N° 2340
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 mars 2024.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145-7 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES
sur l’application de la loi n° 2023-221 du 30 mars 2023 tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs
ET PRÉSENTÉ PAR
M. FrÉdÉric DESCROZAILLE et Mme AurÉlie TROUVÉ
Députés.
SOMMAIRE
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Pages
1. Sur le champ d’application du « SRP + 10 »
2. Sur l’évaluation des effets du « SRP + 10 »
Liste des personnes auditionnÉes
liste des contributions écrites
Le présent rapport est présenté en application de l’article 145-7, al. 1, du Règlement de l’Assemblée nationale, aux termes duquel deux rapporteurs, dont un député appartenant à un groupe d’opposition, présentent, à l’issue d’un délai de six mois suivant l’entrée en vigueur d’une loi, un rapport sur la mise en application de celle-ci.
La commission des affaires économiques a ainsi désigné, le 22 novembre 2023, M. Frédéric Descrozaille (député Renaissance de la 1ère circonscription du Val-de-Marne) et Mme Aurélie Trouvé (députée La France insoumise de la 9ème circonscription de Seine-Saint-Denis) rapporteurs de la mission de suivi de l’application de la loi n° 2023-221 du 30 mars 2023 tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs.
M. Frédéric Descrozaille, auteur de la proposition de loi n° 575 visant à sécuriser l’approvisionnement des Français en produits de grande consommation a été le rapporteur du texte.
Le présent rapport a pour objet de recenser la publication des textes réglementaires prévus par la loi. Par extension, le détail des mesures d’application étant susceptible de détourner la lettre ou l’esprit de la loi, ce rapport vise également à s’assurer que les textes pris pour son application sont bien conformes aux intentions du législateur. Entrent dans le champ de cette étude les circulaires, instructions ou autres lignes directrices que l’administration a produit pour la bonne application de la loi.
Ce rapport, en revanche, ne constitue pas un rapport d’évaluation de la loi, qui serait, à ce stade, excessivement précoce. Cette évaluation pourra intervenir dans les trois ans suivant la promulgation de la loi, en application du troisième alinéa de l’article 145-7 du Règlement, qui précise la mission d’évaluation des politiques publiques confiée au Parlement sur le fondement de l’article 24 de la Constitution.
Vos rapporteurs ont néanmoins fait le choix, lorsque cela était possible, de rendre compte ici des premiers éléments d’analyse des effets de la loi. Ils ont porté une attention particulière aux contrôles mis en œuvre par l’administration pour s’assurer de la bonne application de la loi. Ces développements ne sauraient prétendre à l’exhaustivité, ni constituer une évaluation complète des dispositifs mis en œuvre.
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Adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale et le Sénat respectivement les 18 janvier et 15 février 2023, la proposition de loi a fait l’objet d’un accord en commission mixte paritaire (CMP) le 15 mars 2023, puis d’une adoption dans chacune des deux chambres respectivement les 21 et 22 mars 2023, avant d’être promulguée le 30 mars 2023.
Le texte finalement adopté comporte 21 articles. Aucun article ne nécessitait obligatoirement la publication d’un décret pour être appliqué.
Un décret et deux arrêtés éventuels sont en revanche prévus. En application de l’article 2, un arrêté du ministre chargé de l’agriculture peut rendre applicable le « SRP + 10 » à certains fruits et légumes. En application de l’article 12, un décret en Conseil d’État peut suspendre l’application des pénalités logistiques prévues par les contrats en cas de situation exceptionnelle, extérieure aux distributeurs et aux fournisseurs, affectant gravement les chaînes d’approvisionnement dans un ou plusieurs secteurs. Enfin, pour l’application de l’article 20, un arrêté du ministre chargé de l’agriculture peut rendre inapplicable à certains produits les dispositions du code de commerce imposant que les conventions entre fournisseurs et distributeurs comportent une clause de renégociation du prix.
À ce jour, seul un arrêté du ministre chargé de l’agriculture du 31 juillet 2023 fixant la liste des produits agricoles et alimentaires pour lesquels le I de l’article L. 441-8 du code de commerce n’est pas applicable et un arrêté du 12 février 2024 modifiant l’arrêté du 31 juillet 2023 ont été publiés, pour l’application de l’article 20 de la loi du 30 mars 2023.
Par ailleurs, l’article 2 de la loi prévoit que le rapport du Gouvernement au Parlement évaluant les effets de l’article 125 de la loi du 7 décembre 2020 sur la construction des prix de vente des denrées alimentaires et des produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie revendus en l’état au consommateur doit dorénavant être remis avant le 1er octobre de chaque année. Ce rapport n’a pas été remis au Parlement depuis la promulgation de la loi du 30 mars 2023.
De même, l’article 6 de la loi prévoit que le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la loi, soit avant le mois de juillet 2023, un rapport étudiant la possibilité d’un encadrement des marges des distributeurs sur les produits sous signe d’identification de la qualité et de l’origine afin qu’elles ne puissent pas être supérieures aux marges effectuées sur les produits conventionnels. Ce rapport n’a été transmis au Parlement que le 8 mars 2024.
Enfin, l’administration a mis à jour ses lignes directrices en matière de pénalités logistiques pour l’application des articles 11 à 14 de la loi.
Le tableau en annexe présente synthétiquement les différentes mesures d’application qui sont prises ou susceptibles d’être prises pour l’application de la loi du 30 mars 2023.
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S’agissant du contexte de l’entrée en vigueur de la loi du 30 mars 2023, il convient de rappeler qu’elle est intervenue 18 mois après la promulgation de la loi n° 2021-1357 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs dite loi « Egalim 2 » et alors que l’inflation sur les produits alimentaires était au plus haut. Ainsi, les prix de l’alimentation avaient augmenté de 12,1 % au cours de l’année 2022 et la consommation alimentaire des ménages avait diminué de 12 % entre les mois de janvier 2022 et d’avril 2023 ([1]). Dans le même temps, les agriculteurs et les fournisseurs de produits alimentaires, qui voyaient pour la première fois depuis longtemps le prix de vente de leurs produits augmenter, se plaignaient pourtant d’être dans l’incapacité de couvrir par ces hausses l’augmentation de leurs coûts de production.
Dans ce contexte, la loi du 30 mars 2023 avait pour ambition de compléter, de parfaire et d’adapter l’encadrement des négociations commerciales qui avait fait l’objet des lois « Egalim 1 » et « Egalim 2 ». Elle visait à mettre fin à une déflation sur les produits agricoles qui durait depuis plusieurs années. Ces hausses des prix de vente des produits agricoles semblent cependant globalement insuffisantes pour compenser la hausse des coûts de production en agriculture, ce qui a replacé la question de la rémunération des agriculteurs au cœur de l’actualité en ce début d’année 2024.
Alors que l’inflation sur les matières premières agricoles ralentissait au cours de la deuxième partie de l’année 2023, le législateur a voulu faire bénéficier le plus rapidement possible les Français de baisses de prix dans les rayons des magasins pour les produits alimentaires et non alimentaires, lorsqu’elles sont rendues possibles par les baisses de prix des matières premières. Ainsi, la loi n° 2023-1041 du 17 novembre 2023 portant mesures d’urgence pour lutter contre l’inflation concernant les produits de grande consommation a avancé exceptionnellement la date butoir de signature des accords entre les distributeurs et fournisseurs, du 1er mars au 15 janvier 2024 ou 31 janvier 2024, selon la taille du fournisseur concerné.
Cette quête simultanée d’une meilleure rémunération des agriculteurs et d’une préservation du pouvoir d’achat des Français rend plus que jamais indispensables la bonne application des mécanismes de régulation de la négociation commerciale et l’attention portée à l’absence de comportement destructeur de valeur tout au long de la chaîne de production et de commercialisation des produits alimentaires, préoccupations qui étaient celles du législateur lors de l’adoption de la loi n° 2023-221 du 30 mars 2023 tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs.
ÉCHÉANCIER DE MISE EN APPLICATION DE LA LOI N° 2023-221 DU 30 MARS 2023 TENDANT À RENFORCER L’ÉQUILIBRE DANS LES RELATIONS COMMERCIALES ENTRE FOURNISSEURS ET DISTRIBUTEURS
N° d’ordre |
Article de la loi |
Base légale |
Objet |
Décret publié |
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12 |
III de l’article L. 441-17 du code de commerce |
Suspendre l’application des pénalités logistiques prévues par les contrats conclus entre les distributeurs les fournisseurs en cas de situation exceptionnelle, extérieure aux distributeurs et aux fournisseurs, affectant gravement les chaînes d’approvisionnement dans un ou plusieurs secteurs |
Éventuel (non envisagé par le Gouvernement) |
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ARRÊTÉS PRIS PAR LE MINISTRE CHARGÉ DE L’AGRICULTURE POUR L’APPLICATION DE LA LOI N° 2021-1357 DU 18 OCTOBRE 2021 VISANT À PROTÉGER LA RÉMUNÉRATION DES AGRICULTEURS
Article de la loi |
Base légale |
Objet |
Arrêté publié |
2 |
I ter de l’article 125 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique |
Fixer une liste de produits parmi les fruits et légumes frais pour lesquels le I l’article 125 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique, qui instaure le dispositif dit de « SRP+10 », est applicable |
Éventuel (non envisagé par le Gouvernement) |
20 |
II de l’article L. 441-8 du code rural et de la pêche maritime |
Fixer la liste de certains produits agricoles et alimentaires pour lesquels l’obligation de prévoir une clause de renégociation du prix en application du I de l’article L. 441-8 du code de commerce n’est pas applicable |
Éventuel
Arrêté du 31 juillet 2023 fixant la liste des produits agricoles et alimentaires pour lesquels le I de l’article L. 441-8 du code de commerce n’est pas applicable modifié par l’arrêté du 15 février 2024 |
RAPPORTS DEVANT ÊTRE REMIS AU PARLEMENT PAR LE GOUVERNEMENT
Article de la loi |
Objet |
État d’avancement |
Article 2 |
Rapport évaluant les effets de l’article 125 de la loi n° 2020-1525 du |
Doit être remis avant le 1er octobre de chaque année
Non remis |
Article 6 |
Rapport étudiant la possibilité de la mise en place d’un encadrement des marges des distributeurs sur les produits sous signe d’identification de la qualité et de l’origine afin qu’elles ne puissent pas être supérieures aux marges effectuées sur les produits conventionnels |
Devait être remis avant le 1er juillet 2023
Rapport transmis le 8 mars 2024 |
I. Le contournement de l’application du droit français relatif aux nÉgociations commerciales par le recours À des centrales d’achat implantÉes à l’Étranger continue à prospÉrer en dÉpit de l’article 1er
1. L’article 1er conforte la compétence du juge français pour statuer sur les comportements des centrales d’achat implantées à l’étranger et leur appliquer le droit français
En adoptant l’article 1er de la loi du 30 mars 2023, le législateur poursuivait l’objectif de contrer les stratégies de contournement du droit applicable mis en place par certains grands distributeurs via la constitution de centrales d’achat implantées à l’étranger.
En droit international privé, il existe un postulat selon lequel la loi française et de la loi étrangère ont une égale vocation à être appliquée. L’article 3 du règlement n° 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, dit règlement « Rome I », prévoit que « le contrat est régi par la loi choisie par les parties ». L’article 4 du même règlement prévoit qu’à défaut de choix, le contrat de vente de biens est régi par la loi du pays dans lequel le vendeur a sa résidence habituelle.
Toutefois, l’article 9 du règlement « Rome 1 » prévoit que les dispositions de ce règlement « ne pourront porter atteinte à l’application des lois de police du juge saisi », une loi de police étant définie comme « une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d’après le présent règlement »
L’article 1er de la loi du 30 mars 2023 visait donc à consacrer le caractère d’ordre public des dispositions du code de commerce qui régissent la négociation commerciale entre un distributeur et son fournisseur, afin qu’il soit clair que si le juge français devait être saisi de pratiques non conformes à ces règles, qui interviendraient formellement en dehors du territoire français alors que les produits sont bien commercialisés en France, ce juge reconnaîtrait le caractère de loi de police à ces dispositions du code de commerce, au motif qu’elles ont pour objet de protéger l’ordre public économique français.
Il visait également à affirmer la compétence du juge français pour statuer sur les litiges relatifs à l’application de ces règles. Vos rapporteurs renvoient sur ces enjeux au commentaire de l’article 1er de la proposition de loi visant à sécuriser l’approvisionnement des Français en produits de grande consommation ([2]).
Ils tiennent toutefois à y apporter un élément d’actualisation important concernant la compétence des juridictions françaises pour statuer sur le respect, par ces centrales d’achat implantées à l’étranger, des dispositions du code de commerce qui régissent la négociation commerciale entre un distributeur et son fournisseur.
Dans l’affaire qui oppose le ministre de l’économie et des finances à EURELEC, après que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) ([3]) a renvoyé à la cour d’appel de Paris le soin de trancher le litige sur la compétence du juge français pour statuer sur l’action entreprise par le ministre à l’encontre d’EURELEC pour pratiques commerciales abusives, la cour d’appel de Paris vient de rendre sa décision.
Dans un arrêt du 21 février 2014, ladite cour d’appel affirme la compétence des juridictions française sur ce type de litiges. Cette compétence ne se fonde pas sur le règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 dit « Bruxelles I bis », comme cela ressortait de l’arrêté préjudiciel de la CJUE. En revanche, la cour, après avoir rappelé que l’extranéité des parties n’est pas en soi une cause d’incompétence des juridictions françaises, juge, en application des règles de droit commun de compétence territoriale du code de procédure civile interne, étendues à l’ordre international, que les juridictions françaises sont compétentes au cas d’espèce du fait de la présence de défendeurs français aux côtés d’EURELEC. Surtout, la cour ajoute à titre surabondant que :
« l’action du ministre mise en œuvre sur le fondement de l’article L. 442-6 du code de commerce vise la protection de l’ordre public économique et les dispositions de fond confèrent au ministre des pouvoirs d’enquête exorbitants de droit commun et lui attribuent seul la qualité pour demander le prononcé d’une amende, en sorte qu’il peut être justifié que cette action soit réservée à la compétence des juridictions civiles ou commerciales françaises (…). Contrairement à ce qu’avancent les sociétés appelantes, l’introduction de l’article L. 444-1 A par la loi n° 2023-221 du 30 mars 2023 en ce qu’il affirme le caractère d’ordre public des dispositions de l’article L. 442-6, devenu les articles L. 442-1 et L. 442-4, et la compétence exclusive des tribunaux français pour tout litige portant sur leur application à des conventions portant sur des produits ou services commercialisés en France, est de nature à confirmer cette interprétation ».
2. Pourtant depuis son entrée en vigueur, les distributeurs ont encore amplifié le recours à ces centrales d’achats implantées à l’étranger en écartant l’application, de droit, du code de commerce français
En dépit de cette confirmation législative et jurisprudentielle de la compétence du juge français et de l’application du droit français, le recours aux centrales d’achat établies à l’étranger par les acteurs de la grande distribution est de plus en plus massif.
Les représentants des industriels sont unanimes sur le fait qu’ils sont de plus en plus nombreux à être convoqués par ces centrales pour négocier en dehors du territoire national des volumes destinés à être commercialisés en France.
La centrale d’achat EURELEC, dont le siège est situé en Belgique, composée de LECLERC et de REWE (Allemagne), négocie aujourd’hui avec 50 à 80 fournisseurs.
En 2023, Système U a rejoint la centrale d’achat EVEREST, dont le siège est situé aux Pays-Bas, aux côtés de Pic Nic, Edeka et Jumbo.
Les Mousquetaires envisagent de suivre ce mouvement, considérant qu’ils subissent un désavantage concurrentiel vis-à-vis de leurs concurrents s’ils ne le font pas.
Pourtant toutes ces enseignes ne sont pas présentes à l’international et ne développent ces stratégies d’achat que pour approvisionner leurs magasins français.
La situation est différente pour Carrefour, qui renforce tout de même ses achats internationaux par sa centrale d’achat EURECA installée en Espagne et pour Auchan.
Ces distributeurs soutiennent que par le recours à ces centrales d’achat, ils cherchent la puissance d’achat, avec des partenaires étrangers, face à des fournisseurs internationaux qui sont plus puissants qu’eux.
Il est vrai qu’initialement seules les multinationales étaient convoquées par ces centrales d’achat. Mais le périmètre de leurs achats ne cessant de croître, des entreprises de taille plus modeste vont mécaniquement y être attraites. De plus, les conditions d’achat auxquelles un leader de marché est soumis ont d’inévitables répercussions sur celles qui s’appliquent, même indirectement, à ses concurrents.
Personne n’est dupe quant à l’existence d’un autre objectif poursuivi par la constitution de ces centrales d’achat à l’étranger. De fait, le choix a été fait d’installer ces centrales dans d’autres pays que la France et l’objectif de contourner le droit français, s’il n’est pas revendiqué, est tout de même assumé. Ainsi, la centrale EURELEC considère qu’elle est soumise au droit belge et explique que le droit français ne peut être appliqué à ses partenaires dans l’entente. Système U s’engage pour sa part à une application volontaire de certaines dispositions du droit français par sa centrale EVEREST, assumant ainsi qu’il considère que la réglementation française ne s’applique pas à elle de plein droit.
Ce phénomène est loin d’être neutre, 40 à 50 % des volumes vendus par la grande distribution en France sont négociés par ces centrales d’achat implantées à l’étranger ([4]).
3. Les positions volontaristes du Gouvernement et de l’administration peinent à déboucher sur des sanctions
Le Président de la République dénonçait, le 30 janvier 2024, le fait que « certains de nos distributeurs ont organisé par de grandes centrales européennes le contournement de la loi française ». À sa suite, le ministre de l’économie a annoncé un renforcement des contrôles des centrales d’achat européennes.
La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) mène depuis plusieurs années un combat judiciaire pour faire reconnaître par les juges français et européens sa compétence pour faire respecter l’ordre public économique français en appliquant à ces centrales d’achat internationales les dispositions du code de commerce qui encadrent la négociation commerciale.
Elle mène aussi ce combat depuis l’été 2023 auprès de la Commission européenne qui ne trouve rien à redire aux alliances de distributeurs dans le marché intérieur pour contrer la position dominante des grands groupes industriels et qui refuse surtout d’entendre qu’il est légitime que la France cherche à protéger son ordre public économique en appliquant son droit à des relations commerciales qui sont exécutées sur son territoire, même si elles sont formellement menées dans d’autres États membres.
Pour contrôler les centrales d’achat internationales, la DGCCRF s’appuie sur les services déconcentrés de l’État et plus particulièrement la direction régionale et interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DRIEETS) et sa brigade des relations interentreprises. Vos rapporteurs reconnaissent l’engagement de ces équipes sur ce sujet en plus de tous les autres aspects de la réglementation des négociations et des relations commerciales. Mais ces services de taille modeste ([5]) sont confrontés aux moyens de défense imposants de ces grands groupes et à une complexification de leur action liée à leur intervention en dehors du territoire national. À titre d’illustration des difficultés rencontrées, les représentants de la DRIEETS ont évoqué la décision d’un juge belge qui a enjoint à l’administration française de cesser de réaliser des actes de procédure.
La question des moyens alloués à l’administration pour réaliser ces contrôles se pose donc. Vos rapporteurs sont convaincus qu’ils doivent être renforcés.
Mais ces contrôles resteront vains si des sanctions dissuasives ne sont pas plus systématiquement prononcées. Pour que la loi française soit appliquée et respectée par les opérateurs, vos rapporteurs appellent le ministre de l’économie à demander à son administration de ne plus craindre de prononcer des sanctions à l’encontre des centrales d’achat internationales. L’administration fait preuve d’une grande prudence eu égard au contexte d’insécurité juridique dans lequel elle opère et qui a été rappelé. Néanmoins, la complexité des questions de droit posées et les moyens de défense mobilisés par les centrales d’achat internationales ne doivent pas conduire à une frilosité excessive dans l’application des sanctions. Celle-ci est de nature à affaiblir l’autorité de la loi.
En outre, vos rapporteurs relèvent une différence injustifiée entre le volontarisme qui caractérise les poursuites en matière de pratiques anticoncurrentielles, d’une part, et la prudence s’agissant des poursuites en matière de pratiques dites restrictives de concurrence, d’autre part. Pour mémoire, les autorités françaises n’ont pas hésité à agir avec célérité et détermination dans l’affaire dite « du cartel des endives », alors même que la CJUE, au terme de cette affaire, leur a donné, au moins partiellement, tort. Les délais et les précautions prises s’agissant de l’application des dispositions du titre IV du livre IV du code de commerce, qui ont pourtant caractère de loi de police, ne laissent pas d’interroger quant au respect de l’intention du législateur.
II. Le relÈvement de 10 % du seuil de revente À perte reste une mesure controversÉe faute de pouvoir en Évaluer les effets
1. Sur le champ d’application du « SRP + 10 »
L’article 2 de la loi du 30 mars 2023 rend inapplicable aux fruits et légumes frais et aux bananes la majoration de 10 % du prix d’achat effectif prévue à l’article 125 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique, pour le calcul du seuil de revente à perte.
Il prévoit toutefois que, par dérogation à cette exclusion du champ d’application du « SRP+10 », un arrêté du ministre chargé de l’agriculture peut fixer la liste de certains de ces produits, en principe exclus, qui réintègrent ce champ d’application.
Aucune demande n’a été formulée en ce sens par les professionnels et il n’a donc pas été envisagé de prendre un arrêté sur ce fondement.
2. Sur l’évaluation des effets du « SRP + 10 »
L’article 2 prévoit, en outre, que le rapport du Gouvernement au Parlement évaluant les effets de l’article 125 de la loi du 7 décembre 2020 sur la construction des prix de vente des denrées alimentaires et des produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie revendus en l’état au consommateur doit dorénavant être remis avant le 1er octobre de chaque année.
Ce rapport doit fournir des informations sur l’usage par les distributeurs, depuis 2019, du surplus de chiffre d’affaires résultant du relèvement du SRP. L’article 2 a précisé qu’il est établi après consultation de l’ensemble des acteurs économiques concernés de la filière alimentaire et que « chaque distributeur de produits de grande consommation transmet aux ministres chargés de l’économie et de l’agriculture, avant le 1er septembre de chaque année, un document présentant la part du surplus de chiffre d’affaires enregistré à la suite de la mise en œuvre du [« SRP+10 »] qui s’est traduite par une revalorisation des prix d’achat des produits alimentaires et agricoles auprès de leurs fournisseurs »
Ce rapport attendu pour le mois d’octobre 2023 n’a toujours pas été transmis au Parlement.
Les distributeurs affirment avoir transmis leurs éléments d’information à la DGCCRF à l’automne 2023 et la DGCCRF explique que si un premier document a bien été établi, elle bute sur la difficulté que rencontrent les distributeurs pour réaliser l’analyse d’impact conformément aux dispositions législatives précitées.
Vos rapporteurs comprennent la difficulté pour les distributeurs à évaluer, en 2023, l’effet du « SRP+10 » sur l’évolution de leur chiffre d’affaires et sur la part qui a pu revenir aux fournisseurs sous la forme d’une augmentation des tarifs. Cette étude qui pouvait être faite au moment de l’instauration du « SRP + 10 » en 2019 est impossible à mener aujourd’hui.
Pour rappel, l’effet inflationniste inhérent à l’instauration du « SRP + 10 » et de l’encadrement des promotions avait été évalué à 0,17 % pour l’année 2019 par l’Inspection générale des finances. En revanche aucune analyse fiable n’a jamais été menée sur l’effet de ce dispositif sur le prix payé aux agriculteurs pour la matière première agricole.
Il n’en reste pas moins que l’absence d’évaluation des effets économiques du dispositif est très problématique. Il faudra en tout état de cause y remédier suffisamment de temps avant la fin de l’expérimentation du « SRP + 10 » en avril 2025, afin que le législateur soit éclairé avant de se prononcer sur son devenir.
III. La crise de la demande affectant les produits issus de l’agriculture biologique rend d’autant plus regrettable la transmission tardive au Parlement du rapport prÉvu À l’article 6 de la loi
L’article 6 de la loi du 30 mars 2023 prévoit que le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur l’encadrement des marges des distributeurs pour les produits sous signe d’identification de la qualité et de l’origine afin qu’elles ne puissent pas être supérieures aux marges effectuées sur les produits conventionnels.
La remise de ce rapport était prévue pour le mois de juillet 2023. Le travail conjoint de l’Inspection générale des finances et du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux est daté du mois de décembre 2023. Pourtant, la transmission du rapport du Gouvernement n’est intervenue que le 8 mars 2024, quelques jours avant la présentation du présent rapport.
Ce délai de transmission est regrettable, car que ce rapport était très attendu dans un contexte de crise de la filière biologique. Le rapport relève à cet égard qu’après plusieurs décennies de forte croissance, les ventes de la filière biologique « ont diminué de 6 % en valeur de 2020 à 2022. » Ce chiffre est d’autant plus préoccupant en période d’inflation. Selon l’Agence Bio, la part de bio dans la consommation alimentaire des ménages français s’élève à 6,06 % en 2022 alors qu’elle était de 6,44 % en 2021.
La crise de la filière bio est donc une crise de la demande dont il convient de comprendre l’origine et à laquelle il faut savoir répondre rapidement au risque de perdre très rapidement le bénéfice de décennies de travail et d’efforts de la part d’agriculteurs et de professionnels de l’alimentation, ainsi que les soutiens publics investis pour construire une filière vertueuse.
Dans un contexte de très forte inflation alimentaire ([6]) et de baisse du pouvoir d’achat des Français, la question de la politique de prix pratiquée par la grande distribution pour ces produits sous SIQO est importante. Elle a motivé la demande de rapport qui figure à l’article 6 de la loi du 30 mars 2023.
En synthèse, le rapport rappelle que « la pratique commerciale, qui consiste pour la distribution à faire des péréquations de ses marges, lui a permis de limiter les hausses de prix sur des produits d’entrée de gamme ou de première nécessité, par exemple sous la forme de paniers anti-inflation » et que « la péréquation est soupçonnée depuis plusieurs années de s’exercer au détriment des produits sous SIQO, et notamment des produits biologiques. » Il ajoute que « ce soupçon est conforté par la pratique d’établir les marges en pourcentage de la valeur d’achat. Un taux de marge sur un produit sous SIQO, même s’il est égal au taux appliqué à son équivalent conventionnel, génère une marge supérieure en valeur. Cela contribue certainement à l’incompréhension de certains producteurs lorsqu’ils constatent que le prix de détail d’un de leur produit est très supérieur au prix auquel ils l’ont vendu ». Les distributeurs ont confirmé ce point lors des auditions.
En revanche, le rapport conclut à l’absence de pratique systématique d’alourdissement des taux de marge appliqués aux produits sous SIQO. Il rappelle que la Cour des comptes était parvenue en 2022 à une conclusion analogue pour les produits biologiques.
Il faut toutefois relever que le rapport arrive à cette conclusion sur la base d’une comparaison des marges brutes, en se référant aux prix de gros au marché national de Rungis suivis par le réseau des nouvelles de marchés de FranceAgriMer, sur un échantillon de 12 produits. En effet, le constat le plus incontestable est celui d’une absence de données sur les prix d’achat réellement pratiqués par la grande distribution, qui empêche d’avoir une vision précise des marges pratiquées produit par produit. Mettre en évidence ou écarter avec certitude l’existence de pratiques systématiques d’alourdissement des taux de marge appliqués aux produits sous SIQO supposerait de disposer de séries statistiques en temps réel sur les prix d’achat, par la grande distribution, de l’ensemble de ces produits et des produits conventionnels. Faute d’enquêtes statistiques pertinentes à grande échelle, seules des données partielles et publiée par l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (OfPM) avec un intervalle d’un à deux ans après leur observation sont disponibles.
Le rapport déduit de l’absence de pratique systématique d’alourdissement des taux de marge appliqués aux produits sous SIQO qu’il ne serait pas économiquement efficace de mettre en place un encadrement des marges des distributeurs sur ces produits. Il relève également des difficultés techniques et juridiques inhérentes à un tel dispositif d’encadrement des marges.
En revanche, le rapport recommande de favoriser la transparence des marges des produits sous SIQO. Pour formuler cette recommandation, les auteurs du rapport s’appuient sur la difficulté majeure qu’ils ont eux-mêmes rencontrée à disposer de données fiables concernant les composantes de la marge des produits alimentaires.
La mise en œuvre de cette recommandation supposerait un effort statistique important qui serait partagé entre l’OfPM, l’INSEE et les acteurs des filières. Cet effort serait consommateur de moyens, mais son opportunité ne fait aucun doute pour vos rapporteurs.
L’article 5 de la loi du 30 mars 2023 complétait d’ailleurs l’article L. 682‑1 du code rural et de la pêche maritime relatif aux missions de l’OfPM en précisant que ses analyses portent sur la répartition de la valeur ajoutée tout au long de la chaîne de commercialisation des produits agricoles, « notamment celle des produits issus de l’agriculture biologique ».
Ainsi la concrétisation de la recommandation du rapport du Gouvernement relative à l’effort de transparence sur les marges des produits sous SIQO peut être considérée comme une mesure d’application de la loi du 30 mars 2023 qu’il est urgent de prendre.
Vos rapporteurs appuient donc sans réserve cette recommandation et demandent au Gouvernement de la suivre sans délai.
IV. Les ajustements apportÉs aux rÈgles encadrant la nÉgociation commerciale ne posent pas en eux-mÊmes de difficultÉs d’application, mais ils ont ÉtÉ l’occasion pour les acteurs d’Évoquer le contexte tendu des derniÈres nÉgociations commerciales
1. S’il est trop tôt pour évaluer les dispositions expérimentales de l’article 9 de la loi du 30 mars 2023, elles ne semblent pas poser de difficulté d’application.
Le nombre de médiations réalisées par le médiateur des relations commerciales agricoles (MRCA) au titre des négociations commerciales 2024 est stable, autour de 50.
Le MRCA a notamment été saisi d’une dizaine de médiations afin de conclure un accord fixant les conditions d’un préavis tenant notamment compte des conditions économiques du marché sur lequel opèrent les parties.
Quelques PME ou entreprises de taille intermédiaire ont pu se saisir, face à un échec de la négociation, de la possibilité de mettre fin à toute relation commerciale avec le distributeur, sans que ce dernier puisse invoquer la rupture brutale de la relation commerciale au sens du II de l’article L. 442-1 du code de commerce.
En tout état de cause, la crainte bruyamment exprimée au moment de l’examen du texte quant au risque d’une cascade de ruptures de relations commerciales s’avère, au terme de la première négociation conduite sous ce nouveau régime, infondée.
2. L’ajustement opéré par l’article 15 sur l’une des options dont dispose l’industriel pour assurer la transparence sur la part du coût de la matière première agricole ne pose pas en lui-même de difficulté d’application, mais il ne met pas fin à la contestation de cette « option 3 ».
La plupart des acteurs auditionnés, à l’exception des représentants des industriels, ont rappelé leur position quant aux difficultés soulevées par l’option de transparence dite « option 3 », prévue au 3° du I de l’article L. 441-1-1 du code de commerce, et qui repose sur l’intervention d’un tiers indépendant pour certifier de la part de l’évolution du tarif qui résulte de l’évolution du coût de la matière agricole, que l’industriel entend sanctuariser.
L’utilisation de cette option ferait en particulier obstacle à l’établissement de clauses de révision réellement applicables selon certains acteurs dont ceux de la distribution, mais également le MRCA. Ce dernier préconise notamment de supprimer « l’option 3 » et de faire figurer la clause de révision dans les conditions générales de vente (CGV) du fournisseur, afin qu’elle soit à sa main et incontestable dès lors qu’une réelle transparence sur le coût de la matière première agricole aura été assurée.
Ce point méritera une attention toute particulière dans le cadre de la mission d’évaluation de la loi dite Egalim 2, dont les travaux au sein de votre commission débutent ([7]).
3. Le climat des négociations commerciales 2024 a été tendu du fait de l’avancée de la date butoir de négociation en application de la loi du 17 novembre 2023
De manière générale, les négociations commerciales 2024 ont été présentées par les acteurs entendus comme ayant été particulièrement tendues, voire agressives. L’avancée du calendrier qu’a opéré le législateur avec la loi n° 2023‑1041 du 17 novembre 2023 portant mesures d’urgence pour lutter contre l’inflation concernant les produits de grande consommation a été régulièrement mise en cause.
Les fournisseurs ont eu du mal à anticiper l’envoi de leur CGV ce qui a réduit la durée des négociations parfois de manière déraisonnable. Et quand l’envoi des CGV a pu être anticipé, cela conduisait à ce qu’elles soient adressées avant que les contrats amont avec les producteurs agricoles soient conclus, ce qui brise la marche en avant du prix voulue par les lois Egalim.
De plus, la différenciation de la date butoir en fonction du chiffre d’affaires du fournisseur a été globalement critiquée, parfois dans son principe et très souvent sur la question du seuil retenu par le législateur.
Le seuil de 350 millions d’euros de chiffres d’affaires consolidé a conduit à un traitement différencié d’acteurs industriels de grande taille qui peuvent être regardés comme occupant des positions comparables sur le marché. Beaucoup de filiales françaises de multinationales étrangères sont ainsi passées sous le seuil retenu. Au final, seules 50 à 60 entreprises étaient situées au-dessus du seuil, ce qui relativise la protection accordée aux acteurs de taille plus modeste. Beaucoup d’acteurs considèrent que le seuil de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires ([8]) serait plus pertinent pour adapter, de manière générale et si le principe d’un tel seuil devait être retenu, les règles applicables aux entreprises en fonction de leur taille.
V. L’application des dispositions relatives aux pÉnalitÉs logistiques n’apporte pas pleinement satisfaction
1. La suspension de l’application des pénalités logistiques par décret en cas de situation exceptionnelle n’a pas été activée
L’article 12 complète par un III l’article L. 441-17 du code de commerce relatif aux pénalités logistiques pour prévoir qu’un décret peut éventuellement intervenir pour suspendre l’application des pénalités logistiques en cas de situation exceptionnelle, extérieure aux distributeurs et aux fournisseurs et affectant gravement les chaînes d’approvisionnement dans un ou plusieurs secteurs.
Aucun décret n’a été pris sur ce fondement depuis l’entrée en vigueur de la loi et cela n’a pas été envisagé.
2. La mise à jour des lignes directrices de la DGCCRF en matière de pénalités logistiques n’est pas en phase avec l’intention du législateur
Les articles 11 à 14 sont d’application directe, mais ils ont néanmoins fait l’objet, pour leur application, d’une mise à jour des lignes directrices publiées par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).
Ces lignes directrices, dont la version actualisée a été publiée en novembre 2023 ([9]), sont destinées à lever toute ambiguïté quant à l’interprétation par les acteurs des dispositions du code de commerce qui encadrent l’application de pénalités logistiques par les distributeurs à leurs fournisseurs.
L’article 12 modifie le I de l’article L. 441-17 du code de commerce sur plusieurs points.
D’abord, cet article plafonne les pénalités logistiques à « 2 % de la valeur des produits commandés relevant de la catégorie de produits au sein de laquelle l’inexécution d’engagements contractuels a été constatée ».
Le premier alinéa du point II. B. est pourtant moins restrictif en laissant ouvert la possibilité de définir au cas par cas la « catégorie de produit » pris en compte dans l’assiette du calcul de plafond, en y incluant donc potentiellement des produits autres que ceux de la ligne de produits concernée, mais relevant d’une « famille homogène ». La DGCCRF soutient que cette interprétation peut être retenue à la lecture de certains passages des travaux parlementaires.
Il est vrai que la lettre du texte est ambiguë, la notion de « catégorie de produits » n’étant pas définie et ne renvoyant à rien de connu par les opérateurs.
Les rapporteurs s’inscrivent toutefois en faux sur l’interprétation de la DGCCRF. Ils considèrent qu’elle n’est pas dictée par la lettre du texte, qu’elle est manifestement contraire à l’intention du législateur et qu’elle est source d’insécurité juridique quant à la définition de la catégorie de produit.
En effet, il ressort des travaux parlementaires, notamment des débats en commission des affaires économiques au Sénat, auxquels renvoient pourtant les lignes directrices, que par cette formulation, certes non dénuée d’ambiguïté, le législateur entendait plafonner les pénalités à hauteur de 2 % de la valeur, au sein de la commande, de la ligne de produits concernée par le manquement justifiant l’application de la pénalité ([10]).
Ce point doit donc être corrigé dans les lignes directrices.
Par ailleurs, le texte prévoit l’application du plafond aux pénalités « infligées » par le distributeur au fournisseur. Comme, le précise le point III. A. des lignes directrices, « les pénalités infligées doivent s’entendre comme étant celles correspondantes aux factures de pénalités émises mais non encore recouvrées tandis que les montants effectivement perçus correspondent aux pénalités recouvrées par le distributeur. » Le plafond de pénalité doit donc s’appliquer aux pénalités infligées au sens de cette distinction. Ce point mériterait d’être précisé au point II. B. des lignes directrices, relatif au plafond de pénalités.
Ensuite, le même article 12 prévoit également une prescription d’un an pour l’application de pénalités logistiques.
Enfin, il oblige le distributeur à apporter des éléments de preuve du préjudice subi en plus de la preuve du manquement constaté.
Les industriels soutiennent que cette disposition n’est pas appliquée par les distributeurs et que l’attention est focalisée sur la question du plafond de pénalité.
Il est certain que le programme national d’enquête de la DGCCRF doit intégrer cette question de la preuve du préjudice résultant du manquement qui a justifié l’application d’une pénalité logistique. Là encore, les services territoriaux de l’État doivent disposer de moyens suffisants pour entrer dans ce niveau d’investigation, afin que la loi soit appliquée.
VI. L’exclusion du champ d’application de l’obligation de prÉvoir une clause de renÉgociation du prix des contrats a bien été mise en œuvre pour certains produits
L’article 20 prévoit qu’un arrêté du ministre chargé de l’agriculture peut prévoir, pour certains produits agricoles et alimentaires pour lesquels les interprofessions en font la demande, que ne sont pas applicables les dispositions imposant la présence d’une clause relative aux modalités de renégociation du prix des contrats d’une durée d’exécution supérieure à trois mois portant sur la vente des produits agricoles et alimentaires dont les prix de production sont significativement affectés par des fluctuations des prix des matières premières agricoles et alimentaires et des produits agricoles et alimentaires.
En effet, l’introduction de clauses de renégociation dans les contrats en application de l’article L. 441-8 du code de commerce s’est avéré inadaptée à certaines filières dans lesquelles les contrats bénéficient d’outils de gestion du risque de fluctuation des prix, notamment les marchés à terme, permettant à chaque maillon de se couvrir. Introduire une clause de renégociation mettrait en péril le bon fonctionnement de ces outils de couverture du risque.
L’arrêté du 31 juillet 2023 fixant la liste des produits agricoles et alimentaires pour lesquels le I de l’article L. 441-8 du code de commerce n’est pas applicable exclut donc du champ de cette obligation de prévoir une clause de renégociation du prix les contrats portant sur une grande partie des produits des filières céréales et vitiviniculture.
L’arrêté du 31 juillet 2023 a été modifié par un arrêté du 15 février 2024 au terme d’une seconde concertation qui a permis de compléter à la marge la liste des produits des filières céréales et vitiviniculture et d’ajouter des ingrédients issus de l’amidonnerie et des coproduits de l’industrie sucrière utilisés par l’industrie pour l’alimentation animale. Ces demandes ont été portées par Intercéréales, Terres Univia, l’Association nationale des industries alimentaires, l’Union des syndicats des industries de produits amylacés et le Syndicat national de l’industrie de la nutrition animale.
La liste précise des produits concernés figure en annexe de l’arrêté modifié et est établie en référence à la nomenclature combinée (règlement n° 2658/87 du Conseil relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun).
Au cours de sa réunion du mercredi 13 mars 2024, la commission a examiné le rapport d’information de la mission d’application de la loi du 30 mars 2023 tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, dite « loi Descrozaille » (M. Frédéric Descrozaille et Mme Aurélie Trouvé, rapporteurs).
La commission a approuvé la publication du rapport d’information.
Ce point de l’ordre du jour n’a pas fait l’objet d’un compte rendu écrit. Les débats sont accessibles sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :
Liste des personnes auditionnÉes
Ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire
M. Philippe Duclaud, directeur général de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE)
M. Serge Lhermitte, directeur général adjoint, chef du service développement des filières de la DGPE
M. Pierre Rebeyrol, adjoint au sous-directeur compétitivité de la DGPE
M. Paul Hennart, chef du bureau des relations économiques et statuts des entreprises de la DGPE
Ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique
Mme Sarah Lacoche, directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF)
Mme Carla Deveille-Fontinha, sous-directrice « Droit de la concurrence, droit de la consommation et affaires juridiques » à la DGCCRF
Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) *
M. Patrick Benezit, deuxième vice-président de la FNSEA
M. Ali Karacoban, chef de service économie des filières
Mme Romane Sagnier, chargée de mission affaires publiques
Confédération paysanne *
Mme Sylvie Colas, secrétaire nationale
Mme Aurélie Bouton
Association nationale des industries alimentaires (ANIA) *
M. Miloud Benaouda, président de la commission Industrie Commerce de l’ANIA et président Barilla Région Ouest de l’Europe
Mme Marie Buisson, directrice du pôle compétitivité
Institut de liaisons des entreprises de consommation (ILEC) *
M. Richard Panquiault, président-directeur général
Mme Karine Ticot, directrice des études
La Coopération agricole *
M. Dominique Chargé, président
M. Thibault Bussonnière, directeur adjoint en charge des affaires publiques
Médiateur des relations commerciales agricoles
M. Thierry Dahan, médiateur
Commission européenne
M. Philippe Chauve, Direction générale de la concurrence – chef de l’unité E5 Agriculture et produits agroalimentaires
M. Giacomo Mattino, Direction générale du marché intérieur, de l’industrie, de l’entrepreneuriat et des PME – directeur d’unité
M. Fabien Santini, Direction générale de l’agriculture et du développement rural – chef de l’unité E1 organisation des marchés agricoles et alimentaires
Fédération du commerce et de la distribution (FCD) *
Mme Layla Rahhou, déléguée générale
Mme Sophie Amoros, responsable affaires publiques et communication
Les Mousquetaires *
M. Nicolas Raynal, directeur des affaires publiques territoriales
M. Frédéric Thuillier, conseiller affaires publiques
M. Gilles Rota, directeur juridique commerce-distribution
Direction régionale et interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DRIEETS) Île-de-France
M. Gaétan Rudant, directeur régional
Mme Murielle Lizzi, directrice régional adjointe
Mme Stéphanie Deguilly, cheffe de la Brigade d’Enquête
E. Leclerc *
M. Philippe Michaud, co-président
Mme Marie de Lamberterie, secrétaire générale
M. Alexandre Tuaillon, responsable des affaires publiques
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire AGORA des représentants d’intérêts de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui vise à fournir une information aux citoyens sur les relations entre les représentants d’intérêts et les responsables publics lorsque sont prises des décisions publiques.
liste des contributions écrites
Intercéréales
([1]) Données INSEE
([2]) Rapport fait au nom de la commission des affaires économiques sur la proposition de loi visant à sécuriser l’approvisionnement des Français en produits de grande consommation (n° 575) par M. Frédéric Descrozaille : voir notamment le point 2. c. du commentaire de l’article 1er.
([3]) CJUE, 22 décembre 2022, C-98/22, Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale – Règlement (UE) n° 1215/2012 – Article 1er, paragraphe 1 – Notion de « matière civile et commerciale » – Action d’une autorité publique visant à faire constater, sanctionner et cesser des pratiques restrictives de concurrence.
([4]) Chiffres avancés par la DGCCRF.
([5]) La Brigade des relations interentreprises de la DRIEETS est composée de 24 personnes dont 11 inspecteurs affectés spécifiquement au suivi des enseignes de grande distribution.
([6]) Les prix de l’alimentation ont augmenté de 7,7 % sur un an en novembre 2023 après avoir augmenté de 12,1 % au cours de l’année 2022 (source INSEE).
([7]) Vos rapporteurs, M. Frédéric Descrozaille et Mme Aurélie Trouvé seront également rapporteurs pour cette mission d’évaluation. Ils seront accompagnés de M. Julien Dive et un quatrième rapporteur sera nommé prochainement.
([8]) Seuil utilisé pour définir la PME pour les besoins de l’analyse statistique et économique par le décret d’application de l’article 51 de la loi n°2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie. Ce seuil est établi au vu de la recommandation de la Commission européenne n° 2003/361/CE du 6 mai 2003 concernant la définition des micro, petites et moyennes entreprises.
([9]) Ces lignes directrices sont consultables en ligne : https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/dgccrf/concurrence/relations_commerciales/faq-lignes-directrices-penalites-logistiques-vf.pdf?v=1657528590
([10]) Lors de la défense de son amendement COM-46, Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure du texte au Sénat prenait l’exemple suivant : « Je prends un exemple : si un camion livre 1 000 yaourts, ainsi que 1 000 mottes de beurre, et que seuls des yaourts manquent à l’appel, la pénalité sera plafonnée à 2 % de la valeur des 1 000 yaourts, et non pas de toute la commande qui incluait aussi des mottes de beurre. » Dans l’exposé sommaire de son amendement, elle prenait l’exemple suivant : « Si un distributeur commande, dans le même temps, mille boites de céréales et mille paquets de pâtes, et qu’un manquement est constaté sur 20 boites de céréales, la pénalité logistique ne pourra être supérieure à 2 % de la valeur de la commande de céréales, et non de la valeur de la commande totale ».