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N° 714

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIèME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 décembre 2024.

 

 

RAPPORT  D’INFORMATION

 

 

DÉPOSÉ

 

 

en application de l’article 145 du Règlement

 

 

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

 

 

en conclusion des travaux de la mission d’information sur
la prise en charge des urgences psychiatriques,

ET PRÉSENTÉ PAR


Mmes Nicole DUBRÉ-CHIRAT et Sandrine ROUSSEAU

Députées.

——

 

 

 

 

 

 


SOMMAIRE

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Avant-propos

Synthèse

Partie I : Si la notion d’urgence ne fait pas consensus en psychiatrie, l’urgence devient le point d’entrée dans le parcours de soins

I. En psychiatrie, la notion d’urgence, vaste et discutée, admet des modalités de prise en charge très variées

A. La prise en charge psychiatrique en urgence s’inscrit dans un cadre juridique imprécis

1. L’urgence en psychiatrie recouvre un champ très vaste

2. Les urgences psychiatriques n’ont pas de service dédié

B. La prise en charge de l’urgence s’inScrit dans le cadre global de l’organisation des soins psychiatriques

1. La prise en charge psychiatrique, en urgence ou non, repose historiquement sur une organisation par secteurs

2. La prise en charge psychiatrique est complétée par une offre de soins « non sectorisée »

3. La psychiatrie et la santé mentale : entre concurrence et complémentarité

C. Il n’existe pas de parcours type d’un patient pris en charge en urgence psychiatrique

II. La dégradation des indicateurs de santé mentale depuis 2020 se traduit dans les passages aux urgences

A. Une dégradation de la santé mentale de la population est observée depuis 2020

1. La santé mentale de la population se détériore depuis 2020

2. L’évolution de la consommation de psychotropes chez les adolescents et les jeunes adultes est préoccupante

3. La souffrance psychique se traduit dans une hausse de l’activité d’urgence depuis fin 2020, principalement dans le secteur public

B. La croissance de l’activité d’urgence psychiatrique est notamment induite par le fort niveau de recours des jeunes gens et, en particulier, des jeunes femmes

1. La détresse psychique des jeunes se traduit dans l’augmentation du recours aux urgences

2. Les urgences liées à un geste auto-infligé chez les femmes de 10 à 19 ans ont augmenté de 133 % depuis 2020 et de 570 % depuis 2007

C. Une croissance marquée des passages aux urgences et des hospitalisations pour sevrage, en particulier pour les patients Âgés de 40 à 59 ans

III. Les services d’urgences deviennent par dÉfaut le point d’entrÉe dans les soins psychiatriques et sont rÉguliÈrement saturÉs

A. L’effondrement des capacités d’hospitalisation publiques en psychiatrie n’est pas compensé par l’essor du secteur privé lucratif

1. Le « virage ambulatoire », qui a réduit les capacités d’hospitalisation à temps complet de près de 7 000 places en quinze ans, affecte principalement le secteur public

a. La politique de diminution du nombre de places d’hospitalisation à temps complet touche également la psychiatrie

b. La réduction du capacitaire d’hospitalisation à temps complet résulte de la fermeture de près de 9 000 places de psychiatrie dans les hôpitaux publics depuis 2008

2. Le secteur privé lucratif gère désormais plus du quart des séjours et du capacitaire en lits d’hospitalisation complète, dégageant une forte rentabilité

a. Le capacitaire du secteur privé lucratif a augmenté de plus de 30 % entre 2008 et 2022

b. La dynamique d’activité d’hospitalisation complète en psychiatrie reflète l’évolution du capacitaire

c. La psychiatrie est devenue la discipline la plus rentable du secteur privé lucratif

3. L’essor du secteur privé lucratif ne compense pas la réduction de l’offre de service public

B. En amont, l’offre de soins psychiatriques est insuffisante et trop complexe, ce qui incite les patients à se tourner vers les urgences

1. L’organisation complexe des soins psychiatriques en amont engendre un renoncement aux soins et un report vers les urgences

2. Des délais excessifs d’accès aux soins de ville en amont

3. En conséquence, les urgences deviennent le point d’entrée dans les soins psychiatriques

C. EN aval, le manque de lits retarde les transferts de patients, ce qui embolise les urgences

1. Favorisées par la pénurie de personnels, les fermetures de lits retardent le transfert de patients nécessitant une hospitalisation et renforcent la pression qui pèse sur les urgences

2. Des lits d’hospitalisation complète en psychiatrie sont occupés par des patients nécessitant une prise en charge médico-sociale

IV. La prison, marquée par la surreprésentation des troubles psychiatriques, est un autre point d’entrée dans les soins

A. La prévalence des troubles psychiatriques chez les détenus est significativement supérieure au reste de la population et s’aggrave en détention

B. Les soins psychiatriques en milieu pénitentiaire sont régis par des services spécifiques

C. La psychiatrie est mal appréhendée par la justice, ce qui accroît la proportion de malades en détention

D. Les lieux de privation de liberté deviennent un point d’entrée dans les soins psychiatriques

Partie II : Les dysfonctionnements constatés dans la prise en charge en urgence traduisent une crise profonde de la psychiatrie

I. La prise en charge en urgence est insatisfaisante, y compris dans des établissements à la qualité de soins reconnue

A. Les prises en charge sont davantage liées aux moyens disponibles qu’à des standards de qualité

1. L’organisation de la prise en charge dépend principalement des moyens disponibles

2. La démarche qualité est insuffisamment adaptée et peu mise en œuvre en psychiatrie

B. La prise en charge aux urgences est associée à une expérience de la violence pour patients et professionnels

1. La psychiatrie et les urgences sont historiquement des secteurs plus exposés aux violences

2. Les violences ont d’importantes répercussions sur les conditions de travail des soignants et de traitement des patients

C. Les contraintes de l’ensemble du secteur convergent vers les urgences, induisant contournements et pratiques abusives

1. La saturation des urgences favorise des pratiques délétères pour les patients comme les professionnels

2. Les contraintes d’accès aux lits d’hospitalisation en psychiatrie induisent des stratégies de contournement délétères

3. La permanence des soins psychiatriques, qui ne fait l’objet d’aucune obligation, est particulièrement fragile

II. Le recours croissant aux urgences nuit à la qualité du parcours de soins en psychiatrie

A. Le passage par les urgences marque un retard de prise en charge et ne garantit pas l’accès aux soins

1. L’augmentation de l’activité psychiatrique aux urgences révèle l’ampleur des ruptures de parcours et des retards de prise en charge

2. La venue aux urgences ne garantit pas l’entrée dans un parcours de soins psychiques

B. En dépit d’un cadre strict, les soins psychiatriques sans consentement ainsi que l’isolement et la contention sont en hausse tendanCielle depuis 2012

1. Les soins sans consentement en psychiatrie obéissent à un cadre juridique strict et renforcé

2. Le recours aux soins sans consentement et aux pratiques d’isolement et de contention est pourtant en hausse depuis 2012

III. La crise actuelle invite À reconsidÉrer l’Évolution des moyens financiers et humains dÉvolus À la psychiatrie

A. Les effets de la rÉforme du financement de la psychiatrie comme de la hausse des dÉpenses sont À relativiser

1. Le mode de financement historique de la psychiatrie, qui entretenait des inégalités de prise en charge, a fait l’objet d’une réforme pleinement effective en 2026

2. La hausse des dépenses d’assurance maladie liées à la prise en charge des maladies psychiatriques est toutefois à relativiser

B. Un lien manifeste entre les difficultÉs d’accÈs aux soins et l’Évolution en trompe-l’œil de la dÉmographie mÉdicale

1. La croissance en trompe-l’œil du nombre de psychiatres en activité entre 2010 et 2023

2. Les psychiatres libéraux, de moins en moins nombreux, voient davantage de patients en consultation

3. Des inégalités de répartition persistantes expliquent les difficultés d’accès aux soins dans certains territoires

IV. Conjuguant les difficultÉs de la psychiatrie et du secteur de l’enfance, la pÉdopsychiatrie est sinistrÉe

A. Une offre de soins trÈs insuffisante, affectÉe par des inÉgalitÉs entre les territoires

1. Le capacitaire de lits et places d’accueil en psychiatrie infanto-juvénile est insuffisant et creuse les inégalités territoriales d’accès à la santé

2. Des effectifs de pédopsychiatre en forte diminution

B. Un parcours de soins et une gouvernance inadaptÉs

C. Affaibli par des structures dÉfaillantes et par une demande extrÊmement dynamique, l’accÈs aux soins pÉdopsychiatriques est en pÉril

1. Les besoins de prise en charge en psychiatrie infanto-juvénile, comprenant des populations très vulnérables, sont criants

2. Un secteur dans une situation de crise majeure aux implications durables

Partie III :  Face À cette situation alarmante, pour mieux prÉvenir et prendre en charge les urgences, une action publique ambitieuse est impÉrative

I. Un nécessaire nouveau souffle des politiques publiques en matière de santÉ mentale et de psychiatrie

A. Depuis 2018, l’action publique nationale suit la feuille de route de la santÉ mentale et de la psychiatrie

1. Une feuille de route évolutive donne le cap d’une transformation du champ de la santé mentale et de la psychiatrie depuis 2018

2. L’ambition que transcrit la feuille de route est complétée par des mesures ciblées

B. Pour une nouvelle impulsion en faveur de la psychiatrie À l’occasion de la grande cause nationale annoncÉe par le Premier ministre

1. Si les mesures engagées produisent des résultats encourageants, un nouveau cycle plus ambitieux encore doit s’ouvrir

2. Alors que la santé mentale a été définie grande cause nationale par le Premier ministre, la psychiatrie publique doit en constituer une dimension essentielle

II. Une offre de soins À restructurer et À soutenir pour mieux prÉvenir et prendre en charge les urgences psychiatriques

A. Renforcer l’offre de soins de proximitÉ pour prÉvenir l’urgence psychiatrique

1. Améliorer la réponse de premier niveau à la souffrance psychique

a. Mieux outiller les médecins généralistes qui assurent dans les faits la réponse de premier niveau à la souffrance psychique

b. Renforcer les moyens humains et financiers des CMP de secteur, dont la mission première est d’assurer les soins psychiatriques ambulatoires et de coordonner les parcours de soins

c. Une place pour la prise en charge de l’addiction

2. Simplifier l’accès aux soins de secteur par une meilleure organisation territoriale

3. Se donner les moyens d’accompagner durablement les personnes les plus vulnérables

B. Structurer un vÉritable parcours de prise en charge psychiatrique d’urgence limitant les passages aux urgences

1. Réduire les venues non pertinentes aux urgences en renforçant l’offre de consultations en soins non programmés

2. Formaliser au niveau national un parcours de prise en charge de l’urgence psychiatrique lisible, gradué et commun à tous les territoires, qui s’appuie sur les structures existantes

3. L’amélioration des conditions d’accueil aux urgences requiert une plus grande disponibilité de lits d’hospitalisation en aval

a. Améliorer les conditions de prise en charge par les services d’urgences

b. Garantir un quota de lits de service public et un suivi en aval des urgences

C. L’amÉlioration de l’offre de soins nÉcessite une contribution plus Équitable du secteur privÉ

1. La nécessité d’un partage plus équitable entre établissements

2. Les dispositions de la récente loi « Valletoux » et la réforme des autorisations en psychiatrie peuvent permettre un rééquilibrage à court terme

D. Un sursaut attendu pour la pÉdopsychiatrie et la santÉ mentale des jeunes

1. Mettre en œuvre les mesures issues des Assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant de 2024

2. Développer une politique de prévention et de repérage précoce associant l’institution scolaire

3. Garantir une offre de soins pédopsychiatriques sur tout le territoire

4. Déployer des mesures ciblées sur les enfants protégés

5. Faire de la santé mentale périnatale un axe fort des politiques de santé publique

E. La formation et l’attractivitÉ de la filiÈre sont dÉterminantes pour l’avenir de la psychiatrie

1. Un effort de formation à amplifier pour le renouveau démographique de la filière

2. Renforcer l’attractivité des métiers en combattant la stigmatisation de la filière et en améliorant les conditions de travail

Liste des propositions

Travaux de la commission

ANNEXE N° 1 : LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURES

Annexe  2 : dÉplacements effectuÉs par la mission

ANNEXE N°3 : MESURES DE LA FEUILLE DE ROUTE SANTÉ MENTALE ET PSYCHIATRIE

 


   Avant-propos

La mission d’information sur la prise en charge des urgences psychiatriques achève ses travaux alors que la santé mentale vient d’être déclarée « grande cause nationale » pour 2025. Ces travaux ont été engagés il y a près d’un an, à la suite d’alertes reçues de la part des acteurs de la psychiatrie. Perturbés par la dissolution de l’Assemblée nationale, ils ont heureusement pu être relancés par la commission des affaires sociales dès sa première réunion sous la nouvelle législature.

Bien que les rapporteures se soient très vite heurtées à un enjeu de définition, l’articulation entre la santé mentale et la psychiatrie se présentant comme un continuum relativement flou, la problématique des urgences psychiatriques est apparue comme un point d’entrée permettant d’appréhender le secteur dans sa globalité, sur le temps de l’urgence mais également en amont et en aval de celle-ci.

Si l’organisation des soins psychiatriques a fait l’objet d’un nombre significatif de rapports au cours des deux dernières décennies, la prise en charge de l’urgence psychiatrique n’avait jamais été véritablement traitée. Plus surprenante encore est l’exclusion systématique de la psychiatrie dans les rapports traitant des services d’urgences, qui semble faire l’objet d’une convention implicite, empêchant ainsi d’observer la part croissante de la psychiatrie au sein de l’activité d’urgence. Cette mission d’information a donc été largement exploratoire dans le recueil des informations relatives à l’activité d’urgence psychiatrique et à son évolution au cours des récentes années, marquées fortement par la pandémie de covid-19.

Dans ce contexte les rapporteures ont eu à cœur de conduire une grande diversité d’auditions et de déplacements sur le terrain, de façon à recueillir les préoccupations, les attentes et les besoins du secteur. La mission a ainsi rencontré plusieurs centaines de professionnels de santé, de patients, d’aidants, ou encore de responsables institutionnels, associatifs ou syndicaux au cours des trente‑six auditions et dix déplacements organisés en France entre le mois de janvier et le mois de septembre 2024.

Une évidence s’est très vite imposée : alors que les problématiques liées à la santé mentale et à la psychiatrie sont plus pressantes que jamais et constituent un enjeu majeur de santé publique, la psychiatrie connait en France une crise profonde. La prise en charge des urgences psychiatriques illustre les défaillances et les dysfonctionnements systémiques de l’organisation des soins psychiatriques en France.

La maladie mentale et les troubles psychiques touchent un cinquième de la population, soit près de 13 millions de Français. En 2021, 13,3 % des 18‑75 ans présentaient un épisode dépressif au cours des douze derniers mois ([1]). Bien plus, la santé mentale de la population se détériore et se développent des troubles nouveaux liés par exemple à l’usage des réseaux sociaux ou à la crise climatique. La détresse psychique des jeunes – particulièrement des jeunes filles – atteint à présent des proportions dramatiques. Une telle prévalence n’est pas sans conséquences : les personnes atteintes de troubles sévères voient leur espérance de vie réduite de 10 à 20 ans ([2]), tandis que le suicide est la première cause de mortalité entre 15 et 35 ans ([3]). À cela s’ajoute une augmentation préoccupante de la consommation de médicaments psychotropes : un quart de la population consomme régulièrement des anxiolytiques, hypnotiques ou antidépresseurs, plaçant la France au premier rang mondial pour la prescription de ces traitements ([4]).

Aussi, le coût économique et social total lié à la santé mentale atteindrait près de 163 milliards d’euros, en augmentation de 50 % depuis 2012 ([5]). La santé mentale représente aujourd’hui le premier poste de dépenses pour l’assurance maladie, largement devant les cancers, soit 26,2 milliards d’euros ou 14 % des dépenses ([6]).

Pour autant, ces chiffres recouvrent une réalité de terrain souvent difficile, les services de soins psychiatriques étant soumis à de fortes tensions depuis de trop nombreuses années. Confrontée à une dégradation préoccupante de la santé mentale de la population, aggravée par la pandémie de covid-19, la psychiatrie doit répondre à des besoins croissants dans un cadre marqué par une pénurie de moyens et une désorganisation des parcours de soins. Les services des urgences hospitalières, qui constituent désormais le principal point d’entrée dans le système de soins, subissent une pression considérable, reflet des tensions qui affectent l’ensemble du secteur.

L’un des principaux apports de la mission d’information réside certainement dans la documentation et l’analyse de l’évolution de la santé mentale de la population, en particulier depuis la crise sanitaire, et sa traduction dans les venues aux urgences et en centre de crise. Les travaux de la mission d’information ont ainsi permis d’établir que l’activité de psychiatrie d’urgence est en forte croissance ; plus encore que celle des urgences générales pour d’autres motifs.

Ce constat est particulièrement vrai pour le secteur public, qui prend en charge 85 % des patients et notamment les cas les plus complexes, alors que l’offre de soins dans ses établissements est bien souvent fragilisée par le manque de moyens matériels et humains. Cette inadéquation entre l’offre de soins et la demande est exacerbée par une démographie médicale et paramédicale inégalement répartie, marquée parfois par des pénuries, tout particulièrement en pédopsychiatrie. En 2023 en moyenne dans les hôpitaux publics, 23 % des postes de psychiatres étaient vacants ([7]), cette tendance étant plus marquée encore s’agissant des postes de pédopsychiatres. Ces difficultés de recrutement persistantes de médecins psychiatres dans les hôpitaux publics ont pour conséquences inévitables à la fois des fermetures de lits, une dégradation des conditions de travail et fort logiquement des conditions d’accueil et de prise en charge des patients. Ces difficultés sont accentuées par la forte augmentation de la demande de soins : entre 2014 et 2022, le nombre de patients suivis dans les établissements publics a augmenté de 7 % ([8]). Le secteur public subit ainsi une triple peine : obligation d’assurer le service public, moindres rémunérations, conditions de travail dégradées. La mission d’information s’est attachée à identifier les leviers d’une coopération plus efficace entre secteur public et secteur privé, dont l’absence de participation à l’activité de permanence des soins apparaît aujourd’hui injustifiable.

En plus des constats précités, la mission a pu mettre en lumière des problématiques multiples, parmi lesquelles le manque de coordination entre les différents acteurs et une orientation dans un parcours de soins qui relève d’une véritable gageure pour de nombreux patients, tant l’organisation des soins est peu lisible et fragmentée. À ces difficultés s’ajoutent les inégalités d’accès aux soins mais aussi l’exposition des professionnels à une violence institutionnelle, contre les professionnels, les patients et parfois des derniers envers les premiers. La fréquence des situations de violence et le recours croissant à la contention sont des phénomènes amplifiés par le manque de moyens humains et matériels adaptés aux besoins de la prise en charge.

Le rapport souligne l’insuffisance des politiques publiques actuelles dans la réponse apportée aux besoins en soins psychiatriques de la population. Ces politiques sont aujourd’hui peu normatives, très méconnues du terrain, et nécessiteraient des moyens massivement renforcés si l’on prend pour exemple la feuille de route « santé mentale et psychiatrie », qui s’appuie sur des données trop lacunaires pour permettre un suivi réel.

Il montre aussi que les problématiques liées à la prise en charge des urgences psychiatriques ne peuvent se résumer à une logique de chiffres et sont profondément liées à des besoins fondamentaux, souvent évoqués par les acteurs entendus : la nécessité d’environnements de soin « contenants », c’est-à-dire propices à l’apaisement et à la sécurité, l’importance de la relation humaine et du temps long dans l’accompagnement des patients.

Malgré l’ampleur du travail accompli, il était toutefois impossible aux rapporteures d’être exhaustives tant le sujet est vaste et les problématiques nombreuses. Ainsi, les auteures formulent le souhait que certaines dimensions abordées dans le rapport puissent être explorées plus amplement par des travaux futurs qu’elles appellent de leurs vœux, s’agissant notamment des spécificités des territoires ultramarins, de la périnatalité, du handicap mental de la place des aidants, des troubles addictifs, de la recherche en psychiatrie ou encore de la prise en charge de populations vulnérables telles que les détenus, les personnes âgées ou les enfants protégés. De plus, cette mission n’avait pas vocation à trancher les débats historiques qui traversent la psychiatrie, tels que l’opposition entre la prise en charge ambulatoire et l’hospitalisation complète, la sectorisation ou le recours à la contention.

Néanmoins, il serait impensable, compte tenu de l’enjeu majeur de santé publique dont traite ce rapport, que celui-ci ne soit pas suivi d’un débat public profond permettant de définir collectivement une stratégie claire à long terme sur ces sujets, matérialisée par le déploiement d’une action publique profondément redynamisée.

Les acteurs rencontrés dans le cadre de la mission d’information ont fait part de leurs très fortes attentes s’agissant de la portée effective de ce rapport sur l’amélioration de leurs conditions de travail pour les professionnels de la psychiatrie ou de celle des prises en charge s’agissant des patients et de leur entourage. Nombreux sont ceux qui ont alerté les rapporteures sur leur crainte de voir leurs espoirs déçus par la diffusion d’un « rapport de plus » sur la psychiatrie, dépourvu de tout impact concret sur les difficultés dont ils sont si nombreux à avoir témoigné au cours de cette année de travail. Ce rapport souligne dès lors l’urgence d’une mobilisation collective de grande ampleur pour répondre à une crise de santé publique susceptible de toucher chaque année des millions de nos concitoyens et qui affecte de manière singulière les plus jeunes d’entre nous depuis la crise sanitaire. Il appelle à multiplier les efforts et formule des propositions précises et concrètes, presque intégralement partagées par les rapporteures. Ce faisant, la mission espère poser les jalons d’une politique ambitieuse, humaine et adaptée aux besoins psychiatriques et de santé mentale d’une société en pleine mutation.


   Synthèse

  1.   Si la notion d’urgence ne fait pas consensus en psychiatrie, l’urgence devient le point d’entrée dans le parcours de soins
    1.   Une notion floue et des pratiques hétérogènes

La notion d’urgence psychiatrique, recouvrant des situations variées allant de la crise émotionnelle aiguë à la décompensation de troubles psychiques graves, reste mal définie et sujette à débat, tout comme l’articulation entre santé mentale et psychiatrie. La prise en charge des urgences psychiatriques se fait non pas dans des services dédiés mais dans le cadre global de l’organisation des soins psychiatriques, reposant depuis 1960 sur un principe de sectorisation. Dans ce contexte, il n’existe pas de parcours type d’un patient, qui peut être pris en charge dans un centre médico-psychologique (CMP), un centre d’accueil de crise (CAC) ou encore – de plus en plus – dans les services d’accueil des urgences (SAU) des hôpitaux. Selon les établissements et les régions, un même patient peut être orienté vers des services très différents, sans garantie d’une continuité des soins.

  1.   La dégradation préoccupante des indicateurs de santé mentale depuis 2020 entraîne une croissance de l’activité d’urgence

Une détérioration rapide de la santé mentale de la population peut être observée en France ces dernières années, particulièrement chez les jeunes. Chez les 18‑24 ans, la prévalence des épisodes dépressifs est passée de 11,7 % à 20,8 % entre 2017 et 2021, soit une hausse de 77 % en quatre ans ([9]). Les jeunes femmes sont spécialement touchées : les hospitalisations liées à un geste auto-infligé (tentative de suicide ou auto-agression) chez les femmes âgées de 10 à 19 ans ont progressé de 133 % depuis 2020 et de 570 % depuis 2007 ([10]). Dans le même temps, la consommation de médicaments psychotropes chez les adolescents et les jeunes adultes a augmenté de façon inquiétante : en 2023, 936 000 jeunes de 12 à 25 ans ont bénéficié du remboursement d’au moins un psychotrope. Cela correspond à 144 000 patients de plus qu’en 2019, soit une augmentation de 18 % ([11]), touchant elle aussi particulièrement les jeunes femmes. Cette situation est d’autant plus problématique que les capacités d’accueil des mineurs en centre de crise comme au sein des services d’urgences ou en aval de ceux–ci sont extrêmement limitées, mal réparties sur le territoire et insuffisantes pour répondre à la forte augmentation des besoins.

La souffrance psychique se traduit dans une hausse de l’activité d’urgence depuis fin 2020 : 566 000 passages aux urgences pour motif psychiatrique ont été recensés en 2023, soit une hausse de 21 % par rapport à 2019, la progression du taux du recours étant particulièrement notable pour les adolescents et les jeunes adultes ([12]). Cette activité reste majoritairement assurée par le secteur public et le secteur privé à but non lucratif : ils assurent 88 % des prises en charge psychiatriques au sein des SAU (qui assurent 75 % de l’activité de psychiatrie d’urgence) et 80 % de l’activité au sein des CAC (25 % de l’activité).

La prégnance croissante des enjeux d’addiction s’illustre à la fois dans la prévalence des venues aux urgences pour motif psychiatrique associées à une consommation de stupéfiants, et dans l’augmentation des hospitalisations pour sevrage au sein des hôpitaux généraux. Cette dernière est plus rapide que l’augmentation totale des séjours pour motif psychiatrique et s’explique pour moitié par la forte dynamique d’hospitalisation des patients âgés de 40 à 59 ans.

  1.   Les services d’urgences deviennent par défaut le point d’entrée dans les soins psychiatriques et sont régulièrement saturés

Le « virage ambulatoire », qui a réduit les capacités d’hospitalisation à temps complet de près de 7 000 places (6 741) en psychiatrie en quinze ans, affecte principalement le secteur public, qui a vu fermer près de 8 800 places depuis 2008 ([13]). Ces fermetures se sont accélérées après la crise sanitaire, principalement en raison du manque de personnel. Reposant sur une forte rentabilité, la psychiatrie étant devenue sa discipline la plus rentable, le secteur privé lucratif connaît quant à lui un essor relatif et gère 26 % des lits d’hospitalisation complète en 2023, soit une hausse de 8 points depuis 2008. Au sein des cliniques privées, les établissements spécialisés en psychiatrie se distinguent par un niveau exceptionnel de résultat net rapporté aux recettes. En effet, il y est en moyenne trois fois supérieur à celui des cliniques spécialisées en médecine, chirurgie et obstétrique. Les travaux de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) montrent la psychiatrie, malgré un léger recul par rapport à 2021, comme la discipline la plus rentable du secteur privé lucratif ([14]). Ainsi, les cliniques psychiatriques ont dégagé en 2022 un résultat net rapporté aux recettes de 8,7 % (après 9,1 % en 2021). Ces écarts de rentabilité s’expliquent d’autant moins que ce sont les hôpitaux publics qui assurent à la fois l’activité de permanence des soins et la prise en charge des patients les plus sévères ainsi que les hospitalisations sous contrainte.

La part croissante de patients se tournant vers les urgences ou les CAC laisse penser que la baisse globale des capacités d’hospitalisation se répercute sur ces structures. Bien plus, le manque de solution d’aval ou médico-sociales pour les patients stabilisés retarde les transferts, aggravant la saturation des SAU et des CAC et limitant la capacité des services à offrir une prise en charge rapide et adaptée, tout en augmentant le risque de ruptures dans le parcours de soins. Cette pression est renforcée par une offre de soins psychiatriques insuffisante et trop complexe en amont, qui renforce la place des médecins généralistes, exclut des publics précaires et pose de forts enjeux d’accès aux soins, qu’ils soient géographiques, financiers ou encore liés à l’accessibilité des CMP – dont les délais de consultation se dégradent et sont généralement de plusieurs mois. Dès lors, la prise en charge est souvent tardive, dans un état de santé dégradé, tandis que les urgences deviennent alors un point d’entrée majeur dans le système de soins psychiatriques.

  1.   La prison, marquée par la surreprésentation des troubles psychiatriques, devient un autre point d’entrée dans les soins

La prévalence des troubles chez les personnes détenues est nettement supérieure à celle observée dans la population générale et atteint des proportions critiques. Ainsi, les deux tiers des hommes détenus en maison d’arrêt et les trois quarts des femmes sortant de détention présentent, à la sortie de prison, un trouble psychiatrique ou lié à une substance ([15]). Bien plus, la prévalence des troubles est plus importante à la sortie qu’à l’entrée en détention.

Si les soins psychiatriques en milieu pénitentiaire sont régis par des dispositifs spécifiques, comme les unités sanitaires en milieu pénitentiaire (USMP) ou les neuf unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) créées depuis 2010, ces dispositifs sont sous-dimensionnés. Tandis que la psychiatrie reste mal appréhendée par l’institution judiciaire, ce qui accroît la proportion de malades en détention, l’offre de soins psychiatriques en milieu pénitentiaire et la dégradation des conditions de traitement dans le secteur public concourent à l’augmentation de la prévalence comme à la surreprésentation des troubles psychiatriques en milieu carcéral, faisant aujourd’hui des lieux de privation de liberté un autre point d’entrée dans les soins psychiatriques.

  1.   Les dysfonctionnements constatés dans la prise en charge des urgences traduisent une crise profonde de la psychiatrie
    1.   Une prise en charge insatisfaisante et marquée par des conditions difficiles

La prise en charge des urgences psychiatriques est conditionnée par les moyens disponibles plus que par des standards de qualité clairement définis. Alors que tous les établissements ne disposent pas d’équipes pluridisciplinaires expérimentées et d’espaces adaptés, la prise en charge est marquée par de fortes inégalités territoriales, qui concernent également la place laissée aux proches ou encore le recours à certaines pratiques comme l’isolement et la contention. Ces inégalités sont d’autant plus fortes qu’en l’absence de norme établissant un standard de qualité des prises en charge, les procédures internes des établissements sont moins formalisées et plus hétérogènes que pour les soins somatiques. La mission d’information a ainsi mis en évidence un retard notable de la démarche qualité sécurité des soins en psychiatrie, dont témoigne le faible nombre d’indicateurs spécifiques dans le référentiel de certification ainsi qu’une corrélation entre de moindres résultats à la visite de certification et le fait qu’un établissement dispose d’une offre de soins psychiatriques.

Le passage par les services d’urgences, s’il peut permettre de répondre à une situation immédiate, est associé à une expérience des violences inhérentes au secteur psychiatrique et aux urgences, qui affectent les conditions de travail des soignants et de traitement pour les patients. Si les signalements pour faits de violence sont en hausse constante en psychiatrie comme aux urgences, la psychiatrie se singularise par la part notable des violences physiques, qui représentent 44 % des violences et sont commises le plus souvent à l’encontre des soignants ([16]).

En somme, les contraintes de l’ensemble du secteur convergent vers les services d’urgences qui, initialement conçus pour répondre à des pathologies somatiques, ne sont pas toujours équipés pour gérer les crises psychiques. Les services d’urgences ne sont par ailleurs ni conçus ni outillés pour prendre en charge les patients en attente d’une hospitalisation en psychiatrie qui attendent plusieurs jours voire plusieurs semaines qu’un lit d’hospitalisation puisse les accueillir en aval de l’urgence. Ainsi se banalise à tous les niveaux un fonctionnement en mode dégradé qui, en l’absence de permanence des soins mise en place en psychiatrie et d’une répartition équitable de la charge entre établissements, pèse largement sur le secteur public. En parallèle, les tensions dans l’ensemble du secteur entraînent des pratiques délétères et favorisent les dépassements de tâches et les stratégies de contournement, comme le refus d’admission ou le recours abusif à des hospitalisations sous contrainte. Ces conditions affectent l’attractivité de la psychiatrie et du secteur public tout comme la qualité du service et des soins rendus et sont propices à la survenue de drames, comme ce fut le cas au centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse en février 2024.

  1.   Le recours croissant aux urgences nuit à la qualité du parcours de soins en psychiatrie

Pour de nombreux patients en attente de diagnostic ou n’ayant pas accès à un parcours de soins adapté, la prise en charge par les urgences tend à se substituer à un suivi psychiatrique. Bien plus, elle ne garantit pas l’entrée dans un parcours de soins, puisque les patients stabilisés en urgence sont souvent réorientés vers des centres médico-psychologiques (CMP) ou d’autres services eux-mêmes saturés. Alors que le recours aux urgences pour motif psychiatrique a augmenté de 21 % entre 2020 et 2023, la part des nouveaux patients pris en charge par le système de soins psychiatriques (public et privé confondus) s’érode tendanciellement : celle-ci ayant baissé de 8 % entre 2019 et 2023 ([17]). La capacité du système de soins psychiatriques à répondre aux nouveaux besoins de soins de la population se dégrade, engendrant ainsi dans un système de soins saturé des phénomènes d’éviction, comme il est possible de le constater s’agissant des patients âgés de 40 à 59 ans.

La dégradation de la qualité des parcours se traduit par ailleurs dans la progression des soins sans consentement et des mesures restrictives et privatives de libertés. Alors que le législateur fait du consentement aux soins une condition indispensable à toute prise en charge thérapeutique ([18]) et a récemment précisé le cadre applicable à l’isolement et à la contention, ces pratiques sont en hausse tendancielle depuis 2012 et deviennent une variable d’ajustement d’organisations sous tension au détriment des droits fondamentaux des patients, comme des conditions de travail des professionnels.

  1.   La crise actuelle invite à reconsidérer l’évolution des moyens financiers et humains dévolus à la psychiatrie

Le mode de financement historique de la psychiatrie, marqué par des inégalités, a fait l’objet d’une réforme qui sera pleinement effective en 2026. Si celle-ci prévoit des dotations censées renforcer l’équité entre les différents territoires et établissements, elle suscite des appréhensions et ses effets devront être suivis avec attention. Quant à la croissance en apparence forte des dépenses remboursées de soins liés à des pathologies psychiatriques, elle est à relativiser et à mettre en lien avec celle du nombre de personnes atteintes d’une maladie psychiatrique : la dépense moyenne de soins remboursés par malade corrigée de l’inflation a ainsi baissé de 6,1 % entre 2016 et 2022.

Si la France dispose d’une densité de psychiatres parmi les plus élevées d’Europe, cette démographie ne permet pas de répondre aux besoins et a connu d’importantes transformations. Aussi, l’apparente hausse significative (+ 21 %) des effectifs de psychiatres entre 2010 et 2023 est une hausse en trompe-l’œil, essentiellement liée au recours croissant à des retraités actifs (+ 345 %), et dans une moindre mesure à celle des intermittents ainsi qu’à celle des médecins à diplôme étranger (15,8 % des psychiatres en activité régulière en 2023 contre 9 % en 2010) ([19]). S’ajoutent des disparités territoriales fortes et grandissantes, qui ne correspondent pas nécessairement à des écarts de densité de population. Le renouvellement générationnel apparaît aujourd’hui comme un enjeu crucial, compte tenu des nombreux départs en retraite de praticiens attendus jusqu’en 2030, et des aspirations des jeunes générations de psychiatres, qui se détournent du mode d’exercice libéral et aspirent à un meilleur équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie personnelle.

  1.   Conjuguant les difficultés de la psychiatrie et du secteur de l’enfance, la pédopsychiatrie s’effondre

La pédopsychiatrie, qui supporte à la fois les difficultés de la psychiatrie et celles qui sont propres au secteur de l’enfance, apparaît particulièrement sinistrée et caractérisée par une offre de soins cruellement insuffisante, singulièrement dans le contexte de l’explosion des troubles psychiques des jeunes. La démographie des pédopsychiatres, dont le nombre a chuté de 34 % entre 2010 et 2022 ([20]) et dont le renouvellement générationnel n’est pas assuré, est tout simplement alarmante. Les capacités de prise en charge apparaissent structurellement lacunaires et même en diminution : 58 % des lits d’hospitalisation ont été supprimés entre 1986 et 2013, tandis que certains départements demeurent dépourvus de capacité d’accueil à temps complet. Les CMP infanto-juvéniles sont saturés et la prévention demeure très défaillante, notamment dans le cadre scolaire, où la médecine est elle-même déficiente.

Dans ce contexte, la prise en charge des mineurs est souvent opérée dans des conditions inadaptées, par exemple en unité pour adultes. Bien pire, la prise en charge est parfois impossible et entraîne des pertes de chances évidentes : en 2023, 123 enfants de moins de 15 ans s’étant présentés aux urgences du CHU de Nantes pour des idées suicidaires ou une tentative de suicide, n’ont pu être hospitalisés et ont dû retourner sans soins à leur domicile, alors même que la pédopsychiatre qui les avait évalués énonçait une indication formelle d’hospitalisation. L’accès aux soins pédopsychiatriques est ainsi en péril et les populations les plus vulnérables sont laissées-pour-compte, à l’image des mineurs pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE) et des mineurs non accompagnés (MNA). L’état des lieux est d’autant plus alarmant que les défaillances actuelles se traduiront mécaniquement par une augmentation des troubles psychiatriques, et donc des besoins de prise en charge, à l’âge adulte.

  1.   Face à cette situation alarmante, pour mieux prévenir et prendre en charge les urgences, une action publique ambitieuse est impérative
    1.   Un nécessaire nouveau souffle des politiques publiques en matière de santé mentale et de psychiatrie

L’action des pouvoirs publics en matière de santé mentale et de psychiatrie, qui passe depuis 2018 principalement par une feuille de route spécifique, produit des effets positifs parmi lesquels le déploiement du dispositif VigilanS de maintien du contact avec l’auteur d’une tentative de suicide ou du numéro national de prévention du suicide (3114), la formation de près de 200 000 secouristes en santé mentale depuis 2019 ([21]), la mise en place de 104 projets territoriaux de santé mentale (PTSM) ou encore l’amélioration du dispositif Mon soutien psy, qui avait bénéficié à 381 000 patients en août 2024.

Cette feuille de route reste toutefois très méconnue et ne permet pas de répondre de manière satisfaisante à l’ampleur des enjeux. Selon les mots du délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie, « un nouveau cycle plus ambitieux encore doit s’ouvrir ». La psychiatrie et son organisation se situent aujourd’hui à un moment charnière et des choix politiques profonds doivent encore être opérés, notamment pour trouver un équilibre entre les modèles de prise en charge fondés sur l’hospitalisation systématique et ceux qui reposent davantage sur les soins ambulatoires, afin de définir une stratégie claire à long terme. Dans cette perspective, la désignation de la santé mentale comme grande cause nationale de l’année 2025 se présente comme une opportunité, à la condition qu’elle inclue bien la psychiatrie et non la seule santé mentale, et qu’elle soit accompagnée d’une réelle ambition et de moyens substantiels.

  1.   Une offre de soins à restructurer et à soutenir pour mieux prévenir et prendre en charge les urgences psychiatriques

Dans ce contexte, la mission formule, à travers cinq axes, des préconisations visant à améliorer la prise en charge de l’urgence psychiatrique tout au long de la filière, c’est-à-dire d’agir sur l’offre de soins et sa structuration pendant, mais aussi en amont et en aval de l’urgence.

● Renforcer l’offre de soins de premier niveau pour garantir une prise en charge précoce, graduée et homogène sur le territoire et pour prévenir les urgences psychiatriques. Cet axe suppose de mieux outiller les médecins généralistes, qui sont souvent le premier recours face aux troubles psychiques, par des formations et par des outils d’aide à la prise en charge, ainsi que de renforcer les moyens humains et financiers des CMP afin qu’ils puissent assurer des soins ambulatoires de proximité et la coordination des parcours de soins. Il appelle par ailleurs à simplifier l’organisation territoriale des soins psychiatriques et à se donner les moyens de mieux prendre en charge les troubles addictifs et d’accompagner durablement les personnes les plus vulnérables, notamment en généralisant les équipes mobiles et en impliquant davantage les acteurs de proximité.

● Structurer un parcours de prise en charge d’urgence qui soit clair et accessible. Il s’agit de limiter les passages non pertinents aux urgences en augmentant l’offre de consultations non programmées (CAC, consultations en soins non programmés, etc.) ainsi que de formaliser un parcours de prise en charge des urgences psychiatriques commun à tous les territoires, clair et gradué impliquant la généralisation de la compétence psychiatrique à l’ensemble des services d’accès aux soins (SAS). Cet axe appelle également à améliorer les conditions de prise en charge par les services d’urgences et à limiter l’attente des patients par la création de lits dédiés au sein des unités d’hospitalisation de courte durée (UHCD), ainsi qu’à systématiser le suivi post-urgences des patients tout en suivant cet indicateur dans le cadre de la démarche qualité.

● Mobiliser davantage le secteur privé pour mieux prendre en charge les patients et pour une équité accrue entre établissements et professionnels de santé. Cet axe nécessite, de la part du Gouvernement et des agences régionales de santé (ARS), de mobiliser et d’adapter les dispositions réglementaires relatives à la permanence des soins des établissements de santé (PDSES) et au nouveau régime des autorisations en psychiatrie. Il s’agit par ailleurs de garantir un quota de lits de service public en psychiatrie dans les établissements privés afin de fluidifier la filière d’aval des urgences et d’éviter une concentration excessive des prises en charge dans le secteur public.

● Soutenir particulièrement la pédopsychiatrie et la santé mentale des jeunes. À la suite des Assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant de 2024, dont la mission appelle à mettre en œuvre les recommandations, il s’agit de garantir une offre de soins pédopsychiatriques homogène et adaptée aux besoins sur tout le territoire, comprenant des possibilités d’évaluation en urgence ou en soins non programmés, mais aussi de mener un diagnostic approfondi et partagé sur l’usage croissant des psychotropes. Les moyens de la médecine scolaire doivent par ailleurs être renforcés, et les établissements scolaires associés au déploiement d’une politique de prévention et de repérage précoce des troubles psychiques, ce qui suppose de réinterroger les liens entre la médecine scolaire et le ministère de l’éducation nationale. Des mesures renforcées et ciblées sont par ailleurs attendues pour mieux prendre en charge les enfants protégés, tandis que la psychiatrie périnatale doit quant à elle être soutenue dans le cadre de la grande cause nationale.

● Améliorer la formation et l’attractivité des métiers de la psychiatrie. L’offre de formation doit être rapidement et massivement renforcée face à la pénurie de professionnels constatée sur le terrain. Cela suppose une augmentation des effectifs de psychiatre et d’infirmiers en formation initiale et continue, le développement de passerelles ou encore la hausse du nombre d’infirmiers en pratique avancée. La filière doit par ailleurs être rendue plus attractive à travers une campagne de communication, des stages obligatoires ou encore la création d’un institut hospitalo-universitaire (IHU). Enfin, il s’agira de commanditer un audit sur les conditions de travail en psychiatrie et, dans le même temps, d’améliorer celles‑ci par des rémunérations revalorisées, par des simplifications administratives ou encore par une meilleure appréhension des situations de violence et d’agressivité, que celles-ci soient dirigées vers des tiers ou vers les patients eux-mêmes.

   Partie I :
Si la notion d’urgence ne fait pas consensus en psychiatrie, l’urgence devient le point d’entrée dans le parcours de soins

I.   En psychiatrie, la notion d’urgence, vaste et discutée, admet des modalités de prise en charge très variées

Les urgences psychiatriques sont une notion mal définie. Recoupant partiellement celle de crise, souvent réservée ou dédiée aux adultes, elles prennent cependant une importance et une ampleur grandissante dans l’organisation des soins. Laquelle n’est que mal dimensionnée ou adaptée aux évolutions des besoins. La prise en charge de ces urgences psychiatriques ne fait pas l’objet d’une organisation standardisée. S’inscrivant théoriquement dans le cadre global de l’organisation des soins psychiatriques, marqué par un principe de sectorisation, cette prise en charge demeure très variable sur le territoire. Elle tend toutefois à converger vers les services d’accueil d’urgence (SAU) des hôpitaux non spécialisés mais disposant d’une activité de psychiatrie, comme les centres hospitaliers et les centres hospitaliers universitaires, et les centres d’accueil et de crise (CAC) lorsqu’ils existent.

A.   La prise en charge psychiatrique en urgence s’inscrit dans un cadre juridique imprécis

1.   L’urgence en psychiatrie recouvre un champ très vaste

Les rapporteures constatent que la notion d’urgence en psychiatrie reste floue et débattue.

● Si la circulaire du 30 juillet 1992 relative à la prise en charge de l’urgence en psychiatrie ([22]) en ébauche les contours, la définition apportée recouvre un champ particulièrement vaste et laisse une grande part à l’appréciation. L’urgence psychiatrique serait ainsi, au sens de cette circulaire, « une demande dont la réponse ne peut être différée : il y a urgence à partir du moment où quelqu’un se pose la question, qu’il s’agisse du patient, de l’entourage ou du médecin : elle nécessite une réponse rapide et adéquate de l’équipe soignante afin d’atténuer le caractère aigu de la souffrance psychique ».

Certains spécialistes de l’urgence intègrent quant à eux des états autres que strictement psychiatriques. Pour le professeur Adolphe Steg « l’urgence psychiatrique recouvre en réalité trois grandes catégories d’états pathologiques :

«  L’urgence psychiatrique pure par décompensation d’une affection psychiatrique lourde (mélancolie, grand état d’angoisse, agitation), qui à l’évidence nécessite une prise en charge en milieu psychiatrique après élimination par le diagnostic d’une affection organique ;

«  Les urgences psychiatriques mixtes groupent les malades qui présentent des manifestations organiques et psychiatriques simultanées : tentatives de suicide, delirium tremens, etc. ;

«  Les états aigus transitoires c’est-à-dire les réactions émotionnelles intenses survenant sur un terrain psychologique vulnérable à la suite d’événements, conflits et détresse très souvent vécus dans la solitude : tentative de suicide, ivresse, etc. » ([23]).

● La définition des services chargés de prendre en charge les urgences psychiatriques qui figure dans le code de la santé publique est tout aussi vague. Il n’existe pas de définition réglementaire d’un cadre de soins nécessaire pour organiser la prise en charge des urgences psychiatriques, mais il est demandé aux établissements accueillant un nombre important de patients en urgence psychiatrique d’organiser la prise en charge. Ainsi, l’article D. 6124-26-6 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue du décret n° 2023‑1376 du 29 décembre 2023 ([24]), dispose :

« Lorsque l’analyse de l’activité d’une structure des urgences ou d’une antenne de médecine d’urgence fait apparaître un nombre important de passages de patients nécessitant des soins psychiatriques, la structure ou l’antenne comprend en permanence un psychiatre.

« Lorsque ce psychiatre n’appartient pas à l’équipe de la structure des urgences ou de l’antenne de médecine d’urgence, il intervient dans le cadre de la convention prévue à l’article D. 6124268.

« Dans le cas autre que celui prévu au premier alinéa, un psychiatre peut être joint et intervenir, en tant que de besoin, dans les meilleurs délais, dans le cadre de la convention prévue à l’article D. 6124268. »

● Les rapporteures relèvent en outre que la notion d’« urgence psychiatrique » ne fait l’objet d’aucun consensus chez les professionnels de santé, en raison notamment de sa proximité avec la notion de crise, souvent privilégiée par les psychiatres.

« Pendant longtemps, et déjà au moment de ma formation, on apprenait que l’urgence psychiatrique n’existe pas. »

Alain Lopez, psychiatre, ancien inspecteur général des affaires sociales.

2.   Les urgences psychiatriques n’ont pas de service dédié

● La circulaire du 30 juillet 1992 décrit également les modalités actuelles de réponse aux urgences psychiatriques, lesquelles font appel à une variété de structures :

– les centres de réception, de régulation des appels en amont des services d’accueil des urgences (SAU). Cette catégorie recouvre notamment les numéros d’urgence ([25]) qui peuvent orienter les patients vers d’autres structures d’accueil ou de prise en charge, notamment la consultation en ambulatoire auprès du médecin traitant, d’un psychologue ou d’un psychiatre en ville ;

– la réponse dans le circuit des urgences générales hospitalières ([26]), situation la plus fréquente étudiée à titre principal par la mission d’information ;

– la réponse dans les structures spécialisées en psychiatrie publique, soit la consultation non programmée auprès d’un centre médico-psychologique (CMP), auprès d’un centre d’accueil de crise (CAC) ou dans un centre médico-psychologique habilité à répondre à l’urgence psychiatrique dit « centre d’accueil permanent » (CAP). Les CAC et CAP, qui relèvent en principe du secteur public et de manière croissante du secteur privé, assurent une permanence téléphonique et des consultations psychiatriques. Ils accueillent, soignent, orientent ou hospitalisent pour une durée brève, mais ne prennent pas en charge les hospitalisations sans consentement ;

– les autres modalités de réponse à l’urgence, à savoir les consultations effectuées sans délai par les médecins généralistes, les psychiatres libéraux et les regroupements de professionnels spécialisés dans la réponse à l’urgence psychiatrique. Les réseaux d’écoute téléphonique animés par des bénévoles remplissent également une fonction spécifique et importante.

● La prise en charge de l’urgence psychiatrique recouvre également des modalités plurielles : soins libres ou soins sans consentement du patient, lorsque son état représente un danger pour lui-même ou pour les autres.

● Il n’existe donc pas de service dédié à la prise en charge des urgences psychiatriques, qui mobilise une variété de services et de structures, et qui ne se traduit pas toujours par une hospitalisation.

Cette absence n’est pas nécessairement remise en cause. Pour Alain Lopez, un hôpital psychiatrique disposant d’un « service d’urgence » serait en effet dans l’impossibilité de disposer du plateau technique et des compétences médicales suffisantes aux explorations nécessaires et aux diagnostics pertinents. C’est la raison pour laquelle les services d’urgence psychiatrique, qui ont existé dans le passé, ont progressivement disparu au bénéfice d’un accueil dans les services d’urgences générales.

« Les services d’urgence psychiatrique n’existent pas, et je n’ai pas constaté l’existence de tels services dans les nombreux hôpitaux où je me suis rendu à des fins d’inspection ou d’accompagnement de leurs projets médicaux. Je dois rajouter qu’il ne faut surtout pas créer de tels services. »

Alain Lopez, psychiatre, ancien inspecteur général des affaires sociales.

Le centre psychiatrique d’orientation et d’accueil (CPOA)
du centre hospitalier Sainte-Anne

Le CPOA, situé au centre hospitalier Sainte-Anne à Paris, a été créé en 1967 afin d’assurer l’accès aux soins psychiatriques et leur continuité, en accueillant l’urgence psychiatrique et la consultation sans rendez-vous 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Il accueille en consultation toute personne de plus de 16 ans qui se présente, quel que soit son domicile et y compris les personnes sans domicile. La prise en charge, qui augmente et concerne aujourd’hui près de 10 000 personnes par an, consiste en une consultation ou une hospitalisation sur place qui ne peut excéder 72 heures, à l’instar de la plupart des CAC et CAP, dont les durées d’hospitalisation théoriques sont comprises entre 48 et 72 heures. Selon l’état du patient, le CPOA peut l’orienter vers une consultation ambulatoire ou, dans près de 50 % des cas, une hospitalisation libre ou sans consentement, en coordination avec le secteur de destination.

B.   La prise en charge de l’urgence s’inScrit dans le cadre global de l’organisation des soins psychiatriques

Le parcours de soins du patient en situation d’urgence psychiatrique s’inscrit dans le cadre plus global des soins psychiatriques dont les principes et l’organisation ont été décrits par la circulaire du 15 mars 1960 relative au programme d’organisation et d’équipement des départements en matière de lutte contre les maladies mentales ([27]).

1.   La prise en charge psychiatrique, en urgence ou non, repose historiquement sur une organisation par secteurs

● La circulaire du 15 mars 1960 établit un principe de sectorisation de l’organisation des soins psychiatrique, qui vise à prendre en charge tous les patients, au plus près de leur environnement de vie, quelle que soit la gravité de la pathologie.

La circulaire structure en secteurs l’organisation administrative et géographique de la psychiatrie, accessibles selon le lieu de résidence du patient. Elle propose une organisation des soins psychiatriques intégrant la prévention, les soins, le suivi des patients : « la même équipe médico-sociale doit assurer à tous les malades hommes et femmes, la continuité indispensable entre le dépistage, le traitement sans hospitalisation quand il est possible, les soins avec hospitalisation et, enfin, la surveillance postcure ». La circulaire indique en outre qu’« un service de deux cents lits, recevant des malades des deux sexes, comportant son service libre, peut prendre en charge, sur la base de trois lits pour 1 000 habitants fixée par l’Organisation mondiale de la santé, un sous-secteur de 67 000 habitants environ », et pose le principe selon lequel « l’hospitalisation du malade mental ne constitue plus qu’une étape du traitement qui a été commencé et devra être poursuivi dans les organismes de prévention et de postcure ».

Si la prise en charge des situations d’urgence n’est pas évoquée en tant que telle, elle relève de toute évidence de la compétence du secteur, y compris lorsqu’il s’agit de décider une hospitalisation. Le secteur organise la prise en charge coordonnée et pluridisciplinaire de ville et hospitalière, par une même équipe, tout au long du parcours de soins du patient.

● En pratique, les secteurs désignent l’aire géographique de rayonnement de l’équipe pluridisciplinaire qui accompagne les patients dans leurs besoins de soins, que ces derniers soient dispensés à l’hôpital ou dans les structures ambulatoires. Ainsi, chaque secteur couvre une zone déterminée dans l’objectif de garantir à chaque patient, à travers divers points d’entrée, un accueil inconditionnel dans son secteur d’appartenance déterminé selon son lieu de résidence.

« En théorie le CMP de secteur est le premier niveau de réponse à l’urgence, mais selon les lieux un même patient peut alternativement passer par le secteur, par le CMP ou encore alors par les urgences générales. »

Syndicat CGT, table ronde syndicats nationaux.

● Le secteur psychiatrique s’est spécialisé si bien qu’il en existe aujourd’hui trois grandes catégories : la psychiatrie adulte (à partir de 16 ans), la pédopsychiatrie et la psychiatrie en milieu pénitentiaire.

Aussi, si la gestion du secteur et des activités ambulatoires qui lui sont rattachées est centralisée à l’hôpital ([28]), le déploiement progressif de la nouvelle organisation des soins psychiatriques s’est accompagné de la création de nombreuses structures spécifiques composant la prise en charge ambulatoire de secteur.

Les centres médico-psychologiques (CMP) constituent le pivot du dispositif ambulatoire de secteur. Composés d’équipes pluridisciplinaires, ils assurent les missions de prévention, de diagnostic, de suivi et de coordination des actes effectués en ambulatoire, ainsi que des interventions à domicile. En 2022, la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) a recensé 1 685 CMP de psychiatrie générale et 1 356 CMP de psychiatrie infanto-juvénile (CMP‑IJ) ([29]).

Aux CMP s’ajoutent diverses autres structures ambulatoires comme les centres d’accueil thérapeutiques à temps partiel (CATTP) qui sont des lieux non médicalisés d’écoute, d’expression et de rencontres destinés à accompagner la réinsertion sociale des malades.

Les équipes mobiles psychiatrie et précarité (EMPP) complètent l’offre de secteur pour les patients les plus précaires et les plus éloignés des soins.

Les centres d’action médico-sociale précoce (CAMSP) proposent quant à eux un dépistage précoce et un suivi thérapeutique en ambulatoire des enfants âgés de moins de 6 ans. La prise en charge est organisée dans le cadre de vie habituel de l’enfant en coordination, le cas échéant, avec la médecine scolaire ainsi que la protection maternelle et infantile.

Les services et établissements des secteurs sociaux et médico-sociaux participent aussi à la prise en charge psychiatrique et à sa dimension de réhabilitation psychosociale, notamment à l’issue des soins, ce qui permet aux malades de s’inscrire dans un projet de vie. Les établissements et services qui y contribuent le plus souvent sont les services d’accompagnement à la vie sociale (SAVS), les services d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés (Samsah), les foyers d’accueil médicalisé (FAM) et les maisons d’accueil spécialisées (MAS), qui allient accompagnement, hébergement et soin, ou encore les établissements et services d’aide par le travail (Esat).

D’autres services accueillent des personnes souffrant d’addictions comme de maladies chroniques somatiques qui présentent des comorbidités psychiatriques prises en compte dans l’accompagnement et la prise en charge globale médicale et psychosociale. Ce sont les centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (Caarud), les centres de soin, d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa) ainsi que les appartements de coordination thérapeutique (ACT).

2.   La prise en charge psychiatrique est complétée par une offre de soins « non sectorisée »

Au secteur psychiatrique s’ajoute l’offre de soins « non sectorisée », composée à titre principal de l’offre libérale de ville mais également l’offre de soins hospitalière des établissements privés à but lucratif autorisés en psychiatrie, et de structures spécialisées.

● Selon une étude publiée en 2014 par la Drees ([30]), le médecin généraliste représente le premier recours pour les besoins en santé mentale pour 50 % des patients, et 47 % voudraient que celui-ci assure leur prise en charge. Par ailleurs, 30 à 35 % de la patientèle des médecins généralistes présenterait une problématique psychiatrique ou psychologique ([31]).

● Les psychiatres et psychologues libéraux complètent l’offre de soins en ville. La France comptait 6 170 psychiatres installés en libéral en 2022 contre 6 459 en 2010, soit une baisse de près de 4,5 % ([32]). Inversement, le nombre de psychologues en activité a quasiment doublé entre 2010 et 2023. Alors que la France comptait 38 128 psychologues en activité en 2012, ces derniers étaient 74 195 en 2023, soit une augmentation de près de 95 % (94,5 %) sur la période. Cette augmentation a concerné tous les modes d’exercice mais est plus marquée s’agissant des psychologues libéraux. En effet, les psychologues libéraux, qui étaient 9 175 en 2012, ont vu leurs effectifs augmenter de 190 % sur la période, pour atteindre 26 691 en 2023 ([33]).

Le nombre de psychologues en activité a quasiment doublé entre 2010 et 2023

Alors que la France comptait 38 128 psychologues en 2012, ils étaient 74 195 en 2023, soit une augmentation de près de 95 %. Cette hausse a concerné tous les modes d’exercice mais elle est plus marquée s’agissant des psychologues libéraux. En effet, s’ils étaient 9 175 en 2012, ils ont vu leurs effectifs augmenter de 190 % sur la période et ils étaient 26 691 en 2023. Les salariés hospitaliers ont progressé en nombre de près de 62 % pour atteindre 15 463 professionnels en 2023, contre 9 549 en 2012. Les salariés d’autres structures sont également 65 % plus nombreux : 32 000 en 2023 contre 19 000 en 2012 ([34]).

Cette hausse très nette du nombre de psychologues en activité, particulièrement marquée s’agissant de ceux installés en libéral, reflète l’augmentation de la demande de soins dans la population. Cette tendance permet de formuler l’hypothèse selon laquelle les psychologues assurent aujourd’hui une partie importante de l’accès aux soins psychiques, s’agissant de la réponse aux troubles anxieux légers, ce qui réserve le suivi psychiatrique aux patients porteurs d’une maladie psychiatrique.

Les rapporteures se félicitent de l’augmentation forte du nombre de psychologues. Il s’agit d’une condition nécessaire pour assurer la gradation des soins, plus encore dans un contexte de forte augmentation de la demande. Cette augmentation appelle toutefois une réflexion sur cette profession afin de mieux l’ancrer comme actrice du soin en santé mentale et de favoriser une meilleure prise en charge de ces soins, notamment par les complémentaires santé. Cela suppose un meilleur encadrement de cette profession, par exemple à travers la création d’un nouveau livre dans le code de la santé publique ou par un processus rénové de validation des formations liées à la psychologie ou à la psychothérapie.

Les effectifs de psychologues en activité ont quasiment doublé
entre 2010 et 2023

Source : Drees, 2023.

● Les établissements privés à but lucratif autorisés en psychiatrie sont dans la grande majorité des cas spécialisés en psychiatrie ([35]). Ils ont la particularité de ne prendre aucune part à la prise en charge des urgences, sauf en seconde intention en cas d’adressage d’un patient depuis les urgences de l’hôpital général vers le CAC ou le CAP lorsqu’ils en sont équipés. Ces établissements ne peuvent non plus admettre aucun patient en soins sans consentement.

● L’offre de soins non sectorisée est elle-même complétée par des structures spécialisées dans le diagnostic de certaines maladies. Il s’agit par exemple des centres experts qui se développent dans le champ de la santé comme de la santé mentale. Il s’agit également d’unités de prise en charge sécurisée de certains patients : les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) pour des patients détenus ou encore les unités pour malades difficiles (UMD) pour les patients dangereux.

● En définitive, l’offre de soins de secteur et hors secteur assure aux patients l’accès aux soins psychiatriques et, quoique le secteur comprenne une dimension géographique réputée couvrir les besoins de la population domiciliée du territoire, il ne saurait faire obstacle à l’application du principe à valeur législative de libre choix par le patient de son lieu de soins.

Ce principe figure à l’article L. 3211‑1 du code de la santé publique, qui dispose que « toute personne faisant l’objet de soins psychiatriques ou sa famille dispose du droit de s’adresser au praticien ou à l’équipe de santé mentale, publique ou privée, de son choix, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du secteur psychiatrique correspondant à son lieu de résidence ».

3.   La psychiatrie et la santé mentale : entre concurrence et complémentarité

De nombreux experts rencontrés par la mission d’information ont souhaité attirer l’attention des rapporteures sur un glissement sémantique entre la psychiatrie et le concept plus global de santé mentale.

Alors que la psychiatrie désigne la discipline médicale spécialisée dans le diagnostic et le traitement voire la prévention des maladies mentales et troubles du psychisme répertoriés au sein de la classification internationale des maladies ; la santé mentale est un concept qui désigne une notion de bien être subjectif des individus, qui n’est pas directement corrélée à l’existence ou non d’un diagnostic psychiatrique. Selon le sociologue Alain Ehrenberg, entendu dans le cadre de la mission d’information, l’essor du concept de santé mentale est étroitement lié à l’émergence d’une « économie du bonheur », dont témoigne le succès des ouvrages de développement personnel, des conseillers de vie, ou encore des objets connectés visant à renforcer le pouvoir d’agir des individus dans un sens réputé augmenter leur bien-être, leur santé et leur bonheur individuel. Le bien-être et la santé mentale, feraient, toujours selon le sociologue, l’objet d’une attention médiatique et politique croissante, dont atteste la progressive substitution conceptuelle de la santé mentale à la psychiatrie dans le vocabulaire administratif des politiques publiques de la plupart des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Cette évolution répondrait à un objectif ambitieux de faire évoluer le modèle binaire de la psychiatrie qui oppose les catégories sain ou malade, vers un modèle plus holistique de bien-être et de bonheur des individus quelles que soient leurs différences, et notamment leurs maladies.

Selon le sociologue Alain Ehrenberg, ainsi que de nombreux acteurs rencontrés par la mission d’information, au rang desquels figurent l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam), la Fédération nationale des associations d’usagers en psychiatrie (Fnapsy), mais également de nombreux psychiatres et chercheurs, cette substitution conceptuelle ne serait pas neutre et alimenterait une dérive que d’aucuns qualifient de « santé mentalisation » de la psychiatrie. Le concept de santé mentale est vaste et holistique, il s’attache prioritairement à renforcer le pouvoir d’agir de l’individu, reléguant les déterminants sociaux, économiques des maladies mentales, par une approche indifférenciée. La Drees rappelait lors de son audition qu’il est possible d’avoir une très mauvaise santé mentale sans être porteur d’une maladie psychique et inversement, avoir une bonne santé mentale tout en étant porteur d’une maladie psychique.

Le risque de cette évolution serait ainsi de relativiser la singularité d’une maladie psychiatrique au sein des motifs de souffrance psychique ou d’anxiété et de remettre en cause la compétence des psychiatres et de la psychiatrie pour le traitement de ces maladies. Par ailleurs, Alain Ehrenberg y voit également une dérive d’hyper responsabilisation des individus, faisant de la volonté individuelle le facteur principal de la santé et du bien-être, devant le déterminisme de la maladie. Cette approche serait déstabilisante pour la société dans la mesure où l’injonction à la performance individuelle et à l’affirmation de soi fragilise les individus ([36]), en particulier pour les personnes dépressives ([37]), qui ne sont pas tant considérés comme des malades que comme des personnes manquant de volonté, voire de responsabilité.

La France fait le choix de conserver les deux notions, qui sont accolées dans la dénomination de la délégation ministérielle à la santé mentale et à la psychiatrie créée en 2019. La politique de santé mentale est donc plus globale que la seule psychiatrie, qui s’intègre dans cet ensemble comprenant la santé mentale et visant à renforcer le bien-être de tous, y compris les malades psychiatriques.

C.   Il n’existe pas de parcours type d’un patient pris en charge en urgence psychiatrique

Les rapporteures constatent que la prise en charge psychiatrique par les services d’urgences hospitaliers repose sur des modes d’organisation variés, sollicitant plus ou moins ces services, notamment selon l’existence ou non d’une filière psychiatrique dédiée au sein des urgences, de ressources humaines médicales et non médicales spécialisées, de l’offre de soins sur le territoire et en particulier de la disponibilité de lits d’hospitalisation en aval des urgences, de la présence éventuelle d’un CAC ou d’un CAP y compris dans les cliniques privées.

● L’accueil des urgences psychiatriques converge de plus en plus vers les services d’accueil d’urgence (SAU) des hôpitaux non spécialisés en psychiatrie, y compris s’agissant des urgences pédiatriques. Leur prise en charge a lieu par un point d’entrée unique des urgences relatives à un trouble somatique et à un trouble psychiatrique pour répondre à la nécessité d’exclure une cause somatique avant d’aborder la prise en charge proprement psychiatrique.

Une fois le patient examiné par un médecin urgentiste, il est vu par un psychiatre qui peut éventuellement prescrire des soins au cours du temps passé aux urgences (prescription médicamenteuse, isolement, contention). Il peut également l’orienter vers :

– un retour au domicile en lui indiquant le suivi à réaliser en ambulatoire (auprès d’un psychologue, d’un psychiatre, du CMP) ;

– une hospitalisation (à temps partiel, à temps plein, nécessitant éventuellement un transfert dans un autre établissement), de courte durée (de 48 à 72 heures au sein d’un CAC, d’un CAP, d’une unité dédiée au sein de l’hôpital ou d’un autre établissement), immédiate ou différée ;

– la mise en œuvre de soins sans consentement lorsque le patient présente un danger pour lui-même ou pour les autres et que son état ne lui permet pas de consentir aux soins.

● Les modes d’organisation des SAU sont variés. Leur organisation dépend du contexte de chaque établissement et, à titre principal, des moyens dédiés à la prise en charge psychiatrique aux urgences.

Ainsi, tous les SAU ne disposent pas d’une équipe dédiée de psychiatres affectés à la filière psychiatrique des urgences. La présence d’une telle équipe médicale dédiée au sein des urgences est un cas de figure plus fréquemment rencontré dans les centres hospitaliers universitaires (Lille, Lyon, Marseille par exemple). Dans le cas contraire, la prise en charge psychiatrique aux urgences est assurée par l’équipe de psychiatrie de liaison rattachée au centre hospitalier du secteur spécialisé en psychiatrie. Dans ce cas, la permanence des soins pendant les soirées, nuits et fins de semaine est assurée ([38]) :

– à distance par une ligne d’astreinte (33 % des cas) ;

– par une garde sur place (24 % des cas) ;

– par une ligne d’astreinte à distance et une ligne de garde sur place (43 % des cas).

Certains établissements ont développé des organisations encore différentes. Le SAU de l’hôpital européen Georges-Pompidou n’a pas de ligne de garde de psychiatre entre 18 h 30 et 9 heures du matin, mais il a déployé des antennes de psychiatrie de liaison entre chaque service de l’hôpital (en médecine, chirurgie et obstétrique) et la psychiatrie de liaison. Ainsi chaque service d’hospitalisation dispose-t-il d’un binôme référent composé d’un psychiatre et d’un psychologue.

Pour les SAU les mieux dotés et disposant d’une filière psychiatrique développée au sein des urgences (comme au CHU de Lyon, Toulouse ou Marseille), des espaces dédiés aux patients psychiatriques sont prévus, avec des espaces de consultation réservés, des chambres sécurisées au sein de l’unité d’hospitalisation de courte durée (UHCD) attenante aux urgences, ainsi que des chambres permettant l’isolement et la contention des patients dans des conditions adaptées.

Le parcours de soins peut alors être complété d’une première consultation paramédicale auprès d’un infirmier spécialisé précédant l’examen par le psychiatre et, à la sortie du patient, d’une consultation post-urgence dont le rendez-vous est donné avant la sortie pour limiter les risques de rupture de soins, comme à l’hôpital Édouard Herriot aux Hospices civils de Lyon.

De nombreuses plateformes téléphoniques de réponse aux situations d’urgence psychiatrique se sont développées au cours des dernières années, au premier rang desquelles figurent les services d’accès aux soins (SAS) psychiatriques. Ces SAS psychiatriques permettent, notamment dans les métropoles, de compléter la filière psychiatrique des urgences par une meilleure régulation préalable de la demande vers le mode de prise en charge le plus adapté à l’état du patient, et d’éviter ainsi un sur-recours aux services d’urgences.

● L’accueil par les SAU est parfois complété par les CAC et CAP lorsque les patients peuvent s’y rendre en première intention, comme c’est le cas à Marseille avec le CAP 48 des urgences de la Timone ou avec le CAP 72 du centre hospitalier psychiatrique Édouard Toulouse. Les établissements publics et privés à but non lucratif ont développé des modalités diverses d’organisation conformément au cadre relativement souple permis par l’article D. 6124‑26‑6 du code de la santé publique.

Les CAC et CAP accueillent dans des proportions très variables selon les modes d’organisation retenus à la fois les patients qui se présentent spontanément et les patients adressés. Lorsque la filière psychiatrique des urgences générales est très structurée, le CAC ou le CAP ne reçoit pas les patients en première intention mais uniquement à la suite d’un adressage par les urgences : il joue alors un rôle d’unité d’hospitalisation de courte durée. Certains professionnels entendus par la mission d’information évoquent à cet égard l’image d’une urgence « refroidie », c’est-à-dire dont les manifestations les plus aiguës ont été contenues (CAC de l’hôpital Sainte-Anne à Paris, CAC des urgences de l’hôpital Nord à l’Assistance publique - Hôpitaux de Marseille). Lorsque les patients se présentent d’eux-mêmes et que leur état nécessite une hospitalisation, ils doivent nécessairement être examinés par un médecin dit « somaticien ». Il peut s’agir d’un médecin urgentiste mais également d’un généraliste dans certains cas. Ce mode d’organisation complète la prise en charge psychiatrique par les services d’urgences générales.

● La prise en charge des urgences relevant de la pédopsychiatrie est dans la grande majorité des cas assurée par la pédopsychiatrie de liaison, sans équipe ni lit dédié au sein de la filière psychiatrique des urgences, y compris dans les CHU, notamment quand les patients arrivent par les urgences pédiatriques. En cas d’hospitalisation, les patients sont hébergés au sein des services de pédiatrie sous la responsabilité de l’équipe de pédopsychiatrie de liaison. Il arrive cependant, de plus en plus souvent, que les patients de pédopsychiatrie soient hospitalisés dans un secteur adulte, faute de place disponible en pédiatrie ou lorsqu’ils sont adolescents, y compris dans une unité fermée du secteur adulte.

La permanence des soins pendant les soirées, nuits et fins de semaine est assurée par un tableau unique regroupant la psychiatrie adulte et la pédopsychiatrie (73 % des cas) ou par deux équipes et deux tableaux distincts lorsque les effectifs de pédopsychiatres sont suffisants pour le permettre (27 % des cas) ([39]).

La plateforme « POP » de réponse aux problèmes psychiques des adolescents déployée par le centre hospitalier Le Vinatier

Le centre hospitalier spécialisé en psychiatrie Le Vinatier à Bron (Métropole de Lyon) a déployé en 2020 une plateforme d’appel destinée à répondre aux demandes concernant les enfants et les adolescents, nommée « POP ».

Elle s’adresse aux parents, aux adolescents et à tous les professionnels en lien avec cette population qui souhaitent un avis ou une prise en charge en cas de difficultés scolaires, de difficultés affectives, de troubles du comportement, de troubles de la communication ou du langage. L’objectif est d’apporter une réponse rapide et d’orienter vers une consultation lorsqu’elle s’avère nécessaire, en évitant des passages aux urgences causés par une prise en charge tardive ou inadaptée.

Sur 2 800 demandes adressées en 2023, 1 350 ont donné lieu à un rendez-vous dans l’un des quatre secteurs du territoire de la métropole. Il n’y a plus de file d’attente en 2024 alors que les délais de prise de rendez-vous pour les patients pouvaient atteindre un an avant l’ouverture de cette plateforme.

Exemple d’un parcours de patient en crise psychiatrique

Source : extrait du projet médical de l’Association de santé mentale du XIIIe arrondissement de Paris (ASM 13).

II.   La dégradation des indicateurs de santé mentale depuis 2020 se traduit dans les passages aux urgences

Les données recueillies par la mission d’information mettent en évidence au cours des dernières années une dégradation préoccupante de la santé mentale, qui touche notamment les jeunes gens et tout particulièrement les jeunes femmes. Cette détérioration s’accompagne d’une explosion des hospitalisations liées à un geste suicidaire ou à un sevrage suite à un usage de toxiques qui se généralise dans la population. Il en résulte une forte hausse d’activité au titre de l’urgence psychiatrique, unanimement décrite par les personnes rencontrées.

A.   Une dégradation de la santé mentale de la population est observée depuis 2020

1.   La santé mentale de la population se détériore depuis 2020

Les rapporteures ont été alertées à de multiples reprises de la détérioration de la santé mentale de la population au cours des dernières années. Elle est observée par les études sanitaires et épidémiologiques, à l’image du baromètre Santé publique France 2021 qui mesure l’augmentation de la prévalence des épisodes dépressifs à l’issue des périodes de confinement ([40]). Selon cette étude, 13,3 % des 18‑75 ans avaient présenté, en 2021, un épisode dépressif au cours des douze derniers mois, contre 9,8 % en 2017, soit une augmentation de 3,5 points. Cette hausse de la prévalence des épisodes dépressifs concerne tous les segments de population. Mais elle est particulièrement marquée chez :

– les 18‑24 ans, avec une croissance de plus de 77 % entre 2017 (11, 7 %) et 2021 (20,8 %). Une étude de l’Université de Bordeaux montre qu’en 2023, 41 % des étudiants bordelais présentaient des symptômes dépressifs (+ 15 points en quatre ans), tandis que les idées suicidaires concernent sur la même période une fraction de la cohorte examinée passée de 21 % à 29 % ([41]) ;

– les femmes ;

– les personnes seules et les familles monoparentales ;

– les personnes en difficulté financières et au chômage.

Santé publique France a également comparé les hospitalisations à la suite d’une tentative de suicide en 2020 et durant la première partie de l’année 2021 avec celles des années précédentes, notamment pour estimer l’impact de la pandémie sur la santé mentale. En 2020, le taux estimé de ces hospitalisations tous âges confondus atteignait 13,3 pour 10 000 personnes (contre 14,8 en 2019 et 15,2 en 2018), soit 68 556 personnes hospitalisées à ce titre en 2020 contre 75 932 en 2019. Lors du premier confinement, le taux observé était inférieur à la moyenne relevée entre 2017 et 2019. En revanche, il a augmenté chez les 11‑24 ans jusqu’à devenir significativement supérieur à cette moyenne après le deuxième confinement.

Nombre hebdomadaire de passage aux urgences pour geste suicidaire tous âges confondus entre 2021 et 2024

Source : Santé publique France, Santé mentale, point mensuel, 13 mai 2024.

En 2021, une forte hausse de la prévalence de l’épisode dépressif caractérisé déclaré au cours des douze derniers mois

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Source : baromètre Santé publique France 2021.

Indicateurs clés sur la santé mentale mis en place depuis la crise de la covid‑19

Santé publique France a procédé à près de 64 relevés épidémiologiques hebdomadaires dédiés à la santé mentale lors de la crise sanitaire liée à la covid‑19.

L’enquête Coviprev de 2023, qui porte sur la prévalence des troubles dans la population générale adulte, l’estime à 16 % concernant les états dépressifs, 23 % concernant les états anxieux, 71 % pour les problèmes de sommeil et 10 % pour les pensées suicidaires.

L’enquête Enabee de 2022, portant sur les enfants âgés de 6 à 11 ans, montre que 13 % d’entre eux connaîtraient un trouble probable de la santé mentale, 5,6 % un trouble émotionnel probable, 6,6 % un trouble oppositionnel et 3,2 % un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité.

L’enquête Population générale, également produite en 2022, fait état de 81 025 passages aux urgences pour gestes suicidaires, de 89 251 hospitalisations au sein des services généralistes de médecine, chirurgie et obstétrique (MCO) pour tentatives de suicide et de 8 958 décès par suicide enregistrés en France métropolitaine.

2.   L’évolution de la consommation de psychotropes chez les adolescents et les jeunes adultes est préoccupante

En écho à la dégradation de la santé mentale des Français et plus particulièrement des plus jeunes, la consommation de médicaments psychotropes ([42]) chez les adolescents et les jeunes adultes a augmenté de façon inquiétante au cours des dernières années.

Dans le sillage d’un rapport alarmant du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) qui portait sur les années 2014 à 2021 ([43]), la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam), dans un rapport sur l’évolution des charges et des produits au titre de 2025, dresse un panorama de la consommation de psychotropes chez les jeunes gens ([44]).

● Ce rapport montre qu’en 2023, 936 000 jeunes gens de 12 à 25 ans ont bénéficié du remboursement d’au moins un psychotrope. Cela correspond à près de 144 000 patients de plus qu’en 2019, soit une augmentation de 18 %. Dans le même temps, la population de cette tranche d’âge n’a augmenté que de 3 %.

Le nombre de jeunes gens de 12 à 25 ans ayant bénéficié du remboursement d’au moins un psychotrope était pourtant en légère baisse entre 2015 et 2020, avant de connaître à partir de septembre 2020 une nette augmentation qui s’est élevée à 12 % en 2021. Après une année 2022 marquée par une quasi-stabilité (+ 1 %), l’augmentation a repris à 5 % en 2023.

Nombre d’adolescents et de jeunes adultes (12-25 ans) sous psychotropes et remboursements associés, entre 2015 et 2023

Source : Caisse nationale de l’assurance maladie.

● Cette dynamique est d’autant plus remarquable qu’elle est spécifique à cette tranche d’âge. Entre 2019 et 2023, le taux de personnes sous psychotropes a ainsi augmenté de 15 % dans cette population (passant de 71 à 81 jeunes pour 1 000), alors qu’il a diminué de 1 % chez les 26 à 60 ans.

Si elle s’observe pour l’ensemble des catégories de psychotropes, elle est, depuis la crise sanitaire, particulièrement importante pour les antidépresseurs, les hypnotiques et les antipsychotiques. Entre 2019 et 2023, les effectifs traités par antidépresseurs ont connu une progression importante de 60 %, soit 143 600 jeunes gens supplémentaires. Les anxiolytiques, sont à la fois les médicaments psychotropes les plus fréquemment prescrits aux jeunes mais aussi ceux dont la consommation a le moins progressé depuis 2015.

● La Caisse nationale de l’assurance maladie relève que les filles sont à l’origine de l’essentiel de la dynamique observée. Alors que le nombre de filles âgées de 12 à 25 ans auxquelles ont été délivrés des psychotropes a augmenté de 20 % entre 2019 et 2023, et même de 45 % pour celles âgées de 12 à 15 ans, les filles représentent désormais 62 % des jeunes gens de 12 à 25 ans sous psychotropes.

● Enfin, la Cnam précise que les remboursements de ces médicaments sont également de plus en plus importants, passant de 45,2 millions d’euros en 2019 à 63,7 millions d’euros en 2023 (+ 41 %) malgré certaines baisses de prix.

3.   La souffrance psychique se traduit dans une hausse de l’activité d’urgence depuis fin 2020, principalement dans le secteur public

Santé publique France observe une augmentation de l’activité des services d’urgences pour les troubles de l’humeur, les idées suicidaires et en particulier les gestes suicidaires depuis l’épidémie de covid‑19 ([45]). Cette tendance est marquée chez les adolescents âgés de 11 à 17 ans et les jeunes adultes âgés de 18 à 24 ans.

● Les consultations pour motif psychiatrique dispensées dans les services d’accueil des urgences hospitaliers sont en hausse constante depuis 2020. L’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (Atih), mobilisant des données de codage de l’activité hospitalière ([46]), recense 566 000 passages aux urgences pour motif psychiatrique en 2023 (soit 2,7 % des passages) contre 466 000 en 2019, soit une hausse de plus de 21 % sur la période. L’accroissement des consultations aux urgences pour motif psychiatrique est plus de deux fois supérieur à la progression de l’activité globale des urgences entre 2019 et 2023 (+ 2,7 % contre + 1,1 %). La prise en charge des urgences psychiatriques est assurée par le secteur public au sein des services d’urgences générales des CHU, par les centres hospitaliers ainsi que par les établissements privés à but non lucratif.

 Cette activité reste majoritairement assurée par le secteur public et le secteur privé à but non lucratif. Ils assurent à eux seuls 88 % des prises en charge psychiatriques au sein des SAU et 80 % de l’activité au sein des CAC.

Si les cliniques ne participent pas à la prise en charge psychiatrique au sein des SAU, elles sont responsables d’une part croissante de l’activité au sein des CAC, dont la progression est en effet portée par le secteur privé lucratif alors que la part du secteur public baisse tendanciellement. Si les capacités d’accueil en CAC ont triplé entre 2020 et 2022 dans le secteur privé lucratif, le nombre de places totales disponibles conduit à relativiser cette tendance. En effet, les capacités d’accueil en CAC dans le secteur privé lucratif étaient de seulement 40 places en 2020 et sont de 135 places depuis 2022. L’activité des CAC du secteur privé lucratif a été multipliée par 3,5 entre 2020 et 2022.

Quant au privé non lucratif, selon la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés solidaires (Fehap), cinq des établissements psychiatriques qu’elle représente mettent à disposition des services d’accueil des urgences des effectifs médicaux et non médicaux pour la mission d’urgence psychiatrique. Ces partenariats sont encadrés par des conventions, conformément à l’obligation issue du décret du 29 décembre 2023 ([47]). En outre, deux établissements de la Fehap disposent d’un SAU propre accueillant des urgences psychiatriques. Cette contribution du secteur privé non lucratif à la prise en charge psychiatrique par les services d’urgences reste cependant très minoritaire.

● La prise en charge des urgences psychiatriques est donc principalement le fait des SAU des hôpitaux. Ils représentent près de 75 % de l’activité de psychiatrie d’urgence avec 566 000 passages en 2023, contre 25 % de l’activité réalisée au sein des CAC (196 000 passages en 2022).

L’activité de psychiatrie d’urgence au sein de SAU et des CAC est en hausse de plus de 20 % depuis 2019, passant de 630 000 consultations au total en 2019 à 762 000 en 2022‑2023.

Nombre de passages aux urgences pour motif psychiatrique en 2023
par catégorie de structure d’accueil

Source : données Atih 2023 pour la mission d’information.

● La progression du taux du recours est particulièrement notable pour les adolescents et les jeunes adultes ([48]). Pour les patients âgés de 13 à 17 ans, il s’élève en 2023 à 15 passages pour 1 000 habitants contre 10 en 2019. Pour les jeunes adultes âgés de 18 à 24 ans, ce taux est de 15 passages pour 1 000 habitants contre 11 en 2019.

En fin de compte, le recours aux urgences pour motif psychiatrique a fortement progressé depuis 2019. En 2023, on dénombrait 8 passages pour 1 000 habitants tous âges confondus. Cela représente une progression de plus d’un passage pour 1 000 habitants en seulement quatre ans.

Taux de recours aux urgences pour motif psychiatrique par classe d’âge entre 2019 et 2023 Source : données Atih 2023 pour la mission d’information.

● L’activité des CAC et CAP témoigne également de la croissance du nombre des urgences en psychiatrie, alors que les places dans ces services ont augmenté de près de 20 % depuis 2019. Cela signifie que la hausse du recours aux urgences pour motif psychiatrique dans les SAU ne résulte pas d’un report de l’activité des CAC, mais que cette tendance se confirme dans l’ensemble des structures accueillant des urgences psychiatriques.

Évolution du nombre de places d’accueil en centres de crise par catégorie de structure d’accueil

Source : données Drees 2023 pour la mission d’information.

Évolution du nombre de journées d’accueil en centre de crise
par catégorie de structure d’accueil

Source : données Drees 2023 pour la mission d’information.

B.   La croissance de l’activité d’urgence psychiatrique est notamment induite par le fort niveau de recours des jeunes gens et, en particulier, des jeunes femmes

1.   La détresse psychique des jeunes se traduit dans l’augmentation du recours aux urgences

Selon l’Atih, un tiers des passages aux urgences en 2023 pour motif psychiatrique concernaient les mineurs. Le recours croissant des enfants aux urgences psychiatriques est particulièrement marqué depuis fin 2020. Cette tendance se retrouve également dans les hospitalisations pour motif psychiatrique des enfants âgés de 13 à 24 ans : en progression chaque année, elle dépasse la projection pour la classe d’âge 1317 ans depuis fin 2020. L’augmentation simultanée du recours aux urgences et du taux d’hospitalisation pour motif psychiatrique écarte l’hypothèse d’un recours aux urgences non pertinent pour ces patients.

Répartition des passages aux urgences pour motif psychiatrique
en 2023 selon la classe d’âge des patients

Source : données Atih 2023 pour la mission d’information.

Augmentation du taux de recours à l’hospitalisation en psychiatrie des adolescents et jeunes adultes âgés de 13 à 24 ans depuis 2020

Source : données Atih 2023 pour la mission d’information.

2.   Les urgences liées à un geste auto-infligé chez les femmes de 10 à 19 ans ont augmenté de 133 % depuis 2020 et de 570 % depuis 2007

● Selon les données transmises par la Drees ([49]), les hospitalisations de jeunes femmes âgées de 10 à 19 ans pour lésion auto-infligée ont plus que doublé entre 2019 et 2021. Dès la fin de l’année 2020, le taux de syndromes dépressifs s’élevait à 19 % chez les 15‑24 ans, touchant en particulier les jeunes femmes. Près d’une jeune femme sur quatre était concernée par un syndrome dépressif, soit 50 % de plus qu’au cours de l’année 2019, et plus d’une sur dix souffrait d’un syndrome majeur, soit une hausse de 270 % par rapport à 2019.

Les hospitalisations liées aux gestes auto-infligés (tentatives de suicide et auto-agressions) chez les jeunes femmes âgées de 10 à 19 ans ont progressé de 133 % depuis 2020 et de 570 % depuis 2007 ([50]). Pour les hommes de la même classe d’âge, l’augmentation est moindre mais reste préoccupante : + 110 % entre 2020 et 2022 et + 246 % entre 2008 et 2022.

Pour les jeunes femmes âgées de 20 à 29 ans, ces hospitalisations ont progressé de 64 % entre 2020 et 2022 et de près de 300 % (298 %) entre 2008 et 2022. Pour les hommes de même âge, elles ont respectivement augmenté de 65 % et 172 % au cours des mêmes périodes. En outre, elles présentent une sévérité supérieure à celle constatée avant la crise, en justifiant des journées d’hospitalisation plus fréquentes dans un service de soins intensifs en raison de passages à l’acte plus violents et du recours plus répandu à des moyens létaux ([51]).

hospitalisations en psychiatrie pour des lésions auto-infligées depuis 2008

Source : Drees, L’état de santé de la population en France, n° 122, septembre 2022.

Si la Drees observe des phénomènes similaires aux États-Unis et en Allemagne, les rapporteures alertent quant à cette augmentation préoccupante des tentatives de suicide et face à la dégradation marquée de la santé mentale chez les jeunes filles et les jeunes femmes. Elles posent avec une forte acuité la question de la bonne prise en charge de celles-ci.

« Quand j’ai commencé en pédopsychiatrie, il y avait une tentative de suicide par semaine et trois à quatre par mois, maintenant c’est plusieurs par jour. »

Audition du Pr Philippe Duverger, chef de service au CHU d’Angers.

● Il est toutefois intéressant de relever que l’exercice 2020 s’apparente à une année de rupture marquée par une amélioration des indicateurs de santé mentale. Il n’existe pas de consensus scientifique sur les effets des confinements sur la santé mentale ; il semble que le premier confinement ait joué un rôle de préservation de la santé psychique des personnes, précédant une phase de nette dégradation à son issue.

En effet, selon la Drees, le nombre de gestes suicidaires – suicides et tentatives de suicide – a baissé lors des deux premiers confinements en 2020 ([52]). Par ailleurs, les décès ont baissé de respectivement 20 % et 8 % lors de ces deux mêmes confinements par rapport aux projections. Les hospitalisations en court séjour pour lésions auto-infligées, utilisées pour estimer le nombre d’hospitalisations pour tentatives de suicide, ont diminué de 10 % en 2020 par rapport à la période 2017‑2019. Les passages aux urgences pour ces mêmes gestes ont également diminué en 2020 par rapport à la période 2018‑2019, bien que ceux liés à des idées suicidaires aient progressé simultanément.

Les passages aux urgences pour geste suicidaire des 11‑17 ans et des 18‑24 ans observés en 2020 étaient stables voire inférieurs à l’activité constatée en moyenne sur la période 2018‑2019. Mais la forte augmentation constatée à partir de 2021 se poursuit dans les données d’activité de 2022 ([53]).

Nombre de passages aux urgences pour geste suicidaire des 11-17 ans

 

 

 

 

 

 

Source : Santé publique France pour la mission d’information.

Nombre de passages aux urgences pour geste suicidaire des 18-24 ans

 

 

 

 

 

 

 

Source : Santé publique France pour la mission d’information.

C.   Une croissance marquée des passages aux urgences et des hospitalisations pour sevrage, en particulier pour les patients Âgés de 40 à 59 ans

Selon l’Atih, 234 000 patients ont été pris en charge en 2022 au sein des SAU hospitaliers pour un motif psychiatrique, dont près de 20 % (46 000 patients) ont nécessité un sevrage ([54]). Ces 46 000 patients ont à eux seuls occasionné 146 000 séjours, soit une moyenne légèrement supérieure à trois séjours par patient. Ces séjours pour sevrage sont en hausse de 6,6 % par rapport à 2019, soit une progression de 25 000 séjours. L’augmentation des hospitalisations pour sevrage au sein des hôpitaux généraux est donc plus rapide que l’augmentation totale des séjours pour motif psychiatrique.

Cette hausse des hospitalisations en dehors des services de psychiatrie, liée à un sevrage ou une intoxication est vérifiée chaque année depuis 2017, quel que soit le statut de l’établissement (public ou privé) ([55]).

La hausse des hospitalisations pour intoxication est particulièrement marquée entre 2022 et 2023. En effet, elles ont augmenté de 7,4 % dans les établissements du secteur public et de 14,9 % dans les établissements du secteur privé lucratif en un an. Les hospitalisations pour sevrage ont progressé de 12,2 % dans les établissements du secteur public et de 7, 4 % dans les établissements du secteur privé lucratif sur la même période (2022-2023).

Dans le secteur public, la hausse des séjours pour sevrage entre 2022 et 2023 s’explique pour moitié par la forte dynamique d’hospitalisation des patients âgés de 40 à 59 ans (+ 50 %) – il s’agit de la classe d’âge la plus représentée dans les hospitalisations pour sevrage – puis par celle des patients âgés de 25 à 39 ans (+ 26 %). Dans les établissements du secteur privé lucratif, la hausse des séjours pour sevrage entre 2022 et 2023 s’explique majoritairement par l’augmentation des séjours de patients âgés de 25 à 39 ans (+ 43 %) et des patients âgés de 40 à 59 ans (+ 40 %).

 

« Sur les 80 000 passages par an que nous relevons aux urgences, dont 7 000 relèvent de la psychiatrie, nous observons un nombre croissant de décompensations psychiatriques liées à la consommation d’alcool, de cocaïne, de cannabis et de nouvelles drogues de synthèse [...]. 50 % des comorbidités addictives sont associées à un diagnostic psychiatrique, mais 50 % ne relèvent que de l’addictologie et ne sont pas psychiatriques [...]. Ainsi, les urgences deviennent des chambres de dégrisement avant une évaluation psychiatrique. »

Dr Pauline Guillemet-Senkel, médecin responsable des urgences psychiatriques, visite des urgences de l’hôpital Édouard Herriot à Lyon.

La part croissante des passages aux urgences consécutifs à une intoxication due à une consommation de stupéfiants a été corroborée par la majorité des équipes soignantes rencontrées. Ces prises en charge sont particulièrement complexes s’agissant des intoxications par drogues de synthèse, fréquemment associées à des comportements violents et extrêmes des patients envers les soignants et les autres patients. Elles sont régulièrement accompagnées de dégradations de biens matériels. Selon l’ampleur locale du phénomène et les infrastructures disponibles, certains services réservent une à deux chambres, en particulier les chambres d’isolement lorsqu’elles existent, pour contenir ces patients et protéger les autres de leur agitation. De telles organisations sont toutefois dépendantes des moyens à disposition. Elles sont loin d’être systématiques. Les métropoles comme Paris, Lyon et Marseille semblent particulièrement touchées par ces débordements. Lors du déplacement à Marseille, les rapporteures ont été sensibilisées aux conséquences directes de l’ampleur locale du trafic de drogue dans les quartiers nord, qui s’accompagne d’une part plus importante de patients sous l’emprise de stupéfiants se rendant aux urgences psychiatriques de l’hôpital Nord que dans d’autres quartiers.

« Il y a entre 40 % et 50 % de comorbidités psychiatriques en lien avec les conduites addictives. On assiste à une flambée de l’usage des drogues et des nouvelles drogues : c’est un tsunami. Les patients qui arrivent sous l’emprise de ces drogues aux urgences sont tellement violents qu’on ouvre la porte du service et on les laisse partir. »

Audition du syndicat Samu-Urgences de France.

À cet égard, la classe d’âge des 40‑59 ans est la plus représentée dans les venues aux urgences générales pour motif psychiatrique en 2023, en hausse depuis 2019 ([56]), et 11 % de ces passages sont liés à l’utilisation de substances psychoactives. Cette classe d’âge se caractérise par ailleurs par une baisse tendancielle de recours aux soins psychiques, interroge d’autant plus que les travaux de l’Atih montrent que le nombre de patients âgés de 40 à 59 ans hospitalisés à temps complet continue de diminuer ([57]). En effet, selon les données transmises par l’Atih, entre 2019 et 2022 ([58]), le nombre de journées de présence en hospitalisation partielle et en hospitalisation complète en psychiatrie concernant des patients âgés de 40 à 59 ans a diminué en moyenne de 5,1 % par an.

Répartition des diagnostics principaux des passages aux urgences
pour motif psychiatrique en 2023 selon la classe d’âge

Source : données Atih 2023 pour la mission d’information.

« Aux urgences de la Timone, sur 6 000 passages par an, entre 2 000 et 2 500 relèvent de la psychiatrie pure sans prise de toxique, tous les autres surviennent dans un contexte de prise de toxiques : c’est cohérent avec la prévalence des addictions dans la population. »

Pr Michel Cermolacce, chef du pôle psychiatrie, visite des urgences de l’hôpital de la Timone, Assistance publique - Hôpitaux de Marseille.


 

L’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris, un établissement singulier mais également marqué par l’augmentation de l’usage de toxiques

L’Infirmerie psychiatrique de la préfecture de police (I3P ou IPPP) est un service médico-légal psychiatrique, unique en Europe, rattaché à la préfecture de police de Paris. Elle a pour mission d’accueillir les personnes présumées malades se trouvant sous la responsabilité des services de police des commissariats de Paris et des aéroports, représentant un danger imminent pour la société.

L’I3P a une capacité d’accueil de 16 places en chambres sécurisées et admet près de 2 000 personnes par an. Il s’agit majoritairement d’hommes, souvent en état de précarité (un tiers sont sans-abri), venant des commissariats où ils étaient en garde à vue et plus rarement directement après une interpellation sur la voie publique. L’admission se fait essentiellement entre 20 heures et 8 heures.

L’I3P accueille les personnes en chambre sécurisée, et procède à une évaluation psychiatrique dans un cadre médico-légal. La durée moyenne de séjour au sein de l’I3P est de 19 heures, correspondant au temps nécessaire à l’observation des patients et à leur évaluation psychiatrique, dans un contexte où près de 90 % des personnes admises sont sous l’emprise de substance psychoactives. Parmi ceux-ci, plus de 50 % sont sous l’emprise de drogues à effet psychostimulants (crack, cocaïne, MDMA, drogues de rue et drogues non répertoriées) associés à une exacerbation de l’agressivité et de la violence. L’admission en chambre sécurisée pour une durée correspondante à la dissipation des effets des drogues précède systématiquement l’examen médico-légal.

Cet examen psychiatrique permet d’établir si la personne présente une pathologie mentale aliénante ayant aboli le discernement et justifiant des soins, ce qui recouvre 50 % des cas, ou si la personne – même présentant d’autres troubles psychiques – dispose de son discernement et ne justifie pas d’hospitalisation, ce qui recouvre 50 % des cas.

« La consommation de drogues psychostimulantes a été démultipliée par rapport à l’époque où j’étais encore interne en psychiatrie. Ce qui était alors une rencontre épisodique est devenu la règle, c’est le nonusage qui est devenu rare et les comportements peuvent être très violents. Les services d’urgences ne sont pas adaptés pour prendre en charge ces patients et nous avons de plus en plus de patients en rupture de soins, en particulier chez les patients précaires et les poly-toxicomanes. »

Dr Vincent Mahé, médecin chef de l’I3P.

Dans le premier cas, la personne est transférée en vue d’une hospitalisation en psychiatrie, et dans de rares cas directement en unité pour malades difficiles (trois transferts directs en UMD en 2024). Dans le cas où l’état de la personne ne nécessite pas d’hospitalisation, elle est transférée vers les services de police pour la poursuite de sa garde à vue.


III.   Les services d’urgences deviennent par dÉfaut le point d’entrÉe dans les soins psychiatriques et sont rÉguliÈrement saturÉs

Alors que la réduction des capacités d’hospitalisation publiques s’accélère et que le manque de personnel se généralise, le fonctionnement déjà complexe des structures de prise en charge de l’urgence psychiatrique se dégrade. En raison des défaillances constatées en amont, les urgences générales deviennent trop souvent un point d’entrée dans les soins psychiatriques, à un stade avancé du trouble. En l’absence de solutions suffisantes en aval, ces urgences sont fréquemment embolisées et parfois assurées dans des conditions manifestement insatisfaisantes.

A.   L’effondrement des capacités d’hospitalisation publiques en psychiatrie n’est pas compensé par l’essor du secteur privé lucratif

1.   Le « virage ambulatoire », qui a réduit les capacités d’hospitalisation à temps complet de près de 7 000 places en quinze ans, affecte principalement le secteur public

a.   La politique de diminution du nombre de places d’hospitalisation à temps complet touche également la psychiatrie

● L’évolution des capacités d’hospitalisation en psychiatrie prend place dans le contexte du « virage ambulatoire », qui résulte de politiques publiques favorisées par des évolutions médicales. Elle traduit l’évolution structurelle des prises en charge vers des alternatives à l’hospitalisation complète, limitant le temps de séjour hospitalier.

La Cour des comptes a montré que, toutes spécialités confondues, le nombre de lits avait baissé de 23 % entre 2000 et 2022 pour l’ensemble des hôpitaux publics et privés ([59]). Cette baisse a été particulièrement intense dans les dernières années, avec près de 20 000 lits disparus entre 2019 et 2022, et dynamisée par des fermetures temporaires liées à un manque de personnel ([60]). Selon les dernières études de la Drees, cette tendance se poursuit en 2023 (– 1,3 %) ([61]), comme c’était déjà le cas en 2022 (– 1,8 %) ([62]) et en 2021 (– 1,4 %). Elle reste plus rapide qu’avant la crise sanitaire, quand elle atteignait en moyenne – 0,9 % par an entre 2013 et 2019 ([63]).

● La psychiatrie n’échappe pas à ce virage. Elle a été marquée dans les années 1970 par une réforme de la sectorisation censée rompre avec l’hospitalo-centrisme, qui a conduit, dans les établissements publics et privés à but non lucratif, à des réductions capacitaires accompagnées du développement d’alternatives à l’hospitalisation.

La Drees montre qu’en France, le capacitaire d’hospitalisation à temps complet en psychiatrie a baissé de 6,1 % entre 2008 et 2019, puis de 4,9 % entre 2019 et 2022 ([64]). Il a ainsi perdu 4 000 lits entre 2008 et 2019, passant de 65 600 à 61 308 lits ([65]) –, puis de 2 740 lits supplémentaires pour se restreindre à 58 568 lits fin 2022 ([66]). Le système de soins psychiatrique français a donc connu une perte nette de près de 7 000 places (6 741) de temps complet en quinze ans.

Parallèlement à cette réduction des capacités de prise en charge à temps complet, le virage ambulatoire a conduit à créer 1 700 places d’accueil à temps partiel entre 2008 et 2019, suivie de 160 autres entre 2019 et 2022. Près de 2 000 nouvelles places sont donc apparues en quinze ans.

La diminution des capacités d’accueil à temps complet n’a donc pas été compensée à due concurrence par les créations de places d’accueil à temps partiel dans le cadre du « virage ambulatoire ».

Cette perte nette résulte de dynamiques contraires entre les établissements participant au service public et ceux relevant du secteur privé lucratif. En effet, alors que le service public a fortement contribué aux fermetures de lits, les établissements du secteur privé ont augmenté leurs capacités d’accueil à temps complet, sans toutefois que cette dynamique enraye la diminution globale constatée.

b.   La réduction du capacitaire d’hospitalisation à temps complet résulte de la fermeture de près de 9 000 places de psychiatrie dans les hôpitaux publics depuis 2008

Entre 2008 et 2022, 8 816 places d’hospitalisation à temps complet de psychiatrie ont fermé dans les établissements publics et 1 567 s’agissant des établissements privés à but non lucratif ([67]), soit 10 383 places fermées dans ces deux catégories. Comme pour les autres spécialités, cette contraction observée en psychiatrie semble, depuis le début de la crise sanitaire, s’intensifier et être moins liée à une politique active qu’être le fait du manque de personnels soignants.

Cette tendance est particulièrement préoccupante : la Drees montre que la baisse du capacitaire s’accélère en psychiatrie en 2023 ( 2,4 %, contre  1,7 % en 2022 et  0,9 % en 2021) alors que, pour les autres spécialités, celui-ci décroît à un rythme moins rapide ( 1,3 % en 2022 contre  1,8 % en 2022) ([68]). La baisse intervenue en psychiatrie provient principalement du secteur public, qui a perdu 1 300 lits, soit  4,2 %, dont 700 lits de centres hospitaliers spécialisés ( 3,7 %) et 500 lits de centres hospitaliers ( 5,9 %).

Évolution des capacités d’hospitalisation à temps complet en psychiatrie de 2008 à 2022 ([69])

 

2019

Variation 2019‑2022

2022

Variation 2008‑2022

Places de prises en charge à temps complet

61 308

– 2 740

58 568

 6 741

Public

38 432

 2 923

35 509

 8 816

Privé lucratif

14 770

705

15 475

3 664

Privé non lucratif

8 084

 500

7 584

 1 567

Dont lits d’hospitalisation à temps plein

54 535

– 2 337

52 198

– 5 314

Public

33 238

 2 443

30 795

 7 477

Privé lucratif

14 408

448

14 856

3 451

Privé non lucratif

6 889

 342

6 547

 1 288

Source : Drees.

La baisse du nombre de places de prise en charge à temps complet est principalement liée à la réduction du nombre de lits d’hospitalisation à temps plein

L’hospitalisation à temps plein est la principale composante de l’hospitalisation à temps complet, qui intègre également les places d’accueil familial thérapeutique, les lits en centre de postcure, les places en appartement thérapeutique, les places d’hospitalisation à domicile et les places d’accueil en centre de crise.

La réduction du capacitaire global de prise en charge à temps complet a concerné toutes les formes de prises en charge, mais le nombre de lits d’hospitalisation à temps plein a plus fortement contribué à cette baisse en raison de son poids prépondérant puisqu’il représente 89 % de l’ensemble. Ce sont près de 3 300 lits d’hospitalisation à temps plein qui ont fermé dans les hôpitaux du service public sur la période 2008‑2019 ([70]), réduisant la capacité disponible de près de 57 700 lits à 54 535, puis 2 2 337 autres lits ont été fermés entre 2019 et 2022 pour établir les disponibilités à 52 198 lits ([71]).

La réduction des capacités d’accueil en hospitalisation à temps plein résulte elle-même des évolutions qu’a connues le service public, entendu comme les établissements publics et les établissements privés à but non lucratif. En effet, sur la période 2008‑2022, le secteur public a perdu 7 477 lits et le secteur privé à but non lucratif près de 1 288 autres, soit 8 765 fermetures de lits. Inversement, le secteur privé à but lucratif a connu une forte augmentation de son capacitaire de lits d’hospitalisation à temps plein : 3 451 lits y ont été ouverts dans la même période ([72]).

Les capacités d’accueil alternatives au temps plein ont pour leur part diminué dans le secteur public comme le secteur privé, mais dans une proportion beaucoup moins importante que les lits d’hospitalisation à temps plein (environ – 1 000 lits dans le public, – 10 lits dans le privé à but lucratif et – 42 lits dans le privé à but non lucratif) ([73]).

Évolution du capacitaire de prise en charge à temps complet
en psychiatrie, de fin 2008 à fin 2022

Source : données Drees pour la mission d’information.

2.   Le secteur privé lucratif gère désormais plus du quart des séjours et du capacitaire en lits d’hospitalisation complète, dégageant une forte rentabilité

a.   Le capacitaire du secteur privé lucratif a augmenté de plus de 30 % entre 2008 et 2022

Parallèlement à la diminution des capacités d’hospitalisation complète en psychiatrie, la part relative du secteur privé à but lucratif a augmenté de 31 %, passant de 18 % à 26 % du capacitaire global entre 2008 et 2022 ([74]). À l’inverse, les capacités d’hospitalisation complète du secteur public ont diminué de 7,5 % sur la période. Alors que 68,2 % des lits d’hospitalisation complète relevaient du secteur public en 2008, cette part ne s’établit plus qu’à 63,1 % en 2019. À la différence de ce qui se produit dans les établissements publics, le nombre de lits d’hospitalisation a tendance à augmenter dans les établissements privés à but lucratif. Dans neuf départements ([75]), l’offre privée est d’ailleurs majoritaire et représente plus de la moitié des capacités d’hospitalisation à temps plein en psychiatrie générale ([76]).

Cette répartition capacitaire est cohérente avec la part relative de chaque secteur dans le nombre de journées d’hospitalisation à temps complet en psychiatrie. En 2022, selon l’Atih ([77]), elles avaient lieu à 60 % dans les établissements publics, à 27 % dans les établissements privés à but lucratif et à 13 % dans le secteur privé non lucratif.

Répartition du nombre de lits de prise en charge à temps complet
en psychiatrie, selon le statut juridique de l’établissement, de 2008 à 2019

Source : Drees pour la mission d’information.

b.   La dynamique d’activité d’hospitalisation complète en psychiatrie reflète l’évolution du capacitaire

Fort logiquement, la dynamique de réduction du capacitaire influence celle de l’activité réalisée. L’activité d’hospitalisation en psychiatrie, pour des prises en charge à temps complet comme à temps partiel, a connu une baisse entre 2008 et 2023. Le nombre de journées de prise en charge à temps complet a alors diminué de 7,9 %, passant de 21,0 millions à 17,3 millions, soit 81 % des journées, une part stable depuis 2017, en dehors de l’année 2020 où l’impact de la crise sanitaire l’a établi à 85 % ([78]). En 2023, près de 408 000 patients ont été pris en charge à temps complet (313 000) ou à temps partiel en psychiatrie, et les soins réalisés ont généré 21,5 millions de journées de présence à temps complet ou à temps partiel. Fait notable, les travaux de l’Atih montrent du reste que la part de femmes hospitalisées à temps complet dans la population française féminine dépasse celle des hommes ([79]), et que la hausse du nombre de femmes prises en charge à temps partiel, particulièrement forte entre 2022 et 2023 (+ 7,5 %) est plus soutenue que celle des hommes (+ 2,8 %).

Évolution de l’activité de psychiatrie à temps complet

Source : Atih, Analyse de l’activité hospitalière en psychiatrie, octobre 2024. RIM-P 2017 à 2023.

Le recul de l’activité de psychiatrie à temps complet est la conséquence de la baisse de l’hospitalisation à temps plein, avec une diminution de 6,4 % entre 2008 et 2019, ce qui représente une perte de 1,2 million de journées ([80]). Le recul de près de 8 % du nombre de journées de prise en charge à temps complet est cohérent avec la contraction de 7,5 % des capacités de prise en charge à temps complet dans le secteur public et le secteur privé non lucratif sur cette période. La forte baisse du nombre de journées est en effet le fait des établissements publics et privés à but non lucratif, qui représentent ensemble 75 % de l’offre de prise en charge à temps complet, en baisse respectivement de 15,8 % et 15,3 %.

À l’inverse, l’activité des établissements de santé privé à but lucratif, qui comptent pour le quart de l’offre de prise en charge à temps complet, a augmenté de 23,5 % entre 2008 et 2019 ([81]). La Fédération de l’hospitalisation privée Psychiatrie (FHP Psy) indique que les cliniques privées, attendent une augmentation de 4,7 % par an de leur activité d’hospitalisation sur la période 2022-2027.

c.   La psychiatrie est devenue la discipline la plus rentable du secteur privé lucratif

● Le dernier panorama des établissements de santé publié par la Drees montre une situation financière des cliniques privées bien plus favorable que celle des hôpitaux publics ([82]).

Les comptes financiers des hôpitaux publics se sont fortement dégradés en 2022. Leur déficit s’est creusé de 415 millions d’euros en 2021 à 1,3 milliard d’euros en 2022. Toutes les dépenses progressent fortement (+ 5,1 %), sous l’impulsion notamment des charges de personnel résultant du Ségur de la santé ([83]) et de la revalorisation du point d’indice des fonctionnaires ([84]), alors que les recettes ont augmenté plus faiblement (+ 4,1 %), ce qui explique l’aggravation des déficits.

À l’inverse, la situation financière des cliniques privées à but lucratif est nettement bénéficiaire. Alors que la progression moyenne était de 1,7 % par an entre 2014 et 2020, les recettes des cliniques privées ont augmenté de 12 % entre 2020 et 2021 et de 7,1 % entre 2021 et 2022. Plusieurs phénomènes y ont contribué, en particulier la garantie de financement qui a assuré, de 2020 à 2022, un financement minimal au moins équivalent à celui observé avant la crise sanitaire. Contrairement aux hôpitaux publics, l’activité des cliniques est très dynamique depuis la crise sanitaire, en hausse de 8,3 % par rapport à 2019 ce qui leur a permis d’ajouter, aux recettes tirées de la garantie de financement, celles liées au supplément d’actes accomplis. En effet, les cliniques privées ont su tirer profit des déprogrammations massives liées à la gestion de la crise sanitaire par les hôpitaux publics pour conquérir des parts de marché en proposant aux patients reportés une prise en charge rapide.

● Au sein des cliniques privées, les établissements spécialisés en psychiatrie se distinguent par un niveau exceptionnel de résultat net rapporté aux recettes. En effet, il y est en moyenne trois fois supérieur à celui des cliniques spécialisées en médecine, chirurgie et obstétrique. Les travaux de la Drees montrent la psychiatrie, malgré un léger recul par rapport à 2021, comme la discipline la plus rentable du secteur privé lucratif ([85]). Ainsi, les cliniques psychiatriques ont dégagé en 2022 un résultat net rapporté aux recettes de 8,7 % (après 9,1 % en 2021), contre 2,8 % en clinique de médecine, chirurgie et obstétrique, et 4,8 % en clinique de soins de suite et réadaptation.

Évolution du résultat net rapporté aux recettes des cliniques privées

Source : données Drees, 2024.

3.   L’essor du secteur privé lucratif ne compense pas la réduction de l’offre de service public

En 2022, 60 % des prises en charge psychiatriques dans les établissements de santé étaient effectuées dans les hôpitaux publics. Les prises en charge dans les établissements du secteur privé lucratif représentaient moins de 30 % des journées, et 13 % pour le secteur privé à but non lucratif ([86]). Alors que l’activité d’hospitalisation complète baisse de manière continue dans le secteur public et augmente de manière tout aussi continue dans le secteur privé, une part croissante de patients se tournent vers les urgences ou les CAC, laissant penser que la baisse globale des capacités d’hospitalisation se répercute sur ces structures.

Cette hypothèse, formulée à de nombreuses reprises par les personnes que la mission d’information a entendues, est corroborée par l’analyse des journées d’hospitalisation classées selon le diagnostic principal de chaque séjour ([87]) au sein des établissements publics et privés à but non lucratif d’une part, et au sein des établissements privés à but lucratif d’autre part ([88]).

● Certains paramètres de l’organisation des soins peuvent avoir un impact sur l’adressage préférentiel des patients vers le secteur public ou vers le secteur privé à but lucratif.

Premièrement, les situations d’urgence psychiatrique sont prises en charge quasi exclusivement dans le secteur public. Ensuite, les soins sans consentement doivent être prodigués dans des structures autorisées qui relèvent historiquement du secteur public ou privé d’intérêt collectif ([89]). Entre 2018 et 2022, 234 établissements du secteur public ou du secteur privé à but non lucratif ont déclaré des soins sans consentement en hospitalisation et seulement 10 établissements du secteur privé à but lucratif. L’isolement et la contention, qui doivent avoir lieu dans le cadre de soins sans consentement si elles dépassent une certaine durée, sont également mis en œuvre historiquement et quasi exclusivement par des établissements du secteur public ou privé d’intérêt collectif.

Par ailleurs, l’analyse faite par l’Atih des données d’activité 2022, regroupées selon le diagnostic principal de chaque séjour, révèle un adressage préférentiel des patients les plus sévères vers le secteur public ou le privé à but non lucratif. Ainsi, les diagnostics de schizophrénie, troubles schizotypiques et troubles délirants sont largement dominants dans les établissements publics et privés non lucratifs dont ils représentent 35 % à 40 % des prises en charge en 2022. À l’inverse, dans les établissements privés lucratifs, plus de la moitié des prises en charge (52 %) concernait alors les troubles de l’humeur. En outre, certaines familles de diagnostics ne se retrouvent pas ou très peu dans les établissements privés lucratifs, ce qui signifie qu’ils ne sont pas ou très rarement pris en charge en dehors du secteur public. Il s’agit notamment des troubles du développement psychologique, des syndromes comportementaux associés à des perturbations physiologiques et à des facteurs physiques ainsi que du retard mental.

Répartition des journées d’hospitalisation en psychiatrie en fonction de la catégorie de diagnostic principal et du statut d’établissement