N° 712
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 décembre 2024.
RAPPORT D’INFORMATION
déposé
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE,
en conclusion des travaux d’une mission d’information flash ([1])
sur le régime des actes administratifs pris par un gouvernement démissionnaire
et présenté par
Mme Léa BALAGE EL MARIKY et M. Stéphane MAZARS,
Députés
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La mission d’information flash sur le régime des actes administratifs pris par un gouvernement démissionnaire est composée de Mme Léa Balage El Mariky et M. Stéphane Mazars, rapporteurs.
SOMMAIRE
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Pages
1. Une démission qui doit être acceptée par le Président de la République
B. … Sauf dans le cas où une motion de censure est adoptée par l’Assemblée nationale
1. Une motion de censure entraîne immédiatement la démission du Gouvernement
2. Vers un déclenchement de la période d’expédition des affaires courantes en cas de dissolution ?
1. L’ensemble des membres du Gouvernement démissionnaire assure l’expédition des affaires courantes
2. La nomination des membres du Gouvernement met fin à l’expédition des affaires courantes
II. …Qui peut néanmoins prendre certaines décisions pour assurer la continuité du service public
1. Les affaires courantes permettent d’assurer la continuité de l’État et des services publics
2. Des affaires urgentes qui entrent progressivement dans le périmètre des affaires courantes
3. Un périmètre des affaires courantes qui diffère selon les pays
C. Une expédition des affaires courantes sous le contrôle du Conseil d’État
1. L’expédition des affaires courantes n’est pas exclusive d’un contrôle a priori du Conseil d’État
2. Le juge administratif contrôle le respect du périmètre des affaires courantes
I. Un gouvernement expédiant les affaires courantes pendant une durée inédite
A. Une période d’expédition des affaires courantes d’une durée inédite en France…
1. La durée de la période d’expédition des affaires courantes n’est pas limitée par la Constitution
2. Une période néanmoins courte au regard des autres régimes parlementaires
1. L’activité des cabinets ministériels et des administrations centrales a été fortement réduite
2. Un faible nombre de recours contentieux à l’encontre des actes édictés
C. Les risques et difficultés que peut poser l’expédition des affaires courantes
1. La faiblesse du contrôle parlementaire observée en 2024 présente des risques
II. Pour un renforcement du rôle du Parlement en période d’affaires courantes
A. Un contrôle parlementaire de l’activité du Gouvernement démissionnaire à renforcer
1. La nécessité d’un contrôle par les commissions parlementaires
2. D’autres outils de contrôle de l’action d’un gouvernement démissionnaire peuvent être mobilisés
3. Vers un intérêt à agir des parlementaires en période d’expédition des affaires courantes
B. Pour un renouvellement des rapports entre le Parlement et le Gouvernement
1. Un Parlement qui doit pouvoir se réunir lorsque le Gouvernement expédie les affaires courantes
3. Un Parlement dont la fonction législative ne peut être autolimitée
Listes des onze recommandations de la mission
Déplacement à Bruxelles – mardi 26 novembre 2024
« Lorsqu’un gouvernement est déjà démissionnaire, [le contrôle de la représentation nationale] ne peut plus jouer, car sa sanction manquerait : on ne tue pas les morts, on ne renverse pas les gouvernements démissionnaires. » ([2])
Cette célèbre citation du constitutionnaliste Marcel Waline souligne le fait que l’adoption d’une motion de censure à l’encontre d’un gouvernement démissionnaire n’emporterait aucune conséquence juridique, puisque celui-ci a déjà perdu sa légitimité politique. Cette légitimité est nécessairement extérieure, comme le souligne le professeur Denis Baranger, que vos rapporteurs ont auditionné : « Le pouvoir, même lorsqu’il est mis en ordre par la souveraineté, ne contient pas sa propre raison d’être. La souveraineté ne se justifie pas elle-même. C'est en dehors de soi qu’elle trouve sa signification c'est à dire sa légitimité. » ([3])
Dans les régimes parlementaires, le Gouvernement tire sa légitimité du Parlement, que ce soit par une investiture formelle ou implicite. La Ve République, pour reprendre la formule du professeur Armel Le Divellec ([4]), est un régime parlementaire « à captation présidentielle » : le Gouvernement peut perdre sa légitimité lorsque le Président de la République, qui l’a nommé dans les conditions prévues à l’article 8 de la Constitution, ne lui accorde plus sa confiance.
Mais la Ve République demeure un régime parlementaire, dans lequel le Parlement peut ôter sa légitimité au Gouvernement, ainsi que l’a confirmé le Conseil d’État dans son arrêt d’assemblée Brocas du 19 octobre 1962 : « l’adoption par l’Assemblée nationale d’une motion de censure [le 5 octobre 1962] entraîne le retrait du Premier ministre et de son Gouvernement ».
En raison de cette perte de légitimité, un gouvernement démissionnaire ne dispose plus des prérogatives d’un gouvernement de plein exercice. Pour autant, tant qu’il n’a pas été remplacé par un nouveau gouvernement, il est nécessaire d’assurer le bon fonctionnement des services publics et la continuité de l’État, que ce soit pour quelques heures ou pour plusieurs semaines.
Ainsi, selon l’usage républicain en vigueur sous les IIIe et IVe Républiques que le Conseil d’État qualifie de « principe traditionnel du droit public […] le Gouvernement démissionnaire garde compétence […] pour procéder à l’expédition des affaires courantes » ([5]).
Conformément à cet usage, à la suite des élections législatives des 30 juin et 7 juillet 2024, le Gouvernement de M. Gabriel Attal, qui avait remis sa démission au Président de la République le 8 juillet, lequel l’a acceptée le 16 juillet ([6]), a expédié les affaires courantes à compter de cette dernière date et jusqu’à la nomination d’un nouveau gouvernement. Celle-ci étant intervenue le 21 septembre 2024 ([7]), le Gouvernement démissionnaire a assuré l’expédition des affaires courantes durant une période de soixante-sept jours, une durée inédite dans l’histoire des IVe et Ve Républiques.
Cette longue période tranche en effet avec des durées d’expédition des affaires courantes habituellement courtes depuis 1958, en particulier dans les décennies récentes et exception faite de la motion de censure adoptée le 5 octobre 1962 à l’encontre du Gouvernement Pompidou I ([8]). Sous la IVe République, les périodes d’expédition des affaires courantes avaient duré en moyenne deux semaines.
C’est dans ce contexte inédit que la commission des Lois a décidé, lors de sa réunion du mercredi 2 octobre 2024, de créer une mission d’information flash sur le régime des actes administratifs pris par un gouvernement démissionnaire, à la demande du groupe Écologiste et social (ÉcoS) ; Mme Léa Balage El Mariky, députée de Paris, et M. Stéphane Mazars, député de l’Aveyron, en ont été désignés rapporteurs.
Entre les mois d’octobre et de décembre 2024, vos rapporteurs ont conduit treize auditions de personnalités diverses – des juristes et des acteurs de l’expédition des affaires courantes, aussi bien politiques qu’administratifs –, ont organisé trois tables rondes d’universitaires, français comme étrangers, et ont réalisé deux déplacements à l’étranger, en Belgique et aux Pays-Bas, dans une perspective de droit comparé.
Les auditions de la mission d’information leur ont permis d’étudier le périmètre des affaires courantes, qui regroupent en France, parfois sous des noms différents, deux notions :
– les affaires ordinaires, ou affaires courantes par nature, qui ne nécessitent pas d’appréciation politique et qui relèvent de l’activité quotidienne et continue de l’administration ;
– les affaires urgentes, pour lesquelles l’urgence justifie l’intervention d’un gouvernement démissionnaire qui, en temps normal, aurait dû s’abstenir.
Les auditions conduites par vos rapporteurs ont mis en avant la réduction importante du nombre d’actes édictés par le Gouvernement démissionnaire à l’été 2024, par rapport aux années précédentes : 340 décrets ont été pris entre le 16 juillet et le 21 septembre ([9]), soit la moitié de moins qu’à la même période l’année passée ([10]). À l’heure où vos rapporteurs présentent leurs travaux, aucun acte du Gouvernement démissionnaire n’a été suspendu ou annulé par le juge administratif au motif qu’il excédait le champ de l’expédition des affaires courantes. Aux yeux de vos rapporteurs et même si le périmètre des affaires courantes peut parfois être sujet à débat, le Gouvernement démissionnaire de l’été 2024 a donc globalement respecté le cadre jurisprudentiel établi par Conseil d’État et précisé par le Secrétariat général du Gouvernement (SGG).
Toutefois, les auditions conduites par vos rapporteurs leur ont fait prendre conscience de la faiblesse du contrôle parlementaire durant la période d’expédition des affaires courantes : si, durant la période allant du 16 juillet au 21 septembre 2024, le Parlement n’a pu siéger que lors de la session de droit ouverte le 18 juillet pour une durée de quinze jours ([11]), il n’a pas mis à profit cette période pour assurer un contrôle de l’action du Gouvernement démissionnaire. En dehors de ces deux semaines et même si l’absence de session limitait les outils de contrôle à la disposition du Parlement ([12]), celui-ci ne s’est que très peu saisi des outils de contrôle à sa disposition, en particulier en commission. Quelques auditions entraient néanmoins dans ce cadre comme celle, par la commission des finances de l’Assemblée nationale le lundi 9 septembre, des ministres démissionnaires MM. Bruno Le Maire ([13])et Thomas Cazenave ([14]) sur la situation budgétaire de l’année 2024.
En effet, aux yeux de vos rapporteurs, si une période d’expédition des affaires courantes dépasse quelques heures – ou jours –, notamment du fait de la difficulté à identifier une majorité parlementaire qui ne censurerait pas immédiatement le nouveau Gouvernement, il revient alors au Parlement d’assurer un contrôle de l’action du Gouvernement démissionnaire, en complément du contrôle juridictionnel réalisé par le juge administratif.
Cette nécessité d’un contrôle démocratique a conduit un professeur de droit auditionné par la mission – et qui préférera sans nul doute rester anonyme – à compléter ainsi la citation de Marcel Waline : « on ne tue pas les morts… mais rien n’empêche d’ouvrir le cercueil pour vérifier qu’ils le sont bien ».
Ainsi, si le Parlement ne dispose plus de son outil de contrôle le plus puissant – la motion de censure –, il peut, selon vos rapporteurs, continuer à contrôler l’action du gouvernement démissionnaire : cela implique évidemment de s’assurer que les actes pris par ce dernier entrent bel et bien dans le périmètre des affaires courantes, mais également que les actions de représentation du Gouvernement démissionnaire (déplacements, communication, etc.) n’excèdent pas le champ de ce qui est indispensable.
Enfin, en particulier si une période d’expédition des affaires courantes devait se prolonger, vos rapporteurs estiment qu’il peut devenir nécessaire de repenser les rapports entre le Parlement et le Gouvernement démissionnaire : le premier doit pouvoir continuer à remplir son rôle, s’agissant en particulier de sa mission de contrôle de l’action du Gouvernement, afin d’assurer la continuité de l’État et des services publics dans un cadre démocratique et parlementaire.
C’est pourquoi vos rapporteurs formulent onze recommandations, qui relèvent de deux ordres :
– des recommandations de bonnes pratiques, qui peuvent immédiatement être mises en œuvre en période d’expédition des affaires courantes dépassant une courte durée, situation qui risque, aux yeux de vos rapporteurs et même s’ils ne le souhaitent pas, de se reproduire en l’absence de majorité absolue impliquant de fait la recherche de coalitions ;
– des recommandations d’évolutions institutionnelles : aux niveaux législatif, organique et constitutionnel ainsi que du Règlement de l’Assemblée nationale. Celles-ci n’ont pas pour but de définir un cadre précis du champ de compétence d’un gouvernement démissionnaire : vos rapporteurs sont convaincus qu’un cadre jurisprudentiel, par nature plus souple, permet de s’adapter utilement à la diversité des situations qui peuvent se présenter. Les évolutions qu’ils prônent visent plutôt à renforcer le contrôle parlementaire de l’activité d’un gouvernement démissionnaire et à renouveler les rapports entre Parlement et Gouvernement, dans un contexte d’expédition des affaires courantes dépassant quelques jours et qui impliquerait que le Parlement puisse orienter l’action du Gouvernement démissionnaire, en particulier pour des questions qui deviendraient urgentes mais qui n’en seraient pas moins politiques.
Première Partie :
La vocation d’un gouvernement d’affaires courantes est d’assurer la continuité de l’État
Lorsqu’un gouvernement est démissionnaire, l’usage républicain veut qu’il reste en fonction afin d’assurer l’expédition des affaires courantes jusqu’à la nomination d’un nouveau gouvernement.
En effet, bien qu’un gouvernement démissionnaire ait perdu sa légitimité politique, celui-ci doit continuer à assurer un fonctionnement minimal de l’État afin d’assurer la continuité du service public. Cet usage, qui remonte aux débuts du régime parlementaire, a été qualifié par le juge administratif de principe traditionnel du droit public, selon lequel « le Gouvernement démissionnaire garde compétence, jusqu’à ce que le Président de la République ait pourvu par une décision officielle à son remplacement, pour procéder à l’expédition des affaires courantes » ([15]).
Si la notion d’affaires courantes a bénéficié d’une mention dans le texte initial de la Constitution de 1946, dont l’article 52 disposait qu’« en cas de dissolution, le Cabinet, à l’exception du président du Conseil et du ministre de l’intérieur, reste en fonction pour expédier les affaires courantes », tel n’est cependant plus le cas sous la Ve République. Toutefois, les règles tant coutumières que jurisprudentielles issues des régimes précédents trouvent toujours à s’appliquer, sauf texte contraire.
I. Un gouvernement qui expédie les affaires courantes est un gouvernement qui a perdu sa légitimité politique…
Sous la Ve République, le Gouvernement détient une double légitimité, qu’il tire, d’une part, du Président de la République et, d’autre part, de l’Assemblée nationale. Aussi, un gouvernement peut perdre sa légitimé du fait :
– de l’acceptation, par le Président de la République, de la démission du Gouvernement présentée par le Premier ministre ;
– de l’adoption, par l’Assemblée nationale, d’une motion de censure dans les conditions prévues à l’alinéa 2 ou à l’alinéa 3 de l’article 49 de la Constitution – ou du refus de l’Assemblée de voter la confiance à un Premier ministre qui engage la responsabilité de son Gouvernement sur son programme ou sur une déclaration de politique générale, en application de l’article 49, alinéa 1 de la Constitution.
Le champ de compétence d’un tel gouvernement est alors limité, jusqu’à la nomination d’un nouveau gouvernement, à l’expédition des affaires courantes.
Ces deux points de départ alternatifs – adoption d’une motion de censure ou acceptation de la démission du Gouvernement par le Président de la République – font l’originalité – tant historique qu’en termes de droit comparé – de la Ve République. Ainsi, comme l’a souligné M. Julien Boudon, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay, auprès de vos rapporteurs, la Ve République est, « d’un côté, […] un régime parlementaire [ordinaire] puisque la motion de censure signifie la démission immédiate du Gouvernement, et, [de l’autre côté,] un régime parlementaire original puisque, dans les autres cas de démission, c’est le décret du Président de la République qui met fin aux fonctions du Gouvernement et qui met en place l’expédition des affaires courantes ».
Enfin, vos rapporteurs s’interrogent sur la perte de légitimité du Gouvernement lorsqu’est prononcée la dissolution de l’Assemblée par le Président de la République, dans la mesure où le Gouvernement n’est temporairement plus responsable devant l’Assemblée nationale et que celle-ci ne peut plus le renverser.
A. Une spécificité française : la perte de légitimité du Gouvernement résultant de l’acceptation de sa démission par le président de la République…
1. Une démission qui doit être acceptée par le Président de la République
Sous la Ve République, la période d’expédition des affaires courantes débute à compter de l’acceptation de la démission d’un gouvernement par le Président de la République, et non, comme c’était le cas sous les IIIe et IVe Républiques, à compter de la présentation de sa démission.
Il ressort en effet de la lettre de l’article 8 de la Constitution de 1958 que le Président de la République « met fin [aux] fonctions [du Premier ministre] sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement ». Il s’agit là d’un pouvoir propre du Président de la République, les décrets relatifs à la cessation des fonctions du Gouvernement étant exclus de l’obligation de contreseing du Premier ministre en application de l’article 19 de la Constitution, comme l’a souligné auprès de vos rapporteurs M. Mathieu Carpentier, professeur de droit public à l’Université Toulouse Capitole. Cette analyse est par ailleurs confirmée par la tradition républicaine selon laquelle un gouvernement remet au Président de la République sa démission au lendemain des élections législatives : il ne fait pas de doute que, dans le cas où le Président souhaite conserver le même Premier ministre à la suite des élections et refuse donc sa démission, la présentation de cette dernière est dépourvue d’effet – seule compte son acceptation par le Président de la République.
Même si cette interprétation de l’article 8 de la Constitution suscite quelques débats au sein de la doctrine, comme l’ont constaté vos rapporteurs au cours de leurs auditions, celle-ci a été confirmée par le juge administratif. Le Conseil d’État a ainsi rejeté une requête de la commune de Pomerol tendant à annuler le décret du 17 juillet 1984 portant changement de nom de la commune de Lalande-de-Libourne (Gironde), considérant que « la commune de Pomerol [n’était] pas fondée à soutenir que le décret [avait] été pris par une autorité incompétente » puisqu’il ne ressortait « pas des pièces du dossier que [les signatures du Premier ministre et du ministre de l’Intérieur avaient] été données après que le Président de la République [eût] mis fin aux fonctions du gouvernement sur présentation de sa démission par le Premier ministre » ([16]), sans se référer à la date de présentation de la démission ([17]).
Cette spécificité de la Ve République ne semble pas exister dans les régimes parlementaires étrangers, pour lesquels la période d’expédition des affaires courantes débute dès la présentation de la démission du Gouvernement. L’acceptation de celle-ci n’a pas d’incidence sur le point de départ de l’expédition des affaires courantes : soit l’autorité compétente pour l’accepter a compétence liée et ne peut pas la refuser, soit l’acceptation formelle de la démission n’intervient qu’à la nomination du nouveau Gouvernement, afin d’éviter toute vacance du pouvoir.
Ainsi, en Belgique, où se sont rendus vos rapporteurs, l’expédition des affaires courantes débute lorsque le Gouvernement est renversé ou lorsqu’il présente sa démission. Celle-ci est officieusement acceptée par le Roi. L’acceptation officielle, qui prend la forme d’un arrêté royal de nomination d’un nouveau Gouvernement, ne constitue pas le point de départ de la période d’expédition des affaires courantes mais en signifie, au contraire, la fin.
Ainsi que le soulignent Mme Anne-Stéphanie Renson, maîtresse de conférences invitée à l’Université catholique de Louvain et M. Marc Verdussen, professeur à l’Université catholique de Louvain : « Un gouvernement en affaires courantes est un gouvernement qui, en droit, est toujours en place – sa démission n’a pas été juridiquement acceptée par la voie d’un arrêté royal –, mais étant démissionnaire, il lui est impossible d’assumer jusqu’au bout les conséquences de sa responsabilité politique. » ([18])
D’une façon similaire, aux Pays-Bas, l’expédition des affaires courantes – caractérisée par un régime de restriction très différent de l’action du Gouvernement démissionnaire ([19]) – débute à la chute du Gouvernement et se poursuit jusqu’à l’acceptation de sa démission par le Roi, qui coïncide avec la nomination d’un nouveau Gouvernement. Il est toutefois à noter qu’au Pays-Bas, les ministres sont à la fois collectivement et individuellement responsables devant le Parlement ([20]) : un ministre membre d’un gouvernement démissionnaire peut y être à nouveau censuré, conduisant le Roi à révoquer immédiatement, par décret royal, le ministre ayant fait l’objet d’une motion au cours de la période d’expédition des affaires courantes.
B. … Sauf dans le cas où une motion de censure est adoptée par l’Assemblée nationale
1. Une motion de censure entraîne immédiatement la démission du Gouvernement
L’adoption d’une motion de censure par l’Assemblée nationale, en application de l’article 49 alinéa 2 ou alinéa 3 de la Constitution, a pour effet de restreindre immédiatement le champ de compétence du Gouvernement aux affaires courantes.
Si cette solution semble évidente, tel n’était pas le cas au début de la Ve République. Ainsi, si l’adoption d’une motion de censure le 5 octobre 1962 à l’encontre du Gouvernement Pompidou I a entraîné, le même jour, la présentation par le Premier ministre de la démission de son Gouvernement, celle‑ci n’a été acceptée par le Général De Gaulle que le 28 novembre 1962 ([21]).
Le Conseil d’État a confirmé qu’un acte pris par le Gouvernement Pompidou dans les jours qui ont suivi l’adoption de la motion de censure – et, en l’espèce, avant que la dissolution ne soit prononcée par un décret du 9 octobre 1962 paru au Journal officiel du 10 octobre ([22]) – entrait dans le champ des affaires courantes. Il a ainsi jugé, dans son arrêt d’assemblée Brocas du 19 octobre 1962, que « l’adoption par l’Assemblée nationale d’une motion de censure [le 5 octobre 1962] entraîne le retrait du Premier ministre et de son Gouvernement ; […] toutefois, selon un principe traditionnel du droit public le Gouvernement démissionnaire garde compétence […] pour procéder à l’expédition des affaires courantes » ([23]).
Enfin, même si aucune jurisprudence ne le confirme, il est probable que le refus de l’Assemblée de voter la confiance à un Premier ministre qui engage la responsabilité de son Gouvernement sur son programme ou sur une déclaration de politique générale, en application de l’article 49, alinéa 1, de la Constitution, produirait le même effet que l’adoption d’une motion de censure, à savoir la démission du Gouvernement et la limitation immédiate de ses pouvoirs à ceux d’un gouvernement démissionnaire.
2. Vers un déclenchement de la période d’expédition des affaires courantes en cas de dissolution ?
L’arrêt Brocas de 1962 laisse cependant en suspens une question importante, qui divise les professeurs de droit auditionnés par la mission : quel est l’effet de la dissolution de l’Assemblée nationale prononcée par le Président de la République en application de l’article 12 de la Constitution ?
La seule dissolution de l’Assemblée nationale n’entraîne pas la limitation des pouvoirs du Gouvernement à ceux d’un gouvernement démissionnaire – même si M. Julien Boudon, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay auditionné par vos rapporteurs, leur a indiqué que dans « une vision maximaliste, qui a été défendue en doctrine, […] l’expédition des affaires courantes commence avec le décret de dissolution parce qu’il serait inconcevable que le Gouvernement en sursis prenne l’initiative de mesures politiquement importantes eu égard à l’incertitude du résultat des élections ».
En revanche, une partie de la doctrine s’interroge sur l’effet d’une dissolution consécutive à l’adoption d’une motion de censure. Pour la plupart des professeurs de droit auditionnés par la mission, le Gouvernement continue d’expédier les affaires courantes du fait de l’adoption d’une motion de censure, la dissolution ne produisant aucun effet sur le champ d’action du Gouvernement.
Il est toutefois possible de soutenir, dans une interprétation gaullienne de la Constitution de la Ve République qu’a rappelée à vos rapporteurs le Secrétariat général du Gouvernement – sans pour autant prendre position sur le sujet –, que « lorsque l’Assemblée nationale est dissoute postérieurement à la censure du Gouvernement, celui-ci retrouve, comme c’était le cas sous la IVe République ([24]), la plénitude de ses pouvoirs à compter de la dissolution ». C’est ce qu’avait défendu le commissaire du Gouvernement dans ses conclusions sur l’arrêt Brocas, indiquant que « le Président de la République a toujours la possibilité de refuser la démission du gouvernement et de dissoudre l’Assemblée nationale. S’il le fait, l’effet du vote de censure se trouve en quelque sorte annulé ou au moins suspendu et le gouvernement retrouve immédiatement, mais sans effet rétroactif, la plénitude de ses attributions ».
Bien que vos rapporteurs comprennent qu’une telle interprétation de la Constitution ait été défendue par le Général de Gaulle et le Premier ministre Georges Pompidou à l’automne 1962, ils n’en partagent pas le sens : la dissolution prononcée par le Président de la République est une réponse à la censure adoptée par l’Assemblée nationale, mais elle ne saurait priver d’effet cette dernière. En faisant le choix de laisser le peuple français arbitrer un différend qui oppose le Parlement et le Gouvernement, le Président de la République remet en cause la légitimité de l’Assemblée, qui avait précédemment ôté celle du Gouvernement. La dissolution du Président de la République ne saurait avoir pour effet de re-légitimer le Gouvernement renversé. Celui-ci a perdu la plénitude de ses pouvoirs et ne peut la retrouver que s’il est renommé par le Président de la République à l’issue des élections législatives – comme ce fut d’ailleurs le cas du Gouvernement Pompidou le 6 décembre 1962 ([25]).
Plus largement, les auditions conduites par vos rapporteurs les ont amenés à s’interroger sur l’effet que doit avoir une dissolution sur l’activité du Gouvernement, qu’elle soit ou non précédée de l’adoption d’une motion de censure. En effet, dans un tel contexte, le Gouvernement doit-il disposer des attributions d’un gouvernement de plein exercice ou bien son champ d’action doit-il être restreint à l’expédition des affaires courantes ?
Dans de nombreux pays européens, la logique du régime parlementaire prive le Gouvernement de la plénitude de ses compétences à compter de la dissolution de la chambre devant laquelle il est responsable. Tel était le cas en France durant la IVe République, avant la révision constitutionnelle du 7 décembre 1954 ([26]). Il en est ainsi en Belgique, où se sont rendus vos rapporteurs : la compétence du Gouvernement est limitée à l’expédition des affaires courantes dans le cas où une motion de censure est adoptée à son encontre mais, également, lorsque le Gouvernement dissout les chambres législatives ([27]). Le professeur émérite de droit constitutionnel à l’Université catholique de Louvain M. Francis Delpérée l’explique ainsi :
« Dès l’instant où un ministre ne peut plus être interpellé ou interrogé, dès l’instant où ses actes ne peuvent plus faire l’objet d’une enquête, dès l’instant où il ne peut plus être démis, il doit déposer les armes. Il doit s’abstenir d’agir et d’intervenir.
« Accepter la solution inverse reviendrait à accréditer les pratiques d’un régime autoritaire où les ministres pourraient, de temps à autre, agir à leur guise sans avoir à se préoccuper de l’intention ou de la réaction des élus et, en définitive, de celles des citoyens qu’ils représentent.
« La règle de conduite est simple. Pas d’action sans contrôle. Pas de contrôle, pas d’action. » ([28])
Cette analyse conduit vos rapporteurs à s’interroger sur la légitimité d’un Gouvernement démissionnaire en l’absence d’Assemblée nationale, devant laquelle il est habituellement responsable et alors même qu’il ne peut pas être renversé.
Votre rapporteure Léa Balage El Mariky estime que le déclenchement d’une dissolution est de nature à ôter la légitimité du Gouvernement en fonction au moment de la dissolution, dans la mesure où le Gouvernement n’est plus soumis au contrôle parlementaire et qu’aucune motion de censure ne peut être votée pendant cette période. Elle préconise ainsi de préciser, à l’article 12 de la Constitution, qu’en cas de dissolution de l’Assemblée nationale, le Gouvernement assure l’expédition des affaires courantes jusqu’à la nomination d’un nouveau gouvernement à l’issue des élections législatives.
Votre rapporteur Stéphane Mazars estime que certaines dissolutions, en particulier lorsqu’elles sont utilisées pour trancher un différend entre le Parlement et le Gouvernement, sont de de nature à ôter la légitimité du Gouvernement. Il considère toutefois que tel n’est pas systématiquement le cas, par exemple lorsqu’un Président de la République nouvellement élu nomme un Premier ministre et dissout une Assemblée nationale qui lui serait hostile dans l’objectif d’y acquérir le soutien d’une majorité parlementaire, ou encore dans le cas d’une dissolution en cours de mandat du Président de la République alors que celui-ci dispose d’une majorité parlementaire – comme ce fut le cas lors de la dissolution du 21 avril 1997.
Vos rapporteurs partagent néanmoins le souhait que s’ouvre, dans le cadre d’une prochaine révision de la Constitution, un débat sur l’opportunité de modifier son article 12 afin de limiter les pouvoirs du Gouvernement à l’expédition des affaires courantes en cas de dissolution de l’Assemblée nationale et ce, jusqu’à la nomination d’un nouveau gouvernement à l’issue des élections législatives. Sans pour autant en donner une définition, cela permettrait par ailleurs de donner un fondement constitutionnel à la notion d’affaires courantes.
Recommandation n° 1 : Dans le cadre d’une révision constitutionnelle, ouvrir un débat sur une modification de l’article 12 de la Constitution afin d’y préciser qu’en cas de dissolution de l’Assemblée nationale, le Gouvernement assure l’expédition des affaires courantes jusqu’à la nomination d’un nouveau gouvernement à l’issue des élections législatives.
Niveau de norme : constitutionnel.
C. Une période d’affaires courantes qui se poursuit jusqu’à la nomination des membres du nouveau gouvernement
1. L’ensemble des membres du Gouvernement démissionnaire assure l’expédition des affaires courantes
Contrairement à la IVe République, durant laquelle l’expédition des affaires courantes était assurée par « le Cabinet, à l’exception du président du Conseil et du ministre de l’intérieur » ([29]), et dans le silence de la Constitution de 1958 sur le sujet, l’usage veut que l’ensemble des membres du Gouvernement démissionnaire – Premier ministre, ministres de plein exercice, ministres délégués et secrétaires d’État – assure l’expédition des affaires courantes.
Dans ce cadre, les ministres chargés de l’expédition des affaires courantes continuent de percevoir leur traitement dans les conditions de droit commun, à savoir celles prévues par le décret n° 2012-983 du 23 août 2012 relatif au traitement du Président de la République et des membres du Gouvernement. Ils perçoivent ce traitement jusqu’à la nomination du nouveau Gouvernement, date à laquelle ils basculent vers le régime de traitement indemnitaire prévu pour les anciens ministres – indemnité d’un montant égal au traitement qui leur était alloué lorsqu’ils étaient membres du Gouvernement pendant une durée de trois mois, sauf reprise avant cette échéance d’une activité rémunérée ([30]). S’ils étaient députés, ils retrouvent leur mandat parlementaire à l’expiration d’un délai d’un mois, en application de l’article LO 176 du code électoral.
Ce régime souffre d’une exception, dans le cas où des ministres démissionnaires ont été élus députés dans le mois précédant le décret mettant fin à leur fonction ministérielle – ce qui fut notamment le cas à la suite des élections législatives des 30 juin et 7 juillet 2024. Dans cette situation, et malgré l’ambiguïté des articles 23 et 25 de la Constitution et de l’article LO 153 du code électoral ([31]), les ministres démissionnaires élus députés cessent de percevoir leur traitement ministériel à compter du décret mettant fin leur fonction même s’ils continuent d’expédier les affaires courantes. À compter de cette date et durant la période d’expédition des affaires courantes, ils bénéficient du régime indemnitaire des députés versé par l’Assemblée nationale.
2. La nomination des membres du Gouvernement met fin à l’expédition des affaires courantes
Si le moment à partir duquel court la période d’expédition des affaires peut être sujet à débat, celle-ci prend toujours fin à compter de la publication, au Journal officiel, du décret portant nomination des membres du Gouvernement, étant entendue comme la nomination des ministres de plein exercice du Gouvernement – et non des éventuels ministres délégués et secrétaires d’État, dont la nomination est parfois faite ultérieurement. En effet, ceux-ci étant rattachés à un ministre de plein exercice, c’est logiquement ce dernier qui exerce la plénitude des attributions de son portefeuille – les ministres délégués et secrétaires d’État « du Gouvernement sortant "tombant" du simple fait du remplacement de leur ministre de rattachement », comme l’indique le Secrétariat général du Gouvernement dans sa note du 2 juillet 2024.
Les ministres du Gouvernement démissionnaire sont donc compétents, dans le périmètre des affaires courantes, pour prendre des actes le jour où est signé le décret de nomination des membres du nouveau Gouvernement, jusqu’à la publication au Journal officiel de ce décret. Dans les faits, il exerce donc cette compétence concurremment au ministre nouvellement nommé, dont le décret de nomination prend effet à compter de sa signature et non de sa publication au Journal officiel, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2000-26 REF du 6 septembre 2000 ([32]).
3. La nomination d’un nouveau Premier ministre n’a qu’une très faible incidence sur l’expédition des affaires courantes
Il est important de noter que la nomination d’un nouveau Premier ministre ne met pas fin à la période d’expédition des affaires courantes : tous les actes signés par les ministres du Gouvernement démissionnaire demeurent limités par le périmètre restreint des affaires courantes.
Ainsi, comme l’indique le Secrétariat général du Gouvernement dans la note précitée, l’expédition des affaires courantes par les ministres du Gouvernement démissionnaire se fait donc « soit sous l’autorité du Premier ministre démissionnaire, lorsqu’il n’est pas encore remplacé, soit sous l’autorité du nouveau Premier ministre, tant que les nouveaux ministres de son Gouvernement ne sont pas nommés ».
Si en théorie, le nouveau Premier ministre, légitimé par sa nomination par le Président de la République, recouvre la plénitude de ses compétences, cela n’a que peu d’implications pratiques, dans la mesure où les actes du Premier ministre sont contresignés par les ministres chargés de leur exécution, en application de l’article 22 de la Constitution. Dans les faits, le Secrétariat général du Gouvernement a indiqué à vos rapporteurs que les rares actes pris par le Premier ministre sans contreseing tiennent « principalement à l’organisation interne de ses services et se matérialise[nt] dans les délégations de signature qu’il accorde traditionnellement le jour même de sa nomination ».
II. …Qui peut néanmoins prendre certaines décisions pour assurer la continuité du service public
En France, la notion d’affaires courantes n’est pas définie par un texte – même si cela a été le cas au cours de la IVe République ([33]) – au point que le commissaire du Gouvernement Jean Dévolvé, dans ses conclusions sur l’arrêt d’assemblée du Conseil d’État de 1952 Syndicat régional des Quotidiens d’Algérie s’était demandé s’il s’agissait d’une « formule banale ou de style, sans valeur juridique » ou d’une catégorie juridique déterminée.
Finalement qualifié de principe traditionnel du droit public ([34]) par le Conseil d’État, cet usage républicain répond à un besoin de continuité l’État né de la pratique des institutions démocratiques.
Si la plupart des textes constitutionnels et organiques d’autres pays européens ne font, pas plus que la Constitution de 1958, référence à la notion d’affaires courantes, celle-ci est explicitement mentionnée dans quelques constitutions étrangères. C’est notamment le cas à l’article 69 de la Loi fondamentale allemande de 1949, à l’article 71 de la Constitution autrichienne, à l’article 21 de la loi sur le Gouvernement du 27 novembre 1997 en Espagne, à l’article 22 de la Constitution en Hongrie ou encore à l’article 15 de la Constitution norvégienne. Pourtant, même lorsque les affaires courantes y sont évoquées, leur périmètre ne fait jamais l’objet d’une définition écrite.
A. La notion d’affaires courantes, une notion jurisprudentielle et coutumière qui restreint le champ d’action du Gouvernement
1. Les affaires courantes permettent d’assurer la continuité de l’État et des services publics
En l’état actuel du droit, que l’expédition des affaires courantes résulte de l’adoption d’une motion de censure par l’Assemblée ou de l’acceptation de la démission du Gouvernement par le Président de la République ([35]), celle-ci a pour effet de priver le Gouvernement de la majeure partie de ses pouvoirs, car il se retrouve « sans investiture ni responsabilité » ([36]) : qu’elle soit parlementaire ou présidentielle, quand la confiance lui fait défaut, le Gouvernement perd sa légitimité et, avec elle, la plénitude de ses compétences.
Toutefois, la limitation des prérogatives du Gouvernement démissionnaire doit en pratique être conciliée avec la nécessité d’assurer le fonctionnement ininterrompu des services publics, le Conseil constitutionnel ayant reconnu, en 1979, le caractère d’un principe à valeur constitutionnelle ([37]) à la notion jurisprudentielle ancienne de continuité du service public ([38]).
In fine, et comme le note M. Christian Behrendt, professeur de droit constitutionnel à l’Université de Liège auditionné par vos rapporteurs, « la finalité de la notion d’affaires courantes est […] la protection du Parlement face à l’action de l’exécutif » ([39]), car celui-ci est dans l’impossibilité d’engager la responsabilité des ministres, tout en permettant au Gouvernement démissionnaire d’assurer la continuité du service public.
2. Des affaires urgentes qui entrent progressivement dans le périmètre des affaires courantes
La notion d’affaires courantes regroupe deux catégories d’actes :
– les affaires courantes par nature, ou affaires ordinaires ;
– les affaires courantes par exception, ou affaires urgentes.
Du point de vue étymologique, les affaires ordinaires sont les seules affaires courantes à proprement parler : elles forment le flux quotidien des décisions de pure administration que traite le Gouvernement, dénuées de signification politique, dont il est évident qu’elles n’auraient pas été de nature à engager la responsabilité de l’exécutif – comme, par exemple, le versement des pensions de fonctionnaires.
Préparée par les administrations, l’expédition des affaires ordinaires ne modifie pas de façon importante ou définitive l’état du droit en vigueur, à l’instar d’un tableau d’avancement des administrateurs civils ([40]), d’un décret précisant les modalités de l’élection des représentants du personnel au sein de commissions administratives paritaires ([41]) ou encore d’un arrêté du ministre du travail fixant la caisse de sécurité sociale à laquelle doivent être affiliés les journalistes ([42]).
Les affaires urgentes sont les décisions qui doivent être arbitrées sans délai parce que tout retard d’édiction porterait préjudice à la continuité des services publics ou aux intérêts de l’État. Marcel Waline les qualifie d’affaires « politico-administratives », susceptibles d’apporter des modifications politiques ou juridiques en raison d’une nécessité impérieuse. La qualification d’affaire urgente a, par exemple, été retenue par le Conseil d’État pour un décret fixant les conditions de propagande électorale et les détails de l’organisation d’un référendum décidé par le Président de la République avant une crise ministérielle ([43]).
3. Un périmètre des affaires courantes qui diffère selon les pays
Comme dans la plupart des pays européens, le cadre juridique français des affaires courantes se caractérise par une certaine souplesse du fait de son développement essentiellement jurisprudentiel.
Aux Pays-Bas, où les périodes de gouvernement démissionnaire durent sensiblement plus longtemps, le périmètre des affaires courantes n’étant pas fixe. Il n’est pas défini juridiquement mais politiquement : c’est en effet la Chambre des représentants qui vote, au moment de la démission du Gouvernement, une liste de sujets dits « controversés » qui sont exclus du champ de compétence du Gouvernement démissionnaire.
Cette liste est susceptible d’évoluer au gré des circonstances, comme lorsque le gouvernement Rutte III, expédiant les affaires courantes entre le 15 janvier 2021 et le 10 janvier 2022, a été autorisé à agir pour faire face aux différentes vagues de l’épidémie de Covid-19. Le contrôle du respect du champ de compétence du Gouvernement est, au Pays-Bas, uniquement politique et parlementaire, le Conseil d’État n’étant pas compétent en la matière.
Le champ des affaires courantes en Belgique
Dans son histoire récente, du fait des sept dissolutions et treize démissions intervenues au cours des vingt-cinq dernières années, le Gouvernement fédéral belge a fréquemment vu son champ d’action limité à l’expédition des affaires courantes. Apparue dans le discours juridique et la pratique politique dans les années 1960, la notion d’affaires courantes fait, depuis lors, l’objet d’une jurisprudence abondante et d’une grande attention de la doctrine.
Depuis un arrêt de principe de 1975 ([44]), le Conseil d’État belge examine la compétence du Gouvernement pour les actes pris en période d’affaires courantes. Il distingue trois types d’affaires qui peuvent être traitées par un gouvernement démissionnaire :
– les affaires de gestion journalière de l’État, assimilables aux affaires ordinaires, qui affluent régulièrement et dont le règlement n’implique pas de choix sur la ligne politique ;
– les affaires urgentes, qui sont celles dont l’adoption s’avère impérieuse au point de mettre en péril la continuité du service public ou les intérêts fondamentaux du pays. Il peut s’agir, par exemple, de la nomination du gouverneur de la Banque nationale de Belgique en pleine crise financière en 2012 ;
– les affaires en cours, autrement dit les actes qui poursuivent ou achèvent les affaires régulièrement commencées in tempore non suspecto, réglées sans précipitation caractérisée et qui ne requièrent aucune orientation politique générale nouvelle.
En 2010-2011, au cours d’une période d’expédition des affaires courantes d’une durée de 541 jours, la pratique des affaires courantes s’est assouplie, en y incluant de fait des décisions que le Parlement, par le vote d’une résolution parlementaire, a légitimé le Gouvernement démissionnaire à prendre – il s’agissait, en l’espèce, de confirmer l’engagement de forces armées en Libye.
B. Une limitation nécessaire des pouvoirs du Gouvernement, avec l’appui du Secrétariat général du Gouvernement
Rédigées par le Secrétariat général du Gouvernement (SGG), deux notes des 2 et 19 juillet 2024 visant à expliciter la notion d’expédition des affaires courantes ont été diffusées aux ministres du Gouvernement Attal et aux administrations au mois de juillet 2024. Elles rappellent le cadre, essentiellement jurisprudentiel et coutumier, des affaires courantes et prônent la réserve des membres du Gouvernement dans leurs engagements publics. Elles constituent, en somme, la doctrine d’expédition des affaires courantes suivie par le Gouvernement démissionnaire à l’été 2024.
1. La note du 2 juillet 2024 rappelle le cadre de l’expédition des affaires courantes et formule plusieurs hypothèses
Le SGG, dans sa note du 2 juillet 2024, résume les affaires courantes comme « l’ensemble des décisions dont on peut raisonnablement estimer que n’importe quel Gouvernement les aurait prises, parce qu’elles sont entièrement dictées par une forme d’évidence ou par les circonstances ». Il découle selon lui de cette définition des affaires courantes que plus la période d’expédition des affaires courantes est longue, plus le champ des affaires courantes s’élargit, des affaires non ordinaires entrant progressivement dans le champ des affaires urgentes.
Le SGG se penche sur trois catégories d’actes afin d’examiner si ceux-ci peuvent ou non entrer dans le champ des affaires courantes : les mesures individuelles, les mesures réglementaires et les textes législatifs.
Les mesures individuelles, dont la portée est restreinte par nature, constituent la catégorie la plus évidente des affaires ordinaires que peut expédier un gouvernement démissionnaire. Ainsi que le souligne le professeur Fabrice Melleray, il s’agit des actes administratifs pour lesquels « les membres du gouvernement disposent selon toute vraisemblance de la latitude d’action la moins étroite, tant l’application quotidienne des lois et règlements à des situations individuelles semble bien constituer le cœur des affaires courantes » ([45]) .
Comme le souligne le SGG, sont toutefois exclues des affaires courantes les « nominations les plus politiquement sensibles », c’est-à-dire celles à la discrétion du Gouvernement : directeurs d’administration centrale, préfets, recteurs, ambassadeurs, etc.
Le Conseil d’État a ainsi confirmé la légalité d’un décret mettant fin aux fonctions du directeur des études de l’école Polytechnique ([46]) ou nommant le directeur de l’école français d’archéologie d’Athènes ([47]). Dans ses conclusions sur l’arrêt du Conseil d’État Simonet du 17 mai 1957, le commissaire du gouvernement Heumann estimait en revanche que la désignation d’un membre du Conseil économique et social excédait le champ des affaires courantes.
Enfin, il est intéressant de noter que l’article 141 de la loi du 13 juillet 1911 ([48]), jusqu’à son abrogation le 1er mars 2022 résultant de l’article 3 de l’ordonnance n°2021-1574 du 24 novembre 2021 ([49]), disposait qu’était « nulle toute promotion ou toute nomination à une fonction publique d’une personne attachée au cabinet d’un ministre si cette promotion ou nomination n’avait pas été insérée au Journal officiel antérieurement à la démission du ministre signataire ». Cette règle, qui avait déjà conduit, sous la IIIe République, à l’annulation de la nomination d’un chef de cabinet au poste de directeur d’administration centrale par le juge administratif ([50]) n’a pas fait l’objet d’application jurisprudentielle récente et n’était, en tout état de cause, plus légalement en vigueur à l’été 2024.
Les mesures réglementaires, à l’inverse, n’entrent dans le champ des affaires courantes que par exception, si elles sont nécessaires à la continuité de l’État.
Le juge administratif a par exemple qualifié d’affaires ordinaires un décret fixant le nombre et la nature des emplois devant être supprimés dans un ministère en application d’une loi ([51]) ou d’un décret d’application déterminant les modalités d’élections à une commission administrative paritaire ([52]). A contrario, dans son arrêt d’assemblée du 4 avril 1952 Syndicat régional des quotidiens d’Algérie, le Conseil d’État a annulé un décret pris par le gouvernement démissionnaire de Félix Gouin en juin 1946 visant à transposer dans les départements d’Algérie une loi qui ne s’y appliquait pas directement, car il n’était pas justifié par l’urgence et ne constituait pas une simple application de la loi, mais bien une transposition à l’Algérie, compte tenu des circonstances locales.
Certaines questions demeurent toutefois non tranchées par la jurisprudence : aussi, dans sa note du 2 juillet 2024, le SGG estime-t-il que les affaires courantes pourraient par ailleurs englober les mesures réglementaires de transposition d’une directive européenne quand ces normes directrices sont suffisamment précises et qu’elles n’emportent aucune appréciation politique dans leur mise en œuvre.
Il n’y a jamais eu de mesures législatives délibérées en conseil des ministres ou adoptées par le Parlement sous la Ve République alors que le Gouvernement expédiait les affaires courantes, contrairement aux régimes précédents : sous la IVe République, le Parlement avait examiné des projets ou propositions de loi présentant un caractère urgent en période d’affaires courantes.
Dans sa note du 2 juillet 2024, le SGG recommande une « extrême prudence dans la sollicitation du Parlement en période d’affaires courantes ». Il suggère ainsi d’écarter la possibilité d’une activité législative en période d’affaires courantes eu égard à l’article 34 de la Constitution, qui limite le domaine de la loi à la fixation de principes fondamentaux et de règles principielles, par nature politiquement sensibles, et au regard de l’impossibilité de renverser un Gouvernement déjà démissionnaire, ce qui prive le Parlement de sa prérogative la plus forte.
À la suite du la censure du Gouvernement de Michel Barnier, le 4 décembre 2024, la présidente de l’Assemblée nationale a immédiatement annoncé l’ajournement des travaux de l’Assemblée, décision que regrette votre rapporteure Léa Balage El Mariky.
L’expérience historique française et l’approche comparative obligent toutefois, comme le concède le SGG, à ne pas écarter l’éventualité de l’adoption de mesures législatives en période d’expédition des affaires courantes, en particulier en situation d’urgence.
Sous la IVe République, selon l’étude menée en 1970 par Fernand Bouyssou ([53]), neuf des quatorze lois votées en affaires courantes visaient à éviter la cessation des paiements. De même, en Belgique ou aux Pays-Bas, des gouvernements démissionnaires ont déjà été chargés de la préparation et de l’adoption d’un budget.
Sous la Ve République, il existe un débat doctrinal quant à la possibilité d’examiner ou de voter certains textes en période d’expédition des affaires courantes, s’agissant en particulier des textes budgétaires. Ainsi, M. Mathieu Carpentier, professeur de droit public à l’Université Toulouse Capitole, a souligné auprès de vos rapporteurs qu’il lui semblait exclu « qu’un gouvernement démissionnaire puisse déposer un projet de loi de finances, "acte gouvernemental par excellence" [selon] Gaston Jèze. […] Si le dépôt du projet de loi de finances ne peut être considéré comme une affaire urgente, c’est précisément parce que la Constitution et la loi organique prévoient une procédure d’urgence lorsque le projet de loi de finances n’a pu être déposé en temps utile pour être adopté avant la fin de l’année : le projet de loi spéciale de l’article 47 alinéa 4 de la Constitution. Dès lors qu’une procédure d’urgence est prévue par les textes, la procédure normale ne saurait être urgente ».
À l’inverse, M. Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’Université Panthéon-Assas, a indiqué que si « en théorie le Gouvernement en affaires courantes ne peut pas décider d’un nouveau budget ni procéder à des arbitrages qui orienteraient les priorités de l’année suivante », il convenait d’être « très modeste dans l’interprétation… Sous la IIIe et la IVe Républiques, de nombreux exemples montrent que des lois budgétaires ont été adoptées en période de crise ministérielle ».
Dans sa note du 2 juillet 2024, le SGG formule plusieurs autres hypothèses pour lesquelles des mesures législatives ne pourraient être catégoriquement exclues :
– prolongation au-delà de douze jours d’une déclaration d’état d’urgence, dans l’hypothèse formulée par le SGG où un décret instaurant l’état d’urgence peut être pris au titre des affaires courantes urgentes ([54]) ;
– échéance impartie pour éviter la caducité d’une ordonnance. Si cela peut sembler contre-intuitif de prime abord, le dépôt d’un projet de loi de ratification d’une ordonnance laisse en réalité le choix au futur Gouvernement de la conserver, de la modifier ou de l’abroger ;
– échéance impartie par le Conseil constitutionnel dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), afin d’éviter un vide juridique ;
– échéance de transposition d’une directive ;
– échéances conditionnant le dépôt de lois urgentes – projet de loi relatif aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l’année, dont le vote subordonne la discussion du projet de loi de finances (PLF), et projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale, dont le vote doit intervenir avant la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).
Hors textes présentant un caractère d’urgence, la question de l’examen de projets ou de propositions de loi alors que le Gouvernement est démissionnaire n’a pas connu de précédent sous la IVe ou la Ve République. Dans ce contexte, outre la présence du Gouvernement au banc et la possibilité pour lui d’exercer son droit d’amendement, de nombreuses interrogations constitutionnelles ne trouvent aucune réponse historique ou jurisprudentielle ([55]), comme, par exemple, la possibilité pour le Gouvernement démissionnaire de convoquer une commission mixte paritaire (CMP), d’inscrire à l’ordre du jour des assemblées la lecture des conclusions d’une CMP ou encore de demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement sur un texte de loi, à l’issue de la nouvelle lecture.
Le Conseil constitutionnel n’a jamais eu l’occasion de se prononcer sur la conformité à la Constitution d’une loi adoptée en période d’affaires courantes. En Belgique, la Cour constitutionnelle s’est quant à elle, plusieurs fois déclarée incompétente – sauf dans certains cas prévus par la Constitution – pour contrôler la constitutionnalité du processus d’élaboration des lois.
2. Un encadrement des affaires courantes qui dépasse le cadre des seuls actes administratifs ou législatifs
Le cadre de l’expédition des affaires courantes affecte l’action gouvernementale dans son intégralité, y compris les engagements publics des membres du Gouvernement démissionnaire qui ne constituent pas, à proprement parler, des actes administratifs.
Dans le silence du droit positif, la doctrine gouvernementale élaborée par le SGG tend à limiter les déplacements qui ne s’inscrivent pas dans la conduite des affaires courantes :
– elle permet la participation de ministres à des événements exceptionnels graves ou qui s’inscrivent dans le cadre d’une mission de représentation nécessaire dont ils ne maîtrisent pas la date ;
– s’agissant des déplacements internationaux, elle tend à considérer que relèvent des affaires courantes la participation à des événements intergouvernementaux – les autres pays n’étant pas en affaires courantes, il convient de ne pas créer de vacance – et les voyages à l’étranger s’ils sont « strictement nécessaires dans le cadre des affaires courantes et prévus de longue date ».
Il ressort des auditions conduites par vos rapporteurs qu’en Belgique, un cadre dérogatoire similaire existe pour les interventions et engagements internationaux. Ce pays a ainsi présidé le conseil de l’Union européenne entre juillet et décembre 2010 alors que son Gouvernement expédiait les affaires courantes.
Du point de vue français, il s’agit toutefois d’une évolution par rapport à la pratique de la IVe République et du début de la Ve République ([56]) : en 1946, le Premier ministre démissionnaire Félix Gouin avait ainsi refusé d’aller à la rencontre du Président Hồ Chí Minh en visite à Paris.
Par ailleurs, les interventions publiques ou médiatiques des ministres sont limitées aux sujets urgents. Elles doivent se cantonner à un registre « purement objectif et informatif », de manière encore plus stricte qu’en période préélectorale, durant laquelle la parole du Gouvernement est contrainte pour ne pas influencer le résultat des élections.
Si rien n’interdit au Président de la République de convoquer un conseil des ministres, en particulier si des mesures d’urgence nécessitent d’y être délibérées, aucun conseil n’a eu lieu en période d’affaires courantes depuis 1958, à l’exception d’un conseil des ministres organisé le 20 mai 1981, six jours après la publication au Journal officiel de la démission du troisième gouvernement de Raymond Barre.
De même, bien que non prohibées, les réunions interministérielles, les réunions de travail et la saisine d’instances consultatives dans le cadre de la préparation de textes normatifs sont rares dans la pratique. Dans sa note du 19 juillet 2024, le SGG recommande aux cabinets des ministères de ne pas générer « une charge de travail inutile pour les administrations » et précise qu’il ne « paraît pas opportun de lancer des travaux dont l’échéance serait trop lointaine ou la sensibilité politique trop forte ». La production et la diffusion d’actes de droit souple – c’est-à-dire les circulaires, communiqués, instructions, notes de service, etc. – ne sont possibles, selon le SGG, que si elles sont indispensables au traitement des affaires courantes.
C. Une expédition des affaires courantes sous le contrôle du Conseil d’État
1. L’expédition des affaires courantes n’est pas exclusive d’un contrôle a priori du Conseil d’État
En Belgique, le Roi, qui signe les textes réglementaires (les « arrêtés royaux ») pour permettre leur entrée en vigueur, a, en période d’affaires courantes, endossé un rôle de « vigie » du respect par le Gouvernement démissionnaire de ses prérogatives. Il a ainsi décidé de reporter l’édiction des actes dont il jugeait la portée politique trop significative et d’attendre l’arrivée au pouvoir d’un Gouvernement de plein exercice.
Hors le cas d’adoption d’une motion de censure, le Président de la République française décide de mettre fin aux fonctions du Gouvernement sur la présentation par ce dernier de sa démission. Il ne joue donc pas le même rôle de contrôle que le Roi en Belgique, ou que la plupart des chefs d’État des régimes parlementaires européens.
Le rôle de contrôle a priori de la compétence du Gouvernement démissionnaire est assuré par le SGG, organe de coordination interne de l’activité gouvernementale à la disposition du Premier ministre. Il supervise, conseille et assure la publication des actes pris par le Gouvernement. Il est également, pour le Gouvernement, le principal interlocuteur du Conseil d’État.
Ce dernier, dans sa fonction consultative, exerce un contrôle externe a priori de la légalité des actes du Gouvernement démissionnaire. Il est obligatoirement saisi des textes normatifs les plus importants (décrets en Conseil d’État, décrets en conseil des ministres, projets de lois, etc.). Saisi d’une demande d’avis sur un acte en période d’expédition des affaires courantes, le Conseil d’État est donc conduit à se prononcer sur la compétence du Gouvernement démissionnaire pour édicter un tel acte.
2. Le juge administratif contrôle le respect du périmètre des affaires courantes
En dégageant une théorie des affaires courantes distincte de celle des actes de Gouvernement, le Conseil d’État a refusé de faire bénéficier d’une immunité juridictionnelle les actes du Gouvernement démissionnaire ([57]). Il s’estime en effet compétent pour connaître un moyen de légalité tiré de la violation du champ de compétence d’un gouvernement démissionnaire – moyen d’ordre public qu’il soulève d’office.
Le contentieux des actes gouvernementaux pris lors de l’expédition des affaires courantes a permis l’émergence d’une définition jurisprudentielle cohérente, malgré le faible nombre de décisions rendues sur le sujet. Ainsi, si le Conseil d’État a annulé en 1952 un décret de 1946 parce qu’il transposait en Algérie les dispositions d’une loi qui ne s’y appliquaient pas directement, il a pu confirmer, en 1958 la légalité d’une mesure se limitant à la stricte application d’une loi ([58]).
Un angle mort demeure toutefois, s’agissant du contrôle des actions qui ne sont pas de nature à engendrer un contrôle juridictionnel en temps normal, à l’instar d’un déplacement ministériel ou d’une conférence de presse. En revanche, les actes de « droit souple » ou de communication interne sont bel et bien susceptibles d’un recours dès lors qu’ils ont des effets notables sur les droits ou la situation des personnes ([59]).
Deuxième Partie :
Le risque de multiplication
des périodes d’affaires courantes
plaide pour un renforcement du rôle du Parlement
Le Gouvernement démissionnaire a expédié les affaires courantes pendant soixante-sept jours à l’été 2024 : bien qu’inédite sous la Ve République, cette période reste nettement plus brève que dans de nombreux régimes parlementaires étrangers, en particulier ceux dotés d’un mode de scrutin proportionnel nécessitant la formation de coalitions gouvernementales.
Ainsi, entre le 17 juillet et le 21 septembre 2024, le Gouvernement démissionnaire a assuré l’expédition des affaires courantes dans le respect de la doctrine élaborée par le Secrétariat général du Gouvernement, elle-même fondée sur la jurisprudence du Conseil d’État.
Si certains actes pris dans la période peuvent ponctuellement susciter des interrogations quant à la compétence d’un gouvernement démissionnaire pour les édicter, vos rapporteurs n’ont pas constaté de violation manifeste ou importante du périmètre des affaires courantes.
Pour autant, aux yeux de vos rapporteurs, cette période détonne par la faiblesse du contrôle parlementaire, que ce soit lorsque le Parlement ne siégeait pas ou pendant la session de droit ouverte pour quinze jours le 18 juillet. Le Gouvernement démissionnaire conservant des compétences et pouvant potentiellement les outrepasser, ce contrôle constitue une exigence démocratique fondamentale.
Outre des recommandations de bonnes pratiques à court terme, vos rapporteurs préconisent plusieurs évolutions institutionnelles visant à repenser les rapports entre le Parlement et le Gouvernement dans les périodes où ce dernier expédie les affaires courantes.
I. Un gouvernement expédiant les affaires courantes pendant une durée inédite
Par sa durée de soixante-sept jours, la période d’expédition des affaires courantes de l’été 2024 est inédite depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Elle n’est toutefois pas sans équivalent à l’étranger – et apparaît même relativement courte – lorsque l’on s’intéresse à la durée d’expédition des affaires courantes dans de nombreux régimes parlementaires.
Certains pays ont en effet connu, de façon ponctuelle ou régulière, des périodes relativement longues d’expédition des affaires courantes : c’est le cas de la Belgique (541 jours en 2010-2011), mais aussi des Pays-Bas (360 jours en 2023-2024), de l’Espagne (315 jours en 2015‑2016), de la Suède (134 jours en 2018-2019), ou encore de l’Italie (88 jours en 2018). Ceci s’explique par la nécessité de former des coalitions post-électorales, quand aucune formation politique candidate aux élections législatives n’obtient de majorité absolue lui permettant de gouverner seule.
A. Une période d’expédition des affaires courantes d’une durée inédite en France…
1. La durée de la période d’expédition des affaires courantes n’est pas limitée par la Constitution
Comme l’ont souligné la plupart des personnes entendues par la mission, la Constitution de la Ve République ne fixe pas de durée maximale de la période d’expédition des affaires courantes. En effet, la nomination d’un Premier ministre et d’un Gouvernement est une compétence que le Président de la République tire de l’article 8 de la Constitution ([60]), qui ne lui impose aucun délai pour procéder à ces nominations.
Ce pouvoir de nomination n’est toutefois pas une faculté mais une obligation : alors que l’article 5 de la Constitution charge le Président de la République de veiller au respect de la Constitution et d’assurer le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État, il incombe au chef de l’État de nommer un Premier ministre puis un Gouvernement de plein exercice dans un délai que M. Mathieu Carpentier, professeur de droit public à l’Université Toulouse Capitole, a qualifié auprès de vos rapporteurs de « raisonnable » ([61]) et ce, afin que « sa responsabilité devant le Parlement [puisse] trouver à jouer », selon les mots du Secrétariat général du Gouvernement.
Dans les faits, la définition de ce que constitue un délai raisonnable en matière de nomination gouvernementale n’est pas tant une question juridique que politique, aussi bien vis-à-vis des membres du Gouvernement démissionnaire que des députés, qui ne peuvent renverser ce dernier.
À la suite des élections législatives des 30 juin et 7 juillet 2024, le Gouvernement Attal a remis sa démission au Président de la République, qui l’a acceptée le 16 juillet 2024. La durée de soixante-sept jours de cette période d’affaires courantes est inédite sous la Ve République et tranche avec les précédentes périodes d’expédition des affaires courantes particulièrement courtes de la Ve République : quelques jours en moyenne et neuf en 1962 selon le Secrétariat général du Gouvernement – mais cinquante-quatre jours en se fondant sur la période qui sépare l’adoption d’une motion de censure le 5 octobre 1962 de la nomination du Gouvernement Pompidou II le 7 décembre 1962 ([62]).
Cette durée relativement longue s’explique en partie par le contexte dans lequel l’expédition des affaires courantes s’est déroulée : en période estivale de congés, essentiellement hors session parlementaire et alors que la France organisait les jeux olympiques du 26 juillet au 11 août 2024 et les jeux paralympiques du 28 août au 8 septembre 2024. Plusieurs des personnes auditionnées par la mission ont considéré que cette durée était anormalement longue, dans la mesure où :
– d’une part, le contexte particulier de l’été 2024 était déjà connu au moment de la dissolution du 9 juin 2024 qui a entraîné la démission du Gouvernement ;
– d’autre part, peu d’éléments politiques nouveaux sont intervenus entre la démission du Gouvernement Attal, le 16 juillet, et le choix du Président de la République de nommer M. Michel Barnier Premier ministre, le 5 septembre, qui auraient pu justifier le délai de 51 jours entre les deux événements.
Vos rapporteurs ont constaté que, dans quelques pays européens, la durée de la période d’expédition des affaires courantes était limitée par la Constitution. C’est notamment le cas de l’Espagne, où un délai de deux mois s’ouvre à compter du premier vote d’investiture du candidat proposé par le Roi ([63]) et à la suite duquel, en cas d’échec à former un gouvernement, celui-ci procède à la dissolution des chambres et convoque de nouvelles élections.
Si vos rapporteurs se sont interrogés sur l’intérêt de limiter, en France, la durée de la période d’expédition des affaires courantes en prévoyant la tenue de nouvelles élections législatives, ils n’ont pas retenu cette solution. Outre le fait qu’en l’absence d’investiture parlementaire du Gouvernement, elle ne semble pas parfaitement transposable dans le régime de la Ve République, une telle limitation ne semble pas présenter une efficacité majeure dans les pays où elle existe, car :
– à seulement quelques mois d’intervalles, il n’est pas certain que le résultat des nouvelles élections législatives soit nettement différent des précédentes – c’est d’ailleurs ce qu’il ressort de l’exemple espagnol de 2015, le résultat des élections générales du 26 juin 2016 n’ayant « pas bouleversé la nouvelle donne politique » ([64]) par rapport aux élections du 20 décembre 2015 ;
– la plupart des professeurs de droit auditionnés par la mission ont souligné les risques d’effets pervers d’une telle mesure : elle pourrait en effet conduire les partis politiques à repousser les négociations en vue de nommer un Premier ministre jusqu’à la veille de la convocation de nouvelles élections.
2. Une période néanmoins courte au regard des autres régimes parlementaires
L’expédition des affaires courantes par le Gouvernement démissionnaire à l’été 2024 a pu paraître durer longtemps au regard de l’histoire politique française, mais elle se distingue toutefois par sa brièveté par rapport aux pays combinant un régime parlementaire et un mode de scrutin proportionnel.
En effet, dans ces pays, il est extrêmement rare qu’un parti obtienne seul la majorité des sièges au Parlement ; il est également fréquent qu’aucune coalition préétablie entre partis n’obtienne une telle majorité. Dans ces conditions, les partis représentés au Parlement entrent en négociation, à l’issue des élections, afin de former des coalitions parlementaires qui pourraient soutenir un gouvernement – ou qui, a minima, ne renverseraient pas un gouvernement minoritaire.
La Belgique est le pays qui détient le record de longévité d’un gouvernement démissionnaire (541 jours en 2010-2011). Le pays connaît régulièrement des périodes longues d’expédition des affaires courantes : 194 jours entre le 10 juin et le 21 décembre 2007, 139 jours entre le 25 mai et le 11 octobre 2014, etc.
De la même façon, aux Pays-Bas, les périodes d’expédition des affaires courantes sont historiquement longues : depuis 1918, chacune d’elles a duré, en moyenne, 94 jours, selon les chiffres communiqués à vos rapporteurs par M. Wim Voermans, professeur de droit constitutionnel et de droit administratif à l’Université de Leiden, avec un record à 360 jours en 2023-2024 ;
Pour ne prendre que quelques autres exemples :
– en Suède, l’augmentation du nombre de partis représentés au Parlement a eu un impact sur le délai nécessaire à la formation d’un nouveau gouvernement. Ainsi, l’expédition des affaires courantes a duré 134 jours après les élections législatives de 2018 et 37 jours après celles de 2022 ;
– l’Autriche a également connu, au cours des vingt dernières années, six gouvernements intérimaires, dont la durée moyenne était de 81 jours (le plus long ayant duré 100 jours) – et, depuis les élections législatives du 29 septembre 2024, un gouvernement intérimaire dirige le pays.
B. …Durant laquelle le gouvernement démissionnaire a globalement respecté le périmètre jurisprudentiel des affaires courantes
Sur les conseils juridiques du Secrétariat général du Gouvernement et des différentes directions des affaires juridiques des ministères, le Gouvernement démissionnaire du Premier ministre Gabriel Attal – puis, à compter du 5 septembre, sous l’autorité du Premier ministre de plein exercice Michel Barnier – a assuré l’expédition des affaires courantes en respectant globalement le cadre jurisprudentiel des affaires courantes.
Ainsi que l’a affirmé le Secrétariat général du Gouvernement à vos rapporteurs, « la retenue du Gouvernement dans la publication des textes individuels et réglementaires s’est organisée naturellement ». Au cours de son audition, le Premier ministre Gabriel Attal a précisé que son action dans la période avait été guidée en considérant « les affaires ordinaires sont celles que n’importe quel Premier ministre ou n’importe quel Gouvernement prendrait, quelle que soit sa couleur politique ».
Si des interrogations peuvent subsister quant à l’opportunité d’édicter certains des actes pris dans la période, vos rapporteurs ne relèvent aucune violation manifeste de cet usage républicain entre le 17 juillet et le 21 septembre 2024.
1. L’activité des cabinets ministériels et des administrations centrales a été fortement réduite
Sous l’angle purement quantitatif, la période estivale concernée par les affaires courantes en 2024 a vu la publication d’un nombre d’actes réduit de plus de moitié par rapport à la même période au cours des années précédentes. On recense ainsi, au Journal officiel, 340 décrets et 1 650 arrêtés publiés entre le 16 juillet et le 22 septembre 2024, contre 774 décrets et 2 540 arrêtés à la même époque en 2023. Les décrets publiés en 2024 se répartissaient comme suit :
– 62 décrets réglementaires, dont 20 décrets en Conseil d’État ;
– 236 décrets individuels, dont 9 décrets en conseil des ministres pour des nominations d’ambassadeurs ;
– 38 décrets relatifs à des procédures de naturalisation, de dénaturalisation ou de déchéance de nationalité.
Au niveau législatif, on peut noter, dans la période d’expédition des affaires courantes :
– la publication, au Journal officiel du 26 juillet 2024, de la loi n° 2024‑850 du 25 juillet 2024 visant à prévenir les ingérences étrangères en France. Celle-ci avait été adoptée avant la dissolution, le 5 juin 2024, et sa promulgation par le Président de la République – qui n’est pas soumis au régime de l’expédition des affaires courantes – était obligatoire (sauf demande d’une nouvelle délibération, rendue impossible par la dissolution prononcée le 9 juin) ;
– le dépôt du projet de loi relatif aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l’année 2023 ainsi que du projet de loi approbation des comptes de la sécurité sociale de l’année 2023, délibérés lors du dernier conseil des ministres du Gouvernement Attal de plein exercice, le 16 juillet 2024. Il s’agit en réalité d’un nouveau dépôt ([65]), à l’identique, de projets de lois déposés avant la dissolution du 9 juin 2024 mais devenus caducs du fait de cette dernière ;
– l’absence de dépôt d’un projet de loi de ratification d’une ordonnance du 19 juin 2024 ([66]) dans un délai de trois mois à compter de sa publication, ce qui aurait nécessité la tenue d’un conseil des ministres avant le 21 septembre 2024 ([67]). La caducité de cette ordonnance n’a toutefois pas eu de conséquence juridique puisque l’entrée en vigueur de ses dispositions n’était prévue qu’en 2028.
Le Gouvernement a également eu recours à des instruments de droit souple pour traiter des sujets relevant du champ des affaires courantes. Il s’agit, par exemple :
– du télégramme du 2 août 2024 du ministre de l’Intérieur et des Outre-mer relatif au renforcement immédiat de la sécurité de la communauté juive, motivé par l’urgence ;
– ou encore de la note de service du 5 août 2024 de la direction des ressources humaines du ministère de l’Éducation nationale sur les opérations de mobilité des personnels de direction en vue de la rentrée 2025, qui relèvent des affaires ordinaires.
Il a enfin pu être établi au cours des auditions organisées par vos rapporteurs que l’organisation et la tenue des jeux olympiques et paralympiques de Paris, du 26 juillet au 11 août puis du 28 août au 8 septembre 2024, n’ont pas été sensiblement affectées par le caractère démissionnaire du Gouvernement, les textes réglementaires nécessaires ayant pour l’essentiel été pris avant la démission du Gouvernement ([68]).
Même si la majorité des actes édictés par le Gouvernement démissionnaire à l’été 2024 relevaient des affaires ordinaires, certains actes ont dû être pris au titre des affaires urgentes. Plusieurs textes réglementaires entrant dans ce périmètre ont été évoqués par le Premier ministre et les ministres démissionnaires au cours de leur audition par vos rapporteurs, comme, par exemple :
– cinq décrets du 14 août 2024 relatif à l’exercice en société des professions réglementées ([69]), qui tirent les conséquences des modifications apportées par l’ordonnance n° 2023‑77 du 8 février 2023 relative à l’exercice en société des professions libérales règlementées, afin d’éviter des incohérences dans l’ordonnancement juridique du fait de son entrée en vigueur le 1er septembre 2024 ;
– un arrêté du 24 juillet 2024 pris dans le cadre du plan France 2030 ([70]), dont l’absence de publication aurait provoqué la perte d’une subvention européenne ;
– un décret du 25 juillet 2024 relatif aux modalités d’application de la dispense à la condition d’activité exclusive des services à la personne pour les petites et moyennes entreprises et pour les entrepreneurs individuels ([71]) qui, bien que n’entrant en vigueur que le 1er janvier 2025, nécessitait, pour être mis en œuvre, des développements informatiques importants justifiant la publication urgente du texte.
Si vos rapporteurs ne contestent pas l’urgence que peuvent présenter ces textes réglementaires, ils regrettent toutefois que, pour la plupart d’entre eux, l’urgence ne figure pas parmi les visas du texte – et, lorsque tel est le cas, elle y figure sans précision concernant son fondement.
Le panorama de l’activité des ministres démissionnaires à l’été 2024, tel qu’il ressort des différentes auditions conduites par la mission d’information, conduit vos rapporteurs à constater une réelle retenue dans les mesures édictées tant en matière règlementaire qu’individuelle par le Gouvernement. La doctrine établie par le Secrétariat général du Gouvernement dans ses deux notes diffusées au mois de juillet 2024, dont vos rapporteurs soulignent la clarté, a été qualifiée d’« utile », de « précieuse » ou encore d’« efficace » par plusieurs ministres, directeurs d’administration centrale et secrétaires généraux de ministères auditionnés par vos rapporteurs.
Les auditions conduites par vos rapporteurs les ont néanmoins amenés à ponctuellement s’interroger sur la compétence d’un gouvernement démissionnaire pour prendre certains actes.
Neuf nominations d’ambassadeurs sont intervenues au cours de la période d’affaires courantes, telles que les nominations :
– comme ambassadeur auprès de la République du Burundi, de M. Sébastien Minot, par décret en conseil des ministres du 24 juillet 2024 ;
– comme ambassadrice auprès de la République de Chypre, de Mme Clélia Chevrier Kolacko, par décret en conseil des ministres du 23 août 2024 ;
– comme ambassadeur auprès de la République slovaque, de M. Nicolas Suran, par décret en conseil des ministres du 29 août 2024.
S’agissant de nominations en conseil des ministres, la parution de ces décrets en période d’expédition des affaires courantes peut surprendre de prime abord. Ces actes relèvent pourtant bien du périmètre des affaires courantes, dans la mesure où les nominations elles-mêmes ont été effectuées en conseil des ministres avant le début de la période d’expédition des affaires courantes ([72]) : l’édiction ultérieure du décret en période d’affaires courantes se justifie par le temps nécessaire au recueil de l’agrément du pays hôte.
Alors que le Premier ministre Gabriel Attal avait implicitement rejeté la demande d’agrément sollicitée par l’association ANTICOR le 19 janvier 2024 pour pouvoir exercer les droits de la partie civile devant le juge pénal en matière de lutte contre la corruption, le tribunal administratif de Paris a enjoint au Premier ministre, par une ordonnance du 9 août 2024, de réexaminer cette demande d’agrément.
Le Premier ministre Gabriel Attal ([73]) a finalement délivré cet agrément par un arrêté du 5 septembre 2024 ([74]), justifiant, auprès de vos rapporteurs, sa décision du fait de l’astreinte de 1 000 euros par jour de retard ordonnée par le tribunal administratif de Paris dans une seconde ordonnance du 4 septembre 2024.
Dans cette ordonnance, le tribunal administratif de Paris a estimé que « l’exécution d’une décision de référé enjoignant à l’administration de réexaminer [cette demande] présente, tant par sa nature qu’en raison de l’urgence, le caractère d’une affaire courante entrant dans la compétence d’un gouvernement démissionnaire ».
Pour autant, le choix du Premier ministre Gabriel Attal de non seulement réexaminer mais également de délivrer cet agrément, le lendemain de l’ordonnance du tribunal et le jour même de la nomination du nouveau Premier ministre ([75]), interroge : il est en effet possible d’estimer, comme l’a souligné le professeur de droit public Julien Boudon auprès de vos rapporteurs, que, contrairement à la plupart des agréments délivrés sur le même fondement, celui-ci pouvait excéder le champ des affaires courantes, eu égard au fait que « l’affaire était devenue très politique » et médiatisée.
Un article du journal Le Monde en date du 5 septembre 2024 ([76]) a mis en lumière la nomination de l’ancien chef de cabinet du ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, M. Clément Méric, comme directeur de cabinet du préfet du Nord, par un décret du 31 août 2024 ([77]). Cette nomination a été rendue possible par un arrêté du 29 août 2024 déclassant cet emploi du groupe III au groupe IV ([78]), supprimant ainsi, pour les personnes non fonctionnaires, le critère d’une ancienneté minimale de « huit années d’expérience professionnelle diversifiée les qualifiant pour les fonctions de sous-préfet ».
Interrogé à ce sujet, le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer a indiqué à vos rapporteurs :
– qu’un tel arrêté de déclassement relevait du champ des affaires ordinaires ;
– que la candidature de M. Clément Méric s’était déroulée de façon régulière, dans le cadre de l’appel à candidatures sur l’emploi fonctionnel de sous-préfet ([79]) paru au Journal officiel du 19 juillet 2024 ;
– qu’il était habituellement d’usage que les chefs de cabinet du ministre de l’Intérieur soient nommés préfets et non sous-préfets.
Vos rapporteurs ne contestent pas que l’arrêté de déclassement précité entre bien dans le champ des affaires courantes. Ils s’interrogent toutefois sur l’opportunité, en période d’affaires courantes, de procéder au déclassement de l’emploi de directeur de cabinet du préfet du Nord, deux jours avant qu’il soit pourvu, ce qui est de nature à jeter un doute, en suivant la théorie des apparences, sur le respect du principe d’égal accès aux emplois publics.
Par décret du 23 août 2024, le Président de la République a mis fin aux fonctions de la rectrice de l’académie de Poitiers, Mme Bénédicte Robert. Cette cessation de fonctions d’une rectrice aurait dû faire l’objet d’un décret en conseil des ministres et non d’un décret du Président de la République, dans la mesure où il s’agit d’un emploi auquel il est pourvu en conseil des ministres en application de l’article 13 de la Constitution.
Interrogée par vos rapporteurs, la direction des affaires juridiques du ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse, du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche et du ministère des sports a indiqué à vos rapporteurs qu’il ne s’agissant pas d’une volonté de contourner le périmètre des affaires courantes. Elle a ainsi précisé – ce que comprennent parfaitement vos rapporteurs –que dans la mesure où « Mme Robert [avait] été nommée dans un emploi d’inspecteur général de l’éducation, du sport et de la recherche du groupe II par un arrêté du Premier ministre du 5 juillet 2024, à compter du 1er septembre 2024 », cette nomination nécessitait de mettre fin à ses fonctions précédentes, ce qui permettait également au secrétaire général d’académie d’assurer l’intérim de la rectrice ([80]).
Certaines mesures, dont les processus d’arbitrage étaient en cours, ont vu leur élaboration suspendue par la démission du Gouvernement, parce qu’elles étaient susceptibles d’excéder le champ des affaires courantes.
Il en va par exemple ainsi d’un décret d’application de la loi n°2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration qui fixe les modalités de vérification du niveau de langue pour les titres de séjour pluriannuels et que le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, M. Gérald Darmanin, a indiqué à vos rapporteurs avoir préparé mais pas publié.
Les processus d’arbitrages budgétaires ont également été retardés dans la période :
– les habituelles discussions entre les ministres dépensiers et le ministre chargé du budget, puis entre les ministres et le Premier ministre n’ont pas eu lieu aux mois de juin et juillet 2024 ;
– l’envoi des lettres-plafonds par le Premier ministre a été effectué tardivement, le 16 août 2024, et celles-ci avaient nécessairement un caractère réversible.
Enfin, certains projets de réformes en voie d’aboutissement ont eux aussi été ajournés, parce qu’ils emportaient une signification politique trop importante et ne pouvaient pas bénéficier du « portage politique » d’un ministre de plein exercice. On peut par exemple citer :
– le lancement d’un nouveau plan de lutte antistupéfiants ;
– la réforme du diplôme national du brevet, qui devait concerner l’examen 2025 et qui ne s’appliquera, en grande partie, qu’à l’examen 2026 ;
– la création d’une quatrième unité d’instruction et d’intervention de la sécurité civile ;
– la réforme de l’état-major de la Marine nationale.
En dehors des deux notes précitées, le Secrétariat général du Gouvernement a fourni son expertise juridique et ses conseils afin de répondre aux interrogations nées de la pratique quotidienne des affaires courantes.
À partir du 16 juillet 2024, le SGG a mis en place un contrôle renforcé des actes administratifs du gouvernement. Son département de l’activité normative a opéré, en sus de ses habituels critères de vérification des textes publiés au Journal officiel, un contrôle de la conformité des actes au périmètre des affaires courantes et a procédé à des remontées hiérarchiques pour tous les textes présentant des doutes.
La Secrétaire générale du Gouvernement a ainsi indiqué à vos rapporteurs que plusieurs actes, dont la publication avait été proposée par les ministères concernés mais qui semblaient excéder le champ des affaires courantes, avaient été écartés, comme, par exemple :
– un décret portant publication d’un accord entre la France et le Mozambique sur l’exemption réciproque de visas de court séjour pour les titulaires d’un passeport diplomatique, au motif qu’il pouvait être considéré comme la marque d’un approfondissement des relations diplomatiques entre les deux pays ([81]) ;
– un arrêté autorisant par dérogation la mise à disposition sur le marché et l’utilisation d’un produit insecticide visant à lutter contre les termites, en particulier en Guyane, du fait de son caractère dérogatoire qui, par nature, l’excluait du champ des affaires courantes ([82]).
S’agissant du Conseil d’État, celui-ci a rendu des avis sur douze décrets en Conseil d’État dont l’édiction est survenue pendant la période des affaires courantes ([83]). Selon le SGG, cinq textes examinés par le Conseil d’État ont fait l’objet de notes du Conseil relatives au périmètre des affaires courantes : s’il a confirmé, pour trois textes, que ceux-ci relevaient bien du champ des affaires courantes, il l’a cependant exclu dans deux autres cas.
2. Un faible nombre de recours contentieux à l’encontre des actes édictés
En termes de contentieux administratif, 17 recours ont été recensés par le Conseil d’État, à la date de son audition par vos rapporteurs le 30 octobre 2024, contre des actes pris par le Gouvernement démissionnaire.
Aucun, à ce jour, n’a abouti à la suspension ou à l’annulation d’un acte au motif que celui-ci excédait le champ d’action d’un gouvernement chargé d’expédier les affaires courantes alors même, ainsi qu’il a été évoqué supra ([84]), que la compétence de l’auteur est un moyen d’ordre public systématiquement examiné par le juge administratif.
Rendue à la suite de recours formés par les associations ADELIBE et ADELICO contre le décret du 19 juillet 2024 « Données opérationnelles de cyberdéfense » ([85]), la décision du Conseil d’État du 18 octobre 2024 ([86]) ne mentionne pas la compétence du Gouvernement démissionnaire pour prendre le décret, le moyen n’ayant pas été soulevé par les requérants. Le rapporteur public, dans ses conclusions, note toutefois que ce décret, motivé par l’urgence selon ses visas, ne présente « pas de difficultés à [être rangé] dans les affaires courantes », car « les mesures ainsi prises ne sont pas politiquement sensibles et elles ne créent pas un nouveau régime juridique mais s’adossent à l’existant. Certes, le droit des données personnelles n’est jamais insignifiant, mais en l’espèce les dispositions du décret ne sont pas d’une densité administrative telle qu’elles excéderaient ce qu’un gouvernement démissionnaire peut faire ».
Vos rapporteurs estiment, sur la base de leur déplacement à Bruxelles, que le juge administratif pourrait être amené à faire évoluer sa jurisprudence si les périodes d’affaires courantes se multipliaient et s’allongeaient.
M. Denis Baranger, professeur de droit public à l’Université Panthéon-Assas, au cours de son audition, a ainsi souligné que « les exemples étrangers montrent là aussi que le temps passant, la nécessité de prendre des décisions oblige les gouvernements à engager des actes de plus en plus structurants. Les juges doivent alors adapter leur jurisprudence au regard de l’évolution des enjeux qui sont posés à l’exécutif » ; il en va ainsi, en Belgique, de l’inclusion dans le périmètre des affaires courantes des affaires « en cours », qui poursuivent ou achèvent des affaires régulièrement commencées ([87]).
Par ailleurs, dans le contexte des jeux olympiques et paralympiques, les risques en matière de sécurité ont conduit le ministre démissionnaire de l’Intérieur et des Outre-mer, M. Gérald Darmanin, à édicter des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS) motivées par l’urgence.
Selon un décompte que la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l’Intérieur a communiqué à vos rapporteurs, 547 MICAS ont été notifiées et mises en œuvre. 189 d’entre elles ont fait l’objet de requêtes devant le juge administratif et, à la fin du mois de novembre 50 d’entre elles, soit 9 % du total, avaient été annulées ou suspendues, souvent pour insuffisance de caractérisation de la menace ou du contenu des notes de renseignement.
Toutefois, saisi de moyens tirés de l’incompétence du ministre de l’Intérieur pour prendre des MICAS à raison de la démission du Gouvernement, le juge administratif a confirmé que celles-ci relevaient du périmètre des affaires courantes en ce qu’elles constituent des décisions individuelles « que le ministre démissionnaire de l’Intérieur et des Outre-mer pouvait compétemment expédier pour assurer la continuité de l’État jusqu’à la nomination d’un nouveau Gouvernement » ([88]).
C. Les risques et difficultés que peut poser l’expédition des affaires courantes
1. La faiblesse du contrôle parlementaire observée en 2024 présente des risques
Vos rapporteurs estiment que la période d’expédition des affaires courantes de l’été 2024 a été marquée par un faible contrôle parlementaire de l’action du Gouvernement démissionnaire.
Tout d’abord, la période d’expédition des affaires courantes s’est intégralement déroulée alors que le Parlement n’était pas réuni en session ordinaire. Le caractère inédit de cette période prolongée d’affaires courantes sous la Ve République, durant laquelle le débat politique s’est concentré sur la nomination d’un Premier ministre et la formation d’un Gouvernement, peut contribuer à expliquer la faiblesse du contrôle parlementaire durant la période.
Bien qu’une session de droit ait été ouverte le 18 juillet 2024 pour une durée de quinze jours, elle n’a pas donné lieu à un contrôle parlementaire de l’action du Gouvernement démissionnaire, ce qui s’est notamment traduit par l’absence de séances de questions durant la période.
S’agissant des questions écrites, toutes les questions des députés sous la XVIe législature ont été closes au 11 juin 2024 ; le Sénat n’a quant à lui pas déclaré caduques les questions sans réponse avant la nomination du nouveau Gouvernement.
À l’issue des élections législatives de 2024, le dépôt de nouvelles questions écrites n’a pas été autorisé à l’Assemblée nationale tant que le Gouvernement était démissionnaire. Au Sénat, le dépôt de questions écrites est resté possible jusqu’à la nomination du Premier ministre Michel Barnier le 5 septembre 2024, puis a été fermé dans l’attente de la nomination du Gouvernement.
Dans ce contexte, le Secrétariat général du Gouvernement a indiqué avoir recommandé « aux ministères de ne plus répondre aux questions pendantes vouées à la caducité et qui auraient pu conduire le Gouvernement à dépasser le périmètre des affaires courantes ». La Secrétaire générale du Gouvernement n’a toutefois pas vu d’impossibilité pour le Gouvernement démissionnaire d’apporter des réponses aux questions écrites, et a indiqué à vos rapporteurs qu’une évolution de la doctrine du SGG sur ce point aurait pu être « nécessaire si la période d’expédition des affaires courantes [avait dû] se prolonger ».
Enfin, vos rapporteurs observent que les commissions se sont peu réunies pendant cette période, ce qui n’a pas permis de réaliser un contrôle satisfaisant de l’action du Gouvernement démissionnaire. Quelques auditions entraient néanmoins dans ce cadre, par exemple :
– l’audition, par la commission des finances de l’Assemblée nationale le lundi 9 septembre 2024, des ministres démissionnaires MM. Bruno Le Maire ([89]) et Thomas Cazenave ([90]) sur la situation budgétaire de l’année 2024 ;
– les tables rondes, organisées par la commission des affaires culturelles et de l’éducation le mercredi 11 septembre, sur la rentrée scolaire, réunissant des représentants des syndicats représentatifs d’enseignants ;
– l’audition, par la commission des affaires culturelles et de l’éducation le mercredi 18 septembre, de Mme Caroline Pascal, directrice générale de l’enseignement scolaire, sur la rentrée scolaire ;
– l’audition, par la commission des affaires étrangères le mercredi 18 septembre, de M. Pierre Heilbronn, envoyé spécial du président de la République française pour l’aide et la reconstruction de l’Ukraine.
À l’exception de l’audition de la commission des finances sur la situation budgétaire 2024, les questions posées au cours de ces auditions n’ont toutefois que peu – voire pas – porté sur les affaires courantes et sur la manière dont celles‑ci ont été expédiées.
S’agissant de notre commission des Lois, une délégation du bureau s’est rendue, le 9 août dernier, au centre de suivi et de planification zonal, cellule de crise activée par le Secrétariat général de la zone de défense et de sécurité de Paris tout au long des jeux olympiques et paralympiques.
Notre commission a également été convoquée, le 18 septembre 2024 – soit dans les derniers jours de la période d’affaires courantes – pour auditionner M. Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, sur le bilan des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 ([91]), ce qui témoigne de la volonté des commissaires aux Lois de contrôler a posteriori l’action du Gouvernement démissionnaire en matière de sécurité des jeux olympiques et paralympiques. Cette audition s’est toutefois tenue le mercredi 25 septembre, une fois le nouveau Gouvernement nommé.
2. L’expédition des affaires courantes peut soulever des difficultés particulières en matière diplomatique
Il est ressorti des auditions menées par vos rapporteurs que l’action d’un ministre des affaires étrangères présente plusieurs singularités en période d’affaires courantes :
– il n’a, par rapport à d’autres ministères, qu’une faible production réglementaire, alors que c’est essentiellement l’activité normative d’un ministre qui fait l’objet d’un encadrement en période d’expédition des affaires courantes ;
– ses interlocuteurs extérieurs ne sont généralement pas limités à l’expédition des affaires courantes. Cela induit une nécessaire continuité de la représentation de la France, en particulier dans le cadre d’événements internationaux dont il ne maîtrise pas le calendrier ;
– la restriction du champ de compétence du ministre démissionnaire à l’expédition des affaires courantes peut, comme l’a évoqué le ministre démissionnaire de l’Europe et des affaires étrangères M. Stéphane Séjourné au cours de son audition, affaiblir son poids vis-à-vis de ses homologues étrangers dans le cadre de négociations ;
– enfin, il s’agit d’une matière que l’usage attribue au « domaine réservé » du Président de la République, lequel ne voit pas son action limitée aux affaires courantes, contrairement au ministre des affaires étrangères.
Sans remettre en cause l’application du régime d’expédition des affaires courantes au ministre chargé des affaires étrangères, ces différents arguments plaident pour une appréciation pragmatique des déplacements et de la participation à des événements internationaux pouvant entrer dans le champ des affaires courantes s’agissant, en particulier, de la participation des ministres démissionnaires à des événements et sommets intergouvernementaux.
Dans la période, M. Stéphane Séjourné a par exemple participé à un conseil des ministres chargées des affaires étrangères de l’Union européenne, le 22 juillet 2024, et s’est rendu en Moldavie, en Arménie ainsi qu’au Proche-Orient, en compagnie de son homologue britannique M. David Lammy. La même logique a conduit le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, M. Marc Fesneau, à représenter la France lors d’une réunion des ministres européens de l’agriculture et de la pêche à Bruxelles.
Par ailleurs, le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, M. Stéphane Séjourné, a indiqué au cours de son audition que la période d’expédition des affaires courantes avait eu un impact sur les négociations en cours d’accords intergouvernementaux. Ces accords pouvant concerner des intérêts économiques majeurs pour des entreprises françaises et susciter des attentes chez les partenaires de la France (notamment en matière d’infrastructures et de développement), vos rapporteurs plaident, là encore, pour une appréciation pragmatique des accords pouvant être négociés en période d’affaires courantes, surtout lorsque ceux-ci doivent in fine être ratifiés en vertu d’une loi ([92]), afin de ne pas obérer les intérêts de la France dans les négociations diplomatiques.
Cette spécificité des relations internationales fait l’objet d’un traitement particulier dans d’autres pays européens, comme en Belgique, où l’expédition des affaires courantes par le Gouvernement n’a pas empêché le pays de présider le conseil de l’Union européenne en 2010. À cet égard, M. Philippe Goffin, député à la Chambre des représentants de Belgique et ancien ministre des affaires étrangères et de la défense en 2019 et 2020, a fait remarquer à vos rapporteurs que « les affaires étrangères ne connaissent pas les affaires courantes ».
En Finlande, comme en France, le Président de la République n’est pas restreint par l’expédition des affaires courantes en matière de politique étrangère : il est, au contraire, une source de continuité de la représentation du Pays.
Néanmoins, la décision du Président de la République française, le 30 juillet 2024, de faire évoluer la position de la France sur la question du Sahara occidental et son application par le ministre démissionnaire de l’Europe et des affaires étrangères aurait justifié que le Gouvernement, même démissionnaire, rende compte des choix de politique étrangère devant le Parlement, ce qui plaide, pour vos rapporteurs, une nouvelle fois pour un renforcement du contrôle parlementaire et du dialogue avec le Parlement en période d’affaires courantes.
Ainsi qu’évoqué infra ([93]), ce contrôle pourra notamment prendre la forme d’auditions en commission des affaires étrangères ainsi qu’en commission de la défense nationale et des forces armées, durant lesquels les ministres démissionnaires pourront expliquer la manière dont ils entendent expédier les affaires courantes et présenter aux parlementaires les déplacements auxquels il leur semble nécessaire de participer dans la période.
II. Pour un renforcement du rôle du Parlement en période d’affaires courantes
S’il perd l’usage de l’outil de sanction ultime du Gouvernement, le Parlement doit continuer d’exercer son contrôle sur l’activité du Gouvernement démissionnaire.
Il s’agit là d’une exigence démocratique fondamentale : un gouvernement démissionnaire conservant des compétences – certes limitées –, il est important que l’Assemblée puisse utiliser l’ensemble des moyens de contrôle à sa disposition pour exiger des membres du Gouvernement démissionnaire qu’ils rendent compte de leur action devant la représentation nationale.
Dans d’autres pays, cette persistance du contrôle parlementaire sur l’action d’un gouvernement démissionnaire a même été confirmée par le juge constitutionnel : ainsi, en Espagne, le Tribunal constitutionnel, par une décision n° 124/2018 du 14 novembre 2018, a jugé que le ministre de la défense par intérim aurait dû se présenter devant les parlementaires pour rendre compte d’une réunion de l’Organisation du Traité de l’Atlantique-Nord (OTAN), « dans la mesure où l’activité d’un gouvernement démissionnaire, pour réduite qu’elle soit, ne lui permet pas d’être exempté de contrôle, le juge faisant valoir à cet égard diverses modalités destinées à assurer l’existence d’une relation de confiance entre celui qui contrôle et celui qui est contrôlé » ([94]).
Vos rapporteurs estiment qu’un tel contrôle parlementaire en période d’affaires courantes doit aussi bien passer par la mobilisation des outils de contrôle existants que par des évolutions institutionnelles visant à le renforcer – ce qui se justifie notamment par le fait que le Parlement perd, dans la période, le pouvoir de censurer le Gouvernement.
Enfin, en particulier si les périodes d’expédition des affaires courantes sont amenées à se prolonger, vos rapporteurs plaident pour un renouvellement des rapports entre le Parlement et le Gouvernement démissionnaire, afin de ne pas totalement entraver l’action du Parlement, y compris dans sa fonction législative.
A. Un contrôle parlementaire de l’activité du Gouvernement démissionnaire à renforcer
Au début de la période d’expédition des affaires courantes, vos rapporteurs estiment qu’il serait de bon usage que le ministre chargé des relations avec le Parlement démissionnaire transmette au Parlement des indications sur la manière dont le Gouvernement démissionnaire entend expédier les affaires courantes. Cette information pourrait, par exemple, prendre la forme d’une transmission, par le ministre démissionnaire, de la note de cadrage établie par le SGG, dont vos rapporteurs n’ont pris connaissance que par voie de presse durant la période d’expédition des affaires courantes de l’été 2024.
1. La nécessité d’un contrôle par les commissions parlementaires
Ainsi qu’il a été évoqué supra ([95]), les commissions permanentes de l’Assemblée ne se sont que peu réunies pour assurer un contrôle de l’activité du Gouvernement démissionnaire à l’été 2024.
Aux yeux de vos rapporteurs, le contrôle en commission apparaît comme l’outil le plus souple pour s’assurer que le Gouvernement démissionnaire respecte le périmètre des affaires courantes.
Il peut tout à fait être amélioré et renforcé à droit constant : les ministres pourraient par exemple présenter, devant les commissions permanentes compétentes, la manière dont ils entendent expédier les affaires courantes et les actes susceptibles d’entrer dans ce cadre. Ces auditions présenteraient également l’intérêt d’assurer un contrôle du volet de l’activité du Gouvernement démissionnaire qui n’est pas susceptible de recours devant le juge administratif, en particulier des déplacements et des actions de communication.
Dans l’éventualité où la période d’expédition des affaires courantes se prolongerait et que des affaires urgentes – et politiquement sensibles – deviendraient progressivement susceptibles d’entrer dans le périmètre des affaires courantes, vos rapporteurs plaident pour que les commissions compétentes concernées se dotent des prérogatives attribuées aux commissions d’enquête, comme le permet l’article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, à savoir :
– l’obligation de déférer à la convocation d’une commission d’enquête, si besoin est, par un huissier ou un agent de la force publique, et de prêter serment, le refus de déférer ou de prêter serment étant passible d’une peine de deux ans d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende ;
– un pouvoir de contrôle sur pièce et sur place attribué aux rapporteurs, à qui « tous les renseignements de nature à faciliter cette mission » doivent être fournis, à l’exception de ceux « revêtant un caractère secret et concernant la défense nationale, les affaires étrangères, la sécurité intérieure ou extérieure de l’État, et sous réserve du respect du principe de la séparation de l’autorité judiciaire et des autres pouvoirs ».
Recommandation n° 2 : Renforcer le contrôle parlementaire de l’activité du Gouvernement démissionnaire au sein des commissions permanentes, qui peuvent se doter, si nécessaire, des prérogatives attribuées aux commissions d’enquête.
Niveau de norme : bonne pratique.
À moyen terme, vos rapporteurs estiment intéressant de consacrer dans la loi un droit d’information du Parlement sur l’activité du Gouvernement démissionnaire, sur le modèle du contrôle parlementaire de l’état d’urgence, qui a été introduit en 2015 ([96]) à l’article 4-1 de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence ([97]) : pendant l’état d’urgence, « l’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement », « les autorités administratives leur transmettent sans délai copie de tous les actes qu’elles prennent en application » de l’état d’urgence et « l’Assemblée nationale et le Sénat peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures ». Un droit d’information du Parlement similaire avait été introduit par l’article 2 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 ([98]).
L’application de ces dispositions a pris la forme, lorsque l’état d’urgence a été déclaré par décret en date du 14 novembre 2015 ([99]) à la suite des attentats du 13 novembre 2015, d’un contrôle parlementaire réalisé par la commission des Lois. Cette dernière a décidé, lors de sa réunion du mercredi 2 décembre 2015, d’assurer une veille continue mobilisant différents outils du contrôle parlementaire – contrôles sur place, déplacements, questionnaires, auditions, demandes de transmission de pièces – et a été dotée des prérogatives d’une commission d’enquête le 4 décembre 2015, pour une durée de trois mois.
Une information similaire du Parlement en période d’affaires courantes pourrait ainsi être rendue obligatoire si la période d’expédition des affaires courantes dépasse une brève durée, justifiant alors un contrôle parlementaire renforcé. Dans la pratique, ce contrôle parlementaire pourrait s’organiser en deux temps :
– un premier temps durant lequel les chambres du Parlement sont informées sans délai des mesures prises ;
– un second temps, si la période d’expédition des affaires courantes se prolonge, durant lequel des commissions permanentes de l’Assemblée se dotent, si nécessaire, des prérogatives d’une commission d’enquête.
Recommandation n° 3 : Sur le modèle de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, inscrire dans la loi une information du Parlement sur l’activité du Gouvernement démissionnaire en période d’affaires courantes, en permettant à l’Assemblée nationale et au Sénat de pouvoir requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle de l’expédition des affaires courantes.
Niveau de norme : législatif.
Enfin, une fois la période d’expédition des affaires courantes terminée, vos rapporteurs estiment intéressant qu’un bilan soit dressé sous la forme d’un rapport du Gouvernement au Parlement, afin de compléter l’information du Parlement sur les actes pris par le Gouvernement démissionnaire.
Outre la liste des actes édictés durant la période et les recours juridictionnels éventuels dont ils feraient l’objet, ce rapport pourrait faire état des déplacements ministériels durant la période, des conférences de presse organisées, des communiqués de presse diffusés, etc. afin que le Parlement dispose, a posteriori, d’une vision d’ensemble de la manière dont a été assurée l’expédition des affaires courantes.
Recommandation n° 4 : Prévoir, à l’issue de la période d’affaires courantes, la remise d’un rapport du Gouvernement au Parlement portant sur l’expédition des affaires courantes par le Gouvernement démissionnaire.
Niveau de norme : législatif.
2. D’autres outils de contrôle de l’action d’un gouvernement démissionnaire peuvent être mobilisés
S’agissant des questions écrites, vos rapporteurs estiment, conformément à ce qu’a décidé l’Assemblée à la suite de la motion de censure votée le 4 décembre 2024 – et à rebours de ce qu’elle avait décidé à l’été 2024, lorsque le Gouvernement Attal expédiait les affaires courantes – que leur dépôt doit être autorisé lorsque le Gouvernement est démissionnaire.
Si la période d’expédition des affaires courantes est brève, il est peu probable que les ministres démissionnaires y apportent des réponses, dans la mesure où leur compétence est limitée à l’expédition des affaires courantes et qu’il serait logique qu’il laisse le soin à leur successeur d’y apporter une réponse.
En revanche, si la période devait se prolonger – en particulier si des questions écrites demeuraient sans réponse une fois écoulé le délai réglementaire de deux mois ([100]) –, vos rapporteurs estiment souhaitable que les ministres démissionnaires apportent des réponses aux questions qui entreraient dans le périmètre des affaires courantes. Cela pourrait par exemple concerner des questions portant :
– sur des actes pris par le Gouvernement démissionnaire ;
– sur des actes antérieurs à la démission du Gouvernement mais qui pourraient entrer dans le champ des affaires ordinaires ;
– plus largement, sur l’interprétation de règles ne laissant qu’une faible marge d’appréciation au ministre démissionnaire : ainsi que le soulignait le professeur Fernand Bouyssou ([101]), sous la IVe République, « les questions écrites [avaient] plus souvent une portée administrative ou juridique que politique » – et tel est toujours le cas aujourd’hui –, ce qui conduisaient les ministres démissionnaires à y apporter des réponses.
Recommandation n° 5 : Permettre le dépôt de questions écrites en période d’expédition d’affaires courantes.
Niveau de norme : bonne pratique.
Sous la IVe République, des séances de questions orales ordinaires se tenaient en période d’expédition des affaires courantes. Ainsi , si « les questions orales posées pendant les crises ministérielles sont peu nombreuses au cours de la première législature [de la IVe République], lorsque la durée des crises [s’]allonge, les questions orales sont plus nombreuses » ([102]).
Il est en effet possible que les choix effectués par le Gouvernement démissionnaire en matière d’expédition des affaires courantes suscitent des interrogations de la part des parlementaires : la jurisprudence du Conseil d’État étant peu abondante en la matière, le fait qu’un acte relève du champ des affaires ordinaires ou des affaires urgentes peut soulever des questions légitimes et politiques, auxquelles il est important que les membres du Gouvernement démissionnaire apportent régulièrement des réponses.
Vos rapporteurs sont conscients des limites d’un tel exercice : il est possible – et même probable – que certaines questions parlementaires excèdent le champ de compétence du ministre démissionnaire, le conduisant à écarter celle-ci. Tel est par exemple le cas en Belgique : au cours du déplacement de vos rapporteurs à Bruxelles, la secrétaire générale de la Chambre des représentants de Belgique, Mme Nicole Marquet, leur a indiqué que malgré les rappels effectués par le secrétariat général auprès des députés, il arrivait ponctuellement que certaines questions d’actualité portent sur des choix de politiques publiques allant au-delà des affaires courantes.
Pour autant, aux yeux de vos rapporteurs, ces inconvénients ne justifient pas à eux seuls de ne pas tenir de séances de questions au Gouvernement, en particulier en cas de période d’affaires courantes prolongée. Ils estiment également possible qu’avec le temps, les parlementaires s’accoutument au champ limité des questions pouvant être posées s’ils veulent que les ministres démissionnaires y apportent des réponses satisfaisantes.
En tout état de cause, durant les semaines où des textes de loi seraient examinés à l’Assemblée ([103]), vos rapporteurs considèrent qu’il est indispensable que soit organisée a minima une séance hebdomadaire de questions au Gouvernement. Le Conseil constitutionnel ayant jugé en 2012 « qu’un projet ou une proposition de loi qui serait adopté au cours d’une semaine dont l’ordre du jour avait été établi en méconnaissance du dernier alinéa de l’article 48 de la Constitution ([104]) serait adopté selon une procédure contraire à la Constitution » ([105]), vos rapporteurs estiment imprudent, même si le Gouvernement est démissionnaire, de prendre le risque d’une censure par le Conseil constitutionnel pour ce motif, alors même qu’il pouvait être anticipé.
Recommandation n° 6 : Prévoir la tenue de séances de questions au Gouvernement lorsque celui-ci est démissionnaire et que l’Assemblée est en session, que celle-ci soit ordinaire, extraordinaire ou de droit.
Niveau de norme : bonne pratique.
3. Vers un intérêt à agir des parlementaires en période d’expédition des affaires courantes
Bien que les actes pris par un gouvernement démissionnaire soient soumis au contrôle du juge administratif et que le moyen d’ordre public tiré de l’incompétence de l’auteur soit automatiquement soulevé par le juge, il demeure nécessaire que les requérants disposent d’un intérêt à agir pour contester ces actes, c’est-à-dire que l’acte qu’ils contestent doit les affecter de façon suffisamment personnelle, directe et certaine.
Or, aujourd’hui, le juge administratif n’a jamais reconnu un intérêt à agir aux parlementaires en cette seule qualité. Comme le souligne le rapport du Sénat ([106]) sur la proposition de loi tendant à reconnaître aux membres de l’Assemblée nationale et du Sénat un intérêt à agir en matière de recours pour excès de pouvoir, adoptée par le Sénat le 14 octobre 2021, le juge administratif a souvent utilisé une stratégie dite de « contournement » de la question de l’intérêt à agir des parlementaires, qui « consiste, principalement, à ne pas reconnaître explicitement un intérêt pour agir à un parlementaire mais lui reconnaître cet intérêt sur le fondement d’une autre de ses qualités :
« – qualité d’"électeur" pour demander l’annulation d’un décret organisant le référendum du 28 octobre 1962 ([107]) ;
« – qualité de "président du comité des finances locales" pour la contestation d’un décret relatif au fonds de compensation pour la TVA ([108]) ;
« – qualité de "consommateur de produits pétroliers" afin de lui permettre de contester le refus du ministre du Budget de mettre en œuvre le mécanisme dit de la "TIPP flottante". » ([109])
Proposition de loi, adoptée par le Sénat le 14 octobre 2021, tendant à reconnaître aux membres de l’Assemblée nationale et du Sénat un intérêt à agir en matière de recours pour excès de pouvoir
La proposition de loi précitée octroie aux présidents des assemblées parlementaires, aux présidents de groupe politique de ces assemblées et aux présidents de commission permanente un intérêt à agir, par la voie du recours pour excès de pouvoir :
– contre le refus de prendre dans un délai raisonnable les mesures réglementaires d’application d’une disposition législative ;
– contre une ordonnance prise sur le fondement de l’article 38 de la Constitution lorsque l’un des moyens soulevés est tiré de ce que cette ordonnance méconnaîtrait le champ de l’habilitation fixé par la loi ;
– contre un acte réglementaire autorisant la ratification ou l’approbation d’un traité lorsque le moyen unique soulevé est tiré de ce que cette autorisation aurait dû être accordée par la loi en vertu de l’article 53 de la Constitution.
Les auditions conduites par vos rapporteurs ont mis en avant le fait qu’en période d’expédition des affaires courantes, les députés voyaient leur pouvoir de contrôle de l’action du Gouvernement démissionnaire notablement amoindri par le fait qu’ils ne disposent pas de la possibilité de renverser le Gouvernement. Pour autant, des interrogations peuvent survenir quant à la légalité de certains actes administratifs pris par le Gouvernement démissionnaire : comme le souligne M. Fabrice Melleray, professeur de droit public à Sciences Po Paris, auditionné par vos rapporteurs, « la frontière entre ce qui relève de l’activité quotidienne de l’administration et ce qui n’en relève pas, comme la frontière entre ce qui est urgent et ce qui peut attendre, ne sont en pratique pas évidentes à tracer » ([110]).
Dans un contexte de limitation du pouvoir de contrôle de l’Assemblée, vos rapporteurs estiment intéressant de réfléchir à l’octroi d’un intérêt à agir à certains parlementaires, dans un cas non prévu par la proposition de loi sénatoriale de 2021 : contre un acte réglementaire pris par un gouvernement démissionnaire, lorsque l’un des moyens soulevés – même s’il s’agit d’un moyen d’ordre public – est tiré de l’incompétence d’un gouvernement démissionnaire pour prendre ledit acte. L’octroi d’un tel intérêt à agir devrait toutefois, pour vos rapporteurs, être limité à certains parlementaires, comme le prévoit la proposition de loi sénatoriale – présidents des assemblées parlementaires, présidents de commission permanente et, éventuellement, présidents de groupe politique. Cela éviterait l’apparition d’un nombre important de recours visant à prolonger, sur le terrain juridique, des débats menés sur le plan politique.
Si vos rapporteurs sont conscients des arguments selon lesquels l’octroi d’un intérêt à agir aux parlementaires pourrait porter atteinte à la séparation des pouvoirs, ils ne leur paraissent pas suffire à écarter une telle idée : comme le souligne le Sénat dans son rapport précité, l’octroi d’un intérêt à agir à certains parlementaires en cette qualité « ne crée pas de nouveaux recours mais aménage un recours existant, déjà largement ouvert par le juge […]et parfois spécifiquement adapté par le législateur pour certaines catégories de requérants » ; en outre, cette évolution ne changerait pas l’objet du recours pour excès de pouvoir, qui conduit déjà « le juge administratif à apprécier la conformité des actes réglementaires au corpus législatif et à apprécier la légalité des éventuels refus de prendre des instruments d’application ».
Vos rapporteurs soulignent également que, depuis la ratification du traité de Lisbonne, un mécanisme similaire existe à l’échelle européenne. En France, il se traduit à l’article 88-6 de la Constitution, qui prévoit que « chaque assemblée peut former un recours devant la Cour de justice de l’Union européenne contre un acte législatif européen pour violation du principe de subsidiarité ».
Enfin, vos rapporteurs notent avec intérêt qu’une note relative au projet de loi de finances (PLF) et au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 émanant du Secrétariat général du Gouvernement et diffusée par la presse émet l’hypothèse d’un assouplissement de la jurisprudence du Conseil d’État relative à l’intérêt à agir des parlementaires pour contester une ordonnance mettant en œuvre les dispositions d’un PLF ou d’un PLFSS au-delà du délai constitutionnel de 70 jours (pour le PLF) ou de 50 jours (pour le PLFSS), « eu égard à l’objet très particulier de l’ordonnance ».
Si la proposition de loi adoptée par le Sénat le 14 octobre 2021 venait à être examinée à l’Assemblée, vos rapporteurs verraient donc d’un œil bienveillant l’extension de l’intérêt à agir des parlementaires aux actes réglementaires pris par un gouvernement démissionnaire, lorsque l’un des moyens soulevés est tiré de ce que cet acte excéderait le champ des affaires courantes.
Recommandation n° 7 : Dans le respect de la séparation des pouvoirs, octroyer aux parlementaires un intérêt à agir en cette seule qualité contre un acte réglementaire pris par un gouvernement démissionnaire qui excéderait le champ des affaires courantes, en le limitant à certains parlementaires afin d’éviter qu’il ne devienne un outil de prolongation, sur le terrain juridique, de débats menés sur le plan politique.
Niveau de norme : législatif.
B. Pour un renouvellement des rapports entre le Parlement et le Gouvernement
1. Un Parlement qui doit pouvoir se réunir lorsque le Gouvernement expédie les affaires courantes
Le faible contrôle parlementaire de l’expédition gouvernementale des affaires courantes à l’été 2024 résulte, en partie, du fait que le Parlement n’était pas réuni en session, exception faite de la session de droit 18 juillet au 2 août.
Si une telle situation ne devrait pas se reproduire de façon systématique, le Parlement étant réuni en session ordinaire de plein droit durant neuf mois de l’année, vos rapporteurs estiment néanmoins qu’elle a été préjudiciable durant l’été 2024. Cette situation explique, au moins en partie, la faiblesse du contrôle parlementaire durant la période : il était notamment impossible, durant la période, de constituer des commissions d’enquête – ou de reconstituer celles prématurément clôturées du fait de la dissolution du 9 juin 2024 ([111]).
Les sessions parlementaires
La Constitution de la Ve République prévoit qu’outre la réunion du Parlement de plein droit en session ordinaire du 1er octobre au 30 juin et en session extraordinaire par décret du Président de la République ([112]), le Parlement se réunit :
– de plein droit le deuxième jeudi qui suit son élection et, si cette réunion a lieu hors session ordinaire, une session est ouverte pour une durée de quinze jours ;
– de plein droit lorsque le Président de la République prend des mesures exigées par les circonstances en application de l’article 16 de la Constitution ;
– pour une déclaration du Président de la République devant le Parlement réuni en congrès, éventuellement suivie d’un débat hors sa présence, en application de l’article 18 de la Constitution.
L’article 26 de la Constitution permet également à l’une des deux assemblées de se réunir de plein droit pour suspendre la détention, les mesures privatives ou restrictives de liberté ou la poursuite d’un membre du Parlement.
L’importance du contrôle parlementaire de l’activité d’un gouvernement démissionnaire justifie, aux yeux de vos rapporteurs et en complément de l’accroissement des pouvoirs de contrôle du Parlement évoqués supra ([113]), de faire réviser la Constitution afin de prévoir la réunion du Parlement de plein droit lorsque l’expédition des affaires courantes par le Gouvernement démissionnaire dépasse une certaine durée et ce, jusqu’à la nomination d’un nouveau Gouvernement.
Ils estiment qu’une durée de quinze jours permettrait de réunir le Parlement lorsque la nomination du Gouvernement présente de réelles difficultés, en comparaison avec les périodes d’affaires courantes précédentes de la Ve République, et que l’urgence conduit à une extension progressive du périmètre des affaires courantes.
Recommandation n° 8 : Hors session ordinaire, prévoir la réunion du Parlement de plein droit lorsque la période d’expédition des affaires courantes dépasse quinze jours.
Niveau de norme : constitutionnel.
2. Un Parlement qui doit pouvoir orienter l’action du Gouvernement sur des choix politiques structurants
Au cours de leur déplacement à Bruxelles, vos rapporteurs ont été surpris par la façon dont, après une certaine durée d’expédition des affaires courantes, le Parlement belge a fait évoluer sa pratique afin, dans une forme de dialogue entre les pouvoirs, d’orienter certains choix structurants que le Gouvernement démissionnaire pouvait être amené à prendre – et ce, parfois, avant qu’ils ne deviennent urgents.
C’est ce qu’explique M. Lucien Rigaux, chercheur en droit public à l’Université libre de Bruxelles auditionné par vos rapporteurs : « Puisque les pouvoirs d’un gouvernement en affaires courantes sont limités, la Chambre peut être amenée à prendre certaines décisions importantes qui, en temps normal, ne lui appartiennent pas, mais qui, en affaires courantes, permettent de justifier l’action du Gouvernement qui, de facto, s’inscrit dans la droite ligne de la volonté politique de la Chambre. Il en résulte que les restrictions aux pouvoirs d’un gouvernement en affaires courantes fondées sur l’absence de contrôle parlementaire n’ont plus de raison d’être si, pour ces actes interdits, la Chambre marque son consentement. »
C’est dans cet esprit que la Chambre des représentants de Belgique a, pour la première fois en période d’affaires courantes, adopté à l’unanimité en mars 2011 une résolution ([114]) visant à approuver « un engagement belge dans une opération militaire pour mettre en œuvre la résolution du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies prévoyant la création d’une zone d’exclusion aérienne et autorisant le recours à la force en Libye » ([115]), alors même que le commandement des forces armées relève des prérogatives du Gouvernement. Elle a procédé de la même façon en 2014, concernant la participation de la Belgique à la coalition internationale contre l’État islamique ([116]).
Il est toujours délicat de tenter d’importer dans notre droit des solutions issues de systèmes politiques étrangers. En effet, comme le souligne M. Lucien Rigaux, en Belgique, « dans la mesure où la théorie des affaires courantes n’a de sens qu’en raison de la rupture ou de la désynchronisation qui existe entre le Gouvernement et la Chambre, rien ne s’oppose à ce que des affaires de gouvernement soient réglées par un gouvernement qui reçoit explicitement l’appui de la Chambre » ([117]).
Il en va différemment en France, où l’expédition des affaires courantes ne découle pas forcément de « la rupture ou de la désynchronisation qui existe entre le Gouvernement et la Chambre » mais peut aussi résulter de l’acceptation, par le Président de la République, de la démission du Gouvernement. Vos rapporteurs notent toutefois que les résolutions adoptées par le Parlement belge, y compris en période d’affaires courantes, sont, comme en France, « un avis non contraignant qui laisse au gouvernement la liberté d’agir » ([118]).
S’agissant plus particulièrement des résolutions prévues à l’article 34-1 de la Constitution, celui-ci prévoit deux motifs permettant au Gouvernement de s’opposer à l’inscription à l’ordre du jour d’une proposition de résolution :
– s’il estime que son adoption ou son rejet serait de nature à mettre en cause sa responsabilité ;
– si elle contient des injonctions à son égard.
Il ressort de la décision du Conseil constitutionnel sur la loi organique prise pour l’application de l’article 34-1 de la Constitution ([119]) qu’une « appréciation par le Gouvernement du sens et de la portée des propositions de résolution afin de décider de leur recevabilité doit nécessairement être opérée avant l’inscription de ces propositions à l’ordre du jour » ([120]).
À la lumière de cette décision, les propositions de résolution pour lesquelles un gouvernement de plein exercice s’est prononcé sur leur recevabilité semblent pouvoir être inscrites à l’ordre du jour de l’Assemblée en période d’affaires courantes.
Dans le cas inverse, il semble clair qu’un gouvernement démissionnaire ne peut plus, par définition, voir sa responsabilité mise en cause. Il semble également difficile d’imaginer qu’un gouvernement démissionnaire soit compétent pour se prononcer sur la recevabilité d’une proposition de résolution qui, selon lui, contiendrait des injonctions à son égard – cela serait, à tout le moins, politiquement très délicat.
Qu’un gouvernement démissionnaire accepte ou non de se prononcer sur la recevabilité d’une proposition de résolution, il appartiendrait à la Conférence des Présidents ([121]), à l’aune de la décision précitée, d’accepter ou de refuser d’inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée cette proposition de résolution. Cette décision, tout comme la résolution elle-même, ne serait pas susceptible de recours, les résolutions parlementaires ([122]) ne faisant pas l’objet d’un contrôle de constitutionnalité.
Vos rapporteurs observent qu’en situation de majorité relative, c’est dans un objectif de légitimation similaire aux résolutions adoptées par la Chambre des représentants de Belgique que l’Assemblée nationale a débattu puis approuvé par un vote ([123]), mardi 26 novembre 2024, la déclaration du Gouvernement portant sur les négociations en cours relatives à l’accord d’association entre l’Union européenne et le Mercosur, en application de l’article 50-1 de la Constitution.
En particulier dans des situations d’urgence ou qui sont susceptibles de le devenir, vos rapporteurs estiment qu’un gouvernement démissionnaire peut initier ou donner suite à la demande d’un groupe parlementaire de faire, en application de l’article 50-1 de la Constitution, une déclaration qui donne lieu à débat et qui pourrait faire l’objet d’un vote sans engager sa responsabilité – ce qui est de toute façon impossible pour un gouvernement démissionnaire.
À cadre constitutionnel constant, cette solution – bien que dépendante de la volonté du Gouvernement démissionnaire – permettrait de remplir le même objectif de consultation et de légitimation du Gouvernement démissionnaire par le Parlement que l’adoption, en Belgique, de résolutions parlementaires. Elle ne soulève toutefois pas les mêmes interrogations constitutionnelles que l’adoption, en période d’affaires courantes, de résolutions au titre de l’article 34-1 de la Constitution sur la recevabilité desquelles le Gouvernement démissionnaire ne se serait pas prononcé.
Recommandation n° 9 : Renforcer la légitimité des décisions politiques importantes qui doivent être prises par un gouvernement démissionnaire, notamment si elles sont urgentes ou susceptibles de le devenir, en permettant au Gouvernement démissionnaire de faire, en application de l’article 50-1 de la Constitution, une déclaration suivie d’un débat et, éventuellement, d’un vote.
Niveau de norme : bonne pratique.
Vos rapporteurs estiment néanmoins que le recours à l’article 50-1 de la Constitution n’est pas pleinement satisfaisant à cadre constitutionnel constant, en ce qu’il ne constitue qu’une faculté à la main du Gouvernement : celui-ci peut décider de ne pas donner suite à la demande d’un groupe parlementaire et sa légitimité à initier une telle déclaration est discutable lorsqu’il expédie les affaires courantes.
Afin de remédier aux difficultés que présente, en période d’affaires courantes, le recours à l’article 34-1 de la Constitution – et, dans une moindre mesure, le recours à son article 50-1 –, vos rapporteurs préconisent d’ériger au niveau constitutionnel le rôle que peuvent jouer les résolutions pour orienter l’action du Gouvernement démissionnaire. Vos rapporteurs proposent ainsi de faire évoluer la rédaction de l’article 34-1 de la Constitution afin d’y supprimer, en période d’affaires courantes, la possibilité pour le Gouvernement d’opposer l’irrecevabilité à l’inscription à l’ordre du jour d’une proposition de résolution.
Cette constitutionnalisation permettrait également de lever l’incertitude quant à la compétence d’un gouvernement démissionnaire pour prendre un acte hors du champ jurisprudentiel actuel des affaires courantes, mais dont l’édiction serait précédée du vote d’une résolution parlementaire.
Recommandation n° 10 : Supprimer l’irrecevabilité que peut opposer le Gouvernement à l’inscription à l’ordre du jour de propositions de résolution en période d’expédition des affaires courantes.
Niveau de norme : constitutionnel.
3. Un Parlement dont la fonction législative ne peut être autolimitée
Ainsi qu’il a été évoqué supra ([124]), le Secrétariat général du Gouvernement estime qu’il convient de faire preuve d’une « extrême prudence dans la sollicitation du Parlement en période d’affaires courantes ». Cette analyse ne soulève guère de difficulté dans la pratique institutionnelle historique de la Ve République, lorsque la durée de la période d’expédition des affaires courantes se compte en heures ou en jours.
Le SGG émet toutefois des hypothèses qui pourraient justifier le dépôt ou l’examen de certains textes de loi, dans des situations visant à permettre la continuité de la vie de la Nation ([125]). Dans sa note d’août 2024 relative au PLF et au PLFSS pour 2025 diffusée par la presse, le SGG se montre plus catégorique, en affirmant qu’un « gouvernement démissionnaire pourra donc sans risque juridique ni politique déposer un projet de loi spéciale demandant l’autorisation de prélever l’impôt ou autorisant l’Urssaf Caisse nationale à emprunter sur les marchés ».
S’agissant du projet de loi spéciale prévu à l’article 45 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) ([126]), le Conseil d’État, dans son avis du 10 décembre 2024 relatif à l’interprétation de l’article 45 de la LOLF, pris pour l’application du quatrième alinéa de l’article 47 de la Constitution, « estime qu’un gouvernement démissionnaire demeure compétent pour soumettre à la délibération du conseil des ministres un projet de loi ayant un tel objet, le déposer sur le bureau de l’Assemblée nationale et, si aucun gouvernement de plein exercice n’a été nommé avant son examen par le Parlement, en soutenir la discussion devant les assemblées parlementaires ».
À la suite de cet avis, le Gouvernement démissionnaire de M. Michel Barnier a présenté ce mercredi 11 décembre, en conseil des ministres, un projet de loi spéciale visant à autoriser :
– la perception des impôts existants, ce qui inclut la reconduction des prélèvements sur les recettes au profit des collectivités territoriales et de l’Union européenne (article 1er) ;
– l’État à recourir à l’emprunt (article 2) ;
– les organismes de sécurité sociale à recourir à l’emprunt (article 3).
Plus largement, l’adoption de textes en période d’affaires courantes ne serait pas sans soulever d’importantes questions de constitutionnalité si le Conseil constitutionnel venait à en être saisi :
– « en raison des arguments juridiques et politiques forts qui seraient invoqués à l’encontre [d’une telle initiative] au nom du retour le plus rapide possible au fonctionnement normal de nos institutions », selon la note du SGG précitée ;
– du fait du rôle central que détient le Gouvernement dans le processus législatif dans les institutions de la Ve République. Il est à noter que ces différentes prérogatives trouvent à s’appliquer aussi bien en séance publique qu’en commission, comme l’a souligné le Conseil constitutionnel, puisqu’elles « impliquent que le Gouvernement puisse participer aux travaux des commissions consacrés à l’examen des projets et propositions de loi ainsi que des amendements dont ceux-ci font l’objet » ([127]).
Ainsi qu’il a été évoqué dans la première partie du présent rapport ([128]), le Conseil constitutionnel n’a jamais eu l’occasion de se prononcer sur la conformité à la Constitution d’une loi adoptée en période d’affaires courantes. Bien que la Belgique ait déjà adopté, en période d’affaires courantes prolongée, des textes de loi, y compris d’initiative parlementaire ([129]), le rôle du Gouvernement dans la procédure législative y est bien moins central qu’en France et, en tout état de cause, la Cour constitutionnelle belge n’est pas compétente pour examiner la conformité à la Constitution de la procédure d’adoption d’une loi ([130]) .
Pour autant, vos rapporteurs estiment que l’expression de la souveraineté nationale ne saurait s’autolimiter par principe et être totalement empêchée par un gouvernement d’affaires courantes. Vos rapporteurs tiennent à cet égard à souligner le raisonnement, que le SGG limite, dans sa note précitée, aux textes financiers, selon lequel « si le Parlement adopte le texte financier, c’est qu’il reconnaît implicitement que le Gouvernement démissionnaire était compétent pour le déposer et qu’il serait alors très peu probable que le Conseil constitutionnel en censure les dispositions au motif que le texte aurait été déposé par un Gouvernement démissionnaire ».
Aussi, votre rapporteur M. Stéphane Mazars considère que l’adoption par le Parlement en période d’affaires courantes de textes, a fortiori d’initiative parlementaire, doit être possible, mais doit relever de l’exception : soit pour des textes au caractère urgent, soit, éventuellement, après une période prolongée d’affaires courantes sans perspective de retour immédiat à un fonctionnement normal des institutions ; ces circonstances particulières pourraient justifier l’examen de textes qui pourraient, par exemple, faire l’objet d’une large majorité au sein de l’Assemblée.
Votre rapporteure Léa Balage El Mariky estime quant à elle que rien ne doit entraver l’action législative du Parlement, s’agissant des textes d’initiative parlementaire, durant la période d’expédition des affaires courantes. Le Parlement n’a pas à s’autocensurer dans son action, en supposant par principe que toute activité législative serait considérée comme contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel, si celui-ci était saisi.
En tout état de cause, l’examen et l’adoption de projets ou de propositions de loi en période d’affaires courantes soulèvent des interrogations constitutionnelles auxquelles seule la pratique, en cas de saisine a priori du Conseil constitutionnel, permettra d’apporter des réponses.
Au-delà des réponses que la jurisprudence du Conseil constitutionnel pourrait ponctuellement et partiellement apporter en cas de saisine et au regard du risque d’allongement et de multiplication des périodes d’affaires courantes ([131]), vos rapporteurs se rejoignent sur la nécessité de faire évoluer la Constitution afin d’encadrer et de sécuriser la fonction législative du Parlement en période d’expédition des affaires courantes, en particulier lorsque cette période est amenée à se prolonger.
Recommandation n° 11 : Faire évoluer la Constitution afin d’encadrer et de sécuriser la fonction législative du Parlement, en particulier lorsque l’expédition des affaires courantes est amenée à se prolonger.
Niveau de norme : constitutionnel.
Lors de sa réunion du mercredi 11 décembre 2024, la commission des Lois a examiné ce rapport et en a autorisé la publication.
Ces débats ne font pas l’objet d’un compte rendu. Ils sont accessibles sur le portail vidéo du site de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :
Listes des onze recommandations de la mission
Vos rapporteurs formulent tout d’abord plusieurs recommandations de bonnes pratiques, qu’ils préconisent de mettre en œuvre à droit constant dès lors que le Gouvernement assure l’expédition des affaires courantes :
– de renforcer le contrôle parlementaire de l’activité du Gouvernement démissionnaire au sein des commissions permanentes, qui peuvent se doter, si nécessaire, des prérogatives attribuées aux commissions d’enquête (recommandation n° 2) ;
– de permettre le dépôt de questions écrites en période d’expédition d’affaires courantes (recommandation n° 5) ;
– de prévoir la tenue de séances de questions au Gouvernement lorsque celui-ci est démissionnaire et que l’Assemblée est en session, que celle-ci soit ordinaire, extraordinaire ou de droit (recommandation n° 6) ;
– de renforcer la légitimité des décisions politiques importantes qui doivent être prises par un gouvernement démissionnaire, notamment si elles sont urgentes ou susceptibles de le devenir, en permettant au Gouvernement démissionnaire de faire, en application de l’article 50-1 de la Constitution, une déclaration suivie d’un débat et, éventuellement, d’un vote (recommandation n° 9).
Vos rapporteurs préconisent, en outre, plusieurs pistes d’évolution institutionnelles visant à renforcer le contrôle parlementaire de l’activité d’un gouvernement démissionnaire et à renouveler les rapports entre Parlement et Gouvernement, dans un contexte d’expédition des affaires courantes dépassant plusieurs jours et qui impliquerait que le Parlement puisse orienter l’action du Gouvernement démissionnaire :
– sur le modèle de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, inscrire dans la loi une information du Parlement sur l’activité du Gouvernement démissionnaire en période d’affaires courantes, en permettant à l’Assemblée nationale et au Sénat de pouvoir requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle de l’expédition des affaires courantes (recommandation n° 3) ;
– prévoir dans la loi, à l’issue de la période d’affaires courantes, la remise d’un rapport du Gouvernement au Parlement portant sur l’expédition des affaires courantes par le Gouvernement démissionnaire (recommandation n° 4) ;
– dans le respect de la séparation des pouvoirs, octroyer aux parlementaires, par la loi, un intérêt à agir en cette seule qualité contre un acte réglementaire pris par un gouvernement démissionnaire qui excéderait le champ des affaires courantes, en le limitant à certains parlementaires afin d’éviter qu’il ne devienne un outil de prolongation, sur le terrain juridique, de débats menés sur le plan politique (recommandation n° 7) ;
– hors session ordinaire, modifier la Constitution afin de prévoir la réunion du Parlement de plein droit lorsque la période d’expédition des affaires courantes dépasse quinze jours (recommandation n° 8) ;
– supprimer, à l’article 34-1 de la Constitution, l’irrecevabilité que peut opposer le Gouvernement à l’inscription à l’ordre du jour de propositions de résolution en période d’expédition des affaires courantes (recommandation n° 10) ;
– faire évoluer la Constitution afin d’encadrer et de sécuriser la fonction législative du Parlement, en particulier lorsque l’expédition des affaires courantes est amenée à se prolonger (recommandation n° 11).
Enfin, vos rapporteurs partagent le souhait que s’ouvre, dans le cadre d’une prochaine révision de la Constitution, un débat sur l’opportunité de modifier son article 12 afin de limiter les pouvoirs du Gouvernement à l’expédition des affaires courantes en cas de dissolution de l’Assemblée nationale et ce, jusqu’à la nomination d’un nouveau gouvernement à l’issue des élections législatives (recommandation n° 1).
Mme Claire Landais, secrétaire générale du Gouvernement
Mme Aurélie Bretonneau, directrice, adjointe à la secrétaire générale du Gouvernement
Tables rondes d’universitaires
M. Mathieu Carpentier, professeur de droit public à l’Université Toulouse Capitole
M. Thibaud Mulier, maître de conférences en droit public à l’Université Paris Nanterre
M. Julien Boudon, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay
Tables rondes d’universitaires
M. Denis Baranger, professeur de droit public à l’Université Panthéon-Assas
M. Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’Université Panthéon-Assas
Table ronde d’universitaires belges
M. Francis Delpérée, professeur émérite de droit constitutionnel à l’Université catholique de Louvain
M. Lucien Rigaux, chercheur en droit public à l’Université libre de Bruxelles
M. Thierry-Xavier Girardot, secrétaire général
M. Gabriel Attal, député, ancien Premier ministre
M. Emmanuel Moulin, inspecteur général des finances, ancien directeur de cabinet du Premier ministre
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ancienne ministre des sports et des jeux olympiques et paralympiques
M. Thomas Cailleau, ancien directeur de cabinet de la ministre des sports et des jeux olympiques et paralympiques
M. Marc Fesneau, député, ancien ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire
M. Sylvain Maestracci, ancien directeur de cabinet du ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire
M. Gérald Darmanin, député, ancien ministre de l’Intérieur et des Outre‑mer
M. Alexandre Brugère, préfet des Hauts-de-Seine, ancien directeur de cabinet du ministre de l’Intérieur et des Outre-mer
M. Thierry Le Goff, conseiller maître à la Cour des comptes, secrétaire général
M. Guillaume Odinet, directeur des affaires juridiques
M. Stéphane Séjourné, ancien ministre de l’Europe et des affaires étrangères
M. Luis Vassy, directeur de l’Institut d’études politiques de Paris, ancien directeur de cabinet du ministre de l’Europe et des affaires étrangères
M. Didier Martin, secrétaire général
Mme Cécile Geneste, directrice de cabinet du secrétaire général
Déplacement à Bruxelles – mardi 26 novembre 2024
— Mme Nicole Marquet, secrétaire générale
— M. John Stevens, secrétaire général adjoint
— Mme Pascale Vandernacht, présidente
— M. Éric Thibaut, auditeur général adjoint
Table ronde
— M. Xavier Lapeyre de Cabanes, ambassadeur de France en Belgique
— M. François Bellot, ancien ministre, ancien député
— M. Francis Delpérée, professeur émérite de droit constitutionnel à l’Université catholique de Louvain
— Mme Caroline Sägesser, chercheuse au Centre de recherche et d’information socio-politiques (CRISP)
— M. Ivan De Vadder, journaliste politique à l’Organisme de la radiodiffusion flamande (VRT)
— M. Bernard Demonty, chef du pôle « Pouvoirs » au journal Le soir
— Mme Arlin Bagdat, présidente du comité de direction
— M. Pierre Nihoul, président francophone
— M. Luc Lavrysen, président néerlandophone
Déplacement à La Haye – mercredi 27 novembre 2024
— M. Kees Van Der Staaij, conseiller d’État à la division consultative
— M. Éric Van Der Burg, député (VVD – Libéraux), ancien secrétaire d’État chargé de la migration
— Mme Glimina Chakor, députée (GL/PvDA – Parti travailliste-Gauche verte)
— M. Silvio Erkens, député (VVD – Libéraux)
([1]) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.
([2]) Marcel Waline, Notes de jurisprudence sur l’arrêt du Conseil d’État du 4 avril 1952, Syndicat régional des quotidiens d’Algérie, in Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, direction Gaston Jèze, 1952.
([3]) Denis Baranger, Le droit constitutionnel, 7e édition, 2017.
([4]) Armel Le Divellec, « Parlementarisme négatif et captation présidentielle. La démocratie française dans la "cage d’acier" du présidentialisme », in Cercle des constitutionnalistes, Les soixante ans de la Constitution. 1958-2018, 2018.
([5]) Ibid.
([6]) Décret du 16 juillet 2024 relatif à la cessation des fonctions du Gouvernement.
([7]) Décret du 21 septembre 2024 relatif à la composition du Gouvernement.
([8]) Voir 1 du B du I de la première partie du présent rapport.
([9]) 62 décrets réglementaires, 4 décrets de délégation de signature, 236 décrets individuels, 38 décrets publiés dans la rubrique « naturalisations et réintégrations ».
([10]) 774 décrets ont été pris durant la même période en 2023.
([11]) L’article 12 alinéa 3 de la Constitution dispose que « L’Assemblée nationale se réunit de plein droit le deuxième jeudi qui suit son élection. Si cette réunion a lieu en dehors de la période prévue pour la session ordinaire, une session est ouverte de droit pour une durée de quinze jours. »
([12]) Pour ne citer que quelques exemples : absence de séances de questions au Gouvernement, impossibilité de réunir l’Assemblée pour constituer une commission d’enquête ou encore impossibilité d’adopter des résolutions au titre de l’article 34-1 de la Constitution.
([13]) Ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
([14]) Ministre délégué, chargé des comptes publics.
([15]) Conseil d’État, Assemblée, 19 octobre 1962, Brocas.
([16]) Conseil d’État, 20 janvier 1988, Commune de Pomerol.
([17]) Même si, en l’espèce, la présentation de la démission était intervenue le même jour. Ce faisant, et comme le précise la note du Secrétariat général du Gouvernement du 2 juillet 2024, « les textes qui ont été signés par ou pour les membres du Gouvernement le jour de la signature de ce décret présidentiel sont réputés avoir été signés avant […]. Concrètement, il est donc possible, ce jour-là, de signer des textes ne relevant pas des affaires courantes, mais de la plénitude des pouvoirs du Gouvernement et qui pourront, en pratique, être publiés au dernier Journal officiel utile qui paraît le lendemain ».
([18]) Anne-Stéphanie Renson et Marc Verdussen, « Le contrôle juridictionnel des actes posés en affaires courantes », in Affaires courantes, actes du colloque organisé par le Centre d’études Jacques Georgin à la Chambre des représentants le 29 novembre 2019, novembre 2020.
([19]) Voir le 3 du A du II de la présente partie du rapport.
([20]) Article 42 de la Constitution du Royaume des Pays-Bas.
([21]) Décret du 28 novembre 1962 relatif à la cessation des fonctions du Gouvernement.
([22]) Dans son avis du 2 décembre 1955 n° 268.433, le Conseil d’État avait estimé que le décret de dissolution prenait effet le lendemain de sa publication au Journal officiel.
([23]) Conseil d’État, Assemblée, 19 octobre 1962, Brocas.
([24]) Uniquement à compter de la révision constitutionnelle du 7 décembre 1954, qui a modifié l’article 52 de la Constitution pour prévoir qu’en « cas de dissolution, le Cabinet reste en fonction. Toutefois, si la dissolution a été précédée de l’adoption d’une motion de censure, le président de la République nomme le président de l’Assemblée nationale président du conseil et ministre de l’intérieur ». Le texte initial de la Constitution de 1946 prévoyait quant à lui qu’en « cas de dissolution, le Cabinet, à l’exception du président du Conseil et du ministre de l’intérieur, reste en fonction pour expédier les affaires courantes ».
([25]) Décret du 6 décembre 1962 portant nomination des membres du Gouvernement.
([26]) Cf. supra.
([27]) Et, logiquement, lorsque les deux situations se combinent et qu’un gouvernement démissionnaire procède à la dissolution des chambres. Pour reprendre les mots du M. Francis Delpérée, professeur émérite de droit constitutionnel à l’Université catholique de Louvain auditionné par vos rapporteurs, « C’est ce que l’on appelle parfois de manière ironique la réaction de l’acide nitrique : "Tu me renverses, je te dissous" ».
([28]) Francis Delpérée, « Gouverner sans gouvernement ? » in Bulletin de la Classe des lettres et des sciences morales et politiques, tome 23, 2012.
([29]) Article 52 de la Constitution du 27 octobre 1946.
([30]) Article 5 de l’ordonnance n° 58-1099 du 17 novembre 1958 portant loi organique pour l’application de l’article 23 de la Constitution.
([31]) L’article 23 de la Constitution dispose que « les fonctions de membre du Gouvernement sont incompatibles avec l’exercice de tout mandat parlementaire » et ne renvoie à la loi organique que le soin de préciser les modalités de remplacement d’un député nommé ministre, et non celles de remplacement d’un ministre élu député.
L’article LO 153 du code électoral, qui applique aux députés les dispositions du premier alinéa de l’article 1er de l’ordonnance n° 58-1099 du 17 novembre 1958, portant loi organique pour l’application de l’article 23 de la Constitution, dispose que « l’incompatibilité établie par [l’article] 23 entre le mandat de député et les fonctions de membre du Gouvernement prend effet à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la nomination comme membre du Gouvernement. Pendant ce délai, le député membre du Gouvernement ne peut prendre part à aucun scrutin et ne peut percevoir aucune indemnité en tant que parlementaire. L’incompatibilité ne prend pas effet si le Gouvernement est démissionnaire avant l’expiration dudit délai. ». Conformément à l’article 23 de la Constitution, ces dispositions ne traitent donc de la question du remplacement du député nommé au Gouvernement et non de la question du ministre élu député. C’est pour cette raison que le Conseil d’État, dans sa décision du 18 octobre 2024 Adelibe/Adelico, a jugé que « la règle d’incompatibilité édictée par l’article 23 de la Constitution est, par elle-même, dépourvue d’effet sur l’exercice des fonctions de membre du Gouvernement ».
([32]) « Considérant […], que MM. Vaillant et Paul ont été nommés respectivement ministre de l’Intérieur et secrétaire d’État à l’Outre-mer par un décret signé par le Président de la République et contresigné par le Premier Ministre le 29 août 2000 ; que cette décision a pris effet immédiatement. »
([33]) Article 52 de la Constitution du 28 octobre 1946.
([34]) Conseil d’État, Assemblée, 4 avril 1952, Syndicat régional des Quotidiens d’Algérie, 86015, publié au recueil Lebon.
([35]) Voir le I de la présente partie du rapport.
([36]) Marcel Waline, Notes de jurisprudence sur l’arrêt du Conseil d’Etat du 4 avril 1952, Syndicat régional des quotidiens d’Algérie, in Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, direction Gaston Jèze, 1952.
([37]) Conseil constitutionnel, décision n° 79-105 DC du 25 juillet 1979, Loi modifiant les dispositions de la loi n° 74-696 du 7 août 1974 relatives à la continuité du service public de la radio et de la télévision en cas de cessation concertée du travail.
([38]) Conseil d’État, 7 août 1909, Winkell.
([39]) Christian Behrendt, Principes de droit constitutionnel belge, 3ème édition, 2024.
([40]) Conseil d’État, Assemblée, 4 mars 1955, Dame André.
([41]) Conseil d’État, 22 avril 1966, Fédération nationale des syndicats de police de France et d’outre-mer.
([42]) Conseil d’État, 24 mai 1957, Compagnie nouvelle Paris-Presse.
([43]) Conseil d’État, Assemblée, 19 octobre 1962, Brocas.
([44]) Conseil d’État belge, 14 juillet 1975, C. G. E. R.
([45]) Fabrice Melleray, « L’expédition des affaires courantes par le gouvernement » in Actualité juridique. Droit administratif (AJDA), 9 septembre 2024.
([46]) Conseil d’État, 1959, Vignal.
([47]) Conseil d’État, 1983, Salviat.
([48]) Loi du 13 juillet 1911 portant fixation du budget général des dépenses et des recettes de l’exercice 1911.
([49]) Ordonnance n° 2021-1574 du 24 novembre 2021 portant partie législative du code général de la fonction publique.
([50]) Conseil d’État, 5 juillet 1919, Fighiera.
([51]) Conseil d’État, 1958, Syndicat national des personnels du ministère des anciens combattants et des victimes de guerre.
([52]) Conseil d’État, 1966, Fédération nationale des syndicats de police.
([53]) Fernand Bouyssou, « L’introuvable notion d’affaires courantes : l’activité des gouvernements démissionnaires sous la Quatrième République » in Revue française de science politique, 1970.
([54]) Sans qu’elle ne soit évoquée par la note du SGG, l’autorisation de prorogation de l’état de siège au-delà de douze jours pourrait être sans doute autorisée par le Parlement en période d’affaires courantes, au titre des affaires urgentes.
([55]) Le Conseil constitutionnel n’a en effet jamais eu l’occasion de se prononcer sur la conformité à la Constitution d’une loi adoptée en période d’affaires courantes. L’exemple belge n’est que peu éclairant en la matière, puisque la Cour constitutionnelle s’est plusieurs fois déclarée incompétente – sauf dans certains cas prévus par la Constitution – pour contrôler la constitutionnalité du processus d’élaboration des lois (voir Cour constitutionnelle belge, 15 janvier 2009, arrêt n° 6/2009).
([56]) « Il est de pratique constante que les ministres des gouvernements démissionnaires ne se déplacent pas à l’étranger et ne participent pas à des négociations internationales, […] cette pratique est identique sous la Cinquième République, les ministres démissionnaires cessent de participer au conseil des ministres de la Communauté économique européenne », Fernand Bouyssou, précité.
([57]) Conseil d’État, Assemblée, 4 avril 1952, Syndicat régional des Quotidiens d’Algérie, précité.
([58]) Conseil d’État, 19 novembre 1958, Syndicat national des personnels du ministère des Anciens combattants et victimes de guerre.
([59]) Conseil d’État, 2020, GISTI.
([60]) Sur la proposition du Premier ministre et avec son contreseing s’agissant de la nomination des membres du Gouvernement.
([61]) Le professeur Mathieu Carpentier estime qu’une « obligation qui n’est assortie d’aucun délai n’est pas une véritable obligation : on ne saurait admettre qu’un président de la République, ayant accepté la démission du gouvernement, tarde indéfiniment à nommer un nouveau Premier ministre, car autrement rien n’empêcherait au Président de n’en nommer aucun pendant 5 ans, en remettant chaque jour la nomination au lendemain… C’est pourquoi une obligation sans délai doit s’interpréter comme posant une exigence de délai raisonnable. C’est ainsi le raisonnement tenu par le Conseil d’État en matière d’actes réglementaires d’application des lois, pour lesquels il retient, dans le silence de la Constitution, une telle exigence de délai raisonnable », par exemple dans ses décisions du 13 juillet 1962, Sieur Kevers Pascalis, ou du 28 juillet 2000, Association France Nature Environnement.
([62]) Le SGG a retenu un délai de neuf et non de cinquante-quatre jours car, comme évoqué au 1 du B du I de la première partie du présent rapport, le Gouvernement Pompidou n’a, de fait, « pas limité son action à l’expédition des affaires courantes. C’est pourquoi, tout en s’inscrivant pleinement dans le cadre posé par l’arrêt Brocas, le SGG affirme dans sa note que les périodes d’expédition ont été courtes sous la Ve République, car il n’y a pas eu, en pratique, même en 1962, de véritable expédition des affaires courantes sur une période longue que l’on aurait pu mobiliser comme modèle à suivre » en prévision du résultat des élections législatives 2024.
([63]) L’article 99 de la Constitution espagnole prévoit que « si le Congrès des députés, par le vote de la majorité absolue de ses membres, accorde sa confiance au candidat, le roi le nomme président. Si cette majorité n’est pas atteinte, la même proposition est soumise à un nouveau vote quarante-huit heures après la précédente, et la confiance sera considérée comme accordée si elle obtient la majorité simple ».
([64]) Hubert Peres, « Les élections législatives espagnoles du 20 décembre 2015 et du 26 juin 2016 » in Pôle Sud, n° 45, 2016.
([65]) Comme évoqué au c du 1 du B du II de la première partie du présent rapport, le vote de ces textes subordonne respectivement la discussion du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
([66]) Ordonnance n°2024-562 du 19 juin 2024 modifiant et codifiant le droit de la publicité foncière.
([67]) Or le premier conseil des ministres du Gouvernement Barnier s’est réuni le 23 septembre 2024.
([68]) À l’exception, développée au 2 du présent B du rapport, du décret n° 2024-847 du 19 juillet 2024 relatif au traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Données opérationnelles de cyberdéfense », motivé par l’urgence, selon le Secrétariat général du Gouvernement, de doter l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information « de ces nouvelles capacités avant les jeux olympiques et paralympiques d’été 2024 à Paris […] afin de contribuer efficacement à leur sécurisation ».
([69]) Il s’agit :
– du décret n° 2024-872 du 14 août 2024 relatif à l’exercice en société de la profession d’avocat ;
– du décret n° 2024-873 du 14 août 2024 relatif à l’exercice en société de la profession de notaire ;
– du décret n° 2024-874 du 14 août 2024 relatif à l’exercice en société de la profession de commissaire de justice ;
– du décret n° 2024-875 du 14 août 2024 relatif à l’exercice en société de la profession de greffier de tribunal de commerce ;
– du décret n° 2024-876 du 14 août 2024 relatif à l’exercice en société de la profession d’avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation.
([70]) Arrêté du 24 juillet 2024 relatif à l’approbation du cahier des charges du dispositif « Soutien aux PME et startups pour renforcer leurs compétences dans le domaine de la cybersécurité ».
([71]) Décret n° 2024-851 du 25 juillet 2024 relatif aux modalités d’application de la dispense à la condition d’activité exclusive des services à la personne pour les entrepreneurs individuels soumis au régime de la micro-entreprise et les entreprises de moins de 11 salariés prévus à l’article L. 7232-1-2 du code du travail.
([72]) Même si ces informations ne figurent pas au compte rendu du conseil des ministres, il n’y a pas eu de conseil des ministres durant la période d’expédition des affaires courantes de l’été 2024.
([73]) Et non le garde des sceaux ministre de la justice, du fait du déport de M. Éric Dupond-Moretti en application du décret n° 2024-19 du 11 janvier 2024 pris en application de l’article 2-1 du décret n° 59-178 du 22 janvier 1959 relatif aux attributions des ministres.
([74]) Arrêté du 5 septembre 2024 portant agrément de l’association ANTICOR en vue de l’exercice des droits de la partie civile.
([75]) M. Michel Barnier a par exemple signé le même jour, le 5 septembre 2024, un arrêté relatif à la composition de son cabinet. Il lui
([76]) « Gérald Darmanin déclasse un poste préfectoral dans le Nord pour y nommer son chef de cabinet », Le Monde, 5 septembre 2024
([77]) Décret du 31 août 2024 portant nomination du directeur de cabinet du préfet de la région Hauts-de-France, préfet de la zone de défense et de sécurité Nord, préfet du Nord – M. Méric (Clément).
([78]) Arrêté du 29 août 2024 modifiant l’arrêté du 21 décembre 2022 portant classement des emplois de sous-préfet relevant des groupes I, II, III, IV et V
([79]) Appel à candidatures sur l’emploi fonctionnel de sous-préfet au titre de l’article 10 du décret n° 2022-491 du 6 avril 2022 relatif aux emplois de préfet et de sous-préfet.
([80]) En application de l’article R. 222-19-2 du code de l’éducation, dont le second alinéa dispose qu’en « cas de vacance momentanée de l’emploi de recteur d’académie, le secrétaire général d’académie assure l’intérim ».
([81]) Décret n° 2024-903 du 8 octobre 2024 portant publication de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Mozambique sur l’exemption réciproque de visas de court séjour pour les titulaires d’un passeport diplomatique, signé à Maputo le 13 décembre 2023, publié au Journal officiel du 10 octobre 2024.
([82]) Arrêté du 23 septembre 2024 autorisant par dérogation la mise à disposition sur le marché et l’utilisation du produit biocide « TERMIDOR SC » en France, pour une période de 180 jours, publié au Journal officiel du 25 septembre 2024.
([83]) Le Conseil d’État a pu être saisi de tels textes avant que le Gouvernement soit démissionnaire ; à l’inverse, il a pu être saisi, pendant que le Gouvernement était encore démissionnaire, de textes édictés ultérieurement par le Gouvernement de plein exercice.
([84]) Voir le 2 du C du II de la première partie du présent rapport.
([85]) Décret n° 2024-847 du 19 juillet 2024 relatif au traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Données opérationnelles de cyberdéfense ».
([86]) Conseil d’État, 18 octobre 2024, ADELIBE/ADELICO.
([87]) Voir le 3 du A du II de la première partie du présent rapport.
([88]) Tribunal administratif d’Amiens, 9 septembre 2024, requêtes n° 2403435 et n° 2403458.
([89]) Ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
([90]) Ministre délégué, chargé des comptes publics.
([91]) Convocation de la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République du 18 septembre 2024. Il est à noter que l’audition figurait déjà à l’ordre du jour de la convocation du 11 septembre 2024.
([92]) En application de l’article 53 de la Constitution.
([93]) 1 du B du II de la présente partie du rapport.
([94]) Enoch Alberti, Hubert Alcaraz, Pierre Cambot, Itziar Gómez Fernández, Olivier Lecucq, « Espagne » in Annuaire international de justice constitutionnelle, n° 34-2018, 2019.
([95]) Voir le 1 du C du I de la présente partie du rapport.
([96]) Article 4 de la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions.
([97]) Loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence.
([98]) Jusqu’au 31 juillet 2022, l’article L. 3131-13 du code de la santé publique disposait que « l’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement au titre de l’état d’urgence sanitaire. L’Assemblée nationale et le Sénat peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures. »
([99]) Décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 portant application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955.
([100]) Article 135, alinéa 6, du Règlement de l’Assemblée nationale.
([101]) Fernand Bouyssou, « L’introuvable notion d’affaires courantes : l’activité des gouvernements démissionnaires sous la Quatrième République » in Revue française de science politique, 1970.
([102]) Ibid.
([103]) Voir le c du 1 du B du II de la première partie du présent rapport.
([104]) « Une séance par semaine au moins, y compris pendant les sessions extraordinaires prévues à l’article 29 est réservée par priorité aux questions des membres du Parlement et aux réponses du Gouvernement. »
([105]) Conseil constitutionnel, décision n° 2012-654 DC du 9 août 2012, Loi de finances rectificative pour 2012.
([106]) Rapport, enregistré à la Présidence du Sénat le 6 octobre 2021, fait au nom de commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale sur la proposition de loi tendant à reconnaitre aux membres de l’Assemblée nationale et du Sénat un intérêt à agir en matière de recours pour excès de pouvoir, par Mme Maryse Carrère, sénatrice.
([107]) Conseil d’État, Assemblée, 19 octobre 1962, Brocas.
([108]) Conseil d’État, Assemblée, 9 novembre 1988, Fourcade et a.
([109]) Conseil d’État, 14 mars 2003, Migaud.
([110]) Fabrice Melleray, « L’expédition des affaires courantes par le gouvernement » in Actualité juridique. Droit administratif (AJDA), 9 septembre 2024.
([111]) L’Assemblée nationale a ainsi attendu le 9 octobre 2024 pour recréer, à l’unanimité, deux commissions d’enquête portant, pour la première, sur les violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité, et, pour la seconde, sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance.
([112]) À la demande du Premier ministre ou de la majorité des membres composant l’Assemblée nationale.
([113]) Voir le 1 du A du présent II du rapport.
([114]) Proposition de résolution concernant la situation en Libye (1308/1-2), adoptée par la Chambre des représentants de Belgique le 21 mars 2011.
([115]) Charles-Etienne Lagasse, introduction du colloque organisé par le Centre d’études Jacques Georgin à la Chambre des représentants le 29 novembre 2019.
([116]) Proposition de résolution sur la situation en Irak et la participation de la Belgique à la coalition internationale contre l’EI (305/1-3), adoptée par la Chambre des représentants de Belgique le 26 septembre 2014.
([117]) Lucien Rigaux, « Le contrôle parlementaire des actes posés en affaires courantes », in Affaires courantes, actes du colloque organisé par le Centre d’études Jacques Georgin à la Chambre des représentants le 29 novembre 2019, novembre 2020.
([118]) Ibid.
([119]) Loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.
([120]) Conseil constitution, décision n° 2009-579 DC du 9 avril 2009, Loi organique relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.
([121]) Comme le prévoit l’article 136, alinéa 7, du Règlement de l’Assemblée nationale.
([122]) À l’exception de celles tendant à modifier le Règlement de l’Assemblée nationale.
([123]) À l’initiative du Gouvernement, ce débat, initialement inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée du 10 décembre par la Conférence des Présidents du 19 novembre, a été avancé au 26 novembre lors de la Conférence des Présidents du même jour.
([124]) Voir le c du 1 du B du II de la première partie du présent rapport.
([125]) Pour rappel, il s’agit, selon le SGG, des mesures financières urgentes, de la nécessité de prolonger l’état d’urgence, d’éviter la caducité d’une ordonnance, de réparer une inconstitutionnalité dans le délai imparti par le Conseil constitutionnel, de transposer une directive avant l’échéance du délai de transposition ou du respect d’échéances conditionnant le dépôt de lois urgentes.
([126]) Loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances.
([127]) Conseil constitutionnel, décision n° 2009-579 DC du 9 avril 2009, Loi organique relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.
([128]) Voir le c du 1 du B du II de la première partie du présent rapport.
([129]) Par exemple, la proposition de loi portant création d’un Fonds blouses blanches a été adoptée par la Chambre des représentants au cours de la séance plénière du 26 novembre 2019, en période d’expédition des affaires courantes.
([130]) Sauf dans certains cas limitativement énumérés par la Constitution.
([131]) Vos rapporteurs estiment ce risque probable en l’absence de majorité absolue impliquant de fait la recherche de coalitions, même s’ils ne le souhaitent pas.