N° 774
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX‑SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 janvier 2025
RAPPORT D’INFORMATION
FAIT
AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX OUTRE-MER
en conclusion des travaux d’une mission d’information ([1])
sur l’avenir institutionnel des outre-mer
PAR
MM. Philippe GOSSELIN et Davy RIMANE
Députés
—
La mission d’information est composée de : MM. Philippe GOSSELIN et Davy RIMANE, rapporteurs.
SOMMAIRE
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Pages
Chapitre premier : Le droit des outre-mer
Première partie : Identité et spécialité législatives, une distinction historique à dépasser
I. La « summa divisio » 73/74 : une distinction constitutionnelle qui remonte à 1946
A. La naissance des « DOM‑TOM »
1. La loi du 19 mars 1946 crée les Départements d’outre-mer
3. Les articles 73 et 74 apparaissent
A. La nouvelle rédaction des articles 73 et 74 : des DOM-TOM aux Drom-COM
1. Des demandes d’autonomie avant la révision de 2003
2. La révision de 2003 substitue une summa divisio à une autre
3. La constitution contient désormais une liste des outre-mer
4. Une simplification du cadre constitutionnel qui ne met pas fin au « sur mesure »
B. L’approfondissement de la différenciation par la mise en œuvre de la révision de 2003
1. Une mobilité statutaire entre DROM et COM
2. Dans les COM, une différenciation possible dans les statuts organiques
3. Avec la révision de 2003, presque tous les outre-mer changent de statut
4. La réalité statutaire des outre-mer demeure donc aujourd’hui très complexe
1. Une dichotomie constitutionnelle qui ne correspond plus à la réalité statutaire des outre-mer
2. Une demande de d’avantage de possibilités d’adaptation
1. La nécessaire différenciation normative, reconnue par la Constitution
2. Une adaptation souvent oubliée lors de l’élaboration des textes
3. Les habilitations : une adaptation par les outre-mer eux-mêmes…
4. …dont les modalités sont trop complexes
C. Dans les COM : un droit de plus en plus complexe
D. Une nécessité d’évolution également soulignÉe par les universitaires, selon différents scÉnarios
1. La nécessité d’une évolution du cadre juridique
2. La question du transfert des ressources
E. Une évolution qui ne contredit pas l’appartenance À la RÉpublique
F. Le processus corse : un CATALYSEUR ?
Deuxième partie : comparaisons internationales
1. Une association librement consentie
2. Une dépendance à l’égard d’un État protecteur
B. Les États en libre-association avec la Nouvelle-Zélande : Niue et les îles Cook
1. Une réalité différente des États associés avec les États-Unis
2. Une souveraineté limitée par la démographie
II. L’autonomie des pays constitutifs
B. Le Statut du royaume des Pays-Bas
1. L’éclatement de la Fédération des Antilles néerlandaises
2. Aruba, Curaçao et Sint-Maarten, pays constitutifs du Royaume
III. Les collectivités de droit commun
A. L’Alaska et Hawaï devenus des États de droit commun
1. L’Alaska : une intégration complète en moins d’un siècle
2. Hawaï : l’intégration rapide mais controversée d’un ancien royaume
B. Les îles Canaries en Espagne
1. Le droit commun de l’archipel des Canaries
2. Les cas spécifiques de Ceuta et Melilla
C. Madère et les Açores au Portugal
1. Un statut régional précurseur
2. Une autonomie relativement avancée
D. Les outre-mer de l’Équateur et du Chili
1. Un régime de droit commun « adapté » pour les Galápagos
2. L’île de Pâques se cherche toujours un avenir institutionnel
IV. L’administration directe de certains territoires
5. Les îles Vierges américaines
B. Les territoires australiens
1. Trois petites îles peu peuplées
2. L’île de Norfolk a perdu son autonomie
C. Bonaire, Sint-Eustatius et Saba : les collectivités sui generis néerlandaises
1. Les conséquences de la dissolution de la Fédération des Antilles néerlandaises
2. La spécialité législative s’applique sur ces îles
D. le choix nÉo-zÉlandais de Tokelau
1. Des pouvoirs largement gérés par les instances coutumières
2. Un refus explicite et réitéré de l’indépendance
A. Les dÉpendances de la couronne
1. Une ample autonomie qui remonte au Moyen-âge
2. Des sujets britanniques non représentés au Parlement
B. Les « British oversea territories »
1. Des territoires organisés de manière très autonome
2. Le cas particulier des bases britanniques sur Chypre
3. Un droit de la nationalité subtil et évolutif
4. Le cas des Chagos : un archipel vidé de sa population
Chapitre deux : les collectivités de l’océan indien
I. une histoire coloniale atypique
A. la seule colonie française découverte inhabitÉe
1. Une colonisation à but économique et militaire
2. Le rôle essentiel de l’esclavage dans la mise en valeur de l’île
3. Les débuts chaotiques de la départementalisation
B. L’attachement de la RÉunion au droit commun
1. La décentralisation de la fin du vingtième siècle
2. L’autolimitation instaurée par l’ « amendement Virapoullé »
II. un territoire fermement ancré dans la République
A. autonomistes contre loyalistes : un débat clos
1. Les centres de préoccupation se sont déplacés
2. Le Parti réunionnais (Paré), seule voix dissonante
B. l’ « amendement virapoullÉ »
1. Un droit d’adaptation très encadré
2. Une disposition vécue comme une autocensure par certains
3. Un amendement protecteur pour d’autres
C. Pourtant, nombre de lois mÉriteraient d’Être adaptÉes
1. La nécessité d’adapter certains textes aux réalités locales
2. Une adaptation souhaitée par les acteurs économiques
III. Les possibles Évolutions institutionnelles de la rÉunion
A. un amÉnagement des dispositions existantes
1. Approfondir la décentralisation
2. L’insertion de La Réunion dans son environnement international
B. l’Éternel dÉbat autour d’une assemblÉe unique
1. La Réunion a choisi de conserver ses deux assemblées
2. Un enchevêtrement de compétences à clarifier
I. Une Île historiquement tournÉe vers la france
A. Une union nÉe d’un traitÉ librement consenti
1. L’archipel s’est placé sous la protection française en 1841
2. La colonisation plus tardive des autres îles comoriennes (1886)
3. Une succession de référendums sans ambiguïté entre 1974 et 76
B. la longue marche vers la dÉpartementalisation
1. Une évolution en douceur vers la départementalisation
2. Un bref statut transitoire (2003-2011)
3. La départementalisation de 2011
C. Un processus considéré comme inachevé
1. L’absence de suivi des différents plans de développement
2. Les transferts financiers sont absorbés par le fonctionnement
II. MAYOTTE EST une collectivité en grande difficulté
A. l’explosion démographique : une chance pour l’avenir, mais un fardeau pour l’immédiat
1. De l’avis général, la population est largement sous-évaluée
2. Les difficultés pour scolariser tous les enfants
3. Un frein à la réussite des enfants et à l’attractivité du territoire
B. le tissu économique et l’administration accompagnent mal l’expansion démographique
1. L’économie ne produit quasiment aucune valeur ajoutée
2. Un territoire sous-administré
3. L’organisation perfectible du conseil départemental
4. D’autres problèmes matériels
III. les conséquences d’une départementalisation inachevée
A. rattrapage social, sécurité et respect de la loi : les demandes minimales des mahorais
1. Le rattrapage en matière sociale
3. La demande du respect de la loi
B. mieux prendre en compte les réalités locales
1. Achever la départementalisation avant toute nouvelle évolution
2. Prendre en compte les réalités économiques
3. Améliorer l’attractivité de la collectivité
4. Préserver Mayotte des influences politiques et religieuses étrangères
IV. une évolution institutionnelle en chantier
A. consolider et rationaliser l’existant
1. L’émergence d’un département-région
3. Augmenter le nombre de conseillers départementaux
4. Conforter la justice à Mayotte
5. Intégrer Mayotte dans son environnement international
B. Rétablir l’égalité républicaine
1. Un alignement rapide de l’ensemble des prestations sociales
2. Un effort particulier doit être consenti dans le domaine de la santé
3. Favoriser les études supérieures d’une population jeune
C. mieux contrÔler l’accÈs au territoire
1. Supprimer le droit du sol par une réforme constitutionnelle
2. Durcir les conditions d’accès et de séjour
D. accÉlÉrer de dÉveloppement de Mayotte
1. Un catalogue de projets économiques structurants
2. La nécessité de compenser les transferts de compétences
V. Mayotte après le cyclone Chido
A. L’ÉTAT doit prendre la mesure des efforts à consentir pour développer Mayotte
B. Les élus locaux doivent se montrer plus rigoureux
Chapitre trois : les collectivités de l’Atlantique
I. Une histoire liée à la France depuis trois siècles et demi
1. La colonisation n’a concerné que la bande littorale du territoire
2. Une départementalisation controversée
II. La Guyane, un outre‑mer qui a ses propres « vérités »
A. Un territoire immense et hors‑normes
1. L’immense domaine forestier : une chance et une contrainte
2. Une population jeune et en forte augmentation
B. Un territoire ancré en Amérique du sud, malgré des barrières
C. un contexte sécuritaire difficile
III. Un projet de collectivité autonome désormais complet
A. Une différenciation actuellement limitée, malgré des institutions spécifiques
1. La Guyane est déjà une collectivité territoriale unique…
B. L’élaboration du projet d’évolution statutaire : Une méthode aux résultats réels
1. Le congrès des élus, lieu de l’élaboration du projet de statut d’autonomie
2. Un projet d’autonomie désormais complet
3. Le choix d’un titre constitutionnel spécifique
a. Pour Gabriel Serville « la notion d’outre-mer ne convient pas à la Guyane »
b. La Guyane veut obtenir un statut organique dans le cadre de la République et de l’Europe
4. Le choix d’un corps électoral spécial pour consulter les guyanais
C. Un projet loin d’être consensuel
1. Les forces politiques se sont saisies du projet
a. Certains points donnent lieu à des critiques…
b. ...mais tous sont favorables à une évolution statutaire
2. Une plus grande circonspection du monde socioéconomique
IV. La délicate question de la représentation des populations autochtones
A. La représentation dans le cadre des institutions actuelles
1. Deux peuples autochtones différents : les Amérindiens et les Bushinenges
2. Actuellement, une représentation unique des deux peuples par le grand conseil coutumier
B. Les Amérindiens souhaitent faire aboutir leurs revendications et faire connaître leur situation
1. Les « oubliés de la République » ()
C. Dans l’avant-projet, le Sénat coutumier remplace le Grand conseil coutumier
1. Pour les Bushinenges : améliorer le projet de Sénat coutumier
E. Une inquiétude sur la légalité du dispositif
1. Des réserves juridiques sur le modèle retenu
2. Une réponse globale des représentants amérindiens
V. Les évolutions depuis le passage de la mission en avril 2024
B. À l’automne 2024, une élection chaotique à la tête du grand conseil coutumier
C. Un projet auquel l’État doit désormais répondre
1. Les réserves exprimées par le président de la République
2. Des doutes sur la poursuite du processus
Deuxième partie : la Martinique
I. Un territoire qui perd sa population
A. Une île marquée par de nombreuses difficultés
1. Une dépression démographique inquiétante
2. Des défis environnementaux et économiques
B. La recherche, encore inaboutie, d’un statut consensuel
1. Une vie politique marquée par la personnalité d’Aimé Césaire
2. Des troubles qui marquent les débuts de la Cinquième République
3. L’émergence d’un mouvement indépendantiste
4. La décentralisation des années 1980
II. La Collectivité territoriale de Martinique : une institution originale
A. Une collectivité territoriale unique bicéphale
1. Le refus de faire de la Martinique une COM au sens de l’article 74 de la Constitution
2. Une séparation entre l’assemblée et l’exécutif inspirée du statut de la Corse
3. Un statut qui a mis fin à certaines aberrations
B. Des institutions dont les dysfonctionnements sont dénoncés
1. Un manque d’anticipation dès la mise en place de la collectivité unique
2. Une assemblée peu puissante et mal informée face à l’ « hyperprésident » du conseil exécutif
a. Des élus trop peu nombreux et un mode de scrutin qui interroge
3. Le CÉSECÉM souhaiterait avoir plus de poids pour faire le lien avec la population
A. Un diagnostic confié à l’opposition
B. Un diagnostic qui souligne les limites des dispositifs actuels
2. Le diagnostic est aussi une base pour des propositions faites au CIOM
3. Le souhait de « sortir du statu quo »
IV. Le projet : donner aux DROM une possibilité constitutionnelle d’autonomie normative
1. Une proposition pour l’ensemble des DROM
2. Un projet qui s’insère dans le processus institutionnel en cours au niveau national
3. Sur la forme : le choix d’une révision constitutionnelle
4. Sur le fond : le choix d’un équilibre entre « 73 » et « 74 »
5. Un choix fait après examen et rejet des autres options envisageables
a. Le congrès ne veut pas d’un titre constitutionnel spécifique
b. Le congrès ne souhaite pas modifier l’article 73
6. Un élément d’un projet plus large pour le « pays » Martinique
B. Un projet suscitant de nombreuses critiques
1. Entre « 73 » et « 74 », un risque de confusion ?
2. Le CÉSECÉM émet des critiques largement partagées
a. Une option possible sans révision constitutionnelle ?
c. Un projet trop éloigné des préoccupations des Martiniquais ?
3. Un congrès des élus boycotté par l’opposition
4. Des élus consulaires sceptiques
5. En dépit d’un manque d’enthousiasme, l’idée d’autonomie reste populaire
C. Un choix de temporiser qui interroge
D. Un processus remis en cause par la situation actuelle
troisième partie : La Guadeloupe
I. Une longue histoire et des caractéristiques uniques
A. L’histoire politique mouvementée de la Guadeloupe
1. Le chemin d’une « vieille colonie » vers la départementalisation
2. Le « Mai 1967 » guadeloupéen
3. Les années 80 : le renouvellement des courants indépendantiste et autonomiste
B. Des spécificités naturelles ou historiques
1. Des risques sanitaires et environnementaux
2. Le déséquilibre entre Basse-Terre et Pointe-à-Pitre
A. Des collectivités de droit commun, avec toutefois quelques particularités et des difficultés
1. Une région monodépartementale qui a connu peu d’évolutions institutionnelles
2. Les compétences des deux collectivités ne sont pas toujours bien délimitées
3. Des compétences spécifiques en vertu d’habilitations de l’article 73
4. Une certaine autonomie en matière de coopération avec les États voisins
B. Depuis 2003, la rÉflexion institutionnelle n’a pas encore abouti À une modification statutaire
III. Un projet d’évolution institutionnelle désormais lancé
A. Le congrès du 7 juin 2023 : l’évolution institutionnelle au prisme d’un projet de société
1. Des travaux pour améliorer et renforcer les politiques publiques
2. Une première esquisse d’une évolution institutionnelle
B. À partir de janvier 2024, un important travail de préparation malgré les doutes des élus
b. Une bonne information, grâce à un site internet
a. La place réduite de la région dans l’élaboration du projet
b. La circonspection de certains acteurs politiques, économiques et sociaux
C. En 2024, le congrès des élus a acté la volonté de faire de la Guadeloupe une collectivité unique
1. D’importantes décisions, après un début en demi-teinte
2. Le choix d’une collectivité territoriale unique selon un schéma défini
a. Des nouvelles institutions guadeloupéennes
b. Une consultation de la population et plusieurs pistes juridiques
IV. L’évolution institutionnelle devra prendre en compte certaines spécificités du territoire
A. Double-insularité et évolution institutionnelle : un défi pour Marie‑Galante
1. Une île en perte de vitesse démographique et économique
3. Le besoin de renforcer l’autonomie décisionnaire et financière
B. Un trop grand nombre d’intercommunalités ?
1. Une coopération intercommunale indispensable mais inadaptée
2. La nécessité de revoir la carte des intercommunalités
C. Pénurie d’eau et insécurité : des crises récurrentes
1. L’approvisionnement en eau n’est pas complètement sécurisé
quatrième partie : Saint-Martin et Saint-Barthélemy
I. La trajectoire historique de ces deux îles
A. Les débuts de la colonisation aux Îles du nord
1. Saint-Martin : une île pour deux projets de colonisation
2. La souveraineté suédoise sur Saint-Barthélemy
B. La double insularité au sein de l’empire colonial français
1. La fin de l’économie de plantation à Saint-Martin
2. Saint-Barthélemy une île infertile et isolée
C. Le tournant de l’essor du tourisme
1. De l’isolement à la destination de luxe, l’explosion de l’économie touristique à Saint-Barthélemy
2. L’apparition d’un tourisme plus massif à Saint-Martin
II. Parcours de l’adoption d’un nouveau statut
A. L’échec d’un premier projet d’évolution statutaire
1. L’initiative des élus locaux de Saint-Barthélemy et de la Guadeloupe
2. L’arrêt du projet après la dissolution d’avril 1997
B. L’accession au statut de collectivité d’outre mer
1. La réforme constitutionnelle de 2003
2. Un projet d’évolution statutaire largement soutenu par la population
III. Cadres institutionnels et juridiques
A. Des institutions très similaires dans les deux nouvelles collectivités
B. Une représentation parlementaire définie par la démographie et les spécificités territoriales
C. Les conditions d’application des normes et les statuts de ces territoires dans l’Union européenne
1. Un principe d’identité législative tempéré par quelques compétences propres
2. Deux choix de statuts différents au sein de l’UE
IV. Poursuivre l’émancipation administrative à l’égard de la Guadeloupe
A. Le transfert inachevé des services de l’État
B. Une FUTURE PRÉFECTURE DE PLEIN EXERCICE
1. Un besoin mis en exergue par le passage d’Irma
2. Le processus en cours de mise en place d’une préfecture à Marigot
C. L’INSTALLATION D’UN TRIBUNAL JUDICIAIRE
1. Une dépendance aux juridictions guadeloupéennes
2. La transformation du tribunal de proximité de Saint-Martin en tribunal judiciaire
D. LA DEMANDE DE DÉCONCENTRATION DES SERVICES DE SANTÉ ET DU RECTORAT
1. D’autres demandes d’émancipation...
2. …pour l’instant sans réponses
V. depuiS 2007, DES SOUHAITS D’ÉVOLUTIONS INSTITUTIONNELLES PROPRES À CHAQUE ÎLE
A. L’ACCOMPAGNEMENT DE SAINT-MARTIN VERS PLUS D’AUTONOMIE
1. Des évolutions et choix récents jugés pertinents
2. La construction d’une architecture institutionnelle adaptée aux spécificités saint-martinoises
3. L’élargissement du domaine de compétences législatives de Saint-Martin
4. Transferts de compétences et moyens financiers alloués
1. Le succès économique du modèle choisi par Saint-Barthélemy
2. La volonté de développer des relations de partenariat avec l’État
3. Les nouveaux enjeux du foncier et de la sécurité
cinquième partie : saint-pierre-et-miquelon
A. une histoire à l’ombre du canada
1. Une activité historiquement orientée vers la pêche
2. La longue recherche d’un statut satisfaisant
3. Une réorientation de l’activité économique
B. un statut qui donne globalement satisfaction
1. Un territoire atypique composé de deux communes très différentes
2. Un président du conseil territorial doté de larges compétences
3. Un statut européen de « pays et territoire d'outre-mer » (PTOM)
C. la nécessaire évolution du système de normes
1. Une imbrication dans les marchés nord-américains
2. La question de la responsabilité pénale en cas d’accident
3. Des pistes de solutions proposées
4. Mettre en place un système dérogatoire ?
1. La gestion directe par l’État est controversée
2. Objectif : plus d’efficacité et d’adaptabilité
3. Le monde économique est opposé à un tel transfert
CHAPITRE quatre : les collectivités du Pacifique
première partie : La nouvelle-calédonie
I. L’HISTOIRE TRAGIQUE DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE
A. une colonie de peuplement au sein de l’empire colonial
1. Des politiques de peuplement plurielles
2. La marginalisation juridique du peuple kanak
3. Après-guerre : la marche vers l’autonomie
4. Le retour à la centralisation (1958-1983)
B. L’Émergence du mouvement indÉpendantiste
1. La bipolarisation politique (1975-1981)
2. La montée des tensions (1981-1984)
3. Les « Évènements » (1984-1988)
C. Des cycles de nÉgociations aboutissant à 3 rÉfÉrendums
1. Les accords de Matignon et d’Oudinot (1988)
2. L’assassinat de Jean-Marie Tjibaou (1989)
3. Les accords de Nouméa (1998) et le gel du corps électoral (2007)
4. Les trois référendums d’autodétermination (2018, 2020 et 2021)
II. La sortie des accords de NoumÉa
1. Une citoyenneté néo-calédonienne qui restreint le droit de vote
2. La question de la répartition des sièges
3. Le premier report des élections provinciales prévues en mai 2024
4. Le délai accordé par le Conseil d’État n’a pas été entièrement utilisé
B. Le dÉgel du corps Électoral : Un choix lourd de consÉquences
1. Une question d’universalité et d’égalité devant le suffrage
2. Un corps électoral en voie d’extinction en l’absence de dégel
3. Le projet de loi déposé par le gouvernement
4. Le Sénat apporte des correctifs, sans s’opposer au fond du dispositif
C. La révision constitutionnelle finalement suspendue
1. La question de la temporalité
2. Pour une indispensable temporisation du débat
III. pour la population, les stigmates d’une vraie souffrance
1. La réforme ne fait pas l’unanimité parmi les élus
2. Le partage des compétences ne satisfait personne
3. Le déclin démographique du territoire s’accentue
a. Une population en diminution constante
b. Une émigration qui concerne toutes les communautés
4. Une population notoirement surarmée
B. les indÉpendantistes dÉnoncent un complot
1. La crainte existentielle de la disparition du peuple kanak
2. Les inquiétudes sur le devenir du droit coutumier
3. Le sentiment d’une « immigration massive »
C. Les non-indÉpendantistes entre impatience et inquiÉtude
1. La population loyaliste est convaincue d’être victime d’injustices
2. Le gel du corps électoral complique le « vivre-ensemble »
3. La position nuancée de l’Éveil océanien, un « parti clé »
4. La suspicion d’ingérences étrangères
D. Les Émeutes du printemps 2024
1. Un déchaînement de violences
2. La réponse sécuritaire des autorités
3. Le « gel du dégel » et le second report des élections provinciales
4. Les annonces financières faites par le ministre chargé des outre-mer
E. Les premières conséquences politiques des évènements de 2024
1. Le départ du président du Congrès
2. La chute du gouvernement de Nouvelle-Calédonie
IV. le rÔle de la mÉtallurgie en Nouvelle-CalÉdonie
A. LA FILIÈRE NICKEL, UN PILIER ÉCONOMIQUE HISTORIQUE
1. Un phénomène économique devenu un élément politique
2. Une structuration autour de trois usines
B. une situation Économique qui se dÉgrade fortement
1. Le rôle déstabilisateur de la Chine sur le marché du nickel
2. Le bras de fer dangereux entre politiques et industriels
C. Le Pacte nickel, une rÉponse Étatique contestÉe
1. Une initiative de l’État mais qui implique tous les acteurs
2. Les réticences du Congrès à adopter le Pacte…
3. …Confirment le rôle du nickel dans l’avenir institutionnel du territoire
V. Quelques PerspectivES POUR LE LONG TERME
1. Une évolution institutionnelle pour des relations apaisées
2. Dépasser le clivage entre indépendantistes et loyalistes ?
3. La nécessité d’un accord global
deuxième partie : Wallis et Futuna
I. L’histoire de Wallis et Futuna
A. un attachement fort à la France, puissance protectrice
1. Les îles se sont placées d’elles-mêmes sous la protection de la France
2. Un statut inchangé depuis 1961
B. Un territoire très dépendant
1. La plus grande partie des produits consommés sont importés
2. Une forte communauté wallisienne et futunienne sur le « Cailloux »
3. Wallis et Futuna impactés par les évènements récents
4. Des îles qui dépendent surtout des financements nationaux
II. UNe monarchie dÉcomplexÉe et une rÉpublique tolÉrante
A. la coexistence de trois rois traditionnels
1. L’autorité des rois est limitée aux sujets coutumiers
2. Vacance du trône dans le royaume d’Alo
a. Les frais, indemnités et allocations versés au roi, à son gouvernement et aux chefs coutumiers
b. Les frais relevant du personnel mis à disposition
c. Les frais de fonctionnement divers
2. Les deux chefferies de Futuna
3. Un coût global très limité pour la République
III. La nécessaire modernisation de l’Assemblée territoriale
A. une législation qui doit être actualisée
1. Des règles quasiment inchangées depuis plus de soixante ans
2. Le territoire a ignoré les vagues de décentralisation
B. Les circonscriptions Électorales sont obsolÈtes
1. Le découpage ne correspond plus à la réalité de la démographie
2. Le système électoral favorise le vote clanique et la corruption
3. Adopter un vote à la représentation proportionnelle
C. Le nombre de conseillers À l’AssemblÉe territoriale
1. Réduire drastiquement le nombre de conseillers
2. « Et pour cela préfère l’impair »
3. La question du cumul des mandats
D. L’organisation de l’AssemblÉe territoriale
1. Des compétences partiellement obsolètes
2. Un trop faible nombre de jours de session
IV. corriger un certain nombre d’archaïsmes
1. La dernière collectivité dont l’exécutif est assuré par le préfet
2. Un transfert progressif de l’exécutif est indispensable
B. Le souhait d’une plus grande autonomie
1. Une plus grande autonomie régionale
2. Une émancipation à l’égard de la Nouvelle-Calédonie
C. Une fiscalité controversée et des aides « mal réparties »
1. Des pratiques fiscales très éloignées du droit national
2. Des subventions européennes utilisées avec peu d’efficacité
D. une protection sociale innovante
1. Le principe de la gratuité totale des soins à Wallis et Futuna
2. Une « zone grise » pour les wallisiens et Futuniens hors de leurs îles
A. une propriété foncière collective
1. Des terres inaliénables et des usages non sécurisés
2. La nécessité de mener de longues tractations
3. Vers une évolution des compétences ?
B. la proposition de loi du député mikaele sEo
1. Un malentendu historique sur la conception de la terre
2. Confier la compétence foncière aux autorités traditionnelles
troisième PARTIE : la PolynÉsie française
I. un territoire français depuis prÈs de 200 ans
A. une colonisation sans peuplement
1. Une population première originaire d’Asie
2. Un traité de protectorat français controversé
3. La colonie des Établissements français de l’Océanie (EFO)
B. L’Évolution du statut sous les IVÈme et VÈme rÉpubliques
1. La fin du statut colonial acté par la quatrième République
2. La recentralisation des débuts de la cinquième République
3. Le chemin vers l’autonomie réelle
1. Près de 200 essais nucléaires en trente ans
2. Le soutien de l’État en compensation de la baisse d’activité
3. Le suivi médical et l’indemnisation des victimes des essais
II. la situation particuliÈre des Îles Marquises
A. l’absence de contentieux avec le pouvoir central
1. Une prise de possession sans véritable colonisation
2. Un fort attachement à la France
3. Une population qui a failli disparaître…
4. …mais dont la culture reste bien vivace
B. un dÉsir d’autonomie à l’Égard de la PolynÉsie
1. La communauté de commune des îles marquises (CODIM)
2. De timides avancées en matière de déconcentration
C. vers la crÉation d’une communautÉ d’archipel ?
1. La demande de création d’une communauté d’archipel (CODAM)
2. La revendication d’une différenciation basée sur une identité forte
3. Les réticences des autorités polynésiennes
4. De l’avis général, le statu quo n’est plus possible aux Marquises
III. Les difficultÉs d’accÈs au droit
A. l’administration Évoque « un droit inaccessible »
1. Un constat accablant et partagé
2. Un partage de compétences subtil entre l’État le pays
3. Les tentatives inabouties d’inventaires des textes applicables
B. Le « compteur lifou » : une construction incertaine
1. L’arrêt « Élections municipales de Lifou » (1990) du Conseil d’État
3. Des erreurs relevées dans le compteur Lifou
IV. L’imbroglio liÉ au foncier
A. La rencontre de deux droits difficilement compatibles
1. La superposition du droit français au droit coutumier
2. Les difficultés liées à un état-civil récemment introduit
B. une situation devenue inextricable
1. Des règles de propriété différentes selon les archipels
2. Une gestion du foncier rendue délicate
V. l’apparition d’un dÉbat sur l’indÉpendance
A. les victoires Électorales du Tavini de 2022 et 2023
1. Une nouvelle génération d’indépendantistes
2. Le séparatisme se nourrit des injustices, réelles ou ressenties
3. Les églises accompagnent le mouvement
4. Des différences de méthodes
B. Les rÉticences d’une partie de la sociÉtÉ
1. Des raisons économiques : le coût de l’indépendance
2. Se protéger des convoitises des grands pays riverains du Pacifique
3. Le sentiment d’appartenir à une Nation
4. La voie médiane d’un État souverain associé à la France ?
5. Une indépendance encore loin d’être acquise
VI. des amÉnagements souhaitÉs À court terme
A. le fonctionnement perfectible des lois de pays
1. Les lois de pays n’ont pas le même statut à Tahiti et à Nouméa
2. Des conséquences sur la qualité de la norme produite en Polynésie
3. Pour un renforcement du statut des lois de pays polynésiennes
B. Des amÉnagements dans plusieurs domaines
1. Dans un premier temps, aménager la loi organique
2. La création d’un titre dans la Constitution
3. La création d’une citoyenneté
4. Une prime majoritaire trop forte ?
5. Clarifier des compétences parfois enchevêtrées
CHAPITRE cinq : les territoires inhabitÉs
I. les terres australes et antarctiques françaises (TAAF)
1. Une histoire relativement récente
2. Le régime constitutionnel et législatif des TAAF
3. Les politiques françaises de valorisation du Territoire
4. Une souveraineté française partiellement contestée
1. Une île devenue française par arbitrage international
2. Parcours institutionnel et régime juridique actuel
3. Une île relativement délaissée malgré un potentiel certain
Liste des recommandations des rapporteurs
Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs
A. Auditions réalisées du 23 novembre 2023 au 29 février 2024 à l’Assemblée nationale
B. Auditions réalisées du 5 au 7 février 2024 à La Réunion
C. Auditions réalisées du 7 au 9 février 2024 à Mayotte
D. Auditions réalisées du 9 au 11 mars 2024 à Wallis et Futuna
E. Auditions réalisées du 11 au 15 mars 2024 en Nouvelle-Calédonie
F. Auditions réalisées du 16 au 21 mars 2024 en Polynésie française
G. Auditions réalisées du 15 au 17 avril en Guyane
H. Auditions réalisées du 18 au 20 avril en Martinique
I. Auditions réalisées du 21 au 23 avril en Guadeloupe
J. Auditions réalisées en mai 2024 À l’Assemblée nationale
C’est oublier que la Délégation, consciente des enjeux en la matière, s’était saisie de la question dès le début du mois d’octobre 2023 et avait nommé des rapporteurs sur une mission portant sur l’avenir institutionnel des outre-mer dès le 18 octobre, deux jours avant les propos du président de la République.
Car l’évidence s’impose depuis plusieurs années : les outre-mer sont pluriels et la dichotomie entre départements et collectivités est désormais caduque. Chaque collectivité souhaite un statut particulier, à la mesure de son territoire et des enjeux qui s’y présentent.
La Délégation aux outre-mer a donc nommé quatre rapporteurs, différents et complémentaires, représentant à la fois la majorité et les oppositions, représentant à parité les outre-mer et l’hexagone, l’un d’entre eux se proclamant ouvertement indépendantiste polynésien.
Ces rapporteurs étaient :
- Davy Rimane, député (GDR) de Guyane et président de la Délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale ;
- Philippe Gosselin, député (LR) de la Manche ;
- Tematai Le Gayic, député (GDR) de Polynésie française ;
- Guillaume Vuilletet, député (LREM) du Val d’Oise.
L’objectif de la mission d’information consiste à répertorier les souhaits d’évolution institutionnelle les plus consensuels des outre-mer, de manière à être prêt à les mettre en œuvre le moment venu, lorsqu’une réforme statutaire sera lancée.
À l’issue d’un certain nombre d’auditions menées à l’Assemblée nationale avec des juristes, constitutionnalistes et universitaires (cf. liste en annexe), les rapporteurs ont décidé de se rendre sur le terrain à la rencontre des principaux concernés : les ultramarins.
La mission d’information a donc entrepris trois déplacements qui l’ont conduite sur trois continents :
– du 4 au 9 février 2024, elle s’est rendue dans l’océan Indien, d’abord à La Réunion, puis à Mayotte ;
– du 9 au 21 mars, elle a rendu visite aux trois collectivités du Pacifique : Wallis-et-Futuna, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française ;
– du 14 au 23 avril, elle s’est rendue en Guyane, en Martinique et en Guadeloupe.
Ne pouvant pas visiter l’ensemble des onze collectivités ultramarines françaises, la mission a organisé des visioconférences avec les collectivités où elle n’a pas pu se rendre : Saint-Martin, Saint-Barthélemy et Saint-Pierre-et-Miquelon.
*
Alors que le rapport était quasiment terminé et que sa présentation était programmée pour le 27 juin, le président de la République a décidé, le 9 juin 2024, de dissoudre l’Assemblée nationale, mettant un terme à la seizième législature et frappant de caducité les rapports qui n’avaient pas encore été publiés.
Les élections législatives des 30 juin et 7 juillet 2024 ont vu la réélection de deux des quatre rapporteurs, MM. Davy Rimane et Philippe Gosselin, MM. Tematai Le Gayic et Guillaume Vuilletet n’étant pas reconduits dans leur mandat de député par le suffrage universel.
Le 2 octobre 2024, Davy Rimane était réélu président de la Délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale. Le 31 octobre, lors de la première réunion plénière de la Délégation, les députés la composant décidaient à l’unanimité que les travaux menés sous la précédente législature et qui étaient sur le point d’être achevés devaient être présentés et publiés par les rapporteurs ayant été réélus. Ce faisant, la Délégation aux outre-mer ne se distinguait pas des pratiques des autres organes de l’Assemblée nationale.
C’est ainsi que le présent rapport, élaboré dans sa plus grande partie par quatre députés d’origines et d’opinions bien distinctes, n’est officiellement présenté que par deux d’entre eux.
Chapitre premier : Le droit des outre-mer
Première partie : Identité et spécialité législatives, une distinction historique à dépasser
I. La « summa divisio » 73/74 : une distinction constitutionnelle qui remonte à 1946
A. La naissance des « DOM‑TOM »
Si le « droit des outre‑mer » ne fait disparaître les cours de « législation coloniale » du programme des facultés de droit qu’en 1954 ([2]), cette évolution commence huit ans plus tôt.
1. La loi du 19 mars 1946 crée les Départements d’outre-mer
Le gouvernement provisoire accorde, par la loi « Lamine Guèye », la citoyenneté française à tous les ressortissants d’outre-mer et d’Algérie ([3]) et érige en départements, par la loi du 19 mars 1946 ([4]), les quatre « vieilles colonies » : la Martinique, la Guadeloupe, La Réunion et la Guyane française. Les trajectoires historiques de ces quatre territoires sont marquées par la présence française depuis plus de trois siècles, en opposition avec celle des autres territoires de l'empire colonial, acquis ou conquis au cours du XIXème siècle. Cette concordance explique, en partie, l’aspiration commune de la population de ces anciennes colonies à la départementalisation, qui s’inscrit dans la continuité du processus d'assimilation à la République amorcé en 1848 ([5]).
Ainsi « départementalisés » par cette loi, issue d’une proposition des députés Bissol, Vergès et Monnerville et rapportée par Aimé Césaire, ces quatre territoires sont désormais régis par le régime de l’identité législative. Son article 3 énonce en effet que : « les lois nouvelles applicables à la métropole le seront dans ces départements, sur mention expresse insérée aux textes. »
Autrement dit : le principe est désormais celui de l’application de plein droit, dans ces nouveaux « départements d’outre‑mer » (DOM), des lois et décrets en vigueur. Leurs institutions départementales et municipales deviennent identiques à celles de l’hexagone. Ces dispositions, néanmoins, n’ont « pas emporté l’introduction pure et simple de toute la législation métropolitaine, l’identité législative étant réalisée progressivement, notamment en matière sociale. » ([6])
2. La constitution de la IVème République y ajoute les Territoires d’outre-mer et des principes toujours en vigueur
Entrée en vigueur le 27 octobre 1946, la constitution de la IVème République prévoit que les DOM, de même que les territoires d’outre‑mer (TOM), forment, avec la France métropolitaine, la République française ([7]). Avec les territoires et États associés, qui n’en font pas partie, ils forment l’Union française. Celle‑ci fait l’objet dans le préambule de ladite Constitution, toujours en vigueur, des trois alinéas suivants :
« La France forme avec les peuples d’outre-mer une Union fondée sur l’égalité des droits et des devoirs, sans distinction de race ni de religion.
« L’Union française est composée de nations et de peuples qui mettent en commun ou coordonnent leurs ressources et leurs efforts pour développer leurs civilisations respectives, accroître leur bien-être et assurer leur sécurité.
« Fidèle à sa mission traditionnelle, la France entend conduire les peuples dont elle a pris la charge à la liberté de s’administrer eux-mêmes et de gérer démocratiquement leurs propres affaires ; écartant tout système de colonisation fondé sur l’arbitraire, elle garantit à tous l’égal accès aux fonctions publiques et l’exercice individuel ou collectif des droits et libertés proclamés ou confirmés ci-dessus. »
Égalité, développement et autodétermination des outre‑mer : ces principes sont donc, aujourd’hui encore, inscrits dans notre Constitution.
3. Les articles 73 et 74 apparaissent
Plus loin dans ce texte constitutionnel de 1946, la section I du titre VIII, est consacrée aux outre‑mer. Elle contient, déjà, une distinction entre les articles 73 et 74 :
– l’article 73 constitutionnalise, pour les DOM, l’application de plein droit de l’identité législative : « Le régime législatif des départements d’outre-mer est le même que celui des départements métropolitains, sauf exceptions déterminées par la loi. » ;
– l’article 74, qui concerne les TOM, prévoit qu’ils sont « dotés d’un statut particulier tenant compte de leurs intérêts propres dans l’ensemble des intérêts de la République » : c’est la spécialité législative, en vertu de laquelle ils sont, par principe, régis par un droit spécifique, et non, sauf exception, par le droit en vigueur dans l’hexagone.
La « summa divisio » entre identité et spécialité législatives, aujourd’hui encore en vigueur dans les mêmes articles 73 et 74 malgré l’adoption d’une nouvelle constitution, est née.
Les territoires obtiennent en outre la possibilité de changer de statut. Dans les TOM, l’existence d’une assemblée élue, l’élection de parlementaires nationaux et la possibilité du maintien du statut personnel sont consacrées. Les règles applicables aux TOM sont complétées par la loi‑cadre du 23 juin 1956, dite « Loi Defferre » ([8]) : elle instaure le suffrage universel et crée, dans chaque territoire, un conseil de gouvernement aux larges compétences, y compris en matière législative, composé de cinq « ministres » élus par l’assemblée territoriale, et de quatre fonctionnaires nommés par le gouverneur général, chef du territoire. Il s’agit donc d’une étape importante en matière d’autonomie et d’autodétermination des TOM, ce « statut largement décentralisé, rendant possible l’accession ultérieure au rang d’État souverain » ([9]), comme ce fut le cas, sous la IVème République, de très nombreux territoires.
B. Le maintien de cette dichotomie sous la Vème République, jusqu’à la révision constitutionnelle de 2003
La Constitution de 1958 change peu de choses à cet ordonnancement – y compris, s’agissant des TOM, après la discrète révision de 1992, qui inclut leurs statuts dans le champ des lois organique ([10]).
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Constitution de 1946 |
Constitution de 1958 |
Révision de 1992 |
Article 73 |
Le régime législatif des départements d’outre-mer est le même que celui des départements métropolitains, sauf exceptions déterminées par la loi. |
Le régime législatif et l’organisation administrative des départements d’Outre-mer peuvent faire l’objet de mesures d’adaptation nécessitées par leur situation particulière. |
Idem. |
Article 74 |
Les territoires d’outre-mer sont dotés d’un statut particulier tenant compte de leurs intérêts propres dans l’ensemble des intérêts de la République. |
Les territoires d’Outre-mer de la République ont une organisation particulière tenant compte de leurs intérêts propres dans l’ensemble des intérêts de la République. Cette organisation est définie et modifiée par la loi après consultation de l’assemblée territoriale intéressée. |
Les territoires d’Outre-mer de la République ont une organisation particulière tenant compte de leurs intérêts propres dans l’ensemble des intérêts de la République. |
Ce statut et l’organisation intérieure de chaque territoire d’outre-mer ou de chaque groupe de territoires sont fixés par la loi, après avis de l’Assemblée de l’Union française et consultation des assemblées territoriales. |
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Les statuts des territoires d’outre-mer sont fixés par des lois organiques qui définissent, notamment, les compétences de leurs institutions propres, et modifiés, dans la même forme, après consultation de l’assemblée territoriale intéressée. |
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Les autres modalités de leur organisation particulière sont définies et modifiées par la loi après consultation de l’assemblée territoriale intéressée. |
Les DOM‑TOM connaissent néanmoins plusieurs évolutions qui ne relèvent pas directement du champ constitutionnel.
Les dernières indépendances des TOM se produisent, avec, outre le cas particulier de l’Algérie, Djibouti en 1977 et le Vanuatu en 1980. Surtout, « les statuts de la quasi-totalité des territoires régis par l’article 74 évoluèrent fréquemment » ([11]), à l’exception notable de Wallis-et-Futuna. La Polynésie obtient un statut d’autonomie en 1984, Saint-Pierre-et Miquelon, devient DOM en 1976, puis « collectivité territoriale » en 1985, et Mayotte acquiert, en 2001, le statut transitoire de « collectivité départementale ». L’évolution statutaire la plus notable est néanmoins celle de la Nouvelle Calédonie, qui acquiert un statut constitutionnel « sui generis » (cf. infra).
Les DOM, quant à eux, vivent comme l’hexagone, en 1982, le mouvement de régionalisation, avec, néanmoins, des conséquences un peu différentes. La tentative de création, dans ces territoires, d’une assemblée unique se heurte en effet à la censure du Conseil constitutionnel ([12]), ce qui conduit les DOM à devenir les seules régions monodépartementales de France, « ce qui n’était pas sans poser des problèmes d’enchevêtrement de compétences » ([13]). Les régions ultramarines possèdent néanmoins quelques spécificités, notamment un pouvoir de taux en ce qui concerne l’octroi de mer.
Dans le même temps, l’ordre juridique des Communautés, puis de l’Union européenne, adopte lui aussi sa propre « summa divisio », entre Régions ultrapériphériques (RUP), bénéficiant d’une « intégration différenciée » impliquant l’application du droit européen, et Pays et territoires d’outre-mer (PTOM), simplement associés sans être soumis au droit européen, mais ne pouvant accéder aux fonds structurels et d’investissement ([14]). Leur statut est désormais fixé par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ([15]). Depuis le départ du Royaume‑Uni de l’Union européenne, la France est le seul État dont les outre‑mer comprennent à la fois des RUP et des PTOM.
II. La révision de 2003 reconnaît le droit à la différenciation et consacre l’existence de statuts « à la carte »
A. La nouvelle rédaction des articles 73 et 74 : des DOM-TOM aux Drom-COM
1. Des demandes d’autonomie avant la révision de 2003
Avant même la révision constitutionnelle de 2003([16]), le modèle binaire des DOM et des TOM avait donc déjà laissé la place à une grande hétérogénéité statutaire, révélant la volonté de nombreux territoires – mais pas tous – de disposer d’un statut plus conforme à leurs réalités locales et d’une forme accrue d’autonomie.
Contrairement à La Réunion, très attachée à sa proximité statutaire avec l’hexagone, ces demandes s’expriment, aux Antilles et en Guyane, dans les travaux des congrès créés par la loi d’orientation pour l’outre-mer (LOOM) de 2000, et qui réunissent, dans chaque DOM, l’ensemble des élus. Cette demande d’autonomie et de modification du statut était déjà présente, en 1999, dans le « pacte de développement pour la Guyane » et dans la « déclaration de Basse‑Terre ».
2. La révision de 2003 substitue une summa divisio à une autre
La révision de 2003, néanmoins, substitue une summa divisio à une autre : le modèle des « DOM‑TOM » est remplacé par celui des « Drom-COM » : Départements et régions d’outre‑mer régies par l’article 73 d’une part, Collectivités d’outre‑mer régies par l’article 74 d’autre part.
Les articles 73 et 74 de la Constitution après la révision constitutionnelle de 2003
Les départements et régions d’outre‑mer
Art. 73 – Dans les départements et les régions d’outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités.
Ces adaptations peuvent être décidées par ces collectivités dans les matières où s’exercent leurs compétences et si elles y ont été habilitées selon le cas, par la loi ou par le règlement.
Par dérogation au premier alinéa et pour tenir compte de leurs spécificités, les collectivités régies par le présent article peuvent être habilitées, selon le cas, par la loi ou par le règlement, à fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire, dans un nombre limité de matières pouvant relever du domaine de la loi ou du règlement.
Ces règles ne peuvent porter sur la nationalité, les droits civiques, les garanties des libertés publiques, l’état et la capacité des personnes, l’organisation de la justice, le droit pénal, la procédure pénale, la politique étrangère, la défense, la sécurité et l’ordre publics, la monnaie, le crédit et les changes, ainsi que le droit électoral. Cette énumération pourra être précisée et complétée par une loi organique.
La disposition prévue aux deux précédents alinéas n’est pas applicable au département et à la région de La Réunion.
Les habilitations prévues aux deuxième et troisième alinéas sont décidées, à la demande de la collectivité concernée, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique. Elles ne peuvent intervenir lorsque sont en cause les conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnellement garanti.
La création par la loi d’une collectivité se substituant à un département et une région d’outre-mer ou l’institution d’une assemblée délibérante unique pour ces deux collectivités ne peut intervenir sans qu’ait été recueilli, selon les formes prévues au second alinéa de l’article 72-4, le consentement des électeurs inscrits dans le ressort de ces collectivités.
Les mentions en gras sont issues de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République.
Les collectivités d’outre‑mer
Art. 74 – Les collectivités d’outre-mer régies par le présent article ont un statut qui tient compte des intérêts propres de chacune d’elles au sein de la République.
Ce statut est défini par une loi organique, adoptée après avis de l’assemblée délibérante, qui fixe :
– les conditions dans lesquelles les lois et règlements y sont applicables ;
– les compétences de cette collectivité ; sous réserve de celles déjà exercées par elle, le transfert de compétences de l’État ne peut porter sur les matières énumérées au quatrième alinéa de l’article 73, précisées et complétées, le cas échéant, par la loi organique ;
– les règles d’organisation et de fonctionnement des institutions de la collectivité et le régime électoral de son assemblée délibérante ;
-les conditions dans lesquelles ses institutions sont consultées sur les projets et propositions de loi et les projets d’ordonnance ou de décret comportant des dispositions particulières à la collectivité, ainsi que sur la ratification ou l’approbation d’engagements internationaux conclus dans les matières relevant de sa compétence.
La loi organique peut également déterminer, pour celles de ces collectivités qui sont dotées de l’autonomie, les conditions dans lesquelles :
– le Conseil d’État exerce un contrôle juridictionnel spécifique sur certaines catégories d’actes de l’assemblée délibérante intervenant au titre des compétences qu’elle exerce dans le domaine de la loi ;
– l’assemblée délibérante peut modifier une loi promulguée postérieurement à l’entrée en vigueur du statut de la collectivité, lorsque le Conseil constitutionnel, saisi notamment par les autorités de la collectivité, a constaté que la loi était intervenue dans le domaine de compétence de cette collectivité ;
– des mesures justifiées par les nécessités locales peuvent être prises par la collectivité en faveur de sa population, en matière d’accès à l’emploi, de droit d’établissement pour l’exercice d’une activité professionnelle ou de protection du patrimoine foncier ;
– la collectivité peut participer, sous le contrôle de l’État, à l’exercice des compétences qu’il conserve, dans le respect des garanties accordées sur l’ensemble du territoire national pour l’exercice des libertés publiques.
Les autres modalités de l’organisation particulière des collectivités relevant du présent article sont définies et modifiées par la loi après consultation de leur assemblée délibérante.
Conformément à l’article 74, les COM peuvent choisir, dans leur statut organique, d’être dotées d’une « autonomie » qui leur permet d’adopter des « lois de pays », contrôlées par le Conseil d’État, de demander au Conseil constitutionnel la délégalisation de dispositions qui interviendraient dans leur champ de compétence, de mettre en place des mesures de préférence locale et de participer à l’exercice des compétences de l’État. Il s’agit donc d’une distinction supplémentaire au sein des COM, qui leur octroie d’avantage d’autonomie normative.
3. La constitution contient désormais une liste des outre-mer
La révision de 2003 vient également lister dans la Constitution, à l’article 72‑3, l’ensemble des outre-mer, et crée également l’article 72‑4.
Deux nouveaux articles consacrés aux outre‑mer
introduits dans la Constitution en 2003
Art. 72‑3 – La République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d’outre‑mer, dans un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité.
La Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion, Mayotte, Saint‑Barthélemy, Saint‑Martin, Saint‑Pierre‑et‑Miquelon, les îles Wallis et Futuna et la Polynésie française sont régis par l’article 73 pour les départements et les régions d’outre‑mer et pour les collectivités territoriales créées en application du dernier alinéa de l’article 73, et par l’article 74 pour les autres collectivités.
Le statut de la Nouvelle‑Calédonie est régi par le titre XIII.
La loi détermine le régime législatif et l’organisation particulière des Terres australes et antarctiques françaises et de Clipperton.
Art. 72‑4 – Aucun changement, pour tout ou partie de l’une des collectivités mentionnées au deuxième alinéa de l’article 72-3, de l’un vers l’autre des régimes prévus par les articles 73 et 74, ne peut intervenir sans que le consentement des électeurs de la collectivité ou de la partie de collectivité intéressée ait été préalablement recueilli dans les conditions prévues à l’alinéa suivant. Ce changement de régime est décidé par une loi organique.
Le président de la République, sur proposition du gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal officiel, peut décider de consulter les électeurs d’une collectivité territoriale située outre-mer sur une question relative à son organisation, à ses compétences ou à son régime législatif. Lorsque la consultation porte sur un changement prévu à l’alinéa précédent et est organisée sur proposition du gouvernement, celui-ci fait, devant chaque assemblée, une déclaration qui est suivie d’un débat.
Les mentions en gras sont issues de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République.
C’est donc l’ensemble du droit constitutionnel des outre‑mer qui se trouve ainsi réécrit.
4. Une simplification du cadre constitutionnel qui ne met pas fin au « sur mesure »
L’adoption de ce nouveau « cadre constitutionnel simplifié et assoupli » tout aussi binaire des Drom‑COM était justifiée par le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale en qualifiant le modèle des DOM‑TOM de « bel ordonnancement binaire […] progressivement remis en cause avec l’apparition de collectivités à statut particulier » ([17]). Il a néanmoins d’avantage servi de support pour l’adaptation plus ou moins poussée du statut de chaque territoire que de simplification du paysage statutaire des outre‑mer, donnant naissance à une diversité de statuts « sur mesure », selon l’expression employée par le président Jacques Chirac le 11 mars 2000 dans le discours prononcé à Madiana, en Martinique.
B. L’approfondissement de la différenciation par la mise en œuvre de la révision de 2003
1. Une mobilité statutaire entre DROM et COM
Outre l’achèvement de la départementalisation de Mayotte, l’article 72‑4 sert de support au passage « vers le 74 », en 2007, de Saint‑Martin et Saint‑Barthélemy, qui cessent ainsi d’être les « îles du nord » de la Guadeloupe. Alors que Saint‑Martin choisit de conserver le statut de RUP, Saint‑Barthélemy devient un PTOM, à l’inverse de Mayotte qui devient RUP.
Le dernier alinéa de l’article 73 est, quant à lui, la base de la mise en place de collectivités territoriales uniques, dans la mesure où il permet la fusion des instances départementales et régionales, comme cela a été fait en Guyane et en Martinique. Une telle fusion donne lieu à l’introduction, dans le code général des collectivités territoriales, de dispositions spécifiques au fonctionnement des instances de la nouvelle collectivité. Ce même alinéa ouvre également aux DROM la possibilité de fusionner conseil départemental et conseil régional en une assemblée unique, sans fusion du département et de la région, ces deux collectivités conservant des présidents distincts ; aucun territoire n’a pour l’instant fait usage de cette faculté.
2. Dans les COM, une différenciation possible dans les statuts organiques
Dans le même temps, la détermination par la loi organique du statut des COM leur donne, conformément à l’article 74, la souplesse nécessaire pour décider de l’amplitude des matières dans lesquelles elles souhaitent que le principe de spécialité s’applique. Ce champ peut être étroit ou très vaste, comme en Polynésie. Pour certains interlocuteurs auditionnés, tel Maître Patrick Lingibé, la Polynésie est même – si l’on excepte le cas particulier de Wallis‑et‑Futuna et sans oublier le cas spécifique de la Nouvelle‑Calédonie – la seule COM où le principe de spécialité s’applique véritablement. À l’inverse, bien que le statut constitutionnel de Saint‑Pierre‑et‑Miquelon soit identique, le principe d’identité législative y trouve une application presque totale, ce qui conduit Justin Daniel à dire que les pouvoirs de ce territoire sont « en deçà » de ceux des Drom.
3. Avec la révision de 2003, presque tous les outre-mer changent de statut
Ainsi, la révision de 2003 et ses applications se traduisent-elles par une redéfinition des statuts de l’ensemble des territoires :
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Avant la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 |
Après la révision constitutionnelle |
Régime législatif |
Guadeloupe |
DOM et ROM |
– Possibilité de fusionner DOM et ROM ; – Possibilité de transformation en COM. |
Identité législative avec possibilité d’être habilité à intervenir en matière législative et réglementaire (adaptations et fixation des règles). |
La Réunion |
DOM et ROM |
– Possibilité de fusionner DOM et ROM ; – Possibilité de transformation en COM. |
Identité législative sans possibilité de fixer les règles. |
Guyane et Martinique |
DOM et ROM |
Collectivités uniques dans le cadre de l’article 73 de la Constitution. |
Identité législative avec possibilité d’être habilité à intervenir en matière législative et réglementaire (adaptations et fixation des règles). |
Mayotte |
Collectivité sui generis (art. 72). |
Département d’outre‑mer depuis le 31 mars 2011. |
Identité législative avec possibilité d’être habilité à intervenir en matière législative et réglementaire (adaptations et fixation des règles). |
Saint-Pierre-et-Miquelon |
Collectivité sui generis (art. 72). |
Collectivité d’outre‑mer |
Identité législative, sauf en matière d’impôts, de régime douanier, d’urbanisme et de construction. |
Wallis-et-Futuna |
Territoire d’outre‑mer (TOM). |
Collectivité d’outre‑mer (COM). |
Spécialité législative. |
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Avant la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 |
Après la révision constitutionnelle |
Régime législatif |
Polynésie française |
Territoire d’outre‑mer (TOM). |
Collectivité d’outre‑mer (COM) dotée de l’autonomie. |
Spécialité législative et autonomie. |
Saint- |
Commune de la Guadeloupe. |
Collectivité d’outre‑mer (COM) dotée de l’autonomie. |
Identité législative, avec exceptions (extension sur mention expresse en matière de séjour des étrangers et de droit d’asile, compétence propre en matière, notamment, d’impôts, de circulation routière, d’urbanisme et d’énergie, ainsi que d’environnement pour Saint‑Barthélemy). |
Saint-Martin |
Commune de la Guadeloupe. |
Collectivité d’outre‑mer (COM) dotée de l’autonomie. |
|
Nouvelle- |
Collectivité sui generis de niveau constitutionnel. |
Collectivité sui generis de niveau constitutionnel. |
Spécialité législative. |
Source : d’après Jean‑Philippe Thiellay, Le droit des outre‑mer, Connaissance du droit, Dalloz, 2011.
4. La réalité statutaire des outre-mer demeure donc aujourd’hui très complexe
L’apparente binarité des Drom‑COM ne cache donc aujourd’hui qu’imparfaitement une réalité statutaire, permise par la révision de 2003, dans laquelle les outre‑mer se sont éloignés de la binarité pour se répartir sur un axe continu entre identité et autonomie, comme l’illustre le schéma ci‑dessous :
La gradation de l’altérité institutionnelle par rapport à l’hexagone
SPM : Saint‑Pierre‑et‑Miquelon ; SM : Saint‑Martin ; SB : Saint‑Barthélemy ; WF : Wallis‑et‑Futuna ; PF : Polynésie française ; NC : Nouvelle‑Calédonie.
Source : Jean‑Christophe Gay, La France d’outre‑mer – Terres éparses, sociétés vivantes, Armand Colin, 2021
Ajoutée à la diversité des statuts au regard du droit européen, cette diversité statutaire ultramarine dessine désormais un schéma qui, s’il « est un moment important de l’évolution statutaire [des outre‑mer] en facilitant la mise en place de statut sur mesure », n’en est pas moins d’une grande complexité ([18]) :
Les statuts constitutionnels et européens des outre-mer
Réalisation : J.-B Bouron, Géoconfluences, 2017, mis à jour en 2022.
III. Aujourd’hui : dÉpasser la dichotomie pour accroître la différenciation dans les territoires qui le souhaitent
Malgré cette diversité, les statuts des outre‑mer n’en restent pas moins enserrés dans le cadre constitutionnel binaire du « 73/74 », costume étroit dont les coutures résistent de moins en moins à la réalité et aux volontés de certains territoires de prolonger la différenciation. Aujourd’hui, la réalité révèle que la différenciation est possible dans le cadre de la République. Il n’y a plus de binarité entre l’égalité permise par le 73 d’un côté et l’autonomie du 74 de l’autre. La confusion entre égalité et uniformité n’est plus d’actualité, comme le dit Patrick Lingibé, qui rappelle que l’égalité doit s’adapter aux réalités de chaque territoire.
Cette logique d’adaptation se heurte néanmoins dans les Drom, sur le plan statutaire, à l’impression d’avoir atteint, en matière de procédures d’adaptation, les limites d’un processus trop complexe, notamment en matière d’habilitations. Ces deux difficultés, déjà mises en exergue en 2020 dans le « Rapport Magras » ([19]), sont aujourd’hui toujours d’actualité.
A. L’appel de Fort-de-France : prolonger l’adaptation tout en respectant les souhaits de chaque territoire
1. Une dichotomie constitutionnelle qui ne correspond plus à la réalité statutaire des outre-mer
Face à la complexité d’un « paysage institutionnel et juridique en réalité éclaté ([20]) », le socle constitutionnel des institutions des outre‑mer, qui ne distingue les Drom et les COM que pour mieux leur permettre d’adopter, ensuite, des adaptations institutionnelles, statutaires ou normatives, semble avoir quelque chose d’artificiel. C’est ainsi que Michel Magras appelait dès 2020 à « dépasser la logique binaire » pour « permettre à la pluralité des aspirations de s’exprimer ».
Auditionné par les rapporteurs, maître Patrick Lingibé, ancien bâtonnier de Guyane, parle ainsi d’une dichotomie artificielle, qui ne correspond pas à la réalité vécue par les ultramarins dans chaque territoire : l’environnement, par ses réalités, rend les règles européennes et hexagonales difficilement applicables et rend l’adaptation nécessaire.
Dans le même temps, pour le géographe Jean‑Christophe Gay, « l’État ne sait pas quoi faire de ses outre‑mer » ; il a peu fait évoluer sa politique ultramarine dans les dernières décennies, alors que ces territoires sont de vrais atouts pour la France. L’État, poursuit‑il, devrait conduire une réflexion globale sur ce que doit être aujourd’hui l’outre‑mer et sur les démarches politiques que cela implique dans la continuité : il ne peut plus se contenter d’éteindre les incendies sécuritaires, environnementaux, sociaux, etc. quand ils surviennent.
C’est pourquoi Michel Magras recommandait en 2020 de « réunir les articles 73 et 74 de la Constitution et permettre la définition de statuts sur mesure pour ceux des territoires ultramarins qui le souhaiteraient. »
2. Une demande de d’avantage de possibilités d’adaptation
C’est dans ce contexte que les présidents de plusieurs régions et collectivités d’outre‑mer – Martinique, Guyane, La Réunion, Guadeloupe, Saint-Martin, et Mayotte – ont signé, le 16 mai 2021, l’ « Appel de Fort‑de‑France » ([21]), qui demande à l’État la définition « d’un nouveau cadre permettant la mise en œuvre de politiques publiques conformes aux réalités de chacune [des] régions ».
S’inscrivant dans la continuité de cet appel et du travail de Michel Magras, les sénateurs Stéphane Artano et Micheline Jacques constataient eux aussi, en 2023, les limites du cadre normatif, mais soulignaient également les divergences entre territoires sur les solutions à apporter, avec ou sans révision constitutionnelle. Le souhait d’une évolution n’est pas partagé par tous les territoires. Parmi ceux qui soutiennent une refonte du cadre constitutionnel des outre‑mer, certains souhaitent que, comme pour la Nouvelle‑Calédonie, un titre spécifique leur soit consacré dans la Constitution, quand d’autres préfèreraient un article unique prolongé par des lois organiques. En matière normative, certains souhaitent une révision constitutionnelle donnant aux outre‑mer d’avantage de possibilités d’adaptation : c’est le cas de la Martinique. D’autres enfin – Mayotte et La Réunion – restent très attachés à leur proximité normative et institutionnelle avec l’hexagone, mais reconnaissent néanmoins l’importance de l’adaptation des normes à leurs spécificités. Ils comptent ainsi parmi les signataires de l’Appel de Fort‑de‑France.
Jean‑Christophe Gay souligne, pour expliquer ces différences d’approche, le rôle de l’histoire de chaque territoire, des sociologies politiques locales, mais aussi de l’éloignement par rapport à l’hexagone.
Une évolution du cadre constitutionnel ne peut donc se faire que dans le respect du principe d’adaptation et des statuts « à la carte », mais aussi et surtout des souhaits de chaque territoire : évolution institutionnelle ou non, pouvoir normatif local ou non, identité ou spécialité, titre spécifique ou article unique. Si souhait il y a, c’est donc celui d’un cadre permettant cette diversité, y compris lorsqu’elle consiste à conserver à l’identique le statut actuel.
B. Dans les Drom : simplifier les procÉdures d’adaptation, voire aller vers un pouvoir normatif local
1. La nécessaire différenciation normative, reconnue par la Constitution
Avant même toute réflexion sur une éventuelle révision de la Constitution, la question de l’efficacité des dispositions actuellement en vigueur se pose, notamment en matière d’adaptation des normes dans les Drom, c’est-à-dire de différenciation normative.
La différenciation normative regroupe « l’ensemble des mécanismes permettant aux collectivités territoriales ultramarines de se voir appliquer des normes que les autres collectivités de la même catégorie ne se voient pas appliquer » ([22]). En ce qui concerne les Drom, il s’agit donc d’exceptions au principe d’identité législative justifiées, selon l’article 73 de la Constitution, par les « caractéristiques et contraintes particulières » de ces territoires : les lois et les règlements sont adaptés aux particularités géographiques, climatiques, économiques, etc. de ces territoires. Ainsi par exemple, en matière de droit de la concurrence, le contrôle des opérations de concentration s’exerce, dans les Drom, au-delà de seuils spécifiques inférieurs aux seuils hexagonaux, en raison de l’étroitesse des marchés économiques et du fort degré de concentration que connaissent ces territoires ([23]).
2. Une adaptation souvent oubliée lors de l’élaboration des textes
L’adaptation relève en principe des compétences de l’auteur de la norme adaptée : la norme et les adaptations sont contenues dans le même texte, législatif ou réglementaire, qui est ainsi applicable sans délai sur l’ensemble du territoire où l’identité législative s’applique. C’est le sens du premier alinéa de l’article 73 : « [les lois et règlements] peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières » des Drom.
Ce n’est néanmoins souvent pas le cas. À cet égard, l’usage excessif de la procédure d’extension par ordonnance, consacrée par l’article 74‑1 de la Constitution, ne saurait être totalement satisfaisant : non seulement il dissocie cette démarche de l’élaboration du texte initial, mais il dépossède de plus les parlementaires de toute intervention sur des dispositions reléguées au rang de simple légistique. Comme l’a déclaré l’ancien sénateur Michel Magras aux rapporteurs : « j’avais l’impression d’être privé de ma fonction » et de la possibilité d’exercer son mandat dans tous les domaines, sauf sur ceux relatifs à son territoire d’élection…
Une possibilité prévue depuis 2003 : l’adaptation par ordonnance
Art. 74‑1 – Dans les collectivités d’outre-mer visées à l’article 74 et en Nouvelle-Calédonie, le gouvernement peut, par ordonnances, dans les matières qui demeurent de la compétence de l’État, étendre, avec les adaptations nécessaires, les dispositions de nature législative en vigueur en métropole ou adapter les dispositions de nature législative en vigueur à l’organisation particulière de la collectivité concernée, sous réserve que la loi n’ait pas expressément exclu, pour les dispositions en cause, le recours à cette procédure.
Les ordonnances sont prises en conseil des ministres après avis des assemblées délibérantes intéressées et du Conseil d’État. Elles entrent en vigueur dès leur publication. Elles deviennent caduques en l’absence de ratification par le Parlement dans le délai de dix-huit mois suivant cette publication.
3. Les habilitations : une adaptation par les outre-mer eux-mêmes…
C’est pourquoi l’article 73 prévoit deux autres possibilités d’adaptation relevant des Drom eux-mêmes :
Si la collectivité le demande, une habilitation limitée dans le temps peut lui être accordée selon des modalités fixées par la loi organique ([24]) et inscrites dans le Code général des collectivités territoriales : la demande fait l’objet d’une décision, précisément motivée, de l’assemblée délibérante, puis est transmise au premier ministre et, lorsqu’elle concerne une loi, au Parlement ; si elle est accordée, elle peut être mise en œuvre par les institutions de la collectivité, qui peuvent donc adopter, dans certains cas, des normes de valeur législative.
Elle permet aux collectivités territoriales ultramarines d’édicter des normes pour lesquelles les autres collectivités de la même catégorie ne sont pas compétentes, dans le domaine du règlement mais également dans le domaine de la loi : cette délégation de compétence s’obtient à l’issue d’une procédure proche de celle de l’habilitation, mais la Constitution les interdit toutefois dans les domaines touchant à la souveraineté de l’État ; La Réunion a choisi, via l’amendement « Virapoullé », de s’interdire d’avoir recours à ce mécanisme.
4. …dont les modalités sont trop complexes
Ces possibilités d’adaptation confiées aux territoires eux‑mêmes auraient pu être un moyen pour eux d’assouvir considérablement leurs aspirations à la différenciation dans le cadre de la République, en accédant à d’avantage d’autonomie selon des modalités prévues par la Constitution elle‑même. Cela n’a néanmoins pas été le cas, le nombre d’habilitations étant resté très faible.
Cette désaffection semble liée à la complexité de la procédure. De nombreux interlocuteurs, institutionnels comme universitaires, l’ont évoqué : Véronique Bertile, jugeant le droit des outre‑mer illisible, complexe, et freinant les territoires dans la résorption des difficultés auxquelles ils font face, souligne ainsi que plusieurs demandes d’adaptation sont restées sans réponse du gouvernement ou du Parlement. Des acteurs institutionnels regrettent en outre que les dispositions organiques ne se limitent pas à appliquer la Constitution, mais soient plus restrictives. D’autres interlocuteurs regrettent, au contraire, que les Drom concernés n’aient pas d’avantage eu recours à cette procédure, y compris, parfois, en ne faisant pas usage d’habilitations entrées en vigueur.
Le « Code de l’entreprise en outre‑mer » ([25]) ne dénombrait, en 2019, que trois habilitations en Guadeloupe – dans les domaines de l’énergie et de la formation professionnelle –, trois en Martinique – dans les domaines de l’énergie, des transports, de l’emploi, et de la formation professionnelle – et aucune en Guyane, malgré plusieurs demandes. Ni le gouvernement ni le Parlement ne sont, en effet, tenus d’accorder l’habilitation.
Recommandation : simplifier les dispositions organiques relatives à la procédure d’habilitation prévue par l’article 73 de la Constitution.
Plus largement, certains territoires souhaitent aujourd’hui disposer de facultés élargies d’édiction de normes réglementaires et législatives. C’est notamment le sens du projet élaboré par le congrès des élus de Martinique, sous la forme d’une révision constitutionnelle.
Recommandation : demander au gouvernement de prendre en compte le souhait de modifications normatives et réglementaires de façon efficace et concrète et de mettre en œuvre, lorsque c’est possible, un travail d’équivalence entre les normes européennes et celles des pays du voisinage des outre-mer.
C. Dans les COM : un droit de plus en plus complexe
Si Michel Magras relevait auprès des rapporteurs qu’aucun territoire régi par l’article 74 ne souhaite aujourd’hui « revenir en arrière », ceux‑ci n’en éprouvent pas moins un certain nombre de difficultés.
Les COM connaissent, en effet, une complexification croissante du droit, notamment en matière de définition des compétences, d’extension du droit national, et d’absence d’anticipation de ce sujet au stade d’élaboration des normes. C’est par exemple le cas en Polynésie, ou le droit est devenu particulièrement complexe, voire incompréhensible (cf. infra).
D. Une nécessité d’évolution également soulignÉe par les universitaires, selon différents scÉnarios
Les constitutionnalistes auditionnés s’accordent à constater les limites du cadre constitutionnel actuel, dans le champ institutionnel comme dans le champ normatif. Ils divergent néanmoins quant aux solutions qu’ils proposent, parfois éloignées des demandes de certains territoires.
1. La nécessité d’une évolution du cadre juridique
Géraldine Giraudeau constate ainsi que le contenu des articles 73 et 74 de la Constitution n’est plus conforme à la réalité statutaire, ce qui appelle une réforme dont les modalités restent à préciser. C’est également l’avis d’Étienne Cornut, qui s’interroge sur l’opportunité d’aller vers la création de « Pays d’outre‑mer ».
L’ancien Garde des Sceaux Jean‑Jacques Urvoas, constatant « la porosité des catégories » Drom et COM, propose de les fusionner en un article unique renvoyant à des lois organiques le soin de définir les institutions, les compétences et le régime juridique – les frontières des principes d’identité et de spécialité – pour chaque territoire. Le temps de la révision constitutionnelle serait donc suivi – pour les territoires qui n’en disposent pas déjà – d’un temps d’élaboration des lois organiques. Une telle proposition, fixant un cadre « permissif sans être prescriptif », n’exclurait pas le statu quo pour les territoires qui le souhaitent, en reproduisant les règles qui leur sont actuellement applicables, y compris lorsqu’elles sont communes à plusieurs territoires, dans leur loi organique spécifique.
Ferdinand Mélin-Soucramanien estime lui que, dans ce cadre constitutionnel désormais trop ancien pour demeurer pertinent, les Drom de l’article 73 connaissent une « crise existentielle ». Il est donc également favorable à la création d’un socle constitutionnel unique prolongé, pour chaque territoire, par une loi organique. Cette évolution doit se faire dans le cadre de la République, l’État conservant les compétences régaliennes, qu’il faut lister mais qui se rapprochent de l’énumération du quatrième alinéa de l’actuel article 73 de la Constitution.
Pour Carine David, si les besoins des territoires sont différents, le cadre actuel, encore trop jacobin, ne leur permet pas d’avoir un modèle de développement répondant à leurs besoins. Il est néanmoins nécessaire, en cas de réforme, de prendre en compte les craintes des territoires favorables au statu quo. En matière d’évolution normative, il faut « ouvrir le champ des possibles » en permettant aux Drom de prendre en main, progressivement, des compétences qu’elles se sentent prêtes à assumer, tout en résorbant le « désordre normatif » qui prévaut actuellement, par exemple quant aux limites respectives de l’identité et de la spécialité. Une réforme constitutionnelle qui le permettrait devrait découler d’un consensus entre les territoires, de même qu’une fusion, souhaitable, des articles 73 et 74. Celle-ci devra permettre à chaque collectivité d’émettre ses souhaits dans un cadre plus ouvert, lui permettant d’évoluer ou non.
Véronique Bertile constate que les possibilités de différenciations ouvertes par la révision de 2003 ont été saisies par les collectivités, d’où leur diversité institutionnelle. Elle soutient elle aussi la mise en place de lois organiques négociées compétence par compétence avec l’État, permettant aux territoires de demeurer dans le statu quo ou d’aller vers l’autonomie législative. Cette solution, poursuit-elle, est préférable à l’introduction dans la Constitution d’un titre par territoire, qui nuirait à sa lisibilité et à sa cohérence, ce qui est également l’avis d’Étienne Cornut, malgré le souhait contraire de la Guyane. Véronique Bertile indique que l’autonomie normative doit s’accompagner de transferts de ressources et de dotations de l’État.
Mathieu Carniama prolonge la réflexion sur les transferts de compétence en s’interrogeant sur l’éventualité d’une « clause générale de compétence » pour les territoires d’outre‑mer, ou du moins de larges compétences s’appuyant sur leurs caractéristiques : insularité, biodiversité, spécificités de l’enseignement, environnement, relations internationales dans leurs bassins géographiques, etc.
2. La question du transfert des ressources
François Benchendikh, s’il est d’accord avec le constat, rappelle que le droit ne doit pas masquer les difficultés sociales et sociétales des outre‑mer (précarité, chômage, logement, criminalité, etc.) mais, au contraire, permettre de les résoudre. Il rappelle lui aussi l’importance, en parallèle de celle du transfert total ou partiel de compétences aux outre‑mer, du transfert de ressources, et souligne à cet égard les enjeux relatifs à l’octroi de mer.
Carine David approuve : pas de transfert de compétence sans transfert de moyens financiers, le transfert de compétence ne pouvant être un moyen pour l’État de se dédouaner de responsabilités qu’il faut parfois le contraindre à assumer. Justin Daniel poursuit cette réflexion en relevant qu’il faut désormais réfléchir à l’articulation entre les politiques économiques et fiscales décidées par l’État et les politiques de développement économiques menées par les territoires d’outre‑mer : il ne peut y avoir d’autonomie politique sans autonomie économique.
À cet égard, Michel Magras souligne que, dans le cas particulier de transformation en COM, le territoire doit, au-delà des ressources qui lui seront transférées, évaluer les ressources propres que son économie peut dégager, dans le cadre du régime fiscal qu’il met en place si cette compétence lui est transférée.
Carine David souligne néanmoins que les collectivités doivent elles-aussi assumer et exercer pleinement les compétences dont elles disposent, par exemple en matière d’eau. Allant plus loin, Justin Daniel souligne que les collectivités ultramarines auront besoin, pour assumer d’avantage d’autonomie, de davantage de compétences locales juridiques et légistiques, mais aussi d’ingénierie, notamment dans le domaine compliqué des demandes de fonds européens.
Patrick Lingibé rappelle que tout changement nécessite le consentement des populations concernées. Il envisage également, lorsque cela est nécessaire, le transfert vers l’État de compétences que la collectivité, de par ses spécificités, ne serait pas, contrairement aux collectivités hexagonales, en mesure d’exercer ; le statut organique de Saint‑Pierre‑et‑Miquelon prévoit ainsi des exceptions à l’exercice, par cette collectivité, des compétences dévolues aux départements et aux régions ([26]). De plus, l’adaptation concerne aussi les modalités d’exercice des compétences détenues, y compris les compétences régaliennes que l’État conserve. C’est par exemple le cas, en droit pénal, pour lutter contre l’orpaillage illégal en Guyane ([27]).
L’octroi de mer
Créé au XVIIème siècle, l’octroi de mer existe en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion et, depuis 2014, à Mayotte. Il s’applique aux importations de biens (octroi de mer externe), et aux livraisons de biens produits localement (octroi de mer interne), selon des taux définis par les conseils régionaux dans la limite de 60 %, mais sans obligation d’harmonisation entre les territoires. Initialement utilisé comme barrière tarifaire pour renforcer l’économie locale, il a fini par devenir une source de revenus essentielle des collectivités locales ultramarines ; ce nouvel objectif le rend compatible avec le principe européen de libre circulation des marchandises, interdisant en principe les droits de douane. Cette exception prend la forme d’une dérogation limitée dans le temps, la dernière résultant d’une décision du Conseil européen ([28]) qui expirera en 2027. Le degré de protection de la production locale résulte du différentiel de taux entre octroi de mer externe et octroi de mer interne.
Si cette taxe est souvent critiquée pour sa complexité et accusée d’accentuer le phénomène de vie chère que connaissent les territoires d’outre mer, les exécutifs locaux sont fortement opposés à la suppression de cette ressource, à leur main et dynamique. Ils redoutent en particulier son remplacement par une fraction de TVA, qui « ne reste pas sur le territoire » et n’existe pas, de plus, en Guyane et à Mayotte.
Ainsi, si la Cour des comptes, dans un récent rapport, critique cette « taxe aux caractéristiques ambiguës et aux objectifs ambivalents », elle n’en souligne pas moins son importance : « Cette taxe participe aujourd’hui, à de nombreux égards, aux identités ultramarines. La plupart des élus y sont profondément attachés. Elle est en effet perçue comme incarnant, à côté d’autres dispositifs, le principe de libre administration et d’autonomie financière des collectivités locales. Par ailleurs elle apporte une part très significative (près d’un-tiers) des ressources des communes. » ([29])
E. Une évolution qui ne contredit pas l’appartenance À la RÉpublique
Cette différenciation est celle à laquelle appelait, sous le nom de « sur‑mesure » statutaire, le sénateur Michel Magras. Elle consiste, comme il l’a déclaré aux rapporteurs, à adapter les décisions aux réalités des territoires « dans le cadre de la République ».
La crainte d’une autonomie qui mettrait en péril l’unité de la République est, selon lui, infondée. Il souligne en effet que :
– l’ensemble des outre‑mer étant désignés dans la Constitution, aucune indépendance ne peut intervenir sans une révision de l’article 72‑3 ;
– les décisions prises par les organes des territoires demeurent soumises au contrôle de légalité et doivent donc respecter l’ensemble des principes de la République, en particulier constitutionnels.
Recommandation : demander au gouvernement de conduire jusqu’à son terme, c’est-à-dire jusqu’au référendum final, le processus institutionnel engagé dans chaque territoire souhaitant une évolution de son statut.
Recommandation : informer largement les populations ultramarines sur les processus institutionnels en cours de manière à ce que les consultations prévues localement se déroulent en toute connaissance de cause.
F. Le processus corse : un CATALYSEUR ?
Le 28 septembre 2023, le président de la République prononçait, à l’Assemblée de Corse, un discours proposant, pour ce territoire, et sur la base d’un accord entre les forces politiques locales, une plus grande autonomie par la voie d’une révision constitutionnelle d’ampleur, destinée à « ancrer pleinement la Corse dans la République [et à] reconnaître la singularité de son insularité méditerranéenne et de son rapport au monde ».
Cet accord, conclu dans la nuit du 11 au 12 mars 2024, prévoit de nombreuses avancées.
Il devra toutefois être entériné par le Parlement, où certains groupes expriment déjà des réticences.
L’évocation explicite d’un statut d’autonomie et l’énumération des spécificités linguistiques et culturelle, mais également du lien historique entre sa communauté et sa terre, sont des termes forts au regard de la tradition jacobine française et de la censure par le Conseil constitutionnel, en 1991, de la notion de « peuple corse » ([30]) – censure qui n’est pas remise en cause. Elles correspondent aux aspirations des outre‑mer à la reconnaissance de leurs spécificités.
De plus, la perspective de l’adoption d’une loi organique déterminant les conditions dans lesquelles la Corse dispose du pouvoir d’adopter certaines normes dont le contrôle est confié, le cas échéant, au Conseil constitutionnel, pourrait s’apparenter à la mise en place, dans certains domaines, d’un pouvoir législatif local, conforme aux revendications de certains territoires d’outre‑mer.
Le texte de l’accord relatif à la Corse
La Corse est dotée d’un statut d’autonomie au sein de la République, qui tient compte de ses intérêts propres, liés à son insularité méditerranéenne et à sa communauté historique, linguistique, culturelle, ayant développé un lien singulier à sa terre.
Les lois et règlements peuvent faire l’objet d’adaptations justifiées par les spécificités de ce statut. La collectivité de Corse peut être habilitée à décider de l’adaptation de ces normes dans les matières, les conditions et sous les réserves prévues par la loi organique.
La collectivité de Corse peut également être habilitée à fixer les normes dans les matières où s’exercent ses compétences, dans les conditions et sous les réserves prévues par la loi organique.
La loi organique détermine également le contrôle exercé par le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel sur les normes prises en application des deux précédents alinéas, en fonction de leur nature, ainsi que leurs modalités d’évaluation. Les habilitations prévues par la loi organique aux deux précédents alinéas ne peuvent intervenir lorsque sont en cause les conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnellement garanti.
Le gouvernement peut, par ordonnances, dans les matières qui ne relèvent pas de la compétence de la collectivité de Corse, adapter les dispositions de nature législative en vigueur aux spécificités de la collectivité, sous réserve que la loi n’ait pas expressément exclu, pour les dispositions en cause, le recours à cette procédure. Les ordonnances sont prises en conseil des ministres après avis de l’assemblée délibérante et du Conseil d’État. Elles entrent en vigueur dès leur publication. Elles deviennent caduques en l’absence de ratification par le Parlement dans le délai de dix-huit mois suivant cette publication.
Les électeurs inscrits sur les listes électorales de Corse peuvent être consultés sur le projet de statut, après avis de l’assemblée délibérante, dans les conditions prévues par un décret en Conseil d’État délibéré en conseil des ministres.
Cette perspective d’avancée significative concernant la Corse, qui n’est pas un territoire d’outre‑mer, fait ainsi espérer aux élus ultramarins qui le souhaitent – comme d’ailleurs à ceux de certaines régions hexagonales, notamment la Bretagne – une avancée rapide quant à l’évolution institutionnelle de leurs territoires.
Ce souhait a été indirectement reconnu par le président de la République qui a proposé aux élus ultramarins, le 20 octobre 2023, de confier à deux experts une mission consacrée à l’évolution institutionnelle des départements et collectivités d’outre‑mer.
Deuxième partie : comparaisons internationales
La notion d’outre-mer renvoie aux terres situées par-delà les mers. Son sens varie selon les langues et les pays, pouvant évoquer aussi bien des territoires nationaux éloignés que des pays étrangers. En France, l’outre-mer évoque les territoires sous souveraineté française situés hors d’Europe et cette notion dispose d’une reconnaissance constitutionnelle depuis 1946. Si la France est l’un des rares États à avoir institutionnalisé son outre-mer au sein d’un ensemble juridique, elle n’est pas le seul à compter des territoires nationaux qui lui sont éloignés : dans un rapport d’information destiné à évoquer l’avenir institutionnel de nos territoires d’outre-mer, il n’est pas inutile d’examiner la diversité de statuts appliqués aux territoires ultramarins qui dépendent d’autres pays.
On commencera par étudier le cas particulier de la libre association au travers des exemples des États d’Océanie en libre association avec les États-Unis ainsi que des territoires ayant choisi la libre association avec la Nouvelle-Zélande (I). On distinguera ensuite deux formes d’intégration administrative qu’elle soit partielle avec un important degré d’autonomie comme au Danemark ou aux Pays-Bas (II) ou totale avec l’application de statuts de droits communs à l’instar des exemples espagnols et portugais (III). Nous nous pencherons également sur les territoires directement administrés par le pouvoir central au travers des exemples américains, australiens et néozélandais (IV). Nous finirons par l’outre-mer britannique qui présente certaines similitudes avec la France de par la diversité des territoires et de leurs statuts (V).
Le statut d’État associé résulte de la volonté des Nations Unies de créer une position intermédiaire entre l’indépendance et l’intégration à un autre État. Sous ce statut, un territoire peut affirmer sa souveraineté tout en conservant des liens privilégiés avec l’ancienne puissance tutélaire. Dès 1960, l’Assemblée générale des Nations Unies a reconnu par sa résolution 1541 que la libre association avec un État indépendant constitue une accession à la pleine autonomie pour un territoire non-autonome.
La libre association peut prendre plusieurs formes selon les termes de l’accord conclu entre les deux États associés : un ensemble de compétences est généralement délégué par le plus petit État au plus grand, le premier gardant toujours la possibilité de récupérer toute ou partie d’entre elles.
En 1965, les Îles Cook accèdent par référendum au statut d’État en libre association avec la Nouvelle-Zélande, suivies par Niue en 1974. Par la suite, ce sont les États fédérés de Micronésie et les îles Marshall en 1986 puis les Palaos en 1994 qui entrent dans une libre association avec les États-Unis
A. Les États en libre-association avec les États-Unis : la Micronésie, les îles Marshall et les îles Palaos
1. Une association librement consentie
Anciennes colonies allemandes confiées au Japon à l’issue de la première guerre mondiale puis occupées par les États-Unis pendant la seconde, les États fédérés de Micronésie, les îles Marshall et les îles Palaos, avec les îles Mariannes du Nord, sont regroupés par les Nations Unies pour former le Territoire sous tutelle des îles du Pacifique dont le mandat revient aux États-Unis en 1947.
Entre 1986 et 1994, trois de ces territoires ont acquis leur indépendance : les États fédérés de Micronésie (102 000 habitants en 2010), les îles Marshall (71 000 habitants en 2014) et les îles Palaos (21 200 habitants en 2014), qui ont signé un traité de libre association (Compact of Free Association) avec les États-Unis en vertu duquel ces derniers s’engagent à assurer la défense et l’accès aux services sociaux américains pour les citoyens de ces pays.
2. Une dépendance à l’égard d’un État protecteur
En 2023, les accords avec les Palaos ainsi que les États fédérés de Micronésie ont été renouvelés. Ils font des États-Unis le garant de la défense de ces pays et donnent aux forces armées américaines un accès exclusif à leurs territoires en échange d’aides financières.
Juridiquement souverains, les îles Marshall et les États fédérés de Micronésie ont intégré l’ONU en 1991, suivis des Palaos en 1994. Ces territoires émettent leurs propres passeports et leurs habitants ne sont plus citoyens des États-Unis. Ils dépendent toutefois financièrement des aides américaines. Dans un contexte de rivalité entre la Chine et les États-Unis dans le Pacifique, ces pays juridiquement indépendants mais politiquement, économiquement et militairement très fragiles ont concrètement choisi leur « protecteur ».
B. Les États en libre-association avec la Nouvelle-Zélande : Niue et les îles Cook
1. Une réalité différente des États associés avec les États-Unis
Anciens protectorats britanniques, les Îles Cook et Niue ont été rattachées à la Nouvelle-Zélande en 1901. En 1964, les îles Cook ont accédé à une « indépendance » toute relative puisque le territoire n’a pas été admis à l’ONU et que ses habitants ont conservé la nationalité néo-zélandaise, aucun passeport « cookien » n’ayant été émis. Petit territoire très faiblement peuplé (21 900 habitants lors du dernier recensement, en 2011) et totalement dépendant de la puissance tutélaire, l’archipel a opté pour la libre association avec la Nouvelle-Zélande.
Le référendum organisé en 1974 sur l’île de Niue offrait trois options : l’indépendance, l’autonomie ou la poursuite en tant que territoire néo-zélandais. Le corps électoral a choisi l’autonomie.
Même si certains pays considèrent Niue comme un État indépendant, l’île n’est pas membre de l’ONU et ne dispose pas de son propre passeport, ses 1 653 habitants (recensement de 2022) étant juridiquement des citoyens néo-zélandais.
Les termes des associations des îles Cook et de Niue sont énoncés dans un corpus juridique comprenant les Constitutions respectives ainsi qu’une série de déclarations communes. Dans le domaine des affaires étrangères, chaque partenaire entretient désormais des relations avec la communauté internationale mais en matière de défense la Nouvelle-Zélande conserve l’obligation d’assister ses « associés » dans l’hypothèse où ils en feraient la demande. La monnaie est également une compétence déléguée à Wellington.
2. Une souveraineté limitée par la démographie
Ces îles jouissent d’une liberté inconditionnelle de changer leur statut, y compris d’abandonner leur qualité d’État associé. Toutefois, certains débats persistent quant à leur souveraineté réelle, compte tenu de leur dépendance économique et politique à l’égard de la Nouvelle-Zélande, mais aussi de leur faible poids démographique. Si l’évolution constatée à Niue se poursuit (5 100 habitants en 1970, 2 300 en 1990, 1 600 aujourd’hui), l’île ne comptera plus que quelques dizaines d’habitants dans quelques années et toute controverse sur le caractère souverain ou pas de son statut sera déplacée.
II. L’autonomie des pays constitutifs
Le statut de pays constitutif constitue une réponse de l’État à de fortes revendications identitaires allant souvent jusqu’à des velléités d’indépendance : l’État concède un important degré d’autonomie au territoire et lui reconnaît un droit à l’autodétermination. Ce statut tend à se rapprocher d’une logique fédérale.
Le Royaume de Danemark et le Royaume des Pays-Bas ont tous les deux opté pour ce statut avec les îles Féroé et le Groenland pour le premier, et Aruba, Curaçao et Sint-Maarten pour le second. Dans chacun des deux cas, l’ancienne puissance tutélaire (le Danemark et les Pays-Bas) est également un pays constitutif du Royaume. Ainsi, même si cela peut paraître un peu artificiel, les institutions des Pays-Bas, bien qu’elles se confondent en partie, ne sont pas identiques à celle du Royaume des Pays-Bas. La situation est la même au Danemark.
L’outre-mer danois se compose de deux entités, les îles Féroé et le Groenland, régies par des statuts relativement similaires qui leur accordent une large autonomie en réponse aux importantes revendications identitaires adressées à l’État danois.
Lors d’un référendum organisé le 14 septembre 1946, une courte majorité d’électeurs (50,7 %) ont voté en faveur de l’indépendance de l’archipel. Toutefois, un grand nombre de bulletins ayant été invalidés l’indépendance ne fut pas reconnue et le roi Christian X appela à de nouvelles élections locales remportées par les partis unionistes.
Après un débat sur le caractère contraignant de la consultation, des négociations aboutirent au Home Rule Act de 1948. L’archipel devint alors une communauté autonome au sein du Royaume de Danemark, dotée d’un gouvernement local autonome. Ses institutions se composent d’une assemblée élue par le peuple et d’un gouvernement exécutif dirigé par un premier ministre. Deux députés représentent l’archipel au Parlement danois à Copenhague. La loi de 1948 reconnaît le féroïen comme langue officielle de l’archipel, qui possède également ses billets locaux mais pas sa monnaie, la couronne féroïenne n’étant pas cotée et ayant la même valeur que la couronne danoise. Les 54 000 habitants (en 2023) des îles Féroé restent des sujets du Royaume du Danemark ainsi qu’en témoigne le passeport danois qu’ils utilisent, même si celui-ci comporte la mention « Féroé ».
Les affaires internes des îles Féroé sont régies par le Takeover Act de 2005. Ce cadre offre la possibilité à l’archipel d’exercer le pouvoir législatif et règlementaire dans tous les domaines à l’exception de la Constitution de l’État, de la citoyenneté, de la Cour suprême, de la politique étrangère, de sécurité et de défense et de la monnaie. Les domaines transférés ou pouvant être transférés – la police et l’aviation notamment – sont listés en annexe de la loi de 2005. Les autorités féroïennes assument les coûts de l’ensemble des compétences transférées et reçoivent une subvention pour les compétences partiellement ou non transférées.
Si la politique étrangère reste en principe une compétence de l’État danois, une certaine autonomie des îles Féroé dans la conduite de leurs relations extérieures est prévue par le Foreign Policy Act de 2005. Les autorités féroïennes peuvent conclure des accords internationaux portant sur des domaines de compétence transférés à l’archipel. Elles peuvent également adhérer à des organisations internationales et nommer des représentants au sein des missions diplomatiques du Danemark. Les îles Féroé ne font pas partie de l’Union européenne.
Les projets de loi concernant les îles Féroé doivent être transmis pour avis aux autorités féroïennes préalablement à leur dépôt au Parlement danois. Ce dernier ne peut légiférer qu’après réception dudit avis. Une procédure similaire existe également pour les règlements administratifs.
2. Le Groenland
Ancienne colonie danoise, le Groenland devint une province en 1953. En 1975, à la demande du conseil provincial groenlandais, une commission paritaire fut chargée d’étudier la possibilité d’instaurer un statut d’autonomie pour l’île au sein du royaume. Sur la base de ses propositions, le Parlement danois a adopté, en novembre 1978, le Greenland Home Rule Act. Approuvé par référendum par 73,1 % des électeurs groenlandais, cette loi a permis aux autorités groenlandaises d’exercer le pouvoir législatif et exécutif sur une partie des domaines concernant la population locale. Elle a créé en parallèle une assemblée législative élue par le peuple et un gouvernement composé de neuf ministres responsables devant elle.
En 2009, à la demande du gouvernement groenlandais, l’autonomie a franchi une nouvelle étape avec le Greenland self government act, approuvée par 75,5 % des électeurs groenlandais. Cette réforme a transféré de nouvelles compétences aux autorités groenlandaises, comme la police ou la justice. Le groenlandais a été reconnu comme langue locale officielle. La loi de 2009 a également créé une juridiction chargée de trancher les éventuels conflits de compétence entre Copenhague et son territoire ultramarin.
En tant que province danoise, le Groenland a intégré l’Union européenne en 1972, malgré une forte opposition de la population locale. Un nouveau référendum, organisé en 1982, a permis au peuple groenlandais de manifester, par 53 % des suffrages, sa volonté de quitter l’Union, ce qui fut fait en 1985, le Groenland demeurant toutefois inscrit sur la liste des pays et territoires d’outre-mer (PTOM) associés à l’Union européenne, ce qui n’est pas le cas des îles Féroé.
L’autonomie accordée au Groenland ne remet nullement en cause le droit du territoire à l’indépendance, des négociations en ce sens pouvant être entamées entre le gouvernement national et le gouvernement local sur simple demande de ce dernier. Si une majorité de Groenlandais pourrait y être favorable, la question de l’indépendance reste subordonnée à la viabilité économique d’un territoire au sous‑sol riche en minerais mais à la surface désertique et inhospitalière, grand comme quatre fois la France hexagonale mais peuplé de 56 000 habitants seulement.
B. Le Statut du royaume des Pays-Bas
Sous ce statut, la partie européenne des Pays-Bas n’est qu’une composante parmi d’autres du royaume, au même titre qu’Aruba, Sint-Maarten et Curaçao.
1. L’éclatement de la Fédération des Antilles néerlandaises
L’outre-mer néerlandais est désormais constitué de deux groupes d’îles localisées dans la Caraïbe : les îles au vent, composées de la partie néerlandaise de Sint-Maarten, de Saba et de Sint-Eustatius, ainsi que les îles sous le vent comprenant Aruba, Curaçao et Bonaire. À la fin de la seconde guerre mondiale, les autorités néerlandaises se sont lancées dans un processus qui a conduit certains territoires comme les Indes néerlandaises (future Indonésie) vers l’indépendance tandis que d’autres préféraient devenir autonomes tout en restant sous la souveraineté de La Haye. C’est ainsi qu’a été créée, en 1954, la Fédération des Antilles néerlandaises.
Cette entité, associée aux Pays-Bas aux côtés de la Guyane hollandaise (devenue indépendante en 1975 sous le nom de Suriname), a été dotée d’un statut considéré comme transitoire, respectant la diversité de ses composantes insulaires tout en les conduisant vers l’indépendance. Le territoire disposait d’une importante autonomie interne avec un transfert de toutes les responsabilités politiques de la métropole, à l’exception des affaires régaliennes réservées à la Couronne. La fédération prenait la forme d’une démocratie parlementaire où le pouvoir législatif s’incarnait dans un Conseil des îles élu pour quatre ans. Le pouvoir exécutif était exercé par un gouverneur nommé par le souverain néerlandais ainsi qu’un conseil des ministres nommés sur proposition du parti vainqueur aux élections législatives, dirigé par un premier ministre et un vice-premier ministre.
Le nouvel État disposait également de sa propre monnaie, le florin des Antilles néerlandaise.
Mais ébranlée par la sécession d’Aruba, devenue un pays constitutif à part entière au sein du Royaume, la fédération n’a finalement pas résisté aux revendications divergentes de ses cinq autres composantes. Alors que certains territoires comme Curaçao et Sint-Maarten désiraient une autonomie plus grande, les autres faisaient valoir leur attachement aux Pays-Bas. Les écarts de développement et de revenus économiques expliquent en grande partie ces positionnements. La dissolution de la Fédération des Antilles néerlandaise est devenue inévitable en 2010, ce qui a conduit chacun de ses anciens membres à négocier avec le gouvernement néerlandais pour parvenir à de nouveaux statuts.
2. Aruba, Curaçao et Sint-Maarten, pays constitutifs du Royaume
Aux termes des négociations menées à La Haye en 2010, Sint-Maarten (42 800 habitants) et Curaçao (192 000 habitants) ont décidé de former deux nouveaux pays autonomes du Royaume, qui se compose désormais de quatre membres avec les Pays-Bas (17,4 millions d’habitants) et Aruba (106 300 habitants en 2023).
Le Royaume dispose de ses propres organes, qui correspondent essentiellement aux institutions néerlandaises qui sont complétées pour permettre la prise en compte des intérêts des pays insulaires.
Ainsi, les exécutifs d’Aruba, de Curaçao et de Sint-Maarten nomment des ministres plénipotentiaires chargés de les représenter auprès du Royaume. Ils forment aux côtés des ministres néerlandais le conseil des ministres du Royaume qui traite des affaires concernant le Royaume dans son ensemble et non des seuls Pays-Bas. Ce conseil est présidé par le premier ministre néerlandais et se tient au moins une fois par mois, souvent à l’issue du conseil des ministres néerlandais. Un ministre plénipotentiaire peut déclarer que son pays ne sera pas lié par une mesure envisagée en raison du préjudice qu’elle lui causerait.
Le conseil des ministres peut choisir de passer outre si la mesure découle des obligations s’imposant au pays duquel émane la contestation. Dans ce cas, le ministre plénipotentiaire à la possibilité de mener une concertation, réunissant le premier ministre, deux ministres néerlandais, le ministre plénipotentiaire et un conseiller nommé par lui-même. À l’issue de la concertation, il appartient au conseil des ministres du royaume de trancher.
Le pouvoir législatif du royaume est exercé par le Parlement des Pays-Bas avec la participation des assemblées représentatives des pays insulaires. Ainsi, tout projet de loi du royaume doit être envoyé simultanément aux assemblées d’Aruba, de Curaçao et de Sint-Maarten qui peuvent discuter le texte et si nécessaire publier un rapport à son sujet. Les ministres plénipotentiaires peuvent assister aux débats du Parlement néerlandais, y intervenir, proposer des amendements et donner un avis sur le texte. En cas d’avis négatif, la chambre doit adopter le texte à une majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés.
III. Les collectivités de droit commun
Ce type de statut se caractérise par une organisation administrative, un régime législatif et des compétences identiques au droit commun en vigueur dans le pays de rattachement. La France a été la première à emprunter cette voie, innovante pour l’époque, avec la départementalisation qui a conduit à ériger, en 1946, la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et La Réunion en départements français au même titre que les départements d’Europe.
En 1958, les États-Unis ont également transformé les territoires de l’Alaska et d’Hawaï au rang d’État fédérés. C’est la voie également choisie par les pays de la péninsule ibérique, après la chute des dictatures dans les années 74-75, pour le statut de communauté autonome pour les Canaries en Espagne et de région autonome pour les Açores et Madère au Portugal.
Les degrés d’autonomie des collectivités varient toutefois selon les pays : les communautés autonomes espagnoles disposent de prérogatives bien plus importantes que les régions et les départements français.
A. L’Alaska et Hawaï devenus des États de droit commun
1. L’Alaska : une intégration complète en moins d’un siècle
L’Alaska est un ancien territoire russe, acheté par les États-Unis en 1867. La région fut d’abord dénommée « département de l’Alaska » (Department of Alaska) et placée sous la juridiction de l’armée jusqu’en 1877, puis du département américain du Trésor jusqu’en 1879 et enfin de la marine jusqu’en 1884.
En 1884, le territoire devint le « District de l’Alaska », un territoire incorporé mais non organisé, avec un gouvernement civil. Le gouverneur du district était nommé par le président des États-Unis.
Le 24 août 1912, l’Alaska devint un territoire organisé, avec une déclaration des droits (Bill of rights) et une gouvernance à trois branches (exécutive, législative et judiciaire). Ce territoire est entré dans l’Union en tant que 49ème État le 3 janvier 1959. Il est, depuis lors, membre de droit commun de la Fédération des États-Unis.
2. Hawaï : l’intégration rapide mais controversée d’un ancien royaume
L’archipel des îles Hawaï, qui était alors un royaume indépendant, a été conquis en 1893 par un coup de force théoriquement fomenté par un groupe de planteurs et de missionnaires étrangers, mais en réalité soutenu par l’armée et la marine des États-Unis. En 1894, une éphémère « République d’Hawaï », non reconnue en droit international, fut proclamée, avant d’être annexée au territoire américain le 7 juillet 1898 avec le statut de Territoire d’Hawaï.
Le 22 février 1900, un gouvernement territorial fut mis en place. Un an plus tard, le 20 février 1901, les élus du corps législatif local se réunissaient pour la première fois.
Le 21 août 1959, Hawaï est devenu le 50ème et dernier territoire de l’Union à accéder au statut d’État des États-Unis. Ce territoire ultramarin est devenu, depuis lors, membre de droit commun des États-Unis.
B. Les îles Canaries en Espagne
1. Le droit commun de l’archipel des Canaries
En Espagne, les territoires ultramarins ne bénéficient d’aucun statut particulier. En effet, l’archipel des Canaries (2,2 millions d’habitants en 2004) constitue l’une des dix-sept communautés autonomes d’Espagne et dispose à ce titre de certaines compétences législatives exécutives, encadrées par l’article 148 de la Constitution et précisées par la loi organique du 10 août 1982.
Ces compétences sont regroupées par grands domaines et incluent la culture, le social, l’administration, l’aménagement, les transports, l’environnement, la sécurité publique et la police. La communauté autonome bénéficie des pleins pouvoirs sur l’ensemble de ces compétences, qu’elle exerce par l’intermédiaire de ses institutions locales.
Le pouvoir législatif est exercé par un Parlement composé de députés élus au suffrage universel direct. Cette assemblée élit un président qui exerce le pouvoir exécutif avec son gouvernement. Enfin, le Parlement désigne une partie des sénateurs représentant le territoire au Sénat espagnol.
Mais en dépit d’un important degré d’autonomie, les îles Canaries ne font pas figure d’exception en comparaison aux autres communautés autonomes qui disposent de prérogatives équivalentes, parfois même plus poussées. L’article 138 de la loi fondamentale espagnole enjoint toutefois l’État à « tenir compte des exigences du fait insulaire ».
Du point de vue du droit européen, les Canaries constituent une région ultrapériphérique (RUP) de l’Union européenne contrairement aux Baléares, autre communauté autonome insulaire pleinement intégrée à l’Union européenne.
Le cas Espagnol est donc tout à fait atypique, au sens où même si les Canaries constituent une collectivité de droit commun ne jouissant d’aucun régime de spécificité législative, elles conservent un important degré d’autonomie en raison de la nature décentralisée de l’État espagnol.
2. Les cas spécifiques de Ceuta et Melilla
Les villes autonomes de Melilla et de Ceuta, qui ne sont pas des territoires insulaires, présentent la particularité d’être enclavées sur la côte nord du Maroc. C’est en raison de cette spécificité que l’État Espagnol a leur accordé un statut particulier : la Constitution de 1978 prévoit en effet la possibilité pour les deux villes de se constituer en communautés autonomes.
Aucune des deux n’a eu recours à cette possibilité, demeurant des municipalités de droit commun rattachées aux provinces de Cadix et de Malaga. Le Parlement espagnol a néanmoins jugé opportun d’adopter en 1995 une loi organique leur conférant un statut de « ville autonome », ce qui leur accorde davantage d’autonomie dans la gestion de leurs affaires.
Ces territoires sont également au cœur d’un conflit diplomatique opposant l’Espagne et le Maroc. En effet ce dernier revendique depuis 1961 sa souveraineté sur les deux enclaves, alimentant les tensions entre les deux États. Le comité spécial de l’ONU pour la décolonisation (cf. infra) n’a toutefois jamais inscrit ces deux enclaves dans sa liste des « territoires à décoloniser ».
C. Madère et les Açores au Portugal
Le Portugal est un État unitaire fortement centralisé à l’exception de deux régions ultramarines dotées d’une importante autonomie.
1. Un statut régional précurseur
La Constitution portugaise prévoit, dans sa version d’origine, l’existence de régions administratives, une collectivité locale intermédiaire entre l’État et les communes. Un demi-siècle ans après son entrée en vigueur, le processus de régionalisation reste largement inachevé sur le continent. En revanche, les régions autonomes de Madère et des Açores constituent des territoires précurseurs puisque ces collectivités ont été organisées en régions.
Les outre-mer sont évoqués dans la Constitution portugaise dès son article 6 qui garantit les spécificités insulaires tout en préservant l’unité de la République. La loi fondamentale reconnaît les archipels des Açores et de Madère comme des « régions autonomes dotés de statuts politiques et administratifs et de leurs propres organes de gouvernement ». L’adhésion du Portugal à l’Union européenne en 1986 s’est traduite par plusieurs révisions constitutionnelles qui ont abouti à la reconnaissance du caractère particulier des régions ultramarines : en effet, l’un des objectifs du gouvernement consiste à « encourager le développement harmonieux de l’ensemble du territoire national, en tenant compte, en particulier, de la nature ultrapériphérique des archipels des Açores et de Madère » (art. 9 al. g).
2. Une autonomie relativement avancée
Les deux régions autonomes disposent chacune d’une assemblée législative régionale et d’un gouvernement régional. L’assemblée régionale est élue au suffrage universel direct tous les quatre ans, et le gouvernement régional est responsable devant elle. Le président de la République portugaise nomme dans les régions ultramarines un commissaire de la République représentant l’État. Il a pour fonction de nommer formellement le chef du gouvernement régional et de promulguer les actes régionaux auxquels il peut opposer son véto. Dans une telle hypothèse, l’assemblée législative peut contourner le véto étatique en confirmant son vote.
En matière législative, les régions sont compétentes dans les matières énoncées par leurs statuts, relativement similaires pour les Açores et Madère. La Constitution distingue également un domaine de compétence exclusive de l’État exercée par l’Assemblée de la République et un domaine de compétence concurrente entre l’État et les régions. Dans ce dernier cas, les régions ont la possibilité de légiférer de manière ponctuelle après avoir reçu une autorisation de l’Assemblée de la République. Pour éviter tout vide juridique, la Constitution prévoit qu’à défaut de législation régionale, c’est la législation nationale qui s’applique.
D. Les outre-mer de l’Équateur et du Chili
1. Un régime de droit commun « adapté » pour les Galápagos
Les îles Galápagos sont un archipel d’îles et d’îlots situé à environ 900 km des côtes de l’Équateur. Peuplé de près de 30 000 habitants, l’archipel est une province de l’Équateur.
L’archipel des Galápagos a été découvert par les Espagnols en 1535 sans qu’ils cherchent à s’y établir. Les îles servirent de repère pour les pirates avant d’être annexées par l’Équateur le 12 février 1832. Pendant la première moitié du vingtième siècle, l’archipel a fait l’objet de plusieurs tentatives de colonisation infructueuses, malgré l’établissement d’une petite population. Le gouvernement équatorien a créé la province des Galápagos le 18 février 1973, faisant entrer les îles dans le droit commun et y encourageant l’immigration.
En dépit de la provincialisation de l’archipel, le statut du territoire dispose de certaines adaptations pour tenir compte de ses spécificités géographiques. Ainsi contrairement aux autres provinces du pays, les habitants des Galápagos n’élisent pas de préfet, l’essentiel de ses compétences étant transférées au gouverneur nommé par l’État. Ils élisent en revanche un député qui les représente au Parlement national.
2. L’île de Pâques se cherche toujours un avenir institutionnel
Distante de 3 747 km des côtes du Chili auquel elle appartient depuis 1888, l’île de Pâques est l’un des territoires habités les plus isolés du monde et sa population s’élevait à environ 7 750 habitants en 2017.
Originellement, l’île était habitée par une population d’origine polynésienne appelée Rapanuis. Devenue, en 1770, une possession très théorique du vice-roi du Pérou au nom de la couronne d’Espagne, l’île a finalement été annexée par le Chili en 1888 mais ses habitants ne sont devenus des citoyens à part entière qu’en 1966.
Avec l’île voisine de Salas y Gomez, l’île forme la province de l’île de Pâques, rattachée à la région de Valparaiso. Elle est administrée par un gouverneur nommé par le gouvernement chilien : depuis 1984, il s’agit toujours d’un insulaire. Les Pascuans participent aux élections législatives et présidentielles.
À l’initiative des autorités locales, une réflexion sur l’avenir institutionnel de l’île a été engagée en 2002. Les conclusions de ces travaux ont servi de base à la réforme constitutionnelle de 2007 qui a fait de l’île de Pâques et de l’archipel Juan Fernandez des « territoires spéciaux ». Le gouvernement et l’administration de l’île doivent être déterminés par une loi organique qui n’a pas encore été adoptée.
IV. L’administration directe de certains territoires
L’administration directe se traduit par un système gestion directe par le pouvoir central. Elle peut prendre selon les pays et les territoires des formes différentes : concentrée ou déconcentrée, confiée à une entité ou à plusieurs ministères. Dans tous les cas, c’est bien l’État qui en détient le monopole.
Ce mode d’administration s’applique le plus souvent à des territoires inhabités dans la mesure où l’absence de population empêche toute forme d’autogouvernement. Les États-Unis ou le Royaume-Uni un intérêt militaire, scientifique ou bien constituent des espaces naturels protégés. La France applique également ce mode de gestion pour les TAAF et l’île de Clipperton.
Cependant, il existe aussi des territoires habités qui sont placés sous administration directe. Dans certains cas, cela s’explique par la très faible population qui induit une forte dépendance au pouvoir central. C’est le cas de certains territoires britanniques, australiens et néozélandais. En revanche, l’administration par le ministère de l’Intérieur américain de certains territoires bien plus peuplés comme Guam, les îles Mariannes du Nord, les îles Vierges américaines ou Porto Rico interroge davantage.
Les États-Unis disposent de plusieurs territoires situés dans les Antilles et l’océan Pacifique qui ne dépendant d’aucun des cinquante États fédérés et sont donc placés sous la responsabilité du gouvernement fédéral. La doctrine juridique identifie quatre catégories de territoires selon l’incorporation et l’organisation de ces derniers. L’incorporation signifie que l’intégralité de la Constitution américaine s’applique dans le territoire considéré, de la même manière que dans les États fédérés. À l’inverse, un territoire non incorporé est un territoire insulaire dans lequel seules certaines dispositions de la Constitution américaine s’appliquent. La Cour suprême américaine est venue préciser les contours du statut de ces contrées non incorporées comme des territoires « appartenant à mais ne faisant pas partie des » États-Unis. Un territoire est considéré comme organisé lorsque le Congrès a adopté une loi organique déterminant le système de gouvernement dudit territoire.
On trouve ainsi :
- les territoires organisés et incorporés, comme ce fut le cas pour Hawaï et l’Alaska avant leur élévation au rang d’État en 1959 ;
- les territoires non incorporés et organisés, regroupant Guam, Porto Rico, les Îles Mariannes du Nord et les Îles Vierges américaines ;
- les territoires non incorporés et non organisés, comprenant les Samoa américaines, les îles Baker, l’île Howland, l’île Jarvis, l’atoll Johnston, le récif Kingman, les îles Midway, et l’île de la Navasse ;
- un unique territoire incorporé et non organisé, l’atoll inhabité de Palmyra.
Résumé de la situation des territoires ultramarins des États-Unis
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Territoire incorporé |
Territoire non incorporé |
Territoire organisé |
Hawaï et Alaska (jusqu’en 1959) |
Porto Rico, îles Mariannes du Nord, Guam et les îles Vierges américaines |
Territoire non organisé |
Atoll Palmyra |
Samoa américaines, îles Baker, île Howland, île Jarvis, atoll Johnston, récif Kingman, îles Midway, et île de la Navasse |
Les îles Mariannes du Nord forment un archipel de l’océan Pacifique peuplé d’environ 47 000 habitants. Le Commonwealth des îles Mariannes du Nord (CNMI) est issu du Territoire sous tutelle des îles du Pacifique (TTPI) que les États-Unis ont administré au nom des Nations unies de 1947 jusqu’à ce que Palaos, le dernier membre du TTPI à choisir son propre avenir politique, devienne un pays indépendant en 1994. La loi fédérale faisant du CNMI un territoire américain a été adoptée en 1975. Le CNMI a adopté sa constitution en 1977 et son premier gouvernement constitutionnel a pris ses fonctions en 1978.
L’exécutif est représenté par un gouverneur et un lieutenant-gouverneur, tous deux élus au suffrage universel direct. Le pouvoir législatif est exercé par un parlement bicaméral constitué du Sénat et de la Chambre des représentants.
Les habitants des Îles Mariannes du Nord ne bénéficient pas du droit de vote à l’élection présidentielle. Ils sont représentés à la Chambre des représentants par un délégué qui ne dispose pas du droit de vote.
2. Guam
Guam est une île du Pacifique abritant une population d’environ 168 000 habitants. Ancienne colonie espagnole, elle est devenue étatsunienne suite à la guerre hispano-américaine en 1898. Le Guam Organic Act de 1950 confère à l’île le statut de territoire organisé non incorporé et accorde à ses habitants la citoyenneté américaine. Auparavant supervisé par la marine américaine, la loi de 1950 a placé l’île sous l’autorité du ministère de l’intérieur américain (DOI).
L’exécutif se compose d’un gouverneur et d’un lieutenant-gouverneur tous deux élus au suffrage universel direct. Le pouvoir législatif est incarné par un Parlement monocaméral.
En 1969, un référendum interroge la population locale sur un projet d’unification du territoire avec les îles Mariannes du Nord. La proposition est rejetée par 58 % des électeurs.
Les habitants de Guam ne bénéficient pas du droit de vote à l’élection présidentielle. Ils sont représentés à la Chambre des Représentants par un délégué qui ne dispose pas du droit de vote. Guam fait partie de la liste des territoires non autonomes établie par le comité spécial de décolonisation de l’ONU.
3. Porto Rico
Ancienne colonie espagnole devenue, comme Guam, étatsunienne en 1898 à l’issue de la guerre hispano-américaine, Porto Rico est un ensemble d’îles situées dans la mer des Caraïbes abritant une population de 3,2 millions d’habitants.
En 1900, le Foraker Act du Congrès américain a créé un exécutif composé d’un gouverneur et d’un conseil exécutif nommés par le président des États-Unis, un Parlement monocaméral élu au suffrage universel direct et un système judiciaire avec une Cour suprême de Porto Rico dépendante de la Cour suprême fédérale et dont les membres sont nommés par le président. En 1917, le Johnes-Shafroth Act a instauré une deuxième chambre avec un Sénat élu au suffrage universel direct. Cette loi a également conféré la nationalité américaine à tous les ressortissants du territoire. En 1947, l’Elective Government Act a reconnu aux Portoricains la possibilité d’élire eux-mêmes leur gouverneur. En 1952, en réponse aux revendications locales, les États-Unis ont autorisé Porto Rico à adopter sa propre Constitution.
L’autonomie conférée par le statut portoricain est cependant très limitée. Le partage des compétences avec l’État fédéral est organisé par un large corpus juridique prévoyant des prérogatives locales dans les domaines de la fiscalité, de la santé, du social, de la justice, du droit civil et du droit pénal. Cependant, ces compétences ne sont pas exclusives et le pouvoir fédéral peut intervenir dans ces matières.
L’adoption de la Constitution de 1952 a permis de retirer Porto Rico de la liste des territoires non autonomes de l’ONU mais n’a pas mis fin pour autant aux demandes d’évolution. Ainsi depuis 1952, se sont tenus cinq référendums portant sur les évolutions statutaires de l’île. Les consultations les plus récentes en 2012 et en 2017 ont mis en évidence le souhait des Portoricains à ériger le territoire en 51ème État fédéré des États-Unis. Mais ces référendums n’ont aucune valeur contraignante et les États-Unis n’envisagent pas à ce jour une évolution statutaire de l’archipel. Malgré l’attribution de la nationalité américaine, les Portoricains ne bénéficient pas du droit de vote à l’élection présidentielle. Ils sont représentés à la Chambre des Représentants par un délégué qui ne dispose toutefois pas du droit de vote.
Petit archipel situé dans l’océan Pacifique et peuplé d’environ 50 000 habitants, les Samoa américaines ont été séparées de la colonie allemande des Samoa (devenue indépendante entre-temps) et rattachées aux États-Unis en 1899. Placé pendant longtemps sous l’autorité de la marine américaine, le territoire est depuis 1956 supervisé par le ministère de l’intérieur américain (DOI).
Les Samoa américaines constituent un territoire non incorporé et non organisé, c’est-à-dire qu’il n’existe pas de loi organique du Congrès américain prévoyant sa gouvernance. Les Samoans américains ont toutefois adopté leur propre Constitution en 1967.
L’exécutif est représenté par un gouverneur et un lieutenant-gouverneur, tous deux élus au suffrage universel direct. L’organe délibérant est le Fono, parlement bicaméral constitué d’un Sénat dont les membres sont élus parmi les chefs coutumiers et d’une Chambre des Représentants élue au suffrage universel direct. Cependant, le territoire est directement administré par le département de l’Intérieur des États-Unis.
Les Samoans américains ne bénéficient pas du droit de vote à l’élection présidentielle. Ils sont représentés à la Chambre des Représentants par un délégué qui ne dispose pas du droit de vote. L’archipel figure sur la liste des territoires non autonomes au sens du comité spécial de décolonisation de l’ONU.
5. Les îles Vierges américaines
Les îles Vierges des États-Unis sont un territoire non incorporé et organisé situé dans les Antilles. Constitué de trois îles principales (Saint-Thomas, Saint-John et Sainte-Croix), l’archipel abrite une population de 104 400 habitants.
L’archipel des îles Vierges a été divisé en deux parties au XVIIème siècle, l’une anglaise et l’autre danoise. En déclin économique la partie danoise a été rachetée en 1917 par les États-Unis qui souhaitaient renforcer leur présence dans la région. La citoyenneté américaine a été conférée aux habitants en 1927. L’autorité fédérale sur le nouveau territoire américain a été confiée au ministère de l’intérieur en 1931 qui continue à l’administrer.
Une loi organique adoptée en 1936 a organisé l’autonomie du territoire tandis qu’une autre datant de 1954 a posé les bases des institutions politiques actuelles. Le pouvoir exécutif y est représenté par un gouverneur ainsi qu’un lieutenant-gouverneur, élus au suffrage universel direct depuis 1968. Le pouvoir législatif est incarné par un parlement monocaméral composé de 15 parlementaires.
Bien que citoyens américains, les habitants des îles Vierges des États-Unis ne participent pas à l’élection présidentielle. Ils sont représentés à la Chambre des Représentants par un délégué qui ne dispose pas du droit de vote. Le territoire est inscrit depuis 1946 sur la liste des territoires non autonome, établie par le comité spécial de décolonisation de l’ONU.
Annexé par les États-Unis en 1899, Wake abrite depuis 1941 une base militaire. Territoire non incorporé et non organisé, l’atoll est placé sous la responsabilité du ministère de l’intérieur américain, qui délègue son administration aux Forces aériennes des États-Unis. L’île est dépourvue de population permanente mais compte une centaine de personnes qui travaillent sur les installations militaires.
Les îles Midway appartiennent depuis 1867 aux États-Unis qui s’en sont servis comme base navale jusqu’en 1996. Territoire non incorporé et non organisé, les îles sont placées sous la responsabilité du ministère de l’Intérieur américain. Il s’agit aujourd’hui d’un refuge naturel où résident une quarantaine de scientifiques.
B. Les territoires australiens
1. Trois petites îles peu peuplées
Le Commonwealth d’Australie est une fédération de six États auxquels viennent s’ajouter des territoires « intérieurs » (situés sur l’île-continent) et « extérieurs » (situés outre-mer) qui disposent d’un statut d’autonomie. Le gouvernement australien, par l’intermédiaire de son ministère de l’Infrastructure, des transports, des villes et du développement durable, administre les external territories of Australia. Parmi ces derniers, seules les îles Cocos (605 habitants en 2023) et l’île Christmas (2 200 habitants en 2017) dans l’océan Indien, ainsi que l’île Norfolk (2 300 habitants en 2011) dans l’océan Pacifique, sont habitées.
Dans les territoires de l’océan Indien, les lois du Commonwealth, sous réserve d’exception, sont applicables de plein droit. Un administrateur bénéficiant du statut de haut fonctionnaire nommé par le gouvernement fédéral australien assiste les gouvernements des territoires. Au niveau fédéré, le gouvernement de l’État d’Australie-Occidentale est chargé de l’application des lois pour le compte du Commonwealth.
2. L’île de Norfolk a perdu son autonomie
L’île de Norfolk, située dans la partie Pacifique, a fait l’objet d’une recentralisation de ses pouvoirs par le gouvernement fédéral, à contre-courant des pratiques des États occidentaux en matière de gestion de leurs territoires extérieurs. Jusqu’en 2015, l’île jouissait d’un important niveau d’autonomie au regard de sa faible population : Norfolk avait la capacité d’adopter des lois en matière d’immigration, de fiscalité, ainsi que pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du territoire, malgré l’existence d’un droit de véto du représentant du gouvernement fédéral sur les questions touchant aux intérêts du Commonwealth.
En 2010, le ministre en chef avait alors demandé au gouvernement fédéral de prendre à sa charge les dettes significatives du territoire en échange de l’abandon volontaire du statut de territoire autonome, actant implicitement la grande difficulté économique à administrer un territoire aussi faiblement peuplé et en décroissance démographique.
Ayant placé le territoire sous tutelle, le gouvernement fédéral décidait en 2015 la suppression du gouvernement local (limité à trois ministres et un ministre en chef) en dépit de l’opposition de ce dernier et de la population.
En 2016, un nouvel organe, le Conseil régional, a été élu par les habitants de l’île. Il comprenait cinq membres qui élisaient parmi eux un maire chargé d’assurer les fonctions de l’État en plus des services locaux tels que l’aménagement du territoire et la gestion des urgences. Mais en décembre 2021, ce Conseil régional a été dissout et ses pouvoirs assurés par un administrateur, nommé par la ministre adjointe pour le Développement régional et les territoires du gouvernement australien. C’est donc le gouvernement australien qui administre directement l’île depuis cette date.
C. Bonaire, Sint-Eustatius et Saba : les collectivités sui generis néerlandaises
1. Les conséquences de la dissolution de la Fédération des Antilles néerlandaises
Depuis la dissolution de la Fédération des Antilles néerlandaises en 2010 (cf. supra), les trois îles de Bonaire (19 000 habitants en 2015), Sint-Eustatius (3 200 habitants en 2016) et Saba (2 000 habitants en 213) (BES) constituent désormais des collectivités territoriales sui generis directement rattachées aux Pays-Bas. Les modalités de ce nouveau statut ont été définies par deux lois statutaires adoptées fin 2010, statut ayant acquis un fondement constitutionnel avec l’introduction de l’article 132 de la Constitution néerlandaise en 2017.
Une première loi statutaire, révisée en 2018, a institué les collectivités spéciales des îles BES, leurs organes ainsi que leur fonctionnement. Les institutions reprennent la structure de l’ancienne fédération. L’organe représentatif local est le conseil de l’île, dont la principale fonction est de contrôler l’exécutif municipal. Ce dernier est constitué du Conseil exécutif ainsi que d’un lieutenant-gouverneur, nommé par le monarque sur proposition du ministre de l’intérieur et des affaires du royaume. Le lieutenant-gouverneur préside à la fois l’organe législatif et exécutif.
Enfin, la loi a institué un représentant du royaume commun aux trois îles dont la fonction est de servir d’interface avec l’État. Ce représentant est nommé par le monarque sur proposition du ministre de l’intérieur et veille notamment à la bonne administration des îles, à la transparence des institutions locales et soumet au ministre de l’intérieur des candidats pour les postes de chefs des exécutifs.
2. La spécialité législative s’applique sur ces îles
Un principe de spécialité législative s’applique aux trois îles où seule une partie du droit néerlandais s’applique : les législations et règlements applicables figurent en annexe de la seconde loi statutaire de 2010, les autres lois néerlandaises ne s’appliquant que si elles en font mention explicite. Bien que ces îles soient partie intégrale des Pays-Bas, le législateur a estimé que la différenciation des îles BES pouvait se justifier par les circonstances particulières qui les distinguent de la partie européenne du pays. Ce principe est depuis 2017 garanti par l’article 132 de la Constitution. Les îles bénéficient en outre d’une autonomie administrative, c’est-à-dire du pouvoir d’édicter des normes générales et impersonnelles en conformité avec la loi nationale.
Les résidents des îles BES disposent de la nationalité néerlandaise et votent aux scrutins nationaux et européens. Les trois îles jouissent en effet du statut de PTOM au sein de l’Union européenne.
D. le choix nÉo-zÉlandais de Tokelau
1. Des pouvoirs largement gérés par les instances coutumières
Ancienne colonie britannique passée sous juridiction néo-zélandaise en 1925, les Tokelau sont un minuscule archipel du Pacifique peuplé d’environ 1 600 habitants (chiffres de 2019). Depuis le Tokelau Act de 1948, l’archipel est pleinement intégré à la Nouvelle-Zélande tout en gardant une autonomie interne.
Le gouvernement néo-zélandais est représenté par un administrateur nommé par le ministère des affaires étrangères, le choix du département ministériel n’étant pas neutre.
Depuis 1994, l’essentiel de ses compétences a été transféré aux institutions locales. Les affaires courantes sont gérées par le Taupulega (Conseil des anciens) de chacune des trois îles, présidé par un Faipule (Chef de village), tous élus pour trois ans. Ces derniers délèguent leur pouvoir pour traiter les affaires communes au Fono, l’organe législatif local se réunissant trois fois par an et composé de représentants élus dans chaque atoll. Lorsque le Fono n’est pas en session, c’est le Conseil de gouvernement, composé des trois Faipule et des trois Pulenuku (les maires) qui s’occupe des affaires locales.
2. Un refus explicite et réitéré de l’indépendance
En 2003, les gouvernements de la Nouvelle-Zélande et des Tokelau ont signé une déclaration commune inaugurant un processus d’autodétermination pour l’archipel, malgré des réticences locales. Wellington a offert à cette occasion un certain nombre de garanties sur son soutien administratif, militaire, et économique, indépendamment du nouveau statut pour lequel les habitants opteraient. Les habitants de l’île se sont exprimés plusieurs fois par référendum sur l’avenir institutionnel de l’archipel en 2006 puis en 2007, choisissant toujours le statu quo et refusant l’indépendance. En dépit de ces consultations, les Tokelau figurent toujours sur la liste des territoires non autonomes de l’ONU.
Les territoires ultramarins britanniques, le plus souvent d’anciennes possessions issues de l’empire colonial, ne sont pas sans rappeler la situation française par leur nombre et leur diversité. En revanche, l’originalité de leurs statuts – certains territoires étant directement rattachés à la couronne – rend hasardeuse toute comparaison avec nos outre-mer.
A. Les dÉpendances de la couronne
1. Une ample autonomie qui remonte au Moyen-âge
Les îles de Jersey (Bailiwicks of Jersey) et de Guernesey (Bailiwick of Guernsey) situées dans la Manche ainsi que l’Île de Man en mer d’Irlande constituent les dépendances de la Couronne (Crown Dependencies) britannique. Ces territoires autonomes ne font pas à proprement parler partie du Royaume-Uni mais sont liés par un lien de nature féodale au monarque britannique considéré comme l’héritier des titres de duc de Normandie et seigneur de Man.
Les lois britanniques ne s’appliquent donc pas à ces dépendances, sauf en cas de mention contraire. En revanche, les lois locales doivent être approuvées par le monarque britannique. Le gouvernement britannique est responsable de leur défense et des relations extérieures, avec consultation des autorités locales.
La couronne est représentée dans chacun de ces territoires par un lieutenant-gouverneur, nommé sur recommandation des autorités locales. Ce dignitaire est compétent pour promulguer les lois au nom du monarque. Chaque dépendance dispose de son propre parlement, bicaméral pour l’Île de Man et monocaméraux pour chacune des îles anglo-normandes.
2. Des sujets britanniques non représentés au Parlement
Les résidents des dépendances de la Couronne sont considérés comme des sujets britanniques, bien qu’ils ne résident pas à proprement parler sur le territoire britannique. Cette nuance explique le fait que les habitants ne disposent pas du droit de vote aux élections législatives générales britanniques, et qu’ils ne soient pas représentés au Parlement de Westminster.
B. Les « British oversea territories »
1. Des territoires organisés de manière très autonome
Avec 14 territoires dont 12 situés hors du continent européen et une population totale d’environ 200 000 habitants, les territoires britanniques d’outre-mer (British overseas territories ou BOT) représentent les derniers territoires de l’empire colonial britannique qui n’ont pas choisi l’indépendance.
Chef d’État du Royaume-Uni, le monarque nomme, sur proposition du gouvernement, un gouverneur en charge de la liaison avec Londres et des missions protocolaires. Les territoires britanniques des Antilles, au nombre de six, sont les suivants : Anguilla (19 400 habitants), les Bermudes : 72 800 (habitants), les Îles Vierges Britanniques (40 100 habitants), les Îles Caïmans (66 600 habitants), les Îles Turques-et-Caïques (60 400 habitants) et Montserrat (5 500 habitants).
Ces territoires disposent de parlements monocaméraux (à l’exception de celui des Bermudes qui est bicaméral) et de gouvernements responsables devant ceux-ci. Les chefs de gouvernements sont nommés par le gouverneur.
Les autres territoires peuplés disposent chacun d’un organe législatif élu et d’un exécutif constitué de fonctionnaires : il s’agit des Îles Malouines (3 200 habitants en 2016), de Pitcairn (43 habitants en 2020), de Sainte-Hélène (4 300 habitants en 2016), d’Ascension (800 habitants en 2020) et de Tristan da Cunha (250 habitants en 2023), ces trois derniers étant regroupés en une seule collectivité. Enfin dans les territoires sans population permanente (Géorgie du Sud-et-les îles Sandwich du Sud, Territoire antarctique britannique, Territoire britannique de l’océan Indien), un commissaire exerce les fonctions de gouverneur et de chef de gouvernement.
Depuis 2012, un conseil ministériel conjoint du Royaume Uni et des BOT (UK-Overseas Territories Joint Ministerial Council) se réunit une fois par an pour permettre aux gouvernements des BOT d’échanger sur les problématiques de ces territoires avec le gouvernement britannique. Le ministère des affaires étrangères et du Commonwealth est chargé de représenter les intérêts des BOT dans la politique étrangère du Royaume-Uni, sauf pour les territoires chypriotes qui dépendent du ministère de la Défense.
Les territoires britanniques situés hors d’Europe, qui disposaient du statut de PTOM au sein de l’Union européenne l’ont perdu lors du retrait du Royaume-Uni de l’Union en 2020. Le nouvel accord de commerce et de coopération entre l’Union européenne et le Royaume-Uni ne s’applique pas aux territoires ultramarins britanniques.
2. Le cas particulier des bases britanniques sur Chypre
Les bases militaires d’Akrotiri et de Dhekelia situées sur l’île de Chypre font figure d’exception au sein des territoires ultramarins britanniques. Bien qu’elles ne soient pas visées par le British Oversea Territories Act de 2002, elles demeurent des territoires sous souveraineté britannique qui abritent environ 18 000 habitants qui, hors personnel militaire, n’ont pas accès à la nationalité britannique mais disposent, en revanche, de la citoyenneté chypriote.
Le statut de ces territoires a été fixé par les accords de Londres du 19 février 1959 entre le Royaume-Uni, la Grèce et la Turquie en vue de l’accès à l’indépendance de Chypre. Sur la base de ces accords, les trois États ont signé, en 1960, un traité de garantie qui officialise l’indépendance de Chypre tout en garantissant au Royaume-Uni la pleine souveraineté sur les territoires d’Akrotiri et de Dhekelia qui abritent deux bases militaires.
Les bases sont toutes placées sous l’autorité d’un administrateur qui est également commandant des forces britanniques de Chypre. Bien que le Royaume uni exerce la pleine souveraineté sur ces territoires, les lois applicables à la population chypriote sont, dans la mesure du possible, celles de la République de Chypre.
3. Un droit de la nationalité subtil et évolutif
Traditionnellement, le droit britannique de la nationalité distinguait entre les sujets ayant le droit de séjour sur le territoire britannique et ceux qui l’avaient dans les outre-mer. En 1981, le British Nationality Act a établi le statut des habitants des dépendances britanniques, qui ne bénéficiaient pas, à cette époque d’un droit de séjour au Royaume-Uni, privilège réservé aux détenteurs de la nationalité britannique, conditionnée à la résidence au Royaume-Uni. Seuls les Malouins, après la guerre des Malouines, et les habitants de Gibraltar après l’adhésion du Royaume-Uni aux Communautés européennes ont bénéficié de ce privilège.
Il a fallu attendre la rétrocession de Hong-Kong à la Chine en 1997, faisant passer le nombre d’habitants des dépendances de six millions à moins de 200 000 pour voir une nouvelle réforme du statut des intéressés. Le British Overseas Territories Act de 2002 a conféré de manière automatique la nationalité britannique aux sujets des dépendances de la couronne, rebaptisés à l’occasion « territoires d’outre-mer ». Cette réforme n’a pas concerné les résidents des deux grandes bases militaires britanniques de l’île de Chypre d’Akrotiri et Dhekelia.
Toutefois, la possession d’un passeport britannique ne garantit pas un droit de résidence dans les territoires ultramarins britanniques qui accordent eux-mêmes ce droit sur la base de leur propre législation. Les populations ultramarines britanniques ne sont pas représentées au Parlement de Westminster.
Les territoires ultramarins britanniques font l’objet de plusieurs contentieux territoriaux avec d’autres États. Ainsi, l’Argentine revendique sa souveraineté sur les Malouines, qu’elle a essayé de conquérir par la force en 1982, causant une guerre sanglante, la Géorgie du Sud et les Îles Sandwich du Sud, ainsi que le territoire britannique de l’Antarctique, également revendiqué par le Chili. En Europe, Gibraltar est également revendiqué par l’Espagne.
4. Le cas des Chagos : un archipel vidé de sa population
L’archipel des Chagos a été détaché de l’île Maurice en 1965 au moment où les autorités mauriciennes négociaient leur indépendance. Ainsi lorsqu’en 1968, Maurice est devenue souveraine, les Chagos sont restées sous contrôle britannique. Les terres étaient alors peuplées d’environ 2 000 habitants, pour la plupart descendants d’esclaves originaires de Madagascar et du Mozambique ainsi que de travailleurs venus de l’Inde.
En raison de la position stratégique de l’archipel au milieu de l’océan Indien, les États-Unis négocièrent en 1966 l’installation une base militaire sur l’île de Diego García que le Royaume-Uni accepta de mettre à disposition de Washington pour une durée de 70 ans. L’accord prévoyait que tous les habitants (entre 1 500 et 2 000 personnes), qui vivaient sur l’archipel depuis parfois le XVIIIème siècle fussent sans exception déportés vers l’île Maurice et les Seychelles. Ce qui fut fait entre 1966 et 1973.
Depuis cette époque, l’archipel des Chagos est considéré comme étant sans population, ce qui le dispense de toute administration autre que militaire.
Condamné à l’exil depuis lors, les Chagossiens ont reçu le soutien des Nations Unies et de la Cour Internationale de Justice. En 2022, sous la pression de la Cour internationale de justice, de l’Assemblée générale de l’ONU et du Tribunal international du droit de la mer, le gouvernement britannique a ouvert des négociations avec l’île Maurice pour la restitution de l’archipel, avec l’approbation des États-Unis. Ces pourparlers ont abouti, le 3 octobre 2024, à la restitution de l’ensemble des îles Chagos à l’île Maurice.
En échange de cette rétrocession, la République de Maurice s’est engagée auprès de Londres à garantir la présence de la base militaire de Diego Garcia louée par les Britanniques aux États-Unis.
Chapitre deux : les collectivités de l’océan indien
îles et Territoires de l’ocÉan indien
|
Statut |
Ancienne ou actuelle puissance tutélaire |
Régime |
Population et |
Monnaie |
Organisations internationales |
États souverains |
||||||
Comores |
Indépendant depuis 1975 |
France |
République présidentielle fédérale |
900 141 hab. |
Franc comorien |
ONU, COI, COMESA, SADC |
Madagascar |
Indépendant depuis 1960 |
France |
République semi-présidentielle |
29 452 714 hab. |
Ariary |
ONU, COI, COMESA, IORA-ARC, SADC |
Maldives |
Indépendant depuis 1965 |
Royaume-Uni |
République présidentielle |
388 858 hab. |
Rufiyaa |
ONU, Commonwealth |
Maurice |
Indépendant depuis 1968 |
Royaume-Uni |
République parlementaire |
1 310 504 hab. |
Roupie mauricienne |
ONU, COI, Commonwealth, COMESA, IORA-ARC, SADC |
Seychelles |
Indépendant depuis 1976 |
Royaume-Uni |
République présidentielle |
98 187 hab. |
Roupie seychelloise |
ONU, COI, Commonwealth, COMESA, IORA-ARC, SADC |
Sri Lanka |
Indépendant depuis 1948 |
Royaume-Uni |
République semi-présidentielle |
21 982 608 hab. |
Roupie sri-lankaise |
ONU, Commonwealth |
Territoires habités non souverains |
||||||
Île Christmas |
Territoire extérieur |
Australie |
|
2 200 hab. 135 km² |
Dollar australien |
Commonwealth (Australie) |
Îles Cocos |
Territoire extérieur |
Australie |
|
605 hab. 14 km² |
Dollar australien |
Commonwealth (Australie) |
La Réunion |
Département et région d’outre-mer |
France |
|
19 416 hab. |
Euro |
COI (France), IORA-ARC (France) |
Mayotte |
Collectivité territoriale unique |
France |
|
125 063 hab. |
Euro |
IORA-ARC (France) |
Terres australes et antarctiques françaises (hors Terre Adélie) Amsterdam et Saint-Paul, Kerguelen, Crozet, Îles Éparses |
Collectivité sui generis |
France |
|
7 747 km² 140 militaires et scientifiques |
Euro |
|
Territoire britannique de l’océan Indien (archipel des Chagos) |
Territoire d’outre-mer |
Royaume-Uni |
|
3 000 militaires britanniques et américains |
Livre sterling et dollar américain |
Commonwealth (Royaume-Uni) |
Abréviations : ONU : Organisation des Nations Unies, COI : Commission de l’Océan indien, COMESA : Marché commun de l'Afrique orientale et australe:, SADC (CDAA en français) : Communauté de développement d'Afrique australe, IORA-ARC : Association des États riverains de l'océan Indien. |
La Réunion est une île de 2 512 km² qui compte 885 700 habitants. Au cours des trois dernières décennies, c’est la région française qui a connu la croissance économique la plus rapide. Le PIB des Réunionnais reste néanmoins inférieur d’environ un tiers à la moyenne nationale, notamment du fait de son isolement et de son renfermement économique.
Le niveau de vie de nombreux Réunionnais dépend fortement des prestations sociales et plus particulièrement des minimas sociaux. Leur poids des dans le revenu disponible des ménages est trois fois supérieur à La Réunion par rapport à la moyenne nationale : 16 % contre 5 %. Au contraire, les pensions et retraites ont un poids deux fois inférieur, ce qui s’explique par la jeunesse de la population.
I. une histoire coloniale atypique
Avant le XVIème siècle, seuls les Arabes et les Austronésiens, habitant des actuelles Indonésie et Malaisie, connaissent l’océan Indien. L’île est alors connue des navigateurs arabes sous le nom de « Dina Morgabine » (l’île de l’ouest). Tandis que l’île Maurice est appelée « Dina Arobi » (l’île abandonnée) et Rodrigues « Dina Mozare » (l’île de l’est). Les trois îles, inhabitées, formeront plus tard les groupes des Mascareignes.
A. la seule colonie française découverte inhabitÉe
Les navigateurs français ont pris possession de bien des territoires inhabités (Clipperton, Kerguelen, Saint-Paul, Crozet, Amsterdam, îles Éparses, Terre-Adélie, etc.) mais ces terres étaient soit trop petites, soit trop inhospitalières pour y accueillir un développement humain. La Réunion est un cas rare de territoire découvert vierge de toute présence humaine et qui fut développé comme colonie de peuplement et d’exploitation.
1. Une colonisation à but économique et militaire
Durant les années 1504-1512, l’île est abordée par navigateurs portugais, premiers Européens à y prendre pied. Comme elle n’est pas située directement sur la route des Indes qui intéresse les Européens, l’île reste à l’écart de toute colonisation pendant plusieurs décennies.
Il faut attendre le début du siècle suivant pour que des navigateurs européens s’intéressent aux îles Mascareignes. En juin 1638, une expédition française menée par le commandant Salomon Goubert prend officiellement possession de l’île de Mascarin (future Réunion), toujours inhabitée, au nom du roi de France.
En 1642, la Compagnie française de l’Orient reçoit ordonnance royale avec un monopole de quinze années à Madagascar et sur les îles voisines. La future île de La Réunion prend alors le nom d’île Bourbon et accueille, en 1646, sa première implantation.
Le 27 août 1664, la monarchie française crée la Compagnie des Indes orientales. Pendant un peu plus d’un siècle, de 1664 à 1767, cette compagnie administre directement l’île Bourbon qui lui est concédée par le roi Louis XIV, avec mission de mener une politique de peuplement, de mise en valeur des ressources locales et de défense. Elle y tient en outre les fonctions régaliennes de justice et a charge de lever les impôts.
2. Le rôle essentiel de l’esclavage dans la mise en valeur de l’île
Bien qu’il soit théoriquement interdit par les statuts de la Compagnie des Indes orientales, l’esclavage est présent à Bourbon dès les premières années de son peuplement.
Jusqu’en 1767 se maintient un commerce d’importation d’esclaves issus du continent africain, de Madagascar ou d’Inde. Le développement agricole du territoire (canne, café et épices principalement), repose alors essentiellement sur cette main-d’œuvre gratuite. En un siècle, la population de l’île augmente fortement, avec une importante proportion d’esclaves : en 1789, l’île Bourbon compte 9 200 colons libres et 42 600 esclaves.
L’abolition de 1’esclavage, votée le 4 février 1794, par la Convention, n’est pas acceptée par les colons.
Renommée île de La Réunion pendant la Révolution française, l’île passe brièvement sous souveraineté britannique (1810-1814) pendant les guerres napoléoniennes avant d’être définitivement rétrocédée à la France en 1814. En revanche, l’île voisine alors dénommée « île de France » et qui était sous souveraineté française depuis 1715, reste britannique sous le nom d’île Maurice.
En 1832, un premier conseil général, doté de peu de pouvoirs, est élu.
Le 20 décembre 1848, l’esclavage est définitivement aboli à La Réunion. L’île compte alors plus de 60 000 esclaves, soit environ 60 % de la population totale. Les propriétaires sont indemnisés du préjudice causé par l’affranchissement de leurs esclaves. Pour remplacer leurs esclaves affranchis, les propriétaires fonciers font appel à plus de 100 000 « engagés », des travailleurs immigrés au statut très défavorables provenant du continent africain, de Madagascar, des Indes et de Chine.
Sous la IIIème République, des premières revendications pour une évolution du statut de la colonie se font entendre. Elles culminent dans les années 1930 avant d’être mises entre parenthèses pendant la seconde guerre mondiale. La question resurgit dès la fin du conflit, alors que l’île est exsangue économiquement, moralement et démographiquement. La loi du 19 mars 1946 vient répondre à ces demandes en faisant de La Réunion un département français d’outre-mer.
Entre 1946 et 1959, malgré une situation économique difficile, la population augmente de 44 %, passant de 227 500 à près de 330 000 habitants.
3. Les débuts chaotiques de la départementalisation
Cependant, la départementalisation effective se fait attendre et les réformes promises ne sont pas mises en œuvre. Il faut attendre l’avènement de la Vème République en 1958 pour voir une réelle application de la loi de 1946. Pendant cette période, le parti communiste réunionnais (PCR), fondé en 1959, défend un programme autonomiste en réponse aux promesses non tenues de la départementalisation. Son président, Paul Vergès, s’oppose alors à Michel Debré, ancien premier ministre (1958-1962) qui est élu député de La Réunion sur un programme « départementaliste ».
Le 7 juin 1963, l’ancien premier ministre Michel Debré est à l’origine de la création du Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer (Bumidom). Cette nouvelle administration a pour objectif d’aider la jeunesse ultramarine à émigrer vers la métropole pour y trouver plus facilement du travail. En même temps, ce programme a aussi pour ambition de contribuer au repeuplement de régions métropolitaines en déclin démographique. Mais de graves abus sont commis : de 1963 à 1981, des départements comme la Creuse et la Lozère accueillent 1 630 enfants réunionnais envoyés par le Bumidom. On découvrira plus tard que la plupart de ces enfants ont été « arrachés » à leur île natale sans le consentement de leurs familles.
B. L’attachement de la RÉunion au droit commun
1. La décentralisation de la fin du vingtième siècle
La question statutaire est de nouveau posée avec l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981. Le gouvernement socialiste souhaite alors réaliser une profonde décentralisation des pouvoirs publics français. La « loi Defferre » du 2 mars 1982 prévoit notamment la transformation des régions en collectivités territoriales de plein exercice. La mise en place des régions dans les territoires ultramarins fait l’objet de controverses dans la mesure où cela implique la superposition de deux collectivités sur un même territoire, avec une population identique.
Le secrétaire d’État aux départements et territoires d’outre-mer, Henri Emmanuelli, propose alors la mise en place d’une assemblée unique chargée d’exercer les compétences de la région et du département dans les territoires ultramarins. Les élus réunionnais sont divisés sur ce projet, la gauche y étant plutôt favorable tandis que la droite y est fermement opposée. Finalement, c’est le juge constitutionnel, saisi entre autre par le sénateur réunionnais Louis Virapoullé, qui tranchera en déclarant le projet de loi non conforme à la Constitution. La loi du 31 décembre 1982 prend acte de cette décision en instituant les régions d’outre-mer sur le même modèle qu’en France hexagonale.
Près de vingt ans plus tard, les débats sur l’avenir statutaire de l’île reprennent avec l’examen de la loi d’orientation pour l’outre-mer du 13 décembre 2000. Cette loi reconnaît à la Guadeloupe, à la Guyane, à la Martinique et à La Réunion la possibilité de disposer à l’avenir d’une organisation institutionnelle qui leur soit propre. La Réunion se distingue cependant des territoires américains puisqu’elle ne bénéficie pas du droit de proposer à sa propre initiative des évolutions statutaires, au motif de « l’attachement des Réunionnais à ce que l’organisation de leur île s’inscrive dans le droit commun ».
Surtout, c’est le projet parallèle de bidépartementalisation de l’île qui va raviver les débats. Les cinq députés réunionnais proposent en effet de scinder l’île en deux départements afin de procéder à un rééquilibrage entre le nord et le sud. Après moult débats et face au refus des collectivités ainsi qu’à un rejet de la population, le projet est finalement abandonné en novembre 2000.
2. L’autolimitation instaurée par l’ « amendement Virapoullé »
La réforme constitutionnelle de 2003 donne de nouveau l’occasion à La Réunion d’affirmer son attachement au droit commun. En effet, le nouvel article 73 de la Constitution introduit la possibilité pour les départements et régions d’outre-mer d’élaborer des règlements portant sur certaines questions relevant du domaine de la loi. Or un amendement porté par le sénateur réunionnais Jean Paul Virapoullé, qui a succédé à son frère Louis, vient préciser que « la disposition prévue aux deux précédents alinéas n’est pas applicable au département et à la région de la Réunion ».
L’ « amendement Virapoullé », devenu le cinquième alinéa de l’article 73 de la Constitution, répond à une volonté politique d’ancrer La Réunion dans le régime de l’identité législative totale, en empêchant toute possibilité d’adaptation normative, perçue comme porteuse d’un risque d’autonomisation institutionnelle de l’île. Cette autolimitation reste, vingt ans après son adoption, très controversée.
*
Au cours des dernières décennies, la population de La Réunion a continué à augmenter, résultat de progrès médicaux ayant entrainé une baisse spectaculaire de la mortalité tandis que la natalité restait forte et que l’île attirait de plus en plus d’immigrants venus de la métropole, d’Europe et de l’océan Indien.
Au 1er janvier 2024, La Réunion comptait 885 700 habitants avec une perspective d’atteindre le million d’habitants au milieu du siècle. Pour autant, la baisse de la natalité et le vieillissement de la population laissent envisager un tassement au-delà de cet horizon.
II. un territoire fermement ancré dans la République
L’île de La Réunion affiche clairement et fièrement son attachement à la République et à la France, souhaitant un alignement le plus étroit possible sur le fonctionnement des collectivités hexagonales et rejetant toute idée d’autonomie au point de s’autolimiter par un amendement fameux. Pour autant, chacun reconnaît que les textes nationaux ne sont pas tous applicables localement et qu’un minimum d’adaptation serait bienvenu.
A. autonomistes contre loyalistes : un débat clos
Si elle a longtemps sous-tendu le débat politique à La Réunion, la controverse autour de l’autonomie n’est plus d’actualité, l’immense majorité des Réunionnais étant favorables à un alignement sur les normes nationales.
1. Les centres de préoccupation se sont déplacés
Pendant longtemps, La Réunion a été le théâtre d’une opposition politique entre les autonomistes, principalement issus des rangs du Parti communiste réunionnais (PCR), et les loyalistes (ou « départementalistes »), regroupés autour de la figure emblématique de l’ancien premier ministre Michel Debré. Les autonomistes étaient alors volontiers qualifiés d’indépendantistes. Selon certains, l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand en 1981 aurait contribué à briser cette bipolarisation.
Aujourd’hui, le PCR a perdu beaucoup de son influence depuis la chute du mur de Berlin et la disparition de ses leaders historiques. Le mot « autonomie » ne fait plus peur lorsqu’il s’agit d’autonomie alimentaire ou énergétique : cette autonomie-là est plutôt recherchée et valorisée. En revanche, l’autonomie politique fait davantage l’objet d’un rejet.
Le sujet n’intéresse guère la population, davantage préoccupée par les problèmes économiques et sociaux du quotidien : un chômage toujours élevé malgré une récente baisse, un taux de 35 % d’habitants vivant sous le seuil de pauvreté, un PIB par habitant inférieur de 10 000 euros à celui de l’hexagone, des prix toujours trop élevés…
Pour Maurice Gironcel, maire (PCR) de Sainte-Suzanne et président de syndicats intercommunaux, il est exagéré de dire que l’autonomie continue à faire peur car « l’ère de la responsabilité est arrivée ». Mais les élus réunionnais nuancent en demandant qu’on leur fasse davantage confiance dans la gestion de leur budget, regrettant par exemple que trop de subventions nationales ou européennes soient « fléchées » et non d’utilisation libre.
Un sondage commandé en 2022 par le département ([31]) indique que 89 % des Réunionnais souhaitent que l’île garde son actuel statut (art.73 C.) quand seulement 8 % préfèreraient un changement dans le sens d’une collectivité d’outre-mer à l’image de la Nouvelle-Calédonie ou de la Polynésie française (art. 74 C.). Dans cette même enquête, 70 % des Réunionnais se déclarent départementalistes contre 19 % qui se réclament de l’autonomie.
2. Le Parti réunionnais (Paré), seule voix dissonante
Une seule formation politique revendique ouvertement son attachement à l’autonomie : le Paré (Parti réunionnais), fondé en mai 2022 par Mickaël Crochet.
Très minoritaire au sein de la société réunionnaise, cette formation qui insiste avant tout sur la défense de la langue et de la culture créoles regrette que la question statutaire soit « un sujet tabou, créateur d’angoisse ». Le Paré prône le choix d’une « autonomie législative et réglementaire de plein droit » qui placerait La Réunion dans le cadre de l’article 74 de la Constitution.
Assumant son statut de « micro-parti », le Paré déclare s’inscrire dans la tradition républicaine, « dans une démarche constructive et pas disruptive » et réfute l’argument de ses adversaires politiques selon lequel « l’autonomie serait le premier pas vers l’indépendance ». Les responsables de ce parti soulignent le paradoxe selon lequel les Réunionnais seraient globalement favorables à des mesures de différenciation tout en récusant la notion d’autonomie.
Mickaël Crochet reconnaît la nécessité d’un travail de définition de l’autonomie ainsi la nécessité de réfléchir aux conséquences concrètes d’un tel choix. Désabusé, il reconnaît toutefois devant les rapporteurs qu’« un tel projet intéresse peu de monde ».
B. l’ « amendement virapoullÉ »
C’est d’ailleurs le rejet de toute autonomie qui a conduit le sénateur Jean-Paul Virapoullé à déposer l’amendement qui a pris son nom et qui aboutit à priver l’île de La Réunion de la possibilité d’adapter les textes nationaux aux réalités locales. Cette disposition reste le principal point de friction institutionnelle, aucune majorité nette ne semblant se dégager ni pour son abrogation ni pour son maintien.
1. Un droit d’adaptation très encadré
La loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 portant sur l’organisation décentralisée de la République a, entre autres modifications, réécrit l’article 73 de la Constitution pour permettre l’adaptation du droit en outre-mer après habilitation par le pouvoir législatif. Un amendement des sénateurs Virapoullé, Payet et Hyest neutralise l’application des alinéas 3 et 4 de l’article 73 à La Réunion en ces termes : « La disposition prévue aux deux précédents alinéas n’est pas applicable au département et a la région de La Réunion ».
L’exclusion de La Réunion repose sur la volonté de ne pas consacrer « un principe proche de la spécialité législative, comme cela est le cas pour les collectivités d’outre-mer mentionnées à l’article 74 ». Comme le fait remarquer le professeur Josselin Rio dans le dictionnaire juridique des outre-mer ([32]), « Au-delà de toute considération juridique, l’attachement au droit commun s’explique avant tout par la crainte, justifiée ou non, que la possibilité d’adaptation normative soit potentiellement porteuse d’un risque d’autonomisation institutionnelle, voire d’indépendance de l’île ».
Dans la version de 1958 de l’article 73, l’adaptation était déjà possible mais elle était envisagée et rédigée par les organes nationaux. L’apport de la révision constitutionnelle de 2003 est d’habiliter les collectivités à rédiger elles-mêmes ces adaptations. Il ne s’agit en aucun cas de la consécration d’un pouvoir législatif ou réglementaire ultramarin autonome. La procédure d’habilitation prévue par la loi organique permet aux pouvoirs législatif et exécutif nationaux de contrôler et d’autoriser ou non les adaptations demandées. La spécialisation des normes est placée directement sous le contrôle du Parlement, du gouvernement mais également du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État au travers des contrôles de l’habilitation.
2. Une disposition vécue comme une autocensure par certains
L’amendement Virapoullé a été adopté dans le but d’éloigner l’île du risque d’une autonomisation pouvant conduire à l’indépendance. Pourtant, les historiens font remarquer que ce risque est très limité, aucune formation à La Réunion n’évoquant une éventuelle indépendance, d’autant que le territoire n’a pas connu de « peuple premier » qui pourrait se considérer comme propriétaire du territoire, contrairement aux collectivités du Pacifique.
Huguette Bello, la présidente du Conseil régional, souligne que les autres DROM, qui ne sont pas bridées par un tel amendement « ne se sont pas rapprochées de l’autonomie ou de l’indépendance ». Pour son vice-président Patrick Lebreton, « cette disposition qui rend impossible le principe de différenciation contribue à faire de La Réunion un incapable majeur, selon la formule du professeur Ferdinand Mélin-Soucramanien ». Or, « l’adaptabilité des lois doit pouvoir se faire à La Réunion. Les industriels sont les premiers à demander une adaptation des normes nationales. Cette exception d’adaptabilité doit être réformée ». Et d’ajouter : « nous souhaitons tous rester dans le cadre de l’unité de la République, mais rester dans le cadre unique de la République n’exclut pas la différentiation ».
Par ailleurs, le fait qu’un droit soit reconnu aux autres DROM mais pas à La Réunion crée une crispation. L’impression d’être considéré comme un « incapable majeur » pour reprendre la fameuse formule, crée une dimension psychologique qui tient de l’affect : « nous nous privons d’un droit reconnu aux autres parce que, sur cette île, on ne serait pas capable de l’exercer ». Un peu comme une personne qui se fait interdire de casino parce qu’elle se sait incapable de maîtriser ses pulsions dépensières. « On a donc mis un verrou », selon l’expression même de l’auteur de l’amendement, « pour qu’il n’y ait pas d’évolution possible ».
3. Un amendement protecteur pour d’autres
« Amendement incapacitant » pour certains, cette disposition est vécue comme un « amendement protection » pour d’autres. Et il est vrai que le sondage commandé par le département ([33]) en 2022 semble aller dans le sens du statu quo puisque 76 % des sondés estiment qu’il vaut mieux que La Réunion ait les mêmes lois que le reste de la Nation alors qu’ils ne sont que 22 % à préférer une législation adaptable au territoire.
Pour les partisans du statu quo, l’adaptation des textes ne présenterait qu’un intérêt limité dans la mesure où la collectivité n’exerce déjà pas toutes ses compétences. « Commençons déjà à utiliser toutes les possibilités offertes par la législation en vigueur », estiment-ils, et il sera toujours temps, ensuite, de réfléchir à une éventuelle modification de l’article 73 de la Constitution.
Nathalie Bassire, elle aussi opposée à la suppression de l’amendement Virapoullé, ne dit pas autre chose lorsqu’elle déclare « exerçons pleinement nos responsabilités avant d’envisager de modifier la Constitution ». Et d’ajouter : « Existe-t-il l’équivalent d’une différentiation dans les départements hexagonaux ? Évidemment pas. Alors pourquoi en serait-il différemment à La Réunion ? Cette faculté de différenciation qui existe dans les autres DROM n’est pas une force pour eux ».
Les membres du CESER que les rapporteurs ont rencontrés ont aussi souligné le confort apporté par la restriction qui découle de l’amendement Virapoullé : « l’abolition de cette disposition impliquerait une prise de responsabilité de la part des élus locaux qui deviendraient responsables des résultats s’ils avaient la possibilité d’adapter les lois nationales. Actuellement, la situation est plus confortable pour eux : il est aisé de rendre Paris, le Parlement et les ministères responsables de tout ce qui ne va pas. Aujourd’hui, dès qu’il y a un problème, on se rend à la préfecture. Si nous décidions d’adapter les lois, alors nous serions responsables : c’est un changement de culture ».
La présidente Huguette Bello résume la situation de la manière suivante : « les Réunionnais sont favorables à l’autonomie lorsqu’il y a un adjectif qui lui est accolé, comme l’autonomie alimentaire ou l’autonomie énergétique ; mais lorsque le mot est seul, il les effraie, même s’ils souhaitent bénéficier d’un droit à la différenciation et à l’adaptation ».
Comme l’a fait remarquer un observateur de la vie politique réunionnaise aux Rapporteurs, « une seule chose est à peu près sûre : si cette restriction avait été imposée par le pouvoir central parisien, elle aurait suscité un vrai tollé ! ».
C. Pourtant, nombre de lois mÉriteraient d’Être adaptÉes
Paradoxalement, si les Réunionnais sont nombreux à ne pas vouloir revenir sur l’amendement Virapoullé, ils sont presque unanimes à reconnaître que beaucoup de textes nationaux mériteraient d’être adaptés.
1. La nécessité d’adapter certains textes aux réalités locales
De l’avis général, une grande partie des normes adoptées nécessitent un certain nombre d’adaptations, d’autant que les dispositions concernant les outre-mer sont souvent adoptées par ordonnance, donc sans débat ni à l’Assemblée nationale, ni au Sénat. Et le contrôle parlementaire qui s’exerce théoriquement lors de la ratification des ordonnances n’est pas réel : faute de temps et de compétences, il est souvent expéditif.
Un exemple : la loi « littoral » ([34]), qui est très restrictive notamment en matière de construction, a pour objectif de protéger le bord de mer en apportant certaines limites aux ambitions de l’activité humaine. Or, compte tenu des dimensions et de la structure de l’île, le texte s’applique sur l’ensemble du territoire de La Réunion. Pour les acteurs économiques, « cette loi est adaptée à l’hexagone dont elle protège une faible partie du territoire, pas aux outre-mer. Ici, elle bloque clairement l’activité économique de l’ensemble de l’île. Nous aimerions bien l’adapter ». Mais comment procéder dans la mesure où le fameux amendement Virapoullé, que peu de Réunionnais remettent en cause, interdit toute possibilité d’adaptation normative ?
Autre exemple : la non-artificialisation des sols décidée par le Parlement, fait déjà débat dans l’hexagone dont la superficie est pourtant généreuse. À La Réunion, cette disposition serait « quasiment inapplicable » en l’état, dans la mesure où le foncier constructible est très réduit en raison d’un relief tourmenté et où l’augmentation régulière et continue de la population impose la construction de nouveaux logements.
En outre, les lois sont devenues trop précises. Empiétant sur le domaine réglementaire au mépris des articles 34 et 37 de la Constitution, elles sont devenues aussi détaillées que des circulaires, ce qui enlève à l’administration préfectorale ainsi qu’au pouvoir réglementaire local toute marge d’adaptation. Le préfet de La Réunion de l’époque, Jérôme Filippini, avait donné un conseil aux rapporteurs-législateurs : « La loi devrait se limiter aux grands principes, pour laisser une marge d’appréciation sur le terrain ». Dans un plaidoyer pro domo, il n’hésitait pas à souligner que « trop de dispositifs sont gérés depuis Paris ; il faudrait responsabiliser davantage les préfets ». Il est vrai qu’un certain nombre d’agences publiques ont un fonctionnement très vertical.
Pour le député Frédéric Maillot, « à quoi sert l’expérimentation si nous n’avons pas le pouvoir d’adaptation ? »
2. Une adaptation souhaitée par les acteurs économiques
Les représentants du tissu économique (Chambre de commerce et d’industrie, chambre des métiers, chambre d’agriculture, Medef, Confédération des petites et moyennes entreprises) que les rapporteurs ont rencontrés ont insisté sur la nécessité de ne pas être trop figé dans le cadre institutionnel, ainsi que sur la souplesse pour éviter tout blocage. « Les entreprises demandent de l’adaptation et de l’agilité », notamment en matière de normes européennes, jugées trop contraignantes et pas assez adaptées au milieu subtropical réunionnais.
Les représentants du BTP ont expliqué que les normes européennes en matière de vent, d’humidité ou de bruit n’étaient pas adaptées à la réalité réunionnaise : « on peut construire durablement dans les territoires ultramarins, en utilisant des matériaux locaux. Mais nous avons identifié des besoins d’adaptation de normes qui nous empêchent de mettre concrètement en œuvre cette construction durable ».
À titre plus anecdotique, des agriculteurs ont expliqué que « la boucle électronique imposée par l’Union européenne pour les cabris n’est pas adaptée aux conditions de La Réunion ». Cet exemple peut prêter à sourire mais complique le quotidien des éleveurs réunionnais qui subissent la concurrence des pays riverains, non soumis à la réglementation bruxelloise.
III. Les possibles Évolutions institutionnelles de la rÉunion
Comme nous l’avons vu, les élus Réunionnais font preuve d’une grande prudence en matière d’adaptation législative, rappelant sans cesse leur attachement aux normes nationales. La démarche est identique en matière d’évolution institutionnelle : si un approfondissement de la décentralisation est envisageable, l’éventuelle adoption d’une assemblée unique est abordée avec beaucoup de prudence.
A. un amÉnagement des dispositions existantes
1. Approfondir la décentralisation
La décentralisation menée au cours des années 1982-83 autour des « lois Defferre » aurait, selon nos interlocuteurs, « atteint ses limites et demanderait à être prolongée ». Depuis quelques années, on aurait surtout assisté à un phénomène de déconcentration qui aurait renforcé les pouvoirs des préfets.
Le Conseil économique social et environnemental de la Réunion (CESER), qui a travaillé sur le sujet, considère que la décentralisation doit être rénovée et renforcée, notamment avec de nouvelles compétences en matière économique ou sur l’environnement régional. « Les Réunionnais aimeraient ainsi que soit inscrit dans la législation le fait que les collectivités ultramarines maîtrisent leur politique énergétique (la question du stockage, des énergies innovantes, de l’hydrogène, de l’éolien, etc.) ».
Le Conseil économique social et environnemental de La Réunion recommande également l’adoption d’une loi-cadre qui, sur quinze ans, fixerait le champ des responsabilités ainsi que les règles en matière fiscale.
Au-delà de l’approfondissement de la décentralisation, une plus forte déconcentration serait-elle utile ? Pour le préfet, notre pays méconnaît les atouts de ses territoires ultramarins. « Pourtant, La Réunion compte son lot de Start-up et de pépites ultra innovantes » qui pourraient aider à conforter la place de la France dans les nouvelles technologies. Mais les aider efficacement à émerger nécessiterait une déconcentration approfondie des moyens financiers.
2. L’insertion de La Réunion dans son environnement international
Les élus réunionnais, pourtant réticents à prendre des libertés qui pourraient s’apparenter à de l’autonomie, sont paradoxalement nombreux à demander plus de pouvoirs en matière internationale, domaine pourtant qualifié de « régalien » et directement soumis au pouvoir central national.
La demande des élus réunionnais est géographiquement limitée : ils souhaiteraient disposer de davantage de pouvoirs en matière de relations internationales avec leur environnement proche. De l’avis général, le fonctionnement de la Commission de l’océan Indien (COI), qui regroupe les pays de la région, ne donne plus satisfaction. Or, les Réunionnais ne peuvent intervenir dans ce domaine qui est de la compétence de l’État. Rappelons que la zone économique exclusive (ZEE) de La Réunion s’étend sur 2,4 millions de km².
Pourtant, la direction générale des outre-mer (DGOM) ne dispose que de deux agents et d’une secrétaire pour gérer, depuis Paris, les relations entre la France et la COI, là où les autres États membres, intéressés au premier chef, mettent tout leur poids dans la relation. Lorsque des rencontres sont organisées entre les différents États partis, les délégations de Maurice, des Seychelles, des Comores ou de Madagascar sont généralement conduites par des ministres, ce qui n’est évidemment pas le cas de la France qui a souvent du mal à envoyer un représentant, généralement un directeur d’administration.
La Commission de l’océan Indien (COI) : une coopération qui reste limitée
La Commission de l’océan Indien (COI) est une organisation intergouvernementale créée en 1982 à Port-Louis (île Maurice) et institutionnalisée en 1984 par l’accord de Victoria (Seychelles). Elle réunit cinq pays insulaires de l’océan Indien occidental : les Comores, la France (au titre de La Réunion mais pas de Mayotte, récusée par les Comores), Madagascar, Maurice et les Seychelles.
Seule organisation régionale d’Afrique composée exclusivement d’îles, elle défend les spécificités de ses États membres sur la scène internationale, notamment en matière économique, climatique, alimentaire, énergétique, etc.
Un de ses objectifs consiste à fédérer les forces, mutualiser les moyens et sensibiliser aux défis particuliers des îles de la région mais aussi de promouvoir le sud-ouest de l’océan Indien, une région d’une grande diversité humaine, culturelle et naturelle.
En 2016, la Chine est devenue le premier membre observateur de l’organisation, suivie en 2017 par l’Organisation internationale de la francophonie, l’Ordre de Malte et l’Union européenne. En 2020, l’Inde, le Japon et l’Organisation des Nations unies ont à leur tour accédé au statut d’observateur.
La COI permet à la France de bénéficier d’un cadre de dialogue permanent avec les pays de la région. Elle permet également à La Réunion (mais hélas pas à Mayotte) de s’intégrer à la coopération régionale dans le sud-ouest de l’océan Indien. À ce titre, la Commission a reçu des financements importants de l’UE ou de l’Agence française de développement (AFD) pour mener des projets de coopération régionale en matière de gestion des ressources naturelles, de résolution de crises environnementales, de sécurité maritime, de pêche, et de changement climatique. Pour certains observateurs toutefois, la COI manque d’ambition et ses résultats concrets « sont encore rares et souvent modestes ».
Lorsque le président du conseil départemental Cyrille Melchior souhaite intervenir dans le cadre de la COI, il doit au préalable obtenir l’accord du ministère des affaires étrangères, du ministère de l’intérieur, du ministère des outre-mer et du préfet. « C’est beaucoup trop lourd », estime-t-il. « Je voudrais que mon seul interlocuteur soit le préfet qui aurait pouvoir en matière de coopération avec les pays de la région ». Cela permettrait de passer des contrats de coopération en matière d’éducation, par exemple, ce qui permettrait à la culture française de rayonner. « Nous n’avons pas pour ambition de nous lancer dans de la diplomatie internationale » conclut-il.
Pour toutes ces raisons, le transfert d’une partie des compétences, sur le sujet particulier de la coopération régionale, à La Réunion permettrait à notre pays d’être mieux représenté et de mieux défendre ses intérêts.
Recommandation : permettre au conseil régional de participer aux échanges internationaux relatifs à l’environnement international de l’île, notamment lorsque le gouvernement français n’est pas représenté.
B. l’Éternel dÉbat autour d’une assemblÉe unique
1. La Réunion a choisi de conserver ses deux assemblées
La révision constitutionnelle du 28 mars 2003 a officialisé le mouvement de diversification des statuts des collectivités ultramarines, en leur permettant notamment de changer de forme institutionnelle, soit en conservant les collectivités existantes mais en se dotant d’une assemblée unique, soit en substituant aux collectivités existantes une collectivité unique. Si la Martinique et la Guyane ont fait le choix, en 2010, de se transformer en collectivité unique, La Réunion n’a pas montré de velléité en ce sens et a choisi de conserver ses deux assemblées.
Les rapporteurs ont rencontré plusieurs interlocuteurs qui n’étaient pas fermés à l’idée d’une assemblée unique. « Pourquoi pas ? Mais ce ne doit pas être un préalable », nuance Maurice Gironcel. « Toute réforme doit être inscrite dans un projet global pour La Réunion » qui se déclinerait à échéances de 5, 10 et 20 ans et aurait pour objectif de définir les priorités du territoire.
Pour le député Frédéric Maillot, « l’existence de deux chambres se justifie par une répartition des compétences », ce à quoi les partisans de la fusion soulignent la fragilité de l’argument car les deux assemblées sont compétentes en matière de culture ou d’éducation, ce qui multiplie les directions de la culture ou les directions de l’éducation par deux et renforce une bureaucratie dommageable.
Cyrille Melchior, président du Conseil départemental, affirme que « les Réunionnais souhaitent un cadre institutionnel apaisé » et rappelle qu’un sondage commandé par le département ([35]) indiquait que 57 % des sondés préféraient conserver un département séparé de la région quand 38 % seulement étaient favorables à une fusion.
2. Un enchevêtrement de compétences à clarifier
Certains acteurs défendent leurs compétences. Sur le plan agricole, par exemple, le président du conseil départemental Cyrille Melchior souhaite que le département conserve la compétence générale, ne laissant à la région que les industries agro-alimentaires. Mais l’existence même de ce débat sur les limites de compétences atteste que le partage ne va pas forcément de soi, surtout s’agissant de deux collectivités qui exercent sur un territoire exactement identique. Et, les partisans d’une assemblée unique rétorquent que, dans le cas d’espèce, une fusion entre les deux collectivités permettrait à une seule assemblée délibérante d’être compétente aussi bien sur l’agriculture que sur les industries agro-alimentaires, ce qui aurait du sens.
De son côté, Patrick Lebreton, premier adjoint à la présidente du conseil régional, annonce que « la région va récupérer, en janvier 2028, l’ensemble des compétences en matière agricole, actuellement partagées avec le département. Cela permettra une mise en conformité avec la loi NOTRe ([36]) ».
D’autres compétences, et non des moindres, sont disputées entre les deux assemblées : l’action sociale, « où le département doit garder le leadership, car il possède un maillage territorial plus fin que la région », selon Cyrille Melchior. En matière de tourisme la région et le département ont créé chacun de son côté des comités mais la compétence « doit être entièrement transférée à la région », selon Patrick Lebreton.
Comme nous l’avons vu, les élus réunionnais souhaiteraient disposer d’une plus grande marge de liberté sur le plan des relations internationales locales (cf. supra). Mais à qui le ministre des affaires étrangères devrait-il déléguer une partie de son pouvoir ? Au président du conseil départemental ou à la présidente du conseil régional ? Ou aux deux ?
Dans un rapport de la Délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale publié sous la précédente législature ([37]), l’imbrication des compétences du département et de la région était déjà mise en exergue. Il était précisé que « cette situation spécifique à La Réunion résulte d’un modus vivendi entre le département et la région, opéré dans le cadre d’un exercice d’harmonisation des compétences intervenu en 2004 ». En conséquence de quoi, le rapport proposait de relancer cet exercice d’harmonisation. En accord avec les instances du conseil départemental, les rapporteurs reprennent cette préconisation d’octobre 2021, pour l’instant restée lettre morte.
Recommandation : relancer un nouvel exercice d’harmonisation des compétences entre la région et le département de La Réunion afin de pousser vers plus de cohérence.
Les représentants des chefs d’entreprises que les rapporteurs ont rencontrés ont fait remarquer que le passage à l’Assemblée unique n’avait rien apporté aux deux DROM (Guyane et Martinique) qui avaient adopté cette évolution. Dans ces conditions, pourquoi changer les institutions ? « L’éloignement depuis l’hexagone rend notre situation compliquée. Pour autant, La Réunion dispose du niveau de vie le plus élevé des outre-mer. Il faut donc avancer prudemment en matière d’évolution institutionnelle ».
Archipel de 375 km² situé dans le canal du Mozambique, Mayotte, qui a toujours manifesté son attachement à la France, est constamment revendiquée par les Comores voisines. Si son éloignement de l’hexagone et ses difficultés économiques en font le territoire ultramarin le plus pauvre de la République, son PIB annuel de 9 250 euros par habitant (contre 35 095 euros en moyenne nationale) suscite bien des envies chez ses voisins beaucoup plus pauvres (703 euros aux Comores, 364 euros à Madagascar), ce qui provoque afflux migratoire permanent.
Conséquences de cette évolution démographique : avec 50 % de sa population qui a moins de 17 ans, Mayotte est le territoire le plus jeune de France.
I. Une Île historiquement tournÉe vers la france
Contrairement à La Réunion, qui fut colonisée vierge de tout habitant, l’archipel de Mayotte a connu une présence humaine continue depuis le VIIIème siècle. D’abord habité par des Africains d’origine swahilie, l’archipel est ensuite passé sous domination des chefs musulmans venus du Moyen-Orient à compter du XIIIème siècle.
A. Une union nÉe d’un traitÉ librement consenti
Dans la première partie du XIXème siècle, lorsque les Français commencent à s’intéresser à cette partie de l’océan Indien, les îles de l’archipel comorien, dirigées par des sultans rivaux, sont en conflit et font l’objet d’attaques de pirates régulières.
1. L’archipel s’est placé sous la protection française en 1841
Mis en difficulté par les souverains rivaux d’Anjouan, de Mohéli et de Grande Comore, le sultan Andriantsoly qui règne alors sur Mayotte décide de se placer sous la protection de la France présente depuis 1840 sur l’île voisine de Nosy Be à Madagascar toute proche : le 25 avril 1841, Andriantsoly vend Mayotte à la France, alors dirigée par le roi Louis Philippe. C’est le commandant Pierre Pascot qui représente la France.
En échange le sultan Andriantsoly obtient une rente viagère personnelle de mille piastres (l’équivalent de 5 000 francs) et le droit d’envoyer deux de ses enfants étudier à La Réunion.
Le traité du 25 avril 1841 est ratifié par le Royaume de France en 1843.
L’abolition de l’esclavage à Mayotte est prononcée le 27 avril 1846. À cette époque, l’archipel, soumis à la traite arabe, compte environ 3 000 habitants tous musulmans dont près de la moitié sont des esclaves.
Jusque dans les années 1870, la présence française est essentiellement cantonnée à Petite-Terre et même quasiment au rocher de Dzaoudzi, qui constitue un fort naturel, un point d’observation et un port utile, ainsi qu’un site d’habitation réputé plus salubre que Grande-Terre, où sévit le paludisme. Une présence religieuse est attestée sur l’île dès 1844, mais aucune conversion religieuse n’est entreprise, l’administration préférant s’appuyer sur les structures sociales existantes, notamment le Conseil cadial pour ce qui concerne l’état civil et la justice non criminelle.
2. La colonisation plus tardive des autres îles comoriennes (1886)
La France profite de sa présence à Mayotte, pour prendre le contrôle de l’ensemble de l’archipel des Comores. En 1886, les sultanats de la Grande Comore, Mohéli et Anjouan deviennent des protectorats sous la direction du gouverneur de Mayotte, cette dernière gardant son statut de colonie. L’archipel des Comores devient alors les Îles de « Mayotte et dépendances ».
En 1898, Mayotte est frappée par deux cyclones successifs qui rasent presque complètement les habitations et détruisent les plantations de canne à sucre. Le phénomène est suivi par un séisme et une épidémie de variole, qui dépeuplent l’archipel. Devant autant de difficultés, l’ensemble des Comores est provisoirement rattaché au gouvernement Général de Madagascar en 1908.
En 1946, les protectorats des Comores et la colonie de Mayotte sont séparés administrativement de Madagascar et deviennent un territoire d’outre-mer Après avoir refusé d’accéder à l’indépendance lors du référendum de 1958 organisé par le général De Gaulle, les Comores obtiennent, le 22 décembre 1961, un statut d’autonomie interne qui donne jour à un gouvernement comorien élu par l’Assemblée Territoriale. De 1961 à 1970, l’ancien député Saïd Mohamed Ben Chech Abdallah Cheikh est élu président du Conseil de gouvernement jusqu’à sa mort, le 16 mars 1970. C’est durant cette période, en 1966, que la capitale du territoire est transférée de Dzaoudzi (Mayotte) à Moroni (Grande Comore), au grand dam des Mahorais.
3. Une succession de référendums sans ambiguïté entre 1974 et 76
En 1972, l’assemblée territoriale des Comores, dominée par les indépendantistes, adopte une résolution en faveur de l’indépendance. À la suite de négociations avec les autorités françaises, un accord est signé le 15 juin 1973, prévoyant l’organisation d’une consultation des populations – l’emploi du pluriel justifiant un décompte des voix « île par île » – sur la question de l’indépendance.
Le 22 décembre 1974, 63,8 % des Mahorais votent contre l’indépendance, tandis que sur les trois autres îles, une écrasante majorité (plus de 95 %) se prononce en faveur de la pleine souveraineté. Le 6 juillet 1975, le gouvernement des Comores proclame l’indépendance de l’archipel, sans toutefois consulter les élus mahorais qui y sont opposés.
Le gouvernement français reconnaît le 9 juillet l’indépendance des trois îles où le « oui » l’a emporté et décide d’organiser une nouvelle consultation à Mayotte dont les modalités sont prévues par la loi du 31 décembre 1975.
Ainsi, le 8 février 1976, plus de 99 % des votants mahorais se prononcent pour le maintien de l’île au sein de la République française. Une deuxième consultation le 11 avril 1976 invite les Mahorais à se prononcer sur le statut de l’île. Une majorité se prononce en faveur de la départementalisation, alors que ce statut n’est pas proposé au suffrage. En conséquence, le gouvernement français confère à Mayotte le statut provisoire de collectivité territoriale de la République, en dépit des protestations des Comores et du Comité spécial de décolonisation des Nations Unies.
B. la longue marche vers la dÉpartementalisation
L’évolution de Mayotte vers un statut de département de droit commun n’a pas été facile à mettre en œuvre en raison d’un certain nombre de spécificités locales, culturelles (place de la religion musulmane, polygamie, etc.) et économique (grande pauvreté). Mais chaque fois qu’elle a été consultée, la population a toujours rappelé son souhait d’intégrer le droit commun français.
1. Une évolution en douceur vers la départementalisation
La loi du 24 décembre 1976 fait de Mayotte une collectivité sui generis, optant pour un statut hybride entre celui de département et de territoire d’outre-mer. La loi du 22 décembre 1979 vient réaffirmer l’ancrage de Mayotte au sein de la République française, précisant que « l’île de Mayotte fait partie de la République française et ne peut cesser d’y appartenir sans le consentement de sa population ».
Les négociations entre l’État français et les représentants de l’île se poursuivent afin de parvenir à une solution institutionnelle durable. Le 27 janvier 2000, un accord est signé, fixant les objectifs communs de l’État et de la collectivité, ainsi que des orientations statutaires. Il prévoit un calendrier en vue de l’évolution de Mayotte vers le statut de « collectivité départementale », rapprochant l’île du droit commun tout en tenant compte des spécificités locales.
La population se prononce à 72,94 % en faveur de l’accord dont les dispositions sont reprises dans la loi du 11 juillet 2001. Le pouvoir exécutif est transféré du préfet au président du conseil général, tandis que le conseil se dote de nouvelles compétences exercées dans le droit commun par les départements et les régions.
2. Un bref statut transitoire (2003-2011)
La loi constitutionnelle du 28 mars 2003 donne un ancrage constitutionnel à l’appartenance de Mayotte à la République française, en inscrivant l’île au deuxième alinéa du nouvel article 72-3 de la Constitution. Mais la loi constitutionnelle a également pour effet de faire de Mayotte une collectivité d’outre-mer (COM) régie par l’article 74 de la Constitution. Ce changement de statut implique l’adoption d’une nouvelle loi organique le 21 février 2007.
Cette dernière prévoit que la collectivité départementale de Mayotte exerce désormais les compétences dévolues aux départements et aux régions. L’identité législative devient la règle, tous les règlements et lois étant applicables de plein droit, à l’exception de certains domaines listés par la loi. Finalement, la loi autorise le conseil général à adopter, dès 2008, une résolution demandant une évolution statutaire pour Mayotte sur le fondement de l’article 72-4 de la Constitution.
3. La départementalisation de 2011
Ainsi, le 18 avril 2008, le conseil général de Mayotte adopte une résolution portant sur la modification du statut de l’île et son accession au régime de département et région d’outre-mer. Prenant acte de cette décision, le gouvernement français propose un « Pacte pour la départementalisation de Mayotte », feuille de route prévoyant un calendrier pour la création du futur département. Le 29 mars 2009, les électeurs Mahorais sont consultés et se prononcent à 95,2 % en faveur de la départementalisation.
La loi du 23 août 2009 vient tirer toutes les conséquences de ce scrutin en prévoyant qu’à compter de la première réunion suivant le renouvellement de son assemblée délibérante en 2011, la collectivité départementale de Mayotte est érigée en une collectivité régie par l’article 73 de la Constitution qui prend le nom de « Département de Mayotte » et exerce les compétences dévolues aux départements et régions d’outre-mer. Ce statut devient effectif le 31 mars 2011.
À la demande de la France, Mayotte accède également au statut de « région ultra périphérique » (RUP) de l’Union européenne le 1er janvier 2014.
C. Un processus considéré comme inachevé
1. L’absence de suivi des différents plans de développement
Annoncé par François Hollande, alors président de la République, à la suite de sa visite à Mayotte d’août 2014, le plan « Mayotte 2025 : une ambition pour la République », faisant suite au « Pacte pour la départementalisation de décembre 2008 », visait à dresser de manière consensuelle la feuille de route de l’action publique à un horizon de dix ans.
En janvier 2018, des violences entre bandes rivales à Mamoudzou furent l’élément déclencheur d’une grave crise sociale qui dura deux mois. Un nouveau plan d’urgence en 53 mesures et 125 actions fut mis en place. Le contrat de convergence et de transformation (CCT) de 2019 a contractualisé les engagements du plan d’urgence en matière d’investissements.
Dans le rapport qu’elle a publié en juin 2022 à l’occasion des dix ans de la départementalisation de Mayotte ([38]), la Cour des comptes acte l’échec des deux plans successifs de 2014 et 2018 : « Alors qu’ils avaient pour objet de projeter une ambition de moyen et de long terme pour l’archipel, aucun des deux plans de développement n’a été animé et suivi au-delà de l’année de son lancement ». Ni la préfecture de Mayotte ni la direction générale des outre-mer (DGOM) ne disposent d’équipes se consacrant au suivi de ces plans. Les urgences auxquelles la préfecture a sans arrêt à faire face mobilisent ses capacités et prennent le pas sur des préoccupations de long terme.
2. Les transferts financiers sont absorbés par le fonctionnement
Les dépenses de l’État à Mayotte ont augmenté fortement passant de 775 millions d’euros en 2013 à 1 495 millions d’euros en 2020, soit une augmentation de 92 % en huit ans. Pour autant, ce niveau est resté inférieur à celui des autres départements d’outre-mer : les dépenses par habitant en 2020 y étaient de 5 743 euros, soit 17 % de moins qu’en Martinique et 62 % de moins qu’en Guyane. Selon la Cour des comptes, « la structure des dépenses de l’État à Mayotte se caractérise par la forte part des dépenses de fonctionnement et de personnel. En 2019, sur un total d’un milliard d’euros, les dépenses d’investissement (titre 5) à Mayotte n’ont représenté que 41 millions d’euros (4,1 %) et les dépenses d’intervention (titre 6) 140 millions d’euros (14 %) ». En 2020, 94 millions d’euros de dépenses nouvelles ont été consacrés à la crise sanitaire.
Les dépenses de fonctionnement mentionnées ici par la Cour des Comptes correspondent aux dépenses courantes nécessaires au bon fonctionnement de l’administration (essence, électricité, etc.). Les dépenses de personnel, quant à elles, correspondent aux rémunérations des fonctionnaires et des prestataires. Selon la Cour, ces deux types de dépenses représenteraient une part importante du budget de Mayotte. Une répartition qui se ferait au détriment des dépenses considérées comme prioritaires : les dépenses d’investissement (destinées au financement des projets à long terme, tels que les infrastructures et les établissements hospitaliers) et les dépenses d’intervention, qui regroupent l’ensemble des prestations sociales et les transferts aux ménages et aux entreprises.
Ainsi, si les dépenses de l’État ont quasiment doublé depuis 2014, la part imputable aux plans de développement n’apparaît pas clairement : hormis celles, comme en matière d’éducation, qui répondent à l’accroissement démographique, les plus fortes augmentations, comme la péréquation de l’électricité ou les dotations aux communes, sont sans lien direct avec ces plans.
Devant ce constat qui ressemble à un échec, certains élus mahorais ne peuvent s’empêcher d’exprimer des doutes quant à l’attachement de la France à l’égard de Mayotte, « surtout quand nous entendons le président de la République Emmanuel Macron demander publiquement si Mayotte a choisi le bon statut. »
Mayotte en quelques chiffres
Source : « Quel développement pour Mayotte ? » Mieux répondre aux défis de la démographie, de la départementalisation et des attentes des Mahorais. Rapport public thématique de la Cour des comptes (juin 2022) d’après des données des services de l’État, de l’INSEE et de l’IEDOM.
II. MAYOTTE EST une collectivité en grande difficulté
Français depuis 1841, l’archipel mahorais pâtit de son éloignement de l’hexagone, de son isolement mais aussi du faible niveau de développement de la région dans laquelle il se trouve. Aux difficultés économiques, sociales, ou ordre matériel (manque d’eau), s’ajoute aussi une crise démographique qui perturbe le fonctionnement institutionnel.
A. l’explosion démographique : une chance pour l’avenir, mais un fardeau pour l’immédiat
Que ce soit par sa natalité propre ou par l’apport migratoire, la population de Mayotte augmente fortement depuis plusieurs décennies. Mais ce qui reste une chance pour le développement à venir du territoire est d’abord un fardeau, s’agissant de la scolarisation d’une jeunesse qui représente 50 % de la population.
1. De l’avis général, la population est largement sous-évaluée
Selon le président du Conseil départemental de Mayotte, la population telle qu’annoncée par l’INSEE (321 000 habitants au 1er janvier 2024) serait largement sous-évaluée : « compte tenu de la consommation constatée d’eau de riz et de divers autres produits, nous considérons que nous avons dépassé les 500 000 habitants ». Selon lui, plus de 50 % de la population de Mayotte serait issue de l’immigration.
Même en se basant sur les chiffres officiels, la Cour des comptes constate que « la population étrangère est passée de 85 000 à 123 000 personnes de 2012 à 2017, soit 48 % de la population, dont 95 % de Comoriens, dont 60 000 en situation irrégulière. De plus, sur les 10 000 naissances enregistrées chaque année, 75 % sont de mère étrangère ».
Et de fait, l’immigration clandestine reste importante sur l’archipel : en 2023, 945 kwassas, ces embarcations qui font la navette avec les Comores, ont été repérées dont 600 interceptées et détruites. Et si les autorités annoncent une moyenne de 25 000 expulsions par an, le nombre de migrants qui réussissent à demeurer clandestinement sur le sol mahorais est évidemment mal connu.
En conséquence, les élus mahorais réclament un vrai plan de rattrapage, notamment en matière d’infrastructures. Selon l’un des maires rencontrés par les rapporteurs, « A Mayotte, il faut renverser la table ! Il nous faut un plan Marshall pour rattraper le temps perdu ».
D’autres font remarquer que c’est le recensement de 2014 qui est utilisé par l’administration et pas celui de 2017 comme c’est le cas partout ailleurs en France. Or, la population augmente très vite sur l’archipel puisque l’INSEE l’estimait à 200 000 en 2012 contre 321 000 maintenant, même si chacun sait que ce chiffre est sous-estimé : « dès le début, les dés sont pipés ! » explique un maire qui soumet ses préoccupations matérielles aux rapporteurs.
En conséquence, toutes les enveloppes financières, basées sur le nombre d’habitants, seraient sous-évaluées. « Nous voulons moins d’exception et plus de France » résume un conseiller départemental.
Dans le rapport qu’elle a publié en juin 2022 ([39]), la Cour des comptes a formulé la recommandation suivante : « établir et publier régulièrement, sans attendre 2025, des données fiabilisées sur la population présente à Mayotte ». La mission d’information reprend cette proposition car dans un pays démocratique, la connaissance ne peut être que bénéfique.
Recommandation : établir et publier régulièrement des données fiabilisées sur la population présente à Mayotte, qu’elle soit française ou étrangère, qu’elle réside sur l’archipel de manière licite ou illicite.
Une inflexion de la natalité en 2023 selon l’INSEE
L’INSEE a publié, le 22 novembre 2024, le bilan démographique détaillé de l’année 2023 pour Mayotte. Il en ressort que si la natalité, notamment d’origine étrangère, y reste très élevée, une légère baisse commence à être perceptible :
« En 2023, 10 280 enfants sont nés de mères domiciliées à Mayotte. Les naissances baissent, après le niveau record de 2022, avec 500 bébés de moins en un an (-5 %). Néanmoins, la fécondité reste élevée avec 4,5 enfants par femme. Les trois quarts des bébés nés en 2023 ont une mère étrangère, souvent comorienne, mais plus d’un sur deux a au moins un de ses parents français. Les mères sont en moyenne plus jeunes qu’au niveau national : l’âge moyen à la maternité s’élève à 28,0 ans contre 30,8 ans au niveau national.
« Avec 960 décès en 2023, la mortalité est stable par rapport à 2022 et reste donc bien plus élevée qu’en 2019 (+23 %).
« Le solde naturel, différence entre les naissances et les décès, diminue donc à 9 320 personnes, mais reste supérieur à son niveau de 2019, avant la crise sanitaire de la Covid-19. »
Cette inflexion semble s’être accentuée l’an dernier puisque l’INSEE constate qu’ « au cours des neuf premiers mois de l’année 2024, 7 080 enfants sont nés de mères domiciliées à Mayotte, soit 1 080 de moins que sur la période correspondante de 2023 (-13 %) ([40])
2. Les difficultés pour scolariser tous les enfants
Alors que seuls 10 000 enfants étaient scolarisés à Mayotte en 1980, 102 000 élèves ont été accueillis durant l’année scolaire 2020-2021. On pourrait compter 117 000 élèves en 2027. Ces 15 000 élèves supplémentaires nécessiteraient la construction de 500 classes de 30 élèves dans l’intervalle.
Trente enfants naissent chaque jour à Mayotte, ce qui correspond à une classe toutes les 24 heures. Dans une collectivité aussi démunie, le rythme d’ouverture des classes n’est pas tenable. D’autant que s’ajoutent à ces natifs déjà nombreux, les enfants comoriens que leurs familles envoient à Mayotte de manière clandestine pour la rentrée de septembre. Certains adressent même des mails aux maires pour leur recommander leur enfant ou leur neveu, « ce qui est inutile souligne un maire mahorais, puisque la loi fait obligation aux communes de scolariser tout enfant qui se trouve sur leur territoire quelle que soit sa nationalité et sa situation administrative ».
Il en résulte des classes surchargées, des écoles et des lycées qui accueillent plus de 1 000 élèves, ce qui n’aide pas à la réussite scolaire des enfants, et des classes qui fonctionnent par rotation avec des cours dispensés par demi-journée, à tour de rôle. Dans ce dernier cas, les enfants sont directement lésés puisqu’ils ne bénéficient que de quatre à cinq heures de cours quotidiennes contre six à sept lorsque les classes ne sont pas dédoublées. Cette surcharge des écoles, collèges et lycées génère des violences car, pour se développer de manière équilibrée, les enfants ont besoin d’établissements à taille humaine.
Dans son rapport, la Cour des comptes insiste sur le retard pris par le programme de construction : « alors que le besoin est estimé a minima à 100 classes par an pendant 10 ans, 67 salles de classes ont été livrées de 2014 à 2018, alors que 380 étaient programmées ». Les retards dans la consommation constatée des crédits, relevés par la Cour, prouvent que, si les moyens financiers existent, l’ingénierie et les entreprises capables de mener à bien tous ces chantiers font parfois défaut. Comme le souligne la Cour des comptes, « le rendement des constructions scolaires est dimensionné plus par la capacité à faire des maîtres d’ouvrage et la capacité à produire du tissu économique local que par le montant des crédits alloués ». La Cour note aussi « la réticence des maires à construire des équipements qui, aux yeux de nombreux Mahorais, bénéficieraient principalement aux immigrés ».
3. Un frein à la réussite des enfants et à l’attractivité du territoire
Ces circonstances ne facilitent évidemment pas la réussite scolaire des enfants qui, en outre, bénéficient rarement de soutien scolaire de la part de leur famille et ont du mal à se concentrer pour faire leurs devoirs dans les logements exigus, parfois des bidonvilles, où ils logent. Ainsi, rien d’étonnant à ce que le système éducatif mahorais présente un niveau plus faible que partout ailleurs en France : les résultats de l’académie de Mayotte figurent en dernière place des évaluations nationales, aussi bien en mathématiques qu’en français.
Contrairement à ce qui se passe dans l’hexagone, l’enseignement privé est absent de Mayotte : l’éducation nationale publique est seule à gérer la scolarité de ces dizaines de milliers d’enfants.
Enfin, chacun regrette que les écoles mahoraises soient si peu nombreuses à proposer une restauration scolaire, en l’absence de cantines et de moyens financiers. À titre d’exemple, seuls 8 200 élèves du secondaire sur 48 000 bénéficieraient aujourd’hui d’un repas chaud. Les enfants étudient le plus souvent le ventre vide. Et si certains d’entre eux rackettent ou volent pour manger, « d’autres font les poubelles dès six ou sept ans » ont entendu les rapporteurs.
L’archipel compterait environ 12 000 mineurs isolés.
Ces difficultés scolaires constituent un frein à l’installation de cadres, ingénieurs ou techniciens qui pourraient contribuer au développement de l’île mais qui hésitent à s’installer à Mayotte pour ne pas pénaliser leurs enfants sur le plan scolaire. Beaucoup de cadres travaillant à Mayotte préfèrent laisser leur famille à La Réunion, se rendant en avion quatre jours par semaine sur leur lieu de travail et quittant l’archipel à l’approche du week-end.
B. le tissu économique et l’administration accompagnent mal l’expansion démographique
Comme nous l’avons vu, l’augmentation importante de la population est d’abord le fait d’une jeunesse qui n’est pas encore intégrée au tissu économique local. De ce fait, les entreprises ne parviennent pas accompagner le développement de l’île dans le contexte d’une administration qui pourrait être mieux organisée.
1. L’économie ne produit quasiment aucune valeur ajoutée
Le tissu économique mahorais représente plus de 15 000 entreprises officiellement enregistrées, dont 10 200 sont ressortissantes de la chambre de commerce et d’industrie de Mayotte (CCIM). Dans leur immense majorité, ces sociétés n’ont aucun salarié. Seules 2 % d’entre-elles en comptent plus de cinq.
Les 10 200 entreprises de la CCIM génèrent 26 millions d’euros de valeur ajoutée. Il n’y a pratiquement aucune transformation de produits à Mayotte, hormis quelques produits alimentaires.
Le taux de chômage est de l’ordre de 35 % de la population active, le tissu économique n’étant pas en mesure de répondre aux besoins d’emplois de la population. Le taux de couverture du commerce extérieur de Mayotte est de 2 %, ce qui signifie que l’archipel importe 98 % de ses besoins.
Dans son rapport ([41]), la Cour des comptes dresse un constat accablant : « c’est le tableau d’une économie non viable, totalement dépendante des transferts de la métropole et pour ainsi dire non génératrice de valeur ajoutée, conduisant à se demander si cette situation est tenable sur le temps long, avec la perspective à 750 000 habitants d’ici 25 ans ».
2. Un territoire sous-administré
Bien que l’administration s’en défende, les effectifs de la préfecture de Mayotte (295 agents) sont inférieurs à ceux des autres départements-régions d’outre-mer. L’archipel compte, par exemple moins d’agents que la préfecture de Guyane (309 agents) dont la population est au moins équivalente. Mayotte est aussi moins dotée que la Guadeloupe (324) et la Martinique (323) dont les populations officielles sont pourtant comparables.
De plus, les postes de direction sont souvent insuffisamment dimensionnés pour des fonctionnaires expérimentés. C’est le cas du corps préfectoral. « Le poste de préfet y est attribué en premier poste, alors que, selon les magistrats de la Cour des comptes, sa grande difficulté et la tension quasi permanente dans l’archipel requièrent une solide expérience. Avec une durée moyenne d’affectation de l’ordre de 18 mois, le temps d’adaptation des préfets aux spécificités et aux réalités complexes de l’archipel est insuffisamment pris en compte ».
Toujours selon la Cour, « indépendamment des difficultés de recrutement, le dimensionnement des services préfectoraux est assurément insuffisant compte tenu de la complexité de la tâche, avec 295 agents. Dans un contexte d’urgences récurrentes, la préfecture ne peut guère stabiliser son action, ni construire ou mener des projets complexes dans la durée ».
« Ainsi, le préfet ne dispose pas d’un état-major suffisamment organisé et doté pour faire face à la pluralité de ses missions, dans un contexte notoirement difficile », conclut la Cour.
Recommandation : rééquilibrer les effectifs administratifs de la préfecture, manifestement sous-dimensionnés par rapport aux départements de taille comparable.
3. L’organisation perfectible du conseil départemental
L’organisation des services du département repose sur six pôles qui recouvrent pas moins de 21 directions opérationnelles. Selon la Cour des comptes, « certains pôles emploient des agents à des tâches redondantes telles que l’entretien ou les ressources humaines. La multiplicité des sites du département aggrave ces difficultés et freine les mutualisations entre services ».
Par ailleurs, le département ne contient pas l’évolution des effectifs, passés de 3 094 agents en 2018 à 3 250 en 2021, « même si 682 postes budgétisés n’étaient pas pourvus en décembre 2021 » selon la Cour. Toujours selon les magistrats, « les affectations des agents sont insuffisamment maîtrisées, ce qui engendre de l’inoccupation. L’analyse du budget principal montre la dépendance du département aux dotations de l’État, soit 144,6 millions d’euros en 2020 contre 122 millions d’euros en 2017 ». En croissance, les dépenses de fonctionnement sont passées de 281 millions d’euros en 2017 à 289 millions d’euros en 2020.
La Cour pointe également le temps de travail du personnel du conseil départemental : « La durée effective du travail est tombée à 1 549 heures par an, soit à peine plus de 33 heures par semaine. Le département accorde en outre de nombreuses autorisations d’absence pour événements divers non prévus pour la fonction publique de l’État ». Le lancement d’un logiciel de pointage, à l’étude depuis 2019, n’ayant pas abouti, les magistrats constatent qu’« il n’y a pas de contrôle réel de l’assiduité des agents ». Par ailleurs, « l’action en remboursement à l’encontre des agents ayant perçu des primes, indemnités et compléments de rémunération irrégulièrement versés depuis 2016, n’a pas été engagée ».
Enfin, la chambre régionale des comptes a, par deux fois, soulevé l’irrégularité de la délibération du 2 février 2009 qui fixe à 250 euros par jour le taux de remboursement des frais de déplacement des élus. « Cette situation irrégulière, à l’origine de surcoûts, s’est pérennisée », regrette la Cour des comptes.
4. D’autres problèmes matériels
Le manque d’eau potable récurrent pénalise la population autant qu’il dissuade les acteurs économiques d’investir à Mayotte et freine ainsi le développement de l’archipel. La situation sanitaire et sociale de Mayotte favorise l’apparition de maladies d’un autre âge que l’on croyait disparues. L’épidémie de choléra qui a frappé l’archipel au printemps et qui a tué deux personnes n’est peut-être pas étrangère aux pénuries récurrentes d’eau et à la mauvaise qualité de celle qui est distribuée au robinet.
III. les conséquences d’une départementalisation inachevée
En actant la transformation de Mayotte en département mais en remettant à plus tard les modalités pratiques de cette évolution, le législateur de 2011 – pas plus que ceux qui ont suivi – n’a pas achevé la transformation statutaire de l’archipel. Ce processus inabouti suscite une insatisfaction générale.
A. rattrapage social, sécurité et respect de la loi : les demandes minimales des mahorais
Confrontés à des difficultés économiques et sociales profondes, les Mahorais demandent à bénéficier des mêmes règles que tous leurs compatriotes : bénéficier des mêmes droits et devoirs en matière sociale, mais aussi en matière de sécurité et de respect de la loi. Il s’agit pour eux de respecter « le contrat social ».
1. Le rattrapage en matière sociale
La demande d’alignement des minimas sociaux sur les montants nationaux est la première revendication de la population comme des élus. Leur faible niveau n’encourage pas les Mahorais à rester sur leur archipel, mais plutôt à émigrer vers La Réunion ou l’hexagone pour doubler leur revenu lorsqu’ils émargent par exemple, au revenu de solidarité active (RSA).
Le député d’alors que les rapporteurs avaient rencontré lors de leur déplacement, Mansour Kamardine, relevait que le décalage entre les minima sociaux perçus à Mayotte et ceux en vigueur dans le reste du territoire français conduisait de plus en plus de Mahorais à partir vivre à La Réunion, où ils ne sont pas forcément les bienvenus, pour percevoir davantage d’aide. « Et quand ils sont à La Réunion, ils louent leur maison de Mayotte à des immigrés clandestins » ajoutait-il.
Le seul moyen de sortir de cette spirale est d’aligner des prestations mahoraises sur celle perçues dans le reste du pays ou, tout au moins, de réduire substantiellement l’écart de manière à supprimer l’intérêt de quitter l’île pour vivre d’une manière plus décente.
Même s’il évoque la nécessité de s’attaquer au fond du problème du développement avant de fixer des dates de rattrapage, le préfet reconnaît que « la classe moyenne quitte le territoire faute de convergence ».
Une autre difficulté consiste à déterminer qui seraient les bénéficiaires de la convergence sociale. « S’il ne s’agissait que des Français, la question serait déjà résolue. Mais si l’on fait profiter les immigrants de prestations sociales revalorisées comme c’est le cas dans le reste du pays, la question du coût devient difficilement surmontable ». Selon diverses sources, le ministère des finances refuserait de s’engager sur la voie de la convergence sociale parce que les calculs prennent en compte le versement des prestations aux immigrés clandestins, éligibles en l’état de la législation.
Pour éviter cet écueil, le député de l’époque, Mansour Kamardine, proposait qu’un délai de 15 ans de résidence soit imposé aux immigrés avant que leur soit donnée la possibilité de percevoir les prestations sociales.
« Nous vivons la peur au quotidien. Nous réclamons la sécurité. Nous sommes français pour avoir la sécurité » ont déclaré aux rapporteurs des élus mahorais, rappelant que c’était déjà la sécurité que recherchait le sultan Andriantsouli, en 1841, en se plaçant sous la protection de la France.
Les chefs d’entreprises que les rapporteurs ont rencontrés ont tous insisté sur la nécessité de restaurer un niveau acceptable de sécurité, préoccupation principale des acteurs économiques : « les entreprises n’arrivent plus à travailler alors qu’elles commençaient à relever la tête après la pandémie de covid. Nous avons perdu la majorité de nos collaborateurs et nous commençons à perdre des chefs d’entreprises qui préfèrent s’installer à La Réunion ou dans l’hexagone ».
Les acteurs économiques résument ainsi la situation : « le pré requis pour que la situation se stabilise à Mayotte, c’est d’avoir de l’eau et de vivre en sécurité. Sans ces deux éléments, il n’y aura pas de développement en raison du manque d’attractivité et toutes les évolutions institutionnelles ne pourront rien y faire ».
Le manque de sécurité serait lié, selon nos interlocuteurs, à la sous-estimation de la population : « nous avons des forces de sécurité calibrées pour 300 000 habitants, statistique officielle, alors que nous sommes en réalité 500 000 habitants sur l’archipel ». Par ailleurs, la délinquance n’est pas la même que dans l’hexagone : « ici, nous connaissons une ultra violence avec des gens armés de machettes qui débarquent parfois en ville pour tuer ».
3. La demande du respect de la loi
En raison de la présence d’une importante population clandestine, une économie informelle presque aussi importante que l’économie légale, s’est développée à Mayotte. Ces circuits parallèles peuvent être dangereux pour la santé, s’agissant par exemple de produits agricoles cultivés clandestinement et à grand renfort de pesticides interdits. Ils sont aussi dangereux pour l’économie légale, pour les entreprises qui paient leurs impôts et cotisations et qui subissent une concurrence déloyale.
Réalistes, certains comprennent que la lutte contre l’économie informelle est illusoire dans la mesure où les plus pauvres doivent bien trouver des moyens de survivre et que, quand on est dans la clandestinité, on peut difficilement trouver d’emploi légalement déclaré.
Une partie de ces activités parallèles constituent une économie de subsistance, pour des gens qui vivent parfois avec un ou deux euros par jour. « On ferme les yeux sur les activités informelles pour acheter la paix sociale » résume l’un des interlocuteurs. Du moins pourrait-on canaliser et encadrer cette économie informelle dans le but de la normaliser à terme.
Les acteurs économiques demandent que soit appliquée la répression la plus stricte à l’égard de cette économie parallèle, mais aussi à l’égard des marchands de sommeil qui s’enrichissent sur l’immigration clandestine et sur la misère humaine.
B. mieux prendre en compte les réalités locales
L’adhésion au contrat social national ainsi que l’alignement sur les droits et devoirs nationaux ne sont pas incompatibles avec la prise en compte, au moins temporaire, des réalités locales.
1. Achever la départementalisation avant toute nouvelle évolution
Pour les élus, réfléchir à une évolution statutaire semble vain tant que nous ne sommes pas encore arrivés au bout de la départementalisation. Et la solution ne passe pas par une réforme institutionnelle mais par une clarification, car Mayotte est à la fois un département et une région sans avoir toutes les compétences de ces instances.
Avant de réfléchir à une plus grande autonomie de Mayotte comme le font d’autres collectivités ultramarines, les élus demandent d’abord d’achever la départementalisation. « Ici, il ne faut pas moins d’État, mais plus d’État », notamment pour monter en compétence car l’archipel ne dispose pas de toute l’ingénierie dont il aurait besoin.
Les chefs d’entreprise se plaignent de l’absence d’échéancier précis sur l’évolution vers la transition, ce qui crée selon eux « un sentiment de frustration ». « Il faut nous donner une visibilité pour anticiper les investissements », plaident-ils.
Pour beaucoup, l’échéance qui est, pour le moment, avancée, à savoir un alignement complet à l’horizon 2036 semble trop lointaine. Un alignement dès 2026 serait préférable. Mais d’autres soulignent que certains transferts de compétences ont été réalisés trop rapidement et ont échoué par manque de compétences. « Il y a un défaut d’ingénierie évident et un grand besoin de formation » ont entendu les rapporteurs.
2. Prendre en compte les réalités économiques
Le mouvement de régularisation du cadastre et du droit de propriété s’est arrêté lorsque les gens ont compris qu’ils allaient payer des impôts fonciers. Pourtant, cette régularisation est indispensable.
De la même manière, nombre de normes européennes ne sont pas adaptées aux réalités locales et rendent les produits locaux trop chers et peu concurrentiels par rapport aux produits des pays voisins de Mayotte. Et la différence de normes ne permet pas aux entrepreneurs mahorais de travailler avec leurs voisins malgaches ou seychellois. Un chef d’entreprise a cité l’exemple de produits agricoles kényans, bien moins cher car produits sans être soumis aux normes européennes, qui passent par Rungis où, « miraculeusement, ils deviennent normés », et que l’on retrouve ensuite sur les marchés de Mayotte, à concurrencer de manière déloyale les produits locaux.
Les acteurs économiques rencontrés ont expliqué qu’entre 2016 et 2018, le code du travail a été mis en place à Mayotte « à marche forcée ». « Ce fut désastreux. Il faut connaître l’environnement avant de prendre de telles décisions ». Paradoxalement, ces dirigeants d’entreprises qui regrettent la trop grande rapidité de mise en œuvre de la législation nationale sont les mêmes qui demandent un alignement rapide (« dès 2026 », cf. supra) de la convergence avec les autres départements français, notamment sur le plan social.
3. Améliorer l’attractivité de la collectivité
Les services de l’État à Mayotte font tous état, à des degrés divers, de difficultés pour recruter des cadres et les garder en poste suffisamment longtemps. Toutes les administrations comptent des postes non pourvus, peu de candidats et une rotation accélérée des cadres. L’attractivité est faible et l’adaptation souvent difficile. La Cour des comptes souligne que « les conditions de vie particulièrement difficiles dissuadent beaucoup de fonctionnaires de postuler : l’insécurité mine le quotidien et limite fortement les loisirs et la possibilité de profiter de la mer et de la nature ; le faible niveau scolaire, la différence de culture, voire la violence entre adolescents rendent délicate l’adaptation à l’école d’enfants non mahorais ; les trajets aux heures de pointe donnent lieu à des embouteillages pouvant faire perdre plusieurs heures par jour, (…). De plus, le coût de la vie est de 15 % plus élevé qu’en France [sic], voire de 40 %pour les produits alimentaires ».
On comptait, en décembre 2021, 120 postes de catégorie A ou A+ à pourvoir dans la fonction publique de l’État à Mayotte, hors enseignants. À la même date, il y en avait 76 en Guyane, 43 en Martinique, 33 dans le Cher et 28 dans l’Orne – ces deux derniers départements ayant des populations comparables à celle de Mayotte. Le centre hospitalier de Mayotte ne compte que 120 médecins, alors que 250 postes y sont ouverts. Il doit pallier ce déficit par le recours chronique à l’intérim et aux médecins vacataires.
Les fonctionnaires affectés à Mayotte bénéficient certes d’avantages. La sur-rémunération y est de 40 %, mais elle est de 53 % à La Réunion, où la qualité de la vie est toute autre. Une indemnité de sujétion géographique de vingt mois de traitement de base est versée, par tranches, pour un séjour minimum de quatre ans. Une réduction d’impôts de 40 % est octroyée dans les départements d’outre-mer. Mais ces conditions ne suffisent pas à compenser la différence de qualité de vie à Mayotte avec les autres départements d’outre-mer, en particulier avec La Réunion.
4. Préserver Mayotte des influences politiques et religieuses étrangères
Comme beaucoup de territoires africains, Mayotte fait l’objet d’une influence étrangère à peine voilée de la part de pays qui cherchent à étendre leur zone d’influence et à déstabiliser les démocraties occidentales, bien plus qu’à apporter un quelconque soutien à la population.
« Si vous n’êtes pas capables de défendre les intérêts de Mayotte, nous irons chercher ailleurs » est un propos que les rapporteurs n’ont pas directement entendu mais qui leur a été rapporté comme significatif. Cet « ailleurs » fait référence aux Chinois et aux Russes, déjà largement présents dans les pays alentours.
Pour l’ancien député Mansour Kamardine, « nous poussons à bout certains Mahorais à qui la République ne parvient plus à apporter de réponse sur le plan sécuritaire ou sur le plan social. Par désespoir, certains pourraient être tentés par des solutions extrêmes ». La sécurité a toujours joué un rôle important pour cet archipel. « En 1841, déjà, Mayotte s’est placée sous la protection de la France car elle était attaquée par Anjouan et Madagascar. Or, la sécurité n’est plus au rendez-vous aujourd’hui avec les phénomènes migratoires ». Et Mansour Kamardine d’ajouter « Ne négligez pas non plus les influences religieuses étrangères ».
L’affaiblissement du pouvoir traditionnel des cadis et des imams locaux a ouvert la porte à une influence d’origine étrangère voire, parfois, d’origine hexagonale « beaucoup de convertis viennent à Mayotte pensant y exercer une influence. Ils sont souvent mal accueillis et repartent vite. Cela reste minoritaire ». En revanche, chacun s’accorde à reconnaître que « de plus en plus de mosquées communautaires apparaissent, d’origine anjouanaise, par exemple. Certains débats deviennent plus religieux, une forme de radicalisation apparaît ».
Il a été indiqué aux rapporteurs que des signes de radicalité apparaissaient, qu’il s’agisse des vêtements portés à l’école ou du refus de serrer les mains des femmes, par exemple. Regrettant que de plus en plus de mosquées communautaires soient construites sans autorisation, l’ex-député Mansour Kamardine souhaite que l’État use de la force publique pour les faire démolir.
En accord avec Thierry Suquet, le préfet de Mayotte de l’époque qu’ils avaient rencontré, les rapporteurs considèrent que le territoire sera préservé des (mauvaises) influences étrangères par son développement économique et sa stabilité politique.
IV. une évolution institutionnelle en chantier
« Mayotte ne s’inscrit pas dans une réforme institutionnelle : Mayotte est et reste un département ». Cette apostrophe du président du Conseil département résume la position des élus locaux qui ne souhaitent pas changer fondamentalement le fonctionnement institutionnel de l’archipel, mais simplement l’ajuster en fonction de sa situation particulière.
Lors du comité interministériel des outre-mer du 18 juillet 2023, le gouvernement s’est engagé à proposer dans les six mois une loi qui permettra « d’adopter un train de mesures adaptées aux enjeux de l’île dans tous les secteurs de la vie quotidienne». Dans cette optique, deux projets de loi devraient bientôt être déposés dont l’un aura pour ambition de modifier la Constitution.
Dans un souci de co-construction, le président du conseil départemental, Ben Issa Ousseni, a mis en place un groupe de travail chargé de recueillir les propositions des Mahorais. Les conclusions de cette instance, qui ont été rendues à l’automne 2023, listent 120 propositions concrètes, certaines ayant vocation à s’intégrer dans les prochaines évolutions législatives.
A. consolider et rationaliser l’existant
Le gouvernement affirme poursuivre la réflexion « pour conforter le statut de collectivité unique de Mayotte en alignant son positionnement avec celui de la Guyane et de la Martinique ». Cette position rejoint les souhaits des élus mahorais.
1. L’émergence d’un département-région
Le conseil départemental demande à être transformé en un « conseil départemental et régional de Mayotte » ce qui correspondrait à un alignement sur la situation qui existe à la Martinique ou en Guyane.
Cette évolution devrait permettre, selon le président Ben Issa Ousseni, d’allouer au département-région « les fonds correspondant au fonctionnement d’une région ». Mayotte serait également désignée comme autorité de gestion des fonds européens à compter de la nouvelle génération de programmes 2028-2034 ainsi que comme « organisme intermédiaire pour le Fonds européen de développement régional (FEDER), au titre de la programmation 2021-2027 », à compter de 2024.
Recommandation : transformer le conseil départemental de Mayotte en assemblée territoriale unique dotée des compétences d’un conseil régional, à l’exemple de la Martinique ou de la Guyane.
Le conseil départemental souhaiterait instituer, à l’occasion des prochaines élections départementales, un mode de scrutin de type régional, avec une section électorale unique.
Même si le scrutin par circonscription présente des avantages en termes de représentativité, un scrutin de liste avec élection à la proportionnelle, sur un territoire à la taille relativement modeste comme l’est Mayotte, présenterait l’avantage de bien représenter la majorité comme l’opposition.
Un scrutin de liste réduirait également les risques d’achats de voix par les candidats, pratique courante à Mayotte selon des avis convergents de connaisseurs du sujet entendus par les rapporteurs.
L’ancien député Mansour Kamardine ainsi que le président du Conseil départemental sont favorables à la mise en place d’un scrutin proportionnel. Mayotte peut très bien s’inscrire dans la République sans que cela n’implique une identité législative parfaite.
3. Augmenter le nombre de conseillers départementaux
Parallèlement, le nombre d’élu serait porté de 26 à 52. Pour le président du département, « Chaque liste sera constituée de 26 binômes homme-femmes dont les treize premiers seront composés de candidats issus des treize cantons de Mayotte ».
La représentation au sein de l’assemblée départementale du poids démographique de Mayotte impose manifestement d’augmenter le nombre d’élus. Les conseillers départementaux, actuellement eu nombre de 26 pour une population qui compte officiellement 321 000 habitants, ne paraissent pas suffisamment nombreux pour assurer une bonne représentativité des électeurs. Rappelons que les conseillers sont 21 à Wallis-et-Futuna pour 11 500 habitants et 42 à la Guadeloupe pour 378 000 habitants.
Un plus grand nombre de conseillers territoriaux permettrait par ailleurs de faciliter le rassemblement des majorités nécessaires pour porter des projets à vocation territoriale et assurer la stabilité de l’exécutif.
Recommandation : dans l’hypothèse où la création d’une assemblée territoriale unique serait actée, remplacer le scrutin départemental par circonscription par un scrutin à la proportionnelle. Ajuster le nombre de conseillers.
4. Conforter la justice à Mayotte
Le conseil départemental de Mayotte ne limite pas sa réflexion institutionnelle aux pouvoirs exécutif et délibératif, mais y inclut également l’autorité judiciaire. À ce titre, ses demandes, certes coûteuses, sont loin d’être infondées. Le conseil demande ainsi :
- la création d’une cour d’appel judiciaire de plein exercice à Mamoudzou accompagnée d’une gestion des ressources humaines plus attractive pour les magistrats et greffiers en poste à Mayotte ;
- la création d’un tribunal administratif à Mayotte ;
- la construction d’une cité judiciaire, la mise en place d’un deuxième centre de rétention administratif et d’un centre éducatif fermé ;
- la construction urgente d’un deuxième établissement pénitentiaire, probablement une prison pour peine, les détenus condamnés devant actuellement aller purger leur peine à La Réunion. La maison d’arrêt de Majicavo, théoriquement réservée à la détention préventive, compte environ 620 détenus pour 278 places ce qui en fait la plus surpeuplée de France (223 %). Il y va de la dignité humaine ;
- la création d’un établissement pour mineurs et une prison pour femmes, non pas dans une volonté d’accroître la répression mais dans le but de réduire la surpopulation carcérale et de séparer les détenu(e)s les plus fragiles des délinquants les plus endurcis. La maison d’arrêt de Majicavo ne compte actuellement que 6 places pour les femmes et 30 pour les mineurs.
5. Intégrer Mayotte dans son environnement international
Sur le plan régional, le conseil départemental souhaite intégrer Mayotte dans les instances de gouvernance régionales, notamment la Commission de l’Océan indien (COI) où elle se heurte à l’opposition des Comores. Les élus demandent aussi à Paris d’aider Mayotte accueillir des jeux des îles de l’océan Indien ainsi qu’à développer des relations économiques, culturelles et sportives avec les pays de la zone.
En matière internationale, les élus mahorais regrettent que la diplomatie française qui, à leurs yeux, dépend essentiellement du Palais de l’Élysée, ne soit pas suffisamment réactive à l’égard des Comores, pays voisin qui multiplie les provocations et les déclarations intempestives qui vont toutes dans le sens d’une revendication de souveraineté sur Mayotte.
Un peu plus de répondant de la part du Quai d’Orsay ne serait pas pour déplaire aux Mahorais qui, au cours de leur histoire, ont régulièrement indiqué leur attachement non ambigu à la France.
B. Rétablir l’égalité républicaine
Selon le conseil départemental, les montants des prestations sociales par habitant sont onze fois plus faibles à Mayotte que dans le reste du pays alors même que 77 % de la population mahoraise vit sous le seuil de pauvreté contre 14 % en métropole. En outre, la population mahoraise souffre du sous-développement du secteur de la santé et de la faiblesse de l’offre en matière d’études supérieures : autant d’inégalités que les élus mahorais souhaitent corriger pour rester fidèles à l’idéal républicain d’égalité.
1. Un alignement rapide de l’ensemble des prestations sociales
La majorité des pensions de retraite sont inférieures à 300 euros par mois à Mayotte. Le montant de la plupart des prestations sociales prévues par la législation française est divisé par deux : c’est le cas notamment du revenu de solidarité active (RSA), de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), des primes d’activités, etc. D’autres, comme les aides personnalisées au logement (APL) ne sont pas versées du tout aux résidents mahorais. Un alignement des cotisations sociales, prévu d’ici 2036 devrait permettre de rapprocher progressivement le montant des prestations sur le niveau national, mais l’échéance paraît lointaine et incertaine. C’est pourquoi les élus mahorais formulent les demandes suivantes :
- répondre à l’urgence sociale des Mahorais par un alignement rapide sur le niveau national de l’ensemble des prestations sociales ;
- rendre applicables le plus rapidement possible l’ensemble des dispositions du code de la sécurité sociale, du code de la santé publique et du code de travail ;
- aligner le montant du minimum de pension mahorais sur le montant du minimum métropolitain ;
- aligner le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) sur le SMIC de droit commun dans les meilleurs délais.
Recommandation : aligner le niveau des prestations sociales versées à Mayotte et celui des prestations servies dans le reste du pays.
2. Un effort particulier doit être consenti dans le domaine de la santé
De l’avis général, Mayotte constitue ce que l’on appelle un « désert médical ». Le nombre de médecins libéraux y est faible : il n’y a sur l’archipel que 30 médecins généralistes libéraux, soit une densité trois fois moindre qu’en moyenne nationale, six spécialistes et 12 dentistes. La majorité de l’offre de soins est délivrée par le centre hospitalier de Mayotte (CHM), dont le taux d’équipement en lits était (en 2019) de 1,6 pour 1 000 habitants, contre 3,5 en moyenne nationale. Ces raisons conduisent les élus mahorais à demander à l’État, de mener les actions suivantes :
- développer le secteur libéral par la mise en œuvre d’une union régionale des professionnels de santé (URPS) à Mayotte ;
- favoriser l’installation de pharmacies d’officines ;
- créer des centres de planification familiale pour contrôler la natalité ;
- installer une caisse de Mutualité sociale agricole pour accompagner efficacement le développement du secteur agricole ;
- mettre en œuvre une assurance complémentaire santé solidaire (C2S) alignée sur ce qui existe dans les autres DROM.
3. Favoriser les études supérieures d’une population jeune
Malgré l’importance de la jeunesse dans sa population (50 % des habitants ont moins de 17 ans), Mayotte ne dispose pas de suffisamment de possibilités pour permettre à ses enfants de poursuivre des études supérieures. Les rares jeunes méritants qui disposent des moyens financiers (ou qui sont boursiers) doivent, pour la plupart, partir étudier à La Réunion ou dans l’hexagone, ce qui engendre des coûts considérables pour les familles ; ceux qui n’ont pas cette chance renoncent le plus souvent à poursuivre des études supérieures.
Cette situation n’est pas acceptable. C’est pourquoi les élus mahorais proposent que soient prises les mesures suivantes :
- transformer le Centre universitaire de formation et de recherche de Mayotte (CUFR) en une université de plein exercice ;
- créer un CROUS (centre régional des œuvres universitaires et scolaires) autonome à Mayotte ;
- développer des filières de formation d’excellence débouchant sur les métiers en tension sur le territoire : médecins, ingénieurs, fonction publique ;
- doter Mayotte d’une faculté de médecine ;
- transformer le Centre hospitalier de Mayotte en Centre hospitalier régional universitaire (CHRU).
C. mieux contrÔler l’accÈs au territoire
Ces mesures, dont certaines sont controversées, sont demandées par les élus du conseil départemental de Mayotte. Enrichies par la concertation avec les élus locaux, elles ont été reprises à leur compte par le gouvernement et devraient figurer dans les projets de loi en cours d’élaboration.
1. Supprimer le droit du sol par une réforme constitutionnelle
Le projet de loi constitutionnel sera axé sur ce contrôle des frontières. En complément de la suppression du droit du sol, le projet de loi constitutionnel reprendra également une demande des élus locaux visant à mettre un terme au « double droit du sol » pour les enfants nés à Mayotte de parents étrangers eux-mêmes nés à Mayotte qui, en l’état actuel du droit, peuvent aujourd’hui automatiquement accéder à la nationalité française sans autre critère que le lieu de naissance. Il s’agit d’une demande forte et réitérée des élus locaux.
Les dispositions du projet de loi constitutionnel devront s’appliquer aux personnes encore mineures à la date d’entrée en vigueur de la loi qui auraient pu effectuer, postérieurement à celle-ci, une demande de reconnaissance de nationalité.
Le conseil départemental demande en outre que soient rendues obligatoires l’instruction et la délivrance des titres de séjour dans les postes consulaires français des pays d’origine ou de transit des demandeurs d’asile et qu’il soit mis « fin à la régularisation, délivrance des titres de séjour et demande d’asile à la préfecture de Mayotte ».
2. Durcir les conditions d’accès et de séjour
Ces mesures, si elles sont adoptées, s’ajouteraient à celles relevant du champ législatif classique, c’est-à-dire non constitutionnel, qui pourraient être inscrites au projet de loi ordinaire selon les quatre axes suivants :
- durcir les conditions d’accès au séjour pour l’immigration familiale. Il sera proposé de rendre opposable l’entrée régulière à Mayotte pour l’obtention des titres « parents d’enfant français » et « liens privés et familiaux », tant pour les premières demandes que pour les renouvellements, et d’allonger les délais de présence pour l’octroi de la carte de résident « parents d’enfant français » et de la carte de séjour « liens privés et familiaux » ;
- améliorer les dispositifs de lutte contre les reconnaissances frauduleuses de paternité et de maternité notamment en les centralisant à Mamoudzou, et en durcissant la peine d’amende en cas de reconnaissance frauduleuse de paternité ;
- faciliter l’éloignement en renforçant l’aide au retour volontaire pour les nouvelles filières d’immigration, qui ne concerneront donc pas les ressortissants comoriens. Il sera également proposé d’informer sans délai les organismes de sécurité sociale des décisions préfectorales afin d’interrompre, le cas échéant, le versement des aides sociales ;
- mieux contrôler les flux financiers en les conditionnant à la régularité de la présence sur le territoire des clients des prestataires de services chargés d’opérer les transmissions de fonds.
L’adoption de règles dérogatoires n’est pas contradictoire avec l’appartenance de Mayotte à la République : à titre d’exemple, il est possible sur l’archipel d’enfermer des mineurs avec leurs parents en centre de rétention administrative (CRA) ce qui n’est pas le cas dans le reste du pays.
Mais la principale demande du conseil départemental concerne l’abrogation du titre de séjour territorialisé, un titre spécifique à Mayotte permettant à certains étrangers de séjourner uniquement sur l’archipel, sans avoir le droit de se rendre dans le reste du territoire national ni de l’espace Schengen.
Le conseil départemental demande également que soit exigée la présentation d’un visa d’entrée sur le territoire pour toute demande de titre de séjour et qu’un refus systématique soit opposé aux demandes de titres de séjour de personnes ayant fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français.
D. accÉlÉrer de dÉveloppement de Mayotte
Les élus mahorais insistent pour que le projet de loi ordinaire que le gouvernement a promis de soumettre au Parlement comprenne aussi des mesures en faveur du développement économique et social de Mayotte. Deux axes sont privilégiés : d’une part des décisions favorisant les projets structurants, d’autre part des mesures financières destinées à financer les transferts de compétences.
1. Un catalogue de projets économiques structurants
Le développement de Mayotte passe par la mise à niveau des infrastructures de l’archipel, dans tous les domaines : port, aéroport, routes, transports en commun, gestion des ressources naturelles, etc. Dans ce domaine aussi, les élus mahorais présentent un nombre de demandes corrélées au retard économique pris par l’archipel :
- développer le trafic aérien en prolongeant la piste de l’aéroport existant ou en créant, comme le gouvernement semble le préférer, une nouvelle plateforme ;
- développer le port de Longoni en créant un troisième quai et en mettant à niveau ses équipements ;
- moderniser et mettre à niveau la voierie routière et réaliser le contournement de l’agglomération de Mamoudzou ;
- développer les transports en commun dans l’agglomération de Mamoudzou ainsi que les transports scolaires sur l’ensemble de l’archipel ;
- sécuriser la fourniture d’eau potable en créant une deuxième usine de désalinisation, une retenue d’eau collinaire à Ouroveni et en engageant un plan pluriannuel de reforestation.
2. La nécessité de compenser les transferts de compétences
L’entrée de Mayotte dans le régime de fiscalité de droit commun s’est accompagnée d’une refonte complète des ressources financières et fiscales du conseil départemental et des communes. Les élus mahorais estiment que le département, qui assume des compétences départementales et régionales au sens de l’article 73 de la Constitution, ne dispose pas d’un « financement adéquat » et que les différentes réformes intervenues depuis 2014 ont renforcé « la rigidité des ressources financières ». Ils proposent donc un certain nombre de mesures dont les principales consisteraient à :
- demander une dérogation au vu de l’augmentation exceptionnelle de la population pour que soit prise en compte la population réelle de l’archipel, revue de manière annuelle, pour le calcul des dotations ;
- créer un Institut de la statistique spécifique à Mayotte et qui ne dépendrait plus de l’INSEE basé à La Réunion, de manière à mieux appréhender les réalités statistiques mahoraises ;
- réévaluer la dotation globale de fonctionnement (DGF) en prenant en compte la double compétence exercée, départementale et régionale, à l’instar des collectivités territoriales uniques de Guyane et de Martinique ;
- revoir l’enveloppe du Fonds européen de développement régional (FEDER) affectée à Mayotte en prenant en compte exclusivement les principes de répartition définis par la Commission européenne.
V. Mayotte après le cyclone Chido
Le 14 décembre 2024, l’archipel de Mayotte a été frappé par un cyclone particulièrement dévastateur, Chido. Le bilan humain de 39 morts (probablement encore provisoire et contesté par certains), tel qu’il est officiellement connu à la date de publication du présent rapport, même avec plusieurs milliers de blessés, est inférieur aux craintes exprimées ([42]). Pour autant, les dégâts matériels sont énormes et, dans un département si démuni et si éloigné. Ils mettent en lumière un certain nombre d’imprévisions voire de déficiences diverses des pouvoirs publics.
Cette catastrophe climatique risque de ralentir l’évolution statutaire de l’archipel. On peut le regretter : il est en effet peut-être temps de revoir certains mécanismes institutionnels qui ne fonctionnent pas comme ils le devraient.
A. L’ÉTAT doit prendre la mesure des efforts à consentir pour développer Mayotte
Les dévastations résultant du passage du cyclone Chido ont provoqué une polémique sur le rôle de l’État – et sur ses supposées déficiences – dans le développement de Mayotte. Les élus mahorais, ainsi que des observateurs extérieurs, ont regretté que le 101ème département français ne bénéficie toujours pas du même traitement que les autres, notamment en matière de minima sociaux, de pensions, de SMIC, de droit du travail, etc.
D’aucuns critiquent, par ailleurs, l’existence de titres de séjours territorialisés, une spécificité mahoraise, qui ne permettent pas à certains étrangers présents sur l’archipel de se répartir dans l’ensemble du pays et de « soulager » ainsi le territoire.
Ces différences de traitement entre Mayotte et les autres départements doivent être questionnées. Elles résultent généralement de circonstances historiques et géographiques particulières et doivent faire l’objet d’une analyse pour évaluer si, de nos jours, elles conservent leur pertinence ou, au contraire, si elles doivent être remises en cause au profit d’un alignement. Sur ce point, le Parlement à un rôle essentiel à jouer.
Plus que jamais, à l’heure de la reconstruction, l’État doit se poser la question de sa vision des outre-mer, de sa stratégie, des moyens à y consacrer ou à améliorer. C’est un préalable indispensable tant attendu !
Pour autant, les élus et agents publics mahorais, de leur côté, ne peuvent faire l’économie d’une analyse de leur action et leurs propres responsabilités.
B. Les élus locaux doivent se montrer plus rigoureux
Mayotte est un département français, qui comme tel, doit être l’objet de l’attention de la République, comme les cent autres. Mais en retour, les règles qui sont celles de la République doivent s’y appliquer. Quatorze ans après la départementalisation, c’est une attente légitime et non stigmatisante.
Or, le rapport de la Cour des comptes cité plus haut met en exergue un certain nombre de pratiques peu rigoureuses, voire contestables. On y apprend que « la chaîne de contrôles des dépenses est faible », que « le département n’est pas davantage outillé pour pallier les risques d’atteinte à la probité ou de conflits d’intérêts » et que, en conséquence, « des mises en cause pénales d’élus ont été prononcées » ([43]).
La Cour des comptes n’est pas le seul organisme à critiquer l’absence de rigueur dans l’utilisation de l’argent public à Mayotte. Selon la direction régionale des finances publiques (DRFiP) de Mayotte, « en 2020, l’indice de qualité comptable du département n’était que de 10 sur 20, alors qu’il est de 17,9 en moyenne dans les autres départements ». Un alignement sur les autres départements en matière de minima sociaux suppose aussi un alignement en matière de rigueur comptable.
La DRFiP a relevé de nombreuses anomalies dans les comptes de la collectivité énumérant notamment « une comptabilisation incorrecte des ventes de terrains (…), numéros d’inventaire dispersés ; mauvais suivi des autorisations de programme et des crédits de paiement (AP/CP) (…) incohérences entre les identités bancaires et les factures », cette dernière anomalie, particulièrement grave ouvrant la porte à tous les détournements imaginables.
Le suivi des marchés publics semble défaillant : « des montages trop complexes ne permettant pas un suivi comptable probant, des versements d’avances non conformes (…) Enfin, des risques de gestion préoccupants ont été identifiés, notamment en matière de subventions versées à des personnes privées et de contrôle des frais de déplacement des élus. » De ce point de vue, Mayotte n’est donc pas exactement un département comme les autres.
Si l’on en croit les magistrats financiers, les élus locaux devront également se montrer plus rigoureux dans la gestion des affectations et des emplois du temps de leurs fonctionnaires : « les affectations des agents sont insuffisamment maîtrisées, ce qui engendre de l’inoccupation » alors que d’autres services peuvent, de leur côté, manquer de personnels.
Une loi d’urgence pour accélérer la reconstruction de Mayotte
Comme ce fut le cas pour la reconstruction de Notre-Dame-de-Paris, Mayotte va bénéficier d’une loi d’urgence spécifique dont l’objet consistera à simplifier les procédures et à accélérer la reconstruction de l’archipel.
Adopté en Conseil des ministres le 8 janvier 2025, ce texte a été adopté en commission le 15 janvier. Il sera examiné par l’Assemblée nationale à partir du 20 janvier.
Chapitre trois : les collectivités de l’Atlantique
ÉTATS SOUVERAINS ET TERRITOIRES NON SOUVERAINS DE LA CARAïBE
|
Statut |
Ancienne ou actuelle puissance tutélaire |
Régime |
Population et |
Monnaie |
Organisations internationales |
États souverains |
||||||
Antigua-et-Barbuda |
Indépendant depuis 1981 |
Royaume-Uni |
Monarchie constitutionnelle parlementaire |
99 337 hab. |
Dollar des Caraïbes orientales |
ONU, AEC, CARICOM, Commonwealth, OECO |
Bahamas |
Indépendant depuis 1973 |
Royaume-Uni |
Monarchie constitutionnelle parlementaire |
385 340 hab. |
Dollar bahaméen |
ONU, CARICOM, Commonwealth |
Barbade |
Indépendant depuis 1966 |
Royaume-Uni |
République parlementaire |
304 139 hab. |
Dollar barbadien |
ONU, CARICOM, Commonwealth |
Cuba |
Indépendant depuis |
Espagne |
République communiste |
11 101 363 hab. |
Peso cubain |
ONU |
Dominique |
Indépendant depuis 1978 |
Royaume-Uni |
République parlementaire |
74 661 hab. |
Dollar des Caraïbes orientales |
ONU, AEC, CARICOM, Commonwealth, OECO |
Grenade |
Indépendant depuis 1974 |
Royaume-Uni |
Monarchie constitutionnelle parlementaire |
112 579 hab. |
Dollar des Caraïbes orientales |
ONU, AEC, CARICOM, Commonwealth, OECO |
Haïti |
Indépendante en 1804 puis 1934 |
France |
République semi-présidentielle |
114 115 hab. |
Gourde haïtienne |
ONU, CARICOM |
Jamaïque |
Indépendant depuis 1962 |
Royaume-Uni |
Monarchie constitutionnelle parlementaire |
2 732 539 hab. |
Dollar jamaïcain |
ONU, AEC, CARICOM, Commonwealth |
République dominicaine |
Indépendante en 1821 puis 1844 |
Espagne |
République présidentielle |
10 815 857 hab. |
Peso dominicain |
ONU, AEC |
Saint-Christophe et Niévès |
Indépendant depuis 1983 |
Royaume-Uni |
Monarchie constitutionnelle parlementaire fédérale |
55 133 hab. |
Dollar des Caraïbes orientales |
ONU, CARICOM, Commonwealth, OECO |
Sainte-Lucie |
Indépendant depuis 1979 |
Royaume-Uni |
Monarchie constitutionnelle parlementaire |
183 251 hab. |
Dollar des Caraïbes orientales |
ONU, AEC, CARICOM, Commonwealth, OECO |
Saint-Vincent-et-les-Grenadines |
Indépendant depuis 1979 |
Royaume-Uni |
Monarchie constitutionnelle parlementaire |
100 647 hab. |
Dollar des Caraïbes orientales |
ONU, AEC, CARICOM, Commonwealth, OECO |
Trinité et Tobago |
Indépendant depuis 1962 |
Royaume-Uni |
République parlementaire |
1 367 558 hab. |
Dollar de Trinité-et-Tobago |
ONU, AEC, CARICOM, Commonwealth |
Territoires habités non souverains |
||||||
Anguilla |
Territoire d'outre-mer |
Royaume-Uni |
|
19 416 hab. |
Dollar des Caraïbes orientales |
Commonwealth (Royaume-Uni), CARICOM (associé), OECO (associé) |
Aruba |
Pays constitutif |
Pays-Bas |
|
125 063 hab. |
Florin arubais |
AEC (associé) |
Bermudes |
Territoire d’outre-mer |
Royaume-Uni |
|
72 800 hab. 54 km² |
Dollar bermudien |
Commonwealth (Royaume-Uni), CARICOM (associé), OECO (associé) |
Bonaire |
Commune à statut particulier |
Pays-Bas |
|
24 090 hab. |
Dollar américain |
AEC (associé) |
Curaçao |
Pays constitutif |
Pays-Bas |
|
153 289 hab. |
Florin des Antilles néerlandaises |
AEC (associé) |
Guadeloupe |
Département et région d'outre-mer |
France |
|
376 879 hab. |
Euro |
AEC (associé), OECO (associé) |
Guyane |
Collectivité territoriale unique |
France |
|
294 150 hab. |
Euro |
AEC (France) |
Îles Turques-et-Caïques |
Territoire d'outre-mer |
Royaume-Uni |
|
60 439 hab. |
Dollar américain |
Commonwealth (Royaume-Uni), CARICOM (associé) |
Îles Caïmans |
Territoire d'outre-mer |
Royaume-Uni |
|
66 653 hab. |
Dollar des îles Caïmans |
Commonwealth (Royaume-Uni), CARICOM (associé) |
Îles Vierges britanniques |
Territoire d'outre-mer |
Royaume-Uni |
|
28 054 hab. 153 km² |
Dollar américain |
Commonwealth (Royaume-Uni), AEC (associé), CARICOM (associé) , OECO (associé) |
Îles Vierges des États-Unis |
Territoire non incorporé et organisé |
États-Unis |
|
104 377 hab. 1 910 km² |
Dollar américain |
|
Martinique |
Collectivité territoriale unique |
France |
|
354 824 hab. 1 128 km² |
Euro |
AEC (associé), OECO (associé) |
Montserrat |
Territoire d'outre-mer |
Royaume-Uni |
|
5 468 hab. |
Dollar des Caraïbes orientales |
Commonwealth (Royaume-Uni), OECO |
Porto Rico |
Territoire non incorporé et organisé |
États-Unis |
|
3 285 874 hab. |
Dollar américain |
|
Saba |
Commune à statut particulier |
Pays-Bas |
|
2 035 hab. |
Dollar américain |
AEC (associé) |
Saint-Barthélemy |
Collectivité d'outre-mer |
France |
|
10 248 hab. |
Euro |
AEC (France) |
Saint-Eustache |
Commune à statut particulier |
Pays-Bas |
|
3 293 hab. |
Dollar américain |
AEC (associé) |
Saint-Martin |
Collectivité d'outre-mer |
France |
|
34 699 hab. |
Euro |
AEC (associé) |
Sint-Maarten |
Pays constitutif |
Pays-Bas |
|
46 215 hab. |
Florin des Antilles néerlandaises |
AEC (associé) |
I. Une histoire liée à la France depuis trois siècles et demi
1. La colonisation n’a concerné que la bande littorale du territoire
Les peuples amérindiens sont présents sur le territoire de l’actuelle Guyane depuis au moins 4 500 ans lorsque Christophe Colomb longe les côtes guyanaises en 1498, suivi du conquistador espagnol Vicente Yáñez Pinzón en 1500.
Le XVIème siècle voit les premières tentatives de colonisation par les Européens. Délaissé par les Espagnols en raison de conditions jugées trop défavorables, le plateau guyanais voit les Britanniques, les Hollandais et les Français tenter chacun de s’y implanter. Louis XIII ordonne la colonisation de la Guyane en 1624 et Cayenne est fondée en 1643.
Chassés à plusieurs reprises par les Anglais et les Hollandais, les Français prennent définitivement possession de la Guyane en 1676. Les frontières du territoire évoluent toutefois à la suite de plusieurs contestations de la part des Pays-Bas, du Portugal puis du Brésil. Ces contentieux ne sont réglés qu’en 1888 et 1900 à la faveur d’arbitrages. Des contestations avec le Suriname, demeurent néanmoins ([44]).
Tout comme dans les Antilles, l’économie du territoire repose sur l’esclavage. L’intérêt pour la Guyane, propice à la culture de la canne, est toutefois moindre que pour les territoires des Antilles.
Après l’abolition de l’esclavage en 1848, l’État crée, en 1854, le bagne guyanais, destiné à éloigner les criminels de la métropole. Actif jusqu’en 1938, l’établissement compte plusieurs sites : à Saint-Laurent-du-Maroni, mais aussi à Cayenne et sur l’île du Diable, où le capitaine Alfred Dreyfus est enfermé.
En parallèle, des ressources aurifères sont découvertes en 1855, entraînant une ruée vers l’or. Si leur exploitation atteint son apogée entre 1900 et 1920, la croissance induite s’avère cependant très artificielle, les gisements étant difficilement accessibles. Le phénomène attire néanmoins des migrants en provenance des Antilles, auxquels s’ajoutent, en 1902, des Martiniquais fuyant l’éruption de la montagne Pelée.
2. Une départementalisation controversée
À la fin de la seconde guerre mondiale, la Guyane ne compte que 28 506 habitants lorsque le territoire devient un département français. Le rééquilibrage social qui devait en découler tarde néanmoins, et Justin Catayée crée, en 1956, le Parti Socialiste Guyanais (PSG), critique de la départementalisation. C’est également la position du poète Léon Gontran Damas, qui revendique une identité guyanaise propre. Dans le même temps, Gaston Monnerville, élu du parti radical, est, sans discontinuer, président du Conseil de la République, puis du Sénat, de 1947 à 1968.
En 1962, le gouvernement cherche un site pour construire le nouveau centre spatial français, afin de remplacer celui de Colomb-Béchar en Algérie. Le site de Kourou est retenu en 1964 : proche de l’équateur, ouvert sur la mer, à l’abri des cyclones, il offre les meilleures conditions pour atteindre toutes les orbites. La construction du Centre spatial guyanais (CSG) débute en 1965 et la fusée Véronique en décolle le 9 avril 1968.
Dans le même temps, la population guyanaise a connu une forte expansion.
Évolution de la population guyanaise entre 1954 et 2024
Source : Insee
La Guyane connaît également d’importantes vagues migratoires, en provenance notamment du Suriname – de nombreux réfugiés fuyant la guerre civile entre 1986 et 1992 –, d’Haïti, ou du Guyana. Des réfugiés laotiens, les Hmongs, s’y sont également installés dans les années soixante-dix, à l’issue de la guerre du Viêtnam.
II. La Guyane, un outre‑mer qui a ses propres « vérités »
Pour Gabriel Serville, président de l’Assemblée de Guyane, ce qui distingue la Guyane à la fois de la France hexagonale et des autres outre-mer ne saurait se limiter à de simples « particularismes » ou « spécificités ».
A. Un territoire immense et hors‑normes
La Guyane est le plus grand des outre-mer français. D’une superficie de 83 846 km², presque équivalente à celle de l’Autriche, il est soixante‑quatorze fois plus grand que la Martinique, trente-trois fois plus que la Réunion, et quatre mille fois plus que le plus petit des outre‑mer, Saint‑Barthélemy. Parmi les territoires habités, c’est également le seul à ne pas être une île.
1. L’immense domaine forestier : une chance et une contrainte
La forêt amazonienne, d’une biodiversité exceptionnelle, occupe 97 % de sa surface. Elle relève très largement de la propriété privée de l’État et est administrée par l’Office national des forêts (ONF). Un parc naturel, le Parc amazonien de Guyane, y a été créé, et « représente un immense défi, (…) aussi bien d’un point de vue écologique que d’un point de vue ethnologique ou juridique ([45]) ». Cela rend le foncier difficilement disponible, notamment pour le développement d’activités économiques. Pour Serge Smock, président de la Communauté d’agglomération du centre littoral (CACL) et maire de Matoury, « chaque construction implique d’empiéter sur la forêt ».
C’est notamment le cas, explique Albert Siong, président de la Chambre d’agriculture de Guyane, pour installer une nouvelle exploitation agricole, alors même que le secteur est en expansion et intéresse de nombreux jeunes. Il faut systématiquement défricher, ce qui coûte cher, malgré les dispositifs de défiscalisation. De plus, seule la bande côtière est plate et le sol est peu productif.
Le territoire guyanais abrite également de nombreuses richesses naturelles, notamment de l’or, exploité le plus souvent de manière illégale et polluante par les « garimpeiros », exposant les populations aux rejets de mercure hautement toxiques.
La Guyane abrite à la fois le Centre spatial guyanais, base de lancement de haute technologie de l’Agence spatiale européenne, et des infrastructures – eau, électricité, communications, routes – inégalement réparties et parfois en mauvais état.
2. Une population jeune et en forte augmentation
La Guyane comptait 286 618 habitants au 1er janvier 2021, chiffre réévalué par l’Insee à environ 295 000 au 1er janvier 2024, néanmoins fortement contesté par les élus locaux. La population guyanaise, se caractérise par une forte immigration et par une fécondité et un solde naturel élevés. ([46])
Par ailleurs, la population de Guyane est très jeune : en 2022, plus de 40 % des Guyanais avaient moins de 20 ans et 55 % avaient moins de 30 ans.
La majorité de la population réside dans la bande côtière, longue de 350 km, que certains interlocuteurs auditionnés ont dénommée la « Guyane routière ». Ces routes ne desservent pas les communes de l’intérieur du territoire, enclavées et accessibles uniquement par les fleuves ou par avion.
De par cette configuration unique, la Guyane abrite les quinze plus grandes communes de France. La plus étendue, Maripasoula (18 360 km²), occupe plus d’un cinquième du territoire guyanais, soit trois fois la taille moyenne d’un département hexagonal. Ces communes sont réunies au sein de trois communautés de communes – « de l’Ouest Guyanais » (CCOG), « de l’Est Guyanais » (CCEG), et « des Savanes » (CCDS) – et d’une communauté d’agglomération, la « Communauté d’agglomération du Centre Littoral » (CACL).
53 % de la population y vit sous le seuil de pauvreté, contre 14 % en moyenne nationale. 29 % des guyanais sont en situation de très grande pauvreté, soit quatorze fois plus qu’en France hexagonale (2,1 %). ([47]) L’écart moyen des prix avec la France hexagonale y est de + 14 %, mais il atteint + 39 % et + 35 % pour les services de communication. ([48])
Ainsi, la Guyane, si elle est un Drom régi par le principe d’identité législative, est également un territoire français unique à bien des égards. Les normes nationales ne peuvent s’y appliquer sans discernement, c’est-à-dire sans adaptations, dans des communes immenses, enclavées, couvertes de forêt, comme sur le littoral. En Guyane, la question institutionnelle est celle de la meilleure adéquation entre la norme et la réalité, mais aussi celle des conditions permettant la prise de décisions au plus proche de ces réalités.
En conséquence, et comme l’a déclaré aux rapporteurs Gabriel Serville, « l’objectif de l’évolution est de dire à la République de se montrer plus intelligente pour permettre aux Guyanais d’accéder au bonheur et au bien-être comme en France hexagonale ».
B. Un territoire ancré en Amérique du sud, malgré des barrières
En plus d’être le seul DROM‑COM continental, la Guyane est le seul situé en Amérique du sud. Il possède des frontières terrestres avec le Suriname d’une part, avec le Brésil d’autre part, cette dernière étant la plus longue de France (730 km).
Il s’ancre donc dans ce bassin sud-américain, mais connaît de nombreuses difficultés à développer avec ses voisins des échanges qui ne pourraient pourtant qu’être profitables au développement de son économie. La Guyane, en effet, demeure une RUP, située dans le champ d’applicabilité de normes européennes souvent contraignantes et inadaptées à ses spécificités. Plus exigeantes que celles des États environnants, elles empêchent d’échanger avec eux et orientent les échanges vers l’hexagone. C’est par exemple le cas en matière de carburant, ce qui en renchérit le coût. C’est aussi le cas pour la viande, le bois, ou les matériaux de construction.
Si la création annoncée d’une « norme RUP » pourrait permettre de résoudre, au moins en partie, ces difficultés, celles‑ci révèlent à quel point des décisions prises loin de ce territoire, en méconnaissance de ses spécificités, peuvent être préjudiciables à son développement.
Plus largement, comme le dit Christiane Taubira, « Le placage du système français en Amazonie demeure une absurdité, et tous les secteurs de la vie économique expliquent que les normes françaises ne marchent pas. » ([49])
C. un contexte sécuritaire difficile
Les rapporteurs sont arrivés en Guyane dans le contexte d’une situation sécuritaire très difficile, avec plusieurs actes graves qui, malheureusement, ne sont pas des exceptions. Il ne s’agit néanmoins pas du seul territoire ultramarin à connaître une délinquance plus importance, voire beaucoup plus importante, que dans l’hexagone. Le taux d’homicides par habitant est en effet égal, sur la période 2020‑2022, à quatorze homicides pour 100 000 habitants en Guyane, contre sept en Guadeloupe, six en Martinique cinq à Mayotte et un homicide pour 100 000 habitants en moyenne nationale ([50]).
Cette thématique a donc été présente dans les échanges que les rapporteurs ont eus avec les interlocuteurs guyanais. Ce fut notamment le cas, le 15 avril 2024, lors de leur déplacement à Saint‑Laurent‑du‑Maroni, ville endeuillée, quelques jours plus tôt, par l’assassinat d’une pharmacienne victime d’un toxicomane.
La toxicomanie et le narcotrafic sont ainsi au nombre des facteurs d’insécurité et des actes de délinquances auxquels la Guyane doit faire face de manière massive. En matière de trafic de cocaïne par exemple, la hausse des contrôles sur les vols entre le Suriname et les Pays‑Bas a amené un déport vers la Guyane, à travers la frontière fluviale ([51]), exposant particulièrement la ville de Saint‑Laurent‑du‑Maroni. La part de la cocaïne arrivant en France via la Guyane est en effet estimée entre 15 et 20 % du total ([52]). En réaction a été mis en place à l’aéroport de Cayenne un dispositif dit « 100 % contrôle ».
Ces éléments sont aujourd’hui malheureusement indissociables des réflexions sur la gestion du territoire, notamment à l’échelon communal.
III. Un projet de collectivité autonome désormais complet
A. Une différenciation actuellement limitée, malgré des institutions spécifiques
Si les ambitions du projet institutionnel guyanais actuel sont grandes, elles poursuivent une évolution déjà mise en œuvre par la création de la Collectivité territoriale de Guyane.
1. La Guyane est déjà une collectivité territoriale unique…
Consultés en janvier 2010, les Guyanais ont rejeté la transformation de leur territoire en COM, pourtant préconisée par le Congrès des élus. Consultés à nouveau deux semaines plus tard, ils ont décidé de faire usage de la faculté ouverte par l’article 73 de la Constitution de réunir département et région en une entité unique. En conséquence, deux lois du 27 juillet 2011 ([53]) créent la Collectivité territoriale de Guyane (CTG), qui « succède au département de la Guyane et à la région de Guyane dans tous leurs droits et obligations » ([54]).
L’organe délibérant de la nouvelle collectivité est l’Assemblée de Guyane. L’augmentation de la population a conduit, en 2021, conformément à l’article L. 558‑2 du code électoral, à porter le nombre de ses membres, élus pour six ans au scrutin proportionnel à deux tours avec prime majoritaire, de cinquante et un à cinquante-cinq.
Cette assemblée élit un président qui, assisté de vice‑présidents, et dans le cadre d’une commission permanente, assure l’exécutif de la CTG. C’est là une différence importante avec la Collectivité territoriale de Martinique, dont les institutions comprennent un Conseil exécutif composé de membres qui ne siègent pas à l’Assemblée : en Guyane, comme dans les régions de droit commun, les membres de l’exécutif, y compris le président, en demeurent membres.
Les institutions de la CTG comprennent également un Conseil économique, social, environnemental de la culture et de l’éducation (CESECEG). Un Grand conseil coutumier des populations amérindiennes et bushinenges existe également, mais il est placé auprès du représentant de l’État ([55]).
Aujourd’hui, « la fusion entre le département et la région semble […] pleinement absorbée », la CTG étant devenue « un interlocuteur incontournable de la société guyanaise » ([56]).
2. …mais les spécificités du territoire nécessitent d’aller plus loin, conformément à l’« Accord de Guyane » de 2017
À partir du 20 mars 2017, un mouvement social d’ampleur, incluant des manifestations et des grèves massives, a lieu en Guyane. Les revendications sont sociales, économiques, et sécuritaires. La demande d’un nouveau statut d’autonomie accrue pour la Guyane, permettant une prise de décision moins centralisée et plus adaptée aux réalités locales, émerge rapidement parmi les revendications.
Ce mouvement amène à la signature, le 21 avril 2017, par les élus, l’État, et le collectif « Pou Lagwiyann dékolé » de l’ « Accord de Guyane », publié au Journal officiel ([57]), qui comprend une clause selon laquelle « le gouvernement fera l’objet d’une saisine par le congrès des Élus de Guyane d’un projet d’évolution statutaire » à laquelle il devra répondre.
Les accords de Guyane sont suivis des « États généraux de Guyane », dont les conclusions ont été rassemblées en un « Livre blanc » ([58]). Celui-ci, constatant la « nécessité d’un cadre institutionnel adapté au développement économique et social du territoire », appelle à un « changement de paradigme » sous la forme d’un nouveau statut pour la Guyane, « à l’instar de la Corse, de la Polynésie, de la Nouvelle‑Calédonie, des îles de la Caraïbe comme Aruba où il existe une assemblée locale et un gouvernement local ». Ce cadre devrait permettre à la Guyane d’élaborer ses propres normes juridiques, dans le respect de ses spécificités et de ses intérêts, mais aussi de disposer de larges compétences, par exemple en matière d’échange et de négociation avec les pays voisins. Au cours des travaux, cette demande ne s’est pas forcément traduite par une volonté de passage « à l’article 74 », c’est-à-dire de transformation en collectivité d’outre-mer (COM).
Clôturant ses travaux le 27 novembre 2018, le congrès des élus a invité les instances de la CTG à saisir le premier ministre :
– « pour l’organisation d’une consultation populaire en vue d’une évolution statutaire » (article 3 de la résolution) ;
– « pour un renforcement des compétences de la collectivité territoriale de Guyane au travers d’une loi pour la Guyane » (article 4 de la résolution). ([59])
Les conclusions des États généraux ont ensuite été confiées à une commission « projet Guyane », qui a présenté ses travaux devant le congrès des élus le 14 janvier 2020. À l’issue des discussions, le congrès a proposé au président de l’assemblée de Guyane de saisir le premier ministre d’un projet de statut « sui generis ». C’est ce statut que le congrès des élus a ainsi reçu pour mission d’établir.
B. L’élaboration du projet d’évolution statutaire : Une méthode aux résultats réels
1. Le congrès des élus, lieu de l’élaboration du projet de statut d’autonomie
Comme la Guadeloupe et la Martinique, la Guyane conserve un congrès des élus « composé des députés et sénateurs élus en Guyane, des conseillers à l’assemblée de Guyane et des maires des communes de Guyane » ([60]). Il est saisi par l’assemblée de la collectivité de toute proposition d’évolution statutaire et peut adopter des propositions transmises à cette assemblée et au premier ministre. L’Assemblée délibère ensuite sur ces propositions après consultation du conseil économique, social, environnemental, de la culture et de l’éducation, et transmet ces délibérations au chef du gouvernement.
En Guyane, cet organe est donc au centre du processus institutionnel et à l’origine des décisions prises en la matière.
Il n’est néanmoins pas le seul : un comité de pilotage a été créé pour préparer les travaux du congrès des élus et s’est réuni à vingt‑cinq reprises entre 2022 et 2024. Il a bénéficié d’une assistance à maîtrise d’ouvrage (AMO).
Ce sont les travaux de ce comité qui ont été examinés, lors de ses réunions, par le congrès des élus, qui a adopté et transmis au gouvernement plus de vingt résolutions constituant un projet de document d’orientation sur l’évolution statutaire de la Guyane en vue des négociations avec l’État.
Le congrès s’est notamment réuni :
– le 26 mars 2022, pour créer le comité de pilotage et choisir de mener les travaux sur la base du statut « sui generis » d’une collectivité territoriale autonome à statut particulier ;
– le 13 mai 2023, pour examiner l’avant‑projet de document d’orientation ;
– le 2 décembre 2023, pour se prononcer sur plusieurs questions restant en suspens, notamment les ressources financières et fiscales, le sénat coutumier et le corps électoral ;
– le 13 avril 2024 : pour adopter l’ultime résolution, portant sur la représentation des peuples amérindiens (cf. infra).
Ses délibérations sont soumises à l’Assemblée de Guyane, qui en délibère.
2. Un projet d’autonomie désormais complet
Malgré les inquiétudes qu’elle engendre, la résolution adoptée le 13 avril 2024 est l’ultime étape d’élaboration du document d’orientation du projet guyanais.
Ce projet, dont les modalités ont été décrites dans l’avant‑projet du comité de pilotage du 25 mars 2023 ([61]), prévoit pour la future collectivité un modèle bicéphale, avec un président de l’exécutif, un gouvernement et une assemblée élue au suffrage universel direct devant laquelle le gouvernement serait responsable. Le gouvernement arrêterait, en conseil des ministres, des projets de lois péyi (lois du pays), qu’il soumet à l’assemblée.
Cette nouvelle collectivité disposerait d’un pouvoir normatif autonome, sous forme de lois du pays, dans certains domaines qui lui sont transférés : urbanisme, construction, aménagement, transports fluviaux et aériens internes, environnement, agriculture, forêt, délivrance et gestion des titres miniers en mer, enseignement du premier degré et des langues régionales, culture, sport, jeunesse, etc.
D’autres seraient partagées avec l’État, notamment la réglementation et le contrôle de l’immigration, la lutte contre l’orpaillage et la pêche illégaux, le régime douanier et le commerce extérieur.
Le CESECEG serait maintenu, mais l’avant‑projet prévoit la transformation du Grand conseil coutumier en Sénat coutumier (cf. infra), qui deviendrait une institution de la collectivité autonome.
Le préfet, quant à lui, deviendrait haut‑commissaire.
Une transformation des EPCI ([62]) actuels en districts, initialement envisagée, a été abandonnée en raison de l’opposition des maires.
Quel futur pour les EPCI dans les nouvelles institutions guyanaises ?
présidente de la Communauté de communes de l’Ouest Guyanais (CCOG) et maire de Saint Laurent du Maroni, Sophie Charles est favorable au maintien des EPCI, qui fonctionnent bien tant que les règles du code général des collectivités territoriales font l’objet des adaptations nécessaires. À l’inverse, l’association des maires de Guyane critique leur fonctionnement : les EPCI seraient « des succursales de la plus grande ville », et l’un des objectifs de l’évolution statutaire devrait être d’opérer un rééqulibrage au profit des petites communes, que les gens quittent en l’absence de perspectives.
De plus, la question de la définition des compétences de la future collectivité territoriale ne doit pas masquer la nécessité de décentraliser certaines compétences au sein même du territoire guyanais.
Pour Sophie Charles, les EPCI guyanais font face à d’importants défis financiers : comment la CCOG, qui recouvre 40 000 km², peut‑elle par exemple assumer les compétences eau et assainissement ?
La difficulté est la même pour les communes : Sophie Charles rappelle qu’une commune guyanaise peut avoir jusqu’à cent « écarts », c’est-à-dire des hameaux, parfois informels, accessibles uniquement par le fleuve ; comment peut‑elle y assurer, par exemple, le ramassage des déchets ?
Il est donc parfois nécessaire que les EPCI prennent le relais de communes très grandes et peu peuplées, y compris de façon informelle. C’est par exemple le cas pour les déchets, que la CCOG collecte.
Cette question se pose également entre les EPCI et la future collectivité territoriale : lorsque les EPCI ne peuvent à leur tour plus assumer certaines compétences, celles‑ci doivent être transférées à la collectivité territoriale ; mais un transfert inverse peut également se justifier.
Pour Sophie Charles, la transition institutionnelle devrait être l’occasion de définir, pour chaque compétence, le bon niveau d’exercice : commune, EPCI, ou collectivité territoriale.
Ce projet devra désormais, pour entrer en vigueur, être traduit sous forme de textes de loi, y compris pour modifier la Constitution.
3. Le choix d’un titre constitutionnel spécifique
La transformation de la Guyane en collectivité territoriale unique consistait à modifier l’architecture des institutions guyanaises sans en modifier les compétences : il s’agissait donc d’un processus d’évolution institutionnelle. Le congrès des élus souhaite désormais aller plus loin en donnant de nouveaux pouvoirs aux institutions, dans une logique d’évolution statutaire.
a. Pour Gabriel Serville « la notion d’outre-mer ne convient pas à la Guyane »
Dès 2020, les membres du congrès des élus ont fait le choix de demander la transformation de la Guyane en collectivité territoriale sui generis faisant l’objet d’un titre spécifique dans la Constitution. Ce statut rapprocherait le territoire de la situation administrative de la Nouvelle‑Calédonie.
Pour Gabriel Serville, en effet, les « vérités » propres à la Guyane l’éloignent du statut constitutionnel des outre‑mer, qui ne peut lui convenir.
Ce choix est ainsi justifié dans le préambule du projet d’évolution statutaire dans sa version du 25 mars 2023 :
« L’inscription de la Guyane dans la Constitution en tant que collectivité autonome à statut particulier, est le moyen choisi par le congrès des élus, le 26 mars 2022. Ce statut d’autonomie, tel qu’il est pensé par les élus, ne signifie nullement la sortie de la Guyane de la République française, mais une inclusion plus avantageuse pour tenir compte de ses singularités au sein de l’ensemble géographique sud-américain. »
Le choix du projet présenté est donc celui de sortir la Guyane de la dichotomie art. 73 / art. 74 pour l’inscrire, comme la Nouvelle‑Calédonie, dans un titre constitutionnel spécifique lui conférant un statut sui generis.
b. La Guyane veut obtenir un statut organique dans le cadre de la République et de l’Europe
Quand bien même elle ne serait plus formellement un outre‑mer, la Guyane ne s’affranchirait pas, déclare Gabriel Servile, du cadre de la République : si « lois péyi » il y a, elles seront examinées par le Conseil constitutionnel (comme en Nouvelle‑Calédonie) ou par le Conseil d’État (comme en Polynésie).
Les rapporteurs attirent néanmoins l’attention sur la nécessité de prévoir, en toute hypothèse, un examen a priori des textes par le Conseil d’État, afin d’éviter les difficultés que connaît actuellement la Polynésie (cf. infra).
Recommandation : dans l’hypothèse où le nouveau statut de la Guyane serait adopté, aligner le statut des lois Péyi sur celui des lois de pays de la Nouvelle-Calédonie, de manière à leur faire acquérir un statut quasi législatif.
Le nouveau titre constitutionnel consacré à la Guyane ne serait, néanmoins, que le support de la volonté du Congrès des élus de faire accéder la Guyane à ce statut sui generis, le reste du projet statutaire nécessitant, comme pour la Nouvelle‑Calédonie, l’élaboration et l’adoption d’une loi organique.
L’avant‑projet du 13 mai 2023 prévoit enfin le maintien, pour ce territoire autonome, du statut de RUP au sens du droit européen, ce que l’ancien président de l’Assemblée de Guyane Rodolphe Alexandre estime nécessaire pour continuer à bénéficier de l’aide financière permettant le rattrapage des infrastructures.
4. Le choix d’un corps électoral spécial pour consulter les guyanais
Exigence légale, le principe d’une consultation de la population est maintenu dans l’avant‑projet du 13 mai 2023, mais sur la base d’un corps électoral spécial, dont l’établissement « fera l’objet de discussions avec le gouvernement dans le cadre de la préparation de l’accord », pour aboutir à une liste électorale constituée par « une Commission spéciale composée de représentants de l’État, de la partie guyanaise, de magistrats de l’ordre administratif ».
Le principe d’un corps électoral élargi aux guyanais résidant à l’extérieur du territoire a été adopté lors de la réunion du congrès des élus du 2 décembre 2023. À cinquante‑quatre voix pour et cinq contre, cette option a été privilégiée à celle d’un corps électoral restreint aux personnes résidant depuis un certain temps en Guyane, sur le modèle de la Nouvelle‑Calédonie. Cette dernière option, défendue pour limiter la possibilité de décider de l’avenir institutionnel de la Guyane à ceux qui n’y sont pas « de passage », a en effet suscité l’inquiétude de plusieurs élus quant aux difficultés juridiques qu’elle pose et à sa pertinence dans un processus bien différent de celui des accords de Matignon et Nouméa.
Les critères permettant de déterminer qui sont les Guyanais résidant hors du territoire restent néanmoins à définir.
C. Un projet loin d’être consensuel
1. Les forces politiques se sont saisies du projet
a. Certains points donnent lieu à des critiques…
Pour l’ancien président de l’Assemblée de Guyane Rodolphe Alexandre, s’exprimant au nom du parti Guyane rassemblement, le projet n’est pas encore abouti, en l’absence de choix sur les compétences ou encore sur la fiscalité. Il invite à regarder de plus près les questions fiscales et financières et pointe une dégradation de la situation financière actuelle de la collectivité territoriale de Guyane (CTG).
Pour les membres du parti Les Républicains en Guyane, représentés par Fabien Covis, Jean-Philippe Dolor, Stéphane Augustin et Samuel Marie‑Angélique, il faut faire preuve de pragmatisme, et ne pas oublier que la démarche en cours implique une révision de la Constitution, donc une adoption par le congrès du Parlement à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Or, le président de l’Assemblée de Guyane, poursuivent‑ils, n’a encore consulté aucun groupe politique national : « on ne peut pas rester dans une démarche avec seulement l’État, il faut aussi parler de politique et du Parlement ». Ils expriment également des réserves sur la viabilité économique et financière de la collectivité qui serait issue du projet et affirment leur attachement à une évolution dans le cadre de la République : « il ne s’agit pas de quitter la France pour se rapprocher de la Chine ou de la Russie ». Ils souhaitent, enfin, une communication plus claire auprès de la population, notamment sur la durée totale de ce processus, qu’ils estiment à « quinze ou vingt ans ».
Auditionné par les rapporteurs, Serge Smock, président de la Communauté d’agglomération du Centre Littoral (CACL) et maire de Matoury, rappelle que la demande d’un nouveau statut ne doit pas être une fin en soi, mais doit être au service du développement du territoire, actuellement freiné par les normes. Les nouvelles règles devront permettre d’exploiter les richesses du territoire et de trouver des solutions aux problèmes du quotidien.
b. ...mais tous sont favorables à une évolution statutaire
Pour le parti Guyane rassemblement, Rodolphe Alexandre indique que, si une évolution institutionnelle n’est pas possible sans projet de société, un nouveau statut d’autonomie est souhaitable, car « les décisions ne peuvent plus être prises aussi loin ». La Guyane ne peut plus, en particulier, être privée plus longtemps de sources de revenus, après avoir « perdu le offshore avec la loi Hulot ([63]) et perdu la Montagne d’or », et alors même qu’elle est privée des retombées de la taxe carbone et subit l’absence d’exploitation de la ressource halieutique.
Pour le parti « Nouvelle force de Guyane », représenté notamment par Madame la sénatrice Marie‑Laure Phinéra‑Horth, l’évolution statutaire dans la République est indispensable pour apporter à la Guyane de nouvelles compétences nécessaires à son développement, actuellement entravé, notamment, par des normes inadaptées (en l’absence de poste vétérinaire aux frontières, « la viande brésilienne doit passer par Rungis »). Arrivée « au bout d’un système », la Guyane « ne peut plus dépendre de l’État pour être autorisée à faire telle ou telle chose ». Elle doit être autonome, y compris en matière de fiscalité. « La Guyane devrait être la Suisse de l’Amérique du sud, mais l’immobilisme l’en empêche et met l’économie à la merci de la concurrence déloyale. »
S’exprimant au nom du Mouvement de décolonisation et d’émancipation sociale (MDES), Fabien Canavy et Rayline Robeiri, s’ils rappellent leur demande d’un statut transitoire où la France accompagne la Guyane vers l’indépendance, accueillent le processus en cours en tant qu’évolution dans cette direction.
Au nom du Parti socialiste de Guyane (PSG), Roland Léandre, Patrice Catayée et Christian Baulane ont fait part aux rapporteurs de leur soutien au projet actuel d’évolution statutaire. Face à la situation catastrophique du territoire et pour répondre aux aspirations de sa population, il est nécessaire de disposer de plus de compétences pour pouvoir développer la collectivité, par exemple en matière d’exploitation minière ou offshore, ou de gestion environnementale. Ils approuvent la sortie du cadre des outre‑mer de la Guyane, qui n’est pas une île et dont la situation sur le continent sud-américain est spécifique.
Les représentants du parti Les Républicains en Guyane s’inscrivent eux‑aussi dans l’unanimité des élus en faveur d’une évolution statutaire et soutiennent la demande d’un titre constitutionnel spécifique.
2. Une plus grande circonspection du monde socioéconomique
La présidente de la chambre de commerce et d’industrie (CCI) de la Guyane, Carine Sinaï‑Boussou, a exprimé, auprès des rapporteurs, de nombreuses critiques sur le projet d’évolution statutaire.
Initialement membre du comité de pilotage du projet, la CCI a eu l’impression de « se perdre en discussions ». Se sentant évincés d’une discussion globale idéologique trop éloignée des objectifs de développement, ses représentants ont pris leurs distances avec des élus qui « n’écoutent pas le monde économique ».
Les responsables de la CCI partagent pourtant le diagnostic de la nécessité d’une évolution statutaire, pour lever certains freins au développement économique, issus de normes nationales ou européennes inadéquates. Dernièrement, ils ont été « choqués » par les compte-rendu des réunions les plus récentes, dans lesquels les responsables politiques ont acté le principe d’un financement du projet par une taxation des entreprises. Or, « le monde économique ne peut pas signer un chèque en blanc ».
L’évolution statutaire est présentée comme « le remède à tous les maux ». « Ça part dans tous les sens pour calmer la population » poursuivent les responsables, alors que le processus est désormais trop avancé pour être remis en cause, y compris par la CCI qui est pourtant représentative du monde économique. « En l’état actuel des choses, concluent‑ils, Gabriel Serville n’a pas le monde économique, car la taxation des entreprises comme seule solution de financement de l’évolution statutaire n’est pas une réponse valable. »
Cette perplexité est également partagée par Vernita Blacodon, présidente de la chambre des métiers et de l’artisanat (CMA) de la Guyane : « L’évolution statutaire, je l’entends, mais je ne la comprends pas. » Elle souligne également le manque de transparence du processus d’élaboration du projet et s’inquiète, elle aussi, du mode de financement de la nouvelle collectivité, alors même que « l’octroi de mer nous tue ». Elle insiste sur le fait qu’on « ne peut pas tout reprocher à l’État », qui a été d’une grande aide dans le redressement financier de la CMA. Elle conclut en déclarant que « la population ne fait plus confiance à la politique ».
b. Le CESECEG
Les rapporteurs se sont rendus au conseil économique, social, environnemental, de la culture et de l’éducation de Guyane (CESECEG). Ils y ont été reçus par sa présidente, Ariane Fleurival, et son troisième vice‑président, Jean‑Marc Aimable. Tous deux ont présenté le rôle de cette institution dans le processus d’évolution statutaire en cours, mais aussi ses remarques et critiques à ce sujet. Le CESECEG a en effet participé, dès le début, aux discussions, les résolutions du congrès des élus lui étant soumises pour avis.
Le CESECEG rappelle qu’un tel processus découle d’une réflexion sur les compétences dont la future collectivité aura besoin pour améliorer le cadre de vie des guyanais. Il est particulièrement attentif aux modalités de la consultation que nécessite le processus. Il estime notamment que la population guyanaise ne souhaitera pas attendre que la future loi organique soit rédigée pour obtenir des informations détaillées sur les futures institutions guyanaises : « le schéma politique est clair dans le document d’orientation, mais il faut expliquer au grand public quel est l’impact concret dans leur vie de ce cadre juridique, et quel est ce projet de société ».
Le CESECEG insiste sur la nécessité d’associer la jeunesse guyanaise à ce projet, par le biais de consultations populaires, et souhaite mettre en place une plateforme citoyenne à cette fin : « on mise sur les jeunes ». Il estime également nécessaire de faire preuve de pédagogie et de s’adresser à l’ensemble des communautés, notamment en prenant en compte leur diversité linguistique. « C’est la première fois que toutes les communautés adhèrent politiquement et juridiquement au projet », souligne enfin l’instance, ce qui fait peser sur chacune une lourde responsabilité.
IV. La délicate question de la représentation des populations autochtones
Les populations amérindiennes et bushinenges ([64]) étant présentes sur 45 % du territoire de la Guyane ([65]) , leur représentation et le respect de leurs traditions sont des éléments importants de toute discussion statutaire.
Les villages dans lesquels ils résident se situent au sein des communes et ont à leur tête des autorités qui leur sont propres : chefs et grands chefs coutumiers pour les Amérindiens, capitaines et Gran Man pour les Bushinenges.
A. La représentation dans le cadre des institutions actuelles
1. Deux peuples autochtones différents : les Amérindiens et les Bushinenges
Deux communautés autochtones existent en Guyane : les Amérindiens d’une part, les Bushinenges d’autre part.
Les premières traces archéologiques des peuples amérindiens dans l’actuelle Guyane remontent au VIème siècle avant notre ère.
On y dénombre six peuples amérindiens : les Teko, les Wayana, les Wayapi, les Paykweneh, les Arawaka Lokono et les Kali’na – les orthographes de ces noms pouvant être très variables.
Après le début de la colonisation par les européens au XVIème siècle, la France a définitivement pris le contrôle du territoire en 1676 et a repoussé les Amérindiens vers l’intérieur. Faiblement immunisés contre les maladies dont les Européens étaient porteurs, ces peuples connurent une hausse rapide et brutale de leur taux de mortalité. De façon générale, les premières rencontres avec les Européens ont été marquées par la violence. De nos jours, les Amérindiens conservent une organisation sociale coutumière, sous l’autorité de chefs et de grands chefs.
Les Amérindiens représenteraient 5 % de l’actuelle population guyanaise. ([66])
À partir XVIIIème siècle, certains esclaves déportés d’Afrique par les colonisateurs européens s’enfuient des plantations de l’actuel Suriname. Regagnant eux-mêmes leur liberté par ce marronnage, ils constituèrent des communautés appelées bushinenges. En Guyane, elles sont principalement implantées à l’ouest, sur le Maroni. Cette population comprend les peuples Aluku, Dyuka, Pamaka et Saamaka. Possédant, comme les amérindiens, leurs langues et leurs coutumes, les Bushinenges sont organisés en chefferies dirigées par des Gran man, elles-mêmes divisées en clans, sous l’autorité d’un capitaine, qui est, comme pour les Amérindiens, l’interlocuteur des autorités. Comme certains interlocuteurs l’ont expliqué aux rapporteurs, le lien des peuples bushinenges avec la rive surinamienne demeure fort, certains y enterrant leurs morts.
Les Bushinenges représenteraient 20 % de l’actuelle population guyanaise. ([67])
2. Actuellement, une représentation unique des deux peuples par le grand conseil coutumier
Sans remettre en cause le principe constitutionnel d’indivisibilité de la République, la Guyane connaît des aménagements juridiques en faveur des populations autochtones, « sans aller jusqu’à les reconnaitre en tant que peuples dès lors qu’il ne saurait y avoir reconnaissance de communautés ou groupes socioculturels distincts au sein de la République française » ([68]).
C’est notamment le cas avec la création, en 2007, du Conseil consultatif des populations amérindiennes et bushinenges, devenu en 2017 le Grand conseil coutumier des populations amérindiennes et bushinenges, dont le rôle est « d’assurer la représentation des populations amérindiennes et bushinenges de Guyane et de défendre leurs intérêts juridiques, économiques, sociaux, culturels, éducatifs et environnementaux » ([69]).
Seize de ses dix-huit membres sont désignés par les autorités coutumières et traditionnelles, amérindiennes d’une part et bushinenges, d’autre part, et par les organismes et associations représentatifs de ces deux populations. Chacune de celles‑ci dispose donc ainsi, au sein de cette instance, d’un « collège ». La présidence est « tournante », assurée à tour de rôle par un membre issu par l’une puis l’autre des deux communautés.
Le Grand conseil est saisi ou choisit d’examiner « tout projet ou proposition de délibération de l’assemblée de Guyane emportant des conséquences sur l’environnement ou le cadre de vie ou intéressant l’identité des populations amérindiennes et bushinenges » ([70]). Il a également pour rôle d’organiser et de constater la désignation des autorités coutumières et traditionnelles.
La création de cette institution était justifiée par l’objectif de permettre à ces populations de « prendre pleinement part aux décisions qui pèsent parfois lourdement, s’agissant des atteintes portées à la forêt et de l’installation de sociétés d’exploitation minière par exemple, sur le destin de leur territoire » ([71]). Ses avis, toutefois, n’ont que valeur consultative.
B. Les Amérindiens souhaitent faire aboutir leurs revendications et faire connaître leur situation
1. Les « oubliés de la République » ([72])
Minoritaires, les Amérindiens, contrairement par exemple aux kanak, ne bénéficient pas de la reconnaissance de leur statut personnel au sens de l’article 75 de la Constitution, qui leur permettrait d’être régis par les dispositions de leurs coutumes.
Leur situation au regard de la question foncière est également délicate. Leur lien collectif à la terre et à la forêt est une question importante, reconnue indirectement par la mise en place de zones de droits d’usage collectifs (ZDUC). Ces droits, reconnus « pour la pratique de la chasse, de la pêche et, d’une manière générale, pour l’exercice de toute activité nécessaire à la subsistance de ces communautés » dans des zones définies par le préfet de la Guyane, le sont « au profit des communautés d’habitants qui tirent traditionnellement leurs moyens de subsistance de la forêt » ([73]). Le principe constitutionnel de non-discrimination impose en effet l’usage de cette périphrase pour désigner les Amérindiens sans les nommer. Ces ZDUC occupent 700 000 hectares. Des concessions peuvent également être créées, de manière temporaire, au profit de ces mêmes communautés, « en vue de la culture ou de l’élevage ou pour pourvoir à l’habitat de leurs membres » ([74]).
Alors que les arrêtés préfectoraux établissant les ZDUC peuvent toujours être retirés à tout moment, la revendication exprimée dans l’accord de Guyane était celle de l’« attribution de 400 000 hectares aux peuples autochtones au travers de l’établissement public placé auprès du Grand Conseil coutumier ». La Commission nationale consultative des droits de l’Homme recommandait de « reconnaître pleinement aux peuples autochtones, non plus seulement un usage, mais un droit de propriété collective des terres, territoires et ressources qu’ils possèdent et occupent traditionnellement ou encore qu’ils ont utilisés ou acquis » ([75]). Cette problématique s’inscrit dans le contexte d’un foncier guyanais rarement disponible, notamment car il est très largement détenu par l’État, qui a considéré en 1898 qu’aucun autre occupant ne pouvait faire valoir de titre de propriété sur ces espaces ([76]).
Une autre difficulté est celle des rapports entre les élus – maires et présidents d’EPCI – et les chefs coutumiers, amérindiens comme bushinenges. En l’absence d’une délimitation claire, les compétences des uns et des autres sont en effet difficiles à définir. Les chefs coutumiers « entrent en compétition avec les élus municipaux dans des domaines qui leur revenaient autrefois de droit : emplacement des villages, fonctionnement d’une justice de proximité et partage des biens et services » ([77]) ;
ils ne peuvent donc affirmer pleinement leur autorité.
Sophie Charles, présidente de la Communauté de communes de l’ouest guyanais (CCOG) et maire de Saint‑Laurent‑du‑Maroni, a ainsi décrit aux rapporteurs la situation particulière de certains villages faisant l’objet de concessions à des associations coutumières. La mairie y finance quelques postes pour le nettoyage de la voirie et les écoles. Le chef coutumier y exerce la police administrative, mais cette compétence ne repose que sur la pratique, ce qui pose la question de la responsabilité. Le capitaine a également autorité pour installer de nouvelles personnes sur le territoire de la concession. De manière générale, poursuit Sophie Charles, l’usage occupe une place importante. Ce n’est pas un problème en soi, mais certains conflits de compétences devraient pouvoir être réglés lors de la future évolution statutaire. C’est également l’avis de l’association des maires de Guyane.
La solution vient parfois de la mise en place de « commissions mixtes » réunissant les différentes autorités. Des territoires où les communautés autochtones sont particulièrement présentes ont également été érigés en commune de plein exercice : Apatou, Papaïchton, Awala-Yalimapo. Les représentants amérindiens auditionnés ont évoqué une demande similaire du peuple Wayana.
Au sein d’une population guyanaise plus exposée que la moyenne nationale aux difficultés économiques et sociales, la situation de ces peuples « est critique, avec l’orpaillage illégal qui génère une alarmante intoxication au plomb et au mercure, des taux de suicide et d’échec scolaire très élevés, des langues en danger, des jeunes pleinement touchés par le chômage, l’alcool et la drogue ([78]) ».
Enfin, s’ajoute à cela une progressive prise de conscience de la réalité des « homes indiens » de Guyane, portée notamment par les travaux du juriste Alexis Tiouka et par un ouvrage publié en 2022 ([79]). Ces pensionnats gérés par l’église catholique avec le soutien de l’État, ont accueilli, principalement entre la fin des années 1940 et les années 1980, des enfants autochtones âgés de 4 à 16 ans. Ce sont parfois les gendarmes qui venaient chercher de force les enfants pour les y emmener. Ces derniers devaient y oublier leur culture et leur langue, dans une logique violente d’assimilation forcée. À l’issue d’une investigation menée par l’Institut Francophone pour la Justice et la Démocratie-Institut Louis-Joinet, un large appel à la mise en place d’une commission « vérité et réconciliation » destinée à « établir la vérité sur les pensionnats indiens de Guyane » a été récemment publié.
Le préambule du projet d’évolution statutaire, dans la version du 25 mars 2023, évoque, lui aussi ces réalités difficiles : « le choc de la colonisation a conduit à la déstructuration de l’ordre social et politique des peuples autochtones. Ceux-ci ont été dépossédés par les Européens de la plus grande partie de leurs terres. Leur culture et leur identité ont été dévaluées, et niées. Il convient de reconnaître, de réparer les erreurs du passé et de faire mémoire de cette période douloureuse. »
2. Pour les Amérindiens, le processus d’évolution statutaire est une opportunité de se faire entendre
Les rapporteurs ont rencontré Christophe Yanuwana Pierre et Aulaguéa Thérèse. Le second a succédé au premier au Grand conseil coutumier, au titre de la Fédération des organisations autochtones de Guyane (FOAG). Christophe Yanuwana Pierre est en outre le cofondateur et le porte‑parole du mouvement « Jeunesse autochtone de Guyane ».
Ceux‑ci insistent sur le fait que la question dépasse le seul cadre statutaire : elle se rapporte aux racines de leurs peuples, où la gestion des terres et de leurs ressources, le mode de vie, les langues, la spiritualité diffèrent des normes occidentales. Ce sont ces particularités qui rendent nécessaire, poursuivent‑ils, la mise en place d’une nouvelle forme de gouvernance, leur permettant d’accéder à l’autodétermination. Cette volonté s’inscrit dans une démarche structurée d’émancipation, pour « sortir de l’invisibilité ». Là où les élus parlent d’adaptation des normes aux réalités guyanaises ou de questions économiques et fiscales, « les autochtones parlent de droits humains ».
Les auditionnés rappellent également l’engagement de « rétrocession » de 400 000 hectares de terres contenus dans l’Accord de Guyane. Ils évoquent aussi la mémoire douloureuse des « home indiens ».
Après avoir tenté de porter leurs revendications auprès de l’État et des Nations Unies, les représentants des peuples amérindiens se sont heurtés à l’obstacle de l’inconstitutionnalité de la reconnaissance des peuples autochtones. Ils constatent également que leur minorité numérique ne leur confère qu’un faible poids politique. Ils ont donc fait le choix de se saisir du processus d’évolution statutaire pour faire aboutir leurs demandes dans le cadre de discussions menées à l’échelle de la Guyane.
Ainsi, pour les Amérindiens, les demandes exprimées dans le cadre du processus d’évolution dépassent largement les seules questions institutionnelles pour revêtir une dimension presque existentielle. C’est pour cela, expliquent les deux représentants auditionnés, qu’ils ont – tout comme les Bushinenges – refusé le projet initial d’instance représentative.
C. Dans l’avant-projet, le Sénat coutumier remplace le Grand conseil coutumier
Le projet refusé par les deux peuples autochtones s’inspire très largement de l’institution déjà existante, en transformant le Grand conseil coutumier en Sénat coutumier, reprenant une dénomination consacrée en Nouvelle-Calédonie.
Cet organisme délibère sur les projets ou propositions de lois du pays touchant aux affaires coutumières – régime des terres coutumières, modalités d’élection au Sénat coutumier – et sur les projets ou propositions de délibérations intéressant l’identité des populations amérindiennes et bushinenges. Lorsque le Sénat coutumier n’adopte pas le texte qui lui est soumis dans les mêmes termes que l’Assemblée, cette dernière peut statuer définitivement : les avis du Sénat coutumier ne sont donc pas des avis conformes. Cette instance ne détient pas de « droit de veto ».
D. Le congrès des élus amende le projet pour tenir compte des demandes, divergentes, des deux communautés
Aucune des deux communautés n’a validé le projet de Sénat coutumier.
1. Pour les Bushinenges : améliorer le projet de Sénat coutumier
Les discussions ont abouti d’abord à un texte relatif à la représentation des populations bushinenge. Cette résolution, issue de longues négociations entre les élus et les chefs bushinenges – capitaines et Gran Man –, a été examinée le 2 décembre 2023 par le congrès des élus.
Cette résolution maintient le principe d’une instance représentative sous la forme d’un Sénat coutumier exclusivement consultatif, dépourvue de la faculté de s’opposer aux décisions des instances de la future collectivité. C’est le cas y compris en ce qui concerne les sites sacrés, dont le caractère inaliénable et incessible devra être garanti.
L’examen du texte a suscité de nombreux débats, notamment au sujet de l’importance relative des différents peuples bushinenge, en particulier du peuple aluku/boni, dont le Gran Man réside sur la rive française du Maroni.
La résolution était en effet ainsi rédigée : « On entend par Bushinengue, d’une part, les Aluku-Boni dans leur intégralité, car ils ont choisi d’habiter en Guyane française depuis la période du marronnage (1776). D’autre part, cette désignation intègre les expatriés Dyuka, Pamaka et Saamaka, de nationalité surinamienne, dont leurs enfants sont devenus français par le droit du sol. » ([80])
Le texte a été adopté sans modification, à l’exception du retrait de la désignation des autres peuples bushinenges comme « expatriés ». De nombreux élus avaient en effet exprimé leur opposition à une telle distinction, contraire à l’esprit d’unité dans lequel doit être mené, selon eux, le projet d’évolution statutaire.
2. Pour les Amérindiens : créer une Assemblée des hautes autorités autochtones aux avis contraignants
La question de la représentation des six peuples amérindiens de Guyane – Teko, Wayana, Wayapi, Paykweneh, Arawaka Lokono et Kali’na – restait donc le dernier point en suspens du projet d’évolution statutaire de la Guyane. Prenant acte du refus du modèle du Sénat coutumier, les membres du comité de pilotage ont en effet dû entamer de nouvelles discussions avec les quarante‑cinq chefs coutumiers.
Ces discussions se sont avérées complexes, notamment car les termes employés – autochtone, peuple premier – touchent autant à l’identité des peuples amérindiens qu’au projet de société que dessine l’évolution statutaire pour l’ensemble des habitants de la Guyane.
Celles‑ci ont abouti à la rédaction d’un projet de résolution présenté au congrès des élus, le 13 avril 2024 et adopté sans modification. ([81])
Le préambule de cette résolution reconnaît les peuples autochtones de Guyane et énumère plusieurs éléments de définition de l’autochtonie. Si le terme de « peuple premier » n’y est pas strictement employé, les Amérindiens y sont désignés comme « les premiers habitants du territoire de la Guyane ».
Ce texte affirme par ailleurs la volonté des peuples amérindiens de voir leurs terres autochtones délimitées, afin qu’elles soient déclarées « inaliénables, insaisissables, incommutables et incessibles », ne pouvant être « vendues, démembrées, ni hypothéquées ». Ces peuples auraient la « gestion exclusive » de ces terres, exerçant ainsi sur elle une forme de souveraineté qui se substituerait, dans une certaine mesure, à celle de la future collectivité.
Toute modification du texte de cette résolution a été refusée par les représentants amérindiens. Cette résolution n’a été adoptée qu’avec 30 voix pour, 27 contre et 5 abstentions : cette courte majorité reflète les nombreux débats qui ont accompagné les discussions portant sur ce sujet.
En effet, contrairement au projet initial de Sénat coutumier et au modèle retenu pour la représentation des peuples bushinenge, cette résolution entérine la création d’une « autorité publique indépendante » dénommée « Assemblée des Hautes Autorités Autochtones de Guyane » (AHAAG). Celle‑ci émettrait, sur les lois Peyi entrant dans son champ de compétence, des avis conformes. Elle disposerait donc d’une forme de « droit de veto », qui lui permettrait de s’opposer définitivement aux décisions du gouvernement et de l’assemblée de la nouvelle collectivité, y compris en choisissant de s’en saisir.
Les désaccords se sont également manifestés à travers plusieurs propositions d’amendement :
– le premier vice‑président de la CTG Jean‑Paul Fereira, proposait de préciser la définition des terres autochtones et de définir dans quel cadre l’avis conforme pourrait intervenir ;
– maître Patrick Lingibé proposait de substituer à la notion d’« avis conforme » la notion d’ « avis obligatoire et conforme dans certains cas ».
E. Une inquiétude sur la légalité du dispositif
1. Des réserves juridiques sur le modèle retenu
Certains élus regrettent le principe même d’une représentation distincte de ces deux populations, qu’ils voient comme l’échec de la construction d’un nouveau « modèle guyanais » original dont les institutions permettraient à l’ensemble de la population, toutes origines confondues, de dialoguer et d’échanger.
L’adoption à une faible majorité de la résolution relative à la représentation des Amérindiens souligne en effet l’absence de consensus au sein du congrès des élus sur ce sujet pourtant sensible.
Comme le souligne le CESECEG, cette résolution reflète en effet la rencontre de deux logiques, deux visions du monde, deux raisonnements tout à fait opposés : patrimonial, culturel, spirituel et identitaire pour les Amérindiens, juridique pour les autres.
Pour Rodolphe Alexandre, cette « subordination » créée par la résolution est une fracture entre les communautés guyanaises. Il y a aussi, par exemple, une identité créole, qu’il ne faut pas oublier.
De nombreux élus soulignent en outre la fragilité juridique des futurs avis conformes de l’AHAAG, susceptible de décrédibiliser les échanges à venir avec le gouvernement sur le projet d’évolution statutaire.
Rodolphe Alexandre considère par exemple que « l’avis conforme ne peut pas tenir car juridiquement ce n’est pas faisable. Tout ce qui est écrit dans la résolution est illégal. L’assemblée mise en place pour les autorités autochtones pourra déjuger les lois peyi édictées par l’autorité majeure. Il y a un problème. Ce document sera irrecevable à Paris, il va terminer dans les poubelles des ministères qui vont rire de notre absence d’intelligence dans la stratégie politique. Il en va de notre crédibilité. » ([82])
Le CESECEG estime également cette architecture fragile juridiquement, et estime que la loi organique devra résoudre ce problème. Il souligne que cette résolution donne à l’AHAAG, dans les futures institutions, un poids supérieur à l’instance qu’ils représentent, dont les avis restent consultatifs.
Plusieurs interlocuteurs rencontrés par les rapporteurs s’inquiètent, en outre, des conséquences de la différence de portée juridique des décisions des instances représentant les Bushinenges d’une part et les Amérindiens d’autre part. Le CESECEG alerte ainsi sur les éventuelles dissensions que cette différence pourrait engendrer.
Les capitaines bushinenges eux‑mêmes ont exprimé, dans un courrier adressé au président de la CTG, leur colère de constater « que ce qui était impossible pour les Bushinenges l’est naturellement pour les Amérindiens », ce qu’ils interprètent comme l’introduction d’« une hiérarchie entre les deux groupes socioculturels de la Guyane dénotant, de façon flagrante, une pure discrimination entre Amérindiens et Bushinenges ». ([83])
2. Une réponse globale des représentants amérindiens
Auditionné par les rapporteurs, Christophe Yanuwana Pierre est le représentant ayant défendu la résolution en question et porté les revendications des peuples amérindiens lors du congrès des élus du 13 avril.
Pour Christophe Yanuwana Pierre et Aulaguéa Thérèse, comme ils l’ont indiqué aux rapporteurs, cette résolution signe « la fin du débat sur ce que sont les peuples autochtones » : ils y sont nommés, pour se définir par rapport à la terre « où les anciens sont enterrés », par rapport à leurs traditions, et par rapport aux autres. La résolution esquisse la reconnaissance d’un droit collectif à leurs terres, inaliénables, sans impôt, sans retour en arrière, sur lesquelles seuls les peuples décident.
Les auditionnés ont conscience que la reconnaissance d’un pouvoir d’avis conforme effraie, car, disent‑ils, « avoir le droit de dire “non”, donne aux Guyanais la peur que nous disions “non” », ce qui ne sera pas nécessairement le cas. Néanmoins, poursuivent‑ils, les Amérindiens ont besoin d’avoir ce « non » : alors que les instances de la nouvelle collectivité possèderont certaines compétences législatives, cet avis conforme, limité aux décisions relatives à leurs terres, et dont les modalités seront définies dans la loi organique, est nécessaire, car « le fait d’être minoritaires fait dépendre notre accès à la parole de la bonne volonté de la majorité ». La délimitation des terres concernées, qu’il faut cesser de voir comme « de simples ressources à exploiter », est donc elle aussi nécessaire.
Les auditionnés concluent en déclarant : « Ce n’est pas une démarche contre la France, mais une démarche d’autodétermination pour aller mieux sur nos terres. »
V. Les évolutions depuis le passage de la mission en avril 2024
Les délibérations adoptées en mai 2024 ont semblé apaiser les esprits. Toutefois, les élections chaotiques du Grand conseil coutumier qui ont eu lieu en septembre pourraient ralentir processus.
A. Des délibérations partiellement amendées lors de la réunion de l’assemblée de Guyane du 30 mai 2024
Prenant acte de ces dissensions, l’assemblée de Guyane, lors de sa réunion plénière du 30 mai 2024, a apporté plusieurs modifications aux résolutions relatives à la représentation des peuples amérindiens et bushinenge. Elles sont le résultat de négociations avec les représentants de l’ensemble des peuples autochtones.
La nature des avis de la future AHAAG a notamment été modifiée : si la saisine de cette instance serait obligatoire, les avis qu’elle rendrait ne seraient plus conformes.
Si le point qui cristallisait les oppositions semble donc levé, certains élus dénoncent néanmoins la méthode, consistant à revenir devant l’Assemblée sur des décisions du Congrès des élus, compétents en matière d’évolution institutionnelle. Les membres de l’Assemblée siègent tous au Congrès des élus, mais d’autres élus qui y ont les mêmes prérogatives mais n’ont pas pu se prononcer sur cette nouvelle rédaction y siègent également. Cette procédure, qui consiste donc d’une certaine façon à faire modifier les décisions du Congrès par une partie seulement de ses membres, a été préférée par Gabriel Serville à celle de la convocation d’un nouveau Congrès. L’Assemblée de Guyane a en effet pour rôle de délibérer sur les propositions du Congrès des élus qui lui sont transmises ([84]).
Cette décision marque le dernier acte du projet d’orientation, désormais finalisé.
Le mercredi 10 juillet, une commission spéciale institutionnelle, chargée du suivi et des négociations à venir avec le gouvernement, concernant l’évolution institutionnelle de la Guyane, a été installée.
B. À l’automne 2024, une élection chaotique à la tête du grand conseil coutumier
2024 voit s’achever le premier mandat de la présidence du Grand Conseil Coutumier (GCC), marquant une étape importante dans l’histoire récente de cette institution. Conformément au statut de cette institution, de nouvelles élections ont été organisées, le 28 septembre 2024, pour élire un nouveau président et son bureau.
La tradition étant celle d’une présidence tournante entre les deux communautés, et l’ancien président du GCC étant un chef bushinenge, son successeur devait, selon l’accord coutumier, provenir d’une communauté amérindienne. Comme cela se fait habituellement, les deux communautés ont donc conclu des accords coutumiers pour désigner leurs candidats respectifs. Ainsi, dès avril 2024, les représentants amérindiens avaient choisi, à l’unanimité, Éric Louis, qui devait donc être le seul candidat à la présidence du GCC ([85]) .
Cependant, le 28 septembre, Sylvio Van der Pijl, un chef lokono amérindien, s’est présenté contre Éric Louis, remettant en cause l’accord coutumier. À la surprise générale, Éric Louis a été battu par 13 voix contre 5.
En réaction, la majorité des chefs amérindiens ont dénoncé une violation des accords coutumiers, Sylvio Van der Pijl étant accusé d’avoir trahi la parole donnée. Selon Éric Louis, « cette élection révèle les divisions internes. Deux nations, les Palikur et les Lokono, nous ont trahis. Le choix des deux collèges n’a pas été respecté. » ([86])
Les chefs bushinenges ont également été critiqués par les Amérindiens pour avoir agi, selon eux, contre la volonté majoritaire du collège autochtone.
Au-delà de ces déclarations, c’est l’avenir du GCC qui suscite des interrogations, après cet épisode qui révèle à nouveau des divergences entre Bushinenges et Amérindiens. Éric Louis soutient désormais, avant même l’adoption d’une réforme statutaire, la création de deux instances distinctes, l’une pour les Amérindiens l’autre pour les Bushinenges, car ces deux peuples n’auraient, selon lui, « ni les mêmes orientations, ni la même vision, ni la même histoire ». Par ailleurs, la légitimité et l’existence même du GCC sont remises en question après les démissions successives de trois représentants amérindiens : la représentante des Kali’na, le 3 octobre, suivie, quatre jours plus tard, par les représentants de la Fédération Lokono et de la Fédération des organisations autochtones de Guyane ([87]).
C. Un projet auquel l’État doit désormais répondre
Le projet d’évolution statutaire finalisé est donc désormais prêt à être transmis à l’État. Néanmoins, des doutes se font jour sur la disposition du gouvernement à considérer ce document comme une base de travail.
1. Les réserves exprimées par le président de la République
En visite en Guyane en mars 2024, le président de la République Emmanuel Macron, quelques jours après la conclusion d’un accord avec les élus corses, s’est exprimé sur l’évolution statutaire de ce territoire. Il a en effet déclaré :
« La Guyane est déjà dans un cadre constitutionnel : l’article 73 qui donne la possibilité, quand les élus le demandent, d’adapter la règle nationale. Cela fait 20 ans que ce cadre existe. Combien de fois les élus l’ont demandé ? 0 fois. Dans les deux mois, faisons la liste de tout ce qu’on peut adapter sans changer la Constitution pour avoir des règles [...] Ensuite, on se donne quatre mois, on regarde ensemble sur quoi les règles existantes dans la Constitution ne permettent pas de répondre au projet qu’on porte. Et à ce moment-là, s’il y a un projet qui suppose une réforme de la Constitution, moi j’y suis tout à fait prêt [...] Si c’est porté par les Guyanais, si on considère que ça répond à ce dont on a besoin, je serai à vos côtés pour le présenter au Congrès. »
Le chef de l’État, dans la nuit du 25 au 26 mars 2024, a évoqué trois lignes rouges : le maintien des compétences régaliennes dans les mains de l’État, la nécessité de consulter la population, et l’unanimité des forces politiques sur le projet proposé.
Réagissant à cette forme de temporisation intervenant avant même la finalisation du projet d’évolution statutaire, Gabriel Serville, exprimait son mécontentement auprès des rapporteurs : « Les Guyanais ne peuvent pas comprendre qu’on dise oui à la Corse et non à la Guyane, même si l’idée n’est pas d’obtenir la même chose : nous demandons la même forme, pas le même fond. » Gabriel Serville évoque un « sentiment de manque de respect et d’infantilisation à l’égard de la Guyane, qui ne serait pas assez mature ou mûre ». Il ne souhaite pas, néanmoins, que la Corse et la Guyane fassent l’objet d’un même projet de loi, notamment par crainte du rejet par le Parlement de l’évolution statutaire de la Corse.
L’article 73, selon lui, « ne suffit pas à résoudre les problèmes des territoires ». Il souligne en particulier l’inadaptation et la complexité des procédures d’habilitation de l’article 73. Plusieurs demandes ont néanmoins été formulées (cf. supra).
2. Des doutes sur la poursuite du processus
Le CESECEG souligne lui aussi que la déclaration du président de la République « n’a pas arrangé les choses, car elle ramenait dans l’article 73 » qui ne fonctionne pas, notamment en ce qui concerne les habilitations. Les déclarations du président de la République peuvent par ailleurs être comprises comme une demande de tenter, après avoir exploré l’intégralité du champ du 73, de transformer la Guyane en COM de l’article 74, proposition défendue également par le sénateur Georges Patient lors de la réunion du congrès du 13 avril 2024. Le CESECEG estime néanmoins que le sénateur Patient « aurait pu s’y prendre plus tôt » que le jour de la dernière résolution, car sa parole est écoutée et donc convaincante.
Le président Serville rejette ces options, qui iraient à rebours du choix de l’Assemblée de Guyane et du Congrès des élus. Rodolphe Alexandre indique en outre que la situation économique du territoire n’est pas suffisamment bonne pour permettre une transformation de la Guyane en COM relevant de l’article 74.
Le délai de quatre mois fixé par le président de la République expirera bientôt, et il sera alors difficile de définir, entre le projet guyanais et la démarche du président Macron, quelle sera la base des négociations, voire si celles‑ci pourront se tenir.
La démarche de « co‑construction avec l’État », inscrite dans l’avant‑projet du document d’orientation, pourrait permettre à celui‑ci d’accompagner les Guyanais dans leur démarche d’évolution statutaire. Les prochaines étapes seraient alors celles de l’examen de la faisabilité juridique des dispositions de ce projet et de leur traduction, sous réserve de l’accord des Guyanais consultés à cette fin, en projets de lois présentés au Parlement.
Rencontré par les rapporteurs le 16 avril 2024, le préfet de Guyane, Antoine Poussier, n’avait à cette date reçu aucune instruction sur la poursuite du processus institutionnel de la collectivité.
Recommandation : demander au gouvernement de relancer le processus de discussions de manière à faire aboutir l’évolution institutionnelle en Guyane.
Deuxième partie : la Martinique
I. Un territoire qui perd sa population
Si la Martinique est marquée par de nombreuses difficulté, la diminution de sa population est probablement la plus inquiétante. Territoire le plus jeune de France en 1946, la Martinique est devenue l’un des plus âgés, en raison notamment de sa difficulté à retenir sa jeunesse.
A. Une île marquée par de nombreuses difficultés
1. Une dépression démographique inquiétante
À 6 900 km² de Paris, l’île antillaise de la Martinique se situe au nord de l’île-État de Sainte-Lucie. Plus au nord, se trouvent la Dominique, autre État indépendant, puis, à 200 km, la Guadeloupe. Plus petite que l’archipel de Guadeloupe, la Martinique occupe une superficie de 1 128 km², soit environ dix fois Paris, ce qui en fait l’un des plus petits départements français. Sa longueur est d’environ 60 km, et sa largeur de 30. Département accidenté, la Martinique abrite, au nord la Montagne pelée, volcan actif, et les Pitons du Carbet, inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis le 16 septembre 2023.
Au 1er janvier 2021, lors du dernier recensement, la population martiniquaise était de 360 749 habitants ([88]) ; s’il s’agissait d’une commune, elle serait un peu plus peuplée que la ville de Nice (348 085 habitants). L’agglomération de Fort‑de‑France, qui comprend aussi Schœlcher et Le Lamentin, regroupe près de 134 000 habitants, soit plus d’un tiers des habitants de l’île.
En 2022, 27,4 % ([89]) de la population vivait sous le seuil de pauvreté, contre 14,5 % dans l’hexagone ([90]). La vie en Martinique était 14 % plus chère qu’en France métropolitaine, cet écart de prix atteignant 40 % pour les produits alimentaires et 37 % pour les services de communication.
Au 1er janvier 2024, la population martiniquaise était estimée à 349 900 habitants, soit 3 500 habitants de moins qu’en 2023. La diminution de la population y est en moyenne de 0,9 % par an. L’île a perdu 34 000 habitants depuis 2014, « soit l’équivalent des communes de Schœlcher et de Sainte‑Marie réunies ». Cette déprise démographique, qui résulte d’un faible taux de natalité et d’un solde migratoire négatif, fait désormais de la Martinique « la région la plus âgée de France » ([91]). Ce phénomène est aggravé par celui de « fuite des forces vives », notamment de jeunes partant étudier dans l’hexagone, et qu’il est ensuite difficile de faire revenir.
2. Des défis environnementaux et économiques
En matière environnementale, la Martinique, riche de biodiversité, demeure néanmoins exposée à de nombreux risques naturels. Si les problèmes d’approvisionnement en eau y sont moins prononcés qu’en Guadeloupe, des restrictions doivent parfois être mises en place lors de la saison sèche.
La dépendance aux importations, principalement en provenance de l’hexagone, y demeure élevée. Le développement d’une économie endogène, notamment pour accroître l’autonomie alimentaire, y rencontre de nombreux freins : faible disponibilité du foncier, contamination au chlordécone, etc. Pour de nombreux interlocuteurs, un redéploiement des financements alloués à l’agriculture, majoritairement attribués aux filières canne et banane, est nécessaire.
Néanmoins, la Martinique possède un produit intérieur brut bien supérieur à ceux des pays environnants : en 2022, il s’établit à 27 089 euros par habitant de l’île ([92]). Disposant de certains équipements de pointe, tel le cyclotron ([93]) qu’accueille le CHU, elle pourrait et devrait bénéficier, par une meilleure insertion dans son bassin géographique, d’un rayonnement régional utile à son développement.
La Martinique dans les organisations régionales
Entourée d’États souverains ou largement autonomes, la Martinique participe à plusieurs organisations internationales destinées à favoriser les échanges au sein de son bassin régional. Elle est ainsi :
– membre associé de l’Association des États de la Caraïbe (AEC) depuis 2014 ;
– membre associé de l’Organisation des États de la Caraïbe orientale (OECO) depuis 2016.
En mars 2023, Serge Letchimy, président du conseil exécutif de la Collectivité territoriale de Martinique, a exprimé le souhait de la Martinique d’adhérer, en tant que membre associé, à la Communauté caribéenne (CARICOM), « organisation supranationale plus vaste et plus intégrée » ([94]) en matière économique. Cette candidature a été acceptée le 5 juillet 2023.
B. La recherche, encore inaboutie, d’un statut consensuel
1. Une vie politique marquée par la personnalité d’Aimé Césaire
Premiers Européens à débarquer sur l’île de la Martinique au début du XVIème siècle, les Espagnols n’en prennent pas possession. Ce n’est qu’en 1635 que l’île devient colonie française, d’abord administrée par la Compagnie des îles d’Amérique, puis placée directement sous l’autorité du Roi en 1674. Épisodiquement contrôlée par les Britanniques entre 1794 et 1802, puis entre 1809 et 1814, la Martinique demeure un territoire français depuis lors. L’abolition de l’esclavage en 1848 ouvre le débat sur l’avenir institutionnel du territoire. De premières voix se font entendre pour réclamer la fin du statut de colonie et l’assimilation de l’île à la métropole.
La fin de la Seconde Guerre mondiale inaugure un contexte favorable à ces revendications qui sont portées, dès 1946, à l’Assemblée constituante par Aimé Césaire. Élu député de la Martinique puis maire de Fort-de-France – mandats qu’il conservera, respectivement, jusqu’en 1993 et 2001– le jeune élu devient une figure dominante de la vie politique martiniquaise pendant toute la seconde moitié du XXème siècle.
Membre du Parti communiste, premier parti en Martinique après la Seconde Guerre mondiale, il milite ardemment pour la départementalisation. Il s’agit pour lui du meilleur moyen d’obtenir l’amélioration des conditions de vie des Martiniquais, dans un contexte où les inégalités de richesse entre « les Békés, ou Blancs créoles, [qui] descendent des premiers colons » ([95]) et le reste de la population martiniquaise sont très marquées. Aimé Césaire est ainsi rapporteur de la loi de départementalisation du 19 mars 1946 qui fait de la Martinique un département français.
Or, une décennie après son adoption, force est de constater que cette loi n’a pas permis d’atteindre l’égalité avec l’hexagone. Les élus communistes, parmi lesquels Aimé Césaire, déplorent que la départementalisation n’ait fait que renforcer les inégalités. Ils militent pour accroître l’autonomie locale, notamment par la création de conseils de gouvernement élus au suffrage universel direct. Après son départ du Parti communiste en 1956, Aimé Césaire critique ouvertement le statut départemental et démissionne de la mairie de Fort‑de‑France. Sa réélection triomphale témoigne de l’approbation, par les électeurs, de cette ligne politique, entraînant la création du Parti progressiste martiniquais (PPM) en 1958.
2. Des troubles qui marquent les débuts de la Cinquième République
Alors qu’un relatif consensus en faveur d’un dépassement du statut départemental semble émerger en Martinique, le retour de Charles de Gaulle au pouvoir, en 1958, vient nourrir les aspirations des autonomistes. Aimé Césaire plaide pour la transformation de la Martinique en région dans le cadre d’une République fédérée, sur le modèle de ce qui est proposé aux territoires d’outre‑mer (TOM). Si le général de Gaulle lui oppose une fin de non-recevoir, Aimé Césaire parvient néanmoins à recueillir l’adhésion du PPM au projet de nouvelle Constitution en promettant la possibilité de faire évoluer ultérieurement les statuts des départements d’outre-mer (DOM).
Au début des années soixante, le mouvement international de décolonisation trouve un écho important en Martinique, qui traverse une série d’incidents ravivant les tensions sociales historiques. Redoutant la montée d’un discours indépendantiste en Martinique, l’État opte pour une réponse sécuritaire en renforçant le maintien de l’ordre afin de contenir les mouvements sociaux.
Dans la nuit du 20 décembre 1959, un accident de la circulation sans gravité, impliquant un docker martiniquais et un chauffeur « métropolitain », provoque un attroupement rapidement dispersé par les CRS. Jugée excessive et violente, cette intervention suscite la colère de jeunes issus des quartiers populaires de Fort-de-France. Spontanément, des groupes se forment pour occuper l’espace public et des débordements sont observés. Face à des émeutiers de plus en plus nombreux, mieux organisés et armés notamment de cocktails Molotov, les forces de l’ordre présentes sur l’île sont débordées. Le bilan de ces trois jours d’émeutes est lourd : quatre morts, dont trois jeunes Martiniquais et un gendarme ([96]).
En mars 1961, alors que l’île est secouée par différents mouvements sociaux consécutifs à l’augmentation du coût de la vie, une fusillade est déclenchée par deux gendarmes à la sortie de la messe de l’église du Lamentin. Trois jeunes martiniquais y trouvent la mort.
3. L’émergence d’un mouvement indépendantiste
Dans la nuit du 23 au 24 décembre 1962, l’organisation de la jeunesse anticolonialiste de la Martinique (OJAM) placarde sur les murs des bâtiments publics de l’île une affiche portant le slogan « La Martinique aux Martiniquais », en commémoration des émeutes de 1959.
Ces évènements conduisent le PPM à soutenir officiellement le concept d’autonomie en 1967 avec la Déclaration de Rivière Blanche. Quatre ans plus tard, le parti de Césaire participe, aux côtés du Parti communiste martiniquais, à la Convention du Morne-Rouge, affirmant la faillite de la départementalisation et posant la nécessité d’une autonomie politique pour la Martinique.
L’impasse politique dans laquelle se trouve la Martinique à la suite des succès limités des mouvements autonomistes, entraîne un report des électeurs vers des partis défendant l’alignement sur les autres départements français.
En parallèle, néanmoins, les premiers partis indépendantistes font leur apparition avec la création du Mouvement national pour la libération de la Martinique en 1968. Plusieurs mouvements prônant l’indépendance s’inscrivent dans son sillage, jusqu’à la fondation du Mouvement indépendantiste martiniquais (MIM) par Alfred Marie-Jeanne en 1978.
4. La décentralisation des années 1980
À l’élection présidentielle de 1981, les Martiniquais votent très largement en faveur de Valéry Giscard d’Estaing. Le mauvais score local de François Mitterrand, pourtant largement élu au niveau national, est interprété comme un désaveu des autonomistes. Aimé Césaire tire les conséquences de ces résultats en décrétant un moratoire sur la question des évolutions statutaires. Il souhaite laisser sa chance au gouvernement socialiste nouvellement nommé et à son programme de décentralisation, porté par le ministre Gaston Defferre, tout en mettant la priorité sur la question du développement économique de l’île.
La transformation de la Martinique en région monodépartementale en 1982 peine toutefois à convaincre les militants autonomistes. Déçus par les lois de décentralisation qui, selon eux, ne vont pas assez loin, beaucoup d’entre eux rejoignent les mouvements indépendantistes. Tout au long des années quatre-vingt, ces derniers vont mener une série d’actions virulentes contre les symboles de l’État.
Dans les années quatre-vingt-dix, les autonomistes changent finalement de stratégie pour mener la lutte dans les urnes. Ils remportent ainsi plusieurs succès électoraux, notamment avec l’élection d’Alfred Marie-Jeanne à la députation en 1997 puis un an plus tard à la tête du conseil régional. En 1999, ce dernier signe avec Antoine Karam, président du conseil régional de la Guyane et Lucette Michaux-Chevry, présidente du conseil régional de la Guadeloupe, la déclaration de Basse-Terre, réclamant le statut de région autonome pour les trois collectivités.
II. La Collectivité territoriale de Martinique : une institution originale
Après de nombreuses consultations, la Martinique a clairement fait le choix de demeurer un département et région d’outre‑mer (DROM) au sens de l’article 73 de la Constitution.
Si la Martinique, comme la Guyane mais contrairement à la Guadeloupe, s’est saisie de la faculté constitutionnelle de fusionner ses instances en une collectivité territoriale unique, le bilan de cette évolution est en demi-teinte.
A. Une collectivité territoriale unique bicéphale
La spécificité des institutions martiniquaises réside dans l’adoption du « modèle corse » bicéphale (cf. supra), sans sortir néanmoins du cadre de l’article 73 de la Constitution.
1. Le refus de faire de la Martinique une COM au sens de l’article 74 de la Constitution
Au cours de la première consultation postérieure à la révision constitutionnelle de 2003, les martiniquais rejettent, le 7 décembre 2003, la création d’une collectivité territoriale unique. Ils l’acceptent sept ans plus tard, le 24 janvier 2010, après avoir refusé deux semaines auparavant, le 10 janvier, de faire de la Martinique une collectivité d’outre-mer (COM) au sens de l’article 74 de la Constitution.
La sénatrice Catherine Conconne regrette néanmoins le caractère simpliste de la consultation du 10 janvier, qui ne proposait qu’une alternative binaire entre le maintien du statut de DROM relevant de l’article 73 de la Constitution la transformation en COM relevant de l’article 74, sans plus de précisions quant à ce qu’aurait été le modèle de cette future COM si le « oui » l’avait emporté ([97]).
2. Une séparation entre l’assemblée et l’exécutif inspirée du statut de la Corse
Prenant acte des résultats de cette consultation, la loi du 27 juillet 2011 ([98]) crée donc la Collectivité territoriale de Martinique (CTM), donc l’organisation est régie par le livre II de la septième partie du code général des collectivités territoriales ([99]). Ses instances sont mises en place lors de la première réunion de l’Assemblée de Martinique, le 18 décembre 2015, à la suite de l’élection de ses membres le 13 décembre.
L’instance délibérante en est l’assemblée de Martinique, composée de cinquante et un membres, les conseillers à l’Assemblée de Martinique ([100]), élus, par les martiniquais, pour six ans « au scrutin de liste proportionnelle à deux tours, avec une prime majoritaire et une répartition des sièges par section électorale » ([101]). L’assemblée élit ensuite son président ; il s’agit actuellement de Lucien Saliber.
Les conseillers de Martinique élisent également, parmi eux, au scrutin majoritaire de liste, le conseil exécutif de Martinique. Composé de neuf membres, ce conseil « dirige l’action de la collectivité territoriale de Martinique » ([102]). Il a priorité sur la fixation de l’ordre du jour de l’assemblée. Les fonctions de membre du conseil exécutif sont incompatibles avec celles de membre de l’assemblée : les conseillers exécutifs élus quittent donc leurs mandats de conseiller de Martinique et sont remplacés par les suivants de liste.
Le candidat placé en tête de la liste élue au conseil exécutif en devient président ; il s’agit actuellement de l’ancien député et président du conseil régional de Martinique Serge Letchimy.
Les institutions martiniquaises comprennent, enfin, un conseil économique, social, environnemental, de la culture et de l’éducation (CÉSECÉM).
Enfin, comme en Guyane, la Martinique dispose d’un congrès des élus, qui peut être saisi par l’assemblée « de toute proposition d’évolution institutionnelle et de toute proposition relative à de nouveaux transferts de compétences de l’État vers la collectivité territoriale » ([103]).
Contrairement à la Collectivité territoriale de Guyane, qui est monocéphale, la CTM est donc bicéphale, avec un président du conseil exécutif distinct du président de l’assemblée. Comme le relève le rapport du Sénat portant sur la loi du 27 juillet 2011 ([104]), ce schéma s’inspire très nettement de celui conçu, en 1991, pour la collectivité territoriale de Corse, devenue collectivité de Corse. Toutefois, contrairement à l’assemblée de Corse, l’assemblée de Martinique ne comporte pas de commission permanente.
Le professeur de sciences politiques Justin Daniel souligne que le choix d’une collectivité certes unique mais bicéphale « est le fruit d’une volonté exprimée de manière récurrente par les élus de l’ex-conseil général et de l’ex-conseil régional siégeant en congrès, dont plusieurs […] ont participé, en leur qualité de parlementaires, à l’adoption de la loi du 27 juillet 2011 » ([105]).
Enfin, si l’assemblée de Martinique peut, à la majorité des trois cinquièmes de ses membres, renverser le conseil exécutif, elle ne peut le faire que sous la forme d’une motion de défiance « constructive », c’est-à-dire en indiquant « les noms des candidats aux fonctions de président et de conseiller exécutif de Martinique appelés à exercer les fonctions prévues au présent titre en cas d’adoption de la motion de défiance » ([106]).
3. Un statut qui a mis fin à certaines aberrations
Ancien président du conseil général de Martinique, Claude Lise a évoqué auprès des rapporteurs, en matière de transports, l’exemple de la conception du réseau de transport collectif en site propre (TCSP). Un désaccord sur le projet entre les anciens conseils général et régional ouvrait le risque d’un retrait du financement européen : pour le résoudre, un syndicat mixte fut créé, qui a, dans un second temps, fait du Conseil régional de Martinique le maître d’ouvrage délégué du projet. Cette « coquille vide » est ainsi venue s’ajouter à un nombre déjà très élevé – il y en eut jusqu’à seize – d’autorités organisatrices de transports en Martinique.
Pour mettre fin à cette situation, l’ancien conseil régional de Martinique a dû demander et obtenir une habilitation ([107]), qui lui a permis d’adopter une délibération créant une autorité organisatrice de transports unique compétente sur un périmètre unique de transports ([108]).
B. Des institutions dont les dysfonctionnements sont dénoncés
Des personnalités issues du monde politique comme de la société civile soulignent un certain nombre de problèmes, voire d’anomalies, dans le fonctionnement de la CTM.
1. Un manque d’anticipation dès la mise en place de la collectivité unique
La CTM a donc succédé au département et à la région de Martinique en janvier 2016, plaçant Alfred Marie‑Jeanne à la tête de son conseil exécutif. Serge Letchimy lui succéda en juillet 2021.
Dès mai 2016 toutefois, le professeur Justin Daniel, président du CÉSECÉM du 20 mai 2021 au 18 mars 2024, dressa, dans une tribune intitulée « La CTM : une construction en l’état futur d’achèvement... sans garanties de finition ? » un bilan critique des premiers mois de fonctionnement de la nouvelle entité ([109]).
Il y expliquait que la création de la CTM avait souffert d’un manque d’anticipation et de préparation, les responsables politiques l’ayant « longtemps assimilée à un simple regroupement du département et de la région ». Selon lui, les élus et responsables politiques avaient en effet assimilé la création de la CTM « à un simple regroupement du département et de la région, ignorant par là même que la création d’une nouvelle entité politico-administrative à partir de deux collectivités vouées à disparaître était bien plus complexe qu’une fusion qui, en soi, s’avère déjà délicate à réaliser ».
Il pointait également un manque de délimitation des compétences respectives de l’assemblée et du conseil exécutif, allant jusqu’à écrire que « le personnel politique peine à apprivoiser la règle de la séparation des pouvoirs ».
Huit ans plus tard, et alors que la CTM a connu une alternance politique, Justin Daniel considère que ce constat est toujours largement d’actualité. Celui‑ci rejoint en outre les critiques formulées, auprès des rapporteurs, par d’autres personnalités auditionnées.
Une fusion inachevée en matière de ressources humaines
En 2016, Justin Daniel écrivait également :
« Afin que la CTM soit pleinement opérationnelle et atteigne sa vitesse de croisière dans les meilleurs délais, il importe, en sus de l’important travail déjà réalisé depuis le basculement dans la nouvelle collectivité, de lancer rapidement le processus d’élaboration et de mise en place du schéma d’organisation interne et de mutualisation des services. Il s’agit là d’une priorité absolue et de la condition sine qua non d’une politique de gestion des ressources humaines efficace. C’est aussi un point de passage obligé pour la création d’un sentiment d’appartenance à une seule et même entité, partagé par l’ensemble du personnel de la CTM. »
Catherine Conconne rappelle en outre que la fusion fut aussi celle des personnels des deux entités préexistantes, soit 4 500 personnes, et 6 000 en prenant en compte les structures « satellites ». À cela s’est ajoutée la fusion des structures techniques, des dettes, des budgets, des systèmes informatiques, etc.
Pour Justin Daniel, ce processus demeure en partie inachevée ; il en veut pour preuve qu’il n’existe toujours pas d’organigramme de la CTM.
Les services de l’État évoquent, quant à eux, des lourdeurs administratives ayant pu freiner, notamment, l’attribution des fonds européens, pénalisant ainsi les acteurs économiques.
Ces constats recoupent les observations formulées par la Chambre régionale des comptes de Martinique dans son rapport de mai 2021, portant sur la CTM ([110]). En matière budgétaire et comptable, celle‑ci évoque en effet une « impréparation » des anciens département et région de Martinique, entre « insincérités » et « qualité médiocre ». La CTM, quant à elle, « n’a pas amélioré, ou seulement à la marge, la fiabilité et la sincérité de ses comptes, tant sur le plan de la production d’un certain nombre de documents obligatoires que sur celui du respect des procédures de gestion ». Ses délais de paiements trop élevés, pénalisant ainsi l’économie locale.
Pour le préfet de Martinique, Jean‑Christophe Bouvier, il y a encore beaucoup à faire, bien que le président du conseil exécutif soit déterminé à avancer.
2. Une assemblée peu puissante et mal informée face à l’ « hyperprésident » du conseil exécutif
Parmi les interlocuteurs les plus critiques auditionnés par les rapporteurs figure Claude Lise, ancien sénateur, ancien député, ancien président du conseil général de Martinique et ancien président de l’assemblée de Martinique. Ses critiques rejoignent, sur de nombreux points, celles de Catherine Conconne, sénatrice, membre de l’assemblée de Martinique et secrétaire générale du mouvement La Martinique Ensemble.
Pour Claude Lise, « l’assemblée est l’équivalent d’un conseil consultatif » et il n’y a pas de séparation des pouvoirs entre elle et le conseil exécutif. L’opposition est marginalisée par la disparition, au moment de la fusion, des commissions permanentes de la région et du département. En effet, dans ces commissions présentes dans les collectivités territoriales de droit commun, la majorité et l’opposition sont représentées proportionnellement aux sièges qu’ils occupent dans l’assemblée délibérante.
En Guyane, cette commission permanente a été conservée lors de la création de la collectivité territoriale unique. En Martinique, au contraire, il semble avoir été considéré que la création du conseil exécutif rendait l’existence d’une commission permanente obsolète. Cette commission permanente a pourtant été conservée lors de la mise en place de la Collectivité de Corse, où un conseil exécutif existe pourtant.
Les commissions permanentes des départements et des régions
Les conseils régionaux et départementaux peuvent déléguer une partie de leurs attributions à leur commission permanente, à l’exception des compétences relatives au budget et aux comptes. Ces délégations, qui doivent être renouvelées après chaque élection du conseil, doivent également être suffisamment précises, afin d’éviter tout pouvoir discrétionnaire de l’exécutif. Les délégations ainsi accordées n’ont toutefois pas pour effet de dessaisir l’assemblée délibérante de ses compétences, celle-ci gardant la possibilité d’intervenir à tout moment dans les domaines délégués. Cette commission dispose, en outre, d’attributions propres, tel le pouvoir de demander la convocation de l’assemblée délibérante.
Cette commission permanente est composée du président de la collectivité territoriale, de vice-présidents et éventuellement d’autres membres de l’assemblée délibérante. Elles s’efforcent, le plus souvent, de refléter la composition politique de l’assemblée pour en garantir la représentativité ; majorité et opposition y siègent donc ensemble.
L’élection des membres de la commission permanente peut se faire soit par accord entre les groupes politiques, soit par un scrutin de liste à la représentation proportionnelle si aucun accord n’est trouvé. Les membres sont élus pour une durée égale à celle de l’assemblée délibérante.
Ainsi, la commission permanente assure la continuité des fonctions délibérantes du conseil, ainsi que l’information des différentes forces politiques. Ses séances, contrairement à celles du conseil, peuvent ne pas être publiques, et son fonctionnement est régi par le règlement intérieur du conseil départemental.
Ainsi, afin d’assurer, à l’assemblée de Martinique, la bonne information de la majorité comme de l’opposition, il semble nécessaire de modifier le code général des collectivités territoriales pour prévoir l’existence d’une commission permanente à la CTM.
En conséquence, poursuit Claude Lise, l’administration elle-même considère qu’elle ne dépend que de l’exécutif et demeure « séparée » de l’assemblée, par exemple en matière de suivi budgétaire et financier. Ses moyens sont réduits : elle ne dispose que de trois fonctionnaires de catégorie A et ses ressources financières sont faibles. Ses locaux sont peu spacieux et éloignés de ceux du conseil exécutif.
Claude Lise estime également les pouvoirs de l’assemblée limités. Le code général des collectivités territoriales est en effet peu précis, se limitant à indiquer qu’elle « contrôle le conseil exécutif », sans lui confier, par exemple, de pouvoir d’enquête.
Face à l’assemblée, continue Claude Lise, le président du conseil exécutif, Serge Letchimy est donc un « hyperprésident » qui, en choisissant, par exemple, de doter la Martinique d’un drapeau, crée autant d’« attributs du pouvoir » qui tendent à rapprocher son rôle de celui d’un chef d’État.
Claude Lise appelle donc, en priorité, à une réforme de la CTM en faveur de davantage de démocratie. Il se dit donc favorable au « système guyanais », où le président de l’assemblée demeure en charge des fonctions exécutives et où la commission permanente a été conservée.
Catherine Conconne confirme ce diagnostic : la création de la CTM a conduit à remplacer des structures où la culture de la démocratie était réelle – notamment en raison de l’existence, dans chacune des deux collectivités, d’une commission permanente composée à la proportionnelle – par un conseil exécutif qui, en dépit des textes, est devenu une « instance plénipotentiaire », prenant l’ascendant sur une « assemblée croupion », sous Alfred Marie-Jeanne comme sous Serge Letchimy. Pour elle, « on s’est pris pour des parlementaires, on a voulu avoir notre gouvernement », sous la forme du conseil exécutif.
Les membres de l’assemblée, poursuit Catherine Conconne, « ne savent pas ce qui se passe au conseil exécutif, ni quand il se réunit, ni ce qui s’y dit (il n’y a pas de compte-rendu) ; au début, c’était seulement annoncé, très succinctement, sur les réseaux sociaux ; désormais, il n’y a plus aucune communication ».
On relève, sur les réseaux sociaux, des compte-rendu très succincts et a posteriori des décisions prises lors des réunions du conseil exécutif ([111]).
Si la CTM a été victime, en mai 2023, d’une grave cyberattaque, ces dysfonctionnements sont désormais devenus, pour Catherine Conconne, « un argument pour justifier le retard dans la publication des actes et des comptes‑rendus », empêchant les membres de l’assemblée d’effectuer le travail de contrôle du conseil exécutif qui est normalement le leur. Le « site provisoire » mis en place ([112]), s’il permet de consulter les arrêtés du président du conseil exécutif (ainsi que les délibérations de l’assemblée), est en effet peu fourni, notamment en ce qui concerne les travaux du conseil exécutif.
Pour Jean‑Philippe Nilor, député, conseiller territorial et co-président du parti Péyi-a aux côtés du député Marcellin Nadeau, « aux yeux d’une majorité de Martiniquais, la CTM est un échec, une désillusion » ([113]). Il évoque également une forme de personnalisation du pouvoir de part de Serge Letchimy.
a. Des élus trop peu nombreux et un mode de scrutin qui interroge
Catherine Conconne critique la baisse du nombre d’élus qui a accompagné la création de la CTM : l’assemblée de Martinique est composée de cinquante et un membres ([114]), alors que la Martinique comptait quarante et un conseillers régionaux et quarante-cinq conseillers généraux, soit un total de quatre-vingt-six conseillers ([115]). La Martinique a donc perdu près de 40 % de ses élus au niveau communautaire, ce qui, tout en répondant à la logique de mutualisation et de rationalisation qui sous-tendait le projet de fusion, laisse à un nombre plus réduit de conseiller une charge de travail qui n’a pas sensiblement diminué. Catherine Conconne souligne ainsi les difficultés des élus à siéger dans les instances dont ils sont obligatoirement membres, tels les conseils d’administration des collèges et lycées, alors même qu’un quorum y est requis.
Claude Lise souligne également un « problème du mode d’élection » de l’assemblée de Martinique. Pour Catherine Conconne, en effet, la suppression du scrutin départemental territorialisé par canton, donc personnalisé, au profit d’un scrutin proportionnel, a éloigné les élus de la population. Auparavant, en effet, le lien entre chaque conseiller et le canton dans lequel il était élu permettait une représentation territoriale de proximité.
3. Le CÉSECÉM souhaiterait avoir plus de poids pour faire le lien avec la population
Les rapporteurs ont rencontré Éric Bellemare, président du conseil économique, social, environnemental, de la culture et de l’éducation (CÉSECÉM) depuis le 18 mars 2024. Cette fonction était précédemment occupée par Justin Daniel.
Éric Bellemare a soulevé notamment le contexte de crises dans lequel se trouve la Martinique, par exemple en matière de vie chère ou de gestion de l’eau. Il cite également les enjeux que représentent la continuité territoriale ou l’octroi de mer.
Le président souligne la nécessité, avant toute évolution statutaire, d’obtenir l’adhésion de la population, alors même que celle‑ci est très préoccupée par son quotidien. Il faut, dit-il, « de la souplesse et de la proximité pour prendre en compte les réalités locales et réagir rapidement ».
Si « les relations avec les élus sont bonnes », dit‑il, le CÉSECÉM, qui « ne fait qu’émettre des avis » sur saisine des institutions de la CTM pourrait « faire plus ». Toutefois, cela nécessiterait de donner à cette institution plus de moyens et plus de temps. Le président regrette, en effet, que le CÉSECÉM ne soit pas maître de son budget et que les délais de saisines soient très courts.
III. Le congrès des élus a mené un diagnostic des problèmes du territoire pour déterminer les réformes nécessaires
L’appel de Fort‑de‑France (cf. supra), dont Serge Letchimy est l’initiateur, contient le souhait d’ « une réelle domiciliation des leviers de décision au plus près » des territoires ultramarins.
Si le congrès des élus de Martinique, compétent en matière d’évolution institutionnelle, a souhaité déterminer les modalités de la mise en œuvre de ce processus de différenciation, il a, dans un premier temps, examiné dans quelle mesure une telle évolution pouvait permettre de remédier aux difficultés du territoire.
À cette fin, il a mis en place une commission ad hoc, qui a créé en son sein trois groupes de travail dénommés « Diagnostic », « Préconisations » et « Nouvelles compétences et pouvoirs normatifs à négocier ».
A. Un diagnostic confié à l’opposition
Le processus d’évolution institutionnelle a débuté par un « diagnostic » des difficultés du territoire, mené par un groupe de travail dirigé par la conseillère de Martinique Catherine Conconne, dont le groupe, « La Martinique ensemble », n’appartient pas à la majorité.
Ce diagnostic a été ainsi présenté, par le président Serge Letchimy devant la Délégation sénatoriale aux outre-mer :
« Où en sommes-nous sur le plan économique, culturel, politique ? Catherine Conconne a mené un très bon travail d’identification des besoins et de discussions. Elle a auditionné environ 150 personnes. Nous avons ainsi travaillé sur les inégalités économiques, les pistes pour les résoudre, les structurer. Nous avons également approfondi le sujet des personnes âgées, des jeunes, du chômage, des équipements, du transport, de l’éducation... » ([116])
D’après Catherine Conconne, ces travaux, menés en deux mois, ont été régis par deux principes : « recoudre la confiance en donnant la parole et faire le point sur la situation de manière propre et nette. Nous avons reçu tout le monde, personne n’a refusé, tout le monde était content d’être enfin écouté. Presque tous les auditionnés ont réclamé plus d’attention, d’écoute, de réactivité, et pas des changements des textes. »
Catherine Conconne exprime néanmoins sa déception quant aux suites données à ce travail : « rien n’a été fait », estime-t-elle, pour remédier aux problématiques révélées dans ce rapport.
B. Un diagnostic qui souligne les limites des dispositifs actuels
Ce diagnostic a fait l’objet d’un rapport présenté au congrès des élus le 17 octobre 2022 ([117]). Le groupe de travail « Préconisations » s’en est ensuite saisi pour établir son propre rapport, présenté devant le congrès le 21 décembre 2022 ([118]).
Les travaux menés par le congrès à partir du diagnostic associent à chaque problème identifié des actions nécessaires pour le résoudre. S’il est souligné que certaines de ces actions peuvent être menées dans le cadre institutionnel et normatif actuel, d’autres, en revanche, justifient, pour le congrès des élus, une évolution institutionnelle.
En toute hypothèse, quel que soit le dispositif nécessaire, cette démarche s’inscrit, pour les élus martiniquais, dans un processus global de différenciation.
1. Pour le congrès des élus, certains problèmes ne peuvent être résolus sans évolution institutionnelle
En matière de logement par exemple, une évolution institutionnelle est jugée nécessaire, selon le rapport du 21 décembre 2022, pour engager une réforme foncière. C’est également le cas pour « élaborer une politique d’immigration et de repeuplement en concertation entre l’État et la CTM » ou pour « envisager la création d’un Syndicat Mixte de gestion des routes ».
C’est donc bien en matière de compétence normative qu’une évolution est souhaitée : le congrès des élus souhaite que les autorités de la CTM puissent être compétentes pour adopter elles‑mêmes, localement, des règles qui relèvent, en temps normal, de la loi ou du règlement à l’échelon national.
En effet, lorsqu’une compétence n’est pas du ressort de la CTM, l’édiction de normes adaptées aux spécificités du territoire, et donc la réponse aux difficultés soulevées, ne peut être rapide. C’est le cas y compris lorsque la Collectivité initie une demande d’habilitation pour pouvoir exercer elle-même, pour une durée limitée, la compétence en question.
L’inefficacité des habilitations : l’exemple de l’eau
L’annexe à la résolution du congrès explique que les habilitations de l’article 73 ne peuvent suffire à atteindre un degré suffisant d’autonomie car elles « sont longues à obtenir et limitées dans le temps ». Cette remarque s’inscrit dans les nombreuses critiques visant cette procédure (cf. supra).
Elles ne peuvent de plus pas répondre à l’ensemble des difficultés.
La question de l’eau en est une illustration. Didier Laguerre explique : « L’eau est disponible tous les jours, mais la population se déplace vers le sud où il n’y en a pas. Donc l’eau est trop chère. » Des pénuries d’eau surviennent régulièrement, entraînant parfois la fermeture des écoles.
Sept entités se partagent la compétence, et le coût de l’eau n’est donc pas le même dans les différents territoires. Les réseaux n’étaient initialement pas interconnectés.
« Tout le monde est d’accord pour fusionner les autorités afin d’harmoniser et de baisser les prix en faveur des populations défavorisés » poursuit Didier Laguerre. C’est pourquoi l’assemblée de Martinique a décidé de demander une habilitation devant lui permettre de créer une autorité unique de l’eau en Martinique ([119]).
Néanmoins, et comme cela a pu être soulevé auprès des rapporteurs, il n’est pas certain que cet objectif puisse être atteint par la voie d’une habilitation, qui, en matière d’adaptation ([120]), ne peut intervenir que « dans les matières où s’exercent les compétences » de la CTM ([121]). Ce n’est pas le cas de la distribution de l’eau potable, partagée entre les communes et les EPCI. C’est ainsi une loi, et non une habilitation, qui a donné naissance au Syndicat Mixte de Gestion de l’Eau et de l’Assainissement de Guadeloupe (SMEAG) ([122]).
En toute hypothèse, la résolution du problème de l’eau en Martinique passe nécessairement par une procédure parlementaire, jugée trop longue par les responsables politiques interrogés par les rapporteurs.
Ainsi, pour Serge Letchimy, « le destin de la Martinique ne peut pas être accroché à ce type de négociation » : pour résoudre ce problème local inhérent aux spécificités du territoire, il est nécessaire d’avoir, localement, le pouvoir d’édicter des normes adaptées.
En conséquence, le 29 novembre 2023, le congrès des élus de Martinique a adopté une résolution « portant évolution institutionnelle de la Martinique ». Celle‑ci était accompagnée d’un rapport présentant des « éléments relatifs aux travaux de la commission ad hoc [du congrès] sur les possibles évolutions institutionnelles ». Examiné le 21 décembre suivant par l’assemblée de Martinique, ce texte demande « l’inscription de la Martinique dans le processus de réforme de la Constitution annoncé et engagé par le président de la République », selon des modalités originales. Il est accompagné d’un document dénommé « Appel à l’unité des Martiniquais et des Martiniquaises » (ci‑après : « l’Appel »).
2. Le diagnostic est aussi une base pour des propositions faites au CIOM
L’Appel indique qu’une première série de mesures, ne nécessitant pas d’évolution institutionnelle, a fait l’objet de propositions en prévision du Comité interministériel des outre-mer (CIOM) du 18 juillet 2023. Il relève néanmoins que toutes n’ont pas été retenues, et qu’il est donc nécessaire d’aller plus loin.
La résolution acte donc une demande d’ouverture de négociations avec l’État « sur la base de dix Pactes pour le Développement, le Progrès, et l’Émancipation de la Martinique ». Ceux‑ci concernent une multitude de domaines, allant de l’économie à la démographie, la fiscalité, l’éducation, l’identité ou l’énergie. L’Appel en expose les objectifs et les méthodologies. Il prévoit que, « dans la concertation et la discussion, la population sera directement associée, aux côtés des élus et des forces vives du pays, à [leur] rédaction ».
3. Le souhait de « sortir du statu quo »
Pour le congrès des élus, il ne s’agit pas simplement de pouvoir exercer des compétences plus rapidement, mais également au plus près des difficultés du territoire comme de ses particularités, donc en Martinique.
Dans son Appel, le congrès acte en conséquence l’objectif de mettre en place, en Martinique, « un modèle de développement ancré dans la subsidiarité et dans la différenciation » afin de lui permettre de « [modifier] sa trajectoire de développement dans un contexte d’inégalités sociales structurelles et conjoncturelles importantes ».
Cette instance estime en effet que le statut actuel du territoire ne le lui permet pas. Il considère en effet qu’il relève, en tant que DROM au sens de l’article 73 de la Constitution, « du régime de l’assimilation normative, modéré par la possibilité limitée d’adaptations », qui ne confère aux élus locaux « qu’un pouvoir réglementaire de gestion des politiques publiques, dont les tenants et aboutissants sont décidés par le gouvernement et adoptés au Parlement ».
Cette situation s’apparente, pour Serge Letchimy, à la fin d’un cycle : « nou bout [nous sommes arrivés au bout]. Il faut modifier le regard, dans une stratégie nouvelle, avec, comme point central, la reconnaissance de toutes les spécificités de la Martinique. »
Maire de Fort‑de‑France et président du Parti progressiste martiniquais, Didier Laguerre abonde : « nous devons être en capacité de gérer nos propres affaires localement », car les collectivités sont plus « agiles » que l’État.
Pour sortir de ce « statu quo [qui] n’est plus tenable » le congrès demande donc à ce que la Martinique dispose d’ « un pouvoir normatif autonome (adaptation et édiction locales des règles) au sein de la République, tout en garantissant les droits acquis du peuple martiniquais ». En effet, pour Lucien Saliber, président de l’assemblée de Martinique, « transmettre une compétence n’est pas transmettre la gestion s’il n’y a pas de possibilité de changer la législation ou de l’adapter ».
IV. Le projet : donner aux DROM une possibilité constitutionnelle d’autonomie normative
Ayant ainsi constaté la nécessité d’une évolution institutionnelle, le congrès des élus de Martinique, s’inscrivant dans la démarche initiée par le président de la République, a élaboré une proposition de révision constitutionnelle dont la spécificité est d’ouvrir un pouvoir normatif à l’ensemble des DROM qui le souhaitent. Ce projet, néanmoins, a suscité un certain nombre de critiques de la part d’acteur politiques, économiques, ou issus de la société civile.
A. Un article 73-1 qui permettrait aux DROM de fixer certaines règles applicables sur leur territoire
Se saisissant de la proposition présidentielle de révision constitutionnelle, le congrès des élus de Martinique a souhaité proposer la création d’un nouvel article offrant à tous les DROM qui le souhaitent un nouveau pouvoir normatif, sans pour autant quitter le cadre de l’identité législative.
1. Une proposition pour l’ensemble des DROM
L’originalité de la démarche martiniquaise réside dans le fait qu’elle prend la forme d’une proposition faite à l’ensemble des DROM. Ce dispositif s’inscrit en effet dans la continuité de l’Appel de Fort‑de‑France, signé par un grand nombre de présidents d’exécutifs ultramarins. Le président Letchimy et le congrès des élus assument donc, en quelque sorte, un rôle de chef de file en matière d’accroissement des dispositifs de différenciation, ce qui implique de tenir compte des autres signataires de cet Appel. Ils assument d’inscrire leur proposition dans le processus de révision constitutionnelle évoqué par le président de la République sous la précédente législature (cf. introduction).
Ainsi, la proposition martiniquaise présente la caractéristique de pouvoir être potentiellement appliquée à tout DROM qui le souhaiterait.
Si elle venait à être mise en œuvre, cette « proposition martiniquaise » devrait donc l’être après recueil de l’avis des autres DROM, et en s’assurant de sa compatibilité tant avec les dispositions actuellement en vigueur – tel l’amendement Virapoullé (cf. partie La Réunion) – qu’avec les réformes souhaitées par les autres territoires – tel le titre constitutionnel ad hoc souhaité par la Guyane.
2. Un projet qui s’insère dans le processus institutionnel en cours au niveau national
En octobre 2023, le président de la République avait ouvert la voie à une révision constitutionnelle relative aux institutions des outre‑mer (cf. supra), dans la continuité de la nécessité de « différenciation » formulée auprès des élus ultramarins en septembre 2022. En ce qui concerne plus précisément la Martinique, Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre‑mer du 6 juillet 2020 au 21 septembre 2024, avait confirmé, en mars 2024 que le gouvernement étudiait « plusieurs scénarios (…) avec sérieux » ([123]).
Le Préfet de Martinique, Jean‑Christophe Bouvier, estime, lui aussi, que la question institutionnelle doit être posée. Dans un contexte qui « n’est plus celui de la départementalisation de 1945 mais celui de la mondialisation », il apparaît en effet nécessaire de mettre en place un cadre permettant à la Martinique de développer des relations avec les pays environnants, par exemple en matière de sécurité. Le territoire doit être envisagé dans son environnement régional, et non comme « appendice de l’hexagone » : il doit donc pouvoir être moins dépendant de la tutelle parisienne pour que les décisions puissent être prises plus rapidement, et ses spécificités culturelles doivent être reconnues.
Néanmoins, l’évolution récente de la situation politique française pourrait remettre en cause ce processus (cf. infra).
3. Sur la forme : le choix d’une révision constitutionnelle
Le congrès propose donc plusieurs modalités de révision constitutionnelle pour y inscrire ce nouveau pouvoir :
– à titre principal, et dans le cadre d’une révision constitutionnelle consacrée aux outre‑mer, « la rédaction d’un nouvel article 73‑1 » dans lequel serait inscrit ce nouveau pouvoir, et dont il propose le dispositif (cf. infra.) ;
– en l’absence d’une telle révision, l’insertion dans la Constitution de ce nouvel article par un amendement « dans le cadre de la réforme constitutionnelle dédiée à la Nouvelle‑Calédonie » ; cette possibilité est désormais refermée par l’adoption dans les mêmes termes de ce projet de loi constitutionnelle, sans l’ amendement en question, par l’Assemblée nationale et le Sénat, puis par l’annonce, par le premier ministre Michel Barnier, que ce texte ne serait pas soumis au Congrès du Parlement ;
– alternativement, « la rédaction d’un nouvel article de la Constitution […] relatif à la différenciation, assurant l’égalité des droits et des devoirs au sein de la République et la domiciliation locale d’un pouvoir normatif autonome intervenant en complément de l’État ou de manière exclusive » qui serait soit propre à la Martinique, soit « spécifique aux outre‑mer ».
4. Sur le fond : le choix d’un équilibre entre « 73 » et « 74 »
Le choix du congrès est donc celui de la création d’un nouvel article qui confèrerait aux DROM un nouveau pouvoir leur permettant de disposer de davantage d’autonomie. Dans le fond comme dans la forme, ce nouvel article « 73‑1 » ainsi proposé s’intercalerait donc entre « le 73 » et « le 74 » :
La proposition de rédaction de l’article 73‑1
Art. 73‑1. – Pour tenir compte de leurs spécificités, les collectivités régies par l’article 73 peuvent être, sur leur demande, autorisées par la loi à fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire, dans un nombre limité de matières pouvant relever du domaine de la loi ou du règlement. La loi, adoptée après avis de l’assemblée délibérante, définit les compétences exercées par la collectivité, à titre exclusif ou conjointement avec l’État. Elle ne peut intervenir sans qu’ait été recueilli, selon les formes prévues au second alinéa de l’article 72‑4, le consentement des électeurs de la collectivité intéressée. Les transferts de compétences de l’État ne peuvent porter sur les matières énumérées au quatrième alinéa de l’article 73, le cas échéant complété par la loi organique fixant les conditions d’application du présent article.
Le congrès définit cette nouvelle faculté dont il souhaite doter les DROM comme une « possibilité de disposer d’un pouvoir réglementaire autonome, exercé seule ou conjointement avec l’État, pour les seules collectivités régies par l’article 73 qui le souhaiteraient, dans des matières à déterminer ». Ce nouveau pouvoir « ne remet nullement en cause le régime d’identité législative » et permet « de trouver un équilibre entre différenciation et principe d’égalité ».
Pour Lucien Saliber, cette « boîte à outils » crée un pouvoir local de décision tout en conservant les avantages acquis de l’article 73 de la Constitution.
Le rapport accompagnant la résolution explique précisément le choix du congrès de préférer un tel choix aux autres options, rappelées dans l’Appel.
5. Un choix fait après examen et rejet des autres options envisageables
Plusieurs options ont été rapidement écartées :
– la fusion des articles 73 et 74 : tous les outre‑mer n’y sont pas favorables, notamment ceux – la Réunion et Mayotte – qui ne s’inscrivent pas dans une démarche d’évolution institutionnelle ;
– une transformation de la Martinique en COM relevant de l’article 74 : évoquée dans l’Appel et non dans le rapport, cette option est écartée sans plus de précision dans ces deux documents, mais un « Rapport d’analyse sur le cadre institutionnel martiniquais » réalisé, pour le congrès, en juillet 2023 rappelle que cette option a été écartée par les martiniquais en 2010. Pour Didier Laguerre, tous les partis sont convaincus qu’une telle proposition ne serait pas acceptée par la population, qui ne veut pas « sortir du droit à l’égalité », que garantit, pour eux, le statut de DROM.
Le congrès a également écarté deux autres possibilités, non sans en avoir préalablement examiné la pertinence.
a. Le congrès ne veut pas d’un titre constitutionnel spécifique
Claude Lise explique que le congrès des élus a rejeté l’idée d’un statut martiniquais sui generis inscrit dans la Constitution – comme l’a obtenu la Nouvelle‑Calédonie et comme le demande la Guyane – car celui‑ci serait un « sas de sortie du droit commun vers l’indépendance ».
Pour le congrès, une telle option nécessiterait de plus un long travail d’élaboration d’un statut associant la population, incompatible avec le calendrier contraint ouvert, alors, par le président de la République.
b. Le congrès ne souhaite pas modifier l’article 73
Le congrès a ainsi rejeté l’hypothèse d’une demande limitée à la Martinique au profit d’une révision constitutionnelle relative à l’ensemble des DROM. Un tel choix l’a donc nécessairement obligé à prendre en compte les positions des autres territoires. Il a ainsi eu à l’esprit « la frilosité de La Réunion et de Mayotte à l’égard d’une évolution des dispositions constitutionnelles les concernant allant vers plus d’autonomie », évoquant par exemple le précédent de « l’amendement Virapoullé », adopté lors de la révision constitutionnelle de 2003 (cf. partie La Réunion).
Pour ces raisons, expose le rapport accompagnant la résolution, « il est apparu préférable que la possibilité d’émancipation normative soit proposée dans un article séparé », dénommé « 73‑1 », qui n’indique pas le champ des matières pouvant faire l’objet d’un tel transfert de compétences.
6. Un élément d’un projet plus large pour le « pays » Martinique
Pour le président du conseil exécutif Serge Letchimy, l’objectif est celui de la reconnaissance de la Martinique comme un pays autonome, avec son peuple et sa langue. Il a, dans cette démarche, souhaité doter la Martinique d’un hymne et d’un drapeau, et fait adopter par l’assemblée la co-officialité du créole, décision suspendue en appel par le juge des référés ([124]). C’est cette logique de « dissidence » qui l’a amené à quitter la présidence du Parti progressiste martiniquais fin 2023.
Toutefois, Serge Letchimy ne souhaite pas imposer cette doctrine autonomiste ni demander l’indépendance, mais simplement permettre, par ce nouvel article, de développer l’économie de l’île dans le cadre de la République.
Le rapport accompagnant le projet d’évolution institutionnelle évoque néanmoins des pistes d’évolutions futures.
Outre le « bénéfice des ordonnances de l’article 74-1 de la Constitution », est ainsi mentionné le souhait d’étudier la possibilité « d’octroyer des dérogations au cadre des collectivités de l’article 73 », par exemple sous la forme :
– de « mesures de préférence locale (en matière d’emploi ou foncière) » ;
– d’un « contrôle juridictionnel spécifique des actes intervenant dans le domaine de la loi par la Conseil d’État en premier et dernier ressort » ;
– d’une « option pour le principe de spécialité législative dans certains domaines ».
Si cette dernière option constitue un pas dans la direction du « 74 », les deux précédentes ne le sont pas moins, car elles se rapprochent de facultés que l’article 74 de la Constitution n’ouvre aux COM que lorsqu’elles sont « dotées de l’autonomie ».
B. Un projet suscitant de nombreuses critiques
1. Entre « 73 » et « 74 », un risque de confusion ?
La création d’un pouvoir normatif local pourrait sembler incompatible avec le maintien de l’identité législative.
Ainsi, le rapport accompagnant l’examen du projet devant le congrès des élus de Martinique, le 29 novembre 2023, indique que d’anciens députés auditionnés s’inquiètent du risque « qu’une telle solution rende plus floue la différence entre certaines collectivités de l’article 74 et celles bénéficiant de ce nouvel article » ; ils ont donc plutôt préconisé « une modification de l’article 73 de la Constitution, dans lequel pourrait être introduit un alinéa allant dans le sens de transfert[s] de compétences via l’attribution d’un pouvoir législatif autonome ».
Claude Lise est bien plus critique : pour lui, l’article 73‑1 est une « contrefaçon institutionnelle » : « c’est du 74 avec une étiquette “73” ». « Comme le dit bien son nom, poursuit‑il, on garde le 73, et on ajoute “-1”. En fait, c’est un frère jumeau du 74 ! Si la population s’en rend compte, elle dira non. Ça nous ridiculise. » Il estime que le pouvoir constituant rejettera une telle révision.
Le rapport annexé à la résolution du congrès répond à cette critique en ces termes : cette confusion « existe déjà » et « elle se révèle en réalité logique puisque les solutions proposées visent à une émancipation normative des collectivités concernées ».
Plus largement, le CÉSECÉM remet en question la stratégie de la CTM, qui consiste, malgré une nette préférence pour le « 73‑1 » à proposer plusieurs « options » de révisions constitutionnelles au gouvernement. En ce sens, il « s’interroge sur l’efficacité de la démarche proposant plusieurs solutions alternatives à une éventuelle révision constitutionnelle, au risque de fournir au gouvernement l’opportunité de faire un choix a minima ».
2. Le CÉSECÉM émet des critiques largement partagées
Pour le CÉSECÉM, le projet du congrès se caractérise par une certaine fragilité juridique de plusieurs ordres, ainsi que d’un certain décalage avec les préoccupations des Martiniquais.
a. Une option possible sans révision constitutionnelle ?
Dans avis rendu sur la résolution du congrès des élus du 29 novembre 2023 ([125]) , le CÉSECÉM relève que le projet de rédaction de l’article 73-1 n’ouvrirait pas plus de possibilités en matière d’exercice de pouvoir normatif et de compétences autonomes que celles offertes par l’article 74 :
« La mise en œuvre des dispositions contenues dans la proposition de rédaction d’un article 73-1 ne nécessite pas une révision de la Constitution. Elle peut être réalisée dans le cadre de la création d’une collectivité régie par l’article 74 […]. »
Ancien président du CÉSECÉM, Justin Daniel abonde, en proposant une autre méthode. Pour lui, créer un pouvoir normatif local dans les DROM ne nécessite pas de réviser la Constitution : il suffit de rendre pérenne le pouvoir de dérogation normative que reconnaît déjà l’article 73.
Le Conseil relève la nécessité pour le CTM de mener, avant de négocier avec le gouvernement, une étude approfondie du « nombre limité de matières » sur lesquelles la Martinique aurait un nouveau pouvoir normatif autonome. « Le périmètre d’application et la portée réelle d’une telle réforme dépendront du “nombre limité de matières” tel qu’il aura été défini et des options ainsi arrêtées, lesquels devront assurément faire l’objet d’une expertise approfondie de la part de la CTM avant toute négociation avec l’État et toute inscription dans la loi. »
Justin Daniel estime en outre que la rédaction proposée, en liant la portée de ce nouveau pouvoir normatif aux « spécificités » des DROM, manque de précision. Si cette formule est celle de l’actuel troisième alinéa de l’article 73 de la constitution, elle mérite d’être précisée. En l’état, conclut Justin Daniel, le projet d’article 73‑1 « manque de profondeur juridique ».
c. Un projet trop éloigné des préoccupations des Martiniquais ?
Le CÉSECÉM souligne l’importance de placer les Martiniquais au centre du processus d’évolution institutionnelle. Le Conseil souligne notamment « la nécessité de mettre en place un dispositif adéquat et efficace permettant, entre autres, de donner la parole aux Martiniquaises et Martiniquais ayant peu l’occasion de la prendre, afin de pallier une limite bien connue de la démocratie participative ».
Pour Claude Lise, la population a besoin de reprendre confiance en ses élus et en la France. Il évoque une forme de désamour et de ressentiment, alimenté par la déception chronique et l’absence de perspectives et de projets d’avenir.
Didier Laguerre considère quant à lui que « les réponses apportées aux problèmes des gens sont de plus en plus longues et complexes, ce qui alimente la défiance, voire la violence ».
Claude Lise affirme donc que l’évolution institutionnelle ne peut s’obtenir en passant « par-dessus le peuple, en négociant seulement avec l’État : l’évolution institutionnelle n’est pas une fin en soi », mais doit être au service du territoire pour lui permettre de faire face aux difficultés qu’il rencontre.
Justin Pamphile, maire du Lorrain, estime, lui aussi, au nom de l’association des maires de Martinique, qu’il préside, que l’évolution statutaire n’est pas la préoccupation principale de la population, qui « ne parle pas de ça » à ses élus.
président de l’assemblée de Martinique, Lucien Saliber estime, au contraire, que le travail mené par le congrès en amont, avec de nombreuses rencontres sur le territoire, a permis de « prendre le pouls de la population » pour refléter ses préoccupations.
Dans la mesure où la population serait très certainement consultée avant tout changement statutaire, ce que souhaite Serge Letchimy, cette question est cruciale.
3. Un congrès des élus boycotté par l’opposition
Le 29 novembre 2023, seuls 45 des 81 membres du congrès étaient présents pour adopter la résolution relative à la proposition d’évolution institutionnelle ([126]).
Ce processus se heurte en particulier au boycott de ses membres. Principalement issus des partis « Gran Samblé pou Matinik » (GSPM) et « Martinique Ensemble », ces élus justifient leur position en dénonçant la « stratégie » employée par Serge Letchimy, qui négligerait le congrès des élus et ne prendrait pas en compte la volonté des Martiniquais.
Au nombre de leurs critiques, les opposants au projet évoquent les procédures d’élaboration des « 10 pactes » et du projet de rédaction d’un article 73‑1, qu’ils estiment avoir été réalisées en contournant les élus et la population martiniquaise. Le GSPM déclare ainsi :
« Bien que nous partagions de nombreux aspects formulés dans diverses résolutions présentées à l’assemblée, nous exprimons de vives réserves sur la stratégie qui consiste à se fier à une majorité restreinte au sein de l’assemblée territoriale, ainsi qu’aux négociations programmées dans le cadre du CIOM (Comité Interministériel des Outre-Mer). Une telle approche risque de vider le congrès des élus de sa substance. » ([127])
4. Des élus consulaires sceptiques
Les rapporteurs ont rencontré des élus des chambres de commerce, des métiers et d’agriculture de Martinique. Si ces derniers ne s’opposent pas au projet d’évolution statutaire, ils expriment néanmoins un certain scepticisme, estimant notamment que, pour le monde économique qu’ils représentent, l’évolution n’est pas une fin en soi.
S’ils se définissent comme « autonomistes pragmatiques », favorables à une plus grande différenciation en faveur d’un pouvoir local plus important, ils estiment que ces nouvelles compétences doivent permettre avant tout de créer davantage de valeur et d’emplois. Dans ce but, elles s’avèrent particulièrement nécessaires dans le cadre d’un système martiniquais à bout de souffle et confronté à de nombreux défis, notamment démographique. Cela nécessite une véritable co-construction entre les acteurs politiques et économiques, pour identifier, par exemple, les filières et les formations à développer sur le territoire.
Néanmoins, pour Philippe Jock, président de la chambre de commerce et d’industrie, « cette co-construction ne se décrète pas ».
Les dirigeants politiques de l’île, poursuivent les élus consulaires rencontrés, semblent se préoccuper de l’autonomie plus que de l’économie, alors qu’ils devraient « faire les deux ». Ils ne sauraient en effet prétendre « construire un nouveau modèle économique simplement en changeant les institutions », ni voir dans le système institutionnel le seul frein au développement économique. Il faut, disent‑ils, fixer d’abord un objectif, pour examiner ensuite les obstacles institutionnels existants et en déduire, enfin, les évolutions statutaires nécessaires.
Au préalable, poursuivent les représentants des trois chambres, il importe toutefois que les responsables politiques exercent pleinement les compétences dont ils disposent déjà. Ils estiment que ce n’est actuellement pas le cas, par exemple en matière d’eau, d’assainissement, de collecte des déchets ou de transports. Il serait également essentiel de mettre en place les conditions nécessaires à la pleine utilisation des fonds européens destinés au territoire, dont ils regrettent la sous‑consommation chronique.
Ils estiment également que la procédure des habilitations offre déjà un certain nombre de possibilités qui n’ont pas été suffisamment explorées, à condition d’en simplifier le cadre organique, trop lourd.
5. En dépit d’un manque d’enthousiasme, l’idée d’autonomie reste populaire
Pour Claude Lise, « il faut un titre XII [de la Constitution] ([128]) moderne, avec un principe de différenciation ».
Pour Justin Pamphile, président de l’association des maires de Martinique, l’évolution n’est pas une priorité pour les maires, qui sont avant tout dans la gestion quotidienne de leurs collectivités. Ces élus la soutiennent néanmoins « avec prudence » et le sujet les intéresse.
Catherine Conconne considère qu’il faut « continuer la marche historique », sans faire de l’évolution un totem et en faisant le bilan des dispositifs actuellement existants, notamment les habilitations.
Co-président de Péyi‑a, Jean-Philippe Nilor est attaché, au-delà de la forme prise par le dispositif proposé, à son contenu : il estime indispensable la mise en place d’une autonomie accrue, qui ne saurait toutefois être complète sans « principe de priorité martiniquaise à l’embauche à compétence suffisante », ni sans priorité d’accès au foncier des Martiniquais « par rapport à quelqu’un qui n’a aucune attache avec la Martinique » ([129]).
C. Un choix de temporiser qui interroge
Les rapporteurs ont été surpris d’apprendre que le projet, pourtant finalisé, d’évolution institutionnelle ne serait pas mené à son terme avant la fin de l’actuelle mandature de la CTM, alors même que sa mise en place implique un long processus législatif.
Si la révision constitutionnelle a lieu, Lucien Saliber confirme qu’ « il n’y aura pas de demande de vote sous cette mandature », car ce sujet ne figurait pas dans le programme de la majorité élue à la CTM en 2021. Cela reporte donc de quatre ans la mise en place de ce projet, le prochain renouvellement de l’assemblée territoriale ayant lieu en mars 2028.
La majorité territoriale est donc favorable à l’ouverture de la différenciation normative aux DROM sous la forme de l’insertion de l’article 73‑1 dans la Constitution, mais ne souhaite pas que la Martinique en fasse usage avant 2028 – un choix de temporiser, particulièrement long, qui peut surprendre.
2. …pour demander une révision constitutionnelle et l’adoption de plusieurs dispositions législatives
Les dispositions de l’article 73‑1 pourraient être précisées par une loi organique, avant que le dispositif qu’il prévoit soit ouvert aux territoires qui le souhaitent par d’autres dispositions législatives spécifiques à chaque territoire.
En Martinique, cette loi qui définirait les compétences dans lesquelles s’exercerait ce nouveau pouvoir normatif, serait, selon Didier Laguerre, rédigée par la CTM, puis soumise au Parlement pour y être adoptée. La santé est évoquée comme pouvant être l’une des premières compétences dans lesquelles s’appliquerait ce nouvel article.
Pour Didier Laguerre, cette loi devra être rédigée avec attention : le rédacteur devra prendre soin de répondre aux attentes de la population en restant conforme à la demande initiale des élus. C’est d’autant plus nécessaire que l’article 73‑1 tel qu’adopté par le congrès des élus impose que ce texte soit soumis à la population, conformément à l’article 72‑4 de la Constitution.
D. Un processus remis en cause par la situation actuelle
Le projet d’évolution institutionnelle présenté aux rapporteurs lors de leur déplacement en Martinique en avril 2024 pourrait être ralenti par les situations politique et sociale actuelles.
1. Un contexte politique national qui pourrait interrompre le processus de révision constitutionnelle
Si Serge Letchimy affirmait aux rapporteurs, en avril 2024, avoir reçu des échos favorables de l’ensemble des groupes de l’Assemblée nationale, la dissolution décidée par le président de la République le 9 juin 2024 laisse craindre un arrêt du processus. Le gouvernement de Michel Barnier, en effet, n’a pour l’instant pas pris position sur la poursuite ou l’arrêt du processus d’évolution institutionnelle des outre-mer.
Pour Serge Letchimy, « la situation au niveau national a tout perturbé » mais « nous n’avons pas abandonné notre démarche » ([130]).
2. Un contexte social martiniquais qui pourrait faire passer l’évolution institutionnelle au second plan
Depuis le début du mois de septembre 2024, l’actualité martiniquaise est marquée par une mobilisation populaire continue contre le phénomène de « vie chère » (cf. supra), à la suite d’un appel lancé par le Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéennes (RPPRAC). Entre septembre et octobre, plusieurs nuits de violences urbaines, durant lesquelles des agents des forces de l’ordre ont été blessés, ont conduit la préfecture à décréter des couvre-feux et la fermeture temporaire de l’aéroport. En parallèle, le dispositif sécuritaire est renforcé par l’arrivée de moyens humains (gendarmes et CRS) en provenance de l’hexagone.
Le 16 octobre, après un mois et demi de mobilisation, le préfet de la Martinique a annoncé la signature d’un accord avec les chaînes de grandes distributions censé permettre une baisse de 20 % des prix des produits alimentaires. Cette réponse, jugée insuffisante par certains – dont le RPPRAC – et dont les effets devront être mesurés, pourrait ne pas mettre un terme au mouvement de protestation.
troisième partie : La Guadeloupe
Le déplacement des rapporteurs en Guadeloupe a coïncidé avec :
– la mise en place du couvre‑feu à Pointe‑à‑Pitre et aux Abymes (cf. infra.) :
– une visite ministérielle de Gérald Darmanin (alors ministre de l'intérieur et des outre‑mer) et Marie Guévenoux (alors ministre déléguée chargée des outre-mer) ;
– une visite ministérielle de Thomas Cazenave (alors ministre délégué chargé des comptes publics) ;
– un mouvement social ayant fortement perturbé la circulation.
Ainsi, en raison de l’ensemble de ces événements, certains des entretiens envisagés n’ont pu être organisés ou ont dû être annulés. Ce fut notamment le cas de la rencontre avec l’association des maires de Guadeloupe.
I. Une longue histoire et des caractéristiques uniques
« Vieille colonie », l’archipel est aujourd’hui un territoire singulier, exposé à plusieurs risques.
A. L’histoire politique mouvementée de la Guadeloupe
La départementalisation de la Guadeloupe est intervenue après une longue histoire et n’est que la première étape d’un parcours politique singulier.
1. Le chemin d’une « vieille colonie » vers la départementalisation
Christophe Colomb est le premier européen à découvrir la Guadeloupe lorsqu’il débarque sur l’île de Marie‑Galante en 1493. Alors peuplée par le peuple Kalinagos, l’archipel devient une colonie espagnole jusqu’en 1636. Il passe alors sous contrôle français, d’abord par l’intermédiaire de la Compagnie des îles d’Amérique, puis sous l’autorité directe du roi de France à partir de 1674. La Guadeloupe est, depuis lors, un territoire français, à l’exception de deux épisodes – entre 1759 et 1763 puis entre 1810 et 1815 – où elle est passée temporairement sous contrôle britannique. L’histoire de la colonie est intrinsèquement liée aux plantations, ainsi qu’à l’esclavage jusqu’à son abolition définitive en 1848.
La IIIème République, tout en maintenant un régime de spécialité hérité de la tradition historique et politique, introduit dans la « vieille colonie » de Guadeloupe l'essentiel de la législation nationale, tout au moins au niveau des institutions publiques. La demande d'assimilation n'est pourtant pas entièrement satisfaite, car elle s’exprime, sur le plan institutionnel, par une campagne en faveur de la départementalisation.
S’ouvre alors un siècle de mobilisations pour l’assimilation, qui trouve son aboutissement juridique au lendemain de la seconde guerre mondiale, avec l’adoption de la loi de départementalisation du 19 mars 1946, faisant de la Guadeloupe un département.
La départementalisation ne s’avère pourtant pas synonyme d’égalité pour la Guadeloupe, qui accuse un important retard économique par rapport à l’hexagone et où les réformes tardent à être mises en place. Dès 1949, le parti communiste critique le statut départemental, qui perpétue selon lui les logiques coloniales. Influencée par le mouvement anticolonial, la contestation s’élargit à une grande partie des Guadeloupéens. En 1958, le refus de Charles de Gaulle d’accorder un statut de région autonome à la Guadeloupe pousse le Parti communiste guadeloupéen à appeler à voter « NON » au projet de Constitution. En faisant planer le risque d’une sécession en cas de rejet de la Constitution et en promettant la possibilité d’aménager ultérieurement les statuts des DOM, le général de Gaulle finit par obtenir l’adhésion d’une majorité des Guadeloupéens.
2. Le « Mai 1967 » guadeloupéen
L’avènement de la Vème République n’entraîne toutefois pas l’évolution juridique et institutionnelle attendue, ni ne parvient à répondre aux aspirations locales à l’égalité sociale. Ces déceptions se cristallisent dans une série de mouvements sociaux qui atteignent leur apogée avec les évènements de mai 1967.
Dès le 20 mars 1967, un incident entre un commerçant d’origine tchèque, accusé d’avoir lâché son chien sur un cordonnier handicapé pour le chasser du parvis de son magasin, entraîne des émeutes de plusieurs jours à Basse-Terre.
Comme le relate le rapport de la commission d'information et de recherche dirigée par Benjamin Stora, cet incident est suivi, deux mois plus tard, par des évènements d’une tout autre ampleur :
« Au cours d’une grève des ouvriers du bâtiment pour une augmentation de salaires, dès le matin du 26 mai, des incidents violents se sont produits devant un chantier entre grévistes et forces de l’ordre qui ont tiré en faisant des blessés parmi les ouvriers. Une négociation paritaire a lieu dans la matinée entre représentants syndicaux et patronaux dans les locaux de la chambre de commerce. » ([131])
Lors de ce rassemblement, les forces de l’ordre ouvrent le feu sur la foule, entraînant la mort de Jacques Nestor. Le décès de cette figure populaire du Groupe d’organisation nationale de la Guadeloupe (GONG), ne fait qu’aggraver la situation. Les émeutes durent trois jours.
Comme le rappelle le rapport Stora : « La question du bilan humain de Mai 1967 est l’une des plus controversées. L’État s’en tient, selon la plupart des archives consultées, à une version, établie au lendemain des événements, de sept puis rapidement de huit morts, dont les identités sont connues. » Par la suite, différentes figures politiques et militantes vont avancer l’hypothèse d’un bilan humain plus lourd.
3. Les années 80 : le renouvellement des courants indépendantiste et autonomiste
Malgré un soutien très minoritaire de la population guadeloupéenne, une tendance indépendantiste dure émerge dans les années 1980. Le Groupe de libération armée (GLA) mène une série d’attentats entre 1980 et 1981. Si l’élection de François Mitterrand et sa volonté décentralisatrice calment temporairement la situation sur place, les mesures prises par le nouveau gouvernement socialiste sont bien loin de satisfaire les mouvements indépendantistes. En 1983, les franges indépendantistes les plus extrêmes se regroupent au sein de l’Alliance révolutionnaire caraïbe (ARC), emmenée notamment par Luc Reinette. L’organisation commet une centaine d’attentats entre 1983 et 1989.
À la même période, la grande majorité des élus se déclarent favorables à une autonomie pour la Guadeloupe, sans nécessairement appartenir à des partis strictement autonomistes. Tel est le cas de Lucette Michaux-Chevry, députée membre du RPR (Rassemblement pour la République, parti de Jacques Chirac), élue présidente du conseil régional en 1992 après avoir été présidente du conseil général. En 1999, cette dernière, devenue entre-temps sénatrice, s’associe à ses homologues guyanais et martiniquais pour rédiger la déclaration de Basse-Terre – commune dont elle est maire – réclamant le statut de région autonome pour les trois collectivités.
En 2001, le congrès des élus de Guadeloupe adopte une résolution proposant la création d’une nouvelle collectivité de Guadeloupe, dans le cadre de la République française. Cette collectivité exercerait les pouvoirs du département et de la région ainsi que de nouvelles compétences propres dans un certain nombre de domaines. Elle serait en outre dotée d’un pouvoir législatif autonome. Le Congrès apporte également son soutien aux revendications de Saint‑Barthélemy et de Saint‑Martin, qui souhaitent cesser d’être « les îles du nord de la Guadeloupe » pour devenir des collectivités autonomes.
La réforme constitutionnelle de 2003 introduit la possibilité de créer une collectivité se substituant à un département et une région d’outre-mer, ou d’instituer une assemblée délibérante unique pour ces deux collectivités. Le 7 décembre 2003, les électeurs guadeloupéens rejettent néanmoins massivement (par 73 % des suffrages) le projet de création d’une telle collectivité unique.
B. Des spécificités naturelles ou historiques
1. Des risques sanitaires et environnementaux
L’archipel de Guadeloupe est constitué de sept îles ; les deux principales, la Basse‑Terre (848 km²) et la Grande-Terre (588 km²), ne sont séparées que par un mince détroit, la Rivière salée. Plate et sèche, la Grande‑Terre se distingue de la Basse‑Terre, montagneuse et dominée par le volcan de la Soufrière. La population guadeloupéenne, en recul démographique, est estimée à 378 600 habitants au 1er janvier 2024 ([132]).
La ville de Basse‑Terre est la capitale administrative, tandis que la Grande‑Terre accueille, avec l’agglomération de Pointe‑à‑Pitre, le centre économique du territoire. La ville de Baie‑Mahault abrite notamment la zone industrielle de Jarry, l’une des plus grandes de France.
Les autres îles de l’archipel, parfois nommées « îles du sud », sont Marie‑Galante – 158 km², soit environ 1,5 fois Paris –, l’archipel des Saintes, composé des îles de Terre‑de‑Haut et Terre‑de‑Bas (14 km² au total) et l’île de la Désirade (21 km²).
La Guadeloupe fait face aux conséquences sanitaires et environnementales de l’empoisonnement des écosystèmes par le chlordécone, pesticide toxique utilisé dans les bananeraies jusqu’en 1993, ainsi qu’à celles de la prolifération des sargasses, algues toxiques qui s’échouent sur le rivage. Elle est également exposée à de nombreux risques climatiques : sismique, volcanique, cyclonique, etc.
2. Le déséquilibre entre Basse-Terre et Pointe-à-Pitre
Le chef-lieu du département, Basse-Terre, fut choisi à l’époque de la colonisation, en raison de considérations liées à sa défense vis-à-vis des risques d’attaques de marines rivales. Au fil du temps, l’agglomération de Pointe-à-Pitre, beaucoup plus centrale, a connu un fort développement économique, en raison notamment de la présence d’un port en eaux profondes, puis d’un aéroport, du centre hospitalier régional, etc. Le coup de grâce a été porté à Basse-Terre par l’éruption volcanique de la Soufrière de 1976 : 73 000 habitants du chef-lieu et des environs furent évacués, la plupart vers la Grande-terre et l’agglomération de Pointe-à-Pitre. Beaucoup ne sont jamais retournés vivre à Basse-Terre.
Depuis lors, l’agglomération de Pointe-à-Pitre – les Abymes a pris une envergure démographique, économique et touristique et est devenue, de loin, la principale de l’archipel : si les Guadeloupéens le savent, la majorité de leurs concitoyens hexagonaux ignorent probablement que Pointe-à-Pitre n’est pas le siège de la préfecture de la Guadeloupe.
Il en résulte un déséquilibre des services de l’État et des collectivités principalement installés de manière excentrée à Basse-Terre, mais disposant pour la plupart d’annexes ou de « succursales » dans l’agglomération de Pointe-à-Pitre. La sous-préfecture de Pointe-à-Pitre, qui accueille plus de public que la préfecture, est presque aussi imposante que cette dernière. Il en résulte d’incessants trajets de la part d’administrés, de fonctionnaires, de chefs d’entreprises… entre les deux villes, sur une route régulièrement en travaux et notoirement embouteillée.
II. Si les institutions comportent peu de spécificités, leur évolution est désormais à l’ordre du jour
À la fois département et région, la Guadeloupe pourrait prochainement faire évoluer son statut.
A. Des collectivités de droit commun, avec toutefois quelques particularités et des difficultés
Si la Guadeloupe se différencie peu des collectivités hexagonales, elle n’en présente pas moins plusieurs singularités institutionnelles.
1. Une région monodépartementale qui a connu peu d’évolutions institutionnelles
Contrairement à la Guyane et à la Martinique, la Guadeloupe demeure tout à la fois un département et une région, correspondant, donc, à la structure originelle des départements et régions d’outre‑mer (DROM) au sens de l’article 73 de la Constitution. En effet, la Guadeloupe :
– n’est pas limitée par l’amendement Virapoullé comme l’est La Réunion ;
– n’a jamais, contrairement à Mayotte, connu le statut de collectivité d’outre‑mer ;
– n’a pas suivi la Guyane et la Martinique dans leur choix de devenir des collectivités territoriales uniques.
« Vieille colonie », devenue département de droit commun en 1946, puis région de droit commun en 1982, la Guadeloupe est, du point de vue institutionnel, le territoire resté le plus proche du statut de DROM tel qu’il a été pensé dans le cadre de la Constitution de la Vème République et des vagues successives de décentralisation.
Deux entités subsistent donc – le département de Guadeloupe et la région de Guadeloupe (ou « région Guadeloupe ») – chacune ayant ses institutions : le conseil départemental de la Guadeloupe, composé de quarante-deux membres, élus par binôme dans chacun des vingt‑et‑un cantons, et le conseil régional de la Guadeloupe, composé de quarante et un membres élus au scrutin de liste. Le président du conseil régional est Ary Chalus, celui du conseil départemental est Guy Losbar. Ces deux institutions siègent à Basse‑Terre mais possèdent également des locaux dans l’agglomération de Pointe‑à‑Pitre.
2. Les compétences des deux collectivités ne sont pas toujours bien délimitées
En tant que région monodépartementale, la Guadeloupe se distingue néanmoins des régions hexagonales : deux collectivités territoriales distinctes y évoluent en effet sur le même territoire, mais dans des domaines distincts – action sociale, principalement, pour le département, aménagement du territoire, transports, environnement, développement économique pour la région. Cette singularité est d’autant plus étonnante pour les compétences dont le code général des collectivités territoriales prévoie le partage entre les collectivités, telles que la culture, le sport, le tourisme, ou la promotion des langues régionales ([133]). Lors de leur audition, les représentants du conseil départemental ont ainsi souligné que « les lieux touristiques appartiennent au conseil départemental, alors que la compétence en matière de tourisme appartient au conseil régional ».
Une coopération entre les deux collectivités guadeloupéennes est donc indispensable pour le bon exercice de l’ensemble de leurs compétences. Un « contrat de gouvernance concertée » a donc été signé entre les deux collectivités en 2022, conduisant à la mise en place de dix commissions mixtes, composées de représentants du département et de la région. Ces commissions ont pour objectif de permettre l’élaboration de stratégies communes dans les domaines où les compétences sont partagées entre ces deux entités. Toutefois, selon certains interlocuteurs des rapporteurs, elles ne se seraient presque jamais réunies.
Les problèmes de « chevauchement de compétences » entre département et région ont également été évoqués par le préfet de la région Guadeloupe, Xavier Lefort. Celui‑ci souligne néanmoins que l’existence de ces deux collectivités permet le maintien d’un « équilibre des pouvoirs », qu’il peut être moins évident de conserver au sein d’une collectivité territoriale unique.
3. Des compétences spécifiques en vertu d’habilitations de l’article 73
Si les collectivités guadeloupéennes, qui évoluent dans le cadre de l’identité législative, sont ainsi, à peu de choses près ([134]), identiques à celles des collectivités territoriales de droit commun, elles bénéficient néanmoins des facultés ouvertes par l’article 73 de la Constitution. Comme toutes les institutions des autres DROM, elles peuvent ainsi, dans les domaines ou s’exercent leurs compétences, être habilitées à adapter les lois et règlements à leurs caractéristiques et contraintes particulières. Elles peuvent également, dans certaines matières relevant de la loi ou du règlement, fixer elles‑mêmes les règles applicables, là aussi après habilitation.
Le conseil régional de la Guadeloupe a ainsi pu, par délibération, adopter des dispositions relevant normalement du pouvoir législatif ou réglementaire. Conformément aux dispositions organiques relatives à cette procédure, ces habilitations ont fait suite à plusieurs délibérations du conseil régional demandant ces transferts de compétences.
Si cette procédure a donc été effectivement utilisée en Guadeloupe, elle ne l’a été que par le conseil régional, dans un nombre restreint de compétences et, à chaque fois, pour une durée déterminée. Elle n’en constitue pas moins une exception à l’identité législative dont relève la Guadeloupe et, en particulier, à la proximité de ses institutions avec les collectivités territoriales de droit commun. Elle présente donc l’intérêt de montrer toutes à la fois les possibilités et les limites du cadre institutionnel actuel.
L’utilisation de la procédure d’habilitation par le conseil régional de Guadeloupe
Le conseil régional de Guadeloupe a adopté plusieurs délibérations demandant le tranfert de compétences relevant, en temps normal, de la loi ou du règlement :
– l’une en 2009, portant sur l’énergie ([135]), accordée par le législateur en mai 2009 ([136]), et ayant servi de base à seize délibérations du conseil régional ;
– une autre, du même jour ([137]), portant sur la formation professionnelle, accordée par la même loi, et ayant servi de base à la création d’un établissement public de formation professionnelle, qui relève en temps normal du domaine de la loi ;
– une troisième en 2010, portant sur la maîtrise de la demande d’énergie, la réglementation thermique pour la construction de bâtiments et le développement des énergies renouvelables ([138]), accordée par le législateur en juillet 2011 ([139]) et ayant servi de base à sept délibérations ;
– une quatrième en 2013, renouvelant la première en l’élargissant ([140]), accordée en août 2015 ([141]) ;
– la dernière, sur le même thème, en 2016 ([142]), pour proroger la précédente habilitation, devenue caduque du fait du renouvellement du conseil régional.
4. Une certaine autonomie en matière de coopération avec les États voisins
Les institutions de la Guadeloupe ont également un rôle à jouer en matière de relations avec les États voisins. Des dispositions législatives spécifiques autorisent en effet l’État à permettre au président du conseil régional de Guadeloupe de « négocier et signer des accords avec un ou plusieurs États ou territoires situés […] dans la Caraïbe […] ou avec des organismes régionaux » et d’y représenter les autorités françaises ([143]). Une disposition similaire offre les mêmes possibilités à tout président d’un conseil général (sic) d’un département d’outre‑mer ([144]).
Comme la Martinique, la Guadeloupe est ainsi membre associé de l’Association des États de la Caraïbe (AEC) et de l’Organisation des États de la Caraïbe orientale (OECO). En revanche, et contrairement à l’île sœur, sa demande d’adhésion à la Communauté caribéenne (CARICOM) n’a, pour l’instant, pas encore été suivie d’effet.
B. Depuis 2003, la rÉflexion institutionnelle n’a pas encore abouti À une modification statutaire
Le fait que la Guadeloupe ne soit pas devenue une collectivité territoriale unique ne doit pas masquer l’existence, depuis plus de vingt ans, d’une longue réflexion institutionnelle.
1. Contrairement aux Martiniquais et aux Guyanais, les Guadeloupéens ne se sont pas prononcés sur une évolution des institutions
Après le refus de la création d’une collectivité unique par les Guadeloupéens en 2003 (cf. supra), l'évolution institutionnelle et statutaire du territoire se dissocie de celles de la Guyane et de la Martinique. En effet, en juin 2009, au moment où sont planifiés, dans ces deux territoires, les consultations de janvier 2010, la Guadeloupe sort d'une période de troubles sociaux. Les responsables politiques guadeloupéens choisissent de ne pas organiser de consultation similaire, et les Guadeloupéens n’ont donc pas l’opportunité de se prononcer, par exemple, sur la fusion des instances départementales et régionales en une collectivité territoriale unique.
2. Le congrès des élus mène néanmoins un travail de réflexion sur l’avenir institutionnel de l’archipel
En matière d’évolution institutionnelle, la Guadeloupe, comme la Martinique et la Guyane, compte une institution spécialisée, le congrès des élus départementaux et régionaux et des maires de Guadeloupe, composé « des membres du conseil départemental de la Guadeloupe et du conseil régional de Guadeloupe ainsi que des maires du département ». Les parlementaires y siègent avec voix consultative. ([145])
Dès 2010, ce congrès mène des travaux sur l’avenir institutionnel de l’archipel et, « réuni fin décembre [écarte], à l'unanimité, tout passage au statut de collectivité d'outre-mer régie par l'article 74 de la Constitution […]. » ([146]) Par la suite, en 2019, le congrès des élus a adopté une résolution demandant au gouvernement « de réviser la Constitution afin de doter la Guadeloupe d'une loi organique pour tenir compte de sa situation spécifique et singulière, tant au niveau de la responsabilité politique dans l'exercice des compétences, que de l’organisation administrative et territoriale » et, à défaut, « de permettre, dans le cadre d'un assouplissement de la notion d'adaptation, une évolution de la gouvernance locale, en vue de pouvoir élaborer des normes à l'échelon local ».
Le congrès des élus, qui se réunit régulièrement ([147]), est ainsi à l’origine des propositions formulées, en 2023 et en 2024, en matière d’évolution institutionnelle. En effet, dans une Guadeloupe où région et département subsistent, seul un tel organe assurant le dialogue entre les personnalités politiques de ces deux collectivités, et donc leur adhésion à un unique projet, peut mener ce travail.
Les travaux du congrès sont préparés par la « commission mixte ad hoc »
Par délibérations des 28 juillet et 24 juin 2022, les conseils régional et départemental ont donné naissance, sur un modèle qui avait déjà été mis en œuvre à une commission mixte ad hoc, chargée des questions institutionnelles. Outre sept membres de chacune des deux assemblées délibérantes, issus ou non de la majorité, elle se compose des parlementaires du territoire et du président de l’association des maires.
Cette instance, dont l’existance n’est pas prévue par la loi, a pour fonction de préparer les travaux du congrès des élus.
III. Un projet d’évolution institutionnelle désormais lancé
En 2023 et 2024, lors de deux réunions, le congrès des élus a dessiné l’avenir institutionnel de la Guadeloupe, sous la forme d’un projet qui sera soumis à la population.
A. Le congrès du 7 juin 2023 : l’évolution institutionnelle au prisme d’un projet de société
Ce sont les travaux de ce congrès, détaillés dans le rapport élaboré par la commission ad hoc ([148]), qui ont été présentés aux rapporteurs lors de leur déplacement en Guadeloupe. Ils constituent en effet une nouvelle étape essentielle, quoiqu’intermédiaire, du processus d’évolution institutionnelle.
1. Des travaux pour améliorer et renforcer les politiques publiques
Ce rapport ne porte pas véritablement sur l’évolution institutionnelle en tant que telle, même si elle y est évoquée, mais a pour objectif de définir « la stratégie territoriale optimale pour l’amélioration des politiques publiques en Guadeloupe » ([149]).
Il s’appuie sur une liste de neuf thèmes, devant faire l’objet de propositions locales, transmises aux élus par le ministère de l’intérieur et des outre‑mer en prévision du comité interministériel des outre-mer (CIOM) du 18 juillet 2023. Les membres de la commission ad hoc ont toutefois souhaité compléter cette liste pour « coller davantage à leur vision des attentes du territoire », en définissant trois « blocs » thématiques.
Les douze thèmes de travail de la commission ad hoc
Bloc 1, les conditions du développement économique :
– la régulation et les incitations économiques ;
– les politiques de l'emploi et du retour au pays ;
– le pouvoir d'achat ;
– la fiscalité ;
Bloc 2, l'épanouissement de l'humain :
– la santé et les solidarités ;
– l'éducation et la recherche ;
– les économies de la culture et du sport ;
– la sécurité et la sûreté ;
Bloc 3, le développement territorial :
– l'aménagement maîtrisé et durable du territoire ;
– économie verte et bleue, la transition écologique ;
– les migrations, les mobilités, la continuité territoriale ;
– la coopération, l'insertion et l'intégration régionales.
S’y ajoute un « bloc 4 », consacré aux questions institutionnelles.
Pour chacun de ces « blocs », le rapport rédigé par la commission émet des constats et formule des préconisations. Celles‑ci « sont issues de cinq mois de consultations et d'auditions des citoyens guadeloupéens, de la société civile, des acteurs économiques, des corps constitués, des organisations patronales, politiques et para-politiques, des représentants de la jeunesse guadeloupéenne, des experts, personnes qualifiées et des universitaires » ([150]).
Ces préconisations sont présentées en fonction du niveau institutionnel habilité à les mettre en œuvre et des éventuelles évolutions nécessaires :
– premier niveau : le périmètre actuellement en vigueur et « nécessitant un renforcement du niveau d'intervention des institutions » ;
– deuxième niveau : l'action des collectivités (région, répartement, communes et EPCI) ;
– troisième niveau, lorsqu’une évolution institutionnelle ou statutaire est nécessaire, ce qui renvoie à la réflexion ouverte dans le « bloc 4 ».
Sur la base de ce travail, le congrès des élus du 7 juin 2023 a adopté une résolution sollicitant du gouvernement « la prise en compte des 153 préconisations élaborées dans le cadre des travaux de la commission mixte ad hoc chargée de la préparation des travaux des élus départementaux, régionaux et des maires qui relèvent [de ces] douze thématiques ».
2. Une première esquisse d’une évolution institutionnelle
Dans le « bloc 4 », la commission ad hoc expose donc au congrès ses premières réflexions en matière d’évolution institutionnelle. Elle commence par faire le constat d’une organisation institutionnelle confrontée à de nombreuses difficultés, qu’elle impute à quatre phénomènes :
– l’organisation territoriale ne favorise pas l’efficacité des politiques publiques : la répartition des infrastructures et des services publics crée des disparités territoriales, a fortiori en situation de double, voire triple insularité, et la coordination entre les différents acteurs institutionnels est insuffisante ;
– la centralisation des décisions au niveau national – notamment en matière d’allocation des ressources financières – est excessive, limitant l’autonomie décisionnelle de la Guadeloupe et empêchant la prise en compte de ses réalités, besoins, et spécificités : les décisions ainsi prises, souvent sans que des Guadeloupéens y participent, sont « des solutions génériques qui ne répondent pas aux défis et aux priorités de l’archipel », retardant ainsi son développement ;
– la différenciation territoriale est inexistante : les lois et règlements nationaux, ne sont pas suffisamment adaptés aux réalités de l’archipel (accès difficile à l’emploi, forte précarité économique et sociale, géographie, environnement, modes de vie), qui nécessitent des mesures spécifiques et une politique de développement économique inclusif dans certains secteurs clés (agriculture, pêche, tourisme, énergies renouvelables) ;
– l’exception culturelle guadeloupéenne n’est pas suffisamment prise en compte, reconnue ni soutenue dans les politiques nationales, qu’il s’agisse du créole, de la production artistique ou de la préservation du patrimoine culturel.
Fort de ces constats, le congrès des élus du 7 juin 2023 a adopté une résolution par laquelle il confie à la commission ad hoc « le soin de poursuivre, sur les six prochains mois, les travaux conduisant à un projet d’organisation institutionnelle et un périmètre de compétences fondés sur une plus grande domiciliation locale du pouvoir de décision dans les domaines identifiés comme étant essentiels au développement de l’archipel ».
Ces domaines sont :
– La fusion de la région et du département en une collectivité unique ;
– Le pouvoir d’adaptation des normes aux réalités de l’archipel ;
– La fixation du nombre d’élus ;
– La refonte de la carte de l’intercommunalité ;
– L’adoption d’une loi de programmation sur dix ans portant contractualisation des engagements de l’État ;
– La mise en place d’une fiscalité spécifique ;
– La réflexion sur les éléments constitutifs des emblèmes de la Guadeloupe (hymne, drapeau, etc.) ;
– Le régime législatif applicable ;
– Le rapport à l’Union Européenne.
Est ainsi actée, par le congrès des élus, la volonté de voir la Guadeloupe abandonner le statut de région monodépartementale pour devenir, comme la Martinique et la Guyane, une collectivité territoriale unique (CTU).
B. À partir de janvier 2024, un important travail de préparation malgré les doutes des élus
Si les résolutions du congrès de 2023 ont été la base d’un important travail de concrétisation du projet d’évolution institutionnelle, elles ont également fait l’objet de nombreuses critiques.
1. La commission ad hoc s’est saisie des résolutions du congrès de 2023 pour définir le projet d’évolution institutionnelle
Les 994 pages des annexes au rapport du congrès du 12 juin 2024 ([151]) témoignent de l’importance des travaux effectués après le congrès de 2023. En effet, sous l’égide de la commission ad hoc, des contributions ont été rédigées par des experts universitaires, qu’il s’agisse d’économistes, de juristes ou de politologues.
Comme l’ont indiqué aux rapporteurs les représentants du conseil départemental de la Guadeloupe, les territoires d’outre‑mer ayant déjà connu une évolution institutionnelle, et parfois statutaire, ont également été consultés, notamment les collectivités territoriales de Guyane et de Martinique. La Guadeloupe, disent les élus, a en effet la chance, en « passant après », de pouvoir se nourrir de leur expérience.
Un cabinet privé a, en outre, rédigé des fiches d’analyse et de propositions juridiques sur les différents aspects du projet.
Les partis politiques ont à nouveau été consultés par écrit. Enfin, la participation citoyenne a été assurée par l’organisation de « grands forums » thématiques. Elle l’a également été par le biais d’un site internet.
Un questionnaire en ligne à destination des citoyens
Tout citoyen a pu répondre à un sondage en ligne, dont les questions étaient :
– Y a-t-il des choses que nous devons protéger en tant que Guadeloupéens ?
– Comment pouvons-nous faire en sorte que les Guadeloupéens aient plus d'opportunités d'emploi ?
– Faut-il mettre en place des conditions pour accéder au foncier en Guadeloupe ? Lesquelles ?
– Y a-t-il des sujets pour lesquels les Guadeloupéens devraient pouvoir décider eux mêmes ? Lesquels?
– Certaines règles pourraient être mieux gérées localement ?
– La fiscalité est-elle selon vous un levier de notre développement ? Pourquoi ?
– Comment pouvons-nous utiliser les taxes pour financer des projets bénéfiques pour tous ?
– Pour vous l’organisation des communautés d’agglomération ou de communes présente-t-elle plus d’avantages ou d’inconvénients ?
– Notre lien avec l'Europe est-il bénéfique pour la Guadeloupe ? Pourquoi ?
– Devons-nous faire évoluer nos relations avec l’Europe ?
Les réponses apportées, qui témoignent de la diversité des opinions sur le projet institutionnel, sont retranscrites dans les annexes du rapport au congrès de juin 2024 ([152]).
b. Une bonne information, grâce à un site internet
Le processus guadeloupéen se singularise par l’existence d’un site internet spécifique, nommé « #kanoukafè ? » (« qu’est-ce qu’on fait ? ») ([153]).
Ce site, conçu comme un forum citoyen en ligne, se veut le support d’un dialogue avec les Guadeloupéens, mais aussi une plateforme d’information sur les travaux menés en matière d’évolution institutionnelle. On y trouve ainsi plusieurs interviews, en vidéos, d’universitaires spécialistes du sujet. Ce site permet également à toute personne d’adresser aux instances guadeloupéennes une « contribution libre », en répondant à la question suivante : « Comment améliorer la mise en œuvre des politiques publiques essentielles au bien-être des citoyens Guadeloupéens ? ».
2. Entre les deux congrès, les rapporteurs ont recueilli les doutes de certains acteurs politiques sur le fond comme sur la forme
a. La place réduite de la région dans l’élaboration du projet
Contrairement au président du conseil départemental, le président du conseil régional, Ary Chalus, n’est pas membre de la commission ad hoc.
Le code général des collectivités territoriales prévoit que le congrès se réunit « à la demande du conseil général ou du conseil régional » et qu’il est présidé alternativement, à chaque fois pour un semestre, par l’un puis l’autre des présidents de ces deux conseils ([154]). Néanmoins, dans les faits, les congrès de 2023 et 2024, tenus en juin, ont tous deux été présidés par Guy Losbar, président du conseil départemental.
Pour certains observateurs auditionnés, ce phénomène révèle les réticences de la région à participer à ce processus, la commission ad hoc n’ayant repris ses travaux qu’en janvier 2024. Ainsi, pour Olivier Nicolas, premier secrétaire du parti socialiste guadeloupéen, « la commission ad hoc fonctionne avec les élus du conseil départemental et pas ceux du conseil régional ».
De plus, la position exprimée, auprès des rapporteurs, par Ary Chalus en avril 2024, révélait une certaine distance par rapport au processus (cf. infra).
b. La circonspection de certains acteurs politiques, économiques et sociaux
Selon les représentants du conseil départemental, il existerait « une volonté unanime des élus d’aller vers une évolution pragmatique, avec plus d’autonomie et un pouvoir normatif local ». Ce n’est toutefois pas la position de l’ensemble des acteurs auditionnés.
Pour André Atallah, maire de Basse‑Terre, tous les élus ne connaissent pas parfaitement le statut actuel. Ce maire doute donc de l’efficacité de la création d’une CTU pour résoudre les problèmes de l’archipel. Pour lui, ce projet n’est pas prioritaire. Néanmoins, poursuit‑il, « maintenant, il faut que ça bouge, ça a trop longtemps duré ». Il s’oppose toutefois à la diminution du nombre d’élus : « il faut des gens pour tous les postes » ([155]).
Favorable à l’accroissement de l’autonomie de la Guadeloupe, le maire de Pointe‑à‑Pitre, Harry Durimel, craint lui aussi que ce projet n’échoue à recueillir l’adhésion de la population.
Premier secrétaire de la fédération guadeloupéenne du parti socialiste, Olivier Nicolas rappelle que si son parti a accepté en 2019, malgré des réserves initiales, de relancer le sujet de l’évolution institutionnelle avec un congrès, c’était en raison de l’annonce d’une révision constitutionnelle et à condition de mettre en place une nouvelle méthode. Or, alors même qu’il fait le constat d’une « impuissance publique généralisée » dans de nombreux domaines (eau, transport, déchets), Olivier Nicolas regrette que rien ne se soit passé entre 2019 et 2023. Il évoque une sorte d’ « obsession pour la collectivité territoriale unique », alors même qu’une fusion entre le département et la région est une opération administrative complexe (alignement des régimes indemnitaires, élaboration d’un organigramme, etc).
Pour Christophe Wachter ([156]), président du conseil économique, social et environnemental régional, il existe une sorte de « frustration » à voir que « d’autres territoires avancent » tandis que la Guadeloupe reste avec deux collectivités territoriales, des conflits de compétences, des oppositions, etc. Il estime néanmoins que le congrès des élus, contrairement à 2003, est devenu « événementiel », et que la population « se rend compte que c’est absurde ». Pour lui, « plus personne n’y croit, ce n’est plus la bonne formule pour convaincre ».
En avril 2024, les rapporteurs ont également recueilli les propos du président de la région, Ary Chalus, bien que la position de celui‑ci ait par la suite évolué. Ary Chalus est favorable à l’évolution institutionnelle, qu’il juge « naturelle » mais prônait alors une certaine temporisation. Il estimait qu’un référendum sur le sujet « serait un échec » tant que les problèmes de l’eau, des transports ou des déchets ne seraient pas résolus. En avril 2024, toujours, il jugeait qu’il était « déjà possible de faire beaucoup avec l’existant » et « qu’il y a des choses simples à faire pour avancer », notamment par le biais des habilitations, à condition d’en améliorer la procédure (cf. supra). Il citait l’exemple de l’adaptation des normes environnementales, qui ne prennent pas assez en compte les réalités locales. Plus que l’évolution statutaire, l’important est, pour Ary Chalus, de renouer la confiance et le dialogue avec la population.
C. En 2024, le congrès des élus a acté la volonté de faire de la Guadeloupe une collectivité unique
Après un long travail de préparation, le XVIIIème congrès des élus s'est tenu le mercredi 12 juin 2024. Malgré un début incertain du fait de vives dissensions politiques, la journée s'est conclue par l’adoption de quatre résolutions importantes.
1. D’importantes décisions, après un début en demi-teinte
Dans un premier temps, le président de la Région, Ary Chalus, a exprimé des doutes sur l'issue des votes, refusant « que l'on fasse un congrès, pour faire un congrès » ([157]).
De plus, les groupes « Guadeloupe plurielle et solidaire » (GPS) et « Péyi Gwadloup » ont quitté la réunion en demandant son report, notamment au regard de la situation politique d’alors, ce congrès ayant lieu moins d’une semaine après la décision du président de la République de dissoudre l’Assemblée nationale. Ils ont déploré « la méthode employée pour l’organisation de ce congrès alors qu’il n’y a aucune urgence ». Le sénateur Victorin Lurel, membre de la commission ad hoc, a ainsi déclaré : « Une seule idée a été soumise à la commission ad hoc qu’on a transformée en instance décisionnelle alors qu’elle n’a aucune existence formelle… On a escamoté les contributions de certains partis politiques, dont le mien. On découvre seulement maintenant les résolutions alors qu’il faut les envoyer 10 jours avant… » Et le même de conclure : « le truc est mort ». ([158])
Le président Chalus a néanmoins finalement exprimé son soutien à la démarche, regrettant que le départ des élus donne « une mauvaise image ». Après ce changement de position, les membres présents ont adopté à l’unanimité les quatre résolutions examinées, lesquelles prévoient :
– Résolution n° 1 : la création d’un pouvoir normatif autonome local dans plusieurs domaines tels que l’aménagement du territoire, le développement économique et durable, le droit du travail, la fiscalité locale, l’éducation et la recherche et la création d’établissements publics ;
– Résolution n° 2 : une nouvelle répartition entre les compétences de l’État, les compétences locales, et les compétences partagées ;
– Résolution n°3 : la création d’une collectivité territoriale unique ;
– Résolution n° 4 : « l’organisation d’une consultation citoyenne sous forme de concours pour le choix du drapeau, de l’hymne et de la devise de la Guadeloupe », tout citoyen pouvant « proposer un modèle de drapeau [, un hymne ou une devise] existant ou fruit de sa création », le choix revenant aux citoyens par le biais d’un vote.
Ces résolutions ont été, comme le prévoit le code général des collectivités territoriales ([159]), examinées et adoptées par le conseil départemental ([160]) et le conseil régional ([161]) de Guadeloupe.
Elles seront soumises à l'approbation des Guadeloupéens par le biais d’un référendum.
2. Le choix d’une collectivité territoriale unique selon un schéma défini
La résolution n° 3 ne se contente pas de prévoir la création d’une collectivité territoriale unique : elle fixe les grandes lignes de l’organisation des nouvelles institutions et du processus législatif permettant de les mettre en place.
a. Des nouvelles institutions guadeloupéennes
Dans le modèle proposé, la collectivité unique exerce, a minima, les compétences actuelles de la région et du département. Elle dispose, en outre, d'un pouvoir normatif autonome dans plusieurs domaines : l'aménagement du territoire ([162]), le développement économique et durable ([163]), le droit du travail ([164]), la fiscalité locale, l’éducation et la recherche, la création d'établissements publics.
La collectivité a pour organe délibérant une assemblée territoriale composée d'au maximum soixante membres, élus selon un mode de scrutin « garantissant la représentation de l'ensemble des territoires de l’archipel ». Cette assemblée se prononce sur les affaires de la collectivité, dont elle adopte les politiques publiques, et exerce le pouvoir normatif dans les domaines pour lesquels elle est compétente. Elle élit le président de la collectivité.
Une instance citoyenne participative débat périodiquement des activités de la collectivité et est « force de proposition ». Par ailleurs, le conseil de la culture, de l'éducation et de l'environnement et le conseil économique, social et environnemental sont conservés ; dans leurs domaines de compétences, ils émettent des avis préalables sur les délibérations de l'assemblée territoriale.
Enfin, après consultation de la population et en cas d'adhésion de celle-ci, le projet de création d'une collectivité unique fera l'objet d'une instance de suivi. Cette instance inclura une représentation des personnels des deux collectivités, garantissant ainsi la bonne conduite des travaux.
b. Une consultation de la population et plusieurs pistes juridiques
In fine, le choix de créer ou non cette collectivité unique reviendra aux Guadeloupéens eux‑mêmes, sous la forme d’une consultation ([165]). Celle‑ci portera sur un avant‑projet de loi organique dont les contours devront être précisés par le congrès des élus, dont c’est désormais la tâche.
La résolution précise enfin que ce texte pourra « faire l'objet de la présentation au gouvernement d’un projet de rédaction constitutionnelle pour la Guadeloupe permettant de la doter d'un statut spécifique au sein de la République qui tienne compte de ses intérêts propres et de ses caractéristiques et contraintes particulières, liés à son insularité caribéenne et à sa communauté historique, linguistique, culturelle, sociale, ayant développé un lien à sa terre ». Il n’est donc pas à exclure que le projet d’évolution institutionnel guadeloupéen prenne la forme, comme le projet guyanais et sur le modèle du statut de la Nouvelle‑Calédonie, d’une proposition de titre constitutionnel spécifique.
IV. L’évolution institutionnelle devra prendre en compte certaines spécificités du territoire
Plusieurs phénomènes, qui marquent le territoire guadeloupéen, ont été évoqués à de nombreuses reprises lors des travaux des rapporteurs. Le processus institutionnel en cours ne pourra les ignorer.
A. Double-insularité et évolution institutionnelle : un défi pour Marie‑Galante
Troisième île, en superficie, de l’archipel guadeloupéen, Marie‑Galante est située à 30 km au sud-est du littoral de la Guadeloupe « continentale », à laquelle elle est reliée par des liaisons maritimes quotidiennes ; elle connaît donc une situation de double‑insularité. Elle est divisée en trois communes – Grand-Bourg, Saint-Louis et Capesterre de Marie‑Galante – regroupées au sein de la Communauté de communes de Marie‑Galante (CCMG). Son surnom de « grande galette » évoque sa forme circulaire et plate ([166]). Elle est nommée par Christophe Colomb, en 1493, d’après l’un des surnoms (Maria Galanda) donnés à l’un des trois navires de son escadre, la Santa Maria.
1. Une île en perte de vitesse démographique et économique
Depuis au moins soixante ans, la population marie-galantaise diminue, de manière continue, d’environ cent habitants chaque année. En conséquence, la densité de sa population, de 67 habitants par km², est très faible et trois fois inférieure à celle de la Guadeloupe. Au 1er janvier 2020, la population de Marie‑Galante s’établissait à 10 642 habitants. ([167])
Initialement prédominant dans l’économie de l’île, le secteur agricole, marqué par la culture de la canne à sucre et la production de rhum, a reculé, au profit, notamment, du secteur touristique. Le secteur sanitaire est également important, principalement du fait de l’important vieillissement de la population. L’île conserve néanmoins trois distilleries, ainsi qu’une usine sucrière, particulièrement importante dans son économie : « quand l’usine s’enrhume, c’est tout Marie‑Galante qui éternue », ont ainsi pu entendre les rapporteurs.
La mission d’information s’est rendue à Capesterre de Marie‑Galante, pour y rencontrer le maire, Jean‑Claude Maes – par ailleurs président, au moment de cette visite, de l’Association des communes et collectivités d’outre-mer (ACCD’OM) – ainsi que le conseil municipal.
Si l’insularité consiste, pour les outre‑mer, à devoir appliquer des décisions prises à Paris, la double‑insularité, expliquent les membres du conseil municipal, étend cette situation aux décisions prises « à Basse‑Terre ou à Pointe‑à‑Pitre » ; ces deux centres de décision, s’ils sont plus proches, ne connaissent pas exactement les mêmes réalités que Marie‑Galante, estiment les auditionnés. À cet égard, la perpétuation de l’usage du terme de « dépendances » pour désigner les îles du sud de la Guadeloupe est jugée particulièrement blessante par les auditionnés.
Au-delà de la seule question de l’éventuelle évolution du cadre institutionnel, a également été évoquée le manque d’ingénierie locale et de cadres au sein même des collectivités, en Guadeloupe comme ailleurs dans les outre‑mer. Cette difficulté freine la conception et la mise en œuvre des politiques publiques dans ces territoires. Ces compétences sont indispensables pour répondre, dans des délais contraints, aux appels à projets adressés par l’État aux collectivités territoriales. À Marie‑Galante, ce problème est exacerbé par la double‑insularité, qui affecte par exemple la capacité des fonctionnaires de l’île à prendre part à des formations dispensées en Guadeloupe « continentale » et, a fortiori, dans l’hexagone.
Les insuffisances de la continuité territoriale ont également été soulignées, en particulier dans la période qui a suivi la crise sanitaire. Le faible nombre de navettes maritimes – « après 16 heures, on ne peut plus partir » – oblige souvent les Marie-Galantais à se lever très tôt, à subir de longues attentes pour pouvoir acquérir un titre de transport, puis, parfois, à attendre, au port de Pointe‑à‑Pitre, la navette du retour. C’est en particulier le cas pour des personnes âgées qui, se rendant à Pointe‑à‑Pitre pour une consultation médicale, passent le reste de la journée à la gare maritime, parfois sans manger ni boire.
Les auditionnés soulignent également que l’isolement induit par la double‑insularité renchérit – encore plus – les prix : ils subissent en effet des coûts de fret supplémentaires, par exemple dans le domaine de la construction. Les responsables économiques marie-galantais estiment ce surcoût entre la Guadeloupe « continentale » et l'île entre 15 et 30 % ([168]). Si Marie‑Galante dispose d’un petit aérodrome, aucune compagnie commerciale ne le dessert ; pour les élus rencontrés, une délégation de service public pourrait permettre de créer un tel service, comme l’envisageait le rapport sénatorial sur la continuité territoriale ([169]). Une telle procédure existe dans la collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon pour desservir, au départ de Saint-Pierre, la petite commune insulaire de Miquelon-Langlade (630 habitants) : pourquoi ne pas la mettre en place pour une île de 10 000 habitants ?
Recommandation : réfléchir à la mise en place d’une délégation de service public pour la desserte aérienne de Marie-Galante sur le modèle de ce qui existe à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Ces surcoûts, qui affectent l’ensemble de la population, sont également supportés par les collectivités territoriales. En conséquence, les auditionnés estiment que les communes en situation de double-insularité devraient pouvoir bénéficier d’une majoration de leur dotation globale de fonctionnement (DGF). À Capesterre, la DGF n’a pas augmenté et pâtit de la baisse de la population, selon les élus rencontrés.
La commune de Capesterre de Marie‑Galante fait en outre face au problème des sargasses, ces algues brunes toxiques dérivantes qui sous l’effet du dérèglement climatique, se multiplient ces dernières années et s’échouent sur les îles antillaises, Marie-Galante, qui reçoit en moyenne 40 % du volume échoué sur les îles de Guadeloupe, en assure la collecte, le transport et le stockage, pour un coût total de 2,8 millions d’euros entre 2019 et 2023 ([170]). Les élus soulignent en effet que le ramassage des sargasses, qui ne sont pas reconnues comme déchet au sens de l’article L. 541-1-1 du code de l’environnement, relève des pouvoirs de police du maire – donc des finances de la commune, bien que plusieurs dispositifs d’aide existent, notamment sous la forme de « Plans sargasses » ([171]) – et non de la CCMG ([172]), alors même que Capesterre est la seule commune de l’île concernée ([173]).
Impacts des échouements de sargasses
Source : Commissariat général au développement durable, d’après l’UNEP, Sargassum white paper, 2021.
Or, les nuisances causées par les sargasses poussent certains habitants à déménager dans les deux autres communes. Ces algues ont « tué l’économie de Capesterre », déplorent les auditionnés.
3. Le besoin de renforcer l’autonomie décisionnaire et financière
Devant cette situation particulière de double‑insularité, source de difficultés multifactorielles, le besoin d’adaptation des normes et de relocalisation des décisions est, pour les auditionnés, encore plus criant. Ils évoquent, par exemple, un projet de placement en zone naturelle protégée, par la préfecture, d’un secteur de la commune pourtant habité. Ils s’interrogent, encore, sur l’interdiction d’utiliser l’eau de pluie pour alimenter les douches du stade, procédé pourtant en usage chez un grand nombre de particuliers. Cette question se pose également à l’égard des collectivités guadeloupéennes : les auditionnés estiment ainsi que les demandes de réfection d’une route auprès du conseil départemental prennent trop de temps.
Ils appellent donc à une plus grande capacité de prise de décisions à l’échelle de Marie‑Galante, notamment par le biais d’une « communauté de communes forte », qui permettrait aux Marie-Galantais de « gérer leurs affaires ». Ils soulignent notamment l’importance, à chaque échelle, de disposer des ressources financières suffisantes, via une autonomie, voire une fiscalité propre.
S’ils ne revendiquent néanmoins aucun statut particulier pour Marie‑Galante, les interlocuteurs ont néanmoins tenu à rappeler que cette île fut, de 1792 à 1794, un territoire indépendant.
Il est à noter que le projet d’évolution institutionnelle adopté par le Congrès du 12 juin 2024 impose que le mode d’élection des membres de la future assemblée délibérante assure, en particulier, la représentation « [d]es îles du Sud, dont les problématiques particulières nécessitent une prise en compte spécifique ». Cette formulation est toutefois moins spécifique que celle que contenait la résolution adoptée par le congrès des élus du 20 décembre 2019, qui prévoyait la définition d’ « une organisation territoriale spécifique […] pour les îles du sud ».
B. Un trop grand nombre d’intercommunalités ?
1. Une coopération intercommunale indispensable mais inadaptée
Dans le rapport préparant le congrès de juin 2023, la commission ad hoc critiquait une « organisation intercommunale ne contribuant pas suffisamment à l’efficacité et à la lisibilité des politiques publiques ».
C’est pourquoi la résolution n° 3 relative à l’architecture de la nouvelle collectivité unique, adoptée par le congrès le 12 juin 2024, prévoit « une rationalisation de l'organisation intercommunale », effectuée « après une concertation approfondie avec les communes et les EPCI ».
En effet, la Guadeloupe compte six établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), pour seulement trente‑deux communes depuis le changement de statut de Saint‑Barthélemy et Saint‑Martin.
Ainsi, même en excluant la communauté de communes de Marie‑Galante, les cinq autres établissements publics de coopération intercommunale guadeloupéens – des communautés d’agglomérations – sont très largement en‑deçà des moyennes nationales en termes de population et de nombre de communes :
|
Communes |
Population |
Communautés d’agglomération (CA) |
||
CA Nord Grande Terre |
5 |
58 267 |
CA Cap Excellence |
3 |
101 163 |
CA Grand Sud Caraïbes |
11 |
80 163 |
CA Nord Basse Terre |
6 |
78 178 |
CA La Riviera du Levant |
4 |
65 471 |
Moyenne CA Guadeloupe |
5,8 |
76 648,4 |
Moyenne nationale CA |
30 |
103 827 |
|
||
Communauté de communes (CC) |
||
CC Marie Galante |
3 |
10 867 |
Moyenne nationale CC |
30 |
21 649 |
Source (pour les moyennes nationales) : INSEE, Chantal Brutel, « Des communautés de communes rurales aux métropoles urbaines : la grande diversité des EPCI à fiscalité propre en France », INSEE focus n° 286, 17 janvier 2023.
De plus, le rattachement de la Désirade, d’une part, et des Saintes, d’autre part, à des communautés d’agglomération de la Guadeloupe « continentale » interroge, notamment au regard de la capacité de ces EPCI à mettre en œuvre leurs compétences dans ces territoires.
La création d’un EPCI a pour objectif « d’offrir un cadre juridique à la coopération entre plusieurs communes qui ont intérêt à se regrouper » pour « résoudre les problèmes généraux d’administration territoriale » à travers une « mutualisation des services » ([174]). Il n’est pas certain que ce but puisse être atteint lorsque ces structures regroupent aussi peu de communes. A fortiori, on peut douter que, dans un tel cas de figure, les économies induites par la mutualisation permettent de compenser les surcoûts résultant de la création des structures et institutions intercommunales.
2. La nécessité de revoir la carte des intercommunalités
Cela n’est pas sans conséquence, au regard, notamment, des compétences obligatoires des communautés d’agglomération : développement économique, promotion du tourisme, politique de la ville, collecte et traitement des ordures ménagères, etc ([175]).
Dans ses trois derniers rapports consacrés à des intercommunalités, la chambre régionale des comptes de Guadeloupe émet en outre des constats sévères en termes de finances, de gestion, de fiabilité juridique et d’exercice des compétences des EPCI, qu’il s’agisse de la communauté d'agglomération Cap Excellence ([176]), de la communauté d'agglomération Grand Sud-Caraïbe ([177]) ou de la communauté d'agglomération Nord-Basse Terre ([178]). Dans ce dernier rapport, la chambre va jusqu’à conclure que l’EPCI contrôlé « constitue une strate d’administration supplémentaire sans valeur ajoutée ».
À la lumière de ces constats, il semble effectivement urgent d’engager une réforme approfondie de l’intercommunalité en Guadeloupe, afin de concilier efficacité et efficience dans l’exercice, par ces collectivités, de leurs compétences.
Les maires seraient favorables à une telle réforme, indique le préfet Xavier Lefort. Le président de la région Guadeloupe Ary Chalus est lui aussi en faveur d’une telle « modernisation » de la carte des EPCI.
La question du nombre d’EPCI ne doit toutefois pas occulter celle de l’aménagement du territoire et des déséquilibres qu’il engendre. En effet, la Communauté d’agglomération Cap Excellence, qui regroupe les communes de Pointe‑à‑Pitre, des Abymes et de Baie-Mahault, abrite le principal port, l’aéroport, l’université, et les principaux commerces et industries sur le site de Jarry.
Recommandation : revoir la carte des intercommunalités de la Guadeloupe.
C. Pénurie d’eau et insécurité : des crises récurrentes
1. L’approvisionnement en eau n’est pas complètement sécurisé
La Guadeloupe fait face à une crise récurrente de l’eau, marquée par des coupures et des contaminations fréquentes. Ainsi, le 4 avril 2023, le syndicat mixte de gestion de l’eau et de l’assainissement de Guadeloupe (SMGEAG), syndicat unique de gestion de l’eau dans l’archipel, a averti que l’eau du robinet était, pour la troisième fois en six mois, impropre à la consommation « en raison de non‑conformités microbiologiques » dans trois quartiers de la commune du Moule. ([179])
Au printemps 2024, ce sont des actes de malveillance qui ont privé d’eau jusqu'à 130 000 foyers pendant plus de dix-sept jours ([180]). De telles coupures nécessitent souvent la mise en place de « tours d’eau », c’est-à-dire de coupures programmées de l'approvisionnement en eau dans certaines zones pour rationner la ressource disponible.
Confronté au défi de la rénovation d’un réseau de canalisations vieillissant, le SMGEAG est en première ligne. Selon le préfet de la Guadeloupe, Xavier Lefort, il lui revient en effet de « rattraper trente à quarante ans de non‑investissement » ([181]).
Toutefois, malgré un programme pluriannuel d'investissements de 317 millions d'euros, le syndicat n’a, selon le préfet, « pas encore atteint sa stabilité financière » ([182]). En effet, le SMGEAG connaît, depuis 2021, un déficit structurel ayant nécessité la signature d’un contrat d’accompagnement renforcé avec l’État. Il s’agit d’une aide transitoire « subordonnée à des efforts de gestion, en recettes comme en dépenses, et à des mesures de redressement pour que le SMGEAG soit en capacité, à terme, d'assumer de manière autonome ses missions » ([183]).
Néanmoins, un audit commandé par l’État en janvier 2024 a mis en lumière « des défaillances nécessitant des actions correctives immédiates », lesquelles n’ont pas été mises en œuvre ([184]).
Ainsi, sur la base d’un rapport du 2 août 2024 révélant « des écarts importants et des lacunes majeures dans la tenue des comptes » du SMGEAG ainsi qu’un manque de 48,7 millions d’euros dans ses caisses, le préfet a suspendu les versements des aides de l’État au syndicat ([185]). Néanmoins, suite à des « explications satisfaisantes données par le syndicat sur les écarts constatés entre la comptabilité et la situation bancaire », un versement de 3 millions d’euros a été effectué le 8 octobre 2024 ([186]). Le 15 octobre 2024, Jean‑Louis Francisque, président du SMGEAG, a présenté sa démission ([187]).
Le déplacement des rapporteurs en Guadeloupe s’est déroulé dans un contexte sécuritaire particulier.
En effet, le 17 avril 2024, Gérald Darmanin, alors ministre de l’intérieur et des outre-mer, a annoncé la mise en place pour un mois, par le préfet, d’un couvre‑feu pour les mineurs, en vigueur entre 20 heures et 5 heures du matin dans certains quartiers des communes de Pointe-à-Pitre et des Abymes. L’objectif de cette mesure était d’endiguer la forte hausse de la délinquance : entre 2023 et 2024, selon les chiffres cités dans l’arrêté préfectoral ([188]), le nombre d’actes de délinquance commis par des mineurs à Pointe-à-Pitre a augmenté de 53 %, avec une recrudescence particulière des infractions liées au port et à la détention d’armes, aux vols avec violence, ainsi qu'à la vente et à l’usage de stupéfiants ([189]).
Si ce couvre-feu, prolongé d’un mois, n’est resté en vigueur que jusqu’en juin, le phénomène de la grande délinquance n’en est pas moins global : entre le 1er janvier et le 12 mai 2024, la préfecture a recensé 14 homicides et 51 tentatives d'homicide, contre respectivement 9 et 38 durant la même période en 2023 ([190]).
Dans un contexte de violences urbaines, un nouveau couvre-feu pour les mineurs a été mis en place, durant quelques jours, fin septembre 2024 ([191]). Fin octobre, dans un contexte d’importants dysfonctionnements du réseau électrique et de nouveaux troubles, il en a été de même, durant plusieurs nuits, pour l’ensemble des Guadeloupéens ([192]).
quatrième partie : Saint-Martin et Saint-Barthélemy
Bien que les deux îles constituent deux collectivités bien différentes, les rapporteurs ont décidé de les traiter dans une même partie en raison de leur histoire commune et de leur émancipation simultanée à l’égard de la Guadeloupe. Les différences statutaires font, bien sûr, l’objet de développements différenciés.
I. La trajectoire historique de ces deux îles
La première présence française dans les îles du nord de la Guadeloupe remonte au XVIIème siècle. Si cette ancienneté peut faire de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy des « vieilles colonies », leurs histoires particulières ainsi que leur isolement les placent dans une catégorie qui leur est propre.
A. Les débuts de la colonisation aux Îles du nord
Durant les quatre siècles qui séparent leurs découvertes par Christophe Colomb et leurs rattachements à la France, les deux îles ont connu l’instabilité caractéristique des colonies des Antilles, entre changements successifs de souveraineté et isolement insulaire.
1. Saint-Martin : une île pour deux projets de colonisation
Bien avant les premiers voyages européens vers l’Amérique, « Soualiga » était une île ponctuellement visitée par les populations Taïnos et Arawaks pour ses salines. À partir de 1493, l’île prit le nom de Saint-Martin pour les Occidentaux. Dès lors, et pendant deux siècles, elle devint une escale pour les marins et flibustiers sillonnant la mer des Caraïbes.
Les premiers projets de colonisation de l’île prennent forme vers 1640, lorsque des paysans français quittent la colonie voisine de Saint-Christophe à la recherche de terres cultivables à Saint-Martin. En parallèle, des Hollandais s’installent aussi sur l’île pour en faire un lieu de production et de transit du sel destiné à leur métropole et à la Nouvelle-Amsterdam, future New-York.
Face à ce processus de colonisation informel, l’Espagne, qui dispose d’une souveraineté de principe sur l’île depuis sa découverte par Christophe Colomb, décide d’en reprendre le contrôle en expulsant les colons non-espagnols. Cependant, cette reprise en main ne dure qu’un temps, car en 1648, face au manque de moyens et d’intérêts, les Espagnols quittent l’île après y avoir rasé et brûlé toutes les installations.
L’année 1648 marque donc le départ des Espagnols, mais aussi le retour des anciens colons français et hollandais. Cette même année, le traité de Concordia, signé par les nouveaux occupants, entérine le partage de l’île. Selon la légende, le tracé de la frontière aurait été déterminé par une course à pied, le point de rencontre des deux coureurs, partis chacun d’un des deux côtés de l’île, déterminant la portion accordée à chacune des deux nations. Ainsi, cet accord, toujours en vigueur aujourd’hui, a accordé à la France les deux tiers nord de l’île, où se trouvent les terres cultivables, tandis que le tiers sud, avec ses baies salines, est revenu au Royaume des Pays-Bas.
Malgré la signature de cet accord, Saint-Martin a changé à plusieurs reprises de souveraineté au gré des guerres incessantes entre puissances européennes. C’est finalement en 1816 que la partie nord de l’île a été définitivement rendue à la France, qui, compte tenu de la faiblesse de la superficie et de la population, n’en a pas fait une colonie de plein exercice mais a préféré la rattacher à la colonie de la Guadeloupe, dont elle est dès‑lors devenue l’une des deux « îles du nord ».
L’île de Saint-Martin, partagée en deux pays
2. La souveraineté suédoise sur Saint-Barthélemy
L’île de Ouanalao fut renommée Saint-Barthélemy par Christophe Colomb après sa découverte en 1493. La première occupation durable de cette île, initialement jugée infertile et inhospitalière, ne fut initiée par le pouvoir royal français qu’un siècle et demi plus tard, lorsque des colons français se sont durablement installés en deux vagues, en 1648 puis en 1669.
Mais l’histoire de cette île a été mouvementée : en deux cents ans, Saint‑Barthélemy est passée successivement sous la souveraineté de la Compagnie des Indes occidentales, du Royaume de France, de l’Ordre de Malte, de la couronne suédoise, pour finalement revenir dans le giron de la République française en 1878.
C’est lors de la période suédoise, entre 1784 et 1878, que l’île connut son premier véritable essor économique. Épargné par les conflits franco-anglais, le port de Saint-Barthélemy fut déclaré port franc par les Suédois, c’est-à-dire exempt des droits de douane et de la taxation. L’essor des échanges commerciaux, favorisé par une période de paix relative, permit à Gustavia de s’imposer comme un centre économique majeur des Antilles. Des compagnies marchandes de toutes nationalités y établirent leur base, et des navires sous pavillons divers y transitaient régulièrement.
Carte routière de l’île de Saint-Barthélemy
Cependant, à partir des années 1820 et du retour de la paix, les flux commerciaux se tarirent à Gustavia, qui ne disposait ni d’arrière-pays, ni de production à exporter. Saint-Barthélemy s’endetta vis-à-vis de sa métropole, le développement d’autres ports plus attractifs entraînant le déclin progressif du commerce sur l’île, jusqu’à une quasi‑disparition des échanges en 1875.
Ainsi, d’un commun accord et après consultation des habitants de l’île, le Royaume de Suède rétrocéda Saint-Barthélemy à la IIIème République française en échange d’une compensation financière.
B. La double insularité au sein de l’empire colonial français
Malgré leurs rattachements définitifs à la France, l’abolition de l’esclavage et la fin du système économique colonial firent plonger les deux « îles du nord de la Guadeloupe » dans une morosité économique aggravée par leur situation de double insularité.
1. La fin de l’économie de plantation à Saint-Martin
Depuis l’installation des colons français au milieu du XVIIIème siècle, l’économie de Saint-Martin s’était orientée vers la production de tabac, d’indigo et de sucre, à l’instar des autres colonies de la région. Ces productions augmentèrent nettement à partir des années 1750, avec l’arrivée massive d’esclaves.
L’abolition de l’esclavage, en 1848, sonna le glas de ce modèle économique colonial dans les Antilles françaises. Saint-Martin ne fit pas exception et l’île se transforma progressivement en une société agraire traditionnelle. Le panorama de Saint-Martin décrit par André-Louis Sanguin dans son ouvrage sur la mutation de l’île est le plus complet :
« Jusqu'au début des années soixante (1960), la majorité de la population saint-martinoise était constituée de petits agriculteurs, souvent dans la gêne, se consacrant aux cultures vivrières sur des lopins dénommés “jardins”. Les fonds étaient occupés par les anciens grands domaines sucriers reconvertis à l'élevage. Le bétail pâturait dans de grandes parcelles clôturées de murettes de pierre. Quelques dizaines d'actifs étaient employés dans les salines ou pratiquaient la pêche artisanale. » ([193])
2. Saint-Barthélemy une île infertile et isolée
Loin de redynamiser économiquement l’île, le rattachement définitif de Saint-Barthélemy à la République plaça le territoire dans une situation de « double périphérie », à l’égard de la métropole et de la Guadeloupe, phénomène subi jusqu’aux années 1950.
Située à plus de 6 000 kilomètres de Paris, Saint-Barthélemy (24 km²) devint naturellement une périphérie de l’immense empire colonial français. La nouvelle commune fut rattachée à la Guadeloupe, distante de 200 kilomètres, et séparée par les îles britanniques d’Antigua, de Saint-Kitts et de Montserrat.
Ainsi, bien que faisant officiellement partie intégrante de la France, l’île se retrouva dans une double insularité, à la marge de l’empire colonial, mais également à celle de la Guadeloupe.
En 1950, il fallait, par exemple, compter 20 heures de bateau depuis la Guadeloupe pour rejoindre Gustavia. Durant cette période antérieure au développement de l’aviation, l’île de Saint-Barthélemy était une enclave française au milieu des Caraïbes anglo-saxonnes, où la majorité des habitants vivaient grâce à l’agriculture de subsistance et à la pêche. Signe de cette austérité, le solde migratoire de l’île est resté négatif jusqu’au début des années 1970, les Saint-Barths préférant s’exiler vers les îles voisines ou aux États-Unis.
C. Le tournant de l’essor du tourisme
Plus que l’intégration à la France, c’est l’émergence du tourisme qui dynamisa l’économie des deux îles au tournant des années soixante. Cet essor façonna leurs l’identités et marqua leurs différences avec les autres territoires d’outre-mer.
1. De l’isolement à la destination de luxe, l’explosion de l’économie touristique à Saint-Barthélemy
C’est à partir de l’arrivée des premiers avions sur l’île, au début des années 1960, que Saint-Barthélemy s’est progressivement spécialisée vers un tourisme de luxe, à quelques heures de la Floride et des Bahamas, par opposition à la Guadeloupe et à la Martinique qui s’orientaient vers une clientèle plus populaire.
Signe de ce second essor économique, en l’espace de trente ans, les villégiatures de luxe et les hôtels cinq étoiles se sont multipliés. Ainsi, entre 1963 et 1980, le nombre de touristes visitant Saint-Barthélemy est passé d’une centaine à 330 000 par an ([194]), malgré la politique de l’île visant à limiter la quantité de touristes accueillis au profit d’une « qualité » sonnante et trébuchante.
C’est au cours de cette période que l’île a développé une identité unique, distincte des autres territoires ultramarins français, qui a fait de Saint-Barthélemy, en trois décennies, une enclave mondialisée et un haut lieu touristique pour les élites. Mais si Saint-Barthélemy a acquis la réputation d’être une « île de milliardaires », il ne faut pas oublier, comme le souligne Xavier Lédée, le président de la collectivité, que « cette expression est probablement vraie pour les touristes qui y séjournent, mais pas pour ceux qui y vivent à l’année et qui y travaillent, souvent pour accueillir les touristes, justement ».
2. L’apparition d’un tourisme plus massif à Saint-Martin
À l’image de Saint-Barthélemy, c’est une « révolution touristique et résidentielle » qui fit sortir Saint-Martin de sa morosité économique. Le désenclavement déclenché par l’aviation et l’adoption de la loi Pons en 1980, qui permit d’instaurer sur l’île un régime fiscal avantageux, permirent le développement du tourisme. Contrairement à Saint-Barthélemy, Saint-Martin abandonna le statut de destination de luxe dans les années 1960 et 1970 pour le remplacer par celui de station balnéaire intermédiaire, certes plus chère que la populaire Guadeloupe, mais quand même plus accessible que sa voisine Saint-Barthélemy. L’apogée de cette économie touristique fut atteint en 2014, lorsque l’île accueillit 2,7 millions de visiteurs ([195]).
L’importance du tourisme pour l’économie saint-martinoise permet de mieux comprendre l’ampleur du drame provoqué par le passage de l’ouragan Irma en 2017. En quelques heures, cet ouragan de catégorie 5 détruisit 30 % des bâtiments de l’île et en endommagea 95 %, causant la mort de 13 personnes. Les dégâts furent estimés à 4 milliards d’euros ([196]).
L’ouragan entraîna une rupture complète des liaisons commerciales pendant plusieurs mois et une chute drastique des capacités d’hébergement. Alors que l’île avait accueilli 325 000 touristes nord-américains en 2016, ce chiffre tomba à 70 000 lors de la première année post-Irma.
II. Parcours de l’adoption d’un nouveau statut
L’initiative ayant abouti à l’adoption d’un nouveau statut pour Saint‑Barthélemy et Saint-Martin prend ses origines dans les trajectoires historiques et la position géographique singulière des deux îles. L’essor du tourisme accentua cette distinction avec la Guadeloupe et aboutit, au tournant des années 1980 et 1990, à l’émergence de projets autonomistes.
A. L’échec d’un premier projet d’évolution statutaire
1. L’initiative des élus locaux de Saint-Barthélemy et de la Guadeloupe
La première élection de Bruno Magras à la mairie de Saint-Barthélemy, en 1995, marque le début du projet d’évolution statutaire qui aboutira plus de vingt ans plus tard. Dès sa campagne électorale, le nouveau maire érigea l’adoption d’un nouveau statut pour Saint-Barthélemy comme une priorité. Ce ne fut donc pas une surprise lorsque, en octobre 1996, le Conseil général de Guadeloupe, présidé par Mme Lucette Michaux-Chevry, se prononça favorablement sur le projet d’évolution statutaire déposé par le Conseil communal de Saint-Barthélemy.
Le 4 décembre 1996, le président de la Commission des Lois de l’Assemblée nationale, M. Pierre Mazeaud, proposa d’introduire cette réforme en amendant le projet de loi en cours sur la fonction publique à Mayotte. Malgré des interrogations sur le lien avec le sujet du texte amendé, celui-ci fut complété par deux articles additionnels et adopté par l’Assemblée nationale en première lecture. En deuxième lecture, ces deux articles furent néanmoins supprimés par le Sénat, qui ne s’estimait pas assez informé, le 19 décembre 1996. ([197])
2. L’arrêt du projet après la dissolution d’avril 1997
Il appartenait donc à l’Assemblée nationale, si elle le souhaitait, de rétablir ces deux articles. Cependant, la dissolution de l’Assemblée nationale prononcée par le président Jacques Chirac en avril 1997 mit ce projet de loi en suspens, et l’arrivée de Lionel Jospin à Matignon marqua un coup d’arrêt dans le processus d’évolution statutaire. Considérant celui-ci comme anticonstitutionnel, le premier ministre s’y opposa et ne donna pas suite aux initiatives parlementaires entamées lors de la précédente législature.
Malgré ce blocage consécutif à la cohabitation, les élus parlementaires de la quatrième circonscription de Guadeloupe (qui englobait les deux îles du Nord) ne perdirent pas espoir et entreprirent de déposer un nouveau projet de loi en 1998. En parallèle de cette entreprise, la commune de Saint-Barthélemy confia à Nicolas Baverez, économiste et essayiste aux positions libérales et réformatrices et auteur de l’ouvrage Les Trente Piteuses, la rédaction d’un rapport défendant le projet d’autonomie.
B. L’accession au statut de collectivité d’outre mer
1. La réforme constitutionnelle de 2003
C’est la réélection de Jacques Chirac et l’apparition d’une majorité de droite à l’Assemblée en 2002 qui permirent de relancer la marche de Saint-Barthélemy et Saint-Martin vers l’autonomie. La réforme constitutionnelle de 2003, au travers des articles 72‑3, 72‑4, 73 et 74, ouvrit la voie à l’adoption d’un nouveau statut pour les territoires d’outre-mer. « S’il avait vocation à permettre la transformation de Mayotte en département d’outre-mer, ce texte était aussi une réponse au problème spécifique de Saint-Barthélemy et Saint-Martin. » ([198])
2. Un projet d’évolution statutaire largement soutenu par la population
Ainsi, avant même que la modification de la Constitution soit entérinée, les communes de Saint-Barthélemy et Saint-Martin déposèrent leurs projets d’évolution statutaire respectifs en y faisant référence. Selon les dispositions du nouvel article 72-4, le consentement des électeurs des collectivités visées était nécessaire. En conséquence, le 7 décembre 2003, les Saint-Barths et les Saint‑Martinois se rendirent aux urnes, et deux larges majorités se prononcèrent en faveur des projets d’évolution statutaire.
III. Cadres institutionnels et juridiques
La loi organique du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer ([199]) institua deux nouvelles collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution et dotées de l’autonomie, constituées, pour la première fois, par démembrement d’un territoire d’outre‑mer. L’accès à ce nouveau statut permettait désormais aux deux îles de bénéficier d’un fort degré d’autonomie et de se doter de nouvelles institutions.
A. Des institutions très similaires dans les deux nouvelles collectivités
Les institutions des collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin ont été mises en place à l’été 2007. Les deux cadres institutionnels adoptés sont très similaires et proches du système départemental courant. Sur ce modèle, chaque île dispose d’un conseil territorial, d’un président du conseil, assisté par un conseil exécutif et d’un conseil économique, social et culturel (au rôle consultatif). L’unique particularité, pour Saint-Martin, est l’existence de conseils de quartier, dont le rôle est consultatif.
Sur chacune des deux îles, le conseil territorial joue le rôle d’assemblée délibérante. À Saint-Barthélemy, ce conseil est composé de 19 membres, tandis que celui de Saint-Martin en compte 23, tous élus lors d’un scrutin de liste à deux tours au sein d’une circonscription unique. Le champ de compétence de ces conseils territoriaux est celui dévolu aux municipalités, ainsi qu’aux conseils généraux et régionaux de Guadeloupe.
Ce nouveau statut permet également aux collectivités de légiférer à la place de l’État dans le cadre des transferts de compétences prévus par la loi organique.
Le pouvoir exécutif de la collectivité est exercé par le président du conseil, qui est élu par les membres et a pour rôle de préparer et d’exécuter ses délibérations. Dans l’exercice de ce pouvoir exécutif, le président est assisté par un conseil exécutif composé de quatre vice‑présidents et de deux conseillers.
Les deux îles disposent également d’un conseil économique, social et culturel (CESC). Ce conseil, ayant un rôle consultatif, comprend des acteurs et des représentants de la scène socio-économique et culturelle locale, choisis pour leurs compétences et leurs qualifications. Ces CESC sont souvent consultés avant les grands projets.
B. Une représentation parlementaire définie par la démographie et les spécificités territoriales
Depuis 2007, Saint-Martin et Saint-Barthélemy sont représentés au Parlement par un député unique et par deux sénateurs siégeant pour leurs collectivités respectives. Ce choix de représentation, arrêté par le Conseil d’État et le gouvernement, s’explique par le respect de l’équilibre démographique, qui ne justifie pas la création de deux sièges à l’Assemblée nationale. La représentation sénatoriale de chaque île est justifiée quant à elle par l’article 24 de la Constitution, qui « pose le principe de la représentation spécifique des collectivités territoriales de la République au Sénat » ([200]).
C. Les conditions d’application des normes et les statuts de ces territoires dans l’Union européenne
1. Un principe d’identité législative tempéré par quelques compétences propres
Au terme de leurs statuts organiques, Saint-Martin et Saint-Barthélemy relèvent très largement, malgré leur statut de COM de l’article 74 de la Constitution, du régime de l’identité législative : les dispositions législatives et réglementaires y sont applicables de plein droit, la plupart du temps sans qu’une mention expresse ne soit nécessaire, sauf en matière d’entrée et de séjour des étrangers et de droit d’asile ([201]). Dans ces deux domaines, l’État ne peut fixer des règles que sur mention expresse et après consultation du conseil exécutif du territoire concerné.
Cette compétence, néanmoins, n’est pas transférée aux collectivités. Certaines compétences, relevant en droit commun de l’État, ont, au contraire, fait l’objet d’un véritable transfert à ces deux collectivités :
Compétences des collectivités |
Transférées à Saint-Barthélemy |
Transférées à Saint-Martin |
Fiscalité |
Droit de quai, gestion des impôts, droits et taxes |
Gestion des impôts, droits et taxes |
Cadastre |
Établissement du cadastre |
Établissement du cadastre |
Transports |
Transports routiers, desserte maritime d'intérêt territorial, immatriculation des navires, ports |
Transports routiers, desserte maritime d'intérêt territorial, immatriculation des navires, ports |
Voirie |
Gestion de la voirie, y compris aménagement |
Gestion et entretien de la route nationale partagée avec Sint-Maarten |
Droit Domanial |
Droit domanial et gestion des biens de la collectivité |
Droit domanial et gestion des biens de la collectivité |
Accès au Travail des Étrangers |
Gestion de l'accès au travail des étrangers |
Accès au travail des étrangers |
Tourisme |
Gestion des activités touristiques |
Gestion des activités touristiques |
Services Publics |
Création et organisation des services publics |
Création et organisation des services publics |
Environnement |
Protection des espaces boisés et de l'environnement |
Pas de compétences transférées |
Énergie |
Développement des énergies renouvelables et indépendance énergétique |
Énergie (à compter du 1er janvier 2012) |
Source : Pierre‑Olivier Caille, JurisClasseur Administratif, Fasc. 130-60 : Collectivités d’outre-mer. – Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint Pierre-et-Miquelon.
2. Deux choix de statuts différents au sein de l’UE
La question du statut des deux nouvelles collectivités au sein de l’Union européenne est rapidement devenue centrale, dans la mesure où elle définit le degré d’application des normes à l’échelle communautaire. En 2007, Saint-Martin et Saint-Barthélemy ont obtenu le statut de région ultrapériphérique. Rapidement, les élus de Saint-Barthélemy ont exprimé le souhait d’accéder au statut de Pays et territoire d’outre-mer (PTOM), celui-ci permettant le maintien du droit de quai tout en facilitant les échanges avec les pays d’Amérique du Nord. Saint-Barthélemy accéda à ce statut en 2012.
De son côté, Saint-Martin a préféré conserver le statut de RUP, afin de continuer à bénéficier des fonds structurels européens. Ce choix a été fait au prix du maintien des normes européennes, qui peuvent constituer une contrainte pour l’attractivité de la collectivité face à la partie néerlandaise de l’île, placée, elle, sous le statut de PTOM ([202]).
IV. Poursuivre l’émancipation administrative à l’égard de la Guadeloupe
A. Le transfert inachevé des services de l’État
Lors du passage de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy au statut de collectivité d’outre-mer, les compétences de la région de la Guadeloupe leur ont été transférées. Néanmoins, la plupart des services de l’État sont demeurés en Guadeloupe, en attendant l’acquisition des moyens humains nécessaires à la mise en place d’administrations compétentes. Ainsi, le préfet de Guadeloupe reste le représentant de l’État à Saint-Martin et Saint‑Barthélemy. Il continue d’assurer l’accès aux services des administrations civiles de l’État et conserve également l’exercice de compétences sur les collectivités au titre du « besoin » et des « exigences spécifiques et techniques ». Toutefois, ses pouvoirs sont partagés avec un préfet délégué, installé depuis 2007 à Saint‑Martin, dans le bourg de Marigot.
Aujourd’hui, la poursuite de l’émancipation vis-à-vis de la Guadeloupe fait consensus parmi les élus de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. Compte tenu de leurs différences par rapport à la Guadeloupe et de leurs spécificités, le député des deux îles, Frantz Gumbs, considère ainsi que « cette démarche [d’émancipation] va dans le sens de l’Histoire ». Xavier Lédée, président de la Collectivité de Saint‑Barthélemy, affirme quant à lui que « l’action déconcentrée de l’État à Saint‑Barthélemy, avec souvent un transit par la Guadeloupe, n’est pas adaptée. (…) Incidemment, le terme d’Îles du Nord n’a plus de sens depuis que Saint-Martin et Saint-Barthélemy ont été détachées de la Guadeloupe. »
B. Une FUTURE PRÉFECTURE DE PLEIN EXERCICE
1. Un besoin mis en exergue par le passage d’Irma
Peu après l’accession de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy au statut de collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution, la création d’une préfecture de plein exercice est devenue une revendication des élus locaux. En effet, la distance séparant les deux îles de la Guadeloupe, leurs particularités et le besoin de rapprocher les services de l’État des concitoyens ont été avancés pour justifier cette évolution.
Le passage de l’ouragan Irma en 2017, qui a détruit l’hôtel de la préfecture de Marigot, a renforcé les arguments des défenseurs de cette transformation. En effet, les bilans humains et matériels ont mis en lumière la nécessité pour Saint-Martin et Saint-Barthélemy de se préparer à ce type d’événements et de pouvoir offrir une réponse rapide et adaptée aux catastrophes.
La préfecture joue un rôle central dans ce dispositif, en tant que garante de la sécurité civile, avec pour mission la prévention, la protection des biens et des personnes en cas de crise, ainsi que la coordination des secours et des forces de sécurité lors de sinistres.
Pour le président du Conseil de Saint-Martin, Louis Mussington, interrogé sur la question en 2022, « l’ouragan Irma a révélé une sous‑administration du territoire par l’État, qui a réagi en construisant une cité administrative. La création d’une préfecture de plein exercice s’avère désormais indispensable, le ministre Gérald Darmanin ayant lui-même pu constater cette nécessité. »Au-delà de la gestion de crise, la garantie de la sûreté au quotidien est aussi une mission préfectorale. Sur ce point, la situation sécuritaire saint-martinoise suffirait à montrer les limites de l’actuelle préfecture déléguée. En 2020, la collectivité de Saint-Martin arrivait troisième, après Paris et Bobigny, dans le classement des villes où le risque d'être victime d'un crime ou d'un délit était le plus élevé ([203]).
2. Le processus en cours de mise en place d’une préfecture à Marigot
À la suite des demandes répétées des élus de Saint-Barthélemy et de Saint‑Martin, le projet de transformation de la préfecture déléguée en préfecture de plein exercice a été annoncé courant 2023. Le préfet délégué, Vincent Berton, a souligné :
« Une préfecture de plein exercice sera mise en place pour les deux collectivités, à Saint-Martin, renforçant ainsi la capacité de décision locale tout en consolidant la décentralisation. Cela répond à une demande des élus et permettra une meilleure coordination avec l’État, offrant sur place une représentation de l’État dotée d’une plus grande capacité de décision et d’une réactivité accrue, avec des moyens renforcés. »
Signe de l’avancement du projet, le ministre chargé des outre-mer, François-Noël Buffet, lors de son audition par la délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale, le 31 octobre 2024, a fait le point sur l’état du projet :
« La création d’une préfecture de plein exercice à Saint-Martin est en bonne voie. Le décret est actuellement examiné par le Conseil d'État, après que les modifications des décrets d'organisation des services de l'État ont été présentées en conseil supérieur des préfectures en septembre dernier. »
C. L’INSTALLATION D’UN TRIBUNAL JUDICIAIRE
1. Une dépendance aux juridictions guadeloupéennes
Si la préfecture de plein exercice est la première demande des élus pour poursuivre l’émancipation vis-à-vis de la Guadeloupe, la décentralisation du système de justice est également un objectif important. Ce constat est partagé par Vincent Berton : « le manque d’efficacité concerne aussi d’autres services de l’État – l’ARS, le rectorat, les finances publiques et les tribunaux – encore basés en Guadeloupe. »
Jusqu’à présent, Saint-Martin et Saint-Barthélemy relevaient d’une chambre détachée. Cette chambre est un démembrement du tribunal de première instance de Basse-Terre, ne constituant pas une juridiction à part entière. Elle est compétente pour les affaires civiles d’une valeur inférieure à 5 000 euros et pour les affaires pénales n’impliquant ni détention provisoire ni délais supplémentaires. Tous les procès en appel et ceux relevant de la cour d’assises se tiennent en Guadeloupe, tout comme ceux du tribunal de commerce et du conseil des Prud’hommes. Le tribunal administratif de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy est indépendant de celui de Guadeloupe, mais ce sont des magistrats rattachés au tribunal de Guadeloupe qui se déplacent deux fois par an pour siéger à Saint-Martin.
Les élus, à l’instar du député Frantz Gumbs, ont demandé la transformation de cette chambre détachée en tribunal judiciaire, une évolution impliquant la construction d’une maison d’arrêt, d’autant plus justifiée que la prison de Baie‑Mahault, en Guadeloupe, souffre d’une surpopulation carcérale avec un taux d’occupation de 188 %.
Cette dépendance aux juridictions guadeloupéennes surchargées a également suscité la réaction de Xavier Lédée, président du conseil territorial de Saint-Barthélemy, qui a déclaré que la surpopulation carcérale de Baie-Mahault, dont dépend Saint-Barthélemy, représentait un point critique pour la sécurité locale.
2. La transformation du tribunal de proximité de Saint-Martin en tribunal judiciaire
Comme pour la préfecture de plein exercice, des réformes judiciaires répondant aux demandes des élus ont été initiées par l’État. En 2019, Nicole Belloubet, alors garde des Sceaux, avait inauguré la Chambre détachée de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin du tribunal de grande instance de Basse-Terre. Avant cette date, les deux îles étaient totalement rattachées au tribunal de Basse-Terre.
Dans la continuité de cette émancipation, François-Noël Buffet rapportait aux membres de la délégation aux outre-mer de l’Assemblée l’état d’avancement du projet de tribunal judiciaire : « le premier président de la cour d'appel de Basse-Terre a proposé au garde des Sceaux la création d’un tribunal judiciaire à Saint-Martin et Saint-Barthélemy, qui pourrait voir le jour en 2026 ».
Recommandation : finaliser la mise en place de la préfecture de plein exercice et du tribunal judiciaire.
D. LA DEMANDE DE DÉCONCENTRATION DES SERVICES DE SANTÉ ET DU RECTORAT
1. D’autres demandes d’émancipation...
Comme pour la justice et la préfecture, la santé et l’éducation font partie des services de l’État que Saint-Martin et Saint-Barthélemy souhaitent rapprocher de leurs territoires. Ainsi, les élus locaux et parlementaires des deux îles remettent souvent en question la pertinence de leur rattachement au rectorat et à l’agence régionale de santé (ARS) de Guadeloupe.
Le préfet Berton a évoqué les préoccupations des membres du conseil territorial de Saint-Barthélemy concernant la déconcentration du système de santé :
« Les élus de Saint-Barthélemy souhaitent être davantage associés aux questions de santé, en raison de leur isolement géographique et des attentes de la clientèle touristique américaine. La création d'une agence territoriale de santé co‑administrée pourrait être une solution. »
En ce qui concerne l’éducation, les présidents Xavier Lédée et Louis Mussington partagent le même constat : alors que les deux territoires sont très différents, ils continuent à dépendre du rectorat de la Guadeloupe, avec un vice‑recteur pour Saint-Martin et Saint-Barthélemy, ce qui entraîne des difficultés pour les chefs d’établissements.
À Saint-Martin, où les résultats scolaires sont bien inférieurs à ceux de la Guadeloupe, en raison notamment du plurilinguisme, Louis Mussington souhaite l’adoption de mesures adaptées à son territoire, en envisageant par exemple des expérimentations en matière de bilinguisme dans l’enseignement.
2. …pour l’instant sans réponses
Les demandes de création d’un rectorat et d’une ARS indépendants pour Saint-Martin et Saint-Barthélemy restent pour l’instant sans réponse de la part de l’État.
À la question de Frantz Gumbs sur la poursuite de la « démarche de déconcentration », François-Noël Buffet a précisé qu’« aucune décision n’a été prise à ce stade concernant la création d’un rectorat ou d’une ARS indépendants ».
Recommandation : poursuivre la réflexion sur la décentralisation d’autres services de l’État tels que le rectorat et l’agence régionale de santé.
V. depuiS 2007, DES SOUHAITS D’ÉVOLUTIONS INSTITUTIONNELLES PROPRES À CHAQUE ÎLE
Saint-Barthélemy et Saint-Martin ont suivi des trajectoires d’évolution statutaire similaires. Néanmoins, si ces îles aspirent aujourd’hui toutes les deux à une émancipation plus poussée par rapport à la Guadeloupe, elles ont aussi des aspirations distinctes.
En effet, dix-sept ans après le changement de statut commun de 2007, les élus de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy disposent désormais du recul nécessaire pour formuler de nouveaux souhaits d'évolutions institutionnelles adaptés aux réalités de chacune de leurs îles.
A. L’ACCOMPAGNEMENT DE SAINT-MARTIN VERS PLUS D’AUTONOMIE
1. Des évolutions et choix récents jugés pertinents
À la tête d’un territoire devenu une collectivité d’outre-mer, les élus saint‑martinois portent un regard positif sur les grandes évolutions institutionnelles de leur île. Louis Mussington, président du conseil territorial de Saint‑Martin, dresse un bilan positif du changement statutaire de 2007 : « Le passage au statut de territoire d’outre-mer [article 74] a apporté certains avantages, comme le transfert de compétences auparavant détenues par la commune, le département, la région et l’État, notamment en matière de fiscalité. Cela nous offre une marge de manœuvre budgétaire pour mettre en œuvre des politiques publiques nécessaires. »
Au-delà du changement de statut, le choix de Saint-Martin de conserver le statut de région ultrapériphérique (RUP) au sein de l’Union européenne, contrairement à Saint-Barthélemy, est, pour les élus, une source de satisfaction. Louis Mussington souligne ainsi l'importance des transferts de fonds européens pour la collectivité : « Le statut de région ultrapériphérique au sein de l’Union européenne est jugé positif, notamment face aux grandes difficultés de la reconstruction après Irma. »
2. La construction d’une architecture institutionnelle adaptée aux spécificités saint-martinoises
Si le statut de Saint-Martin au sein de la République et de l’Union européenne semble satisfaisant, l’architecture institutionnelle de la collectivité est parfois remise en question. Bien que Saint-Martin et Saint-Barthélemy aient mis en place, lors de leur accession au statut de collectivité d’outre-mer, des institutions quasi-similaires, les élus saint-martinois aspirent aujourd'hui à une évolution mieux adaptée à leurs spécificités locales. Le président Louis Mussington insiste sur ce point : « Au niveau institutionnel, nous envisageons une modification de l’architecture actuelle, avec une séparation des pouvoirs mieux adaptée entre l’exécutif et l’assemblée territoriale, pour qu’elle soit mieux adaptée aux spécificités locales. L’idée est de créer une forme de “mini‑gouvernement” avec des ministres et une assemblée délibérante. »
Pour le préfet Vincent Berton, cette évolution rapprocherait la structure des institutions de la partie française de l’île de celle de la partie néerlandaise (cf. supra) : « L’idée d’un gouvernement local distinct de l’assemblée, sur le modèle de Sint Maarten [côté néerlandais], pourrait être envisagée. »
Une telle proximité institutionnelle accrue entre les deux parties de l’île pourrait permettre de simplifier la coopération entre elles. En effet, le décalage actuel entre les statuts de Saint-Martin, qui dépend de la France, et de Sint-Maarten, qui dépend des Pays-Bas, ainsi que leurs différents niveaux d’intégration à l’Union européenne, ralentit parfois cette coopération.
L’exemple de la signature de l’accord sur la frontière entre les parties néerlandaise et française en 2023 illustre ces complications. Du côté français, un membre du gouvernement national, en l’occurrence le ministère de l’Intérieur, a dû se rendre à Marigot pour parapher le texte, tandis que la première ministre de Sint‑Maarten était responsable de la signature néerlandaise.
La géographe Marion Redon estime que cette optimisation de la coopération passe par un meilleur exercice des compétences transférées : « De part et d’autre, les territoires cherchent à accéder à un statut rendant la gestion du partage plus pragmatique, ce qui passe par un changement du niveau de prise de décision. Il est indéniable que la coopération entre Saint-Martin et Sint-Maarten serait facilitée si certaines compétences étaient déléguées au niveau des administrations de l’île. » ([204])
Recommandation : encourager et faciliter les projets de coopération entre la collectivité française de Saint-Martin et Sint-Maarten, pays constitutif du Royaume des Pays-Bas.
3. L’élargissement du domaine de compétences législatives de Saint-Martin
Dans le cadre du changement de statut de 2007, la collectivité de Saint‑Martin a été habilitée à exercer un certain nombre de compétences transférées par l’État. Les élus saint-martinois aspirent aujourd'hui à davantage de compétences ainsi qu’à une augmentation des pouvoirs de l’assemblée territoriale.
Sur la forme, le président Louis Mussington, qui en a fait un argument phare de sa campagne électorale, souhaite donner un pouvoir législatif à l’assemblée territoriale de Saint-Martin : « Il s’agit de pouvoir adopter des lois de pays, sur le modèle polynésien, avec des actes administratifs de valeur réglementaire soumis au Conseil d’État. »
Sur le fond, il souhaite que de nouvelles compétences, actuellement exercées par l’État, soient transférées à cette assemblée : « À Saint-Martin, nous souhaitons obtenir des compétences en matière d’environnement, comme Saint‑Barthélemy, afin de mieux gérer les risques naturels et les zones côtières, où réside une grande partie de la population. »
L’obtention de prérogatives budgétaires est également envisagée. Alors que la Cour des comptes, dans son rapport de 2018, dressait un portrait plutôt négatif de la fiabilité des comptes et de la capacité d’autofinancement de la collectivité, celle‑ci désire prendre en main la gestion du revenu de solidarité active (RSA) et de certains fonds européens : « Concernant le RSA, qui représente une charge de 130 millions d’euros sur 10 ans, nous souhaiterions récupérer la compétence pour en fixer les règles. Nous proposons un système de carte où 70 % des montants versés aux allocataires devraient être dépensés dans l’économie locale, générant de la taxe générale sur le chiffre d'affaires (TGCA), afin de limiter la fuite de capitaux, un problème exacerbé par la fermeture des agences de transfert de fonds côté néerlandais. »
Enfin, en matière de gestion des fonds européens, le président Mussington souhaite : « créer une cellule de gestion autonome pour remplacer l’État, le département et la région Guadeloupe, car certains fonds restent gérés par la Guadeloupe » ([205]).
4. Transferts de compétences et moyens financiers alloués
Pour pouvoir exercer les compétences transférées à la collectivité et atteindre l’autonomie prévue par son statut, il semble essentiel, pour les élus de Saint-Martin, de disposer des moyens financiers nécessaires. Le président Louis Mussington insiste sur ce point :
« L’absence de moyens financiers pour accompagner ces transferts de compétences est une situation signalée, sans réponse satisfaisante jusqu’à présent. Nous estimons avoir perdu 12 millions d’euros d’octroi de mer non compensés. »
B. L’ADAPTATION INSTITUTIONNELLE DE SAINT-BARTHÉLEMY AUX NOUVEAUX ENJEUX D’UNE COLLECTIVITÉ TRÈS ATTRACTIVE
Comme il l’a indiqué aux rapporteurs lors de son audition, le président de la collectivité, Xavier Lédée, considère que « depuis 2007, Saint-Barthélemy dispose d’un des statuts avec les compétences les plus abouties ». Et d’ajouter que « ce statut est bien ciblé pour une île souffrant d’une triple insularité par rapport à l’hexagone, bien sûr, puis par rapport à la Guadeloupe et enfin par rapport à Saint-Martin », deux îles par lesquelles transitent successivement la plupart des personnes et des biens.
1. Le succès économique du modèle choisi par Saint-Barthélemy
À Saint-Barthélemy, l’évolution statutaire de 2007 est perçue comme une réussite, tant par les habitants que par la classe politique de l’île. Cette perception engendre une certaine stabilité, et les Saint-Barths ne semblent pas aspirer à un changement statutaire majeur. Xavier Lédée, président du Conseil territorial, exprime également cet avis : « Saint-Barthélemy fait partie des territoires ultramarins où l’évolution a été la plus importante, avec la réussite que l’on connaît. En toute modestie, nous avons donc conscience que le modèle de Saint‑Barthélemy est appelé à servir d’exemple dans les réflexions sur la possible révision des articles 73 et 74 de la Constitution. Cette évolution n'a pu être engagée qu’avec une population adhérant à un projet clair, notamment autour de la gestion des finances, qui est la première compétence transférée par la loi organique. »
Cette perception positive repose sur des réalités attestant de la réussite du modèle choisi. Le rapport d’activité de la chambre territoriale des comptes sur la collectivité de Saint-Barthélemy, publié en 2023 ([206]), présente un bilan élogieux des finances de l’île :
« La solvabilité financière de la collectivité est excellente. Ce résultat résulte de la maîtrise rigoureuse de ses charges de fonctionnement et de l’évolution peu commune de presque 56 millions d’euros des produits de la fiscalité indirecte depuis 2018. De 2018 à 2022, la capacité d’autofinancement brute est passée de 18 millions d’euros à 78,7 millions d’euros. La collectivité n’a plus aucune dette ».
2. La volonté de développer des relations de partenariat avec l’État
Malgré les succès économiques des vingt dernières années, les élus de Saint‑Barthélemy poursuivent les ajustements institutionnels. Depuis le début de son mandat, le président Xavier Lédée exprime le désir de dépasser le cadre binaire des transferts de compétences, qui voudrait qu’une compétence soit exercée soit par la collectivité, soit par l’État, alors que des partenariats seraient possibles :
« Nous pourrions exercer certaines compétences de manière plus efficace, dans le cadre d’une autonomie s’appuyant sur un travail partenarial avec l’État. L’État a des missions que nous n’avons pas vocation à récupérer, mais vis-à-vis desquelles nous devons être partenaires. L’enjeu est donc de rompre avec l’opposition entre l’État et les collectivités pour établir une relation de partenariat. »
Dans des domaines comme la santé ou le contrôle des frontières, les élus estiment ainsi qu’une collaboration pourrait permettre une action plus efficace.
Enfin, dans certains domaines très spécifiques, les élus de Saint-Barthélemy souhaiteraient gagner de nouvelles compétences. Un exemple : l’île, aux dimensions réduites, compte environ 18 000 véhicules, ce qui est beaucoup. Les élus souhaiteraient en contrôler le nombre, pour limiter les nuisances, mais ils ne disposent pas des compétences suffisantes pour le faire.
Un regret : la modification statutaire de 2007 n’a pas prévu de « clause de revoyure » qui pourrait permettre, au bout de quinze à vingt ans de pratique, de corriger certains détails. Les rapporteurs préconisent donc la mise en place d’une telle clause qui pourraient permettre de corriger certains aspects non essentiels mais pourtant utiles du statut.
Recommandation : mettre en place une « clause de revoyure » permettant une évolution pragmatique et souple du statut de Saint-Barthélemy à intervalles réguliers.
3. Les nouveaux enjeux du foncier et de la sécurité
Parmi les nouveaux enjeux auxquels la collectivité de Saint-Barthélemy fait face, la sécurité apparaît comme une problématique émergente, tandis que le foncier demeure un problème de fond.
Interrogé en 2023 sur les défis de sa présidence, M. Xavier Lédée affirmait : « Depuis le passage en COM, nous connaissons des problèmes d’ordre foncier ». La faible superficie de l’île et les prix élevés de l’immobilier limitent la mise en place des services décentralisés de l’État. L’association L’Appart, qui protège l’accès à la résidence sur le territoire, a profité de la visite de Gérald Darmanin, alors ministre de l’intérieur et des outre‑mer, en 2023, pour révéler que les agents de l’État rencontrent de grandes difficultés pour se loger sur l’île. Cette « crise du logement » a également restreint l’action des services de l’État. Ainsi, en raison des coûts engendrés par les déplacements à Saint-Barthélemy, les services des douanes ont été contraints d’annuler certaines missions prévues.
Le cas du transfert foncier de l’hôpital de Saint-Barthélemy illustre les difficultés rencontrées par la collectivité : « L'hôpital de Saint-Barthélemy est le seul bâtiment de l'île sur lequel aucun investissement n'a été fait depuis le cyclone Irma en 2017. Ce bâtiment est encore partiellement détruit, ce qui est incompréhensible pour la population. Nous continuons de travailler avec le département sur la dimension foncière, le transfert du foncier de l'hôpital ayant été prévu et conventionné dès 2008. Cependant, l'État a aussi une mission à accomplir. »
L’attractivité du territoire entraîne également des enjeux sécuritaires. Même si l’île ne semble pas être le territoire ultramarin le plus touché, Xavier Lédée révèle que « la situation de la sécurité est loin d’être dramatique, mais chaque événement est très sensible compte tenu de l’aspect touristique de l’île ».
Face à ce phénomène, la collectivité a pris plusieurs mesures institutionnelles en 2023, comme l’installation d’un commandement de gendarmerie indépendant de la Guadeloupe, l’émission d’obligations de quitter le territoire français (OQTF) et la reprise des contrôles aux frontières. Le président du conseil territorial a également exprimé le souhait de renforcer la police territoriale et de déployer de nouvelles technologies (caméras de surveillance).
L’émergence de problématiques foncières et sécuritaires nécessite donc des réponses institutionnelles que la collectivité commence à développer.
cinquième partie : saint-pierre-et-miquelon
Avec seulement 5 816 habitants répertoriés par l’INSEE au 1er janvier 2024 (dont environ 630 à Miquelon-Langlade), l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon constitue la collectivité ultramarine française habitée la moins peuplée.
Bien qu’étant la collectivité ultramarine géographiquement la plus proche de l’Europe (environ 4 000 km), Saint-Pierre-et-Miquelon souffre d’un véritable isolement par rapport à Paris : l’étroitesse du marché ne permet pas les vols directs entre Paris et Saint-Pierre (sauf parfois l’été), ce qui oblige les voyageurs à transiter par le Canada où, bien souvent, ils sont obligés de passer la nuit. Aller de Paris à Saint-Pierre peut ainsi prendre près de 24 heures.
A. une histoire à l’ombre du canada
1. Une activité historiquement orientée vers la pêche
L’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon a été peuplé pendant plusieurs siècles par les Amérindiens Béothuks qui ont progressivement été chassés du territoire par les Européens. Dès le début du XVIème siècle, des baleiniers basques, bretons et normands auraient visité les îles, avant sa découverte « officielle » par le navigateur portugais Joao Alvares Fegundes en 1520. C’est en 1536 que Jacques Cartier prend possession de l’archipel au nom de la couronne de France. À l’origine simple refuge de pêcheurs, le territoire doit attendre le début du XVIIème siècle pour voir l’installation des premières populations permanentes. Les îles sont alors rattachées à la colonie de Plaisance sur l’île voisine de Terre-Neuve. Disputés à de nombreuses reprises par le Royaume-Uni, Saint-Pierre-et-Miquelon deviennent définitivement françaises en 1816 avec la signature du second traité de Paris.
La vie économique de la colonie s’organise autour de l’activité des pêcheurs, ce qui entraîne certains conflits avec le Royaume-Uni au sujet des droits de pêche dans la région. Au début du XXème siècle, les pêcheurs français perdent leurs droits sur les côtes de Terre-Neuve, ce qui entraine une baisse d’activité considérable. Dans les années 1920, la Prohibition aux États-Unis permet de relancer l’économie locale qui se tourne vers la production et la vente d’alcool jusqu’en 1933.
2. La longue recherche d’un statut satisfaisant
En 1946, au lendemain de la seconde guerre mondiale, l’archipel devient un territoire d’outre-mer, statut qui n’est pas modifié pendant trente ans. Le 19 juillet 1976, le territoire est transformé en département d’outre-mer. Ce changement de statut est toutefois fraichement accueilli par les habitants : lors d’une consultation non officielle organisée par les maires de Saint-Pierre et de Miquelon-Langlade, 62,6 % des électeurs évoquent un « Oui contraint et forcé » à la départementalisation, tandis que 28,9 % s’y opposent et que seulement 8,5 % y sont favorable. Le taux de participation est faible : 41 %.
Carte physique de Saint-Pierre et Miquelon
Source : Encyclopædia Universalis. https://www.universalis-edu.com/atlas.
Ce nouveau statut s’avère néfaste pour l’économie de l’archipel en raison de l’appartenance de la France à la Communauté économique européenne. En effet, le statut de département oblige l’archipel à respecter toutes les normes européennes et notamment les normes douanières qui entravent les échanges avec le Canada et les États-Unis et augmente le coût des échanges. Le statut plus flexible de territoire permettait à l’archipel de se soustraire à la règlementation européenne et d’échanger de manière plus souple avec ses voisins régionaux.
Malgré l’adoption de plusieurs mesures d’adaptation, il apparaît que la départementalisation est un échec. En conséquence, la loi du 11 juin 1985 confère à Saint-Pierre-et-Miquelon le statut de collectivité territoriale sui generis de la République française. Avec la réforme constitutionnelle de 2003, l’archipel devient finalement une collectivité d’outre-mer régie par l’article 74 de la Constitution.
3. Une réorientation de l’activité économique
Parallèlement à ces évolutions statutaires, émerge à partir de 1977, un conflit entre le Canada et la France à propos de la délimitation des zones de pêches autour de Saint-Pierre-et-Miquelon. Les tensions s’amplifient à la suite à l’adoption de la convention de Montego Bay qui crée les zones économiques exclusives (ZEE). Le différend n’est résolu qu’en 1992 par un arbitrage du tribunal international de New-York réduisant la ZEE de l’archipel à un long couloir vers les eaux internationales. La même année, le gouvernement canadien décide unilatéralement d’imposer un moratoire sur la pêche à la morue en raison de sa surexploitation. Malgré un léger rééquilibrage permis par l’accord franco-canadien signé en 1994, les ressources halieutiques de l’archipel sont considérablement réduites. En conséquence, l’économie locale connaît de grandes difficultés nécessitant d’importants transferts de la part de l’État.
La situation de l’emploi a été profondément transformée depuis l’arrêt brutal de la pêche industrielle à la morue, il y a plus de 25 ans. L’archipel a évolué vers une économie de services. La part du secteur tertiaire dans l’emploi a progressé de 5,8 points depuis 1999, représentant maintenant 86,8 % de l’emploi total. Près de la moitié de l’emploi dans l’archipel concerne l’administration publique, l’enseignement, la santé et l’action sociale (49,4 % contre 31,1 % en France entière). Le secteur secondaire (l’industrie), qui représente quant à lui 11,8 % des emplois, est en perte de vitesse (-4,5 points depuis 1999), tout comme le secteur primaire (agriculture : 1,5 % des emplois contre 2,7 % en 1999).
Saint-Pierre-et-Miquelon constitue le territoire le moins peuplé des outre-mer français, exception faite des territoires sans population permanente que sont les TAAF ou Clipperton.
L’archipel, qui ne comptait que 600 habitants lorsqu’il a été définitivement reconnu français en 1816, a connu une expansion démographique fulgurante puisque sa population a été multipliée par onze en moins d’un siècle : en 1907, aux plus grandes heures de la pêche à la morue, la collectivité comptait 6 768 habitants, un record jamais égalé depuis.
Après une période morose d’une trentaine d’années qui a vu la population de l’archipel diminuer puis stagner entre 4 200 et 5 000 habitants, l’essor démographie a repris après la seconde guerre mondiale, avec une augmentation régulière du nombre d’habitants entre 1945 et la fin du siècle, jusqu’à un pic à 6 316 habitants recensés en 1999. Mais depuis le début du XXIème siècle, l’archipel s’inscrit à nouveau dans une tendance baissière, avec à peine plus de 5 800 habitants en 2024. Les prévisions d’évolution sont hasardeuses, tout phénomène démographique ou migratoire étant susceptible d’engendrer de fortes répercussions sur une population aussi réduite. Selon le député Stéphane Lenormand, l’archipel compterait, à travers le monde, une diaspora de 15 à 17 000 personnes.
B. un statut qui donne globalement satisfaction
Aux dires même du préfet, il n’existe pas, à l’heure actuelle de volonté de modifier significativement les règles statutaires régissant le territoire, exceptions faites de deux sujets spécifiques : la gestion du système de normes européennes dont la modification est unanimement réclamée, et la compétence en matière maritime, sujet plus controversé.
1. Un territoire atypique composé de deux communes très différentes
L’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon est une collectivité d’outre-mer placée sous le régime de l'article 74 de la Constitution et dénommée « Collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon ».
La collectivité est composée de deux communes aux caractéristiques très différentes : Saint-Pierre, chef-lieu de l’archipel et Miquelon-Langlade. C’est la seule collectivité ultramarine française relevant de l’article 74 et située dans l’Atlantique qui ne dispose pas d’une seule commune, contrairement à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy, pourtant plus peuplées.
C’est que les deux communes sont situées sur deux îles différentes, séparées d’un bras de mer d’à peine cinq à six kilomètres de large mais qui peut être infranchissable lorsque la météo est défavorable, ce qui arrive fréquemment sous ces latitudes. Saint-Pierre, la plus peuplée des communes avec environ 5 200 habitants rassemble 90 % de la population sur une île aux dimensions modestes (25 km²) ; à l’opposé, Miquelon-Langlade ne compte qu’environ 600 habitants, soit 10 % de la population de l’archipel, sur une île plus vaste, parfois menacée d’être scindée en deux par les hautes eaux, d’une surface de 216 km². Sur le plan de la superficie, c’est Miquelon-Langlade qui représente 90 % du territoire et Saint-Pierre 10 %.
2. Un président du conseil territorial doté de larges compétences
Le pouvoir exécutif est décentralisé et largement aux mains du président du conseil territorial qui dispose de certaines attributions à caractère législatif de portée locale mais aussi d’une très grande autonomie sur les plans douanier, fiscal et urbanistique.
De ce fait, les services de l’État sont en grande partie mis à sa disposition et toute marchandise entrant dans l’archipel, qu’elle provienne de France métropolitaine ou de l’étranger, à quelques exceptions près, est taxée par les douanes. Le régime fiscal est spécifique. À titre d’exemple, l’impôt sur la fortune immobilière qui existe dans le reste du territoire national n’a pas été transposé sur l’archipel.
3. Un statut européen de « pays et territoire d'outre-mer » (PTOM)
Saint-Pierre-et-Miquelon n’a pas opté pour la statut de « région ultrapériphérique » (RUP) de l’Union européenne, contrairement aux collectivités régies par l'article 73 de la Constitution (Guadeloupe, Martinique, Guyane, Réunion, Mayotte) et à l’île de Saint-Martin (régie par l'article 74) : à l’instar des autres collectivités régies par l’article 74 de la Constitution (Saint-Barthélemy, Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna et Polynésie française), l’archipel a opté pour le statut de « pays et territoire d’outre-mer » (PTOM), jugé moins contraignant.
Ce choix s’explique si l’on se souvient (cf. supra) que c’est pour des raisons de normes et de règlementations européennes qui entravaient les échanges avec le Canada et les États-Unis que l’archipel avait rejeté la départementalisation en 1985 et avait souhaité, par la suite, bénéficier du statut de collectivité d’outre-mer permis par l’article 74 de la Constitution.
Tout en bénéficiant d’une certaine liberté à l’égard de Bruxelles, la collectivité n’est pas, pour autant, privée de subsides européens : son président, Bernard Briand, reconnait que 40 % de ses recettes d’investissements proviennent de fonds européens. Le député local, Stéphane Lenormand, a calculé que l’archipel avait reçu en dix ans environ 60 millions d’euros de subventions européennes, ce qui rapporté à une population moyenne sur la période d’environ 6 000 habitants, représentait la somme non négligeable de 10 000 par habitant. La représentation permanente ouverte par l’archipel à Bruxelles et la bonne connaissance des arcanes administratives communautaires qui en découlent ne sont pas étrangères à ces « performances ».
Notons toutefois un paradoxe : le statut de PTOM place Saint-Pierre et Miquelon en grande partie hors du champ d’application du CETA ([207]), ce grand accord commercial signé en 2017 entre l’Union européenne et le Canada et qui avait suscité tant de passions.
Pour autant, le statut de PTOM, n’a pas permis à Saint-Pierre et Miquelon de résoudre toutes les difficultés liées à l’application des normes européennes.
C. la nécessaire évolution du système de normes
Se fournissant volontiers auprès de ses voisins nord-américaines, l’archipel utilise des machines et des matériaux qui, bien que respectant des critères de sécurité rigoureuses, ne répondent pas aux normes « CE », ce qui peut mettre en cause la responsabilité pénale des responsables. Une solution doit être trouvée afin de « fluidifier », comme cela a été souligné, le fonctionnement de l’économie locale.
1. Une imbrication dans les marchés nord-américains
Les normes édictées par l’Union européenne sont régulièrement transposées dans la réglementation française codifiée (code de la consommation ou code du travail, notamment), et trouvent donc à s’appliquer sur le territoire sans que les parties des différents codes spécifiquement consacrées à Saint-Pierre-et-Miquelon n’y fassent obstacle, sauf rares exception (par exemple, de nombreuses dispositions spécifiques sont prévues dans le code rural facilitant l’importation de produits canadiens).
Cette situation pose difficulté pour les acteurs économiques locaux, en particulier pour ce qui concerne les matériaux de construction utilisés par le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP), qui constitue un secteur économique de premier plan dans l’archipel.
Saint-Pierre-et-Miquelon est en effet étroitement imbriqué dans le marché nord-américain, de par sa proximité géographique, avec le Canada. L’archipel tire avantage de cette proximité qui lui permet de réaliser des économies de transport, en s’approvisionnant à moindre coût auprès des fournisseurs canadiens proches plutôt que de faire venir des produits depuis l’Europe.
De fait, les circuits de distribution existants et la forte pénétration de la culture nord-américaine font qu’une part importante des produits circulant dans l’archipel ne sont pas marqués aux normes « CE » ou « FR » (51 % des machines-outils professionnelles selon un recensement réalisé par l’Inspection du travail en 2022). Dans la majorité des cas, il s’agit de produits importés du Canada et présentant les marquages de sécurité canadiens.
2. La question de la responsabilité pénale en cas d’accident
La collectivité territoriale de Saint-Pierre et Miquelon, qui dispose de la compétence en matière de régime douanier (à l’exception des prohibitions à l’importation et à l’exportation qui relèvent de l’ordre public) et en matière de construction, peut certes librement autoriser l’importation de matériaux non normés CE.
Cependant, la mise sur le marché local et l’utilisation de tels matériaux ou de telles machines peut être de nature à engager la responsabilité pénale des employeurs en cas d’accident. La situation est également source d’inconfort voire d’insécurité juridique pour les agents publics en charge de missions de contrôle, notamment les inspecteurs du travail et les agents de la consommation et de la répression des fraudes qui doivent souvent faire face à un choix difficile entre l’usage local et la réglementation.
Un exemple : les normes européennes imposent que les véhicules automobiles soient équipés de feux clignotants de couleur orange. Or, en Amérique du nord, ces feux sont rouges. Une voiture canadienne équipée de clignotants rouges peut donc être importée, puisque les douanes de l’archipel le permettent, mais elle n’a, en théorie, pas le droit de rouler si ses feux clignotants ne sont pas changés. À défaut, en cas d’accident, la responsabilité pénale du conducteur, du propriétaire, de l’importateur, des élus, etc. risque d’être mise en cause. Évidemment, importer une voiture d’Halifax (à un peu moins de 600 km) coûte bien moins cher que de lui faire traverser l’Atlantique depuis Le Havre.
En outre, un Saint-Pierrais qui roule avec un véhicule acheté en Amérique du nord obtiendra beaucoup plus rapidement les pièces détachées dont il a besoin, généralement en moins d’une semaine. S’il achète une voiture fabriquée en Europe, les pièces détachées lui parviendront en trois ou quatre semaines, ce qui, s’agissant de véhicules de secours et d’incendie notamment, n’est pas anodin.
Évoquant les difficultés du contrôle, le préfet a assuré les rapporteurs du caractère « compréhensif » des services de l’État « pour l’instant », relevant que cette « compréhension » aurait forcément des limites.
3. Des pistes de solutions proposées
Les deux parlementaires de l’archipel ont saisi par courrier du 22 avril 2024 le ministre délégué en charge des outre-mer, dans le droit-fil de l’adoption par le Parlement européen du projet de règlement révisé relatif aux produits de construction, visant à la création d'un marquage « RUP » en substitution du marquage CE. Ces deux élus plaident pour l’adoption de mesures autorisant une interopérabilité entre matériaux canadiens et européens. Le député Stéphane Lenormand regrette notamment d’être obligé d’importer d’Europe de lourds sacs de ciment ou de plâtre (aux normes européennes) alors que ces mêmes produits existent au Canada tout proche, mais ils sont aux normes canadiennes…
De son côté la collectivité territoriale de Saint-Pierre et Miquelon a parfaitement identifié ce sujet et, selon son président, M. Bernard Briand, elle « souhaite donc s’engager dans la rédaction d’un code local de la construction, ou a minima, d’un référentiel afin de réglementer et d’assouplir la situation actuelle ». La collectivité a émis l’idée que soit posé un principe de « présomption de conformité » qui autoriserait les marchandises conformes aux normes nord-américaines à être mises en service et utilisées sur le territoire sauf exceptions dans des cas très particuliers, pour les matériaux contenant de l’amiante).
En effet, les élus arguent du fait que, s’agissant en particulier du Canada, ce pays, qui est leur plus proche voisin et principal fournisseur, est un grand pays industrialisé et d’un niveau normatif très proche de celui de l’Union européenne en matière de protection des individus. Ce pays exporte dans le monde entier : si ses normes n’étaient pas satisfaisantes, nous le saurions. Il n’y aurait donc pas d’inconvénient majeur, sauf exceptions, à se référer aux normes canadiennes en l’absence de normes européennes.
À un moment où le gouvernement et les parlementaires ne jurent que par les simplifications administratives, « en voilà clairement une », comme le souligne le préfet.
4. Mettre en place un système dérogatoire ?
La problématique de l’application des normes CE à Saint-Pierre et Miquelon constitue objectivement un frein au développement de l’archipel et à la réduction des coûts du transport. L’assouplissement de cette application pourrait être facteur de simplification de la réglementation et des procédures tout en constituant un levier contre la cherté de la vie.
À défaut d’une acceptation de l’équivalence entre les normes canadiennes et européennes – comme cela a pu être fait très récemment en matière d’armes et de munitions à l’initiative du ministère de l’intérieur – les services préfectoraux admettent qu’il restera nécessaire de déroger à la réglementation. Selon Christian Pouget, le préfet, « cette dérogation doit prendre la forme d’un cadre réglementaire précis et s’appuyer sur l’analyse des équivalences entre les produits canadiens et les produits français en termes de sécurité de l’utilisateur et de performances environnementales ».
Ce nouveau cadre à construire nécessite un travail important d’expertise pour apprécier, par produits, l’équivalence des normes ; cette mission, qui selon le président Briand devrait « être menée en lien avec les assureurs », pourrait être en accord avec le préfet, confiée à l’AFNOR (l’agence française de normalisation) ou à des laboratoires d’État comme le service commun des laboratoires, ce service à compétence nationale des ministères économiques et financiers. Laboratoire d’État de ces ministères, il réalise les analyses pour la Direction générale de douanes et droits indirects (DGDDI) et la Direction générale de la concurrence, consommation et répression des fraudes (DGCCRF).
La préfecture de Saint-Pierre et Miquelon rappelle qu’une précédente analyse a été menée en 2015 par le ministère de l’agriculture, ce qui a permis d’introduire des dispositions spécifiques dans le Code rural et de la pêche maritime pour Saint-Pierre-et-Miquelon concernant par exemple l’importation de viande ou l’exercice de la profession de vétérinaire.
Des analyses du même type pourraient utilement se concentrer sur le domaine des matériaux de construction, ce qui serait de nature à obtenir des résultats concrets et importants pour le territoire dans un laps de temps raisonnable.
Recommandation : mettre en place au niveau de l’État un système d’expertise permettant de valider des équivalences ou des dérogations en matière de normes, au moins pour les matériaux de construction et les activités liées aux travaux publics.
Enfin, pour le président Bernard Briand, il conviendra de s’assurer, « là aussi en lien avec l’État », que les économies potentielles qui résulteront de la mise en place de dérogations « seront bien répercutées sur les prix pratiqués par les importateurs et distributeurs locaux ».
La compétence maritime relève actuellement de l’État. Or, la collectivité territoriale souhaite que lui soit transférée cette compétence qui lui permettrait, par exemple, de gérer la subvention versée au nom de la continuité territoriale.
1. La gestion directe par l’État est controversée
Pour le député Stéphane Lenormand, l’État ne gère pas avec suffisamment d’attention la subvention versée aux transporteurs qui effectuent les liaisons entre l’archipel et le Canada. Il en veut pour preuve que le ministère des outre-mer ne sait pas fournir le montant exact du coût de cette subvention qu’il estime, lui, comprise entre 8 et 10 millions d’euros, mais dont le montant officiel varierait en fonction des interlocuteurs gouvernementaux, de la méthode de calcul et du cours des monnaies.
Cette somme est relativement faible à l’échelle du budget national, ce qui pourrait expliquer que l’État n’y prête pas beaucoup d’attention. « Mais à notre échelle, elle est très importante » souligne l’élu.
2. Objectif : plus d’efficacité et d’adaptabilité
Les partisans du transfert de la compétence maritime à la collectivité soulignent qu’une telle évolution permettrait aux élus locaux de choisir avec finesse et discernement les liaisons sur lesquelles s’appliquerait la délégation de service public (DSP). Au lieu de se limiter, comme c’est le cas aujourd’hui, aux liaisons entre Saint-Pierre et Halifax et aux liaisons inter-îles, une liaison avec Terre-Neuve pourrait être ajoutée. Les tarifs pourraient être renégociés.
Il n’existe actuellement pas de route maritime directe entre l’hexagone et l’archipel : toutes les marchandises transitent par le Canada, ce qui allonge les délais de livraisons et renchérit les coûts.
Or, selon le député, une relation directe entre l’hexagone et l’archipel, réalisé à l’aide de porte-conteneurs innovants, de taille réduite et fonctionnant avec des voiles, semble en préparation. Si une telle liaison était créée, la collectivité pourrait choisir, avec beaucoup de réactivité, de la subventionner (ou pas) au titre de la continuité territoriale. Dans une telle hypothèse, une liaison directe pourrait permettre de réduire les coûts en faisant gagner du temps et en réduisant les multiples opérations de dépotage par lesquelles les conteneurs passent d’un bateau à un autre lors des escales.
3. Le monde économique est opposé à un tel transfert
Mais pour d’autres observateurs, notamment les syndicats de salariés ainsi que les organisations professionnelles, la délégation de service public doit rester entre les mains de l’État « pour assurer la pérennité du transport de marchandise ». Pour Delphine Dagort, présidente de la Chambre d’agriculture, de commerce, d’industrie, des métiers et de l’artisanat (CACIMA), « en cas de blocage d’un conteneur à Halifax, comme cela peut arriver, l’État français sait mieux se faire entendre que la collectivité de Saint-Pierre et Miquelon. Le transport est essentiel sur l’archipel, non seulement pour son agrément, mais aussi pour aller étudier, pour aller se faire soigner… Il ne faut pas toucher à ce qui fonctionne bien ».
Émettant des doutes sur les possibilités pour une collectivité de se retrouver en concurrence avec le secteur privé, Christine Cormier qui représente le SNEC-CFTC, juge la desserte maritime actuelle « totalement satisfaisante ». Robert Hardy, le président de l’Union professionnelle de l’alimentaire, des services et du commerce (UPASC) et Roger Hélène, président du Medef local, se sont également déclarés favorable à ce que la délégation de service public « reste aux mains de l’État », dans la mesure où la desserte maritime de l’archipel, pour eux, donne satisfaction.
CHAPITRE quatre : les collectivités du Pacifique
Les territoires du Pacifique
|
Statut |
Ancienne ou actuelle puissance tutélaire |
Régime |
Population et superficie (ONU) |
Monnaie |
Organisations internationales |
États souverains |
||||||
Australie |
Indépendant depuis 1901 |
Royaume-Uni |
Monarchie constitutionnelle parlementaire fédérale |
25 422 788 hab. 7 692 024 km² |
Dollar australien |
ONU, Commonwealth, CPS, FIP |
Fidji |
Indépendant depuis 1970 |
Royaume-Uni |
République parlementaire |
884 887 hab. 18 272 km² |
Dollar des Fidji |
ONU, Commonwealth, CPS, FIP, GFLM |
Kiribati |
Indépendant depuis 1979 |
Royaume-Uni |
République parlementaire |
110 136 hab. 726 km² |
Dollar australien |
ONU, CPS, FIP |
Îles Marshall |
En libre association avec les États-Unis depuis 1979 |
États-Unis |
République parlementaire |
41 569 hab. ** 181 km² |
Dollar américain |
ONU, CPS, FIP |
Îles Salomon |
Indépendant depuis 1978 |
Royaume-Uni |
Monarchie constitutionnelle parlementaire |
721 177 hab. 28 896 km² |
Dollar des îles Salomon |
ONU, Commonwealth CPS FIP, GFLM |
États fédérés de Micronésie |
En libre association avec les États-Unis depuis 1986 |
États-Unis |
République parlementaire et fédérale |
114 164 hab. ** 702 km² |
Dollar américain |
ONU, CPS, FIP |
Nauru |
Indépendant depuis 1968 |
Australie |
République parlementaire |
11 014 hab. 21 km² |
Dollar australien |
ONU, Commonwealth, CPS, FIP |
Nouvelle-Zélande |
Indépendant depuis 1947 |
Royaume-Uni |
Monarchie constitutionnelle parlementaire fédérale |
5 122 600 hab. 268 107 km² |
Dollar néo-zélandais |
ONU, CPS, Commonwealth, FIP |
Palaos |
En libre association avec les États-Unis depuis 1981 |
États-Unis |
République parlementaire et fédérale |
17 614 hab. 459 km² |
Dollar américain |
ONU, CPS, FIP |
Papouasie-Nouvelle-Guinée |
Indépendant depuis 1975 |
Australie |
Monarchie constitutionnelle parlementaire |
8 151 300 hab. 462 840 km² |
Kina |
ONU, CPS, Commonwealth, FIP, GFLM |
Samoa |
Indépendant depuis 1962 |
Nouvelle-Zélande |
République parlementaire |
202 506 hab. 2 842 km² |
Tala |
ONU, Commonwealth, CPS, Commonwealth, FIP |
Tonga |
Indépendant depuis 1970 |
Royaume-Uni |
Monarchie constitutionnelle parlementaire |
100 179 hab. 747 km² |
Pa'anga |
ONU, CPS, Commonwealth, FIP |
Tuvalu |
Indépendant depuis 1978 |
|
Monarchie constitutionnelle |
10 645 hab. 26 km² |
Dollar Tuvaluan |
ONU, Commonwealth, CPS, FIP |
Vanuatu |
Indépendant depuis 1980 |
France et Royaume-Uni |
République parlementaire |
307 000 hab. 12 189 km² |
Vatu |
ONU, Commonwealth, CPS, FIP, GFLM |
États en libre association avec la Nouvelle-Zélande |
||||||
Îles Cook |
En libre association avec la Nouvelle-Zélande depuis 1965 |
Nouvelle-Zélande |
Monarchie constitutionnelle parlementaire |
17 434 hab. 236 km² |
Dollar des Îles Cook |
CPS, FIP |
Niue |
En libre association avec la Nouvelle-Zélande depuis 1974 |
Nouvelle-Zélande |
Monarchie constitutionnelle parlementaire |
1 681 hab. 260 km² |
Dollar néo-zélandais |
CPS, FIP |
Territoires habités non-souverains |
||||||
Guam |
Territoire non incorporé et organisé |
États-Unis |
|
168 801 hab. 541 km² |
Dollar américain |
CPS (États-Unis), FIP (observateur) |
Hawaï |
État fédéré |
États-Unis |
|
1 460 137 hab. * 28 412 km² |
Dollar américain |
|
Île Bougainville |
Région autonome dont l'indépendance est programmée pour 2027 |
Papouasie-Nouvelle Guinée |
|
249 358 hab. 9 384 km² |
Kina |
|
Îles Mariannes du Nord |
Territoire non incorporé et organisé |
États-Unis |
|
47 329 hab. * 457 km² |
Dollar américain |
CPS, FIP (observateur) |
Nouvelle-Calédonie |
Collectivité d'outre-mer sui generis |
France |
|
278 495 hab. 19 100 km² |
Franc Pacifique |
CPS, FIP, GFLM (FLNKS) |
Île de Pâques |
Province |
Chili |
|
7 750 hab. 163 km² |
Peso chilien |
|
Îles Pitcairn |
Territoire d'outre-mer |
Royaume-Uni |
|
45 hab. 5 km² |
Dollar néo-zélandais |
Commonwealth (Royaume-Uni), CPS |
Polynésie française |
Collectivité d'outre-mer |
France |
|
279 448 hab. 3 687 km² |
Franc Pacifique |
CPS, FIP |
Samoa américaines |
Territoire non incorporé et non organisé |
États-Unis |
|
49 710 hab. * 199 km² |
Dollar américain |
CPS, FIP (observateur) |
Tokelau |
Territoire |
Nouvelle-Zélande |
|
1 647 hab. 12 km² |
Dollar néo-zélandais |
CPS, FIP (associé) |
Wallis-et-Futuna |
Collectivité d'outre-mer |
France |
|
12 197 hab. 142 km² |
Franc Pacifique |
CPS, FIP (associé) |
Territoires sans population permanente |
||||||
Clipperton |
Collectivité sui generis |
France |
|
0 hab. 1,7 km² |
|
|
Attol Johnston |
Territoire non incorporé et non organisé |
États-Unis |
|
0 hab. 2,6 km² |
|
|
Attol Palmyra |
Territoire incorporé et non organisé |
États-Unis |
|
Entre 4 et 20 scientifiques 3,9 km² |
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|
Baker |
Territoire non incorporé et non organisé |
États-Unis |
|
0 hab. 2,1 km² |
|
|
Howland |
Territoire non incorporé et non organisé |
États-Unis |
|
0 hab. 2,6 km² |
|
|
Jarvis |
Territoire non incorporé et non organisé |
États-Unis |
|
0 hab. 5 km² |
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Récif Kingman |
Territoire non incorporé et non organisé |
États-Unis |
|
0 hab. 0,01 km² |
|
|
Midway |
Territoire non incorporé et non organisé |
États-Unis |
|
40 scientifiques 6,2 km² |
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|
Wake |
Territoire non incorporé et non organisé |
États-Unis |
|
100 militaires 7 km² |
|
|
* Source : US census ; ** Source : Banque mondiale.
Abréviations : ONU : Organisation des Nations Unies, CPS : Communauté du Pacifique, FIP : Forum des Îles du Pacifique, GFLM : Groupe Fer de lance mélanésien.
première partie : La nouvelle-calédonie
I. L’HISTOIRE TRAGIQUE DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE
La Nouvelle Calédonie est une collectivité ultramarine dite sui generis, c’est-à-dire disposant d’un statut spécifique, inscrit au titre XIII de la Constitution.
Située à 17 500 km de Paris, elle ne dispose pas de vols directs pour rallier l’Europe, aucun avion n’ayant un rayon d’action suffisant. Une correspondance à Singapour ou à Tokyo est donc indispensable, et le trajet entre Paris et Nouméa nécessite un minimum de 24 heures, correspondance incluse.
Pour une superficie de 18 500 km² (une fois et demie l’Île-de-France), la Nouvelle-Calédonie compte autant d’habitants (268 500 en 2023) qu’un département comme l’Orne (272 000 habitants) ou le Tarn-et-Garonne (266 000).
La comparaison s’arrête là : la collectivité ne compte que 33 communes quand un département hexagonal moyen en compte plusieurs centaines. La Nouvelle-Calédonie compte donc beaucoup moins de structures intercommunales, et elle est divisée en trois provinces, situation unique en France.
A. une colonie de peuplement au sein de l’empire colonial
C’est entre 1100 et 1050 avant notre ère que les premiers Mélanésiens s’installent sur le territoire de l’actuelle Nouvelle-Calédonie. Leurs descendants, le peuple kanak, entrent pour la première fois en contact avec les Européens en 1774, lorsque le navigateur britannique James Cook aborde l’île. Rivaux dans le Pacifique comme ailleurs, Britanniques et Français se disputent les îles océaniennes. C’est finalement le contre-amiral Febvrier Despointes qui, le 24 septembre 1854, prend possession du territoire au nom de l’empereur Napoléon III.
La Nouvelle-Calédonie constitue une colonie singulière au sein de l’empire colonial français. À l’instar de l’Algérie et en dépit de son éloignement de la métropole, elle devient une colonie de peuplement. À l’inverse des colonies d’exploitation ou de comptoir où la puissance coloniale se contente d’exploiter les ressources du territoire, la colonisation de peuplement vise à assurer la présence pérenne du colonisateur.
1. Des politiques de peuplement plurielles
Mais en Nouvelle-Calédonie contrairement à ce qui se passe en Afrique du nord, la France opte dans un premier temps pour une colonisation pénale en créant, en 1863, un établissement de travaux forcés sur le modèle du bagne guyanais. Comme pour ce dernier, l’objectif est d’éloigner les criminels indésirables de la métropole, sans pour autant subir des conditions de vie aussi difficiles qu’en Guyane. Le premier convoi de bagnards arrive l’année suivante et le dernier en 1897. Au total, près de 22 000 personnes sont concernées par cette première vague de peuplement, avec des profils très divers : prisonniers de droit commun, communards et rebelles algériens pour l’essentiel.
Mais la colonisation libre ne suffit pas à compenser la perte de main d’œuvre entraînée par la fermeture du bagne, tandis que l’exploitation du nickel accroît considérablement les besoins de la colonie. Pour cette raison est mis en place « l’engagisme », une pratique qui consiste en une forme de travail forcé régi par un contrat liant l’engagé à son engagiste pour une durée limitée, privant le premier du droit de rompre l’engagement de façon unilatérale tout en le soumettant à des clauses pénales en cas d’insubordination ou de refus de travail. Une importante main d’œuvre venue de l’Indochine, de Wallis-et-Futuna ainsi que de la Polynésie française est ainsi acheminée sur le Caillou.
2. La marginalisation juridique du peuple kanak
Les Kanak ne sont pas des citoyens de l’empire mais des sujets soumis au régime disciplinaire de « l’indigénat », un régime pénal et administratif spécial réservé aux indigènes et aux travailleurs engagés. Ces dispositions restent en vigueur jusqu’en 1946. L’objectif de ce régime d’exception est de contrôler et d’organiser autant que possible la population indigène dans tous les aspects de sa vie.
À ce titre, les Kanaks ne bénéficient pas du droit de vote et ne sont pas éligibles. Ils sont également exclus du système scolaire classique et cantonnés à des « écoles indigènes » qui se contentent de dispenser des rudiments d’écriture, de lecture et de calcul. Toujours pour répondre au besoin de main d’œuvre, le colonisateur décide la « mise au travail » des Kanaks, dont certains sont recrutés de force pour effectuer des travaux d’utilité publique, la construction de routes notamment.
La ségrégation est aussi spatiale. Le régime de l’indigénat comporte un volet foncier visant à priver les Kanaks de leur terre au profit du bagne puis des colons libres. Les spoliations foncières commencent dès l’arrivée des Européens qui ignorent la propriété coutumière kanak. Si l’arrêté du 22 janvier 1868 reconnaît théoriquement la propriété indigène, l’administration se réserve le droit d’exproprier avec ou sans indemnité. En outre, le colonisateur délimite des réserves, territoires dont la tribu conserve théoriquement la jouissance traditionnelle visant en réalité à confiner les Kanaks dans des espaces exigus, reculés, voire enclavés.
3. Après-guerre : la marche vers l’autonomie
La fin de la Seconde guerre mondiale crée un contexte propice au changement. On en trouve d’ailleurs la marque dans le préambule de la Constitution de la IVème République, à l’alinéa 16 : « La France forme avec les peuples d’outre-mer une Union fondée sur l’égalité des droits et des devoirs, sans distinction de race ou de religion ».
La colonisation est dénoncée à la tribune de la jeune Organisation des nations unies (ONU) avec le soutien des deux grandes puissances : États-Unis et URSS. La Nouvelle Calédonie, coupée de Paris occupée et qui a connu une « parenthèse américaine » entre 1942 et 1945, se métamorphose, avec des conséquences durables en matière politique, économique et sociale. Les habitants ont acquis une grande autonomie dans la gestion des affaires publiques et entendent la conserver. On assiste parallèlement à un réveil kanak, dont la population, en progressive augmentation, s’intègre mieux dans l’économie.
En 1946, l’Empire colonial devient « l’Union française ». Quatre colonies (Martinique, Guadeloupe, Guyane et La Réunion) reçoivent le statut de département tandis que les autres territoires, dont la Nouvelle-Calédonie, optent pour le statut de territoire d’outre-mer (TOM) où l’État est représenté par un gouverneur.
Dans le même temps, la condition des Kanak s’améliore : le régime de l’indigénat est aboli en 1946 et les Kanak retrouvent leur liberté de circulation et de résidence. Ils acquièrent progressivement la nationalité française et le droit de vote, au cours d’un processus qui prend fin en 1957. L’émergence des Kanaks dans la vie politique change durablement les équilibres politiques locaux.
En 1953, le député néo-calédonien Maurice Lenormand, un métropolitain favorable à l’amélioration du statut des Kanaks, fonde l’Union calédonienne (UC), une formation politique qui prône l’entente entre les communautés blanches et mélanésiennes, avec son slogan « deux couleurs, un seul peuple ». Le parti dominera la scène politique locale pendant plusieurs décennies.
La loi-cadre du 23 juin 1956 dite « loi Defferre », pensée pour les colonies africaines puis étendue à la Nouvelle-Calédonie le 22 juillet 1957, instaure un régime d’autonomie inédit et précurseur pour l’époque. Le conseil général devient une assemblée territoriale. Le pouvoir exécutif est partagé entre le gouverneur et le Conseil de gouvernement qu’il préside, mais dont le chef réel est le vice-président élu par l’assemblée territoriale. Seuls les pouvoirs régaliens demeurent la prérogative du représentant de l’État.
4. Le retour à la centralisation (1958-1983)
La Constitution de la Vème République prévoit que les territoires d’outre‑mer peuvent choisir de conserver ce statut ou de devenir des départements d’outre–mer ou des États membres de la Communauté française, qui remplace l’Union française. L’assemblée territoriale, où l’UC est majoritaire, vote en faveur du maintien du statut de TOM.
Pour le gouvernement gaulliste, la Nouvelle-Calédonie représente déjà un territoire stratégique en Océanie. En 1963, la Polynésie française devient un terrain d’essais nucléaires et l’État souhaite réduire l’autonomie des TOM pour contrer de potentielles velléités indépendantistes, alors que les premières indépendances sont déclarées dans le Pacifique. De plus, l’exploitation du nickel, en pleine expansion laisse entrevoir des perspectives de croissance économique forte.
C’est ce qui conduit le gouvernement à adopter la loi du 21 décembre 1963 dite « loi Jacquinot » qui supprime le poste de ministre du Conseil de gouvernement au profit d’un organe collégial. La fonction de vice-président est remplacée par celle de secrétaire général et est occupée par un fonctionnaire d’État. L’essentiel du pouvoir exécutif revient entre les mains du haut-commissaire de la République. Ce mouvement se poursuit avec les « lois Billote » du 2 janvier 1969, qui attribuent à l’exécutif le contrôle de la recherche minière et des investissements. L’État devient ainsi le principal bénéficiaire de l’exploitation du nickel.
Ces mesures sont mal accueillies par la classe politique néo-calédonienne. La recentralisation voulue par le gouvernement français passe aussi par une politique démographique. La circulaire du premier ministre Pierre Messmer du 19 janvier 1972 dispose que « la revendication nationaliste autochtone ne sera évitée que si les communautés non originaires du Pacifique représentent une masse démographique majoritaire ». L’immigration d’origine européenne est favorisée et la part des Kanaks dans la population néo-calédonienne passe de 51 % en 1956 à 42 % en 1976. Le poids de l’agglomération de Nouméa est renforcé.
B. L’Émergence du mouvement indÉpendantiste
1. La bipolarisation politique (1975-1981)
Les années 70 voient la montée des contestations dans le monde mélanésien avec une affirmation identitaire kanak ainsi que la structuration d’une lutte pour l’indépendance. Une nouvelle génération, ayant effectué des études en Europe et marquée par les évènements de mai 68, fait son apparition. Parallèlement, l’identité kanak s’affirme, portée par le retour de la croissance démographique ainsi que par l’affirmation culturelle de cette population. Jean-Marie Tjibaou organise le festival « Mélanésia 2000 », sur le thème de la reconnaissance culturelle.
Ces revendications trouvent rapidement un écho politique avec la formation des Foulards rouges en 1969 et du Groupe 1878 en 1971. Mais c’est l’année 1975 qui marque une véritable rupture. En juin, des dissidents mélanésiens de l’UC forment le Front uni de libération kanak (FULK) et se proclament en faveur de l’indépendance. En juillet, les Foulards rouges et le Groupe 1878 fusionnent pour former le Parti de libération kanak (Palika).
Le dernier basculement se fait en 1977 au Congrès de Bourail, où l’Union calédonienne vote une motion en faveur de l’indépendance. En réaction, Jacques Lafleur quitte le parti pour former le Rassemblement pour la Calédonie, qui devient en 1978 le Rassemblement pour la Calédonie dans la République (RPCR).
Ainsi débute la bipolarisation de la vie politique calédonienne, qui voit s’affronter d’un côté les mouvements indépendantistes qui se structurent en 1979 autour du Front Indépendantiste (FI) et de l’autre les loyalistes qui souhaitent le maintien de la Nouvelle-Calédonie au sein de la République française.
2. La montée des tensions (1981-1984)
En 1981, l’élection à la présidence de la République de François Mitterrand, qui s’était prononcé en faveur de l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie pendant sa campagne, nourrit les espoirs chez les indépendantistes et inquiète les loyalistes. C’est dans ce contexte tendu que Pierre Declerq, secrétaire général de l’Union calédonienne et partisan de l’indépendance, est assassiné.
En juin 1982, le Front indépendantiste devient majoritaire à l’Assemblée territoriale à la suite d’un renversement d’alliance, ce qui permet à Jean‑Marie Tjibaou de former un Conseil de gouvernement indépendantiste. En protestation, les loyalistes descendent dans la rue et font irruption à l’Assemblée territoriale avant d’être évacués par la police.
En janvier 1983, deux gendarmes sont tués au cours d’un affrontement avec des Mélanésiens près du village Koindé. Ce drame creuse encore davantage le fossé entre les loyalistes, qui dénoncent une embuscade, et les Kanaks, qui réfutent cette thèse.
Face à la montée des tensions, le secrétaire d’État à l’Outre-mer, Georges Lemoine, réunit à partir du 8 juillet 1983, et pour cinq jours, les principaux responsables politiques néo-calédoniens à Nainville-les-Roches, dont il est maire. L’objectif est de « faire le bilan des espérances et des propositions de chacun » pour « aboutir à un nouveau statut de large autonomie interne ». Cette table ronde marque le début des discussions concernant le droit de vote, l’autodétermination et l’éventualité d’un référendum.
La déclaration finale constitue une avancée historique avec la « Reconnaissance de la légitimité du peuple kanak, premier occupant du Territoire, se voyant reconnaître, en tant que tel, un droit inné et actif à l’indépendance, dont l’exercice doit se faire dans le cadre de l’autodétermination prévue et définie par la Constitution de la République française, autodétermination ouverte également, pour des raisons historiques, aux autres ethnies dont la légitimité est reconnue par les représentants du peuple kanak ». La reconnaissance « des deux légitimités » constitue la base de toutes les futures négociations sur l’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie. Cependant, le refus du RPCR de signer la déclaration finale prive le texte d’une partie de sa légitimité.
En 1984, le gouvernement propose unilatéralement un nouveau statut pour le territoire, promettant une autonomie jamais atteinte jusqu’alors. Mais le projet est critiqué tant par les indépendantistes qui demandent une restriction du corps électoral, que par les loyalistes pour qui une telle autonomie ne peut conduire qu’à l’indépendance. En dépit des oppositions qu’il suscite, le statut Lemoine est adopté par le Parlement le 6 septembre 1984, dans l’attente d’une approbation par l’Assemblée territoriale.
3. Les « Évènements » (1984-1988)
La fondation du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), le 24 septembre 1984, marque un changement de stratégie du camp indépendantiste, qui décide d’étendre la lutte en dehors du champ électoral. Ainsi, lors de son Congrès constitutif, le FLNKS annonce le boycott des élections territoriales prévues le 18 novembre 1984 pour marquer son rejet du statut Lemoine. Éloi Machoro brise l’urne électorale de la mairie de Canala tandis que des militants kanaks organisent des barrages pour bloquer les routes de l’île dans l’objectif d’empêcher le bon déroulement du scrutin.
Le territoire entre alors dans une situation quasi-insurrectionnelle : des heurts éclatent à Ponérihouen et Ouvéa. La ville de Thio est occupée par des indépendantistes qui désarment les loyalistes et occupent les gendarmeries de Thio et d’Ouvéa tandis que le sous-préfet des îles Loyauté est séquestré.
Les élections, organisées tant bien que mal, voient finalement le RPCR remporter 34 des 42 sièges de l’Assemblée territoriale. L’un de ses responsables, le kanak anti-indépendantiste Dick Ukeiwé, devient chef de l’exécutif territorial. Le RPCR se déclare en faveur de l’autonomie interne, qu’il considérait jusqu’ici comme l’antichambre de l’indépendance. En parallèle, Jean-Marie Tjibaou crée un gouvernement provisoire de Kanaky (GPK) dont il prend la présidence. Des milices sont formées dans chacun des deux camps et la situation menace de basculer dans la guerre civile.
Le 5 décembre 1984, dix indépendantistes, parmi lesquels deux frères de Jean-Marie Tjibaou, sont tués dans une embuscade à Hienghène. Afin d’éviter une escalade, le FLNKS accepte de lever les barrages et une trêve s’installe. Le contexte reste cependant extrêmement tendu.
Nommé Haut-commissaire de la République en décembre 1984, Edgar Pisani propose le 7 janvier 1985 un projet d’indépendance-association avec la France et préconise l’organisation d’un scrutin d’autodétermination dès juillet, ouvert aux citoyens français ayant au minimum trois ans de résidence en Nouvelle-Calédonie.
Le FLNKS comme le RPCR rejettent le plan Pisani mais les débats qu’il suscite font resurgir la violence. La tension explose le 11 janvier lorsqu’Yves Tual, jeune éleveur, est tué par des militants indépendantistes, ce qui suscite des troubles à Nouméa. Le lendemain, la gendarmerie intervient pour libérer une propriété occupée par des indépendantistes. Éloi Machoro et Marcel Nonnaro sont tués à cette occasion.
L’état d’urgence est décrété sur le territoire. Le président de la République François Mitterrand effectue un voyage sur l’archipel le 19 janvier pour annoncer l’élaboration par le gouvernement d’un nouveau statut. La loi du 23 août 1985 dite « statut Fabius-Pisani » prévoit un régime transitoire pour la Nouvelle-Calédonie jusqu’au scrutin d’autodétermination prévu au plus tard le 31 décembre 1987. Le territoire est divisé en quatre régions librement administrées par des conseils de région élus au suffrage universel direct à la représentation proportionnelle. Malgré des contestations sur le découpage électoral, qui est largement favorable aux indépendantistes, les deux camps acceptent de participer aux élections du 29 septembre 1985, qui voient le FLNKS remporter trois des quatre régions.
En mars 1986, les élections législatives nationales entraînent un changement de majorité en faveur du RPR de Jacques Chirac, qui devient premier ministre. Ce dernier s’oppose à l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie et souhaite revenir sur le statut Fabius-Pisani.
La loi du 17 juillet 1986, dite « statut Pons », réduit les compétences des régions et prévoit l’organisation d’un référendum d’autodétermination, qui est organisé le 13 septembre 1987. Boycottée par les indépendantistes du FLNKS, la consultation consacre la victoire écrasante de l’option du maintien au sein de la République française, approuvée par 98 % des votants, malgré un taux d’abstention de 40,9 %. La loi du 22 janvier 1988 dite « statut Pons II » procède à une modification du nombre de conseiller dans chaque région en faveur de la région Sud où les loyalistes sont largement majoritaires. De nouvelles élections régionales sont prévues pour le 24 avril suivant : le FLNKS annonce les boycotter.
Le 22 avril 1988, deux jours avant le premier tour de l’élection présidentielle nationale et des élections territoriales qui doivent entériner le statut Pons II, des indépendantistes attaquent la gendarmerie de Fayaoué, sur l’île d’Ouvéa, qui accueillait des renforts venus sécuriser le vote. Quatre gendarmes sont tués, tandis que les autres sont pris en otage et divisés en deux groupes.
Si le premier est rapidement libéré, le second ne l’est qu’au terme d’un assaut de l’armée mené le 5 mai 1988, deux jours avant le second tour de l’élection présidentielle française qui voit la réélection de François Mitterrand. L’assaut se solde par la mort de deux militaires et de dix-neuf indépendantistes.
C. Des cycles de nÉgociations aboutissant à 3 rÉfÉrendums
1. Les accords de Matignon et d’Oudinot (1988)
Choqués par la tragédie d’Ouvéa, les deux camps entament, sous l’égide du nouveau premier ministre Michel Rocard, des négociations qui aboutissent à la signature des accords de Matignon le 26 juin 1988.
Ils prennent la forme d’un accord cadre prévoyant un certain nombre d’orientations, complété par les accords d’Oudinot du 20 août 1988. Un nouveau statut pour la Nouvelle-Calédonie est élaboré et soumis, le 6 novembre 1988, à un référendum national qui l’entérine par 79,99 % de oui contre 20,01 % de non. Le taux de participation s’élève à 36,89 %. Le nouveau statut prévoit une réorganisation institutionnelle et un rééquilibrage économique en faveur des Kanak. Ainsi, la création de trois provinces permet aux indépendantistes, pourtant minoritaires, d’être au pouvoir dans deux d’entre elles. Elle prévoit également l’organisation d’un référendum sur l’indépendance dans un délai de dix ans, scrutin où ne pourront pas voter les personnes arrivées sur le Caillou après le 6 novembre 1988.
Au total, les « Événements », que certains n’hésitent plus à qualifier de « début de guerre civile », ont provoqué la mort de plus de 90 personnes : indépendantistes, loyalistes, policiers et militaires confondus, sur une population d’environ 160 000 habitants. Les affrontements les plus meurtriers ont eu lieu fin 1984, début 1985 et lors de la prise d’otage d’Ouvéa en 1988.
2. L’assassinat de Jean-Marie Tjibaou (1989)
Avec la signature des accords de Matignon-Oudinot, la page de la violence semble définitivement tournée. Or, l’assassinat, le 4 mai 1989 à Ouvéa, de Jean‑Marie Tjibaou et de son bras droit Yeiwéné Yeiwéné par un membre du FLNKS opposé aux accords, rappelle que la paix reste fragile. C’est pour cette raison que, à l’approche du référendum prévu en 1998, les deux camps reprennent les discussions afin d’éviter le retour de la violence.
C’est la volonté de préserver la paix permise par les accords de Matignon-Oudinot qui pousse Jacques Lafleur à inviter la classe politique calédonienne et l’État à parvenir à une solution pour éviter de nouveaux affrontements. C’est dans cet esprit que les partenaires des accords de Matignon-Oudinot reprennent les négociations.
Un premier compromis, trouvé à l’initiative de Jacques Lafleur, permet la vente de la Société minière du Sud-Pacifique (SMSP) aux indépendantistes de la province Nord. En effet, les discussions bloquent sur « le préalable minier », c’est-à-dire la nécessité que la SMSP dispose de gisements suffisamment importants pour réaliser une usine métallurgique en province Nord, favorisant le rééquilibrage économique du territoire. L’accord de Bercy, signé le 1er février 1998, permet à la SMSP d’obtenir l’exploitation du massif minier du Koniambo : l’accord économique ouvre la voie à un nouvel accord politique.
3. Les accords de Nouméa (1998) et le gel du corps électoral (2007)
Le 21 avril 1998, l’accord de Nouméa est signé par le RPCR et le FLNKS puis, le 5 mai, par le premier ministre Lionel Jospin. Soumis à un référendum territorial le 8 novembre 1998, il recueille l’assentiment de 72 % des Calédoniens avec un taux de participation de 74 %. La Nouvelle-Calédonie devient une collectivité sui generis faisant l’objet d’un titre spécial au sein de la Constitution (titre XIII). Une « citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie », donnant le droit de vote aux élections provinciales, est créée.
Les loyalistes souhaitent qu’une résidence de dix ans sur l’archipel suffise pour obtenir cette citoyenneté ; les indépendantistes demandent que la liste électorale soit gelée au jour du référendum de 1998, conformément à l’esprit de l’accord de Nouméa. Le Parlement français, réuni en Congrès à Versailles en 2007, choisit cette seconde option ([208]) et précise les articles 188 et 189 de la loi organique du 19 mars 1999 en inscrivant le gel du corps électoral dans l’article 77 de la Constitution française.
Mais loin de figer la situation, l’accord a vocation à préparer et accompagner la Nouvelle-Calédonie vers une consultation sur son accession à une éventuelle pleine souveraineté. Le processus doit aboutir à l’organisation d’au moins un et d’au maximum trois référendums d’autodétermination successifs. Le corps électoral pour ces consultations est encore plus restreint que celui prévu pour les élections provinciales : le vote est limité à ceux qui ont ou auraient pu participer au scrutin de 1998, et à ceux pouvant justifier d’une durée de vingt ans de domicile continu en Nouvelle-Calédonie à la date de la consultation et au plus tard au 31 décembre 2014.
À ce moment-là, il existe donc au total en Nouvelle-Calédonie trois corps électoraux distincts (le premier pour les élections municipales, nationales et européennes, le deuxième pour les élections provinciales et le troisième pour les référendums d’autodétermination), le troisième devant disparaître à l’issue des trois référendums.
4. Les trois référendums d’autodétermination (2018, 2020 et 2021)
Le 4 novembre 2018 a lieu le premier référendum d’autodétermination : le non à l’indépendance l’emporte par 56,7 % des voix, 81 % des électeurs inscrits ayant voté. Comme prévu par les accords de Nouméa, un tiers des membres du Congrès demandent l’organisation d’un deuxième puis d’un troisième référendum.
Le deuxième référendum est organisé le 4 octobre 2020. L’écart entre les deux camps s’est resserré, puisque seuls 53,3 % des votants rejettent l’indépendance, alors que la participation a augmenté à 85,7 %.
En 2021, la troisième et dernière consultation est organisée le 12 décembre contre l’avis des indépendantistes et du Sénat coutumier, désireux de respecter la période traditionnelle de deuil d’un an, consécutive au covid, et qui décident, en conséquence, de ne pas participer au scrutin. En toute logique, le non à l’indépendance l’emporte largement, à 96 %. Mais le taux de participation (43,87 %) bien inférieur à celui des précédentes consultations, entache la légitimité du vote aux yeux des indépendantistes.
Ne reconnaissant pas le résultat du troisième référendum, le FLNKS en réclame un nouveau, qui serait un « référendum réparateur », comme ils l’ont déclaré aux rapporteurs.
II. La sortie des accords de NoumÉa
Certains de nos interlocuteurs ont déclaré aux rapporteurs que le processus mis en place en 1998 avait pour but inavoué, mais réel, de conduire la Nouvelle-Calédonie vers l’indépendance, le nombre inhabituel de référendums d’autodétermination étant l’un des signes les plus tangibles de cette volonté. Une telle situation aurait cyniquement présenté l’avantage de satisfaire les indépendantistes tout en « débarrassant » la France d’un de ses tracas.
Mais le peuple en a décidé autrement, par trois fois, et le territoire est resté au sein de la République. Il reste donc à poursuivre le processus de négociation et à trouver les solutions permettant aux loyalistes et aux indépendantistes de vivre ensemble.
Le document d’orientation de l’accord de Nouméa dispose que, en cas de réponse négative aux trois référendums, « les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée ». Tant que les consultations n’auront pas abouti, l’organisation politique mise en place par l’accord de 1998 restera en vigueur, à son dernier stade d’évolution, sans possibilité de retour en arrière, cette irréversibilité étant constitutionnellement garantie.
1. Une citoyenneté néo-calédonienne qui restreint le droit de vote
L’accord de Nouméa dispose que « l’un des principes de l’accord politique est la reconnaissance d’une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie. (…) Pour cette période, la notion de citoyenneté fonde les restrictions apportées au corps électoral pour les élections aux institutions du pays (…) ». Ces institutions doivent être regardées comme étant les assemblées de province et le Congrès.
Comme cela avait été prévu par les accords de Matignon (1988), le corps électoral autorisé à élire les assemblées des provinces et le Congrès est restreint :
– aux électeurs qui remplissaient les conditions pour voter au scrutin de 1998 ;
– à ceux qui, inscrits au tableau annexe, rempliront une condition de domicile de dix ans à la date de l’élection à venir ;
– aux électeurs atteignant l’âge de la majorité pour la première fois après 1998 et qui, soit justifieront de dix ans de domicile en 1998, soit auront eu un parent remplissant les conditions pour être électeur au scrutin de la fin de 1998, soit, ayant eu un parent inscrit sur un tableau annexe, justifieront d’une durée de domicile de dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l’élection.
En application du dernier alinéa de l’article 77 de la Constitution, tel qu’il résulte de la loi constitutionnelle du 23 février 2007, « pour la définition du corps électoral appelé à élire les membres des assemblées délibérantes de la Nouvelle-Calédonie et des provinces, le tableau auquel se réfère l’accord (…) est le tableau dressé à l’occasion du scrutin prévu audit article 76 et comprenant les personnes non admises à y participer ». Il s’ensuit que les électeurs inscrits au tableau sont ceux qui étaient inscrits sur les listes électorales générales de la Nouvelle-Calédonie en 1998, sans encore remplir à cette date la condition de domicile de dix ans exigée pour participer au scrutin prévu en 1998.
Ainsi que le fait remarquer Jean-François Merle, ancien conseiller de Michel Rocard pour l’outre-mer, « vingt-cinq ans après, les critères d’inscription pour les élections provinciales écartent du suffrage plusieurs milliers de natifs de Nouvelle-Calédonie, y compris des Kanak, ainsi que des personnes durablement installées » ([209]).
Notons que le corps électoral – encore plus restreint – utilisé lors des trois référendums de 2018, 2020 et 2021 n’a plus lieu d’être puisque, dès l’origine, il était admis qu’il ne s’appliquerait qu’à ces trois consultations.
2. La question de la répartition des sièges
Le document d’orientation de l’accord de Nouméa prévoit que « Les assemblées de province seront composées, respectivement pour les îles Loyauté, le Nord et le Sud, de sept, quinze et trente-deux membres, également membres du Congrès, ainsi que de sept, sept et huit membres supplémentaires, non membres du Congrès lors de la mise en place des institutions ».
En vertu de l’article Premier de la Constitution, la République « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». En vertu de son article 3, « Le suffrage (…) est toujours universel, égal et secret. Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques. »
Toutefois, sur le fondement de l’article 77 de la Constitution et des orientations définies par l’accord de Nouméa, lequel déroge à un certain nombre de règles ou principes de valeur constitutionnelle, les dispositions organiques dérogent respectivement aux principes d’universalité et d’égalité du suffrage pour l’élection des assemblées de province et du Congrès.
Or il résulte des informations communiquées par le gouvernement :
– d’une part, que la proportion des électeurs privés de droit de vote pour l’élection des assemblées de province et du Congrès est passée de 7,46 % en 1999 à 19,28 % en 2023 ;
– et, d’autre part, que les écarts de représentation entre les provinces au Congrès par rapport au critère démographique se sont également accrus. La province Nord, la province Sud et la province des îles Loyauté représentaient ainsi respectivement 21,04 %, 68,35 % et 10,61 % de la population de la Nouvelle Calédonie en 1996 et 18,39 %, 74,85 % et 6,76 % en 2019, alors qu’elles sont représentées au Congrès respectivement par 27,78 %, 59,26 % et 12,96 % des sièges depuis 1999.
Évolution de la population et répartition des sièges entre 1996 et 2019
En conséquence, le Conseil d’État considère que l’intervention du législateur sera nécessaire, à terme, pour modifier les dispositions du régime électoral des assemblées de province et du Congrès qui dérogent aux principes constitutionnels d’universalité et d’égalité du suffrage afin d’en corriger le caractère excessif résultant de l’écoulement du temps.
Les partis loyalistes font remarquer que le rééquilibrage des sièges, tels que proposé par l’amendement déposé ([210]) devant le Sénat par le sénateur Georges Naturel lors de la discussion du projet de loi constitutionnelle, et non adopté, ne faisait que prendre en compte l’évolution de l’écart de population constaté depuis la fin du XXème siècle, sans faire disparaître l’avantage – pourtant dérogatoire – consenti aux autres provinces depuis vingt‑cinq ans.
3. Le premier report des élections provinciales prévues en mai 2024
Le gouvernement, dans le but de laisser aux parties un délai supplémentaire pour parvenir à un accord sur les points restant en suspens (dégel du corps électoral, répartition des sièges, etc.), a souhaité reporter les élections des assemblées de province et du Congrès. L’avis émis par le Conseil d’État était favorable, sous réserve du respect de certaines conditions.
En effet, cet avis considère, comme le permet la jurisprudence du Conseil constitutionnel, en particulier dans sa décision n° 2013‑667 DC du 16 mai 2013, et nonobstant la stipulation de l’accord de Nouméa selon laquelle « Le mandat des membres du Congrès et des assemblées de province sera de cinq ans », qu’il est possible au législateur organique de prolonger les mandats en cours des membres de l’organe délibérant d’une collectivité « dans un but d’intérêt général, sous réserve de respecter les règles et principes de valeur constitutionnelle, qui impliquent notamment que les électeurs soient appelés à exercer leur droit de suffrage selon une périodicité raisonnable ».
Il lui est également possible de déroger à la règle, fixée par l’article L. 567‑1 A du code électoral, selon laquelle il ne peut être procédé à une modification du régime électoral dans l’année qui précède le premier tour d’un scrutin, à condition d’y procéder en laissant un délai suffisant avant la date du scrutin, de façon à ne pas porter atteinte à sa sincérité.
Le Conseil d’État a estimé que le dépôt d’un projet de loi comportant une modification du régime électoral des assemblées de province et du Congrès ou, à défaut, la caractérisation d’un processus suffisamment engagé de négociation en ce sens par la signature d’un nouvel accord se substituant à l’accord de Nouméa, constituerait un but d’intérêt général suffisant, permettant au législateur organique de prolonger les mandats en cours des membres des assemblées de province et du Congrès et de reporter leur élection. Il considère qu’un tel report « pour une durée de l’ordre de douze à dix-huit mois » ne se heurterait à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel.
4. Le délai accordé par le Conseil d’État n’a pas été entièrement utilisé
Respectant les conditions énoncées par le Conseil d’État, le gouvernement a déposé le 29 janvier 2024 un projet de loi organique visant à reporter les élections au Congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie.
Le projet prévoyait que « les prochaines élections des membres du Congrès et des assemblées de province ont lieu au plus tard le 15 décembre 2024 ». La liste électorale spéciale et le tableau annexe doivent être mis à jour au plus tard dix jours avant la date du scrutin.
Le 18 mars 2024, l’Assemblée nationale a adopté sans modification le projet de loi organique, déjà adopté par le Sénat le 27 février en première lecture après engagement de la procédure accélérée.
Compte tenu des délais contraints liés à la date à laquelle les élections provinciales calédoniennes devaient initialement se dérouler (au plus tard le 12 mai 2024), le Sénat a adopté un amendement prévoyant l’entrée en vigueur de la loi organique le lendemain de sa publication au Journal Officiel. En effet, en Nouvelle-Calédonie, les lois entrent en vigueur, à défaut de date fixée, le dixième jour suivant la publication au Journal Officiel.
Indépendantistes comme loyalistes ne se sont pas opposés à ce texte « technique » qui ne fait que déplacer de quelques mois un scrutin dans le but de laisser un peu plus de chances aux négociations entre les parties.
On constatera que le report maximum autorisé au terme de cette loi n’est que de sept mois (décembre 2024 au lieu de mai de la même année), alors que le Conseil d’État avait jugé qu’un report « de l’ordre de douze à dix-huit mois » pouvait être admis. Lors de ce (premier) report, le gouvernement et le Parlement sont donc restés très en‑deçà de ce que le droit, selon le Conseil d’État, permettrait de faire. La porte restait donc entr’ouverte pour un second report, le cas échéant (cf. infra).
B. Le dÉgel du corps Électoral : Un choix lourd de consÉquences
Autant l’adoption du projet de loi organique décalant de quelques mois les élections provinciales n’a pas posé de difficulté particulière, autant le dégel du corps électoral pour ces mêmes élections a cristallisé les passions : les indépendantistes craignent de devenir encore plus minoritaires, tandis que certains néo-calédoniens installés sur l’archipel depuis vingt‑cinq ans attendent impatiemment de pouvoir voter aux élections provinciales.
1. Une question d’universalité et d’égalité devant le suffrage
Dans l’avis qu’il a rendu le 7 décembre 2023, le Conseil d’État constate que les règles en vigueur concernant le régime électoral des assemblées de province et du Congrès « dérogent de manière particulièrement significative aux principes d’universalité et d’égalité du suffrage », notamment en excluant du droit de vote des personnes nées en Nouvelle-Calédonie ou qui y résident depuis plusieurs décennies. À défaut de modification des règles applicables, l’ampleur de ces dérogations ne peut que s’accroître avec le temps.
Le Conseil d’État rappelle que, si la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a admis, en 2005 ([211]), le principe d’un corps électoral restreint, elle s’est alors prononcée sur un ensemble de règles qui, antérieures à la révision constitutionnelle de 2007, permettaient aux personnes résidant en Nouvelle‑Calédonie depuis au moins dix ans d’être inscrites sur la liste électorale spéciale appelée à élire les membres des assemblés des provinces et du Congrès.
La CEDH a considéré qu’il n’était pas porté atteinte à l’essence même du droit de vote tel que garanti par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, après avoir caractérisé l’existence de nécessités locales résultant de l’histoire et du statut de la Nouvelle-Calédonie et l’inscription du statut de ce territoire dans une phase transitoire dans un processus d’autodétermination. Si les circonstances propres à la situation particulière de la Nouvelle-Calédonie sont toujours de nature à justifier l’existence d’un corps électoral spécifique, le Conseil d’État considère que « la compatibilité des règles en vigueur avec les engagements internationaux de la France est incertaine », alors que le processus défini par l’accord de Nouméa est achevé.
De son côté, la Cour de cassation considère que les articles 76 et 77 de la Constitution, ainsi que la loi organique du 19 mars 1999, ne sont pas limités dans le temps et sont toujours en vigueur nonobstant l’organisation des consultations sur l’accession à la souveraineté.
Elle rappelle également que la CEDH, dans sa décision du 11 janvier 2005 (n° 66289/01) a relevé que, après une histoire politique et institutionnelle tourmentée, la condition de dix ans de résidence fixée par le statut du 19 mars 1999 a constitué « un élément essentiel à l’apaisement du conflit meurtrier en Nouvelle-Calédonie » et retenu que l’histoire et le statut de la Nouvelle-Calédonie sont tels qu’ils peuvent être considérés comme caractérisant des « nécessités locales », au sens de l’article 56 de la Convention, de nature à permettre les restrictions apportées au droit de vote de certains résidents de cette collectivité.
Elle conclut que l’organisation des consultations sur l’autodétermination de ce territoire n’a, à ce jour, pas permis de mettre un terme à ces « nécessités locales » ([212]).
2. Un corps électoral en voie d’extinction en l’absence de dégel
Le Conseil d’État fait remarquer que, si les conditions exigées par les stipulations demeuraient inchangées, « notamment en ce que seuls les enfants, et non les autres descendants » des électeurs inscrits sur les listes électorales en 1998 peuvent rejoindre le corps électoral pour l’élection des assemblées de province et du Congrès, ce corps électoral connaîtrait à terme une attrition telle qu’il finirait par s’éteindre de façon certaine, privant ces institutions de tout corps électoral.
« Il ressort en effet tant des intentions des partenaires de l’accord de Nouméa que des travaux préparatoires de la loi organique, s’agissant de la composition du corps électoral, que, par l’emploi du terme de parent, il convient d’entendre les seuls ascendants directs d’une personne, et non tout parent de celle‑ci ».
Le Conseil d’État estime qu’il en résulte nécessairement que les partenaires n’ont pas entendu donner à cette définition du corps électoral une application indéfinie. Les juges en déduisent qu’une correction, à mesure que le temps réduira le corps électoral, s’avèrera inéluctablement nécessaire pour préserver le fonctionnement démocratique des institutions néo-calédoniennes.
3. Le projet de loi déposé par le gouvernement
Dans la continuité de l’avis du Conseil d’État, le gouvernement a déposé le 29 janvier 2024 un projet de loi constitutionnelle composé de deux articles, qui modifie l’article 77 de la Constitution, pour élargir le corps électoral de la liste électorale spéciale pour l’élection du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, de façon à y inscrire les personnes qui, figurant sur la liste générale, sont nées sur ce territoire ou y sont domiciliées depuis dix années au moins.
Si cette disposition était adoptée, environ 25 800 électeurs supplémentaires pourraient alors intégrer la liste électorale pour les élections locales (cf. infra). Il resterait encore plus de 17 000 électeurs régulièrement inscrits sur les listes électorales au titre des élections nationales mais écartés des scrutins provinciaux.
Le projet ne reprend pas la demande des loyalistes qui souhaitent inscrire sur cette liste électorale spéciale, en outre, les conjoints de personnes qui y sont inscrites et qui justifierait eux-mêmes d’au moins cinq ans de résidence sur le territoire.
Le projet de loi renvoie à un décret en Conseil d’État délibéré en conseil des ministres les modalités d’organisation du premier renouvellement des assemblées de province et du Congrès postérieur à la publication de la loi constitutionnelle. À la date de son dépôt, ce projet de loi subordonnait l’entrée en vigueur de cette révision constitutionnelle à l’absence de conclusion d’un accord devant intervenir avant le 1er juillet 2024 entre les partenaires politiques de l’accord signé à Nouméa en 1998, condition désormais remplie.
En cas de conclusion d’un accord, y compris après le 1er juillet 2024, il était prévu que la date des élections au Congrès puisse être reportée jusqu’en novembre 2025. Nous savons que ce report est désormais acquis (cf.infra).
Pour les raisons détaillées dans l’avis du 7 décembre 2023 (cf. supra), le Conseil d’État considère que le principe et le contenu de la révision constitutionnelle proposée par le gouvernement, n’appellent pas de réserves. Le Conseil d’État considère par ailleurs, qu’aucun obstacle ne s’oppose à ce que l’entrée en vigueur du projet de loi constitutionnelle soit subordonnée à la conclusion d’un éventuel accord entre les parties.
Le dégel du corps électoral concernerait 25 800 personnes environ
Selon l’Institut de la statistique de Nouvelle-Calédonie (ISEE), le dégel même partiel du corps électoral inscrit dans le projet de loi constitutionnelle aurait une incidence importante sur les effectifs de la liste électorale pour les scrutins provinciaux calédoniens.
Ainsi, cette liste verrait sa composition augmentée de près de 14,5 % sous le double effet de l’inscription de 12 441 natifs dont l’inscription serait quasi-automatique et de l’éligibilité à l’inscription de près de 13 400 citoyens français résidents en continu depuis au moins dix ans en Nouvelle-Calédonie.
L’augmentation du nombre d’inscrits sur la liste électorale pour les élections provinciales aboutirait à ce que ce corps électoral soit, pour la première fois depuis 2018, plus important, en nombre d’inscrits, que celui défini pour les consultations d’accession à la pleine souveraineté.
Un autre chiffre circule, celui de 43 000. Il s’agirait du nombre total d’électeurs inscrits sur les listes électorales pour voter aux élections nationales (présidentielle, législatives) mais actuellement privés de droit de vote aux élections provinciales. Le remplacement du gel total par un « gel glissant » sur dix ans expliquerait la différence. Le projet de loi constitutionnelle, en réintégrant 25 800 électeurs résidant depuis au moins dix ans sur le territoire, laisserait de côté environ 17 200 électeurs régulièrement inscrits mais résidant depuis moins de dix ans en Nouvelle-Calédonie.
Le Conseil d’État considère que la nécessité de reporter le moins longtemps possible la tenue des élections et de s’assurer de la possibilité d’accomplir les opérations matérielles préparatoires justifie, par la rapidité qu’elle permet, l’habilitation du pouvoir réglementaire à prendre les mesures nécessaires par décret en Conseil d’État, délibéré en conseil des ministres.
Le Conseil d’État relève enfin que l’éventuel report maximal jusqu’au 30 novembre 2025, soit dix-huit mois après le terme initialement prévu (mai 2024), dépasse le délai maximal de report accepté jusqu’ici par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, sans pour autant en être excessivement éloigné. Le Conseil d’État considère cette disposition justifiée « pour permettre l’adoption des textes nécessaires à la mise en œuvre de l’accord », que celui-ci soit conclu avant ou après l’entrée en vigueur de la révision constitutionnelle.
4. Le Sénat apporte des correctifs, sans s’opposer au fond du dispositif
Lors de son examen au Sénat, du 26 mars au 2 avril 2024, le texte a été remodelé sans que sa philosophie ait été remise en cause : si le principe du dégel du corps électoral à toutes les personnes nées sur le territoire ainsi qu’aux résidents installés depuis au moins dix ans a été approuvé, les modalités d’application de la réforme ont été modifiées.
Le Sénat, à l’initiative du sénateur Philippe Bas, a notamment repoussé « la ligne rouge » que le gouvernement avait fixée au 1er juillet, en ouvrant la possibilité pour les parties d’aboutir à un accord jusqu’à dix jours avant les prochaines élections provinciales, ce qui reporterait le scrutin. L’objectif est de donner « toutes leurs chances » aux négociations locales.
Les sénateurs ont par ailleurs décidé, contre l’avis du ministre de l’intérieur et des outre-mer de l’époque, qu’une loi organique serait nécessaire pour acter les modalités d’inscription sur les listes électorales, qui ne sont pas détaillées dans le projet de loi constitutionnelle alors examiné. Il faut rappeler que l’exécutif espérait le faire par décret en Conseil d’État délibéré en Conseil des ministres.
Le Sénat a également décidé que le Congrès de la Nouvelle-Calédonie serait consulté sur l’ensemble des dispositions organiques qui préciseront les restrictions au corps électoral ainsi appliquées pour les scrutins provinciaux et du Congrès de la Nouvelle-Calédonie.
Enfin, replaçant le Parlement au centre du dispositif, les sénateurs ont décidé qu’un accord obtenu par les parties locales ne serait pas soumis au Conseil constitutionnel, comme prévu dans la version d’origine du texte, mais aux présidents des deux Assemblées du Parlement, qui disposeraient d’un délai de huit jours pour se prononcer sur sa validité.
C. La révision constitutionnelle finalement suspendue
De l’avis de la majorité les juristes, à commencer par ceux du Conseil d’État, le dégel du corps électoral est une nécessité juridique. Reste à lui donner une légitimité démocratique. Par ses amendements, le Sénat a :
– conforté les garanties de transparence, en obligeant le gouvernement à soumettre aux parlementaires les modalités d’organisation des prochaines élections et en donnant aux présidents des deux assemblées la responsabilité de valider un éventuel accord qui serait conclu dans l’intervalle entre les parties ;
– donné du temps aux négociateurs locaux en repoussant l’échéance limite des pourparlers au-delà du 1er juillet 2024 ;
– conforté le rôle du Congrès de Nouvelle-Calédonie en rendant sa consultation obligatoire sur les modalités de mise en œuvre du dégel.
1. La question de la temporalité
Ce travail de fond judicieusement mené a pu laisser penser que le rôle de l’Assemblée nationale se trouvait facilité : devant un texte mieux équilibré et offrant plus de garanties de transparence et de démocratie, il était tentant pour les députés de suivre l’avis technique des juristes et de voter un texte identique de manière à ce que le Congrès puisse être réuni le plus rapidement possible à Versailles.
Pour autant, le Sénat n’avait pas répondu à une question essentielle sur la temporalité de la réforme : était-ce le bon moment pour modifier la composition du corps électoral ? Plusieurs voix répondaient négativement à cette question.
Les sénateurs, qui avaient tenu à offrir un délai supplémentaire aux négociateurs en repoussant de quelques mois la date limite (l’« ultimatum » disent certains) pour la fin des négociations, ont bien senti qu’il était nécessaire de laisser encore un peu de « temps au temps », pour reprendre une expression fameuse.
Sont-ils allés au bout de la logique ? Le conseil d’État a confirmé qu’un report des élections provinciales « de l’ordre de douze à dix-huit mois », soit jusqu’en novembre 2025, pouvait être admis (cf. supra). Dès lors, était-il nécessaire d’accélérer les évènements en décidant que le dégel du corps électoral devait absolument être acté dès la mi-2024 ?
Le ministre de l’intérieur et des outre-mer de l’époque, (notons-le ici, parfois controversé en Nouvelle-Calédonie) considérait alors que l’examen de la réforme constitutionnelle était de nature à accélérer la survenue d’un accord : « loin de la compromettre, l’existence d’un projet de loi constitutionnelle et son avancée facilitent au contraire la conclusion d’un accord », avait-il déclaré devant les sénateurs ([213]). D’autres observateurs avaient également indiqué aux rapporteurs qu’« une discussion sans échéance rigoureuse ne fonctionne pas ».
L’histoire a démontré que ce raisonnement était erroné. Lors de leur communication du 29 avril 2024 ([214]), les rapporteurs avaient exprimé leurs réserves et avaient partagé le sentiment qu’un « passage en force » risquait d’ « aboutir à une crispation encore plus grande ». Leurs craintes étaient malheureusement en-deçà de la réalité.
Le processus de négociation est long et non linéaire. Plusieurs projets circulaient, comme ceux initiés par Mme Sonia Backès, présidente loyaliste de la province sud, ou celui de la formation loyaliste Calédonie Ensemble. À plusieurs reprises, la possibilité d’un accord avait été entrevue. Manifestement, au sein des deux parties, des « anciens » qui avaient vécu les évènements des années 1980 souhaitaient ardemment aboutir à un accord pour ne pas revivre cette période. Dès lors, ne pouvait-on pas faire preuve d’un peu de patience supplémentaire ?
2. Pour une indispensable temporisation du débat
Les rapporteurs n’ont jamais demandé le retrait du texte qui répond à une nécessité juridique et démocratique admise et reconnue. Ils s’interrogeaient dès le 29 avril 2024, « dans l’hypothèse probable d’un vote conforme à l’Assemblée nationale, et sans donner d’injonction au président de la République, (…) sur la possibilité d’une temporisation de quelques mois avant que soit convoqué le Congrès du Parlement ».
Le 14 mai 2024, l’Assemblée nationale adoptait par 351 voix pour, 153 voix contre et 3 abstentions le même texte que le Sénat, ouvrant la voie à une possible révision constitutionnelle par le Congrès du Parlement.
Compte tenu des tragiques évènements survenus en Nouvelle-Calédonie à compter du 13 mai (cf. infra), la révision constitutionnelle a été suspendue par le chef de l’État, Emmanuel Macron, le 12 juin. Le 1er octobre 2024, le nouveau premier ministre, Michel Barnier, confirmait qu’elle ne serait pas soumise au Congrès. Que de souffrances auraient pu être épargnées si les rapporteurs avaient été entendus dès le 29 avril !
Jean-François Merle, ancien conseiller de Michel Rocard pour les outre‑mer, tenait des propos prémonitoires lorsqu’il affirmait : « Jouer sur la contrainte du calendrier est une très mauvaise politique. Le gouvernement n’a-t-il rien appris du troisième référendum prévu par l’accord de Nouméa, maintenu contre vents et marées au 12 décembre 2021, boycotté par les Kanak et qui, de ce fait, n’a rien réglé politiquement ? » ([215])
III. pour la population, les stigmates d’une vraie souffrance
Au cours de leur séjour sur l’archipel, les rapporteurs ont pu constater que si les Néo-Calédoniens semblaient vivre ensemble au quotidien, tout au moins jusqu’aux émeutes du printemps 2024, ils n’en ressentaient pas moins de vraies souffrances. Les représentants du peuple kanak expriment la crainte de leur possible disparition, noyés dans une immigration qualifiée de « massive », tandis que les loyalistes insistent sur les injustices dont ils sont victimes, persuadés que le processus mis en place depuis plusieurs décennies n’avait qu’un but : conduire la Nouvelle-Calédonie à l’indépendance coûte que coûte, nonobstant l’avis de la majorité.
Il se pourrait bien que le débat sur le dégel du corps électoral ne soit que le révélateur d’un mal-vivre qui conduit, loin d’une immigration massive, des milliers d’habitants à quitter chaque année leur territoire dans un contexte morose.
1. La réforme ne fait pas l’unanimité parmi les élus
Si le principe du dégel du corps électoral fait plutôt consensus au Parlement parmi les élus de l’ex-majorité présidentielle et de la droite DR, la méthode est mise en débat. La gauche et les indépendantistes dénoncent un « passage en force » du gouvernement ou encore une mise sous « pression » des parties locales en vue d’aboutir à un accord.
« Ce projet de loi confirme l’adage “diviser pour mieux régner” », a déclaré le sénateur kanak indépendantiste Robert Xowie. « Il n’y a aucune urgence à légiférer », considérait pour sa part la sénatrice socialiste Corinne Narassiguin (Seine-Saint-Denis), qui plaidait pour un report maximal des élections actuellement qui étaient alors prévues d’ici au 15 décembre 2024. « Ce préalable imposé par le gouvernement est perçu comme une commande des loyalistes et cela renforce les tensions », ajoute-t-elle.
Les rapporteurs notent que, si l’inscription sur les listes électorales de personnes résidant dans la collectivité depuis dix ans est controversée, l’inscription de tous les natifs semble être plus consensuelle, à l’image des propos tenus par le président du Congrès d’alors, Roch Wamytan, qui a déclaré être « d’accord pour le dégel des natifs, mais pas pour celui de ceux qui sont arrivés sur le territoire ».
L’opposition au projet de loi ne vient pas que des indépendantistes. Certains loyalistes comme Philippe Gomès, ancien président du gouvernement, ancien député et président de parti Calédonie ensemble, considèrent que « l’adoption de ce projet de loi risque de conduire à un blocage, de la même manière que le maintien du troisième référendum contre l’avis des indépendantistes, en décembre 2021, avait conduit à une rupture du dialogue pendant un an. Calédonie ensemble travaille avec l’Union calédonienne (indépendantistes) et avec le Palika (indépendantistes), et nous avons abouti à un document public, presque consensuel à quelques détails près. L’État doit redevenir impartial, ce qui permettra d’aboutir à un accord. Nous avons l’ardente obligation de retrouver un consensus ».
2. Le partage des compétences ne satisfait personne
Le FLNKS a tendance à revendiquer toujours plus de compétences de manière à se rapprocher de l’indépendance.
Mais la Nouvelle-Calédonie dispose déjà de beaucoup de compétences qu’elle n’utilise pas, généralement par manque de savoir-faire juridique, par exemple en matière de droit de la concurrence, de droit commercial, de droit bancaire ou de droit des assurances. Les juristes néo-calédoniens peinent parfois à suivre l’évolution de l’actualité et du droit mondial. Cela n’a rien d’anormal tant le champ de veille est large et les matières abondantes.
Et dans de nombreux domaines, les Néo-Calédoniens se contentent souvent de reprendre le droit français sans le modifier. « Dans ce cas, à quoi sert un transfert de compétence ? » a-t-on demandé aux rapporteurs.
Dans d’autre cas, au contraire, le transfert de compétences a abouti à une inflation législative presque ubuesque. En matière de droit de l’environnement, dont les conceptions peuvent varier localement, ce sont les provinces qui sont compétentes depuis quelques années. Chacune a donc élaboré son code de l’environnement. Mais pour les dispositions antérieures, c’est encore le droit français qui s’applique. Ce ne sont donc pas moins de quatre codes de l’environnement qui s’appliquent sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie !
Les loyalistes considèrent qu’il faut être pragmatique et ne demander que les seules compétences que l’on est en mesure de gérer.
Dans certains cas, les compétences sont partagées entre la collectivité de Nouvelle-Calédonie, les provinces et les communes. « Et quand les compétences sont trop partagées, cela signifie que personne ne les gère » nous assure-t-on à la Province Sud.
En matière d’éducation par exemple, les constructions des établissements relèvent à la fois de la collectivité de Nouvelle-Calédonie, des trois provinces et des communes, en fonction de l’âge des enfants. Mais les programmes scolaires relèvent de la seule compétence de la collectivité de Nouvelle-Calédonie, tandis que le paiement des professeurs est effectué par les provinces. Cette organisation, qui rappelle un peu ce qui se pratique au niveau national, conduit à une multiplication des directions de l’enseignement. Ce qui est possible – et parfois décrié – à l’échelle d’un pays de 68 millions d’habitants est-il souhaitable dans une entité de 268 000 habitants ?
Et certains domaines du droit, pourtant transférés, n’évoluent pas. Georges Naturel, sénateur et ancien maire de Dumbea, constate pour sa part que les communautés cohabitent dans son ancienne commune comme ailleurs, sans se mêler. « Nous n’avons pas réussi le melting pot », regrette-t-il. « Le droit civil a fait l’objet d’un transfert de compétence, mais n’a pas évolué depuis lors. La création d’un droit civil néo-calédonien aurait pu créer une société calédonienne, mais cela n’a pas été fait. »
3. Le déclin démographique du territoire s’accentue
Avec une densité de population de 14,5 habitants au km2, cinq fois inférieure à celle de la Polynésie (73 hab/km²) et neuf fois inférieure à la moyenne nationale (125 hab/km²), la Nouvelle-Calédonie reste une terre sous-peuplée. Pourtant, depuis quelques années, le territoire perd ses habitants.
a. Une population en diminution constante
Selon l’Institut de la statistique et des études économique (ISEE) de Nouvelle-Calédonie, la collectivité comptait au 1er janvier 2023 (dernier rapport publié), 268 500 habitants, soit 0,5 % de moins qu’un an auparavant « sous l’effet simultané de la baisse du solde naturel et de la hausse du déficit migratoire ». « La baisse du solde naturel est ininterrompue depuis dix ans. À compter de 2019, la population baisse car l’excédent des naissances sur les décès n’a plus compensé le déficit migratoire. »
En 2022, le solde naturel est resté positif, le nombre de naissances ayant dépassé le nombre de décès de 1 905 personnes. Mais cet apport se réduit d’année en année et a baissé de 2,3 % en 2022. Les naissances ont reculé de 3,2 % en 2022 et le solde naturel n’est resté positif que parce que le nombre de décès diminuait encore plus fortement : -4,1 % en 2022.
Le solde naturel excédentaire demeure sous la barre symbolique des 2 000 personnes, niveau historiquement bas, signe probable du manque de confiance en l’avenir ressenti par nombre de Calédoniens.
Le solde migratoire est négatif pour la huitième année consécutive et le nombre d’émigrés augmente constamment : 2 075 en 2017, 3 000 en 2021, 3 200 en 2022, soit plus d’une fois et demie le solde naturel. La collectivité perd ainsi plus de 1 000 habitants pour la deuxième année consécutive. Ce déficit constant est corroboré « par la différence entre le nombre de passagers débarquant et embarquant à l’aéroport de Tontouta » : en clair, les avions décollent plus remplis qu’ils n’atterrissent.
Et si nous ne disposons pas encore de chiffres officiels pour 2024, tous les observateurs s’accordent sur le fait que les émeutes du printemps ont conduit un nombre très important de Néo-calédoniens à quitter le territoire.
La population décroit, le solde naturel ne compense pas le déficit migratoire Composante de la croissance de la population
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2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
Population au 1er janvier |
270 580 |
271 040 |
271 285 |
271 190 |
270 860 |
269 815 |
268 510 |
Solde naturel |
2 535 |
2 520 |
2 485 |
2 450 |
1 950 |
1 905 |
|
Solde migratoire |
– 2 075 |
– 2 273 |
– 2 581 |
– 2 782 |
– 2 990 |
– 3 210 |
|
Source : ISEE (état-civil et recensement de la population).
Certains Kanak ne reconnaissent pas les chiffres de l’ISEE, pourtant organisme officiel placé sous l’autorité du président indépendantiste Louis Mapou. C’est ainsi qu’un des responsables de l’Union calédonienne a balayé la question d’un revers de main : « ces chiffres, c’est des conneries [sic]. On le verra lors du prochain recensement. On ne se comprendra jamais. »
b. Une émigration qui concerne toutes les communautés
À rebours d’une « immigration massive » imaginée, la Nouvelle-Calédonie connaît donc depuis plusieurs années déjà une baisse de sa population consécutive à une émigration bien réelle.
Lassés d’une situation politique chaotique qui laisse peu de vision pour investir ou se projeter dans l’avenir, un certain nombre d’acteurs économiques ont déjà fait le choix de quitter la Nouvelle-Calédonie pour tenter leur chance ailleurs : dans l’hexagone pour certains, mais plus sûrement en Australie, en Polynésie française ou dans les autres territoires régionaux.
Beaucoup de ces partants sont des « occidentaux » non originaires de Nouvelle-Calédonie et souvent privés du droit de vote aux élections provinciales. Mais certains émigrants sont aussi des kanak, parfois cadres et bien formés, qui n’ont plus confiance en l’attractivité et donc en l’avenir du territoire. Dans un cas comme dans l’autre, ces départs sont dommageables, car les partants ont souvent été formés sur place : « c’est une perte de valeur » nous a-t-on dit.
Les décideurs économiques que nous avons rencontrés ne nous ont pas dit autre chose. Même si, pour la plupart, ils appartiennent à la communauté occidentale et loyaliste, presque tous considèrent que l’enjeu le plus important qui se pose à l’archipel n’est pas la question de l’indépendance, mais celle du projet économique et du projet de société que la classe politique pourrait – devrait – proposer à la population.
La pensée des décideurs économiques que les rapporteurs ont rencontrés peut se résumer de la manière suivante : « L’indépendance n’est pas la question la plus urgente aujourd’hui, l’essentiel étant qu’un projet de société clair soit proposé aux acteurs économiques et qu’un cap soit fixé. Nous avons besoin de perspectives. Tant que l’avenir demeurera incertain, le territoire effraiera les investisseurs et les jeunes continueront à partir pour proposer leurs talents ailleurs. »
4. Une population notoirement surarmée
En Nouvelle-Calédonie, on recense 64 000 armes de catégorie B et C, c’est‑à‑dire de chasse et de tir sportif, détenues légalement. En ajoutant les armes détenues de manière illégale, les services de l’État évoquent un total de 100 000 armes en circulation.
Un chiffre très important au regard des 268 500 habitants du territoire.
« La Nouvelle-Calédonie est un territoire très armé, derrière la Corse si on reste sur les chiffres légaux », considérait un ancien directeur de cabinet du Haut‑commissaire. « Cela représente une arme pour quatre Calédoniens, mais, puisqu’on recense en moyenne deux armes par détenteur, cela signifie qu’un Calédonien sur huit détiendrait donc une arme à son domicile », un chiffre qui reste préoccupant.
B. les indÉpendantistes dÉnoncent un complot
1. La crainte existentielle de la disparition du peuple kanak
Pour certains indépendantistes, le projet de dégel du corps électoral vise à « exterminer » le peuple kanak, en le rendant davantage encore minoritaire « dans son propre pays ».
Les élus des îles Loyauté ont interpelé les rapporteurs en affirmant « il faut crier au monde qu’on existe ! » et « on parle à peine de décolonisation qu’on nous rétorque “Mondialisation” ». On sent bien que la crainte existentielle est accompagnée d’un sentiment de ne jamais s’appartenir, passant d’une souveraineté considérée comme coloniale à une dépendance aux flux économiques mondiaux.
Les parlementaires qui ont voté en faveur du dégel du corps électoral « ont décidé de tuer le peuple kanak et la citoyenneté calédonienne au sens de l’accord de Nouméa. C’est un projet d’extermination programmée pour faire en sorte que les Kanak deviennent comme le peuple aborigène. Et c’est ce message que nous passerons à notre base » soutient Arnaud Chollet-Leakava, porte-parole du Mouvement des Océaniens indépendantistes (MOI) et membre de la CCAT.
2. Les inquiétudes sur le devenir du droit coutumier
Selon Victor Gogny, le président du Sénat coutumier de Nouvelle‑Calédonie, deux droits cohabitent sur le territoire depuis 1863 :
– le droit coutumier, présent depuis des millénaires, comme dans la plupart des civilisations d’Océanie ;
– le droit commun, apporté par le colonisateur.
Le droit du colonisateur, écrit, domine le droit ancestral, le plus souvent oral. Dans certains pays comme la Nouvelle-Guinée, les Samoa ou le Vanuatu, c’est le droit coutumier qui domine, car la population première est majoritaire. En Nouvelle-Calédonie, le Sénat coutumier souhaite aller vers un droit coopératif et équilibré qui rassemblerait tout le monde.
« Nous avons aussi notre justice coutumière, parfois considérée comme brutale, mais qui a pour résultat de ne pas placer des êtres humains entre quatre murs pour qu’ils ressortent pire qu’ils y sont entrés ».
Le peuple kanak est inquiet quant à l’avenir du droit coutumier et des institutions coutumières. Il sait que son droit va évoluer, sa culture aussi, mais redoute la disparition des pratiques ancestrales.
3. Le sentiment d’une « immigration massive »
« Ce projet qui nous est imposé va à l’encontre des dispositions internationales qui stipulent de ne pas entraver, par l’immigration massive, le droit à l’émancipation de la Nouvelle-Calédonie », considère Dominique Fochi, représentant de l’Union calédonienne (UC). « Au Sénat, les élus parlent d’exigence démocratique. Mais maintenir la colonie de peuplement en Kanaky, est-ce une exigence démocratique ? On ne peut pas, aujourd’hui, continuer à rendre minoritaire le peuple premier dans son propre pays et laisser des parlementaires qui ne vivent pas ici décider de notre avenir. »
Les représentants de ce parti ont aussi déclaré aux rapporteurs : « on ne touche pas au corps électoral car on ne peut pas noyer la population néo‑calédonienne. Si vous touchez au corps électoral, ce sera la guerre. Nos jeunes sont prêts à y aller. S’il faut en sacrifier 1 000, on le fera. »
Jacques Lalie, le président indépendantiste de la province des îles Loyauté, rencontré à Lifou, partage ce sentiment d’invasion : « la population kanak de Nouméa voit bien l’afflux d’arrivants. On est complètement envahis. C’est la mort du peuple kanak. » Pour Neko Hnepeune, maire de Lifou, « l’économie locale a continué à faire venir des gens ».
Même ressenti pour le président du Congrès d’alors, Roch Wamytan, qui considérait lors du déplacement des rapporteurs que « la France mène une politique d’implantation de colons, ce qui va modifier la composition ethnique et rendra difficile l’accession à l’indépendance », avant de se demander : « Macron est-il en train de recoloniser la Nouvelle-Calédonie ? » et de conclure : « ce sont des réseaux d’immigration qui sont en place et qui envoient des flux. Les postes à responsabilité en Nouvelle-Calédonie sont tous occupés par des métropolitains. Le seuil de tolérance des Blancs est déjà atteint. »
L’argument du maintien d’une colonie de peuplement ne convainc pourtant pas tous les observateurs, à l’exemple du sénateur Georges Naturel, pour qui une immigration européenne massive n’est plus d’actualité : « on n’en est plus là », a‑t‑il déclaré aux rapporteurs, reconnaissant pourtant que beaucoup de kanak craignent encore de « devenir minoritaires dans leur propre pays ». Pour lui, le vrai problème démographique est interne au territoire : il constate « un afflux de population en province sud », économiquement plus dynamique que la province nord. Déjà, on compte plus de kanak dans la province sud que dans tout le reste de l’archipel. Et ce déséquilibre donne des arguments à ceux qui souhaitent un ajustement du nombre de sièges par province au sein du Congrès.
Si le concept d’immigration européenne massive interroge s’agissant d’un territoire qui perd entre 2 000 et 3 000 habitants chaque année du fait de l’émigration (cf. supra), il ne faut pas sous-estimer ce sentiment pour les kanak de « devenir minoritaires », voire de disparaître à terme comme le craint Victor Gogny, président du Sénat coutumier : « nous ne reconnaissons pas le fait qu’il n’existe qu’un peuple, le peuple français, concept qu’on essaie de nous imposer ». « On nous impose une certaine vision du pays, sans prendre en compte notre vision. » De la même manière, les termes « tuer » ou « exterminer », bien qu’utilisés de manière totalement excessive, traduisent cette angoisse existentielle.
C. Les non-indÉpendantistes entre impatience et inquiÉtude
1. La population loyaliste est convaincue d’être victime d’injustices
Si le peuple kanak s’inquiète pour sa place dans la société calédonienne au point de craindre d’être mis en minorité par une invasion migratoire massive, la population loyaliste nourrit du ressentiment à l’égard des indépendantistes, s’estimant victime d’une longue liste d’injustices :
– le gel du corps électoral, procédé dérogatoire au droit démocratique, prive environ 43 000 habitants (soit 16 % de l’ensemble la population) de la collectivité du droit de vote provincial, alors que la mesure avait été annoncée en 1998 comme devant concerner 700 personnes ([216]). Seuls 25 800 électeurs pourraient être réintégrés par le projet de loi en débat ;
– trois référendums d’autodétermination ont été organisés : pour rester français, il fallait gagner les trois, alors que pour devenir indépendant, il suffisait d’en gagner un seul ;
– la répartition des sièges au Congrès a été calculée pour favoriser les Kanak, un élu du sud représentant 2,44 fois moins d’électeurs qu’un élu des îles Loyauté ;
– les Kanak sont inscrits d’office sur la liste électorale spéciale, alors que les « caldoches » (descendants d’Européens) doivent faire une démarche volontaire ;
– la province Sud fournit 61 % des ressources fiscales mais n’en conserve que 50 %, le solde étant reversé à la province Nord et aux îles Loyauté.
2. Le gel du corps électoral complique le « vivre-ensemble »
L’association « Un cœur, une voix », milite pour que, au nom de l’égalité, tout citoyen néo-calédonien régulièrement installé sur le territoire puisse prendre part aux élections provinciales. À ce titre, si elle approuve le projet de loi constitutionnelle en débat, elle le considère comme « trop restrictif », puisque l’ouverture sera limitée aux natifs et aux personnes justifiant de dix ans de résidence. Pour son président, Raphaël Romano, « le vivre-ensemble sera compliqué si on crée, de manière pérenne, une catégorie de sous-citoyens non autorisés à voter. Certains prisonniers, incarcérés mais non privés de leurs droits civiques, peuvent voter, pas nous. » « Nous, les exclus du corps électoral, sommes victimes de positions idéologiques radicales qui nous présentent comme des gens de passage alors que plusieurs milliers d’entre nous sont nés ici et que nous tous travaillons et investissons en Nouvelle-Calédonie depuis de nombreuses années, voire pour certains, depuis plusieurs décennies. »
Maïli Chauvet-Brou, lycéenne sur le point d’atteindre sa majorité, constate que « depuis les bancs de l’école primaire, nous grandissons tels des sœurs et des frères. Il est vrai que durant l’enfance, nul ne constate la différence. Car malgré la divergence de cultures et de coutumes, nous partageons une identité commune (…) » Cette native de Nouvelle-Calédonie, par ailleurs sportive de haut‑niveau en natation synchronisée, représente le territoire lors de compétitions internationales mais, en l’état actuel du droit, ne peut pas voter. « Parfois, je me demande : suis-je vraiment Calédonienne ? Comment construire le monde de demain si certains sont privés de leur droit inaliénable de citoyen ? Comment atteindre le progrès si on ne préconise pas l’égalité ? »
Que répondre à cette citoyenne kanak, née en Nouvelle-Calédonie, mariée à un homme arrivé il y a 22 ans sur le territoire, avec qui elle a eu trois enfants : « mon mari sait que, si rien ne change, il sera le seul de la famille à n’avoir jamais le droit de vote pour les élections provinciales. Est-ce juste ? »
Comme le font remarquer les observateurs, ce ne sont pas seulement les loyalistes qui sont exclus. On trouve des exclus dans toutes les communes de toutes les provinces. Des Calédoniens, nés sur le territoire mais qui se sont absentés « au mauvais moment », pour poursuivre des études sous d’autres cieux ou pour d’autres raisons, se rendent compte, une fois rentrés, qu’ils ne seront plus jamais électeurs...
3. La position nuancée de l’Éveil océanien, un « parti clé »
L’Éveil océanien est un parti politique qui défend essentiellement les intérêts de la communauté wallisienne et futunienne de Nouvelle-Calédonie, forte d’environ 22 500 personnes (pour moins de 12 000 habitants à Wallis–et‑Futuna), ce qui représente environ 8,5 % de la population néo-calédonienne. Ce parti politique qui ne se prononce pas en faveur de l’indépendance, sans se revendiquer pour autant loyaliste, se présente lui-même comme un « faiseur de démocratie » ([217]) et occupe une position clé qui lui donne un certain pouvoir et, donc, de l’audience.
Ainsi, ce sont les trois élus de l’Éveil océanien qui avaient permis l’élection de l’indépendantiste Roch Wamytan à la présidence du Congrès de Nouvelle‑Calédonie, en mai 2019, avant que lui-même ne soit remplacé, en août 2024, par une élue de l’Éveil océanien, Mme Veylma Falaeo, première Wallisienne à diriger le Congrès de Nouvelle-Calédonie.
Les représentants de l’Éveil océanien que les rapporteurs ont rencontrés en mars 2024 avaient exprimé avec justesse leur « peur du chaos » qui pourrait être créé par le dégel rapide du corps électoral. Ils avaient exposé leurs craintes prémonitoires que « l’État ne déclenche des forces qu’il ne pourra pas maîtriser » et « nous emmène là où personne ne veut aller ».
Les dirigeants de l’Éveil océanien considéraient que « nous sommes à un cheveu de l’accord. Nous sommes notamment proche d’aboutir sur un code de la citoyenneté, mais dans ce cas, le dégel ne pourra pas s’appliquer aux prochaines élections. » En revanche, le principe d’un « dégel glissant avec dix années de résidence ne sera jamais accepté ».
L’Éveil océanien milite aussi pour la création d’un « Commonwealth à la française » qui rapprocherait les différents territoires français du Pacifique, thématique essentielle pour cette formation lorsqu’on sait que Wallisiens et Futuniens sont plus nombreux en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie que sur leurs îles d’origine.
4. La suspicion d’ingérences étrangères
Depuis l’année dernière, l’Azerbaïdjan a lancé une offensive de charme auprès de tous les mouvements autonomistes ou indépendantistes français, qu’il s’agisse du FLNKS ou de mouvements polynésiens, guyanais, antillais ou corses. Ces partis forment ce que l’on appelle « le groupe de Bakou ». Une étape a été néanmoins franchie avec la signature, le 18 avril 2024, par Omayra Naisseline, élue UC‑FLNKS et Nationalistes, au nom du Congrès, d’un « mémorandum de coopération » entre l’Assemblée nationale d’Azerbaïdjan et le Congrès de la Nouvelle-Calédonie.
Le président du Congrès de Nouvelle-Calédonie de l’époque, Roch Wamytan, avait réfuté tout détournement de fonds publics, reconnaissant que le déplacement d’Omayra Naisseline à Bakou avait été entièrement financé par l’Azerbaïdjan ([218]), de même que celui de la forte délégation indépendantiste à Paris lors de l’examen de la révision constitutionnelle par le Sénat en mars 2024. Pour l’ancien président du Congrès, « cette relation d’amitié est essentielle pour constituer un réseau international de soutien à l’accès vers la pleine souveraineté ».
L’opposition a critiqué la signature de cet accord, dont les membres du Congrès n’ont pas été informés. Le parti Calédonie ensemble a ainsi fustigé les propos d’Omayra Naisseline qualifiant l’Azerbaïdjan de « véritable exemple » pour la Nouvelle-Calédonie, et a rappelé que l’Azerbaïdjan est une dictature, classée 162ème sur 180 pays par Reporters sans frontière en matière de liberté de la presse.
D. Les Émeutes du printemps 2024
L’examen le 13 mai 2024, puis l’adoption, le 14, par l’Assemblée nationale du projet de loi constitutionnelle visant à procéder à un dégel partiel du corps électoral pour les élections provinciales a déclenché des émeutes ayant fait plusieurs morts dans l’archipel et dégradé son activité économique.
1. Un déchaînement de violences
Dès le 13 mai 2024, dans un point de situation, le Haut-commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie évoquait « des blocages de voie publique » dans le grand Nouméa ainsi que des « barrages filtrants » mis en place de façon illégale. Le 14 mai les autorités évoquaient « des troubles à l’ordre public d’une grande intensité » et ayant causé « de nombreux blessés » parmi les forces de l’ordre. Le 15 mai, il était question « de nombreux incendies et pillages de commerces, d’infrastructures et d’établissements publics – dont plusieurs écoles et collèges », ainsi que d’« une nouvelle rébellion avec tentative d’évasion » au centre pénitentiaire de Nouméa.
De nombreux bâtiments ont été pillés ou incendiés, obligeant leurs occupants à prendre la fuite. Face à ces risques, des habitants – « voisins vigilants » pour les uns, « milices armées » pour les autres – ont érigé des barricades et des barrages pour défendre leurs habitations.
Ces émeutes, selon le bilan humain dressé par le Haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, ont causé « treize morts, dont deux gendarmes, ainsi qu’un Caldoche – Calédonien d’origine européenne – et dix Kanak ». Ce bilan a récemment été revu à la hausse et porté à 14 morts. Les émeutes ont aussi détruit des centaines d’entreprises, provoquant une puissante dégradation de la situation économique et sociale. Le chiffre de deux milliards d’euros de dégâts circule. La crise a engendré un nombre important de départs de l’archipel, difficile à estimer, ainsi que des déplacements de population à l’intérieur du territoire calédonien.
Interrogé en novembre 2024 par la presse à l’occasion de son déplacement en Nouvelle-Calédonie avec la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, le président du Sénat, Gérard Larcher, a déclaré « La crise sociale est majeure, avec près de 25 000 personnes au chômage, des problèmes sanitaires, d’accès à l’alimentation. (…) En septembre, les importations en Nouvelle-Calédonie ont chuté de 30 %. Dans quelques semaines, le gouvernement collégial ne pourra plus honorer ces dépenses, cinq communes ne savent pas comment terminer le mois. » ([219])
2. La réponse sécuritaire des autorités
Selon les députés Florent Boudié (Ensemble pour la République) et Arthur Delaporte (socialiste) ([220]) « à la veille des émeutes, les effectifs de forces de l’ordre en Nouvelle-Calédonie étaient au plus bas avec 500 personnes environ ». Imprévoyance ou aveuglement ? Les rapporteurs avaient pourtant clairement alerté les autorités des risques d’embrasements liés à l’examen à l’Assemblée nationale du projet de dégel du corps électoral.
Dans leur communication d’étape présentée le 29 avril 2024 ([221]), les rapporteurs écrivaient de manière prémonitoire : « Dès lors, est-il nécessaire d’accélérer les évènements en décidant que le dégel du corps électoral doit absolument être acté dès la mi-2024 ? Dès avant les émeutes de mai 2024, les rapporteurs demandaient un report des élections provinciales à 2025 et une temporisation du processus du dégel du corps électoral.
Lors de leur passage dans le territoire en mars 2024, ils avaient alerté le Haut-commissaire Louis Lefranc sur l’état d’esprit des indépendantistes et sur la colère qui montaient. Ils n’avaient reçu comme réponse que ces mots qui, avec le recul, prennent une résonnance amère : « les indépendantistes, pas plus que les loyalistes ne sont en mesure de mobiliser comme avant. La mobilisation ne pourra dépasser quelques centaines de personnes de chaque côté, mais nous saurons gérer. »
C’est donc avec du retard, et en pleins préparatifs des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, que des renforts massifs de forces de sécurité intérieure ont été déployés, dont le GIGN, le RAID et l’armée.
Le 24 mai, c’est un total de 3 000 policiers et gendarmes qui se trouvaient sur place, appuyés par une centaine d’hommes du RAID et du GIGN. Le 21 septembre, une fois les Jeux olympiques et paralympiques achevés, 41 unités de forces mobiles, soit près de 6 000 policiers et gendarmes étaient sur place.
L’état d’urgence a par ailleurs été décrété par le président de la République sur l’ensemble du territoire de la Nouvelle-Calédonie tandis qu’en application du décret n° 2024-437 du 15 mai 2024 relatif à l’application de la loi du 3 avril 1955, plusieurs arrêtés d’assignations à résidence et ordres de perquisition administratives ont été pris, en particulier à l’encontre d’individus membres de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT).
Diverses mesures administratives ont également été prises comme l’instauration d’un couvre-feu entre 18 heures et 6 heures du matin, l’interdiction des rassemblements sur la voie publique et les lieux publics dans le grand Nouméa ainsi que l’interdiction du transport et du port d’armes sur tout le territoire. L’aéroport international de Nouméa-La Tontouta a fermé ses portes le 14 mai pour ne rouvrir que le 17 juin.
3. Le « gel du dégel » et le second report des élections provinciales
Dans ce contexte de crise, le président de la République a décidé de ne pas soumettre le projet de loi constitutionnelle visant à procéder à un dégel partiel du corps électoral pour les élections provinciales au Congrès, dernière étape qui aurait validé le dégel du corps électoral. De son côté, le Sénat a adopté, le 23 octobre 2024, une proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie.
Les sénateurs soulignent les troubles à l’ordre public encore récurrents sur l’archipel, les difficultés matérielles à organiser des élections dans les prochaines semaines ainsi que l’absence pour le moment d’accord politique sur l’avenir institutionnel du territoire ou sur un nouveau périmètre du corps électoral.
Conformément à l’avis donné par le Conseil d’État (cf. supra), le texte du Sénat reporte les élections aux assemblées provinciales et au congrès au plus tard au 30 novembre 2025. Il prolonge également les mandats de ces élus, en fonction depuis mai 2019, jusqu’à la première réunion des assemblées qui seront élues.
Le 6 novembre, c’est l’Assemblée nationale qui a adopté à son tour ce texte sans y apporter de modification. Saisi le lendemain par le premier ministre, le Conseil constitutionnel a déclaré, le 14 novembre 2024, conforme à la Constitution ce second report des élections provinciales (Décision n° 2024-872 DC).
Dans un avis en date du 22 octobre 2024 sur la proposition de loi organique, le Congrès de la Nouvelle-Calédonie s’était prononcé en faveur du report des élections provinciales.
4. Les annonces financières faites par le ministre chargé des outre-mer
Quelques jours après son déplacement sur le territoire, le ministre chargé des outre-mer, M. François-Noël Buffet donnait quelques indications sur les mesures économiques mises en place par l’État afin de soutenir la Nouvelle-Calédonie.
Au-delà des 1,7 milliard d’euros que l’État français transfère à la Nouvelle-Calédonie chaque année, les aides suivantes ont été décidées pour l’année 2024 :
- 400 millions d’euros qui ont été mobilisés pour la période de mai à octobre, pour soutenir l’emploi, les entreprises ainsi que les services essentiels aux habitants via les collectivités locales ;
- 250 millions d’euro de soutiens aux collectivités et aux services essentiels, ainsi qu’une prolongation de l’aide au chômage partiel, pour les seuls mois de novembre et décembre ;
- 4 millions d’euros débloqués pour les navettes maritimes, à destination de la province Sud, d’ici fin octobre ;
D’autres aides financières ont également été annoncées au titre de 2025 : 500 millions d’euros de garantie de l’État sont inscrits au projet de loi de finances (PLF) en vue de l’octroi d’un nouveau prêt de l’Agence française de développement (AFD), auxquels pourraient s’ajouter, selon le ministre, « au moins 170 millions d’euros supplémentaires lors des débats parlementaires, en vue de répondre à de nouveaux besoins ».
Une circulaire de reconstruction des bâtiments publics a également été signée, le 17 octobre à Nouméa, qui prévoit en particulier un financement à hauteur de 100 % pour la reconstruction des bâtiments scolaires et 70 % pour les autres bâtiments publics.
E. Les premières conséquences politiques des évènements de 2024
1. Le départ du président du Congrès
Président du Congrès de Nouvelle-Calédonie depuis mai 2019, Roch Wamytan, que les rapporteurs ont rencontré, n’a pas vu son mandat renouvelé à la suite des évènements du printemps.
C’est une élue du parti wallisien Éveil océanien, qui ne se prononce ni en faveur ni contre l’indépendance, Mme Veylma Falaeo, qui a été élue le 29 août 2024 à la présidence du Congrès. C’est aussi la première fois qu’une femme accède à cette fonction.
2. La chute du gouvernement de Nouvelle-Calédonie
Le premier président indépendantiste de Nouvelle-Calédonie, Louis Mapou que les rapporteurs ont aussi rencontré, a présenté la démission de son gouvernement le 24 décembre 2024, à la suite du départ du gouvernement de Jérémie Katidjo Monnier, membre de Calédonie ensemble.
Un nouveau gouvernement composé de onze membres, six loyalistes et cinq indépendantistes, a été élu, le 7 janvier 2025 par les membres du Congrès de Nouvelle-Calédonie. Alors que la composition du Congrès est inchangée depuis les dernières élections de 2018, le jeu des alliances politiques, favorable aux indépendantistes en 2021, a cette fois-ci donné une majorité aux loyalistes.
C’est Alcide Ponga, le président du Rassemblement-Les Républicains, parti héritier de celui historique fondé en 1977 par le loyaliste Jacques Lafleur, qui a été élu, le 8 janvier 2025, à la tête du gouvernement local. Cet élu favorable au maintien de l’archipel dans la République, originaire de la province Nord et maire de la commune de Kouaoua, succède à l’indépendantiste Louis Mapou, élu trois ans plus tôt par le même Congrès.
IV. le rÔle de la mÉtallurgie en Nouvelle-CalÉdonie
La Nouvelle-Calédonie, qui possède environ 9 % des réserves planétaires exploitables de nickel, est assise sur un trésor qui a facilité son développement au cours des décennies passées, mais dont les difficultés actuelles font peser de lourdes menaces sur l’économie générale de l’archipel. Pourtant, le développement des véhicules électriques et les besoins mondiaux gigantesques en batteries font du nickel un matériau d’avenir.
A. LA FILIÈRE NICKEL, UN PILIER ÉCONOMIQUE HISTORIQUE
La Nouvelle-Calédonie a produit 193 800 tonnes de nickel en 2023, selon l’Institut d’études géologiques des États-Unis (US Geological Survey), ce qui place le Caillou à la 4ème place des producteurs mondiaux de cette matière derrière l’Indonésie (1,7 million de tonnes), les Philippines (360 000 tonnes) et la Russie (218 000 tonnes). Cette richesse, qui entraîne aussi une dangereuse dépendance de l’économie à l’égard d’une matière première, est indissociable des évolutions institutionnelles de la Nouvelle-Calédonie.
1. Un phénomène économique devenu un élément politique
L’histoire de la Nouvelle-Calédonie se confond en grande partie avec celle du nickel, découvert en 1864 par Jules Garnier. À compter de l’ouverture de la première usine de traitement du minerai en 1879, le territoire a vécu au rythme des périodes de croissance et de crise du marché du nickel. Dès la fin du XIXème siècle, l’engagement massif de Wallisiens et d’Asiatiques pour travailler dans les mines a modifié la composition de la population.
À la fin des années 1960, l’augmentation de la demande mondiale a correspondu à une importante croissance économique pour la Nouvelle-Calédonie. Mais la crise des années 1970, ainsi que la découverte de nouveaux gisements ailleurs dans le monde, ont ouvert une période de crise durable pour la filière. Lors des évènements des années 1980, le nickel est devenu, aux yeux des indépendantistes, un élément essentiel du rééquilibrage économique et social du territoire en faveur de la province Nord.
Comme nous l’avons vu (cf. supra), un compromis avait permis, dans les années 1990, la vente de la Société minière du Sud-Pacifique (SMPS) aux indépendantistes de la province Nord, dans le but de construire une usine métallurgique dans leur province, pour favoriser le rééquilibrage économique du territoire. L’accord de Bercy, signé le 1er février 1998, a permis à la SMSP d’exploiter le massif minier du Koniambo, ouvrant la voie à l’accord politique de Nouméa, signé moins de deux mois plus tard.
Source : journal Le Monde
2. Une structuration autour de trois usines
Le secteur représente aujourd’hui 20 % du PIB et un quart des emplois privés de l’archipel. La filière est portée par trois sociétés, qui possédaient à l’origine chacune une usine : la Société Le Nickel (SLN), Prony Resources et Koniambo Nickel SAS (KNS) :
– la SLN est la plus ancienne société nickélifère au monde et l’entreprise la plus importante de Nouvelle-Calédonie. Elle possède l’usine de Doniambo à Nouméa, emploie plus de 2 200 salariés et génère près de 8 000 emplois indirects. La SLN est détenue par l’entreprise minière et métallurgique française Eramet (56 %), la Société territoriale calédonienne de participation industrielle, qui représente les provinces, (34 %) et l’entreprise japonaise Nisshin Steel (10 %).
– Prony Resources est le résultat d’un accord politique ayant permis, en mars 2021, le rachat de l’usine Vale Nouvelle-Calédonie sur le site de Goro, dans la province Sud. Cette usine emploie plus de 1 400 personnes et génère 650 emplois indirects. La gouvernance de l’entreprise associe des intérêts calédoniens majoritaires, avec la Société minière du Pacifique Sud (30 %), les populations locales (9 %) et, depuis 2022, les salariés de l’entreprise (12 %). Le reste du capital est partagé entre le négociant de matières premières suisse Trafigura (19 %), la Compagnie financière de Prony, ainsi que le fond d’investissement Agio, détenu par Trafigura (30 %).
– seule usine située dans la province Nord, l’usine de Koniambo est détenue par l’entreprise Koniambo Nickel SAS. Placée au cœur des négociations entre les indépendantistes et les loyalistes, elle a été pensée comme un outil de rééquilibrage au profit de la province Nord, économiquement désavantagée. L’usine employait jusqu’à 1 750 salariés et 600 à 1 000 sous-traitants jusqu’à la date de sa fermeture survenue le 31 août 2024 (cf. Infra). Elle était détenue à 51 % par la Société minière du Sud-Pacifique (SMSP), mais financée à hauteur de 98 % par l’entreprise de négoce suisse Glencore qui détient 49 % des parts.
B. une situation Économique qui se dÉgrade fortement
Poumon économique de la Nouvelle-Calédonie, la filière est pourtant aujourd’hui à bout de souffle, à la fois pour des raisons liées à une concurrence internationales exacerbée et pour de mauvaises querelles internes au territoire.
1. Le rôle déstabilisateur de la Chine sur le marché du nickel
Le cours du nickel a notablement baissé en raison d’importantes découvertes en Indonésie, où les usines de production se sont multipliées ces dernières années. Le nickel indonésien est bien plus concurrentiel, en raison du coût largement inférieur de la main d’œuvre. Et la pression chinoise est forte : le nickel à très bas coût produit en Indonésie et aux Philippines par des entreprises financées par des investissements chinois représente 75 % de la production mondiale.
Avec une telle mainmise, le prix de vente réel du nickel est de plus en plus décorrélé des cours officiels. La Nouvelle-Calédonie n’est pas le seul territoire mis en difficulté par la toute puissance chinoise : en Australie, plusieurs mines et usines ont été mises en sommeil et 10 000 emplois sont menacés.
Par ailleurs, les usines calédoniennes sont pour l’essentiel alimentées par des centrales thermiques qui fonctionnent au charbon importé à grand frais d’Australie. La volonté des Calédoniens d’exporter un produit transformé sur place au lieu d’un minerai brut, probablement pertinente il y a quelques décennies, ne présente plus la même rentabilité de nos jours compte tenu des différences de coût de l’énergie avec l’Indonésie, paramètre qui s’ajoute aux différences salariales.
2. Le bras de fer dangereux entre politiques et industriels
Enfin, les réticences des autorités de la province nord à délivrer des permis d’exploitation des ressources ont ajouté à la complexité du problème.
En février 2024, Glencore, qui possède 49 % des parts de l’usine nord mais en assumait seule les pertes, avait annoncé son intention de cesser d’exploiter une usine, déficitaire depuis son inauguration en 2014. En février 2024, l’unité avait été mise en sommeil « à chaud » pour six mois, les fours étant conservés en état de fonctionnement, dans l’attente d’un éventuel repreneur.
Aucun accord n’ayant été trouvé dans le délai de six mois, les fours ont été éteints le 31 août et l’usine a définitivement fermé ses portes, les 1 750 salariés encore présents étant licenciés. Certains sont retournés vivre de l’agriculture et de la pêche dans leur tribu, d’autres ont migré vers la province sud. Lors du passage des rapporteurs de la mission d’information, en mars 2024, la mise au chômage de plusieurs centaines de sous-traitants avait déjà entraîné la rupture de près de 200 baux d’habitation dans la région de Koné.
Dans le sud, Prony Resources cherche également un repreneur pour son usine, le négociant suisse Trafigura voulant à se retirer, mais à échéance de mi‑2025. Enfin, la SLN, implantée à Nouméa, avait fait savoir aux rapporteurs qu’elle serait à cours de trésorerie « d’ici à fin avril » 2024.
Le 11 avril, les autorisations d’exploitations des neuf sites miniers de la SLN, situés en province Nord, ont été suspendues en raison d’un différend portant sur la durée de la garantie financière apportée par l’industriel. Selon la presse locale, ce sont plus de 700 salariés directs, mais aussi de nombreuses entreprises sous-traitantes, notamment celles de roulage, qui sont concernées par cette décision.
Pour Philippe Gomès, ancien président loyaliste du gouvernement, « un cataclysme économique et social arrive. Le pire est devant nous. »
C. Le Pacte nickel, une rÉponse Étatique contestÉe
La situation est d’autant plus grave que l’industrie du nickel a étouffé les autres activités. Avant la construction des usines, les Calédoniens produisaient davantage de produits agro-alimentaires, y compris transformés. « Le nickel est arrivé et tout le reste a été abandonné » confirme un chef coutumier de la province Nord. « Maintenant, lorsqu’on se rend à la fête de l’igname, on doit les acheter au magasin car on n’en produit plus sur place » a acquiescé un témoin.
1. Une initiative de l’État mais qui implique tous les acteurs
Pour faire face aux difficultés de l’industrie de transformation du nickel, l’État cherche à mettre en place le « Pacte nickel ». Il s’agit d’un accord destiné à sauver l’industrie métallurgique en Nouvelle-Calédonie, au cœur duquel se trouve un programme de subventionnement massif de la part de l’État des trois usines, à hauteur de 200 millions d’euros par an, pour moderniser et décarboner la production électrique calédonienne. Évoqué pour la première fois par le ministre de l’Économie et des finances de l’époque, Bruno Le Maire, en novembre 2023, ce projet d’accord entre les différents acteurs du secteur a connu plusieurs versions au gré des négociations. La version actuelle – la huitième – est datée du 26 mars 2024. Elle liste les engagements des industriels, des provinces et de l’État.
De leur côté, les industriels s’engageraient à atteindre, d’ici à 2027, la production maximale pour laquelle les usines ont été construites : 60 000 tonnes par an pour la SLN et 50 000 pour Prony Resources, KNS ayant cessé son activité. Ils devraient par ailleurs maîtriser leurs coûts, notamment de sous-traitance. Enfin, les usines devraient reprendre la production de mattes de nickel, produits tirés d’une première fusion du minerai et utilisées dans la fabrication de batteries électriques. La priorité pour l’exportation de ces dernières serait donnée au marché européen.
L’accord comprend également des obligations pour les provinces, actionnaires des entreprises de production et qui contrôlent l’accès au minerai sur leur territoire. Le pacte leur imposerait de faciliter l’accès des entreprises au domaine minier, notamment dans l’instruction des autorisations d’exploitation. Sont en particulier concernés les dossiers déposés par la SLN pour les massifs de Poum et de Népoui dans la province Nord. L’absence d’autorisation d’exploitation dans ces massifs est considérée par beaucoup comme le facteur déclenchant de la fermeture de l’usine nord.
En contrepartie, l’État s’engagerait à cofinancer à hauteur de 50 % un programme d’investissement sur dix ans afin de fournir « une énergie stable et décarbonnée à un prix compétitif ». Ces subventions à l’énergie seraient également cofinancées par le gouvernement local de Nouvelle-Calédonie.
2. Les réticences du Congrès à adopter le Pacte…
Initialement prévue pour le 25 mars 2024 par le gouvernement, la signature du pacte a été repoussée à plusieurs reprises, malgré les difficultés qui ont conduit à la une fermeture de l’unité nord. Les négociations sont actuellement au point-mort car le Congrès néo-calédonien, majoritairement indépendantiste, a refusé à trois reprises d’accorder au président du gouvernement local, l’indépendantiste Louis Mapou, l’autorisation de signer le document – contre son propre avis et celui de son gouvernement qui y sont favorables.
Les groupes indépendantistes UNI, UC-FLNKS et Nationalistes émettent également des réserves sur les modalités de financement par le gouvernement local. Les indépendantistes redoutent une « mise sous tutelle » par l’État de la filière nickel, qui demeure à leurs yeux le bras économique d’une éventuelle indépendance.
En effet, pour le FLNKS au moins, le Pacte nickel proposé par le pouvoir central est vécu comme une volonté de Paris « de reprendre la main sur une compétence qui appartient au pays. Cela participe de la stratégie de recolonisation. »
Les indépendantistes demandent en conséquence davantage de temps pour étudier les perspectives de long terme du pacte. Le président de la province Nord, Paul Néaoutyne, qui n’a pas souhaité rencontrer les rapporteurs, refuse par ailleurs de faire une entorse à la doctrine nickel en permettant l’exportation de minerai brut.
En conséquence, les groupes indépendantistes demandent la création d’une « Commission spéciale chargée d’identifier et de proposer des solutions pour surmonter les défis actuels de la filière nickel ».
3. …Confirment le rôle du nickel dans l’avenir institutionnel du territoire
Le groupe loyaliste Calédonie Ensemble s’oppose lui-aussi fermement au pacte sous sa forme actuelle qui selon lui n’engage pas assez les industriels. En l’état, le financement reposerait exclusivement sur l’État et le gouvernement local, qui contribueraient chacun à hauteur de 8 milliards de francs CFP (66,7 millions d’euros). D’autant que la collectivité se trouve déjà dans une situation difficile : son taux d’endettement atteint 170 %, les comptes sociaux sont en déficit de 82,7 millions d’euros par an et le producteur d’électricité Enercal est en procédure de sauvegarde.
Ce groupe souhaiterait un rééquilibrage de l’accord qui prévoirait une participation financière plus conséquente des industriels, qui seraient par ailleurs tenus de s’engager sur un certain nombre de projets industriels. Plus globalement, Calédonie Ensemble plaide pour un Pacte nickel intégré à un accord politique global sur l’avenir institutionnel de la collectivité.
Les groupes non indépendantistes Loyalistes et Rassemblement regrettent quant à eux, que le Pacte nickel n’ait pas été signé plus rapidement, ce qui aurait peut-être pu sauvegarder l’usine nord et de sécuriser un maximum d’emplois dans la filière. Ces groupes dénoncent la stratégie des indépendantistes, mais aussi de Calédonie ensemble, de conditionner la signature du pacte à un accord politique global sur l’avenir institutionnel de la collectivité, qui leur paraît encore trop hypothétique et lointain.
À terme, et selon les propos que la PDG d’Eramet Christel Bories a tenus fin février au Financial Times, la Nouvelle-Calédonie pourrait redevenir un « territoire purement exportateur de minerai » si les trois usines fermaient.
V. Quelques PerspectivES POUR LE LONG TERME
En mars 2024, les rapporteurs ont quitté la Nouvelle-Calédonie inquiets de la montée des tensions et de la radicalisation de certains devant les échéances à venir, dans le contexte d’une population armée et de plaies mal refermées. Les évènements du printemps devaient hélas leur donner raison.
Pour autant, ils n’oublient pas que le « vivre ensemble » existe au quotidien pour l’immense majorité de la population et souhaitent achever la partie du présent rapport consacré à ce territoire sur des considérations qui pourrait incliner à l’optimisme sur le long terme.
1. Une évolution institutionnelle pour des relations apaisées
Au sortir d’une période difficile qui a vu l’organisation de trois référendums d’autodétermination ayant abouti au maintien de la Nouvelle‑Calédonie dans la République, les élus qui s’inscrivent dans la continuité française considèrent que le statut de la Nouvelle-Calédonie doit conserver sa place dans un article ou un titre de la Constitution française. Y seraient précisées les compétences qui ne seront pas transférées à la collectivité.
Parallèlement, pour certains, la Nouvelle-Calédonie pourrait même aller jusqu’à être dotée de sa propre Constitution, dans laquelle seraient reconnus les chefs coutumiers et les usages traditionnels du peuple kanak.
Dans ce cadre, une convention entre l’État central et la Nouvelle-Calédonie pourrait régir l’ensemble des relations entre la République française et la collectivité.
La question de la « citoyenneté néo-calédonienne » devra également être clarifiée. Pour le président Louis Mapou, la citoyenneté s’inscrit dans le cadre du droit électoral et sous-entend un droit à l’emploi local : « la Nouvelle-Calédonie est dans un processus de construction d’un peuple. Nous avons déjà bien avancé sur un code de la citoyenneté locale. »
Si ces orientations peuvent alimenter la réflexion des Calédoniens modérés à la recherche d’une solution pacifique, en revanche, il y a peu de chances pour qu’elles satisfassent les indépendantistes les plus fervents comme ceux de l’Union nationale pour l’indépendance (UNI) ou même les plus modérés comme ceux du Palika qui considèrent que tous les statuts depuis 1958 sont « transitoires et préparent l’indépendance du territoire » car « c’est notre droit ». Pour le sénateur Robert Xowie, « un kanak nait pour être indépendant » tandis que les élus de Lifou ajoutent : « notre dignité, c’est la pleine souveraineté ».
2. Dépasser le clivage entre indépendantistes et loyalistes ?
Pour autant, loyalistes et indépendantistes sont-ils irréconciliables ? Au cours de leur séjour, les rapporteurs ont noté que l’immense majorité de la population semble n’aspirer qu’à vivre en paix et ensemble, kanak et caldoches réunis. Les affrontements du printemps 2024 ont-ils remis en cause cette volonté ? Ils ne veulent le croire.
Pour le comité « Parole, Mémoires, Vérité, Réconciliation » (PMVR) qui œuvre pour la réconciliation à travers la mémoire pour construire la paix, « la polarisation sur les questions politiques et institutionnelles fait oublier les problèmes de fond : les violences intrafamiliales, l’alcoolisme, le cannabis, la délinquance, l’enfance en danger, l’emploi, etc. »
Le président du Conseil économique, social et environnemental, Jean‑Louis d’Anglebermes, a démontré que l’on peut être kanak, indépendantiste et aimer la France : l’armée française recrute beaucoup dans les collectivités du Pacifique, notamment en Nouvelle-Calédonie. Or, certains militaires d’origine kanak, qui sont prêts à donner leur vie pour la France, ont pourtant voté en faveur de l’indépendance, par réflexe tribal. Ce n’est pas incompatible. « Il faut entrer dans leur logique et, notamment, prendre le temps et ne pas précipiter les choses. Le temps perdu est du temps gagné. » « Les kanak aiment la France mais ils ne veulent pas être une minorité dans leur pays. Ils veulent s’y sentir chez eux. »
Un certain nombre d’interlocuteurs dénoncent « certains politiques [qui] entretiennent les divisions pour exister ».
En Nouvelle-Calédonie, comme souvent sur le territoire national, les maires sont des élus de proximité qui œuvrent au quotidien pour leurs concitoyens et les rapporteurs tiennent à saluer leur travail. Ces édiles, confrontés quotidiennement à la réalité de leurs administrés, confirment qu’une « bombe sociale est prête à exploser, mais ce sera à la face des politiques, de moins en moins appréciés. La population, elle, a envie de vivre ensemble. »
Les propos d’un autre maire, avant les évènements de mai 2024, incitaient à une forme d’optimisme. « Au cours de ces trente dernières années, indépendantistes et loyalistes ont réussi à créer une génération “accords” et “vivre ensemble”. Mais la jeunesse a maintenant envie de sortir du débat indépendance / non-indépendance. Elle a envie de parler “projet” et de voter à droite ou à gauche, de penser à l’économie et au social. » Est-ce encore le cas aujourd’hui ? Les rapporteurs, de leur côté, pensent que, dans la situation actuelle, les maires ont un rôle majeur à jouer aux côtés des autres acteurs.
3. La nécessité d’un accord global
La question du dégel du corps électoral est une question qui ne peut être seulement envisagée d’un point de vue juridique. Depuis près de trente ans, le processus enclenché en Nouvelle-Calédonie est un processus dérogatoire dont le Titre XIII de la Constitution prend acte. Ici, le droit est bien au service d’un projet politique. Réduire ce projet à la seule question juridique du dégel du corps électoral serait une erreur fondamentale.
Aux accords de Matignon et de Nouméa, qui ont désormais pris fin, doit succéder un accord global décidé et validé par toutes les parties. Autant les premiers étaient des accords de transition, autant celui à venir doit être un accord de fondation pour l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. Cela engage les parties prenantes à garantir sa réalisation pour permettre un avenir prometteur et serein pour ce territoire et toute sa population. Les aspirations du peuple kanak doivent pouvoir être entendues et comprises, tout comme il doit lui-même pouvoir entendre et comprendre celles des autres pour qui ce territoire est devenu aussi le leur avec le temps.
Quel que soit l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, les hommes et les femmes de ce territoire devront vivre ensemble. Pour cela, l’État doit garantir le bon déroulement des discussions qui aboutiront nécessairement à un nouvel accord qui ne sera pas seulement institutionnel mais aussi économique, social, environnemental.
deuxième partie : Wallis et Futuna
Les archipels Wallis et Futuna se situent dans le Pacifique sud, en deux groupes séparés de 230 kilomètres l’un de l’autre. L’ensemble constitue le territoire le plus éloigné de la métropole dont il est distant de 16 000 kilomètres. Wallis, d’une superficie de 78 km2 est la plus grande des deux îles principales. L’île de Futuna est plus petite (46 km2), avec un relief plus marqué et ne bénéficie pas d’un lagon. Elle est séparée par un détroit large de 1,8 km de l’île inhabitée voisine d’Alofi.
La distance séparant les deux archipels, l’éloignement de l’hexagone et des principales routes commerciales, accentuent encore l’isolement de ce territoire. L’électricité n’a été installée à Futuna qu’en 1987, l’ADSL en 2007 et la téléphonie mobile en 2015 ([222]).
Avec 11 400 habitants en 2024, c’est le troisième territoire le moins peuplé de France après Saint-Pierre-et-Miquelon et Saint-Barthélemy. C’est surtout une collectivité en décroissance démographique : il y a dix ans, le territoire comptait 1 000 habitants de plus qu’aujourd’hui. Son PIB (10 100 euros annuels par habitant) est l’avant-dernier des outre-mer, devant Mayotte (9 000 euros). Compte tenu des transferts en provenance de reste du pays et de l’Union européenne, le niveau de vie y est toutefois plus élevé que dans la plupart des États voisins.
I. L’histoire de Wallis et Futuna
Wallis et Futuna – souvent appelées « îles Wallis et Futuna » – ne sont pas deux îles mais bien deux archipels, fort éloignés l’un de l’autre mais pourtant liés par une histoire commune et par une volonté commune de conserver une communauté de destin avec la France et, notamment, la Nouvelle-Calédonie.
A. un attachement fort à la France, puissance protectrice
Wallis et Futuna n’ont été ni conquises ni colonisées par la France, mais se sont placées volontairement sous la protection de notre pays, considéré comme une puissance protectrice.
1. Les îles se sont placées d’elles-mêmes sous la protection de la France
Les archipels de Wallis, Futuna et Alofi ont été peuplés aux environs du premier millénaire avant notre ère par des Austronésiens. Ces derniers se sont également installés dans les archipels voisins, entretenant de nombreux échanges entre eux, jusqu’à former progressivement la société polynésienne ancestrale. Tout en continuant d’être intégrés au sein de ce réseau insulaire, les îles se sont progressivement différenciées : Wallis a été conquise par les Tongiens qui ont durablement influencé la société wallisienne, tandis que Futuna est parvenu à repousser les Tongiens et à préserver des relations avec Samoa.
Les premiers contacts avec les Européens se sont produits au XVIIème siècle, lorsque des navigateurs hollandais ont abordé Futuna et Alofi en 1616. C’est en 1767 que le capitaine britannique Samuel Wallis a visité l’île d’Uvéa à laquelle il a donné son nom. D’abord très limités, les échanges avec les Européens se sont développés avec l’arrivée des missionnaires catholiques, dès 1837.
En 1842, le roi d’Uvéa a effectué une première demande de protectorat à la France. La demande a été renouvelée dans les années 1880 par la reine Amelia Tokagahahau Aliki, qui a signé un traité de protection avec la France en 1887. L’année suivante, les rois de d’Alo et de Sigave, implantés sur l’île de Futuna, signèrent le même traité, établissant un protectorat unifié des îles Wallis et Futuna le 5 mars 1888.
Jusqu’en 1909, les archipels ont été administrativement rattachés à la Nouvelle-Calédonie. La France y était représentée par le gouverneur de Nouvelle-Calédonie ainsi que par un résident sur l’île de Wallis, tandis que les trois rois conservaient leur autorité coutumière. Pendant toute la période du protectorat, la France ne s’est que très peu intéressée aux deux archipels. C’est pendant la seconde guerre mondiale que Wallis et Futuna ont gagné une importance stratégique. Les îles ont rejoint la France libre en 1942. Wallis et Futuna, occupées par des milliers de soldats américains en ont été durablement bouleversées, leurs habitants ayant découvert la société de consommation. Occupée par les Américains plus tardivement que Wallis, Futuna a vécu deux années en autarcie, n’étant plus ravitaillée par les cargos que la guerre dissuadait de se rendre dans ces eaux incertaines. Les Futuniens, manquant de farine et de sucre n’ont survécu que grâce à l’agriculture vivrière.
2. Un statut inchangé depuis 1961
Les royaumes de Wallis et Futuna sont restés sous la protection française pendant toute la durée de la Quatrième République. À l’avènement de la Cinquième République, un référendum a été organisé pour déterminer l’avenir du territoire : le 27 décembre 1959, les habitants se sont prononcés à 95 % en faveur de l’intégration dans la République française. En conséquence, la loi du 29 juillet 1961 a conféré à Wallis et Futuna le statut de territoire d’outre-mer (TOM).
La seconde moitié du vingtième siècle a été marquée par un important phénomène d’émigration des Wallisiens et des Futuniens vers la Nouvelle-Calédonie. Ce mouvement a débuté dans les années 1950 et s’est renforcé avec le développement de l’exploitation du nickel à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Ce phénomène a pris une telle ampleur que, depuis les années 1980, il y a plus d’habitants de Nouvelle-Calédonie se déclarant Wallisiens et Futuniens (environ 22 500 en 2019) que de personnes recensées à Wallis-et-Futuna (environ 11 150 en 2023).
Les évolutions institutionnelles qu’a connues la Nouvelle-Calédonie dans les années quatre-vingt et 90 ont rendu nécessaire une redéfinition des relations entre ce territoire et le territoire des îles Wallis et Futuna. Ainsi, l’accord de Nouméa prévoyait que « les relations de la Nouvelle-Calédonie avec le Territoire des îles Wallis et Futuna seront précisées par un accord particulier » et que « l’organisation des services de l’État sera distincte pour la Nouvelle-Calédonie et ce territoire ». Ces dispositions ont été renouvelées dans la loi organique du 19 mars 1999. Un accord particulier entre l’État, la Nouvelle-Calédonie et le territoire de Wallis-et-Futuna a été conclu le 1er décembre 2003. Vingt ans plus tard, un avenant à cet accord a été signé le 14 novembre 2023 afin de renouveler la coopération entre les trois acteurs.
Lors de la révision constitutionnelle de 2003, le territoire est devenu une collectivité d’outre-mer régie par l’article 74 de la Constitution, sans pour autant que soit modifié le régime de 1961.
B. Un territoire très dépendant
Dans leur rapport sur l’autonomie alimentaire des outre-mer publié en 2023 ([223]), les députés Marc Le Fur et Estelle Youssouffa ont rapporté que leurs interlocuteurs wallisiens leur avaient avoué d’emblée : Wallis et Futuna « ne sont pas des terres de production mais de consommation (…) quand on a faim, on va attendre le bateau. Il nous ravitaille toutes les trois semaines. On a des pommes fraîches pendant une semaine, puis plus de fruits pendant quinze jours. »
1. La plus grande partie des produits consommés sont importés
Wallis et Futuna sont extrêmement dépendantes d’une ligne de cargos qui les dessert toutes les trois semaines. La quasi-totalité des produits – alimentaires et autres – sont importés, souvent de France hexagonale. La configuration des lieux (une passe étroite pour atteindre Wallis), le faible de nombre de pilotes (un seul pour les deux archipels), la mauvaise qualité des quais (à Futuna, le fragile ponton n’accepte que des conteneurs remplis à 75 %), l’absence de grues (les cargos doivent décharger avec leurs propres moyens) le faible nombre de rotations, les aléas liés aux conditions météorologiques, rendent le territoire particulièrement dépendant aux importations.
Mais lorsque la continuité logistique est perturbée, non seulement la vie de l’archipel est perturbée car les capacités de stockage sont limitées, mais le gaspillage résultant de la péremption des produits frais est important. Ce gaspillage généralement compris entre 0,5 % et 2 % du trafic, est douloureux pour une population aux revenus modestes.
Pourtant, la terre de Wallis et Futuna est particulièrement fertile. Les rares agriculteurs et éleveurs qui tentent de l’exploiter obtiennent des résultats très intéressants malgré l’absence totale d’herbicides, pesticides et fongicides, interdits à l’importation. Mais les métiers agricoles n’intéressent plus les jeunes qui, plutôt que de travailler la terre, préfèrent émigrer vers la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie, l’Europe ou ailleurs pour trouver un avenir meilleur. Selon des experts, 70 % de la surface agricole utile serait en jachère alors qu’elle est très fertile.
2. Une forte communauté wallisienne et futunienne sur le « Cailloux »
Selon la Chambre de commerce et d’industrie, des métiers et d’agriculture (CCIMA) de Wallis, les chiffres « officiels » d’environ 22 500 Wallisiens et Futuniens en Nouvelle-Calédonie seraient dépassés et très en-deçà de la réalité : il y aurait plus de 30 000 Wallisiens et Futuniens sur le « Cailloux » et à peu près autant dans l’hexagone. Au total, entre 8 et 12 % de la population de Nouvelle-Calédonie est originaire de Wallis et Futuna.
Cette diaspora est très bien intégrée en Nouvelle-Calédonie où elle est essentiellement employée dans l’industrie du Nickel. Elle se reconnaît dans un parti politique, l’Éveil océanien, qui a été créé en 2019 pour défendre les intérêts de la communauté wallisienne et futunienne et qui, sans jamais être majoritaire, sait habilement jouer un rôle d’intermédiaire entre les partis loyalistes et les mouvements indépendantistes.
En 2019, pour la première fois un candidat se revendiquant wallisien, Willy Gatuhau, devenait maire de la commune de Païta, démontrant la bonne intégration des Wallisiens et Futuniens en Nouvelle-Calédonie. Et, le 29 août 2024, pour la première fois, une Wallisienne, Veylma Falaeo devenait présidente du Congrès de Nouvelle-Calédonie (cf. supra).
Dépendant de la Nouvelle-Calédonie pour les évacuations sanitaires (EVASAN), pour les études, pour le service militaire adapté (SMA), les Wallisiens et Futuniens savent ce qu’ils doivent à ce territoire. Et sur le plan purement financier, ils reconnaissent que la vie sur leurs îles serait très difficile sans l’aide financière de la diaspora installée en Nouvelle-Calédonie.
3. Wallis et Futuna impactés par les évènements récents
Isolé par la crise en Nouvelle-Calédonie, notamment par la fermeture de l’aéroport de La Tontouta et la suspension des vols d’AirCalin, Wallis et Futuna, certes, « reste ravitaillé en produits alimentaires, matériaux et carburant depuis Fidji » ainsi que l’a assuré lors des évènements du printemps 2024 Marie Guévenoux, alors ministre déléguée aux outre-mer. Pour autant, les déplacements des Wallisiens et Futuniens qui souhaitent se rendre en Nouvelle-Calédonie n’ont pas pu se faire pendant plusieurs semaines. Or, en l’absence d’infrastructures médicales spécialisées, beaucoup se rendent à Nouméa en consultation pour y passer des examens médicaux ou pour toute consultation spécialisée. Par ailleurs, les nombreux jeunes Wallisiens ou Futuniens qui étudient à Nouméa ont été coupés de leurs familles pendant la suspension des vols.
« Le ravitaillement n’est pas menacé par la situation calédonienne » avait alors ajouté Marie Guévenoux. Relié au monde par la Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna ont tout de même été isolées pendant les trois semaines de suspension des vols d’AirCalin.
« Le territoire des îles de Wallis et Futuna connaît déjà en temps normal de grandes difficultés d’approvisionnement. Les liaisons aériennes comme maritimes sont très irrégulières, tant pour les passagers que pour les marchandises » indiquait pour sa part le député Renaissance des archipels, Mikaele Seo. « La situation en Nouvelle-Calédonie nous isole totalement du reste du monde et singulièrement de la métropole ».
Si le député estime que le territoire est « préparé à cet isolement » et dispose de réserves, « nous avons une dizaine de jours de précautions, mais nous en arrivons au bout ». Mikaele Seo s’est surtout dit inquiet de la situation des personnes nécessitant une évacuation sanitaire, généralement opérée vers le Médipôle de Nouméa.
Les évacuations les plus urgentes ont été réorientées vers la Polynésie, pourtant plus éloignée que la Nouvelle-Calédonie. « Les situations urgentes ont pu être prises en charge » assurait Marie Guévenoux. « Sur la situation des lycéens et étudiants qui sont présents au Nouméa, une cellule de veille a été mise en place. Leur sécurité est assurée. Ils sont ravitaillés », concluait-elle. Wallis et Futuna, selon elle, « est au cœur des préoccupations du gouvernement et du président de la République. ».
4. Des îles qui dépendent surtout des financements nationaux
Selon la Cour des Comptes ([224]), « le financement de l’État, dont dépend fortement le territoire, contribue pour plus de 200 millions d’euros par an au fonctionnement et à l’investissement des îles, qui bénéficient également d’environ 25 millions d’euros de recettes fiscales locales ».
Ces chiffres, qui semblent à peine croyables, placent les îles Wallis et Futuna dans la situation rare d’un territoire qui ne s’autofinance qu’à 11 % et qui dépend à 89 % de la solidarité nationale pour exister !
II. UNe monarchie dÉcomplexÉe et une rÉpublique tolÉrante
Wallis et Futuna constituent un exemple rare de cohabitation au sein d’une République de trois royaumes officiellement reconnus et en grande partie financées par elle. Si la situation ne manque jamais de susciter l’étonnement des personnes qui la découvrent, les rapporteurs considèrent que c’est tout à l’honneur de notre République de respecter les traditions, fussent-elles à ce point originales, de populations qui se sont volontairement placées sous sa protection.
A. la coexistence de trois rois traditionnels
1. L’autorité des rois est limitée aux sujets coutumiers
Les îles de Wallis et Futuna présentent la particularité d’être administrées, comme la Nouvelle-Calédonie mais avec moins de heurts par deux droits distincts : le droit français et le droit coutumier local. Concrètement, chacun des droits s’applique dans des domaines particuliers : en matière foncière, par exemple, c’est le droit coutumier qui s’applique (cf. infra), tandis qu’en droit électoral, c’est le droit français qui s’impose.
L’autorité qui gère le droit français est le représentant de l’État, le préfet administrateur supérieur ; mais ce sont des rois qui gèrent la coutume : un à Wallis, qui gère le royaume d’Uvéa, nom historique de l’île, et deux sur Futuna qui, bien qu’étant plus petite que Wallis est divisée en deux royaumes : celui de Sigave et celui d’Alo.
Cette présentation ne doit pas laisser à penser que les deux droits sont égalitaires ou concurrents : le droit français l’emporte dans la plupart des domaines tandis que le doit coutumier, outre la propriété foncière, ne s’impose que dans des domaines traditionnels et familiaux de la vie insulaire. Et depuis que Wallis et Futuna se sont placées d’elle-même sous la protection de la France, c’est légitimement le représentant de la République française qui a autorité sur les monarques, même si le roi d’Uvéa dispose d’une autorité morale évidente.
2. Vacance du trône dans le royaume d’Alo
La transmission du pouvoir royal n’est pas héréditaire mais élective. Wallis-et-Futuna est une monarchie aristocratique et les souverains y sont choisis parmi un nombre restreint de familles nobles, qui sont appelées aliki, ainsi que parmi les anciens du royaume, les aliki matu’a.
Concrètement, lorsqu’un roi meurt ou abdique, la désignation de son successeur fait l’objet de négociations au sein des familles influentes de chaque royaume, d’autant que le monarque s’entoure d’un gouvernement composé de cinq ministres et d’un premier ministre et que des chefs de villages sont également nommés.
Le dernier roi d’Alo, qui a abdiqué en octobre 2022, n’a toujours pas de successeur, les prétendants n’arrivant pas à s’accorder depuis deux ans.
Il est rare que des rapports parlementaires s’intéressent aux rois de la République française et c’est probablement la première fois qu’est rendu public le coût de ces monarchies, au demeurant très raisonnable surtout si l’on considère qu’il permet de conserver une paix sociale appréciable.
Les coûts du royaume d’Uvéa (Wallis) sont répartis en trois catégories :
- les frais, indemnités et allocations versés au roi, à son gouvernement et aux chefs coutumiers ;
- les frais relevant du personnel mis à disposition ;
- les frais de fonctionnement divers.
a. Les frais, indemnités et allocations versés au roi, à son gouvernement et aux chefs coutumiers
43 membres de la chefferie d’Uvea sont rémunérés par la Circonscription, l’État et le Territoire : un roi, six ministres (dont un chef de gouvernement), trois chefs de districts, 21 chefs de villages, un responsable de la sécurité et un responsable du protocole.
Frais indemnité et allocations versées au roi et aux chefs coutumiers (Uvéa)
|
Coût mensuel unitaire |
Coût mensuel total |
Coût annuel |
1 roi |
5 527 € |
5 527 € |
66 324 € |
1 premier ministre |
1 034 € |
1 034 € |
12 408 € |
5 ministres |
678 € |
3 390 € |
40 680 € |
3 chefs de districts |
595 € |
1 785 € |
21 420 € |
21 chefs de villages |
452 € |
9 492 € |
113 904 € |
1 responsable sécurité |
452 € |
452 € |
5 424 € |
1 responsable protocole |
241 € |
241 € |
2 892 € |
TOTAL |
|
21 921 € |
263 052 € |
Le coût annuel de cette première catégorie s’élève donc à peu plus de 263 000 euros.
b. Les frais relevant du personnel mis à disposition
Six agents permanents de la circonscription d’Uvea sont mis à disposition de la chefferie et du palais royal
- un chargé de mission
- un chauffeur
- deux agents d’entretien
- deux agents d’intendance
Le coût annuel employeur (à la charge intégrale de la circonscription d’Uvea) est de 273 000 euros.
Par ailleurs, six personnes employées dans le cadre de « chantiers de développement local » ([225]) (cinq adultes et un jeune) sont affectés au Palais royal pour un cout annuel de 51 510 euros (budget État BOP 138).
c. Les frais de fonctionnement divers
Les autres frais se répartissent en 6 catégories :
- les frais de mission lors des déplacements de la chefferie hors du territoire : 16 856 € ;
- les subventions aux associations coutumières (organisation d’évènements) : 8 380 € ;
- les frais de gardiennage du palais royal : 17 598 € ;
- le petit entretien du palais royal et des véhicules : 29 620 € ;
- l’eau, le gaz et l’électricité du palais royal : 7 408 € ;
- les travaux d’entretien du palais royal : 16 956 €.
Ces frais ont représenté un total de 96 818 euros en 2023.
On peut donc estimer le coût total de la chefferie d’Uvea à environ 684 400 euros annuels. Mais sur cette somme, seuls 300 000 euros environ, soit 44 % du total, sont pris en charge par l’État, le solde étant financé par la collectivité de Wallis et Futuna et par la chefferie de Wallis, sur leurs ressources propres.
2. Les deux chefferies de Futuna
Les chefferies de Futuna ont un coût largement inférieur à celle de Wallis dans la mesure où elles emploient moins de personnels et où les indemnités perçues, notamment par le roi et son premier ministre, sont moins élevées.
Coût de la chefferie de Sigave, à Futuna
|
Coût mensuel unitaire |
Coût mensuel total |
Coût annuel |
1 roi |
3 725 € |
3 725 € |
44 697 € |
1 premier ministre |
1 135 € |
1 135 € |
13 619 € |
5 ministres |
718 € |
3 589 € |
43 063 € |
4 chefs de village |
836 € |
3 344 € |
40 128 € |
1 maître de cérémonie |
318 € |
318 € |
3 815 € |
1 chauffeur |
3 405 € |
3 405 € |
40 857 € |
2 agents statut « chantier de développement » |
540 € |
1 080 € |
12 952 € |
Frais de représentation du roi |
503 € |
503 € |
6 034 € |
Entretien du véhicule |
236 € |
236 € |
2 832 € |
Frais d’électricité |
235 € |
235 € |
2 832 € |
Frais de communication |
127 € |
127 € |
1 529 € |
TOTAL |
|
17 697 € |
212 340 € |
Le coût de la chefferie d’Alo est proche de celui de Sigave, à quelques milliers d’euros près. Les ministres y sont un peu mieux rémunérés qu’à Sigave, les chefs de villages et le chauffeur un peu moins.
Coût de la chefferie d’Alo, à Futuna
|
Coût mensuel unitaire |
Coût mensuel total |
Coût annuel |
1 roi |
3 725 € |
3 725 € |
44 697 € |
1 premier ministre |
1 135 € |
1 135 € |
13 619 € |
5 ministres |
897 € |
4 486 € |
53 829 € |
4 chefs de village |
478 € |
1 911 € |
22 927 € |
1 maître de cérémonie |
318 € |
318 € |
3 815 € |
1 chauffeur |
2 824 € |
2 824 € |
33 884 € |
2 agents statut « chantier de développement » |
540 € |
1 080 € |
12 952 € |
Frais de représentation du roi |
503 € |
503 € |
6 034 € |
Entretien du véhicule |
203 € |
203 € |
2 430 € |
Frais d’électricité |
235 € |
235 € |
2 832 € |
Frais de communication |
127 € |
127 € |
1 529 € |
TOTAL |
|
16 547 € |
198 548 € |
Les indemnités perçues par les trois rois ainsi que par leurs ministres, chefs de districts, de villages et leur personnel sont d’un niveau qui ne choque pas les rapporteurs. Seul sujet d’étonnement : la rémunération des chauffeurs des rois de Futuna proche de celle de leur souverain et largement supérieure à celle des premiers ministres. L’explication nous est fournie par la préfecture : ces chauffeurs sont des agents publics dont le traitement bénéficie d’un coefficient multiplicateur de 1,5 conformément au statut des agents employés outre-mer ; par ailleurs, ayant une « grande ancienneté », ils se trouvent au sommet de la grille indiciaire de leur catégorie, ce qui explique le niveau de leur rémunération.
Les sommes mentionnées correspondent au coût supporté par l’employeur et non à ce qui est perçu par les intéressés, soumis à des cotisations sociales, toutefois inférieures à celles payées dans l’hexagone. Ces rémunérations ne sont pas soumises à l’impôt sur le revenu, inexistant à Wallis-et-Futuna.
3. Un coût global très limité pour la République
Le coût global annuel des trois monarchies peut donc être estimé à un peu plus d’un million d’euros, 1 095 000 euros ([226]) plus précisément. Encore faut-il préciser que, sur cette somme, la plus grande partie est prise en charge par le budget de la collectivité de Wallis et Futuna ainsi que sur les ressources propres des chefferies. La part financée par le budget de l’État est minoritaire : un peu plus de 300 000 euros sur 684 400 à Wallis, soit 44 %, 89 400 euros sur 212 340 à Sigave (42,1 %) et 82 700 euros sur 198 548 à Alo, soit (41,7 %).
Au total, les trois monarchies de Wallis et Futuna représentent donc un coût d’environ 472 100 euros pour le budget de la République, soit 43 % du coût total, ce qui représente la somme dérisoire d’environ 0,7 centime par an et par habitant pour l’ensemble de notre pays.
Deux dernières précisions doivent être apportées :
- les chefs de villages et de districts, dont l’appellation peut certes paraître folklorique, jouent un rôle comparable à celui de maire et de président de syndicat intercommunal, en l’absence de commune à Wallis et Futuna. S’ils étaient régis par un statut plus classique, ces personnes percevraient aussi des rémunérations financées par des fonds publics ;
- lors des périodes de « vacance du trône », comme c’est le cas depuis 2022 au royaume d’Alo, l’absence d’un roi et de son premier ministre ainsi que des frais afférents, réduit considérablement le coût de la monarchie.
III. La nécessaire modernisation de l’Assemblée territoriale
Non modifié depuis une loi de 1961 et un décret de 1957, le statut de Wallis et Futuna comporte des dispositions qui ne sont visiblement plus adaptées au contexte du vingt-et-unième siècle. Pour sa part, la Cour des comptes évoque un « statut à l’assise constitutionnelle fragile » ([227])
A. une législation qui doit être actualisée
1. Des règles quasiment inchangées depuis plus de soixante ans
Le statut du territoire de Wallis et Futuna ainsi que les compétences de l’Assemblée territoriales sont fixées par trois textes :
- la loi n° 61-814 du 29 juillet 1961 conférant aux îles Wallis et Futuna le statut de territoire d’outre-mer ;
- le décret n° 57-811 du 22 juillet 1957 relatif aux attributions de l’assemblée territoriale, du conseil territorial et de l’administrateur supérieur des îles Wallis-et-Futuna ;
- la loi n° 2007-224 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer (article 21).
La loi de 1961 définit le statut du territoire et renvoie au décret de 1957 en ce qui concerne les compétences de l’Assemblée territoriale. La loi de 2007 est essentiellement venue supprimer certaines références obsolètes du décret de 1957.
2. Le territoire a ignoré les vagues de décentralisation
Tant la loi de 1961 que le décret de 1957 sont des textes anciens, écrits pour la Nouvelle-Calédonie d’alors et adaptés dans l’urgence à Wallis et Futuna. En près de 70 ans, ils n’ont fait l’objet de pratiquement aucune adaptation alors que les autres collectivités locales, y compris outre-mer, connaissaient plusieurs vagues successives de décentralisation.
Depuis déjà plusieurs années, des réflexions sont lancées sur des aménagements institutionnels qui pourraient concerner plusieurs domaines :
- la définition des circonscriptions électorales pour l’élection des conseillers territoriaux ;
- le nombre de conseillers territoriaux ;
- l’exécutif du territoire ;
- les compétences de l’Assemblée territoriale.
B. Les circonscriptions Électorales sont obsolÈtes
1. Le découpage ne correspond plus à la réalité de la démographie
L’élection des membres de l’Assemblée territoriale s’effectue sur la base de cinq circonscriptions électorales :
- trois à Wallis : Mua, Hahake et Hihifo ;
- deux à Futuna, une par royaume : Alo et Sigave.
Le découpage électoral inscrit dans la loi de 1961 était conforme à la situation géographique et à la répartition de la population du territoire en 1961. Soixante-trois ans plus tard, cette disposition montre ses limites car la distribution de la population a évolué, contrairement à la loi :
- la circonscription électorale d’Hahake, actuellement la plus peuplée, ne dispose que de quatre sièges tandis que celle de Mua, la plus peuplée en 1961 mais désormais moins habitée que celle d’Hahake, en a toujours six.
Il en résulte une représentation inéquitable de la population : les listes dans les petites circonscriptions électorales obtiennent souvent un siège avec une centaine de voix seulement. Parallèlement, dans les circonscriptions les plus importantes, certaines listes qui obtiennent deux fois plus de voix – et ont donc une représentativité plus forte – ne remportent aucun siège.
En conséquence, les majorités sont plus difficiles à dégager, les résultats ne correspondant pas toujours au vote exprimé par le corps électoral. Les élus sont souvent obligés de conclure des alliances politiques pour disposer d’une majorité dont la stabilité est rarement assurée.
2. Le système électoral favorise le vote clanique et la corruption
Enfin, avec un mode de désignation par (petites) circonscription, le système actuel favorise un vote par famille ou par clan, au détriment d’un vote par opinion politique qui représente pourtant l’idéal en matière d’élection démocratique.
Dans des circonscriptions où chacun se connaît, ce mode d’élection favorise également la corruption et l’achat des voix, ce qui profite aux familles les plus influentes et les plus riches. « Ce ne sont pas les plus compétents qui sont élus mais ceux dont les familles sont les plus puissantes » nous a assuré Otilone Tokotuu, le président de la chambre de commerce, d’industrie, des métiers et de l’agriculture (CCIMA) de Wallis et Futuna.
En outre, chaque conseiller ne travaille que pour sa circonscription, voire son village. Les fonds distribués vont aux électeurs qui ont bien voté et ne sont pas utilisés selon l’intérêt général, ce qui renforce le clientélisme.
3. Adopter un vote à la représentation proportionnelle
Un vote à la représentation proportionnelle avec une circonscription unique permettrait de mettre fin à ce phénomène.
C. Le nombre de conseillers À l’AssemblÉe territoriale
1. Réduire drastiquement le nombre de conseillers
Regrettant l’absentéisme d’un certain nombre de conseillers territoriaux, la plupart des interlocuteurs que les rapporteurs ont rencontrés ont souhaité que le nombre de conseillers soit drastiquement réduit, et ramené à une douzaine. Si l’on veut prendre en compte la volonté de rechercher un nombre impair, ce chiffre pourrait être porté à treize.
Pour certains, « la réduction du nombre d’élus permettrait de constituer une équipe autour du président de l’Assemblée. De cette équipe pourrait naître un embryon d’exécutif local ». Car actuellement, la décentralisation du pouvoir exécutif ne se fait pas, les élus n’étant pas jugés suffisamment responsables. Mais l’absence de transfert ne contribue pas à les responsabiliser, ce qui rend le problème insoluble.
2. « Et pour cela préfère l’impair »
L’article 11 de la loi statutaire fixe le nombre de conseillers territoriaux à 20, soit 6 pour Mua, 4 pour Hahake, 3 pour Hihifo, 4 pour Alo et 3 pour Sigave.
La composition des instances politiques (conseils municipaux, départe-mentaux, régionaux, etc.) est toujours fixée en nombre impair de manière à faciliter le dégagement d’une majorité au moment des votes, notamment lors de l’élection des membres du bureau à chaque renouvellement de ces instances.
L’Assemblée territoriale de Wallis et Futuna est l’une des rares, peut-être la seule de la République, à disposer d’un nombre pair de membres, ce qui ne manque pas présenter quelques difficultés pratiques lorsque majorité et opposition se trouvent en nombre égal.
Une modification du nombre de conseillers pour arriver à un total impair s’impose aux yeux de tous.
3. La question du cumul des mandats
Il est actuellement possible de cumuler un mandat de conseiller à l’assemblée territoriale de Wallis et Futuna et de parlementaire national, à l’instar de ce qui se pratique dans l’hexagone, des députés et des sénateurs pouvant aussi être élus conseillers régionaux.
Le président de la CCIMA fait toutefois remarquer que ce qui est possible pour un député normand ou bourguignon, qui ne met que quelques heures pour se rendre du Palais-Bourbon à son conseil régional, est très différent pour un parlementaire de Wallis et Futuna qui met plus de 25 heures pour regagner sa circonscription avec seulement deux vols par semaine entre Nouméa et Wallis. Une participation sérieuse aux travaux de l’assemblée territoriale suppose que le parlementaire mette entre parenthèses son activité législative pendant plusieurs semaines, et réciproquement.
En outre, dans le cadre d’une collectivité ultramarine très décentralisée, relevant de l’article 74 de la Constitution et qui devrait obtenir à terme la décentralisation de son pouvoir exécutif, la responsabilité d’un conseiller territorial serait bien plus importante que celle d’un conseiller régional hexagonal.
D. L’organisation de l’AssemblÉe territoriale
1. Des compétences partiellement obsolètes
Les compétences de l’Assemblée territoriale résultent de l’article 12 de la loi de 1961 qui renvoie principalement au décret de 1957. Définies il y a près de soixante-dix ans, les compétences listées n’ont jamais été actualisées. La terminologie employée est devenue en partie obsolète et les compétences énoncées ne prennent pas en compte l’évolution sociale, économique et technique de ces dernières décennies.
Enfin, certaines compétences qui, dans le reste du pays, sont désormais dévolues aux communes ou aux départements, ne sont pas prises en compte. Il s’agit par exemple des domaines suivants :
- la prise en charge des handicapés et des personnes dépendantes ;
- l’assainissement ;
- la sécurité, notamment en matière d’incendies.
Recommandation : actualiser le domaine de compétence de l’Assemblée territoriale de Wallis et Futuna.
2. Un trop faible nombre de jours de session
En outre, l’Assemblée territoriale ne se réunit que deux fois par an en session plénière, en mars et en novembre. De l’avis général des observateurs, c’est trop peu pour examiner sérieusement tous les dossiers relatifs au territoire. Le mode de fonctionnement de l’organe semble à revoir en profondeur.
Recommandation : augmenter la durée des sessions de l’Assemblée territoriale de Wallis et Futuna.
IV. corriger un certain nombre d’archaïsmes
Quasiment inchangé depuis 1961, le statut de Wallis et Futuna mérite quelques aménagements indispensables pour faire entrer ce territoire dans son époque.
1. La dernière collectivité dont l’exécutif est assuré par le préfet
Le statut actuel du territoire que l’exécutif du territoire est assuré par le représentant de l’État (art. 9 de la loi de 1961). Or, l’article 1er de la Constitution précise que l’organisation de la République est décentralisée.
Après plusieurs vagues de décentralisation – et notamment les « lois Defferre » de 1982 – toutes les collectivités locales de l’hexagone comme des outre-mer disposent d’une assemblée dont le président assure l’exécutif. Le territoire de Wallis et Futuna est donc aujourd’hui la seule collectivité (à l’exception des Terres australes et antarctiques françaises où il n’y a ni habitant ni assemblée locale) dont l’exécutif est assuré par un représentant de l’État.
La Cour des Comptes elle-même le regrette : « dans ce contexte, les compétences sont étroitement enchevêtrées du fait de l’absence de collectivité territoriale, et de la dualité de rôle du préfet ».
Un transfert du pouvoir exécutif du représentant de l’État vers la présidence de l’Assemblée territoriale est indispensable. Le principe an avait été acté par le président François Hollande, mais n’a jamais été mis en œuvre.
2. Un transfert progressif de l’exécutif est indispensable
Pour Otilone Tokotuu, « actuellement, c’est le préfet qui valide – ou pas – les décisions de l’assemblée. Et comme les relations entre la CCIMA et l’assemblée sont tendues, le préfet a tendance à arbitrer. Or, il n’en a pas la légitimité ».
La principale difficulté réside dans le fait que l’assemblée territoriale ne dispose actuellement pas de compétences nécessaires pour réaliser ce transfert. Un organisme provisoire pourrait être mis en place pour une période transitoire « de cinq à sept ans » selon Otilone Tokotuu, ce qui pourrait aller de pair avec une « wallisation » progressive des emplois qui est demandée.
Recommandation : transférer de manière progressive, avec une phase transitoire de cinq à dix ans, le pouvoir exécutif du préfet à la collectivité de Wallis et Futuna.
B. Le souhait d’une plus grande autonomie
1. Une plus grande autonomie régionale
Comme à La Réunion et à Mayotte, les élus Wallisiens et Futuniens ont émis le souhait d’obtenir une plus grande autonomie en matière de relations internationales. « Sans vouloir empiéter sur les prérogatives régaliennes de l’État en matière diplomatique », ces élus aimeraient avoir la possibilité de représenter leur territoire lors de sommets régionaux.
En effet, les interlocuteurs de notre pays sont tous représentés par des politiques, souvent à un niveau ministériel, quand la France est représentée à un niveau administratif, sans que les élus locaux soient associés aux démarches.
Des accords en matière de fret maritime ou de coopération culturelle ou sportive pourraient être conclus avec les îles environnantes, mais la nécessité d’obtenir l’aval du Quai d’Orsay fait perdre beaucoup de temps et constituerait « un frein » selon les personnes rencontrées par les rapporteurs.
2. Une émancipation à l’égard de la Nouvelle-Calédonie
Compte tenu de sa faible population, le territoire de Wallis et Futuna dépend de la Nouvelle-Calédonie pour un certain nombre d’aspects administratifs. C’est le cas par exemple en matière de sécurité (gendarmerie), d’aviation civile ou d’administration pénitentiaire. La plupart des services de l’État présents sur le territoire ne sont que de simples sous-divisions des services néo-calédoniens. Cette situation est regrettée par les élus locaux – et par les services préfectoraux – demandeurs d’une plus grande autonomie administrative.
C. Une fiscalité controversée et des aides « mal réparties »
« Aucune fiscalité nationale n’est prélevée à Wallis et Futuna, l’applicabilité du code général des impôts n’étant pas étendue au territoire » ([228]).
1. Des pratiques fiscales très éloignées du droit national
Le territoire de Wallis et Futuna est exempté de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ainsi que d’impôt sur le revenu.
En contrepartie, les habitants de l’archipel paient un octroi de mer assez élevé dont le taux varie selon les produits, ainsi qu’une « taxe à quai » de 18 %, un impôt coutumier qui n’existe qu’à Wallis, pas à Futuna, et qui s’ajoute aux taxes d’acconnage.
Cette « taxe à quai », perçue par le royaume d’Uvéa, est ensuite reversée par le monarque aux chefferies locales, constituées en associations, sans véritable contrôle, favorisant le clientélisme en contravention avec les règles de la fiscalité française qui veut que seuls l’État et les collectivités puissent percevoir les impôts.
Cette confusion entre le droit coutumier et le droit national, portant sur une matière aussi fondamentale que la fiscalité, est regrettable et nécessite d’être corrigée.
2. Des subventions européennes utilisées avec peu d’efficacité
Pour certains observateurs, les subventions qui arrivent de l’Union européenne sont réelles et significatives. Mais, pour reprendre leur litote, « cette aide est mal répartie » et d’une manière pas toujours très claire.
« On a le sentiment que l’argent est mal géré voire dilapidé, alors qu’il devrait servir à développer les entreprises » ont entendu les rapporteurs.
De fait, la Cour des Comptes cite l’exemple de la Construction du quai de Léava, subventionnée dans le cadre du 10ème FED ([229]) (ouvert en 2012). « Sur une contribution prévisionnelle de 13,37 millions d’euros, seuls 4,28 millions ont été dépensés. Le quai, qui n’existe toujours pas, fait l’objet d’un contentieux » avec la société de travaux publics sélectionnée.
D. une protection sociale innovante
1. Le principe de la gratuité totale des soins à Wallis et Futuna
Le système de santé est entièrement gratuit à Wallis et Futuna et les dépenses de santé sont intégralement prises en charge par l’État en l’absence de sécurité sociale : toute personne présente sur l’île, non seulement les habitants permanents mais aussi les touristes et autres personnes de passage, peuvent se faire soigner gratuitement dans l’hôpital de Sia, à Wallis ou de Kaleveleve, à Futuna. De la même manière, la délivrance de médicaments, contre ordonnance, est gratuite.
Les hôpitaux de Wallis et de Futuna ayant des moyens limités, les Wallisiens et Futuniens qui ont besoin de soins plus lourds font l’objet d’évacuations sanitaires (EVASAN) vers la Nouvelle-Calédonie, bien mieux outillée sur le plan hospitalier. Dans les cas extrêmes, des EVASAN sont aussi organisées vers l’hexagone voire vers l’Australie, selon les pathologies. Dans tous les cas, le coût financier de ces évacuations, ainsi que du séjour hospitalier et des soins afférents, est entièrement pris en charge par l’État.
2. Une « zone grise » pour les wallisiens et Futuniens hors de leurs îles
En revanche, lorsque des Wallisiens et Futuniens se trouvent hors de leur territoire, à l’étranger, dans d’autres outre-mer ou dans l’hexagone, leur assurance santé n’est pas garantie et ils ne sont pas couverts en cas de maladie, n’ayant aucun numéro de sécurité sociale. Ils sont alors dans une « zone grise » dont les contours ne sont pas aisés à discerner. Un directeur de l’agence de santé locale qui avait naguère soulevé le problème et proposé des pistes de solution pour y remédier fut illico démis de ses fonctions et exfiltré du territoire « pour motif de force majeure »… ([230])
Les habitants de l’archipel, dispensés de toute cotisation sociale relative à la santé, ne sont assujettis à aucune caisse de sécurité sociale. En revanche, ils sont soumis aux cotisations vieillesse ainsi qu’aux cotisations relatives à la maternité. En matière de travail, il n’existe pas d’assurance chômage, ni de couverture du risque d’accident du travail.
Aux dires d’observateurs rencontrés sur place, la caisse de prestations sociales des îles Wallis et Futuna (CPSWF), qui gère 250 employeurs et 2 300 salariés cotisants, ainsi que 832 pensionnés serait déficitaire. Selon la Cour des Comptes, la pension mensuelle moyenne s’élèverait à environ 1 260 euros, contre 1 565 euros bruts sur l’ensemble du territoire national.
Selon la Cour, les réserves de la caisse qui s’élevaient à 29,3 millions d’euros en 2022 seraient épuisées à l’horizon 2032 et une réforme portant sur le niveau des cotisations, sur l’âge de départ, sur une baisse du taux de rente ou sur une combinaison de ces trois éléments serait inévitable.
La question du foncier est celle où la cohabitation entre un droit coutumier jugé comme en partie archaïque et les exigences de la société moderne est la plus difficile. Les Wallisiens et Futuniens devront choisir de fluidifier leur droit foncier s’ils souhaitent développer leurs activités ou de le conserver en l’état, en acceptant les conséquences d’un certain immobilisme.
A. une propriété foncière collective
1. Des terres inaliénables et des usages non sécurisés
À Wallis et Futuna, la propriété foncière est collective et coutumière, selon trois niveaux : le royaume, la tribu et la famille. Seuls des droits d’usage sont susceptibles d’être consentis, ou pas, au profit d’acteurs externes, qu’ils soient privés ou publics, pour des durées et dans des conditions non sécurisées, et donc peu compatibles avec des perspectives d’usage de moyen ou long terme, notamment pour une destination d’intérêt général.
À titre d’exemple, l’extension de la piste de l’aéroport de Futuna, indispensable pour l’utilisation d’avions de plus grande capacité, est bloquée par l’impossibilité d’étendre l’emprise nécessaire sur des terres coutumières.
2. La nécessité de mener de longues tractations
Pour la Cour des Comptes, « la gestion des droits fonciers demeure une entrave et une source de lenteur à de nombreux projets d’équipements publics et de développement. Si des accommodements permettent, au cas par cas, et au prix de longues tractations, la réalisation de bâtiments ou d’infrastructures d’intérêt général, ce mode opératoire reste insuffisamment sécurisé et engendre une sous-consommation des moyens mis à disposition du territoire ».
C’est ainsi que, en 2022, l’administrateur supérieur a obtenu du roi d’Uvea la signature d’un bail emphytéotique de 99 ans pour la construction, sur 20 hectares de terre coutumière du district de Hihifo, d’un établissement pénitentiaire.
3. Vers une évolution des compétences ?
Les élus de l’Assemblée territoriale émettent le vœu que la compétence en matière foncière soit transmise aux autorités coutumières, c’est-à-dire aux rois et aux chefs de villages et de districts.
Selon eux, ce sont déjà les chefs coutumiers qui, actuellement, gèrent mais de manière non officielle les sujets fonciers : « cela fonctionne parce que nous avons trouvé un équilibre et que tout le monde joue le jeu. Mais il serait prudent de coucher sur le papier d’une manière officielle les pratiques actuelles ».
B. la proposition de loi du député mikaele sEo
Le 31 janvier 2023, le député de Wallis et Futuna, M. Mikaele Seo a déposé une proposition de loi ([231]) ayant pour objectif, compte tenu des différences de conception du foncier entre les Wallisiens et Futuniens, d’une part, et l’administration française d’autre part, de transférer la compétence foncière de ces îles aux autorités coutumières locales.
1. Un malentendu historique sur la conception de la terre
Selon le député, depuis de très nombreuses années existe entre les habitants de Wallis et de Futuna d’une part et le gouvernement français ou son représentant d’autre part un malentendu sur la conception du foncier et sa gestion. Ce malentendu provoque des tensions dans une ambiance de suspicion.
À l’origine de cette situation se trouve la totale incompréhension des métropolitains sur le rapport à la terre qu’entretiennent les Wallisiens et les Futuniens. La conception de la terre est, pour eux comme pour beaucoup d’autres peuples d’Océanie, notamment les Polynésiens, un des fondements, sinon le fondement de leur culture. « C’est un bien commun, familial au sens large, inaliénable, incessible, que rien ni personne ne peut remettre en cause. La famille a un droit perpétuel, exclusif et absolu sur la terre. Pour un Wallisien ou un Futunien, qu’il vive ou non sur la terre, qu’il la cultive ou non, qu’il en tire profit ou pas, la terre est l’expression de son identité, de l’identité de sa famille. C’est le lien avec ses ancêtres dans une filiation que rien ne peut rompre à travers la terre ».
« Pour un Wallisien, pour un Futunien, sa terre est partie intégrante de sa personne, de l’histoire de ses ancêtres, c’est sa projection dans l’éternité à laquelle sa descendance sera identifiée ». Il ne saurait être question d’en tirer le moindre profit mais simplement d’y installer sa famille, de nourrir de ses fruits les siens. « Le foncier est un bien commun à toute la famille, au sens large, et il est géré par toute la famille de manière consensuelle ».
Il n’y a aucune comparaison avec la conception occidentale de la propriété pour laquelle une terre, une maison peuvent être vendus. Même si l’attachement sentimental, voire viscéral à une terre peut être fort, le bien est souvent assimilé à un placement dont l’on tire le meilleur profit, que l’on achète et vend, dont l’on hérite et d’où l’on peut être exproprié. « À Wallis et Futuna, il n’y a pas d’héritage, il y a simplement des vivants qui ont la jouissance de leur vivant d’une terre, à la suite de leurs parents, avant leurs enfants ».
« Pour un Wallisien et un Futunien la propriété foncière c’est l’éternité, c’est son être et celui de sa famille, elle ne concerne en rien l’État et l’on ne peut concevoir que celui-ci l’impose ou encore moins se l’approprie ».
L’incompatibilité entre les valeurs wallisiennes et futuniennes et le modèle occidental de développement économique qui repose, entre autres, sur l’achat, la vente ou la location de biens fonciers augmente avec le développement d’un modèle occidental de développement économique et le souhait pour l’État de développer ses infrastructures sur un foncier qui lui appartienne. Il en va de même du blocage avec les investisseurs modernes qui souhaitent des garanties à long terme sur un foncier dont ils ne peuvent devenir propriétaire. La Haute autorité pour la transparence de la vie politique (HATVP) reconnaît l’impossibilité d’attribuer une valeur financière à un tel patrimoine.
2. Confier la compétence foncière aux autorités traditionnelles
La proposition de loi du député Mikaele Seo a pour objet d’essayer de réduire cette incompréhension en donnant une dimension légale au système de gestion du foncier qui, dans les faits, est déjà aux mains des rois et des chefferies.
Selon M. Seo, « l’ensemble des habitants affirme son attachement indéfectible à cette pratique » qu’il convient donc d’officialiser. D’ailleurs l’Assemblée territoriale de Wallis et Futuna a, à l’unanimité, voté la demande de reconnaissance de cette pratique.
Le parlementaire identifie deux textes devant être modifiés pour que la gestion foncière relève officiellement des autorités coutumières :
- le décret du 25 juin 1934 relatif au transfert des propriétés immobilières dans les « îles Wallis et Futuna », en ce qu’il ouvre des droits à l’État sur les terres en déshérence ou sans héritier ;
- le décret n° 57‑811 du 22 juillet 1957 relatif aux attributions de l’assemblée territoriale, du conseil territorial et de l’administrateur supérieur des îles Wallis‑et‑Futuna en ce qu’il désigne l’Assemblée territoriale, et non les autorités coutumières, comme juge du foncier.
En conséquence, le texte de Mikaele Seo proposait d’édicter les principes suivants :
« Sur le territoire des îles de Wallis et de Futuna, le foncier est un bien commun familial ou communautaire. Il est inaliénable et incessible. Sa gestion, selon la coutume, relève des chefferies. Elles connaissent des conflits fonciers ».
Les rapporteurs se rallient à cette initiative qui permet de respecter les coutumes locales en levant les incompréhensions liées aux différences culturelles.
Recommandation : modifier les décrets du 25 juin 1934 et du 22 juillet 1957 pour que, à Wallis et Futuna, la compétence en matière foncière soit officiellement transmise aux autorités coutumières.
troisième PARTIE : la PolynÉsie française
Comparé aux autres territoires ultramarins, la Polynésie serait, selon le haut-commissaire Éric Spitz, l’un de ceux qui se portent le mieux. Le brassage a bien fonctionné et les communautés, qu’elles soient océaniennes, européennes ou asiatiques cohabitent bien et ont le sentiment de ne former qu’une seule population. « Les liens qui unissent les gens en Polynésie sont plus forts que les conflits politiques locaux ».
L’économie est plutôt en bonne santé : l’inflation y est inférieure à la moyenne nationale et la croissance légèrement supérieure. Le tourisme à forte valeur ajoutée continue à se développer et la récession liée au covid est dépassée.
Les points de préoccupation sont pourtant réels :
- la population vit globalement en mauvaise santé avec un taux de surpoids de 70 % qui s’accompagne d’une forte prévalence du diabète. La Polynésie ouvre deux centres de dialyse par an ;
- les inégalités continuent à se creuser et sont plus fortes qu’ailleurs ;
- le niveau d’instruction reste faible : 69 % de la population n’a pas le bac et 30 % seulement des bacheliers poursuivent des études supérieures contre 70 % en moyenne nationale ;
- l’organisation de l’économie, constituée en oligopoles ou monopoles, maintient des prix élevés ;
- le foncier est rare, en raison notamment du grand nombre d’indivisions. Il est très difficile de trouver des terrains disponibles pour y construire des logements ou développer des activités économiques.
I. un territoire français depuis prÈs de 200 ans
L’hypothèse généralement retenue est celle d’un peuplement de la Polynésie à partir du Sud-Est asiatique : vers 3 000 avant notre ère, des habitants du littoral de la Chine du Sud traversent le détroit pour s’installer à Taïwan. Vers 2 000 avant notre ère, de nouvelles migrations ont lieu de Taïwan vers les Philippines, puis vers les îles de l’archipel indonésien. Vers 1 500 avant notre ère, un autre mouvement mène des Philippines en Nouvelle-Guinée et au-delà, vers les îles du Pacifique. Les îles Marquises sont atteintes aux alentours du premier siècle, puis les îles de la Société vers l’an 300 de notre ère, suivies de l’île de Pâques (500), etc.
A. une colonisation sans peuplement
1. Une population première originaire d’Asie
Le 24 janvier 1521, le Portugais Fernand de Magellan découvre les Tuamotu. En 1595, l’Espagnol Álvaro de Mendaña découvre les îles Marquises. Le 4 février 1606, son compatriote Pedro Fernandez de Quirós découvre le groupe Actéon puis, le 10 février 1606, Hao. En 1616, les Néerlandais Jacob Le Maire et Willem Schouten sont à Takaroa, Takapoto, Ahe et Rangiroa. Puis, il n’y a plus de contact avec les Européens pendant un siècle.
En 1722, le Néerlandais Jakob Roggeveen découvre Makatea et Bora Bora. En 1756, Charles de Brosses nomme Polynésie les îles des Terres australes. Le Britannique Samuel Wallis découvre Tahiti en 1767, suivi par le Français Louis Antoine de Bougainville en 1768. En 1769, le Britannique James Cook explore l’archipel de la Société puis découvre Rurutu.
Le 5 mars 1797 – date qui est encore commémorée à Tahiti – débarque une mission anglaise de la London Missionary Society, composée de pasteurs, artisans et agriculteurs. Refoulée de Tahiti, la mission s’implante avec succès à Moorea où elle alphabétise la population et traduit la Bible en tahitien.
2. Un traité de protectorat français controversé
L’arrivée des Britanniques profite à un chef local, Tu, qui, bénéficiant d’armes à feu, acquiert une influence prédominante et fonde en 1788 le royaume de Tahiti sous le nom de Pomaré. Son fils Pomaré II, en butte aux rivaux de son père, se réfugie à Moorea où il se convertit au catholicisme. De retour sur Tahiti, il reconquiert le royaume de son père et établit une dynastie, instituant un Code Pomaré dans lequel cohabitent la bible, des lois anglaises et certaines coutumes tahitiennes.
La reine Pomaré IV, qui accède au trône en 1827, cohabite d’abord avec les missions protestantes britanniques qui s’implantent à Tahiti tandis que des missions catholiques françaises s’installent aux Gambier et aux Marquises au cours des années 1830.
L’amiral français du Petit-Thouars, qui a pris possession des îles Marquises en mai 1842 intervient ensuite à Tahiti, sous le prétexte d’établir la liberté religieuse. Dans les mois qui suivent, il impose à la reine Pomaré IV la signature d’un traité de protectorat. Après une crise franco-britannique et une guerre entre les Français et des Tahitiens anglophiles (1844-1846), Pomaré IV, qui avait dû s’exiler, est rétablie sur son trône et le protectorat français est confirmé en 1847 par la convention franco-britannique de Jarnac.
Le protectorat concerne les îles du Vent, les îles Tuamotu et les îles Tubuai et Raivavae dans les Australes. En revanche les îles Sous-le-Vent en sont explicitement exclues. Les îles Gambier sont formellement indépendantes, mais contrôlées par un ordre religieux. Quant aux Marquises, elles sont devenues françaises peu de temps avant la signature du protectorat (cf. infra).
Le 29 juin 1880, le dernier souverain tahitien, Pomaré V cède les territoires du Protectorat à la France, en échange d’une rente viagère pour lui-même et trois personnes de sa famille et moyennant le maintien des symboles de sa royauté. Cette décision est approuvée par l’ensemble des chefs de Tahiti.
La cession à la République française du royaume tahitien est ratifiée par la loi du 30 décembre 1880 qui donne la nationalité française de plein droit à tous les sujets du roi Pomaré.
3. La colonie des Établissements français de l’Océanie (EFO)
En 1881, Tahiti prend le nom de colonie des Établissements français de l’Océanie (EFO) et le commandant militaire est remplacé par un gouverneur. À compter de cette date, les gouverneurs ne sont plus des officiers mais des fonctionnaires civils.
En 1885 est créé un Conseil général qui dispose de beaucoup moins de pouvoirs que ses homologues métropolitains.
En 1887, la convention de Jarnac est abrogée et la France peut prendre en main les îles Sous-le-Vent qui sont soumises à un protectorat dès 1888. Mais la résistance tenace à la présence française, menée notamment par le chef de Raiatea, Teraupoo, retarde leur entrée dans les EFO jusqu’à l’annexion de 1897.
Les îles Gambier sont annexées en 1891, à la demande de leurs habitants.
Les îles Australes encore indépendantes sont aussi annexées à la même époque : Rapa en 1867, Rurutu en 1900, Rimatara en 1901.
Papeete reçoit le statut de commune en 1890.
Des habitants des Établissements français d’Océanie participent aux combats de la première guerre mondiale avec le bataillon du Pacifique ; parmi eux le futur chef du mouvement anticolonialiste, Pouvanaa Oopa.
En 1940, les EFO rallient la France libre et un nouveau bataillon du Pacifique est formé. En 1942, l’armée américaine installe une base militaire sur l’île de Bora-Bora. Accueillant jusqu’à 6 000 soldats, cette base métamorphose l’archipel.
En 1945, une Assemblée territoriale remplace le Conseil général créé en 1885. C’est en octobre de cette même année que les Établissements français de l’Océanie élisent leur premier député à l’occasion des élections à l’Assemblée constituante : c’est le pasteur Charles Vernier qui est élu.
B. L’Évolution du statut sous les IVÈme et VÈme rÉpubliques
1. La fin du statut colonial acté par la quatrième République
En 1946, la Constitution de la IVème République établit l’Union française : les EFO quittent leur statut de colonie pour celui de territoire d’outre-mer. C’est alors que se structure le mouvement anticolonialiste : en 1949, Pouvanaa Oopa est élu député et fonde le Rassemblement des populations tahitiennes (RDPT) qui domine la vie politique dans les années 1950, malgré la formation de l’Union tahitienne de Rudy Bambridge, attaché au maintien de la souveraineté française.
En 1957, les EFO prennent le nom de « Polynésie française » et bénéficient d’un statut plus autonome grâce à la loi-cadre Defferre. Aux côtés d’un gouverneur qui reste le président d’une assemblée territoriale aux pouvoirs élargis, Pouvanaa Oopa devient vice-président et chef d’un gouvernement territorial composé de cinq ministres.
2. La recentralisation des débuts de la cinquième République
L’installation de la Vème République, en 1958, entraîne un renforcement des pouvoirs du gouverneur au détriment de ceux du gouvernement local. Les ministres perdent leur rang, devenant des « conseillers de gouvernement » et la vice-présidence, jusqu’alors occupée par Pouvanaa Oopa, revient au secrétaire général du gouverneur.
Le 11 octobre 1958, Pouvanaa Oopa est arrêté malgré son immunité de député. Sa condamnation brutale, en 1959, à 8 ans de prison et à 15 ans d’exil, symbolise la reprise en main du pouvoir par l’État central. À l’automne 1963, au prétexte d’une crise politique, le gouvernement français dissout les principaux partis indépendantistes, dont le RDPT de Pouvanaa Oopa.
À partir de 1962, à la suite de l’indépendance de l’Algérie, la Polynésie française entre dans une ère nouvelle : celle de l’installation du Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP) qui amène plusieurs milliers de militaires et de techniciens dans le territoire, principalement à Moruroa et Fangataufa, mais aussi à Papeete.
L’Union tahitienne de Rudy Bambridge puis de Gaston Flosse, ralliée au parti gaulliste, défend les positions gouvernementales. Une nouvelle personnalité politique apparaît en 1965 : Francis Sanford, avec le parti E’a Api, qui adopte une orientation autonomiste. La mesure d’exil à l’encontre de Pouvanaa Oopa est levée le 11 novembre 1968. L’indépendantiste est accueilli triomphalement à Papeete où il est élu sénateur en 1971.
Au cours des années 1970, apparaissent des formations plus nettement indépendantistes, notamment le Tavini Huiraatira, créé par Oscar Temaru.
3. Le chemin vers l’autonomie réelle
Le gouvernement ne peut plus longuement ignorer les aspirations à l’autonomie des Polynésiens. Le 12 juillet 1977, la Polynésie française reçoit un nouveau statut, dit d’« autonomie de gestion » : le gouverneur devient haut-commissaire, chef du territoire ; un Conseil de gouvernement est formé par sept membres responsables individuellement devant l’Assemblée territoriale qui les élit. L’Assemblée élit également un vice-président qui préside à la place du haut-commissaire lorsque sont évoqués des sujets de compétence territoriale : travaux publics, enseignement primaire, santé, prisons, taxes douanières et portuaires...
Le 9 septembre 1984, à la suite des lois de décentralisation dites « lois Defferre » de 1982, le territoire bénéficie d’un changement de statut significatif : le haut-commissaire cesse d’être président du Conseil de gouvernement, dont les membres retrouvent le statut de ministres. Désormais il y a un véritable gouvernement de la Polynésie française, avec un premier ministre, dont le titre est « président du gouvernement ».
Les essais nucléaires, souterrains depuis 1975, sont suspendus en 1992. Ils reprennent brièvement en 1996 avant que le démantèlement du CEP soit décidé.
Dans les années 1990 et 2000, la vie politique est structurée autour de deux partis : le Tavini indépendantiste d’Oscar Temaru et le Tahoeraa Huiraatira autonomiste de Gaston Flosse.
En 2004 s’ouvre une période d’instabilité : treize gouvernements se succèdent en sept ans, mais seulement trois hommes occupent à tour de rôle la place de président : Gaston Flosse, Oscar Temaru et Gaston Tong Sang.
Le 5 septembre 2014, rattrapé par les affaires judiciaires qui ont émaillé sa carrière politique, Gaston Flosse est définitivement condamné et devient inéligible, perdant ainsi ses mandats locaux.
En juin 2022, pour la première fois et contre toute attente, la Polynésie française envoie à l’Assemblée nationale trois députés indépendantistes. L’un d’eux, Moetai Brotherson, est élu un an plus tard à la présidence du gouvernement territorial.
Après 17 essais nucléaires au Sahara et à la suite de l’indépendance de l’Algérie en 1962, la France a transféré en 1966 son champ de tir en Polynésie française et a créé le Centre expérimental du Pacifique (CEP).
1. Près de 200 essais nucléaires en trente ans
Entre 1966 et 1974, l’armée française a procédé, sur les atolls de Moruroa et Fangataufa, à 46 essais nucléaires atmosphériques suivis, entre 1975 et 1996, de 147 essais souterrains, portant le total des essais nucléaires à 193 sur trente ans, soit une moyenne de six à sept par an. Les retombées radioactives de ces essais ont affecté la santé de personnes vivant à proximité.
Les atolls de Moruroa et Fangataufa avaient été cédés à l’État par l’assemblée territoriale en 1964, pour les besoins des essais nucléaires, avec une clause prévoyant leur rétrocession gratuite au domaine du territoire en cas de cessation des activités du CEP. Or, les atolls restent classés « installations et activités nucléaires intéressant la défense », en application de l’article L. 1333-15 du code de la défense. En effet, en application de ses engagements internationaux en matière de non-prolifération des armes nucléaires, la France est tenue de surveiller les matières nucléaires présentes dans les sédiments des deux lagons afin d’éviter leur diffusion. Et visiblement, le taux résiduel de radioactivité ne semble pas compatible avec la reprise d’une vie civile sur les deux îles.
Réclamée par l’assemblée de la Polynésie française, avec notamment l’adoption d’une résolution le 28 novembre 2014, la rétrocession des deux atolls au domaine public de la Polynésie française reste, pour l’instant, exclue par l’État.
2. Le soutien de l’État en compensation de la baisse d’activité
Des dispositifs financiers ont été prévus, dès le 25 juillet 1996, pour compenser les conséquences de l’arrêt des essais nucléaires et aider la reconversion de l’économie polynésienne. Ces dispositifs ont évolué avec le temps, le plus significatif étant la dotation globale d’autonomie (DGA), libre d’emploi, qui constitue la traduction budgétaire de la « dette nucléaire » de la Nation envers la collectivité de Polynésie française.
Depuis le 1er janvier 2017, la DGA a été sanctuarisée à son niveau de 2011, soit 90,5 millions d’euros, après des années de baisse résultant de l’indexation partielle de cette dotation sur le montant de la dotation globale de fonctionnement (DGF).
3. Le suivi médical et l’indemnisation des victimes des essais
La loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, dite « loi Morin », visait à reconnaître l’existence des maladies radio-induites contractées par les personnes exposées aux essais et à faciliter leur indemnisation.
Depuis 2007, un Centre médical de suivi (CMS), dont le fonctionnement est assuré par l’État pour le personnel et la Polynésie française pour le matériel, assure gratuitement le suivi médical des anciens travailleurs des sites d’expérimentation.
En 2010 a été créé le comité d’indemnisation des essais nucléaires (CIVEN) qui a enregistré 2 282 demandes d’indemnisation entre sa création et le 31 décembre 2022. 1 015 demandes ont été formulées par les ayants-droits des victimes. Selon le rapport que cet organisme a publié le 10 juillet 2023, 1 267 demandes émanent de victimes directes. 328 nouvelles demandes ont été enregistrées en 2022. Il s’agit du nombre de demandes le plus élevé sur une année après celui de 2010 (406 demandes).
En 2022, 320 décisions ont été rendues dont 168 dans le sens de la reconnaissance de la qualité de victime. Le montant global de l’enveloppe des indemnisations a atteint environ 14,8 millions d’euros cette année-là contre un peu plus de 10 millions d’euros pour les années 2019 et 2020.
La part des militaires demandeurs est de 24 %. Celle des personnes, civils et militaires, ayant travaillé dans un centre d’essai nucléaire s’élève à 41 %.
II. la situation particuliÈre des Îles Marquises
Les îles Marquises (« Te Fenua Ènata » en marquisien, soit « la terre des humains ») forment l’un des cinq archipels de la Polynésie française. Elles sont ainsi nommées, en 1595, par l’Espagnol Álvaro de Mendaña en l’honneur du Marquis de Mendoza qui avait parrainé son voyage.
Avec une superficie émergée totale de 997 km2, les îles Marquises constituent l’un des archipels les plus étendus de la Polynésie française. Elles sont distantes de 975 km de l’équateur depuis Nuku Hiva, mais de 1 160 km depuis Fatu Hiva. L’île principale et centre administratif de l’archipel, Nuku Hiva, se trouve à 1 400 km de Tahiti, le chef-lieu de la Polynésie française, dans l’archipel de la Société. Dans sa plus grande longueur, l’archipel s’étend sur plus de 400 kilomètres.
L’archipel des îles Marquises
Les îles sont réparties en deux groupes distincts :
- le groupe septentrional, centré autour de la grande île de Nuku Hiva et qui comprend les trois îles plus petites d’Ua Pou, d’Ua Huka, et de Hatu Iti. Encore plus au nord se trouvent les petites îles inhabitées d’Eiao, d’Hatutu (ou Hatuta’a) et de Motu One sur le massif corallien de Motu Nao ;
- le groupe méridional, centré autour de l’île principale de Hiva Oa, et qui comprend les îles plus petites de Tahuata, de Moho Tani, de Fatu Uku, de Fatu Iva ainsi que le rocher inhabité de Motu Nao.
1. Une prise de possession sans véritable colonisation
C’est en août 1791 que le navigateur français, Étienne Marchand, prend possession de l’archipel au nom de la France, et le nomme « îles de la Révolution ». Les îles reçoivent son nom et celui de ses officiers, Marchand (Ua Pou), Masse (Eiao) et Chanal (Hatutu), de son commanditaire Baux (Nuku Hiva) et d’une particularité géomorphologique, Deux Frères (Motu Iti). En 1792, Richard Hergest, ancien officier de Cook et commandant du Daedalus, fait escale dans l’archipel. Parfois considéré, à tort, comme le découvreur des Marquises il n’a, en réalité, fait qu’établir la première carte fiable des îles.
En 1813, au cours de la guerre anglo-américaine, l’Américain David Porter établit une base navale à Nuku Hiva, qu’il rebaptise île Madison en l’honneur du président James Madison. Mais après la guerre, les États-Unis quittent l’archipel.
En 1842, le Français Aubert du Petit-Thouars prend possession de l’archipel qui sera ensuite intégré aux Établissements français de l’Océanie. Les élus marquisiens mettent d’ailleurs en avant, entre autres, le fait que leur archipel n’a pas été inclus dans l’accord de protectorat signé par la reine Pomaré – à laquelle ils n’étaient pas assujettis – pour faire valoir leur différence par rapport au reste de la Polynésie.
Dès cette époque, la France envisage de créer aux Marquises un lieu de relégation accueillant des condamnés notamment pour des crimes politiques.
La loi du 8 juin 1850 détermine l’île de Nuku Hiva, la plus grande de l’archipel, comme lieu de détention. Quelques opposants au coup d’État du 2 décembre 1851 y sont exilés avec leurs familles, ainsi que des Polynésiens en révolte contre la France aux Iles-sous-le-Vent. Mais l’établissement pénitentiaire, très isolé, est abandonné dès 1854 et les occupants sont transférés en Nouvelle-Calédonie
2. Un fort attachement à la France
L’étroitesse du territoire, la faiblesse de la population, l’absence de ressources naturelles et l’éloignement de la métropole ont découragé toute colonisation de peuplement. De ce fait les Marquisiens ont longtemps conservé une grande autonomie par rapport à la France mais aussi par rapport à Tahiti, le centre administratif de la Polynésie.
En 1958, après l’adoption de la Constitution de la Vème République par référendum constitutionnel, les îles Marquises sont incorporées au territoire d’outre-mer de la Polynésie française dont elles partagent le sort. Leur faible poids démographique et économique ainsi que leur éloignement des routes maritimes ne favorisent pas leur développement. De nombreux Marquisiens émigrent à Tahiti en quête de travail.
Les 25 et 26 juillet 2021, les îles reçoivent, dans le cadre d’un voyage officiel en Polynésie, la première visite d’un président de la République française avec le passage d’Emmanuel Macron à Hiva Oa qui donne lieu à de grandes festivités culturelles et des annonces de la part du président dans les domaines écologiques et patrimoniaux avec notamment une volonté de faire inscrire l’archipel des Marquises au Patrimoine mondial de l’Unesco
3. Une population qui a failli disparaître…
La population marquisienne descend essentiellement de Polynésiens originaires des Samoa et des Tonga, venus s’installer dans l’archipel entre 150 avant notre ère et 100 après.
Même si les relations entre les explorateurs français et la population marquisienne ont, dans l’ensemble, été plutôt apaisées, l’arrivée des Européens a failli conduire à la disparition de la civilisation marquisienne.
En effet, les contacts avec les explorateurs ont exposé la population marquisienne à des maladies contre lesquelles elle n’avait aucune immunité, ce qui a entrainé une forte mortalité. On estime qu’au XVIème siècle l’archipel comptait environ 100 000 habitants ; au début du XXème siècle la population avait chuté à 2 000 personnes. En 2024, les Marquises comptent 9 264 habitants.
4. …mais dont la culture reste bien vivace
La langue marquisienne, distincte du Tahitien, est officiellement reconnue comme langue régionale de France. Il est généralement admis que cette langue se divise en deux dialectes qui correspondent aux deux groupes d’îles, nord et sud, même si certains linguistes considèrent qu’il s’agit de deux langues distinctes.
Le marquisien est défendu par l’Académie marquisienne, créée en 2000 par l’Assemblée de la Polynésie française.
B. un dÉsir d’autonomie à l’Égard de la PolynÉsie
Malgré ses 5,5 millions de km2 de surface maritime, la Polynésie française ne dispose que de deux niveaux d’administration : le pays et les communes. Contrairement à la Nouvelle-Calédonie, et à population à peu près égale, la Polynésie de dispose pas d’un découpage en provinces alors que la collectivité est composée de cinq archipels distincts (Société, Tuamotu, Marquises, Gambier, Australes), parfois séparés de plus de 1 000 km les uns des autres, avec des langues, des traditions et des règles juridiques (notamment sur le plan foncier) très différentes les unes des autres.
1. La communauté de commune des îles marquises (CODIM)
La CODIM a été créée en 2010 par l’arrêté HC 867 du haut-commissaire portant création de la communauté de communes des îles Marquises. Elle a été la première communauté de communes française composée de communes insulaires. Mais ses compétences ne peuvent être exercées que dans le respect des compétences du pays, les autres communautés de communes françaises n’étant pas soumises à cette restriction.
Ce régime législatif particulier combiné, selon les représentants de la CODIM, à la volonté du pays de ne pas décentraliser ses compétences n’a pas permis à la CODIM de gagner en autonomie.
Les compétences de la CODIM se sont limitées, dans un premier temps, à la réalisation d’études qui, une fois achevées, n’ont pas été mises en œuvre. La loi du pays n° 2010-12 du 25 août 2010 a ainsi délégué à la CODIM la compétence pour effectuer des études en matière de développement économique. C’est ainsi qu’a été réalisé en 2012 le plan de développement économique et durable des Marquises (PDEM 2012). Mais la remise du PDEM au pays n’a donné lieu à un retour de sa part.
La CODIM a alors demandé au pays de lui transférer des compétences sur la base de l’article 43-II de la loi organique statutaire, en matière d’agriculture, de pêche, de gestion de port de pêche et, de manière générale, les compétences dont disposent les communes dans le reste de la République. Ces initiatives n’ont pas abouti, le pays arguant du fait que les Marquises ne disposent pas des moyens nécessaires pour exercer les compétences réclamées.
Pour certains projets comme celui de la Grande aire marine protégée des îles Marquises (« Te Tai Nui A Hau »), le Pays, compétent dans le domaine public maritime et la zone économique exclusive (ZEE), y a mis son véto alors qu’un travail scientifique important avait été réalisé en concertation avec la population, sous l’égide de l’Agence des aires marines protégées.
Face à cette absence de perspective, les maires des îles Marquises ont formulé le souhait d’obtenir un statut comparable à celui de Saint-Barthélemy (10 000 habitants), une collectivité d’outre-mer régie par l’article 74 de la Constitution.
Les sénateurs de la délégation sénatoriale aux outre-mer, attentifs à ces difficultés, ont rendu en 2017 un rapport d’information ([232]) dans lequel les rapporteurs relevaient que si « la distance entre les îles Marquises et Tahiti, siège des administrations de l’État et de la collectivité, avec les difficultés induites pour la population, a conduit les élus de l’archipel marquisien à souhaiter depuis plusieurs années la création d’un statut particulier aux îles Marquises, leur permettant de se détacher du reste de la Polynésie française en vue d’une « départementalisation ». Cette revendication est renforcée par l’identité propre revendiquée par les habitants de l’archipel. Si ce vœu paraît en l’état difficile à exaucer, il témoigne de la problématique, déjà ancienne, du traitement politique et administratif d’une collectivité aussi étendue en superficie. Par comparaison, la Nouvelle- Calédonie compte trois provinces, alors que la Polynésie française ne dispose d’aucun niveau intermédiaire d’administration entre le pays et les communes ».
2. De timides avancées en matière de déconcentration
Certaines revendications des maires marquisiens ont fini par aboutir, au moins partiellement :
- la programmation de la construction d’un aéroport et d’un port en eau profonde a été inscrite dans le schéma d’aménagement et de gestion de l’eau (SAGE) général de la Polynésie ;
- un partenariat s’est instauré avec le pays pour le transfert de deux navires assurant la desserte interinsulaire du Sud et du Nord des Marquises ;
- la demande de classement auprès de l’UNESCO est en bonne voie de concrétisation avec le soutien du président de la République, malgré l’attitude fluctuante du pays qui a fini par soutenir le projet.
De son côté, la CODIM a mutualisé le secteur de l’énergie électrique en prenant la compétence service public de l’électricité. Elle a également repris la compétence du transport maritime interinsulaire qui est indispensable à la population, notamment pour un meilleur accès aux services publics de l’éducation et de la santé.
En 2022, le Parlement de Polynésie a adopté une loi du pays pour poser le cadre général de la délégation de ses compétences aux communes qui peuvent concerner la délivrance d’actes individuels tels que des autorisations administratives mais aussi la gestion d’un service public ou la réalisation d’un équipement public.
Le régime de ces délégations est celui du mandat, c’est-à-dire que les communes ou EPCI interviennent pour le compte du pays. Il ne s’agit donc que d’une déconcentration, loin de l’objectif des maires marquisiens qui réclament de Papeete la mise en place d’une véritable décentralisation.
Le pays a finalement soutenu la demande de classement des Marquises
au patrimoine mondial de l’UNESCO
Les maires des six îles formant la Communauté des îles Marquises ont exprimé leur « profonde consternation » lorsqu’ils ont appris, le 25 avril dernier, que le pays renonçait à adopter une résolution de soutien à la demande de classement des îles Marquises au patrimoine mondial de l’Unesco, d’autant que la proposition de résolution avait été adoptée sans problème en Conseil des ministres, et qu’elle avait obtenu l’unanimité en commission de l’écologie et de la culture quelques jours auparavant.
C’est finalement avec un mois de retard, le 24 mai 2024, que l’Assemblée de Polynésie a adopté à l’unanimité – mais après des débats houleux – la motion de soutien à la demande de classement des îles Marquises, au terme de revirements difficilement compréhensibles.
C. vers la crÉation d’une communautÉ d’archipel ?
Les îles Marquises connaissent une situation de « double insularité » : insulaires au sein d’une collectivité elle-même insulaire. Et pour les plus petites des îles, on peut même parler de « triple insularité » puisque leurs habitants doivent d’abord transiter par l’une des îles principales des Marquises avant de pouvoir atteindre Papeete, point de passage obligé pour rejoindre ensuite l’Europe.
Cet éloignement justifie une demande de plus grande autonomie de la part des Marquisiens, qui peuvent parfois avoir le sentiment d’être délaissés par le pays dont les représentants siègent si loin, à Papeete.
1. La demande de création d’une communauté d’archipel (CODAM)
Le 28 novembre 2022 les élus de la CODIM et de chacune des six communes ont voté à l’unanimité un vœu tendant à faire évoluer la communauté de communes en « communauté d’archipel ».
La communauté d’archipel des îles Marquises (CODAM) constituerait une collectivité territoriale à statut particulier faisant partie de la Polynésie française, et placée à un niveau intermédiaire entre le pays et les communes marquisiennes. Ce projet permettrait de pallier l’absence des Provinces, telles qu’elles existent en Nouvelle-Calédonie.
Selon les Hakaiki, c’est-à-dire les maires marquisiens en langue locale, la CODAM pourrait disposer de compétences administratives transférées progressivement dans des domaines tels que le développement économique et touristique, le développement rural et maritime, l’aménagement, les actions sanitaires et sociales, la culture et la protection du patrimoine, la protection de l’environnement et des milieux marins. Les compétences de gestion, pourraient concerner le domaine public maritime, ainsi que les terres domaniales dont l’appropriation par l’État, puis par le pays, est un sujet encore douloureux aux Marquises.
En matière de logement, la compétence appartient au pays. Or, en général, les personnes nécessiteuses se rendent auprès des élus les plus proches, c’est-à-dire des maires, car elles n’ont pas les moyens de se rendre à Papeete pour obtenir de l’aide. Les maires des îles Marquises finissent donc par gérer les problèmes de logement alors qu’ils n’en ont ni les compétences, ni les moyens financiers. Une plus grande autonomie aurait pour objectif de résoudre ce genre de difficultés. De la même manière, les maires doivent gérer eux-mêmes l’organisation d’évènements sportifs ou culturels censés être du ressort du pays, « car si on attend Papeete, c’est trop long ».
Pour les Marquisiens, le transfert de compétences devra se faire prudemment et patiemment, au fur et à mesure du développement économique, en lien avec la création d’un aéroport international, d’un port en eau profonde et du classement au patrimoine mondial de l’UNESCO, trois éléments qui devraient accroitre le nombre de touristes et, espérons-le, de résidents.
À l’instar des départements et régions d’outre-mer, les élus locaux souhaitent que la CODAM dispose d’un pouvoir d’adaptation des textes de l’État et du pays aux contraintes et caractéristiques de l’archipel. La communauté d’archipel pourrait par ailleurs se voir reconnaître, dans certains domaines spécifiques, un pouvoir réglementaire d’application des lois du pays.
Les ressources de la CODAM pourraient être prévues par la loi organique statutaire : un financement spécifique du fonds incitatif et partenarial (FIP) voire une part du produit des impôts du pays correspondant au financement des compétences transférées. Les maires envisagent également des ressources fiscales propres (taxes, etc.). En outre, la CODAM bénéficierait des ressources de son domaine foncier et rien n’interdirait qu’elles perçoivent des dotations comme celles que l’État verse au profit des collectivités territoriales.
2. La revendication d’une différenciation basée sur une identité forte
La Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat a publié, le 16 novembre 2023, un rapport d’information ([233]) qui constate que l’échec de la mise en œuvre par les élus des îles Marquises d’un plan de développement économique « illustre un fonctionnement qui doit être dépassé ». En conséquence, les rapporteures proposent la création d’un EPCI (Établissement public de coopération intercommunale) d’archipel à caractère dérogatoire, à mi-chemin entre l’actuelle CODIM et le projet de CODAM
Pourtant, même si elle représenterait une avancée, cette solution ne satisfait pas les maires des îles Marquises qui revendiquent une vraie différenciation territoriale, c’est-à-dire, selon eux, « la possibilité, pour les collectivités, d’appliquer de façon différente leurs compétences, en fonction par exemple de particularités géographiques, démographiques, économiques ou sociales. (…) la différenciation telle que définie dans la loi pourrait trouver une déclinaison dans la Constitution, pour les outre-mer et en particulier pour la Polynésie et ses archipels ».
Les Marquisiens évoquent leurs différences historiques, linguistiques et culturelles avec le reste de la Polynésie pour justifier leur volonté de voir prises en compte leurs spécificités. Pour eux, l’actuelle CODIM n’est qu’une étape dans la mesure où elle ne consacre pas – pas plus qu’un EPCI – l’existence juridique de l’archipel. « Ce serait rendre justice aux Marquises et aux Marquisiens de reconnaître l’archipel comme une entité propre et non comme un groupement de communes » ont-ils expliqué aux rapporteurs.
Les maires marquisiens rappellent que l’Association des communes et collectivités d’outre-mer (ACCDOM) a voté en 2022 une résolution tendant à faire inscrire dans la Constitution un principe de différenciation applicable à la fois entre la métropole et les outre-mer, entre chacune des collectivités d’outre-mer et à l’intérieur d’une même collectivité d’outre-mer, comportant des aires culturelles spécifiques comme la Polynésie française.
3. Les réticences des autorités polynésiennes
Les autorités en place à Papeete, aussi bien au Parlement qu’au gouvernement, ne sont pas favorables à la création d’une structure telle que la CODAM, dans la mesure où l’archipel est peuplé de seulement 9 300 habitants. Elles font remarquer que les provinces instaurées en Nouvelle-Calédonie comptent au minimum deux fois plus d’habitants (18 300 pour la province des îles Loyauté, 49 900 pour la province nord). Cet argument n’est toutefois pas entièrement pertinent dans la mesure où d’autres collectivités comme Wallis-et-Futuna (11 600 habitants), Saint-Barthélemy (9 500) ou encore Saint-Pierre-et-Miquelon (5 800) disposent de statut très décentralisés pour des populations comparables voire inférieures à celle des îles Marquises.
Il semble en réalité que les compétences patiemment obtenues par le pays soient politiquement difficiles à déléguer, d’autant qu’elles ont été acquises de manière progressive et parfois dans la douleur et que, pour certains, elles ont pour objectif ultime de conduire la collectivité vers la pleine souveraineté.
Le pouvoir central de Papeete redoute notamment que, dans l’hypothèse où une communauté d’archipel décentralisée serait créée pour les îles Marquises, les autres archipels soient tentés de formuler la même demande, transformant de fait la Polynésie en un État quasi fédéral dont une partie du pouvoir échapperait aux dirigeants de Papeete.
Enfin, il ne faut pas dissimuler le fait que les Marquisiens sont très attachés à la France, peut-être par contrepoids au pouvoir de Tahiti, et qu’ils ne souhaitent pas que leur archipel quitte la souveraineté française. Les responsables de la CODIM ont expliqué aux rapporteurs que « les Marquisiens sont persuadés que la présence de l’État français est un garant ». Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les revendications d’autonomie marquisiennes sont apparues au grand jour en 2022, lorsque la Polynésie a envoyé à l’Assemblée nationale trois députés du parti indépendantiste Tavini, quelques mois avant l’accession à la présidence de l’indépendantiste Moetai Brotherson, à un moment où le projet d’indépendance, longtemps marginalisé, est soudain apparu réalisable.
Les rapporteurs ont clairement entendu de la part de certains interlocuteurs, même si pour beaucoup cela reste de l’ordre du « non-dit », qu’il n’était « pas question que, dans le cadre d’une Polynésie indépendante, les Marquises deviennent un nouveau Mayotte », en référence à cet archipel qui a souhaité rester français et se détacher des Comores lorsque ces dernières sont devenues indépendantes en 1975.
Les représentants du Tapura Huiraatira, parti autonomiste anciennement au pouvoir et désormais dans l’opposition, rejettent le projet de CODAM : « les Marquisiens sont nos amis, mais c’est un monde à part. Nous serons à leur écoute, mais il y va de l’intérêt supérieur de la Polynésie française. Le découpage entre l’État central, la collectivité de Polynésie et les communes est suffisant, on ne va pas ajouter une couche ».
4. De l’avis général, le statu quo n’est plus possible aux Marquises
Pour autant, les rapporteurs reconnaissent que l’actuel statut des îles Marquises n’est plus viable et que le statu quo dit être dépassé. La création d’un exécutif local n’est pas à exclure a priori, la seule limite à ne pas franchir étant celle d’une séparation des îles Marquises du reste de la Polynésie. Si cette idée a pu être émise il y a quinze ou vingt ans, elle n’est désormais plus envisagée. « Nous ne sommes pas des séparatistes » ont entendu les rapporteurs, d’autant que la diaspora marquisienne vivant à Tahiti, soit 15 000 personnes, est plus importante que la population résidant aux Marquises (9 300 personnes). Mais les perspectives économiques actuelles ne permettent pas aux membres de la diaspora de rentrer sur l’archipel, ce qui justifie la demande d’autonomie qui doit permettre, selon les Hakaiki, d’accélérer le développement économique de l’archipel.
Félix Barsinas, le maire de Tahuato, résume ainsi la situation : « Faisons en sorte que les Marquises deviennent un site expérimental sur la différenciation statutaire avec des ajustements sur une dizaine d’années, qui pourront ensuite servir à d’autres archipels ».
Notons que, lorsque nous l’avons rencontrée à Papeete, Mme Vannina Crolas, ministre de la fonction publique, de l’emploi, du travail, de la modernisation de l’administration et de la formation professionnelle a admis que chaque archipel ayant une culture propre, les particularités devaient être respectées. « La Polynésie ira vers un État fédéral avec des archipels fédérés. Nous mettrons en place des conseils d’archipels ».
Recommandation : favoriser le débat sur la création de communautés d’archipels fédérées autour de compétences précises dans le respect de l’intégrité de la Polynésie française.
III. Les difficultÉs d’accÈs au droit
Avant d’envisager de changer les règles qui régissent la Polynésie, encore faut-il être sûr de bien les connaître. Or, la superposition du droit français et du droit du pays – qui peut modifier les règles nationales – rend parfois confuse la compréhension du droit applicable dans la collectivité.
A. l’administration Évoque « un droit inaccessible »
1. Un constat accablant et partagé
Constatant la « difficulté, pour les particuliers comme pour les acteurs économiques et sociaux, de déterminer avec précision l’état du droit applicable en Polynésie française », la ministre des outre-mer de l’époque, Mme Annick Girardin, avait chargé le 5 juin 2019 le préfet honoraire Michel Thénault ainsi que l’avocate générale honoraire Élisabeth Catta de lui remettre un rapport sur l’accès au droit dans cette collectivité.
Dans le rapport ([234]) qu’ils ont rendu en février 2020, les auteurs déplorent « l’état d’un droit difficilement lisible, et plus souvent incompréhensible bien qu’applicable dans la collectivité ». Mettant en cause les « champs normatifs qui s’y croisent », ils évoquent « le labyrinthe d’un droit inaccessible où l’usager, égaré dans la complexité, cherche vainement le fil d’Ariane ».
Selon les auteurs, ce constat est partagé par la plupart des acteurs, qu’il s’agisse du Secrétariat général du gouvernement polynésien, des services du Haut-commissariat, des universitaires, des instances judiciaires, du Conseil économique social environnemental et culturel, etc. Pourtant, bénéficier d’un droit lisible et intelligible est une exigence républicaine et un objectif de valeur constitutionnelle ([235]) .
2. Un partage de compétences subtil entre l’État le pays
La Polynésie française est régie par le principe de spécialité législative en vertu duquel les textes législatifs et règlementaires émis par l’État n’y sont applicables que s’ils comportent une mention expresse à cette fin, ainsi que le précise l’article 7 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004. Les modifications de ces textes sont soumises à la même règle.
L’article 13 de la loi précitée dispose que : « Les autorités de la Polynésie française sont compétentes dans toutes les matières qui ne sont pas dévolues à l’État par l’article 14 et celles qui ne sont pas dévolues aux communes en vertu des lois et règlements applicables en Polynésie française ». La collectivité polynésienne exerce donc des compétences de principe, à l’inverse de l’État, qui exerce des compétences d’attribution limitativement énumérées.
Il existe toutefois une exception au principe de spécialité : les lois et règlements dits « de souveraineté » qui échappent à cette règle et sont directement applicables, en raison même de leur objet, à la Polynésie française sans préjudice toutefois des dispositions les adaptant à la situation particulière de la collectivité.
Les auteurs du rapport précité soulignent toutefois la difficulté d’établir des frontières incontestables dans la répartition des compétences entre les deux entités « car derrière la façade de certains mots (…) se révèlent des mines inexplorées de partage de compétences dont l’imprécision ou la généralité initiale doivent ensuite trouver une issue pratique parfois grâce à des conventions ». Ces difficultés sont surmontées, au cas par cas, par des demandes d’avis au Conseil d’État ainsi que par le recours à des décisions juridictionnelles.
3. Les tentatives inabouties d’inventaires des textes applicables
Pour connaitre le nombre et la nature des textes applicables en Polynésie française, des tentatives d’inventaire ont été opérés mais ces différents travaux se sont heurtés à de multiples difficultés qui ont eu raison des projets initiés. La composition du stock des normes applicables est donc incertaine.
Le site internet du Haut-commissariat de la République en Polynésie française fournit, sous forme de tableaux, une liste de textes nationaux applicables en Polynésie résultant d’un important travail de recensement organisé avant 2004 et destiné à renseigner une base de données relative à l’applicabilité des textes nationaux en Polynésie. Mais cette liste n’est plus alimentée depuis 2009, probablement parce que cette tâche était devenue redondante avec la publication au Journal officiel de la Polynésie française des textes applicables localement.
Les informations proposées aujourd’hui connaissent des limites. Outre l’absence d’actualisation des textes, la principale limite à l’exploitation de ces informations tient au partage des compétences opéré par la loi organique entre l’État et la collectivité : il résulte en effet de la répartition opérée que de nombreux textes qui ont été promulgués antérieurement au statut de 2004 relèvent désormais de la compétence de la Polynésie française et peuvent avoir été modifiés ou abrogés par cette dernière sans pour autant que ces informations n’apparaissent dans les tableaux précités.
L’usager qui recherche les textes officiels pour résoudre une question juridique ne peut obtenir une vision cohérente des textes qu’en se connectant successivement à deux sites officiels : Légifrance pour l’État et Lexpol pour la collectivité polynésienne. Mais il n’existe pas de lien sur Légifrance permettant de se connecter à Lexpol.
B. Le « compteur lifou » : une construction incertaine
Une fois le principe de spécialité législative établi, la question s’est posée de savoir si les textes modificatifs adoptés par l’État étaient, eux aussi, soumis à pareille exigence d’adaptation par la collectivité, ou s’ils héritaient des vertus d’applicabilité du texte initial. Autrement dit : lorsqu’un texte applicable à la Polynésie française, parce qu’il a été « étendu », est modifié, cette modification est‑elle elle‑même immédiatement applicable sur ce territoire, ou faut‑il procéder expressément à une extension de la nouvelle version modifiée de ce texte ? Après plusieurs hésitations, le Conseil d’État a apporté une réponse jurisprudentielle à cette question en retenant la seconde hypothèse.
1. L’arrêt « Élections municipales de Lifou » (1990) du Conseil d’État
La décision d’assemblée du Conseil d’État du 9 février 1990, dite « Élections municipales de Lifou » (n° 107400), a notamment eu pour effet de retirer à certaines lois modificatives le caractère d’applicabilité automatique, initiant une démarche consistant à aller de l’implicite vers l’explicite. Les textes d’origine applicables en Polynésie française (sauf le cas des textes dits de souveraineté, applicables de plein droit sans adaptation), comme les textes ultérieurs les modifiant, doivent donc, depuis cet arrêt, comporter une mention expresse d’application à la collectivité. À défaut, ils n’y sont pas applicables.
Il résulte de cette décision qu’un texte modifiant un premier texte, lui-même applicable à un territoire d’outre-mer, n’est applicable à ce territoire que s’il contient une mention le prévoyant expressément. Dans le cas contraire, c’est la version antérieure à la modification qui continue de s’appliquer sur ce territoire, régi alors par une disposition différente de celle applicable dans l’hexagone.
Pour mettre à disposition de l’usager un outil de recherche des textes applicables en Polynésie française, et lui assurer un minimum de sécurité juridique, les règles d’écriture du droit ont dû s’adapter à la nouvelle jurisprudence, puisqu’il s’est désormais avéré nécessaire de faire systématiquement référence, dans la rédaction du texte, au dernier texte modificateur. Compte tenu de la diversité des rédactions destinées à informer l’usager de l’application du droit outre-mer, le Conseil d’État a préconisé, en 2016, une présentation unifiée sous forme de tableaux dits « Compteurs Lifou ». Ce dispositif est utilisé pour la Polynésie française (pour un exemple : article L. 5611‑3 du code de la propriété des personnes publiques), mais aussi pour Wallis‑et‑Futuna (article L. 5711‑1 et suivant du même code) et pour la Nouvelle‑Calédonie (article L. 5511‑2 et suivants dudit code).
En juillet 2016, le gouvernement a retenu la recommandation du Conseil d’État et a souligné que la mise en œuvre généralisée du compteur Lifou nécessiterait de l’introduire dans le stock des normes en vigueur, et en particulier dans les codes. La disposition d’applicabilité doit donc soit figurer dans le texte d’origine, soit y être introduite ultérieurement par un texte, une ordonnance par exemple, le rendant applicable outre-mer. Cette disposition doit ensuite être mise à jour à chaque fois que ce texte applicable est modifié, en faisant systématiquement référence au texte modificatif.
Lorsqu’un article, initialement applicable en Polynésie française, est modifié, et que cette modification est elle-même rendue applicable sur ce même territoire par une formule d’extension, cet article (ou partie d’article) est « étiqueté » en faisant référence au texte modificateur. Lors des modifications ultérieures, cette étiquette est mise à jour, en remplaçant l’intitulé du précédent texte par celui du nouveau texte modificateur, puisqu’il s’agit du texte le plus récent, dont est issue, à la date de cette actualisation, la rédaction en vigueur du texte modifié. La rédaction consacrée de cette « étiquette » est la suivante : « L’article X … est applicable (en Polynésie française) dans sa rédaction résultant de la loi X du ... . »
Compte tenu du nombre d’articles concernés et des modifications successives qui les affectent, la présentation adoptée a fini par prendre la forme d’un tableau qui regroupe toutes ces « étiquettes » et présente, pour chaque article, la date et la référence du texte modificatif dont est issue la rédaction en vigueur, sans reprendre toutefois l’intitulé complet du texte de référence.
Cependant, pour disposer d’une information exhaustive et compréhensible du contenu de la disposition consultée, le lecteur devra y ajouter d’autres informations diffusées ailleurs telles que les changements d’identification d’autorités compétentes, la date d’entrée en vigueur si celle-ci est différée, les intervalles entre des articles, la suppression ou la substitution de mots, les références au droit local, etc.
À titre d’exemple, le compteur Lifou indique que l’article L. 351-6 du code de la consommation modifie l’article L. 351-5 et remplace ou supprime des mots et des références dans les dispositions de l’article L. 314-24, mais sans fournir le texte qui résulte de ces modifications. Il faut donc consulter les trois articles en question pour accéder à la norme. Ces étapes additionnelles sont indispensables pour le lecteur qui souhaite accéder au libellé exact de la disposition recherchée.
« L’information normative sur le texte lui est certes fournie, mais il lui reste encore à accéder au contenu de la norme que lui procure la consolidation et qui, seule, lui permet d’aboutir à l’étape ultime de l’intelligibilité. Le texte reste donc figé à mi-parcours de la recherche et le lecteur poursuit seul son chemin, abandonné par le légiste et tributaire du technicien auquel il lui faudra avoir recours » ([236]) . À cet égard, le tableau Lifou, tel que consultable sur Légifrance, n’est pas doté de liens actifs qui donneraient directement accès au contenu du texte visé.
3. Des erreurs relevées dans le compteur Lifou
Le système mis en place a pu fonctionner au début de sa mise en œuvre dans un paysage juridique où le nombre de textes publiés, et donc de modifications, était relativement stable. Mais l’augmentation soutenue du nombre des lois et de leurs décrets d’application conduit aujourd’hui à une multiplication, dans les lois et les codes, de références croisées entre le droit de l’État et le droit applicable outre-mer en général et en Polynésie en particulier.
Exemples d’erreurs relevées sur le Compteur Lifou relatif au code monétaire et financier (partie législative seulement)
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En outre, le « maniement humain » de telles données rend les erreurs inévitables. Les auteurs du rapport sur l’accessibilité et l’intelligibilité du droit en Polynésie française ([237]), à titre d’exemple et sur la seule partie législative du code monétaire et financier, en relèvent plusieurs.
En Polynésie française, magistrats, avocats, notaires, fonctionnaires, font chacun, et pour leur compte propre, ces opérations indispensables à la connaissance du droit applicable avec des résultats parfois différents. S’agissant par exemple de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, certains juristes polynésiens, faute d’avoir en mains une consolidation incontestable, continuent d’appliquer une prescription de 20 ans alors que d’autres justifient celle de 5 ans.
Dans les ministères, les rédacteurs ne sont pas tous parfaitement informés des exigences du compteur Lifou. Afin d’éviter les erreurs, il leur est impératif de vérifier de manière quasi-obsessionnelle l’actualisation des datations des versions, non seulement celles dont le numéro d’article apparait dans le tableau Lifou mais aussi celles des articles référencés au sein-même du texte de l’article et qui bien évidemment n’apparaissent pas dans le tableau.
Au ministère de l’outre-mer, la mise à jour des compteurs Lifou exige un agent à temps plein. Ce travail extrêmement chronophage et peu valorisant se fait au détriment de l’expertise juridique.
IV. L’imbroglio liÉ au foncier
Les trois collectivités françaises du Pacifique (La Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna et la Polynésie française) ont en commun des règles coutumières très anciennes en vertu desquelles la propriété foncière est familiale et se transmet par indivision au sein de la famille.
Le droit français a bouleversé cet ordre en rendant possible l’achat ou la vente de terres, mais la marchandisation du foncier se heurte à la nécessité, pour les intéressés, de prouver qu’ils sont propriétaires. Cette difficulté à pouvoir faire commerce de la terre ne facilite pas le développement économique.
A. La rencontre de deux droits difficilement compatibles
1. La superposition du droit français au droit coutumier
Avant l’arrivée des Européens, la propriété foncière était lignagère en Polynésie, c’est-à-dire que la terre appartenait à une lignée familiale. La propriété était alors héréditaire, inaliénable et imprescriptible. L’arrivée des Français bouleverse cette organisation : dès 1844, la vente, la donation et la location des terres deviennent possibles.
Deux autres réformes essentielles interviennent en 1852 : la loi du 11 mars organise l’état civil rendant le nom de famille immuable tandis que celle du 24 mars régit l’enregistrement des terres. Mais, l’état civil reste balbutiant et les conflits fonciers sont difficiles à trancher. À partir de 1866, le code civil français commence à s’appliquer à Tahiti. Il est définitivement promulgué en son intégralité en 1874.
Parallèlement, les Européens commencent à acheter des terres aux Marquises. Les gendarmes, ayant la qualité de notaire, passent les actes, les enregistrent et les transcrivent. Or, les vendeurs ne sont pas toujours les propriétaires des terres. Des parcelles importantes pouvant porter sur 4 000 ha sont ainsi cédées à des Européens, dans des conditions des plus suspectes.
Après l’annexion officielle du 29 juin 1880, Tahiti connaît un changement fondamental opéré par le décret du 24 août 1887. Dorénavant, les propriétaires doivent enregistrer leur terre sous peine d’en être dépossédés. L’administration agit alors comme si elle avait pris possession de tout le territoire de la colonie, et rétrocède à chaque autochtone la propriété sur une simple déclaration non contestée ou après que les éventuels litiges aient été tranchés.
Ces textes s’appliquent d’abord à Tahiti et à ses dépendances (l’ex Royaume de Pomaré), puis, aux Tuamotu, aux Iles-sous-le-vent (1898), aux Marquises (1902). Seules quelques îles (Gambier, Rurutu, Rimatara, Napuka) ne sont pas concernées. Le délai d’application du texte est prorogé à plusieurs reprises, les derniers litiges étant tranchés en 1932.
2. Les difficultés liées à un état-civil récemment introduit
Il n’est pas rare que la justice soit encore de nos jours saisie d’une demande en partage d’une terre ayant été revendiquée à la fin du XIXème siècle, et sans qu’aucun partage entre les enfants du propriétaire originel n’ait été effectué.
La justice doit, dans ce cas, établir la généalogie des intéressés grâce aux actes d’état civil. Mais, comme l’état civil était balbutiant à cette époque et qu’il arrivait encore que les polynésiens changent de nom, les descendants doivent démontrer que leur aïeul est bien la même personne que celle qui a revendiqué la terre en question. À défaut, sa demande risque d’être rejetée.
B. une situation devenue inextricable
On ne compte pas moins de 1 040 indivisions, organisées ou subies, entre Tahiti et Moorea. Cette question majeure, à l’origine de nombreux conflits, a conduit à la création – unique en France – d’un tribunal foncier en 2019.
Au 31 décembre 2023, on comptait 673 dossiers en attente auprès de cette juridiction qui se heurte à une double difficulté : le trop faible nombre de géomètres-experts (9 pour toute la Polynésie), indispensables pour délimiter les parcelles, et de notaires, sans qui les actes ne peuvent être enregistrés.
1. Des règles de propriété différentes selon les archipels
Les Polynésiens, selon qu’ils sont de Tahiti, des Iles-sous-le-Vent, des Tuamotu, des Australes ou encore des Marquises ont, selon la juge Catherine Vannier ([238]), subi une grande inégalité lors des revendications foncières :
- aux Iles-sous-le-Vent, le texte sur la propriété foncière date du 22 décembre 1898. Or, l’état-civil n’y a été mis en place que deux ans plus tôt, en 1896. Si les habitants de cet archipel ont revendiqué largement leurs terres, les contestations furent nombreuses. Comme, par ailleurs, aucun texte ne prévoit que les habitants des îles concernées doivent produire un titre de propriété ou démontrer qu’ils occupent une terre pour en devenir propriétaire, la simple revendication qui n’a pas fait l’objet d’opposition fonde la déclaration de propriété, autrement dit, le titre de propriété. En cas d’opposition, une procédure est prévue ;
- le texte qui organise la propriété aux îles Marquises est, quant à lui, extrêmement restrictif : le décret du 31 mai 1902 dispose que « les biens vacants et sans maître ou en déshérence et ceux qui ne sont pas occupés d’une manière effective dans toute l’étendue de l’archipel des Marquises, appartiennent à l’État » ;
- de même, aux îles Gambier, la situation foncière est délicate : le décret de 1887 a été rendu applicable dans cet archipel par un arrêté de 1897. Cependant, des titres de propriété existaient avant cette date, des transferts de propriété étaient enregistrés, rendant ainsi complexe la situation foncière de l’archipel ;
- enfin, certaines îles des Tuamotu connaissent des situations extrêmement complexes. La procédure qui organise la propriété n’a été ouverte que très tardivement dans certains atolls, comme Puka Puka et Marutea (1929). Sur d’autres atolls, les revendications n’ont pas fait l’objet d’une publication. Les revendications ont alors été compilées dans des recueils, ce qui interdit aux ayants droit tout titre de propriété définitif. Lors d’opérations cadastrales, la Polynésie française a pu considérer ces terres comme étant domaniales, tout en y inscrivant la revendication foncière. C’est le cas de l’atoll de Fangatau.
Mais certaines îles connaissent des régimes encore différents. À Rurutu comme à Rimatara, par exemple, aucune procédure de revendication foncière n’a été mise en place. Avant d’exploiter, de partager et plus largement, de mettre en valeur leurs terres, les habitants de ces îles doivent rapporter la preuve de leur propriété conformément au code civil, c’est-à-dire en démontrant que leur famille occupe cette terre depuis plus de trente ans, à titre de propriétaire, de façon « continue et ininterrompue, paisible, publique et non équivoque », conformément à l’article 2261 du code civil.
L’île de Rapa, qui cultive son particularisme, a refusé tout cadastre et le tribunal foncier n’y exerce aucune compétence. Les litiges relatifs à la terre y sont réglés en interne par un « Conseil de sages ».
La Polynésie française comparée au continent européen
2. Une gestion du foncier rendue délicate
La Polynésie française est compétente en matière foncière, d’aménagement et d’urbanisme. Elle doit affronter le défi de la dissémination de sa population dans des archipels regroupant 118 îles réparties sur une surface grande comme le continent européen. À l’inverse, elle doit aussi faire face à la concentration des deux tiers de sa population sur la seule île de Tahiti, qui connaît tous les effets négatifs de l’étalement urbain : engorgement des voies de communication, privatisation du rivage, mitage des espaces agricoles, hausse des prix.
L’histoire foncière complexe de la Polynésie a rendu le pays propriétaire d’un très vaste patrimoine foncier, en grande partie constitué des terres considérées comme spoliées par le colonisateur et dont il a hérité.
Aujourd’hui près de 72 000 hectares de terres cadastrées sont propriété de la Polynésie française. Ces terres représentent une part importante du foncier dans les archipels : entre 15 % de la surface cadastrée aux Îles-sous-le-vent et 33 % aux Australes. Le gouvernement de Polynésie française, qui mène un important travail de recensement, estime à plus de 50 % la surface domaniale inoccupée sur l’ensemble du territoire.
V. l’apparition d’un dÉbat sur l’indÉpendance
Pour certains Polynésiens qui n’étaient pas forcément gagnés par les idées indépendantistes il y a encore quelques années, une évolution statutaire paraît aujourd’hui nécessaire en raison de la situation économique difficile du territoire : un revenu par habitant inférieur d’environ 40 % à la moyenne nationale, un taux de chômage élevé, des inégalités sociales persistantes sur un territoire où n’existent ni RSA ni indemnité chômage. Et l’absence d’impôt sur le revenu ne permet pas la redistribution que nous connaissons dans l’hexagone.
Dans ces conditions, l’accession à la pleine souveraineté, désormais envisagée par une partie de la population, peut apparaître à certains comme une solution pour améliorer la situation économique et sociale.
A. les victoires Électorales du Tavini de 2022 et 2023
Éloignés du pouvoir par les urnes en 2013, les indépendantistes sont revenus aux affaires dix ans plus tard, le 30 avril 2023, à la suite de leur victoire aux élections territoriales. Un an plus tôt, l’élection assez peu prévisible de trois députés indépendantistes aux élections législatives était un signal clair de la volonté populaire de rappeler au pouvoir les indépendantistes du Tavini.
1. Une nouvelle génération d’indépendantistes
Même si les figures historiques du mouvement indépendantiste sont toujours bien présentes, la victoire électorale du Tavini aussi bien aux élections législatives de juin 2022 qu’aux élections territoriales d’avril 2023, s’est accompagnée de l’arrivée d’une nouvelle génération d’acteurs jeunes et pragmatiques. Pour eux, même si l’accession à l’indépendance reste l’objectif ultime, la méthode pour y parvenir ainsi que le maintien de bonnes relations avec la France sont essentiels.
Pour Oscar Temaru, fondateur du Tavini et figure historique des indépendantistes, « la Polynésie ne demande rien à la France. Ce pays a tout ce qu’il faut pour avancer. N’oublions pas que la Polynésie, c’est quinze fois la France. Or, annuellement, 1 000 jeunes quittent la Polynésie pour aller vivre en France. C’est une stratégie voulue par l’État pour rendre ce pays dépendant. Cela rend l’indépendance urgente ».
Pour Antony Géros, le président de l’Assemblée de Polynésie, l’inscription de la Polynésie française dans la liste des territoires à décoloniser par le comité spécial de décolonisation de l’ONU justifie pleinement la recherche de l’indépendance ; et c’est au colonisateur, c’est-à-dire la France, d’engager un processus en ce sens. D’ailleurs, il a créé au sein de l’assemblée qu’il préside, une « commission de la décolonisation ».
Mais la nouvelle génération arrivée récemment au pouvoir s’exprime avec plus de prudence et de retenue. Pour Moetai Brotherson, président du gouvernement polynésien, « Nous n’avons pas demandé à l’ONU de déclarer notre indépendance, le rôle de l’ONU n’est pas là-dedans. La décolonisation et l’indépendance, c’est avant tout le choix du peuple polynésien » ([239]) .
Réaliste, le président reconnaît que la victoire électorale du Tavini ne signifie pas que la majorité de la population adhère au projet indépendantiste : « Je crois que si nous organisions un référendum sur l’indépendance demain, la majorité voterait contre. Les gens ne sont pas encore prêts ».
Pour autant, le président Brotherson conserve l’objectif final d’accession à la pleine souveraineté qu’il espère obtenir en restant dans les meilleurs termes possibles avec la population française : « Nous n’obligerons pas les Français à accepter notre citoyenneté, mais il faudra préciser que si l’on veut rester en Polynésie tout en conservant la nationalité française, au moment de l’indépendance du pays, on se retrouve quand même à l’étranger avec toutes les conséquences qui en découlent. Conséquences sur le droit au travail, le droit à la propriété privée, etc. »
2. Le séparatisme se nourrit des injustices, réelles ou ressenties
Les inégalités peuvent pousser vers l’indépendance, de même que le sentiment d’être moins bien traités que le citoyen français moyen. La durée de travail légale est de 39 heures en Polynésie contre 35 heures dans l’hexagone : peu importe que la compétence relève de Papeete, l’inégalité est vécue comme une injustice et pousse une partie de l’électorat à rejeter la France. L’existence d’une catégorie D, mal rémunérée (mais recrutée sans concours), dans la fonction publique locale, alors qu’elle a été supprimée depuis longtemps dans la fonction publique nationale, accroit ce sentiment d’injustice.
Un autre sujet peut inciter une partie de la population à se diriger vers la pleine souveraineté : les inégalités entre les fonctionnaires nationaux et les agents publics locaux, chaque catégorie étant persuadée d’être moins bien traitée que l’autre, même si la réalité est bien sûr plus nuancée. Et lorsque l’indexation des fonctionnaires nationaux est accusée d’alimenter l’inflation, la tentation est grande de vouloir les remplacer par des Polynésiens, même si les statistiques montrent que 85 % des fonctionnaires d’État sont d’origine polynésienne, alors que la proportion était inversée il y a trente ans.
Lorsque cette réalité statistique est mise en avant, il est répondu aux rapporteurs « Cette évolution est certes réelle, mais les chefs de service administratifs sont presque tous des métropolitains. Il est très rare de voir un autochtone à la tête d’un service ».
Ce qui est sûr, c’est que les Polynésiens qui réussissent les concours nationaux ne sont pas prioritairement affectés en Polynésie, ce qui renforce le sentiment d’injustice à l’égard de « métropolitains » qui viennent à Tahiti prendre les emplois des autochtones. Certains considèrent qu’obtenir l’indépendance résoudrait le problème en territorialisant les concours nationaux. Certes, mais les Polynésiens qui continueraient à venir passer les concours dans l’hexagone n’auraient plus aucune chance d’être nommés dans leur collectivité d’origine.
« Le fonctionnaire de l’État qui arrive en Polynésie perçoit une prime alors que celui de Polynésie qui part en France [sic] ne reçoit rien. Une réciprocité – dans le maintien de la majoration – est nécessaire » soulignent les syndicats. Le séparatisme se nourrit de ces comparaisons et de la dénonciation de différences pas toujours justifiées.
3. Les églises accompagnent le mouvement
Comme nous l’avons vu, les églises, protestante et catholique, ont joué un rôle essentiel dans l’histoire de la Polynésie. Beaucoup considèrent que la traduction de la bible en langue tahitienne est le premier acte ayant conduit à sauver cette langue qui était essentiellement orale avant l’évangélisation des archipels. Les églises continuent à jouer un rôle essentiel dans l’enseignement, gérant de nombreux établissements d’éducation, dont un lycée agricole qui possède la seule filière piscicole de la collectivité.
Aujourd’hui encore, l’église protestante, notamment, accompagne le mouvement indépendantiste « parce que nous ne voyons pas d’autre avenir ». Pour le pasteur François Pihaatae, président de l’église protestante, l’actuelle décentralisation, pourtant bien réelle par rapport à la situation des collectivités hexagonales, ne serait que de façade : « tout est imposé à notre peuple depuis Paris, à 20 000 km de distance ».
Même si ses propos sont volontiers provocateurs lorsqu’il dénonce « l’esclavagisme colonial » qui règnerait encore selon lui sur l’archipel, le pasteur Pihaatae insiste lui aussi sur les inégalités qui incitent une partie de la population à réclamer l’indépendance et justifie selon lui le soutien de l’église protestante au mouvement indépendantiste : « Face à l’injustice sociale, face au partage inéquitable des richesses avec cet immense fossé entre les très riches et les très pauvres, l’Eglise ne peut pas rester immobile ». En Polynésie, les 10 % les plus riches de la population gagnent 9 fois plus que les 10 % les plus pauvres lorsque, en moyenne nationale, ce rapport n’est que de 1 à 4.
4. Des différences de méthodes
Dans tous les cas, les indépendantistes reconnaissent que rien ne pourrait se faire sans l’assentiment de la population. Un référendum d’autodétermination sera indispensable, voire un second, en cas de victoire du « oui » à l’indépendance, pour organiser une association conventionnelle avec la France, comme le propose Gaston Flosse, l’ancien président du gouvernement polynésien.
Pour les plus pressés, « cela peut se faire en deux ou trois ans. Cela peut aller très vite si nous sommes tous d’accord. Nous sommes prêts ». Mais pour d’autres, mieux vaudrait prendre son temps et commencer à former une génération de Polynésiens qui seraient aptes à reprendre les postes à responsabilité que ne manqueraient pas de libérer les agents hexagonaux en partance, si l’indépendance était obtenue.
Cette dernière hypothèse pourrait rendre l’indépendance accessible à échéance de dix ou vingt ans seulement. Cette position, davantage compatible avec l’attitude du gouvernement français qui ne montre pas d’empressement à favoriser un processus d’autodétermination rapide, semble l’emporter pour l’instant au sein de l’exécutif polynésien.
Un élément sur lequel s’accordent la plupart des indépendantistes – et même certains autonomistes – est de retirer à l’Assemblée de Polynésie la prérogative de désigner le chef de l’exécutif pour faire élire ce dernier au suffrage universel direct. Comme quoi, le système institutionnel français – même décrié – peut rester source d’inspiration.
Après avoir signé un accord polémique avec le président du Congrès de Nouvelle-Calédonie, le groupe d’initiative de Bakou, une structure destinée à lutter « contre le colonialisme français », créée par le gouvernement d’Azerbaïdjan, vient d’annoncer la signature d’un partenariat avec le Tavini, le parti indépendantiste polynésien au pouvoir à Papeete depuis l’an dernier.
Le Tavini adhère à cette organisation aux côtés des indépendantistes guadeloupéens, kanak, guyanais ou martiniquais, depuis sa création, en juillet 2023, en présence de quatre représentants de cette formation, dont le président du parti Oscar Temaru et le président de l’Assemblée de Polynésie, Tony Géros. Ce nouveau partenariat, validé par les instances du Tavini, prend la forme d’un mémorandum dont le contenu n’a pas été rendu public.
L’Azerbaïdjan, l’un des pays les plus autoritaires au monde, s’intéresse de près aux territoires français du Pacifique depuis plusieurs mois. Le président Ilham Aliyev, qui règne sans partage sur le pays depuis 21 ans à la suite de son père, reproche à Paris son soutien à l’Arménie, sur fond de conflit dans la région du Haut-Karabagh, récemment vidée de sa population arménienne par un « nettoyage ethnique » de grande ampleur. La proximité de l’Azerbaïdjan avec la Russie peut laisser à penser que le Kremlin pourrait ne pas être complètement indifférent à l’évolution de la situation en Polynésie française.
Début janvier 2024, la commission des affaires étrangères du parlement Azerbaïdjanais avait recommandé au gouvernement de couper tout lien avec la France et de « prendre des mesures » en vue de la reconnaissance de l’indépendance de la Corse, de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française.
B. Les rÉticences d’une partie de la sociÉtÉ
Avant les élections de 2022 et 2023, l’indépendance de la Polynésie n’était pas réellement un sujet. Les résultats des derniers scrutins commencent à inquiéter les partisans du maintien dans la République même s’il est probable que, pour de multiples raisons, la population ne serait pas encore prête à une telle évolution si la question lui était posée à brève échéance.
1. Des raisons économiques : le coût de l’indépendance
Même si les indépendantistes ont remporté les dernières élections, les partis autonomistes continuent à militer pour une autonomie renforcée, qui passerait par une modification de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française, rejoignant parfois sur certains points les indépendantistes.
Pour les loyalistes, ce n’est pas le statut qui crée le développement économique, première préoccupation des habitants. Nicole Sanquer, responsable du parti autonomiste A here ia Porinetia considère que l’autonomie offre encore beaucoup de possibilités qui n’ont pas été exploitées.
Elle attire aussi l’attention sur les aspects financiers de l’indépendance : la fiscalité en Polynésie française représente environ 1 milliard d’euros à mettre en regard des 1,5 milliard d’euros qu’apporte l’État. En conséquence, le taux de prélèvement n’est que de 38 % dans cette collectivité qui ne connaît pas l’impôt sur le revenu. « Si la Polynésie devenait indépendante, il faudrait donc trouver 1,5 milliard d’euros, soit 150 % des actuelles recettes fiscales. L’idée d’indépendance est séduisante certes, car il existe une aspiration à se gouverner librement, mais l’enjeu financier est important et nous devons en être conscients. La TVA est notre première ressource. Il faudrait porter le taux, actuellement de 16 %, à 40 %, ce qui n’est pas réaliste ».
Si l’idée d’indépendance n’est pas totalement rejetée, elle mérite une réflexion approfondie et ne peut être envisagée qu’à très long terme. Pour les responsables des partis autonomistes que les rapporteurs ont rencontrés, même après quarante ans d’autonomie, la Polynésie n’a pas les moyens financiers d’être indépendante : « ce statut doit être construit pas à pas ». L’indépendance ne peut réussir que si l’autonomie est réussie. Ce serait dans l’intérêt des indépendantistes de soutenir l’achèvement de l’autonomie, encore loin d’être arrivée à son terme.
Pour autant, la recherche d’une plus grande autonomie reste un objectif, surtout dans la mesure où elle peut accélérer le développement économique. C’est ainsi que Nicole Sanquer fait remarquer qu’obtenir un extrait Kbis, nécessaire pour créer une entreprise, prend actuellement huit à neuf mois contre 24 heures en Nouvelle-Zélande : « Dans ce domaine, permettre à la Polynésie de mettre en place son propre système Kbis ferait gagner du temps ».
2. Se protéger des convoitises des grands pays riverains du Pacifique
Les Polynésiens savent que si leur collectivité s’étend sur une superficie équivalente à celle du continent européen, leur poids économique et politique est faible. Et ils se situent à mi-chemin des convoitises chinoises et américaines, à portée de missile de la Russie et de la Corée du nord.
Pour le parti de l’ancien président Édouard Fritch, « l’autonomie au sein de la France garantit démocratie et stabilité, ainsi que la protection à l’égard des grands pays riverains du Pacifique ». Et chacun pense à la stratégie d’influence mise en œuvre par la Chine.
Selon la chaine Outre-mer la 1ère, la République populaire de Chine s’ouvre chaque année un peu plus les portes du Pacifique Sud. Un pouvoir d’influence qui se traduit par une stratégie de financement, sous la forme de prêts. La Chine, en quête d’influence, reçoit en échange un soutien politique ou bénéficie d’accords économiques avantageux.
En Papouasie Nouvelle-Guinée, le Ramu Project Nickel financé par la Chine est détenu en majorité par la China Metallurgical Corporation ; une zone industrialo-portuaire a été financée par la China’s Exim Bank. Sans compter, à Port‑Moresby, des bâtiments publics, un stade, un centre des congrès, un palais des sports… et un monumental Boulevard de l’Indépendance au cœur de la capitale. Selon le Lowy institute australien, « la Papouasie, satellite historique de l’Australie, est passée rapidement sous la coupe des emprunts chinois ». En 2019, la dette papoue s’élevait aux environs de 7 milliards de dollars.
Aux Samoa, aux Tonga, la soutenabilité de la dette, pose problème. Elle atteint, pour les seuls emprunts chinois, 50 % du produit intérieur brut.
Aux Iles Salomon, le taux d’endettement a doublé en cinq ans. Toutes les infrastructures destinées aux Jeux du Pacifique ont été financées par Pékin.
Enfin au Vanuatu, un centre de conférence, l’extension de la piste de l’aéroport, de nouveaux avions, un port à Luganville, des routes et un complexe cinq étoiles à Tanna ont creusé une dette de 220 millions de dollars que ce petit pays aux moyens limités mettra de nombreuses années à rembourser.
3. Le sentiment d’appartenir à une Nation
Ce sont les représentants du parti autonomiste Tapura Huiraatira qui ont le mieux exprimé, au-delà des aspects financiers et stratégiques, le sentiment qu’ils éprouvaient d’appartenir à une seule et même Nation, citant pour cela les paroles de l’historien Jules Michelet :
« Un peuple ! Une patrie ! Une France ! Ne devenons jamais deux nations, je vous prie. Sans l’unité, nous périssons. Comment ne le sentez-vous pas ? Français, de toute condition, de toute classe, et de tout parti, retenez bien une chose, vous n’avez sur cette terre qu’un ami sûr, c’est la France. » ([240])
Pour les représentants du Tapura, Aucun statut n’est parfait et celui actuellement en vigueur pourrait faire l’objet d’ajustements, « mais il ne reste pas grand-chose à modifier ». Et de faire remarquer que « grâce à la France, nous avons 48 aérodromes, disséminés un peu partout sur nos archipels. Même dans l’hexagone, il n’y a pas une telle densité aéroportuaire ».
Les autonomistes tahitiens estiment être chanceux d’être passés sous la souveraineté de la France : « nous sommes bénis des Dieux. Notre histoire s’écrit avec la France. Lorsque nous voyons les Anglais, les Américains, les Chinois, nous n’en voulons pas… »
4. La voie médiane d’un État souverain associé à la France ?
À défaut de trancher entre la marche vers l’indépendance ou le maintien dans la République, certains envisagent des solutions innovantes. Gaston Flosse, ancien président du gouvernement de Polynésie et longtemps attaché à ce que la Polynésie reste française, semble avoir infléchi sa position, puisqu’il a évoqué devant les rapporteurs la possibilité d’un statut d’État associé comme il en existe déjà dans le Pacifique (cf. supra) : « la Polynésie pourrait devenir un État souverain qui passerait des conventions avec la France dans les domaines pour lesquels nous n’avons pas de compétence (justice, sécurité, etc.). Nous n’avons pas besoin de défense : ce domaine pourrait être confié à la France ».
5. Une indépendance encore loin d’être acquise
Le président Moetai Brotherson, qui ne peut être suspecté de sympathie pour la cause anti-indépendantiste, reconnaît la difficulté à financer une éventuelle indépendance : « Si vous regardez l’économie et comparez les financements que nous accorde la France et le budget polynésien, vous verrez que ces chiffres sont comparables. Cela signifie qu’aujourd’hui la France représente près de la moitié de l’économie de la Polynésie. Alors, légitimement, les Polynésiens se demandent, si demain nous obtenions l’indépendance, qui remplacera pour nous cette moitié du budget ? ([241]) »
De la même manière, « tous les enseignants en Polynésie sont payés par la France. Une partie du système de santé est bien entendu financée par Paris. Les communes sont en partie financées par la France. Par conséquent, de telles questions sur l’avenir sont tout à fait naturelles. Y aura-t-il de la justice ? Y aura-t-il de la police ? Que va-t-il arriver à l’armée ? Après tout, tous ces services relèvent de la compétence de l’État. Comment remplacerons-nous tous ces organes après avoir acquis l’indépendance ? Je crois que tant que nous n’aurons pas de réponses à au moins certaines de ces questions, nous obtiendrons une réponse négative à la question de l’indépendance lors d’un référendum ».
Les résultats des élections législatives de 2024, qui ont enregistré la défaite de deux des trois députés indépendantistes élus en 2022, doivent inciter à la prudence quant au désir réel des électeurs polynésiens d’accéder à une indépendance rapide.
Le Comité de décolonisation de l’ONU
Un « Comité spécial de la décolonisation » a été créé au sein de l’ONU en 1961, au moment ou un grand nombre de pays qui avait été colonisés accédaient à l’indépendance.
Ce comité, qui compte 29 pays membres ainsi que 13 observateurs tient à jour une liste de 17 territoires, dont deux français (la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française), classés sur la liste des « territoires non autonomes à décoloniser ».
Créé pendant la guerre froide, cet organisme est contrôlé par des pays assez éloignés de la démocratie (Russie, Chine, Syrie, Tunisie, Cuba, Iran, Nicaragua, Venezuela, Birmanie, Azerbaïdjan…) et ne compte aucun pays européen, à l’exception de l’Espagne qui a rang d’observateur. Les décisions qui y sont prises ne semblent pas marquées par la plus grande objectivité et interrogent : la Nouvelle-Calédonie, qui avait été retirée de la liste a été réinscrite en 1986, contrairement à la Guadeloupe ou à la Guyane, enlevées elles-aussi et jamais réinscrites malgré un niveau d’autonomie bien plus faible. De la même manière, la Polynésie française a été inscrite sur cette liste en 2011, à un moment où elle venait d’atteindre une large autonomie, et n’a jamais été retirée malgré les protestations des dirigeants non-indépendantistes qui ont dirigé le territoire de 2013 à 2023.
En revanche, pas de trace du Tibet, du Xinjiang, de la Bouriatie ou de la Yakoutie.
Le 7 novembre 2018, par résolution, l’Assemblée générale des Nations unies a constaté, que certains territoires « ne sont toujours pas autonomes », notamment la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française. Cette prise de position est apparue pour le moins surprenante s’agissant de collectivités dotées de gouvernements propres et pouvant adopter des lois de pays dans les domaines dont la compétence leur a été dévolue.
Pour le professeur Jean-Paul Pastorel ([242]) « Dans l’esprit de l’article 73-e de la Charte, un territoire ne peut être retiré de la liste des territoires non autonomes que lorsqu’il accède à la « pleine autonomie », à savoir quand il devient indépendant et souverain ». En conséquence, le résultat négatif d’un (ou plusieurs) référendum sur l’indépendance ne peut avoir d’impact sur l’inscription d’un territoire sur la liste des pays à décoloniser tant que l’Assemblée générale n’a pas décidé que ce territoire s’administre « complètement lui-même ». Selon cette interprétation, la Nouvelle-Calédonie ne sera donc retirée de la liste des « territoires à décoloniser » que si elle accède un jour à l’indépendance, bien que la majorité de ses habitants aient montré, à trois reprises, qu’ils ne le souhaitaient pas.
VI. des amÉnagements souhaitÉs À court terme
À défaut d’une indépendance qui, de toute évidence, ne pourrait se produire à brève échéance, un certain nombre d’améliorations pourraient être apportées au fonctionnement institutionnel de la Polynésie française. La première pourrait consister à améliorer le statut des lois de pays.
A. le fonctionnement perfectible des lois de pays
Apparues en 1999 en Nouvelle-Calédonie et en 2004 en Polynésie, les « lois de pays » recouvrent, sous une dénomination unique, une réalité multiple et des statuts bien différents.
1. Les lois de pays n’ont pas le même statut à Tahiti et à Nouméa
Même s’ils sont souvent comparés, les statuts de la Polynésie et de la Nouvelle-Calédonie diffèrent sur un certain nombre de points, notamment sur le statut des lois de Pays adoptées par leurs assemblées territoriales respectives : l’Assemblée de Polynésie d’une part, le Congrès de Nouvelle-Calédonie d’autre part.
En effet, si les actes résultats des délibérations de ces chambres portent la même appellation de « lois de pays », leur statut est fondamentalement différent. Alors qu’en Nouvelle-Calédonie ces « lois » ont un statut intermédiaire entre une loi nationale et un décret et sont soumises au contrôle du Conseil constitutionnel, il en va autrement à Tahiti où les lois de pays ont conservé un statut d’acte administratif, soumis au contrôle a posteriori du Conseil d’État. Autre différence : les lois adoptées à Nouméa peuvent faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité, ce qui n’est pas le cas des lois adoptées à Tahiti, puisqu’il s’agit d’actes administratifs.
Une réforme Constitutionnelle votée dans les mêmes termes par les deux assemblées en 2000 aurait dû aligner le statut des lois de pays polynésiennes sur celui des lois de pays néo-calédoniennes, mais le président de l’époque, Jacques Chirac n’a jamais réuni le Congrès et la réforme n’est donc pas allée jusqu’à son terme.
2. Des conséquences sur la qualité de la norme produite en Polynésie
La différence de statut entre les lois de pays des deux collectivités induit une conséquence importante : en Nouvelle-Calédonie, le Conseil d’État donne son avis sur tout avant-projet de loi de pays avant qu’il ne soit soumis à l’approbation du gouvernement puis au vote du Congrès. Cet avis n’est d’ailleurs pas exclusif des avis que peuvent aussi prodiguer le Sénat coutumier ou le Conseil économique, social et environnemental local.
Il en va tout autrement des projets de loi polynésiens qui, ayant un statut administratif, ne sont pas soumis au contrôle préalable du Conseil d’État qui exerce un contrôle juridictionnel lorsqu’il est saisi. Il n’est pas rare que les élus polynésiens considèrent le Conseil d’État comme un « correcteur » a posteriori des lois de pays qu’ils savent parfois imparfaites au moment de leur adoption.
Les projets de loi de pays polynésiens, même quand ils sont soumis à l’avis du Conseil économique, social, environnemental et culturel local, ce qui ne semble pas systématique, ne sont pas construits avec la même rigueur que les projets néo-calédoniens qui bénéficient de l’expertise des conseillers d’État. Il en résulte que le nombre de lois de pays censurées par le Conseil d’État en Polynésie après leur adoption est beaucoup plus élevé que celles censurées par le Conseil constitutionnel en Nouvelle-Calédonie : une soixantaine au cours de la dernière législature dans le premier cas contre à peine quelques-unes dans le second. Les modalités de saisine du Conseil d’État, plus souples que les modalités de saisine du Conseil constitutionnel, expliquent peut-être aussi pour partie le phénomène.
3. Pour un renforcement du statut des lois de pays polynésiennes
Les rapporteurs préconisent en conséquence que la réforme constitutionnelle amorcée, mais non achevée, en 2000 soit reprise et, cette fois, menée à son terme, de manière à ce que le statut juridique des lois de pays polynésiennes soit équivalent à celui des lois de pays néo-calédoniennes.
Cette réforme, de nature à renforcer l’autonomie de la collectivité de Polynésie devrait satisfaire une large partie de la population et serait de nature à améliorer le processus législatif polynésien tout en sécurisant le droit applicable localement.
Recommandation : aligner le statut des lois de pays de Polynésie française sur celui des lois de pays de Nouvelle-Calédonie, de manière à leur faire perdre leur statut d’acte administratif au profit d’un statut quasi-législatif.
B. Des amÉnagements dans plusieurs domaines
Le statut d’autonomie interne accordé en 1984, renforcé en 1996 et 2004, à nouveau modifié en 2007, 2011 et 2019, fixe le point de départ d’une nouvelle relation entre la Polynésie et l’État central : le pouvoir local dispose de la « compétence générale » tandis que l’État ne conserve plus que des « compétences d’attribution », essentiellement dans les domaines régaliens (sécurité, maintien de l’ordre, respect des libertés individuelles, armée, police, justice, affaires étrangères et contrôle de légalité).
1. Dans un premier temps, aménager la loi organique
Si le gouvernement indépendantiste a pour finalité l’accession de la Polynésie à la pleine souveraineté, ses représentants, et notamment Mme Vannina Crolas, ministre de la fonction publique, de l’emploi, du travail, de la modernisation de l’administration et de la formation professionnelle, reconnaissent volontiers que la collectivité est encore, à cette heure, au sein de la République française et qu’à ce titre, il convient d’essayer d’améliorer le fonctionnement des institutions existantes.
Dans cette optique, l’aménagement de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française est régulièrement invoqué. Mais paradoxalement, ce n’est pas le partage des compétences entre l’État et la collectivité qui suscite le débat, mais davantage la répartition des compétences entre les communes et le gouvernement de Polynésie (art. 43).
L’article 18 de la loi organique fait aussi l’objet de critiques dans la mesure où la protection de l’emploi qu’il instaure au profit des autochtones n’est pas la même selon que l’emploi est public ou privé.
Enfin, cette même loi est accusée de bloquer la protection du foncier dans la mesure où elle permet la vente de terrain à des non-résidents, ce que le gouvernement voudrait interdire au nom du caractère sacré de la terre. Le principe d’égalité inscrit dans la Constitution s’oppose également à cette discrimination et sera plus difficile à modifier.
Pour autant, faire cohabiter le droit local et le droit national peut s’avérer compliqué. En matière foncière, par exemple, la compétence est locale mais le droit des successions est de compétence nationale. Or, les deux droits sont profondément imbriqués.
Par ailleurs, le domaine régalien pose aussi une difficulté. Si les Polynésiens comprennent bien que la France ne peut parler que d’une seule voix, ils font remarquer, à l’instar de Te Haurii Taimana, le directeur de cabinet du président Brotherson, que la Polynésie française a besoin de communiquer avec les pays qui l’entourent et qui, par surcroit, considèrent le peuple polynésien comme un peuple à part entière et ne comprennent pas cette « tutelle » parisienne. « Nous n’envisageons pas de relations conflictuelles avec la France mais des relations complémentaires » précise M. Taimana.
2. La création d’un titre dans la Constitution
Le gouvernement polynésien souhaite que soit créé dans la Constitution française un titre spécifique concernant la Polynésie, à l’instar de ce qui existe déjà pour la Nouvelle-Calédonie. Comme pour ce territoire, les autorités indépendantistes souhaitent que, le moment venu, un processus d’autodétermination avec décision du peuple concerné soit mis en œuvre.
Mais elles font remarquer que, si l’aspiration à l’indépendance existe sur les deux territoires, les situations sont différentes : il n’y a, en Polynésie, qu’un seul peuple concerné, le territoire n’ayant jamais été une colonie de peuplement, contrairement à la Nouvelle-Calédonie où il est d’usage de considérer qu’il existe deux peuples antagonistes. Ensuite, toujours selon le gouvernement, l’autodétermination ne pourra être mise en œuvre qu’à l’issue d’un long processus au cours duquel la collectivité et l’État auront entretenu des relations complémentaires.
Recommandation : inscrire le statut de la Polynésie française dans un titre spécifique de la Constitution, à l’instar de ce qui a été fait pour la Nouvelle-Calédonie.
L’objectif des autorités polynésiennes consiste à coopérer intelligemment avec l’État dans les domaines régaliens où la puissance nationale n’accomplit pas ses tâches de manière satisfaisante. En matière de sécurité, par exemple, la police nationale est débordée. Or, Papeete est confrontée au grand nombre de personnes sans domicile fixe consommant des substances illicites : pourquoi ne pas permettre à la police locale d’intervenir lorsque l’État n’arrive plus à assumer ses obligations ? « Ce serait dans l’intérêt de tout le monde », souligne Te Hauri Taimana qui poursuit : « Il semble plus intéressant de se diriger vers une coopération en matière de compétences sur les sujets régaliens (sécurité, police, justice) que de travailler chacun dans son coin, quitte à refaire le point sur le partage des compétences dans dix ans ». En matière de justice, il y a déjà des auxiliaires de justice locaux qui aident les magistrats à traduire.
3. La création d’une citoyenneté
À défaut d’indépendance, en tout cas immédiate, un certain nombre de nos interlocuteurs se sont prononcés en faveur d’une citoyenneté polynésienne qui pourrait être mise en place en une dizaine d’années.
L’objectif serait de protéger les habitants de la Polynésie, qui obtiendraient par définition cette citoyenneté, des étrangers ou simples métropolitains, souvent plus riches que les Polynésiens et qui parviennent à acheter des terrains que les autochtones ou leurs enfants ne peuvent pas s’offrir en raison des pénuries foncières. « Il faut protéger nos enfants qui n’arrivent plus à se loger ou à trouver du travail » ont entendu les rapporteurs.
Et de citer l’exemple d’Auckland où les immeubles étaient, paraît-il, rachetés à tour de bras par des investisseurs chinois avant que le gouvernement néo-zélandais mette un terme légal aux rachats par des étrangers.
4. Une prime majoritaire trop forte ?
L’Assemblée de Polynésie est élue lors d’un scrutin de liste à deux tours dans le cadre d’une circonscription électorale unique composée de huit sections assurant la représentation des petits archipels.
Les sièges sont attribués suivant la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne, avec une prime majoritaire de 19 sièges (sur un total de 57, soit un tiers) attribués à la liste arrivée en tête. Cette prime généreuse a été mise en place par la loi organique du 1er août 2011, en réaction à l’instabilité politique qui régnait alors dans la collectivité. Et, de fait, lors des élections de 2013, 2018 et 2023, des majorités très (voire trop ?) claires se sont dégagées et une stabilité a été retrouvée.
Si personne ne remet en question le principe d’une prime majoritaire, plusieurs élus, essentiellement d’opposition, ont regretté le niveau trop élevé de cette prime qui amplifie les victoires électorales et réduit de façon très significative la place des partis battus.
Ainsi, la députée Nicole Sanquer a calculé que 38 des 57 sièges ont été alloués au parti arrivé en tête avec 64 551 voix obtenues, ce qui représente 1 698 voix par siège ; 16 sièges ont été dévolus au parti arrivé second avec 56 118 voix, soit 3507 voix par siège, et 3 sièges au parti arrivé en troisième position avec 24 989 voix, soit 8 329 voix par siège.
Selon les interlocuteurs rencontrés par les rapporteurs, une prime d’une dizaine de sièges pour les uns, d’une quinzaine pour les autres, serait suffisante pour assurer la stabilité des institutions et permettre une représentation plus fidèle des groupes d’opposition.
Recommandation : réfléchir à un ajustement de la prime majoritaire accordée au parti arrivé en tête aux élections territoriales de manière à assurer une majorité stable au parti vainqueur tout en permettant une représentation équilibrée des groupes d’opposition.
5. Clarifier des compétences parfois enchevêtrées
Enfin, la clarification des compétences entre la collectivité et ses communes constituera une étape indispensable, tant les chausse-trappes sont nombreuses. C’est ainsi qu’en matière de sport, par exemple, c’est la collectivité qui est compétente alors que les communes sont compétentes en matière d’équipements sportifs. Au moment de préparer l’organisation des jeux du Pacifique prévus en Polynésie en 2027, cet enchevêtrement de compétences ne facilite pas la tâche des organisateurs.
L’aspect le plus paradoxal, comme le fait remarquer l’universitaire Jean-Paul Pastorel, c’est que la Polynésie française relève de l’article 74 de la Constitution, qui lui octroie beaucoup d’autonomie, alors que les communes polynésiennes relèvent de l’article 72 de la même Constitution et donc du droit commun national. La juxtaposition de ces deux normes est parfois difficile à mettre en œuvre.
Pour les responsables de la communauté de communes de Terehéamanu, le code général des collectivités territoriales doit être profondément remanié pour être adapté à Tahiti. L’écriture d’un nouveau code propre à la collectivité doit même être envisagée, d’autant que le gouvernement et les communes ne sont pas en opposition : les autorités du pays disent vouloir transférer des compétences aux communes, même si le haut-commissaire fait remarquer aux rapporteurs que les communes n’ont pas toujours l’ingénierie nécessaire pour exercer toutes les compétences qu’elles réclament.
Au-delà de la rivalité entre commune et pays, le partage des compétences entre l’État et la collectivité mérite d’être éclairci : la Polynésie est compétente en matière de santé mais pas de médicaments dont la mise sur le marché relève exclusivement de l’État. Or, les îles du Pacifique sont fortement touchées par une importante prévalence du diabète, ce qui est moins le cas en Europe. L’intérêt pour les substances antidiabétiques est donc moindre dans l’hexagone. Or, il existe à Tahiti une substance utilisée de manière ancestrale mais qui n’est pas exploitée par les laboratoires pharmaceutiques européens qu’elle n’intéresse pas et n’a donc pas fait l’objet d’une demande d’autorisation de mise sur le marché. Pourtant, en réduisant le taux de diabète chez les malades, elle pourrait éviter de nombreuses amputations sur les 150 réalisées chaque année en Polynésie.
Et s’il est compétent en matière de santé, le gouvernement polynésien ne l’est pas en matière de liberté publique, ce qui a posé problème lors de la pandémie de covid : comment concilier une mesure de confinement, obligatoirement prise par Paris car touchant aux libertés publiques, avec la lutte contre le covid, de compétence locale ? Dans ce domaine encore, l’imbrication des compétences ne simplifie rien.
Enfin, le gouvernement polynésien est compétent en matière d’éducation mais pas d’éducation supérieure. Or, le premier diplôme de l’enseignement supérieur est le baccalauréat. « Nous préparons à un examen pour lequel nous n’avons pas compétence » soulignent les membres du gouvernement. Dans ce domaine aussi, une logique partenariale entre les services de l’État et ceux de la collectivité ferait sens. Elle irait vers une « océanisation » des cadres.
L’État doit rester à un niveau stratégique, définir les grands intérêts, les grands objectifs et laisser leur autonomie aux collectivités locales. Pour certains maires indépendantistes, dans une démarche quasiment fédérale, « l’État doit créer un contrat de transition », sous-entendu, jusqu’au futur processus d’autodé-termination.
CHAPITRE cinq : les territoires inhabitÉs
Outre les onze collectivités que les rapporteurs viennent de présenter (cinq relevant de l’article 73 de la Constitution, six de l’article 74), la France revendique également sa souveraineté sur deux collectivités qui ne comptent aucun habitant à titre permanent : les Terres australes et Antarctiques françaises (TAAF) et l’île de Clipperton qui relèvent, pour leur part, de l’article 72-3 de la Constitution.
I. les terres australes et antarctiques françaises (TAAF)
Les Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF) sont un ensemble de territoires ultramarins français inhabités et dispersés dans le sud de l’Océan Indien. Elles comprennent les îles Éparses (archipel des Glorieuses, Juan de Nova, Europa, Bassas da India et Tromelin), les îles australes (archipel Crozet, îles Kerguelen, île Saint-Paul et île Amsterdam), ainsi que la Terre Adélie sur le continent antarctique.
Carte de situation des Terres australes et antarctiques françaises
1. Une histoire relativement récente
L’histoire connue des TAAF débute avec leur découverte entre le Moyen Âge et le XVIème siècle par des marins arabes et portugais. Des récits relatent également le passage périodique de pêcheurs malgaches dans les atolls du canal du Mozambique.
La présence française remonte aux grands voyages réalisés par les navigateurs au cours du XVIIIème siècle. Marion du Fresne, capitaine du Glorieux, et Yves Kerguelen ont ainsi redécouvert en 1752 et 1772 les territoires qui prendront leurs noms.
À partir de 1890, ces îles françaises du sud de l’océan Indien ont été successivement rattachées administrativement et définitivement à la République, à l’exception de la Terre Adélie, qui dispose d’un régime de souveraineté particulier depuis le traité de l’Antarctique de 1959.
2. Le régime constitutionnel et législatif des TAAF
Collectivité sui generis créée par la loi du 6 août 1955, les TAAF ne sont ni un département ni une région d’outre-mer de l’article 73, ni une collectivité d’outre-mer dépendant de l’article 74. L’article 72-3 dispose que la loi détermine le régime législatif et l’organisation particulière des TAAF. Ces dernières sont donc régies par la loi du 6 août 1955, modifiée par la loi du 21 février 2007 qui y a rattaché les îles Éparses, ainsi que par la loi du 21 février 2022.
En vertu de ce statut, les TAAF sont soumises au principe de spécialité législative, à l’exception d’un certain nombre de domaines énumérés par la loi du 21 février 2007 pour lesquels les dispositions législatives et réglementaires sont applicables de plein droit.
Le Territoire dispose d’un budget provenant de ressources propres, complété par des subventions étatiques. Associé à l’Union européenne en tant que PTOM, le Territoire est également éligible aux financements du Fonds européen de développement. Il est remarquable qu’en dépit des révisions de la loi de 1955, cette dernière conserve la qualification de « territoire d’outre-mer », alors même que cette catégorie a été supprimée par la révision constitutionnelle de 2003.
En raison de l’absence d’habitants permanents, les TAAF ne sont représentées par aucun élu. La collectivité est placée sous l’autorité d’un préfet, administrateur supérieur des TAAF, résidant à Saint-Pierre de la Réunion et dont les missions sont détaillées dans le décret n°2008-919 datant du 11 septembre 2008. Le préfet est représenté sur l’ensemble du territoire, divisé en cinq circonscriptions nommées districts, par les chefs de districts qui exercent plusieurs fonctions par délégation. Le préfet est également assisté par un conseil consultatif composé de treize membres d’horizons divers, dont un député et un sénateur, consulté sur les questions de budget, certains projets d’arrêtés et les demandes de concessions et d’exploitation.
Détail des îles Éparses
3. Les politiques françaises de valorisation du Territoire
Si le territoire n’a pas de population permanente, il n’est pas pour autant inhabité : une présence humaine est assurée en continu par du personnel scientifique, technique ou militaire. Cette présence continue permet de conduire des missions de recherche et d’assurer la souveraineté française sur l’ensemble du Territoire. En effet, les TAAF représentent plus de 2,3 millions de km² de zones économiques exclusives (ZEE), c’est-à-dire la deuxième zone économique exclusive française après la Polynésie française. Les TAAF constituent donc un atout économique et stratégique considérable.
Les eaux entourant les Terres australes font l'objet d’une activité halieutique performante. La pêche constitue la seule activité économique significative dans les Terres australes. Les principales ressources sont la langouste dans la zone économique entourant les îles Saint-Paul et Amsterdam, et la légine dans les zones économiques entourant Crozet et les Kerguelen. Une pêche illicite de grande ampleur s'est développée, portant gravement atteinte à la ressource en légine.
Constituant un véritable trésor de biodiversité, la France agit pour préserver le riche patrimoine naturel des TAAF. Ainsi, a été créée en 2006 la réserve naturelle des Terres australes françaises, dont la surface a été étendue à deux reprises en 2016 et en 2022. Avec une aire de 1,66 million de km², il s’agit de la plus grande réserve naturelle de France et de la deuxième plus grande aire marine protégée au monde.
Les TAAF présentent un intérêt majeur dans de nombreux domaines d'ordre scientifique : la glace de l’Antarctique conserve la mémoire climatique de la Terre et permet de valider des modèles de simulation du réchauffement climatique, tandis que les îles Éparses de l’océan Indien sont très utiles pour la prévision et la surveillance des phénomènes cycloniques.
Pour pallier le manque de présence humaine et toujours dans le but d'affirmer sa souveraineté, la France a été amenée à accroître le nombre de missions ponctuelles des Forces armées dans la zone sud de l’océan Indien (FAZSOI), avec occupation effective des îles. Ainsi, de petits camps militaires pouvant accueillir 15 personnes ont été installés à Juan de Nova, aux Glorieuses et à Europa.
4. Une souveraineté française partiellement contestée
Si la souveraineté française sur les îles australes n'est pas contestée, il n'en est pas de même pour les îles Éparses. En effet, la souveraineté de la France sur ces îles est contestée par Madagascar, sauf pour Tromelin, revendiquée par l'île Maurice. Cependant, la question des îles Éparses ne fait pas obstacle à une coopération active entre la France et la République malgache ainsi que l'île Maurice. Pour sa part, la République des Comores revendique les Glorieuses.
Depuis 1975, les gouvernements malgaches successifs ont cherché en vain à faire reconnaître la souveraineté de Madagascar sur les îles Éparses. Malgré une résolution de l’ONU invitant la France à ouvrir des discussions en 1979, aucun processus n’a été engagé.
II. Clipperton
L’île de Clipperton, aussi connue sous le nom d’île de La Passion, est un atoll inhabité d’environ 9 km² situé dans le Pacifique Nord, à environ 1 280 km des côtes mexicaines et à 5 400 km de Papeete. En dépit de sa petite superficie (seulement 1,7 km² de terres émergées), l’île confère à la France une zone économique exclusive (ZEE) de près de 434 000 km², soit davantage que la ZEE de l’hexagone.
Situation de l’île de la Passion - Clipperton
1. Une île devenue française par arbitrage international
Découverte en 1711 par les Français Martin de Chassairon et Michel du Bocage, qui la baptisent « île de La Passion », l’atoll tire son nom de sa supposée découverte au début du XVIIIème siècle par le flibustier John Clipperton. L’île est revendiquée par la France en 1858, alors que les Américains y exploitent le guano jusqu’en 1897, date à laquelle le Mexique revendique également sa souveraineté sur le territoire. Ce différend n’est résolu qu’en 1931 par un arbitrage du roi d’Italie, qui reconnaît la souveraineté française sur l’atoll.
Carte de l’île de la Passion - Clipperton
2. Parcours institutionnel et régime juridique actuel
Par décret du 12 juin 1936, l'île de Clipperton a été rattachée au gouvernement des Établissements français de l'Océanie. Cependant, les lois statutaires successives relatives à la Polynésie française n'incluaient pas Clipperton parmi les îles composant le territoire. Un arrêté interministériel du 18 mars 1986 a classé Clipperton dans le domaine public de l'État, précisant que sa gestion est assurée par le ministre chargé des départements et territoires d'outre-mer. Toutefois, pour des raisons pratiques, l'île était administrée par le haut-commissaire de la République en Polynésie française, représentant de l'État.
Clipperton figure à l’article 72-3 de la Constitution, prévoyant que la loi détermine le régime législatif et l’organisation particulière de l’île, au même titre que les TAAF. Ainsi, la loi du 21 février 2007 la place sous l’autorité directe du gouvernement. Son administration est assurée par le ministre chargé de l’outre-mer, qui y exerce l’ensemble des attributions dévolues par les lois et règlements aux autorités administratives. La loi précise que l’île est soumise au principe d’identité législative.
3. Une île relativement délaissée malgré un potentiel certain
Le principal intérêt de l'île réside dans sa zone économique exclusive de 434 000 km², riche d'un fond océanique tapissé de nodules polymétalliques, c'est-à-dire d'une ressource minière potentielle dès que les progrès techniques permettront une exploitation rentable. L'île de Clipperton se situe également dans l'une des zones les plus riches au monde en thonidés.
Si la souveraineté française sur Clipperton n’est plus contestée, l’île semble relativement délaissée par les autorités françaises, malgré les visites annuelles d’un bâtiment de la marine française. Cet état de quasi-abandon menace l’écosystème de l’atoll et entretient les convoitises des pêcheurs mexicains qui, en dépit d’un accord passé en 2007, continuent de pêcher dans la ZEE française des volumes supérieurs à ceux autorisés. En outre, la légitimité même d’une ZEE autour de l’île peut être contestée, dans la mesure où, selon l’article 121 § 3 de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM), « les rochers qui ne se prêtent pas à l’habitation humaine ou à une vie économique propre n’ont pas de ZEE ». La Cour permanente d’arbitrage a estimé qu’un atoll qui ne dispose pas d’une capacité objective à accueillir une activité économique ou des habitations humaines peut relever de cette catégorisation.
En 2016, une proposition de loi déposée par le député Philippe Folliot prévoyait diverses mesures de protection du milieu naturel de l’île et des sanctions pour éviter le mouillage non autorisé des navires. Clipperton, renommée « île de La Passion », obtiendrait en outre un nouveau statut institutionnel similaire aux TAAF, fondé sur la création d’une collectivité à statut particulier dotée de la personnalité morale et possédant l’autonomie administrative et financière. Elle serait placée sous l’autorité d’un administrateur supérieur qui serait de facto le haut-commissaire de la République en Polynésie française. La proposition envisageait également la création d’une station scientifique à vocation internationale afin de réaffirmer la souveraineté française sur l’atoll, de le valoriser et de protéger ses ressources environnementales et halieutiques. Adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale le 24 novembre 2016, la proposition de loi, renvoyée au Sénat, n’a pas eu de suite.
Un des éléments que les rapporteurs retiendront de leur longue mission d’information, c’est que, au-delà des modifications statutaires réclamées (ou pas), une unanimité s’est faite sur l’ensemble des territoires pour réclamer une meilleure adaptation des normes aux réalités ultramarines. Les exemples foisonnent : difficultés pour les habitants de St-Pierre et Miquelon d’importer des véhicules canadiens au motif que les feux clignotant sont rouges et non oranges, impossibilité d’utiliser d’excellents bois guyanais au motif qu’ils ne sont pas répertoriés et donc pas reconnus par les normes européennes, impossibilité pour les Réunionnais d’échanger avec les pays voisins comme l’île Maurice ou les Seychelles au motif que les relations diplomatiques de la France relèvent exclusivement de l’État central, etc.
Cette adaptation, qui nécessite, généralement, une simplification normative – et un peu de bon sens – relève le plus souvent du domaine règlementaire et c’est la raison pour laquelle le présent rapport ne s’y est pas appesanti, sauf peut-être s’agissant de Saint-Pierre et Miquelon. Pour autant, les rapporteurs ne sauraient trop insister sur la nécessité de simplifier la vie des ultramarins et de « fluidifier », un terme souvent entendu, les échanges économiques, sociaux, culturels, entre les outre-mer et leurs environnements.
*
Le présent rapport a été écrit en prenant en compte les comparaisons internationales avec les territoires insulaires gérés par d’autres État de manière à explorer toutes les possibilités statutaires qui existent au niveau mondial.
Les rapporteurs ont également présenté l’histoire de chacun de ces territoires pour éclairer sur la manière dont ils étaient devenus français et dont ils avaient été peuplés, le passé conditionnant souvent le présent et l’avenir.
Il y a, dans la plupart de ces territoires, un quasi consensus pour demander des évolutions institutionnelles et quand certains d’entre eux se satisfont de leur statut (La Réunion, Mayotte, Saint-Martin, Saint-Barthélemy, Saint-Pierre et Miquelon), des demandes d’aménagement apparaissent quand même.
Vouloir gérer, depuis Paris, des territoires distants de 4 000 km, 10 000 km voire 16 000 km de distance de la même manière que le Gers ou le Cantal est illusoire. Chaque territoire a ses réalités et l’État jacobin n’a plus sa place dans les outre-mer du XXIème siècle.
La France aurait-elle commis l’erreur historique de toujours vouloir considérer ses territoires ultramarins à part ? Pour paraphraser Aimé Césaire, les ultramarins sont-ils des citoyens à part entière ou entièrement à part ?
Le présent rapport présente 30 recommandations, de portée générale ou portant sur des territoires spécifiques. Mais la plus importante se résume en une phrase : le gouvernement devra conduire à son terme, c’est-à-dire jusqu’au referendum final, le processus institutionnel engagé dans chacun des territoires qui souhaite faire évoluer son statut.
*
Au terme de leur mission, les rapporteurs rappellent avec insistance que les outre-mer, de par leur diversité et leurs richesses, sont une chance pour la France, à condition que soit revu le rapport que la République entretient avec ces territoires. Trop souvent, il apparaît que la France n’a pas de vision, pas de stratégie pour ces collectivités ultramarines.
Sans changement total du lien entre les outre-mer et l’hexagone, la relation entre ces territoires et la République sera irrémédiablement rompue. Les crises s’amplifieront, le mal-être augmentera et la rancœur s’installera. Il ne faut pas oublier que si les ingérences étrangères visent à mettre de « l’huile sur le feu » dans certains territoires ultramarins, c’est parce que le feu couve déjà.
Sans vision stratégique conduisant à un nouveau pacte entre la Nation et ses collectivités, alors les collectivités ultramarines n’auront aucune raison de rester arrimées à la République. Ce nouveau pacte doit-il passer par la remise en cause de la distinction entre les articles 73 et 74 de la Constitution ? Par leur réécriture, par leur fusion ? Faut-il inscrire dans la Constitution un titre par territoire ultramarin, a l’instar de ce qu’a obtenu la Nouvelle-Calédonie ? Faut-il, au contraire, sortir les dispositions statutaires ultramarines de la Constitution pour les inscrire dans des lois organiques qui seront plus facilement adaptables, en fonction de l’évolution des territoires ?
Le présent rapport, volontairement, ne tranche pas car ce n’est pas son objet. Il a pour vocation d’apporter au lecteur les informations les plus complètes et les plus fiables possibles sur la situation institutionnelle actuelle des outre-mer, sur les aspirations plus ou moins fortes en matière d’évolutions et de formuler des recommandations pour relayer les souhaits les plus consensuels et les plus raisonnables en matière institutionnelle. À défaut de clore un débat inépuisable et passionnant, ce rapport a pour ambition d’éclairer et de susciter la discussion. S’il y parvient, alors il aura été utile.
Liste des recommandations des rapporteurs
Recommandations d’ordre général
Recommandation n° 1 (p. 45) : demander au gouvernement de conduire jusqu’à son terme, c’est-à-dire jusqu’au référendum final, le processus institutionnel engagé dans chaque territoire souhaitant une évolution de son statut.
Recommandation n° 2 (p. 41) : demander au gouvernement de prendre en compte le souhait de modifications normatives et réglementaires de façon efficace et concrète et de mettre en œuvre, lorsque c’est possible, un travail d’équivalence entre les normes européennes et celles des pays du voisinage des outre-mer.
Recommandation n° 3 (P. 41) : simplifier les dispositions organiques relatives à la procédure d’habilitation prévue par l’article 73 de la Constitution.
Recommandation n° 4 (P. 45) : informer largement les populations ultramarines sur les processus institutionnels en cours de manière à ce que les consultations prévues localement se déroulent en toute connaissance de cause.
Recommandations concernant La Réunion
Recommandation n° 5 (p. 85) : relancer un nouvel exercice d’harmonisation des compéten-ces entre la région et le département de La Réunion afin de pousser vers plus de cohérence.
Recommandation n° 6 (p. 83) : permettre au conseil régional de participer aux échanges internationaux relatifs à l’environnement international de l’île, notamment lorsque le gouvernement français n’est pas représenté.
Recommandations concernant Mayotte
Recommandation n° 7 (p. 103) : transformer le conseil départemental de Mayotte en assemblée territoriale unique dotée des compétences d’un conseil régional, à l’exemple de la Martinique ou de la Guyane.
Recommandation n° 8 (p. 104) : dans l’hypothèse où la création d’une assemblée territoriale unique serait actée, remplacer le scrutin départemental par circonscription par un scrutin à la proportionnelle. Ajuster le nombre de conseillers.
Recommandation n° 9 (p. 93) : établir et publier régulièrement des données fiabilisées sur la population présente à Mayotte, qu’elle soit française ou étrangère, qu’elle réside sur l’archipel de manière licite ou illicite.
Recommandation n° 10 (P. 106) : aligner le niveau des prestations sociales versées à Mayotte et celui des prestations servies dans le reste du pays.
Recommandation n° 11 (P. 96) : rééquilibrer les effectifs administratifs de la préfecture, manifestement sous-dimensionnés par rapport aux départements de taille comparable.
Recommandations concernant la Guyane
Recommandation n° 12 (p. 144) : demander au gouvernement de relancer le processus de discussions de manière à faire aboutir l’évolution institutionnelle en Guyane.
Recommandation n° 13 (p. 128) : dans l’hypothèse où le nouveau statut de la Guyane serait adopté, aligner le statut des lois Péyi sur celui des lois de pays de la Nouvelle-Calédonie, de manière à leur faire acquérir un statut quasi législatif.
Recommandations concernant la Guadeloupe
Recommandation 14 (p. 199) : revoir la carte des intercommunalités de la Guadeloupe.
Recommandation 15 (p. 194) : réfléchir à la mise en place d’une délégation de service public pour la desserte aérienne de Marie-Galante sur le modèle de ce qui existe à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Recommandations concernant Saint-Martin et Saint-Barthélemy
Recommandation n°16 (p. 215) : finaliser la mise en place de la préfecture de plein exercice et du tribunal judiciaire.
Recommandation n°17 (p. 216) : poursuivre la réflexion sur la décentralisation d’autres services de l’État tels que le rectorat et l’agence régionale de santé.
Recommandation n°18 (p. 217) : encourager et faciliter les projets de coopération entre la collectivité française de Saint-Martin et Sint-Maarten, pays constitutif du Royaume des Pays-Bas.
Recommandation n°19 (p. 220) : mettre en place une « clause de revoyure » permettant une évolution pragmatique et souple du statut de Saint-Barthélemy à intervalles réguliers.
Recommandation concernant Saint-Pierre et Miquelon
Recommandation n°20 (p. 230) : mettre en place au niveau de l’État un système d’expertise permettant de valider des équivalences ou des dérogations en matière de normes, au moins pour les matériaux de construction et les activités liées aux travaux publics.
Recommandation concernant la Nouvelle-Calédonie
Les rapporteurs, compte tenu de la nécessaire relance du dialogue entre loyalistes et indépendantistes, estiment à ce stade prématuré de formuler des recommandations pour ce territoire.
Recommandations concernant Wallis et Futuna
Recommandation 21 (p. 292) : modifier le mode d’élection de l’Assemblée territoriale de Wallis et Futuna pour adopter un vote à la représentation proportionnelle en lieu et place de l’actuel scrutin par circonscriptions.
Recommandation 22 (p. 293) : mener une réflexion sur le nombre de conseillers de l’Assemblée territoriale de Wallis et Futuna dont le nombre devra être impair.
Recommandation 23 (p. 294) : actualiser le domaine de compétence de l’Assemblée territoriale de Wallis et Futuna.
Recommandation 24 (p. 295) : transférer de manière progressive, avec une phase transitoire de cinq à dix ans, le pouvoir exécutif du préfet à la collectivité de Wallis et Futuna.
Recommandation 25 (p. 294) : augmenter la durée des sessions de l’Assemblée territoriale de Wallis et Futuna.
Recommandation 26 (p. 301) : modifier les décrets du 25 juin 1934 et du 22 juillet 1957 pour que, à Wallis et Futuna, la compétence en matière foncière soit officiellement transmise aux autorités coutumières.
Recommandations concernant la Polynésie française
Recommandation 27 (p. 340) : inscrire le statut de la Polynésie française dans un titre spécifique de la Constitution, à l’instar de ce qui a été fait pour la Nouvelle-Calédonie.
Recommandation 28 (p. 319) : favoriser le débat sur la création de communautés d’archipels fédérées autour de compétences précises dans le respect de l’intégrité de la Polynésie française.
Recommandation 29 (p. 338) : aligner le statut des lois de pays de Polynésie française sur celui des lois de pays de Nouvelle-Calédonie, de manière à leur faire perdre leur statut d’acte administratif au profit d’un statut quasi-législatif.
Recommandation 30 (p. 341) : réfléchir à un ajustement de la prime majoritaire accordée au parti arrivé en tête aux élections territoriales de manière à assurer une majorité stable au parti vainqueur tout en permettant une représentation équilibrée des groupes d’opposition.
Lors de sa réunion du 4 décembre 2024, la Délégation aux outre-mer a procédé à la présentation du rapport sur l’avenir institutionnel des outre-mer.
La vidéo de cette réunion est consultable à l’adresse suivante :
Puis la Délégation a adopté le rapport d’information et ses recommandations. Elle en a autorisé la publication.
Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs
A. Auditions réalisées du 23 novembre 2023 au 29 février 2024 à l’Assemblée nationale
Jeudi 23 novembre 2023 :
Table ronde publicistes :
- M. François Benchendikh, Maître de conférence en droit public (présentiel) ;
- Mme Carine David, Professeure des universités de droit public (présentiel) ;
- M. Jean-Jacques Urvoas, ancien garde des Sceaux, ancien président de la Commission des lois de l’Assemblée nationale, Professeur des universités de droit public (visio).
Jeudi 30 novembre 2023 :
Table ronde juristes :
- M. Mathias Chauchat, professeur des universités en droit public, Université de la Nouvelle-Calédonie (visio) ;
- M. Étienne Cornut, professeur des universités en droit privé, directeur du Centre de recherches critiques sur le droit, Université de Saint-Étienne (présentiel) ;
- Mme Géraldine Giraudeau, professeure des universités en droit public, Université de Perpignan (présentiel).
Jeudi 7 décembre 2023 :
Table ronde juristes :
- Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur des universités en droit public, Université de Bordeaux ;
- Véronique Bertile, maître de conférences en droit public, Université de Bordeaux ;
- Mathieu Carniama, docteur en droit public qualifié aux fonctions de maître de conférences.
Jeudi 14 décembre 2023 :
Table-ronde :
- Jean-François Merle, conseiller d’État honoraire ancien conseiller technique outre-mer auprès de Michel Rocard ;
- Alain Christnacht, conseiller d’État honoraire, ancien Haut-Commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.
Jeudi 18 janvier 2024 :
- Maître Patrick Lingibé, ancien bâtonnier de Guyane ;
- Justin Daniel, professeur des universités de sciences politiques, Université des Antilles.
Jeudi 1er février 2024
- M. Jean-Christophe Gay, professeur des universités, géographe et sociologue.
Jeudi 29 février 2024
- M. Otilone Tokotuu, président de la Chambre de commerce, d’industrie, des métiers et de l’agriculture (CCIMA) de Wallis et Futuna ;
- M. David Badin, membre de la CCIMA de Wallis et Futuna.
B. Auditions réalisées du 5 au 7 février 2024 à La Réunion
Lundi 5 février
- Mme Huguette Bello, présidente du conseil régional ;
- M. Dominique Vienne, président du Conseil économique, social et environnemental de La Réunion (CESER) ;
Mardi 6 février
- M. Mickaël Crochet et Mme Danon Lutchmee Odayen, représentants la formation autonomiste Parti réunionnais (PaRé) ;
- M. Patrick Lebreton, ancien député, premier adjoint à la présidente du conseil régional, M. Fabrice Grondin, conseiller technique, M. Guyto Folio, chargé de mission, Mme Nathalie Robert, juriste ;
- M. Cyrille Melchior président du conseil départemental,
- M. Maurice Gironcel, maire de sainte-Suzanne, ancien président et actuel vice-président de l’association des communes et collectivité d’outre-mer (ACCDOM), président de la communauté intercommunale du nord de La Réunion (CINOR), président du Syndicat intercommunal d’électricité du département de la Réunion (SIDELEC), M. Gilles Leperlier, directeur de cabinet à la CINOR, M. Yvan Dejean, directeur de cabinet au SIDELEC ;
- M. Jérôme Filippini, alors préfet de La Réunion, M. Laurent Lenoble, secrétaire général, Mme Nathalie Infante, secrétaire générale pour les affaires régionales (SGAR).
Mercredi 7 février
- Mme Patricia Paoli, première vice-présidente de la Chambre de commerce et d’industrie de La Réunion, M. Bernard Picardo, président de la chambre des métiers et de l’artisanat de La Réunion, M. Frédéric Vienne, président de la chambre d’agriculture de La Réunion, M. Johny Apaya, directeur général des services de la chambre d’agriculture de La Réunion, M. david Javegny, responsable prospective, affaires économiques et fiscales de la chambre de commerce et d’industrie.
C. Auditions réalisées du 7 au 9 février 2024 à Mayotte
Mercredi 7 février
- Christophe Lotigié, sous-préfet chargé de l’eau et Jérôme Josserand, Directeur de l’environnement, de l’aménagement, du logement et de la mer (DEALM) ;
Jeudi 8 février
- M. Thierry Suquet, préfet de Mayotte ;
- M. Ben Issa Ousseni, président du conseil départemental de Mayotte, M. Mansour Kamardine, alors député de Mayotte ;
Vendredi 9 février
- Rencontre avec les acteurs économiques : Mme Carla Baltus, vice-présidente de la Fédération des entreprises des outre-mer (FEDOM), présidente du Medef de Mayotte, Mme Nadine Hafidou, serétaire de la Chambre de commerce et d’industrie de Mayotte, M. Djoumoi Ramia, président de l’ordre des experts-comptables, M. Feiçoil Mouhoussoune, président du cluster numérique « Mayotte in tech », M. Bourahima Ali Ousseni, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises et Charles-Henri Mandallaz, président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie de Mayotte (UMIH 976) ;
- Rencontre avec les membres du conseil départemental de Mayotte, avec M. Madi Madi Souf le président de l’association des maires de Mayotte et les députés de Mayotte, Mme Estelle Youssouffa, M. Mansour Kamardine
- Visite du centre de rétention administrative (CRA) de Petite terre.
D. Auditions réalisées du 9 au 11 mars 2024 à Wallis et Futuna
Samedi 9 mars
Assemblée territoriale de Wallis et Futuna :
- M. Paino Vanai, vice-président ;
- Mme Lauriane Vergé, membre de l’Assemblée, présidente de la commission des affaires économiques ;
- Mme Malia Kialiki Lagikula, membre de l’Assemblée, présidente de la commission de la culture et de la condition féminine ;
- Mme Olga Gaveau, juriste et chargée de mission.
Table ronde avec le monde associatif :
- M. Vahai Tulilaki, Heu (chef de village) ;
- Manuele Taofifenua, Uluimonua (grande chefferie du Lavelua) ;
- M. Mikaele Halagahu, Kivalu (premier ministre de la chefferie) ;
- Simete Emeni, directeur de l’enseignement catholique ;
- Uatini Paino, Conseil économique, social et environnemental ;
- Mme Béatrice Fine, présidente de l’association Solidarité coutumière d’Uvea, cheffe d’entreprise à Atulau ;
- M. Savelio Tuigana, responsable de l’association Mouli Lalai
- M. Alain Labro, juriste ;
- M. Leone Vaitanom, journaliste.
Dimanche 10 mars
Rencontre protocolaire avec sa majesté le roi
- sa majesté Patalione Kanimoa, roi de Wallis ;
- M. Mikaele Halagahu, Kivalu (premier ministre de la chefferie).
- M. Mikaele Seo, député de Wallis et Futuna.
Lundi 11 mars
Comité consultatif, social et économique de Wallis et Futuna (CCSEWF)
- Mme Matilite Tali, présidente du CCSEWF ;
- Mme Elisa Valefakaaga, secrétaire générale adjointe du CCSEWF ;
- Mme Pipiena Keletaona, représentante du Comité territorial des femmes.
Préfecture de Wallis et Futuna
- M. Thierry Dousset, secrétaire général de la préfecture ;
- M. Christophe Coelho, directeur des services du cabinet de la préfecture.
E. Auditions réalisées du 11 au 15 mars 2024 en Nouvelle-Calédonie
Lundi 11 mars
Haut-Commissariat de Nouvelle-Calédonie
- M. Louis Le Franc, haut-Commissaire,
- M. Stanislas Alfonsi, secrétaire général ;
- Mme Carine Farault, secrétaire générale adjointe ;
- M. Théophile de Lassus, directeur de cabinet.
Mardi 12 mars 2024
Sénat coutumier de Nouvelle-Calédonie
- M. Victor Gogny, président, accompagné de six autres membres.
Groupe Le Rassemblement
- M. Alcide Ponga ;
- Mme Virginie Ruffenach ;
- Mme Nadine Jalabert ;
- M. Guy-Olivier Cuenot ;
- Mme Laura Vendegou ;
- M. Jordan Courtot ;
- M. Lionel Paagalua.
Entretien avec M. Georges Naturel, sénateur de Nouvelle-Calédonie.
Déjeuner avec Mme Sonia Backès, présidente de la province Sud ;
Intergroupe Les Loyalistes
- M. Gil Brial ;
- M. Lionnel Brinon ;
- Mme Nina Julié ;
- Mme Muriel Malfar-Pauga ;
- M. Alesio Saliga ;
- Mme Françoise Suve ;
Mme Naïa Wateou.
Présidence du gouvernement de Nouvelle-Calédonie
- M. Louis Mapou, président ;
- M. Claude Gambey, directeur de cabinet du président ;
- M. Charles Wea, conseiller ;
- M. Tomislav Govekar, collaborateur.
Groupe UC – FLNKS et Nationalistes
- M. Pierre-Charles Tutugoro, Union Calédonienne ;
- Mme Omayra Naisseline, DA ;
- M. Sylvain Pabouty, Dynamik unitaire Sud (DUS) ;
- M. Kadrile Wright, Parti travailliste ;
Groupe UNI : Parti de libération kanak (Palika) et Union progressiste en Mélanésie (UPM)
- M. Jean-Pierre Djaiwe ;
- M. Adolphe Digoue ;
- M. Judicaël Selefen ;
- M. Boris Ajapunhya ;
- M. Victor Tutugoro ;
Congrès de Nouvelle-Calédonie
- M. Roch Wamytan, président [jusqu’en août 2024].
Représentants de Nouvelle-Calédonie Éco
- Alexandre Lafleur, président de la commission protection sociale au MEDEF ;
- M. Thierry Neuville, Confédération des Petites et Moyennes entreprises (CPME) ;
- M. David Guyenne, président de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) ;
- M. Charles Roger, directeur général de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) ;
- M. Jean-Louis Laval, Union des entreprises de proximité de Nouvelle-Calédonie (U2P) ;
- M. Jean-Christophe Niautou, président de la Chambre d’agriculture et de la pêche (CAP) ;
- M. Benoit Meunier, président de la Fédération calédonienne du BTP.
Mercredi 13 mars 2024
À Koné
Province nord
- M. Frédéric Bouteille, commissaire délégué de la République pour la Province nord ;
Délégation des autorités coutumières
- M. Jean Poadja, grand-chef Poindah ;
- M. Gérard Poadja, ancien sénateur.
Représentants de la Province nord
- M. Hervé Tein Taouva, groupe Union calédonienne (UC) ;
- M. Wilfried Weiss et Mme Pascale Montagnat, groupe Agissons pour le Nord.
Association des maires de Nouvelle-Calédonie (AMNC)
- M. Florentin Dedane, maire de Pouébo ;
- M. Joël Boatate-Kolekole, maire de Voh ;
- M. Wilfried Weiss, maire de Koumac.
À Nouméa
Association « Un Cœur, une voix »
- M. Raphaël Romano ;
- Mme Christelle Schall ;
- Mme Maïli Chauvet Brou.
Parti l’Éveil océanien
- M. Milakulo Tukumuli ;
- Mme Veylma Falaeo
- M. Vaimu’a Muliava ;
- M. Petelo Sao.
Visite de l’usine de la Société Le Nickel (SLN)
- M. Dominique Katrawa, président du conseil d’administration ;
- M. Jérôme Fabre, directeur adjoint ;
- Mme Nathalie Bakhache, secrétaire générale ;
- M. Gaëtan Merceron, directeur de l’usine ;
- M. Laurent Fogliani, responsable des relations institutionnelles.
Jeudi 14 mars 2024
À Lifou
Délégation des autorités coutumières de l’aire Drehu
- M. Roméo Zeoula, président
- M. Rolland Nyikeine, chargé de mission.
Province des îles Loyauté
- M. Jules Hmaloko, commissaire délégué de la République pour la province des îles Loyauté
Représentants de la Province des îles Loyauté
- M. Jacques Lalie, président de la province des îles Loyauté
- M. Neko Hnepeune, maire de Lifou ;
- Mme Maryline Sinewami, maire de Maré
- M. Billy Wapotro, membre du comité Parole, Mémoire, Vérité, Réconciliation (PMVR).
À Nouméa
Entretien avec Mme Véronique Roger-Lacan, ambassadrice représentante de la France auprès de la Communauté du Pacifique et du Programme régional océanien de l’environnement.
Parti Calédonie ensemble
- M. Philippe Gomès ;
- M. Philippe Michel ;
- Mme Annie Quaeze ;
- M. Jean Kays.
Parti l’Union calédonienne
- M. Daniel Goa ;
- M. Gilbert Tyuienon ;
- Mme Maryline Sinewami ;
- M. Romuald Pidjot ;
- M. Dominique Fochi.
Vendredi 15 mars 2024
Comité Parole, Mémoires, Vérité, Réconciliation (PMVR)
- M. Jean-Pierre Aifa ;
- Mme Jacqueline Bernut ;
- Mme Clara Filippi ;
- M. Léonard Kaemo ;
- M. Élie Poigoune ;
- M. Gérard Sarda ;
- Mme Nathalie Prats ;
- Mme Marie-José Michel ;
- M. Pierre Welepa ;
- Mme Marie-Neige Poanoui.
Entretien avec M. Robert Xowie, sénateur de Nouvelle-Calédonie.
Délégation de représentants religieux
- Père Rock Apikaoua, vicaire général de Nouvelle-Calédonie ;
- Pasteur Léonard Kaemo, président de l’église protestante ;
- M. Maurice Wimian, secrétaire général de l’église évangélique libre.
Déjeuner avec Mme Sonia Lagarde, maire de Nouméa, en présence de :
- M. Patrick Robelin, maire de Bourail ;
- M. Yoann Lecourieux, maire de Dumbéa ;
- M. Pascal Vittori, maire de Boulouparis ;
- Mme Florence Rolland, maire de La Foa ;
- M. Christophe Vakié, maire de l’île des Pins ;
- M. Willy Gatuhau, maire de Païta ;
- M. Régis Roustan, maire de Farino ;
- M. Alcide Ponga, maire de Kouaoua ;
- M. Jean-Pierre Delrieu, premier adjoint à la maire de Nouméa.
Conseil économique, social et environnemental
- M. Jean-Louis d’Anglebermes, président.
Cabinet d’audit CMI, mandaté en mai 2023 pour réaliser un bilan de l’Accord de Nouméa
- M. Victor Davet, directeur ;
- M. Olivier Sudrie, expert
F. Auditions réalisées du 16 au 21 mars 2024 en Polynésie française
Samedi 16 mars 2024
À Nuku Hiva, archipel des Marquises
- M. Benoit Kautai, maire de Nuku Hiva, président du Comité de communes des îles Marquises (CODIM) ;
- Mme Joëlle Frébault, maire de Hiva Oa, première vice-présidente la CODIM ;
- M. Joseph Kaiha, maire de Ua Pou, deuxième vice-président de la CODIM ;
- M. Félix Barsinas, maire de Tahuata, cinquième vice-président de la CODIM ;
- M. Teiki Tetamiotupa, directeur général de la CODIM ;
- M. Temaeva Bonno, secrétaire général de la commune de Nuku Hiva ;
- M. Poea Fidèle, conseiller juridique de la CODIM ;
- M. Bernard Chimin, conseiller en relations institutionnelles de la CODIM ;
- M. Maki Tamarii, conseiller en énergie de la CODIM ;
- Mme Cannelle Teao-Billard, coordinatrice patrimoniale de la CODIM.
Mardi 19 mars 2024
Syndicat CSTP-FO
- M. Emmanuel Sztejnberg-Martin, délégué CSTP-FO au Haut-commissariat, secrétaire-général adjoint Fo-FSMI Polynésie ;
- M. Wallace Teina, deuxième secrétaire général adjoint CSTP-FO, délégué régional Unité SGP-FO Police ;
- M. Patrick Galenon, secrétaire général CSTP-FO Polynésie ;
- Edgard Sommers, secrétaire général-adjoint CSTP-FO, secrétaire général FO Douanes ;
Allex Sanquer, serétaire général FO Trésor.
Assemblée de la Polynésie française
- M. Antony Géros, président de l’Assemblée ;
- M. Oscar Temaru, ancien président de l’Assemblée, ancien président de la Polynésie.
Église protestante
- M. François Pihaatae, président de l’église protestante maoli.
Le Conseil économique, social, environnemental et culturel (CESEC)
- Mme Voltina Roomataaroa-Dauphin, présidente ;
- Mme Patricia Teriiteraahaume, deuxième vice-présidente ;
- M. Maximilien Hauata (troisième vice-président) ;
- Mme Lucie Tiffenat (première questeure) ;
- M. Makallo Folituu (troisième questeur) ;
- M. Jean-François Benhamza, quatrième questeur) ;
- Mme Maeva Wane (cinquième questeure) ;
- M. Sébastien Dos Anjos, secrétaire général ;
- Mme Flora Nauta, secrétaire générale adjointe.
Présidence de la Polynésie
- Mme Vannina Crolas, ministre de la Fonction Publique, de l’Emploi, du Travail, de la modernisation de l’administration et de la Formation professionnelle ;
- M. Te Haurii Taimana, directeur de cabinet du président Moetai Brotherson.
Mercredi 20 mars 2024
Communauté des communes de Terehéamanu
- M. Tearii Te Moana Alpha, président ;
- Mme Charline Tauraatua-Saint-Saëns, maire déléguée de Toahotu ;
- M. Anthony Jamet, maire de Taiarapu-est ;
- M. Pierre Oïto, adjoint au maire de Papara ;
- Mme Rosita Hoffman, directrice générale des services de Terehéamanu ;
- Mme Hélène Fariki, directrice générale des services de Taiarapu-ouest ;
- Mme Tiraa Cabral, cheffe de projet de développement intercommunal ;
- Mme Ravanui Torea, assistante administrative et comptable.
Haut-commissariat
- M. Éric Spitz, haut-commissaire de la République française
Parti A here ia Porinetia
- Mme Nicole Sanquer, présidente ;
Parti Tapura huiraatira
- M. René Temeharo, secrétaire général ;
- M. Léonard Puputauki, coordinateur principal ;
- M. Jérôme Jeannot, collaborateur du président ;
- M. Thierry Nhun Fat, collaborateur du président.
Parti Amuitahiraa o te nuna’a Maohi
- M. Gaston Flosse, président,
- Mme Pascale Haïti, conseillère.
Jeudi 21 mars 2024
Table ronde acteurs économiques
- M. Wallace Teina, secrétaire général CSTP-FO,
- M. Edgard Sommers, secrétaire général adjoint CSTP-FO,
- M. Christophe Plée, président CPME de Polynésie française et membre du CESEC,
- M. Jean Tama, premier vice-président de la chambre d’agriculture et de la pêche lagonaire (CAPL).
Table ronde avec des universitaires
- M. Jean-Paul Pastorel, professeur de droit public, vice-président du conseil d’administration de l’université de Polynésie française (UPF),
- M. Hervé Ra’imama Lallemant-Moe, conseiller spécial environnement à la vice-présidence et chercheur associé à l’UPF,
- M. Philippe Neuffer, avocat.
Tribunal Foncier
- M. Gérard Joly, magistrat,
- M. Pierre Frezet, vice-président du tribunal foncier,
- Mme Laure Bellanger, vice-présidente du tribunal foncier,
- M. Jacques Le Gall, géomètre retraité, assesseur.
G. Auditions réalisées du 15 au 17 avril en Guyane
Lundi 15 avril 2024 :
À Saint-Laurent du Maroni
Communauté de commune de l’Ouest Guyanais
- Mme Sophie Charles, présidente, maire de Saint‑Laurent‑du‑Maroni ;
À Matoury
Communauté d’agglomération du Centre Littoral
- M. Serge Smock, président ;
- M. Yahya Daoudi, conseiller communautaire ;
- M. Benoît Establet, conseiller de la communauté ;
À Cayenne
Conseil économique social environnemental de la culture et de l'éducation de Guyane (CESECE)
- Mme Ariane Fleurival, présidente du CESECE ;
- M. Jean-Marc Aimable, vice-président du CESECE ;
Représentants des peuples amérindiens
- M. Christophe Yanuwana Pierre, membre du GCC de Guyane, représentant de « Jeunesse autochtone de Guyane »
- M. Aulaguea Therese, membre du GCC de Guyane, président de la fédération des organisations autochtones de Guyane.
Mardi 16 avril 2024 :
Association des maires de Guyane
- M. Michel-Ange Jérémie, président, maire de Sinnamary ;
Mouvement de décolonisation et d’émancipation sociale
- M. Fabien Canavy, secrétaire général
- Mme Rayline Robeiri ;
Parti socialiste guyanais
- M. Patrice Catayée, secrétaire général ;
- M. Roland Leandre, membre du bureau politique ;
- M. Christian Baulane, membre du comité directeur ;
Parti Nouvelle force de Guyane
- Mme Marie-Laure Phinera-Horth, secrétaire générale
- M. Louis-Mike Calumey, membre du comité directeur
- M. Acadji Mustapha, membre
- Mme Ruth Ceprina, secrétaire générale adjointe
- M. Garryhk Linyons, secrétaire général adjoint,
- M. Chester Leonce, secrétaire général adjoint
- M. Jean-Yves Mirakoff, membre
- M. Steve Roldan, membre de
- M. Nestor Govindin, mandataire financier
Parti Péyi Guyane
- M. Gabriel Serville, président
Parti Guyane rassemblement
- M. Rodolphe Alexandre, président
- Mme Audrey Marie ;
Les Républicains de Guyane
- M. Stéphane Augustin, secrétaire territorial ;
- M. Fabien Covis ;
- M. Jean-Philippe ;
- M. Samuel Marie-Angélique ;
- Mme Karyne Cormier ;
Préfecture de Guyane
- M. Antoine Poussier, préfet de Guyane ;
- Mme Margot Renault, sous-préfète, directrice générale de la coordination et de l’animation ;
Chambre d’agriculture de Guyane
- M. Albert Siong, président ;
- M. Thierry Basso, directeur ;
Mercredi 17 avril 2024 :
Chambre du commerce et d’industrie
- Mme Carine Sinaï Bossou, président ;
- M. Franck Krivsky ;
Chambre des métiers et de l’artisanat de Guyane
- Mme Vernita Blacodon, présidente.
H. Auditions réalisées du 18 au 20 avril en Martinique
Jeudi 18 avril 2024 :
Mairie de Fort‑de‑France
- M. Didier Laguerre, maire ;
- Mme Viviane Capgras ;
- M. Dario Rengassamy, directeur de cabinet ;
Conseil économique, social, environnemental, de la culture et de l’éducation
- M. Éric Bellemare, président
- Mme Catherine Delbé, directrice de cabinet;
Assemblée de Martinique
- M. Lucien Saliber, président, président du congrès des élus ;
- M. Marie-Georges Dronnier, directeur de cabinet ;
Vendredi 19 avril 2024 :
- M. Claude Lise, ancien sénateur, ancien député, ancien président du conseil général et ancien président du conseil territorial de Martinique ;
Association des maires de Martinique
- M. Justin Pamphile, président, maire du Lorrain ;
- Jacky Sinosa, directeur ;
Collectivité territoriale de Martinique
- M. Serge Letchimy, président ;
- M. Johnny Hajjar, ancien député ;
- M. Jean-Philippe Nilor, député, co‑président de Péyi-A.
Samedi 20 avril 2024 :
Table ronde avec les chambres consulaires
- M. Louis-Daniel Bertome, vice-président de la chambre d’agriculture de Martinique ;
- M. Alain Clio, élu à la chambre de commerce et d’industrie de Martinique ;
- M. Tony Boclé, vice-président de la chambre de commerce et d’industrie de Martinique ;
- M. Salomon Henry, président de la chambre des métiers et de l’artisanat de Martinique,
- M. Philippe Jock, président de la chambre de commerce et d’industrie de Martinique
- M. Jean-Baptiste Rosten, directeur général de la chambre de commerce et d’industrie de Martinique.
I. Auditions réalisées du 21 au 23 avril en Guadeloupe
Dimanche 21 avril 2024
À Capesterre-de-Marie-Galante
- M. Jean-Claude Maes, président de l’ACCD’OM, maire ;
- Mme Betty Marcellus, secrétaire du maire ;
- Mme Betty Abatan, adjointe au maire ;
- Mme Francette Jacques, adjointe au maire ;
- Mme Manuella Sellonne, adjointe au maire ;
- M. Jacques Malandin, adjoint au maire ;
- M. Victor Rippon, adjoint au maire ;
- Mme Ernestine Rippon, conseillère municipale ;
Lundi 22 avril 2024
Mairie de Pointe‑à‑Pitre
- M. Harry Durimel, maire ;
Préfecture de Guadeloupe
- M. Xavier Lefort, préfet;
- M. André Atallah, maire de Basse Terre ;
Conseil départemental de Guadeloupe
- M. Denis Delver, membre du cabinet du président ;
- M. Jules Otto, conseiller départemental ;
- M. Blaise Mornal, conseiller départemental.
Conseil Régional de Guadeloupe
- M. Ary Chalus, président ;
- Ruddy Blonbou, directeur de cabinet ;
- Teddy Bernadotte, conseiller ;
Conseil économique et social régional de Guadeloupe
- M. Christophe Wachter, président ;
- M. Olivier Nicolas, premier secrétaire de la fédération guadeloupéenne du parti socialiste.
J. Auditions réalisées en mai 2024 À l’Assemblée nationale
Jeudi 16 mai 2024
- Mme Catherine Conconne, Sénatrice de la Martinique
- M. Jean-Christophe Bouvier, Préfet de la Martinique
Jeudi 23 mai 2024
- M. Vincent Berton, Préfet de Saint-Martin et Saint-Barthélemy
Jeudi 30 mai 2024
- M Louis Mussington, président de la Collectivité de Saint-Martin
- M Michel Magras, ancien sénateur, ancien président de la Délégation sénatoriale aux outre‑mer, auteur du rapport « La différenciation territoriale outre-mer – Quel cadre pour le sur-mesure ? »
K. Auditions réalisées du 12 au 20 novembre 2024 avec les collectivités de Saint-Pierre et Miquelon et de Saint-Barthélemy
Mardi 12 novembre 2024
Visioconférence avec le préfet de Saint-Pierre et Miquelon
- M. Christian Pouget, préfet,
- Mme Marianne-Frédérique Pussiau, secrétaire générale,
- M. Fabrice Marquand, secrétaire général adjoint,
- Mme Sandrine Montané, directrice des services du cabinet.
Visioconférence avec le président de la collectivité de Saint-Pierre et Miquelon
- M. Bernard Briand, président.
Mardi 19 novembre 2024
Audition du député de Saint-Pierre et Miquelon
- M. Stéphane Lenormand, député.
Audition du président de la collectivité de Saint-Barthélemy
- M. Xavier Lédée, président.
Mercredi 20 novembre 2024
Visioconférence avec les « forces vives » de Saint-Pierre et Miquelon
- M. Lionel Aubry, secrétaire général adjoint du syndicat FO 975,
- M. Alix Chevin, secrétaire général de l’union interprofessionnelle CFDT,
- Mme Christine Cormier, présidente de la section locale du syndicat nationale de l’enseignement catholique (SNEC)- CFTC
- Mme Delphine Dagort, présidente de la Chambre d’agriculture, de commerce, d’industrie, des métiers et de l’artisanat (CACIMA) de St-Pierre et Miquelon,
- M. Nicolas Doat, secrétaire général du syndicat FO 975,
- M. Robert Hardy, président de l’Union professionnelle de l’alimentation, des services, et du commerce de Saint-Pierre et Miquelon (UPASC),
- M. Roger Hélène, président du Medef à Saint-Pierre et Miquelon,
- M. André Robert, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) de Saint Pierre et Miquelon.
([1]) La composition de la mission d’information figure au verso de la présente page.
([2]) Jean‑Philippe Thiellay, Le droit des outre‑mer, Connaissance du droit, Dalloz, 2011.
([3]) Loi n° 46-940 du 7 mai 1946.
([4]) Loi n° 46-451 du 19 mars 1946 tendant au classement comme départements français de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et de la Guyane française.
([5]) Société française d’histoire des outre-mer, Écrire l’histoire des départementalisations dans les outre-mer français, 2022.
([6]) Jean‑Philippe Thiellay, op.cit.
([7]) Article 60 de la Constitution de la IVème République.
([8]) Loi n°56-619 du 23 juin 1956 autorisant le gouvernement à mettre en œuvre les réformes et à prendre les mesures propres à assurer l’évolution des territoires relevant du ministère de la France d’outre-mer.
([9]) Jean‑Christophe Gay, La France d’outre‑mer – Terres éparses, sociétés vivantes, Armand Colin, 2021.
([10]) Loi constitutionnelle n° 92-554 du 25 juin 1992 ajoutant à la Constitution un titre "Des Communautés européennes et de l’Union européenne".
([11]) Isabelle Vestris, « DOM‑TOM », in Dictionnaire juridique des outre‑mer, LexisNexis, 2021.
([13]) I. Vestris, op. cit.
([14]) J‑C. Gay, op. cit.
([15]) Articles 198 à 204 pour les PTOM, article 349 pour les RUP.
([16]) Loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République.
([17]) Assemblée nationale, Pascal Clément, Douzième législature, Rapport, fait, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république sur le projet de loi constitutionnelle (n° 369), adopté par le Sénat, relatif à l’organisation décentralisée de la république et la proposition de loi constitutionnelle (n° 249) de M. Hervé Morin et plusieurs de ses collègues, relative à l’exercice des libertés locales, n° 376, 18 novembre 2002.
([18]) Jean‑Christophe Gay, ibid.
([19]) Sénat, Michel Magras, 2019‑2020, Rapport d’information au nom de la Délégation sénatoriale aux outre-mer sur la différenciation territoriale outre-mer – Quel cadre pour le sur-mesure ?, n° 713, 21 septembre 2020.
([20]) Sénat, Michel Magras, ibid.
([22]) Stéphanie Parassouramanaik, « Différenciation », in Dictionnaire juridique des outre‑mer, LexisNexis, 2021
([23]) Art. L. 430‑2 du code de commerce, également applicable aux COM relevant largement de l’identité législative et à Wallis‑et‑Futuna.
([24]) Loi organique n° 2007‑223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer.
([25]) Code de l’entreprise en outre‑mer, sous la direction d’Olivier Magnaval
et de Ferdinand Mélin-Soucramanien, LexisNexis, 2019.
([26]) Article LO 6461‑11 du code général des collectivités territoriales, par exemple la construction et l’entretien des collèges et lycées.
([27]) Patrick LINGIBÉ, « Le droit pénal en outre-mer : entre principes d’égalité et de réalité », AJ Pénal, 2019.
([28]) Décision (UE) 2021/991 du Conseil du 7 juin 2021 relative au régime de l’octroi de mer dans les régions ultrapériphériques françaises et modifiant la décision no 940/2014/UE.
([31]) Étude d’opinion sur des questions institutionnelles à La Réunion (septembre 2022).
([32]) dictionnaire juridique des outre-mer
([33]) op.cit.
([34]) loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, dite « Loi littoral »
([35]) op. cit.
([36]) Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.
([37]) « Les outre-mer au cœur du processus institutionnel » Rapport d’information sur le projet de loi relatif à la différentiation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, par Mme Stéphanie Atger et MM. Mansour Kamardine et Jean-Hugues Ratenon (octobre 2021).
([38]) Quel développement pour Mayotte ? Mieux répondre aux défis de la démographie, de la départementalisation et des attentes des Mahorais. Rapport public thématique de la Cour des comptes (juin 2022).
([39]) op.cit.
([40]) Insee Flash Mayotte No 182 Paru le 22 novembre 2024
([41]) op. cit.
([42]) Les rapporteurs ne peuvent s’empêcher de s’interroger sur les motivations réelles de sites « bien informés », à commencer par le réseau social X, qui ont annoncé sans l’ombre d’une hésitation « 60 000 morts » dans les jours qui ont suivi la catastrophe.
([43]) Op. cit. (p. 28)
([44]) Elles ne sont résolues que depuis la signature, le 15 mars 2021, d’un accord diplomatique, qui renvoie néanmoins la délimitation d’une dernière portion de la frontière à des négociations toujours en cours : Patrick Blancodini, « Guyane française – Suriname : le tracé définitif de la frontière officiellement fixé sur 400 km », Géoconfluences, 8 avril 2021.
([45]) Tristan Aoustin, « Guyane », in Dictionnaire juridique des outre‑mer, LexisNexis, 2021.
([46]) Insee Flash Guyane, « 286 618 habitants en Guyane au 1ᵉʳ janvier 2021 », n° 180, décembre 2023.
([47]) Insee, Marcelle Jeanne-Rose et Antonin Creignou « 29 % des Guyanais en situation de grande pauvreté en 2018 », Insee analyses Guyane n° 59, 11 juillet 2022.
([48]) Insee, Maurice Bilionière, Zinaïda Salibekyan-Rosain, « En Guyane, les produits alimentaires sont 39 % plus chers qu’en France métropolitaine », Insee analyses Guyane n° 63, 11 juillet, 2023.
([49]) Le Monde, Nathalie Guibert et Laurent Marot, « Guyane : Emmanuel Macron face aux élus qui demandent un statut d’autonomie », 25 mars 2024.
([50]) Ministère de l’intérieur et des outre‑mer, Service statistique ministériel de la sécurité intérieure, « Insécurité et délinquance en 2022 : bilan statistique », 28 septembre 2023.
([51]) Sénat, Étienne Blanc, « Un nécessaire sursaut : sortir du piège du narcotrafic », rapport d’enquête, n° 588, 7 mai 2023.
([52]) Sénat, Antoine Karam, « Mettre fin au trafic de cocaïne en Guyane : l’urgence d’une réponse plus ambitieuse », rapport d’information, n° 707, 15 septembre 2020.
([53]) Loi organique n° 2011-883 du 27 juillet 2011 relative aux collectivités régies par l’article 73 de la Constitution et Loi n° 2011-884 du 27 jullet 2011 relative aux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique.
([56]) Sénat, Philippe Bas, Mathieu Darnaud, Jean-Luc Fichet, Sophie Joissains et Thani Mohamed Soilihi, Pour une grande loi Guyane : 52 propositions, rapport d’information n° 337 fait au nom de la commission des lois, 19 février 2020.
([59]) Sénat, Philippe Bas, Mathieu Darnaud, Jean-Luc Fichet, Sophie Joissains et Thani Mohamed Soilihi, op.cit.
([62]) Établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI sont des structures administratives permettant à plusieurs communes d’exercer des compétences en commun.
([63]) Loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l’énergie et à l’environnement.
([64]) Orthographe utilisées dans le code général des collectivités territoriales ; l’orthographe « bushinengué » existe également.
([65]) Sénat, Mathieu Darnaud, Rapport, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale sur le projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, n°287,
11 janvier 2017.
([66]) Maud Elfort, « Amérindiens (de Guyane) », in Dictionnaire juridique des outre‑mer, LexisNexis, 2021.
([67]) M. Elfort, ibid.
([68]) Tristan Aoustin, « Guyane », in. « Dictionnaire juridique des outre‑mer », LexisNexis, 2021.
([70]) Articles L. 7124‑14 et suivants du code général des collectivités territoriales.
([71]) Sénat, Mathieu Darnaud, op. cit.
([72]) J‑C Gay, op. cit.
([75]) Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), La place des peuples autochtones dans les territoires ultramarins français : la situation des kanak de Nouvelle‑Calédonie et des amérindiens de Guyane,
23 février 2017.
([76]) Assemblée nationale, Jean-Marc Zulesi, Jean-Victor Castor, Clémence Guetté et Gérard Leseul, Rapport de la mission d’information sur l’aménagement et le développement durables du territoire en Guyane,
28 novembre 2023.
([77]) CNCDH, op. cit.
([78]) J.‑C. GAY, op. cit.
([79]) Hélène Ferrarini, « Allons enfants de la Guyane. Eduquer, évangéliser, coloniser les Amérindiens dans la République », Anacharsis.
([80]) France Antilles, Gérôme Guitteau, « L’avis des Gran Man s’impose sur la question Bushinenge », 9 décembre 2023.
([82]) Guyaweb, Guillaume Reuge, « La résolution portant sur la représentation des peuples autochtones adoptée dans la douleur par le congrès des élus », 13 avril 2024.
([85]) GUYAWEB, Eric Louis désigné à la tête du Grand conseil coutumier, 15 avril 2024.
([86]) Guillaume Reuge, « Sylvio Van der Pijl élu dans la discorde président du Grand conseil coutumier », Guyaweb, 29 Septembre 2024.
([87]) Audrey Virassamy, « Nouvelles démissions amérindiennes au Grand conseil coutumier de Guyane », Guyane la 1ère, 7 Octobre 2024.
([88]) Insee, Corentin Douriaud, « 360 749 habitants en Martinique au 1ᵉʳ janvier 2021 », Insee Flash Martinique n° 193, 28 décembre 2023.
([89]) Insee, Maurice Bilionière, Zinaïda Salibekyan-Rosain, « En Martinique, les produits alimentaires sont 40 % plus chers qu’en France métropolitaine », Insee Analyses Martinique n° 63, 11 juillet 2023.
([90]) Insee, Antonin Creignou, Marcelle Jeanne-Rose, « 27,4 % des Martiniquais vivent sous le seuil de pauvreté en 2019 », Insee Analyses Martinique n° 54, 17 mai 2022.
([91]) Insee, Gwenaëlle Taupe, Bénédicte Chanteur, « En 2023, la Martinique reste la région où la part de seniors est la plus élevée », Insee Flash Martinique n° 207, 17 octobre 2024.
([93]) Cet équipement de médecine nucléaire permet la production de traceurs faiblement radioactifs, utilisés pour détecter des cancers par scintigraphie selon la méthode de tomographie par émission de positons (TEP).
([94]) F.‑X. Millet, op. cit.
([95]) Jean-Christophe Gay, La France d’Outre‑mer : Terres éparses, sociétés vivantes, Armand Colin, 2021, p. 75.
([96]) Jean-Marc Party, « La résonance permanente des émeutes de décembre 1959 à Fort-de-France », Martinique la 1ère, 21 décembre 2021.
([97]) La question était ainsi libellée : « Approuvez-vous la transformation de la Martinique en une collectivité d’outre-mer régie par l’article 74 de la Constitution, dotée d’une organisation particulière tenant compte de ses intérêts propres au sein de la République ? » ; Décret n° 2009-1406 du 17 novembre 2009 relatif à la consultation des électeurs de la Martinique en application des articles 72-4 et 73 de la Constitution.
([98]) Loi n° 2011-884 du 27 juillet 2011 relative aux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique.
([100]) Ci‑après : « conseillers de Martinique ».
([101]) François‑Xavier Millet, « Martinique », in Dictionnaire juridique des outre‑mer, LexisNexis, 2021.
([104]) Sénat, Rapport n° 467 de M. Christian COINTAT , fait au nom de la commission des lois, sur le projet de loi organique portant diverses mesures de nature organique relatives aux collectivités régies par l’article 73 de la Constitution, 27 avril 2011.
([105]) Justin Daniel, « La CTM : une construction en l’état futur d’achèvement... Sans garanties de finition ? », mai 2016.
([107]) Article 37 de la loi n° 2013-1029 du 15 novembre 2013 portant diverses dispositions relatives aux outre-mer.
([108]) Délibération n° 14-2161-2 du 18 décembre 2014 du conseil régional de Martinique portant instauration d’une autorité organisatrice de transports unique et d’un périmètre unique des transports.
([109]) Joseph Nodin, « La CTM : une construction en l’état futur d’achèvement... sans garanties de finition ? », Martinique la 1ère, 11 mai 2016.
([110]) Cour des comptes, Rapport d’observations définitives, Collectivité territoriale de Martinique (département de la Martinique), Exercices 2015 à 2020, 21 mai 2021.
([113]) France Antilles, « Aux yeux d’une majorité de Martiniquais, la CTM est un échec, une désillusion », 25 mars 2024.
([115]) Il n’était pas interdit de siéger simultanément dans l’une et l’autre de ces deux assemblées, mais Madame Conconne indique que cela ne concernait, au moment de leur disparition, qu’un seul élu.
([116]) Sénat, Stéphane Artano et Micheline Jacques, Rapport d’information n°361, fait au nom de la Délégation sénatoriale aux outre‑mer, sur l’évolution institutionnelle des outre‑mer, 16 février 2023.
([119]) Martinique la 1ère, « Une autorité unique de la gestion de l’eau en Martinique... vote unanime des élus de l’assemblée de la CTM », 27 juillet 2024.
([120]) Contrainte absente dans l’hypothèse où la collectivité est habilitée à « fixer [elle-même] les règles applicables sur [son] territoire » (article 73 alinéa 3).
([121]) Deuxième alinéa de l’article 73 de la Constitution.
([122]) Loi n° 2021-513 du 29 avril 2021 rénovant la gouvernance des services publics d’eau potable et d’assainissement en Guadeloupe.
([123]) Jean-Michel Hauteville, En Martinique, le processus d’« émancipation » s’enlise, Le Monde, 13 septembre 2024.
([125]) CÉSECÉM, Délibération n° 2023‑10 portant adoption de l’avis sur la résolution du congrès des élus de Martinique du 29 novembre 2023.
([126]) Inès Tresident-Ranguin, « congrès des élus boudé par l’opposition : “C’est plus une stratégie de blocage pour discréditer les démarches” [Serge Letchimy] », Martinique la 1ère, 29 novembre 2023.
([128]) Le titre XII de la Constitution est celui relatif aux collectivités territoriales.
([129]) France Antilles, « Aux yeux d’une majorité de Martiniquais, la CTM est un échec, une désillusion », 25 mars 2024.
([130]) Hauteville, Jean-Michel, « En Martinique, le processus d’« émancipation » s’enlise », 13 septembre 2024, Le Monde.
([131]) Benjamin Stora, Michelle Zancarini-Fournel, Sylvain Mary, Jacques Dumont, Laurent Jalabert, Serge Mam Lam Fouck, Louis-Georges Placide, Edenz Maurice « Commission d'information et de recherche historique sur les événements de décembre 1959 en Martinique, de juin 1962 en Guadeloupe et en Guyane, et de mai 1967 en Guadeloupe : rapport à Madame la ministre des outre-mer », 2016.
([132]) Gwenaëlle Taupe, Bénédicte Chanteur, « En 2023, moins de naissances et de décès en Guadeloupe », Insee Flash Guadeloupe n° 208, 17 octobre 2024.
([134]) En plus du conseil économique, social et environnemental régional, de droit commun, le conseil régional de Guadeloupe est assisté, comme à Mayotte et à la Réunion, d'un conseil de la culture, de l'éducation et de l'environnement ; Art. L. 4432‑9 du code général des collectivités territoriales.
([139]) Loi n° 2011-884 du 27 juillet 2011 relative aux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique.
([141]) Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.
([146]) Pierre-Olivier Caille, JurisClasseur Administratif, « Fasc. 130-20 : Guadeloupe, Guyane, Martinique et Réunion », 2014.
([147]) Ces réunions plénières sont elles-mêmes appelées « congrès » ; la réunion du 20 décembre 2019 était ainsi le « XVIème congrès des élus départementaux et régionaux ».
([149]) Ibid. Sauf mention contraire, l’ensemble des citations de la présente partie sont issues du rapport précité.
([150]) Le rapport comporte, en annexe, les contributions des partis politiques et organisations parapolitiques d’une part, la liste des acteurs auditionnés ou consultés d’autre part.
([155]) Le problème du « manque » d’élus a été évoqué supra en ce qui concerne la Martinique.
([156]) Il fut en outre l’un des collaborateurs de Lucette Michaux-Chevry.
([157]) Pierre Emmanuel, « Les exécutifs ne sont pas sur la même longueur d'onde avant le congrès des élus », RCI, 30 mai 2024.
([158]) RCI, « Retour sur le 18e Congrès des élus de Guadeloupe », direct tenu le jour du congrès.
([161]) Le 12 juillet, avec, en annexe, la reproduction des résolutions adoptées par le congrès.
([162]) Circulation routière et transports routiers, desserte maritime d'intérêt territorial, voirie, droit domanial et des biens de la collectivité, gestion et accès au foncier, urbanisme, droit du littoral, ressources halieutiques, du sol et du sous-sol, gestion des autorisations et de la propriété intellectuelle des ressources génétiques animales, végétales et fongiques endogènes.
([163]) Tourisme, énergie, environnement, industries culturelles et créatives.
([164]) Accès au travail des étrangers, préférence locale à l'emploi à compétences égales.
([165]) Éric Rayapin, Christelle Théophile, Nadine Fadel, « Évolution institutionnelle en Guadeloupe : "Au final, c’est la population qui va décider, puisqu’il y aura un référendum", annonce Guy Losbar », Guadeloupe la 1ère, 14 mai 2024.
([166]) Son point culminant, le morne Constant, s’élève à 204 mètres.
([168]) Guillaume Chevrollier et Catherine Conconne, Rapport d’information fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer sur la continuité territoriale outre-mer, 30 mars 2023.
([169]) Ibid.
([171]) Aurélie Chamiot Prieur et Katerine Lamprea, « Échouements de sargasses sur les côtes de Martinique et Guadeloupe : état des lieux 2024, Commissariat général au développement durable », octobre 2024.
([173]) Aux termes du plan de gestion de lutte contre les sargasses, la CCMG est censée exercer un rôle de mutualisation et de coordination du ramassage, ce qui n’est que partiellement le cas. De plus, si la CCMG « s’est substituée à la commune dans la gestion des opérations d’investissements relatives à la lutte contre les sargasses », par exemple en demandant des subventions pour la pose de barrages déviants, ce transfert de compétence semble juridiquement fragile. Cour des comptes, Commune de Capesterre de Marie‑Galante, 16 avril 2024
([174]) Bertrand Faure, Droit des collectivités territoriales, 7ème édition, Lefebvre-Dalloz, 2023.
([176]) Chambre régionale des comptes de Guadeloupe, Rapport d’observations définitives, Communauté d’agglomération CAP Excellence (département de la Guadeloupe), Exercices 2014 et suivants, 18 mars 2019.
([177]) Chambre régionale des comptes de Guadeloupe, Rapport d’observations définitives, Communauté d’agglomération du Grand Sud-Caraïbe (département de la Guadeloupe), Exercices 2011 et suivants, 4 mars 2021.
([178]) Chambre régionale des comptes de Guadeloupe, Rapport d’observations définitives, Communauté d’agglomération du Nord Basse‑Terre (département de la Guadeloupe), Exercices 2013 et suivants, 11 décembre 2020.
([179]) Jean-Michel Hauteville, Crise de l’eau en Guadeloupe, avec des coupures et des contaminations à répétition, Le Monde, 23 avril 2023
([180]) Amandine Ascensio, Gestion de l’eau en Guadeloupe : les crises se succèdent, la faute à un syndicat toujours défaillant, Le Monde, 12 avril 2024
([181]) J.-M. Hauteville, op. cit.
([182]) A. Ascensio, op. cit.
([184]) Le Monde avec AFP, « Guadeloupe : les subventions à la régie de l’eau suspendues pour « défaillances » comptables », 13 septembre 2024.
([185]) Idem.
([186]) Nadine Fadel, « Suspension des subventions au SMGEAG : l’État lâche du lest est verse 3M€ au syndicat unique de l’eau de Guadeloupe », Guadeloupe la 1ère, 11 octobre 2024.
([187]) Nadine Fadel, Eric Stimpfling, « Eau en Guadeloupe : Jean-Louis Francisque démissionne de la présidence du SMGEAG », Guadeloupe la 1ère, 15 octobre 2024
([188]) Préfet de la région Guadeloupe, Arrêté CAB du 20 avril 2024 portant couvre-feu pour les mineurs dans des secteurs des Abymes et de Pointe-à-Pitre.
([189]) Amandine Ascensio, Le Monde, « Violence des mineurs : à la Guadeloupe, un couvre-feu loin de traiter les problèmes de fond », 24 Avril 2024.
([190]) Préfet de la région Guadeloupe, Arrêté préfectoral du 21 mai 2024 portant reconduction et adaptation de l'arrêté du 20 avril 2024 de couvre-feu pour les mineurs dans des secteurs des communes des Abymes et de Pointe-à-Pitre.
([191]) Préfet de la région Guadeloupe, Arrêté du 24 septembre 2024 portant couvre-feu pour les mineurs dans la commune de Sainte-Rose ainsi que dans certains secteurs des communes de Pointe-à-Pitre, des Abymes, du Gosier, de Lamentin et Capesterre-Belle-Eau.
([192]) Lydia Quérin, « Black out en Guadeloupe : le couvre-feu reconduit à nouveau dans la nuit du dimanche 27 octobre », Guadeloupe la 1ère, 27 octobre 2024.
([193]) André-Louis Sanguin, « Saint-Martin, les mutations d'une île franco-néerlandaise des Antilles », Cahiers d'Outre-Mer, 1982, vol. 35, n° 138, pp. 123-140.
([194]) Sopheap Theng, « L'île de Saint-Barthélemy (Petites Antilles) : une destination du tourisme de luxe », Études Caribéennes, 2014, Mondes insulaires : espaces, temporalité, ressources, 27-28,
([195]) Gérald Servans, Audrey Naulin, Lanwenn Le Corre, Saint-Martin : Terre d’accueil et de contrastes, INSEE, 2017.
([196]) Rémi Barroux, « Après l’ouragan Irma, l’île de Saint-Martin toujours vulnérable », Le Monde, 30 septembre 2023.
([197]) Jean-Jacques Hyest, Christian Cointat, Simon Sutour, « L'avenir statutaire de Saint-Barthélemy et Saint-Martin : le choix de la responsabilité », Rapport d’information fait au nom de la commission des Lois du Sénat, 14 décembre 2004.
([198]) Pierre‑Olivier Caille, JurisClasseur Administratif, Fasc. 130-60 : Collectivités d’outre-mer. – Saint‑Barthélemy, Saint-Martin et Saint Pierre-et-Miquelon, LexisNexis, 6 mai 2016.
([199]) Loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer
([200]) Christian Cointat, « Rapport fait au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale sur le projet de loi organique portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer et le projet de loi portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer », 18 octobre 2006.
([203]) Nadine Fadel, Guadeloupe 1ère, « Villes les plus sûres de France : l'île de Saint-Martin et la Guadeloupe mal classées », 28 Octobre 2021.
([204]) Marion Redon, « Saint-Martin/Sint-Maarten, une petite île divisée pour de grands enjeux », Cahiers d'Outre-Mer, 2006, n° 234, pp. 232-266.
([205]) Le conseil régional de la Guadeloupe gère encore le Fonds Européen Agricole pour le développement rural (FEADER) et le Programme Opérationnel (PO) de Coopération Interreg Caraïbes 2014 – 2020, comme l’indique le site internet de la collectivité de Saint‑Martin consacré aux fonds européens.
([206]) Chambre territoriale des comptes de Saint‑Barthélemy, Rapport d’observations définitives, Collectivité de Saint-Barthélemy, exercices 2018 et suivants, 4 octobre 2023.
([207]) « Comprehensive Economic and Trade Agreement », accord économique et commercial global en français.
([209]) Nouvelle-Calédonie : « On assiste au détricotage des principes qui avaient assuré la paix civile », Jean-François Merle, Tribune publiée par le Journal Le Monde le 23 mars 2024.
([210]) L’amendement proposait la nouvelle répartition suivante : 5 (-2) membres pour la province des îles Loyauté soit 9,26 % des sièges, 13 (-2) membres pour la province Nord (24,07 %) et 36 (+4) membres pour la province Sud (66,67 %).
([211]) CEDH, 11 janvier 2005, n° 66289/01, Py c./ France.
([212]) Cour de cassation, 22 juin 2023, n° 23-60.095 ; 23-60.094 ; 23-60.093 ; 23-60.092.
([213]) M. Gérald Darmanin, JO des débats du Sénat (p. 5 069) le 26 mars 2024.
([214]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/organes/delegations-comites-offices/dom/actualites/avenir-institutionnel-des-outre-mer-presentation-d-une-communication-de-la-mission-d-information
([215]) Nouvelle-Calédonie : « On assiste au détricotage des principes qui avaient assuré la paix civile », Jean-François Merle, Tribune publiée par le Journal Le Monde le 23 mars 2024.
([216]) Selon les chiffres du Conseil d’État, ces dispositions privent aujourd’hui du droit de vote 19,28 % des électeurs inscrits pour l’élection présidentielle.
([217]) « Nouvelle-Calédonie : Les présidents des trois provinces élus », sur outremers360.com, le 17 mai 2019.
([218]) « Justifier ce qui ne peut l’être ? » article de La Voix du Caillou publié le 25 avril 2024.
([219]) Le Monde des 10-11-12 novembre 2024, page 14.
([220]) Rapport n° 525 de MM. Florent Boudié et Arthur Delaporte au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur la proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie (30 octobre 2024).
([221]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/organes/delegations-comites-offices/dom/actualites/avenir-institutionnel-des-outre-mer-presentation-d-une-communication-de-la-mission-d-information
([222]) « Le Territoire des îles Wallis et Futuna », la Cour des comptes, 31 janvier 2023.
([223]) Rapport d’information (N° 1502) sur l’autonomie alimentaire des outre-mer, publié le 4 juillet 2023 par les députés Marc Le Fur et Estelle Youssouffa au nom de la Délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale.
([224]) La Cour des comptes, op. cit.
([225]) Les Chantiers de développement local (CDL) sont des emplois aidés bénéficiant d’une aide financière temporaire et une insertion professionnelle à des personnes particulièrement défavorisées contre un travail d’intérêt général dans un service ou un établissement public (État, Pays ou commune) ou une association.
([226]) à comparer aux 47,6 millions d’euros du coût de la monarchie britannique ou aux 41 millions d’euros de la monarchie belge.
([227]) La Cour des comptes, op.cit..
([228]) La Cour des Comptes, op. cit.
([229]) Fonds européen de développement.
([230]) Arrêté du 20 septembre 2024 portant cessation de fonctions du directeur de l’Agence de santé du territoire des îles Wallis et Futuna et nomination d’un directeur par intérim. Journal officiel de la République française du 21 septembre 2024, texte 35.
([231]) Proposition de loi adaptant la gestion du foncier de Wallis et Futuna à la pratique réelle (n° 776) de M. Mikaele Seo, déposée le 31 janvier 2023.
([232]) Rapport n° 165 (2017-2018) de Mme Catherine Troendlé et de M. Mathieu Darnaud, sénateurs, au nom de la Délégation sénatoriale aux outre-mer : « la Polynésie française : allier autonomie dans la République et subsidiarité » (13 décembre 2017).
([233]) Rapport d’information n° 123 (2023-2024) fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat par Mmes Françoise Gatel et Agnès Canayer relatif aux « enjeux et perspectives de l’intercommunalité en Polynésie française » en date du 16 novembre 2023.
([234]) « L’accessibilité et l’intelligibilité du droit en Polynésie française », rapport au gouvernement de M. Michel Thénault et Mme Élisabeth Catta (février 2020).
([235]) Conseil constitutionnel, notamment dans sa décision DC 421 du 16 décembre 1999.
([236]) « L’accessibilité et l’intelligibilité du droit en Polynésie française », op. cit.
([237]) « L’accessibilité et l’intelligibilité du droit en Polynésie française », op. cit.
([238]) Catherine Vannier, magistrate, Tahiti-Pacifique Magazine. n° 240 (avril 2011) « Civilisation orale, civilisation occidentale, spoliation foncière aux îles Marquises ».
([239]) Entretien accordé le 22 août 2023 à la chaîne de télévision RTVI.
([240]) « Le Peuple », essai publié en 1846 par Jules Michelet.
([241]) Entretien accordé le 22 août 2023 à la chaîne de télévision RTVI.
([242]) Dictionnaire juridique des Outre-mer, LexisNexis AS, 3 juin 2021.