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N° 2155

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 février 2024.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

sur le déplacement d’une délégation de la commission aux Émirats arabes unis,
du 10 au 14 décembre 2023

 

présenté par

M. Carlos Martens BILONGO, M. Thibaut FRANÇOIS, Mme Béatrice PIRON, Mme Sabrina SEBAIHI et Mme Liliana TANGUY

Députés

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La délégation de la commission était composée de : M. Carlos Martens Bilongo (Val d’Oise – La France Insoumise-NUPES), M. Thibaut François (Nord – Rassemblement national), Mme Béatrice Piron (Yvelines – Renaissance), Mme Sabrina Sebaihi (Hauts-de-Seine – Écologiste NUPES) et Mme Liliana Tanguy (Finistère – Renaissance.)

 


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 SOMMAIRE 

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 Pages

Introduction

I. Une 28e Conférence des parties (COP) à la convention-cadre des nations unies sur les changements climatiques particuliÈrement attendue et qui a su obtenir des résultats encourageants

A. Une COP qui a permis d’atteindre de réelles avancées concernant le bilan mondial et le volet des pertes et prÉjudices

1. Une décision relative au bilan mondial jugée globalement satisfaisante bien qu’encore trop timide aux yeux de certains acteurs

2. Un succès majeur en matière de pertes et préjudices favorisé par un contexte international apaisé sur ce sujet

B. Des résultats plus mitigés en matière d’adaptation et de finance climat

1. Des résultats décevants en matière d’adaptation par rapport aux besoins des pays en développement

2. Des résultats en demi-teinte sur le volet financier

3. Un franc échec sur la mise en œuvre de l’article 6 de l’accord de Paris

C. Un bilan global positif, favorisé par divers facteurs, qu’il reste à concrétiser

1. Une présidence émirienne volontaire malgré des incertitudes en début de COP

2. Une mobilisation active de la communauté internationale

3. Des ambitions qu’il reste à traduire en actes

II. La France et les Émirats arabes unis entretiennent des relations nourries et de confiance qui tendent à se dÉvelopper

A. Les Émirats à la recherche d’une influence géostratégique de premier plan

1. Un enjeu de survie géopolitique

2. La diversification de l’économie des Émirats arabes unis vers la préparation de l’ère post-pétrole

B. Un partenariat franco-émirien stratégique en cours d’approfondissement

1. Une coopération militaire au cœur d’un « partenariat d’exception »…

2. …qui ne constitue toutefois qu’un aspect des relations franco‑émiriennes

a. Le Louvre Abou Dhabi : fleuron de relations culturelles intenses

b. Une coopération scientifique, éducative et technique en expansion

c. Un partenaire économique solide dans de nombreux secteurs

3. Quelques sujets de dissensions entre nos diplomaties demeurent toutefois

a. Sur le dossier ukrainien, les Émirats conservent une position ambiguë à l’égard de la Russie, qui les distingue de la France et des puissances occidentales

b. Les Émirats arabes unis en Afrique : une ambition qui peut s’avérer déstabilisatrice

Examen en commission

Annexe 1 : Programme du déplacement de la délégation

Annexe 2 : Carte des Émirats arabes unis

Annexe 3 : Liste des conférences des parties passées et à venir

Annexe 4 : Les principaux groupes de négociations lors de la COP28

Annexe 5 : Liste des principales décisions prises lors de la COP28

Annexe 6 : Liste des pays développés au sein de l’Annexe 1 de la convention-cadre des Nations UniEs sur les changements climatiques (CCNUCC), une absence d’actualisation problématique

 


   Introduction

 

Situés dans la péninsule arabique, baignés par le Golfe arabo-persique et la mer d’Oman, frontaliers du sultanat d’Oman et de l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis ont été au cœur de l’actualité internationale de la fin de l’année 2023 avec l’organisation, à Dubaï, de la 28e Conférence des parties à la convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), plus connue sous l’acronyme COP28, du 30 novembre au 12 décembre derniers.

Cet évènement planétaire, présenté par les autorités émiriennes comme une « COP des solutions », était particulièrement attendu. D’abord, parce qu’il devait donner lieu au premier bilan mondial, exercice quinquennal prévu par l’accord de Paris de 2015, qui vise à évaluer les progrès collectifs accomplis en vue de la réalisation des trois piliers de l’accord que sont l’atténuation, l’adaptation et la mobilisation des moyens nécessaires à sa mise en œuvre. Ensuite, par la nature même du pays organisateur : puissance productrice et exportatrice d’énergies fossiles, les Émirats devaient prouver leur capacité à organiser une COP et à mener des négociations climatiques permettant un progrès avéré et sincère sur le chemin de la réduction des gaz à effet de serre (GES) alors que leur modèle de développement est fondé sur l’hyperconsommation et l’abondance. Le président émirien de la COP28, Sultan Ahmed Al Jaber, incarnait de manière paroxystique cet apparent paradoxe, à la fois président-directeur général de la compagnie pétrolière nationale ADNOC (Abu Dhabi National Oil Company) et l’un des fondateurs de Masdar, l’entreprise émirienne d’énergies renouvelables. Le suspense sur la capacité de cette COP à parvenir à un accord a été maintenu jusqu’aux ultimes heures de négociations : la délégation, qui était présente les derniers jours de la COP, a pu apprécier la dramatisation certaine autour de l’évènement, l’accord final ayant été finalement conclu in extremis.

Or, cette COP s’inscrit plus largement dans la politique d’influence « tous azimuts » du pays qui entend préparer l’ère post-pétrole et s’affirmer, sur la scène internationale, comme une puissance régionale de premier plan. Il est vrai que le pays ne manque pas d’atouts. « Point d’équilibre entre le continent européen, le continent africain et le continent asiatique », « au cœur des tensions géopolitiques qui secouent le monde » et « partie prenante à ces défis civilisationnels et religieux » ([1]) : tels sont les mots du président de la République, Emmanuel Macron, pour décrire le pays lors de l’inauguration du Louvre Abou Dhabi, le 9 novembre 2017. Son importance géopolitique est sans commune mesure avec sa taille modeste, en termes de superficie (82 880 kilomètres carrés) comme de population (9,5 millions d’habitants dont 11 % seulement d’Émiriens). Encore largement méconnu du grand public jusque dans les années 2000, il est désormais bien identifié pour son expansion architecturale, ses compagnies aériennes transportant des passagers du monde entier, l’image de marque de la ville de Dubaï, ses engagements militaires en Égypte, aux côtés du maréchal Al‑Sissi, ou au Yémen ([2]). Les dossiers internationaux arabes lui ont également donné une visibilité certaine, entre défense des intérêts du groupe arabe et des priorités nationales émiriennes.

Les liens entre la France et les Émirats s’inscrivent dans ce panorama global et trouvent des développements dans de nombreux domaines. L’ouverture officielle de l’« implantation militaire française aux Émirats arabes unis » (IMFEAU), nom officiel de la base française d’Abou Dhabi, le 26 mai 2009, a été considérée comme l’illustration de ce « partenariat d’exception », tout comme la création du Louvre Abou Dhabi et d’une antenne de la Sorbonne. L’intensité des visites d’État réciproques – pas moins de treize sans même citer la COP28 au cours de l’année 2023 – traduit également ce climat de confiance et d’intérêts partagés.

Le déplacement d’une délégation de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, dont émane le présent rapport d’information, s’inscrit également dans ce cadre. Il témoigne de l’importance que revêt aux yeux de la représentation nationale le suivi des négociations climatiques internationales et du partenariat stratégique et multidimensionnel que noue la France avec les Émirats arabes unis.


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I.   Une 28e Conférence des parties (COP) à la convention-cadre des nations unies sur les changements climatiques particuliÈrement attendue et qui a su obtenir des résultats encourageants

Avec ses 100 000 participants, contre 30 000 lors de celle de Paris en 2015, et ses 156 chefs d’État et de gouvernement présents – malgré l’absence de figures éminentes comme le président américain Joe Biden et le président chinois Xi Jinping –, la COP28 était particulièrement attendue et souvent présentée comme la COP la plus importante depuis sa vingt-et-unième édition à Paris. Elle a permis l’adoption d’une quarantaine de décisions à propos desquelles la question des énergies fossiles a occupé tous les esprits. Cette caractéristique est propre à chaque COP qui s’organise généralement autour de la prédominance d’un thème central : le charbon, l’argent, la voiture et les forêts pour la COP26, les pertes et préjudices pour la COP27 et les énergies fossiles, donc, pour la COP28.

A.   Une COP qui a permis d’atteindre de réelles avancées concernant le bilan mondial et le volet des pertes et prÉjudices

1.   Une décision relative au bilan mondial jugée globalement satisfaisante bien qu’encore trop timide aux yeux de certains acteurs

La décision finale de la COP présente d’incontestables avancées qui feront jurisprudence et seront, à ce titre, nécessairement prises en compte dans les négociations climatiques à venir.

Parmi celles-ci figure la place de la science dans l’évaluation de l’importance du changement climatique et comme fondement rationnel aux négociations climatiques. Ainsi, les trajectoires établies par le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) sont reprises sans réserve, notamment s’agissant de celles relatives à la réduction de 43 % des gaz à effet de serre en 2030 par rapport à leur niveau en 2019 et de 60 % en 2035 avec un pic d’émissions fixé à 2025.

De même, l’objectif de température le plus ambitieux de l’accord de Paris, fixé à + 1,5 °C par rapport à l’ère pré-industrielle d’ici la fin du siècle, est davantage mis en valeur que lors de la COP27 à travers plus de dix recensions au sein de la décision de couverture. Cette avancée a sans doute été encouragée par une pression politique et médiatique importante après les révélations du journal britannique The Guardian parues en début de COP et selon lesquelles Sultan Al Jaber aurait déclaré, lors d’un débat organisé en novembre 2023, qu’ « il n’y a pas de science qui dise que la sortie des énergies fossiles est ce qui permettra d’atteindre les 1,5 °C ». Suite au tollé suscité par ces déclarations, le président de la COP n’a eu de cesse de rappeler son attachement à la science durant toute la durée de la conférence.

Le sujet central de cette COP a incontestablement été celui de l’usage des énergies fossiles. Dès le début de l’évènement, les débats se sont orientés vers l’opposition assez systématique entre deux positions symbolisées par leur traduction anglaise, la sortie (« phase out ») ou la réduction (« phase down ») des énergies fossiles, au point de cristalliser toute l’attention. Finalement, devant la réticence des pays pétroliers, au premier rang desquels l’Arabie saoudite, à l’égard de l’inscription claire de la sortie des énergies fossiles dans le texte final ainsi que le risque de n’obtenir aucun accord, a été retenue la mention d’une « sortie progressive [« transitioning away »] des énergies fossiles d’une manière juste, organisée et équitable, en accélérant l’action climatique dans cette décennie critique, de manière à atteindre la neutralité d’ici 2050 ». Cette solution de compromis a été obtenue in extremis dans la nuit du 12 au 13 décembre 2023 avec le soutien actif de la France.

Il convient de noter que l’opposition à la sortie des énergies fossiles émanait non seulement des pays producteurs de pétrole du Golfe arabo-persique mais aussi de certains pays d’Amérique latine, des grands émergents et des États africains, à l’instar de la République démocratique du Congo, du Sénégal, de la Côte d’Ivoire et de la Namibie. Ces derniers font face à la pauvreté et au dénuement d’une partie de leur population, si bien que le développement de leur économie et l’amélioration des conditions de vie de leurs concitoyens sont pour eux des priorités absolues, y compris si cela implique le recours aux énergies fossiles. S’ils se prononcent en faveur d’une nette augmentation de la production d’énergies renouvelables de l’Afrique qui passerait de 56 gigawatts en 2022 à au moins 300 gigawatts, conformément à la déclaration de Nairobi, adoptée à l’issue du premier Sommet africain du climat (septembre 2023), ils restent attachés au maintien de subventions aux énergies fossiles, indispensables selon eux pour soutenir la demande dans certains pays africains.

Notons que si les pays membres du G77 s’entendaient sur ce point, des divisions persistent au sein de ce groupe sur d’autres sujets, à l’instar de la volonté des pays africains de se voir reconnaître un statut spécial, en tant qu’États disposant de besoins et de circonstances particulières face au changement climatique. Cette revendication a une nouvelle fois été portée lors de la COP28 tout en suscitant le rejet de la part des puissances du G77, à commencer par la Chine, qui ne souhaitent pas voir l’Afrique se distinguer des autres ensembles géographiques.

Il est certain que diverses parties attendaient plus de cette COP : elles regrettent que l’expression de « phasing out » n’ait pas été retenue et qu’aucune date effective de sortie des énergies fossiles n’ait été agréée. C’est le cas des petits États insulaires qui ont fait savoir, par la voix de leur représentante Anne Rasmussen, que le monde aurait eu besoin d’un « changement exponentiel » et non d’un compromis en demi‑teinte.

Si la position de ces parties directement menacées de disparition – il faut rappeler que le 10 novembre 2023, l’Australie et les Tuvalu ont conclu un accord autorisant l’Australie à accorder l’asile climatique aux 11 000 îliens dont l’archipel risque d’être englouti par les eaux avant la fin du siècle – est bien compréhensible, il faut noter l’importance d’une mention explicite des énergies fossiles dans un accord de COP, seul le charbon étant jusqu’alors cité depuis la COP26. Celle-ci influencera sans doute les décisions d’aujourd’hui : son effet d’entraînement réside dans sa capacité à dissuader les investisseurs de parier sur les énergies fossiles qui n’apparaissent plus comme une valeur sûre. Or, comme le soulignait Haitham al‑Ghais, le secrétaire général de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), « sans des niveaux d’investissement adéquat, l’avenir de notre industrie est en danger ».

Soulignons que le langage relatif aux subventions aux énergies fossiles a lui aussi évolué : la décision de couverture de la COP appelle à mettre fin, dès que possible, aux subventions aux énergies fossiles jugées inefficaces sans que soient concernées celles relatives à la transition juste ou à la lutte contre la pauvreté énergétique, conformément à la décision du Conseil « environnement » de l’Union européenne définie en amont de la COP. Selon l’évaluation du think tank canadien International Institute for Sustainable Development, avec qui la délégation a pu échanger, ces subventions publiques représentent à l’échelle mondiale 1,3 milliard de dollars en 2022. Rappelons que la France est membre, depuis la COP26, d’une coalition d’États lancée par le Royaume-Uni : celle-ci s’engage à ne plus financer les projets d’énergies fossiles qui ne seraient pas accompagnés de dispositifs d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre et à arrêter tout soutien à ces projets, y compris ceux adossés à des techniques de captage du carbone, dès 2025 pour le pétrole et en 2035 pour le gaz. Elle a également créé une coalition avec six pays (Allemagne, Danemark, Espagne, Pays-Bas, Royaume-Uni et Suède), Export Finance for Future, s’engageant à « accélérer la sortie progressive » du financement des projets d’énergies fossiles, sans toutefois fixer de date butoir pour y parvenir.

La décision finale de la COP reprend des objectifs de triplement des énergies renouvelables à l’échelle mondiale pour atteindre 11 000 gigawatts et de doublement de l’efficacité énergétique d’ici à 2030. Pour la première fois, il est également fait référence à l’énergie nucléaire. Le texte prévoit, en effet, d’accélérer le développement de cette énergie, mention qui constitue, selon les mots de l’ancienne ministre de la transition énergétique française Agnès Pannier‑Runacher, « une victoire diplomatique pour la France ».

C’est, en effet, la France qui a porté cette initiative, soutenue par vingt-deux États, en début de COP, en appelant, notamment par la voix du président Emmanuel Macron, au triplement de l’énergie nucléaire d’ici à 2050. Parmi les soutiens à cette initiative figurent des pays déjà nucléarisés comme les États-Unis et le Japon et d’autres qui ne le sont pas encore, à l’instar de la Pologne, du Maroc et du Ghana. La Chine est, en revanche, restée à l’écart de cette démarche. L’Union européenne, quant à elle, s’est montrée discrète sur le sujet, en raison de la division de ses États membres sur la question du nucléaire : l’Allemagne, l’Autriche ou encore le Luxembourg sont, par exemple, des opposants déclarés à cette énergie. Cette initiative s’inscrit, plus largement, dans l’effort déployé par la coalition d’États en faveur du nucléaire pour pousser les banques de développement, au premier rang desquelles la Banque mondiale, à reprendre des activités en matière de financement de cette énergie.

Enfin, la COP a décidé de la mise en place d’un mécanisme de suivi prenant la forme d’un dialogue annuel sur les résultats du bilan mondial jusqu’en 2028. Celui-ci doit permettre de créer les conditions d’une ambition rehaussée pour le prochain cycle de contributions déterminées au niveau national (CDN).

En revanche, la décision finale se montre timide sur certains aspects, à commencer par la question du charbon. Elle ne va guère au-delà du langage déjà retenu à Glasgow et Sharm el-Cheikh (« accelerating efforts towards the phase‑down of unabated coal power »). De même, concernant le méthane, les parties se contentent d’appeler de leurs vœux une réduction substantielle des émissions d’ici à 2030, sans plus de précision. Cette absence de toute ambition plus poussée sur la question du méthane est d’autant plus regrettable que les technologies actuelles permettent d’identifier avec précision, simplement et à moindre coût, l’ampleur de ces émissions parfois imputables à des fuites d’origine industrielle. Parallèlement aux négociations sur la décision de couverture, les Émirats arabes unis ont tout de même obtenu que cinquante compagnies pétrolières et gazières, dont vingt-neuf nationales, s’engagent à réduire leurs émissions de méthane à un niveau « proche de zéro » d’ici 2030 et à arrêter le torchage du gaz naturel.

2.   Un succès majeur en matière de pertes et préjudices favorisé par un contexte international apaisé sur ce sujet

La COP28 s’est ouverte dans un contexte relativement apaisé concernant la question de la finance climat qui avait occupé le devant de la scène lors de la COP27 et avait suscité des crispations entre pays développés et pays en développement. Ce contexte a été favorisé par la publication des chiffres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en début de COP, lesquels indiquaient que les pays développés avaient mobilisé 89,6 milliards de dollars en 2021 et que le seuil des 100 milliards qui leur était fixé serait probablement atteint en 2022 et dépassé en 2023.

Certaines annonces unilatérales ont également contribué à créer un climat positif, à l’instar de la contribution américaine de 3 milliards de dollars au Fonds vert pour le climat, même s’il s’agit davantage d’un rattrapage de la faible participation américaine au fonds au cours des dernières années que d’un effort substantiel de la part de ce pays. Les États-Unis deviennent ainsi le premier contributeur au Fonds vert en valeur absolue, avec 6 milliards de dollars ; le Royaume-Uni (5,1 milliards, selon l’organisation non-gouvernementale Natural Resources Defense Council), l’Allemagne (4,9 milliards) et la France (4,6 milliards) contribuent cependant bien davantage proportionnellement à leur population.

Notons que cette participation américaine a été bien accueillie alors que le contexte domestique pèse sensiblement sur l’investissement du pays dans les négociations climatiques. Ainsi, le président américain Joe Biden n’a pas assisté à la COP28 alors même que le pays entendait s’imposer comme un État moteur de la lutte contre le changement climatique grâce à l’Inflation Reduction Act, qui vise à permettre le développement d’énergies propres grâce à des incitations fiscales et des crédits d’impôt. L’ancien président Donald Trump a déjà annoncé qu’il entendait faire sortir son pays de l’accord de Paris, s’il était élu en 2024, comme il l’avait du reste déjà fait en 2017, et conteste le passage à la voiture électrique accusée de détruire les emplois traditionnels au bénéfice de la Chine. Par ailleurs, la guerre en Ukraine a accéléré la production d’énergies fossiles (pétrole et gaz naturel liquéfié) aux États-Unis et l’exportation d’une partie de la production, notamment vers l’Europe, ce qui n’a pas empêché le pays de défendre officiellement la sortie des énergies fossiles lors de la COP.

Capitalisant sur ce contexte, la COP, encouragée en ce sens par la présidence émirienne, a débuté par une décision majeure : celle de l’opérationnalisation du fonds de réponse aux pertes et préjudices ([3]), officiellement créé lors de la COP27, en avalisant les recommandations du comité transitionnel mis en place il y a un an. Cette stratégie s’est révélée payante tant elle a permis d’instaurer un climat de confiance entre les parties, évitant par la même occasion que les débats finaux soient bloqués en attendant une décision sur cette question.

Plusieurs annonces de contributions au fonds ont également vu le jour pendant la COP pour atteindre 792 millions de dollars, dont 100 millions de la part des Émirats arabes unis, promis dès le début de la COP. Le président Emmanuel Macron a, quant à lui, annoncé la mobilisation d’une somme pouvant aller « jusqu’à 100 millions d’euros en fonction des éléments de gouvernance » quand les États-Unis ont consenti une participation de 17,5 millions de dollars.

Notons que la contribution émirienne est dotée d’une dimension symbolique forte, le pays étant encore considéré comme un État en développement, selon la classification établie en 1992 lors du sommet de la terre de Rio et reprise par la CCNUCC, à l’instar de l’Arabie saoudite, du Qatar, de la Chine et du Brésil ([4]). À ce titre et en l’absence de toute actualisation de la distinction entre pays développés et pays en développement au sens de la CCNUCC, les Émirats arabes unis ne se trouvent théoriquement pas concernés par la logique de solidarité des pays du Nord envers les pays du Sud au nom des principes d’une responsabilité commune mais différenciée au changement climatique et des capacités restrictives. La Chine, au contraire, s’en tient à une lecture stricte de cette distinction et refuse ainsi toute participation financière aux divers fonds existants, dont le Fonds vert, préférant soutenir la lutte contre le changement climatique par des initiatives individuelles, notamment dans le cadre des routes de la soie.

B.   Des résultats plus mitigés en matière d’adaptation et de finance climat

1.   Des résultats décevants en matière d’adaptation par rapport aux besoins des pays en développement

La COP28 devait permettre d’opérationnaliser l’objectif mondial d’adaptation, dans la lignée des travaux lancés lors de la COP26, par l’adoption d’un cadre de travail, conçu à partir des huit ateliers du programme de travail Glasgow‑Sharm el Sheik dit GlaSS. Pour rappel, les contours de cet objectif sont mal définis, les pays en développement souhaitant parvenir à un objectif quantifié, tandis que les pays développés militent davantage pour une approche qualitative.

Si ce cadre a pu être avalisé, il n’a donné lieu à aucune discussion substantielle et son adoption est passée relativement inaperçue, malgré son importance notamment pour les pays africains ([5]), en raison de l’omniprésence du thème des énergies fossiles. Ainsi, les discussions n’ont pas véritablement progressé sur la nature de cet objectif : les cibles demeurent qualitatives, comme le voulait l’Union européenne, même si les pays en développement continuent de réclamer des aides financières des pays développés en s’appuyant sur le principe d’une responsabilité commune mais différenciée au changement climatique. Quelques points d’importance pour les pays développés ont été ajoutés, tels que le caractère volontaire du cadre. Les pays en développement ont, quant à eux, obtenu la création d’un programme de travail de deux ans sur les indicateurs retenus, ainsi que la production de multiples rapports.

Quant aux discussions sur les plans nationaux d’adaptation (NAPs), lesquels devaient notamment faire l’objet, du côté de l’Union européenne, de précisions sur leur formulation et leur mise en œuvre et l’extension de leur base de ressources financières, elles n’ont pu aboutir du fait des oppositions répétées des pays membres du groupe dit LMDC (like-minded developing countries) : ce groupe, et plus précisément l’Arabie saoudite, le Koweït et la Chine, n’ont eu de cesse d’exiger l’insertion d’un langage insistant sur la seule responsabilité des pays développés dans le changement climatique, lequel justifie l’octroi de financements. Les négociations n’ont finalement pas pu aboutir dans les temps et ont été ajournées.

2.   Des résultats en demi-teinte sur le volet financier

Si le sujet de la finance climat ne constituait pas le principal objet de discussion de la COP28, il a, comme chaque année désormais, occupé un temps conséquent de négociations et concentré l’essentiel des demandes de plusieurs pays en développement.

Quelques avancées ont pu être obtenues, que ce soit pour le suivi de l’atteinte de la cible des 100 milliards de dollars par an de finance climat à partir de 2020 ou sur l’objectif post-2025 pour lequel les parties se sont entendues sur une décision procédurale dans l’attente de la décision de la COP29, relative à la définition d’un nouvel objectif quantifié en remplacement des 100 milliards. Il peut être noté que l’Union européenne avait initialement proposé, en début de COP, de s’entendre sur des éléments structurants de ce nouvel objectif en retenant un horizon temporel de dix ans et une décomposition de l’objectif en trois catégories de sources de financements (publics, privés mobilisés et privés).

Toutefois, ces propositions n’ont pu aboutir sous la pression des pays arabes, qui ont bloqué tout progrès sur le sujet. La solution procédurale finalement retenue prévoit que les négociations soient menées au cours de l’année 2024 lors des trois sessions d’au moins trois à quatre jours. Celles-ci seront préparées, en amont, par les co-facilitateurs australiens et émiriens qui transmettront à l’ensemble des parties des propositions de texte constituant une base pour les négociations à venir lors de la COP29.

Les résultats sont plus mitigés s’agissant de la finance adaptation. Si les pays en développement ont demandé des comptes aux pays développés sur leurs engagements pris lors de la COP26 de doubler d’ici à 2025 la finance pour l’adaptation (de 20 à 40 milliards de dollars) par rapport à leurs niveaux de 2019, aucun nouvel engagement n’a été pris, pas plus que n’a été décidé le quadruplement de la finance adaptation. Seule l’organisation d’un dialogue ministériel de haut niveau a pu être agréée.

Un ensemble de décisions relatives au soutien financier apporté aux pays en développement pour la mise en œuvre du recensement des émissions de gaz à effet de serre a également été adopté.

La France a, par ailleurs, obtenu la mention, dans la section financière du bilan mondial, des sources innovantes couvrant notamment la taxation et la réduction des subventions néfastes au climat. La COP reconnaît aussi le rôle des banques centrales et des régulateurs dans la mobilisation des investissements nécessaires à l’adaptation et à l’atténuation dans le prolongement des discussions tenues lors du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial de juin 2023.

3.   Un franc échec sur la mise en œuvre de l’article 6 de l’accord de Paris

La mise en œuvre de l’article 6 de l’accord de Paris sur les échanges de crédits carbone n’a pu faire l’objet de véritables avancées alors même que ce marché se développe.

Si la COP26 de Glasgow avait permis d’obtenir un accord sur les règles d’échanges de crédits carbone, elle laissait en suspens de nombreux points de détail nécessaires pour garantir l’intégrité du système et la transparence des échanges concernant, par exemple, les trames des rapports, les modalités d’évaluation de ces rapports et la conception du système informatique, qui permettra le suivi des transactions. Faute d’accord au cours de négociations sur des textes à la fois longs et techniques, la COP27 avait reporté l’examen de plusieurs éléments non consensuels à la tenue de la COP28.

Cependant, une fois de plus, les oppositions vigoureuses exprimées n’ont pas permis l’adoption de standards communs. Les États-Unis, soutenus par les pays membres du groupe de l’Ombrelle, réunissant des pays développés non membres de l’Union européenne (Australie, Canada, États-Unis, Russie, Japon, Nouvelle‑Zélande, Norvège, Ukraine et Islande) refusent, en effet, l’universalisation d’un système centralisé, cher aux Européens, afin de préserver leurs systèmes nationaux déjà en place.

Ces difficultés sont également apparues dans le cadre des négociations autour des recommandations du mécanisme de supervision des projets de compensation carbone relatives aux projets d’absorption (article 6.4 de l’accord de Paris). L’Union européenne, de nombreux pays d’Amérique latine et des petits États insulaires ont préféré rejeter le projet de décision jugé insuffisamment en prise avec la protection des droits humains et du développement durable.

Ces différents aspects, à commencer par l’opérationnalisation de l’article 6 de l’accord de Paris, seront ainsi de nouveau au cœur des négociations de la COP29.

C.   Un bilan global positif, favorisé par divers facteurs, qu’il reste à concrétiser

1.   Une présidence émirienne volontaire malgré des incertitudes en début de COP

La présidence émirienne a su se montrer à la hauteur de l’évènement malgré le scepticisme qu’elle a suscité lors de sa nomination, scepticisme qui s’est vu renforcé, en début de COP, par les révélations de la British Broadcasting Corporation (BBC) affirmant que Sultan Al Jaber entendait bénéficier de ses réunions bilatérales organisées dans le cadre des négociations climatiques pour obtenir de nouveaux contrats en faveur d’ADNOC, la compagnie pétrolière qu’il dirige.

Si des craintes existaient donc sur la crédibilité de cette présidence et sa capacité à faire réellement preuve de leadership au cours des négociations – certains redoutant, à l’instar des Américains, qu’Abou Dhabi n’envisage cette COP comme une seconde exposition universelle en se concentrant avec excès sur sa dimension évènementielle – , force est de constater que Sultan Al Jaber a su faire preuve d’un réel activisme, en particulier en fin de COP, pour obtenir un consensus final en menant des échanges de haut niveau avec l’Arabie saoudite dans la nuit du 12 au 13 décembre 2023, alors que la perspective d’un accord semblait s’éloigner. Son professionnalisme, renforcé par la recherche d’un certain prestige personnel, a été globalement salué à l’instar des moyens impressionnants déployés par son pays pour accueillir les 100 000 visiteurs sur le site de la COP.

lE SITE DE LA COp28 à dubaï

COP 28 UAE: Climate change conference comes to Dubai

Source : Time out Dubaï, 23 juin 2022.

De manière plus générale, l’obtention d’un accord a été facilitée par le retour d’un climat de confiance entre pays développés et pays en développement, en particulier s’agissant des plus vulnérables, grâce à l’adoption stratégique, dès le début de la COP, de la décision relative au fonds sur les pertes et préjudices assortie de promesses de contributions de la part des Émirats arabes unis et d’autres pays développés. Là encore, cette stratégie gagnante est à mettre au crédit d’une présidence émirienne qui a su faire preuve d’une grande habileté.

2.   Une mobilisation active de la communauté internationale

La réussite de la COP a été encouragée par le réchauffement des relations sino‑américaines avant sa tenue : les deux pays ont adopté, le 7 novembre 2023, la déclaration de Sunnylands, qui traduit la volonté commune de ces deux puissances très émettrices de coopérer sur les questions climatiques. Les échanges nourris entre John Kerry, l’envoyé spécial américain pour le climat, et son homologue chinois, Xie Zhenhua, ont ainsi été interprétés comme un signal positif dans la perspective de la COP, au-delà de leur signification pour les relations bilatérales entre les deux pays.

Parallèlement, divers groupes géographiques ont su se montrer soudés et actifs pour porter leurs ambitions durant la COP. C’est le cas de l’Union européenne menée par le nouveau commissaire européen à l’action pour le climat, Wopke Hoesktra, lequel succédait à Frans Timmermans, démissionnaire pour participer aux élections anticipées aux Pays-Bas à l’automne 2023, et Teresa Ribera, qui représentait la présidence espagnole. De même, les pays les plus ambitieux en matière climatique ont su coordonner leurs actions pour peser de tout leur poids lors des négociations : c’est le cas, outre de l’Union européenne, de l’Association indépendante d’Amérique latine et des Caraïbes (AILAC), de l’Alliance des petits États insulaires en développement (AOSIS) ou encore du groupe dit de l’Ombrelle.

Enfin, le Brésil, qui accueillera à Belém la COP30 en 2025 et qui exercera cette année la présidence du G20, a fait preuve d’une collaboration active et constructive au cours de la COP, notamment en vue d’obtenir les conditions de CDN ambitieuses pour le prochain cycle post-2030. Le pays organisera d’ailleurs une réunion ministérielle sur l’énergie propre en 2024.

3.   Des ambitions qu’il reste à traduire en actes

La décision de couverture de la COP28 est encourageante et robuste. Il reste désormais à lui donner une réalité dans les mois à venir.

Comme l’ont souligné nombre de pays en développement, et notamment les petits États insulaires et les pays les moins avancés, la transition hors des énergies fossiles sera conditionnée aux moyens financiers mobilisés pour engager ce changement d’ampleur. En ce sens, la COP29, qui se tiendra à Bakou en Azerbaïdjan à la fin de l’année 2024, devra impérativement conclure les négociations sur le nouvel objectif financier post-2025, qui succédera à la mobilisation des 100 milliards de dollars par an.

Ainsi, il ne fait guère de doute que la question de la finance climat devrait de nouveau dominer les débats autour de la définition de ce nouvel objectif financier, de la réforme des institutions financières internationales ou encore du rôle des agences de notation de crédit. Il peut être noté l’initiative des présidents français et kenyan lors de la COP28 pour mettre en place une task force regroupant les pays souhaitant créer d’ici deux ans, soit pour la COP30, une taxation internationale dont le revenu pourra soutenir les pertes et préjudices et l’adaptation des pays les plus vulnérables face au changement climatique.

La COP29 constituera une première étape pour vérifier l’effectivité de la sortie progressive des énergies fossiles. De ce point de vue, son organisation à Bakou, en Azerbaïdjan, dans un pays dont les deux-tiers de l’économie reposent sur l’exploitation de ces énergies, et l’attribution de sa présidence à Mukhtar Babayev, qui a longuement travaillé pour la compagnie nationale pétrolière et de gaz Socar, représentent un véritable défi. Rappelons que le choix de l’Azerbaïdjan comme pays hôte a été obtenu de haute lutte en raison des tensions – sur fond de guerre en Ukraine – qui traversent le groupe de l’Europe orientale auquel il incombe d’organiser cet évènement en 2024. Après le veto russe contre la candidature de la Bulgarie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan, tous deux candidats, ont réussi, contre toute attente, à trouver un accord en faveur de Bakou.

De même, la COP30, organisée par le Brésil, sera un moment clé du cycle quinquennal de relèvement de l’ambition des parties, puisqu’elle verra l’ensemble des États soumettre leurs nouvelles contributions déterminées au niveau national rehaussées pour la période post-2030 : celles-ci devront tenir compte des objectifs définis à la COP28, à commencer par ceux des grands émetteurs de gaz à effet de serre. C’est à l’aune de leur capacité à intégrer ces nouveaux objectifs que pourront être véritablement évalués leurs plans plutôt qu’au regard de la simple réduction des émissions à l’échelle de l’ensemble de l’économie mondiale. En outre, environ 150 États se sont engagés à inclure le rôle de l’agriculture ([6]) et de l’alimentation dans le futur, ce qui devra transparaître dans leurs engagements à venir.

La tenue, à Belém, de la COP30 pourrait également permettre de mettre en valeur certains thèmes qui n’ont pas obtenu l’attention espérée lors de la COP28. Tel est le cas du sujet de la déforestation, notamment chère aux pays africains : la décision finale de la COP souligne certes l’importance de protéger les écosystèmes et de lutter contre la perte de biodiversité, en mettant un terme à la déforestation et en l’inversant d’ici à 2030, mais elle en néglige certaines causes, à commencer par la destruction des forêts tropicales due à l’expansion de l’agriculture.

L’un des enjeux de la COP30 sera de développer un leadership politique de haut niveau pour financer la protection et la restauration des forêts au‑delà des compensations climatiques. Déjà, lors de la COP28, le Brésil a tenu à porter ce sujet en mettant en valeur son action de protection non seulement au sein de l’Amazonie, dont la déforestation a reculé de 50 % depuis le début du troisième mandat du président Lula, mais aussi de la région du Pantanal, l’une des plus grandes zones humides de la planète.

évolution de la déforestation en amazonie

Source : présentation d'Alain Karsenty sur les enjeux environnementaux en Amazonie - visioconférence du 12 janvier 2024 « Retour sur la COP28, focus sur le Brésil et sa présidence du G20 » de l’institution français de relations internationales.

Pour mémoire, la région du Pantanal abrite, à elle seule, quelque 650 espèces d’oiseaux, 98 espèces de reptiles et près de 159 espèces de mammifères mais se trouve régulièrement ravagée par des incendies imputables à la chaleur et également sans doute à la pratique de brûlis mal maîtrisée par des fermiers locaux. Le Brésil a d’ailleurs présenté, lors de la COP28, son initiative en faveur de la création d’un fonds destiné à préserver les forêts tropicales dans quelque quatre‑vingts pays, idée formulée dès 2007 par le président Lula mais qui n’avait jamais vu le jour.

la zone humide du pantanal au brésil, un écosystème fragile

Pantanal : l'autre nature du Brésil

Source : « Pantanal, l’autre nature du Brésil », Bernadette Gilbertas, Le Figaro, 4 avril 2014.

La coopération internationale en matière d’action climatique devra être renforcée, en particulier au regard d’un contexte géopolitique difficile marqué par des lignes de fractures autour de l’Ukraine et du Moyen-Orient, qui ont fortement pesé sur les négociations de la COP28. En ce sens, la définition d’une feuille de route pour lutter contre la faim dans le monde tout en limitant le réchauffement climatique à 1,5 °C élaborée par l’Organisation des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO), laquelle doit aboutir à la COP30 par la présentation de plans d’action nationaux, constitue une initiative pertinente de collaboration à l’échelle internationale nécessitant une appropriation politique indispensable à sa réussite.

 


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II.   La France et les Émirats arabes unis entretiennent des relations nourries et de confiance qui tendent à se dÉvelopper

A.   Les Émirats à la recherche d’une influence géostratégique de premier plan

Malgré leur petite taille – moins de 83 000 kilomètres carrés et une population réduite à 9,5 millions d’habitants en 2022, dont seulement 11,5 % de nationaux –, les Émirats arabes unis jouissent d’une influence majeure sur les scènes régionale et internationale. Cette confédération composée de sept émirats (Abou Dabi, Ajman, Charjah, Dubaï, Fujaïrah, Ras el Khaïmah et Oumm al Qaïwaïn), devenus indépendants en 1971 à la faveur du retrait du Royaume-Uni de la péninsule arabique, a su s’imposer en un peu plus d’une décennie comme un acteur incontournable des relations diplomatiques mondiales.

Leurs ambitions et les orientations de leur politique étrangère sont motivées par un double enjeu : leur survie dans un environnement volatil et leur volonté de se différencier de leurs voisins, qu’il s’agisse du géant régional que constitue l’Arabie saoudite ou de l’influent Qatar, allié incontournable des États-Unis au Moyen‑Orient.

1.   Un enjeu de survie géopolitique

Les Émirats arabes unis mènent une lutte acharnée contre les Frères musulmans particulièrement active depuis la survenue des printemps arabes, autant par aversion pour les soulèvements menaçant l’ordre établi – ce qui les distingue du Qatar et de l’Arabie saoudite qui ont d’abord vu dans ces soulèvements populaires une opportunité de servir leurs intérêts sur l’échiquier régional – que par assimilation de toute forme d’islam politique au terrorisme menaçant leur stabilité.

Rappelons que deux Émiriens figuraient parmi les terroristes responsables des attentats du 11 septembre 2001 et que les Émirats arabes unis ont fondé leur modèle sur la recherche d’un régime politique fort, dans lequel la stabilité prime sur la promotion des libertés publiques et la tolérance religieuse. Cette dernière, qui assure à chacun la possibilité d’exercer librement sa religion au sein d’un État dominé par l’islam sunnite, est incarnée par la signature du « document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et le vivre ensemble », lequel a été conclu par le Pape François et le Grand Imam d’Al‑Azhar Ahmad Al-Tayyib, en 2019, à Abou Dhabi. S’en est suivie la construction, dans cette même ville, d’une maison abrahamique, inaugurée en février 2023, qui regroupe sur un site unique une synagogue, une église et une mosquée construites selon un plan architectural similaire.

 

Bientôt une église, une mosquée et une synagogue réunies à Abu Dhabi
La maison abrahamique d’Abou dhabi, SYMBOLE DE L’ouverture religieuse des Émirats ARABES UNIS

Source : La Croix, 24 septembre 2019.

Ce positionnement explique, par exemple, le soutien du pays au maréchal Al-Sissi et à l’armée égyptienne qui ont chassé du pouvoir le président frériste Mohamed Morsi en 2013, ainsi qu’au maréchal Haftar face aux groupes tripolitains affiliés aux Frères musulmans dans le conflit syrien. Les Émirats arabes unis ont d’ailleurs été le premier État du Golfe arabo-persique à annoncer la réouverture de son ambassade à Damas en décembre 2018. Ils militent également activement, au nom de la stabilisation de leur environnement régional, pour une normalisation des relations avec la Syrie et sa réintégration à la Ligue arabe, devenue effective le 7 mai 2023. Au Yémen, le pays fait de la lutte contre le terrorisme, entendu au sens large, sa priorité quand l’Arabie saoudite est prête à un rapprochement avec le mouvement frériste al-Islah pour s’opposer aux Houthis. Ses multiples engagements militaires lui ont d’ailleurs valu le surnom de « petite Sparte du Golfe », expression attribuée à James Mattis ([7]), alors à la tête du Central Command américain, et ont contribué à redéfinir ses relations avec son voisin saoudien, auprès duquel le pays a combattu à de nombreuses reprises.

L’Iran et ses proxies, en particulier les Houthis qui ont lancé une attaque de drones contre le pays en janvier 2022, constituent l’autre grand enjeu géostratégique auquel les Émirats font face : l’existence d’une menace iranienne explique, en grande part, l’investissement du pays dans l’industrie de l’armement, notamment aérienne. De fait, le rapprochement entre l’Iran et la Russie depuis la guerre en Ukraine est un véritable défi pour les Émirats arabes unis : les autorités émiriennes promeuvent toutefois une politique d’apaisement à l’égard de leur voisin chiite et ont même décidé de nommer un ambassadeur à Téhéran en août 2022, une première depuis 2016. C’est toutefois bien à l’Iran que les membres du Conseil national de la Fédération rencontrés par la délégation imputent la responsabilité des attaques du Hamas contre Israël perpétrées le 7 octobre 2023.

Quelques précisions s’imposent concernant le positionnement des Émirats arabes unis dans ce conflit. Le pays a normalisé ses relations avec Israël à l’aune des accords d’Abraham, conclus à Washington en septembre 2020 avec le vif soutien des États‑Unis. Le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou parle, à leur propos, de « tournant de l’histoire ». Concrètement, ils ont permis l’ouverture d’ambassades dans chacun de ces deux États ainsi que l’intensification de leurs liens, principalement commerciaux : les Émirats arabes unis ont ainsi accru leurs investissements en Israël dans plusieurs secteurs stratégiques, tels que les hautes technologies, la santé et la médecine tandis que 1,2 million d’Israéliens se sont rendus aux Émirats arabes unis depuis la conclusion de l’accord.

La signature des accords d’Abraham témoigne d’une division des pays arabes face au conflit israélo-palestinien, les Émirats arabes unis prenant ainsi leurs distances avec le plan dit « Abdallah », du nom de l’ancien souverain saoudien, qui délimite depuis 2002 une position arabe commune, en conditionnant la normalisation des relations avec Israël à la création d’un État palestinien sur les territoires de 1967 dont Jérusalem-Est serait la capitale. Au sein de la Ligue arabe, le pays est le tenant d’une ligne modérée à l’égard de l’État hébreux, soucieux de conserver ses bonnes relations avec le pays.

Les attaques du 7 octobre 2023 et la reprise du conflit au sein de la bande de Gaza n’ont pas altéré cette position, même si les Émirats arabes unis se montrent critiques, de manière non officielle, à l’égard de la politique du gouvernement israélien. Par anti‑frérisme, ils sont naturellement très méfiants vis-à-vis du Hamas mais tentent de jouer un rôle de médiation et de concurrencer, dans ce domaine, Ryad et Doha. Ils ont ainsi financé trois usines de désalinisation dans la bande de Gaza et un hôpital à Rafah. Ils apportent également une aide humanitaire conséquente, principalement auprès des femmes et des enfants de Gaza, et ont monté un programme visant à évacuer 1 000 patients atteints de cancers et des enfants gazaouis blessés vers leur territoire. Plusieurs des intervenants rencontrés ont d’ailleurs souligné la coopération existante, dans ce domaine, entre les autorités françaises et émiriennes.

Au sein du Conseil de sécurité des Nations Unis (CSNU) où ils ont siégé en tant que membre non permanent en 2022 et 2023, les Émirats arabes unis sont cependant restés fidèles à leur ligne directrice, celle de porter la voix des pays arabes, et notamment celle des Palestiniens. Ils ont ainsi relayé fidèlement auprès des Américains les demandes palestiniennes et sont à l’origine de l’adoption d’une proposition de résolution, le 22 décembre 2023, réclamant une aide humanitaire à grande échelle pour la population de Gaza. Notons toutefois que cette résolution, qui exclut toute mention à un éventuel cessez-le-feu auquel les États-Unis sont hostiles, a été jugée faible et décevante par la partie palestinienne.

Enfin, tout en étant membre du Conseil de coopération du Golfe (CCG) depuis 1981, les dirigeants émiriens cherchent à se ménager des cercles concentriques d’autonomie relative vis‑à-vis des partenaires qui assurent leur sécurité et leur stabilité. Ils nouent ainsi des relations stratégiques avec différents acteurs, dont la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis. Cette politique de diversification stratégique s’accompagne, à l’intérieur de leurs frontières, de la modernisation et de la rationalisation de leur outil de défense, lequel assure également un rôle de cohésion nationale.

2. La diversification de l’économie des Émirats arabes unis vers la préparation de l’ère post-pétrole

La deuxième composante majeure de la politique étrangère des Émirats arabes unis repose sur le développement d’un fort libéralisme économique, incarné par l’émirat de Dubaï, dont les réserves pétrolières sont estimées à seulement dix ans contre près de quatre-vingts ans pour Abou Dhabi ([8]). Les revenus du pétrole représentent encore environ un tiers du produit intérieur brut (PIB) du pays mais les autorités émiriennes ont pour objectif de réduire cette contribution à 20 % d’ici à 2030. Excluant un développement économique trop énergivore, Dubaï décide d’investir dans le secteur tertiaire, devenant un réel pôle d’attractions au Moyen‑Orient et dans le reste du monde.

Pour y parvenir, l’émirat de Dubaï mise d’abord sur le secteur de la finance pour diversifier son économie. Le début des années 1990 lui offre un contexte favorable du fait de la perte d’influence de Beyrouth alors en pleine guerre du Liban (1975-1990) et du Koweït envahi par l’Irak (1990-1991). En 2000, le Dubaï Financial Market (DFM) est créé et confère à la métropole une place de référence dans la région, tandis que l’émirat crée une série de zones franches pour attirer les entreprises internationales qui ont installé la plupart de leurs sièges régionaux dans la ville.

Ce développement d’abord interne permet ensuite aux entreprises dubaïotes d’investir la scène internationale au milieu des années 2000 à l’instar de Dubaï Ports World qui exploite plus de soixante-dix terminaux maritimes et terrestres dans près de quarante pays à travers le monde. D’autres entreprises comme Du pour les télécommunications, Emaar et Damac dans l’immobilier et la construction et la Dubaï Islamic Bank ont aussi acquis une stature internationale permettant à l’émirat d’être le représentant de la stratégie de « State-branding » consistant à promouvoir une image de marque du pays, en particulier en développant un soft power fort dont la tour Burj Khalifa et le Dubaï Mall sont représentatifs.

Dubaï est incontestablement à la pointe de cette politique : la ville apparaît dans des films comme Mission impossible ou Protocole Fantôme et accueille, en 2019, près de 19 millions de touristes. Abou Dhabi n’est toutefois pas en reste : la compagnie Etihad, fondée en 2003, répond à Emirates créée en 1985 et la ville se tourne vers le développement de centres éducatifs, de formation et culturels. Les Émirats arabes unis misent aussi sur le sport : pensons au rachat du club anglais de Manchester City en 2008 par Abu Dhabi United Group, au développement du City Football Group, société de gestion et d’investissement qui possède et exploite plusieurs clubs de football à travers le monde, à l’accueil du Grand Prix de Formule 1 d’Abou Dhabi et de la célèbre course hippique Dubaï World Cup, par exemple.

Longtemps ville de transit, Dubaï a su désormais s’imposer comme une destination prisée. Les autorités émiriennes entendent encore capitaliser sur ses nombreux atouts pour développer la cité à l’horizon 2040 grâce à leur plan d’urbanisme Dubaï 2040, lequel prévoit que la ville pourrait accueillir jusqu’à 7 millions d’habitants, contre 3,9 millions aujourd’hui, d’ici moins de deux décennies.

La tour Burj Khalifa et ses 828 mètreS : symbole de l’influence émirienne

La Burj Khalifa et ses 828 mètres, ici en 2008, pourrait perdre son titres de  tour la plus haute du monde.

Source : Le Monde, « À Dubaï, les tours rivalisent de hauteur », 7 août 2017.

L’organisation de grands évènements internationaux sur le territoire émirien témoigne de la volonté du pays d’asseoir sa puissance globale et de déployer une forme de leadership sage (« wise leadership ») : l’exposition universelle de Dubaï en 2020, la COP28 en novembre-décembre 2023 et l’accueil de la treizième Conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en février 2024 s’inscrivent dans ce cadre. Cette dernière conférence pourrait d’ailleurs se révéler importante dans la mise en œuvre des décisions de la COP en se saisissant de la question des entraves au déploiement des technologies propres, afin que les flux d’investissements se redirigent des énergies fossiles vers les énergies renouvelables.

B. Un partenariat franco-émirien stratégique en cours d’approfondissement

La France dispose d’un partenariat privilégié avec les Émirats arabes unis depuis les années 1972-1973, qui n’a cessé de s’approfondir à partir de la présidence de Valéry Giscard d’Estaing. Il repose sur une entente politique exemplaire, une relation nourrie dans les domaines militaire et économique, une diplomatie culturelle et éducative dynamique et une communauté française en constante augmentation. Plus généralement, nos deux pays entretiennent un dialogue nourri sur les grandes crises actuelles, à l’instar de la situation humanitaire de la population gazaouie, même si quelques sujets de dissensions demeurent.

  1.   Une coopération militaire au cœur d’un « partenariat d’exception »…

Dans le cadre de la diversification de leurs partenariats militaires, les Émirats arabes unis ont signé, en 2008, un accord avec la France installant une présence militaire française sur leur territoire, qui conclut une intensification des relations militaires et de défense franco-émiriennes et témoigne de la volonté du pays d’être moins dépendant des États-Unis. Pour la France, il s’agit de reconnaître, à l’instar de ses alliés britanniques et américains, le Golfe persique comme une zone vitale pour sa sécurité et, plus largement, celle de l’Occident. Au-delà de la seule zone du Golfe et conformément à la volonté exprimée dans le Livre blanc de la défense de 2008, la présence française doit ainsi s’étendre à un « arc de crise » de l’Atlantique à l’océan Indien.

Cet espace est, en effet, marqué par le transit de l’essentiel des hydrocarbures et diverses énergies via le détroit d’Ormuz, la jonction des mondes sunnites et chiites, la multiplication de conflits d’intensité variable (guerre Iran-Irak entre 1980 et 1989, guerre du Koweït entre 1990 et 1991, guerre d’Iran en 2003, opération de l’Organisation du traité de l'Atlantique Nord en Afghanistan, crise au Pakistan, notamment) et la présence de la puissance américaine dans le Golfe, au Qatar, en Arabie saoudite et à Bahreïn, où se localise le centre de commandement de la Vème flotte de l’océan Indien depuis 1995.

Déjà principal fournisseur d’armes aux Émirats arabes unis jusqu’à la fin des années 1990, la France a conclu un premier accord avec le pays en 1995, permettant un approfondissement de la relation dans le domaine de la coopération opérationnelle et structurelle, de l’armement et du renseignement. Suite à l’annonce d’un partenariat stratégique entre la France et les Émirats arabes unis par le président, Nicolas Sarkozy, en 2007, une base militaire est inaugurée à Abou Dhabi, le 25 mai 2009, afin d’accueillir, à terme, 600 militaires. Cette implantation militaire française doit exercer trois missions essentielles : entretenir une présence interarmées « dissuasive », constituer un point d’appui prioritaire dans le Golfe, et faciliter les activités d’entraînement, d’aguerrissement et de coopération.

Cet accord comprend une clause d’assistance mutuelle, laquelle a été activée par la partie émirienne en janvier 2022, à la suite des attaques de drones menées par les Houthis contre Abou Dhabi, causant la mort de trois personnes. En réponse, la France a déployé des avions Rafale des forces françaises depuis la base aérienne 104 Al Dhafra pour assurer la surveillance du territoire émirien pendant plusieurs mois ainsi qu’un système de défense sol-air Crotale-NG. Cette intervention a fortement marqué les Émiriens et s’impose, à l’échelle de la courte histoire du pays, comme un évènement majeur de leur récit national.

Réciproquement, les Émirats arabes unis ont apporté leur soutien aux forces françaises dans la bande sahélo-saharienne ou encore dans la réalisation de l’opération Apagan d’évacuation des ressortissants afghans, en août 2021.

Les forces françaises aux Émirats arabes unis (FFEAU)

Situées à 6 000 kilomètres de la métropole, les FFEAU constituent la base opérationnelle la plus à l’Est du dispositif français et la seule base permanente hors d’Afrique. Elles comptent environ 650 militaires, répartis entre le 5e régiment de cuirassiers, la base navale d’Abou Dhabi et la base aérienne 104.

Le 5e régiment de cuirassiers se compose d’environ 300 soldats implantés sur la zone militaire émirienne Zayed Military City, groupement tactique interarmes à dominante blindée. Ce dernier fonctionne grâce à du personnel permanent renforcé par la venue de personnels en mission courte provenant des régiments stationnés en France.

La base navale d’Abou Dhabi compte 320 marins qui assurent le soutien de proximité des bâtiments de passage et couvrent huit ports des Émirats arabes unis. L’état-major de l’opération de sécurité maritime Agenor, chargée d’assurer la liberté de circulation dans le Golfe arabo-persique, est stationné sur cette base navale.

Enfin, les Émirats arabes unis abritent la base aérienne 104 Al Dhafra et ses 160 aviateurs, ainsi que l’escadron d’avion de chasse 1/7 Provence. Cette base a servi dans la conduite de plusieurs opérations : l’opération Chammal de lutte contre Daesh au Levant ou encore la mobilisation des Rafales après l’activation de la clause d’assistance mutuelle des accords de défense franco-émiriens, en 2022, en sont quelques exemples.

Sources diverses.

L’intensité de la relation militaire franco-émirienne est un atout pour l’exportation de nos industries et technologies de défense. Les Émirats arabes unis disposent d’une armée de 60 000 soldats, tous émiriens, principalement issus du Nord du pays. Le service militaire est obligatoire et les forces émiriennes, bien structurées et disposant d’une armée de l’air d’excellent niveau, se sont illustrées, entre autres, au Yémen, en Libye et en Afghanistan.

D’abord tournées vers des industries de qualité moyenne, dans le but d’équiper rapidement leur armée, les autorités émiriennes cherchent désormais à acquérir du matériel de pointe. En 2021, les Émirats arabes unis ont signé avec la France un contrat pour la livraison de 24 Rafales et ont acquis, à la même période, 12 hélicoptères Caracal. Peut être également citée la livraison en décembre 2021 et mai 2022 de deux corvettes Gowind construites à Lorient par Naval Group. Les Émiriens souhaiteraient désormais se lancer dans la co-production de certains équipements, tels que les Rafales pour lesquels des standards communs sont en cours d’élaboration.

Il faut noter que ces grands contrats ne doivent pas faire oublier la concurrence que subit notre pays aux Émirats arabes unis, lesquels se tournent également vers de nouveaux acteurs pour s’équiper, à l’instar de la Turquie, de la Chine, d’Israël et de la Corée du Sud.

2.   …qui ne constitue toutefois qu’un aspect des relations franco‑émiriennes

Le partenariat noué par la France avec les Émirats arabes unis ne se réduit pas à sa dimension sécuritaire et de défense mais trouve une traduction dans les domaines économiques, culturel, éducatif et sportif.

a.   Le Louvre Abou Dhabi : fleuron de relations culturelles intenses

Le Louvre Abou Dhabi, première franchise du musée à l’étranger entièrement financée par les Émirats arabes unis dont le site fut confié au célèbre architecte Jean Nouvel, est incontestablement le symbole le plus impressionnant des relations culturelles franco-émiriennes. Son inauguration en 2017 est le fruit d’un accord intergouvernemental signé en mars 2007, prévoyant une ouverture initiale en 2012 mais maintes fois reportée en raison de problèmes de financement.


Le Louvre Abou Dhabi – symbole de la coopération culturelle franco‑émirienne

Le Louvre Abu Dhabi en novembre 2017 lors de son inauguration.

Source : « Le Louvre Abu Dhabi raye le Qatar de ses cartes », Roxana Azimi Le Monde, 22 janvier 2018.

Le musée se situe sur l’île de Saadiyat, imaginée pour devenir un véritable complexe touristico-culturel, qui devrait accueillir à terme un musée Guggenheim, prévu pour 2025, dont la conception est confiée à l’architecte Frank Gehry, un musée national Sheikh Zayed conçu par Norman Foster, une cité des arts, un musée maritime, un hall de concert et un campus de la New York University, qui a ouvert ses portes en 2010.

De nombreux autres projets communs animent les relations culturelles franco-émiriennes. Les Émirats arabes unis collaborent avec la France, par exemple, à travers l’Institut du monde arabe (IMA) dans le cadre de son École de didactique destinée à former des professeurs de langue arabe pour des non-natifs ou via l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit (ALIPH), lancée en 2017. Lors du déplacement de la délégation, Abou Dhabi accueillait autour du site du Louvre un spectacle audio-visuel de lumières, réalisé à l’aide de drones, conçu par le groupe F, structure de production française.

Les industries culturelles et créatives constituent désormais un nouvel axe majeur de coopération culturelle, notamment dans le secteur des jeux vidéo, du design et du cinéma.

b.   Une coopération scientifique, éducative et technique en expansion

Tout comme le Louvre Abou Dhabi, la création, en 2006, de l’Université Sorbonne Abu Dhabi constitue un pan de la stratégie émirienne d’investissement dans une économie de la culture et du savoir. L’établissement propose ainsi une large offre de formations, depuis les sciences humaines et sociales, le droit et l’économie jusqu’aux mathématiques, la physique, l’archivistique et l’intelligence artificielle qui attire nombre d’Émiriens. L’Institut européen d’administration des affaires (INSEAD), le campus de l’école 42, l’antenne émirienne de l’École supérieure des arts et techniques de mode (ESMOD Dubaï) ou encore le campus de Panthéon-Assas situé dans la zone franche de Dubaï sont autant de fleurons de l’enseignement supérieur français installés sur le territoire émirien.

Il faut toutefois souligner que la France peine encore à attirer des étudiants émiriens, plus naturellement tournés vers le monde anglo-saxon, Royaume-Uni et États-Unis en tête, mais aussi et de manière plus surprenante vers l’Espagne et les Pays-Bas. Cela s’explique bien sûr par le passé colonial britannique du pays et la maîtrise de la langue anglaise largement répandue parmi la jeunesse émirienne mais aussi par la qualité des structures d’accueil offertes par la plupart des universités anglo-saxonnes. Ce point a été souligné par notre ambassade à Abou Dhabi comme un possible frein au développement, sur le sol français, de partenariats avec les Émirats arabes unis.

Il convient de noter que les Émirats arabes unis accueillent la plus importante communauté française du Golfe, avec plus de 26 000 inscrits au registre consulaire (estimation de 35 000 Français résidents). Cette présence justifie l’existence de sept lycées homologués français accueillant environ 11 000 élèves, auxquels s’ajoutent les très nombreuses écoles privées enseignant le français. Les Émirats arabes unis constituent ainsi le sixième plus grand réseau au monde d’écoles françaises, dont les effectifs sont aujourd’hui complets : de nouveaux projets devraient ainsi voir le jour en 2024.

La communauté française aux Émirats arabes unis

La France compte environ 30 000 inscrits au registre consulaire des Émirats arabes unis dont 67 % ont moins de 40 ans et des enfants et 38 % ont moins de 18 ans. La communauté française installée dans le pays est ainsi, pour une large part, jeune et dynamique. Sa présence aux Émirats arabes unis est principalement motivée par la poursuite d’une activité professionnelle, même si le pays accueille également de nombreux retraités. Cette communauté augmente de manière constante, d’environ 13 % par an.

Les Français présents demeurent souvent plusieurs années sur le territoire émirien qui propose des conditions de vie très satisfaisantes, en particulier pour les familles. Ils travaillent majoritairement dans la finance, le secteur du luxe mais aussi le domaine de la gestion de l’eau ou encore des déchets. Rappelons que les Français ne peuvent toutefois obtenir la nationalité émirienne, qui reste strictement réservée aux populations natives du pays et qui conditionne l’accès à de nombreux avantages socio-économiques. Les mariages mixtes n’existent pas aux Émirats arabes unis.

Les services consulaires ont toutefois insisté sur la fragilité de la situation de certains de nos compatriotes : la vie est onéreuse aux Émirats arabes unis tout comme le système scolaire et la santé, si bien que tout accident de parcours peut avoir des conséquences désastreuses.

Enfin, une quarantaine de Français sont aujourd’hui en prison dans le pays, principalement pour des faits liés à l’usage ou au commerce de stupéfiants et pour islamisme. Leurs conditions d’incarcération sont toutefois jugées convenables, les étrangers étant souvent détenus dans de meilleures conditions que les Émiriens eux‑mêmes. Aucune violation des droits de l’Homme ni détention abusive n’ont été constatées et les autorités françaises peuvent exercer normalement leur droit de visite consulaire en prison.

Sources diverses.

Plusieurs Alliances françaises contribuent également au rayonnement de la culture francophone. L’introduction de l’enseignement du français dans les écoles publiques émiriennes à partir de la rentrée 2019 a permis à plus de 8 000 Émiriens d’apprendre aujourd’hui cette langue, essentiellement enseignée par des professeurs originaires des pays du Maghreb. Rappelons, à ce titre, que le pays a rejoint, à l’occasion du Sommet d’Erevan des 11 et 12 octobre 2018, l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).

Plus largement, la coopération concerne aussi la santé (formation de médecins, coopération avec l’Institut Pasteur), la justice (École nationale de la magistrature), l’espace (Centre national d’études spatiales) et l’intelligence artificielle (ouverture d’un centre d’intelligence artificielle par SUAD, partenariat entre Polytechnique et le centre de recherche TII présidé par le fils de Mohammed Ben Zayed).

La préparation de la COP28 et la question climatique font l’objet d’une coopération accrue entre nos deux pays. À titre d’exemple, la délégation a pu rencontrer un conseiller détaché par le ministère de la transition énergétique français auprès de la ministre du climat et de l’environnement des Émirats arabes unis, Mariam Almheiri, ancien négociateur en chef pour la France lors des négociations climatiques de 2007 à 2016 ; celui-ci a activement contribué à la préparation et au bon déroulement de la COP28, ainsi qu’aux négociations organisées dans ce cadre.

c.   Un partenaire économique solide dans de nombreux secteurs

Les Émirats arabes unis constituent un important partenaire économique de la France : les échanges croissent de 10 % par an. Ils représentent le quatrième excédent commercial français dans le monde (après le Royaume-Uni, Singapour et Hong-Kong), avec 2,3 milliards d’euros en 2022.

Les flux d’investissement émiriens sont, en revanche, encore peu orientés vers la France, mais se renforcent, grâce notamment au partenariat très actif entre Bpifrance et le fonds souverain Mubadala, ainsi qu’aux accords signés à l’occasion de la visite présidentielle dans le pays en 2021. Le pays n’en était pas moins, à la fin de l’année 2021, le deuxième investisseur du Golfe en France, derrière le Qatar, avec un stock d’investissements directs à l’étranger de 2,2 milliards d’euros et une cinquantaine d’entreprises détenues par des capitaux émiriens.

Au total, plus de 600 entreprises françaises sont présentes au sein de la Fédération dont la plupart des groupes du CAC 40, qui ont leur siège régional à Dubaï. Ces entreprises exercent dans des secteurs variés : hydrocarbures (TotalÉnergies est l’un des principaux partenaires d’ADNOC), énergie et environnement (Engie produit environ 45 % de l’électricité du pays), aéronautique (commande d’Emirates et d’Air Arabia en 2019 pour 30 milliards de dollars), luxe, banque, hôtellerie, transports (Keolis en consortium avec Mitsubishi a remporté le contrat d’exploitation et de maintenance du métro de Dubaï), grande distribution, espace, pharmacie ou encore industrie gazière.

Bien que l’offre française soit présente sur de nombreux projets structurants, la Chine et l’Inde demeurent, avec les États-Unis, les premiers fournisseurs des Émirats arabes unis avec des parts de marché respectives de 18 % pour la Chine et de 8 % pour les États‑Unis et l’Inde.

3.   Quelques sujets de dissensions entre nos diplomaties demeurent toutefois

Des sujets de divergence persistent entre les Émirats arabes unis et la France sur la gestion de certains dossiers internationaux, à l’instar de la guerre en Ukraine et de la politique africaine des Émirats. Ceux-ci doivent rester des sujets d’échanges entre nos deux pays et d’attention pour la diplomatie française.

a.   Sur le dossier ukrainien, les Émirats conservent une position ambiguë à l’égard de la Russie, qui les distingue de la France et des puissances occidentales

S’agissant de la Russie, les Émirats arabes unis font valoir une position qu’ils jugent pragmatique et consistant à maintenir un lien diplomatique avec l’ensemble des parties au nom de leur statut de puissance neutre.

Au lendemain de l’offensive de la Russie, le 25 février 2022, et contre toute attente, ils refusent ainsi de voter un projet de résolution du CSNU exigeant le retrait immédiat des troupes russes. Ce dernier était pourtant proposé par leur allié américain, de concert avec l’Albanie. Si les Émirats arabes unis votent, quelques jours plus tard, une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) exigeant « que la Russie cesse immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine », ils refusent avec constance la mise en cause de la responsabilité de la Russie dans le conflit et appellent régulièrement à la prudence face au risque de détournement des armements livrés à l’Ukraine.

Abou Dhabi conserve des liens humains et économiques nourris avec Moscou. Les échanges commerciaux auraient même progressé de 68 % en 2022 ([9]). La présence russe à Dubaï est également importante : près de 2 millions de passagers russes ont utilisé l’aéroport de Dubaï en 2022, soit plus du double de l’année précédente, et de nombreux oligarques russes ont trouvé refuge aux Émirats arabes unis pour échapper aux sanctions internationales, au point que Dubaï est parfois surnommée « Dubaïsk » ou « Dubaïgrad ». Il est ainsi reproché aux Émirats arabes unis de favoriser le contournement des sanctions internationales imposées à la Russie, notamment grâce à la réexportation de biens que Moscou ne peut plus acquérir sur le marché international. À titre d’exemple, l’importation russe de semi‑conducteurs, centrale dans l’effort de guerre de la Russie, depuis les Émirats arabes unis a été multipliée par quinze ([10]).

b.   Les Émirats arabes unis en Afrique : une ambition qui peut s’avérer déstabilisatrice

Depuis une quinzaine d’années, les Émirats arabes unis ont lancé une politique africaine active qui poursuit d’abord principalement des objectifs commerciaux et de sécurité alimentaire. Toutefois, la survenue des printemps arabes en 2011 a réorienté cette politique vers des ambitions d’ordres géopolitique et militaire davantage portées depuis la capitale Abou Dhabi que par Dubaï.

Le pays a installé sa puissance militaire auprès de ses partenaires de la Corne de l’Afrique (Somaliland et Érythrée) pour combattre au Yémen les forces houthistes. Soucieux de contrer l’influence de l’islamisme politique, il développe également des liens étroits avec les autorités militaires de certains États (Soudan et Mauritanie) sur le modèle de sa stratégie égyptienne.

Or, cette politique n’est pas sans conséquences déstabilisatrices, en particulier lorsque les Émirats arabes unis importent sur le continent africain des rivalités régionales ([11]). En Somalie, la dégradation des relations entre Mogadiscio et les régions autonomes du Somaliland et du Puntland a été attisée par la rivalité entre le Qatar, soutien du gouvernement somalien, et les Émirats arabes unis disposant d’intérêts économiques et militaires croissants au sein des régions autonomes.

Les Émirats arabes unis peuvent même attiser certains conflits lorsqu’ils prennent parti pour l’un des belligérants. Si l’exemple syrien a déjà été cité, le cas du Soudan est également symptomatique. Les Émiriens sont ainsi accusés, derrière leur discours officiel de soutien à la paix, d’apporter une aide politique et financière à Abdel Fattah al Burhan, chef du Conseil militaire de transition qui a supervisé l’engagement soudanais au Yémen, et Mohammed Hamdan Daglo, plus connu sous le nom d’Hemetti, à la tête de l’organisation paramilitaire des forces de soutien rapide.

 

 


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   Examen en commission

 

Au cours de sa séance du mercredi 7 février 2024, la commission entend une communication sur le déplacement d’une délégation aux Émirats arabes unis, du 10 au 14 décembre 2023.

L’enregistrement de cette séance est accessible sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

 

https://assnat.fr/5JwJTi

 

À l’issue des échanges, la commission autorise le dépôt de cette communication sous forme de rapport d’information, en vue de sa publication.

 

 


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   Annexe 1 : Programme du déplacement
de la délégation

 

Lundi 11 décembre 2023

M. Joseph Dellatte, research fellow climat, énergie et environnement, programme Asie, institut Montaigne ;

Mme Hong-Thy Paterson, directrice financière du Fonds vert pour le climat ;

M. Simon Wilson, directeur adjoint des relations extérieures du Fonds vert pour le climat ;

M. Guillaume Compain, chargé de campagne climat et énergie, Oxfam ;

Sénateur Sheldon Whitehouse, membre du parti démocrate des États-Unis d’Amérique ;

Mme Ana Patté, cheffe du conseil spécial pour les affaires parlementaires et fédérales du ministère des peuples indigènes du Brésil ;

M. Gustavo de Carvalho Figueiroa, directeur de la communication et de l’engagement, SOS Pantanal Institute, Brésil ;

M. Paul Watkinson, négociateur de l’accord de Paris pour la délégation française, détaché auprès de la ministre du changement climatique et de l’environnement émiratie.

 

Mardi 12 décembre 2023

M. Christopher Beaton, directeur du programme énergie, International Institute for Sustainable Development ;

M. Jonas Kuehl, analyste du programme énergie, International Institute for Sustainable Development ;

M. Sébastien Treyer, directeur de l’institut du développement durable et des relations internationales ;

Mme Céline Kauffmann, directrice des programmes de l’institut du développement durable et des relations internationales ;

Mme Lola Vallejo, directrice du programme climat de l’institut du développement durable et des relations internationales ;

S. E. M. Tosi Mpanu-Mpanu, négociateur climatique de la République démocratique du Congo ;

Mme Nathalie Kennedy, consule générale de France à Dubaï ;

M. Ilhami Gülcen, consul général-adjoint de France à Dubaï.

 

Mercredi 13 décembre 2023

S. E. M. Nicolas Niemtchinow, ambassadeur de France aux Émirats arabes unis ;

Mme Stéphanie Debien, première conseillère à l’ambassade de France aux Émirats arabes unis ;

M. Jean-Baptiste Chauvel, chef du service économique régional ;

M. Olivier Dufour, conseiller politique à l’ambassade de France aux Émirats arabes unis ;

Mme Stéphanie Salha, directrice, conseillère de coopération et d’action culturelle à l’ambassade de France aux Émirats arabes unis ;

M. Mathias Strobel, conseiller presse et politique à l’ambassade de France aux Émirats arabes unis ;

M. Issam Yagoubi, attaché de défense-adjoint aux Émirats arabes unis ;

Délégation parlementaire du Conseil national de la Fédération ;

Visite du Louvre Abou Dhabi ;

Visite de la maison abrahamique d’Abou Dhabi.

 

 

 

 



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