts par les règles GloBE payés par l’entreprise ([96]) et ses bénéfices avant impôts excède 15 % en 2024, 16 % en 2025 et 17 % en 2026 ;

– le critère du revenu de routine, qui est applicable si le bénéfice avant impôt du groupe dans la juridiction est inférieur ou égal au revenu de substance des entités du même groupe implantées dans cette même juridiction.

Le revenu de substance (substance-based income) est une notion centrale du pilier 2 et tient compte d’une partie de la valeur des actifs corporels de l’entité d’un groupe ainsi que de ses coûts salariaux ([97]). Le critère du revenu de routine a ainsi pour objet d’exclure temporairement de l’application du pilier 2 les entités qui ne génèrent pas un bénéfice excessif au regard de la matérialité de leurs activités.

La substance économique occupe également une place centrale dans les exemptions permanentes prévues par la directive du 14 décembre 2022. Les groupes concernés par l’imposition minimum pourront ainsi déduire de leur bénéfice 10 % de la valeur comptable de leurs actifs corporels et 8 % des frais de personnel ([98]) enregistrés au sein d’une même juridiction en 2023. Ces taux seront ensuite réduits chaque année pour atteindre 5 % en 2033. Selon la directive, cette exclusion se justifie par la nécessité de résoudre « […] les situations dans lesquelles un groupe d’entreprises multinationales ou un groupe national de grande envergure exerce des activités économiques nécessitant une présence matérielle dans une juridiction à faible imposition […] ».

D’autre part, la directive prévoit une exonération d’impôt complémentaire durant cinq ans pour les entreprises qui sont en phase de démarrage de leurs activités internationales ([99]). Enfin, pour préserver les régimes fiscaux dérogatoires nationaux applicables au transport maritime, sont exclus du champ de la directive les résultats provenant de l’exploitation des navires.

De l’avis de certaines entreprises auditionnées par les rapporteurs, les règles nouvelles d’imposition mondiale des bénéfices sont sources d’une charge administrative supplémentaire. Les règles GloBE créent une quatrième norme comptable (qui s’ajoute aux comptes consolidés, aux comptes statutaires et aux déclarations fiscales) qui nécessiteront des investissements importants en matière de systèmes d’information. Elles considèrent ainsi que les mesures de simplification temporaires aménagées par la directive sont bienvenues.

Les entreprises interrogées par les rapporteurs ont également souligné le cas particulier des États-Unis, qui pourra faire primer sur les règles GloBE certains de ses régimes fiscaux propres. Il s’agit :

– du régime dit Gilti (global intangible low-taxed excess returns tax), qui permet schématiquement d’appliquer une imposition minimale de 10,5 % sur les bénéfices réalisés à l’étranger par les filiales de groupes américains qui dépassent un rendement usuel de 10 % ;

– du régime dit BEAT (base erosion anti-abuse tax) qui prévoit, pour les groupes dont le chiffre d’affaires excède 500 millions de dollars, la perception d’une taxe comprise entre 5 et 12,5 % sur les facturations de services, d’intérêts ou d’incorporels faites par des sociétés liées à des entités américaines.

Les rapporteurs estiment quant à eux que la mise en place d’une imposition effective des bénéfices des entreprises au niveau mondial est une avancée nécessaire. Si le taux de 15 % peut apparaître relativement faible en comparaison du taux nominal applicable en France, cette première étape permet d’envisager une réduction progressive de la concurrence fiscale à laquelle se livrent certains États et à laquelle d’autres sont exposés. Cette appréciation est néanmoins relativisée par le fait que les États-Unis ont aménagé des dispositions susceptibles de favoriser les entreprises américaines. Cela appelle une attention toute particulière sur les effets combinés qui seront produits par le pilier 2 et le régime fiscal américain. Il pourrait être nécessaire, le cas échéant, d’envisager des mesures de nature à rééquilibrer le traitement fiscal des entreprises européennes par rapport à leurs concurrents américains.

Les rapporteurs considèrent en tout état de cause que les nombreuses exemptions prévues par la directive du 14 décembre 2022 peuvent en limiter les effets. Ils considèrent qu’un impôt optimal doit être doté d’une assiette la plus large possible, et que les exemptions sont de nature à ouvrir des voies d’optimisation pour les entreprises.

Cette dernière appréciation a par ailleurs été partagée par plusieurs économistes auditionnés dans le cadre des travaux de la mission d’information, qui considèrent que les exemptions de substance favoriseront l’adoption par les entreprises multinationales de stratégies de contournement et l’implantation d’activités dans les territoires à faible fiscalité.

Proposition n° 4 : Conduire une évaluation in itinere du pilier 2 et proposer au sein de l’OCDE et de l’Union européenne d’instituer des clauses de revoyure visant à adapter le taux et l’assiette de l’impôt minimum mondial ou réduire la portée des exemptions et clauses dérogatoires lui étant applicables.

b.   Les effets budgétaires et économiques attendus

L’application d’un taux effectif de 15 % permettra à la France de collecter un impôt supplémentaire auprès de certaines entreprises dont la tête de groupe est implantée sur le territoire national.

L’OCDE estime que le pilier 2 permettrait aux États de recouvrer 220 milliards de dollars de recettes fiscales supplémentaires. En France, les travaux réalisés par le Conseil d’analyse économique (CAE) ([100]) anticipe un rendement supplémentaire de l’impôt sur les sociétés de 6 milliards d’euros annuelles à court terme ([101]). En tenant compte des exemptions de substance, les estimations de l’Observatoire européen de la fiscalité ([102])  se révèlent plus en retrait et sont comprises entre 3,3 et 3,5 milliards d’euros, en fonction du taux d’exclusion applicable en matière de coûts salariaux et d’actifs corporels.

À plus long terme, le Conseil d’analyse économique estime que ces recettes supplémentaires tendraient vers 2 milliards d’euros par an en raison des ajustements opérés par les pays à faible fiscalité, qui seraient incités à rehausser leur niveau d’imposition des bénéfices. Le produit du pilier 2 ne serait donc plus intégralement collecté par la France, mais par les pays où sont implantées les entités actuellement imposées à un faible niveau.

À cet égard, la directive du 14 décembre 2022 aménage le droit pour les États d’instaurer un « impôt complémentaire national qualifié » afin qu’ils puissent directement percevoir les sommes dues par les entités faiblement imposées sur leur territoire ([103]). Il est donc probable que les pays de l’Union européenne à faible fiscalité, sans être obligés d’engager une réforme d’ensemble de leur fiscalité des bénéfices, fassent le choix de collecter directement le produit du pilier 2.

Du point de vue microéconomique, l’Observatoire européen de la fiscalité propose également une simulation de la variation de l’imposition des bénéfices de certaines multinationales après l’entrée en vigueur du pilier 2.

Ces estimations, fondées sur les données publiées par les entreprises dans leur rapport d’activité pays par pays (Country-by-country reporting), font ainsi apparaître que BNP Paribas devrait verser 128 millions d’euros supplémentaires à l’administration fiscale française pour se conformer au taux minimum effectif de 15 %, principalement en raison de la trop faible imposition de ses bénéfices en Belgique ; une entreprise comme Shell serait par ailleurs amenée à s’acquitter d’un impôt supplémentaire de 1,15 milliard d’euros au profit des Pays-Bas.

2.   Le pilier 1 : l’objectif d’une meilleure répartition des droits à taxer

En parallèle de la transposition du pilier 2, les États membres du cadre inclusif de l’OCDE poursuivent des négociations s’agissant du pilier 1, dont l’objectif est de modifier la répartition des droits d’imposition des bénéfices des entreprises multinationales au profit des juridictions de marché.

L’objectif de ces négociations est de tenir compte des spécificités de l’économie numérique et des possibilités de plus en plus importantes qu’elle offre d’atteindre des consommateurs sans présence physique sur un marché. Pour y parvenir, le dispositif du pilier 1 se fonde sur un nouveau critère de lien (dit nexus) au territoire, alternatif à la notion d’établissement stable, reposant sur le lieu où une entreprise réalise ses ventes. Ce pilier se compose de deux volets principaux :

– le premier (nommé « montant A ») vise à instaurer un nouveau droit d’imposition aux juridictions de marché sur une fraction du bénéfice consolidé avant impôt des groupes multinationaux dont le chiffre d’affaires dépasse 20 milliards d’euros et dont la rentabilité – c’est-à-dire le ratio bénéfice avant impôt/chiffre d’affaires – est supérieure à 10 %. Les sociétés des secteurs de l’industrie extractive et des services financiers réglementés ([104]) seraient cependant exclues du champ d’application de ces règles ;

– le second (nommé « montant B ») vise à modifier les règles applicables en matière de prix de transfert pour définir en application du principe de pleine concurrence un taux de rentabilité minimum aux fonctions de distribution et de marketing réalisées dans les juridictions de marché.

Parce qu’il a pour objet d’apporter une réponse à la problématique de l’imposition des activités numériques des entreprises, l’entrée en vigueur du pilier 1 doit par ailleurs s’accompagner du retrait des différentes taxes numériques nationales. Cette condition conduira par conséquent à abroger la taxe sur les services numériques (TSN) instaurée en France en 2019.

Les taxes sur les activités numériques des entreprises

En l’absence de consensus à l’échelle européenne, la France a institué une taxe sur les services numériques (TSN), créée par les dispositions de la loi n° 2019-759 portant création d’une taxe sur les services numériques. Elle est assise sur les revenus tirés en France des prestations de ciblage publicitaire en ligne, des ventes de données collectées en ligne à des fins publicitaires et de mise à disposition d’un service de mise en relation entre internautes.

Elle concerne les entreprises pour lesquelles ces revenus excèdent 750 millions d’euros au niveau mondial et 25 millions d’euros en France. Son taux est de 3 %.

Son rendement s’est élevé à 474 millions d’euros en 2021. Les prévisions figurant dans le tome I des voies et moyens annexé au PLF pour 2023 indiquent que ce montant pourrait s’élever à 591 millions d’euros en 2022 et 670 millions d’euros en 2023.

À cette taxe s’ajoute la taxe sur la diffusion en vidéo physique et en ligne de contenus audiovisuels (dite taxe Youtube([105]). Cet impôt portait à l’origine sur les locations ou ventes de vidéogrammes physiques ou en ligne destinés à l’usage privé et a été étendu aux personnes établies hors de France ([106]) ainsi qu’à à la publicité associée à des contenus audiovisuels diffusés gratuitement en ligne ([107]).

Ces extensions ont produit leurs premiers effets en septembre 2017, après que la Commission européenne a notifié à la France leur conformité au droit de l’Union européenne ([108]). Le taux de la taxe est fixé à 5,15 % et son produit, affecté au Centre national du cinéma et de l’image animé, s’élevait à 111,6 millions d’euros en 2021.

Il ressort des travaux du Conseil d’analyse économique ([109]) et de l’Observatoire européen de la fiscalité ([110]) que les recettes du pilier 1 seraient inférieures à celles du pilier 2 pour la France et seraient comprises entre 500 millions d’euros et 900 millions d’euros par an, soit un montant pouvant potentiellement demeurer inférieur au produit de la TSN. Cela s’explique notamment par le fait que peu d’entreprises seraient concernées – moins d’une centaine au niveau mondial – et que certaines entreprises françaises, actuellement taxées en France, seraient après l’entrée en vigueur du pilier 1 imposées pour leurs ventes dans les juridictions de marché ([111]).

Au total, la mise en œuvre du pilier 1 devrait se traduire par une augmentation annuelle des recettes fiscales mondiales comprise entre 13 et 36 milliards de dollars.

Le Conseil d’analyse économique souligne par ailleurs que le pilier 1 offre aux entreprises des possibilités de contournement, dans la mesure où chaque facteur d’allocation des droits à taxer – notamment les ventes – peut être manipulé.

Auditionnée par les rapporteurs, la direction de la législation fiscale a souligné le fait que les discussions avaient atteint un stade avancé sur différents aspects du pilier 1 : le champ d’application du dispositif, la ventilation du chiffre d’affaires réalisé dans chaque État de marché et les mécanismes de prévention et de règlement des différends sont ainsi stabilisés, tandis que les discussions sur les modalités d’élimination de la double imposition et les règles d’entrée en vigueur de l’accord se poursuivent.

En tout état de cause, le calendrier fixé par le G20 implique de signer une convention multilatérale sur le pilier 1 au plus tard à l’été 2023. Cependant, les réserves formulées par les États-Unis compromettent le respect de ce calendrier.

3.   L’harmonisation de l’assiette de l’impôt sur les sociétés : une ambition relancée par la Commission européenne

Un grand nombre d’économistes auditionnés par les rapporteurs ont souligné les limites de la réforme de la fiscalité internationale conduites par les États membres du cadre inclusif de l’OCDE et du G20, notamment en raison de la faiblesse du taux d’imposition effectif retenu dans le cadre des discussions et des exemptions d’assiette qui ont été aménagées.

Outre un rapprochement des taux d’imposition des bénéfices, ces économistes ont tous rappelé la nécessité d’harmoniser l’assiette de l’impôt sur les sociétés au niveau européen. Cette ambition avait fait l’objet de propositions de la Commission européenne, dans le cadre des projets ACIS et ACCIS, qui n’ont pas abouti. Elle est désormais relancée avec le projet BEFIT, qui a pour objectif de s’adosser à la solution à deux piliers.

a.   Les négociations interrompues dans le cadre des projets ACIS et ACCIS

Les projets d’une assiette commune pour l’impôt sur les sociétés (ACIS) et d’une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS) avaient pour objet de définir un ensemble de règles permettant de déterminer le résultat imposable d’une société au sein de l’Union européenne. En éliminant les disparités entre les systèmes nationaux et celles résultant des régimes dérogatoires, ils devaient ainsi limiter les transferts artificiels de bénéfices et l’évasion fiscale des entreprises multinationales.

Initiés une première fois en 2011 et relancés en 2016 par la Commission européenne, ces projets auraient conduit à définir une assiette commune différente de celle de l’IS français. À titre d’exemple :

– les seuils de détention applicables aux groupes fiscaux auraient été refondus et abaissés à 75 % du capital et 50 % des droits de vote ;

– la déductibilité des déficits reportés en avant aurait été assouplie mais les déficits reportables en arrière auraient été supprimés ;

– le CIR aurait été transformé en une déduction spéciale des charges de recherche et de développement.

En vertu des dispositions de l’article 115 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) les directives portant sur le rapprochement des législations en matière de fiscalité directe doivent être adoptées à l’unanimité des États membres de l’Union européenne. Les projets ACIS et ACCIS se sont heurtés aux réserves de neuf États membres, ce qui a conduit à leur progressif abandon. La France avait à cette occasion adoptée une position commune avec l’Allemagne visant à soutenir ces deux projets.

b.   Le projet « Befit »

La Commission européenne a lancé en 2022 une consultation publique, clôturée en janvier 2023, portant sur l’instauration d’un ensemble de règles communes pour calculer la base imposable et garantir une répartition plus efficace des bénéfices entre les pays membres.

Cette initiative, intitulée « Entreprises en Europe : le cadre pour l’imposition des revenus (Befit) », devrait donner lieu à une proposition de directive formulée par la Commission en 2023. À ce stade, plusieurs options restent à l’étude et s’appuient sur l’approche à deux piliers retenue par le cadre inclusif OCDE/G20 :

– la première concerne le champ d’application de la base d’imposition commune, qui pourrait concerner les seuls groupes dont le chiffre d’affaires mondial consolidé excède 750 millions d’euros ou inclure également les PME exerçant des activités internationales ;

– s’agissant du calcul de la base d’imposition, la Commission européenne propose de réaliser des ajustements limités ou de refondre entièrement les règles fiscales, ce qui conduirait dans ce dernier cas à appliquer parallèlement deux ensembles de règles pour les entreprises relevant de BEFIT et celles restant hors du champ de l’initiative ;

– la troisième alternative porte sur la formule de répartition du bénéfice imposable entre les États membres en tenant compte ou non des actifs incorporels comme facteur de génération de revenus ;

– la Commission européenne propose enfin de retenir une approche simplifiée en matière de prix de transfert.

Les contours de Befit sont donc pour l’heure relativement flous, ce qui ne permet pas d’apprécier de manière concrète les ajustements d’assiette qui pourraient en résulter. Néanmoins, les rapporteurs considèrent qu’il est souhaitable que les pays membres de l’Union européenne rapprochent leurs définitions respectives de l’assiette d’impôt sur les bénéfices. Cette harmonisation doit néanmoins être la plus ambitieuse possible pour limiter les comportements d’évitement fiscal des entreprises.

Proposition n° 5 : Soutenir les discussions portant, au niveau européen, sur le projet Befit et tout autre initiative visant à une plus grande harmonisation de l’assiette de l’impôt sur les sociétés, notamment pour lutter contre le dumping social et fiscal.

Au-delà des initiatives portant sur l’assiette de l’impôt sur les sociétés et de la mise en œuvre du pilier 2, les rapporteurs considèrent qu’il est également nécessaire d’harmoniser les taux de l’imposition des bénéfices au sein de l’Union européenne pour les faire tendre vers 25 %.

Proposition n° 6 : Soutenir les initiatives visant à harmoniser les taux d’imposition des bénéfices au sein de l’Union européenne, notamment pour lutter contre le dumping social et fiscal.

4.   Le renforcement des obligations de transparence incombant aux entreprises

La lutte contre l’évitement fiscal et la fraude fiscale se traduit également par un renforcement croissant des obligations de transparence des entreprises multinationales.

● En premier lieu, les groupes établis en France qui réalisent un chiffre d’affaires de plus de 750 millions d’euros doivent, depuis le 1er janvier 2016, déclarer pays par pays leurs résultats économiques, comptables et fiscaux à l’administration fiscale ([112]). Cette obligation, qui concerne environ 300 entreprises en France ([113]), transpose l’action 13 du plan BEPS, qui prévoit que les grands groupes multinationaux réalisent un reporting pays par pays (Country by country reporting – CbCR), pouvant faire l’objet d’échanges entre les administrations fiscales ([114]).

En parallèle, la publicité des reporting pays par pays fait l’objet d’une extension croissante. Les banques ainsi que les entreprises des secteurs minier, gazier, pétrolier et forestier sont ainsi soumises à l’obligation de publier le montant des impôts et dividendes qu’elles versent dans le monde ([115]).

Dans le cadre de la discussion de la loi dite Sapin II, en 2016, le législateur a tenté d’étendre cette obligation à l’ensemble des grandes entreprises ; ces dispositions ont néanmoins été censurées par le Conseil constitutionnel au motif qu’elles portaient une atteinte manifestement disproportionnée à la liberté d’entreprendre ([116]).

● La directive 2021/2101/UE du 24 novembre 2021 du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2013/34/UE du 26 juin 2013 en ce qui concerne la communication, par certaines entreprises et succursales, d’informations relatives à l’impôt sur les revenus des sociétés prévoit toutefois de renforcer ces obligations de transparence.

En vertu de ses dispositions, dont la transposition interviendra avant le mois de septembre 2023 par voie d’ordonnance ([117]), environ 6 000 entreprises – au niveau de l’Union européenne – dont le chiffre d’affaires excède 750 millions auront l’obligation, avant le 30 juin 2026, de publier un document décrivant, entre autres, la nature de leurs activités, le nombre de salariés qu’elles emploient, les montants de leur chiffre d’affaires, de leurs bénéfices et de leurs bénéfices non distribués, ainsi que de l’impôt sur leurs revenus pour chaque État membre de l’Union européenne et chaque pays figurant sur la liste de l’Union européenne relative aux pays et territoires non coopératifs. Pour ce qui concerne leurs établissements dans des pays n’étant pas membres de l’Union européenne et ne figurant pas sur la liste mentionnée précédemment, les entreprises n’auront pas l’obligation de publier ces informations.

Certaines entreprises concernées par ces dispositions font valoir que rendre publiques des informations de cette nature peut porter atteinte à leur modèle d’affaires et les fragiliser face à leurs concurrents, qui disposeraient ainsi de données sur leur stratégie financière. C’est pour cette raison que cette directive laisse aux États des marges de manœuvre pour réaliser sa transposition et aménage une clause de sauvegarde. Celle-ci permettrait aux entreprises de différer de cinq ans la publication d’informations portant gravement préjudice à leur position commerciale.

Les rapporteurs considèrent à l’inverse qu’une plus grande transparence est indispensable pour contraindre les entreprises à rendre des comptes et encourager les comportements vertueux. Les avocats fiscalistes auditionnés par les rapporteurs ont à ce titre souligné le fait que la fiscalité des entreprises est une matière médiatique et que les leviers réputationnels sont devenus au moins aussi puissants que les outils anti-abus traditionnels mobilisés par les services du contrôle fiscal.

Pour cette raison, les rapporteurs considèrent que le champ des obligations prévues par la directive 2021/2101 pourrait être étendu dans un second temps à des entreprises de taille inférieure et à l’ensemble de leurs activités, y compris hors de l’Union européenne.

Par ailleurs, le champ des informations publiées pourrait être élargi. Compte tenu du rôle important des actifs incorporels dans les stratégies d’optimisation des entreprises, les rapporteurs estiment que les entreprises devraient être tenues de communiquer plus largement sur le lieu où ils sont localisés. Il en va de même pour les aides publiques qu’elles reçoivent, qui pourraient faire l’objet d’une plus grande transparence.

Cependant, la jurisprudence du Conseil constitutionnel et la nécessité de concilier l’objectif de lutte contre la fraude et le principe de liberté d’entreprendre ne permettraient vraisemblablement pas d’aller plus loin que les dispositions de la directive ; en vertu du principe de primauté du droit de l’Union européenne sur les normes nationales, cette voie sera néanmoins ouverte lorsque ses effets seront évalués par la Commission européenne et que sa révision sera envisagée.

Proposition n° 7 : Renforcer la transparence fiscale des entreprises : après la mise en place de la révision de la directive 2021/2101, évaluer l'extension du champ du CbCR public aux entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 750 millions d’euros et à l’ensemble des activités hors Union européenne des entreprises ; rendre obligatoire pour ces mêmes entreprises la publication d’une information sur la localisation des actifs incorporels de ces mêmes entreprises.

 

Proposition n° 8 : Rendre progressivement obligatoire pour les entreprises la publication des aides publiques reçues.

● La transparence fiscale des entreprises est par ailleurs étroitement liée au dialogue social et à la responsabilité sociale des entreprises. Entendue par les rapporteurs, la CFDT a ainsi indiqué que les pratiques d’évitement fiscal génèrent des distorsions dans le partage de la valeur et conduisent à éluder des bénéfices qui ne peuvent être redistribués aux salariés. Elle propose ainsi d’intégrer la politique fiscale des entreprises au dialogue social. Les rapporteurs considèrent à cet égard qu’il pourrait être opportun d’étudier quelles modalités pourraient être retenues pour renforcer le droit de contrôle des salariés sur la politique fiscale de l’entreprise.

Proposition n° 9 : Étudier la possibilité et les conditions d’un droit de contrôle des salariés renforcé concernant la politique fiscale de l’entreprise.

B.   Les modalités nationales d’imposition des profits des entreprises

Au-delà des réformes conduites au niveau international, l’analyse des facteurs expliquant les différentiels de fiscalité entre entreprises peut conduire à débattre sur l’opportunité de modifier le droit national en matière d’imposition des bénéfices.

1.   Faut-il taxer différemment les revenus des entreprises ?

Les auditions menées par la mission d’information ont été marquées par de nombreuses propositions qui n’ont pas été analysées de la même manière par les rapporteurs.

Les développements ci-après portent par conséquent sur l’appréciation individuelle de chacun des rapporteurs s’agissant de l’imposition des revenus des entreprises.

● Pour tenir compte de la capacité plus importante des grandes entreprises à optimiser leur impôt, voire, comme il a été démontré plus haut, à l’éviter, il peut en premier lieu être envisagé d’approfondir la progressivité de l’impôt sur les sociétés – qui ne repose pour l’heure que sur l’application d’un taux réduit pour les petites entreprises.

Cette idée, que soutient le rapporteur M. Éric Coquerel, pourrait se justifier à deux égards.

Premièrement, la progressivité de l’impôt n’est pas une notion nouvelle s’agissant de la fiscalité applicable aux entreprises, dans la mesure où le taux effectif de la CVAE varie en fonction du chiffre d’affaires. La suppression de cet impôt en 2024 aura donc pour effet d’amoindrir la progressivité du système fiscal et justifierait d’ajuster les modalités d’imposition des bénéfices des entreprises.

En second lieu, s’il convient de ne pas confondre l’entreprise comme personne morale et ses actionnaires en tant que personnes physiques, l’impôt sur les sociétés interagit avec l’impôt sur le revenu et permet de taxer une partie du revenu des foyers les plus fortunés, principalement composé des bénéfices non distribués tirés des sociétés qu’ils contrôlent (cf. supra A du I).

À cet égard, il ressort des travaux de l’IPP que la fiscalité de ces revenus repose en grande partie sur l’IS et que son taux proportionnel, plus faible que le taux marginal de l’IR, explique la raison pour laquelle le système fiscal est régressif pour les ménages situés au-delà du seuil des 0,1 % des plus aisés.

Les travaux de l’IPP sur l’impôt des milliardaires

Les travaux de l’IPP sur la taxation des plus fortunés apportent un éclairage sur le rôle que joue l’IS dans l’imposition des ménages situés au sommet de la distribution des revenus.

Une note publiée en juin 2023 propose ainsi de définir une nouvelle modalité de mesure de la capacité contributive des foyers fiscaux, distincte du revenu fiscal de référence, en tenant compte de « l’ensemble des revenus réalisés et contrôlés effectivement par [un] foyer fiscal ». Ce revenu économique intègre par conséquent les cotisations sociales non contributives et les bénéfices des sociétés contrôlées par les foyers fiscaux. En retenant cet indicateur, l’IPP démontre qu’en 2016 les impôts personnels revêtaient un caractère progressif pour 99,97 % des ménages ; passé ce seuil (correspondant à un seuil de revenu économique de 600 000 euros), ils devenaient ensuite fortement régressifs et ne représentaient plus que 2 % du revenu économique des 378 ménages les plus aisés. Ce résultat s’explique par le fait « qu’à mesure que l’on s’élève dans la distribution des revenus, les foyers fiscaux reçoivent de plus en plus de revenus par le biais de bénéfices des sociétés qu’elles détiennent, sans pour autant décider de se distribuer tous ces bénéfices ».

Cette régressivité est en partie compensée par l’IS, dont le taux s’élevait à 33,33 % en 2016 et qui permettait d’atteindre un taux d’imposition effectif global atteignant 46 % pour les 0,1 % des plus riches. Toutefois, en tenant compte des bénéfices perçus dans des sociétés contrôlées dans des pays à plus faible fiscalité, ce taux régresse à partir d’un seuil correspondant aux 0,02 % les plus riches jusqu’à atteindre 26,2 % pour les 0,0002 % les plus riches.

Source : Institut des politiques publiques, Quels impôts les milliardaires paient-ils ?, note n° 92, juin 2023.

Cette distorsion pourrait être corrigée en instaurant un barème progressif à l’impôt sur les sociétés, qui pourrait reposer soit sur la création de taux d’imposition différenciés en fonction de tranches de bénéfices, soit sur l’instauration de taux additionnels applicables en fonction du chiffre d’affaires des entreprises.

La progressivité de l’impôt sur les sociétés pourrait de surcroît reposer sur un changement radical de la philosophie de ce prélèvement, en faisant varier le poids de l’impôt en fonction de l’usage qui est fait par les entreprises de leurs bénéfices. Selon ce principe, une entreprise pourrait ainsi être incitée à réinvestir ses profits dans des projets servant la transition écologique ou une hausse de la rémunération de ses salariés. Cette réforme s’inscrirait dans un contexte d’enrichissement progressif des obligations environnementales et sociales incombant aux entreprises, dont l’objet social a d’ailleurs été modifié par la loi dite PACTE ([118]).

Le rapporteur M. Jean-René Cazeneuve estime en revanche que ces différentes options ne seraient pas opportunes pour plusieurs raisons. En premier lieu, le taux de l’IS a été ramené à 25 % afin de faire converger la France vers la moyenne européenne – cette baisse n’ayant par ailleurs pas eu pour conséquence de diminuer le produit de cet impôt, dont le rendement a atteint 62,1 milliards d’euros en 2022. Augmenter son taux constituerait donc un signal fortement négatif pour l’attractivité du pays ([119]).

D’autre part, le rapporteur M. Jean-René Cazeneuve considère qu’une imposition progressive des bénéfices n’est pas souhaitable car il n’est pas établi que la capacité contributive d’une entreprise puisse être exclusivement appréciée au regard du montant de bénéfices qu’elle déclare. À ce titre, le parallèle qui peut être dressé entre l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés présente des limites. À cet égard, les chercheurs de l’IPP interrogés par les rapporteurs ont plutôt mis en avant le revenu moyen des actionnaires comme critère permettant de mesurer la richesse d’une entreprise.

S’agissant enfin d’une taxation différenciée des entreprises selon leur comportement, cette idée pose question en matière de respect de l’égalité devant les charges publiques et surtout du principe de liberté d’entreprendre. Cette proposition reviendrait à sanctionner les entreprises en fonction de leurs choix économiques et renverserait les règles traditionnelles de la fiscalité, qui prévoient davantage d’accorder aux entreprises des allégements fiscaux pour les inciter à adopter un comportement particulier. Du point de vue économique, une telle réforme conduirait l’État à orienter très fortement les stratégies des entreprises au détriment des options qu’elles pourraient rationnellement retenir pour assurer leur développement. Les incidences d’une telle réforme sont donc très incertaines et potentiellement massives. Elles pourraient faire perdre de vue la finalité première d’une imposition, qui est de produire des recettes fiscales en fonction de capacités contributives qui peuvent être objectivées.

Enfin, lier le poids de l’IS à l’usage qui serait fait des bénéfices demanderait une adaptation conséquente des règles de liquidation de l’impôt, en conduisant l’administration fiscale à adapter son montant a posteriori, une fois l’assemblée générale des actionnaires réunie.

● Les travaux de la DG Trésor montrent que le CIR est un facteur important pour comprendre le plus faible taux de taxation implicite des bénéfices des entreprises.

Le rapporteur M. Éric Coquerel estime à cet égard qu’il est a minima nécessaire de renforcer l’encadrement de ce dispositif et de limiter le gain que peuvent en tirer les plus grandes entreprises. Il considère par ailleurs qu’il conviendrait a minima de conditionner son bénéfice à l’absence de licenciement de salariés affectés à des fonctions de recherche au cours de l’année durant laquelle les dépenses de recherche ont été exposées.

Lors de son audition, Solidaires finances publiques a insisté sur les faiblesses du CIR, qu’il qualifie de « petit paradis fiscal » de la France. Il a notamment été mis en avant le fait que cet allégement fiscal n’était pas conditionné à l’absence de suppressions d’emplois affectés à des activités de recherche et que certaines entreprises ayant bénéficié du CIR délocalisent leurs brevets à l’une de leur filiale établie dans un territoire à fiscalité privilégiée – ce qui leur permet de déduire de leur assiette les redevances versées à ce titre. La plupart des économistes interrogés par les rapporteurs ont également identifié ce dispositif comme un vecteur d’optimisation fiscale pour les entreprises et une source importante de différentiels de fiscalité.

Un certain nombre d’institutions ont par ailleurs émis des avis particulièrement mitigés sur le CIR. France stratégie, dans un rapport publié en 2019 ([120]), avait par ailleurs conclu à « un besoin d’études complémentaires sur un certain nombre de points importants » en raison d’incertitudes qui persistaient sur le degré d’efficacité du CIR en matière de créations d’emplois, de croissance économique ou d’attractivité du territoire en matière de recherche.

Dans un rapport publié en 2022 ([121]), le CPO jugeait également que le CIR était un « instrument perfectible » pour plusieurs raisons :

– son effet d’entraînement est supérieur pour les PME que pour les grandes entreprises ;

– ses effets n’ont pas été suffisants pour inverser la perte d’attractivité du territoire national ;

– ce dispositif est complexe et peut être redondant avec d’autres aides publiques (notamment les dispositifs budgétaires ciblés sur les PME visant à subventionner les dépenses relatives aux brevets et à la veille technologique).

Le CPO proposait en conséquence trois scénarios d’évolution visant soit à abaisser le plafonnement du CIR soit à le réorienter pour qu’il profite davantage aux PME.

ScÉnarios de rÉforme du cir

 

Modalités

Observations

Option (a)

Suppression du taux de 5 % et abaissement du plafond de dépenses de 100 M€ à 20 M€, avec un taux à 30 % inchangé

Ce scénario entraîne une recette fiscale supplémentaire de l’ordre de 1,6 Md€, qui pourrait être, en partie réorientée vers le financement des aides directes à l’innovation ou vers la recherche publique

Option (b)

Suppression du taux de 5 % et abaissement du plafond de dépenses de 100 M€ à 20 M€, avec un taux augmenté à 40 %

Ce scénario permet de renforcer l’aide fiscale accordée aux PME à coût inchangé

Option (c)

Suppression du plafond de 100 M€ et du taux de 5 % et introduction de trois taux :

40 % pour les PME ;

25 % pour les ETI ;

10 % pour les grandes entreprises.

Ce scénario permet de renforcer l’aide fiscale accordée aux PME à coût inchangé mais risque d’entraîner des effets de seuil, lorsqu’une PME devient une ETI par exemple.

Source : CPO, Redistribution, innovation, lutte contre le changement climatique : trois enjeux majeurs en sortie de crise sanitaire, février 2022.

Le rapporteur M. Jean-René Cazeneuve considère à l’inverse que le CIR est un outil essentiel pour garantir l’attractivité du territoire et que sa limitation serait contre-productive.

Plusieurs travaux font ressortir les effets positifs du CIR en matière de recherche. Une étude publiée par l’Institut des politiques publiques en 2021 ([122]) met ainsi en avant le fait que le recours au CIR par les entreprises s’est accompagné d’une hausse de l’emploi d’ingénieurs ainsi que d’une hausse de leurs investissements incorporels.

De la même manière, le rapport publié en juillet 2021 par les membres du groupe de travail sur le crédit impôt recherche de la commission des finances de l’Assemblée nationale ([123]) démontre que les dépenses de personnel de recherche constituaient en 2018 la dépense éligible au CIR la plus importante (50,2 % des dépenses de recherche et développement).

Ce rapport qualifie plus particulièrement le CIR de dispositif « stratégique » pour le pays et met en avant le fait qu’il constitue un facteur de compétitivité permettant de réduire le coût du travail et de l’utilisation du capital de recherche.

Ces constats ont par ailleurs été partagés par l’Association française des entreprises privées (AFEP) lors de son audition. Cette dernière a souligné que les grandes entreprises françaises effectuent la moitié des dépenses privées de recherche en France et y réalisent 45 % de leur budget de recherche ; à titre de comparaison, elles mobilisent un tiers du coût du CIR.

Le rôle essentiel du CIR pour soutenir les efforts de recherche des startups a aussi été confirmé par France digitale, qui recommandait de surcroît d’accélérer son versement pour répondre aux besoins de trésorerie de ces entreprises.

Le rapporteur M. Jean-René Cazeneuve estime plus largement que les différentes réformes menées depuis le début des années 2010 ont joué un rôle déterminant pour réduire la capacité des grandes entreprises à optimiser leur charge fiscale, et que la réduction des impôts de production a corrigé des écarts de taxation qui pesaient majoritairement sur le secteur industriel. Il considère toutefois, tout comme le rapporteur M. Éric Coquerel, que le fait pour une entreprise française de délocaliser ses brevets dans un pays à plus faible fiscalité est contestable. Ils estiment qu’il serait à cet égard opportun de contraindre davantage les entreprises françaises à enregistrer leur propriété intellectuelle sur le territoire national.

Proposition n° 10 : Inciter ou contraindre plus fortement les entreprises françaises à enregistrer leur propriété intellectuelle sur le territoire national.

2.   Le renforcement des prérogatives du Parlement

Les différents exemples de modification des règles nationales d’imposition des bénéfices des sociétés figurant dans le présent rapport ont presque tous pour point commun de résulter de la transposition de normes européennes ou de prescriptions de l’OCDE. Cela s’explique par le fait que la fiscalité des entreprises est désormais principalement organisée au sein d’instances internationales, ce qui a pour conséquence de réduire considérablement les marges de manœuvre du Parlement en ce domaine. L’exemple de la transposition du pilier 2 en constitue un exemple typique, dans la mesure où sa transposition en droit national sera fortement contrainte par les dispositions de la directive 2022/2523, qui ne laisse que peu de marges de manœuvre aux États membres.

Cette tendance est d’ailleurs renforcée par le fait qu’au-delà des dispositions législatives régissant l’assiette ou le taux de l’IS, l’imposition des revenus des entreprises résulte également de l’application de conventions fiscales qui, quand bien même leur ratification ou leur approbation est autorisée par le Parlement, sont négociées par le pouvoir exécutif.

Les rapporteurs considèrent par conséquent qu’il serait souhaitable de renforcer le rôle du Parlement dans le processus de définition des normes internationales en matière d’imposition des bénéfices des entreprises. Pour y parvenir, ils préconisent d’améliorer l’information des commissions des finances et des affaires étrangères de l’Assemblée nationale et du Sénat sur l’avancée de l’ensemble des négociations menées par la France en matière fiscale.

Proposition n° 11 : Améliorer l’information des commissions des finances et des affaires étrangères du Sénat et de l’Assemblée nationale sur l’avancée des négociations menées par la France en matière fiscale.

Cette proposition n’est pas nouvelle : elle avait déjà été formulée par Mme Bénédicte Peyrol dans le cadre d’un rapport d’information sur l’évasion fiscale ([124]). Ce rapport faisait également remarquer que contrairement à ce que prévoit le règlement du Sénat, qui confie à la commission des finances l’examen des projets de loi demandant la ratification d’une convention fiscale, cette compétence est dévolue à la commission des affaires étrangères à l’Assemblée nationale.

Pour autant, plusieurs arguments plaident en faveur du maintien de cette organisation : en premier lieu, la commission des finances a toujours la faculté de se saisir pour avis de ces projets de loi ; d’autre part la commission des affaires étrangères est par nature un interlocuteur privilégié du ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

C.   le contrôle fiscal

Le contrôle fiscal limite la capacité des entreprises à éviter l’impôt de manière frauduleuse et joue à ce titre un rôle important pour limiter l’apparition de différentiels de fiscalité qui seraient indus.

1.   Les principaux services chargés du contrôle fiscal des entreprises

L’activité des entreprises est étroitement contrôlée par les services des ministères chargés de l’économie et de finances, de l’intérieur et de la justice.

Au sein de la DGFiP, les brigades départementales des directions départementales des finances publiques (DDFiP) et les directions spécialisées de contrôle fiscal (Dircofi) à compétence interrégionale assurent respectivement le contrôle des situations fiscales des petites entreprises et des entreprises de taille moyenne.

Trois services à compétence nationale sont plus particulièrement chargés de traiter les dossiers fiscaux les plus complexes et de contrôler les grandes entreprises : la direction nationale d’enquêtes fiscales (DNEF) principalement chargée de coordonner le dispositif de recherche d’informations fiscales, la direction des grandes entreprises (DGE) chargée du contrôle et du recouvrement des impôts des grands groupes et la direction des vérifications nationales et internationales (DVNI) qui gère les dossiers fiscaux des très grandes entreprises nationales ou internationales et de leurs filiales.

Le portefeuille de la DVNI se compose plus particulièrement de 4 000 groupes et, en tenant compte de leurs filiales, de plus de 100 000 entreprises. Elle compte 500 agents, 25 brigades spécialisées par secteur socioprofessionnel et 11 brigades spécialisées dans le contrôle des comptabilités informatisées et l’audit des systèmes d’information.

Ces services collaborent avec les services judiciaires spécialisés sur les questions fiscales complexes, principalement composés du parquet national financier (PNF), de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF) rattachée à l’office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) et du service d’enquête judiciaire des finances (SEJF).

Le PNF est composé de 42 personnes, dont 19 magistrats, 7 assistants spécialisés, un juriste assistant, un assistant de justice et 14 personnels de greffe. Ses compétences, définies par l’article 705 du code de procédure pénale, recouvrent principalement la lutte contre les infractions touchant à la probité, les atteintes aux marchés financiers, les infractions anticoncurrentielles et les atteintes aux finances publiques ; ces dernières représentant 43 % de ses dossiers.

Pour conduire les enquêtes, le PNF s’appuie sur la BNRDF et le SEJF, respectivement composés de 81 et de 314 agents.

2.   Les outils juridiques de lutte contre l’évitement fiscal et la fraude fiscale

La loi fiscale prévoit un certain nombre d’instruments limitant la capacité des entreprises à éviter l’impôt.

● Ces outils se composent en premier lieu de dispositions permettant de déroger au principe de territorialité de l’impôt et de faire échec aux montages orchestrés par les entreprises pour transférer leurs bénéfices dans des paradis fiscaux.

En premier lieu, les transferts indirects de bénéfices sont réprimés par les dispositions de l’article 57 du code général des impôts, qui prévoit leur réintégration dans la comptabilité de l’entreprise.

Le droit national définit par ailleurs deux catégories de juridictions faisant l’objet d’un régime dérogatoire en matière de fiscalité :

– l’article 238 A du code général des impôts traite des régimes dits à fiscalité privilégiée. Ces derniers sont ceux dans lesquels les entreprises sont assujetties à un impôt sur leurs revenus dont le montant est inférieur ou égal à 15 % ;

– l’article 238-0 A du code général des impôts définit en outre la notion d’États et de territoires non coopératifs (ETNC). La liste des ETNC est dressée chaque année par arrêté des ministres chargés de l’économie et du budget, sur le fondement de critères définis par le droit national relatifs aux échanges d’informations. Elle intègre également les pays qui figurent sur la liste européenne des États non coopératifs (dite liste noire) s’ils facilitent la création de dispositifs extraterritoriaux dépourvus de substance économique réelle et destinés à attirer des bénéfices, ou s’ils ne respectent pas au moins un des critères définis par le Conseil de l’Union européenne en matière de transparence fiscale et d’équité fiscale ([125]).

Ces dispositions ont une incidence importante sur le traitement des entreprises qui réalisent des opérations dans ces deux catégories de juridictions : la réintégration des transferts abusifs est dans ce cas facilitée ([126]) et l’article 209 B du code général des impôts prévoit d’imposer en France les revenus des filiales détenues à plus de 50 % par une entreprise française qui y sont implantées.

● La lutte contre l’évasion fiscale repose en grande partie sur la notion d’abus de droit, qui permet de réprimer les comportements qui pourraient être considérés comme relevant de la « zone grise » mais qui ont pour principal objectif l’évitement de l’impôt.

Prévu à l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, la procédure de l’abus de droit est large et concerne tous les impôts. Elle comprend deux branches :

– la fictivité, lorsque les actes présentés à l’administration fiscale dissimulent la réalité des opérations qui ont été conduites ;

– l’abus par fraude à la loi, qui désigne les montages qui respectent la lettre de la loi mais qui sont contraire à son esprit et qui ont été orchestrés à des fins uniquement fiscales.

L’abus de droit permet donc de sanctionner des pratiques qui ne sont pas manifestement frauduleuses. Cet outil permet à l’administration fiscale de requalifier l’ensemble des actes passés par le contribuable et de prononcer des majorations à hauteur de 80 %.

À cette clause générale s’ajoutent une clause anti-abus spécifique portant sur le régime spécial de fusions ainsi qu’une clause de portée générale appliquée dans le cadre des conventions fiscales internationales.

Cette architecture a par ailleurs été enrichie par la loi de finances pour 2019, qui, par transposition des dispositions de la directive dite ATAD, a créé une clause anti-abus générale en matière d’impôt sur les sociétés ([127]). En vertu de cette clause, l’administration fiscale a la capacité d’écarter un montage ou une série de montages dont l’objectif principal est d’obtenir un avantage fiscal allant à l’encontre de la finalité de la loi applicable ou qui n’est pas authentique ([128]).

● S’agissant de la répression de la fraude, la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude ([129]) a étendu à la matière fiscale la possibilité pour le procureur de la République de conclure une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) ([130]). Cet outil permet de transiger avec l’auteur des faits et d’éteindre l’action publique en échange du versement d’une amende d’intérêt public et de l’obligation de suivre un programme de mise en conformité.

La CJIP est devenue un outil fondamental pour le PNF, qui est à l’origine de 15 des 32 conventions signées depuis 2017 (tous délits confondus). L’ensemble de ces 32 conventions ont permis au Trésor public de recouvrer un montant total de 5 milliards d’euros d’amendes d’intérêt public.

3.   Les résultats du contrôle fiscal

Les données transmises aux rapporteurs montrent que chaque année, plus de 30 000 contrôles réalisés par les différents services de la DGFiP – hors examens de situation fiscale personnelle – permettent de révéler en moyenne annuelle environ 8 milliards d’euros de droits et de pénalités éludés.

Résultats des contrôles fiscaux externes hors examens de situations fiscales personnelles ([131])

 

2018

2019

2020

2021

2022

Nombre de contrôles avec redressements

37 394

34 408

16 120

30 147

31 782

Dont contrôles avec transaction* avant mise en recouvrement

ND

1 854

1 332

2 865

2 766

Montant total des droits et pénalités éludés (en millions d’euros)

8 787

7 236

4 239

7 623

8 634

Montant moyen des droits éludés (en euros)

180 722

162 834

207 268

195 241

205 707

* Les transactions avant mise en recouvrement en CFE sont suivies depuis 2019 avec la publication du rapport au Parlement sur les remises gracieuses et transactions.

Source : Service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal.

● La DVNI a plus particulièrement réalisé 1 128 contrôles par an en moyenne entre 2018 et 2022 (en neutralisant l’année 2020, non significative). Le nombre d’opérations aboutissant à un redressement dépasse 90 %, pour une moyenne de 2,4 milliards d’euros par an de droits nets éludés.

Ces chiffres particulièrement élevés s’expliquent par le fait que la DVNI cible ses contrôles au moyen d’une structure d’analyserisque qui lui est propre. Il a ainsi été indiqué aux rapporteurs que la programmation de la DVNI répond au double objectif d’une présence permanente ou quasi-permanente sur les dossiers à forts enjeux et d’une présence sur les dossiers présentant des risques fiscaux (changements de comportement, restructuration de l’entreprise, délocalisation d’une activité etc.).

L’analyse des prix de transfert constitue par ailleurs un axe principal de détection de la fraude : les entreprises qui supportent des charges financières importantes et liées à des sociétés financières implantées à l’étranger, celles supportant des redevances de marque importantes ou encore celles présentant des ratios financiers faibles sont donc principalement ciblées.

Ces contrôles s’appuient également, en application du droit communautaire, sur les échanges d’information entre administrations fiscales, portant sur les comptes financiers, les rescrits ou encore les montages déclarés par les intermédiaires financiers (cf. supra B du I).

● De manière plus générale, la programmation des contrôles des services de l’administration fiscale s’appuie de plus en plus sur les outils de data mining, dans le cadre des projets « Ciblage de la fraude et valorisation des requêtes » (CFVR), et « PILAT » qui vise plus particulièrement à permettre un suivi de bout en bout des dossiers fiscaux et d’optimiser l’utilisation des données collectées dans le cadre du CFVR.

Les syndicats auditionnés par les rapporteurs ont tous présenté un bilan mitigé de l’usage plus important de l’intelligence artificielle, qui, selon eux, génère une perte de connaissance du terrain et justifie des réductions d’effectifs conduisant à diminuer l’intensité des contrôles pour certains secteurs d’activité. À titre d’exemple, le nombre total d’agents affectés à la DVNI, s’élevant à 489 en 2018, diminue progressivement et s’élevait à 477 en 2022. La question des moyens alloués aux services de contrôle a donc particulièrement été mise en avant, notamment en raison du niveau d’expertise que requiert l’analyse des prix de transfert.

Les rapporteurs considèrent à cet égard que l’octroi d’effectifs supplémentaires affectés au contrôle fiscal des entreprises est nécessaire.

les syndicats auditionnés par les rapporteurs préconisent de surcroît de réinvestir l’outil des contrôles aléatoires. Selon eux, cette méthode permet de lutter contre le formatage des contrôles et surtout de collecter des chiffres permettant de mieux mesurer la fraude fiscale.

Les moyens alloués au contrôle fiscal devraient par ailleurs être renforcés à hauteur de 1 500 ETP dans le cadre du plan de lutte contre la fraude fiscale annoncée par le ministre chargé des comptes publics en mai 2023. Ce plan comporte en outre plusieurs mesures susceptibles de renforcer la lutte contre l’évasion fiscale des grandes entreprises. Il est ainsi envisagé d’étendre le délai de reprise dont dispose l’administration pour rehausser le résultat d’une entreprise pour les transferts d’actifs incorporels difficiles à évaluer, d’abaisser le seuil d’obligation de présenter une documentation de prix de transfert et de rendre opposable aux entreprises cette documentation. S’agissant de l’évaluation de la fraude, ce plan prévoit la création d’un Conseil de l’évaluation, présidé par le ministre, qui sera chargé d’estimer le montant annuel de la fraude fiscale évitée.

Les auditions menées par les rapporteurs les conduisent à formuler une recommandation qui pourrait utilement enrichir les mesures de ce plan.

En matière de répression de la fraude fiscale, la BNRDF a souligné la rotation importante de ses effectifs – peu compatible avec la durée d’activité nécessaire pour atteindre une pleine maîtrise des dossiers – et ses difficultés pour pourvoir les postes ouverts en son sein.

Le PNF a également fait part aux rapporteurs de l’importance de recruter des profils de haut niveau pour analyser les affaires les plus complexes en matière d’atteinte aux finances publiques. Si le PNF estime que son équipe pourrait encore être renforcée pour être composée de 24 ou 25 magistrats, il insiste par ailleurs sur la nécessité de disposer de moyens pour recruter des assistants spécialisés dont l’expertise est essentielle pour analyser les dossiers. Pour répondre à ce besoin, les rapporteurs estiment qu’il pourrait être créé à son profit un fonds de concours alimenté par une partie des amendes d’intérêt public perçues dans le cadre des CJIP et affecté à la rémunération des personnels contractuels qu’il recrute.

Proposition n° 12 : Renforcer les moyens humains et techniques du PNF, des services d’enquête et des services chargés du contrôle fiscal.

 

 

 


—  1  —

   conclusion de M. Éric coquerel

La politique fiscale menée ces dernières années vis-à-vis des entreprises s’est axée sur des baisses d’impositions doublées d’aides massives et non-conditionnées. Cette vision, qui correspond à une politique de l’offre, n’est pas la mienne.

Ce désaccord global rappelé, précisons que cette mission ne porte pas dessus mais sur l’étude la plus objective possible de la réalité, la nature et les causes des différentiels de fiscalité entre entreprises.

Cette volonté faisait notamment suite au rapport de l’Institut des politiques publiques (IPP) qui s’était déjà penché en 2019 sur l’hétérogénéité des taux d’imposition implicites des profits en France entre 2005 et 2015. L’IPP avait alors constaté des divergences significatives d’imposition implicite en lien avec la taille des entreprises, en particulier jusqu’à la fin des années 2000, mais avec des écarts persistants dans le temps.

Selon cette étude, le taux d’imposition implicite brut avant report était en 2015 de 17,8 % pour les grandes entreprises contre 23,7 % pour les PME ; une différence de taux à l’opposé de ce que voudrait le sens commun, les grandes entreprises contribuant ainsi proportionnellement moins que les petites et les moyennes. Les taux des microentreprises (22,6 %) et des ETI (20,5 %) étaient d’ailleurs eux aussi plus importants que celui des grandes entreprises.

Les travaux de notre mission nous ont permis de dresser plusieurs constats importants. D’abord, les principales études ayant porté sur ce sujet (celle de la direction générale du Trésor en 2011, du CPO en 2017 et de l’IPP en 2019) confirment, malgré leurs divergences de méthodes, que le taux implicite de taxation des bénéfices des grandes entreprises était significativement inférieur à celui des entreprises de plus petite taille.

Si les différentes études laissent apparaître une réduction sensible de cet écart, certains éléments ouvrent l’hypothèse qu’il reparte ensuite à la hausse en raison des choix politiques effectués depuis lors, comme la baisse de l’impôt sur les sociétés, la suppression de la CVAE ou encore l’inflation en cours. Par ailleurs, des disparités particulièrement importantes ont été observées par secteurs d'activité et surtout entre les entreprises multinationales et les autres.

On observe en effet des écarts de taux implicites au sein même des différentes catégories d’entreprises, particulièrement marquées pour les grandes entreprises (voir p. 65). Ainsi, en 2015, la moitié des grandes entreprises avaient un taux implicite d’imposition compris entre 6,8 % et 27,5 %, contre 11,6 à 32 % pour les PME.

Ensuite, les données obtenues auprès de la DGFiP (voir p. 66) nous ont également permis de constater de fortes disparités au sein des entreprises du CAC 40. Pour l’année 2021 par exemple, la moitié d’entre elles a déclaré un montant d’impôt sur les sociétés inférieur à 18 millions d’euros contre une moyenne de 191 millions au sein du CAC 40. Se confirme aussi un IS bien inférieur à ce qui aurait pu être attendu au regard de certains résultats.

Venons-en maintenant aux facteurs explicatifs de ces écarts.

Les études de la DG Trésor, du CPO et de l’IPP ont toutes pointé l’importance de la déductibilité des charges d’intérêts (cf. p. 70). En effet, les grandes entreprises empruntent plus et plus facilement que les PME, pour qui c’est donc la double peine : non seulement il est généralement plus difficile pour elles d’obtenir des prêts, mais en plus cela contribue à les désavantager par rapport aux grandes entreprises en termes d’imposition.

Ces effets ont été peu à peu atténués entre 2007 et 2019, principalement en raison de la baisse des taux d’intérêt et de la mise en place par le droit français et européen de plus d’encadrement des modalités de déduction de ces charges.

Si les montages d’optimisation fiscale importants (consistant à constituer des holdings financières uniquement dans le but d’en bénéficier) auxquels recouraient ainsi certaines multinationales ont ainsi été limités et plafonnés avec le temps, ils n’ont pour autant pas été totalement empêchés. Par ailleurs, la hausse actuelle des taux d’intérêt (postérieure aux données exploitées pendant cette mission d’information) risque de relancer ce phénomène à la hausse.

Autre facteur d’écart, des dispositifs de type crédits et réductions d’impôts, auxquels l’ensemble des entreprises a théoriquement accès mais dont les grandes entreprises peuvent généralement plus facilement tirer parti. Les représentants de la DGFiP nous ont ainsi expliqué que la capacité à bénéficier des crédits d’impôts est une des particularités des grandes entreprises, notamment en raison de leurs capacités d’ingénierie fiscale et de l’absence de plafonnement des crédits et réductions d’impôts. L’étude de l’institut Rexecode parue le 12 juillet 2023 confirme entre autres ce constat, estimant que la multiplicité de dispositifs pénalise en premier les entreprises les plus petites, « pas toujours en mesure de souscrire aux dispositifs auxquels elles sont éligibles ». 

Jusqu’en 2019, c’est le CICE qui était le crédit d’impôt le plus important en termes de coût pour l’État. Près d’un tiers de son montant bénéficiait aux grandes entreprises tandis qu’un autre tiers bénéficiait aux PME. Sa transformation en allégement de cotisations à partir de 2019 fut désavantageuse pour les microentreprises et les PME, si on se concentre sur le taux implicite d’imposition net (bien que son effet soit neutre si on prend en compte l’ensemble des prélèvements obligatoires), puisque le CICE était le principal facteur permettant de diminuer ce taux pour ces deux catégories d’entreprises selon la direction générale du Trésor.

L’autre crédit d’impôt ayant un effet important sur ce que paient les entreprises est le crédit d’impôt recherche (CIR). Les auditions que nous avons menées ont permis de pointer que ce crédit d’impôt est difficile d’accès pour les petites entreprises (notamment en raison de la complexité des démarches à effectuer pour l’obtenir), tandis que les grandes entreprises en profitent allègrement  à la fois parce qu’elles peuvent se permettre de consacrer du temps et du personnel qualifié pour effectuer ces démarches, mais aussi tout simplement en raison du plus grand volume de dépenses qu’elles avancent pour la recherche. La DGFiP nous a ainsi confirmé que le CIR bénéficie principalement (à 36 %) aux grandes entreprises, à hauteur de 7,2 milliards d’euros en 2021. Les chiffres de la DG Trésor nous ont également permis de constater que ce crédit d’impôt à lui seul leur permet de diminuer leur taux implicite d’imposition net de 5,4 points, contre seulement 2,5 et 3,6 points pour les microentreprises et les PME.

L’importance des montants ainsi alloués aux grandes entreprises est d’autant plus gênante qu’elle ne s’accompagne pas de conditionnalités a posteriori, et ne permet par exemple pas de garantir que les postes de chercheurs existants ne soient pas supprimés par ces mêmes entreprises. Le cas emblématique du groupe Sanofi l’illustre bien, lui qui bénéficie du CIR à hauteur d’une centaine de millions d’euros par an mais a pourtant supprimé des centaines d’emplois dans la recherche ces dernières années. En avril dernier, 135 nouvelles suppressions de postes ont ainsi été annoncées malgré une hausse de résultat net du groupe de 17 % en 2022 par rapport à 2021.

Enfin, nous avons également noté le cas de la réduction d’impôt mécénat, qui concerne les dons réalisés par des entreprises à des organismes sans but lucratif pour l’exercice d’activités d’intérêt général. La Cour des comptes explique que les grandes entreprises sont mieux outillées pour développer une stratégie de mécénat (cf. p. 80).

Le différentiel de fiscalité entre entreprises se joue aussi via les dispositifs utilisés par certaines entreprises dans des buts d’optimisation, d’évitement de l’impôt voire de fraude fiscale. Se mêlent ici des pratiques légales (qui peuvent dans certains cas nous faire questionner les règles actuellement en place) à des situations plus à la limite de la légalité voire complètement en dehors. L’existence de ces différentes pratiques rend encore plus complexe une évaluation et une comparaison juste des taux implicites d’imposition payés par les entreprises, étant donné qu’elles permettent de jouer artificiellement sur l’assiette fiscale à partir de laquelle sont calculés ces taux.

Certaines modalités d’imposition permettent de fait de faire bénéficier d’avantages conséquents certaines grandes entreprises, plus particulièrement certaines multinationales. C’est le cas du régime d’intégration fiscale et du régime « mère-fille ». Ce dernier permet par exemple d’exonérer les dividendes versés à la société mère en échange de la réintégration d’une quote-part pour frais et charge s’élevant à 5 %. À ce régime s’ajoute la neutralisation des plus-values de cession des titres de participation de la société mère, sous réserve de la réintégration d’une quote-part de 12 % (cette disposition étant plus communément nommée « niche Copé »).

Si le régime mère-fille est présenté comme permettant d’éviter une double imposition des produits de participation, il a néanmoins été décrié par plusieurs auditionnés (économistes, associations, syndicats) avec le régime de l’intégration fiscale en raison des pratiques d’optimisation problématiques qu’il permet. De fait, ils sont très coûteux pour les finances publiques puisque le régime mère-fille a réduit à lui seul de 20 milliards d’euros les recettes de l’IS en 2021, et que l’imposition des groupes intégrés conduit à une perte de 16,5 milliards d’euros par rapport à une situation où l’ensemble des sociétés membres d’un groupe feraient l’objet d’une imposition séparée.

À ces régimes dont l’usage est discutable en termes de justice fiscale mais bien légal, s’ajoutent des pratiques d’évitement fiscal. Plusieurs économistes que nous avons interrogés, comme Gabriel Zucman, Sébastien Laffitte ou Vincent Vicard du Cepii (Centre d'études prospectives et d'informations internationales), se sont accordés à nous lister trois principaux types d’instruments utilisés à cette fin :

 la manipulation des prix de transfert dans les échanges entre filiales ;

 le transfert de dettes intragroupes dans des territoires à fiscalité faible ;

 la localisation des actifs incorporels (brevets, propriété intellectuelle de manière générale) dans des territoires à fiscalité faible.

Ces pratiques, comme l’usage des régimes susmentionnés, sont plus particulièrement l’apanage des grandes entreprises et surtout des multinationales aux structures complexes – bien que les autres types d’entreprises puissent aussi recourir à des pratiques d’évitement à leurs échelles. C’est ce que montrent notamment les études du Cepii sur les multinationales, qui montrent que celles ayant une structure de détention verticale et un grand nombre de filiales ont une plus grande faculté à éviter l’impôt, puisque c’est ce qui leur permet de transférer leurs profits vers des pays à plus faible fiscalité.

Nous avons également noté que les entreprises ayant leur siège à l’étranger sont davantage susceptibles d’orchestrer ce type de stratégies d’évitement, mais aussi que les entreprises du secteur du numérique posent particulièrement problème, en raison de l’importance de leurs actifs incorporels. Les représentants de la DGFiP que nous avons auditionnés estiment en effet que parmi les entreprises ne payant pas leur juste part d’impôt celles du secteur du e-commerce et de la commercialisation de données sont en bonne place.

Ainsi, certaines de ces entreprises parviennent à faire des montages leur permettant arbitrairement de ne déclarer en dehors du pays où se situe leur siège que 2 % de bénéfice sur leur chiffre d’affaires réalisé dans chaque pays. Tandis que celles ayant leur siège et leurs actifs en France sont imposées de fait sur une part bien plus importante de leur chiffre d’affaires, même lorsqu’il s’agit d’entreprises exerçant dans les mêmes domaines.

La taxe sur les activités numériques des entreprises mise en place en 2019 reste peu efficace, vu qu’elle s’applique tout autant aux entreprises françaises qui payaient déjà leurs impôts, comme Leboncoin, qu’aux GAFA – en plus d’avoir une portée bien trop réduite et de ne traiter le souci de l’évitement fiscal des GAFA qu’en surface.

Au-delà de ce qui relève de l’optimisation ou de l’évitement, il y a l’évasion fiscale et la fraude à proprement parler. Entre les deux, une sorte de « zone grise » souvent évoquée lors de nos auditions, avec certaines pratiques dont il n’est pas toujours aisé de déterminer le caractère légal ou non, ne serait-ce que lorsqu’elles tordent le sens initial d’une loi pour de pures raisons fiscales.

Un des problèmes de la fraude et de l’évasion fiscale, que le syndicat Solidaires estime à un montant compris entre 80 et 100 milliards d’euros par an, est qu’elles sont par nature difficile à évaluer et donc à prendre en compte dans nos comparatifs. À cela s’ajoute le manque de moyens humains pour lutter contre cette fraude, comme l’a notamment montré le rapport spécial de la députée Charlotte Leduc sur l’évasion fiscale, et comme l’ont regretté de nombreux acteurs du secteur ayant été interrogés lors de nos auditions.

Des syndicalistes de la DGFiP ont à ce titre même fait remarquer que toutes les grandes affaires d’évasion fiscale récemment sorties l’ont été via des consortiums de journalistes, et non via l’administration fiscale qui n'a selon eux plus suffisamment de moyens humains pour y parvenir.

Ce manque de moyens pose notamment problème pour contrôler les prix de transfert (qui sont un outil central de l’évitement de l’impôt pour les multinationales) selon la CFDT. Celle-ci constate une baisse du nombre d’enquêteurs telle que certains secteurs d’activités ne sont de ce fait plus contrôlés, et que les agents souffrent d’une véritable perte de transmission de compétence et de savoir-faire.

Enfin, ce manque de moyens humains ne concerne pas uniquement la DGFiP mais toutes les strates de la lutte contre l’évasion et la fraude. C’est ce que nous ont par exemple décrit les représentants du parquet national financier, qui ont exprimé le besoin de recrues supplémentaires (magistrats et assistants juridiques) et regrettent également le manque d’effectif au niveau des services d’enquête.

Les représentants de l’OCLCIFF nous ont confirmé ce problème de sous-dimensionnement chronique des services d’enquête par rapport à la masse d’informations à traiter et aux outils juridiques et techniques dont ils sont censés disposer mais dont l’utilisation est entravée par le manque de moyens humains. Ils notent notamment un problème d’attractivité donnant lieu à des cas constants de postes non pourvus et de départs d’enquêteurs.

Face à cet ensemble de problèmes constatés qui aggravent la réalité du différentiel entre la fiscalité des grandes (en particulier les multinationales complexes) et des petites entreprises, il convient de se pencher sur les mesures politiques appliquées ces dernières années, et sur ce qui pourrait l’être à l’avenir. Je rappelle que les récents changements de règles fiscales sont bien mentionnés dans ce rapport, mais n’ont pu être pris en compte dans les comparatifs chiffrés de fiscalité, puisque la plupart des données traitées à ce jour ne couvrent pas les dernières années d’exercice.

Les décisions politiques de ces dernières années concernant la baisse des taux de l’impôt sur les sociétés ou la suppression de la CVAE, que j’estime néfastes en matière de justice fiscale et de perte de recettes, ne corrigent pas non plus les différentiels pointés dans notre rapport. Selon le rapport rendu à notre demande par le CPO en juin dernier, il apparaît probable que le différentiel de taux implicite brut qui subsistait en 2019 entre grandes entreprises et PME se soit accru entre 2019 et 2022, en raison des modalités de mise en œuvre de la réduction du taux statutaire de l’impôt sur les sociétés. Je rappelle également que la CVAE ne touchait que les entreprises au chiffre d’affaires supérieur à 500 000 euros, que le gain de la suppression de sa part régionale a bénéficié à 26 % aux plus grandes entreprises et qu’il est capté aux deux tiers par les 10 000 plus grandes entreprises. Même si nous n’avons pas encore les données permettant de le démontrer, il paraît donc évident que cette suppression avantage encore les grandes entreprises.

En parallèle de ces changements des règles nationales, d’autres se sont également déroulés ou sont actuellement en discussion au niveau européen et international. À ce sujet, l’économiste Gabriel Zucman notait que les différentes politiques et accords internationaux mis en œuvre pour endiguer les problèmes de délocalisation des bénéfices multinationaux dans les paradis fiscaux (environ mille milliards d’euros concernés, soit 40 % des bénéfices totaux) n’ont pas permis d’endiguer le problème mais seulement de stabiliser cette fraction de 40 %.

Notre mission d’information s’est donc penchée sur les accords européens en matière de transparence fiscale, les projets d’harmonisation d’assiette, et les négociations en cours au niveau de l’OCDE pour parvenir à instaurer une imposition minimale des bénéfices des multinationales à un taux effectif de 15 %, à travers ce qu’on appelle les piliers 1 et 2.

Bien que ces deux « piliers » soient au centre des discussions et puissent apparaître comme un premier pas en avant, ils sont loin d’être exempts de critiques et laissent voir beaucoup de limites, voire de risques d’effets contre-productifs sur certains points. Non seulement cette taxation est de toute façon bien en dessous du taux français de 25 % (et de la moyenne de l’OCDE), mais en plus certains craignent qu’elle puisse avoir un effet inverse et encourager des pays comme la France à baisser leur taxation pour s’approcher de ce taux de 15 %.

De surcroît, les États-Unis rendent les négociations difficiles et ont aménagé des dispositions favorisant les entreprises, et les nombreuses exemptions prévues vont limiter considérablement les effets et la portée des deux piliers. Je pense notamment aux « exceptions de substance » pointées du doigt par plusieurs économistes interrogés lors de nos auditions. Comme l’explique par exemple Gabriel Zucman, le pilier 2 contient en effet une niche fiscale colossale en cela qu’il permet d’exclure de l’assiette concernée les bénéfices correspondant à une activité économique réelle. Il risque d’encourager la concurrence fiscale internationale et l’implantation d’effectifs dans des territoires à faible fiscalité (comme aux Pays-Bas ou en Suisse par exemple).

Le pilier 1 quant à lui, s’il aboutit, concernerait malheureusement très peu de sociétés (moins d’une centaine) et très peu de bénéfices (entre 13 et 36 milliards de dollars par an au total au niveau mondial, soit des sommes très faibles pour chaque pays).

Face aux limites et à la précarité des solutions proposées à ce stade au niveau international, j’estime que la France doit prendre dans la mesure du possible des initiatives unilatérales, qui pourraient avoir un effet d’entraînement positif pour les autres pays. C’est ce que proposent l’économiste Gabriel Zucman ou encore l’association ATTAC, qui suggèrent de régler entre autres les problèmes de prix de transfert et d’optimisation liée au régime mère-fille en mettant en place une taxation unitaire et créer ainsi un impôt compensatoire. Elle permettrait de faire atteindre la norme de 25 % aux entreprises étrangères en ventilant le déficit fiscal au prorata des ventes effectuées dans les différents pays. Cette solution, que je propose de mettre en œuvre, serait selon Gabriel Zucman tout à fait viable et applicable, même unilatéralement, puisque l’OCDE fixe un plancher mais pas de plafond de taxation.

Plusieurs autres mesures importantes devraient être mises en place pour améliorer à la fois la lutte contre l’évitement et l’évasion fiscale, mais aussi mettre fin aux différentiels de fiscalité et rendre la fiscalité française plus juste. Cela devra nécessairement passer, entre autres, par des augmentations majeures des effectifs de l’administration fiscale, mais aussi par des réformes de la fiscalité française, impliquant par exemple la mise en place d’une progressivité de l’impôt sur les sociétés, ou encore la suppression du crédit impôt recherche pour le remplacer par des aides ciblées et conditionnées.

Étant donné l’ampleur de ces différents chantiers et des problèmes auxquels notre pays fait face à ce niveau-là, j’ai fait le choix pour ce rapport d’une série de recommandations en commun avec le co-rapporteur de la mission malgré nos différences de vues – qui pour certaines sont à mes yeux des recommandations a minima, qui auraient au moins l’avantage d’aller dans la bonne direction.

Je propose pour conclure la liste de pistes complémentaires suivantes :

 remodeler en profondeur le crédit impôt recherche, a minima en suivant la recommandation du CPO (option a) pour le réformer : suppression du taux de 5 % et abaissement du plafond de dépenses du CIR à 20 millions d’euros au lieu de 100 millions d’euros. Grâce à la recette fiscale obtenue par la suppression totale ou la réforme du CIR, mettre en place des aides directes et conditionnées (notamment écologiquement et socialement) à l’innovation et à la recherche publique ;

 rendre l’impôt sur les sociétés progressif : les études mentionnées dans ce rapport montrent que le taux implicite de taxation des bénéfices des grandes entreprises était significativement inférieur à celui des entreprises de plus petite taille. Face à ce constat, il me semble souhaitable d’instaurer une progressivité de l’impôt sur les sociétés qui représente une part importante de la fiscalité des entreprises ;

 réduire les taux de la réduction d’impôt liée au mécénat ; 

 mettre en place une taxation dite unitaire ou universelle, permettant de ramener l’imposition de toute entreprise ayant des activités et des clients en France à la norme française des 25 %, via une taxe compensatoire si nécessaire et en ventilant le déficit fiscal au prorata des ventes effectuées dans les différents pays ;

 renforcer les règles qui régissent la localisation des sièges sociaux et notamment leur transfert à l’étranger lorsque les centres de production sont en France ;

 instaurer une obligation de publicité des comptes des multinationales pays par pays ;

 augmenter les effectifs de la DGFiP : faire un moratoire sur les suppressions de postes effectuées dans le contrôle fiscal et planifier l’embauche de 4 000 agents ;

 créer un programme permettant à la DGFiP d’effectuer des contrôles fiscaux aléatoires ;

 augmenter le budget et le temps alloué à la formation des vérificateurs et investir pour plus d’attractivité de ces postes indispensables qui subissent trop de turn-over ;

 rappeler dans la loi la clause de la « substance économique » : toute opération dont le but principal est d’échapper à l’impôt est illégale ;

 systématiser les accords préalables bilatéraux en matière de prix de transfert afin de garantir le respect des règles fiscales à appliquer, en particulier pour les entreprises du secteur du numérique ;

 modifier la liste noire française des paradis fiscaux avec deux critères non négociables : tout pays à taux 0 doit être automatiquement sur la liste et tout pays sans registre des bénéficiaires réels doit être automatiquement sur la liste.

 


—  1  —

   conclusion de M. Jean-renÉ cazeneuve

La présente mission d’information avait pour objectif de répondre à une interrogation assez simple : le constat fait il y a environ quinze ans d’une fiscalité pesant relativement plus fortement sur les petites entreprises que sur les grandes est-il toujours valable ? Dans quel sens a-t-il évolué le cas échéant, et pour quelles raisons ?

  1.   Le bilan est sans appel : sur les quinze dernières années, contrairement à certaines idées préconçues, toutes les analyses convergent pour montrer que les écarts de taxation entre catégories d’entreprises se sont largement réduits.

En 2021, les prélèvements obligatoires qui pèsent sur les entreprises sont de 343,2 milliards d’euros, dont 151,5 milliards d’euros pour la fiscalité directe. Nous avons fait le choix de nous focaliser sur le taux implicite d’impôts sur les sociétés pour mesurer l’évolution des différentiels de fiscalité : un indicateur qui a l’avantage de l’efficacité et de la clarté, mais qui ne représente donc qu’une partie des prélèvements obligatoires pesant sur les entreprises.

Trois institutions se sont penchées sur la question des différentiels de fiscalité entre entreprises. Les études de la DG Trésor, du CPO et de l’IPP parviennent toutes à la même conclusion sur la période étudiée (2005-2019) :

– le taux d’imposition entre PME et grandes entreprises s’est largement réduit dans tous les cas (d’un facteur 6 pour la DG Trésor) ;

– le taux d’imposition des grandes entreprises a progressé de l’ordre de 5 points.

 Si l’on retient la méthodologie commune utilisée pour chacune des études, à savoir le taux implicite des entreprises dont l’excédent net d’exploitation est positif (avant report), les chiffres précis sont les suivants :

 

Taux implicite

PME

Grandes entreprises

Écart PME/GE

IPP

2005

27,7 %

2015
23,5 %

2005

10 %

2015

17,8 %

2005

17,7 pts

2015

5,7 pts

CPO

2009

22,6 %

2014

27,4 %

2009

19,2 %

2014

24,3 %

2009

3,4 pts

2014

3,1 pts

DG Trésor

2007

32 %

2019

27,5 %

2007

22 %

2019

25,9 %

2007

9,9 pts

2019

1,6 pts

 

Dans l’étude la plus récente (à partir des chiffres de la DG Trésor, rendus publics par l’étude du CPO publiée en juin 2023), l'écart de taux implicite des entreprises bénéficiaires entre les PME et les grands groupes s'est contracté à seulement 1,6 point en 2019, contre 9,9 points en 2007. L’étude précise d’ailleurs que ce constat d’une nette réduction des écarts de taxation entre catégories d’entreprises est visible quelle que soit la méthode retenue.

  1.   Des réformes nombreuses et ambitieuses sont venues participer au resserrement des différentiels de fiscalité.

Si un écart d’imposition substantiel existait dans les années 2000 entre les grandes entreprises et les PME, de nombreux dispositifs sont venus corriger cette situation, portés par les initiatives des différentes majorités qui se sont succédé et une administration fiscale de très grande qualité. Cette évolution ne doit rien au hasard : elle résulte de choix politiques nationaux et internationaux qui ont eu pour objectif de limiter les capacités des plus grandes entreprises à minorer l’impôt sur les sociétés qu’elles acquittent.

Des dispositifs fiscaux légaux concernant notamment les grandes entreprises ont été encadrés et ont contribué au resserrement des écarts de fiscalité :

 la limitation progressive de la déductibilité des charges financières, notamment par la loi de finances initiale pour 2013 ;

 l’encadrement des modalités de reports des déficits (carry back / carry forward) par les entreprises au début des années 2010. Rappelons à ce sujet que, jusqu’en 2011, aucune limitation temporelle ou de montant n’existait en matière de report des déficits en France, permettant ainsi aux entreprises de réduire sensiblement leur assiette taxable. La France a donc restreint un dispositif qui conférait un avantage conséquent notamment à ses plus grandes entreprises par rapport aux autres pays d’Europe, à des fins d’harmonisation et de justice fiscale ;

 le projet BEPS, lancé en 2013 par le G20, conduit par l’OCDE et associant 120 pays, est constitué de quinze actions destinées à renforcer la lutte internationale contre les pratiques d’évasion fiscale ;

 le droit fiscal de l’Union européenne a fortement évolué sur la dernière décennie, avec des exigences de coopération administrative dans le domaine fiscal, visant une transparence croissante notamment pour les grandes entreprises. À partir de 2011, sept directives dites DAC (directive on administrative cooperation) sont ainsi venues renforcer le système fiscal européen, en matière d’échange automatique d’informations entre États membres, de lutte contre le blanchiment ou encore d’obligations de transparence pour les entreprises multinationales concernant les déclarations pays par pays.

Par ailleurs, les PME bénéficient d’une fiscalité avec des taux réduits ou des exonérations sur un certain nombre de taxes. Par exemple, le taux réduit d’impôt sur les sociétés pour les PME, mis en place en 2001 contribue à équilibrer le poids de la fiscalité des bénéfices entre catégories d’entreprises, et la suppression progressive de l’imposition forfaitaire annuelle jusqu’en 2014 a particulièrement bénéficié aux PME. Plus largement, les dispositifs de taux et d’assiette réduits pour les PME traduisent une volonté politique de soutenir les PME dans leur développement.

  1.   La fiscalité française se rapproche de celle des autres pays européens, afin d’améliorer la compétitivité de nos entreprises.

Par ailleurs, la France a, ces dernières années, engagé un rapprochement de sa fiscalité avec celle des autres pays européens. Si notre pays reste celui en Europe avec le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé en 2023, loin du paradis fiscal décrit par certains, il n’en demeure pas moins que la tendance est à la convergence. Au-delà des initiatives européennes visant à harmoniser les règles d’assiette fiscale (ATAD 1 notamment) et ayant pour objectif d’accélérer la convergence des taux et à lutter contre le dumping fiscal, la France a d’elle-même engagé des réformes visant à rapprocher son taux d’impôt sur les sociétés de la moyenne européenne.

Avec un taux normal d’IS de 33,33 %, la fiscalité pesant sur les entreprises en France était largement pénalisante jusqu’en 2017, freinant ainsi la croissance de nos entreprises et limitant leurs investissements. Le choix de la majorité présidentielle de passer ce taux à 25 % en 5 ans à partir de 2018 était porté par la volonté d’améliorer la compétitivité de nos entreprises et de soutenir les embauches. Le bilan comptable de cette réforme est positif : après une diminution de moitié du rendement net de l'IS entre 2007 et 2016, celui-ci atteint aujourd’hui des niveaux record, avec 62,1 milliards d’euros en 2022, malgré la baisse du taux. Cette réduction de la charge fiscale a donc favorisé une augmentation des recettes fiscales mais également des investissements directs étrangers, contribuant ainsi à l'objectif de plein emploi : pour la 4ème année consécutive, la France est le pays le plus attractif d’Europe pour les projets d’investissements étrangers.

  1.   Des différentiels qui existent davantage entre secteurs d’activité qu’entre catégories d’entreprises.

Si les différentiels de fiscalité sur les bénéfices entre catégories d’entreprises selon leurs tailles se sont largement estompés, il apparaît au demeurant que de tels écarts sont davantage visibles entre secteurs d’activité ou entre entreprises d’une même catégorie de taille. Il ressort des travaux du CPO que dans l'industrie et les services (hors immobilier), les grandes entreprises et les ETI affichent une profitabilité nettement supérieure à celle des PME et des micro‑entreprises, et qu’en revanche, dans la construction, les transports et l'immobilier, cette tendance est inversée. De même, il apparaît que des écarts de fiscalité conséquents existent entre les différentes entreprises du CAC 40. Le poids de grands groupes dans le secteur du luxe modifie également la vision de la rentabilité des différents secteurs. Autrement dit, le poids respectif des différents secteurs dans chaque segment de tailles d’entreprises influe fortement sur le taux d’imposition moyen de ces différents segments.

  1.   La lutte contre la fraude fiscale au cœur de notre politique en faveur d’une plus grande justice fiscale.

La question de l’évitement fiscal a bien entendu été traitée dans le cadre de ce rapport. Rappelons à ce titre que la dynamique en matière de lutte contre la fraude fiscale est encourageante : grâce à l’excellent travail de l’administration fiscale et à la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, un montant record de 14,6 milliards d’euros a été récupéré au titre de l’année 2022.

Le plan de lutte contre la fraude, annoncé il y a peu par le Gouvernement, traduit notre volonté de renforcer le contrôle fiscal des hauts patrimoines et des grandes entreprises, amorcé au lendemain de la crise sanitaire. Augmentation du nombre de contrôles fiscaux, priorité donnée au contrôle des plus grands groupes, hausse des effectifs : jamais autant de moyens et d’ambition n’avaient été mis au service de la lutte contre la fraude fiscale. Précisons aussi, puisqu’il s’agit de l’un des objets de ce rapport, que ce plan comporte des mesures en faveur de la lutte contre l’évasion fiscale des grandes entreprises, notamment en abaissant le seuil d’obligation de présenter une documentation de prix de transfert et de rendre opposable aux entreprises cette documentation. Le plan fraudes devra aussi permettre d’évaluer avec plus de précision le montant de la fraude fiscale en France. Ce sera l’une des missions du Conseil de l’évaluation, présidé par le ministre des comptes publics.

Si l’ambition des avancées législatives successives est de répondre toujours plus précisément à cette problématique, les pratiques d’évitement évoluent dans le temps. D’où la nécessité de renforcer les moyens de notre administration fiscale. Surtout, face à des montages fiscaux de plus en plus complexes, insistons sur la nécessité de soutenir toute initiative à l’échelle européenne ou internationale visant à lutte contre la fraude fiscale : la coopération est ici l’arme la plus efficace.

En matière de lutte contre l’évitement de l’impôt, la France a montré qu’elle pouvait être réactive et se doter de nouveaux outils. Pour la taxation de l’activité des multinationales du numérique, en l’absence d’accord européen, la majorité a mis en place la taxe sur les services numériques, s’élevant à 3 % du chiffre d'affaires réalisé en France. Cet exemple illustre ce que les auditions nous ont bien montré : le comportement de certaines entreprises multinationales dont le siège n’est pas en France est loin d’être exemplaire. Les contrôles doivent donc être renforcés, et les règles de taxation adaptées.

En matière de contrôle fiscal, les pouvoirs des services ministériels se sont développés depuis plusieurs années. La directive ATAD, transposée en loi de finances pour 2019, a créé une clause anti-abus générale en matière d’impôt sur les sociétés, donnant à l’administration fiscale la capacité d’écarter un montage visant à obtenir un avantage fiscal allant à l’encontre de la finalité de la loi applicable. De plus, le recours de plus en plus fréquent à l’analyse des prix de transfert et à des outils de data mining permet de s’adapter à la réalité de l’évitement fiscal. Précisons néanmoins que l’usage de plus en plus fréquent de la collecte de données en ligne ou de l’intelligence artificielle ne doit pas se faire au détriment de l’effectif des services chargés du contrôle fiscal. C’est pourquoi il est important de renforcer les moyens humains et techniques au service de la lutte contre la fraude.

  1.   Les crédits et réductions d’impôts, des outils en faveur d’objectifs de politiques publiques.

Les crédits d’impôts expliquent en partie l’existence de différentiels de fiscalité entre entreprises. Comme nous l’a rappelé la DG Trésor dans le cadre de son audition, ces dispositifs fiscaux ne doivent pas être considérés comme des moyens de bénéficier d’une baisse de l’impôt acquitté mais bien comme des outils concourant à l’atteinte de divers objectifs de politiques publiques. Rappelons les objectifs des deux principaux dispositifs fiscaux :

– le crédit d’impôt recherche, qui bénéficie aux entreprises qui engagent des dépenses de recherche, est un dispositif largement plébiscité qui a permis d’accroître les dépenses de recherche et développement en France. S’il tend à bénéficier en premier lieu aux grandes entreprises, ce constat est logique au regard de leur poids dans la recherche en France. Le CIR vise à soutenir les dépenses d’innovation et participe à conforter l’attractivité économique de notre pays. Plusieurs acteurs auditionnés dans le cadre de la mission d’information ont rappelé à quel point le CIR pouvait s’avérer décisif dans les choix d’investissements d’entreprises étrangères en France, créant ainsi sur notre territoire croissance et emploi ;

– la réduction d’impôt mécénat, qui vient compenser en partie une dépense supplémentaire, bénéficie aussi aux grandes entreprises, dans le but d’encourager le financement d’organismes d’intérêt général. Ce dispositif a été modifié à travers la loi de finances pour 2019, afin de l’encadrer davantage pour les grandes entreprises et d’inciter les PME et TPE à y avoir recours : les entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 2 millions d’euros sont maintenant mieux couvertes.

  1.   Après 2019, une évolution des différentiels de fiscalité qui devrait continuer à se réduire.

Si les études, sur lesquelles se base ce rapport pour conclure à la diminution des différentiels de fiscalité entre entreprises, ne vont que jusqu’à 2019, il est intéressant de se demander ce qu’il adviendra de ces différentiels par la suite.

Certains éléments pourraient générer une hausse éventuelle de ces écarts :

– la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés, qui avait dans un premier lieu davantage bénéficié aux PME en 2018 et 2019, a pu davantage concerner les grandes entreprises entre 2020 et 2022 ;

– l’augmentation des taux d’intérêt depuis l’année 2022 aura pour conséquence l’augmentation des charges financières déductibles. Notons néanmoins que, grâce à l’encadrement de la déduction de charges ces dernières années, le gain tiré par les grandes entreprises de cette situation de hausse de taux d’intérêt sera limité ;

– la suppression progressive de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) devrait bénéficier principalement aux ETI, et dans une moindre mesure aux grandes entreprises.

A contrario, d’autres éléments permettent d’anticiper une poursuite du resserrement des différentiels de fiscalité :

● Outre les mesures prises pour favoriser l'harmonisation fiscale au niveau européen (la directive ATAD, transposée en LFI pour 2019 en France, porte aujourd’hui ses effets en matière de lutte contre les pratiques d'évasion fiscale), les initiatives en cours issues des travaux de l’OCDE vont permettre de faire un pas de plus vers une fiscalité internationale :

– le pilier 2, instaurant un taux minimum d’imposition des bénéfices à 15 %, doit être transposé dans notre droit national dans le cadre du PLF pour 2024. Il concerne les groupes internationaux ou nationaux réalisant un chiffre d’affaires annuel consolidé supérieur à 750 millions d’euros ainsi que l’ensemble de leurs filiales ;

– le pilier 1, instaurant de nouvelles règles de répartition des droits d’imposition des bénéfices des groupes, permettra une plus grande justice fiscale en permettant d’imposer les bénéfices là où ils ont effectivement été réalisés ;

● La baisse de la contribution foncière des entreprises (CFE) devrait bénéficier principalement aux micro-entreprises ;

● Les mesures récentes en faveur des PME devraient également poursuivre ce resserrement :

– en 2021, le bénéfice du taux réduit à 15 % a ainsi été étendu aux entreprises qui réalisent un chiffre d'affaires n'excédant pas 10 millions d’euros (contre 7,63 millions d’euros antérieurement) ;

– depuis la loi de finances pour 2023, ce taux réduit s'applique désormais à la fraction du bénéfice des PME inférieure à 42 500 euros (au lieu de 38 120 euros précédemment) ;

● La mise en place progressive des directives DAC 6 et DAC 7, instaurant respectivement une obligation de divulgation des montages d’optimisation fiscale par les intermédiaires et l’échange automatique de ces déclarations entre les États membres ainsi que de nouvelles obligations déclaratives pour les opérateurs de plateforme, améliorent toujours davantage la norme fiscale à l’échelle européenne.

Ainsi, alors que les différentiels de fiscalité entre entreprises ont été durablement et structurellement resserrés sur la période 2007-2019, nous pensons que les différents facteurs énumérés ci-dessus devraient, au global, confirmer le resserrement des différentiels de taux d’imposition.

  1.   Un bilan positif donc, mais qui ne doit pas nous empêcher de rester vigilants.

Même si ces différentiels se sont considérablement réduits, et même si les efforts d’harmonisation et de lutte contre la fraude fiscale sont au cœur des discussions à l’échelle de l’Union européenne et de l’OCDE, il nous paraît important de rester vigilants. Parce que la fraude et l’optimisation fiscales perdurent et se développent sous d’autres formes, il nous faut amplifier notre lutte contre celles-ci. C’est le sens des 12 propositions que nous formulons. Je suis convaincu que les évolutions récentes et à venir en matière de lutte contre l’évitement fiscal et l’optimisation sont à la hauteur de l’enjeu.

Finalement, cette mission d’information permet de rendre justice à des réformes d’ampleur menées ces dernières années aux niveaux international et national, la plupart du temps discrètement sinon dans l’indifférence générale : leur impact sur notre fiscalité des bénéfices a été majeur. En la matière, les pouvoirs publics sont souvent taxés de naïveté, d’aveuglement et d’inaction face aux pratiques des multinationales. Beaucoup de choses restent à faire et la vigilance et la fermeté doivent être mises en œuvre sans relâche. Mais le constat est en France celui d’une action nationale résolue, volontariste et multiforme depuis une quinzaine d’années pour faire contribuer les plus grandes entreprises à la hauteur de leur profitabilité effective. En matière de lutte contre l’optimisation et l’évasion fiscales, d’imposition minimale et d’égalité des entreprises devant l’impôt, ce rapport montre des progrès importants. Soyons actifs pour les conforter et les amplifier !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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   travaux de la commission

Lors de sa réunion du 19 juillet 2023, la commission a examiné les conclusions de la mission d’information sur les différentiels de fiscalité entre entreprises.

La vidéo de cette réunion est disponible sur le site de l’Assemblée nationale.

Le compte rendu sera bientôt consultable en ligne.

 

 

 

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   ANNEXE : seuils fiscaux des principaux impôts dont l’assiette est fondée sur le chiffre d’affaires, les bénéfices ou les rémunérations en matière de fiscalité des sociétés

Impôt sur les bénéfices des sociétés

Redevables

Taux et assiette

Entreprises dont le CA hors taxe est inférieur à 10 millions d’euros, le capital entièrement reversé et détenu à au moins 75 % par les personnes physiques

15 % jusqu’à 42 500 euros de bénéfices

Autres entreprises

25 % sur la totalité du résultat fiscal

Source : Article 219 du code général des impôts.

 

Contribution sociale sur les bénéfices

Redevables

Taux et assiette

Entreprises dont le montant d’impôt sur les sociétés dû est inférieur à 763 000 euros

0 %

Entreprises dont le montant d’impôt sur les sociétés dû excède 763 000 euros (*)

3,3 % du montant de l’impôt sur les sociétés dû

(*) En pratique, pour les exercices ouverts au 1er janvier 2023 et pour les sociétés soumises au taux normal d’IS de 25 %, seules les sociétés réalisant un bénéfice supérieur à 3 052 000 euros sont redevables de cette contribution.

Source : Article 235 ter ZC du code général des impôts.

 

cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises

Redevables

Taux effectif d’imposition du chiffre d’affaires

CA hors taxe inférieur à 500 000 euros

0 %

CA hors taxe compris entre 500 001 et 3 000 000 euros

0,25 % x [( CA – 500 000 €) / 2 500 000 €]

CA hors taxe compris entre 3 000 001 et 10 000 000 euros

0,25 % + 0,45 x [CA – 3 000 000 € / 7 000 000 €]

CA hors taxe compris entre 10 000 001 et 50 000 000 euros

0,7 % + 0,05% x (CA – 10 000 000 € / 40 000 000 €]

CA hors taxe supérieur à 50 000 001 euros

0,75 %

Source : Article 1586 quater du code général des impôts.

 

Contribution sociale de solidarité des sociétés (C3s) (*)

Redevables

Taux effectif d’imposition du chiffre d’affaires

CA hors taxe inférieur à 19 000 000 euros

0 %

CA hors taxe supérieur ou égal à 19 000 001 euros

(CAHT – 19 000 000) x 0,16 %

*Pour rappel, l’assiette de la C3S est constituée par les sommes imposables à la TVA ainsi que par les sommes entrant dans le champ d’application de la TVA mais en étant exonérées.

Source : Article L. 137-32 du code de la sécurité sociale.

 

cotisation foncière des entreprises (*)

Montant du CA hors taxe réalisé en année N-2

Montant de la base minimale

Inférieur ou égal à 10 000 euros

Entre 227 et 542 euros

Entre 10 0001 et 32 600 euros

Entre 227 et 1 083 euros

Entre 32 601 et 100 000 euros

Entre 227 et 2 276 euros

Entre 100 001 et 250 000 euros

Entre 227 et 3 794 euros

Entre 250 001 et 500 000 euros

Entre 227 et 5 419 euros

Supérieur à 500 001 euros

Entre 227 et 7 046 euros

*Pour rappel, la CFE est calculée sur la valeur locative des biens immobiliers passibles de la taxe foncière utilisés par l’entreprise pour les besoins de son activité au cours de la période de référence (soit l’année N-2).

Source : Article 1447 du code général des impôts.

Versement mobilité hors Île-de-France

Redevables

Plafonds de taux applicables aux salaires versés

Majoration de taux optionnelle*

Entreprises d’au moins 11 salariés dans une commune ou un EPCI dont la population est comprise entre 10 000 et 100 000 habitants

0,55 %

0,05 % ou 0,2 % dans les territoires comprenant au moins une commune touristique

Entreprises d’au moins 11 salariés dans une commune ou un EPCI dont la population est comprise entre 50 000 et 100 000 habitants et lorsque l'autorité organisatrice de la mobilité a décidé de réaliser une infrastructure de transport collectif en site propre

0,85 %

0,05 % ou 0,2 % dans les territoires comprenant au moins une commune touristique

Entreprises d’au moins 11 salariés dans une commune ou un EPCI dont la population est supérieure à 100 000 habitants

1 %

0,05 % ou 0,2 % dans les territoires comprenant au moins une commune touristique

Entreprises d’au moins 11 salariés dans une commune ou un EPCI dont la population est supérieure à 100 000 habitants et lorsque l'autorité organisatrice de la mobilité a décidé de réaliser une infrastructure de transport collectif en mode routier ou guidé

1,75 %

0,05 % ou 0,2 % dans les territoires comprenant au moins une commune touristique

*Les communautés de communes, communautés d’agglomération, communautés urbaines, métropoles, autorités organisatrices de la mobilité (AOM) auxquelles ont adhéré un EPCI et l’AOM des territoires lyonnais ont la faculté d’instituer un taux majoré.

Source : Article L. 2333-67 du code général des collectivités territoriales.


Versement mobilité en Île-de-France

Redevables

Plafonds de taux applicables aux salaires versés

Entreprises d’au moins 11 salariés à Paris et dans le département des Hauts-de-Seine

2,95 %

Entreprises d’au moins 11salariés dans les communes des départements de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne

2,95 %

Entreprises d’au moins 11 salariés dans les communes, autres que Paris et les communes des départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne

2,01 %

Entreprises d’au moins 11 salariés dans les autres communes de la région Île-de-France

1,6 %

Source : Article L. 2531-4 du code général des collectivités territoriales.

Forfait social

Redevables et assiette

Taux

Rémunérations ou gains exonérés de cotisation de sécurité sociale et assujettis à la contribution sociale généralisée (CSG) versées par les entreprises d’au moins 11 salariés

Taux normal de 20 %

Pour les entreprises d’au moins 50 salariés et pour les versements alimentant un plan d’épargne retraite collectif (PERCO) ou un plan d’épargne retraite entreprise (PERE)

Taux réduit de 16 %

Pour les entreprises d’au moins 50 salariés et pour les abondements de l’employeur sur la contribution des salariés en vue de l’acquisition de titres d’entreprises ou d’une entreprise liée

Taux réduit de 10 %

Pour l’ensemble des entreprises  et pour les contributions des employeurs au titre des prestations complémentaires de prévoyance versées au bénéfice de leurs salariés, anciens salariés et de leurs ayants droit 

Taux réduit de 8 %

Pour les entreprises dont le nombre de salariés est compris entre 50 et 250 et pour les sommes réparties au titre d’un accord d’intéressement

Taux de 0 %

Pour les entreprises de moins de 50 salariés et pour pour les sommes réparties au titre d’un accord d’intéressement ainsi qu’au titre de l’investissement dans un plan d’épargne salariale

Taux de 0 %

Source : Code de la sécurité sociale.

 

 

 

 

 

 

 

Taxe sur les salaires

Type de taux

Taux normal

1er taux majoré

2ème taux majoré

Taux global

4,25 %

8,50 %

13,60 %

Salaire brut annuel versé en 2022

Jusqu'à 8 133 €

Entre 8 133 € et 16 237 €

Supérieur à 16 237 €

Salaire brut annuel versé en 2023

Jusqu'à 8 573 €

Entre 8 573 € et 17 114 €

Supérieur à 17 114 €

Note : Le barème de la taxe sur les salaires comporte un taux normal de 4,25 %, appliqué sur le montant total des rémunérations brutes individuelles, et des taux majorés appliqués aux rémunérations brutes individuelles qui dépassent certains seuils.

Source : Article 231 du code général des impôts.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS

Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) : MM. Patrick Lefas, vice‑président, Dimitri Grygowski, secrétaire général adjoint et Marc Fosseux, rapporteur général du rapport du CPO intitulé Adapter la fiscalité des entreprises à une économie mondiale numérisée.

Direction générale des finances publiques (DGFiP) : M. Antoine Magnant, directeur général adjoint, Mme Patricia Lechard, directrice de projet de la réforme de la fiscalité internationale, Mme Carole Maudet, sous-directrice par intérim de la sous‑direction internationale, Service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal, M. Denis Boisnault, chef du département des études et statistiques fiscales, Service de la gestion fiscale et M. Guilhem Ressouche, inspecteur principal en charge du prix de transfert au sein du bureau « Prévention et résolution des différends internationaux », Service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal.

Direction de la législation fiscale (DLF) : M. Christophe Pourreau, directeur, et M. Florian de Filippo, chef du bureau E1.

Direction générale du Trésor (DGT) : MM. Antoine Deruennes, chef du service des politiques publiques, Clovis Kerdrain, sous-directeur des finances publiques et Guillaume Bove, adjoint au chef du bureau de la synthèse des prélèvements.

Parquet national financier (PNF) : MM. Jean-François Bohnert, procureur de la République financier, Philippe Jaeglé, procureur adjoint, et Nicolas Busin, assistant spécialisé en matière fiscale.

Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) : MM. Guillaume Hézard , commissaire divisionnaire, chef de l’Office, sous-direction de la lutte contre la criminalité financière - Direction centrale de la police judiciaire et Fabien Devos, chef‑adjoint de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale au sein de l’Office.

Audition commune :

 Direction des vérifications nationales et internationales (DVNI) : M. Marc Emptaz, directeur ;

– Service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal (SJCF) : M. Frédéric Iannucci, chef du service.


Table ronde d’économistes :

– M. Sébastien Laffitte, doctorant en économie internationale, Université Paris-Saclay ;

– M. Vincent Vicard, adjoint au directeur, responsable du programme Analyse du commerce international, Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii).

Institut des politiques publiques (IPP) : MM. Laurent Bach, directeur du pôle Entreprise et professeur à l’Essec, et Clément Malgouyres, économiste.

M. Gabriel Zucman, professeur d’économie, Paris School of Economics, UC Berkley.

M. Étienne Lehmann, professeur de sciences économiques, Université Panthéon Assas Paris II.

Table ronde d’avocats fiscalistes et commissaires aux comptes

 M. Daniel Gutmann, Professeur à l’École de droit de la Sorbonne, Université Paris 1 ;

 M.  Frédéric Teper, président de l’Institut des avocats conseils fiscaux (IACF) ;

– Compagnie régionale des commissaires aux comptes de Paris (CRCC)* : M. Vincent Reynier, président, Mmes Sabrina Cohen, vice-présidente, Angela Ibanez, secrétaire générale.

Table ronde des associations :

– Finances Publiques et Économie (FIPECO) : M. François Ecalle, président ;

– OXFAM France* : M. Quentin Parrinello, responsable plaidoyer Justice fiscale et inégalités ;

– Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (ATTAC) : M. Vincent Drezet, membre du conseil d’administration.

Table ronde des Confédérations syndicales :

– Confédération générale des travailleurs (CGT) : MM. Laurent Perin, secrétaire de la fédération des finances et Fabien Dampenon, membre du bureau national CGT finances publiques ;

– Confédération française démocratique du travail (CFDT) : M. Luc Mathieu, secrétaire national responsable de la politique de la fiscalité.

Direction Générale des Finances Publiques - Table ronde des Syndicats :

– Solidaires finances publiques : Mmes Anne Guyot Welke, secrétaire générale, Linda Sehili et Sabin Portela, secrétaires nationales Finances publiques en charge du contrôle fiscal ;

– CGT finances publiques : Mmes Emmanuelle Bidaux, inspectrice des finances publiques à la direction des Grandes entreprises, Marie‑José Ferreiro, inspectrice principale des finances publiques à la direction nationale des Enquêtes fiscales, MM. Didier Laplagne, contrôleur principal des finances publiques, secrétaire national CGT Finances publiques, Fabien Dampenon, inspecteur principal des Finances publiques, secrétaire national CGT Finances publiques ;

– CFDT finances publiques : MM. Pascal Arbal, inspecteur divisionnaire des finances publiques, chef de brigade, direction des vérifications nationales et internationales, Davy Le Port, inspecteur divisionnaire des finances publiques, officier fiscal judiciaire (OFJ), chef de groupe BNRDF, Michaël Saint‑André, inspecteur des finances publiques, secrétaire général adjoint CFDT finances publiques et Christophe Bonhomme Lhéritier, inspecteur des finances publiques, inspecteur OFJ, secrétaire général CFDT finances publiques.

Table ronde de représentants d’entreprises :

– Association française des entreprises privées (AFEP) : M. Jean‑Luc Matt, directeur général, et Mme Laetitia de La Rocque, directrice des affaires fiscales ;

– France Digitale* : M. Benjamin Bitton, trésorier et managing partner chez 2CFinance, et Mme Marianne Tordeux Bitker, directrice des affaires publiques.

Table ronde de représentants d’entreprises :

– Fédération nationale des autoentrepreneurs (FNAE) : M. Grégoire Leclercq, président ;

– Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME)* : M. Gérard Orsini, président de la Commission fiscale, Mme Jennifer Bastard, responsable fiscalité et M. Adrien Dufour, responsable des affaires publiques.

Mouvement des entreprises de France (MEDEF) : M. Patrick Martin, président délégué, Mmes Elizabeth Vital Durand, responsable du pôle affaires publiques et Marie‑Pascale Antoni, directrice des affaires fiscales.

Groupe TotalÉnergies : M. Patrick Pouyanné, président‑directeur général, Mme Nathalie Mognetti, directrice Fiscalité, et M. Laurent Martin, directeur délégué aux relations institutionnelles France.

Netflix France* : M. Giammarco Cottani, Director Global Tax Policy, Netflix , Mme Fiona Swan, Senior Manager, EMEA Tax et Mme Marie‑Laure Daridan, directrice des relations institutionnelles.

Groupe Leboncoin : MM. Antoine Jouteau, président-directeur général du groupe Adevinta, Marc Brandsma, Group CFO du groupe Leboncoin et Mme Dorothée Traverse, avocate fiscaliste, Moisand Boutin & Associes- MBA.

Sanofi France : MM. Franck Lerat, directeur fiscal Groupe, Antoine Lottin, directeur fiscal France, et Mme Clotilde Jolivet, directrice des affaires gouvernementales et publiques France.

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique

 


   Contributions écrites

– Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)

– Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) 

 


(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

 

([2]) Cotisations dues par les employeurs aux régimes de sécurité sociale ou à d’autres régimes d’assurance sociale liés à l’emploi, en vue de garantir le bénéfice de prestations sociales à leurs salariés.

([3]) Drees, La protection sociale en France et en Europe en 2021, décembre 2022.

([4]) Insee, comptes nationaux 2021.

([5]) INSEE, Les entreprises en France, édition 2022, décembre 2022.

([6]) Conseil d’analyse économique, Les impôts sur (ou contre) la production, n° 53, juin 2019.

([7]) Articles L. 2333-64 à L. 2333-75 et L. 2531-2 à L. 2531-11 du code général des collectivités territoriales.

([8]) La réforme des plans d’épargne retraite d’entreprise a été concomitamment opérée par l’article 77 de la loi 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises dite PACTE.

([9]) Article 16 de la loi n° 2018-1203 du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019.

([10]) Article 207 de la loi  2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances initiale pour 2021.

([11]) Loi n° 2011-1117 du 19 septembre 2011 de finances rectificative pour 2011, article 2.

([12]) Loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015, article 29.

([13]) CJUE, 386-14, Steria, 2 septembre 2015.

([14]) Loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023, article 37.

([15]) Conseil des prélèvements obligatoires, Adapter l’impôt sur les sociétés à une économie ouverte, décembre 2016.

([16]) OCDE, Taxation of SMEs in OECD and G20 countries, septembre 2015.

([17]) Loi n° 2017‑1640 du 1er décembre 2017 de finances rectificative pour 2017, article 1er.

([18]) Loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019, article 34.

([19]) Directive (UE) 2016/1164 du Conseil du 12 juillet 2016 établissant des règles pour lutter contre les pratiques d’évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur. L’acronyme « ATAD » signifie « anti-tax avoidance directive », soit « directive contre l’évasion fiscale ».

([20]) Issu de l’article 13 de la loi n° 88-1193 du 29 décembre 1988 de finances rectificative pour 1988, codifié à l’article 223 B du CGI.

([21]) Soit « érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices ».

([22]) OCDE (2017), Neutraliser les effets des dispositifs hybrides, Action 2  Rapport final 2015, Projet G20/OCDE sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices.

([23]) Directive (UE) 2017/952 du Conseil du 29 mai 2017 modifiant la directive (UE) 2016/1164 en ce qui concerne les dispositifs hybrides faisant intervenir des pays tiers.

([24]) Loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020, article 45.

([25]) Ruud De Mooij et Sjef Ederveen (2003), « Taxation and Foreign Direct Investment : A Synthesis of Empirical Research », International Tax and Public Finance, 10, 2003, pages 673-693.

([26]) Le profit commercial, dans cette étude, est calculé en soustrayant au produit des ventes (recettes) les coûts de consommation intermédiaire, les salaires bruts, les dépenses administratives, les provisions et la dépréciation commerciale.

([27]) Loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018, article 84.

([28]) Loi n° 2019-759 du 24 juillet 2019 portant création d’une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés.

([29]) Loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020, article 39.

([30]) En 2022, l’augmentation de 15,8 milliards d’euros du rendement net de l’IS s’explique par son évolution spontanée – pour 14,6 milliards d’euros – et des mesures nouvelles, à hauteur de 1,2 milliard d’euros.

([31]) Foreign account tax compliant act.

([32]) Directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE.

([33]) Loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014.

([34]) Directive 2014/107/UE du Conseil du 9 décembre 2014 modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal.

([35]) Directive (UE) 2015/2376 du Conseil du 8 décembre 2015 modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal.

([36]) Directive (UE) 2016/881 du Conseil du 25 mai 2016 modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal.

([37]) Directive (UE) 2016/2258 du Conseil du 6 décembre 2016 modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l’accès des autorités fiscales aux informations relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux.

([38]) Directive (UE) 2018/822 du Conseil du 25 mai 2018 modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration.

([39]) Directive (UE) 2021/514 du Conseil du 22 mars 2021 modifiant la directive 2011/16/UE relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal.

([40]) Earnings before interest, taxes, depreciation and amortization, soit « bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement ».

([41]) Cette suppression fera également l’objet d’une compensation au profit des collectivités territoriales.

([42]) La valeur ajoutée représente la création de richesse d’une entreprise et se calcule en retranchant au chiffre d’affaires la consommation des biens et services. La valeur ajoutée fiscale diffère de la valeur ajoutée comptable et se calcule en opérant certains retraitements de produits et de charges, selon des règles définies par la loi.

([43]) Conseil des prélèvements obligatoires, Adapter la fiscalité des entreprises à une économie mondiale numérisée, octobre 2020.

([44]) En vertu du I de l’article 1518 ter du code général des impôts, la valeur locative est obtenue en fonction d’un tarif qui est revalorisé chaque année en fonction de l’évolution des loyers. Pour 2023, cette revalorisation s’est élevée à 7,1 %.

([45]) À cet égard, il convient de rappeler que le taux d’IS s’élevait à 28 % jusqu’à 500 000 euros de résultat fiscal et à 33,33 % au-delà en 2018 et qu’il a été ramené à 26,5 % sur la totalité du résultat fiscal pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2021. Pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2022, le taux normal de l’IS s’élève à 25 %.

([46]) Définition issue du site de l’Insee.

([47]) Selon la DGT, la notion de résultat au sens de l’ENE n’est pas directement transposable aux sociétés financières en raison de leur modèle économique. Pour ces dernières il convient de retenir le résultat courant avant impôt, qui tient compte du solde d’intérêt.

([48]) Les années 2008 et 2009 n’ont pas été retenues dans le champ de l’étude en raison des effets produits par la crise économique, qui auraient altéré les résultats obtenus.

([49]) Cet impôt a été abrogé à compter du 1er janvier 2014 par l’article 20 de la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011.

([50]) CPO, Adapter l’impôt sur les sociétés à une économie ouverte, décembre 2016.

([51]) Méthode similaire à celle retenue par la DG Trésor.

([52]) Institut des politiques publiques, L’hétérogénéité des taux d’imposition implicites des profits en France : constats et facteurs explicatifs, mars 2019.

([53]) La crise sanitaire ayant significativement altéré l’activité des entreprises en 2020 et 2021 et les déclarations pour 2022 n’étant pas encore entièrement disponibles à la date de rédaction du rapport, la DG Trésor a préféré concentrer son étude sur l’exercice 2019.

([54]) Même si, pour l’exercice social 2019, le taux d’IS avait été ramené à 31 % pour les bénéfices supérieurs à 500 000 euros (et 28 % pour la tranche de bénéfice comprise entre 38 120 euros et 500 000 euros), la DG Trésor a réalisé ses calculs en simulant un taux d’imposition de 33,33 % afin de comparer ses résultats avec ceux de 2011.

([55]) CPO, Les différences d’imposition sur les bénéfices entre PME et grandes entreprises, juin 2023.

([56]) L’article 18 de la loi de finances pour 2021 a porté le seuil de chiffre d’affaires permettant d’appliquer le taux réduit de 15 % de 7,63 millions d’euros à 10 millions d’euros. L’article 37 de la loi de finances pour 2023 dispose par ailleurs que ce taux réduit s’applique aux bénéfices n’excédant pas 42 500 euros, contre 38 120 euros auparavant.

([57]) Comme indiqué précédemment, le nombre d’entreprises déficitaires est plus important au sein des catégories des PME et des microentreprises. Or, intégrer les entreprises déficitaires dans le champ du calcul conduit à diminuer le dénominateur et conserver un numérateur inchangé, ce qui augmente le niveau du taux implicite.

([58]) Plus spécifiquement, ces informations portent sur l’impôt sur les sociétés et la contribution sociale sur les bénéfices, la CVAE, la TFPB, la CFE, la taxe sur les salaires, l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER) et les taxes affectées aux chambres de commerce et d’industrie (CCI) et aux chambres des métiers (hors agriculture).

([59]) La taxe sur les salaires est principalement acquittée par les sociétés du secteur de la banque et des assurances, tandis que l’IFER est payée par les entreprises des secteurs du transport, de l’énergie et des télécommunications.

([60]) Ces informations, normalement couvertes par le secret fiscal, ont été transmises aux rapporteurs par TotalEnergies. TotalEnergies a expressément autorisé les rapporteurs à les utiliser dans le cadre de leur rapport.

([61]) Afin d’éviter une double imposition d’un même bénéfice, les conventions fiscales prévoient généralement qu’une entreprise réalisant une activité dans un autre pays s’acquitte d’une retenue à la source au titre de ses bénéfices réalisés dans le pays source, qui s’accompagne de l’octroi d’un crédit d’impôt dans l’État de résidence de l’entreprise.

([62]) Ces contributions temporaires sont prévues par les articles 54 et 40 de la loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023.

([63]) Comme indiqué précédemment, le taux implicite d’imposition des bénéfices permet de rapporter le montant d’impôt sur les sociétés dû par les entreprises à un indicateur représentatif de leur base taxable. L’ENE est généralement retenu pour effectuer ces comparaisons.

([64]) M. Christian Eckert, rapport sur le projet de loi de finances pour 2013 n° 235, tome II, octobre 2012.

([65]) Cette technique, plus communément connue sous le nom de Leveraged Buy-out (LBO), consiste à acquérir une société en se finançant par endettement. Le remboursement du capital et des intérêts est ensuite financé par les revenus dégagés par la société reprise.

([66]) Une société est présumée sous-capitalisée lorsque son endettement auprès d’entreprises qui lui sont liées excède une fois et demie ses fonds propres.

([67]) La proposition de directive DEBRA (Debt equity bias reduction allowance), formulée par la Commission européenne en mai 2022, a pour objectif de limiter les incitations fiscales en faveur de l’endettement. Elle prévoit d’ouvrir la faculté aux sociétés non financières de déduire des intérêts notionnels sur l’augmentation de leurs fonds propres et de limiter pour ces mêmes entreprises la déductibilité des surcoûts d’emprunt au-delà de ces intérêts notionnels.

([68]) Loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023, article 6.

([69]) Article 209 du code général des impôts.

([70]) Article 2 de la loi n° 2011-1117 du 19 septembre 2011 de finances rectificative pour 2011.

([71]) Article 15 de la loi  2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012.

([72]) Ces marchés de déficit désignent, de manière schématique, le fait pour une société bénéficiaire d’acquérir les titres d’une société déficitaire ou de changer d’activité dans des conditions lui permettant d’imputer sur ses bénéfices les déficits transférables enregistrés par la société dont les titres sont acquis afin de réduire sa base imposable.

([73]) Article 24 de la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013.

([74]) Ce mode de calcul pouvait s’appliquer pour le premier exercice déficitaire clos à compter du 30 juin 2020 et jusqu’au 30 juin 2021.

([75]) Le taux du CICE a plusieurs fois varié : pour les rémunérations versées en 2013, il s’élevait à 4 %. Il a ensuite été porté à 6 % pour les rémunérations versées entre 2014 et 2016 puis à 7 % à compter de 2017. Il a enfin été ramené à 6 % en 2018.

([76]) Article 87 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.

([77]) Article 244 quater B du code général des impôts. Ces taux sont notamment majorés à 50 % pour la fraction des dépenses inférieures à 100 millions d’euros exposées dans des exploitations situées dans un département d’outre-mer.

([78]) Cour des comptes, L’évolution et les conditions de maîtrise du crédit d’impôt en faveur de la recherche, juillet 2013.

([79]) Article 238 bis du code général des impôts.

([80]) Si le plafond est dépassé au cours d’un exercice, l’excédent est étalé au maximum sur les cinq exercices suivants après prise en compte d’éventuels nouveaux dons réalisés lors de ces exercices.

([81]) Cour des comptes, Le soutien public au mécénat des entreprises, novembre 2018.

([82]) Peuvent être cités à titre d’exemple le régime des entreprises créées dans les zones d’aide à finalité régionale ou le régime des jeunes entreprises innovantes.

([83]) En vertu du I de l’article 238 du code général des impôts, ces actifs concernent les brevets, les certificats d’utilité, les certificats complémentaires de protection rattachés à un brevet, les certificats d’obtention végétale, les logiciels protégés par le droit d’auteur, certains procédés de fabrication industrielle et les inventions dont la brevetabilité a été certifiée par l’Institut national de la propriété intellectuelle.

([84]) Article 37 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019.

([85]) Sous réserve du fait que les titres détenus doivent avoir été conservés depuis au moins deux ans.

([86]) Article 219 du code général des impôts.

([87]) La jurisprudence du Conseil d’État a ainsi consacré le principe de libre répartition de la charge d’impôt entre les sociétés membres d’un groupe, qu’il s’agisse de la répartition de l’impôt au prorata des résultats individuels des filiales (CE, 12 mars 2010, décision n° 328424) ou encore de la prise en charge exclusive de l’impôt du groupe par la société mère (CE, 5 juillet 2013, décision n° 351874).

([88]) Parmi ces études, celles du CPO et de Solidaires finances publiques intègrent l’ensemble des contribuables et ne se concentrent pas sur les seules entreprises.

([89]) Définition de l’OCDE.

([90]) Cinq méthodes, qui ne seront pas détaillées par le présent rapport, peuvent être mentionnées : le prix comparable sur le marché libre, le prix de revente, le prix de revient majoré, la méthode du partage des bénéfices et enfin la méthode transactionnelle de la marge nette.

([91]) Vincent Vicard, Cepii, L’évitement fiscal des multinationales en France : combien et où ?, juin 2019.

([92]) Manon François, Vincent Vicard, Cepii, Seules les multinationales suffisamment complexes font de l’évitement fiscal, février 2023.

([93]) Ce modèle, connu sous le nom de « treaty shopping », fait notamment référence aux montages du « double irlandais » ou du « sandwich hollandais » qui ont été utilisés par certaines entreprises multinationales au cours des années 2000.

([94]) Ces critères transitoires se fondent principalement sur les données figurant dans les déclarations pays par pays des entreprises.

([95]) Article 30 de la directive précitée.

([96]) Les « impôts couverts » recouvrent l’ensemble des impôts assis sur les bénéfices des entreprises (y compris les bénéfices distribués, les bénéfices non distribués et les capitaux propres des entreprises) ainsi que tout impôt équivalent à l’impôt sur les sociétés.

([97]) Ces modalités de calcul sont détaillées à l’article 5.3 des règles GloBE publiées par l’OCDE.

([98]) Article 28 de la directive précitée.

([99]) Article 49 de la directive précitée.

([100]) Conseil d’analyse économique, Focus n° 064-2021, Taxation minimale des multinationales : contours et quantification, juin 2021.

([101]) Selon le Conseil d’analyse économique, dans le cas où le taux minimal d’imposition des bénéfices aurait été fixé à 21 %, ces recettes supplémentaires se seraient élevées à 8,2 milliards d’euros à court terme contre 6 milliards d’euros pour un taux minimal à 15 %.

([102]) Mona Barake, Theresa Neef, Paul-Emmanuel Chouc, Gabriel Zucman, Revenue effects of the global minimum tax, octobre 2021.

([103]) Article 11 de la directive précitée.

([104]) L’OCDE définit plus précisément les catégories de sociétés qui seraient exclues de l’application du montant A : les établissements de dépôt, les établissements de prêt hypothécaire, les établissements d’investissement et les organismes d’assurance. Pour bénéficier de l’exclusion, ces établissements doivent répondre à trois critères : une exigence de licence, une exigence de capital réglementaire et une exigence d’activités.

([105]) Article 1609 sexdecies B du code général des impôts.

([106]) Article 30 de la loi n° 2013-1279 du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013.

([107]) Article 56 de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016.

([108]) Décret n° 2017-1364 du 20 septembre 2017 fixant l’entrée en vigueur des dispositions du III de l’article 30 de la loi n° 2013-1279 du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013 et des I à III de l’article 56 de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016.

([109]) Conseil d’analyse économique, Focus n° 064-2021, Taxation minimale des multinationales : contours et quantification, juin 2021.

([110]) Mona Barake, Elvin Le Pouhaër, Tax revenu from Pillar one Amount A : Country-by-country estimates, mars 2023.

([111]) L’Observatoire européen de la fiscalité estime plus précisément que la France bénéficierait de 664 millions d’euros de recettes supplémentaires, partiellement compensées par une perte de recettes de 93 millions d’euros.

([112]) Article 223 quinquies C du code général des impôts.

([113]) Rapport n° 748 fait au nom de la commission des affaires sociales sur le projet de loi adopté par le Sénat portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture, janvier 2023.

([114]) Les modalités de ces échanges sont plus précisément définies par la directive 2011/16/UE dite DAC 4 – cf. supra.

([115]) Article L. 225-102-3 du code du commerce.

([116]) Conseil constitutionnel, décision n° 2016-741 DC du 8 décembre 2016.

([117]) Cette habilitation est prévue par l’article 11 de la loi n° 2023-171 du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture.

([118]) La loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises a modifié l’article 1833 du code civil, qui prévoit désormais qu’une « société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».

([119]) Cette analyse est par ailleurs partagée par le Conseil des prélèvements obligatoires, qui concluait dans note portant sur le taux de l’impôt sur les sociétés, publiée en 2021, qu’il était nécessaire de « poursuivre la stratégie visant à rapprocher le taux nominal français de la moyenne de l’OCDE ou de la zone euro, qui s’établissent aujourd’hui à un niveau proche de 25 % ».

([120]) France Stratégie, L’impact du crédit d’impôt recherche, mars 2019.

([121]) CPO, Redistribution, innovation, lutte contre le changement climatique : trois enjeux majeurs en sortie de crise sanitaire, février 2022.

([122]) Institut des politiques publiques, Les impacts du crédit impôt recherche sur la performance économique des entreprises, rapport n° 33, mai 2021.

([123]) MM. Laurent Saint-Martin, Francis Chouat, Mme Christine Pires Beaune, rapport n° 4402 fait au nom de la commission des finances sur l’application des mesures fiscales, tome 2, juillet 2021.

([124]) Mme Bénédicte Peyrol, rapport d’information n° 1236 déposé en conclusion des travaux d’une mission d’information sur l’évasion fiscale internationale des entreprises, septembre 2018.

([125]) Ces critères sont plus particulièrement définis à l’annexe V des conclusions adoptées par le Conseil de l’Union européenne le 5 décembre 2017.

([126]) En l’occurrence, l’application de droit commun de l’article 57 du CGI nécessite que l’entreprise contrôle ou soit dépendante d’une entreprise située hors du territoire national. Si les transferts de bénéfices sont réalisés dans un pays à fiscalité privilégié ou un ETNC, ces conditions ne sont pas requises pour réintégrer les bénéfices dans l’assiette imposable de l’entreprise.

([127]) Article 205 du code général des impôts.

([128]) Ce critère est rempli si le montage n’a pas été mis en place pour des motifs commerciaux reflétant la réalité économique de l’activité de l’entreprise.

([129]) Article 25 de la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.

([130]) Créée par les dispositions de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 dite Sapin 2, la CJIP était à l’origine réservée à certains délits économiques.

([131]) À compter des résultats 2019, les montants présentés ne sont plus les montants notifiés mais ceux faisant l’objet d’une demande de mise en recouvrement, c’est-à-dire après que les instances consultatives de recours ont rendu leur avis.