N° 1543
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 juillet 2023.
RAPPORT D’INFORMATION
FAIT
au nom de la dÉlÉgation aux outre-MER
sur l’autonomie énergétique des outre-mer
PAR
M. Davy RIMANE ET M. Jean-Hugues RATENON,
Députés
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Pages
premiÈre partie : LES OUTRE-MER SONT TRÈS DÉPENDANTS DES HYDROCARBURES
I. UNE AUTONOMIE ATTEIGNABLE POUR L’ÉLECTRICITÉ
A. vers une ÉlectricitÉ dÉcarbonÉe
1. Des conditions favorables dans la plupart des territoires
2. L’énergie renouvelable n’est pas toujours synonyme d’autonomie
B. Valoriser le recyclage des dÉchets
1. Les déchets peuvent produire de la biomasse
2. La contribution de la CRE à la valorisation du CSR
II. Les contraintes propres à la mobilitÉ
A. L’Électrification des vÉhicules : une fausse bonne idÉe
1. Le problème du recyclage des batteries
2. Le vrai bilan carbone des véhicules électriques est élevé
3. Les véhicules hybrides ne sont pas plus vertueux
B. Le difficile transport des vÉhicules Électriques
1. L’interdiction d’utiliser des navires rouliers
2. L’utilisation de containeurs réfrigérés
C. La nÉcessitÉ de varier les modes de transport
1. Véhicules individuels : vers un mix
2. Développer les transports en commun
3. Encourager les modes de transport alternatifs
III. Le rÔle des acteurs institutionnels
A. ÉlectricitÉ de France (edf) hors de l’hexagone
1. Les spécificités des zones non interconnectées (ZNI)
2. L’organisation particulière d’EDF dans les outre-mer
3. Le souci principal : la sûreté du système
B. La Commission de rÉgulation de l’Énergie (CRE)
1. L’autorité qui gère les tarifs réglementés et la CSPE
2. La CSPE doit devenir l’outil de décarbonation de l’énergie
3. Un arrêté tarifaire photovoltaïque S23 très attendu
4. La CRE doit davantage accompagner les projets
1. La direction générale de l'Énergie et du Climat (DGEC)
2. L’État doit accompagner les collectivités
D. Une indispensable Évolution de la fiscalitÉ de l’Énergie
1. La question taboue de la fiscalité des collectivités ultramarines
2. Financer la transition énergétique par le biais de la CSPE
deuxiÈme partie : L’ocÉan indien
A. Une production d’ÉlectricitÉ en pleine Évolution
1. Un potentiel énergétique en voie d’exploitation
2. Des projets concrets pour développer le renouvelable sur l’île
3. Des choix discutables en matière de mobilité
B. Le dÉveloppement des Énergies renouvelableS
1. Les progrès de l’énergie solaire
2. Le rapport des particuliers avec les énergies renouvelables
3. L’émergence de l’éolien et l’utilisation de l’eau de mer
4. La géothermie, grande absente du mix énergétique
5. L’hydroélectricité a encore du potentiel
C. Le dÉveloppement de la biomasse
1. Le charbon cède la place à la bagasse et aux pellets québécois
2. Les déchets ménagers convertis en combustibles
3. Le biofioul bientôt utilisé dans la centrale du Port
4. La biomasse est-elle réellement vertueuse ?
A. Une Énergie carbonÉe et peu diversifiÉe
1. Un opérateur qui dépend du conseil départemental
2. Une production électrique basée sur le fioul
B. Un territoire en pleine expansion
1. Une hausse continue de la consommation
C. Un vaste plan de dÉveloppement de l’Énergie solaire
1. Du retard par rapport aux autres départements ultramarins
2. Des objectifs qui restent modestes
3. L’absence de projets éoliens, hydrauliques ou géothermiques
troisième partie : Les antilles
A. Une situation encore dÉfavorable
1. Une dépendance très forte aux ressources importées
2. Une électricité encore très dépendante des énergies fossiles
3. Une baisse continue de la consommation électrique
B. Les efforts À consentir pour une ÉlectricitÉ propre
1. Les effets inattendus de la péréquation tarifaire
2. Une programmation pluriannuelle citée en exemple
3. L’épineuse question de la mobilité
C. La Guadeloupe, pionniÈre de la gÉothermie
1. La piste géothermique : une évidence ?
2. La géothermie nécessite des investissements lourds
A. une Énergie carbonÉe encore largement dominante
1. La part des énergies renouvelables progresse lentement
2. La Martinique héberge la seule raffinerie des Antilles françaises
B. peu d’enthousiasme pour les Énergies renouvelables
1. Le développement de l’électrique n’est pas vraiment recherché
2. Le mariage prudent de l’agriculture et du photovoltaïque
3. Les déboires de la géothermie martiniquaise
4. Une PPE en cours d’élaboration
A. Une Énergie basÉe sur le fioul
1. Une électricité à 99 % carbonée
2. La reconstruction après Irma
3. Les réticences face à l’éolien et à la biomasse solide
B. Les enjeux Économiques et financiers
1. L’engagement de l’île pour la transition énergétique
2. EDF entre la taxation des produits pétroliers et la péréquation
3. Les inconvénients d’une frontière non contrôlée
C. UN projet d’interconnexion de grande envergure
1. La ressource géothermique existe en quantité
2. Coût et impacts attendus du projet
3. Des préventions qui méritent d’être surmontées
A. Le rÈgne sans partage des Énergies fossiles
1. Des générateurs diesel qui devront être changés
2. Quand le manque d’eau augmente la consommation énergétique
3. Encore peu de place pour les énergies renouvelables
B. une consommation Électrique en hausse constante
1. Une clientèle aisée peu regardante sur la consommation
2. Favoriser l’électricité pour les transports
3. Une volonté de la part des élus d’économiser l’énergie
4. Des questionnements sur la CSPE
quatriÈme partie : les collectivitÉs du pacifique
A. un Énergie encore globalement trÈs carbonÉe
1. Une évolution favorable aux énergies renouvelables
2. Des carburants routiers bien moins chers qu’en Europe
B. Une électricité orientée vers la métallurgie
1. L’organisation du secteur de l’électricité
2. Une électricité aux trois-quarts carbonée
3. La métallurgique représente 75 % de la consommation électrique
C. la transition vers le renouvelable
1. La mise en place des outils juridiques
2. La prépondérance de l’hydraulique
3. L’éveil de l’énergie solaire
A. Une très forte dépendance aux hydrocarbures
1. Une hausse régulière de la consommation
2. Le fioul disparaît au profit du gazole
3. Une compétence des communes et de la collectivité de Polynésie
B. Les transports dans la consommation d’Énergie
1. Des transports rendus nécessaires par la géographie
2. L’absence d’alternative rend la voiture individuelle indispensable
3. Des prix à la pompe en constante diminution
C. L’Émergence des Énergies renouvelables
1. Un recours encore faible aux énergies décarbonées :
2. Les instruments de la politique de diversification énergétique
cinquième partie : la Guyane et Saint-Pierre-et-miquelon
A. Une production Électrique en cours de rÉorientation
1. Un potentiel énergétique renouvelable non négligeable
2. La construction d’une centrale à biomasse liquide au Larivot
3. Des zones non interconnectées
4. La lutte contre le gaspillage énergétique
B. Les particularitÉs Guyanaises
1. Une organisation spécifique et des coûts élevés
2. Un réseau parfois défaillant
C. des contraintes À l’autonomie ÉnergÉtique
2. L’attente du plan de réglementation thermique
3. La sous-exploitation du bois
La situation du centre spatial guyanais (CSG)
1. Une consommation d’énergie peu écologique
2. Deux projets industriels d’envergure
3. La création de centrales solaires et l’utilisation de la biomasse
4. Un plan d’économie d’énergie
1. Une consommation déterminée par les conditions climatiques
2. Une importation totale des hydrocarbures
récapitulatif des prÉconisations des rapporteurs
Annexe n° 1 : liste des auditions
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La lutte contre le dérèglement climatique autant que la volonté de souveraineté énergétique imposent à la France et à ses collectivités, notamment ultramarines, de rechercher une autonomie énergétique basée sur des sources d’énergies décarbonées.
Dans les outre-mer, la tâche semble ardue tant l’économie et les habitudes de vie reposent en grande partie, parfois à 95 %, sur les hydrocarbures. Certaines collectivités ont commencé à promouvoir les énergies décarbonées comme l’hydroélectrique, la biomasse solide ou liquide, le solaire, l’éolien ou la géothermie. D’autres ne semblent pas avoir complètement pris la mesure de l’urgence et du travail à accomplir.
En poursuivant et en amplifiant les efforts entrepris, la transition vers une électricité décarbonée peut raisonnablement être considérée comme atteignable d’ici 2030. L’enjeu se reportera alors sur la mobilité, plus difficile à rendre vertueuse. Le basculement vers la voiture électrique, pour de multiples raisons (coût élevé, manque de bornes, filière en construction), est plus lent dans les outre-mer que dans le reste du pays. Surtout, il n’est pas sûr que le passage du « tout thermique » au « tout électrique » soit souhaitable.
En effet, basculer vers un parc automobile majoritairement électrique n’aurait de sens que si l’on est sûr que la production d’électricité pour les recharges soit suffisante et qu’elle soit décarbonée. Surtout se posera la question du recyclage des batteries usagées, actuellement inexistant sur place. Et comme les compagnies maritimes, pour des raisons de sécurité, n’acceptent plus de transporter des batteries usagées, les stocks de vieilles batteries chimiques polluantes vont commencer à s’empiler dans les outre-mer.
Aussi, la recherche d’une autonomie énergétique totale, une autarcie, est-elle sans doute illusoire et peut-être même malsaine par certains aspects. Même lorsqu’on privilégie l’électricité d’origine nucléaire, comme c’est le cas dans l’hexagone, on a toujours besoin d’importer de l’uranium. Sans doute sera-t-il nécessaire pendant encore quelques temps de conserver – en quantité raisonnable – des sources d’énergie fossiles afin d’assurer la sûreté et la sécurité d’approvisionnement des territoires.
Pour accomplir une transition énergétique aussi ambitieuse, les outre-mer ne pourront pas agir seuls. L’État, à travers ses multiples leviers (EDF, la Commission de régulation de l’énergie, la Direction générale de l’énergie et du climat, la contribution au service public de l’électricité, etc.) dispose d’un certain nombre d’outils qui sont déjà à l’œuvre mais dont le rôle devra être affiné. Les spécificités des outre-mer devront être mieux prises en compte ce qui n’est actuellement pas suffisamment le cas avec, à titre d’exemple, des tarifs de rachat de l’électricité solaire produite par les particuliers moins attractifs que dans l’hexagone, ce qui est discriminatoire.
Surtout, la transition énergétique conduira inévitablement à une révolution copernicienne en matière de fiscalité : les ressources des collectivités sont actuellement basées en grande partie sur la fiscalité liée aux produits pétroliers. Demander aux collectivités de promouvoir les autres énergies revient donc à leur demander d’amputer leur budget. C’est par exemple le cas de l’île de la Réunion qui a réduit le taux d’octroi de mer sur l’importation de voitures électriques, ce qui a dopé la demande. Ce faisant, la collectivité s’est privée d’une rentrée fiscale sur les importations de véhicules (d’autant que les importations de voitures thermiques diminuent) et a réduit également ses rentrées financières issues des ventes de carburants puisque les véhicules électriques n’en consomment pas. Il faudra bien trouver une compensation fiscale à ce phénomène.
Le plus difficile est devant nous.
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Pour réaliser ses travaux, la mission d’information a organisé 17 auditions à Paris et 33 dans les collectivités qu’elle a visitées (La Réunion, la Martinique, la Guadeloupe, Saint-Martin, Saint-Barthélemy et la Guyane), rencontrant plus d’une centaine d’interlocuteurs.
Elle regrette de ne pas avoir pu se rendre à Mayotte, mission annulée à cause des troubles sociaux engendrés par la réforme des retraites. Elle n’a pas pu, non plus, se rendre dans les collectivités du Pacifique pour des raisons autant financières que d’agenda.
premiÈre partie : LES OUTRE-MER SONT TRÈS DÉPENDANTS DES HYDROCARBURES
La consommation énergétique des collectivités ultramarines doit être scindée en deux catégories : d’une part la consommation d’électricité liée à la vie et au fonctionnement des entreprises et des particuliers et, d’autre part, la consommation d’énergie liée à la mobilité. Si les énergies fossiles restent encore largement dominantes en matière d’électricité, les efforts consentis par la plupart des territoires laissent entrevoir la possibilité d’une quasi autonomie d’ici quelques années. Pour ce qui concerne la mobilité, la recherche de l’autonomie sera plus ardue.
I. UNE AUTONOMIE ATTEIGNABLE POUR L’ÉLECTRICITÉ
Très dépendants des hydrocarbures, les outre-mer devraient raisonnablement atteindre une quasi autonomie en matière d’électricité d’ici 2030. La tâche sera en revanche plus ardue pour l’énergie liée à la mobilité qui restera, encore quelques temps, basée sur les énergies fossiles d’autant qu’une généralisation de la voiture électrique poserait au moins autant de problèmes qu’elle en résoudrait.
A. vers une ÉlectricitÉ dÉcarbonÉe
1. Des conditions favorables dans la plupart des territoires
La plupart des territoires sont situés dans des zones tropicales, subtropicales ou équatoriales où la présence du soleil est généreuse. La seule collectivité qui échappe à cette règle, Saint-Pierre-et-Miquelon, peut se targuer de bénéficier de vents fréquents et parfois violents favorisant les éoliennes.
Mais beaucoup de territoires ultramarins (La Réunion, Mayotte, les Antilles) sont aussi situés en zone volcanique, ce qui ouvre des perspectives en matière de géothermie. La Guadeloupe a ouvert la voie avec sa centrale de Bouillante, mais d’autres travaux de recherche se poursuivent sur cette île comme sur d’autres (Martinique, La Réunion).
La biomasse, qu’elle soit solide (pellets de bois ou CSR ([1]) ou liquide (biogaz) fait également l’objet d’un début de mise en œuvre, notamment à La Réunion, de plusieurs projets.
2. L’énergie renouvelable n’est pas toujours synonyme d’autonomie
L’objectif national comme ultramarin en matière d’énergie est double :
– produire de l’énergie avec le bilan carbone le plus faible possible, c’est-à-dire en privilégiant les énergies renouvelables ;
– dépendre le moins possible des importations.
Si l’objet de ce rapport concerne essentiellement le second point, les rapporteurs ne peuvent pas faire l’impasse sur le premier qui est souvent un préalable. En effet, produire avec des énergies renouvelables implique souvent de produire localement : c’est par exemple le cas du solaire, de l’éolien ou de la géothermie.
La règle comporte toutefois une exception significative : la biomasse. Cette source d’énergie, qu’elle soit solide (bagasse, CSR, pellets de bois) ou liquide (biogaz à base de colza) est réputée renouvelable car les champs de colza repoussent chaque année et les arbres abattus pour produire les pellets sont censés être replantés. Toutefois, elle est en grande partie importée car la bagasse issue de la canne à sucre et les CSR produits localement ne sont pas suffisants sur le plan quantitatif. Importer des pellets de bois ou du biogaz ne réduira pas la dépendance énergétique des outre-mer, même si cela permet de réduire le bilan carbone de l’énergie consommée.
Les choix faits en matière d’énergie sont très onéreux d’autant qu’ils nécessitent parfois la construction ou la conversion de centrales thermiques ; ils engagent donc les collectivités pour des décennies.
B. Valoriser le recyclage des dÉchets
1. Les déchets peuvent produire de la biomasse
Les territoires ultramarins connaissent de réelles difficultés quant à la gestion des déchets. En effet, 67 % des déchets ménagers sont encore enfouis contre seulement 15 % à l’échelle nationale et la gestion de ces déchets coûte 1,7 fois plus cher que dans l’hexagone. L’objectif ambitieux de réduction de 50 % du tonnage de déchets enfouis d’ici 2025 devrait permettre, s’il est atteint, de détourner 12 millions de tonnes de déchets de l’enfouissement.
Les combustibles solides de récupération (CSR) peuvent être une part de la solution à ce problème. Ils sont préparés à partir de déchets non dangereux solides et permettent d’alimenter les industries et les collectivités en chaleur et/ou en électricité pour servir d’alternative aux combustibles fossiles comme le fuel ou le gaz. La production et la valorisation des CSR est une opportunité pour améliorer la gestion des déchets dans les outre-mer en dépit des contraintes techniques, réglementaires et financières. L’espace foncier limité de la plupart des outre-mer renforce le besoin de sortir du « tout-enfouissement » qui est un modèle non pérenne et gourmand en surface foncière. On estime qu’en 2025, 2,5 millions de tonnes de CSR seront produites annuellement sur l’ensemble du territoire national.
Le territoire réunionnais présente de nettes avancées puisque deux projets sont en cours. Pour l’ouest et le sud de l’île, RUN’EVA assurera la préparation et la valorisation des CSR en 2024. Pour le nord est l’est, l’usine INOVEST, visitée par la mission d’information, est déjà opérationnelle et produit des CSR depuis décembre 2020. Toutefois, comme l’unité de production d’électricité doit subir une conversion technique importante pour passer de l’incinération du charbon au CSR, la valorisation de la ressource, assurée par Albioma, ne commencera pas avant 2024.
2. La contribution de la CRE à la valorisation du CSR
La valorisation des déchets combustibles sous forme de CSR est un moyen particulièrement vertueux d’atteindre deux objectifs : réduire le volume des déchets à enfouir ou incinérer et réduire la dépendance aux importations d’énergie puisque la ressource est produite sur place. Dans ces conditions, la participation au financement de ce genre de projets par la Commission de régulation de l’énergie (CRE) pourrait se poser dans la mesure où la contribution au service public de l’électricité (CSPE) qu’elle gère contribue à promouvoir les projets qui participent de la décarbonation de l’énergie.
Interrogée, la CRE souligne l’intérêt réel des CSR, mais insiste sur le fait que le financement du ramassage et du tri des déchets ménagers n’entre pas dans ses compétences. Toutefois, la CRE participe financièrement à la coûteuse conversion des centrales à énergie fossile (charbon, fioul) en centrales susceptibles de brûler de la biomasse solide (bagasse, CSR, pellets). Dans ces conditions, même si elle ne finance pas directement le CSR, la CRE fait réaliser des économies aux collectivités en participant activement au développement de la filière d’élimination des déchets ménagers et en les débarrassant, pour partie, de ces déchets.
II. Les contraintes propres à la mobilitÉ
Le secteur des transports consomme généralement la moitié de l’énergie produite sur un territoire. Il inclut à la fois les véhicules terrestres (voitures, bus, camions) présents sur le territoire et les transports aériens utilisés pour la desserte de la collectivité. Au niveau national, le secteur des transports est le seul dont les émissions de gaz à effet de serre sont supérieures à leur niveau de 1990.
Dans les outre-mer, ce secteur économique consomme des énergies fossiles à 90-95 % : essence, diesel, kérosène. L’électrification du parc automobile peut-elle réduire la dépendance aux énergies fossiles ?
A. L’Électrification des vÉhicules : une fausse bonne idÉe
Sortir du « tout pétrole » pour aller vers le « tout électrique » est un non-sens car la batterie, par nature, du fait de sa conception chimique, n’est pas renouvelable. En outre, son recyclage est très virtuel.
1. Le problème du recyclage des batteries
Le recyclage des batteries est crucial afin de réduire la pression sur la demande de matériaux et ainsi limiter les impacts associés à leur extraction. Les batteries de voitures électriques – dites Li-ion, composée de lithium – sont en effet recyclables, actuellement à hauteur de 50 % et potentiellement jusqu’à 80-90 % avec de nouveaux procédés mécaniques.
Cependant, la théorie se distingue de la pratique puisque, dans les faits, moins de 5 % des batteries de voitures électriques sont effectivement recyclées. Cette faible proportion est due au fait que pour être récupérées et recyclées, les batteries doivent arriver en fin de vie. Les véhicules électriques émergeant sur le marché, la filière industrielle de recyclage n’est pas encore développée et ne permet donc pas de recycler efficacement et systématiquement ces composants.
Laissées à l’abandon dans des véhicules épaves ou ailleurs, les batteries finissent par libérer des métaux et autres produits chimiques nocifs pour la santé qui se retrouvent ensuite dans la terre, dans l’air ou dans l’eau.
Préconisation : créer dans les outre-mer des centres de recyclage des batteries et des panneaux solaires usagés.
2. Le vrai bilan carbone des véhicules électriques est élevé
La voiture électrique dans les outre-mer doit faire face à plusieurs enjeux.
D’un point de vue financier, le coût de production de l’énergie en outre-mer est largement supérieur à celui du reste du pays, ce qui soulève l’enjeu de la charge financière de la recharge du véhicule : même si l’utilisateur final paie le même prix qu’à Paris, c’est la collectivité qui assume la charge du surcoût par le biais de la CSPE qui compense la péréquation tarifaire (cf. infra).
D’un point de vue écologique, les véhicules électriques et hybrides rechargeables présentent l’avantage de ne pas émettre de CO2 et d’être peu bruyants durant leur vie active.
La production de l’énergie électrique ainsi que la fabrication de la batterie nécessaire à leur fonctionnement sont cependant sources d’émissions. En effet, une voiture électrique n’est jamais « zéro carbone ». Ainsi, avant même d’avoir roulé, une voiture électrique a une « dette » carbone de cinq à quinze tonnes équivalent CO2, selon les modèles. Cette empreinte est deux à trois fois supérieure à celle d’un modèle équivalent fonctionnant à l’énergie thermique, indique l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe).
C’est donc à l’usage que l’intérêt de la voiture électrique apparaît. Le véhicule électrique émet logiquement moins de CO2 qu’une voiture thermique qui roule en brûlant de l’essence. Cette acception se vérifie si la production d’électricité est décarbonée, c’est-à-dire issue du nucléaire ou de sources renouvelables. A contrario, si l’électricité est produite en brûlant des énergies fossiles – comme c’est encore majoritairement le cas dans les territoires d’outre-mer – le gain est moindre. En Martinique par exemple, un véhicule électrique rechargé à partir du réseau émet autant de CO2 qu’un véhicule thermique. De nombreuses expérimentations – comme le Projet VERT à la Réunion (Véhicules Électriques pour une Réunion Technologique) – ont été mises en place afin de tester des infrastructures de recharge qui privilégient les énergies renouvelables.
3. Les véhicules hybrides ne sont pas plus vertueux
Le véhicule hybride rechargeable semblerait constituer aujourd’hui une solution raisonnable pour répondre à l’enjeu climatique. C’est en effet une technologie rassurante pour les automobilistes qui se sentent concernés par les enjeux environnementaux, mais qui ne sont pas encore prêts à passer au 100 % électrique, notamment pour des raisons d’autonomie.
Pourtant, cette alternative présente plusieurs défauts qui la rendent difficilement compatible avec l’ambition de décarboner la mobilité individuelle. Le mode électrique est assez peu utilisé puisqu’il représente moins de 40 % des kilomètres parcourus. De plus, le moteur thermique est en général moins performant que celui des véhicules essence ou diesel comparables. Ainsi, le véhicule hybride rechargeable ne permet qu’un gain en carbone de 15 à 20 % (contre 60 à 70 % pour un véhicule entièrement électrique), ce qui est insuffisant par rapport aux enjeux climatiques, surtout si l’on prend en compte le bilan carbone lié à la construction des batteries et à leur recyclage.
B. Le difficile transport des vÉhicules Électriques
Sur l’ensemble des outre-mer, près de 60 000 épaves de voitures, tout mode de propulsion confondus, seraient à l’abandon sur la voie publique ou sur des terrains privés. Ce chiffre pose la question de la gestion, du transport et du stockage des véhicules dans les collectivités ultramarines.
1. L’interdiction d’utiliser des navires rouliers
En avril 2022, les compagnies maritimes ont pris la décision de ne plus transporter par navires rouliers – conçus pour le transport de voitures sur roues – les véhicules électriques d’occasion vers et depuis La Réunion. La mesure a ensuite été étendue à l’ensemble des outre-mer.
Cette disposition a fait suite à une catastrophe survenue en février 2022, lorsqu’un cargo de 200 mètres de long et transportant plus de 4 000 véhicules électriques d’occasion a pris feu au large des Açores. Le navire a finalement coulé et les 22 membres d’équipage ont pu être évacués sans être blessés. Les batteries en lithium des véhicules sont soupçonnées d’être à l’origine de ce sinistre. Depuis cet évènement, et pour des questions de sécurité, les compagnies maritimes refusent de transporter par navire roulier les véhicules électriques non neufs. Contrairement aux voitures d’occasion, les voitures neuves disposent d’un mode « transport » qui met les boîtiers électroniques des voitures en veille, réduisant les risques d’emballement intempestif des batteries.
Cette décision a eu un impact sur le prix des voitures électriques ainsi que sur le prix de leur transport. Si les véhicules d’occasion ne peuvent plus être transportés par roulier, la seule alternative est celle du conteneur, une option deux fois plus coûteuse que les bateaux rouliers.
En juillet 2022, l’armateur CMA-CGM annonçait sa décision de ne plus transporter des véhicules électriques et hybrides (neufs ou d’occasion) à bord de ses navires à destination des outre-mer pour des raisons de sécurité.
2. L’utilisation de containeurs réfrigérés
Le 1er août 2022, l’armateur est finalement revenu sur son choix. Pour réduire les risques d’incidents, il a accepté le transport de ces véhicules en containeurs réfrigérés, avec une température maintenue à 20°C. Autre condition : les batteries ne doivent pas être chargées à plus de 40 %. Ces deux modalités doivent permettre d’éviter toute surchauffe.
Cette décision soulève cependant plusieurs interrogations d’ordre environnemental. En effet, si la pollution générée par les batteries des voitures électriques avait déjà fait l’objet de critiques, tant au niveau de leur création que de l’élimination de leurs composants, la question de leur transport ne s’était toutefois jamais posée. En l’occurrence, transporter des véhicules « propres » dans des containeurs réfrigérés semble à première vue assez contradictoire. Pour une traversée de dix jours, un containeur réfrigérant consomme en moyenne 2,4 Mégawattheures (MWh). Le principe du refroidissement des véhicules nécessiterait donc environ deux tonnes équivalent CO2, soit l’équivalent de 740 litres d’essence.
En complément de ce coût environnemental, le choix de l’armateur suppose un coût financier important et risque d’engendrer une pression inflationniste complémentaire à celle du coût de la vie en outre-mer, déjà largement supérieur à celui de la France hexagonale.
C. La nÉcessitÉ de varier les modes de transport
Passer du « tout-pétrole » au « tout-électrique » ne sauvera pas la planète pour les raisons que nous venons de développer. Chaque source d’énergie pollue plus ou moins et parler d’« énergie verte » est une forme de malhonnêteté intellectuelle, à de très rares exceptions près. En revanche, moins consommer d’énergie ou mieux la consommer constituera un premier pas concret, à la fois pour la planète et pour le portefeuille des intéressés.
1. Véhicules individuels : vers un mix
L’usage de l’hydrogène est pertinent en complément de l’électrique. En effet, le rendement énergétique de l’hydrogène est moins bon que l’utilisation directe de l’électricité avec un véhicule électrique à batterie. Il faudrait environ 2,3 fois plus d’électricité pour faire rouler un véhicule à hydrogène qu’un véhicule électrique. Cette moindre efficacité démultiplie les coûts en électricité ainsi que les émissions à l’usage des véhicules, surtout si l’électricité utilisée n’est pas très faiblement carbonée.
Si les voitures à hydrogène sont donc peu efficaces énergétiquement, l’hydrogène pourrait cependant se montrer utile pour les véhicules plus lourds (comme les bus, les poids lourds…) et lorsque les distances sont trop longues pour l’électrique à batteries.
Sur le plan environnemental et en comparaison du véhicule électrique, le principal avantage de l’hydrogène concerne les moindres capacités de batteries nécessaires. Cela réduit la pression sur les ressources et les pollutions engendrées par l’exploitation du lithium, du cobalt ou du nickel. Mais l’intérêt de cette ressource dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre dépendra de la manière dont il sera produit : pour l’instant, l’hydrogène reste principalement produit à partir d’énergies fossiles.
Toutefois, sans être considéré comme une solution miracle pour décarboner les transports, l’hydrogène pourrait jouer un rôle pour les véhicules les plus lourds dans un mix énergétique raisonné qui associerait aussi les véhicules électriques ou thermiques les moins polluants. La meilleure énergie étant celle qui n’est pas utilisée, les transports en commun et autres modes alternatifs devront être promus.
2. Développer les transports en commun
Les territoires ultramarins se distinguent par la pauvreté de leurs transports en commun. Aucun d’entre-eux ne dispose plus de chemin de fer alors que certaines collectivités en exploitaient au siècle dernier : la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et la Nouvelle-Calédonie disposaient de voies de chemin de fer destinées au transport de produits agricoles ou industriels, toutes fermées au cours du vingtième siècle au profit du camion. La Réunion, pour sa part, avait même construit un réseau mixte, servant à la fois au transport de marchandises et de passagers qui faisait presque le tour de l’île, desservant 13 gares sur 126 km. Lui aussi fut abandonné au cours du vingtième siècle.
Certaines collectivités consentent d’importants efforts pour développer l’offre de transports en commun en site propre :
– un ambitieux projet de tramway et deux projets de téléphériques ont été lancés à La Réunion ;
– la Martinique et la Nouvelle-Calédonie ont mis en place avec succès des bus à haut niveau de service (BHNS) en site propre depuis quelques années ;
– la Guyane achève la construction de ses deux premières lignes de BHNS en site propre qui circuleront dès janvier 2024. 20 000 voyageurs devraient emprunter chaque jour ces bus nouvelle génération.
– Mayotte a entrepris les travaux d’aménagement d’un réseau de quatre lignes transports collectif urbain (Caribus). Une ligne de bus à haut niveau de service en site propre et trois lignes de bus régulières, sur lesquelles sont placés quarante-trois arrêts, constitueront le premier réseau de l’histoire du territoire.
Ces projets doivent être encouragés et généralisés au plus grand nombre de territoires : la part des transports en commun dans les trajets domicile-travail, proche de 5 % ([2]) dans les outre-mer, est encore trop faible comparativement à la moyenne nationale qui s’établit à 16 % ([3]).
3. Encourager les modes de transport alternatifs
Deux pratiques rencontrent du succès en Europe et mériteraient d’être encouragées dans les outre-mer :
– le covoiturage, même si cette pratique peut se heurter à des obstacles culturels. Le bénéfice financier qu’en retirent les adeptes de cette pratique ne laisse plus de doute sur son intérêt, autant pour le niveau de vie de populations aux revenus modestes que pour la fluidification de la circulation et la qualité de l’air ;
– les modes de transport « doux » que sont les trottinettes et autres vélos, sur des distances courtes de quelques kilomètres. L’argument selon lequel ces modes de transports ne sont pas adaptés à la déclivité et au climat chaud des outre-mer tombe lorsqu’on évoque le confort apporté par l’assistance électrique dont sont maintenant équipées la plupart des bicyclettes et des trottinettes vendues, ce qui adoucit les efforts demandés. En outre, si la plupart des territoires ont, en effet, un relief tourmenté, les principales agglomérations (Pointe-à-Pitre, Fort-de-France, Saint-Denis, Cayenne, Papeete…) sont en grande partie plates et permettraient un usage professionnel ou récréatif de ces modes de transport.
Seules manquent des pistes cyclables sécurisées qui soient de nature à rassurer les usagers, actuellement tenus de cohabiter avec les voitures individuelles, encore reines de la route.
Préconisation : mettre en place une prime pour tout achat d’un moyen de transport « doux » (vélo, trottinette, etc.).
III. Le rÔle des acteurs institutionnels
A. ÉlectricitÉ de France (edf) hors de l’hexagone
1. Les spécificités des zones non interconnectées (ZNI)
Ces collectivités et départements français, non interconnectés avec le réseau électrique hexagonal ni avec celui d’un pays voisin, doivent produire sur place la totalité de l’énergie électrique consommée. La loi française les identifie comme des « zones non interconnectées au réseau métropolitain continental » (ZNI). Le coût de production de l’électricité y est plus élevé que ceux obtenus en France continentale et le coût de revient de l’électricité, dans le meilleur des cas, y est deux fois plus élevé que son prix de vente au tarif garanti par la péréquation tarifaire.
Une dérogation européenne, applicable par tous les pays concernés, prévoit la mise en place d’une organisation adaptée aux régions non interconnectées (Corse et outre-mer pour la France, mais aussi les Canaries pour l’Espagne et les Açores pour le Portugal). En France, un système compensatoire, la Contribution au service public de l’électricité (CSPE), dont le montant est proposé par la Commission de régulation de l’énergie (CRE), permet d’assurer l’équilibre économique des producteurs.
CSPE et péréquation tarifaire
La contribution au service public de l’électricité (CSPE), ex-taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE), est un prélèvement fiscal sur la consommation d’électricité en France, créé au début des années 2000. Il sert à dédommager les opérateurs des surcoûts engendrés par les obligations qui leur sont imposées par la loi sur le service public de l’électricité et vise à rendre ces obligations compatibles avec l’ouverture à la concurrence du marché de l’électricité. Acquittée par le consommateur final d’électricité via sa facture, elle permet notamment la mise en œuvre du principe de péréquation tarifaire.
Le principe de péréquation tarifaire signifie que deux consommateurs ayant le même profil de consommation, avec le même fournisseur et la même offre, se verront facturer le même tarif, quelle que soit leur localisation géographique sur le territoire français. Il n’y a ainsi par exemple pas de différence en termes de tarifs appliqués dans les zones rurales par rapport aux zones urbaines, ni dans les outre-mer par rapport au reste du territoire, bien que les coûts de production soient différents.
18 % des recettes de la CSPE financent la péréquation tarifaire des ZNI.
La petite taille des réseaux des ZNI ne permet pas l’émergence d’une véritable concurrence dans le secteur de l’énergie, même si les producteurs d’électricité sont multiples. Sur ces territoires, le gestionnaire de réseau (EDF dans les DOM) se retrouve dans une situation particulière : il peut exercer la fonction de producteur, en concurrence avec d’autres industriels, mais doit intégrer les missions de service public de gestionnaire de l’équilibre offre/demande, de gestionnaire de réseaux de transport et de distribution, et de fournisseur.
2. L’organisation particulière d’EDF dans les outre-mer
EDF SEI (systèmes énergétiques insulaires) a une mission historique de gestionnaire de réseau dans les zones non-interconnectés (ZNI) françaises suivantes : la Corse, quatre départements d’outre-mer (Guadeloupe, Guyane, La Réunion, Martinique), trois collectivités ultramarines (Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Martin et Saint-Barthélemy) ainsi que plusieurs îles bretonnes et normandes.
EDF n’est pas présente dans les collectivités du Pacifique (Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna et Polynésie), même si elle est actionnaire minoritaire d’Enercal (à hauteur de 15,98 %), une société d’économie mixte néo-calédonienne assurant des missions de production, distribution et commercialisation d’électricité.
Dans les ZNI, EDF SEI cumule plusieurs missions : produire de l’électricité, même s’il n’est pas le seul ; distribuer l’électricité, une mission confiée dans l’hexagone à Enedis ; transporter l’électricité, une mission dévolue à RTE dans le reste du pays ; gérer l’équilibre entre la hausse et la demande. Entre autres missions, EDF est acheteur et vendeur unique : l’entreprise est tenue d’acheter l’ensemble de la production, qu’il s’agisse d’électricité produite par d’autres entreprises ou par des particuliers, et de la vendre au prix réglementé fixé par la Commission de régulation de l’énergie (CRE). On ne peut donc pas évoquer stricto sensu une « concurrence », dans la mesure où les prix sont administrés ; pour autant, il existe une pluralité de producteurs. En Guadeloupe par exemple, 25 % de l’électricité est produite par la Compagnie Thermique du Moule (CTM), société privée, et 7 % par la Centrale export diesel de Jarry, autre producteur thermique privé.
Le rôle d’EDF est dominant puisque l’entreprise est en situation de monopole pour la distribution et la vente de l’électricité, contrairement à ce qui se passe dans le reste du pays. Pour autant, EDF a la responsabilité d’assurer l’approvisionnement des particuliers et des professionnels à un tarif garanti.
Cette absence de concurrence tarifaire n’a pas que des inconvénients : en 2022, alors que les factures d’électricité enregistraient de très fortes hausses (parfois multipliées par dix) dans l’hexagone en raison du conflit ukrainien, celles des ZNI n’augmentaient « que » de 20 % à 30 % grâce aux tarifs garantis. Le mécanisme en place qui combine une situation de monopole (tout au moins pour la vente), des tarifs garantis et une péréquation tarifaire permet d’émettre des factures qui ne reflètent certes pas le coût de la production, mais semble donner satisfaction. Les audits réguliers de la CRE en témoignent.
3. Le souci principal : la sûreté du système
Le souci principal du gestionnaire de réseau qu’est EDF est d’assurer le bon fonctionnement de tous ces systèmes de production, de transport et de distribution d’électricité, bâtis au fil du temps sur des territoires dont la consommation a parfois fortement augmenté.
L’objectif est d’éviter les défaillances de production supérieures à trois heures, mais aussi que de petites perturbations (panne, coupure de ligne…) n’aient des conséquences en cascade sur des réseaux non interconnectés. En cas de grave difficulté en Europe, on peut toujours importer de l’électricité aux pays limitrophes, le temps que le problème soit résolu. Dans les outre-mer, cela n’est pas possible en raison de l’absence de connexion, ce qui incite à la plus grande prudence : une climatisation indisponible plusieurs heures ou des malades sans assistance électriques peuvent poser de graves problèmes de santé publique.
B. La Commission de rÉgulation de l’Énergie (CRE)
1. L’autorité qui gère les tarifs réglementés et la CSPE
La Commission de régulation de l’énergie (CRE) est une autorité administrative indépendante française créée le 24 mars 2000, chargée de veiller au bon fonctionnement du marché de l’énergie et d’arbitrer les différends entre les utilisateurs et les exploitants, en suivant les objectifs de la politique énergétique. Sa compétence de régulateur s’étend aux marchés du gaz et de l’électricité.
La CRE a été créée pour permettre la mise en œuvre des directives européennes de 1996 et 1998 constituant le « paquet énergie », organisent l’ouverture du marché de l’énergie au niveau communautaire et prévoyant :
– pour les consommateurs, le libre choix du fournisseur ;
– pour les producteurs, la liberté d’établissement ;
– et pour les réseaux de distribution et de transport, le droit d’accès dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires pour tous les utilisateurs.
Le rôle de la CRE est d’assurer le bon fonctionnement de la concurrence sur le marché de l’énergie en France. Cela passe par plusieurs missions, notamment :
– la fixation des tarifs réglementés et des tarifs d’acheminement du gaz et de l’électricité ;
– la bonne information des consommateurs ;
– la construction du marché européen en synergie avec les autres régulateurs de l’Union européenne ;
– l’encadrement des marchés de gros et des marchés de détails.
Enfin, la CRE gère le mécanisme de compensation des charges de service public, la Contribution au service public de l’électricité (CSPE).
2. La CSPE doit devenir l’outil de décarbonation de l’énergie
La contribution au service public de l’électricité (CSPE) est une taxe perçue pour le compte des Douanes et désormais intégrée au budget de l’État.
Elle abonde le compte d’affectation spéciale « transition énergétique » (CAS TE), aux côtés de la Taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN), de la Taxe intérieure sur les houilles, lignites et cokes (TICC) et de la Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE).
Elle sert à financer :
– les politiques de soutien aux énergies renouvelables (dont 32 % pour le solaire photovoltaïque et 19 % pour l’éolien) ;
– une partie des surcoûts de production d’électricité dans les zones non interconnectées (ZNI) au réseau électrique ;
– la cogénération (production de chaleur et d’électricité) ;
– les tarifs sociaux du gaz et de l’électricité, remplacés par le chèque énergie ;
– le soutien à l’injection de biométhane dans les réseaux de gaz.
Cette taxe est prélevée directement sur les factures d’électricité des consommateurs particuliers ou professionnels. Le taux, d’abord fixé à 22,50 euros par MWh, quel que soit le fournisseur, a été fortement réduit pour amortir la hausse du prix de l’électricité : c’est le fameux « bouclier tarifaire pour l’électricité ». Il devrait remonter à son taux d’origine une fois le dispositif levé, en 2024.
3. Un arrêté tarifaire photovoltaïque S23 très attendu
Le tarif de rachat de l’électricité produite par les particuliers est fixé par un arrêté gouvernemental élaboré par la CRE en concertation avec la DGEC. Actuellement, l’arrêté en vigueur pour les outre-mer date du 4 mai 2017. Il a été actualisé en 2021 pour le territoire hexagonal sous le nom de S21. L’actualisation relative aux outre-mer devait être publiée dans la foulée avant d’être reportée à mai 2023, raison pour laquelle elle porte le nom de « S23 ». Deux mois après cette échéance, au moment de publier le présent rapport, la mission d’information n’a pu apprendre à quelle échéance serait publié cet arrêté très attendu et prévu « pour bientôt ».
La réglementation en place depuis 2017 prévoit un rachat obligatoire par EDF (ou ses filiales) pour toute installation inférieure à 100 Kilowattheures (KWh), ce qui constitue une première discrimination dans la mesure où l’obligation d’achat s’impose pour les installations jusqu’à 500 KWh dans l’hexagone. Cette mesure réduit la taille du marché des installations photovoltaïques ultramarines alors qu’il conviendrait plutôt d’encourager son développement.
Une seconde discrimination concerne les prix de rachat : alors que l’arrêté de 2021 a rehaussé ce tarif à 18 ou 19 centimes le KWh dans l’hexagone, en fonction de la puissance de l’installation, le tarif prévu par l’arrêté de 2017 reste globalement inférieur : 16 centimes le KWh à La Réunion, 17 en Guadeloupe et en Martinique et 18 centimes en Guyane. Au lieu de mettre en place des tarifs plus avantageux pour les outre-mer qui sont confrontés aux difficultés spécifiques que nous connaissons (coût de la vie plus élevé), c’est l’inverse qui se passe : l’électricité produite par les particuliers dans les outre-mer est – pour l’instant – moins bien rémunérée que celle produite dans le reste du pays. Et les tarifs sont inchangés depuis six ans alors que l’inflation est galopante depuis deux ans.
Il importe donc que le gouvernement publie le plus rapidement possible le nouvel arrêté S23 relatif à la tarification du rachat de l’électricité produite par les particuliers et que les nouveaux tarifs fixés soient suffisamment attractifs pour susciter une hausse significative de la surface photovoltaïque dans les outre-mer.
Préconisation : le gouvernement doit publier le plus rapidement possible le nouvel arrêté tarifaire photovoltaïque relatif aux outre-mer (dit « S23 »). Comme c’est le cas dans le reste du pays, l’obligation d’achat doit s’imposer pour les installations jusqu’à 500 KWh. Les nouveaux tarifs doivent être suffisamment attractifs pour relancer la pose de panneaux solaires dans les outre-mer.
4. La CRE doit davantage accompagner les projets
L a CRE joue également un rôle d’accompagnatrice de projets de particuliers et d’entreprises en matière d’énergies renouvelables. Grâce à la CSPE, elle participe financièrement aux investissements à condition qu’ils apportent une économie en matière énergétique supérieure à leur coût.
La petite équipe de cinq personnes qui « priorise » et traite les nombreux dossiers reçus n’est manifestement pas assez étoffée pour traiter de manière satisfaisante tous les dossiers. Les dossiers les plus ambitieux sont traités en priorité, ce qui peut se comprendre sur un plan logique mais n’est pas satisfaisant sur le plan de l’équité, d’autant que les projets ultramarins figurent souvent parmi les plus modestes. La mission d’information souhaite que la CRE apporte une attention toute particulière aux projets ultramarins et les accompagne sur la voie de la décarbonation de l’énergie.
Préconisation : la CRE doit mieux accompagner les projets dans les territoires, notamment ultramarins, ce qui permettra le développement de filières locales. Le coût des investissements constitue souvent un frein aux volontés locales.
Enfin, les collectivités doivent davantage solliciter les aides de la CRE, au lieu de financer leurs actions de maîtrise de l’énergie sur leurs crédits propres. Il existe une procédure que trop peu utilisent.
Préconisation : les collectivités doivent s’inscrire comme acteurs du territoire pour la maîtrise de l’énergie (MDE) dans leurs territoires respectifs au travers des programmations pluriannuelles pour l’énergie (PPE) afin de bénéficier du cadre de compensation mis en place par la CRE.
C. l’État
Évoquer le rôle d’EDF et de la CRE sans parler de l’État serait vain dans la mesure où l’électricien historique appartient désormais à 100 % à la République et où la CRE est une autorité administrative qui émane également de l’État et dépend de son budget par le biais de la CSPE.
L’État, grâce à la DGEC, sa Direction générale de l’Énergie et du Climat semble omnipotent : directement ou indirectement, il fixe les normes, donne les autorisations, finance ou cofinance les projets, réalise les contrôles, etc.
1. La direction générale de l'Énergie et du Climat (DGEC)
La direction générale de l’Énergie et du Climat (DGEC) est une direction d’administration centrale française qui définit et met en œuvre la politique énergétique de la France ainsi que la politique d’approvisionnement en matières premières minérales. Elle dépend du ministère de la Transition écologique.
Elle élabore et met en œuvre la politique destinée à assurer la sécurité et la compétitivité de l’approvisionnement de la France en énergie. Elle assure le bon fonctionnement des marchés de l’énergie (électricité, gaz, pétrole) dans des conditions économiquement compétitives et respectueuses de l’environnement. Elle a aussi la responsabilité de la politique française en matière d’énergie nucléaire. Dans ces domaines d’action, elle intègre les enjeux du changement climatique et veille au développement de technologies propres. La direction met en œuvre les décisions du gouvernement relatives aux énergies renouvelables.
Dans ces secteurs, ses principales missions peuvent être regroupées autour de trois axes :
– l’ouverture des marchés de l’énergie, notamment électrique et gazière ;
– le suivi des secteurs clés de l’énergie et des matières premières ;
– la tutelle des entreprises (EDF, Orano, Framatome) et établissements publics (CEA, ANDRA, IFPEN, ANGDM, CANSSM).
La mission d’information constate qu’une seule personne au sein de cette administration est plus spécifiquement chargée de suivre les outre-mer. Si les compétences de l’intéressé ne sont mises en cause, ce chiffre « est dramatiquement insuffisant », selon les termes même d’Hervé Mariton, président de la Fédération des entreprises des outre-mer (Fédom).
2. L’État doit accompagner les collectivités
Chaque territoire, dans l’hexagone mais encore plus dans les outre-mer, doit pouvoir définir sa stratégie en fonction de ses réalités, de son climat, de son relief et de ses potentialités. Imposer une transition qui ne prendrait pas en compte cette diversité – et ne serait pas accompagnée – est voué à l’échec.
Tous les territoires ne pourront peut-être pas atteindre une autonomie complète sur le plan énergétique, notamment en matière de mobilité : cette éventualité doit être intégrée dans les perspectives.
Préconisation : chaque territoire doit pouvoir définir sa stratégie en fonction de sa réalité. L’État doit accompagner les décisions prises localement.
Les énergies renouvelables sont souvent intermittentes (solaire, éolien). Aussi, investir dans des centres de stockage de l’énergie, c’est-à-dire dans des batteries industrielles (exemple en Guadeloupe) ou des STEP (Station de Transfert d’Energie par Pompage), semble opportun. Un projet de STEP en Martinique est en bonne voie de finalisation. Mais ces centres de stockage sont rares dans les autres territoires ultramarins.
Il apparaît donc judicieux de permettre aux communes ou à leur groupement d’investir dans des sociétés commerciales exploitant des centres de stockage d’électricité ; actuellement, le cadre législatif permet aux communes d’investir dans des sociétés commerciales produisant des énergies renouvelables, ou de l’hydrogène renouvelable ou bas carbone, mais pas dans les installations de stockage.
La mission d’information préconise donc de compléter le code général des collectivités territoriales afin d’inclure les installations de stockage d’électricité parmi les investissements autorisés pour les communes et leurs groupements
Préconisation : modifier l’article 2253-1 du code général des collectivités territoriales pour permettre aux communes ou à leur groupement d’investir dans des sociétés commerciales exploitant des centres de stockage d’énergie.
D. Une indispensable Évolution de la fiscalitÉ de l’Énergie
1. La question taboue de la fiscalité des collectivités ultramarines
La fiscalité sur les carburants fossiles constituant l’une des principales ressources des collectivités territoriales, les freins au développement de la mobilité électrique sont puissamment serrés.
Si certains évoquent des « zones d’ombre » qui empêchent d’avancer, d’autres parlent même d’« hypocrisie », dénonçant le silence des pouvoirs publics sur l’impasse financière qui se profile : les collectivités doivent financer la mise en place d’une filière de mobilité électrique qui les privera d’une part importante de leurs ressources. De toute évidence, une évolution fiscale ambitieuse est nécessaire si l’on souhaite que les collectivités luttent vraiment contre l’utilisation des produits pétroliers.
2. Financer la transition énergétique par le biais de la CSPE
Les collectivités locales ne mettront pas de zèle à investir dans les énergies renouvelables si le premier effet de la baisse de consommation des produits pétroliers consiste à réduire leurs ressources.
Pour éviter de léser les collectivités, la Nation doit s’engager à garantir le niveau de ressources qui leur est apporté par les taxes sur les produits pétroliers. La solution pourrait consister à demander à la CRE, via la CSPE, d’apporter cette compensation. Il revient à l’État d’assurer cette responsabilité et de trouver la compensation des pertes.
Compte tenu des enjeux financiers, une hausse de la CSPE serait probablement nécessaire. Et cette hausse devrait logiquement avoir pour vertu de réduire encore la demande, la marge d’économie étant encore substantielle. Comme l’objectif est de « basculer » la consommation d’énergie des produits pétroliers vers les énergies renouvelables, il y aurait une certaine logique à ce que la fiscalité aussi change de vecteur.
Préconisation : garantir les ressources des collectivités qui s’engagent dans la transition énergétique en compensant la baisse des ressources basées sur la taxation des produits pétroliers par le versement d’une compensation financée par la CSPE, ajustée en conséquence.
Le surcoût des zones non interconnectées (ZNI)
calculés par la Commission de régulation de l’énergie (CRE)
(Délibération publiée 13 juillet 2023)
La CRE divise les surcoûts des zones non interconnectées en deux catégories : ceux relevant de la transition énergétique et ceux relevant des mécanismes de solidarité.
La transition énergétique :
- les surcoûts de production d’électricité supportés par l’opérateur historique pour l’électricité produite par les installations en énergies renouvelables (EnR) qu’il exploite (installations hydrauliques notamment) ;
- les surcoûts d’achat d’électricité renouvelable supportés par l’opérateur historique (obligation d’achat et gré à gré) ;
- les surcoûts liés aux ouvrages de stockage d'électricité pilotés par le gestionnaire du système électrique ;
- les coûts supportés en raison de la mise en œuvre d’actions de maîtrise de demande de l’énergie (MDE) portant sur les consommations d'électricité ;
- les coûts d’études ou de développement de projets d’approvisionnement d’intérêt public renouvelables, mentionnés respectivement au e) et au f) du 2° de l’article L. 121-7 du code de l’énergie.
Les mécanismes de solidarité :
- les surcoûts de production d’électricité supportés par l’opérateur historique pour l’électricité produite par les installations qu’il exploite et qui fonctionnent à partir d’énergies fossiles ;
- les surcoûts d’achat d’électricité produite à partir d’énergies non renouvelables supportés par l’opérateur historique (gré à gré) ;
- les coûts d’études ou de développement de projets d’approvisionnement d’intérêt public non renouvelables, mentionnés respectivement au e) et au f) du 2° de l’article L. 121-7 du code de l’énergie.
Les derniers chiffres de la délibération de la CRE du 13 juillet 2023 :
- charges au titre de 2021 en ZNI : 2,224 milliards d’euros dont 588 millions pour la transition énergétique et 1,636 milliard pour les mécanismes de solidarité ;
- charges au titre de 2022 en ZNI : 2,486 milliards d’euros dont 548 millions pour la transition énergétique et 1,938 milliard pour les mécanismes de solidarité ; en 2022, les charges relatives aux seuls outre-mer (hors Corse et îles bretonnes) représentent 1,94 milliard d’euros ;
- charges prévisionnelles au titre de 2023 en ZNI : 2,458 milliards d’euros dont 796,2 millions pour la transition énergétique et 1,662 milliard d’euros pour les mécanismes de solidarité ;
- charges prévisionnelles au titre de 2024 en ZNI : 2,206 milliards d’euros dont 1,040 milliard d’euros pour la transition énergétique et 1,166 milliard d’euros pour les mécanismes de solidarité.
deuxiÈme partie : L’ocÉan indien
Malgré la proximité géographique des deux îles, La Réunion et Mayotte présentent des profils très différents sur le plan énergétique. Tandis que La Réunion investit massivement dans une production d’électricité décarbonée, Mayotte dépend encore quasi exclusivement du fioul et se « hâte lentement » vers un développement modeste du solaire et de la biomasse.
I. la RÉunion
Au début des années 1970, La Réunion était totalement autonome en électricité grâce à la production hydraulique et à une population moins nombreuse. Après des années de hausse, la consommation d’énergie est maintenant en cours de stabilisation, la population n’augmentant plus qu’à un rythme faible. Les économies d’énergie, motivées par la hausse du coût de l’électricité, contribuent également à ce début de sobriété. Alors que le territoire vise l’autonomie énergétique – en matière électrique – à l’horizon 2030, il reste encore très dépendant des énergies fossiles.
Mais l’électrique ne représente que 50 % de l’énergie consommée, l’autre moitié étant constituée par les transports, encore carbonés à 95 %.
A. Une production d’ÉlectricitÉ en pleine Évolution
1. Un potentiel énergétique en voie d’exploitation
Le territoire réunionnais bénéficie d’un atout considérable en matière d’énergie du fait de l’abondance de ses ressources naturelles (soleil, vent, eau, géothermie…). En dépit de ce potentiel, La Réunion demeure fortement dépendante des importations de produits énergétiques. En effet, les ressources d’énergies primaires utilisées sont à 87 % composées d’énergies fossiles importées, quand seulement 13 % proviennent de sources naturelles.
Malgré une progression de la production d’énergies renouvelables au fil des années (photovoltaïque, éolien et biogaz, notamment), la part du renouvelable dans le bouquet énergétique reste relativement stable. En 2021, elle enregistre une légère baisse, passant de 31 % en 2020 à 28 % en 2021. Le reste est quant à lui issu des énergies fossiles, principalement de charbon et de fioul, ce dernier enregistrant une nouvelle hausse.
Le secteur des transports et la production d’électricité concentrent l’essentiel des besoins, avec des parts respectives de 61 % et 25 % de la consommation totale. Ces deux domaines représentent à eux seuls 95 % des émissions de CO2 du département. Plus précisément, le secteur des transports est responsable de 50 % des émissions de gaz à effet de serre de La Réunion et représente la moitié de ses besoins énergétiques. Cette consommation est principalement issue du secteur routier et aérien.
Si l’opérateur historique, EDF, reste le principal producteur d’électricité, il n’est pas le seul, des sociétés comme Albioma et Akuo étant également présentes sur place. 4 000 particuliers contractuels équipés de panneaux solaires et qui revendent leur électricité à EDF peuvent également être considérés comme des producteurs indépendants. EDF est également le seul distributeur et la seule entreprise de commercialisation d’électricité. Contrairement au reste du pays, la concurrence en matière électrique n’a pas été instaurée à La Réunion.
La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE)
La PPE est la traduction concrète de la politique française et en constitue le document de référence. Elle a été instituée par la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte. L’article L. 141-1 du code de l’énergie prévoit que « la programmation pluriannuelle de l’énergie, fixée par décret, définit les modalités d’action des pouvoirs publics pour la gestion de l’ensemble des formes d’énergie sur le territoire métropolitain continental, afin d’atteindre les objectifs [de la loi] ». La PPE contient des volets relatifs à la sécurité d’approvisionnement, à l’efficacité énergétique, au développement des énergies renouvelables, au stockage des énergies, au développement de la mobilité propre et au pouvoir d’achat des consommateurs. Elle est révisée tous les cinq ans.
Les zones non interconnectées (ZNI) que sont la Corse et les outre-mer bénéficient de dispositions spécifiques et doivent établir leur propre PPE, en collaboration avec les services de l’État. À La Réunion, une première PPE couvrant les périodes 2016-2018 et 2019-2023 a été validée par le Conseil régional le 19 décembre 2016. Par délibération du 29 mars 2019, un projet de révision la PPE portant sur la période 2019-2028 a été adopté.
2. Des projets concrets pour développer le renouvelable sur l’île
La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) 2019-2028 prévoit de réduire la part des énergies fossiles dans la consommation finale d’énergie à 53 % en 2028. La PPE espère atteindre une production d’électricité composée à 99,7 % d’énergies renouvelables dès la fin de l’actuelle année 2023, alors que cette proportion n’était que de 28 % en 2021.
Cette évolution semble réalisable du fait du remplacement prévu des énergies fossiles par de la biomasse dans les trois principales centrales du département. Dans un premier temps, la biomasse utilisée dans cette transformation sera toutefois largement importée.
Sources de production d’électricité de l’île de La Réunion
3. Des choix discutables en matière de mobilité
La Réunion a disposé jusqu’en 1976 d’un chemin de fer bien pratique dont le réseau s’étendait sur 128 km et qui reliaient les plus grandes villes du littoral entre elles et jusqu’au Port. Ce réseau a été sacrifié sur l’autel de la voiture individuelle, considérée alors comme un progrès absolu.
Lorsque le projet de route du littoral, considérée comme la plus onéreuse du monde, a été lancé dans les années 2010, les autorités ont poursuivi dans la même logique en écartant toute variante permettant son utilisation par un moyen de transport ferroviaire, pourtant moins polluant.
Les Réunionnais ne disposent donc de nos jours que de moyens de transports individuels, la plupart du temps thermiques, et perdent de nombreuses heures dans les interminables bouchons qui se forment aux entrées des villes, singulièrement du chef-lieu, Saint-Denis. Les trop rares bus ou autocars interurbains ne permettent pas de se déplacer avec la fluidité que rend possible un transport par voie ferrée.
La mission d’information regrette les choix discutables réalisés au vingtième siècle lorsqu’il s’est agi de démanteler le réseau existant, autant que ceux réalisés au début du vingt-et-unième siècle, lorsque les pouvoirs publics ont décidé de poursuivre dans la politique du « tout voiture », sans laisser au transport ferroviaire une chance de réapparaître pour fournir une alternative de déplacement durable à la population.
Si, pour beaucoup de Réunionnais, « le rail reste un rêve à réaliser » comme la mission a pu l’entendre au cours de son déplacement, la PPE ne consacre pas une ligne à cette thématique.
Afin de réduire la consommation de fioul et de sortir du tout automobile à La Réunion, il est essentiel de développer les transports en commun, en particulier le transport ferroviaire. Les trains offrent une alternative efficace et durable pour le déplacement des personnes et des marchandises. En investissant dans l’expansion et l’amélioration des infrastructures ferroviaires, nous pouvons encourager davantage de personnes à opter pour ce mode de transport plus respectueux de l’environnement. Les trains sont plus économes en énergie par passager que les voitures individuelles, réduisant ainsi les émissions de CO2. De plus, en favorisant les trajets en train, nous pouvons réduire les embouteillages et améliorer la qualité de l’air dans nos villes.
Préconisation : relancer l’offre de transport ferroviaire dans les outre-mer et, en particulier, à La Réunion.
B. Le dÉveloppement des Énergies renouvelableS
1. Les progrès de l’énergie solaire
Le solaire est une source d’énergie concurrentielle et relativement bon marché pour les collectivités, moins pour les particuliers. Son coût est généralement inférieur au coût marginal de l’électricité produite par les autres sources d’énergie.
Sa difficulté, c’est son intermittence. Le rendement maximal des panneaux photovoltaïques est enregistré entre 12 et 14 heures, au moment où la demande est relativement faible. À ce moment-là, la valeur du KW solaire est proche de zéro. En revanche, lors des pics du matin et du soir, les panneaux solaires ne produisent pas. Par ailleurs, le moindre passage nuageux réduit sensiblement son rendement.
Pour autant, cette source d’énergie renouvelable présente l’avantage d’engendrer des coûts de fonctionnement et d’entretien particulièrement faibles. Plusieurs projets sont en cours de réalisation à La Réunion.
Le 30 juin 2023 a été inaugurée une centrale solaire de 20 000 panneaux photovoltaïques sur plusieurs dépendances de l’aéroport de Pierrefonds. L’installation d’une centrale solaire de cette taille sur un terrain d’aéroport est une première à l’échelle nationale. Cette unité de production solaire va permettre d’économiser 7 000 tonnes de Co2 par an, et de produire l’équivalent de la consommation annuelle de 8 400 personnes.
L’installation, qui a nécessité un investissement à hauteur de 15 millions d’euros, s’inscrit dans le cadre de la transition énergétique engagée par le territoire. Particularité de l’installation : une partie du financement du projet a été ouverte à la participation des Réunionnais qui ont réuni plus de 130 000 euros. Enfin, le projet a également été conçu en considération de la biodiversité environnante, une étude de terrain ayant été menée pour s’assurer de la préservation d'espèces endémiques présentes sur les trois zones de l'aéroport concernées.
2. Le rapport des particuliers avec les énergies renouvelables
Si l’énergie solaire peut présenter une réelle opportunité pour les collectivités ou les entreprises, elle constitue un investissement onéreux pour la plupart des particuliers. L’installation de panneaux photovoltaïques représente un investissement moyen d’environ 15 000 euros, hors de portée de la plupart des ménages. Malgré les aides du conseil départemental, seuls les plus aisés, quelques milliers de foyers tout au plus, ont pu s’équiper de panneaux solaires. Pour sa part, le conseil régional a mis en place un plan intitulé « Un toit solaire pour chaque réunionnais ».
Les chauffe-eau solaires, en revanche, connaissent un franc succès. Toute construction individuelle neuve doit être équipée d’un chauffe-eau solaire. La Réunion qui en compte déjà 180 000 est le département français le mieux équipé. Toutefois, le Conseil de la culture, de l’éducation et de l’environnement (CCEE) souligne que la qualité des chauffe-eau solaires installés s’est avérée décevante : la plupart sont remplacés au bout de seulement six à sept ans d’utilisation alors que leur longévité annoncée était de quatorze ans. Et le caractère « difficilement recyclable » des chauffe-eau usagés est également pointé par le CCEE.
Enfin, le nombre de véhicules électriques qui ne s’élevait qu’à 1 000 sur l’île en 2019, devrait dépasser 10 000 fin 2023 avant d’atteindre 33 000 unités en 2028. Parallèlement, le nombre de bornes de recharge publiques est passé de 100 en 2019 à 550 en 2023 et devrait atteindre les 1 700 en 2028.
Cette évolution, qui réduit la consommation d’énergie fossile, présente une difficulté : les premières voitures électriques ou hybrides construites dans les années 2005-2010, notamment de type Prius, commencent à arriver en fin de vie. Aux dires même des autorités réunionnaises, les concessionnaires ne les reprennent pas et certaines voitures commencent à rouiller dans les arrière-cours, avec un risque avéré de pollution. Compte-tenu des restrictions mises par les transporteurs maritimes au transport de ces épaves, ces véhicules ne repartiront pas de La Réunion, ni des autres outre-mer d’ailleurs. Il est donc urgent de créer sur place une filière pour le recyclage des batteries usagées.
3. L’émergence de l’éolien et l’utilisation de l’eau de mer
Il existe deux fermes éoliennes à La Réunion, celles de Sainte-Rose et celle de Sainte-Suzanne dont les 37 mats ont été remplacées courant 2022 par 9 de nouvelle génération. Seules quatre de ces mats sont actuellement en état de fonctionner, les cinq autres devant être mis en service au cours de l’année 2023. Lors de sa venue sur l’île, en mars 2023, la mission d’information a pu constater le faible nombre de mats éoliens en état de fonctionner sur un territoire de près de 900 000 habitants.
Plusieurs projets d’éoliennes en mer sont en cours de finalisation. L’ADEME confirme que beaucoup d’entreprises innovantes participent à la mise en œuvre de ces projets ainsi qu’à la prise de risque. En effet, les fonds sous-marins deviennent rapidement profonds et les éoliennes flottantes positionnées à quelques encablures de la côte ne reposeront pas sur le sol mais devront être ancrées à des profondeurs de 800 à 1 000 mètres. Elles devront en outre résister aux cyclones tropicaux, ce qui constitue un défi de taille. Confiant, le Conseil régional a confirmé à la mission d’information que le développement de l’éolien maritime constituait une priorité absolue pour les années à venir. Les projets sont menés à échéance de dix ans.
De plus, un projet de climatisation marine est en cours au centre hospitalier universitaire (CHU) de Saint-Pierre. Le projet repose sur la technologie du SWAC (Sea Water Air Conditioning), une alternative peu énergivore permettant d’utiliser les eaux froides puisées entre 800 et 1 000 mètres sous le niveau de la mer pour faire fonctionner les climatiseurs de grands bâtiments.
Le projet relatif au CHU se Saint-Pierre reposerait sur une récupération d’eau à 5°C se trouvant à 1 000 mètres de profondeur. La proximité de la mer et l’implantation durable du site du CHU participent à la viabilité économique de ce projet. L’étude énergétique menée sur le CHU prévoit une réduction de la consommation électrique globale de l’établissement de 30 %, la climatisation étant le principal poste de consommation. En s’appuyant sur une ressource locale, renouvelable et disponible en continu, ce projet sera une contribution majeure aux objectifs d’efficacité énergétique fixés par la PPE de La Réunion.
4. La géothermie, grande absente du mix énergétique
La mission d’information ne peut que regretter que les recherches ne soient pas davantage poussées en matière de géothermie, l’île étant « assise » sur un volcan particulièrement actif. Le coût des forages (un à deux millions d’euros chacun) ainsi que la présence du parc national rendent les recherches très difficiles.
Des premiers forages réalisés il y a quelques années dans la région du Piton de la Fournaise s’étaient avérés décevants. De la chaleur avait été logiquement trouvée à proximité de ce volcan encore actif. Mais la quantité d’eau nécessaire pour effectuer l’échange d’énergie jusqu’à la surface n’avait pas été suffisante. En outre, ces premiers forages, situés à proximité immédiate du parc naturel, avaient été accueillis de manière plus que réservée par la population.
Pour autant, les industriels ne renoncent pas puisque d’autres tentatives sont à l’ordre du jour : Albioma envisage de réaliser des forages à 1 000 ou 2 000 mètres de profondeur dans le secteur du Piton des Neiges au cours des deux années à venir ; Engie a également déposé des demandes de permis de recherches exclusives pour les secteurs de la plaine des Cafres et de la Plaine des Palmistes.
Les délais avancés interrogent toutefois : il faudrait plusieurs années à l’administration pour instruire un dossier et délivrer un permis de recherche. On comprend dans ces conditions que le moindre projet en matière de géothermie s’inscrive sur un horizon de quinze ans.
Le coût élevé des forages de recherche constitue également un frein : tout échec entraîne la perte de plusieurs millions d’euros dépensés en vain. C’est la raison pour laquelle existe au niveau européen un fonds de garantie pour les forages géothermiques, destiné à dédommager les entreprises malheureuses. Pour le plus grand malheur des outre-mer, ce fonds ne s’applique pas à la géothermie volcanique. La mission d’information demande donc à la diplomatie française d’user de son influence auprès des instances européennes pour lever cette restriction.
Préconisation : demander à la diplomatie française d’user de son influence auprès des instances européennes pour étendre le fonds de garantie relatif aux forages à la géothermie de nature volcanique.
5. L’hydroélectricité a encore du potentiel
Déjà exploitée à La Réunion grâce au relief tourmenté de l’île, l’électricité d’origine hydroélectrique peut encore être développée. Si l’ère des grands barrages est révolue, de petits aménagements plus légers, parfois qualifiés d’hydrauliques « au fil de l’eau » peuvent encore être aménagés à mi-pente des principaux massifs. Ces petites retenues peuvent permettre un doublement de la production d’électricité en utilisant à plusieurs reprises l’eau d’une même rivière, l’eau étant reversée dans son milieu naturel, ce qui permet de régénérer la faune et la flore.
Préconisation : étudier la possibilité d’installation d’usines hydroélectriques « au fil de l’eau » pour permettre la fabrication d’électricité avec des machines plus performantes.
C. Le dÉveloppement de la biomasse
1. Le charbon cède la place à la bagasse et aux pellets québécois
Acteur présent dans tous les DROM (départements et régions d’outre-mer) la société Albioma développe l’utilisation de la biomasse à La Réunion, notamment en remplacement du charbon importé d’Afrique du sud. L’un des combustibles utilisés, hors charbon, est la bagasse, ce résidu issu de la canne à sucre. Mais les quantités produites ne sont pas suffisantes et la disparition du charbon nécessite l’importation de pellets de bois.
Les conversions des deux centrales Albioma de Bois Rouge, au nord, et du Gol, au sud, sont bien engagées et la dernière importation de charbon est programmée pour le début de l’année 2024, date à laquelle le bois canadien, ajouté à la bagasse, prendra le relai. En effet, c’est de son usine québécoise qu’Albioma importera les pellets : l’industriel a acquis cette usine afin de maîtriser toute la chaîne, depuis l’abattage des arbres et leur replantage jusqu’à l’incinération du bois dans ses centrales ultramarines, notamment celle de La Réunion.
Préconisation : renoncer à l’importation des pellets en circuits longs et privilégier l’importation en provenance des bassins régionaux (Madagascar ou l’Afrique du sud, pour La Réunion, par exemple), sans déforestation.
L’objectif est de brûler 100 000 tonnes de biomasse dans les deux usines de l’île. Malgré les 15 000 km de trajet maritime que les pellets auront à effectuer depuis le Québec, ce projet est considéré comme permettant de décarboner la production d’électricité réunionnaise à défaut de contribuer à rendre l’île plus autonome.
Ce changement de combustible n’est pas anodin. Sur le port, par exemple, les espaces de stockage doivent être aménagés et couverts pour abriter les pellets importés, car le bois humide perd ses qualités calorifiques. Le charbon, en revanche, était stocké à l’air libre.
2. Les déchets ménagers convertis en combustibles
Pour réduite au strict nécessaire les importations de pellets, Albioma a commencé à utiliser également les résidus combustibles des déchets ménagers triés en déchèterie. Cette matière, appelée CSR (combustible solide de récupération), pourrait être produite sur l’île à hauteur de 170 000 tonnes par an selon les scénarios les plus optimistes. Mais même dans une telle hypothèse, ce ne sera pas suffisant pour pouvoir se passer de l’importation des pellets québécois. Par ailleurs, le prix de revient du CSR est malheureusement beaucoup plus élevé que celui du charbon ou même de la biomasse solide.
Lorsque la mission d’information s’est rendue à La Réunion, en mars 2023, la biomasse représentait 25 % de la production électrique actuelle, soit environ 66 Gigawattheures (GWh) par an sur les 425 GWh produits.
La directive européenne RED III
Le 14 septembre 2022, le Parlement européen a voté la directive « RED III » sur l’efficacité énergétique, décidant de porter à 45 % d’ici 2030, au lieu de 22 % alors, la part des énergies renouvelables dans la consommation électrique de l’Union européenne, soit cinq points de plus que l’objectif approuvé par le Conseil de l’Union européenne en juin 2022.
Ce texte, toujours en cours de négociation entre les différentes instances européennes, fixera les critères de durabilité de la biomasse, notamment l’intensité calorifique des pellets. La directive supprimera également les subventions pour certains biocarburants ou biogaz dont la production contribue à la déforestation dans les pays producteurs (huile de palme et soja).
3. Le biofioul bientôt utilisé dans la centrale du Port
La centrale EDF PEÏ du Port, pour sa part, est en cours de conversion : elle doit passer du fioul au biogaz. Il s’agit d’une évolution d’une source d’énergie fossile importée vers une source d’énergie renouvelable (à condition que les champs de colza nécessaires ne contribuent pas à la déforestation) mais tout aussi importée. Ce n’est donc pas un progrès en matière d’autonomie énergétique.
4. La biomasse est-elle réellement vertueuse ?
La biomasse, qu’elle soit solide (pellets de bois) ou liquide (biogaz) est présentée comme vertueuse dans la mesure où les arbres et le colza consommés pour produire l’électricité sont présentés comme renouvelables, même si leur régénération s’inscrit sur le long terme, surtout concernant les arbres.
Les producteurs assurent que la production de pellets, essentiellement d’origine canadienne, est parfaitement traçable et s’inscrit dans le cadre d’une gestion saine des forêts de ce pays, les arbres abattus étant replantés. La mission d’information entend ces arguments de la même manière qu’elle a entendu d’autres acteurs indiquer que le Canada n’était pas le seul fournisseur mais que d’autres pays, moins impliqués dans la traçabilité et davantage dans le déboisage (Madagascar, l’Indonésie) fournissaient également des pellets de bois aux usines de biomasse. Et même si l’on admet que les pellets canadiens, parfaitement traçables, ne participent pas au déboisement de la planète, il n’en reste pas moins que ces pondéreux doivent parcourir 15 000 km par voie maritime pour arriver sur l’île de La Réunion, ce qui ne présage pas d’un bilan carbone exceptionnel.
EDF nous a assuré que la biomasse liquide était choisie avec soin : il s’agirait d’un sous-produit d’alimentation animale issu de la culture du colza respectant déjà la directive européenne RED III, qui n’est pourtant pas encore adoptée (cf. supra). Cette biomasse a été préférée à l’huile de palme, moins respectueuse de l’environnement et responsable, dans certains pays, de déforestation.
Mais ce sous-produit du colza, acheté en Europe, au Canada ou en Australie est-il réellement vertueux ? Une fois arrivée à Sète ou la matière est transformée en biomasse, elle repart pour les outre-mer, effectuant parfois un tour du monde complet par voie maritime avant d’arriver à destination. Énergie renouvelable peut-être, mais le bilan carbone du colza moissonné en Australie, transformé dans l’Hérault puis brûlé à La Réunion reste à calculer.
Autre problème posé par la biomasse liquide : les capacités de raffinage françaises en la matière sont de l’ordre de deux millions de tonnes par an. Or, selon l’association Guyane Nature Environnement, l’approvisionnement des centrales ultramarines en biomasse liquide représenterait un volume de 770 000 tonnes annuelles, une charge non négligeable représentant plus du tiers des capacités. L’industrie française parviendra-t-elle à faire face à une telle demande ?
Préconisation : actualiser le schéma régional biomasse dans tous les outre-mer pour explorer les différentes ressources.
II. Mayotte
Cumulant les handicaps en terme de niveau de vie et de développement, l’archipel de Mayotte reste très éloigné des objectifs d’autonomie énergétique. Son électricité reste très largement dépendante des importations de fioul et les objectifs de diversification vers le solaire et la biomasse apparaissent modestes.
A. Une Énergie carbonÉe et peu diversifiÉe
1. Un opérateur qui dépend du conseil départemental
Du fait de sa dimension insulaire, le réseau électrique de Mayotte n’est pas connecté et donc plus vulnérable que les réseaux continentaux interconnectés. Il existe un opérateur unique pour l’île de Mayotte, la société Électricité de Mayotte (EDM), créée en 1997. EDM assure à la fois la production, le transport et la distribution de l’électricité du territoire.
Le capital social de l’entreprise se décompose comme suit :
– 50,01 % appartient au conseil général de Mayotte ;
– 24,99 % appartient à EDEV, filiale du groupe EDF spécialisée dans la gestion de participations dans le secteur de l'énergie ;
– 24,99 % appartient à Quaero Capital, une société de gestion de fonds privée ;
– 0,01% appartient à l’État français.
EDM exerce la mission de service public de production, distribution et commercialisation de l’électricité sur l'île de Mayotte. Ses activités entrent entièrement dans le domaine régulé par la Commission de régulation de l’énergie (CRE). La direction générale de l’entreprise ainsi que l’ensemble des postes de responsables des pôles opérationnels sont assurés par des agents du Groupe EDF. La gouvernance est assurée par l’État, l’ADEME, et EDM.
2. Une production électrique basée sur le fioul
Mayotte dispose d’une puissance électrique installée d’environ 112 MW. Sur ce total, 38,1 MW proviennent de la centrale thermique à fioul des Badamiers en Petite-Terre, qui compte douze moteurs de puissance variant de 750 KW à 7 MW. Certains de ces générateurs ne sont plus conformes aux normes industrielles, en termes de pollution ou de bruit, mais fonctionnent, au moins jusqu’à la fin de l’année 2023, avec une dérogation temporaire de la Direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DEAL).
Une seconde centrale installée à Longoni en Grande-Terre, dispose de cinq moteurs d’une puissance de 8 MW et de trois moteurs de 11 MW chacun, soit un total de 73 MW.
Par ailleurs, l’île dispose de 81 centrales photovoltaïques réparties sur l’ensemble du territoire, auxquelles vient s’ajouter la première centrale de biogaz de Mayotte, fonctionnant également grâce à l’incinération de déchets, inaugurée en décembre 2018.
La production et la consommation d’électricité à Mayotte augmentent constamment, simultanément à l’évolution démographique et économique du département. Elle reste toutefois largement issue de ressources fossiles, tendance qui semble se confirmer au fil des années. En effet, en dépit d’une hausse de 11,6 % de la production photovoltaïque sur la période, la contribution de cette énergie dans la production totale demeure minoritaire.
B. Un territoire en pleine expansion
1. Une hausse continue de la consommation
Ainsi que le montre le tableau ci-après, le nombre d’abonnés a augmenté fortement ces dernières années (+12,3 % entre 2017 et 2021), de même que la consommation (+11,8 % sur la même période). Ces hausses corroborent l’importante hausse de la population que connaît Mayotte.