N° 2458
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ASSEMBLÉE NATIONALE
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CONSTITUTION DU 4Â OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
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Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 avril 2024.
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RAPPORT D’INFORMATION
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DÉPOSÉ
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en application de l’article 145 du Règlement
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PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION
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en conclusion des travaux de la mission d’information
sur l’enseignement supérieur privé à but lucratif,
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ET PRÉSENTÉ
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PAR Mmes BÉatrice DESCAMPS et Estelle FOLEST,
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Députées.
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—  1  —
SOMMAIRE
___
Pages
I. un secteur en PLEINE EXPANSION
A. L’enseignement supÉrieur privÉ attire dÉsormais plus d’un quart des Étudiants
1. Une hausse spectaculaire des effectifs étudiants de l’enseignement supérieur privé
2. Une incertitude importante sur le nombre d’établissements du privé lucratif
II. un secteur difficile À identifier car non dÉfini en droit et mal connu des pouvoirs publics
A. comment dÉfinir l’enseignement supÉrieur privÉ À but lucratif ?
b. La notion de non-lucrativité est définie par le droit fiscal
1. L’enseignement supérieur privé lucratif : un objet non identifié par les pouvoirs publics
2. L’enseignement supérieur privé lucratif est un objet mal cerné par la recherche
1. Pour les familles, une information déficiente
A. Un secteur dominé par les grands groupes
B. des petites écoles à rayonnement souvent local subsistent
IV. Le cadre juridique applicable À l’enseignement supérieur privé À but lucratif
A. Les grands principes : un régime libéral qui consacre l’enseignement supérieur libre
1. « L’enseignement supérieur est libre »
2. Une liberté qui connaît quelques tempéraments
b. Un régime d’ouverture déclaratif assorti d’un certain nombre d’obligations
a. Des distinctions de statuts, sources de confusion et de comportements opportunistes
b. Des obligations déclaratives pas toujours respectées et peu contrôlées
c. Des contrôles a posteriori limités en droit et encore davantage en fait
4. La question des plaintes et des signalements
1. La reconnaissance des établissements par le ministère de l’enseignement supérieur
b. La reconnaissance des EETPÂ : une reconnaissance a minima
3. La reconnaissance par le ministère du travail : les titres RNCP et la certification Qualiopi
b. Qualiopi : une reconnaissance avant tout procédurale
A. de plus en plus de jeunes souhaitent prolonger leurs Études aprÈs le baccalaurÉat
B. L’enseignement supÉrieur public n’a pas absorbÉ la hausse des effectifs des Étudiants
A. La rÉforme de l’apprentissage
2. Des aides financières exceptionnelles, massives et sans précédent
3. Un système triplement gagnant
B. Une explosion de l’apprentissage dont le secteur lucratif a su particuliÈrement tirer parti
1. Une hausse sans précédent du nombre d’apprentis…
3. Le secteur privé lucratif dynamisé par l’apprentissage
C. un succÈs quantitatif indÉniable
III. des investissements publics et privés qui soutiennent la croissance du secteur
B. DES investisseurs PRIVÉs attirés par un secteur rentable et résilient
IV. l’enseignement supÉrieur privÉ À but lucratif : un enjeu important pour les territoires
B. une Concertation entre les collectivitÉs qui peine À freiner la logique concurrentielle
2. Des collectivités en ordre dispersé face aux stratégies des écoles privées
V. Un marketing commercial efficace, offensif et parfois trompeur
2. Le « Parcoursup bashing »
1. L’accompagnement personnalisé, l’expérience étudiante, l’ambiance « campus »
2. Une formation « professionnalisante » qui promet un emploi rapide et bien rémunéré
1. Des canaux de diffusion variés
2. Le cas des salons étudiants : une vitrine pour les formations privées lucratives
a. Les formations privées lucratives sont surreprésentées dans les salons étudiants
b. Le rôle des pouvoirs publics en question
3. Des jeunes issus des classes populaires réceptifs et moins bien armés pour s’orienter
I. des dysfonctionnements nombreux
A. un problème central de lisibilité
1. La « jungle » des diplômes et des formations
2. La confusion autour des appellations et de la mention « reconnu par l’État »
a. Une confusion généralisée autour des intitulés des formations proposées
b. La mention « reconnaissance par l’État » recouvre des situations extrêmement variées
1. Les limites et difficultés posées par les titres RNCP
2. Les limites et difficultés posées par Qualiopi
3. Une mission de contrôle pédagogique lacunaire
4. L’absence de contrôle des diplômes d’établissement
C. des dérives récurrentes bien que non généralisées
a. Une autorégulation défaillante du secteur de l’enseignement supérieur privé lucratif
2. Les dérives observées : de l’information fallacieuse à l’escroquerie caractérisée
a. Une tentative de typologie des dérives des établissements
b. La question des frais de scolarité : des sujets de litige variés
1. Le risque de l’inadéquation de l’offre avec la demande et les besoins du pays
2. Les incertitudes autour de l’endettement étudiant
II. construire une véritable stratégie de régulation du secteur
A. un préalable essentiel : améliorer la connaissance du secteur
B. renforcer la lisibilité et la transparence des formations
1. Clarifier les appellations et les intitulés des formations proposées
4. Renforcer la lisibilité sur Parcoursup
5. Mettre en place une carte d’identité des formations
6. Objectiver la mesure de l’insertion professionnelle
2. Mettre en place une véritable évaluation de la qualité pédagogique des titres RNCP
3. Réguler la « location » de titres et les « titres RNCP parapluies »
D. simplifier et moderniser le cadre juridique
1. Mieux protéger l’étudiant dans le cadre de la relation contractuelle
2. Instituer un médiateur pour l’enseignement supérieur privé
F. Lutter contre la fraude et les pratiques illégales
1. Accroître les contrôles de la DGCCRF et leur portée
2. Garantir le respect de l’obligation de publication des comptes
Liste des personnes entendues par les rapporteures
Annexe n° 2 :  Le rÉseau consulaire
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  introduction
Plus d’un quart des étudiants suivent aujourd’hui leurs études supérieures dans un établissement privé. Ce chiffre est en constante augmentation depuis plusieurs années. La part du secteur privé au regard des effectifs d’étudiants est ainsi passée de 15 % dans les années 1990-2000 à plus de 26 % en 2024 ([1]). Â
L’enseignement supérieur privé englobe des réalités très diverses. Aux établissements traditionnels – facultés libres, instituts catholiques, établissements consulaires –, s’ajoutent désormais de nouveaux acteurs, appartenant au secteur dit à but lucratif. Ces derniers recouvrent eux-mêmes une diversité importante mais ont généralement pour point commun de proposer des formations « professionnalisantes » relevant du secteur tertiaire, mettant l’accent sur les compétences opérationnelles et le lien avec le monde de l’entreprise. Sans qu’il soit possible d’avancer une statistique précise, on peut estimer qu’environ la moitié des étudiants du privé suivent leurs études dans un établissement relevant du secteur privé à but lucratif, soit au total plus d’un étudiant sur dix.
L’essor du secteur privé lucratif dans l’enseignement supérieur depuis les années 2015-2020 plus particulièrement est le résultat d’une conjonction de facteurs. Outre l’attrait propre aux formations proposées, l’incapacité de l’enseignement public à absorber un public étudiant toujours plus nombreux, le niveau et le dynamisme des investissements publics et privés consentis, mais également le développement de l’apprentissage, ont joué un rôle déterminant en la matière. Le succès sans précédent de la politique de l’apprentissage lancée en 2018 s’est accompagné d’une vitalité nouvelle des établissements privés lucratifs, qui ont su tirer parti de cette opportunité. Ainsi, selon le ministère du travail, un apprenti sur quatre dans le post-bac effectue sa formation dans un établissement privé lucratif ([2]).
Désignées par la commission des Affaires culturelles et de l’éducation en juillet 2023, les rapporteures Béatrice Descamps et Estelle Folest ont conduit pendant près de sept mois une mission d’information sur l’enseignement supérieur privé à but lucratif, dont le présent rapport propose une restitution. Les rapporteures ont mené plus de quarante auditions et tables rondes à l’Assemblée nationale, qui leur ont permis d’entendre les administrations centrales et déconcentrées compétentes, les représentants de l’enseignement supérieur dans sa diversité (public, privé non lucratif, privé lucratif), les représentants des personnels enseignants des différents secteurs, les associations étudiantes, les représentants de parents d’élèves, les représentants des collectivités territoriales, la Cour des comptes, l’inspection générale des finances, etc. Loin de toute posture idéologique, les rapporteures se sont attachées tout au long des travaux de la mission à se placer du point de vue des étudiants et de leurs familles, pour mieux comprendre les difficultés qu’ils peuvent rencontrer et déterminer les voies et moyens d’y remédier.
Ces travaux conduisent d’abord à dresser le constat suivant : alors qu’il occupe désormais une part significative dans l’offre de formations supérieures, l’enseignement supérieur privé à but lucratif reste un secteur largement méconnu, et même non défini, par les pouvoirs publics. Au cours de leurs travaux, les rapporteures se sont ainsi heurtées à la difficulté à définir précisément l’enseignement supérieur privé à but lucratif et au manque de données publiques en la matière. Il n’existe en effet aucune définition juridique de l’enseignement supérieur privé à but lucratif et les outils statistiques du ministère ne permettent qu’un suivi très partiel du secteur, alors que des centaines de milliers d’étudiants sont concernés.
L’un des enjeux centraux à cet égard est celui du type de reconnaissance et de contrôle attaché à ces formations. Certaines des formations proposées peuvent faire l’objet d’une reconnaissance par le ministère de l’enseignement supérieur à travers un grade ou un visa, ce qui suppose un contrôle exigeant du ministère ainsi qu’un adossement des formations à la recherche. Néanmoins, ce cas de figure est minoritaire. Les formations proposées par le secteur privé lucratif correspondent, pour nombre d’entre elles, à une certification professionnelle inscrite au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) piloté par le ministère du travail. L’inscription d’un titre au RNCP suppose un certain nombre de contrôles effectués par France compétences, mais ces derniers n’apportent que trop peu de garanties sur le plan de la qualité pédagogique des formations. En outre, l’obtention d’une certification RNCP ne garantit ni la poursuite d’études ni l’accès aux bourses sur critères sociaux du ministère de l’enseignement supérieur, ce dont trop peu d’étudiants sont conscients.
Le développement de ce secteur suscite un certain nombre de préoccupations et d’inquiétudes qui se sont exprimées au cours des auditions conduites par les rapporteures. Ces préoccupations sont formulées par certaines autorités publiques et associations, mais également par les acteurs traditionnels de l’enseignement supérieur privé non lucratif, qui pâtissent du manque de lisibilité globale ainsi que de la concurrence jugée déloyale des établissements privés lucratifs dont ils déplorent l’absence de contrôle pédagogique.
Le présent rapport met en avant trois difficultés centrales du système actuel :
– un problème d’intelligibilité, de lisibilité et de transparence du paysage de l’enseignement supérieur : ce dernier s’est prodigieusement complexifié ces dernières années du fait de la multiplication des acteurs et des dénominations des formations proposées. Pour l’année 2024, Parcoursup propose et répertorie environ 23 000 formations. Ce nombre n’est pas exhaustif puisque beaucoup d’offres ne figurent pas sur la plateforme. Ces dernières ne sont aujourd’hui quantifiées ni par le ministère de l’enseignement supérieur ni par le ministère du travail. Au total, la multiplication des labels et les différentes formes de reconnaissance existantes auxquels correspondent autant d’intitulés rendent le système illisible pour l’usager ;
– un problème de contrôle de la qualité pédagogique des formations non reconnues par le ministère de l’enseignement supérieur. L’absence de contrôle pédagogique et scientifique de la grande majorité des formations proposées par l’enseignement supérieur privé lucratif pose une difficulté d’autant plus aiguë s’agissant des formations en apprentissage qui bénéficient du soutien financier de la puissance publique – on peut rappeler à cet égard que le total des dépenses publiques consacrées à l’apprentissage est aujourd’hui estimé à environ 16,8 milliards d’euros par la Cour des comptes ([3]) ;
– des dérives préoccupantes qui témoignent de l’absence de régulation du secteur privé lucratif et d’une protection insuffisante de l’étudiant-consommateur. Les alertes en la matière, qui vont de l’information lacunaire à des cas d’escroquerie en passant par des faillites au milieu de l’année universitaire, semblent se multiplier. Les enquêtes de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) font état de nombreuses pratiques illégales, tandis que la médiatrice de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur a également relayé ces problématiques dans son dernier rapport annuel.
En 1875, le législateur consacrait l’enseignement supérieur privé libre, dont la valeur constitutionnelle a été reconnue par le Conseil constitutionnel. Aux yeux des rapporteures, ce principe de liberté doit être conservé et défendu. Mais le cadre juridique actuel est obsolète et impuissant à prévenir les dérives évoquées. Il apparaît donc primordial de renforcer les garde-fous, dans le double intérêt des étudiants et de l’avenir de la Nation.
Les rapporteures formulent 22 recommandations en ce sens, qui sont autant de pistes pour bâtir une nouvelle stratégie de régulation du secteur au service des étudiants, de leurs familles et de l’intérêt général. Elles s’articulent autour des grands axes suivants :
– améliorer la connaissance du secteur ;
– renforcer la lisibilité et la transparence des formations, de leur contenu et de leur valeur ;
– instaurer un véritable contrôle de la qualité pédagogique des formations proposées par le secteur privé lucratif ;
– simplifier et moderniser le cadre juridique ;
– mieux protéger l’étudiant dans sa relation contractuelle avec son établissement d’enseignement ;
– et renforcer les moyens déployés pour mieux lutter contre la fraude et les pratiques illégales.
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  première partie :
L’enseignement supérieur privé à but lucratif : un secteur en pleine expansion, difficile à définir, caractérisé par une connaissance lacunaire des pouvoirs publics et un cadre juridique obsolète
Il faut d’abord partir d’un constat : le secteur de l’enseignement supérieur privé, longtemps marginal et concentré sur certains segments, n’a cessé de croître et de se diversifier depuis une quinzaine d’années, tant en France qu’à l’étranger. Au cours des précédentes décennies, l’enseignement supérieur privé avait connu un développement moins rapide en France que dans d’autres pays ; la qualité de l’enseignement public associée à la modicité des frais d’inscription expliquaient en partie ce décalage. Mais depuis quelques années, le développement du secteur privé est remarquable dans notre pays ; la hausse des effectifs étudiants en témoigne.
Malgré ce constat, une large part de ce secteur privé, aux opérateurs très hétérogènes, dotés de statuts juridiques différents, reste en grande partie mal connue de la puissance publique, dont les outils de pilotage et d’information apparaissent nettement insuffisants.
Contrairement à d’autres pays ([4]), qui distinguent les établissements selon leur caractère lucratif ou non lucratif, en France, l’enseignement supérieur privé à but lucratif n’entre pas dans une catégorie claire prévue en droit, mais dans le cadre plus général prévu pour l’enseignement supérieur privé, lequel apparaît aujourd’hui obsolète, illisible et mal adapté aux spécificités du secteur.
De fait, le critère de la finalité financière des établissements privés ([5]) (lucratif contre non lucratif) peine à émerger tant en droit qu’au niveau du pilotage des politiques publiques. L’absence d’un outil de recensement des établissements d’enseignement supérieur privés, comprenant a minima l’information quant à leur nature juridique, est à cet égard très révélatrice.
Cette méconnaissance de cet objet par les politiques publiques est de plus en plus problématique, dans un contexte marqué depuis quelques années par une très forte expansion du secteur privé lucratif.
À cet égard, la première partie du présent rapport vise à  :
– décrire l’expansion du secteur privé lucratif ;
– en proposer une définition aujourd’hui inexistante en droit ;
– présenter les principales caractéristiques du secteur et des groupes qui le composent ;
– rappeler le cadre juridique applicable tout en montrant ses limites.
I. Â Â un secteur en PLEINE EXPANSION
Plus d’un étudiant sur quatre est désormais inscrit dans un établissement d’enseignement supérieur privé. La forte croissance du nombre d’étudiants à partir des années 2000 a en effet essentiellement profité à l’enseignement privé. Au cours de la décennie 2010‑2020, les effectifs post-bac ont globalement augmenté de 600 000 étudiants et le secteur privé en a absorbé presque la moitié. La part du secteur privé est ainsi passée de 15 % dans les années 1990-2000 à près de 20 % en 2015 pour atteindre 26,1 % des effectifs d’étudiants en 2024. Cette hausse reflète en grande partie l’essor du secteur privé lucratif.
A.  L’enseignement supÉrieur privÉ attire dÉsormais plus d’un quart des Étudiants
À la rentrée universitaire 2022, l’enseignement supérieur privé regroupait 766 800 des 2 935 000 étudiants, soit 26,1 % des effectifs. Une hausse qui s’est nettement confirmée lors des rentrées scolaires 2022 et 2023.
Même s’il n’est pas possible, en l’état actuel des connaissances statistiques, de déterminer le nombre exact des étudiants inscrits dans l’enseignement supérieur privé lucratif, il ne fait guère de doute pour les rapporteures que la croissance globale des effectifs dans l’ensemble de l’enseignement privé profite en majeure partie au secteur lucratif. C’est en tout cas ce que l’ensemble des auditions ont montré.
1.  Une hausse spectaculaire des effectifs étudiants de l’enseignement supérieur privé
La dernière ligne du tableau suivant (tableau n° 1) montre la trajectoire haussière de l’enseignement supérieur privé lucratif jusqu’à la rentrée universitaire 2021, avec une dynamique forte depuis la rentrée 2017.
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Tableau n° 1 : nombre d’étudiants inscrits dans l’enseignement supérieur depuis 1960
(en milliers)
Source : ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche ([6]).
La part des effectifs d’étudiants dans les établissements privés de l’enseignement supérieur est passée d’environ 13 % dans les années 1990 à plus de 26 % à la rentrée universitaire 2022, soit plus d’un étudiant sur quatre désormais. Longtemps stabilisée autour de 13 %, un premier « bond » quantitatif de l’enseignement supérieur privé est observé à la fin de la décennie 2000 où le privé représente 19 % des étudiants, taux qui n’a que légèrement progressé jusqu’à la rentrée 2016, pour atteindre 19,74 %. La barre des 20 %, soit un étudiant sur cinq inscrit dans le privé, est franchie à la rentrée universitaire de 2017.
Depuis 2015, la hausse des effectifs étudiants dans le privé est constante, comme en témoignent les tableaux ci-dessous.
Tableau n° 2 : les effectifs étudiants dans les établissements privés par rentrée universitaire et évolution annuelle
(en valeur absolue et en %)
Rentrée |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
Effectifs étudiants |
435Â 700 |
446Â 900 |
461Â 200 |
471Â 400 |
479Â 500 |
478Â 200 |
en % |
18,59Â % |
19,02Â % |
19,34Â % |
19,47Â % |
19,39Â % |
19,07Â % |
Nombre d’étudiants supplémentaires |
 |
+11Â 200 |
+14Â 300 |
+10Â 200 |
+8Â 100 |
-1Â 300 |
Taux évolution annuelle |
 |
+2,57% |
+3,20% |
+2,21% |
+1,72% |
-0,27% |
Â
Rentrée |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
Effectifs étudiants |
492Â 000 |
516Â 600 |
565Â 700 |
590Â 100 |
617Â 200 |
670Â 100 |
en % |
19,14Â % |
19,74Â % |
21,03Â % |
21,42Â % |
21,99Â % |
23,14Â % |
Nombre d’étudiants supplémentaires |
+13Â 800 |
+24Â 600 |
+49Â 100 |
+24Â 400 |
+27Â 100 |
+52Â 900 |
Taux évolution annuelle |
+2,89Â % |
+5,00Â % |
+9,50Â % |
+4,31Â % |
+4,59Â % |
+8,57Â % |
Â
Rentrée |
2021 |
2022 |
Effectifs étudiants |
736Â 800 |
766Â 800 |
en % |
24,82Â % |
26,13Â % |
Nombre d’étudiants supplémentaires |
+66Â 700 |
+30Â 000 |
Taux évolution annuelle |
+9,95Â % |
+4,07Â % |
Source : mission d’information.
2.  Une augmentation des effectifs proportionnellement plus importante dans le privé que dans le public depuis quelques années
Depuis 2015, le rythme de croissance des inscriptions dans l’enseignement privé a toujours été supérieur à celui observé dans l’enseignement public. Les comparaisons avec des périodes antérieures sont parlantes.
De 1990 à 2000, sur une croissance d’effectifs étudiants d’environ 443 000, le secteur public en absorbe presque 90 % ([7]). Sur la période 2011-2016, sur les 355 000 étudiants supplémentaires, seul un nouvel étudiant sur cinq environ (soit 76 500) rejoint le privé, 78 % intégrant le public.
La tendance s’inverse à partir de la rentrée scolaire 2017. Entre 2017 et 2021, alors qu’on enregistre une croissance de la population estudiantine à hauteur d’un peu plus de 350 000 étudiants, le privé absorbe plus de 220 000 étudiants, soit 63 % d’entre eux, et le public environ 130 000, soit presque 37 %.
Dans le détail, à la rentrée 2017, sur 72 500 étudiants supplémentaires, 49 000 s’orientent vers le privé, soit plus de 68 % ; la rentrée 2021 est encore plus marquante puisque presque 91 % des nouveaux étudiants (66 700 sur 73 400) rejoignent le privé.
Au final, sur un peu plus de dix ans (de la rentrée 2010 à celle de 2022), les inscriptions dans le privé ont augmenté de presque 72 %, contre 11 % dans le public. En valeur absolue, le secteur privé a absorbé près de la moitié de la croissance des effectifs d’étudiants depuis 2011 ([8]).
La comparaison des taux de croissance annuels entre les effectifs de l’enseignement public et ceux de l’enseignement privé ([9]) mettent en évidence le décrochage du secteur public :
– pour la période 2011-2015, les taux d’évolution des effectifs annuels sont relativement proches entre le public et le privé, oscillant, selon les années, entre 1,1 % et 2,2 % pour le public, et entre 1,7 % et 3,2 % pour le privé ;
– pour la période 2016-2020 en revanche, le fossé se creuse : si les taux d’évolution des effectifs du secteur public sont relativement stables, entre 1,10 % et 1,90 % selon les années, ceux du privé s’envolent, de 4,3 % à 9,5 %.
Les deux rentrées de 2021 et 2022 sont à cet égard encore plus révélatrices de l’écart qui s’est installé entre les secteurs public et privé ([10]).
3.  Les rentrées universitaires 2021 et 2022 révèlent la forte croissance des effectifs du privé et la trajectoire déclinante de ceux du public
À la rentrée scolaire 2021, le secteur privé accueille presque 25 % des effectifs d’étudiants. Ces derniers continuent d’augmenter (+ 2,5 %, soit 73 400 étudiants de plus qu’en 2020), mais l’écart se creuse considérablement entre les secteurs privé (+ 10 % de hausse annuelle) et public (+ 0,30 %). En valeur absolue, on dénombre 66 700 étudiants supplémentaires dans le privé pour environ dix fois moins dans le public. L’écart n’a alors jamais été aussi grand.
À la rentrée 2022, et pour la première fois depuis 2007, l’ensemble des effectifs étudiants supplémentaires connaît une baisse par rapport à l’année précédente (– 1,5 %, soit – 43 900 étudiants ([11])). Mais cette tendance ne se traduit pas de la même manière dans le secteur privé – où les effectifs augmentent – et dans le secteur public, où ils enregistrent une diminution (– 3,1 %) ([12]).
Projection pour l’année 2023-2024
Selon le ministère chargé de l’enseignement supérieur, la tendance à la baisse des effectifs étudiants dans l’enseignement supérieur, constatée en 2022-2023, devrait se confirmer pour la rentrée 2023-2024, à hauteur de – 0,5 %, mais de façon plus modérée qu’en 2022.
Les pertes d’effectifs à l’université seraient en partie compensées par des hausses dans les établissements privés, sans que la donnée pour l’enseignement supérieur privé soit disponible à ce stade (1).
(1) Note flash SIES « Prévisions des effectifs dans l’enseignement supérieur – Rentrées 2023 et 2024 », n° 23, octobre 2023. « Les données concernant les inscriptions pour l’année scolaire 2023-2024 et à date de référence du 15 janvier 2024 sont en cours de collecte et seront disponibles à l’été 2024 » (contribution écrite du ministère chargé de l’enseignement supérieur, sous-direction des Systèmes d’information et études statistiques).
B.  malgrÉ l’absence de donnÉes prÉcises, cette progression semble en grande partie portÉe par la croissance de l’enseignement supÉrieur privÉ À but lucratif
1.  Jusqu’à 15 % de la totalité des effectifs étudiants seraient actuellement inscrits dans le secteur privé lucratif
En la matière, les données disponibles varient presque du simple au double, sans que les outils statistiques à disposition permettent d’en garantir la fiabilité.
Selon les données du ministère chargé de l’enseignement supérieur, le privé lucratif représenterait a minima 8 % de la population étudiante totale. Le tableau n° 4 ci-dessous indique un effectif de 226 000 étudiants inscrits dans les écoles sous statut de sociétés commerciales, structures à but lucratif (contrairement aux « associations » et aux « organismes consulaires », qui sont à but non lucratif). Même en y ajoutant les 11 000 étudiants de la catégorie « Autres », on obtient un effectif de 237 000 personnes, soit environ 8 % des effectifs totaux d’étudiants.
Les rapporteures estiment cette donnée largement sous-estimée. D’autres évaluations font par ailleurs état de taux aux alentours de 15 %.
Jean-Philippe Ammeux, à qui la direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (Dgesip) du ministère chargé de l'enseignement supérieur avait confié une mission sur l’enseignement supérieur privé lucratif en octobre 2022, estime en effet les effectifs du privé lucratif à environ 15 % de la totalité des étudiants, soit presque 450 000 étudiants (sur les 767 000 étudiants inscrits dans l’enseignement supérieur privé). Le président du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres) évoque un ordre de grandeur proche, autour de 400 000 jeunes. Environ la moitié des étudiants de l’enseignement supérieur privé pourraient donc être inscrits dans le secteur dit lucratif.
2.  Une incertitude importante sur le nombre d’établissements du privé lucratif
Lors de son audition par les rapporteures, la sous-directrice des Systèmes d’information et des études statistiques (SIES) du ministère chargé de l’enseignement supérieur a admis ne pas disposer, à défaut d’outil statistique adapté, de données précises et fiables quant au nombre d’établissements privés répartis selon leur nature juridique.
L’outil du SIES (cf. tableau n° 3 ci-dessous), fondé sur l’immatriculation UAI ([13]) des établissements (elle-même incomplète) et d’un panel d’enquêtes, ne renseigne pas la nature juridique des écoles.
Selon ce tableau, 3 137 établissements d’enseignement privés ([14]), sans distinction de leur nature juridique, accueillaient à la rentrée 2022 les 767 000 étudiants suivant une formation post-bac. Si on retire les sections de technicien supérieur (STS) et/ou classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) intégrées dans 859 lycées, on obtient un chiffre de 2 278 établissements privés d’enseignement supérieur, dont une catégorie « Autres », de loin la plus importante (1 322), ne fournit par nature aucun type d’information quant au profil de l’établissement.
TABLEAU N° 3
Un autre outil de collecte de données (voir le tableau n° 4 ci-dessous) – construit à partir d’un croisement entre les bases mentionnant le numéro d’immatriculation des établissements UAI et celles mentionnant les numéros SIREN actifs et valides (base Sirene ([15])) – permet de distinguer les statuts associatifs et commerciaux des structures mais est, d’après le SIES lui-même, incomplet.
Selon le tableau ci-après, le nombre d’établissements privés, tous statuts confondus, s’élèverait a minima à 2 656.
TABLEAU N° 4 : nombre d’établissements d’enseignement supérieur privés par catégorie juridique
Source : ministère chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche / SIES.
Quoiqu’incomplet, ce tableau fournit quelques renseignements utiles, dont l’intérêt doit cependant être relativisé compte tenu de son degré d’imprécision ([16]) :
– la majorité (56 %) des établissements privés seraient sous statut associatif, donc réputés à but non lucratif ;
– un peu plus du tiers (36 %) relèveraient d’un statut de société commerciale, soit à but lucratif ;
– 151 établissements, soit moins de 6 %, seraient des organismes consulaires (sans mention de leur statut juridique exact ([17])). Ce chiffre est proche de celui indiqué par la tête de réseau des chambres de commerce et d’industrie en France, CCI France.
Au vu des limites des outils actuels, les données disponibles restent parcellaires, ce qui ne permet ni d’évaluer exactement le volume actuel du privé lucratif ni, pour l’avenir, de connaître ses trajectoires de croissance.
Les rapporteures regrettent l’imprécision de l’outillage statistique qui ne permet pas d’identifier le caractère lucratif ou non lucratif des établissements. Au-delà , un tel constat conduit à s’interroger sur le degré d’exactitude des données portant sur le nombre total d’étudiants dans l’enseignement supérieur privé.
II.  un secteur difficile À identifier car non dÉfini en droit et mal connu des pouvoirs publics
En 2013, le législateur a souhaité reconnaître, au travers d’un contrat, le caractère non lucratif de certains établissements, en créant le statut spécifique des établissements d'enseignement supérieur privés d'intérêt général (EESPIG), lesquels sont soumis à un contrôle et une évaluation qualitatifs de l’État. Ce statut permet d’amorcer une définition de l’enseignement privé non lucratif.
À l’inverse, l’enseignement supérieur privé lucratif demeure un secteur non défini et encore largement méconnu des autorités ministérielles qui n’ont fait évoluer ni le cadre juridique, ni les outils statistiques et documentaires, qui permettraient de mieux cerner la réalité de ce secteur.
A.  comment dÉfinir l’enseignement supÉrieur privÉ À but lucratif ?
Pour être en mesure d’apprécier la réalité de l’enseignement supérieur privé lucratif en France, notamment dans sa dimension quantitative, il est indispensable au préalable d’adopter une définition partagée du périmètre que recouvre ce segment de l’enseignement supérieur.
Les auditions ont confirmé la difficulté d’élaborer une définition, en raison de la diversité des statuts juridiques et de l’imbrication des différents critères permettant de distinguer ce qui relève de l’activité commerciale lucrative de ce qui relève du secteur marchand non lucratif.
1.  Les notions de lucrativité et non-lucrativité ne sont pas définies par le cadre juridique de l’enseignement supérieur
La lucrativité se définit comme étant la recherche d’un profit, dans un but d’enrichissement, comme objectif principal ([18]). Contrairement aux États-Unis, le modèle français de l’enseignement supérieur privé ne s’est pas structuré autour de ce critère du profit.
C’est pourquoi, actuellement, aucune disposition normative de l’enseignement supérieur ne vient définir expressément la lucrativité d’un établissement d’enseignement supérieur privé, ce qui donne lieu à différentes interprétations, chacun appréciant à sa façon le comportement de l’établissement sur le marché de l’enseignement supérieur.
A contrario, le caractère non lucratif d’un établissement est mieux cadré juridiquement, avec des critères précis dégagés par le droit fiscal et la jurisprudence, et une reconnaissance, certes tardive et limitée, du concept par le droit applicable aux établissements d’enseignement supérieur.
a.  La reconnaissance récente par les codes de l’éducation et du travail du caractère non lucratif de certains établissements d’enseignement supérieur privés
Alors que le caractère non lucratif est identifié par le droit commun depuis longtemps, avec la loi de 1901 sur les associations ([19]) et le droit fiscal, la distinction entre la lucrativité et la non-lucrativité dans le champ de l’enseignement supérieur privé est expressément apparue dans le code de l’éducation avec la loi dite Fioraso du 22 juillet 2013 ([20]). Est créée à cette occasion une qualification d’EESPIG au bénéfice, comme le précise la loi, des seuls établissements « à but non lucratif », concourant aux missions de service public de l’enseignement supérieur ([21]).
Le statut d’EESPIG
La loi « Fioraso » de 2013 a créé le statut d’EESPIG, dont les contours sont fixés dans le code de l’éducation aux articles L. 732-1 à L. 732-3.
La mise en place des EESPIG peut être analysée comme le prolongement au supérieur du principe de contractualisation existant dans le primaire et le secondaire. Il convient de rappeler que ce type de contractualisation existe depuis 1984 pour ce qui concerne les relations entre les établissements agricoles privés et le ministère de l’agriculture. Le statut d’EESPIG dépend d’un double critère, le premier tenant à la finalité d’intérêt général, et le second étant relatif au statut de l’établissement, qui doit nécessairement être non lucratif .
Ainsi, en vertu de l’article L. 732-1 du code de l’éducation, des établissements d’enseignement supérieur privés à but non lucratif, concourant aux missions de service public de l’enseignement supérieur peuvent, à leur demande, être reconnus par l’État en tant qu’établissements d’enseignement supérieur privés d’intérêt général, par arrêté du ministre chargé de l’enseignement supérieur, après avis du comité consultatif pour l’enseignement supérieur privé.
Il est précisé que ne peuvent obtenir la qualification d’établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général que les établissements d’enseignement supérieur privés à but non lucratif créés par des associations ou des fondations reconnues d’utilité publique ou des syndicats professionnels.
Les contrats pluriannuels prévoient, sous réserve du respect des lois de finances, les modalités de soutien de l’État et les engagements de l’établissement en contrepartie. Les premiers contrats peuvent être signés pour une durée comprise entre un et cinq ans. Le renouvellement – pour cinq ans – passe par une évaluation du Hcéres (article D. 732-4 du code de l’éducation).
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Plus précisément, l’article L. 732-2 du code de l’éducation relatif aux EESPIG ([22]) associe le caractère non lucratif d’un établissement à une gestion désintéressée au sens de l’article 261 du code général des impôts (d du 1° du 7). Sont notamment examinées, pour qu’un établissement puisse obtenir la qualification d’EESPIG, les conditions d’indépendance de gestion, qui déterminent le caractère non lucratif ([23]).
Pour sa part, l’article L. 6241-5 du code du travail, introduit par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel (LCAP) du 5 septembre 2018 ([24]), reconnaît également le caractère non lucratif d’établissements privés d’enseignement supérieur, mais sans définir cette notion ni renvoyer à une autre disposition explicite pour sa définition.
La non-lucrativité au sens de l’article L. 6241-5 du code du travail est mentionnée mais pas définie
L’article L. 6241-5 du code du travail liste les différentes catégories d’établissements d’enseignement scolaire et supérieur et de formation habilités à percevoir le solde de la taxe d’apprentissage.
Contrairement à certaines catégories d’établissements qui sont organiquement aisément identifiables ou définis par la loi (1), les établissements privés relevant de l’enseignement supérieur gérés par des organismes à but non lucratif ou leurs groupements agissant pour leur compte (2) nécessitent d’être identifiés au cas par cas, au regard de leur caractère lucratif ou non lucratif supposé ou avéré. Cela implique, par conséquent, d’être en mesure de déterminer la non-lucrativité par l’examen de différents critères.
(1) Voir l’article L. 6241-5 du code du travail. Par exemple : les établissements publics d’enseignement du second degré ; les établissements d’enseignement privés du second degré gérés par des organismes à but non lucratif et qui remplissent certaines conditions (contrat avec l’État, habilitation à recevoir des boursiers nationaux, reconnaissance par l’État) ; les établissements publics d’enseignement supérieur ; les établissements gérés par une chambre consulaire et les établissements d’enseignement supérieur consulaire ; les écoles de la deuxième chance ; les écoles de production, etc.
(2) Une instruction interministérielle du 8 janvier 2024 est venue apporter une précision quant aux groupements : « pour qu’un groupement soit habilité, il ne doit être constitué que d’établissements eux-mêmes potentiellement habilitables à percevoir le solde de la taxe d’apprentissage » ; désormais, tant le groupement que les établissements qui le composent doivent satisfaire aux conditions de non-lucrativité.
Seul le droit fiscal, actuellement, précise les critères de la non-lucrativité des activités commerciales, en particulier celui de la gestion désintéressée.
b.  La notion de non-lucrativité est définie par le droit fiscal
À côté des entreprises commerciales dont la finalité première est la recherche d’un profit, un marché ouvert comprend aussi des structures dont le profit n’est pas l’objectif. Ces structures sont alors réputées à but non lucratif. L’activité lucrative ne constituant pas l’ensemble de l’activité marchande, un organisme privé non-lucratif dispose du droit de vendre des biens et services (secteur marchand), dès lors que la finalité ne consiste pas à tirer un profit individuel des bénéfices réalisés.
Afin de déterminer si un organisme réputé à but non lucratif exerce effectivement une activité non lucrative ([25]), le droit fiscal s’appuie sur l’examen de différents indices, le premier étant la « gestion désintéressée » (articles 261 et 242 C du code général des impôts), puis la situation de l’organisme au regard de la concurrence avec des entreprises lucratives du même secteur d’activité ([26]).
Le premier indice de la gestion désintéressée réside dans le bénévolat des dirigeants de l’association ([27]), qui doivent n’avoir aucun intérêt direct ou indirect dans les résultats de l’exploitation. Cependant, dans un secteur marchand fortement concurrentiel, y compris au niveau international, comme c’est le cas de l’enseignement supérieur privé, le bénévolat reste exceptionnel.
La loi prévoit donc la possibilité d’une rémunération des dirigeants, mais soumise à des conditions strictes, notamment en termes de plafonnement, qui déterminent le caractère lucratif ou non lucratif de l’activité exercée (voir annexe n° 1). Deux autres conditions sont également nécessaires : l’absence de redistribution directe ou indirecte de bénéfices, et l’interdiction pour les membres de l’organisme de posséder une part des actifs ; toute distribution directe ou indirecte de bénéfices, sous quelque forme que ce soit, est proscrite.
Si la gestion désintéressée est avérée au regard de tous les critères mentionnés, le droit fiscal examine les indices liés à la concurrence. Les conditions de concurrence avec les entreprises commerciales lucratives, la disponibilité des produits, les publics visés par l’activité, les prix affichés différents du secteur concurrentiel, les éléments de communication externe, etc. sont autant d’éléments à prendre en considération pour apprécier la non-lucrativité initialement présumée.
Cependant, ainsi que le souligne un rapport de l’Inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale et de la recherche (IGAENR) de 2015 ([28]), ces critères ne sont pas toujours aisés à appréhender. Dans le champ de l’enseignement supérieur, il est manifeste que des établissements privés à la structure associative pourraient « être réintégrés dans le secteur lucratif, parce que […] leurs pratiques commerciales sont clairement concurrentielles, notamment par l’utilisation intensive de la publicité » ([29]). Il ressort en effet des auditions conduites par les rapporteures que, rapportés au nombre d’élèves inscrits, les budgets de communication de certains établissements privés sous format associatif, donc réputés à but non lucratif, équivalent voire dépassent les budgets d’écoles privées à but lucratif.
c.  Le contrôle par le ministère chargé de l’enseignement supérieur de la réalité du caractère non lucratif d’un établissement d’enseignement supérieur privé
Appuyé par le comité consultatif pour l’enseignement supérieur privé, le ministère de l’enseignement supérieur vérifie, au regard des critères définissant la non-lucrativité, notamment la gestion désintéressée ([30]), si les conditions sont réunies pour délivrer ou renouveler la qualification d’EESPIG ([31]).
Dans ce cadre, suite à une décision ministérielle de refus du renouvellement de la qualification d’EESPIG, le juge administratif, saisi par l’établissement concerné, a été amené à rappeler ([32]) les différents critères matériels qui établissent le caractère non-lucratif (voir encadré ci-dessous).
La porosité entre deux structures d’un groupe d’enseignement – l’une à but non lucratif (formations initiales gérées par l’école sous statut d’EESPIG), l’autre dotée d’une structure commerciale (prestations de formation continue) –, les éléments de communication externe ainsi que l’absence de séparation des marques sont, parmi d’autres, au nombre des éléments déterminants pour apprécier la non-lucrativité d’un organisme. Le juge administratif considère que la qualité d’organisme à but non lucratif ne tient plus dès lors que, au sein d’un même groupe, la société commerciale, « organisme à but lucratif, profite de l’image de l’association à travers la marque » et que la communication indifférenciée sur le site internet, crée « une confusion, auprès du public, entre les deux structures, dont une seulement a le qualificatif d’intérêt général. » ([33])
Le contrôle par le juge administratif du caractère non lucratif d’un établissement d’enseignement supérieur privé : l’exemple de l’Institut supérieur du commerce (ISC)
Par arrêté du 8 juin 2016, le ministre chargé de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation a reconnu la qualification d’EESPIG à l’association Institut supérieur du commerce (ISC). La demande de renouvellement de cette qualification, arrivée à son terme le 31 décembre 2018, a été rejetée par une décision du 21 juin 2019, confirmée le 15 octobre 2019.
La décision ministérielle de refus du renouvellement, validée par le juge administratif (1), se fonde sur des éléments matériels qui attestent d’un défaut d’autonomie de la gouvernance et de non-lucrativité de l’association ISC :
– absence de séparation de propriété et d’utilisation des marques entre la structure lucrative et l’association, ce qui conduit à une utilisation indifférenciée de la marque ISC pour les formations gérées par l’association et pour celles gérées par la société commerciale, et concourt à une indifférenciation des dépenses ;
– communication trompeuse, du fait de l’utilisation sur le site internet de l’école de la marque ISC à la fois pour les formations gérées par l’association et pour celles gérées par la structure lucrative ;
– manque d’étanchéité entre la direction de l’association ISC et celle de la structure lucrative ;
– confusion de direction pédagogique et opérationnelle entre les deux structures.
La décision de refus ministériel de renouvellement est sans effet sur le statut juridique à but non lucratif de l’établissement ; seule la qualification d’EESPIG est retirée.
(1) Tribunal administratif de Paris, n° 1926896/1-1, 16 juin 2021.
2.  Une proposition de définition : malgré ses limites, le statut juridique de l’établissement apparaît comme le seul critère opérationnel aisément identifiable pour déterminer le caractère lucratif d’un établissement
Les rapporteures se sont essayées à examiner les critères permettant de caractériser aisément, sans recourir au faisceau d’indices du droit fiscal, la lucrativité ou la non-lucrativité d’un établissement de l’enseignement supérieur privé.
Le secteur lucratif ne se confond pas avec l’activité marchande. Les établissements d’enseignement supérieur relevant d’un statut privé, dont le modèle économique repose pour l’essentiel sur une prestation payante (par les étudiants), n’ont pas tous une finalité lucrative. Le principe qui prévaut pour tous les établissements privés, quels que soient leurs statuts, est le financement des prestations fournies par le paiement d’un prix par l’étudiant, dans le cadre d’un contrat commercial, et la réalisation de marges bénéficiaires. Aucun établissement privé d’enseignement supérieur, qu’il présente ou non un but lucratif, n’échappe à ce principe.
Dès lors, la perception de frais de scolarité et la réalisation de bénéfices ne sont pas des éléments discriminants permettant de distinguer lucratif et non lucratif.
Il est apparu que le critère de distinction le plus facilement identifiable demeure le statut juridique de l’établissement. C’est en effet le statut qui détermine la capacité juridique d’une école à décider de la finalité des bénéfices qu’elle dégage (redistribution sous forme de dividendes, réinvestissement dans l’établissement, politique d’acquisition, etc.).
Ainsi les sociétés commerciales, à but lucratif, dont l’objectif est la réalisation de profits, décident librement de la destination de leurs bénéfices. À l’inverse, les organismes dits à but non lucratif, qu’il s’agisse des associations « loi 1901 » ou des établissements consulaires (lesquels d’ailleurs ont souvent adopté un statut associatif) n’ont pas pour objectif premier de dégager des profits, et sont soumis à des règles contraignantes pour la destination de ces derniers.
Toutefois, le critère du statut juridique pose un certain nombre de difficultés, liées notamment aux associations réputées non lucratives qui masquent en réalité des activités commerciales ou aux établissements consulaires constitués sous forme de sociétés commerciales.
À défaut de meilleurs critères cependant, le statut juridique de l’établissement paraît demeurer l’élément le plus aisément identifiable pour le public, sous réserve que cette donnée soit effectivement renseignée, et mobilisable pour les bases de données ministérielles (systèmes d’information).
Selon les données du SIES et en dépit des réserves qu’elles suscitent, un peu plus du tiers des établissements d’enseignement supérieur privés relèvent d’un statut de société commerciale. Le caractère commercial d’une société est déterminé par sa forme ou par son objet. Sont commerciales à raison de leur forme, les sociétés par actions ([34]) ; elles sont inscrites au registre du commerce.
Plus que pour les autres modes de gouvernance des écoles, le statut commercial recouvre un spectre très large quant à la qualité des établissements, lesquels vont de l’école séculaire dont les formations sont soumises à évaluation jusqu’aux « officines », pour qualifier ainsi certains établissements aux méthodes peu scrupuleuses dont la qualité pédagogique peut être mise en cause.
Dans le champ de l’enseignement supérieur comme pour toute activité commerciale, les établissements, et, plus généralement, les groupes auxquels ils appartiennent, peuvent faire appel à des investisseurs. La rémunération de ces derniers peut prendre plusieurs formes, non exclusives : la perception plus ou moins immédiate de dividendes et/ou la plus-value lors de la cession des actifs.
Bien qu’il ne soit pas systématiquement retenu, le modèle actionnarial est le plus répandu parmi les établissements d’enseignement supérieur privés à but lucratif.
Les actionnaires sont les propriétaires de l’entreprise et celle-ci doit être gérée de manière à maximiser sa valeur et les intérêts des actionnaires, à travers diverses stratégies. Cela peut en conséquence influer sur les décisions de gestion concernant l’allocation des ressources, les investissements, et, au final, la qualité des formations et des conditions d’étude. Dans un groupe structuré sur plusieurs niveaux intermédiaires de contrôle, les dividendes « remontent » soit pour être réinvestis dans des cibles prioritaires du groupe, soit pour alimenter la tête de groupe.
Comme dans toute entreprise commerciale, l’actionnaire d’un établissement d’enseignement supérieur privé investit en vue d’un retour financier : l’école devient alors un actif qu’il convient de valoriser. Sans préjuger de la qualité des formations, de l’accomplissement de la mission éducative et de l’accompagnement des étudiants en vue de leur réussite sociale, la performance de l’établissement ne vise pas seulement à atteindre l’équilibre financier mais à dégager la meilleure rentabilité.
Lors des auditions, le groupe Galileo Global Education (GGE) a confirmé ne pas verser de dividendes à ses actionnaires ([35]), l’ensemble des marges dégagées étant systématiquement réinvesties. Mais la décision de ne pas distribuer de dividendes est sans incidence sur le caractère lucratif d’une école ou d’un groupe. Cela relève, non d’une contrainte juridique, mais d’une stratégie d’entreprise, notamment en vue d’une valorisation des actifs à moyen ou long terme.
Un autre mode de valorisation de l’entreprise et de « rémunération » des investisseurs consiste en la cession de tout ou partie des actifs lors de la vente d’actions sur le marché secondaire, ou par la revente à terme de l’ensemble des actifs. C’est notamment la modalité mise en œuvre par les fonds d’investissement qui entrent au capital pour une durée limitée, privilégiant à la distribution de dividendes, la plus-value sur la cession de telle école ou de telle marque.
Pour les dirigeants, la rémunération est librement décidée par l’entreprise, et peut être complétée par la perception d’actions gratuites. Cela différencie la société commerciale des associations à but non lucratif, dont la rémunération des dirigeants est soumise à des plafonds définis par la loi, et pour lesquels la perception d’actions est interdite.
Le statut associatif est actuellement la forme juridique la plus répandue dans le secteur dans l’enseignement supérieur privé. Selon les données du SIES, plus de la moitié des acteurs de l’enseignement supérieur privé relèvent d’un format associatif (format d’« association déclarée »). Ce modèle est largement prédominant dans les grandes écoles de commerce et d’ingénieurs, y compris pour les écoles consulaires ([36]).
L’association « loi 1901 » est un regroupement de personnes, non systématiquement bénévoles, autour d’un projet commun qui n’a pas pour objectif de réaliser des bénéfices. Aux termes de la loi de 1901, elle est la convention par laquelle des personnes « mettent en commun, d’une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices » ([37]).
Une association doit ainsi remplir un certain nombre de critères qui déterminent effectivement son caractère non lucratif : une gestion désintéressée notamment, et, si elle se livre à une activité concurrentielle, elle doit l’exercer dans des conditions différentes de celles des entreprises commerciales. Cela n’exclut pas de faire des bénéfices, mais la finalité ne doit pas être guidée par la recherche du profit. En conséquence, les profits dégagés doivent être obligatoirement réinvestis dans l’établissement, au bénéfice des activités éducatives.
Ces associations sont par conséquent réputées à but non lucratif, tant qu’il n’a pas été avéré qu’elles exercent de fait une activité lucrative au regard du droit fiscal.
Dans un fort environnement concurrentiel, qui requiert parfois des investissements financiers lourds, le statut associatif peut présenter un caractère insuffisamment sécurisé.
À cet égard, si certaines écoles décident de basculer vers un statut commercial ([38]), d’autres se livrent, de manière directe ou indirecte, à des activités commerciales à but lucratif sans changer de statut juridique, notamment car elles en retirent un avantage concurrentiel, les activités non lucratives exonérant du paiement des impôts commerciaux ([39]).
Les auditions conduites par les rapporteures ont montré que certains établissements sous statut associatif, même s’ils n’attribuent pas de dividendes, génèrent en réalité des profits en faveur de sociétés strictement commerciales avec lesquelles ils entretiennent des relations en amont ou en aval de leur propre activité. Cela peut concerner le versement de loyers importants à des sociétés propriétaires des locaux où ils exercent leurs activités, ou le paiement de services pour des activités intermédiaires intervenant dans le cycle de production de leurs propres activités. Par exemple, une école peut s’équiper auprès d’un prestataire informatique qui appartient au même groupe. Cela relève d’un conflit d’intérêts entre l’école et l’entreprise commerciale, qu’il est cependant souvent difficile d’identifier.
Deux écoles – l’une, vitrine d’une marque, sous statut associatif, et l’autre sous statut de société commerciale – peuvent coexister au sein d’une marque commune. Au-delà de confusions organique ou comptable, facilement identifiables, des éléments moins reconnaissables peuvent aussi traduire une porosité entre les deux structures (dénomination extrêmement proche, communication indifférenciée), et constituer des indices d’une finalité de facto lucrative.
Le réseau des établissements consulaires, qui sont rattachés juridiquement et financièrement, à des degrés divers, aux chambres de commerce et d’industrie (CCI) ([40]), illustre également la complexité du cadre juridique de l’enseignement supérieur privé, marqué par la pluralité des statuts et leur imbrication.
La spécificité des écoles consulaires est qu’elles peuvent en effet choisir, avec l’accord de la CCI dont elles dépendent, leur statut juridique, lequel va déterminer non seulement leur degré d’autonomie vis-à -vis des CCI mais encore leurs marges de manœuvre sur le marché de l’enseignement supérieur privé, et donc leur rapport à la lucrativité.
Régies par les dispositions législatives applicables aux écoles techniques privées et dotées d’un mode de gouvernance similaire à celui des établissements privés, les écoles consulaires n’en restent pas moins des structures dépendant, en tout ou partie, des CCI, elles-mêmes établissements publics administrativement rattachés au ministère chargé de l’économie, du commerce et de l’industrie ([41]), et investis, aux termes de la loi, d’une mission de service public et d’intérêt général ([42]).
La majorité des écoles consulaires (voir annexe n° 2) se range donc :
– soit du côté hybride public-privé non lucratif, pour les quelques écoles en service consulaire sans statut juridique propre ([43]), sorte de régie directe des CCI ;
– soit du côté du privé non lucratif, de nombreux établissements étant dotés d’un statut associatif (avec le cas échéant la qualification d’EESPIG ([44])), notamment une grande partie des écoles supérieures de commerce et des écoles d’ingénieurs ([45]).
Il existe enfin une autre catégorie d’établissements consulaires, dotés d’un statut de société anonyme et recourant à l’actionnariat qui, selon les responsables de CCI France auditionnés, ne sauraient cependant être qualifiés de lucratifs, en raison des contraintes posées par la loi sur leur statut.
Les sociétés anonymes établissements d’enseignement supérieur consulaires (SA EESC ou EESC ([46])) sont des écoles d’enseignement supérieur privées régies par les dispositions législatives applicables aux sociétés anonymes ([47]). À ce titre, ces établissements peuvent recourir à l’actionnariat privé, en ouvrant leur capital à des actionnaires extérieurs au monde consulaire, ce que ne permet pas le statut associatif.
Ce nouveau statut des écoles consulaires vise à diversifier les sources de revenus pour faire face à la diminution constante de leurs ressources financières suite au désengagement progressif des actionnaires historiques – les CCI – dans un contexte de concurrence internationale (classements, accréditations, compétition pour attirer professeurs et étudiants), qui exige des investissements pour assurer la croissance des activités ([48]). Ces écoles peuvent bénéficier à la fois d’une capacité financière pour mettre en œuvre leur stratégie de développement, et d’une souplesse de gestion propre aux entreprises privées (capacité de lever les fonds via l’actionnariat, valorisation du capital foncier, marges de manœuvre en matière de recrutement et de partenariat, capacité d’endettement, flexibilité dans la gestion quotidienne des activités, etc.).
Les EESC disposent d’une structure financière bien définie et indépendante, et ont un fonctionnement distinct de celui de la CCI, avec un conseil d’administration composé d’élus consulaires, de représentants des salariés et des étudiants ainsi que de personnalités qualifiées (chefs d’entreprise, acteurs académiques, etc.).
Cependant, l’actionnariat est contraint et n’offre pas une totale liberté aux actionnaires, ce qui rapproche les EESC des organismes à but non lucratif.
Le schéma de gouvernance imposé par la loi :
– d’une part, garantit la majorité des droits de vote pour le monde consulaire et l’absence de minorité de blocage : la CCI doit rester actionnaire majoritaire à hauteur d’au moins 51 %, et aucun investisseur privé ne peut détenir plus de 33 % du capital ([49]) ;
– d’autre part, proscrit le versement de dividendes en dehors de l’établissement, le code de commerce exigeant le réinvestissement des résultats financiers dans la structure de l’entreprise ([50]), notamment afin de financer la recherche, essentielle pour les écoles.
L’entrée dans le capital d’une EESC fait l’objet d’une décision de la CCI concernée. Rien n’empêche juridiquement un fonds d’investissement de capital-risque (private equity) de devenir actionnaire, mais les barrières statutaires à l’entrée dans leur capital paraissent dissuasives pour des fonds d’investissements en quête de performances financières ou des investisseurs d’envergure. L’investisseur extérieur privé ne peut donc que parier sur la valorisation de l’école à terme pour revendre ses actions et dégager une plus-value. Cette possibilité de plus-value « à la sortie » interdit à ce stade aux EESC d’obtenir la qualification d’EESPIG.
Les EESC Sur le site de la direction générale des entreprises (1), on dénombre actuellement 19 EESC. Alors que la plupart de grandes écoles françaises de commerce rattachées aux CCI étaient auparavant sous statut associatif, sept des 16 écoles supérieures de management ont adopté le statut d’EESC (HEC, ESCP Europe, Neoma Business School, Audencia, Burgundy School of Business, Grenoble École de Management, Toulouse Business School). Sur les 20 écoles de gestion et de commerce (EGC), deux ont adopté le statut d’EESC. Les écoles de spécialité de la CCI Île-de-France (Gobelins, École supérieure de la mode et du luxe, LEA-CFI, Ferrandi) sont également passées sous statut d’EESC. |
Enfin, on notera, pour mémoire, le cas d’emlyon (groupe GGE), anciennement école consulaire sous statut associatif, privatisée en 2019, et actuellement sous statut de société anonyme, sans les contraintes du statut d’EESC. Selon les responsables de CCI France auditionnés, ce serait là un cas unique dans le paysage consulaire. Emlyon a adopté en 2021 le label de « société à mission ».
Non spécifique à l’enseignement supérieur, le label « société à mission » ([51]), prévu à l’article L. 210-10 du code de commerce, est réservé aux seules sociétés commerciales, y compris les EESC. Ce label peut être attribué, à leur demande, aux sociétés qui intègrent des objectifs sociaux et/ou environnementaux dans leurs statuts, permettant d’inscrire une dimension supplémentaire à celle du profit. Certaines écoles privées renommées ont adopté ce label, même si leur nombre reste encore modeste ([52]).
L’attribution du label n’a aucun effet sur le statut juridique de l’établissement bénéficiaire. Cependant, certaines écoles semblent entretenir volontairement la confusion en affichant un « statut de société à mission » ([53]), comme s’il s’agissait d’un statut juridique à mi-chemin entre l’associatif et le commercial. La Fédération des établissements d’enseignement supérieur d’intérêt collectif (Fesic) dénonce ce label, craignant qu’il ne soit détourné pour justifier la transformation d’établissements d’enseignement supérieur associatifs en sociétés commerciales, affublées du « faux nez » de « société de mission » ([54]). En matière d’enseignement supérieur, cela pourrait dissimuler l’entrée en jeu, discrète, des actionnaires avec un objectif de rentabilité financière.
Les établissements d’enseignement supérieur ayant adopté le label de
« société à mission »
Des écoles membres de la CGE (les quatre grandes écoles d’ingénieurs du groupe Ionis (1), Grenoble École management, emlyon, Toulouse BS), des écoles reconnues par l’État (Aivancity) mais aussi des groupes d’enseignement supérieur (Collège de Paris, Eureka Education) ont adopté ce label.
(1) EPITA, Institut polytechnique des sciences avancées (IPSA), École spéciale de mécanique et de l’électricité (ESME Sudria), Sup Biotech.
B.  le secteur privÉ lucratif reste un « angle mort » de la connaissance de l’enseignement supÉrieur
En dépit d’une prise de conscience récente du besoin d’une meilleure connaissance de l’enseignement supérieur privé dit lucratif, les rapporteures observent que ce champ reste un « angle mort » pour nombre d’acteurs ministériels.
La connaissance fine par les pouvoirs publics de ce type d’établissements privés est matériellement freinée par l’absence d’une catégorie dédiée. Les établissements privés lucratifs sont inconnus tant du cadre juridique que des systèmes ministériels d’information et de pilotage (cf. infra). La documentation institutionnelle ou issue de la recherche est également très lacunaire.
1.  L’enseignement supérieur privé lucratif : un objet non identifié par les pouvoirs publics
« Alors que la montée en puissance de l’enseignement supérieur privé pose naturellement des questions sur l’évolution des rapports entre la sphère publique et la sphère privée, le sujet reste relativement "tabou" » observe le rapport de l’IGAENR de 2015 ([55]).
L’impression des rapporteures de faire face à une « zone grise » s’est forgée au fil des auditions avec les différents responsables ministériels, tous secteurs confondus. Deux éléments matériels, peu signifiants pris indépendamment, semblent parfaitement illustrer ce constat.
À cet égard assez révélatrice, la page internet du site du ministère chargé de l’enseignement supérieur ([56]) consacrée aux établissements privés d’enseignement supérieur (non actualisée depuis 2019) ne mentionne pas le secteur lucratif. Reflet du cadre juridique qui associe la non-lucrativité aux seuls EESPIG, sous contrat avec l’État ([57]), un lien renvoie à la page consacrée à cette seule catégorie d’établissements déterminés par la loi comme non lucratifs. Or, la non-lucrativité ne se réduit pas aux seuls EESPIG ; d’autres établissements privés d’enseignement supérieur ne sont pas à but lucratif.
Un second exemple concerne les récents programmes de travail de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR), cosignés par la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. L’enseignement supérieur privé lucratif n’apparaît à aucun moment comme objet des réflexions ministérielles.
Par ailleurs, les rapporteures ne peuvent que souligner la rareté documentaire institutionnelle.
Une documentation institutionnelle très lacunaire
Le champ de l’enseignement supérieur privé lucratif n’a pas donné lieu à des travaux institutionnels, qu’il s’agisse du ministère chargé de l’enseignement supérieur, à travers l’inspection générale, ou des institutions nationales de contrôle. La liste des rapports de l’IGESR, consultée pour les années de 2021 à 2023, ne mentionne aucune étude portant directement sur le secteur privé lucratif.
On note néanmoins des travaux de l’IGESR (1) ou de la Cour des comptes sur des secteurs thématiques connexes qui éclairent la forte croissance de ce secteur (par exemple, pour les écoles d’art).
Le rapport de l’IGAENR de 2015 constitue une source de données précieuse sur l’enseignement supérieur privé mais ne s’attache pas en particulier au secteur lucratif, à une époque où celui-ci n’avait pas connu une expansion importante.
Au final, les seuls travaux abordant avec précision l’enseignement supérieur privé lucratif sont les rapports du médiateur de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur de 2012 et de 2022, alors que la mission du médiateur, sur le plan juridique, ne concerne que le secteur public.
(1) Cependant une majeure partie des rapports de l’IGESR n’étant pas publiée, il est impossible de dire dans quelle mesure les inspecteurs généraux s’emparent éventuellement de la problématique du privé lucratif au travers des sujets qu’ils sont amenés à traiter https://www.aefinfo.fr/depeche/708860
De manière générale, une certaine invisibilité semble s’associer à l’enseignement supérieur privé lucratif, qui est appréhendé indistinctement, dans l’ensemble plus vaste de l’enseignement supérieur privé. Les diverses prises de position ministérielles expriment clairement l’absence de prise en compte de la nature juridique des établissements privés et de leur caractère lucratif ou non lucratif dans la réflexion sur la qualité de l’offre de formation ([58]).
2.  L’enseignement supérieur privé lucratif est un objet mal cerné par la recherche
Sans doute parce que la percée de l’enseignement supérieur privé lucratif en France est récente, contrairement aux États-Unis, ce champ demeure encore méconnu des chercheurs, peu nombreux à s’être emparés de cet objet ([59]). On peut néanmoins mentionner les travaux des sociologues Agnès Van Zanten et Aurélien Casta, et de l’économiste Julien Jacqmin, entendus par les rapporteures, ainsi qu’une étude à l’initiative de Laurent Batsch, ancien président de l’Université Paris-Dauphine, publiée pour la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) ([60]) .
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Par ailleurs, ainsi que cela a été rappelé par les enseignants-chercheurs entendus par les rapporteures, le manque de travaux provient également de la singularité d’un secteur privé non astreint à la diffusion de ses données, en raison de leur nature commerciale.
La difficulté de collecte des données auprès d’écoles-entreprises, réticentes à fournir certaines informations, qu’il s’agisse d’éléments financiers ou comptables, de données sur la « sociologie » des étudiants (profil, types de bac d’origine, etc.) ou même du nombre des étudiants, a été soulignée à plusieurs reprises. Un document du SIES sur le nombre d’étudiants dans les établissements d’enseignement supérieur privés rappelle à cet égard que « certains effectifs d’étudiants inscrits ne sont pas diffusés à la demande de l’établissement » ([61]).
En outre, il ressort des auditions que certaines sociétés organisatrices de salons étudiants, qui participent au processus d’orientation des néo-bacheliers, ne souhaitent pas transmettre aux chercheurs leurs données de clientèle des salons, arguant qu’il s’agit de données commerciales ne relevant pas du domaine public et donc non soumises à transmission. Il convient de rappeler que ces données individuelles sont valorisables, puisque potentiellement cessibles à des entreprises commerciales pour la vente de produits et services (banques, etc.).
Certains chercheurs souhaiteraient ainsi « une action de l’État pour obliger la transmission de données ». À défaut d’obtenir les moindres chiffres, il ne pourra pas y avoir de « grande enquête » sur l’enseignement supérieur privé lucratif. Enfin, a été évoquée l’idée que l’absence de cotation en bourse de certains des plus grands groupes privés d’enseignement pourrait participer, entre autres motifs, d’un choix stratégique de se soustraire à certaines obligations de publication de comptes.
C.  UNE OBLIGATION DE PUBLICITÉ DU STATUT JURIDIQUE PEU RESPECTÉE et des systÈmes d’information n’intÉgrant pas la donnÉe du statut juridique
Partant du postulat que l’un des critères pertinents et facilement identifiables pour définir le caractère lucratif d’un établissement était son statut juridique, les rapporteures ont voulu connaître le degré d’accessibilité à ce type d’information qui, de prime abord, pourrait paraître relativement simple. En effet, tant les sociétés commerciales que les associations doivent faire l’objet d’un enregistrement sur des bases nationales : registre du commerce et des sociétés (RCS) pour les entreprises commerciales ; répertoire national des associations (RNA) ou système national d’identification des entreprises et leurs établissements (Sirene) pour les associations. L’information existe donc.
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Or, les auditions ont montré que les « outils » du ministère de l’enseignement supérieur, qu’il s’agisse d’information à destination du public ou de pilotage par les données statistiques, n’intègrent pas le paramètre du statut juridique d’un établissement.
1.  Pour les familles, une information déficiente
À l’exception des EESPIG et des EESC (soit moins de 85 établissements), dont les statuts sont bien identifiés et les listings aisément accessibles, il s’avère que l’information relative au statut juridique d’un établissement privé d’enseignement supérieur n’est pas une chose aisée à trouver.
Même si cette information ne garantit aucunement la qualité des formations proposées par l’établissement, il n’existe aucune raison que le « consommateur » ne puisse aisément accéder à cette donnée qui, parmi d’autres, est susceptible d’éclairer un choix d’orientation, entre une école gérée par une société commerciale et une autre sous statut associatif.
L’absence de tout répertoire national des établissements privés d’enseignement supérieur, avec mention du statut juridique, contraint l’usager à une gymnastique de recherches, plus ou moins fructueuses, sur différents sites internet.
En premier lieu, aucune des listes fixées par arrêtés ministériels et interministériels portant reconnaissance par l’État soit des établissements, soit des diplômes, ne mentionne le statut juridique des établissements. Cela révèle le caractère secondaire, voire inutile, de cette information pour les autorités ministérielles.
En second lieu, on constate que les sites d’information et d’orientation publics de Parcoursup et de l’Onisep ne contiennent aucune information utile sur la nature juridique de l’établissement. Cela étant, la majeure partie des formations proposées par les établissements privés lucratifs (statut étudiant et alternance) ne sont pas sur Parcoursup.
Parcoursup n’indique pas le statut juridique de l’établissement
À la rentrée 2023, on dénombrait dans Parcoursup (1) 4 800 formations dans les rubriques « Privés enseignement supérieur » et « Privés hors contrat » (2), soit environ 20 % du total des formations proposées.
Les périmètres de ces rubriques ne tiennent pas compte du critère du statut juridique de l’établissement. La rubrique « Privés enseignement supérieur » recouvre ainsi le champ associatif (dont les EESPIG ) mais également le privé lucratif (sociétés commerciales). Le « privé hors contrat » regroupe des écoles professionnelles et des centres de formation des apprentis qui préparent principalement à des BTS en apprentissage.
(1)Â https://dossier.parcoursup.fr/Candidat/carte
(2) Les deux autres catégories sont : publics ; privés sous contrat, qui regroupent principalement des lycées privés proposant des brevets de technicien supérieur (BTS) ou des classes préparatoires aux grandes écoles, des instituts privés dispensant des cursus d’infirmiers ou de travailleurs sociaux, des CFA et des établissements privés dont les formations sont contrôlées par l’État (ex : diplôme national des métiers d’art et du design, DNMADE).
En troisième lieu, les écoles privées, y compris celles à but non lucratif (à l’exception des EESPIG) n’affichent que rarement leur statut juridique dans une rubrique soit d’accès intuitif, soit directement accessible. Alors que le code de l’éducation prévoit l’obligation pour les établissements privés de faire figurer « dans leur publicité une mention précisant leur statut et la nature de leurs relations avec l’État » ([62]), force est de constater que cette obligation n’est pas respectée sur les sites internet des écoles ([63]). Les mentions se limitent généralement à la catégorie juridique de l’établissement, peu lisible pour le public, définie dans le code de l’éducation ([64]).
On peut néanmoins trouver la mention du statut juridique dans la rubrique « mentions légales » du site internet ou, à défaut de cette mention expresse, un numéro d’immatriculation, qui permet une recherche sur les bases de l’Insee (Sirene ([65])) ou du registre du commerce ([66]). Ces derniers sites permettent en effet d’obtenir, de manière assez fiable, le statut juridique de l’école, dès lors que la recherche est correctement renseignée ([67]).
Cependant, d’une part, cela oblige à une gymnastique de recherche potentiellement dissuasive et, d’autre part, les rapporteures sont convaincues que la grande majorité des néo-bacheliers et leurs familles n’ont aucunement connaissance de l’existence de ces sites, ou du lien qu’ils peuvent avoir avec une recherche d’informations sur un établissement d’enseignement.
Au final, les rapporteures regrettent que la seule solution pour accéder, avec une certaine garantie de réussite et de fiabilité, à l’information relative au statut juridique d’une école soit de recourir à des bases en ligne sans lien avec l’orientation post-bac externes au ministère de l’enseignement supérieur, et sans aucun doute ignorées du grand public.
2.  Au niveau des pouvoirs publics : l’absence de cartographie de l’enseignement supérieur privé lucratif rend impossible son suivi et obère la délivrance d’une information complète au public
Les différentes auditions avec les responsables ministériels ont mis en évidence un constat : l’absence de toute cartographie nationale de l’enseignement supérieur privé mentionnant le statut juridique des établissements à but lucratif, et toute autre donnée utile permettant de connaître la « sociologie » des jeunes concernés.
Une cartographie des établissements paraît exister dans certaines régions académiques ([68]). Mais, d’une part, la situation est très hétérogène selon les territoires et, d’autre part, le ministère de l’enseignement supérieur n’est pas en mesure de garantir ni l’exactitude ni la complétude de l’information collectée.
a.  Un secteur de l’enseignement supérieur privé lucratif trop mal connu par les autorités ministérielles
Les auditions ont démontré une connaissance pour le moins lacunaire de l’enseignement supérieur privé à but lucratif, tant par le ministère de l’enseignement supérieur que par celui du travail, qu’il s’agisse du nombre d’établissements ou de formations, ou des effectifs d’étudiants et d’alternants qui y sont inscrits. Nul ne semble actuellement en mesure de disposer de statistiques fiables et exhaustives pour ce segment, qui n’est pas – ou trop peu – identifié dans les systèmes d’information.
De l’aveu des services statistiques ministériels de l’enseignement supérieur, si « le dispositif de synthèse effectué par le SIES, à partir de l’ensemble des dispositifs de remontées de collectes, permet de connaître un nombre d’écoles et d’établissements d’enseignements supérieur […] il reste difficile de connaître […] le nombre d’écoles avec exactitude ».
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Il s’ensuit que les données chiffrées sur les établissements et les effectifs d’étudiants transmises aux rapporteures par le ministère de l’enseignement supérieur, outre qu’elles sont manifestement incomplètes, jettent un doute sur l’exactitude de l’ensemble statistique des effectifs étudiants de l’enseignement supérieur privé, comme les rapporteures ont pu l’entendre lors d’auditions.
Les données de fichiers en accès libre (voir encadré ci-dessous) illustrent les limites des bases de données ministérielles en la matière.
Des fichiers ministériels d’établissements en open data
soit incomplets soit non renseignés
Un premier fichier, qui mentionne le statut juridique des établissements, ne référence que les « établissements qui sont accrédités à délivrer un grade de master et/ou doctorat ». On y recense en conséquence seulement 80 établissements privés, dont aucun, en-dehors des EESC, n’a un statut de société commerciale (1), alors que certains de ces établissements sont effectivement accrédités à délivrer les grades de master.
Un second fichier (2), beaucoup plus complet, recense les effectifs par établissements ; le caractère privé ou public y est mentionné, mais pas l’information sur le caractère juridique des statuts associatif, consulaire et commercial.
Il n’existe a fortiori aucune donnée disponible sur la sociologie des étudiants inscrits dans les formations du secteur privé lucratif mentionnant, par exemple, le type de bac obtenu, ce qui permettrait de donner une idée, même approximative, des classes sociales les plus sensibles aux offres de formation proposées par ce secteur, ou le niveau d’études atteint. Ce type d’information statistique serait pourtant d’une grande utilité puisqu‘il permettrait d’identifier précisément le type de populations étudiantes attirées par ces écoles.
S’il ressort des auditions que les formations du secteur privé lucratif, en dépit de frais de scolarité élevés au regard des revenus des familles, semblent principalement attirer des jeunes issus d’un milieu social modeste, les rapporteures ne sont cependant pas en mesure d’objectiver cette estimation, faute de données statistiques disponibles.
Pour les rapporteures, cette carence est d’autant plus surprenante que quelques travaux, à l’initiative de l’inspection générale du ministère chargé de l’enseignement supérieur ou de la Cour des comptes, ont mis en exergue l’insuffisance de la donnée statistique (voir l’encadré ci-dessous).
Les alertes de l’inspection générale du ministère de l’enseignement supérieur et de la Cour des comptes
Dans son rapport de 2015, l’inspection générale recommandait d’« affiner les données statistiques disponibles sur les établissements privés au niveau des rectorats et du ministère » (1).
De manière générale, les inspecteurs généraux sont surpris par le défaut d’indicateurs disponibles pour le secteur de l’enseignement privé :
« Les indicateurs fins manquent ; ainsi la mission n’a pu rassembler des données consolidées sur l’orientation des néo-bacheliers, ce qui est pourtant un indicateur essentiel pour analyser l’évolution des effectifs et l’attractivité respective des formations publiques et privées. Plus globalement, la mission a eu le sentiment qu’au sein des rectorats – et même là où le poids du privé est considérable – les indicateurs de suivi de cette population sont peu utilisés dans le pilotage de l’académie ; l’attractivité relative des différents types d’établissement est pourtant une donnée essentielle sur l’évolution de l’enseignement supérieur. »
Dans un rapport de 2020 sur les écoles d’art plastique, la Cour des comptes relève la « presque totale méconnaissance par le ministère de l’enseignement supérieur et le ministère de la culture des évolutions de l’enseignement supérieur privé » (2). Ceci apparaît d’autant plus singulier, note la Cour, que cet essor considérable des établissements privés, s’il répond à une demande effective, s’accompagne néanmoins de frais de scolarité entre 15 et 20 fois supérieurs en moyenne à ceux des établissements publics, ce qui ne peut que générer une fermeture sociale très forte.
(1) IGAENR, L’enseignement supérieur privé : propositions pour un nouveau mode de relations avec l’État, juin 2015, p. 114.
(2) Cour des comptes, L’enseignement supérieur en arts plastiques, décembre 2020, p 38.
b.  L’identification des établissements d’enseignement : la base de recensement RAMSESE n’offre pas une vision exacte de la réalité de l’enseignement supérieur privé lucratif
Le répertoire académique et ministériel sur les établissements du système éducatif (RAMSESE), qui est l’outil de recensement de l’ensemble des établissements d’enseignement publics et privés (scolaire, supérieur et apprentissage) dotés d’un numéro d’immatriculation UAI n’offre pas une vision précise de l’enseignement supérieur privé.
D’une part, des pertes d’information ont lieu aux deux étapes du processus de recensement des établissements d’enseignement : à la déclaration d’ouverture – les établissements en exercice ne sont pas tous déclarés – et à l’immatriculation – les établissements déclarés ne sont pas tous immatriculés (voir l’encadré ci-après).
D’autre part, et surtout, l’information relative au statut juridique est manifestement imparfaitement renseignée. Selon le SIES, la variable « catégorie juridique » du référentiel RAMSESE, qui permet de saisir le statut juridique, n’est renseignée qu’au tiers environ, ce qui, à ce stade, rend le système d’information inopérant pour fournir une idée précise du nombre d’établissements d’enseignement supérieur privés à but lucratif ([69]).
Le référencement des établissements : les imperfections des processus de déclaration d’ouverture et d’immatriculation
La première étape est la déclaration de l’établissement par son fondateur auprès des autorités locales, préalablement à l’ouverture et conformément aux dispositions du code de l’éducation.
Matériellement, le dossier de déclaration d’ouverture des établissements d’enseignement supérieur privés (EESP) doit mentionner le statut (article L. 731-4 du code de l’éducation) ; en revanche, cette information reste une simple possibilité pour les établissements d’enseignement techniques privés (EETP) (article L. 441-2 du code de l’éducation) (1).
L’absence de déclaration réside le plus souvent soit dans l’ignorance, feinte ou réelle, de la nécessité d’une nouvelle déclaration par des organismes préalablement déclarés pour une autre activité (apprentissage, formation continue) auprès d’une autre autorité (direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités, DREETS), soit est liée à la structuration organique d’établissements organisés en réseau avec des campus sur plusieurs académies, dont seul le siège social est déclaré.
L’absence de déclaration, quoique non évaluée, semble néanmoins limitée. On notera que si l’ouverture sans déclaration préalable d’un EETP est sévèrement sanctionnée, la sanction pour la même infraction dans le cadre d’un EESP est largement moins dissuasive.
La seconde étape est l’immatriculation de l’établissement d’enseignement, c’est-à -dire l’attribution d’un numéro d’UAI par les services statistiques académiques ou de l’administration centrale. Seule cette immatriculation, qui est incrémentée dans RAMSESE, permet de garantir l’exhaustivité du répertoire. Or selon le SIES, « l’explosion du secteur privé dans l’enseignement supérieur, en termes d’effectif étudiant, de nombre d’établissements les accueillant et de la diversité juridique de ces derniers […] pose effectivement des problèmes d’immatriculation de ces établissements d’enseignement supérieur privés ».
Il ressort des auditions que l’absence de lien juridique entre la déclaration et l’immatriculation peut potentiellement entraîner une perte d’information, même si, globalement, selon le ministère de l’enseignement supérieur, la circulation de l’information entre les différents services en charge de ces deux missions est fluide.
L’immatriculation ne repose sur aucune base normative et ne s’impose donc pas aux établissements d’enseignement supérieur privés (2). L’immatriculation des centres de formation par apprentissage (CFA) se fait à la demande des organismes de formations eux-mêmes après l’obtention d’un numéro de déclaration d’activité auprès des directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS) ; les CFA doivent en effet disposer d’un numéro UAI pour pouvoir enregistrer les contrats d’apprentissage qui ouvrent le bénéfice des fonds mutualisés.
Les groupes privés comportant plusieurs écoles, potentiellement regroupées sur un même campus régional et sous une même adresse (locaux partagés), ont parfois un seul numéro d’immatriculation, alors que les écoles sont distinctes. Le SIES indique avoir lancé un travail « pour préciser et mettre à jour les règles d’immatriculation afin d’uniformiser la gestion de ces cas par les rectorats ».
(1)    Néanmoins, l’article D. 441-2 du code de l’éducation impose que le dossier de déclaration d’ouverture comprenne un état prévisionnel qui précise l’origine, la nature, et le montant des principales ressources dont disposera l’établissement pour les trois premières années de son fonctionnement, ce qui renvoie à son statut juridique.
(2)    Le numéro UAI est en revanche exigé pour les établissements sollicitant le bénéfice d’une reconnaissance ou d’une accréditation de leurs formations par le ministère ou inscrits sur Parcoursup.
c.  Le système d’information d’identification des étudiants ne permet pas de connaître le statut juridique des écoles
Les représentants des deux régions académiques entendus par les rapporteures ont indiqué ne pas disposer de statistiques sur les effectifs d’étudiants inscrits dans les établissements privés à but lucratif, aucune base de données ne recensant, au niveau local, ce type d’information ([70]).
Si les établissements d’enseignement supérieur déclarés à l’ouverture sont identifiés au niveau académique, le système d’information n’indique pas les effectifs inscrits dans ces établissements. Dans la région académique Bretagne, il est demandé, dans l’enquête annuelle à destination des établissements supérieurs techniques privés, d’indiquer les effectifs en formation initiale, mais sans distinction quant au statut juridique des établissements.
L’arrêté du 18 octobre 2022 portant création d’un traitement de données à caractère personnel dénommé « Répertoire national des identifiants élèves, étudiants et apprentis » (RNIE) ([71]) prévoit l’attribution d’un identifiant national (INE) ([72]) à chaque élève du second degré, étudiant et apprenti au moyen d’une procédure automatisée, notamment afin de permettre le suivi statistique de ceux-ci.
Cependant, cet identifiant seul ne permet pas de connaître le statut de l’établissement d’inscription. Il est nécessaire de disposer des bases de données de l’enseignement supérieur qui centralisent les inscriptions des étudiants via différentes enquêtes annuelles qui alimentent la base SISE. C’est le rapprochement de l’INE et de ces bases qui permet d’associer le statut de l’établissement à l’étudiant.
III.  un secteur caractérisé par la présence de quelques grands groupes et de « petites » entreprises indépendantes
Apparu dès le XIXe siècle ([73]), l’enseignement supérieur privé lucratif en France s’est fortement développé entre les années 1960 et 1990 avant de connaître plus récemment une phase de concentration avec le développement, progressif d’abord, exponentiel ensuite, de grands groupes. Au cours des dix dernières années, des acteurs financiers ont investi fortement ce secteur, l’enseignement supérieur apparaissant comme une valeur refuge.
L’enseignement supérieur privé lucratif recouvre des réalités très hétérogènes. Cette diversité se retrouve dans l’organisation de la représentation des intérêts professionnels de ce secteur, éclatée entre de nombreuses associations, qui regroupent presque toutes et indistinctement des acteurs des secteurs privés non lucratif et lucratif.
Les organisations représentatives de l’enseignement supérieur privé lucratif
Première association au regard du nombre d’adhérents, la Fédération nationale de l’enseignement privé (FNEP) est « aujourd’hui la seule organisation reconnue représentative de l’ensemble de l’enseignement privé indépendant […] par arrêté du ministère du travail » (1) mais elle représente tous les niveaux de l’enseignement privé, des écoles maternelles à l’enseignement supérieur, et ne fait pas de distinction entre le lucratif et le non lucratif.
Les autres associations de l’enseignement supérieur privé sont structurées autour des filières (ingénieurs, commerce) ou du statut de grandes écoles. Elles accueillent donc l’ensemble des catégories juridiques de l’enseignement supérieur privé, et en réalité fort peu d’établissements privés à but lucratif.
Enfin, créée en 2018, l’association Les entreprises éducatives pour l’emploi (3E), centrée sur les thématiques de l’enseignement supérieur, de la formation professionnelle et de l’apprentissage, regroupe douze des grands groupes d’enseignement supérieur à but lucratif. Elle ne représente donc pas l’ensemble des écoles privées à but lucratif.
(1)    Contribution écrite transmise aux rapporteures par la FNEP. À ce titre, la FNEP est la seule fédération d’employeurs habilités à négocier la convention collective pour la branche de l’enseignement privé indépendant.
A.  Un secteur dominé par les grands groupes
En France, le secteur est aujourd’hui composé d’une quarantaine de groupes de tailles très différentes (voir annexe n° 3), dont le chiffre d’affaires est compris entre une quinzaine et plusieurs centaines de millions d’euros.
À l’exception de certains groupes qui ont fait le choix de se spécialiser sur un segment particulier ([74]), la plupart d’entre eux réunissent des écoles aux objets extrêmement diversifiés avec une large gamme de spécialités allant de l’informatique à l’architecture d’intérieur, en passant par l’e-sport et le développement durable (voir annexe n° 4).
Les écoles sont définies par les groupes eux-mêmes comme des « marques » ou des « enseignes ». Les groupes conservent ou acquièrent des « marques » renommées, ce qui constitue ensuite un élément de leur réputation pour attirer à eux les étudiants. Des institutions connues, bénéficiant d’une forte notoriété servent en effet à mettre en valeur le groupe et à asseoir son prestige. Quelques exemples l’illustrent : AD Education, groupe spécialisé dans le secteur de la création, a ainsi racheté l’Istituto d’Arte Applicata e Design (IAAD), plus vieille école de design automobile en Europe ; les Cours Florent appartiennent désormais au groupe Galileo ; l’École Pigier, fondée en 1850, est membre du groupe EduServices.
Les grands groupes du secteur partagent la caractéristique de mutualiser leurs fonctions support (ressources humaines, gestion immobilière, système d’information, gestion comptable et financière, communication, marketing commercial, etc.), et de centraliser la gestion financière de leurs différentes marques et entités au sein d’une même filiale, ce qui permet la réalisation d’investissements et d’achats conséquents.
Les stratégies économiques et financières des grands groupes reposent sur d’importants investissements immobiliers et des logiques de rachat d’écoles, au niveau national et international, lesquels leur permettent de proposer le plus de formations possible dans une multitude de domaines. Cette stratégie de croissance doit permettre in fine d’atteindre une taille critique en vue d’une cession qui devra engendrer la plus importante plus-value possible.
La stratégie d’investissement et de développement du secteur est décrite par Laurent Batsch dans son rapport consacré à L’enseignement supérieur privé en France publié par la Fondapol. Ce dernier montre que « deux stratégies d’investissement se dessinent. La première consiste à pousser la croissance du groupe en ouvrant le capital à des investisseurs et/ou en endettant le groupe. Ce modèle est caractéristique des plus grands groupes qui multiplient les acquisitions. Il se retrouve aussi dans des groupes de taille moyenne qui se développent par croissance organique. Dans tous les cas, il s’agit de mobiliser les capitaux nécessaires au financement du développement du groupe. La seconde stratégie est patrimoniale. Les bénéfices accumulés sont réinvestis dans des biens immobiliers, pour l’essentiel dédiés aux écoles qui en deviennent locataires. Un groupe d’école peut ainsi doubler sa structure d’enseignement avec celle d’une petite société foncière. Certains groupes combinent ces deux orientations et cumulent l’ouverture aux fonds avec l’accumulation immobilière du fondateur ».
Le secteur de l’enseignement privé paraît donc en constante évolution, avec de nombreuses acquisitions ou fusions réalisées chaque année. Omnes annonce ainsi ouvrir un campus par an dans une ville différente. Pour Laurent Batsch, dans le rapport précité, « une course à la taille est donc engagée par les acteurs les plus puissants. La croissance interne passe par l’élargissement de la gamme des formations et par l’extension géographique. L’implantation sur plusieurs villes permet de capter des candidats locaux ». Cette logique de rachat concerne également les établissements d’enseignement à distance.
Si la logique financière est commune à toutes les écoles, toutes se financent également via les frais de scolarité qu’elles perçoivent et bénéficient, depuis 2018, des fonds publics de l’apprentissage, comme l’illustrent les données transmises par les groupes que les rapporteures ont auditionnés :
– pour le groupe Omnes, les frais de scolarité ont représenté environ 60 % du budget annuel des établissements sur la période 2020-2021, le reliquat étant couvert par les financements publics de l’apprentissage (37 %) et les restes à charge pour les entreprises ;
– les frais de scolarité couvriraient 78 % des ressources du groupe Ionis ;
– le réseau des entreprises éducatives fait quant à lui état de la répartition suivante : 45 % proviennent des frais de scolarité étudiants, 45 % de l’apprentissage et 6 % des entreprises (restes à charge).
Il convient par ailleurs de préciser que le nombre d’étudiants peut être démultiplié par l’enseignement à distance. Là encore, le rapport de Laurent Batsch dresse un constat sans ambiguïté : « Un des enjeux du développement digital des écoles réside bien dans l’opportunité qu’il offre d’augmenter le nombre d’inscrits, de réduire la pression immobilière, et d’optimiser le coût des intervenants. En même temps, la digitalisation représente elle-même un investissement important. Mais l’arbitrage entre son gain et son coût semble acquis. ». Cette catégorie d’établissements en e‑learning ([75]) semble en effet se développer, avec des établissements proposant des formations exclusivement en distanciel ou d’autres pratiquant des formats mixtes.
Enfin, on peut également souligner que le modèle privé lucratif n’investit pas, ou uniquement de manière marginale, dans les formations qui nécessitent des investissements structurels élevés, telles celles adossées à la recherche ou les formations d’ingénieur, comme en témoigne la faible représentation de ces établissements au sein des associations des grandes écoles ([76]) (voir annexe n° 5).
B.  des petites écoles à rayonnement souvent local subsistent
Contrairement aux grands groupes, les « petites » écoles, souvent d’implantation régionale ([77]), représentent une partie moins visible du secteur privé lucratif. Les rapporteures n’ont pas été en mesure d’obtenir la moindre donnée chiffrée sur ces établissements.
Les grands groupes n’occupent pas tout l’espace, d’autant que ceux-ci, jusqu’à récemment, ciblaient principalement les métropoles en raison de la forte concentration de populations et de services. Historiquement, les écoles indépendantes se sont donc essentiellement implantées dans les villes moyennes pour proposer une offre de proximité. Celles-ci continuent de prospérer. Selon Laurent Batsch, ces « écoles indépendantes sont pour beaucoup d’entre elles des entreprises florissantes dans la durée, et disposent d’une surface financière solide. Il en sera ainsi tant qu’elles conserveront une position de quasi-monopole sur leur ressort géographique et qu’elles pourront suivre à leur échelle le déploiement de cours en ligne » (rapport précité). D’autres écoles peuvent aussi se développer au sein des grandes agglomérations, aux côtés des grands groupes, si elles sont positionnées sur un segment spécialisé notamment.
Si les écoles indépendantes, pour certaines anciennes, ont ainsi pu se maintenir jusqu’à présent « à l’abri de leurs barrières géographiques protectrices, la tendance est, depuis plusieurs années, à la concentration du secteur » selon Laurent Batsch ([78]). Une double dynamique est aujourd’hui à l’œuvre : d’une part, l’acquisition d’écoles indépendantes par les grands groupes et, d’autre part, au niveau territorial, la fusion d’écoles et une stratégie d’acquisition, deux tendances qui favorisent l’émergence de groupes à dimension régionale ([79]).
In fine, les rapporteures font le constat d’un secteur des formations post-bac extraordinairement dynamique, dont il est compliqué de suivre les évolutions des structures.
IV.  Le cadre juridique applicable À l’enseignement supérieur privé À but lucratif
Le droit ne prévoit pas de cadre particulier qui s’appliquerait spécifiquement aux établissements privés à but lucratif, qui ne sont du reste, comme on l’a vu, pas définis juridiquement. Le cadre juridique de ces établissements s’inscrit donc dans le paysage plus général prévu pour l’enseignement supérieur privé en France, aux sources éparses et au fonctionnement particulièrement complexe. Ce cadre découle également des règles fixées dans le code du travail, pour ce qui concerne l’apprentissage. De surcroît, les relations liant l’étudiant à l’établissement privé lucratif s’inscrivent dans le cadre du droit commun des contrats organisant les relations entre un client et une entreprise, et relèvent dès lors des règles prévues dans le code de commerce, le code de la consommation et le code civil.
A.  Les grands principes : un régime libéral qui consacre l’enseignement supérieur libre
Les fondements juridiques de l’enseignement supérieur libre puisent leurs sources dans le contexte historique du début de la IIIe République, à un moment où les débats autour de la liberté religieuse sont particulièrement prégnants. Les grands principes posés à l’époque demeurent, bien que la nature des enjeux ait considérablement changé. Depuis plusieurs décennies, la question centrale n’est plus d’ordre religieux, les préoccupations actuelles étant davantage en lien avec la question de la recherche du profit et les enjeux de qualité de la formation.
En 1875, le législateur a consacré le principe de l’enseignement libre, qui irrigue depuis le cadre juridique applicable à l’enseignement supérieur privé. En parallèle, par un mouvement de balancier, le législateur a cherché, dès 1880, à apporter quelques tempéraments à ce principe de liberté, sans jamais le remettre en cause dans son essence.
1.  « L’enseignement supérieur est libre »
La loi du 12 juillet 1875 relative à la liberté de l’enseignement supérieur a posé les fondements d’un régime libéral. Cette loi énonce en son article premier le principe selon lequel « l’enseignement supérieur est libre ». Il s’agit à l’époque d’une forme de victoire pour les partisans de l’école libre, dans le prolongement des lois Guizot du 28 juin 1833 pour l’enseignement primaire, et Falloux du 15 mars 1850 pour l’enseignement secondaire.
En 1977, le Conseil Constitutionnel a conféré une valeur constitutionnelle au principe de liberté d’enseignement. La liberté d’ouverture des établissements est ainsi reconnue comme un principe fondamental des lois de la République (PFLR) ([80]). Dans une décision rendue le 8 juillet 1999, le Conseil Constitutionnel précise que ce principe vaut pour chacun des trois degrés d’enseignement, dont l’enseignement supérieur. Il souligne aussi que « toute disposition législative qui aurait pour effet de créer un monopole au profit des établissements d’enseignement public porterait atteinte au principe de liberté de l’enseignement ».
On peut également rattacher le principe d’enseignement supérieur libre aux libertés d’entreprendre ainsi qu’à la liberté de commerce et d’industrie, qui ont toutes deux une valeur constitutionnelle.
De cette liberté découle un simple régime de déclaration – et non d’autorisation – pour toute création d’un établissement supérieur privé, qu’il soit lucratif ou non.
2.  Une liberté qui connaît quelques tempéraments
Ce principe de liberté n’empêche pas l’existence de règles imposant certains contrôles et conditions devant être respectés par les établissements. Ainsi, dès 1875, en même temps que cette liberté était proclamée, le législateur imposait un régime de déclaration, assorti de conditions minimales devant être remplies par les déclarants (voir infra). Surtout, la loi du 18 mars 1880 relative à la liberté d’enseignement supérieur défendue par Jules Ferry a apporté quelques tempéraments au régime libéral établi en 1875 :
– elle interdit l’exercice de l’enseignement aux membres des congrégations religieuses non autorisées ;
– elle réserve les noms de « faculté » et d’« université » aux seuls établissements publics, et prévoit que « les certificats d’études qu’on y jugera à propos de décerner aux élèves ne pourront porter les titres de baccalauréat, de licence ou de doctorat ». Ces règles sont toujours en vigueur et codifiées dans le code de l’éducation (article L. 731-14). Elles ont été étendues au terme de « master » par la loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, dite « loi Fioraso » ;
– elle supprime certaines garanties prévues dans la loi de 1875 pour les établissements libres, en leur retirant notamment la possibilité de collation des grades. En 1984, le législateur a réaffirmé ce principe, en consacrant le monopole de l’État pour la collation des grades (article L. 613-1 du code de l’éducation). Ce principe connaît toutefois lui-même des tempéraments avec le système de grade et de visa des diplômes délivrés par les établissements d’enseignement supérieur privé, qui permet notamment à des établissements privés de délivrer des diplômes ayant le grade de licence ou le grade de master (voir infra).
La protection des appellations s’est peu à peu renforcée. Les articles L. 731-14 et L. 731-19 du code de l’éducation prévoient une sanction pécuniaire (30 000 euros d’amende) pour toute utilisation illégale des termes « universités », « licence », « master » et « doctorat ». L’appellation « école d’ingénieurs » est également protégée : elle ne peut être utilisée que par les écoles habilitées et contrôlées par la commission des titres d’ingénieur (CTI). Cela vaut également pour l’intitulé « diplôme d’ingénieur ». Toute usurpation du titre entraîne des sanctions pouvant aller jusqu’à un an d’emprisonnement et une amende de 15 000 euros (article L. 642-12 du code de l’éducation).
Enfin, le droit prévoit des règles particulières concernant les actions de publicité et de démarchage réalisées par les établissements supérieurs privés, héritées de la loi n° 71-556 du 12 juillet 1971 relative à la création et au fonctionnement des organismes privés dispensant un enseignement à distance, ainsi qu’à la publicité et au démarchage réalisés par les établissements d’enseignement. Le code de l’éducation encadre les publicités et interdit le démarchage par les établissements d’enseignement supérieur ([81]) :
– aux termes de l’article L. 471-2 du code de l’éducation, les organismes sont censés rappeler dans leur dénomination leur caractère privé ;
– toute publicité doit faire l’objet d’un dépôt préalable auprès du recteur d’académie et « la publicité ne doit rien comporter de nature à induire les candidats en erreur sur la culture et les connaissances de base indispensables, la nature des études, leur durée moyenne, les diplômes et les emplois auxquels elles préparent » (article L. 471-2 du code de l’éducation). Aucune publicité ne peut être mise en œuvre pendant le délai de quinze jours qui suit le dépôt. Pendant ce délai, le recteur d’académie doit transmettre aux services de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes les publicités qui lui paraissent en infraction avec l’article L. 731-14 du code de l’éducation, qui interdit aux établissements privés de prendre le titre d’université, ou de délivrer des diplômes portant des intitulés de baccalauréat, licence, master ou doctorat ;
– les établissements doivent faire figurer dans leur publicité et leur document d’inscription une mention précisant leur statut et la nature de leurs relations avec l’État (article L. 731-19 du code de l’éducation) ;
– en vertu de l’article L. 471-5 du code de l’éducation, toute infraction aux règles prévues en matière de publicité et de démarchage est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. En cas de condamnation, le tribunal peut prononcer, pour une durée de cinq ans au plus, l’interdiction de diriger et d’enseigner ainsi que la fermeture de l’établissement.
B.  Un cadre statutaire complexe et des règles qui manquent de clarté, pour un régime déclaratif qui paraît obsolète et mal appliqué
En 2012, un rapport du médiateur de l’Éducation nationale et de l’enseignement supérieur constatait, concernant le droit applicable à l’enseignement supérieur privé, « que l’administration n’avait pas une idée claire du paysage d’ensemble ni du rôle qu’elle devait y jouer » et déplorait des règles « trop complexes, éclatées en différentes sources, contradictoires, obscures et parfois inapplicables » ainsi que des « zones d’incertitude significatives » ([82]). En 2015, un rapport de l’inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale et de la recherche qualifiait le droit applicable de « maquis législatif et réglementaire » ([83]). Aucune simplification d’ampleur n’a été apportée depuis, et les travaux des rapporteures montrent toute l’actualité de ce constat, pourtant dressé il y a une dizaine d’années.
En particulier, la distinction établie par le droit entre les établissements d’enseignement technique privés (EETP) et les établissements d’enseignement supérieur privés (EESP) apparaît comme l’un des facteurs importants d’illisibilité du cadre applicable. En effet, le code de l’éducation distingue ces deux types d’établissements, et prévoit à leur intention des régimes de déclaration distincts, à la fois complexes et peu appliqués. Dans le même temps, les critères permettant de distinguer les EETP des EESP sont opaques.
À cela s’ajoute également, en lien avec le développement massif de l’apprentissage, le statut des organismes de formation pour l’apprentissage, qui répond à d’autres règles de déclaration et de contrôle, prévues non pas par le code de l’éducation mais par le code du travail.
Les autres garde-fous prévus par le droit (protection des appellations, encadrement de la publicité, contrôles) sont peu respectés et – en partie au moins – obsolètes.
1.  Les établissements de l’enseignement supérieur privé à but lucratif peuvent correspondre à plusieurs formes statutaires prévues dans le code de l’éducation
Si le code de l’éducation comporte bien un titre intitulé « établissements d’enseignement supérieur privés » (EESP), on n’y retrouve pas l’ensemble des dispositions législatives relatives à ce secteur. En particulier, de nombreux établissements privés relèvent non pas du statut d’EESP, mais du statut d’établissement d’enseignement technique privé (EETP), qui se situe dans la partie du code de l’éducation qui concerne l’enseignement scolaire, en raison de la double vocation, scolaire et supérieure, des EETP. Les EETP comme les EESP peuvent être à but lucratif ou non lucratif. Le code de l’éducation prévoit également des règles particulières pour les établissements privés du supérieur délivrant des formations à distance.
Le code de l’éducation encadre les modalités d’ouverture de ces différents établissements et fixe les conditions de leur légalité.
a.  La diversité des statuts
Le statut des EESP a été posé dès la loi de 1875 précitée. Bien que cela ne résulte pas expressément du cadre prévu dans le code de l’éducation, ces établissements correspondent historiquement aux facultés libres et aux instituts catholiques. Selon la définition qu’en donne aujourd’hui le ministère, les EESP dispensent un enseignement de type généraliste. Le code de l’éducation ne fournit pas une définition juridique ou des critères de distinction permettant d’identifier les EESP. Les auditions conduites par les rapporteures et les rapports sur le sujet permettent toutefois de mieux appréhender le champ qu’ils recouvrent. Ainsi, comme l’indique le recteur délégué pour l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation de la région académique Île-de-France dans sa contribution adressée aux rapporteures, « ces enseignements concernent des formations de l’enseignement supérieur général en sciences humaines et sociales, droit, sciences et santé, lettres et langues […]. Les établissements dont l’enseignement concerne un ou plusieurs de ces enseignements, relèvent en conséquence du régime d’ouverture des EESP libres. »
Dans son rapport établi en 2012, le médiateur soulignait : « L’enseignement supérieur "libre" comprend les formations en langues, en droit et les formations relevant de la sphère religieuse. Les établissements intervenant dans le domaine de la santé (formations paramédicales, esthétique et cosmétique), dans les domaines de la mode et dans le domaine artistique sont réputés constituer des établissements d’enseignement supérieur libre. » Toujours selon l’analyse des services du recteur délégué pour l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation susmentionné, « les formations concernées doivent, en tout état de cause, présenter une certaine proximité ("des fins comparables") avec l’enseignement supérieur public ».
Le nombre total d’EESP est incertain. On trouve sur le site du ministère de l’enseignement supérieur des données qui ne sont manifestement plus à jour. Le site du ministère fait état de treize EESP, dont cinq établissements catholiques. Or, les services du recteur délégué pour l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation en signalent 240, pour la seule région Île-de-France.
Le statut des EETP découle du développement de l’enseignement technique au début du XXe siècle, avec la loi relative à l’organisation de l’enseignement technique industriel et commercial du 25 juillet 1919, dite loi Astier. L’article D. 443-1-1 du code de l’éducation, récemment modifié, définit les écoles techniques privées comme « tout établissement fondé et entretenu par une personne physique ou morale, donnant un enseignement sur place, commun à un certain nombre d’élèves, constituant un cycle d’études obligatoire dans toutes ses parties et mettant l’élève dans l’impossibilité d’occuper simultanément un emploi. Cet enseignement a pour objet la préparation en formation initiale d’un diplôme technologique ou professionnel ou d’un titre à finalité professionnelle. »
Pour sa part, le médiateur indiquait dans le rapport précité de 2012 : « Dans la pratique, sont considérés, semble-t-il, comme relevant de l’enseignement technique les établissements qui assurent des formations dans le domaine de l’industrie, du commerce et de la gestion. »
Les EETP peuvent recouvrir à la fois le champ du secondaire et le champ du supérieur.
Aux côtés des EETP et des EESP, il existe au sein du code de l’éducation une troisième catégorie d’établissements plus spécifique, les établissements d’enseignement supérieur à distance soumis à un régime autonome s’appuyant sur la loi du 12 juillet 1971 (articles L. 444-1 à L. 444-11 du code de l’éducation).
b.  Un régime d’ouverture déclaratif assorti d’un certain nombre d’obligations
Si l’enseignement supérieur est libre, le régime déclaratif prévu en droit doit permettre à l’État d’effectuer une forme de contrôle minimal sur les établissements en question. Les règles prévues dans le code de l’éducation diffèrent en fonction du statut de l’établissement. Force est de constater que la complexité croissante du secteur rend ces garanties à la fois obsolètes et peu effectives.
Le régime applicable est détaillé dans le tableau fourni en annexe (voir l’annexe n° 6). Dans tous les cas, le droit précise les personnes habilitées à déposer une déclaration, soit toute personne de nationalité française n’étant pas privée de ses droits civils ou condamnée pour un crime ou un délit contraire à la probité et aux mœurs. L’établissement est tenu de déclarer l’identité du directeur, de fournir ses diplômes ainsi qu’un extrait de casier judiciaire. Les plans des locaux doivent être communiqués et être conformes aux règles d’hygiène et de sécurité.
Pour les établissements techniques, le dossier doit comporter des éléments relatifs au contenu des cours (programmes et horaires) ainsi que sur les modalités de financement de l’établissement. Pour les établissements supérieurs privés, il est prévu la transmission des justifications du niveau de qualification des enseignants ainsi que la transmission annuelle de la liste des professeurs et du programme des cours. Chaque nouvelle ouverture de cours est censée faire l’objet d’une nouvelle déclaration. Les déclarations doivent être déposées auprès du recteur de région académique.
Les déclarations doivent être transmises avant l’ouverture des établissements. Pour les EESP, un délai de dix jours est prévu entre la déclaration et l’ouverture ; pour les EETP, le délai est de trois mois. L’administration peut s’opposer à l’ouverture de ces établissements privés pour des motifs tenant à la protection des intérêts nationaux, l’ordre public et les bonnes mœurs. Pour les établissements techniques, l’ouverture peut également être refusée s’il résulte des programmes que l’établissement n’a pas le caractère d’un établissement d’enseignement technique. Le droit prévoit des sanctions pécuniaires en l’absence de déclaration ou d’ouverture malgré opposition.
Les établissements d’enseignement à distance relèvent également d’un régime déclaratif. En raison de la particularité de ce type de formation, l’instruction du dossier est plus poussée. Un contrôle pédagogique et le cas échéant financier ([84]) est prévu (article L. 444-1 du code de l’éducation). Les établissements sont soumis au pouvoir disciplinaire du recteur d’académie.
De surcroît, il faut aussi noter que les centres de formation d’apprentis (CFA) ne sont pas soumis à ces dispositions.
2.  Les établissements d’enseignement supérieur à but lucratif peuvent aussi être des centres de formation des apprentis, dans les conditions prévues par le code du travail
Les centres de formation des apprentis (CFA) peuvent également proposer des formations qui s’intègrent dans le paysage de l’enseignement supérieur dans le cadre de l’apprentissage, sans pour autant relever du périmètre du ministère de l’enseignement supérieur. L’apprentissage dans l’enseignement supérieur a été possible à compter de 1987 avec la réforme initiée par Philippe Seguin, alors ministre des affaires sociales et de l’emploi. Il connaît un développement sans précédent depuis la réforme de 2018, et constitue l’un des facteurs déterminants du développement du secteur privé lucratif (voir infra).
Le cadre juridique applicable aux organismes de formation relève non pas du code de l’éducation, mais du code du travail (articles L. 6223-1 à L. 6235-6). Le statut d’organisme de formation proposant de l’apprentissage – ce qui correspond aux CFA – est obligatoire, dès lors qu’un établissement souhaite proposer une formation en apprentissage. En pratique, les établissements cumulent souvent plusieurs statuts.
La réforme de l’apprentissage, issue de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, a simplifié en profondeur les règles de création des CFA et transformé le secteur en un marché ouvert. De nouveaux acteurs se sont dès lors développés.
Alors que le cadre antérieur à la réforme de 2018 prévoyait une autorisation administrative ainsi qu’un principe de conventionnement du CFA avec la région, la création d’un CFA ne nécessite aujourd’hui qu’une simple déclaration. Les CFA sont désormais soumis au cadre de droit commun prévu pour les organismes de formation tel que fixé par le code du travail, assorti d’un certain nombre de règles supplémentaires. En vertu de l’article L. 6351-1 du code du travail, la personne réalisant l’action de formation doit déposer auprès de la direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets) une déclaration d’activité, dès la première convention de formation professionnelle ou le premier contrat de formation professionnel conclu. L’immatriculation est obligatoire. Un certain nombre de conditions sont par ailleurs posées :
– l’enregistrement peut être refusé dans quelques cas limités, prévus à l’article L. 6351-3 du code du travail. L’organisme de formation est notamment tenu de préciser dans son objectif, le cas échéant, son activité de formation en apprentissage ([85]) ;
– en vertu de l’article L. 6352-2 du code du travail « nul ne peut, même de fait, exercer une fonction de direction, d’enseignement aux apprentis ou d’administration dans un organisme de formation s’il a fait l’objet d’une condamnation pénale pour des faits constituant des manquements à la probité, aux bonnes mœurs et à l’honneur » ;
– un temps minimal de formation est prévu « sous réserve, le cas échéant, des règles fixées par l’organisme certificateur du diplôme ou titre à finalité professionnelle visé, la durée de formation ne peut être inférieure à 25 % de la durée totale du contrat » ( article L. 6211-2 du code du travail).
Les CFA doivent également se conformer aux 14 missions listées dans le code du travail, parmi lesquelles figurent l’obligation d’instituer un conseil de perfectionnement, celles de tenir une comptabilité analytique, de diffuser annuellement des résultats relatifs à l’obtention de certifications et à la poursuite d’étude, de délivrer une carte étudiante et de se soumettre, pour les formations diplômantes, à un contrôle pédagogique. Outre ce contrôle pédagogique, dont la portée effective paraît très limitée, les CFA peuvent également faire l’objet d’un contrôle administratif et financier par les Dreets et de contrôles des branches professionnelles, via les Opco.
3.  Les règles prévues dans le code de l’éducation sont en grande partie obsolètes et peu appliquées
a. Â Des distinctions de statuts, sources de confusion et de comportements opportunistes
L’existence des trois régimes distincts dans le code de l’éducation (EETP, EESP, établissements à distance) est source de complexité, tant pour les rectorats que pour l’usager. Elle n’apparaît plus justifiée et peut en outre favoriser des comportements opportunistes de la part de certains acteurs.
Dès 2012, le médiateur de l’Éducation nationale soulignait que « le critère de répartition entre enseignement technique et libre ne tient donc pas au caractère "professionnel" ou "général" de la formation, mais plutôt à une distinction entre "industrie et commerce", d’une part et "autres formations", d’autre part. La frontière entre les deux secteurs apparaît donc floue. Elle est également peu rationnelle et ne correspond pas à la réalité du monde du travail et de l’enseignement professionnel. » Ce constat paraît toujours d’actualité, comme en témoigne le recteur délégué pour l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation de la région académique Île-de-France, selon qui « on observe une perméabilité de la frontière entre le technique et le libre. Les rectorats de Paris et de Versailles dénombrent des établissements ouverts dans le libre qui proposent des formations aboutissant à la délivrance de titres RNCP […] Trois réglementations différentes créent une réelle confusion notamment pour les étudiants. En outre le traitement à part de l’enseignement à distance paraît aujourd’hui inadapté au regard du développement de l’enseignement à distance dans lequel se sont engagés certains établissements ouverts en "présentiel", singulièrement depuis la crise sanitaire Covid. » ([86])
Le caractère obsolète de cette distinction complexifie le travail des services académiques. Le rapport de 2015 précité de l’inspection générale de l’Éducation nationale signalait que ces derniers peinaient à identifier la différence entre ces deux types d’établissements et le cadre applicable en la matière. Il relevait en conséquence la « grande confusion quant à la nature du contrôle qui peut être exercé par l’État à ce stade ».
L’état actuel du droit peut créer des inégalités de traitement entre établissements, notamment concernant les délais d’ouverture et les contrôles associés. Comme signalé au cours des auditions conduites par les rapporteures, le cadre actuel semble également être à l’origine de stratégies d’optimisation de la part des établissements en fonction des possibilités offertes par les statuts (habilitation à recevoir des boursiers, reconnaissance par l’État, etc.).
b.  Des obligations déclaratives pas toujours respectées et peu contrôlées
Les obligations déclaratives ne sont pas toujours respectées et les moyens de l’administration pour détecter leur absence et les sanctionner sont limités.
Selon le recteur de la région académique Bretagne entendu par les rapporteures, « il a pu être constaté que certains établissements ouvrent et régularisent leur situation ensuite, en général dans l’année ». L’académie indique ainsi ne pas disposer de moyens spécifiques pour s’assurer que les structures qui ouvrent effectivement aient bien effectué les démarches, ce qui rend très théoriques les contrôles pouvant être effectués par l’État avant l’ouverture d’un établissement.
Les mêmes pratiques sont constatées par le recteur délégué pour l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation de la région académique Île-de-France : « Certains établissements ne sont en effet pas déclarés malgré l’obligation légale. Il arrive régulièrement que la déclaration d’un établissement soit effectuée après son ouverture effective, dans le cadre d’une régularisation […] Le plus souvent la découverte d’un établissement non déclaré est fortuite. Par ailleurs, l’obligation de déclaration n’est pas partagée ni suffisamment comprise par l’ensemble des acteurs. » Certains établissements en réseau avec des campus sur plusieurs académies ne respectent pas l’obligation de déclaration : « Le siège social est généralement déclaré, mais l’ensemble des campus disséminés sur le territoire ne le sont pas forcément alors qu’ils devraient être systématiquement ouverts auprès du recteur de région territorialement compétent (avec délivrance d’un UAI). »
Le recteur délégué pour l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation de la région académique Île-de-France constate aussi une absence de sanction en cas de non-déclaration, malgré les dispositions prévues en droit : « Les signalements au procureur de Paris effectués dans le passé n’ont eu aucune suite. »
Ces difficultés sont accentuées par l’imbrication statutaire entre les établissements relevant du code de l’éducation et ceux relevant du code du travail. Selon les services de la région académique Bretagne : « Certains établissements semblent ignorer cette obligation, sans que l’on puisse quantifier cet état de fait. Certains établissements (CFA, Formation continue) peuvent avoir été créés antérieurement, selon un régime autre que celui contrôlé par l’autorité académique, et peuvent ignorer la nécessité de se déclarer auprès du rectorat quand ils ouvrent des formations initiales hors apprentissage […]. Nous avons il y a plusieurs années déjà opéré un travail de croisement des fichiers de la Dreets, ce qui a été une tâche de très grande ampleur, avec 5 établissements qui ont pu être identifiés et sollicités pour une mise en conformité. » Un constat similaire est dressé en Ile-de-France : « Il arrive que des CFA qui disposent d’une UAI au titre des formations en apprentissage proposent par la suite des formations initiales sans faire de déclaration d’ouverture, alors qu’ils y sont en principe tenus. »
Un « mélange des genres » croissant entre écoles et organismes de formation : l’analyse de Laurent Batsch, ancien président de l’université Paris-Dauphine et auteur du rapport L’enseignement supérieur privé en France, pour la Fondapol, juin 2023
« La tendance perceptible, bien que difficilement quantifiable, est au mélange des genres entre écoles et organismes de formation (OF). Les établissements d’enseignement supérieur technique ont compris l’intérêt de délivrer des formations courtes, y compris en ligne, à des clients qui payent éventuellement avec la liquidation de leur compte personnel de formation (CPF). De plus, le développement de l’apprentissage a familiarisé les écoles avec un usage performant des RNCP. Il n’est plus rare qu’une école cumule en même temps les statuts d’établissement technique privé et d’organisme de formation (y compris un CFA). La même enseigne proposera des diplômes, des titres RNCP et des certificats qualifiants. Inversement, des OF, en bons praticiens de l’alternance, étendent leur métier en amont, vers la formation initiale. »
c.  Des contrôles a posteriori limités en droit et encore davantage en fait
Le cadre juridique prévoit peu de contrôles pour les établissements d’enseignement supérieur privés – sauf pour les établissements qui s’engagent dans une procédure spécifique de reconnaissance (EETP reconnu, visa et grades notamment), comme développé ci-après. Ainsi, à l’exception des vérifications qui doivent être effectuées au moment de la déclaration d’ouverture et de la transmission annuelle des informations à jour, aucun autre type de contrôle n’est prévu, sauf en cas de signalement – et même dans ce dernier cas, les moyens d’action sont limités.
D’après le recteur délégué pour l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation de la région académique Île-de-France, « les contrôles sur place sont inexistants à Paris et très fragmentaires dans les académies de Créteil et Versailles. Sur l’académie de Paris, les IA-IPR ([87]) ne sont pas en capacité eu égard à leur charge de travail de se rendre dans les établissements, ni à l’ouverture de ceux-ci ni dans le cadre de contrôles périodiques de l’établissement. Pour l’académie de Versailles les IA-IPR sont dans l’impossibilité de se rendre sur place dans les 10 jours suivant la délivrance du récépissé pour les ouvertures d’établissements libres comme le veut la réglementation. C’est également le cas pour l’académie de Créteil. Le service parvient à faire visiter les établissements techniques au moment de leur demande d’ouverture, mais il n’y a pas d’autre contrôle par la suite, sauf à l’occasion de demandes de reconnaissance ou d’habilitation à recevoir des étudiants boursiers. » Des contrôles a posteriori peuvent être réalisés en cas de signalement.
Les enquêtes annuelles prévues en droit, qui doivent notamment permettre la vérification d’informations tenant aux volumes horaires et aux qualités des professeurs, ne sont que partiellement effectives. À titre d’exemple, moitié des établissements ouverts échappent au contrôle des services de la région académique Île‑de-France.
Pour les établissements à distance, le droit prévoit bien un contrôle pédagogique devant être réalisé par un Inspecteur d'académie - inspecteur pédagogique régional (IA-IPR), mais selon le rapport précité de l’inspection générale de l’éducation nationale de 2015, il est très limité : « Il n’y a de contrôle ni sur la manière dont le programme est réalisé, ni sur la progression pédagogique. » Ce constat semble toujours d’actualité.
Les obligations en matière de publicité sont à la fois dépassées et inappliquées. Les services du recteur délégué pour l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation en Île-de-France indiquent que les transmissions préalables sont peu ou pas effectuées. L’obligation de rappeler dans la dénomination même de l’établissement son caractère privé n’est manifestement pas respectée non plus.
Or, malgré le peu de contrôles réalisés en pratique, la situation actuelle permet aux établissements de communiquer sur les titres et diplômes ou sur une « reconnaissance de l’État », source de confusion voire de contentieux avec les usagers, comme cela a été souligné par les services compétents entendus par les rapporteures. (voir développements infra).
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4. Â La question des plaintes et des signalements
Le problème du traitement des plaintes et des signalements illustre la difficulté à saisir par le droit la question des établissements privés à but lucratif, qui restent à ce stade un impensé des politiques publiques.
Des signalements peuvent être effectués auprès des rectorats. Les équipes du service régional académique de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation d’Île-de-France reçoivent « parfois des signalements de pratiques douteuses de certains établissements, notamment s’agissant de publicité mensongère, communication abusive pouvant induire les candidats en erreur quant à la qualité et la reconnaissance du diplôme, ou bien des signalements d’établissements "fantômes" dont l’objet semble être de vendre à de jeunes étrangers extra-communautaires une inscription dans un établissement d’enseignement supérieur, pièce indispensable pour la délivrance d’un visa étudiant. Ces signalements sont l’occasion de contrôler la situation administrative et le site web de l’établissement et de faire un rappel écrit des sanctions encourues. »
La compétence du rectorat s’arrête toutefois aux obligations statutaires des établissements. Ainsi, en cas de sollicitation par des étudiants, les services régionaux académiques sont amenés à rappeler que la relation entre l’étudiant et l’établissement privé est d’ordre privé. Les services ne sont pas habilités à agir dans le cadre des relations contractuelles entre l’étudiant et son établissement. Comme le souligne justement le recteur délégué pour l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation de la région académique Île-de-France : « Il apparaît que le principe "l’enseignement supérieur est libre" n’est pas toujours compris par les étudiants. Dans l’académie de Paris, les signalements d’usagers sont également transmis, pour information, avis voire suite à donner auprès du médiateur académique […]. Les établissements plusieurs fois signalés peuvent faire l’objet d’un signalement à la DGCCRF, à la DDPP ou au procureur de la République. Habituellement, ces signalements n’aboutissent à aucune suite connue de notre part. »
La DGCCRF peut être amenée à intervenir de façon ponctuelle, en fonction des objectifs qui sont déterminés en amont dans ses programmes de contrôles (voir ci-après), ou en cas de signalement.
C.  Différents mécanismes de reconnaissance des formations et des établissements, à la signification très variable
Le paysage de l’enseignement supérieur s’est prodigieusement complexifié ces dernières années, du fait de la multiplication des acteurs et des dénominations des formations proposées.
Dans ce contexte, les établissements de l’enseignement supérieur privé à but lucratif peuvent faire l’objet de différentes formes de reconnaissance qui ne garantissent pas toutes le même niveau de qualité. De surcroît, ils ne relèvent pas des mêmes autorités, certains dépendant du ministère de l’enseignement supérieur, quand d’autres relèvent du ministère du travail. Ces mécanismes de reconnaissance existent à deux échelles : celle de l’établissement et celle de la formation. Au total, plusieurs niveaux et types de reconnaissance se superposent, rendant l’ensemble très peu lisible.
Les établissements relevant de l’enseignement supérieur privé lucratif peuvent également ne faire l’objet d’aucune forme de reconnaissance, auquel cas, ils sont uniquement soumis aux obligations déclaratives précédemment décrites.
1.  La reconnaissance des établissements par le ministère de l’enseignement supérieur
a.  La qualification d’EESPIG : un haut niveau de reconnaissance, par nature exclu pour les établissements relevant du secteur privé lucratif
La qualification d’EESPIG, créée par la loi du 22 juillet 2013, peut être considérée comme le degré de reconnaissance le plus avancé à l’égard d’un établissement privé. La création de ce statut montre la volonté du législateur d’instaurer une forme de contractualisation entre l’État et les établissements du supérieur privé. Le statut d’EESPIG garantit un haut niveau de reconnaissance concernant la qualité des formations et des engagements réciproques, formalisés par un contrat pluriannuel entre l’établissement et la puissance publique. La qualification EESPIG peut être obtenue tant par les EETP que par les EESP. Elle ne peut en revanche pas, par définition, être obtenue par les établissements relevant du secteur lucratif.
b. Â La reconnaissance des EETPÂ : une reconnaissance a minima
Les EETP peuvent faire l’objet d’une reconnaissance par l’État. Aux termes de l’article L. 443-2 du code de l’éducation, « les conditions dans lesquelles les écoles techniques privées légalement ouvertes peuvent être reconnues par l’État sont fixées par décret en Conseil d’État ([88]). Le bénéfice de la reconnaissance peut toujours être retiré dans les mêmes conditions. ([89]) »
La reconnaissance par l’État est entérinée par décret ou arrêté du ministre chargé de l’enseignement supérieur, après enquête administrative et avis simple du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser) ([90]). Elle passe par un contrôle sur le fonctionnement de l’établissement, ses formations et son personnel encadrant et enseignant. Les EETP doivent dans ce cadre délivrer un ensemble de documents, concernant leurs plans d’études et leurs programmes. L’octroi de la reconnaissance par l’État suppose que l’établissement ait déjà fonctionné un certain temps afin que puissent être examinées son activité et la qualité de l’insertion professionnelle des diplômés. Pour les EETP reconnus par l’État, la nomination du directeur et du personnel enseignant est soumise à l’agrément de l’autorité administrative (article L. 443-3 du code de l’éducation).
La reconnaissance par l’État de l’EETP est une condition sine qua non des procédures de reconnaissance ou d’habilitation des diplômes délivrés par l’établissement (procédures développées ci-après). Elle conditionne également une éventuelle participation financière de la puissance publique, l’article L. 443-4 du code de l’éducation ouvrant cette possibilité pour les EETP reconnus, à condition d’un avis favorable du Cneser. Enfin, elle est aussi obligatoire pour que les étudiants puissent bénéficier d’une bourse de l’État, sous réserve là aussi d’un avis favorable du Cneser.
Habilitation à recevoir des étudiants boursiers par les établissements d’enseignement supérieur privés
Les établissements d’enseignement supérieur privés qui remplissent les conditions prévues à l’article L. 731-5 du code de l’éducation sont habilités de plein droit à recevoir des boursiers (article L. 821-2 du même code). Il s’agit des facultés libres, soit des établissements régulièrement ouverts qui comprennent au moins le même nombre de professeurs pourvus du grade de docteur que les établissements de l’État qui comptent le moins d’emplois de professeurs des universités.
Les autres EESP peuvent également recevoir des boursiers, par arrêté du ministre chargé de l’enseignement supérieur et sur avis du Cneser (article L. 821-2 du même code).
Les EETP reconnus par l’État peuvent être habilités à accueillir des étudiants boursiers, après avis favorable du Cneser (article L. 821-3 du même code).
Il est difficile d’évaluer la portée de cette reconnaissance par l’État accordée aux EETP. Dans son rapport de 2015 susmentionné, l’inspection générale de l’Éducation nationale s’interrogeait « fortement sur la valeur d’une reconnaissance qui a été accordée parfois depuis plus de cinquante ans, sans qu’aucun contrôle réel n’ait été effectué depuis ». Depuis 2021, le ministère de l’enseignement supérieur incite les établissements à déposer simultanément la demande de reconnaissance par l’État de l’établissement et la demande d’autorisation à délivrer un diplôme revêtu du visa de l’État. Par l’encouragement de cette simultanéité, le ministère semble reconnaître, au moins en partie, le caractère insuffisant de la reconnaissance de l’établissement. Dans une note parue au bulletin officiel concernant cette procédure, le ministère précise d’ailleurs que « le concours utile au service public de l’enseignement supérieur par l’établissement privé est apporté par le diplôme visé » ([91]). On peut dès lors s’interroger sur la valeur de la simple reconnaissance par l’État d’un établissement, si ce dernier ne dispose d’aucune formation visée ou gradée. Les rapporteures soulignent en outre que cette forme de reconnaissance pose un problème de lisibilité par rapport aux autres formes de reconnaissance.
Puisqu’il n’existe pas de liste permettant d’identifier les EETP reconnus par l’État (voir annexe n° 7), il n’est pas possible d’estimer combien d’établissements relevant du secteur lucratif ont fait l’objet d’une telle reconnaissance.
Il convient en outre de souligner que pour les EESP, la procédure de reconnaissance par l’État n’est prévue ni par le code de l’éducation, ni par aucun autre texte ([92]), ce qui participe encore du manque d’intelligibilité du droit applicable.
2.  La reconnaissance par le ministère de l’enseignement supérieur des formations délivrées par les établissements privés
a.  Le visa et le grade : des procédures exigeantes qui garantissent la qualité académique et pédagogique des formations
Les diplômes délivrés par les établissements du supérieur privé peuvent bénéficier d’une reconnaissance du ministère de l’enseignement supérieur à travers deux procédures : celle du visa et celle du grade, cette dernière constituant la forme de reconnaissance la plus aboutie. Les établissements relevant du secteur lucratif peuvent s’inscrire dans une démarche de reconnaissance de visa ou de grade.
L’apposition du visa ou du grade suppose le respect d’une procédure exigeante, qui doit permettre de garantir la qualité pédagogique et académique des formations ainsi que leur adossement à la recherche. Les rapporteures ont pu constater au cours des auditions le consensus autour de la qualité afférente à ce type de procédure.
Les diplômes délivrés par les établissements privés peuvent faire l’objet d’un visa de la part de l’État, dans des conditions qui ont été précisées par voie réglementaire ([93]). L’attribution d’un visa suppose au préalable que l’école ait fait l’objet d’une reconnaissance par l’État et nécessite un contrôle pédagogique sur les formations. Elle implique par la suite que le recteur de région académique, chancelier des universités, nomme les jurys d’admission et de fin d’études, après consultation des établissements intéressés. Les diplômes sont signés par le président du jury et le directeur de l’école ainsi que par le recteur de région académique qui y appose le visa de l’État.
Pour obtenir un visa, l’école doit déposer un dossier détaillant les moyens humains, matériels et financiers de la formation, son organisation, le contenu du programme, le profil des enseignants et la part d’enseignants permanents, les activités de recherche et les modalités de sélection et de validation des diplômes ainsi que les taux d’insertion professionnelle des étudiants ([94]).
L’instance en charge de l’examen de ce dossier varie en fonction des types de formations concernées.
L’obtention d’un visa nécessite au préalable une évaluation par la Commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion (CEFDG), qui établit des référentiels en la matière. À l’issue de cette évaluation, l’autorisation de délivrer des diplômes fait l’objet d’une décision du ministre chargé de l’enseignement supérieur. Le visa délivré après évaluation de la CEFDG est valable pour une durée maximale de cinq ans.
La Commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion (CEFDG)
Créée par le décret n° 2001-295 du 4 avril 2001, cette instance est chargée de l’évaluation des formations de commerce et de gestion dispensées par les établissements d’enseignement supérieur technique privés et consulaires ainsi que des diplômes que ces établissements et écoles délivrent. Elle est placée auprès des ministres chargés de l’enseignement supérieur, de l’industrie et du commerce.
Elle exerce une mission générale de contrôle de la qualité des formations des établissements consulaires et privés qui délivrent des formations de commerce et de gestion. Ses avis permettent d’éclairer les décisions que les ministères ont à prendre. Ils sont fondés sur des critères d’évaluation qui sont présentés sous forme d’un référentiel d’évaluation, en ligne sur le site internet de la CEFDG.
Dans les faits, depuis 2021, la CEFDG, en accord avec le ministère de l’enseignement supérieur et le Hcéres, a opéré un processus d’autonomisation conduisant à distinguer plus clairement les missions d’évaluation (périmètre de la CEFDG) de celle d’accréditation (périmètre du ministère).
Un protocole d’accord relatif au fonctionnement de la CEFDG a été signé en 2022 entre le ministère et le Hcéres afin que ce dernier assure le fonctionnement de la CEFDG en lui mettant à disposition locaux, matériel et personnel. La CEFDG n’a pas la personnalité morale et ne dispose donc pas de budget propre.
Pour les écoles d’ingénieurs, la loi du 10 juillet 1934 relative aux conditions de délivrance et à l’usage du titre d’ingénieur diplômé a instauré un cadre toujours en vigueur, aujourd’hui codifié aux articles L. 642-1 à L. 641-12 du code de l’éducation. La commission des titres d’ingénieur (CTI) décide, sur demande des écoles légalement ouvertes, si ces dernières présentent des programmes et donnent un enseignement suffisant pour délivrer des diplômes d’ingénieur. La CTI statue en premier et dernier ressort, par des décisions motivées, sur les demandes dont elle est saisie. Ses décisions ne peuvent être prises que sur un rapport présenté sur ces programmes et cet enseignement par un ou plusieurs inspecteurs ou chargés de mission d’inspection. La CTI accorde alors une habilitation à délivrer un diplôme d’ingénieur, valable pour cinq ans. Cette habilitation vaut à la fois visa et grade. La CTI est aussi en charge de l’évaluation des bachelors proposés par les écoles d’ingénieurs.
Pour les écoles qui ne sont ni des écoles d’ingénieurs, ni des écoles de commerce, la demande d’autorisation à délivrer un diplôme visé donne lieu à une expertise au niveau national, soit par les services du ministère chargé de l’enseignement supérieur, soit par le Hcéres. Le visa est délivré pour une durée maximale de six ans par arrêté du ministère ([95]), après avis du Cneser, et peut être assorti de recommandations. Des visas peuvent être attribués à bac+3, bac+4 et bac+5 ([96]).
Si le code de l’éducation prévoit que l’État a le monopole de la collation des grades (article L. 613-1 du code de l’éducation) et que les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP) les délivrent de plein droit, les établissements privés peuvent, sous de strictes conditions, obtenir l’autorisation de délivrer un grade de licence ou de master pour certaines formations, comme le prévoit l’arrêté du 27 janvier 2020 relatif au cahier des charges des grades universitaires. Dans ce cas, les étudiants passent leurs examens sous le contrôle d’un jury nommé par le recteur.
L’arrêté du 27 janvier 2020 détaille les critères analysés en vue de l’obtention des grades de master et de licence. La procédure est proche de celle prévue pour l’obtention d’un visa mais les critères sont plus exigeants. Ils portent sur la qualité académique et l’adossement à la recherche, la politique sociale, l’ancrage territorial et la mobilité internationale.
Le cadre est particulier pour ce qui concerne les écoles d’ingénieurs privées, car le titre d’ingénieur confère de droit le visa bac+ 5 ainsi que le grade de master. Les écoles accréditées à délivrer le titre d’ingénieur peuvent obtenir que leurs diplômes de bachelor valent grade de licence, sous le contrôle de la CTI. Pour les écoles de commerce et de gestion, l’obtention du grade de licence ou de master est soumise, comme pour le visa, à une évaluation de la CEFDG.
Pour les autres écoles souhaitant obtenir des grades pour leur formation, la procédure passe par un examen de la Dgesip et du Hcéres.
b.  Une minorité des formations relevant du secteur privé lucratif fait l’objet d’un grade ou d’un visa
L’État publie tous les ans les « liste et coordonnées des établissements d’enseignement supérieur technique privés et consulaires autorisés à délivrer un diplôme visé par le ministre chargé de l’enseignement supérieur et/ou à conférer le grade de master à leurs titulaires » ([97]). Cette liste ne permet malheureusement pas d’identifier le nombre d’établissements privés lucratifs délivrant des formations gradées ou visées ; elle ne précise pas la forme juridique des écoles en question. Elle porte uniquement sur les accréditations annuelles, tandis que la délivrance du visa ou du grade est pluriannuelle.
Néanmoins, les divers travaux et données communiqués montrent que les formations relevant du privé lucratif n’occupent qu’une part minoritaire au sein des formations visées ou gradées.
La CTI a indiqué lors de son audition qu’environ une dizaine des écoles d’ingénieurs relèvent du privé lucratif, soit moins de 5 % du total des écoles accréditées par la commission.
En 2023, la CEFDG a examiné 167 formations correspondant à 63 écoles de management. Parmi elles, 16 sont des EESPIG, les autres sont soit des établissements consulaires, soit des établissements privés lucratifs. On dénombre parmi elles 14 écoles de management faisant partie de groupes privés tels que Galiléo, Omnes, Ionis. La CEFDG ne fait pas de distinction entre les formations et diplômes évalués selon qu’ils émanent d’établissements privés lucratifs ou non lucratifs. Néanmoins, la commission accorde « un soin particulier à étudier, analyser et évaluer l’environnement dans lequel la formation est dispensée à savoir l’école avec sa gouvernance ainsi que ses finances et la soutenabilité financière de chaque formation nouvelle soumise à son évaluation. Que les écoles soient lucratives ou non lucratives, le réinvestissement des bénéfices au service de la formation des étudiants est un élément clé auquel la commission attache une importance particulière. » ([98])
Certaines personnes auditionnées soulignent que le visa et le grade peuvent être utilisés comme « tête de gondole » par les établissements. En effet, une même école peut proposer des diplômes visés, voire gradés, et d’autres qui ne le sont pas.
Le fait que le grade et le visa soient minoritaires dans les formations proposées par le secteur privé lucratif doit aussi être analysé au prisme de la spécificité des enseignements qui y sont dispensés. Les acteurs du secteur mettent en avant le fait que le mécanisme du visa et du grade n’est pas adapté à la spécificité de leurs formations, souvent courtes et « professionnalisantes », avec des intervenants issus du milieu professionnel, tandis que les critères du visa et du grade accordent une place importante aux enjeux académiques et d’adossement à la recherche.
Les conventions et jurys rectoraux
Pour les EESP, une procédure supplémentaire est prévue pour délivrer un diplôme reconnu par l’État, à travers un principe de conventionnement avec l’université, ou à défaut dans le cadre de la procédure du jury rectoral (article L. 613-7 du code de l’éducation). Ces pratiques semblent peu concerner des établissements relevant du secteur privé lucratif.
Dans cette hypothèse, le jury est désigné par le recteur de région académique et présidé par un professeur d’université. Lorsqu’une convention est signée, les étudiants de l’établissement privé passent les examens universitaires dans les mêmes conditions que les autres étudiants. La procédure du jury rectoral, conçue initialement comme une exception à la procédure de conventionnement, tend à devenir la règle.
3.  La reconnaissance par le ministère du travail : les titres RNCP et la certification Qualiopi
En parallèle des règles de reconnaissance de formation développées par le ministère de l’enseignement supérieur, déjà complexes en tant que telles, le ministère du travail a développé ses propres mécanismes de reconnaissance et de contrôle des établissements et des formations. Initialement pensés pour la formation continue, ces outils se développent aujourd’hui massivement dans les formations initiales post-bac, notamment en lien avec l’essor de l’apprentissage.
Ainsi, les établissements peuvent proposer des formations correspondant à des certifications professionnelles inscrites au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP), en apprentissage ou hors apprentissage et obtenir une certification intitulée Qualiopi. La certification Qualiopi et l’inscription d’une certification au RNCP sont obligatoires dès lors que l’organisme de formation souhaite pouvoir bénéficier des fonds publics de la formation (financement public ou mutualisé de la formation professionnelle et de l’apprentissage) ([99]). Les formations proposées par les établissements privés à but lucratif entrent pour la majorité d’entre elles dans cette catégorie.
a.  L’inscription d’une formation au répertoire national des certifications professionnelles, une reconnaissance avant tout fondée sur l’insertion professionnelle
Le cadre juridique applicable en la matière a été profondément remanié par la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, qui a procédé à une refonte des certifications professionnelles, autour d’un rôle clé confié à un nouvel opérateur, France compétences. Les diplômes ou les titres à finalité professionnelle peuvent être obtenus par les voies scolaire et universitaire, par la formation professionnelle, notamment l’apprentissage, ou, en tout ou en partie, par la validation des acquis de l’expérience.
Le titre professionnel est une « certification d’État élaborée et délivrée par le ministère du travail. Il atteste que son titulaire maîtrise les compétences, aptitudes et connaissances permettant l’exercice d’un métier et favorise l’accès à l’emploi ou l’évolution professionnelle de son titulaire. » ([100]) Aux termes de l’article L. 6313-1 du code du travail, « les certifications professionnelles enregistrées dans le répertoire national des certifications professionnelles permettent une validation des compétences et des connaissances acquises nécessaires à l’exercice d’activités professionnelles ». Le droit distingue huit niveaux de qualification, comme explicité dans l’encadré ci-dessous.
Les titres professionnels se décomposent obligatoirement en blocs de compétences (article L. 6113-1 du code du travail), appelés certificats de compétences professionnelles. Ces blocs sont définis comme des « ensembles homogènes et cohérents de compétences contribuant à l’exercice autonome d’une activité professionnelle ». Il s’agit d’une fraction de certification professionnelle enregistrée au RNCP, qui doit permettre de développer les parcours modulables et individualisés. Les rapporteures observent que cette logique paraît emprunter davantage aux enjeux de la formation continue que de la formation initiale, mais qu’elle imprègne aujourd’hui de facto les formations dites « professionnalisantes » proposées dans le supérieur, et en particulier dans le supérieur privé à but lucratif.
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Les niveaux de qualification
Pris en application de la loi de 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, le décret d’application n° 2019-14 du 8 janvier 2019 distingue huit niveaux de qualification (1).
Le niveau 1 constitue le niveau le plus bas, associé à la maîtrise des savoirs de base. Les certifications correspondant à ce niveau ne sont pas rattachables à un métier déterminé et ne peuvent être enregistrées au RNCP. À partir du niveau 2, les formations peuvent être inscrites au RNCP. Le niveau 8 correspond aux capacités à identifier et résoudre des problèmes complexes et nouveaux impliquant une pluralité de domaines, en mobilisant les connaissances et les savoir-faire les plus avancés, à concevoir et piloter des projets et des processus de recherche et d’innovation.
Le décret précité indique les correspondances avec les diplômes nationaux. Le diplôme national du baccalauréat équivaut au niveau 4, la licence au niveau 6, le master au niveau 7 et le doctorat au niveau 8. Ces équivalences valent uniquement dans un sens : une licence équivaut à un titre RNCP de niveau 6, en revanche, un titre RNCP de niveau 6 n’équivaut pas à une licence.