N° 2467

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 avril 2024.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

sur l’évolution des négociations d’adhésion
entre les pays des Balkans occidentaux et l’Union européenne,

 

 

ET PRÉSENTÉ

PAR M. Pierre-Henri DUMONT et Mme Liliana TANGUY,

Députés

——

 

 

  1.     La composition de la commission figure au verso de la présente page.

La Commission des affaires européennes est composée de :  M. Pieyre-Alexandre ANGLADE, président ; M. Pierre-Henri DUMONT, Mme Marietta KARAMANLI, MM. Frédéric PETIT, Charles SITZENSTUHL, vice-présidents ; M. Henri ALFANDARI, Mmes Louise MOREL, Nathalie OZIOL, Sandra REGOL secrétaires ; MM. Gabriel AMIEL, Rodrigo ARENAS, Pierrick BERTELOOT, Manuel BOMPARD, Mme Pascale BOYER, MM. Stéphane BUCHOU, André CHASSAIGNE, Mmes Sophia CHIKIROU, Annick COUSIN, Laurence CRISTOL, MM. Fabien DI FILIPPO, Grégoire DE FOURNAS, Thibaut FRANÇOIS, Guillaume GAROT, Mme Félicie GÉRARD, MM. Benjamin HADDAD, Michel HERBILLON, Alexandre HOLROYD, Mmes Brigitte KLINKERT, Constance LE GRIP, Nicole LE PEIH, M. Denis MASSÉGLIA, Mmes Joëlle MÉLIN, Yaël MENACHE, Lysiane MÉTAYER, Danièle OBONO, Mathilde PANOT, Anna PIC, M. Christophe PLASSARD, Mme Marie POCHON, MM. Jean-Pierre PONT, Richard RAMOS, Alexandre SABATOU, Nicolas SANSU, Vincent SEITLINGER, Mmes Michèle TABAROT, Liliana TANGUY, Sabine THILLAYE, Estelle YOUSSOUFFA.

 


SOMMAIRE

___

 Pages

Introduction

Première partie : La région des balkans occidentaux, une région meurtrie par l’histoire qui fait face à de graveS difficultés économiques et à un exode démographique massif

I. Une terre de fractures et de conflits jusqu’à l’époque moderne

A. L’époque des rivalités entre empires

B. Les guerres issues de l’éclatement de la fédération yougoslave

1. La guerre entre républiques yougoslaves (1991-1995)

2. La guerre au Kosovo (1998-1999)

II. Un espace économique en quÊte de convergence qui fait face à un grave exode démographique et se révèle incapable de développer son intégration régionale

A. Une intégration économique avancée avec L’Union européenne

1. Des relations commerciales étroites avec l’Union européenne au bénéfice de cette dernière

2. Des flux d’investissements directs insuffisants

B. Un objectif de convergence économique loin d’être atteint

1. Les retards pris dans la modernisation des économies

2. Un objectif de convergence loin d’être atteint

C. Une dÉmographie en berne qui constitue un handicap structurel inquiétant

1. Des taux de fécondité parmi les plus bas du monde

2. Une émigration massive s’apparentant à une véritable « fuite des cerveaux »

D. Une intégration économique régionale insuffisante

1. Les timides résultats du projet de Marché commun régional

2. Les limites de l’initiative « Open Balkans »

III. L’emprise grandissante de puissances tierces favorisée par les dÉceptions suscitÉes par L’absence de progrès tangibles du processus d’adhÉsion

A. La politique d’influence active de la Turquie

B. L’influence politique de la Russie

C. La présence économique de la Chine

DeuxiÈme partie : La relation de l’Union avec les pays des Balkans occidentaux, entre perspective d’adhÉsion et politique de soutien aux réformes

I. La reconnaissance à ces pays du statut de « candidats potentiels à l’adhÉsion à l’UE » (juin 2000) et d’une « perspective europÉenne » (juin 2003)

A. Le lancement d’un processus original de stabilisation et d’association (PSA)

C. Le cadre habituel de déroulement des négociations

D. La nouvelle mÉthodologie de nÉgociation appliquÉe aux nÉgociations avec les pays des Balkans occidentaux

E. Des progrÈs trÈs contrastÉs dans le dÉroulement des nÉgociations

1. Le constat global d’un faible progrès des négociations d’adhésion

2. Des avancées variables selon les chapitres et les pays

3. La persistance de contentieux bilatéraux ou de foyers de crise : des obstacles majeurs sur le chemin de l’adhésion

II. Les relations entre l’Union europÉenne et les pays des Balkans occidentaux : des voies diverses qui viennent complÉter le processus d’adhÉsion et le soutenir

A. Un dialogue politique trÈs riche qui est l’occasion pour les États membres et les pays des Balkans de discuter de leurs intÉRÊts stratÉgiques communs

1. Les sommets annuels UE-Balkans

2. Le processus de Berlin

B. Une aide multiforme qui soutient le processus de réformes et le dÉveloppement des infrastructures

1. L’aide de pré-adhésion

2. Le plan de croissance pour les Balkans occidentaux

TroisiÈme partie : crÉer les conditions d’une Évolution plus favorable des nÉgociations d’adhÉsion dans les respectS des critÈres de Copenhague

I. PrÉparer L’Union europÉenne à la perspective d’une forte augmentation du nombre d’États membres

A. Engager une réforme prÉalable des institutions europÉennes

B. RÉFLÉchir aux conditions d’ÉLIGIBILITÉ des nouveaux États membres aux aides des politiques europÉennes afin d’Éviter un dÉrapage du budget de l’Union

1. À règles inchangées, le surcoût budgétaire induit par de nouveaux élargissements serait important pour l’Ukraine et plus limité pour les pays des Balkans

2. Une recommandation : réfléchir dès maintenant aux mesures à prendre en amont afin de limiter les surcoûts budgétaires d’un nouvel élargissement

II. Faire Évoluer tout en l’approfondissant la relation entre l’Union europÉenne et les pays des Balkans occidentaux

A. Favoriser le dÉVELoppement de l’intÉgration rÉgionale entre pays des Balkans

B. mieux Utiliser la CommunautÉ politique europÉenne pour en faire le cadre d’un dÉveloppement des coopÉrations sectorielles

C. Promouvoir une nouvelle mÉthode graduelle d’Élargissement

D. Ne pas transiger sur l’exigence d’un plein respect des critÈres de Copenhague dans le cadre d’un élargissement échelonné en fonction des mérites des pays candidats

1. La mise en œuvre d’une conditionnalité exigeante au service d’un plein respect des critères d’adhésion

2. La fixation d’une date « objectif » pour l’adhésion des pays des Balkans : un débat faussé générateur d’incompréhensions

3. Éviter tout approche de type « big-bang » : l’élargissement aux pays des Balkans doit se faire au mérite de manière échelonnée ; le Monténégro, pays le plus avancé, pourrait faire partie d’une première « vague »

E. Renforcer l’alignement des pays candidats sur la politique ÉtrangÈre de l’UE et soutenir la lutte contre la criminalité organisée

1. Faire de l’alignement sur les positions prises dans le cadre de la PESC une condition préalable à toute adhésion

2. Soutenir les Balkans occidentaux en matière de lutte contre la criminalité organisée

F. Œuvrer à la rÉconciliation des peuples des Balkans occidentaux

1. Œuvrer à cette réconciliation par l’enseignement de l’histoire des peuples

2. Faire de la réconciliation entre États de la région une condition de leur adhésion

III. DÉvelopper l’engagement de la France dans la stabilisation des Balkans occidentaux

A. IntÉgrer la jeunesse des pays des Balkans occidentaux au dispositif du Service Civique EuropÉen (SCE)

1. Ouvrir le Service civique européen aux pays des Balkans occidentaux

2. Mobiliser l’Office régional de coopération pour la jeunesse des Balkans occidentaux pour étendre aux Balkans le Service civique européen

B. Promouvoir L’expertise publique et la coopÉration institutionnelle comme axe de dÉveloppement et d’intÉgration

1. Promouvoir la coopération administrative et technique en encourageant le développement des instruments de renforcement de la coopération institutionnelle comme le TAIEX et le Twinning

2. Encourager l’expertise européenne dans la région des Balkans occidentaux via l’envoi d’experts auprès des délégations européennes

3. Renforcer la présence d’Expertise France dans la région en déployant des experts français pour assurer des missions d’appui technique auprès d’administrations d’accueil

C. Renforcer la diplomatie d’influence de la France pour mieux accompagner la future intégration des pays des Balkans occidentaux dans l'union

Conclusion

RecommandationS

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Annexe 1 : Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs

Annexe 2 : Les pays candidats des Balkans occidentaux

 

 

 


   Introduction

 

Mesdames, Messieurs,

 

En juin 1999, le Conseil européen de Cologne lançait le processus de stabilisation et d’association (PSA) en faveur des cinq pays de « l'Europe du SudEst » (Bosnie-Herzégovine, Croatie, République fédérale de Yougoslavie, Ancienne République Yougoslave de Macédoine et Albanie). Moins de quatre ans après la conclusion des accords de Dayton (décembre 1995) qui mettaient fin à la guerre en Bosnie, les pays issus de l’ex-Yougoslavie faisaient l’objet d’une initiative spécifique en vue de renforcer leurs liens avec l’Union européenne ([1]).

Un an plus tard, en juin 2000, le Conseil européen de Santa Maria da Feira de juin 2000 franchissait un pas supplémentaire en indiquant dans ses conclusions que les pays des Balkans occidentaux sont des « candidats potentiels à l’adhésion à l’UE ». Ce progrès vers la reconnaissance d’une sorte de « droit à l’adhésion » a eu toutefois sur le moment peu d’impact public : aucun article de presse n’avait par exemple été publié sur ce point particulier des orientations du Conseil européen.

C’est le Conseil européen de Thessalonique de juin 2003 qui marque de manière publique et officielle le point de départ du processus d’adhésion. À cette occasion, les chefs d’État ou de gouvernement des États membres ont affirmé leur soutien sans équivoque à la « perspective européenne » des cinq pays des Balkans occidentaux qui « feront partie intégrante de l'UE dès qu'ils répondront aux critères établis ». « Nous avons posé un jalon politique irréversible » indiquait à l’époque Romano Prodi, président de la Commission européenne, le Haut représentant pour la PESC, Javier Solana se félicitant que les pays concernés aient désormais leur « feuille de route » pour leur entrée dans l’Union.

Vingt ans plus tard, où en est-on ?

D’un côté, il est abusif, comme le prétendent certains, de dire que rien n’a été fait pour concrétiser cette perspective européenne. Outre la Slovénie qui a adhéré à l’Union européenne dès 2004 avec neuf autres pays d’Europe centrale et orientale, un pays des Balkans occidentaux, la Croatie, est entré dans l’Union le 1er juillet 2013. Des négociations d’adhésion ont été ouvertes avec quatre autres (Monténégro, Serbie, Macédoine du Nord, Albanie) et le statut de pays candidat à la Bosnie-Herzégovine – sachant que la Commission vient de proposer le 13 mars dernier d’ouvrir des négociations d’adhésion avec ce pays. Des réformes considérables ont été entreprises par les pays candidats – dont nous ferons un bilan précis dans la suite de ce rapport – afin d’intégrer les règles européennes dans leur droit national. Les économies de la région ont développé leurs liens avec le marché européen.

Pour autant, ce processus d’adhésion progresse lentement. Aucune nouvelle adhésion n’est intervenue depuis celle de la Croatie il y a plus de dix ans. Alors que, si l’on excepte le cas de la Turquie, la durée des négociations d’adhésion a été au maximum d’un peu plus de six ans (Portugal, Croatie), la Serbie et le Monténégro négocient respectivement depuis juin 2012 et juin 2013, c’est-à-dire depuis plus de dix ans sans perspective à court terme d’une issue favorable. Quant à l’Albanie et à la Macédoine du Nord, ces pays n’ont entamé des négociations d’adhésion que respectivement dix-sept ans et huit ans après leur accession au statut de pays candidat alors que pour la Croatie, cette durée était de moins d’un an et demi.

Le constat est d’ailleurs que les négociations d’adhésion avancent peu : on peut même considérer qu’elles sont au quasi-point mort. Le Monténégro a ouvert trente-trois chapitres mais n’en a clos que trois. La Serbie n’en a fermé que deux sur vingt-deux. Sur un plan général, on doit constater que :

– la convergence économique entre pays des Balkans occidentaux et États membres de l’Union est insuffisante de même que l’intégration régionale ;

 des foyers de tension demeurent à l’échelle régionale qui doivent être résolus en amont au risque sinon que ces conflits se retrouvent importés dans l’Union ;

 le respect des règles de l’État de droit (lutte contre la corruption, indépendance des systèmes judiciaires…) est trop fragile.

Cet « étiolement des perspectives d’adhésion » ([2]) ne saurait être principalement imputé à l’Union. Ce sont les pays candidats qui en sont les principaux responsables par leurs difficultés à accomplir les réformes demandées, par leurs difficultés à consolider l’état de droit et par leur incapacité à régler leurs litiges bilatéraux. Toutefois, si ces retards peuvent tenir à un manque de volonté politique quand il s’agit de prendre des mesures délicates susceptibles de remettre en cause des situations acquises, ils tiennent pour beaucoup au haut degré d’exigence du processus d’adhésion. Il est évidemment difficile pour des pays au niveau de vie très inférieur à celui de l’Union européenne et sortant d’une série de guerres dévastatrices, de se conformer à un acquis communautaire résultant de plus de 50 ans d’intégration.

Quoi qu’il en soit du partage des responsabilités, un fait demeure : la situation actuelle crée au sein des opinions publiques des Balkans un effet de lassitude et de découragement qui nuit au processus d’intégration. Révélatrice de cet état d’esprit, une plaisanterie circule dans ces pays : « Vous faites semblant de vouloir nous accepter, nous faisons semblant de nous réformer » ([3]).

Un tel état d’esprit est très dangereux : il risque de renforcer les mouvements populistes et de déboucher sur la généralisation de régimes illibéraux sur le modèle hongrois ; il risque aussi de « creuser des brèches dans lesquelles s’engouffrent les puissances rivales à commencer par la Russie » ([4]).

Un fait nouveau est toutefois survenu qui pose la question de l’élargissement de l’Union en des termes complètement nouveaux. Il s’agit bien évidemment de la guerre en Ukraine qui a conduit l’Union à accorder à ce pays et à la Moldavie le statut de pays candidat, puis à décider d’ouvrir avec eux des négociations d’adhésion.

Cette double décision prise dans des délais très rapides par le Conseil européen dans une perspective géostratégique afin de consolider l’espace de sécurité européen, a suscité l’inquiétude des pays des Balkans occidentaux devant le risque que l’Ukraine et la Moldavie entrent avant eux dans l’Union. Comme n’a pas manqué de relever Alexandre Schallenberg, ministre autrichien des Affaires étrangères, en novembre 2023, il serait désastreux que la Commission regarde les « Balkans occidentaux avec une loupe et l'Ukraine avec des lunettes roses ».

En réalité, ces inquiétudes n’ont pas lieu d’être. C’est en effet l’ensemble du processus d’élargissement, vers l’Ukraine et la Moldavie comme vers les pays des Balkans occidentaux, qui est désormais considéré comme un impératif par les dirigeants européens. C’est ce qui a été très clairement indiqué par le Président Macron dans son discours de clôture du forum GLOBSEC de Bratislava, le 31 mai 2023 : « (…) la question pour nous n’est pas de savoir si nous devons élargir, nous y avons répondu il y a un an ; ni même quand nous devons le faire, c'est pour moi le plus vite possible, mais bien comment nous devons le faire ».


S’il est donc probable que l’Union atteigne à terme 33 ou 35 États membres (selon que l’on compte ou non la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo), la question pendante est celle de la méthode. Ce nouvel élargissement à l’est et au sud ne saurait en effet conduire l’Union à diminuer son niveau d’exigence. L’Union serait affaiblie si devaient entrer en son sein des États mal préparés, aux économies excessivement divergentes et aux législations ne respectant pas les normes européennes, dont la politique étrangère serait de surcroît en contradiction avec celle de l’Union sur des points importants.

La conviction des rapporteurs est donc que l’Union européenne doit à la fois :

- améliorer le processus d’adhésion afin de lui donner une nouvelle dynamique. Les pays de la région doivent accomplir des réformes structurelles importantes pour améliorer l’environnement des affaires, réformer la gouvernance du secteur public, lutter contre le blanchiment et l’économie informelle, renforcer l’efficacité des systèmes d’éducation et de formation, assurer la transition vers l’économie verte et numérique… ;

- accompagner ce processus d’adhésion exigeant d’une aide européenne renforcée. Les réformes indiquées plus haut sont une condition du rapprochement européen de ces pays mais elles doivent être soutenues par l’Union. Une des solutions proposées par le rapport serait d’offrir aux pays les plus avancés dans la voie de l’adhésion des possibilités nouvelles de participation à certaines politiques de l’Union et d’accès aux fonds de la politique de cohésion en échange de conditionnalités strictes ;

- rester très ferme sur la nécessité d’un plein respect des critères d’adhésion. La conviction des rapporteurs est que l’élargissement doit demeurer un processus fondé sur le mérite débouchant sur une adhésion des pays candidats au fur et à mesure de leur stricte conformité aux exigences européennes. L’erreur de 2004 – un élargissement trop rapide conduit selon une logique géopolitique au bénéfice d’un groupe d’États insuffisamment préparés – ne doit pas être répétée.

Mais, et c’est une autre conviction des rapporteurs, il ne saurait y avoir de nouvel élargissement sans que l’Union européenne se soit elle-même au préalable réformée. Des décisions doivent être prises, notamment par une révision des traités, afin de préserver l’efficacité de son processus de décision et la cohérence de ses politiques communes. Au-delà, il s’agit, comme l’a indiqué le Président de la République, de repenser sa gouvernance et ses finalités.

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   Première partie : La région des balkans occidentaux, une région meurtrie par l’histoire qui fait face à de graveS difficultés économiques et à un exode démographique massif

Source : Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères

I.   Une terre de fractures et de conflits jusqu’à l’époque moderne

Les Balkans occidentaux : quelle acception géographique ?

Au sens géographique, les Balkans désignent la péninsule la plus orientale de l'Europe méridionale, limitée au nord par la Save et le Danube. Elle comprend la Grèce, la Turquie d'Europe, la Bulgarie, la Macédoine du Nord, l'Albanie, la Serbie, le Monténégro, le Kosovo et la Bosnie-Herzégovine. Selon les critères physiques ou culturels retenus, la Croatie et la Roumanie peuvent être ajoutées à cette liste. En se basant sur une définition large, la péninsule balkanique couvre donc 770 000 km2 (soit 25 % de plus que la surface de la péninsule Ibérique).

C'est une région essentiellement montagneuse (chaînes Dinariques, mont Balkan, Rhodope, Pinde), au climat continental à l'intérieur, méditerranéen sur le littoral. Les vallées (Morava, Vardar, Marica) concentrent, avec les bassins intérieurs (Sofia), la majorité de la population.

Utilisé depuis la fin des années 1990, le concept de « Balkans occidentaux » désigne à l’origine l’Albanie et les États issus de la dislocation de la Yougoslavie. Elle fait aujourd’hui référence aux six de ces pays qui n’ont pas encore intégré l’Union européenne (Albanie, Macédoine du Nord, Kosovo, Bosnie-Herzégovine, Serbie, Monténégro). Cet espace géographique de plus de 200 000 km2 comprend près de 15 millions d’habitants.

A.   L’époque des rivalités entre empires

Un rapport parlementaire n’étant pas un livre d’histoire, il ne saurait être question de retracer dans le détail les guerres entre empires ou royaumes dont la région des Balkans a été le terrain. Comme l’a dit Winston Churchill, « la région des Balkans a tendance à produire plus d'histoire qu'elle ne peut en consommer ».

On se limitera donc à rappeler que la région est travaillée par deux « lignes de faille » ([5]).

La première est celle qui sépare les chrétientés latine et orthodoxe suivant approximativement le partage de 395 entre empires romains d’Occident et d’Orient.

La seconde découle de la conquête ottomane entamée au 14e siècle qui s’est étendue jusqu’à englober un territoire couvrant approximativement les actuels Macédoine du Nord, Albanie, Monténégro, Serbie et Bosnie-Herzégovine. À sa frontière occidentale et septentrionale, l’Empire ottoman a fait face jusqu’à la Première guerre mondiale à l’empire des Habsbourg, qui dominait l’actuelle Croatie (avec sa région côtière à partir de 1815).

Cette conquête est allée de pair avec l’implantation de populations serbes chrétiennes dans certaines régions frontalières de l’empire des Habsbourg et la conversion à l’islam de populations bosniaques.

On sait comment Samuel Huttington a pu fonder sa thèse sur le choc des civilisations sur cette triple polarisation dans la région entre catholiques (Croatie, Slovénie), orthodoxes (Serbie, Macédoine du Nord) et musulmans (Bosnie, Albanie). Sans entrer dans le détail des controverses qu’a pu susciter cette thèse, les rapporteurs voudraient souligner que leurs missions dans les Balkans ne leur ont nullement permis de constater que la région serait une terre d’affrontements entre civilisations catholique, orthodoxe et musulmane. Il est indéniable qu’il existe entre pays de la région des différends bilatéraux, des foyers de tension, voire des revendications identitaires opposées. Mais la religion n’est pas à l’origine de tensions qui ont vocation à s’apaiser au fur et à mesure que ces pays se rapprocheront de leur entrée dans l’Union. Comme on le verra, un tel apaisement est en tout cas une des conditions de leur adhésion.

B.   Les guerres issues de l’éclatement de la fédération yougoslave

Après l’émergence au 19e siècle de l’idée « yougoslave » - selon laquelle les populations des Balkans de langue slave ont vocation à vivre dans un même État – s’est constitué en 1918 un royaume des Serbes, Croates et Slovènes, devenu royaume de Yougoslavie en 1929, qui était en réalité sous domination serbe. Au prix d’un régime centralisé de parti unique qui bafouait la liberté d’expression, la République populaire fédérative de Yougoslavie, constituée en 1946 et gouvernée par Tito jusqu’à sa mort en 1980, a su maintenir la stabilité et contenir les rivalités entre composantes nationales.

La fédération yougoslave n’a toutefois pas survécu à la fin de la guerre froide qui a affaibli sa position de non-aligné et libéré dans les années 1990-1991 les revendications autonomistes, puis indépendantistes des républiques.

1.   La guerre entre républiques yougoslaves (1991-1995)

La guerre entre républiques s’est déclenchée lorsqu’après avoir tenté en vain de préserver l’unité de la Yougoslavie, Slobodan Milošević, président de la République serbe, a cherché à défendre les territoires occupés par les minorités serbes au sein des républiques devenues indépendantes.

Bien avant la guerre en Ukraine, la guerre en ex-Yougoslavie a été le premier conflit d’envergure sur le théâtre européen de l’après-guerre froide. Elle a connu trois épisodes importants que l’on se contentera de rappeler cursivement :

-         la sécession de la Slovénie le 25 juin 1991 qui a suscité une brève intervention militaire de l’Armée populaire yougoslave mais a rapidement abouti à son retrait en octobre 1991, puis à la reconnaissance de l’indépendance slovène par Belgrade, en raison notamment de l’absence d’une population serbe significative en Slovénie ;

-         l’attaque des forces serbes à l’automne 1991 contre la Croatie à la suite de sa déclaration d’indépendance le 25 juin 1991. L’armée serbe a réussi à occuper les territoires croates peuplés par des minorités serbes avant de devoir bien plus tard les céder en 1995 sous la pression de l’armée croate soutenue par les États-Unis ;

-         l’extension du conflit à la Bosnie-Herzégovine à la suite de sa déclaration d’indépendance le 6 avril 1992. C’est le début de la phase la plus complexe du conflit caractérisé par l’intervention des Nations unies – qui déploient une mission de maintien de la paix en février 1992 (la FORPRONU) - puis par l’intervention aérienne décisive de l’OTAN contre les forces serbes qui a abouti à la fin du conflit le 14 décembre 1995 avec les accords de Dayton.

S’il est un fait à souligner, c’est bien l’impuissance des Européens à prévenir le déclenchement de ce conflit, puis à favoriser son règlement. L’Union a d’abord échoué, pendant l’été 1991, à prévenir le déclenchement de la guerre entre la Serbie et la Croatie. Une conférence de paix s’était bien réunie sous son égide en août-septembre 1991. Mais le refus des Douze de déployer une force européenne sous l’égide de l’UEO (septembre 1991) a privé l’Europe des moyens de s’interposer entre belligérants et d’imposer une solution fondée sur l’intangibilité des frontières et le droit des minorités.

La question de la reconnaissance de la Slovénie et de la Croatie a ensuite divisé les États membres. Alors qu’une commission d’arbitrage présidée par Robert Badinter avait été mise en place pour définir les conditions de la reconnaissance de ces deux ex-républiques et que les Douze étaient convenus de statuer sur le sujet le 15 janvier 1992, l’Allemagne a décidé de reconnaître l’indépendance de la Croatie et de la Slovénie dès le 23 décembre 1991 ouvrant ainsi la voie à une reconnaissance en ordre dispersé.

Impuissante à empêcher l’extension de la guerre civile à la Bosnie, il ne restait plus à la Communauté européenne qu’à passer le relais à l’ONU. Bien que la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne fissent partie du groupe de contact avec les États-Unis et la Russie, l’Europe est restée hors-jeu en tant que telle jusqu’à la fin du conflit.

2.   La guerre au Kosovo (1998-1999)

Peuplé majoritairement d’Albanais (82 % de la population en 1991), le Kosovo a toujours revêtu pour les Serbes une importance historique particulière puisque c’est sur ce territoire qu’ils se sont héroïquement battus contre les forces ottomanes lors de la bataille du Champ des Merles (Kosovo Polje) en 1389. Du temps de la fédération yougoslave, le Kosovo n’était pas une république : il bénéficiait d’un statut de région autonome au sein de la République serbe.

La suppression de ce statut d’autonomie par Slobodan Milošević en 1989 a constitué le point de déclenchement du conflit. Acceptant de plus en plus mal la domination serbe, une partie des Albanais du Kosovo constituent en 1996 l’Armée de libération du Kosovo (UÇK). C’est le début de l’insurrection et de la répression par l’armée serbe.

En février et mars 1999 s’est tenue la conférence de Rambouillet organisée sous l’égide du groupe de contact. Cette conférence a finalement échoué, la Serbie ayant refusé l’envoi de troupes de l’OTAN pour stabiliser la région. L’OTAN a alors entamé une campagne de bombardements, sans mandat explicite de l’ONU, qui a permis de faire plier le pouvoir serbe. En juin 1999, la Serbie a dû accepter que le Kosovo soit placé sous le contrôle politique d’une mission des Nations Unies et la protection militaire de l’OTAN.

En février 2008, le Kosovo a proclamé unilatéralement son indépendance. Cette dernière n’est toutefois pas reconnue par cinq États membres de l’Union : Espagne, Grèce, Roumanie, Slovaquie et Chypre.

Le bilan de ces deux guerres est effroyable : plus de 130 000 morts, dont environ 100 000 pour la seule guerre de Bosnie, 20 000 pour celle de Croatie et 13 500 pour celle du Kosovo ; 2,4 millions de réfugiés ainsi que deux millions de déplacés internes. Ces mouvements de population ont généralement eu pour résultat de renforcer la séparation entre communautés.

II.   Un espace économique en quÊte de convergence qui fait face à un grave exode démographique et se révèle incapable de développer son intégration régionale

A.   Une intégration économique avancée avec L’Union européenne

1.   Des relations commerciales étroites avec l’Union européenne au bénéfice de cette dernière

L'UE est le principal partenaire commercial des Balkans occidentaux. En 2022, l'UE représentait près de 70 % des échanges de biens de la région ; alors que la part de la région dans le commerce global de l’UE n’est que de 1,4 %. Les principaux partenaires commerciaux des Balkans occidentaux (2022) sont l’UE 66 %, la Chine 8 %, la Turquie 6 %, la Russie 4 %, et le Royaume‑Uni 3 %.

Les échanges de marchandises entre l’UE et les Balkans occidentaux représentaient plus de 84 milliards € en 2022, un chiffre en hausse de 158 % ces 10 dernières années.

L'UE a toujours eu un excédent commercial avec les Balkans occidentaux. Il a culminé à 9,8 milliards d'euros en 2012 et a atteint son niveau le plus bas à 7,5 milliards d'euros en 2016. Entre 2016 et 2019, les exportations vers les Balkans occidentaux et les importations en provenance de ces pays ont augmenté, avant de diminuer en 2020 en raison de la pandémie de COVID-19. Toutefois, en 2021, les importations et les exportations se sont fortement redressées, atteignant respectivement un pic de 28,2 milliards d'euros et de 36,9 milliards d'euros.

Près de la moitié des exportations totales de l'UE vers les Balkans occidentaux sont destinées à la Serbie. En 2021, l'UE a enregistré un excédent commercial avec cinq des six partenaires des Balkans occidentaux. L'excédent le plus élevé était avec la Serbie (4,5 milliards d'euros), suivie de l'Albanie (1,6 milliard d'euros), du Kosovo (1,3 milliard d'euros), de la Bosnie-et-Herzégovine (1 milliard d'euros) et du Monténégro (0,8 milliard d'euros). L'UE n'a enregistré un déficit qu'avec la Macédoine du Nord (-0,6 milliard d'euros).

 

 

https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/images/thumb/f/ff/EU_imports_from_Western_Balkan_Countries%2C_2011_-_2021.png/500px-EU_imports_from_Western_Balkan_Countries%2C_2011_-_2021.png

https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/images/e/e1/EU_exports_to_Western_Balkan_Countries%2C_2011_-_2021.png

 

https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/images/thumb/b/be/EU_trade_balance_with_Western_Balkan_Countries%2C_2011_-_2021.png/500px-EU_trade_balance_with_Western_Balkan_Countries%2C_2011_-_2021.png

2.   Des flux d’investissements directs insuffisants

Il est dans l’ordre des choses que, compte tenu de leur niveau de développement et de leurs besoins d’investissement, les pays des Balkans soient en déficit commercial avec les pays de l’Union. Il est en revanche regrettable que l’établissement de cette zone de libre-échange ne se soit pas accompagné d’un flux important d’investissements directs en destination de leurs économies.

Comme le montre le graphique ci-dessous, les investissements directs en provenance de l’Union européenne ne décollent pas à la différence de ceux de la Chine qui connaissent une forte croissance.

 

https://www.swp-berlin.org/publications/assets/Comment/2023C36/images/2023C36_WesternBalkans_002.png

 

Flux d’investissements directs étrangers entrant en Serbie

(en millions d’euros)

IDE

Source : Banque centrale de Serbie

La conclusion d’accords européens d’association avec les pays d’Europe centrale et orientale dans les années quatre‑vingt-dix avait également débouché sur un creusement du déficit commercial au bénéfice de l’Union européenne mais parallèlement, les flux d’investissements privés s’étaient développés vers les pays de la région. Pour des raisons diverses tenant à l’obsolescence des infrastructures, à la faiblesse de l’état de droit et au manque d’intégration régionale, les investisseurs privés européens ont négligé les pays des Balkans.

B.   Un objectif de convergence économique loin d’être atteint

1.   Les retards pris dans la modernisation des économies

Les économies des pays des Balkans occidentaux ont d’abord pâti des dégâts économiques causés par les guerres des années quatre-vingt-dix. En Bosnie-Herzégovine, le Gouvernement a estimé les dommages de guerre entre 50 et 70 milliards de dollars, avec une baisse du PIB de 75 % entre le début et la fin de la guerre. Le Parlement croate a quant à lui évalué les dommages de guerre subis par la Croatie à 37 milliards de dollars. Les sanctions mises en place contre la République fédérale de Yougoslavie à partir de 1992 par les Nations unies, les États-Unis et l’Union européenne ont contribué à une baisse du PIB estimée à 55 % entre 1989 et 1995.

Entamée plus tardivement que dans les pays d’Europe centrale et orientale, la modernisation des économies des Balkans a ensuite été entravée par deux chocs exogènes qui ont touché l’ensemble des économies européennes :

 la crise financière mondiale de 2007-2008 qui a occasionné une baisse importante des investissements étrangers et affecté certains secteurs-clef dans des économies peu diversifiées, comme le tourisme et l’immobilier dans le cas du Monténégro ou le secteur minier dans celui du Kosovo ou de la Bosnie‑Herzégovine.

 la crise due à la pandémie de COVID-19 qui a plongé ensuite les pays de la région dans la récession.

2.   Un objectif de convergence loin d’être atteint

Dans sa communication du 8 novembre 2023 sur le nouveau plan de croissance, la Commission européenne note que l’objectif d’une convergence entre les pays candidats des Balkans occidentaux et l’Union européenne, mesurée par le rapport entre le PIB par habitant des pays candidats et le PIB par habitant moyen de l’Union européenne, est encore loin d’être atteint.

Comme l’indique le tableau ci-dessous, les PIB par habitant des économies des six pays candidats des Balkans occidentaux mesuré en parité de pouvoir d’achat (SPA) varient entre un peu plus du quart (dans le cas du Kosovo) et la moitié (dans le cas du Monténégro) de celui de l’Union européenne. Le PIB par habitant du pays le plus riche de la région (Monténégro) est par exemple inférieur à celui de l’État membre le plus pauvre (Bulgarie).

PIB et PIB par habitant des six pays candidats en 2021 et 2022

Pays

PIB (Mds$)

Croissance (%)

PIB/h ($)

PIB/H (SPA)
(2021)

PIB/h (SPA) comparé à

la moyenne de l’UE (%)
(2021)

Albanie

18,92

4,9

6 810,1

10 296

34

Bosnie

24,47

4,1

7 568,8

10 200

35

Kosovo

9,41

5,2

5 340,3

4 426

27

Macédoine

13,56

2,1

6 591,5

5 672

42

Monténégro

6,23

6,4

10 093,4

15 538

50

Serbie

63,56

2,5

9 537,7

14 349

44

Total

136,15

 

 

 

(EU27 : 30 054)

Source : Banque mondiale, Commission européenne, communication du 8 novembre 2023 sur le nouveau plan de croissance pour les Balkans occidentaux

Le graphique ci-dessous montre que, depuis 2011, le PIB par habitant des six pays candidats s’est à peine rapproché de celui de l’Union.

Évolution du PIB par habitant des pays candidats des Balkans occidentaux comparée à celle du PIB par habitant de l’Union européenne
entre 2011 et 2022

Une image contenant texte, capture d’écran, ligne, Parallèle

Description générée automatiquement

Source : Commission européenne, communication du 8 novembre 2023 sur le nouveau plan de croissance pour les Balkans occidentaux.

Sur le plan social, on constate également des différences entre niveaux de salaires minimums entre États membres de l’Union et pays candidats des Balkans. On notera toutefois que les salaires minimums dans les pays candidats ont une tendance régulière à l’augmentation et que l’écart avec ceux des pays les moins riches de l’Union se réduit (les salaires minimums serbe et monténégrin étant d’ores-et-déjà supérieurs au salaire minimum bulgare).

 

Pays

Montant du salaire minimum brut (euros)

Allemagne

2 054

France

1 767

Croatie

840

Roumanie

663

Bulgarie

477

Serbie

544

Monténégro

532

Albanie

385

Macédoine

359

Bosnie-Herzégovine

316

Kosovo

264

Source : Eurostat

Dès lors que les économies de l’Union européenne et des pays des Balkans ont été confrontées aux mêmes chocs exogènes (crise financière de 2008, crise sanitaire), cette absence de réelle convergence tient à des facteurs structurels parmi lesquels :

-         une intégration régionale insuffisante ;

-         une main-d’œuvre qualifiée mais plus chère que dans des pays voisins comme la Roumanie ou la Bulgarie ;

-         un réseau d’infrastructures insuffisant (particulièrement criant en Albanie et au Kosovo) ;

-         un appareil productif vieillissant.

Ces différents facteurs auxquels il faut ajouter le manque de transparence des systèmes judiciaires font que la région est insuffisamment attractive pour les investisseurs étrangers. Seule la Serbie, à l’échelle régionale, dispose d’atouts suffisants (une position géographique centrale, des infrastructures de communication non négligeables, un marché intérieur de 8 millions d’habitants) pour attirer les investissements étrangers.


Caractéristiques nationales des économies
des pays candidats des Balkans occidentaux

La Serbie. L’économie serbe souffre de la guerre en Ukraine, le pays étant largement intégré aux chaînes productives et logistiques de l’UE, notamment dans le secteur automobile. La croissance reste quant à elle insuffisante pour permettre une convergence rapide de la Serbie vers le niveau européen, le PIB par habitant serbe étant équivalent à 39 % de celui de l’Union Européenne.

Le Monténégro. Du fait de sa forte dépendance au tourisme, qui représente un quart de son PIB, le Monténégro est le pays des Balkans occidentaux qui a fait face à la récession la plus importante du fait de la crise sanitaire. Le Monténégro présente cependant une vulnérabilité particulière en matière d’endettement externe, ce dernier ayant atteint 190,9 % du PIB en 2020, près d’un tiers de ce montant étant constitué par la dette publique, en particulier celle d’un montant de 944 millions de dollars contractée par l’État auprès de l’Eximbank chinoise pour la construction du tronçon N° 1 de l’autoroute entre le port de Bar et la frontière serbe (Boljare), dont le remboursement a débuté en 2021, après un délai de grâce de six ans. La Chine détient ainsi 25 % de la dette publique du Monténégro.

La Macédoine du Nord. Avec un PIB par habitant équivalent à 38 % de la moyenne de l’UE et une économie informelle estimée à plus du tiers de son PIB, la Macédoine du Nord aura besoin d’une croissance soutenue se rapprocher des standards de l’UE.

L’Albanie demeure l’un des plus pauvres d’Europe et dispose d’infrastructures encore insuffisantes dans les secteurs des transports, de l’énergie, de l’assainissement et de l’approvisionnement en eau. L’économie albanaise reste dominée par le secteur des services (restauration et hôtellerie notamment), qui représente près de 47,7 % de la valeur ajoutée en 2021 et par le secteur industriel (21,8). Les transferts de la diaspora, qui constituent 9.7 % du PIB, alimentent l’économie et constituent une des vulnérabilités structurelles du pays, tandis que l’émigration économique ne faiblit pas.

La Bosnie-Herzégovine fait partie des pays les moins développés de la région des Balkans occidentaux, avec l’Albanie et le Kosovo. Son économie s’appuie sur un appareil industriel hérité de l’ère yougoslave relativement développé, mais devenu obsolète, et fortement tourné vers les marchés extérieurs, ce qui le rend vulnérable aux chocs extérieurs comme les variations des cours mondiaux ou de la demande en provenance de l’Union européenne, qui représente la moitié de ses exportations.

Le Kosovo est le pays le plus pauvre des Balkans occidentaux, avec un PIB par habitant d’environ 3 967 euros. Son économie reste dépendante de l’aide extérieure et des transferts de la diaspora (qui atteignent 17,9 % du PIB en 2021). Ce pays dispose de richesses minières et hydro-électriques, mais l’appareil de production est ancien et nécessiterait des investissements importants. Le pays importe l’essentiel de ses biens de consommation et la réduction du déficit de son commerce extérieur est une de ses priorités. Le niveau de chômage stagne à des niveaux élevés, touchant près du quart de la population active et la moitié des jeunes. Le pays subit une importante émigration, accompagnée d’une « fuite des cerveaux », notamment vers l’Allemagne et la Suisse.

Dans un rapport paru en février 2024, intitulé "Les Balkans occidentaux peuvent-ils converger vers le niveau de vie de I'UE ?" ([6]), la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) estime à 40 ans le temps nécessaire aux Balkans occidentaux pour réaliser le processus de convergence économique avec les pays de I'UE à la condition que le taux de croissance soit équivalent au taux moyen constaté sur la période 2001-2021. Le délai serait de 70 ans si le rythme de croissance plutôt lent observé depuis la crise financière mondiale se maintient.

L'institution précise néanmoins que le processus de rattrapage économique pourrait s'accélérer en :

- améliorant la gouvernance, notamment l’efficacité des institutions de L’État et des tribunaux, les droits de propriété et la lutte contre la corruption. Une telle amélioration pourrait contribuer à inverser la tendance de forte émigration de la population, remédiant ainsi au déficit de compétences dans la région ;

- favorisant les liens transfrontaliers, ce qui implique de réduire les obstacles au commerce et de développer les infrastructures de transports. De telles évolutions sont de nature à améliorer la compétitivité de la zone par la réalisation d'économies d'échelle et l’attractivité pour les investisseurs étrangers ;

- facilitant la transition verte. Le rapport encourage ainsi la poursuite des investissements dans les énergies renouvelables, afin de réduire la dépendance de la zone au charbon.

Ainsi, dans un scénario optimiste, les Balkans occidentaux pourraient atteindre un PIB par habitant équivalent à celui de I'UE d'ici deux à trois décennies.

C.   Une dÉmographie en berne qui constitue un handicap structurel inquiétant

L’ensemble des six pays candidats des Balkans occidentaux ont une population de 14,7 millions d’habitants, selon les estimations des Nations unies.

Ces chiffres restent toutefois imprécis parce que les recensements sont relativement peu fréquents dans les pays de la région et que l’émigration en provenance de ces pays n’est pas toujours bien quantifiée.

Population estimée des pays candidats des Balkans occidentaux en 2022

Pays

Population (en milliers)

Serbie

7 097

Monténégro

626

Bosnie

3 194

Macédoine du Nord

2 083

Kosovo

1 667

Albanie

2 826

Total

14 667

Source : World Population Prospects. Nations Unies. 2022

Après une période de croissance démographique après la Seconde guerre mondiale, la tendance s’est inversée depuis les années quatre-vingts. La population pourrait baisser de 24 % en Serbie d'ici à 2050, de 26 % en Albanie et de 37 % en Bosnie-Herzégovine. Les pyramides des âges des pays candidats des Balkans occidentaux sont désormais inversées, la tranche d’âges la plus représentée se situant entre 40 et 50 ans.

Une telle évolution tient à la baisse des taux de fécondité et à l’accélération de l’émigration des populations de ces pays. Les pays des Balkans se retrouvent ainsi dans la situation de cumuler des caractéristiques de pays pauvres (émigration des jeunes) et de pays riches (faible natalité).

1.   Des taux de fécondité parmi les plus bas du monde

Comme le montre le tableau et le graphique ci-dessous, aucun des pays n’atteint aujourd’hui le seuil de renouvellement de 2,1 enfants par femme. Leur taux de fécondité moyen (1,5) s’est rapproché de celui de l’Union européenne.

Taux de fécondité

 

Taux de fécondité

Monténégro

1,76 (données 2021)

Serbie

1,59 (données 2022)

Kosovo

1,55 (données 2019)

Macédoine du Nord

1,44 (données 2021)

Bosnie Herzégovine

1,3 (données 2022*)

Albanie

1,21 (données 2022)

Moyenne des six pays des Balkans

1.5

Union européenne

1,46 (données 2022)

Source : données Eurostat. Enlargement countries - population statistics - Statistics Explained (europa.eu). Pour la Bosnie-Herzégovine : données United Nations Population Fund World Population Dashboard -Bosnia and Herzegovina | United Nations Population Fund (unfpa.org).

 

https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/images/7/7a/WBT23_Total_fertility_rate%2C_2011-2021_%28average_number_of_children_per_woman%29.png

 

2.   Une émigration massive s’apparentant à une véritable « fuite des cerveaux »

Les pays des Balkans occidentaux sont confrontés à une véritable hémorragie démographique. Entre 2012 et 2018, on estime qu’environ 155 000 habitants de la région ont, en moyenne annuelle, émigré vers un pays de l’OCDE.

L'Office statistique de Belgrade estime que 385 000 Serbes ont émigré depuis 2011. Un sondage Gallup de 2020 faisait état de 49 % des jeunes serbes de 15 à 29 ans souhaitant partir.

La Bosnie-Herzégovine fait face à la même situation. D’abord affecté par la guerre qui a provoqué le départ d’au moins 100 000 personnes, dont beaucoup ne sont pas rentrées, ce pays aurait connu pour la seule année 2021 le départ de 170 000 Bosniens selon les données de l’Office statistique de Sarajevo.

L’Albanie présente l’une des plus importantes diasporas au monde en pourcentage de sa population (1,4 million de personnes vivant à l’étranger pour une population totale de 2,8 millions d’habitants).

Cette émigration touche principalement une population qualifiée appartenant à la classe moyenne. Le phénomène s’explique en grande partie par le manque d’opportunités économiques existantes dans la région et le souci des personnes de trouver ailleurs de meilleures conditions de vie.

Cette fuite des cerveaux est préoccupante : elle est de nature à obérer le développement économique des pays candidats et à affaiblir les espoirs de réformes politiques et de renforcement de l’état de droit dont les jeunes cherchant à émigrer sont porteurs.

D.   Une intégration économique régionale insuffisante

1.   Les timides résultats du projet de Marché commun régional

L’initiative du Marché commun régional des Balkans occidentaux, adoptée lors du sommet de Sofia du 10 novembre 2020, dans le cadre du processus de Berlin, est bâtie autour des « quatre libertés » (liberté de circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes) et l’adoption de normes communes visant à réduire les barrières non-tarifaires et les obstacles aux échanges dans la région.

Un plan d’action sur la période 2020-2024 a été adopté prévoyant des actions concrètes dont la mise en œuvre a été toutefois été entravée par les problèmes de la Bosnie-Herzégovine, la méfiance du Monténégro et le refus du Kosovo d’y participer aux conditions de Belgrade. C’est ce qui a conduit l’Albanie, la Macédoine du Nord et la Serbie à lancer parallèlement l’initiative « Open Balkans » (voir ci-après).

La conclusion en novembre 2022 de trois accords portant sur la libre circulation (avec la possibilité de se déplacer dans toute la région sur simple présentation d’une carte d’identité), la reconnaissance mutuelle des diplômes d’enseignement supérieur et la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles constitue toutefois un élément nouveau – même si nous sommes encore assez loin de la concrétisation d’un véritable espace économique régional intégré.

2.   Les limites de l’initiative « Open Balkans »

En 2019 était lancé ces accords par trois États des Balkans occidentaux ce qui a d’abord été qualifié de « mini-Schengen », devenu en 2021 « Open Balkans ». L’objectif est de créer un marché unifié de libre circulation des biens et des personnes où les diplômes et les permis de travail seraient reconnus mutuellement.

Cette initiative, qui revient à engager un processus analogue à celui du début de la construction européenne, témoigne de l’adhésion des pays concernés aux principes qui ont fondé cette dernière. Elle se heurte toutefois à des difficultés considérables.

Tout d’abord, il s’agit d’ouvrir entre elles des économies où existent de nombreuses barrières non-tarifaires, dont l’élimination passe par l’adoption de nombreuses normes communes, sujet par sujet. Une telle entreprise risque soit de doublonner celle de l’adhésion à l’Union européenne, soit d’aboutir à l’adoption de normes communes à certains États candidats différentes de celles de l’acquis communautaire.

L’initiative Open Balkans a par ailleurs rapidement pris un caractère politique, le Kosovo s’abstenant d’y participer, en raison de ses relations difficiles avec la Serbie, la Bosnie-Herzégovine étant divisée sur la question, et le Monténégro n’ayant participé à l’initiative qu’en tant qu’observateur, de crainte de se détourner de son objectif principal qui est de devenir membre de l’Union européenne. Ces trois pays, qui avaient émis la volonté d’adhérer au projet, se sont donc finalement ravisés.

Entre 2019 et 2021, plusieurs réunions, forums et sommets ont été organisés dans diverses villes de la région. De nombreuses déclarations et accords ont été signés entre les parties prenantes durant cette période, donnant ainsi à l'Open Balkans un cadre juridique et des initiatives concrètes.

Toutefois, l’initiative « Open Balkans » est à ce jour suspendue en raison de l’insatisfaction de certains pays des Balkans devant la lenteur du processus d’adhésion.

III.   L’emprise grandissante de puissances tierces favorisée par les dÉceptions suscitÉes par L’absence de progrès tangibles du processus d’adhÉsion

Les Balkans occidentaux restent au confluent du jeu des puissances extérieures qui cherchent à renforcer leur emprise sur la région en comblant le vide laissé parfois par l'Union européenne.

A.   La politique d’influence active de la Turquie

Forte de ses liens historiques avec la région, la Turquie y mène, en particulier depuis l’arrivée au pouvoir du Parti de la justice et du développement (AKP) et l'adoption d'une politique étrangère « néo-ottomane », une politique d'influence active, sur les plans culturel et religieux, vis-à-vis des communautés musulmanes, et économique, dans toute la région (des entreprises turques participent a de nombreux travaux d'infrastructures, parfois à forte portée symbolique, comme la construction de l'autoroute Belgrade-Sarajevo).

Cette politique a également une dimension politique - avec une diplomatie personnelle du Président Erdogan qui entretient des relations étroites avec plusieurs dirigeants de pays de la région, tels que la Bosnie-Herzégovine, où il se rend fréquemment.

Cette présence turque peut conduire certains pays à ne pas s’aligner sur les positions PESC concernant la Turquie : par exemple, la Bosnie-Herzégovine n’a pas appliqué les sanctions européennes portant sur les activités illégales de forage en Méditerranée orientale.

B.   L’influence politique de la Russie

Alors que la Russie avait été assez peu présente dans la région à l’époque de l’URSS, la Yougoslavie de Tito et l’Albanie d’Hodja ayant rompu avec elle respectivement en 1948 et en 1960, la fin de la guerre froide lui a fourni l’occasion d’y exercer une influence nouvelle.

L'influence de la Russie est importante en Serbie et dans les zones de peuplement serbe (Republika Srpska en Bosnie-Herzégovine, Monténégro). Les Serbes gardent une reconnaissance à l’égard des Russes pour leur soutien diplomatique lors de la guerre du Kosovo.

La Russie cultive son image de contrepoids à l’influence occidentale auprès des opinions publiques de la région. Un sondage d’opinion réalisé en juin 2022 en Serbie faisait ainsi apparaître que pour 54 % des personnes interrogées, l’OTAN était la principale responsable de la guerre en Ukraine, tandis que 7 % attribuaient cette responsabilité à la Russie.

Si les relations commerciales entre la Russie et les pays des Balkans sont peu importantes, l’influence russe s’exerce sur le terrain énergétique. La Russie fournit à la Serbie 80 % du gaz consommé dans ce pays. Belgrade avait accepté de construire des pipelines réservés exclusivement au gaz importé de Russie, et cédé au géant russe Gazprom une participation majoritaire dans sa société gazière et pétrolière NIS. La Serbie a renouvelé en mai 2022 un accord de fourniture de gaz par la Russie pour trois ans.

La Russie joue également de sa proximité avec certains cercles du pouvoir (armée, services de renseignement) et groupes nationalistes. Elle use du relais de l’Église orthodoxe. Enfin, elle n’hésite pas à utiliser le levier de la désinformation pour alimenter l’euroscepticisme dans la région et alimenter les tensions (en Bosnie-Herzégovine et entre la Serbie et le Kosovo).

Cette stratégie d’influence poursuit un objectif politique : empêcher l’adhésion de la Serbie et de la Bosnie-Herzégovine à l’OTAN (dont font partie la Macédoine du Nord et le Monténégro).

C.   La présence économique de la Chine

La présence de la Chine dans les Balkans occidentaux s'est d'abord développée dans la sphère économique, avec la réalisation d'infrastructures de base et la reprise de sites industriels (industries d'extraction, centrales à charbon) qui donnent lieu à l’octroi de prêts massifs.

Comme cela s’est vu dans d’autres régions associées aux « nouvelles routes de la soie », la Chine capte une partie importante de la dette extérieure des pays de la région (Monténégro, Macédoine du Nord, Bosnie-Herzégovine). Par exemple, la dette du Monténégro vis-à-vis de la Chine équivaut à 20 % de sa dette extérieure.

Les financements chinois sont d’autant plus attractifs qu’ils ne s’accompagnent pas, comme les financements européens, de conditionnalités environnementales et sociales, ni en matière d’état de droit.

Cette stratégie économique pourrait conduire la Chine, sur le modèle russe, à étendre son influence politique dans la région, en tirant profit des contentieux locaux mal résolus et des insatisfactions suscitées par le processus d’adhésion.

En témoigne l’initiative chinoise « 17+1 » (devenue depuis « 14+1 ») de « nouvelles routes de la soie ». Outre certains pays d’Europe centrale et orientale en font partie la Serbie et la Macédoine depuis 2015, l’Albanie, la Bosnie‑Herzégovine et le Monténégro depuis 2017. Le seul pays de la région des Balkans à ne pas avoir rejoint l’initiative est le Kosovo, non reconnu par Pékin.

Depuis les retraits successifs de la Lituanie en 2021 et de I'Estonie et de la Lettonie en 2022, cet espace de coopération est aujourd’hui en perte de vitesse. La Chine privilégie désormais ses relations bilatérales avec les pays des Balkans.

Le risque pour l’Union européenne est que les pays des Balkans échappent à son attraction. Dans son discours sur l’état de l’Union le 16 septembre 2020, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen rappela que les Balkans occidentaux « sont bien une partie de l’Europe, et non pas une escale de la Route de la soie ». Le président de la République Emmanuel Macron a été encore plus clair sur ce point : il faut « réinvestir dans les Balkans pour ne pas laisser des puissances non européennes faire le jeu à notre place » (août 2019)

Pour l’Union européenne, il s’agit donc à la fois de limiter ces influences extérieures et de proposer aux États des Balkans occidentaux une perspective européenne plus concrète et susceptible de réduire leur besoin de soutiens de la part de puissances concurrentes.

 

 

 


   DeuxiÈme partie : La relation de l’Union avec les pays des Balkans occidentaux, entre perspective d’adhÉsion et politique de soutien aux réformes

Lancé au début des années 2000 après la fin de la guerre en ex-Yougoslavie, le processus d’adhésion à destination des Balkans occidentaux fait désormais du sur-place.

I.   La reconnaissance à ces pays du statut de « candidats potentiels à l’adhÉsion à l’UE » (juin 2000) et d’une « perspective europÉenne » (juin 2003)

Dès la fin des guerres de l’ex-Yougoslavie en 1999, l’Union européenne s’est efforcée de renforcer ses liens avec les Balkans occidentaux dans la perspective revendiquée d’une intégration des États de la région en son sein.

Comme cela a été exposé en introduction du présent rapport, l’Union à fait ainsi le choix de reconnaître à ces pays le statut de « candidats potentiels à l’adhésion à l’UE » (Conseil européen de Santa Maria da Feira de juin 2000), puis à leur ouvrir une « perspective européenne » (Conseil européen de Thessalonique de juin 2003).

A.   Le lancement d’un processus original de stabilisation et d’association (PSA)

Quelques années auparavant, le Conseil européen de Cologne de juin 1999 avait posé le principe d’un Processus de stabilisation et d'association (PSA) au bénéfice des pays de l’ancienne Yougoslavie. Le PSA repose sur la création d’un instrument d’aide de pré-adhésion (IAP) et la signature d’Accords de stabilisation et d’association (ASA) qui sont des accords bilatéraux entre l’Union et les pays candidats des Balkans.

En novembre 2000, le premier sommet UE-Balkans de Zagreb a lancé le démarrage formel du Processus de stabilisation et d’association (PSA).

Entre 2001 et 2015, l’ensemble des pays des Balkans occidentaux ont conclu un « accord de stabilisation et d'association » (ASA).

Dates des accords de stabilisation
et d’association des pays candidats des Balkans occidentaux

Accords de stabilisation et d’association

Début des négociations

Signature

Macédoine du Nord

Avril 2000

Avril 2001

Albanie

Janvier 2003

Juin 2006

Monténégro

Octobre 2005

Octobre 2007

Serbie

Octobre 2005

Avril 2008

Bosnie-Herzégovine

Novembre 2005

Juin 2008

Kosovo

Octobre 2013

Octobre 2015

Ces accords prévoient :

– l’établissement d’une zone de libre-échange ;

– la mise en œuvre de réformes politiques et économiques pour aligner les pays sur les normes de l’Union, incluant la réforme de l'administration publique, la lutte contre la corruption et le crime organisé, et l'amélioration de l'État de droit ;

– l’assistance économique et financière de l’Union comprenant l’octroi des aides de pré-adhésion, le soutien aux investissements dans des projets d'infrastructures, et une assistance technique pour la mise en œuvre des réformes.

Le processus vise également à promouvoir la coopération régionale et la résolution pacifique des conflits. Sont ainsi exigés par l’Union européenne l’établissement de relations de bon voisinage, le retour des réfugiés et la coopération avec le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY).

Enfin, l’Union entend évaluer régulièrement les progrès réalisés par chaque pays et ajuster son soutien en conséquence. L'objectif final est de préparer les pays des Balkans occidentaux à devenir des membres à part entière de l'UE, au travers du respect strict des critères politiques, économiques et juridiques.


Les critères d’adhésion

Confrontée à la perspective d’intégrer en son sein plusieurs anciens pays communistes, l’Union européenne a dû préciser ses critères d’adhésion, afin de mieux accompagner les transformations politiques demandées à ces États. Les 21 et 22 juin 1993, réuni à Copenhague, le Conseil européen a précisé les conditions d’adhésion des pays d’Europe centrale et orientale. Les « critères de Copenhague » alors élaborés se divisent en trois catégories principales :

- la présence d’institutions stables garantissant la démocratie, l’État de droit, les droits de l’homme, le respect et la protection des minorités ;

- une économie de marché fonctionnelle et capable de faire face à la pression concurrentielle à l’intérieur de l’UE ;

- l’aptitude à assumer les obligations découlant de l’adhésion, notamment la capacité à mettre en œuvre avec efficacité les règles, les normes et les politiques qui forment le corpus législatif de l’UE, c’est-à-dire l’acquis communautaire, et à souscrire aux objectifs de l’union politique, économique et monétaire.

Il convient de bien comprendre la signification de ces critères qui visent à s’assurer que les principes de fonctionnement de l’Union et ses règles de vie commune sont respectés et qu'un ensemble plus large et plus hétérogène demeure gouvernable. Ces critères visent également à protéger les économies des pays candidats contre les effets du choc concurrentiel que représentera leur entrée dans le marché unique et contre les éventuelles conséquences démographiques d'une liberté de circulation des personnes intervenant trop tôt.


C.   Le cadre habituel de déroulement des négociations

 

Rappel des étapes de l’adhésion à l’Union

Brièvement décrite à l’article 49 du traité de l’Union européenne, la procédure d'adhésion d’un nouvel État à l’UE avait été précisée lors du sommet de La Haye des 1er et 2 décembre 1969, lorsqu’avait été discutée la question des premiers élargissements de la Communauté économique européenne (CEE). La procédure comporte cinq étapes :

- le dépôt de la demande d’adhésion par l’État candidat et son examen par la Commission

- l’octroi du statut de pays candidat par le Conseil statuant à l'unanimité, sur l'avis de la commission. L’octroi de ce statut permet à l’État candidat de bénéficier d’une aide de pré-adhésion, financée par l'instrument de pré-adhésion (IPA) et fléchée dans le cadre d’un partenariat. L’IPA comprend cinq volets : l’aide à la transition des institutions (renforcement des institutions et de l’État de droit), la coopération transfrontalière, le développement régional, les ressources humaines et le développement rural. La dotation de l’IPA est de 14,2 milliards d’euros courant pour la période 2021-2027. Le Conseil peut décider à la majorité qualifiée de suspendre l’aide lorsque le pays candidat s’écarte des critères fondamentaux (État de droit, droits de l’homme et des minorités) ou lorsque ses progrès sont insuffisants ;

- après avis de la Commission, le Conseil européen décide l’ouverture des négociations d’adhésion avec le pays candidat. Cette décision va de pair avec l’adoption d’un cadre de négociation qui fixe la méthodologie et les adaptations éventuelles aux spécificités des pays candidats ;

- le déroulement des négociations entre les États membres et le pays candidat, qui ont lieu dans le cadre de conférences intergouvernementales bilatérales. Pour chacun des 35 chapitres thématiques définissant l’acquis communautaire, la Commission européenne évalue l’écart existant entre la législation du pays candidat et le droit de l’Union et en fait état dans un rapport annuel. Elle recommande au Conseil pour chaque chapitre l’ouverture des négociations ou leur report. Le Conseil rend sa décision à l’unanimité. Chaque chapitre est en principe clos lorsque le pays candidat a démontré qu’il en applique l’acquis ou qu’il remplit les critères qui ont été fixés. Néanmoins, celui-ci peut être réouvert sur décision unanime du Conseil en cas de régression avérée ;

- une fois que l’ensemble des chapitres de négociation ont été clos, la signature et la ratification par l’État candidat et chacun des États membres, selon leurs procédures constitutionnelles respectives, du traité d’adhésion qui fixe les conditions et la date d’adhésion du pays candidat.

D.   La nouvelle mÉthodologie de nÉgociation appliquÉe aux nÉgociations avec les pays des Balkans occidentaux

À la suite d’une proposition formulée par la France en novembre 2019, la Commission a présenté en février 2020 une nouvelle méthodologie pour la conduite des négociations d’adhésion qui a été acceptée par le Conseil en mars 2020.

Cette méthodologie reprend la proposition française d’une réorganisation des chapitres de négociation autour de cinq groupes thématiques, lesquels pourront être ouverts à tout moment du processus, selon les progrès et les efforts effectués par les pays candidats. L’accent est désormais mis sur les chapitres relatifs aux réformes fondamentales (appareil judiciaire et droits fondamentaux, liberté, sécurité, justice) qui donnent prioritairement le rythme des négociations.

Pour renforcer le pilotage politique du processus, la méthodologie révisée intègre la tenue régulière de sommets UE/Balkans occidentaux et de débats annuels au Conseil européen ainsi que la participation des ministres des pays des Balkans aux discussions ministérielles relatives aux domaines qui les engagent.

Afin d’éviter des divergences d’analyse sur la situation des pays candidats, la nouvelle méthodologie prévoit que les États membres s’impliquent dans l’évaluation des progrès réalisés par les États candidats, en vue de la rédaction des rapports annuels concernant ces derniers.

Enfin, la nouvelle méthodologie met en avant le principe de réversibilité. Le processus, fondé sur le mérite, permet à un pays qui progresse sur la voie des priorités de bénéficier d’une accélération du processus d’intégration, d’une participation accrue aux programmes de l’UE et d’une augmentation des financements, ainsi que des investissements. À l’inverse, en cas de recul, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut décider par un vote à la majorité qualifiée de suspendre les négociations d’adhésion, de rouvrir les chapitres déjà clos ou de réduire l’accès à des financements de l’Union.

En mai 2021, le Conseil européen a approuvé l'application de la méthodologie révisée en matière d’élargissement aux négociations d'adhésion avec le Monténégro et la Serbie.

M. Vladimir Orlić, Président de l’Assemblée parlementaire serbe, ainsi que M. Ivo Dačić, Premier vice-premier ministre chargé de la politique étrangère et de la sécurité et Ministre des affaires étrangères, tous deux rencontrés à Belgrade par les rapporteurs, n’ont fait part d’aucune réticence vis-à-vis de la nouvelle méthodologie, mais ont insisté sur le fait qu’ils souhaitaient que les pays candidats soient évalués chacun selon son mérite individuel. Mme Tanja Misčević, Ministre de l’Intégration européenne, a estimé, quant à elle, qu’il était prématuré d’évaluer les effets de la mise en application de la méthodologie révisée, mais qu’on pouvait en espérer une accélération du processus d’intégration. Les interlocuteurs rencontrés par les rapporteurs au Monténégro s’accordent avec cette opinion.

E.   Des progrÈs trÈs contrastÉs dans le dÉroulement des nÉgociations

Afin d’évaluer la situation sur le terrain, les rapporteurs se sont rendus dans chacun des pays concernés (Monténégro, Albanie, Macédoine du Nord, Bosnie‑Herzégovine, Serbie), à l’exception du Kosovo, puisque ce pays n’est, à ce jour, pas reconnu par l’ensemble des États membres de l’Union européenne.

1.   Le constat global d’un faible progrès des négociations d’adhésion

Comme cela a été indiqué en introduction du présent rapport, le constat est sans appel : après dix ans de négociations, le Monténégro n’a provisoirement clos que trois chapitres sur trente-trois ; la Serbie n’en a fermé que deux sur dix-huit.

Quant à la Macédoine du Nord et l’Albanie, ces pays n’ont entamé des négociations d’adhésion que respectivement dix-sept ans et huit ans après leur accession au statut de pays candidat.

Principales étapes des processus d’adhésion en cours

Pays

Dépôt de candidature

Décision d’accorder le statut de candidat

Décision d’ouverture des négociations

Monténégro

15 décembre 2008

17 décembre 2010

29 juin 2012

Serbie

23 décembre 2009

2 mars 2012

28 juin 2013

Macédoine du Nord

22 mars 2004

17 décembre 2005

18 juillet 2022

Albanie

28 avril 2009

27 juin 2014

18 juillet 2022

Bosnie-Herzégovine

16 février 2016

15 décembre 2022

21 mars 2024-

Kosovo

15 décembre 2022

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-

2.   Des avancées variables selon les chapitres et les pays

Avant d’examiner la situation pays par pays, les rapporteurs souhaitent faire quelques remarques générales.

En premier lieu, le respect des règles de l’État de droit est trop fragile. Les rapports de la Commission européenne pour 2022 et 2023 font état d’une progression limitée. L’indépendance de la justice n’est pas toujours assurée en raison d’influences politiques persistantes et de l’absence d’une tradition d’indépendance. La corruption reste trop répandue. La lutte contre la criminalité organisée demeure insuffisante. Le pluralisme des médias reste limité.

Autre constat, l’alignement sur la politique étrangère de l’Union européenne (chapitres 30 « relations extérieures » et 31 « politique étrangère et de défense ») est réalisé, selon la Commission européenne, à un très haut niveau par l’Albanie, le Monténégro et la Macédoine du Nord et à un « un certain niveau » par la Bosnie‑Herzégovine. En revanche, comme on le verra, la Serbie pose problème au regard de ce critère.

Les progrès dans les autres chapitres touchent à des sujets généralement moins sensibles, mais impliquant l’adoption d’un nombre important de textes que l’analyse par pays ci-après va permettre de cerner.

  1.   Le Monténégro

Dans son rapport 2023, la Commission européenne estime que le Monténégro a maintenu un dialogue politique constructif avec l'UE, démontrant son engagement envers les valeurs européennes et la coopération régionale. Il a également participé activement au Processus de Berlin qui vise à renforcer la coopération entre les pays des Balkans occidentaux.

La Commission note également que le Monténégro a continué à œuvrer à la réforme de son économie, en s’alignant progressivement sur les normes de l'UE. Les investissements dans l'infrastructure et le développement économique se sont poursuivis. Le pays a atteint un bon niveau de préparation pour développer une économie de marché fonctionnelle, bien que l'économie ait été impactée par des facteurs externes comme la guerre en Ukraine, les sanctions contre la Russie ayant notamment affecté le secteur touristique dont l’importance pour l’économie monténégrine est considérable. Des efforts pour améliorer la gestion des finances publiques et la durabilité fiscale sont en cours. Le Monténégro s’est également efforcé d’encourager la mobilité des personnes et les échanges culturels, éducatifs et scientifiques avec l'UE.

Un travail important reste toutefois à accomplir. L’administration publique du pays doit encore être réformée pour acquérir une expertise suffisante pour mettre en œuvre des projets concrétisant l’aide européenne. Les responsables monténégrins rencontrés ont unanimement souligné le besoin d’un accompagnement européen en ce domaine. Le déblocage des fonds européens est en effet lié à la validité des projets de développement, ce qui nécessite un traitement administratif approfondi.

Le Monténégro doit également progresser dans la voie de l’État de droit et de la transparence des nominations de fonctionnaires. Cela dépend de sa capacité à mener certaines réformes politiquement difficiles, telles celles du système judiciaire et de l’administration publique qui impliquent de courageuses campagnes anti-corruption. Des objectifs de réduction du poids de l’économie souterraine ou de lutte contre le crime organisé et la corruption ont été fixés. Les interlocuteurs monténégrins font état d’avancées dans ces domaines en mettant en avant des éléments tels que les arrestations ou les renvois de fonctionnaires de police ou de personnalités de haut rang dans le cadre d’affaires de corruption.

Comme l’a rappelé à vos rapporteurs Mme Oana Cristina Popa, déléguée de l’Union européenne au Monténégro, la crise politique a freiné les progrès du Monténégro dans la plupart des chapitres de négociation depuis 2018. Mais la constitution d’un nouveau gouvernement fin octobre 2023 devrait enclencher une nouvelle dynamique. L’adoption des nombreuses normes techniques conditionnant les avancées dans les blocs non fondamentaux ne devrait plus être ralentie. Mme Maida Gorčević, Ministre des Affaires européennes, rencontrée par vos rapporteurs, estime possible que les négociations d’adhésion puissent être achevées d’ici 2027. Le président Jakov Milatović a pour sa part adopté l’objectif de faire du Monténégro le « 28e membre de l’Union européenne en 2028 », formule qui vise à la fois à mobiliser les forces politiques, l’administration et la société civile du pays afin d’accélérer le rythme d’adoption des réformes, mais également à indiquer aux États membres la détermination du Monténégro à achever les négociations d’adhésion ([7]).

  1.   La Serbie

Ainsi que l’indique la Commission européenne, les progrès dans la voie de l’adhésion sont très insuffisants.

Des avancées substantielles sont attendues de la Serbie en matière d’État de droit, de réforme de la justice, de lutte contre la corruption et de droits fondamentaux. La Commission européenne note des progrès limités dans ces domaines et reste réservée quant à la mise en application des réformes adoptées.

La Serbie manifeste des réticences à s’aligner sur la PESC. Elle a condamné l’invasion de l’Ukraine par la Russie, mais refuse d’appliquer les sanctions adoptées par l’UE à l’encontre de la Russie. Cette position tient, comme on l’a vu, aux liens de solidarité profonds qui l’unissent de longue date à la Russie mais aussi au souvenir douloureux de l’intervention militaire de l’OTAN contre elle en 1999. Surtout, le refus d’appliquer les sanctions est dû à la très forte dépendance de la Serbie vis-à-vis de la Russie pour son approvisionnement en gaz.

La Serbie est le pays des Balkans occidentaux dont l’opinion publique est le moins favorable à l’adhésion. Selon la dernière enquête Eurobaromètre Standard conduite par la Commission européenne, seulement 43 % des personnes interrogées sont favorables à l’entrée de leur pays dans l’UE.

L’ensemble des responsables politiques rencontrés par les rapporteurs à Belgrade ont fait état de la volonté de leur pays d’adhérer à l’Union européenne. Cet élément est mis en doute par les personnalités de l’opposition rencontrées par les rapporteurs à Belgrade qui estiment que le discours pro-européen des autorités n’est qu’un moyen de maintenir le pays dans une situation avantageuse en bénéficiant des aides de pré-adhésion et en affichant une ambition pro-européenne tout en évitant de prendre à court terme les décisions, risquées sur le plan intérieur et extérieur, qui lèveraient les obstacles à la progression vers l’UE.

  1.   La Macédoine du Nord

D’après le rapport de la Commission européenne pour 2023, des progrès importants restent à accomplir en matière de réforme de l'administration publique. Des efforts sont en cours qui restent à confirmer pour améliorer la gestion des ressources humaines et la prestation de services.

À propos de l’État de droit et les droits fondamentaux, la Commission estime qu’il n'y a pas eu de progrès significatifs : la lutte contre le crime organisé s’est certes améliorée, mais la corruption reste répandue. Les droits fondamentaux sont partiellement alignés sur les normes de l'UE. Des préoccupations demeurent sur l’indépendance du pouvoir judiciaire.

S’agissant des autres chapitres relatifs au marché intérieur, l'agriculture et la cohésion, le niveau de préparation reste insuffisant.

C’est dans le domaine des relations extérieures et de la coopération régionale que le constat est le plus positif. La Macédoine du Nord tend à s’aligner avec la politique étrangère de l'UE, en veillant à maintenir une politique de bon voisinage avec les pays limitrophes et en participant activement à des initiatives régionales, telles que le Processus de Berlin, l’Open Balkans et plus récemment la plateforme Western Balkans Quad.

  1.   L’Albanie

Comme le déplacement effectué par vos rapporteurs à Tirana a permis de le constater, les autorités albanaises affichent un haut degré de motivation pour adhérer à l’Union européenne. La détermination des dirigeants albanais se manifeste au travers de l’implication du Parlement dans le processus d’adoption de l’acquis communautaire. M. Eduard Shalsi, Président de la Commission de l’économie et des finances et Président du groupe d’amitié Albanie-France, ainsi que Mme Jorida Tabaku, Présidente de la Commission de l’Intégration européenne, également rencontrés par les rapporteurs à Tirana, ont pris l’initiative de créer le Conseil national pour l’intégration à l’Union européenne, structure parlementaire ad hoc visant à assurer un suivi des réformes, notamment au travers d’auditions de l’exécutif et des membres de la société civile.

Dans son rapport de 2023, la Commission européenne note certes des progrès dans plusieurs domaines-clefs, mais émet des réserves sur la réforme de l’administration publique, la lutte contre la corruption, l’indépendance de l’autorité judiciaire, et la liberté d’expression.

Concernant les critères politiques et la démocratie, des préoccupations subsistent. Si l’Albanie a organisé des élections locales en mai 2023 dans un climat généralement calme, une utilisation abusive des ressources de l’État, des pressions sur les électeurs et les travailleurs du secteur public, ainsi que des allégations d’achats de votes, ont entaché la consultation. L’indépendance des médias et la sécurité des journalistes sont insuffisamment assurées.

Concernant la réforme de l’administration publique, la Commission constate que des progrès modérés ont été réalisés et que la numérisation des services publics est en bonne voie. Ce chapitre est important car en dépend la capacité du pays à « absorber » l’aide européenne de pré-adhésion et à en tirer profit, comme l’a rappelé Mme Isabelle Thomas-Delic, experte française « intégration européenne » en poste à Tirana, rencontrée par la délégation.

S’agissant du fonctionnement du système judiciaire et des droits fondamentaux, des réformes ont été engagées pour renforcer l’indépendance et l’efficacité de la justice, notamment en matière de durée des procédures et de suivi des dossiers et développer la lutte contre la corruption et le crime organisé, associé à une coopération continue avec les États membres et les agences de l’UE. L’Albanie a ainsi adopté en 2016 une réforme constitutionnelle importante qui a permis de créer de nouvelles institutions visant à renforcer l’indépendance de la Justice et d’établir de nouvelles procédures de nomination et de réévaluation des juges (processus dit du « vetting »). Cette procédure s’appuie principalement sur :

       une Commission indépendante de qualification, auprès de laquelle chaque juge faisant l’objet d’une réévaluation doit prouver l'origine de ses avoirs, tandis que sont évalués ses liens éventuels avec le crime organisé ;

       un Collège d’appel relevant de la cour constitutionnelle, auprès duquel un juge peut déposer un recours.

Cette procédure de réévaluation fait l’objet d’une supervision internationale par une équipe composée de juges européens et d’un juge américain. Le « vetting » concerne actuellement pas moins de 800 magistrats pour vérifier leur professionnalisme et leur intégrité. Sous ses différents aspects, la réforme de 2016 joue un rôle important dans la procédure d’adhésion de l’Albanie. On notera toutefois qu’en entraînant la démission ou le limogeage de nombreux hauts magistrats, cette réforme a déstabilisé l’organisation judiciaire.

La Commission crédite le pays de progrès dans le développement d'une économie de marché fonctionnelle.

En matière de coopération migratoire, l’Albanie a réalisé d’importants progrès. Le nombre de réadmissions a fortement augmenté. Le nombre de demandes d’asile a diminué de 35 % entre 2022 et 2023. L’Albanie s’est progressivement alignée sur les règles de l’UE en matière de visas et n’a pas renouvelé ses accords avec la Russie, l’Inde et l’Égypte. Néanmoins, les ressortissants de Chine, de Turquie et du Koweït restent à l’heure actuelle exemptés de visas en Albanie.

La coopération policière quant à elle fait partie des domaines nécessitant un approfondissement avant l’éventuelle adhésion du pays, comme l’a rappelé M. Besfort Lamallari, Vice-ministre de l’Intérieur, rencontré à Tirana. Des progrès sont attendus en matière de mandat d’arrêt européen. Le cas échéant, l’Albanie pourrait bénéficier des échanges volontaires de profils ADN et d’empreintes digitales de personnes recherchées entre États membres.

Enfin, la Commission note que l'Albanie continue de s'aligner sur la Politique étrangère et de sécurité commune.

  1.   La Bosnie-Herzégovine

La Bosnie-Herzégovine est un cas spécifique puisque le 12 février 2024, soit après que les rapporteurs se soient rendus sur place, la Commission a rendu public son rapport dans lequel elle recommande l’ouverture de négociations d’adhésion avec ce pays. Suivant ces recommandations, le Conseil européen des 21 et 22 mars 2024 a décidé d’ouvrir les négociations d’adhésion avec la Bosnie‑Herzégovine et invité « la Commission à préparer le cadre de négociation en vue de son adoption par le Conseil dès que toutes les mesures pertinentes visées dans la recommandation de la Commission du 12 octobre 2022 auront été prises. »

Le rapport de la Commission européenne pour 2023 faisait pourtant état pour chaque groupe de chapitres de « progrès limités » ou « inexistants », ou d’un « stade précoce » dans la mise en œuvre des réformes, la seule exception concernant le cluster 6 « relations extérieures », pour lequel est relevé un certain niveau de préparation avec une amélioration significative de l'alignement sur la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l'UE, malgré les problèmes liés à la mise en œuvre des sanctions.

L’ouverture des négociations était soumise à la mise en œuvre de quatorze priorités, qui se concentrent sur les domaines de la démocratie et du fonctionnement de l'État, de l'État de droit, des droits fondamentaux et de la réforme de l'administration publique.

Selon Mme Aurélie Valtat, Cheffe de la section politique de la Délégation de l’Union européenne à Sarajevo, le fait qu’une coalition plus favorable à l’adhésion que la précédente soit actuellement au gouvernement est un atout, mais ne suffit pas à lever les principaux obstacles aux réformes. L’adoption des lois est soumise à un processus long et compliqué en raison de la complexité des structures institutionnelles, chaque entité ayant la possibilité d’émettre un veto sur tout ou partie d’un texte, veto généralement validé par la Cour constitutionnelle.

Ainsi, la Bosnie-Herzégovine comprend la Republika Srpska (République serbe de Bosnie) et la Fédération de Bosnie-Herzégovine, cette dernière étant elle‑même divisée en dix cantons (dont les plus petits comptent environ 30 000 habitants), chacun doté d’un Gouvernement et d’un Parlement. À ces entités se rajoute le district de Brčko, territoire neutre et autonome vis-à-vis des deux territoires principaux.

Il convient de souligner que la Bosnie-Herzégovine ne s’est pas à ce jour dotée d’une véritable constitution, puisque le pays demeure depuis la guerre sous la tutelle de la communauté internationale au travers du Bureau du haut représentant international en Bosnie-Herzégovine, tandis que ses institutions sont régies par l’annexe 4 des accords de Dayton du 14 décembre 1995 ([8]).

Plus généralement, l’administration bosnienne peine à produire à temps et en intégralité les documents requis dans le cadre de la procédure d’adhésion, ce qui est susceptible de priver le pays de l’accès à une partie des fonds de pré-adhésion. Sans doute la Bosnie souffre-t-elle d’un manque en matière d’expertise.

Le rapport de la Commission rendu public le 12 février 2024 fait toutefois état d’un complet alignement de la Bosnie-Herzégovine sur la politique étrangère et de sécurité et de l’adoption de lois « importantes » en matière de prévention des conflits d’intérêts, de lutte contre le blanchiment d’argent ou encore de financement du terrorisme.

Par ailleurs, a jugé la Commission, Sarajevo est parvenu à améliorer sa gestion des flux migratoires, et les négociations sur un accord sur la circulation aux frontières sont désormais prêtes à être ouvertes après que la Présidence du Conseil de l’UE a approuvé le mandat de négociation.

En outre, le rapport précise aussi que le fait que le ministère bosnien de la Justice ait accepté d'inclure les jugements du Tribunal pénal international pour l'ex‑Yougoslavie au casier judiciaire national et qu’un comité de pilotage pour la consolidation de la paix vienne d'être créé sont des éléments positifs.

Dans ces conditions, la proposition faite par la Commission européenne d’ouvrir des négociations d’adhésion avec ce pays doit être comprise comme un geste politique d’encouragement à l’ensemble de la région plutôt que comme une rigoureuse déclinaison des critères fixés en amont. Ainsi que l’a indiqué Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l’Europe, le 3 avril dernier, les quatorze points identifiés en octobre 2023 pour l’ouverture des négociations n’étaient pas entièrement satisfaits même si pour l’essentiel ils l’étaient. La France, a-t-il précisé, sera « particulièrement » vigilante à ce que la Bosnie-Herzégovine atteigne chacun des objectifs fixés pour adopter le cadre de négociations à l’unanimité. Interrogé lors de son audition devant la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale le 3 avril par le co-rapporteur Pierre-Henri Dumont sur le fait de savoir si l’instauration d’une constitution était une condition préalable à l’adhésion de ce pays, le ministre a répondu par la négative : un changement de constitution n’est pas une condition nécessaire à la poursuite des négociations d’adhésion même si, a ajouté le ministre, les étapes restant à franchir pour ce pays pouvaient quasiment s’assimiler à une réforme constitutionnelle.

  1.   Le Kosovo

Le principal obstacle à l’avancée du Kosovo dans sa procédure d’adhésion demeure l’absence à ce jour de normalisation de ses relations avec la Serbie, ainsi que le refus de cinq États membres de l’Union européenne de reconnaître son indépendance.

Le rapport de la Commission européenne sur le Kosovo de 2023 indique des progrès limités dans la plupart des domaines et indique que des efforts demeurent nécessaires pour normaliser les relations avec la Serbie, réformer l'administration publique, lutter contre la corruption et le crime organisé, et améliorer le système judiciaire et dans l’application des droits fondamentaux. Des progrès ont cependant été réalisés dans la gestion de la migration et certaines avancées économiques.

3.   La persistance de contentieux bilatéraux ou de foyers de crise : des obstacles majeurs sur le chemin de l’adhésion

Alors que la stabilisation de la région était l’un des principaux objectifs du processus d’adhésion lancé au début des années 2000, la région des Balkans a pour particularité de laisser subsister des différends territoriaux ou contentieux liés à des questions de minorités.

La portée de ces contentieux est pour l’instant contenue car ils ne rétroagissent plus avec la même force sur les nationalismes autrefois très actifs dans la région. La lassitude des populations au souvenir des conflits passés, l’amélioration relative du niveau de vie et la perspective européenne ont en effet limité les rhétoriques nationalistes dans la région. Le président de Serbie, Aleksandar Vučić ne refuse pas le dialogue avec Pristina et ne soutient pas le sécessionnisme du président de la république serbe de Bosnie-Herzégovine, tout en aimant toujours à se présenter comme le « protecteur des Serbes ». Aucun parti albanais ne défend le projet de « grande Albanie ». Le nationalisme croate est largement tempéré par l'appartenance de la Croatie à I'UE.

Ces contentieux doivent toutefois être surveillés avec soin car on peut toujours craindre qu’ils ne deviennent un jour des foyers de tension régionaux susceptibles de déstabiliser la région. Leur résolution avant que les pays candidats ne rejoignent l’Union est une nécessité : il ne saurait en effet être question que ces différends soient importés dans l’Union une fois l’adhésion intervenue.

  1.   Un désaccord limité entre l’Albanie et la Grèce

Pendant la campagne municipale de 2023, un contentieux est apparu entre Tirana et Athènes au sujet d’une affaire judiciaire impliquant une accusation de fraude électorale à Himara, ville proche de la frontière où vit une communauté grecque.

Cette affaire ne semble toutefois pas avoir pris des proportions suffisantes pour entraver sérieusement la progression de l’Albanie vers l’adhésion.

  1.   Les revendications de la Bulgarie vis-à-vis de la Macédoine du Nord

Devenue indépendante en 1991, la « République de Macédoine » a obtenu le statut de candidat en 2005 mais s’est heurtée à la Grèce qui a sous sa souveraineté la partie sud de la Macédoine et refusait qu’un État dont l’appellation se référait à toute la Macédoine puisse entrer dans l’Union. Les autorités grecques ont donc obtenu à titre provisoire que leur voisin du nord soit appelé « Ancienne République yougoslave de Macédoine (ARYM) ». Les accords de Prespa en 2018 ont ensuite entériné l’appellation de « République de Macédoine du Nord ».

En 2020, le gouvernement bulgare a bloqué l’ouverture de négociations d’adhésion en prétendant que les Macédoniens n’ont pas d’identité spécifique et que leur langue n’est qu’un dialecte du bulgare.

Sous l’impulsion de la présidence française de l’Union, un accord est intervenu à l’été 2022 pour que la Bulgarie lève son opposition en échange de la reconnaissance dans la constitution macédonienne de la minorité bulgare sur son territoire. Cet accord a permis la tenue de la première conférence intergouvernementale (CIG) d’adhésion de la Macédoine du Nord en juillet 2022.

La tenue d’une seconde CIG est toutefois suspendue à la modification constitutionnelle qui nécessite toutefois l’approbation d’une majorité parlementaire des deux tiers. Or une telle majorité est à ce jour inaccessible sans le soutien d’une partie au moins de l’opposition du VMRO-DPMNE – ce que le gouvernement n’a pas pour l’instant obtenu. Le fait est que l’opposition ne voulant pas donner au gouvernement une victoire politique avant les prochaines élections bien que le VMRO-DPMNE devra bien, s’il accède au pouvoir, mener à bien les mêmes réformes constitutionnelles.

Les changements constitutionnels ont par conséquent été reportés au-delà des élections présidentielles et législatives, prévues respectivement en avril et mai 2024.

  1.   Les tensions récurrentes entre la Serbie et le Kosovo

C’est le différend entre la Serbie et le Kosovo qui est le foyer de tension potentiellement le plus dangereux pour la région. Sont en effet en jeu des questions de souveraineté et de droits des minorités qui constituent potentiellement un risque élevé pour la stabilité des pays.

Un dialogue a eu lieu entre la Serbie et le Kosovo sous l’égide de l’Union depuis le début des années 2010. L’accord de Bruxelles signé le 19 avril 2013 par la Serbie et le Kosovo a prévu des mesures d’intégration entre communautés serbe et albanaise du Kosovo ainsi qu’un engagement pour chacun des deux États à ne pas faire obstacle à l’adhésion de l’autre à l’Union européenne. Les présidents de Serbie, Aleksandar Vučić, et du Kosovo, Hashim Thaçi, en étaient même venus à évoquer en septembre 2018 l’idée d’un échange de territoires pour régler leur différend.

Interrompu en novembre 2018, le dialogue a repris en juillet 2020, à la suite d'un sommet organisé par le Président de la République et la Chancelière allemande avec les dirigeants des deux pays. II est mené par un Représentant spécial de I'UE, M. Lajcak. Quelques résultats ont été obtenus (notamment à propos des personnes déplacées ou disparues et en matière de coopération économique).

La situation s’est toutefois dernièrement tendue avec des tentatives des autorités kosovares d’affirmer plus nettement leur souveraineté sur le nord du pays. En avril 2022, le gouvernement du Kosovo a décidé d’imposer dans le nord du pays aux véhicules utilisés par la minorité serbe l’usage de plaques d’immatriculation émise par la république du Kosovo et non par la Serbie, comme cela avait été le cas jusqu’à présent. En mai 2023, il a autorisé les maires albanais élus fin avril malgré le boycott de 97 % de la population (majoritairement serbe) à prendre leurs fonctions.

La Serbie oscille entre réactions de fermeté et gestes d’apaisement. Le gouvernement serbe a pris ainsi la décision d’accepter à partir du 1er janvier 2024 la circulation sur son territoire de véhicules portant des plaques d’immatriculation du Kosovo, en indiquant qu’il s’agissait d’une mesure pratique n’entraînant aucune forme de reconnaissance de l’indépendance du Kosovo.

Dans ce contexte, le représentant spécial de l’Union tente, avec le soutien de la France et de l’Allemagne, d’engager une normalisation de facto des relations entre la Serbie et le Kosovo (s'inspirant du Traité fondamental de 1972 entre les deux Allemagne, qui avait ouvert la voie à leur entrée à l’ONU) mais sans aborder la question du statut international de ce dernier, qui serait traitée ultérieurement avant l’adhésion à l’Union de ces deux pays.

Les positions restent toutefois difficilement conciliables sur le fond. Le Kosovo souhaite placer la question de la reconnaissance mutuelle au centre de tout accord. La Serbie demande au préalable la mise en œuvre des dispositions de l’accord de Bruxelles d’avril 2013 prévoyant la mise en place d’une association des municipalités à majorité serbe (ASMM), jamais appliquées par Pristina à ce jour.

À ce stade, le constat est celui d’une incapacité de l’Union à imposer sur le terrain la normalisation des relations entre les deux États. Il est vrai que son instance médiatrice est affaiblie par le fait que l’indépendance du Kosovo n’est pas reconnue par cinq de ses membres.

  1.   La situation interne de la Bosnie-Herzégovine : une source permanente de tensions susceptible à tout moment de constituer un problème international

À la suite des accords de Dayton, la Bosnie-Herzégovine est devenue un État fédéral composé de deux Entités – la Fédération de Bosnie-Herzégovine (FB-H) et la Republika Srpska (RS). Chaque entité possède sa propre Constitution, un gouvernement, un parlement bicaméral, une force de police, un pouvoir judiciaire et un système juridique, fiscal et éducatif distincts. Le pouvoir central est doté des prérogatives en matière d'armée, de finances, de justice et de diplomatie.

Ce pays reste profondément divisé entre ses trois « peuples constitutifs » qui ne partagent pas une vision commune de l’avenir : Bosniaques représentant 50 % de la population, Croates 15 % et Serbes 30 %.

Les tensions sont alimentées par la fragilité interne de la fédération – sujette à de fortes oppositions entre Croates et Bosniaques et entravée par une organisation institutionnelle exagérément complexe – et les velléités sécessionnistes de la Republika Serpska qui menacent l’intégrité territoriale de la Bosnie-Herzégovine.

II.   Les relations entre l’Union europÉenne et les pays des Balkans occidentaux : des voies diverses qui viennent complÉter le processus d’adhÉsion et le soutenir

A.   Un dialogue politique trÈs riche qui est l’occasion pour les États membres et les pays des Balkans de discuter de leurs intÉRÊts stratÉgiques communs

1.   Les sommets annuels UE-Balkans

Ce dialogue politique s’inscrit dans le cadre de sommets annuels rassemblant les chefs d’État ou de gouvernement de l’Union européenne et des Balkans occidentaux ainsi que les présidents de la Commission européenne et du Conseil européen. Ces sommets sont l’occasion de réaffirmer la perspective européenne des Balkans occidentaux et de mettre en avant le soutien que l’UE apporte à ces pays.

Ces réunions se tiennent habituellement dans des États membres de l'UE ayant des liens particuliers avec la région mais, pour la première fois, le sommet de décembre 2022 s’est tenu dans un pays des Balkans occidentaux (Tirana, en Albanie).

Ce sommet de Tirana a ainsi débouché sur des initiatives importantes en matière énergétique (avec la décision de l’Union d’ouvrir les achats communs de gaz, de gaz naturel liquéfié et d’hydrogène aux partenaires des Balkans occidentaux) et sur la réaffirmation d’un alignement nécessaire des États des Balkans sur la politique étrangère et de sécurité commune de l'UE.

Le dernier sommet UE-Balkans s’est tenu à Bruxelles le 13 décembre 2023.

Les principaux sujets de discussion ont été le rapprochement des partenaires des Balkans occidentaux avec l'UE et poursuite de l'intégration progressive ; la mise en place d'une base économique pour l'avenir et l’atténuation des répercussions de la guerre d'agression menée par la Russie contre l'Ukraine ; et le renforcement de la sécurité et intensification de la résilience, notamment dans le domaine cyber.

Au cours du sommet, les chefs d’État ou de gouvernement des 27 États membres de l’UE et des 6 pays des Balkans occidentaux ont fait le point sur les progrès accomplis dans différents domaines, tels que la connectivité numérique, y compris la réduction des coûts d'itinérance des données ; la reconnaissance mutuelle des diplômes universitaires et des qualifications professionnelles dans la région ; les transports et la connectivité des infrastructures, y compris les voies réservées et les voies bleues entre l'UE et les Balkans occidentaux ; et la poursuite de la mise en œuvre du Plan économique et d’investissement. Parmi les initiatives issues du sommet figure la promesse de bourses pour les étudiants du nouveau campus de Tirana du Collège d'Europe, une idée lancée lors du précédent sommet UE-Balkans occidentaux à Tirana en décembre 2022 et inaugurée en octobre dernier.

Le sommet s’est conclu par la signature de la Déclaration de Bruxelles, dans laquelle l'UE a réaffirmé son « attachement total et sans équivoque à la perspective de l'adhésion des Balkans occidentaux à l'Union européenne » et rappelé la nécessité de réformes concernant l’État de droit et l’économie. La déclaration souligne également la nécessité de déployer des efforts soutenus dans la lutte contre la corruption et la criminalité organisée, de renforcer le soutien aux droits de l’homme et à l’égalité entre les femmes et les hommes. L’Union européenne demande une nouvelle fois aux partenaires des Balkans occidentaux de s’aligner sur la PESC et sur les mesures restrictives adoptées par l’UE, concernant la Russie notamment.

2.   Le processus de Berlin

Le processus de Berlin est un cadre de coopération original mis en place à l’initiative de l’Allemagne le 28 août 2014, peu après que le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker a déclaré que « L’Union européenne [resterait] à 28 pendant les cinq prochaines années ».

Dans un contexte où l’adhésion des pays des Balkans occidentaux semblait ainsi reportée à une échéance lointaine, l’objectif était de soutenir le processus d’adhésion en mobilisant les pays des Balkans occidentaux et des États membres intéressés autour de projets de coopération concrets. Il s’agit tout autant d’éviter que les pays des Balkans ne se détournent de l’Europe que de préparer de manière très opérationnelle leur potentielle intégration dans le grand marché européen.

Le processus de Berlin a pris la forme de conférences annuelles réunissant les six pays des Balkans occidentaux non membres de l’UE et un nombre États membres participants qui n’a cessé d’augmenter au fil des années (et qui sont maintenant au nombre de neuf : Allemagne, Autriche, Bulgarie, Croatie, France, Grèce, Italie, Pologne, Slovénie).

En dépit d’un bilan considéré comme insatisfaisant par certains, le processus de Berlin a permis certaines avancées concrètes : adoption en 2015 d’un « agenda connectivité » dans les Balkans occidentaux qui a permis d’identifier une liste de 20 projets prioritaires pour un montant d’investissement total de 1,4 Md€ ; signature en 2015 également d’un traité de la communauté des transports qui prévoyait la reprise par les pays des Balkans de l’acquis communautaire dans ce domaine ; signature en novembre 2022 de deux accords, l’un visant à faciliter la libre circulation des citoyens dans la région et l’autre visant à la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles des médecins, dentistes et architectes.

B.   Une aide multiforme qui soutient le processus de réformes et le dÉveloppement des infrastructures

1.   L’aide de pré-adhésion

À compter de leur reconnaissance du statut de pays candidat, les pays des Balkans occidentaux bénéficient des aides de l’instrument d’aide de pré-adhésion (IPA). Institué en 2007, l’IPA finance une assistance financière et technique qui aide les États candidats à mettre en œuvre les réformes politiques et économiques nécessaires, tout en les préparant aux droits et obligations qui découlent de l'adhésion à l'UE.

Les aides de l’IPA font l’objet d’une programmation financière pluriannuelle. Pour la période 2007-2013, l'instrument d'aide de pré-adhésion disposait d'un budget de 11,5 milliards d'euros (3,7 milliards d’euros pour les Balkans occidentaux). Sur la période 2014-2020, les moyens ont été portés à 12,8 milliards d'euros (4,2 milliards d’euros pour les Balkans occidentaux).


Répartition IPA II 2014-2020

(en milliards d’euros)

 

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

Total
2014-2020

Albanie

68,7
(4 %)

91,9
(6%)

82,7
(6%)

80,2
(5%)

107,4
(7%)

91,2
(6%)

236,6
(15%)

758
(7%)

Bosnie-Herzégovine

75,7
(5 %)

39,7
(2%)

47
(3%)

74,8
(5%)

83,8
(5%)

103,2
(7%)

112,3
(7%)

539,6
(5%)

Kosovo

66,75
(4 %)

82,1
(5%)

73,86
(5%)

78,16
(5%)

91,3
(6%)

89,3
(6%)

91,7
(6%)

573,1
(5%)

Monténégro

39,5
(3 %)

36,4
(2%)

35,4
(3%)

41,4
(3%)

44,2
(3%)

42,3
(3%)

31,7
(2%)

269,2
(3%)

Macédoine du Nord

81,7
(5 %)

67,2
(4%)

64,6
(5%)

82,2
(5%)

99,2
(6%)

111
(7%)

127,2
(8%)

633
(6%)

Serbie

189,1
(12 %)

216,1
(13%)

189,4
(14%)

166,7
(11%)

214,1
(14%)

211
(14%)

218,1
(14%)

1 404,4
(13%)

Turquie

619,6
(40 %)

625,7
(38%)

629,2
(45%)

508,6
(33%)

386,8
(25%)

248,3
(17%)

168,2
(11%)

3 186,5
(30%)

Multinational

248,1
(16 %)

359,1
(22%)

441,6
(32%)

458,2
(30%)

516,3
(33%)

632,4
(43%)

664,1
(43%)

3 319,7
(31%)

Total

1 543,1

1 649,9

1 391,2

1 521,5

1 566,2

1 483,1

1 528,5

10 683,5

Source : Commission européenne

La part des Balkans occidentaux dans les fonds IPA est en augmentation. Les pays des Balkans occidentaux absorbaient 36,3 % des fonds IPA lors de la première programmation, puis 39,1 % sur la deuxième programmation. À ces fonds s’ajoutent des fonds issus des programmes régionaux d’IPA, eux aussi en hausse (31,1 % des fonds IPA II, contre 13,2 % des fonds IPA I).

 

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Source : Direction générale du Trésor

Le cadre financier pluriannuel 2021-2027 a prévu un montant de 14,2 milliards d'euros (IPA III) en augmentation de près de 11 %.

La programmation 2021-2027 de l'aide de l'UE est basée sur les priorités thématiques plutôt que sur des enveloppes nationales prédéfinies, comme c’était le cas pour les périodes précédentes. Les domaines d’intervention sont l’État de droit, les droits fondamentaux et la démocratie ; la bonne gouvernance, l’alignement sur l’Acquis communautaire et les bonnes relations de voisinage ; l’agenda vert et la connectivité durable ; la compétitivité et la croissance inclusive ; et la coopération territoriale et transfrontalière. Les thèmes transversaux tels que le changement climatique, la protection de l’environnement, l’égalité de genre et la société civile sont intégrés dans tous les domaines.

Répartition IPA III 2021-2026

(en milliards d’euros)

 

2021

2022

2023

2024

2025

2026

2027

Total

Part du total

Domaine 1.
État de droit droits fondamentaux et démocratie

281

287

292

298

304

310

317

2 089

15,13 %

Domaine 2.
Bonne gouvernance alignement sur l’Acquis communautaire et bonnes relations de voisinage

308

314

321

327

333

340

347

2 291

16,59 %

Domaine 3.
Agenda vert et connectivité durable

788

804

820

837

853

870

888

5 860

42,25 %

Domaine 4.
Compétitivité et croissance inclusive

414

422

431

440

448

457

467

3 080

22,31 %

Domaine 5.
Coopération territoriale et transfrontalière

65

66

68

69

71

72

73

485

3,51 %

Total

1 904

1 943

1 982

2 022

2 062

2 104

2 147

14 162

100 %

Source : Commission européenne

Les fonds sont engagés selon le rythme des projets soumis par les États bénéficiaires. Cette nouvelle répartition vise à récompenser les performances et les progrès accomplis dans la réalisation des priorités essentielles et permet bénéficier d'une plus grande souplesse pour répondre à l'évolution des besoins des partenaires sur la voie de l'adhésion.

Le montant alloué aux pays des Balkans sur la période 2021-2027 est de 9 milliards d’euros auquel s’ajoute un fonds de garantie de 1 milliard d’euros. La Commission estime que ce programme d’investissements pourrait lever par effet de levier jusqu’à 20 milliards d’euros de financements.

Il reste que si ces moyens représentent un effort important de l’Union, ils sont d’un montant limité comparé aux bénéfices que retire l’Union de ses échanges commerciaux avec les pays de la région. Comme on l’a vu, l’excédent commercial de l’Union européenne avec les pays des Balkans atteint à lui seul 9 milliards d’euros par an.

Par ailleurs, ces moyens sont supérieurs aux fonds habituellement alloués aux pays candidats mais inférieurs aux financements dont bénéficient les États membres : ce montant de 9 milliards d’euros est par exemple inférieur au total des aides européennes que reçoit un pays comme la Bulgarie.

2.   Le plan de croissance pour les Balkans occidentaux

Proposé par la Commission européenne en novembre 2023 et validé par le Conseil européen des 14 et 15 décembre 2023, le plan de croissance est un plan d’aide de 6 milliards d’euros (2 milliards d’euros de dons et 4 milliards d’euros de prêts), à destination des six pays candidats de la région (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Kosovo, Macédoine du Nord, Monténégro, Serbie).

L’octroi de ces financements est conditionné à :

- la relance du marché commun régional ;

- la mise en œuvre de réformes dans les domaines économiques et sociaux, les chapitres fondamentaux du processus d’élargissement, notamment l’État de droit, la démocratie et le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Les paiements, qu’il s’agisse de financements de projet ou d’aides budgétaires directes, seront liés à des réformes juridiques ou socio-économiques spécifiques. Cité par le journal Le Monde, un responsable européen précise : « Chaque année, nous fixerons avec les pays les objectifs de réforme et débloquerons tout de suite de premiers moyens. Si, au bout d’un an, les réformes sont menées à bien, nous compléterons les versements, si elles ne le sont pas, l’argent sera utilisé pour d’autres projets… C’est un instrument puissant qui vise à la fois à accélérer les réformes nécessaires pour rejoindre l’UE et à hâter le rattrapage économique de ces pays. » ([9]).

L’objectif est ainsi de relancer la convergence économique des pays candidats de la région avec l’Union européenne et de permettre un accès anticipé à certains secteurs du marché unique européen. Concrètement, la Commission propose aux six pays des Balkans candidats de les aider à la fois financièrement et techniquement à respecter les réglementations qui régissent la liberté de circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux.

 

 

 


   TroisiÈme partie : crÉer les conditions d’une Évolution plus favorable des nÉgociations d’adhÉsion dans les respectS des critÈres de Copenhague

I.   PrÉparer L’Union europÉenne à la perspective d’une forte augmentation du nombre d’États membres

L’Union européenne doit donc se préparer à l’hypothèse de compter jusqu’à neuf États membres supplémentaires, si l’on tient compte des perspectives d’adhésion de l’Ukraine, de la Moldavie et de la Géorgie.

Une telle perspective implique que l’Union prenne au préalable des mesures afin de réformer son organisation institutionnelle et adapter ses politiques communes.

A.   Engager une réforme prÉalable des institutions europÉennes

Une telle augmentation du nombre d’États membres crée un risque d’engorgement des institutions européennes et de paralysie du processus de décision.

Parmi les nombreux sujets ouverts par la perspective d’une révision des traités, les trois principaux sont :

- la répartition des sièges du Parlement européen ;

- la taille de la Commission européenne sachant que deux solutions sont envisageables : soit le plafonnement du nombre de commissaires européens comme le traité de Lisbonne en prévoit déjà la possibilité, soit le maintien de la règle « un commissaire par État membre » mais compensé, afin de permettre à la Commission de travailler avec efficacité, par une distinction nouvelle entre commissaires de plein exercice et commissaires sans droit de vote (comme le suggère le rapport d’expert franco-allemand) ([10]) ou par une hiérarchisation interne entre commissaires ;

- le champ du vote à l’unanimité qui devrait être réduit afin d’éviter les risques de recours au droit de veto. Soulignons que l’extension du champ du vote à la majorité qualifiée peut se faire par recours à une des clauses passerelles prévue par le traité de Lisbonne qui autorise le Conseil européen à décider à l’unanimité d’étendre ce champ sans recourir à la procédure lourde de révision des traités.

S’il n’entrait pas dans la mission des rapporteurs d’examiner dans le détail les solutions institutionnelles susceptibles d’être envisagées, ils souhaitent ici affirmer leur conviction qu’il ne saurait y avoir de nouvel élargissement, aux pays des Balkans comme à tout autre pays tiers, sans réforme préalable profonde de l’organisation et du fonctionnement des institutions européennes.

Recommandation n° 1

Corréler tout nouvel élargissement avec une réforme des institutions européennes afin de garantir leur bon fonctionnement et l’efficacité du processus de décision

 

Le rapport du groupe d’experts franco-allemand

Le 23 janvier 2023, le Conseil des ministres franco-allemand a confié à un groupe de douze experts des deux pays la mission d’« élaborer, dans les prochains mois, des recommandations concrètes sur la manière de renforcer la capacité d’action de l’Union européenne, de protéger ses valeurs fondamentales, de renforcer sa résilience, notamment au regard de la guerre d’agression russe contre l’Ukraine, et de rapprocher l’Union européenne des citoyens ».

Le 18 septembre 2023, un groupe d’experts désigné par le Conseil des ministres franco-allemand du 23 janvier 2023 a rendu le rapport intitulé « Sailing on High Seas : Reforming and Enlarging the EU for the 21st Century » ([11]), qui recommande un certain nombre de modifications institutionnelles, nécessitant ou non une révision des traités, et envisage les moyens par lesquels elles peuvent être conduites.

Pour permettre l’adaptation des institutions européennes à un nombre accru d’États membres, le rapport recommande de :

- éviter d’augmenter le nombre déjà élevé de sièges au Parlement européen ;

- adapter la présidence tournante du Conseil en étendant le « trio » introduit par le traité de Lisbonne pour en faire un quintet ;

- réformer le Collège des commissaires selon diverses modalités possibles (réduction de la taille aux deux tiers du nombre d’États membres, mise en place d’une différenciation entre les « commissaires principaux » et les « commissaires », permutation des rôles à mi-mandat, etc.).

- d’étendre le champ des votes à la majorité qualifiée au Conseil européen, en instaurant un « filet de sécurité souverain », voire un « opt-out » dans certains domaines, selon des modalités qui restent à préciser.

S’agissant du processus d’élargissement, le rapport recommande de se fixer pour objectif un élargissement pour 2030. Les pays candidats auraient l’obligation d’ici là de remplir tous les critères d'adhésion et pourraient être admis par petits groupes (en « régate »). Les critères de qualification pour l’adhésion devraient privilégier :

- les fondamentaux, comme c’est le cas en application de la méthodologie révisée ;

- l’alignement sur la Politique étrangère et de sécurité commune de l’Union européenne (PESC) ;

- la résolution préalable, le cas échéant, des conflits extérieurs ou des contentieux territoriaux avec un État membre de l’Union européenne, la procédure d’adhésion pouvant être une incitation à résoudre ces questions.

Concernant le rôle de l’Union européenne dans les processus d’adhésion, le rapport recommande :

- un accroissement du soutien technique et financier aux pays candidats ;

- un renforcement de la légitimité démocratique du processus d’adhésion à l’UE au moyen d’un dialogue accru avec leurs citoyens et leurs sociétés.

Enfin, concernant la dynamique de la procédure d'adhésion, le rapport recommande d’appliquer les principes suivants :

- l’égalité entre les pays candidats, c’est-à-dire l’absence de « fast-track » pour les pays dont l’accession pourrait être considérée comme une urgence géostratégique ;

- la systématisation, c’est-à-dire une généralisation des programmes d’intégration partielle déjà mis en œuvre et une méthodologie plus conditionnelle et plus structurée en matière d’intégration sectorielle, ainsi qu’une approche plus graduelle de la participation des pays candidats aux institutions de l’Union ;

- la réversibilité, c’est-à-dire la possibilité de revenir en arrière lorsqu’un pays candidat ne remplit plus les critères ayant justifié son intégration à certaines procédures ou politiques sectorielles ;

- le vote à la majorité qualifiée pour les décisions d’ouverture et de fermeture des chapitres de négociation, afin d’éviter qu’un État membre ne puisse bloquer un processus d’adhésion pour des motifs distincts de ce dernier, la décision finale d’adhésion restant prise à la « double unanimité » des États membres (c’est-à-dire un vote du Conseil à l’unanimité et la ratification de chaque État membre au niveau national).

B.   RÉFLÉchir aux conditions d’ÉLIGIBILITÉ des nouveaux États membres aux aides des politiques europÉennes afin d’Éviter un dÉrapage du budget de l’Union

1.   À règles inchangées, le surcoût budgétaire induit par de nouveaux élargissements serait important pour l’Ukraine et plus limité pour les pays des Balkans

Les conséquences d’un nouvel élargissement sur les dépenses budgétaires de l’Union et sur le fonctionnement de ses deux principales politiques communes – la politique agricole commune (PAC) et la politique de cohésion économique et sociale – ont fait l’objet d’estimations diverses, souvent contradictoires, le plus souvent centrées d’ailleurs sur les conséquences d’une adhésion de la seule Ukraine.

Selon le Financial Times ([12]), une étude interne de la Commission européenne estimerait le coût de l’entrée des six pays des Balkans occidentaux, de l’Ukraine, de la Moldavie et de la Géorgie pour le cadre financier pluriannuel à 256,8 milliards d'euros sur sept ans.

On notera qu’à la différence de l’Ukraine (qui compte 41,3 millions d'hectares de terres agricoles fertiles), les pays des Balkans ont des surfaces agricoles relativement faibles, comprises entre un et trois millions d'hectares. La Serbie, avec 3,5 millions d'hectares, a une surface agricole similaire à celle de la République tchèque.

Si l’on s’en tient aux six pays des Balkans, une étude, menée par Vasja Rant et publiée en 2020 ([13]), a estimé que ces pays recevraient après leur adhésion chaque année, nets de contributions, 3,6 milliards d'euros. Avec ses 31 millions d’habitants, l'Ukraine recevrait à elle seule 6,3 milliards d'euros nets par an.

2.   Une recommandation : réfléchir dès maintenant aux mesures à prendre en amont afin de limiter les surcoûts budgétaires d’un nouvel élargissement

Les rapporteurs entendent ici souligner que ces estimations du surcoût budgétaire induit par de nouveaux élargissements ne valent qu’à règles actuelles inchangées et qu’il revient aux États membres et aux institutions européennes de prendre en amont les mesures de nature à éviter de tels dérapages. Parmi ces mesures afin de contenir les futurs élargissements dans des limites de coût acceptables, il faut citer :

- la mise en place de longues périodes de transition pendant lesquelles les nouveaux États membres ne seraient pas pleinement éligibles aux aides de la PAC. C’est ce qui avait été prévu lors des élargissements à l’Est de 2004 et 2007 : les pays d’Europe centrale et orientale s’étaient vus attribuer progressivement les aides directes de la PAC (de 25 % en 2004 jusqu’à 100 % en 2013). L’entrée de l’Ukraine, voire celle des pays des Balkans, dans le système des aides directes agricoles pourrait n’être envisagée qu’à l’issue d’une longue période de transition qui pourrait être mise à profit pour faire évoluer les modes de production agricoles dans les nouveaux États membres et les aligner sur les standards européens afin d’éviter les effets de concurrence déloyale ;

- le plafonnement des aides de la politique de cohésion en fonction du PNB des États bénéficiaires. Un tel plafonnement existe déjà dans le cadre de cette politique : il devrait être renforcé afin d’éviter une redistribution trop brutale des aides de la cohésion au détriment des pays actuellement bénéficiaires nets.

Recommandation n° 2

Réfléchir aux mesures susceptibles d’être prises (lissage dans le temps des conditions d’éligibilité aux aides agricoles européennes, plafonnement des aides de la cohésion en fonction du PNB des États bénéficiaires) afin de limiter les surcoûts budgétaires découlant d’un nouvel élargissement.

II.   Faire Évoluer tout en l’approfondissant la relation entre l’Union europÉenne et les pays des Balkans occidentaux

A.   Favoriser le dÉVELoppement de l’intÉgration rÉgionale entre pays des Balkans

La relance du projet d’intégration régionale est une nécessité. L’intégration régionale des pays des Balkans occidentaux – c’est-à-dire la constitution entre eux d’un espace de libre circulation des marchandises, des services et des personnes – est le moyen pour ces pays de :

- s’ouvrir aux échanges – et de se préparer ainsi au choc concurrentiel que représentera leur intégration dans le marché unique

- développer le dialogue politique entre eux qui est un facteur d’apaisement des tensions.

Loin de compliquer les adhésions individuelles, un tel processus est un facteur d’avancement des procédures d’adhésion comme l’a souligné devant les rapporteurs M. Arber Ademi, Vice Premier Ministre chargé des Affaires européennes de Macédoine du Nord.

La conduite de ce processus est complexe car il impose la suppression de droits de douane et de barrières non tarifaires qui sont souvent autant de moyens par lesquels les États entendent protéger de la concurrence des secteurs économiques nationaux. C’est la raison pour laquelle il ne pourra être mené à bien sans une forte implication européenne qui doit lier les aides du plan de croissance à la conclusion d’accords d’intégration économique régionale.

Recommandation n° 3

Lier les aides du plan de croissance à la conclusion d’accords d’intégration économique régionale.

B.   mieux Utiliser la CommunautÉ politique europÉenne pour en faire le cadre d’un dÉveloppement des coopÉrations sectorielles

L’initiative lancée par le président Emmanuel Macron le 9 mai 2022 d’une « Communauté politique européenne » qui « permettrait aux nations européennes démocratiques adhérant à notre socle de valeurs de trouver un nouvel espace de coopération politique, de sécurité, de coopération en matière énergétique, de transport, d’investissements, d’infrastructures, de circulation des personnes et en particulier de nos jeunesses » a été initialement accueillie avec un certain scepticisme.

Les pays candidats à l’élargissement ont exprimé pour beaucoup la crainte que ce projet ne retarde leur adhésion à l’Union en constituant une sorte de « salle d’attente » dans laquelle ils seraient confinés. Si ces craintes peuvent continuer à persister (elles ont été, par exemple, exprimées devant les rapporteurs par Mme Elvira Kovacs, présidente de la commission en charge de l’Union européenne de l’Assemblée nationale serbe) ([14]), les inquiétudes manifestées ont pour l’essentiel été aplanies. Un important travail de conviction a été réalisé auprès des pays candidats pour leur faire comprendre que la CPE était un moyen de renforcer leur ancrage européen.

La CPE est en effet un cadre politique permanent d’échanges sur des problématiques communes déconnecté des procédures d’adhésion. Un des intérêts de cette communauté nouvelle de 47 États ([15]) est de favoriser annuellement des réunions informelles entre dirigeants permettant ainsi de consolider le statut de partenaires des États non membres vis-à-vis de l’UE. À ce jour, la CPE a tenu trois sommets (Prague, 6 octobre 2022 ; Bulboaca, 1er juin 2023 ; Grenade, 5 et 6 octobre 2023). La quatrième est prévue au printemps 2024 au Royaume-Uni.

La conviction des rapporteurs est toutefois que la CPE ne devrait pas s’en tenir à ce rôle de forum d’échange et qu’elle doit être le cadre d’un véritable approfondissement des coopérations entre ses membres dans des domaines comme la sécurité, l’énergie, l’environnement, l’enseignement ou encore les transports. Dans ces domaines, la CPE doit favoriser le lancement de projets associant la société civile et la jeunesse européennes ([16]).

La CPE en est encore dans la première phase de son existence. Il convient d’en exploiter pleinement le potentiel dans la perspective du processus d’adhésion des Balkans occidentaux à l’UE.

Recommandation n° 4

Faire de la Communauté politique européenne le cadre de lancement de projets de coopération entre États participants dans des domaines comme la sécurité, l’énergie, l’environnement, l’enseignement ou les transports afin de favoriser une meilleure intégration européenne.

C.   Promouvoir une nouvelle mÉthode graduelle d’Élargissement

Le processus actuel d’adhésion repose sur une séparation stricte entre :

- la situation du pays candidat auquel sont demandés des efforts considérables en contrepartie d’aides européennes qui, pour importantes soient-elles, ne sont pas toujours à la mesure des efforts demandés ;

- celle d’État membre qui autorise le pays concerné à tout d’un coup participer aux institutions européennes et bénéficier d’aides européennes dont le montant est sans aucune mesure à ce qui lui était précédemment alloué.

Les rapporteurs estiment qu’une telle séparation n’est plus de mise. Elle prive les États candidats d’incitations suffisantes pour progresser dans la voie des réformes. Elle ne leur permet pas de faire l’apprentissage des principes régissant la vie politique de l’Union avant leur pleine participation au « club » européen.

Aussi les rapporteurs sont-ils favorables à ce que l’idée d’une adhésion progressive ou graduelle soit expertisée, puis mise en œuvre selon des modalités à préciser. Si différents schémas ont été proposés par des think tanks ([17]), l’idée est que, lorsqu’il aurait atteint un certain degré de conformité aux critères d’adhésion, le pays candidat pourrait :

- participer à certaines réunions des institutions européennes (Conseil européen, Conseil, Parlement européen, groupes de travail…) sans possibilité de prendre part à l’adoption des décisions ou au vote s’agissant du Parlement européen (situation de simple observateur) :

- participer à certaines politiques communes (recherche, coopération douanière, énergie et infrastructures de transport, asile et migrations, éducation et culture…) ;

- bénéficier selon une quotité à déterminer des aides de la politique de cohésion.

Ce dernier point est évidemment essentiel : dès lors que les pays candidats pourraient avoir accès à une part des fonds structurels ([18]), l’Union disposerait de moyens accrus pour soutenir la mise en œuvre des réformes et lier cette mise en œuvre à des conditionnalités renforcées. Comme l’indique Pierre Mirel, cette possibilité d’accès aux fonds de la politique de cohésion serait à la fois une preuve tangible de l’engagement de l’Union et un puissant incitatif à la réalisation des réformes.

Point important, ce statut d’adhésion partielle doit prévoir un mécanisme de suspension permettant même de faire « marche arrière » au cas où les États candidats échoueraient à avancer dans les réformes.

Lorsque vos rapporteurs ont demandé aux dirigeants des pays des Balkans occidentaux qu’ils ont rencontrés leur avis sur ces réflexions, certains ont exprimé leur inquiétude de voir leur pays s’enfermer dans un statut inférieur à celui des États membres mais d’autres ont souligné que toute forme de progrès vers l’adhésion leur conviendrait.

Recommandation n° 5

Permettre aux pays candidats ayant atteint un certain degré de conformité aux critères d’adhésion de participer à certaines réunions des institutions européennes sans possibilité de prendre part à l’adoption des décisions, participer à certaines politiques communes et bénéficier partiellement de la politique de cohésion.

Demander à la Commission européenne d’expertiser les modalités possibles d’un tel processus d’adhésion graduel.

D.   Ne pas transiger sur l’exigence d’un plein respect des critÈres de Copenhague dans le cadre d’un élargissement échelonné en fonction des mérites des pays candidats

1.   La mise en œuvre d’une conditionnalité exigeante au service d’un plein respect des critères d’adhésion

La mise en place de ce nouveau schéma d’adhésion serait, comme cela a été dit, un moyen de promouvoir un respect exigeant des critères de Copenhague. Ces critères sont au cœur du processus et doivent le demeurer car ils sont le moyen de s’assurer que les pays candidats sont capables de se plier aux disciplines communes et de rejoindre l’Union sans affaiblir sa cohésion.

Un État qui adhère à l’Union doit avoir accepté le modèle de démocratie libérale et garanti l’ensemble des règles constitutives de l’état de droit (indépendance de la justice, lutte contre la corruption, transparence des règles de marché public…).

Un État qui adhère à l’Union doit avoir réalisé, avec l’aide de l’Union européenne mais aussi des institutions financières internationales (Banque mondiale, Banque européenne d’investissement, Banque européenne de reconstruction et de développement…), les investissements minimums nécessaires en matière d’infrastructures de transport, de recherche, d’éducation et de santé.

Un État qui adhère à l’Union doit avoir réglé avec ses voisins ses litiges bilatéraux et s’être aligné sur les positions prises par l’Union en matière de politique étrangère.

Recommandation n° 6

Lier tout nouvel élargissement au strict respect des critères d’adhésion.

2.   La fixation d’une date « objectif » pour l’adhésion des pays des Balkans : un débat faussé générateur d’incompréhensions

Lors du forum stratégique de Bled, le président du Conseil européen, Charles Michel, a fait sensation en évoquant un élargissement de l’Union d’ici 2030 relançant ainsi le débat sur la fixation d’une date cible pour les prochaines adhésions. Déjà en 2018, la Commission européenne avait évoqué l’idée de fixer une date indicative 2025 pour l’adhésion du Monténégro et de la Serbie mais cette proposition n’avait pas prospéré.

Une telle approche est soutenue par certains observateurs comme Alexandre Adam, ancien conseiller Europe du Président de la République, qui est l’auteur d’un article « L’Union européenne à 36 : dégager l’horizon » dans le rapport L’état de l’Union 2023 de la Fondation Robert Schuman ([19]). Selon cet auteur, « il est difficile, sans horizon clair, de créer les incitations suffisantes à mener des réformes complexes et souvent intrusives, comme de lutter contre les discours de certains gouvernements des Balkans occidentaux, qui usent habilement du soi-disant manque de crédibilité de l'Union européenne pour s'exonérer de réformes susceptibles par elles-mêmes de fragiliser leur mainmise sur l'État ».

Rappelant que sans fixation de la date cible du 1er janvier 1999, il aurait été difficile de réussir l’introduction de la monnaie unique, le même observateur suggère de retenir comme date cible 2030 pour la Serbie, le Monténégro, la Macédoine du Nord, l'Albanie, l'Ukraine et la Moldavie sous réserve d’un double engagement contractuel : celui des États membres à avoir modifié les traités d'ici 2030 afin d'accueillir de nouveaux membres ; celui des pays candidats à être prêts à adhérer à cette date.

L’inconvénient de cette approche est que, comme le souligne Sébastien Maillard de l’Institut Jacques Delors (post du 25 septembre 2023), si 2030 parvenait à s’imposer comme une date politiquement indépassable, il deviendrait très délicat d’écarter certains pays moins préparés que leurs voisins à cette échéance. Le fondement d’adhésion sur le mérite en serait érodé. Une date unique est envisageable lorsque les pays candidats se trouvent dans une situation comparable au regard des critères d’adhésion : tel n’est pas le cas des pays des Balkans dont l’état d’avancement est très différent.

Telle est la raison pour laquelle ni le dernier sommet UE-Balkans, ni le sommet de Grenade du 6 octobre 2023 au cours duquel les chefs d’État ou de gouvernement étaient appelés à réfléchir à l’avenir stratégique de l’Union, n’a fixé de date cible pour le prochain élargissement.

De manière très pragmatique, les rapporteurs estiment en effet qu’il serait contre-productif pour l’Union de retenir une « date objectif » pour l’adhésion des pays des Balkans occidentaux. Si la date était unique pour les six pays de cette région, la démarche serait injuste car elle reviendrait à mettre sur le même plan les pays qui ont avancé sur le chemin des réformes et ceux qui sont plus en retard. Retenir des dates différenciées selon les pays reviendrait à entreprendre un travail assez complexe qui serait mal vécu pour ceux de ces pays qui se verraient appliquer la date la plus lointaine.

La fixation d’une date cible serait également mal comprise des opinions publiques des actuels États membres qui pourraient craindre un nouvel élargissement à marche forcée au détriment de l’efficacité des politiques européennes. Souvenons-nous que le rejet du projet de traité constitutionnel lors du référendum de mai 2005 trouve une grande partie de son origine dans le désarroi de l’opinion publique française devant la manière quelque peu précipitée dont l’élargissement à l’Est avait été in fine conduit.

Les rapporteurs ne sont pas hostiles par principe à la fixation d’une date objectif pour l’adhésion de tel ou tel pays à mesure que le dénouement des discussions serait proche. Mais cela est prématuré : il faut auparavant que les pays candidats progressent sur le chemin des réformes et que l’Union fasse l’effort d’aide nécessaire pour les accompagner dans cette voie.

Recommandation n° 7

Éviter à ce stade de fixer toute date cible pour l’adhésion des pays candidats.

3.   Éviter tout approche de type « big-bang » : l’élargissement aux pays des Balkans doit se faire au mérite de manière échelonnée ; le Monténégro, pays le plus avancé, pourrait faire partie d’une première « vague »

Cette logique du mérite doit nous conduire à écarter toute perspective d’un élargissement groupé à l’ensemble (ou à une grande partie) des pays des Balkans. Le précédent de 2004 doit nous prémunir contre une telle approche : les citoyens européens – et notamment les Français – avaient été désorientés par la manière dont l’élargissement aux pays d’Europe centrale et orientale avait été conduit et cette insatisfaction avait contribué au vote négatif en mai 2005 au référendum sur le projet de traité constitutionnel.

Le modèle de la « regate » doit donc être préféré à celui du « big-bang » - même si cela doit conduire l’Union à ajuster par petites touches le format de ses institutions et son processus de décision et les États membres à envisager une ratification échelonnée des traités d’adhésion.

Dans cette logique, le Monténégro semble être le mieux placé pour une primo-adhésion avec éventuellement un ou deux autres pays qui auraient satisfait comme lui aux exigences européennes. Une telle adhésion créerait un effet d’émulation auprès des autres pays candidats. Il convient de remarquer qu’elle créerait également une situation dans laquelle un État membre de l’Union européenne n’aurait pas, ou quasiment pas, de continuité territoriale avec le reste de l’Union ([20]).


Recommandation n° 8

Privilégier un élargissement échelonné dans le temps selon les mérites des candidats (modèle de la « régate ») et soutenir le Monténégro pour une primo‑adhésion au sein de l’Union dès lors que seraient satisfaites les exigences européennes.

E.   Renforcer l’alignement des pays candidats sur la politique ÉtrangÈre de l’UE et soutenir la lutte contre la criminalité organisée

1.   Faire de l’alignement sur les positions prises dans le cadre de la PESC une condition préalable à toute adhésion

L’alignement sur la PESC revêt une double importance.

En premier lieu, l’entrée dans l’UE de pays dont les priorités de politique étrangère ne seraient pas alignées sur celles de la diplomatie européenne serait un facteur de paralysie qu’il est important d’éviter.

En second lieu, depuis l’attaque russe contre l’Ukraine de février 2022, l’alignement sur la PESC est devenu un enjeu crucial de l’efficacité des positions politiques et des sanctions adoptées par l’Union.

Cette exigence a été soulignée par la déclaration adoptée à l’issue du sommet UE-Balkans occidentaux du 6 décembre 2022 (en l’absence de la Serbie et la Bosnie-Herzégovine) qui demande aux pays des Balkans de « réaliser des progrès rapides et continus vers un alignement complet sur la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l'UE et d'agir en conséquence, y compris en ce qui concerne les mesures restrictives décidées par l'UE. »

Le 29 mars 2023, l’Albanie, la Macédoine du Nord, le Monténégro et le Kosovo ont constitué la plateforme « Western Balkans QUAD — 100 % Alignment with EU Common Foreign Security Policy (CFSP) » — visant à garantir un alignement complet sur la PESC. Cette initiative reflète donc un choix clair de ces quatre États de se conduire non seulement en partenaires fiables, mais aussi en alliés sûrs de l’Union européenne qu’ils escomptent rejoindre un jour.

Tel n’est pas le cas, il faut le reconnaître, de la Serbie qui revendique à ce sujet une position de réserve, voire de non-alignement dans le contexte de la guerre en Ukraine. À ce titre, et bien qu'elle ait voté la résolution de l'Assemblée générale des Nations unies condamnant l'agression russe, la Serbie refuse d’appliquer les sanctions européennes contre la Russie.

Les rapporteurs estiment que l’alignement sur la PESC doit être une condition préalable à l’adhésion. En particulier, le chapitre 31, qui concerne directement la capacité à conduire un dialogue politique dans le cadre de la Politique européenne de Sécurité et de Défense et à s’aligner sur les déclarations de l’Union européenne et prendre part aux actions communes, dont les sanctions économiques, est actuellement traité comme les autres chapitres. Son non-respect doit cependant être une raison suffisante pour ralentir, voire suspendre, la progression des candidats dans les étapes de négociations d’un chapitre.

Interrogé par le rapporteur Pierre-Henri Dumont en séance publique le 2 avril 2024, sur le sujet des conséquences du non alignement de la Serbie sur la PESC, le Ministre Jean-Noël Barrot a d’ailleurs été clair en répondant que la France est, comme d’autres États membres de l’Union Européenne, attachée à ce que le processus d’adhésion soit fondé sur les mérites propres des candidats, c’est-à-dire conditionné au franchissement par ceux-ci de toutes les étapes nécessaires à la pleine convergence dans les domaines essentiels du respect de l’État de droit et de la PESC , ajoutant que si un État candidat ne franchit pas ces étapes, le processus d’adhésion ne peut pas se poursuivre.

Recommandation n° 9

Faire de l’alignement sur les positions et les mesures adoptées dans le cadre de la PESC une condition préalable de l’ouverture ou de la fermeture d’un chapitre de négociation. Son non-respect doit entraîner un ralentissement, voire la suspension, des étapes des négociations.

2.   Soutenir les Balkans occidentaux en matière de lutte contre la criminalité organisée

La criminalité organisée constitue une préoccupation majeure dans les Balkans occidentaux. Celle-ci se manifeste dans la région sous diverses activités, parmi lesquelles : la traite d’êtres humains, le trafic de stupéfiants et d’armes, le passage de migrants illégaux… La péninsule balkanique est un lieu de passage et une plaque tournante de nombreux trafics illicites en raison de sa situation de carrefour entre l’Europe et le Moyen-Orient. Après la fin du communisme, les difficultés de transition, tant sur le plan politique qu’économique, rencontrées par les États composant cet espace, ont favorisé l’essor des fraudes, du blanchiment d’argent et de la corruption.

En 2017, on estimait que le nombre d’armes à feu détenues illégalement par des civils au sein de l’UE s’élevait à 35 millions ([21]). Selon plusieurs rapports d’évaluation publiés par Europol, les Balkans occidentaux demeurent la principale région d’origine du trafic d’armes à feu dans l’UE ([22]). Des études ont révélé que la grande majorité des armes utilisées dans les attentats perpétrés en Europe provenaient principalement de cette région. Nombre de réseaux de trafiquants continuent de s’approvisionner dans les Balkans occidentaux en armes à feu illicites. En 2018, Europol évaluait entre 3,2 et 6,2 millions le nombre total d’armes en circulation dans les Balkans occidentaux.

 

Europol

Créée en 1999, Europol est une agence européenne qui aide les États membres à prévenir et combattre toutes les formes de criminalité organisée et internationale grave, la cybercriminalité et le terrorisme. Son siège est situé à La Haye (Pays-Bas).

Europol facilite l’échange de renseignements entre les polices nationales des pays de l’Union européenne. Elle vise aussi à renforcer la collaboration entre les États membres dans la prévention de différentes formes de criminalités.

Le trafic d’armes à feu est considéré depuis longtemps par l’UE comme une menace de premier ordre pour les citoyens du continent. En 2013, la Commission a tracé les grandes lignes de sa politique en matière de lutte contre ce problème dans sa communication sur les armes à feu datée de 2013 et son programme européen de sécurité de 2015.

En 2014, dans le cadre de la plate-forme pluridisciplinaire européenne contre les menaces criminelles (EMPACT Firearms), l’Union européenne lance un premier plan d’action pour la période 2015-2019 visant à limiter l’accès aux armes à feu et aux explosifs illicites dans les Balkans occidentaux, ainsi qu’à intensifier la coopération opérationnelle entre les États membres et les partenaires de la région.

Les attentats terroristes perpétrés en France en 2015 ont cependant révélé les fragilités du cadre juridique existant au sein de l’Union et une révision de la directive sur les armes à feu a été par conséquent engagée. En 2018, sous l’impulsion de la France et de l’Allemagne, une feuille de route régionale ([23]) est présentée aux six partenaires balkaniques. Elle vise à aligner les réglementations nationales en matière de lutte contre le trafic illicite d’armes sur les normes européennes et à établir des indicateurs de suivi précis sur les mesures de réduction des flux illicites.

Plus récemment, un plan d’action unique ([24]) a été élaboré par la Commission pour la période 2020-2025. Celui-ci implique aussi bien les États membres que les pays candidats (Balkans occidentaux, Moldavie et Ukraine) et encourage la coopération policière à l’échelle européenne grâce à l’harmonisation des normes juridiques existantes dans le domaine du contrôle des armes à feu.

Depuis la déclaration du Président français au Sommet de Trieste sur les Balkans occidentaux (12 juillet 2017), la France s’est engagée à devenir un acteur clé dans la lutte contre les trafics illicites d’armes légères et de petit calibre (ALPC). Dans le cadre de sa stratégie pour les Balkans occidentaux, un volet est consacré à la sécurité de la région. Ainsi, les six États des Balkans occidentaux ont bénéficié de la donation par la France de systèmes de comparaison balistique (EVOFINDER) et de logiciels de renseignement criminalistique (TRAFFIC), mais aussi de formations.

Les Balkans occidentaux constituent également une zone de transit pour l’immigration illégale, la traite d’êtres humains et le trafic de drogue. La route des Balkans n’est pas seulement une voie d’entrée illégale dans l’Union européenne : elle est aussi un lieu de passage pour le commerce de l’héroïne et des opiacés venus d’Afghanistan ou encore de la cocaïne en provenance d’Amérique latine. Il convient de noter également que l’Albanie est le premier producteur de cannabis en Europe. L’UE travaille de concert avec les pays de la région, l’agence Europol et l’EMPACT pour améliorer la coopération policière contre la criminalité organisée. Elle permet l’échange d’informations répressives avec les partenaires balkaniques via le réseau d'échange sécurisé d'informations d'Europol (SIENA) ([25]). L’instrument d’aide de pré-adhésion contribue à financer la lutte contre la consommation des drogues et leurs trafics.

Recommandation n° 10

Poursuivre la lutte contre la criminalité organisée dans les Balkans occidentaux par le renforcement des accords de coopération opérationnelle entre Europol et les Pays des Balkans occidentaux.

Ériger la lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent au rang des priorités de la PESC.

 

F.   Œuvrer à la rÉconciliation des peuples des Balkans occidentaux

1.   Œuvrer à cette réconciliation par l’enseignement de l’histoire des peuples

La façon dont l’histoire est enseignée peut œuvrer à la réconciliation des nations entre elles et des forces vives des sociétés au sein de ces nations. Face aux risques de manipulations historiques, il importe plus que jamais de promouvoir un enseignement qui contribuerait à l’éducation à la citoyenneté démocratique de tous les jeunes Européens et à l’émergence d’un sentiment d’appartenance commune.

Le Conseil de l’Europe accueille en son sein l’Observatoire sur l’enseignement de l’histoire en Europe. Initiative lancée par la France en 2019, cet Observatoire a pour mission de promouvoir la coopération entre les États membres dans le domaine de l’enseignement de l’histoire. Si la plupart des pays de la zone (Albanie, Macédoine du Nord, Serbie, Monténégro, Bosnie-Herzégovine) sont membres du Conseil de l’Europe, seules la Serbie, l’Albanie, la Macédoine du Nord participent aux travaux de l’Observatoire.

L’Observatoire sur l’enseignement de l’histoire en Europe

L’Observatoire sur l’enseignement de l’histoire en Europe est un observatoire européen lancé par la France en 2019 pour améliorer l’enseignement de l’histoire sur l’ensemble du continent et favoriser la réconciliation de ses peuples.

Il a pour mission principale de comparer les méthodes et les programmes en vigueur dans les États membres. Il rend régulièrement des rapports et des recommandations afin que les pays s’accordent sur un socle commun d’enseignement.

Les rapporteurs appellent donc l’Observatoire à poursuivre ses efforts afin que l’ensemble des pays des Balkans occidentaux l’intègrent en tant que membres observateurs ou membres à part entière. La Bosnie-Herzégovine et le Monténégro étant signataires de la Convention culturelle européenne, la démarche ne devrait pas rencontrer de difficultés majeures dans leurs cas.

Dans la perspective d’une relance du processus d’adhésion, l’organisation d’une conférence annuelle consacrée à l’histoire enseignée dans cette région de l’Europe pourrait permettre d’émettre des recommandations visant à lutter contre les malentendus, les idées fausses et les manipulations de l’histoire.

Recommandation n° 11

S’appuyer sur l’Observatoire sur l’enseignement de l’histoire en Europe pour œuvrer à la réconciliation par l’histoire des peuples de Bosnie-Herzégovine et des autres pays des Balkans occidentaux.

2.   Faire de la réconciliation entre États de la région une condition de leur adhésion

Comme nous l’avons vu, la région des Balkans reste celle des contentieux territoriaux et des souverainetés contestées. Le seul litige bilatéral qui ait été résolu dans les Balkans grâce à la médiation européenne est celui entre la Grèce et la Macédoine du Nord en 2018.

Cette situation est potentiellement dangereuse car ces différends peuvent constituer des foyers de tension régionaux. Ils doivent donc trouver une solution en amont car il ne saurait être question qu’ils soient importés dans l’Union.

Avant leur entrée dans l’Union, les pays d’Europe centrale et orientale connaissaient également de nombreux contentieux en matière de frontières et de statut des minorités. Toutefois, les pays européens les avaient convaincus de les régler de manière préventive avant leur adhésion : à l’initiative de la France, une conférence dite du pacte de stabilité s’était tenue à Paris en mars 1995 qui avait conduit à la conclusion d’accords de bon voisinage et de projets de coopération régionale et transfrontalière.

Dans un format adapté, un tel exercice de diplomatie préventive mériterait d’être reconduit à destination des pays des Balkans occidentaux.

Recommandation n° 12

Lancer un exercice de diplomatie préventive visant à inciter les pays de la région des Balkans occidentaux à régler leurs contentieux territoriaux et leurs conflits de souveraineté.

III.   DÉvelopper l’engagement de la France dans la stabilisation des Balkans occidentaux

A.   IntÉgrer la jeunesse des pays des Balkans occidentaux au dispositif du Service Civique EuropÉen (SCE)

Il est essentiel de rapprocher la jeunesse des Balkans occidentaux de la jeunesse de l'Union européenne afin de leur permettre d'imaginer un avenir européen commun.

1.   Ouvrir le Service civique européen aux pays des Balkans occidentaux

Ce rapprochement pourrait se faire par le biais du Service Civique Européen, qui est actuellement expérimenté dans plusieurs pays de l'Union européenne.

Dans son discours du 9 décembre 2021 relatif à la Présidence française du Conseil de l’Union, le président de la République Emmanuel Macron a soutenu l’initiative d’un Service Civique Européen destiné à tous les jeunes de moins de 25 ans. Porté par le Collectif pour un Service Civique Européen, ce programme offre aux jeunes volontaires l’occasion de bénéficier d’une année d’engagement citoyen et solidaire en Europe.

Toutefois, les premières phases de déploiement du dispositif n’incluent pas les jeunes venant des pays des Balkans occidentaux alors qu’une extension de ce dispositif aux pays candidats serait un signal fort d’ouverture et d’intégration à destination d’une jeunesse en besoin d’Europe.

Ce programme pourrait être étendu aux jeunes des Balkans occidentaux via l'instrument du Corps européen de solidarité. Les rapporteurs proposent donc de soutenir l’ouverture du Service Civique Européen aux pays des Balkans occidentaux.

2.   Mobiliser l’Office régional de coopération pour la jeunesse des Balkans occidentaux pour étendre aux Balkans le Service civique européen

L’Office régional de coopération pour la jeunesse des Balkans occidentaux

Créé en 2016 sur l’initiative des six chefs de gouvernements (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Kosovo, Macédoine du Nord, Monténégro, Serbie), l’Office régional de coopération pour la jeunesse des Balkans occidentaux (Regional Youth Cooperation Office, RYCO) est le fruit d’une initiative engagée à l’occasion de la première conférence du Processus de Berlin tenue en 2014. Il vise à renforcer les liens entre les jeunes de la région et à soutenir les initiatives liées à la réconciliation, à la diversité et à l’échange culturel, à la mobilité régionale et au rapprochement avec l’Europe via des appels à projet annuel dans les domaines de l’éducation, de la science, de la culture, des sports et de la citoyenneté. Il s’inspire directement du modèle franco-allemand avec l’Office franco-allemand pour la Jeunesse fondé en 1963.

Son siège régional est situé à Tirana. L’Office dispose également d’antennes dans les 5 autres capitales des pays membres.

Il convient de se féliciter qu’existe un organisme de coopération régionale tel que l’Office régional de coopération pour la jeunesse des Balkans pour contribuer à rapprocher l’Europe des pays des Balkans occidentaux. Une telle initiative joue un facteur clé pour assurer la stabilité et la prospérité de cette région.

L'Office serait en capacité d’assurer le lancement et le financement d’un Service Civique européen adapté aux Balkans occidentaux. Le déploiement du dispositif pourrait également se réaliser grâce au soutien de partenaires institutionnels comme l’Agence France Développement (AFD) ou les services de coopération et d’action culturelle (SCAC) des ambassades de France situées dans la région.

Recommandations n° 13

Élargir le dispositif du Service civique européen aux jeunes des pays des Balkans occidentaux.

Assurer le financement et le déploiement du Service civique européen via l’office régional de coopération pour la jeunesse des Balkans occidentaux (Regional Youth Cooperation Office) en coopération avec l’Agence France Développement (AFD).

B.   Promouvoir L’expertise publique et la coopÉration institutionnelle comme axe de dÉveloppement et d’intÉgration

La guerre d’agression menée par la Russie en Ukraine a démontré la nécessité de construire un espace européen soudé. La coopération technique joue un rôle essentiel de ce point de vue : elle permet d’arrimer les pays du voisinage européen aux normes européennes, notamment dans le cadre des processus d’adhésion à l’UE.

Adhérer à l’UE suppose en effet de se rapprocher de ses normes dans une grande diversité de secteurs afin d’intégrer l’acquis communautaire.

Dans le cadre de l’élaboration de ce rapport, les rapporteurs ont fait le constat que les États des Balkans occidentaux doivent poursuivre leurs réformes dans le domaine de l'administration publique et de la lutte contre la corruption.

1.   Promouvoir la coopération administrative et technique en encourageant le développement des instruments de renforcement de la coopération institutionnelle comme le TAIEX et le Twinning

Depuis 1996, la Commission européenne met à disposition les instruments de renforcement de la coopération institutionnelle que sont le Twinning (Jumelage) et le TAIEX (Technical Assistance and Information Exchange – Instrument d’assistance technique et d’échange d’informations), afin d’encourager l’établissement de réseaux entre les administrations publiques. Conçus à l’origine comme des outils destinés à favoriser la convergence des candidats à l’adhésion, ces instruments d’assistance sont devenus au fil du temps des moyens modernes de coopération. Ils se fondent sur une collaboration directe entre « praticiens » des pays partenaires et spécialistes des États membres disposés à mettre leurs compétences au service des pays aspirant à rejoindre l’UE.

Ces instruments de coopération ont prouvé leur efficacité et doivent faire l’objet d’une promotion plus active au sein des administrations éligibles.

2.   Encourager l’expertise européenne dans la région des Balkans occidentaux via l’envoi d’experts auprès des délégations européennes

Ces mesures de convergence des pratiques administratives entre États membres et pays candidats doivent aussi se développer plus largement dans le cadre de coopérations décentralisées entre les régions de l’UE et celles des Balkans occidentaux.

Les États membres ont la possibilité d’encourager, au niveau institutionnel, la participation de leurs experts publics à des missions dans des pays partenaires. C’est la raison pour laquelle les rapporteurs recommandent le déploiement d’un nombre plus important d’experts européens et français dans la région, lesquels auraient la mission de partager avec les agents publics des administrations locales leurs « meilleures pratiques » dans des domaines clés comme le développement durable, le développement économique, les finances publiques, la Gouvernance et droits humains, la protection sociale et l’emploi, la santé, la sûreté et la sécurité, etc.

Au niveau européen, le Service européen d'action extérieure (SEAE) serait en capacité de piloter ce déploiement d’experts, lesquels viendraient renforcer l’action des ambassadeurs de l’UE et assurer leur mission d’appui technique auprès des structures administratives d’accueil.

3.   Renforcer la présence d’Expertise France dans la région en déployant des experts français pour assurer des missions d’appui technique auprès d’administrations d’accueil

En France, l’agence publique Expertise France est un acteur important de la coopération technique internationale. L’opérateur dispose déjà d’un ancrage important dans les Balkans occidentaux.

Expertise France

Agence publique, Expertise France est l’acteur interministériel de la coopération technique internationale, filiale du groupe Agence française de développement (groupe AFD). Deuxième agence par son importance en Europe, elle conçoit et met en œuvre des projets qui renforcent durablement les politiques publiques dans les pays en développement et émergents.

Gouvernance, sécurité, climat, santé, éducation… Elle intervient dans des domaines clés du développement et contribue aux côtés de ses partenaires à la concrétisation des Objectifs de développement durable (ODD).

L’agence accompagne les administrations centrales, les organisations régionales, les collectivités locales, les organisations de la société civile et travaille en lien étroit avec les institutions et ses homologues européens.

Expertise France déploie dans chaque pays des Balkans occidentaux un expert technique international (ETI) chargé du suivi du processus d’intégration européenne. L’opérateur a en outre développé deux projets européens en matière de justice (EURALIUS en Albanie, EU4JUSTICE en Bosnie-Herzégovine). Il assure également une assistance technique dans les domaines de l’énergie et du genre financée par l’AFD en Albanie. De plus, il gère également le développement du programme Socieux+ dans la région des Balkans occidentaux. Ce programme est centré sur l’amélioration des systèmes de protection sociale et des marchés de l’emploi.


Expertise France a développé des compétences en lien avec les priorités de l’instrument de pré-adhésion IPA III, mobilisé dans les Balkans. L’opérateur répond aux défis de la stratégie française pour les Balkans occidentaux, et accompagne la mise en œuvre des plans de l’UE dans la région.

Recommandations n° 14

Promouvoir la coopération administrative et technique en encourageant le développement des instruments de renforcement de la coopération institutionnelle comme le TAIEX et le Twinning.

Encourager l’expertise européenne dans la région des Balkans occidentaux via l’envoi d’experts auprès des délégations européennes.

Renforcer la présence d’Expertise France dans la région en déployant des experts français pour assurer des missions d’appui technique auprès d’administrations d’accueil.

C.   Renforcer la diplomatie d’influence de la France pour mieux accompagner la future intégration des pays des Balkans occidentaux dans l'union

La stratégie française pour les Balkans occidentaux est une initiative lancée en 2019 par le Président Emmanuel Macron dans le but de renforcer la présence diplomatique de la France dans la région et de redynamiser la coopération bilatérale avec chacun de ses pays en matière de développement économique et social, de sécurité, de défense et de justice.

Depuis le conflit ukrainien, les risques de déstabilisation de la région des Balkans occidentaux sont considérés comme réels et font l’objet d’une attention redoublée de la part de l’UE et de la France. Consciente que les fragilités institutionnelles, politiques et sociales de ces pays les rendent plus vulnérables aux influences venues de puissances tierces, l’Union européenne s’est engagée à stabiliser durablement la région en relançant leur processus d’intégration.

En soutien à cette politique de relance, la France cherche à accroître sa présence diplomatique dans la région et souhaite faire du développement des activités de l’Agence France Développement le pilier fondamental de sa stratégie.

 


L’Agence France Développement dans les Balkans occidentaux

Depuis 2019, l’AFD est présente dans les Balkans Occidentaux. Elle a pour mission de soutenir la convergence des pays de la région vers les normes européennes et la mise en œuvre de l’Accord de Paris sur le climat.

L’AFD appuie des projets de développement au moyen de prêts souverains et non souverains, ainsi que des programmes de coopération technique, dans le but de soutenir une trajectoire de croissance inclusive et bas carbone.

Son siège régional se trouve actuellement à Belgrade. L’agence dispose également d’une antenne à Tirana.

L'AFD a développé plusieurs projets significatifs dans les Balkans occidentaux, notamment en Albanie, au Monténégro et en Serbie. À titre d’exemple :

Dans les six pays candidats de la région, l’AFD contribue à hauteur de 499 629 euros au projet « Réconciliation et entrepreneuriat dans les Balkans occidentaux », qui vise à la promotion de la réconciliation chez les jeunes à travers l'entrepreneuriat social, en partenariat avec SOS Group Pulse, le Regional Youth Cooperation Office (RYCO), le South East European Youth Network (SEEYN), l’Institut Français et le Franco-German Youth Office (OFAJ) ;

En Serbie, l’AFD contribue à plusieurs projets, dont le programme de modernisation du secteur ferroviaire avec un prêt de 51 millions d’euros, et le programme de soutien aux infrastructures municipales « LIID », à hauteur de 176,6 millions d’euros, conjointement avec la Banque mondiale.

Au Monténégro, l’AFD soutient depuis avril 2021, à hauteur de 50,4 millions d’euros, le Fonds d'Investissement et de Développement du Monténégro pour financer des projets climatiques, qui vise à soutenir les PME et les municipalités monténégrines pour des investissements climatiques alignés sur la stratégie nationale de développement durable, en partenariat avec l’Investment and Development Fund of Montenegro (IDF).

En Albanie, l’AFD soutient depuis novembre 2021, à hauteur de 51,5 millions d’euros, le Programme de renforcement de l'égalité des genres dans l'accès aux opportunités économiques en Albanie, qui vise à promouvoir une croissance inclusive et équitable en agissant sur les facteurs limitant l'accès des femmes aux opportunités économiques, en partenariat avec le Gouvernement albanais, la Banque Mondiale et Expertise France.

L’AFD soutient depuis mai 2020, à hauteur de 600 000 euros, le développement de stratégies de 'villes intelligentes' dans les Balkans occidentaux, en particulier à Skopje (Macédoine du Nord), Tirana (Albanie), Podgorica (Monténégro) et Pristina (Kosovo), à travers l’établissement de stratégies de transition numérique et de plans d'action spécifiques à chaque ville

Au Kosovo, l’AFD instruit actuellement deux projets : un prêt souverain de 20 millions d’euros en appui à la construction de la future station de traitement des eaux de Pristina, ainsi qu’un financement budgétaire de politique publique en appui aux réformes du secteur énergétique d’un montant initial de 80 millions d’euros, mais dont le montant peut évoluer.

En Bosnie-Herzégovine, l’AFD a identifié deux projets, conjointement avec la Banque européenne d’investissements (BEI) : la rénovation urbaine du Campus universitaire de Sarajevo et (ii) le développement de la gestion des déchets solides et de traitement des eaux usées à Banja Luka, tandis qu’un programme de modernisation des infrastructures de transport, incluant une composante routes résilientes, est en cours de pré-identification avec la Banque mondiale.

L'AFD s'est par ailleurs engagée à travers le Western Balkans Investment Framework (WBIF), qui vise à mettre en œuvre le plan de croissance de la Commission européenne, à hauteur de 2 millions d’euros en subventions et 41 millions d’euros en prêts.

 

Projets actuellement conduits par l’AFD dans les Balkans occidentaux

 

Nombre de projets

Montant
(prêts et dons, en millions d’euros)

Albanie

10

288,00

Macédoine du Nord

2

50,46

Monténégro

1

50,40

Serbie

16

522,09

Source : AFD

Les secteurs de la microfinance et de l’énergie verte offrent a priori les meilleures perspectives d’intervention pour Proparco.

De plus, la France pilote dans la région un certain nombre de dispositifs destinés à développer la coopération culturelle et s’engage activement dans les organisations de la société civile.

Enfin, tandis qu’elle assure actuellement une présence militaire dans la zone en déployant des effectifs dans le cadre de la mission européenne EUFOR-Althea en Bosnie-Herzégovine, l’intensification de sa coopération de défense avec les États de la région a vocation à se renforcer.

Recommandations n° 15

Renforcer la diplomatie d’influence de la France pour mieux accompagner la future intégration des pays des Balkans occidentaux dans l'union européenne.

 

 

 


   Conclusion

 

L’élargissement de l’Union aux pays des Balkans est une perspective inéluctable. La guerre en Ukraine crée en effet une situation nouvelle en Europe qui interdit à l’Union de rester confinée dans son périmètre actuel. Par ailleurs, il est peu envisageable de ne pas faire adhérer des pays avec lesquels l’Union négocie pour certains (Serbie, Monténégro) depuis plus de dix ans. En leur fermant la porte, l’Union perdrait sa crédibilité et créerait un risque grave de déstabilisation dans une région située à sa périphérie immédiate.

L’Union européenne et les États membres n’ont pas d’autre choix que de mobiliser tous les instruments dont ils disposent, au niveau multilatéral comme bilatéral, pour accompagner ces pays dans les réformes indispensables à leur future adhésion. Comme ce rapport le propose, il conviendrait d’ouvrir aux pays candidats les plus avancés dans le processus de réformes un accès partiel aux fonds de la politique de cohésion pour leur permettre de consolider ce processus.

Il est bien évident que de nombreuses difficultés restent à résoudre avant que les pays des Balkans deviennent membres à part entière. La convergence économique et sociale avec les États membres n’est pas suffisamment avancée. Le respect des règles de l’état de droit reste fragile. Des foyers de tension demeurent entre pays de la région qu’il faut absolument éviter d’importer au sein de l’Union. Tous les pays ne sont pas alignés sur les positions prises par l’Union dans le cadre de la PESC.

Pour le rapporteur Pierre-Henri Dumont, les pays candidats doivent sortir d’une certaine forme d’ambivalence. Parallèlement, l’Union doit renforcer sa stratégie de pré-adhésion et lui donner de nouvelles bases. Il n’y a pas d’alternative pour ces pays que de continuer sur la voie des réformes. Des progrès qu’ils seront capables d’accomplir dépendront l’effectivité, le rythme et la date de leur entrée dans l’Union.

Pour la co-rapporteure Liliana Tanguy, l’élargissement de l’Union aux pays des Balkans est nécessaire. Pour consolider l’état de droit dans les pays de la région. Pour leur permettre de poursuivre leur développement économique et social. Pour ouvrir à la jeunesse des perspectives d’avenir nouvelles. Pour favoriser la réconciliation des peuples. Pour stabiliser la région des Balkans occidentaux et satisfaire ainsi à un impératif stratégique de sécurité.


Pour Liliana Tanguy, une Union à 33 ou 35 pays n’aura évidemment pas tout à fait les mêmes contours que notre Union d’aujourd’hui. Et c’est la raison pour laquelle des réformes doivent être en parallèle menées afin de rendre notre Union plus efficace. Mais cet élargissement lui permettra aussi de poursuivre le projet qu’elle s’est aujourd’hui assignée : celui d’être une puissance politique au service d’une Europe souveraine capable de faire face aux menaces extérieures pesant sur sa sécurité. L’élargissement est l’instrument le plus efficace que dispose l’UE pour garantir sa sécurité, sa prospérité et ses valeurs fondamentales.

Les deux co-rapporteurs s’accordent pour considérer que cet élargissement ne saurait se dérouler sans l’assentiment des opinions publiques et un accord large des forces politiques. Il convient en effet de rappeler qu’en application de l’article 88-5 de la Constitution, un projet de loi autorisant la ratification d’un traité d’adhésion est soumis au référendum par le Président de la République, sauf en cas de vote d’une résolution dans les mêmes termes à la majorité des trois cinquièmes dans chacune des deux assemblées, ce qui permet l’adoption du projet au Congrès à la majorité des trois cinquièmes.

Par ses recommandations visant à accélérer le processus d’adhésion, à ouvrir aux pays candidats des possibilités nouvelles d’accès aux fonds européens tout en soulignant la nécessité d’un respect strict des exigences européennes et d’un élargissement échelonné au mérite, le présent rapport a pour ambition de créer les bases d’une approche susceptible de recueillir un assentiment le plus large possible.

 

 

 


   RecommandationS

 

Recommandation n° 1

Corréler tout nouvel élargissement avec une réforme des institutions européennes afin de garantir leur bon fonctionnement et l’efficacité du processus de décision.

 

Recommandation n° 2

Réfléchir aux mesures susceptibles d’être prises (lissage dans le temps des conditions d’éligibilité aux aides agricoles européennes, plafonnement des aides de la cohésion en fonction du PNB des États bénéficiaires) afin de limiter les surcoûts budgétaires découlant d’un nouvel élargissement.

 

Recommandation n° 3 :

Lier les aides du plan de croissance à la conclusion d’accords d’intégration économique régionale

 

Recommandation n° 4

Faire de la Communauté politique européenne le cadre de lancement de projets de coopération entre États participants dans des domaines comme la sécurité, l’énergie, l’environnement, l’enseignement ou les transports afin de favoriser une meilleure intégration européenne.

 

Recommandation n° 5

Permettre aux pays candidats ayant atteint un certain degré de conformité aux critères d’adhésion de participer à certaines réunions des institutions européennes sans possibilité de prendre part à l’adoption des décisions, participer à certaines politiques communes et bénéficier partiellement des aides de la politique de cohésion.

Demander à la Commission européenne d’expertiser les modalités possibles d’un tel processus d’adhésion graduel.

 

Recommandation n° 6

Lier tout nouvel élargissement au strict respect des critères d’adhésion.

 

Recommandation n° 7

Éviter à ce stade de fixer toute date cible pour l’adhésion des pays candidats.

 

Recommandation n° 8

Privilégier un élargissement échelonné dans le temps selon les mérites des candidats (modèle de la « régate ») et soutenir le Monténégro pour une primo-adhésion le plus tôt possible au sein de l’Union dès lors que seraient satisfaites les exigences européennes.


Recommandation n° 9

Faire de l’alignement sur les positions et les mesures adoptées dans le cadre de la PESC une condition préalable de l’ouverture ou de la fermeture d’un chapitre de négociation. Son non-respect doit entraîner un ralentissement, voire la suspension, des étapes des négociations.

 

Recommandation n° 10

Poursuivre la lutte contre la criminalité organisée dans les Balkans occidentaux par le renforcement des accords de coopération opérationnelle entre Europol et les Pays des Balkans occidentaux.

Ériger la lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent au rang des priorités de la PESC.

 

Recommandation n° 11

S’appuyer sur l’Observatoire sur l’enseignement de l’histoire en Europe pour œuvrer à la réconciliation par l’histoire des peuples de Bosnie-Herzégovine et des autres pays des Balkans occidentaux.

 

Recommandation n° 12

Lancer un exercice de diplomatie préventive visant à inciter les pays de la région des Balkans occidentaux à régler leurs contentieux territoriaux et leurs conflits de souveraineté.

 

Recommandation n° 13

Élargir le dispositif du Service civique européen aux jeunes des pays des Balkans occidentaux.

Assurer le financement et le déploiement du Service civique européen via l’office régional de coopération pour la jeunesse des Balkans occidentaux (Regional Youth Cooperation Office) en coopération avec l’Agence France Développement (AFD).

 

Recommandation n° 14

Promouvoir la coopération administrative et technique en encourageant le développement des instruments de renforcement de la coopération institutionnelle comme le TAIEX et le Twinning.

Encourager l’expertise européenne dans la région des Balkans occidentaux via l’envoi d’experts auprès des délégations européennes.

Renforcer la présence d’Expertise France dans la région en déployant des experts français pour assurer des missions d’appui technique auprès d’administrations d’accueil.

 

Recommandation n° 15

Renforcer la diplomatie d’influence de la France pour mieux accompagner la future intégration des pays des Balkans occidentaux dans l'Union.

 

 

 


   TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le mercredi 10 avril 2024, sous la présidence de M. Pieyre Alexandre Anglade, pour examiner le présent rapport d’information.

 

M. Pierre-Henri Dumont, co-rapporteur. Le processus d’adhésion des pays des Balkans a commencé il y a plus de vingt ans, lors du Conseil européen de Santa Maria da Feira en juin 2000. Ces pays sont alors désignés comme candidats potentiels à l’adhésion. Lors du Conseil de Thessalonique, en juin 2003, leur perspective européenne est affirmée et le processus est mis en route. Plus de vingt ans après, les résultats se font attendre. Deux États sont devenus membre : la Slovénie en 2004 et la Croatie en 2013. La Serbie et le Monténégro négocient depuis plus de 10 ans. L’Albanie et la Macédoine du Nord n’ont entamé leur négociation qu’en juillet 2022. Les 21 et 22 mars derniers, le Conseil européen a donné son feu vert pour ouvrir les procédures de négociation avec la Bosnie-Herzégovine. Toutefois, lors de son audition par la Commission, la semaine dernière, le Ministre JeanNoël Barrot nous a expliqué que la France ne partageait pas entièrement l’analyse positive de la Commission qui avait recommandé l’ouverture des négociations d’adhésion. Notre pays avait veillé à ce que les conclusions du Conseil européen spécifient explicitement que le vote à l’unanimité pour l’ouverture des négociations était conditionné à l’atteinte, par la Bosnie de certains objectifs. Enfin, le Kosovo, reconnu par 22 des 27 États membres de l’Union européenne, n’a pas encore obtenu le statut de candidat.

On ne peut imputer à la seule Union européenne cet étiolement des perspectives d’adhésion. Les pays candidats en sont aussi responsables, par leurs difficultés à atteindre les résultats demandés, par leurs difficultés à maintenir l’État de droit et par leur incapacité à régler leurs litiges bilatéraux. Quoi qu’il en soit du partage des responsabilités, un fait demeure : les difficultés actuelles créent, au sein des opinions de ces pays, un effet de lassitude et de découragement qui nuit au processus. Un fait nouveau est toutefois survenu et pose des questions sur la politique d’élargissement en des termes nouveaux : le conflit ukrainien, qui a conduit à ouvrir, des négociations d’adhésion avec l’Ukraine, ainsi qu’avec la Moldavie. Ainsi, l’élargissement vers ces deux pays européens comme vers les Balkans occidentaux est aujourd’hui considéré comme un impératif par nos dirigeants européens.

Mme Liliana Tanguy, co-rapporteure. La première partie de ce rapport a consisté à réaliser un état des lieux. Les pays des Balkans représentent un ensemble de 15 millions d’habitants soit moins que les Pays-Bas. Les économies de ces pays représentent environ 136 milliards d’euros, soit moins d’un pour cent du PIB de l’Union européenne. L’économie de cette région est, par ailleurs, fortement intégrée à celle de l’Union européenne puisqu’elle assure près de 70 % de leurs échanges de biens. En outre, l’Union européenne affiche un excédent commercial structurel avec les Balkans de l’ordre de neuf milliards d’euros par an. Il est en revanche regrettable que l’établissement de cette zone de libre-échange ne soit pas accompagné d’un flux plus important d’investissements.

Les objectifs de convergence économique n’ont pas encore été atteints. Les PIB par habitant des pays candidats représentent entre 35 et 50 % du PIB moyen par habitant de l’Union européenne.

Il est important de rappeler que certains pays des Balkans occidentaux disposent d’un salaire moyen supérieur à certains de l’Union européenne. Des problèmes structurels existent, comme le développement insuffisant des infrastructures de transports, tandis que l’appareil productif aussi est vieillissant.

Certains de ces pays sont confrontés à une réelle hémorragie démographique. Entre 2012 et 2019, environ 155 000 personnes ont émigré vers un pays de l’OCDE chaque année. Cette fuite des cerveaux est préoccupante car elle limite le développement économique des pays candidats et affaiblit les espoirs de réformes politiques ainsi que le renforcement de l’État de droit. Le constat est clair : les jeunes des pays candidats sont attirés par les démocraties libérales qui leur offrent des perspectives.

Enfin, le rapport attache une importance particulière à l’influence des pays extérieurs dans cette région. La Russie, la Chine et la Turquie cherchent à renforcer leur influence et leur emprise en raison du vide laissé par l’Union européenne. Ce constat est dur et sévère, mais il est essentiel de prendre conscience des réalités régionales.

M. Pierre-Henri Dumont, co-rapporteur. Il nous semble donc impératif de revoir le processus d’adhésion afin de lui donner une nouvelle dynamique. Cette révision doit s’effectuer dans le respect des critères de Copenhague afin d’offrir un nouvel élan à l’élargissement. L’Union européenne doit se réformer au préalable afin d’éviter le risque d’engorgement des institutions européennes et de paralysie du processus décisionnel européen. Des sujets inflammables et difficiles à trancher doivent être abordés, comme la taille de la Commission européenne ou le domaine d’application du vote à l’unanimité du Conseil de l’Union européenne. Ces questions dépassent le cadre de ce rapport mais nous estimons indispensables qu’elles soient traitées. L’adhésion de nouveaux États doit être corrélée à une réforme des institutions de l’Union européenne.

Il convient également de réfléchir aux mesures prises en amont, dans le but de limiter le surcoût budgétaire d’un nouvel élargissement. Si les règles restaient inchangées, les six pays des Balkans seraient éligibles à une somme globale estimée à 3,6 milliards d’euros par an. Ces fonds proviendraient, en majorité, de la politique agricole commune et de la politique de cohésion économique et sociale. La mise en place de longues périodes de transition pour la PAC ainsi que le plafonnement des aides de la politique de cohésion sont nécessaires afin d’éviter une redistribution trop brutale des financements européens. Ceci se ferait au détriment des pays bénéficiaires nets.

Afin que ces pays se préparent au choc concurrentiel de l’intégration au sein du marché unique, la relance de l’intégration économique régionale nous semble aussi une nécessité. Nous suggérons également de mieux utiliser la Coopération politique européenne, pour que celle-ci ne soit pas seulement un forum d’échanges mais aussi le cadre de lancement de projets ambitieux dans des domaines comme la sécurité, l’énergie, l’environnement, l’enseignement ou encore les transports.

Enfin, il nous semble indispensable de revoir la méthode du processus d’adhésion. En premier lieu, la logique du mérite nous a conduits à écarter toute perspective d’un élargissement groupé, d’un « big bang », à une grande partie des pays des Balkans. L’acceptation d’un nouveau membre doit rester conditionnée au strict respect, par ce dernier, des critères d’adhésion. Nous recommandons, à ce titre, que l’alignement des pays candidats sur les mesures et les positions adoptées dans le cadre de la PESC constitue un impératif dont le non-respect entraînerait un ralentissement voire une suspension de la procédure d’adhésion.

La résolution des contentieux régionaux et la disparition des foyers de tensions nous semblent également une condition indispensable pour éviter que ces conflits soient importés au sein de l’Union européenne. Ainsi, les relations entre Serbie et Kosovo doivent être stabilisées, la Bosnie Herzégovine n’a toujours pas de Constitution, son système politique demeurant régi par l’annexe 4 de l’Accord de Dayton, tandis que son unité reste menacée comme le prouve l’actualité récente. Le contentieux entre la Macédoine du Nord et la Bulgarie doit être résolu par la réforme attendue de la Constitution en Macédoine du Nord.

De même, nous avons écarté l’idée de fixer une date cible pour de nouvelles adhésions. En effet, cela reviendrait à mettre sur le même plan les pays ayant avancé sur le chemin de la démocratie et les réformes, et ceux qui sont en retard. En outre; la fixation d’une date cible serait mal comprise des opinions publiques des États membres qui pourraient craindre un nouvel élargissement à marche forcée et au détriment de l’efficacité des politiques européennes.

Mme Liliana Tanguy, co-rapporteure. En revanche, nous estimons nécessaire de sortir de la séparation stricte existant actuellement entre la situation du pays candidat auquel sont demandés des efforts considérables en contrepartie d’aides européennes qui, pour importantes soient-elles, ne sont pas toujours à la mesure des efforts demandés, et celle du candidat devenu État membre qui se trouve d’un coup autorisé à participer aux institutions européennes et à bénéficier d’aides européennes dont le montant est sans commune mesure avec ce qui lui était précédemment alloué. Nous sommes favorables à un processus d’adhésion graduelle par lequel le pays candidat pourrait, s’il est bien avancé dans le processus d’adhésion, participer à certaines réunions des institutions européennes sans possibilité de prendre part au vote, participer à certaines politiques communes (recherche, énergie et infrastructures de transport, asile et migrations, éducation et culture) et bénéficier selon une quotité à déterminer des aides de la politique de cohésion. Ce dernier point est évidemment essentiel : dès lors que les pays candidats pourraient avoir accès à une part des fonds structurels, l’Union disposerait de moyens accrus pour soutenir la mise en œuvre des réformes et lier cette mise en œuvre à des conditionnalités renforcées.

Nous avons également souhaité ouvrir des pistes pour approfondir la coopération avec les pays des Balkans. Le rapport recommande de s’appuyer sur l’Observatoire sur l’enseignement de l’histoire en Europe, lancé par la France en 2019 dans le cadre du Conseil de l’Europe, pour œuvrer à la réconciliation par l’histoire des peuples de Bosnie-Herzégovine et des autres pays des Balkans occidentaux.

L’élargissement du dispositif du Service civique européen, actuellement expérimenté dans plusieurs États membres, aux jeunes des pays des Balkans occidentaux, est un autre moyen par lequel les peuples peuvent être aidés à imaginer un avenir commun.

La France doit développer son engagement dans la stabilisation des Balkans en renforçant sa coopération administrative, technique et institutionnelle grâce à des instruments tels que le TAIEX ou le Twinning, ainsi qu’en renforçant la présence d’Expertise France et de l’Agence France Développement, et plus généralement en renforçant sa diplomatie d’influence dans la région.

M. Pierre-Henri Dumont, co-rapporteur. Pour conclure, nous estimons que l’élargissement de l’Union aux pays des Balkans est une perspective inéluctable. La guerre en Ukraine crée en effet une situation nouvelle en Europe qui interdit à l’Union de rester confinée dans son périmètre actuel. Par ailleurs, il est peu envisageable de ne pas faire adhérer des pays avec lesquels l’Union négocie pour certains, comme la Serbie et le Monténégro, depuis plus de dix ans. En leur fermant la porte, l’Union perdrait sa crédibilité et créerait un risque grave de déstabilisation dans une région située à sa périphérie immédiate.

L’Union européenne et les États membres n’ont pas d’autre choix que de mobiliser tous les instruments dont ils disposent, au niveau multilatéral comme bilatéral, pour accompagner ces pays dans les réformes indispensables à leur future adhésion.

Mais les pays candidats doivent aussi sortir d’une certaine forme d’ambivalence. Il n’y a pas d’alternative pour ces pays que de continuer sur la voie des réformes. Des progrès qu’ils seront capables d’accomplir dépendront l’effectivité, le rythme et la date de leur entrée dans l’Union. Je considère donc que si l’Union doit se préparer à leur adhésion, ce sont d’abord les pays des Balkans occidentaux qui détiennent la clé de leur entrée dans l’Union. Il est dès lors inenvisageable de brader l’élargissement, quelles que soient les évolutions géopolitiques de la région.

Mme Liliana Tanguy, co-rapporteure. Pour ma part, je considère que l’élargissement de l’Union aux pays des Balkans est nécessaire. Pour consolider l’état de droit dans les pays de la région. Pour leur permettre de poursuivre leur développement économique et social. Pour ouvrir à la jeunesse des perspectives d’avenir nouvelles. Pour favoriser la réconciliation des peuples. Pour stabiliser la région des Balkans occidentaux et satisfaire ainsi à un impératif stratégique de sécurité.

Une Union à 33 ou 35 pays n’aura évidemment pas tout à fait les mêmes contours que notre Union d’aujourd’hui. Et c’est la raison pour laquelle des réformes doivent être en parallèle menées afin de rendre notre Union plus efficace. Mais cet élargissement lui permettra aussi de poursuivre le projet qu’elle s’est aujourd’hui assigné : celui d’être une puissance politique au service d’une Europe souveraine capable de faire face aux menaces extérieures pesant sur sa sécurité.

Cet élargissement ne saurait se dérouler sans l’assentiment des opinions publiques et un accord large des forces politiques. Par ses recommandations visant à accélérer le processus d’adhésion, à ouvrir aux pays candidats des possibilités nouvelles d’accès aux fonds européens tout en soulignant la nécessité d’un respect strict des exigences européennes et d’un élargissement échelonné au mérite, notre rapport a pour ambition de créer les bases d’une approche susceptible de recueillir un assentiment le plus large possible.

L’exposé des rapporteurs a été suivi d’un débat.

Mme Constance Le Grip (RE). La question de l’élargissement aux Balkans est posée depuis longtemps. Vous formulez quinze recommandations, particulièrement intéressantes et pertinentes. Je voudrais souligner les recommandations 2, 5 et 8, avec le principe d’adhésion graduelle, qui permet de lisser dans le temps l’éligibilité aux subventions européennes.

Il y a un impératif de sécurité et de stabilité pour cette région : il s’agit d’une priorité stratégique de l’Union européenne, qui doit redynamiser le processus d’adhésion. Ce processus doit être rendu à la fois plus attractif et plus exigeant : il faut l’améliorer, rester ferme sur les standards à atteindre, et accompagner les États.

Concernant le plan de croissance de 6 milliards d’euros pour la période 20242027, pourriez-vous nous préciser le contenu de ce plan ?

Mme Yaël Ménache (RN). Après l’échec de la conférence de Rambouillet en 1999, l’OTAN, outrepassant les articles 4 et 5 de la Charte et sans mandat du Conseil de Sécurité de l’ONU, a commencé une campagne de bombardement sur la Serbie, pays souverain. La Serbie a ensuite accepté que le Kosovo soit placé sous le contrôle politique des Nations unies et sous la protection militaire de l’OTAN. Les détails des causes et des responsabilités tragiques de ces évènements ne font pas l’unanimité. Le cadre des négociations d’adhésion des pays des Balkans occidentaux à l’Union européenne n’échappe pas à cette complexité.

Depuis le référendum de 2005, l’Union européenne vit une dérive totalitaire, fédéraliste et ruineuse pour ses membres, menaçant leur souveraineté. Cette dérive se traduit par une volonté féroce d’accueillir de nouveaux pays souverains. Le cas du Kosovo, dont le statut légal et la reconnaissance internationale sont contestés, justifie l’opposition du groupe Rassemblement national à toute adhésion supplémentaire à l’Union européenne.

Il n’est pas impossible que, dans le cadre d’une Union européenne respectueuse de la souveraineté des nations que nous appelons de nos vœux, il soit envisageable de reconsidérer l’adhésion de nouveaux États.

M. Manuel Bompard (LFI-NUPES). Nous pouvons nous retrouver dans certaines des recommandations du rapport, comme celle d’éviter de fixer toute date cible pour l’adhésion de nouveaux États à l’Union européenne.

La première recommandation, à laquelle je souscris, conditionne toute nouvelle adhésion à une réforme institutionnelle de l’Union. Néanmoins, je suis sceptique sur la proposition que vous reprenez à votre compte du groupe d’experts franco-allemand à propos de l’extension du champ du vote à la majorité qualifiée, notamment en matière de politique étrangère. C’est pour nous inacceptable : la politique étrangère est en effet un domaine relevant de la souveraineté des États et le passage à la majorité qualifiée impliquerait la fin de l’indépendance française.

Ensuite, je déplore le fait que le rapport ne s’intéresse qu’à la dimension institutionnelle des réformes préalables. Il faudrait insister sur le besoin d’une harmonisation fiscale, sociale et écologique, sans quoi nous ne ferons que reproduire les erreurs des précédents élargissements, qui ont notamment conduit à une désindustrialisation massive de l’Union européenne.

Vous recommandez également de faire de la Communauté politique européenne un cadre renforcé de coopération. Je mets en garde sur un risque d’empilement des cadres de coopération entre les États : Union européenne, processus de Berlin, processus de coopération régionale et ainsi de suite.

Vous appelez fort justement à une action diplomatique en faveur du règlement des contentieux territoriaux. Nous gagnerions à ne pas limiter cet appel aux seuls Balkans occidentaux et à appeler à la constitution d’une conférence paneuropéenne sur les frontières.

Votre recommandation visant à faire de l’alignement sur les positions adoptées dans le cadre de la politique européenne de sécurité commune une condition préalable à l’adhésion me semble relever d’un vœu pieux, voire être contreproductive. Avec le poids de l’histoire et l’intervention de l’OTAN, une telle mesure serait de nature à déchirer la Serbie. D’autre part, l’alignement sur la politique étrangère de sécurité commune n’apporte pas de plus-value démocratique.

Enfin, vous appelez à renforcer la diplomatie d’influence de la France. Il faudrait pour cela une constance et une cohérence du discours diplomatique.

Mme Pascale Boyer (RE). Vous reprenez à votre compte dans ce rapport le principe d’une nouvelle méthode d’élargissement plus progressive et flexible. Plusieurs études ont développé cette idée d’une intégration graduelle aux institutions et aux politiques européennes. Est-ce une position partagée par les autres États membres et quels seraient les domaines concernés ?

M. Thibaut François (RN). Le processus d’adhésion de nombreux pays est à un stade très avancé, comme l’a démontré l’ouverture des négociations avec la BosnieHerzégovine, le 21 mars 2024. Cependant, la criminalité en Albanie et la corruption en Macédoine du Nord et en Bosnie-Herzégovine posent de nombreuses questions quant à leur adhésion à l’Union.

Les élus du Rassemblement national sont les seuls qui se sont opposés avec constance et justesse à l’adhésion de ces États à l’Union, tandis que la majorité présidentielle a voté en faveur de l’ensemble des rapports liés à l’adhésion. Dans votre rapport, vous avez indiqué que cet élargissement, voulu par Bruxelles avec le soutien d’Emmanuel Macron, nécessiterait une réforme conséquente du fonctionnement de l’Union européenne. De plus, l’entrée de nouveaux États dans l’Union entraînerait une dilution de la voix de la France au sein des institutions européennes et une perte de souveraineté pour les États membres.

Vous indiquez également que la stratégie économique de la Chine pourrait augmenter son influence dans les Balkans et pourrait éloigner la région de la sphère d’influence de l’Union. Alors que le ministre des affaires étrangères a récemment effectué un déplacement en Chine pour louer les échanges diplomatiques entre nos deux pays, pourriezvous nous expliquer les politiques que l’Union européenne met en place pour limiter cette influence et prévenir ces menaces ?

Mme Liliana Tanguy, co-rapporteure. Le plan de croissance pour les Balkans occidentaux de 6 milliards d’euros est un véritable instrument d’accompagnement de ces pays vers l’adhésion. Ce plan apportera à la région certains avantages liés à l’adhésion avant leur adhésion formelle. L’objet de ce plan est de stimuler la croissance économique et d’améliorer la convergence socio-économique dans la région. Ce plan est indispensable pour permettre à ces États d’atteindre les critères de Copenhague. Le but de ce plan est d’accélérer le processus d’élargissement ainsi que la croissance économique de la région.

Tout d’abord, ce plan a pour objet de favoriser l’intégration économique de la région au sein du marché unique. Le second pilier repose sur l’intégration économique des Balkans occidentaux par un marché commun régional. L’objectif est de normaliser les relations économiques régionales afin de faciliter l’intégration de la région au sein du marché unique. La Commission européenne a voulu ce plan afin d’accélérer les réformes qui doivent être menées par ces pays, notamment en matière d’état de droit, de démocratie, de liberté de la presse, ou encore de protection des droits fondamentaux. Enfin, ce plan permet d’augmenter l’aide financière nécessaire à ces réformes. Chaque pays sera invité à établir un programme de réformes et s’engagera à les mettre en œuvre.

M. Pierre-Henri Dumont, co-rapporteur. Les pays des Balkans occidentaux détiennent la clé de leur adhésion à l’Union. Certains pays ne font pas les efforts nécessaires à l’adhésion, mais font seulement semblant de se réformer.

En Serbie, le pouvoir politique ne fait pas les réformes nécessaires et diverge du reste des Balkans. Cela pose un véritable problème, car la Serbie, en tant qu’État le plus peuplé, le plus développé, et le mieux doté en matière d’infrastructure, est le centre de la région. Or, il serait difficile d’intégrer des pays périphériques sans intégrer le pays central.

Mme Liliana Tanguy, co-rapporteure. Je ne partage pas l’opinion de M. Dumont sur la Serbie. La Serbie a fait de nombreuses réformes économiques et d’importants progrès en matière d’emploi. Certes, la Serbie doit encore faire des efforts sur la restructuration de son administration publique. Mais c’est aussi le cas de nombreux État membres de l’Union comme la France.

La Serbie doit poursuivre ses efforts. En matière de PESC, nous avons en effet des attentes pour une meilleure convergence. Néanmoins, si l’on considère que dénoncer l’agression de l‘Ukraine par la Russie permet d’être en conformité avec la PESC, alors la Serbie est en conformité. D’autre part, la Serbie fournit des armements à l’Ukraine par l’intermédiaire de pays tiers. La Serbie n’est pas asservie à la Russie : elle n’est pas un satellite de la Russie. Elle poursuit simplement des intérêts différents des intérêts européens, notamment en raison de son importante dépendance énergétique à Moscou. Lorsque la Serbie diversifiera son mix énergétique, elle sera beaucoup plus encline à s’émanciper de la Russie.

M. Pierre-Henri Dumont, co-rapporteur. Le cas de la Bosnie-Herzégovine est central pour illustrer la nécessité de réformes internes. Il n’est pas souhaitable d’intégrer dans l’Union un État comportant autant de systèmes internes de veto. La fédération de Bosnie est elle-même subdivisée en dix cantons dotés individuellement d’un droit de veto sur tout texte examiné au parlement national. Ce système n’est pas agile et rend toute réforme institutionnelle extrêmement complexe.

Nous n’avons pas précisément évoqué le Kosovo dans notre rapport. Ce pays n’étant pas reconnu par l’intégralité des États membres de l’Union européenne, il semble difficile d’imaginer son adhésion à court ou moyen terme.

Ce rapport ne se positionne pas non plus sur les réformes institutionnelles à mener au sein de l’Union. Simplement, un élargissement compliquerait un processus décisionnel déjà complexe à vingt-sept. La réforme des institutions européennes est ainsi un préalable à toute nouvelle adhésion. Je suis cependant défavorable à une dilution de la voix de France au sein des institutions européennes.

En matière de corruption et de criminalité, un système de vetting visant à surveiller les magistrats a été mis en place en Albanie. Ainsi, 60 % des magistrats albanais ont été exclus de la profession avec une impossibilité de pouvoir exercer à nouveau. Cela donne une idée de l’ampleur de ce qu’est la lutte contre la corruption.

Enfin, le nombre de réadmissions d’étrangers en situation irrégulière via l’Albanie a augmenté ces dernières années. La coopération est ainsi une mesure efficace pour lutter contre l’immigration illégale.

Mme Liliana Tanguy, co-rapporteure. Je poursuivrai en abordant la question de l’intégration graduelle et celle de l’influence de la Chine mais avant cela, je veux répondre au commentaire de Manuel Bompard sur la Communauté Politique Européenne (CPE). Les pays des Balkans occidentaux étaient initialement sceptiques au sujet de la CPE car ils voyaient en elle une antichambre de l’adhésion. Ces pays ont toutefois progressivement compris que la CPE représentait non pas une menace à leur adhésion mais une opportunité pour la faire avancer. La CPE constitue en effet, pour ces pays, une plateforme de discussion avec des chefs d’État et de gouvernement influents en Europe auprès desquels ils peuvent faire valoir leurs points de vue et discuter de leurs projets.

Vous indiquiez aussi, M. Bompard, qu’il était important, avant toute adhésion, de mener au sein des pays candidats des réformes préalables en matière sociale, fiscale ou encore économique : c’est l’objet de ce plan de croissance et de la CPE qui se veut une incitation aux pays candidats à s’engager dans des projets de coopération structurants (liés à la recherche, à la jeunesse ou aux infrastructures par exemple) pour leur économie et le développement social de leur pays. Le plan de croissance est donc plutôt de nature à tracer un chemin plus sûr vers l’adhésion.

En ce qui concerne l’influence de la Chine, celle-ci s’est surtout développée dans la sphère économique : on a assisté à une captation par ce pays de la dette extérieure d’une partie des pays de la région, notamment le Monténégro. Ces pays ont été attirés par la Chine car cette dernière ne leur impose pas de conditions politiques en contrepartie d’un prêt. Les pays qui ont souscrit des emprunts ont été confrontés à une perte de souveraineté par la voie de l’endettement. Il faut donc rester vigilants sur l’ingérence politique au sein de ces pays et le meilleur moyen de lutter contre celle-ci est de leur offrir une perspective européenne concrète. Des politiques intégrées, des choix politiques partagés et l’unité de l’Union européenne constituent la meilleure façon de faire rempart à ces ingérences.

Mme Marietta Karamanli (SOC). La question de l’adhésion des Balkans occidentaux à l’Union européenne constitue un sujet important sur lequel nous travaillons aussi au sein du Conseil de l’Europe. Les Balkans occidentaux doivent être non seulement écoutés mais entendus par l’Union européenne. La place et le rôle du droit dans la construction politique sont essentiels. L’Union européenne doit avoir une vision stratégique de l’intégration de ces États. Les programmes d’investissements communs en faveur des infrastructures (routières fluviales, ferroviaires), qui rassemblent et permettent de désenclaver les territoires, et donc, de faciliter les échanges, doivent être encouragés. Cette région pourrait être un atout pour l’Union et le reste du monde.

La création d’une Union à 30 ou 37 membres, qui ne peut avoir lieu qu’en parallèle d’une évolution de son fonctionnement, doit être considérée comme une hypothèse sérieuse. Le Conseil de l’Europe joue un rôle important dans ce processus, au côté de l’Union européenne : la convergence de l’instance qui porte la démocratie, le Conseil de l’Europe, et de l’Union, qui porte, elle, la prospérité économique, est essentielle pour l’avenir.

Mme Liliana Tanguy, co-rapporteure. Pour faciliter l’intégration des pays à l’Union européenne, il faut réformer la méthode selon laquelle sont conduites les négociations, méthode déjà actualisée sous l’action de la France, pour la rendre plus efficiente. Nous encourageons, par exemple, une participation accrue des pays candidats aux réunions des différentes institutions européennes pour qu’ils développent une forme de sociabilisation à nos méthodes de travail et à nos standards européens. C’est la raison pour laquelle nous demandons que la Commission européenne expertise les modalités de mise en œuvre d’un tel processus d’adhésion par étapes.

Je tiens aussi à souligner qu’il existe un groupe de sept pays, appelé groupe des amis des Balkans occidentaux, comprenant l’Autriche, la Croatie, l’Italie, la Slovénie, la Slovaquie, la République Tchèque et la Grèce, qui préconise aussi cette méthode graduelle d’adhésion à l’Europe.

Enfin, je veux conclure sur le fait que l’élargissement de l’Union européenne aux pays des Balkans est une perspective inéluctable. La question n’est plus : « Devons-nous intégrer ces pays ? » mais : « Quand et comment le fait-on ? ». Il suffit de regarder une carte pour le comprendre : par leur géographie et en raison de l’Histoire, ces pays sont au centre du continent européen. Il est évident que cette zone doit entrer dans la famille européenne. Cela constituerait un gage de sécurité et de stabilité pour l’Europe. Nous devons opter pour une stratégie d’accompagnement exigeante, par laquelle nous rappellerions notre attachement aux critères de Copenhague et à l’alignement sur la PESC.

M. Pierre-Henri Dumont, co-rapporteur. Mme Karamanli, vous rappelez l’importance du soutien aux projets d’infrastructures. Cet enjeu soulève aussi la question de la place de la Chine dans la région. C’est le vide laissé par l’Union qui a permis à d’autres puissances d’y prospérer. La Serbie est, par exemple, sous l’influence énergétique de la Russie, à la fois pour des raisons historiques et parce que l’Union n’a pas su créer de partenariat privilégié dans ce domaine avec ce pays. Nous devons veiller à toujours accompagner ces pays au plus près de leurs besoins : les responsables locaux de l’Agence française de développement avaient identifié des besoins en Serbie sur la question de l’approvisionnement en eau par exemple. Pour autant, les projets d’accompagnement français se sont concentrés sur le développement de pistes cyclables.

Il faut aussi penser à la place de la France au sein du Conseil : si l’Union européenne accueille de nouveaux membres, alors se posera la question de l’influence de la France au sein de celui-ci, d’autant plus que la France accuse un certain retard auprès de ces pays, en termes d’influence, par rapport à d’autres États membres. En Bosnie, la représentation permanente de l’Union européenne se situe par exemple dans les locaux de l’ambassade d’Allemagne. Cela fait vingt à trente ans que l’Allemagne ou l’Autriche investissent massivement dans ces pays. Demain, en cas d’adhésion de ces pays à l’Union européenne, lors d’un vote à la majorité qualifiée au Conseil pour lequel la France et l’Allemagne pourraient avoir des vues opposées, ces États pourraient être enclins à soutenir notre voisin plutôt que nous.

M. le Président Pieyre-Alexandre Anglade. Je vous remercie pour ce travail très riche et approfondi qui concourt à la réflexion de la commission sur ce sujet important.

La Commission a ensuite autorisé le dépôt du rapport en vue de sa publication.

 

 

 

 

 


   Annexe 1 :
Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs

Paris

Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères

European Policy Centre - Belgrade

Institut Jacques Delors - Centre Grande Europe-IJD

Déplacement à Bruxelles

European Policy Center

Commission européenne, direction générale du voisinage et des négociations d’élargissement

Commission européenne, cabinet de M. Olivér Várhelyi, Commissaire au voisinage et à l'élargissement

Service européen pour l'action extérieure, Secrétariat général

Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne

Déplacement en Albanie

Assemblée d’Albanie

Gouvernement

Ministère de l’Intérieur :

Ambassade de France

Agence Française de Développement

Représentation permanente de l’Union européenne en Albanie

Déplacement en Bosnie-Herzégovine

Ministère des Affaires étrangères

Direction pour l’intégration européenne

Conseil de l’Europe

Initiative for Monitoring EU Integration of Bosnia-Herzegovina

EUFOR

OSCE

Ambassade de France

Représentation permanente de l’Union européenne en Bosnie-Herzégovine

Déplacement en Macédoine du Nord

Assemblée Nationale de Macédoine du Nord

Ministère des Affaires Étrangères

Secrétariat aux Affaires européennes

Ambassade de France

Représentation permanente de l’Union européenne en Macédoine du Nord

Prespa Institute

Déplacement au Monténégro

Parlement du Monténégro

Ministère des Affaires européennes

Ambassade de France

Représentation permanente de l’Union européenne au Monténégro

Centre pour l’Éducation civique

Déplacement en Serbie

Assemblée nationale

Gouvernement

Ministère de l’Intégration européenne

Ministère des Affaires étrangères

Ambassade de France

Agence française de Développement

National Democratic Institute

Mouvement européen en Serbie

Center for Democracy Foundation

European Policy Centre - Belgrade

 

 


   Annexe 2 :
Les pays candidats des Balkans occidentaux

ALBANIE

Seul pays de la région n’ayant pas fait partie de la Yougoslavie, l’Albanie a basé à partir de 1991 sa politique sur la double volonté de s’ancrer au monde occidental et de se réintégrer à la région.

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Source : Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères

L'Albanie s'étend sur une superficie totale de 28 748 km2, avec environ 70 % de surface montagneuse, accidentée et difficilement accessible, dont le point culminant est le mont Korab s'élevant à 2 753 m. Le reste du pays est constitué de plaines alluviales, dont le terrain est plutôt de piètre qualité pour l’agriculture, alternativement inondé ou desséché. Les terres les plus fertiles sont situées dans le district des lacs (lac d'Ohrid, Grand Prespa et Petit Prespa) et sur certains plateaux intermédiaires entre la plaine et la montagne.

La population albanaise compte environ 2,8 millions d’habitants, dont environ 95 % d’Albanais, la minorité la plus importante étant composée de 200 000 à 300 00 Grecs vivant dans le sud du pays. On estime cependant qu’un tiers des ressortissants albanais vivent actuellement à l’étranger, principalement en Grèce et en Italie, tandis qu’environ 45 % des populations albanophones vivent hors d’Albanie : 25 % au Kosovo (environ 1,9 million de personnes), 10 % en Macédoine du Nord (environ 510 000 personnes) et 10 % dans la diaspora.

Une longue occupation ottomane suivie d’un isolement international

L’Albanie a acquis son indépendance en 1913, à la suite des guerres balkaniques, après cinq siècles de domination ottomane marquée par une répression intense de la culture et de la langue albanaises.

Occupée par l’Italie en 1939, puis progressivement par l’Allemagne, l’Albanie a été libérée fin 1944 mais s’est retrouvée soumise au pouvoir d’Enver Hoxha. Relevant de la sphère soviétique, puis chinoise, elle s’est orientée à partir des années 1970 vers un système politique et économique fermé, extrêmement répressif visant à constituer une société autarcique et autosuffisante. Le pays a été fortement affaibli par la collectivisation agressive, la répression implacable et l’isolationnisme radical qui lui ont été imposés pendant cette période.

Une transition difficile mais réussie

Ramiz Alia, qui a succédé à Enver Hoxha à la mort de celui-ci en 1985, a mené une politique d’ouverture et de libéralisation mesurée du régime, notamment dans les domaines économique et diplomatique. Dès 1990, le mécontentement de la population et l’agitation des milieux étudiants l’ont cependant contraint à accélérer les réformes et à envisager une sortie pacifique du communisme. Principale force d’opposition, le Parti démocrate d’Albanie (Partia Demokratike e Shqipërisë, PDSh) a remporté les élections législatives de mars 1992, tandis que son chef Salih Berisha était élu à la présidence le mois suivant.

La période de transition qui a suivi la transition politique est marquée par l’instabilité politique, la détresse économique, le chômage, l’émigration massive, une hausse inquiétante de la criminalité et un niveau élevé de corruption. Son épisode paroxystique s’est déroulé en 1997, à la suite de l’effondrement spectaculaire de systèmes de Ponzi qui a entraîné une chute brutale du PIB, plusieurs mois de violences insurrectionnelles et l’intervention d’une force internationale sur mandat des Nations unies. Les élections anticipées tenues le 29 juin ont donné la majorité à la gauche représentée par le Parti socialiste d’Albanie (Partia socialiste e Shqipërisë, PSSh).

Malgré les difficultés, l’Albanie a poursuivi sa transition vers la démocratie, avec l’adoption en 1998 d’une constitution qui a permis des avancées notables de l’état de droit ainsi qu’une vie politique dynamique gravitant autour du PSSh et le PDSh qui se sont succédé au pouvoir, seuls ou à la tête de coalitions.

À la faveur des victoires électorales successives du PSSh (en 2013, 2017, 2021), l’ancien maire de Tirana Edi Rama assume la fonction de Premier ministre depuis 2013. Son parti bénéficie actuellement de la majorité absolue au Parlement avec 74 sièges détenus sur 140, alors que le PDSh est fragilisé par les divisions internes.


BOSNIE-HERZÉGOVINE

Une géographie qui ne favorise pas la consolidation du pays

Le territoire de la République de Bosnie-Herzégovine couvre une superficie de 51 129 km2 et est pratiquement enclavé, en dehors du corridor de Neum qui sépare en deux la Croatie voisine le long de la côte adriatique. La Bosnie-Herzégovine borde la Croatie (956 km) au nord, au nord-ouest et au sud, la Serbie à l'est (345 km) et le Monténégro au sud-est (242 km). Le territoire se compose de deux unités géographiques et historiques : la Bosnie au nord montagneuse et couverte de forêts épaisses, et l’Herzégovine au sud, constituée de collines rocheuses et de terres agricoles plates.

Source : Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères

Selon le recensement de 2013, dernier en date, la population de la Bosnie-Herzégovine s’élève à 3,5 millions de personnes (mais est estimée à 3,2 millions aujourd’hui), dont 2,2 millions vivent dans la Fédération de Bosnie-Herzégovine et 1,23 million dans la Republika Srpska, le district de Brcko ne comptant que 83 516 habitants, tandis que le nombre des Bosniens vivant à l’étranger était estimé dans les années 2000 entre 1,16 et 1,35 million de personnes.

La composition de la population bosnienne est caractérisée par la division communautaire à l’origine de la guerre de 1992-1995, avec, selon le recensement de 2013, 52,86 % de Bosniaques, 30,76 % de Serbes et 14,6 % de Croates, les autres composantes de la population formant ensemble 1,79 % du total. Pratiquement la moitié de la population est donc culturellement et souvent politiquement liée à un « État-parent » voisin, Serbie ou Croatie, et la guerre a eu pour effet, du fait des nettoyages ethniques successifs et des déplacements de population, de rendre plus homogènes qu’auparavant les zones de peuplement des trois groupes.

La division du pays en deux entités instaurée par les accords de Dayton permet notamment l’existence de la Republika Srpska où vit la plus grande partie de la population serbe et dont le territoire encercle en grande partie celui de la Fédération de Bosnie-Herzégovine, tout en étant lui-même coupé en deux par le district de Brčko.

La Bosnie-Herzégovine continue de souffrir d’un manque de cohésion

L’architecture institutionnelle de la Bosnie-Herzégovine est directement issue des accords de Dayton dont l’annexe comprend la Constitution du pays. Celle-ci a établi un système particulièrement complexe conjuguant les compétences de l’autorité étatique centrale à celles des deux entités autonomes et du district commun de Brčko. La Présidence de la république est assurée par un triumvirat réunissant les représentants des trois nations constitutives, lesquels exercent collégialement la fonction de chef de l’État. Les deux entités ne fonctionnent pas sur le même modèle. À la différence de la Republika Srpska unitaire, dirigée par la partie serbe, la Fédération de Bosnie-Herzégovine – associant les Croates et les Bosniaques – est subdivisée en dix cantons disposant chacun d’un gouvernement et d’une assemblée représentative locale. Il est à noter que le pays demeure depuis la guerre sous la tutelle de la communauté internationale au travers de la mission du Bureau du haut représentant international en Bosnie-Herzégovine.

À la fois enchevêtrées et propices à se paralyser mutuellement, impuissantes à corriger leurs propres dysfonctionnements, les institutions de Bosnie-Herzégovine sont contestées par les trois nations constitutives du pays dont elles paraissent peiner à maintenir la cohésion. Sans doute est-il vrai que la reprise de la guerre ne s’est jamais révélée une menace sérieuse depuis la signature des accords de Dayton. Cependant, les principales communautés bosno-herzégoviniennes sont loin d’être réconciliées et leur avenir commun reste lourd d’hypothèques. Les tensions politiques sont vives. Les nationalismes aux prises demeurent très présents dans la société.

Majoritaires, les Bosniaques cherchent à renforcer les institutions centrales et à affaiblir les entités, au risque d’accentuer les aspirations centrifuges des deux autres peuples. Les Croates dénoncent de plus en plus les violations des droits – tant dans la Fédération qu’au niveau de l’État – que leur confère leur statut de nation constitutive, en raison notamment des défaillances des procédures électorales qui tendent à les réduire au rang de minorité. Réelles ou exprimées à des fins tactiques, les velléités sécessionnistes de la Republika Srpska sont source d’inquiétudes, tout comme les orientations en matière de politique internationale préconisées par le président de cette entité, Milorad Dodik, qui entretient des liens troubles avec la Russie.

 


KOSOVO

Le territoire de la République du Kosovo est enclavé et couvre une superficie de 10 908 km2 et est bordé par la Serbie, la Macédoine du Nord, l’Albanie et le Monténégro. Sa population est estimée entre 1,7 et deux millions d’habitants, dont 92 % d'Albanais et 6 % de Serbes, mais on estime à environ 500 000 le nombre de Kosovars vivant à l’étranger.

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Source : Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères

Une reconnaissance internationale contestée

Le statut du Kosovo reste contesté. À l’issue de la guerre de 1999, la résolution 1244 du Conseil de Sécurité a placé le Kosovo sous l’administration de la Mission d’administration intérimaire des Nations unies au Kosovo (MINUK), qui devait y faciliter l’instauration d’une autonomie et d’une auto-administration au sein de la Serbie, tout en réaffirmant la souveraineté et l’intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie. La déclaration d’indépendance votée par le parlement du Kosovo le 17 février 2008, suivie par la reconnaissance de cette indépendance par plusieurs États dont les États-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France, formalisait un état de fait, la Serbie n’exerçant plus de contrôle sur le pays depuis 1999, mais laissait subsister un désaccord à la fois local dans les régions du Kosovo où vit une minorité serbe et au niveau international, le Kosovo n’ayant à ce jour pas pu être membre de l’ONU (une majorité serait nécessaire à l’Assemblée générale) et n’étant reconnu que par 22 des 27 États membres de l’Union européenne.

Le Kosovo a fait face ces dernières années à une série de révocations des reconnaissances acquises, à la suite d’une campagne internationale menée en ce sens par la diplomatie serbe[26]. Il dispose aujourd’hui d’une trentaine de représentations diplomatiques à l’étranger et se donne pour objectif prioritaire d’obtenir sa reconnaissance par les 5 États de l’UE qui la lui refusent jusqu’à présent (Espagne, Grèce, Chypre, Slovaquie, Roumanie).

La Serbie fait obstacle à l’intégration du Kosovo dans certaines organisations internationales, au premier rang desquelles figure l’ONU. Le Kosovo a néanmoins adhéré à de nombreuses organisations et institutions, parmi lesquelles le FMI (2009), la Banque mondiale (2009), la BERD (2012), la Banque de développement du Conseil de l’Europe (2013), la Commission de Venise (2014) et la Communauté politique européenne (2022). Le Kosovo a demandé à bénéficier d’un processus accéléré d’intégration à l’OTAN et à l’Union européenne et a déposé officiellement sa candidature au Conseil de l’Europe le 12 mai 2022, ainsi que sa demande d’adhésion à l’UE le 15 décembre 2022. Dans le contexte de l’invasion de l’Ukraine, le Kosovo s’est aligné sur la politique de l’UE à l’encontre de la Russie.

Une vie politique stabilisée

La présence internationale au Kosovo, bien qu’en voie de réduction, demeure importante (force militaire KFOR de l’OTAN, missions civiles de l’ONU/MINUK, de l’UE/EULEX, de l’OSCE). Si le chemin accompli par le Kosovo depuis l’indépendance a été par bien des aspects importants, le pays a besoin de poursuivre la consolidation de ses institutions, le renforcement de son État de droit ainsi que ses efforts de développement socio-économique, et surtout de parvenir à la normalisation de ses relations avec la Serbie, essentielle à la stabilité de la région et à la perspective européenne des deux pays.

Longtemps marqué par son instabilité politique, le Kosovo semble désormais disposer d’un gouvernement solide. Le parti au pouvoir, « Autodétermination ! » (Vetëvendosje !, VV), dont est issu le Premier ministre Albin Kurti, bénéficie d’une assise parlementaire confortable. Allié au parti « Osez ! » (Guxo !), il a reçu une majorité absolue des suffrages aux législatives de février 2021. Les deux formations occupent une majorité relative des sièges au parlement et n’ont besoin que du soutien de quelques députés représentant les minorités nationales pour gouverner. En avril 2021, la législature alors formée a élu la candidate d’« Osez ! », Vjosa Osmani, présidente de la république, ce qui reflète la volonté des électeurs de renouveler ses élites et de réformer en profondeur le système. Cette législature n’est cependant pas exempte de blocages législatifs réguliers se répercutant sur le développement économique du pays.

MACÉDOINE DU NORD

La Macédoine du Nord couvre un territoire 25 713 km2 et borde la Grèce, la Bulgarie, la Serbie, le Kosovo et l'Albanie, et ne dispose d’aucun accès à la mer.

Source : Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères

 

Selon le recensement de 2002, sa population compte deux millions d’habitants, dont 64 % sont macédoniens, 25,2 % albanais, 3,9 % turcs et 2,7 % roms. L’ensemble de ces minorités, ainsi que les Valaques, Serbes et Bosniaques, sont reconnues officiellement et citées par le préambule de la Constitution, qui leur permet notamment de faire un usage officiel de leur langue dans les communes où elles forment au moins 20 % de la population, ou au sein des institutions gouvernementales si cette proportion est atteinte à l’échelle du pays, ce qui n’est le cas que pour les Albanais.

La Macédoine du Nord (ex-Macédoine) est une ancienne république constitutive de la fédération yougoslave. Ayant proclamé son indépendance le 8 septembre 1991, elle a été épargnée par les guerres qui ont accompagné la dissolution de la Yougoslavie dans les années 1990.

Sa reconnaissance internationale s’est néanmoins heurtée à un certain nombre de difficultés. La Grèce lui a longtemps refusé le droit de faire usage d’une dénomination officielle et de symboles nationaux qui renvoient à une région historique dépassant le cadre de la république « ex-yougoslave », et dont elle-même revendique l’héritage politique et culturel. Le nouvel État n’a ainsi fait son entrée à l’ONU qu’en 1993 sous le nom provisoire d’« Ancienne république yougoslave de Macédoine ».

Durant la décennie 1990, il a fait face au mécontentement croissant de sa minorité albanaise qui représentait plus du quart de sa population et réclamait une autonomie substantielle. Les tensions qui s’en sont suivies ont pris un tour dramatique pendant la guerre du Kosovo et à la suite de celle-ci. En 2001, elles ont dégénéré en une quasi guerre civile opposant les forces militaires et la police aux ordres de Skopje aux insurgés albanais conduits par l’Armée de libération du Kosovo reconstituée en Macédoine (Ushtria Çlirimtare Kombëtare-M, UCK-M).

Durant l’été, le gouvernement et les représentants de la communauté albanaise ont convenu d’une issue politique au conflit. Des accords de paix ont été conclus à Ohrid le 13 août 2001, Skopje s’étant engagé à réviser la constitution dans le sens d’une représentativité accrue des Albanais. De l’indépendance à nos jours, la vie politique a gravité dans le pays autour de l’Organisation révolutionnaire macédonienne intérieure – Parti démocratique pour l’unité nationale macédonienne (Внатрешна македонска револуционерна организација – Демократска партија за македонско национално единство, VMRO-DPMNE) de centre-droit et de l’Union sociale-démocrate de Macédoine (Социјалдемократски сојуз на Македонија,  SDSM) de centre-gauche, lesquels ont alternativement – le premier plus que le second – dirigé les coalitions s’étant succédé à la barre du gouvernement.

L’exécutif actuel est issu des élections du 15 juillet 2020, remportées de peu par la coalition menée par le SDSM qui a n’a recueilli qu’une majorité relative de sièges (46/120) et qui n’a pu accéder au pouvoir qu’au prix d’un accord avec l’Union démocratique pour l’intégration (Demokratska unija za integracija, DUI), formation représentative de la minorité albanaise. Le gouvernement est dirigé depuis le 24 janvier par un membre de ce second parti, Talat Xhaferi.

 


MONTÉNÉGRO

Le Monténégro s’est rapproché des pays occidentaux dès son indépendance

Avec un territoire d’une superficie de 13 812 km2, le Monténégro est bordé par l’ensemble des autres pays candidats des Balkans occidentaux et dispose d’une façade maritime 293 km, toutefois dépourvue de port important du fait d’un littoral qui s’y prête mal. La population du pays est estimée à 622 359 habitants en 2018, et se compose selon une estimation faite par l’État monténégrin en 2011 de Monténégrins pour 45 %, de Serbes pour 28,7 %, de Bosniaques pour 8,6 %, d’Albanais pour 4,9 %, de Roms pour 1 % et de Croates pour 0,7 %.

Source : Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères

 

Peu touché par les guerres des années quatre-vingt-dix, le Monténégro s’est détaché progressivement de la Serbie et n’a déclaré son indépendance que le 3 juin 2006, à l’issue du référendum du 21 mai 2006, après avoir été l’un des deux États constitutifs de la République fédérale de Yougoslavie, puis de la Communauté d’États de Serbie-et-Monténégro. Le Monténégro a cherché à se rapprocher des pays occidentaux dès son indépendance et est notamment devenu membre de l’OTAN le 5 juin 2017.

De son indépendance à 2020, le Monténégro a été gouverné par le Parti démocratique des socialistes (Demokratska partija socijalista Crne Gore, DPS), dominé par Milo Đukanović. Les revers électoraux subis par ce parti entre 2020 et 2023 ont entraîné son déclin et un renouvellement conséquent des forces au sommet du pouvoir politique. Le pays est actuellement gouverné par une coalition menée par le « Mouvement Europe maintenant ! » (Pokret Evropa sad !, PES) et soutenu par la coalition pro-serbe et pro-russe « Pour le futur du Monténégro » (Za budućnost Crne Gore, ZBCG).

En raison de la complexité des clivages politiques au Monténégro et des relations particulières entre ce pays et la Serbie voisine, la transition s’est faite dans un climat tendu et une relative instabilité qui ont ralenti la progression du Monténégro vers l’adhésion à l’UE.


SERBIE

Source : Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères


La Serbie a maintenu une relation difficile avec les pays occidentaux

Avec un territoire couvrant une superficie de 88 361 km2 et une population de 7 120 666 habitants, soit 37 % de la population et 37 % du territoire de l’ensemble des pays candidats des Balkans occidentaux, la Serbie est l’État le plus vaste et le plus peuplé de la région, dont l’influence est encore accrue par sa relation étroite avec la Republika Srpska de Bosnie-Herzétovine.

Composée à 83 % de Serbes selon le recensement de 2013, la principale minorité étant bosniaque, avec 12,7 % de la population, la Serbie affiche également une homogénéité ethnique importante.

Une politique intérieure dominée par le Parti progressiste serbe

La chute de Milošević en octobre 2000 avait permis l’émergence d’une vie politique démocratique. Depuis 2012, la Serbie connaît une certaine stabilité gouvernementale, due entre autres aux succès électoraux successifs du Parti progressiste serbe (Srpska napredna stranka, SNS) et de son leader, Aleksandar Vučić, Premier ministre de 2014 à 2017, élu à deux reprises et au premier tour président de la République (2017, 2022). Le 17 décembre 2023, des législatives anticipées se sont tenues, alors qu’une d’une vague de manifestations secouait le pays pour y dénoncer la « culture de la violence », à la suite d’une double tuerie qui s’est déroulée en mai et dont l’une a touché un établissement scolaire de Belgrade. La consultation a de nouveau donné la victoire à la coalition conduite par le SNS, à l’issue d’un scrutin qui a suscité des accusations de fraude électorale de la part de l’opposition.

Un rapprochement avec les pays occidentaux resté incomplet

Le rapprochement qui semblait avoir été entamé entre la Serbie et ses anciens adversaires occidentaux avec l’arrestation de Slobodan Milošević le 1er avril 2001 et sa remise au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), ainsi que l’alternance politique qui avait permis ces décisions, est cependant resté limité. Contrairement à l’Albanie, au Monténégro ou à la Macédoine du Nord, la Serbie n’a pas cherché à se rapprocher de l’OTAN et a maintenu une relation étroite avec la Russie.

Il est vrai que le souvenir de la campagne de bombardements de l’OTAN en 1999 continue à occuper les mémoires de la population serbe.

    

 

 


([1])  On notera toutefois que cette décision ne faisait l’objet d’aucun développement particulier dans les conclusions du Conseil européen, ce dernier s’étant contenté de valider une communication de la Commission européenne sur le sujet.

([2])  Florent Marciacq, « L’Union européenne dans les Balkans, une puissance velléitaire ? », Politique étrangère, 1/2004.

([3])  Cité par Alexandre Adam dans sa contribution « L’Union européenne à 36 : dégager l’horizon » au rapport 2022 de la fondation Robert Schuman.

([4])  Florent Marciacq, op. cit.

([5])  Selon l’expression de Jean-Arnault Dérens et Laurent Geslin, Les Balkans, carrefour sous influences, Tallandier, 2023.

([6])  Belic, Olja, Ana Kresic, Peter Sanfey, et Peter Tabak. « Can the Western Balkans Converge towards EU Living Standards ? », Banque européenne pour la reconstruction et le développement, février 2024.

([7])  « Monténégro le petit premier de l’élargissement », Sébastien Maillard, Centre grande Europe, mars 2024.

([8])  Voir annexe II.

([9])  « L’UE propose un « plan de croissance » aux pays candidats des Balkans occidentaux », Le Monde, 9 novembre 2023.

([10])  Naviguer en haute mer : réforme et élargissement de l’UE au XXIe siècle, rapport du groupe de travail francoallemand sur les réformes institutionnelles de l’UE, 18 septembre 2023.

([11])  Disponible à l’adresse : https://www.europeansources.info/record/sailing-on-high-seas-reforming-and-enlarging-the-eu-for-the-21st-century/

([12])  « EU estimates Ukraine entitled to €186bn after accession », Financial Times, 4 octobre 2023.

([13])  Rant, Vasja, Mojmir Mrak, et Matej Marinč. « The Western Balkans and the EU Budget : The Effects of Enlargement ». Southeast European and Black Sea Studies 20, no 3 (2 juillet 2020) : 431‑53.

([14])  Il convient toutefois de noter que le rapport « Naviguer en haute mer : réforme et élargissement de l’UE pour le XXIème siècle », publié par le groupe de travail franco-allemand sur la réforme institutionnelle de l’UE le 18 septembre 2023, envisage la CPE comme un « quatrième cercle » européen permanent, au-delà de l’UE et de ses membres associés, comme instance de coopération politique, ce qui ne fait cependant aucunement obstacle aux processus d’adhésion des pays candidats.

([15])  La CPE est composée des 27 États membres de l’Union européenne ainsi que des pays ayant obtenu le statut de candidat à l’adhésion (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Moldavie, Monténégro, Macédoine du Nord, Serbie, Turquie et Ukraine), de la Géorgie et du Kosovo (candidatures déposées), des États membres de l’Espace économique européen (Islande, Liechtenstein, Norvège) ainsi que de l’Arménie, de l’Azerbaïdjan, du Royaume-Uni et de la Suisse. Après le premier sommet de la CPE, trois micro-États européens — Andorre, Monaco et Saint-Marin — ont à leur tour rejoint l’organisation.

([16])  Par exemple, « The European Political Community and the Western Balkans », Florent Marciacq, publié par le Friedrich Ebert Stiftung, décembre 2022.

([17])  Voir par exemple le Centre for European Policy Studies (CEPS) et le European Policy Centre (CEP) situé à Belgrade.

([18])  Dans son étude “Union européennes-Balkans occidentaux : pour un cadre de négociations d’adhésion rénové », Fondation Robert Schuman, septembre 2019, Pierre Mirel envisage ainsi que le pays candidat bénéficie au début du processus de 20 % des fonds structurels, cette part pouvant atteindre au cours d’une seconde étape intermédiaire un taux de 60 à 70 %.

([19])  Fondation Robert Schuman, éd. L’État de l’Union : rapport Schuman sur l’Europe. Paris : Éditions Marie B, 2023.

([20])  Le Monténégro dispose d’une frontière longue de 25 kilomètres avec la Croatie, mais cette partie du territoire croate est elle-même séparée du reste de la Croatie, et de l’Union européenne, par le corridor bosnien de Neum, que le pont de Pelješac permet cependant de contourner depuis le 29 juillet 2021.

([21])  Small Arms Survey, «Estimating Global Civilian-held Firearms Numbers», Briefing Paper, juin 2018.

([22])  Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Plan d’action de l’UE en matière de lutte contre le trafic d’armes à feu pour la période 2020-2025, Bruxelles, 24 juillet 2020.

([23])  Le document « Roadmap for a sustainable solution to the illegal possession, misuse and trafficking of Small Arms and Light Weapons (SALW) and their ammunition in the Western Balkans by 2024 » a été adopté lors du sommet EU-Balkans de Londres le 10 juillet 2018.

([24])  « Plan d’action de l’UE en matière de lutte contre le trafic d’armes à feu pour la période 2020-2025 », communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 24 juillet 2020.

([25])  Le réseau d'échange sécurisé d'informations d'Europol (SIENA) est une plate-forme qui permet l'échange rapide d'informations opérationnelles et stratégiques liées à la criminalité.

[26] Les pays ayant révoqué la reconnaissance du Kosovo sont : la Sierra Leone, le Nauru, le Ghana, le Togo, la République Centrafricaine, le Palaos, Madagascar, les Iles Salomon, les Comores, Grenade, la République Dominicaine, le Lesotho, la Papouasie Nouvelle Guinée, le Libéria, le Burundi, la Guinée-Bissau, le Suriname et Sao Tome et Principe.