N° 2467

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 avril 2024.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

sur l’évolution des négociations d’adhésion
entre les pays des Balkans occidentaux et l’Union européenne,

 

 

ET PRÉSENTÉ

PAR M. Pierre-Henri DUMONT et Mme Liliana TANGUY,

Députés

——

 

 

  1.     La composition de la commission figure au verso de la présente page.

La Commission des affaires européennes est composée de :  M. Pieyre-Alexandre ANGLADE, président ; M. Pierre-Henri DUMONT, Mme Marietta KARAMANLI, MM. Frédéric PETIT, Charles SITZENSTUHL, vice-présidents ; M. Henri ALFANDARI, Mmes Louise MOREL, Nathalie OZIOL, Sandra REGOL secrétaires ; MM. Gabriel AMIEL, Rodrigo ARENAS, Pierrick BERTELOOT, Manuel BOMPARD, Mme Pascale BOYER, MM. Stéphane BUCHOU, André CHASSAIGNE, Mmes Sophia CHIKIROU, Annick COUSIN, Laurence CRISTOL, MM. Fabien DI FILIPPO, Grégoire DE FOURNAS, Thibaut FRANÇOIS, Guillaume GAROT, Mme Félicie GÉRARD, MM. Benjamin HADDAD, Michel HERBILLON, Alexandre HOLROYD, Mmes Brigitte KLINKERT, Constance LE GRIP, Nicole LE PEIH, M. Denis MASSÉGLIA, Mmes Joëlle MÉLIN, Yaël MENACHE, Lysiane MÉTAYER, Danièle OBONO, Mathilde PANOT, Anna PIC, M. Christophe PLASSARD, Mme Marie POCHON, MM. Jean-Pierre PONT, Richard RAMOS, Alexandre SABATOU, Nicolas SANSU, Vincent SEITLINGER, Mmes Michèle TABAROT, Liliana TANGUY, Sabine THILLAYE, Estelle YOUSSOUFFA.

 


SOMMAIRE

___

 Pages

Introduction

Première partie : La région des balkans occidentaux, une région meurtrie par l’histoire qui fait face à de graveS difficultés économiques et à un exode démographique massif

I. Une terre de fractures et de conflits jusqu’à l’époque moderne

A. L’époque des rivalités entre empires

B. Les guerres issues de l’éclatement de la fédération yougoslave

1. La guerre entre républiques yougoslaves (1991-1995)

2. La guerre au Kosovo (1998-1999)

II. Un espace économique en quÊte de convergence qui fait face à un grave exode démographique et se révèle incapable de développer son intégration régionale

A. Une intégration économique avancée avec L’Union européenne

1. Des relations commerciales étroites avec l’Union européenne au bénéfice de cette dernière

2. Des flux d’investissements directs insuffisants

B. Un objectif de convergence économique loin d’être atteint

1. Les retards pris dans la modernisation des économies

2. Un objectif de convergence loin d’être atteint

C. Une dÉmographie en berne qui constitue un handicap structurel inquiétant

1. Des taux de fécondité parmi les plus bas du monde

2. Une émigration massive s’apparentant à une véritable « fuite des cerveaux »

D. Une intégration économique régionale insuffisante

1. Les timides résultats du projet de Marché commun régional

2. Les limites de l’initiative « Open Balkans »

III. L’emprise grandissante de puissances tierces favorisée par les dÉceptions suscitÉes par L’absence de progrès tangibles du processus d’adhÉsion

A. La politique d’influence active de la Turquie

B. L’influence politique de la Russie

C. La présence économique de la Chine

DeuxiÈme partie : La relation de l’Union avec les pays des Balkans occidentaux, entre perspective d’adhÉsion et politique de soutien aux réformes

I. La reconnaissance à ces pays du statut de « candidats potentiels à l’adhÉsion à l’UE » (juin 2000) et d’une « perspective europÉenne » (juin 2003)

A. Le lancement d’un processus original de stabilisation et d’association (PSA)

C. Le cadre habituel de déroulement des négociations

D. La nouvelle mÉthodologie de nÉgociation appliquÉe aux nÉgociations avec les pays des Balkans occidentaux

E. Des progrÈs trÈs contrastÉs dans le dÉroulement des nÉgociations

1. Le constat global d’un faible progrès des négociations d’adhésion

2. Des avancées variables selon les chapitres et les pays

3. La persistance de contentieux bilatéraux ou de foyers de crise : des obstacles majeurs sur le chemin de l’adhésion

II. Les relations entre l’Union europÉenne et les pays des Balkans occidentaux : des voies diverses qui viennent complÉter le processus d’adhÉsion et le soutenir

A. Un dialogue politique trÈs riche qui est l’occasion pour les États membres et les pays des Balkans de discuter de leurs intÉRÊts stratÉgiques communs

1. Les sommets annuels UE-Balkans

2. Le processus de Berlin

B. Une aide multiforme qui soutient le processus de réformes et le dÉveloppement des infrastructures

1. L’aide de pré-adhésion

2. Le plan de croissance pour les Balkans occidentaux

TroisiÈme partie : crÉer les conditions d’une Évolution plus favorable des nÉgociations d’adhÉsion dans les respectS des critÈres de Copenhague

I. PrÉparer L’Union europÉenne à la perspective d’une forte augmentation du nombre d’États membres

A. Engager une réforme prÉalable des institutions europÉennes

B. RÉFLÉchir aux conditions d’ÉLIGIBILITÉ des nouveaux États membres aux aides des politiques europÉennes afin d’Éviter un dÉrapage du budget de l’Union

1. À règles inchangées, le surcoût budgétaire induit par de nouveaux élargissements serait important pour l’Ukraine et plus limité pour les pays des Balkans

2. Une recommandation : réfléchir dès maintenant aux mesures à prendre en amont afin de limiter les surcoûts budgétaires d’un nouvel élargissement

II. Faire Évoluer tout en l’approfondissant la relation entre l’Union europÉenne et les pays des Balkans occidentaux

A. Favoriser le dÉVELoppement de l’intÉgration rÉgionale entre pays des Balkans

B. mieux Utiliser la CommunautÉ politique europÉenne pour en faire le cadre d’un dÉveloppement des coopÉrations sectorielles

C. Promouvoir une nouvelle mÉthode graduelle d’Élargissement

D. Ne pas transiger sur l’exigence d’un plein respect des critÈres de Copenhague dans le cadre d’un élargissement échelonné en fonction des mérites des pays candidats

1. La mise en œuvre d’une conditionnalité exigeante au service d’un plein respect des critères d’adhésion

2. La fixation d’une date « objectif » pour l’adhésion des pays des Balkans : un débat faussé générateur d’incompréhensions

3. Éviter tout approche de type « big-bang » : l’élargissement aux pays des Balkans doit se faire au mérite de manière échelonnée ; le Monténégro, pays le plus avancé, pourrait faire partie d’une première « vague »

E. Renforcer l’alignement des pays candidats sur la politique ÉtrangÈre de l’UE et soutenir la lutte contre la criminalité organisée

1. Faire de l’alignement sur les positions prises dans le cadre de la PESC une condition préalable à toute adhésion

2. Soutenir les Balkans occidentaux en matière de lutte contre la criminalité organisée

F. Œuvrer à la rÉconciliation des peuples des Balkans occidentaux

1. Œuvrer à cette réconciliation par l’enseignement de l’histoire des peuples

2. Faire de la réconciliation entre États de la région une condition de leur adhésion

III. DÉvelopper l’engagement de la France dans la stabilisation des Balkans occidentaux

A. IntÉgrer la jeunesse des pays des Balkans occidentaux au dispositif du Service Civique EuropÉen (SCE)

1. Ouvrir le Service civique européen aux pays des Balkans occidentaux

2. Mobiliser l’Office régional de coopération pour la jeunesse des Balkans occidentaux pour étendre aux Balkans le Service civique européen

B. Promouvoir L’expertise publique et la coopÉration institutionnelle comme axe de dÉveloppement et d’intÉgration

1. Promouvoir la coopération administrative et technique en encourageant le développement des instruments de renforcement de la coopération institutionnelle comme le TAIEX et le Twinning

2. Encourager l’expertise européenne dans la région des Balkans occidentaux via l’envoi d’experts auprès des délégations européennes

3. Renforcer la présence d’Expertise France dans la région en déployant des experts français pour assurer des missions d’appui technique auprès d’administrations d’accueil

C. Renforcer la diplomatie d’influence de la France pour mieux accompagner la future intégration des pays des Balkans occidentaux dans l'union

Conclusion

RecommandationS

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Annexe 1 : Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs

Annexe 2 : Les pays candidats des Balkans occidentaux

 

 

 


   Introduction

 

Mesdames, Messieurs,

 

En juin 1999, le Conseil européen de Cologne lançait le processus de stabilisation et d’association (PSA) en faveur des cinq pays de « l'Europe du SudEst » (Bosnie-Herzégovine, Croatie, République fédérale de Yougoslavie, Ancienne République Yougoslave de Macédoine et Albanie). Moins de quatre ans après la conclusion des accords de Dayton (décembre 1995) qui mettaient fin à la guerre en Bosnie, les pays issus de l’ex-Yougoslavie faisaient l’objet d’une initiative spécifique en vue de renforcer leurs liens avec l’Union européenne ([1]).

Un an plus tard, en juin 2000, le Conseil européen de Santa Maria da Feira de juin 2000 franchissait un pas supplémentaire en indiquant dans ses conclusions que les pays des Balkans occidentaux sont des « candidats potentiels à l’adhésion à l’UE ». Ce progrès vers la reconnaissance d’une sorte de « droit à l’adhésion » a eu toutefois sur le moment peu d’impact public : aucun article de presse n’avait par exemple été publié sur ce point particulier des orientations du Conseil européen.

C’est le Conseil européen de Thessalonique de juin 2003 qui marque de manière publique et officielle le point de départ du processus d’adhésion. À cette occasion, les chefs d’État ou de gouvernement des États membres ont affirmé leur soutien sans équivoque à la « perspective européenne » des cinq pays des Balkans occidentaux qui « feront partie intégrante de l'UE dès qu'ils répondront aux critères établis ». « Nous avons posé un jalon politique irréversible » indiquait à l’époque Romano Prodi, président de la Commission européenne, le Haut représentant pour la PESC, Javier Solana se félicitant que les pays concernés aient désormais leur « feuille de route » pour leur entrée dans l’Union.

Vingt ans plus tard, où en est-on ?

D’un côté, il est abusif, comme le prétendent certains, de dire que rien n’a été fait pour concrétiser cette perspective européenne. Outre la Slovénie qui a adhéré à l’Union européenne dès 2004 avec neuf autres pays d’Europe centrale et orientale, un pays des Balkans occidentaux, la Croatie, est entré dans l’Union le 1er juillet 2013. Des négociations d’adhésion ont été ouvertes avec quatre autres (Monténégro, Serbie, Macédoine du Nord, Albanie) et le statut de pays candidat à la Bosnie-Herzégovine – sachant que la Commission vient de proposer le 13 mars dernier d’ouvrir des négociations d’adhésion avec ce pays. Des réformes considérables ont été entreprises par les pays candidats – dont nous ferons un bilan précis dans la suite de ce rapport – afin d’intégrer les règles européennes dans leur droit national. Les économies de la région ont développé leurs liens avec le marché européen.

Pour autant, ce processus d’adhésion progresse lentement. Aucune nouvelle adhésion n’est intervenue depuis celle de la Croatie il y a plus de dix ans. Alors que, si l’on excepte le cas de la Turquie, la durée des négociations d’adhésion a été au maximum d’un peu plus de six ans (Portugal, Croatie), la Serbie et le Monténégro négocient respectivement depuis juin 2012 et juin 2013, c’est-à-dire depuis plus de dix ans sans perspective à court terme d’une issue favorable. Quant à l’Albanie et à la Macédoine du Nord, ces pays n’ont entamé des négociations d’adhésion que respectivement dix-sept ans et huit ans après leur accession au statut de pays candidat alors que pour la Croatie, cette durée était de moins d’un an et demi.

Le constat est d’ailleurs que les négociations d’adhésion avancent peu : on peut même considérer qu’elles sont au quasi-point mort. Le Monténégro a ouvert trente-trois chapitres mais n’en a clos que trois. La Serbie n’en a fermé que deux sur vingt-deux. Sur un plan général, on doit constater que :

– la convergence économique entre pays des Balkans occidentaux et États membres de l’Union est insuffisante de même que l’intégration régionale ;

 des foyers de tension demeurent à l’échelle régionale qui doivent être résolus en amont au risque sinon que ces conflits se retrouvent importés dans l’Union ;

 le respect des règles de l’État de droit (lutte contre la corruption, indépendance des systèmes judiciaires…) est trop fragile.

Cet « étiolement des perspectives d’adhésion » ([2]) ne saurait être principalement imputé à l’Union. Ce sont les pays candidats qui en sont les principaux responsables par leurs difficultés à accomplir les réformes demandées, par leurs difficultés à consolider l’état de droit et par leur incapacité à régler leurs litiges bilatéraux. Toutefois, si ces retards peuvent tenir à un manque de volonté politique quand il s’agit de prendre des mesures délicates susceptibles de remettre en cause des situations acquises, ils tiennent pour beaucoup au haut degré d’exigence du processus d’adhésion. Il est évidemment difficile pour des pays au niveau de vie très inférieur à celui de l’Union européenne et sortant d’une série de guerres dévastatrices, de se conformer à un acquis communautaire résultant de plus de 50 ans d’intégration.

Quoi qu’il en soit du partage des responsabilités, un fait demeure : la situation actuelle crée au sein des opinions publiques des Balkans un effet de lassitude et de découragement qui nuit au processus d’intégration. Révélatrice de cet état d’esprit, une plaisanterie circule dans ces pays : « Vous faites semblant de vouloir nous accepter, nous faisons semblant de nous réformer » ([3]).

Un tel état d’esprit est très dangereux : il risque de renforcer les mouvements populistes et de déboucher sur la généralisation de régimes illibéraux sur le modèle hongrois ; il risque aussi de « creuser des brèches dans lesquelles s’engouffrent les puissances rivales à commencer par la Russie » ([4]).

Un fait nouveau est toutefois survenu qui pose la question de l’élargissement de l’Union en des termes complètement nouveaux. Il s’agit bien évidemment de la guerre en Ukraine qui a conduit l’Union à accorder à ce pays et à la Moldavie le statut de pays candidat, puis à décider d’ouvrir avec eux des négociations d’adhésion.

Cette double décision prise dans des délais très rapides par le Conseil européen dans une perspective géostratégique afin de consolider l’espace de sécurité européen, a suscité l’inquiétude des pays des Balkans occidentaux devant le risque que l’Ukraine et la Moldavie entrent avant eux dans l’Union. Comme n’a pas manqué de relever Alexandre Schallenberg, ministre autrichien des Affaires étrangères, en novembre 2023, il serait désastreux que la Commission regarde les « Balkans occidentaux avec une loupe et l'Ukraine avec des lunettes roses ».

En réalité, ces inquiétudes n’ont pas lieu d’être. C’est en effet l’ensemble du processus d’élargissement, vers l’Ukraine et la Moldavie comme vers les pays des Balkans occidentaux, qui est désormais considéré comme un impératif par les dirigeants européens. C’est ce qui a été très clairement indiqué par le Président Macron dans son discours de clôture du forum GLOBSEC de Bratislava, le 31 mai 2023 : « (…) la question pour nous n’est pas de savoir si nous devons élargir, nous y avons répondu il y a un an ; ni même quand nous devons le faire, c'est pour moi le plus vite possible, mais bien comment nous devons le faire ».


S’il est donc probable que l’Union atteigne à terme 33 ou 35 États membres (selon que l’on compte ou non la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo), la question pendante est celle de la méthode. Ce nouvel élargissement à l’est et au sud ne saurait en effet conduire l’Union à diminuer son niveau d’exigence. L’Union serait affaiblie si devaient entrer en son sein des États mal préparés, aux économies excessivement divergentes et aux législations ne respectant pas les normes européennes, dont la politique étrangère serait de surcroît en contradiction avec celle de l’Union sur des points importants.

La conviction des rapporteurs est donc que l’Union européenne doit à la fois :

- améliorer le processus d’adhésion afin de lui donner une nouvelle dynamique. Les pays de la région doivent accomplir des réformes structurelles importantes pour améliorer l’environnement des affaires, réformer la gouvernance du secteur public, lutter contre le blanchiment et l’économie informelle, renforcer l’efficacité des systèmes d’éducation et de formation, assurer la transition vers l’économie verte et numérique… ;

- accompagner ce processus d’adhésion exigeant d’une aide européenne renforcée. Les réformes indiquées plus haut sont une condition du rapprochement européen de ces pays mais elles doivent être soutenues par l’Union. Une des solutions proposées par le rapport serait d’offrir aux pays les plus avancés dans la voie de l’adhésion des possibilités nouvelles de participation à certaines politiques de l’Union et d’accès aux fonds de la politique de cohésion en échange de conditionnalités strictes ;

- rester très ferme sur la nécessité d’un plein respect des critères d’adhésion. La conviction des rapporteurs est que l’élargissement doit demeurer un processus fondé sur le mérite débouchant sur une adhésion des pays candidats au fur et à mesure de leur stricte conformité aux exigences européennes. L’erreur de 2004 – un élargissement trop rapide conduit selon une logique géopolitique au bénéfice d’un groupe d’États insuffisamment préparés – ne doit pas être répétée.

Mais, et c’est une autre conviction des rapporteurs, il ne saurait y avoir de nouvel élargissement sans que l’Union européenne se soit elle-même au préalable réformée. Des décisions doivent être prises, notamment par une révision des traités, afin de préserver l’efficacité de son processus de décision et la cohérence de ses politiques communes. Au-delà, il s’agit, comme l’a indiqué le Président de la République, de repenser sa gouvernance et ses finalités.

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   Première partie : La région des balkans occidentaux, une région meurtrie par l’histoire qui fait face à de graveS difficultés économiques et à un exode démographique massif

Source : Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères

I.   Une terre de fractures et de conflits jusqu’à l’époque moderne

Les Balkans occidentaux : quelle acception géographique ?

Au sens géographique, les Balkans désignent la péninsule la plus orientale de l'Europe méridionale, limitée au nord par la Save et le Danube. Elle comprend la Grèce, la Turquie d'Europe, la Bulgarie, la Macédoine du Nord, l'Albanie, la Serbie, le Monténégro, le Kosovo et la Bosnie-Herzégovine. Selon les critères physiques ou culturels retenus, la Croatie et la Roumanie peuvent être ajoutées à cette liste. En se basant sur une définition large, la péninsule balkanique couvre donc 770 000 km2 (soit 25 % de plus que la surface de la péninsule Ibérique).

C'est une région essentiellement montagneuse (chaînes Dinariques, mont Balkan, Rhodope, Pinde), au climat continental à l'intérieur, méditerranéen sur le littoral. Les vallées (Morava, Vardar, Marica) concentrent, avec les bassins intérieurs (Sofia), la majorité de la population.

Utilisé depuis la fin des années 1990, le concept de « Balkans occidentaux » désigne à l’origine l’Albanie et les États issus de la dislocation de la Yougoslavie. Elle fait aujourd’hui référence aux six de ces pays qui n’ont pas encore intégré l’Union européenne (Albanie, Macédoine du Nord, Kosovo, Bosnie-Herzégovine, Serbie, Monténégro). Cet espace géographique de plus de 200 000 km2 comprend près de 15 millions d’habitants.

A.   L’époque des rivalités entre empires

Un rapport parlementaire n’étant pas un livre d’histoire, il ne saurait être question de retracer dans le détail les guerres entre empires ou royaumes dont la région des Balkans a été le terrain. Comme l’a dit Winston Churchill, « la région des Balkans a tendance à produire plus d'histoire qu'elle ne peut en consommer ».

On se limitera donc à rappeler que la région est travaillée par deux « lignes de faille » ([5]).

La première est celle qui sépare les chrétientés latine et orthodoxe suivant approximativement le partage de 395 entre empires romains d’Occident et d’Orient.

La seconde découle de la conquête ottomane entamée au 14e siècle qui s’est étendue jusqu’à englober un territoire couvrant approximativement les actuels Macédoine du Nord, Albanie, Monténégro, Serbie et Bosnie-Herzégovine. À sa frontière occidentale et septentrionale, l’Empire ottoman a fait face jusqu’à la Première guerre mondiale à l’empire des Habsbourg, qui dominait l’actuelle Croatie (avec sa région côtière à partir de 1815).

Cette conquête est allée de pair avec l’implantation de populations serbes chrétiennes dans certaines régions frontalières de l’empire des Habsbourg et la conversion à l’islam de populations bosniaques.

On sait comment Samuel Huttington a pu fonder sa thèse sur le choc des civilisations sur cette triple polarisation dans la région entre catholiques (Croatie, Slovénie), orthodoxes (Serbie, Macédoine du Nord) et musulmans (Bosnie, Albanie). Sans entrer dans le détail des controverses qu’a pu susciter cette thèse, les rapporteurs voudraient souligner que leurs missions dans les Balkans ne leur ont nullement permis de constater que la région serait une terre d’affrontements entre civilisations catholique, orthodoxe et musulmane. Il est indéniable qu’il existe entre pays de la région des différends bilatéraux, des foyers de tension, voire des revendications identitaires opposées. Mais la religion n’est pas à l’origine de tensions qui ont vocation à s’apaiser au fur et à mesure que ces pays se rapprocheront de leur entrée dans l’Union. Comme on le verra, un tel apaisement est en tout cas une des conditions de leur adhésion.

B.   Les guerres issues de l’éclatement de la fédération yougoslave

Après l’émergence au 19e siècle de l’idée « yougoslave » - selon laquelle les populations des Balkans de langue slave ont vocation à vivre dans un même État – s’est constitué en 1918 un royaume des Serbes, Croates et Slovènes, devenu royaume de Yougoslavie en 1929, qui était en réalité sous domination serbe. Au prix d’un régime centralisé de parti unique qui bafouait la liberté d’expression, la République populaire fédérative de Yougoslavie, constituée en 1946 et gouvernée par Tito jusqu’à sa mort en 1980, a su maintenir la stabilité et contenir les rivalités entre composantes nationales.

La fédération yougoslave n’a toutefois pas survécu à la fin de la guerre froide qui a affaibli sa position de non-aligné et libéré dans les années 1990-1991 les revendications autonomistes, puis indépendantistes des républiques.

1.   La guerre entre républiques yougoslaves (1991-1995)

La guerre entre républiques s’est déclenchée lorsqu’après avoir tenté en vain de préserver l’unité de la Yougoslavie, Slobodan Milošević, président de la République serbe, a cherché à défendre les territoires occupés par les minorités serbes au sein des républiques devenues indépendantes.

Bien avant la guerre en Ukraine, la guerre en ex-Yougoslavie a été le premier conflit d’envergure sur le théâtre européen de l’après-guerre froide. Elle a connu trois épisodes importants que l’on se contentera de rappeler cursivement :

-         la sécession de la Slovénie le 25 juin 1991 qui a suscité une brève intervention militaire de l’Armée populaire yougoslave mais a rapidement abouti à son retrait en octobre 1991, puis à la reconnaissance de l’indépendance slovène par Belgrade, en raison notamment de l’absence d’une population serbe significative en Slovénie ;

-         l’attaque des forces serbes à l’automne 1991 contre la Croatie à la suite de sa déclaration d’indépendance le 25 juin 1991. L’armée serbe a réussi à occuper les territoires croates peuplés par des minorités serbes avant de devoir bien plus tard les céder en 1995 sous la pression de l’armée croate soutenue par les États-Unis ;

-         l’extension du conflit à la Bosnie-Herzégovine à la suite de sa déclaration d’indépendance le 6 avril 1992. C’est le début de la phase la plus complexe du conflit caractérisé par l’intervention des Nations unies – qui déploient une mission de maintien de la paix en février 1992 (la FORPRONU) - puis par l’intervention aérienne décisive de l’OTAN contre les forces serbes qui a abouti à la fin du conflit le 14 décembre 1995 avec les accords de Dayton.

S’il est un fait à souligner, c’est bien l’impuissance des Européens à prévenir le déclenchement de ce conflit, puis à favoriser son règlement. L’Union a d’abord échoué, pendant l’été 1991, à prévenir le déclenchement de la guerre entre la Serbie et la Croatie. Une conférence de paix s’était bien réunie sous son égide en août-septembre 1991. Mais le refus des Douze de déployer une force européenne sous l’égide de l’UEO (septembre 1991) a privé l’Europe des moyens de s’interposer entre belligérants et d’imposer une solution fondée sur l’intangibilité des frontières et le droit des minorités.

La question de la reconnaissance de la Slovénie et de la Croatie a ensuite divisé les États membres. Alors qu’une commission d’arbitrage présidée par Robert Badinter avait été mise en place pour définir les conditions de la reconnaissance de ces deux ex-républiques et que les Douze étaient convenus de statuer sur le sujet le 15 janvier 1992, l’Allemagne a décidé de reconnaître l’indépendance de la Croatie et de la Slovénie dès le 23 décembre 1991 ouvrant ainsi la voie à une reconnaissance en ordre dispersé.

Impuissante à empêcher l’extension de la guerre civile à la Bosnie, il ne restait plus à la Communauté européenne qu’à passer le relais à l’ONU. Bien que la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne fissent partie du groupe de contact avec les États-Unis et la Russie, l’Europe est restée hors-jeu en tant que telle jusqu’à la fin du conflit.

2.   La guerre au Kosovo (1998-1999)

Peuplé majoritairement d’Albanais (82 % de la population en 1991), le Kosovo a toujours revêtu pour les Serbes une importance historique particulière puisque c’est sur ce territoire qu’ils se sont héroïquement battus contre les forces ottomanes lors de la bataille du Champ des Merles (Kosovo Polje) en 1389. Du temps de la fédération yougoslave, le Kosovo n’était pas une république : il bénéficiait d’un statut de région autonome au sein de la République serbe.

La suppression de ce statut d’autonomie par Slobodan Milošević en 1989 a constitué le point de déclenchement du conflit. Acceptant de plus en plus mal la domination serbe, une partie des Albanais du Kosovo constituent en 1996 l’Armée de libération du Kosovo (UÇK). C’est le début de l’insurrection et de la répression par l’armée serbe.

En février et mars 1999 s’est tenue la conférence de Rambouillet organisée sous l’égide du groupe de contact. Cette conférence a finalement échoué, la Serbie ayant refusé l’envoi de troupes de l’OTAN pour stabiliser la région. L’OTAN a alors entamé une campagne de bombardements, sans mandat explicite de l’ONU, qui a permis de faire plier le pouvoir serbe. En juin 1999, la Serbie a dû accepter que le Kosovo soit placé sous le contrôle politique d’une mission des Nations Unies et la protection militaire de l’OTAN.

En février 2008, le Kosovo a proclamé unilatéralement son indépendance. Cette dernière n’est toutefois pas reconnue par cinq États membres de l’Union : Espagne, Grèce, Roumanie, Slovaquie et Chypre.

Le bilan de ces deux guerres est effroyable : plus de 130 000 morts, dont environ 100 000 pour la seule guerre de Bosnie, 20 000 pour celle de Croatie et 13 500 pour celle du Kosovo ; 2,4 millions de réfugiés ainsi que deux millions de déplacés internes. Ces mouvements de population ont généralement eu pour résultat de renforcer la séparation entre communautés.

II.   Un espace économique en quÊte de convergence qui fait face à un grave exode démographique et se révèle incapable de développer son intégration régionale

A.   Une intégration économique avancée avec L’Union européenne

1.   Des relations commerciales étroites avec l’Union européenne au bénéfice de cette dernière

L'UE est le principal partenaire commercial des Balkans occidentaux. En 2022, l'UE représentait près de 70 % des échanges de biens de la région ; alors que la part de la région dans le commerce global de l’UE n’est que de 1,4 %. Les principaux partenaires commerciaux des Balkans occidentaux (2022) sont l’UE 66 %, la Chine 8 %, la Turquie 6 %, la Russie 4 %, et le Royaume‑Uni 3 %.

Les échanges de marchandises entre l’UE et les Balkans occidentaux représentaient plus de 84 milliards € en 2022, un chiffre en hausse de 158 % ces 10 dernières années.

L'UE a toujours eu un excédent commercial avec les Balkans occidentaux. Il a culminé à 9,8 milliards d'euros en 2012 et a atteint son niveau le plus bas à 7,5 milliards d'euros en 2016. Entre 2016 et 2019, les exportations vers les Balkans occidentaux et les importations en provenance de ces pays ont augmenté, avant de diminuer en 2020 en raison de la pandémie de COVID-19. Toutefois, en 2021, les importations et les exportations se sont fortement redressées, atteignant respectivement un pic de 28,2 milliards d'euros et de 36,9 milliards d'euros.

Près de la moitié des exportations totales de l'UE vers les Balkans occidentaux sont destinées à la Serbie. En 2021, l'UE a enregistré un excédent commercial avec cinq des six partenaires des Balkans occidentaux. L'excédent le plus élevé était avec la Serbie (4,5 milliards d'euros), suivie de l'Albanie (1,6 milliard d'euros), du Kosovo (1,3 milliard d'euros), de la Bosnie-et-Herzégovine (1 milliard d'euros) et du Monténégro (0,8 milliard d'euros). L'UE n'a enregistré un déficit qu'avec la Macédoine du Nord (-0,6 milliard d'euros).

 

 

https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/images/thumb/f/ff/EU_imports_from_Western_Balkan_Countries%2C_2011_-_2021.png/500px-EU_imports_from_Western_Balkan_Countries%2C_2011_-_2021.png

https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/images/e/e1/EU_exports_to_Western_Balkan_Countries%2C_2011_-_2021.png

 

https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/images/thumb/b/be/EU_trade_balance_with_Western_Balkan_Countries%2C_2011_-_2021.png/500px-EU_trade_balance_with_Western_Balkan_Countries%2C_2011_-_2021.png

2.   Des flux d’investissements directs insuffisants

Il est dans l’ordre des choses que, compte tenu de leur niveau de développement et de leurs besoins d’investissement, les pays des Balkans soient en déficit commercial avec les pays de l’Union. Il est en revanche regrettable que l’établissement de cette zone de libre-échange ne se soit pas accompagné d’un flux important d’investissements directs en destination de leurs économies.

Comme le montre le graphique ci-dessous, les investissements directs en provenance de l’Union européenne ne décollent pas à la différence de ceux de la Chine qui connaissent une forte croissance.

 

https://www.swp-berlin.org/publications/assets/Comment/2023C36/images/2023C36_WesternBalkans_002.png

 

Flux d’investissements directs étrangers entrant en Serbie

(en millions d’euros)

IDE

Source : Banque centrale de Serbie

La conclusion d’accords européens d’association avec les pays d’Europe centrale et orientale dans les années quatre‑vingt-dix avait également débouché sur un creusement du déficit commercial au bénéfice de l’Union européenne mais parallèlement, les flux d’investissements privés s’étaient développés vers les pays de la région. Pour des raisons diverses tenant à l’obsolescence des infrastructures, à la faiblesse de l’état de droit et au manque d’intégration régionale, les investisseurs privés européens ont négligé les pays des Balkans.

B.   Un objectif de convergence économique loin d’être atteint

1.   Les retards pris dans la modernisation des économies

Les économies des pays des Balkans occidentaux ont d’abord pâti des dégâts économiques causés par les guerres des années quatre-vingt-dix. En Bosnie-Herzégovine, le Gouvernement a estimé les dommages de guerre entre 50 et 70 milliards de dollars, avec une baisse du PIB de 75 % entre le début et la fin de la guerre. Le Parlement croate a quant à lui évalué les dommages de guerre subis par la Croatie à 37 milliards de dollars. Les sanctions mises en place contre la République fédérale de Yougoslavie à partir de 1992 par les Nations unies, les États-Unis et l’Union européenne ont contribué à une baisse du PIB estimée à 55 % entre 1989 et 1995.

Entamée plus tardivement que dans les pays d’Europe centrale et orientale, la modernisation des économies des Balkans a ensuite été entravée par deux chocs exogènes qui ont touché l’ensemble des économies européennes :

 la crise financière mondiale de 2007-2008 qui a occasionné une baisse importante des investissements étrangers et affecté certains secteurs-clef dans des économies peu diversifiées, comme le tourisme et l’immobilier dans le cas du Monténégro ou le secteur minier dans celui du Kosovo ou de la Bosnie‑Herzégovine.

 la crise due à la pandémie de COVID-19 qui a plongé ensuite les pays de la région dans la récession.

2.   Un objectif de convergence loin d’être atteint

Dans sa communication du 8 novembre 2023 sur le nouveau plan de croissance, la Commission européenne note que l’objectif d’une convergence entre les pays candidats des Balkans occidentaux et l’Union européenne, mesurée par le rapport entre le PIB par habitant des pays candidats et le PIB par habitant moyen de l’Union européenne, est encore loin d’être atteint.

Comme l’indique le tableau ci-dessous, les PIB par habitant des économies des six pays candidats des Balkans occidentaux mesuré en parité de pouvoir d’achat (SPA) varient entre un peu plus du quart (dans le cas du Kosovo) et la moitié (dans le cas du Monténégro) de celui de l’Union européenne. Le PIB par habitant du pays le plus riche de la région (Monténégro) est par exemple inférieur à celui de l’État membre le plus pauvre (Bulgarie).

PIB et PIB par habitant des six pays candidats en 2021 et 2022

Pays

PIB (Mds$)

Croissance (%)

PIB/h ($)

PIB/H (SPA)
(2021)

PIB/h (SPA) comparé à

la moyenne de l’UE (%)
(2021)

Albanie

18,92

4,9

6 810,1

10 296

34

Bosnie

24,47

4,1

7 568,8

10 200

35

Kosovo

9,41

5,2

5 340,3

4 426

27

Macédoine

13,56

2,1

6 591,5

5 672

42

Monténégro

6,23

6,4

10 093,4

15 538

50

Serbie

63,56

2,5

9 537,7

14 349

44

Total

136,15

 

 

 

(EU27 : 30 054)

Source : Banque mondiale, Commission européenne, communication du 8 novembre 2023 sur le nouveau plan de croissance pour les Balkans occidentaux

Le graphique ci-dessous montre que, depuis 2011, le PIB par habitant des six pays candidats s’est à peine rapproché de celui de l’Union.

Évolution du PIB par habitant des pays candidats des Balkans occidentaux comparée à celle du PIB par habitant de l’Union européenne
entre 2011 et 2022

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Description générée automatiquement

Source : Commission européenne, communication du 8 novembre 2023 sur le nouveau plan de croissance pour les Balkans occidentaux.

Sur le plan social, on constate également des différences entre niveaux de salaires minimums entre États membres de l’Union et pays candidats des Balkans. On notera toutefois que les salaires minimums dans les pays candidats ont une tendance régulière à l’augmentation et que l’écart avec ceux des pays les moins riches de l’Union se réduit (les salaires minimums serbe et monténégrin étant d’ores-et-déjà supérieurs au salaire minimum bulgare).

 

Pays

Montant du salaire minimum brut (euros)

Allemagne

2 054

France

1 767

Croatie

840

Roumanie

663

Bulgarie

477

Serbie

544

Monténégro

532

Albanie

385

Macédoine

359

Bosnie-Herzégovine

316

Kosovo

264

Source : Eurostat

Dès lors que les économies de l’Union européenne et des pays des Balkans ont été confrontées aux mêmes chocs exogènes (crise financière de 2008, crise sanitaire), cette absence de réelle convergence tient à des facteurs structurels parmi lesquels :

-         une intégration régionale insuffisante ;

-         une main-d’œuvre qualifiée mais plus chère que dans des pays voisins comme la Roumanie ou la Bulgarie ;

-         un réseau d’infrastructures insuffisant (particulièrement criant en Albanie et au Kosovo) ;

-         un appareil productif vieillissant.

Ces différents facteurs auxquels il faut ajouter le manque de transparence des systèmes judiciaires font que la région est insuffisamment attractive pour les investisseurs étrangers. Seule la Serbie, à l’échelle régionale, dispose d’atouts suffisants (une position géographique centrale, des infrastructures de communication non négligeables, un marché intérieur de 8 millions d’habitants) pour attirer les investissements étrangers.


Caractéristiques nationales des économies
des pays candidats des Balkans occidentaux

La Serbie. L’économie serbe souffre de la guerre en Ukraine, le pays étant largement intégré aux chaînes productives et logistiques de l’UE, notamment dans le secteur automobile. La croissance reste quant à elle insuffisante pour permettre une convergence rapide de la Serbie vers le niveau européen, le PIB par habitant serbe étant équivalent à 39 % de celui de l’Union Européenne.

Le Monténégro. Du fait de sa forte dépendance au tourisme, qui représente un quart de son PIB, le Monténégro est le pays des Balkans occidentaux qui a fait face à la récession la plus importante du fait de la crise sanitaire. Le Monténégro présente cependant une vulnérabilité particulière en matière d’endettement externe, ce dernier ayant atteint 190,9 % du PIB en 2020, près d’un tiers de ce montant étant constitué par la dette publique, en particulier celle d’un montant de 944 millions de dollars contractée par l’État auprès de l’Eximbank chinoise pour la construction du tronçon N° 1 de l’autoroute entre le port de Bar et la frontière serbe (Boljare), dont le remboursement a débuté en 2021, après un délai de grâce de six ans. La Chine détient ainsi 25 % de la dette publique du Monténégro.

La Macédoine du Nord. Avec un PIB par habitant équivalent à 38 % de la moyenne de l’UE et une économie informelle estimée à plus du tiers de son PIB, la Macédoine du Nord aura besoin d’une croissance soutenue se rapprocher des standards de l’UE.

L’Albanie demeure l’un des plus pauvres d’Europe et dispose d’infrastructures encore insuffisantes dans les secteurs des transports, de l’énergie, de l’assainissement et de l’approvisionnement en eau. L’économie albanaise reste dominée par le secteur des services (restauration et hôtellerie notamment), qui représente près de 47,7 % de la valeur ajoutée en 2021 et par le secteur industriel (21,8). Les transferts de la diaspora, qui constituent 9.7 % du PIB, alimentent l’économie et constituent une des vulnérabilités structurelles du pays, tandis que l’émigration économique ne faiblit pas.

La Bosnie-Herzégovine fait partie des pays les moins développés de la région des Balkans occidentaux, avec l’Albanie et le Kosovo. Son économie s’appuie sur un appareil industriel hérité de l’ère yougoslave relativement développé, mais devenu obsolète, et fortement tourné vers les marchés extérieurs, ce qui le rend vulnérable aux chocs extérieurs comme les variations des cours mondiaux ou de la demande en provenance de l’Union européenne, qui représente la moitié de ses exportations.

Le Kosovo est le pays le plus pauvre des Balkans occidentaux, avec un PIB par habitant d’environ 3 967 euros. Son économie reste dépendante de l’aide extérieure et des transferts de la diaspora (qui atteignent 17,9 % du PIB en 2021). Ce pays dispose de richesses minières et hydro-électriques, mais l’appareil de production est ancien et nécessiterait des investissements importants. Le pays importe l’essentiel de ses biens de consommation et la réduction du déficit de son commerce extérieur est une de ses priorités. Le niveau de chômage stagne à des niveaux élevés, touchant près du quart de la population active et la moitié des jeunes. Le pays subit une importante émigration, accompagnée d’une « fuite des cerveaux », notamment vers l’Allemagne et la Suisse.

Dans un rapport paru en février 2024, intitulé "Les Balkans occidentaux peuvent-ils converger vers le niveau de vie de I'UE ?" ([6]), la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) estime à 40 ans le temps nécessaire aux Balkans occidentaux pour réaliser le processus de convergence économique avec les pays de I'UE à la condition que le taux de croissance soit équivalent au taux moyen constaté sur la période 2001-2021. Le délai serait de 70 ans si le rythme de croissance plutôt lent observé depuis la crise financière mondiale se maintient.

L'institution précise néanmoins que le processus de rattrapage économique pourrait s'accélérer en :

- améliorant la gouvernance, notamment l’efficacité des institutions de L’État et des tribunaux, les droits de propriété et la lutte contre la corruption. Une telle amélioration pourrait contribuer à inverser la tendance de forte émigration de la population, remédiant ainsi au déficit de compétences dans la région ;

- favorisant les liens transfrontaliers, ce qui implique de réduire les obstacles au commerce et de développer les infrastructures de transports. De telles évolutions sont de nature à améliorer la compétitivité de la zone par la réalisation d'économies d'échelle et l’attractivité pour les investisseurs étrangers ;

- facilitant la transition verte. Le rapport encourage ainsi la poursuite des investissements dans les énergies renouvelables, afin de réduire la dépendance de la zone au charbon.

Ainsi, dans un scénario optimiste, les Balkans occidentaux pourraient atteindre un PIB par habitant équivalent à celui de I'UE d'ici deux à trois décennies.

C.   Une dÉmographie en berne qui constitue un handicap structurel inquiétant

L’ensemble des six pays candidats des Balkans occidentaux ont une population de 14,7 millions d’habitants, selon les estimations des Nations unies.

Ces chiffres restent toutefois imprécis parce que les recensements sont relativement peu fréquents dans les pays de la région et que l’émigration en provenance de ces pays n’est pas toujours bien quantifiée.

Population estimée des pays candidats des Balkans occidentaux en 2022

Pays

Population (en milliers)

Serbie

7 097

Monténégro

626

Bosnie

3 194

Macédoine du Nord

2 083

Kosovo

1 667

Albanie

2 826

Total

14 667

Source : World Population Prospects. Nations Unies. 2022

Après une période de croissance démographique après la Seconde guerre mondiale, la tendance s’est inversée depuis les années quatre-vingts. La population pourrait baisser de 24 % en Serbie d'ici à 2050, de 26 % en Albanie et de 37 % en Bosnie-Herzégovine. Les pyramides des âges des pays candidats des Balkans occidentaux sont désormais inversées, la tranche d’âges la plus représentée se situant entre 40 et 50 ans.

Une telle évolution tient à la baisse des taux de fécondité et à l’accélération de l’émigration des populations de ces pays. Les pays des Balkans se retrouvent ainsi dans la situation de cumuler des caractéristiques de pays pauvres (émigration des jeunes) et de pays riches (faible natalité).

1.   Des taux de fécondité parmi les plus bas du monde

Comme le montre le tableau et le graphique ci-dessous, aucun des pays n’atteint aujourd’hui le seuil de renouvellement de 2,1 enfants par femme. Leur taux de fécondité moyen (1,5) s’est rapproché de celui de l’Union européenne.

Taux de fécondité

 

Taux de fécondité

Monténégro

1,76 (données 2021)

Serbie

1,59 (données 2022)

Kosovo

1,55 (données 2019)

Macédoine du Nord

1,44 (données 2021)

Bosnie Herzégovine

1,3 (données 2022*)

Albanie

1,21 (données 2022)

Moyenne des six pays des Balkans

1.5

Union européenne

1,46 (données 2022)

Source : données Eurostat. Enlargement countries - population statistics - Statistics Explained (europa.eu). Pour la Bosnie-Herzégovine : données United Nations Population Fund World Population Dashboard -Bosnia and Herzegovina | United Nations Population Fund (unfpa.org).