N° 792

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 janvier 2025.

RAPPORT D’INFORMATION

FAIT

 

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L’ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES ([1]),

sur la définition pénale du viol

présenté par

Mmes Véronique RIOTTON et Marie-Charlotte GARIN

Députées

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La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes est composée de :

 

Mme Véronique Riotton, présidente ; Mme Marie-Charlotte Garin, M. Guillaume Gouffier Valente, Mme Sarah Legrain, Mme Anne-Cécile Violland, viceprésidents ; Mme Julie Delpech, Mme Karine Lebon, secrétaires ; Mme Brigitte Barèges, Mme Marie‑Noëlle Battistel, M. Guillaume Bigot, Mme Sylvie Bonnet, M. Louis Boyard, Mme Gabrielle Cathala, Mme Edwige Diaz, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Thierry Frappé, Mme Martine Froger, Mme Sandrine Josso, Mme Fatiha Keloua Hachi Mme Élise Leboucher, Mme Gisèle Lelouis, Mme Guillaume Lepers, Mme Delphine Lingemann, Mme Christine Loir, Mme Marie-France Lorho, Mme Graziella Melchior, Mme Joséphine Missoffe, Mme Marie Récalde, Mme Sandra Regol, Mme Sandrine Rousseau, M. Emmanuel Taché de la Pagerie, Mme Andrée Taurinya, Mme Prisca Thevenot, Mme Céline Thiébault-Martinez.

 


SOMMAIRE

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Pages

synthèse du rapport

introduction

I. Pourquoi la question de la dÉfinition pÉnale du viol se pose-t-elle aujourd’hui ?

A. certes, Les problèmes culturels et matÉriels que soulève la question du viol dépassent la seule sphère juridique

1. Une problématique culturelle qui dépasse la seule sphère juridique

a. Le viol s’enracine dans le contexte global de la culture du viol

b. Le crime de viol se nourrit très majoritairement de la vulnérabilité statutaire et sociale des victimes

2. Un crime qui présente des difficultés spécifiques, renforcées par le manque de moyens de la chaîne judiciaire

a. Un crime de l’intime qui peut rendre difficile l’administration de la preuve

i. Il n’y a souvent pas de témoins

ii. Il est difficile de porter plainte et le temps joue contre les victimes

iii. Un crime sans aveux

iv. Des phénomènes de sidération trop souvent ignorés

b. Malgré de réels efforts des professionnels, un manque de moyens des enquêteurs et de l’ensemble des acteurs de la chaîne judiciaire

i. Un volet médico-légal dont l’accessibilité doit être renforcée

ii. Police/gendarmerie : des progrès indéniables mais des moyens à renforcer en matière d’accueil, de dépôt de plainte et d’enquête

iii. Justice : des efforts qui doivent être poursuivis

B. NÉanmoins, le droit pÉnal échoue trop souvent dans ses fonctions répressive et protectrice, quand il ne contribue pas à laisser prospÉrer certains stÉrÉotypes

1. Des infractions très nombreuses qui restent le plus souvent sans réponse pénale : des statistiques édifiantes

i. Un contentieux de masse malgré un « chiffre noir » très élevé

ii. Un taux de condamnation extrêmement faible par rapport au nombre de plaintes déposées

iii. Des auteurs qui développent un sentiment d’impunité

2. Un traitement judiciaire qui échoue à protéger les victimes

i. La concentration des interrogatoires et investigations sur la victime

ii. La parole de la victime est questionnée, l’auteur est cru sur parole

iii. Re-victimisation des victimes

3. De nombreux stéréotypes favorisés par le silence de la loi sur la question du consentement

i. En l’absence de définition, le consentement est toujours utilisé contre la victime.

ii. Bonne victime et bon auteur

iii. Les arguments confortables de la « zone grise » et du « parole contre parole ».

C. Un contexte international et europÉen qui invite à un changement de paradigme

1. La définition du viol en France n’est pas conforme à ses engagements internationaux

a. La définition du viol n’est pas conforme à la Convention d’Istanbul ratifiée par la France

b. Des questions soulevées devant le Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) et la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH)

2. L’échec d’une définition européenne du viol

3. Nombre de nos voisins européens ont modifié leurs définitions pour répondre à leurs engagements mais surtout à une forte demande sociale

II. les dispositions actuelles du code pÉnal

A. une construction lÉgislative lente, toujours prÉcÉdÉe d’avancÉes jurisprudentielles et sociÉtales

1. Une définition historiquement centrée sur le recours de l’auteur à des moyens de coercition

a. Une définition centrée sur les moyens de coercition qui ne mentionne pas explicitement le défaut de consentement

b. L’abandon récent des éléments de coercition pour les mineurs de 15 ans

2. Des peines historiquement lourdes que de très nombreuses circonstances peuvent venir aggraver

a. Un renforcement de la répression et un allongement des délais de prescription

b. Des circonstances aggravantes aujourd’hui au nombre de dix-sept qui peuvent limiter la caractérisation de l’infraction

B. Une jurisprudence variée et parfois innovante, qui peine TOUTEFOIS À combler le SILENCE de la loi sur la notion de consentement

1. Une interprétation parfois extensive des éléments matériels constitutifs du viol (violence, contrainte, menace et surprise)

a. Les notions de violence et de menace sont les plus simples à appréhender

b. La jurisprudence a enrichi la notion de contrainte

c. et commencé à intégrer des situations inattendues ou auparavant mal comprises dans la notion de surprise

2. Mais restrictive de l’élément intentionnel, corollaire de la notion de consentement

a. Seul le fait pour l’auteur d’ignorer sciemment une absence de consentement claire et non contestable permet de retenir l’intention coupable

b. L’absence de consentement est insuffisante en elle-même à caractériser le viol et peut être utilisée pour neutraliser le recours à la violence, contrainte, menace ou surprise

III. la réforme de la définition pénale du viol : mieux réprimer, mieux protéger, mieux prévenir

A. LA redÉfinition pÉnale du viol : combler le silence de la loi sur la notion de non-consentement

1. Introduire la notion de consentement dans la définition des agressions sexuelles tout en conservant les critères actuels

a. Introduire le consentement pour mieux encadrer l’usage de cette notion par les acteurs de la chaîne judiciaire

b. Tenir compte des « circonstances environnantes » dans les démarches d’enquête et de poursuite

c. Exploitation de la vulnérabilité, silence, absence de résistance, sommeil, inconscience : apporter des précisions sur la notion de consentement

2. Préserver les acquis jurisprudentiels en conservant les quatre critères constitutifs de l’infraction

3. Aménager les délais de prescription

4. Conserver la cohérence avec les autres dispositions de ce chapitre du Code pénal

B. tout en respectant les grands principes de notre droit et en Évitant les « pièges du consentement »

1. La présomption d’innocence

2. Le principe d’intentionnalité

3. Veiller au principe de non-rétroactivité du droit pénal

4. Répondre aux préoccupations légitimes des organisations féministes et éviter les « pièges du consentement »

Conclusion

Glossaire

travaux de la délégation

I. Audition de M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice

II. TABLE RONDE SUR LA RÉPONSE JUDICIAIRE AUX VIOLENCES SEXISTES ET SEXUELLES

III. Examen du rapport par la délégation

ANNEXES

Annexe  1 : schéma – le chemin de l’impunité

Annexe  2 : législations européennes ayant intégré le non-consentement à la définition du viol

Annexe  3 : QR code tasse de thé

annexe n° 4 : proposition de loi

annexe  5 : Liste des personnes auditionnées

personnes entendues par la délégation

personnes entendues par les rapporteures

 


   synthèse du rapport

Pour une vraie culture du consentement, réformer la définition pénale du viol

Pourquoi la question de la redéfinition pénale du viol se pose-t-elle ?

1. Malgré des avancées, la criminalité sexuelle ne recule pas et un climat d’impunité perdure

Toutes les 2 minutes, une personne est victime de violences sexuelles. Pourtant, huit victimes sur dix, hors cadre familial, ne portent pas plainte. Pourquoi autant de victimes renoncent-elles à porter plainte ? Parce qu’elles pensent que ce n’était pas assez grave (24 %), que ça n’aurait servi à rien (24 %), que leur témoignage ne sera pas pris au sérieux par les forces de l’ordre (16 %) ou qu’elles veulent éviter que cela ne se sache (10 %). Sur le peu de victimes qui portent plainte, le ministère de la Justice comptabilisait 73 % de classements sans suite en matière de violences sexuelles en 2018, bien que l’auteur soit souvent identifié. C’est parce que les auteurs ne sont pas massivement condamnés que le climat d’impunité perdure (1 206 condamnations pour viol en 2022).

2. Le silence de la loi sur le consentement

Bien que la question de l’existence ou non du consentement soit omniprésente tout au long de la procédure judiciaire, il reste absent de la définition du viol dans le Code pénal. La jurisprudence s’est développée pour s’adapter aux évolutions de la société, mais le traitement judiciaire demeure parfois aléatoire, notamment pour les cas de sidération, de contrôle coercitif ou d’exploitation de situations de vulnérabilité, qui ne sont pas explicitement couverts par la loi. Faute de définition claire, le consentement est souvent instrumentalisé par les agresseurs ("Je ne pouvais pas savoir", "Elle n’a rien dit"), ce qui alimente les stéréotypes sur le viol, complique les dépôts de plainte et engendre de nombreux classements sans suite, au détriment des victimes

3. La lutte contre la culture du viol nécessite une loi plus claire et plus lisible

Près de 10 ans après la naissance du mouvement #Metoo et comme l’a à nouveau illustré le procès dit « de Mazan », la lutte contre la culture du viol doit être une priorité. Or, le droit en vigueur contribue au maintien de préjugés sociétaux sur ce qu’est une « bonne » victime (qui résiste, se débat, est « exemplaire » dans son comportement), un « vrai » viol (avec violence et contrainte, par un individu monstrueux et/ou étranger) mais nourrit aussi des idées reçues sur une prétendue « présomption de consentement » ou « disponibilité sexuelle » des victimes (« il y a viol et viol » ; « qui ne dit mot consent »). Le droit devrait énoncer plus clairement la différence entre sexualité et violence et réaffirmer que le viol n’est pas une relation sexuelle – c’est un acte de violence et de domination. Ce changement est un levier pour une société plus égalitaire et une culture commune basée sur le respect mutuel.

 

4. Le respect de nos engagements internationaux

Notre droit doit s’aligner avec nos engagements internationaux et notre diplomatie féministe. La Convention d’Istanbul, ratifiée par la France, fait clairement référence à l’absence de consentement, examinée à la lumière des circonstances environnantes, dans la définition du viol. Dans son rapport dévaluation de 2019, le GREVIO, organe chargé du suivi de la mise en œuvre de la Convention d’Istanbul, a souligné qu’en France, « la définition juridique des infractions sexuelles n’est pas fondée de manière explicite sur le consentement libre et non équivoque de la victime ». Par ailleurs, un nombre croissant de pays de l’Union européenne ont intégré la notion de consentement dans la définition du viol, avec pour certains des résultats probants sur le nombre de condamnations, la protection des victimes et la lutte contre les stéréotypes.

Une étape dans la lutte contre les violences sexuelles

La modification de la loi ne suffira pas, à elle seule, à répondre à l’ensemble des difficultés rencontrées par les victimes de violences sexuelles, qui sont multifactorielles. Mais elle peut être une pierre à l’édifice, un jalon dans le changement de paradigme attendu par les associations féministes, les professionnels, et une grande partie de l’opinion publique. Cette réforme doit, pour porter ses fruits, s’accompagner de moyens renforcés pour l’ensemble de la chaîne judiciaire et d’une lutte résolue contre la culture du viol – l’accès effectif sur l’ensemble du territoire à l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS) y joue un rôle essentiel. Elle doit permettre au droit pénal de mieux remplir ses fonctions répressives, protectrice et expressive.

• Mieux prévenir : La loi a un rôle central. Elle exprime les valeurs de notre société et envoie un message clair sur ce qui est réprimable ou non. Clarifier la loi permet de mieux prévenir les violences sexistes et sexuelles, en levant toute ambiguïté : aucune personne initiant un contact sexuel ne doit être dispensée de s’assurer du consentement libre et éclairé de l’autre.

• Mieux reconnaître : Une meilleure prise en compte du consentement permettrait de mieux apprécier les vulnérabilités des victimes et les stratégies mises en place par les auteurs pour vicier leur consentement. Cela permettrait également d’éviter de faire du comportement actuel ou passé de la victime le cœur de l’enquête et de mieux prendre en compte les cas de sidération, coercition et d’emprise. Ce changement doit être soutenu par une formation approfondie des enquêteurs, magistrats et professionnels de santé sur les spécificités des violences sexistes et sexuelles pour les auteurs comme pour les victimes, avec l’instauration de protocoles adaptés tout au long de la procédure.

• Mieux réprimer : L’enquête doit systématiquement porter sur les indices permettant d’évaluer si et par quelles mesures raisonnables le mis en cause a cherché à recueillir le consentement. En inscrivant clairement cette exigence dans la loi, on donne aux juges un outil supplémentaire pour poursuivre davantage de mis en cause. Ainsi, les stratégies mises en place par les agresseurs seraient mieux prises en compte pour les sanctionner.

 

Les grandes orientations de la réforme

1/ Introduire la notion de non-consentement dans la définition pénale du viol

La mission propose d’intégrer la notion de non-consentement dans la définition pénale du viol et des agressions sexuelles. L’absence de consentement doit permettre de distinguer la sexualité de la violence. La nouvelle définition doit préciser que le consentement est spécifique, doit être donné librement et peut être retiré à tout moment.

2/ Conserver les quatre critères de la définition actuelle

C’est-à-dire la référence au recours à la violence, à la menace, à la contrainte et à la surprise, afin de conserver l’acquis jurisprudentiel. Il ne s’agit pas de les affaiblir, mais de les consolider.

3/ Apprécier l’absence de consentement au regard des circonstances environnantes

Par cette référence, il s’agit d’éviter que l’investigation ne soit centrée uniquement sur la plaignante ou que la notion de consentement ne se retourne contre elle (victimes vulnérables, stratégies de certains agresseurs). Cela conduit les enquêteurs, les juges, à interroger davantage les agissements de la personne mise en cause et à apprécier la validité du consentement à l’aune des vulnérabilités éventuelles de la victime.

4/ Préciser les cas où le consentement ne saurait être déduit

Il est proposé de préciser que le consentement ne peut être déduit dans des situations où la victime est dans l’incapacité d’exprimer son refus. Les situations dans lesquelles la vulnérabilité de la victime est exploitée doivent également être mieux prises en compte.

 

 

 

 

 

 

 

 

 


   introduction

« Lorsque ça m’est arrivé, je croyais beaucoup en la justice et j’ai fait tout ce qu’on m’a demandé. L’auteur des faits a été acquitté et moi, j’ai été broyée, une deuxième fois. Au début, lorsque l’on me demandait si une victime devait porter plainte, je répondais « oui ». Aujourd’hui, je réponds que je ne suis pas sûre : il faut que la victime ait un peu d’argent, qu’elle soit très bien entourée et qu’elle s’apprête à perdre - parce qu’elle a une chance sur deux que sa plainte ne soit pas reçue au commissariat, neuf chances sur dix pour que sa plainte soit classée sans suite et, si elle arrive dans l’arène judiciaire, elle a de fortes chances de se faire maltraiter. Suffisamment maltraiter pour que 25 ans après, j’en ai encore la gorge nouée. » Mme Giulia Foïs, journaliste.

« S’agissant du viol et de l’agression sexuelle, je ne parviens pas à expliquer l’état actuel de notre droit français, si ce n’est en me référant à l’histoire et aux préjugés sexistes et patriarcaux qui continuent à prévaloir. Il m’est souvent arrivé de dire aux victimes, lors d’audiences : « Madame, je vous crois. » Cependant, je ne pouvais pas, au regard des éléments recueillis dans la procédure et des exigences imposées par la loi, condamner l’auteur. Expliquer cette décision était pour moi une nécessité, car il n’existe pas pire sanction que de laisser une victime avec le sentiment de ne pas être crue. » M. François Lavallière, magistrat.

« Fréquemment, face au récit de la victime et à celui de l’agresseur prétendant « avoir cru que » ou « ne pas avoir su », les poursuites sont abandonnéesOn va classer sans suite. On va d’autant moins l’approfondir que le texte ne nous y convie pas, parce qu’il ne détaille pas ou ne précise pas un certain nombre de situations, de contraintes. Il ne permet pas de caractériser la relation entre la victime et l’agresseur. Ces lacunes doivent être comblées. » Me Frédérique Pollet-Rouyer, avocate.

« Les raisons de l’impunité ne résident pas seulement dans la définition de la loi, mais cette définition véhicule des stéréotypes, et à ce titre il est nécessaire de la modifier. En effet, les victimes elles-mêmes, avec la définition actuelle ont parfois du mal à concevoir que ce qu’elles ont subi relève du viol » Mme Maria Cornaz-Bassoli, avocate et co-secrétaire nationale de Choisir la cause des femmes.

Ces témoignages, issus des travaux de la mission, font état des difficultés quotidiennes rencontrées par les victimes face aux institutions judiciaires. Ils montrent en quoi l’actuelle définition pénale du viol fait aussi partie du problème en irriguant la façon de mener les enquêtes et d’engager les poursuites et en nourrissant certains stéréotypes sur le viol.

Il y a plus d’un an, la discussion de la directive européenne relative à la lutte contre les violences faites aux femmes et aux violences domestiques a relancé le débat, en Europe et en France, sur la définition pénale du viol. Elle a opposé deux conceptions, qui ne sont pas exclusives, de la définition du crime de viol : celle fondée principalement sur le non consentement de la victime et, celle, comme c’est le cas aujourd’hui en droit pénal français, centrée davantage sur les éléments matériels (violence, contrainte, menace et surprise). Face aux interrogations provoquées par la discussion de cette directive, une mission d’information parlementaire a été créée par la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale en décembre 2023.

C’est avec prudence et humilité que vos co-rapporteures ont abordé ce sujet délicat. Au terme de plusieurs mois de travaux, vos co-rapporteures ont acquis la conviction que la loi devait être modifiée. Le Président de la République Emmanuel Macron s’y est déclaré favorable, en mars 2024, de même que les gardes des sceaux, Éric Dupont-Moretti en mars 2024, puis Didier Migaud en octobre 2024.

Pourquoi la question de la redéfinition pénale du viol et des agressions sexuelles se pose-t-elle aujourd’hui ?

Depuis 2017, le mouvement #Metoo a montré l’ampleur et le caractère systémique des violences sexistes et sexuelles. Au gré des ouvrages, des témoignages, des procès, des enquêtes, des articles, la parole se libère mais cette parole est-elle véritablement entendue ? Jamais les pouvoirs publics, et en particulier le système judiciaire, n’ont été autant interpelés sur les limites de la réponse apportée aux violences sexuelles. Mais pour l’heure, aucune réforme législative n’est venue répondre à cette forte demande sociétale. Le crime de viol, crime de l’intime, qu’entoure hélas encore un halo de honte, de mutisme et d’évitement, s’accompagne d’un silence proche du déni.

Certes, la réalité du viol et des agressions sexuelles est mieux comprise et reconnue aujourd’hui grâce aux avancées de la recherche, à la parole des victimes et à la mobilisation des organisations féministes. Les professionnels sont mieux formés et informés et il faut louer les efforts de ceux qui s’investissent quotidiennement dans la lutte contre les violences sexuelles. L’arsenal juridique s’est aussi renforcé ces dernières années : les peines ont été aggravées, bien que sans effet probant sur la criminalité, et les délais de prescription ont été rallongés. En outre, la jurisprudence a pu être innovante en matière de répression pénale, et interpréter de manière plus large les faits matériels pour caractériser l’infraction (violence, contrainte, menace, surprise), même si la position de la Cour de cassation demeure claire sur la caractérisation des faits. ([2])

Cependant, en dépit de ces avancées, la criminalité sexuelle n’a pas reculé, les victimes ne sont pas mieux protégées et la culture du viol persiste. S’y ajoutent les difficultés considérables des victimes, du dépôt de plainte jusqu’au verdict, en passant par l’enquête, avec des risques immenses de victimisation secondaire. En d’autres termes, en matière de viol, le droit pénal échoue à remplir ses trois grandes fonctions : répressive c’est-à-dire de sanction des comportements dangereux pour l’ordre public ou contraire aux exigences de la vie en société ; protectrice pour la société et les citoyens ; et expressive dans l’idée d’énoncer et d’exprimer les valeurs essentielles d’une société. Le nombre anormalement élevé de classements sans suite et de non-lieux, la persistance du phénomène de correctionnalisation, et le caractère aléatoire et hétérogène de la réponse pénale nourrissent un climat d’impunité, un sentiment légitime d’abandon pour les victimes et laissent persister de terribles stéréotypes sur le viol. Quelques semaines après le verdict du procès dit « de Mazan », qui aura été à bien des égards le procès de la culture du viol, il est temps d’agir et de franchir une nouvelle étape dans la lutte contre les violences sexuelles.

Les statistiques – bien que très lacunaires en la matière – sont édifiantes. En 2021, selon les données du ministère de l’Intérieur, 252 000 personnes ont été victimes de violences sexuelles, dont 168 000 de viols et tentatives de viol ([3]). Huit victimes sur dix, de viols, tentatives de viol et agressions sexuelles hors cadre familial n’ont pas porté plainte. ([4]) En 2021, 24 % des victimes expliquent avoir renoncé à passer la porte du commissariat parce que « cela n’aurait servi à rien », 16 % craignant que leur témoignage ne soit pas « pris au sérieux »  ([5]). Enfin, s’il y a des condamnations, près de 73 % des plaintes pour violences sexuelles étaient classées sans suite, selon les chiffres du ministère de la Justice publiés en 2018 ([6]). La justice ne traite donc que le sommet de l’iceberg.

Bien sûr, la redéfinition pénale du viol, à elle seule, ne peut répondre à l’ensemble des difficultés rencontrées par les victimes qui sont multifactorielles. Néanmoins, le dispositif textuel actuel constitue un obstacle dans la possibilité d’aboutir à des poursuites pénales en matière de viol et d’agression sexuelle et il contribue à nourrir de terribles stéréotypes sur le viol. Comme le procès dit « de Mazan » l’a illustré, le consentement est d’ores et déjà au cœur du débat judiciaire, alors même qu’il est insuffisant à caractériser l’infraction. Il peut même être utilisé contre les victimes en l’absence de définition. Les cas d’emprise, de sidération, d’état conduisant à une absence de résistance, de situation de vulnérabilité ne sont pas pris en compte et souvent ne permettent pas d’engager des poursuites, voire se retournent contre les victimes. Enfin, en l’état actuel du droit, la définition du viol contribue à alimenter des idées reçues dangereuses – sur ce que seraient un « vrai » viol et une « bonne » victime qui nourrissent en réalité la culture du viol.

Ce rapport analyse le droit existant et fait état du cheminement qui a conduit vos co-rapporteures à préconiser une réforme du Code pénal, avant de présenter les principes qui doivent selon elles guider cette réforme. Vos co-rapporteures ont notamment entendu les préoccupations des organisations féministes quant à une simple introduction du principe de non-consentement qui ne tiendrait pas compte du contexte dans lequel le consentement aurait été recueilli et exprimé. Une proposition de loi, fruit d’un travail transpartisan mené en lien avec les experts, les praticiens et les associations, sera déposée afin de combler le silence de la loi sur le consentement, tout en protégeant les victimes et en respectant les grands principes de notre droit.

Le présent rapport n’a pas pour objet d’effectuer une étude complète de la lutte contre les violences sexuelles, mais de se concentrer sur leur définition pénale comme l’une des pierres angulaires de ce combat. Les autres voies d’action, la question des moyens financiers, du soutien aux associations, de l’accompagnement des victimes, des conditions de dépôt de plainte, des enquêtes, des procès, de la formation des professionnels, mais aussi de l’éducation et de la prévention, ne doivent pas être oubliées. La délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale s’est déjà saisie du sujet. Dans leur rapport sur le viol, publié en février 2018, Mmes Sophie Auconie et Marie-Pierre Rixain ([7]), ont formulé des préconisations afin de mieux protéger les victimes et de mieux réprimer les auteurs de crime de viol. Vos co-rapporteures les rejoignent comme elles soutiennent les propositions des organisations de la société civile visant à améliorer la protection et le parcours judiciaire des victimes et faire refluer la culture du viol ([8]). Ne sera pas non plus abordé le sujet des victimes mineures, pour lesquelles le Code pénal prévoit des dispositions spécifiques. Enfin, certains passages décrivent des violences sexuelles et peuvent heurter la sensibilité.

 


I.   Pourquoi la question de la dÉfinition pÉnale du viol se pose-t-elle aujourd’hui ?

A.   certes, Les problèmes culturels et matÉriels que soulève la question du viol dépassent la seule sphère juridique

1.   Une problématique culturelle qui dépasse la seule sphère juridique

a.   Le viol s’enracine dans le contexte global de la culture du viol

De nombreux travaux de recherche soulignent depuis longtemps que le viol n’est pas un phénomène marginal ou exceptionnel, qui serait le fait d’individus déviants ou monstrueux. Au contraire, le viol est un crime de masse qui s’enracine dans un contexte global de rapports de genre inégaux. La liste des mis en cause dans le procès dit de « Mazan » qui a débuté à Avignon en octobre 2024 nous l’a rappelé – 51 profils, dont son propre conjoint, représentatifs de toutes les catégories sociales, pour certains parfaitement insérés dans la société. Mme Gisèle Pelicot, au dernier jour des débats, a d’ailleurs appelé la société, qu’elle a qualifiée de « machiste et patriarcale, qui banalise le viol », à « changer de regard sur le viol ».

Il ne s’agit pas ici de recenser l’ensemble de ces travaux, ni de faire état des nuances apportées par chacun, mais de noter que tous montrent clairement que nul n’échappe aux idées reçues sur le viol, ni la société au sens large, ni les médias, ni les pouvoirs publics, ni même parfois les acteurs de la chaîne judiciaire.

Le concept de « culture du viol », théorisé dans les années 1970, s’est progressivement démocratisé à partir des années 2000, notamment sous l’effet du mouvement #Metoo ([9]). Il permet de caractériser l’ensemble des croyances, des mythes et des idées reçues associés à ce crime et qui justifient sa négation ou son absence de condamnation. Kimberly A. Lonsway et Louise F. Fitzgerald ([10]) le définissent comme l’ensemble des « attitudes et croyances qui sont généralement fausses mais sont maintenues profondément et de façon persistante et qui servent à nier et justifier l’agression sexuelle masculine contre les femmes ». Pour Éric Fassin, « il s’agit de penser la violence sexuelle en termes culturels et non individuels, non pas comme une exception pathologique, mais comme une pratique inscrite dans la norme qui la rend possible en la tolérant, voire en l’encourageant ». ([11])

Les ouvrages de Valérie Rey-Robert ([12]) et Noémie Renard ([13]) mettent en lumière les nombreux aspects de la culture du viol, innervant tous les segments de la société – aussi bien l’impunité sociale et juridique des agresseurs, les représentations et mythes sur les violences sexuelles ou encore les contraintes et les violences rencontrées par les femmes dans leurs interactions sexuelles avec les hommes.

De nombreuses recherches ont porté sur l’inscription intrinsèque du crime de viol dans un contexte d’inégalités et de rapports de pouvoir, allant jusqu’à remettre en question la possibilité même du consentement. Dans son ouvrage, Against our will : men, women and rape ([14]), Susan Brownmiller explique ainsi que les violences sexuelles ne résultent pas de comportements individuels isolés et atypiques mais reflètent des structures et des normes sociales profondément inégalitaires, basées sur la domination et le contrôle des femmes.

Plus récemment, l’essai Le viol redéfini ([15]) de la juriste américaine Catharine MacKinnon invite à repenser la législation du viol et des agressions sexuelles à l’aune de l’inégalité entre les femmes et les hommes comme source première de ces infractions. Pour cette dernière, ces stéréotypes conditionnent jusqu’à la notion de consentement, « un concept intrinsèquement inégalitaire » ([16]) qui entérinerait une asymétrie fondamentale entre les femmes et les hommes. Catharine MacKinnon considère en effet que le consentement ne serait qu’une adaptation des femmes à l’inégalité – celles-ci se résignant parce que la résistance aux actes sexuels non désirés serait impossible, inutile, voire dangereuse. L’exigence d’un consentement explicite y est critiquée, les femmes étant, selon elle, de toute façon contraintes d’acquiescer à leur propre domination.

Dans son essai La conversation des sexes. Philosophie du consentement ([17]), la philosophe Manon Garcia, entendue par la mission, souligne que cette notion est imprégnée de représentations hétérosexistes : il est pensé que les hommes sont constamment désireux de sexe, incapables de se contrôler, devant assouvir leurs besoins irrépressibles, et il reviendrait aux femmes de décider d’accepter ou de rejeter les avances sexuelles des hommes : l’homme propose, la femme dispose. Dans ce modèle, seul le comportement des femmes – leur refus ou leur accord – distinguerait le sexe du viol.

Cependant, on pourrait opposer à cette conception du consentement « négatif », une forme de consentement « positif », libre, spécifique et éclairé, ayant pour fondement l’égalité et le désir réciproque et ainsi reprendre des mains des agresseurs la notion dévoyée de consentement (« céder n’est pas consentir ») qui est l’acte par lequel un individu accepte volontairement une proposition ou une situation, ou l’état résultant de cet acte.

Nombreux sont les auteurs qui vont jusqu’à évoquer une forme de déni collectif de la société vis-à-vis du phénomène du viol. Ainsi, selon Mme Valérie Rey-Robert, « il y a des stratégies d’atténuation de la réalité ». Les idées reçues sur le viol « servent à nier et justifier l’agression sexuelle masculine contre les femmes » ([18]). C’est aussi ce que souligne M. Denis Salas, entendu par la mission, pour qui « la honte de la victime, le mutisme de l’agresseur, le silence de l’entourage et l’évitement de la loi forment un mur de dénégations que rien ne semble entamer ». ([19]) Les victimes elles-mêmes ont parfois du mal à s’identifier comme telles, comme c’est souvent le cas pour les victimes de viols conjugaux.

Malgré son retentissement médiatique, le mouvement #MeToo « n’est pas parvenu à contrecarrer les stéréotypes et les mythes sur le viol et les violences sexuelles qui sont particulièrement ancrés » dans notre société, explique Mme Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie.

Des études récentes montrent que les préjugés sur le viol persistent, et ce notamment chez les jeunes. Plusieurs enquêtes réalisées par IPSOS « Les français.e.s et les représentations sur les violences sexuelles » ([20]) en font état. Parmi les interrogés 42 % pensent qu’une attitude provocante de la victime en public atténuait la responsabilité du violeur ; 37 % qu’il est habituel que les victimes accusent à tort pour se venger ; 20 % que les femmes aiment être forcées et ne savent pas ce qu’elles veulent. Par ailleurs, plus des 2/3 des interrogés considèrent que la sexualité masculine est pulsionnelle et difficile à contrôler, et que la sexualité féminine est passive. Seulement 59 % des hommes de 18 à 25 ans considèrent que forcer sa partenaire à avoir un rapport sexuel alors qu’elle refuse est un viol. En outre, 23 % des hommes de cette tranche d’âge considèrent que « beaucoup de femmes prennent du plaisir à être forcées » et 36 % qu’elles aiment « être humiliées et injuriées »([21])

Mme Muriel Salmona, lors de son audition par la mission, a pointé un problème récurrent de compréhension de la notion de consentement par les nouvelles générations, notamment en raison de leur exposition précoce aux contenus pornographiques ou à des jeux en ligne relayant une érotisation et une banalisation de la violence et des comportements dégradants envers les femmes. Comment ici ne pas s’inquiéter du fait que seuls 15 % des jeunes en âge d’en bénéficier aient eu accès aux trois séances annuelles d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle prévues par la loi ?

Ces préjugés ne sont pas sans impact sur la réponse judiciaire apportée au viol. D’une part, selon Mme Catherine Le Magueresse ([22]), ils nourrissent une présomption de consentement, « fiction légale et culturelle qui dispense celui qui initie un contact sexuel de s’assurer du consentement effectif de l’autre ». C’est à travers cet imaginaire stéréotypé que l’allégation du consentement de la victime est en mesure de prospérer.

D’autre part, ils alimentent des clichés sur ce que serait un « vrai viol », celui où la victime se débat pour échapper à son agresseur, un viol accompagné de violence qui correspond peu à la réalité (la sidération psychique, la connaissance de son agresseur, la peur de représailles peuvent empêcher toute réaction de la victime). Les chiffres montrent d’ailleurs, on le verra dans la suite du rapport, qu’une grande majorité des victimes connaissent leur agresseur. Comme l’a rappelé Mme Ludvilla Mallet, présidente de la Ligue contre le viol conjugal, lors de son audition, les viols conjugaux représentent la moitié des viols en France. Mme Auriane Dupuy, chargée de plaidoyer de la FNCIDFF, a souligné que « la législation actuelle semble supposer de manière implicite une libre disponibilité du corps des femmes. On considère que s’il n’y a ni violence, menace, contrainte ou surprise, il n’y a pas condamnation possible. »

Il résulte de ces biais qu’à toutes les étapes de la chaîne judiciaire, de la dénonciation à la condamnation, plus un viol se rapproche du cliché du « vrai viol », plus il sera traité favorablement. Il est plus facile d’accepter ces clichés sur le viol que la réalité.

Le procès dit des « viols de Mazan » et la culture du viol

Du 2 septembre au 19 décembre 2024 s’est tenu devant la cour criminelle du Vaucluse le procès dit « des viols de Mazan ». M. Dominique Pelicot est accusé d’avoir drogué sa femme, Mme Gisèle Pelicot, pendant près de 10 ans, avant de la violer et d’inviter des hommes recrutés sur internet à abuser sexuellement d’elle. Il a filmé et archivé les images des viols. Avec 51 hommes (sur près de 80 identifiés par la police) âgés de 26 à 74 ans, il comparaît pour différents chefs d’accusation ([23]).

Le procès a montré la persistance de la culture du viol chez les prévenus et la défense (« son mari était d’accord » ; « il y a viol et viol » ; « viol de complaisance » ; « viol par politesse », Gisèle Pelicot a été interrogée sur ses prétendues « tendances exhibitionnistes »). Comme l’a souligné Me Antoine Camus, l’avocat de Gisèle Pelicot : « les accusés ont choisi un mode de défense révélateur d’un phénomène qui porte un nom : c’est la culture du viol. ». C’est la raison pour laquelle, Me Stéphane Babonneau qui a également assuré la défense de Gisèle Pelicot, s’est déclaré favorable à l’introduction de la notion de consentement dans la définition pénale du viol, partant du constat qu’ « on voit bien que les gens ne comprennent pas pourquoi il n’y a pas ce mot, or la loi doit parler aux gens ».

Ce procès a également permis de battre en brèche certains clichés : la diversité des profils des accusés (âge, métier, milieu social) a illustré la prévalence du viol (« comment en 2024 peut-on trouver 70 individus, dans un rayon de 50 kilomètres, pour venir profiter de ce corps inerte, sans conscience, qu’on croirait mort ? ») ([24]) et la « banalité » des mis en cause, loin du cliché du « violeur monstrueux ». Gisèle Pelicot a déclaré que ce procès était celui de la « lâcheté » face à des accusés « venus assouvir leurs pulsions sexuelles, et [qui] seulement après, se sont dit que quelque chose n’allait pas dans cette chambre » ([25]).

b.   Le crime de viol se nourrit très majoritairement de la vulnérabilité statutaire et sociale des victimes

S’il n’y a pas de profil type d’agresseur, il existe un dénominateur commun aux crimes de viol : l’exploitation de la vulnérabilité. C’est un acte de domination, un abus d’autorité et de pouvoir qui se nourrit de la vulnérabilité des victimes. Lors de son audition par la mission, Mme Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol (CFCV) a souligné que les agresseurs développaient bien souvent la même stratégie : « ils choisissent la victime, ils inversent la culpabilité, ils terrorisent ».

Les personnes en situation de handicap, sans domicile fixe, en situation de grande précarité, migrantes, dépendantes physiquement, statutairement ou économiquement sont plus susceptibles d’être victimes de viol que le reste de la population. Les femmes, qui cumulent souvent précarité, isolement, revenus inférieurs à ceux des hommes et peuvent se trouver au carrefour de vulnérabilités croisées, sont particulièrement concernées. Il ressort des auditions que les agresseurs ciblent les personnes qu’ils perçoivent comme étant les plus vulnérables, car ils estiment pouvoir les contraindre plus facilement et qu’elles seront moins en mesure de se défendre ou de signaler l’agression. Le docteur Olivier Manceron, membre du conseil d’administration de Femmes pour le dire, Femmes pour agir parle de « potentielles proies » que les agresseurs décèlent en fonction de leur vulnérabilité.

Or, selon la professeure de droit, Mme Audrey Darsonville, entendue par la mission, non seulement la vulnérabilité est un facteur de risque, mais « la vulnérabilité de la victime devient un élément discriminant à son encontre lors de poursuites pénales, au lieu d’être un élément de nature à accroître sa protection par les autorités de poursuite ». Selon Mme Isabelle Théry, magistrate honoraire, les situations de vulnérabilité sont souvent « mobilisées à l’envers » pour décrédibiliser la parole de la victime. Les fragilités des victimes viennent pénaliser leur parcours judiciaire. Au cours de la procédure, de nombreux préjugés vont remettre en question la parole et la crédibilité de la plaignante, notamment dans le cas de troubles psychiatriques et cognitifs.

Les femmes en situation de handicap sont parmi les plus exposées aux comportements de prédation, selon une étude de l’Ifop de novembre 2022 ([26]). Entendue par la mission, Mme Marie Rabatel, présidente de l’Association francophone des femmes autistes (AFFA), indique que le cumul de vulnérabilités augmente les risques de subir des violences. Une étude de 2019 ([27]) a révélé que 88 % des femmes autistes avaient subi des violences sexuelles, dont plus de la moitié un viol. Selon Mme Béatrice Pradillon, co-fondatrice du collectif Les Dévalideuses, les violences sexuelles sont souvent exercées par une personne de l’entourage proche (un aidant, un auxiliaire de vie, en institution). Selon la présidente de l’AFFA, la crédibilité de la parole des femmes en situation de handicap est quasiment toujours mise en doute par des préjugés validistes, forme de « déni » des violences subies ([28]), et la prise en charge des victimes n’est pas adaptée.

Victimes de discriminations sexistes et racistes, les femmes racisées sont elles aussi particulièrement vulnérables aux violences sexuelles, une réalité alimentée par des stéréotypes déshumanisants, notamment véhiculés par la pornographie.

L’exploitation d’une vulnérabilité due au handicap ([29])

En 2023, la cour d’assises des Alpes-Maritimes a condamné à 15 ans de prison un kinésithérapeute coupable de viol sur trois résidentes autistes d’un établissement spécialisé.

Devant la cour, les plaignantes ont affirmé que les séances de kiné « dégénéraient », allant parfois jusqu’à des pénétrations. « Il me bloquait entre l’escalier et le mur. Il voulait avoir des rapports sexuels avec moi. Il plaçait ses mains sur ses parties intimes, sur les miennes, sur ma poitrine », a témoigné l’une d’entre elles.

L’ordonnance de mise en accusation met en exergue le doute autour de la parole des victimes : « la majeure partie des membres du personnel (…) se montrait très réservée concernant les accusations des jeunes filles dont elle considérait les propos comme peu fiables, les affublant de qualificatifs tels que menteuses, influençables ou aguicheuses ».

Des préjugés racistes et sexistes persistants exposant les femmes racisées aux violences sexuelles

À l’intersection du racisme et du sexisme, les stéréotypes sexistes et racistes invisibilisent les violences sexuelles dans le débat public et en favorisent la perpétuation. Ainsi, les femmes racisées se trouvent prises dans des systèmes de domination multiples.

Selon la journaliste Nesrine Slaoui, les femmes d’origine arabe sont confrontées à deux stéréotypes distincts : « la femme voilée qu’il faudrait dévoiler et libérer » ou « la femme hypersexualisée, la bimbo racisée » ([30]). De la même manière les femmes noires souffrent d’une image stéréotypée persistante de femmes ayant une sexualité plus libérée et consentant plus facilement à des relations sexuelles ([31]). Pour leur part, les femmes asiatiques également hyper sexualisées, peuvent être « perçues comme des personnes dociles, fragiles, très féminines, sans réaction » ([32]).

La persistance de ces stéréotypes a des répercussions sur le signalement des faits. Selon la sociologue Simone Wang, « les étiquettes enferment les personnes d’origine asiatique […] empêchent les victimes de verbaliser et de dénoncer les traitements différenciés qu’elles subissent » ([33]). Déjà victimes de ces préjugés, lorsqu’elles subissent, en outre, des violences sexuelles, ces femmes font face à une « empathie différenciée » selon la psychologue Racky Ka-Sy, et leurs agressions sont souvent minimisées. Comme l’exprime Myriam, une femme racisée victime de viol, « pour beaucoup de gens, les femmes racisées ne sont pas des femmes, et donc, ne sont pas des victimes » ([34]).

La communauté LGBTQIA+ est également exposée de manière accrue aux violences sexuelles. En 2023, SOS Homophobie estime que sur l’ensemble des agressions recensées par l’association, environ une sur dix concerne des faits de viol ou d’agression sexuelle ([35]).

Les personnes LGBTQIA+ particulièrement exposées aux violences sexuelles

Dans l’espace public, en 2015, « la moitié des lesbiennes et les trois quarts des bisexuelles déclarent des violences, tandis que c’est le cas de moins d’un tiers des hétérosexuelles » ([36]). Si les femmes sont particulièrement vulnérables dans l’espace public, l’identification sexuelle des victimes gays ou transexuelles peut être utilisée comme prétexte par les agresseurs pour justifier les violences sexuelles infligées.

Dans l’espace privé, en particulier dans l’enfance, ces publics sont victimes de violences sexuelles de manière accrue. À propos des hommes gays et bisexuels victimes de violences sexuelles, Claire Scodellaro, Mathieu Trachman et Liam Balhan, expliquent que ces violences « ne sont pas des incidents isolés » et constituent « un effet de la disqualification et de la stigmatisation des sexualités minoritaires » ([37]).

Si le mouvement #Metoogay a contribué à libérer la parole des victimes de violences sexuelles, ceux-ci peinent à entreprendre des démarches judiciaires. Comme l’explique Johan Cavirot, président de l’association LGBT+ FLAG : « le discours médiatique ne parle que de violences des hommes sur les femmes, donc certaines victimes de couples homosexuels ne se reconnaissent pas dans cette définition, elles ne se sentent pas légitimes et ne se considèrent pas comme victimes » ([38]). Amnesty International insiste également sur la difficulté à porter plainte et à voir reconnaître les violences subies par les personnes transgenres en France. ([39]) 

Les liens de subordination économique ont aussi été abordés lors des travaux de la mission, notamment par l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), comme propices aux relations d’emprise, d’exploitation de vulnérabilité, voire même de stratégie de vulnérabilisation par les agresseurs sur le lieu de travail.

L’exploitation d’un lien de subordination économique

En 2020 ([40]), la cour d’assises de l’Essonne a reconnu M. A., directeur d’une agence de serrurerie, coupable de viols exercés pendant dix ans sur Mme A.D., sa subordonnée. Marjolaine Vignola qui défend la plaignante rappelle qu’un « prédateur sexuel choisit ses proies ». L’ordonnance de mise en accusation devant la cour d’assises souligne les vulnérabilités de la plaignante : une situation d’emprise et de domination, établie par la supériorité hiérarchique, l’état d’isolement, les difficultés financières et la fragilité psychologique de la victime causée tant par les agressions subies que par certaines souffrances personnelles, notamment son impossibilité d’avoir des enfants et les fausses couches successives qu’elle a endurées concomitamment aux faits.

Les femmes en situation de grande précarité sont également particulièrement exposées aux violences sexuelles. Une tribune du journal Le Monde de novembre 2023 ([41]) soulignait ainsi la vulnérabilité des femmes en situation irrégulière en France : « notre système institutionnel permet de violer ou de battre une femme en toute impunité dès lors qu’elle est en situation irrégulière ».

L’exploitation d’une vulnérabilité due à la situation administrative

Dans un article de Libération en 2023 ([42]), Régine Komokoli, arrivée en France en 2001 de Centrafrique avec un visa de touriste, a décrit le proxénétisme dont elle a été victime du fait de sa situation de précarité : « Très vite je me suis retrouvée en situation irrégulière. Je dormais chez une logeuse à Angers, dans le salon. Comme j’avais pas les moyens de la payer, elle me présentait à des hommes et elle empochait directement l’argent. »

Il faut aussi mentionner la surexposition des femmes sans abri aux violences et chantages sexuels ([43]). Entendue par vos rapporteures, Mme Maïwenn Abjean, directrice de Femmes SDF, a évoqué les stratégies de repérage des femmes qui vivent dans la rue et les propositions d’hébergement qui donnent lieu à des violences sexuelles. Pour se protéger, beaucoup de femmes « se masculinisent, se rasent la tête par exemple, mettent des vêtements très larges pour se faire passer pour un homme » ([44]).

L’exploitation d’une vulnérabilité due à la grande précarité

Anne Lorient, ancienne SDF et co-auteure de Mes années barbares ([45]) témoigne de la violence sexuelle que subissent les femmes en situation de grande précarité : « J’ai été violée 70 fois en 17 ans de rue ». Or, « c’est très dur de porter plainte, les SDF ne sont pas les bienvenues dans les commissariats. Ce sont les hôpitaux qui m’ont reçue qui ont souvent porté plainte à ma place. »

Les lieux fermés sont aussi des lieux de vulnérabilité (centres spécialisés, EHPAD, colonies de vacances, etc.). Les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes sont le lieu de nombreuses violences. Comme l’explique une écoutante du 3977, « le problème, c’est que dans l’imaginaire collectif, une femme âgée qui est violée, c’est moins grave qu’une personne dans la fleur de l’âge. L’atteinte à son corps et à sa dignité semble moins importante ».

L’exploitation d’une vulnérabilité due au grand âge

En 2022, dans une enquête sur les violences sexuelles commises dans les EHPAD, Médiapart ([46]) révèle d’innombrables alertes sur le sujet. Ainsi, en 2020, dans un EHPAD des Bouches-du-Rhône, c’est un enregistreur installé par des soignantes dans la chambre d’une résidente de 95 ans qui permet la mise en examen pour viol du kinésithérapeute de l’établissement. Selon une ancienne employée, « pour beaucoup malheureusement, c’est comme si ça n’était pas si grave (…) parce qu’il s’agit de personnes en fin de vie, qui n’ont pas toute leur tête. », elle décrit une « peur générale de parler ».

Dans l’industrie pornographique, les victimes sont souvent exposées de manière accrue aux violences sexuelles. Les récentes affaires dites « Jacquie et Michel » et French Bukkake révèlent le caractère systémique de ces violences. Les producteurs et les acteurs qui agressent les femmes se réfugient derrière les contrats signés et les autorisations de diffusion pour écarter la question du consentement. Dans les faits, ces contrats constituent des moyens de coercition obligeant les victimes à céder, contre leur gré, aux demandes des acteurs et des producteurs. Or, comme le rappelle le HCE, « on ne peut pas consentir à sa propre torture, à sa propre humiliation. On ne peut pas contractualiser un acte de violence physique ou sexuel. Les contrats de l’industrie pornographique sont nuls juridiquement » ([47]).

L’affaire du « French Bukkake » - les violences sexuelles dans l’industrie pornographique

Entre 2020 et 2023, la gendarmerie de Paris a enquêté sur le site internet French Bukkake, diffusant des vidéos pornographiques contenant des scènes de bukkake, c’est-à-dire des scènes où une femme répond aux demandes sexuelles de dizaines d’hommes. Elle a abouti, en août 2023, à une ordonnance de mise en accusation devant la cour criminelle départementale de Paris contre dix-sept prévenus pour des faits de « viol », « viols en réunion », « traite d’êtres humains en bande organisée » et « proxénétisme aggravé ». Les accusés encourent jusqu’à vingt ans de réclusion criminelle. Dans le cadre de l’enquête, environ 500 clients ont été identifiés.

Sur les 138 femmes concernées entre 2015 et 2020, environ une cinquantaine ont été enrôlées par un seul individu qui a joué à la fois le rôle de recruteur, proxénète et client en ciblant des femmes vulnérables, en difficulté financière. Filmées par une équipe de production, les victimes étaient contraintes d’avoir des rapports sexuels sans protection avec la quarantaine d’hommes présents. Pour certaines, les tournages s’étendaient sur plusieurs jours contre leur gré. Les accusés nient les accusations de viol. Julien D. et les producteurs prétextent le consentement des victimes au tournage d’une vidéo pornographique et la signature des autorisations de diffusion. Toutefois, confronté aux images par les enquêteurs, l’un des acteurs récurrents, Joël D., a fini par déclarer : « je dirais que par rapport à la définition du viol, c’est des viols déguisés sous prétexte de vidéos. » ([48])

Les victimes en proie à de graves séquelles physiques et psychologiques, se sont heurtées au début de la procédure à l’incompréhension des autorités. L’une d’entre elles explique ainsi : « tout le monde m’a renvoyée à l’idée qu’on ne violait pas une actrice porno » ([49]). Elles demandent la reconnaissance d’actes de torture et de barbarie comme des circonstances aggravantes « j’ai été violée 240 fois, ce n’est pas de la torture ça ? Quatre-vingt-huit fois sur le bukkake, quarante-quatre fois en une heure » ([50]).

Enfin, plusieurs associations entendues par la mission, telles que le Mouvement du Nid ou encore Amnesty International ont souligné la grande vulnérabilité des personnes en situation de prostitution aux violences sexuelles, ainsi que les difficultés à porter plainte et à voir reconnues les violences subies ([51]).  

 

2.   Un crime qui présente des difficultés spécifiques, renforcées par le manque de moyens de la chaîne judiciaire

a.   Un crime de l’intime qui peut rendre difficile l’administration de la preuve

i.   Il n’y a souvent pas de témoins

Le viol est un crime de l’intime (au moins 61 % des victimes connaissent leur agresseur). La plupart des agresseurs passent à l’acte à l’abri des regards, ce qui, conjugué à l’absence de preuves directes, leur garantit dans bien des cas une totale impunité. Les rares cas où l’on sort du huis clos entre l’auteur et la victime sont les viols en réunion, où la présence de plusieurs auteurs permet de recouper les agissements des uns et des autres, ainsi que les viols faisant l’objet de captation.

En outre, le témoignage de la victime est parfois difficile à recueillir, en raison du traumatisme subi ou lorsque les plaignantes sont dans un état de conscience altérée au moment des faits. Leur récit peut être elliptique, manquer de cohérence, voire même être inintelligible. D’ailleurs, la stratégie développée par l’agresseur consiste bien souvent à rendre ce témoignage inintelligible.

Quant aux éventuels témoins indirects (personnes présentes à proximité au moment des faits ayant pu constater le désarroi de la victime ; personnes de l’entourage de la victime auxquelles elle a pu se confier peu après la commission des faits), ils peuvent contribuer à établir le contexte dans le cadre d’une enquête approfondie. Mais compte tenu du délai souvent écoulé entre le dépôt de plainte et le procès, parfois plusieurs années, le temps peut compromettre la qualité et la fiabilité des témoignages directs comme indirects.

ii.   Il est difficile de porter plainte et le temps joue contre les victimes

Huit victimes sur dix ne portent pas plainte. Quand elles le font, le temps joue contre elles.

Le crime du viol a ceci d’unique qu’il est entouré d’un halo de silence, de déni et de honte, comme l’a rappelé M. Denis Salas, magistrat, lors de son audition par la mission. Non seulement le viol est le seul crime où c’est la victime, et non l’auteur, qui est frappée par la honte et la culpabilité, mais l’entourage, le système familial, les cercles professionnels, les sphères normatives qui entourent les victimes, peuvent créer une sorte de « paroi étanche » qui ne facilite pas le dépôt de plainte.

La victime peut aussi renoncer à déposer plainte par peur des représailles de l’agresseur, notamment dans le cadre de violences intrafamiliales ; des conséquences pour les enfants (difficulté à exposer à une peine de prison le père de ses enfants) ou par crainte d’un véritable séisme familial. Les victimes redoutent également les conséquences sociales d’un dépôt de plainte. L’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail assure que 95 % des femmes qui la sollicitent ont perdu leur emploi après avoir dénoncé des faits de harcèlement sexuel. Entendue par vos corapporteures, Mme Hélène Devynck, journaliste et auteure d’Impunité, évoque une forme de « suicide social » et « de suicide professionnel » des victimes qui osent parler.

Il ressort de toutes les auditions de la mission que le dépôt de plainte est une épreuve pénible pour les victimes. Malgré les efforts de certains services de police et de gendarmerie, le dépôt de plainte se passe rarement dans les meilleures conditions – absence d’un avocat ; refus de plainte pour certaines personnes ; manque d’intimité dans la prise de plainte ; faible usage de l’enregistrement audiovisuel des auditions si la victime le souhaite ; confrontation éventuelle avec l’agresseur présumé.

Les lenteurs et les difficultés propres au processus judiciaire peuvent aussi agir comme un frein, tout comme la méconnaissance par les victimes de leurs droits et de la procédure à suivre. Les multiples interrogatoires et les audiences, auxquelles peut s’ajouter un procès en appel, représentent pour la victime un véritable parcours du combattant qui débouche rarement sur une condamnation, pouvant dissuader une victime de s’y engager.

Selon certaines associations, la définition même du viol constitue parfois un obstacle. Certaines victimes, sujettes à la sidération ou à des situations d’emprise, ne se reconnaissent pas dans la référence à la violence, la menace, la contrainte et la surprise et mettent du temps à s’identifier elles-mêmes comme victimes de viol (honte et stéréotypes sur ce que serait un « vrai viol »).

Enfin, si dépôt de plainte il y a, le temps joue contre la victime. Le délai médian d’enregistrement des faits est très long pour les viols (313 jours en moyenne pour les victimes majeures) ce qui n’est pas sans effet sur le recueil des preuves. Le graphique ci-dessous présente le délai moyen entre la date du début des faits et la date d’enregistrement entre 2016 et 2023.

Entendu par vos co-rapporteures, M. Christian Sainte, directeur national de la police judiciaire, indique qu’une fois la plainte enregistrée, la difficulté pour l’enquêteur est de pouvoir administrer la preuve que les faits se sont déroulés, tels que la victime les décrit. Plus on s’éloigne de la date des faits, dit-il, plus il est difficile d’aller récupérer des pièces à conviction, des éléments de preuve, afin d’asseoir et de conforter la plainte de la victime. Si le viol « remonte à plus de cinq jours, les indices recueillis ne sont pas suffisamment probants ». De plus, il est très rare qu’une victime « ne se douche pas, n’enlève pas ses vêtements, ne les jette pas à la poubelle et se présente à la brigade tout de suite après le viol ». ([52]) À titre d’exemple, dans les cas de soumission chimique, les substances actives disparaissent très rapidement de l’organisme. Or, bien souvent les victimes ignorent les modalités du recueil de preuve sans plainte dans les établissements de santé dotés d’une unité médico-judiciaire.

 

Le viol et la soumission chimique

Selon l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, la soumission chimique se définit comme l’administration à des fins criminelles (viols) ou délictuelles (violences, vols) de substances psychoactives agissant sur le fonctionnement du cerveau et provoquant des modifications psychiques et comportementales à l’insu de la victime ou sous la menace.

Si le GHB, autrement nommé la « drogue du violeur » est identifié comme un risque dans des milieux festifs, l’utilisation d’anxiolytiques, hypnotiques et antalgiques, pour leurs propriétés sédatives dans un contexte de violences sexuelles intrafamiliales a été révélé par le procès dit « de Mazan ».

De plus, dans les cas de soumission chimique, non seulement les victimes souffrent d’amnésie et de troubles neurologiques et somatiques, mais les substances actives disparaissent très rapidement de l’organisme, ce qui rend leur détection, et par conséquent l’engagement de poursuites, difficiles voire impossibles.  

L’association #MendorsPas, fondée par Mme Caroline Darian, a été l’une des premières à sensibiliser pouvoirs publics et professionnels à la soumission chimique, afin de mieux repérer et accompagner les victimes. Depuis le 15 novembre 2024, Mme Sandrine Josso, députée et membre de la Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale, victime de soumission chimique, a été nommée parlementaire en mission sur « la soumission chimique comme forme de violence faite aux femmes » avec la sénatrice Mme Véronique Guillotin. Leurs conclusions doivent être rendues publiques en mai 2025.

iii.   Un crime sans aveux

Le viol est un crime sans aveux. Le procès de Mazan l’a montré, la plupart des prévenus affirment, malgré la présence de vidéos, qu’ils ne savaient pas qu’ils commettaient un crime. Non seulement il faut y voir les effets des préjugés sexistes sur la « disponibilité » du corps des victimes, mais c’est aussi le fruit de la stratégie de l’agresseur. 

Il ressort des auditions que l’auteur recourt dans la majorité des cas à des stratagèmes lui permettant de violer la victime sans avoir besoin de faire appel à des moyens de coercition. S’y ajoutent de véritables stratégies de sidération qui vont affecter la capacité de réaction des victimes, générer un état dissociatif, provoquer une amnésie traumatique ou des troubles psychotraumatiques tels qu’ils ne vont pas permettre à la victime de se défendre, ni souvent de témoigner après le viol.

Alors qu’ils peuvent être confrontés à des preuves ADN, les auteurs ne nient plus la réalité d’une relation sexuelle mais prétendent que la victime était consentante. Tout au plus, les auteurs confessent-ils un malentendu ou prétendent-ils qu’ils n’avaient pas vu ou pas su que l’état de vulnérabilité ou de sidération de la victime ne lui permettait pas de se défendre de son agresseur. La notion de consentement est instrumentalisée par les auteurs en l’absence de définition claire (« elle n’a pas dit non » ; « j’ai cru qu’elle était d’accord » ; « elle ne s’est pas débattue » ; « elle a accepté de venir chez moi. »).

L’intentionnalité de l’auteur, c’est-à-dire la volonté de passer outre le refus de la victime, étant indispensable à la caractérisation de l’infraction, l’absence d’aveux vient s’ajouter à la difficulté d’apporter la preuve du recours à la violence, la contrainte, la menace ou la surprise.

iv.   Des phénomènes de sidération trop souvent ignorés

Les phénomènes de sidération psychique ([53]) sont particulièrement fréquents dans les cas de viol et pourtant très peu connus et reconnus par la chaîne des acteurs de la prise en charge des victimes. Ils concerneraient près de 70 % des victimes adultes qui subissent cette sidération au moment, et bien souvent avant les faits, et près de 100 % des enfants.

La sidération entraîne l’apparition de deux symptômes traumatiques qui sont au cœur des troubles psychotraumatiques et des processus d’emprise :

– une dissociation traumatique, se manifestant par une anesthésie émotionnelle et physique qui empêche de réagir ou de se défendre, un sentiment d’étrangeté, d’irréalité et de dépersonnalisation, accompagné d’une perte de repères temporo-spatiaux ;

– une mémoire traumatique se traduisant par une mémoire émotionnelle des violences non intégrée et non consciente qui fait revivre à l’identique les pires moments, de façon incontrôlée et envahissante, avec la même terreur, les mêmes douleurs, les mêmes ressentis sensoriels sous forme de flashbacks (images, bruits, odeurs, sensations), au moindre lien rappelant les violences et leur contexte.

Lors de son audition, Mme Muriel Salmona a rappelé que la sidération, et l’amnésie traumatique, était bien souvent le fruit de la stratégie mise en place par l’agresseur. « Le fait que la victime ne réagisse pas ne constitue ni une décision, ni une stratégie de sa part, mais correspond à une impossibilité de réagir. Cette sidération est créée non pas par la victime, mais par l’agresseur. S’il veut une victime qui ne se défend pas, il va mettre en place des stratégies de sidération. L’agresseur va adapter sa stratégie pour sidérer sa victime, quoi qu’il arrive. Cette sidération constitue une garantie pour l’agresseur à tous les niveaux : garantie de pouvoir agir en toute impunité, sans risque ; garantie de pouvoir faire ce qu’il veut de la victime, parce que cela va générer un état dissociatif et une victime qui va être complètement sous emprise, que l’agresseur va pouvoir manipuler comme il veut ; garantie de trauma profond, avec toutes les chances qu’il y ait une amnésie traumatique ou en tout cas des troubles psycho-traumatiques tels qu’ils ne vont pas permettre à la victime de parler ou de porter plainte ; garantie que la victime se sentira coupable, honteuse, parce qu’elle ne comprendra pas pourquoi elle ne s’est pas défendue et de ce fait, les propos de l’agresseur qui vont tenter de la culpabiliser vont être d’autant plus efficaces. »

Il ressort des auditions de la mission qu’une meilleure prise en compte des troubles psycho-traumatiques permettrait de faciliter le bon déroulement de la procédure et de corroborer le témoignage des victimes. Par ailleurs, s’il est vrai que quelques arrêts de la Cour de cassation qui seront analysés plus loin dans le rapport, mentionnent désormais la sidération, sa prise en compte au stade de l’enquête ou par les juges en première instance est insuffisante et aléatoire.

b.   Malgré de réels efforts des professionnels, un manque de moyens des enquêteurs et de l’ensemble des acteurs de la chaîne judiciaire

i.   Un volet médico-légal dont l’accessibilité doit être renforcée

On dénombre en France quarante-huit unités médico-judiciaires (UMJ) ([54]) rattachées à une ou plusieurs juridictions, dont les missions sont multiples. Il s’agit, d’une part, de la prise en charge immédiate et d’urgence des éventuelles blessures, du soutien psychologique et/ou psychiatrique, ainsi que de l’information et orientation de la victime sur ses droits et pistes de démarches à suivre. D’autre part, Les UMJ mènent des constatations médico-légales, des prélèvements, et assurent la coordination avec les forces de l’ordre et la justice, afin de garantir que les preuves recueillies seront transmises de manière appropriée aux autorités compétentes. D’autres structures tels que les centres régionaux du psychotraumatisme ([55]), accompagnent les victimes. Dans un rapport de juillet 2023 ([56]), le Haut conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes a mis en exergue l’absence de spécialisation à la prise en charge des femmes victimes de violences, la faiblesse du maillage territorial, les délais d’attente conséquents, et le manque de suivi des victimes dans la durée.

Les organisations féministes reçues par la mission ont souligné à juste titre la nécessité de renforcer le nombre et l’accessibilité des UMJ, qui ne le sont aujourd’hui pas partout et uniquement sur réquisition judiciaire, ce qui limite le recueil des preuves. L’audition consacrée aux inégalités territoriales a également mis en évidence des disparités importantes dans la prise en charge. En dépit de la réforme de l’organisation de la médecine légale de 2012 ([57]), le maillage territorial des UMJ doit être renforcé. Mme Ernestine Ronai, responsable de l’Observatoire départemental de Seine-Saint-Denis des violences envers les femmes, a insisté sur les obstacles à la prise en charge précoce des victimes. Elles ne couvrent pas l’ensemble du territoire français, certains départements en étant dépourvus ([58]). Mme Justine Bénin, coordonnatrice interministérielle contre les violences faites aux femmes en outre-mer, précisait lors de son audition qu’en Guyane, la seule UMJ se trouve à Cayenne, soit à plusieurs centaines de kilomètres de certaines villes.

ii.   Police/gendarmerie : des progrès indéniables mais des moyens à renforcer en matière d’accueil, de dépôt de plainte et d’enquête

La police et la gendarmerie sont souvent le premier point de contact entre la victime d’un viol et le système judiciaire. Il ressort des auditions que des progrès considérables ont été faits par les forces de l’ordre, en matière notamment de formation et d’accueil, mais que les moyens pourraient être renforcés.

La formation s’améliore. Le ministère de l’Intérieur, ainsi que les forces de l’ordre, s’efforcent depuis plusieurs années de mettre l’accent sur la sensibilisation à ces problématiques et de dispenser une formation adéquate à leurs équipes. Depuis 2016, une charte du ministère régit ainsi l’accueil du public ([59]), exigeant un « comportement empreint de politesse, de retenue et de correction » et un « accueil privilégié » pour les « victimes d’infractions pénales ». Il existe une stratégie nationale de formation des policiers à la prise en charge des victimes de violences conjugales, intrafamiliales ou sexuelles. Depuis 2019, environ 90 000 policiers ont été formés aux violences intrafamiliales et sexuelles. La police judiciaire s’appuie aussi sur des cadres référents qui sont les interlocuteurs désignés de l’autorité judiciaire pour assurer un suivi du traitement sur les sujets de violences intrafamiliales. Des efforts ont été faits en matière de formation continue. Entendu par vos co-rapporteures, le lieutenant-colonel Serge Procédès, chef du bureau de la délinquance générale à la sous-direction de la police judiciaire (DNPJ), indique que la gendarmerie continue à former les personnels, notamment de première interface, à l’accueil dans les brigades ou comme opérateurs des appels.

Néanmoins, il ressort des auditions qu’il existe encore une marge de progression en matière de recueil des plaintes. Vos co-rapporteures soutiennent à ce titre les demandes portées par les associations féministes entendues par la mission d’une augmentation des brigades spécialisées dans le traitement des violences sexistes et sexuelles ; de la présence d’un avocat dès le dépôt de plainte ; d’une systématisation du dépôt de plainte dans les hôpitaux et de faciliter la prise de plainte pour les personnes les plus vulnérables ; de mieux appliquer la possibilité pour les victimes d’un enregistrement audiovisuel des auditions ainsi que l’obligation de prendre les plaintes, afin de respecter les obligations résultant de l’article 19 du code de procédure pénale ([60]).

Il ressort également des auditions que les services d’enquête devraient être dotés de moyens suffisants. Un certain nombre d’actes pourraient ainsi être réalisés (téléphones, matériels, enquête d’entourage) et les enquêteurs mieux formés (audition des victimes, connaissance des psycho-traumatismes, techniques de l’agresseur). La qualité de la recherche de la preuve dépend aussi – et surtout – des moyens mis en œuvre pour mener les enquêtes, ce qui nécessite une politique volontariste bien plus large : recrutement et formation d’experts compétents, services d’enquêtes adaptés, spécialisés et suffisamment dotés en moyens humains et matériels.

Enfin, la législation étant d’interprétation stricte en droit pénal, cela irrigue aussi la façon dont on mène les enquêtes. Comme l’a rappelé Mme Magali Lafourcade, « les femmes sont la cible des enquêtes, dans le sens où elles se retrouvent, en tant que plaignantes, à faire l’objet d’un examen de crédibilité qui est extrêmement virulent, autour de l’archétype soit de la sainte – que nous avons avec Mme Gisèle Pelicot lors du procès dit « de Mazan » – soit de l’affabulatrice, soit de la provocatrice, avec l’idée de « elle l’a bien cherché », qui est d’ailleurs le titre d’un livre de Mme Joly-Coz. »

iii.   Justice : des efforts qui doivent être poursuivis

La formation initiale et continue ([61]) à l’École nationale de la magistrature s’est indéniablement renforcée, et de nombreux professionnels de la justice sont informés et pleinement investis dans la réponse aux violences sexuelles.

Cependant, il ressort des auditions que les efforts doivent se poursuivre. Une partie des magistrats n’ont pas pu bénéficier d’une formation et il demeure une marge de progression sur le contenu des enseignements. Surtout, le manque de moyens pèse aussi sur le bon fonctionnement de la justice. Entendus par vos rapporteures, les représentants de l’Union syndicale des magistrats rappellent « que la justice à qui l’on demande de tout réparer comme par miracle n’agit qu’en bout de chaîne et donc le plus souvent déjà trop tardivement ». M. François Molins, procureur général honoraire auprès de la Cour de cassation, indiquait lors de l’audience solennelle de rentrée 2023 qu’« en matière pénale, les clignotants sont au rouge. (…) au 31 décembre 2019, 1 400 000 affaires pénales attendaient d’être jugées et 2 millions de plaintes sont en attente de traitement dans les commissariats de police où l’on demande aux magistrats du parquet d’aller pour les réorienter, et en fait de classer les dossiers dans lesquels, compte tenu du temps écoulé, une enquête n’apporterait rien. » ([62])

B.   NÉanmoins, le droit pÉnal échoue trop souvent dans ses fonctions répressive et protectrice, quand il ne contribue pas à laisser prospÉrer certains stÉrÉotypes

1.   Des infractions très nombreuses qui restent le plus souvent sans réponse pénale : des statistiques édifiantes

i.   Un contentieux de masse malgré un « chiffre noir » très élevé

En matière de viol, on distingue trois grands types de données : 1) les enquêtes de victimation, enquêtes qualitatives réalisées auprès d’échantillons de population ; 2) les viols enregistrés par les services de sécurité ; 3) le nombre de condamnations pour viol chaque année. Il faut d’ailleurs souligner le manque de données consolidées, aux périmètres comparables, permettant de dresser un tableau objectif de l’évolution des violences sexuelles en France et d’éclairer la représentation nationale.

Comme l’a souligné Mme Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes, lors de son audition, « la situation d’impunité n’est pas acceptable. On aboutit à une embolie de notre système judiciaire qui n’arrive pas à donner des suites juridiques satisfaisantes, puisqu’à moins de croire que toutes ces personnes sont des menteuses, l’autre conclusion à laquelle on arrive, c’est plutôt que notre système est incapable de rendre justice aux victimes de violences sexuelles. » Toutes les sources confirment qu’il s’agit d’un crime de masse, qu’il est principalement impuni et que le décalage entre la criminalité existante et déclarée aux autorités est immense. Le graphique ci-dessous présente la prévalence des viols, tentatives de viol et agressions sexuelles en 2022.

effectifs et proportion des personnes âgées de 18 ans et plus victimes de viols, tentatives de viol et/ou agressions sexuelles en 2022

Source : Enquête « Vécu et ressenti en matière de sécurité » (VRS) – SSMSI – 2023

Concernant l’ensemble des violences sexuelles (hors exhibition sexuelle), le graphique ci-dessous détaille la répartition des femmes victimes en fonction des violences commises. Les victimes de viol représentaient ainsi 41 % des victimes de violences sexuelles en 2023.

Répartition des femmes victimes en fonction des violences commises, enregistrées par les forces de sécurité, en 2023

Source : Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) – Base des victimes de crimes et délits 2023.

Les chiffres diminuent en effet drastiquement lorsque l’on passe de la criminalité déclarée (enquêtes de victimation) à la criminalité révélée (auprès des services de sécurité), puis à la criminalité poursuivie et condamnée pénalement.

En tendance, on assiste à une augmentation constante du nombre de victimes de viol recensées, quoique plus modérée en 2023 (+6 %) que sur la période précédente (+11 % en moyenne sur la période 2016-2022) ([63]). Pour l’année 2023, les services de sécurité ont ainsi enregistré près de 114 000 victimes de violences sexuelles, parmi lesquels 26 816 victimes de viol ou tentative de viol (soit 32 % des affaires) ([64]). Lors de son audition par la mission, la direction de la police nationale a souligné cette tendance, constatant une multiplication par presque trois du nombre de viols recensés par leurs services entre 2015 et 2023. L’évolution du nombre de victimes enregistrées ne rend pas véritablement compte de l’évolution des infractions, mais est également un reflet du délai et de la propension à porter plainte, y compris pour des faits anciens (libération de la parole, contexte #MeToo, évolution sociétale). La part des victimes rapportant des faits « anciens », c’est-à-dire antérieurs à l’année de leur enregistrement, est d’environ 40 %.

La très grande majorité sont des femmes (en moyenne 85 % des victimes, dont 59 % ont entre 18 et 24 ans) ([65]). Les jeunes femmes âgées de 18 à 24 ans sont particulièrement vulnérables aux violences sexuelles dans leur ensemble. Le graphique ci-dessous présente la répartition des femmes victimes de viols, tentatives de viol et agression sexuelles en fonction de leur âge.

Source : Enquête « Vécu et ressenti en matière de sécurité » (VRS) – SSMSI – 2023.

En regardant l’ensemble des violences sexuelles enregistrées par les forces de sécurité en 2023, les données font apparaître une surreprésentation des jeunes parmi les victimes, dont 42 % ont moins de 15 ans et 15 % entre 15 et 17 ans.

 

Source : SSMSI – Base des victimes de crimes et délits 2023.

Concernant plus spécifiquement les viols, les mis en cause sont presque exclusivement des hommes (98 %), souvent très jeunes : 37 % ont moins de 20 ans et 18 % ont moins de 15 ans ([66]). Dans la grande majorité des cas, les victimes connaissent leur agresseur. Le graphique ci-dessous présente la répartition des violences sexuelles de type viols, tentatives de viols et agressions sexuelles en fonction du lien entre les victimes et les agresseurs.

 

Source : Enquête « Vécu et ressenti en matière de sécurité » (VRS) – SSMSI – 2023

On constate que 39 % des victimes ont été abusées par leur conjoint ou leur ex-conjoint. Comme le détaille le graphique ci-dessous à propos des femmes majeures enregistrées par les forces de sécurité, les violences au sein du couple prennent dans 45 % des cas la forme de viols, en augmentation constante depuis 2019 selon les forces de l’ordre. Les victimes enregistrées de violences sexuelles au sein du couple ont en effet quadruplé depuis 2016.

 

Part des viols au sein du couple parmi les viols sur femmes majeures

enregistrés par les forces de sécurité en 2023

Source : SSMSI – Base des victimes de crimes et délits 2023.

Hors violences conjugales, 35 % des femmes victimes de violences sexuelles rapportent avoir été agressées pendant des activités de loisirs, tandis que 6 % ont subi ces actes dans le cadre de leur activité professionnelle (études, scolarité, emploi) ([67]). Pour ce qui est des lieux des violences, lorsque l’auteur est personnellement connu de la victime (à l’exclusion du partenaire ou de l’ex-partenaire), 56 % déclarent que les violences ont eu lieu chez elles (24 %) ou dans un autre domicile (32 %) ([68]). En cas d’implication du partenaire ou de l’ex-partenaire, 84 % des violences surviennent au domicile. En revanche, lorsque l’auteur est inconnu, 26 % des violences se produisent dans les transports en commun, 22 % dans des lieux festifs et 10 % dans la rue ([69]).

En volume, les crimes sexuels représentent presque un tiers des activités des cours d’assises ([70]) et 90 % des affaires renvoyées devant les cours criminelles départementales ([71]). Les données de la chancellerie pour l’année 2022 ([72]) montrent que les viols demeurent le plus gros contentieux en termes de condamnations pour crime (50,9 %), devant les homicides volontaires et violences criminelles (15,7 %) ainsi que les vols, recels, extorsions et destructions (15,7 %).

Selon l’INSEE ([73]) entre 2011 et 2018, en moyenne 200 000 personnes âgées de 18 à 75 ans ont été victimes de violences sexuelles hors cadre familial chaque année. Parmi ces victimes de violences sexuelles, près de la moitié (44 %) ont subi un viol ou une tentative de viol. Selon les dernières enquêtes Cadre de vie et sécurité (CVS) et Vécu et ressenti en matière de sécurité (VRS) ([74]) en 2021, 252 000 personnes âgées de 18 à 74 ans vivant en France hexagonale déclarent avoir subi au moins une violence sexuelle physique ([75]), parmi lesquelles 168 000 personnes un viol ou une tentative de viol. L’enquête fait ressortir que ces violences sont souvent multiples (un tiers déclare avoir subi au moins deux types de violence dans l’année) et répétées (toutes natures de faits confondus, près de la moitié des victimes déclarent avoir subi plusieurs fois dans l’année ce type de faits).

Or, selon l’enquête Vécu et ressenti en matière de sécurité de 2022, huit victimes sur dix de violences sexuelles ne portent pas plainte auprès des forces de sécurité. Les principales raisons invoquées pour ne pas signaler les faits sont notamment le sentiment que cela n’aurait servi à rien (motif cité par 24 % des victimes), ainsi que le sentiment que leur témoignage ne serait pas pris au sérieux (16 % des victimes) ([76]).

Le « chiffre noir » qui désigne le différentiel entre les viols réellement subis et les viols comptabilisés par les forces de l’ordre, est donc considérable.

 

ii.   Un taux de condamnation extrêmement faible par rapport au nombre de plaintes déposées

L’étude des statistiques révèle qu’au faible taux de plaintes évoqué précédemment, s’ajoutent un faible taux de poursuite et un encore plus faible taux de condamnation. Le tableau ci-dessous présente les condamnations définitives selon le type d’infraction principale en 2023 tandis que le graphique ci‑dessous présente l’évolution des condamnations entre 2020 et 2023.

 

On constate des écarts importants entre les faits de viols ou tentatives de viol commis en France chaque année (le ministère de l’Intérieur évalue à 168 000 le nombre de victimes de viol/tentative de viol en 2021 ([77])), ceux effectivement signalés aux forces de sécurité (en 2021, 22 332 plaintes enregistrées pour viol ou tentative de viol ([78])) et la réponse judiciaire constatée par le nombre de condamnation (1 143 condamnations en 2021 ([79])).

Les parquets, suite au dépôt de plainte transmis par les forces de l’ordre, orientent l’affaire en fonction des éléments qui leur sont transmis (classement sans suite, mesures alternatives, engagement des poursuites contre l’auteur, saisine du juge d’instruction – ce qui est obligatoire pour les crimes passibles de plus de dix années de réclusion comme le viol).

Si un faible taux de poursuite est propre à une majorité d’infractions, la part des affaires de violences sexuelles classées sans suite est particulièrement élevée. Si les résultats sont à mettre en perspective avec les difficultés statistiques évoquées, selon les derniers chiffres disponibles du ministère de la Justice 73 % des affaires de viol seraient classées sans suite ([80]). En proportion, une majorité des affaires seraient classées sans suite pour « infraction insuffisamment caractérisée ».

Dans le cadre des violences sexuelles, sont le plus souvent mentionnés pour justifier les classements sans suite le manque d’éléments matériels et l’altération de l’état de conscience de la victime ([81]).

S’y ajoutent les ordonnances de non-lieu, décisions rendues par le juge d’instruction lorsqu’à l’issue de l’enquête ce dernier considère qu’il n’y a pas suffisamment de preuves pour poursuivre les personnes mises en examen. L’ancienne ministre Isabelle Lonvis-Rome a indiqué à la délégation que le nombre de non-lieux pour les affaires de viol est proportionnellement important (de l’ordre de 40 % ([82])). Mme Isabelle Théry, magistrate honoraire, chargée de mission au pôle crimes sériels et non élucidés de Nanterre, a précisé qu’au stade de l’ordonnance de non-lieu, deux causes d’impunité sont identifiées : la définition pénale actuelle du viol et les carences de l’enquête.

 Enfin, la pratique de la correctionnalisation impacte le taux de condamnation du crime de viol. Entre 2007 et 2016, les condamnations pour viol ont diminué de 40 % selon le ministère de la Justice ([83]), du fait notamment de la loi Perben II, qui permet de requalifier un crime en délit et de le juger devant le tribunal correctionnel. Le ministère public peut correctionnaliser ab initio, à l’issue d’une enquête préliminaire ou « en opportunité », en fin d’instruction, avec l’accord de la victime. S’il reste difficile de chiffrer précisément cette pratique, il est néanmoins reconnu qu’elle est massive et concernerait en premier lieu les viols.

Plusieurs raisons sont avancées pour justifier ce mécanisme : le ministère de la Justice estimait ainsi en 2017 que la correctionnalisation restait nécessaire pour lutter contre l’encombrement des cours d’assises ([84]). Pour les magistrats il s’agit parfois de vouloir préserver les victimes d’une procédure longue, pénible et douloureuse devant la cour d’assises. Néanmoins, pour correctionnaliser le dossier, l’élément constitutif de l’infraction, la pénétration, disparaît et le crime de viol est requalifié en délit d’agression sexuelle. La correctionnalisation peut donc être perçue par la victime comme un déni de la part de la justice, qui peut freiner la reconstruction de la victime.

La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 a créé des cours criminelles départementales, généralisées sur l’ensemble du territoire depuis le 1er janvier 2023. Composés de cinq magistrats professionnels, sans participation de jurés, ces nouvelles juridictions ont été mises en place pour améliorer le traitement des dossiers dans un délai raisonnable. Elles jugent à 81 % des affaires de viol. Or, faute de moyens suffisants, ce qui se justifiait par un besoin d’efficacité se transforme, selon les associations qui nous alertent, en forme de justice parallèle pour les viols.

iii.   Des auteurs qui développent un sentiment d’impunité

Ces chiffres démontrent le climat d’impunité qui règne aujourd’hui en matière de violences sexuelles et qui, comme toutes les associations féministes l’ont rappelé en audition, met à mal la confiance des victimes dans le système judiciaire. Or, comme l’a rappelé Mme Magali Lafourcade en audition, ce qui fonctionne pour faire reculer un phénomène infractionnel, ce n’est pas d’avoir des peines qui sont sévères, c’est le taux d’élucidation. C’est-à-dire d’avoir la certitude que les auteurs d’un acte infractionnel sont pris et qu’il y a une réponse pénale.

De plus, il ressort des auditions que l’impunité est d’autant plus forte que les victimes sont les plus vulnérables (personnes étrangères, personnes âgées en situation de dépendance, personnes handicapées). Lors de son audition, Mme Hélène Devynck, journaliste, a mis en lumière la dimension sociale de cette Impunité ([85]) : « le viol n’existe que grâce au silence qu’il impose » ([86]) et notamment face à un agresseur bien intégré socialement et reconnu professionnellement. Entendue par la mission, Giulia Foïs, auteure du livre Je suis une sur deux ([87]), souligne l’importance des représentations qui légitiment les violences sexuelles et créent un climat d’impunité.

Selon M. Olivier Christen, magistrat, directeur des affaires criminelles et des grâces, entendu par cette délégation ([88]), les enjeux de la fin de l’impunité pour les auteurs de viols se situent notamment au stade de la révélation des faits et de leur prise en compte, dans toute leur gravité, par les forces de sécurité et la justice.

Surtout, comme l’a rappelé Mme Magali Lafourcade, secrétaire générale de la CNCDH, entendue par la délégation, il ne suffit pas de prévoir des peines lourdes pour qu’un phénomène infractionnel recule. Il est nécessaire de travailler sur le caractère systématique de la réponse, afin que les agresseurs perdent ce sentiment d’impunité.

2.   Un traitement judiciaire qui échoue à protéger les victimes

Le parcours procédural en cas de viol s’avère particulièrement éprouvant et aléatoire pour la victime. Accueil, traitement des plaintes, attention et crédibilité accordées à sa parole, accompagnement et soutien, délais : la prise en charge par l’ensemble des acteurs de la chaîne judiciaire et le système institutionnel ne permet pas d’assurer aux victimes une protection et un accompagnement adapté.

i.   La concentration des interrogatoires et investigations sur la victime

La sociologue Véronique Le Goaziou utilise l’expression d’« épreuve judiciaire » pour qualifier le parcours des victimes de viol. En effet, les enquêteurs sont amenés à poser des questions très crues, nombreuses et détaillées sur l’agression, les pratiques sexuelles et le ressenti des victimes. Elle souligne que « les expertises et les examens auxquels les victimes se plient visent d’abord à collecter des preuves, avant d’être éventuellement des lieux d’écoute ou de soin » ([89]). Mme Anne-Laure Maduraud, ancienne vice-présidente placée à la cour d’appel d’Angers, considère que les principales difficultés pour les parties civiles sont les multiples auditions, où elles sont amenées à répéter à l’infini le récit de l’infraction qu’elles dénoncent. Cette charge est si lourde qu’elle peut amener certaines victimes à abandonner leur plainte. Comme l’a rappelé Mme Giulia Foïs devant la délégation, « lorsque ça m’est arrivé, je croyais beaucoup en la justice et j’ai fait tout ce qu’on m’a demandé. L’auteur des faits a été acquitté et moi, j’ai été broyée, une deuxième fois. »

Entendu par vos rapporteures, M. Olivier Christen, directeur des affaires criminelles et des grâces, nous rappelle que la primo-audition peut durer près de 4 heures : « Les descriptions demandées pourront lui paraître crues, sans fard, d’un luxe de détails attentatoires pour un champ relevant normalement de l’intime. La violence de l’audition se surajoute ainsi parfois à celle des faits eux-mêmes » ([90]). Stanislas Gaudon, délégué général du syndicat de police Alliance avait indiqué que « l’enquête se fait à charge et à décharge », « certaines questions jugées intrusives, ou hors de propos par la victime, apportent en réalité des éléments de précision qui permettent de qualifier l’infraction » ([91]).

Par ailleurs, la nature de l’interrogatoire conditionne le récit de la victime, qui doit suivre un cheminement de questions prédéterminées portant sur des points très concrets : des lieux, des dates, des noms, des gestes. Pour Mme Isabelle Aubry, fondatrice de l’association « Face à l’inceste », ce type d’interrogatoire, quand les enquêteurs ont « faim de détails » ([92]) peut éreinter une victime en la faisant ressasser des faits douloureux. La procédure judiciaire apparaît alors comme « nécessairement intrusive » et « modèle peu à peu le récit des victimes dans des directions qui ne sont pas toujours celles qu’elles auraient voulu prendre » ([93]). En outre, le langage change, ne passe plus par les termes propres de la victime mais celui convenu par la procédure. Le témoignage de l’auteur Édouard Louis met en lumière cet aspect des interrogatoires et le sentiment d’être dépossédé par la chaîne pénale : « L’interrogatoire venait juste de commencer, je ne savais encore rien de la suite. Je ne me doutais pas encore de l’intensité avec laquelle j’allais me détester d’être venu jusqu’au commissariat. (…) Je ne comprenais pas ce soir-là comment mon récit pouvait ne plus m’appartenir » ([94]). 

Or la focalisation des interrogatoires et investigations sur la victime résulte en partie de la rédaction de notre texte pénal. Pour prouver qu’il y a eu viol, il ne suffit pas d’invoquer l’absence de consentement de la victime. La preuve doit être apportée que pour outrepasser le refus de la victime, l’auteur a fait usage de violence, contrainte, menace ou surprise et que cet usage est concomitant à la commission des faits. Ce n’est donc pas à l’auteur de préciser de quelle manière il s’est assuré du consentement de la victime (les « mesures raisonnables » mentionnées dans le code canadien) mais à celle-ci de faire savoir comment elle a manifesté son refus au mis en cause, de façon à permettre d’établir clairement que celui-ci ne pouvait ignorer son refus. C’est pourquoi, c’est d’abord sur elle, et ce dès le dépôt de plainte, que pèse la charge des interrogatoires et des investigations.

En d’autres termes, la loi pénale impose l’existence d’un élément intentionnel, c’est-à-dire la volonté d’outrepasser le refus de la victime en ayant recours pour ce faire à la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. Ainsi, la question n’est pas de savoir si la femme était d’accord mais si l’agresseur avait connaissance de ce refus et l’intention d’outrepasser celui-ci. Dès lors, les interrogatoires subis et les demandes intimes, afin de pouvoir démontrer ce caractère intentionnel, pèsent avant tout sur la victime, de façon à pouvoir démontrer si l’auteur se réfugie à tort derrière l’ignorance ou le malentendu.

ii.   La parole de la victime est questionnée, l’auteur est cru sur parole

« J’avais l’impression d’assister à mon procès », cette phrase revient trop souvent dans la bouche des victimes qui portent plainte. En matière de crimes sexuels, commis le plus souvent sans témoin, la parole de la victime s’oppose à celle de l’agresseur désigné. Mme Isabelle Théry, magistrate honoraire, a témoigné d’un déséquilibre de traitement réservé à la parole de la victime et à la parole de l’auteur. Celle de la victime est scrutée, mise en doute, ce qui n’est bien souvent pas le cas des mis en cause.

Dans une majorité des cas, la parole de la victime est décrédibilisée par la structure de la procédure et les stéréotypes culturels auxquelles celle-ci n’échappe pas. Les éléments qui discréditent sa parole sont non seulement utilisés, mais recherchés par les attentes du contradictoire : passé traumatique, mensonges, mise en danger, comportements à risque. Ceux qui la crédibilisent sont gommés : traces de violence, état de choc, syndrome post-traumatique, tentatives de suicide. Dans sa préface du livre de Noémie Renard ([95]) , l’historienne Michelle Perrot appelle à « défricher cette étrange inversion qui fait des victimes des quasi-coupables, acculées à se défendre, à dissimuler, à se taire et soupçonnées, quand elles osent parler, de vouloir attenter à la stature et à l’honneur de l’homme ».

Mme Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes, a fait remarquer, lors de son audition, que dans un certain nombre d’États, il est interdit d’évoquer le passé de la victime dans les procès, ou de faire des enquêtes de moralité. De même, M. Denis Salas, magistrat enseignant associé (ENM) a souligné que les tribunaux internationaux, où c’est la common law qui s’applique, ont imaginé des règlements qui encadrent l’interrogatoire et qui protègent la victime – interdiction d’évoquer le comportement antérieur de la plaignante ; ne pas induire son oui de sa conduite, de son silence ou de sa non-résistance. Il considère que si l’on adoptait cette nouvelle éthique de la réalisation de l’interrogatoire, cela changerait complètement les pratiques d’enquêtes.

Lors de son audition, M. Olivier Christen, directeur des affaires criminelles et des grâces, a confirmé que la victime devait répondre à des questions qu’elle va considérer comme remettant en cause sa crédibilité, son comportement, la matérialité même des éléments rapportés et que « le procès pénal est évidemment une épreuve pour une victime qui verra souvent une nouvelle fois sa parole remise en cause » ([96]). Les « remises en cause qui tombent parfois en pluie » ([97]) sont particulièrement éprouvantes pour les victimes. Cette situation doit changer.

L’affaire d’Emily Spanton dite du « 36 quai des Orfèvres »

Interrogée sur l’affaire du « 36 quai des Orfèvres », Mme Sophie Obadia, l’avocate de la plaignante, déclarait en 2024 ([98]) : « Je n’ai jamais vu, dans un dossier de violences sexuelles, qu’on s’intéresse autant à la vie intime d’une personne victime et qu’on remette en cause à ce point sa parole ». « L’enquête était fournie, mais essentiellement sur l’environnement de la victime, ses habitudes de vie, pourquoi on ne l’aimait pas au Canada, pourquoi elle a changé de travail ».

En l’espèce, en 2014, Emily Spanton, une touriste canadienne, avait accusé de viol deux policiers pour des faits qui se seraient produits au 36 quai des Orfèvres. Condamnés à sept ans de prison, les deux policiers avaient finalement été acquittés en appel par la cour d’assises du Val de Marne en 2022. Emily Spanton a saisi la Cour européenne des droits de l’Homme et « soutient que les autorités françaises ont méconnu leurs obligations d’incriminer les faits de pénétration sexuelle non consentie et d’assurer une répression de ces crimes de manière effective sans victimisation secondaire ».

Les vulnérabilités préexistantes (handicap, situation de précarité, traumatismes) des victimes peuvent être instrumentalisées pour remettre en cause la parole des victimes. M. Olivier Christen, directeur des affaires criminelles et des grâces, souligne ainsi que « le temps, allié des effets d’un traumatisme profond, rend la mémoire parfois fragile, défaillante » ([99]). Par ailleurs, Muriel Salmona indique que les violences créent « des troubles du comportement ou une dissociation, comme si la personne était anesthésiée, déconnectée, amorphe », et qu’« on dira que la personne raconte n’importe quoi. » ([100]). Les professionnels de la chaîne judiciaire ne sont pas suffisamment formés aux effets du traumatisme sur les plus vulnérables.

Exemples de questions posées des victimes

« Vous souvenez-vous comment vous étiez vêtue ? »

« De quelle façon décririez-vous votre comportement vis-à-vis des hommes ? »

« Parlez-nous de votre vie sentimentale »

« Parlez-nous de votre sexualité »

« Consommez-vous des produits stupéfiants ? »

« Parlez-nous de votre consommation d’alcool en règle générale »

« Avez-vous une raison autre que le fait de dénoncer les faits, dont vous estimez avoir été victime, pour déposer plainte ? »

« N’aviez-vous pas des tendances exhibitionnistes/sado-masochistes ? »

En revanche, les auditions ont montré que les éléments qui pourraient questionner la parole de l’auteur ne sont trop souvent pas recherchés : les prélèvements, de même que les expertises de soumission chimique ne sont pas toujours réalisés ; les expertises psychologiques, tant des victimes que des auteurs, sont peu diligentées ; les moyens de télécommunication (téléphonie, ordinateurs) ne sont pas explorés de manière systématique. De même, l’enquête d’environnement est rarement menée : les réalités des relations antérieures ne font pas l’objet d’une enquête approfondie ; les ex-compagnes ou les épouses du mis en cause ne sont pas entendues ; l’employeur de celui-ci non plus, alors qu’il peut rapporter que son salarié a régulièrement un comportement « problématique » avec ses collègues femmes ; les témoignages, directs ou indirects, ne sont toujours pas recherchés. Ainsi, le récit du mis en cause n’est pas questionné et la cohérence de ses explications n’est pas suffisamment vérifiée.

Pour le mis en cause, nier le viol et organiser sa défense impose de décrédibiliser la victime. La remise en cause de la parole de cette dernière est inscrite de manière inhérente dans la défense de l’accusé. Si les situations de vulnérabilité sont reconnues, elles sont alors mobilisées à l’envers par le mis en cause pour décrédibiliser la parole de la victime. La vulnérabilité psychique est mise à son débit, le sommeil ou la soumission chimique qui empêchent l’expression du refus et la sidération sont donnés comme preuve de l’absence de refus et de réaction.

iii.   Re-victimisation des victimes

On parle de « victimation secondaire », aussi parfois appelée « second viol » ou même « viol judiciaire » pour caractériser les effets dévastateurs des difficultés rencontrées par les victimes dans le cadre de la procédure judiciaire. Comme détaillé précédemment, les différentes étapes de la procédure (dépôt de plainte, interrogatoire, contre-interrogatoire, procès, verdict) peuvent être particulièrement éprouvantes voire humiliantes pour les victimes et, dans le pire des cas, sources de véritables traumatismes, qui conduisent régulièrement à des suicides.

Ce phénomène est mieux connu et documenté, mais encore peu pris en compte par la chaîne judiciaire. En 2017, une enquête ([101])  réalisée par l’association Mémoire traumatique et victimologie auprès de 1 214 victimes présente un bilan inquiétant : 82 % déclarent avoir mal vécu leur dépôt de plainte, 77 % la procédure judiciaire et 89 % le procès. Par ailleurs, 81 % des victimes pensent que la justice n’a pas joué son rôle. Cette étude est à mettre en perspective avec d’autres données, notamment une étude ([102]) menée la même année par l’ONDRP (Observatoire nationale de la délinquance et des réponses pénales) qui indique pour sa part que la majorité des victimes a été satisfaite par l’accompagnement de la police.

« Il y a des phrases que l’on voudrait ne jamais entendre dans nos salles d’audience » indique le magistrat Michel Huyette dans un billet d’avril 2024 ([103]) où il fait part de la déclaration d’une jeune femme victime de viol : « Être violée m’a détruite. Mais ce que je vis depuis ma plainte c’est presque pire. Alors si un jour une de mes amies se fait violer je lui dirai de ne pas aller porter plainte ». Le magistrat M. François Lavallière a indiqué que si une personne de son entourage victime de viol se confiait à lui, du fait du cadre procédural, il n’est pas certain de l’encourager à déposer plainte tant le processus, en plus d’être incertain, est long, dur et pénible pour les victimes.

Si le droit français ne mentionne pas cette notion, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme témoigne de sa prise en considération progressive ([104]). Dans un arrêt de 2021, la CEDH décrit « des cas graves de victimisation secondaire (...) c’est-à-dire une victimisation d’une part distincte de celle qui résultait de la commission des infractions en cause et, d’autre part, imputable aux autorités judiciaires. » ([105]) . Huit plaintes ont été portées devant la CEDH pour des faits jugés en France, au motif de victimisation secondaire lors de la procédure judiciaire.

Lancée le 30 octobre 2024, la campagne « Notre Ohrage » dénonce les dysfonctionnements de la chaîne judiciaire en matière de violences sexuelles et promeut le dépôt de huit requêtes devant la CEDH à travers une série d’événements et de manifestations artistiques. Dans ces huit affaires de violences sexuelles, dont trois concernent des mineurs, des relaxes, des acquittements ou des non-lieux ont été prononcés. Si chacune des affaires est différente, les victimes ont en commun d’avoir subi une procédure judiciaire qu’elles estiment injuste et traumatisante et qui les a incitées à saisir la CEDH. Le volume des saisines à l’encontre de la France sur ce sujet est significatif.

3.   De nombreux stéréotypes favorisés par le silence de la loi sur la question du consentement

i.   En l’absence de définition, le consentement est toujours utilisé contre la victime.

Lors de son audition par vos co-rapporteures, Mme Gwenola Joly-Coz, première présidente de la cour d’appel de Poitiers, a mentionné qu’aujourd’hui il n’y a pas une seule affaire de cour d’assises ou de cour criminelle départementale où l’on ne passe pas des heures à parler du consentement. Or, si ce sujet s’est bien imposé au cœur de la pratique judiciaire, en l’absence de définition, le consentement peut paradoxalement être utilisé contre la victime. Entendue par vos co-rapporteures, la magistrate Mme Magali Lafourcade explique qu’en l’état, tous les éléments qui devraient incriminer l’agresseur présumé (état d’ébriété de la victime, le lieu de l’acte, position sociale) se retournent contre la plaignante.

Ainsi, si le terme « consentement » n’est pas inscrit dans la définition pénale actuelle, il appartient implicitement à la victime, par un retournement injuste, de démontrer qu’elle a suffisamment prouvé son refus, lui faisant à la fois porter une charge tout en acceptant une cécité pour certaines situations (dissociation, mutisme traumatique). Sans définition juridique, le consentement est utilisé afin d’exclure de la catégorie de viol les situations au cours desquelles la résistance de la victime n’est pas jugée suffisamment manifeste. Ainsi, « à moins qu’elle ne proteste ou résiste (énergiquement), une femme est « réputée » consentir » ([106]).

Dans le silence de la loi, l’argument du consentement peut faire partie intégrante de la stratégie de défense des agresseurs, au détriment des victimes. Me Marjolaine Vignola, avocate au Barreau de Paris, déplore ainsi que « le consentement, malgré le fait qu’il n’apparaît pas dans la loi, est au cœur de ces dossiers : il est une arme de défense des agresseurs » ([107]). En effet, cette présomption de consentement a une incidence directe sur le régime de la preuve : d’autant plus si la matérialité des faits est établie, l’auteur et sa défense auront tout intérêt à alléguer du consentement de la victime. Les auditions de la mission ont ainsi montré que la ligne de défense des auteurs présumés s’était déplacée de la négation du rapport à la prétention du consentement.

Seuls certains modes opératoires de l’agresseur (violence, contrainte, menace, surprise) sont retenus pour caractériser l’infraction. Or, il en existe de moins visibles, comme le fait de provoquer un état de sidération chez la victime. Ainsi que l’indiquait Muriel Salmona lors de son audition, si l’agresseur veut avoir une victime qui ne se défend pas et qu’il peut violer sans risque d’encourir une sanction pénale, il va mettre en place des stratégies de sidération. Celle-ci est créée non pas par la victime, mais par l’agresseur et par la violence de l’agression. La victime sera alors dans l’incapacité de réagir et la connaissance de son refus par son agresseur plus difficile à prouver, lui garantissant l’impunité, étant donné que la loi pénale n’exige pas que soient recherchés les éléments de la présence ou de l’absence de consentement.

ii.    Bonne victime et bon auteur

La « bonne victime » doit répondre à certaines attentes sociales : elle porte plainte immédiatement (n’attend pas plusieurs années), elle a été violentée, elle peut prouver qu’elle a essayé de se défendre et résister, elle ne consomme pas d’alcool ou de drogue, elle ne sort pas, ne drague pas, n’a pas trop de relations sexuelles. Par ailleurs, au niveau du traitement judiciaire, la « bonne victime » doit pleurer, crier, trembler, être faible, avoir des traces de violence sur le corps et des traumatismes émotionnels apparents. En définitive, la « bonne victime » doit montrer les traces de son agression, de ses traumatismes, tout en s’intégrant en totalité dans les standards de la procédure et en se rappelant parfaitement les moindres détails du viol, sans revenir sur ses propos. Toute victime qui s’éloigne de ce stéréotype risque d’être jugée moins crédible, voire d’être considérée en partie responsable de ce qui lui est arrivé. Valérie Rey-Robert ([108]), affirme qu’au regard de ces attentes outrancières et hors-sol, « une victime idéale, c’est une victime morte ».

Il ne suffit pas d’être la « bonne victime », encore faut-il se trouver face au « bon auteur ». Pour le corps social, le violeur « c’est l’autre : le fou, le mec en manque de sexe, le jeune de banlieue » ([109]) ou « l’obsédé sexuel ou un malade mental » ([110]). Le « vrai viol » fantasmé c’est celui commis par un étranger armé, qui s’accompagne d’une grande violence physique et a lieu la nuit, dans un espace public. Entendue par vos rapporteures, la journaliste Mme Giulia Foïs, affichait sur la couverture de son livre ([111]), « j’ai eu de la chance, j’ai eu le bon viol ». C’était presque la nuit, quelqu’un qu’elle ne connaissait pas, il y avait une arme, des coups, une bombe lacrymogène. Pourtant, l’auteur n’a pas été condamné.

Or, la réalité est toute autre : « Le viol est un crime de « proximité », enchâssé dans la banalité du quotidien. » ([112]) Il n’y a pas de « bon auteur » : « les violeurs (en tout cas la grande majorité d’entre eux) sont issus de tous les milieux sociaux et aucun groupe culturel ou social n’a l’exclusivité de cette pratique d’agression, d’une part ; les violeurs sont généralement des proches ou des familiers des victimes et seulement minoritairement des inconnus ou des étrangers, d’autre part. » ([113])

Le traitement judiciaire est parfois lui-même imprégné de ces archétypes. Plus un viol se rapprocherait de cet imaginaire fantasmé, meilleur serait son traitement. Or, plusieurs cas se construisent en miroir inversé du parangon de la « bonne victime », excluant ainsi les femmes racisées (stéréotypées comme hypersexuelles ou peu désirables), les personnes en situation de prostitution (dont le consentement est souvent sous-entendu au regard de la société), et les hommes adultes dont la possibilité d’être victimes de viol est souvent ignorée. Ainsi, les viols perpétrés par le compagnon ou des hommes qui ne correspondent pas à l’imaginaire de l’inconnu déviant armé d’un couteau, sont minimisés voire niés aussi bien par le corps social que lors du traitement judiciaire.

Le tabou du viol des hommes, s’il est nettement plus marginal en nombre ([114]), permet de questionner ces stéréotypes. D’une part, le viol d’un homme est considéré comme « un crime impossible » ([115]), l’atteinte à la virilité rendant le crime impensable aux yeux de la société. Malgré de nombreux contre-exemples, ce tabou repose sur l’idée fausse que la virilité implique une invulnérabilité face aux violences sexuelles. Par conséquent, le viol des hommes est souvent considéré comme un crime impossible, car il défie les attentes socialement construites sur la masculinité.

iii.   Les arguments confortables de la « zone grise » et du « parole contre parole ».

L’argument du « on ne peut rien prouver, c’est parole contre parole » est ancré dans les représentations que l’on se fait du crime de viol. Il s’agit de confronter la version d’une victime alléguée et d’un agresseur présumé, la plupart du temps plaidant son innocence. Mais comme évoqué précédemment, ces deux paroles ne sont pas réceptionnées de la même manière.

Les termes de « zone grise » sont parfois utilisés pour désigner les situations où il ne serait pas clair si une personne a donné son consentement ou non. L’argument de la « zone grise » rendrait l’élément intentionnel difficile à établir – l’auteur présumé doit avoir eu l’intention d’entretenir un contact sexuel avec sa victime en étant conscient que celle-ci n’était pas d’accord. Ce flou pose problème car il reflète souvent les schémas de la culture du viol : d’un côté, une personne est encouragée à ne pas trop exprimer ses désirs et à rester passive de peur d’être mal jugée et de l’autre, un partenaire est valorisé s’il est perçu comme sûr de lui et entreprenant.

De nombreux interlocuteurs de la mission considèrent cependant qu’il n’y a pas de « zone grise » dans le consentement. La « zone grise », c’est déjà du non-consentement. Si on perçoit de l’ambiguïté, il suffit de questionner l’autre pour qu’elle disparaisse. Le non-consentement est précisément ce qui fait la différence entre la sexualité et la violence.

Il existe un faisceau d’indices s’inscrivant au-delà du simple « parole contre parole ». Les enquêtes préliminaires, où les deux parties sont entendues, peuvent s’accompagner d’expertises (psychologue, psychiatre) et d’éléments issus d’une enquête dite d’environnement (les proches et relations du mis en cause peuvent être entendus pour cerner sa personnalité, ses comportements) afin de compléter les déclarations des parties. Les acteurs de la chaîne pénale peuvent mobiliser d’autres éléments que les seuls témoignages. Un certain nombre de magistrats et de représentants des forces de l’ordre ont confirmé devant la mission que le « parole contre parole » n’existe que si l’on s’en contente. L’investigation fouillée des faits, des circonstances et des personnalités, permet toujours de dessiner un tableau réaliste.

Les expertises établies par les unités médico-judiciaires (UMJ) sont en cela précieuses, notamment les prélèvements génétiques ou l’examen physique des victimes. Les bleus, les douleurs dans les zones de défense comme l’avant-bras, les marques de doigts sur le corps, les douleurs dans les adducteurs ou les traces de sperme sont des éléments de preuve. De même, les officiers de police judiciaire s’appuient de plus en plus sur les « traces numériques » – commentaires, photos, vidéos, échanges de messages, contenus retrouvés dans les téléphones portables et ordinateurs – comme autant d’indices permettant d’établir la réalité.

C.   Un contexte international et europÉen qui invite à un changement de paradigme

La France s’est engagée dans une diplomatie féministe ambitieuse et perçue comme telle, par les pays dits « affinitaires » dans les grandes enceintes multilatérales. Aussi se pose la question de l’alignement entre son droit interne et ses engagements internationaux. Comme l’ont souligné les représentantes d’Amnesty International auditionnées par la mission, « il y a à la fois un enjeu d’efficacité de la justice pénale et un enjeu de cohérence vis-à-vis des ambitions affichées par la France dans sa diplomatie féministe. »

1.   La définition du viol en France n’est pas conforme à ses engagements internationaux

a.   La définition du viol n’est pas conforme à la Convention d’Istanbul ratifiée par la France

La Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (dite Convention d’Istanbul) est un traité international du Conseil de l’Europe, signé à Istanbul en mai 2011. Il s’agit du premier instrument juridiquement contraignant au niveau pan‑européen, offrant un cadre juridique complet visant à protéger les femmes contre toutes les formes de violence.

Les rapports d’évaluation par pays sur la mise en œuvre de la Convention d’Istanbul élaborés par le GREVIO ([116]) ont pointé de manière récurrente la non-conformité de plusieurs législations d’États ayant ratifié la Convention d’Istanbul (Autriche, France, Italie, Roumanie notamment ([117])).

La Convention d’Istanbul prévoit à son article 36 ([118]) que les États parties doivent prendre des « mesures législatives ou autres nécessaires pour ériger en infraction pénale, lorsqu’ils sont commis intentionnellement : la pénétration vaginale, anale ou orale non consentie, à caractère sexuel, du corps d’autrui avec toute partie du corps ou avec un objet ». Il est précisé que « le consentement doit être donné volontairement comme résultat de la volonté libre de la personne considérée dans le contexte des circonstances environnantes. » Le Rapport explicatif à la Convention (paragraphe 193) précise : « il appartient toutefois aux Parties de décider du libellé précis de la loi et des facteurs qu’elles considèrent comme empêchant le consentement de la victime. »

Parmi les États membres de l’Union européenne, six États n’ont pas encore ratifié la Convention d’Istanbul (Bulgarie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, République tchèque et Slovaquie). Ainsi, les femmes de ces pays ne sont pas couvertes par les règles minimales prévues par cette Convention. Parmi les 21 États membres de l’Union européenne qui ont ratifié la Convention d’Istanbul, le GREVIO estime que huit États membres n’ont toujours pas dans leur Code pénal de définition juridique du viol conforme à la définition de la Convention d’Istanbul fondée sur le consentement (France, Pays-Bas, Italie, Autriche, Estonie, Pologne, Portugal et Roumanie). Le rapport du service de recherche du Parlement européen a indiqué que « les évaluations comparatives concluent que la transposition et la mise en place de la législation européenne existante et la diversité des approches législatives et des niveaux inégaux de criminalisation […] ne respectent pas les normes établies dans la Convention d’Istanbul dans de nombreux cas ».

Dans son rapport dévaluation de 2019 ([119]), le GREVIO a souligné qu’en France, « la définition juridique des infractions sexuelles n’est pas fondée de manière explicite sur le consentement libre et non équivoque de la victime ». Le GREVIO considère qu’en s’alignant sur la définition de la Convention, la France pallierait aux insuffisances qui ressortent de l’évaluation à savoir : « D’un côté, une forte insécurité juridique générée par les interprétations fluctuantes des éléments constitutifs que sont la violence, la contrainte, la menace et la surprise ; d’un autre côté, l’incapacité des dits éléments probatoires à englober la situation de toutes les victimes non consentantes, notamment lorsque celles-ci sont en état de sidération. »

En outre, le rapport pointe les « insuffisances du traitement judiciaire des violences sexuelles » en France, illustrées par le faible nombre de plaintes, de condamnations et la pratique dite de correctionnalisation. Il est considéré que « la faiblesse du taux (de condamnations) s’explique en grande partie par des défaillances dans le recueil et la préservation des preuves conduisant à ce que de nombreuses plaintes soient classées sans suite. » Le GREVIO relève enfin que « ce phénomène serait particulièrement marqué dans les cas de viols sans recours à la force, viols conjugaux, viols sur des personnes handicapées ou viols incestueux paternels. ».

Vos rapporteures estiment qu’il est temps d’apporter une réponse aux remarques pertinentes soulevées par le GREVIO et d’aligner notre droit interne sur nos engagements internationaux.

b.   Des questions soulevées devant le Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) et la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH)

Au cours des cinq dernières années, le Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (Comité CEDAW) a exhorté plusieurs États européens à modifier leur législation sur le viol, notamment en l’alignant sur la Convention d’Istanbul, pour définir le viol sur la base d’une absence de consentement. Ainsi, lors de l’examen de la France devant le Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (Comité CEDAW) en octobre 2023 ([120]), la question de la définition trop restrictive du viol a été abordée. Il a été soulevé que cette définition limitait fortement les possibilités d’entrer en voie de condamnation et rendait le parcours pénal des plaignantes particulièrement difficile.

Par ailleurs, huit affaires récemment jugées en France ont par la suite été portées devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). En 2021, une requête a été déposée auprès de la CEDH par une jeune femme pour « l’absence d’évaluation objective par les juges de son consentement libre au regard de son âge et de sa vulnérabilité » et pour les « formulations sexistes et discriminatoires dont auraient usé les juridictions internes dans leurs décisions ». En 2023, la France a été interrogée sur le respect de son obligation « d’adopter et d’appliquer de manière effective des dispositions en matière pénale afin que soient incriminés et réprimés tous les actes sexuels non consensuels ».

2.   L’échec d’une définition européenne du viol

La Commission européenne a présenté le 8 mars 2022, sous présidence française du Conseil, une proposition de directive contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. L’article 5 de la proposition initiale, prévoyant une harmonisation minimale de la définition et des sanctions du crime de viol, a cristallisé l’essentiel des débats.

Article 5 (proposition initiale Commission)

1. Les États membres veillent à ce que les comportements intentionnels suivants soient passibles de sanctions en tant qu’infractions pénales :

(a) le fait de se livrer avec une femme à tout acte non consenti de pénétration vaginale, anale ou orale à caractère sexuel avec toute partie du corps ou avec un objet ;

(b) le fait de contraindre une femme à se livrer avec une autre personne à tout acte non consenti de pénétration vaginale, anale ou orale à caractère sexuel avec toute partie du corps ou avec un objet.

2. Les États membres veillent à ce qu’on entende par acte non consenti un acte accompli sans que la femme ait donné son consentement volontairement ou dans une situation où la femme n’est pas en mesure de se forger une volonté libre en raison de son état physique ou mental, par exemple parce qu’elle est inconsciente, ivre, endormie, malade, blessée physiquement ou handicapée, et où cette incapacité à se forger une volonté libre est exploitée.

3. Le consentement peut être retiré à tout moment au cours de l’acte. L’absence de consentement ne peut être réfutée exclusivement par le silence de la femme, son absence de résistance verbale ou physique ou son comportement sexuel passé.

La base juridique de cet article 5 a fait l’objet de vives discussions au Conseil. La Commission a fondé l’harmonisation de l’infraction de viol sur l’article 83 §1 TFUE. Celui-ci permet une harmonisation législative minimale s’appliquant à une liste limitative d’infractions « dans des domaines de criminalité particulièrement grave revêtant une dimension transfrontière », dont « l’exploitation sexuelle des femmes et des enfants ». C’est cette dernière infraction qui est retenue par la Commission pour fonder sa proposition d’harmonisation du crime de viol.

Une majorité des États membres a estimé, sur la base d’un avis du Service juridique du Conseil publié en octobre 2022 qu’en l’état du droit de l’Union, la base juridique était insuffisante et conduirait à un risque contentieux devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) élevé. En effet, si un recours était introduit et que la Cour rendait un avis défavorable, l’ensemble du dispositif établi par la directive en serait fragilisé.

Lors du Conseil (JAI) du 9 juin 2023, l’orientation générale a supprimé l’article 5. La France a relevé la fragilité de la base juridique et ne s’est pas opposée à la suppression de l’article 5, tout en rappelant l’importance du sujet et appelant à travailler à « des alternatives ambitieuses et juridiquement solides ». Plusieurs États membres (Belgique, Italie, Luxembourg et Grèce) considèrent cependant la base juridique comme suffisante et ont fait une déclaration en ce sens, sans s’opposer à l’orientation générale. Par ailleurs, l’Autriche, la Slovénie, le Portugal et les Pays-Bas ont indiqué leurs regrets quant à la faiblesse du niveau d’ambition du texte, tandis que l’Irlande espérait qu’une solution pourrait être trouvée lors des trilogues.

Une évolution possible pour pallier le défaut actuel de base juridique consisterait à ajouter le crime de viol ou les violences sexuelles à la liste des « eurocrimes », extension permise par l’article 83, §1 TFUE (procédure requérant l’unanimité des États membres, après approbation du Parlement européen, cf. annexe II). Cette option n’a pas non plus été retenue par la France du fait, d’une part, de l’unanimité exigée et des risques à créer des précédents sur l’extension des compétences de l’Union en matière de droit pénal matériel.

Le Parlement européen a adopté son mandat de négociations le 12 juillet et son rapport final a retenu la lecture inverse de celle du Conseil, estimant que la base juridique était suffisante : il a conservé l’article 5 et ajouté un article 5 bis sur le « viol par négligence » sur le modèle de la législation suédoise. Il a fait du maintien de ces dispositions une ligne rouge en vue des négociations en trilogue.

Cependant, aucun compromis n’a pu être trouvé sous la présidence espagnole ni la présidence tchèque. La présidence espagnole, très favorable à l’inclusion de l’incrimination du viol, avait pourtant fait de ce texte une priorité de sa présidence mais aucun compromis n’a pu être trouvé. Les négociations menées au sein du Conseil ont abouti à un compromis ne comprenant pas l’article 5 portant sur la définition pénale du viol.

3.   Nombre de nos voisins européens ont modifié leurs définitions pour répondre à leurs engagements mais surtout à une forte demande sociale

Un nombre croissant de pays, dont le Canada depuis les années 1990 et près de la moitié des pays européens, ont inscrit le consentement dans leur définition pénale du viol, avec un effet positif sur la lutte contre l’impunité.

Au sein de l’Union européenne, il existe aujourd’hui deux approches qui ne sont toutefois pas incompatibles en matière de qualification pénale du viol. 14 États membres (dont la France) connaissent une définition fondée sur des qualifications matérielles (contrainte, violence, menace, ruse) ([121]) , tandis que 13 autres définissent le viol par l’absence de consentement au contact sexuel.

On observe une nette tendance ces dernières années, reflet d’une société qui évolue, parmi les États membres de l’Union européenne à l’intégration de la définition fondée sur l’absence de consentement, notamment sous l’effet de l’application de la Convention d’Istanbul et du mouvement #Metoo.

Selon l’analyse d’Amnesty International du 24 novembre 2018 ([122]) portant sur 31 pays (UE 27 + Islande, Royaume-Uni, Norvège, Suisse) étudiés, 14 définissent le viol comme un contact sexuel non consenti, dont 13 États membres (l’Allemagne, la Belgique, la Croatie, Chypre, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la Grèce, l’Irlande, le Luxembourg, Malte, la Slovénie et la Suède). Ainsi, dans ces pays, un rapport sexuel est reconnu comme un viol si la victime n’a pas donné son consentement – ce qui inclut les hypothèses dans lesquelles la victime n’a pas dit « non » explicitement ou ne s’est pas débattue.

Ainsi, en Belgique, dont le système judiciaire est proche de la France, la notion d’absence de consentement est centrale dans la qualification juridique du viol. La violence, la contrainte, la menace et la surprise peuvent qualifier l’absence de consentement, mais ne sont pas érigées en éléments constitutifs de l’infraction. Surtout, le Code pénal belge précise les cas dans lesquels le consentement ne peut être déduit (absence de résistance ; vulnérabilité ; inconscience ou sommeil).

La définition du crime de viol dans le Code pénal belge

Article 417/11. Le viol.

On entend par viol tout acte qui consiste en ou se compose d’une pénétration sexuelle de quelque nature et par quelque moyen que ce soit, commis sur une personne ou avec l’aide d’une personne qui n’y consent pas.

Cette infraction est punie de la réclusion de dix ans à quinze ans.

Art 417/5. La définition du consentement en matière de droit à l’autodétermination sexuelle.

Le consentement suppose que celui-ci a été donné librement. Ceci est apprécié au regard des circonstances de l’affaire. Le consentement ne peut pas être déduit de la simple absence de résistance de la victime. Le consentement peut être retiré à tout moment avant ou pendant l’acte à caractère sexuel.

Il n’y a pas de consentement lorsque l’acte à caractère sexuel a été commis en profitant de la situation de vulnérabilité de la victime due notamment à un état de peur, à l’influence de l’alcool, de stupéfiants, de substances psychotropes ou de toute autre substance ayant un effet similaire, à une maladie ou à une situation de handicap, altérant le libre arbitre.

En tout état de cause, il n’y a pas de consentement si l’acte à caractère sexuel résulte d’une menace, de violences physiques ou psychologiques, d’une contrainte, d’une surprise, d’une ruse ou de tout autre comportement punissable.

En tout état de cause, il n’y a pas de consentement lorsque l’acte à caractère sexuel a été commis au préjudice d’une victime inconsciente ou endormie.


En 2016, l’Allemagne ([123]) a intégré au sein de la typologie des actes pouvant être qualifiés de viol le fait de « contraindre une personne à un acte sexuel contre sa volonté identifiable », souhaitant mettre en conformité sa législation avec la Convention d’Istanbul.

En Suède, c’est en mai 2018, dans le contexte du mouvement #Metoo, qu’une nouvelle loi a été votée par le Parlement, qui place au cœur de la définition pénale du viol l’absence d’accord explicite. Désormais, tous les actes à caractère sexuel avec une personne « qui n’y participe pas de façon volontaire » sont érigés en infractions pénales (agression sexuelle ou viol).

De même, de telles définitions ont été adoptées en Grèce en juin 2019, au Danemark en 2021 et plus récemment en Espagne sous l’effet de la mobilisation des organisations féministes, en août 2022. Aux Pays-Bas, un projet de loi adopté par la Chambre des représentants est en cours d’examen par le Sénat. Ce projet ne prend pas seulement en compte l’absence de consentement verbal, mais également les hypothèses dans lesquelles cette absence est observable par les faits et les circonstances. Dans son rapport de 2022, le GREVIO salue également « l’inclusion dans le Code pénal chypriote d’une définition du viol et des abus sexuels par pénétration, qui sont érigés en infractions pénales sur la base de l’absence de consentement de la victime ».

L’intégration de la notion de consentement dans la définition pénale du viol a eu pour effet une augmentation des condamnations. En Suède, depuis l’entrée en vigueur de la loi sur le consentement, adoptée en 2018, un rapport rendu public du Swedish National Council for Crime Prevention (BRA) fait état d’une progression de 75 % des condamnations depuis la réforme ([124]) .

Au Danemark, le ministère de la Justice, dans un communiqué de presse publié en décembre 2021, a relevé l’augmentation significative des signalements et des accusations de viol suite à la nouvelle loi de consentement, adoptée à l’unanimité par le Folketing (Parlement) le 17 décembre 2020, et entrée en vigueur le 1er janvier 2021. Les statistiques de la police nationale montrent une augmentation du nombre de signalements et d’accusations de viol après presque un an d’application de la nouvelle législation. En 2020, on relève 1 392 signalements et 1 078 accusations pour viol. Entre le 1er janvier et le 23 novembre 2021, il y a déjà eu plus de signalements et d’accusations qu’en 2020, la police ayant enregistré 1 720 signalements et 1 315 accusations pour viol.


II.   les dispositions actuelles du code pÉnal

A.   une construction lÉgislative lente, toujours prÉcÉdÉe d’avancÉes jurisprudentielles et sociÉtales

1.   Une définition historiquement centrée sur le recours de l’auteur à des moyens de coercition

a.   Une définition centrée sur les moyens de coercition qui ne mentionne pas explicitement le défaut de consentement

L’article 222-23 du Code pénal définit aujourd’hui le viol comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise ». Quant à l’agression sexuelle, il s’agit de « toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ».

En l’état du texte français, ce n’est pas l’acte sexuel non consenti qui est pénalement réprimé mais celui qui est imposé par menace, contrainte, violence ou surprise. La preuve d’absence de consentement donné ou de refus manifesté ne suffit pas à constituer l’infraction de viol. Pour prouver le viol ou l’agression sexuelle, les juges doivent qualifier la matérialité et l’intentionnalité du crime ou du délit : sur le plan de la matérialité (i), ils considèrent l’atteinte sexuelle pour le crime d’agression sexuelle et la pénétration ou l’acte bucco-génital pour le délit de viol et considèrent l’emploi de moyens de coercition – violence, contrainte, menace ou surprise (VCMS). Le plan de l’intentionnalité (ii) est ensuite considéré pour démontrer que l’auteur a imposé le contact sexuel.

Cette définition est le fruit d’une lente histoire jurisprudentielle et législative. Deux éléments la caractérisent : d’une part, le crime de viol, qui n’a longtemps fait l’objet d’aucune définition en droit pénal, est centré sur le recours à la coercition. D’autre part, même si la jurisprudence y fait référence dès le début du XIXe siècle, le défaut de consentement n’est pas explicitement mentionné dans la définition des infractions sexuelles.

Avant la Révolution française, le droit ne définit ni ne nomme précisément le viol. Ainsi, « les juristes de l’époque moderne ne semblent pas s’accorder sur la dénomination et la définition du viol, lequel est souvent associé, voire confondu, avec le rapt, l’adultère, le stupre et la séduction » ([125]). Le facteur déterminant dans l’analyse du viol par le pouvoir judiciaire n’était alors pas l’agression à l’encontre de la femme, mais celle à l’encontre de l’honneur de sa famille. « L’injure faite à la femme est censée être faite au mari », rappelle l’historien Georges Vigarello ([126]).

C’est en 1791 que le viol est inscrit pour la première fois au chapitre relatif aux crimes et attentats contre les personnes du Code pénal qui, sans le définir, précise que « le viol sera puni de six années de fers ». S’il est désormais condamné par la loi, Georges Vigarello nous indique qu’il est en pratique peu poursuivi. Le Code pénal de 1810 opère la distinction entre les agressions à caractère sexuel et les autres faits de violence, et incorpore le viol au chapitre des « attentats aux mœurs ». Il est prévu que « quiconque aura commis le crime de viol, ou sera coupable de tout autre attentat à la pudeur, consommé ou tenté avec violence contre des individus de l’un ou de l’autre sexe, sera puni de la réclusion. ». À nouveau, non seulement le crime de viol ne fait l’objet d’aucune définition et le texte ne sanctionne que les actes commis avec violence.

En l’absence de définition légale, la jurisprudence a précisé les contours du crime de viol tout au long du XIXe siècle. La Cour de cassation a pris en compte très tôt la notion de consentement dans la définition du viol. Ainsi, l’arrêt Dubas du 25 juin 1857 (Crim 25 juin 1857) définit le viol comme « le fait d’abuser d’une personne contre sa volonté, soit que le défaut de consentement résulte de la violence physique ou morale exercée à son égard, soit qu’il résulte de tout autre moyen de contrainte ou de surprise pour atteindre, en dehors de la volonté de la victime, le but que se propose l’auteur de l’action ».

Dans la loi du 23 décembre 1980, qui définit pour la première fois le viol en droit pénal, la notion de consentement comme élément de la qualification du délit sexuel se perd pour se centrer exclusivement sur le modus operandi. Alors que la jurisprudence laissait une place à l’affirmation d’une volonté, ces éléments disparaissent au profit de l’établissement de preuves de coercition, notamment en raison des préjugés qui pesaient à l’époque sur la définition du consentement et son instrumentalisation systématique par les auteurs présumés – il pouvait même être admis à l’époque que la victime pouvait non pas céder à la force, mais « changer d’avis ».

Il faut ici préciser que la notion de consentement était alors empreinte de stéréotypes marqués par la culture du viol, qui d’ailleurs n’ont pas tous disparu. Céder sans mettre sa vie en danger était considéré comme une forme de consentement. On pouvait dans la jurisprudence estimer qu’un comportement empreint de violence pouvait conduire la femme à accepter les relations sexuelles non par crainte mais par un « fléchissement volontaire de sa résistance » ([127]) . Il ne s’agissait en aucun cas d’un consentement libre, éclairé et express, dont le mis en cause devait s’enquérir préalablement, même dans un cadre conjugal ou même contractuel. Par ailleurs, il est intéressant de noter que l’exposé des motifs de la loi de 1980 fait référence à la nécessité de l’intervention du législateur face au seul traitement judiciaire ([128]) .

On ne peut que constater la permanence des concepts sur lesquels s’est construite la législation relative à la répression du viol, concepts aujourd’hui mis en question notamment sous l’effet du mouvement #Metoo. La violence et la coercition demeurent au cœur de la caractérisation du crime, ainsi que la réaction ou « résistance » de la victime. Le « droit pénal actuel s’ancre dans un socle de lois et de jurisprudences pluriséculaires qui continuent de l’irriguer en dépit de changements législatifs opérés depuis 1791 » ([129]).

b.   L’abandon récent des éléments de coercition pour les mineurs de 15 ans

Les éléments de coercition ont progressivement été abandonnés pour caractériser le viol des mineurs de 15 ans, sous l’effet de la mobilisation de la société civile et par le vote de la loi du 21 avril 2021.

Les discussions de la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes avaient souligné la difficulté à caractériser les éléments constitutifs du crime de viol lorsque la victime est mineure, conduisant à une répression pénale insuffisante. Les débats de 2018 s’étaient cependant conclus sur l’impossibilité juridique de présumer un viol ou une agression sexuelle sur la seule base du jeune âge de la victime.

Sous l’effet de la mobilisation de la société civile, des réflexions des juristes et des praticiens et à l’initiative conjointe du Sénat et de l’Assemblée nationale, une proposition de loi a été déposée, pour pallier ces difficultés.

L’affaire dite « Julie »

En 2010, une jeune fille de 15 ans accuse deux pompiers de viol en réunion à plusieurs reprises alors qu’elle avait 14 ans. Or, faute de preuves jugées suffisantes pour caractériser les VCMS, notamment en raison d’un discours de la jeune fille jugé fluctuant et de « sa participation active aux ébats », en 2021, la Cour de cassation (Crim. 17 mars 2021, n° 20-86.318) a confirmé l’ordonnance de requalification des faits en atteinte sexuelle aggravée par la chambre de l’instruction. À la suite de cette décision, les associations féministes et de protection de l’enfance se sont mobilisées en faveur d’une réforme législative qui a abouti à la loi du 21 avril 2021.

La loi du 21 avril 2021 a prévu la création d’infractions autonomes réprimant, per se, l’acte sexuel commis par un majeur sur un mineur. Les rapports sexuels entre un mineur de quinze ans et un majeur d’au moins cinq ans son aîné sont des viols selon l’article 222-23-1 du Code pénal et des agressions sexuelles selon l’article 222-29-2 du Code pénal, sans que la preuve de violence, contrainte, menace ou surprise n’ait à être apportée.

Par principe, dans le cadre d’une relation sexuelle, un mineur de 15 ans ne sera donc jamais présumé consentant. Par exception, est introduite la clause dite « Roméo et Juliette » ([130]) afin de distinguer la situation où le majeur et le mineur ont moins de cinq ans d’écart. Dès lors, le viol entre un adulte et un mineur de 15 ans est caractérisé sans qu’il soit nécessaire de démontrer l’absence de consentement de la victime. Dans le cas d’une relation sexuelle incestueuse (article 222-23-2 du Code pénal), cet âge est porté à 18 ans.

2.   Des peines historiquement lourdes que de très nombreuses circonstances peuvent venir aggraver

a.   Un renforcement de la répression et un allongement des délais de prescription

Comme le soulignait en 2018 la Commission nationale consultative des droits de l’Homme ([131]), « depuis l’entrée en vigueur du Code pénal en 1994, le renforcement de notre arsenal législatif est caractéristique de la démarche répressive privilégiée par la puissance publique pour lutter contre les violences sexuelles ». Celle-ci s’est traduite par un grand nombre de réformes législatives visant notamment l’aggravation de la répression et l’allongement des délais de prescription. Cependant, la criminalité sexuelle ne semble pas « marquer un recul à la hauteur de la quantité de lois répressives adoptées ».

Le crime de viol est sanctionné par des peines historiquement lourdes qui ont été aggravées au fil des réformes législatives. Avec la loi du 23 décembre 1980, le législateur inscrit pour la première fois en droit français une définition du crime de viol et prévoit une peine de cinq à dix ans de réclusion criminelle, qui peut passer de 10 à 20 ans si des circonstances aggravantes sont identifiées. La loi du 22 juillet 1992, entrée en vigueur en 1994, vient aggraver la répression du crime de viol, celle-ci passant à quinze années de réclusion criminelle (article 222-23 du Code pénal). En cas de circonstances aggravantes, il peut être sanctionné de vingt ans d’emprisonnement. Enfin, il peut aussi être puni d’une réclusion criminelle à perpétuité s’il a été accompagné de tortures ou d’actes de barbarie (article 222-26 du Code pénal).

Les délais de prescription ont également été allongés au fil des années. Jusqu’en mars 2017, le délai était fixé à dix ans à compter du jour où l’infraction avait été commise – sauf si la victime avait moins de quinze ans, auquel cas le délai de prescription ne commençait à courir qu’à partir de sa majorité, pour une durée de vingt ans.

La loi du 27 février 2017 a porté ce délai à vingt ans après la commission de l’infraction (six ans dans le cas du délit d’agression sexuelle). La « loi Schiappa » du 3 août 2018 a rallongé ce délai pour les crimes sexuels sur mineurs à trente années révolues à partir de la majorité des victimes présumées de viol et d’autres crimes mentionnés à l’article 706-47 code de procédure pénale.

Enfin, la loi du 21 avril 2021 a instauré une nouvelle prescription dite « glissante » pour les mineurs aux articles 7, 8 et 9-2 du titre préliminaire du code de procédure pénale. L’article 7 du code de procédure pénale dispose que le délai de prescription peut être prolongé « s’il s’agit d’un viol, en cas de commission sur un autre mineur par la même personne, avant l’expiration de ce délai, d’un nouveau viol, d’une agression sexuelle ou d’une atteinte sexuelle, le délai de prescription de ce viol est prolongé, le cas échéant, jusqu’à la date de prescription de la nouvelle infraction ». La prescription peut être interrompue par un acte d’enquête, d’instruction, un jugement ou un arrêt concernant ce même auteur. Dans la même optique, la prescription pour le délit de non-dénonciation a été portée à dix ans à compter de la majorité de la victime en cas d’agression ou d’atteinte sexuelle et à vingt ans à partir de la majorité de la victime en cas de viol.

b.   Des circonstances aggravantes aujourd’hui au nombre de dix-sept qui peuvent limiter la caractérisation de l’infraction

Les circonstances aggravantes sont aujourd’hui au nombre de dix-sept listées, pour le viol, aux articles 222-24, 222-5 et 222-26 et pour les agressions sexuelles aux articles 222-28, 222-29 et 222-30 du Code pénal. Ces circonstances aggravent l’infraction et donc le quantum de la peine en raison de :

Les circonstances aggravantes en cas de viol

La qualité de la victime

- mineur de quinze ans

- personne vulnérable

- personne vulnérable pour raisons économiques

- prostituée

La qualité de l’auteur

- ascendant ou personne ayant autorité

- personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions

- commis par plusieurs personnes

- par conjoint ou concubin de la victime

- par personne en état d’ivresse ou sous stupéfiants

Le modus operandi

- usage ou menace d’une arme

- contact avec un moyen de communication électronique

- concours avec un autre viol

- présence d’un mineur

- administration d’une substance pour altérer le discernement

- acte de torture et de barbarie

Les conséquences de l’infraction

- l’acte a entraîné une mutilation ou infirmité permanente (viol)

- l’acte a entraîné la mort (viol)

- l’acte a entraîné une blessure, lésions ou ITT > 8 J. (agression sexuelle)

Certaines de ces circonstances aggravantes seraient utiles à la qualification même de l’infraction et auraient davantage leur place comme élément constitutif que comme circonstances aggravantes. C’est le cas de la qualité de la victime de personne vulnérable, y compris pour raisons économiques, de la qualité de l’auteur d’ascendant ou de personne ayant autorité et de personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ou encore du modus operandi consistant en l’usage ou la menace d’une arme.

Mais, selon le principe ne bis in idem, si ces éléments sont reconnus comme circonstances aggravantes, ils ne peuvent être utilisés pour qualifier l’infraction. En effet, les juges retiennent que « des faits qui procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes » ([132]) . Ainsi, la chambre criminelle de la Cour de cassation a reconnu qu’une cour d’appel qui fonde sa décision de condamnation sur l’autorité attribuée au prévenu pour caractériser la contrainte, prive sa décision de base légale dès lors que « cet élément ne constitue qu’une circonstance aggravante du délit d’agression sexuelle ».

La question de ce cumul a fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité. En l’espèce, c’est la conformité de l’article 222-22-1 du Code pénal aux droits et libertés que la Constitution garantit qui était contestée. Cet article prévoit que lorsque les faits sont commis sur un mineur, la contrainte ou la surprise peuvent notamment résulter « de l’autorité de droit ou de fait que [l’auteur] a sur la victime ». Or, il s’agit d’une circonstance aggravante du crime de viol (article 222-24 4°du Code pénal).

Dans sa décision n° 2014-448 QPC du 6 février 2015, le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions de cet article ont « pour seul objet de désigner certaines circonstances de fait sur lesquelles la juridiction saisie peut se fonder pour apprécier si, en l’espèce, les agissements dénoncés ont été commis avec contrainte, elle n’a en conséquence pas pour objet de définir les éléments constitutifs de l’infraction » et sont donc de nature interprétative. Dès lors, cet article respecte le principe ne bis in idem.

Cette décision ne vise pas pour autant à reconnaître que prouver la présence d’une circonstance aggravante suffit à caractériser l’infraction. En ce sens la jurisprudence est constante, l’élément constitutif de l’infraction doit être démontré autrement que par la seule présence de la circonstance aggravante. Récemment, il semble que le juge s’accorde le droit de retenir un élément comme constitutif de l’infraction plutôt que comme aggravant, excluant de facto l’aggravation. En ce sens, la chambre criminelle a relevé dans une décision du 8 janvier 2020 que « la circonstance aggravante de personne ayant autorité sur la victime doit être écartée, cette autorité de fait étant un élément constitutif de la contrainte » ([133]).

B.   Une jurisprudence variée et parfois innovante, qui peine TOUTEFOIS À combler le SILENCE de la loi sur la notion de consentement

1.   Une interprétation parfois extensive des éléments matériels constitutifs du viol (violence, contrainte, menace et surprise)

a.   Les notions de violence et de menace sont les plus simples à appréhender

La violence est l’élément constitutif du viol qui emporte le plus de condamnations puisqu’elle laisse des traces et donc des preuves.

Cette violence peut être physique. Elle doit alors être suffisamment forte pour vaincre la résistance de la victime et ainsi exclure toute possibilité de consentement. En ce sens, la chambre criminelle a pu retenir que le viol était qualifié lorsque la victime avait « manifesté une résistance physique qui a suscité la violence de » l’auteur. C’est le cas d’un agresseur qui a tenté de défenestrer la victime, l’a giflée suffisamment fort pour lui casser une dent ou lui a mis des coups de poing dans le ventre. La violence a pu être retenue même en l’absence de résistance physique, lorsque la victime a exprimé de façon continue et claire son désaccord à un infracteur « usant de sa supériorité physique pour parvenir à ses fins ».

La violence psychologique elle est aussi un élément constitutif depuis la loi du 9 juillet 2010 qui introduit dans le Code pénal un article 222-14-3 précisant que « les violences prévues par les dispositions de la présente section sont réprimées quelle que soit leur nature, y compris s’il s’agit de violences psychologiques ». Dans les faits, les violences psychologiques sont souvent assimilées à une forme de contrainte morale ou retenues par le juge conjointement à des violences physiques. Ainsi, le juge a pu retenir que les violences psychologiques pouvaient être provoquées « par la délivrance de coups dans les portes de l’appartement » dans une décision mais que des faits similaires de destruction instaurait un contexte de contrainte dans une autre.

La loi du 22 juillet 1992 consacre la menace comme élément constitutif du viol. Avant cette consécration légale, la Cour de cassation considérait la menace comme une forme de contrainte ([134]) et en condamnait déjà l’usage pour obtenir un rapport sexuel. Ainsi, elle a pu retenir que le fait par le mis en cause, d’avoir exercé sur la victime « un chantage consistant à la menacer de l’abandonner sur place, en pleine nuit, dans un froid vif, par un temps de brouillard dense, loin de toute habitation, si elle ne cédait pas à ses avances » est « constitutif d’une contrainte morale exclusive de tout libre consentement » ([135]).

b.   La jurisprudence a enrichi la notion de contrainte

Depuis la loi du 8 février 2010, l’article 222-22-1 du Code pénal précise que « la contrainte peut être physique ou morale ». L’article dispose que la contrainte, et, depuis 2018, la surprise, peuvent résulter de la différence d’âge entre une victime mineure et l’infracteur majeur, ainsi que de l’autorité de droit ou de fait que ce dernier exerce sur la victime. Le Conseil constitutionnel a estimé dans une décision du 6 février 2015 que cet article avait « pour seul objet de désigner certaines circonstances de fait sur lesquelles la juridiction saisie peut se fonder pour apprécier si, en l’espèce, les agissements dénoncés ont été commis avec contrainte » ([136]). Dès lors, cette précision légale de la contrainte n’est qu’interprétative et « n’a en conséquence pas pour objet de définir les éléments constitutifs de l’infraction ». Le caractère interprétatif de l’article 222-22-1 du Code pénal a été réaffirmé par la Cour de cassation à plusieurs reprises.

La contrainte, qu’elle soit physique ou morale, doit être appréciée in abstracto et in concreto. Ainsi, certaines situations de contrainte sont objectives notamment lorsque la victime est enfermée ou que l’agresseur est son supérieur hiérarchique. En ce sens, la Cour de cassation a estimé qu’une cour d’appel relevant que « le prévenu ayant profité de sa position de supérieur et de sa proximité physique avec la partie civile pour se livrer à ces attouchements » était coupable d’une agression sexuelle par contrainte, avait justifié sa décision. D’autres situations doivent être appréciées subjectivement, selon la capacité de résistance de la victime. Les caractéristiques propres de la victime et de l’agresseur (taille, force, intégration sociale, statut économique, etc.) doivent alors être étudiées. Ainsi, la Cour de cassation a pu retenir la contrainte exercée par un homme de quarante-huit ans et d’une taille imposante sur une jeune femme âgée de dix-huit ans « sujette à d’importantes inhibitions, fragilité psychologique, […] relativement isolée et démunie ». Elle précise que « le refus de consentir à la relation sexuelle doit s’apprécier de manière concrète en fonction de la personnalité de la victime et de sa capacité de résistance ». La contrainte physique est retenue lorsque la victime est immobilisée ou enfermée, qu’elle n’a d’autre choix que de céder aux sollicitations de l’infracteur.

La Cour de cassation reconnaît que la contrainte morale peut résulter de l’abus d’autorité conférée par ses fonctions. C’est notamment le cas dans le cadre thérapeutique, lorsqu’un praticien abuse de la confiance de sa patiente et ce même si cette dernière ne réagit pas. Ainsi la Cour de cassation a confirmé le jugement d’appel retenant la contrainte dans le cas où « le demandeur a abusé de sa position de thérapeute pour exercer, sur sa patiente, des attouchements auxquels elle n’avait pas consenti, ce qui a été rendu possible par l’état de sidération dans lequel les faits dont elle a été victime l’ont plongée » ([137]). Le fait pour cette patiente d’être allongée nue et de consulter un praticien que son fils apprécie et qui lui a été recommandé par une amie suffit à caractériser la contrainte. Cependant, ce que les juridictions entendent par « abus d’autorité conférée par les fonctions » n’est pas en tant que tel défini par la Cour de cassation et dépend uniquement de l’appréciation des juges du fond.

Dans la situation où un lien hiérarchique est exploité, la Cour de cassation peut retenir la contrainte morale, mais ce n’est pas systématique. Tel est le cas du supérieur hiérarchique qui agresse sa subalterne particulièrement vulnérable. La contrainte morale est aussi retenue dans le cas de chantage à l’emploi. Les juges peuvent constater à la fois le contexte général de contrainte et des éléments de vulnérabilité propres à la victime renforçant cette contrainte.

En dehors de ces situations d’abus d’autorité, les juges ont tendance à ne retenir la contrainte qu’en présence d’une victime particulièrement vulnérable. C’est le cas lorsque la victime présente des troubles psychologiques ou qu’elle est dans un particulier état de fragilité physique et psychique. La contrainte n’a pas besoin d’être exercée pour être retenue, le simple fait d’abuser d’un état de fragilité permet de la retenir. Cela devrait permettre de condamner les infractions sexuelles commises à l’encontre de personnes en situation de handicap, ce qui fut le cas du viol commis par un ophtalmologue à l’encontre d’une patiente handicapée. Toutefois, le juge ne fait pas preuve d’une constance absolue en la matière. Il a ainsi pu acquitter un homme de trente ans abusant une victime en situation de handicap de dix-sept ans dont l’âge mental est estimé à dix ans, au motif que cette dernière a déclaré être « tombée amoureuse » du mis en cause et que, dès lors, la contrainte ne pouvait être caractérisée.

Le juge s’attache aussi à condamner les situations d’abus d’une vulnérabilité économique lorsque celle-ci s’inscrit dans un cadre de vulnérabilité plus large. Ainsi, le juge retient la contrainte morale dans le cas où la victime mineure, se trouvant dans une situation de précarité familiale et économique, en situation irrégulière sur le territoire puis confiée à l’aide sociale à l’enfance et donc dépourvue de tous moyens économiques, cède aux avances du mis en cause moyennant rémunération. C’est aussi le cas lorsque la victime et l’infracteur présentent une importante différence d’âge et « une expérience de vie fort différente » et que la victime se croit dépendante économiquement et professionnellement de l’infracteur. Pour autant, dans d’autres situations de dépendance, la contrainte morale n’est pas retenue par le juge. C’est le cas concernant des rapports sexuels entre une jeune religieuse et le chef de la communauté religieuse. Le jugement d’appel confirmé par la Cour de cassation retient que « le seul fait que [le mis en cause] ait été le dirigeant de la communauté religieuse ne suffit pas à créer une présomption de contrainte ou de surprise sur une de ses disciples, quand bien même celle-ci se serait trouvée dans une situation de souffrance psychologique ou physique » ([138]).

Enfin, la contrainte morale peut être retenue dans certaines situations de chantage. Tel est le cas d’un propriétaire qui subordonne la conservation d’un logement à un contact sexuel. La position de la chambre criminelle est plus ambigüe concernant le chantage à la diffusion d’images. La Cour de cassation confirme l’ordonnance de mise en accusation confirmative qui retient la contrainte morale exercée par un infracteur qui, après un premier contact sexuel consenti, menace la victime de diffuser des images et vidéos de ce premier rapport si elle refuse les suivants. Le juge relève aussi que la victime avait pleuré pendant l’entièreté du rapport. Pourtant, dans une décision du 14 avril 2021, la chambre criminelle statue différemment ([139]). Dans une situation de chantage à la diffusion d’images, les juges ne retiennent pas toujours la contrainte morale et fondent leur appréciation sur le comportement de la victime et la concomitance de l’élément coercitif et du contact sexuel.

c.   et commencé à intégrer des situations inattendues ou auparavant mal comprises dans la notion de surprise

La surprise du consentement de la victime est constitutive du viol. Ainsi, dans une décision du 25 avril 2001 la chambre criminelle affirme que le quatrième élément constitutif doit être compris comme surprenant « le consentement de la victime et ne saurait se confondre avec la surprise exprimée par cette dernière » ([140]).

Le consentement est considéré comme surpris dès lors que la victime n’était pas en mesure de donner son consentement puisque dans un état de semi-conscience. C’est le cas lorsqu’elle est sous une très forte emprise d’alcool ou de stupéfiants. Il en va de même lorsque la victime est endormie que ce soit du fait ou non de l’infracteur.

Le consentement est aussi considéré comme surpris lorsqu’il y a tromperie sur la personne, la surprise étant caractérisée par le fait pour l’infracteur de « profiter, en connaissance de cause, de l’erreur d’identification commise par une personne pour pratiquer sur elle des gestes à caractère sexuel ». Tel est le cas d’un homme qui s’introduit dans la chambre d’une femme endormie et entreprend un contact sexuel alors que la femme pense qu’il s’agit de son compagnon. Tel est aussi le cas d’un homme qui utilise un stratagème pour cacher son identité à une femme afin d’obtenir un contact sexuel. Récemment, la Cour de cassation a adopté une interprétation large de l’élément de surprise pour pouvoir condamner les stratagèmes permis par les réseaux sociaux et les applications de rencontre. Ainsi, un homme qui ment sur son âge, son physique – par l’utilisation de fausses photographies – et sa situation financière avant de rencontrer des jeunes femmes sur un site de rencontres en vue d’un contact sexuel masqué et qui ne révèle son physique qu’une fois le contact sexuel terminé est coupable de viol. En effet, la chambre criminelle retient que « l’emploi d’un stratagème destiné à dissimuler l’identité et les caractéristiques physiques de son auteur pour surprendre le consentement d’une personne et obtenir d’elle un acte de pénétration sexuelle constitue la surprise » ([141]). Toutefois cette jurisprudence reste à ce jour un arrêt d’espèce et de l’avis général, dont la pérennité n’est pas assurée.

Au-delà de l’erreur sur la personne, le juge pénal condamne l’emploi d’un stratagème. C’est le cas d’un photographe qui organise une séance de photographies seul avec une jeune femme qui pose simplement couverte d’un drap et à laquelle il impose une pénétration digitale. Le viol est qualifié et les juges retiennent que l’auteur « surprend le consentement par l’utilisation d’un véritable stratagème » et ce même si la jeune femme n’a pas expressément manifesté son opposition s’étant « trouvé dans un état de sidération émotionnelle et d’hébétude, de dissociation psychique ». ([142]) 

Dans certaines circonstances, mais particulièrement rares, l’élément constitutif de surprise permet de se saisir des cas de sidération. C’est le cas dans le cadre thérapeutique. Le contexte a priori de confiance explique la sidération de la victime et permet de reconnaître que l’auteur des faits a voulu surprendre son consentement. Ainsi, le juge a condamné un gynécologue pour viols et agressions sexuelles sur vingt-sept patientes alors « qu’agissant dans le cadre médical et sur des personnes fragilisées venues consulter à des fins thérapeutiques, [il] a surpris leur consentement en effectuant des gestes qui n’avaient qu’une apparence médicale et qui étaient en réalité de nature sexuelle » ([143]). Dans ses décisions concernant le domaine médical, à l’instar de celle du 8 février 2017 ([144]), la chambre criminelle retient souvent le viol et/ou l’agression sexuelle à la fois par surprise et par contrainte morale puisque la patiente se retrouve seule, dans une situation de vulnérabilité. Dans une décision du 11 septembre 2024, les juges ont établi que le prévenu a agi par surprise en procédant à des attouchements sur la victime alors que celle-ci était endormie, puis en poursuivant ses gestes qui ont généré chez elle un état de sidération, qu’il a lui-même constaté, ce qui établit qu’il a agi en toute connaissance du défaut de consentement de cette dernière ([145]) .

De la même manière, le fait pour un supérieur hiérarchique de s’être montré avenant et généreux envers une collaboratrice, puis de la convoquer dans son bureau et de la forcer à des rapports sexuels constitue un viol par surprise et par contrainte morale. La surprise et la contrainte sont ici examinées per se, en étudiant comment le stratagème de l’agresseur a permis de surprendre ou de contraindre le consentement de la victime. La surprise et la contrainte sont aussi utilisées successivement pour caractériser des viols répétés. La surprise est retenue lors du premier viol et la contrainte morale permet de condamner les suivants.

Pour autant, les arrêts précités ne se saisissent de la sidération que dans des situations particulières où la victime se trouvait dans un espace de confiance en présence d’une personne abusant d’une position d’autorité ou usant d’un stratagème. Comme pour la contrainte, il semble donc que la surprise ne permette de se saisir des cas de sidération que lorsque les agressions sont commises à l’encontre de victimes particulièrement vulnérables de façon permanente ou circonstancielle.

2.   Mais restrictive de l’élément intentionnel, corollaire de la notion de consentement

a.   Seul le fait pour l’auteur d’ignorer sciemment une absence de consentement claire et non contestable permet de retenir l’intention coupable

Pour que l’infraction soit qualifiée, il est nécessaire de démontrer l’intention de l’auteur d’outrepasser le non-consentement de la victime. C’est pourquoi d’ailleurs la défense des accusés se concentre bien souvent, comme le procès dit « de Mazan » l’a montré, sur cette intention de commettre un viol. L’élément intentionnel est reconnu lorsque l’auteur a dû user de VCMS pour obtenir un contact sexuel et a donc ignoré l’absence de consentement de la victime. Ainsi, la Cour de cassation retient que la chambre de l’instruction qui a rendu une ordonnance de mise en accusation à l’égard d’un prévenu ayant imposé un contact sexuel à une jeune fille alors que cette dernière l’a repoussé, l’a suivi dans la chambre, et a continué de manifester son opposition, en pleurant, en s’opposant physiquement et verbalement pendant toute la durée du rapport, a statué à bon droit, le mis en cause ne pouvant ignorer l’absence de consentement de la victime et ce même si cette dernière aurait potentiellement pu crier pour avertir les autres invités.

Toutefois, « en l’absence de preuves de la conscience effectivement acquise par [le mis en cause] de tout éventuel refus, tant verbal que physique, que [la plaignante] vînt à lui exprimer de manière suffisamment significative et tangible pour qu’il s’en fût aussitôt convaincu », l’intention coupable n’est pas retenue par les juges. En l’espèce, le moyen soulevé reproche aux juges du fond d’avoir relaxé le prévenu au motif que l’opposition de la plaignante « n’était pas suffisamment significative et tangible faute pour [la plaignante] de l’avoir exprimée par des cris, par une véritable résistance physique ou par une tentative de fuite ». De plus, pendant sa garde à vue, le prévenu avait déclaré que les rapports « avaient été subis par cette dernière ». La Cour retient toutefois que « l’expression par M. Z., lors de sa garde à vue, de regrets quant à sa mauvaise interprétation de la volonté de Mme Y., est sans emport sur la conscience qu’il avait d’un refus de sa part au moment des faits » ([146]).

Il est possible de déduire de ces jurisprudences que seul le fait pour l’auteur d’outrepasser une absence de consentement explicite, verbale ou physique, voire circonstancielle, en mettant en œuvre un des quatre critères coercitifs prévus par le Code pénal, permet de retenir son intention coupable. Dans les cas de sidération, où la victime se trouve dans l’incapacité de réagir, l’intentionnalité de l’auteur d’outrepasser son refus est beaucoup plus difficile à démontrer.

b.   L’absence de consentement est insuffisante en elle-même à caractériser le viol et peut être utilisée pour neutraliser le recours à la violence, contrainte, menace ou surprise

Historiquement, et avant la loi du 23 décembre 1980 qui donne pour la première fois une définition légale au crime de viol, la définition jurisprudentielle tenait compte du consentement. Ainsi, la décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 25 juin 1857 indique que « le crime de viol consiste dans le fait d’abuser d’une personne contre sa volonté, soit que le défaut de consentement résulte de la violence physique ou morale exercée à son égard, soit qu’il résulte de tout autre moyen de contrainte ou de surprise pour atteindre, en dehors de la volonté de la victime, le but que se propose l’auteur de l’action » ([147]) . Cette jurisprudence sera ensuite reprise par la même juridiction dans ses décisions du 29 avril 1960 et du 10 juillet 1973.

Depuis la loi du 23 décembre 1980, qui ne retient pas l’absence de consentement comme élément constitutif du viol, les juges le recherchent en creux dans la violence, contrainte, menace ou surprise (VCMS). En leur absence, la loi étant d’interprétation stricte, le viol ne peut être caractérisé. Les décisions mentionnant l’absence de consentement sont nombreuses mais, pour autant, le simple défaut de consentement ne permet pas de caractériser le viol ou l’agression sexuelle. En effet, pour que le viol soit qualifié, ses éléments constitutifs, à savoir l’usage de VCMS, doivent être démontrés. Ainsi, la chambre criminelle, bien que reconnaissant que le juge du fond a démontré de façon crédible des attouchements sexuels ou « la réalité des atteintes sexuelles », a cassé ses décisions, dès lors que l’usage de VCMS n’avait pas été démontré.

Cette jurisprudence est constante : le juge du fond qui se borne à caractériser un viol ou une agression sexuelle sans démontrer l’usage de VCMS, prive sa décision de base légale ([148]). Il en va de même de la chambre de l’instruction ([149]) qui rend une ordonnance de mise en accusation sans pour autant relever l’usage de VCMS ([150]) ou de la cour d’assises qui condamne un psychiatre qui impose à sa jeune patiente une pénétration digitale sans préciser en quoi le mis en cause a usé de VCMS, comme l’a rappelé Me Elodie Tuaillon-Hibon, avocate, lors de son audition par la mission. Le juge du fond doit même parfois retenir que « le défaut de consentement ne suffit pas à caractériser le viol » ([151]). La seule inflexion de la jurisprudence est l’arrêt rendu par la chambre criminelle le 20 juin 2001 ([152]) qui énonce que « l’absence totale de consentement de la victime, élément constitutif de l’agression sexuelle, doit être caractérisée pour que l’infraction soit constituée ». Pour autant la formulation n’a pas été reprise ensuite.

Malgré la richesse et les innovations de la jurisprudence, celle-ci ne parvient pas à compenser le silence de la loi sur le consentement. Il en résulte un trop grand nombre de classements sans suite et d’ordonnances de non-lieu, sans compter le caractère parfois aléatoire des verdicts. Cette inégalité des victimes devant la justice n’est pas acceptable.


III.   la réforme de la définition pénale du viol : mieux réprimer, mieux protéger, mieux prévenir

La modification de la législation n’aura pas à elle seule pour effet de bouleverser la pratique pénale ou de répondre à l’ensemble des difficultés rencontrées par les victimes de viol, difficultés qui sont multifactorielles. Les obstacles matériels demeureront et il conviendra d’apporter une réponse sérieuse au manque de moyens des services de police et à l’engorgement des tribunaux. Néanmoins, le dispositif textuel actuel constitue un obstacle important dans la possibilité d’aboutir à des poursuites pénales en matière d’agression sexuelle. Surtout, dans sa fonction expressive, il est essentiel que le droit énonce clairement la différence entre sexualité et violence. Il est de la responsabilité du législateur de remédier au silence de la loi tout en respectant les grands principes de notre droit. Vos co-rapporteures proposent donc d’introduire la notion de non-consentement dans la définition des agressions sexuelles, de préciser que le consentement est un acte positif issu de la volonté libre de la personne, de prendre en compte les éléments susceptibles de vicier le consentement et les circonstances environnantes qui devront permettre aux enquêteurs et aux juges de caractériser ou non l’infraction.

A.   LA redÉfinition pÉnale du viol : combler le silence de la loi sur la notion de non-consentement

1.   Introduire la notion de consentement dans la définition des agressions sexuelles tout en conservant les critères actuels

a.   Introduire le consentement pour mieux encadrer l’usage de cette notion par les acteurs de la chaîne judiciaire

Le consentement est d’ores et déjà au cœur du débat judiciaire, alors même qu’il n’est pas un des éléments constitutifs de l’infraction pénale de viol. Les auditions ont montré que la démonstration du non-consentement faisait déjà partie des pratiques des magistrats. L’introduire dans la définition pénale du viol permettrait à la justice de sortir de cette contradiction : vérifier le recueil du consentement n’est pas une obligation légale, alors même que les éléments factuels y ramènent sans cesse et que le non-consentement de la victime est au cœur des enquêtes et des procès ([153]) . Le consentement est même bien souvent utilisé comme ligne de défense par les agresseurs (« elle ne s’est pas défendue » ; « je pensais qu’elle était consentante, elle n’a rien dit » ; voire même « elle a dit oui » sans tenir compte des conditions de ce « oui »). Il s’agit donc d’inscrire dans la loi la nécessité pour le juge de s’enquérir des moyens mis en œuvre par le mis en cause pour s’assurer du consentement. Cela permettrait d’éviter l’instrumentalisation de cette notion par les agresseurs.

Un des enjeux fondamentaux de l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS) est d’éduquer au consentement. Il s’agit d’un impératif d’autant plus urgent que les infractions à caractère sexuel de mineurs sur d’autres mineurs sont en forte augmentation. Mme Nathalie Bajos, sociologue, directrice de recherche à l’Inserm explique que « consentir c’est s’engager dans une relation ou des pratiques sexuelles lorsqu’on en a véritablement envie soi-même ». Lors de son audition, le lieutenant-colonel Serge Procédès, de la sous-direction de la police judiciaire, a précisé que pour les jeunes générations, tout ce qui est notion de consentement et notion de liberté entourant le fait de pouvoir consentir à un acte sexuel n’est pas forcément clair. La Colonelle Dorothée Cloître, référente nationale violences intrafamiliales au sein de la gendarmerie nationale, avait rajouté que pour les jeunes éduqués au travers du porno, il y a un travail indispensable de sensibilisation à mener autour de la notion de consentement. Or, la loi pénale a une fonction expressive en ce qu’elle indique les valeurs qu’une société entend porter. Il est donc important que les termes « non consentis » soient inscrits dans la définition du viol et qu’il soit clairement énoncé que le consentement ne peut être déduit du silence ou de l’absence de réaction de la victime.

Il ressort des auditions que le défaut de consentement doit être ce qui caractérise le viol ou l’agression sexuelle, ce qui permet de tracer la différence entre la sexualité d’un côté et la domination et la violence de l’autre.

Vos co-rapporteures proposent donc d’introduire la notion de non-consentement, qui est au cœur de la Convention d’Istanbul ratifiée par la France, dans la définition du viol. Ainsi, l’usage de cette notion par les acteurs de la chaîne judiciaire serait mieux encadré.

Pour que l’appropriation par les professionnels du processus pénal soit la plus effective possible, il est fondamental que la loi précise que le consentement doit être spécifique et continu, c’est-à-dire qu’il doit être acquis pour tous les actes sexuels, quelle qu’en soit leur nature, et qu’il peut être retiré à tout moment. Cela implique que chacun peut changer d’avis au cours du contact sexuel et dès lors que le consentement est annulé, le contact sexuel doit cesser pour ne pas devenir un viol. Cela implique également que l’on peut donner son accord pour un acte sexuel et non pour un autre, ou encore que le refus ou le retrait de préservatif est constitutif d’un viol.

Vos co-rapporteures souhaitent ici apporter une précision importante : la nouvelle définition pénale du viol et des agressions sexuelles ne saurait se contenter de l’unique référence au non-consentement. Il importe en effet non seulement de préciser sa définition, mais de l’apprécier dans le contexte des circonstances environnantes (visant notamment les situations de vulnérabilité, d’emprise, de sidération, d’inconscience.) Une rédaction qui ferait l’économie de ces garde-fous pourrait s’avérer contre-productive pour les victimes.

b.   Tenir compte des « circonstances environnantes » dans les démarches d’enquête et de poursuite

Le texte vise à permettre au magistrat d’apprécier le défaut de consentement « à la lumière des circonstances environnantes » conformément à la Convention d’Istanbul. Le fait que la plaignante soit très jeune, qu’elle ait une vulnérabilité particulière liée à un handicap physique ou mental, qu’elle soit dans une situation de précarité économique, ou dans une vulnérabilité administrative particulière tenant à son statut d’immigrée irrégulière rendant toute démarche de plainte très difficile, ou que le contact sexuel survienne dans un contexte d’alcoolisation ou de prise de stupéfiants, ou encore que l’auteur se situe dans un rapport hiérarchique ou de pouvoir vis-à-vis de la plaignante, l’ensemble de ces éléments peut concourir à caractériser un environnement propice à ce que le consentement n’ait pas pu être donné librement. Il reviendra aux magistrats d’interroger ces éléments relatifs au contexte de commission des faits, à la situation de la plaignante, à la conscience que l’auteur avait de cette situation, et aux rapports de domination de celui-ci vis-à-vis de la plaignante.

Par ailleurs, il est ressorti des auditions que l’agresseur mettait souvent en place une véritable stratégie vis-à-vis des victimes (intimidation, isolement, culpabilisation, relation de pouvoir). L’introduction du principe du consentement, couplé à l’examen des circonstances environnantes, permettrait d’examiner cette stratégie, d’interroger le comportement du mis en cause et son attention au consentement, les raisons pour lesquelles il a choisi cette personne, la façon dont le contact sexuel s’est déroulé, son comportement avec d’autres partenaires sexuelles, aux fins de réunir les indices susceptibles de former un faisceau qui puisse fonder la conviction des magistrats.

Le juge sera amené à demander au mis en cause la façon dont il s’est assuré du consentement de la victime, en le confrontant aux éléments du dossier qui pourraient contredire l’auteur et analyser son passé, son environnement et sa personnalité. L’auteur pourra être interrogé non seulement sur tout le déroulement de la scène (l’entrée en matière, les dialogues, le déshabillage, les positions, les réactions, les paroles ou pas pendant l’acte) et la façon dont il a pris soin de recueillir le consentement de la victime, mais aussi sur les circonstances plus globales des faits, son comportement vis-à-vis de la victime avant l’agression. 

c.   Exploitation de la vulnérabilité, silence, absence de résistance, sommeil, inconscience : apporter des précisions sur la notion de consentement

La référence au non-consentement, couplée aux précisions relatives à la sidération et à la vulnérabilité, interdirait de transformer la sidération, le sommeil, l’inconscience, la vulnérabilité psychique, l’alcool, les psychotropes, en obstacles à la preuve du défaut de consentement. Cela mettrait également fin aux discussions sur l’existence d’un consentement en présence de violence, menace, contrainte, surprise, ce qui n’est pas le cas actuellement. Cela permettrait au juge d’instruction de mettre en examen, par la réunion plus facile d’indices graves ou concordants, et de sortir de l’impasse du « parole contre parole » qui se retourne contre la victime.

Enfin, les auditions ont révélé combien le parcours pénal des plaignantes est douloureux et décourage nombre de plaignantes qui le vivent parfois comme une double peine. Il a été ainsi rapporté que très souvent le silence ou l’absence de résistance des plaignantes leur est reproché, alors qu’il est imputable à un état de sidération provoqué par l’effroi devant l’agression qu’elles subissent. Leur consommation d’alcool ou leur vie sexuelle passée peut également leur être reprochée. Aux fins d’éviter cet écueil, la mission d’information estime qu’il serait utile que la loi précise que le consentement ne saurait être déduit du silence de la plaignante ou de l’absence de résistance.

Par ailleurs, l’introduction du consentement ne permettra pas pour autant aux agresseurs d’alléguer que les victimes avaient donné leur accord, voire signé un contrat, qu’elles avaient dit oui par avance à tout et qu’elles étaient consentantes (par exemple, dans le cas de la prostitution ou de l’industrie pornographique). En effet, les parties civiles resteront en mesure d’établir que le consentement n’a pas pu être libre et éclairé dans de telles circonstances.

2.   Préserver les acquis jurisprudentiels en conservant les quatre critères constitutifs de l’infraction

Il ressort des auditions menées dans le cadre de la mission d’information qu’il ne serait pas raisonnable de revenir sur les acquis de la loi de 1980 et la richesse de la construction jurisprudentielle. Il ne s’agit donc pas de substituer le non-consentement aux autres éléments de définition actuels du viol mais de l’ajouter comme un outil supplémentaire à disposition du juge afin d’aboutir à la qualification des faits.

Vos co-rapporteures estiment par conséquent qu’il convient de conserver les quatre critères (violence, menace, contrainte, surprise) pour assurer une forme de continuité et éviter tout risque de déstabilisation des professionnels du droit. En outre, ces critères permettront d’écarter un « consentement » extorqué de manière non libre, car sous l’effet de violence, menace, contrainte ou surprise.

Mais il est fondamental, d’une part, de situer ces critères au regard d’une norme qui doit être posée, celle du rapport non consenti, et, d’autre part, de supprimer le verrou du caractère exclusif de ces quatre critères. Il ne s’agit pas en effet de faire du consentement un nouveau critère exclusif de la caractérisation du viol.

La mission d’information a permis de mettre au jour de façon nette qu’il existe de nombreuses situations de rapports non consentis dans lesquelles chacun des critères énoncés par la loi, pris isolément, était insuffisamment caractérisé pour poursuivre (ou pour condamner), les auteurs s’étant engouffrés dans les lacunes de la loi.

L’introduction du terme « notamment » avant l’énoncé des critères matériels présente deux avantages significatifs. Il permet, en premier lieu, aux magistrats de pouvoir caractériser des situations dans lesquels l’auteur a fait un usage combiné de plusieurs critères, qui chacun pris isolément ne pourrait suffire à caractériser le viol. Une illustration pourrait être celle du supérieur hiérarchique qui incite une jeune collègue à venir à son domicile pour finaliser un dossier urgent, en invoquant un prétexte comme le fait de devoir administrer un médicament à son animal de compagnie et qui, une fois sur place, fait preuve d’une violence relative ou exerce des pressions psychologiques pour la contraindre à un contact sexuel.

Dans cette hypothèse, si les violences n’ont pas laissé de traces suffisamment caractéristiques sur le corps de la plaignante, en particulier aux zones de prise, ou si la preuve de la contrainte morale est impossible à rapporter, il sera très difficile pour les magistrats de caractériser le viol dans le cadre de la loi actuelle. Il serait également difficile de caractériser la surprise, dès lors que la plaignante a volontairement suivi son supérieur hiérarchique à son domicile, même si elle croyait que c’était pour travailler. Un classement sans suite ou un non-lieu seraient très probablement prononcés.

En revanche, le fait de poser le principe (le viol est un rapport non consenti) et de faire une lecture combinée des critères énoncés par la loi, permise par une nouvelle rédaction plus ouverte du texte incriminant le viol, permettrait de mieux caractériser les agissements de l’auteur qui était parvenu à contraindre sa jeune collègue à un contact sexuel non consenti, et permettre de poursuivre les faits et d’entrer en voie de condamnation.

3.   Aménager les délais de prescription

Les auditions ont souligné que les magistrats instructeurs, pour mieux cerner la personnalité de la personne mise en examen, sont amenés à interroger son comportement sexuel passé. À cette occasion, plusieurs personnes ayant vécu des situations similaires à celle de la plaignante peuvent vouloir être reconnues comme victimes. Il arrive aussi que certaines affaires, soit du fait d’une médiatisation, soit par le bouche-à-oreille, permettent à d’autres victimes de rapports non consentis imposés par le même auteur de se manifester auprès de l’institution judiciaire.

Leur opposer la prescription est alors très douloureusement subi. Les raisons pour lesquelles les plaignants ne se sont pas manifestés en temps utile sont nombreuses. À cet égard, la mission d’information a pu montrer combien le parcours des victimes de violences sexuelles pouvait être décourageant. La crainte de ne pas être cru et d’être malmené comme un ou une menteuse est très prégnante. Or, en l’espèce, le nombre de plaignants peut encourager les victimes à s’associer, et à dépasser la crainte de ne pas être crues. Par ailleurs, la sérialité du crime de viol peut amener une plainte à en découvrir une autre.

La proposition de loi qui sera déposée par vos rapporteures porte sur la définition pénale du viol. Pour autant, elles considèrent comme positive l’éventualité de l’extension de la prescription dite « glissante » aux personnes majeures dans les cas de découverte de victimes incidentes, c’est-à-dire victimes révélées à l’occasion des investigations portant sur des violences sexuelles commises par un même auteur.

4.   Conserver la cohérence avec les autres dispositions de ce chapitre du Code pénal

Afin de garantir la cohérence d’ensemble de la section, il est proposé de modifier l’article 222-22 du Code pénal, ainsi que les articles 222-22-2 du Code pénal relatif à l’agression sexuelle et 222-23 relatif au crime de viol pour y introduire la notion de non-consentement.

B.   tout en respectant les grands principes de notre droit et en Évitant les « pièges du consentement »

1.   La présomption d’innocence

En vertu de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable. Il en résulte qu’en principe le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive. L’article préliminaire du code de procédure pénale dispose que « toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie. Les atteintes à sa présomption d’innocence sont prévenues, réparées et réprimées dans les conditions prévues par la loi ».

Nombre d’auditions menées par vos rapporteures ont confirmé que la présomption d’innocence, principe cardinal de notre droit pénal, ne sera pas remise en cause par ce complément apporté à la définition actuelle du viol. Cette incrimination ne reposera pas sur une présomption d’absence de consentement de la victime. Il appartiendra, comme aujourd’hui, aux autorités de poursuite de rapporter la preuve de l’ensemble de ses éléments constitutifs.

Il ne s’agit pas d’obliger le mis en cause à apporter la preuve qu’il n’est pas coupable. Il reviendra toujours au ministère public d’examiner et de démontrer les moyens par lesquels la personne a eu l’intention d’outrepasser le non-consentement de la plaignante et a mis en œuvre les démarches raisonnables pour recueillir le consentement de la victime. Le système français demeure inquisitoire, contrairement au système anglo-saxon.

C’est en revanche l’objet de la preuve qui sera modifié. Les questions posées seront orientées en tenant compte de l’introduction de la notion de consentement (« par quels moyens vous êtes-vous assuré du consentement ? » ; « Monsieur, Madame dit qu’elle n’était pas consentante, vous nous dites qu’elle l’était. Quels sont les moyens que vous avez mis en place pour vous assurer de son consentement ? »)

En tout état de cause, l’ajout du non-consentement à l’usage de la violence, de la contrainte, de la menace ou de la surprise ne changera rien aux pratiques juridictionnelles actuelles en matière de présomption d’innocence.

2.   Le principe d’intentionnalité

Le principe d’intentionnalité est un autre des principes fondamentaux de notre droit pénal. L’article 121-3 du Code pénal dispose « qu’il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre ».

Pour mémoire, dans sa décision n° 99-411 DC du 16 juin 1999, le Conseil constitutionnel a rappelé qu’il résulte de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, s’agissant des crimes et délits, que la culpabilité ne saurait résulter de la seule imputabilité matérielle d’actes pénalement sanctionnés ; qu’en conséquence, et conformément aux dispositions combinées de l’article 9 précité et du principe de légalité des délits et des peines affirmé par l’article 8 de la même Déclaration, la définition d’une incrimination, en matière délictuelle, doit inclure, outre l’élément matériel de l’infraction, l’élément moral, intentionnel ou non, de celle-ci.

L’élément intentionnel est un principe fondamental de notre droit pénal auquel la nouvelle définition pénale du viol ne dérogera pas. L’élément intentionnel continuera donc d’être examiné par les autorités de poursuite. Mais les éléments caractéristiques de l’intention de l’auteur seront analysés à l’aune du consentement – en réalité d’ores et déjà sans cesse au cœur des débats judiciaires. L’intentionnalité pourra découler du fait de ne pas avoir pris soin de vérifier le consentement de la personne. Comme pour toute disposition légale, nul n’est censé ignorer la loi.

3.   Veiller au principe de non-rétroactivité du droit pénal

Vos co-rapporteures sont particulièrement attentives à ce que la nouvelle définition du viol respecte le principe de non-rétroactivité du droit pénal. Un certain nombre d’organisations féministes et de représentants des professionnels ont évoqué ce point de vigilance, qui doit bien sûr être considéré avec attention. Il ne s’agit pas d’abroger les dispositions existantes, ni de modifier la liste des circonstances aggravantes, mais de les compléter par la référence au non-consentement et à l’examen des circonstances environnantes, qui peut prendre en compte l’état de sidération de la victime et/ou sa situation de vulnérabilité.

4.   Répondre aux préoccupations légitimes des organisations féministes et éviter les « pièges du consentement »

Lors des travaux de la mission, un certain nombre d’organisations féministes ont fait part de leurs inquiétudes quant aux effets de la réforme et de ce que l’on pourrait appeler les « pièges du consentement » pour les victimes. En effet, les cas sont nombreux où la stratégie de l’agresseur amène la victime à céder et accorder une forme de consentement « négatif », qui en réalité n’en est pas un.

Vos co-rapporteures entendent ces préoccupations légitimes et partagent le souci de protéger les victimes. C’est pourquoi elles rappellent qu’elles ne sont pas favorables à une réforme a minima, qui consisterait uniquement à introduire la notion de non-consentement dans la définition du viol, sans prendre en compte les circonstances dans lesquelles ce consentement est recueilli et la situation dans laquelle se trouve la plaignante.

L’objectif de la réforme est bien de préserver les victimes et d’éviter qu’elles ne soient prises au piège de la stratégie d’un agresseur – qui ferait en sorte d’extorquer son consentement, de l’enregistrer, d’exploiter sa vulnérabilité. C’est précisément pour cette raison qu’après avoir défini le consentement il est indispensable de prévoir des garde-fous en précisant que le consentement s’apprécie au regard des circonstances environnantes et en indiquant les points de vigilance (lorsque l’acte a été commis en profitant de l’état de vulnérabilité de la victime) et les cas où il ne saurait y avoir de consentement (VCMS, victime inconsciente, endormie, en état de sidération).

Par ailleurs, une crainte a été exprimée quant au risque de « renversement de la charge de la preuve », au détriment des victimes.

Sur ce point, il convient d’abord de préciser qu’en droit pénal français, nous sommes dans un système inquisitoire. Cest donc au juge qu’il incombe de rechercher la manifestation des preuves. Cest lui qui conduit les investigations pour rechercher les preuves. Ce nest pas aux parties qu’il revient de les rapporter. Par ailleurs, les auditions de la mission ont montré qu’en l’état actuel de la législation incriminant le viol, les démarches d’enquête portent déjà de façon extensive sur le comportement de la plaignante, son attitude au moment du contact sexuel, dans les instants immédiatement avant et immédiatement après, son alcoolisation éventuelle. Le passé sexuel de la victime est trop souvent interrogé, car en l’état actuel de la rédaction, il doit être prouvé que le mis en cause avait l’intention d’aller contre un refus, au moyen de la violence, contrainte, menace ou surprise. L’objectif recherché par la réforme est précisément que désormais, l’enquête et l’investigation du juge devront porter davantage sur la façon dont le mis en cause a mis en œuvre des moyens raisonnables pour s’assurer du consentement de la plaignante. C’est donc son comportement qui sera davantage interrogé.

Enfin, la crainte d’une « contractualisation » des rapports sexuels a été soulevée par certains interlocuteurs de la mission. Il ne s’agit pas de s’immiscer dans les relations intimes de personnes librement consentantes, mais bien de définir un crime et de faire la différence entre sexualité et violence. L’objectif de cette réforme n’est pas de réguler les relations sexuelles mais de bien faire comprendre en quoi consiste le consentement, lequel repose sur le respect de l’autre, la réciprocité dans la volonté et l’égalité entre les partenaires. Ces conditions ne sont pas réunies lorsque, lors d’un acte à caractère sexuel, l’un des deux subit le choix de l’autre.

Il ne s’agit pas non plus de promouvoir une conception libérale du consentement. Ainsi, l’existence d’un contrat ou d’une convention, comme cela peut par exemple être le cas pour les personnes en situation de prostitution ou dans l’industrie pornographique ne saurait permettre d’établir le consentement de la personne en cas d’accusation de violences sexuelles.

 

 

 


   Conclusion

« Si la violence suscite l’inquiétude et la réprobation générale, il est néanmoins des actes de violence que notre société tolère plus que d’autres. » Ce terrible constat figurait en préambule de la proposition de loi du 20 avril 1978, qui allait aboutir à la première définition légale du crime de viol en 1980. 50 ans plus tard, et 10 ans après #Metoo, est-ce que les choses ont changé ? La parole des victimes s’amplifie mais qu’en est-il de notre « tolérance » collective aux violences sexuelles ? Alors que s’est clos le procès dit « de Mazan », qui aura été à bien des égards le procès de la culture du viol, il est temps d’agir.

Modifier la définition pénale du viol, c’est franchir une nouvelle étape dans la lutte contre les violences sexuelles. Certes, cette réforme n’aura pas l’effet d’une baguette magique sur les violences sexuelles, mais elle peut initier le mouvement vers un changement de paradigme. Ce n’est pas la première fois que la définition du viol est modifiée, elle l’a été par exemple pour créer le crime de viol conjugal. Aujourd’hui, il s’agit à nouveau d’intégrer les progrès de la jurisprudence et de tenir compte des évolutions sociétales pour changer de paradigme. Tel est l’objectif de la proposition de loi qui sera présentée par vos co-rapporteures : exprimer avec plus de clarté ce qu’est un viol et le rôle fondamental du recueil d’un consentement non pas négatif mais libre et éclairé ; conserver les critères actuels, mais ouvrir les possibilités de poursuite en limitant l’instrumentalisation du consentement ; tenir compte des circonstances environnantes dans lesquelles ce consentement a été recueilli ; tenir compte des situations de vulnérabilité, d’emprise ou de sidération.

C’est une étape importante, mais ce n’est pas la fin du chemin. Le crime de viol est un crime massif, un phénomène d’ampleur qui nécessite une action globale et de véritables moyens financiers, dans la répression, la protection et la prévention. Les associations et les professionnels qui les accompagnent le disent depuis longtemps, ils doivent être entendus. La réforme de la définition du viol ne doit pas nous dispenser d’un plan global, ambitieux et financé, de lutte contre les violences sexuelles et la culture du viol. À ce titre, vos co-rapporteures souhaitent rappeler leur attachement à un véritable investissement dans l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle pour passer d’une culture du viol à une culture du consentement. C’est une condition sine qua non si nous voulons passer d’une culture du viol à celle du consentement positif, libre et éclairé.

Il aura fallu au lecteur, en moyenne, deux heures pour lire ce rapport. Dans ce laps de temps, 40 personnes auront été victimes de viol ou de tentative de viol, la grande majorité des auteurs ne sera pas condamnée.


   Glossaire

Caractérisation de l’infraction : en droit, une infraction est considérée comme caractérisée lorsque trois éléments sont réunis :  l’existence légale de l’infraction, la matérialité des faits reprochés à l’auteur a été établie et l’intention coupable de celui-ci démontrée.

Classement sans suite : décision, prise par le ministère public, de ne pas donner suite à une plainte et de ne pas mettre en œuvre l’action publique ([154]).

Contrôle coercitif : schéma comportemental délibéré par lequel un individu contraint une personne afin de la rendre dépendante et subordonnée et in fine la priver de sa liberté d’action ([155]). Souvent exercé au sein du couple, le contrôle coercitif correspond à un répertoire de comportements oppressifs (manipulation, d’humiliations psychologiques ou physiques par exemple) ([156]).

Correctionnalisation : la correctionnalisation des crimes ou déqualification pénale est une pratique judiciaire prévue par la loi du 9 mars 2004 qui permet de requalifier un crime (en l’espèce un viol) en délit (agression sexuelle à la place), afin de le juger devant le tribunal correctionnel au lieu de la cour d’assises. La pratique, bien qu’ayant diminué, n’a pas été totalement abandonnée, alors que, depuis le 1er janvier 2023, les cours criminelles départementales sont désormais compétentes en première instance pour les affaires de viol.

In abstracto : par opposition à une appréciation in concreto, l’appréciation abstracto suppose que le juge opère une évaluation plus générale et impersonnelle des faits avec une attention particulière accordée aux règles de droit. Elle permet d’aboutir à une uniformité dans l’application du droit.

In concreto : une appréciation in concreto suppose que le juge tient seulement compte des seules circonstances de la cause de l’infraction, il s’attache à effectuer une analyse des faits concrets de l’infraction.

Intentionnalité : conscience et volonté de l’auteur de commettre un comportement délictueux ([157]). En droit pénal, l’intention de l’auteur est déterminante pour caractériser une infraction. Aux termes de l’article L. 121-3 du Code pénal, il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. Dans le cas du viol, l’intentionnalité de l’auteur renvoie à la volonté et la conscience de l’auteur d’outrepasser le refus de la victime.

Non bis in idem : principe classique de la procédure pénale, issu du droit romain, selon lequel « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement à raison des mêmes faits » selon l’ancien code d’instruction criminelle. Il se déduit de l’autorité de la chose jugée inscrite à l’article 6 du code de procédure pénale.

Matérialité : en droit, la matérialité renvoie au caractère de ce qui peut faire l’objet d’un constat objectif, c’est-à-dire de ce qui peut être effectivement vérifié dans les faits ([158]).

Sidération : réaction neurologique de défense de l’organisme lors d’une agression entraînant une anesthésie émotionnelle et physique involontaire de la victime qui l’empêche de réagir ([159]).

Victimisation secondaire : reconnue par la Cour européenne des droits de l’Homme, elle renvoie à une victimisation imputable au processus judiciaire, distincte de celle qui résulte de la commission des infractions en cause ([160]).

« Zone grise » : ensemble des contraintes sociales qui peuvent pousser une personne à accepter ou proposer des relations sexuelles sans pour autant les désirer ([161]). Dit autrement, la « zone grise » est un terme non juridique désignant des situations où il subsiste des doutes sur le consentement d’une personne à l’acte sexuel. L’existence même des zones grises est remise en cause par certaines associations féministes qui y voient le prolongement des stéréotypes de genre et de la culture du viol.

 


   travaux de la délégation

I.   Audition de M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice

La délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a auditionné, mardi 26 novembre 2024, M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice, sur la réponse judiciaire aux violences sexistes et sexuelles.

Les débats sont accessibles sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

https://assnat.fr/a1xG21

 

Mme la présidente Véronique Riotton. Monsieur le garde des sceaux, en cette semaine mondiale de lutte contre les violences faites aux femmes, la délégation aux droits des femmes souhaitait évoquer avec vous la réponse apportée par la chaîne judiciaire aux violences sexistes et sexuelles (VSS) – question sur laquelle les pouvoirs publics n’ont jamais été autant interpellés.

Selon une étude publiée en 2024 par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), en 2023, près de 30 % des femmes de 18 à 69 ans ont déclaré avoir subi une tentative ou un contact sexuel forcé au cours de leur vie ; pour les hommes, ce taux s’élève à près de 9 %. Ces chiffres ont pratiquement doublé depuis l’étude de 2006. Quant au ministère de l’intérieur, il évalue à 230 000 le nombre des femmes qui ont été victimes de viol, de tentative de viol ou d’agression sexuelle en 2022. D’autres estimations font état d’un demi-million de victimes de violences sexuelles chaque année. À ce propos, il est anormalement difficile pour les parlementaires d’obtenir, dans ce domaine, des données statistiques fiables.

Parmi les victimes, 80 % ne signalent pas les faits aux forces de l’ordre. D’autres études rapportent que, trois fois sur quatre, elles renoncent à pousser la porte du commissariat parce que cela ne servirait à rien ou parce qu’elles préfèrent trouver d’autres solutions. Quant aux victimes qui se rendent au commissariat, elles ne portent pas plainte dans 4 cas sur 10.

Mais sommes-nous capables d’accompagner celles qui ont eu le courage de le faire ? Enfer du dépôt de plainte, risques de revictimisation durant le procès, ampleur inexplicable des classements sans suite – qui concernent 70 % des plaintes pour violences sexuelles –, difficultés de trouver un accompagnement, insuffisances, voire inexistence de la prévention : le chantier est immense !

La justice doit se réinventer face aux violences sexuelles. C’est pourquoi nous soutenons les propositions qui ont été présentées jeudi 21 novembre par les associations féministes pour améliorer l’ensemble du parcours judiciaire des victimes, de la plainte au procès en passant par l’enquête.

On ne peut que s’inquiéter de l’indigence des moyens de la justice dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Nous avons plaidé, lors de l’examen du projet de budget et de nos auditions ministérielles, pour leur hausse significative.

Par ailleurs, malgré les avancées importantes obtenues par notre délégation il y a deux ans auprès du ministre des comptes publics, nous constatons que la budgétisation intégrant l’égalité n’est toujours pas mise en œuvre au sein de nombreux ministères, y compris celui de la justice. Il est plus que temps qu’elle soit appliquée : il est structurant de comprendre, d’un point de vue financier, quelles politiques publiques contribuent à développer l’égalité entre les hommes et les femmes – d’autres pays le font depuis longtemps. Le document de politique transversale consacré à l’égalité rapporte qu’« il n’est pas possible d’isoler les crédits spécifiques à la politique transversale tant l’ensemble des moyens consacrés par le programme 166 y concourent ». Sans données fiables sur l’emploi des 5 millions d’euros mentionnés dans ce document, comment évaluer la pertinence de nos politiques publiques ? Il est urgent de progresser sur la question des indicateurs.

Les cours criminelles départementales, qui jugent à 81 % des affaires de viol, ont été généralisées par la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire afin de réduire le délai de traitement des procédures. Or, faute de moyens, celles-ci tendent, d’après les alertes des associations, à se transformer en une sorte de justice parallèle pour les viols. Elles n’ont d’ailleurs pas mis fin, comme elles auraient dû, à la correctionnalisation. Le soutien financier apporté aux associations d’aide aux victimes demeure lui aussi insuffisant.

Nous avons besoin d’un changement de paradigme. Le procès de Mazan nous démontre chaque jour combien les violences sexuelles s’enracinent dans la culture du viol. Il faut en finir avec la culpabilisation des victimes comme avec l’insupportable « il y a viol et viol ». Oui, les victimes, le plus souvent, connaissent leurs agresseurs. Il est vrai qu’elles n’opposent pas de résistance, sont sidérées, et que leurs traumatismes se retournent souvent contre elles lorsqu’elles portent plainte.

S’agissant des violences sexuelles qui s’opèrent dans un cadre conjugal et familial – les plus fréquentes, et les moins bien identifiées et réprimées –, quels moyens spécifiques votre ministère met-il en œuvre ?

Les associations et les victimes ne cessent de nous interpeller sur les lacunes de la formation des magistrats en matière de violences sexistes et sexuelles. Si la situation s’est beaucoup améliorée, notamment au sein des forces de police, le contenu de la formation des magistrats n’est manifestement plus adapté aux réalités contemporaines. Les victimes dénoncent, en effet, la victimisation secondaire subie au cours de l’enquête, du procès ou du verdict, ainsi que le coût élevé de leur parcours judiciaire sur les plans financier, physique et psychique – dont témoignent les fréquentes décompensations et les centaines de suicides. Huit requêtes ont été déposées contre la France devant la Cour européenne des droits de l’homme pour mauvais traitement et idéologie sexiste. Il est donc temps d’améliorer les conditions de dépôt de plainte, d’enquête et de jugement ainsi que l’information des victimes, quasiment inexistante.

Notre délégation travaille depuis un an à la définition pénale du viol. La corapporteure, Marie-Charlotte Garin, et moi-même rendrons prochainement nos conclusions, auxquelles nous annexerons une proposition de loi de protection des victimes que nous souhaitons inscrire dans une démarche transpartisane. La nouvelle définition du viol n’est pas une solution magique, mais elle est une étape essentielle du changement de paradigme que nous réclamons, notamment pour lutter contre le chiffre noir des viols non poursuivis ou impunis. Vous déclarez être favorable à une réforme : quel devrait en être, selon vous, le contenu ?

Nous nous interrogeons enfin sur la porosité entre violences en ligne et violences physiques. Je pense bien sûr au procès de Mazan, dont les mis en cause ont été recrutés en ligne par Dominique Pelicot. Je pense également à l’influence d’une pornographie ultraviolente sur les passages à l’acte : ces contenus sont visionnés par des enfants de plus en plus jeunes – on constate d’ailleurs une augmentation en flèche des viols commis par des personnes de 15 à 17 ans. Je pense enfin à la prostitution des mineurs, qui se développe principalement en ligne. Ces différentes questions ont fait l’objet de nombreux rapports. Lors de l’examen du projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique, nous avions même obtenu d’expérimenter le retrait de certains contenus. Pourrions-nous en savoir davantage sur le suivi de ces initiatives ?

Une grande majorité des victimes, hommes comme femmes, n’ont plus confiance en la justice pour réprimer les violences sexistes et sexuelles. Il est de notre responsabilité collective d’agir.

M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice. La lutte contre les violences faites aux femmes est devenue une cause majeure, comme l’illustrent les débats organisés au cours de la semaine mondiale consacrée à ce phénomène. Ainsi que je l’ai dit dès la présentation de ma feuille de route devant la commission des lois, la justice doit prendre toute sa place dans ce combat primordial qui participe de l’égalité entre les hommes et les femmes.

Hier, lors de mon déplacement à la cour d’appel de Poitiers, j’ai pu mesurer, comme déjà à la cour d’appel de Versailles, l’entière mobilisation des juridictions et leur capacité à innover pour mieux prévenir, détecter et sanctionner les violences intrafamiliales (VIF). L’institution judiciaire a parcouru, ces dernières années, un chemin immense ; nous pouvons en être fiers, même s’il reste encore beaucoup à faire.

Les femmes sont victimes non seulement de violences mais aussi d’ultraviolences. Les constats médico-légaux sur les cadavres de femmes victimes de féminicides le prouvent : les violences dépassent celles qui suffisent à tuer. Ce n’est pas un seul coup de couteau mais une vingtaine qui est portée ; ce n’est pas un seul mode opératoire, mais plusieurs types de violence qui sont employés : strangulation et défenestration, coups de feu et crémation, étouffement et noyade. L’acharnement qu’on constate sur les corps révèle qu’il ne s’agit pas seulement d’ôter la vie mais d’anéantir l’autre. Aucune société civilisée ne peut le tolérer : le XXIe siècle ne peut et ne doit plus être celui de la domination de l’homme sur la femme. Le ministère de la justice souhaite prendre toute sa part dans ce combat de société.

Lorsque des violences intrafamiliales sont commises, les enfants sont également en première ligne, comme spectateurs ou comme cibles directes. Les chiffres donnés par la protection de l’enfance le montrent, les violences, qu’elles soient sexuelles ou non, ne cessent de croître depuis dix ans. Il est donc urgent d’agir.

La justice est l’institution qui sanctionne. Plus que jamais, elle doit être aussi celle qui protège. Le ministère de la justice fera tout pour y parvenir.

Les juridictions se sont emparées des outils de protection dont nous les avons dotées, avec quelques résultats. Si le combat contre les violences intrafamiliales est loin d’être gagné, beaucoup a été fait, tant en matière de prévention que de répression. Ainsi, au 28 octobre 2024, 837 bracelets antirapprochement (BAR) étaient actifs et 2 329 l’avaient été, soit un total de 3 166 mesures ordonnées depuis la mise en œuvre de ce dispositif. L’an dernier, le nombre des drames évités grâce à ces bracelets a été multiplié par trois puisqu’entre 2022 et 2023, le nombre des interventions des forces de sécurité intérieure est passé de 3 634 à 10 500. Je veux d’ailleurs remercier les policiers et les gendarmes dont la mobilisation est essentielle.

En 2022, les téléphones grave danger (TGD) ont permis d’éviter près de 2 500 drames. En 2023, 4 531 téléphones ont été attribués, soit une hausse de 523 % par rapport à 2020. Actuellement, 5 993 téléphones de ce type sont déployés, contre 976 en 2020.

Quant aux ordonnances de protection, elles ont, elles aussi, permis de sauver des vies : les magistrats en ont prononcé 3 997 en 2023, soit 2 605 de plus qu’en 2017. Cette hausse s’explique par une meilleure connaissance du dispositif par les associations, les avocats et les justiciables. Je précise que 97 % de ces ordonnances sont prononcées à la demande des femmes, dont la moitié ont moins de 39 ans. En 2023, 70 % des demandes d’ordonnance de protection ont été acceptées. Leur efficacité tient à la réactivité de l’institution judiciaire. Là encore, il faut saluer l’investissement des professionnels : alors que les ordonnances de protection étaient auparavant prononcées en quarante-deux jours, elles le sont désormais en six.

La loi du 13 juin 2024 renforçant l’ordonnance de protection, qui entrera en vigueur au début de 2025, a créé l’ordonnance provisoire de protection immédiate, que votre délégation avait soutenue. Ce nouveau dispositif permettra, en cas de violences et de danger grave et immédiat vraisemblable, de prononcer une ordonnance de protection dans un délai de vingt-quatre heures, de façon non contradictoire.

Par ailleurs, la loi du 31 mai 2024 visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille constitue une avancée majeure. Le combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes et la lutte contre les violences conjugales doivent en effet être menés sur tous les fronts : au pénal, en droit de la famille comme en matière patrimoniale et fiscale.

La volonté de développer une approche globale a conduit à la création des pôles VIF dans toutes les juridictions, tribunaux et cours d’appel. Effective depuis le 1er janvier 2024, cette réforme est très bien accueillie. À ce jour, 96 % des juridictions possèdent un tel pôle. Cette création répond, en outre, à l’une de vos recommandations et permet de consacrer l’articulation indispensable entre les procédures civiles et pénales grâce à une organisation dédiée et spécialisée.

Après ce propos introductif qui, je l’espère, vous aura convaincus de ma mobilisation comme de celle du ministère de la justice et de l’autorité judiciaire dans la lutte contre les violences faites aux femmes, je vais à présent répondre à vos questions, madame la présidente.

Tout d’abord, j’entends vos interrogations sur l’absence d’une méthode unique de décompte des victimes, en particulier de celles qui sont décédées. La divergence des chiffres s’explique et doit être surmontée. En effet, le ministère de la justice comptabilise l’ensemble des homicides conjugaux portés à sa connaissance, qu’ils soient perpétrés sur des hommes ou sur des femmes. Il ne comptabilise pas les faits commis sur une femme en raison de son genre en l’absence d’une relation de couple préexistante – c’est la notion d’homicide conjugal. Ces chiffres ne recoupent pas la notion de féminicide qui, quoiqu’éloquente, n’est pas juridique. Ainsi, depuis le 1er janvier 2024, le ministère de la justice a dénombré 102 victimes d’homicide conjugal, parmi lesquelles 84 femmes. Ce chiffre peut différer de ceux fournis par le ministère de l’intérieur et les associations dans la mesure où il s’appuie sur une qualification pénale mentionnant la circonstance aggravante de la conjugalité retenue par le juge d’instruction. Sont donc exclues du décompte les relations qui ne recoupent pas la notion de conjugalité.

L’accompagnement des victimes est perfectible, mais il ne saurait être qualifié d’absent. Je ne peux que rappeler les efforts majeurs entrepris ces dernières années par le ministère de la justice pour mieux accompagner les victimes. La lutte contre les violences intrafamiliales est en effet une priorité forte de la politique d’aide aux victimes et bénéficie de l’appui de près de 200 associations conventionnées. Les subventions orientées en ce sens par les cours d’appel et les juridictions vers les associations couvrent ainsi à hauteur de 37 % le suivi des victimes de violences intrafamiliales. Dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2025, j’ai sollicité une hausse de 10 % du budget alloué aux associations d’aide aux victimes, qui s’établira à 51 millions d’euros.

Outre la hausse significative des bracelets antirapprochement et des téléphones grave danger et l’augmentation constante des ordonnances de protection, je tiens à rappeler les nombreux dispositifs déployés en faveur des victimes ; ils illustrent notre détermination à les protéger, à prévenir les violences et à les accompagner en amont, pendant et après l’enquête, lorsqu’une infraction est commise.

L’évaluation individuelle du besoin de protection vise à prendre en compte la situation spécifique de la victime. Elle est réalisée par une association, et le procureur de la République s’y réfère pour prendre des mesures de protection adaptées. L’aide aux victimes en urgence, déclenchée par les parquets, permet d’apporter une réponse à leur souffrance et de limiter l’impact traumatique. Le recueil de plainte à l’hôpital – que le Premier ministre a annoncé hier vouloir généraliser – constitue aussi une modalité d’accompagnement des victimes.

En ce qui concerne les mineurs, le décret du 23 novembre 2021 a créé le statut de victime des enfants exposés aux violences intrafamiliales et renforcé leur protection. L’hospitalisation systématique et immédiate d’un enfant présent sur les lieux d’un homicide conjugal permet ainsi une prise en charge plus efficace, au plus près du traumatisme. De plus, le programme d’accompagnement des mineurs victimes (Pamivi) en juridiction marque une avancée dans la prise en charge des victimes de violences intrafamiliales, en assurant un accompagnement renforcé du mineur, centré sur ses besoins, tout au long de la procédure pénale.

Qu’en est-il des moyens que la justice alloue à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles ? Le budget annuel consacré aux victimes de violences intrafamiliales est en constante augmentation : il a plus que doublé entre 2020 et 2024, passant de 8 millions à 17,2 millions.

Ces moyens sont aussi humains – et j’insiste sur les efforts du ministère de la justice en ce domaine. Au 31 octobre 2024, 65 attachés de justice se consacraient à temps plein à la gestion de dossiers de violences intrafamiliales et 101 contractuels de catégorie A occupaient des fonctions de chargé de mission VIF, soit, au total, près de 170 personnes ; il y en a au moins une par tribunal judiciaire.

Le déploiement du système informatisé de suivi de politiques pénales prioritaires, le Sispopp, traduit un changement de paradigme dans la lutte contre les VIF en permettant aux professionnels une approche par individu et non plus par dossier.

Le renforcement des moyens passe également par une meilleure organisation des juridictions : en témoignent la création des pôles VIF et l’organisation de filières d’urgence au sein des tribunaux, lesquelles ont permis la spécialisation, aujourd’hui bien réelle, de certains magistrats, de greffiers, d’attachés de justice et de contractuels.

Vos critiques concernant les lacunes de la formation des professionnels, compréhensibles il y a quelques années, me semblent aujourd’hui sévères, compte tenu des efforts considérables consentis dans ce domaine. Les quatre écoles du ministère de la justice – l’École nationale de la magistrature (ENM), l’École nationale des greffes, l’École nationale de la protection judiciaire de la jeunesse et l’École nationale de l’administration pénitentiaire (Enap) – se sont pleinement investies en la matière. Elles proposent des formations qui n’abordent pas seulement les dispositifs judiciaires et le droit applicable en la matière mais permettent une appréhension globale des violences intrafamiliales et des violences faites aux femmes, considérées dans leurs aspects historiques, sociologiques et psychologiques.

Les auditeurs de justice – 500 élèves magistrats par an – sont formés à la prise en compte des violences intrafamiliales. Les magistrats, greffiers, attachés de justice et contractuels sont également massivement formés à ces problématiques dans le cadre de la formation continue : en 2024, 2 310 d’entre eux ont suivi une formation au traitement judiciaire des violences intrafamiliales. À ces formations s’ajoutent les colloques et les séminaires organisés localement par les cours d’appel, en lien avec les associations et les intervenants locaux.

En 2024, l’ENM a inauguré son cycle approfondi violences intrafamiliales, qui permet aux magistrats de suivre pendant un an une formation sur les spécificités des VIF, leur impact sur les victimes, le profil des auteurs et le traitement judiciaire adapté. Par ailleurs, 2 205 élèves de l’Enap ont été spécifiquement formés à la prise en charge des auteurs de violences conjugales et à la prévention de la récidive, tandis que 920 membres du personnel pénitentiaire ont participé aux 7es journées internationales de la recherche en milieu pénitentiaire consacrées à ce thème.

Comme vous, j’estime qu’il faut en finir avec l’idée selon laquelle il y aurait viol et viol. La justice est, je crois l’avoir démontré, pleinement engagée dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Il est incompréhensible pour nos concitoyens que nous nous refusions, par principe, à introduire la notion de consentement dans la définition textuelle du viol. Les enjeux sont néanmoins très lourds : il ne faut pas inverser la charge de la preuve, ne pas mettre les victimes dans une position encore plus difficile en focalisant le procès sur leur comportement et ne pas créer d’insécurité juridique. Ce sujet important mérite un regard transpartisan. C’est pourquoi je salue ainsi la méthode retenue par votre délégation et réaffirme que la Chancellerie est prête à vous accompagner dans vos travaux.

Entre 2017 et 2022, le nombre des condamnations de majeurs pour viol et pour agression sexuelle a augmenté, passant respectivement de 960 à 1 260 – soit une hausse de 30 % – et de 5 617 à 7 485. Cette progression est encore plus importante s’agissant du nombre des condamnations pour viol incestueux commis sur un mineur, qui passe de 177 en 2017 à 405 en 2021, soit une hausse de 129 %. Enfin, le nombre des condamnations pour agressions ou atteintes sexuelles incestueuses a progressé de 91 %, passant de 675 à 1 290. Quant à la durée moyenne des peines prononcées en matière de viol, elle est de 11 ans, soit une des plus élevées d’Europe. Ces chiffres illustrent l’action de la justice en matière de poursuites et de condamnation des auteurs de telles violences.

S’agissant de la porosité entre violences en ligne et violences physiques, la loi du 21 mai 2024 visant à sécuriser et réguler l’espace numérique a confié à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) un pouvoir de blocage administratif des sites pornographiques contrevenant au respect de la majorité légale.

Le ministère de la justice est lié, depuis plusieurs années, par une convention de partenariat avec l’association reconnue d’utilité publique e-Enfance, qui a pour objet la protection de l’enfance sur internet dans tous les usages du numérique. Elle sensibilise enfants, parents et professionnels aux usages et aux risques du numérique et gère la plateforme liée au numéro 3018 – le numéro unique d’assistance consacré à la lutte contre les violences en ligne envers les mineurs. Au début du mois, au terme d’un processus de sélection entamé en juin, l’Arcom a désigné e-Enfance comme le premier signaleur de confiance français, statut créé par le Digital Services Act. Les plateformes seront désormais tenues de traiter en priorité les demandes de retrait de contenus provenant de cette association.

Beaucoup reste à faire en matière de lutte contre les violences en ligne, mais les services d’enquête et les magistrats sont pleinement mobilisés et les résultats judiciaires, nombreux. Le démantèlement, début novembre, d’un réseau international de pédophilie par la section cyber du parquet de Paris en est l’illustration.

Enfin, je tiens à souligner l’engagement du ministère de la justice en interne, notamment par la mise en œuvre de l’accord relatif à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes signé le 25 juin 2024 avec les représentants syndicaux. Il comporte un axe innovant consacré à la lutte contre les violences intrafamiliales, qui prévoit l’information du personnel et la diffusion d’un guide de sensibilisation ainsi que des mesures d’accompagnement des personnels victimes de VIF dans leurs démarches pour trouver un logement d’urgence, cela en lien avec les départements de ressources humaines et de l’action sociale des délégations interrégionales du secrétariat général.

Mme la présidente Véronique Riotton. Vous avez essentiellement évoqué les violences conjugales et intrafamiliales. Or il existe de nombreuses violences sexistes et sexuelles en dehors du cercle familial – nous aurons peut-être l’occasion d’y revenir.

Nous en venons aux questions des représentants des groupes.

Mme Julie Delpech (EPR). L’ordonnance de protection et l’aide universelle d’urgence sont des outils essentiels pour protéger les victimes de violences conjugales. Cependant, l’accès à ces dispositifs reste conditionné à des démarches qui peuvent être perçues, à juste titre, comme dissuasives, en particulier par des personnes en détresse. Si le dépôt de plainte n’est pas obligatoire pour bénéficier d’une ordonnance de protection, il demeure, en pratique, un critère déterminant pour établir la vraisemblance des violences. L’aide universelle d’urgence reste, quant à elle, conditionnée à un dépôt de plainte, une ordonnance de protection ou un signalement au procureur.

Or le dépôt de plainte demeure une étape éprouvante. Ainsi, selon le ministère de l’intérieur, 80 % des victimes de violences sexuelles ne signalent pas les faits. Les freins sont nombreux : peur des représailles, sentiment de honte ou de culpabilité, crainte de ne pas être cru ou manque de confiance en la justice. Comment en vouloir aux victimes quand on sait que 86 % des affaires de violences sexuelles et 72 % des affaires de violences conjugales sont classées sans suite ?

Des témoignages inquiétants font encore état de refus de prise de plainte ou de tentatives de dissuasion de la part des forces de l’ordre. Pour les femmes les plus vulnérables – les femmes migrantes, les personnes transgenres ou les travailleuses du sexe –, ces obstacles s’ajoutent à des discriminations systémiques telles que le racisme, la transphobie ou la négation de leur vécu. Certaines voient même leur droit de porter plainte bafoué.

Des progrès ont été réalisés, qu’il s’agisse de la formation des forces de l’ordre ou de l’installation, dans les hôpitaux, de permanences permettant de déposer plainte, permanences qui doivent être étendues à 377 établissements d’ici à la fin 2025. Mais ces initiatives indispensables restent insuffisantes : trop de victimes continuent de se sentir jugées ou abandonnées.

À ce propos, je salue à mon tour l’initiative de la coalition féministe pour une loi intégrale contre les violences sexuelles, qui a présenté 140 recommandations ambitieuses pour améliorer la prévention, l’accompagnement et le parcours judiciaire des victimes. Ce travail collectif, mené par 63 organisations, souligne l’urgence d’une action globale.

Dans ce contexte, quelles mesures concrètes envisagez-vous de prendre pour garantir un accès simplifié aux dispositifs de protection et un accompagnement renforcé, en particulier pour les femmes les plus vulnérables, qui font face à des discriminations particulières dans leur quête légitime de justice ?

Mme Marie-France Lorho (RN). Lors de votre déplacement à Poitiers dans le cadre de la journée mondiale de lutte contre les violences faites aux femmes, vous avez déclaré : « La justice s’organise pour que le sujet des violences sexuelles soit considéré comme prioritaire. » En prenant des décisions fermes contre leurs agresseurs, notre système judiciaire protège les femmes qui subissent de grandes violences.

Mais si l’on en croit le bilan du service statistique ministériel de la sécurité intérieure, en 2023, 13 % des mis en cause pour des violences sexuelles élucidées sont des étrangers. Ils représentaient 43 % des mis en cause pour des violences sexuelles commises dans les transports en commun – soit une hausse d’un point par rapport à 2016 – et 60 % des mis en cause en Île-de-France, soit une augmentation de dix points. Quelle réponse judiciaire proposez-vous pour freiner ce phénomène alarmant ? Entendez-vous déployer, comme vous l’avez annoncé dans le cadre du plan de lutte contre le narcotrafic, de nouvelles ressources humaines pour augmenter l’entraide judiciaire entre notre pays et les pays d’origine des étrangers visés par de telles accusations ?

Par ailleurs, je m’interroge sur les mesures judiciaires qu’il serait possible de prendre à l’encontre des demandeurs d’asile déboutés ou sortis du dispositif national d’asile. Ces personnes représentent, selon la Cour des comptes, entre 40 % et 60 % des 203 000 occupants du parc d’hébergement d’urgence généraliste de l’État. Ne serait-il pas judicieux de leur appliquer une réponse judiciaire ferme afin que les femmes victimes de violences, notamment conjugales, puissent occuper ces places d’hébergement d’urgence ?

Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Vous vous êtes dit favorable à l’inscription de la notion de consentement dans la définition pénale des infractions de viol et d’agressions sexuelles. La semaine dernière, Mme Salima Saa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, formait le même vœu. Ce matin, sur Sud radio, Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale, réclamait des avancées en ce domaine, ajoutant que l’inscription à l’ordre du jour d’un texte relatif à cette question était possible.

Cela tombe à pic : notre proposition de loi relative à l’intégration de la notion de consentement dans la définition du viol est inscrite à l’ordre du jour de ce jeudi, après l’examen de la proposition de loi d’abrogation de la retraite à 64 ans, adoptée par la commission des affaires sociales. La retraite à 64 ans est une réforme contre les femmes. Or les groupes de la minorité présidentielle, parmi lesquels des députés se prétendant féministes, ont déposé plus de 1 000 amendements, plus ridicules et outranciers les uns que les autres, sur notre proposition de loi d’abrogation afin d’éviter tout vote sur ce texte, comme sur le suivant.

En commission, notre proposition de loi visant à intégrer la notion de consentement dans la définition pénale des infractions d’agressions sexuelles et de viol n’a pas été soutenue par les groupes macronistes : certains ont voté contre, d’autres se sont abstenus. Or cette question mérite autre chose que des pirouettes et des fausses promesses. Je souhaiterais donc savoir quelle est la position exacte du mal nommé « socle commun » sur l’inscription de la notion de consentement dans la loi. Si le gouvernement y est favorable, pourquoi ne propose-t-il pas des améliorations rédactionnelles de notre texte ? Nous pourrions en effet en discuter dès jeudi – si toutefois nous en avons le temps puisque la proposition de loi sur les retraites fait l’objet d’une obstruction.

En ce qui concerne le budget, les associations demandent 2,6 milliards d’euros pour lutter efficacement contre les violences sexistes et sexuelles, dont 300 millions pour le ministère de la justice. À ce propos, nous avons fait adopter un très grand nombre d’amendements en commission des finances : une augmentation de 36,6 millions d’euros de l’aide juridictionnelle afin de financer l’assistance des victimes de violences conjugales par un avocat dès le dépôt de plainte ; 36 millions pour le recrutement de 600 magistrats spécialisés dans les violences sexistes et sexuelles ; 1 million pour la formation continue des magistrats sur les VSS, qui, même si nous ne nions pas les progrès accomplis, doit être rendue obligatoire ; 3,3 millions pour financer 1 500 téléphones grave danger supplémentaires et 2,7 millions pour financer l’extension de la prime Ségur afin de compenser la prise en charge de cette prime par les centres d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF).

Respecterez-vous la volonté des dizaines de milliers de femmes qui ont manifesté samedi dernier contre les féminicides et les violences patriarcales ? En conséquence, conserverez-vous nos amendements dans le projet de budget ? Enfin, laisserez-vous les CIDFF disparaître, faute de moyens pour financer la prime Ségur ?

Mme Delphine Lingemann (Dem). Vous avez principalement évoqué les violences qui se déroulent dans le cadre familial, mais elles se produisent également dans les milieux professionnels. Or l’arsenal juridique existant ne couvre pas l’ensemble de ces violences.

Une enquête récente de l’Ordre des médecins révèle que 54 % des médecins ont eu connaissance de violences sexistes ou sexuelles commises par un autre médecin – que la victime soit un patient, un professionnel ou une autre personne – et que 49 % des femmes médecins ont été victimes de telles violences de la part d’un autre médecin. Ces chiffres sont inquiétants, tant pour la sécurité des femmes médecins que pour celle des patientes.

Sans accès direct au fichier des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes, l’Ordre des médecins, responsable de la régulation de la profession, n’a pas les moyens d’examiner les antécédents judiciaires des praticiens et ne peut donc pas prendre de décision éclairée sur leur inscription ou leur maintien dans ses rangs. Serait-il envisageable de modifier le code de procédure pénale afin d’étendre à l’Ordre des médecins – sous certaines conditions, bien entendu – l’accès à ce fichier ?

Mme Virginie Duby-Muller (DR). En cette semaine mondiale de lutte contre les violences faites aux femmes, j’ai une pensée pour toutes les femmes victimes de violences.

Selon le rapport annuel de la mission interministérielle pour la protection des femmes, 93 femmes – 136, selon l’association Nous toutes – ont été victimes de féminicide en 2023. Quelle que soit la méthode de comptage, ces drames humains nous bouleversent tous et témoignent d’un phénomène préoccupant. Selon le même rapport, en Haute-Savoie, 80 % des faits relevant du pénal signalés à la police ou à la gendarmerie sont liés à des violences conjugales.

Pour lutter contre ces situations qui nous révoltent, le Premier ministre Michel Barnier a annoncé différentes mesures : renforcement de l’aide universelle d’urgence, élargissement du dispositif de dépôt de plainte des femmes victimes de violences sexuelles dans les hôpitaux dotés d’un service gynécologique ou d’urgence, déploiement d’une maison des femmes dans chaque département d’ici à la fin de l’année 2025 et plan de lutte contre la soumission chimique.

Selon votre prédécesseur, Éric Dupond-Moretti, le nombre des drames évités grâce à la généralisation des bracelets antirapprochement aurait été multiplié par trois en un an puisque ce dispositif a permis aux forces de l’ordre d’intervenir à 10 500 reprises en 2023, contre 3 634 en 2022. On estime qu’environ 1 000 bracelets sont actuellement activés. Quant aux téléphones grave danger, qui permettent également d’éviter des drames, leur nombre a été multiplié par cinq entre 2020 et 2022. Quel est le nombre de ces dispositifs pour l’année en cours ? Comptez-vous continuer à développer leur utilisation ?

Par ailleurs, le pôle violences intrafamiliales du tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains, installé au début de l’année, vise un triple objectif : mieux détecter les violences intrafamiliales, mieux prendre en charge les victimes et mieux les protéger. Grâce à des magistrats coordonnateurs spécialement formés aux violences intrafamiliales, ces pôles doivent permettre un meilleur partage des informations et une action coordonnée et rapide non seulement de l’ensemble des acteurs de la chaîne judiciaire mais aussi des forces de l’ordre, des associations d’aide aux victimes et des soignants. Vos services disposent-ils d’un premier bilan de l’action de ces pôles judiciaires spécialisés ?

Enfin, j’avais déposé, avant la dissolution, une proposition de loi visant à rendre imprescriptibles les crimes et délits sexuels commis contre les mineurs. Ce texte devait faire l’objet d’un travail commun avec le cabinet de votre prédécesseur. Êtes-vous ouvert à cette proposition issue des rapports de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) ?

Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). La loi de programmation et d’orientation du ministère de la justice pour 2023-2027 prévoit la création de 10 000 emplois. Or le programme Justice judiciaire du budget 2025 ne comporte que 270 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires – loin des 1 307 ETP créés en 2024. Surtout, il s’agit uniquement de postes de magistrat et de greffier. Pourtant, la justice repose sur un écosystème dans lequel les attachés de justice tiennent un rôle central pour garantir la qualité des décisions rendues et accélérer les délais de traitement. Selon le Syndicat de la magistrature, il faudrait tripler le nombre de procureurs, doubler celui des magistrats du siège et renforcer l’ensemble des équipes qui les entourent. C’est d’autant plus nécessaire que – nous le savons grâce aux chiffres publiés dans la presse à l’occasion de la journée mondiale de lutte contre les violences faites aux femmes – ces dernières pâtissent de la lenteur de la justice.

Par ailleurs, les victimes rencontrent de multiples difficultés pour faire reconnaître les crimes qu’elles ont subis. Ainsi, en 2022, la Fondation des femmes a estimé que, pour les rares femmes dont la plainte n’est pas classée sans suite, la procédure coûte en moyenne 10 675 euros. Les associations ont fait de nombreuses propositions pour faciliter leur accès à une procédure judiciaire : l’aide juridictionnelle dès le dépôt de plainte ou la collecte des preuves dans des centres dédiés, immédiatement après le crime ou l’agression. Que comptez-vous faire à ce sujet ?

Les députés socialistes ont déposé plusieurs amendements visant à augmenter les effectifs des attachés de justice et à allouer davantage de crédits pour les téléphones grave danger. J’ai été très attentive aux chiffres que vous avez cités à ce propos, car l’augmentation de 4,5 millions d’euros prévue dans le budget de la justice est modeste – pour ne pas dire dérisoire.

Enfin, les cours criminelles départementales ont été créées notamment pour faciliter l’accès des femmes à la justice. Or nombre d’intervenants et d’associations s’accordent à constater qu’au contraire, elles nuisent à la justice des femmes en invisibilisant les violences et en minimisant les crimes. En outre, alors que ces cours devaient permettre d’accélérer les procédures, elles accusent un retard de deux ans dans le traitement des affaires. Leur bilan est donc discutable.

Beaucoup de destins sont entre vos mains : les victimes ont besoin pour se réparer que la justice reconnaisse pleinement les violences qu’elles ont subies. Quelques jours après la présentation de la loi intégrale, quelles réponses concrètes comptez-vous apporter ? Allez-vous vous saisir de ces propositions nécessaires à la lutte contre les violences faites aux femmes ?

Mme Marie-Charlotte Garin (EcoS). Je salue votre ouverture et votre engagement sur la question de l’inscription du consentement dans la définition pénale du viol. Les travaux que notre délégation consacre à cette question dans le cadre d’une mission transpartisane devraient aboutir dans quelques semaines, et nous comptons sur vous pour soutenir une proposition ambitieuse.

Toutefois, la modification de la loi ne changera qu’une petite pierre du grand édifice de l’impunité qui a cours dans notre société. Vous avez affirmé que la justice devait prendre sa part dans la lutte contre les violences faites aux femmes, qu’aucune société civilisée ne saurait tolérer. Mais, à vous entendre, il semblerait que beaucoup a déjà été fait et que, finalement, tout va bien. Je souhaiterais donc savoir ce que votre ministère pourrait faire de mieux.

Des femmes continuent à mourir sous les coups de leurs conjoints et 94 % des affaires de viol sont classées sans suite. Nos auditions nous ont permis de constater qu’en matière de violences sexuelles, la justice fonctionne parfois comme la roulette russe, selon le magistrat ou l’agent de police sur lequel on tombe. Force est donc de reconnaître que, dans l’immense majorité des cas, pour une femme victime de violences, faire face à la justice, c’est accomplir un parcours de combattante. Les violences sont mal caractérisées et les enquêtes insuffisantes ; il n’y a pas assez de moyens, de formation, de protocoles adaptés. La chaîne pénale échoue trop souvent à protéger les victimes et à sanctionner les agresseurs.

Nous connaissons les dispositifs qui fonctionnent : brigades spécialisées, formation des magistrats, juridictions dédiées. Pourquoi sont-ils encore l’exception ? Ils devraient être la règle !

Parmi les 140 mesures proposées dans le cadre de la réforme d’ampleur défendue par une coalition d’associations féministes, certaines, très concrètes, relèvent directement de votre champ d’action et pourraient immédiatement être mises en œuvre par voie réglementaire. Je pense, par exemple, à la systématisation de certains actes d’enquête essentiels – comme les perquisitions et l’analyse des téléphones et des réseaux sociaux –, à l’encadrement strict des expertises judiciaires par une formation obligatoire et des critères d’accréditation rigoureux pour s’assurer de la compétence et de la probité des experts, enfin, à l’interdiction systématique des confrontations entre les victimes et les auteurs présumés, sauf demande expresse des victimes. Vous pourriez décider dès demain de reprendre ces propositions assez simples : il y va de votre seul courage politique.

Enfin, les lois ne suffisent pas : ce qui fera la différence, ce sont des moyens humains, financiers et organisationnels adaptés. Qu’avez-vous à nous dire à ce propos ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR). Lors de l’examen par la commission des lois de la proposition de loi relative à l’intégration du consentement dans la définition pénale du viol, la majorité des membres présents y étaient favorables sur le fond. Cependant, un consensus s’est dégagé pour que soit mené sur ce sujet majeur un travail collectif et transpartisan, à l’instar de celui qu’accomplit notre délégation.

Michel Barnier a réaffirmé son objectif de créer une maison des femmes par département, après l’engagement pris par Élisabeth Borne en 2023. Toutefois, se pose la question d’une fusion des maisons des femmes et des unités d’accueil pédiatrique des enfants en danger (Uaped) afin que les femmes et leurs enfants puissent être pris en charge simultanément. Quel est votre point de vue ?

Enfin, il y a un an, j’ai signé, en tant que ministre de la santé, avec Rada Hatem et votre prédécesseur, Éric Dupond-Moretti, une convention qui permet aux femmes de déposer plainte à la maison des femmes, et non plus uniquement aux urgences et aux urgences gynécologiques des hôpitaux. Disposez-vous déjà d’une évaluation de ce dispositif ?

Mme la présidente Véronique Riotton. Nous passons aux questions des députés.

Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). Ma question porte sur l’intégration du consentement dans la définition pénale du viol.

Je remercie Mme Firmin Le Bodo d’avoir eu l’honnêteté de rappeler que notre proposition de loi est inscrite jeudi à l’ordre du jour et qu’elle a été examinée en commission des lois. Effectivement, un large consensus s’est dégagé, mais notre texte a été rejeté, au motif qu’il faudrait en attendre un autre. À la suite de nos auditions et de mes échanges avec vous comme avec les services de votre ministère, j’ai proposé des améliorations rédactionnelles, mais je n’ai reçu aucun retour et le gouvernement n’a déposé aucun amendement en vue de la séance publique de jeudi. Nous ignorons donc quels éléments posent problème : est-ce le fait de définir le consentement comme l’expression d’une volonté libre et éclairée ? Le fait de préciser qu’il ne se déduit pas de l’absence de résistance ?

J’entends aujourd’hui qu’un texte transpartisan serait déposé dans les prochaines semaines alors que la délégation aux droits des femmes n’a pas fait savoir qu’elle reprenait ses travaux sur le sujet. Par ailleurs, la secrétaire d’État à l’égalité, Mme Salima Saa, a déclaré au journal Libération : « On va faire un travail de fond. On ne va pas le faire dans la précipitation. Je ne suis pas juriste : c’est au ministère de la justice et aux spécialistes d’écrire le texte. » Existe-t-il déjà un texte que vous auriez validé ? Si tel est le cas, pourquoi ne pas l’examiner dès jeudi, sans attendre 2025, puisque le gouvernement pourrait être censuré dès le 6 décembre ? Sinon, estimez-vous qu’une proposition de loi sur le consentement doit nécessairement avoir l’aval du gouvernement, notamment du garde des sceaux, pour être inscrite à l’ordre du jour et adoptée ?

En tout état de cause, pouvez-vous rassurer les associations féministes notamment, en confirmant que la modification de loi consistera bien à intégrer une définition complète du consentement qui soit à même de protéger le plus possible les victimes – il faut surtout éviter qu’il ne devienne une condition supplémentaire de la reconnaissance du viol ?

M. Guillaume Bigot (RN). Ces dernières années, le personnel du ministère de la justice et nos forces de police et de gendarmerie se sont fortement mobilisés pour lutter contre les violences faites aux femmes. L’une d’entre elles, l’excision – cette mutilation sexuelle souvent coutumière, expression du patriarcat et d’une violence pure et parfaite – me paraît particulièrement atroce. En 2020, la secrétaire d’État Marlène Schiappa avait eu le courage et le mérite d’appeler l’attention sur les presque 60 000 femmes excisées en France. En août 2023, le gouvernement a lancé un plan national d’action visant à éradiquer les mutilations sexuelles dans notre pays.

Pourriez-vous nous présenter un bilan de la répression pénale de ces actes odieux qui arrachent à des jeunes femmes une part essentielle et intime de leur féminité ? J’espère que cette évaluation montre un recul de ces pratiques barbares dans notre pays.

M. le ministre. Madame Delpech, nous nous efforçons de répondre au mieux aux besoins des victimes, immédiatement après les faits et sur le long terme. Ainsi leur accompagnement a-t-il été renforcé et individualisé, notamment grâce à l’augmentation du budget de l’aide aux victimes de violences intrafamiliales, qui a triplé depuis 2020, pour atteindre 22 millions en 2025 – soit 5 millions de plus qu’en 2024 –, de façon à soutenir les associations, au plus près des victimes.

Nous nous efforçons également de mieux former l’ensemble des personnels judiciaires, pour améliorer leur capacité à entendre les victimes. J’ai rappelé par ailleurs l’augmentation des BAR et des TGD actifs : ces dispositifs prouvent la proactivité des services judiciaires.

Le Premier ministre a annoncé la généralisation du recueil de plainte à l’hôpital, qui permettra de faciliter son dépôt. Il est vrai que, tant que les faits ne sont pas dénoncés, la justice n’est pas en mesure d’agir. C’est pourquoi il faut donc multiplier les lieux de dépôt de plainte, et faire en sorte que la victime ose déposer plainte afin que l’instruction soit ouverte.

Enfin, le dispositif pour les victimes gravement traumatisées peut être actionné par le procureur de la République vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Dans ce cas, un certain nombre d’aides aux démarches sont prévues pour les victimes.

Je souhaite maintenant revenir de manière dépassionnée sur les classements sans suite en matière de viol.

En 2023, sur 100 plaintes déposées pour viol, 59 ont été classées sans suite au motif que l’infraction était insuffisamment caractérisée – ce qui signifie que l’enquête n’a pas permis de rassembler les preuves d’éléments factuels. Ce taux, qui n’est pas nouveau, passe de 59 % à 70 % lorsque l’on considère l’ensemble des motifs de classements sans suite.

Ces données ne signifient pas que la loi et son interprétation limiteraient le champ des poursuites pénales à cause d’une définition insuffisante du viol. En sept ans, le nombre de personnes mises en cause a doublé. Cela signifie que la hausse du nombre des affaires signalées à la justice est exponentielle – non pas tant parce que le nombre de viols s’envole que parce que la parole se libère, que les citoyens ont davantage recours aux dispositifs pénaux et que ceux-ci sont plus efficaces.

Mécaniquement, les affaires rencontrant des difficultés probatoires sont, elles aussi, plus nombreuses, notamment lorsque, dénoncés grâce au recul de la prescription, les faits sont anciens. Dans ces cas-là, il est, par exemple, impossible d’utiliser la téléphonie pour confondre un auteur et les témoins peuvent ne plus se souvenir des faits. Le taux de classement sans suite pourrait donc s’expliquer par la difficulté à apporter la preuve de la commission des faits, et non pas par une insuffisance légale ou un désinvestissement des acteurs judiciaires.

Je rappelle, du reste, la fermeté de la justice française en la matière. En 2023, dans les affaires poursuivables, 96 % des personnes mises en cause ont été poursuivies. En 2022, le nombre de condamnations pour viol avait augmenté de 19 % par rapport à 2015. Cette augmentation s’élève à 35 % pour le nombre de condamnations pour viol de personnes majeures. Dans plus de 98 % des cas, ces condamnations sont assorties d’une peine de réclusion ou d’emprisonnement ferme d’un quantum moyen de plus de onze ans.

Madame Lorho, nous ne disposons pas de données sur l’origine des auteurs d’infraction – la loi, du reste, ne permet pas toujours de faire cette distinction. Je rappelle que 90 % des violences sexistes et sexuelles sont commises dans et par l’entourage. Par ailleurs, les propos à caractère sexiste ou sexuel réprimés sont passibles d’une amende de 3 750 euros. Nous nous efforçons, par la prévention et la formation scolaire et professionnelle, de sensibiliser tout un chacun à ces questions.

Plusieurs d’entre vous m’ont interrogé sur l’introduction du consentement dans la définition du viol. Madame Legrain, je crois vous avoir expliqué, lorsque je vous ai reçue, ce qui ne colle pas dans votre proposition de loi, et en quoi elle peut même être dangereuse au regard de la situation actuelle. La question est très sensible. La jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation prend déjà en considération l’absence de consentement, mais elle ne le fait pas expressément. D’où l’idée, à laquelle je suis tout à fait favorable, de faire apparaître le consentement, ou le non-consentement, dans la définition légale du viol. J’ai ainsi indiqué que j’étais prêt à apporter, dans le cadre de travaux transpartisans, l’éclairage de la Chancellerie ; sa contribution peut être utile dans la mesure où elle serait apportée par des magistrats qui traitent ces questions au quotidien. J’ai également suggéré que le texte qui serait issu de ces travaux transpartisans puisse être soumis au Conseil d’État.

En tout cas, on risquerait, si l’on voulait parvenir trop rapidement à une rédaction, d’aller à l’encontre de l’objectif poursuivi. Peut-être le gouvernement sera-t-il censuré entre-temps : c’est votre responsabilité. Toujours est-il que je m’inscris dans le cadre du travail qui a été engagé et auquel je souhaite que, les unes et les autres, vous participiez. Du reste, la délégation aux droits des femmes du Sénat attend ses résultats. J’ignore si je serai encore garde des sceaux lorsque la proposition de loi sera débattue, mais je souhaite la faire avancer, car je crois qu’elle marquera un progrès.

Encore une fois, il convient d’aborder la rédaction de ce texte avec prudence. Il faut en effet éviter d’inverser la charge de la preuve et de focaliser les débats sur la victime car, en l’obligeant à expliquer son absence de consentement, on risquerait de la mettre dans une situation encore plus difficile. Au reste, dans l’affaire Gisèle Pelicot, la position des représentants du parquet montre bien que la justice prend déjà en considération l’absence de consentement de la victime. Tout cela mérite d’être pris en considération.

Par ailleurs, madame Legrain, je vous confirme que nous avons obtenu les moyens nécessaires pour financer l’ensemble du Ségur.

Madame Lingemann, vous soulevez une question complexe. L’accès aux fichiers des auteurs d’infraction est sécurisé et réservé à l’autorité judiciaire, ainsi qu’à la préfecture, sous certaines conditions. Une réflexion est en cours pour élargir éventuellement cet accès, mais des précautions sont nécessaires. Il est vrai que le secret professionnel auquel sont tenus les médecins peut constituer une garantie, mais il faut être prudent en matière d’accès à des fichiers qui comportent des données personnelles.

Madame Duby-Muller, le décompte des féminicides n’est pas le même au ministère de la justice et au ministère de l’intérieur, car l’un et l’autre emploient des méthodes différentes – je conçois que cette différence suscite des interrogations. Les chiffres du ministère de la justice, établis à partir de la remontée systématique d’information par les procureurs généraux, portent sur l’ensemble des homicides conjugaux commis à l’encontre de femmes et d’hommes et ne recouvrent pas la notion de féminicide, qui n’a pas de traduction juridique dans le droit positif.

Les données du ministère de l’intérieur sont, quant à elles, issues de la base de données sur les victimes de crimes et délits ; elles enregistrent également les suicides ou tentatives de suicide causés par le harcèlement d’un conjoint ou d’un ex-conjoint, dont les victimes étaient, en 2023, au nombre de 890, dont 87 % de femmes. La France est le seul pays européen à s’être doté d’un outil juridique permettant de rechercher la responsabilité des auteurs en créant en 2020, à la suite du Grenelle des violences conjugales, la circonstance aggravante du harcèlement au sein du couple, lorsque celui-ci conduit au suicide.

Depuis 2021, nous travaillons, chaque année, à recouper nos données avec le nombre des homicides conjugaux recensés par le ministère de l’intérieur dans le but de présenter des chiffres communs – j’espère que nous y parviendrons.

Par ailleurs, le décompte des féminicides réalisé par des collectifs associatifs féministes ne se limite pas aux victimes au sein du couple et aboutit donc à des chiffres supérieurs à ceux du ministère de la justice et du ministère de l’intérieur.

La généralisation des pôles VIF – qui regroupent des magistrats du siège et du parquet, les directeurs de service de greffe, des greffiers, des attachés de justice et des agents contractuels, notamment ceux qui sont chargés de mission VIF – va dans le bon sens. Comme je l’ai constaté à Versailles et à Poitiers, ces pôles favorisent la réactivité de la justice face aux violences intrafamiliales. Ces contentieux ont sensiblement augmenté au cours des dernières années et occupent une part croissante de l’activité des magistrats.

Cela nous renvoie à la question des moyens humains de la justice. En 2025, nous serons en mesure de respecter les engagements prévus dans la loi de programmation, grâce à l’arbitrage rendu par le Premier ministre. La trajectoire 2027 prévoit, je le rappelle, la création de 1 500 postes de magistrat, de 1 800 postes de greffier et de 1 100 postes d’attaché de justice ainsi que le renforcement de l’équipe qui entoure le magistrat par 170 personnels de catégorie A chargés des VIF à temps plein. L’effort est réel. Toutefois, si nous n’avons pas de loi de finances, nous en resterons aux chiffres de 2024, sans ces créations d’emploi.

La prescription des viols et agressions sexuelles sur mineurs a fait l’objet, ces dernières années, d’un travail législatif important. Dès 1989, le délai de prescription a été reporté lorsque les faits ou les crimes sont commis par un ascendant. Depuis 1995, ce délai court à partir de la majorité de la victime. La loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité a, quant à elle, étendu le délai de prescription à 20 ans, le champ infractionnel concerné ayant ensuite été élargi, en 2006. Enfin, la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste a introduit un principe de prescription glissante pour les viols et agressions et atteintes sexuelles commis sur des mineurs. Le délai de prescription de la première infraction est ainsi prolongé jusqu’à la date de prescription de l’infraction la plus récente. Les deux infractions peuvent donc être jugées en même temps, de sorte que toutes les victimes, en particulier les plus anciennes, peuvent se constituer partie civile plutôt que d’être entendues comme simples témoins.

Le délai de prescription est donc déjà long. Si vous l’allongez davantage, la démonstration probatoire sera rendue encore plus difficile. Ce ne serait donc pas nécessairement un progrès, même si des dispositifs comme celui de la prescription glissante font l’objet d’une réflexion, sachant, par ailleurs, que l’imprescriptibilité est réservée aux crimes contre l’humanité.

Les téléphones grave danger sont activés, dans un cadre préventif, sur décision du procureur de la République, pour une durée de six mois renouvelables. Ce dispositif de téléprotection permet à la victime d’alerter les forces de l’ordre en cas de grave danger : ce téléphone est équipé d’une touche spéciale qui permet de joindre un service de téléassistance. Il peut être attribué à tous les stades de la procédure, y compris dans des phases durant lesquelles l’action publique n’a pas été mise en mouvement. En 2023, plus de 4 500 téléphones grave danger ont été attribués – six fois plus qu’en 2020 – et, en 2024, leur nombre a encore crû, atteignant 5 993.

Les bracelets antirapprochement, qui ne relèvent plus tout à fait de la prévention, sont délivrés sur décision du juge, avec le consentement des intéressés. Cette décision peut être prise avant toute condamnation – dans le cadre d’un contrôle judiciaire – ou après une condamnation, comme une des obligations associées à la peine. Au 28 octobre 2024, 837 bracelets antirapprochement étaient actifs ; au total, 3 166 mesures ont été ordonnées depuis la mise en œuvre du dispositif. Celui-ci a évité des drames ; il est donc utile, même si des difficultés peuvent apparaître lorsque les deux personnes habitent à proximité : l’alerte peut être déclenchée et mobiliser les forces de l’ordre sans qu’il y ait de danger.

Le budget de ces dispositifs a sensiblement augmenté, passant de 3 millions en 2020 à plus de 10,5 millions en 2024 – 10,6 millions en 2025. Il permet de financer les stocks dans l’ensemble des juridictions.

Madame Thiébault-Martinez, les cours criminelles départementales ont été créées d’abord à titre expérimental, le 23 mars 2019, avec deux objectifs : réduire les délais de traitement et éviter la correctionnalisation. Hélas ! cette réforme a eu pour effet mécanique d’augmenter le nombre des affaires criminelles à juger. On observe en effet une hausse des réquisitoires introductifs criminels, des dossiers criminels en attente de règlement et des dossiers renvoyés devant les cours d’assises et les cours criminelles départementales. Le temps d’audience devant ces dernières – qui mobilisent cinq magistrats professionnels, contre trois pour les cours d’assises – augmente, de sorte que l’engorgement de l’audiencement criminel persiste. J’ai chargé un groupe de travail – composé d’un magistrat du siège, d’un magistrat du parquet et d’un avocat – d’identifier les pistes d’amélioration et de me faire des propositions très rapidement.

Madame Garin, nous nous efforçons de faire mieux chaque année ! Les moyens augmentent et les personnels de la justice, les magistrats au premier chef, sont de plus en plus sensibles à ces questions. Je suis prêt à vous inviter dans un pôle VIF, où vous pourrez constater par vous-même leur mobilisation et la réactivité de la justice. La question des investigations représente, c’est vrai, une véritable difficulté ; c’est un problème de moyens ou d’orientation des policiers, car la priorité est désormais de les mettre dans la rue.

La convocation des mineurs en vue d’une confrontation n’est pas systématique ; elle est laissée à l’appréciation du juge : tout dépend de l’état de la victime et de la manière dont elle peut réagir.

Madame Firmin Le Bodo, la fusion de la maison des femmes avec d’autres structures est en cours. Nous ne disposons pas encore d’un bilan de l’activité des permanences qui y sont tenues pour le dépôt de plainte. En tout état de cause, il importe de multiplier les lieux où elles peuvent être déposées.

Monsieur Bigot, une directive européenne a été adoptée en mai 2024, qui renforce la lutte contre les mutilations sexuelles. En France, elles sont bien entendu réprimées. La peine d’emprisonnement encourue est de dix ans, et de vingt ans lorsque les mutilations sont pratiquées sur un mineur. La justice s’est saisie du nouveau texte et ne manquera pas de l’appliquer avec la même fermeté que dans le cas des violences intrafamiliales.

M. Guillaume Bigot (RN). Existe-t-il un bilan des condamnations prononcées pour mutilations ?

M. le ministre. Si je peux en obtenir un, je ne manquerai pas de vous le communiquer.

Mme la présidente Véronique Riotton. Monsieur le garde des sceaux, je vous remercie pour vos réponses. Vous avez pu constater la mobilisation de notre délégation dans la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Nous comptons poursuivre nos travaux et notre collaboration avec vos services pour améliorer la situation des victimes et renforcer l’efficacité de la loi.

 


II.   TABLE RONDE SUR LA RÉPONSE JUDICIAIRE AUX VIOLENCES SEXISTES ET SEXUELLES

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a auditionné, mercredi 27 novembre 2024, dans le cadre d’une table ronde, des professionnels et des représentants associatifs sur la réponse judiciaire aux violences sexistes et sexuelles :

 

Intervenantes :

. Anaïs Defosse, avocate engagée auprès des victimes de violences

. Giulia Foïs, journaliste et féministe

. Magali Lafourcade, magistrate, secrétaire générale de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH)

. Muriel Salmona, psychiatre spécialiste du psychotraumatisme, présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie

 

Les débats sont accessibles sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

https://assnat.fr/mxflgD

 

Mme la présidente Véronique Riotton. En cette semaine mondiale de lutte contre les violences faites aux femmes, nous avons souhaité organiser deux moments forts consacrés à la réponse judiciaire dans sa globalité aux violences sexistes et sexuelles. Nous avons reçu hier le garde des Sceaux. Nous lui avons fait part de nos inquiétudes et de nos revendications quant à cette réponse et aux moyens qui lui sont consacrés.

Nous recevons aujourd’hui Mesdames Marie-France Casalis, membre d’honneur du conseil d’administration du Collectif féministe contre le viol (CFCV) ; Anaïs Defosse, avocate engagée auprès des victimes de violences ; Giulia Foïs, journaliste et féministe ; Magali Lafourcade, magistrate, secrétaire générale de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) et Muriel Salmona, psychiatre spécialiste du psychotraumatisme, présidente de l’association mémoire traumatique et victimologie.

Les chiffres sont éloquents. Selon une étude publiée par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) en 2024, près de 30 % des femmes de 18 à 69 ans ont déclaré avoir subi une tentative ou un rapport forcé en 2023, et pour les hommes, près de 9 %. Ces chiffres ont presque doublé depuis 2006. Sur la période 2011-2018, les enquêtes du ministère de l’Intérieur démontrent que le nombre moyen de victimes de violences sexuelles parmi les 18-75 ans dépasse les 230 000 personnes. Parmi elles, 6 % portent plainte. S’il y a des condamnations, près de 70 % des plaintes pour violences sexuelles sont classées sans suite. Enfin, pour celles qui ont à vivre un procès, c’est trop souvent une épreuve traumatisante. La place de la victime dans la procédure judiciaire doit être améliorée.

Mesdames, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation aujourd’hui, vous qui avez, chacune dans votre domaine, fait l’expérience concrète de la chaîne judiciaire face aux violences sexistes et sexuelles (VSS).

Pour ma part, j’aurais quelques questions. Tout d’abord, quelle est votre analyse de l’accueil et de la prise en charge lors du dépôt de plainte ? Des progrès ont été faits, en termes de formation bien sûr, mais comment faire en sorte que cette épreuve ne soit pas un enfer pour les victimes ? Par ailleurs, de nombreuses associations, des victimes, des professionnels de justice nous disent que les enquêtes ne sont pas toujours menées, l’investigué n’est parfois pas auditionné. Il y a certes des professionnels consciencieux et formés. Comment, selon vous, pourrions-nous améliorer les enquêtes ?

Pour celles qui ont à vivre un procès, l’expérience est si éprouvante que l’on parle de victimisation secondaire due au fonctionnement de l’appareil judiciaire, sans même parler de la longueur et du coût financier de la procédure. Celle-ci est d’ailleurs dénoncée dans plusieurs affaires en cours devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Le focus porté actuellement sur la plaignante est disproportionné par rapport à celui porté sur le mis en cause. Que peut-on faire pour y remédier ?

La police, la gendarmerie et la justice ont fait des efforts significatifs en termes de formation. Celle-ci vous paraît-elle suffisante et adaptée ? La connaissance du psycho-traumatisme par l’ensemble des intervenants vous paraît-elle acquise et sa prise en charge vous paraît-elle suffisante ?

Enfin, même si ce n’est pas l’objet de cette audition, vous savez que notre Délégation travaille sur la définition pénale du viol. Quels sont les grands principes selon vous qui devraient guider une réforme de cette définition ? Quels devraient en être les objectifs ?

Mme Magali Lafourcade. La France signe des engagements internationaux et il est essentiel pour la crédibilité de celle-ci d’en tirer toutes les conséquences sur le plan législatif. C’est votre mission puisque vous avez signé tous les instruments de ratification de ces textes-là. Il y a bien sûr la convention CEDAW, la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, de 1979, qui est une des conventions les plus universelles au monde. Elle est soumise au contrôle du comité CEDAW, qui examine la façon dont la France s’acquitte de ses obligations. En novembre 2023, le comité CEDAW a indiqué clairement que la définition pénale du viol de la France était absolument insuffisante. Le comité CEDAW a demandé à la France de modifier son Code pénal afin que la définition du viol soit fondée sur l’absence de consentement et que celui-ci couvre tous les actes sexuels non consentis - ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. La définition devrait également tenir compte de l’ensemble des circonstances coercitives, conformément aux normes internationales relatives aux droits de l’homme.

Sur ce point, la référence est la convention d’Istanbul qui, bien que préparée dans le cadre du Conseil de l’Europe, est une convention à vocation universelle. Elle peut donc être ratifiée par n’importe quel état, même s’il n’est pas membre du Conseil de l’Europe.

La convention d’Istanbul est soumise au contrôle du GREVIO, qui est un organe du Conseil de l’Europe. Le Conseil de l’Europe examine actuellement le cas de la France. Il devrait, sans surprise, reprendre les arguments qu’il avait avancés dans un rapport très complet de 2019. Il y expliquait que la rédaction actuelle de notre loi est insuffisante pour prendre en charge tous les cas d’actes sexuels non consentis. Il relevait la grande variabilité des interprétations faites par les magistrats des quatre critères (violence, contrainte, menace, surprise). Il appelait également au respect de l’article 36 de la convention d’Istanbul. Afin de lutter contre l’impunité, il préconisait mieux articuler les critères qui permettent d’entrer en voie de condamnation.

Au-delà de ces deux instances importantes - ce sont des instruments qui sont juridiquement contraignants - il y a un grand mouvement dans le monde, en faveur d’une évolution des définitions des violences sexuelles avec l’idée de faire du consentement un grand principe de ces définitions. Les canadiens l’ont fait en 1983, et depuis en Europe il y a une grande vague : l’Allemagne, la Croatie, Chypre, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la Grèce, l’Islande, l’Irlande, le Luxembourg, Malte, le Royaume-Uni, la Slovénie, la Suède, la Suisse et, en 2022, la Belgique. Cette dernière a un système juridictionnel très proche du nôtre, nous aurions grand mérite à nous en inspirer.

De plus, France a une diplomatie féministe particulièrement intéressante. Elle ne se limite pas à la communication et présente un vrai intérêt. Si elle souhaite être crédible lorsqu’elle propose à l’assemblée générale des Nations unies des résolutions sur l’accueil des victimes de violences sexistes et sexuelles, elle se doit d’appliquer le principe interne / externe, c’est-à-dire une cohérence entre ce qu’elle prône à l’extérieur et ce qu’elle fait à l’intérieur.

Les statistiques sur les classements sans suite et au nombre de violences sexuelles recensées dans notre pays sont affolants. Nous sommes loin de pouvoir saisir ce phénomène d’un point de vue policier et judiciaire. En tant que magistrate, j’ai pleinement conscience que pour faire reculer un phénomène infractionnel, le taux d’élucidation est plus important que la sévérité des peines. En d’autres termes, lorsqu’ils commettent un acte infractionnel, les auteurs doivent avoir la certitude qu’ils seront pris et qu’il y aura une réponse pénale.

Or, aujourd’hui, en examinant les chiffres des enquêtes de victimation de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) et le nombre de condamnations annuelles, il apparaît que moins de 0,6 % des faits ressentis comme des viols donnent lieu à condamnation. En examinant les données du ministère de la Justice par rapport aux plaintes enregistrées qui rentrent dans la chaîne pénale, on se situe entre 14 et 16 %. En 2018, Infostat indiquait que depuis le traumatisme d’Outreau, il y avait une baisse de 40 % du nombre de condamnations en matière de viols.

Aujourd’hui, nous avons un problème de législation. Or, celle-ci étant d’interprétation stricte en droit pénal, cette difficulté se répercute sur la manière dont sont menées les enquêtes. Les femmes sont la cible des enquêtes : en tant que plaignantes, elles font l’objet d’un examen de crédibilité particulièrement virulent, autour de trois archétypes : la sainte - que nous avons avec l’incarnation de Mme Gisèle Pelicot lors du procès en cours ; l’affabulatrice ; la provocatrice, sous-tendue par l’idée « [qu’]elle l’a bien cherché ».

Nous n’avons pas posé le principe. Le consentement est partout et nulle part, c’est un fantôme de la loi. Il convient donc de poser le principe afin d’éviter l’optimisation sexuelle. Aujourd’hui, si l’auteur n’est pas pris sur l’un des quatre critères, la relation sexuelle n’est pas considérée comme un viol. Toutefois, se limiter à dire « non-consenti » ou « non librement consenti » serait inutile, voire même contre-productif. Il est impératif d’élargir les critères pour inclure les états de sidération et la ruse notamment.

Une parole politique forte et des moyens conséquents sont également indispensables. Il convient d’insérer la répression dans une politique plus globale, en cohérence avec les actions de prévention et d’éducation au consentement. Pour autant, la logique répressive doit perdurer afin de réduire l’impunité des violeurs.

Je suis convaincue que les viols sont souvent des crimes sériels : les hommes raffinent leurs techniques et deviennent plus performants pour sélectionner leurs victimes. Ils choisissent les victimes vulnérables, considérées comme trop fragiles pour déposer plainte ou dont la crédibilité sera remise en cause, en raison des stéréotypes de genre et des structures de domination de la société. C’est assez aisé dans l’état actuel des choses.

Mme Giulia Foïs. Je comprends les questions tournent autour de la notion de consentement et d’une révision de la loi. J’ai moi-même signé des tribunes, me disant favorable à l’introduction de cette notion de consentement libre et éclairé, à côté des quatre points que l’on connaît : violence, contrainte, menace ou surprise (VCMS). Cependant, selon toute vraisemblance, la loi ne suffira pas. De nouveaux textes ne nous régleront pas le problème, loin s’en faut.

La loi doit faire partie d’un dispositif global d’accompagnement des victimes, de prévention de ces violences et d’éducation. C’est le système destructeur, oppressif, dominateur, patriarcal qu’il faut éradiquer, par tous les moyens, s’il le faut. En l’absence de l’introduction de la notion de consentement, en dehors des VCMS, les femmes sont, par défaut, consentantes à tout. Philosophiquement, il y a un problème. Mais, ce débat doit s’accompagner de moyens conséquents, comme les associations le répètent souvent. Elles estiment à 2,6 milliards les moyens nécessaires à cette lutte contre les violences sexistes et sexuelles, et sans ces moyens financiers, nous n’y arriverons pas.

Par ailleurs, chacun, à un niveau individuel ou collectif, doit faire cet examen de conscience consistant s’interroger sur sa place dans ce système ; c’est-à-dire à se demander : « qu’ai-je subi ? qu’ai-je couvert ? qu’ai-je su sans le dire ? et enfin, qu’ai-je fait ? ». Tant que nous ne ferons pas cet examen de conscience à tous les niveaux de ce pays, nous n’avancerons pas.

L’expression « à tous les niveaux », renvoie évidemment à la justice qui est au cœur de ce système. La justice est rendue par des hommes et des femmes qui, comme nous toutes et tous, ne sont pas étanches au monde qui les entoure. Je considère qu’ils ont été « biberonnés au patriarcat et à la culture du viol », c’est-à-dire à l’idée que le corps des femmes est à disposition des hommes qui eux, ont des pulsions irrépressibles. Dans cette logique, il incomberait aux femmes d’être prudentes en lieu et place des hommes.

Lorsque que ça m’est arrivé, j’avais foi en la justice. J’ai fait tout ce qui m’a été demandé. L’auteur des faits a été acquitté et moi, j’ai été broyée, une deuxième fois.

À la question de savoir si une victime devait porter plainte, je répondais « oui ». Aujourd’hui, j’en suis moins certaine. Selon moi, il faut que la victime ait de l’argent, voire beaucoup d’argent. Il faut qu’elle soit bien entourée. Surtout, il faut qu’elle s’apprête à perdre. Elle a déjà une chance sur deux que sa plainte ne soit pas reçue au commissariat et neuf chances sur dix pour que sa plainte soit classée sans suite. Ensuite, si elle arrive dans l’arène judiciaire, la victime a de fortes chances d’être maltraitée ; suffisamment pour que vingt-cinq ans plus tard, ma gorge soit encore nouée.

Si j’ai une profonde estime pour votre travail, je m’interroge sur ma présence dans cette salle presque déserte, où aucun homme n’est présent. Elle illustre bien le désintérêt collectif pour ce sujet : « on s’en fout de nous, de ce qui nous arrive après et de comment on se remet d’une deuxième gifle », d’un deuxième déni, qui cette fois-ci est institutionnel. Cela traduit une réalité beaucoup plus grave. Pour ma part, à vingt-trois ans, j’ai eu l’impression qu’on m’expliquait que les femmes pouvaient être violées, c’est une réalité statistique. Mais surtout, que les agresseurs ont le droit de violer. Et si les victimes osent dénoncer les faits, elles risquent d’être éreintées.

Depuis que le procès des viols dits de Mazan a débuté – par le fruit du hasard, mon affaire a été jugée non loin de là - je lutte contre des images que je ne souhaite pas voir revenir. Je lutte et parfois je perds. Parfois, je suis submergée. Encore maintenant, vingt-trois ans plus tard, je suis submergée. Pourtant, j’ai un métier qui me passionne, que j’ai deux enfants que j’adore et une vie que j’aime. J’ai une nouvelle vie. « Ça », « il » ne l’a pas eu. Il n’a pas eu ma joie, ni mon rire, rien. Pourtant, lorsque l’on parle de justice, de plainte ou de procès pour viol, je m’écroule. Mon corps s’écroule, pas ma tête.

Il y a quelques mois, mon sac a été volé. Ce n’est rien en comparaison de ce que j’ai vécu. Ne souhaitant pas que mon compagnon se déplace pour si peu, je me suis rendue seule au commissariat pour porter plainte. Or, sur place, j’ai fait une crise d’angoisse. Je sautais sur ma chaise et lorsque j’entendais une porte claquer, je pleurais et j’avais la respiration courte. Le policier chargé de prendre ma plainte, n’a même pas perçu mon malaise. Ma plainte est incomplète parce que ce jour-là, de nouveau, mon cerveau avait des trous. À présent, lorsqu’il faut se rendre au commissariat pour un simple vol, je préfère ne pas y aller. C’est impossible. Il m’a été proposé d’aller au tribunal en tant que partie civile, j’ai tenté de m’y rendre. Je me suis écroulée dans la rue. Nous sommes vingt-cinq ans plus tard et mon corps se souvient encore de la manière dont l’institution judiciaire m’a broyée.

De prime abord, j’ai pensé qu’il s’agissait de la suite du premier psycho-traumatisme, celui du viol. Cependant, en échangeant avec des amies féministes provenant du milieu associatif d’aide aux victimes, j’ai compris qu’il s’agissait, en réalité, d’un second traumatisme.

Lorsque j’ai appris que huit plaintes contre la France avaient été déposées auprès de la CEDH pour victimisation secondaire, j’ai enfin réalisé ce que j’avais vécu. J’ai envisagé de moi-même saisir la CEDH. Une telle saisine impliquerait de revivre ce procès atroce. Je me refuse à rouvrir ce dossier, à revivre le traitement que j’ai subi et à entendre de nouveau, la manière dont on m’a parlé à l’époque.

Je me bats, aujourd’hui, sur un terrain bien plus doux qui est le mien, celui du journalisme et de l’écriture. J’ai écrit un livre. J’ai toujours su que je le ferais. En sortant du tribunal, je me suis dit à moi-même qu’il fallait que mon histoire soit entendue. Il m’a fallu vingt ans pour me sentir prête à écrire ce livre. Le chapitre relatant le viol n’a pas été le plus difficile à écrire. En effet, contrairement à de nombreuses victimes, j’ai reçu un soutien indéfectible de mon entourage. J’ai pu tout leur dire et ils m’ont crue. C’est là toute la différence.

Pour moi, raconter le viol était une manière de reprendre la main sur l’histoire, sur ce que j’ai subi. C’était une expérience jubilatoire. Mais, au moment de raconter l’instruction et le procès, mes doigts se sont figés. J’ai fermé l’ordinateur et j’ai cru que je n’y arriverais pas. J’ai songé à ne pas écrire ce chapitre. Je me suis dit : « À quoi bon ? À quoi bon puisque nous ne sommes pas entendues et même ignorées ? ». J’ai fini par écrire ce chapitre et je ne le regrette pas. Cette partie de mon histoire qui est malheureusement celle de trop nombreuses femmes, motive ma présence aujourd’hui. Ce n’est pas pour moi. Je suis là pour toutes celles, qui, pour différentes raisons, n’ont pas pu porter plainte ou dont la plainte a été classée sans suite ; et qui n’ont pas été entourées comme je l’ai été. S’il ne s’agissait que de moi, je ne serais pas venue.

Nous nous sommes déjà rencontrées il y a quelques mois, je sais le travail que vous faites. Toutefois, je n’ai plus confiance dans l’institution ni dans ce gouvernement.

Mme Muriel Salmona. Le psycho-traumatisme est une sorte de fil rouge de ce qui pourrait permettre de prévenir et protéger les victimes tout au long de la procédure judiciaire.

Pour mémoire, 50 % des victimes de violences sexuelles font des passages à l’acte suicidaire. Notre association, Mémoire traumatique et victimologie, a réalisé une enquête démontrant que les procédures judiciaires augmentent considérablement le risque de passage à l’acte suicidaire. L’enquête a révélé que 83 % des victimes estiment n’avoir jamais été protégées et reconnues en tant que victimes.

Mme Lafourcade évoquait une baisse de 40 % du nombre de condamnations en matière de viol à la suite de l’affaire d’Outreau en 2018. Entre 2018 et 2021, cette baisse de 40 % se poursuit avec 30 % supplémentaires de condamnations en moins. La situation s’aggrave. Par le passé, 12 % des victimes de viols portaient plainte, désormais seules 6 à 8 % des victimes de violences sexuelles portent plainte. Pour le dire autrement, le nombre de victimes qui portent plainte est signifiant par rapport au nombre de victimes total.

Les violences sexuelles sont reconnues comme des crimes et des violations des droits humains très graves. Elles sont assimilées à des actes cruels, dégradants et inhumains par le droit européen, voire comme des actes de tortures. Les conséquences psycho-traumatiques sont particulièrement graves à long terme, avec des risques de mort précoce. Il y a également de nombreux risques en termes de santé mentale qui prennent la forme de dépressions, troubles anxieux, conduites addictives voire des comportements de mise en danger. Sur la santé physique, il subsiste un risque de subir à nouveau des violences, avec un continuum de violences qui démarrent souvent dès l’enfance.

Plus les violences sexuelles ont démarré tôt, plus les conséquences traumatiques seront graves. Or, nous savons qu’une majorité des victimes de violences sexuelles sont des mineures. Parmi les personnes en situation de handicap, par exemple, les femmes subissent deux fois plus de violences sexuelles, voire trois fois plus selon les dernières enquêtes. Les enfants en situation de handicap, sont cinq à six fois plus souvent victimes de violences. Il s’agit donc des personnes les plus vulnérables, ne pas venir à leur secours serait inhumain. Par ailleurs, les risques de précarité, de marginalisation et de discrimination sont élevés.

Une fille sur cinq qui a subi des violences sexuelles. Il conviendrait de commencer par l’identification des victimes sans attendre qu’elles portent plainte, ce qui pourrait prendre des dizaines d’années si ce n’est plus, en particulier pour celles qui souffrent d’amnésies traumatiques.

Les troubles psycho-traumatiques sont peu connus et loin d’être dépistés et pris en charge. Les médecins n’y sont pas formés au cours de la formation initiale. Alors que les psycho-traumatismes représentent une part importante des pathologies de leurs patients, les psychiatres n’y sont pas non plus sensibilisés.

Il s’agit d’un problème de santé publique majeur. Non seulement le psycho-traumatisme n’est pas pris en charge mais il est souvent retourné contre les victimes pour les mettre en cause. En effet, les symptômes universels du psycho-traumatisme comme la sidération, la dissociation, la mémoire traumatique, les conduites à risque, les conduites dissociantes sont utilisés pour mettre à mal la crédibilité.

Ce constat peut être élargi à toutes les instances. Je travaille, par exemple, avec la chaire internationale Mukwege et M. Denis Mukwege lui-même, au niveau de la cour pénale internationale. Je relève qu’aucune plainte pour violences sexuelles en situation de conflit n’y a abouti.

Pourtant, les troubles psycho-traumatiques peuvent être des preuves médico-légales. Encore faudrait-il que les experts les connaissent et qu’elles soient prises en compte. Pour dépister les victimes, la Haute autorité de santé (HAS) recommande un dépistage systématique des violences pour les adultes et les enfants. Ce dépistage systématique doit être fait par les professionnels de santé, ce qui n’est pas toujours le cas. Il doit également prendre en compte le psycho-traumatisme afin de mieux évaluer le danger encouru par la victime.

Avoir subi des violences sexuelles génère un état de choc traumatique immédiat et des atteintes neurologiques très importantes. Il s’agit donc d’une urgence médico-psychologique. Or, selon les dernières enquêtes VRS, moins de 5 % des victimes de violences sexuelles sont examinées en urgence. Il y a deux facteurs explicatifs : les victimes ignorent l’urgence de cette consultation, il n’existe aucune campagne d’information ni de parcours de soins prévu.

Plus grave encore, même lorsque les victimes sont vues en urgence, moins de 10 % des examens à réaliser sont effectivement effectués. Les victimes étant souvent en état de choc, il faut traiter le stress, les atteintes physiques et les infections sexuellement transmissibles. Il convient également de prévenir les risques de grossesse d’autant que 10 à 20 % des victimes tombent enceintes à la suite d’un viol. Les conséquences sont graves.

Si le trouble psycho-traumatique est pris en charge rapidement, dans les 12 heures qui suivent le traumatisme par exemple, nous pouvons éviter des conséquences graves sur la santé. La non prise en charge constitue une grande perte de chances. Au contraire, si le psycho-traumatisme est traité sans délai, nous pouvons éviter des vies brisées. En traitant ces traumatismes dix à trente ans plus tard, nous laissons les victimes survivre dans des conditions terribles. Elles font alors face à un continuum de violences avec des conséquences psycho-traumatiques lourdes. Elles peuvent développer des stratégies de survie sous la forme de conduites dissociantes ou des mises en danger par exemple. Il n’est pas rare que les victimes développement des conduites addictives qui ont des conséquentes lourdes sur la santé et qui leur sont reprochées par les tiers. On ne devient pas alcoolique ou toxicomane sans raison. Ces conduites sont souvent liées à des traumatismes profonds. En ce sens, l’absence de prise en charge du psycho-traumatisme à tous les niveaux, constitue donc une perte de chance considérable et incompréhensible pour les victimes.

En 2016, j’ai été auditionnée par le Parlement belge à propos de la convention d’Istanbul dans l’objectif de mettre en place de centres de prise en charge des victimes de violences sexuelles. En 2017, ces centres ont été ouverts, actuellement ces centres spécifiquement dédiés aux victimes de violences sexuelles sont au nombre de sept. C’est donc faisable ! Pourtant en France, ce type de centres n’existe pas. Les centres de psycho-traumatisme ne sont pas spécialisés, alors que le psycho-traumatisme sexuel fait partie, avec la torture, des pires traumatismes. En ce sens, il nécessite une prise en charge médico-légale spécifique. Il ne peut donc être mélangé avec d’autres types de traumatismes comme les accidents de voiture ou les deuils traumatiques par exemple, comme le dit la convention d’Istanbul.

Cette convention que nous avons ratifiée en 2014, préconise un centre par bassin de 200 000 habitants doté de personnel formé. Il serait alors possible d’entourer et de secourir les victimes en évaluant le danger et le psycho-traumatisme. Ces centres faciliteraient la prise de plaintes dans de bonnes conditions ce qui est difficile lorsque la victime est en état de choc traumatique. Comme l’expliquait Mme Giulia Foïs, les victimes oublient 80 % des évènements pourtant essentiels pour la procédure.

Dans le cerveau, il y a une déconnexion au niveau de l’hippocampe qui brouille les repères spatio-temporels. Il y a une dissociation traumatique qui anesthésie émotionnellement les victimes, elles sont anesthésiées, dissociées – c’est de la survie. Les victimes ne ressentent plus la douleur et les émotions, elles ne peuvent ainsi pas identifier la gravité du psycho-traumatisme. Malgré les échelles d’évaluation, si nous ne tenons pas compte de la dissociation, nous ne pourrons pas évaluer le danger qu’encourt la victime. Nous ne pourrons pas lui poser les bonnes questions afin de mieux appréhender ce qu’elle a subi et ce qu’elle traverse.

Par ailleurs, les expertises psychologiques peuvent être éloignées de la réalité puisque les experts n’ont pas d’obligation de formation au psycho-traumatisme. C’est pourquoi, je propose aux magistrats de préférer l’expertise en psycho-traumatologie à l’expertise psychiatrique. En psycho-traumatologie, nous avons une échelle d’évaluation du traumatisme pour les personnes en situation de handicap, pour toutes les personnes vulnérables et pour celles qui ne parlent pas le français. Nous faisons des modules de formation, y compris en lien avec le comité interministériel du handicap.

Le psycho-traumatisme est ainsi un fil rouge qui nous anime tant au niveau national qu’international, à l’organisation mondiale de la santé (OMS) ou la CPI. Par ailleurs, je travaille sur un projet validé par l’Agence nationale de la recherche sur le sujet des violences sexuelles et de l’enfance en guerre. Sur ce sujet, la situation est catastrophique. Les femmes, les enfants et les personnes en situation subissent de nombreuses discriminations.

En 2022, quatre inspections générales dont l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) ont établi un rapport commun sur les procédures judiciaires. Il revient sur les lacunes des enquêtes qui entraînent de nombreux classements sans suite, parfois sur un simple appel entre l’enquêteur et le procureur sans se baser sur le dossier. Malheureusement, ce rapport n’est pas public aujourd’hui.

Mme Marie-France Casalis. Au collectif féministe contre le viol (CFCV), nous échangeons directement avec les victimes qui, sous la protection du téléphone, nous sommes en direct avec les victimes de viol qui nous appelle et qui sous la protection du téléphone, ne risquent pas d’être vues et sont libres de raccrocher si et quand elles le souhaitent.

Parmi les nombreuses difficultés que posent les plaintes pour viol, la première d’entre elles porte sur le moment de la plainte (« à quel moment elles portent plainte ? ») ainsi que l’accompagnement dont elles pourront bénéficier. Les unités médico-judiciaires s’intéressent particulièrement au moment de l’urgence afin de trouver des preuves, des fluides biologiques afin d’effectuer le constat. Or, à ce moment, les victimes ne sont pas en mesure de se confier.

Il y a, toutefois, des progrès : désormais certaines UMJ conservent le recueil des preuves biologiques jusqu’à ce que la personne porte plainte. Il s’agit là d’un réel progrès qui devrait être accessible dans toute la France et mieux diffuser l’information. Ce délai permet aux victimes de retrouver leur capacité à relater les faits. Le CFCV aide les victimes à mettre des mots sur les faits, à sortir de la sidération et de l’horreur de telle manière qu’elles puissent porter plainte si elles le souhaitent.  

J’entends également de nombreuses critiques concernant les services de police. Au CFCV, nous considérons que les services de police se sont améliorés en particulier grâce à la création du tchat police. Il permet aux victimes d’écrire aux forces de police avant d’être contactées et reçues au commissariat ou à la gendarmerie par des volontaires. Selon nous, la principale difficulté pour les professionnels tels que les médecins ou les policiers réside dans leur surcharge de travail qui permet difficilement aux victimes de parler. Elles devraient pouvoir être mises en contact avec des professionnels volontaires pour traiter ce type de dossiers et écouter des victimes en état de choc. Notre plateforme téléphonique remplit précisément cette fonction.

À propos de la définition pénale du viol, je représente les personnes qui sont profondément contre l’introduction du mot « consentement » dans la loi. La notion de consentement est-elle utilisée pour d’autres crimes ? L’acte sert à définir le crime. Le meurtre, par exemple, est défini par le fait de donner volontairement la mort à autrui, sans qu’il soit besoin de demander si autrui y consentait ou non.

La difficulté réside dans la capacité de l’auteur à extorquer le consentement. Il pourra alors dire « elle a consenti » en l’ayant enregistré par exemple. Violence, contrainte, menace ou surprise permettent de couvrir de nombreux cas de figure. Il conviendrait de mieux chercher ces quatre éléments. Or, dans les affaires judiciaires, le mis en cause est davantage écouté que la partie civile. Selon nous, il reste des progrès sur la procédure pénale et notamment l’audition des victimes lorsqu’elles portent plainte. Dans le bureau du juge d’instruction, en cas de confrontation, les victimes ont du mal à parler. La suppression des confrontations constituerait un véritable progrès pour les victimes.

En revanche, pour nous, l’introduction du consentement dans la définition pénale du viol ne constituerait pas un progrès. Une chercheuse écrivait que « céder n’est pas consentir ». D’abord, le mot consentement supposerait que l’homme serait toujours celui qui proposerait. La définition du Code pénal s’est élargie, s’est affinée, ce que nous saluons. Cependant ce terme de consentement suscite des craintes, en particulier une focalisation sur le consentement, un terme vague, qui peut être extorqué par l’auteur.

Il nous semblerait donc plus pertinent de se focaliser sur la stratégie d’un bon agresseur. La préoccupation d’un agresseur efficace est d’obtenir ce qu’il cherche sans être pris. Il va ainsi mettre en place différents stratagèmes pour y parvenir : isoler la victime, la traiter comme un objet. La femme sera alors dépossédée de son corps. Les auteurs de viol ne sont pas seulement des inconnus dans la rue, ce sont également des maris, des pères, etc. Un agresseur humilie, critique, dénigre, moque, insulte et affaiblit une victime, en particulier dans les relations conjugales. Tout ceci détruit et abîme.

Nous employons souvent l’image de « la citerne d’estime de soi », c’est-à-dire un capital précieux qui se construit pendant l’enfance : une citerne grande et bien bâtie se remplit lorsqu’il pleut et contient encore de l’eau à la saison sèche. En revanche, certaines personnes sont dotées de citernes peu ou mal remplies. Dans ces cas de figure, il suffit que le conjoint violent soit occasionnellement gentil pour que la victime accepte et tolère des comportements abusifs.

Par ailleurs, il s’agit de crimes punis sévèrement, l’auteur tente d’inverser la culpabilité et de transférer la responsabilité de la violence vers la victime en se dédouanant. Il dira par exemple : « elle m’a provoqué », « elle souhaitait que je fasse ça » ou alors « avec ce que j’ai subi étant enfant, moi je ne me rends pas compte ». Les agresseurs utilisent donc toutes sortes de mécanismes afin de faire croire à la victime qu’elle doit assumer la charge de l’infraction.

L’auteur tente également d’instaurer un climat de peur et d’insécurité. Nous n’imaginons pas la puissance de la peur qui représente une télécommande dans l’esprit des victimes. C’est ce qui les empêche, lors de la plainte, de raconter tous les éléments les plus directs et les plus pénibles. Lors de l’audition, il empêche également les victimes d’exprimer leur désaccord avec la version de l’agresseur ou de contester un classement sans suite.

Pour finir, le viol est un acte grave, les peines sont lourdes. C’est pourquoi, les violeurs tentent de garantir son impunité. Pour ce faire, il recrute des alliés et organise une atmosphère qui contribuera à verrouiller le secret en dissuadant la victime de parler. La victime pense que si elle parle, elle ne sera pas crue. se dit que si elle parle, personne ne la croira. Si elle parle, on pourrait lui poser des questions auxquelles elle ne saura pas répondre. Si elle parle, elle s’engage dans une procédure qui durera cinq, peut-être six, voire sept ans. Il lui sera par ailleurs proposer de traiter sa plainte comme un délit en lieu et place d’un crime afin de gagner du temps.

Au CFCV, nous écoutons les victimes, qui sont de plus en plus jeunes, à qui nous donnons la parole grâce à la CIVIISE. Les hommes sont également victimes de viol. D’ailleurs, nous entendons au procès de Mazan à quel point ces violences sexuelles dans l’enfance les ont abîmés. C’est une réalité – mais elle ne les autorise pas pour autant à s’en prendre aux autres. Ce cycle de la violence nous démontre que nous n’avons pas entendu ces enfants.

Nous nous réjouissons des progrès effectués, en particulier pour les jeunes. Évidemment nous nous désolons qu’elles aient subi des viols mais nous saluons qu’elles puissent aujourd’hui en parler.

Mme la présidente Véronique Riotton. À titre personnel je suis ravie, car au-delà de la posture du Collectif féministe contre le viol, de se situer contre l’inscription du consentement, je vois que nous convergeons sur tous les objectifs que vous avez indiqués. Cela me montre ainsi un chemin de convergence.

Mme Anaïs Defosse. Je vais tâcher de dresser de manière non-exhaustive les difficultés rencontrées par les victimes de violences sexistes et sexuelles tout au long de ce long parcours judiciaire.

Première étape, la plainte. Je vais être didactique, mais je vais essayer de vous expliquer sous mon prisme d’avocate comment cela se passe. La plainte, c’est déjà passer la porte d’un commissariat ou d’une gendarmerie. Je me souviens de la dernière porte que j’ai passée pour assister une victime, le guichet d’accueil était à moins de deux mètres des chaises pour attendre. Quand on se présente, la question qu’on nous pose c’est « Pourquoi vous venez ? ». Imaginez-vous : « Bonjour, je suis Madame X et je viens pour viol ». C’est la première difficulté.

La deuxième difficulté, c’est la personne qui réceptionne la plainte, le plaintier ou la plaintière du jour. Le plaintier ou la plaintière du jour n’est pas nécessairement formé sur la prise en charge des victimes de violences sexistes et sexuelles. Il peut prendre en charge le même jour une plainte pour vol de vélo.

Ensuite, une fois que cette étape a été franchie, la plainte atterrit enfin dans le service dit compétent. Je vais parler de Paris parce que c’est l’endroit que je connais le mieux. À Paris, il y a trois services : la brigade de protection des mineurs (BPM) pour les victimes qui étaient mineures au moment des faits ; la brigade locale de protection des familles (BLPF) lorsque les viols ou agressions sexuelles ont un lien de conjugalité et la police judiciaire lorsque le viol n’a pas de lien de conjugalité. Trois services différents, trois méthodes de travail différentes, trois moyens d’investigation différents et du budget et des personnels qui sont différents. Pour autant, nous parlons bien de la même chose. Nous parlons a minima de viol dans les trois services, donc de crimes, le traitement devrait être identique. Vous aurez, je pense, compris que nous n’allons pas travailler de la même façon et être formés de la même façon lorsque l’on travaille en police judiciaire où l’on est déjà au quotidien dans le traitement des matières criminelles, que le commissariat doté d’une BLPF ou que la BPM. Troisième difficulté.

Ensuite, j’ai regardé combien de personnels il y avait en moyenne dans les BLPF où je suis allée et j’ai retracé tous les dossiers que j’avais. En moyenne, j’ai vu trois fonctionnaires, maximum sept par BLPF. Sachant que les BLPF suivent toutes les violences intrafamiliales, pas uniquement les viols conjugaux. Cela nous donne une idée, de manière pratique à Paris, des moyens mis en place pour traiter ce phénomène d’ampleur. Selon moi, c’est un des constats qu’on partage toutes aujourd’hui.

Nous avons aussi des outils que nous n’utilisons pas, par exemple pour les auditions de mineurs on connaît le « protocole Mélanie » (les salles d’audition spécialisées) puis on connaît les protocoles d’audition spécialisés, notamment le « protocole Nietzsche » qui permet de poser les questions d’une certaine façon. Cependant, je ne les vois utilisés dans quasiment aucun dossier. Sachant que ce protocole est notamment recommandé pour les enfants âgés à partir de 4 ans, victimes mais aussi témoins de violences, ce qui est intéressant dans les dossiers qui nous occupent, notamment de viols conjugaux.

Dire que nous allons agir de manière concrète dès le début et dès la plainte c’est aussi permettre aux victimes d’être assistées, dès la plainte. L’aide juridictionnelle ne fonctionne pas au stade de la plainte, cela n’existe pas. Puis, il est nécessaire de penser à revaloriser les unités de valeur, car derrière ces dossiers il y a des petits cabinets d’avocates et d’avocats, où il y a essentiellement des femmes. Il s’agit alors d’un cercle vicieux. Tant que nous serons mal rétribués, ce sera difficile.

Deuxième étape : les unités médico-judiciaires. Je vais volontairement faire l’impasse car Dr Salmona en a parlé sur les constatations plus somatiques, plus physiques. Je vais parler des constatations psychiques. Aux unités médico-judiciaires, le dernier dossier datant d’il y a moins de 15 jours, a reçu une date pour l’évaluation psychologique en novembre 2025 à Paris. Un an d’attente pour pouvoir évaluer le retentissement psychologique d’une femme victime de violences intrafamiliales. En ce moment, on nous propose en compensation des expertises faites par des psychiatres dans les locaux du commissariat. Elles durent 45 minutes, comme vous pouvez le voir dans le dernier rapport qui est entré dans un de mes dossiers. Aucun outil psychométrique utilisé, ce n’est que donc que l’entretien. Il s’agit d’un dossier de violences intrafamiliales évidemment. Il chiffre l’ITT (Incapacité totale de travail) et nous dit : « Il est difficile de statuer sur une ITT chiffrée qu’il convient, en tout cas d’interpréter à l’aune des réserves exprimées : possible dimension interprétative du sujet, maintien d’une relation de location avec le mis en cause lors de l’expertise. Nous ne pouvons donc proposer trois jours ». Ainsi, tout au long de son rapport qui fait sept pages, il s’est interrogé sur pourquoi ma cliente n’était pas partie. Donc, pour compenser l’année de délai actuellement aux UMJ à Paris, on nous propose ce type d’expertise. J’en souris un peu et je vous le dis de manière presque ironique, mais c’est dans le dossier pénal et c’est important pour l’audience.

Troisième étape : la décision du parquet. Reprenons le chiffre de 85 %. Je voudrais, avant de vous donner les chiffres sur le classement sans suite, vous dire ce qui ne fait pas partie des statistiques. Dr Salmona, vous l’avez rappelé tout à l’heure, il y a celles et ceux qui ne déposent pas plainte mais il y a également les plaintes pour les viols conjugaux. Dans la trame d’audition qui est utilisée par les services de gendarmerie et de police, il y a ce questionnement systématique. On balaye tous les types de violences dont les violences sexuelles. Il y a quatre questions qui sont posées sur les violences sexuelles pour essayer de comprendre avec la définition actuelle si Madame se reconnaît dans cette définition. C’est une première problématique. Lorsqu’on me lit la définition, je ne suis pas sûre que beaucoup de personnes s’y reconnaissent.

Une fois que la réponse est positive, que Madame arrive tout de même à se reconnaître dans les questions qui lui sont posées, la plupart des dossiers ne sont pas traités. Nous allons traiter tout le reste : les violences physiques, potentiellement les violences psychologiques, peut-être que nous allons parler de violences habituelles. Les viols conjugaux arrivent au parquet, avec le même document, mais ce ne sera pas lu de la même façon, nous fermons les yeux et nous n’ouvrons aucune investigation sur le sujet. Ce n’est pas dans les statistiques, il n’y a pas de classements sans suite, ce n’est pas traité tout court.

Ensuite, dans les classements sans suite, il y a potentiellement plein d’interprétations à donner, notamment le texte tel qu’il est rédigé aujourd’hui. Il y a également le faisceau d’indices, notion dont nous entendons peu parler. Nous parlons souvent de charge de la preuve, je l’ai entendu hier quand le garde des Sceaux s’est exprimé, je l’entends à nouveau aujourd’hui. Il y a quand même un grand principe selon lequel le faisceau d’indices peut être utilisé. Évidemment, ce serait plus simple dans tous les dossiers d’avoir des preuves physiques, des traces de violences, potentiellement un ADN, que la preuve soit prise immédiatement ou bien d’avoir des vidéos, des reconnaissances. Ceci ne représente pas la majorité de nos dossiers.

Pourtant, il y a plusieurs démarches à entreprendre. La téléphonie par exemple. Je partage l’analyse de Madame Casalis, s’il y a des choses qui évoluent positivement, c’est le cas de la téléphonie, de la recherche informatique. Il est en revanche difficile d’additionner le tout : où le mis en cause a déjà travaillé, avec qui il a déjà été en contact, quelles ont été ses précédentes relations. Dans toutes ces données, si nous cherchons, nous trouvons trouve des éléments : c’est le faisceau d’indices. Les dossiers devraient être traités de cette manière. Alors évidemment tant que rien ne sera réformé ce sera compliqué d’avoir des moyens d’enquêtes qui évoluent. Aujourd’hui, nous devons rechercher s’il y a : menace, contrainte, violence, surprise. Il y a des choses que nous n’allons pas chercher car le législateur ne le demande pas.

Par ailleurs, les classements sans suite ne sont quasiment jamais notifiés. Les victimes ne les reçoivent presque jamais. Ils ne sont pas motivés, puisque ce n’est pas une obligation légale, ce n’est pas une décision de justice en tant que telle. Elles ne sont pas expliquées non plus, c’est à nous de le faire. Dans nos cabinets, nous devons expliquer des décisions que nous n’avons pas prises. De plus, il est difficile d’obtenir une copie du dossier pénal. J’essaie d’avoir un dossier qui est à l’archivage depuis un an et on me dit régulièrement qu’on tente de le désarchiver. Je ne l’ai toujours pas entre les mains. Or, tant que je n’ai pas le dossier pénal, je ne peux pas passer l’étape d’après : déposer une plainte avec mention partie civile devant la doyenne ou le doyen des juges d’instruction en espérant qu’une instruction soit ouverte, ce qui est normalement le principe en matière criminelle. C’est le code de procédure pénale qui le prévoit. C’est l’autre difficulté.

La difficulté est aussi qu’il faut une démarche proactive de la victime. Il faut qu’elle aille déposer sa plainte avec mention de partie civile. Il faut ressortir le dossier, le lire, voir ce qui n’a pas été fait, ce qui n’a pas été bien interprété. Il faut également rédiger un écrit, le déposer, consigner une somme d’argent si on ne perçoit pas l’aide juridictionnelle et attendre en moyenne encore un an pour qu’un ou une juge d’instruction soit désigné et espérer que l’enquête démarre.

L’instruction, quatrième étape. Je dois concéder que ce n’est pas ce qui se passe le plus mal. Quand l’instruction ne débute pas parce que nous avons été proactives, nous sommes déjà confiantes. Nous avons dépassé le seuil du parquet, les statistiques nous donnent raison. Cela ne règle pas tout mais ce n’est pas là que les statistiques sont les plus mauvaises. Première difficulté : si des actes d’enquêtes n’ont pas été faits avant, tout n’est pas rattrapable. La téléphonie, l’informatique ont un temps, une durée de vie limitée, nous ne pouvons pas l’exploiter comme nous le voulons. Comme les vidéosurveillances, elles ne sont pas exploitables à l’infini dans le temps.

Selon moi, les plus grandes problématiques à l’instruction sont les expertises. Vous en avez dit un mot Dr Salmona, il y a peu d’experts formés à ce qu’est le psycho-traumatisme. Il y a donc des catastrophes en rapports d’expertise qui mettent en danger les dossiers car les mécanismes psychiques en jeu ne sont pas du tout compris et donc pas abordés, pas expliqués. Je prends l’exemple de la sidération. Si personne ne l’explique dans un rapport d’expertise, elle ne peut pas être utilisée dans le dossier. Ce n’est pas mes connaissances personnelles, les connaissances personnelles du magistrat ou de la magistrate, que nous allons pouvoir l’utiliser. Nous avons besoin des experts et des expertes qui expliquent concrètement les mécanismes qui sont en jeu et qui dans un second temps nous expliquent leur incidence.

Nous avons aussi suffisamment dit que le budget était un sujet. Je me suis permise de demander à un expert sa rémunération pour réaliser ces missions. Il m’expliquait que pour la garde à vue et le temps de l’instruction, ils perçoivent environ 373 euros s’ils font partie du personnel hospitalier et 425 euros s’ils sont en libéral. Ils doivent se contenter de cette rémunération pour recevoir longuement une victime, la revoir plusieurs fois si le dossier est plus compliqué qu’un autre, rédiger le rapport et puis à terme le déposer devant une juridiction.

Cela rejoint la question de la définition. J’ai pris un dossier pour essayer de vous montrer les problématiques du moment. C’est un dossier qui n’est pas terminé, je l’ai choisi car il est récent et bien dans le débat actuel. Ce dossier est à l’instruction, il s’agit de violences habituelles : menaces de mort, dégradations et viols conjugaux. Dans ce dossier, à deux étapes différentes de la procédure d’instruction, le parquet a été amené à donner son positionnement dans le dossier. Le premier dans l’instruction, puis le second dans la chambre de l’instruction (l’institution au-dessus lorsque des décisions du juge ou de la juge ne conviennent pas tout à fait). Donc, deux procureurs faisant partie de la même institution mais deux personnes différentes qui ont remis deux avis différents. Cet exemple illustre à quel point la définition est problématique, si dans un même dossier au sein de la même institution il y a des avis fondamentalement différents.

Je vais vous lire les deux avis. Le premier : « Madame a indiqué que les rapports sexuels consentis étaient marqués par des insultes, des crachats, des gifles et des pratiques régulières de la sodomie ». En réalité, elle n’a pas tout à fait dit ça. « Il en découle que la dimension brutale décrite par la partie civile dans les rapports non consentis était habituellement présente dans leurs relations et voulue par les deux membres du couple. Ces éléments sont donc insuffisants pour caractériser une contrainte ou un élément non-intentionnel ». À l’issue de ceci nous avons réussi à convaincre la juge d’instruction de rendre une ordonnance pour poursuivre l’accusé, qui a alors fait appel.

Nous sommes donc allés devant la chambre de l’instruction où le parquet a émis un avis différent de son collègue : « Si Madame ne conteste pas que certaines des relations sexuelles consenties avec Monsieur ont pu être accompagnées d’un commun d’accord de claques et de propos hors contexte pouvant être considérés comme insultants, Madame décrit précisément des actes de pénétration sexuelle sous la violence et la contrainte de Monsieur. Ainsi, elle décrit le processus par lequel elle ne peut que, contrainte, laisser son compagnon disposer de son corps car convaincue qu’elle est responsable de la violence que Monsieur lui fait subir et qu’en tout état de cause, à défaut de se soumettre, elle va subir sa violence verbale et physique ». C’est évidemment ce que nous soutenions. La définition actuelle permet alors ces interprétations modulables, notamment de la notion de contrainte qui n’est pas définie, il est possible d’y mettre ce que nous souhaitons. C’est tout pour l’instruction. Je mets de côté volontairement la phase de jugement, mais je pourrais répondre à toutes vos questions, notamment sur les cours criminelles si vous souhaitez être éclairées.

Je voulais brièvement traiter de la procédure d’indemnisation dont nous ne parlons jamais. J’ai lu de manière attentive les 140 propositions de la coalition féministe. La proposition 105 sur la une barémisation de l’indemnisation des victimes de violences sexuelles pour faciliter leurs démarches m’a choquée. En réparation du dommage corporel, nous nous sommes battus pour arriver à la réparation intégrale du préjudice et à l’individualisation de l’indemnisation, parce que chaque situation est différente. De même, les répercussions d’un viol d’une personne à l’autre ne sont pas les mêmes. C’est ce qu’il faut continuer d’évaluer convenablement avec de bons experts. Comme pour une personne accidentée physiquement, à avoir une juste et intégrale réparation de l’ensemble de ses préjudices. Mme Adelaïde Bon avait écrit dans La petite fille sur la banquise qu’elle avait été choquée de ne pas valoir plus qu’un véhicule d’occasion. Ne lui donnons pas raison et ne proposons pas de barémisation de l’indemnisation.

Sur la définition, je voudrais répondre à ce qui a été dit. Moi aussi, je suis d’accord pour dire que nous ne souhaitons pas simplement l’insertion de « non consenti » dans le texte. Il est hors de question que l’on insère « non consenti » entre deux virgules. Il est nécessaire de définir le consentement. Aujourd’hui il est partout, dans tous les dossiers, dans la société civile. Le procès de Mazan nous donne encore une illustration, nous ne pouvons pas faire sans. Cela avait été évoqué dans les débats pour la loi de 1980, puis avait finalement disparu du débat. La question aujourd’hui est de définir le consentement : il doit être libre, il doit être explicite, il ne doit pas pouvoir être donné à l’avance, il peut être retiré à tout moment. Il doit être donné à la fois sur le principe du contact sexuel mais aussi sur le contenu du contact sexuel, comme le port du préservatif.

Il est nécessaire de détailler les cas dans lesquels il ne peut jamais y avoir de consentement, où nous retrouvons les critères de violence, contrainte, menace ou surprise qu’il ne faut surtout pas sortir du texte pour des questions de sécurité juridique. Nous pourrions ajouter ici l’inconscience. Certains pensent qu’avec la surprise, l’inconscience n’est pas nécessaire. Pourtant, quand nous regardons le procès de Mazan, cela ne fera pas taire la défense, elle sera toujours libre des propos qu’elle tiendra à une audience, quoi qu’elle dise. Mais, pour autant, s’il y avait dans le texte aujourd’hui l’inconscience, cela marquerait la fin de ce dossier.

Il faut expliciter. Ce consentement doit s’apprécier en fonction des circonstances personnelles, des circonstances environnantes - selon la formule prévue par la Convention d’Istanbul -, des circonstances coercitives. Il est important de se pencher sur ce point. Dans le texte, nous pourrions prévoir ces circonstances coercitives, ce contexte qui pourrait déterminer en quoi il y a eu absence de consentement libre, explicite et éclairé. Nous pourrions reprendre les circonstances aggravantes prévues aujourd’hui : la vulnérabilité, les ascendants, les rapports d’autorité… Nous pourrions aussi ajouter la dépendance économique, les violences conjugales, avec le débat actuel sur le contrôle coercitif. Le jour où nous maîtriserons cette notion de contrôle coercitif, il sera beaucoup plus facile de juger les viols conjugaux, mais aussi les violences sur mineur, où une victime céderait pour protéger son enfant. Tout ceci peut être ajouté et expliqué dans le texte.

Cela ne va pas inverser la charge de la preuve, ce sera toujours au parquet d’apporter la preuve. En revanche, il y aura des changements sur la manière de voir les choses, de mener les enquêtes : nous allons d’abord vérifier si le mis en cause a recherché le consentement. Nous verrons que, dans la plupart des dossiers, ce n’est pas le cas et l’affaire sera facilement jugeable. S’il l’a recherché, il faudra voir comment il l’a recherché et de quoi il a tenu compte, comment il a vérifié que ce consentement était bien libre et éclairé. Même quand Madame aurait fini par dire oui, cette démonstration fonctionne. Ce n’est pas parce qu’elle a dit « oui » qu’il n’y a pas de viol ou d’agressions sexuelles. Il faudra se pencher sur pourquoi a-t-elle dit oui, dans quelles conditions a-t-elle dit oui ? Est parce qu’elle était dépendante économiquement de Monsieur, ou dans un rapport de hiérarchie avec Monsieur, ou bien parce qu’elle subit régulièrement des coups ?

Cela permettra encore plus, Mme Casalis, de mettre en lumière les travaux des féministes sur la stratégie de l’agresseur. Nous parlons bien le même langage. À mon sens, il y a une vraie différence entre le consentement subjectif en lien avec la sexualité et le consentement objectif, objectivable, qui va orienter la définition. La différence est ici. Le consentement subjectif, la sexualité, et le consentement objectif, la violence, sont différents. Il est alors clair que les agressions sexuelles et les viols relèvent de la violence.

Mme Sarah Legrain, députée. Je pense qu’il y a un accord sur le fait que si nous inscrivons le consentement, ou pas, dans la loi, en aucun cas nous serons exonérés de tout ce qu’il reste à faire, notamment sur question de la victimisation secondaire.

Sur la question de la victimisation secondaire, j’ai l’impression qu’il n’y a rien dans les annonces qui ont été faites par le gouvernement. Dans cette salle, sont présentes uniquement des parlementaires profondément intéressées par la question. J’aurai cependant aimé que le garde des Sceaux soit présent pour qu’il entende ce que vous avez à dire sur la question de l’institution judiciaire.

Quelles mesures sont prises face à la violence de l’institution judiciaire ? Évidemment, plus de moyens, plus de formation, mais il faut aussi réfléchir à comment nous pensons notre justice et comment nous pouvons faire advenir la question de la sécurité des victimes au sein de la justice ? J’ai l’impression que ce sujet-là n’est pas encore traité alors que nous en parlons au sein de la Délégation.

J’ai déposé une proposition de résolution, soumise à la signature de tous mes collègues, pour enjoindre le gouvernement, notamment dans le contexte des plaintes à la CEDH. Quelles seraient les implications de ces plaintes pour le gouvernement ? Quelle serait la bonne réaction du gouvernement s’il y avait une condamnation de la France car nous n’avons pas respecté les droits de l’homme, les droits des victimes ?

J’ai un second point. Je ne sais pas si vous avez eu l’occasion de voir qu’un ministre vient de s’exprimer violemment contre la question de l’éducation à la sexualité. Vous l’avez abordé rapidement lorsque vous avez parlé de détection. La lutte contre la culture du viol passe par l’éducation à la sexualité qui est l’un des espaces. Qu’avez-vous à répondre à Monsieur Portier qui vient d’alimenter tous les pires stéréotypes, fake news qu’il y a sur l’éducation à la sexualité ? Il énonce qu’il s’agirait du royaume du wokisme, du militantisme. Il dit notamment : « Les parents sont et doivent rester toujours les premiers éducateurs de leurs enfants, en particulier dès lors que l’on touche à ce qu’il y a de plus intime et de privé chez l’être humain ». Ensuite, il ajoute : « Il faut quand même faire de la prévention des violences ». Une réaction sur ce sujet puisqu’il n’a pas été abordé ?

Dernier point, sur le consentement. Je crois qu’il y a quelque chose qui réunit tout le monde, toutes les féministes, c’est qu’il est hors de question de mettre dans la loi le consentement sans le définir. Si nous essayons de voir le point d’accord - c’est ce que nous avons dit au garde des Sceaux - nous avons à cœur que ce soit protecteur pour les victimes. Il faut que ce soit entendu : personne ne pourra se satisfaire, ni les « pour » ni les « contre », de « consenti » sans définition.

Vous êtes rentrées dans le détail ici. Nous avions déjà travaillé ensemble avec Mme Lafourcade à mon amendement à mon texte qui déjà couvre un certain nombre de sujets. Pour moi, le mettre à l’ordre du jour était une sorte de corde de rappel, car nous ne savons pas quel gouvernement nous aurons demain. Il s’agissait également de dire que le consentement ne peut pas rentrer dans la loi de façon non définie. Nous pouvons regarder la meilleure manière de bien le définir. Quelles sont pour vous les lignes rouges à ne pas dépasser ?

Mme Andrée Taurinya, députée. Je voulais préciser que la Convention d’Istanbul ne donne pas une injonction pour intégrer la notion de consentement dans la définition du viol. Ce n’est pas une injonction. Elle précise que les parties qui signent cette convention peuvent décider de la formulation exacte de la législation et des facteurs considérés comme exclusifs d’un consentement libre. Donc, le non-consentement étant appréhendé au travers des critères de violence, contrainte, menace ou surprise, ce n’est pas parce qu’il n’y a pas le mot consentement dans la loi pénale que cette même loi française va à l’encontre des prescriptions internationales.

Pour moi consentir, c’est accepter de mauvaise grâce. C’est la définition, je suis professeure de lettres de formation. Il me semble donc que ce terme ne convient pas et qu’il est encore l’expression des lois patriarcales qui font que, les femmes sont à disposition des hommes. Ne peut pas donc pas leur être reconnu le simple fait de désirer, mais uniquement de consentir.

Je m’adresse à vous Mme Salmona. Pourriez-vous nous préciser, dans le cadre d’un traumatisme ancien, s’il pourrait y avoir un consentement plusieurs années après donné parce qu’un épisode douloureux qui a été oublié, qui est passé complètement dans l’inconscient et qui ressurgit et nous fait consentir ?

Ensuite, siégeant à la commission des lois, nous avons beaucoup travaillé lors des précédentes réformes de la justice avec l’ancien ministre M. Dupont-Moretti. Nous avons demandé des moyens humains, plus de formation. S’il y a beaucoup de classements sans suite c’est aussi parce qu’il n’y a pas assez d’enquêteurs, il n’y a pas assez de moyens humains pour accompagner ces victimes ? Vous avez dit, Mme Casalis, qu’il fallait du temps. Or, nous sommes dans une société avec un gouvernement pour lequel « le temps, c’est de l’argent ». Toutes ces questions doivent être reposées.

Dernière question. Je pense que ce dont les victimes ont besoin, d’après ce que j’entends, c’est d’être reconnues comme des telles, de ne pas être méprisées, de ne pas être humiliées. Quelle justice pourrait réparer ces victimes ? Pensez-vous, par exemple, que la justice restaurative aurait du sens dans le cadre de ces dossiers ? Ces classements sans suite ne sont pas satisfaisants. Si ce n’est pas classé sans suite et que les auteurs sont condamnés, ils vont en prison. Or, aujourd’hui, les prisons sont surpeuplées et produisent de la récidive. Comment sortir de cette situation ? La justice restaurative pourrait être une piste pour faire en sorte que les auteurs de viol ne récidivent pas et lutter contre la culture du viol ? Les auteurs de viols qui vont en prison sont parfois eux-mêmes violés. Ce n’est pas parce qu’ils sont eux-mêmes violés qu’à la sortie de la prison ils vont cesser de violer. Nous sommes dans une spirale. Voyez-vous des méthodes alternatives à la prison pour lutter contre le viol ?

Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure. Pour répondre à ma collègue Mme Taurinya, consentir étymologiquement veut dire « être d’accord avec ». Nous pouvons donc espérer un consentement mutuel. Je pense que le patriarcat a changé le sens de la notion de consentement ; les agresseurs se le réapproprient dans nos tribunaux.

Mme Anaïs Defosse, si ce n’est pas le consentement, quel autre terme pourrions-nous utiliser ? Pourquoi sommes-nous si attachés à ce terme dans la définition ? Cela revient sur la suite des propos que vous vouliez développer sur la suite de la critique de la définition actuelle.

Mme Magali Lafourcade, nous parlons beaucoup de la formation des magistrats et on nous répond à tous les niveaux que, maintenant, ils sont tous formés. Mais quid de la formation initiale et de la formation continue ? Pourquoi le traitement est-il si dysfonctionnel dans ce pays, alors que #MeToo était il y a un certain nombre d’années maintenant et que les moyens de justice sont censés avoir augmenté ?

Mme Salmona, pouvez-vous insister un peu plus sur les impacts des traumatismes psychiques sur la capacité des victimes à témoigner ? Que ce soit les professionnels de justice, les forces de l’ordre mais aussi les professionnels de santé, que faisons-nous aujourd’hui pour améliorer la formation ? Comment nous assurer que les formations sont adaptées aux vulnérabilités des personnes différentes ? Vous avez parlé des personnes en situation de handicap, nous avons aussi évoqué la question des femmes en situation de migration, les personnes qui ne parlent pas français, les personnes plus précaires. Comment aller dans une intersectionnalité dans la formation pour pouvoir prendre en charge toutes les victimes de la même manière, avec la même dignité, la même compétence et la même expertise ?

Mme Marie-France Casalis, vous parlez de la difficulté de la confrontation. C’est une des mesures qui est portée dans la coalition féministe dans les 140 mesures. C’est la question que j’ai posée hier au ministre Migaud, il serait possible d’adopter par décret le fait que les confrontations ne sont pas obligatoires, sauf demande expresse de la victime. Pourriez-vous développer ce point ? Pourriez-vous aussi revenir sur la correctionnalisation, qui a été brièvement évoquée mais dont nous parlons peu.

Enfin, Mme Giulia Foïs, du poste où vous êtes aujourd’hui, pour passer de la culture du viol à la culture du consentement, quel rôle peuvent jouer les médias dans la construction de ce nouveau monde dont nous avons tous et toutes besoin et pour lequel nous nous battons chacune ici ?

Mme la présidente Véronique Riotton. J’ajouterai deux ouvertures. La première concerne également la formation. Vous dites que les professionnels ne sont pas formés, mais en réalité quelle est l’attractivité pour les professionnels de ce type de formation ? Quelle est la différence entre une bonne formation et une mauvaise formation ? Souvent, on nous dit qu’il y a des moyens, que les professionnels sont formés, mais que l’efficacité de la formation n’est pas prouvée.

Actuellement, nous voyons une forme d’accord sur le constat partagé, ce qui constitue un premier pas. Les objectifs sont concordants, nous sommes d’accord sur le fait que la réponse est à la fois une réponse technique et sociétale. Dans la réponse technique, nous sommes au travail, nous n’avons pas encore abouti. Dans la dimension sociétale, il me semble que le positionnement actuel des associations féministes qui sont contre est une incompréhension ; il n’est pas à la hauteur de la responsabilité qui est devant nous puisque nous avons les mêmes objectifs. À vous toutes, que faudrait-il - au-delà de partir de la parole des victimes qui est un levier - pour dépasser une forme de posture ? Puisque le constat est le même mais que la réponse peut être différente, que faudrait-il du point de vue sociétal pour arriver à rassembler sur une réponse commune ?

Mme Giulia Foïs. Nous sommes en droit d’attendre de la société dans son ensemble, compte tenu du courage dont font preuve les femmes (les ex-victimes, les militantes féministes) et toutes celles et ceux qui travaillent sur le sujet, compte tenu de ce travail de fond qu’ils mènent depuis tant d’années mais plus encore depuis #MeToo, qu’elle soit à la hauteur de la parole des victimes. Nous nous félicitons de voir que la parole se libère. Mais en réalité, si nous écoutons réellement le récit de ces femmes, elles ont toutes parlé depuis longtemps. L’enjeu est bien celui de l’écoute. En tant que journaliste, femme et ex-victime, j’attends a minima que nous soyons entendues et non considérées comme présumées menteuses à partir du moment où nous parlons.

Nous l’avons entendu avec Me Defosse tout à l’heure, quand nous voyons la difficulté de porter plainte, ce que nous endurons dans tout le parcours judiciaire, comment pouvons-nous encore entendre qu’il y a des plaignantes qui mentent et des fausses accusations ? Quel est l’intérêt pour une femme, compte tenu de tout ce qu’elle va subir au cours de cette procédure, de l’argent et de l’énergie qu’elle va dépenser, de la façon dont elle va être traitée, de porter plainte ? Il n’y en a aucun. Je crois qu’il faudrait donc plutôt partir du principe qu’à partir du moment où une femme porte plainte, a priori elle ne ment pas. Le problème, c’est qu’elle n’est pas seulement présumée menteuse, mais bien que tout va porter atteinte à sa crédibilité.

Il est beaucoup dit de Mme Gisèle Pelicot que c’est une victime exemplaire, elle est érigée en héroïne, mais nous devons faire attention car c’est extrêmement dangereux. parce que nous finissons toujours par brûler les icônes. Elle n’a, par ailleurs, jamais demandé à l’être. Surtout, l’héroïne est le pendant du monstre, l’affaire serait donc extraordinaire et cela nous permettrait de ne pas interroger l’ordinaire d’une société qui permet, autorise, voire encourage ces violences de masse et depuis toujours. Mais elle est a priori une bonne victime, même si on parle de son passé, de son goût pour le libertinage, on essaie de ternir son image de femme âgée, de mère. Ce n’est pas idéal non plus.

En vérité, il n’y a pas de bonnes victimes. Lorsque j’ai porté plainte pour viol, je me souvenais de tout dans les moindres détails et on m’avait fait comprendre que l’issue du procès dépendait exclusivement de ma parole, ce qui n’est pas acceptable. En réalité, si les professionnels travaillent réellement, il y a ce que dit la victime, mais il y a aussi tout le faisceau d’indices autour. On m’a dit que tout reposait sur moi, j’ai donc fait attention à la moindre de mes virgules. J’étais déjà très attachée aux mots, donc je faisais très attention à ce que je disais. On me l’a reproché, parce qu’on a trouvé ça étrange une femme qui se souvient si bien de ce qu’on lui a fait subir, alors que normalement elle ne devrait pas s’en souvenir. C’est qu’a priori ce n’était pas tout à fait un viol. Donc, dès que vous entrez en cours d’assises, vous êtes toujours une mauvaise victime puisque la bonne victime dans notre inconscient collectif, c’est celle qui a lutté tellement qu’elle a fini par en payer le prix de sa vie. Les saintes, ce sont elles. Toutes les autres, il est considéré étrange que nous soyons encore debout. Une bonne victime aujourd’hui, c’est une victime morte. C’est qu’il faut changer, c’est-à-dire nos représentations sur le viol et donc sur ce qu’est une victime et aussi sur ce qu’est un violeur.

Nous entendons qu’il y a des améliorations. À titre personnel, ce que j’entends à la cour criminelle où on juge l’affaire de Mazan, ce sont les mêmes mots que ce que j’ai entendu moi-même, les choses n’ont alors pas tant évolué. Quand des lectrices ou des auditrices m’écrivent et qu’elles me racontent ce qu’elles subissent quand elles sont dans des commissariats, pendant toute l’instruction, quand elles arrivent - pour les quelques-unes qui y arrivent - au tribunal, les choses sont encore les mêmes. Or, nous sommes 25 ans plus tard. Alors, cela n’a pas tant changé. On m’a dit en cour d’assises qu’il ne pouvait pas m’avoir violé parce que c’était un bon père de famille, qu’il entraînait l’équipe des minimes au foot et qu’il payait ses impôts. Or, nous entendons dans le procès de Mazan que les mis en cause ne peuvent pas avoir violé puisque ce sont de bons pères de famille. Nous ne sommes pas sortis de cette logique, nos représentations n’ont pas évolué.

Pour finir, selon moi, les choses n’ont pas bougé car ces représentations sont très pratiques. Elles nous permettent de nous coucher le soir tranquilles, de dormir à poings fermés, de se dire que le viol est une histoire de loups-garous. C’est pratique car des loups-garous, il n’y en a pas beaucoup. En pensant que les victimes, de toute façon, sont des menteuses, nous ne sommes alors pas obligés de nous attaquer au chantier des violences faites aux femmes. Ce déni est confortable pour tout le monde, sauf pour les ex-victimes (elles sont des dizaines de milliers chaque année) et sauf pour celles et ceux qui travaillent sur le sujet tous les jours et qui en ont la nausée. Parce que, prendre conscience, c’est oser affronter la réalité de ces violences, qui sont quotidiennes.

Quand une petite fille est mise au monde, vous savez qu’elle a un risque sur deux de subir au moins une forme de violence sexuelle au cours de sa vie. Il s’agit de la vérité de notre pays dans un contexte d’impunité quasi totale puisque 0,6 % des viols seulement débouchent sur une condamnation. Moi, ex-victime, j’ai été obligée d’y faire face, je n’ai pas pu fuir et ce qui m’a poussé à lutter, comme bon nombre d’autres victimes fort heureusement. Pour tous les autres, c’est plus pratique de se raconter que c’est de l’histoire ancienne et que tout va bien.

Mme Magali Lafourcade. Pour rebondir sur ce qu’a dit Mme Giulia Foïs, il y a des études aux États-Unis sur le nombre de menteuses et de fausses déclarations. Ces études datent mais elles montrent qu’il y a entre 2 % et maximum 10 % de fausses déclarations. Le 10 % est lui-même sujet à caution parce que dépendant de définitions et de protocoles qui ne sont pas cohérents entre eux. Nous sommes donc plus proches de la marge basse. Or, 94 % des plaintes qui font l’objet d’un classement sans suite et l’essentiel pour infractions insuffisamment caractérisées, c’est-à-dire qui ne rentrent pas dans le cadre de la loi. Nous sommes dans un miroir inverse.

Je voudrais d’abord rectifier quelque chose. La convention d’Istanbul est limpide. Elle dit bien que les parties prennent les mesures législatives pour ériger en infraction pénale les actes qu’elle énumère en trois items - a, b, c et à chaque fois il y a l’expression « non consenti ». L’article 2 de la convention précise que le consentement doit être donné volontairement comme résultant de la volonté libre, donc il définit le consentement. Il n’y a donc pas de doute et l’organe interprétatif officiel, le GREVIO, dit que la France doit changer sa définition qui n’est pas conforme aux standards internationaux. Quant aux Nations-unies, elles disent qu’il faut être conforme aux normes internationales, elles visent plus spécifiquement la convention d’Istanbul qui est une convention universelle. Il n’y a alors pas de discussion possible à ce sujet.

La violence judiciaire est un sujet qui m’interpelle évidemment en tant que magistrate. Lorsque nous voyons les procès de Mazan, nous voyons que les stratégies de défense, qui essayaient de décrédibiliser Mme Gisèle Pelicot, sont d’une violence inouïe. Ceci est humiliant. Des photos ont même été diffusées.

Dans le même temps, le procès est un lieu où nous pouvons ré-humaniser une victime alors que le viol est un processus de déshumanisation.

Il existe de nombreuses pistes pour pouvoir réduire les violences institutionnelles. Ainsi, les Australiens ont interdit qu’on puisse s’interroger sur le passé sexuel de la plaignante. Surtout, il faut arrêter de focaliser sur la victime. Il n’y a pas d’autre crime sur lequel on focalise à ce point sur la victime. Nous devons faire le faisceau d’indices autour du mis en cause, sur son parcours, pour voir s’il y a des schémas qui se reproduisent. Si nous changeons le paradigme, ce n’est un renversement de la charge de la preuve, malgré ce qu’a pu dire M. le garde des Sceaux. Nous sommes dans une procédure inquisitoriale dans le droit continental, français, belge, etc. C’est le juge d’instruction, dans les crimes, qui mène l’enquête. Il la mène à partir de ce qu’il recherche et ce qu’il recherche aujourd’hui ce sont les violences, menaces, contraintes et surprises - avec en plus une interprétation qui est fluctuante. Il faut changer cette définition pour pouvoir changer la façon dont nous menons les enquêtes.

Nous sommes dans un système juridictionnel indépendant où il n’y a pas besoin d’aveux. Le « parole contre parole » n’existe pas. Les trafiquants, par exemple, ne font pas d’aveux non plus. Nous faisons donc une enquête avec la technique du faisceau d’indices qui la crédibilise. C’est d’une richesse inouïe pour installer une conviction du magistrat.

Il existe un large consensus chez les féministes autour de la question du consentement - qui ne doit pas être que la notion de consentement, mais aussi la définition et l’élargissement des critères. L’expression « les féministes ne sont pas d’accord », n’est pas possible car c’est un mouvement large. Même avec les quelques associations qui sont contre, nous nous retrouvons et nous sommes d’accord sur les objectifs, nous sommes d’accord qu’il s’agit d’une violence.

Le mot consentement n’est peut-être pas beau parce que nous aimerions aller dans un rapport sexuel avec joie, désir et enthousiasme. Mais dans le cas des violences sexuelles - on parle de privation de liberté des auteurs, nous devons donc être sur un seuil minimal où nous incarcérons. Il faut donc un mot qui soit l’étiage le plus bas possible, parce qu’il s’agit d’un enjeu extrêmement important.

Concernant les plaintes devant la CEDH, elles mettent l’accent sur la spécificité du traitement du contentieux pour viol qui est différent de celui de toutes les autres infractions, comme nous l’avons rappelé.

Sur l’évolution des formations des magistrats, il y a au catalogue des formations continues qui incluent de plus en plus d’éléments sur les crimes de sang et les crimes de sexe, ainsi qu’autour des victimes. La nouvelle génération de magistrats est motivée, elle a intégré les lunettes du genre et a envie de faire bouger l’institution. Il y a un effet générationnel, un effet de formation. Justement, je crois qu’il y a une grande frustration chez les magistrats d’être aussi contraints par un cadre juridique qui est inadapté à l’étendue des situations qu’ils ont à traiter.

Pour finir, le droit français est fondé sur le consentement. Les tutelles, le droit des contrats : tout est fondé sur le consentement en droit continental français. Quand, en plus, nous prenons soin de le définir par le législateur, nous ne pouvons plus penser qu’il y a le moindre flou. Enfin, les Belges l’ont défini de la façon suivante :

– « le consentement suppose que celui a été donné librement, il est apprécié aux regards des circonstances de l’affaire », c’est la convention d’Istanbul ;

– « il ne peut être déduit de la simple absence de résistance de la victime », c’est la sidération ;

– « il peut être retiré à tout moment, avant ou pendant l’acte à caractère sexuel », c’est la concomitance du consentement ;

– « il n’y a pas consentement lorsque l’acte à caractère sexuel a été commis en profitant de la situation de vulnérabilité de la victime », c’est la prise en compte de la réflexion de Mme MacKinnon et des rapports de force ;

– « dus notamment à un état de peur », c’est ce dont parlait Mme Giulia Foïs ;

 « de l’influence de l’alcool, des stupéfiants, des substances psychotropes », la soumission chimique ;

– « ou de toute autre substance ayant un effet similaire, à une maladie ou à une situation de handicap altérant le libre arbitre » couvre toutes les femmes handicapées, vulnérables ;

– « en tout état de cause, il n’y a pas consentement si l’acte à caractère sexuel résulte d’une menace, violence physique ou psychologique », une rédaction plus claire que dans notre code ;

– « d’une contrainte, d’une surprise, d’une ruse ou tout autre comportement punissable », c’est-à-dire que nous faisons confiance aux magistrats ;

– « et en tout état de cause, il n’y a pas de consentement lorsque l’acte à caractère sexuel a été commis au préjudice d’une victime inconsciente ou endormie », c’est la soumission chimique, par exemple le cas de Mme Gisèle Pelicot.

Mme Anaïs Defosse. Pour répondre à votre question, Mme Garin, au sujet de l’utilisation du mot consentement, je crois que la réponse vient d’être donnée. Il s’agit aussi du vocabulaire le plus partagé. Nous en parlons tellement qu’il faut aussi garder la fonction éducative de la loi. Il est important de le garder de cette façon.

En réponse à la question sur la victimisation secondaire, redéfinir permettra de travailler sur cette question parce qu’avec la définition que nous proposons, nous allons beaucoup moins nous intéresser qu’aujourd’hui au comportement, à l’attitude de la victime. Nous allons demander si Monsieur a recherché, comment il a recherché le consentement. C’est pourquoi, je me permettais de faire le parallèle avec la stratégie de l’agresseur. Il ne pourra plus se contenter de dire : « parce qu’elle avait une jupe courte, c’était une invitation » ; « parce qu’elle a remis ses cheveux de telle façon, bien sûr que ça voulait dire qu’elle était d’accord pour que je la pénètre ». Non, le prisme sous lequel nous allons interroger sera fondamentalement différent.

Le deuxième éclairage sur la question de la victimisation secondaire au moment des procès. Les cours criminelles départementales, j’ai entendu notamment hier dans les questions qui étaient posées il y avait une grosse remise en question des cours départementales criminelles. À titre personnel, je trouve qu’elles fonctionnent bien. Nous avons 5 magistrats et magistrates professionnels. J’en ai terminé une il y a quelques semaines où le président de cour, remarquable, s’est excusé au nom de l’institution pour la maltraitance qu’avait subie la victime au cours des années de procédure. Le procès a été remarquablement mené. Avec des questions toutes pertinentes, des sujets que nous n’avons pas eu besoin d’aborder plus en détail, notamment sur les mécanismes de psycho-traumatisme parce qu’il y avait une composition bien formée. C’était un moment extrêmement réparateur pour ma cliente. C’est ce que nous retrouvons de plus en plus dans les cours départementales criminelles, car nous avons moins besoin de faire preuve de pédagogie que face à un jury populaire.

Pour l’avocate que je suis, il m’est douloureux de vous dire ça parce que nous sommes convaincus par le jury populaire. Je voudrais continuer, moi aussi, à faire de la pédagogie pour le jury populaire. Je me dis que la pédagogie peut se faire à un autre endroit. Cela rejoint une autre question sur l’éducation où nous pouvons pour faire de la pédagogie.

Sur la question de la correctionnalisation, j’ai recherché avant de venir aujourd’hui et nous n’avons pas de statistiques à ce sujet. Il y a un rapport sur l’évaluation des cours départementales criminelles quand nous étions au stade de l’évaluation. Dans le rapport, il était indiqué que le taux de correctionnalisation n’avait pas évolué, mais on ne nous donnait pas de statistiques sur les taux, je n’en ai pas trouvé depuis. Je ne vais alors vous parler que de mon expérience et de celles des quelques consœurs, amies et camarades avec lesquelles nous partageons ces luttes. Nous trouvons que l’on nous propose moins les correctionnalisations. J’aimerais qu’elles ne soient plus proposées, mais il ne faut pas oublier que nous pouvons les refuser. C’est mon travail d’avocate de conseiller, d’expliquer ce qu’est la correctionnalisation, de rappeler les droits aussi à la partie civile. Quand nous refusons une correctionnalisation, on ne peut pas nous l’imposer. Elles se passent toujours bien, parfois il y a des procédés détournés où sont rendues des ordonnances de non-lieu en nous disant : « il n’y a peut-être pas la preuve de l’acte de pénétration ». Nous faisons appel et dans la chambre de l’instruction, les choses ne se passent pas mal.

Pour moi, la justice restaurative n’est pas une réponse, ou n’est pas la première réponse. La justice, c’est sanctionner un acte, ce qui s’inscrit dans un temps différent de la prison. Les victimes ce n’est pas réellement ce qu’elles cherchent. Je ne suis qu’avocate de victime et de partie civile. Les victimes veulent être reconnues, être entendues et que la justice les reconnaisse comme victimes. La justice restaurative ne les reconnaît pas comme victimes. Quand il y a une décision de classement sans suite, la justice vient empêcher cette reconnaissance. La justice restaurative ne peut alors pas être une réponse. Serait-il possible de le reconnaître plus tard, notamment quand il y a eu un procès pour permettre un dialogue et que de part et d’autre on comprenne ce qui s’est joué et comment ça peut changer ? Peut‑être. Je pense que ce n’est pas une priorité pour l’instant des travaux de la justice.

Vous avez soulevé un point intéressant, la prise en charge des auteurs. Ce n’est pas parce que nous défendons les victimes, que nous nous intéressons à ce côté de la barre et de la société qu’il ne faut pas parler des auteurs, de la manière dont nous les prenons en charge. Il y a, à mon sens, un grand manquement sur la manière dont nous apportons une réponse. Il y a la réponse pénale, mais aussi la question de la prise en charge, de comment penser l’insertion ou la réinsertion et prendre en charge potentiellement des soins. On ne souhaite pas réellement en entendre parler. Or, tant que nous ne travaillerons pas sur cette question sur les violences intrafamiliales et les violences sexistes et sexuelles, il y aura de la récidive. C’est certain. La prison n’a jamais permis que quelqu’un ne recommence pas, quels que soient les faits. C’est un travail, différent des questions de justice restaurative et qui est un temps après, dont il faudra se préoccuper.

Pour terminer, vous avez raison, tout n’est pas question de redéfinition, c’est aussi une question de moyens, de budget et de personnel.

Mme Muriel Salmona. Je voulais rappeler que lorsque nous demandons aux victimes pourquoi elles ont quand même porté plainte, malgré la victimisation secondaire et toutes les maltraitances, elles disent qu’elles recommenceraient. La première raison est d’être reconnues mais que la raison qui vient tout de suite après, c’est pour qu’il n’y ait pas d’autres victimes. C’est un élément extrêmement important, à prendre en compte dans un contexte d’impunité.

Le premier recours des victimes, ce sont les médecins, les psychiatres et les psychologues. En conséquence, qu’il n’y ait pas de prise en charge, c’est grave. Une victime c’est quelqu’un qui, surtout si elle reste en contact avec l’agresseur ou le contexte de l’agression, continuera à être dans un mécanisme de sauvegarde mis en place son cerveau qui va l’anesthésier émotionnellement. Elle sera donc gravement en danger de subir à nouveau des violences, d’être maltraitée. Une victime dissociée a un seuil beaucoup plus élevé de tolérance à tout. Ne pas prendre en charge une victime c’est la mettre gravement en danger.

En ce qui concerne la plateforme sur laquelle ont été formés les gendarmes et les policiers, nous avons passé du temps à expliquer la dissociation. C’est un élément qui permet de comprendre pourquoi les victimes ont mis autant de temps, pourquoi elles ne peuvent pas partir, pourquoi elles ont des discours aussi imprécis. En termes de formation, nous avons aussi réalisé une brochure explicative à destination des enfants. Selon la brigade des mineurs, elle les aide énormément et les enfants peuvent parler. Elle leur explique tous les mécanismes et pourquoi ils ressentent certaines choses.

Quand une victime est dissociée, elle ne peut pas se défendre des paroles de l’agresseur ni de tout ce qu’on lui impose. Si la victime est dissociée parce qu’elle a subi des violences depuis l’enfance, elle est dans un état de dissociation chronique, elle ne va pas pouvoir s’opposer et dire non. Elle se trouve dans un état de grande vulnérabilité. Les agresseurs ciblent ces personnes-là. La prise en charge permet de sortir les victimes de la dissociation.

Concernant l’éducation, nous avons fait une enquête dans laquelle 50 % des jeunes de 18 à 25 ans disent qu’ils ont fait leur éducation sexuelle avec la pornographie. C’est donc chez eux, dans l’ensemble des foyers français que la culture du viol est particulièrement vive. Ils disent que les femmes aiment être maltraitées, violées, que pénétrer une femme qui est endormie ou alcoolisée, ce n’est pas un viol. Le tout accessible depuis le smartphone, depuis 2010. Les enfants ont maintenant accès à la pornographie, avec les pires images et les pires violences à partir de l’âge de 8 ans et à 12 ans. 50 % des enfants ont déjà vu des images de violences extrêmes ce qui multiplie par 24 le risque de passage à l’acte de violences sexistes et sexuelles.

Il est donc nécessaire d’agir et de faire en sorte que les sites pornographiques soient poursuivis pour toutes les images violentes et d’interdire l’accès aux enfants. En matière de pédocriminalité en ligne, en 2014, il y avait un million d’images recensées, en 2023, on est passé à 100 millions d’images recensées. Elles entraînent une addiction, la plupart des images sont générées dans le cadre d’inceste. Je ne suis pas optimiste. Il faut s’occuper d’urgence des enfants, dépister les violences qu’ils subissent. Remettre les pendules à l’heure sur ce qu’est la sexualité, l’intimité suivant l’âge, sur le fait que sexualité et violence ne sont pas acceptables. La tolérance à l’égard d’une sexualité violente est gravissime parce qu’elle génère une idée de normalité.

Pour répondre à la question sur les personnes en situation de vulnérabilité et l’accessibilité de l’information. Il n’y a aucune information pour les victimes. On ne sait pas ce qu’il faut faire si l’on a vécu des violences sexuelles, on ne sait pas vers qui se tourner. Il est nécessaire d’avoir des informations sur les conduites à tenir, que ce soit pour les victimes qui sont souvent en état de choc mais aussi pour tous les proches, pour toutes les personnes qui vont les aider à faire les démarches. Avec le comité interministériel du handicap, nous avons mis en place des modules de formation pour tous les professionnels, sur les violences sexuelles faites aux enfants, sur les violences sexuelles faites aux personnes en situation de handicap, sur le psycho-traumatisme, pour repérer et protéger les victimes. Ces modules sont accessibles pour tout le monde, avec une possibilité d’englober toutes les personnes les plus vulnérables. Les chiffres que nous avons sont sous-estimés, les personnes vulnérables sont peu interrogées bien qu’elles soient les plus touchées.

Sur la formation des magistrats, depuis maintenant dix ans, nous faisons de la formation, tous les ans. J’ai des retours positifs de magistrats. Par exemple, le magistrat de la Cour de cassation qui a reconnu la sidération lors de la décision du 14 septembre 2024. Il m’avait contactée pour me demander tous mes documents et toutes les informations sur la sidération. Quelque chose se met en place. Pour les médecins, la formation devrait être incluse dans la formation initiale. Alors qu’ils constituent le premier recours, ils ne font pourtant que 5 % de signalements pour les enfants et presque pas pour les personnes vulnérables. Nous avons fait une expérience sur la première année de médecine où, quatre ans après, le cours qui les avait le plus marqués et qui leur avait été le plus utile, était le cours sur les violences et les psycho-traumatismes. Il faut qu’il y ait une culture commune du psycho-traumatisme et de son évaluation. Il y a Déconnecte, ou encore Vidal qui ont mis en ligne des fiches auxquelles j’ai participé. Nous lançons des initiatives qui finissent par fonctionner.

Pour finir, concernant la prise en charge. Il n’y a plus de psychiatres, plus de pédopsychiatres, il y a encore des psychologues. Il faut une prise en charge gratuite et accessible pour les victimes, c’est la moindre des choses. Normalement, elle est gratuite en médecine, grâce à la Sécurité sociale nous sommes remboursés à 100 % mais il faut - ce que l’on a demandé avec la CIIVISE et M. Édouard Durant - une prise en charge du traumatisme, gratuite, pour les victimes. C’est un problème de santé publique majeur. Il faut des centres spécialisés de prise en charge pluridisciplinaire, ceux qui ont été mis en place en Belgique ont été faits sur le modèle de ceux mis en place par M. Denis Mukwege à Pansai. Nous avons des connaissances, nous savons qu’ils fonctionnent. C’est incontournable.

Mme Marie-France Casalis. Nous restons sur notre position contre l’introduction de ce mot consentement, dans la définition du viol. Le viol n’est pas une relation sexuelle non consentie, c’est un acte de prédation et de prise de pouvoir. La jouissance du violeur vient du pouvoir qu’il exerce. L’attitude de l’agresseur et sa stratégie ne seront jamais scrutées de cette façon-là. Pourtant le viol c’est ce qu’a décidé cette personne-là, cet agresseur, et non pas le comportement de la victime. Le viol c’est ce qu’a fait leur violeur et non l’attitude de la victime. L’agresseur dira toujours que la victime était consentante. Avec un certain nombre de personnes, nous restons sur nos positions. Peut-être pourriez-vous interroger Mme Isabelle Thieuleux qui est avocate. Parce que, dans ce débat, les accords sont profonds, c’est l’expression dans la loi de ce que nous voulons, que les violeurs soient poursuivis et punis, qu’ils ne se permettent plus d’agresser femmes, enfants et hommes, qui diverge.

Mme Muriel Salmona. Les grandes études internationales ont montré qu’avoir subi des violences sexuelles et physiques dans l’enfance multipliait par 16 pour les filles le risque de subir des violences sexistes et sexuelles à l’âge adulte. C’est immense. Mais le fait d’avoir subi des violences physiques et sexuelles chez les garçons multipliait par 14 le risque de commettre des violences sexistes et sexuelles. Nous savons que s’ils ont été témoins de violences sexuelles par l’intermédiaire des sites internet, cela multiplie par 24 les risques. Il faut identifier ces enfants d’autant que presque 30 % des violeurs qui sont mineurs. Il faut les identifier le plus tôt possible. Notre cerveau n’est pas fait pour commettre des violences. Commettre des violences traumatise aussi la personne, cela créait une dissociation traumatique, donc une anesthésie émotionnelle. De ce fait, les auteurs ne font plus attention aux conséquences de leurs actes ce qui crée une dépendance liée à la mémoire traumatique, où pour anesthésier la violence qui revient en eux, ils passent à l’acte.

En d’autres termes, identifier le plus tôt possible des filles qui subissent des violences, des garçons qui commettent des violences et prendre en charge ces enfants permettrait d’agir sur la reproduction de violences et éviterait de détruire des vies. Ces méthodes fonctionnent, la prise en charge du psychotrauma est efficace, toutes les atteintes neurologiques se réparent, il n’y a plus de conséquences psycho-traumatiques. Il n’y a plus besoin de conduites dissociantes et il y a moins de risques. Toutes mes patientes qui sont traitées arrêtent de subir des violences. J’ai aussi des expériences avec des jeunes que nous traitons et qui ne commettent plus de violences.

Nous ne sommes jamais responsables des violences qu’on subit, des conséquences psycho-traumatiques qui se développent, mais nous sommes responsables des stratégies de survie que nous mettons en place face à ces violences. C’est là où la société a tendance à permettre aux garçons d’avoir des stratégies violentes pour pouvoir se dissocier et traiter sauvagement leurs traumatismes.


III.   Examen du rapport par la délégation

Lors de sa réunion du 21 janvier 2025, sous la présidence de M. Guillaume Gouffier Valente, la Délégation a adopté le présent rapport.

 

Les débats sont accessibles sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

 

https://assnat.fr/SNY6KK

 

 

 


   ANNEXES

   Annexe n° 1 : schéma – le chemin de l’impunité


   Annexe n° 2 : législations européennes ayant intégré le non-consentement à la définition du viol

Article 417/5 du Code pénal :

« Le consentement suppose que celui-ci a été donné librement. Ceci est apprécié au regard des circonstances de l’affaire. Le consentement ne peut pas être déduit de la simple absence de résistance de la victime. Le consentement peut être retiré à tout moment avant ou pendant l’acte à caractère sexuel. »

« Il n’y a pas de consentement lorsque l’acte à caractère sexuel a été commis en profitant de la situation de vulnérabilité de la victime due notamment à un état de peur, à l’influence de l’alcool, de stupéfiants, de substances psychotropes ou de toute autre substance ayant un effet similaire, à une maladie ou à une situation de handicap, altérant le libre arbitre. »

« En tout état de cause, il n’y a pas de consentement si l’acte à caractère sexuel résulte d’une menace, de violences physiques ou psychologiques, d’une contrainte, d’une surprise, d’une ruse ou de tout autre comportement punissable. »

« En tout état de cause, il n’y a pas de consentement lorsque l’acte à caractère sexuel a été commis au préjudice d’une victime inconsciente ou endormie ».

 

Article premier du chapitre 6 « Sur les infractions sexuelles » :

« Toute personne qui pratique des rapports sexuels vaginaux, anaux ou oraux, ou tout autre acte sexuel qui, compte tenu de la gravité de l’infraction est comparable à un rapport sexuel, avec une personne qui n’y participe pas volontairement se rend coupable de viol et est condamnée à une peine d’emprisonnement d’au moins trois ans et au maximum six ans. »

« Il en va de même pour la personne qui incite une autre personne à entreprendre ou à se soumettre à un tel acte. Lors de l’évaluation du caractère volontaire ou du non-consentement, une attention particulière est accordée à la question de savoir s’il a été exprimé par une parole, un acte ou d’une autre manière. »

« Une personne ne peut ne peut jamais être considérée comme consentante si :

- 1. Sa participation résulte d’une agression, d’une autre violence ou d’une menace d’acte criminel, d’une menace d’engager des poursuites contre une autre personne ou de la dénoncer ou de dénoncer une autre personne pour un délit, ou une menace de donner des informations préjudiciables sur une autre personne.

- 2. L’auteur de l’infraction exploite indûment le fait que la personne se trouve dans une situation particulièrement vulnérable en raison de son état d’inconscience, de sommeil, de grave peur, de prise de produits alcooliques ou de stupéfiants, d’une maladie, d’une blessure corporelle, de troubles mentaux ou d’autres compte tenu des circonstances ;

- 3. L’auteur de l’infraction incite la personne à participer en abusant gravement de sa position de dépendance à son égard de l’auteur. »

« (La sanction du viol) est une peine d’emprisonnement de six mois au moins et de quatre ans au plus (ou) de cinq ans au moins et de dix ans au plus ».

« Pour déterminer l’étendue de l’infraction une attention particulière est portée sur les points suivants : l’auteur a utilisé la violence ou a usé d’une menace particulièrement grave ; l’agression a été commise en réunion ; le jeune âge de la victime ; l’auteur a été particulièrement impitoyable ou brutal ».

 

Article 178 du Code pénal :

« 1. Quiconque accomplit un acte qui porte atteinte à la liberté sexuelle d’une autre personne sans son consentement est puni de la peine d’emprisonnement d’un à quatre ans en tant qu’auteur d’une agression sexuelle. Le consentement n’est réputé exister que lorsqu’il a été librement exprimé par des actes qui, compte tenu des circonstances de l’espèce, expriment clairement la volonté de la personne. »

« 2. Les actes de nature sexuelle accomplis en utilisant la violence, l’intimidation ou l’abus d’une situation de supériorité ou de vulnérabilité de la victime, ainsi que ceux accomplis sur des personnes privées de leurs facultés sensorielles ou dont l’état mental est altéré, et ceux accomplis lorsque la volonté de la victime est annulée pour quelque raison que ce soit, sont dans tous les cas considérés comme des agressions sexuelles. »

« 3. Si l’agression a été commise avec violence ou intimidation ou sur une victime dont la volonté a été abolie pour quelque raison que ce soit, l’auteur est puni d’un à cinq ans d’emprisonnement. »

« 4. L’organe de jugement, en le motivant dans la sentence, et à condition qu’il n’y ait pas de violence ou d’intimidation ou que la volonté de la victime ait été supprimée pour une raison quelconque ou que les circonstances de l’article 180 ne soient pas réunies, peut imposer une peine d’emprisonnement dans sa moitié inférieure ou une amende de dix-huit à vingt-quatre mois, en tenant compte du caractère mineur du fait et de la situation personnelle de l’auteur ».

 

Article 216 du Code pénal :

« Une personne qui a des relations sexuelles avec une personne qui n’y a pas consenti est punie pour viol d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à huit ans ».

« Toute personne ayant des relations sexuelles avec un enfant de moins de 12 ans est passible d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 12 ans. Une personne ayant atteint l’âge de 22 ans et ayant des relations sexuelles avec un enfant de moins de 15 ans est punie de la même manière. »

« La peine prévue au paragraphe (1) peut être portée à 12 ans d’emprisonnement si le viol a été particulièrement dangereux ou s’il existe d’autres circonstances particulièrement aggravantes ».


Article 177 du Code pénal :

« (1) Quiconque, contre la volonté perceptible d’une personne, se livre ou fait se livrer à des actes sexuels sur cette personne, ou fait en sorte que cette personne se livre ou acquiesce à des actes sexuels sur ou par une tierce personne, encourt une peine d’emprisonnement de six mois à cinq ans. »

« (2) Quiconque exerce ou fait exercer des actes sexuels sur une autre personne, ou fait exercer par cette personne des actes sexuels sur ou par une tierce personne, encourt la même peine si :

- 1. l’auteur de l’infraction exploite le fait que la personne n’est pas en mesure de former ou d’exprimer une volonté contraire ;

- 2. l’auteur de l’infraction exploite le fait que la personne est sensiblement diminuée dans sa capacité à former ou à exprimer sa volonté en raison de son état physique ou mental ;

- 3. l’auteur de l’infraction exploite un élément de surprise ;

- 4. l’auteur de l’infraction exploite une situation dans laquelle la victime est menacée d’une atteinte grave en cas de résistance ;

- 5. l’auteur de l’infraction a contraint la personne à accomplir les actes sexuels ou à y consentir en la menaçant d’une atteinte grave ».

 

Article 153 du Code pénal :

« (1) Quiconque a des rapports sexuels, ou un acte sexuel équivalent, avec une autre personne sans son consentement, ou quiconque incite une autre personne à avoir des rapports sexuels ou un acte sexuel équivalent avec un tiers sans son consentement, ou à accomplir sans son consentement un acte sexuel assimilé à des rapports sexuels sur elle-même, est passible d’une peine d’emprisonnement d’un à cinq ans. »

« (2) Quiconque commet l’infraction visée au paragraphe 1 du présent article en utilisant la force ou en menaçant d’attenter directement à la vie ou au corps de la victime ou d’une autre personne est passible d’une peine d’emprisonnement de trois à dix ans. »

« (3) L’auteur qui se trompe de manière évitable sur l’existence du consentement visé au paragraphe 1 du présent article est passible d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à trois ans. »

« (4) L’auteur qui se trompe de manière évitable sur l’existence du consentement visé au paragraphe 2 du présent article est passible d’une peine d’emprisonnement d’un à cinq ans. »

« (5) Le consentement visé au paragraphe 1 du présent article existe si la personne a décidé de son plein gré d’avoir des rapports sexuels ou un acte sexuel équivalent et si elle était capable de prendre et d’exprimer une telle décision. Ce consentement est réputé inexistant, notamment si les rapports sexuels ou l’acte sexuel équivalent ont été obtenus par la force ou la menace, par la fraude, en abusant de sa position à l’égard d’une personne qui se trouve dans une situation de dépendance par rapport à l’auteur, en exploitant l’état d’une personne qui n’était pas en mesure d’exprimer son refus ou s’ils ont été pratiqués à l’encontre d’une personne illégalement privée de liberté ».

 

La définition du viol figure au chapitre 20, section I du Code pénal :

« Une personne qui a des rapports sexuels avec une personne qui n’y participe pas volontairement est condamnée pour viol à une peine d’emprisonnement d’un an au moins et de six ans au plus. La participation d’une personne à un rapport sexuel n’est pas considérée comme volontaire si :

1) la personne n’a pas exprimé verbalement, par son comportement ou de toute autre manière qu’elle y participait volontairement ;

2) la personne a été contrainte à des rapports sexuels en usant de violence à l’égard d’une personne ou en proférant des menaces ;

3) la personne n’a pas été en mesure de formuler ou d’exprimer sa volonté en raison d’un état d’inconscience, d’une maladie, d’un handicap, d’un état de peur, d’un état d’intoxication intense, d’une conscience réduite, de la nature soudaine de la situation, d’un abus grave d’une position de pouvoir particulière ou d’une autre raison comparable. »

 

Article 375 du Code pénal :

« Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit et par quelque moyen que ce soit, qu’il soit de nature vaginale, anale, ou buccale, à l’aide notamment du sexe, d’un objet ou d’un doigt, commis sur une personne qui n’y consent pas ou à l’aide d’une personne qui n’y consent pas, y compris lorsque la personne est amenée à commettre l’acte sur son propre corps ou sur le corps d’une tierce personne, notamment à l’aide de violence ou de menace, par ruse, artifice ou surprise, ou en abusant d’une personne hors d’état de donner un consentement libre ou d’opposer la résistance, constitue un viol et sera puni de la réclusion de cinq à dix ans ».

Article 376 du Code pénal :

« Si le viol a entrainé une maladie ou une incapacité de travail permanente, le coupable sera puni :

- de la réclusion de dix à quinze ans dans l’hypothèse de l’article 375 ;

 de la réclusion de quinze à vingt ans dans l’hypothèse de l’article 375bis (mineur de moins de seize ans) ;

 de la réclusion à vie dans l’hypothèse de l’article 375ter (mineur, lien familial, personne ayant autorité). »

« Si le viol a causé la mort de la personne sur laquelle il a été commis, le coupable sera puni de la réclusion de quinze à vingt ans dans l’hypothèse de l’article 375, de la réclusion de vingt à trente ans dans l’hypothèse de l’article 375bis, et de la réclusion à vie dans l’hypothèse de l’article 375ter. »

« Le meurtre commis pour faciliter le viol ou pour en assurer l’impunité sera puni de la réclusion à vie. »

« La peine portée par l’alinéa précédent sera appliquée, alors même que la consommation du viol aura été empêchée par des circonstances indépendantes de la volonté du coupable. »

 

Article 1er de la loi de 2003 sur les délits sexuels (Sexual Offences Act) :

« Une personne commet un viol si :

(a) elle pénètre intentionnellement le vagin, l’anus ou la bouche d’une autre personne avec son pénis ;

(b) la victime ne consent pas à la pénétration ;

(c) l’auteur de l’infraction ne croit pas raisonnablement que la victime soit consentante. »

« Une personne coupable d’une infraction au titre du présent article est passible, en cas de condamnation sur acte d’accusation, d’une peine d’emprisonnement à vie ».

 

Article 190 du Code pénal :

« 1 Quiconque, contre la volonté d’une personne, commet sur elle ou lui fait commettre l’acte sexuel ou un acte analogue qui implique une pénétration du corps ou profite à cette fin d’un état de sidération d’une personne, est puni d’une peine privative de liberté de cinq ans au plus. »

« 2 Quiconque, notamment en usant de menace ou de violence à l’égard d’une personne, en exerçant sur elle des pressions d’ordre psychique ou en la mettant hors d’état de résister, la contraint à commettre ou à subir l’acte sexuel ou un acte analogue qui implique une pénétration du corps, est puni d’une peine privative de liberté d’un à dix ans. »

« 3 Si l’auteur au sens de l’alinéa 2 agit avec cruauté, s’il fait usage d’une arme dangereuse ou d’un autre objet dangereux, il est puni d’une peine privative de liberté de trois ans au moins ».

 


   Annexe n° 3 : QR code tasse de thé

 

 


   annexe n° 4 : proposition de loi

Article 1er

I L’article 222-22 du Code pénal est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, les mots « commise avec violence, contrainte, menace ou surprise » sont remplacés par les mots « non consentie commise sur la personne de l’auteur ou sur la personne d’autrui » ;

2° Après le premier alinéa, il est inséré quatre alinéas ainsi rédigés :

Dans la présente section, le consentement suppose que celui-ci a été donné librement. Il est spécifique et peut être retiré avant ou pendant l’acte à caractère sexuel. Il est apprécié au regard des circonstances environnantes. Il ne peut être déduit du silence ou de l’absence de résistance de la personne.

Il n’y a pas de consentement si l’acte à caractère sexuel est commis notamment avec violence, contrainte, menace ou surprise.

L’absence de consentement peut être déduite de l’exploitation d’un état ou d’une situation de vulnérabilité, temporaire ou permanente, de la personne, ou de la personne vis-à-vis de l’auteur.

II Au premier alinéa et au deuxième alinéa de l’article 222-22-1 du même code, le mot « premier » est remplacé par le mot « troisième »

III Au premier alinéa de l’article 222-22-2 du même code, après les mots : « à une personne », sont insérés les mots : « qui n’y consent pas, notamment »

IV À l’article 222-23 du même code :

1° Après le mot « tout acte » sont insérés les mots « non consenti » ;

2° Après le mot « bucco-génital » sont insérés les mots : « ou tout acte bucco-anal » ;

3° Après les mots : « sur la personne de l’auteur » est inséré le mot : « notamment ».

 


   annexe n° 5 :
Liste des personnes auditionnées

personnes entendues par la délégation

Mme Carine Durrieu-Diebolt, avocate au barreau de Paris ;

Mme Élodie Tuaillon-Hibon, avocate au barreau de Paris ;

Mme Magali Lafourcade, magistrate et secrétaire générale de la commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH)

 

Mme Audrey Darsonville, professeure agrégée de droit pénal et politiques criminelles à l’Université Paris Nanterre ;

M. François Lavallière, magistrat en détachement à l’École nationale de la magistrature (ENM), coordonnateur régional de formation pour les cours d’appel de Rennes et Angers, maître de conférences associé à Sciences Po Rennes ;

Mme Catherine Le Magueresse, chercheuse associée à l’Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne (ISJPS), doctoresse en droit.

 

M. Didier Migaud, Garde des Sceaux, ministre de la justice.

 

Table ronde ouverte à la presse de professionnels et de représentants associatifs sur la réponse judiciaire aux violences sexistes et sexuelles :

Mme Marie-France Casalis, membre d’honneur du conseil d’administration et responsable du pôle formation du Collectif féministe contre le viol (CFCV) ;

Mme Anaïs Defosse, avocate ;

Mme Giulia Foïs, journaliste ;

Mme Magali Lafourcade, magistrate et secrétaire générale de la CNCDH ;

Docteure Muriel Salmona, psychiatre spécialiste du psychotraumatisme, présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie.


personnes entendues par les rapporteures

Mme Salomé Cohen, avocate pénaliste au barreau de Paris ;

Mme Laure Heinich, avocate, responsable pédagogique de l’école de formation du barreau de Paris (EFB) ;

Mme Solenne Brugère, avocate, présidente de la commission égalité de la fédération des barreaux d’Europe.

 

Docteure Muriel Salmona, psychiatre, présidente de l’association mémoire traumatique et victimologie ;

 

Audition commune de magistrats :

M. Éric Corbaux, procureur général auprès de la cour d’appel de Poitiers ;

Mme Gwenola Joly-Coz, première présidente de la cour d’appel de Poitiers ;

Mme Carole Hardouin Le Goff, maître de conférences en droit privé.

 

M. Christian Sainte, directeur national de la police judiciaire (DNPJ).

 

Audition commune de philosophes et de sociologues :

Mme Manon Garcia, philosophe et professeur de philosophie morale et politique ;

Mme Véronique Le Goaziou, docteure en sociologie ;

Mme Océane Perona, maître de conférences en sociologie.

 

Audition commune de syndicats de magistrats :

Mmes Nelly Bertrand, secrétaire générale et Julie Allenbach, membre du syndicat de la magistrature ;

M. Aurélien Martini, secrétaire général adjoint et Mme Fabienne Averty, secrétaire nationale de l’union syndicale des magistrats (USM).

 

M. Olivier Christen, directeur des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice (DACG).

 

M. Denis Salas, magistrat enseignant associé à l’ENM, essayiste et directeur des Cahiers de la justice.

 

Audition commune de personnalités engagées auprès de victimes et/ou de victimes de violences sexuelles :

Mme Hélène Devynck, journaliste et auteure d’Impunité ;

Mme Giulia Foïs, journaliste et auteure de Je suis une sur deux ;

Mme Anissa Maille, influenceuse et militante féministe, fondatrice du #MeTooAnimation.

 

Table ronde sur les femmes en situation de handicap :

Mmes Céline Perdreau, présidente, et Béatrice Pradillon, co-fondatrice du collectif Les dévalideuses ;

Mme Marie Rabatel, présidente de l’association francophone des femmes autistes ;

Docteur Olivier Manceron, membre du conseil d’administration de Femmes pour le dire, femmes pour agir ;

Mme Grâce Mpondo, fondatrice de l’association Handi femme épanouie.

 

Table ronde sur les femmes en situation de précarité :

Mme Anne-Sophie Laguens, avocate, membre du Barreau des rues ;

Mme Maïwenn Abjean, directrice de l’association grenobloise Femmes SDF.

 

Table ronde des associations :

Mmes Anne-Cécile Mailfert, présidente et Floriane Volt, directrice des affaires publiques et juridiques de la Fondation des femmes ;

Mmes Auriane Dupuy, chargée de plaidoyer et Shanine Elion-Gambou, juriste et conseillère technique lutte contre les violences de la Fédération nationale des Centres d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles (FNCIDFF) ;

Docteure Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol (CFCV) ;

Mme Ludvilla Mallet, fondatrice et coordinatrice du Collectif français contre le viol conjugal (CFCVC) ;

Mmes Céline Thiébault Martinez, présidente et Alyssa Ahrabare, vice-présidente de la Coordination française pour le lobby européen des femmes (CLEF) ;

Mme Isabelle Bruère, directrice générale du Service de contrôle judiciaire et d’enquêtes (SCJE).

 

Colonelle Dorothée Cloître, référente nationale violences intrafamiliales au sein de la gendarmerie nationale ;

Lieutenant-colonel Serge Procédès, chef du bureau de la délinquance générale, sous-direction de la police judiciaire, direction des opérations et de l’emploi.

 

Mme Valérie Dervieux, déléguée régionale CA de Paris et membre du conseil de l’Unité magistrats SNM FO ;

Mme Delphine Blot, déléguée syndicale pour l’Unité magistrats SNM FO.

 

Audition commune sur les inégalités territoriales :

Mme Justine Bénin, coordonnatrice interministérielle contre les violences faites aux femmes en Outre-mer ;

Mme Ernestine Ronai, responsable de l’Observatoire départemental de Seine-Saint-Denis des violences envers les femmes.

 

Mme Isabelle Théry, magistrate honoraire, chargée de mission au pôle crimes sériels et non élucidés de Nanterre.

 

Mme Isabelle Lonvis-Rome, première présidente de chambre à la cour d’appel de Versailles, ancienne ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances ;

M. Alexis Werl, président de la commission textes et Mme Clotilde Lepetit, membre de la commission Libertés et droits de l’homme du Conseil national des barreaux.

 

Mme Anne-Sophie Laguens, coresponsable de la commission de droit pénal de l’Union des jeunes avocats de Paris (UJA) et M. Julien Brochot, délégué de la commission permanente de l’UJA de Paris auprès de la fédération nationale des UJA (FNUJA) ;

Mmes Charlotte Bonnaire et Florence Dole, membres du bureau du syndicat des avocats de France (SAF).

 

Table ronde des associations :

Mme Céline Piques, membre d’Osez le féminisme ! et coprésidente de la commission violences faites aux femmes du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) ;

Mme Sarah Durocher, coprésidente nationale du Planning familial ;

Mme Mathilde Cornette, avocate auprès de l’association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) ;

Mmes Sonia Bisch, fondatrice et My-Kim Yang Paya, avocate, membre de la force juridique de StopVOG France ;

Mmes Maria Cornaz Bassoli, avocate, co-secrétaire nationale et Sakshi Arya de Choisir la cause des femmes.

 

Mmes Suzy Rojtman, porte-parole, et Isabelle Thieuleux, avocate auprès du Collectif national pour les droits des femmes (CNDF).

 

Mmes Roxana Maracineanu, secrétaire générale de la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) et Cécile Mantel, secrétaire générale adjointe de la MIPROF.

Mmes Claire Quidet, présidente et Stéphanie Caradec, directrice du Mouvement du nid ;

Mmes Françoise Ritter, présidente et Delphine Jarraud, directrice générale de l’Amicale du nid.

 

Mmes Lola Schulmann, chargée de plaidoyer « Justice de genre » et Léna Collette, chargée de plaidoyer et relations internationales à Amnesty International France.

 

 


([1]) La composition de la Délégation figure au verso de la présente page.

([2])  Cour de cassation, Chambre criminelle, 17 mars 2021, 20-86318 : « Il résulte des articles 222-22 et 222-23 du Code pénal que les infractions d’agression sexuelle et de viol exigent que les faits aient été commis avec violence, contrainte, menace ou surprise. » 

([3]) Ministère de l’Intérieur, rapport d’enquête « Vécu et ressenti en matière de sécurité », victimation - délinquance et sentiment d’insécurité, décembre 2023.

([4]) Ministère de l’Intérieur, Les violences sexuelles hors cadre familial enregistrées par les services de sécurité en 2023, Interstats n° 33, mars 2024.

([5])  Ministère de l’Intérieur, rapport d’enquête « Vécu et ressenti en matière de sécurité », victimation - délinquance et sentiment d’insécurité, décembre 2023.

([6]) Ministère de la Justice, Violences sexuelles et atteintes aux mœurs : les décisions du parquet et de l’instruction, Infostat Justice n° 160, mars 2018.

([7]) Rapport d’information sur le viol  n° 721 de la délégation de l’Assemblée nationale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes sur le viol, par Mmes Sophie Auconie et Marie-Pierre Rixain, déposé le jeudi 22 février 2018.

([8]) 140 propositions pour une loi-cadre contre les violences sexuelles, Coalition féministe loi intégrale, novembre 2024.

([9]) Lancé en 2006 par la militante afro-américaine Tarana Burke et redynamisé par l’actrice Alyssa Milano, le hashtag est utilisé par des milliers de femmes et d’hommes suite au procès de Harvey Weinstein, producteur américain accusé de viols. Les personnes mises en cause par ce mouvement se retrouvent dans tous les domaines (cinéma, journalisme, entreprises, responsables politiques, universitaires).

([10]) LONSWAY, Kimberly et FITZGERALD, Louise, « Rape myths in review », Psychology of Women Quarterly, 1994.

([11]) France culture, LE PRINCE, Chloé, « « Culture du viol » » : derrière l’expression, une arme militante plutôt qu’un concept ? », décembre 2017.

([12]) REY-ROBERT, Valérie, Une culture du viol à la française, Libertalia, 2019.

([13]) RENARD, Noémie, En finir avec la culture du viol, Les petits matins, 2018.

([14]) BROWNMILLER, Susan, Against our will : men, women and rape, Simon & Schuster, 1975.

([15])  MACKINNON, Catharine, Le viol redéfini : vers l’égalité, contre le consentement, Flammarion, 2023.

([16])  Idem.

([17])  GARCIA, Manon, La conversation des sexes : philosophie du consentement, Flammarion, 2021.

([18])  LONSWAY, Kimberly et FITZGERALD, Louise, « Rape myths in review », Psychology of Women Quarterly, 1994.

([19]) SALAS, Denis, Le déni du viol : essai de justice narrative, Michalon, 2023.  

([20]) IPSOS, enquête, « Les français.e.s et les représentations sur les violences sexuelles » - vagues 2 et 3, 2019.

([21]) La consommation précoce de contenu à caractère pornographique souvent violent accentue d’ailleurs cette tendance. Le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a également montré dans son rapport du 27 septembre 2023 « Pornocriminalité : mettons fin à l’impunité de l’industrie pornographique », que le « discours pornographique est là pour rappeler à toutes les femmes et à toutes les filles qu’elles sont haïssables, qu’elles sont inférieures. Il est constitutif de la culture du viol. ».

([22]) LE MAGUERESSE, Catherine, Les pièges du consentement : pour une redéfinition pénale du consentement sexuel, éditions iXe, 2018.

([23]) Viols, viols en réunion, viol avec plusieurs circonstances aggravantes, agression sexuelle commise en réunion, tentative de viol avec circonstances aggravantes, diffusion de l’enregistrement d’images relatives à la commission d’une atteinte volontaire à l’intégrité de la personne et atteintes à l’intimité de la vie privée par fixation, enregistrement ou transmission de l’image d’une personne présentant un caractère sexuel

([24]) France info, Procès des viols de Mazan : les parties civiles plaident pour "une prise de conscience" de la société, 20 novembre 2024.

([25])  Le Monde, « Procès des viols de Mazan : Gisèle Pélicot dénonce une « société machiste et patriarcale », son ancien mari parle de « fantasme » et de « soumettre une femme insoumise », novembre 2024.

([26]) IFOP, enquête, « Être une femme en situation de handicap : la double peine ? », novembre 2022.

([27]) Association Francophone de femmes autistes, « Focus sur les femmes autistes : congrès Encéphale 2019 à Paris », février 2019.

([28]) L’Union, « Les femmes handicapées, surexposées aux violences sexuelles », mars 2023.

([29]) Faire face, « Un kiné condamné pour le viol de trois résidentes handicapées », avril 2023.

([30]) France inter, « Nesrine Slaoui pour son premier essai anti-raciste et féministe », novembre 2024.

([31]) Amnesty International et SOS Viol, « Etude des opinions et des comportements de la population belge en matière de violences sexuelles », octobre 2019.

([32]) France Culture, « Racisme anti-asiatique : une si longue banalisation », février 2024.

([33]) France Culture, « Racisme anti-asiatique : une si longue banalisation », février 2024.

([34]) La Déferlante, MURHULA, Christelle et NDJANDJO, Estelle, « Violences sexuelles : des artistes racisées prennent la parole », n° 16, octobre 2024.

([35]) SOS Homophobie, rapport annuel sur les LGBTIphobies, 2024.

([36]) Institut national d’études démographiques (INED), enquête Virage (« Violences et rapports de genre »), 2015.

([37]) Institut national d’études démographiques (INED), SCODELLARO, Claire, TRACHMAN, Mathieu et BALHAN Liam, « Les violences sexuelles dans les vies des gays et des bisexuels. Configurations, dissémination et orientations intimes », Population (édition française), 2024.

([38]) Huffington post, « Avec #MeTooLesbien, ces femmes dénoncent les violences entre femmes », octobre 2022.

([39]) Amnesty International, « Porter plainte pour violences sexuelles : l’épreuve des femmes migrantes, transgenres et travailleuses du sexe en France », 2024.  

([40]) Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail, « Dix années de viols au travail commis en situation de contrainte psychologique condamnés par la Cour d’assises de l’Essonne », mars 2020.

([41]) Le Monde, « Notre système institutionnel permet de violer ou de battre une femme en toute impunité dès lors qu’elle est en situation irrégulière », novembre 2023.

([42]) Libération, « Femmes sans abri : « Ma logeuse me présentait des hommes et elle empochait l’argent », février 2023.

([43]) Fondation Abbé Pierre, « L’état du mal-logement en France », rapport annuel n° 28, 2023.

([44]) Buzzles, « [Les Invisibles] Femmes sans-abri : invisibles et victimes de violence », mars 2019.

([45]) LORIENT, Anne et AZOULAI, Minou, Mes années barbares, La Martinière, 2016.

([46]) Mediapart, « Les femmes âgées sont la dernière roue du carrosse des politiques publiques », décembre 2022.

([47]) Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, rapport, « Pornocriminalité : mettons fin à l’impunité de l’industrie pornographique », septembre 2023.

([48]) Le Monde, « C’était des viols déguisés en vidéo : le réseau, le recruteur et les proies », décembre 2021.

([49]) Le Monde, « Tout le monde m’a renvoyée à l’idée qu’on ne violait pas une actrice porno » : la lanceuse d’alerte et les ratés judiciaires », décembre 2021.

([50]) Mouvement du Nid, communiqué de presse commun, « Crimes de l’industrie pornographique : les faits doivent être jugés dans leur intégralité », octobre 2024.

([51]) Amnesty International, « Porter plainte pour violences sexuelles : l’épreuve des femmes migrantes, transgenres et travailleuses du sexe en France  », 2024.  

([52]) CHARTIER, Claire, Le viol et nous : enquête sur un fléau social, éditions de l’Observatoire, 2019.

([53]) Il s’agit d’une réaction neurologique de défense de l’organisme au moment de l’agression. Les violences, par leur pouvoir de sidération et de paralysie psychique génèrent la production d’une grande quantité d’hormones de stress (adrénaline et cortisol) qui représente un risque vital cardiovasculaire et neurologique. Pour échapper à ce risque, un mécanisme de sauvegarde neurobiologique exceptionnel déclenché́ par le cerveau va faire « disjoncter » le circuit émotionnel, ainsi que celui de la mémoire qui lui est lié, ce qui permet un arrêt brutal de la production d’hormones de stress et génère une anesthésie émotionnelle et physique.

([54]) Une UMJ est une structure spécialisée, généralement située au sein d’un hôpital, qui prend en charge les victimes de violences, y compris de viol. Leurs équipes sont pluridisciplinaires, composées de médecins, légistes, infirmières, psychologues, psychiatres selon les structures.

([55]) Les centres régionaux du psychotraumatisme (CRP) sont des structures dédiées à la prise en charge complète des personnes souffrant de troubles de stress post-traumatique, offrant accueil, orientation, traitement, en collaboration avec les différents acteurs accompagnant les victimes (forces de sécurité, associations, services sociaux).

([56]) Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, rapport, « Les centres régionaux du psychotraumatisme : des besoins considérables, des prises en charge insuffisantes, des moyens dérisoires », juillet 2023.

([57]) Circulaire du 25 avril 2012, relative à la mise en œuvre de la réforme de la médecine légale.

([58]) GREVIO, rapport d’évaluation de référence sur les mesures d’ordre législatif et autres donnant effet aux dispositions de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul), adopté le 28 octobre 2019.

([59]) Ministère de l’Intérieur, Charte d’accueil du public et des victimes, 2016.

([60]) Les officiers de police judiciaire sont tenus d’informer sans délai le procureur de la République des crimes, délits et contraventions dont ils ont connaissance. Dès la clôture de leurs opérations, ils doivent lui faire parvenir directement l’original ainsi qu’une copie des procès-verbaux qu’ils ont dressés ; tous les actes et documents y relatifs lui sont en même temps adressés ; les objets saisis sont mis à disposition.

([61])  En complément de la formation initiale, plusieurs dispositifs de formation continue existent à l’ENM (relatifs aux concepts en matière de violences faites aux femmes, aux violences sexuelles, conjugales). Il existe également un cycle approfondi sur le phénomène des violences intrafamiliales.

([62])  Cour de Cassation, Allocution de rentrée de François Molins, janvier 2023.

([63]) Il est à noter que les données pour 2022 sont semi-définitives et celles pour 2023 provisoires.

([64]) Ministère de l’Intérieur, Inter stats, « Les violences sexuelles hors cadre familial enregistrées par les services de sécurité en 2023 », Info rapide n° 33, mars 2024.

([65]) MIPROF, Lettre de l’observatoire national des violences faites aux femmes, « les violences sexistes et sexuelles en France en 2023 », n° 22, novembre 2024.

([66])  INSEE, étude, « Sécurité et société », édition 2021.

([67]) MIPROF, Lettre de l’observatoire national des violences faites aux femmes, « les violences sexistes et sexuelles en France en 2023 », n° 22, novembre 2024.

([68]) Idem.

([69]) Ibid.

([70]) CHRISTEN, Olivier, Violences sexuelles : en finir avec l’impunité, « Viol, fin de l’impunité de l’enquête au jugement », Dunod, chapitre 11, 2021. La Chancellerie note toutefois de fortes disparités géographiques, ce contentieux pouvant représenter 75 % des faits jugés aux assises du Lot-et-Garonne contre 25 % des faits jugés à celles de Paris.

([71]) Commission d’étude et de réflexion sur les cours d’assises et cours criminelles départementales, rapport, janvier 2021.

([72]) Ministère de la Justice, références statistiques justice, « L’activité pénale des juridictions », chapitre 10, 2022.

([73])  INSEE, étude, « Sécurité et société », édition 2021.

([74])  Ministère de l’Intérieur, rapport d’enquête, « Vécu et ressenti en matière de sécurité », 2022, victimation - délinquance et sentiment d’insécurité ; novembre 2023.

([75])  Ministère de l’Intérieur, rapport d’enquête, « Vécu et ressenti en matière de sécurité », 2023, victimation - délinquance et sentiment d’insécurité ; novembre 2024.

([76])  Ministère de l’Intérieur, rapport d’enquête « Vécu et ressenti en matière de sécurité », victimation - délinquance et sentiment d’insécurité, décembre 2023.

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([77])  Ministère de l’Intérieur, rapport d’enquête, « Vécu et ressenti en matière de sécurité », 2022, victimation - délinquance et sentiment d’insécurité ; novembre 2023.

([78])  Ministère de l’Intérieur, Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI), bases statistiques des victimes de crimes et délits enregistrés par la police et la gendarmerie de 2021 à 2023.

([79])  Ministère de la Justice, références statistiques justice, « L’activité pénale des juridictions », chapitre 10, 2022

([80])  Ministère de la Justice, Violences sexuelles et atteintes aux mœurs : les décisions du parquet et de l’instruction, Infostat Justice n° 160, mars 2018.

([81])  Ministère de la Justice, Infostat Justice, JUILLARD, Marianne et TIMBART Odile, « Violences sexuelles et atteintes aux mœurs : les décisions du parquet et de l’instruction », 2018- n° 160, 2018.

([82]Idem.

([83]) Ibid.

([84])  Sénat, M. Jean-Noël Guérini, sénateur, traitement judiciaire des viols, question écrite n° 25527, 14e législature, 2017.

([85])  DEVYNCK, Hélène, Impunité, Seuil, 2022.

([86])  La Croix, « Défier l’impunité : le réquisitoire d’Hélène Devynck dans l’affaire Patrick Poivre d’Arvor », septembre 2022.

([87])  FOÏS, Giulia, Je suis une sur deux, Flammarion, 2020.

([88])  CHRISTEN, Olivier, Violences sexuelles : en finir avec l’impunité, « Viol, fin de l’impunité de l’enquête au jugement », Dunod, chapitre XI, 2021. cf. Christen, Olivier. « Chapitre 11. Viol, fin de l’impunité de l’enquête au jugement », Ernestine Ronai éd., Violences sexuelles. En finir avec l’impunité. Dunod, 2021, pp. 139-152.

([89])  LE GOAZIOU, Véronique, Viol : que fait la justice ?, « Les victimes et l’épreuve judiciaire », chapitre 5, Presses de Sciences Po, 2019.

([90])  CHRISTEN, Olivier, Violences sexuelles : en finir avec l’impunité, « Viol, fin de l’impunité de l’enquête au jugement », Dunod, chapitre XI, 2021.

([91])  Idem

([92])  AUBRY, Isabelle, La première fois, j’avais 6 ans..., Xo éditions, 2008.

([93])  LE GOAZIOU, Véronique, Viol : que fait la justice ?, « Les victimes et l’épreuve judiciaire », chapitre 5, Presses de Sciences Po, 2019.

([94])  LOUIS, Édouard, Histoire de la violence, Seuil, 2016.

([95])  RENARD, Noémie, En finir avec la culture du viol, Les petits matins, 2018.

([96])  CHRISTEN, Olivier, Violences sexuelles : en finir avec l’impunité, « Viol, fin de l’impunité de l’enquête au jugement », Dunod, chapitre 11, 2021.

([97])  HUYETTE, Michel, blog, « La nécessaire protection des victimes de viol contre la victimisation secondaire », paroles de juges, 2024.

([98])  Mediapart, « Traitement judiciaire du viol : huit femmes veulent voir la France condamnée par la CEDH », mars 2024.

([99])  CHRISTEN, Olivier, Violences sexuelles : en finir avec l’impunité, « Viol, fin de l’impunité de l’enquête au jugement », Dunod, chapitre 11, 2021.

([100])  Handicap.fr, Les femmes handicapées, surexposées aux violences sexuelles, mars 2023.

([101])  SALMONA, Muriel, « Impact des violences sexuelles sur la santé des victimes : la mémoire traumatique à l’œuvre », in TARQUINIO et Al., Dunod, 2017.

([102]) Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), VANIER, Camille, « Les interlocuteurs des victimes de viol », note de l’ONDRP n° 11, février 2017.

([103])  HUYETTE, Michel, blog, « La nécessaire protection des victimes de viol contre la victimisation secondaire », paroles de juges, 2024.

([104]) GLAZEWSKI, Anna, « Souffrir deux fois ou quand la procédure devient une épreuve : la notion de victimisation secondaire dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », Europe des Droits & Libertés, n° 8, 2023/2.

([105]) Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), Cour (deuxième section), N. Ç. c. Turquie, n° 40591/11, 9 février 2021.

([106])  LE MAGUERESSE, Catherine, « Viol et consentement en droit pénal français. Réflexions à partir du droit pénal canadien », Archives de politique criminelle, n° 34, 2012/1.

([107])  Mediapart, « Traitement judiciaire du viol : huit femmes veulent voir la France condamnée par la CEDH », mars 2024.

([108])  REY-ROBERT, Valérie, Une culture du viol à la française, Libertalia, 2019.

([109])  Libération, « Violences sexuelles : ‘Il y a une impunité judiciaire et sociale’ », novembre 2019.

([110])  CHARTIER, Claire, Le viol et nous : enquête sur un fléau social, éditions de l’Observatoire, 2019.

([111])  FOÏS, Giulia, Je suis une sur deux, Flammarion, 2020. 2020

([112])  CHARTIER, Claire, Le viol et nous : enquête sur un fléau social, éditions de l’Observatoire, 2019.

([113])  LE GOAZIOU, Véronique, « Les viols en justice : une (in)justice de classe ? », Nouvelles Questions Féministes, 2013.

([114]) En France, nous ne pouvons fournir aucune statistique fiable sur le nombre de plaintes déposées par des hommes, tant elles sont faibles.

([115]) REY-ROBERT, Valérie, Une culture du viol à la française, Libertalia, 2019.

([116])  Le Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO) est un organe d’experts indépendants qui est chargé de veiller à la mise en œuvre, par les Parties, de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique.

([117])  S’agissant de l’Autriche (rapport du GREVIO de 2017) : « il y a une différence, minime mais présente, entre les actes sexuels commis contre la volonté de la victime (législation autrichienne) et les actes sexuels non-consentis (la Convention). Cela signifie que l’Autriche ne reconnaît pas comme viol les cas où la victime demeure passive, mais n’y consent pas. Au regard de la législation autrichienne, pour que l’acte soit punissable, la victime doit exprimer son opposition, verbalement ou autrement. » ; pour la Roumanie (rapport de mars 2022), si la signature de la Convention d’Istanbul lui a permis d’évoluer dans la prévention et la lutte contre le viol, les mécanismes de justice pénale restaient largement insuffisants.

([118])  Parlement européen, service de recherche, rapport, « Combating violence against women and domestic violence », septembre 2023.

([119])  GREVIO, rapport d’évaluation de référence sur les mesures d’ordre législatif et autres donnant effet aux dispositions de la Convention d’Istanbul, 2019.

([120])  https://www.ungeneva.org/fr/news-media/meeting-summary/2023/10/examen-de-la-france-devant-le-cedaw-les-question-relatives-aux

([121])  La France, les Pays-Bas, l’Italie, l’Autriche, la Bulgarie, l’Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, le Portugal, la République Tchèque, la Slovaquie et la Roumanie.

([122])  Amnesty International, rapport, « Europe : Right to be free from rape – overview of legislation and state of play in Europe and international human rights standards », novembre 2018.

([123]) Jusqu’en 2016, le viol était défini dans le Code pénal allemand comme l’acte de « contraindre, par la violence, par la menace d’un danger immédiat pour sa vie ou son intégrité physique, ou par l’exploitation d’une situation dans laquelle la victime est livrée sans défense au bon vouloir de l’auteur, une personne à des relations sexuelles ». L’Allemagne a ajouté à la liste (non cumulative) des circonstances ouvrant à la qualification de viol le fait de « contraindre une personne à un acte sexuel contre sa volonté identifiable », souhaitant mettre sa législation en conformité avec la Convention d’Istanbul.

([124]) Swedish National Council for Crime Prevention, « The new consent law in practice, an updated review of the changes in 2018 to the legal rules concerning rape », 2020.

([125])  GAUDILLAT CAUTELA, « Questions de mot. Le « viol » au XVIe siècle, un crime contre les femmes? », CLIO. Histoire, femmes et sociétés, 2006.

([126])  VIGARELLO, Georges, Histoire du viol XVIe-XXe siècle, Seuil, 1998.

([127]) LAMBERT, p. 568 in Dalloz Verbo Viol N° 10.

([128]) Loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980 relative à la répression du viol et de certains attentats aux moeurs https://www.senat.fr/leg/1977-1978/i1977_1978_0324.pdf

([129]) LE MAGUERESSE, Catherine, Les pièges du consentement : pour une redéfinition pénale du consentement sexuel, éditions iXe, 2018.

([130])  La clause dite « Roméo et Juliette » prévoit qu’en cas de différence d’âge entre l’auteur et la victime de moins de cinq ans, la présomption de non-consentement ne s’applique pas.

([131]) Avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme du 20 novembre 2018, « Lutte contre les violences sexuelles : une situation d’urgence, un enjeu pour les droits fondamentaux. »

([132])  Cour de cassation, 9 septembre 2020, pourvoi n° 19-84.301.

([133])  Cour de cassation, 8 janvier 2020, pourvoi n°19-80.612.

([134])  En ce sens : Crim. 14 octobre 1998, n° 97-84.730 : en l’espèce la Cour de cassation avait à statuer sur l’application rétroactive de l’introduction de la notion de contrainte dans la définition pénale du viol. Elle estime que « l’article 222-22 du Code pénal donne du viol et des agressions sexuelles autres que le viol une définition qui n’étend pas leur champ d’application par rapport aux anciens textes. Qu’en effet, la menace n’est qu’une forme de la contrainte » ;

([135])  Crim. 11 février 1992, n° 91-86.391 : cas d’un viol en réunion particulièrement violent et s’inscrivant dans une relation sadomasochiste.

([136])  CC, 6 février 2015, DC n° 2014-448 QPC, M. Claude A.

([137])  Crim, 3 mars 2021,  19-87.139.

([138])  Crim, 16 octobre 2019, pourvoi n° 18-83.109.

([139])  Crim, 14 avril 2021, pourvoi n° 20-81.196.

([140])  Crim, 25 avril 2001, pourvoi n° 00-85.467.

([141]) Crim, 23 janvier 2019, pourvoi n° 18-82.833.

([142]) Cour d’appel de Toulouse, 21 octobre 2008, 07/00906.

([143])  Crim, 17 mars 2010, pourvoi n° 09-88.674.

([144])  Crim, 8 février 2017, pourvoi n° 16-87.065.

([145])  Crim, 11 septembre 2024, pourvoi n° 23-86.657.

([146]) Crim, 21 juin 2017, pourvoi n° 15-85.375.

([147]) Crim, 25 juin 1857.

([148])  En ce sens : Crim. 10 mai 2001, n°00-87.659 (cas d’attouchements sexuels pratiqués par une personne ayant autorité – un oncle - sur un mineur de quinze ans) ; Cass., ass. Plén., 8 juillet 2005, n°99-83846 (la cour d’assises qui ne questionne pas les jurés sur l’usage de VCMS et se borne à l’interroger sur la pénétration d’une mineure de quinze ans par un ascendant prive sa décision de base légale) ; Crim. 4 septembre 2019, n°18-83.467 (cas d’une personne ayant autorité abusant ses petites filles de moins de quinze ans de la même manière qu’il avait abusé ses filles, sans que l’usage de VCMS soit démontré) ;

([149])  Dans l’arrêt mentionné, chambre de l’accusation ;

([150])  Crim. 17 septembre 1997, n°97-83.617 : cas d’un frère imposant des pénétrations et attouchements sexuels à sa sœur de cinq ans sa cadette en guise de gage, faits que l’enfant n’a pas dénoncés sachant son frère violent ;

([151])  En ce sens : l’ordonnance de non-lieu rendue le 16 août 2018 dans l’affaire Darmanin énonce que « le défaut de consentement ne suffit pas à caractériser le viol. Encore faut-il que le mis en cause ait eu conscience d’imposer un acte sexuel par violence, menace, contrainte ou surprise » ;

([152]) Crim. 20 juin 2001, no 00-88.258 : cas d’agressions sexuelles commises avec violences physiques précédant l’acte dans le cadre d’une relation sadomasochiste et pour lequel la cour d’appel avait retenu que le mis en cause « ne pouvait pas ne pas se rendre compte que sa victime n’était pas tout à fait consentante » ;

([153]) Cass. crim., 11 septembre 2024, 23-86.657. le mis en cause ne s’est pas « assuré du consentement de sa nièce, surtout en constatant qu’elle ne prononçait pas un mot. »

([154]) Selon BÉNABENT, Alain et GAUDEMET, Yves, Dictionnaire juridique 2023 : tous les mots du droit, LGDJ lextenso, 2022.

([155]) Selon Women for Women France, « le contrôle coercitif : un concept essential dans les violences conjugales », juin 2021 et l’interview de Pauline Rongier, avocate spécialisée dans les violences intrafamiliales au média Brut, « c’est quoi le contrôle coercitif ? », juin 2023.

([156]) GRUEV-VINTILA Andreea, Le contrôle coercitif : au cœur de la violence conjugale, Dunod, 2023.

([157]) Comme l’explique YOVE, Ophélia, Dalloz actualité, « agression sexuelle : rappels sur la matérialité et l’intentionnalité », février 2023.

([158])  D’après le dictionnaire de l’Académie française, 9e édition.

([159])  Tel que l’a expliqué Mme Muriel Salmona lors de son audition par les rapporteures et comme elle le détaille dans « la sidération traumatique lors des viols : mécanismes et conséquences » association Mémoire traumatique et victimologie, 2024.

([160])  Tel que l’explique la CEDH, Cour (deuxième section), N. Ç. c. Turquie, n° 40591/11, 9 février 2021.  

([161])  Tel que définie par BOUCHERIE, Alexia, « Du « vrai viol aux « zones grises » : juger du (non) consentement dans la sexualité contemporaine française », Archives de philosophie du droit, Tome 61 (1), 2019.