N° 537
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 novembre 2024.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION
sur les projets de contrats d’objectifs et de moyens 2024‑2028 de France Télévisions, France Médias Monde, Radio France
et de l’Institut national de l’audiovisuel,
ET PRÉSENTÉ PAR
Mmes CÉline calvez et Sophie taillÉ-polian,
Députées.
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Pages
I. Le mode de financement de l’audiovisuel public : un débat mené à la hâte faute d’anticipation
II. Avant même leur signature, des projets de COM caducs
1. Une première atteinte à la trajectoire financière en 2024
2. Une nouvelle atteinte dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025
B. Une réforme de la gouvernance de l’audiovisuel public en suspens
2. Les projets de COM, prélude au retour de la réforme de l’audiovisuel public ?
III. Observations préliminaires sur les projets de COM
A. Les indicateurs souffrent d’une trop faible précision et d’un manque d’ambition
B. Les rapporteures déplorent l’absence d’éléments sur la situation sociale des entités
3. Mieux encadrer le recours à la publicité par les entités de l’audiovisuel public
IV. Les projets de coopération entre les organismes de l’audiovisuel public
1. Une ambition de longue date qui se matérialise dans les présents projets de COM
2. Les défaillances dans la gouvernance du projet sont les principaux obstacles à son déploiement
3. Des coopérations entre la radio et la télévision encore limitées
C. La coopération des entreprises publiques en matière numérique
3. Le partage d’informations et d’expériences dans le domaine informatique
3. Les outils d’éducation aux médias et à l’information sont amenés à prendre de l’ampleur
V. Le projet de COM 2024-2028 de France Télévisions
1. Une trajectoire financière abaissée dès la première année du COM
2. Le plan d’économies prévu par France Télévisions
B. La transformation numérique du groupe
1. La modernisation de la plateforme France.tv
2. Des investissements conséquents et une refonte de l’organisation du groupe
C. Le soutien à la création audiovisuelle et cinématographique et à la diversité culturelle
2. Les engagements en matière d’offre culturelle
VI. Le projet de COM de Radio France
A. La mise à disposition d’une une offre lisible, accessible et à la pointe des nouveaux usages
1. Le déploiement d’une offre numérique ambitieuse
2. Une offre jeunesse en plein essor
3. Le déploiement du DAB+ se poursuit
1. L’information, pilier de l’offre éditoriale de Radio France
2. Le renforcement de l’offre de proximité
C. Le soutien à la créativité et à la diversité culturelle
1. Un engagement continu en faveur de la diversité culturelle
2. Une mise en avant du spectacle vivant français à renforcer, notamment auprès des plus jeunes
D. Des efforts demandés dans un contexte social en tension
1. Un budget équilibré malgré une trajectoire financière contrainte
2. Une entreprise engagée et innovante dont le climat social est néanmoins dégradé
VII. Le projet de COM de France Médias Monde
A. Une entreprise qui évolue dans un climat social contrasté et un contexte géopolitique dégradé
1. Des audiences en progression, un point de vigilance sur le numérique
B. La transformation numérique du groupe
1. Un retard dans la prise en compte des enjeux numériques
2. Un ambitieux plan de transformation numérique, dont le financement est en question
C. Cultiver la proximité avec les publics : les projets du groupe
1. La poursuite des projets ENTR et Infomigrants
2. Les nouveaux projets de proximité
VIII. Le projet de COM de l’Institut national de l’audiovisuel
A. L’INA ambitionne de devenir le média patrimonial de l’audiovisuel public
2. La modernisation et l’enrichissement des activités d’archivage de l’INA est à poursuivre
C. Une situation financière stable
1. Veiller à adapter l’offre de formation initiale et continue
2. Poursuivre l’ouverture aux mondes de l’éducation et de la recherche
Liste des recommandations des rapporteures
Annexe : liste des personnes entendues par les rapporteures
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L’article 53 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 prévoit que des contrats d’objectifs et de moyens (COM) sont conclus entre l’État, d’une part, et France Télévisions, Radio France, France Médias Monde, Arte-France et l’Institut national de l’audiovisuel (INA), d’autre part, pour une durée comprise entre trois et cinq années civiles. Ces contrats déterminent notamment, pour chaque société ou établissement public, les axes prioritaires de son développement, les engagements pris au titre de la diversité et de l’innovation dans la création, le coût prévisionnel de ses activités pour chaque année concernée, le montant des ressources publiques devant lui être affectées, les perspectives économiques pour les services qui donnent lieu au paiement d’un prix ([1]) et, le cas échéant, les perspectives en matière de retour à l’équilibre financier.
Les COM sont négociés entre chaque organisme de l’audiovisuel public et ses autorités de tutelle (direction générale des médias et des industries culturelles et direction du budget), puis transmis au Parlement ainsi qu’à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). Avant leur signature, les commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat chargées de la culture et des finances peuvent formuler un avis sur ces projets de contrats dans un délai de six semaines à compter de leur transmission.
Par courrier du Premier ministre en date du 18 juin 2024, les projets de COM de France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et de l’Institut national de l’audiovisuel, portant sur la période 2024-2028, ont été transmis au Parlement ([2]). Celui-ci n’était pas en session à cette date, du fait de la dissolution de l’Assemblée nationale intervenue le 9 juin. En l’absence de session extraordinaire en juillet et en septembre 2024, le délai de six semaines prévu par l’article 53 de la loi du 30 septembre 1986 précitée a donc commencé à courir le 1er octobre 2024.
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Dans un contexte de prolifération des fausses informations, de concentration des médias, de bouleversement massif des usages et des comportements audiovisuels des Français, le maintien d’un service public audiovisuel puissant et ambitieux est plus que jamais nécessaire. L’audiovisuel public demeure central dans le paysage audiovisuel français à tous points de vue, d’abord en termes d’audience : ses antennes représentent environ 30 % des audiences en radio et en télévision ([3]). Central du fait de ses audiences, l’audiovisuel public l’est surtout par ses missions de service public – informer, éduquer, divertir, représenter la diversité de la société, soutenir l’exception culturelle française –, qui répondent à de nombreux maux de la société française, parmi lesquels :
– l’affaiblissement de la confiance dans les médias et dans l’indépendance de l’information : comment garantir le droit à une information fiable, honnête et pluraliste, consubstantiel à la qualité du débat démocratique, lorsque le niveau de confiance des Français dans les médias s’effondre ? L’existence d’un audiovisuel public fort constitue un premier élément de réponse : si 40 % de Français estiment que l’appartenance des médias à de grands groupes industriels est une mauvaise chose pour la pluralité d’opinions et la diversité du paysage médiatique, 48 % des Français interrogés pensent que l’existence de l’audiovisuel public sert la pluralité d’opinions, contre seulement 16 % qui pensent qu’elle la dessert ([4]) ;
– la multiplication des fausses informations en ligne, qui mine les conditions d’exercice d’une citoyenneté éclairée. Si la réponse aux campagnes de désinformation, souvent orchestrées par des puissances étrangères, appartient en premier lieu aux pouvoirs publics, l’audiovisuel public a un rôle éminent à jouer en la matière. Il a d’ores et déjà adapté son organisation et son fonctionnement à ce nouveau contexte de guerre informationnelle, l’éducation aux médias et la lutte contre la désinformation ayant été érigées en priorités, avec une part croissante de programmes consacrés à ces enjeux, sur le linéaire comme sur les environnements numériques ;
– la concurrence accrue que subissent les industries culturelles françaises, dans un contexte de délinéarisation croissante des usages et des comportements audiovisuels ([5]), du fait de l’évolution des modes de diffusion (réception de la télévision par protocole internet, téléviseurs connectés, réception de la télévision en internet ouvert, etc.), d’une part, et des moyens financiers massifs dont sont dotées les grandes plateformes extra-européennes ([6]), d’autre part. Ces évolutions rendent plus pertinente que jamais l’obligation, pour le secteur public de la communication audiovisuelle, de proposer une offre diversifiée de programmes dans les domaines de l’information, de la culture, de la connaissance, du divertissement et du sport, ainsi qu’une programmation représentant la diversité de la société française. Par ailleurs, l’audiovisuel public, à travers ses obligations de diffusion en matière culturelle, constitue un instrument de tout premier plan en faveur du maintien de la souveraineté culturelle française.
Les rapporteures réaffirment leur attachement au service public audiovisuel, bien commun dont la raison d’être est de s’adresser à tous les Français, dans leur diversité, sous la tutelle de l’État, du Parlement et du régulateur. La qualité des programmes et de l’information a un coût, de même que le maintien de missions de service public ambitieuses. En particulier, face à la numérisation croissante des comportements audiovisuels des Français, le service public de l’audiovisuel doit investir massivement dans ses environnements numériques, afin de proposer davantage de contenus numériques natifs et améliorer l’expérience de l’usager. Si de nombreux progrès ont été réalisés en ce sens, comme en témoignent certains indicateurs des précédents COM, beaucoup reste à faire : les sociétés de l’audiovisuel public se heurtent à un véritable mur d’investissement.
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En dépit des besoins, l’engagement financier de l’État au profit de l’audiovisuel public apparaît en forte diminution en 2025, alors que la France lui accorde déjà sensiblement moins de moyens que l’Allemagne ou le Royaume-Uni, deux pays à la démographie comparable.
Comparaison des dépenses publiques par habitant consacrées en 2020 et 2022 au budget de fonctionnement de l’audiovisuel public sur les principaux marchés européens
(en euros)
Source : Rapport du comité de pilotage des états généraux de l’information.
Les crédits inscrits dans le projet de loi de finances pour 2025 déposé par le Gouvernement s’établissent à 4 029,16 millions d’euros en autorisations d’engagement (AE) comme en crédits de paiement (CP), soit un montant supérieur de 2,43 millions d’euros à celui ouvert par la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 (4 026,73 millions d’euros) ([7]).
Les trajectoires financières inscrites dans les quatre projets de COM prévoient :
– pour France Télévisions : une progression de 253,5 millions d’euros à horizon 2028 par rapport à 2023 (dont 112 millions d’euros de crédits de transformation versés entre 2024 et 2026) ;
– pour Radio France : une progression de 92,8 millions d’euros à horizon 2028 par rapport à 2023 (dont 37,7 millions d’euros de crédits de transformation versés entre 2024 et 2026) ;
– pour France Médias Monde : une progression de 40,8 millions d’euros à horizon 2028 par rapport à 2023 (dont 11,6 millions d’euros de crédits de transformation versés entre 2024 et 2026) ;
– pour l’Institut national de l’audiovisuel : une progression de 18,8 millions d’euros à horizon 2028 par rapport à 2023 (dont 4,8 millions d’euros de crédits de transformation versés entre 2024 et 2025).
Les rapporteures ont appris, le 28 octobre 2024, que le Gouvernement entendait proposer une nouvelle diminution de la dotation de l’audiovisuel public. Une baisse de crédits de 50 millions d’euros serait ainsi supportée par les entités de l’audiovisuel public en 2025, soit le même montant que celui des annulations de crédits du programme de transformation en 2024 (cf. infra). Le 4 novembre 2024, le Gouvernement a déposé un amendement à la seconde partie du projet de loi de finances pour 2025, qui propose bien une minoration des crédits de l’audiovisuel public de 50 millions d’euros ([8]).
Ainsi, la trajectoire financière inscrite dans les projets de COM n’apparaît pas respectée dès 2024 et ne le serait pas davantage en 2025, puisque le montant total de la dotation aurait dû s’établir à 4 110,67 millions d’euros et qu’il ne serait finalement que de 3 972,2 millions d’euros, soit un recul de 138,47 millions d’euros.
Les rapporteures expriment leur vive préoccupation face à cette situation et rappellent que les organismes de l’audiovisuel public – à l’exception de l’Institut national de l’audiovisuel, qui est un établissement public – sont des entreprises, qui ont besoin de visibilité sur le montant de leurs crédits, afin de planifier leurs investissements et définir leur stratégie. Les projets de COM 2024-2028 ont posé des objectifs ambitieux en matière d’information, de transformation numérique, de proximité, de jeunesse, assortis d’indicateurs dont les cibles devront nécessairement, dans ces circonstances, être révisées. Mme Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles, a notamment confié aux rapporteures que l’audiovisuel public ne serait pas en mesure d’absorber de nouvelles économies budgétaires en 2025 sans que les objectifs qui leur sont assignés soient revus ou, a minima, décalés dans le temps.
S’il appartient au Parlement, en théorie, de se prononcer sur la diminution de crédits proposée en 2025, dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances, le recours probable à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, pourrait le priver de la possibilité d’en décider.
La trajectoire financière inscrite dans les COM semble d’ores et déjà caduque et les rapporteures, bien qu’en accord avec les objectifs assignés aux organismes de l’audiovisuel public, sont contraintes de formuler un avis défavorable. Si les objectifs sont les bons, ils demeurent peu objectivés et insuffisamment précis. Les indicateurs qui y sont associés sont trop peu nombreux et souvent flous, parfois dépourvus de cible ou d’ambition, ce qui ne peut que compromettre le suivi de la bonne mise en œuvre des objectifs, d’autant plus que de trop nombreux projets inscrits dans les projets de COM ne sont pas assortis de calendriers. Enfin, les projets de COM ne comportent plus d’objectifs communs, alors que les projets de coopération entre les organismes de l’audiovisuel public n’ont jamais été aussi nombreux et nécessitent plus que jamais une vision stratégique et une ambition commune.
Quant aux moyens, ils ne sont plus au rendez-vous. Les rapporteures exigent la définition d’une trajectoire financière soutenable pour l’audiovisuel public, en adéquation avec les objectifs fixés dans les projets de COM.
Les rapporteures appellent l’État à faire preuve de davantage de responsabilité s’agissant de ses engagements contractuels et envers les entités de l’audiovisuel public, qui ne peuvent exercer correctement leurs missions quand règne une incertitude permanente. Par ailleurs, elles soulignent que l’Arcom devrait être de nouveau saisie, pour rendre un avis sur la nouvelle trajectoire financière des sociétés de l’audiovisuel public et se prononcer sur ses conséquences ([9]).
Enfin, les rapporteures observent, et regrettent, que l’état du droit ne permette pas au Parlement de jouer un véritable rôle dans l’élaboration et le contrôle de l’exécution des COM. Les rapporteures ont dû examiner ces projets dans un délai extrêmement contraint : le délai de six semaines a commencé à courir le 1er octobre 2024 et le présent avis a été présenté en commission des affaires culturelles et de l’éducation le 6 novembre 2024. Les rapporteures ont ainsi disposé d’à peine plus d’un mois pour entendre l’ensemble des parties prenantes et analyser la situation sociale et financière de chacun des organismes de l’audiovisuel public, leurs grands objectifs stratégiques en matière d’information, de numérique, de proximité, etc., évaluer les moyens associés… cela durant l’examen du projet de loi de finances pour 2025.
En conséquence, les rapporteures invitent le Gouvernement à élaborer, plutôt que de nouveaux projets de COM, une loi de programmation pluriannuelle pour l’audiovisuel public, dont l’examen permettrait au Parlement d’être réellement associé à la définition des objectifs des organismes de l’audiovisuel public et d’objectiver les besoins nécessaires à la bonne mise en œuvre de leurs missions de service public.
Recommandation n° 1 : Élaborer une loi de programmation pluriannuelle pour l’audiovisuel public, définissant ses objectifs stratégiques et une trajectoire financière soutenable compatible avec les exigences du règlement européen sur la liberté des médias.
Recommandation n° 2 de la rapporteure Céline Calvez : Le cas échéant, inscrire les dispositions relatives à l’évolution de l’organisation et de la gouvernance de l’audiovisuel public dans la loi de programmation pluriannuelle pour l’audiovisuel public.
I. Le mode de financement de l’audiovisuel public : un débat mené à la hâte faute d’anticipation
Les rapporteures ne peuvent se prononcer sur les objectifs fixés aux sociétés de l’audiovisuel public, ainsi que sur les moyens qui leur sont dévolus pour les atteindre, sans aborder la question du mode de financement de ces sociétés. Cette problématique a d’ailleurs été largement soulevée par de très nombreux interlocuteurs rencontrés par les rapporteures dans le cadre de leurs travaux. Tous ont exprimé leur crainte de voir le financement de l’audiovisuel public budgétisé, ce mode de financement étant jugé, pour des raisons essentiellement symboliques, attentatoire à son indépendance. L’enjeu est particulièrement saillant s’agissant de France Médias Monde, qui diffuse ses contenus dans le monde entier et ne peut se permettre d’être perçu comme un « média d’État ». Mme Anne Cantener et M. Grégory Lesca, membres de la société des journalistes de Radio France internationale (RFI), ont ainsi rappelé lors de leurs échanges avec les rapporteures que RFI avait failli perdre, en 2023, sa fréquence à Berlin du fait de la suppression de la contribution à l’audiovisuel public. Selon Mme Marie-Christine Saragosse, présidente-directrice générale de France Médias Monde, cette suppression avait été perçue par l’Autorité de régulation des médias de la région Berlin-Brandebourg comme une atteinte potentielle à l’indépendance de RFI. Cette mise en cause du partenaire européen historique de la France ne pourra que conforter les puissances étrangères hostiles à cette dernière, qui nient l’indépendance de France Médias Monde.
Le débat en cours au Parlement a lieu dans l’urgence, faute d’anticipation. Au vu de l’importance de l’enjeu pour les sociétés de l’audiovisuel public et leur indépendance, « laquelle concourt à la mise en œuvre de la liberté de communication » ([10]), les rapporteures regrettent cette situation mais espèrent voir aboutir dans les prochaines semaines une solution pérenne.
A. Le système de financement mis en place en 2022 ne peut rester en l’état sans révision de la loi organique relative aux lois de finances
Depuis la suppression de la contribution à l’audiovisuel public (CAP) à l’été 2022, le service public audiovisuel est financé par un montant du produit de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), déterminé chaque année en loi de finances ([11]).
À compter de 2025, l’affectation à l’audiovisuel public d’une fraction de TVA sera incompatible avec l’article 2 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) ([12]), qui encadre la possibilité pour le législateur d’affecter des impositions de toutes natures établies au profit de l’État à un organisme public tiers (autre que les organismes de sécurité sociale et les collectivités territoriales). À droit organique constant, il n’est pas possible de maintenir ce mode de financement et, à défaut de réforme de la Lolf ou de réintroduction d’une taxe affectée en lien avec les missions de service public de l’audiovisuel public – cette condition était remplie par l’ancienne contribution à l’audiovisuel public – celui-ci serait financé par des crédits budgétaires, comme le prévoit le projet de loi de finances déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 10 octobre 2024.
Le 10 juillet 2024, M. Cédric Vial et plusieurs sénateurs ont déposé une proposition de loi organique portant réforme du financement de l’audiovisuel public ([13]). Ce texte, qui modifie l’article 2 de la Lolf afin d’autoriser l’affectation aux organismes du secteur public de la communication audiovisuelle d’une imposition de toute nature, permettrait de pérenniser l’actuel mode de financement de l’audiovisuel public par un montant de TVA. Adopté le 23 octobre 2024 par la Haute Assemblée, le texte a été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale et devrait être examiné en séance publique le 19 novembre 2024.
Plusieurs autres modes de financement avaient été proposés, notamment par la députée Constance Le Grip, qui a déposé, le 20 juillet 2024, une proposition de loi organique relative à l’extension des prélèvements sur les recettes de l’État au profit des organismes du secteur audiovisuel public. Ce texte proposait de modifier l’article 6 de la Lolf, afin de financer l’audiovisuel public par des prélèvements sur les recettes de l’État, dont peuvent seules bénéficier les collectivités territoriales et l’Union européenne.
La rapporteure Céline Calvez soutient la proposition de loi organique sénatoriale visant à affecter durablement aux organismes de l’audiovisuel public un montant de TVA. La rapporteure Sophie Taillé-Polian, quant à elle, considère que le temps presse et que l’urgence, à ce jour, est d’éviter la budgétisation du financement de l’audiovisuel public. Elle rappelle son opposition, exprimée en 2022 et depuis lors, à la suppression de la CAP. Elle a ainsi déposé un amendement à la première partie du projet de loi de finances pour 2025, proposant la création d’une nouvelle contribution progressive au financement de l’audiovisuel public, juste, proportionnelle et adossée à l’impôt sur le revenu ([14]). Les foyers dont le revenu fiscal de référence est inférieur à 17 820 euros seraient ainsi exemptés du paiement de la contribution, et le montant de celle-ci s’établirait de 30 euros à 220 euros pour les foyers les plus aisés. Selon la rapporteure Sophie Taillé-Polian, les Français doivent contribuer directement au financement de l’audiovisuel public, à proportion de leurs moyens, afin de donner aux organismes les moyens de fonctionner correctement, ce qui n’est pas le cas actuellement.
La rapporteure Céline Calvez rejoint la position exprimée par le Sénat sur l’absence de garantie supplémentaire apportée par les prélèvements sur recettes, par rapport à l’affectation d’un montant de TVA. En effet, le montant d’un prélèvement sur recettes peut être minoré en loi de finances, de la même façon qu’un montant de taxe affectée, en raison du principe d’annualité budgétaire. La rapporteure Sophie Taillé-Polian considère que l’instauration d’un prélèvement sur recettes pourrait constituer, au moins symboliquement et temporairement, une solution encore plus protectrice pour l’indépendance de l’audiovisuel public que l’affectation d’un montant de TVA. En effet, une telle option reviendrait à placer le financement de l’audiovisuel public au même niveau que celui de l’Union européenne et des collectivités territoriales. En conséquence, la rapporteure Sophie Taillé-Polian souhaite que cette hypothèse soit sérieusement évaluée par la commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi organique portant réforme du financement de l’audiovisuel public, dans le cas où la réintroduction d’une taxe affectée en lien avec les missions de service public de l’audiovisuel public ne serait pas retenue dans la première partie du projet de loi de finances pour 2025.
Les débats sur les modalités techniques de financement de l’audiovisuel public – nouvelle ressource fiscale affectée, budgétisation, prélèvement sur recettes ou affectation d’un montant de TVA – ne doivent pas conduire à une confusion entre le mode de financement de l’audiovisuel public et le montant de leurs ressources, fixé chaque année par le Parlement conformément au principe d’annualité budgétaire. Comme l’a rappelé le rapporteur du Sénat Jean-Raymond Hugonet : « le principe constitutionnel d’annualité budgétaire implique que le Parlement vote annuellement le montant des ressources accordées aux sociétés d’audiovisuel public : il n’est pas possible d’envisager une trajectoire pluriannuelle contraignante sans révision constitutionnelle. Quel que soit le mode de financement envisagé, le montant accordé chaque année à l’audiovisuel public pourra être révisé à la hausse ou à la baisse lors de son examen au Parlement. » ([15])
Le principe d’annualité budgétaire découle de l’article 47 de la Constitution, qui prévoit que le Parlement vote un projet de loi de finances pour chaque exercice budgétaire, c’est-à-dire chaque année. Or l’impossibilité de déterminer une trajectoire financière pluriannuelle contraignante nuit à la visibilité des organismes de l’audiovisuel public, qui évoluent pourtant dans un contexte extrêmement concurrentiel. Si cette contrainte constitutionnelle ne peut être levée, elle peut cependant être assouplie en inscrivant la trajectoire budgétaire des organismes de l’audiovisuel public dans la loi de programmation des finances publiques, d’une part, et en versant à ces organismes, en début d’exercice budgétaire et en une seule fois, les crédits ouverts en loi de finances.
B. Les rapporteures appellent à donner davantage de visibilité aux organismes de l’audiovisuel public sur leur trajectoire financière
Depuis l’adoption du règlement européen sur la liberté des médias, les États membres de l’Union européenne doivent veiller à ce que leurs médias de service public « disposent de ressources financières suffisantes, durables et prévisibles correspondant à l’accomplissement de leur mission de service public et leur permettant de se développer dans le cadre de celle-ci » ([16]). Ces principes apparaissent particulièrement bien mis en œuvre en Allemagne, où l’indépendance financière de l’audiovisuel public est garantie par l’existence d’une commission pour l’évaluation des besoins financiers des radiodiffuseurs (KEF) ([17]), dont les missions et l’indépendance sont protégées par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe. Cette commission, dotée d’un collège de seize membres et dont la compétence technique est reconnue, inscrit son travail d’évaluation dans un horizon pluriannuel, puisqu’elle se prononce sur le taux de la redevance audiovisuelle allemande tous les quatre ans et publie un rapport intermédiaire au bout de deux ans, afin de réévaluer les prévisions ou d’identifier de nouveaux besoins financiers. Dans leur rapport de juin 2022 sur la réforme du financement de l’audiovisuel public, l’inspection générale des finances et l’inspection générale des affaires culturelles avaient recommandé que la France s’inspire de ce dispositif, en inscrivant « dans la Lolf la création d’une commission technique indépendante chargée d’expertiser les besoins financiers des sociétés d’audiovisuel public et l’adéquation à leurs missions. Les missions de la commission seraient les suivantes : valider la définition des besoins de façon pluriannuelle sur la période des COM, réaliser un bilan d’exécution du COM à mi-parcours, et délivrer un avis public au cas où le Gouvernement déciderait de s’écarter de la trajectoire des COM en cours d’exécution » ([18]).
La rapporteure Sophie Taillé-Polian est très favorable à cette proposition, qui doit être prise en compte dans l’actuel processus de révision de la Lolf. Elle constituerait une importante garantie de l’indépendance financière de l’audiovisuel public, en ce qu’elle forcerait le Gouvernement à justifier, le cas échéant, l’attribution d’une dotation budgétaire inférieure aux besoins constatés par la commission technique indépendante.
La rapporteure Céline Calvez considère qu’il revient d’abord au Parlement, seul organe habilité par la Constitution à autoriser les dépenses de l’État, d’évaluer les besoins financiers de l’audiovisuel public. Pour ce faire, le Parlement doit être pleinement associé à la construction de la trajectoire budgétaire des organismes de l’audiovisuel public, à travers une association plus étroite à l’élaboration des COM et via l’examen de la loi de programmation pluriannuelle de l’audiovisuel public qu’elle appelle de ses vœux.
Le considérant n° 31 du règlement européen sur la liberté des médias précise la portée de son article 5 précité : les procédures de financement des médias de service public « garantissent des ressources financières suffisantes et stables pour l’accomplissement de leur mission de service public, assurent la prévisibilité de leurs processus de planification et leur permettent de se développer dans le cadre de leur mission de service public. Ce financement devrait être déterminé et alloué, de préférence, sur une base pluriannuelle, conformément à la mission de service public des fournisseurs de médias de service public, afin d’éviter les risques d’influence indue liés à des négociations budgétaires annuelles ».
Le règlement européen ne contraint pas les États membres à fixer une trajectoire de financement pluriannuelle, mais il les y incite fortement. Si les COM fixent une telle trajectoire, celle-ci n’est pas à proprement parler contraignante. Les COM ont une faible portée normative et leurs stipulations peuvent être remises en cause par les lois de finances. Les représentants de la huitième sous-direction de la direction du budget ont considéré auprès des rapporteures que les COM constituaient une forme d’engagement des sociétés de l’audiovisuel public vis-à-vis de l’État et du Parlement. En cas de non-respect de leurs objectifs et engagements, l’État actionnaire peut le signaler aux conseils d’administration, mais aucun dispositif de sanction n’est prévu par la loi. Selon les rapporteures, les COM doivent également constituer un engagement de l’État vis-à-vis des sociétés de l’audiovisuel public, ce qui n’est pas suffisamment le cas aujourd’hui.
S’il ne semble pas envisageable de fixer une trajectoire pluriannuelle contraignante – ce qui nécessiterait une révision de la Constitution – les rapporteures jugeraient utile d’inscrire une telle trajectoire dans les lois de programmation des finances publiques, comme le rapport de mission précité de l’inspection générale des finances et de l’inspection générale des affaires culturelles l’avait proposé en 2022. Si les dispositions de la loi de programmation des finances publiques ne s’imposent pas à celles des lois de finances, l’inscription d’une trajectoire financière de l’audiovisuel public dans la première présenterait le mérite de rendre, politiquement parlant, plus difficile la baisse des crédits versés à l’audiovisuel public.
En outre, les rapporteures proposent d’introduire dans la loi une nouvelle mesure de prévention contre la régulation budgétaire infra-annuelle. Lorsque le Gouvernement avait présenté, en 2022, un projet de loi de finances rectificative supprimant la CAP, une budgétisation du financement de l’audiovisuel public avait été proposée. Une disposition prévoyait alors le versement des crédits budgétaires en une seule fois, en début d’exercice, afin de protéger l’audiovisuel public contre toute régulation budgétaire infra-annuelle. Cette disposition n’avait pas été maintenue dans le texte définitif ([19]), puisque l’option du financement de l’audiovisuel public par une fraction de TVA avait été décidée par le Parlement.
Le principal avantage de la pérennisation de l’actuel mode de financement, qui maintiendrait le recours à un compte de concours financier ([20]), réside dans la difficulté, pour le Gouvernement, de mettre en place une régulation budgétaire infra-annuelle. En effet, les crédits des comptes de concours financier ne sont pas concernés par la réserve de précaution ([21]). La mise en place de mesures de régulation infra-annuelles est cependant possible, comme en témoignent les annulations de crédits décidées en février 2024. Mme Carole Anselin, sous-directrice de la huitième sous-direction du budget, a confirmé lors de son audition que rien n’interdisait, en pratique, d’annuler en cours d’exercice des crédits consacrés à l’audiovisuel public, en dépit de l’origine fiscale de la ressource.
Par conséquent, les rapporteures proposent que soient versés en une seule fois les crédits inscrits en loi de finances aux organismes de l’audiovisuel public, plutôt que sous la forme de mensualités ([22]). De la sorte, les crédits ouverts ne pourraient plus être annulés. De plus, un tel système aurait pour mérite de limiter les tensions qui pèsent sur la trésorerie des organismes de l’audiovisuel public ([23]).
Recommandation n° 3 : En début d’exercice budgétaire, verser en une seule fois aux organismes de l’audiovisuel public les crédits ouverts en loi de finances.
Enfin, les rapporteures regrettent la mauvaise gestion par le Gouvernement des crédits de transformation. Selon la rapporteure Sophie Taillé-Polian, la mise en place de ces crédits s’apparente à une forme non assumée et insidieuse de régulation infra-annuelle, qu’elle souhaite voir disparaître. En conséquence, elle propose de mettre fin à ce programme budgétaire – un outil de gestion comptable bien plus qu’un instrument de transformation de l’audiovisuel public – et de regrouper l’ensemble de ses crédits dans les dotations « socle » des organismes de l’audiovisuel public ([24]). La rapporteure Céline Calvez est favorable au versement de crédits de transformation, utiles pour initier des projets de coopération entre les entreprises de l’audiovisuel public, plus que jamais nécessaires, ainsi que l’ont démontré, en 2023, les conclusions de la mission d’information relative à l’avenir de l’audiovisuel public, dont elle était membre ([25]). En particulier, ces crédits pourraient logiquement servir à financer la présidence commune des sociétés de l’audiovisuel public, dans le cadre d’une réforme de leur gouvernance. Si les crédits de transformation sont conditionnés à la conduite de projets de coopération, il est nécessaire d’instituer une autorité en capacité d’apprécier la bonne mise en œuvre de ces projets et l’atteinte de leurs objectifs (cf. infra). Dans l’attente de la reprise de la réforme de la gouvernance de l’audiovisuel public, les projets de COM devraient détailler précisément les projets financés par les crédits de transformation, afin de garantir la bonne information du Parlement et de ne pas préjuger de la décision de celui-ci : dans l’hypothèse d’un retour à l’ordre du jour de la proposition de loi dite Lafon ([26]), rien ne garantit son adoption par le Parlement ; le Gouvernement ne saurait la présumer.
Recommandation n° 4 de la rapporteure Céline Calvez : Maintenir les crédits de transformation, mieux garantir leur versement et décrire précisément dans les COM les projets financés par ces crédits, notamment en réintroduisant des jalons dans leur mise en œuvre.
Recommandation n° 5 de la rapporteure Sophie Taillé-Polian : Basculer les crédits du programme 383 Programme de transformation du projet de loi de finances dans les programmes finançant les organismes de l’audiovisuel public.
II. Avant même leur signature, des projets de COM caducs
Le processus d’élaboration des projets de COM a commencé en 2022, alors que les précédents COM 2020-2022 arrivaient à échéance. À la suite de l’élection présidentielle et des élections législatives intervenues cette année, le gouvernement dirigé par Élisabeth Borne a décidé de prendre le temps de construire de nouveaux COM. Les COM 2020-2022 ont ainsi été prolongés d’un an par avenant, avec la mention expresse d’associer les parlementaires à l’élaboration des futurs COM. Puis, à l’automne 2023, une première version des projets de COM, assortie d’une trajectoire financière portant sur la période 2024-2028, a été présentée aux entités de l’audiovisuel public. En raison de la volonté du Gouvernement de mener à bien une réforme de la gouvernance du secteur public de la communication audiovisuelle, la rédaction des projets de COM a été revue et leur processus d’adoption a été suspendu (cf. infra).
De ce fait, les organismes de l’audiovisuel public ne disposent plus, depuis la fin de l’année 2023, de feuilles de route. Alors que les projets de COM ont finalement été transmis au Parlement le 18 juin 2024, ces documents semblent, quatre mois plus tard, caducs, en raison du bouleversement de la trajectoire financière fixée pour les années 2024-2028. De plus, le retour envisagé de la réforme de la gouvernance de l’audiovisuel public, que la ministre de la culture souhaite voir examinée rapidement par l’Assemblée nationale, conduirait nécessairement, dans l’hypothèse de son adoption, à la négociation d’un nouveau contrat entre l’État et la nouvelle société holding France Médias.
A. Immédiatement après sa définition, la trajectoire financière fixée par les COM a été remise en cause
Dans le contexte budgétaire extrêmement contraint que connaît la France ([27]), la trajectoire financière des organismes de l’audiovisuel public, inscrite dans les projets de COM, a été bouleversée en plusieurs temps.
1. Une première atteinte à la trajectoire financière en 2024
La loi de finances pour 2024 a inscrit 69 millions d’euros de crédits au sein du programme incitatif de transformation (PIT, programme 848). Ces crédits avaient « vocation à accroître la qualité, la visibilité et l’impact des offres proposées par le secteur en matière de proximité, de numérique et d’information, notamment à destination du public jeune » ([28]). Pour l’année 2024, leur répartition aurait dû être la suivante : 45 millions d’euros pour France Télévisions, 15 millions d’euros pour Radio France, 5 millions d’euros pour France Médias Monde et 4 millions d’euros pour l’INA.
En février 2024, un décret a annulé 20 millions d’euros inscrits au sein du programme 848 ([29]), dont 13 millions d’euros pour France Télévisions, 4,3 millions d’euros pour Radio France, 1,5 million d’euros pour France Médias Monde et 1,2 million d’euros pour l’INA.
Puis, à compter de mai 2024, le versement de 30 millions d’euros de crédits supplémentaires a été suspendu. Interrogées par les rapporteures, les représentantes de la direction du budget ont confirmé que les crédits mis en réserve ne seraient pas versés aux entreprises de l’audiovisuel public : ils ont vocation à être annulés en loi de finances de fin de gestion pour 2024.
Pour l’année 2024, l’annulation de crédits s’élèverait donc à 50 millions d’euros. Les rapporteures regrettent ce manquement à la parole donnée par l’État, contraire à la trajectoire financière inscrite dans les projets de COM. Si les représentantes de la direction du budget ont assuré aux rapporteures que les moyens dévolus à l’audiovisuel public, même en baisse, permettaient toujours d’atteindre les objectifs fixés dans les projets de COM – à condition de réaliser des économies importantes dans leur fonctionnement interne et de dégager de nouvelles recettes, en dépit d’une marge de manœuvre faible –, il n’en demeure pas moins que les entreprises publiques avaient engagé des dépenses sur la foi des montants promis, notamment sur la transformation numérique ou la proximité (déploiement de la marque ICI commune à Radio France et France Télévisions).
Recommandation n° 6 : Verser aux organismes de l’audiovisuel public, avant la fin de l’année 2024, les 30 millions d’euros de crédits ouverts en loi de finances pour 2024 au sein du programme incitatif de transformation, dont le versement est suspendu depuis mai 2024.
Les nouvelles baisses de dotation prévues par le projet de loi de finances pour 2025 ne font qu’accentuer le décalage entre les moyens consentis et les objectifs assignés au secteur public de la communication audiovisuelle.
2. Une nouvelle atteinte dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025
Comme indiqué dans l’introduction du présent avis, les crédits inscrits dans le projet de loi de finances pour 2025 en faveur de l’audiovisuel public s’élèvent à 4 029,16 millions d’euros, soit un montant supérieur de 2,43 millions d’euros à celui ouvert par la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 (4 026,73 millions d’euros). Cependant, cette légère progression est due à celle du montant de la compensation des effets fiscaux résultant de la suppression de la contribution à l’audiovisuel public (CAP) en 2022. Ainsi, les crédits de l’audiovisuel public seraient de fait gelés en 2025. De plus, compte tenu de l’inflation de 1,8 % attendue en 2025 ([30]), les crédits de l’audiovisuel public seraient, en valeur réelle, en recul pour l’année 2025.
Cette dotation est nettement inférieure à la trajectoire financière inscrite dans les projets de COM : le montant total de la dotation aurait dû s’établir à 4 110,67 millions d’euros ; il ne serait donc finalement que de 4 029,16 millions d’euros, soit un manque de 81,5 millions d’euros.
Cet effort budgétaire touche l’ensemble des organismes de l’audiovisuel public et concerne à la fois leurs dotations « socle » et les crédits inscrits au sein du programme de transformation, comme l’a mis en évidence, dans le tableau qui suit, le rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles et de l’éducation sur les crédits de la mission Audiovisuel public, M. Aymeric Caron.
comparaison de la trajectoire budgétaire initialement envisagée en 2024 et de la trajectoire retenue en 2025
(en millions d’euros)
|
Prévision de crédits 2025 figurant dans le PAP 2024 |
Crédits 2025 figurant dans le PLF 2025 |
Évolution 24/25 (en montant puis en %) |
France Télévisions |
2 618,18 dont :
|
2 567,07 dont :
|
– 51,11 (– 1,95) |
Arte France |
311,06 dont :
|
300,96 dont :
|
– 10,10 (– 3,25) |
Radio France |
676,02 dont :
|
666,21 dont :
|
– 9,81 (– 1,45) |
France Médias Monde |
311,84 dont :
|
304,91 dont :
|
– 6,93 (– 2,22) |
Institut national de l’audiovisuel |
108,88 dont :
|
105,77 dont :
|
– 3,11 (– 2,86) |
TV5 Monde |
84,69 dont :
|
84,24 dont :
|
– 0,45 (– 0,53) |
Total |
4 110,67 |
4 029,16 |
– 81,51 (– 1,98) |
Source : avis budgétaire présenté au nom de la commission des affaires culturelles et de l’éducation par M. Aymeric Caron, rapporteur pour avis sur les crédits de la mission Audiovisuel public (projet de loi de finances pour 2025).
Une nouvelle baisse de crédits de 50 millions d’euros sera proposée par le Gouvernement par voie d’amendement, dans le cadre de la discussion de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2025. Cet amendement, déposé le 4 novembre 2024, procède en deux temps.
Dans un premier temps, les 30 millions d’euros de crédits du programme de transformation qui devaient être versés à France Télévisions, Radio France, France Médias Monde, Arte-France et à l’Institut national de l’audiovisuel, seraient supprimés, en autorisations d’engagement comme en crédits de paiement. Le programme 183 Programme de transformation ne comporterait ainsi plus de crédits.
Dans un second temps, l’amendement du Gouvernement procède à une minoration de crédits, en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, sur chacun des programmes budgétaires des organismes de l’audiovisuel public suivants :
– 17,3 millions d’euros sur le programme 372 France Télévisions ;
– 0,5 million d’euros sur le programme 374 Radio France ;
– 1 million d’euros sur le programme 375 France Médias Monde ;
– 0,2 million d’euros sur le programme 376 Institut national de l’audiovisuel ;
– 0,1 million d’euros sur le programme 373 Arte-France ;
– 0,8 million d’euros sur le programme 377 TV5 Monde.
Au total, la diminution de la dotation budgétaire (soit l’annulation des crédits de transformation et la baisse de la dotation socle), pour chacun des organismes de l’audiovisuel public, serait la suivante :
– 35,47 millions d’euros pour France Télévisions ;
– 6,61 millions d’euros pour Radio France ;
– 3,01 millions d’euros pour France Médias Monde ;
– 1,07 million d’euros pour l’Institut national de l’audiovisuel ;
– 2,96 millions d’euros pour Arte-France ;
– 0,84 million d’euros pour TV5 Monde.
Les crédits de l’audiovisuel public s’élèveraient ainsi, en 2025, à 3 972,2 millions d’euros, au lieu des 4 029,16 millions d’euros prévus par le projet de loi de finances pour 2025 déposé par le Gouvernement sur le bureau de l’Assemblée nationale.
Cette diminution de la dotation des organismes de l’audiovisuel public aurait nécessairement un impact sur leurs missions de service public. Par exemple, France Télévisions pourrait envisager de diminuer sa contribution au financement de la création audiovisuelle et cinématographique ([31]).
Les représentantes de la direction du budget ont indiqué aux rapporteures que les sociétés de l’audiovisuel public présenteraient un résultat d’exploitation déficitaire en 2024 et 2025. Selon elles, la baisse de crédits proposée par le Gouvernement n’aurait ainsi pas d’impact sur la situation réelle des entreprises, qui puiseront dans leur trésorerie. Si certaines entreprises peuvent se le permettre, comme France Médias Monde, qui dispose d’une trésorerie proche de 60 millions d’euros, cela semble plus difficile pour d’autres, notamment France Télévisions (cf. supra) et l’INA, qui disposerait d’une trésorerie de 7 millions d’euros au 31 décembre 2024.
B. Une réforme de la gouvernance de l’audiovisuel public en suspens
1. L’examen de la réforme par l’Assemblée nationale, au printemps 2024, a bouleversé le processus d’élaboration des COM
La proposition de loi relative à la réforme de l’audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle, dite proposition de loi « Lafon », a été déposée le 21 avril 2023 par M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport du Sénat. Transmise à l’Assemblée nationale le 13 juin 2023, la proposition de loi a été adoptée par la commission des affaires culturelles et de l’éducation en mai 2024, après l’adoption de nombreuses modifications. Son processus d’examen a été interrompu par la dissolution de l’Assemblée nationale. Le 23 juillet 2024, le Sénat a retransmis la proposition de loi à l’Assemblée nationale.
Le texte initial prévoyait, dans son chapitre Ier, la création d’une société holding dénommée « France Médias », chargée de définir les orientations stratégiques de ses sociétés filles France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et Institut national de l’audiovisuel. France Médias aurait été chargée de conduire les projets de coopération de ses filiales et aurait réparti entre elles les ressources publiques.
Au cours de l’examen en commission de la proposition de loi, un amendement du Gouvernement a été adopté, précisant que la société holding France Médias serait chargée de préparer la fusion-absorption de ses filiales. Selon les rapporteurs de la proposition de loi Jean-Jacques Gaultier et Fabienne Colboc, « si l’option d’une fusion pouvait sembler prématurée en 2020, tel n’est plus le cas à ce jour. Les coopérations relatives aux fonctions support et les coopérations stratégiques ont connu une réelle montée en puissance depuis la conclusion des derniers contrats d’objectifs et de moyens, mais apparaissent encore trop lentes et sont freinées par l’organisation en silos de l’audiovisuel public, ce qui plaide pour une structure de gouvernance unifiée. Par ailleurs, le modèle d’une entreprise unique présente l’avantage, par rapport à celui d’une société holding, de ne pas créer une strate de gouvernance supplémentaire. » ([32]) Le calendrier prévu par la proposition de loi pour la mise en œuvre de l’entreprise unique était particulièrement rapide, puisque la société holding France Médias, créée le 1er janvier 2025, serait devenue une entreprise unique le 1er janvier 2026.
2. Les projets de COM, prélude au retour de la réforme de l’audiovisuel public ?
Dans leur première version, selon la direction générale des médias et des industries culturelles (Dgmic), les projets de COM comportaient, sur le même modèle que les COM 2020-2022, une série d’objectifs communs à France Télévisions, Radio France, France Médias Monde, Arte-France et l’Institut national de l’audiovisuel, ainsi que des « jalons » dans la réalisation des projets de coopération, tels que les achats groupés ou le déploiement du projet ICI par les équipes de France Bleu et de France 3.
À la suite de la nomination de Mme Rachida Dati, le 11 janvier 2024, aux fonctions de ministre de la culture, et dans la perspective de la réforme de la gouvernance de l’audiovisuel public, le Premier ministre a décidé de retirer les objectifs communs et les « jalons » des projets de coopération entre les entreprises de l’audiovisuel public, du fait du passage, voulu par la ministre, d’une logique de coopérations par le bas à une logique de coopérations par le haut, via la création d’une société holding regroupant, sous forme de filiales, les organismes de l’audiovisuel public.
Les présents projets de COM, en n’intégrant plus de jalons, « anticipent » ainsi la mise en œuvre de la réforme de la gouvernance de l’audiovisuel public, souhaitée par la ministre de la culture. Selon la rapporteure Sophie Taillé-Polian, cette méthode pose problème : le Gouvernement part du principe que le Parlement votera en faveur de la création d’une société holding, voire de la création d’une entreprise unique de l’audiovisuel public, au motif que la commission des affaires culturelles et de l’éducation aurait adopté la proposition de loi « Lafon » en mai 2024. Deux observations s’imposent : en premier lieu, l’Assemblée nationale n’a jamais examiné cette proposition de loi en séance publique. Le vote favorable de la commission des affaires culturelles et de l’éducation ne pouvait préjuger de l’orientation des débats et des votes en séance publique ; un rejet du texte était parfaitement possible (et souhaitable). Deuxièmement, la composition de l’Assemblée nationale, depuis les élections législatives des 30 juin et 7 juillet derniers, a profondément changé, ce qui rend l’avenir politique de cette réforme encore plus incertain.
Les rapporteures convergent sur la nécessité de renforcer les coopérations entre les organismes de l’audiovisuel public, notamment en matière d’information. Cet avis est d’ailleurs partagé par la quasi-totalité des personnes rencontrées dans le cadre de leurs travaux : les différentes sociétés de l’audiovisuel public collaborent déjà au quotidien. Cependant, force est de constater que peu de progrès ont été réalisés depuis le lancement des grands projets de coopération éditoriale tels que le projet Franceinfo en 2016, et le projet ICI en 2018 (cf. infra).
La rapporteure Sophie Taillé-Polian estime qu’il revient à l’État actionnaire de veiller à la bonne marche des coopérations, qui peuvent être réalisées « par le bas », à condition que les COM décrivent précisément les actions à mener et leur calendrier. À ce titre, elle regrette que les projets de COM transmis au Parlement ne comportent plus ni feuille de route commune au secteur public audiovisuel ni objectifs communs aux organismes de l’audiovisuel public, ce que la rapporteure Céline Calvez regrette tout autant. La rapporteure Sophie Taillé-Polian rejette résolument le projet de fusion des entreprises de l’audiovisuel public, qui rime avec homogénéisation, de même que la création d’une holding, qu’elle perçoit comme l’antichambre de ladite fusion. Les organismes de l’audiovisuel public ont une histoire, une organisation, des métiers différents, qui doivent être respectés. Le service public de l’audiovisuel, malgré les coupes budgétaires et grâce à l’abnégation de ses équipes, fonctionne bien. La rapporteure ne souhaite pas qu’il soit porté à nouveau atteinte à sa diversité, qui plus est dans une période de grand bouleversement du paysage audiovisuel. Dans un tel contexte, une fusion des entreprises de l’audiovisuel public ne pourrait que le désorganiser, en concentrant l’énergie de ses équipes sur une réforme de structure plutôt que sur les enjeux éditoriaux et les grandes missions de service public : informer, rassembler, cultiver la proximité avec les publics, soutenir la création, etc.
La rapporteure Sophie Taillé-Polian ajoute que la remise en cause de la trajectoire financière des projets de COM est étroitement liée au projet de réforme de la gouvernance de l’audiovisuel public. En effet, dans ce contexte d’atrophie de leurs ressources, les entreprises publiques devront mettre en œuvre des économies importantes afin de préserver au maximum leurs priorités stratégiques. C’est précisément sur cet argument que le Gouvernement s’appuiera pour défendre le retour de sa réforme : seul un rapprochement structurel des sociétés permettra de dégager suffisamment d’économies et de gains de productivité, permettant la préservation des ambitions stratégiques des entreprises publiques. Cela revient, en quelque sorte, à placer un couteau sous la gorge du Parlement.
La rapporteure Céline Calvez considère que la mise en place d’une présidence commune est à terme indispensable afin de mener à bien les projets de coopération entre les organismes de l’audiovisuel public. Le service public de l’audiovisuel doit continuer à œuvrer en faveur d’une différenciation éditoriale marquée par rapport à l’offre du secteur privé. Pour cela, il devra rassembler ses forces sur l’information, sur le numérique et sur la proximité. Si des actions ont été menées en ce sens, elles restent encore trop sporadiques, mal assurées, mal acceptées par une grande partie des équipes, d’abord parce que, pour reprendre l‘expression de M. Roch-Olivier Maistre, président de l’Arcom, les entreprises publiques peinent à sortir d’un « face à face » souvent stérile ([33]). Les décisions sont trop souvent retardées faute d’accord entre les directions ; les équipes de France 3 et de France Bleu échangent insuffisamment en région ; les sociétés se reprochent mutuellement de ne pas engager suffisamment de moyens dans les projets communs, etc. Ce qui compte avant tout, c’est l’intérêt de l’usager du service public audiovisuel. Afin de le garantir, l’État doit donner les moyens à l’audiovisuel public de définir une vision stratégique ambitieuse, en mettant enfin « un pilote dans l’avion ». La rapporteure appelle ainsi à une reprise de la réforme de la gouvernance de l’audiovisuel public, dans sa version initiale, c’est-à-dire la mise en place d’une holding stratégique. La fusion des sociétés de l’audiovisuel public paraît, pour l’heure, une option trop brutale et trop onéreuse. Les incertitudes sur le coût d’une telle opération, dans un contexte budgétaire aussi contraint, plaident en faveur d’une présidence commune, et non d’une fusion.
Enfin, si la réforme de la gouvernance de l’audiovisuel public devait être remise à l’ordre du jour, les COM auraient vocation à constituer la base d’un nouveau contrat négocié par la holding. Leur durée de validité apparaît donc très incertaine.
III. Observations préliminaires sur les projets de COM
A. Les indicateurs souffrent d’une trop faible précision et d’un manque d’ambition
Les présents projets de COM ont été rédigés dans un contexte politique et budgétaire très incertain, s’agissant tant de la trajectoire financière que de l’évolution de la gouvernance des sociétés de l’audiovisuel public, ce qui explique en partie leur concision et leur caractère parfois assez flou. La rationalisation des indicateurs qu’ils opèrent est toutefois louable : en effet, l’Arcom avait regretté, dans son avis du 25 janvier 2021, la présence d’indicateurs « multiples, hétérogènes et incomplets » dans les COM 2020-2022. La restriction du nombre d’indicateurs pourrait s’expliquer par la présence, lors de l’élaboration des projets de COM, de « jalons » conditionnant le versement des crédits du programme de transformation, finalement retirés de la version définitive. Dans son dernier avis du 24 juillet 2024, l’Arcom souligne un effort de lisibilité dans l’élaboration des COM. Néanmoins, l’amélioration de leur clarté ne contrebalance pas le manque de précision et d’harmonisation relevé par l’Arcom, observation partagée par les rapporteures. Le défaut de quantification de certains indicateurs et l’absence d’harmonisation de mesures pourtant similaires altèrent l’intelligibilité de ces outils.
De très nombreux indicateurs signalent une simple progression par rapport à l’année précédente ou à l’année 2023, sans objectifs précisément chiffrés. C’est le cas de neuf des vingt et un indicateurs du projet de COM de Radio France, et de huit des vingt-deux indicateurs du projet de COM de France Télévisions. Par exemple, l’indicateur 3 du projet de COM de France Télévisions porte sur l’évolution du nombre de visiteurs mensuels uniques sur la plateforme ICI (site internet et application). 12 millions de visiteurs mensuels sont indiqués en 2023 mais aucune cible n’est inscrite pour les années 2024 à 2028 : l’indicateur mentionne simplement une évolution attendue du nombre de visiteurs. L’indicateur 5.1 du projet de COM de France Médias Monde mesure l’audience numérique à travers la consommation des vidéos et sons sur l’ensemble des environnements du groupe, tant internes (environnements propriétaires) qu’externes (partenaires, hébergeurs, agrégateurs de contenus, etc.). Une valeur de référence figure pour l’année 2023 (305,7 millions) mais aucune pour les années suivantes, seule une progression étant indiquée. Les rapporteures regrettent ce manque de précision et invitent les sociétés de l’audiovisuel public à définir, de concert avec leurs autorités de tutelle, des cibles plus précises et chiffrées.
Par ailleurs, France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’INA recourent à des indicateurs d’audience différents : part d’audience pour Radio France, couverture mensuelle pour France Télévisions, audience globale pour l’INA et contacts hebdomadaires pour France Médias Monde. Si la méthodologie des indicateurs de confiance des entités a été améliorée, les rapporteures regrettent, encore une fois, le manque d’harmonisation de cet indicateur entre les sociétés. Si la plupart des priorités stratégiques font l’objet d’indicateurs satisfaisants, les contenus liés à la jeunesse pourraient bénéficier de mesures plus précises et diversifiées, compte tenu de l’ambition des sociétés en matière de développement de l’offre destinée au jeune public. De façon générale, les indicateurs manquent d’ambition, notamment s’agissant de projets prioritaires de l’audiovisuel public, à l’instar de l’acte II de Franceinfo ([34]). L’indicateur n° 13 du projet de COM de France Télévisions signale ainsi une faible progression de la couverture hebdomadaire de la chaîne d’information en continu Franceinfo canal 27 : de 13,7 millions d’individus ayant regardé au moins une fois la chaîne chaque semaine à 14,4 millions d’individus en 2028. Pourtant, les projets de COM avancent une forte montée en puissance de cette coopération entre France Télévisions et Radio France, lancée en 2016 et à laquelle contribuent France Médias Monde et l’INA (cf. infra).
Dans ses précédents avis sur les COM, l’Arcom avait appelé le Gouvernement à élaborer des documents plus concis et à réduire le volume d’objectifs et d’indicateurs des précédents COM, afin de mieux identifier les grandes priorités stratégiques de l’audiovisuel public. Cependant, un meilleur équilibre devrait être recherché entre l’exigence de concision et de lisibilité des COM et la nécessité d’apporter une information complète et détaillée, cet équilibre ne paraissant pas bien assuré à ce jour. Interrogées à ce sujet, les représentantes de la direction du budget ont indiqué que leur dialogue de gestion avec les entreprises de l’audiovisuel public avait vocation à aller bien au-delà des objectifs et des indicateurs des COM. Cela est heureux au regard de la concision des COM mais pose un problème pour la bonne information du Parlement, qui ne peut s’en remettre, pour formuler un avis sur les orientations stratégiques des organismes de l’audiovisuel public, au dialogue de gestion entre le Gouvernement et les entités de l’audiovisuel public.
Par conséquent, les rapporteures se réjouissent de l’intention exprimée en audition des services de la Dgmic de reprendre un grand nombre de propositions de l’Arcom, comme l’harmonisation des indicateurs entre les projets de COM – notamment une méthodologie commune pour les indicateurs de confiance –, davantage de précisions sur la mise en place de structures de pilotage et de gouvernance commune, et des éléments relatifs au climat social dans les entreprises.
L’Arcom a formulé un grand nombre de propositions sur les indicateurs des projets de COM, qui auront vocation à guider le travail d’amendement des COM que mènera le Gouvernement.
Recommandation n° 7 : Préciser les cibles des indicateurs pour chaque année du COM et poursuivre les travaux d’harmonisation des indicateurs entre les différentes entités, sans préjudice de l’élaboration de nouveaux indicateurs spécifiques à chaque entité.
B. Les rapporteures déplorent l’absence d’éléments sur la situation sociale des entités
Les rapporteures s’étonnent de l’absence d’information et d’indicateurs portant sur la situation sociale des organismes. Ce manque est aussi relevé par l’Arcom dans son avis du 24 juillet 2024. Un indicateur relatif au climat social figurait pourtant dans les COM 2016-2020, supprimé dans les éditions ultérieures.
Les différentes organisations syndicales ont attiré l’attention des rapporteures sur la dégradation du climat social constatée dans les quatre entités de l’audiovisuel public depuis plusieurs années. Au cours de leur audition, les représentants syndicaux ont fait état d’une augmentation du mal-être au travail de leurs employés. Des traits communs peuvent être dégagés : cette souffrance est le résultat de l’augmentation progressive de la charge de travail, principalement couplée à un sentiment de perte de sens en raison de la mutation des métiers, des incertitudes sur la gouvernance et le financement de l’audiovisuel public et de l’impact des nouvelles technologies dans le secteur audiovisuel. L’arrivée de l’intelligence artificielle en particulier est perçue comme une menace, les effets positifs comme négatifs sur les métiers étant trop peu anticipés. La demande accrue de polyvalence, notamment des journalistes, participe également de cette sensation de charge augmentée et de bouleversement des métiers dans un contexte économique contraint. La bonne santé des équipes est pourtant indispensable afin d’assurer la continuité des missions de service public des entités concernées. La détérioration des conditions de travail entraîne une diminution de la qualité des contenus réalisés, accentuant encore le sentiment de perte de sens. La prise en compte de la souffrance au travail et des tensions des rythmes de travail est aujourd’hui nécessaire afin de soulager les équipes. Les entités de l’audiovisuel public conduisent une transformation numérique ambitieuse afin de s’adapter aux nouveaux usages et de maintenir leur positionnement prédominant au sein du secteur. L’intégration de l’intelligence artificielle et l’automatisation de certains outils sont indispensables afin de constituer des organismes résilients et adaptés aux transformations technologiques, évoluant avec leur temps. Certaines innovations peuvent ainsi conduire à une modification des méthodes de travail. Une véritable politique d’adaptation des métiers aux mutations entraînées par les nouvelles technologies et les nouveaux supports de publication doit être menée, en concertation avec le personnel, pour conduire une transformation numérique indolore et efficace.
Les représentants syndicaux des quatre entités audiovisuelles concernées par les présents projets de COM ont témoigné d’un contexte social fortement dégradé :
– les instances de représentation du personnel de l’INA font état d’une fragmentation entre la direction éditoriale et les fonctions support. Les directions de ces dernières sont sous tension en raison de postes non pourvus et de destruction d’emplois selon les responsables syndicaux. La stabilisation de la masse salariale sous les valeurs cibles induit un surrégime des équipes, qui font dans le même temps face à une réorganisation de leurs modes de travail. La flexibilisation des pratiques, incluant davantage de télétravail et des espaces de travail communs provoque une rupture avec les modalités traditionnelles d’organisation du travail, mal accueillie par les salariés. Si les conditions de travail au sein de la direction éditoriale sont meilleures, les organisations syndicales font le constat d’une augmentation de la charge de travail pesant sur le bien-être des salariés :
– le manque de moyens est au cœur des enjeux auxquels doivent faire face les salariés de France Médias Monde. Les représentants syndicaux dénoncent le manque de visibilité induit par l’indisponibilité des budgets, éprouvant pour les employés. Selon les représentants des organisations syndicales entendus par les rapporteures, les journalistes et les correspondants à l’étranger souffrent d’un manque de moyens et de conditions de travail dégradées. Cette précarisation est facteur de perte de sens et de souffrance au travail. En outre, les organisations soulignent un climat social très dégradé, avec de nombreux arrêts de travail et des situations conflictuelles dans certaines équipes, notamment au sein de la radio arabophone Monte Carlo Doualiya (MCD). Le projet de réorganisation de la chaîne pourrait s’avérer lourd de conséquences en matière de santé, de conditions de travail et de risques psychosociaux selon les syndicats ;
– les organisations syndicales de Radio France mettent principalement en cause la diminution des effectifs et l’augmentation du volume de travail, qui pèsent sur la santé des salariés. Deux alertes pour danger imminent ont ainsi été déclenchées au sein de deux services de Radio France. Le mal-être au sein de l’entreprise se caractérise par une charge de travail en hausse causée par les réductions successives d’effectifs et une perte de sens en raison de la numérisation des usages et de l’adaptation des formats aux réseaux sociaux, transformant les pratiques et les métiers. Le renouvellement des équipes et l’augmentation des strates de management a, selon les représentants syndicaux, contribué à une moins grande cohésion, la constitution d’une hiérarchie plus lourde et d’un processus de prise de décision plus lent. Cette situation est préoccupante, alors que le plan d’affaires de Radio France suppose 20 millions d’euros d’économies qui impliqueront des gains de productivité afin d’être absorbés. À ce titre, la Dgmic recommande une révision des dispositifs en matière de rémunération et de temps de travail applicables aux journalistes et aux personnels techniques administratifs et la modernisation des métiers en lien avec l’évolution des technologies ;
– la réorganisation des équipes et les mutations du travail sont au centre des préoccupations des responsables syndicaux de France Télévisions. L’automatisation de certains équipements, comme les régies, font craindre une perte d’autonomie et de sens au travail. Les représentants de la CGT ont précisé lors de leur audition que les transformations ont été vécues comme une dégradation des conditions de travail et que les déploiements technologiques récents ont abîmé les collectifs. Le projet Sherlock de renouvellement des outils de gestion des programmes et des antennes serait ainsi source d’augmentation des risques psycho-sociaux au sein de l’entreprise en raison du poids de son déploiement. De plus, les réorganisations effectuées depuis 2009 ont marqué les employés, dont la charge de travail a augmenté en raison de la baisse des effectifs (baisse de 15 % des effectifs nationaux et de 20 % des effectifs sur le réseau régional selon les syndicats rencontrés). L’arrêt récent de la chaîne France Ô et la fermeture du site de Malakoff sont aujourd’hui très mal vécus par les salariés concernés. Les organisations syndicales déplorent un dialogue social vertical et un manque de transparence envers les équipes.
Recommandation n° 8 : Réintégrer un indicateur mesurant le climat social au sein des entités de l’audiovisuel public.
C. Le financement de l’audiovisuel public par la publicité : une forme de statu quo pour les années à venir
1. Les recettes publicitaires des médias historiques sont amenées à décroître dans les années à venir
Le recours à la publicité par certaines entreprises de l’audiovisuel public a été le sujet de nombreux échanges lors des auditions des rapporteures. D’un côté, cette forme de financement permet à l’audiovisuel public de palier, en partie, la diminution de ses ressources publiques. De l’autre, la publicité diminue le confort des usagers du service public audiovisuel et porte atteinte à sa spécificité par rapport au secteur privé, qui se finance presque exclusivement par la publicité. De plus, les recettes publicitaires constituent désormais une ressource rare, dont la part captée par les acteurs historiques de la télévision et de la radio est appelée à diminuer dans les années à venir, comme l’ont mis en évidence l’Arcom et la Dgmic dans une étude conjointe publiée en janvier 2024 ([35]) et visant à évaluer l’évolution du marché de la publicité dans les médias entre 2025 et 2030. Si la croissance du marché publicitaire se maintient entre 2024 et 2030 (+ 2,3 % par an) et que les recettes publicitaires totales du marché des médias atteindraient 18,3 milliards d’euros à cette date, ce sont d’abord les acteurs numériques qui bénéficieraient de cette croissance. En 2030, ils capteraient ainsi 65 % des ressources publicitaires, contre 52 % aujourd’hui. Les recettes publicitaires numériques des acteurs historiques continueraient de progresser (+ 400 millions d’euros sur la période) mais ne suffiraient pas à compenser la décroissance de leurs recettes traditionnelles.
La télévision réussirait à maintenir, à court terme, ses recettes publicitaires, mais un cycle baissier serait entamé à partir de 2026, en lien avec le vieillissement des audiences linéaires. De 2022 à 2030, les recettes publicitaires de la télévision diminueraient ainsi de 1,4 % par an en moyenne. S’agissant de la radio, ces recettes diminueraient de 1 % par an sur la même période.
Selon l’étude précitée, les recettes publicitaires représentent 82 % des financements de la télévision et 95 % du financement des acteurs de la radio ([36]). Dans un contexte de baisse structurelle de ces recettes, le recours à la publicité par les entreprises de l’audiovisuel public apparaît très discutable, surtout au vu des montants en jeu et de l’importante progression de ces recettes depuis quelques années.
Recettes publicitaires des entités de l’audiovisuel public (2018 – 2023)
(en millions d’euros)
Recettes publicitaires par entité |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
Recettes publicitaires de France Télévisions |
347,7 |
351,9 |
333,1 |
380,9 |
392,8 |
379,8 |
dont recettes publicitaires sur les antennes linéaires |
241,2 |
245,1 |
224,4 |
252,2 |
264,5 |
|
dont parrainages |
85 |
84,6 |
84,9 |
97,7 |
95,9 |
|
dont recettes digitales |
21,5 |
22,2 |
23,8 |
31,0 |
32,4 |
|
Recettes publicitaires de Radio France |
50,8 |
55,2 |
56,7 |
59,8 |
64,1 |
68 |
dont recettes publicitaires sur les antennes linéaires (sous plafond) |
34,4 |
34,7 |
32,1 |
34,8 |
35,6 |
42 |
dont parrainages (sous plafond) |
7,5 |
6,3 |
4,4 |
6,0 |
5,7 |
|
dont recettes digitales |
3,2 |
6,8 |
11,1 |
13,4 |
15,8 |
18 |
dont messages d’intérêt général |
5,7 |
7,4 |
9,1 |
5,6 |
7 |
8,1 |
Recettes publicitaires de France Médias Monde |
4,8 |
5,0 |
4,2 |
5,2 |
6,1 |
5,1 |
dont recettes digitales |
1,3 |
1,5 |
2,0 |
2,3 |
3,1 |
2,3 |
Total |
403,3 |
412,1 |
394 |
445,9 |
463 |
452,9 |
NB : Le total ne comprend pas les messages d’intérêt général de France Télévisions alors que Radio France inclut le produit de ces messages.
Les recettes publicitaires de TV5 Monde, qui ne conclut pas de COM avec l’État, ne figurent pas dans le tableau.
Sources : rapports d’exécution des contrats d’objectifs et de moyens (COM) de France Télévisions pour les années 2018 à 2021, rapports d’exécution des COM de Radio France et France Médias Monde pour les années 2018 à 2022, lois de règlement de 2018 à 2022 et données fournies par les entités concernées.
2. Bien qu’encadré, le recours à la publicité par le service public audiovisuel demeure trop important
Selon les rapporteures, le financement par la publicité du service public audiovisuel, bien qu’encadré ([37]), demeure trop important. Entre 2018 et 2023, les recettes publicitaires de France Télévisions, Radio France et France Médias Monde ([38]) sont passées de 403,3 millions d’euros à 452,9 millions d’euros (+ 12,3 %). Une nouvelle progression, légère, est attendue d’ici 2028, avec un montant total des recettes publicitaires de 465,8 millions d’euros à la fin de la période couverte par les projets de COM.
Recettes publicitaires de France Télévisions, Radio France et France Médias Monde inscrites dans les projets de COM 2024-2028
(en millions d’euros)
Recettes publicitaires par entité |
2024 |
2025 |
2026 |
2027 |
2028 |
France Télévisions |
434,5 |
364 |
368,2 |
358,5 |
380,1 |
Radio France |
65 |
66 |
67 |
67 |
67 |
France Médias Monde |
5,6 |
5,8 |
6 |
6,2 |
6,4 |
Total |
505,1 |
435,8 |
441,2 |
431,7 |
453,5 |
Source : projets de COM 2024-2028 de France Télévisions, Radio France et France Médias Monde.
Les rapporteures souhaitent affirmer un principe simple : à entreprise privée, financement privé, à service public, financement public. L’incapacité de l’État à financer correctement le service public audiovisuel ne saurait être compensée par la hausse des recettes publicitaires. À cet égard, les rapporteures formulent une inquiétude à la suite de leurs échanges avec les représentantes de la huitième sous-direction du budget, qui ont identifié dans les recettes publicitaires numériques un « gisement de recettes » intéressant. Selon la direction du budget, l’augmentation de ces recettes constituerait un retour sur investissement légitime, les entreprises publiques étant en effet amenées, sur la période des COM, à investir massivement dans leurs environnements numériques. Les rapporteures alertent sur la nécessité de préserver le service public audiovisuel de toute logique commerciale et d’une dépendance malvenue aux revenus issus de leur partenariat avec les annonceurs commerciaux.
En outre, les ressources publicitaires captées par les médias audiovisuels publics représentent des ressources en moins pour les médias audiovisuels privés. Selon les membres du Syndicat des radios indépendantes (Sirti) et du Bureau de la radio, entendus par les rapporteures, le chiffre d’affaires publicitaire réalisé par Radio France est directement lié aux contenus audio ; cette ressource ne risque pas d’être captée par les grandes plateformes extra-européennes. Radio France est donc en concurrence avec les acteurs privés de la radio, qui ne disposent pas des mêmes moyens pour réaliser des investissements publicitaires numériques. Les recettes publicitaires numériques de Radio France apparaissent d’ailleurs en augmentation constante ces dernières années et pourraient être amenées à poursuivre leur trajectoire dynamique, alors que les recettes publicitaires linéaires et de parrainage ont atteint en 2023, pour la première fois, leur plafond. S’agissant de la télévision, Mme Peggy Le Gouvello, directrice des relations extérieures de TF1, a qualifié le marché de la publicité télévisuelle de « marché de répartition » : le dynamisme des recettes publicitaires de France Télévisions provoquerait un effet d’éviction des recettes publicitaires des opérateurs privés.
3. Mieux encadrer le recours à la publicité par les entités de l’audiovisuel public
Les rapporteures sont favorables au principe d’un encadrement plus strict des recettes publicitaires des entités de l’audiovisuel public. Pour rappel, la mission d’information sur l’avenir de l’audiovisuel public avait proposé, en 2023, de supprimer toute présence des annonceurs entre 20 heures et 6 heures sur les antennes et les plateformes de France Télévisions, en l’étendant à la publicité numérique et aux parrainages, afin de renforcer la spécificité du service public audiovisuel et d’améliorer le confort des usagers aux heures de grande écoute. M. Quentin Bataillon, rapporteur de la mission d’information, avait relevé que l’interdiction du parrainage et de la publicité numérique de 20 heures à 6 heures priverait France Télévisions de près d’un tiers de ses recettes publicitaires. En conséquence, il avait proposé de compenser cette perte de recettes par l’affectation au groupe, à l’euro près, d’une fraction du produit de la taxe sur les services numériques.
Les rapporteures souhaitent que soit inscrit dans les COM un objectif de réduction progressive de la place de la publicité et des parrainages sur les antennes et les environnements numériques du service public audiovisuel. La rapporteure Céline Calvez avait d’ailleurs, lors de l’examen en commission des affaires culturelles et de l’éducation de la proposition de loi relative à la réforme de l’audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle, rappelé que « le rôle de l’audiovisuel public n’est pas de consacrer le temps de cerveau disponible des Français à la publicité », estimant qu’on pouvait « tout à fait se passer de publicité : on n’imaginerait pas en diffuser à l’école – une page entre le cours de physique et celui de français ! » ([39]). Elle avait ainsi déposé un sous-amendement visant à inscrire dans la convention stratégique pluriannuelle de la société holding France Médias l’objectif de réduction progressive de la publicité ([40]). La rapporteure Sophie Taillé-Polian souscrivait pleinement à l’objectif de cet amendement.
Recommandation n° 9 : Inscrire dans les projets de COM un objectif de réduction progressive de la place de la publicité et des parrainages sur les antennes linéaires et les environnements numériques de France Télévisions, Radio France et France Médias Monde, compatible avec la trajectoire financière mentionnée dans les COM.
IV. Les projets de coopération entre les organismes de l’audiovisuel public
A. La mise en œuvre d’ICI, média de proximité unifié, se concrétise malgré une gouvernance encore trop peu définie
La poursuite du déploiement d’une offre globale de proximité issue du rapprochement de France 3 et France Bleu sous la marque commune ICI est l’un des grands chantiers de coopération présenté dans les projets de COM. L’objectif affiché par France Télévisions est de faire d’ICI le « premier média global des territoires au plus près des préoccupations des Français », vision partagée par Radio France. Son déploiement est graduel afin de faciliter son appropriation par les publics et d’en faire un véritable média local de confiance. Une grande campagne de communication sera ainsi lancée en novembre afin de faire connaître ce nouveau média. Le développement de ce lien de proximité, favorisé par la complémentarité des maillages départementaux de France Bleu et régionaux de France 3, permettra à terme de rationaliser la gestion de ces deux réseaux.
Face au constat du décrochage des audiences de chaînes publiques locales ([41]), ce rapprochement permet de construire une offre complète sur les trois médias radio-télévision-web, combinant information et divertissement pour atteindre un public large. Les mesures d’audience réalisées par Médiamétrie montrent la percée du média local BFM Région, qui a vu l’audience de ses programmes télévisés croître de 19 % entre septembre 2022 et juin 2023. La fréquentation des contenus numériques est également en hausse par rapport à 2022, venant directement concurrencer l’offre publique.
La constitution de ce nouveau réseau rencontre néanmoins des difficultés de coordination au niveau des rédactions locales de France 3 et France Bleu, en raison des divergences affichées par les directions nationales et de l’absence d’un projet éditorial commun véritablement consolidé. La mise en place de ce média à 360 degrés positionné sur le secteur télévisuel, radiophonique et numérique provoque également de vives réactions de la part des employés.
1. Une ambition de longue date qui se matérialise dans les présents projets de COM
Le déploiement complet de l’offre de proximité ICI est imminent. Ce projet est le fruit d’une réflexion entamée en 2018 par les deux sociétés audiovisuelles afin d’offrir une information de proximité sur l’ensemble du territoire, par une coopération et la mise en commun des moyens de France 3 et France Bleu. Dès 2019, des matinales communes ont été déployées, par la retransmission télévisuelle sur France 3 de l’émission radio diffusée sur France Bleu. 33 matinales communes étaient mises en place en 2023, 37 en septembre 2024, l’objectif étant d’atteindre un maillage complet du territoire en 2025 en portant à 44 le nombre de matinales filmées. Les créneaux de ces matinales sont allongés à deux heures en 2021, puis à deux heures et demie en 2024 afin d’augmenter la durée de diffusion, dans l’objectif d’atteindre 18 700 heures d’antenne à la fin du déploiement, soit une hausse de 87 % par rapport au volume diffusé en 2023. Préfigurant le rapprochement organique des deux antennes, les matinales communes ont été renommées ICI Matin en 2023 afin de marquer la transition vers la nouvelle identité. L’offre de proximité de France Télévisions est parallèlement renforcée, le nombre de programmes régionaux ayant été multiplié par trois entre 2019 et 2023. Dans le même temps, France 3 a opéré une refonte de ses éditions d’information 12/13 et 19/20, désormais régionalisées. Afin d’accroître la visibilité de la marque commune, ces émissions ont été renommées ICI 12/13 et ICI 19/20. Cette mise en commun a nécessité des investissements technologiques, notamment l’installation de régies automatiques afin de faciliter la captation des matinales radio et leur retransmission télévisuelle.
L’offre numérique de France Bleu et France 3 a également participé à la déclinaison d’ICI par le déploiement, dès 2022, d’une application commune, se substituant à l’application France Bleu. Celle-ci regroupe désormais l’ensemble des 44 flux audio en direct et des contenus audio, vidéo, textuels de France Bleu et les 24 flux vidéos et les contenus de France 3. Le site internet de France Bleu a vu son habillage modifié afin d’accueillir transitoirement les contenus communs sous la bannière ICI par France Bleu et France 3.
Le dernier semestre 2024 marque l’accélération du déploiement de la marque commune souhaité par les sociétés audiovisuelles et inscrit dans les projets de COM. Radio France et France Télévisions ont annoncé renouveler l’identité visuelle de leurs antennes. Cette modification de l’habillage préfigure le lancement, en novembre, du logo ICI, complété par l’ouverture d’un nouveau site internet. Comme l’application, celui-ci proposera une offre personnalisée en fonction de la localisation de l’auditeur, afin de proposer des contenus de proximité de la part des antennes de France Bleu et de France 3. La disparition des marques se fera progressivement dès début janvier 2025, en parallèle d’une large campagne de communication, consistant en une autopromotion sur les antennes, la présentation des émissions d’information sous la marque ICI et une vaste opération publicitaire.
Cette transition d’image est accompagnée de la définition d’un schéma immobilier commun pluriannuel, qui sera finalisé en mai 2025. De potentielles synergies relatives aux emprises immobilières de France Bleu et France 3 ont déjà été identifiées par les sociétés, qui recensent 65 villes où les deux entreprises sont implantées. Certains rapprochements ont été effectués dès 2021, notamment à Toulon, Saint-Brieuc, Tours, Arras ou récemment à Châteauroux. Quatre projets sont prévus à Rennes, Amiens, Strasbourg et Lyon à moyen terme et plusieurs autres envisagés, par exemple à Bordeaux, Nancy, Limoges, Grenoble et Toulouse. La lenteur des rapprochements est la conséquence des différences de situation immobilière des entreprises, Radio France étant locataire de ses implantations tandis que France Télévisions en est propriétaire. Outre une rationalisation de l’emprise immobilière, les sociétés indiquent que ces relocalisations visent une meilleure adaptation aux activités, un moindre impact environnemental et une plus grande adaptation aux usages du travail. Pour l’inspection générale des finances (IGF), cette rationalisation immobilière doit également préfigurer une réflexion sur le regroupement des personnels techniques et administratifs des antennes effectuant des missions similaires.
Malgré l’ambition du projet présenté dès 2018, sa mise en œuvre a été retardée et son déploiement est pour le moment freiné en l’absence d’une ligne éditoriale commune. Les matinales ICI Matin sont les matinales de France Bleu, diffusées sous format vidéo par France 3, sans réelle adaptation du contenu informationnel au média télévisuel. De plus l’actuel site ICI par France Bleu et France 3 est une reprise du site de France Bleu, dont il conserve l’URL francebleu.fr. Les désaccords entre les entreprises et l’absence d’une vision d’ensemble du projet freinent la mise en œuvre de la marque unique.
2. Les défaillances dans la gouvernance du projet sont les principaux obstacles à son déploiement
Le lancement du projet ICI a été marqué par des atermoiements en raison d’une absence de pilotage stratégique commun et de nombreux désaccords entre Radio France et France Télévisions. Ce n’est qu’en avril 2024 qu’a été nommé un directeur de projet, M. Xavier Riboulet, par les présidentes de Radio France et de France Télévisions. La direction de France Télévisions a confirmé que seraient prochainement nommés des directeurs régionaux communs afin d’améliorer le pilotage du projet et de renforcer les coopérations entre les antennes. Cette désignation récente étonne au regard de la date de lancement du projet ICI. L’absence constatée de pilotage unifié rend le rapprochement des équipes de France 3 et de France Bleu complexe, tout comme l’éditorialisation commune des contenus. La rapporteure Céline Calvez regrette à ce titre le manque d’ambition de la ligne éditoriale du projet, peu précise et rendant difficile la réalisation des coopérations. Elle recommande la mise en place de conférences de rédaction communes aux équipes locales de France Bleu et de France 3, non pas quotidiennes, mais régulières, afin d’encourager les collaborations. Les rapporteures regrettent toutes deux le manque de dialogue entre les équipes locales qui nuisent au bon développement du projet. La poursuite de la définition de la ligne éditoriale commune aura pour objectif le renforcement de la couverture locale selon les services du ministère de la Culture. La rapporteure Sophie Taillé-Pollian souligne la nécessité de conserver une certaine différenciation des lignes éditoriales de France 3 et France Bleu afin de ne pas uniformiser l’information de proximité.
Recommandation n° 10 : Instaurer à intervalles réguliers des conférences de rédaction communes aux antennes locales France Bleu et France 3 afin d’encourager les coopérations, tout en conservant les spécificités de chaque média afin de ne pas uniformiser l’information de proximité.
L’amplification des coopérations a été freinée par des difficultés en raison de désaccords en France Télévision et Radio France et des difficultés logistiques.
France Télévisions et Radio France sont entrées en désaccord concernant l’ampleur du déploiement de la marque ICI et son absorption de la marque France 3, initialement refusée par la société télévisuelle. L’alimentation du site internet commun est également source de débat en raison des réticences de France Télévisions à retirer les contenus de France 3 de ses autres offres numériques pour les fournir en exclusivité à ICI. Le site actuel ne comporte ainsi que très peu de contenus numériques rédigés par France 3, la plupart émanant des rédactions de France Bleu. Les contenus web nationaux comme régionaux de France 3 sont encore principalement publiés sur le site francetvinfo, dans la rubrique France 3 Régions. Le déploiement de l’offre numérique partagée est de facto dépourvu de moyens et de portée opérationnelle en raison des désaccords des directions. L’application ICI ne souffre pas de ces divergences, l’ensemble des contenus de France Bleu et France 3 étant référencés, ce qui en fait un univers de navigation plus cohérent que l’actuel site internet. La mise en place du nouveau site internet devra pallier les carences de l’actuelle distribution des contenus numériques en garantissant une offre complète réunissant les productions de France Bleu et France 3.
Recommandation n° 11 : Référencer l’intégralité des contenus numériques publiés par France 3 sur le futur site internet ICI dans le souci d’apporter l’information locale la plus complète aux utilisateurs.
La mise en place du projet ICI se heurte également à la présence de deux découpages géographiques différents. Le maillage de France Bleu, infrarégional, est plus fin que celui de France 3 : le réseau France Bleu comporte 44 antennes, contre 24 pour le réseau France 3. Une attention particulière doit être portée aux coopérations effectuées afin de ne pas voir le maillage de France Bleu être réduit en se calquant sur celui de France 3, ce qui contreviendrait à l’objectif annoncé d’un rapprochement de l’offre informationnelle vers le citoyen. En l’état actuel, le site ICI et l’application proposent une déclinaison de l’information par département et par région, regroupant les contenus des antennes France 3 et France Bleu appartenant au périmètre choisi. Les organisations syndicales rencontrées par les rapporteurs alertent toutefois sur la disparition de certains flashs locaux d’information sur les antennes de France Bleu, au profit d’informations régionales.
Enfin, pour la Dgmic, la mise en place d’une réelle gouvernance partagée entre les deux réseaux est également entravée par l’existence de deux entreprises distinctes qui empêche la mise en place de réels responsables hiérarchiques ayant autorité sur les personnels des deux réseaux. Le ministère de la culture, comme France Télévisions, considère que seul le rapprochement structurel des entreprises permettrait de mettre en œuvre efficacement ces projets de coopérations.
Les rapporteures ont constaté que le déploiement du projet est très mal reçu par les employés de Radio France et France Télévisions. Le manque de moyens alloués à ces chaînes axées sur la proximité est l’une des principales causes de cette réticence des employés. Les offres de proximité souffrent en effet d’une insuffisance de moyens par rapport aux chaînes d’envergure nationale. M. Roch-Olivier Maistre, président de l’Arcom, a admis lors de son audition que ces rédactions locales étaient les enfants pauvres de l’audiovisuel public. L’audition des syndicats de France Télévision a mis en lumière en véritable mal-être au sein du réseau régional en raison d’une augmentation de la charge travail couplée à des réductions d’effectifs et de moyens, malgré l’automatisation de certaines tâches. Cette pression sur les équipes a été reconnue par la présidente de France Télévisions lors de son audition. Selon la CGT, le réseau régional aurait supporté 20 % des diminutions d’effectif, contre 15 % pour le réseau national de France 3. Au-delà des conditions de travail, le remplacement des journaux 12/13 et 19/20 par ICI 12/13 et ICI 19/20 est très mal reçu par les équipes, qui considèrent qu’il s’agit d’une perte d’identité pour le réseau régional et d’un éloignement de la société France Télévisions. Le 4 novembre 2024, à la veille du lancement d’ICI, près de 20 % des salariés du réseau régional de France 3 se sont mis en grève.
L’offre numérique prochainement mise à disposition par ICI sera foisonnante, proposant des contenus d’information, des programmes locaux, des podcasts, des émissions de divertissement, le tout sur une application personnalisable grâce à une géolocalisation de l’utilisateur. Cette offre radio-télévision-web à 360 degrés est jugée intéressante par la rapporteure Céline Calvez. Une telle offre permet de répondre aux attentes du citoyen en matière d’information au sein d’un écosystème stable et qualitatif, proposant également des contenus divertissants.
Un système global permet aussi de renforcer le rebond entre les contenus et la polyvalence en dépassant la classification par média pour instaurer une couverture par sujet. À ce titre, les différentes sociétés de journalistes ont alerté les rapporteures sur les risques que comporte cette vision : les particularités des métiers ne permettent pas, à leur sens, une telle transformation des méthodes de travail. Les représentants de l’Union nationale des syndicats autonomes (Unsa) craignent une diminution de la pluralité de traitement des informations, qui participe pleinement à l’identité de leurs chaînes, en faveur d’une uniformisation des contenus sur les différentes antennes.
La rapporteure Sophie Taillé-Polian émet également des doutes sur ce modèle holistique, faisant craindre une uniformisation des contenus des différents médias qui induirait une perte de diversité, pourtant indispensable pour des antennes locales. Selon la rapporteure, le modèle 360° ne relève pas du service public de l’audiovisuel et provoquera un appauvrissement des contenus, contraire à la mission des sociétés de l’audiovisuel public. Ce modèle est actuellement déployé dans le secteur privé afin de réaliser des économies d’échelles et non dans le but de développer l’accès à une information de qualité.
B. L’acte II de Franceinfo : une nouvelle ambition pour l’offre d’information en continu de l’audiovisuel public
1. Si les offres radio et numérique ont trouvé leur audience, le modèle de la chaîne de télévision reste à consolider
Le projet Franceinfo est né en 2016, avec le lancement sur la plateforme TNT d’une chaîne d’information en continu, associant France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’INA. Ce projet multimédia, qui repose sur une offre d’information en continu sur la télévision, la radio et le web, est l’un des projets de coopération phare de l’audiovisuel public en matière d’information et devait conduire à une intégration progressive des trois médias, afin de proposer aux usagers une offre cohérente sur l’ensemble des supports.
La radio et le site internet ([42]) de Franceinfo présentent des audiences satisfaisantes. En novembre et décembre 2023, la radio Franceinfo était ainsi la troisième radio de Radio France, avec 9 % d’audience cumulée soit 4,98 millions d’auditeurs chaque jour et 4,7 % de part d’audience. Les émissions « 8.30 Franceinfo » et « Les informés du matin » affichent de très bons résultats, avec respectivement 803 000 auditeurs quotidiens de 8 heures 30 à 9 heures et 665 000 auditeurs chaque matin. Le soir en semaine, la radio Franceinfo est la deuxième radio de France, avec 329 000 auditeurs qui suivent l’émission « Les informés » de 20 heures à 21 heures et 415 000 auditeurs rassemblés par l’émission « Le 21 heures / minuit » ([43]).
Le site internet affiche 21,8 millions de visiteurs uniques mensuels en novembre et décembre 2023, un niveau légèrement inférieur à celui de l’année 2023 considérée dans son ensemble, soit 22,3 millions de visiteurs uniques mensuels ([44]). Le site internet de Franceinfo est ainsi la première plateforme française d’actualités.
En revanche, la chaîne d’information en continu présente des audiences faibles, qui n’ont jamais atteint 1 % de part d’audience depuis sa création en 2016. La part d’audience de Franceinfo est ainsi passée de 0,9 % en 2022 à 0,8 % en 2023 ([45]).
Les rapporteures jugent cette situation insatisfaisante. Il n’est pas acceptable que l’audience de la chaîne d’information en continu du canal 27 de la TNT affiche un aussi grand décalage avec les parts d’audience des chaînes privées. En 2023, les parts d’audience de BFM TV, CNews et LCI atteignaient ainsi respectivement à 3 %, 2,3 % et 2 %.
2. Les raisons du décrochage de la chaîne de télévision ne font pas l’objet d’un consensus entre les différentes parties en présence
Les raisons d’un tel écart d’audience entre l’offre du service public audiovisuel et les offres d’information en continu proposées par les éditeurs privés sont multiples et ne font pas consensus.
De nombreuses personnes auditionnées par les rapporteures ont avancé un problème d’identité de la chaîne, à l’instar de M. Luc Brisson, membre de la société des journalistes de Franceinfo TV, qui a pointé une mauvaise identification de la chaîne par le public, notamment en raison d’une succession trop rapide des directeurs de Franceinfo TV ‒ trois en quatre ans ([46]).
Le syndicat FO France TV, dans sa contribution écrite adressée aux rapporteures, regrettait que Franceinfo ne soit « toujours pas lisible ni dans sa version télé ni dans son éventuelle intégration dans un média global. La stratégie du tâtonnement (8 rentrées, 8 projets différents) désoriente toujours et ne semble pas avoir convaincu le public ».
Dans son avis du 8 octobre 2024 sur les orientations stratégiques de l’entreprise 2024 et le projet de contrat d’objectifs et de moyens 2024-2028, le comité social et économique central (CSEC) de France Télévisions a pointé un « sous-dimensionnement humain » de la chaîne, appelant à sa réorganisation ([47]). La chaîne souffrirait d’un manque d’attention et d’attractivité au sein du groupe. En outre, la chaîne de télévision ne relève que de France Télévisions, comme l’a souligné auprès des rapporteures M. Édouard Marguier, membre de la société des journalistes de Radio France, rappelant que les collaborations entre radio et télévision n’ont pas réellement évolué depuis le lancement du projet, malgré une légère montée en puissance de l’intervention de journalistes de Radio France sur la chaîne de télévision. À ce titre, FO France TV a comparé Franceinfo à « deux barres chocolatées vendues sous la même marque mais de composition distincte ».
Recommandation n° 12 : Inscrire dans le COM de France Télévisions un indicateur mesurant l’évolution des emplois de la chaîne d’information canal 27 et rééquilibrer les moyens alloués à la rédaction nationale et à la rédaction de Franceinfo au sein de France Télévisions.
Les représentants des syndicats de France Télévisions interrogés par les rapporteures ont tous regretté le mauvais positionnement de la chaîne d’information en continu sur la TNT, qui nuit à sa visibilité. Les rapporteures s’associent à eux mais ce positionnement ne peut suffire à lui seul à expliquer les mauvaises audiences de la chaîne. Si BFM TV et CNews occupent les canaux 15 et 16 de la TNT, LCI est positionnée sur le canal 26 et son audience est deux fois supérieure à celle de Franceinfo. L’Arcom, qui élabore les conventions avec quinze chaînes de télévision dans le cadre de la réattribution de quinze fréquences de la TNT en 2025, envisage la constitution d’un bloc de chaînes d’information. Cette réorganisation de la TNT permettrait à la fois de faire gagner en cohérence la plateforme et de mieux positionner la chaîne Franceinfo. Selon les rapporteures, la chaîne du service public audiovisuel pourrait être positionnée sur le canal 12 qui sera prochainement libéré ([48]), afin de lui permettre de jouer à armes égales avec ses concurrentes. D’autres scénarios seraient également possibles, comme un positionnement sur le canal 14 de la TNT, actuellement occupé par France 4.
Recommandation n° 13 : Positionner la chaîne Franceinfo sur le canal 12 ou 14 de la TNT, pour en faire la première chaîne d’information en continu dans l’ordre de numérotation des chaînes.
La ligne éditoriale de Franceinfo doit donc être clarifiée et les rapporteures se réjouissent que cet objectif figure dans le projet de COM de France Télévisions : cette clarification est attendue tant par les autorités de tutelle de l’audiovisuel public que par les téléspectateurs et les syndicats de France Télévisions. Le groupe a indiqué aux rapporteures que le travail de refonte de la ligne éditoriale de la chaîne Franceinfo avait commencé.
3. Des coopérations entre la radio et la télévision encore limitées
France Télévisions a indiqué maintenir son souhait de mettre en place une matinale commune de 5 heures 30 à 7 heures, sans que cette extension des coopérations entre la radio et la télévision ait été actée à ce jour. Une double diffusion radio/télévision avait été annoncée en janvier 2024, puis repoussée à septembre 2024, en raison d’un désaccord des deux groupes sur la prise en charge de ces coûts. Cette double diffusion n’a pas encore été mise en place.
De fait, la radio et la télévision fonctionnent encore en silos. Si le site internet de Franceinfo est commun à France Télévisions et Radio France, il est principalement géré par les équipes de France Télévisions rattachées à la direction de l’information. Les rapporteures souhaiteraient voir un meilleur équilibre dans la gestion des coopérations entre Radio France et France Télévisions : le développement des contenus sur le web doit être une priorité partagée par les deux groupes.
Recommandation n° 14 : Mieux assurer l’équilibre entre France Télévisions et Radio France dans la gestion du site internet de Franceinfo.
Les coopérations concrètes entre la radio et la télévision sont encore très limitées à ce jour. Selon la Dgmic, cela tient d’abord au rapprochement insuffisant des structures, du fait de l’absence de gouvernance unifiée. En particulier, il ne semble pas possible de mettre en place une chaîne hiérarchique unifiée, c’est-à-dire une rédaction unique comportant des journalistes de Radio France et de France Télévisions. Les émissions communes sont peu nombreuses, il s’agit de « 8 heures 30 Franceinfo », « Les informés du matin », « Les informés de Franceinfo » de 20 heures à 21 heures et de deux émissions thématiques le week-end.
France Télévisions a récemment créé, au sein de la direction de l’information, un service chargé des réseaux sociaux de Franceinfo et de France 2 mais Radio France n’y contribue pas, ce que les rapporteures regrettent.
La rapporteure Sophie Taillé-Polian rappelle que le développement des coopérations entre la radio et la télévision ne doit pas conduire à oublier que ces deux médias sont très différents, possédant chacun des processus d’écriture propres ; chacun doit pouvoir conserver sa spécificité.
4. Les projets de COM définissent une nouvelle stratégie pour Franceinfo, ambitieuse mais peu détaillée
Les projets de COM comportent une partie commune consacrée à Franceinfo, qui indique que le média « poussera plus loin ses coopérations à la fois en matière de production et de diffusion pour proposer une information de confiance et des débats apaisés sur les grandes questions d’actualité ». Les ambitions affichées dans les projets de COM sont les suivantes :
– la définition d’une ligne éditoriale commune sur tous les supports ;
– une gouvernance plus intégrée ;
– un développement de programmes spécifiques pour devenir la référence en matière de lutte contre la désinformation ;
– une mise en avant des incarnations communes TV/radio, pour une meilleure identification par le public ;
– une optimisation de la visibilité des contenus en adaptant les formats aux jeunes publics et aux réseaux sociaux.
Le renforcement de la diffusion de Franceinfo se traduirait de trois manières :
– une adaptation des sujets diffusés sur les trois canaux pour pouvoir être disséminés dans chaque environnement (plateformes vidéo, réseaux sociaux, etc.) ;
– la conception de sujets pensés spécifiquement pour les réseaux sociaux, afin de toucher les plus jeunes ;
– une déclinaison de l’offre d’information en direction des plus jeunes sur tous les supports.
Selon les informations transmises aux rapporteures par le groupe France Télévisions, l’acte II de Franceinfo a commencé à se formaliser, avec la nomination en avril 2024 d’un directeur de projet commun, M. Alexis Delahousse. Un comité de pilotage a été mis en place en juin 2024.
Les rapporteures saluent l’ambition de ces nouvelles orientations mais relèvent qu’elles avaient déjà été formulées, pour la plupart, début 2023 par les deux présidentes de Radio France et de France Télévisions. Aussi, elles recommandent au Gouvernement et aux deux groupes d’inscrire dans les projets de COM un calendrier précis et détaillé de déploiement des axes stratégiques, ainsi que la méthode associée. La précision d’un tel calendrier serait particulièrement utile, dans l’hypothèse où le Parlement ne serait pas appelé à réexaminer la réforme de la gouvernance de l’audiovisuel public.
Recommandation n° 15 : Préciser dans les COM le calendrier et la méthode de l’acte II de Franceinfo.
C. La coopération des entreprises publiques en matière numérique
Les projets de COM comportent tous un objectif de rapprochement des offres numériques des organismes de l’audiovisuel public. Tout en conservant la spécificité de chaque média (radio/audio, télévision, numérique) et de chaque plateforme pensée pour être adaptée aux différents usages, il s’agit de construire un univers de navigation simplifié et cohérent au sein du secteur audiovisuel public.
1. Le développement d’un algorithme de recommandations croisées entre les plateformes de l’audiovisuel public
Si le renforcement des coopérations en matière numérique a fait l’objet d’un large consensus entre les personnes rencontrées par les rapporteures, toutes ne se sont pas accordées sur les modalités. Ainsi, l’opportunité de la création d’une plateforme unique, qui aurait vocation à regrouper l’ensemble des contenus de l’audiovisuel public, a fait l’objet de débats nourris. Mme Delphine Ernotte-Cunci s’est dite très favorable au regroupement de l’offre de l’audiovisuel public dans une interface unique, afin de donner davantage de visibilité et de puissance à l’offre de l’audiovisuel public. Elle a indiqué que la plateforme France.tv avait commencé à accueillir l’offre d’Arte, de Public Sénat, de LCP-AN et d’une partie de l’INA.
Selon Mme Sibyle Veil, présidente-directrice générale de Radio France, la réflexion doit tenir compte des usages, qui doivent déterminer la construction de l’offre numérique de l’audiovisuel public. Au cours de son audition, Mme Veil a qualifié la radio de « média d’accompagnement », que l’on écoute dans la voiture, en marchant, en faisant la cuisine, etc., à la différence de la télévision, qui suppose une posture statique. Cette différence explique le moindre succès, selon elle, des contenus audio sur les plateformes rassemblant les formats audio et vidéo – à l’instar de l’audiovisuel public belge – par rapport aux contenus audio présentés sur une plateforme indépendante. À cet égard, Mme Veil a observé que la BBC avait fait le choix, en 2018, de séparer les contenus audio et vidéo : la radio linéaire, la musique et les podcasts de la BBC sont disponibles sur BBC Sounds, qui comprend un site internet ([49]) et une application. Mme Veil a également comparé l’offre de la BBC à celle d’Apple, qui distingue trois applications différentes : Apple Podcasts, Apple TV, Apple Music. Enfin, Mme Veil a estimé que la préservation de plateformes autonomes n’empêchait nullement les contenus d’entrer en résonance, via des recommandations croisées.
L’option d’une plateforme commune n’a pas été retenue par les projets de COM. Selon la Dgmic, une telle plateforme aurait pu porter atteinte à la spécificité de chaque média (audio, vidéo, numérique). Qui plus est, les environnements numériques de l’audiovisuel public apparaissent bien identifiés. Par exemple, la plateforme France.tv est aujourd’hui la première plateforme de streaming gratuit en France avec 34,7 millions de visiteurs uniques mensuels entre janvier et août 2024, soit une augmentation de 8 millions de visiteurs en un an. Il s’agit là d’un réel succès, que les rapporteures saluent. Cette performance apparaît d’autant plus remarquable lorsqu’on la compare à la couverture de plusieurs réseaux sociaux, inférieure à celle de France.tv : 19,6 millions de visiteurs uniques mensuels pour X, 24,9 millions pour TikTok, 27,4 millions pour Snapchat ([50]).
Plutôt qu’une plateforme commune, les projets de COM avancent la création d’un algorithme de recommandations croisées, qui aurait vocation à « guider les utilisateurs à travers l’ensemble des contenus dans un parcours fluide et riche pour le citoyen ». Il s’agirait, lorsqu’un utilisateur consulte un contenu sur une plateforme de l’audiovisuel public, de lui recommander le visionnage ou l’écoute de contenus similaires sur d’autres plateformes, en le guidant vers l’environnement numérique de la plateforme tierce concernée.
Les rapporteures soutiennent la création de cet outil commun mais regrettent l’absence de précisions sur sa mise en œuvre, notamment sur son calendrier.
Recommandation n° 16 : Préciser dans les projets de COM la méthode et le calendrier prévus pour la création de l’outil commun de rebond entre les plateformes de l’audiovisuel public.
Par ailleurs, les projets de COM indiquent que les contenus de l’audiovisuel public seront mis à disposition sur l’application Radio France. Les contenus déjà présents seront ainsi complétés par les flux de RFI et des radios outre-mer « La 1ère », ainsi que par les podcasts de France 24.
2. Le regroupement de l’offre de l’audiovisuel public au sein d’une entrée unique sur les interfaces utilisateurs
Les projets de COM font référence à la mise en œuvre de deux délibérations de l’Arcom, qui devraient permettre l’agrégation de l’offre du service public audiovisuel au sein d’une entrée unique sur les interfaces utilisateurs.
Les interfaces utilisateurs
Les interfaces utilisateurs sont définies au I de l’article 20-7 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. Il s’agit de « tout dispositif présentant à l’utilisateur un choix parmi plusieurs services de communication audiovisuelle ou parmi des programmes issus de ces services, qui est :
« 1° Installé sur un téléviseur ou sur un équipement destiné à être connecté au téléviseur ;
« 2° Installé sur une enceinte connectée ;
« 3° Mis à disposition par un distributeur de services ;
« 4° Mis à disposition au sein d’un magasin d’applications. »
L’article 7 bis de la directive (UE) 2018-1808 du 14 novembre 2018 sur les services de médias audiovisuels (directive SMA) a donné la possibilité aux États membres de « prendre des mesures afin d’assurer une visibilité appropriée pour les services de médias audiovisuels d’intérêt général ». L’article 20-7 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, qui transpose l’article 7 bis de la directive, a défini les services d’intérêt général (SIG) comme ceux fournis par le secteur public de la communication audiovisuelle (France Télévisions, Radio France, France Médias Monde, l’Institut national de l’audiovisuel, Arte, Public Sénat, LCP-Assemblée nationale, TV5-Monde), pour l’exercice de leurs missions de service public. Le législateur a également donné compétence à l’Arcom, après consultation publique, d’inclure dans le périmètre des SIG, de manière proportionnée et au regard de leur contribution au caractère pluraliste des courants de pensée et d’opinion et à la diversité culturelle, d’autres services de communication audiovisuelle.
Par une délibération n° 2024-18 du 25 septembre 2024 relative à la liste des services qualifiés d’intérêt général, en application des dispositions de l’article 20-7 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ([51]), l’Arcom a étendu le périmètre des SIG à l’ensemble des éditeurs nationaux gratuits de la TNT.
L’obligation d’assurer une visibilité des SIG concerne les interfaces utilisateurs.
Aux termes du II de l’article 20-7 précité, la visibilité appropriée des SIG peut être assurée par la mise en avant :
– sur la page ou l’écran d’accueil ;
– dans les recommandations aux utilisateurs ;
– dans les résultats de recherches initiées par l’utilisateur ;
– sur les dispositifs de pilotage à distance des équipements donnant accès aux services de communication audiovisuelle.
Dans une seconde délibération n° 2024-19 du 25 septembre 2024 relative aux conditions de visibilité appropriée des services d’intérêt général et aux modalités de recueil des informations mentionnées à l’article 20-7 de la loi n° 86‑1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, l’Arcom a déterminé les mesures de visibilité appropriée que les opérateurs d’interfaces utilisateurs devront mettre en œuvre, garantissant le traitement égalitaire des SIG avec les services les mieux exposés sur une interface.
L’article 2 de cette délibération dispose qu’« au sein d’une interface utilisateur, les services d’intérêt général ou le point d’accès à l’environnement les regroupant figurent au même emplacement que les services les mieux exposés ». En pratique, cette disposition devrait conduire au regroupement des services nationaux gratuits de la TNT et de leurs services associés (services de rattrapage et services de médias audiovisuels à la demande gratuits intrinsèquement liés aux services nationaux) au sein d’un espace commun sur les téléviseurs connectés, les boîtiers TV connectés et d’autres équipements.
3. Le partage d’informations et d’expériences dans le domaine informatique
Les projets de COM mentionnent un approfondissement des partenariats entre les entreprises de l’audiovisuel public en matière de gestion et de traitement de la donnée, via une mise en commun des moyens en matière d’innovation et de recherche et développement technologique (intelligence artificielle – IA, création de serveurs communs, etc.), notamment dans le cadre du groupe « Technologies de l’audiovisuel public » (TAP). Les projets de COM ne précisent cependant pas les projets envisagés par les entités de l’audiovisuel public.
D. La lutte contre la désinformation et l’éducation aux médias, une mission de service public de premier plan
1. La poursuite du déploiement de la marque « Vrai ou faux » augure d’une collaboration efficace des entités de l’audiovisuel public
Les rapporteures sont très optimistes au regard de la coopération des entités de l’audiovisuel public, notamment autour de la marque « Vrai ou faux ». Développée sur le site francetvinfo et adossée à l’agence de vérification de Radio France, la marque a vocation à agréger l’ensemble des contenus de lutte contre la désinformation de l’audiovisuel public. Par conséquent, France Télévisions, Radio France, France Médias Monde, l’INA, Arte et TV5 Monde collaborent avec succès au sein d’une rubrique spécifique « Vrai ou faux » publiée sur le site internet francetvinfo, diffusant des contenus vérifiant principalement des déclarations politiques et des rumeurs publiées sur les réseaux sociaux. La cellule « Vrai ou faux » collabore également avec des médias européens membres du réseau « European perspective ». Ces contenus numériques sont accompagnés par un podcast quotidien produit par la radio Franceinfo ainsi qu’une émission télévisée diffusée chaque semaine sur le canal 27, dont la durée sera prochainement allongée.
Les objectifs de déploiement de ce label présentés dans les projets de COM sont d’enrichir les contenus, d’assurer une large diffusion de la marque sur les plateformes des médias partenaires grâce à un estampillage des contenus et de garantir une présence renforcée sur les réseaux sociaux. Radio France a indiqué aux rapporteures que des coopérations étaient amorcées avec les équipes de France Télévisions et de France Médias Monde afin de renforcer les capacités collectives d’enquête. Des partenariats technologiques sont également mis en place afin de permettre la détection des fausses informations grâce à l’intelligence artificielle. Le partage des dépêches entre rédactions est encouragé, ainsi que la mutualisation des règles de vérification de l’information. La marque n’est toutefois pas encore présente sur tous les réseaux sociaux, mais uniquement sur le réseau Instagram. France Télévisions indique que la création de comptes communs aux entités de l’audiovisuel public sur les réseaux sociaux a pris du retard en raison des perturbations politiques et économiques des derniers mois. Les rapporteures appellent à créer et animer au plus vite ces comptes afin d’atteindre des publics jeunes particulièrement exposés aux fausses informations. L’ensemble des plateformes doivent être concernées, notamment celles fréquentées en priorité par les jeunes, à l’instar de Tiktok et Snapchat.
Recommandation n° 17 : Créer des comptes « Vrai ou faux » communs aux entités de l’audiovisuel public sur les différents réseaux sociaux (X, Tiktok, Snapchat, Facebook).
2. La création d’une agence de vérification des faits commune à France Télévisions et Radio France se profile
Une agence commune de vérification des faits serait déployée en 2026, s’appuyant sur le socle de l’agence de vérification de l’information de Radio France qui existe depuis 2016. Initialement réservée à la chaîne Franceinfo (et dénommée Agence Franceinfo), l’agence s’est étendue à l’ensemble des chaînes de Radio France en 2022, publie 20 000 dépêches par an et emploie 23 journalistes. Dans le cadre de l’agence commune, France Télévisions complétera les missions conduites par Radio France sur le versant audio en vérifiant les contenus vidéos et les images publiées. Les possibilités offertes par l’IA, notamment générative, de production d’images, de vidéos et de contenus audio – comme l’hypertrucage ou « deepfake » – rendent absolument nécessaire la pérennisation d’une cellule partagée entre les sociétés de l’audiovisuel public. France Télévisions dispose actuellement d’une cellule de vérification intitulée « Les révélateurs » qui devrait, à terme, fusionner dans l’agence commune. Les représentants de France Télévisions ont indiqué aux rapporteures que de nombreux échanges sont en cours avec Radio France afin de développer des coopérations lors de la couverture d’évènements spéciaux comme les élections présidentielles américaines en novembre 2024 ou la commémoration de l’attentat contre Charlie Hebdo en janvier 2025.
France Médias Monde dispose également de plusieurs outils de vérification comme la cellule « Info-vérif » de RFI ou la « Rédaction des Observateurs » de France 24 qui dispose d’un large réseau de journalistes « observateurs » dans les pays correspondants. Dans leurs contributions, les représentants de France Médias Monde ont indiqué être en contact avec les autres cellules de vérification des sociétés de l’audiovisuel, et favorables à l’idée de rejoindre une cellule commune.
3. Les outils d’éducation aux médias et à l’information sont amenés à prendre de l’ampleur
Les différentes entités de l’audiovisuel public déploient plusieurs outils à destination des jeunes publics et des enseignants afin de développer l’offre d’éducation aux médias et à l’information (EMI). Elles se sont ainsi engagées, avec le ministère de l’éducation nationale, le ministère de la culture et le Centre de l’éducation aux médias et à l’information (Clémi), à mettre en place un dispositif d’une ampleur inédite : la création d’une marque unique pour l’ensemble des contenus relatifs à l’EMI est envisagée à l’horizon 2029. Les rapporteures regrettent le peu d’ambition de cet objectif, dont la perspective est lointaine : cette marque unique pourrait voir le jour avant. Les projets de COM prévoient également un renforcement progressif de l’offre de contenus consacrés à l’EMI et le développement de formations. À ce titre, France Télévisions propose une formation à l’EMI certifiante depuis 2023.
Actuellement, la plateforme éducative Lumni diffuse de nombreux contenus à destination des élèves et des professeurs. L’ensemble des acteurs de l’audiovisuel public alimentent cette plateforme proposant plus de 12 000 contenus adaptés de la maternelle au lycée, visant à compléter les ressources pédagogiques disponibles ou informer sur le rôle des médias et les risques des fausses informations. Des pastilles vidéos traitent particulièrement le sujet de la désinformation comme les séries « SPAM (Savoir, Penser, Analyser les Messages) » proposée par l’INA et France Télévisions ou « Info ou Intox » par France 24. L’offre Lumni Enseignement, édité depuis quatre ans par l’INA, met à disposition des professeurs des ressources éditorialisées, sous la forme de podcast, de vidéos, de dossiers. Le ministère de l’éducation nationale a par ailleurs confié à l’INA l’ensemble de ses offres pédagogiques Eduthèque.
Cette plateforme s’accompagne du dispositif Lumni EMI’SSION, directement inspiré du Tour de France académique de l’EMI initié en 2022 par France Télévisions. Ce dispositif permettra de former les enseignants et de sensibiliser les élèves directement sur le terrain, à l’occasion de visites itinérantes dans les académies métropolitaines et ultramarines.
Les sociétés de l’audiovisuel public déploient aussi des actions spécifiques. Le projet de COM de Radio France indique que la société poursuivra ses actions d’EMI par la diffusion de séminaires en ligne, la mise à disposition de mallettes pédagogiques à destination des enseignants et la mise en contact des jeunes et des journalistes via les antennes locales de France Bleu.
Les représentants des sociétés de journalistes des différentes sociétés reçus par les rapporteures ont toutefois indiqué que la participation à de telles actions de la part de journalistes dont la mission principale n’est pas le développement de contenus dédiés à l’EMI s’effectuait sur leur temps personnel. Les rapporteures estiment opportun d’intégrer l’investissement des salariés dans des actions d’EMI au sein de leurs fiches de poste ou encore d’explorer le dispositif fiscal du mécénat de compétences.
Les projets de COM demeurent très succincts sur le déploiement de la marque unique, dont l’horizon, à cinq ans, est lointain. La coopération actuelle entre les sociétés audiovisuelles à travers la plateforme Lumni est intéressante mais celle-ci ne semble pas agréger l’intégralité de l’offre d’EMI proposée, ce qui obère la visibilité des actions engagées par les différentes entités. Les rapporteures sont favorables au renforcement des collaborations afin de mettre à disposition des élèves, des enseignants et de l’ensemble de la population française un environnement plus lisible. De plus, elles s’interrogent sur la nature de la marque unique, alors que l’offre actuelle d’EMI se concentre au sein de l’écosystème Lumni. Enfin, seuls les projets de COM de Radio France et de l’INA comportent un indicateur relatif à l’EMI (respectivement l’indicateur 8 et l’indicateur 2.2), mesurant le nombre de personnes touchées par les séminaires de Radio France et le trafic mensuel sur la plateforme Lumni enseignement. Les rapporteures regrettent l’absence d’indicateurs portant sur les contenus d’EMI produits par les autres entités de l’audiovisuel public et recommandent de rendre ces indicateurs communs.
Par ailleurs, l’Arcom considère, dans son avis sur les présents projets COM, que les plateformes Lumni et Lumni Enseignement manquent de notoriété. L’Autorité encourage la mise en avant de ces outils par les entités de l’audiovisuel public sur leurs chaînes, notamment pendant la diffusion des programmes jeunesse sur France 4, une recommandation à laquelle souscrivent pleinement les rapporteures.
Les représentants des entités de l’audiovisuel public ont admis que le déploiement des actions d’EMI avait été retardé par l’arrêt des versements des crédits du programme de transformation. Les rapporteures déplorent le fait que l’EMI soit une variable d’ajustement des économies budgétaires en dépit de son rôle déterminant dans l’accès aux médias des plus jeunes citoyens.
Recommandation n° 18 : Insérer davantage d’indicateurs de suivi des fréquentations des offres d’EMI, voire un indicateur commun.
Recommandation n° 19 : Promouvoir les plateformes Lumni et Lumni Enseignement au sein des offres jeunesses diffusées par les sociétés audiovisuelles.
Recommandation n° 20 : Sanctuariser les crédits consacrés à l’EMI afin de ne pas en faire une variable d’ajustement des modifications de la trajectoire financière des entités de l’audiovisuel public.
En parallèle de l’EMI, les entités de l’audiovisuel public déploient une offre jeunesse, d’information ou de divertissement, afin de proposer aux jeunes auditeurs un environnement d’écoute et de visionnage sûr et de qualité.
France Télévisions dispose par exemple d’une offre d’information jeunesse pour les 8-12 ans intitulée « C quoi l’info ? » déployée depuis la rentrée 2023 sur Francetvinfo, Youtube et les réseaux sociaux. Ce contenu, dont les audiences sont encourageantes, sera complété en 2025 par une offre à destination des 7-11 ans dénommée « Salut l’info ! ». La chaîne France 4 propose aussi de nombreux contenus à destination des jeunes avec ses programmes Okoo, pour les 4-12 ans. Une offre dirigée vers les jeunes adultes est incarnée par la chaîne numérique France TV Slash. La direction de France Télévisions a annoncé la mise en place d’un projet éditorial pour les 12‑18 ans afin de résorber le manque d’offre pour cette tranche d’âge. Il est également prévu de créer au sein de la direction de l’information un nouveau service « Jeunesse et réseaux sociaux ».
Radio France développe des podcasts enfants et jeunesse depuis 2018 comme alternative aux écrans. L’offre jeunesse de Radio France connaît un franc succès avec 120 millions d’écoutes en cumulé et contribue à la lutte contre l’addiction aux écrans par la diffusion depuis juin 2024 de 2 500 épisodes au sein d’un nouvel espace sécurisé et sans publicité. Une lettre d’information à destination des parents « Zéro écran, la sélection mensuelle » a également été créée.
France Médias Monde propose également des programmes destinés notamment aux jeunes, tels que les émissions « Pas2Quartier » sur France 24, « Légendes urbaines » sur RFI et France 24 ou la plateforme « Alors on dit quoi ? » destinée précisément à la jeunesse africaine. Enfin, France Médias Monde a développé depuis 2021 une offre vidéo disponible uniquement sur les réseaux sociaux intitulée « ENTR », disponible en sept langues dont les audiences sont très encourageantes.
V. Le projet de COM 2024-2028 de France Télévisions
Le projet de COM 2024-2028 de France Télévisions comporte six engagements, articulés autour de deux objectifs principaux. Le premier objectif consiste en une accélération de la transformation de l’entreprise. Trois engagements lui sont associés :
– faire de France Télévisions une référence numérique et technologique, via une nouvelle plateforme, une nouvelle distribution et une nouvelle organisation ;
– faire converger l’audiovisuel public sur la proximité (déploiement de la marque ICI) ;
– amplifier les efforts de gestion de l’entreprise.
Le second objectif vise à renforcer la singularité éditoriale de l’offre de France Télévisions et comprend trois engagements :
– renforcer la confiance dans l’information, notamment par la lutte contre la désinformation ;
– reconquérir les jeunes publics ;
– construire une offre plurielle audacieuse et ambitieuse : France 2, chaîne de l’excellence française ; France 3, chaîne des régions ; France 5, chaîne du savoir ; France 4, chaîne de la jeunesse et de la culture.
Ces objectifs sont incontestablement ambitieux et leur mise en œuvre appellera des investissements conséquents de la part du groupe. La trajectoire financière inscrite dans le projet de COM prévoit ainsi une augmentation des concours publics en faveur de France Télévisions sur la période 2024-2028. Or cette trajectoire ne sera pas respectée.
A. La mise en œuvre des priorités du projet de COM de France Télévisions apparaît incertaine compte tenu du bouleversement de sa trajectoire financière
1. Une trajectoire financière abaissée dès la première année du COM
En 2024, France Télévisions aurait dû percevoir 45 millions d’euros de crédits inscrits au sein du programme de transformation. Compte tenu de l’annulation, en février 2024, de 13 millions d’euros de crédits et de la suspension, depuis le printemps, du versement des crédits de transformation, France Télévisions ne percevrait cette année que 12,4 millions d’euros de crédits à ce titre. Les concours publics s’établiraient ainsi, en 2024, à 2 535,1 millions d’euros au lieu des 2 568,1 millions d’euros inscrits dans le projet de COM.
De 2025 à 2028, la dotation (dotation socle et programme de transformation) de France Télévisions devait progresser d’année en année :
– 2 618,2 millions d’euros en 2025 ;
– 2 644,7 millions d’euros en 2026 ;
– 2 647,7 millions d’euros en 2027 ;
– 2 684 millions d’euros en 2028.
De 2023 à 2028, la dotation publique en faveur de France Télévisions, telle qu’inscrite dans le projet de COM, progresse ainsi de 253,5 millions d’euros.
Le projet de loi de finances pour 2025 prévoit d’allouer à France Télévisions des crédits d’un montant total de 2 567 millions d’euros, dont 18,2 millions d’euros au titre du programme de transformation. Le montant de ces crédits est donc inférieur de 51,2 millions d’euros à celui inscrit pour 2025 dans la trajectoire budgétaire du projet de COM 2024-2028. S’agissant plus spécifiquement des crédits du programme de transformation, leur montant est inférieur de 26,8 millions d’euros à celui qui était inscrit pour l’année 2025 dans la trajectoire budgétaire initiale : 18,2 millions d’euros au lieu de 45 millions d’euros. En conséquence, plus de 50 % de la baisse des concours publics accordés à France Télévisions inscrits dans le projet de loi de finances pour 2025, par rapport au montant inscrit dans la trajectoire du projet de COM, repose sur la baisse des crédits du programme de transformation, qui devait initialement permettre la conduite des projets stratégiques de France Télévisions.
Comparaison entre les concours publics inscrits dans le projet de COM et ceux prévus dans le projet de loi de finances pour 2025
Source : projet de COM 2024-2028 de France Télévisions et projet de loi de finances pour 2025.
Le 28 octobre 2024, les rapporteures ont appris qu’une nouvelle baisse des crédits de l’audiovisuel public en 2025, à hauteur de 50 millions d’euros par rapport à la trajectoire des projets de COM, serait proposée par le Gouvernement par voie d’amendement, dans le cadre de la discussion de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2025. Cet effort pèserait majoritairement sur France Télévisions : 35,47 millions d’euros sur 50 millions d’euros (cf. supra).
Au cours de son audition, Mme Delphine Ernotte-Cunci, présidente-directrice générale de France Télévisions, a rappelé qu’en l’absence de remise en cause de la trajectoire financière inscrite dans le projet de COM, l’atteinte par France Télévisions de ses objectifs stratégiques supposait déjà la réalisation d’économies substantielles, estimées à 170 millions d’euros sur la période du projet de COM et inscrites dans celui-ci.
2. Le plan d’économies prévu par France Télévisions
Le projet de COM prévoit un ambitieux plan d’économies, dont la mise en œuvre conditionne l’atteinte des objectifs stratégiques
Le plan d’affaires 2024-2028 du projet de COM de France Télévisions indique que le financement des priorités stratégiques du groupe, ainsi que la nécessaire préservation de l’équilibre d’exploitation, nécessitera un effort de l’ordre de 200 millions d’euros, dont la répartition serait la suivante :
– un plan d’économies de 170 millions d’euros environ à horizon 2028, dont 100 millions d’euros sur le fonctionnement interne de l’entreprise (renégociation du cadre social, optimisation de la planification, modernisation technologique, gains de productivité sur certains métiers, baisse des frais généraux, etc.) et 70 millions d’euros par la réduction des charges externes (maîtrise de l’inflation des dépenses de programmes, économies sur les charges externes hors programmes) ;
– un effort de dynamisation des ressources propres hors publicité de près de 30 millions d’euros, qui se traduira par le développement des activités commerciales et de la production interne du groupe. S’agissant de France Télévisions Studio (FTVS), le développement de nouveaux studios à Vendargues devrait permettre à la filiale de développer son activité de production et de louer ces espaces à des acteurs extérieurs à l’entreprise. S’agissant de France Télévisions Distribution (FTD), le groupe anticipe un accroissement du chiffre d’affaires du fait de l’augmentation de l’activité de FTVS (FTD distribue les contenus produits par FTVS) et du développement de nouvelles activités (concession de licences, spectacles, etc.).
Même en cas de respect de la trajectoire financière du projet de COM, le respect des objectifs stratégiques du groupe est donc conditionné à la réussite d’un plan d’économies très ambitieux, dont l’application pourrait avoir un fort impact sur le cadre social de l’entreprise, et sur la crédibilité duquel la Dgmic, dans ses réponses écrites adressées aux rapporteures, ne s’est pas prononcée.
La réalisation complète du plan d’économies pourrait conduire à une réduction, sur la période du COM, de 700 équivalents temps plein (ETP) au sein du groupe, alors même que plusieurs plans sociaux ont déjà été menés ces dernières années. Mme Delphine Ernotte-Cunci a rappelé, au cours de son audition, que les effectifs de France Télévisions avaient déjà fortement diminué et qu’« une nouvelle diminution des effectifs de 15 % n’apparaît pas possible ». De fait, les effectifs moyens annuels du groupe France Télévisions sont passés de 10 491 en 2012 à 8 825 en 2023, soit une diminution de 15,9 % ([52]). Dans son avis du 8 octobre 2024 sur les orientations stratégiques de l’entreprise 2024 et le projet de contrat d’objectifs et de moyens 2024-2028, le comité social et économique central (CSEC) de France Télévisions a indiqué ne pas connaître l’objectif d’ETP de la direction à horizon 2028. M. Renaud Bernard, délégué syndical central de Force Ouvrière, a exprimé son « sentiment de vivre un plan social permanent à bas bruit depuis 2015 » et les représentants syndicaux dans leur ensemble ont fait part aux rapporteures d’une dégradation du climat social au sein de l’entreprise.
Une part très importante du plan d’économies (de l’ordre de 40 %) serait conditionnée à la rénovation du cadre social de l’entreprise, c’est-à-dire de l’accord collectif unique du 28 mai 2013, qui a été conclu pour une durée indéterminée ([53]). Cet accord définit de manière précise 177 métiers, ce qui freine les efforts du groupe pour développer la polyvalence des effectifs, qui représente un levier d’économies potentiellement important. Au cours de son audition, Mme Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles, a d’ailleurs considéré que la seule possibilité de réaliser des économies substantielles résiderait dans l’évolution de l’accord collectif unique, autour du développement de la polyvalence des métiers, d’une réflexion sur le temps et l’organisation du travail. À défaut, il faudrait réaliser des économies en dépenses, sur l’information nationale, sur le numérique, sur la proximité, etc.
Interrogé par écrit, le groupe France Télévisions a indiqué aux rapporteures ne pas s’être encore engagé dans la révision de son accord collectif, du fait de la perspective de fusion des sociétés de l’audiovisuel public.
La rapporteure Sophie Taillé-Polian s’associe aux observations du CSEC et relève que les effectifs de France Télévisions ont déjà été sensiblement réduits par le passé : la marge de manœuvre est désormais nulle et l’objectif des années 2024-2028 doit être la stabilité des effectifs du groupe. En ce qui concerne l’accord collectif unique, la rapporteure n’exprime pas d’opposition de principe à la révision de la définition de certains métiers, qui pourrait être utile en termes de gains de productivité et de montée en puissance des compétences. En revanche, elle affirme que toute modification du cadre social de l’entreprise devra s’accompagner d’un dialogue social approfondi et ne pas porter atteinte à la qualité des conditions de travail des salariés du groupe, qu’elle juge déjà dégradées, en particulier au sein du réseau régional France 3. En effet, les auditions menées par les rapporteures ont mis en évidence un sentiment de délaissement, voire d’abandon, des équipes de France 3, qui manquent d’effectifs, de matériel, de reconnaissance et de considération. Selon le CSEC du groupe, le réseau régional a perdu 740 ETP entre 2015 et 2023, soit 22 % de ses effectifs, malgré une intention affichée d’accélérer la régionalisation de France 3. Selon la rapporteure, les salariés de France Télévisions ne devront en aucun cas faire les frais du désengagement financier de l’État.
La rapporteure Céline Calvez rejoint sa collègue dans son souhait de protéger les salariés du groupe de toute réforme du cadre social brutale et menée sans concertation. Cependant, elle estime que l’accord collectif devra être révisé afin d’accompagner la transformation de France Télévisions, dont les compétences et les métiers ont beaucoup évolué depuis onze ans. Encore faudra-t-il que cette réforme soit menée dans la concertation avec les organisations syndicales représentatives de l’entreprise et n’ait pas pour unique but de réaliser des économies. S’agissant d’une potentielle nouvelle réduction des effectifs du groupe, la rapporteure n’est pas en mesure de se prononcer sur son caractère indispensable dans le cadre de la réalisation du plan d’économies de France Télévisions. En tout état de cause, s’il était effectivement décidé de faire peser sur France Télévisions un nouvel effort budgétaire de 35,47 millions d’euros, l’entreprise devrait identifier des mesures d’économies immédiates afin de préserver un résultat d’exploitation à l’équilibre. Ces mesures passeraient soit par un ajustement à la baisse des ambitions stratégiques du groupe, soit par des économies supplémentaires sur l’organisation interne de l’entreprise ; dans les deux cas, il serait porté atteinte au bon fonctionnement de France Télévisions, dans une période où la présence d’un pôle public de télévision fort dans le paysage audiovisuel français n’a jamais été aussi essentielle.
Enfin, les rapporteures souhaitent que soient étudiées par le Gouvernement et France Télévisions la possibilité pour le groupe d’augmenter ses recettes commerciales hors publicité, évaluées à 24,3 millions d’euros chaque année sur la période du projet de COM. M. Renaud Bernard, délégué syndical central de Force Ouvrière, a comparé cette trajectoire avec celle de la BBC, dont la part de ressources liée à la redevance diminue, tandis que ses recettes commerciales augmentent fortement, représentant plus de 2 milliards de livres en 2022 ([54]). Mme Delphine Ernotte-Cunci a rappelé au cours de son audition que les marges de manœuvre de France Télévisions étaient limitées du fait de l’environnement réglementaire dans lequel l’entreprise évolue. En particulier, le cahier des charges de la société nationale de programme prévoit qu’au sein de la contribution de France Télévisions au développement de la production d’œuvres audiovisuelles européennes ou d’expression originale française consacrée, 82,5 % des dépenses doivent être affectées au développement de la production indépendante ([55]). France Télévisions ne peut donc produire elle-même qu’un faible nombre de programmes, ce qui limite la progression de ses recettes commerciales.
B. La transformation numérique du groupe
Le projet de COM de France Télévisions ambitionne de faire du groupe une référence numérique et technologique, via une modernisation de sa plateforme, une nouvelle distribution et une nouvelle organisation.
1. La modernisation de la plateforme France.tv
Sur la période 2020-2023, France Télévisions a atteint ses objectifs en matière numérique. Le nombre de visiteurs uniques sur la plateforme France.tv a ainsi augmenté de 300 % entre 2019 et 2023, le nombre de vidéos vues de 20,5 % et les dépenses consacrées au numérique par le groupe ont connu une hausse de 64 %. En 2024, France Télévisions est passée à plus de 33 millions de visiteurs uniques par mois ; l’équivalent d’un Français sur deux se rend donc au moins une fois par mois sur la plateforme France.tv ([56]).
La couverture mensuelle de France.tv et de Franceinfo est mesurée par l’indicateur 1 du projet de COM. Exprimée en visiteurs uniques mensuels, elle indique le nombre total d’internautes ayant visité ces deux plateformes au moins une fois pour le mois concerné, quel que soit le leur lieu de connexion : domicile, travail, autres lieux. Les internautes ayant visité les deux plateformes ne sont comptés qu’une fois. Les rapporteures estiment qu’une mesure plus précise de la performance des deux plateformes pourrait être effectuée via deux indicateurs. Comme l’a relevé l’Arcom dans son avis sur les projets de COM, « les usages de France.tv et de franceinfo étant distincts, il serait plus pertinent de définir des objectifs séparés pour chacune ». Le régulateur a en outre préconisé une mesure hebdomadaire de l’audience des plateformes, afin d’« offrir une meilleure appréciation de l’engagement et de la fréquence de consommation ».
Recommandation n° 21 : Mesurer la couverture de France.tv et de Franceinfo de façon hebdomadaire plutôt que mensuelle et la suivre à travers deux indicateurs distincts.
Ces bons résultats sont le fruit d’un travail de rationalisation de l’offre numérique du groupe, mené depuis 2018 en deux temps :
– une première vague de transformations initiées à partir de 2018 : simplification de l’offre numérique globale (réduction du nombre de sites pour n’en retenir que deux), harmonisation et modernisation des expériences, complémentarité des offres numériques avec l’antenne linéaire et une meilleure maîtrise de la distribution ;
– des adaptations complémentaires fortes, en réaction à l’évolution rapide de l’environnement concurrentiel du groupe (mutation des usages, puissance des plateformes et investissement du marché de la vidéo à la demande par les acteurs historiques de la télévision).
Le groupe France Télévisions a indiqué aux rapporteures vouloir moderniser la plateforme France.tv suivant trois axes :
– le renforcement de la personnalisation, grâce à une déclaration de centres d’intérêt pour personnaliser la page d’accueil et les communications ;
– le développement de l’interactivité, telle que proposée au cours des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 via le dispositif de la « fan zone » (fenêtre spécifique proposant un tchat en direct, des sondages etc., des outils interactifs permettant de créer de la conversation) ;
– une utilisation du multiformat, permettant au téléspectateur de bénéficier du contenu vidéo mais également d’analyses, de données sportives (par exemple, lors du Tour de France masculin de 2024 : mise à disposition du direct des étapes, d’articles web et d’analyses de données).
La mise en œuvre de ces ambitions supposera des investissements importants sur la période du projet de COM, et donc le respect de la trajectoire financière associée.
2. Des investissements conséquents et une refonte de l’organisation du groupe
Sur la période du COM, le groupe France Télévisions s’engage à accroître sensiblement son budget alloué au numérique, dont une part importante provient des crédits de transformation. La diminution de ces crédits, actée pour 2024 et envisagée pour 2025, risque donc de compromettre la réalisation de l’ensemble des investissements prévus ([57]).
Le plan d’affaires du groupe prévoit une montée en charge du budget alloué au numérique, dès 2024 : 81,7 millions d’euros en 2023 (soit à peine plus de 3 % des charges d’exploitation du groupe), 95,8 millions d’euros en 2024 (dont 32 millions d’euros de crédits du programme de transformation), 106,1 millions d’euros en 2025 (dont 45 millions d’euros de crédits du programme de transformation), 122 millions d’euros en 2026 (dont 35 millions d’euros de crédits du programme de transformation), 129,7 millions d’euros en 2027 et 141,7 millions d’euros en 2028. Les rappporteures saluent cet effort conséquent, qui vise à recentrer France Télévisions sur les enjeux numériques, encore trop secondaires par rapport au linéaire.
Au total, le groupe France Télévisions prévoit donc de consacrer au numérique, en 2028, 60 millions d’euros supplémentaires par rapport à 2023, afin de moderniser sa plateforme, financer le rapprochement des offres numériques de l’audiovisuel public et faire monter en puissance sa distribution.
Sur la période du COM, France Télévisions s’engage également à inscrire l’expertise numérique dans l’ensemble des directions de l’entreprise et atteindre ainsi un niveau de compétence partagé et à la hauteur du marché. La direction du numérique a vocation à se rapprocher des directions opérationnelles et métiers (information, sports, programmes) afin de placer la transformation numérique comme priorité pour l’ensemble du groupe. Concrètement, les fonctions seront regroupées par grands objectifs (contenus, médias et marketing), sans distinction entre les activités linéaires et numériques. Les activités liées à la connaissance des publics et à la donnée seront regroupées au sein d’une même entité et la direction des technologies assurera le pilotage technologique transverse pour tous les métiers de l’entreprise.
3. Le renforcement de la présence de France Télévisions sur les réseaux sociaux et la stratégie en matière d’intelligence artificielle
Le groupe a indiqué aux rapporteures avoir déjà renforcé la présence de France Télévisions sur les réseaux sociaux à travers l’adaptation de la mise en avant des contenus en fonction des spécificités de chaque réseau social, d’une part, et en développant de nouveaux formats adaptés aux réseaux sociaux, d’autre part.
Dans le cadre du projet de COM, France Télévisions souhaite faire monter en puissance son offre de contenus adaptés au format des réseaux sociaux, en se fondant notamment sur plusieurs projets récents, à l’instar de C quoi l’info ?, offre d’information pour les 12-15 ans, pensée pour YouTube, TikTok et Snapchat. L’indicateur 2 du projet de COM mesurera, sur la durée du COM, le nombre d’abonnements sur les réseaux sociaux ([58]), censé passer de 16 millions en 2023 à 25 millions en 2028.
France Télévisions entend s’approprier les opportunités offertes par l’intelligence artificielle générative pour gagner en efficacité et servir son projet éditorial. Le recours à cet outil serait notamment, sur la durée du projet de COM, poursuivi dans le domaine du traitement de la donnée, du sous-titrage automatique de programmes ou de la détection des fausses vidéos et images.
Pour ce faire, l’entreprise pourra s’appuyer sur un département consacré à l’intelligence artificielle au sein de la direction des technologies et des systèmes d’information. Par ailleurs, France Télévisions travaille en lien avec des start-up et des écoles pour développer des solutions d’intelligence artificielle. Le groupe a notamment créé, fin 2019, un laboratoire commun avec l’école d’ingénieurs Télécom SudParis.
En outre, France Télévisions a indiqué aux rapporteures souhaiter veiller à ce que les conséquences de l’intelligence artificielle sur le traitement de l’information soient prises en compte, ces outils étant porteurs de risques systémiques encore mal maîtrisés, notamment en matière de désinformation. Le groupe travaille ainsi à la rédaction d’une charte sur les intelligences artificielles, dont le contenu n’a pas encore été dévoilé. La charte devrait acter un certain nombre de principes clés en matière d’éthique et de responsabilité, de formation, de contenu et de confidentialité, de transparence et de propriété intellectuelle, etc. Les rapporteures saluent cette initiative sans précédent dans le secteur audiovisuel.
C. Le soutien à la création audiovisuelle et cinématographique et à la diversité culturelle
1. Le renouvellement de l’engagement de France Télévisions en faveur de la création audiovisuelle et cinématographique
À travers son projet de COM, France Télévisions s’engage à demeurer le premier financeur de la création française jusqu’en 2028, grâce à un haut niveau d’investissement dans la création audiovisuelle et cinématographique. Les rapporteures se réjouissent du niveau inédit qu’atteindrait le financement de la création audiovisuelle et cinématographique sur la période du COM, avec 440 millions d’euros investis en faveur de la création audiovisuelle, soit 20 millions d’euros de plus que le montant minimal de l’investissement annuel prévu par l’article 9 du cahier des charges de France Télévisions, et 80 millions d’euros en faveur de la création cinématographique ([59]).
Les rapporteures réaffirment leur attachement à la mission de service public de France Télévisions de soutien à la création et alertent sur le risque d’une minoration de ce soutien, compte tenu de la révision à la baisse de la trajectoire financière du projet de COM. Les représentants du secteur de la production audiovisuelle et cinématographique entendus par les rapporteures ont notamment estimé qu’une incertitude quant aux financements de leur principal partenaire ne pouvait que limiter les productions, pour l’ensemble des programmes (jeux, magazines, divertissements, fictions, documentaires, captations de spectacles vivants). Les rapporteures appellent ainsi à un respect plein et entier de l’accord du 17 juin 2024 entre France Télévisions et le ANimFrance, le Syndicat des agences de presse audiovisuelles (Satev), le Syndicat des entreprises de distribution de programmes audiovisuels (Sedpa), le Syndicat des producteurs et créateurs d’émissions de programmes audiovisuels (Spect), le Syndicat des producteurs indépendants et l’Union syndicale de la production audiovisuelle (Uspa).
L’accord du 17 juin 2024 entre France Télévisions et les représentants de la production audiovisuelle
Signé en présence de Mme Rachida Dati, ministre de la culture, l’accord du 17 juin 2024 succède à un accord de 2019. D’une durée minimale de trois ans, l’accord prévoit un investissement de 440 millions d’euros par an de France Télévisions dans la création audiovisuelle, ce montant étant inscrit dans le projet de COM. Des niveaux d’investissement par genre sont prévus, dont :
– 105 millions d’euros par an investis dans le documentaire, dont 14 millions d’euros dans le documentaire régional et ultramarin ;
– 32 millions d’euros investis en 2024, 35 millions d’euros investis en 2025, 36 millions d’euros investis en 2026 et 37 millions d’euros investis en 2027 dans l’animation ;
– 17 millions d’euros par an investis dans le spectacle vivant.
20 % de ces investissements pourront être réservés aux filiales de France Télévisions. Du fait des économies que le groupe devra réaliser dans le contexte de la baisse de l’engagement financier de l’État, cette part pourrait être minorée.
France Télévisions entend amplifier la différenciation de ses offres, afin que chaque canal de diffusion exprime une singularité propre. En particulier, France 2 aura vocation à fédérer le public le plus large possible autour d’une offre distinctive et innovante.
En matière de fiction, trois axes guideront la stratégie de France Télévisons sur la période du COM :
– un soutien continu aux créateurs, auteurs et producteurs français et, dans le cadre du plan France 2030, une attention spécifique portée à une répartition territoriale équilibrée des investissements pour poursuivre la dynamisation de la filière ;
– la poursuite et l’amplification de la politique d’adaptation littéraire et de valorisation du patrimoine français, avec une attention équivalente aux auteurs contemporains comme classiques ;
– la poursuite de la politique de coproductions internationales, avec un objectif d’amplification du rayonnement des talents français et de contribution positive à l’exportation des œuvres françaises.
Les rapporteures soutiennent ces objectifs mais souhaitent que le COM intègre un indicateur de suivi mesurant la diversité et le nombre des producteurs ayant travaillé avec France Télévisions chaque année, en particulier en matière de fiction. Un tel indicateur aurait vocation à mesurer les efforts de France Télévisions en faveur de la diversification de l’offre de fiction. En particulier, le genre policier apparaît surreprésenté.
Recommandation n° 22 : Intégrer au projet de COM un ou plusieurs indicateurs de suivi du nombre de producteurs ayant travaillé chaque année avec France Télévisions, précisant les genres concernés et les montants moyens consacrés à chacun d’eux.
L’indicateur 20 mesure le nombre de soirées consacrées à la fiction d’expression originale française sur France 2 mais les genres ne sont pas précisés. L’entreprise indique qu’elle publiera annuellement un bilan de la diversité des genres de fiction proposés sur ses antennes linéaires et numériques. Les rapporteures saluent cet engagement, d’autant plus que l’Arcom, lors de ses précédents avis, a régulièrement souligné la surreprésentation du genre policier sur les antennes du groupe. Elles considèrent qu’un tel bilan pourrait utilement être présenté sous la forme d’un indicateur, afin de garantir la diversité des genres de fiction diffusés par France Télévisions.
Recommandation n° 23 : Intégrer au COM un indicateur relatif à la diversité des genres de fictions et de documentaires diffusés sur les antennes linéaires et numériques, précisant le canal utilisé (France 2, France 3, france.tv, etc.).
Les rapporteures se réjouissent des efforts de France Télévisions en faveur du documentaire, ce genre constituant un marqueur fort de différenciation de l’offre du service public. L’intégration dans le projet de COM d’un indicateur 21 indiquant le nombre de premières parties de soirées consacrées au documentaire sur France 2 est donc particulièrement bienvenue. Ce nombre passerait de 35 en 2023 à 42 en 2028. Le groupe France Télévisions précise qu’il mènera une stratégie d’innovation se traduisant notamment par la diversité des thématiques abordées, avec une attention pour les documentaires géopolitiques, scientifiques et historiques.
De 2024 à 2028, le soutien au cinéma progresserait de 5 millions d’euros par rapport à 2023, par l’intermédiaire du préfinancement d’œuvres cinématographiques. La contribution à la création cinématographique est également supérieure au montant minimal d’investissement prévu par le décret n° 2021-1926 du 30 décembre 2021 relatif à la contribution à la production d'œuvres cinématographiques et audiovisuelles des services de télévision diffusés par voie hertzienne terrestre, dont l’article 2 prévoit que les services de télévision diffusés par voie hertzienne consacrent chaque année au moins 3,2 % du chiffre d’affaires annuel net de l’exercice précédent à des dépenses contribuant au développement de la production d’œuvres cinématographiques européennes ([60]). La part de cette obligation composée de dépenses contribuant au développement de la production d’œuvres d’expression originale française doit représenter au moins 2,5 % du chiffre d’affaires annuel net de l’exercice précédent. En 2023, France Télévisions a investi 65,4 millions d’euros dans la création cinématographique, soit un montant qui se situe au-delà de son obligation réglementaire (pour l’année 2023 : 65,3 millions d’euros, dont 58,7 millions d’euros en préfinancement) ([61]).
Les 80 millions d’euros que France Télévisions s’engage à investir chaque année en faveur de la création cinématographique – soit un montant supérieur aux obligations réglementaires du groupe – résultent d’un nouvel accord conclu par le groupe avec les représentants de la filière cinématographique ([62]). Au sein des 80 millions d’euros, 65 millions d’euros seront consacrés au préfinancement d’œuvres nouvelles, soit un niveau supérieur à ses obligations réglementaires. L’accord prévoit également une offre de cinéma renforcée sur la plateforme France.tv.
Sur la période du COM, France Télévisions entend poursuivre et amplifier ses efforts d’éditorialisation et de valorisation du cinéma français sur l’ensemble de ses antennes et de ses plateformes. Le groupe indique une réduction de l’offre de cinéma américain au bénéfice d’un renforcement des œuvres françaises et européennes. Cet effort est mesuré par l’indicateur 18 sur la part des œuvres cinématographiques d’expression originale française diffusée sur France 2 aux heures de grande écoute. Cette part, qui s’établit le groupe à 63 % pour l’année 2023, est appelée à augmenter de façon continue jusqu’en 2028, sans que France Télévisions précise dans quelles proportions.
2. Les engagements en matière d’offre culturelle
Le cahier des charges de France Télévisions détermine la mission de France Télévisions en matière culturelle et lui assigne des objectifs spécifiques : la diffusion d’au moins un programme culturel par jour en première partie de soirée (retransmissions de spectacles vivants, émissions musicales, magazines et documentaires de culture et de connaissance, événements culturels exceptionnels, œuvres de fiction axées sur la découverte et la connaissance), la diffusion régulière d’émissions musicales et de concerts, ou encore la diffusion de spectacles lyriques, chorégraphiques, dramatiques et de cirques ([63]).
Conformément à l’article 53 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, les COM ont vocation à déterminer les engagements pris au titre de la diversité et de l’innovation dans la création. Or le projet de COM 2024-2028 ne comporte pas réellement d’engagements dans ce domaine.
Ainsi, le projet de COM réaffirme l’exposition de la culture, des arts et des spectacles sur toute la durée de la période couverte, en reprenant deux engagements du cahier des charges :
– la diffusion d’au moins 60 spectacles et concerts à des heures de grande écoute sur France 2, France 3 et France 5 chaque année, dont la moitié sur France 2 et France 3 ;
– l’obligation de proposer au moins un programme culturel par jour en première partie de soirée.
Avant la réécriture de l’article 6 du cahier des charges de France Télévisions, résultant de la publication du décret n° 2023-666 du 25 juillet 2023, il revenait au conseil d’administration de France Télévisions de fixer une obligation annuelle de diffusion des spectacles et émissions, en utilisant un système de points. Depuis, le II de l’article 6 du cahier des charges de France Télévisions prévoit que « la société propose annuellement sur ses services nationaux de télévision, à l’exception des programmes régionaux ou locaux de France 3, au moins 390 diffusions ou rediffusions de spectacles, concerts ou émissions mentionnés au I. Au moins 60 de ces diffusions ou rediffusions interviennent sur France 2, France 3 et France 5. Une part significative de cette obligation doit intervenir sur les seuls services France 2 et France 3. »
Le projet de COM se contente ainsi de reprendre les engagements du cahier des charges, sans objectifs précis et sans progressivité. Cela est d’autant plus regrettable que l’Arcom, dans son avis relatif au rapport d’exécution des COM de France Télévisions, Radio France et France Médias Monde pour l’année 2023 ([64]), a rappelé que si France Télévisions avait atteint et dépassé « facilement » l’objectif du COM avec la diffusion de 276 spectacles en 2023, seulement 21 spectacles avaient été diffusés sur France 2, France 3 ou France 5. L’Autorité a ainsi invité le groupe à « redoubler d’effort pour respecter ses engagements en faveur de l’exposition du spectacle vivant sur ses antennes historiques ». Dans son avis du 28 septembre 2023 relatif au rapport d’exécution des contrats d’objectifs et de moyens de France Télévisions, Radio France et France Médias Monde pour l’année 2022, l’Arcom avait déjà déploré que « le groupe ait réduit à 22 le nombre de spectacles diffusés en première partie de soirée sur France 2, France 3 et France 5 en 2022, soit moins de la moitié de l’objectif » ([65]).
Les rapporteures appellent donc France Télévisions à soutenir davantage l’exposition du spectacle vivant sur ses antennes historiques, en respectant pleinement l’objectif de diffusion de 60 spectacles à des heures de grande écoute.
Pour ce faire, elles souhaitent la réintroduction dans le projet de COM d’un indicateur relatif au nombre de spectacles diffusés sur France 2, France 3 et France 5 en première partie de soirée, distinguant le genre des spectacles diffusés (théâtre, danse, opéra, musique, etc.). Par exemple, le soutien de France Télévisions à l’exposition de la filière musicale n’est pas mentionné dans le projet de COM.
Enfin, les rapporteures rappellent que France Télévisions doit également exposer dans ses programmes les arts visuels (peinture, sculpture, photographie, design, street art, art vidéo, art numérique, architecture, bande dessinée, illustration jeunesse, etc.), qui constituent l’un des piliers de la culture française. Dans un courrier commun adressé aux rapporteures, la Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (Adagp) et le Comité professionnel des galeries d’art (CPGA) ont regretté que le projet de COM de France Télévisions ne comprenne pas d’engagement de diffusion de tels programmes, alors que le cahier des charges de France Télévisions n’accorde que peu de place aux arts visuels ([66]). L’intégration dans le projet de COM de France Télévisions d’un indicateur de suivi mesurant les efforts du groupe en faveur de la valorisation des arts visuels serait donc particulièrement bienvenue.
Recommandation n° 24 : Introduire dans le COM de France Télévisions un indicateur relatif au nombre de spectacles et programmes culturels diffusés sur France 2, France 3 et France 5 en première partie de soirée, distinguant le genre des spectacles, ainsi qu’un indicateur spécifique relatif à l’exposition des arts visuels, les distinguant également par genre.
VI. Le projet de COM de Radio France
Premier groupe radiophonique en France, Radio France entend conserver sa position de média fédérateur au service de tous les Français. Alors que les audiences du média radio sont en décrochage, Radio France est le seul groupe à avoir vu ses audiences augmenter, atteignant 30 % de part d’audience en 2023 ([67]). L’ensemble des chaînes du groupe progressent, à l’exception de France Bleu qui souffre toujours d’une érosion de sa part d’audience, celle-ci demeurant sous les 5 % ([68]).
Radio France prévoit de concentrer ses efforts sur quatre enjeux majeurs : l’information, la proximité, la culture et la jeunesse, par la poursuite des six objectifs inscrits dans le projet de COM :
– offrir un service public audio clair, complet et accessible à tous ;
– consolider sa place et celle du média radio à l’ère numérique ;
– proposer une offre d’information de référence ;
– bâtir une offre de proximité renforcée au service de la cohésion ;
– œuvrer pour la souveraineté et la diversité culturelle ;
– construire une entreprise modernisée et consciente des enjeux de son temps.
A. La mise à disposition d’une une offre lisible, accessible et à la pointe des nouveaux usages
L’offre éditoriale de Radio France se démarque par sa grande clarté : sept offres éditoriales distinctes sont présentées au sein des sept stations du groupe, dans le but de toucher un public le plus large possible. Si Radio France demeure le premier groupe radiophonique français, ses contenus peinent néanmoins à toucher les jeunes et les classes socio-professionnelles les moins favorisées en comparaison de ses concurrents privés.
1. Le déploiement d’une offre numérique ambitieuse
Alors que presque 20 % du volume d’écoute de la radio s’effectue sur des supports numériques ([69]), l’entreprise poursuit sa transition dans ce domaine par la mise à disposition de contenus sur sa plateforme (disponible en ligne et sur l’application), récemment remodelée.
La période du précédent COM a marqué un tournant numérique pour la société. 3,5 milliards d’écoutes numériques ont été recensées par Radio France en 2023, dont 1 milliard à partir de sa plateforme. Cette plateforme comptabilise désormais 1 million de comptes utilisateur. Les offres en ligne de Radio France ont ainsi représenté 285 millions d’écoutes par mois, une augmentation de 12 % par rapport à 2022. Selon l’inspection générale des finances, Radio France capte désormais 47 % du marché du podcast en France et l’application a dépassé la plateforme d’Apple en nombre d’écoutes.
La plateforme Radio France constitue un formidable catalogue de contenus gratuits : la société annonce la poursuite de son développement afin d’améliorer son ergonomie, la clarté et la complémentarité des propositions et le fonctionnement de son algorithme de recommandations. Depuis 2022, Radio France dispose d’une méthode hybride de recommandation, reposant à la fois sur un algorithme et sur les choix de l’équipe éditoriale afin de personnaliser au mieux les propositions tout en éloignant l’auditeur des bulles informationnelles que peuvent présenter les algorithmes traditionnels. Afin d’améliorer encore sa performance, la plateforme bénéficie d’une direction éditoriale propre depuis 2024. Les contenus informatifs et locaux de Radio France sont par ailleurs également disponibles sur le média global Franceinfo et sur l’offre numérique de proximité ICI. Les représentants de Radio France indiquent, dans leur contribution écrite aux travaux des rapporteures, vouloir également valoriser le fonds d’archives du groupe afin de compléter l’offre existante. Très récemment, la plateforme a ainsi accueilli les archives de l’émission « 2 000 ans d’histoire ».
La spécificité de Radio France réside dans sa production de podcasts entièrement internalisée, sans faire appel à des sociétés de production externes. L’entreprise développe des initiatives visant à attirer de nouveaux talents, comme son dispositif Pod’Casting. La place de Radio France sur le marché du podcast est la preuve du succès de cette méthode de production. Par ailleurs, la société ouvre son studio de création à des acteurs extérieurs afin de proposer des solutions techniques d’enregistrement des contenus audio et de contribuer à la vitalité des industries culturelles. Les collaborations avec des acteurs tiers dans la production de podcasts diffusés sur la plateforme Radio France demeurent toutefois limitées. Afin d’offrir une visibilité accrue à l’offre française en la matière, la rapporteure Céline Calvez propose de diffuser des podcasts externes sur la plateforme, dans le cadre d’un partenariat avec des acteurs privés.
Radio France indique distribuer ses contenus le plus largement possible, sur les réseaux sociaux, les plateformes tierces et les environnements connectés. La société tient à diffuser ses émissions en direct sur les assistants vocaux et les enceintes connectées sans intermédiation afin de faciliter l’accès à ses contenus pour les usagers. Radio France poursuit également une stratégie de positionnement sur le marché de l’automobile et des tableaux de bord connectés, environnement privilégié de l’écoute du média radio.
Recommandation n° 25 de la rapporteure Céline Calvez : Participer à la mise en valeur de la production française de podcasts en intégrant à la plateforme de Radio France une offre de podcasts produits par des acteurs externes.
2. Une offre jeunesse en plein essor
L’offre jeunesse de Radio France prend de l’ampleur grâce à une sélection de podcasts foisonnante. 2 500 podcasts ont été produits depuis 2018, totalisant de 37 millions d’écoutes en 2023. Cette offre gratuite, disponible sur une plateforme sécurisée et sans publicité, contribue au développement d’une offre de divertissement sans écran pour les jeunes auditeurs. Alors que le média radio peine à attirer les jeunes de 13 à 24 ans, dont les audiences cumulées sont en baisse constante depuis 2017 ([70]), Radio France capte 50 % des audiences de cette classe d’âge. Les podcasts développés par Radio France ciblent une population jeunesse importante dès l’âge de 2 ans. Le succès de certains podcasts, comme « Les Odyssées » donne lieu à des projets dérivés : Radio France a ainsi lancé à la rentrée 2024 « L’école des Odyssées », concours proposant aux élèves de CM2 de créer un podcast sur un personnage historique de leur choix. Cette première édition réunit 1 400 classes et 35 000 élèves.
Alors que les jeunes Français déclarent s’informer majoritairement sur les réseaux sociaux ([71]) , Radio France s’engage afin de proposer une information vérifiée précisément ciblée sur les jeunes adultes. Le projet de COM indique qu’un « bureau des idées » sera créé ([72]) afin de concevoir des formats destinés au numérique, dans le but d’attirer les personnes les plus éloignées de l’audio. Pour la société, il s’agit également de préparer l’avenir du service public de la radio en attirant son futur auditoire dès le plus jeune âge.
3. Le déploiement du DAB+ se poursuit
Afin d’offrir un accès souverain à l’ensemble de ses antennes, Radio France poursuit le déploiement du DAB+ ‒ la radio numérique terrestre ‒ et ambitionne dans le présent projet de COM de couvrir plus de 60 % de la population métropolitaine et 90 % des autoroutes en 2028. La société envisage également de participer à l’optimisation du parc des fréquences et indique soutenir la non-réattribution des fréquences FM afin d’inciter l’ensemble du secteur radio à la transition vers le DAB+.
B. Une offre d’information et de proximité en cours en consolidation, en coopération avec France Télévisions
1. L’information, pilier de l’offre éditoriale de Radio France
Les rédactions de Radio France produisent chaque semaine 1 200 heures d’information, ce qui représente 55 % du temps d’antenne de l’ensemble des stations. Garantir la fiabilité des informations, améliorer les capacités d’investigation et proposer des contenus complets sont au cœur de la mission de service public de la société. À ce titre, l’indicateur 6 du projet de COM met en avant un taux de confiance élevé de la part des auditeurs envers les antennes de Radio France, de 75 %.
En supplément des contenus produits directement par les équipes des différentes antennes, plusieurs services transversaux sont chargés de fournir les stations en programmes d’information : la direction de l’investigation, la direction des sports et la direction de l’information internationale. Au cours de leur audition, les représentants de la société des journalistes de Radio France, s’ils ont souligné l’intérêt que constituaient les actuelles directions transverses pour l’information, ont fait part aux rapporteures de leurs craintes quant à une multiplication de tels services communs. Pour les journalistes ceci participerait à l’uniformisation de l’information diffusée par les différentes stations, à contresens de leur objectif de différenciation.
Radio France collabore avec France Télévisions dans la mise en œuvre de l’acte II du média Franceinfo. Toutefois, les sociétés de journalistes et les syndicats auditionnés ont fait part aux rapporteures de leurs réserves quant à la gestion et l’éditorialisation du site internet Francetvinfo par France Télévisions en raison des disparités d’audiences existant entre l’offre radio et l’offre télévisuelle. Comme mentionné précédemment, les rapporteures sont en faveur d’un rééquilibrage entre les deux sociétés dans la gestion du site internet (voir supra, recommandation n° 13)
Radio France s’engage dans la lutte contre la désinformation à travers son agence de vérification, dont l’objectif est de devenir commune avec France Télévisions, ainsi qu’à travers sa collaboration à la marque « Vrai ou faux » avec les autres entités de l’audiovisuel public (voir supra). À ce titre, Radio France indique s’appuyer sur la technologie d’intelligence artificielle via son outil Statcheck, développé avec l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria). Cet outil permet de comparer les données publiées dans les médias et sur les réseaux sociaux avec les bases de données existantes afin de débusquer les fausses informations.
2. Le renforcement de l’offre de proximité
Le réseau France Bleu est amené à intégrer totalement le média global de proximité ICI, la marque devant disparaître progressivement à partir de janvier 2025.
Radio France souhaite poursuivre la ligne éditoriale de ses antennes locales dans le cadre de ce projet, centrée sur « l’actu locale, la musique et la bonne humeur ». Une webradio 100 % chanson française est également déployée sur le site ICI et la plateforme Radio France afin de renforcer l’offre de divertissement. Les rapporteures demeurent attentives aux conséquences de la mise en place de cette nouvelle radio en ligne, notamment au regard du respect des quotas de chansons française diffusées devant être atteints par la radio France Bleu linéaire. Elles espèrent que cette nouvelle offre ne détournera pas les auditeurs des antennes locales. Le renouvellement de l’offre audio de France Bleu s’effectuera par une production encore plus localisée, une valorisation de la vie locale et une offre de divertissement plus fournie. Afin que les utilisateurs s’approprient la nouvelle offre ICI, les rapporteures insistent sur la nécessité de promouvoir dès que possible le nouveau réseau sur toutes les antennes de Radio France, et de ne pas limiter ces actions aux antennes France Bleu.
Recommandation n° 26 : Assurer la promotion de l’offre ICI sur l’intégralité des antennes de Radio France.
C. Le soutien à la créativité et à la diversité culturelle
1. Un engagement continu en faveur de la diversité culturelle
Radio France mène une politique de soutien à la diversité et à l’émergence de la production musicale française. Chaque année, la part des musiques francophones dans la programmation musicale de l’ensemble des antennes atteint 50 % et 140 000 titres sont diffusés sur la radio musicale Fip. La société s’engage dans la diversité de son offre musicale en mettant à l’honneur en moyenne 230 compositeurs par an, dans une grande variété de programmes. La société développe également des projets hybrides comme des concerts de hip-hop et de pop symphoniques, en partenariat entre les stations de radio et les quatre formations musicales de Radio France.
Afin d’accroître la visibilité des orchestres, une alliance a été développée entre la station France musique et la direction de la musique et de la création de Radio France afin de proposer une offre numérique et une direction éditoriale communes.
Alors que les stations Mouv’ et Fip sont la tête de proue de l’offre musicale contemporaine de Radio France, les rapporteures regrettent l’absence d’indicateurs portant sur la part de titres francophones et sur le nombre de nouveaux talents francophones sur cette dernière.
Recommandation n° 27 : Intégrer dans le COM deux indicateurs mesurant la part de titres francophones et le nombre de nouveaux talents francophones diffusés sur Fip.
2. Une mise en avant du spectacle vivant français à renforcer, notamment auprès des plus jeunes
Radio France participe à la mise en avant du spectacle vivant français et francophone grâce à la programmation de concerts radiodiffusés et aux activités de ses ensembles musicaux. Son ambition est de favoriser le rayonnement du patrimoine musical et de promouvoir la création contemporaine grâce à l’Orchestre philarmonique de Radio France, l’Orchestre national de France, le Chœur et la Maîtrise de Radio France.
Après des saisons 2019-2020 et 2020-2021 marquées par les crises sanitaires et économiques, les trois dernières années témoignent d’une dynamique en termes de fréquentation, particulièrement forte pour 2023-2024 : 168 000 spectateurs ont été accueillis lors de 171 concerts programmés au sein de la Maison de la radio et de la musique et dans les salles partenaires pour cette dernière saison. Les organisations syndicales de Radio France ont toutefois alerté les rapporteures sur la diminution du nombre des concerts programmés à l’antenne, conséquence selon elles de la baisse de moyens de la société. En effet, si la dynamique de fréquentation et de billetterie est positive sur la période 2021-2024, on observe une diminution du nombre de spectacles présentés et diffusés de 18 % entre la première et la dernière année.
L’âge moyen du public des concerts a diminué (52 ans sur la saison 2023-2024 contre 58,7 ans lors de la saison 2015-2016), en raison du développement d’une politique ciblée à destination des moins de 28 ans. Cette stratégie consiste à développer des propositions artistiques innovantes en collaboration avec les antennes ainsi qu’à déployer une offre de tarifs réduits sur les concerts, laquelle a bénéficié à 1 961 jeunes de moins de 28 ans sur la saison 2023-2024. Si le nombre de « pass jeune » vendus a plus que doublé par rapport à la saison précédente, il demeure faible. Disponible dès 16 ans, celui-ci n’est par ailleurs pas proposé sur l’application pass culture. Les rapporteures recommandent ainsi d’augmenter la visibilité de l’offre de tarifs réduits à destination des moins de 28 ans afin d’augmenter le recours à ce dispositif favorisant l’accès à la culture en intégrant notamment cette offre au pass culture
Recommandation n° 28 : Augmenter le nombre d’offres à tarif réduit vendues aux moins de 28 ans et intégrer aux COM un indicateur mesurant la progression de ces ventes.
Recommandation n° 29 : Faire figurer l’offre jeune proposée par la Maison de la radio et de la musique sur le dispositif du pass culture.
Le travail de diversification des publics s’est en outre renforcé ces dernières saisons avec, à partir de la saison 2021-2022, la mise en place de concerts « Relax » à destination de publics en situation de handicap et, à partir de la saison 2023-2024, une première expérimentation de concert avec des gilets sensoriels à destination de publics sourds et malentendants.
Radio France s’engage également à faire vivre le patrimoine musical dans les lieux éloignés de la culture grâce à son projet de « Grand tour de l’Orchestre national de France » : chaque saison une douzaine de concerts sont donnés en région, accompagnés sur le terrain par les équipes des antennes locales de France Bleu.
Le travail de diffusion des concerts s’appuie également sur la stratégie de développement numérique de Radio France, en particulier via la plateforme France Musique qui propose depuis 2017 un accès gratuit à la diffusion en direct et en différé des concerts, en partenariat avec Arte et Culturebox.
Les rapporteures soulignent la mission essentielle que poursuit Radio France dans le partage d’une offre culturelle de qualité. Elles déplorent néanmoins la baisse du nombre de concerts organisés et diffusés et le peu d’ambition des indicateurs de suivi, dont les cibles sont inférieures aux données de référence pour 2023.
Recommandation n° 30 : Fixer des cibles plus ambitieuses au sein de l’indicateur 11 du COM dans le but d’augmenter le nombre de concerts organisés et diffusés par Radio France.
D. Des efforts demandés dans un contexte social en tension
1. Un budget équilibré malgré une trajectoire financière contrainte
Le plan d’affaires présenté dans le projet de COM fait état d’un budget équilibré et d’une trésorerie qui devrait se rétablir à horizon 2028.
En 2024, Radio France aurait dû percevoir 15 millions d’euros de crédits inscrits au sein du programme de transformation, ramenés à 10,7 millions d’euros à la suite de l’annulation de crédits de février dernier. Avec la suspension, depuis le printemps, du versement des crédits de transformation, Radio France ne percevrait cette année que 4,1 millions d’euros de crédits à ce titre. Les concours publics s’établiraient ainsi, en 2024, à 669,8 millions d’euros au lieu des 676,4 millions d’euros inscrits dans le projet de COM.
De 2025 à 2028, la dotation publique (dotation socle et programme de transformation) de Radio France devait progresser d’année en année :
– 683,3 millions d’euros en 2025 ;
– 692,8 millions d’euros en 2026 ;
– 694 millions d’euros en 2027 ;
– 715 millions d’euros en 2028.
Entre 2025 et 2028, la dotation publique en faveur de Radio France, telle qu’inscrite dans le projet de COM, progresse ainsi de 31,7 millions d’euros.
Le projet de loi de finances pour 2025 prévoit d’allouer à Radio France des crédits d’un montant total de 666,2 millions d’euros, dont 6,1 millions d’euros au titre du programme de transformation. Le montant de ces crédits est donc inférieur de 17,1 millions d’euros à celui inscrit pour 2025 dans la trajectoire budgétaire du projet de COM 2024-2028. Les crédits du programme de transformation sont en baisse ; ils devaient s’élever à 15 millions en 2025.
L’amendement du Gouvernement déposé le 4 novembre prévoit la suppression des crédits alloués au programme de transformation pour 2025 et la réduction de la dotation socle de 500 000 euros, portant la différence des crédits entre le projet de COM et le projet de loi de finances pour 2025 à 23,7 millions d’euros pour l’année à venir.
Les rapporteures relèvent l’ambitieuse stratégie de développement des ressources propres de Radio France, qui devraient progresser de 82 millions d’euros en 2023 à 88 millions d’euros en 2028, principalement grâce à l’augmentation des activités de diversification de la société. Celles-ci sont constituées des droits d’exploitation des habillages et des génériques, des activités d’éditions, des concessions et locations d’espaces, de l’exploitation commerciale des studios et des activités du Studio Radio France de production de podcasts.
Lors de son audition, la présidente-directrice générale de Radio France a indiqué au rapporteures que l’entreprise subirait un effort cumulé de 34 millions d’euros sur les charges courantes sur la durée du COM, ainsi qu’un effort de 15 millions d’euros au titre du redéploiement interne, notamment au regard des nouveaux usages numériques.
Afin de respecter sa trajectoire financière, Radio France devra également mettre en place un plan d’économies de 20 millions d’euros. La Dgmic a indiqué, dans sa contribution écrite, que ces économies devront être absorbées par une révision des dispositifs en matière de rémunération et de temps de travail des salariés, la masse salariale constituant 55 % des charges.
S’agissant de la gestion de la masse salariale, le présent projet de COM indique la poursuite d’une stratégie de maîtrise des effectifs avec une augmentation des contrats à durée indéterminée et une diminution des contrats à durée indéterminée. Cette stabilisation s’inscrit toutefois dans le prolongement d’une réduction des effectifs menée depuis plusieurs années. Le projet de COM prévoit également le redéploiement de 205 ETP en raison de l’évolution des métiers, dans le cadre du projet stratégique de l’entreprise.
2. Une entreprise engagée et innovante dont le climat social est néanmoins dégradé
L’entreprise Radio France s’engage dans la transition écologique avec un plan de sobriété énergétique et un objectif de baisse de 20 % de son bilan carbone à horizon 2030.
S’agissant de la diversité et de l’égalité femme-homme, Radio France indique agir en faveur de la parité et affiche un objectif de 50 % de femmes expertes ([73]) et d’un minimum de 45 % de femmes à l’antenne (indicateur 16.1). Le projet de COM inclut également un indicateur mesurant l’engagement de l’entreprise en matière de diversité (indicateur 16.2).
Enfin, Radio France se positionne comme une entreprise innovante travaillant au plus près des nouvelles frontières technologiques comme l’intelligence artificielle. Une certaine prudence est perceptible dans le projet de COM, qui prévoit une progression par expérimentation afin de mesurer tant l’intérêt technologique que la conformité éthique des nouveaux outils déployés. Les coopérations seront renforcées avec les autres entités de l’audiovisuel public dans le cadre du groupe « technologies de l’audiovisuel public » (TAP) pour partager les innovations et les bonnes pratiques. Afin de faire bénéficier à tous du développement de nouvelles avancées, un partage des briques technologiques développées en open source est actuellement à l’étude.
Les syndicats entendus par les rapporteures ont témoigné d’un climat social dégradé, en raison d’une augmentation de la charge de travail, d’une demande de polyvalence accrue et d’une mutation des métiers liée aux évolutions technologiques provoquant une perte de sens. Ces avancées, telles que l’automatisation des régies ou l’intégration d’outils d’intelligence artificielle, ont été mal reçues par les salariés, qui les perçoivent comme une menace pour leurs professions. Les représentants des organisations syndicales entendus par les rapporteures ont également indiqué que l’instauration de nombreuses couches de management – par exemple dans le cas de projets communs entre antennes – contribuent à diluer les responsabilités et alourdir les processus, neutralisant la sensation de participer à une action commune. Les projets de coopération avec d’autres entités de l’audiovisuel public participent également à cette dégradation du contexte social, notamment le rapprochement de France Bleu et de France 3 dans le cadre du projet ICI, les employés craignant une uniformisation de leur travail et une perte de leur identité.
VII. Le projet de COM de France Médias Monde
Le projet de COM 2024-2028 de France Médias Monde (FMM) s’articule autour de cinq grands objectifs :
– cultiver la confiance avec les publics en proposant une information plurilingue internationale libre et indépendante partout dans le monde, en luttant contre la désinformation et en contribuant à l’éducation aux médias et à l’information ;
– accroître l’impact mondial de France Médias Monde, en cultivant la proximité avec les publics ;
– mettre le numérique au cœur des enjeux de distribution et d’innovation, via la poursuite de l’adaptation des offres éditoriales de France Médias Monde à l’évolution des usages du numérique et l’adaptation de l’entreprise aux enjeux du numérique ;
– agir en tant que grand groupe de service public exemplaire, avec le sens du collectif, en tenant compte de l’urgence écologique et en menant une politique d’inclusion et de responsabilité éthique ;
– poursuivre une gestion rigoureuse et efficiente, en s’adaptant aux enjeux de transformation.
A. Une entreprise qui évolue dans un climat social contrasté et un contexte géopolitique dégradé
1. Des audiences en progression, un point de vigilance sur le numérique
Au terme du COM 2020-2022, prolongé par avenant pour l’année 2023, France Médias Monde a atteint une audience hebdomadaire cumulée de 255,5 millions de téléspectateurs, auditeurs et internautes dans le monde, soit une augmentation de 20 % en cinq ans ([74]). Fin 2023, la chaîne France 24 était distribuée dans 533 millions de foyers, contre 404 millions en 2019, soit une augmentation de 32 % de sa présence à travers le monde. Radio France Internationale (RFI) et Monte Carlo Doualiya (MCD) continuent de bénéficier d’un large réseau de 155 fréquences FM et de près de 1 700 radios partenaires à travers le monde.
Les rapporteures saluent ces performances, d’autant plus que France Médias Monde évolue dans un contexte international marqué par la montée en puissance de la défiance vis-à-vis de la France et de phénomènes de censure dans certains pays. En 2022 et 2023, le groupe a ainsi été victime de censures en Russie (France 24), au Mali, au Burkina Faso et au Niger (RFI et France 24), ainsi qu’à Tripoli en Libye (MCD). MCD a également été coupée à Khartoum (Soudan), à cause de la guerre civile en cours dans ce pays. Ces censures et cette coupure représentent, selon France Médias Monde, une perte d’audience de 7 millions d’auditeurs et de téléspectateurs en Afrique.
Du fait de ce contexte, la confiance dans l’information diffusée par les antennes de France Médias Monde, évaluée par l’indicateur de suivi 1.1 du projet de COM, qui mesure les opinions favorables évaluant l’expertise, l’objectivité et le caractère référent de l’information, apparaît en fort retrait ces dernières années. Entre 2020 et 2023, le taux d’opinions favorables vis-à-vis de MCD au Proche et au Moyen-Orient est passé de 69 % à 56 %. Le taux d’opinions favorables vis-à-vis de France 24 au Maghreb, quant à lui, est passé de 71 % en 2019 à 55 % en 2023. Pour les années à venir, le projet de COM de France Médias Monde n’indique pas de cible précise, ce que déplorent les rapporteures. Si la diminution du niveau de confiance dans l’offre d’information de France Médias Monde est en grande partie due à la détérioration du contexte international et aux attaques que subit la France dans certaines régions du monde, il est impératif que l’entreprise se donne pour objectif, dans le COM, de renouer avec la confiance des publics dans les années à venir. Pour ce faire, les rapporteures souhaitent que l’indicateur 1.1 précise, sur la période du COM, une cible ambitieuse et non un simple suivi.
Recommandation n° 31 : Renseigner une cible précise et à la hausse du niveau d’opinions favorables évaluant l’expertise, l’objectivité et le caractère référent de l’offre d’information de France Médias Monde mesuré par l’indicateur 1.1 du COM.
France Médias Monde propose ses offres en langue française et en 21 langues étrangères, ce qui représente près de 200 heures de production quotidienne. L’audience des offres en français et en langues étrangères est mesurée par l’indicateur 3.3, qui perd en précision par rapport au précédent COM. En effet, celui-ci mesurait les audiences en français et en langues étrangères en linéaire et sur les environnements numériques propres de France Médias Monde. Les résultats des dernières années sont globalement positifs, puisque :
– les audiences linéaires (en millions d’auditeurs et téléspectateurs hebdomadaires) en français sont passées de 65 millions en 2019 à 78 millions en 2023 ;
– les audiences linéaires (en millions d’auditeurs et téléspectateurs hebdomadaires) en langues étrangères sont passées de 78 millions en 2019 à 90 millions en 2023 ;
– les audiences numériques (mesurées sur les environnements propres) en français sont passées de 20,8 millions en 2019 à 21,4 millions en 2023 (en millions de visites mensuelles) ;
– les audiences numériques (mesurées sur les environnements propres) en langues étrangères sont passées de 20,2 millions en 2019 à 19,6 millions en 2023 (en millions de visites mensuelles).
Si les audiences numériques en français sont en progression, le résultat atteint en 2023 demeure inférieur à l’objectif inscrit dans le projet de COM (25 millions). Les audiences numériques en langues étrangères ont légèrement diminué et sont très largement inférieures à l’objectif de 2023 (30 millions).
Il apparaît donc d’autant plus important de continuer à distinguer le numérique du linéaire dans la mesure des audiences en français et en langues étrangères de France Médias Monde, ce qui n’est pas la méthode retenue par le projet de COM, l’indicateur 2.3 mesurant, d’une part, les audiences en français, et, d’autre part, les audiences en langues étrangères. Par ailleurs, la cible manque d’ambition, puisque le volume de contacts hebdomadaires passerait de 255,5 millions en 2023 à 265 millions en 2028. À la fin du COM, le calcul des audiences ne distinguerait même plus le français des langues étrangères.
Par conséquent, les rapporteures invitent l’entreprise à continuer à mesurer les audiences linéaires et numériques de façon distincte sur la période du COM.
Recommandation n° 32 : Distinguer le numérique du linéaire dans la mesure des audiences en français et en langues étrangères de France Médias Monde.
2. Les efforts demandés à France Médias Monde en 2025 pourraient détériorer le climat social de l’entreprise, déjà tendu
Le projet de COM indique une progression de 40,8 millions d’euros, à horizon 2028, de la dotation de l’entreprise par rapport à 2023 (dont 11,6 millions d’euros de crédits de transformation versés entre 2024 et 2026).
Une première atteinte à cette trajectoire a été portée en 2024, avec l’annulation en février d’1,5 million d’euros de crédits sur les 5 millions d’euros de crédits du programme de transformation dont devait bénéficier l’entreprise. À ce jour, France Médias Monde a perçu 1,4 million d’euros au titre du programme de transformation. En 2024, compte tenu de la suspension du versement de 30 millions d’euros de crédits (cf. supra), ce sont donc 3,6 millions d’euros de crédits du programme de transformation qui seraient annulés.
En 2025, la baisse globale de la dotation de France Médias Monde, par rapport à la trajectoire financière inscrite dans le projet de COM, se répartirait ainsi :
– une baisse de la dotation « socle » de 3,9 millions d’euros par rapport à celle prévue dans le projet de COM, soit une évolution entre 2024 et 2025 ramenée à + 2,9 millions d’euros, contre + 6,8 millions d’euros inscrits dans la trajectoire du projet de COM ;
– une baisse de la dotation publique affectée aux programmes de transformation à hauteur de 3 millions d’euros : 5 millions d’euros sont prévus en 2025 dans le projet de COM, ramenés à 2 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2025.
Selon Mme Marie-Christine Saragosse, présidente-directrice générale de France Médias Monde, cette baisse de la dotation sera difficilement absorbable par l’entreprise, qui envisage des économies sur son bail immobilier, une limitation des renégociations salariales annuelles, une potentielle économie sur les coûts de diffusion (arrêt de la diffusion de France 24 dans les territoires ultramarins), le gel de certaines dépenses de fonctionnement, etc.
Mme Saragosse a rappelé qu’il était selon elle impossible de mettre en œuvre un nouveau plan de départs volontaires, le dernier en date, qui a été mené de 2019 à 2021 et qui a concerné une vingtaine d’ETP au sein de RFI et de MCD, ayant conduit à la désorganisation des rédactions. Cette position est partagée par les organisations syndicales, qui ont été entendues par les rapporteures au cours d’une table ronde. La CFTC de France Médias Monde, dans sa contribution écrite aux travaux des rapporteures, a ainsi estimé que ce plan « a été particulièrement néfaste pour le climat social et la cohésion des équipes. Initialement censé alléger la masse salariale, il a en réalité entraîné une perte de compétences clés dans certaines rédactions (notamment RFI et MCD) et une surcharge de travail pour les équipes restantes. Les conséquences négatives de ce plan continuent de se faire sentir, affaiblissant la capacité de FMM à se restructurer de manière pérenne. »
Selon Mme Saragosse, la rationalisation des réseaux de distribution et de diffusion des médias du groupe a permis une économie de 18 % en cinq ans et une politique de modération salariale a été conduite, la masse salariale représentant 55 % des charges de l’entreprise, et plus de 70 % dans les seules rédactions. De fait, plusieurs syndicats ont fait part de leur mécontentement face à cette politique de modération salariale. Selon la CFTC, 75 % des salariés n’auraient pas bénéficié d’augmentation entre 2017 et 2021. Si une prime de partage de la valeur, destinée à compenser les effets de l’inflation, a été versée en 2022, elle n’a pas été reconduite en 2023 et 2024.
Mme Saragosse a estimé que l’entreprise était en mesure d’absorber les déficits de 2024 et de 2025 sur ses capitaux propres, significativement renforcés ces dernières années ([75]). En revanche, une dégradation durable de la trajectoire financière au-delà de 2025 pourrait avoir des conséquences sur les ambitions stratégiques de France Médias Monde. Mme Saragosse a établi une comparaison entre les moyens de l’entreprise et ceux de ses concurrents internationaux. En 2023, Deutsche Welle disposait ainsi d’un budget de 408 millions d’euros et BBC World Service d’un budget de 412 millions d’euros, contre 276,9 millions d’euros pour France Médias Monde. Les rapporteures expriment leur préoccupation face à un tel écart et rappellent que financer correctement l’audiovisuel extérieur français revient à financer le rayonnement de la France dans le monde.
Ce désengagement de l’État risque de peser sur les capacités de France Médias Monde à assurer sa mission d’information partout dans le monde, qui ne semble pas correctement assurée à ce jour. M. Raphaël Moran, journaliste à RFI et représentant du Syndicat national des journalistes (SNJ), a ainsi alerté au cours d’une table ronde sur les dizaines de reportages sur le terrain qui auraient été annulés faute de moyens, de même que Mme Sabine Mellet, déléguée syndicale de la CGT.
Par ailleurs, l’ajustement à la baisse de la trajectoire budgétaire de France Médias Monde pourrait avoir un impact sur la transformation numérique du groupe, jugée prioritaire tant par la direction que par les organisations syndicales, qui ont toutes pointé l’important retard de l’entreprise dans ce domaine.
B. La transformation numérique du groupe
1. Un retard dans la prise en compte des enjeux numériques
Plusieurs personnes entendues par les rapporteures ont constaté un retard dans la transformation numérique du groupe. La CGT, dans sa contribution écrite adressée aux rapporteures, a ainsi considéré que l’entreprise devait « accentuer la transition numérique et s’adapter aux nouveaux modes de consommation de l’information, surtout pour les langues (modernisation des infrastructures, renforcement des compétences internes pour répondre aux attentes des audiences de plus en plus connectées) », tout en relevant que les personnels se devaient d’être de plus en polyvalents, cette polyvalence les fatiguant et usant davantage. Quant à la CFTC, elle a considéré qu’en matière de transition numérique, les objectifs avaient été « largement sous-réalisés », du fait d’un défaut de vision stratégique et d’un manque de moyens humains et financiers : « Les investissements dédiés n’ont pas permis de développer des projets structurants, tels que l’amélioration de nos contenus à destination des plateformes numériques et l’adoption de nouveaux formats pour capter les jeunes audiences. Cela a limité la visibilité de FMM sur les canaux numériques et fragilisé sa capacité à s’adapter à un environnement médiatique en pleine mutation. »
En particulier, une information a retenu l’attention des rapporteures, en ce qu’elle leur semble révélatrice d’un sous-investissement problématique : selon la CFTC, la rédaction internet de France 24 est inactive la nuit (entre 23 heures et 6 heures) et le service est assuré par un pigiste aux États-Unis, en astreinte quasi-permanente.
Plusieurs syndicats ont également estimé que le groupe peinait à recruter des profils spécialisés au sein de la direction technique et des systèmes d’information (DTSI) du groupe, où, selon la CFTC, aurait eu lieu une « vague de départs sans précédent ». Dans ce contexte, la diminution des crédits du programme de transformation risquerait d’obérer la conduite des projets numériques du groupe.
2. Un ambitieux plan de transformation numérique, dont le financement est en question
Dans le cadre du prochain COM, FMM a pour objectif d’accélérer sa stratégie de transformation numérique.
Le plan de développement numérique de FMM tel que prévu pour la période 2024-2028 vise à accroître significativement l’offre numérique et à augmenter la capacité de diffusion et de dissémination sur les réseaux numériques, tout en poursuivant l’enrichissement des offres sur les environnements propres. Un pan important de ce programme de transformation est aussi consacré à l’intelligence artificielle, qui pourrait venir en appui du renforcement de la production et du référencement.
Le premier volet du plan consiste en un accroissement de la production numérique, en produisant davantage de vidéos et de visuels, en adaptant les formats aux différentes plateformes et aux réseaux sociaux (développement de la vidéo pour la radio, formats délinéarisés pour la télévision, formats natifs, etc.).
Dans ce cadre, le renforcement de l’équipe réseaux sociaux apparaît comme une priorité, l’entreprise souhaitant développer certaines fonctions pour que les équipent atteignent une « masse critique » en mesure de répondre aux impératifs de présence et de réactivité sur davantage de réseaux et de plateformes, dans l’ensemble des 21 langues du groupe.
À ce jour, France Médias Monde a indiqué disposer d’une équipe réseaux sociaux d’une vingtaine d’ETP se consacrant exclusivement à une activité liée aux réseaux sociaux, sur les trois médias et dans l’ensemble des 21 langues. Trois recrutements ont été récemment effectués et le groupe envisage des recrutements complémentaires.
Le plan prévoit également une enveloppe consacrée à la formation sur le numérique, pour permettre aux journalistes d’acquérir des compétences nouvelles en la matière et davantage d’autonomie sur les environnements numériques pour les journalistes qui consacrent aujourd’hui la plupart de leur activité au « broadcast », radio comme TV.
Le second volet du plan prévoit une stratégie d’hyperdistribution, consistant à investir l’ensemble des grands carrefours d’audience (réseaux sociaux, plateformes), qui permettent notamment de contourner la censure, ce qui implique notamment une plus grande réactivité en matière d’évolution des usages et un investissement sur les environnements propriétaires, avec le renforcement de l’attractivité des sites et applications des médias du groupe.
Enfin, France Médias Monde entend développer les usages de l’intelligence artificielle en matière de transcription et de traduction automatiques, de développement d’outils de montage et d’adaptation des formats aux différents supports, en matière de diffusion et de référencement de ses offres. L’entreprise a mis en place un groupe de travail, a rédigé un guide de bonnes pratiques et un plan de formation à l’intelligence artificielle pour les personnels, en cours de déploiement.
Les rapporteures soutiennent ces orientations, qui visent à pallier le retard de l’entreprise. Cependant, elles souhaiteraient que les indicateurs du groupe mesurent plus finement l’impact du plan de transformation numérique. L’indicateur 3.1, notamment, indique le nombre d’abonnés aux offres de France Médias Monde sur les réseaux sociaux (112 millions en 2023) mais aucune cible n’est indiquée pour les années 2024 à 2028. L’indicateur 5.1, qui mesure l’audience numérique du groupe à travers la consommation des vidéos et des sons, manque également de précision. Le projet de COM indique que l’indicateur prend en compte le nombre de démarrages de vidéos et de sons (en millions de démarrage) sur tous les environnements des médias de France Médias Monde, internes et externes (partenaires, hébergeurs, agrégateurs de contenus, etc.). La méthodologie de cet indicateur devrait être précisée, les environnements externes concernés n’étant pas indiqués.
Recommandation n° 33 : À travers les indicateurs du COM, mesurer plus finement l’impact du plan de transformation numérique du groupe.
C. Cultiver la proximité avec les publics : les projets du groupe
1. La poursuite des projets ENTR et Infomigrants
ENTR est un projet co-financé par l’Union européenne, le co-financement assuré par la direction générale des réseaux de communication, du contenu et des technologies de la Commission européenne (DG Connect) à hauteur de 80 % ayant été renouvelé pour la période 2024-2025.
ENTR est une offre 100 % vidéos et 100 % réseaux sociaux à destination des jeunes Européens, en français, anglais, allemand, polonais, portugais, roumain, bulgare, néerlandais et, depuis 2024, en hongrois et en slovaque.
Selon les informations transmises par France Médias Monde, en 2023, ENTR a cumulé plus de 117 millions de vidéos vues (+ 109 % par rapport à 2022) et compte déjà plus de 66 millions de vidéos vues de janvier à août 2024. ENTR en anglais – cogéré par France Médias Monde avec Deutsche Welle – est le compte qui atteint le plus de vues, avec plus de 38 millions de vidéos vues en 2024. Il est suivi par ENTR en français – entièrement géré par France Médias Monde – et ENTR en polonais.
Le 17 septembre 2024, ENTR a reçu le Prix franco-allemand du journalisme, dans la catégorie « Jeunes Talents ».
En 2024, ENTR représenterait un coût de 980 000 euros, dont 620 000 euros financés par l’Union européenne et 360 000 euros autofinancés par France Médias Monde.
Infomigrants est une offre 100 % numérique, gérée par France Médias Monde et Deutsche Welle, en partenariat avec l’Agenzia nazionale stampa associata (Ansa), la principale agence de presse italienne. Ce site d’information à destination des migrants est disponible en six langues et a enregistré, en 2023, 194 millions de vidéos vues (+ 160 % par rapport à 2022).
2. Les nouveaux projets de proximité
Afin de continuer de cultiver la confiance avec ses publics, France Médias Monde souhaite développer, sur la période du COM, de nouveaux projets de proximité à l’international, qui bénéficieront d’un soutien du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, financé grâce aux crédits de l’aide publique au développement (programme 209). Ceux-ci s’élèveraient à 2,5 millions d’euros en 2024, 4,1 millions d’euros en 2025 et 4,9 millions d’euros en 2026, 2027 et 2028. Si les rapporteures se réjouissent que France Médias Monde puisse financer ces projets grâce à de nouveaux crédits, elles partagent en partie les inquiétudes formulées par plusieurs syndicats lors de leur audition, relatives au risque de dépendance de l’entreprise à des financements ponctuels. Selon la CFTC, notamment, cette dépendance « pourrait fragiliser leur pérennité et nuire à la cohérence globale des investissements, surtout en cas de fluctuations ou de réductions des financements externes ».
Les nouveaux projets développés sont les suivants :
– un projet de « hub » à Beyrouth pour enrichir la production numérique de France 24 en arabe et MCD, à travers la production de contenus dans tous les formats – en particulier sur les réseaux sociaux – et l’appui à la dissémination des contenus (y compris ceux produits à Paris), pour s’adapter à un paysage audiovisuel panarabe particulièrement concurrentiel ;
– le lancement en Afrique, depuis le pôle de Dakar, d’une offre numérique panafricaine pour les jeunes, destinée aux réseaux sociaux, visant à offrir des contenus constructifs aux jeunes du continent africain, les faire dialoguer entre eux, et monter en puissance dans la lutte contre les fausses informations. Ce projet a vocation à se déployer dans un premier temps en français et capitaliserait sur l’expérience et le succès de projets développés par France Médias Monde sur le numérique pour les jeunes, notamment ENTR et les programmes développés dans le cadre du projet Afri’Kibaaru (RFI en mandenkan et en fulfude à Dakar), sur des thèmes comme l’éducation, la santé, le genre, etc. et qui fédèrent des publics jeunes ;
– un décrochage de France 24 en français (de 45 minutes à une heure par jour) à travers une tranche quotidienne à destination de l’Afrique francophone, par des Africains et pour des Africains, qui donnerait à voir une information panafricaine positive et tournée vers la société civile (jeunes entrepreneurs, artistes, sportifs, etc.), ainsi que des contenus de proximité à destination des publics de la zone. Un important volet de production numérique viendrait également enrichir les capacités éditoriales déjà développées à Paris, notamment en matière de lutte contre les fausses informations ;
– le groupe souhaite renforcer, en Europe centrale et orientale, le « hub » de Bucarest avec la poursuite de RFI en ukrainien, et le souhait, à terme, de lancer une offre de RFI en langue turque.
France Médias Monde a indiqué que le déploiement opérationnel et la préfiguration de chacun de ces projets étaient en cours :
– à Beyrouth, une directrice opérationnelle-rédactrice en chef, de même qu’une rédactrice en chef adjointe, ont été recrutées. Les recrutements des journalistes sont presque finalisés et des formations seraient organisées à partir de mi-novembre 2024. Le conseil d’administration de France Médias Monde a par ailleurs approuvé, en juillet 2024, la constitution d’une filiale de droit local (« France Médias Monde Orient »), enregistrée au registre du commerce et des sociétés libanais. Les locaux qui accueilleront la rédaction – situés à l’École supérieure des affaires – font l’objet de travaux (travaux d’aménagements et d’équipements). Sur le plan sécuritaire, compte tenu de la situation géopolitique en cours au Proche-Orient, l’entreprise indique être particulièrement vigilante et suivre avec attention l’évolution du contexte local, en lien étroit avec les équipes diplomatiques françaises, afin d’adapter son calendrier à la situation locale ;
– concernant les projets à Dakar, si le groupe dispose déjà d’une implantation locale (pour accueillir les équipes de RFI en mandenkan et en fulfulde), les locaux actuels seraient trop étroits pour accueillir les futures équipes. De nouveaux locaux ont ainsi été identifiés et un nouveau bail a été signé, le bail des locaux actuels ayant été dénoncé. Des travaux et des recrutements sont en cours.
VIII. Le projet de COM de l’Institut national de l’audiovisuel
Confronté comme les autres entités de l’audiovisuel aux transformations rapides des usages et des technologies, l’INA a désormais l’ambition de devenir un média patrimonial de service public qui repose largement sur la valorisation de ses collections, parallèlement à son activité de sauvegarde et de numérisation des fonds dont il a la charge. Ainsi, l’Institut est aujourd’hui engagé dans une démarche de diversification de ses ressources propres, en orientant ses activités vers l’éditorialisation de ses contenus et leur commercialisation auprès des médias publics et privés ainsi que du grand public.
Le projet de COM présente, en continuité avec le précédent, les quatre axes principaux de cette transformation que souhaite poursuivre l’INA :
– assurer la cohérence et le dynamisme d’un fonds audiovisuel qui prépare la mémoire audiovisuelle et numérique de demain ;
– tirer parti du potentiel offert par l’intelligence artificielle pour accroître la découvrabilité des fonds au service de tous les usages – scientifiques, éditoriaux et commerciaux – dans une démarche d’innovation responsable, pleinement respectueuse du cadre juridique en vigueur et qui ne porte pas atteinte aux intérêts légitimes des titulaires de droits ;
– s’affirmer comme un campus de formation agile, adapté à son environnement technologique, porteur d’inclusion et d’égalité des chances ;
– consolider la situation financière de l’établissement tout en poursuivant la modernisation de sa gestion au service d’une croissance maîtrisée et d’une activité socialement et environnementalement responsable.
A. L’INA ambitionne de devenir le média patrimonial de l’audiovisuel public
1. Des activités et des offres éditoriales à renforcer pour assurer la valorisation du patrimoine audiovisuel à l’ère numérique
La révolution numérique et les transformations profondes et rapides des usages ont contraint l’INA à mener une réflexion sur son rôle et sur la cohérence de ses missions, afin de mieux définir sa propre identité au sein d’un secteur de l’audiovisuel en pleine mutation. L’Institut conduit ainsi depuis le précédent COM une stratégie de transformation en média patrimonial, en renforçant ses activités d’éditorialisation, d’exploitation et de diffusion des contenus, et en les adaptant aux nouveaux usages, pour s’adresser de manière plus efficace à l’ensemble de ses publics – les chercheurs, les professionnels de l’audiovisuel et le grand public. Le présent projet de COM prévoit de faire de l’INA le « média patrimonial du service public » qui se distingue par son traitement de l’information sur le temps long, par son rôle dans la constitution et la mise à disposition de la mémoire collective audiovisuelle et numérique, ainsi que par sa transmission des savoirs et des savoir-faire au plus grand nombre.
Cette stratégie assumée de transition vers la valorisation du patrimoine audiovisuel, que l’INA s’attachera à approfondir dans les prochaines années, a déjà montré toute son efficacité. Les audiences numériques, tous supports confondus, ont considérablement progressé en 2023, avec une augmentation de 32 % et 1,7 milliard de vidéos vues en cumulé. L’Institut prévoit d’atteindre les 2 milliards de vidéos vues d’ici 2028 (indicateur 2.1). Les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de Paris 2024 ont également permis à l’INA de consolider son statut de média patrimonial en cumulant 121 millions de vues sur ses réseaux sociaux pendant la période des JOP, soulignant l’intérêt du grand public pour les contenus patrimoniaux et pour le travail d’éditorialisation des équipes de l’Institut.
Dans le cadre de cette stratégie, l’INA poursuit le déploiement de mediaclip, son offre de vidéo à la demande à destination des professionnels, vers de nouveaux marchés en faisant évoluer ses offres à destination des créateurs de contenus, des producteurs et des médias de l’audiovisuel. Il s’engage également à poursuivre le développement de sa plateforme de streaming madelen qui joue un rôle clé dans la visibilité des archives et leur mise à disposition auprès du grand public et qui comptabilise aujourd’hui 64 000 abonnés. Bien qu’elle reconnaisse la qualité des contenus diffusés sur la plateforme madelen et l’apport qu’elle constitue aux ressources propres de l’INA, la rapporteure Sophie Taillé-Polian s’interroge sur la pertinence, pour une entité publique, de proposer une offre payante aux particuliers.
2. La modernisation et l’enrichissement des activités d’archivage de l’INA est à poursuivre
La dynamique éditoriale de l’INA, visible et médiatisée, contribue au rayonnement de l’Institut et suscite l’engouement du public. Cependant, elle repose largement sur le travail en amont des équipes d’archivage et de documentation, dont le rôle est crucial pour garantir l’authenticité et la qualité des contenus diffusés. Au cours des auditions organisées par les rapporteures, les représentants syndicaux ont souligné la tension entre ces deux missions. Tandis que la direction éditoriale bénéficie d’une certaine croissance et de projets porteurs, les équipes techniques et documentaires, chargées de l’archivage et de la numérisation, font face à des défis structurels tels que des postes non pourvus, une charge de travail élevée, et une pression accrue.
Le projet de COM comporte pourtant des objectifs ambitieux concernant ce pan des activités de l’INA. Un grand plan de sauvegarde et de numérisation (PSN) visant à préserver l’intégralité de ses fonds audiovisuels pour en assurer l’accès aux générations présentes et futures est déployé à ce titre depuis 1999. Dans cette logique, le projet de COM prévoit la finalisation de la numérisation des 483 114 supports physiques restants, avec pour objectif de basculer l’ensemble des archives sur des supports numériques d’ici 2028 (indicateur 1.1). Cette transition constitue un enjeu majeur, non seulement pour la préservation des contenus mais aussi pour l’accessibilité au patrimoine audiovisuel national.
Ainsi, l’INA doit trouver un équilibre entre ces missions complémentaires mais distinctes, la visibilité et le rayonnement des missions éditoriales ne devant pas éclipser l’importance fondamentale de l’archivage. Ce dernier demeure le socle sur lequel reposent non seulement les initiatives de diffusion, mais aussi la mission première de l’INA : préserver, documenter et transmettre la mémoire audiovisuelle collective. Les rapporteures recommandent de veiller à garantir les moyens humains et matériels des équipes chargées de cette mission, pour soutenir la pérennité et la qualité des archives, dans un contexte de contraintes budgétaires.
B. Une stratégie de développement de l’intelligence artificielle au service de la découvrabilité des fonds et de la diversification des ressources propres de l’institut
L’INA souhaite placer l’IA au cœur de sa stratégie de modernisation de ses activités et d’exploitation de ses fonds. Ses dirigeants mettent en avant les opportunités qu’offrent ces nouvelles technologies pour accroître l’intelligibilité et la découvrabilité des archives, avec le développement de la reconnaissance vocale et faciale, de la transcription automatique ou de moteurs de recherche sémantique. Les collections, intégralement sauvegardées sous forme de données numériques, peuvent en effet recevoir directement des traitements algorithmiques, eux-mêmes producteurs de nouvelles données. L’indicateur 3.1 du projet de COM vise ainsi à mesurer le cumul en milliers d’heures des collections conservées par l’INA (archives professionnelles et dépôt légal) transcrites chaque année grâce à des solutions d’IA, un stock estimé à 27 millions d’heures. La plateforme data.ina.fr illustre également la volonté d’exploiter ces innovations technologiques afin de permettre aux utilisateurs d’explorer des données massives de contenus audiovisuels, dans le cadre d’une navigation intelligente. À la fois accélérateur de croissance et nouvel outil indispensable pour le traitement et la découvrabilité de ses contenus, l’IA représente ainsi pour l’INA le défi majeur à relever au cours des prochaines années.
Cependant, les représentants syndicaux auditionnés ont exprimé leurs réserves sur la rapidité de la mise en place de ces technologies et mettent en garde contre un manque de transparence concernant la stratégie de l’Institut. Les rapporteures s’associent à cette observation et encouragent la direction à clarifier sa stratégie concernant les usages de l’IA et à en assurer une intégration éthique et respectueuse des données patrimoniales.
En outre, les rapporteures portent une attention particulière sur l’utilisation des archives dans le projet « Communs numériques pour l’Intelligence artificielle générative » lancé dans le cadre du plan France 2030. En effet, l’INA et la Bibliothèque nationale de France (BNF) partagent leurs ressources numériques afin de développer une intelligence artificielle générative francophone, en collaboration avec le consortium Argimi, composé de trois entreprises (Artefact, Giskard et Mistral AI), qui a remporté l’appel à projet lancé par BPIFrance. Les rapporteures s’interrogent sur la mise à disposition des données publiques de l’INA à des entreprises privées et souhaitent disposer de davantage d’informations sur les contours de cette collaboration ainsi que de garanties sur la gestion des données, le respect du droit d’auteur et la finalité de l’usage des fonds publics.
Recommandation n° 34 : Préciser les modalités de mise à disposition des données publiques des entités de l’audiovisuel public à des entreprises privées.
C. Une situation financière stable
L’un des principaux défis du précédent COM était le rétablissement de l’équilibre financier de l’INA, fortement touché en 2020 par la crise sanitaire. Le présent COM engage l’établissement à consolider sa situation financière restaurée en veillant à la juste adéquation entre ses dépenses et ses recettes afin d’assurer l’équilibre annuel de son budget, le maintien de sa capacité d’investissement et le rétablissement durable de sa trésorerie à un niveau prudentiel minimum.
Les dotations publiques ne couvrant que 75 % des ressources totales de l’INA, il serait souhaitable que l’entreprise accroisse ses ressources propres, afin de préserver ses capacités d’investissement et d’assurer la continuité de ses missions de service public. L’Institut prévoit à cet effet d’atteindre un montant de 47,4 millions d’euros de ressources propres à horizon 2028 (indicateur 6.1), soit une augmentation de 12,8 % par rapport à 2023.
L’INA s’engage par ailleurs à accélérer la modernisation de ses systèmes de gestion des ressources humaines (indicateur 6.4) avec de nouveaux outils de dématérialisation et de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Ces évolutions doivent permettre de rationaliser les processus et d’accroître l’efficacité de la gestion des ressources humaines. Toutefois, les syndicats expriment des doutes sur la viabilité de cette modernisation en l’absence d’une réflexion plus profonde sur les moyens nécessaires aux missions de l’INA. Le risque de dépendance accrue à des prestataires externes pour compenser une masse salariale fixe inquiète, car elle pourrait entraîner une précarisation des emplois.
De plus, l’entreprise poursuivra la démarche de rationalisation de ses emprises immobilières entamée en 2015. Dans le cadre du plan France Relance, une subvention de 22,2 millions d’euros a en effet été accordée pour la rénovation énergétique des bâtiments du site de Bry-sur-Marne. Cette modernisation vise une réduction significative des consommations énergétiques, tout en valorisant un bâtiment de l’architecture brutaliste des années 1970. Au terme de ces travaux, l’INA s’engage à rechercher toutes les voies possibles de valorisation de cet actif. La réhabilitation et la modernisation du site de conservation patrimoniale de Saint-Remy-l’Honoré figurent également parmi les objectifs du COM (indicateur 7.4). Cependant, le projet de construction d’un bâtiment de stockage mutualisé avec le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) et la Cinémathèque française n’a pas été intégré au plan d’affaires, faute de financements externes.
Ces investissements immobiliers sont accompagnés d’investissements « métiers », principalement consacrés au financement des chantiers et de projets stratégiques prioritaires permettant d’assurer la poursuite de la transformation de l’entreprise. L’INA envisage également de diversifier ses ressources propres. L’objectif n° 4 du projet de COM prévoit ainsi une refonte complète de sa chaîne de vente pour centraliser et optimiser la diffusion de ses contenus (vidéo, audio, photo) sur les marchés nationaux et internationaux. Cette modernisation vise à diversifier le chiffre d’affaires en se tournant vers des publics professionnels grâce à des offres de vente d’archives, d’extrait et de streaming et de production de contenus sur ses plateformes mediaclip, inamediapro et INA agency. Certaines fonctionnalités comme la colorisation ou la restauration numérique des archives pourraient également favoriser leur valorisation et renforcer l’activité de vente de l’INA, sous réserve d’une évolution des normes juridiques qui protègent actuellement ces documents.
D. L’INA tend à devenir le pôle central de formation de l’audiovisuel public et un acteur primordial du monde de l’éducation et de la recherche
1. Veiller à adapter l’offre de formation initiale et continue
Pilier essentiel de son modèle économique, l’activité de formation de l’INA est à la fois une source de recettes et une composante de son identité en tant que média patrimonial de l’audiovisuel public. Dans le cadre de son projet de COM, l’INA s’engage à assurer la transformation du modèle économique de ses activités de formation autour de son pôle de formation initiale INA Sup, en adaptant l’offre aux nouveaux besoins du marché dans un contexte évoluant rapidement (intelligence artificielle, enjeux d’éco-responsabilité, etc.). Une telle démarche doit permettre de poursuivre le rapprochement organisationnel effectué en 2022, dans une logique de continuum entre la formation initiale et la formation continue, proposée par l’établissement à l’ensemble des professionnels et entreprises des secteurs de l’audiovisuel et du cinéma.
L’établissement poursuivra également le projet INA Campus avec ses partenaires publics, notamment l’Université Paris Panthéon-Assas, et privés. Ce projet inclut le dispositif d’égalité des chances Classe Alpha lancé en 2020 qui offre à des jeunes de 17 à 25 ans la possibilité de s’initier aux métiers de l’audiovisuel, sans condition de diplôme. Ce dispositif, soutenu par des acteurs publics tels que la région Île-de-France, France Télévisions et le CNC ‒ bientôt rejoints par Radio France et des mécènes privés ‒ vise à favoriser la diversité au sein du secteur de l’audiovisuel et répond à un objectif d’insertion professionnelle des jeunes.
Si les rapporteures se réjouissent de la poursuite de la restructuration des formations, elles souhaitent mettre en garde contre la tentation d’un recours croissant aux contrats de courte durée, dans un contexte de contraintes budgétaires accrues, qui pourrait altérer la qualité et la stabilité de l’offre de formation et entraîner une précarisation des formateurs. La restructuration de l’offre de formation initiale et professionnelle ne doit pas non plus entraîner le remplacement des formations existantes, sur site, par des formations en ligne.
Les rapporteures regrettent également le manque de précision de certains indicateurs concernant cet objectif, notamment l’indicateur 5.1 visant à mesurer les charges de l’activité de formation par apprenant, qui ne présente pas de trajectoire claire. Elles rappellent enfin que, si la diversification des financements et le recours au mécénat privé permettent à l’INA de réaliser ces projets, un niveau de financement public adapté est essentiel.
2. Poursuivre l’ouverture aux mondes de l’éducation et de la recherche
L’INA joue un rôle central dans le paysage éducatif français, notamment via sa plateforme Lumni Enseignement, destinée aux enseignants et aux élèves. Lumni Enseignement intègre les offres d’Édutèque depuis la fermeture du portail géré par le ministère de l’éducation nationale, assurant la continuité des services numériques éducatifs. Cette plateforme propose des ressources audiovisuelles pédagogiques variées pour permettre aux enseignants de construire des séquences d’enseignement adaptées, favorisant ainsi l’interactivité et l’enrichissement pédagogique. En 2022-2023, le site a enregistré une fréquentation accrue, avec une augmentation de 44 % du nombre de visiteurs, atteignant 3,14 millions d’utilisateurs. L’INA vise un objectif ambitieux de 440 000 visiteurs uniques mensuels d’ici 2028 (indicateur 2.2). Cette initiative reflète un engagement en faveur d’une meilleure accessibilité des archives auprès des communautés éducatives.
L’INA produit également des offres centrées sur la lutte contre les fausses informations et le décryptage des médias et de l’information, telles que la série S.P.A.M. coproduite avec France Télévisions ou la plateforme spécialisée de la Revue des Médias.
Bien que l’INA remplisse son rôle d’éducation aux médias, l’Institut souligne la nécessité de l’élaboration d’une stratégie globale et commune ambitieuse avec les différentes entités de l’audiovisuel public, pour fournir une éducation à l’information en direction de toutes les tranches d’âge et classes sociales, sur l’ensemble du territoire.
Enfin, l’INA facilite l’accès à ses ressources pour le monde académique via l’INAthèque, centre de consultation situé à la BNF, destiné aux étudiants, enseignants et chercheurs. Depuis sa création en 1995, près de 38 000 personnes y ont été accréditées, 70 % de ces accréditations concernant des projets de recherche. Par ailleurs, l’INA a déployé des postes de consultation multimédia en partenariat avec des bibliothèques universitaires et municipales, permettant une consultation des fonds dans plusieurs régions. En 2022, ce réseau comptait 51 implantations.
Les publications de l’INA renforcent également le lien avec la recherche universitaire : en 2022, l’INA Éditions a publié plusieurs ouvrages de recherche en collaboration avec des universitaires, abordant des sujets variés tels que le journalisme sportif ou les féminismes en ligne, témoignant de l’implication de l’INA dans la recherche et la diffusion du savoir académique. L’indicateur 3.2 mesure ainsi le nombre de contributions et de travaux scientifiques fondés sur les collections de l’INA ou ayant eu recours à ses outils, et ayant fait l’objet d’un soutien spécifique de l’Institut‒ nombre qui devrait doubler entre 2023 et 2028.
Liste des recommandations des rapporteures
Projet ICI
Acte II de Franceinfo
Coopération numérique
Lutte contre la désinformation et éducation aux médias
France Télévisions
Radio France
France Médias Monde
Institut national de l’audiovisuel
Le mercredi 6 novembre 2024, la commission a procédé à l’audition de Mmes Delphine Ernotte Cunci, présidente-directrice générale de France Télévisions, Sibyle Veil, présidente-directrice générale de Radio France, Marie‑Christine Saragosse, présidente-directrice générale de France Médias Monde, et de M. Laurent Vallet, président-directeur général de l’Institut national de l’audiovisuel, sur leurs projets de contrats d’objectifs et de moyens 2024-2028.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Mes chers collègues,
Notre commission est invitée à formuler son avis sur les projets de contrats d’objectifs et de moyens (COM) 2024-2028 de France Télévisions, France Médias Monde, Radio France et l’Institut national de l’audiovisuel (INA), en application de l’article 53 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.
Comme en 2021, ces votes seront précédés par un échange avec les responsables de chacune des entités concernées.
Je remercie pour leur présence Mmes Delphine Ernotte Cunci, présidente-directrice générale de France Télévisions, Sibyle Veil, présidente-directrice générale de Radio France, Marie-Christine Saragosse, présidente-directrice générale de France Médias Monde, et de M. Laurent Vallet, président-directeur général de l’INA.
Mesdames, monsieur, alors que la trajectoire financière des projets de COM est déjà caduque et que 50 millions d’euros d’économies supplémentaires sont attendus sur le financement de l’audiovisuel public, quelle crédibilité pouvons-nous accorder à ces projets de COM dont les objectifs ne sont plus en adéquation avec les moyens ?
Pourriez-vous aussi nous dire un mot du climat social de vos organismes – qui constitue le grand absent de ces projets de COM –, alors que 20 % des équipes régionales de France 3 se sont mises en grève lundi pour protester contre le déploiement de la marque commune Ici ?
Mme Delphine Ernotte Cunci, présidente-directrice générale de France Télévisions. Nous nous livrons aujourd’hui à un exercice quelque peu paradoxal. Ce COM, arbitré il y a un an, n’est plus le même à ce jour. Bien que les objectifs stratégiques soient inchangés, la trajectoire financière initialement prévue n’est plus maintenue, entraînant un hiatus évident.
Rappelons que ce COM succède à un précédent cycle stratégique entre 2018 et 2022, au cours duquel des efforts de transformation importants ont été menés, notamment concernant le numérique, la jeunesse et la proximité. En parallèle, des efforts de gestion significatifs ont été réalisés, puisque la trajectoire des dotations publiques n’a cessé de baisser. En effet, France Télévisions a enregistré une baisse de 10 % de ses effectifs et de 12 % des coûts des programmes, tout en investissant dans le numérique. Au total, les efforts de productivité atteignent environ 20 %.
Si je comprends que, compte tenu de la situation du pays, il nous soit demandé de faire des efforts, je souhaite toutefois rappeler l’importance de ces derniers. Le niveau de ressources a en effet déjà été révisé à plusieurs reprises. En 2024, les dotations de France Télévisions ont diminué de 33 millions d’euros, dont 13 millions d’euros d’annulation et 20 millions d’euros de crédits de transformation dont nous attendons toujours le versement. Pour 2025, s’agissant du COM, cette réduction s’élève à 86 millions d’euros, soit 51 millions d’euros de baisse dans le projet de loi de finances (PLF) et 35 millions par amendement, si j’ai bien compris.
Notre situation est compliquée puisque la trajectoire initiale du COM était déjà exigeante, imposant à France Télévisions des efforts d’économies importants, que nous avions chiffrés à environ 200 millions d’euros. Or, ce nouveau projet impose 100 millions d’euros supplémentaires sur l’exercice 2025, sachant que nos recettes publicitaires devraient baisser fortement, à hauteur de 70 millions d’euros, en l’absence de Jeux olympiques à Paris l’été prochain. Cet effort ne peut être réalisé au 1er janvier sans toucher à nos missions.
Ces éléments nécessitent une nouvelle discussion.
Je suis persuadée qu’une réforme qui permettrait d’envisager l’économie de nos entreprises aux bornes de l’audiovisuel public peut constituer un moyen de continuer à utiliser l’argent public au plus juste – et donc de faire des économies – mais aussi de conserver la puissance de nos offres. En effet, durant toute cette période, France Télévisions a su accroître sa part de marché en linéaire et a fait très fortement monter en puissance ses plateformes numériques, notamment France.tv, qui constitue la première plateforme gratuite en France, et Franceinfo, en collaboration avec Radio France, France Médias Monde et l’INA.
En tant que mandataire social, je me bats pour continuer à améliorer l’offre que nous devons à nos téléspectateurs.
Mme Sibyle Veil, présidente-directrice générale de Radio France. Tout d’abord, je tiens à rappeler que nous avons toujours veillé à respecter ces documents importants. Les rapports d’exécution établis par l’autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) année après année témoignent des résultats obtenus, fruits du travail considérable des équipes de Radio France. Ces efforts se reflètent tant dans les audiences que dans la transformation de Radio France, qui s’affirme comme un acteur agile et innovant, et, enfin, dans la gestion rigoureuse des fonds publics. Nous avons en effet réalisé ces dernières années d’importantes économies – parmi lesquelles un plan de départ significatif –, représentant une réduction d’environ 10 % du total de nos ressources.
En outre, ce document est important à un second titre. Je ne vous surprendrais pas en disant que plus la situation politique est pleine d’aléas – l’élection présidentielle américaine couverte sur nos antennes toute la nuit, dont nous connaissons désormais le résultat, est une preuve éloquente que ces aléas sont plus nombreux qu’il y a quelques décennies –, plus la stabilité, la visibilité ainsi que la capacité à se projeter dans l’avenir et à investir sont nécessaires pour les services publics.
Ces impératifs sont d’autant plus cruciaux que la concurrence ne ressemble en rien à ce qu’elle était il y a dix ans, et encore moins à ce qu’elle sera dans les dix prochaines années. Un document tel que le COM offre ainsi une vision stratégique sur plusieurs années.
Je tiens à saluer le travail accompli avec les services de l’État pour définir une stratégie répondant à de vrais enjeux. Je citerai quatre exemples.
Premièrement, il s’agit de reconnaître l’importance de disposer d’un service public de l’écoute en France, qui offre des contenus d’information et de culture, et constitue une alternative aux écrans. Ce service public de l’écoute est d’utilité publique, notamment pour les jeunes, qu’il ne faudrait pas « biberonner » trop tôt aux smartphones et aux réseaux sociaux. Nous avons, pour cela, développé une offre pédagogique pour le ministère de l’éducation nationale en partenariat avec un acteur majeur, à savoir les éditions Belin, permettant à des dizaines de milliers d’écoliers d’apprendre l’histoire avec les podcasts Les Odyssées de France Inter. Ce projet illustre très concrètement ce que seul un service public de l’audio est capable de développer.
Deuxièmement, une transformation est en cours. Depuis hier matin, nous avons engagé la bascule sur les différentes antennes de France Bleu et France 3 vers la marque Ici, afin de créer un média global de la proximité, englobant la radio, la télévision et le numérique. Si le service public est parfois un sujet de débat, l’expérience montre qu’il existe un consensus sur la nécessité de médias de proximité capables de s’adresser aux citoyens, qu’ils résident à Paris ou dans d’autres territoires en France. Il s’agit de l’enjeu de la coopération importante prévue par ce COM, que je suis heureuse de porter avec ma collègue Delphine Ernotte Cunci et auquel nous croyons beaucoup.
Troisièmement, nous savons qu’il est essentiel d’investir dans l’intelligence artificielle pour lutter contre la désinformation en ligne. Le pluralisme est une priorité et constitue un travail quotidien pour nos équipes. Ce COM réaffirme à ce sujet des principes particulièrement importants.
Enfin, quatrièmement, la bataille pour l’attention représente également un enjeu. Les grandes plateformes numériques monnaient et distraient les audiences à leurs profits, montrant ainsi la nécessité de développer des plateformes françaises. La plateforme de Radio France, affiche aujourd’hui des résultats dépassant ceux de grandes plateformes anglo-saxonnes, bien que nous ne disposions pas des mêmes moyens. Cela prouve notre efficacité pour un coût pour la société qui reste extrêmement raisonnable. Aucune autre plateforme n’offre des contenus gratuits et universels sur l’Histoire, la philosophie, les sciences et l’ensemble des connaissances de la culture accessibles à tous.
Cependant, il est essentiel d’évoquer les moyens au service de ce COM. Lorsque les ambitions de ce contrat ne coïncident plus avec les moyens, la situation devient problématique, ce qui est le cas aujourd’hui. Il existe un véritable hiatus entre les ambitions du COM et les moyens désormais annoncés. La négociation, qui a duré plus de vingt mois, a abouti à une trajectoire pour la période 2024-2028 impliquant déjà des efforts pour notre entreprise. Les décisions récentes nous font basculer vers une trajectoire non plus simplement d’efforts mais de sacrifices. Il est de notre responsabilité de vous en alerter.
À titre d’exemple, les crédits de transformation, dont la suppression est annoncée, n’étaient pas destinés à financer l’accessoire, mais devaient financer des sujets hautement stratégiques, tels que l’évolution vers un média global de la proximité ainsi que le développement de l’intelligence artificielle et de formats attractifs pour la jeunesse.
Ces éléments vont nécessairement nous amener à réinterroger notre soutien à la création, ce qui m’attriste. Si les arbitrages sont confirmés, nous devrons en tirer des conséquences. Nous risquons d’être en déficit pour l’année 2025 mais je voudrais également attirer votre attention sur les années 2026 et 2027, traçant une trajectoire proprement insoutenable avec un risque de devoir sacrifier des éléments importants de nos offres et donc de faire évoluer le périmètre de nos médias.
Si nous sommes tous parfaitement conscients de la situation budgétaire et de la nécessité de réaliser des économies, que nous avons faites ces dernières années, il est important d’être pleinement responsables quant aux conséquences de telles réductions de moyens. Ces COM ne doivent pas être renouvelés, car, bien que la direction stratégique soit la bonne, le rythme et le niveau des attentes doivent être très sérieusement ajustés pour sortir de la contradiction entre les ambitions affichées et les moyens disponibles.
Enfin, en toute responsabilité, nous devons nous interroger collectivement sur ce que l’État et le législateur pourraient faire pour faciliter les économies qui semblent désormais prévues dans le PLF.
Mme Marie-Christine Saragosse, présidente-directrice générale de France Médias Monde. Je souhaite tout d’abord remercier les élus mobilisés pour l’adoption de la proposition de loi organique (PPLO) qui permettra le financement affecté de nos entités. Nous serons auditionnés demain par la commission spéciale chargée d’examiner la PPLO portant réforme du financement de l’audiovisuel public. Être qualifiés de « chaîne de propagande » à l’international plutôt que reconnus comme une chaîne de service public peut avoir des conséquences extrêmement dommageables et nuirait à notre aura.
France Médias Monde porte une information libre et indépendante à l’international et lutte contre la manipulation et les infox, en français – d’abord et toujours – mais aussi en vingt langues étrangères, grâce à six rédactions réparties à travers le monde et à un réseau de correspondants sans équivalent, garantissant une information fiable aux Français sur l’actualité internationale. Nous comptons 255 millions de contacts hebdomadaires mesurés et 3,7 milliards de vidéos ont été consommés l’année dernière.
Nous évoluons dans un contexte géopolitique inquiétant, marqué par le lot d’incertitudes que l’élection de cette nuit entraînera comme toute élection à la présidence des États-Unis. Nous vivons avec la prise de pouvoir des talibans en Afghanistan, les coups d’État dans la bande sahélienne, la guerre en Ukraine et la situation dramatique au Proche et Moyen-Orient, qui prospèrent sur fond de manipulations et de propagandes extrêmement importantes permises par les réseaux sociaux. Ces réseaux facilitent les attaques directes contre nos propres médias, avec des deep fakes et des détournements de nos logos. La polarisation est donc forte et les atteintes à la liberté d’informer sont croissantes, allant jusqu’à la censure pure et simple que nous subissons dans un certain nombre de pays.
Exercer le métier de journaliste est extrêmement difficile aujourd’hui, d’autant plus que nous faisons face à une concurrence aux moyens croissants et bien supérieurs aux nôtres. Notre budget s’élève à 275 millions d’euros alors qu’en comparaison, la Deutsche Welle dispose de plus de 400 millions d’euros, la BBC World Service de 479 millions d’euros et la Russie consacre 1,4 milliard de dollars à son action d’influence internationale, en croissance de 9 %.
C’est dans ce contexte que nous avons bâti le COM qui vous a été soumis et dont les grandes priorités me semblent très appropriées. Si ce plan a été construit a minima, il permettait néanmoins de rester dans la course.
Le premier axe concernait la confiance, à savoir garantir une information fiable et lutter contre la désinformation.
Le deuxième axe était relatif à la proximité avec quatre projets de développement en langues locales et en proximité, financés par l’aide publique au développement.
Le troisième axe visait à assurer la transformation numérique, afin que nous ne soyons pas perdus dans cette course. Nous avions construit un plan de transformation numérique extrêmement développé, financé par les programmes de transformation. Or ces derniers ont été en suspens en 2024 et semblent avoir été annulés pour 2025. Ce renoncement serait particulièrement dommageable car nous risquons de manquer l’opportunité de nous inscrire dans la révolution très disruptive que constitue l’usage raisonné de l’intelligence artificielle.
Le quatrième axe concernait l’exemplarité en matière d’enjeux climatiques, d’égalité entre les femmes et les hommes, de droits humains en général et de diversité.
Enfin, le cinquième axe était relatif à la rigueur avec une importante réforme de la planification, réalisée notamment au sein de France 24, et des réaménagements prenant en compte le télétravail, les enjeux environnementaux, l’évolution des métiers, notamment numériques, et les mutualisations liées aux contenus éditoriaux, aux achats ou encore aux technologies de l’audiovisuel public.
Cette stratégie me semble toujours être la bonne mais se heurte au manque de moyens, représentant une baisse de 10 millions d’euros par rapport à la trajectoire établie et de 3 millions d’euros par rapport à la loi de finances de 2024.
Nous avons déjà réalisé d’importants efforts, à savoir trois plans de départs volontaires en dix ans, une réduction de 18 % des coûts de distribution en cinq ans tout en parvenant à accroître notre distribution et des économies massives sur le fonctionnement de l’entreprise.
Pour France Médias Monde, la somme de dix millions d’euros représente dix rédactions de langue de Radio France internationale (RFI), tout le réseau de distribution de RFI en FM (Frequency Modulation) et en ondes courtes ou encore l’ensemble du budget de correspondants. De plus, notre budget est essentiellement constitué de charges fixes, puisque nous produisons environ 200 heures de programme par jour, en français et dans vingt autres langues. Ainsi, toute réduction budgétaire touche immédiatement le cœur de notre activité. Le reste de notre budget concerne la distribution, avec des contrats pluriannuels qui ne peuvent être rompus sans d’importantes indemnités de dédit.
En conséquence, nous pouvons nous attendre à un déficit en 2025. Nos fonds propres nous permettent de ne pas être confrontés à des difficultés majeures dès cette date mais, si cette tendance se poursuit, nous nous dirigerons vers une impasse impliquant des renoncements lourds de conséquences concernant des activités construites durant des décennies grâce à des financements publics et dont la perte serait irrémédiable. Ces économies auront donc un sacré coût pour la France.
Je suis personnellement convaincue que nous devons préserver l’essentiel car renoncer à un territoire ou à une langue signifie ne jamais revenir et laisser la place à d’autres. Comme le rappelait Tim Davie, directeur général de la BBC, chaque économie réalisée par BBC World a constitué un « appel d’air » pour la propagande chinoise et russe.
Procéder à un désarmement informationnel de la France en pleine guerre de l’information, c’est toucher aux intérêts fondamentaux de la nation. Je veux appeler l’attention de la représentation nationale sur cet enjeu majeur.
M. Laurent Vallet, président-directeur général de l’Institut national de l’audiovisuel. Tout comme ses entreprises partenaires, l’INA ressent un hiatus entre les objectifs et les moyens du COM.
La stratégie de ce COM, qui s’inscrit directement dans le prolongement de la transformation menée depuis dix ans, visant à faire évoluer cet héritage complexe de l’éclatement de l’office de radiodiffusion-télévision française (ORTF) en un média patrimonial au service du public, ne pose pas de doute. Aujourd’hui, avec environ deux milliards de vidéos visionnés chaque année sur toutes les plateformes, réseaux sociaux et chaînes YouTube, l’INA touche une large audience, notamment auprès de la jeunesse et s’inscrit comme un média singulier, du temps long et de la culture populaire. En outre, l’INA s’attache à décrypter l’actualité et le présent grâce à une collection de 27 millions d’heures d’archives dont la numérisation est intégralement achevée.
L’INA est un leader au sein de l’audiovisuel public concernant l’usage de l’intelligence artificielle, puisqu’il dispose d’un département de recherche très actif qui développe ses propres solutions technologiques depuis plusieurs années. Ces innovations sont source de potentiels en termes de meilleure découvrabilité des contenus.
Cette ambition stratégique de l’INA est fortement remise en question dans son rythme de réalisation par le non-versement d’une partie des crédits annoncés en 2024 au titre de la transformation et par l’annonce de leur annulation en 2025. Cette situation est d’autant plus préoccupante que l’INA a la particularité de ne percevoir des crédits de transformation qu’en 2024 et 2025, qui sont des années clés d’investissements technologiques. L’INA a en effet investi plus de 25 millions d’euros par an dans ces solutions technologiques, compte tenu de la nature particulière de ses activités.
La représentation nationale a bien voulu reconnaître l’année dernière les efforts réalisés par l’INA au cours des dix dernières années pour se transformer à la fois de façon très visible pour le public et à bas bruits, avec des moyens limités, en puisant chaque fois que nécessaire dans sa trésorerie.
La représentation nationale a bien voulu accorder à l’INA une dotation exceptionnelle de 6,3 millions d’euros dans la loi de finances de fin de gestion de l’année 2023. Toutefois, cette somme est inférieure à ce qui a déjà été retiré du plan de financement du COM. Ces réductions compromettent gravement la trésorerie de l’INA, qui pourrait se retrouver en situation de quasi-rupture à la fin de l’année 2025, et fragilisent particulièrement l’institut pour le démarrage de ces nouveaux COM. Si le cap stratégique demeure clair, je me demande si – sans remettre en cause la nécessité que l’audiovisuel public participe à l’effort de redressement des finances publiques, comme nos entreprises l’ont déjà largement fait cette année – cette contractualisation pluriannuelle avec l’État demeure adaptée à la prévisibilité du développement des entreprises, notamment de celles dont les investissements pluriannuels et technologiques sont très importants.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Je cède maintenant la parole aux rapporteures.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure pour avis. Nous allons faire notre rapport à deux voix car notre propos est commun.
Le contexte dans lequel notre commission est amenée à formuler un avis sur les projets de contrats d’objectifs et de moyens est inédit. Ce contexte, nous le résumerons en deux mots : incertitude généralisée. Cette dernière concerne la trajectoire budgétaire de l’audiovisuel public, les modalités de financement et le retour de la réforme de la gouvernance.
Alfred de Musset nous avait pourtant prévenus : « L’incertitude est de tous les tourments le plus difficile à supporter. » Or, l’audiovisuel public a déjà beaucoup de tourments à supporter. Nous les avons résumés dans l’introduction de notre avis : prolifération des fausses informations, concentration des médias, bouleversements massifs des usages et des comportements audiovisuels ou encore concurrence des plateformes internationales qui captent toujours plus l’attention des Français.
L’objet des COM est de donner à l’audiovisuel public un horizon pluriannuel dans lequel inscrire son action, le doter d’une visibilité sur les axes prioritaires de son développement et de ses grands objectifs stratégiques ainsi que sur le niveau de l’engagement financier consenti par l’État.
Malheureusement, les projets de COM dont nous avons été saisis apparaissent caducs avant même leur signature.
Mme Céline Calvez, rapporteure pour avis. Ma collègue et moi-même souhaitons réaffirmer avec force notre attachement à un service public audiovisuel puissant et bien financé.
Ces missions de service public – informer, éduquer, divertir, représenter la diversité de la société et soutenir la création française – sont plus essentielles que jamais. Nous saluons le travail de l’ensemble des salariés de l’audiovisuel public qui s’acquittent de ces missions avec sérieux et dévouement, parfois dans des conditions difficiles.
Les objectifs inscrits dans les projets de COM nous conviennent à toutes les deux : qualité de l’information et proximité, investissement dans la transition numérique, reconquête des publics jeunes, soutien à la création et à la diversité culturelles. Nous y souscrivons pleinement.
À ces objectifs devrait être associée une trajectoire financière réaliste et soutenable.
Ce n’est malheureusement plus le cas, comme vous l’avez dit, dès 2024, puisque, sur les 69 millions d’euros de crédits du programme de transformation que devaient percevoir les organismes de l’audiovisuel public, seulement 19 millions d’euros auront été versés d’ici la fin de l’année. En 2025, la trajectoire financière mentionnée dans les projets de COM ne sera pas respectée non plus, avec un premier recul de 81 millions d’euros dans le PLF 2025. De plus, un second recul pourrait être acté, le Gouvernement ayant déposé il y a à peine 48 heures des amendements supprimant 50 millions d’euros de crédits, dont 35 millions d’euros pesant sur France Télévisions. Au total, l’audiovisuel public serait doté en 2025 de 3,972 milliards d’euros au lieu des 4,110 milliards d’euros prévus.
Sur le fond, nous constatons que les projets de COM se distinguent des précédents par la disparition de la feuille de route de l’audiovisuel public et des objectifs communs auxquels étaient associés des jalons pour la mise en œuvre des projets de coopération.
Si ma collègue et moi-même différons sur la méthode, nous soutenons toutes deux le renforcement des coopérations entre les organismes de l’audiovisuel public et nous souhaitons que le Parlement puisse suivre leur mise en œuvre.
Pour cela, ces projets doivent être mieux précisés dans les COM, et nous demandons la réintroduction des jalons. Nous avons entendu l’argument du Gouvernement selon lequel leur mention serait rendue inutile par le retour envisagé de la réforme de la gouvernance de l’audiovisuel public. Pourtant, rien ne garantit que le Parlement voterait demain cette réforme, et le Gouvernement ne saurait le présumer.
À travers ces projets de COM se pose toujours cette épineuse question de la gouvernance des organismes de l’audiovisuel public. Je considère que la mise en place d’une présidence commune sera à terme indispensable afin de mettre en œuvre les projets de coopération entre les organismes en réduisant les frictions.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure pour avis. J’ai pour ma part la sensation que ces COM anticipent la mise en œuvre de la réforme de la gouvernance, que je rejette résolument. La création d’une holding ne serait que l’antichambre de la fusion, qui rimerait avec homogénéisation des contenus.
Le climat social des entreprises est le grand oublié de ces projets de COM. Les représentants syndicaux des quatre entités concernées nous ont pourtant fait part des conditions de travail de plus en plus dégradées des salariés, très certainement liées aux différents plans de départs volontaires mis en œuvre ces dernières années.
L’augmentation des charges de travail, conjuguée à un sentiment de perte de sens en raison des incertitudes sur la gouvernance et le financement de l’audiovisuel public, et l’impact des nouvelles technologies dans le secteur provoquent mal-être et souffrance au travail pour les salariés.
L’augmentation des strates de management est également visée. Ces dernières complexifient les processus, instaurent davantage de verticalité dans les chaînes de prise de décision et entravent le sentiment de faire partie d’un tout cohérent.
Il est évident que les entreprises doivent s’adapter aux nouveaux usages, mais une politique d’adaptation des métiers doit être menée en concertation avec les parties prenantes afin de conduire une transformation numérique indolore.
Avec Céline Calvez, nous souhaitons ainsi que des indicateurs relatifs au climat social des organismes soient réintégrés dans les COM, comme c’était le cas en 2016.
Mme Céline Calvez, rapporteure pour avis. Ma collègue et moi-même nous retrouvons sur l’essentiel : les objectifs, oui, les moyens, non. Pour preuve, sur les 34 recommandations que nous formulons, 30 sont communes.
Nous réclamons notamment le renforcement des indicateurs associés aux objectifs des COM, qui sont trop peu nombreux, précis et ambitieux. Beaucoup d’indicateurs ne renseignent aucune cible ou une cible bien peu audacieuse, ce qui traduit un manque d’ambition et pose un problème pour la bonne information du Parlement.
Nous appelons ainsi le Gouvernement à préciser les cibles pour chaque année du COM et à poursuivre les travaux d’harmonisation des indicateurs entre les différentes entités.
À notre sens, l’exigence de concision et de lisibilité des COM n’est pas incompatible avec celle d’une information complète et détaillée et nous refusons de nous en remettre au seul dialogue de gestion entre les sociétés de l’audiovisuel public et le Gouvernement.
En dernier ressort, c’est bien au Parlement qu’il revient de se prononcer chaque année sur les crédits de l’audiovisuel public. Si bien des divergences nous opposent dans cette salle, nous pouvons tous nous retrouver sur la nécessité de respecter pleinement les prérogatives du Parlement.
Parmi nos points de divergences figure la question des crédits du programme de transformation. Je suis personnellement favorable au versement de ces crédits, conditionnés au développement des projets de transformation et de coopération, et je souhaite que les COM décrivent précisément les voies et moyens de leur renforcement.
Dès lors, je ne peux que regretter la mauvaise gestion par le Gouvernement ou les gouvernements de ces crédits, qui constituent un outil indispensable de pilotage des coopérations. Après le coup de rabot de cette année, à hauteur de 50 millions d’euros, le programme de transformation disparaîtrait purement et simplement. Je le regrette vraiment, car ce programme constitue, selon moi, un outil de pilotage indispensable de la conduite et du renforcement de l’offre de l’audiovisuel public et des coopérations entre les organismes de l’audiovisuel public.
Dans ces conditions, la question de la gouvernance de ces organismes est plus que jamais d’actualité.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure pour avis. Les coopérations entre les organismes apparaissent renforcées dans ces projets de COM à travers quatre projets d’envergure.
Premièrement, le développement d’Ici, nouveau média de proximité réunissant France 3 et France Bleu, qui se concrétise depuis hier.
Ce projet a toutefois été freiné en raison de désaccords entre les directions, d’un manque flagrant de communication entre les équipes locales et de l’absence de stratégie éditoriale commune. Preuve de ces atermoiements : le directeur de projets commun n’a été nommé qu’en 2024, alors que le projet a été initié en 2019 avec la mise en place de matinales communes.
À titre personnel, je m’interroge sur la mise en œuvre de ce projet « à 360 degrés », qui ne doit pas conduire à uniformiser l’information locale au service d’une polyvalence servant des intérêts de rationalisation budgétaire.
Le développement de ce projet rencontre également l’ire des salariés. Lundi, près de 20 % des services régionaux de France 3 étaient en grève pour protester contre la mise en œuvre d’Ici.
S’agissant de l’acte II du média global Franceinfo, nous regrettons le fort décalage constaté entre les audiences de la chaîne d’information en continu et ses concurrentes privées. Nous ne pouvons pas nous satisfaire d’un service public télévisé de l’information « à la traîne ».
Le manque de vision globale, de visibilité à long terme et de coopération entre France Télévisions et Radio France est la principale cause de ce retard. Avec ma collègue, nous proposons de positionner cette chaîne d’information sur le canal 12 ou 14 de la TNT et de rééquilibrer la gestion du site internet entre les deux sociétés.
Troisièmement, le rapprochement des offres numériques des organismes se concrétiserait par le développement d’un algorithme de recommandations croisées entre les différentes plateformes, afin de guider les utilisateurs à travers l’ensemble des contenus proposés. Nous soulignons l’abandon de la proposition d’une plateforme commune aux organismes, qui risquerait d’invisibiliser les contenus audio au profit de contenus vidéo.
Enfin, nous nous réjouissons des coopérations en matière de lutte contre la désinformation. La marque « Vrai ou Faux » est en plein essor, et le projet de création d’une agence de vérification de l’information commune à Radio France et France Télévisions est très encourageant. À l’heure où les intelligences artificielles génératives pratiquent l’hypertrucage ou deep fake, il est urgent de mettre à disposition des citoyens une information vérifiée.
Nous regrettons seulement que l’éducation aux médias et à l’information soit la variable d’ajustement des économies budgétaires demandées, tant elle est cruciale pour former les citoyens de demain.
À ce titre, nous nous félicitons aussi du développement de Lumni, outil essentiel, notamment pour l’éducation aux médias.
Mme Céline Calvez, rapporteure pour avis. Je terminerai cette intervention en exprimant un regret commun : nous sommes navrées que le Parlement ne puisse pas jouer un véritable rôle dans l’élaboration et le contrôle de l’exécution des COM. Alors que l’avenant de 2023 prolongeait le précédent COM et aurait dû engager un travail avec les parlementaires, ce ne fut pas le cas. Nous avons dû examiner ces projets dans un délai extrêmement contraint de six semaines à compter de l’ouverture de la session ordinaire, alors que notre Assemblée examinait en parallèle le projet de loi de finances pour 2025.
À défaut de nouveaux COM, et même avec ces derniers, nous réclamons l’élaboration d’une loi de programmation pluriannuelle pour l’audiovisuel public, qui proposerait une trajectoire financière compatible avec les exigences du règlement européen sur la liberté des médias.
L’examen d’un tel texte permettrait au Parlement d’être réellement associé à la définition des objectifs des organismes et à la détermination des besoins liés à la mise en œuvre de leurs missions de service public.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Merci. Je cède maintenant la parole aux orateurs de groupe.
Mme Florence Joubert (RN). Comme nous l’avons précisé lors des dernières campagnes électorales, nous sommes favorables à la privatisation de la majeure partie de l’audiovisuel public.
Cependant, nous souhaitons faire une exception pour certains médias, comme l’INA, les chaînes ultramarines, Arte France, TV5 Monde ou encore France Médias Monde, afin que les citoyens français expatriés puissent suivre un média national. En revanche, nous souhaitons une réforme profonde du paysage audiovisuel français comme préalable d’une privatisation réellement efficace.
Pour qu’une chaîne comme France 2 puisse trouver un repreneur, il est impératif de pouvoir réformer la loi sur la liberté de 1986 sur la liberté de communication, dont le dispositif anti-concentration est devenu complètement obsolète face aux évolutions récentes du secteur.
Nous dénonçons aussi l’absence de plafonnement des ressources publicitaires de l’audiovisuel public, qui en abusent au détriment des médias privés alors qu’il est pourtant financé par des fonds publics. Ainsi, France Télévisions réalise environ 25 % de son chiffre d’affaires publicitaire après 20 heures, alors que cela est théoriquement interdit. Quant à Radio France, alors que ses recettes publicitaires sont légalement plafonnées à 42 millions d’euros par an, le groupe continue chaque année de dépasser largement ce montant d’environ 23 millions d’euros en 2024, sans sanction de la part de l’Arcom ou du ministère.
Enfin, il faut souligner que l’audiovisuel public a failli dans sa mission de faire respecter le pluralisme politique. Où est ce pluralisme, lorsqu’un rapport rendu par l’institut Thomas More stipule que, sur les 50 % d’intervenants affichant une orientation idéologique, 25 % seraient classables à gauche et 4 % seulement à droite ?
Où est la neutralité du service public lorsque France Inter se retrouve épinglé par l’Arcom pour avoir relayé les chiffres des terroristes du Hamas dans le conflit à Gaza ?
C’est à cause de toutes ces failles de l’audiovisuel public que nous réclamons aujourd’hui sa privatisation. Rendons ainsi aux Français le pluralisme et l’argent de leurs impôts.
Mme Violettre Spillebout (EPR). La baisse de 50 millions d’euros dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2025, annoncée le 28 octobre dernier par le Gouvernement, n’est pas sans nous inquiéter. Au nom de mes collègues du groupe Ensemble pour la République, nous disons non à ce budget de sacrifice.
Je veux ici saluer l’engagement constant de vos équipes, mesdames et monsieur les présidents-directeurs généraux, en faveur de la transformation numérique, du développement des contenus destinés au jeune public, du maintien d’une offre d’information de référence et du renforcement de la proximité avec les citoyens.
Si ces quatre objectifs sont essentiels, la priorité et l’urgence pour l’audiovisuel public sont de maintenir l’investissement massif pour la transformation numérique, avec plus de contenu numérique natif et une expérience utilisateur améliorée.
Je tiens à réellement réaffirmer notre attachement à l’audiovisuel public, bien commun dont la mission est de s’adresser à tous les Français dans leur diversité, de promouvoir la culture et la création françaises et de délivrer une information pluraliste de qualité dans la véritable guerre de l’information que nous vivons.
Nous pouvons retenir, parmi les 34 recommandations de nos rapporteures Céline Calvez et Sophie Taillé-Polian, dont je souhaite souligner l’excellent travail, quelques points d’amélioration prioritaires :
– une véritable loi de programmation pluriannuelle, ce qui serait bien plus fiable et solide qu’un simple avis consultatif de notre commission ;
– le nécessaire maintien des crédits de transformation numérique ;
– la définition de cibles chiffrées et précises pour chaque indicateur annuel ;
– l’accélération indispensable de la création d’une marque unique pour l’ensemble des contenus relatifs à l’éducation aux médias ;
– le renforcement de la visibilité des contenus de la création française en podcast sur Radio France, comme en première partie de soirée sur France Télévisions ;
– et enfin, la plus forte coopération entre France Bleu et France 3 dans chaque région pour faciliter l’intégration de la marque commune Ici.
Dans un contexte de prolifération des fausses informations, de concentration des médias et de bouleversements massifs des usages et des comportements, nous devons préserver un service audiovisuel public puissant et ambitieux. Je vous remercie.
Mme Marie Mesmeur (LFI-NFP). L’audiovisuel public n’est pas qu’un simple vecteur d’information mais aussi un rempart contre la désinformation. Il se dresse contre les discours de haine et les contre-vérités qui prolifèrent sur certaines chaînes privées, parmi lesquelles CNews. De plus, par son soutien au cinéma, il est le gardien d’une culture vivante, d’une parole libre et de l’exception française.
Pourtant, l’austérité fragilise ces missions, puisqu’en 2024, 700 postes sont menacés à la suite des coupes de 80 millions d’euros décidées par le Gouvernement précédent. Il est désormais urgent de mettre en place un financement dédié, prévisible et pérenne, puisque le système transitoire mis en place à la suite de la suppression de la contribution à l’audiovisuel public disparaîtra après le 31 décembre 2024.
À rebours de l’actuelle utilisation de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – impôt le plus injuste socialement –, la France Insoumise propose une redevance universelle progressive. Il ne s’agit pas de revenir à la taxe injuste de 138 euros par ménage mais de répartir équitablement le coût, notamment sur les plus riches. Que pensez-vous de l’idée qu’une autre redevance est possible, comme le dit l’économiste Julia Cagé ? En effet, seule une redevance universelle permettrait de garantir l’indépendance des médias publics.
Pilier de la démocratie, cette indépendance est un droit fondamental inscrit dans notre Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, mais elle reste à conquérir. Le rapport pour avis présenté devant notre commission par notre collègue Aymeric Caron montre par exemple un traitement partial et déséquilibré des souffrances palestiniennes par France Télévisions et Radio France. Or, invisibiliser les douleurs du peuple palestinien, c’est trahir cette mission d’équilibre et de justice.
La budgétisation de l’audiovisuel public revient à permettre aux parlementaires de décider chaque année des moyens qui lui sont alloués, risquant ainsi de le soumettre davantage à des pressions politiques. Nous venons de voir que certains rêvent de privatiser l’audiovisuel public, comme en témoignent l’intervention précédente ou les amendements du Rassemblement national visant à réduire son financement pour museler les voix critiques.
Dans ce cadre, le licenciement de Guillaume Meurice pour une blague irrévérencieuse fut un coup porté à la liberté d’expression. La satire, l’humour et la critique mordante doivent avoir toute leur place sur les ondes du service public. Je reprends vos mots, madame Veil : « la liberté d’expression n’est pas négociable et ne le sera jamais ». Quand passerez-vous des paroles aux actes ?
Mme Céline Hervieu (SOC). Dans un environnement médiatique bouleversé où la désinformation fait des ravages et face à un mouvement inédit de concentration des médias dans les mains d’une poignée de milliardaires, l’audiovisuel public est le garant d’une information de qualité, libre et indépendante. Ce service public est un atout essentiel pour une création audiovisuelle audacieuse face à la concurrence des plateformes, un enjeu pour le pluralisme – garant de notre démocratie – et un élément indispensable de notre patrimoine commun, dont l’INA est le dépositaire. C’est donc un service public que les socialistes entendent évidemment protéger, comme le garant d’un bien commun précieux que nous défendrons toujours.
Défendre l’audiovisuel public, c’est d’abord défendre un financement dédié, pérenne, juste et prévisible. Nous connaissons effectivement depuis 2022 un contexte extrêmement compliqué, avec la suppression de la redevance par Emmanuel Macron. Les projets de budgétisation et d’intégration de votre financement dans le PLF sont extrêmement inquiétants. C’est tout l’inverse de ce que nous proposons. Les socialistes refusent cette politique du fait accompli et feront tout pour empêcher une situation catastrophique pour l’indépendance de l’information. Défendre le financement de l’audiovisuel public, c’est aussi garantir une forme de pérennité. Or, le compte n’y est absolument pas. Des dizaines de millions d’euros de coupes budgétaires sont prévus. Nous dénonçons fermement cette cure d’austérité. Nous avons proposé la création d’une contribution à l’audiovisuel public progressive. Nous soutiendrons évidemment la PPLO du mieux que nous pourrons. En tout cas, éviter à tout prix cette budgétisation est notre objectif.
Dans ce contexte budgétaire extrêmement dégradé, les entreprises de l’audiovisuel public sont au cœur d’enjeux majeurs autour de la transition numérique, des programmes jeunesse, des médias locaux et de proximité. Or ces objectifs ne sont pas tenables dans les conditions budgétaires qui sont les vôtres.
Mme Frédérique Meunier (DR). L’audiovisuel public devrait connaître une baisse de 45 millions d’euros de ses crédits et le Gouvernement demande un effort de maîtrise de ses dépenses, même si vous en faites déjà depuis de nombreuses années. En particulier pour France Télévisions, ce budget est bien éloigné de celui prévu dans le contrat d’objectifs et de moyens négocié avec les ministères de la culture et de l’économie et des finances.
Même si le Gouvernement se justifie en plaidant que la moitié de ces crédits, initialement destinés à financer des projets liés à France Télévisions et Radio France, ne seront pas annulés, mais simplement décalés, j’entends votre inquiétude et vos renoncements à venir du fait de ce manque de moyens.
Une proposition de loi sénatoriale vise à pérenniser le financement de l’audiovisuel public par la TVA. Il m’apparaît essentiel que ce texte soit adopté par le Parlement afin d’éviter que l’audiovisuel public ne soit directement financé par le budget de l’État et que vous puissiez bénéficier ainsi d’une totale indépendance. Je regrette la suppression de la redevance audiovisuelle, qui était votre garantie de financement pérenne.
La ministre de la culture affirme que son projet de fusion de l’audiovisuel public attirera de nouveaux publics, en particulier les jeunes, vers des contenus plus innovants via de nouveaux canaux de diffusion.
Face à une concurrence croissante, l’audiovisuel public doit également se réorganiser s’il ne veut pas s’affaiblir, et maintenir une vision stratégique. Vous qui émettiez des doutes, pensez-vous qu’une holding pourrait en effet répondre à l’objectif que vous vous fixez tous ?
Madame Veil, l’un de vos objectifs de l’année dernière était de partir à la conquête de publics qui ne vous écoutent pas. Pour cela, vous vouliez tester la création d’un laboratoire dédié à l’expérimentation de nouveaux formats. Comment s’est déroulé le lancement de cette initiative ?
Le logo France 3 a disparu de nos programmes régionaux. Or, la télévision régionale est associée au chiffre 3 dans l’imaginaire collectif. Ce chiffre sera remplacé par la marque Ici, que certains jugent impersonnelle. Pourquoi ce changement ? Il semblerait qu’aucune étude sérieuse ni analyse d’impact n’aient été réalisées. Pourquoi ?
M. Arnaud Bonnet (EcoS). L’audiovisuel public réalise de très bonnes performances et fournit des émissions de qualité d’intérêt général dans un contexte budgétaire exsangue. Je vous remercie, ainsi que l’ensemble des salariés de vos entreprises, pour ce travail quotidien.
Cependant, les comptes n’y sont pas. Notre discussion sur le renouvellement des COM de l’audiovisuel public est une parodie de démocratie parlementaire. Ces COM donnent à l’audiovisuel public des objectifs ambitieux : augmenter les audiences chez les jeunes, mettre en œuvre une transition numérique importante, investir dans l’éducation aux médias, lutter contre la désinformation ou encore enrayer la dégradation continue des conditions de travail des journalistes et salariés de nos entreprises publiques. Toutefois, encore une fois, le Gouvernement ne donne pas aux services publics les moyens de ses ambitions. Le PLF prévoit un budget pour les sociétés publiques inférieur de 81,5 millions d’euros à la trajectoire prévue par le COM. Il se murmure déjà qu’un rabot supplémentaire de 50 millions d’euros pourrait être adopté au Sénat, soit un budget proposé inférieur de plus de 130 millions d’euros à la trajectoire fixée par le contrat.
Le Gouvernement sabre dans le budget de l’audiovisuel public, certainement pour préparer le terrain de la justification de son démantèlement. C’est la stratégie libérale habituelle : couper les fonds des services publics, les empêcher de remplir leur mission, puis venir expliquer qu’ils ne fonctionnent pas.
Ma question s’adresse principalement à mesdames les rapporteures du rapport sur le COM : que proposez-vous pour assurer le financement adéquat aux entreprises du service public de l’audiovisuel, afin qu’elles puissent remplir les objectifs ambitieux qui leur ont été fixés ?
Mme Géraldine Bannier (Dem). Au nom du groupe Les Démocrates, je souhaite tout d’abord rappeler notre attachement de longue date, réitéré et sincère aux services publics de l’audiovisuel. C’est important, alors que se font entendre des remises en cause fondamentales de ce que vous représentez.
Qu’est-ce que le service public de l’audiovisuel ? Lors de sa remise du prix journalistique Anna Politkovskaïa, le président de Reporters sans frontières nous rappelait hier que l’information peut faire bouger les choses. Encore faut-il que cette information soit fiable, vérifiée et non partisane. C’est votre rôle au quotidien, comme celui de parler à chacun de nous, quel que soit notre territoire, notre histoire et notre identité. Le service public de l’audiovisuel garantit la proximité et l’accès pour tous et toutes à ce que les médias peuvent offrir de mieux, qu’il s’agisse de divertissements ou de contenus qui enrichissent l’individu (spectacle vivant, documentaire ou encore films qui renforcent la cohésion et l’adhésion à un idéal commun).
C’est pourquoi vous nous trouverez toujours en soutien, notamment dans la perspective d’un budget sécurisé, lisible et assuré pour les prochaines années.
Par ailleurs, attendra-t-on quatre ans pour revoir du sport paralympique à la télévision et entendre parler de nos champions ? Les Jeux ont été plus mixtes et paritaires et ont rappelé que le sport paralympique est ce qu’il est : du sport. Que pouvez-vous nous en dire ?
De plus, votre soutien à la lecture se poursuit. Le succès considérable du film adapté du roman Le Comte de Monte-Cristo nous montre l’intérêt des scénarii nourris par la littérature. Nous comptons sur vous pour persévérer dans cette voie apaisante.
Quant au projet de COM en discussion aujourd’hui, la trajectoire prévue paraît remise en cause par l’arrêt des versements des crédits de transformation depuis avril 2024, à la suite de la reprise du projet de fusion et de son abandon avec la dissolution, ainsi que par la révision à la baisse de la trajectoire en 2025. Le PLF prévoit le report des 30 millions d’euros de crédits de transformation non versés en 2024 sur 2025, l’augmentation de la dotation socle des opérateurs d’environ 1 % contre les 2,5 % prévus et le versement de 67 millions d’euros de crédits de transformation. Enfin, par l’annonce de baisses supplémentaires via des amendements gouvernementaux, les crédits sont encore réduits de 50 millions d’euros tandis qu’avec la suppression des crédits de transformation, les dotations socles le sont de 20 millions d’euros.
Face aux défis qu’il rencontre, l’audiovisuel public a besoin de garanties d’indépendance, notamment financières. Nous regrettons que cette trajectoire financière ne soit pas respectée.
M. Jérémie Patrier-Leitus (HOR). Au regard de l’actualité politique internationale, je tiens tout d’abord à saluer le travail approfondi et minutieux des journalistes et des équipes de l’audiovisuel, public comme privé, mené cette nuit comme les semaines précédentes pour couvrir les élections états-uniennes.
Au nom des députés du groupe Horizons et apparentés, je souhaite dire que je regrette profondément que nous examinions des COM déjà caducs, dans des délais contraints. Nos acteurs de l’audiovisuel public ont besoin de visibilité, de cohérence, de stabilité, et nous, parlementaires, avons besoin de pouvoir conduire un réel travail de contrôle. Il n’est pas acceptable de recevoir ces COM dans des délais aussi restreints. Malgré l’engagement des rapporteures que je veux saluer, ces conditions ne nous permettent pas d’exercer notre travail de manière sérieuse. Pour avoir été administrateur de Radio France et l’être désormais de France Médias Monde, je veux dire qu’on ne peut pas conduire, malgré tous les efforts de vos équipes et votre engagement, des stratégies cohérentes sur la durée avec des COM qui sont déjà caducs, avant même d’être examinés par le Parlement.
Je soutiens, comme d’autres parlementaires ici, l’idée d’une loi de programmation financière pluriannuelle de l’audiovisuel public qui permettra à la fois de participer au redressement des finances publiques mais aussi de donner de la stabilité et de la visibilité sur les projets que vous pouvez mener.
Face à la guerre de l’information, de la montée en puissance des plateformes, de l’ingérence étrangère et de la désinformation, nous avons besoin d’un audiovisuel public fort et d’une information pluraliste, fiable et indépendante.
Nous partageons une grande partie des trente-quatre recommandations de nos collègues rapporteures. Nous regrettons effectivement la disparition de la feuille de route et des objectifs communs, notamment des jalons de coopération, que nous soutenons et sur lesquels vous pourrez sans doute revenir.
De plus, certains indicateurs manquent de cibles précises.
S’agissant de l’idée de holding, je souhaite savoir quelles sont vos positions au regard de l’évolution de ces derniers mois et de la capacité de vos entreprises à pouvoir mener cette transformation dans des conditions satisfaisantes.
Mme Nicole Sanquer (LIOT). Notre groupe souhaite exprimer ses préoccupations sur les COM des entités de l’audiovisuel public et soutient l’avis défavorable des rapporteures. Ces contrats arrivent dans un contexte critique et incertain pour le financement de l’audiovisuel public.
La suppression de la redevance, décidée il y a deux ans, pose problème car elle n’a pas été remplacée par une ressource stable. Nous sommes contraints de chercher des solutions en urgence basées sur la TVA. Cette option reste, à notre avis, loin d’être idéale, tant pour la justice fiscale que pour l’indépendance et la stabilité financière des entités concernées.
Nous sommes également contre la décision du Gouvernement de réduire de 50 millions d’euros les crédits de l’audiovisuel public dans le PLF. Ces crédits étaient déjà insuffisants et cette nouvelle diminution compromet la trajectoire financière des projets de COM avant même leur mise en œuvre. Nous alertons sur l’impact que cette imprévisibilité pourrait avoir sur la gestion des entreprises de l’audiovisuel public.
Alors que, depuis 2020, ces entités évoluent dans un climat d’incertitude marqué par l’abandon des projets de réforme sur la gouvernance, nous sommes interpellés par le fait que les projets de COM anticipent une réforme qui n’a pas été adoptée par le Parlement.
Enfin, à la suite de la suppression de France Ô, le pacte pour la visibilité des outre-mer devait garantir une meilleure représentation de ceux-ci sur les chaînes à forte audience. Toutefois, sans quotas ni sanctions, ces promesses restent fragiles. Comment assurer cette visibilité des outre-mer sans outils contraignants, dont nous continuons de penser qu’ils sont nécessaires ?
Enfin, je souhaiterais insister – sans polémique – sur l’importance de la neutralité, de l’objectivité et du respect du pluralisme des chaînes publiques locales dans nos collectivités insulaires, en particulier en Polynésie française, car nos familles suivent majoritairement l’actualité via ces médias. Nous notons que la réglementation des temps d’antenne établie par l’Arcom n’est pas toujours respectée, ce que nous regrettons.
Mme Soumya Bourouaha (GDR). Je vous remercie du travail que vous réalisez pour l’audiovisuel, essentiel au maintien d’une ligne indépendante dans le paysage médiatique.
Cependant, cette indépendance est aujourd’hui remise en question, notamment par le projet de holding. En effet, cette fusion, qui exclurait France Médias Monde et Arte, représente un réel danger, comme l’ont dénoncé de nombreux syndicats, notamment à travers un mouvement de grève en mai dernier. Les organisations représentatives craignent notamment que cette fusion entraîne une forme d’hégémonie de France Télévisions qui pourrait « avaler » Radio France et l’INA, entraînant un retour à l’ORTF, ainsi qu’une pression exercée sur la ligne éditoriale.
Le financement de l’audiovisuel public représente une autre source d’inquiétude. En effet, son inclusion dans le budget de l’État crée un danger pour son indépendance mais également pour sa diffusion hors de nos frontières. Si, par exemple, la chaîne France 24 était amenée à être considérée comme un média d’État, ses fréquences pourraient être remises en cause par certains pays.
Ces deux éléments sont aujourd’hui indissociables et n’ont qu’un objectif : celui de l’étatisation de l’audiovisuel public. C’est en ce sens que le groupe Gauche démocrate et républicaine propose une contribution à l’audiovisuel public plus juste, universelle et proportionnelle, afin de protéger le modèle français.
Comment appréhendez-vous ce projet de holding et l’indépendance de vos structures ?
Par ailleurs, un tel projet aura pour conséquences la réduction des effectifs, une possible dégradation des conditions de travail des salariés et, à travers la baisse des moyens, une probable chute de la qualité des programmes. Quelle est votre position concernant ces différents sujets ?
M. Maxime Michelet (UDR). Cette nuit, toutes les télévisions du monde ont braqué leurs regards sur les États-Unis, où Donald Trump a été réélu. Comme tous les quatre ans, l’élection américaine génère un intérêt soutenu de nos compatriotes, qui s’interrogent sur l’avenir de la première puissance mondiale, dont nous ne connaissons que trop bien l’influence.
Face à cet événement planétaire, fournir aux Français une information objective et équilibrée est un devoir du service public. Le projet de COM de France Télévisions évoque l’exigence d’« une offre d’information approfondie, exigeante et pluraliste, avec une attention particulière sur l’actualité mondiale ». Ma question sera directe : cela a-t-il été le cas dans le cadre de l’élection américaine ?
Peu importe notre opinion du président Trump, la puissance américaine et son système politique méritent davantage que des caricatures et des poncifs, tout spécialement dans le pays de Tocqueville. Les 27 et 28 octobre derniers, France 5 a pourtant dédié ses deux soirées à trois émissions consacrées à Donald Trump, titrées Trump, la menace fasciste, Trump, le nouveau visage du fascisme et Trump, un fascisme à l’américaine.
Alors que, de l’autre côté de l’Atlantique, le très respecté Wall Street Journal dénonçait le caractère insensé de cette accusation, France Télévisions rassemblait des intervenants ne craignant pas le point Godwin et les contradictions historiques.
Kamala Harris avait également fait l’objet de trois émissions, intitulées Kamala, le remède au trumpisme ?, Kamala Harris, une femme à la Maison-Blanche et Kamala Harris, une icône pop – une tonalité toute différente, vous en conviendrez.
Dans une élection aussi importante que l’élection américaine, les Français doivent être correctement informés. Dans un monde aussi périlleux que le nôtre, un peuple mal informé est un peuple fragilisé.
Quelles sont, selon vous, les conditions essentielles à réunir pour garantir aux Français une information internationale approfondie, exigeante et de qualité, pour reprendre vos mots, auxquels j’ajouterais « indépendante de toute idéologie » ?
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Merci. Je vous cède maintenant la parole, mesdames et monsieur les présidents-directeurs généraux.
Mme Delphine Ernotte Cunci, présidente-directrice générale de France Télévisions. Concernant la holding, je suis en faveur d’un regroupement des entreprises de l’audiovisuel public.
S’agissant du climat social, l’absence de regroupement n’est pas forcément une bonne nouvelle.
Avec Sibyle Veil, nous partageons votre souhait que nous avancions davantage et plus rapidement sur France 3 et France Bleu.
Comment agir concrètement sans disposer d’une organisation nous permettant de réfléchir en commun aux priorités de l’audiovisuel public ? Cette question préoccupe beaucoup les salariés qui redoutent que, sans holding, une filiale commune soit créée, ce qui ne constituerait pas forcément une très bonne nouvelle pour eux.
Des questions se posent donc d’ores et déjà sur l’organisation de nos équipes et la possibilité d’avoir un cadre social identique pour tous, lisible, clair et suffisamment simple. Même si certains syndicats s’opposent fermement à ce regroupement, clarifier la situation sociale des salariés participant aux coopérations de l’audiovisuel public pourrait aussi constituer un avantage.
Néanmoins, indépendamment de ce point, un regroupement représente aussi une opportunité d’améliorer grandement le service que nous devons à nos utilisateurs, mission pour laquelle nous nous battons tous les jours. Si nous sommes bien sûr sensibles à la question économique car elle nous est imposée et que nous estimons que nous devons être exemplaires et garants de la bonne utilisation de cette ressource publique, ce qui nous motive au quotidien est d’améliorer le service que nous devons à nos utilisateurs.
La holding n’est pas le seul moyen. Au sein de France Télévisions, je plaide également depuis des années pour la création d’une plateforme unique. Nous avançons finalement dans cette direction, d’une certaine manière, avec France.tv. Nous accueillerons très prochainement l’offre d’Arte, de l’INA et des chaînes parlementaires.
Nous sommes également en discussion avec les équipes de Radio France, non pas pour « écraser » Radio France mais pour favoriser l’écoute de podcasts sur un écran de télévision, usage qui prend de l’ampleur car ce dernier permet un accès généraliste à divers contenus écrits, audio et vidéo. Nos homologues européens disposent d’univers mieux interconnectés. Il ne s’agit pas de remplacer mais de faire croître. De la même manière, Sibyle Veil pourrait dire que l’accessibilité à nos programmes vidéo pourrait être développée dans un environnement plutôt audio comme la voiture. Il me semble donc pertinent de réfléchir en fonction des cas d’usage de nos téléspectateurs et auditeurs plutôt que de réfléchir en fonction de nos structures actuelles.
Nous avons démontré avec France Info, France 3 et France Bleu que l’union fait la force, même si ce n’est pas simple et que cela suscite des inquiétudes.
Concernant le déploiement de la marque Ici, ce que nous mettons en place avec Sibyle Veil fait partie des jalons qui devaient être associés aux crédits de transformation selon le COM – qui n’a, certes, pas été validé par l’Assemblée nationale. Nous répondons donc à une demande, que nous essayons d’exprimer au mieux. Je crois même que ce projet a été initié par une note d’un Premier ministre de la France. Nous agissons donc sur une commande de la puissance publique. Toutefois, nous y croyons car nous sentons qu’il existe un vrai besoin d’une information plus locale. J’ai ainsi décidé de relocaliser complètement les deux éditions d’information de midi et du soir, appelées depuis 2023 « Ici 12/13 » et « Ici 19/20 » car il existe une véritable attente d’une vision, non seulement locale, mais adaptée à ce que vivent les gens là où ils sont, sans séparer l’information locale et nationale.
Il me semble qu’une gouvernance commune nous permettrait d’essayer de gommer des différences entre nos structures. La peur que la télévision « mange » la radio existe depuis son invention. Ce type de crainte a pu exister au sein de France Télévisions entre les salariés de France 2 et de France 3 lorsqu’une holding puis une fusion ont été décidées en 2010 entre ces deux entités. Mes prédécesseurs m’ont même raconté qu’une grève avait eu lieu lors de l’ouverture d’une salle de sport commune pour les salariés de ces deux chaînes. Heureusement, ces divergences sont aujourd’hui révolues. Du temps est nécessaire pour apprendre à se connaître, à travailler ensemble et à respecter les identités des uns et des autres.
Si mes prédécesseurs, et vos prédécesseurs d’une certaine façon, n’avaient pas initié cette fusion des sociétés de télévision françaises, France Télévisions ne pourrait pas revendiquer sa place de premier média audiovisuel en France. Nous n’aurions pas été capables de mener à bien toutes ces transformations ni d’investir dans un numérique commun, avec France.tv et France Info. Cette mise en commun des moyens des sociétés de l’époque – qui ne s’est pas faite sans mal – a permis la force actuelle de l’audiovisuel public.
La multitude de voix qui compose ses antennes fait la force Radio France, premier groupe radiophonique en France. Nos deux entreprises sont très fortes. Bien qu’il ne soit pas simple de les faire travailler ensemble, la holding semble être un moyen assez soft pour y parvenir.
Mme Sibyle Veil, présidente-directrice générale de Radio France. Plus le service public est un enjeu politique, plus cela nuit à l’accomplissement serein de ses missions. Par nature, le service public doit être un acteur indépendant, neutre et pluraliste. Ce dernier point est évidemment une bataille au quotidien car, lorsque vous êtes pluralistes, vous déplaisez forcément un peu à tout le monde. La multiplicité des critiques montre bien la difficulté d’être un acteur qui assure une vraie liberté d’expression et un véritable pluralisme, ce qui constitue une exigence quotidienne sur nos antennes. Je voudrais vraiment m’élever contre le « service public bashing » très fréquent, notamment sur certaines chaînes concurrentes qui en usent comme d’une stratégie de communication. La diversité du nombre d’intervenants et des angles avec lesquels nous traitons tous les sujets n’a pas d’équivalent à ce jour.
Des études visant à comparer la diversité des intervenants sur différentes périodes de l’année, telle que la tranche de neuf heures à dix heures de fin août à début octobre, ont montré que nous avons reçu 55 débatteurs différents, soit quatre fois plus que sur une radio généraliste équivalente durant la même période. Ces résultats reflètent une diversité considérable d’intervenants, qui fait aussi la richesse de ce qu’apporte l’audiovisuel public et n’est permise que par l’indépendance qui doit être l’une des conditions de notre fonctionnement.
Je remercie donc tous les parlementaires qui ont porté le sujet de l’indépendance du financement, moyen de préserver le droit de regard du Parlement sur ce point. Je n’ai aucun doute sur le fait qu’une loi de programmation pour l’audiovisuel renforcerait cette indépendance, en donnant de la prévisibilité tout en en évitant que le service public constitue une variable d’ajustement et qu’il existe une politisation de son budget.
De nombreux pays européens, parmi lesquels l’Allemagne, garantissent d’ailleurs par tous les moyens l’indépendance de l’audiovisuel public. Pour beaucoup de nos confrères européens, la visibilité pluriannuelle est très longue, s’étendant sur une dizaine d’années, comme pour la BBC ou l’audiovisuel public allemand. Cette stabilité est entourée de garanties importantes alors que nous pilotons notre budget, que nous sommes en train de découvrir et pour lequel des décisions financières sont encore en cours, « à vue ». L’une des conditions de l’indépendance réside donc dans le mode de financement.
Cependant, s’il existe un consensus sur la nécessité d’un financement indépendant, ce n’est pas le cas pour la gouvernance. Au printemps dernier, une pétition a été signée par plus d’un quart des salariés de Radio France car il existe une incompréhension sur l’objectif poursuivi. Si l’objectif est de réaliser des économies, ce serait en totale contradiction avec le fait que la création d’une structure coûte de l’argent. Il faut être cohérent, éviter des mesures qui augmenteraient les coûts et, a minima, réaliser une étude d’impact pour estimer le coût d’une telle structure, qui constitue un élément important de transparence et d’information de la représentation nationale.
Si la création d’une telle structure doit permettre de réaliser des économies, nous devons savoir où. Dans la plupart des exemples en Europe, une telle structure s’est rarement constituée au bénéfice du média public de l’écoute. Il est donc nécessaire de réaliser une étude d’impact sérieuse pour mesurer les conséquences d’une évolution de la gouvernance. Cette réforme n’est pas neutre et aura des implications systémiques pour nos différentes maisons. Il faut donc prendre le temps d’analyser ces impacts et de s’interroger, en toute transparence, sur le montant des coûts et sur le budget sur lequel cette dépense sera prélevée, surtout dans un contexte où des économies nous sont demandées.
Ces éléments ne nous empêchent pas de faire avancer des projets de coopération très ambitieux, parmi lesquels les actions menées conjointement par France Bleu et France 3. Depuis hier matin, nous avons engagé la bascule vers la marque unique et commune Ici. Progressivement, l’ensemble du réseau France Bleu adoptera cette marque aux côtés de France 3. Nous tenons à ces évolutions, qui témoignent de l’engagement du service public en faveur des médias de proximité, replacée au centre de gravité de l’audiovisuel public car nous sentons combien elle représente un besoin. Lors des dernières séquences électorales, nous avons vu qu’une partie des Français souhaite être plus évoquée et entendue. Dans la mesure où le paysage audiovisuel français est fortement parisien, l’investissement sur ces médias de proximité est nécessaire.
Cet enjeu considérable nécessite d’embarquer les équipes. Je crois beaucoup aux coopérations entre nos maisons car il s’agit de la meilleure manière de donner du sens à ce que nos grandes maisons peuvent accomplir ensemble pour le public, les auditeurs, les téléspectateurs et les internautes. C’est ce qui nous motive dans cette grande coopération que nous menons avec France Télévisions.
S’agissant des formats pour les jeunes, nous avons le projet de créer un laboratoire des idées car la créativité est le « nerf de la guerre » dans nos métiers et a toujours permis à Radio France de réussir ces dernières années. Nous sommes fortement mis au défi par l’arrivée de nouveaux acteurs, tels que les réseaux sociaux et les nouvelles plateformes, ce qui nous impose d’être extrêmement créatifs. Cependant, avec la trajectoire financière, il deviendra difficile de développer ce laboratoire, même si nous resterons ambitieux. Les jeunes sont aussi l’avenir de nos médias et de notre pays. Il est donc primordial de s’assurer qu’ils ne restent pas uniquement sur les réseaux sociaux, dans un univers numérique dominé et maîtrisé par de grands acteurs internationaux, particulièrement anglo-saxons. Aller chercher ce public doit être une priorité pour les prochaines années, dont nous nous saisirons dans le cadre des moyens dont nous disposerons.
Par ailleurs, j’ai vu ces derniers jours des amendements visant à réduire la publicité. Je souhaite rappeler que la publicité est plafonnée et que je n’ai jamais demandé, à titre personnel, une extension du volume de publicité sur nos antennes. Le statu quo est important sur cette question. En revanche, diminuer la publicité serait en contradiction complète avec les économies qui nous sont demandées. Moins nous percevrons de ressources publiques, plus il sera nécessaire de préserver les recettes publicitaires existantes. Il s’agit d’un enjeu de cohérence au regard de la trajectoire financière qui s’annonce.
Enfin, si nous devons effectuer des économies, certains enjeux doivent être pris en considération. Le soutien du législateur serait vraiment important sur la bascule vers le DAB+ (Digital Audio Broadcasting), nouveau mode de diffusion plus économique que la FM, qui offre une réelle modernité et un confort d’écoute significatif. L’Arcom a fait un travail considérable pour trouver un chemin de bascule vers le DAB+, pour lequel nous avons besoin de l’appui du législateur et qui aura un effet important sur nos comptes dans la durée en limitant les doubles coûts de diffusion.
Mme Marie-Christine Saragosse, présidente-directrice générale de France Médias Monde. Concernant le climat social, nous sommes une entreprise de main-d’œuvre, comptant beaucoup de journalistes en France et dans le monde entier, notamment dans des zones extrêmement exposées, qui doivent être soutenus. Les correspondants français qui s’expatrient rencontrent des difficultés car leur système de couverture sociale est assez fragile. De ce fait, certains rentrent en France, ce qui affaiblit notre maillage de journalistes à l’étranger. Ce sujet concerne le Parlement, puisque la couverture sociale relève du domaine législatif. Nous pouvons essayer d’aider les journalistes sur ce point mais nous n’y suffisons pas.
Par ailleurs, je comprends que, compte tenu des annonces budgétaires, le climat social puisse être tendu, avec des COM élaborés de manière participative dont les moyens sont dorénavant caducs. Nous instaurons un dialogue intense et permanent, ce qui n’empêche pas une inquiétude fondée. Nous, les dirigeants, sommes inquiets également. Si cette trajectoire franchement rude en 2025 se poursuivait, il faudrait en effet être inquiet pour le service public. J’espère que le soutien du Parlement aidera à éviter le pire et l’irrémédiable, dans l’intérêt fondamental de la nation sur les questions internationales.
J’ai mené, du début à la fin, une fusion entre chaînes de radio et de télévision décidée en 2012 au moment de ma nomination à la présidence de l’audiovisuel extérieur de la France. Lors de l’examen de la proposition de loi sur la gouvernance de l’audiovisuel public, en mai dernier, il avait été arbitré que FMM ne participe pas à la nouvelle structure car elle n’a pas le même public que les autres entités. Notons que 60 % de nos audiences ne concernent pas le territoire national en français mais le monde en vingt langues. Au sein de RFI et France 24, nous développons l’international, le plurilinguisme et la présence dans des pays pas toujours simples où nous devons convaincre pour maintenir notre présence. Nos activités sont donc assez différentes et nous ne représentons que 7 % du budget. Dans ce type de moment, les difficultés sont d’autant plus fortes que nos entreprises sont de petite taille. Il nous semble prioritaire de nous mobiliser pour faire face aux attaques assez violentes que subit notre pays dans un certain nombre de zones. Je n’ai pas eu l’occasion d’échanger à nouveau avec la ministre de la culture ou le ministre des affaires étrangères au sujet d’une éventuelle réforme, afin de savoir quelle est la position actuelle. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il est possible que la position n’ait pas changé.
Je sais qu’il existe des désaccords entre députés sur le choix des financements affectés et que la création d’une nouvelle redevance reste envisagée. Bien sûr, d’autres grandes démocraties ont toujours un système de redevance. Je voudrais néanmoins appeler votre attention sur la course contre la montre dans laquelle nous sommes. Le mieux est parfois l’ennemi du bien. Il est très important que la PPLO soit adoptée avant le PLF. Si elle est adoptée dans des termes proches du Sénat, nous aurons une chance de gagner la course contre la montre. En revanche, si de nombreuses modifications sont effectuées, les chances seront moindres. Les contacts que j’ai avec un certain nombre d’entre vous témoignent de votre conscience de l’importance de refuser une budgétisation pour l’intérêt général. J’entends l’idée d’une redevance plus équitable, basée sur la taxation des citoyens, mais l’intérêt général du service public est l’adoption de la PPLO.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Merci. Je cède maintenant la parole aux députés pour leurs questions.
Mme Bénédicte Auzanot (RN). Madame la présidente Ernotte Cunci, dans votre projet, vous mettez l’accent sur la lutte contre la désinformation. Vous désignez des ingérences étrangères comme source principale de celle-ci.
Pouvez-vous affirmer que France Télévisions n’a jamais produit de fausses informations et, dans la pure hypothèse où cela a pu être le cas, quelles mesures de remédiation ont été prises ? J’aimerais également savoir quel service vérifiera le travail du service « Vrai ou Faux » que vous comptez créer.
Enfin, vous insistez sur votre volonté de respecter le pluralisme. Comment vous croire quand, auditionnée à l’Assemblée le 5 juillet 2023, vous affirmiez : « Je tiens à dire qu’on ne représente pas la France telle qu’elle est. On essaie de représenter la France telle qu’on voudrait qu’elle soit. » Madame la présidente, comment lutter contre la désinformation et respecter le pluralisme lorsqu’on refuse de montrer le réel et qu’on lui préfère le fantasme de son idéologie ?
M. Ali Diouara (LFI-NFP). La mission de service public que vous portez est claire : garantir une information libre, juste et impartiale.
Pourtant, avec le retour sur le devant de la scène médiatique du conflit israélo-palestinien, il apparaît de plus en plus que France Télévisions et Radio France s’exonèrent de cette responsabilité. Je citerais le travail de notre collègue Aymeric Caron, rapporteur d’un avis sur l’audiovisuel public, qui fournit des chiffres assez accablants. En une semaine de journal télévisé, 29 secondes ont été consacrées à la ville de Gaza en janvier et la couverture est, la plupart du temps, biaisée en faveur d’Israël. Le 14 octobre dernier, des bombardements israéliens ont tué 19 Palestiniens, dont des civils brûlés vifs. Dans le même temps, une frappe du Hezbollah a tué quatre soldats israéliens. Or, France 2 a passé près de deux minutes à évoquer ces soldats israéliens mais a choisi de consacrer onze secondes aux victimes palestiniennes, invisibilisant par la même occasion ces civils en les réduisant à des morts dans un centre de commandement.
Comment justifiez-vous une couverture si partielle et partiale? Quel engagement concret pouvez-vous prendre aujourd’hui pour garantir un traitement plus équilibré et humanisé de l’actualité en Palestine, à Gaza comme ailleurs dans le monde?
M. Pierrick Courbon (SOC). Je voudrais revenir sur la grève de l’intersyndicale des 24 antennes régionales de France Télévisions en raison de la large opposition à la nouvelle marque commune Ici. Le nom est effectif sur France 3 depuis cette semaine et le sera sur France Bleu en janvier 2025. La création de ce nouveau média global dans la proximité, avec cette nouvelle marque qui efface les autres, a été annoncée en 2023. Ce rapprochement correspond bien évidemment à une logique de mutualisation des moyens mais il inquiète les salariés qui redoutent que cela soit le préalable à une fusion.
Effectivement, si la proximité fait consensus, cette fusion qui se dessine fait l’unanimité contre elle et laisse planer des doutes quant à l’avenir de l’audiovisuel public en région. Dans ma circonscription, nous sommes attachés à France Bleu Saint-Étienne Loire, tout comme nous sommes attachés à l’antenne locale de France 3.
Pouvez-vous nous apporter des garanties quant au maintien et à la pérennité des deux entités sous la nouvelle marque Ici ?
Mme Pascale Bay (DR). Le jeune public est vulnérable à la désinformation et aux contenus de mauvais aloi. La nouvelle génération se développant avec le numérique, il est donc essentiel de leur proposer des contenus audiovisuels fiables et qualitatifs. Le succès des médias numériques d’information témoigne de l’intérêt des jeunes pour l’actualité. La jeunesse constitue l’un des thèmes du COM de France Télévision.
Toutefois, malgré la hausse annoncée des dépenses, le régulateur de l’audiovisuel constate un manque d’ambition. L’Arcom recommande la création de contenu numérique d’information à destination du jeune public pour reconquérir cette tranche d’âge éloignée des médias traditionnels, une plus grande présence sur la plateforme Twitch et un plus grand investissement dans les chaînes numériques Okoo et France TV Slash.
Cette ambition demande une volonté forte de la direction. Allez-vous œuvrer pour offrir aux enfants, aux adolescents et aux familles le bénéfice d’un audiovisuel public adapté à leurs besoins ?
Mme Caroline Parmentier (RN). Mesdames les présidentes-directrices générales, c’est un peu mes condoléances que je vous présente ce matin, compte tenu des résultats de la nuit. J’espère que vous n’allez pas décréter trois jours de deuil du service public – on peut sourire un peu.
La proposition de loi sur la réforme de l’audiovisuel public va revenir à l’Assemblée nationale. La ministre de la culture Rachida Dati soutient activement cette réforme prioritaire pour elle, avec la fusion des sociétés de l’audiovisuel public en une entité unique et une réflexion nécessaire sur leur financement, qui s’élève à 4 milliards d’euros par an dans le contexte du catastrophique déficit actuel.
Je vous ai souvent interrogées ici sur votre manque de pluralisme et de neutralité. Rappelons tous les récents numéros de Complément d’enquête.
Quel est votre point de vue, peut-être un peu plus personnel, sur cette réforme ? Vous donnez l’impression d’y croire.
Mme Delphine Lingemann (Dem). Selon les conclusions d’une étude de l’Arcom publiée en janvier 2023, le nombre de retransmissions consacrées au sport féminin est très inférieur à celui du sport masculin malgré une progression. Dans cette étude basée sur les années 2018 à 2023, le football féminin est le sport féminin le plus diffusé, devant le rugby, le tennis puis le cyclisme. Certes, 97 % du volume horaire total de retransmission sportive est diffusé par des chaînes payantes. Toutefois, le sport féminin est plus présent sur les chaînes gratuites généralistes.
Des avancées sont observées. Ce samedi, la chaîne Canal+ a diffusé le match de rugby féminin opposant l’ASM Romagnat et l’Union Bordeaux Bègles. De plus, plusieurs retransmissions de rencontres de l’Élite 1 féminine sont programmées. La rencontre a également été reprise dans le journal de France 3 Auvergne à travers l’opération « Sport Féminin Toujours ».
L’Arcom souhaite « inciter les médias à diffuser davantage de retransmissions sportives sur les antennes, mais aussi aborder les problématiques liées à la pratique du sport féminin ». Membre de la délégation aux droits des femmes, députée d’un territoire où se trouvent plusieurs clubs professionnels de sport féminin, je souhaiterais vous interroger sur les actions que compte mettre en œuvre l’audiovisuel public pour accompagner la féminisation du sport.
M. José Beaurain (RN). Madame la présidente Ernotte Cunci, vous affirmiez en 2015 au micro d’Europe 1 : « Nous avons une télévision d’hommes blancs de plus de 50 ans et il faut que ça change. » Je suis moi-même un homme blanc de plus de cinquante ans et je dois dire que cette déclaration m’interpelle et m’inquiète. Elle suggérait alors que France Télévisions pouvait envisager son recrutement et ses orientations, non pas sur la base des compétences, de l’expertise ou du mérite, mais plutôt en fonction de l’âge, de la couleur de peau et de l’origine de chacun.
Près de dix ans plus tard, j’aimerais savoir si vous faites toujours ce constat et si cette vision prévaut encore dans vos décisions de recrutement. Pouvez-vous aujourd’hui rassurer ceux qui s’inquiètent de cette approche ? Quelle garantie pouvez-vous donner que France Télévisions valorise chaque collaborateur sur des critères professionnels et sur leur mérite, en dehors de tout critère d’âge, de sexe ou d’origine ?
Mme Graziella Melchior (EPR). Les COM déterminent notamment vos axes de développement, le coût prévisionnel de vos activités et vos perspectives économiques.
Aussi, je tiens à saluer la pertinence de vos axes prioritaires : le renforcement de la proximité de l’information, le maintien d’une offre de référence, la transformation numérique et le développement de l’offre pour les jeunes.
Je souhaite également profiter de cette audition pour rendre hommage à tous les journalistes et employés de vos structures qui œuvrent dans nos régions à offrir une information de qualité et au plus près des attentes locales.
Toutefois, pour des raisons que vous avez évoquées, ces contrats ont été tardivement traités en lien avec le Parlement. Aussi, puisque nous avons à cœur de préserver nos pouvoirs, sur les moyens notamment, pourriez-vous nous dire comment nous pouvons travailler à des consultations plus largement menées en amont en particulier ?
Mme Ayda Hadizadeh (SOC). Je voudrais réagir aux propos de notre collègue député, qui s’est ému de la disparition des voix d’hommes blancs sur les antennes. Je ne sais pas si, cher collègue, vous avez aussi prévu de vous rendre en commission des lois pour remettre en cause les lois sur la parité en politique. Ces lois ont permis à un grand nombre de femmes d’être présentes ici, y compris dans vos rangs.
Mesdames et monsieur les présidents-directeurs généraux, travaillez-vous sur cet objectif de parité, mais aussi de diversité des voix ? Avez-vous prévu des objectifs un peu plus ambitieux ?
Je regrette parfois, lors des débats d’experts se tenant sur certaines de vos chaînes, la surreprésentation de voix d’hommes, experts et un peu unanimes. Nous devrions davantage entendre le savoir tiré de l’expérience des personnes présentes sur le terrain.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Merci. Je cède la parole aux présidents-directeurs généraux pour leurs réponses à ces questions.
Mme Delphine Ernotte Cunci, présidente-directrice générale de France Télévisions. France Télévisions, comme tous les médias français, notamment de service public, est comptable du pluralisme auprès du public et de la puissance publique.
Il existe différents mécanismes lorsque l’on estime que ce pluralisme n’est pas respecté ou qu’une fausse information a été diffusée sur nos antennes, parmi lesquels la possibilité de porter plainte. De nombreuses personnes, se sentant injustement citées dans un article ou dans un magazine d’investigation tel que Complément d’enquête, saisissent un juge. Cette plainte est ensuite instruite et jugée. Une deuxième option est de saisir l’Arcom, qui peut, en tant qu’autorité indépendante, mener des investigations et arbitrer une éventuelle sanction pour le média concerné. Enfin, depuis la loi n° 2016-1524 du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, un comité d’éthique, présent au sein de chacune de nos entreprises, peut être saisi par un particulier ou un organisme estimant qu’un traitement n’a pas été juste sur un système d’information.
S’agissant du climat social, rappelons que notre dernier plan stratégique s’est arrêté en 2022 et que, depuis 2023, nous nous dirigions vers un projet de coopération, puis vers un projet de loi relatif à une holding et à une fusion, remis en cause par la dissolution de l’Assemblée nationale du 9 juin 2024. Nous devons dorénavant travailler avec un COM inchangé mais amputé dans ses financements. Ce contexte n’est pas idéal pour garantir un climat social serein.
Le comité social et économique central de France Télévisions a d’ailleurs déclenché son droit d’alerte économique, ce qui est son droit lorsqu’il estime que l’entreprise est en insécurité économique. Je ne vous cache pas que, lorsque ses membres m’interrogeront, je serai bien en peine de répondre à certaines questions que se posent légitimement les représentants des salariés.
Le sujet du financement de l’audiovisuel public fait l’objet d’un débat mais la façon de procéder est importante.
La marque Ici s’impose depuis plusieurs années, puisqu’elle avait déjà été utilisée lors de la refonte des magazines d’information « Ici 12/13 » et « Ici 19/20 » en septembre 2023. Hier, un problème technique a perturbé l’affichage sur France 3 mais le logo Ici doit normalement apparaître à l’écran lors des plages régionales, dont la diffusion représente plus de six heures par jour, tandis que le logo de la chaîne doit être visible le reste du temps.
Nous évoluons peu à peu d’un univers de marque où nous étions sensibles aux chiffres sur la télécommande à un autre où nous nous repérons dans un environnement numérique. La marque Ici est une incarnation de ce mouvement en cours depuis des années.
Nos deux entreprises ont besoin d’incarner cette forme de promesse d’information locale. Cependant, cette évolution n’est pas simple, entraîne des grèves et est source d’inquiétudes qui doivent être prises au sérieux.
Avec Sibyle Veil, nous ne savons pas encore comment nous répondrons aux obligations du COM car nous sommes toujours suspendues à cette question du mode d’organisation, qui nous dépasse.
Par ailleurs, concernant la chaîne numérique Okoo, vous avez parfaitement raison de dire que nous devons investir davantage dans des contenus s’adressant aux enfants et aux jeunes publics, ce qui fait partie des engagements pris dans le COM et de nos missions. Nous avons prévu de rediriger une partie des coûts des programmes actuellement diffusés sur les antennes traditionnelles pour nourrir les programmes dédiés à la jeunesse et Slash.tv mais cela reste insuffisant. Si nous devions encore réduire les coûts de programme, nous n’y parviendrons pas. Ce point fait partie des contradictions que nous pouvons noter entre les objectifs et les moyens.
Les questions relatives à la mixité sont parfaitement légitimes. Le député qui m’interrogeait sur les hommes de plus de 50 ans peut être rassuré : la parité est constituée de 50 % hommes et de 50 % de femmes. Des hommes sont donc toujours présents sur nos antennes. Nous avons également des objectifs de mixité concernant les expertes présentes sur nos chaînes, calculés en moyenne et non pour chaque émission. L’an dernier, nous comptions parmi les experts 47 % de femmes et 53 % d’hommes. Nous devons rester vigilants sur ce point.
De la même façon que des règles d’égalité entre les hommes et les femmes ont été introduites en politique, les COM contiennent des objectifs de mixité. Je suis personnellement convaincue du bien-fondé d’une représentation égalitaire et cela fait bien partie des objectifs qui me sont fixés.
Nous avons étendu ces objectifs de mixité des visages sur nos antennes à un objectif de femmes derrière la caméra. Nous avons déjà beaucoup progressé quant à la présence de réalisatrices dans nos effectifs, mais poursuivons nos efforts dans ce domaine.
Nos actions en faveur de la représentation de la diversité, déjà très visible sur nos antennes, se concentrent beaucoup sur la représentation de tous les handicaps. France Télévisions marquera le paralympisme par l’intensité de son traitement des Jeux paralympiques de Paris, identique à celui des Jeux olympiques. Ce pari a été un véritable succès et les athlètes paralympiques sont devenus des personnalités publiques très appréciées. Lors du très bel événement du 14 septembre 2024, nous avons constaté la même ferveur pour les athlètes décorés par le Président de la République, qu’ils soient paralympiques ou non, ce qui montre qu’une barrière a été franchie.
Nous continuons de diffuser des sports paralympiques, avec un peu moins de succès. Nous devrons persévérer pour que l’intérêt du public se maintienne. De plus, une économie doit se mettre en place, avec des fédérations qui doivent se constituer et organiser des compétitions. Soyez assurés de la détermination actuelle et future de France Télévisions sur ce sujet.
En outre, nous poursuivrons nos efforts concernant la représentation de toutes les formes de handicaps sur nos antennes. Vous aviez salué la création des Rencontres du Papotin. Le recrutement de Théo Curin, qui a été un visage très important des Jeux olympiques, à un poste n’ayant jamais été occupé par une personne en situation de handicap représente un progrès tout en étant une reconnaissance de son talent.
Enfin, depuis hier, la totalité des programmes de la chaîne Franceinfo est sous-titrée, notamment grâce à l’utilisation de l’intelligence artificielle. Nous ne souhaitons pas encore généraliser ce sous-titrage sur la télévision numérique terrestre et les box car nous voulons être sûrs que la qualité est au rendez-vous. Des associations agissant sur la question du handicap, avec lesquelles nous avons beaucoup travaillé, ont donné leur validation pour le lancement de cette offre de sous-titrage. Nous attendons leur retour et celui des utilisateurs pour savoir si nous irons plus loin. Nous proposons aussi le sous-titrage de l’intégralité des programmes de Franceinfo.
Je crois que les Français ont remarqué la mixité mais je ne suis pas sûre qu’ils considèrent que nous sommes parvenus à une représentation au plus juste de la diversité – qu’elle soit liée à l’origine sociale, à la couleur de peau ou au handicap. Nous réalisons tous les ans un baromètre sur ce sujet. Nous sommes attentifs et continuons d’y travailler.
Mme Sibyle Veil, présidente-directrice générale de Radio France. L’objectif de parité, suivi par l’Arcom, est fixé dans nos COM. L’INA a d’ailleurs développé un outil pour apprécier la part de femmes dans nos différents médias. Cet objectif est donc suffisamment consensuel pour être partagé très largement et figuré dans différents textes.
Lors de mon arrivée à Radio France en 2015, j’entendais encore que confier l’animation d’émissions matinales à des femmes serait anxiogène pour les auditeurs. En assurant la présence de voix de femmes sur toutes les tranches horaires, nous avons connu une augmentation des audiences car nous sommes à l’image de la société. Nous avons d’ailleurs été suivis par les autres médias, dont les différentes tranches sont aussi devenues peu à peu paritaires.
Par ailleurs, j’ai nommé Nathalie Iannetta à la direction des sports, ce qui constitue la première nomination d’une femme à ce poste. Depuis, elle fait une couverture absolument remarquable des événements sportifs qui mettent en valeur le sport féminin, ce qui constitue un enjeu important. Le Tour de France féminin n’est couvert par les médias que depuis trois ans.
La diversité est un sujet plus vaste, qui inclut bien d’autres caractéristiques. Nous sommes évidemment très vigilants sur toutes les autres dimensions. Sur ce sujet également, nous sommes suivis : les rapports de l’Arcom sur l’exécution des COM montrent les progrès réalisés année après année par nos différents médias sur ce sujet, afin de répondre aux objectifs extrêmement précis qui nous sont fixés.
S’agissant du climat social, une vraie inquiétude existe dans nos maisons, liée au fait qu’il est nécessaire de continuer à partager et porter l’objectif du service public audiovisuel français.
Évidemment, les économies sont une source d’inquiétude considérable compte tenu de leur ampleur dès 2025 mais aussi pour 2026 et 2027. Ces sujets sont d’autant plus majeurs pour nous qu’au même moment, nous conduisons des évolutions considérables dans nos entreprises. Le travail commun que nous réalisons entre France Bleu et France 3, deux réseaux répartis partout en France, avec le déploiement de la marque Ici se traduit par des changements significatifs qui s’accompagnent d’une évolution éditoriale pour répondre à l’aspiration des Français. Ces derniers souhaitent en effet une information locale, une approche moins anxiogène, un accompagnement et des solutions à leurs problèmes du quotidien concernant les évolutions écologiques, le pouvoir d’achat ou la santé. Ces sujets considérables constituent le travail quotidien de nos équipes.
Le contexte que nous connaissons a généré beaucoup d’incertitudes sur les moyens financiers. Nous espérons que les ambitions et la stratégie de ce COM ne seront pas remises en cause. De nombreux projets ont déjà été lancés, parmi lesquels la coopération entre France Bleu et France 3. Nous avons engagé les financements de ces projets, qui pèseront donc dans nos comptes. Nous devrons nous demander comment continuer à porter ces projets déjà très largement engagés car ils répondent à de vrais besoins de médias locaux de proximité sur lesquels il existe un consensus.
Un magnifique concert du groupe Terrenoire, originaire de Saint-Étienne, a eu lieu pour les dix ans de France Bleu, en décembre 2023. C’est une chance formidable que des médias locaux portent des artistes locaux, qui deviennent ensuite des artistes nationaux à succès.
Nos actions visent à développer ces médias et à renforcer leur présence, afin que la complémentarité de nos deux réseaux soit bénéfique pour le public, ce qui constitue l’enjeu de ces coopérations. Nous abordons ce défi par les enjeux éditoriaux et la visibilité de ce que nous pouvons accomplir en commun. La marque Ici incarne la proximité du lieu de vie, très loin de la proximité idéologique qui constitue un point de rassemblement sur les médias polarisés. Ces éléments constituent l’ambition de ce projet que l’ensemble de nos équipes portent avec beaucoup d’enthousiasme, bien que les changements soient difficiles et génèrent évidemment des inquiétudes.
Nous sommes présents au quotidien pour essayer de donner du sens et un cap, ce qui nécessite de pouvoir nous projeter sur plusieurs années. En effet, de tels projets sont si majeurs pour les équipes comme pour le public qu’une trajectoire financière pluriannuelle, offrant une réelle stabilité, est indispensable pour permettre leur mise en œuvre. Les réformes et investissements numériques de ces dernières années n’auraient pas été possibles sans cette visibilité pluriannuelle car ils nécessitent de déplacer des métiers, des fonctions et des organisations. Dans la mesure où Radio France produit ses émissions en interne, le succès repose sur le talent et l’engagement de nos équipes. Nous avons donc besoin d’emmener les équipes avec nous et de tracer des directions sur plusieurs années.
Mme Marie-Christine Saragosse, présidente-directrice générale de France Médias Monde. La question de la parité et, plus généralement, de la représentativité des équipes par rapport aux auditeurs me semble importante. Notre temps d’antenne se divise entre 50 % de voix d’hommes et 50 % de voix de femmes. Il ne s’agit pas seulement d’une présence physique mais de temps de parole. L’INA développe un outil très intéressant à ce sujet. Chez France Médias Monde, la proportion de présence féminine à l’antenne correspond au temps de parole accordé aux femmes.
Par ailleurs, nous avons la chance de compter 60 nationalités et 21 langues. La diversité est donc également au rendez-vous, avec un lien commun très fort : toutes les personnes présentes parlent le français et ont choisi la France. Toutes leurs origines se réunissent autour d’un choix très fort, souvent bouleversant, pour notre pays.
Je souhaite saluer France Télévisions pour sa couverture des Jeux paralympiques, qui représente une avancée importante pour les personnes handicapées. L’enthousiasme des équipes de RFI et de France 24 était manifeste. Je pense que l’impact de ces Jeux paralympiques sera durable.
Porter ces objectifs de parité et de représentativité constitue le cœur du service public.
Par ailleurs, des ingérences étrangères, que vous observez depuis ici, partent de loin, dans les territoires où France Médias Monde est présent. L’entreprise Wagner a produit des dessins animés mettant en scène des rats et des serpents et représentant la présence française en Afrique ainsi que des jeux vidéo permettant de tuer des soldats français. C’est innommable. Nous avons la chance de vivre dans des territoires où nous nous sentons protégés par nos institutions et notre démocratie. Toutefois, j’appelle l’attention de cette commission qui est, fort légitimement, préoccupée par la proximité, sur le fait que l’international, peut-être loin des yeux, ne doit pas être loin du cœur des Français car ce sont sur ces territoires que se jouent d’abord ces ingérences. La France n’est pas dans une position où elle peut se permettre un désarmement informationnel dans cette guerre qui la vise spécifiquement.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Nous vous remercions pour le travail que vous réalisez jour après jour dans vos entités respectives.
L’audition s’achève à onze heures dix.
La séance est suspendue de onze heures dix à onze heures quinze.
*
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Mes chers collègues, Nous en venons maintenant à la formulation de l’avis de notre commission sur chaque projet de COM. Mesdames les rapporteures, je vous cède la parole.
Mme Céline Calvez, rapporteure. Nous avons pu livrer précédemment notre avis mais il nous apparaît important de préciser, après cette audition, qu’il ne repose pas uniquement sur l’écoute des présidents-directeurs généraux de l’audiovisuel public mais également sur les auditions d’une quarantaine de représentants d’entités différentes (sociétés de l’audiovisuel public, représentants syndicaux, sociétés de journalistes, Arcom, direction du budget ou encore direction générale des médias et des industries culturelles du ministère de la culture). Il nous est apparu indispensable de fonder notre avis, au-delà de la seule parole des présidences, sur différents points de vue.
Je constate qu’une large majorité de cette commission est favorable et réitère son attachement à un audiovisuel public disposant des moyens nécessaires pour accomplir ses missions.
Nous aurons à cœur de souligner que les objectifs et la stratégie mis en œuvre vont dans la bonne direction. La stratégie porte sur la transition numérique, la reconquête du public et l’information des Français. Des débats ont eu lieu dans cette commission au sujet du pluralisme. Comme le disait Sibyle Veil, le fait que les avis soient divergents sur la question signifie sans doute que le pluralisme est assez représenté. J’ai confiance en l’Arcom, notamment après la décision du Conseil d’État de février dernier, pour assurer au mieux un suivi du pluralisme.
Nous devons accompagner et renforcer ces objectifs, notamment en matière de coopération. Cependant, les moyens ne sont pas au rendez-vous, tant en termes de financements que de modalités de ces derniers, qui devraient être entérinées dans les prochaines semaines.
J’insisterai aussi sur le pilotage et le contrôle de l’action des organismes de l’audiovisuel public. Nous avons, en tant que parlementaires, un rôle à jouer. Il est assez décevant de constater que l’avenant prolongeant d’une année les COM 2020-2022 invitait fortement à un travail collaboratif avec les parlementaires, ce qui n’a pas été le cas pour l’élaboration des COM, finalisés en juin et dont nous n’avons pu nous saisir qu’à partir du 1ᵉʳ octobre. Nous avons travaillé dans des délais assez contraints pour vous formuler 34 recommandations, portant sur la force des COM, des coopérations et sur chacun des contrats sur lesquels nous avons à voter.
Il est donc crucial de stabiliser et pérenniser la hauteur et les modalités du financement afin de donner une visibilité sur la stratégie. Au sein de ce Parlement, nous avons un rôle à jouer, bien plus actif que celui d’observateur du dialogue entre l’État et l’audiovisuel public. C’est pourquoi nous formulons la proposition d’une loi de programmation et d’orientation pluriannuelle, qui serait à même de davantage garantir que le Parlement ait un véritable rôle dans l’élaboration mais aussi le suivi des politiques de l’audiovisuel public.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. Le service public de l’audiovisuel est reconnu dans notre pays et bénéficie d’un grand soutien. Il est important de rappeler qu’il s’agit des médias en lesquels les Françaises et les Français ont le plus confiance.
Le travail mis en œuvre dans la douleur, puisque des plans sociaux ont eu lieu à répétition, a malgré tout permis de maintenir la qualité – reconnue – des services publics de l’audiovisuel. Nous devons saluer et poursuivre ce travail, d’autant que l’information est en grande difficulté et que la création doit être soutenue.
Les objectifs des COM, que nous soutenons, sont à la hauteur des ambitions que nous devons avoir pour le service public de l’audiovisuel.
Finalement, par cet appel à voter contre les projets de COM, nous vous proposons de replacer le Parlement, et notamment l’Assemblée nationale – mise actuellement à mal au regard de nos collègues du Sénat –, au cœur de ces discussions. Voter en défaveur de ces COM, c’est poser l’exigence des députés de disposer d’un suivi sur le pilotage, la mise en œuvre des objectifs et d’une capacité réelle d’intervention sur les moyens dédiés.
Voter en défaveur de ces COM permettrait aussi de manifester notre accord sur la nécessité d’une loi de programmation permettant de travailler sur ces objectifs et moyens. Une telle loi permettrait que l’État s’engage en faveur des entreprises du service public de l’audiovisuel, soumises à des aléas intenables et qui pourraient ainsi s’appuyer sur une trajectoire stable et pérenne dans un milieu extrêmement concurrentiel. Une loi de programmation permettrait de se projeter tout en respectant l’annualité budgétaire et la liberté parlementaire, ce qui répond aussi aux exigences du règlement européen sur la liberté des médias qui impose un financement stable, pérenne et prévisible pour l’audiovisuel public dans tous les pays d’Europe.
Nous vous proposons de porter collectivement cette loi de programmation afin qu’elle puisse être débattue dans notre hémicycle.
Enfin, la reprise en main de ce sujet par le Parlement, et singulièrement par l’Assemblée nationale, doit aussi concerner le financement et les modalités de ce dernier. Une commission spéciale, dont j’ai été élue présidente, aura pour objectif d’examiner la PPLO, qui sera discutée en séance le 19 novembre et qui permettra, si elle est adoptée, de pérenniser le financement actuel dans le respect des règles organiques.
Ces éléments ne signifient pas que notre travail devra s’arrêter là. Nous proposons une loi de programmation car nous devons non seulement stabiliser le financement mais également le porter à la hauteur des ambitions partagées pour le service public culturel et de l’information. Notre service public de l’audiovisuel est en effet un point de référence pour l’information de qualité, indispensable à la démocratie, tout en étant un appui majeur à l’exception culturelle, en participant activement au financement et à la valorisation de la diversité culturelle dont notre pays peut s’enorgueillir.
Suivant l’avis des rapporteures, la commission émet successivement un avis défavorable sur les projets de contrats d’objectifs et de moyens de France Télévisions, France Médias Monde, Radio France et de l’Institut national de l’audiovisuel.
Annexe : liste des personnes entendues par les rapporteures
(par ordre chronologique)
Institut national de l’audiovisuel (INA) – M. Laurent Vallet, président-directeur général, Mme Agnès Chauveau, directrice générale déléguée, et Mme Déborah Münzer, directrice de cabinet du président
Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) – M. Roch-Olivier Maistre, président, M. Alban de Nervaux, directeur général, et Mme Justine Boniface, directrice de cabinet
France Médias Monde* – Mme Marie-Christine Saragosse, présidente directrice générale, M. Roland Husson, directeur général, et Mme Fanny Boyer, adjointe au directeur des relations institutionnelles
France Télévisions* – Mme Delphine Ernotte-Cunci, présidente-directrice générale, M. Christophe Tardieu, secrétaire général, Mme Livia Saurin, secrétaire générale adjointe, et M. Olivier Roger, directeur de cabinet
Table ronde des syndicats de France Médias Monde :
– Confédération française démocratique du travail (CFDT) – M. Ethan Hajji, délégué syndical, et M. Rodolphe Paccard, délégué syndical
– Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) – Mme Fatima Bekkar, déléguée syndicale
– Confédération générale du travail (CGT) – Mme Patricia Blettery, élue CGT au CSE, et Mme Sabine Mellet, déléguée syndicale
– Force ouvrière (FO) – Mme Maria Afonso, chroniqueuse à RFI, et M. Christophe Loisel, technicien réalisateur à France Média Monde
– Syndicat national des journalistes (SNJ) – M. Raphael Moran, représentant du syndicat
Audition commune :
– Bureau de la Radio* – M. Jean-Philippe Baille, président, et Mme Anne Fauconnier, déléguée générale
– Syndicat des radios indépendantes (Sirti) * – M. Kevin Moignoux, secrétaire général, et Mme Valérie Picardo, chargée des relations institutionnelles
Table ronde des syndicats de l’Institut national de l’audiovisuel :
– Confédération générale du travail (CGT) – M. Xavier Eutrope et Mme Isabelle Pantic-Guillet, représentants syndicaux
– Force ouvrière (FO) – M. Pierre Cortese, délégué syndical
Radio France* – Mme Sibyle Veil, présidente-directrice générale, et M. Charles-Emmanuel Bon, secrétaire général
Table ronde des sociétés de journalistes :
– Société des journalistes de France 3 rédaction nationale – M. Georges Pinol, journaliste
– Société des journalistes de Radio France – M. Edouard Marguier, et Mme Audrey Morellato, journalistes chez Franceinfo
– Société des journalistes de France 24 – Mme Shirli Sitbon et Mme Salma Bounjara, journalistes
– Société des journalistes de Radio France internationale (RFI) – M. Grégory Lesca et Anne Cantener, journalistes
– Société des journalistes de Franceinfo TV – M. Luc Brisson, et M. Johnny Iticsohn, journalistes
Table ronde des syndicats de France Télévisions :
– Confédération française démocratique du travail (CFDT) – M. Majid Bensmail, délégué syndical central, et Mme Yvonne Roehrig, déléguée syndicale centrale
– Confédération générale du travail (CGT) – Mme Eléonore Duplay et M. Jean-Hervé Guilcher, représentants syndicaux
– Force ouvrière (FO) – M. Renaud Bernard, délégué syndical central
– Syndicat national des journalistes de France Télévisions - M. Didier Givodan, délégué syndical central
Table ronde des syndicats de Radio France :
– Confédération française démocratique du travail (CFDT) Radio France – M. François Joulaud, administrateur salarié-es au Conseil d’administration, et M. Renaud Dalmar, délégué syndical central
– Confédération générale du travail (CGT) de Radio France – M. Lionel Thompson, secrétaire général et élu au Conseil d'administration, et M. Bertrand Durand, délégué syndical central
– Force ouvrière Radio France – M. Guillaume Baldy, délégué syndical central, et M. Ronan Feunteun, secrétaire général
– SUD Radio France - M. Benoît Gaspard, délégué syndical central, et M. Grégoire Blin, délégué syndical
– Syndicat national des journalistes Radio France –M. Guillaume Gaven et M. Matthieu Darriet, délégués syndicaux
– Union nationale des syndicats autonomes (Unsa) Radio France – M. Rémy Gemble, délégué syndical central
Arte France* – M. Bruno Patino, président, et M. Frédéric Bereyziat, directeur général
Table ronde de l’association des chaînes privées (ACP) :
– Groupe TF1* – Mme Peggy Le Gouvello, directrice des relations extérieures, et M. Maxime Cermack, responsable des affaires publiques
– Groupe Canal +* – Mme Amélie Meynard, directrice des affaires publiques
– Groupe M6* – Mme Marie Grau-Chevallereau, directrice des Etudes réglementaires et Mme Pauline Marin, chargée de mission
– RMC-BFM – Mme Alix de Montesquieu, responsable des relations institutionnelles
Table ronde d’organisations représentant des auteurs et producteurs de programmes audiovisuels :
– AnimFrance* – M. Samuel Kaminka, président, et M. Stéphane Le Bars, délégué général
– Fédération des industries du cinéma, de l’audiovisuel et du multimédia (Ficam)* – M. Didier Huck, président, et Mme Gina Barbier, présidente déléguée de la commission « Observatoire Métiers et Marchés »
– Guilde des auteurs réalisateurs de reportages et documentaires (Garrd)* – Mme Stéphanie Quillet et M. Raphaël Hitier, élus au Conseil d’administration
– Syndicat des producteurs audio indépendants (PIA) – M. Julien Neuville, vice-président
– Syndicat des producteurs et créateurs d’émissions de programmes audiovisuels (Spect)* – Mme Nathalie Darrigrand, vice-présidente, et M. Vincent Gisbert, délégué général
– Syndicat des producteurs indépendants (SPI) – M. Simon Arnal, président, et M. Sébastien Colin, délégué général
– Union Syndicale de la Production Audiovisuelle* – Mme Isabelle Degeorges, vice-présidente, et Mme Amanda Borghino, déléguée générale adjointe
Direction du budget – 8e sous-direction – Mme Carole Anselin, sous-directrice, Mme Louise Mesnard, cheffe du bureau Justice et médias et Mme Clara Muller, adjointe à la cheffe du bureau Justice et médias
Ministère de la culture – Direction générale des médias et des industries culturelles (Dgmic) – Mme Florence Philbert, directrice générale, Mme Laure Leclerc, sous-directrice de l'audiovisuel, et M. Louis Benon, adjoint à la cheffe du bureau du secteur audiovisuel public
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.
([1]) Il s’agit notamment des recettes publicitaires des sociétés de l’audiovisuel public, des recettes de billetterie de Radio France, de diverses recettes de diversification, comme les recettes de production. Par exemple, France Télévisions envisage de louer les espaces de ses nouveaux studios de Vendargues à des acteurs extérieurs.
([2]) Du fait de sa nature franco-allemande, l’élaboration du projet de COM d’Arte-France est soumise à un calendrier spécifique. Elle ne pouvait débuter avant le vote du projet de groupe par l’assemblée générale franco-allemande du groupement européen d’intérêt économique (GEIE). Ce vote est intervenu le 9 octobre 2024.
([3]) Quelques chiffres illustrent la place centrale de l’audiovisuel public dans le paysage audiovisuel. En 2023, le groupe France Télévisions était leader des parts d’audience (29,3 %), sa plateforme France.tv enregistrait 26 millions de visiteurs uniques chaque mois tous supports confondus, la plateforme Francetvinfo enregistrait 22,6 millions de visiteurs uniques chaque mois. En 2023, les sept antennes de Radio France ont touché en moyenne près de 15 millions d’auditeurs quotidiens, France Inter a confirmé son statut de première radio de France, etc.
([4]) https://www.la-croix.com/economie/Confiance-medias-notre-barometre-8-chiffres-2023-11-22-1201291750
([5]) En janvier 2024, l’Observatoire de la vidéo, à la demande du Centre national du cinéma et de l’image animée, a estimé qu’au premier trimestre 2023, pour la première fois en France, la consommation de vidéos à la demande avait pris le pas sur la consommation linéaire, laquelle est passée sous la barre des 50 % de la consommation vidéo totale (47 %) des 18-64 ans.
([6]) En janvier 2024, Netflix a annoncé qu’il consacrerait 17 milliards de dollars en 2024 à la production d’œuvres originales. À titre de comparaison, le projet de COM 2024-2028 de France Télévisions prévoit une contribution de 520 millions d’euros par an en faveur de la création audiovisuelle et cinématographique.
([7]) Les crédits de l’audiovisuel public n’atteindront cependant pas le seuil symbolique des quatre milliards d’euros en 2024, en raison de l’annulation de crédits inscrits au sein du programme de transformation, intervenue en février 2024, et d’une probable nouvelle annulation de crédits en loi de finances de fin de gestion pour 2024. Sur les 69 millions d’euros qui auraient dû être versés à ce titre en 2024, seuls 19 millions d’euros devraient l’être effectivement. Voir la suite du présent avis.
([8]) La répartition de l’effort supporté par chacun des organismes de l’audiovisuel public est précisée dans la suite du présent rapport.
([9]) Conformément à l’article 53 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, l’Arcom a rendu un avis sur les projets de COM de France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et Institut national de l’audiovisuel le 24 juillet 2024 : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000050058615
([10]) Décision du Conseil constitutionnel n° 2022-842 DC du 12 août 2022.
([11]) Article 6 de la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022 modifiant l’article 46 de la loi de finances pour 2006.
([12]) Loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances.
([16]) Article 5 du règlement (UE) 2024/1083 du Parlement européen et du Conseil du 11 avril 2024 établissant un cadre commun pour les services de médias dans le marché intérieur et modifiant la directive 2010/13/UE.
([17]) Il s’agit de la Kommission zur Ermittlung des Finanzbedarfs der Rundfunkanstalten (KEF).
([18]) IF et Igac, Réforme du financement de l’audiovisuel public, juin 2022.
([20]) Le compte de concours financier « Avances à l’audiovisuel public » a été institué par l’article 46 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006.
([21]) La réserve de précaution vise à rendre indisponible en début de gestion une part des crédits ouverts par la loi de finances. Le PLF pour 2025 prévoit ainsi un taux de mise en réserve de 4 % sur les crédits hors masse salariale et hors crédits portant très majoritairement des dépenses de prestations sociales pour lesquels un taux réduit de 0,5 % est appliqué. Aucune réserve de précaution n’est appliquée aux crédits inscrits dans les comptes de concours financiers.
([22]) Le 2 du VI de l’article 46 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006 prévoit que les avances à l’audiovisuel public sont versées chaque mois aux organismes bénéficiaires à raison d’un douzième du montant prévisionnel des recettes du compte.
([23]) À titre d’exemple, la trésorerie nette consolidée du groupe France Télévisions s’élevait à – 4,40 millions d’euros au 1er septembre 2024 (source : France Télévisions).
([24]) C’est-à-dire dans les crédits des programmes 372 France Télévisions, 373 Arte France, 347 Radio France, 375 France Médias Monde et 376 Institut national de l’audiovisuel.
([25]) Rapport d’information n° 1327 de M. Quentin Bataillon sur l’avenir de l’audiovisuel public, déposé le 7 juin 2023 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion-cedu/l16b1327_rapport-information#
([26]) Proposition de loi relative à la réforme de l’audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle.
([27]) L’article liminaire du projet de loi de finances pour 2025 prévoit un déficit public historiquement élevé pour l’année 2024 : – 6,1 %. Pour l’année 2025, le déficit public s’établirait à – 5,2 %.
([28]) Au total, les entreprises de l’audiovisuel public devaient bénéficier de 200 millions d’euros inscrits sur ce programme entre 2024 et 2026.
([29]) Décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.
([30]) Cible d’inflation inscrite dans le projet de loi de finances pour 2025.
([31]) L’indicateur 17 du projet de COM prévoit, de 2024 à 2028, une contribution au financement de la création audiovisuelle de 440 millions d’euros et une contribution au financement de la création cinématographique de 80 millions d’euros.
([32]) Rapport n° 2621 de Mme Fabienne Colboc et M. Jean-Jacques Gaultier sur la proposition de loi relative à la réforme de l’audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion-cedu/l16b2621_rapport-fond#
([33]) Propos tenu lors de son audition par les rapporteures.
([34]) Franceinfo est un projet commun à France Télévisions et Radio France, auquel participent France Médias Monde et l’INA. Son acte II vise à accélérer les coopérations entre ces organismes, en construisant une offre plus intégrée et plus visible.
([35]) https://www.arcom.fr/se-documenter/etudes-et-donnees/etudes-bilans-et-rapports-de-larcom/evolution-du-marche-de-la-communication-et-impact-sur-le-financement-des-medias-par-la-publicite
([36]) Hors France Télévisions, Radio France et Canal +.
([37]) France Télévisions ne peut plus diffuser, depuis 2009, de publicités commerciales de 20 heures à 6 heures du matin, la publicité est limitée à 6 minutes par heure en moyenne quotidienne et à 8 minutes par heure d’horloge, etc. Les recettes publicitaires de Radio France sont plafonnées, en chiffre d’affaires comme en volume, par le COM. Le plafond concerne les publicités commerciales et de parrainage sur les antennes traditionnelles, c’est-à-dire hors recettes tirées de la diffusion de messages d’intérêt général et de publicités sur le numérique.
([38]) Arte-France ne se finance pas par la publicité commerciale.
([39]) Réunion de la commission des affaires culturelles et de l’éducation du mardi 14 mai 2024 à 21 h 30 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion-cedu/l16b2621_rapport-fond#
([41]) Les audiences sont de 9 % pour France 3 et 4,9 % pour France Bleu en 2023 selon Médiamétrie.
([43]) Source : Médiamétrie.
([44]) Cette donnée figure au sein de l’indicateur 13 du projet de COM de France Télévisions.
([45]) Source : Médiamat annuel du 2 janvier au 31 décembre 2023 (Médiamétrie).
([46]) L’actuel directeur de Franceinfo TV est M. Laurent Delpech, qui occupe ce poste depuis septembre 2024. Il a remplacé M. Erik Berg, qui a occupé ce poste d’octobre 2022 à septembre 2023. Pendant un an, Franceinfo TV n’a pas eu de directeur. D’octobre 2020 à octobre 2022, le poste avait été occupé par Mme Sophie Guillin.
([47]) En 2022, la chaîne Franceinfo TV comptait 123 ETP, dont 103 journalistes, soit 9,7 % seulement des journalistes de la société.
([48]) Ce canal est actuellement occupé par la chaîne NRJ 12, dont l’autorisation d’émettre ne sera pas renouvelée par l’Arcom en 2025.
([50]) Source : France Télévisions.
([52]) Source : Gouvernement.
([53]) Article 1.3 de l’accord collectif d’entreprise. Cet accord peut être dénoncé dans les conditions prévues par le code du travail. Le délai de survie prévu par le code du travail est porté à 24 mois. Il peut être révisé si une partie signataire ou adhérente en fait la demande. Cette demande doit être motivée, adressée aux autres parties signataires ou adhérentes par lettre recommandée avec avis de réception et être accompagnée d’une proposition de rédaction nouvelle. Une réunion sera organisée dans un délai d’un mois pour ouvrir les négociations après la date de réception de la demande de révision. Si aucun accord n’est trouvé dans un délai de 4 mois, la demande de révision est réputée caduque.
([54]) Soit environ 2,4 milliards d’euros fin octobre 2024.
([55]) Article 9 du cahier des charges de la société nationale de programme France Télévisions.
([56]) L’indicateur 1 du projet de COM mesure la couverture mensuelle de France.tv et de la plateforme Francetvinfo (en visiteurs mensuels uniques). En 2024, l’audience de la plateforme a bénéficié d’un « effet Jeux olympiques et paralympiques », qui conduit le groupe à anticiper en 2025 une audience numérique inférieure à celle de 2024.
([57]) Le groupe a indiqué aux rapporteures avoir engagé un certain nombre de projets au titre du programme de transformation : nouvelles offres d’information pour les jeunes publics (émission C quoi l’info), montée en charge du sous-titrage de Franceinfo via l’intelligence artificielle, modernisation du site internet et de l’application Ici, montée en puissance de la distribution de France.tv sur les interfaces connectées, passage de la France 2 et France 3 en ultra-haute définition sur la TNT, etc.
([58]) L’indicateur mesure les abonnements (somme des abonnements aux comptes France.tv, Slash, Okoo, Culture Box et Culture Prime) sur l’ensemble des réseaux sociaux sur lesquels est présent le groupe, soit Facebook, Instagram, X, TikTok, Snapchat et YouTube.
([59]) Ces montants sont retracés au sein de l’indicateur 17 du projet de COM, qui mesure les montants investis, respectivement, dans la production audiovisuelle (fiction, documentaires y compris régionaux et ultramarins, animation, spectacle vivant, valorisation des dépenses entrant dans le périmètre de l’accord conclu entre France Télévisions et les syndicats de producteurs audiovisuels) et la production cinématographique (valorisation des dépenses entrant dans le périmètre de l’accord conclu entre France Télévisions et les organisations professionnelles du cinéma). Ces montants diffèrent de ceux déclarés au titre des obligations réglementaires de France Télévisions.
([60]) Le pourcentage du chiffre d’affaires a été porté de 3,2 % à 3,5 % suite à un accord passé entre les organisations de producteurs et France Télévisions le 20 décembre 2017.
([61]) Source : Gouvernement.
([62]) Les signataires de l’accord sont le Bureau de liaison des industries cinématographiques (Blic), le Bureau de liaison des organisations du cinéma (Bloc) et la Société civile des auteurs, réalisateurs et producteurs (ARP).
([63]) Articles 4, 5 et 6 du cahier des charges de France Télévisions.
([64]) Avis n° 2024-08 du 16 octobre 2024 relatif au rapport d’exécution des contrats d’objectifs et de moyens de France Télévisions, Radio France et France Médias Monde pour l’année 2023 : https://www.arcom.fr/nos-ressources/espace-juridique/textes-juridiques/avis-du-16-octobre-2024-relatif-au-rapport-dexecution-des-contrats-dobjectifs-et-de-moyens-de-france-televisions-radio-france-et-france-medias-monde-pour-lannee-2023
([65]) Le COM 2020-2022 de France Télévisions comprenait un objectif, pour les années 2021 et 2022, de 52 spectacles tous genres confondus diffusés sur France 2, France 3 et France 5 en première partie de soirée.
([66]) L’avant-dernier alinéa de l’article 4 du cahier des charges de France Télévisions prévoit que « la société traite dans ses programmes de l’expression littéraire, de l’histoire, du cinéma et des arts plastiques et s’assure de la complémentarité des émissions diffusées ».
([67]) Médiamétrie.
([68]) Ibid.
([69]) Médiamétrie.
([70]) Médiamétrie, enquête 126 000 Radios/DEPS, ministère de la Culture, 2022.
([72]) Le projet actuel de COM ne précise pas le calendrier de déploiement du bureau des idées.
([73]) Sont considérées comme expertes toute personne identifiée comme telle, extérieure à l’entreprise et invitée à s’exprimer sur un sujet entrant dans son champ de compétences.
([74]) Cette audience est mesurée par l’indicateur 3.2 du projet de COM.
([75]) France Médias Monde dispose d’une trésorerie proche de 60 millions d’euros.