N° 184

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIXSEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 septembre 2024

 

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

valant avis sur le projet de contrat d’objectifs et de moyens d’Expertise France pour la période 2024-2026

 

 

ET PRÉSENTÉ PAR

 

Mme Éléonore CAROIT et Mme Marine HAMELET

Députées

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SOMMAIRE

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Pages

Introduction

I. Une agence aux origines anciennes qui a ÉtÉ profondÉment renouvelÉe

A. De la politique de coopÉration technique À la naissance d’Expertise France

1. Le regroupement de l’expertise au sein d’une entité unique

2. La transformation de l’agence en Expertise France et son intégration dans le groupe AFD

B. Une activitÉ en forte croissance reposant sur un modÈle Économique stabilisÉ

1. Un modèle économique original

2. Une activité en nette augmentation

II. Le contrat 2024-2026 : trois prioritÉs maTÉrialisÉes par des objectifs prÉcis

A. une action orientÉe dans trois directions

B. dix-huit objectifs assortis d’indicateurs de rÉsultats

III. De grands axes cohÉrents et des points d’attention

A. un contrat prolongeant les acquis antÉrieurs tout en intÉgrant de nouveaux enjeux

1. Une action inscrite dans le sillage du cadre stratégique antérieur

2. La prise en compte des orientations politiques fixées en 2023

3. L’intégration des nouveaux enjeux géopolitiques

B. Des points de vigilance

1. Un Parlement à mieux associer

2. Une délimitation des compétences à préserver avec CIVIPOL

3. Un pilotage fort par l’État à maintenir

4. L’évaluation, un enjeu fondamental à faire vivre

5. Des financements alternatifs à développer dans un contexte d’incertitude budgétaire

6. Des enjeux à saisir

TRAVAUX DE LA COMMISSION

ANNEXE : Liste des personnes auditionnées par les rapporteures

CONTRIBUTION PRÉSENTÉE AU NOM DU GROUPE La France insoumise - Nouveau Front Populaire

CONTRIBUTION PRÉSENTÉE AU NOM DU GROUPE Socialistes et apparentés

CONTRIBUTION PRÉSENTÉE AU NOM DU GROUPE Les Démocrates

 


    

   Introduction

 

 

Agence française de coopération technique internationale, Expertise France est depuis le 1er janvier 2022 une filiale de l’Agence française de développement (AFD). Placée sous la double tutelle du ministère chargé des affaires étrangères et du ministère chargé de l’économie et des finances, elle a pour mission de gérer, coordonner et faciliter la mise à disposition de l’expertise technique publique française à l’international.

Prévu par la loi n° 2010-873 du 27 juillet 2010 relative à l’action extérieure de l’État, le contrat d’objectifs et de moyens (COM) d’Expertise France constitue son cadre stratégique. La loi prévoit sa transmission pour avis, avant sa signature, aux commissions permanentes compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Le projet de COM 2024-2026, qui fait suite au précédent contrat qui portait sur la période 2020-2022, a été transmis aux deux assemblées à la fin du mois de mai 2024. La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat l’a examiné le 12 juin. Il appartient désormais à la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale de se prononcer.

Après avoir rappelé l’historique de l’agence, ses missions et son modèle économique, les rapporteures présenteront de manière synthétique le contenu du projet de COM relatif à la période 2024‑2026. Elles mettront en lumière les grands axes de cette convention destinée à encadrer pendant trois ans l’activité d’un acteur‑clé de la politique de solidarité et d’influence de la France. Elles attireront pour finir l’attention sur un certain nombre de points qui méritent une vigilance particulière.

 


I.   Une agence aux origines anciennes qui a ÉtÉ profondÉment renouvelÉe

Héritière d’une tradition ancienne de coopération internationale, l’agence Expertise France a trouvé sa place dans l’architecture française de développement solidaire et consolidé un modèle économique spécifique.

A.   De la politique de coopÉration technique À la naissance d’Expertise France

1.   Le regroupement de l’expertise au sein d’une entité unique

La politique dite de « coopération technique internationale » a constitué pendant longtemps l’essentiel de la politique française d’aide publique au développement. Elle a connu un déclin, avec notamment la suppression du service militaire obligatoire. Le ministère de la coopération a été absorbé par le ministère des affaires étrangères en 1998 et les moyens anciennement consacrés à la coopération ont été dévolus à d’autres fins, en particulier au maintien de l’universalité du réseau diplomatique français. De 30 000 en 1980, le nombre de coopérants est tombé à 4 000 en 1998, puis à moins de 500 en 2015, répartis dans de petits opérateurs au sein de différents ministères et dotés de moyens très modestes. Le contraste est alors apparu saisissant avec l’Allemagne où la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ) disposait de plusieurs milliers de coopérants et de moyens financiers très importants.

Pour enrayer ce déclin et mettre un terme à l’atomisation de l’expertise technique française, il a été décidé en 2014 de mettre en place un opérateur unique. L’agence française d’expertise technique internationale a ainsi été créée, sur une initiative parlementaire, dans le cadre du débat sur la loi relative à la politique de développement et de solidarité internationale ([1]). En dépit de certaines réticences, la quasi‑totalité des petits organismes de coopération a été fusionnée au sein d’une nouvelle entité.

2.   La transformation de l’agence en Expertise France et son intégration dans le groupe AFD

La loi n° 2021-1031 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales du 4 août 2021 a permis de franchir une nouvelle étape. Rebaptisée « Expertise France », l’agence est passé du statut d’établissement public à celui de société par actions simplifiée (SAS) unipersonnelle au capital social intégralement détenu par l’AFD. Expertise France forme désormais, avec l’AFD et Proparco ([2]), le « groupe AFD ». L’intégration d’Expertise France au sein du groupe AFD, effective depuis le 1er janvier 2022, avait été envisagée dès la réunion du 8 février 2018 du comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID). Les deux entités avaient aussi anticipé leur rapprochement en élaborant une stratégie commune dans leurs COM pour la période 2020-2022.

La loi du 4 août 2021 a par ailleurs précisé les missions d’Expertise France. Exerçant une « mission de service public », l’agence est chargée de « la promotion de l’assistance technique et de l’expertise internationale publique françaises à l’étranger sur financements tant bilatéraux que multilatéraux ». Elle assure ainsi, à l’international, des missions d’ingénierie et de mise en œuvre de projets de coopération centrées sur le transfert de savoir‑faire dans différents domaines de politique publique. Pour remplir cette mission, elle dispose aujourd’hui de plus de 700 salariés au siège (pour plus de 80 % d’entre eux sous contrat à durée indéterminée) et du double sur le terrain, dont 277 experts techniques internationaux (ETI) ([3]). Ces derniers – qui ont généralement le statut de fonctionnaire ou de magistrat – remplissent, pour une durée limitée, une fonction d’appui technique et de conseil, souvent au sein des administrations des États partenaires.

B.   Une activitÉ en forte croissance reposant sur un modÈle Économique stabilisÉ

1.   Un modèle économique original

Les projets portés par Expertise France sont financés soit par un bailleur français (AFD, ministères), soit par un bailleur étranger qui est en général l’Union européenne. Les financements de l’Union européenne représentent aujourd’hui environ 50 % du volume d’activité d’Expertise France ; celle‑ci dispose d’un statut privilégié pour y accéder grâce à son accréditation à la gestion déléguée de fonds européens. La mobilisation de ces fonds européens permet d’avoir un retour en contrepartie de la contribution de la France à la politique européenne de développement.

Expertise France est à l’équilibre sur les projets financés par la commande publique française, conformément au principe de la juste rémunération, qui garantit la couverture complète des charges engagées. Pour ce qui est des projets financés sur fonds européens, il existe un fonds de soutien de l’État français qui peut venir combler, pour un montant limité, ce qui manque pour parvenir à l’équilibre ([4]). Ce fonds de soutien est maintenu dans le COM 2024‑2026.

Le modèle économique d’Expertise France est résumé dans le schéma ci‑dessous.

modèle économique d’Expertise France

Source : Ministères de tutelle.

La réunion du CICID du 18 juillet 2023 a par ailleurs acté la mise en place d’un fonds de cofinancement, alimenté par la mission budgétaire « Aide publique au développement », destiné à permettre à Expertise France de mieux se positionner sur les projets financés par l’Union européenne. Celle‑ci demande en effet souvent l’apport d’un cofinancement pour confirmer l’intérêt d’un État membre et de son agence de coopération pour un projet donné ([5]).

Les ministères de tutelle, à travers la direction générale du Trésor, la direction du budget et la direction générale de la mondialisation, portent une attention particulière à l’équilibre du modèle économique et financier d’Expertise France. Cette dernière a, pour la première fois, dégagé en 2021 et 2022 un résultat positif de 2 millions d’euros, ce qui corrobore la réalité des efforts réalisés pour viabiliser son modèle économique. Un résultat positif a de nouveau été atteint en 2023 avec 1,3 million d’euros alors que le contexte dégradé au Sahel avait fait craindre un impact négatif important sur l’activité (annulations de projets sans compensation des frais engagés) et avait nécessité un effort de maîtrise des charges (en matière de recrutements notamment) à l’automne 2023 pour en contenir les effets. Par ailleurs, l’agence ne bénéficie plus de subvention de fonctionnement depuis 2019.

La rapporteure Marine Hamelet tient à souligner que le modèle économique et financier d’Expertise France est dépendant du soutien financier de l’État pour que l’opérateur puisse parvenir à l’équilibre. Elle tient également à dénoncer le sous‑financement quasi-systématique de l’Union européenne aux projets qu’elle porte.

 

2.   Une activité en nette augmentation

Depuis 2014, l’activité de l’agence a quadruplé. Expertise France a connu en particulier une croissance de 43 % de son chiffre d’affaires entre 2020 et 2022. En 2023, celui‑ci s’est élevé à près de 390 millions d’euros, en croissance de 14 % par rapport à 2022. Ces résultats méritent d’autant plus d’être salués que la période 2020‑2023 a été marquée par des crises, en particulier en matière sanitaire et au Sahel, qui ont compliqué la tâche de l’agence. Aujourd’hui, si la GIZ allemande reste de loin la première agence de coopération technique européenne avec 3,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires, Expertise France se classe désormais au second rang.

Quelque 380 projets sont actuellement en cours dans 145 pays. Près de 90 % de l’activité d’Expertise France est réalisée dans les pays en développement. Environ 60 % de l’activité concerne l’Afrique. Sur ce continent, si la coopération a été quasiment interrompue dans la région du Sahel, la demande demeure forte en revanche dans les pays du golfe de Guinée, par exemple dans le domaine de la lutte contre la piraterie.

La répartition de l’activité d’Expertise France par thématique se répartit ainsi : paix, stabilité et sécurité (26 %) ; santé (19 %) ; gouvernance (17 %) ; coopération bilatérale et mobilisation de l’expertise (14 %) ; développement durable (9 %) ; capital humain développement social (8 %) et économie durable et inclusive (7 %) ([6]). À titre d’illustration, Expertise France a contribué au doublement des recettes fiscales sur les petites et moyennes entreprises en Guinée. La rapporteure Marine Hamelet s’interroge à ce titre sur les bénéfices que l’image et l’influence françaises pourraient tirer de la mise en œuvre de ce genre de projet qui a pour finalité d’augmenter l’imposition de pays en développement. Expertise France a su s’adapter au déclenchement de la guerre en Ukraine et participe au soutien français à ce pays. Un bureau d’aide a été ouvert à Tchernihiv, dans le Nord-Est, en vue d’y réhabiliter des infrastructures sanitaires. L’agence intervient également au soutien du ministère ukrainien de la justice, en particulier dans le domaine de la lutte contre la corruption. L’agence est également active, par exemple, dans la lutte contre la criminalité organisée en Amérique latine.


II.   Le contrat 2024-2026 : trois prioritÉs maTÉrialisÉes par des objectifs prÉcis

Faisant suite à un précédent COM portant sur la période 2020‑2022, le projet de COM 2024‑2026 poursuit trois grandes orientations, qui touchent aussi bien aux objectifs de la politique de développement qu’à l’organisation interne de l’agence. Ces orientations se traduisent en une série d’objectifs, assortis chacun d’indicateurs.

A.   une action orientÉe dans trois directions

Le projet de COM 2024‑2026 a été préparé conjointement par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères et par le ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en étroite collaboration avec Expertise France. Il a ensuite été présenté, dans une version liminaire, au conseil d’administration de l’agence, avant d’être retouché, puis transmis aux assemblées parlementaires. Il a par ailleurs été soumis au comité social et économique de l’agence. La rapporteure Marine Hamelet note qu’il est dommageable que le projet de COM 2024-2026 ne fasse pas l’objet d’une réactualisation au regard de la situation politique actuelle résultant de la dissolution de l’Assemblée nationale et du changement de gouvernement.

Le projet validé s’articule autour de trois grandes priorités. La première consistera pour l’agence à se mettre au service de la politique française « d’investissement solidaire et durable », anciennement appelée « politique d’aide publique au développement » ([7]). Concrètement, l’action d’Expertise France devra se conformer aux finalités de la politique d’APD, telles qu’elles ressortent de la loi du 4 août 2021, et contribuer à la poursuite des objectifs de développement durables (ODD), à la lutte contre la pauvreté et à la préservation et des biens publics mondiaux.

La deuxième priorité pour Expertise France résidera dans l’engagement d’un processus de transformation visant à moderniser son organisation et à conforter son modèle économique ([8]). Le COM l’invite à accélérer sa transformation interne, à se structurer encore davantage, à décentraliser et à déconcentrer son activité, et à enfin rendre plus visibles les résultats de son action grâce à une communication renforcée.

Enfin, la troisième priorité sera, pour Expertise France, de se donner les moyens financiers de poursuivre la croissance de son activité. Il lui est demandé notamment d’arriver à mobiliser 1,3 milliard d’euros de crédits européens sur la période 2024‑2026, en profitant pour cela de l’opportunité que présente la programmation européenne 2021‑2027 ([9]). Cet objectif de signatures avec l’Union européenne se décomposera en 400 millions d’euros en 2024, 450 millions d’euros en 2025 et 450 millions d’euros en 2026.

Ces trois grands axes doivent permettre à Expertise France d’atteindre une cible de chiffre d’affaires fixée par le COM à 537,8 millions d’euros en 2026, et de pérenniser ainsi son modèle économique.

Le COM présente par ailleurs le mérite de prévoir une certaine souplesse puisqu’il inclut un dispositif d’ajustement. Ainsi, si l’évolution des missions, des moyens et de l’environnement institutionnel l’exige, des ajustements pourront intervenir sous forme d’avenants au contrat, le conseil d’administration devant alors être obligatoirement saisi.

B.   dix-huit objectifs assortis d’indicateurs de rÉsultats

Les trois grandes priorités du COM sont déclinées par celui‑ci en dix­‑huit objectifs (contre seize dans le précédent contrat) reproduits dans l’encadré ci‑après. Les dix premiers d’entre eux correspondent à l’exigence de mise au service de la politique d’investissement solidaire et durable. Les objectifs 12 à 15 ont vocation à guider le processus de transformation d’Expertise France. Les objectifs 16 à 18, enfin, matérialisent la volonté de l’agence et de ses tutelles de bâtir une trajectoire financière viable et solide.

Les dix-huit objectifs assignés à Expertise France par le COM 2024-2026

1° Limiter les impacts du changement climatique et agir pour la préservation de la biodiversité et lutter contre les pollutions ;

2° Promouvoir l’égalité de genres ;

3° Renforcer les systèmes de santé et de protection sociale et lutter contre les pandémies ;

4° Agir pour l’éducation universelle, l’enseignement supérieur, la formation et l’insertion professionnelle ;

5° Soutenir les TPE et PME innovantes et favoriser un écosystème entrepreneurial inclusif et durable ;

6° Renforcer la gouvernance démocratique, économique et financière ;

7 ° Améliorer la gestion et la gouvernance des migrations ;

8° Agir pour la paix, la sécurité et la stabilité ;

9° Développer prioritairement l’activité dans les pays les moins avancés et les pays vulnérables et fragiles budgétairement ;

10° Agir pour le nouveau partenariat avec l’Afrique et développer l’activité sur les autres géographies prioritaires de la politique d’investissement solidaire et durable ;

11° Renforcer la mobilisation de l’expertise ;

12° Accroître la présence sur le terrain, au plus près de nos partenaires et bénéficiaires ;

13° Contribuer au renforcement des compétences, à la fidélisation et à la mobilité des collaborateurs ;

14° Assurer une meilleure redevabilité projets et renforcer la responsabilité environnementale de l’agence ;

15° Renforcer les modes de faire et accroître les synergies au sein du groupe AFD ;

16° Définir la trajectoire financière d’Expertise France en cohérence avec la spécificité de son modèle économique ;

17° Renforcer les liens avec l’État ;

18° Renforcer la productivité et l’efficience.

La rapporteure Marine Hamelet souligne le parti pris idéologique du COM 2024-2026 qui se retrouve dans la doctrine d’Expertise France de reconnaître la « théorie du genre » selon laquelle il existe un « genre » différent du sexe biologique. Elle interroge également la pertinence de la hiérarchisation opérée entre les objectifs assignés à Expertise France. La promotion de « l’égalité des genres » figure ainsi en deuxième place des objectifs assignés à l’opérateur, devant les objectifs de renforcement des systèmes de santé ou d’action en faveur de l’éducation universelle.

Les dix‑huit objectifs ainsi fixés à Expertise France sont accompagnés chacun d’un ou de plusieurs indicateurs, exposés dans le tableau suivant. Ces indicateurs sont désormais au nombre de vingt‑trois, contre quinze dans le COM précédent.

Les vingt-trois indicateurs destinés à mesurer les résultats d’Expertise France

N° 1 : Nombre d’institutions publiques locales, nationales et supranationales accompagnées sur le climat, la biodiversité, l’économie circulaire, les produits chimiques, les déchets, l’eau et l’assainissement ou l’énergie qui ont eu pour effet le développement, le renforcement et la mise en œuvre d’une politique publique en faveur de l’environnement et la lutte contre le changement climatique ;

N° 2 : Part du volume financier des nouveaux projets signés qui contribuent aux objectifs environnementaux (marqués CAD1 ou CAD2, marqueurs de Rio de l’OCDE) ;

N° 3 : Part des nouveaux projets signés sur financements français ayant pour objectif principal ou significatif l’égalité de genres (marqués CAD1 ou CAD2 au sens de l’OCDE) ;

N° 4 : Nombre de personnels de santé formés ;

N° 5 : Nombre d’établissements d’enseignement général et d’enseignement technique et de formation professionnelle accompagnés ;

N° 6 : Nombre de TPE/PME africaines soutenues ;

N° 7 : Nombre de structures soutenues en faveur du renforcement de l’État de droit et de la justice, de la promotion des droits humains et de la participation citoyenne ;

N° 8 : Nombre d’institutions publiques accompagnées dans la mobilisation des ressources intérieures ;

N° 9 : Nombre de structures soutenues dans le cadre de projets migration s’inscrivant dans les piliers 2 à 5 de La Valette ;

N° 10 : Nombre de structures soutenues en vue d’assurer la sécurité humaine dans les contextes fragiles au sens de l’OCDE ;

N° 11 : Part du montant des contrats signés sur financements français dans les PMA (pays les moins avancés) et les pays vulnérables et fragiles budgétairement ;

N° 12 : Pourcentage des recrutements qui s’opèrent avec un délai inférieur ou égal à cinq mois entre la « transmission des TDR (termes de référence) par le commanditaire » et la « demande d’ANO (avis de non-objection) par Expertise France » ;

N° 13 : Part du chiffre d’affaires réalisée par des projets dans des pays avec une direction pays d’Expertise France;

N° 14 : Taux de départs volontaires ;

N° 15 : Fourniture du bilan d’activité annuel intégrant la consolidation des indicateurs de résultats et des notations DD de l’activité opérationnelle ;

N° 16 : Production d’un bilan carbone, d’un plan d’actions annuel issu de la trajectoire bas carbone de l’agence et d’un rapport annuel de suivi ;

N° 17 : Volume de signatures entre l’AFD et Expertise France ;

N° 18 : Mise en place sur le triennal d’un cycle d’instruction et de contractualisation simplifié permettant une meilleure maîtrise des frais entre Expertise France et l’AFD ;

N° 19 : Volume de gains au niveau groupe liés aux synergies fonctionnelles et mutualisation ;

N° 20 : Effet de levier du fonds de soutien ;

N° 21 : Marge nette des opérations pour bailleurs tiers ne bénéficiant pas d’un soutien de l’État ;

N° 22 : Nombre de projets en équipe Europe et notamment d’IEE (Initiatives Équipe Europe) prioritaires pour la France, sur lesquels Expertise France a pu se positionner grâce au fonds de cofinancement ;

N° 23 : Ratio charges de structure après refacturation bailleurs /chiffre d’affaires.


III.   De grands axes cohÉrents et des points d’attention

L’analyse du COM 2024‑2026 conduit à en dégager trois grandes caractéristiques. Il s’inscrit d’abord dans le prolongement des directions données, à partir de la réforme de 2021, à l’expertise française et présente à ce titre le mérite de la cohérence. Il prend aussi en compte les actualisations apportées en 2023 par les instances politiques de coordination de la politique de développement. Enfin, il s’efforce d’intégrer les nouveaux enjeux, tant géopolitiques qu’économiques, apparus depuis le dernier COM. Si ces aspects doivent être salués, les rapporteures n’en appellent pas moins l’attention sur un certain nombre de sujets qui nécessiteront une particulière vigilance dans l’application du COM ou dans le cadre de la préparation de la convention suivante.

A.   un contrat prolongeant les acquis antÉrieurs tout en intÉgrant de nouveaux enjeux

1.   Une action inscrite dans le sillage du cadre stratégique antérieur

Le projet de COM 2024‑2026 se situe dans la continuité tant de la loi du 4 août 2021 que du COM précédent (2020-2022), dont il reprend d’ailleurs le plan général en trois parties. L’exécution de ce dernier COM a été jugée particulièrement satisfaisante par les ministères de tutelle. Les directions générales auditionnées par les rapporteures ont souligné en particulier le renforcement de la présence de l’agence dans les géographies prioritaires de l’APD et la réponse effectivement apportée aux demandes de l’État dans les nouvelles zones d’intervention (Amérique latine, zone Indopacifique, Balkans, etc.), ainsi que la contribution apportée à la sécurité et à la stabilisation des pays fragiles.

Le COM 2024-2026 propose ainsi la poursuite de plusieurs politiques structurantes engagées dans le cadre du précédent contrat (montée en puissance du dispositif des experts techniques internationaux (ETI), poursuite des synergies avec le groupe AFD, etc.).

Le COM 2024‑2026 parachève par ailleurs l’intégration d’Expertise France au sein du groupe AFD, apport majeur de la loi de 2021. L’existence de deux COM distincts, l’un pour l’AFD, et l’autre pour Expertise France, est certes maintenue, à juste raison. Leurs métiers demeurent en effet différents, la première étant essentiellement une banque tandis que la seconde apporte de l’expertise qu’elle finance en mobilisant divers bailleurs nationaux ou internationaux. Leurs mandats ne sont pas non plus superposables d’un point de vue géographique. L’existence un COM propre à Expertise France est donc une bonne chose puisqu’elle permet de préserver la spécificité de son activité.

Pour autant, le COM Expertise France 2024‑2026 se devait de prendre en compte l’intégration au sein du groupe, d’autant plus que l’AFD et sa filiale s’efforcent de plus en plus de proposer aux pays partenaires des offres intégrées, combinant par exemple un prêt finançant la construction d’une infrastructure et une coopération technique. Cette prise en compte est chose faite avec le présent COM. Son préambule est ainsi commun à tout le groupe. Son objectif n° 15 tend à « renforcer les modes de faire et accroître les synergies au sein du groupe AFD ». L’indicateur n° 17 fixe, pour le volume de signatures entre l’AFD et Expertise France, une cible supérieure ou égale à 130 millions d’euros en 2024,140 millions d’euros en 2025 et 150 millions d’euros en 2026. Le représentant du ministère de l’Europe et des affaires étrangères a par ailleurs indiqué, lors de son audition, qu’Expertise France devrait figurer dans sept indicateurs du COM AFD 2024-2026.

2.   La prise en compte des orientations politiques fixées en 2023

Si le projet de COM 2024‑2026 se situe dans le prolongement de principes déjà posés, il n’en intègre pas moins les dernières orientations posées tant par le conseil présidentiel du développement (CPD) que par le CICID.

Crée par la loi du 4 août 2021, le conseil présidentiel du développement, qui réunit les principaux ministres concernés sous la présidence du chef de l’État, « prend les décisions stratégiques relatives à la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales ». Lors de sa réunion du 5 mai 2023, il a défini, sur le plan sectoriel, dix nouveaux objectifs politiques prioritaires de la politique d’APD, rebaptisée à cette occasion « stratégie française d’investissement solidaire et durable ». Ces objectifs sont rappelés dans le tableau ci‑après.

Les dix objectifs prioritaires de la stratégie française
d’investissement solidaire et durable

-          Accélérer la sortie du charbon et financer les énergies renouvelables dans les pays en développement et émergents pour limiter le réchauffement climatique global à 1,5 °C ;

-          Protéger les réserves les plus vitales de carbone et de biodiversité, dans les forêts et l’Océan, pour préserver la planète ;

-          Investir dans la jeunesse en soutenant l’éducation et la formation des professeurs dans les pays en développement ;

-          Renforcer la résilience face aux risques sanitaires, y compris les pandémies, en investissant dans les systèmes de santé primaires et en appuyant la formation des soignants dans les pays fragiles ;

-          Promouvoir l’innovation et l’entreprenariat africain qui participent au destin partagé entre les jeunesses d’Europe et d’Afrique ;

-          Mobiliser l’expertise et les financements privés et publics pour les infrastructures stratégiques, de qualité et durables dans les pays en développement ;

-          Renforcer la souveraineté alimentaire, notamment en Afrique ;

-          Soutenir partout les droits humains, la démocratie et lutter contre la désinformation ;

-          Promouvoir les droits des femmes et l’égalité femmes-hommes, notamment en soutenant les organisations féministes et les institutions de promotion des droits des femmes ;

-          Aider nos partenaires à lutter contre les réseaux d’immigration clandestine.

Réuni le 18 juillet 2023, le CICID a fixé plus en détail les orientations découlant des nouveaux objectifs prioritaires. Présidé par le premier ministre, il regroupe les ministres concernés et se réunit au moins une fois par an afin de définir le cadre général des interventions de l’État en matière d’aide au développement, ainsi que l’articulation entre les différentes politiques et les différents acteurs qui y concourent ([10]). Le CICID de juillet 2023 a notamment mis fin à la liste des pays prioritaires de l’aide bilatérale de la France (19 pays) au profit d’une cible fixée à 50 % de l’effort financier bilatéral de l’État vers les pays les moins avancés (PMA). La rapporteure Marine Hamelet déplore le défaut de définition d’une stratégie clairement établie afin de promouvoir les intérêts de la France et l’influence française à travers les projets d’Expertise France. L’opérateur étant financé par le contribuable français et européen, la stratégie française d’aide au développement devrait être entièrement tournée vers la promotion des intérêts de la France.

Les orientations fixées tant par le CPD que par le CICID en 2023 ont bien été reprises par le projet de COM 2024-2026 d’Expertise France, ce qui garantit la cohérence de la politique d’APD. De nouveaux objectifs et indicateurs y ont notamment été introduits par rapport au précédent COM, par exemple sur les migrations et les droits humains. L’objectif n° 7 vise ainsi à « améliorer la gestion et la gouvernance des migrations » ([11]). L’indicateur n° 9 qui accompagne cet objectif porte sur le « nombre de structures soutenues dans le cadre de projets migration s’inscrivant dans les piliers 2 à 5 de La Valette » ([12]). Sur ce point, la rapporteure Marine Hamelet regrette le défaut d’actualisation de la doctrine de l’opérateur en matière de migration. Le contexte migratoire a évolué depuis la tenue du Sommet de La Valette sur la migration de novembre 2015. Le COM reprend une partie du plan d’action issu du Sommet de La Valette, notamment son pilier n°2 (« intensifier la coopération concernant les migrations et la mobilité légales »), notamment en assurant la promotion « des voies légales de migration ». Ces objectifs et cette doctrine idéologique immigrationniste ne correspondent pas aux intérêts de la France et apparaissent en contradiction avec le souhait de l’opinion publique exprimée lors des deux récentes élections. Dans un contexte de crise migratoire, la rapporteure considère que le fait de rester sur une ligne qui tend à considérer qu’il faut améliorer et soutenir les voies légales de migration est irresponsable.

Le projet de COM 2024‑2026 fait par ailleurs référence au « fonds de cofinancement » dont la création a été décidée par le CICID du 18 juillet 2023 en vue de mieux articuler les financements bilatéraux et multilatéraux ([13]).

Eu égard au nombre élevé d’objectifs fixés par le CPD, développés encore et enrichis par les multiples orientations du CICID, la rapporteure Éléonore Caroit regrette que le projet de COM ne contienne pas davantage de précisions sur les priorités choisies parmi ces objectifs pour la période 2024‑2026. Un ciblage plus précis aurait permis d’accroître l’impact et la lisibilité des actions d’Expertise France.

3.   L’intégration des nouveaux enjeux géopolitiques

Le COM 2024‑2026 introduit d’importantes nouveautés, liées en particulier aux évolutions du contexte géopolitique, et donc des priorités françaises en matière internationale. Des références importantes sont ainsi faites à l’Ukraine, références qui étaient naturellement absentes du précédent COM. Le contrat prévoit ainsi qu’ « Expertise France sera mobilisée pour répondre aux conséquences de la guerre d’agression russe, mais également accompagner la reconstruction en Ukraine [et] pourra s’appuyer sur sa présence historique dans les secteurs de la justice, de la gouvernance, de la santé et de la protection sociale ».

Le contrat prend aussi en compte les conséquences indirectes de ce conflit, que ce soit « les conséquences en termes d’insécurité alimentaire et d’inflation découlant de la guerre d’agression menée par la Russie en Ukraine » ou la nécessité d’accompagner les États d’Europe de l’Est désireux de se rapprocher de la France et des autres États membres de l’Union. Comme l’indique le projet de COM, « la guerre menée par la Russie en Ukraine a accentué la priorité française et européenne sur le voisinage esteuropéen, et notamment sur les pays candidats à l’adhésion à l’UE (Macédoine du Nord, Monténégro, Serbie, Albanie, Moldavie et Ukraine), qui devront mettre en œuvre les réformes politiques et économiques nécessaires et se préparer aux droits et obligations qui découlent de l’adhésion à l’UE ».

Des références sont également faites au Liban, aux Territoires palestiniens, à l’Irak, ou encore au Nord Est syrien et au Yémen où la fourniture de services essentiels à la population (gestion de la ressource en eau, développement local agricole, fourniture de services de santé) est qualifiée de priorité. En revanche, le Sahel n’est plus mentionné, compte tenu de l’arrêt de la coopération avec certains États de la région, alors que le COM 2020‑2022 en faisait l’un des « axes géographiques prioritaires » ([14]).

B.   Des points de vigilance

1.   Un Parlement à mieux associer

Les rapporteures déplorent, en matière d’aide publique au développement, une implication ou un respect insuffisants du Parlement de la part du Gouvernement.

En termes de calendrier, le COM du groupe AFD pour la période 2020‑2022 n’avait été transmis à l’Assemblée nationale qu’à la mi‑2021. S’agissant du présent COM d’Expertise France pour 2024-2026, il n’a été transmis aux deux assemblées qu’à la fin du mois de mai 2024. Au moment de sa signature, sa période d’exécution aura donc déjà été entamée d’un bon quart. Le fait pour ce COM de prévoir une application rétroactive au 1er janvier 2024 n’y change rien et paraît même assez curieux puisque le document est censé dresser un cadre pour l’avenir. Quant au COM du groupe AFD pour 2024‑2026, il n’a, à ce jour, toujours pas été transmis au Parlement et rien n’annonce sa communication prochaine. Il aurait pourtant été judicieux que le Parlement puisse examiner simultanément les deux COM, tant ils sont étroitement liés.

Ces retards récurrents de transmission sont particulièrement préoccupants. Ils tendent à priver de sens à la fois la saisine du Parlement pour qu’il donne un avis, prévue par la loi du 27 juillet 2010, et l’élaboration même d’un contrat d’objectifs et de moyens. Il convient de remarquer au passage que l’on passe directement, s’agissant des COM du groupe et de sa filiale, de l’année 2022 à l’année 2024, sans que l’exercice 2023 ne soit couvert ([15]).

Ces transmissions tardives – ou non encore effectuée dans le cas du COM de l’AFD pour 2024-2026 –, s’ajoutent à l’absence de mise en place, trois ans après l’adoption à l’unanimité de la loi du 4 août 2021, de la commission d’évaluation prévue par celle-ci, même si l’on peut nourrir l’espoir qu’elle se concrétise enfin grâce au vote le 5 avril dernier, sous l’impulsion de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, de la loi relative à la mise en place et au fonctionnement de ce nouvel organe ([16]).

L’absence de consultation ou d’implication du Parlement dans la préparation du CPD de mai 2023 et du CICID de juillet 2023, alors que ces instances ont acté des changements significatifs dans la stratégie française d’aide au développement (tels que l’abandon de la liste des dix-neuf pays prioritaires ou le report à 2030 de l’objectif d’atteinte de 0,7 % du revenu national brut consacré à l’APD), n’a fait que renforcer chez de nombreux membres de la commission des affaires étrangères le sentiment qu’ils étaient oubliés ou négligés dans la définition d’une politique à laquelle ils avaient pourtant puissamment contribué en 2021.

Il y a donc d’indéniables progrès à réaliser dans l’association du Parlement à la conception de la politique française d’aide au développement. En ce qui concerne les instances de l’Assemblée nationale, de leur côté, les rapporteures forment le vœu qu’il soit procédé avec diligence à la désignation des députés appelés à siéger, aux côtés de deux sénateurs, au conseil d’administration d’Expertise France, les mandats des premiers ayant en effet pris fin lors du dernier renouvellement.

2.   Une délimitation des compétences à préserver avec CIVIPOL

Active dans la sécurité et la défense, Expertise France intervient même dans des pays en conflit comme le Yémen. Elle est l’une des très rares agences actives dans les zones du Nord-Est syrien non contrôlées par le régime central. Le COM 2024-206 lui assigne, à ce titre, l’objectif (n°8) d’ « agir pour la paix, la sécurité et la stabilité ».

L’attention des rapporteures a été attirée sur ce point car le ministère de l’intérieur dispose encore de son propre opérateur de coopération technique internationale, CIVIPOL, doté d’une mission de service public, et dont les missions paraissent pour le moins se rapprocher de celles décrites par le COM. En effet, sur son site internet, CIVIPOL décrit ses missions de la façon suivante : « CIVIPOL bâtit des coopérations de sécurité avec des États partenaires (…) intervient sur le cadre normatif, met en place une expertise spécialisée (…). L’assistance technique est l’activité centrale de CIVIPOL, financée très majoritairement par les bailleurs de fonds internationaux. Sur le terrain, nos experts représentants des différents métiers du Ministère français de l’Intérieur, coconstruisent, avec les États partenaires, des réponses à des enjeux communs de sécurité intérieure. » ([17])

Les rapporteures ont interrogé les deux ministères de tutelle d’Expertise France sur les risques de chevauchement des missions des deux opérateurs. Les précisions suivantes leur ont été apportées : des arbitrages interministériels sont intervenus en 2018 ; en complément, une convention-cadre de partenariat a été signée en 2019 entre Expertise France et le ministère de l’intérieur. Ils ont permis d’établir une répartition précise des compétences respectives des deux opérateurs, explicitée dans le tableau ci‑après.

Champ d’intervention de CIVIPOL

-          Renseignement ;

-          Lutte contre le terrorisme ;

-          Lutte contre la radicalisation ;

-          Lutte contre le crime organisé ;

-          Cybercriminalité ;

-          Renforcement des forces de sécurité intérieure et appui aux États dans la consolidation de leur système de sécurité intérieure ;

-          Migrations (volet contrôle des flux et lutte contre les réseaux) ;

-          Identité (au travers de l’appui à la consolidation des systèmes d’état‑civil).

Champ d’intervention d’Expertise France

-          Développement tel qu’il est défini dans le relevé de conclusions du CICID (secteurs de l’éducation, de la santé, du développement rural, du développement durable, du travail, de la statistique, etc.) ;

-          Gouvernance, administration territoriale et sécurité civile ;

-          Prévention de la radicalisation (protection des populations vulnérables) ;

-          Migrations dans leur volet développement, défense des droits humains et protection des catégories vulnérables (victimes de la traite, mineurs non accompagnés, femmes) ;

-          Lutte contre les activités illicites en mer et la piraterie maritime ;

-          Projets dont les ministères de la défense et les forces armées des pays tiers sont directement bénéficiaires et ne couvrant pas les problématiques de sécurité intérieure ;

-          Cybersécurité (protection des réseaux informatiques contre les risques malveillants : approche technique, outils techniques de protection des systèmes informatiques).

Les arbitrages rendus en 2018 ont donc permis de clarifier le périmètre d’action des deux opérateurs en faisant intervenir, d’un côté, CIVIPOL sur les thématiques dites « de sécurité dure » (lutte contre le crime organisé, contre le terrorisme et la radicalisation, contrôle des flux migratoires et des frontières, cybercriminalité, renforcement des forces de sécurité intérieure, etc.) et, de l’autre côté, Expertise France sur des thématiques de sécurité au sens large (projets relatifs à la sécurité civile, à l’administration territoriale et à la gouvernance).

En dépit de cette répartition de principe, formalisée dans la convention‑cadre de 2019, les risques de chevauchement subsistent dans les faits. Afin d’assurer une coordination entre les deux opérateurs et de prévenir une concurrence dommageable dans la recherche des financements européens, une communication est prévue à intervalles réguliers (réunion d’un comité technique sur une base trimestrielle), en présence des directions du ministère de l’intérieur chargées du pilotage de son action à l’international et en concertation avec les tutelles d’Expertise France.

En règle générale, le comité technique permet aux deux opérateurs d’intervenir de manière complémentaire sur les projets. En cas de désaccord, un comité de pilotage peut être convoqué pour arbitrage. Le comité de pilotage est co‑présidé par le directeur général d’Expertise France et la directrice de la coopération internationale (DCI) du ministère de l’intérieur. Il se réunit au moins une fois par an. Il rassemble les chefs de secteur d’Expertise France, les tutelles d’Expertise France et le chef de la division des projets et financements multilatéraux et des partenariats de la DCI, ainsi que toutes autres personnes utiles.

Les arbitrages rendus en 2018 ont contribué à la croissance harmonieuse des deux opérateurs, renforçant ainsi le dispositif français de coopération internationale. Les tutelles d’Expertise France et de CIVIPOL se disent très attachées au respect de ces décisions interministérielles et entendent veiller à ce qu’il n’y ait ni chevauchement ni concurrence préjudiciable pour la France. Il est dommage, de ce point de vue, que cette répartition ne se retrouve pas plus clairement dans le COM 2024-2026, qui se contente d’évoquer un simple « partenariat » avec CIVIPOL en matière de migrations.

3.   Un pilotage fort par l’État à maintenir

La gouvernance issue de la loi du 4 août 2021 et des nouveaux statuts approuvés par décret du 30 décembre 2021 ([18]) a dessiné un nouvel équilibre institutionnel pour Expertise France, dans lequel l’actionnaire unique (AFD) et l’État (ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et ministère de l’Europe et des affaires étrangères) sont représentés à parité au conseil d’administration et dans les instances relatives aux projets ([19]). L’État nomme le président du conseil d’administration et dispose d’un droit de veto, via les commissaires du gouvernement, sur les décisions prises par le conseil ([20]).

Les ministères de tutelle ont indiqué aux rapporteures souhaiter maintenir un niveau de dialogue important avec Expertise France, tant dans le cadre du pilotage général de l’activité que dans le cadre de leurs commandes en tant que bailleurs. Telle est aussi la recommandation des rapporteures qui tiennent à insister sur ce point.

Compte tenu en effet de l’importance des sommes mobilisées par les trois entités du groupe AFD, ainsi que de l’impact fortement politique (y compris en matière sécuritaire) des activités réalisées, tant dans la définition de la nature des projets que dans les relations avec les États partenaires ou tiers, il apparaît essentiel que l’État conserve une influence structurante sur Expertise France, tout comme sur l’AFD et Proparco. Ceci est d’autant plus indispensable que les financements directs de l’État à Expertise France sont importants (26 % de son chiffre d’affaires en 2023).

Le maintien de cette influence forte de l’État correspond au demeurant à la volonté très claire exprimée par le législateur en 2021, la loi du 4 août disposant expressément : « Le pilotage de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales est assuré par le Conseil du développement, le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) et les ministres chargés du développement, de l’économie et du budget (…). L’État fixe dans ce cadre les orientations stratégiques et les moyens alloués à l’ensemble des entités du groupe AFD, incluant Expertise France et Proparco. Les activités conduites par les opérateurs s’inscrivent en pleine conformité et cohérence avec les orientations stratégiques et priorités définies par l’État (…). L’État exerce le pilotage politique et prospectif du groupe AFD (…). » ([21]).

Ce point apparaît certes dans le COM, par exemple à l’objectif n° 17 (« Renforcer les liens avec l’État »), mais surtout sous l’angle de la commande publique ou du soutien financier. Si plusieurs développements mentionnent bien la tutelle de l’État et le dialogue stratégique et opérationnel avec les ministères, cette dimension aurait toutefois pu être davantage soulignée dans le contrat.

4.   L’évaluation, un enjeu fondamental à faire vivre

Les tutelles auditionnées par les rapporteures ont insisté, tout comme le directeur général de l’agence, sur les bénéfices apportés à la France par l’activité d’Expertise France, en termes d’influence internationale, de promotion des entreprises françaises, de retombées économiques diverses, de liens noués avec des États partenaires, de défense de nos intérêts à l’étranger face à des puissances concurrentes ou hostiles, de stabilisation de pays qui sont souvent des zones d’émigration vers l’Europe, etc. Le directeur général a également évoqué une contrepartie utile consistant en l’acquisition d’expérience par les experts envoyés sur le terrain et qui, une fois de retour en France, pourront en faire bénéficier leur administration ou leur entreprise. La rapporteure Marine Hamelet tient à préciser que, malgré les interrogations posées aux différentes personnes auditionnées, elle n’est pas parvenue à percevoir de réelle stratégie concernant les bénéfices apportés à la France, ses intérêts et son influence par l’activité d’Expertise France.

Le COM 2024-2026 prévoit certes de nombreux indicateurs de résultats. Il se fixe un objectif (n° 14) d’amélioration de sa « redevabilité ». Son préambule pose le principe d’une présentation annuelle aux tutelles et au conseil d’administration d’un bilan synthétique intégrant les résultats obtenus pour chacun des indicateurs ainsi que des projections pour l’année en cours. Le titre IV du COM stipule que, « au cours de la dernière année de son application, une évaluation de la mise en œuvre du contrat sera effectuée ». Expertise France s’est au demeurant dotée en 2020 d’une nouvelle politique de suivi qui l’amène à évaluer désormais tous ses projets.

Si tous ces outils sont utiles, ils ne comblent pas le besoin de disposer d’évaluations globales sur les bénéfices apportés à la France par les projets réalisés, mis en regard avec les coûts supportés par l’État (commande publique, fonds de soutien, gestion des experts techniques internationaux, etc.). Il est difficile dans ces conditions, pour les parlementaires comme pour les citoyens, d’établir une balance coûts/avantages des différents volets de l’activité d’Expertise France.

La commission d’évaluation de l’aide publique au développement, dont les rapporteures ont déjà souligné l’urgence de la mise en place, pourrait contribuer à combler ce manque. Il appartient aux parlementaires, comme au public, de s’approprier les documents d’information et d’évaluation lorsque ceux‑ci sont mis en place ([22]).

5.   Des financements alternatifs à développer dans un contexte d’incertitude budgétaire

Les rapporteures s’interrogent sur la pérennité du modèle économique original d’Expertise France à l’heure où se profile une diminution des crédits de l’aide publique au développement. Elles rappellent que le décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits a déjà annulé plus de 742 millions d’euros d’autorisations d’engagement et de crédits de paiement pour la mission budgétaire « Aide publique au développement » pour l’exercice 2024. Le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale a indiqué, le 3 septembre dernier, que le budget de l’aide publique au développement devrait connaître l’année prochaine une diminution de 18 %, d’après le tableau de synthèse des plafonds de dépenses transmis par le Gouvernement. La rapporteure Marine Hamelet note que cette prévision d’une diminution de 18 % apparaît en contradiction avec les prévisions d’une hausse de l’activité de l’opérateur ainsi qu’avec son souhait de procéder prochainement à trente embauches par mois et d’augmenter significativement sa masse salariale. Dans un contexte de finances publiques dégradées et au regard des dernières prévisions négatives du ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, une augmentation des dépenses françaises dans la politique d’aide au développement n’est pas responsable, d’autant plus en l’absence d’une stratégie clairement définie de défense des intérêts français à l’étranger.

Il est peu probable que cette diminution de crédits n’ait pas d’impact sur Expertise France. Le COM 2024-2026 semble le reconnaître à demi‑mot puisqu’il prend le soin de préciser dans son préambule que « la plupart des engagements pris au travers du présent COM sont liés à la notification par l’État à Expertise France des crédits de paiement nécessaires à leur tenue ». Il n’existe nulle garantie, par exemple, que l’évolution des autorisations d’engagement et des crédits de paiement du fonds de cofinancement pour les années 2024 à 2026 soit conforme aux chiffres mentionnés dans le COM ([23]).

Dans ce contexte, qui pourrait voir une réduction de la commande publique adressée à Expertise France ainsi que du soutien apporté par l’État, la rapporteure Éléonore Caroit invite l’agence à réfléchir au développement de nouvelles sources de financement, par exemple en sollicitant des États étrangers, en particulier des États membres de l’Union européenne, ne disposant pas d’agence de coopération technique et disposés à cofinancer des projets.

6.   Des enjeux à saisir

La rapporteure Éléonore Caroit tient à souligner la nécessité pour Expertise France, agence encore trop méconnue, d’améliorer sa communication et de rendre plus visible son action. Ceci permettrait notamment de sensibiliser davantage les parlementaires à l’importance des missions remplies par Expertise France, et de montrer ce faisant l’utilité et le bien-fondé du budget de l’aide publique au développement.

La rapporteure Marine Hamelet insiste sur le fait que le contrôle politique des opérateurs du groupe AFD semble aujourd’hui déficient ou trop éloigné de la volonté de défendre les intérêts des Français et l’influence française dans le monde. Elle déplore le manque de prise en compte des remarques effectuées par Mme Michèle Tabarot et M. Bruno Fuchs, rapporteurs de la mission d’information sur les relations entre la France et l’Afrique, dans leur rapport présenté à la commission le 8 novembre 2023 ([24]). Le rapport pointait le manque de pilotage patent du groupe AFD qui semble être complètement libre de ses actions malgré l’encadrement, d’une part, du CICID et, d’autre part, de la conférence d’orientation stratégique et de programmation (COSP). La tutelle bicéphale du ministère en charge des affaires étrangères et du ministère chargé de l’économie aurait favorisé l’autonomisation de l’AFD et l’abandon progressif d’une vision et d’un portage politiques. De même que le pilotage politique d’aide au développement est défectueux, le suivi des actions menées par les opérateurs du groupe AFD, notamment Expertise France, est insuffisant.

La rapporteure Marine Hamelet insiste sur le fait que les dépenses réalisées au Burkina Faso, au Mali ou au Niger n’ont pas empêché le sentiment anti-français de croître. Les différents soulèvements et coups d’États au Sahel témoignent également que les fonds engagés pour la gouvernance des pays ont été en pure perte. Elle tient à préciser que l’application de grands principes onusiens, souvent éloignés des réalités du terrain, est rejetée par les pays et les populations bénéficiaires, notamment en Afrique. De plus, l’action du groupe AFD ne doit pas de substituer à l’action de l’État bénéficiaire, ce qui a parfois pour conséquence l’abandon par les gouvernements de leurs responsabilités, et tend aussi à rendre la France responsable de situations problématiques dont elle n’est pas à l’origine.

En outre, elle note que la politique d’aide au développement, pourtant dotée d’un budget conséquent, peine à s’inscrire dans une stratégie globale de rayonnement et d’influence de la France, au risque de manquer d’efficacité. De plus le type d’aide octroyée par l’AFD s’avère parfois inadapté aux contextes locaux. L’agence finance trop souvent de grands projets d’infrastructures là où nos partenaires africains auraient besoin d’investissement dans la formation ou dans la réalisation de petits projets, pouvant être mis en œuvre rapidement avec des résultats visibles à court terme pour les populations locales.


   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Lors de sa réunion du mercredi 11 septembre 2024, la commission a examiné l’avis sur le projet de contrat d’objectifs et de moyens (COM) d’Expertise France.

M. le président Jean-Noël Barrot. En cette première réunion de notre commission sous la XVIIe législature, je vous souhaite la bienvenue et nous souhaite à tous, collectivement, une bonne reprise. Je tiens à saluer les travaux menés depuis le mois de juillet par plusieurs membres de notre commission, qui ont participé à divers événements internationaux. Pour ma part, j’étais lundi et mardi derniers à Budapest, où j’ai représenté notre commission à la Conférence interparlementaire pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), qui se tient tous les six mois dans le pays qui assure alors la présidence du Conseil de l’Union européenne (UE). Comme je l’avais annoncé aux membres du bureau de notre commission, j’y ai dit combien nous regrettions que le premier ministre hongrois ait, dès les premiers jours de sa présidence, entrepris une série de déplacements sans concertation avec les autres États membres.

Notre réunion d’aujourd’hui intervient dans un contexte un peu particulier, puisque les journées parlementaires de certains groupes se tiennent cette semaine. Malheureusement, nous ne pouvions retarder davantage l’examen d’un avis sur le projet de contrat d’objectifs et de moyens (COM) entre l’État et Expertise France, officiellement notifié à notre Assemblée à la mi-mai et sur lequel le délai de notre saisine est presque épuisé. Il fallait également sans plus attendre désigner nos neuf rapporteurs pour avis sur le projet de loi de finances (PLF) pour 2025.

S’agissant de l’avis de notre commission sur le COM entre l’État et Expertise France pour les années 2024 à 2026, compte tenu des délais légaux qui s’imposent à nous, le bureau a unanimement décidé, lors de sa première réunion le 22 juillet dernier, de proposer la reconduction des deux rapporteures qui avaient déjà engagé leurs travaux sous la précédente législature et devaient initialement présenter leur avis fin juin, à savoir Mmes Éléonore Caroit et Marine Hamelet. Avant qu’elles puissent nous présenter leur rapport, nous devons donc formellement les désigner.

Je constate que la commission valide la proposition faite par le bureau et, avant de passer la parole à nos rapporteures – je vous précise à ce sujet qu’en raison d’impondérables personnels parfaitement compréhensibles, j’ai accepté que Mme Marine Hamelet intervienne ce matin par visioconférence –, je rappellerai brièvement, à titre liminaire, qu’Expertise France est l’agence française de coopération technique internationale. Désormais intégrée au groupe de l’Agence française de développement (AFD), dont nous auditionnerons prochainement le directeur général, cette société par actions simplifiées accomplit des missions d’intérêt public au service de la politique extérieure d’influence et de diplomatie économique de la France. Elle contribue, entre autres, au développement de l’expertise technique internationale et à la maîtrise d’œuvre de projets de coopération sur financements bilatéraux et multilatéraux.

Entendu par notre commission le 27 mars 2024 dans la perspective de l’échéance qui nous réunit aujourd’hui, M. Jérémie Pellet, son directeur général, s’était notamment félicité d’être parvenu à stabiliser le modèle économique d’Expertise France. Il avait aussi indiqué que l’agence, qui ne bénéficie plus de subvention de fonctionnement depuis 2019, est à l’équilibre et se finance sur les marges tirées de ses projets, que le groupe AFD et le ministère de l’Europe et des affaires étrangères financent chacun à hauteur de 25 %.

Je cède à présent la parole aux rapporteures, qui vont vous présenter leur analyse et leurs conclusions.

Mme Éléonore Caroit, rapporteure pour avis. C’est un plaisir de vous retrouver et de vous présenter notre rapport sur le contrat d’objectifs et de moyens entre l’État et Expertise France. L’aide publique au développement est une thématique qui tient particulièrement à cœur à cette commission, qui examine chaque année les avis budgétaires relatifs à ce domaine et auditionne très régulièrement des représentants des différents opérateurs – nous recevrons d’ailleurs prochainement M. Rémy Rioux, directeur général du groupe AFD.

Notre commission, qui avait examiné en 2021 le projet de loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales ayant profondément renouvelé notre conception de l’aide publique au développement, a aujourd’hui pour mission d’examiner les COM du groupe AFD et de sa filiale Expertise France.

Le projet de contrat d’objectifs et de moyens d’Expertise France pour les années 2024 à 2026 nous avait été transmis en mai. L’interruption de nos travaux, indépendante de notre volonté, ne nous a cependant permis d’auditionner que la semaine dernière le directeur général d’Expertise France, ainsi que des représentants du ministère de l’Europe et des affaires étrangères et de la direction générale du Trésor.

Pour bien comprendre ce COM, il est essentiel d’avoir en tête qu’après avoir longtemps pris la forme d’envoi de coopérants placés sous la supervision d’un ministère de la coopération – certains s’en souviendront peut-être –, la politique française de coopération internationale a récemment connu une profonde transformation. En 1998, l’absorption du ministère de la coopération par le ministère chargé des affaires étrangères a fait tomber le nombre de coopérants – encore 30 000 en 1980 – à seulement 4 000. En outre, en 2015, ils n’étaient plus que 500, répartis entre plusieurs petits opérateurs liés à différents ministères.

Pour enrayer ce déclin, il a d’abord été décidé, en 2014, de fusionner six petits organismes de coopération au sein d’un nouvel opérateur unique baptisé « Agence française d’expertise technique internationale ». Puis la loi du 4 août 2021 a prévu l’intégration de cette agence à l’AFD, sous la forme d’une filiale baptisée « Expertise France » et détenue à 100 % par le groupe, et précisé ses missions. Chargée de « la promotion de l’assistance technique et de l’expertise internationale publique françaises à l’étranger sur financements tant bilatéraux que multilatéraux », Expertise France participe à la maîtrise d’œuvre de projets de coopération internationale centrés sur le transfert de savoir-faire dans différents domaines de politique publique.

Pour remplir ses missions, l’agence dispose aujourd’hui de plus de 700 personnes à son siège et du double sur le terrain, dont 277 experts techniques internationaux, les fameux ETI. Ces derniers, qui ont généralement le statut de fonctionnaire – parfois de magistrat – remplissent, pour une durée limitée, une fonction d’appui technique et de conseil, souvent au sein des administrations des États partenaires.

Mme Marine Hamelet, rapporteure pour avis. Merci de me permettre d’intervenir à distance. Je suis désolée de ne pouvoir être présente et j’espère être de nouveau parmi vous dans deux semaines.

L’activité d’Expertise France repose sur un modèle économique original : pour financer ses projets, l’agence mobilise des fonds soit auprès de bailleurs français, comme l’Agence française de développement et les différents ministères, qui participent chacun à hauteur de 25 %, soit auprès d’un bailleur international – l’agence étant accréditée à la gestion déléguée de fonds européens, il s’agit en général de l’Union européenne, qui finance aujourd’hui environ 50 % de son volume d’activités. Un fonds de soutien, financé par l’État, permet d’assurer l’équilibre des projets financés sur fonds européens.

Expertise France intervient dans des domaines diversifiés, au premier rang desquels la paix, la stabilité et la sécurité, mais aussi la santé, la gouvernance et le développement durable. Depuis une dizaine d’années, l’activité de l’agence a quadruplé ; son chiffre d’affaires a augmenté de 43 % entre 2020 et 2022, pour s’élever à près de 390 millions d’euros en 2023, ce qui en fait la deuxième agence européenne en la matière, bien qu’elle reste loin derrière l’agence allemande.

Exerçant une mission de service public, Expertise France est placée sous la double tutelle du ministère de l’Europe et des affaires étrangères et du ministère chargé de l’économie et des finances. C’est à ce titre que, tous les trois ans, un contrat d’objectifs et de moyens est conclu entre elle et l’État.

Le projet de COM pour les années 2024 à 2026, qui fait suite au contrat pour les années 2020 à 2022, s’articule autour de trois grandes priorités.

Tout d’abord, l’agence devra se mettre au service de la politique française d’investissement solidaire et durable, nouveau nom de la politique d’aide publique au développement (APD). Son action devra donc se conformer aux finalités de la politique d’APD définies dans la loi du 4 août 2021, en contribuant à atteindre les objectifs de développement durables (ODD) et en tendant à lutter contre la pauvreté et pour la préservation des biens publics mondiaux.

Ensuite, elle devra accélérer la transformation interne déjà engagée pour moderniser son organisation et conforter son modèle économique. Le COM l’invite à se structurer davantage encore, à décentraliser et déconcentrer son activité et à rendre plus visibles les résultats de son action en renforçant sa communication.

Enfin, Expertise France devra se doter des moyens financiers nécessaires à la croissance de son activité, notamment en mobilisant 1,3 milliard d’euros de crédits européens sur la période 2024‑2026.

Ces trois grands axes, qui doivent permettre à Expertise France d’atteindre en 2026 l’objectif fixé par le COM de 537,8 millions d’euros de « chiffre d’affaires » – un terme qui ne me semble pas du tout approprié et que nous avons conservé uniquement car c’est celui utilisé par Expertise France – et ainsi de pérenniser son modèle économique, sont déclinés en dix-huit objectifs et assortis de vingt-trois indicateurs, que vous pourrez retrouver dans le rapport.

Mme Éléonore Caroit, rapporteure pour avis. J’en viens à l’analyse de ce nouveau cadre, qui nous a permis d’en dégager trois grandes caractéristiques.

Dans le prolongement du précédent contrat et de la réforme de 2021, ce COM propose de poursuivre plusieurs politiques structurantes déjà engagées, comme la montée en puissance du dispositif des experts techniques internationaux, et de parachever l’intégration d’Expertise France au sein du groupe AFD en recherchant des synergies entre les différentes entités du groupe, ce qui me semble une bonne chose.

Par ailleurs, il prend en compte les orientations politiques fixées en 2023, notamment par le conseil présidentiel du développement (CPD) et le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID), qui ont décidé d’évolutions importantes, comme la fixation d’une nouvelle liste de dix objectifs majeurs et la suppression de la liste des dix-neuf pays prioritaires à l’APD.

Enfin, le COM prend en considération les nouveaux développements géopolitiques survenus depuis le précédent contrat. Y figurent ainsi de nombreuses références à l’Ukraine, mais aussi au Liban, aux territoires palestiniens, à l’Irak, au Nord‑Est syrien ou encore au Yémen – la fourniture de services essentiels à la population de ce pays est ainsi désignée comme prioritaire.

Si ces axes clairs et cohérents méritent d’être salués, nous appelons votre attention sur plusieurs points de vigilance – cela ne vous surprendra pas, Mme Hamelet et moi-même ne sommes pas toujours d’accord.

Nous déplorons l’une et l’autre que le Parlement n’ait pas été suffisamment associé à la conception de la politique d’aide au développement. Le COM, dont l’exécution a pourtant commencé début 2024, ne nous a été transmis qu’en mai, soit six mois plus tard : ce n’est pas normal. Surtout, nous n’avons toujours pas reçu celui de l’AFD. Il aurait pourtant été particulièrement judicieux d’examiner conjointement les deux COM. Nous regrettons également, parmi d’autres points détaillés dans le rapport, que la commission d’évaluation de l’APD, instituée par le législateur en 2021, n’ait toujours pas vu le jour, malgré l’adoption, au printemps, d’une proposition de loi relative à la mise en place et au fonctionnement de cette instance. Ce texte avait été déposé par l’ancien président de la commission, M. Jean-Louis Bourlanges, qui était à juste titre monté au créneau.

Autre point important : à la lecture du COM, les compétences d’Expertise France et de CIVIPOL, opérateur du ministère de l’intérieur fournissant une expertise internationale en matière de sécurité, semblent susceptibles de se chevaucher. Ce serait dommage, et nous invitons au respect des arbitrages interministériels rendus en 2018 et 2019 au sujet de la répartition des compétences de ces deux opérateurs.

En outre, conformément au choix fait par le législateur dans la loi du 4 août 2021 et compte tenu de l’importance des sommes mobilisées et des conséquences politiques des activités menées par Expertise France, notamment en matière de sécurité, nous recommandons de veiller à maintenir un pilotage fort de l’État sur cet opérateur et, plus largement, sur le groupe AFD.

J’insisterai également, en mon nom propre cette fois, sur trois autres points d’attention.

Tout d’abord, la multiplicité des objectifs assignés à Expertise France, et plus généralement au groupe AFD, me laisse un peu perplexe. Il me semble que le COM, dont les objectifs prioritaires font l’objet d’une sorte de liste à la Prévert, aurait gagné à faire mieux ressortir les principales priorités, afin de rendre plus lisibles les orientations politiques et d’éviter le risque de dispersion.

En deuxième lieu, compte tenu du contexte d’incertitude budgétaire que nous connaissons et de l’éventuelle réduction de la commande publique adressée à Expertise France, je l’encourage à réfléchir à de nouvelles sources de financement pour honorer ses engagements et je vous invite, chers collègues, à vous battre pour que les budgets attribués à l’aide publique au développement soient maintenus.

Enfin, il me semble qu’Expertise France reste trop méconnue de nos concitoyens et des parlementaires. L’agence gagnerait à améliorer sa communication et à rendre plus visible son action, qui produit des résultats sur la scène internationale, en sensibilisant davantage les parlementaires à l’importance des missions qu’elle remplit et, ce faisant, à l’utilité et au bien-fondé du budget de l’aide publique au développement, que je vous appelle à nouveau à défendre.

Mme Marine Hamelet, rapporteure pour avis. Au-delà des remarques sur lesquelles nous sommes d’accord s’agissant du respect des droits du Parlement, de la répartition des compétences avec CIVIPOL, de l’importance d’assurer un pilotage fort par l’État et de la nécessité de donner toute sa place à l’évaluation – non seulement des projets et des objectifs, mais aussi, plus globalement, des bénéfices apportés par cette politique au regard de son coût pour l’État –, je déplore pour ma part la transmission si tardive du COM, d’autant que la dissolution et le changement de Gouvernement nous imposent désormais de l’examiner dans l’urgence : ce n’est pas normal.

Par ailleurs, si Expertise France ne reçoit pas de subvention de fonctionnement, son modèle économique et financier la rend néanmoins très dépendante du soutien financier de l’État pour parvenir à l’équilibre. Son activité, qui dépend de la commande publique et nécessite le financement d’experts techniques internationaux, pèse donc sur nos comptes publics. Même les financements européens doivent être complétés par le fonds de soutien de l’État pour que les projets concernés atteignent l’équilibre ! Ce fonds de soutien se double désormais d’un fonds de cofinancement, par lequel la France abonde des projets financés par l’Union européenne : c’est une forme de dérive qui me paraît inquiétante, surtout au regard de l’état de nos finances publiques, comme nous le verrons lors de l’examen du budget.

De plus, les priorités et la nature des objectifs fixés dans le COM, sont parfois obsolètes, notamment s’agissant de la gestion des migrations, puisqu’il est fait référence au sommet de La Valette de 2015. Qui pourrait nier que les flux migratoires, qui déstabilisent les pays d’accueil – dont nous sommes – tout comme les pays de départ, constituent un problème particulièrement important ? Pourtant, le COM met ce problème sur un pied d’égalité avec l’objectif de promotion de l’égalité de genres.

Il me semble aussi que les bénéfices apportés à notre pays par l’activité d’Expertise France en termes d’image et d’influence de la France dans le monde sont largement sujets à débat. Alors que l’Afrique concentre 60 % des missions de l’agence, le sentiment anti‑français y domine dans bien des pays, en particulier ceux dans lesquels nous intervenons, comme le Niger et le Mali, ce qui n’est pas sans interroger sur l’utilité de l’aide que nous y apportons et le retour en termes d’image pour la France.

Voilà résumées en peu de mots mes quelques divergences de point de vue avec Éléonore Caroit. Nous sommes à votre disposition pour répondre à vos questions et entrer davantage dans le détail.

M. le président Jean-Noël Barrot.  Je pense que tout le monde souscrira à votre appel à respecter les délais de transmission des COM au Parlement et de l’associer davantage au déploiement des politiques – notamment par la mise en place de la commission d’évaluation de l’APD, tant attendue. J’écrirai dès aujourd’hui au premier ministre pour lui demander de prendre très rapidement le décret d’application de la loi relative à la mise en place et au fonctionnement de la commission d’évaluation de l’aide publique au développement instituée par la loi du 4 août 2021, promulguée il y a déjà près de six mois.

Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Guillaume Bigot (RN). Nous examinons le COM d’Expertise France, qui prévoit, vous l’avez rappelé, une augmentation de près de 50 % de son chiffre d’affaires en l’espace de deux ans, un objectif qui induit de fait une augmentation des dépenses publiques de la France. Chacun sait pourtant dans quelle situation financière inédite et inquiétante se trouve notre pays – le gouvernement démissionnaire prévoyait lui-même, semble-t-il, de réduire de 18 % les crédits alloués à l’aide publique au développement. Premier constat, donc : ce contrat d’objectifs et de moyens n’est pas de saison. Nous n’avons plus les moyens de réparer tous les malheurs du monde.

Deuxième constat : si la volonté de voir Expertise France capter de plus en plus de projets européens, et donc financés par Bruxelles, peut sembler alléger le contribuable – même si nos impôts financent déjà généreusement le budget européen à travers la contribution nette de la France –, les financements européens – Mme Hamelet l’a rappelé – ne couvrent jamais intégralement le coût des projets, impliquant un abondement à travers d’autres fonds de cofinancement. En outre, une telle stratégie emporte d’autres risques, comme celui de voir cette agence française, dont la moitié des activités s’effectue déjà pour le compte de l’Union européenne, se transformer en simple prestataire de services de Bruxelles. Souvenons-nous de l’adage « les payeurs sont toujours les décideurs » ; alors, interrogeons-nous sur le risque de placer de facto le pilotage d’Expertise France sous l’égide de l’Union européenne. Autre danger : invisibiliser davantage encore l’aide publique au développement française, déjà éclipsée, aux yeux des gouvernements et des populations, par l’APD européenne, véritable machin technocratique qui n’a jamais su gagner les cœurs.

Enfin, au-delà du contrat d’objectifs et de moyens qui nous est soumis, interrogeons‑nous sur la possibilité d’examiner l’opportunité de 380 projets menés dans 140 pays. Des projets aussi divers que l’aide à la sortie du charbon, l’amélioration de la gouvernance financière, la protection de la faune, le développement de l’accès aux soins ou la promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes : une vraie « liste à la Prévert » – pour reprendre l’expression utilisée avec justesse par notre collègue Caroit – de projets poursuivant des buts aussi universels qu’incontestables ! Non seulement leur éparpillement géographique et thématique rend leur contrôle démocratique par notre Assemblée techniquement « délicat » – pour user d’un euphémisme – mais, en plus, personne n’entend questionner des objectifs aussi légitimes et incontestables par nature.

Le problème me semble donc ailleurs. Ce COM sert-il la France et les Français ? Viser des objectifs aussi vastes que faire reculer la pauvreté à l’échelle mondiale sert-il la cause de l’aide publique au développement et la coopération Nord-Sud à laquelle notre pays est attaché depuis le début de la Ve République ? Pour ma part, j’ai de sérieuses raisons d’en douter, non par égoïsme, tant s’en faut, mais parce que cette logique multilatérale et presque démiurgique laisse trop peu de place au consentement éclairé de nos concitoyens, mais aussi des peuples et des pays aidés.

Mme Marine Hamelet, rapporteure pour avis. Je partage tout à fait ce que vous venez de dire. Il faut changer de mode de fonctionnement car celui d’aujourd’hui ne met pas suffisamment en valeur la France.

Mme Éléonore Caroit, rapporteure pour avis. Ma vision est radicalement différente. J’insiste sur le fait que 50 % du volume d’activité d’Expertise France est financé par des fonds de l’Union européenne et qu’Expertise France est parfaitement à l’équilibre pour les projets financés par la commande publique française. Je vous invite, à cet égard, à regarder la rigueur budgétaire qui prévaut dans le COM.

Je souligne aussi, sur un plan peut-être plus politique, l’impact que ces financements peuvent avoir non seulement pour les populations concernées mais aussi, in fine, pour notre pays, pour des entreprises françaises, par l’intermédiaire de l’intégration entre Expertise France et Proparco, comme on le voit souvent, et même, plus généralement, pour nos rapports avec les pays dans lesquels nous intervenons. Je reste donc sur ma position, très claire, qui est qu’il faut préserver les budgets d’aide publique au développement car ils ont un impact extrêmement bénéfique, non seulement pour les pays dans lesquels nous intervenons mais aussi pour la France.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet (EPR). Ma question porte sur l’évaluation de l’impact d’Expertise France pour les entreprises françaises et européennes. On a souvent reproché aux appels d’offres de l’AFD, d’une manière peut-être un peu caricaturale, parfois, de profiter davantage aux entreprises chinoises qu’aux entreprises françaises : est-ce avéré ? Je comprends que les équivalents allemands ou japonais d’Expertise France et de l’AFD associent vraiment beaucoup mieux leurs entreprises nationales à leur aide au développement, non pas tant au niveau des appels d’offres que dans la mise en œuvre des projets. C’est là une autre forme de rayonnement économique, qui peut contribuer à l’exportation des savoir-faire et représenter des contrats pour les entreprises françaises.

Mme Éléonore Caroit, rapporteure pour avis. Depuis la loi du 4 août 2021 et l’intégration d’Expertise France au sein du groupe AFD, des efforts ont été menés pour agir dans le cadre de ce qu’on appelle communément « l’équipe France », grâce à une véritable intégration des différentes filiales du groupe AFD et d’autres acteurs français, comme les services économiques des différents postes diplomatiques mais aussi, parfois, Business France et d’autres opérateurs, pour qu’il y ait une forme de convergence. Un dialogue a été établi – c’est l’une des questions que nous avons posées à M. Pellet.

S’agissant de l’équivalent allemand d’Expertise France, la GIZ – société allemande pour la coopération internationale –, les volumes sont incomparables et l’intégration plus forte, c’est vrai. Mais nous sommes maintenant en deuxième position en matière d’expertise internationale en Europe. Une amélioration a eu lieu par rapport au COM précédent et cette question continue à faire partie de la trajectoire et des objectifs prévus dans le nouveau COM. Nous y serons particulièrement attentifs.

Mme Marine Hamelet, rapporteure pour avis. Vous avez mis le doigt sur l’une des failles du système. Il serait normal, dans la mesure où nous fournissons à un pays une étude totalement gratuite pour lui, que nous puissions faire profiter les entreprises françaises des marchés qui suivent. Nous en avons parlé à M. Pellet, le directeur général d’Expertise France ; il nous a répondu que c’était aussi un problème de commande publique, argument que je ne trouve pas forcément convaincant. Il faudrait faire en sorte que chaque expertise réalisée par la France puisse profiter à nos entreprises implantées dans le pays en question.

M. Pierre-Yves Cadalen (LFI-NFP). Même si ce n’est pas à vous, Monsieur le président, mais à Emmanuel Macron que nous devons que cette séance soit présidée par un ministre démissionnaire, la situation n’en est pas moins baroque.

Le rapport que nous examinons est consacré au contrat d’objectifs et de moyens entre l’agence Expertise France, financée à 21 % par les ministères et à 51 % par l’Union européenne, et l’État. Nous en discutons sous la présidence du ministre délégué, démissionnaire, chargé de l’Europe. La situation est d’autant plus ironique que le rapport de nos collègues plaide pour une association plus forte du Parlement par le Gouvernement, objectif que nous partageons.

Il est également ubuesque que le budget ne nous ait pas encore été présenté. Ni la démocratie ni le Parlement n’ont été respectés depuis le 7 juillet. Peut-être l’Élysée pourrait-il solliciter, au lieu des services de McKinsey, ceux d’Expertise France, dont le sixième objectif est de « renforcer la gouvernance démocratique, économique et financière » – nous pourrions ainsi commencer par appliquer nos conseils à nous-mêmes.

S’agissant du budget 2025, Bruno Le Maire a indiqué lundi que la réduction de l’aide publique au développement était l’une des pistes envisagées pour réduire le déficit. Le rapport qui vient de nous être présenté note la contradiction entre une telle évolution et la hausse de l’activité d’Expertise France qui est prévue. Il est, en effet, impossible de faire plus avec moins. La baisse envisagée serait délétère pour l’aide publique au développement et pour les agents qui en dépendent.

Le rapport présente la baisse des dépenses publiques comme une fatalité et non comme une décision politique, ce qu’elle est pourtant. Il préconise donc de mobiliser d’autres sources de financement, notamment en faisant appel à d’autres États. C’est faire preuve d’une imagination débordante, sans limite, pour ne pas avoir à se tourner vers la justice fiscale et le partage des richesses en France.

Nous rappelons notre résolution à appliquer l’objectif déterminé par les Nations unies, à savoir une contribution de la France à hauteur de 0,7 % de son revenu national brut. Notre perspective internationaliste nous conduit à ne pas négliger, face aux défis planétaires et contrairement au Rassemblement national, qui s’est exprimé ce matin en la matière, la question de la coopération internationale. Celle-ci a longtemps permis à la France de mieux connaître des sociétés où prospèrent aujourd’hui d’autres initiatives diplomatiques et elle est décisive pour le développement d’une culture de la paix.

Avez-vous davantage d’informations sur les baisses de dépenses prévues dans le prochain budget ? Les sources alternatives de financement que vous préconisez de mobiliser sont-elles uniquement publiques ou envisagez-vous qu’elles soient privées ? Enfin, pour doter notre pays d’une stratégie claire, dont vous regrettez l’absence, seriez-vous d’accord avec notre groupe pour accroître la tutelle du ministère de l’Europe et des affaires étrangères sur l’AFD ?

Mme Marine Hamelet, rapporteure pour avis. Non, je ne suis évidemment pas favorable à un accroissement de la tutelle.

S’agissant des baisses que vous avez évoquées, je n’ai malheureusement pas plus d’informations mais Mme Caroit en sait peut-être davantage.

Vous avez parlé de « culture de la paix ». Or on voit très bien que des pays que nous avons aidés, par de l’expertise technique, ne sont pas davantage en paix. On peut penser au Niger, par exemple.

Enfin, la baisse des montants de l’aide publique paraît assez logique : il y aura des coupes budgétaires pour tout le monde et il est bien normal que nos aides à l’étranger suivent. On ne peut pas demander des efforts aux Français sans baisser aussi ces budgets ; personnellement, je n’y vois pas d’inconvénient.

Mme Éléonore Caroit, rapporteure pour avis. J’ai, une fois de plus, une vision radicalement opposée à celle du Rassemblement national.

Monsieur Cadalen, la première partie de votre intervention était plutôt un plaidoyer politique et je ne ferai donc pas de commentaire particulier.

Mme Mathilde Panot (LFI-NFP). À l’Assemblée nationale, on fait pourtant de la politique !

Mme Éléonore Caroit, rapporteure pour avis. En l’occurrence, nous examinons un contrat d’objectifs et de moyens, sur lequel nous devons nous prononcer dans des délais contraints dont j’ai dit à quel point je les regrettais.

Le financement d’Expertise France auprès d’autres États se pratique déjà : plusieurs pays le souhaitent, le directeur général d’Expertise France nous en a parlé. Je considère que cela peut compléter un financement qui doit, je l’ai dit, être maintenu.

Quant aux crédits qui seront alloués, nous allons, que je sache, voter les budgets dans les prochaines semaines. Il sera de notre responsabilité, en tant que membres de la commission des affaires étrangères, de nous assurer qu’il n’y aura pas de coupes dans le budget de l’APD : telle est la position que je défends.

Il existe aujourd’hui une double tutelle, de la part de Bercy et du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Pour avoir siégé au conseil d’administration de l’AFD, je pense que cela fonctionne relativement bien, mais je ne serais pas défavorable, à titre personnel, à une clarification. C’est un point qui pourrait faire l’objet d’une recommandation.

M. Alain David (SOC). Ce contrat d’objectifs et de moyens est avant tout la poursuite du processus d’intégration d’Expertise France à l’Agence française de développement. La loi de programmation relative au développement solidaire de 2021 a fait de cette évolution de statut l’une de ses lignes de force et il conviendrait d’évaluer la filialisation réalisée, deux ans et demi après sa mise en œuvre.

Comme vous l’avez souligné, Mesdames, le COM affiche un objectif de progression du chiffre d’affaires, qui devrait atteindre 538 millions d’euros en 2026 et asseoir ainsi la position d’Expertise France comme deuxième agence de coopération technique en Europe. Malgré cette trajectoire ambitieuse, l’écart avec l’opérateur allemand resterait abyssal : ce dernier réalise 4,537 milliards d’euros de chiffre d’affaires.

Je m’interroge également sur l’optimisme de la trajectoire, sachant que les soubresauts géopolitiques ont eu, par exemple, un impact sur les pays du Sahel, qui ont été frappés ces derniers mois par des coups d’État : je pense au Mali, au Niger ou au Burkina Faso. Le sentiment anti-français s’affirme malheureusement un peu partout. Au Proche‑Orient, de nombreux projets sont, par ailleurs, à l’arrêt. Malgré ses incantations, je fais observer au groupe Ensemble pour la République qu’il est au pouvoir depuis sept ans, ce qui est long. Cela aurait pu vous permettre de redresser la barre, d’apporter des améliorations. Vous pratiquez maintenant la danse de la pluie, alors que vous auriez pu être beaucoup plus efficaces au cours des années précédentes.

Notre commission sera particulièrement vigilante dans les prochains mois quant à cet outil majeur du développement et du rayonnement de notre pays dans le monde.

Mme Marine Hamelet, rapporteure pour avis. Je partage une partie de votre analyse, notamment en ce qui concerne le sentiment anti-français qui se développe et l’absence d’action de la majorité pendant sept ans. Le système ne fonctionne pas. Nous avons reçu la liste des projets qui ont été menés et celle des projets à venir mais je ne sais pas si elles ont été transmises aux membres de la commission.

Pour avoir procédé à un examen attentif de cette liste, j’observe, par exemple, qu’il est notamment question d’un laboratoire des droits des femmes en ligne : sur le fond, la défense des droits des femmes ne pose pas de souci, bien sûr, mais pourquoi procéder à des séminaires en ligne dans des pays africains où l’on peine à distribuer de l’électricité à tous les foyers ? J’ai l’impression qu’il y a des éléments, dans les objectifs passés, qui ne correspondent pas à la réalité du terrain. Il faudrait davantage de remontées des populations locales, au lieu d’actions dirigées vers les gouvernants. C’est un mauvais choix qui doit cesser, me semble‑t‑il.

Mme Éléonore Caroit, rapporteure pour avis. Je rappellerai seulement que c’est sous une présidence socialiste qu’Expertise France a été au plus bas niveau, le plus dépouillée de ses moyens, et qu’une progression a eu lieu depuis.

M. François Hollande (SOC). Je vois là qu’il vous faut un coupable expiatoire. C’est un argument bien facile et commode !

Mme Éléonore Caroit, rapporteure pour avis. C’est un constat. Si l’on fait une comparaison avec l’opérateur allemand, le niveau est très différent. Il est effectivement facile de regarder le passé ou de se comparer pour dire qu’on pourrait faire mieux mais cela fait sept ans que les moyens d’Expertise France augmentent.

Au-delà des incantations et de la recherche de responsabilités politiques, il faut commencer par faire en sorte, en tant que parlementaires et membres de la commission des affaires étrangères, que les finances publiques reflètent une volonté de continuer à investir dans l’aide publique au développement. Nous pouvons et, à mon sens, nous devons le faire.

Il faut ensuite regarder très attentivement, et je rejoins là ce qui a été dit précédemment, les projets mis en œuvre, leur impact social. Je pense qu’ils ne se valent pas tous et que l’agence gagnerait à avoir davantage de cohérence en menant des projets plus convergents, ce qui permettrait d’augmenter la force de frappe, les moyens étant contraints.

M. Michel Herbillon (DR). Je remercie nos collègues rapporteures, en souhaitant un prompt rétablissement à Marine Hamelet. Leur travail souligne un certain nombre de difficultés concernant l’action, l’encadrement et le contrôle d’Expertise France.

Sur la forme, vous déplorez à juste titre, chères collègues, un respect insuffisant du Parlement. C’est faire preuve, s’agissant du contrôle de l’aide publique au développement, d’un vrai sens de l’euphémisme. Vous avez indiqué que le COM n’avait été transmis que fin mai, pour une application rétroactive au 1er janvier, ce qui démontre à tout le moins, comme d’habitude, une sorte de mépris pour l’avis du Parlement en amont de la signature de ce contrat. De plus, il aurait été utile que nous puissions étudier en même temps le COM du groupe AFD mais rien, vous l’avez dit, n’indique qu’il sera communiqué prochainement.

Cette situation, hélas, n’est pas nouvelle : nous l’avons dénoncée à de nombreuses reprises dans cette commission. Notre ancien président, Jean-Louis Bourlanges, l’a fait plus souvent qu’à son tour. Il faut arrêter de déplorer cette situation : elle doit changer, parce qu’elle n’est pas admissible. Je forme l’espoir, à la suite de la promulgation de la loi du 5 avril dernier, relative à la mise en place et au fonctionnement de la commission d’évaluation de l’aide publique au développement, que cette instance nous permette enfin d’évaluer la politique menée par la France en la matière. Je salue l’action menée par Jean-Louis Bourlanges, dont la proposition de loi, cosignée alors par le groupe Les Républicains, a été adoptée à l’unanimité par notre Assemblée, tout simplement pour faire respecter les prérogatives du Parlement.

Sur le fond, malgré les outils mis en place, il demeure difficile d’évaluer convenablement l’action d’Expertise France, qu’il s’agisse de la qualité et de l’efficacité des projets ou des résultats, pour la France, en matière d’influence dans le monde.

Par ailleurs, et c’est un point capital, le COM ne tient pas compte de la périlleuse situation budgétaire dans laquelle se trouve notre pays. Le budget de l’APD pourrait connaître l’année prochaine une diminution de 18 %, d’après le tableau de synthèse des plafonds de dépenses qui a été transmis, chère collègue Éléonore Caroit, par le premier ministre que vous souteniez. Il est regrettable que vous n’ayez pas été mieux entendue. Dans le contexte budgétaire actuel et alors que l’on ne connaît pas les priorités du nouveau Gouvernement, on ne peut pas mesurer l’action d’Expertise France.

Le groupe Droite Républicaine votera la publication du rapport mais ne partage pas, pour les raisons que j’ai indiquées, son contenu.

Mme Éléonore Caroit, rapporteure pour avis. Je vous rejoins au sujet de la procédure. Il est très difficile de se prononcer sur un COM dont la temporalité est un peu en décalage par rapport au calendrier budgétaire. Nous indiquons dans le rapport, pour la publication duquel je vous invite tous à voter, que nous regrettons la transmission tardive du COM et la situation dans laquelle nous nous trouvons.

Mme Marine Hamelet, rapporteure pour avis. Je partage la position de M. Herbillon et je m’interroge sur la pertinence de la procédure. Le Sénat n’a pas publié de rapport mais a émis un avis favorable ; nous présentons, quant à nous, un rapport portant une appréciation mais nous n’émettons pas formellement d’avis favorable ou défavorable. Pourquoi ? Cela me semble moins intelligible.

M. Jean-Louis Roumégas (EcoS). Je rejoins M. David en ajoutant peut-être une demande d’évaluation de la transformation des services de coopération en agence. On peut même généraliser la question à Campus France. Notre commission devrait se pencher sur les résultats : je ne suis pas sûr que le bénéfice ait été grand, du point de vue de la qualité du service rendu comme du point de vue budgétaire.

Mme Éléonore Caroit, rapporteure pour avis. Merci pour cette suggestion. L’évaluation des politiques publiques de développement fait partie des attributions de notre commission, qui pourrait, Monsieur le président, si cela intéressait certains collègues, créer une mission d’information ou une mission flash. Cela me semblerait tout à fait pertinent.

Mme Marine Hamelet, rapporteure pour avis. Pourquoi pas une mission flash, en effet. Nous avons posé la question à M. Pellet : il nous a expliqué que cette évolution avait fait suite à une demande de M. Fabius – c’était encore à l’époque des socialistes – dans un souci d’efficacité.

M. François Hollande (SOC). Au tour du président du Conseil constitutionnel de se voir mis en cause à présent !

Mme Marine Hamelet, rapporteure pour avis. Il était le ministre chargé des affaires étrangères à l’époque. Toutes ces évolutions mériteraient en tout cas d’être contrôlées car on peut avoir des doutes.

M. Frédéric Petit (Dem). Merci, chères collègues, pour votre rapport sur un sujet qui, vous le savez, m’est cher. Je voudrais revenir, avant de poser ma question, sur plusieurs points.

Je crois, d’abord, que la réforme lancée par M. Fabius, alors ministre des affaires étrangères, a réussi, même s’il a fallu du temps. Au-delà de l’organisation budgétaire, dont nous parlons systématiquement, la réforme provient de cette vérité du XXIe siècle qui est que la France ne peut plus faire tout, toute seule, dans le monde. Nous avons besoin d’outils qui nous permettent de travailler avec d’autres, pas uniquement parce que cela coûte moins cher mais aussi parce que nous ne sommes plus au temps des colonies : nous devons travailler sur place avec les États concernés, avec des organisations non gouvernementales (ONG) et avec nos entreprises.

Je rappelle aussi, puisque nous avons beaucoup de nouveaux arrivants, quelques chiffres. L’APD – l’aide publique au développement – s’élève à 18 milliards d’euros. Le budget de l’État en la matière est de 4 milliards et sa contribution à Expertise France de 0,1 milliard.

En comparaison, l’Allemagne fait beaucoup plus mais il ne s’agit pas d’un budget d’État, géré par le Bundestag. Par ailleurs, des indicateurs relatifs aux entreprises françaises existent depuis 2021 ; je peux en parler car j’ai siégé avec Mme Caroit au conseil d’administration de l’AFD. Nous avons, en matière d’aide publique au développement, un indicateur de retour pour les entreprises françaises, qui évolue positivement.

Je suis souvent sur le terrain ; je me trouvais ainsi en Ukraine la semaine dernière. Expertise France y a participé à la réfection du théâtre de Tchernihiv, qui avait été bombardé. Il est bon que nous soyons là et cette présence sur le terrain signifie, je l’affirme, des bénéfices futurs pour notre pays.

Les COM sont aussi un sujet qui m’est très cher. Nous avons refusé sous la présidence de Marielle de Sarnez un COM qui nous avait été communiqué dans la dernière année de son application.

M. Michel Herbillon (DR). C’est bien ce qu’il faut faire en pareilles circonstances !

M. Frédéric Petit (Dem). J’appelle de mes vœux, je l’ai souvent dit, un travail de synchronisation, sur plusieurs années ou une législature, de tous les COM soumis à notre commission. Ce n’est pas très difficile – il suffit que les administrations comprennent de quoi il est question – et cela nous permettrait d’avoir, de facto, une espèce de programmation de toute l’activité de notre diplomatie d’influence.

À cet égard, je voudrais savoir, Mesdames les rapporteures, si vous avez eu des échos du futur COM de l’AFD. J’ai vu qu’il existait une introduction commune. D’autres éléments sont-ils déjà harmonisés ?

Mme Éléonore Caroit, rapporteure pour avis. Merci pour les précisions que vous avez apportées et vos remarques, que je partage, concernant l’impact de l’aide publique au développement.

Nous pourrions refuser purement et simplement ce COM qui nous a été transmis avec six mois de retard mais je pense qu’il vaut mieux adopter une attitude constructive en formulant des observations et des recommandations auxquelles nous pourrions peut-être ajouter – j’y serais personnellement assez favorable – votre suggestion d’un examen conjoint des COM. J’ai pour ma part souligné l’absence de vision d’ensemble, le manque de visibilité des priorités, noyées dans une liste assez longue.

Mme Marine Hamelet, rapporteure pour avis. Vous avez dit, M. Petit, que la France ne peut pas tout faire toute seule. Effectivement, mais elle a des ambassadeurs : il faudrait peut-être les associer davantage au choix des expertises à mener. Je rappelle, par ailleurs, que les moyens européens sont aussi français : la France y contribue.

M. Laurent Mazaury (LIOT). Mesdames les rapporteures, je tiens à vous féliciter pour la qualité de votre travail.

Si le projet de contrat d’objectifs et de moyens entre l’État et Expertise France comporte des objectifs essentiels à la bonne mise en place de notre politique d’aide au développement, la question des moyens se pose de toute évidence, tout particulièrement dans une période budgétaire qui s’annonce plus contrainte que jamais. Comme vous le rappelez dans votre rapport, plus de 742 millions d’euros d’autorisations d’engagement et de crédits de paiement de la mission budgétaire Aide publique au développement ont déjà été annulés en début d’année au titre de 2024. Nous nous attendons, de plus, à une diminution de 18 % pour 2025 et il est probable qu’un nouveau « coup de rabot » sera rendu nécessaire par la situation financière du pays. Ces chiffres sont inquiétants : nous devrons rester vigilants dans les prochains mois car de nouvelles adaptations seront très certainement nécessaires.

Je vous rejoins également en ce qui concerne l’association du Parlement pour les questions liées à l’aide publique au développement. Les retards de transmission de documents ou l’absence de consultation du Parlement sur certains changements stratégiques sont regrettables. Il est fondamental d’impliquer davantage le Parlement dans nos politiques d’aide au développement. Cela permettra notamment, j’en suis convaincu, une meilleure accessibilité et une meilleure compréhension de ces sujets pour les citoyens, qui peuvent s’interroger sur les impacts réels et concrets de l’aide au développement.

Je tiens enfin à souligner la place fondamentale que doit avoir la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes dans nos objectifs d’aide publique au développement. La réduction des inégalités contribue, on le sait, au développement et à la stabilité des pays, ainsi qu’à une plus grande paix sociale. Le contexte actuel d’incertitudes budgétaires est d’autant plus inquiétant que les droits des femmes reculent sans cesse dans certains pays, comme on a pu le constater cet été en Afghanistan. Je profite également de cette intervention pour saluer le courage au quotidien des femmes iraniennes et plus globalement de toutes les femmes qui se battent chaque jour dans le monde pour leurs droits, voire pour leur survie.

Mme Éléonore Caroit, rapporteure pour avis. Je vous remercie d’avoir insisté sur la question de l’égalité entre les femmes et les hommes et l’importance des politiques de genre qui sont menées. La conduite d’une diplomatie féministe constitue un objectif, tant au niveau des différents postes que dans le cadre du choix des projets menés.

Par ailleurs, la question de l’égalité entre les femmes et les hommes est inscrite dans les objectifs assignés par le COM – dans la continuité du précédent – et est prise en compte dans les indicateurs qui permettent de mesurer l’impact des différentes politiques. Cet élément est l’une des priorités que j’ai évoquées dans mon propos liminaire ; c’est une bonne chose.

Mme Marine Hamelet, rapporteure pour avis. L’égalité entre les femmes et les hommes est l’une des priorités mais elle n’est pas la priorité absolue, notamment dans certains pays d’Afrique, laquelle représente 60 % de l’activité d’Expertise France. Si nous souhaitons parvenir à l’égalité entre les hommes et les femmes, nous devons définir des actions pertinentes : l’amélioration de la sécurité, sur internet, des femmes qui vivent dans des pays où il n’y a pas d’électricité n’en est pas une. Il est facile d’énoncer des évidences – nous sommes tous en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes – ; encore faut-il que les idées puissent être appliquées.

Par ailleurs, dans les pays où nous effectuons ces expertises, les propositions formulées doivent être pertinentes. En Afrique, il existe un très grand décalage à cet égard. Nous devons chercher à améliorer la situation tout en prenant en compte les particularités et les habitudes sans quoi nos propositions seront vouées à l’échec et ne seront jamais appliquées.

M. le président Jean-Noël Barrot. La sécurité des femmes sur internet ne concerne pas que les pays développés puisque des centaines de milliers – voire des millions – de femmes sont victimes d’infractions qui s’apparentent à la traite d’êtres humains, notamment le commerce en ligne d’images ou de vidéos pornographiques. Je ne suis pas un expert des missions d’Expertise France mais la politique de développement de la France doit contribuer à protéger les femmes concernées.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR).  Lorsque j’ai lu ce rapport, je me suis demandé ce que nous faisions là. Ce COM est celui du précédent gouvernement. Le président de la République a dissous l’Assemblée nationale. En réponse, la grande majorité du peuple français a disqualifié sa politique. Je m’étonne qu’aujourd’hui nous discutions des orientations politiques du président de la République et du précédent gouvernement. Compte tenu du résultat des élections, les rapporteures auraient pu proposer d’amender et d’adapter le COM, en modifiant les objectifs assignés à l’aide au développement. Par exemple, plutôt que de s’attacher à la manière dont celle-ci profite aux entreprises françaises, il conviendrait de s’intéresser à la manière dont elle profite aux peuples, en garantissant leur indépendance – y compris économique – et leur autonomie, et en assurant un accompagnement technologique et financier. Or vos propositions sont de nature bureaucratique.

En quoi nos orientations d’aide publique au développement vont-elles satisfaire les peuples ? Sont-elles différentes et meilleures que les suggestions des pays du groupe des BRICS+ – Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud, récemment élargi à l’Égypte, aux Émirats arabes unis, à l’Éthiopie et l’Iran –, que le travail réalisé par le Sud global, dans le domaine technologique par la Russie ou en matière d’aide financière par la Chine ? Certains pays proches de nous culturellement se détournent de la France – de l’Occident d’une manière générale – pour rejoindre des dispositifs alternatifs. Dès lors, le COM devrait présenter une analyse politique de la situation et proposer des solutions. Or tel n’est pas le cas. Donc sans m’y opposer – car je reconnais le travail accompli –, je ne voterai pas en faveur de la publication d’un rapport obsolète, qui ne correspond plus à la situation politique de notre pays.

Mme Éléonore Caroit, rapporteure pour avis. Nous avons longuement parlé de la procédure et de la transmission tardive de ce contrat d’objectifs et de moyens. Certains ont également évoqué la situation inédite dans laquelle nous nous trouvons. Je suis en désaccord avec vos propos sur un point : l’objectif principal du COM est le renforcement des institutions démocratiques des pays dans lesquels nous intervenons. Parmi les dix-huit objectifs assignés, le premier est la lutte contre les impacts du changement climatique ; le deuxième est l’égalité des genres ; le troisième est le renforcement des systèmes de santé et de protection sociale, et la lutte contre les pandémies. Je doute que vous soyez en désaccord avec ces objectifs.

Certes, il s’agit de la première réunion de la nouvelle législature et je conçois parfaitement que nous versions dans la politique nationale et que nous parlions de la situation dans laquelle nous nous trouvons. À l’Assemblée nationale, nous faisons en effet de la politique mais il est important de nous assurer que l’agence Expertise France ait les moyens nécessaires pour continuer à faire son travail et à mener une politique d’aide au développement ambitieuse, ce qui n’a pas toujours été le cas au cours des sept dernières années – ses moyens viennent néanmoins d’être augmentés. Je vous invite à rester très vigilants à l’association du Parlement à l’avenir dans le cadre de la mise en œuvre concrète et effective de ces orientations.

Mme Marine Hamelet, rapporteure pour avis. Je suis d’accord avec M. Lecoq, une fois n’est pas coutume. Il existe en effet un décalage entre le COM, qui ne tient pas compte de l’avertissement qui vient d’être donné à l’Exécutif à la suite des élections, et les orientations qu’on pourrait envisager.

Cela étant, je n’oppose pas l’intérêt des peuples sur place et celui des entreprises françaises, qui peuvent se rencontrer. C’est ce vers quoi il faut tendre. Pour le reste, ce n’est pas notre rapport qu’il faut critiquer, mais bien le COM entre l’État et Expertise France.

M. le président Jean-Noël Barrot. Nous en venons aux questions posées à titre individuel.

M. Michel Guiniot (RN).  À la lecture de votre rapport, j’ai été saisi par la distance que le Gouvernement semble établir avec la représentation nationale. À la page 19, vous déplorez « en matière d’aide au développement, une implication ou un respect insuffisants du Parlement de la part du Gouvernement », alors qu’il s’agit d’un élément hautement stratégique.

Madame la rapporteure Hamelet, en page 23, vous indiquez ne pas avoir réussi « à percevoir de réelle stratégie concernant les bénéfices apportés à la France, ses intérêts et son influence par l’activité d’Expertise France ». Je vous rejoins sur ce point. Je prendrai pour exemple le partenariat Edifis au Sahel : 150 millions d’euros ont été engagés jusqu'en 2023 pour promouvoir notamment des ateliers sur l’approche transformative du genre et une offre de santé sexuelle et reproductive dans des pays tels que le Burkina Faso, le Mali ou le Niger – trois pays, gouvernés par des islamistes, qui nous rejettent allègrement et condamnent les valeurs que nous défendons. Le projet vise pourtant à promouvoir l’égalité des sexes, l’accès des femmes à un travail décent et la réduction des inégalités dans une zone géographique où elles subissent l’islam, n’ont même pas le droit de sortir de chez elles sans un chaperon et vivent dans des conditions difficiles. Par quels moyens pourrait-on contrôler Expertise France afin de défendre des projets conformes à nos valeurs, promouvant l’égalité des femmes, garantissant leurs libertés et les prenant en considération ?

Mme Marine Hamelet, rapporteure pour avis. Je souscris à ces propos. S’agissant de la manière dont Expertise France pourrait agir, il conviendrait d’inclure davantage la société civile au lieu de toujours s’adresser aux gouvernants, ce qui permettrait d’obtenir des résultats concrets et, par conséquent, d’améliorer réellement l’image de la France.

Mme Éléonore Caroit, rapporteure pour avis. Votre question a permis d’illustrer les grandes divergences de conception qui existent entre nous s’agissant de l’importance que nous accordons à l’égalité entre les femmes et les hommes et à la défense des minorités. Pour des rapporteurs appartenant à des groupes différents, conduire un travail en commun est un exercice difficile.

S’agissant de la manière de travailler, au-delà de l’aspect idéologique de la question posée par notre collègue, il est important d’associer « l’équipe France » et les entreprises françaises lorsque c’est pertinent, ainsi que la société civile, afin que le plus grand nombre possible d’acteurs soient associés aux interventions. Les objectifs doivent être plus clairs : il vaut mieux lancer plusieurs projets qui vont dans le même sens pour avoir un véritable impact plutôt que de multiples petits projets dont on peinera à obtenir l’évaluation.

M. Marc de Fleurian (RN). Le Conseil présidentiel du développement du mois de mai 2023 a fixé l’objectif d’« aider nos partenaires à lutter contre les réseaux d’immigration clandestine » que les rédacteurs d’Expertise France ont traduit par « rendre opérationnelle l’approche "triple gagnant" pour une migration au bénéfice du migrant, du pays d’origine, et du pays d’accueil ». Or ni les habitants de Calais, qui m’ont fait l’honneur de leur confiance et que j’ai pour mission de défendre ici, ni mes camarades centrafricains, tchadiens, ou nigériens aux côtés de qui j’ai servi n’ont jamais considéré que la migration pouvait être gagnante pour quiconque.

Sur le terrain, nous l’avons tous toujours vécu comme un facteur d’appauvrissement, un élément criminogène et un plongeon dans l’anomie sociale et culturelle pour les pays de départ et d’arrivée, comme pour les migrants, même réguliers, et ce de manière ontologique.

Faute contre la lettre, faute contre l’esprit, les rédacteurs indiquent lutter contre la migration illégale en promouvant la migration légale au moyen d’un syllogisme bancal. Ma question s’adresse à Mme Caroit et, plus généralement, à l’ensemble des députés du bloc présidentiel. Soutenez-vous l’orientation donnée par le président de la République au mois de mai 2023 et, en conséquence, demanderez-vous à Expertise France de revoir sa copie ?

Mme Éléonore Caroit, rapporteure pour avis. J’aurais été très surprise que cette réunion s’achève sans que le Rassemblement national ne pose une question sur l’immigration, qui est un peu son obsession. Les objectifs fixés en 2023, énumérés dans le rapport, sont très clairs et traduisent les priorités en matière de développement.

Nous gagnerions à avoir une liste plus courte d’objectifs ciblés. Je suis convaincue que l’investissement dans l’aide publique au développement est vertueux, non seulement pour les populations que nous accompagnons et leur écosystème mais également pour la France et les Français.

M. Marc de Fleurian (RN). Ce n’est pas la question !

Mme Marine Hamelet, rapporteure pour avis.  Je ne partage pas l’avis de ma collègue. On ne peut nier le problème migratoire, qui n’est pas l’obsession du Rassemblement national. Il est au centre des préoccupations des Français et nombre d’entre eux craignent ce phénomène ; on l’a constaté lors des dernières élections.

M. Arnaud Le Gall (LFI-NFP). Des personnes nous écoutent ; si nous pouvons avoir des avis divergents, nous ne sommes pas obligés de raconter n’importe quoi. Au Sahel, ce ne sont pas des islamistes qui dirigent, qui ont pris le pouvoir par des coups d’État : ce sont des juntes militaires qui prétendent, par ailleurs, combattre les islamistes.

Vous avez un problème avec l’immigration de manière ontologique, ce qui est une manière plus polie de dire qu’il y a une incompatibilité entre les races. Mais alors, si l’on prend l’exemple du Sénégal où le nouveau pouvoir essaie de faire de grandes réformes économiques afin d’empêcher que les jeunes ne partent par milliers et ne meurent en mer, pourquoi Mme Le Pen a-t-elle fait des courbettes à Macky Sall, qui était en grande partie responsable de cette situation, plutôt que de soutenir les personnes qui sont arrivées au pouvoir ? Balayez devant votre porte et réfléchissez au lieu de raconter n’importe quoi ; c’est insupportable !

Mme Marine Hamelet, rapporteure pour avis.  Ces provocations ne méritent pas de réponse. Nous sommes réunis pour parler du COM, donc revenons sur le sujet.

M. Frédéric Petit (Dem). J’aimerais éviter un malentendu : Expertise France est un opérateur, ce n’est pas l’État. Ce n’est pas le Gouvernement qui a rédigé le COM. Deux parlementaires, des représentants des maires de France et des représentants de quatre ONG siègent au conseil d’administration d’Expertise France : il y a plus de représentants des ONG que de parlementaires. Cet organisme, qui ne relève ni de l’État ni du secteur privé, associe toutes les forces de la France. C’est la voix de la France, ce n’est pas celle du gouvernement français. Le Parlement doit intervenir car c’est lui qui représente la France.

Ici, tous les députés défendent les intérêts supérieurs et communs de la France ; ils représentent leurs électeurs mais ils ne les défendent pas.

M. Jean-Louis Roumégas (EcoS). La liberté de parole est la règle à l’Assemblée nationale, néanmoins je rejoins les interventions précédentes. On ne peut laisser associer de manière ontologique immigration et criminalité. Il en va de la dignité de cette commission. Nos collègues doivent faire preuve d’une certaine réserve. Nous parlons au nom de la commission ; nous exprimons la voix de la France. Ce type de propos ne devrait pas être tenu dans notre Assemblée.

M. Pierre Cordier (DR). Je siège dans cette commission depuis sept ans. J’ai donc eu l’honneur d’être commissaire sous les présidences de Marielle de Sarnez et de Jean-Louis Bourlanges. Au nom du groupe Droite Républicaine, je souhaiterais que les débats se déroulent de la même manière qu’au cours des sept dernières années. Certaines personnes qui siègent dans cette commission depuis un certain temps pourront en témoigner : nous n’avons pas tous les mêmes convictions ni les mêmes idées mais nous nous sommes toujours respectés. Cela doit rester la règle. Même si nous sommes en désaccord, nous ne devons pas jouer au ping-pong les uns avec les autres. Je vous serais reconnaissant, Monsieur le président, de garantir, au même titre que vos prédécesseurs, un climat serein et respectueux.

M. le président Jean-Noël Barrot. J’invite l’ensemble des membres de la commission à faire preuve de courtoisie, sinon de confraternité parlementaire.

Mme Clémentine Autain (EcoS). Je siège également depuis sept ans dans cette commission : rien ne s’est passé aujourd’hui qui ne s’y soit déjà passé. Il faut distinguer le débat et la confrontation politique, qui font partie de la démocratie et qui sont l’objet même des réunions de commissions à l’Assemblée nationale, de l’absence de respect que vous avez évoquée.

Dire qu’on n’est pas d’accord, qu’on est outré par des propos parfois contraires aux principes républicains ne me paraît pas être de nature à rompre avec la pratique en vigueur au sein de cette commission depuis sept ans. Au contraire, cela permet de la faire vivre, sinon il n'y a pas de démocratie.

M. Pierre Cordier (DR).  On ne vous a pas souvent vue en commission en sept ans !

Mme Clémentine Autain (EcoS). Comparons les taux de présence, Monsieur !

Faire taire les dissensus politiques en arguant du fait que le rapport est technique – et non politique – et émane d’une instance au sein de laquelle siègent toutes les ONG revient à tuer le sens même de cette commission et de la représentation nationale. Donc, faisons de la politique calmement, sereinement, mais en exprimant nos désaccords. C’est cela la démocratie.

M. le président Jean-Noël Barrot. Tous ceux qui ont souhaité s’exprimer ayant pris la parole, j’invite à présent la commission à voter sur la publication du rapport d’information évaluant et, à ce titre, valant avis sur le COM entre l’État et Expertise France pour la période 2024-2026. Je précise qu’au Sénat, aucun rapport n’a été publié, le COM ayant seulement fait l’objet d’un vote favorable. Pour enrichir le travail de nos rapporteures et afin d’expliciter la diversité des positions, les groupes politiques pourront faire annexer une contribution de deux pages explicitant leur appréciation sur ce COM.

Conformément à l’article 145 du Règlement de l’Assemblée nationale, à l’issue des échanges, la commission autorise la publication du rapport d’information qui lui a été présenté.


   ANNEXE :
Liste des personnes auditionnées par les rapporteures

 

— M. Jérémie Pellet, directeur général

— M. Patrick Lachaussée, directeur du pilotage et de la stratégie à la direction générale de la mondialisation

    Mme Shanti Bobin, sous-directrice des affaires financières multilatérales et du développement à la direction générale du Trésor


   CONTRIBUTION PRÉSENTÉE AU NOM DU GROUPE
La France insoumise - Nouveau Front Populaire

 

Ce rapport est consacré au contrat d’objectifs et de moyens entre l’agence Expertise France, financée à 21 % par les ministères et à 51 % par l’Union européenne, et l’État. Nous en discutons dans la Commission des affaires étrangères, sous la présidence d’un ministre démissionnaire et délégué chargé de l’Europe. Cette situation entre en contradiction avec la recommandation, formulée par le rapport, d’un plus grand respect et d’une association plus forte du Parlement de la part du gouvernement, laquelle nous partageons largement.

Nous tenons à noter que nous étudions ce contrat d’objectifs et de moyens alors que le budget ne nous a pas encore été présenté, ce qui ne nous permet pas d’émettre un avis éclairé sur la trajectoire d’accomplissement des objectifs mentionnés. Pour ce budget, Bruno Le Maire a en effet indiqué lundi 9 septembre que la réduction de l’aide publique au développement était l’une des pistes pour réduire le déficit. Le rapport note la contradiction entre cette baisse envisagée et les prévisions d’une hausse de l’activité d’Expertise France : l’augmentation de l’activité ne saurait être compatible avec la baisse des moyens alloués à l’aide publique au développement. Une telle baisse serait délétère pour l’aide publique au développement et pour les agents qui en dépendent, de même qu’elle amplifierait les difficultés de l’agence. Pour rappel, le budget de l’aide publique au développement a déjà été amputé de 742 millions d’euros en 2024.

Plusieurs questions subsistent donc : Quelle sera l’ampleur des baisses de dépenses dans le prochain budget ? Quel impact concret auront-elles sur les effectifs, le fonctionnement et les programmes d’Expertise France ? Cette réduction du budget a-t-elle été prise en compte dans la définition du COM 2024-2026 ? 

Dans ce rapport, la baisse des dépenses publiques est présentée comme une fatalité, et non comme ce qu’elle est, c’est-à-dire une décision politique. C’est pourquoi il préconise la mobilisation plus grande d’autres sources de financement, notamment en faisant appel à d’autres États. Nous tenons au contraire à souligner que cette situation pourrait être évitée en faisant enfin appel à la justice fiscale et au partage des richesses en France.

La France insoumise tient à rappeler sa ferme résolution à appliquer l’objectif déterminé par les Nations unies, celui d’une contribution de la France à hauteur de 0,7 % de son revenu national brut. Notre perspective internationaliste nous conduit en effet à ne pas négliger, face aux défis planétaires, la question de la coopération internationale. Les inégalités entre les pays riches et les pays pauvres ne cessent de se creuser, et l’inégale répartition des effets du changement climatique ne fera qu’amplifier cette dynamique dans les années à venir.

Pour la France, la coopération internationale a longtemps permis de connaître mieux et davantage des sociétés où progressent aujourd’hui d’autres initiatives diplomatiques. Elle est décisive pour le développement d’une culture de la paix, et doit s’organiser avec comme objectif premier le renforcement des droits humains et des souverainetés populaires. Expertise France pourrait être un des instruments d’une politique étrangère ambitieuse de collaboration et d’entraide.

Dans ce but et pour doter le pays d’une stratégie internationale claire, la France insoumise réaffirme son souhait d’accroître la tutelle du ministère de l’Europe et des affaires étrangères sur l’Agence française de développement (AFD). En effet, au-delà d’Expertise France qui ne représente qu’une fraction de l’aide au développement, un problème majeur subsiste dans le manque de cohérence existant dans le financement de l’AFD. L’AFD se base ainsi fortement sur l’utilisation de prêts, ce qui a pour conséquence principale de l’inciter à investir dans des pays à revenus intermédiaires et dans des secteurs potentiellement profitables, au détriment des pays prioritaires. La forte autonomie de l’agence vis-à-vis du Ministère présente deux défauts majeurs : elle la pose tout d’abord en acteur financier davantage qu’en acteur politique, ce qui implique ensuite qu’elle pâtit d’un manque de perspective stratégique claire, laquelle ne pourrait selon nous venir que d’une tutelle renforcée du ministère.

 


   CONTRIBUTION PRÉSENTÉE AU NOM DU GROUPE
Socialistes et apparentés

 

Les Commissaires aux affaires étrangères du Groupe des députés Socialistes et apparentés ont toujours considéré que la coopération technique internationale était l’un des outils de l’influence française dans le monde au même titre que l’ampleur de son réseau diplomatique, que le professionnalisme de ses diplomates, que l’excellence de son audiovisuel extérieur ou que l’attractivité de son réseau éducatif et culturel à l’étranger. Lors de l’examen de la loi de 2021 relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, les Socialistes avaient voté en faveur du texte afin d’acter des avancées obtenues par leurs amendements mais aussi parce que la philosophie générale du projet de loi permettait d’agir plus efficacement contre l’injustice et les inégalités.

Laurence DUMONT avait alors salué l’intégration de son amendement pour l’accès à un état-civil fiable ou ceux relatifs au devoir de vigilance des entreprises et des bailleurs de fonds, à la lutte contre l’accaparement du foncier, à la promotion et au soutien de la Grande muraille verte, à la lutte contre le travail forcé, à la défense du concept d’une seule santé mondiale, à l’introduction de la notion de commerce équitable ou encore au renforcement de la coopération culturelle en Méditerranée et à l’encadrement de l’exportation de nos déchets. Certes il existait des déceptions concernant la portée juridique réelle du texte, sur la transparence réelle et le ciblage de l’aide publique au développement, sur l’information du Parlement, sur la représentativité de celui-ci au sein des instances ou sur la réalité de la programmation, mais le texte allait dans le bon sens.

Sur le sujet précis d’Expertise France, en l’occurrence, le changement de statut de l’Agence française d’expertise technique internationale en une société par actions simplifiée filiale de l’Agence Française de Développement, les députés Socialistes et apparentés avaient validé l’évolution. Cependant, il avait été vivement souhaité que l’opération ne constitue pas une simple réorganisation mais soit assortie d’une ambition accrue. La Sénatrice Marie-Françoise PEROL-DUMONT avait même souligné que l’intégration à l’AFD n’aurait de sens que si elle permettait de préserver les atouts spécifiques d'Expertise France : capacité à contracter avec l'ONU et avec les États au nom de la France, accès aux bailleurs internationaux, rapidité d'intervention et agilité, champ d'intervention géographique et sectoriel large, incluant notamment le continuum sécurité-développement, enfin lien privilégié avec les administrations françaises. L’un des points clé de cette ambition était la restauration d’un volume d’affaires plus important et le comblement par exemple d’une partie du différentiel avec l’opérateur de référence Allemand la GIZ (Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit).

De nombreux rapports parlementaires ont en effet, déploré la baisse du nombre de coopérants et la baisse du nombre d’affaires bénéficiant de l’expertise technique française à l’international. La Sénatrice Hélène CONWAY-MOURET, a récemment émis l’hypothèse que cela pourrait aussi venir du fait qu’auparavant, les conseillers techniques étaient intégrés dans un grand nombre de ministères à l'étranger. Or ces intervenants ont disparu, puisque les prestations d'Expertise France sont payantes. Un travail d’évaluation pourrait donc être utile afin de vérifier qu’elles ne seraient pas trop chères pour certains ce qui amènerait des clients potentiels à se passer de l'expertise française pour des raisons financières.

En tout état de cause, deux ans et demi après la filialisation une évaluation de celle-ci semble également nécessaire. En effet, le Contrat d’Objectifs et de Moyens pour la période 2024-2026 est avant tout marqué par la poursuite de ce processus d’intégration d’Expertise France à l’AFD comme Alain DAVID l’a souligné dans son intervention pour le Groupe des députés Socialistes et apparentés lors de la réunion du 11 septembre 2024. Le COM affiche également un objectif de progression du chiffre d’affaires pour atteindre 537,8 millions d’euros en 2026 et asseoir la position d’Expertise France comme deuxième agence de coopération technique dans le monde. Pourtant, même sur cette trajectoire ambitieuse l’écart avec la GIZ allemande (Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit) resterait abyssal puisque l’opérateur allemand réalise 4,537 milliards d’euros de chiffre d’affaires.

Les députés Socialistes et apparentés interrogent cependant sur l’optimisme de cette trajectoire sachant que les soubresauts géopolitiques impactent forcément les activités d’Expertise France. On peut citer la limitation de son action dans les pays du Sahel ou d’Afrique de l’Ouest frappés par des coups d’État, le Mali, la Guinée, le Niger, le Burkina ou le Gabon où les sentiments anti-français s’affirment malheureusement tandis qu’au Proche-Orient, de nombreux projets sont hélas à l’arrêt.

La Commission des affaires étrangères devra donc être particulièrement vigilante dans les prochains mois afin que cet outil majeur de l’influence française prenne toute sa part dans le rayonnement de notre pays. On constate effectivement que le fameux « soft power » de la France à l’étranger, cette influence mesurée par plusieurs indicateurs et classements internationaux, est en déclin depuis son pic de 2016-2017, après la réussite saluée de la COP 21 en 2015 à Paris. Les députés Socialistes appellent donc à sortir des incantations et rappellent à leurs collègues du groupe Ensemble pour la République qu’ils sont aux responsabilités depuis sept ans, ce qui et particulièrement long. Cela aurait dû permettre d’être plus efficaces. Pour ces raisons et du fait de doutes sérieux sur la crédibilité de l’objectif de progression du chiffre d’affaires d’Expertise France, ils ont émis un vote d’abstention sur le rapport contrasté de Mesdames CAROIT et HAMELET valant avis sur le projet de Contrat d’Objectifs et de Moyens d’Expertise France pour la période 2024-2026.

Pierre PRIBETICH, député de Côte-d’Or – Alain DAVID, député de Gironde, vice-Président de la Commission des affaires étrangères, Olivier FAURE, député de Seine-et-Marne, Dieynaba DIOP, députée des Yvelines, Julien GOKEL, député du Nord, Pascale GOT, député de Gironde, Stéphane HABLOT, député de Meurthe-et-Moselle, François HOLLANDE, député de Corrèze.


   CONTRIBUTION PRÉSENTÉE AU NOM DU GROUPE
Les Démocrates

 

Monsieur le député Frédéric Petit, pour le groupe Les Démocrates

 

L’analyse du projet de contrat d’objectifs et de moyens (COM) entre l’État et Expertise France pour la période 2024-2026 met en lumière la nécessité de travailler à la synchronisation de tous les COM engagés dans l’Action extérieure de la France.

Disposant d’un budget distinct de celui de l’État bien que celui-ci puisse les financer en partie, les cinq COM concernent les opérateurs suivants :

-          l’Agence Française de Développement (AFD), dont le contrat d’objectifs et de moyens avec l’État est actuellement établi sur la période 2023-2025. Elle dispose d’un budget de 1,8 Mds€ et verse généralement des dividendes au budget de l’État (environ 74M€ en 2022) ;

-          l’Agence pour l’enseignement du français à l’étranger (AEFE) dont le contrat d’objectifs et de moyens avec l’État court sur la période 2024-2026. L’agence dispose d’un budget de 1,1Md€, dont 450M€ de subventions directes provenant du budget de l’État, et 110M€ fléchés pour les bourses scolaires provenant du budget de l’État ;

-          Expertise France, avec un contrat d’objectifs et de moyens avec sur la période 2024-2026 et budget de 341M€ ;

-          L’Institut Français, dont le contrat d’objectifs et de moyens avec l’État s’inscrit sur la période 2023-2025 avec un budget d’environ 40M€ pour une subvention de l’État d’environ 30M€ ;

-          Campus France, avec un contrat d’objectifs et de moyens sur la période 2023-2025 et un budget de 27M€ pour une subvention de l’État d’environ 5M€.

Examinés pour avis par la commission des affaires étrangères, le rôle des opérateurs engagés au sein de ces COM pourrait être repensé afin d’en faire un outil de programmation global de l’activité de la diplomatie d’influence française. Cela permettrait plus de coordination et d’efficacité, tout en recouvrant des marges de manœuvre financières dans un contexte budgétaire incertain.

Tous ces COM arrivent à des échéances différentes. Les harmoniser et les rendre simultanés permettrait de mettre en cohérence les stratégies et les objectifs définis pour chaque opérateur, de promouvoir les synergies entre eux et avec les services de l’État tout en disposant d’une programmation pluriannuelle de l’ensemble des moyens qui leur sont alloués. Ces COM pourraient passer à quatre ans et seraient exceptionnellement décalés au cours des trois ans qui viennent, pour correspondre à un mandat parlementaire.

Cette remise à plat viendrait répondre à la nécessité de se projeter, de construire sur le moyen terme, tout en pouvant bénéficier d’un minimum de visibilité pour les acteurs sur le terrain.

 

 


([1]) Loi n° 2014-773 du 7 juillet 2014 d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale.

([2]) Proparco est une société anonyme, filiale de l’AFD, qui a pour mission de financer le secteur privé, et en particulier les petites et moyennes entreprises (PME), dans les pays en développement.

([3]) Nombre d’ETI arrêté au 31 décembre 2023.

([4]) Les marges des projets confiés aux différents opérateurs par l’Union européenne sont fixées par un règlement financier (révisé tous les cinq à sept ans) à un niveau limité, 7 %, ce qui ne les met pas en mesure de couvrir les charges de structure, qui tournent autour de 12 %.

([5]) En 2024, Expertise France bénéficiera de 20,2 millions d’euros d’autorisations d’engagement au titre du fonds de soutien et de 6,5 millions d’euros d’autorisations d’engagement au titre du fonds de cofinancement.

([6]) Arrêté des comptes 2023.

([7]) Titre I du COM.

([8]) Titre II du COM.

([9]) Titre III du COM.

([10]) Aux termes de la loi du 4 août 2021, le CICID « fixe les orientations relatives aux objectifs et aux modalités de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales dans toutes ses composantes bilatérales et multilatérales, veille à la cohérence des priorités géographiques et sectorielles des diverses composantes de la coopération ».

([11]) L’ancien COM n’y consacrait pas un objectif, mais seulement de brefs développements et un indicateur (n° 7).

([12]) Le Sommet de La Valette sur la migration de novembre 2015 (ayant réuni les chefs d’État ou de gouvernement européens et un certain nombre de leurs homologues africains) a défini un plan d’action autour de cinq piliers : 1) s’attaquer aux causes profondes de la migration irrégulière et des déplacements forcés de population, 2) intensifier la coopération concernant les migrations et la mobilité légales, 3) renforcer la protection des migrants et des demandeurs d’asile, 4) prévenir la migration irrégulière, le trafic de migrants et la traite des êtres humains et lutter contre ces phénomènes , 5) coopérer plus étroitement pour améliorer la coopération en matière de retour, de réadmission et de réintégration.

([13]) Cf. supra.

([14]) COM 2020‑2022 d’Expertise France, p. 9.

([15]) Il convient de préciser qu’une lettre d’objectifs adressée par les ministères de tutelle et l’actionnaire unique (AFD) au directeur général d’Expertise France a prolongé les orientations du contrat d’objectifs et de moyens 2020‑2022 pour l’année 2023.

([16]) Loi n° 2024-309 du 5 avril 2024 relative à la mise en place et au fonctionnement de la commission d’évaluation de l’aide publique au développement instituée par la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021.

([17]https://www.civipol.fr/fr

([18]) Décret du 30 décembre 2021 portant approbation des statuts de la société Expertise France.

([19]) Les tutelles participent au comité d’approbation des projets (CAP).

([20]) Article 12.2 des statuts approuvés par décret.

([21]) Cf. Cadre de partenariat global annexé à la loi du 4 août 2021.

([22]) Une base de données ouvertes regroupant les informations relatives à l'aide publique au développement bilatérale et multilatérale de la France a notamment été mise en place par le Gouvernement, en application de l’article 2 (X) de la loi du 4 août 2021 (https://data.aide-developpement.gouv.fr/pages/accueil/). Le Gouvernement produit par ailleurs chaque année un document de politique transversale, annexé au projet de loi de finances, consacré à la politique française en faveur du développement.

([23]) COM 2024‑2026 d’Expertise France, p. 29.

([24]) M. Tabarot et B. Fuchs, Rapport d’information n° 1841, déposé en application de l’article 145 du règlement, par la commission des affaires étrangères, en conclusion des travaux d’une mission d’information sur les relations entre la France et l’Afrique.