N° 1806

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 octobre 2023.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

sur le bilan des accords de libre-échange,

 

ET PRÉSENTÉ

PAR M. Thomas MÉNAGÉ ET Mme Lysiane MÉTAYER,

Députés

——

 

  1.     La composition de la commission figure au verso de la présente page.

 

La Commission des affaires européennes est composée de : M. Pieyre-Alexandre ANGLADE, président ; M. Pierre-Henri DUMONT, Mme Marietta KARAMANLI, MM. Frédéric PETIT, Charles SITZENSTUHL, vice-présidents ; M. Henri ALFANDARI, Mmes Louise MOREL, Nathalie OZIOL, secrétaires ; MM. Gabriel AMARD, David AMIEL, Rodrigo ARENAS, Mme Delphine BATHO, MM. Pierrick BERTELOOT, Manuel BOMPARD, Mmes Chantal BOULOUX, Pascale BOYER, MM.  André CHASSAIGNE, Mmes Sophia CHIKIROU, Annick COUSIN, Laurence CRISTOL, MM. Thibaut FRANÇOIS, Jean-Luc FUGIT, Guillaume GAROT, Mmes Félicie GÉRARD, Perrine GOULET, M. Michel HERBILLON, Mme Laurence HEYDEL GRILLERE, MM Alexandre HOLROYD, Philippe JUVIN, Mmes Brigitte KLINKERT, Julie LAERNOES, Constance LE GRIP, Nicole LE PEIH, M. Denis MASSÉGLIA, Mmes Joëlle MÉLIN, Yaël MENACHE, M. Thomas MÉNAGÉ, Mmes Lysiane MÉTAYER, Danièle OBONO, Anna PIC, M. Christophe PLASSARD, MM. Alexandre SABATOU, Nicolas SANSU, Vincent SEITLINGER, Mmes Michèle TABAROT, Liliana TANGUY, Sabine THILLAYE, Estelle YOUSSOUFFA.

 


—  1  —

 

SOMMAIRE

___

 Pages

Introduction

I. L’UNION EUROPÉENNE : UNE PUISSANCE COMMERCIALE DISPOSANT DU PLUS LARGE RÉSEAU D’ACCORDS DE LIBRE-ÉCHANGE AU MONDE

A. L’UNION EUROPÉENNE COMPTE PARMI LES PRINCIPALES PUISSANCES COMMERCIALES MONDIALES

1. Le développement du libre-échange a toujours figuré au cœur des traités européens

2. Les États membres ont délégué leur politique commerciale à l’Union européenne

3. Un réseau d’accords de libre-échange inégalé

a. L’Union européenne a conclu plus d’une quarantaine d’accords de libre-échange à travers le monde

b. Des négociations commerciales en cours devraient conduire à accroître encore le nombre d’accords de libre-échange en vigueur

i. Mercosur

ii. Australie

iii. Mexique

iv. Nouvelle-Zélande

c. Les États-Unis et la Chine : partenaires commerciaux principaux de l’Union avec lesquels les échanges ne sont pourtant pas régis par un ALE

4. La multiplication des accords de libre-échange conclus par l’Union européenne est aussi une conséquence directe des impasses actuelles du multilatéralisme

5. Il existe d’autres façons de construire les ALE : l’exemple du modèle nord-américain (ACEUM)

B. DES ACCORDS DE LIBRE-ÉCHANGE AU SERVICE DE L’ÉCONOMIE DE L’UNION EUROPÉENNE

1. Le poids économique de l’Union lui confère un avantage dans les négociations internationales

2. Malgré la difficulté à évaluer l’impact de certains accords, il semblerait que leur conclusion conduise à un accroissement des échanges avec les partenaires commerciaux

a. La diminution des barrières à l’échange semble bien permettre l’accroissement des échanges

b. Un constat à nuancer du fait de la difficulté à isoler l’impact spécifique des ALE

3. Les retombées positives de l’accroissement des échanges pour les exportations européennes

4. Des effets positifs pour les entreprises et les consommateurs européens

a. Les bénéfices pour les entreprises

b. Les bénéfices pour les consommateurs

5. L’accès à de nouveaux marchés pour les entreprises européennes

II. UN BILAN CONTRASTÉ DES ACCORDS DE LIBRE-ÉCHANGE DE L’UNION

A. LES DÉFAUTS DES ACCOrDS DE LIBRE-ÉCHANGE POINTÉS PAR DE NOMBREUSES CRITIQUES

1. Les limites sur le plan économique

a. Des disparités entre les balances commerciales des États membres qui interrogent le constat de profits communs

i. De grandes disparités de balances commerciales entre pays membres de l’Union européenne

ii. Au niveau national, les échanges commerciaux ne ressortent pas considérablement augmentés par la ratification d’un ALE et la réalisation d’études exhaustives requiert davantage de recul

b. L’agriculture comme « monnaie d’échange » ?

i. Certaines filières sensibles affaiblies par le développement du commerce international

ii. Certaines filières largement bénéficiaires du commerce international

2. Les revendications tendant à une implication croissante de différents acteurs

3. Les limites en matière environnementale

a. Une mesure inexistante de l’empreinte carbone des accords de libre-échange

b. En dépit de l’objectif affiché d’une prise en compte accrue des enjeux environnementaux, l’accroissement du commerce international auquel contribuent les accords de libre-échange semble en contradiction avec la protection de l’environnement

4. Les limites en matière de normes sanitaires et de protection du consommateur

a. Un contrôle impossible de la conformité de l’ensemble des produits entrants au sein du marché unique aux normes sanitaires prévues dans les accords

b. Une élévation des normes sanitaires à travers le monde

5. Les limites en matière de droits sociaux

a. Dans l’Union européenne

b. Au sein des pays partenaires

B. LES NOUVELLES APPROCHES DE LA COMMISSION EUROPÉENNE

1. Une évolution progressive du contenu des accords de libre-échange pour tenir compte des préoccupations nouvelles de l’Union

a. Un objectif initial de réduction des droits de douane pour doper les échanges commerciaux

b. Les accords dits de nouvelle génération : un champ plus large que le seul commerce de biens et une attention portée à la réduction des barrières non-tarifaires

c. L’émergence d’une troisième génération d’accords afin de prendre en compte davantage les enjeux de développement durable

i. Un paradigme nouveau censé concilier plus fortement les relations commerciales de l’Union avec ses exigences sociales et environnementales

ii. L’accord conclu avec la Nouvelle-Zélande pose la base de cette dernière génération d’accords

2. Une attitude nouvelle consistant à chercher à tirer profit des accords existants plutôt que de chercher exclusivement à en conclure de nouveaux

a. Faire respecter les accords en vigueur par nos partenaires : la montée en puissance de la défense commerciale

b. Permettre aux entreprises de s’emparer des possibilités que leur offrent les accords de libre-échange

3. La place des ALE dans l’objectif d’indépendance stratégique de l’UE et des États membres : l’exemple de l’accès aux terres rares

III. PERSPECTIVES ET RECOMMANDATIONS DES RAPPORTEURS

A. CADRE GLOBAL

1. Une nécessité : évaluer les conséquences des ALE

2. Conditionner la conclusion d’un ALE à certains engagements de la part de nos partenaires

3. Accroître la transparence des négociations qui précèdent les conclusions des ALE et la participation d’autres acteurs concernés

4. S’assurer que les ALE bénéficient à l’ensemble des États membres de l’Union et réduire nos vulnérabilités

B. MISE EN ŒUVRE DES ACCORDS

1. Prévoir la possibilité de recourir, au sein des pays ou régions cocontractants, à des contrôles sur place du respect des normes définies dans les ALE

2. Renforcer la publicité des ALE et leur appropriation par les entreprises et les citoyens

C. PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT ET DES CONSOMMATEURS

D. SOUTENIR NOS AGRICULTEURS

RECOMMANDATIONS DES RAPPORTEURS

RECOMMANDATIONS DE THOMAS MÉNAGÉ

RECOMMANDATIONS DE Lysiane mÉtayer

TRAVAUX DE LA COMMISSION

annexe  1 : Liste des personnes auditionnÉes par les rapporteurs

annexe  2 : ÉVOLUTION DES BALANCES COMMERCIALES DE BIENS DE QUELQUES ÉTATS AVEC LESQUELS L’UNION EUROPÉENNE A CONCLU UN ALE

 


—  1  —

 

   Introduction

 

Mesdames, Messieurs,

Les accords de libre-échange de l’Union européenne n’ont eu de cesse de susciter la polémique : qu’il s’agisse du CETA hier ou du projet d’accord avec le Mercosur aujourd’hui, les débats au sein de notre pays ont toujours été vifs au moment des négociations, et se sont parfois poursuivis après la ratification des accords. Pour cette raison, il a semblé intéressant à vos rapporteurs d’essayer de dresser, modestement, un bilan des accords de libre-échange (ALE) de l’Union, sans présupposés et dans un souci d’objectivité. Vos rapporteurs espèrent ainsi contribuer à éclairer utilement les débats sur cette question d’actualité et ont tâché de proposer des solutions afin de corriger les écueils des accords de libre-échange qu’ils ont constatés au fur et à mesure de leurs travaux.

Parce que ces accords ne sauraient être évalués qu’à l’aune de leurs résultats purement économiques, le choix a été fait d’inclure dans ce « bilan » des ALE des considérations relatives à protection des consommateurs, à la préservation de l’environnement et du climat ou encore aux droits des travailleurs. Avec le recul, un tel choix a parfois conduit vos rapporteurs, dans le délai qui leur était imparti, à ne pas pouvoir approfondir autant qu’ils l’auraient souhaité telle ou telle thématique et chacune d’entre elles aurait pu faire l’objet d’un rapport à part entière. Cette contrainte temporelle s’est doublée d’une autre contrainte majeure : il n’existe pas d’évaluation systématique de l’impact des ALE conclus par l’Union européenne. Il existe, certes, des études, réalisées de façon indépendante, au cas par cas, des conséquences probables d’un projet d’accord ou des conséquences avérées de la conclusion de tel ou tel accord dans tel ou tel domaine mais, actuellement, aucun suivi n’est disponible publiquement des impacts, ne serait-ce qu’économiques, de chacun des accords. Malgré la difficulté de l’exercice, plusieurs constats peuvent néanmoins être tirés des auditions menées.

L’Union européenne dispose du plus grand réseau d’accords de libreéchange au monde, composé de plus d’une quarantaine d’accords conclus avec des pays tiers. Ce réseau d’accords constitue le principal pilier de sa politique commerciale et n’a eu de cesse de s’amplifier. Outre les considérations économiques qui guident la ratification des ALE, ces accords servent également, de plus en plus, d’autres objectifs de l’Union : faire prévaloir ses normes à travers le monde ou renforcer son indépendance stratégique en sécurisant l’approvisionnement en terres rares, par exemple.


Force est toutefois de constater que les accords de libre-échange ne sont pas toujours à la hauteur des ambitions qu’ils portent. Les conséquences positives sur la balance commerciale de l’Union européenne ne sont, par exemple, pas évidentes : la hausse des échanges à laquelle ils concourent ne semble pas, à première vue, compatible avec la lutte contre le dérèglement climatique et l’Union a conclu des accords de libre-échange avec des pays dans lesquels les droits des travailleurs sont bafoués, allant à l’encontre des valeurs qu’elle défend. Cette liste, sans être exhaustive, dresse un aperçu des défauts des ALE face auxquels vos rapporteurs proposent diverses recommandations afin de faire en sorte que les accords de libre-échange servent effectivement les intérêts de l’Union et de ses États membres.

Ce travail de recommandations communes – pour la majorité d’entre elles – reflète l’attitude de vos rapporteurs tout au long des travaux qui, malgré leurs divergences politiques, ont en effet tenu à proposer un rapport d’information avec un plan unique mais qui laisse à chacun la possibilité d’exprimer les nuances qu’il juge nécessaires aux diverses idées exprimées.

 


—  1  —

 

I.   L’UNION EUROPÉENNE : UNE PUISSANCE COMMERCIALE DISPOSANT DU PLUS LARGE RÉSEAU D’ACCORDS DE LIBRE-ÉCHANGE AU MONDE

A.   L’UNION EUROPÉENNE COMPTE PARMI LES PRINCIPALES PUISSANCES COMMERCIALES MONDIALES

1.   Le développement du libre-échange a toujours figuré au cœur des traités européens

L’attachement au libre-échange est un marqueur fort de la construction européenne puisqu’il a été consacré dès 1957 dans le préambule du traité de Rome instituant la Communauté économique européenne. Celui-ci disposait, en effet, que les six États fondateurs de la Communauté – la France, la République fédérale d’Allemagne, l’Italie, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas – étaient « désireux de contribuer, grâce à une politique commerciale commune, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux ».

Cette volonté d’œuvrer en faveur du développement du commerce international s’est traduite par l’instauration d’une politique commerciale commune « fondée sur des principes uniformes notamment en ce qui concerne les modifications tarifaires, la conclusion d’accords tarifaires et commerciaux, l’uniformisation des mesures de libération, la politique d’exportation, ainsi que les mesures de défense commerciale », en vertu de l’article 113 du traité précité. La politique commerciale commune s’est ainsi progressivement construite sur la base du marché commun puis de l’union douanière. Toutefois, la politique commerciale commune ne s’est réellement concrétisée qu’avec l’adoption du tarif douanier commun (TDC) à l’égard des pays tiers, aux termes d’un règlement du Conseil du 28 juin 1968 ([1]), et n’a eu de cesse de s’approfondir depuis.

Les révisions successives des traités européens ont réitéré cet attachement de l’Union européenne au libre-échange. On peut ainsi lire à l’article 206 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne que l’Union entend contribuer « au développement harmonieux du commerce mondial, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et aux investissements étrangers directs, ainsi qu'à la réduction des barrières douanières et autres ».

Aujourd’hui encore, ce principe demeure la pierre angulaire de la politique commerciale européenne, comme en témoigne la communication ([2]) de la Commission dans laquelle elle a défini sa politique commerciale pour les années à venir. De fait, dès les premiers mots de cette communication de 2021, on peut lire : « Le commerce est l’un des instruments les plus puissants de l’Union européenne. Il est au cœur de la prospérité économique et de la compétitivité de l’Europe ».

2.   Les États membres ont délégué leur politique commerciale à l’Union européenne

L’Union européenne dispose d’une compétence exclusive en matière commerciale (article 3 TFUE). C’est ainsi elle qui négocie, pour le compte des États, les accords avec les pays tiers. Cette volonté a été affirmée très tôt par l’appellation « politique commerciale commune » dans le TCE et que l’on retrouve aujourd’hui dans le TFUE. Dans un avis du 11 novembre 1975 ([3]), la Cour de justice a confirmé le caractère exclusif de cette compétence, précisant que « toute compétence parallèle des États membres de la Communauté en la matière [est] exclue » afin de ne pas empêcher la Communauté de « remplir sa tâche dans la défense de l'intérêt commun ».

Depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, l’article 207 TFUE énonce que la politique commerciale commune recouvre « la conclusion d'accords tarifaires et commerciaux relatifs aux échanges de marchandises et de services, et les aspects commerciaux de la propriété intellectuelle, les investissements étrangers directs, l'uniformisation des mesures de libéralisation, la politique d'exportation, ainsi que les mesures de défense commerciale, dont celles à prendre en cas de dumping et de subventions ».

Le traité de Lisbonne a toutefois précisé, à l’article 207 paragraphe 6 TFUE, que la répartition des compétences internes entre l’Union et les États membres n’était pas remise en cause par la conclusion d’accords commerciaux et, en particulier, n’entraîne pas une harmonisation des réglementations nationales lorsque cela est exclu par les traités.

Enfin, la mise en œuvre de la politique commerciale commune relève de la responsabilité des États membres. Conformément au principe de l’administration indirecte, ces derniers exercent en particulier les procédures nécessaires à la mise en œuvre du tarif douanier commun.


La procédure de conclusion des accords commerciaux dans l’Union

Le Conseil adresse des « directives » de négociation à la Commission. Ces directives constituent le mandat de la Commission. La Commission présente au Conseil un projet de mandat qu’il adopte à la majorité qualifiée. Dans la pratique, la recherche du consensus s’impose souvent : il est assez peu imaginable que la Commission se lance dans une négociation commerciale tout en sachant qu’un ou plusieurs États influents notamment ne se reconnaissent pas dans le mandat qui lui a été octroyé.

Les négociations sont conduites par la Commission, en consultation avec le Comité de politique commerciale émanant du Conseil (aussi appelé Comité 207). Il se compose de hauts fonctionnaires désignés par les États membres auxquels la Commission rend compte.

Au terme des négociations, l’accord est signé par la Commission, après que le Conseil ait adopté une décision autorisant la signature de l’accord, et conclu par le Conseil. La conclusion est l’équivalent en droit européen de la ratification.

Néanmoins, l’approbation préalable du Parlement européen est obligatoire avant la conclusion d’un accord couvrant un domaine où la procédure législative ordinaire ou la procédure législative spéciale est applicable, ce qui recouvre en réalité la grande majorité des accords commerciaux.

Enfin, s’il s’agit d’accords mixtes (c’est-à-dire d’accords couvrant des domaines qui relèvent à la fois de la compétence exclusive de l’Union et des compétences partagées avec les États membres), la ratification par les parlements nationaux et/ou régionaux des différents États membres est également nécessaire.

3.   Un réseau d’accords de libre-échange inégalé

a.   L’Union européenne a conclu plus d’une quarantaine d’accords de libre-échange à travers le monde

L’Union européenne est, à ce jour, signataire de 42 accords de libreéchange regroupant 74 États partenaires ([4]) répartis sur l’ensemble des cinq continents. Cela fait, de très loin, de l’Union européenne la puissance ayant conclu le plus grand nombre d’accords de libre-échange au monde. De fait, la participation de l’Union européenne à de tels accords est nettement supérieure à celle des autres puissances commerciales, comme l’illustre le tableau ci-dessous.


Signataires

Nombre d’accords de libre-échange

Royaume-Uni

36

Mexique

23

Pérou

21

Japon

18

Australie

17

Chine

16

Canada

15

États-Unis

14

 

Source : rapporteurs, à partir des données de l’OMC

Au-delà du nombre, les échanges avec les pays avec lesquels l’Union a conclu de tels accords représentent la moitié de l’activité commerciale de cette dernière – 5 580 milliards d’euros d’échanges avec le reste du monde en 2022 ([5]).

Ce réseau d’accords va en s’amplifiant puisque l’Union européenne a conclu plusieurs ALE depuis une dizaine d’années : c’est le cas avec la Corée du Sud (entrée en vigueur totale en 2015), la Colombie et le Pérou (2013) puis l’Équateur (2017), le Canada (entrée en vigueur partielle depuis 2017), Singapour (2019), le Japon (2019) et le Vietnam (2020). Selon le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE), si les accords sont de plus en plus nombreux, c’est parce que le marché intérieur, qui regroupe 27 États membres – et jusqu’à récemment 28, avant le départ du Royaume-Uni – fait office de véritable force d’attraction pour les partenaires, fort de ses 447 millions de consommateurs aux revenus plus élevés que dans la majeure partie des régions du monde. Le SGAE a, en outre, avancé que les accords déjà ratifiés contiennent des dispositions largement favorables à la protection des intérêts européens et qui renforcent les structures productives des États concernés ; dès lors, ces derniers seraient incités à conclure d’autres accords.

Toutefois, selon le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), la plupart des accords actifs de l’Union européenne sont conclus avec des petits pays, à l’instar de l’accord de partenariat économique UE‑Cariforum (République dominicaine et Communauté des Caraïbes), avec l’Arménie ou l’Andorre et l’impact sur l’économie européenne serait, par conséquent, relativement mineur voire « exagéré ».

Enfin, certains accords conclus ne sont entrés que partiellement en vigueur. L’entrée en vigueur totale de l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada (AECG ou CETA, en anglais) est, à titre d’exemple, toujours suspendue en raison de l’absence de ratification par l’ensemble des États membres de la partie de l’accord qui relèvent des compétences partagées.

En effet, à côté des compétences exclusives et des compétences d’appui, figurent les compétences partagées (art. 4 TFUE) qui s’appliquent aux domaines pour lesquels l’Union européenne et ses États membres sont en mesure de légiférer et d’adopter des actes juridiquement contraignants. Les investissements peuvent relever de ces domaines, ce qui implique que le volet « investissements » contenu dans un accord puisse être inappliqué en cas de refus des États membres de ratifier la partie de l’accord y ayant trait. C’est ainsi que le CETA n’est entré que partiellement en vigueur depuis le 21 septembre 2017, la partie relative aux compétences partagées n’ayant pas été ratifiée par l’ensemble des États dont la France, où l’Assemblée nationale a voté en faveur de la ratification à la différence du Sénat qui ne s’est toujours pas prononcé.

b.   Des négociations commerciales en cours devraient conduire à accroître encore le nombre d’accords de libre-échange en vigueur

Signataire d’une quarantaine d’accords de libre-échange, l’Union européenne est également partie à plusieurs négociations commerciales en cours. Sauf à suspendre ces négociations, de nouveaux accords devraient ainsi accroître le nombre de partenariats déjà établis entre l’Union européenne et un État ou une région tiers. L’on retiendra, plus particulièrement, les accords de libre-échange potentiels avec le Marché commun du Sud (Mercosur) et l’Australie. Par ailleurs, l’ALE avec le Mexique devrait être actualisé cette année. En outre, l’accord conclu, en juin 2022, avec la Nouvelle-Zélande devrait être prochainement ratifié.

i.   Mercosur

Réunissant quatre États d’Amérique latine (le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay) auxquels s’ajoutent deux pays associés (le Chili et la Bolivie), le Mercosur représente près de 65 % du PIB de l’Amérique latine et un marché de plus de 220 millions de consommateurs. L’Union européenne constitue aujourd’hui son premier partenaire commercial, devant les États-Unis. Outre les potentielles retombées économiques d’un tel accord, l’Amérique latine constitue une région riche en matières premières essentielles pour mener à bien la transition écologique souhaitée par l’Union européenne.

Le projet d’accord d’association entre l’Union européenne et le Mercosur, qui comporte un volet commercial, est ancien mais les négociations peinent à aboutir. Amorcées en 2000, suspendues en 2004 et rouvertes en 2013, elles patinent depuis la conclusion d’un accord de principe le 28 juin 2019.

S’il était finalisé, l’accord serait le plus important accord de libre-échange conclu par l’Union européenne de par la population concernée (780 millions de personnes) et les volumes d’échanges couverts (88 milliards d’euros annuels pour les biens et 34 milliards d’euros annuels pour les services) ([6]). La réduction et, à terme, l’élimination de certains droits de douane pourrait bénéficier grandement aux exportateurs européens alors que le degré de protection du Mercosur est encore très élevé dans des secteurs comme les boissons et tabacs, les produits laitiers ou encore la chimie et le caoutchouc, secteurs pour lesquels l’Union, et particulièrement la France, détient un avantage comparatif. Il devrait également permettre de renforcer les exportations européennes d'automobiles, mais également celles de textiles et de produits alimentaires et d’offrir aux entreprises européennes la possibilité de participer aux appels d’offres gouvernementaux.

Si un accord est attendu durant le second semestre 2023, le projet n’en demeure pas moins très critiqué. Les principales critiques portent sur les conséquences néfastes de la conclusion d’un tel accord sur l’environnement, et notamment en matière de déforestation. C’est ce motif qu’avait, en particulier, mis en avant le Président de la République Emmanuel Macron pour bloquer les négociations en 2019. L’Institut Veblen estime ainsi que l’accord enfermerait les pays du Mercosur dans un rôle d’agro-exportateurs, aggraverait la déforestation de l’Amazonie ou encore faciliterait l’entrée de denrées produites selon des pratiques interdites dans l’Union européenne ([7]). Le projet d’accord est par ailleurs vivement critiqué par les agriculteurs européens qui dénoncent une concurrence déloyale en raison de normes environnementales, sociales ou sanitaires moins exigeantes en Amérique latine que celles auxquelles ils seraient confrontés en Europe. L’Assemblée nationale a elle aussi exprimé son désaccord avec le projet d’accord en l’état dans une résolution ([8]) adoptée le 13 juin 2023. Elle y invite notamment le Gouvernement à « communiquer à la Commission européenne et au Conseil l’opposition de la France à l’adoption de l’accord d’association entre l’Union européenne et le Mercosur en l’absence d’un accès au marché européen conditionné au respect des normes de production européennes et de critères de durabilité et de traçabilité, pour les produits les plus sensibles en matière de lutte contre le changement climatique et de protection de la biodiversité, et en l’absence de clause suspensive relative au respect par les États membres du Mercosur de leurs engagements au titre de l’accord de Paris. »

Thomas Ménagé déplore que le Gouvernement ne tienne pas réellement compte de cette résolution. Selon lui, le ministre délégué chargé du commerce extérieur, Olivier Becht, a simplement renvoyé vers le « respect de l’Accord de Paris », « la prise en compte des normes sociales et sanitaires de l’Union » et l’instauration de « mécanismes de sanctions », comme triple-condition pour que la France accepte un accord. Pour Thomas Ménagé, la position de la France doit cependant être clarifiée au vu des enjeux multiples que le projet d’accord soulève et il invite le Gouvernement à prendre acte de la résolution votée par l’Assemblée nationale.


Sur ce point, Lysiane Métayer tient à signaler qu’au contraire, selon elle, le ministre et le Gouvernement sont très clairs dans l’expression de leurs exigences envers les pays du Mercosur. Trois conditions précises ont été clairement énoncées par la France pour accepter un accord. En ce qui concerne l’Accord de Paris, il s’agit de considérer le respect de cet accord comme une « clause essentielle au traité » et non pas simplement d’en demander le respect. Cette qualification entraîne des conséquences juridiques concrètes en droit international. Comme l’a rappelé le ministère dans sa contribution écrite, cette notion d’élément essentiel consacrée par l’article 60 de la Convention de Vienne sur le droit des traités implique que l’engagement à respecter est si important aux yeux des parties que sa violation peut entraîner la suspension directe de l’accord. Qualifier l’Accord de Paris d’« élément essentiel » des accords conclus par l’Union et ses États membres permettra donc, en dernier recours, de mettre fin à ces accords ou d’en suspendre l’application en cas de retrait de l’Accord de Paris, ou de non-respect de ses obligations juridiquement contraignantes, comme c’est actuellement le cas dans l’hypothèse d’une violation des droits de l’Homme ou des règles en matière de non-prolifération des armes de destruction massive. Ainsi, les mesures appropriées que l’Union pourrait mobiliser au titre de la violation de l’Accord de Paris sont très larges. Outre la suspension de l’intégralité de l’accord de commerce, l’activation de l’élément essentiel peut également conduire à suspendre d’autres coopérations relevant non pas de l’accord commercial, mais du volet politique de la relation de l’Union avec son partenaire. Par ailleurs, la dénonciation du non-respect d’une clause essentielle découle d’une procédure d’urgence unilatérale. La suspension des préférences peut alors s’appliquer très rapidement, après de simples consultations des parties, et sans intervention d’un panel d’arbitrage.

Thomas Ménagé appuie néanmoins ses réticences sur des considérations environnementales, et sur les travaux de la commission ([9]) que présidait S. Ambec, laquelle a réalisé une analyse quantitative de l’impact de la libéralisation de plusieurs secteurs agricoles (viande bovine, maïs, sucre, …) sur la déforestation en Amérique du Sud. Le rapport rendu par cette commission estimait que le projet d’accord ayant fait l’objet d’un accord politique en 2019 pourrait conduire à la mise en exploitation d’environ 700 000 hectares de surface de production supplémentaires dans les pays du Mercosur, conduisant à aggraver une déforestation déjà excessive et incontrôlée dans cette région du monde. Cette estimation a le mérite de prendre en compte l’usage supplémentaire des terres dû à l’accroissement de la production générée par l’accord et ses conséquences sur la déforestation. Ainsi, pour la commission présidée par M. Ambec, le coût climatique du projet d’accord de 2019 avec le Mercosur est supérieur aux avantages économiques qu’il pourrait procurer.

À ce sujet, Lysiane Métayer tient également à rappeler que le Gouvernement a conditionné la possibilité d’une conclusion d’un accord avec le Mercosur au respect du règlement zéro-déforestation. Pour rappel, ce règlement prévoit deux types de contrôles pour les produits et les entreprises concernés :

     un contrôle par l’autorité compétente nationale ;

     un contrôle par les autorités douanières : les opérateurs devront indiquer dans leur déclaration en douane, le numéro de la déclaration de diligence raisonnée correspondant à la marchandise importée ou exportée, avant la mise en libre pratique ou l’exportation.

Les contrôles qui seront effectués par l’autorité compétente le seront les modalités suivantes :

     chaque autorité compétente nationale définit annuellement un plan de contrôle basé sur des critères de risque (pays d’origine, complexité de la chaîne d’approvisionnement, risque de mélange, etc.) ;

     elle identifie ainsi chaque année une liste d’opérateurs et commerçants à contrôler par filière concernée ;

     les autorités compétentes des différents États membres travailleront en étroite collaboration entre elles mais aussi avec les douanes et la Commission ;

     les contrôles seront réalisés dans la mesure du possible sans avertissement préalable ;

     le bon fonctionnement du système de diligence raisonnée sera tout d’abord vérifié, puis la conformité d’un produit sera vérifiée grâce à sa déclaration de diligence raisonnée ;

     si des points restent à éclaircir, l’autorité compétente pourra recourir à des contrôles de terrain, à une vérification des informations grâce à des outils de géolocalisation, à des analyses scientifiques visant à établir l’origine du produit, voire à des interventions dans les pays tiers concernés s’il y a lieu.

Lors de l’audition de S. Ambec, Thomas Ménagé a, en outre, cherché à savoir si, au-delà de la filière de la viande bovine, d’autres filières seraient particulièrement exposées par l’accord avec le Mercosur. M. Ambec a souligné qu’il y aurait d’autres filières qui seraient sujettes à une concurrence accrue si cet accord était conclu, « telles que la filière sucrière, la viande de porc, le maïs ou encore le miel », précisant qu’il s’agissait de secteurs agricoles « pour lesquels les pays du Mercosur sortiront gagnants de l’accord ». Thomas Ménagé se montre également particulièrement attentif aux inquiétudes qu’a pu exprimer la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricole (FNSEA) au sujet de cet accord, s’agissant du sucre, de la volaille, de l’éthanol et des normes en général. Il souhaite attirer l’attention sur le fait que la part de la France dans le commerce international du sucre tend à diminuer depuis 2004 et qu’il ne faudrait pas contribuer qu’un accord avec le Mercosur contribue à fragiliser encore davantage cette filière.

 

Source : FranceAgriMer, d’après FO Licht, TDM

 

 

Positions des rapporteurs sur le projet d’accord d’association avec le Mercosur

Position de Lysiane Métayer, co-rapporteure

La rapporteure soutient, sous conditions, la ratification d’un accord avec les États du Mercosur. Si le rejet en bloc de tout accord de libre-échange est une erreur, la prise en compte effective des enjeux sociaux, environnementaux et sanitaires est cruciale pour aligner notre politique commerciale sur nos valeurs.

En l’occurrence, la France a imposé trois conditions à la mise en place de cet accord : le respect de l’Accord de Paris comme clause essentielle, l’application aux partenaires des normes sanitaires et sociales de l’Union européenne ainsi que l’implémentation de mécanismes de san­ctions clairs et opérationnels en cas de violation des engagements.

Ces conditions prenant en compte les critiques légitimes dirigées à l’égard des accords précédents peuvent offrir un cadre satisfaisant à la conclusion d’un tel accord. Néanmoins, pour être suffisantes, ces mesures doivent être mises en place de manière effective. C’est particulièrement vrai en matière d’engagements environnementaux, trop souvent bafoués par le passé afin de protéger nos relations commerciales.

Les récentes évolutions en la matière sont encourageantes. La mise en place progressive du Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) et celle prévue de l’interdiction d’accès au marché de l’UE des produits ayant causé de la déforestation sont autant d’exemples témoignant d’un changement réel. Ainsi, l’Union européenne n’a jamais fait preuve d’autant de détermination pour mettre en œuvre concrètement ses ambitions écologiques dans sa politique commerciale.

Par ailleurs, il convient de prendre du recul et d’observer ce qui se fait ailleurs dans le monde. En janvier 2022, malgré les différentes crises que nous avons connues, la plus vaste zone de libre-échange du monde a été créée entre quinze nations de l’Asie-Pacifique (le Partenariat économique régional global, RCEP).

Parmi ces États, on compte notamment la Chine, l’Australie, la Corée du Sud, la Malaisie et la Nouvelle-Zélande. Pour la rapporteure, ce partenariat témoigne du fait que les États qui y participent ont conscience, tout comme l’Union européenne et ses États membres, que les accords de libre-échange, au-delà de leur intérêt commercial, sont d’une importance stratégique cruciale. Ils permettent à ces pays de diversifier les risques auxquels ils sont exposés en matière d’approvisionnement, de projeter leur puissance à l’étranger et d’accéder à de nouveaux marchés.

Si nous laissons la volonté de partenariat exprimée par le Mercosur sans réponse, qui y répondra à notre place ?

Le repli n’est donc pas une solution viable et l’ouverture sous condition, telle que proposée par l’Union européenne et par la France, reste le meilleur moyen que nous avons de préserver collectivement notre rang tout en respectant nos engagements.

Position de Thomas Ménagé, co-rapporteur

Le rapporteur est, au vu de l’ensemble des éléments susmentionnés, opposé à la ratification d’un nouvel accord de libre-échange, qui viendrait accroître les importations de façon inconsidérée et fragiliser encore davantage des pans entiers de la production nationale. Tous les arguments sont en défaveur d’une telle ratification qui serait nuisible à l’agriculture française, à la filière sucrière – déjà malmenée par l’interdiction des néonicotinoïdes prononcée par la CJUE – à la filière avicole. Une ratification d’un accord avec les pays du Mercosur serait surtout, inquiétante en matière de garantie de conformité aux normes sanitaires applicables dans l’Union des produits entrants. De plus, la distance entre ces pays et l’Union européenne impliquerait une augmentation toujours plus préoccupante des émissions de gaz à effet de serre causée par le fret maritime, alors que les importations représentent aujourd’hui près de 50 % des émissions de gaz à effet de serre de la France. En outre, le rapporteur estime que les accords en vigueur présentent bien assez de défauts et de menaces pour l’économie nationale pour qu’il soit permis aux responsables politiques d’accroître ce risque en accumulant les accords. Il appelle donc à consolider les moyens permettant de protéger notre économie et non pas à contribuer à sa fragilisation, a fortiori au regard de l’état déficitaire de notre balance commerciale.

 

ii.   Australie

Les négociations entre l’Australie et l’Union européenne ont débuté le 18 juin 2018, dans l’objectif de réduire considérablement les droits de douane sur les biens, y compris pour les produits agricoles, mais également de supprimer certaines barrières non-tarifaires. Toutefois, la crise dite des sous-marins, qui a opposé la France et l’Australie à partir de septembre 2021 après que l’Australie a rompu un contrat d’armements de plusieurs milliards d’euros avec la France, a, par ricochet, fortement ralenti les négociations entre l’Union européenne et l’Australie qui se sont même pendant un temps interrompu. Le quatorzième cycle de discussions a finalement repris en début d’année 2023 mais plusieurs points d’achoppement demeurent, en particulier au sujet des appellations d’origine contrôlée. L’Australie entend conclure les négociations techniques fin 2023.

iii.   Mexique

Le Mexique est le premier partenaire de l’Union européenne en Amérique latine. En discussion depuis 2016, un accord de principe visant à moderniser l’accord de libre-échange en vigueur depuis 2000, considéré comme obsolète, notamment dans les secteurs agricoles et des produits laitiers, avait été signé par les deux parties le 4 mai 2020 mais sans jamais avoir été ratifié depuis. Les négociations ont depuis repris et l’Union européenne et le Mexique souhaitent parvenir à un accord d’ici la fin de l’année. Ce nouvel accord doit permettre d’éliminer les droits de douane élevés imposés par le Mexique sur les produits alimentaires et les boissons provenant de l’Union et permettre aux entreprises de l’Union de vendre davantage de services au Mexique. En particulier, comme indiqué précédemment, les produits agricoles, qui n’étaient pas intégrés dans l’accord jusqu’alors, occupent désormais une place centrale dans les discussions. L’enjeu est notamment d’ouvrir le marché européen plus largement aux importations de viandes mexicaines. Du côté des exportations, l’UE devrait bénéficier d’un meilleur accès au marché mexicain pour le fromage et les produits laitiers.

iv.   Nouvelle-Zélande

La Nouvelle-Zélande constitue la deuxième économie d'Océanie, avec une population de plus de 5 millions d'habitants et un produit intérieur brut (PIB) annuel proche de 200 milliards d'euros. L’Union européenne est son troisième partenaire commercial.             

L’Union européenne et la Nouvelle-Zélande sont parvenues à un accord de libre-échange en juin 2022, après quatre années de négociations. La Commission européenne a transmis le projet d’accord commercial au Conseil le 17 février 2023, en vue de sa signature puis de sa ratification par les États membres. Avec l’entrée en vigueur de l’accord, les échanges commerciaux bilatéraux pourraient connaître une augmentation de 30 %, d’après la Commission européenne. Cet accord serait par ailleurs le premier à s’inscrire dans la nouvelle approche de l’Union européenne en matière de partenariats commerciaux ([10]) (voir infra).

L’accord fait, néanmoins, l’objet de vives critiques. Les principales proviennent des défenseurs de l’environnement qui dénoncent la volonté d’accroître les échanges entre deux régions du monde très éloignées l’une de l’autre, le transport de marchandises étant émetteur de CO2. La seconde vague de critiques est issue des agriculteurs et notamment des éleveurs qui estiment qu’ils feront l’objet d’une concurrence déloyale car les réglementations en matière de bien-être animal, de traçabilité, d’utilisation des médicaments vétérinaires et des produits phytosanitaires seraient moins contraignantes en Nouvelle-Zélande qu’au sein du marché unique. Sur ce sujet il est à noter que le BEUC regrette, en ce sens, la ratification de l’accord avec la Nouvelle-Zélande, et a mis en lumière l’incohérence avec la stratégie européenne « De la ferme à la fourchette » ([11]).

c.   Les États-Unis et la Chine : partenaires commerciaux principaux de l’Union avec lesquels les échanges ne sont pourtant pas régis par un ALE

L’Union européenne et les États-Unis entretiennent la relation commerciale qui se caractérise par le plus grand volume d’échanges au monde (biens, services et investissements). De fait, un tiers du commerce mondial de biens et services a lieu entre les deux puissances. En 2021, ce sont ainsi 399 milliards d’euros de biens que l’Union exportait aux États-Unis (contre 232 milliards d’euros de biens importés, conduisant à une balance commerciale largement excédentaire pour l’Union en matière de marchandises ([12])).

Le premier accord commercial avec la Chine a été signé en 1978. Un second lui a succédé en 1985. Ces accords ont permis de développer les échanges entre les deux régions du monde, l’Union européenne étant aujourd’hui le partenaire économique avec lequel la Chine commerce le plus. En 2022, la Chine était, quant à elle, le troisième partenaire de l'Union en termes d'exportations de biens et le premier en termes d'importations. Le volume d'échanges quotidien entre les deux puissances a été évalué récemment par la présidente de la Commission européenne à 2,3 milliards d'euros ([13]).

En dépit de ses relations commerciales étroites, aucun accord de libreéchange ne régit, à ce jour, les échanges de l’Union européenne avec les ÉtatsUnis ou la Chine, ses deux principaux partenaires commerciaux. Cela ne signifie pas que des tentatives de nouer de tels accords n’ont pas existé. En ce qui concerne les relations entre l’Union européenne et les États-Unis, il s’agissait précisément de l’objectif du traité de libre-échange transatlantique (TTIP, puis TAFTA) pour lequel les négociations ont débuté en 2013 mais n’ont pas abouti avant la fin du mandat de B. Obama et ont été définitivement arrêtées avec l’élection de D. Trump. Si le projet avait été mené à son terme, il aurait institué la zone de libre-échange la plus importante au monde. En ce qui concerne la Chine, la conclusion d’un accord de libre-échange ne semble pas à l’heure du jour, la Chine étant accusée de pratiques commerciales discriminatoires par l’Union européenne. L’Union a ainsi refusé le 11 décembre 2016 de reconnaître le statut d’économie de marché à la Chine. En outre, en mars 2019, la Commission européenne a publié un plan stratégique concernant la Chine, comprenant notamment des actions visant à défendre les droits de l’homme et à trouver une réciprocité dans les échanges commerciaux en évitant le protectionnisme ou les soutiens excessifs aux industries nationales. Preuve de ces divergences, un accord global sur les investissements, signé en 2020, n’a toujours pas été ratifié. Cet accord a pourtant vocation à permettre une plus grande ouverture du marché chinois aux entreprises de l’Union européenne. Si la ratification de l’accord par l’Union est suspendue depuis 2021, c’est notamment en raison de mesures adoptées par la Chine cette année-là à l’encontre de représentants européens, en réponse aux sanctions prises par l’Union contre des fonctionnaires du Xinjiang, tenus pour responsables de la répression dont sont victimes les Ouïgours.

4.   La multiplication des accords de libre-échange conclus par l’Union européenne est aussi une conséquence directe des impasses actuelles du multilatéralisme

L’augmentation du nombre d’accords de libre-échange conclus par l’Union s’inscrit dans une tendance plus globale d’augmentation du nombre d’accords bilatéraux ou plurilatéraux, au détriment des accords multilatéraux. Complémentaires des négociations conduites à l’OMC, qui s’emploient à libéraliser, au plan mondial, le commerce des biens et des services, les accords de libre-échange, négociés et conclus entre deux (ou plusieurs) puissances, connaissent une forte croissance : en 2020, le Comité des accords de libre-échange régionaux de l’OMC recensait ainsi plus de 300 ACR ([14]) en vigueur, contre la moitié vingt ans plus tôt.

Source : rapporteure, à partir des données de l’OMC

Les difficultés que connaît le multilatéralisme commercial expliquent ce recours accru aux accords de libre-échange. Dans un contexte d’impasse du Cycle de Doha ([15]), lancé depuis 2001 et qui n’a jamais abouti, nombre de pays considèrent, tout d’abord, nécessaire de poursuivre la libéralisation commerciale avec leurs principaux partenaires sans devoir attendre l’aboutissement des négociations multilatérales conduites à l’OMC. Plus globalement, la crise que traverse l’OMC, du fait notamment de la paralysie de son organe de règlement des différends en raison du blocage de l’organe d’appel, a aussi pu détourner encore davantage les membres de l’organisation des négociations multilatérales au profit de relations bilatérales. Le revirement protectionniste des États-Unis amorcé sous le mandat de Donald Trump, et poursuivi sous celui de Joe Biden, a en outre incité les États membres de l’Union à resserrer leurs liens avec de nouveaux pays alors que la relation avec leur principal partenaire se révélait instable. Dans une note publiée en 2018, le Conseil d’analyse économique (CAE) constatait en effet que « le système multilatéral commercial est aujourd’hui gravement menacé par le pays qui en a été l’inspirateur principal, États-Unis » et voyait dans la conclusion d’accords commerciaux un moyen pour l’Europe d’amoindrir les conséquences de cette « tempête sur le commerce international » ([16]). À l’occasion de la table ronde agricole, la Lysiane Métayer s’est interrogée sur la question de savoir si l’OMC remplissait efficacement son rôle de protecteur du libre-échange. Sur ce point, la FNSEA a rappelé que tant que les États-Unis ne nommeront pas de juges, l’organe de règlements des différends restera bloqué et l’OMC ne pourra plus juger en appel les litiges, et sanctionner les pays responsables d’entraves au libre-échange. Par ailleurs, les règles applicables aux pays membres en matière de commerce dépendent de leur niveau de développement économique. Or ce système est déclaratif, ce qui peut inciter des pays à opter pour un niveau inférieur à la réalité économique pour bénéficier de conditions d’échanges plus favorables, comme le fait la Chine.

5.   Il existe d’autres façons de construire les ALE : l’exemple du modèle nord-américain (ACEUM)

Afin d’évaluer les accords de libre-échange de l’Union européenne, il a paru intéressant aux rapporteurs de comparer les accords de libre-échange européens avec des accords auxquels l’Union n’est pas partie. Parce que les pays qui le composent constituent, globalement, des économies relativement proches des économies européennes et qu’il constitue le premier accord de libre-échange au monde de par les volumes d’échanges couverts, les rapporteurs ont retenu l’Accord Canada – États-Unis – Mexique (ACEUM). Comme son nom l’indique, il s’agit d’un accord de libre-échange entre le Canada, les États-Unis et le Mexique qui a remplacé l’ALENA. L’accord est entré en vigueur le 1er juillet 2020. À ce titre, la comparaison a donc aussi semblé bienvenue aux rapporteurs puisque l’ALENA était entré en vigueur en 1994, soit seulement deux ans après la création de l’Union européenne, et que sa révision intervient à un moment où l’Union revoit elle aussi sa façon de construire les accords de libre-échange.

Une disposition de l’ACEUM, évoquée à plusieurs reprises pendant les auditions, a particulièrement retenu l’attention des rapporteurs : le mécanisme d’intervention rapide (The Facility-Specific Rapid Response Labor Mechanism, RRLM). Ce mécanisme bilatéral entre le Canada et le Mexique, ainsi qu’entre les États-Unis et le Mexique, vise à assurer un respect efficace de certaines obligations particulières en matière de droit du travail dans les établissements mexicains visés. Concrètement, si le Canada ou les États-Unis entretiennent des doutes quant au respect du droit du travail mexicain en matière de liberté d’association et de négociation collective par certains établissements, ils peuvent demander qu’une enquête soit menée, sur place, par un groupe de trois experts indépendants. Si leurs doutes sont confirmés à l’issue du travail mené par le groupe d’experts, l’accord de libre-échange prévoit que de telles infractions peuvent entraîner l’imposition de sanctions par les partenaires, notamment la suspension d’avantages tarifaires ou le blocage d’expéditions de marchandises des établissements ne respectant pas les obligations précitées.

Une telle capacité à diligenter une enquête sur place, non prévue par les accords de libre-échange conclus par l’Union, a été jugée digne d’être mentionnée ici par les rapporteurs à titre de comparaison.

B.   DES ACCORDS DE LIBRE-ÉCHANGE AU SERVICE DE L’ÉCONOMIE DE L’UNION EUROPÉENNE

1.   Le poids économique de l’Union lui confère un avantage dans les négociations internationales

La création du marché unique a contribué à faire de l'Union européenne l'un des blocs commerciaux les plus puissants au monde, à égalité avec d'autres puissances commerciales mondiales telles que les États-Unis et la Chine. De fait, lorsque l’Union négocie avec un partenaire un accord de libre-échange, c’est l’accès à un marché de 448 millions de consommateurs – plus de 500 millions jusqu’à récemment, avant le départ du Royaume-Uni – qu’elle laisse entrevoir. Cela constitue un avantage considérable dans les négociations : seuls deux pays au monde, la Chine et l’Inde, disposent d’une population supérieure. Toutefois, les revenus par habitant de ces deux pays sont bien moindres que celui d’une majorité des consommateurs de l’Union et c’est là un autre avantage déterminant du marché unique : les consommateurs ne sont pas seulement nombreux, mais plus riches que dans l’écrasante majorité du reste du monde. L’Union européenne a aussi acquis une position de force en s’exprimant, en vertu de la politique commerciale commune, d'une seule voix pour le compte de l’ensemble des États membres sur la scène internationale, plutôt qu’en laissant ces mêmes États adopter des stratégies commerciales distinctes, voire potentiellement concurrentes. Cette force de frappe que représente l’ouverture au marché unique pour nos partenaires est bien mise en évidence par le fait que la politique commerciale de l’Union a longtemps été considérée comme un substitut à une politique étrangère européenne, entravée par le vote à l’unanimité. Lors d’un discours prononcé à l’occasion des trente ans du marché unique, Thierry Breton a ainsi considéré que « [le marché unique avait] donné à l’Europe les moyens de façonner, enfin, son destin politique et économique » ([17]).

Les accords commerciaux signés par le Royaume-Uni depuis le Brexit permettent de mettre en évidence cet avantage que représente le poids de l’Union européenne dans les négociations commerciales. L’analyse est en effet intéressante en ce qu’elle permet de comparer les concessions dont bénéficiaient le Royaume-Uni en tant que membre de l’Union et celles qu’il obtient désormais en négociant pour son propre compte, alors que le Royaume-Uni s’est fixé comme objectif de renforcer sa position « comme l’une des grandes nations commerçantes du XXIe siècle » ([18]). À cet égard, le parallèle entre les accords signés avec la Nouvelle-Zélande est éloquent. Si l’on s’intéresse par exemple à l’enjeu des importations d’agneau, produit néozélandais phare, au sein de l’Union européenne et du Royaume-Uni, on constate que l’ouverture du marché britannique a été plus élevée que celle du marché de l’Union européenne ([19]). Cela prouve bien que le levier du marché unique est un facteur de négociation considérable, alors que le Royaume-Uni est la cinquième puissance économique mondiale et bénéficie d’une « relation spéciale » avec les pays anglophones. Malgré leurs ambitions, il semblait illusoire pour les Britanniques de penser qu’un accord de libre-échange puisse accorder au Royaume-Uni autant d’avantages, voire plus, que le marché unique. En outre, depuis 1973, le Royaume-Uni n’avait négocié aucun accord de libre-échange seul puisque les négociations étaient du ressort de la Commission pour les États membres de la Communauté puis de l’Union. Lysiane Métayer retient qu’à l’inverse, pour cette raison précise, la Commission a développé une véritable expertise en la matière au fil du temps et dispose d’équipes rodées à l’exercice capables de faire valoir les intérêts européens. Thomas Ménagé appelle, quant à lui, à relativiser ce constat au vu des nombreuses critiques adressées aux accords déjà existants, et précise que cette expertise reste à être démontrée dans le cadre des prochaines négociations commerciales.

2.   Malgré la difficulté à évaluer l’impact de certains accords, il semblerait que leur conclusion conduise à un accroissement des échanges avec les partenaires commerciaux

a.   La diminution des barrières à l’échange semble bien permettre l’accroissement des échanges

La réduction des obstacles aux échanges qui résulte de la mise en œuvre des différents accords de libre-échange, semble avoir contribué à l’amélioration des échanges entre l’Union européenne et l’État ou la région signataire. Selon Antoine Bouët, directeur du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), une augmentation des exportations est systématiquement observée en raison de la diminution des coûts du commerce international provoqué par l’abaissement, voire la suppression, des barrières tarifaires engendrées.

Le graphique suivant permet par exemple d’apprécier l’impact positif de l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada (CETA) sur les volumes de biens échangés. Ainsi, le commerce bilatéral a atteint 66,8 milliards d’euros en 2019, soit une augmentation de 27 % par rapport à 2016 ([20]), année précédant l’entrée en vigueur partielle du CETA. Thomas Ménagé observe l’existence d’une courbe ascendante antérieure à l’entrée en vigueur, laquelle n’est qu’une prolongation non significative d’un état de fait.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Source : rapporteure, à partir des données d’Eurostat et de Statistique Canada

Denis Redonnet, Directeur général adjoint de la Direction générale du Commerce de la Commission européenne, a également soutenu en audition que l’accord commercial conclu avec la Corée du Sud en 2011 a conduit à une hausse de plus de 50 % des échanges bilatéraux, précisant que cela a permis à l’Union d’y maintenir sa part de marché face à d’autres acteurs commerciaux. Ici encore en matière de services (graphique ci-dessous), la tendance précédant l’entrée en vigueur totale de l’accord est à la hausse : le reflux amorcé en 2014 n’est pas interrompu en 2015, il se poursuit au contraire.


 

 

 

 

 

Source : rapporteure, à partir des données de l’OMC

 

Enfin, le graphique suivant met en lumière l’augmentation des exportations de services au Pérou, lesquelles se sont élevées à 2,2 milliards de dollars en 2020 contre 1,5 milliard de dollars en 2013, au moment de la mise en œuvre de l’accord de libre-échange. À nouveau, Thomas Ménagé fait remarquer que l’entrée en vigueur de l’accord ne confirme qu’une tendance antérieure, et n’empêche pas les exportations de services de diminuer entre 2015 et 2016 pour atteindre un niveau inférieur à celui enregistré en 2012.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Source : rapporteure, à partir des données de l’OMC

b.   Un constat à nuancer du fait de la difficulté à isoler l’impact spécifique des ALE

Dès le commencement des auditions, les rapporteurs ont souhaité obtenir des éléments chiffrés portant sur l’impact spécifique des accords de libre-échange. Ainsi, pour Mme Fabry, « il manque aujourd’hui des études d’impact plus précises et systématisées sur les résultats des accords ([21]). »

Le constat relatif aux répercussions positives de la diminution des barrières à l’échange sur les flux doit être nuancé en raison de la difficulté à identifier l’impact précis des ALE sur les échanges, notamment ces dernières années, et en raison de la difficulté plus générale d’assurer un « monitoring » précis des accords. Plusieurs évènements récents ont en effet profondément affecté les échanges internationaux ce qui rend les chiffres observés difficilement représentatifs (guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, épidémie de covid-19, guerre en Ukraine, …). Le Conseil d’analyse économique parlait ainsi d’une véritable « tempête sur le commerce mondial » ([22]) pour évoquer les répercussions de la politique commerciale des États-Unis sous le mandat de Donald Trump quand la crise sanitaire a conduit les pays de l’ensemble de la planète à restreindre l’accès à leur territoire, conduisant de facto à une diminution des échanges. De manière générale, il apparaît difficile d’isoler l’impact spécifique de la conclusion des accords sur l’activité commerciale des parties signataires. Au-delà des évènements mondiaux, les choix de politique intérieure, à l’instar de la promulgation de la loi américaine sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act), ou les conjonctures économiques nationales rendent par exemple l’interprétation des flux commerciaux difficile et une multiplicité des facteurs brouille l’évaluation de l’impact des accords de libre-échange.

La Direction générale du Commerce de la Commission européenne est cependant d’avis que les accords de libre-échange « dynamisent » les échanges de l’Union européenne et ont joué, de 2020 à 2021, le rôle de « coussins amortisseurs » ([23]) au moment où le commerce intérieur s’est contracté sous l’effet de la pandémie de Covid-19. La DG Commerce a, de fait, constaté une véritable différence au niveau macroéconomique entre les échanges avec les États parties d’un accord de libre-échange avec l’Union et les États avec lesquels un tel accord n’a pas été conclu.

3.   Les retombées positives de l’accroissement des échanges pour les exportations européennes

L’accroissement des échanges bilatéraux permis par l’entrée en vigueur des accords de libre-échange a des répercussions positives sur les exportations des États membres.

Les graphiques suivants illustrent par exemple l’évolution des marchandises exportées par l’Union européenne à destination de la Corée du Sud, du Canada, de Singapour et du Japon dans le secteur des boissons et liquides alcooliques ([24]). Ainsi, en dépit d’une baisse des exportations observée en 2020 en raison des effets de l’épidémie de Covid-19, la tendance globale est à la hausse. Les exportations vers la Corée du Sud et le Canada ont enregistré une progression constante. Selon les données fournies par la direction générale du Trésor, les exportations à destination de la Corée du Sud sont ainsi passées de 76,8 millions d’euros en 2006 à 227 millions d’euros en 2015 ([25]), au moment de la mise en œuvre totale de l’accord, pour atteindre 587,5 millions d’euros en 2022. Dans le cas du Canada, le volume de boissons et liquides alcooliques importés par le Canada en provenance de l’Union européenne a augmenté de 51,4 % entre 2012 et 2022. Thomas Ménagé souligne toutefois que l’augmentation des exportations est minime, déjà en hausse avant l’entrée en vigueur de l’accord avec la Corée du Sud, et qu’elles diminuent en 2019 dès l’entrée en vigueur des accords conclus avec le Japon et Singapour. En ce qui concerne les exportations à destination du Canada, le rapporteur relève qu’elles connaissaient une hausse tendancielle depuis 2014.

Source : rapporteure, à partir des données de la Direction générale du Trésor

Un constat similaire peut être dressé dans le secteur des voitures automobiles. La Corée du Sud, notamment, affiche une hausse exponentielle des importations depuis l’Union européenne dans ce domaine : le montant des importations coréennes dans ce secteur est ainsi passé de 1 701,6 millions d’euros en 2006 à 8 278,5 millions d’euros en 2022. De la même manière, les exportations de véhicules à destination du Mexique ne cessent globalement de croître depuis 2007, au bénéfice de l’économie européenne. Thomas Ménagé précise une nouvelle fois que les exportations à destination de la Corée du Sud augmentent significativement entre 2009 et 2015, et que la conclusion de l’accord (par consécution ou corrélation) ralentit cette tendance jusqu’à 2021. De même, selon le rapporteur, l’accord passé avec le Mexique ne semble pas, d’après le graphique ci-contre, produire des effets substantiels dans le secteur automobile à compter de son entrée en vigueur.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Source : rapporteure, à partir des données de la Direction générale du Trésor

De façon plus générale, le graphique suivant met en exergue l’accroissement des exportations de l’Union européenne vers le Canada, régies par l’accord économique et commercial global (CETA) conclu en 2016. Auditionné, le ministre du Commerce avait effectivement fait état d’une augmentation de 38 % des exportations européennes de biens vers ce pays entre 2017 et 2022. Thomas Ménagé note cependant que l’accroissement des échanges est antérieur à l’entrée en vigueur du traité (entre 2014 et 2015, et dès 2016).

 

 

 

 

 

 

 

Source : rapporteure, à partir des données d’Eurostat et de Statistique Canada

De manière identique, l’accord de libre-échange conclu avec la Corée du Sud a permis de fortement augmenter les exportations de l’Union européenne vers ce pays. Comme le souligne un papier ([26]) de la Banque centrale européenne publié récemment, « l’accord de libre-échange a stimulé le commerce bilatéral de façon inégale, avec un impact non significatif sur les exportations de la Corée du Sud vers l’Union européenne et un effet positif et important sur les exportations européennes. » Sur la période 2011-2019, les exportations européennes de biens vers la Corée du Sud ont augmenté de 45 %, passant de 35 milliards d’euros à 50 milliards d’euros, alors que les importations européennes ont augmenté à un taux plus bas, avec une augmentation observée de 19 % sur la période. Les exportations de produits chimiques et pharmaceutiques de l’Union en Corée du Sud ont par exemple bondi de 47,8 % entre 2011 et 2019. De même, sur la période, les exportations européennes de textiles, vêtements et produits associés ont augmenté de 13,5 %.

Importations corÉennes en provenance de l’Union europÉenne

 

C:\Users\faugas\Desktop\Corée du Sud.PNG

 

Source : calcul des auteurs du papier

Les accords de libre-échange conclus par l’Union semblent donc atteindre leur principal objectif, à savoir stimuler les exportations vers les pays partenaires.

4.   Des effets positifs pour les entreprises et les consommateurs européens

a.   Les bénéfices pour les entreprises

Les accords de libre-échange offrent un accès élargi aux différents marchés des économies partenaires. Ce faisant, les accords créent un effet « taille de marché » en accroissant le marché potentiel sur lequel les entreprises peuvent proposer leurs produits ; ils instituent également un effet « concurrence » augmentant les concurrents effectifs ou potentiels des entreprises.

L’augmentation de la taille du marché offre aux entreprises la possibilité de réaliser des économies d’échelle diminuant le coût de production unitaire des produits en raison de l’augmentation de leurs productions. En outre, la demande induite par l’extension du marché conduit les entreprises à innover plus fortement. L’augmentation de la concurrence oblige quant à elle les entreprises à devenir plus efficace ou à réduire leur prix, ce qui, dans les deux cas, renforce leur compétitivité.

La conclusion d’ALE permet également aux entreprises européennes de se fournir en biens intermédiaires à moindre coût, qu’elles transforment ensuite sur le sol européen, ce qui renforce leur compétitivité.

La conclusion d’accords de libre-échange permet enfin de stabiliser des situations économiques pour les entreprises. Un accord peut ainsi consolider les échanges commerciaux préexistants entre l’Union et un pays partenaire. À défaut de permettre de nouveaux gagner de nouveaux marchés, les ALE peuvent contribuer à éviter d’en faire perdre aux entreprises européennes. De fait, l’évolution des balances commerciales des pays avec lesquels l’Union a conduit un accord de libre-échange apparaît, dans le pire des cas, stagnante.

b.   Les bénéfices pour les consommateurs

En ouvrant le marché européen aux exportations des entreprises des pays avec lesquels l’Union a conclu un accord de libre-échange, les ALE offrent une plus grande quantité de biens et services aux consommateurs. Sont importés sur les marchés des États membres des biens et services étrangers parfois moins chers, en provenance de pays partenaires dont les entreprises sont capables de proposer des prix moins élevés en raison de leur plus grande productivité ou de coûts de production moins élevés par exemple. L’exposition à cette concurrence étrangère est par ailleurs bénéfique pour les consommateurs car elle oblige les productions domestiques à s’aligner sur les prix afin de rester compétitives et faire face aux prix des importations des partenaires commerciaux (cf. supra). Ainsi, les consommateurs gagnent en pouvoir d’achat en bénéficiant à la fois de produits importés moins chers mais aussi de produits locaux dont les prix diminuent.

Outre cet effet-prix, s’ajoute une augmentation de la diversité des biens et services proposés. En effet, la production européenne seule ne peut pas fournir des biens et services dans tous les domaines pour des raisons économiques, techniques, climatiques ou culturelles notamment : un accord commercial permet donc de proposer un plus large choix de produits aux consommateurs. Pour les produits déjà disponibles en Europe, la concurrence incite les entreprises à se différencier, permettant là-encore, au sein d’une même catégorie de produits, de bénéficier de biens et services plus larges.

Toutefois Thomas Ménagé souhaite mentionner que, lors de son audition, Léa Auffret, chargée de mission au Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC), a déploré l’absence de « bénéfices concrets pour les consommateurs » du nouvel accord ratifié avec la Nouvelle-Zélande. Elle a également fait part de son scepticisme quant à la durabilité de la baisse des prix qui en résulterait, en précisant que celle-ci « ne sera pas automatique ». Selon elle, « aucune corrélation entre l’existence d’un accord de libre-échange et la baisse des prix n’a, à ce jour, été démontrée. »

Lysiane Métayer tient à signaler que, pour elle, le commerce international, et donc les ALE, permettent bien de tirer les prix vers le bas. Depuis les travaux de David Ricardo en 1817, voire ceux d’Adam Smith avec sa théorie des avantages absolus datant de 1776, il est indéniable que le commerce international entraîne une baisse des prix.

5.   L’accès à de nouveaux marchés pour les entreprises européennes

Les accords de libre-échange permettent aux entreprises des États membres de bénéficier d’une ouverture accrue des marchés de biens et de services des pays partenaires. Ces accords sont, en effet, négociés par l’Union européenne avec un État ou une région tiers dans la perspective de garantir de nouveaux débouchés commerciaux aux entreprises souhaitant développer leur activité à l’international.

L’accord économique et commercial global conclu avec le Canada (CETA) prévoit ainsi la suppression de la quasi-totalité des barrières tarifaires et non-tarifaires et ouvre les appels d’offres des marchés publics canadiens. Cela renforce nécessairement la capacité des entreprises européennes à se projeter sur ce marché. L’accord de libre-échange UE-Singapour ouvre, lui, plus largement le marché de Singapour aux exportations de services de l’Union européenne depuis 2019, dans les secteurs des transports et de la télécommunication notamment. Le cinquième rapport annuel relatif à la mise en œuvre de l’accord commercial conclu entre l’Union européenne d’une part, la Colombie et le Pérou (2013) puis l’Équateur (2017) d’autre part souligne quant à lui que cet accord a à la fois ouvert de nouveaux secteurs sud-américains aux investissements européens, mais également encouragé les petites et moyennes entreprises européennes à s’engager dans des échanges bilatéraux, en raison des tarifs préférentiels.

Plus généralement, les accords commerciaux que l’Union a signés avec ses partenaires offrent aux entreprises européennes la possibilité d’intégrer des marchés en plein essor. En 2022, l'économie vietnamienne a par exemple enregistré sa plus forte croissance des vingt-cinq dernières années (8 %) au point que la Direction générale du Trésor qualifiait le pays d’« étoile filante », dans un billet publié en 2023 ([27]). De même, la croissance de Singapour s’élevait à 3,6 % du PIB en 2022. Dans les deux cas, il s’agissait d’un chiffre supérieur à celui de la croissance mondiale cette année-là (3,2 %).

La conclusion d’accords de libre-échange s’est aussi accompagnée de la création d’outils à destination des petites et moyennes entreprises leur permettant de bénéficier d’informations relatives aux opportunités offertes en matière d’accès aux marchés partenaires (voir infra). En ce sens, la plateforme Access2Markets, conçue en 2020, précise les conditions d’utilisation des préférences commerciales afin de favoriser l’internationalisation des entreprises européennes, M. Yann Ambach de la DGDDI ayant par ailleurs rappelé la nécessité d’accroître l’accès à l’export aux petites et moyennes entreprises, ainsi que la Délégation aux entreprises du Sénat dans une note de décembre 2022. En 2022, les entreprises françaises ont représenté 8 % des quatre millions d’utilisateurs individuels, faisant de la France le quatrième État recourant le plus à cette plateforme. En outre, les administrations douanières, à l’instar de la Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) dans le cas français, sont tenues d’informer les entreprises nationales des accords nouvellement ratifiés.

II.   UN BILAN CONTRASTÉ DES ACCORDS DE LIBRE-ÉCHANGE DE L’UNION

A.   LES DÉFAUTS DES ACCOrDS DE LIBRE-ÉCHANGE POINTÉS PAR DE NOMBREUSES CRITIQUES

1.   Les limites sur le plan économique

a.   Des disparités entre les balances commerciales des États membres qui interrogent le constat de profits communs

i.   De grandes disparités de balances commerciales entre pays membres de l’Union européenne

Si l’on exclut l’année 2022, année pour laquelle la balance commerciale ([28]) de l’Union a été affectée par des circonstances exceptionnelles, le solde des échanges commerciaux de l’Union européenne est resté constamment positif ces dix dernières années. Entre 2012-2021, avant le début de la guerre en Ukraine donc, l’Union a toujours bénéficié d’un excédent commercial qui a même été, certaines années, particulièrement élevé, dépassant les 200 milliards d’euros en 2015, 2016, 2017 et 2020.

 

C:\Users\faugas\Desktop\Bilan des ALE\Rédaction\Balance commerciale bien UE.PNG

 

Source : Eurostat, balance commerciale des biens de l’Union européenne 2012-2022

Toutefois, comme le souligne le graphique ci-dessous, ce solde occulte de profondes disparités entre États membres. En réalité, l’excédent réalisé résulte des résultats commerciaux de quelques pays très exportateurs, au premier rang desquels l’Allemagne, qui tire le solde global vers le haut. Ainsi, en 2021, dernière année pour laquelle des données sont disponibles en dehors de 2022 que l’on exclut en raison des conséquences de la guerre en Ukraine sur les échanges, alors que la somme des balances commerciales des 27 États membres atteignait 131 milliards d’euros, l’Allemagne affichait un excédent commercial de 178,4 milliards d’euros, les Pays-Bas de 66,1 milliards d’euros et l’Italie de 44,2 milliards d’euros. À l’inverse, 18 des 27 des États membres faisaient état, cette année-là, d’une balance commerciale déficitaire et, parmi les pays excédentaires, 3 présentaient un solde certes positif mais très proche de l’équilibre (la Slovaquie, la Suède et le Danemark).

 

Source : rapporteurs, à partir des données d’Eurostat

Thomas Ménagé tient à souligner que la France se trouve en dernière position, et enregistre un déficit commercial des biens de plus de 163,6 milliards d’euros en 2022, soit le double du déficit de 2021, qui s’élevait à 85 milliards d’euros ([29]). Ainsi, selon une note ([30]) du Haut-Commissariat au Plan publiée le 10 mai 2023, la consommation intérieure est « très largement insatisfaite par la production nationale », et plus des « deux tiers des produits » affichent un solde commercial négatif.

En 2022, la balance commerciale de biens de l’Union européenne a drastiquement chuté, atteignant – 432 Md€. Si ce déficit constitue un revirement majeur pour le bloc commercial européen qui a historiquement engendré d’importants excédents de sa balance commerciale, ce chiffre est avant tout le reflet de l’extraordinaire hausse des coûts des matières premières, et notamment de l’énergie. L’Union européenne est en effet importatrice nette d’énergie : selon les données de la Commission, en 2020, 58 % de l’énergie consommée dans l’Union européenne était importée.

ii.   Au niveau national, les échanges commerciaux ne ressortent pas considérablement augmentés par la ratification d’un ALE et la réalisation d’études exhaustives requiert davantage de recul

Dans un rapport rédigé par deux députés de l’Assemblée nationale, il a semblé souhaitable aux rapporteurs de faire apparaître les conséquences, pour la France, de la conclusion par l’Union européenne d’ALE en matière d’exportations et d’importations. Or, force est de constater que, pour la dizaine de pays avec lesquelles l’Union a signé des accords de libre-échange ces dernières années, l’entrée en vigueur de ces accords ne s’est pas traduite par une amélioration du solde commercial français avec les pays considérés. Comme le montre le graphique ci-dessous, il semblerait même que la balance commerciale se soit, au mieux, maintenue après l’entrée en vigueur de chaque accord, sans qu’il soit toutefois possible d’isoler l’influence des dits accords, ou au pire, dégradée, comme dans le cas des accords conclus avec le Mexique, la Colombie, le Japon, le Vietnam, la Corée du Sud ou encore Singapour.

Les rapporteurs souhaitent en effet souligner qu’ils déplorent le manque d’études ex post en la matière, malgré leurs multiples sollicitations pendant les auditions pour obtenir de telles études afin de nourrir leurs travaux. En outre, de très nombreux accords sont encore trop récents pour pouvoir en évaluer les conséquences : l’entrée en vigueur des accords conclus avec Singapour, le Japon ou le Vietnam a ainsi eu lieu en 2019 ou après, rendant l’analyse des données disponibles sur la période peu représentative à la fois en raison de sa courte durée et des conséquences de l’épidémie de Covid-19 sur les échanges commerciaux pendant les années considérées.

 

Évolution de la balance commerciale de la France avant et

aprÈs l’entrÉe en vigueur des accords de libre-Échange

 

 

Source : rapporteurs, à partir des données de la Direction générale du Trésor

 

Il faut cependant noter, alors que la balance commerciale de biens de la France est constamment déficitaire depuis 2003, que ce même solde avec les pays avec lesquels l’Union a conclu un accord de libre-échange tend lui à être moins déficitaire. Lors de son audition, l’équipe du Secrétariat général aux affaires européennes a d’ailleurs souligné que le déficit extérieur record de la France en 2022 (164 milliards d’euros) n’est pas le fait des échanges commerciaux avec les pays ou régions avec lesquels l’Union a signé un accord de libre-échange puisque le déficit avec ces pays ne serait « que » de 9 milliards d’euros.

Thomas Ménagé a souhaité illustrer le détail des flux commerciaux français, pour avoir une meilleure connaissance des pays avec lesquels la France est déficitaire en matière de biens (une vingtaine ici).

Source : Direction générale du Trésor, Rapport annuel du commerce extérieur de la France, février 2022.

Au cours des auditions, Thomas Ménagé a cherché à comprendre les raisons de ce déficit de la balance commerciale française. À cet égard, Elvire Fabry, chercheuse à l’Institut Jacques Delors, a indiqué que « dans le cas français, le problème vient de la désindustrialisation ». Sur ce point, Thomas Ménagé souhaite reprendre les termes d’une note ([31]) de la Délégation aux entreprises du Sénat publiée en décembre 2022, qui retient que « le phénomène de dégradation continue [de la balance commerciale] résulte directement de la désindustrialisation de la France, choix stratégique assumé par de nombreux gouvernements depuis 40 ans et pointé par tous les économistes ». Ce document indique également que « la part de l’industrie dans le PIB a diminué de 10 points pour la France pour atteindre 13,5 % en 2019 contre 24,2 % en Allemagne, 19,6 % en Italie ou 15,8 % en Espagne. »

Face à ce constat, Thomas Ménagé rappelle l’impérieuse nécessité de relancer les filières industrielles françaises, et de consentir aux investissements suffisants en vue de soutenir les productions déstabilisées par la mondialisation et le libre-échange. Un effort national doit être tourné vers la défense des secteurs de l’industrie, et les politiques publiques doivent être résolument tournées vers la lutte contre le chômage, la formation professionnelle, et le développement économique des collectivités désindustrialisées.

Par ailleurs, Thomas Ménagé s’aligne sur les remarques du Rapport Schubert, selon lequel : « Les bénéfices à attendre des accords de libre-échange ont par le passé été surestimés par leurs promoteurs, tandis que les conséquences distributives en ont été minimisées et les externalités négatives tout simplement ignorées. Or libéraliser le commerce n’est pas toujours facteur d’augmentation nette du bien-être global : celui-ci n’augmente que lorsque les gains économiques nets l’emportent sur les dommages provoqués par la libéralisation (les externalités négatives) » ([32]).

Enfin, Thomas Ménagé reprend les propos de l’eurodéputé Marie-Pierre Vedrenne selon laquelle « le libre-échange a fait sortir du monde de l’extrême pauvreté, mais ceux qui ont contourné les règles en ont tiré le plus de profits ».

Dès lors, et selon Thomas Ménagé, les présupposés incontestés du libre-échange et des bénéfices attendus de celui-ci doivent faire l’objet d’une révision par-delà les considérations purement économiques et en prenant davantage en compte les aspects pernicieux de la doctrine de la « main invisible ». La promotion continue du commerce international a été poursuivie de façon inconsidérée depuis le milieu du siècle dernier, emportant avec elle dérégulation, déstabilisation, délocalisation et atteintes à l’environnement.

b.   L’agriculture comme « monnaie d’échange » ?

i.   Certaines filières sensibles affaiblies par le développement du commerce international

La conclusion d’accords de libre-échange, notamment avec de grandes puissances agricoles comme le Canada, le Mexique ou, dans une moindre mesure, le Vietnam, conduit à importer sur le sol européen une grande quantité de produits agricoles à un prix, mais aussi à une qualité, souvent inférieure de ceux de la production européenne.

Les agriculteurs européens s’estiment ainsi régulièrement confrontés à une concurrence déloyale en provenance des pays partenaires dont les agriculteurs produiraient des denrées sans respecter les normes sanitaires et phytosanitaires de l’Union, sans que cela n’empêche leur importation sur notre sol. Un rapport de FranceAgrimer soulignait ainsi, à propos de la filière sucrière, que « les ALE existants ne tiennent pas compte des modes de production pour la filière sucre et des pratiques sont autorisées à l'étranger qui ne sont pas admises en Europe » ([33]). S’agissant des défaillances des contrôles sur les denrées alimentaires importées, la commission des affaires économiques du Sénat, lors d'une mission « flash » ([34]) sur les anomalies constatées sur les produits à base de sésame, a mis en exergue plusieurs dysfonctionnements majeurs :

     les contrôles officiels reposent trop peu sur des contrôles aléatoires ;

     ces contrôles aléatoires sont insuffisants faute d’un budget adapté ;

     certaines substances interdites ne sont plus contrôlées.

Les syndicats agricoles rencontrés en audition ([35]) dénoncent en particulier l’absence de contrôle sur le respect des clauses miroirs, non reconnues par l’OMC et situées dans les annexes des accords. Cette situation concernerait particulièrement le secteur carné : dans certains cas, les animaux sont élevés dans des parcs d’engraissement où ils consomment des antibiotiques interdits dans l’Union.

Sur le volet normatif, Thomas Ménagé souhaite signaler que selon les syndicats entendus à l’occasion de la table ronde, « la surenchère normative [de l’Union européenne] serait négative pour la rentabilité des exploitations car il faudrait que tous les pays soient soumis aux mêmes règles pour qu’elle soit efficace ». En effet, les partenaires commerciaux de l’Union n’appliquent pas l’ensemble des règles européennes : par exemple, le Brésil utilise des produits phytosanitaires interdits en Europe. Également et à titre d’exemple, Thomas Ménagé reprend à son compte les nombreux éléments du rapport remis au Premier ministre en septembre 2017 sur l’impact du CETA, notamment lorsqu’il rappelle que « les caractéristiques des modes de production au Canada (normes moins exigeantes ; engraissement et abattage dans de très grandes structures) pourraient contribuer à fragiliser la confiance du consommateur européen vis-à-vis de la viande bovine en général et venir renforcer les difficultés de la filière ». Pour contrer ces disparités normatives et en vue de garantir l’information du consommateur final, ce rapport notait déjà qu’« un étiquetage approprié pourrait apporter une solution avec les précautions nécessaires ».

Les représentants des syndicats pointent aussi un risque futur d’effets cumulatifs négatifs entre les accords commerciaux négociés avec les grands producteurs agricoles (Mexique, Mercosur et Nouvelle-Zélande) pour les agriculteurs européens, alors que les accords de libre-échange sont toujours considérés au cas par cas, au moment de leur négociation.

Les syndicats déplorent en outre un niveau d’information des consommateurs non-optimal, même si, en France, depuis mars 2022, l’origine de la viande (porc, volaille, agneau, mouton) servie dans toute la restauration hors domicile doit obligatoirement être indiquée. Dans le même objectif, une initiative citoyenne européenne (ICE) intitulée « Eat ORIGINal! Unmask your food », avait été déposée pour instaurer une déclaration d’origine obligatoire sur les produits alimentaires. Cependant, faute de recueillir le nombre suffisant de signatures, cette ICE n’a pas abouti.

Surtout, lors des négociations commerciales, l’agriculture serait considérée de façon croissante comme une « monnaie d’échange » selon les mots d’une eurodéputée auditionnée dans le cadre du rapport, au détriment des secteurs fortement producteurs de valeur ajoutée, comme les vins et spiritueux (voir infra) ou l’industrie.

Enfin, malgré l’arrivée contestée de produits non conformes sur le territoire européen, la Commission ne ferait pas suffisamment usage des mesures de sauvegarde pour protéger le secteur agricole. En effet, ces mesures permettent d’accorder, dans le cadre d’une augmentation forte et subite des importations, un répit aux producteurs européens en relevant les droits de douane ou en instaurant des restrictions quantitatives. Toutefois, en raison de son application erga omnes qui a de fait un impact sur l’ensemble des producteurs d’un même produit une telle mesure peut donc être difficile à mettre en œuvre par la Commission à l’égard de ses partenaires commerciaux. C’est pour cela que sur les 150 mesures de défense commerciale en vigueur à la fin de l’année 2020, seules 3 étaient des mesures de sauvegarde ([36]).

De façon plus générale, dans un souci de préservation des filières nationales, Thomas Ménagé a demandé durant la table ronde agricole si les accords de libre-échange empêchaient certaines filières de se développer car la consommation locale reposerait sur les denrées importées. Pour la FNSEA, les importations déstabilisent le marché en introduisant des produits à des prix trop différents de ceux pratiqués en Europe et les agriculteurs européens éprouvent dès lors des difficultés à contractualiser leur production. La Coordination rurale a en outre ajouté que de trop nombreuses pièces de viande étaient importées en Europe, entraînant plusieurs crises de diminution des prix. La Coordination rurale estime également que les agriculteurs qui produisent des céréales, vins et spiritueux s’en sortaient mieux que les éleveurs sur le marché international. Pour l’organisation, cela provoque une perte de souveraineté alimentaire puisque les cheptels diminuent. À ce titre, Thomas Ménagé entend ici exprimer son inquiétude quant au rapport[37] publié par la Cour des comptes sur le sujet en mai 2023, et notamment sa deuxième recommandation visant à « définir et rendre publique une stratégie de réduction du cheptel bovin cohérente avec les objectifs climatiques du « Global Methane Pledge » signé par la France, en tenant compte des objectifs de santé publique, de souveraineté́ alimentaire et d’aménagement du territoire. » Selon Thomas Ménagé, cette prescription est hautement contestable sur les plans écologiques, du maintien de l’emploi et de la sauvegarde de la souveraineté alimentaire. En particulier, Thomas Ménagé tient à relever l’antinomie flagrante entre l’apparente ambition climatique d’une telle mesure et la poursuite, dans le même temps, des négociations portant sur de futurs accords de libre-échange : réduire le nombre de nos cheptels bovins pour continuer d’importer massivement de la viande constitue un paradoxe difficilement justifiable au niveau environnemental.

Concurrencés par les importations, les agriculteurs sont ainsi parmi les plus exposés par la conclusion d’ALE. Il convient toutefois de noter que certaines filières sont particulièrement dépendantes des exportations et, donc, de ces mêmes ALE. Ainsi, 40 % du chiffre d’affaires de la filière laitière est réalisé à l’export et, selon le ministre du Commerce extérieur, la filière porcine française ne pourrait pas survivre sans son marché à l’exportation. En revanche, Thomas Ménagé rappelle que les exportations ne sont pas subordonnées à la ratification d’un accord de libre-échange et que ces accords ne sont pas les seuls outils permettant d’échanger à l’international.

Thomas Ménagé tient en outre à rappeler ici les propos du ministre de l’agriculture qui, auditionné par la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale le 12 juillet, estimait que : « La principale difficulté vient du fait que, si certaines filières sont structurellement plutôt bénéficiaires, d’autres sont malheureusement en permanence déficitaires. Or ces dernières sont les principales concernées [par les négociations en cours, avec le Mercosur et l’Australie], comme les filières bovine et ovine, ce qui peut susciter des inquiétudes et requiert notre vigilance. »

ii.   Certaines filières largement bénéficiaires du commerce international

Certains secteurs agricoles apparaissent toutefois comme de grands bénéficiaires des accords de libre-échange. En font par exemple partie le secteur des vins et spiritueux ou la filière laitière.

Le secteur vitivinicole est, d’après les chiffres de la Commission européenne, le premier secteur agroalimentaire de l’Union en termes d’exportations (7,6 % de la valeur des exportations agroalimentaires en 2020). Par ailleurs, le graphique ci-dessous montre une augmentation quasiment constante de l’excédent commercial français en matière de vins et spiritueux sur les dix dernières années, et ce malgré une balance commerciale globale non seulement déficitaire mais qui se dégrade sur la période.

A graph with numbers and a line

Description automatically generated

Source : Fédération des exportateurs de vins et spiritueux de France

Le rôle des ALE dans ce succès est reconnu et FranceAgriMer voit dans l’existence d’accords commerciaux permettant de supprimer les différenciations de droits de douane un « facteur surdéterminant » de la compétitivité des vins français ([38]). À ce titre, l’accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande devrait contribuer à renforcer encore le secteur puisque les droits de douane (auparavant à 5 %) seront supprimés pour les vins et l’accord protégera la liste complète des près de 2 000 références de vins et spiritueux de l’UE (Prosecco, Champagne, Rioja, …). Lorsqu’une indication géographique est intégrée dans un accord le produit qui en bénéficie dispose d’une protection renforcée puisqu’elle interdit l’utilisation du nom du produit ou le détournement de sa notoriété selon les accords.

L’accord conclu avec le Canada illustre bien quant à lui la demande à l’exportation de certains produits laitiers européens : les exportations de fromage vers le Canada utilisent la quasi-totalité des quotas accordés (11 109 tonnes sur 11 800 tonnes autorisées en 2020, soit 94,1 %) ([39]). De façon plus générale sur le CETA, Lysiane Métayer relève la performance du secteur agricole français, particulièrement notable dans la mesure où cet accord avait été présenté comme une catastrophe pour l’agriculture française. Ainsi, durant son audition, le ministre chargé du Commerce extérieur, M. Olivier Becht, a souligné à juste titre des données « très positives pour la France », à savoir une augmentation des exportations de plus de 38 %, et de 30 % pour les produits agricoles. La France exporte en outre trois fois plus de bœuf français au Canada qu’elle n’importe de bœuf canadien sur son sol.

Les rapporteurs relèvent que les secteurs bénéficiaires des ALE, notamment celui des vins et spiritueux, sont aussi souvent ceux qui font l’objet d’appellations et d’indications géographiques visant à protéger leurs produits et leurs modes de production. Or, les rapporteurs veulent faire état que la directrice de l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO), Carole Ly, déplore que la liste des appellations et indications à protéger dans le cadre d’un accord proposé par la Commission aux États membres avant d’entamer les négociations ne soit modifiable qu’à la marge par ces derniers (en moyenne seules quatre à cinq indications supplémentaires sont acceptées). Cette situation ne va pas sans poser de difficultés pour notre pays puisque la France représente le deuxième pays de l’Union européenne en termes d’appellations et d’indications protégées, lesquelles concernent majoritairement les vins et spiritueux. En outre, la directrice de l’INAO a l’impression que ces indications et appellations sont désormais utilisées comme monnaie d’échange et non de façon offensive : le retrait d’un ou plusieurs produits serait proposé en l’échange de l’ouverture accrue de certains marchés par exemple. La protection des diverses indications et appellations ne semble pas faire partie des lignes rouges de négociation pour Carole Ly qui a même constaté un « effritement » de l’importance qui leur est consacrée : auparavant, la protection des appellations d’origine et des indications géographiques était beaucoup plus poussée et concernait des secteurs variés.

2.   Les revendications tendant à une implication croissante de différents acteurs

La procédure de négociation des accords commerciaux fait l’objet de contestations répétées de différentes parties prenantes appelant à une plus grande transparence et demandant à pouvoir participer au processus.

La politique commerciale commune étant une compétence exclusive, la négociation est conduite par la Commission, disposant d’un mandat de négociation délivré par le Conseil, avec le futur pays partenaire. Cependant, ce processus est considéré comme opaque par plusieurs interlocuteurs auditionnés par les rapporteurs, qu’il s’agisse d’associations de consommateurs, de syndicats des travailleurs ou encore de représentants des organisations agricoles. Ils déplorent que le processus de négociation ne permette aujourd’hui pas suffisamment d’associer ceux qui seront concernés ou affectés ensuite par les dispositions de l’accord une fois son entrée en vigueur.

Cette préoccupation se retrouve également parmi les acteurs politiques. Auditionnée par les rapporteurs, Marie-Pierre Vedrenne, vice-présidente de la commission du commerce international (INTA) du Parlement européen, souhaiterait que les eurodéputés soient davantage associés à chacune des étapes, notamment au moment de la définition par le Conseil du mandat de négociation. Les députés européens se retrouvent en effet souvent dans une position où ils cherchent à influencer des négociations qui ont déjà commencé depuis longtemps. En outre, Mme Vedrenne a insisté sur la faible implication des parlements nationaux et du Parlement européen dans les négociations commerciales, au regard de la compétence exclusive que l’Union européenne détient en la matière. Elle appelle, ainsi, à accroître la transparence des informations communiquées par la Commission et à associer les autorités et groupes compétents en amont des discussions sous la forme de consultations bilatérales, d’interventions devant la commission INTA du Parlement européen ou de débats. Accroître le contrôle parlementaire dans ce domaine participerait, selon elle, d’une meilleure appropriation des accords commerciaux par les États membres. Plus généralement, elle a pointé un « problème de considération du parlementaire », et retient que « l’information » donnée par la Commission demeure « très générique ». Cette nécessité de renforcer l’implication des parlements est également partagée par Pascal Lamy, qui estime qu’« il est important que le champ d’application des standards des ALE soit pris en charge par les députés. »

Toutefois, Thomas Ménagé constate que des obstacles politiques demeurent pour faire évoluer le fonctionnement actuel, car, toujours selon Marie-Pierre Vedrenne, il existe au niveau des institutions de l’Union européenne des « députés paralysés à l’idée que plus aucune négociation n’aboutisse si l’on implique davantage d’acteurs, à l’image de la Belgique où une partie peut bloquer un processus entier » ([40]).

Des progrès ont toutefois été réalisés. Le rôle du Parlement européen n’a cessé de s’amplifier en la matière, à la fois sur le plan de l’accès à l’information que sur celui de la prise de décision (voir encadré). En outre, la Commission, consciente des critiques, a consacré de larges pans de la communication dans laquelle elle a présenté sa nouvelle approche des accords commerciaux à cette question. Elle y indique par exemple qu’elle « garantira un processus de consultation inclusif de la société civile à toutes les étapes du cycle de vie des accords commerciaux, de l’analyse des lacunes à la mise en œuvre, en passant par l’identification des priorités ». La Commission reconnaît également qu’« il importe (…) d’accroître la participation du Parlement européen » ([41]).

Il convient enfin de noter qu’une transparence totale n’est pas souhaitable car cela pourrait nuire à l’une des parties, dont l’Union.

En outre, pour Lysiane Métayer, si la question de la transparence et celle de l’implication des différents acteurs sont cruciales, il convient de noter que l’Union européenne est déjà le négociateur le plus transparent au monde et que, depuis les années 1990, les institutions européennes ont adopté plusieurs réglementations afin de prendre en compte les critiques et d’améliorer le niveau d’information du public et des institutions étatiques. Par ailleurs, Lysiane Métayer tient à rappeler que le niveau de transparence des négociations dépend pour moitié de l’État tiers avec lequel l’Union négocie.

La publicité des informations relève ainsi d’un équilibre entre deux demandes légitimes, celle de notre société civile à être informée des accords qui la concerneront et celle des États partenaires à maintenir les positions mutuelles secrètes afin de pouvoir trouver un terrain d’entente sur des questions parfois politiquement sensibles.

Le rôle du Parlement européen au sein de la politique commerciale commune

Le Parlement est depuis longtemps tenu au courant des négociations relatives aux accords de libre-échange. Dès 1973, la procédure dite de « Luns-Westerterp » a constitué un arrangement informel par lequel le Parlement européen était tenu informé, par la présidence tournante du Conseil, des progrès des négociations.

Le traité de Lisbonne a profondément renforcé les pouvoirs du Parlement. Les traités donnent aujourd’hui au Parlement un pouvoir d’approbation avant la conclusion d’un accord couvrant un domaine où la procédure législative ordinaire ou la procédure législative spéciale est applicable (art. 218§6 TFUE), ce qui couvre de facto les accords commerciaux. Les députés sont également obligatoirement informés de façon régulière de l’avancée des négociations (les députés de la Commission INTA sont mis au courant des progrès des différents rounds), un accord institutionnel entre le Parlement et la Commission encadrant précisément le champ de cette obligation. L’accord-cadre sur les relations entre le Parlement européen et la Commission européenne prévoit ainsi que « Le Parlement est immédiatement et pleinement informé à tous les stades de la négociation et de la conclusion d'accords internationaux, y compris au stade de la définition de directives de négociation. »

Le Parlement peut également influencer les négociations en adoptant des résolutions pour porter à la connaissance de la Commission le point de vue des députés européens. Le Parlement étant co-législateur, ces résolutions sont prises au sérieux par le Conseil et la Commission.

3.   Les limites en matière environnementale

Les accords de libre-échange conclus entre l’Union européenne et des États tiers intègrent de façon croissante des dispositions relatives à la protection de l’environnement. Cela souligne la volonté des parties d’inclure les problématiques environnementales dans le cadre de leurs échanges et de garantir ainsi que les flux commerciaux ne se fassent pas au détriment de la lutte contre le réchauffement climatique. Seulement, le contenu de ces accords, voire, aux yeux de certains observateurs, leur existence même, semble entrer en contradiction avec les ambitions européennes en la matière. Ainsi, l’Institut Veblen a souligné durant son audition que « lors des négociations des accords de libre-échange, la Commission européenne [avait] recours à des études d’impact sur l’environnement. Celles-ci seraient réalisées par des cabinets privés, qui se refuseraient à être trop critiques, par peur de ne plus être sollicités par la Commission européenne. Ces études d’impact ont une approche purement économique, et il semble nécessaire que d’autres points de vue soient abordés, notamment juridiques, afin d’émettre des avis sur les mécanismes de dialogue ou le manque de prise en compte du principe de précaution par exemple. »

a.   Une mesure inexistante de l’empreinte carbone des accords de libre-échange

L’expansion des échanges internationaux et l’intégration croissante des chaînes de valeur mondiales soulèvent des questionnements sur les interactions entre commerce et environnement. Plus particulièrement, il est souvent dénoncé que l’expansion des échanges a un impact direct sur l’environnement en raison de l’empreinte carbone de ces échanges, qui reste souvent inconsidérée au moment des discussions. Bien que les États multiplient les mesures afin de lutter contre le réchauffement climatique, l’augmentation des accords de libre-échange laisse donc transparaître la poursuite de deux objectifs en apparence antinomiques.

Un consensus a été établi concernant la mesure de l’empreinte carbone : le mode de calcul est selon Elvire Fabry un énorme chantier et une priorité, car « il n’existe pas aujourd’hui (surtout avec le MACF) ».

S’agissant de l’empreinte carbone, Mme Vedrenne a dénoncé l’« hypocrisie politique et symptomatique de ce que peuvent penser les Français » à la suite de la conclusion de l’accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande. La revendication d’une diversification de l’offre des produits dans ce cadre occulte, selon elle, le coût environnemental de telles importations ».

Face à ce constat, l’Union européenne a cherché à prendre des mesures pour limiter le bilan carbone de ses échanges commerciaux. En 2023, les États membres et les eurodéputés sont parvenus à trouver un compromis pour instaurer un « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières » (MACF), qui doit entrer en vigueur progressivement. Ce mécanisme a pour objectif de réduire le bilan carbone lié aux entreprises qui exportent vers l’Union européenne, en limitant les fuites d’émissions carbone. Il s’agit d'éviter que les entreprises délocalisent leur production en dehors du territoire européen afin d'échapper aux réglementations environnementales plus strictes que dans le reste du monde, tout en polluant en produisant sur un autre continent puis en important leur produit sur le sol européen.

Cependant, malgré cette prise de conscience croissante de l'importance de réduire les émissions de gaz à effet de serre, il existe actuellement des lacunes significatives dans la façon dont l'empreinte carbone des accords de libre-échange est mesurée, notamment en ce qui concerne l'évaluation des émissions tout au long de la chaîne d'approvisionnement ou encore la prise en compte des émissions indirectes. Cette critique est revenue de façon récurrente dans les auditions des rapporteurs, la chercheuse E. Fabry allant jusqu’à qualifier d’« énorme chantier » la mise en place d’une mesure précise de l’empreinte carbone des échanges. De même, Stefan Ambec, qui a présidé la commission d’évaluation du projet UE-Mercosur, a expliqué que la capacité à mesurer une telle empreinte dépendait du type de produits : il est par exemple très facile de l’évaluer pour certains biens tels que l’acier car il suffit de se baser sur l’énergie nécessaire pour le processus productif, en revanche pour la viande le calcul est bien plus complexe (émissions dues à l’alimentation, émissions de l’animal lui-même, transport du produit fini, etc.). Au-delà de ces seules difficultés méthodologiques, un autre enjeu majeur est que l’empreinte carbone, quand elle existe, ne serait pas ou insuffisamment considérée au moment de négocier les accords.

b.   En dépit de l’objectif affiché d’une prise en compte accrue des enjeux environnementaux, l’accroissement du commerce international auquel contribuent les accords de libre-échange semble en contradiction avec la protection de l’environnement

Actuellement, les accords de libre-échange sont aujourd’hui utilisés comme un moyen de promouvoir la transition écologique à travers le monde. Cette approche a été initiée en 2011, avec la conclusion d'un accord commercial avec la Corée du Sud incluant un chapitre environnemental. Une décennie plus tard, en 2022, des discussions étaient en cours au niveau européen pour déterminer s’il était nécessaire de rendre contraignants les chapitres relatifs au développement durable, choix qui a été retenu dans le nouvel accord entre l'Union européenne et la Nouvelle-Zélande. Si les rapporteurs saluent cette prise en compte croissante des enjeux environnementaux par les ALE, il n’en demeure pas moins que l’accroissement des échanges semble en contradiction avec les objectifs que s’est fixée l’Union européenne dans ce domaine.

À travers son paquet « Ajustement à l’objectif 55 », l’Union s’est en effet fixée comme objectif de réduire ses émissions nettes de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici à 2030. Or, les émissions de CO2 liées aux échanges commerciaux représentaient un quart des émissions mondiales totales, soit plus de 8 milliards de tonnes en 2015 ([42]). Au sein de l’Union européenne, les importations sont responsables de 20 % des émissions de gaz à effet de serre européenne ([43]) et l’eurodéputé M. Yannick Jadot précise que les émissions de GES intégrées dans le commerce international n’ont cessé d’augmenter. En France les importations sont responsables de 51 % des émissions de gaz à effet de serre selon le Ministère de la Transition Écologique et de la Cohésion des Territoires. Continuer à conclure des accords de libre-échange devrait donc conduire à augmenter les émissions puisque les accords se traduisent généralement par une augmentation des échanges. Cela paraît d’autant plus probable que les accords récemment signés – et certains de ceux en cours de négociation – le sont avec des pays situés à l’autre extrémité du globe : c’est le cas par exemple des accords conclus ou négociés avec la Nouvelle-Zélande et l’Australie. À première vue, il paraît raisonnable de penser que l’accroissement des échanges entre des régions aussi éloignées dans le monde ne peut que conduire à augmenter les émissions de carbone.

En outre, pour répondre à la demande croissante de marchandises et notamment de matières premières, l’agriculture intensive peut entraîner la déforestation. Or, la déforestation réduit la capacité des arbres à absorber le CO2 atmosphérique, ce qui contribue à l’augmentation des concentrations de gaz à effet de serre présent dans l’atmosphère. La commission d’évaluation de l’accord du Mercosur estimait par exemple que la seule augmentation de la production de viande bovine qui aurait résulté du projet d’accord de 2019 – qui n’a certes pas été conclu – aurait conduit à une accélération de la déforestation annuelle de l'ordre de 5 % pour les pays du Mercosur pendant la période de six ans prévue par l'accord pour la réduction des tarifs, par rapport à la moyenne des cinq dernières années précédant l’accord ([44]).

Par ailleurs, l’augmentation des échanges commerciaux entraîne souvent une demande croissante de ressources naturelles, telles que les minéraux, les métaux et les combustibles fossiles or l’utilisation intensive de ces ressources peut épuiser les réserves naturelles. Les échanges commerciaux génèrent également une quantité importante de déchets et d’emballages ; les emballages en plastique, en particulier, peuvent pourtant être difficiles à éliminer et contribuer à la pollution des océans et des écosystèmes terrestres.

D’après Thomas Ménagé, pour toutes ces raisons, qui ne constituent d’ailleurs pas une liste exhaustive, l’augmentation des échanges commerciaux induite par la conclusion d’accords de libre-échange ne semble que pouvoir nuire à l’environnement.


Remarques de Thomas Ménagé relatives au CETA

Le grand absent de l’accord est le climat. De nombreux observateurs ont dénoncé ce talon d’Achille dès le début des négociations. Selon le rapport remis au Premier ministre en 2017, trois points illustrent les manquements de cet accord en la matière :

« Rien n’est prévu pour limiter le commerce des énergies fossiles et la hausse des émissions de CO2 du transport international maritime et aérien induite par l’augmentation des flux de commerce » ;

« Rien n’est prévu pour inciter à la mise au point et l’adoption de technologies moins émettrices de carbone » ;

« Rien sur la convergence des instruments de lutte contre le changement climatique ».

À titre d’exemple, les dispositions du CETA pour l’agriculture sont apparues finalement décevantes, d’autant plus pour un accord dit de « nouvelle génération » alors que ce type d’accord était censé corriger les défauts de la précédente génération d’accords de libre-échange. Manifestement, les objectifs de développement durable n’ont pas été spécifiquement pris en compte par les négociateurs pour le volet agricole de l’accord. L’ambition pour un accord de nouvelle génération aurait dû être celle d’articuler commerce et développement durable, ce qui n’a pas été le cas. Du reste, les autres dispositions portant sur l’environnement et le développement durable de l’accord constituent des orientations utiles, mais leur « formulation très générale leur donne une portée limitée », toujours selon les termes du rapport.

Lysiane Métayer estime quant à elle que les ALE ne sont pas nécessairement néfastes à l’environnement et au climat. Comme l’a expliqué Antoine Bouët, directeur du CEPII, lors de son audition, dans certaines circonstances, le commerce international d’un bien peut entraîner une diminution de la pollution générée pour la production de ce dernier à l’échelle globale.

Ce constat contre-intuitif est dû à deux facteurs principaux. D’une part, certains territoires disposent d’avantages comparatifs permettant de réduire drastiquement les coûts et externalités négatives lors de la production : c’est le cas par exemple de la Nouvelle-Zélande ou les ovins ne nécessitent peu ou pas de fourrage. D’autre part, le transport maritime est devenu extrêmement efficace. L’émission de gaz à effet de serre rapportée au produit du fait de son transport est ainsi très faible, et si les derniers kilomètres effectués en camion à l’arrivée de la marchandise sont très polluants – plus que le transport maritime –, ces derniers ne comblent pas toujours l’écart positif qu’une production externe bien plus efficace a engendré en matière de pollution.

Lysiane Métayer tient en outre à citer les propos de Cecilia Bellora et Malte Thie qui constatent dans une note ([45]) que les dispositions environnementales incluses dans les traités commerciaux « conduisent à une baisse des émissions cumulées des partenaires commerciaux ». Les auteurs ajoutent, étude à l’appui, que « les dispositions environnementales conduisent à une amélioration de la qualité́ de l’air ». Ils relèvent aussi le fait que « les dispositions environnementales des accords commerciaux se traduisent également par un nombre accru de dispositions en faveur de l’environnement dans la législation nationale des pays en développement signataires ; par exemple, leur présence peut augmenter le nombre des dispositions en faveur de la qualité́ de l’air jusqu’à 35 % ».

Ces éléments, pris dans leur ensemble, suggèrent une relation plus complexe qu’habituellement présentée des conséquences du libre-échange et sur l’environnement.

4.   Les limites en matière de normes sanitaires et de protection du consommateur

a.   Un contrôle impossible de la conformité de l’ensemble des produits entrants au sein du marché unique aux normes sanitaires prévues dans les accords

Comme l’a rappelé le ministre Olivier Becht dans ses réponses écrites aux questions des rapporteurs, les étapes de négociation des accords de libre-échange prévoient la réalisation des contrôles de la mise en œuvre et du respect des réglementations sectorielles par chaque partie.

Concernant le contrôle du respect des normes sanitaires, des contrôles sont réalisés, sous la forme d’audit sanitaire, par la direction générale de la santé et sécurité alimentaire de la Commission européenne sur la base d’un programme de travail annuel. En 2023, la Commission entend effectuer 288 contrôles planifiés, ainsi que des contrôles « à la demande ». L’audit sanitaire consiste à examiner les processus de gestion des activités dans le domaine sanitaire (exemple : fonctionnement des services et établissement, mise en œuvre de la réglementation etc.) pour s’assurer qu’ils permettent de produire une information sincère et transparente. Ces audits sont réalisés durant les négociations, avant la signature des accords de commerce et durant la mise en œuvre des accords. Le rapport, rédigé à la suite de chaque audit, contient les observations et des recommandations permettant au pays-tiers de mettre en œuvre des mesures correctives correspondantes.

Avant la signature d’un accord, les objectifs de ces audits sanitaires sont de :

     vérifier la conformité de la législation et des systèmes des pays tiers, y compris la certification officielle, avec les règles de l'Union européenne en matière d'alimentation et de sécurité alimentaire ;

     vérifier la capacité des systèmes de contrôle en place à garantir que les produits exportés vers l'Union respectent ces règles, en particulier les certificats sanitaires contenus dans les documents d'accompagnement des lots.

À titre d’illustration, l’audit réalisé en 2022 par la Commission en Australie, dans le cadre du projet d’accord avec ce pays en cours de négociation, a permis d’évaluer les systèmes de contrôle en place régissant la production des produits destinés à l’exportation vers l’Union.

Après la signature d’un accord, des audits sanitaires permettant de suivre la mise en œuvre des recommandations émises lors des précédents audits sont également réalisés par la Commission européenne, selon une périodicité prédéfinie. Par exemple, dans le cadre de l’accord entre l’Union et le Maroc, la Commission a réalisé, entre le 31 mai et le 3 juin 2022, un audit de suivi dans des élevages de mollusques bivalves marocains destinés à l'exportation vers l'Union européenne.

Ces audits peuvent avoir lieu indépendamment de l’existence d’un accord de libre-échange, puisque les exportations de pays tiers vers l’Union ne sont pas toutes régies par un ALE. Par exemple, en 2023, la Commission a inspecté dans certains pays du Mercosur des établissements de production d’œufs et d’ovoproduits destinés à l’exportation vers l’Union européenne.

Tout produit importé au sein de l’Union fait également l’objet de contrôles dans un point d’entrée d’un État membre, avant sa mise en circulation au sein du marché unique. Les contrôles documentaires sont basés sur la vérification des établissements autorisés à exporter vers l’Union et des certificats sanitaires validés conjointement par les deux parties. Les contrôles physiques sont réalisés directement sur les lots importés.

Ceci dit, en raison du niveau de développement de l’économie européenne et de l’attention portée par l’Union européenne à la protection des consommateurs, force est de constater que l’Union commerce en général, si ce n’est essentiellement, avec des partenaires dont les exigences en matière de normes sanitaires sont moindres. Il y a donc un enjeu pour nos partenaires, plus que pour l’Union, à se conformer aux normes acceptables par les parties. En conséquence, l’enjeu, pour l’Union, est de s’assurer que les partenaires se conforment bel et bien aux normes prévues dans les accords de libre-échange et que les produits importés obéissent aux règles arrêtées. Il en va de la santé et de la sécurité des consommateurs, le niveau de normes exigé par l’Union étant censé les garantir. Ainsi, M. Becht admet qu’il est « impossible de contrôler l’entièreté des produits entrants dans l’Union. »

Cela suppose donc de disposer d’une administration douanière performante, les contrôles sur place étant impossible en dehors du cas où ils sont explicitement prévus par un traité. Or, l’administration des douanes demeure une compétence nationale. En raison de la libre circulation des biens au sein du marché unique, les États membres sont ainsi dépendants de la qualité des contrôles effectués par les autres États membres de l’Union. Or, un rapport publié en 2022 par un groupe d’experts ([46]) mobilisé par la Commission sur le sujet a relevé d’importantes disparités dans l’application des règles et procédures douanières ([47]) : « il est apparu évident que les efforts des autorités douanières des États membres, bien que sérieux, sont appliqués de façon inégale et selon des standards et des procédures administratives différentes ».

En ce sens, les rapporteurs saluent la proposition de réforme douanière de l’Union présentée en mai 2023 ([48]) en ce qu’elle a vocation à permettre aux États membres de concentrer leurs efforts de contrôle là où ils sont les plus utiles et de mieux faire respecter les normes de l’Union grâce à un modèle de surveillance et d’évaluation des risques, géré par une nouvelle autorité de l’Union. Ils déplorent toutefois que cette réforme ne pousse pas plus loin encore l’harmonisation des pratiques nationales.

Sur ce sujet de la vérification du respect des normes par nos partenaires, Thomas Ménagé s’est notamment interrogé sur l’information du consommateur en ce qui concerne le respect des normes sanitaires. La FNSEA a estimé que cette information était aujourd’hui insuffisante, et que le non-respect des normes ne se découvrirait qu’en cas de scandale alimentaire. De la même façon, selon l’Institut Veblen, il apparaît difficile d’avoir des certitudes sur la qualité et la véracité des contrôles opérés car le système demeure « complètement hermétique. » Madame Auffret a également évoqué un test effectué par l’association UFC-Que choisir auprès de six groupes de consommateurs portant sur 250 produits achetés sur des plateformes qui a mis en évidence que la « plupart des biens provenaient de l’importation » et que 60 % n’étaient pas conformes aux normes auxquelles ils étaient soumis. De toutes ces considérations insatisfaisantes, Thomas Ménagé tire la conclusion que le grand nombre d’accords existants ne permet pas de déployer un nombre suffisant de contrôles au vu des quantités importées et exportées. Le risque persistant de non-conformité serait ainsi encore aggravé par la multiplication des accords pour Thomas Ménagé de même que par l’essor colossal du commerce en ligne, qui pose par ailleurs question d’un point de vue de la cybersécurité et de la sécurisation du transport de marchandises.

b.   Une élévation des normes sanitaires à travers le monde

Si elle s’expose donc à ce que des marchandises non produites sur son territoire et qui ont donc plus de chance, pour cette raison, de ne pas être conformes aux normes européennes circulent au sein du marché unique, l’Union dispose aussi, grâce aux accords de libre-échange, d’un moyen d’influencer les normes de ses partenaires, hors-UE par définition, dans le sens de ses exigences. Les ALE constituent donc un levier d’influence normative certain à travers le monde. Ils contribuent ainsi, selon l’expression de Anu Bradford, professeur de droit à l’université Columbia aux États-Unis, à l’« effet Bruxelles » ([49]), soit la capacité de l’Union à réguler le marché mondial avec des pays tiers qui s’alignent sur les normes européennes du marché unique. Les normes de l’Union européenne exercent en effet une influence significative à l’échelle mondiale dans de nombreux domaines, notamment le commerce, l’environnement, la protection des consommateurs ou encore l’économie numérique. Comme le relève cette juriste : « rares sont les entreprises mondiales qui peuvent se permettre de ne pas commercer avec l’UE, et le prix d’accès au marché unique consiste à adapter leur conduite et leur production aux normes de l’UE, qui sont souvent les normes les plus strictes au monde. »[50] Le marché unique, qui totalise 448 millions d'habitants, donne à donne à la législation européenne une résonance mondiale, qu’amplifient les accords de libre-échange.

Au-delà des normes contenues dans les accords de libre-échange, plusieurs mesures dites autonomes ou unilatérales – car elles s’imposent à nos partenaires sans les avoir négociées préalablement avec eux – contribuent à accroître l’influence des normes européennes et promouvoir nos valeurs à travers le monde. Ces mesures s’imposent à l’ensemble des pays, et non pas seulement aux pays avec lesquels l’Union a conclu un accord de libre-échange. Leur effet est donc encore plus grand. Deux exemples récents de mesures autonomes illustrent en particulier la volonté de l’Union d’être plus regardante sur les produits qui entrent sur le marché unique et donc, par ricochet, sur les façons de produire au niveau mondial. Il en va ainsi de la proposition de règlement[51] relatif à l’interdiction des produits issus du travail forcé sur le marché de l’Union qui, comme son nom l’indique, vise à empêcher que des produits issus du travail forcé puissent être échangés au sein du marché unique. De même, un règlement[52] adopté le 31 mai 2023 interdit la mise sur le marché européen de sept produits[53] s’ils ont contribué à la déforestation ou à la dégradation des forêts.

Thomas Ménagé tient cependant à souligner que selon le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC), la multiplication des accords de libre-échange tend à « limiter la fréquence des contrôles sanitaires et à niveler par le bas les normes de sécurité [dans certains cas] ». De même, il retient que Madame Auffret prône la création d’un étiquetage des produits transformés en provenance de l’étranger et d’introduire un chapitre consacré à la protection des consommateurs dans les prochains accords de libre-échange, en dépit des réticences de la Commission qui appréhende une « prolifération des chapitres ».

5.   Les limites en matière de droits sociaux

Les nouveaux accords de libre-échange conclus par l’Union européenne contiennent des dispositions relatives aux droits de l’homme et au droit du travail. Seulement, le manque de considération de pans entiers du droit du travail, l’absence de mécanismes contraignants dans les accords, et surtout la piètre prise en considération de droits sociaux dans certains pays partenaires amènent à établir un bilan mitigé de la défense des droits sociaux. En outre, la conclusion d’accords de libre-échange peut aussi nuire aux intérêts des travailleurs européens.

a.   Dans l’Union européenne

Les accords de libre-échange peuvent nuire aux travailleurs européens. Par la libéralisation des échanges induite par les accords, les entreprises européennes trouvent dans les États partenaires la possibilité de réduire leurs coûts de production, en s’approvisionnant dans des pays au sein desquels les travailleurs sont soumis à des conditions de travail précaires, rémunérés à des salaires bas et bénéficient d’une protection sociale limitée. Les entreprises européennes qui offrent à leurs employés des conditions de travail plus protectrices se retrouvent alors en concurrence directe avec des entreprises qui peuvent employer leur main-d’œuvre à moindre coût et font face à moins de contraintes. Cette situation contribue nécessairement à exercer une pression à la baisse sur les droits des travailleurs européens, en particulier sur les salaires : pour rester compétitives, les entreprises sont soucieuses de limiter leur coût de production. Ce qui est vrai en matière de rémunération l’est également en matière de conditions de travail : les entreprises peuvent menacer de délocaliser leur production si des réglementations plus strictes sont mises en place. En effet, durant l’audition de l’Institut Veblen, Mathilde Dupré a affirmé que les choix de localisation des entreprises de leur activité étaient dictés par le dumping social et fiscal. Selon elle, il y a un véritable intérêt à relocaliser pour des raisons sociales et environnementales.

b.   Au sein des pays partenaires

Toutefois, c’est surtout en matière de promotion des droits sociaux à travers le monde que le bilan des accords de libre-échange s’avère décevant.

En étroite collaboration avec l'Organisation internationale du travail (OIT), l'Union européenne a contribué à la diffusion de normes plus protectrices des droits des travailleurs dans les économies émergentes. La stratégie commerciale de l’Union présentée en 2015 et intitulée « Le commerce pour tous, vers une politique de commerce et d’investissement plus responsable » souligne cette volonté européenne ([54]). Concrètement, ces engagements ont été repris dans les accords commerciaux nouvellement conclus par l’Union européenne, au sein des chapitres « Commerce et Développement Durable », qui s’attachent particulièrement la notion de « droits fondamentaux du travail ».

Les normes sociales mentionnées dans les accords commerciaux correspondent aux quatre normes fondamentales du travail de l’OIT, à savoir : la liberté d’association et le droit de négociation collective, l’élimination du travail forcé, l’abolition du travail des enfants et l’élimination de la discrimination en matière d’emploi. Or, jusqu’à l’accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande – qui n’a pas encore été ratifié –, c’est-à-dire pour tous les accords actuellement en vigueur, les chapitres relatifs à ces droits ne sont pas contraignants puisqu'ils n'impliquent aucune condamnation en cas de non-respect de l'un des engagements des parties. La partie accusée de la violation est invitée à s'efforcer d'appliquer les clauses mentionnées mais ne s'expose à aucune sanction concrète.

L’Union européenne a pourtant conclu des accords avec des pays partenaires ayant une réglementation du travail parfois en parfaite opposition avec les valeurs partagées par l’Union européenne en matière de droits sociaux, mais également avec les dispositions contenues par les accords de libre-échange. C’est par exemple le cas de l’accord conclu avec le Vietnam. L’Union a signé un accord avec ce pays en 2019, alors que ce dernier fait l'objet de nombreuses critiques sur le plan du respect des droits sociaux et humains : le travail des enfants et le travail forcé des prisonniers politiques restent notamment une réalité au Vietnam. En 2018, soit pile au moment de la négociation de l’accord, une enquête du ministère du Travail vietnamien réalisée sous l’égide de l’Organisation du travail a identifié plus de 1,7 million d'enfants participant à des activités économiques, soit 9,1 % des 5-17 ans. Parmi eux, 29,6 % étaient engagés dans des « tâches dangereuses ». Il est également important de souligner que le Vietnam était reconnu, toujours en 2018, comme un État à parti unique, qui ne reconnaît pas la liberté d'association, ou la liberté d'expression, la liberté de religion et la liberté de la presse ([55]).

La liberté d’association collective ou encore les droits des syndicats ne sont pas non plus toujours respectés par les pays avec lesquels l’Union est partie à un accord de libre-échange. Depuis la signature d’un accord de libre-échange avec les pays andins – le Pérou, la Colombie et l’Équateur – des dizaines de syndicalistes ont été assassinés en Colombie sans que l’accord ne soit remis en cause. Une situation semblable est observée en Corée du Sud, qui est pourtant le partenaire précurseur avec lequel l’Union a lancé sa nouvelle génération d’accords de libre-échange qui comprenait des dispositions relatives aux droits sociaux. Si la Corée du Sud a ratifié les conventions de l’OIT n° 29 sur l’interdiction du travail forcé, n° 87 sur la liberté d’association et n° 98 sur le droit d’organisation et de négociation collective en 2021, soit dix après la ratification de l’accord, la situation des syndicats reste encore très critique. La répression syndicale est toujours très importante dans le pays : la police politique du régime sud-coréen, le NIS, a perquisitionné les locaux de la Confédération coréenne des syndicats (KCTU) en janvier 2023.

La situation sociale dans certains pays avec qui l’Union européenne a conclu des accords commerciaux conduit donc à relativiser ses engagements en la matière.

B.   LES NOUVELLES APPROCHES DE LA COMMISSION EUROPÉENNE

Prenant acte des bouleversements récents auxquels le monde est confronté – politiques, économiques, technologiques, environnementaux ou encore sociaux –, la Commission européenne a présenté en février 2021 une nouvelle stratégie ([56]) pour sa politique commerciale. La politique commerciale de l’Union se veut désormais « ouverte, durable et ferme » :

     ouverte, dans la continuité du projet libéral européen ;

     durable, afin de respecter les objectifs environnementaux de l’Union ;

     ferme, pour garantir que les engagements de nos partenaires sont respectés.

Un an après ce réexamen de la politique commerciale, la Commission a aussi présenté une communication ([57]) spécifiquement dédiée aux accords de libre-échange, afin de faire en sorte que ces derniers favorisent la durabilité, celle-ci étant entendue comme « la protection des droits de l’homme, du travail décent, du climat et de l’environnement ».

1.   Une évolution progressive du contenu des accords de libre-échange pour tenir compte des préoccupations nouvelles de l’Union

a.   Un objectif initial de réduction des droits de douane pour doper les échanges commerciaux

La première génération d’accords de libre-échange conclus par l’Union européenne et ses partenaires avait vocation, dans la lignée des accords du GATT de 1947 puis de la création de l’OMC en 1992, à réduire les barrières tarifaires à l’échange, autrement dit les droits de douane. Les ALE trouvent d’ailleurs leur fondement juridique à l’OMC dans l’article XXIV du GATT qui stipule que « les parties contractantes reconnaissent qu’il est souhaitable d’augmenter la liberté du commerce en développant, par le moyen d’accords librement conclus, une intégration plus étroite des économies des pays participant à de tels accords ».

L’idée était de diminuer les coûts à commercer pour encourager les échanges : de fait, les droits de douane renchérissent le coût des produits importés en leur appliquant une taxe au moment de leur franchissement des frontières. Les justifications à l’instauration de tels droits de douane sont multiples : assurer des ressources financières à la puissance perceptrice, permettre l’entretien des voies commerciales ou encore, surtout, avantager les produits nationaux et assurer une forme de protectionnisme (notamment dans le cas des industries naissantes par exemple). Or, la conclusion d’ALE, comme leur nom l’indique, doit justement permettre de réduire le protectionnisme en raison des vertus prêtées au libre-échange : plus vaste choix de produits pour les consommateurs, concurrence exacerbée et réduction des prix associée, productivité accrue en raison de la spécialisation des pays, etc.

Cette vision s’est imposée à partir de la seconde moitié du XXe siècle et s’est traduite par une diminution des droits de douane à travers le monde. Les droits de douane sont ainsi passés de 14,1 % en 1992 à 5,2 % en 2017 en moyenne dans le monde ([58]). L’Union participait de ce mouvement puisque, sur la même période, les droits de douane sont passés globalement de 3,9 % à 2,5 % pour les produits entrant au sein du marché unique. Plusieurs accords de libre-échange signés au cours de la période poursuivaient directement cet objectif de réduction des barrières tarifaires : c’est le cas, par exemple, de l’accord signé avec le Mexique en 1997 et entré en vigueur en 2000. L'accord a supprimé la totalité des droits de douane sur les produits industriels à partir de 2003 pour ceux importés au sein de l'Union européenne et de 2007 pour ceux exportés au Mexique. On peut également citer l’accord avec l’Afrique du Sud signé en 1999 qui prévoyait que 86 % des exportations de l'Union vers l'Afrique du Sud soient exonérées de droits de douane d'ici à douze ans, et 95 % des exportations sud-africaines vers l'Union avant dix ans.

b.   Les accords dits de nouvelle génération : un champ plus large que le seul commerce de biens et une attention portée à la réduction des barrières non-tarifaires

L’épuisement des possibilités offertes par la baisse des tarifs douaniers, alors que ceux-ci ont parfois atteint des niveaux planchers, a contraint les pays ou blocs de pays à chercher à réduire par d’autres voies les barrières à l’échange à partir des années 2000. C’est le sens des accords de nouvelles générations.

L’expression « accord de nouvelle génération » a commencé à être employée dans l’Union européenne lors des négociations sur l’accord de libre-échange avec la Corée du Sud en 2011. Comme le fait remarquer B. Bianquis ([59]), contrairement à ce que la dénomination laisse entendre, les accords dits de nouvelle génération constituent davantage une transformation radicale – plutôt qu’une simple évolution – de la manière dont les puissances organisent le commerce entre eux. Si les accords de libre-échange initiaux visaient à réduire les droits de douane entre partenaires afin de favoriser les échanges commerciaux, ceux de nouvelle génération tentent également de diminuer les autres entraves au commerce : c’est ce que l’on appelle les barrières non-tarifaires. De fait, comme l’indique l’OCDE ([60]), les droits de douane ne constituent que « la partie émergée de l’iceberg » en matière de barrières à l’échange.

Les mesures non-tarifaires se répartissent globalement en deux groupes. Le premier, constitué de mesures dites « techniques », comprend les réglementations, les normes, les essais et certifications, les mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS) et les obstacles techniques au commerce (OTC). Le deuxième, celui des mesures « non techniques » inclut les restrictions quantitatives (contingents, licences d’importation non automatiques), les mesures de soutien des prix, les mesures d’imposition d’une logistique ou de canaux de distribution par exemple. Les accords de nouvelle génération comprennent ainsi souvent un volet harmonisation des normes, qu’elles soient sanitaires, sociales ou environnementales par exemple. Ainsi, à titre d’exemple, le CETA prévoit un processus permettant qu’un nombre croissant de normes européennes et canadiennes soient reconnues comme équivalentes, c’est-à-dire qu’une entreprise européenne qui souhaite exporter ses produits au Canada peut en faire certifier la conformité une seule fois.

Au-delà de la seule réduction des barrières non-tarifaires, les accords de nouvelle génération se caractérisent également par leur champ plus large que les accords plus anciens qui s’intéressaient essentiellement au commerce de marchandises. Ce nouveau type d’accords concerne en effet également plus largement les services, les marchés publics ou encore la protection de la propriété intellectuelle. C’est dans ce cadre que les parties prêtent par exemple une attention plus grande aux indications géographiques protégée.

En plus des accords conclus avec la Corée du Sud et le Canada, d’autres exemples d’ALE de l’Union européenne qui relèvent de cette catégorie sont par exemple ceux conclus avec Singapour, le Japon ou encore le Vietnam.

c.   L’émergence d’une troisième génération d’accords afin de prendre en compte davantage les enjeux de développement durable

i.   Un paradigme nouveau censé concilier plus fortement les relations commerciales de l’Union avec ses exigences sociales et environnementales

Dans sa communication précitée de 2022, l’Union européenne a dévoilé la manière dont elle comptait concevoir désormais les futurs accords de libre-échange qu’elle conclurait avec ses partenaires. Tel que le précise le document, l’ambition de l’Union est de « renforcer encore davantage la contribution des accords au développement durable. » Les partenariats commerciaux de l’Union européenne comportent certes déjà tous des chapitres sur le commerce et le développement durable ([61]) (« chapitres CDD »), depuis la signature de l’accord de libre-échange entre l’Union et la Corée du sud en 2011. Concrètement, ces chapitres des accords de libre-échange de l’UE demandent par exemple le respect des principes fondamentaux de l’OIT tels qu’établis dans la déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail de 1998. Il s’agit toutefois d’aller plus loin encore dans l’inscription au sein des ALE de dispositions de nature à renforcer la contribution des accords commerciaux de l'Union européenne à la protection du climat, de l'environnement et des droits des travailleurs dans le monde.

Parmi les axes mis en avant par la commission figurent ainsi :

     La volonté d’octroyer un statut prioritaire à la libéralisation des biens et services environnementaux, notamment ceux qui concourent à la réduction des émissions de gaz à effet de serre ;

     L’engagement d’œuvrer en faveur d’une participation accrue de la société civile ;

     Le souhait d’appliquer plus fermement les engagements en matière de commerce et de développement durable.

En ce qui concerne le deuxième point, la Commission précise par exemple que le dépôt de plaintes par la société civile et les groupes consultatifs internes (CGI) ([62]) contre les violations des engagements en matière de durabilité sera facilité. Sur le dernier point, la nouvelle approche prévoit en particulier le recours, de façon inédite, à des sanctions commerciales en cas de violation des dispositions fondamentales en matière de commerce et de développement durable.

Thomas Ménagé tient néanmoins à préciser que, pour l’Institut Veblen, il est nécessaire de nuancer le constat selon lequel l’Union européenne serait le partenaire commercial le plus proactif en matière de protection de l’environnement. Les membres de l’Institut ont par exemple indiqué aux rapporteurs qu’alors que le Pacte vert avait été grandement poussé par la France, il avait finalement été mis en place de manière tardive. Ils ont également souligné que dans le cadre du projet d’accord avec le Mercosur, la Commission européenne avait proposé un protocole sur la déforestation qui ne convainc pas.

ii.   L’accord conclu avec la Nouvelle-Zélande pose la base de cette dernière génération d’accords

L’accord de libre-échange conclu en juin 2022 avec la Nouvelle-Zélande est le premier à intégrer cette nouvelle approche de l’Union. Il s’agit également du premier accord commercial conclu depuis l’entrée en fonction de la nouvelle Commission.

Classiquement, l’accord réduit voire supprime les droits de douane pour de nombreux produits. L’accord pourrait ainsi réduire d’environ 140 millions d’euros par an les droits de douane pour les entreprises européennes. Selon l’étude d’impact fournie par les services de la Commission, cette réduction pourrait générer des exportations en hausse d’environ 30 % pour l’Union. L’accord prévoit que les droits de douane seront supprimés dès l’entrée en vigueur de l’accord sur les principales exportations de l'Union pour une série de produits tels que la viande porcine, le vin et le vin mousseux, le chocolat, les sucreries et les biscuits. Afin de préserver certains secteurs sensibles, pour certains produits, comme la viande bovine et ovine, l’éthanol ou encore le maïs, l'accord n'autorisera les importations dans l’Union à des taux de droit zéro ou réduits que pour des quantités limitées (au moyen de contingents tarifaires).

Il prévoit également l'amélioration de l'accès des entreprises européennes aux marchés publics néo-zélandais ou encore le traitement non discriminatoire garanti aux investisseurs de l'Union en Nouvelle-Zélande et inversement. La Nouvelle-Zélande accepte aussi le système des indications géographiques protégées.

Là où cet accord commercial diffère des précédents conclus par l’Union réside dans le fait qu’il est le premier à intégrer la nouvelle approche de l'Union européenne en matière de commerce et de développement durable. Ainsi, l’ensemble du chapitre sur le commerce et le développement durable est soumis aux dispositions de l’accord relatives au règlement des différends : il est donc juridiquement contraignant. Plus particulièrement, les engagements des parties à « s’abstenir de toute action ou omission allant à l’encontre de l’objet et du but de l’Accord de Paris » sont soumis potentiellement à des sanctions commerciales en cas de violation. Cette possibilité est une première pour les deux pays.

Pour la toute première fois dans le cadre d'un accord commercial, celui avec la Nouvelle-Zélande comporte également un chapitre consacré aux systèmes alimentaires durables qui couvre le travail, l’autonomisation des femmes, les questions environnementales et climatiques. Il interdit aux parties de réduire leurs exigences normatives dans ces domaines ou de ne pas les appliquer afin d’encourager le commerce ou l’investissement. Des clauses contraignantes, pouvant donner lieu à des sanctions, se retrouvent ainsi également en matière de droits fondamentaux du travail. Une disposition relative aux subventions aux énergies fossiles a également été intégrée à l’accord.

Au cours des auditions, Thomas Ménagé a tenu à savoir si les nouveaux accords de libre-échange, tels que celui conclu avec la Nouvelle-Zélande, apporteront des réponses aux différents problèmes soulevés par les syndicats agricoles. Si la FNSEA salue l’ambition de l’Union de développer les clauses miroirs dans les futurs ALE, comme il s’agit de négociation au cas par cas avec chaque pays partenaire il est difficile d’estimer pour la Fédération les conséquences d’une telle volonté. Surtout, pour la FNSEA, l’accord avec la Nouvelle-Zélande autorise l’importation de viande contenant des produits interdits dans l’Union (comme l’atrazine désherbant), « il n’y a donc pas de véritable changement de paradigme ».

En outre, malgré la nouvelle approche avancée en faveur de la protection du climat, Thomas Ménagé, comme l’Institut Veblen, invite à réfléchir à la nécessité d’échanger avec un pays aussi lointain et le rapporteur veut rappeler ici les propos de Madame Dupré selon laquelle il serait bénéfique d’instaurer des « chaînes de valeurs moins complexes ».

2.   Une attitude nouvelle consistant à chercher à tirer profit des accords existants plutôt que de chercher exclusivement à en conclure de nouveaux

a.   Faire respecter les accords en vigueur par nos partenaires : la montée en puissance de la défense commerciale

Un véritable changement de paradigme a eu lieu ces dernières années au sein de l’Union européenne consistant à considérer le libre-échange comme lieu, aussi, de pratiques déloyales empêchant les accords conclus de faire profiter les États membres de leur plein potentiel. Il s’est dès lors agi, pour l’Union, de tâcher de lutter contre ces pratiques. C’est le sens de l’adjectif « ferme » dans le triptyque « ouverte, durable et ferme » par lequel la Commission a entendu définir sa politique commerciale pour les années à venir.

Ce virage s’est d’abord traduit par une incarnation avec la création d’un poste de « procureur commercial » (Chief Trade Enforcement Officer) au sein de la Direction générale du Commerce de la Commission européenne. C’est le français Denis Redonnet qui l’occupe depuis sa création en 2020 en tant que directeur général adjoint. Au premier rang de ses missions, figure la tâche de s’assurer que les pays avec lesquels l’Union a conclu un accord commercial respectent leurs engagements, notamment en matière d’ouverture de leurs marchés aux exportations et investissements européens, de droits des travailleurs ou encore d’environnement. Il a aussi la charge du guichet unique auprès duquel les entreprises européennes, les syndicats ou encore les organisations non gouvernementales peuvent soumettre des plaintes relatives à l’existence de barrières tarifaires non-prévues chez un partenaire ou non-respect d’autres engagements de pays partenaires qu’ils ont pourtant formalisé dans un accord de libre-échange avec l’Union.

Ce tournant était attendu depuis longtemps en France ([63]), où les critiques contre une supposée « naïveté » de la Commission en matière de libre-échange étaient légion. Il ne repose toutefois pas sur la seule création de ce poste et plusieurs initiatives récentes ont eu vocation à permettre une meilleure mise en œuvre des accords de libre-échange. On peut ainsi citer, la nouvelle méthodologie antidumping (2017), la modernisation des instruments de défense commerciale (2018), l’adoption d’un cadre commun pour le filtrage des investissements directs étrangers ou encore d’un règlement dit « enforcement » ([64]) qui a renforcé la capacité de l’Union européenne à faire valoir ses droits lorsque l’irrespect des règles du commerce international lui porte préjudice.

Thomas Ménagé observe néanmoins que, selon l’Institut Veblen, des études révèlent que les clauses destinées à se prémunir de la violation des règles convenues avec nos partenaires ont été très peu utilisées et que les ONG spécialisées recommandent de renforcer significativement ces outils. Ainsi, le déclenchement d’une suspension d’un accord fondée sur le non-respect d’une clause essentielle semble peu probable, surtout dans le cas des partenaires commerciaux les plus puissants. En effet, tel qu’il est actuellement envisagé, cet outil ne permet pas de réponse graduée en fonction de la sévérité des violations des engagements. Aussi Thomas Ménagé souhaite-t-il indiquer qu’il ne suffit pas de se doter d’instruments de réponse mais qu’il convient de les mobiliser effectivement quand des infractions sont constatées.

b.   Permettre aux entreprises de s’emparer des possibilités que leur offrent les accords de libre-échange

Au-delà du fait de s’assurer que nos partenaires respectent bien les accords conclus, un autre volet de ce changement d’approche a consisté à faire en sorte que les entreprises se saisissent bien des opportunités offertes par les accords de libre-échange de l’Union. La Commission considère désormais comme tout aussi important de veiller à ce que les accords déjà signés aient des retombées économiques concrètes pour les entreprises européennes que de chercher à conclure de nouveaux accords. Le fait que l’accord avec la Nouvelle-Zélande soit le premier accord de libre-échange conclu par la Commission, trois ans après l’entrée en vigueur de cette dernière, est révélateur de cette nouvelle attitude, tout en sachant qu’il n’est toujours pas ratifié. Thomas Ménagé souligne que le ministre Olivier Becht, auditionné dans le cadre ce rapport, considère lui aussi qu’« il ne faut pas souhaiter la conclusion d’accords commerciaux à tout prix ». Selon le ministre, il convient en particulier d’être « vigilant sur des pratiques s’apparentant à du dumping social, sanitaire et environnemental par des pays partenaires car les producteurs et les consommateurs européens en sont les victimes ».

Concrètement, il s’agit pour la Commission de faire connaître aux entreprises les accords de libre-échange existants ainsi que les marchés qu’ils leur ouvrent et de les aider à exporter sur ces marchés. C’est par exemple le sens de la plateforme Access2Markets, hébergée par le site de la DG Commerce qui propose aux entreprises d’« en savoir plus sur les accords commerciaux de l’UE, apprendre comment en tirer profit et lire les témoignages d’entreprises performantes qui les utilisent » ([65]). La mise en place, depuis 2019, d’une « Journée Accès au Marché » poursuit aussi cet objectif. Cette journée, organisée par la direction générale du Trésor et la Commission européenne, est l’occasion de présenter aux acteurs économiques les perspectives offertes par les accords de libre-échange de l’Union Européenne, en particulier ceux récemment conclus. Lors de la dernière édition, qui s’est tenue à Paris le 27 mars 2023, il a ainsi été fait mention des accords avec la Nouvelle-Zélande et le Chili.

Qu’il s’agisse du plus grand accent mis sur le respect des accords par nos partenaires ou de la volonté de faciliter l’accès aux potentialités ouvertes par ces accords pour nos entreprises, Lysiane Métayer salue cette nouvelle attitude de l’Union européenne. Thomas Ménagé prend, quant à lui, acte des nouvelles directions prises par la Commission européenne qui viennent corriger une partie des limites des accords de libre-échange. Il demeurera attentif à l’effectivité des mesures annoncées par l’Union et à leur application dans le respect des engagements environnementaux, sociaux et agricoles. Il veillera particulièrement à ce que ces mesures demeurent en adéquation avec la sauvegarde des intérêts des États membres.

3.   La place des ALE dans l’objectif d’indépendance stratégique de l’UE et des États membres : l’exemple de l’accès aux terres rares

L’accès aux terres rares est devenu un enjeu crucial pour les États. Ces minerais sont en effet essentiels aux industries de haute technologie, civiles comme militaires, et utilisés plus largement dans de nombreux domaines clés de l’économie moderne, l’exemple le plus couramment donné étant celui des batteries. Disposer de tels minerais est donc indispensable pour l’Union, notamment si elle veut mener à bien la transition énergétique et atteindre ses objectifs climatiques. Le problème est que le sol européen en est très largement dépourvu. Cette vulnérabilité de l’Union est bien documentée, au point que l’Institut des relations internationales et stratégiques évoquait même en 2021 un combat digne de celui de David contre Goliath ([66]) dans l’accès aux terres rares. Autre difficulté, la Chine concentre à elle seule 70 % de la production mondiale. Or, l’Union ne peut construire son approvisionnement en terres rares exclusivement sur la Chine, faute de se placer en situation de dépendance stratégique. L’Union a donc cherché les voies de dépasser cette dépendance et exposé sa stratégie en la matière dans une communication de mars 2023 ([67]). Parmi les axes retenus, celui d’une véritable diplomatie européenne des matières critiques, s’appuyant notamment sur la conclusion d’accords de libre-échange permettant de s’approvisionner en terres rares.

C’est par exemple le sens de l’accord conclu récemment avec le Chili, l’un des principaux producteurs mondiaux de lithium, qui contient un chapitre consacré à l’énergie et aux matières premières. En outre, de nombreux accords en cours de négociation poursuivent précisément l’objectif, parmi d’autres, de permettre à l’Union de s’approvisionner en terres rares. C’est le cas des négociations en cours avec l’Australie – qui compte aujourd'hui les deuxièmes réserves mondiales de lithium, de cuivre, de nickel, de cobalt, ou encore de manganèse –, l’Indonésie ou le Mexique. Le projet d’accord avec le Mercosur entretient aussi cette ambition, alors que l’Amérique latine est un grand producteur de cuivre et abrite la plupart des gisements de lithium connus dans le monde.

Les accords de libre-échange contribuent ainsi à un double-objectif d’indépendance stratégique et d’approvisionnement en matières premières qui s’avéreront indispensables dans les décennies à venir, et dont la demande, pour cette raison, ne fera que croître, sous l'effet notamment des transitions écologique et numérique. En effet, et à titre d’exemples :

     les terres rares sont des éléments essentiels des aimants permanents utilisés dans les moteurs éoliens ;

     le lithium, le cobalt et le nickel sont utilisés dans la fabrication de batteries ;

     le silicium est employé dans les semi-conducteurs.

Il est donc indispensable pour l’Union d’anticiper sur cet enjeu crucial et les rapporteurs saluent ce rôle nouveau des ALE.

Plus globalement, Lysiane Métayer tient à faire remarquer que l’ouverture commerciale de l’Union européenne, dont le réseau d’accords de libre-échange constitue un pilier, contribue à assurer son autonomie stratégique en favorisant la résilience de son économie, en diversifiant les sources d’approvisionnement et en offrant des alternatives en cas de choc domestique ou régional.

De manière plus spécifique, le réseau d’accords de commerce de l’Union européenne permet de sécuriser l’approvisionnement des Vingt-Sept non seulement en matières premières critiques, mais également en énergie (via l’inclusion de chapitres dédiés dans les accords) ou encore en biens intermédiaires et semi-finis, nécessaires au tissu productif européen. La diversification des approvisionnements rendue possible par les ALE permet de limiter les sources de tensions d’approvisionnement et de réduire les risques liés à l’instrumentalisation des dépendances. Ainsi, en favorisant l’abaissement des barrières non-tarifaires, les accords de libre-échange contribuent à une plus grande flexibilité des opérations économiques – facilitant l’accès au marché et les redéploiements en cas de crise. Les dispositions figurant dans les ALE – notamment en matière de subventions, d’accès aux marchés publics ou encore d’entreprises publiques – soutiennent également l’autonomie stratégique de l’Union européenne en rétablissant des conditions de concurrence équitables.

III.   PERSPECTIVES ET RECOMMANDATIONS DES RAPPORTEURS

A.   CADRE GLOBAL

1.   Une nécessité : évaluer les conséquences des ALE

Rédiger ce rapport s’est avéré un exercice particulièrement difficile pour les rapporteurs pour une raison simple : il n’existe pas, ou alors pas de façon publique, d’évaluation systématique des effets qui découlent de la conclusion d’un accord de libre-échange. Certes, la Commission publie chaque année un rapport sur la mise en œuvre et l’application des accords commerciaux de l’UE ([68]). Toutefois, ce rapport est relativement court (49 pages pour la première édition, 61 pour la seconde), global – c’est-à-dire qu’il couvre l’ensemble des ALE et le commerce de façon générale – et, à ce jour, seules deux éditions ont été publiées. Pour l’ensemble de ces raisons, si ce rapport constitue une ressource utile, elle n’est pas suffisante et ne porte, surtout, pas tant sur les résultats de ces accords que, comme son nom l’indique, sur leur mise en œuvre et leur application. Par ailleurs, il a été extrêmement difficile, si ce n’est impossible, pour les rapporteurs, de trouver d’évaluation, nationale ou européenne, au cas par cas des accords de libre-échange. Ce constat conduit les rapporteurs à recommander d’améliorer les études d’impact ex ante et, plus encore, ex post des ALE aux niveaux national et européen.

Recommandation n°1 : améliorer les études d’impact ex ante et ex post des ALE aux niveaux national et européen. De telles études pourraient être confiées, en France, au CEPII, spécialisé sur ces questions et rattaché aux services du Premier ministre.

Recommandation n°2 : attribuer la conduite de ces études à la Cour des comptes européenne, en concertation avec des entités désignées par les États membres.

Il est apparu au cours des auditions que des études d’impact, sur les conséquences des ALE sur l’environnement notamment, seraient réalisées par des cabinets privés. Or, selon l’Institut Veblen, ces cabinets se refuseraient à être trop critiques des accords dans leurs travaux, par peur de ne plus être sollicités par la suite, ce qui fausserait donc de façon inacceptable les évaluations. Pour cette raison, il convient d’exclure les cabinets de conseil privés des études d’impact relatives aux accords de libre-échange.

Recommandation n°1 de Thomas Ménagé : exclure les cabinets de conseil privés des études d’impact relatives aux accords de libre-échange.

2.   Conditionner la conclusion d’un ALE à certains engagements de la part de nos partenaires

Lors des négociations avec la Nouvelle-Zélande, préfigurant une nouvelle génération d’accords de libre-échange, l’Union s’est engagée à garantir le respect des droits fondamentaux en matière de travail, notamment en prévoyant la possibilité de recourir à des sanctions en cas de violations de ces droits. Si les rapporteurs saluent cette nouvelle orientation donnée aux accords de libre-échange, force est de constater que ces dispositions demeurent insuffisantes. En effet, la Nouvelle-Zélande n’a aujourd’hui toujours pas ratifié trois des onze conventions fondamentales de l’Organisation Internationale du Travail (OIT). Il paraît difficile, dans ces conditions, d’imaginer que les droits fondamentaux des travailleurs puissent être respectés, quand bien même la Nouvelle-Zélande a repris dans des textes nationaux des dispositions parfois identiques à celles incluses dans les conventions fondamentales précitées. Ainsi, les rapporteurs estiment nécessaire de conditionner la ratification d’un ALE avec un partenaire à la ratification par ce partenaire, au moins, des conventions fondamentales de l’OIT que l’ensemble des États membres de l’Union européenne ont ratifié. Comme pour l’accord avec la Nouvelle-Zélande, ils considèrent également indispensable que les pays avec lesquels les États membres concluent des ALE respectent l’Accord de Paris, dans un souci de préservation de l’environnement et de lutte contre le dérèglement climatique.

Recommandation n° 3 : conditionner la ratification des ALE à celles des conventions fondamentales de l’OIT ratifiées par l’ensemble des membres de l’Union européenne et de l’Accord de Paris sur le climat par le pays ou la région co‑contractant.

Par ailleurs, les rapporteurs estiment que l’Union ne saurait conclure des accords de libre-échange avec un partenaire qui ne respecterait pas les droits des peuples premiers. Les rapporteurs souhaitent donc conditionner la ratification de tout accord de libre-échange au respect de ces droits.

Recommandation n° 4 : conditionner la ratification des accords de libre-échange à la garantie effective des droits des peuples premiers au sein des pays cocontractants.

3.   Accroître la transparence des négociations qui précèdent les conclusions des ALE et la participation d’autres acteurs concernés

Dans sa communication de juillet 2022 dans laquelle elle décrit sa nouvelle approche en matière d’accords de libre-échange, la Commission s’est engagée à accroître l’implication de la société civile dans la négociation des ALE. Les échanges avec les personnalités auditionnées ont en effet révélé d’importantes lacunes dans ce domaine au premier rang desquelles le manque de transparence, c’est pourquoi les rapporteurs recommandent d’améliorer la transparence des négociations et la participation de certains acteurs directement concernés par le contenu des accords, comme les associations de consommateurs. Cela pourrait passer par une plus grande consultation de ces acteurs en amont de l’ouverture des discussions avec nos partenaires afin de faire valoir leurs revendications lors des négociations.

Recommandation n° 5 : améliorer la transparence des négociations et la participation des acteurs concernés de la société civile

Au-delà de l’implication de la société civile, il paraît indispensable aux rapporteurs d’impliquer également davantage les parlements nationaux qui le souhaitent par des modalités concrètes ; en France, cela pourrait prendre la forme d’un débat annuel autour du bilan des accords en vigueur et leur impact pour le pays, sur le modèle des évaluations budgétaires. Les rapporteurs regrettent en effet que la question des accords de libre-échange ne soit exclusivement abordée qu’au moment de la négociation d’un accord majeur (exemple du CETA), au cours de débats souvent vifs qui n’épuisent pas le sujet mais mettent l’accent sur un partenariat spécifique.

Recommandation n° 6 : impliquer davantage les parlements nationaux qui le souhaitent par des modalités concrètes telles que, pour la France, un débat annuel dressant un bilan des accords en vigueur et leur impact pour le pays, sur le modèle des évaluations budgétaires.

Pour pousser encore plus loin cette association des parlementaires nationaux que jugent souhaitable les rapporteurs, il leur apparaît nécessaire que les premiers bénéficient d’un égal accès à l’information relative à la politique commerciale conduite par l’Union européenne à celui dont bénéficient les députés européens. Aussi les rapporteurs recommandent-ils de permettre aux députés et sénateurs français membres des commissions des affaires européennes, ainsi qu’à leurs homologues des autres pays de l’Union membres des commissions compétentes au fond sur les sujets européens, de pouvoir accéder, dans les mêmes conditions, à l’information relative à la politique commerciale commune, et en particulier aux négociations en cours, communiquée par la Commission aux députés européens.

Recommandation n° 7 : permettre aux députés et sénateurs français membres des commissions des affaires européennes ainsi qu’à leurs homologues des autres pays membres de l’Union européenne de bénéficier d’un accès égal à l’information relative à la politique commerciale menée par l’Union à celui dont bénéficient les députés européens.

Thomas Ménagé considère en outre inadmissible qu’un accord mixte puisse entrer en vigueur, ne serait-ce que partiellement, alors que l’ensemble de cet accord n’a pas été ratifié, comme pour le CETA. Thomas Ménagé considère en effet qu’il convient d’appréhender un accord comme un paquet de négociation global et qu’un accord mixte ne saurait entrer en vigueur sur son seul volet relatif aux compétences exclusives de l’Union. C’est la raison pour laquelle Thomas Ménagé souhaite voir les traités européens modifiés de telle sorte qu’un accord mixte ne puisse entrer en vigueur, y compris son volet compétences exclusives, tant que l’ensemble des États membres n'ont pas ratifié la partie de l’accord relative aux compétences partagées. En France, Thomas Ménagé demande par ailleurs que la ratification de tels accords de libre-échange ne puisse avoir lieu uniquement au moyen d’un référendum.

Recommandation n° 2 de Thomas Ménagé : modifier les traités européens de telle sorte qu’un accord mixte ne puisse entrer en vigueur, y compris son volet compétences exclusives, tant que l’ensemble des États membres n’ont pas ratifié la partie de l’accord relative aux compétences partagées. En France, cette ratification aurait lieu à l’issue d’un référendum.

4.   S’assurer que les ALE bénéficient à l’ensemble des États membres de l’Union et réduire nos vulnérabilités

Considérant que les importations ont pour effet de nuire à la souveraineté européenne en ce qu’elles mettent l’Union et les États membres en situation de dépendance vis-à-vis du pays qui les approvisionne, Thomas Ménagé exige que le recours aux importations ne puisse avoir lieu que lorsque toutes les autres alternatives pour se procurer le bien visé ont été épuisées. En ce sens, il demande que le Gouvernement dépose au Parlement préalablement à la négociation de tout ALE une loi de planification, de relocalisation et de restructuration des filières pour définir les moyens et les secteurs à traiter en vue de réduire progressivement la part de nos importations dans la consommation finale et de garantir la souveraineté des États membres.

Recommandation n° 3 de Thomas Ménagé : le Gouvernement dépose au Parlement préalablement à la négociation de tout ALE une loi de planification, de relocalisation et de restructuration des filières pour définir les moyens et les secteurs à traiter en vue de réduire progressivement la part de nos importations dans la consommation finale et de garantir la souveraineté des États membres.

Si les accords de libre-échange négociés par l’Union européenne doivent bénéficier à l’Union dans son ensemble, il est également important que chacun des États membres trouve un avantage dans la conclusion de tels accords. En particulier, il convient que les ALE permettent de tirer vers le haut les exportations de l’ensemble des pays. En outre, la souveraineté économique des États ne doit pas se trouver menacée par la conclusion de ces accords. Aussi, Thomas Ménagé recommande-t-il d’adopter une loi d’orientation économique définissant une stratégie à long terme – c’est-à-dire au moins jusqu’en 2040 – en matière de commerce extérieur et de souveraineté économique, pour que la France puisse ensuite influencer les autres États membres lors de la définition du mandat de négociation de chaque nouvel accord commercial dans le sens des objectifs qu’elle aurait préalablement identifiés.


Recommandation n° 4 de Thomas Ménagé : définir, via une loi d’orientation économique pour la France, une stratégie à long terme avec des objectifs en matière de commerce extérieur et de souveraineté économique. Identifier, sur cette base, les secteurs, compétences et entreprises à soutenir.

B.   MISE EN ŒUVRE DES ACCORDS

1.   Prévoir la possibilité de recourir, au sein des pays ou régions co‑contractants, à des contrôles sur place du respect des normes définies dans les ALE

La multiplication des accords de libre-échange conclus par l’Union conduit à multiplier le risque que des produits non conformes à nos normes entrent sur le continent européen. Cet état de fait a été indiqué à de nombreuses reprises lors des auditions, y compris par la direction générale des douanes et des droits indirects et par le ministre en charge du Commerce. Face à ce constat, les rapporteurs appellent à renforcer le contrôle, notamment sur place, du respect des dispositions arrêtées dans les accords. Pour ce faire, il pourrait être utile de s’inspirer du mécanisme de contrôle sur place instauré entre les États-Unis, le Canada et le Mexique dans le cadre de l’ACEUM et précédemment évoqué. En effet, les rapporteurs s’interrogent sur la pertinence de prévoir, par exemple, de recourir à des sanctions en cas de violation par nos partenaires des droits fondamentaux des travailleurs, comme cela est le cas dans le projet d’accord négocié avec la Nouvelle-Zélande, si la capacité de recourir à de telles sanctions ne s’accompagne pas d’une capacité de contrôle sur place du respect de ces engagements.

Recommandation n° 8 : améliorer l’application des engagements en matière de normes de production, notamment sociales et environnementales, par la possibilité de contrôler sur place le respect desdits engagements.

2.   Renforcer la publicité des ALE et leur appropriation par les entreprises et les citoyens

Les accords de libre-échange conclus par l’Union européenne ne peuvent profiter aux États membres que si les acteurs économiques tirent pleinement parti des possibilités que leur offrent ces accords. En effet, les ALE n’ont pour effet que de prévoir de libéraliser les échanges mais la hausse attendue de cette libéralisation des échanges ne peut avoir lieu que si les entreprises ont effectivement connaissance des dispositions prévues dans ces accords. Cela est particulièrement vrai pour les petites et moyennes entreprises. Les rapporteurs invitent donc à pousser encore plus loin, dans la foulée des initiatives précédemment évoquées (plateforme access2markets, Journée « Accès au marché » ...), la démarche entreprise il y a quelques années qui consiste à informer le tissu économique national des débouchés et des facilités permises par la conclusion des nouveaux accords de libre-échange. Par exemple, il pourrait être utile de décliner, au sein de chaque région, le dispositif Journée « Accès au marché ». Cet évènement n’a, en effet, lieu qu’une fois par an, et ce, à Paris. Les rapporteurs jugent dès lors qu’une telle déclinaison dans les territoires permettrait d’atteindre un plus grand nombre d’entreprises et d’amplifier les bénéfices attendus des ALE. Par ailleurs, une telle initiative permettrait également de sensibiliser davantage les citoyens à l’existence et au contenu des accords de libre-échange alors que les Français ne sont probablement pas informés de la tenue des Journées « Accès au marché » auxquelles ils ne sont, de toute façon, pas conviés car elles s’adressent aux entreprises. Au-delà des débouchés commerciaux offerts par les ALE, il convient également de sensibiliser les citoyens du caractère stratégique de ces accords en soulignant, par exemple, leur rôle dans l’approvisionnement en ressources clefs.

Recommandation n° 9 : améliorer la communication autour des ALE afin d’en permettre une plus grande appropriation par les entreprises, notamment les PME, et d’assurer une meilleure information des citoyens.

C.   PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT ET DES CONSOMMATEURS

Les experts auditionnés par vos rapporteurs ont tous partagé le constat que la mesure de l’empreinte carbone des échanges qui découleraient de la conclusion d’un ALE est aujourd’hui inexistante. Dans un contexte où la lutte contre le dérèglement climatique est devenue un enjeu central pour les États membres et pour l’Union européenne, il paraît dès lors inconcevable d’accepter de conclure de tels accords sans même savoir quel sera le coût climatique de la conclusion de ces accords. Les rapporteurs demandent donc à la Commission de constituer un groupe d’experts qui serait chargé de définir une méthode pour mesurer l’empreinte carbone attendue de la hausse des échanges générée par les potentiels accords futurs. Dans un premier temps, la méthode définie pourrait servir à calculer l’empreinte carbone des accords en vigueur. Dans un second temps, si les résultats n’étaient pas satisfaisants, la méthode de calcul devrait permettre d’identifier les points à garder à l’esprit lors des futures négociations pour conclure des accords dont les conséquences pour les émissions de carbone seraient compatibles avec nos objectifs climatiques.

Recommandation n° 10 : définir des modalités de calcul du bilan carbone des ALE

Recommandation n° 11 : établir un bilan de l’empreinte carbone de chacun des accords de libre-échange conclus par l’Union européenne

Recommandation n° 12 : s’appuyer sur les résultats obtenus pour réduire autant que possible l’empreinte carbone des futurs accords

Protéger l’environnement suppose aussi de garantir que les éléments contenus dans les accords relatifs à cette protection soient effectivement mis en œuvre. Les rapporteurs saluent ainsi le fait que, de façon inédite, l’accord conclu avec la Nouvelle-Zélande prévoit la possibilité de recourir à des sanctions en cas de violation grave des principes fondamentaux du travail ou de l’accord de Paris par l’un des partenaires. Il convient désormais de s’assurer que la possibilité de recourir à de telles sanctions soit systématiquement incluse dans les futurs accords de libre-échange et, dans la mesure du possible, de rouvrir les accords existants pour y instaurer de tels mécanismes.

Recommandation n° 13 : en vue de lutter contre le dumping social et environnemental, assurer le caractère contraignant des objectifs environnementaux et sociaux inclus dans les accords en prévoyant des sanctions en cas d’irrespect

Plutôt que d’adopter une démarche exclusivement basée sur les sanctions pour inciter nos partenaires à adopter certaines de nos exigences, une solution complémentaire pourrait être d’encourager les pays cocontractants à tendre vers des résultats, définis conjointement en amont, pour bénéficier d’une baisse des droits de douane européens. Par exemple, en matière environnementale, un calendrier qui lie deux trajectoires de réductions progressives des droits de douane et des émissions de gaz à effet de serre pourrait être établi. Cette approche pourrait également s’appliquer à d’autres domaines, comme les normes sociales.

Recommandation n° 14 : conditionner la baisse des droits de douane à l’obtention de résultats tangibles en matière environnementale, sociale et également en matière de garantie des droits fondamentaux.

Au fur et à mesure des auditions, les rapporteurs ont réalisé que le stock d’accords de libre-échange déjà en vigueur pose un problème fondamental : ces accords ont été négociés, même pour les plus récents, à une époque où l’Union et les États membres portaient des ambitions moindres dans des champs qu’elles considèrent aujourd’hui comme primordiaux, au premier rang desquels la lutte contre le dérèglement climatique. S’il paraît aujourd’hui difficile de rouvrir l’ensemble des accords signés, il convient toutefois de se réserver de le faire pour les accords futurs pour ne pas se trouver confrontés à une situation identique. Aussi les rapporteurs recommandent-ils d’introduire systématiquement dans les accords futurs des clauses de revoyure et de veilleur à leur enclenchement effectif au moment donné sous peine de voir l’accord suspendu.

Recommandation n° 15 : imposer des clauses de revoyure et veiller à leur enclenchement sous peine de suspension de l’application de l’accord.

L’Union s’est récemment engagée dans la voie du recours accru aux mesures unilatérales. Ces mesures sont dites unilatérales au sens où elles s’imposent à nos partenaires, quels qu’ils soient, que nous ayons conclus avec eux un accord de libre-échange ou non. Un exemple de ces mesures est la proposition d’interdire les produits issus du travail forcé sur le marché de l’Union. Dans un récent rapport portant bilan des mesures miroirs européennes, l’Institut Veblen appelle à généraliser le recours à de telles mesures ([69]). À la différence des clauses miroirs qui sont renégociées à chaque accord, ces mesures établissent un cadre normatif stable, prévisible et connu par nos partenaires en amont de toute négociation. Du reste, en s’imposant à nous autant qu’à nos partenaires, elles permettent un rééquilibrage de la concurrence, notamment au profit de nos agriculteurs, tout en allant dans le sens de nos engagements environnementaux et sanitaires (notamment ceux relevant du Pacte vert).

La mise en place progressive du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) et l’entrée en vigueur en 2024 de l’interdiction de l’accès à notre marché des produits ayant causé la déforestation sont des signes très encourageants en la matière.

Un élargissement progressif du champ d’application de ces mesures « à toutes les politiques et législations sectorielles pertinentes » ([70]) comme le préconise l’institut Veblen constituerait une excellente perspective, tant du point de vue de la protection de nos producteurs que de celui du respect de nos objectifs écologiques.

 

Recommandation n° 16 : généraliser le recours aux mesures miroirs et en accroître les domaines d’utilisation.

En vue de renforcer l’information des consommateurs, que Thomas Ménagé considère cruciale pour effectivement protéger lesdits consommateurs, il demande que soit définie une nomenclature claire sur l’origine des produits et le nom du pays au sein duquel il a été fabriqué. Ainsi, le nom du pays exportateur devrait être clairement indiqué, et les acronymes et abréviations qui ne permettent pas de l’identifier exclus.

Recommandation n° 17 : définir une nomenclature précise en vue de garantir une information sincère et véritable sur l’origine du produit et le nom du pays producteur

Toujours dans l’objectif d’informer le consommateur, mais aussi avec celui de lutter contre le changement climatique, Thomas Ménagé recommande également d’établir, sur le modèle du nutriscore en France, un « carbone score » pour chaque produit qui serait accessible par le consommateur au moment de l’achat. Ce carbone score varierait selon l’empreinte carbone du produit (émissions liées à l’importation, la fabrication, les consommations intermédiaires incorporées, etc.) et serait rendu obligatoire.

Recommandation n° 18 : établir un « carbone score » à destination des consommateurs sur la base de l’empreinte carbone du produit, dont l’affichage serait rendu obligatoire

 

En ce qui concerne ces deux dernières recommandations, Thomas Ménagé précise qu’elles seraient dans un premier temps applicables aux seuls produits importés depuis les pays avec lesquels l’Union a conclu un accord de libre-échange, avant d’être étendues dans un second temps à l’ensemble des marchandises importées.

D.   SOUTENIR NOS AGRICULTEURS

Les auditions des représentants du monde agricole ont laissé transparaître une réelle inquiétude de certaines filières – au premier rang desquelles les éleveurs – à mesure que les accords s’accumulent avec de grandes nations agricoles. En effet, pris isolément, les accords récents ou annoncés sont déjà source de craintes pour des agriculteurs qui s’estiment en situation de vulnérabilité ; dans leur ensemble, ils laissent craindre à certaines filières une concurrence intenable pour les agriculteurs français. Aussi Lysiane Métayer appelle-t-elle à mieux suivre et accompagner les filières identifiées comme sensibles avant et après la ratification des futurs accords afin de leur permettre de protéger au mieux leurs intérêts. À l’inverse, comme expliqué plus haut, certaines filières comme la filière viticole font office de véritables « champions » français à l’export et il convient de mieux identifier et exploiter les intérêts offensifs de nos filières exportatrices dans un contexte de balance commerciale en constante dégradation.

Recommandation n° 1 de Lysiane Métayer : mieux suivre et accompagner les filières identifiées comme sensibles avant et après la ratification des futurs accords afin de leur permettre de protéger au mieux leurs intérêts

Recommandation n° 2 de Lysiane Métayer : mieux identifier et exploiter les intérêts offensifs de nos filières exportatrices

En ce qui concerne les filières agricoles, Thomas Ménagé souhaite aller plus loin en les excluant tout simplement du champ d’application des futurs accords de libre-échange. En effet, pour Thomas Ménagé, les agriculteurs n’ont que trop souffert des accords passés et de futurs accords ne contribueraient qu’à accroître les difficultés d’un secteur déjà lourdement malmené.

Recommandation n° 5 de Thomas Ménagé : extraire les filières agricoles du champ d’application des futurs accords de libre-échange

Il a été expliqué aux rapporteurs que, en amont des négociations avec un partenaire, c’est la Commission qui soumettait aux États membres la liste des indications géographiques qu’elle suggérait d’introduire dans l’accord pour protéger certains produits et que les pays ne proposaient que dans un second temps d’amender cette liste si jamais elle ne leur convenait pas. Considérant que cette façon de faire ne peut que conduire à rédiger des listes moins ambitieuses que ne pourraient le faire les États eux-mêmes – et, en particulier une grande nation agricole comme la France –, Thomas Ménagé propose d’inverser le processus et de réserver en premier lieu aux États membres le droit de proposer les indications géographiques qu’ils souhaitent voir incluses dans l’accord. La Commission ne réagirait qu’ensuite à cette proposition.

Recommandation n° 6 de Thomas Ménagé : réserver aux États membres l’initiative de proposer les indications géographiques qu’ils veulent voir retenues dans le cadre des négociations d’un accord de libre-échange

Le transport d’animaux vivants est source de souffrances pour les animaux qui en font l’objet. La faim, la soif, la chaleur le manque d’espace ou encore l’absence de repos sont autant de maux dont souffrent les animaux qui y sont confrontés. Ces douloureuses difficultés ont été documentées par la Cour des comptes européenne elle-même dans un rapport ([71]) publié en avril 2023, qui utilise à de très nombreuses reprises l’expression de « souffrance animale ». Si l’étude de la Cour des comptes ne porte que sur le transport d’animaux au sein de l’Union, il est raisonnable de penser que les conditions de transports d’animaux sont au moins aussi dégradées dans le reste du monde. Face à ce constat inacceptable, Thomas Ménagé souhaite donc voir interdit le transport d’animaux vivants dans les accords de libre-échange futurs.

Recommandation n° 7 de Thomas Ménagé : interdire le transport d’animaux vivants dans les ALE.

    


—  1  —

 

   RECOMMANDATIONS DES RAPPORTEURS

Recommandation n° 1 : améliorer les études d’impact ex ante et ex post des ALE aux niveaux national et européen.

Recommandation n° 2 : attribuer la conduite de ces études à la Cour des comptes européenne, en concertation avec des entités désignées par les États membres (France Stratégie pour le cas français).

Recommandation n° 3 : conditionner la ratification des ALE à celles des conventions fondamentales de l’OIT et de l’Accord de Paris sur le climat par le pays ou la région co-contractant.

Recommandation n° 4 : conditionner la ratification des accords de libre-échange à la garantie effective des droits des peuples premiers au sein des pays cocontractants.

Recommandation n° 5 : améliorer la transparence des négociations et la participation de certains des acteurs concernés.

Recommandation n° 6 : impliquer davantage les parlements nationaux qui le souhaitent par des modalités concrètes telles que, pour la France, un débat annuel dressant un bilan des accords en vigueur et leur impact pour le pays, sur le modèle des évaluations budgétaires.

Recommandation n° 7 : permettre aux députés et sénateurs français membres des commissions des affaires européennes ainsi qu’à leurs homologues des autres pays membres de l’Union européenne de bénéficier d’un accès égal à l’information relative à la politique commerciale menée par l’Union à celui dont bénéficient les députés européens.

Recommandation n° 8 : améliorer l’application des engagements en matière de normes de production, notamment sociales et environnementales, par la possibilité de contrôler sur place le respect desdits engagements.

Recommandation n° 9 : améliorer la communication autour des ALE afin d’en permettre une plus grande appropriation par les entreprises, notamment les PME, et d’assurer une meilleure information des citoyens.

Recommandation n° 10 : définir des modalités de calcul du bilan carbone des ALE.

Recommandation n° 11 : établir un bilan de l’empreinte carbone de chacun des accords de libre-échange conclus par l’Union européenne.

Recommandation n° 12 : s’appuyer sur les résultats obtenus pour réduire autant que possible l’empreinte carbone des futurs accords.

Recommandation n° 13 : en vue de lutter contre le dumping social et environnemental, assurer le caractère contraignant des objectifs environnementaux et sociaux inclus dans les accords en prévoyant des sanctions en cas d’irrespect.

Recommandation n° 14 : conditionner la baisse des droits de douane à l’obtention de résultats tangibles en matière environnementale, sociale et également en matière de garantie des droits fondamentaux.

Recommandation n° 15 : imposer des clauses de revoyure et veiller à leur enclenchement sous peine de suspension de l’application de l’accord.

Recommandation n° 16 : généraliser le recours aux mesures miroirs et en accroître les domaines d’utilisation.

Recommandation n° 17 : définir une nomenclature précise en vue de garantir une information sincère et véritable sur l’origine du produit et le nom du pays producteur.

Recommandation n° 18 : établir un « carbone score » à destination des consommateurs sur la base de l’empreinte carbone du produit, dont l’affichage serait rendu obligatoire.

 

    


—  1  —

 

   RECOMMANDATIONS DE THOMAS MÉNAGÉ

Recommandation n° 1 : exclure les cabinets de conseil privés des études d’impact relatives aux accords de libre-échange.

Recommandation n° 2 : modifier les traités européens de telle sorte qu’un accord mixte ne puisse entrer en vigueur, y compris son volet compétences exclusives, tant que l’ensemble des États membres n’ont pas ratifié la partie de l’accord relative aux compétences partagées. En France, cette ratification aurait lieu à l’issue d’un référendum.

Recommandation n° 3 : le Gouvernement dépose au Parlement préalablement à la négociation de tout ALE une loi de planification, de relocalisation et de restructuration des filières pour définir les moyens et les secteurs à traiter en vue de réduire progressivement la part de nos importations dans la consommation finale et de garantir la souveraineté des États membres.

Recommandation n° 4 : définir, via une loi d’orientation économique pour la France, une stratégie à long terme avec des objectifs en matière de commerce extérieur et de souveraineté économique. Identifier, sur cette base, les secteurs, compétences et entreprises à soutenir.

Recommandation n° 5 : extraire les filières agricoles du champ d’application des futurs accords de libre-échange

Recommandation n° 6 : réserver aux États membres le droit de proposer leurs indications géographiques dans le cadre des négociations d’un accord de libre-échange, et non à la Commission européenne qui a tendance à proposer des listes restrictives en la matière.

Recommandation n° 7 : interdire le transport d’animaux vivants dans les ALE.

 

 


—  1  —

 

   RECOMMANDATIONS DE Lysiane mÉtayer

Recommandation n° 1 : mieux suivre et accompagner les filières identifiées comme sensibles avant et après la ratification des futurs accords afin de leur permettre de protéger au mieux leurs intérêts.

Recommandation n° 2 : mieux identifier et exploiter les intérêts offensifs de nos filières exportatrices.

 

 


—  1  —

 

   TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le 25 octobre 2023, sous la présidence de M. Pieyre‑Alexandre Anglade, Président, pour examiner le présent rapport d’information.

Mme Lysiane Métayer, rapporteure. Réaliser le bilan des accords de libre‑échange de l’Union européenne n’a pas été chose facile. D’abord parce que ce bilan n’était pas circonstancié à un champ spécifique et que nous avons décidé de n’en exclure aucun. Mais également parce que cela aurait demandé des moyens de contrôle et un temps bien supérieurs à ceux dont nous disposions.

Ceci étant dit, nos auditions nous ont permis de dresser plusieurs constats. Rédiger ce rapport nous a en effet conduits à rencontrer de très nombreux interlocuteurs, qu’il s’agisse de l’Organisation mondiale du commerce, de parlementaires européens, de représentants d’associations de consommateurs, de chercheurs ou encore de syndicats. Je veux ici les remercier pour la qualité de nos échanges.

Voici les éléments dont je veux vous faire part sur le réseau d’accords de libre-échange de l’Union européenne.

L’Union européenne est, à ce jour, signataire de 42 accords de libre-échange regroupant 74 États partenaires répartis sur l’ensemble des cinq continents. Cela fait, de très loin, de l’Union européenne la puissance ayant conclu le plus grand nombre d’accords de libre-échange au monde. De fait, la participation de l’Union à de tels accords est nettement supérieure à celle des autres puissances commerciales. Le Mexique par exemple, qui est la troisième puissance en termes d’accords conclus, en compte moitié moins que l’Union européenne. Ce réseau d’accords va en s’amplifiant, puisque l’Union européenne a conclu plusieurs accords de libre-échange durant la décennie écoulée. C’est le cas avec la Corée du sud, le Canada, Singapour, le Japon ou encore le Vietnam. Il devrait continuer à grandir du fait des négociations en cours.

Je veux toutefois souligner un véritable changement de paradigme au cours de ces dernières années de la stratégie commerciale européenne, qui consiste à considérer désormais comme tout aussi important de veiller à ce que les accords déjà signés aient des retombées économiques concrètes pour les entreprises européennes que de chercher à conclure de nouveaux accords. Le fait que l’accord avec la Nouvelle-Zélande soit le premier accord de libre-échange conclu par la Commission von der Leyen, trois ans après l’entrée en vigueur de cette dernière, est révélateur de cette nouvelle attitude. Cette nouvelle stratégie est notamment confiée à un français, Denis Redonnet, dont je veux saluer ici l’action.

Je laisse à mon collègue la partie plus critique de notre bilan et je tiens moi à insister sur les aspects positifs de celui-ci car le réseau d’accords de libre-échange que je viens de vous présenter est, je le crois, mis au service des citoyens et entreprises de l’Union européenne.

Le poids économique de l’Union européenne lui confère en effet un avantage dans les négociations. Lorsque l’Union européenne négocie avec un partenaire un accord de libre‑échange, c’est l’accès à un marché de 448 millions de consommateurs, et plus de 500 millions jusqu’à récemment avant le départ du Royaume-Uni, qu’elle laisse entrevoir. Seuls deux pays au monde, la Chine et l’Inde, disposent d’une population supérieure. Toutefois, les revenus par habitant de ces deux pays sont bien moindres que celui d’une majorité des consommateurs de l’Union européenne. C’est bien là que réside un autre avantage déterminant du marché unique : les consommateurs ne sont pas seulement nombreux, mais aussi plus riches que dans l’écrasante majorité du monde.

Outre cet avantage dans les négociations, les accords de libre-échange, une fois conclus, conduisent à un accroissement des échanges avec les partenaires commerciaux, et donc à une hausse des exportations européennes, ce qui bénéficie à nos entreprises. À titre d’exemple, sur la période 2011-2019, les exportations européennes de biens vers la Corée du Sud ont augmenté de 45 %, passant de 35 milliards d’euros à 50 milliards d’euros. Les consommateurs bénéficient eux aussi de ces accords, qui augmentent leur pouvoir d’achat et leur donnent accès à des produits plus variés.

Je tiens également à souligner que les accords de libre-échange ne sont pas des instruments utiles uniquement sur un plan commercial, mais revêtent de plus en plus un caractère stratégique. À l’heure où l’Union européenne cherche à diversifier ses sources d’approvisionnement, de tels accords constituent une réponse. Ils sont aussi l’occasion de nous garantir un accès à des matières premières qui nous font cruellement défaut, comme les terres rares.

Ce satisfecit ne saurait m’empêcher de formuler quelques recommandations, car tout n’est pas parfait. Il nous paraît d’abord indispensable d’améliorer les études d’impact expost des accords de libre-échange aux niveaux national et européen. Comment, en effet, bien négocier de futurs accords sans savoir quels ont été les retombées des accords précédemment conclus ? Il nous semble ensuite nécessaire d’améliorer la communication autour des accords de libre-échange, afin de permettre une plus grande appropriation de ces accords par nos entreprises, notamment les petites et moyennes entreprises, ou encore de conditionner la baisse des droits de douane sur les produits importés à l’obtention de résultats tangibles en matière environnementale, sociale et en matière de garantie des droits fondamentaux.

M. Thomas Ménagé, rapporteur. Ces auditions successives nous ont permis de mettre en perspective des polémiques récurrentes liées aux accords de libre-échange et le regard des spécialistes du sujet.

D’emblée, je veux indiquer que le champ du rapport était trop étendu : chaque thématique aurait pu faire l’objet d’un rapport à part entière. Notre expérience nous invite à être collectivement vigilants lorsque nous déciderons de l’intitulé des rapports futurs afin de pouvoir fournir des travaux de qualité. Une autre difficulté à laquelle nous avons été confrontés a été que de nombreux accords majeurs ont été conclus ces dernières années, qui furent en outre des années marquées par l’épidémie de Covid-19 qui a conduit à une restriction drastique des échanges. Il était donc peut-être un peu tôt pour réaliser un tel bilan car nous manquions de recul. De plus, j’ai été frappé de la difficulté à obtenir des chiffres précis sur les échanges résultants des accords en vigueur. Un certain nombre de nos interlocuteurs ont partagé ce constat de l’existence de zones d’ombre, de l’absence de monitoring, qui ne nous permettent pas d’appréhender de façon précise l’impact de ces accords.

Pour autant, sur un plan strictement commercial, l’examen des données statistiques est, à mes yeux, accablant. Sur ce point, nous ne partageons pas nos constats avec ma co-rapporteure. Alors que l’objectif premier des accords de libre-échange conclus par l’Union européenne est de conduire à une hausse des échanges, pour la France, on peut constater en prenant connaissance des graphiques en annexe de ce rapport qu’il n’en est rien. Selon moi, les très rares cas où il existe des hausses consécutives à la conclusion des différents accords de libre-échange ne sont souvent que le reflet de dynamiques préexistantes. Pire, quand on regarde en détail ces rares hausses, la France n’est jamais le pays qui en bénéficie. Dans de nombreux cas, la balance commerciale semble même se détériorer a posteriori des accords. Mais une fois encore, il nous manque énormément de recul pour l’affirmer de manière indiscutable.

En matière de pouvoir d’achat, les avantages supposés de la hausse du commerce international ne sont pas non plus évidents. Une de nos interlocutrices, qui est représentante au niveau européen des associations de consommateurs, nous a indiqué qu’il n’y avait, selon elle, pas d’effets prouvés des accords de libre-échange sur la baisse des prix.

Il serait faux de dire que personne ne tire profit de ces accords. Mais, comme souvent au sein de l’Union européenne, certains en tirent profit plus que d’autres, voire au détriment des autres. Il n’y a qu’à regarder les balances commerciales des différents États membres pour s’en convaincre, tout particulièrement celle de l’Allemagne. De même, je reconnais que certains secteurs voient leur activité dopée par les accords de libre-échange, notamment ceux qui produisent des denrées auxquels de tels accords permettent de bénéficier d’indications d’origine protégée à travers le monde. Toutefois, les accords contribuent, selon moi, davantage à mettre en difficulté certains de nos producteurs qu’à en soutenir. Je pense notamment aux agriculteurs, et en particulier aux éleveurs, qui sont confrontés à un empilement d’accords qui ne cesse de les fragiliser alors qu’ils n’en ont pas vraiment besoin compte tenu du contexte.

Les critiques que l’on peut adresser aux accords de libre-échange ne s’arrêtent malheureusement pas là. On nous présentait communément ces accords comme la panacée, mais force est de constater qu’ils présentent de nombreux défauts. Par exemple, il faudra m’expliquer comment on peut sérieusement lutter contre le dérèglement climatique et, en même temps, accroître les échanges avec des pays aussi lointains que le Canada ou la Nouvelle-Zélande. Dans la continuité, je ne comprends toujours pas comment il est possible de concilier la position du gouvernement qui est favorable au Mercosur, et la position des 86 membres du groupe Renaissance qui ont voté la proposition de résolution de l’Assemblée nationale relative à cet accord, dont le contenu invite pourtant le gouvernement à exprimer l’opposition de la France à sa ratification en l’état auprès de la Commission européenne.

On nous a également rapporté qu’en amont de la négociation de certains accords de libre-échange, la Commission européenne avait eu recours à des cabinets de conseils privés qui se refuseraient à être trop critiques de peur de ne pas être sollicités à nouveau par la Commission. Les constats sont donc souvent faussés dès l’origine.

En matière d’aveux chocs, je pourrais également vous citer les propos de notre ministre du commerce extérieur qui a reconnu qu’il était aujourd’hui impossible de contrôler l’ensemble des produits importés. Or, je tiens à rappeler que l’Union européenne commerce essentiellement, si ce n’est exclusivement, avec des pays moins exigeants qu’elle sur le plan normatif. Je tiens à vous rappeler, par exemple, l’existence d’un accord de libre-échange avec le Vietnam, pays dans lequel l’emploi des enfants est encore monnaie courante, ou encore d’un accord avec la Colombie, pays dans lequel des centaines de syndicalistes sont assassinés. Je pourrais aussi évoquer les carences démocratiques lors du processus de négociation, mais j’en viens maintenant aux recommandations.

Je suis heureux que nous soyons parvenus à formuler avec ma collègue des recommandations communes malgré l’opposition ferme de nos groupes politiques respectifs sur cette question. En dépit de mon opposition personnelle générale sur ces accords de libre-échange, ces recommandations sont pour moi une manière de limiter leur impact négatif en cas de ratification future. Parmi celles-ci, je peux vous citer la volonté de conditionner la ratification des accords de libre-échange à celle des conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail (OIT) et de l’accord de Paris sur le climat par le pays ou la région cocontractant. Je peux également vous citer la volonté de définir des modalités de calcul du bilan carbone des accords de libre-échange, celle d’imposer des clauses de revoyure qui devront être enclenchées sous peine de suspension de l’accord ou encore celle d’impliquer davantage les parlements nationaux. En particulier, une mesure vous concerne toutes et tous, chers collègues : la recommandation visant à permettre aux députés et sénateurs français membres des commissions des affaires européennes de bénéficier d’un égal accès à l’information relative à la politique commerciale menée par l’Union à celui dont bénéficient les eurodéputés, notamment en période de négociation.

Je regrette toutefois que certaines recommandations soient restées non partagées. Je pense notamment à l’interdiction du transport d’animaux vivants dans les accords de libre‑échange. Je pense que l’on aurait pu trouver un consensus sur ce point. Néanmoins, je suis heureux de voir que ma collègue a fait le choix hier de rejoindre trois autres recommandations que je défendais. Je pense notamment à celle visant à attribuer à une autorité indépendante, comme la Cour des comptes européenne, la conduite des études d’impact ex ante ou ex post, ou encore celle visant à instaurer un « carbone score » aux produits importés pour mieux informer les consommateurs.

L’exposé des rapporteurs a été suivi d’un débat.

Mme Brigitte Klinkert (RE). L’Union européenne se positionne parmi les principales forces économiques mondiales, en grande partie grâce à son réseau d’accords de libre-échange, qui est inégalé à l’échelle de la planète, avec plus de 40 accords de libre-échange conclu impliquant 74 États partenaires. Cette réalisation place de loin l’Union européenne en tête des puissances qui ont signé le plus grand nombre d’accords de libre-échange à l’échelle mondiale. Ces accords jouent un rôle crucial dans la promotion du commerce international, avec un accès à un marché de 448 millions de consommateurs.

Cependant, dans le contexte actuel de montée du protectionnisme, des doutes sur les bénéfices réels de ces accords subsistent. En ce qui concerne l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur, il suscite des débats pour le moins passionnés. Alors que certains voient en cet accord une opportunité d’élargir nos relations commerciales avec des pays d’Amérique du Sud, et qu’il semble déjà bénéficier aux secteurs du vin, des spiritueux ou encore à la filière laitière, d’autres craignent un risque futur d’effets cumulatifs qui seraient négatifs, notamment pour le secteur agricole. Parmi ces risques, et comme évoqué dans votre rapport, figure la concurrence déloyale : les agriculteurs des pays partenaires produiraient des denrées sans respecter les normes sanitaires et phytosanitaires de l’Union, sans que cela n’empêche leur importation sur le sol européen. D’autres risques environnementaux, sociaux ou encore de protection du consommateur, ne permettent pas aujourd’hui d’affirmer que cet accord est bénéfique pour notre Union. Il semblerait donc que l’opinion publique soit mitigée sur cet accord de libre-échange avec le Mercosur.

Quelle est votre opinion sur l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur ? Plus précisément, comment pouvons-nous garantir que les normes environnementales et les normes sociales soient respectées et que les avantages économiques soient équilibrés pour tous les acteurs qui sont impliqués ?

Mme Yaël Menache (RN). Ce rapport rassemble et présente un très grand nombre d’informations de manière factuelle et ses recommandations sont particulièrement stimulantes.

Dès la première phrase de l’introduction de ce rapport, le ton est donné : les accords de libre-échange de l’Union européenne n’ont eu de cesse de susciter la polémique. En effet, depuis l’Accord économique et commercial global (CETA), avec son cortège de déséquilibres commerciaux et l’établissement de procédures de recours accordant un rôle excessif aux entreprises multinationales aux dépens des États, en passant par le projet d’accord de libre-échange avec le Mercosur, ces accords, aboutis ou non, révèlent deux faiblesses majeures pour l’Union européenne et pour ses pays membres.

La première faiblesse est l’aspiration totalitaire de la Commission européenne, tentée mécaniquement d’abuser de sa position de négociatrice principale de tels accords. Cette position aboutit d’ailleurs systématiquement, à l’issue des négociations menées, au scepticisme des pays tiers, d’une part, et aux oppositions des États membres de l’Union européenne, d’autre part.

La deuxième faiblesse réside dans la difficulté croissante que les pays membres ont à mener avec cohérence à moyen et long terme des politiques nationales de promotion du commerce extérieur et de développement économique à l’export. Observons le projet d’accord sur le Mercosur. Depuis la fin des négociations en juin 2019, plusieurs pays ou régions de l’Union européenne s’y sont opposés : les Pays-Bas, l’Autriche, l’Allemagne, la Wallonie, la région de Bruxelles-Capitale, la Slovaquie, la Bulgarie, la Lituanie, le Luxembourg et la Roumanie. Le 13 juin dernier, notre Assemblée nationale a adopté à une large majorité, dont la minorité présidentielle, la résolution n°132 qui précise qu’il faut faire savoir publiquement à la Commission européenne et au Conseil que la France s’oppose à l’adoption séparée du seul volet commercial de l’accord, et que l’accord conclu dans son intégralité devra donc être soumis à un vote à l’unanimité des États membres, puis à un vote au Parlement européen et une ratification par l’ensemble des États membres selon la procédure prévue au niveau national.

Quelques questions s’imposent. Où en sont les négociations après l’échec d’Emmanuel Macron avec le Brésil les 13 et 14 septembre derniers ? Quid des oppositions des pays membres de l’Union européenne ? Quid de la résolution votée par les députés français ? Enfin, la procédure de négociation de ces accords ne mériterait-elle pas de recadrer le rôle de la Commission européenne ?

Deux aspects méritent d’être interrogés quant à la politique de commerce extérieur et de diplomatie économique de la France. Il faut éviter de concentrer et centraliser les efforts des services opérateurs de l’État en matière de commerce extérieur, mais plutôt les coordonner. Il faut également soutenir la prospection de tous les agents concernés dans les pays hors de l’Union européenne. En ce sens, les rapporteurs pourraient-ils préciser autant que faire se peut les recommandations n°5 de M. Ménagé et n°2 de Mme Métayer vis-à-vis de la politique commerciale de la France ?

Mme Danièle Obono (LFI-NUPES). Merci monsieur le président et merci aux deux rapporteurs pour ce bilan des accords de libre-échange. Je pense que la discussion que nous allons avoir va nous servir de point d’appui et nous donner des éléments précieux à tous en amont des élections européennes à venir.

Nous partageons l’analyse des limites du système actuel du commerce international qui est malheureusement toujours défendu avec obstination par la Commission européenne et le gouvernement français malgré de grands discours sur la relocalisation et le protectionnisme européen, en partie sous la pression de l’Allemagne.

Des accords sont en vigueur avec 77 pays, 24 sont en train d’être adoptés et 5 autres sont en cours de négociation. Nous répétons qu’il s’agit là d’une folie, notamment au niveau social, avec l’exercice d’un grave dumping dans certains secteurs de la part de certains pays. C’est aussi une folie écologique basée sur le grand déménagement du monde. Au cours de la mandature précédente j’avais participé à une mission d’information sur la problématique du développement durable et constaté sa non prise en compte manifeste dans la politique commerciale. Enfin ce système commercial est problématique sur le plan des droits humains, comme le montre l’exploitation des travailleurs dans des conditions sociales et environnementales catastrophiques, économiquement nécessaire pour certains États afin de rester compétitif dans ce système globalisé.

C’est pour toutes ces raisons que l’opposition aux accords de libre-échange grandit. Plus de 2 000 collectivités européennes se sont déclarées hors TAFTA (Transatlantic Free Trade Agreement) ou CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement). En 2015, trois millions de citoyens provenant de vingt-cinq pays européens avaient signé une initiative contre ces accords.

Nous le disons : plus aucun accord de libre-échange destructeur pour la planète et les droits humains ne doit rentrer en vigueur à compter de ce jour. La Wallonie avait montré en 2016 qu’il était possible d’intervenir. Elle avait alors réussi à retarder l’application de l’accord du CETA en 2016. La Commission avait réagi en séparant l’accord en une partie simple et une partie mixte pour pouvoir quand même appliquer la partie simple ce qui pose un problème démocratique important. Nous souhaitons donc que la France utilise son droit de véto à ce type d’accord et je souhaite que lors de la discussion de ce jour les rapporteurs abordent ce sujet. Je vous remercie.

Mme Louise Morel (Dem). Merci monsieur le président et merci aux deux rapporteurs également. La densité du rapport révèle le contraste que représente l’Union européenne. Elle est, d’un côté, un formidable espace de commerce et d’échange y compris avec de nombreux pays extra-européens, malgré les barrières géographiques, culturelles et l’éloignement : nous pouvons être fiers d’avoir réussi à nouer autant de partenariats. De l’autre, l’Union voit aussi des craintes se formuler et nous devons y répondre.

Je voudrais formuler une remarque au sujet des recommandations que vous avez rédigées. Deux d’entre elles me semblent aller dans le bon sens : celle concernant le parallèle que vous avez dressé avec l’accord nord-américain en expliquant que nous pourrions diligenter une enquête et vérifier si sur le long terme nos partenaires respectent leurs obligations commerciales et celle au sujet du bilan carbone et la nécessité de mieux l’évaluer.

Ma question concerne le solde commercial français. Vous nous dîtes que le solde de la France est déficitaire depuis 2003, qu’il est même le plus déficitaire de l’Union européenne. Votre rapport associe cette dégradation de notre solde commercial à la désindustrialisation du pays alors que certains propos du rapport pointent directement les accords commerciaux comme étant responsables de cette même désindustrialisation. Je voudrais rappeler que la désindustrialisation est multifactorielle, la tertiarisation de l’économie joue également un rôle. Je voudrais aussi dire que soutenir la réindustrialisation c’est soutenir l’engagement qui a eu lieu depuis six ans sous l’impulsion du Président de la République et de la majorité. Nous sommes fiers de notre bilan. 100 000 emplois ont été créés et 300 usines ont rouvert. Ma question est la suivante, alors que l’Allemagne et l’Italie semblent tirer profit des accords de libre-échange, quels leviers faudrait-il selon vous activer pour que la France bénéficie elle-aussi d’une dynamique positive et redevienne excédentaire ?

Mme Marietta Karamanli (SOC). Merci monsieur le président, et à vous aussi madame et monsieur les rapporteurs. J’ai apprécié la manière stimulante dont le rapport traitait de ce sujet souvent présenté de manière aride. J’ai deux questions à vous poser.

Il y a quelques années j’avais été co-auteure d’un rapport d’information sur les négociations du cycle de Doha dans cette commission et l’avenir de l’Organisation mondiale du commerce. À l’époque, une réflexion sur la mise en place de mécanismes de compensation multilatérale avait été suggérée entre les États excédentaires et déficitaires. Cela aurait permis de lier les problématiques commerciales, à celles de la dette et des finances. Pensez-vous qu’un tel modèle aurait sa place dans le cadre des accords de libre-échange de l’Union européenne ?

Ma deuxième question, concerne les enjeux sanitaires et environnementaux. Au sujet du dumping social et environnemental, vous suggérez d’assurer le caractère contraignant des objectifs inclus dans les accords en prévoyant à la fois des sanctions en cas d’irrespect et des mesures plus incitatives en liant les progrès effectifs aux droits de douane. Avez-vous des exemples montrant l’efficacité de telles mesures ? Quels biais avez-vous identifiés dans ce domaine ?

M. André Chassaigne (GDR-NUPES). Je constate que les conclusions du rapport apparaissent de manière clivante. Je formulerai trois remarques et interrogations.

Premièrement, nous avons un nouveau rapport sur le bilan des accords de libre-échange mais les critiques restent immuables. L’intérêt de l’ouverture des échanges internationaux, en particulier pour certains secteurs comme l’agriculture, n’est toujours pas réinterrogé par les pilotes européens des négociations commerciales. L’aveuglement libéral de la Commission, qui semble être la dernière courroie de transmission de l’OMC, porte directement atteinte à nos engagements climatiques, à nos droits sociaux, à nombre de nos intérêts industriels. Alors qu’il est impératif de repenser entièrement nos systèmes de production et d’échange, ne serait-ce que pour tenir nos objectifs contenus dans l’accord de Paris, il n’y a aucune remise en cause de la structure du commerce international, qui devrait se fonder sur les complémentarités de production et la coopération entre les États plutôt que sur la simple compétitivité-prix. Le monde a besoin d’accords et de traités de maîtrise des échanges visant la satisfaction mutuelle des besoins humains et sociaux, l’émergence de nouveaux modes de production et de développement, la préservation des écosystèmes et la souveraineté alimentaire. Pas d’accords de libre‑échange. Qu’en pensez-vous ?

Deuxième remarque : l’opacité continue de régner sur le contenu de ces négociations commerciales pilotées par la direction générale du Commerce. Opacité maintes fois dénoncée, mais chaque fois renforcée ! Ainsi, dans quelques jours, la Commission devrait annoncer, en grande pompe, la conclusion d’un nouvel accord de libre-échange avec l’Australie ! Accord qui prévoirait, semble-t-il, des quotas d’importation, à droits de douane nuls ou réduits, de 20 000 tonnes supplémentaires minimum de bœuf et d’agneau australiens. Personne ne peut savoir exactement ce qu’il y a dans cet accord puisque même les députés européens ne peuvent avoir accès aux éléments de la négociation. Le secteur agricole est, comme quasiment à chaque fois, la victime permettant la conclusion du deal pour les autres secteurs. Aussi je souhaiterais connaître votre position sur l’exclusion du secteur agricole du cadre des négociations commerciales, seule mesure à même de ne pas faire de nos éleveurs et agriculteurs les victimes permanentes du dogmatisme libéral.

Troisième remarque : un volet du rapport est consacré à l’enrobage « développement durable » des nouveaux accords, dits de troisième génération. Je dis « enrobage » car les quelques lignes qui y sont consacrées ne sont pas pour nous rassurer. L’opposabilité supposée de l’accord de Paris dans les relations commerciales ouvertes par ces nouveaux accords de libre-échange, dont l’accord UE-Nouvelle-Zélande serait le pionnier, ne convainc pas grand monde. On se demande bien quels moyens pourront être mis en œuvre pour en contrôler l’efficacité alors qu’ils n’existent pas. De la même façon, les exigences les plus fondamentales pour le secteur agricole de respect des principales normes d’élevage imposées aux éleveurs européens ne sont toujours pas posées comme condition d’accès à notre marché dans les ALE, à travers des clauses miroirs ou mesures miroirs. Au final, c’est toujours plus de viande importée traitée aux antibiotiques avec toujours plus de fruits et légumes traités avec des substances interdites en Europe et l’absence de tout contrôle sur la production à l’étranger. Le Président de la République ne respecte pas son engagement sur l’introduction des clauses miroirs dans les ALE.

Mme Nathalie Oziol (LFI-NUPES). Je voudrais enfoncer le clou de l’intervention de Mme Obono et je reviendrai sur l’ALE signé avec la Nouvelle-Zélande. Cet accord conclu en juin 2022 vise l’accélération et l’intensification des échanges commerciaux alors même que les producteurs agricoles se disent affaiblis par la multiplication des ALE et le grand déménagement du monde. Ils sont affaiblis par la concurrence déloyale imposée qui a aussi des conséquences environnementales, sociales et sanitaires. Avec cet accord, 164 000 tonnes de viande ovine, 10 000 tonnes de viande bovine, 330 000 tonnes de beurre et 25 000 tonnes de fromage néozélandais exemptés ou presque de droits de douane pourront être exportées vers l’Union européenne chaque année. Dans le même temps, la France a, en dix ans, perdu 24 % de ces agriculteurs dans la production laitière : la production a ainsi diminué et la France a dû augmenter ses importations. Nous avons du mal à suivre la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen qui vantait un accord pionnier, ambitieux, historique qui ferait des deux partis des leaders internationaux en matière de respect des normes environnementales. Nous ne sommes guère convaincus. Quels sont les arguments pour étayer cette affirmation ?

Mme Nicole Le Peih (RE). Ma question porte sur la recommandation n°8 de monsieur Ménagé qui appelle à extraire les filières agricoles du champ d’application des futurs ALE. Selon le dernier rapport de FranceAgriMer, notre pays est le sixième exportateur agricole mondial et des filières entières dépendent de leurs exportations. Ces mêmes exportations représentent 40 % des ventes de la filière laitière et 32 % des ventes de la filière viticole. Les exportations hors Union européenne comptent pour un tiers de ce total. Le CETA, pourtant décrié, a entraîné une augmentation des exportations de viande françaises vers le Canada de l’ordre de 30 %. Alors que la viande canadienne était censée envahir notre marché, nous exportons trois fois plus que ce que nous importons. Il est vrai que les ALE peuvent déstabiliser certaines branches en rendant plus compétitifs les produits agricoles importés transformés notamment. Les recommandations de Lysiane Métayer visent un rééquilibrage en accompagnant mieux les agriculteurs en difficulté en amont sur la base d’études d’impact tout en exploitant leurs intérêts offensifs, cela me paraît intéressant. Votre solution en revanche monsieur Ménagé me paraît plus radicale. D’où ma question, pourquoi pensez-vous que les inconvénients des ALE surpassent les bénéfices pour notre agriculture, au point qu’ils faillent l’exclure totalement des accords ? Enfin, comment mitiger les conséquences pour les secteurs sinistrés ?

Mme Marie-Pierre Vedrenne, députée européenne. La France défend des positions spécifiques en matière commerciale. Le principe est de défendre nos intérêts, la réciprocité et la cohérence entre toutes les politiques publiques.

J’aimerais rétablir quelques vérités : si le Mercosur n’est pas voté à l’heure actuelle, c’est parce que la France s’y est opposée, notamment par ma voix au Parlement européen. La réciprocité est un point essentiel, comme les mesures miroirs ou le respect de l’accord de Paris. Notre objectif est plutôt d’avoir des accords, mais à condition de les sculpter pour les rendre acceptables.

Ma question s’adresse à Thomas Ménagé : comment concilier le fait de vouloir porter des mesures miroirs et celui de ne plus inclure l’agriculture dans les accords de commerce ?

Mme Lysiane Métayer, rapporteure. Je vais d’abord répondre à la question sur le Mercosur. Je soutiens la position du gouvernement sur ce point. La France attend que l’accord soit plus ambitieux et aligné sur nos engagements. Cette attente s’exprime à travers trois conditions : inclure l’accord de Paris comme clause essentielle, modifier le chapitre consacré au commerce et au développement pour l’aligner avec nos plus hauts standards et renforcer les mesures miroirs pour protéger nos producteurs d’une concurrence déloyale.

Ces conditions prennent en compte des critiques légitimes dirigées contre les accords précédents. Il ne faut pas perdre de vue l’enjeu stratégique d’un tel accord. Si nous laissons la volonté des États du Mercosur de conclure un partenariat sans réponse, qui le conclura à notre place ? La Chine vient de conclure un accord de libre-échange avec le Nicaragua, et a signé plusieurs accords avec les États d’Amérique centrale et du Sud.

S’agissant de l’agriculture, la fermeture totale de ce secteur au libre-échange aurait des conséquences bien pires que l’impact négatif existant sur certaines branches. Cela est particulièrement vrai pour la France, puissance agricole exportatrice : nos productions sont reconnues et appréciées dans le monde entier. Le secteur des vins et spiritueux exporte un tiers de sa production, le secteur laitier exporte 40 % de sa production. Les secteurs des céréales et de la viande sont aussi exportateurs.

Néanmoins, derrière les chiffres, les vies des exploitants peuvent être bouleversées. Je formule donc une double recommandation pour prendre en compte ces intérêts contradictoires. Il faut d’abord accompagner les filières sensibles, par la production d’études d’impact précises, afin de conseiller au mieux les exploitants et d’anticiper les changements structurels. Par ailleurs, sur la prise en compte des intérêts offensifs, les acteurs concernés font déjà un énorme travail, reçoivent une aide de l’Union européenne, et méritent d’être plus entendus dans leurs revendications. Dans tous les cas, il faut une prise en compte de ce double enjeu dans le plan stratégique national français de la PAC, en impliquant tous les acteurs concernés : ministères, FranceAgriMer, les organisations professionnelles, les chambres d’agriculture, … La France doit jouer sur les deux tableaux pour préserver sa diversité d’exploitations, tout en permettant aux filières les plus compétitives de bénéficier des meilleures perspectives internationales.

M. Thomas Ménagé, rapporteur. Mme Klinkert a admis qu’il y avait un doute sur les bénéfices réels de ces accords : c’est aujourd’hui une sorte de consensus parmi nous.

Il me semble impossible de garantir le respect des normes environnementales, puisqu’il est déjà impossible de maîtriser précisément ce qui entre sur le territoire de l’Union. M. Stéphane Ambec, que nous avons auditionné, a démontré que la première version de l’accord avec le Mercosur aurait des conséquences climatiques plus lourdes que les retombées économiques. Il y aurait des bénéficiaires, mais ce sont toujours les mêmes filières qui seraient les grands perdants : la filière bovine et la filière ovine, que je propose d’exclure des accords.

Pour répondre à Mme la députée Ménache, la recommandation n°5 que je porte vise à définir, via une loi d’orientation économique pour la France, une stratégie à long terme avec des objectifs en matière de commerce extérieur et de souveraineté économique. Je ne suis pas contre le commerce international. Toutefois, il y a aujourd’hui une nécessité de réduire nos dépendances aux exportations en soutenant et en structurant certaines filières. Je ne propose pas cela pour les avocats ou les goyaves, mais pour les produits que nous pourrions développer sur notre sol.

Concernant la question de Madame Obono, j’ai une proposition équivalente à l’instauration d’un droit de véto : permettre à chaque État de ratifier ces accords par référendum.

Concernant sa proposition de conditionner les accords de libre-échange au respect des droits humains, nous portons une proposition consistant à obliger le pays partenaire à ratifier les accords de l’OIT. On ne peut pas tolérer d’importer des produits de pays où des enfants travaillent, ou d’États où des syndicalistes ont été tués.

Concernant la question de Mme Morel, certains pays bénéficient plus des accords de libre-échange que d’autres. Est-ce parce que les accords sont davantage pensés pour certains pays, par exemple l’Allemagne ? C’est ce que je crois. Mais cela est lié à une méconnaissance de nos ETI, de nos PME des perspectives qui leur sont offertes. Je partage le fait que le déficit commercial n’est pas seulement lié aux politiques commerciales, mais aussi à une désindustrialisation et des années d’échec de politique économique.

Concernant la question relative aux mécanismes de sanctions, nous avons pu comparer ce qui se fait en Europe avec l’ALENA qui comporte des mécanismes de réponses et de sanctions rapides, avec le rétablissement de barrières tarifaires.

Concernant la question de Madame Karamanli sur la compensation multilatérale entre les États, c’est un sujet qui pourrait être discuté mais sur lequel nous n’avons pas travaillé.

Concernant l’agriculture et la question de monsieur Chassaigne, nous ne souhaitons pas stopper le commerce international, mais exclure les filières sensibles des accords de libre‑échange. Rien n’empêche éventuellement de conclure des accords ad hoc en parallèle. Il faut un moratoire pour protéger nos éleveurs et agriculteurs.

Concernant la question de Madame Oziol sur l’accord avec la Nouvelle-Zélande, la commission INTA du Parlement européen a approuvé ce projet d’accord hier, et je le regrette. Il m’est difficile de vous fournir davantage de réponses sur le fond de l’accord, qui est négocié par Mme von der Leyen que je ne soutiens pas.

Concernant la question de Mme Vedrenne, les recommandations que nous portons sont à mes yeux des solutions de second rang : si de nouveaux accords sont conclus, je souhaite évidemment qu’il y ait des clauses miroirs, pour protéger nos agriculteurs. Mais l’objectif idéal est de ne plus conclure ces accords, car leur bilan est accablant. Ce qui est le plus clair dans ce rapport, ce sont les statistiques en annexe, qui montrent qu’un accord de libre-échange améliore la balance commerciale de l’Union européenne, mais pas celle de notre pays. Ces accords ne sont donc pas adaptés à la France.

Mme Lysiane Métayer, rapporteure. Je voudrais revenir sur les conséquences économiques, sociales et sanitaires des accords de libre-échange. Près de quatre millions d’emplois dépendent de nos exportations, représentant 13 % de l’emploi. Sur les conséquences environnementales, leur évaluation est évidemment difficile en raison d’un problème de causalité. Les mesures miroirs tel que le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières doivent toutefois permettre d’atteindre les objectifs de l’accord de Paris. D’un point de vue sanitaire, je voudrais relever qu’il faudrait plus de contrôle des produits provenant d’un État membre : il est donc nécessaire de donner davantage de cohérence à l’action des États. La création d’une Union douanière européenne doit répondre à ce sujet.

Concernant la critique du manque de transparence, je souhaiterais relever qu’aucune organisation internationale n’est plus transparente que l’Union européenne, qui publie ses mandats de négociations, des rapports de suivi, effectue des consultations publiques et soumet pour approbation le projet d’accord au Parlement européen. Le niveau de transparence dépend évidemment du partenaire, qui choisit de son côté ce qui doit être publié.

Concernant le contrôle, différents mécanismes existent. Il y a d’abord le contrôle diplomatique, avec la constitution de comités mixtes. Il existe également des mécanismes de règlement des différends, activés avec succès dans le cadre du CETA. Le droit international autorise aussi des sanctions et des mesures de rétorsion commerciale. L’Union pourrait aller plus loin en la matière, en instaurant un contrôle sur place au sein des traités. Cela fait partie de nos recommandations.

Pour ma part, je soutiens les accords de libre-échange qui sont une force pour l’intérêt collectif de l’Union européenne, bien plus important que les intérêts particuliers des États membres.

M. Thomas Ménagé (RN). Sur la question de Mme Le Peih, qui s’interroge sur les avantages et les inconvénients de ces accords pour l’agriculture, je suis conduit à recommander une exclusion de ce secteur des accords : il est très difficile de faire une comparaison entre les filières, notamment en raison des appellations d’origine protégées, comme en matière laitière, mais il y a toujours les mêmes gagnants et les mêmes perdants. On pourrait penser à des mécanismes de compensation, si l’exception agriculturelle n’est pas retenue.

Concernant le mécanisme de contrôle, je crois, comme ma co-rapporteure, qu’il faut que l’Union puisse aller contrôler sur place les entreprises des États partenaires. Tous les États n’ont pas d’entités de contrôle du même niveau que dans l’Union européenne.

Entre 2000 et 2023, les importations ont augmenté de 87 % dans l’Union, alors que l’augmentation des exportations n’a été que de 55 %. Cela n’est pas uniquement dû aux accords de libre-échange, mais ces accords n’ont pas permis d’améliorer l’accès à l’export pour les entreprises françaises.

La France est bien seule au sein de l’Union européenne à défendre une autre façon de conclure des accords de libre-échange. Contrairement à ma co-rapporteure, je ne pense pas que le collectif au sein de l’Union doive l’emporter sur le fait que notre économie nationale pâtit de ces accords.

 

La commission a ensuite autorisé le dépôt du rapport d’information en vue de sa publication.

 

 

 


—  1  —

 

   annexe n° 1 :
Liste des personnes auditionnÉes par les rapporteurs

Secrétariat général des affaires européennes (SGAE)

Institut Jacques Delors

Centre d’études prospectives et d’information internationales (CEPII)

Économiste

Institut national de l’origine et de la qualité (INAO)

Syndicats

-         Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA)

-         Jeunes Agriculteurs

-         Coordination Rurale

-         Force ouvrière (FO)

-         Confédération générale des travailleurs (CGT)

-         Confédération française démocratique du travail (CFDT)

Institut Veblen

Représentation permanente de l’Union européenne à l’OMC

Bureau européen des consommateurs (BEUC)

Direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI)

Parlement européen

Commission européenne

Gouvernement

 

 

 


—  1  —

 

   annexe n° 2 :
ÉVOLUTION DES BALANCES COMMERCIALES DE BIENS DE QUELQUES ÉTATS AVEC LESQUELS L’UNION EUROPÉENNE A CONCLU UN ALE

ÉVOLUTION DES BALANCES COMMERCIALES DE BIENS DE L’UNION EUROPÉENNE ET DE LA FRANCE AVEC LE MEXIQUE

Source : rapporteur, à partir des données de la Direction générale du Trésor

 

ÉVOLUTION DES BALANCES COMMERCIALES DE BIENS DE L’UNION EUROPÉENNE ET DE LA FRANCE AVEC LA CORÉE DU SUD

Source : rapporteur, à partir des données de la Direction générale du Trésor

 

ÉVOLUTION DES BALANCES COMMERCIALES DE BIENS DE L’UNION EUROPÉENNE ET DE LA FRANCE AVEC LA COLOMBIE

Source : rapporteur, à partir des données de la Direction générale du Trésor

ÉVOLUTION DES BALANCES COMMERCIALES DE BIENS DE L’UNION EUROPÉENNE ET DE LA FRANCE AVEC LE PÉROU

Source : rapporteur, à partir des données de la Direction générale du Trésor

 

 

ÉVOLUTION DES BALANCES COMMERCIALES DE BIENS DE L’UNION EUROPÉENNE ET DE LA FRANCE AVEC L’ÉQUATEUR

Source : rapporteur, à partir des données de la Direction générale du Trésor

 

 

ÉVOLUTION DES BALANCES COMMERCIALES DE BIENS DE L’UNION EUROPÉENNE ET DE LA FRANCE AVEC LE CANADA

Source : rapporteur, à partir des données de la Direction générale du Trésor

 

 

ÉVOLUTION DES BALANCES COMMERCIALES DE BIENS DE L’UNION EUROPÉENNE ET DE LA FRANCE AVEC SINGAPOUR

Source : rapporteur, à partir des données de la Direction générale du Trésor

 

ÉVOLUTION DES BALANCES COMMERCIALES DE BIENS DE L’UNION EUROPÉENNE ET DE LA FRANCE AVEC LE JAPON

Source : rapporteur, à partir des données de la Direction générale du Trésor

 

 

ÉVOLUTION DES BALANCES COMMERCIALES DE BIENS DE L’UNION EUROPÉENNE ET DE LA FRANCE AVEC LE VIETNAM

Source : rapporteur, à partir des données de la Direction générale du Trésor

 


([1]) Règlement (CEE) n° 827/68 du Conseil du 28 juin 1968 portant organisation commune des marchés pour certains produits énumérés à l’annexe II du traité instituant la Communauté économique européenne.

([2]) COM(2021) 66 final, Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des Régions : Réexamen de la politique commerciale – Une politique commerciale ouverte, durable et ferme, 18 février 2021.

([3]) CJCE, 11 novembre 1975, Avis 1/75, Rec. 1355, ECLI : EU : C : 1975:145.

([4]) Audition de M. Denis Redonnet, Directeur général adjoint de la Direction générale du Commerce de la Commission européenne.

([5]) Eurostat.

([6]) Ces chiffres sont ceux donnés par la Commission au moment de l’annonce de la finalisation de l’accord de 2019, soit avant la réalisation du Brexit..

([7]) Fondation pour la Nature et pour l’Homme, Institut Veblen et Interbev, UE-Mercosur : les dangers d’une ratification de l’accord de commerce en l’état, mars 2023.

([8]) Résolution relative à l’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur adoptée par l’Assemblée nationale le 13 juin 2023.

([9]) Commission d’évaluation du projet d’accord UE Mercosur.

([10]) Commission européenne, communiqué de presse « La Commission présente une nouvelle approche des accords commerciaux favorisant une croissance verte et juste », 22 juin 2022.

([11]) CR – BEUC.

([12]) Le rapport est inversé pour les services, mais dans de moindres proportions.

([13]) Déclaration de la présidente de la Commission U. von der Leyen lors de la conférence de presse à la fin de sa visite en Chine en avril 2023.

([14]) Les accords commerciaux régionaux s’entendent de tout accord commercial réciproque entre deux ou plusieurs partenaires n’appartenant pas à la même région.

([15]) Le cycle de Doha constitue le neuvième cycle de négociations multilatérales ouvert à la Conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce de Doha en 2011. Alors qu’il devait initialement s’achever en 2004, il n’a en réalité jamais abouti.

([16]) Jean, Martin et Sapir, « Avis de tempête sur le commerce international : quelle stratégie pour l’Europe ? », Les notes du conseil d’analyse économique, 2018.

([17]) Discours de Thierry Breton, « The Single Market : so much more than a marketplace », Prague, le 8 décembre 2022.

([18]) Department of Trade, « Policy Paper, Export Strategy : Supporting and Connecting Businesses to Grow on the World Stage », 21 août 2018.

([19]) Audition du SGAE.

([20]) Commission européenne, Comité mixte de l’AECG (Canada-UE), mars 2021.

([21]) CR – Elvire Fabry.

([22]) Note précitée.

([23]) Audition de D. Redonnet, directeur général adjoint de la Direction générale du Commerce de la Commission.

([24]) La nomenclature utilisée ici est celle de la Direction générale du Trésor.

([25]) Direction générale du Trésor.

([26]) Benjiamino Quitieri et Giovanni Stamato, Are preferential agreements beneficial to EU trade ? New evidence from the EU-South Korea treaty, ECB Working paper n° 2822, 2023.

([27]) DG Trésor, Le Vietnam en 2022 : l’étoile filante, 16 janv. 2023.

([28]) Dans ce paragraphe, il n’est question que de la balance commerciale de biens.

([29]) La différence avec le graphique s’explique par le fait que le graphique s’appuie sur des valeurs CAF/FAB tandis que les 85 milliards en 2021 relèvent eux de la comptabilité FAB/FAB.

([30]) Haut-Commissariat au plan, La bataille du commerce extérieur : données 2022, 10 mai 2023.

([31]) Délégation aux entreprises du Sénat, Commerce extérieur : l’urgence d’une stratégie publique pour nos entreprises, 2022.

([32]) Rapport au Premier ministre, L’impact de l’Accord Économique et Commercial Global entre l’Union européenne et le Canada (AECG/CETA) sur l’environnement, le climat et la santé, 17/09/2017.

([33]) France AgriMer, Compétitivité de la filière française sucre, 2021.

([34]) Rapport d'information n° 368 (2020-2021) de M. Laurent Duplomb, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 17 février 2021, sur les retraits et les rappels de produits à base de graines de sésame importées d'Inde ne respectant pas les normes minimales requises dans l'Union européenne.

([35]) Audition de la FNSEA, Jeunes agriculteurs et Coordination rurale.

([36]) Commission européenne.

([37]) Cour des comptes, Le soutien public aux éleveurs de bovins, 2023.

([38]) FranceAgriMer, Compétitivité de la filière française vin, 2021.

([39]) Commission européenne et Affaires mondiales Canada.

([40]) Cf l’année 2016 pendant laquelle le Parlement wallon avait bloqué la ratification du CETA.

([41]) COM(2022) 409 final, Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen des régions – La force des partenariats commerciaux : ensemble pour une croissance verte et juste, 2022.

([42]) Cezar, R & Polge, T. (2020). Les émissions de CO2 dans le commerce international. Bulletin de la banque de France, 228/1 – mars-avril 2020.

([43]) Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire du Parlement européen, Rapport vers un mécanisme européen d’ajustement des émissions de carbone aux frontières compatible avec l’OMC, 2021.

([44]) Commission indépendante, Rapport au Premier ministre – Dispositions et effets potentiels de l’Accord d’Association entre l’Union européenne et le Mercosur en matière de développement durable, 2020.

([45]) Cecilia Bellora et Malte Thie, « Quelles clauses environnementales dans les accords commerciaux ? », La lettre du CEPII, 2022.

([46]) Wise Persons Group on Challenges Facing the Customs Union (WPG).

([47]) Rapport du groupe d’experts précité, Putting more Union in the European customs, Bruxelles, mars 2022.

([48]) La Commission européenne a publié le 17 mai 2023 une proposition de directive et deux propositions de règlements visant à réformer l’union douanière.

([49]) Anu Bradford, The Brussels Effect : How the European Union rules the world, Oxford University Press, 2020.

([50]) Entretien accordé à la revue Le Grand Continent, Penser l’Union européenne dans la mondialisation l’« effet Bruxelles », 14 mars 2021.

([51]) COM(2022) 453 final, Proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l’interdiction des produits issus du travail forcé sur le marché de l’Union.

([52]) Règlement (UE) 2023/1115 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2023 relatif à la mise à disposition sur le marché de l’Union et à l’exportation à partir de l’Union de
certains produits de base et produits associés à la déforestation et à la dégradation des forêts, et
abrogeant le règlement (UE) n o 995/2010.

([53]) Le champ d’application du texte couvre sept commodités : café, cacao, caoutchouc, huile de palme, soja, bœuf et bois, ainsi que leurs produits dérivés comme le cuir, le charbon de bois, le papier imprimé.

([54]) COM(2015) 497 final, Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au comité des régions : Le commerce pour tous – Vers une politique de commerce et d’investissement plus responsable, 2015.

([55]) Service européen d’action extérieur, Rapport annuel sur les droits de l’homme et la démocratie dans le monde, 2018.

([56]) Voir supra.

([57]) Communication de la Commission européenne (COM(2022) 409 final), « La force des partenariats commerciaux : ensemble pour une croissance économique verte et juste », 22 juin 2022.

([58]) Banque mondiale, dernières données disponibles. Taux des droits de douane, appliqués, moyenne simple, tous produits. L’année 1992 a été retenue en tant qu’année au cours de laquelle l’Union européenne a été créée.

([59]) Gaspard Bianquis, « Les nouveaux accords de libre-échange », Regards croisés sur l’économie, 2017.

([60]) OCDE, Note de blog, « Les droits de douane ne sont que la partie émergée de l’iceberg : effets des mesures internes sur les échanges », 2019.

 

([61]) Ici, l’expression doit être comprise comme ayant trait aux respect des droits fondamentaux du travail et à la protection de l’environnement.

([62]) Les groupes consultatifs internes sont des organismes établis au titre des accords commerciaux et composés de représentants indépendants de groupes de la société civile, y compris des organisations non gouvernementales, des entreprises et des syndicats, de manière à représenter équitablement les différents intérêts en matière notamment d’économie, de société, de droits de l’homme et d’environnement.

([63]) Emmanuel Macron, dans son discours prononcé à la Sorbonne en 2017, appelait à la création d’un tel poste : « Nous avons besoin d’une réciprocité en créant un procureur commercial européen, chargé de vérifier le respect des règles, par nos concurrents, et de sanctionner sans délais toute pratique déloyale ».

([64]) Règlement (UE) 2021/167 du Parlement européen et du conseil du 10 février 2021 modifiant le règlement (UE) no 654/2014 concernant l’exercice des droits de l’Union pour l’application et le respect des règles du commerce international.

([65]) Site de la Direction générale du Commerce de la Commission européenne.

([66]) IRIS, « David against Goliath : The European Union facing the issue of critical minerals and metals », Paris, le 6 septembre 2021.

([67]) COM(2023) 165 final, Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions : Un approvisionnement sûr et durable en matières premières critiques à l’appui de la double transition, 2023.

([68]) Voir par exemple, pour le dernier en date, COM(2022) final, Rapport de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions sur la mise en œuvre et l’application des accords commerciaux de l’UE.

([69]) Mathilde Dupré, Stéphanie Kpenou « Les mesures miroirs, un outil essentiel de mise en œuvre du Pacte vert - Premier bilan du mandat européen 2019- 2024 et perspectives », Institut Veblen, septembre 2023.

([70]) La stratégie de la ferme à la table, la stratégie industrielle pour l’Europe, le plan d’action pour l’économie circulaire, ou encore la stratégie pour la durabilité́ dans le domaine des produits chimiques.

([71]) Cour des comptes européenne, Transports d’animaux vivants dans l’UE : défis et pistes d’action, 17 avril 2023.