N° 1005
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
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Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 20 février 2025.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
sur la place de la France dans l’Indopacifique
présenté par
M. Michel HERBILLON,
Député
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SOMMAIRE
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Pages
I. LA FRANCE FACE À L’INTENSIFICATION DES RIVALITÉS GÉOPOLITIQUES DANS L’INDOPACIFIQUE
1. Le positionnement offensif de la Chine
a. L’expansion militaire en mer de Chine méridionale
b. Les risques géostratégiques de la Belt and Road Initiative
c. Une influence culturelle croissante
2. Le rôle des États-Unis dans la montée des tensions
a. La stratégie de containment
b. Un renforcement des partenariats sécuritaires et stratégiques avec les puissances régionales
i. Le partenariat avec le Japon
ii. Le partenariat avec l’Australie
iii. Le partenariat avec l’Inde
iv. Le partenariat avec les Philippines
v. Le partenariat avec la Corée du Sud
c. La compétition technologique et commerciale au cœur des tensions globales
i. Les semi-conducteurs : un enjeu stratégique majeur
ii. L’intelligence artificielle : une course à l’innovation
iii. Les technologies de l’information et de la communication : la bataille de la 5G
iv. Les véhicules électriques : une nouvelle frontière de la concurrence
B. La France face À ces rivalitÉs accrues
1. La diplomatie d’équilibre de la France
a. La France comme médiateur entre puissances rivales
ii. Les relations franco-américaines
b. Une promotion continue du multilatéralisme
c. L’importance des relations bilatérales avec les puissances de la région
i. Les relations franco-japonaises : un partenariat stratégique renforcé
ii. L’engagement franco-indien : pierre angulaire de la stratégie française en Indopacifique
iii. Les relations franco-australiennes : une coopération pragmatique malgré les défis
iv. Les relations franco-indonésiennes : un partenariat stratégique prometteur
2. Le rôle de la France dans l’équilibre stratégique
a. Les bases françaises et les déploiements navals dans la région
b. La coopération militaire avec les partenaires régionaux
c. La sécurisation des voies maritimes et la défense des Outre-mer
II. Entre dÉsunion européenne et aspirations françaises, une approche de l’indopacifique À refonder
A. Les stratÉgies indopacifiques de nos partenaires subissent de profondes mutations depuis 2022
a. Le Royaume-Uni en Indopacifique : une ambition freinée par un manque de moyens
b. La prise de conscience tardive par l’Allemagne du défi chinois
2. Les États européens plus modestes partagés sur la forme de la stratégie indopacifique à adopter
a. Les Pays-Bas : une puissance moyenne aux ambitions pragmatiques
b. La posture lituanienne audacieuse face à la Chine
3. Une indispensable actualisation de la stratégie de l’Union européenne pour l’Indopacifique
a. Les lacunes de la stratégie actuelle
i. Une approche économique trop prudente
ii. Une présence sécuritaire limitée
b. Les priorités pour une actualisation stratégique
i. Renforcer la coordination entre les États membres
ii. Augmenter les capacités financières et logistiques
iii. Développer une présence sécuritaire accrue
iv. Affirmer une position claire sur les enjeux géopolitiques
c. Les opportunités d’une stratégie renforcée
B. Une stratÉgie française paradoxale entre actions concrÈtes et manque de cohÉsion globale
1. De nombreux efforts concrets, quoique peu médiatisés, de la France dans la zone indopacifique
a. Une diplomatie présidentielle proactive et des partenariats stratégiques renforcés
b. Un rôle clé dans les organisations multilatérales et initiatives régionales
c. Une réponse rapide et stratégique aux crises humanitaires
d. Une stratégie économique et culturelle proactive
a. Clarifier les objectifs et la posture de la France dans la zone
b. Trouver un équilibre entre multilatéralisme et minilatéralisme
c. Valoriser les atouts ultramarins
d. Mieux coordonner les stratégies européenne et française
III. La nÉcessaire adaptation des moyens diplomatiques et militaires français dans la rÉgion
1. Une puissance militaire de qualité mais à l’ampleur restreinte
a. Des moyens limités en comparaison avec les puissances régionales
b. Des contraintes budgétaires et logistiques pesantes
c. La nécessité de continuer à moderniser les infrastructures militaires dans les Outre‑mer
2. Un indispensable renforcement de la coopération militaire multilatérale
a. Accroître l’intégration aux forces navales régionales
b. Renforcer la coopération technologique en matière de défense avec les partenaires stratégiques
c. Anticiper les menaces régionales grâce à une cybersécurité et une défense spatiale renforcées
1. Redéfinir les priorités diplomatiques au moyen d’une stratégie claire et lisible
b. Des initiatives ciblant les priorités régionales sont à développer dans un cadre minilatéral
c. La culture, un vecteur d’influence à renforcer
2. S’attaquer aux défis économiques et commerciaux
a. Renforcer les échanges économiques et sécuriser les chaînes d’approvisionnement
b. S’intégrer au « Global Gateway »
c. Les accords de libre-échange comme leviers de développement économique en Indopacifique
3. Relever les défis environnementaux
a. Assumer un leadership climatique
b. Renforcer la gestion des ressources maritimes
c. Collaborer avec les partenaires régionaux pour la transition écologique
ANNEXE 1 : liste des personnes auditionnÉes par le rapporteur
ANNEXE 2 : liste des PRINCIPAUX acronymes utilisÉs dans le rapport
La France est une puissance de l’Indopacifique, cet espace géostratégique englobant l’océan Indien et l’océan Pacifique. Pourtant, du fait d’une stratégie dédiée manquant de cohérence, cette réalité n’est pas toujours reconnue à sa juste mesure au niveau international.
Le présent rapport s’inscrit dans une démarche visant à améliorer la vision d’ensemble et prolonge les réflexions amorcées par la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, notamment en 2022, à l’occasion d’une mission d’information conduite par Mme Aude Amadou et M. Michel Herbillon ([1]).
Si les récents conflits, comme la guerre en Ukraine ou l’intensification des tensions au Proche-Orient après le 7 octobre 2023, ont rappelé que les enjeux géopolitiques sont loin de se limiter à l’Indopacifique, cette région porte néanmoins un grand péril : c’est ici que pourrait survenir le premier affrontement direct entre puissances nucléaires depuis la seconde guerre mondiale.
À court terme, l’escalade des tensions en mer de Chine méridionale, en particulier entre la République populaire de Chine et les Philippines, constitue un point critique. Une éventuelle transgression, qu’elle soit délibérée ou accidentelle, pourrait entraîner une réaction en chaîne à travers les alliances régionales. À long terme, la situation à Taïwan demeure la source d’inquiétude majeure. Ces tensions s’accompagnent d’une véritable guerre technologique entre Pékin et Washington, centrée notamment sur les semi-conducteurs, domaine dans lequel Taïwan s’est affirmé comme un acteur incontournable.
Dans ce contexte complexe, la France doit affirmer sa place naturelle dans l’Indopacifique ; une place que sa géographie justifie pleinement. Cette affirmation implique de surmonter les écueils de sa stratégie actuelle, tant sur le plan sémantique que dans la coordination de ses actions. Pour répondre à ces défis, il est essentiel d’allier ambitions et pragmatisme, en capitalisant sur les atouts de la France tout en tenant compte de ses ressources contraintes.
Cette ambition ne peut se limiter à l’échelon national. Le rayonnement de la France dépend également de sa capacité à influer sur l’action européenne dans la région. Malheureusement, la stratégie de l’Union européenne pour l’Indopacifique, symbolisée par le programme « Global Gateway », souffre d’un manque de clarté et de coordination entre les États membres. La France a un rôle déterminant à jouer pour remédier à cette fragmentation, en orientant l’Europe vers une approche plus cohérente et ambitieuse.
Une stratégie réussie pour l’Indopacifique repose sur trois piliers : lisibilité, ambition et pragmatisme. Dans cette optique, ce rapport formule des recommandations autour de six axes prioritaires.
Il est impératif d’augmenter la présence militaire française dans la région pour crédibiliser sa posture, tout en renforçant les partenariats avec les alliés régionaux.
Si le multilatéralisme reste une valeur centrale, il ne doit pas exclure les coopérations « minilatérales » permettant des actions plus ciblées.
La promotion de la culture française, souvent négligée, doit également être intensifiée, car elle est un levier puissant pour renforcer l’influence de la France.
Sur le plan économique, le développement des échanges avec les pays de la région est une nécessité stratégique, sous peine de subir un déclassement technologique et économique.
La France doit également jouer un rôle exemplaire dans la lutte contre le dérèglement climatique, en mettant en avant des initiatives adaptées aux spécificités de ses territoires ultramarins, qui sont en première ligne face aux impacts du changement climatique.
Enfin, la surveillance et la protection des zones maritimes françaises, représentant 90 % de la zone économique exclusive (ZEE) nationale, nécessitent une coordination renforcée entre les acteurs étatiques et locaux pour prévenir toutes formes d’ingérences.
L’investiture de Donald Trump le 20 janvier 2025 ouvre une période d’incertitude quant à l’orientation de la politique américaine vis-à-vis de la Chine, tant son approche repose sur des propositions disruptives et des choix stratégiques difficilement prévisibles. Si son premier mandat avait été marqué par une confrontation commerciale et technologique avec Pékin, la question demeure de savoir si cette logique de rivalité systémique prévaudra ou si des inflexions plus transactionnelles émergeront. Par ailleurs, les retraits des États-Unis de l’Accord de Paris ou du Pilier II de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) interrogent plus largement la conception américaine du multilatéralisme, oscillant entre un repli sur les intérêts nationaux et une instrumentalisation des alliances en fonction d’objectifs économiques et stratégiques immédiats.
Dans ce contexte, la France occupe une position singulière. Elle ne peut rivaliser avec Washington ou Pékin sur le plan des moyens militaires, mais elle peut porter une vision alternative, fondée sur la lutte contre le changement climatique, la sûreté maritime et le renforcement des échanges culturels. Cette approche lui permet d’exister sur la scène indopacifique non comme un acteur de confrontation, mais comme une puissance de proposition, capable de fédérer des partenaires autour de thématiques où son expertise et son engagement sont reconnus.
Au fil des auditions et des réflexions menées pour la rédaction de ce rapport, trente nouvelles recommandations ont été élaborées. Elles visent à dépasser les limites de l’actuelle stratégie française pour l’Indopacifique, en proposant des solutions réalistes et ambitieuses. L’objectif n’est pas de nier les efforts déjà accomplis, mais de tracer une voie plus claire et cohérente, afin que la France puisse pleinement jouer son rôle dans cette région clé pour l’avenir des relations internationales. À cet égard, publier la nouvelle stratégie indopacifique, attendue par l’ensemble des acteurs, témoignerait de la priorité stratégique que doit constituer cette région du monde.
Trente propositions pour améliorer la stratégie Indopacifique de la France
Capacités militaires et présence de la France en Indopacifique :
Proposition n° 1 : Affecter de manière permanente une frégate de premier rang à la zone maritime Asie-Pacifique afin de crédibiliser la position militaire de la France dans un contexte de montée des tensions en mer de Chine méridionale.
Proposition n° 2 : Affecter de manière permanente un drone MALE Reaper à la Réunion. De même, affecter de manière permanente un aéronef de surveillance à La Réunion.
Proposition n° 3 : Moderniser les infrastructures portuaires et logistiques dans les territoires d’outre-mer pour garantir l’entretien et la pleine capacité opérationnelle des bâtiments de guerre.
Diplomatie de défense et coopération militaire :
Proposition n° 4 : Perpétuer la participation de la France à l’exercice biannuel américain RIMPAC à travers la présence d’au moins un navire de premier rang.
Proposition n° 5 : Déposer une demande afin de devenir membre permanent de la réunion élargie des ministres de la défense de l’ASEAN (ADMM+).
Diplomatie régionale multilatérale et minilatérale :
Proposition n° 6 : Pérenniser les déplacements des équipes du Maritime Information Cooperation and Awareness Center (MICA) Center de Brest en Indopacifique, afin d’accroître la coopération avec nos partenaires locaux, notamment à Singapour.
Proposition n° 7 : Garantir une représentation systématique au niveau ministériel lors des réunions des principales organisations de la zone indopacifique.
Proposition n° 8 : Organiser un sommet présidentiel franco-indien à La Réunion ou franco‑australien en Nouvelle-Calédonie.
Proposition n° 9 : Approfondir les coopérations minilatérales avec nos partenaires dans la région.
Proposition n° 10 : Renforcer la participation des territoires ultramarins dans les initiatives régionales.
Diplomatie culturelle et développement artistique :
Proposition n° 11 : Créer un Institut français en Papouasie-Nouvelle-Guinée et aux Fidji, pays les plus peuplés du Pacifique insulaire.
Proposition n° 12 : Établir une quatrième résidence d’artistes pérenne en Chine dans la zone Indopacifique, en complément de celles existantes en Inde, au Vietnam et au Japon.
Proposition n° 13 : Bénéficier du prochain sommet international de la Francophonie organisé par le Cambodge en 2026 pour intensifier la coopération culturelle, en particulier à travers un cycle d’expositions franco-cambodgiennes en partenariat avec le Musée national des Arts asiatiques Guimet.
Diplomatie économique et sécurité des chaînes d’approvisionnement :
Proposition n° 14 : Organiser un sommet « Choose La Nouvelle-Calédonie » pour relancer l’attractivité économique de l’île et attirer des investissements, notamment dans les secteurs stratégiques tels que les ressources naturelles et la transition énergétique.
Proposition n° 15 : Ouvrir un bureau de Business France aux Fidji pour faciliter les échanges économiques dans le Pacifique insulaire.
Proposition n° 16 : Consolider la dynamique initiée par l’invitation du Président français au sommet de l’APEC en soumettant une candidature pour obtenir le statut de membre observateur, afin de renforcer les efforts d’intégration de la France dans le cadre du « Global Gateway » dans la région.
Proposition n° 17 : Développer et renforcer la visibilité de la coopération P-QUAD dans le domaine de la surveillance aérienne et de la lutte contre la pêche illégale, non déclarée et non réglementée pour sécuriser les ressources marines, une composante clé des chaînes d’approvisionnement alimentaires.
Proposition n° 18 : Mobiliser la diplomatie économique afin de solliciter des financements européens en vue de cofinancer des projets structurants de nature à positionner la France comme un hub stratégique de connectivité internationale dans les océans Indien et Pacifique.
Proposition n° 19 : Exploiter pleinement les accords existants. Accroître le soutien aux entreprises françaises, notamment les petites et moyennes entreprises (PME), pour tirer parti des accords de libre-échange actuels.
Proposition n° 20 : Promouvoir une intégration européenne au partenariat transpacifique global et progressiste (CPTPP) afin de capitaliser sur les avantages d’une coopération renforcée avec des marchés en plein essor tels que le Canada, le Japon, le Mexique et le Vietnam.
Proposition n° 21 : Renforcer les moyens de la diplomatie économique. Continuer de mobiliser les ambassades, consulats et agences économiques – la « team France » – pour accompagner les entreprises françaises dans l’identification des opportunités offertes par ces accords et faciliter leur implantation dans les marchés étrangers.
Diplomatie environnementale et adaptation au dérèglement climatique :
Proposition n° 22 : Créer un programme spécial piloté par l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) pour étudier et développer des moyens d’adaptation face à l’élévation du niveau de la mer dans les territoires ultramarins français comme la Nouvelle-Calédonie et La Réunion.
Proposition n° 23 : Renforcer le soutien et l’application de l’avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur les obligations des États en matière de changement climatique, une initiative portée par le Vanuatu et soutenue par la France, pour promouvoir une gouvernance internationale plus robuste sur les questions climatiques.
Proposition n° 24 : Investir dans des plateformes de surveillance environnementale utilisant des technologies satellitaires et l’intelligence artificielle pour anticiper les crises climatiques et renforcer la coopération internationale.
Surveillance du territoire maritime française et enjeux océaniques :
Proposition n° 25 : Intensifier les capacités de surveillance dans les zones économiques exclusives grâce à l’utilisation de drones embarqués sur les patrouilleurs maritimes.
Proposition n° 26 : Développer de nouvelles zones maritimes protégées (ZMP) en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, en impliquant activement les populations locales dans leur gestion pour protéger la biodiversité et expérimenter des modèles durables de conservation.
Proposition n° 27 : Mobiliser l’influence française dans les instances internationales, comme l’Organisation maritime internationale (OMI), pour élaborer des cadres juridiques solides visant à protéger la biodiversité en haute mer et lutter contre les crimes environnementaux.
Proposition n° 28 : Développer des projets conjoints avec des pays stratégiques comme l’Indonésie et l’Inde, notamment dans l’installation de parcs solaires et éoliens, en mobilisant des financements européens tels que le programme « Global Gateway ».
Proposition n° 29 : Participer activement aux forums régionaux comme l’ASEAN pour harmoniser les efforts climatiques, faciliter l’accès aux financements internationaux et promouvoir des politiques climatiques ambitieuses.
Proposition n° 30 : Investir dans la formation des populations locales et des décideurs régionaux pour garantir la durabilité des projets écologiques et leur intégration aux besoins spécifiques.
« L’Indopacifique est évidemment pour nous une terre de priorité. Je pense que la France y a une voix singulière. Depuis 2018, on a bâti une stratégie, elle est cohérente. Nous l’avons ensuite européanisée et c’est une stratégie qui aide à une forme d’indépendance à l’égard de la Chine, nombre d’États, sans être conflictuelle. Et nous avons, en quelque sorte, la beauté de la tierce partie. » ([2])
L’Indopacifique s’affirme aujourd’hui comme le centre de gravitation d’une large part des dynamiques économiques, stratégiques et environnementales mondiales. Cette vaste région, qui s’étend de l’océan Indien à l’océan Pacifique, abrite près de 60 % de la population mondiale et représente environ 50 % du produit intérieur brut (PIB) global. Dans le même temps, cette région est le théâtre d’enjeux stratégiques cruciaux : tensions militaires, rivalités commerciales, compétition technologique et course pour l’accès aux ressources critiques, telles que les terres rares ou le lithium, indispensables aux économies contemporaines.
Dans ce contexte, la France, forte de ses territoires ultramarins, s’inscrit comme une puissance de l’Indopacifique. Avec près de 11 millions de kilomètres carrés de zone économique exclusive (ZEE), la France dispose du deuxième espace maritime mondial, un atout stratégique essentiel pour peser dans les équilibres géopolitiques de la région. Ses territoires outre-mer, à l’instar de La Réunion, de la Polynésie française ou encore de la Nouvelle-Calédonie, sont autant de points d’appui diplomatiques, militaires et économiques qui renforcent la présence française dans une zone stratégique. Par ailleurs, la France a su développer des relations bilatérales solides avec des acteurs régionaux majeurs tels que l’Inde, le Japon et l’Australie, tout en s’impliquant activement dans les enceintes multilatérales comme l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) ou le Forum des îles du Pacifique.
Cependant, si la France dispose de nombreux atouts dans l’Indopacifique, sa stratégie souffre encore de plusieurs faiblesses. Tout d’abord, l’éloignement géographique de l’hexagone et l’éclatement des territoires ultramarins rendent complexe la coordination des actions et la gestion des ressources. Ensuite, la stratégie actuelle, bien qu’ambitieuse, manque parfois de lisibilité et d’éléments chiffrés permettant de mesurer son impact. Enfin, la rivalité sino-américaine, qui structure les dynamiques géopolitiques de la région, impose à la France de trouver un équilibre subtil entre défense de ses intérêts, affirmation de ses valeurs et maintien de relations équilibrées avec les grandes puissances.
L’objectif de ce rapport est de proposer des pistes pour renforcer l’action de la France dans l’Indopacifique, en tenant compte des multiples défis qui s’y posent.
Il s’agit de doter la stratégie indopacifique française d’une meilleure cohérence, d’un meilleur portage politique, d’une plus grande visibilité et de moyens à la hauteur des ambitions affichées.
Le rapport s’articule autour de plusieurs axes stratégiques, parmi lesquels le renforcement des partenariats avec les acteurs régionaux, la modernisation des infrastructures militaires dans les territoires ultramarins, et l’intégration des enjeux climatiques et environnementaux dans les politiques publiques. Ces orientations doivent également inclure une coopération accrue avec l’Union européenne, dont la stratégie pour l’Indopacifique reste un levier essentiel pour accroître la portée des initiatives françaises.
Par ailleurs, la France doit exploiter pleinement ses atouts diplomatiques et culturels pour se positionner comme un acteur majeur dans la région. Cela passe notamment par une diplomatie culturelle et éducative renforcée, en s’appuyant sur les Alliances Françaises et les établissements scolaires, ainsi que par la promotion de l’expertise française dans des domaines tels que la transition écologique, les technologies vertes ou la gestion durable des ressources marines.
Enfin, ce rapport insiste sur la nécessité d’un pilotage politique renforcé afin de mieux coordonner les différents acteurs, d’impulser les coopérations régionales et de permettre une représentation de la France dans les instances stratégiques à un niveau corrélé à sa présence territoriale dans la zone.
L’Indopacifique représente pour la France une opportunité unique de conjuguer ses ambitions globales avec ses intérêts nationaux. En adoptant une stratégie plus structurée, plus visible et mieux dotée, la France pourra non seulement affirmer son rôle de catalyseur de souveraineté, mais également contribuer activement à la sauvegarde de la paix et de la liberté des échanges dans cette région décisive pour l’avenir du monde. Aussi, le rapporteur ne peut que regretter, au moment d’écrire ces lignes, l’absence de publication de la nouvelle stratégie indopacifique de la France.
I. LA FRANCE FACE À L’INTENSIFICATION DES RIVALITÉS GÉOPOLITIQUES DANS L’INDOPACIFIQUE
A. L’intensification des rivalitÉs sino-amÉricaines porte en germe le risque toujours plus important d’une bipolarisation des relations internationales
1. Le positionnement offensif de la Chine
a. L’expansion militaire en mer de Chine méridionale
La mer de Chine méridionale, charnière entre l’océan Indien et l’océan Pacifique, est bordée par huit pays, la République populaire de Chine – ci-après « Chine » –, le Vietnam, la Thaïlande, la Malaisie, Singapour, l’Indonésie, Brunei et les Philippines, auxquels il faut adjoindre Taïwan. Cette mer est par ailleurs parsemée d’une multitude de bancs de sable et petites terres, de nature corallienne. Ces élévations prennent des formes diverses. On trouve quelques îles de petite taille, parfois couvertes de végétation et dotées d’une source d’eau douce. D’autres sont simplement des récifs ou des écueils, partiellement immergés à marée haute. D’autres encore sont des bancs de sable ou des hauts-fonds, dont certains sont en permanence immergés.
On distingue traditionnellement deux archipels principaux, les Paracels au Nord, et les Spratleys au Sud, auxquels il faut adjoindre le banc Macclesfield, parfois intégré dans les Paracels du fait de sa proximité géographique, le récif de Scarborough, au large des Philippines, ainsi que les îles Prata, au sud-ouest de Taïwan.
Les Paracels, situés entre les16 et 17° de latitude Nord, couvrent une surface d’environ 15 000 km² pour seulement 8 km² de terres émergées. Cet archipel compte une cinquantaine d’îlots, bancs et récifs, l’île la plus grande étant l’île Boisée (Woody Island), avec une surface de 2,6 km².
Les îles Spratleys sont un archipel nettement plus étendu, avec plus de 100 îles, îlots, bancs et rochers dispersés sur près de 460 000 km² pour une superficie totale de terres émergées inférieure à 5 km² (cf. carte infra). Ces structures se situent entre le 6° et le 12° de latitude nord. On compte 26 îles ou îlots principaux, auxquels il faut ajouter de nombreux écueils et bancs de sable. L’île la plus grande, Itu Aba, présente une surface de moins de 0,5 km². Les archipels des Paracels et des Spratleys sont connus de longue date, comme en attestent les mentions nombreuses dans des ouvrages historiques. En raison des multiples écueils qui les parsèment, ces archipels étaient en réalité redoutés par les marins, les périls de ces eaux étant régulièrement rappelés par la présence de nombreuses épaves, lesquelles ont suscité une première forme d’exploitation économique pour les marins, venus prélever les cargaisons qui n’avaient pas pu être sauvées. Un groupe d’îles des Paracels porte d’ailleurs le nom d’un navire français affrété sous Louis XIV, l’Amphitrite, qui s’y est échoué en 1 698. Les caractéristiques de ces îles et îlots n’ont jamais permis le développement humain, jusqu’à une période récente, où une population, essentiellement militaire et administrative, y a pris pied, au prix d’un énorme effort en termes d’infrastructures. Ces îles ont néanmoins été fréquentées pendant des siècles par des pêcheurs de nationalités diverses, qui s’y établissaient parfois de manière saisonnière.
revendications territoriales en mer de chine méridionale
Source : Les Échos, Quentin Regnaud, 19 août 2024.
À partir des années 1970, les différends territoriaux au sujet des Paracels et des Spratleys prirent un tour plus grave, donnant parfois lieu à des affrontements armés. Cette aggravation tenait à plusieurs facteurs. Premièrement, les chocs pétroliers aiguisèrent l’intérêt des pays riverains pour l’exploration de gisements de pétrole off-shore, réputés importants dans les eaux entourant les deux archipels. Deuxièmement, la négociation de la convention des Nations unies sur le droit de la mer, finalement adoptée en 1982, éveilla la conscience des pays sur l’enjeu que représentaient les zones économiques exclusives (ZEE), zones maritimes étendues où les États peuvent bénéficier de l’intégralité des ressources. Cela donna soudainement une grande valeur à des territoires auparavant négligés, qui pouvaient susciter des droits maritimes importants. Ainsi, à partir des années 1970, les différents pays riverains formulèrent des revendications de plus en plus explicites sur les îles de la mer de Chine et commencèrent à les matérialiser par l’envoi de garnisons et une occupation effective. De son côté, la Chine recourut à la force pour s’emparer d’îles déjà occupées. En janvier 1974, elle bombarda les îles occidentales des Paracels occupées par le Vietnam et y débarqua ses troupes après de violents combats contre les forces vietnamiennes. La Chine contrôla ainsi l’intégralité de l’archipel des Paracels, situation qui prévaut encore aujourd’hui.
En 1979, le président philippin publia un décret dans lequel il considérait que la quasi-totalité de l’archipel des Spratleys était placée sous la souveraineté philippine. En 1983, la Malaisie souleva la question de sa souveraineté sur trois îles des Spratleys et envoya des soldats sur l’île Hoa Lau, où elle démarra des travaux importants. En 1984, le Brunei établit une zone de pêche exclusive autour du récif de Mischief, sans pour autant en revendiquer explicitement la souveraineté. En 1988, la Chine envoya pour la première fois des troupes sur certaines îles des Spratleys. Un incident naval se produisit aux alentours du récif Johnson South : les navires de guerre chinois utilisèrent de l’artillerie lourde, plusieurs navires vietnamiens furent endommagés, et 74 marins vietnamiens portés disparus. Les plus grandes îles des Spratleys étant déjà occupées, la Chine prit pied sur de simples récifs ou bancs de sable, partiellement immergés. L’année 1992 vit un tournant dans la politique chinoise : Pékin adopta une nouvelle loi définissant ses eaux territoriales de manière très extensive, en y englobant les archipels des Paracels et des Spratleys. La loi définit ces archipels comme faisant partie de l’« intérêt national », au même titre que Taïwan et le Tibet. Entre 1994 et 995, la Chine s’établit sur le récif Mischief, à 250 kilomètres des côtes philippines. Durant cette décennie, les différents pays revendiquant des droits sur les Spratleys octroyèrent des permis de forage concurrents à des compagnies pétrolières dans les eaux entourant cet archipel. Après une brève accalmie, au début des années 2000, la situation se tendit à nouveau à partir de 2009, lorsque le Vietnam et les Philippines présentèrent une demande d’extension de leur plateau continental dans des zones contestées par la Chine. Cet événement marqua le début d’un mouvement de poldérisation massive et de militarisation des éléments occupés par la Chine dans les Paracels et les Spratleys. En outre, de nouveaux incidents éclatèrent autour d’îlots encore non occupés, et à la souveraineté contestée. Ainsi, à partir de 2012, la Chine bloqua l’accès au récif de Scarborough, zone de pêche traditionnelle pour les Philippins, à 220 kilomètres des côtes du pays. En 2014, elle empêcha le ravitaillement des soldats philippins en faction sur un navire échoué par les Philippines sur le banc Second Thomas et dépêcha des bâtiments militaires pour empêcher les Vietnamiens de procéder à des opérations de forage.
En l’absence d’avancées sur le règlement de la question juridique, les pays ont cherché à matérialiser leurs revendications de souveraineté par une occupation des îles et éléments. Comme bon nombre de ces éléments ne se prêtent pas à l’installation humaine en raison de leurs caractéristiques naturelles (éléments immergés en tout ou partie, superficies réduites), des travaux de poldérisation ont été effectués pour en accroître le potentiel. Ces opérations ont été conduites par l’ensemble des parties, ainsi que le montrent les images satellites publiées par le site de l’Asian Maritime Transparency Initiative (AMTI). Les différents pays impliqués améliorent constamment leurs installations sur les éléments qu’ils occupent et cherchent à augmenter les surfaces émergées.
À compter de 2010, les constructions opérées par la Chine ont connu une très nette accélération ; cette évolution est également attestée par les images satellites de l’AMTI, qui permettent de constater que les travaux chinois sont d’une ampleur sans égal avec ceux entrepris par les autres pays. La Chine a massivement poldérisé et militarisé les éléments sur lesquels elle est établie dans les Paracels et les Spratleys : construction de pistes d’atterrissage, de hangars, de bâtiments logistiques, installation de radars, de batteries de missiles anti-aériens et antinavires. La Chine avait pourtant affirmé à plusieurs reprises qu’elle ne comptait pas militariser les îles artificielles de la mer de Chine. En 2018, lors d’une conférence de presse commune avec le président Barack Obama à la Maison Blanche, Xi Jinping avait ainsi affirmé clairement que « la Chine [n’avait pas] l’intention de militariser » aucune île. Devant l’évidence des images satellites, elle invoque désormais le droit à l’autodéfense, parlant de fortification des îles, face à la menace américaine essentiellement.
La Chine dispose de moyens considérables sur l’ensemble de la mer de Chine méridionale : l’armée en premier lieu, et notamment la marine chinoise, qui est fortement montée en puissance et en capacité depuis 2014. La Chine utilise également l’ensemble des moyens à sa disposition pour imposer sa souveraineté sur l’espace de la mer de Chine méridionale : milice maritime des forces armées chinoises et garde-côtes se déploient désormais sur l’ensemble de cet espace et sont régulièrement impliqués dans des incidents.
Au total, à l’heure actuelle, la Chine a établi une capacité de contrôle effective de l’espace maritime de la mer de Chine du Sud.
Un développement supplémentaire est intervenu en août 2023, date à laquelle la Chine a diffusé une carte révisée incluant une « ligne de dix traits », élargissant encore ses revendications territoriales en mer de Chine méridionale à l’est de Taïwan ([3]).
Récemment, les activités militaires chinoises se sont encore renforcées : des images satellites de 2024 ont révélé que des radars sophistiqués – des modèles de types radar à impulsion synthétique et à ouverture (SAR) qui opèrent sur bande VHS – avaient été installés sur l’île Triton. Ce type de radar permet de détecter des aéronefs furtifs, consolidant ainsi la stratégie chinoise de déni d’accès dans la région.
La marine chinoise a également intensifié ses patrouilles, notamment autour des récifs Scarborough et Second Thomas, zones disputées avec les Philippines. Des incidents ont été signalés en septembre 2023 lorsque des navires chinois ont installé des barrières flottantes pour entraver l’accès des pêcheurs philippins à cette zone. Le 31 août 2024, c’est autour de l’atoll Sabina que des collisions ont été rapportées entre des navires chinois et philippins, chaque partie s’accusant mutuellement de manœuvres dangereuses.
Ces incidents ont conduit à une condamnation des actions chinoises par les États-Unis et de nombreux États européens – dont la France – qui ont à cette occasion réaffirmé leur soutien aux Philippines.
Face à cet expansionnisme chinois, les Philippines ont renforcé leurs liens militaires avec les États-Unis, multipliant les patrouilles conjointes et les exercices militaires, notamment à proximité de Taïwan.
Les mers de Chine méridionale et orientale constituent aujourd’hui les principales zones de frictions géopolitiques en Indo-Pacifique, où la concentration d’intérêts stratégiques divergents et l’absence de mécanismes de désescalade efficaces amplifient le risque d’incident. Les revendications territoriales concurrentes s’accompagnent d’une militarisation progressive et d’une intensification des opérations navales et aériennes. Dans ce contexte, le moindre accrochage entre forces militaires ou paramilitaires – qu’il s’agisse d’une collision maritime, d’une interception aérienne ou d’un incident impliquant des garde-côtes – peut rapidement dégénérer et entraîner une escalade aux conséquences imprévisibles. Par ailleurs, l’implication croissante des puissances extra-régionales, notamment des États-Unis et de leurs alliés, renforce la complexité du théâtre indopacifique et accentue les tensions. Cette dynamique fait de ces espaces maritimes des zones de vulnérabilité stratégique majeures, où la stabilité régionale repose sur un équilibre précaire entre dissuasion, dialogue diplomatique et gestion des crises.
b. Les risques géostratégiques de la Belt and Road Initiative
Depuis son lancement en 2013, la Belt and Road Initiative (BRI) s’est imposée comme une pièce maîtresse de la stratégie géopolitique et économique chinoise, visant à étendre l’influence de Pékin bien au-delà de ses frontières. Dans l’Indopacifique, cette ambitieuse initiative a effectivement permis des investissements massifs dans des infrastructures essentielles et stimulé des échanges commerciaux. Cependant, ces impacts souvent controversés, tant sur le plan économique que géopolitique, laissent planer des doutes sur les véritables intentions de la Chine et les conséquences pour les États partenaires.
L’un des principaux apports de la BRI dans l’Indopacifique est la modernisation des infrastructures. Des ports comme Hambantota au Sri Lanka ou Gwadar au Pakistan sont devenus des nœuds logistiques stratégiques grâce à des investissements chinois colossaux. Ces projets visent à faciliter les échanges commerciaux en reliant les routes maritimes et terrestres de la région. Cependant, au-delà de cette modernisation apparente, la Chine semble privilégier des objectifs stratégiques et économiques avant tout orientés vers son propre bénéfice. La configuration de ces infrastructures place la Chine au centre des chaînes d’approvisionnement, consolidant son rôle de pivot incontournable du commerce mondial. Ces projets ne servent pas seulement à connecter les États partenaires, mais aussi à assurer à Pékin un contrôle stratégique sur les routes commerciales les plus vitales.
Un autre aspect préoccupant de la BRI dans l’Indopacifique est la dépendance financière qu’elle génère. Derrière les investissements affichés comme des initiatives de coopération, de nombreux pays se retrouvent piégés dans des cycles d’endettement insoutenables. Le Sri Lanka illustre cette problématique : incapable de rembourser les prêts contractés, il a été contraint de céder le contrôle stratégique de son port de Hambantota à une entreprise chinoise pour une durée de 99 ans. Cette diplomatie de la dette est un levier de puissance pour Pékin, qui l’utilise pour accroître son emprise sur les économies et les décisions politiques des pays endettés. Le Pakistan, les Maldives et d’autres nations de la région font face à des situations similaires, accentuant leur vulnérabilité économique et politique face aux pressions chinoises.
Les déséquilibres commerciaux exacerbent cette dynamique inégale. L’entrée massive de produits chinois sur les marchés locaux des pays partenaires aggrave leurs déficits commerciaux tout en fragilisant leurs industries nationales. Alors que Pékin présente la BRI comme une initiative bénéfique pour tous, les résultats concrets montrent une concentration des avantages du côté chinois. Les économies locales peinent à tirer parti de ces infrastructures coûteuses, et les retombées positives pour les populations locales restent marginales dans de nombreux cas. De plus, les projets choisis ne répondent pas toujours aux besoins économiques réels des pays bénéficiaires, mais plutôt aux intérêts stratégiques de la Chine, renforçant l’idée que la BRI est avant tout un outil de projection de puissance.
Au-delà des impacts économiques, la BRI transforme également les équilibres géopolitiques de l’Indopacifique. En consolidant ses positions dans des ports et corridors stratégiques, la Chine accroît non seulement son influence économique, mais aussi ses capacités militaires potentielles dans la région. Les ports comme celui de Gwadar pourraient être utilisés à des fins duales, renforçant la posture militaire chinoise dans une zone déjà marquée par des tensions croissantes. Ces ambitions provoquent des réactions de méfiance, voire d’hostilité, de la part des grandes puissances régionales et mondiales.
c. Une influence culturelle croissante
La Chine mène une véritable diplomatie culturelle, visant à promouvoir son modèle civilisationnel comme une alternative crédible à celui de l’Occident. Les festivals culturels, les échanges universitaires et les coopérations scientifiques avec des pays émergents sont autant de moyens pour renforcer son image de puissance bienveillante.
À cet égard, les diasporas chinoises jouent un rôle crucial. Avec plus de 35 millions de personnes issues de ces communautés à travers le monde, les nationaux d’origine chinoise jouent souvent le rôle d’ambassadeurs informels de la culture, et parfois des intérêts chinois.
Dans le Pacifique, l’influence culturelle chinoise se manifeste par des programmes d’éducation linguistique et des subventions pour la construction de centres communautaires. Si ces initiatives visent à renforcer les liens culturels et économiques – tout en réduisant l’influence d’acteurs occidentaux – d’aucuns y voient une stratégie de capture des élites locales et d’érosion des cultures locales.
Cette influence ne se limite pas au Pacifique. Le rapporteur a pu constater, à l’occasion de son déplacement sur l’île de La Réunion, le dynamisme des autorités consulaires chinoises qui y sont implantées depuis 2010.
La population française d’origine chinoise présente à La Réunion constitue une cohorte d’environ 25 000 personnes à 30 000 personnes – soit près de 5 % de la population totale. Elle est l’héritière de l’engagisme réunionnais, largement développé par l’industrie sucrière à la fin du XIXe siècle. Bien que profondément intégrée, la communauté a conservé certaines traditions par le biais des associations culturelles et religieuses ; le temple Guan Di, à Saint-Denis, témoigne de la vigueur de cet héritage religieux.
Inauguré en 2011 au sein même de l’université de La Réunion, l’Institut Confucius participe de cette stratégie de renforcement de la présence culturelle chinoise dans les outre-mer en diffusant, plus largement, la promotion de la langue chinoise dans l’océan Indien.
2. Le rôle des États-Unis dans la montée des tensions
a. La stratégie de containment
L’émergence de la Chine comme acteur dominant dans les océans Indien et Pacifique remet en question les paradigmes stratégiques établis par les puissances occidentales. Les États-Unis, en particulier, voient leur influence contestée dans des régions considérées comme essentielles à leur sécurité nationale. Des initiatives telles que la militarisation de la mer de Chine méridionale, les revendications territoriales agressives et l’expansion de la marine de l’Armée populaire de libération inquiètent les pays riverains.
Cette situation a poussé les Américains à renforcer leurs alliances avec des pays comme l’Australie, l’Inde et le Japon, tout en multipliant les initiatives pour contrer l’expansion chinoise.
Le Dialogue quadrilatéral sur la sécurité – plus connu sous son nom anglais QUAD, repose sur ce constat. Fondé en 2007 entre les États-Unis, le Japon, l’Inde et l’Australie – mais véritablement relancé en 2017 – ce dialogue a fait émerger une relation militaire suivie et intense, qui se caractérise notamment par les exercices navals d’interopérabilité Malabar. Les réunions régulières entre les membres permettent d’harmoniser les stratégies sur les multiples enjeux de la région, comme la résilience des chaînes d’approvisionnement, tout en favorisant l’acclimatation des états-majors entre eux.
L’accord AUKUS (Australia, United Kingdom, United States) annoncé en septembre 2021, marque une nouvelle étape dans la stratégie de containment américaine. Cet accord trilatéral entre les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni doit représenter une avancée significative dans le domaine militaire puisqu’il prévoit le transfert de technologies nucléaires sensibles pour la construction de sous-marins australiens. En parallèle, l’AUKUS vise à développer une coopération dans des domaines clés comme l’intelligence artificielle, la cybersécurité et la défense sous-marine.
Avant même l’AUKUS, les États-Unis avaient déjà renforcé leur présence militaire dans l’Indopacifique par des accords bilatéraux et des déploiements stratégiques. Le « pivot asiatique » annoncé par le président Obama a conduit à une substantielle augmentation des forces navales déployées dans la région, notamment à Guam et à Hawaï. Ces forces prépositionnées permettent ensuite d’organiser des patrouilles régulières, y compris à proximité de Taiwan, au nom de la liberté de navigation.
b. Un renforcement des partenariats sécuritaires et stratégiques avec les puissances régionales
Les États-Unis entretiennent une étroite coopération bilatérale avec plusieurs pays de l’Indopacifique, cherchant à renforcer leur présence stratégique et à contrer l’influence croissante de la Chine. Ces partenariats, bien qu’adaptés aux besoins de chaque pays, s’inscrivent dans une logique globale de défense des intérêts américains et de maintien d’un ordre international fondé sur le droit.
i. Le partenariat avec le Japon
Le Japon reste l’un des principaux partenaires stratégiques des États-Unis dans l’Indopacifique. L’alliance entre les deux pays, officialisée par le traité de sécurité de 1960, a été continuellement renforcée pour faire face à des menaces émergentes dans la région.
Les bases militaires américaines situées au Japon, notamment à Okinawa, jouent un rôle essentiel dans la stratégie de dissuasion face à la Chine et à la Corée du Nord. Avec environ 50 000 militaires américains présents sur son territoire, le Japon constitue une plateforme majeure pour les opérations militaires américaines en Asie. Ces forces assurent la stabilité régionale tout en renforçant la capacité de réponse rapide des États-Unis en cas de crise.
En outre, la collaboration militaire s’étend aux exercices conjoints réguliers, tels que Keen Sword et Keen Edge, qui simulent des scénarios de défense contre des incursions ennemies. Ces exercices impliquent à la fois les forces américaines et japonaises, renforçant leur interopérabilité et leur préparation face aux contingences militaires. Le Japon a également augmenté son budget de défense ces dernières années, passant à plus de 2 % de son PIB, un changement significatif dans sa posture de sécurité traditionnelle.
La coopération technologique constitue un autre volet essentiel du partenariat. Tokyo et Washington travaillent conjointement sur des projets liés à la cybersécurité, à l’intelligence artificielle et à la défense spatiale. Le Japon joue un rôle central dans les efforts américains pour contrer les capacités balistiques croissantes de la Chine et de la Corée du Nord, en participant à des initiatives de développement de systèmes d’interception de missiles comme le Aegis Ashore.
La politique Indopacifique du Japon, alignée sur la vision américaine d’un « Indo-Pacific Free and Open », met l’accent sur la liberté de navigation et le respect des lois internationales. Ce cadre stratégique commun est renforcé par des dialogues bilatéraux annuels, notamment au sein des « 2 + 2 meetings » entre les ministres des affaires étrangères et de la défense des deux pays.
ii. Le partenariat avec l’Australie
L’Australie est un allié historique des États-Unis, avec une collaboration établie depuis le traité ANZUS de 1951. Ce partenariat s’est renforcé ces dernières années, notamment grâce à l’initiative AUKUS annoncée en 2021.
Par ailleurs, l’Australie accueille régulièrement des rotations de forces américaines, notamment à Darwin, où le corps des Marines effectue des entraînements conjoints. Ces déploiements permettent de renforcer l’interopérabilité des forces armées et d’améliorer leur préparation face à d’éventuelles crises régionales. En complément, Canberra a investi dans des infrastructures militaires modernisées pour accueillir des équipements avancés, témoignant de son engagement à soutenir les efforts stratégiques américains.
iii. Le partenariat avec l’Inde
Les relations entre les États-Unis et l’Inde ont connu un développement spectaculaire depuis les années 2000, marquées par une convergence d’intérêts stratégiques face à la montée en puissance de la Chine. Le partenariat stratégique entre les deux nations repose sur des piliers économiques, technologiques et sécuritaires.
Sur le plan militaire, l’Inde participe régulièrement à des exercices conjoints avec les États-Unis, tels que Yudh Abhyas et Tiger Triumph, visant à renforcer leur capacité à répondre à des crises humanitaires ou sécuritaires. En 2022, la signature de l’accord Basic Exchange and Cooperation Agreement (BECA) a consolidé les échanges de renseignements géospatiaux entre les deux pays, permettant une meilleure surveillance des zones critiques dans l’Indopacifique. Il est à noter que si la Russie reste à l’heure actuelle le premier fournisseur d’armes de l’Inde, la part des États-Unis a fortement augmenté dans les années récentes. En effet, si la Russie représentait 76 % des importations d’armes de l’Inde, cette proportion a chuté à 36 % en moyenne entre 2019 et 2023. Parallèlement, la coopération bilatérale entre les États-Unis et l’Inde est passée de 7 % à près de 20 % sur la même période, selon le Département d’État américain.
La coopération technologique et industrielle est également un aspect clé. Washington et New Delhi travaillent ensemble sur des projets de défense, notamment dans les domaines de l’aviation et des systèmes de drones. L’Inde bénéficie également de transferts technologiques pour moderniser ses capacités de défense, bien que des tensions subsistent sur les exigences de localisation industrielle et les relations de l’Inde avec la Russie.
Enfin, l’Inde est un acteur majeur du QUAD, partageant avec les États-Unis une vision commune de la sécurité maritime et de la lutte contre la coercition économique de la Chine. Toutefois, New Delhi adopte une approche équilibrée
– on parle également de « multi-alignement » – pour préserver son autonomie stratégique, ce qui peut parfois compliquer les initiatives bilatérales.
L’Inde maintient une relation complexe et ambivalente avec la Russie, notamment dans le contexte de la guerre en Ukraine. D’un côté, New Delhi reste prudent face à l’invasion russe pour éviter de compromettre ses liens avec les pays occidentaux, mais de l’autre, l’Inde continue de considérer la Russie comme un partenaire stratégique majeur, particulièrement dans le domaine de l’armement. Un exemple emblématique est le missile de croisière supersonique BrahMos, développé dans le cadre d’une joint-venture russo-indienne. Ce missile, qui tire son nom des fleuves Brahmapoutre (Inde) et Moskova (Russie), illustre l’interdépendance entre les deux nations dans le domaine militaire. En 2023, l’Inde a vendu une première série de missiles BrahMos aux Philippines, un développement qui reflète non seulement l’importance stratégique de ce partenariat, mais aussi la capacité de l’Inde à jouer un rôle d’exportateur d’armement dans un contexte géopolitique en mutation. Cette coopération met en lumière un enchevêtrement complexe d’intérêts stratégiques entre l’Inde et la Russie, en dépit des pressions internationales.
Les tensions entre la Chine et l’Inde, historiquement concentrées sur la frontière himalayenne, se déplacent de plus en plus vers la sphère maritime, notamment dans l’océan Indien. Cet espace stratégique est devenu un point focal des rivalités, la Chine insistant pour souligner qu’il s’agit de l’océan « Indien » et non de l’océan « de l’Inde », affirmant ainsi une vision globale de cet espace maritime comme un bien commun, plutôt qu’un domaine sous influence indienne. Cette situation reflète une compétition navale croissante, alimentée par les efforts chinois d’expansion de son influence dans la région via l’initiative des Nouvelles Routes de la Soie et ses installations portuaires, telles que celles de Gwadar (Pakistan) et Hambantota (Sri Lanka). De son côté, l’Inde intensifie ses partenariats stratégiques avec des puissances occidentales et ses capacités navales pour préserver son statut de puissance régionale dominante dans l’océan Indien. Cette maritimisation des tensions met en évidence un changement de paradigme géostratégique dans les relations sino-indiennes, les ambitions maritimes devenant aussi cruciales que les différends terrestres traditionnels.
Enfin, il est à noter que face aux risques liés à la dépendance excessive envers la Chine dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, de nombreuses entreprises multinationales adoptent une stratégie dite de « China Plus One », visant à diversifier leurs partenaires économiques. L’Inde, avec son vaste marché intérieur, ses coûts compétitifs et sa position stratégique, cherche activement à se positionner comme le principal bénéficiaire de cette réorientation. Le gouvernement indien met en œuvre des réformes structurelles pour améliorer son attractivité, notamment en simplifiant les régulations, en renforçant les infrastructures et en proposant des incitations financières pour attirer les investisseurs étrangers. Le secteur technologique et manufacturier est au cœur de cette stratégie, avec des entreprises comme Apple et Foxconn qui renforcent leur présence en Inde. Toutefois, malgré ce potentiel, l’Inde doit encore surmonter des défis liés à la bureaucratie, au manque de flexibilité du marché du travail et à la qualité de ses infrastructures. Si ces obstacles sont surmontés, l’Inde pourrait s’imposer comme un acteur clé dans la redéfinition des chaînes d’approvisionnement globales, tout en limitant l’hégémonie chinoise.
iv. Le partenariat avec les Philippines
Les Philippines occupent une position stratégique dans la mer de Chine méridionale, ce qui en fait un partenaire clé des États-Unis pour contrer l’expansion chinoise dans cette région contestée. Depuis la signature de l’Enhanced Defense Cooperation Agreement (EDCA) en 2014, les deux pays ont renforcé leur collaboration militaire, dans la continuité du « Mutual defense Treaty » qui prévoit, depuis 1951, une clause d’assistance mutuelle en cas d’attaque.
L’EDCA permet aux forces américaines d’accéder à neuf bases philippines stratégiques, notamment dans les régions proches des eaux contestées. En 2023, ce partenariat a été approfondi par des déploiements accrus de forces américaines et par le lancement de projets communs visant à moderniser les infrastructures militaires philippines.
Les exercices conjoints, tels que Balikatan, renforcent l’interopérabilité des forces armées des deux pays et mettent l’accent sur la préparation à des scénarios de défense territoriale. En réponse aux incursions chinoises dans des zones comme le récif de Scarborough, les États-Unis ont également fourni un soutien logistique et des équipements militaires avancés pour renforcer les capacités des Philippines à protéger leur souveraineté maritime.
v. Le partenariat avec la Corée du Sud
La Corée du Sud est un pilier central de la stratégie américaine en Asie du Nord-Est. Avec près de 28 500 soldats américains stationnés en Corée du Sud, cette présence militaire constitue un élément dissuasif face aux menaces persistantes de la Corée du Nord.
Le partenariat bilatéral est marqué par des exercices conjoints réguliers, tels que Foal Eagle et Ulchi Freedom Shield, qui mettent l’accent sur la préparation opérationnelle et la coordination en cas d’agression nord-coréenne. En 2021, un nouvel accord sur le partage des coûts de défense a permis de renforcer les contributions financières sud-coréennes, soulignant l’engagement mutuel des deux nations.
La coopération technologique est également un volet clé. Les deux pays collaborent sur des systèmes avancés de défense antimissile, comme le Terminal High Altitude Area Defense (THAAD), et sur des initiatives en cybersécurité pour contrer les cyberattaques nord-coréennes. Séoul a également investi dans des technologies innovantes, bénéficiant de transferts de savoir-faire américain pour moderniser ses capacités de défense.
Enfin, les relations bilatérales s’inscrivent dans le cadre d’une vision commune de stabilité régionale, où la Corée du Sud joue un rôle actif dans les initiatives multilatérales de sécurité et dans le soutien à un ordre international fondé sur des règles. Cependant, des désaccords ponctuels, notamment sur les politiques commerciales ou les approches vis-à-vis de Pyongyang, rappellent les défis persistants de cette alliance stratégique.
c. La compétition technologique et commerciale au cœur des tensions globales
La rivalité entre les États-Unis et la Chine s’est intensifiée au cours des dernières décennies, se manifestant particulièrement dans les domaines technologique et commercial. Cette compétition englobe des secteurs clés tels que les semi-conducteurs, l’intelligence artificielle (IA), les technologies de l’information et de la communication, et les véhicules électriques. Les deux puissances cherchent à dominer ces industries stratégiques, influençant ainsi l’économie mondiale et les relations internationales.
i. Les semi-conducteurs : un enjeu stratégique majeur
Les semi-conducteurs, « pétrole du XXIe siècle », sont fondamentaux pour l’ensemble des technologies modernes, des smartphones aux satellites militaires. Les États-Unis et la Chine considèrent le contrôle de ces composants comme essentiel à leur compétitivité économique et à leur sécurité nationale.
Le CHIPS and Science Act de 2022 : un tournant stratégique
Le « Creating Helpful Incentives to Produce Semiconductors (CHIPS) and Science Act », promulgué en 2022, constitue une étape majeure dans la politique industrielle des États‑Unis, reflétant l’importance stratégique croissante des semi-conducteurs dans la compétitivité technologique et la sécurité nationale. Ce plan ambitieux, doté d’un financement fédéral de 280 milliards de dollars, vise à renforcer la capacité de production nationale de semi-conducteurs, à stimuler la recherche scientifique et à réduire la dépendance américaine vis-à-vis des chaînes d’approvisionnement internationales, notamment en Asie. Parmi les initiatives phares, 52,7 milliards de dollars sont spécifiquement alloués pour encourager la production et la recherche dans ce secteur critique, avec des incitations fiscales pour attirer les investissements privés.
Ce tournant s’inscrit dans un contexte de rivalité technologique accrue avec la Chine et de vulnérabilité mise en lumière par les pénuries mondiales de semi-conducteurs provoquées par la pandémie de la Covid-19. Les États-Unis cherchent ainsi à sécuriser leur position dans une industrie clé pour des secteurs stratégiques tels que la défense, les technologies de l’information et l’automobile. En complément, la loi ambitionne de revitaliser l’écosystème de l’innovation en soutenant les initiatives de recherche et développement dans les universités et les laboratoires publics.
Le « CHIPS and Science Act » illustre une réorientation significative de la politique américaine, marquant le retour à une approche interventionniste pour protéger et renforcer des secteurs critiques dans un monde de plus en plus marqué par la géopolitique des technologies.
Les États-Unis ont établi des politiques restrictives visant à priver la Chine de technologies critiques dans ce domaine. L’administration Biden, en ligne avec l’administration Trump I, a intensifié les contrôles à l’exportation. Ces mesures interdisent l’accès de la Chine à des équipements de pointe fabriqués par des entreprises telles qu’Applied Materials ou Lam Research. Washington s’appuie également sur des alliances technologiques, comme le dialogue avec les Pays-Bas, pour limiter l’exportation de machines lithographiques produite par la société ASML, cruciales pour la fabrication des puces les plus avancées. En outre, l’administration Biden a annoncé un relèvement à hauteur de 50 % des droits de douane portant sur les semi-conducteurs à compter du 1er janvier 2025.
Face à ces restrictions, la Chine a accéléré son programme « Made in China 2025 » en investissant massivement dans des capacités nationales de production de semi-conducteurs. Cependant, des limites subsistent : malgré ses efforts, SMIC, le fabricant chinois leader, reste incapable de produire des puces en deçà du nœud technologique de 14 nm. Pékin a par ailleurs instauré des restrictions à l’exportation sur des métaux critiques comme le gallium, indispensables à l’électronique de pointe, dans une tentative de renverser la pression américaine.
Huawei a été au cœur de cette rivalité. L’interdiction d’accès aux puces avancées, imposée par les États-Unis, a considérablement ralenti son développement de smartphones 5G et de solutions réseau. En réponse, Huawei a collaboré étroitement avec SMIC pour développer une solution domestique, un effort qui illustre les limites et les ambitions des capacités technologiques chinoises.
Enfin, la subvention du gouvernement américain d’un montant de 6,6 milliards d’euros accordée à l’unité américaine de la société taiwanaise TSMC basée à Phoenix (Arizona) illustre la coopération bilatérale en la matière.
ii. L’intelligence artificielle : une course à l’innovation
L’IA représente un domaine stratégique où l’avantage technologique peut rapidement se traduire en suprématie économique, militaire et diplomatique. La compétition dans ce secteur est aussi marquée par une différence d’approches philosophiques et politiques.
Les États-Unis dominent l’écosystème global de l’IA grâce à des géants tels que Google DeepMind, OpenAI et Microsoft. Ces entreprises bénéficient d’un financement massif et d’un accès privilégié à des ressources de calcul de pointe. L’approche américaine repose sur la recherche ouverte, des collaborations entre universités et industries, et une exploitation commerciale rapide des découvertes.
En 2017, la Chine a dévoilé son plan national pour l’IA, visant à surpasser les États-Unis d’ici 2030. Pékin a investi massivement dans les technologies de deep learning et de reconnaissance faciale, tout en exploitant de vastes quantités de données collectées auprès de sa population. Des entreprises comme SenseTime et Megvii ont émergé en tant que leaders mondiaux dans ces domaines, soutenues par des politiques gouvernementales proactives.
La Chine cherche à imposer ses normes en matière d’IA au sein des organisations internationales, comme l’International Organization for Standardization (ISO), dans une tentative de structurer le marché global selon ses propres standards. Cette stratégie entre en conflit direct avec les États-Unis, qui plaident pour des cadres réglementaires plus stricts visant à limiter l’usage abusif des technologies, en particulier pour la surveillance étatique.
iii. Les technologies de l’information et de la communication : la bataille de la 5G
La 5G est perçue comme une technologie clé pour l’économie numérique, offrant des connexions à haut débit essentielles aux applications industrielles et militaires. Les États-Unis et la Chine se disputent la maîtrise des infrastructures et des technologies associées.
Huawei, leader chinois des infrastructures 5G, a été ciblé par une campagne internationale menée par les États-Unis, qui ont qualifié l’entreprise de menace pour la sécurité nationale. Washington a interdit à Huawei d’accéder à des technologies américaines critiques et a convaincu plusieurs alliés, notamment le Royaume-Uni, de restreindre son rôle dans leurs réseaux 5G.
La Chine, à travers sa Belt and Road Initiative, finance le déploiement de ses infrastructures numériques dans les marchés émergents. Ces efforts incluent des investissements massifs dans les câbles sous-marins et les satellites, renforçant son influence dans des régions stratégiques comme l’Afrique et l’Asie du Sud-Est.
En Europe, des pays comme l’Allemagne et la France ont hésité à exclure Huawei, soulignant les défis économiques et stratégiques associés au remplacement de ses équipements. Ces décisions reflètent l’influence persistante de la Chine dans les chaînes d’approvisionnement technologiques mondiales.
iv. Les véhicules électriques : une nouvelle frontière de la concurrence
Le secteur des véhicules électriques est un théâtre crucial de la compétition technologique, les deux puissances cherchant à capturer des parts de marché dans une industrie en pleine expansion.
La Chine est aujourd’hui le premier marché mondial des véhicules électriques, avec des entreprises comme BYD et NIO en tête de l’innovation. Ces succès sont soutenus par des subventions massives et des investissements dans les infrastructures de recharge.
Aux États-Unis, des initiatives comme l’Inflation Reduction Act (IRA) ont été introduites pour stimuler la production nationale de véhicules électriques et réduire la dépendance vis-à-vis des importations chinoises. Tesla, leader américain, reste un acteur clé, mais il fait face à une concurrence croissante des fabricants chinois sur les marchés internationaux. Face à ce qui excède le simple défi concurrentiel, l’administration Biden a mis en place un relèvement de 100 % des droits de douane sur les véhicules électriques chinois le 27 septembre 2024, avec effet immédiat.
La domination chinoise dans la production de batteries pour véhicules électriques, notamment via CATL, illustre son avantage dans les chaînes d’approvisionnement critiques. En réponse, les États-Unis investissent dans des projets domestiques et des partenariats internationaux pour sécuriser des ressources comme le lithium et le cobalt ; un accroissement des droits de douane à hauteur de 25 % a également été appliqué à compter du 27 septembre 2024.
B. La France face À ces rivalitÉs accrues
1. La diplomatie d’équilibre de la France
Dans un contexte d’intensification des rivalités stratégiques entre les grandes puissances, la France s’est positionnée comme un acteur diplomatique incontournable dans l’Indopacifique. L’approche française repose sur une stratégie équilibrée visant à préserver la stabilité régionale tout en défendant ses propres intérêts souverains. Cette posture se traduit par des initiatives de dialogue entre les puissances rivales, notamment les États-Unis, la Chine et l’Inde.
a. La France comme médiateur entre puissances rivales
Face à la rivalité croissante entre Washington et Pékin, la France s’est efforcée de maintenir un canal de communication ouvert avec la Chine. Ce dialogue repose sur une vision stratégique à long terme visant à préserver un équilibre géopolitique dans l’Indopacifique, tout en favorisant un ordre international fondé sur des règles.
L’initiative française s’est traduite par des engagements bilatéraux structurés autour de thématiques essentielles telles que la maîtrise des armements, la sûreté maritime et la coopération environnementale. Ainsi, la France a soutenu les discussions sur les limites d’essais balistiques en mer de Chine et a plaidé pour une transparence accrue concernant les activités militaires dans cette zone sensible. Cet effort a été salué lors du Dialogue de Shangri-La, conférence annuelle de sécurité asiatique qui se déroule à Singapour, où Paris a présenté des propositions concrètes pour éviter les escalades accidentelles entre les forces navales chinoises et américaines.
En 2023, la visite du président Macron à Pékin a été marquée par une série d’accords bilatéraux sur le climat et la biodiversité. Parmi ceux-ci, un protocole d’entente sur la réduction des plastiques en mer a été signé, consolidant la volonté des deux nations de coopérer sur des enjeux environnementaux critiques. En matière économique, la France a cherché à promouvoir un « dialogue des standards » en matière de technologie, en particulier sur les réglementations 5G et l’IA. L’objectif est de proposer des normes techniques acceptables tant par les pays occidentaux que par la Chine, réduisant ainsi les risques de fragmentation technologique.
Un exemple emblématique est la collaboration française à l’initiative chinoise des « Nouvelles Routes de la Soie » – par exemple en Côte d’Ivoire – où Paris a opté pour une posture pragmatique. Plutôt que de rejeter en bloc cette initiative, la France a participé à des projets limités, notamment dans le domaine ferroviaire, tout en exigeant davantage de transparence et en insistant sur des clauses environnementales strictes.
Dans le domaine de la sûreté maritime, la France a joué un rôle actif dans la lutte contre la piraterie et le trafic illicite en Asie du Sud-Est. En collaboration avec la Chine, des opérations conjointes de surveillance ont été organisées sous l’égide des Nations unies, illustrant une capacité à coopérer même sur des thématiques complexes. Cet élan diplomatique a permis de créer des ponts avec des partenaires asiatiques tout en renforçant le rôle de la France comme interlocuteur crédible entre la Chine et l’Occident.
Sur le plan multilatéral, la France a également promu la création d’un « Forum des puissances intermédiaires », incluant des États tels que l’Inde, le Japon et la Corée du Sud. Ce forum vise à favoriser un dialogue inclusif sur des enjeux globaux, contournant les blocages souvent rencontrés dans les forums internationaux dominés par les grandes puissances comme les États-Unis ou la Chine.
Enfin, la stratégie française inclut un engagement envers la société civile chinoise. Des projets d’échanges académiques et culturels ont été lancés pour renforcer les liens interpersonnels et mieux comprendre les perceptions chinoises. C’est ainsi que l’Institut Français en Chine a organisé une série de conférences conjointes sur les enjeux du changement climatique, rassemblant des experts des deux pays.
Dans un environnement caractérisé par une polarisation croissante, le dialogue franco-chinois demeure un pilier central de la stratégie diplomatique de la France. En combinant pragmatisme économique, engagement multilatéral et défense de valeurs universelles, Paris cherche à s’imposer comme un médiateur crédible et respecté sur la scène internationale.
ii. Les relations franco-américaines
La relation entre la France et les États-Unis, bien qu’historiquement complexe, repose sur une convergence stratégique dans plusieurs domaines clés qui trouvent naturellement à s’exprimer en Indopacifique. En tant que membre de l’OTAN et partenaire de longue date de Washington, la France partage avec les États-Unis des intérêts communs tels que la liberté de navigation, la lutte contre le terrorisme et la sécurité régionale.
Néanmoins, Paris a toujours insisté sur l’importance de préserver une autonomie stratégique européenne, notamment dans le contexte des tensions sino-américaines. Cette position s’est traduite par une collaboration sélective avec Washington dans l’Indopacifique, qui a pu être mal comprise aux États-Unis. Ainsi, bien que la France soutienne les patrouilles américaines visant à garantir la liberté de navigation en mer de Chine méridionale, elle a également mené ses propres opérations avec des partenaires européens, notamment l’Allemagne et le Royaume‑Uni.
En 2023, la France et les États-Unis ont signé un accord de coopération renforcée dans le domaine de la cybersécurité, mettant l’accent sur la protection des infrastructures critiques et la lutte contre les cybermenaces. Cet accord a permis d’intensifier les échanges de renseignements et de renforcer les capacités des deux pays à répondre aux attaques numériques, en particulier celles attribuées à des acteurs étatiques hostiles.
Enfin, la coopération franco-américaine s’étend à des initiatives multilatérales, telles que le soutien conjoint à l’ASEAN et à d’autres organisations régionales. En promouvant une approche inclusive et fondée sur des règles, qui permet aux petits et moyens pays d’être entendus et de promouvoir des principes équitables pour tous, les deux nations cherchent à contrer l’influence grandissante de la Chine tout en préservant la stabilité régionale. Cette collaboration s’est manifestée lors de sommets internationaux tel que le sommet de l’ASEAN + s’étant tenu en mai 2022 à Washington, où la France et les États-Unis ont coordonné leurs positions sur des questions clés, allant du changement climatique à la régulation des technologies émergentes.
En dépit de certaines divergences, la relation franco-américaine reste un pilier de la stratégie française en Indopacifique. En équilibrant coopération et indépendance, Paris continue de jouer un rôle central dans la dynamique régionale, tout en affirmant sa capacité à dialoguer avec l’ensemble des acteurs globaux.
Avec le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, cette dynamique entre dans une phase de turbulences, son approche imprévisible des alliances et du multilatéralisme soulevant des interrogations à Paris. Des divergences pourraient apparaître sur des sujets tels que la politique commerciale, la défense européenne ou la stratégie face à la Chine. Pourtant, malgré ces incertitudes, le lien transatlantique demeure indéfectible, ancré dans des intérêts stratégiques communs et une coopération historique qui dépasse les fluctuations politiques.
b. Une promotion continue du multilatéralisme
Depuis l’annonce de sa stratégie Indopacifique en 2018, la France a adopté une posture fondée sur l’inclusion, le respect des souverainetés nationales et le dialogue multilatéral. Cette stratégie s’appuie sur des principes fondamentaux tels que la liberté de navigation, le respect du droit international et la préservation des biens communs mondiaux, notamment la biodiversité et les ressources marines.
En tant que seule puissance européenne présente de manière significative dans l’Indopacifique grâce à ses territoires ultramarins, la France revendique un rôle légitime dans les affaires régionales. Cette présence lui permet de combiner des ambitions stratégiques à une responsabilité concrète en matière de sécurité et de développement durable.
La France soutient fermement le multilatéralisme comme outil pour répondre aux défis transnationaux tels que le changement climatique, les tensions maritimes et la sécurité alimentaire. Elle considère l’Indian Ocean Rim Association (IORA), dont elle est membre au titre de La Réunion, comme un partenaire clé dans l’océan Indien.
L’engagement de la France au sein de l’IORA :
une approche développementale et sécuritaire
L’Indian Ocean Rim Association, créée en 1997, regroupe 23 États riverains de l’océan Indien, représentant une zone stratégique pour le commerce maritime mondial. Membre de plein droit depuis 2020 au titre de La Réunion, la France a progressivement renforcé son implication dans cette organisation pour y promouvoir la stabilité, le développement durable et la sécurité maritime.
Contributions françaises à la sûreté maritime
La France a apporté un soutien significatif à l’IORA pour lutter contre les menaces maritimes, notamment la piraterie, le trafic d’être humains et le braconnage maritime. En collaboration avec ses partenaires, elle a organisé des exercices navals conjoints et contribué à la formation des forces maritimes locales. Ainsi, les forces armées françaises stationnées à La Réunion – les forces armées dans la zone sud de l’océan Indien (FAZSOI) – jouent un rôle crucial dans les missions de surveillance et d’intervention en océan Indien.
Le développement durable comme priorité
La France a également soutenu des initiatives de l’IORA visant à promouvoir une gestion durable des ressources marines. Des projets communs ont été lancés pour préserver les écosystèmes marins et réduire la pollution plastique. En 2023, Paris a proposé un plan d’action régional pour protéger les zones de pêche et renforcer la résilience des communautés côtières face aux effets du changement climatique.
La lutte contre le changement climatique
Avec l’IORA, la France collabore à des initiatives pour la transition énergétique et l’adaptation climatique. Des investissements dans les énergies renouvelables et la promotion de technologies propres ont été encouragés, notamment via des partenariats avec des pays membres tels que l’Inde, Maurice ou les Seychelles.
De même, l’ASEAN est perçue comme une plateforme clé aux yeux de la diplomatie française.
La coopération avec l’ASEAN : un pilier de la diplomatie française en Asie du
Sud-Est
L’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est, fondée en 1967, regroupe dix États membres (1) et représente une force majeure pour le dialogue et la coopération en Asie. La France, partenaire de dialogue depuis 2020, s’est attachée à renforcer son rôle dans cette organisation pour promouvoir un ordre régional fondé sur le droit et la coopération pacifique.
La sécurité maritime
La France soutient activement les initiatives de l’ASEAN en matière de sûreté maritime. Elle participe à des exercices conjoints et apporte une expertise technique pour améliorer la surveillance des zones disputées, notamment en mer de Chine méridionale. En 2022, la marine nationale a effectué des patrouilles conjointes avec les forces vietnamiennes et philippines pour démontrer son engagement en faveur de la stabilité régionale.
Le commerce et le développement économique
Avec l’ASEAN, la France a renforcé sa coopération économique, en particulier dans les secteurs des infrastructures, de la santé et des technologies. Des accords bilatéraux avec des pays membres, tels que Singapour et l’Indonésie, ont permis de stimuler les investissements français et d’accroître les opportunités commerciales dans la région. La signature d’accords de partenariat pour la construction d’infrastructures vertes et la transformation numérique illustre cette dynamique.
L’engagement environnemental
La France soutient des projets environnementaux en Asie du Sud-Est, notamment dans le domaine de la reforestation, de la protection de la biodiversité et de la réduction des émissions de carbone. En 2023, Paris a signé un partenariat avec la Malaisie pour développer des initiatives visant à réduire la déforestation et à promouvoir une agriculture durable. La participation française au financement du fonds pour le climat de l’ASEAN témoigne de son engagement en faveur de la transition écologique dans la région.
La diplomatie culturelle
La France utilise la diplomatie culturelle comme un outil pour renforcer ses liens avec les pays de l’ASEAN. Les programmes éducatifs, les échanges académiques et les initiatives culturelles, telles que les festivals du film français, contribuent à promouvoir une meilleure compréhension mutuelle et à consolider l’image de la France dans la région. En 2024, la France a lancé une initiative visant à multiplier les partenariats entre universités françaises et institutions académiques en Asie du Sud-Est, favorisant ainsi les échanges scientifiques et la mobilité étudiante.
Le rôle de la France dans la médiation des tensions régionales
La France s’est également positionnée comme un acteur de médiation dans les différends territoriaux en mer de Chine méridionale. En collaborant avec les membres de l’ASEAN et les puissances extra-régionales, elle a plaidé pour l’élaboration d’un code de conduite juridiquement contraignant afin de prévenir les conflits et d’assurer la sécurité de la navigation. Cette démarche s’inscrit dans une volonté plus large de renforcer les mécanismes multilatéraux de résolution des différends.
(1) Brunei, Cambodge, Indonésie, Laos, Malaisie, Myanmar, Philippines, Singapour, Thaïlande, Vietnam.
En s’investissant dans les structures multilatérales telles que l’IORA et l’ASEAN, la France affirme son rôle d’acteur engagé pour un Indopacifique libre, ouvert et durable. En combinant sécurité, développement économique et coopération environnementale, Paris souhaite contribuer à la préservation des équilibres régionaux tout en promouvant un ordre mondial fondé sur le droit et la coopération multilatérale. Ce positionnement stratégique renforce non seulement son influence dans la région, mais aussi sa crédibilité en tant que puissance globale au service du bien commun.
c. L’importance des relations bilatérales avec les puissances de la région
i. Les relations franco-japonaises : un partenariat stratégique renforcé
La relation bilatérale entre la France et le Japon repose sur une coopération stratégique solide et multidimensionnelle, reflétant une convergence d’intérêts dans les domaines de la sécurité, de la technologie et des enjeux globaux tels que le changement climatique.
Les relations en matière de défense sont au cœur du partenariat franco‑japonais. En réponse à l’instabilité croissante en Indopacifique, les deux pays ont intensifié leur collaboration militaire. Les exercices conjoints, tels que « ARC21 », rassemblent les forces navales, terrestres et aériennes des deux nations pour renforcer leur interopérabilité et leur capacité à répondre aux menaces dans des zones sensibles comme la mer de Chine orientale. Ces exercices incluent des simulations de secours humanitaire, des scénarios de défense côtière et des opérations anti-sous-marines, reflétant une approche holistique de la sécurité régionale.
De même, du 8 au 21 septembre 2024, l’armée de Terre française et la force terrestre d’autodéfense japonaise ont mené l’exercice Brunet-Takamori 24, le premier entraînement terrestre bilatéral franco-japonais organisé au Japon. Cet exercice, qui marque une intensification de la coopération militaire entre les deux nations dans le cadre de leur partenariat d’exception, a réuni une cinquantaine de soldats français du 2e régiment étranger d’infanterie (2e REI) et des forces japonaises du 39e régiment d’infanterie (39e RI).
Cet exercice s’inscrit dans la continuité de Brunet-Takamori 23, organisé en Nouvelle-Calédonie en 2023, qui avait posé les bases d’une stratégie commune en faveur de la stabilité et de la paix dans la zone Indopacifique.
En 2024, un accord de coopération a été signé pour le développement conjoint de technologies de surveillance sous-marine, marquant une avancée importante dans la lutte contre les activités hostiles sous-marines, notamment celles liées à des puissances régionales. Cet accord s’inscrit dans un cadre plus large visant à renforcer la capacité de détection des navires et sous-marins, un aspect critique pour la sécurité des routes maritimes reliant l’Asie à l’Europe.
La France et le Japon partagent également une vision commune sur la nécessité de préserver la liberté de navigation et de respecter le droit international, en particulier la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM). Cette coopération s’inscrit dans le cadre plus large d’une coopération quadrilatérale entre la France, le Japon, l’Australie et les États-Unis, visant à contenir les ambitions expansionnistes de certaines puissances dans la région. En outre, les échanges réguliers entre les chefs d’état-major des deux nations témoignent de la solidité et de la qualité du dialogue stratégique bilatéral, entretenus au quotidien par notre attaché de défense à Tokyo.
La collaboration technologique entre la France et le Japon s’appuie sur des secteurs stratégiques tels que les énergies renouvelables, l’intelligence artificielle et la gestion des ressources hydriques. En 2023, un partenariat de recherche a été lancé pour développer des solutions énergétiques basées sur l’hydrogène vert, reflétant un engagement commun envers la transition énergétique. Ce programme inclut des essais pilotes dans les îles de la région Pacifique afin de tester la viabilité des technologies dans des environnements isolés.
Le Japon est également un partenaire clé pour la France dans le domaine de la cybersécurité. Les deux pays ont mis en place un cadre de coopération visant à protéger leurs infrastructures critiques contre les cyberattaques, tout en échangeant des bonnes pratiques pour renforcer leur résilience numérique. En parallèle, la France a collaboré avec des entreprises japonaises comme Mitsubishi Electric pour le développement de capteurs avancés utilisés dans la gestion des catastrophes naturelles, un enjeu crucial dans une région sujette aux tremblements de terre et aux typhons.
Par ailleurs, la coopération dans le domaine spatial mérite d’être soulignée. Le centre national d’études spatiales (CNES) et l’Agence japonaise d’exploration aérospatiale (la « JAXA ») travaillent conjointement sur des missions visant à surveiller le changement climatique. La mission « MMX » (Martian Moons Exploration) en est un exemple emblématique, où des instruments français sont intégrés à une sonde japonaise pour étudier l’origine des lunes de Mars.
Les relations franco-japonaises sont enrichies par une dynamique culturelle et éducative forte. Des programmes d’échange universitaire, tels que le partenariat « Campus France – Japon », facilitent la mobilité étudiante et académique entre les deux pays. En 2024, un centre culturel franco-japonais dédié à la promotion des arts contemporains a été inauguré à Tokyo, illustrant l’engagement des deux nations à renforcer leurs liens culturels. Ce centre accueille régulièrement des expositions et des résidences d’artistes, contribuant à une meilleure compréhension mutuelle entre les sociétés françaises et japonaises.
Dans le domaine académique, des collaborations se multiplient dans les sciences de l’environnement et l’ingénierie. L’Université de Kyoto et Sorbonne Université mènent des recherches conjointes sur la préservation de la biodiversité marine, notamment dans les zones affectées par les activités industrielles. De plus, les initiatives de double diplôme entre des institutions prestigieuses comme Sciences Po et l’Université de Tokyo renforcent l’attractivité des deux pays auprès des étudiants internationaux.
La popularité croissante des langues française et japonaise dans les deux pays témoigne également de cet enrichissement mutuel. Le gouvernement japonais a soutenu l’expansion des cours de français dans ses écoles secondaires, tandis que les centres culturels français au Japon organisent régulièrement des festivals et des compétitions linguistiques pour promouvoir la langue et la culture françaises.
Sur le plan économique, le Japon est le deuxième partenaire commercial de la France en Asie. Les entreprises françaises telles que Renault, TotalEnergies et LVMH sont solidement implantées au Japon, contribuant à des échanges commerciaux qui ont atteint un volume de 15 milliards d’euros en 2023. En retour, les investissements japonais en France, notamment dans les secteurs automobile et technologique, renforcent le tissu industriel français. Toyota, par exemple, a récemment investi dans une usine de batteries en France, soutenant ainsi les efforts européens pour développer une industrie automobile verte.
En 2024, les deux pays ont lancé un programme conjoint visant à accélérer la transformation numérique de leurs PME. Ce programme inclut des subventions pour l’adoption de technologies avancées telles que l’intelligence artificielle et l’Internet des objets, permettant aux entreprises des deux pays de rester compétitives dans un environnement économique en rapide évolution.
En parallèle, les secteurs de la mode et de la gastronomie jouent un rôle important dans la relation bilatérale. La France reste une destination prisée pour les touristes japonais, et les événements tels que « Taste of Paris » accueillent chaque année un nombre croissant de visiteurs japonais. Si l’attraction de la cuisine française au Japon ne se dément pas, les chefs japonais contribuent, de leur côté, à la diversité culinaire en France, illustrant une fusion culturelle particulièrement réussie.
Ainsi, la coopération entre la France et le Japon repose sur des bases solides et diversifiées, allant de la sûreté maritime à l’innovation technologique, en passant par les échanges culturels et économiques. Dans un contexte géopolitique marqué par des défis communs, ce partenariat stratégique ne cesse de se renforcer, illustrant une volonté mutuelle de contribuer à la stabilité et à la prospérité de l’Indopacifique.
ii. L’engagement franco-indien : pierre angulaire de la stratégie française en Indopacifique
Initié en 1998, le partenariat entre la France et l’Inde s’est intensifié au fil des ans pour couvrir des domaines variés, allant de la défense à l’énergie, en passant par la santé et l’éducation. L’Inde, du fait de sa position stratégique et de sa montée en puissance économique, est perçue comme un allié indispensable pour contrer les déséquilibres créés par les rivalités sino-américaines.
Dans le domaine de la défense, la coopération franco-indienne est exemplaire. La vente de 36 chasseurs Rafale à l’Inde a marqué un tournant en consolidant la confiance mutuelle entre les deux nations, qui se poursuit avec l’officialisation de l’intention indienne d’acquérir 26 Rafale Marine destinés à équiper son porte-aéronefs INS Vikrant.
Les exercices navals conjoints, tels que Varuna, illustrent une volonté commune de protéger les routes maritimes et de renforcer la sécurité dans l’océan Indien. En outre, des projets conjoints pour le développement de sous-marins et de technologies de surveillance maritime ont renforcé les capacités de défense indiennes tout en offrant à la France une présence accrue dans cette région stratégique.
Au-delà de la défense, la France s’engage activement aux côtés de l’Inde pour relever les défis climatiques. En 2024, les deux pays ont co-organisé le sommet de l’Alliance solaire internationale, mettant l’accent sur le développement des énergies renouvelables et la transition énergétique. Ce partenariat s’est également traduit par des investissements conjoints dans la recherche sur l’hydrogène vert, positionnant les deux nations comme des leaders mondiaux dans ce domaine émergent.
Sur le plan économique, la France a cherché à diversifier ses échanges avec l’Inde, en investissant notamment dans les secteurs de la technologie et de la santé. Les entreprises françaises telles que Dassault, TotalEnergies et Sanofi jouent un rôle clé dans le renforcement des liens économiques bilatéraux. Parallèlement, Paris a soutenu l’intégration de l’Inde dans les forums multilatéraux tels que le G7, en plaidant pour une meilleure représentation des puissances émergentes dans les instances de gouvernance mondiale.
Enfin, la coopération culturelle et éducative reste un pilier important de la relation franco-indienne. Avec l’ouverture de nouveaux centres culturels français en Inde et l’augmentation des partenariats universitaires, la France vise à renforcer les liens interpersonnels et à promouvoir une meilleure compréhension mutuelle. En 2023, près de 15 000 étudiants indiens poursuivaient leurs études en France, faisant de l’Inde l’un des principaux contributeurs à la dynamique éducative entre les deux pays.
Dans un contexte où l’Inde cherche à équilibrer ses relations avec la Chine et les États-Unis, le partenariat avec la France offre une alternative crédible et équilibrée. En tant que puissance rejetant la logique de blocs, Paris apporte à New Delhi le soutien nécessaire pour consolider sa position régionale tout en s’imposant comme un acteur clé dans l’échiquier indopacifique.
iii. Les relations franco-australiennes : une coopération pragmatique malgré les défis
Les relations bilatérales entre la France et l’Australie ont évolué de manière significative depuis l’incident diplomatique majeur lié à l’accord AUKUS en 2021 – lorsque l’Australie avait soudainement décidé de se retirer d’un contrat d’achat de sous-marins –, marquant la résilience et la capacité des deux nations à surmonter les différends.
Après une période de tensions, Paris et Canberra ont engagé un dialogue constructif qui a permis de relancer des collaborations stratégiques essentielles, particulièrement dans les domaines de la sécurité et de la défense. En 2024, la signature d’un partenariat innovant pour le développement de drones maritimes autonomes a illustré cette volonté commune de renforcer la surveillance des routes commerciales et des zones maritimes sensibles. Les exercices conjoints, tels que Talisman Sabre, témoignent de la solidité de leur coopération militaire et de leur engagement partagé pour la stabilité régionale.
Sur le plan économique, la France et l’Australie ont consolidé leurs échanges, avec un volume commercial atteignant 8 milliards d’euros en 2023. Les investissements croisés, notamment dans les technologies vertes et les infrastructures durables, reflètent une synergie croissante. Par exemple, le projet conjoint de parcs éoliens offshore mobilisant EDF et TotalEnergies illustre l’engagement des deux pays envers la transition énergétique. En parallèle, des collaborations dans le secteur de l’hydrogène vert et la gestion des déchets renforcent l’importance stratégique de leurs relations économiques.
La coopération environnementale est un autre volet majeur de cette relation. Les initiatives communes pour la restauration des récifs coralliens et la préservation des écosystèmes côtiers mettent en avant leur complémentarité dans la lutte contre le changement climatique. Les universités et laboratoires des deux pays travaillent en étroite collaboration pour développer des outils de modélisation visant à anticiper les impacts environnementaux, renforçant ainsi leur engagement pour un développement durable et la lutte contre les catastrophes naturelles, à travers l’accord FRANZ destiné à renforcer la réponse humanitaire et l’aide d’urgence dans le Pacifique Sud.
Enfin, les liens culturels et académiques continuent de prospérer, symbolisés par des programmes élargis de bourses et des festivals culturels tels que le « French Film Festival Australia » créé en 1989. Ces initiatives renforcent les échanges interpersonnels et la compréhension mutuelle, témoignant de la capacité des deux nations à transcender leurs différends passés pour bâtir un partenariat dynamique et tourné vers l’avenir.
iv. Les relations franco-indonésiennes : un partenariat stratégique prometteur
La France et l’Indonésie entretiennent une relation bilatérale marquée par une convergence croissante de leurs intérêts stratégiques, économiques et environnementaux. En tant que plus grande économie de l’ASEAN et acteur clé en Indopacifique, l’Indonésie occupe une place centrale dans la coopération de la France avec l’Asie du Sud-Est. Ce partenariat, fondé sur des valeurs partagées telles que la promotion du multilatéralisme et le respect du droit international, s’étend à des domaines variés allant de la défense à la transition énergétique.
La sécurité maritime et la modernisation des forces armées indonésiennes figurent parmi les priorités de la coopération bilatérale. En février 2022, l’Indonésie a signé un contrat avec Dassault Aviation pour l’acquisition de 42 chasseurs Rafale de dernière génération. En 2023, un accord majeur a été signé pour la livraison de six sous-marins de classe Scorpène, fabriqués par Naval Group. Ce contrat, représentant une avancée significative dans les relations de défense entre les deux pays, reflète la confiance mutuelle et l’engagement commun en faveur de la sécurité régionale. Outre les ventes d’équipements militaires, la France participe activement à la formation des forces indonésiennes. Des programmes conjoints de formation navale et aérienne permettent d’accroître les compétences des officiers indonésiens et de renforcer leur interopérabilité avec les partenaires internationaux. Les exercices conjoints, tels que ceux organisés en mer de Java, visent à lutter contre des menaces transnationales comme la piraterie, le trafic illicite et la pêche illégale.
Enfin, en janvier 2025, le porte-avions Charles de Gaulle a effectué une escale historique en Indonésie, marquant la première visite de ce navire dans le pays. Dans le cadre de la mission Clémenceau 25, le groupe aéronaval français a accosté à Lombok le 28 janvier 2025, tandis que trois frégates françaises – Forbin, Provence et Alsace – ont accosté à Bali. Cette escale a été l’occasion d’organiser la cinquième édition de l’exercice multinational La Pérouse 25, réunissant neuf nations de l’Indopacifique, dont l’Indonésie. Ces manœuvres visaient à renforcer la coopération et l’interopérabilité entre les marines participantes, en mettant l’accent sur la sécurité maritime dans des zones stratégiques telles que les détroits de Malacca, de la Sonde et de Lombok.
Sur le plan commercial, les échanges entre la France et l’Indonésie se sont intensifiés ces dernières années, atteignant un volume de 4 milliards d’euros en 2023. Ce dynamisme repose sur une diversification progressive des secteurs de coopération, allant de l’agro-industrie aux technologies vertes. Les entreprises françaises jouent un rôle clé dans le développement des infrastructures en Indonésie. Vinci et Bouygues, par exemple, participent à la construction d’aéroports, de ponts et d’autoroutes, contribuant ainsi à améliorer la connectivité du pays. En 2024, un partenariat public-privé a été signé pour la modernisation des réseaux de transport urbain à Jakarta, intégrant des technologies françaises pour une gestion efficace du trafic.
La transition énergétique est également un domaine phare du partenariat économique franco-indonésien. TotalEnergies, en collaboration avec des partenaires locaux, développe des projets solaires et éoliens à grande échelle. Ces initiatives visent à soutenir les objectifs indonésiens de réduire de 29 % leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030. La coopération inclut également des projets de recherche sur l’hydrogène vert et les solutions de stockage d’énergie, essentiels pour diversifier le mix énergétique du pays.
La préservation de la biodiversité et la gestion durable des ressources naturelles sont au cœur de la coopération entre la France et l’Indonésie. En 2023, le programme « Green Indonesia », soutenu par des fonds français, a été lancé pour financer des initiatives de reforestation et de restauration des mangroves. Ces efforts visent à renforcer la résilience des écosystèmes côtiers face aux effets du changement climatique et à réduire les émissions de carbone. Par ailleurs, la France et l’Indonésie collaborent étroitement dans le cadre de l’accord de Paris pour promouvoir des politiques climatiques ambitieuses. Des projets communs, tels que le développement de villes durables et la gestion intégrée des déchets, illustrent leur engagement mutuel en faveur d’un développement équilibré et respectueux de l’environnement.
Enfin, les échanges culturels et éducatifs jouent un rôle crucial dans le renforcement des liens bilatéraux entre la France et l’Indonésie. En 2024, un programme élargi de bourses a été lancé pour encourager la mobilité étudiante dans des domaines tels que l’ingénierie, les sciences de l’environnement et les technologies de l’information. Les universités françaises collaborent étroitement avec des institutions indonésiennes comme l’Université de Gadjah Mada et l’Institut technologique de Bandung pour développer des projets de recherche conjoints. La coopération culturelle est également dynamique, avec des événements tels que « Le Mois de la Francophonie » qui promeut la langue et la culture françaises à travers l’Indonésie. En retour, des festivals mettant en avant les traditions artistiques et culinaires indonésiennes sont régulièrement organisés en France, favorisant une meilleure compréhension mutuelle entre les deux sociétés.
L’Indonésie, puissance émergent à un rythme soutenu, offre à la France une relation certes naissante, mais pleine de promesses. Il nous appartient désormais de nous investir davantage au sein du quatrième État le plus peuplé au monde.
2. Le rôle de la France dans l’équilibre stratégique
a. Les bases françaises et les déploiements navals dans la région
Du fait de la présence de ses territoires ultramarins tels que La Réunion, Mayotte, la Polynésie française, Wallis-et-Futuna, et la Nouvelle-Calédonie, la France possède la deuxième plus grande ZEE au monde, avec environ 11 millions de kilomètres carrés, dont la majeure partie se trouve dans l’Indopacifique. Cette situation géographique confère à la France des responsabilités spécifiques et l’oblige à maintenir une présence militaire substantielle dans la région.
Les bases militaires françaises y occupent une position stratégique. La Réunion, qui possède une position stratégique dans l’océan Indien, abrite la base navale de Port-des-Galets, où des frégates de surveillance comme le Floréal et le Nivôse sont stationnées pour contrôler les routes maritimes, surveiller les activités de pêche illégale et lutter contre la piraterie dans le canal du Mozambique. Cette base constitue un pivot pour les opérations navales françaises dans l’ensemble de l’océan Indien, tout comme la base de Dzaoudzi à Mayotte, qui complète ce dispositif en assurant un contrôle des flux maritimes et des activités illicites dans cette partie de la région.
Dans le Pacifique Sud, la Nouvelle-Calédonie est une autre pièce maîtresse du réseau militaire français. Le Commandement supérieur des forces armées en Nouvelle-Calédonie (COMSUP-NC), basé à Nouméa, assure la surveillance de la vaste ZEE française dans le Pacifique. Cette base est également le centre de coordination d’exercices multinationaux comme le Croix du Sud, qui réunit des partenaires tels que l’Australie, la Nouvelle-Zélande et plusieurs États insulaires du Pacifique. De plus, la Polynésie française, avec la base navale de Papeete, renforce la projection française dans cette partie du monde. Ce site stratégique permet à la France d’entretenir une présence militaire permanente et d’assurer la maintenance des unités navales engagées dans des missions prolongées.
En complément de ces bases, la France mobilise régulièrement des moyens militaires dans l’Indopacifique. Les frégates de surveillance, les nouveaux patrouilleurs de haute mer et les avions de patrouille maritime tels que le Falcon 200 Gardian sont employés pour surveiller les zones de trafic maritime et protéger les routes stratégiques. Cette mobilisation inclut également des déploiements de sous‑marins nucléaires d’attaque (SNA), qui opèrent de manière discrète dans des zones sensibles comme la mer de Chine méridionale, où les tensions géopolitiques avec la Chine s’intensifient. Ces opérations s’inscrivent dans une stratégie globale visant à réaffirmer le respect du droit international et à garantir la liberté de navigation dans des eaux contestées.
La mission annuelle Jeanne d’Arc constitue un autre volet significatif de l’engagement français. Cette mission combine formation des équipages et démonstration de puissance, avec le déploiement d’un groupe naval articulé autour d’un porte-hélicoptères amphibie et d’une frégate de premier rang. Elle permet non seulement de renforcer les capacités de projection de la France, mais aussi de développer des coopérations avec des partenaires clés comme l’Inde, l’Australie, le Japon et les États-Unis.
En parallèle, la France participe à des exercices multinationaux comme RIMPAC, organisé par les États-Unis dans le Pacifique, et La Pérouse, un exercice naval regroupant l’Inde, le Japon, l’Australie et les États-Unis. De même, en 2025, le porte-avions Charles de Gaulle participera pour la première fois à l’exercice naval multinational Pacific Stellar.
Ces exercices visent à renforcer l’interopérabilité et à préparer une réponse coordonnée face aux crises régionales.
Enfin, la dimension environnementale et sociétale occupe une place de plus en plus centrale dans la présence française dans l’Indopacifique. Les bases militaires françaises contribuent à des missions de secours en cas de catastrophe naturelle, comme lors du cyclone Pam de 2015 au Vanuatu, et participent à des opérations de surveillance écologique visant à protéger la biodiversité maritime. Par ailleurs, la France s’engage activement dans des initiatives multilatérales, comme l’Alliance solaire internationale et le partenariat pour la résilience climatique des États insulaires du Pacifique.
Dans un contexte de compétition croissante entre grandes puissances et de menaces transnationales, la présence française dans l’Indopacifique demeure essentielle. Toutefois, pour maintenir sa pertinence, la France devra investir davantage dans la modernisation de ses infrastructures, le renouvellement de ses capacités navales et le développement de coopérations innovantes, notamment dans les domaines cyber et spatial, qui redéfinissent les enjeux stratégiques de la région (v. infra).
b. La coopération militaire avec les partenaires régionaux
Dans une région aussi vaste et complexe que l’Indopacifique, la France ne peut relever seule les défis stratégiques et sécuritaires qui s’y présentent : c’est pourquoi la coopération militaire avec les partenaires régionaux est au cœur de son action. Ces relations bilatérales et multilatérales permettent non seulement de renforcer les capacités opérationnelles, mais également d’envoyer un signal politique fort en faveur d’un ordre international fondé sur des règles.
Avec l’Inde, la France entretient un partenariat stratégique qui s’appuie sur une confiance mutuelle et une vision partagée des enjeux régionaux. Ce lien se concrétise par des exercices conjoints réguliers, comme Varuna, Garuda et Shakti, qui mobilisent des forces navales des deux pays pour améliorer leur interopérabilité et partager des expertises. L’Inde bénéficie également du transfert de technologies militaires françaises, notamment avec l’achat de sous-marins et d’avions de chasse Rafale, illustrant une relation qui va au-delà des simples exercices pour inclure un volet industriel et technologique.
En Australie, malgré les tensions provoquées par la rupture du contrat des sous-marins en 2021, la France reste un partenaire actif dans le domaine de la sûreté maritime. Des dialogues stratégiques réguliers et des initiatives comme la participation commune à des exercices navals multinationaux témoignent de la continuité de cette coopération. La France participe aussi à des missions de surveillance maritime conjointes pour protéger les routes critiques dans le Pacifique Sud, un enjeu majeur pour les économies insulaires de la région.
Le Japon constitue un autre partenaire clé, notamment dans le cadre de la stabilité régionale face à la montée en puissance de la Chine. Les relations militaires franco-japonaises se traduisent par des exercices conjoints et des échanges d’informations stratégiques. La France, par son statut de puissance maritime mondiale, et le Japon, en tant qu’acteur majeur de l’Asie de l’Est, développent une coopération qui touche aux domaines maritime, cybernétique et spatial, adaptés aux menaces contemporaines.
Les relations avec l’Indonésie s’inscrivent dans une dynamique croissante. Ce pays, au cœur des routes maritimes stratégiques, collabore avec la France sur des projets de formation, des ventes d’équipements militaires, ainsi que des exercices conjoints destinés à lutter contre la piraterie et la pêche illégale. La France partage avec l’Indonésie une volonté de maintenir la paix et la stabilité dans des zones maritimes fortement contestées.
Les États-Unis, bien qu’étant parfois en concurrence sur certains dossiers stratégiques, restent un partenaire militaire incontournable dans l’Indopacifique. La participation régulière française à des exercices comme RIMPAC, le plus grand exercice maritime mondial, réaffirme cette volonté de coopération. Les deux pays partagent également des informations stratégiques sur des thèmes tels que la lutte contre les cyberattaques et la surveillance des activités maritimes chinoises.
Outre ces partenariats bilatéraux, la France s’engage dans des initiatives multilatérales pour renforcer la coopération régionale. La participation à des forums comme l’ASEAN ADMM-Plus (Defence Ministers’ Meeting-Plus) ou l’IONS (Indian Ocean Naval Symposium) permet à la France de promouvoir des règles internationales pour la sûreté maritime et de partager son expertise dans des domaines variés. Ces plateformes sont aussi l’occasion de renforcer la résilience collective face aux menaces non traditionnelles, telles que les désastres naturels ou le trafic de stupéfiants.
c. La sécurisation des voies maritimes et la défense des Outre-mer
La France joue un rôle majeur dans la sécurisation des voies maritimes internationales, une priorité qui s’inscrit dans sa vision d’une liberté de navigation garantie par le respect du droit international. Ses efforts visent non seulement à protéger ses propres intérêts économiques et stratégiques, mais aussi à contribuer à la stabilité régionale et mondiale.
Les missions de surveillance maritime s’articulent autour de plusieurs axes. Tout d’abord, la France mobilise une flotte diversifiée, comprenant des frégates de surveillance, des patrouilleurs hauturiers et des sous-marins d’attaque, pour surveiller les principales routes commerciales traversant ses zones maritimes. Ces unités sont équipées de technologies avancées permettant la détection des activités illégales, telles que la piraterie, la pêche illégale et le trafic de stupéfiants. Ainsi, dans le canal du Mozambique, un corridor critique reliant l’océan Indien au reste du monde, des missions régulières sont menées par les FAZSOI pour contrer les menaces émanant de groupes pirates.
Les Forces armées en zone sud de l’océan Indien (FAZSOI)
Les Forces armées en zone sud de l’océan Indien (FAZSOI) constituent le dispositif militaire permanent de la France dans cette région stratégique, comprenant principalement La Réunion et Mayotte. Elles assurent la souveraineté nationale, la protection des intérêts français et la coopération régionale dans un espace marqué par des enjeux de sécurité maritimes, économiques et environnementaux.
Les FAZSOI sont composées de forces terrestres, navales et aériennes, avec environ 1 700 militaires déployés. À La Réunion, elles s’appuient sur le régiment du service militaire adapté (RSMA) et le détachement de l’armée de l’air et de l’espace, qui exploite notamment des avions de surveillance et de transport. À Mayotte, le détachement de la Légion étrangère (DLEM) assure une présence permanente, renforçant les capacités de défense et de dissuasion françaises. La Marine nationale y déploie également plusieurs bâtiments pour assurer la surveillance des espaces maritimes, lutter contre la pêche illégale et le trafic illicite, et participer aux opérations de secours en mer.
Au-delà de leur mission de défense, les FAZSOI jouent un rôle clé dans la coopération régionale. Elles participent à des exercices conjoints avec les pays riverains, tels que Madagascar, les Comores et l’Afrique du Sud, renforçant ainsi les capacités de défense collective et la stabilité régionale. Leur engagement humanitaire est également essentiel : elles interviennent régulièrement en cas de catastrophes naturelles, comme les cyclones, apportant une aide logistique et médicale aux populations sinistrées.
Enfin, les FAZSOI sont un élément central de la stratégie française dans l’Indopacifique, région où la France défend sa souveraineté sur plusieurs territoires ultramarins et ses intérêts maritimes. Dans un contexte de tensions croissantes, notamment liées aux routes commerciales et à l’exploitation des ressources marines, leur présence contribue à préserver l’influence française et à assurer la libre circulation dans cette zone clé du commerce international.
Par ailleurs, la France collabore étroitement avec des partenaires régionaux pour renforcer la sécurité des voies maritimes. Des opérations conjointes sont organisées avec les marines indienne, australienne et indonésienne afin de partager des informations stratégiques et coordonner les réponses aux incidents en mer. En Polynésie française, la surveillance maritime est également assurée par des avions de patrouille tels que le Falcon 200 Gardian, qui jouent un rôle crucial dans la prévention des violations de la souveraineté maritime.
Au-delà de la sécurité des voies commerciales, la France déploie également des ressources importantes pour la défense de ses Outre-mer. Ces territoires de l’Indopacifique, qui abritent près de 1,6 million de nos concitoyens, sont souvent exposés à des risques spécifiques, allant des tensions géopolitiques aux catastrophes naturelles. La présence militaire française dans ces régions assure une protection directe des populations et des infrastructures stratégiques, comme les ports et les installations énergétiques.
En Nouvelle-Calédonie, le régiment d’infanterie de marine du Pacifique-Nouvelle-Calédonie (RIMaP-NC) de Nouméa sert de plateforme opérationnelle pour des missions de défense territoriale, tout en jouant un rôle important dans la coordination des secours en cas de cyclone ou de tremblement de terre. À Mayotte et La Réunion, des bases navales et des détachements de la gendarmerie maritime surveillent les activités dans le canal du Mozambique et préviennent les incursions illicites.
Dans un contexte de compétition accrue entre grandes puissances, les territoires français d’outre-mer offrent à la France une base de projection unique, renforçant son rayonnement international. Les forces prépositionnées dans ces zones permettent de réagir rapidement à toute crise ou menace émergente. Elles jouent également un rôle dissuasif face à des acteurs étatiques ou non étatiques cherchant à déstabiliser la région.
La loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, en date du 1er août 2023 ([4]), a renforcé ces dispositifs par des mesures concrètes. Un budget accru a été alloué pour moderniser les frégates de surveillance et d’autres navires essentiels à la protection des ZEE. La loi prévoit aussi l’acquisition de nouveaux patrouilleurs outre-mer (POM), spécialement conçus pour répondre aux besoins des opérations dans les territoires ultramarins. Ces navires offriront une plus grande autonomie et des capacités renforcées pour détecter et dissuader les activités illicites.
Dans le domaine de la défense aérienne et spatiale, la loi met l’accent sur le déploiement de systèmes de surveillance par satellite, destinés à mieux protéger les infrastructures critiques et surveiller les activités hostiles dans des zones éloignées. Les territoires ultramarins bénéficieront également d’investissements dans des systèmes de défense contre les drones, une menace en constante évolution.
Enfin, la formation et le recrutement de personnels spécialisés pour opérer dans ces zones ont été priorisés. Des efforts sont faits pour adapter les ressources humaines aux besoins spécifiques des missions dans l’Indopacifique et les DROM‑COM, en mettant l’accent sur les compétences techniques et linguistiques.
En parallèle, la France investit dans le renforcement des infrastructures de défense et la modernisation des équipements. Les programmes de renouvellement des POM et des frégates de nouvelle génération témoignent d’une volonté de maintenir une posture robuste et adaptée aux menaces contemporaines. Les projets de développement dans le domaine spatial et cybernétique complètent cet effort, permettant de surveiller les activités dans des zones étendues et d’anticiper les attaques potentielles.
II. Entre dÉsunion européenne et aspirations françaises, une approche de l’indopacifique À refonder
A. Les stratÉgies indopacifiques de nos partenaires subissent de profondes mutations depuis 2022
1. Les grandes puissances du continent européen en manque de leviers dans leur volonté de rééquilibrer leur relation à la Chine
Dans un contexte mondial marqué par des tensions croissantes entre la Chine et les puissances occidentales, les grandes puissances européennes, notamment le Royaume-Uni et l’Allemagne, font face à des défis significatifs pour rééquilibrer leurs relations avec la République populaire de Chine. Bien que ces deux pays soient historiquement influents sur la scène internationale, leurs stratégies respectives dans l’Indopacifique sont confrontées à des limites structurelles et stratégiques.
a. Le Royaume-Uni en Indopacifique : une ambition freinée par un manque de moyens
Depuis le Brexit, le Royaume-Uni tente de redéfinir sa place dans le monde. Avec sa stratégie « Global Britain », il cherche à renforcer sa présence dans l’Indopacifique, perçu comme un théâtre clé des compétitions stratégiques du XXe siècle. Toutefois, cette ambition est limitée par des contraintes militaires et économiques qui compromettent ses capacités à influencer significativement les dynamiques régionales.
Le concept de « tilt » vers l’Indopacifique, introduit dans la revue intégrée « Global Britain in a Competitive Age » en 2021, marque un tournant stratégique majeur pour Londres. Cette orientation repose sur trois piliers principaux : la sécurité, l’économie et le multilatéralisme.
L’adhésion du Royaume-Uni à l’alliance AUKUS, conclue avec les États-Unis et l’Australie, illustre son engagement à jouer un rôle clé dans la sécurité régionale. Cet accord prévoit le développement de sous-marins nucléaires pour l’Australie et met en lumière la capacité de Londres à participer à des initiatives stratégiques à long terme. En outre, le déploiement d’un groupe aéronaval en 2021, dirigé par le porte-avions HMS Queen Elizabeth, a marqué une démonstration tangible de la volonté britannique de s’impliquer dans les affaires de la région. Un déploiement analogue est prévu au cours de l’année 2025.
Le Royaume-Uni s’est également engagé à renforcer ses partenariats avec les nations asiatiques par le biais de forums multilatéraux tels que l’ASEAN. Bien que non-membre, Londres a intensifié ses relations bilatérales avec plusieurs pays membres, notamment Singapour et le Japon, en s’appuyant sur des accords commerciaux et des initiatives de coopération technologique.
La stratégie « Global Britain » met l’accent sur la diversification des partenariats économiques pour réduire la dépendance vis-à-vis de la Chine. Des accords commerciaux post-Brexit avec des pays comme l’Inde, le Japon et la Corée du Sud visent à stimuler les échanges bilatéraux. Par exemple, l’accord de libre‑échange signé avec le Japon en 2020, bien que largement basé sur l’accord UE-Japon existant, a été présenté comme un jalon vers une intégration plus profonde dans la région Indopacifique.
Malgré son ambition, le Royaume-Uni souffre de contraintes militaires significatives. La Royal Navy, bien que modernisée, fait face à des défis en matière de financement et de ressources humaines. En 2023, des retards dans la mise en service de nouveaux équipements, combinés à une pénurie de personnel qualifié, ont affecté la capacité de la marine britannique à maintenir une présence continue en Indopacifique. De plus, les réductions budgétaires post-Brexit ont contraint Londres à prioriser ses engagements militaires, souvent au détriment d’opérations prolongées dans des régions éloignées.
La perte de la souveraineté sur les Chagos au profit de Maurice en 2024 a également réduit l’empreinte britannique dans l’océan Indien. Bien que Diego Garcia reste une base essentielle pour les opérations conjointes avec les États-Unis, cette perte limite les options stratégiques de Londres dans la région.
L’alignement du Royaume-Uni sur les États-Unis, en particulier dans le cadre d’AUKUS, soulève des questions sur son autonomie stratégique. Cette dépendance peut limiter sa capacité à négocier indépendamment avec des partenaires asiatiques, notamment sur des questions sensibles comme Taïwan ou la mer de Chine méridionale. Par ailleurs, le choix de suivre de près la politique américaine à l’égard de la Chine pourrait aliéner certains partenaires européens qui privilégient une approche plus modérée.
Le Royaume-Uni a entrepris des efforts pour renforcer ses liens économiques avec la région Indopacifique, mais les résultats restent mitigés. Les initiatives visant à rejoindre le Partenariat transpacifique global et progressiste (Comprehensive and Progressive agreement for Trans-Pacific Partnership –CPTPP) reflètent une volonté de s’intégrer davantage aux chaînes d’approvisionnement asiatiques. Cependant, ces efforts peinent à compenser les pertes commerciales dues au Brexit, notamment en termes d’investissements directs étrangers.
Enfin, les entreprises britanniques, bien que compétitives dans des secteurs comme les services financiers et la technologie, n’ont pas encore réussi à s’implanter massivement dans les marchés asiatiques. Cette faiblesse contraste avec la présence allemande ou française, plus structurée grâce à des partenariats de longue date, à l’instar de l’allemand Siemens présent dans des projets d’automatisation industrielle en Chine ou le français L’Oréal, solidement implanté en Chine et en Corée du Sud. De plus, la concurrence chinoise dans des secteurs clés comme les infrastructures limite les opportunités pour les entreprises britanniques.
b. La prise de conscience tardive par l’Allemagne du défi chinois
L’Allemagne, moteur économique de l’Union européenne, a longtemps adopté une posture prudente vis-à-vis de la Chine, privilégiant une approche commerciale et diplomatique modérée. Toutefois, la montée en puissance de la Chine comme rival systémique et le partenariat stratégique de cette dernière avec la Russie ont poussé Berlin à revoir sa stratégie.
L’économie allemande est étroitement liée à celle de la Chine, principal partenaire commercial asiatique de Berlin. Cette dépendance est particulièrement visible dans des secteurs stratégiques tels que l’automobile et les machines-outils. En 2022, près de 20 % des exportations allemandes dans le secteur automobile étaient destinées à la Chine.
Cette relation était initialement vue comme un atout, mais elle s’est transformée en vulnérabilité. La pandémie de Covid-19 et les tensions géopolitiques ont mis en évidence les risques d’une surdépendance envers un partenaire qui, de plus en plus, combine compétitivité économique et pressions diplomatiques.
En 2022, le chancelier Olaf Scholz a prononcé le discours du « Zeitenwende » – que l’on peut traduire en français par « tournant historique » – signalant une rupture majeure dans la politique étrangère allemande. Ce tournant, motivé par la guerre en Ukraine et la nécessité de renforcer la sécurité européenne, a eu des répercussions importantes sur la stratégie vis-à-vis de la Chine. En 2023, Berlin a publié sa première stratégie nationale pour la Chine, marquant une prise de conscience des défis posés par le partenariat sino-russe et les ambitions stratégiques de Pékin.
L’Allemagne fait en effet face à une remise en question profonde des fondements de sa puissance économique et stratégique, fragilisée par l’effondrement des trois piliers qui avaient soutenu son modèle de croissance et de compétitivité. Premièrement, la dépendance à une énergie russe bon marché, qui a longtemps garanti un avantage industriel décisif, s’est brutalement interrompue avec la guerre en Ukraine, forçant Berlin à restructurer son approvisionnement énergétique à des coûts bien plus élevés. Deuxièmement, l’interdépendance étroite avec la Chine dans les chaînes de valeur, qui avait permis une montée en gamme industrielle et une expansion des exportations, devient un facteur de risque stratégique à mesure que s’intensifient les tensions géopolitiques et les politiques de découplage. Enfin, la faiblesse structurelle des dépenses militaires allemandes, permise par la protection du parapluie sécuritaire américain, apparaît désormais comme une vulnérabilité majeure dans un contexte où Washington redéfinit ses priorités stratégiques et exige une plus grande autonomie de défense européenne. Cette conjonction de bouleversements contraint l’Allemagne à redéfinir son positionnement en matière énergétique, industrielle et sécuritaire, tout en accélérant l’intégration de sa politique de défense au sein de l’Union européenne et de l’OTAN.
La stratégie allemande insiste sur la nécessité de réduire les dépendances économiques vis-à-vis de la Chine dans des secteurs critiques tels que les technologies de pointe, les matériaux stratégiques et les infrastructures. Contrairement à une politique de « découplage » économique radical, le « dérisquage » vise à diversifier les chaînes d’approvisionnement et à sécuriser des partenariats alternatifs.
L’Allemagne a également entrepris un rapprochement significatif avec Taïwan, considéré comme un partenaire stratégique essentiel pour la sécurité technologique européenne. Des délégations ministérielles et des accords commerciaux renforcent cette coopération. Parallèlement, Berlin a accru son engagement avec des nations de l’ASEAN telles que le Vietnam et Singapour, dans le but de développer des relations bilatérales solides tout en réduisant la dépendance à l’égard de la Chine.
Enfin, pour la première fois, l’Allemagne a déployé des frégates de premier rang et des aéronefs dans la région, participant à des exercices multilatéraux de liberté de navigation en mer de Chine méridionale. Bien que modestes, ces initiatives marquent un changement important dans la posture stratégique allemande, longtemps focalisée sur l’Europe.
Pourtant, la transition de la stratégie allemande reste entravée par des débats internes au sein de la coalition gouvernementale et des réticences de certaines industries clés fortement dépendantes du marché chinois. Les divergences sur l’approche à adopter, entre partenaires modérés et partisans d’une ligne dure, ralentissent la mise en œuvre d’une politique cohérente.
La dépendance économique reste un frein majeur. Les investissements chinois en Allemagne, notamment dans des secteurs stratégiques comme l’automobile et les énergies renouvelables, continuent de poser des dilemmes pour les décideurs politiques. Le cas du terminal portuaire de Hambourg, partiellement acquis par une entreprise chinoise, illustre ces tensions entre sécurité nationale et intérêts économiques.
2. Les États européens plus modestes partagés sur la forme de la stratégie indopacifique à adopter
a. Les Pays-Bas : une puissance moyenne aux ambitions pragmatiques
Dans le paysage européen, les Pays-Bas se distinguent par leur approche pragmatique et européenne de la Chine et de l’Indopacifique. Puissance économique de taille moyenne, mais historiquement influente, les Pays-Bas ont développé une stratégie Indopacifique axée sur le multilatéralisme, la liberté de navigation et la diversification économique.
L’histoire des Pays-Bas avec l’Indopacifique remonte à l’époque coloniale, lorsque la Compagnie néerlandaise des Indes orientales dominait les échanges commerciaux en Asie du Sud-Est. Cette relation historique, bien que marquée par la colonisation, a laissé un héritage culturel et économique qui influence encore aujourd’hui la politique étrangère néerlandaise. L’Indonésie reste un partenaire clé dans cette région, tandis que les Pays-Bas cherchent à capitaliser sur leurs liens historiques pour renforcer leur influence.
Contrairement à des puissances comme le Royaume-Uni ou la France, les Pays-Bas placent l’Union européenne au centre de leur stratégie indopacifique. En 2020, les Pays-Bas ont publié leur première stratégie pour l’Indopacifique, mettant en avant leur volonté de promouvoir une approche coordonnée avec l’UE.
Les Pays-Bas considèrent la liberté de navigation comme une priorité stratégique, notamment en raison de leur rôle en tant que porte d’entrée commerciale pour l’Europe. La marine néerlandaise participe régulièrement à des missions de liberté de navigation, notamment en mer de Chine méridionale, en coordination avec des partenaires européens et américains.
Face à la montée des tensions avec la Chine, les Pays-Bas cherchent à diversifier leurs relations commerciales en renforçant leurs partenariats avec des pays de l’ASEAN comme Singapour, le Vietnam et l’Indonésie. Le secteur des technologies, en particulier celui des semi-conducteurs, joue un rôle clé dans cette stratégie. En tant que siège de l’entreprise ASML, leader mondial de la production de machines de lithographie, les Pays-Bas occupent une position stratégique dans les chaînes d’approvisionnement technologiques mondiales.
Les Pays-Bas mettent également l’accent sur la promotion des droits humains, de la démocratie et de la durabilité dans leurs relations avec l’Indopacifique. Cette approche reflète leur engagement en faveur d’un ordre international fondé sur des règles et leur volonté de s’opposer aux pratiques coercitives de la Chine.
Malgré leurs efforts pour diversifier leurs relations économiques, les Pays‑Bas restent dépendants du commerce avec la Chine, notamment dans des secteurs clés comme les équipements technologiques et les infrastructures portuaires. Cette dépendance limite leur capacité à adopter une position plus ferme face à Pékin.
Enfin, la marine néerlandaise, bien que compétente, dispose de capacités limitées pour maintenir une présence soutenue en Indopacifique. Cette contrainte réduit leur influence militaire dans la région, les obligeant à s’appuyer sur des partenariats multilatéraux pour atteindre leurs objectifs stratégiques.
b. La posture lituanienne audacieuse face à la Chine
La Lituanie, bien qu’étant un petit État membre de l’Union européenne, a adopté une stratégie résolument critique envers la Chine, illustrant sa capacité à peser de manière disproportionnée sur les questions géopolitiques. En rupture avec la majorité des États européens, la Lituanie s’est imposée comme un modèle de résilience face aux pressions économiques et diplomatiques de Pékin.
La Lituanie a marqué les esprits en 2021 en autorisant l’ouverture d’un bureau de représentation de Taïwan à Vilnius sous l’appellation « Bureau de représentation taïwanais ». Contrairement aux autres pays européens, qui utilisent la désignation plus neutre de « Taipei », cette décision a provoqué une réaction virulente de la Chine. Pékin a rétrogradé ses relations diplomatiques avec la Lituanie, suspendu certains échanges commerciaux et exercé une pression considérable sur les entreprises européennes collaborant avec des partenaires lituaniens.
Cette décision reflète non seulement la solidarité de la Lituanie envers Taïwan, mais également une volonté de défendre les principes démocratiques face aux comportements coercitifs de la Chine.
La Lituanie a cherché à renforcer ses liens avec d’autres partenaires de l’Indopacifique, notamment l’Australie, le Japon et la Corée du Sud. En 2023, elle a signé plusieurs accords commerciaux avec ces pays, mettant l’accent sur des secteurs stratégiques tels que les technologies de l’information, la cybersécurité et les énergies renouvelables.
La Lituanie plaide pour une position européenne plus ferme envers la Chine. Elle milite pour une révision des politiques de dépendance économique et encourage une stratégie de « derisking » alignée sur les initiatives allemande et néerlandaise. Bien que ses actions soient parfois perçues comme polarisantes, elles contribuent à alimenter le débat sur la nécessité d’une politique européenne plus cohérente et proactive face à la Chine.
La Lituanie a payé un prix élevé pour son positionnement. La Chine a ciblé des secteurs clés de l’économie lituanienne, notamment l’industrie manufacturière et les exportations agroalimentaires. Cette pression a mis à rude épreuve les entreprises locales, obligeant Vilnius à chercher des alternatives et des soutiens économiques auprès de ses alliés occidentaux.
La stratégie de la Lituanie a également suscité des tensions avec certains membres de l’Union européenne, qui privilégient une approche plus modérée envers Pékin.
Ce clivage particulièrement significatif souligne les défis liés à l’élaboration d’une politique européenne unifiée sur la Chine, notamment en raison des divergences d’intérêts économiques et politiques entre les États membres.
3. Une indispensable actualisation de la stratégie de l’Union européenne pour l’Indopacifique
L’Union européenne, malgré son poids économique et diplomatique, peine encore à s’imposer comme un acteur stratégique de premier plan dans l’Indopacifique. La stratégie actuelle de l’UE, adoptée en 2021, a permis de poser les bases d’un engagement collectif dans la région. Cependant, les évolutions rapides du contexte géopolitique, notamment la montée en puissance de la Chine et les tensions accrues autour de Taïwan, rendent nécessaire une actualisation ambitieuse et cohérente de cette stratégie.
a. Les lacunes de la stratégie actuelle
Malgré l’adoption de la stratégie de 2021, les États membres de l’UE continuent de privilégier des approches nationales disparates en matière d’engagement dans l’Indopacifique. Cette fragmentation affaiblit la capacité de l’UE à parler d’une seule voix et réduit son influence auprès des partenaires régionaux. Ainsi, alors que des pays comme la France et l’Allemagne ont intensifié leur présence militaire ou économique dans la région, d’autres membres restent en retrait, limitant ainsi l’impact collectif.
Les divergences sont particulièrement marquées dans la réponse aux tensions en mer de Chine méridionale. Si la France a déployé régulièrement des unités navales pour défendre la liberté de navigation, d’autres États, comme la Hongrie, évitent de critiquer directement Pékin en raison de leurs intérêts économiques bilatéraux.
i. Une approche économique trop prudente
L’initiative « Global Gateway », conçue comme une alternative européenne aux « Nouvelles routes de la soie » chinoises, manque encore de financement et de coordination. Alors que la Chine mobilise des centaines de milliards de dollars pour financer des infrastructures critiques dans des pays de l’ASEAN et du Pacifique, les promesses européennes peinent à se concrétiser. Ainsi, des projets de modernisation portuaire en Indonésie et aux Philippines, initialement envisagés sous l’égide de l’UE, ont été retardés faute de fonds suffisants.
De plus, l’absence de mécanismes clairs pour mobiliser les ressources privées freine la capacité de l’UE à projeter sa puissance économique. La fragmentation des financements entre les États membres et les institutions européennes entrave également la réalisation des objectifs de « Global Gateway ».
Enfin, une étude publiée en octobre 2024 par les organisations Counter Balance, Eurodad et Oxfam, seuls 60 % des projets financés dans le cadre de la stratégie « Global Gateway » bénéficieraient à des entreprises européennes. Cette répartition interroge sur l’orientation de l’aide de l’Union européenne et sur la primauté des intérêts commerciaux et géopolitiques européens dans l’attribution des financements.
ii. Une présence sécuritaire limitée
L’UE est encore largement perçue comme un acteur extra-régional, avec une implication militaire et sécuritaire modeste dans l’Indopacifique. Si des initiatives comme les missions de liberté de navigation en mer de Chine méridionale sont encourageantes, elles restent sporadiques et ne reflètent pas une stratégie cohérente ou soutenue.
À titre d’exemple, l’opération Atalante, visant à sécuriser les routes maritimes contre la piraterie au large de la Corne de l’Afrique, pourrait servir de modèle pour un engagement plus structuré en Indopacifique ; toutefois, les ressources allouées à ces opérations demeurent insuffisantes pour projeter une présence soutenue dans des zones stratégiques comme le détroit de Malacca.
b. Les priorités pour une actualisation stratégique
i. Renforcer la coordination entre les États membres
L’UE doit mettre en place des mécanismes institutionnels pour assurer une meilleure coordination entre les stratégies nationales et la politique collective. Cela pourrait inclure la création d’un « Conseil de l’Indopacifique » au sein de l’UE, chargé de synchroniser les initiatives économiques, diplomatiques et militaires des États membres dans la région.
Par ailleurs, l’adoption d’une « feuille de route commune pour l’Indopacifique » permettrait de prioriser les projets stratégiques en fonction des besoins régionaux et des capacités de l’UE. Par exemple, une coopération accrue entre la France et l’Allemagne sur les exercices militaires conjoints pourrait servir de levier pour mobiliser d’autres États membres moins engagés.
ii. Augmenter les capacités financières et logistiques
Pour donner une réelle portée à l’initiative « Global Gateway », l’UE doit mobiliser davantage de ressources financières, notamment en encourageant les investissements privés et en s’appuyant sur des partenariats public-privé. Un fonds spécifique pourrait être créé pour soutenir les projets stratégiques dans l’Indopacifique, en particulier dans les infrastructures critiques comme les ports, les télécommunications et les énergies renouvelables.
Un exemple concret pourrait être le financement d’un projet régional d’interconnexion énergétique en Asie du Sud-Est, destiné à réduire la dépendance des États aux importations chinoises. De tels projets renforceraient la position de l’UE comme partenaire de choix dans la région.
iii. Développer une présence sécuritaire accrue
L’UE devrait envisager un déploiement plus régulier de ses capacités navales et militaires dans l’Indopacifique, en collaboration avec des partenaires clés comme l’Australie, le Japon et les États-Unis. Cela inclut des exercices conjoints, des missions de surveillance et des partenariats renforcés avec les pays de l’ASEAN pour soutenir la sécurité régionale.
Un exemple pertinent serait l’organisation d’un exercice naval conjoint UE‑ASEAN, visant à renforcer les capacités de gestion des crises maritimes. Par ailleurs, l’augmentation de la participation européenne aux forums sécuritaires régionaux, tels que le Shangri-La Dialogue, renforcerait la crédibilité stratégique de l’UE.
iv. Affirmer une position claire sur les enjeux géopolitiques
L’UE doit clarifier ses positions sur des questions sensibles comme le détroit de Taïwan et les revendications chinoises en mer de Chine méridionale. Une approche équilibrée, combinant fermeté sur le respect du droit international et dialogue avec Pékin, renforcerait la crédibilité de l’UE auprès de ses partenaires régionaux.
Ainsi, une déclaration commune des États membres sur le soutien à la liberté de navigation dans le détroit de Taïwan, associée à des actions concrètes telles que l’envoi de missions diplomatiques renforcées à Taipei, pourrait envoyer un signal clair sans provoquer d’escalade inutile.
c. Les opportunités d’une stratégie renforcée
L’UE dispose de solides bases pour développer des partenariats stratégiques dans l’Indopacifique. En renforçant ses relations avec des acteurs régionaux comme l’Inde, le Japon, l’Australie et l’Indonésie, elle peut accroître son influence et promouvoir un ordre fondé sur des règles.
Un exemple marquant est le partenariat stratégique signé en 2005 avec l’Inde, qui englobe des domaines tels que les énergies renouvelables, la cybersécurité et la connectivité numérique. En approfondissant ce type de coopération, l’UE pourrait réduire les lacunes dans sa présence régionale.
En intégrant des priorités telles que la lutte contre le changement climatique et la transformation numérique dans sa stratégie, l’UE peut offrir une alternative attrayante aux pays de l’Indopacifique. Cela inclut des initiatives pour le développement des énergies renouvelables, la construction de réseaux numériques sécurisés et le renforcement des capacités locales. Un projet de création de « corridors verts » pour le transport maritime entre l’Europe et l’Asie, soutenu par des technologies propres, pourrait renforcer l’image de l’UE comme leader dans la transition écologique.
B. Une stratÉgie française paradoxale entre actions concrÈtes et manque de cohÉsion globale
1. De nombreux efforts concrets, quoique peu médiatisés, de la France dans la zone indopacifique
Depuis 2021, la France a redoublé d’efforts pour s’affirmer comme un acteur majeur dans la région indopacifique. En dépit de critiques sur un manque de cohésion stratégique, de nombreuses actions concrètes, quoique peu médiatisées, démontrent une volonté claire de projection et de partenariat. La diversité des initiatives dans les domaines politique, économique, militaire, humanitaire et culturel reflète un engagement continu pour faire de l’Indopacifique un pilier de la diplomatie française.
a. Une diplomatie présidentielle proactive et des partenariats stratégiques renforcés
Entre 2022 et 2024, les déplacements présidentiels dans la région se sont intensifiés, atteignant un nombre record de onze visites. Ces déplacements ont permis de consolider des relations stratégiques avec des pays clés.
Ainsi, au Japon, un partenariat d’exception renouvelé s’est matérialisé par des coopérations technologiques, comme le symposium trilatéral sur l’intelligence artificielle générative en novembre 2024.
Avec l’Inde, la feuille de route stratégique adoptée en 2023 prévoit une coopération approfondie jusqu’en 2047. Le contrat pour les 26 Rafale Marine destinés au porte-aéronefs INS Vikrant ainsi que la vente des sous-marins Scorpène, illustrent la place centrale de la France dans la modernisation de la flotte indienne.
Au Vanuatu, une visite présidentielle historique a débouché sur l’ouverture d’une antenne locale de l’Agence française de développement, illustrant l’importance accordée aux petits États insulaires.
En Indonésie, la coopération franco-indonésienne s’est élargie en juin 2021 avec la signature d’un accord de coopération dans le domaine de la défense, puis par la conclusion de plusieurs contrats d’armement : sous-marins Scorpène, avions de transport A400M, radars de contrôle au sol et chasseurs Rafale.
b. Un rôle clé dans les organisations multilatérales et initiatives régionales
La présence française dans les organisations régionales est également renforcée. Membre de l’IORA et partenaire de dialogue de l’ASEAN, la France s’est imposée comme un interlocuteur respecté.
En 2023, elle a coparrainé une résolution portée par le Vanuatu pour saisir la Cour internationale de Justice sur les responsabilités climatiques des États, un geste salué dans une région particulièrement vulnérable aux catastrophes naturelles.
Ces engagements montrent comment Paris utilise les plateformes multilatérales pour promouvoir des valeurs globales tout en servant ses intérêts stratégiques.
c. Une réponse rapide et stratégique aux crises humanitaires
Sur le terrain humanitaire, la réactivité française est exemplaire. Lors des cyclones Judy et Kevin qui ont frappé le Vanuatu en 2023, la France a mobilisé en moins de vingt-quatre heures des moyens logistiques depuis la Nouvelle-Calédonie. Grâce au bâtiment d’assistance D’Entrecasteaux, des milliers de litres d’eau potable et des équipements de secours ont été acheminés en quelques heures. En décembre 2024, le tremblement de terre de magnitude 7.3 a de nouveau mobilisé la France, avec des hélicoptères Puma et des avions Casa pour des évacuations d’urgence.
Ces interventions incluaient l’acheminement de tonnes de nourriture et d’eau, ainsi que des évacuations réalisées grâce à des hélicoptères Puma.
La France a également joué un rôle central dans les réponses collectives grâce à des exercices régionaux comme Marara, réunissant treize pays partenaires pour simuler des interventions d’urgence.
d. Une stratégie économique et culturelle proactive
Sur le plan économique, les liens avec des pays tels que Taïwan, l’Indonésie et l’Inde ont été renforcés.
À Taïwan, l’investissement de 5,2 milliards d’euros dans une « gigafactory » de batteries solides à Dunkerque par ProLogium en 2023 marque une étape importante pour la coopération industrielle franco-taïwanaise.
En Indonésie, la France a soutenu via l’Agence française de développement la transition énergétique avec un partenariat axé sur l’électrification rurale. De tels accords positionnent la France comme un acteur de premier plan dans le développement durable régional.
Enfin, la France mise aussi sur son soft power. Des initiatives culturelles, comme le label Villa Formose ([5]) à Taïwan ou la semaine de la Francophonie en Indonésie – qui a mobilisé des milliers de participants – soulignent la volonté de promouvoir son influence au-delà des aspects stratégiques. Ces efforts s’ajoutent à un réseau éducatif dynamique, avec des établissements comme le Lycée international français de Taipei, ouvert en 2022.
La France au Japon
En 2018, le Japon et la France ont célébré le 160ᵉ anniversaire de leurs relations diplomatiques. Cette relation, ancrée dans une longue histoire de coopération, a été renforcée en 2013 par la signature d’un « partenariat d’exception ». Ce partenariat s’inscrit aujourd’hui dans le cadre d’une feuille de route bilatérale pour la période 2023‑2027, adoptée conjointement le 2 décembre 2023 par le Président de la République française et le premier ministre japonais. L’année 2024 a été marquée par plusieurs initiatives concrètes illustrant la vitalité de cette coopération franco-japonaise :
– 11 janvier : organisation de la quatrième édition du séminaire « Ecotic » à l’ambassade de France, réunissant une trentaine de chercheurs et experts internationaux pour explorer l’utilisation des sciences sensorielles dans l’intégration des robots dans la société ;
– 1er février : première session du groupe de travail franco-japonais sur la sécurité économique à Paris, en ligne avec la feuille de route 2023-2027 du partenariat d’exception ;
– 1er février : vingt-huitièmeᵉ rencontre annuelle du N20, instance de coopération bilatérale rassemblant des industriels français et japonais du secteur du nucléaire civil ;
– 13-15 mars : organisation du séminaire « La France et ses territoires, une terre d’opportunités pour les investisseurs japonais », lors du Smart Manufacturing Summit dans la préfecture d’Aichi, visant à promouvoir l’attractivité économique de la France ;
– 2 mai : rencontre bilatérale entre le Président de la République française et le premier ministre japonais, Fumio Kishida ;
– 7 juin : visite de l’ambassadeur Philippe Setton et de l’équipe de l’ambassade de France à la centrale de Fukushima et au musée commémoratif de la catastrophe du Tohoku, pour approfondir leur compréhension des conséquences de la catastrophe du 11 mars 2011 et des efforts de démantèlement ;
– 4 juillet : homologation des classes de Première et Terminale au Lycée français international de Kyoto ;
– 8-21 septembre : premier exercice militaire terrestre franco-japonais conduit au Japon, Brunet-Takamori 24, avec la participation de l’armée de Terre française et de la force terrestre d’autodéfense japonaise ;
– 12-13 novembre : quatrième édition du symposium trilatéral France – Allemagne – Japon, consacré à l’intelligence artificielle générative.
La France en Indonésie
En 2025, l’Indonésie et la France marqueront le 75ᵉ anniversaire de leurs relations diplomatiques, qui reposent sur un partenariat stratégique établi en juillet 2011 lors de la visite du premier ministre François Fillon. Ce partenariat, axé sur des domaines clés tels que la politique, la sécurité, l’économie, le développement, l’éducation et la culture, vise également à renforcer les échanges entre les sociétés civiles des deux pays. En novembre 2021, lors d’un déplacement du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, en Indonésie, un plan d’action ambitieux a été signé pour approfondir cette coopération stratégique. Cet accord comprenait l’organisation régulière de consultations ministérielles conjointes en format « 2 + 2 » entre les ministres des affaires étrangères et de la défense, faisant de la France le premier pays non-asiatique à bénéficier de ce format avec l’Indonésie. La première de ces consultations a eu lieu en juillet 2023. Par ailleurs, en février 2022, lors de la visite de la ministre des Armées Florence Parly à Jakarta, l’Indonésie a officialisé son intention d’acquérir 42 avions de chasse Rafale, tout en renforçant la coopération industrielle avec la France dans le domaine des sous-marins. En 2024, plusieurs initiatives concrètes illustrent l’engagement continu de la France dans cette relation bilatérale :
– 8 mars : dans le cadre des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, et à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, l’Ambassade de France en Indonésie, l’Institut français d’Indonésie et la Faculté des sciences du sport de l’Universitas Negeri Jakarta ont collaboré pour organiser un talk-show intitulé « Olympic Women ». Cet événement visait à mettre en lumière et à promouvoir la place des femmes dans le monde du sport ;
– 18-23 mars : organisation de la semaine de la Francophonie 2024 ;
– 22-26 avril : l’Institut français d’Indonésie a organisé l’édition 2024 de son événement annuel « La Nuit des idées », conçu pour rassembler des experts issus de divers horizons afin de débattre d’un thème spécifique. Cette année, le thème « Lignes de faille » a exploré les grandes avancées technologiques et scientifiques en cours ;
– 23-24 juillet : visite en Indonésie d’Antoine Petit, président du CNRS ;
– 3 septembre : l’Ambassade de France, en collaboration avec l’Institut indonésien d’agriculture de Bogor, a organisé la deuxième conférence internationale dédiée aux incendies. Cet événement visait à affirmer l’engagement des participants dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre résultant des feux de forêt ;
– 9-20 octobre : première présence de la France lors du salon de référence Indonesia Game Developer Exchange pour l’industrie du jeu vidéo en Indonésie avec une délégation de vingt-quatre Français ;
– 1er novembre : le ministère indonésien de l’énergie et des ressources minérales et l’Agence française de développement ont renforcé leur coopération pour accélérer la transition de l’Indonésie vers un secteur énergétique plus durable, avec le soutien financier de l’Union européenne ;
– 12 novembre : L’ambassadeur de France en Indonésie a co-présidé, aux côtés de Dato’ Astanah Abdul Aziz, secrétaire générale adjointe pour les affaires politiques et de sécurité de l’ASEAN, la quatrième réunion annuelle du comité du partenariat de développement entre la France et l’ASEAN ;
– 13 décembre : lancement d’un appel à projets à destination des porteurs d’initiatives culturelles, artistiques et éducatives prévues en 2025 dans toutes les antennes de l’Institut français d’Indonésie, dans le cadre de la célébration du 75ᵉ anniversaire des relations diplomatiques entre la France et l’Indonésie.
2. Afin d’améliorer la cohérence de l’action de la France en Indopacifique et se prémunir contre l’excès d’ambitions, revisiter les recommandations de 2022
La stratégie française pour l’Indopacifique, bien que définissant des orientations claires, peine à éviter le décalage entre ses ambitions affichées et les moyens mobilisés. Ce déséquilibre résulte à la fois d’une surestimation des capacités de projection et d’une sous-coordination des efforts à l’échelle européenne. Dans ce contexte, un retour critique sur les recommandations formulées dans le rapport présenté au nom de la commission des affaires étrangères en février 2022 s’impose ([6]).
a. Clarifier les objectifs et la posture de la France dans la zone
« Nous appelons en premier lieu à clarifier nos objectifs et nos moyens dans la zone. […] La France doit aussi préciser les moyens qu’elle est prête à mobiliser pour faire de l’Indopacifique une réelle priorité » soulignait le rapport de 2022.
En effet, la stratégie française pour l’Indopacifique souffre d’une erreur sémantique presque invisible en français, mais qui se révèle dès le passage à l’anglais. L’exemple le plus frappant est la formulation dans la Revue nationale stratégique (RNS) de 2022, car là où la version française soulignait que « la France décline une approche globale pour jouer pleinement son rôle de puissance d’équilibres et promouvoir un ordre international stable, fondé sur le respect du droit et le multilatéralisme », la version anglaise traduisait le terme « puissance d’équilibre » par « balancing power ».
De fait, là où le terme français sous-entend l’équilibrisme, c’est-à-dire d’adopter une position de maintien d’une autonomie et d’une spécificité française dans la zone par rapport à la compétition sino-américaine, sa traduction anglaise sous-entend à l’inverse, pour un public anglophone, une équidistance entre les États‑Unis et la Chine, alimentant le cliché d’un pays prétentieux aux ambitions déconnectées de ses capacités réelles.
Cette erreur de traduction aura coûté cher à la France au début de la mise en place de sa stratégie Indopacifique puisqu’elle ne reflète pas les intentions françaises réelles et aura notamment été critiquée par nos partenaires sur son manque de lisibilité. De plus, ce problème aura engendré un intense travail sur le terrain pour l’ensemble de nos agents diplomatiques pour rectifier le tir et développer concrètement la position française, comme l’avait rappelé la majorité des agents rencontrés lors des déplacements de la mission.
Aussi, si la France peut garder dans l’explication de sa stratégie en français la notion d’équilibre/équilibrisme qui ne présente pas d’ambiguïté pour nous au sein de sa nouvelle stratégie française pour l’Indopacifique, il est primordial qu’elle adopte également un terme qui ne serait pas soumis à débat peu importe la langue dans laquelle on le traduirait.
C’est pour cette raison que le rapporteur recommande l’usage du terme de « catalyseur de souveraineté » – « driver of sovereignty » en anglais – dans le but de clarifier la position française en Indopacifique. Cette expression de « catalyseur » – de souveraineté ou de puissance – a pu être utilisée par le Conseil d’État dans son étude annuelle de 2024 mais également des chercheurs spécialistes de la zone ([7]). Cette notion se focalise sur ce qui permet à des États de renforcer leur autonomie vis-à-vis d’acteurs extérieurs tout en insistant sur une logique partenariale. Ce nouveau concept devra prendre place dans la prochaine stratégie française pour l’Indopacifique qui n’est toujours pas publiée en février 2025. Le rapporteur regrette très fortement cette absence difficilement compréhensible.
Le rapport de 2022 précité soulignait que « La France doit aussi davantage s’investir dans les organisations régionales tout en évaluant au cas par cas l’opportunité de rejoindre les formats « minilatéraux ». Notre pays doit aussi présenter une offre de coopération plus lisible et plus attractive ce qui implique de prioriser nos domaines d’actions sur la base de deux critères : nos savoir-faire et les attentes des pays partenaires. »
b. Trouver un équilibre entre multilatéralisme et minilatéralisme
L’approche multilatérale de la France fondée sur le respect du droit international et des institutions internationales, fait de la coopération à l’échelle globale la clef de voûte de notre politique étrangère. Toutefois, multilatéralisme en relations internationales n’est pas synonyme d’unilatéralisme de pensée et la France doit donc, quand c’est dans son intérêt, ne pas hésiter à faire usage du format minilatéral.
Cette stratégie hybride, combinant multilatéralisme et minilatéralisme, permettrait à la France d’être plus réactive et de mieux répondre aux défis spécifiques de la région Indopacifique. Par exemple, des accords trilatéraux ou quadrilatéraux impliquant des partenaires stratégiques comme l’Inde, le Japon ou l’Australie pourraient renforcer la coopération sur des sujets précis tels que la sécurité maritime, la lutte contre le changement climatique ou les infrastructures régionales. De telles initiatives ne doivent toutefois pas se substituer aux engagements multilatéraux, mais les compléter en apportant une réponse plus ciblée et opérationnelle.
STATUT DE LA PARTICIPATION FRANÇAISE AUX DIFFÉRENTES ORGANISATIONS
OU FORUMS RÉGIONAUX DE L’INDOPACIFIQUE
Organisation régionale, sommet ou forum |
Membre à part entière (souvent au titre des Outre-mer) |
Partenaire de dialogue |
Observateur |
Depuis |
Océanie |
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Réunion des ministres de la Défense du Pacifique Sud (SPDMM) |
• |
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2013 |
Communauté du Pacifique (CPS) |
• |
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1947 |
Forum des îles du Pacifique (FIP) |
• |
|
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2016 |
Programme régional océanien de l’environnement (PROE) |
• |
|
|
1993 |
Asie du Sud |
||||
Association des États riverains de l’océan Indien (IORA) |
• |
|
|
2020 |
Commission de l’océan Indien (COI) |
• |
|
|
1986 |
Indian Ocean Naval Symposium (IONS) |
• |
|
|
2014 |
Asie du Sud-Est |
||||
Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) |
|
• |
|
2020 |
ASEAN Defense Ministers Meeting plus (ADMM+) |
|
|
• |
2022 |
Indopacifique global |
||||
Dialogue Asie-Europe (ASEM) |
• |
|
|
1996 |
Forum des garde-côtes d’Asie (HACGAM) |
• |
|
|
2021 |
Pacific Environmental Security Forum (PESF) |
• |
|
|
2019 |
c. Valoriser les atouts ultramarins
« Nos outre-mer doivent être pensés, non seulement comme une source de légitimité mais comme de véritables atouts pour notre stratégie », soulignait le rapport précité de 2022.
La présence française en Indopacifique est d’une importance majeure. Cette région accueille plus de 1,6 million de citoyens français et abrite 7 des 13 départements, régions et collectivités d’outre-mer. Dans l’océan Indien, on retrouve La Réunion, Mayotte et les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), tandis que l’océan Pacifique englobe la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Wallis-et-Futuna et Clipperton. Cette implantation confère à la France le statut de deuxième puissance maritime mondiale grâce à une ZEE de près de 9 millions de km²dans les territoires d’outre-mer, soit près de 90 % de la ZEE française totale.
Pour faire de ces territoires des piliers de sa stratégie en Indopacifique, la France peut s’appuyer sur les compétences et expertises uniques dont elle dispose. C’est par exemple le cas en matière de réponse aux catastrophes naturelles. Des opérations régulières comme l’exercice Marara mobilisent les moyens aériens et maritimes français pour simuler des situations de crise humanitaire, tout en renforçant les partenariats avec les pays de la région. Ces initiatives illustrent à quel point les territoires ultramarins contribuent directement à la stabilité et à la résilience de l’Indopacifique.
Toutefois, la richesse et la stratégie de ces territoires attirent également des ingérences étrangères, rendant nécessaire une vigilance accrue. En Nouvelle‑Calédonie, par exemple, certaines puissances étrangères comme l’Azerbaïdjan cherchent à exploiter les mouvements indépendantistes locaux pour déstabiliser la région. Il est donc primordial de renforcer la résilience de ces territoires, tant sur le plan institutionnel qu’économique, afin d’assurer leur stabilité et leur pleine intégration dans la stratégie indopacifique de la France.
TERRITOIRES ULTRAMARINS FRANÇAIS EN INDOPACIFIQUE
Source : Fondation pour la Recherche Stratégique, Antoine Bondaz, Marie Desbonnets, 2023.
d. Mieux coordonner les stratégies européenne et française
Le rapporteur appelait à davantage mobiliser, dès 2022, « l’Union européenne en appui à la stratégie française. [...] L’enjeu est aussi de décliner concrètement la stratégie indopacifique de l’Union européenne en veillant à ce que celle-ci demeure centrée sur ce que sont les atouts de l’Union. »
Ce constat reste plus pertinent que jamais. Lors des auditions sur le terrain, un défaut majeur de coordination entre les stratégies française et européenne pour l’Indopacifique a été fréquemment relevé. Ce manque d’harmonisation s’avère particulièrement préoccupant en ce qui concerne la mise en œuvre de la stratégie « Global Gateway ».
Un exemple concret de ce décalage est l’accent mis par la France sur ses territoires ultramarins pour affirmer sa présence en Indopacifique. Cette approche, bien qu’essentielle pour renforcer sa légitimité dans la région, n’est pas toujours alignée avec les priorités européennes, qui privilégient une approche multilatérale axée sur le renforcement des partenariats commerciaux et les infrastructures transnationales. La stratégie « Global Gateway », par exemple, se concentre sur la connectivité numérique et énergétique entre l’Europe et l’Indopacifique, sans exploiter pleinement les atouts géographiques et maritimes des territoires français.
De plus, des doublons sont apparus dans des initiatives visant à renforcer la sécurité maritime. Tandis que la France a développé des partenariats bilatéraux robustes, notamment avec l’Inde et l’Australie, l’Union européenne a, de son côté, lancé des dialogues régionaux parallèles, tels que le partenariat avec l’ASEAN sur la sécurité maritime. Cette duplication d’efforts peut brouiller le message européen et diluer les ressources disponibles.
L’absence de coordination se manifeste également dans le domaine des infrastructures. En 2022, la France a signé plusieurs accords bilatéraux avec l’Inde concernant des projets portuaires dans l’océan Indien, tandis que l’Union européenne investissait dans des projets similaires via son initiative « Global Gateway ». Ces efforts non coordonnés ont non seulement créé des redondances, mais ont également généré une confusion chez les partenaires locaux quant aux priorités respectives de la France et de l’Europe.
Aligner les efforts français et européens est une condition indispensable pour maximiser l’efficacité des initiatives dans cette région stratégique. Cela passe par une meilleure concertation entre les représentants diplomatiques des États membres et les instances européennes, afin d’éviter les doublons et d’optimiser les ressources mobilisées. Une telle coordination permettrait non seulement d’augmenter la visibilité de l’action européenne, mais aussi de renforcer la crédibilité collective des initiatives dans la région indopacifique.
III. La nÉcessaire adaptation des moyens diplomatiques et militaires français dans la rÉgion
A. Les limites des capacitÉs militaires françaises doivent conduire À trouver des solutions partenariales
1. Une puissance militaire de qualité mais à l’ampleur restreinte
a. Des moyens limités en comparaison avec les puissances régionales
La capacité militaire de la France dans l’Indopacifique repose sur des équipements performants et des forces bien formées, mais l’ampleur de ces moyens reste significativement inférieure à celle des grandes puissances régionales comme la Chine, l’Inde ou encore les États-Unis.
Cette limitation est particulièrement visible dans le domaine naval : bien que des frégates de surveillance et des patrouilleurs soient présents, leur nombre et leur rayon d’action ne permettent pas de couvrir efficacement l’immensité de la zone Indo-Pacifique. Le programme de patrouilleurs outre-mer (POM), bien qu’ambitieux, prévoit seulement six unités d’ici la fin de l’année 2025, ce qui est insuffisant face aux enjeux de sécurité maritime et aux ambitions affichées par la France dans la région.
Recommandation n° 1 : Affecter de manière permanente une frégate de premier rang à la zone maritime Asie-Pacifique (ALPACI), qui englobe l’océan Pacifique et le commandement supérieur des forces armées en Polynésie française (COMSUP FAPF), afin de crédibiliser la position militaire de la France dans un contexte de montée des tensions en mer de Chine méridionale.
Les forces armées françaises doivent aussi faire face à la concurrence stratégique croissante dans cette zone. La modernisation rapide des flottes navales chinoise, indienne et japonaise, ainsi que l’augmentation des budgets militaires de ces États, rendent l’écart encore plus évident. En outre, les programmes de défense comme ceux des États-Unis, incluant une présence militaire permanente et des alliances stratégiques avec des acteurs régionaux, accentuent la pression sur la France pour maintenir sa pertinence dans la région.
Dans ce contexte, la France est souvent perçue comme un acteur d’appoint, capable de jouer un rôle ponctuel mais pas de s’imposer comme une puissance militaire majeure dans la région.
b. Des contraintes budgétaires et logistiques pesantes
Les ambitions militaires françaises dans l’Indopacifique se heurtent à des contraintes budgétaires importantes. Bien que la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 prévoie une augmentation des crédits, ces investissements restent insuffisants pour élargir significativement la présence française dans cette zone : ils permettent simplement de revenir au niveau après un « trou capacitaire » de plusieurs années.
Les forces de souveraineté en outre-mer – soit les unités françaises permanentes stationnées dans les territoires ultramarins – notamment dans les bases de la Réunion, de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie, sont confrontées à un vieillissement des infrastructures et des équipements, ce qui limite leur efficacité opérationnelle.
Les capacités de transport aérien et naval, essentielles pour projeter les forces sur de longues distances, sont également insuffisantes. Les avions de transport tactique Casa sont vieillissants et les remplacements prévus (ATASM) n’arriveront qu’à l’horizon 2030-2035. De même, les lacunes dans les équipements comme les drones MALE (Medium Altitude Long Endurance) limitent les capacités de surveillance maritime et de projection rapide. L’absence d’hydroglisseurs et le faible nombre de moyens amphibies modernes handicape aussi la capacité de projection rapide dans des zones isolées ou en cas de crise.
En outre, les contraintes budgétaires limitent l’entretien et la modernisation des équipements existants. Les retards accumulés dans le remplacement des moyens de transport naval et aérien, ainsi que les restrictions sur le nombre de nouvelles acquisitions, compromettent la capacité des forces françaises à répondre rapidement et efficacement à des situations de crise.
Enfin, de graves lacunes compromettent toujours la surveillance de notre zone maritime, notamment dans l’océan Indien. À l’heure actuelle, un Falcon 200 Gardian est affecté à La Réunion deux fois deux semaines par an. Il est incompréhensible qu’une zone aussi stratégique que le canal du Mozambique ne soit pas prioritaire pour l’affectation de ce moyen de surveillance, qui devrait être à demeure.
Recommandation n° 2 : Affecter de manière permanente un drone MALE Reaper et un aéronef de surveillance à La Réunion
c. La nécessité de continuer à moderniser les infrastructures militaires dans les Outre‑mer
La France doit impérativement moderniser ses infrastructures militaires dans l’Indopacifique pour répondre aux ambitions affichées dans sa stratégie régionale. Plusieurs bases, telles que celles de la Réunion (BA 181) et de la Nouvelle-Calédonie (BA 186), nécessitent des investissements significatifs pour accueillir de nouveaux équipements et améliorer les capacités logistiques. Ces modernisations incluent la construction ou la rénovation de quais, de pistes aériennes, et d’installations de stockage pour les munitions et le carburant.
Le renforcement des infrastructures est également essentiel pour soutenir les exercices militaires conjoints dans la région, comme les opérations Croix du Sud ou Marara. De tels efforts permettraient non seulement d’améliorer la préparation opérationnelle des forces, mais aussi de renforcer la coopération avec les partenaires régionaux. Ces initiatives incluent également le développement d’installations permettant un meilleur accueil des forces alliées lors d’opérations multinationales.
Recommandation n° 3 : Moderniser les infrastructures portuaires et logistiques dans les Outre-mer pour garantir l’entretien et la pleine capacité opérationnelle des bâtiments de guerre.
Enfin, le développement d’installations durables et adaptées aux conditions climatiques extrêmes de la région est un prérequis pour assurer une présence militaire crédible et efficace. Les investissements dans les capacités de surveillance, comme l’installation de radars modernes et de systèmes de détection avancés, sont essentiels pour répondre aux menaces émergentes, notamment dans les domaines maritime et cybernétique.
En conclusion, la France dispose de moyens militaires de qualité, mais leur ampleur et les infrastructures qui les soutiennent demeurent insuffisantes pour répondre aux enjeux de l’Indopacifique. Une révision ambitieuse des budgets, des équipements et des infrastructures est nécessaire pour garantir que la stratégie indopacifique française puisse se traduire en résultats concrets et crédibles. Face aux contraintes budgétaires qui pèsent actuellement sur la France, le renforcement de la coopération militaire multilatérale est une piste à poursuivre.
2. Un indispensable renforcement de la coopération militaire multilatérale
a. Accroître l’intégration aux forces navales régionales
Le renforcement de la coopération militaire multilatérale est un élément stratégique fondamental pour la France dans l’Indopacifique. Les exercices conjoints permettent à la France d’améliorer son interopérabilité avec des partenaires clés comme l’Australie, le Japon et les États-Unis, tout en renforçant sa présence dans des zones stratégiques telles que la mer de Chine méridionale et le Pacifique Sud.
Ces exercices sont également cruciaux pour maintenir une présence crédible dans une région dominée par des rivalités stratégiques. Ainsi, la participation régulière à RIMPAC, l’un des plus grands exercices navals au monde, offre à la France une occasion unique de démontrer ses capacités navales tout en partageant des pratiques avec des marines équipées d’outils technologiques avancés. Lors des opérations Marara en Polynésie française, les forces armées collaborent avec des partenaires du Pacifique pour renforcer les capacités de secours en cas de catastrophe, un domaine essentiel dans cette zone sujette aux aléas climatiques.
Recommandation n° 4 : Développer et pérenniser la participation mais également la réalisation de ces exercices conjoints. Il pourrait être envisagé de rendre permanente la participation de la France à l’exercice biennal américain RIMPAC à travers la présence d’au moins un navire de premier rang.
En parallèle, le partage de renseignements constitue un pilier essentiel de la coopération navale et permet de compenser des limitations budgétaires. La France, grâce à ses bases stratégiques comme celles de La Réunion et de la Nouvelle‑Calédonie, joue un rôle central dans la collecte et la diffusion d’informations critiques sur des activités illicites, notamment en direction de l’Information Fusion Centre à Singapour, qui est une plateforme clé pour la lutte contre la piraterie et le trafic maritime illégal. Ce type de collaboration permet non seulement de partager les coûts liés à la sécurité maritime, mais aussi d’améliorer l’efficacité des opérations multinationales.
b. Renforcer la coopération technologique en matière de défense avec les partenaires stratégiques
La coopération technologique représente un levier incontournable pour consolider les relations stratégiques avec des partenaires régionaux tels que l’Inde, l’Australie et le Japon. À cet égard, le développement conjoint de drones militaires et de systèmes avancés de défense aérienne offre des opportunités uniques pour renforcer la compétitivité technologique de la France tout en répondant aux besoins locaux de sécurité. Les projets collaboratifs comme la production sous licence des Rafale en Inde ou la vente de sous-marins à propulsion conventionnelle à l’Indonésie témoignent de l’engagement de la France à promouvoir des partenariats mutuellement bénéfiques.
Cette stratégie permet non seulement de créer des synergies industrielles mais aussi de garantir un transfert technologique adapté, renforçant ainsi l’autonomie stratégique de ses partenaires. Une recommandation clé est d’accélérer les programmes conjoints, notamment dans les domaines de l’intelligence artificielle militaire et des systèmes autonomes, pour répondre à la montée en puissance technologique des acteurs régionaux.
L’intégration à des forums régionaux, tels que l’ADMM +, pourrait permettre de formaliser ces coopérations technologiques et de garantir une coordination stratégique accrue. La France pourrait également proposer des partenariats tripartites impliquant d’autres puissances comme les États-Unis ou l’Allemagne, afin de maximiser les synergies dans le domaine de la recherche et du développement.
Recommandation n° 5 : Déposer une demande afin de devenir membre permanent de l’ADMM+.
c. Anticiper les menaces régionales grâce à une cybersécurité et une défense spatiale renforcées
Avec l’émergence des menaces hybrides et des conflits technologiques, la cybersécurité et la défense spatiale revêtent une importance croissante dans la coopération multilatérale. La France, en tant que puissance spatiale reconnue, est bien positionnée pour fournir des solutions de surveillance satellitaire adaptées aux besoins des pays de l’Indopacifique. Ces systèmes peuvent être utilisés pour surveiller les routes maritimes critiques, détecter les activités illégales et anticiper les catastrophes naturelles.
Un exemple concret de cette dynamique est le développement de partenariats satellitaires pour la surveillance maritime, comme ceux établis avec l’Australie via les programmes de coopération spatiale. Ces initiatives permettent de surveiller les zones maritimes étendues, notamment dans le Pacifique Sud, où les activités illicites, comme la pêche illégale, non déclarée et non réglementée restent un défi majeur.
Dans le domaine de la cybersécurité, des partenariats renforcés avec des acteurs tels que Singapour, le Japon et l’Australie sont essentiels pour développer des capacités communes de détection et de réponse aux cyberattaques.
Recommandation n° 6 : Pérenniser les déplacements des équipes du MICA Center de Brest en Indopacifique, afin d’accroître la coopération avec nos partenaires locaux, notamment à Singapour.
Il convient d’intensifier la participation de la France à des exercices multinationaux comme le Cyber Storm ou des simulations organisées par l’OTAN, adaptées aux spécificités de la région Indo-Pacifique. Ces exercices permettent d’améliorer la résilience collective face aux cybermenaces croissantes tout en renforçant la position de la France comme partenaire technologique de confiance.
Par ailleurs, le renforcement de la formation et de l’expertise en cybersécurité dans les bases françaises d’outre-mer pourrait offrir un avantage stratégique. Cela inclurait l’installation de centres d’excellence régionaux en cybersécurité, collaborant avec des institutions locales pour répondre aux besoins croissants en matière de défense numérique.
En conclusion, le renforcement de la coopération militaire multilatérale dans l’Indopacifique repose sur des initiatives coordonnées dans les domaines naval, technologique, cybernétique et spatial. Ces efforts stratégiques, lorsqu’ils sont pleinement mis en œuvre, contribueront à renforcer la présence et l’influence de la France dans cette région stratégique du monde.
B. Le rÔle fondamental de la diplomatie française dans le dÉploiement d’une stratÉgie indopacifique modernisÉe
1. Redéfinir les priorités diplomatiques au moyen d’une stratégie claire et lisible
a. Un pilotage politique, dont le niveau doit être rehaussé, au service de la consolidation des partenariats stratégiques
Le succès de la stratégie diplomatique française repose sur une gouvernance politique claire et ambitieuse, portée au plus haut niveau de l’État. Dans un monde multipolaire marqué par des tensions croissantes, il est essentiel que la France se positionne comme un acteur crédible et incontournable, à travers un leadership renforcé capable de structurer et d’articuler efficacement ses priorités. Cette dynamique ne peut se réaliser qu’à condition de rehausser le pilotage politique de ses initiatives diplomatiques et de consolider les partenariats stratégiques, en adaptant sa posture à l’évolution rapide des enjeux internationaux.
Recommandation n° 7 : La France doit garantir une représentation systématique au niveau ministériel lors des réunions des principales organisations de la zone indopacifique.
À cet égard, un pilotage de l’Indopacifique à un niveau interministériel, comme bon nombre de nos partenaires, pourrait être envisagé.
La tenue de sommets bilatéraux et multilatéraux de haut niveau doit être systématisée pour ancrer le rôle de la France comme acteur clé des dialogues internationaux. Par exemple, l’organisation d’un sommet présidentiel franco-indien à La Réunion ou franco-australien en Nouvelle-Calédonie symboliserait un engagement fort tout en renforçant la visibilité de la diplomatie française et de nos territoires ultramarins.
Recommandation n° 8 : Organiser un sommet présidentiel franco-indien à La Réunion ou franco-australien en Nouvelle-Calédonie.
Enfin, la communication stratégique autour des objectifs et des réalisations doit être revue pour surmonter les ambiguïtés relevées dans les discours et politiques actuels. La France doit clarifier ses ambitions, notamment sur le concept de « puissance d’équilibres », en adoptant un positionnement plus en phase avec les attentes des partenaires régionaux. La promotion d’un discours axé sur des réalisations concrètes et des valeurs partagées renforcera l’attractivité et la pertinence des initiatives françaises.
b. Des initiatives ciblant les priorités régionales sont à développer dans un cadre minilatéral
La France doit intensifier son engagement dans la région indopacifique en privilégiant des initiatives minilatérales capables de répondre aux besoins spécifiques des acteurs régionaux. Face à la polarisation croissante provoquée par la rivalité sino-américaine, il est essentiel de se positionner comme un acteur indépendant et constructif, en multipliant les formats de coopération ciblée. Ces initiatives, loin des logiques de confrontation, permettent de bâtir des alliances flexibles adaptées aux priorités locales tout en renforçant la présence française dans une région clé pour les équilibres mondiaux.
Lancer des partenariats trilatéraux avec des pays stratégiques comme l’Inde et l’Indonésie offrirait une opportunité unique de répondre aux défis communs. Ces acteurs, préoccupés par des enjeux cruciaux tels que la sécurité maritime et la gestion durable des ressources, partagent avec la France une vision d’autonomie stratégique. La France pourrait proposer des mécanismes de coopération innovants, axés sur la protection des voies de navigation et le développement de capacités technologiques adaptées aux réalités locales.
Parallèlement, des formats collaboratifs sur des thématiques spécifiques, comme la transition énergétique ou la résilience économique – c’est-à-dire la capacité à absorber et se rétablir face à des chocs ou crises – pourraient être développés.
Une coopération trilatérale entre la France, Singapour et l’Australie, centrée sur les technologies vertes, favoriserait le partage de savoir-faire et d’expertises dans des secteurs prioritaires pour les économies locales. Ces initiatives démontreraient la capacité française à anticiper et à s’adapter aux attentes des partenaires régionaux, tout en renforçant sa crédibilité dans des domaines essentiels.
Recommandation n° 9 : Approfondir les coopérations minilatérales avec nos partenaires dans la région. Le dialogue trilatéral avec l’Inde et l’Australie est à cet égard particulièrement indiqué.
Il est également crucial de multiplier les exercices militaires conjoints ciblant des zones sensibles comme le détroit de Malacca ou la mer d’Andaman. Ces manœuvres, organisées avec des partenaires clés tels que le Japon et l’Australie, renforceraient non seulement les capacités opérationnelles des forces locales mais aussi la coopération interétatique. En s’impliquant dans des projets concrets et visibles, la France renforcerait son image de partenaire fiable et engagé, tout en apportant des solutions pragmatiques aux défis sécuritaires régionaux.
Enfin, les collectivités françaises d’outre-mer dans l’Indopacifique doivent être pleinement intégrées dans ces démarches. Leur position géographique et leur rôle stratégique sont des atouts majeurs pour la diplomatie française. Renforcer leur participation dans les initiatives régionales permettrait de valoriser leur expertise tout en consolidant la stratégie globale de la France. En ancrant ces territoires dans une dynamique de coopération active, la France peut démontrer qu’elle est non seulement une puissance maritime, mais également une puissance de proximité attentive aux besoins des acteurs locaux.
Recommandation n° 10 : Renforcer la participation des Outre-mer dans les initiatives régionales.
c. La culture, un vecteur d’influence à renforcer
La promotion de la culture et de la langue françaises constitue un levier stratégique essentiel pour renforcer l’influence de la France dans l’Indopacifique. Les Alliances Françaises, les Instituts Français et la francophonie offrent des outils puissants pour établir des liens durables avec les populations locales, tout en valorisant les valeurs universelles portées par la France.
Les Alliances Françaises doivent jouer un rôle accru dans cette dynamique. Il est nécessaire d’élargir leur réseau dans des zones stratégiques où la présence culturelle française est encore limitée, notamment dans les pays émergents comme l’Indonésie, la Papouasie-Nouvelle-Guinée ou les Fidji. Cet effort pourrait s’accompagner de la création de nouveaux Instituts Français, en particulier dans le Pacifique insulaire, qui est actuellement dépourvu de telles institutions malgré sa position géopolitique et culturelle clé.
Recommandation n° 11 : Créer un Institut français en Papouasie-Nouvelle-Guinée et aux Fidji, pays les plus peuplés du Pacifique insulaire.
En parallèle, la création de résidences d’artistes renforce le rayonnement de la scène artistique française tout en favorisant les échanges interculturels.
Recommandation n° 12 : À la suite de l’année France-Chine de la Culture 2024, établir une quatrième résidence d’artistes pérenne en Chine dans la zone Indopacifique, en complément de celles existantes en Inde, au Vietnam et au Japon.
La francophonie, pilier de l’influence culturelle française, doit être dynamisée par des initiatives éducatives ciblées. Cela inclut le développement de programmes linguistiques dans les écoles et universités locales, la formation des enseignants et l’intégration de ressources numériques innovantes. L’organisation du prochain sommet international de la francophonie au Cambodge en 2026 constitue une opportunité unique pour renforcer la coopération culturelle et linguistique, notamment par des expositions et des événements collaboratifs impliquant des institutions françaises.
Recommandation n° 13 : Tirer parti du prochain sommet international de la Francophonie organisé par le Cambodge en 2026 pour intensifier la coopération culturelle, en particulier à travers un cycle d’expositions franco-cambodgiennes en partenariat avec le Musée national des Arts asiatiques Guimet.
2. S’attaquer aux défis économiques et commerciaux
a. Renforcer les échanges économiques et sécuriser les chaînes d’approvisionnement
Dans un contexte mondial marqué par des vulnérabilités croissantes des chaînes d’approvisionnement, la France doit adopter une stratégie proactive pour renforcer les échanges économiques et garantir la sécurité de ses approvisionnements. L’Indopacifique, en tant que région clé pour le commerce mondial et riche en ressources stratégiques, doit être au cœur de cette stratégie.
Pour sécuriser ses chaînes d’approvisionnement, la France doit prioriser le développement de partenariats économiques avec des acteurs majeurs de la région, notamment l’Inde, le Japon, l’Indonésie et Singapour.
Ces partenariats doivent inclure des accords spécifiques sur les matières premières critiques, telles que les terres rares, le nickel et le lithium, indispensables aux industries technologiques et énergétiques. L’intégration de la Nouvelle‑Calédonie, qui détient 20 % des réserves mondiales de nickel, dans ces initiatives est essentielle pour maximiser le potentiel des territoires ultramarins français dans les chaînes globales de valeur. En 2024, la Nouvelle-Calédonie a traversé une période de crise marquée par de fortes tensions sociales et politiques. Cette crise pose des défis pour l’unité sociale et politique du territoire, mais elle offre aussi une occasion de redéfinir le rôle de la Nouvelle-Calédonie dans la République française et à l’égard de son environnement régional. Dotée de ressources naturelles considérables, la Nouvelle-Calédonie dispose d’un potentiel économique majeur.
Recommandation n° 14 : Organiser un sommet « Choose la Nouvelle-Calédonie » pour relancer l’attractivité économique de l’île et attirer des investissements, notamment dans les secteurs stratégiques tels que les ressources naturelles et la transition énergétique.
La promotion des investissements français dans les infrastructures de connectivité, telles que les ports et les hubs logistiques, est une autre priorité. L’ouverture de bureaux régionaux de Business France, notamment aux Fidji, pourrait faciliter l’accès des entreprises françaises aux marchés locaux et renforcer leur compétitivité dans la région.
Recommandation n° 15 : Ouvrir un bureau de Business France aux Fidji pour faciliter les échanges économiques dans le Pacifique insulaire.
En outre, le soutien à des projets de transport stratégiques, comme les câbles sous-marins reliant la Polynésie française au continent américain, renforcerait la position de la France dans la connectivité mondiale.
La diplomatie économique doit également s’appuyer sur des forums multilatéraux et des organisations régionales pour promouvoir un commerce équitable et durable. La participation active de la France aux sommets de l’APEC ([8]) et de l’ASEAN offrirait une plateforme pour négocier des accords favorables à ses intérêts économiques et à la diversification de ses approvisionnements.
Recommandation n° 16 : Consolider la dynamique initiée par l’invitation du Président français au sommet de l’APEC en soumettant une candidature pour obtenir le statut de membre observateur, afin de renforcer les efforts d’intégration de la France dans le cadre du « Global Gateway » dans la région.
En parallèle, la sécurisation des routes maritimes et la lutte contre les activités illicites en mer, telles que la pêche illégale et le trafic, sont des priorités pour protéger les chaînes d’approvisionnement. La coopération renforcée avec des pays partenaires dans le cadre d’exercices militaires conjoints contribuera à assurer la sécurité des zones maritimes stratégiques, notamment le détroit de Malacca et la mer de Chine méridionale. Cette coopération peut notamment se réaliser dans le cadre du P-QUAD ([9]).
Recommandation n° 17 : Développer et renforcer la visibilité de la coopération P-QUAD dans le domaine de la surveillance aérienne et de la lutte contre la pêche illégale, non déclarée et non réglementée, pour sécuriser les ressources marines, une composante clé des chaînes d’approvisionnement alimentaires.
b. S’intégrer au « Global Gateway »
Le « Global Gateway », initiative stratégique de l’Union européenne visant à renforcer la connectivité mondiale à travers des infrastructures durables et inclusives, représente une opportunité unique pour la France de s’intégrer dans un cadre global tout en consolidant sa présence dans l’Indopacifique. Ce programme, qui répond à des enjeux économiques, écologiques et numériques, permet à la France de s’appuyer sur des financements européens pour amplifier ses propres initiatives dans les territoires ultramarins et les régions stratégiques.
Pour maximiser cette intégration, la France doit s’impliquer activement dans les projets structurants du « Global Gateway », notamment ceux liés à la connectivité numérique et énergétique. La mise en œuvre de câbles sous-marins reliant la Polynésie française aux Amériques et à l’Asie pourrait être financée en partie par ce programme, renforçant ainsi les infrastructures numériques tout en positionnant la France comme un hub de connectivité internationale dans le Pacifique.
Le développement de projets énergétiques renouvelables dans les territoires ultramarins, tels que la Nouvelle-Calédonie et La Réunion, constitue une autre priorité. En intégrant les objectifs du « Global Gateway », la France pourrait mobiliser des fonds européens pour accélérer la transition énergétique dans ces régions tout en exportant son expertise en matière d’énergies vertes et de technologies bas‑carbone.
Recommandation n° 18 : Mobiliser la diplomatie économique afin de solliciter des financements européens en vue de cofinancer des projets structurants de nature à positionner la France comme un hub stratégique de connectivité internationale dans les océans Indien et Pacifique.
c. Les accords de libre-échange comme leviers de développement économique en Indopacifique
Les accords de libre-échange représentent une opportunité stratégique majeure pour la France, en lui permettant de renforcer ses échanges internationaux et de consolider sa place dans les chaînes de valeur mondiales.
Grâce à son appartenance à l’Union européenne, la France bénéficie d’un large éventail d’accords commerciaux ouvrant des débouchés importants dans des secteurs clés tels que l’agroalimentaire, l’aéronautique et les technologies vertes. Ces accords, en supprimant les barrières tarifaires et en facilitant les échanges, offrent des avantages compétitifs que les entreprises françaises doivent pleinement exploiter.
Recommandation n° 19 : Accroître le soutien aux entreprises françaises, notamment les PME, pour tirer parti des accords de libre-échange actuels. À cet égard, le rôle de Business France en la matière pourrait être renforcé.
Les accords existants avec des partenaires stratégiques comme le Japon, le Vietnam et Singapour illustrent déjà leur potentiel. Ainsi, l’accord UE-Japon de 2018 a permis de réduire considérablement les droits de douane, renforçant ainsi les exportations françaises de produits agricoles et industriels. De son côté, l’accord UE-Vietnam de 2019 ouvre des perspectives prometteuses dans un marché en pleine expansion, notamment dans le domaine des énergies renouvelables, où la France dispose d’une expertise reconnue. À Singapour, le renforcement des échanges dans les services financiers et technologiques confirme l’importance de ces partenariats pour les entreprises françaises.
Dans le même temps, la France doit intensifier ses efforts pour conclure de nouveaux accords commerciaux. Les négociations en cours entre l’Union européenne et l’Indonésie offrent une opportunité unique de collaborer avec la première économie de l’ASEAN, un pays stratégique en raison de sa population croissante et de ses vastes ressources naturelles. Relancer les discussions commerciales avec l’Australie pourrait également renforcer les échanges bilatéraux, en particulier dans les secteurs de l’agriculture et des technologies innovantes, malgré les tensions diplomatiques récentes.
Enfin, le Partenariat transpacifique global et progressiste (CPTPP) représente une opportunité incontournable pour la France. Une éventuelle adhésion, via l’Union européenne, à cet accord regroupant des économies majeures de l’Indopacifique – comme l’Australie, le Japon, le Mexique ou Singapour – pourrait ouvrir de nouveaux marchés aux exportations françaises, notamment dans les domaines des produits pharmaceutiques et des biens de consommation. Une telle intégration permettrait de renforcer la présence française dans les flux commerciaux transpacifiques.
Recommandation n° 20 : Promouvoir une intégration européenne au CPTPP afin de capitaliser sur les avantages d’une coopération renforcée avec des marchés en plein essor tels que le Canada, le Japon, le Mexique et le Vietnam.
Pour peu qu’ils soient respectueux des niveaux de normes éthiques et environnementales en vigueur sur le territoire national, les accords de libre-échange sont ainsi un levier essentiel pour diversifier les échanges économiques, soutenir la compétitivité des entreprises et affirmer le rôle de la France dans un commerce mondial plus inclusif et durable. En capitalisant sur les accords existants et en concluant de nouveaux partenariats stratégiques, la France peut répondre aux défis globaux tout en renforçant sa résilience économique et son influence internationale.
Recommandation n° 21 : Renforcer les moyens de la diplomatie économique. Continuer de mobiliser les ambassades, consulats et plus globalement la « team France » pour accompagner les entreprises françaises dans l’identification des opportunités offertes par ces accords et faciliter leur implantation dans les marchés étrangers.
3. Relever les défis environnementaux
a. Assumer un leadership climatique
Dans un monde de plus en plus confronté aux conséquences du changement climatique, la France doit assumer pleinement son rôle de leader dans la transition écologique et l’adaptation aux enjeux environnementaux. Forte de son positionnement en tant que pays moteur dans les négociations climatiques internationales et de son expertise technologique, la France peut jouer un rôle clé dans la définition et la mise en œuvre de solutions globales, particulièrement dans des régions stratégiques comme l’Indopacifique, où les défis climatiques sont particulièrement prononcés.
Les territoires ultramarins français dans l’Indopacifique, tels que la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, placent la France au cœur de certaines des régions les plus vulnérables aux effets du changement climatique.
À la fin de l’année 2024, Mayotte a été frappée par une catastrophe majeure – le cyclone Chido – qui a causé d’importants dégâts matériels et perturbé la vie quotidienne de milliers de personnes. L’île, déjà confrontée à des défis socio‑économiques et politiques, a vu ses infrastructures de base sérieusement endommagées, et de nombreuses familles ont perdu leurs habitations. Des secouristes et des équipes de secours ont été envoyés depuis la métropole mais également La Réunion, afin d’apporter une aide d’urgence. Cette intervention a permis de fournir une assistance médicale, alimentaire et logistique aux populations touchées, tout en coordonnant les efforts pour rétablir l’ordre et la sécurité. En parallèle, le gouvernement français a annoncé des mesures pour accélérer la reconstruction et renforcer les infrastructures, en mettant l’accent sur la prévention des catastrophes naturelles futures. Cette crise a également mis en lumière les défis persistants de Mayotte en matière de développement durable et de gestion des risques environnementaux, soulignant l’importance d’une réponse plus efficace face aux catastrophes dans les territoires d’outre-mer.
Nos territoires d’outremer, confrontés à l’élévation du niveau de la mer, aux cyclones de plus en plus intenses et à la perte de biodiversité, offrent un laboratoire unique pour développer et tester des solutions d’adaptation. La mise en place de programmes spécifiques, comme celui proposé par l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), dédié à l’étude des conséquences et des moyens d’adaptation face à l’élévation du niveau de la mer, pourrait renforcer cette dynamique.
Recommandation n° 22 : Créer un programme spécial piloté par l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) pour étudier et développer des moyens d’adaptation face à l’élévation du niveau de la mer dans les territoires ultramarins français comme la Nouvelle-Calédonie et La Réunion.
Sur le plan international, la France doit continuer à promouvoir des initiatives comme l’accord de Paris, tout en soutenant de nouvelles propositions ambitieuses. L’appui à l’avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur les obligations des États en matière de changement climatique, lancé par le Vanuatu et soutenu par la France, illustre cet engagement. Ce type d’initiative permet non seulement de renforcer les normes internationales, mais aussi d’affirmer un leadership éthique et moral dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Recommandation n° 23 : Renforcer le soutien et l’application de l’avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur les obligations des États en matière de changement climatique, une initiative portée par le Vanuatu et soutenue par la France, pour promouvoir une gouvernance internationale plus robuste sur les questions climatiques.
L’intégration des préoccupations climatiques dans les exercices multilatéraux, comme ceux réalisés dans le cadre de la coopération en matière de sécurité maritime dans l’Indopacifique, est une autre dimension à explorer. En mettant l’accent sur des enjeux tels que la préservation des écosystèmes marins et la lutte contre la pêche illégale, la France peut démontrer une approche intégrée où les questions climatiques et sécuritaires se rejoignent.
Enfin, pour que ce leadership climatique soit pleinement effectif, la France doit également investir dans des solutions numériques et technologiques. Le développement de plateformes de surveillance environnementale utilisant des technologies satellitaires et de l’intelligence artificielle pourrait non seulement améliorer la capacité d’anticipation des crises climatiques, mais aussi renforcer les collaborations internationales autour de ces enjeux.
Recommandation n° 24 : Investir dans des plateformes de surveillance environnementale utilisant des technologies satellitaires et l’intelligence artificielle pour anticiper les crises climatiques et renforcer la coopération internationale.
Assumer un leadership climatique, c’est donc pour la France l’occasion de conjuguer diplomatie, innovation technologique et actions concrètes. En prenant des mesures ambitieuses et en consolidant son rôle dans les négociations internationales, la France peut s’imposer comme une référence mondiale dans la lutte contre le changement climatique, tout en renforçant sa crédibilité et son influence dans les régions les plus touchées.
b. Renforcer la gestion des ressources maritimes
La France, avec ses vastes zones économiques exclusives, doit s’affirmer comme un acteur incontournable dans la gestion durable des ressources marines. Ces espaces maritimes, qui s’étendent sur près de 11 millions de kilomètres carrés, placent le pays au cœur des enjeux liés à la préservation des océans, particulièrement dans l’Indopacifique. Cette région, riche en biodiversité mais vulnérable aux pressions anthropiques, subit les conséquences de la surpêche, de la pollution marine et du réchauffement climatique. Face à ces défis, il est impératif que la France renforce ses initiatives pour protéger les écosystèmes marins et garantir une utilisation durable des ressources. L’organisation de la Troisième conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC3), qui se tiendra à Nice au mois de juin 2025, permettra de mettre ces sujets majeurs en haut de l’agenda international.
La lutte contre la pêche illégale, non déclarée et non réglementée doit être intensifiée. Ce fléau, qui épuise les stocks halieutiques et menace les écosystèmes, exige une surveillance accrue des zones maritimes grâce à des outils innovants tels que les drones et les satellites. Les collaborations internationales, comme celles initiées dans le cadre de la coopération P-QUAD, montrent déjà leur efficacité, mais elles doivent être amplifiées pour inclure davantage de partenaires régionaux et étendre leur portée opérationnelle.
Recommandation n° 25 : Intensifier les capacités de surveillance dans les zones économiques exclusives grâce à l’utilisation de drones embarqués sur les patrouilleurs maritimes.
La création de zones marines protégées (ZMP) constitue également une réponse essentielle pour préserver les écosystèmes marins. Si des efforts notables ont été faits, comme la réserve naturelle des îles Éparses, ces initiatives doivent s’intensifier pour inclure d’autres espaces sensibles, notamment en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie. Ces zones, tout en protégeant la biodiversité, peuvent également servir de laboratoire pour expérimenter des modèles de gestion durable impliquant les populations locales, qui jouent un rôle clé dans la préservation des océans.
Recommandation n° 26 : Développer de nouvelles ZMP en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, en impliquant activement les populations locales dans leur gestion pour protéger la biodiversité et expérimenter des modèles durables de conservation.
En parallèle, la France doit promouvoir activement une pêche durable en collaborant avec des partenaires stratégiques tels que l’Indonésie et les Philippines. Partager son expertise dans la gestion des pêcheries, imposer des quotas rigoureux et encourager des pratiques respectueuses de l’environnement sont autant de leviers pour restaurer les équilibres marins. Ces efforts doivent s’accompagner d’une lutte renforcée contre la pollution marine, en particulier les déchets plastiques, qui détruisent les habitats marins et menacent les chaînes alimentaires.
La recherche scientifique et l’innovation technologique sont des piliers fondamentaux pour relever ces défis. Investir dans des solutions telles que les récifs artificiels ou les systèmes d’aquaculture durable pourrait transformer les approches de gestion des ressources marines. La collaboration avec des institutions régionales et internationales est indispensable pour maximiser l’impact de ces initiatives et pour intégrer les avancées scientifiques dans les politiques publiques.
Enfin, la diplomatie maritime doit jouer un rôle central pour garantir une gouvernance globale des océans. La France, grâce à son influence dans les instances internationales, peut contribuer à l’élaboration de cadres juridiques solides pour protéger la biodiversité en haute mer et lutter contre les crimes environnementaux. En engageant activement les communautés locales dans ces efforts, en renforçant leurs capacités et en intégrant leurs savoirs traditionnels, la France peut s’assurer que ses actions bénéficient directement aux populations qui dépendent des océans pour leur subsistance.
Recommandation n° 27 : Mobiliser l’influence française dans les instances internationales, comme l’Organisation maritime internationale (OMI), pour élaborer des cadres juridiques solides visant à protéger la biodiversité en haute mer et lutter contre les crimes environnementaux.
Plus encore qu’une évidente responsabilité environnementale, la gestion des ressources marines est une opportunité stratégique pour la France de montrer son leadership sur la scène internationale, tout en garantissant un avenir durable pour les générations futures. En combinant diplomatie, technologie et engagement local, la France peut relever ce défi et s’imposer comme une puissance maritime exemplaire.
c. Collaborer avec les partenaires régionaux pour la transition écologique
Pour relever le défi de la transition écologique, la France doit intensifier ses efforts de coopération avec les partenaires régionaux de l’Indopacifique. Cette région, confrontée à des défis environnementaux majeurs, offre des opportunités uniques de collaboration dans des domaines essentiels comme les énergies renouvelables, la gestion durable des ressources et la préservation de la biodiversité. En s’appuyant sur son expertise reconnue dans les technologies vertes et les infrastructures bas-carbone, la France peut contribuer à façonner une transition écologique ambitieuse et inclusive.
Les partenariats bilatéraux avec des pays comme l’Indonésie et l’Inde représentent des leviers stratégiques. Ces nations, dont les besoins en matière de transition énergétique sont importants, sont des candidats idéaux pour des projets conjoints tels que l’installation de parcs solaires et éoliens. En mobilisant des financements européens via des mécanismes comme le « Global Gateway », la France peut soutenir des initiatives d’envergure qui répondent aux priorités locales tout en promouvant son savoir-faire technologique. Ces projets, en plus de fournir des solutions concrètes aux besoins énergétiques régionaux, renforceraient les relations bilatérales et ouvriraient de nouveaux marchés pour les entreprises françaises.
Recommandation n° 28 : Développer des projets conjoints avec des pays stratégiques comme l’Indonésie et l’Inde, notamment dans l’installation de parcs solaires et éoliens, en mobilisant des financements européens tels que le programme « Global Gateway ».
La dimension multilatérale est également cruciale. En jouant un rôle actif dans des forums comme l’ASEAN, la France peut promouvoir des politiques climatiques ambitieuses et renforcer la coopération régionale. Ces plateformes permettent de créer un cadre commun pour la transition écologique, d’harmoniser les efforts et de faciliter l’accès des pays partenaires aux financements internationaux nécessaires à la mise en œuvre de projets durables. La France, forte de son expérience dans les négociations climatiques internationales, peut agir comme un catalyseur pour faire avancer des initiatives ambitieuses.
Recommandation n° 29 : Participer activement aux forums régionaux comme l’ASEAN pour harmoniser les efforts climatiques, faciliter l’accès aux financements internationaux et promouvoir des politiques climatiques ambitieuses.
Les initiatives locales méritent également une attention particulière. Des programmes de reforestation, essentiels pour lutter contre la déforestation massive en Indonésie ou en Papouasie-Nouvelle-Guinée, pourraient bénéficier d’un soutien technique et financier accru de la France. Ces projets, en plus de préserver des écosystèmes vitaux, contribueraient à réduire les émissions de carbone tout en offrant des avantages socio-économiques aux communautés locales. De même, la conservation marine, notamment dans des régions comme la Nouvelle-Calédonie, pourrait être renforcée par des collaborations scientifiques et des projets communautaires.
La transition écologique ne peut être menée à bien sans une intégration active des acteurs locaux et des partenaires régionaux. En investissant dans la formation, le transfert de technologies et le renforcement des capacités locales, la France peut s’assurer que ses initiatives aient un impact durable et qu’elles soient adaptées aux besoins spécifiques des territoires concernés. Cette approche inclusive renforcerait non seulement la crédibilité de la France, mais aussi son rôle de partenaire de confiance dans la lutte contre le changement climatique.
Recommandation n° 30 : Investir dans la formation des populations locales et des décideurs régionaux pour garantir la durabilité des projets écologiques et leur intégration aux besoins spécifiques des territoires.
Au cours de sa réunion du mercredi 19 février 2025 à 9 heures, la commission a examiné le rapport d’information sur les enjeux et la place de la France dans l’Indopacifique.
M. le président Bruno Fuchs. Avec l’influence grandissante de la Chine, la course aux armements, la rivalité entre la Chine et les États-Unis, les conflits territoriaux en mer de Chine méridionale – impliquant la Chine, les Philippines et le Japon – et la question de Taïwan, la région indopacifique, qui rassemble plus de la moitié de la population mondiale, est en plein mouvement et représente une série d’enjeux majeurs, notamment pour la France.
Nous sommes réunis pour examiner un rapport d’information portant sur la place de la France dans cette zone stratégique, au cœur des enjeux géopolitiques et économiques du XXIe siècle. L’Indopacifique, qui s’étend des côtes de l’Afrique orientale à l’océan Pacifique, constitue en effet un espace crucial pour l’équilibre mondial, car cette zone représente une part majeure du commerce international et concentre des défis cruciaux.
La présence française dans cette région est significative, avec plus de 1,6 million de nos concitoyens et sept des treize départements, régions et collectivités à statut particulier d’outre-mer (DROM-COM).
Cette notion, récente, fait l’objet de discussions, mais s’installe progressivement dans le débat public. Ainsi, en 2018, le ministre chinois des affaires étrangères, Wang Yi, déclarait que « l’Indopacifique est une idée accrocheuse, appelée bientôt à se dissoudre comme l’écume de l’océan ». Pourtant, loin de disparaître, ce concept est devenu central dans les stratégies internationales, comme en témoigne le travail que nous poursuivons aujourd’hui.
Notre commission s’est déjà penchée sur ce sujet en février 2022, puisqu’un rapport d’information avait déjà été publié sous la plume de nos collègues Aude Amadou et Michel Herbillon. Le présent rapport vient conclure un travail entamé par Michel Herbillon et Nicolas Metzdorf sous la XVIe législature et prolonger cette réflexion à la lumière des évolutions récentes. Ce rapport d’information, fruit d’un travail approfondi et rigoureux, nous invite à réfléchir sur le rôle que la France
– forte de sa présence historique, de ses territoires ultramarins et de ses partenariats stratégiques – doit jouer dans cette région.
Face aux défis que représente l’Indopacifique, il est essentiel d’adopter une vision ambitieuse et cohérente. Nous aurons aujourd’hui l’occasion d’échanger sur les conclusions de ce rapport et sur les recommandations qu’il formule.
Je tiens à saluer le travail du rapporteur et de tous ceux qui ont contribué à l’élaboration de ce document.
Monsieur le rapporteur, je vous cède la parole.
M. Michel Herbillon, rapporteur. Tout d’abord, je tiens à évoquer mon collègue Nicolas Metzdorf, avec qui j’avais commencé ces travaux lors de la précédente législature. En raison des événements en Nouvelle-Calédonie, il a dû interrompre notre collaboration et a depuis quitté la commission. Je tiens également à saluer son engagement en tant que député pour le territoire de Nouvelle-Calédonie.
Loin d’être une question périphérique de notre politique étrangère, l’Indopacifique est aujourd’hui un espace central des relations internationales, où se jouent les grandes rivalités stratégiques et où se définissent les grands équilibres du XXIe siècle. Cette région, qui s’étend de l’océan Indien à l’océan Pacifique, représente 60 % de la population mondiale et 50 % du produit intérieur brut (PIB) global. Elle concentre certains des défis les plus critiques de notre époque, qu’ils soient sécuritaires, économiques, environnementaux ou culturels.
Lors de mes échanges avec nos partenaires à Singapour, en Indonésie et au Japon, tous ont reconnu que la France est une puissance de l’Indopacifique. Nous ne sommes pas un acteur extérieur, mais un État riverain, en raison de notre géographie, de notre histoire et de nos engagements. Nos territoires ultramarins – la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, La Réunion et Mayotte – représentent bien plus que des points sur une carte. Notons que 1,6 million de nos compatriotes vit sur ces territoires, qui constituent des enjeux stratégiques majeurs ainsi que des espaces maritimes cruciaux.
N’oublions pas que nous sommes une puissance maritime. Notre présence en Indopacifique ne relève pas que de discours, ce sont des territoires, des populations et une responsabilité. La France dispose de 11 millions de kilomètres carrés de zones économiques exclusives (ZEE), soit la deuxième plus grande au monde. Ne pas la défendre serait accepter qu’elle nous échappe.
Cependant, cette réalité est sous-exploitée et ne se traduit pas encore en une influence stratégique claire et cohérente. Pire encore, la stratégie de la France en Indopacifique, formulée en 2018, n’a toujours pas été actualisée malgré les promesses répétées à ce sujet.
Pendant ce temps, l’Indopacifique est devenu le principal théâtre de confrontation entre les grandes puissances.
D’un côté se trouve la Chine, dont l’expansion militaire en mer de Chine méridionale, les ambitions sur Taïwan et la militarisation croissante des points stratégiques fragilisent la stabilité régionale.
De l’autre côté, les États-Unis renforcent leur posture à travers le Quadrilateral Security Dialogue (Quad) – qui réunit les États-Unis, le Japon, l’Inde et l’Australie –, le pacte AUKUS et une intensification des exercices militaires. L’objectif des États-Unis est simple : endiguer l’influence chinoise en multipliant les alliances sécuritaires et technologiques.
Alors que la guerre en Ukraine et les tensions au Proche-Orient captent l’attention internationale, c’est bien en Indopacifique que pourrait se jouer le premier affrontement direct entre puissances nucléaires depuis la seconde guerre mondiale.
La France a développé une présence diplomatique, économique et militaire dans cette région, mais notre stratégie souffre encore d’un manque de lisibilité et de cohérence.
Trois limites apparaissent clairement.
La première limite est une dispersion des efforts. Notre action manque de coordination entre les ministères, les entreprises et les acteurs locaux.
La deuxième limite est relative à des moyens militaires restreints. Malgré nos forces présentes à Nouméa, à Papeete, à Djibouti et à La Réunion, nous restons bien en deçà des capacités déployées par d’autres acteurs régionaux.
La troisième limite est une influence économique, environnementale et culturelle sous-exploitée. La Chine et les États-Unis mènent une diplomatie offensive, tandis que la France peine à valoriser ses atouts industriels, technologiques et culturels.
Mon rapport formule trente recommandations pour structurer une approche plus ambitieuse et plus pragmatique. Face à ces défis, la France doit impérativement adapter sa stratégie et accroître sa présence dans la région en s’appuyant sur quatre grands piliers, à savoir : la sécurité, en renforçant nos capacités militaires et notre coopération avec les puissances régionales ; l’économie, en consolidant nos partenariats et en intégrant pleinement la région aux stratégies industrielles françaises et européennes ; l’influence diplomatique et culturelle, en intensifiant notre présence éducative, linguistique et en développant des alliances de long terme ; enfin, le leadership climatique, en portant une vision forte sur la transition écologique et la protection des espaces maritimes.
Concernant le premier pilier, à savoir la sécurisation de la présence militaire et maritime française, notons que l’Indopacifique est un espace stratégique où les tensions maritimes s’exacerbent, la liberté de navigation est contestée et la stabilité régionale menacée. Dans ce contexte, la France ne peut pas se contenter d’observer. Elle doit agir, s’affirmer et protéger ses intérêts ainsi que ceux de ses partenaires. C’est pourquoi nous devons renforcer notre posture militaire et sécuritaire dans la région.
Concrètement, je recommande l’affectation permanente d’une frégate de premier rang en Asie-Pacifique pour affirmer notre rôle de stabilisateur régional et démontrer que la France ne se contente pas d’envoyer un navire une fois par an, mais qu’elle est présente de manière crédible, permanente et engagée.
Je recommande également le renforcement des moyens de surveillance maritime avec des drones et des aéronefs dédiés à la sécurisation de nos eaux. Défendre nos intérêts, c’est savoir ce qui se passe, anticiper les menaces et garantir la souveraineté de nos territoires ultramarins.
Enfin, je recommande une intégration renforcée aux dispositifs régionaux, notamment au sein du Conseil des ministres de la défense (ADMM+) de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN). La France ne doit pas être une puissance isolée, mais un partenaire clé dans l’architecture sécuritaire de la région.
Ces mesures ne sont pas des gestes symboliques, elles sont nécessaires. Si nous voulons que la France pèse dans les grands équilibres de demain, nous devons lui en donner les moyens aujourd’hui. Ne pas agir signifierait laisser d’autres acteurs décider à notre place et permettre à des puissances extérieures de redéfinir les règles du jeu sans nous.
Ensuite, concernant le deuxième pilier, relatif au développement de partenariats économiques et industriels, je rappelle que l’Indopacifique est bien plus qu’un théâtre de tensions géopolitiques. C’est aussi un moteur de la croissance mondiale et un espace où se joue l’avenir de l’économie, de l’innovation et des industries stratégiques. Face à cela, la France ne peut rester spectatrice et doit s’affirmer comme un acteur économique majeur, défendre ses intérêts et proposer une alternative crédible au modèle existant.
Cela passe d’abord par un renforcement de nos partenariats économiques avec l’Inde, l’Australie et le Japon. Ces trois puissances sont des piliers de la région, des partenaires stratégiques avec lesquels nous devons bâtir des accords bilatéraux ambitieux dans les domaines des énergies renouvelables, des hautes technologies et de la défense, autant de secteurs où la France a des atouts à faire valoir et dans lesquels elle doit peser davantage.
Il ne suffit pas de proclamer notre engagement en Indopacifique, il faut l’incarner dans des projets concrets, structurants et bénéfiques aux deux parties. Mais nous ne réussirons pas seuls, l’Europe doit jouer son rôle. Le programme « Global Gateway » a été conçu pour structurer une présence économique forte dans la région et proposer une alternative aux investissements massifs de la Chine. Pourtant, 40 % des fonds de ce programme européen financent des entreprises qui ne sont même pas européennes. Comment pouvons-nous prétendre défendre notre souveraineté économique si nous finançons la concurrence ? L’Union européenne doit enfin assumer son rôle de puissance et soutenir ses propres entreprises.
L’enjeu est clair : nous devons sécuriser nos chaînes d’approvisionnement, éviter toute dépendance excessive et garantir notre autonomie stratégique. Les premières semaines du 47e président des États-Unis nous rappellent que nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes, nous, les Européens. L’Amérique poursuivra ses propres intérêts. La Chine poursuivra les siens. Il nous appartient donc de défendre les nôtres avec ambition et détermination.
Par ailleurs, concernant le troisième pilier, portant sur la valorisation du soft power et de l’influence culturelle française, notons que, quand nous parlons de puissance et d’influence, nous pensons trop souvent aux armes et aux traités commerciaux. Pourtant, il existe une autre force, plus subtile, mais tout aussi essentielle : celle de la culture, de la langue et du savoir. Aujourd’hui, dans l’Indopacifique, cette force doit être mobilisée avec ambition. La France n’est pas qu’un acteur stratégique, elle est aussi une nation de culture, de transmission et d’idées. Si nous voulons ancrer durablement notre présence dans cette région et renforcer nos liens avec ces peuples, alors nous devons miser sur ce que nous avons de plus précieux : notre langue, notre éducation ainsi que notre patrimoine intellectuel et culturel.
C’est pourquoi je propose que nous ouvrions un Institut français en Papouasie–Nouvelle-Guinée et aux Fidji, car ces pays, souvent négligés, sont pourtant au cœur des dynamiques du Pacifique insulaire. En y portant notre culture, nous créons des ponts, tissons des liens durables et faisons rayonner la France bien au-delà de ses frontières.
Toutefois, cela ne suffit pas : nous devons aussi développer nos Alliances françaises et nos établissements scolaires, car apprendre le français, c’est aussi adopter une vision du monde, créer une communauté d’esprit et bâtir une relation de confiance avec la jeunesse de ces pays, qui, demain, sera aux commandes de son destin et se souviendra de ce que la France lui a apporté.
Ne nous y trompons pas : dans un monde de plus en plus concurrentiel, où d’autres puissances cherchent à imposer leur modèle, la culture est un outil stratégique. Elle est un levier d’influence durable, un ciment diplomatique puissant, un moyen de renforcer notre place sans confrontation ni violence, mais avec respect et considération.
Enfin, concernant le quatrième pilier, lié à l’affirmation de notre leadership climatique dans la région, je rappelle que, dans l’Indopacifique, région stratégique où la France possède une présence unique, les effets du changement climatique sont dévastateurs : montée des eaux, effondrement des écosystèmes marins et événements climatiques extrêmes, comme le cyclone Chido l’a démontré dans toute sa dimension tragique à Mayotte.
Pourtant, la France a les moyens et la responsabilité d’agir.
D’abord, la France a la responsabilité d’agir, car nos territoires ultramarins, de la Nouvelle-Calédonie à la Polynésie française, sont en première ligne face aux conséquences du réchauffement. Ces terres ne sont pas seulement des avant-postes de notre souveraineté, elles sont aussi le baromètre de notre engagement climatique. Ignorer ces défis serait renier nos responsabilités vis-à-vis de nos propres citoyens.
Ensuite, la France a la responsabilité d’agir parce qu’elle n’est pas une puissance isolée. Nous avons le savoir-faire, les technologies et l’influence pour entraîner avec nous nos partenaires régionaux et internationaux. Assumer un leadership climatique n’est pas une option, mais une nécessité. La France doit agir en investissant dans la surveillance environnementale grâce aux technologies satellitaires et à l’intelligence artificielle, pour anticiper les crises et protéger les populations. Notre pays doit également soutenir sans relâche les initiatives internationales, comme l’avis consultatif de la Cour internationale de justice (CIJ) sur les obligations des États face au climat.
La France doit en outre développer des alliances stratégiques avec l’Indonésie, l’Inde et l’ensemble des pays de l’ASEAN pour bâtir ensemble une transition écologique durable.
Ne nous trompons pas : si la France ne prend pas cette responsabilité, d’autres le feront, et pas toujours dans l’intérêt collectif. Nous devons défendre une vision où la transition écologique n’est pas une contrainte, mais une opportunité économique, un levier diplomatique et une force de stabilité internationale.
C’est ainsi que nous assurerons notre influence, protégerons nos populations et mériterons notre place dans le monde de demain.
En conclusion, je souligne qu’il convient de refonder notre stratégie pour mieux affirmer la place de la France dans l’Indopacifique, qui est une priorité stratégique pour notre pays. Pour que cette priorité se traduise en action, il faut une stratégie plus lisible, plus ambitieuse, plus affirmée et mieux dotée. Les trente recommandations de ce rapport visent à structurer une présence française crédible et influente dans la région. Elles nécessitent des investissements, des choix politiques clairs, des décisions et une coordination renforcée.
J’appelle de mes vœux la publication rapide d’une nouvelle stratégie indopacifique. Cette mise à jour de notre stratégie permettrait d’envoyer un signal fort à nos partenaires et d’affirmer la place de la France comme puissance d’équilibre et catalyseur de souveraineté, capable d’agir de manière autonome et stratégique dans cette région clé du XXIe siècle.
Aussi, il est difficilement compréhensible que cette nouvelle stratégie, attendue par les acteurs et manifestement prête depuis plusieurs mois, ne soit toujours pas publiée.
M. le président Bruno Fuchs. Monsieur le rapporteur, votre rapport, présentant une analyse très précise, rappelle les forces que la France recèle et qu’elle est capable d’exprimer pour renforcer sa position.
Je regrette également que la stratégie ne soit pas publiée car cette question est très souvent posée sur nombre de sujets concernant la France et ses relations internationales. Or, l’expression de cette stratégie nous manque souvent dans d’autres domaines, déjà présentés par d’autres rapporteurs. Nous ne pouvons donc qu’encourager la France à la publier.
Je cède la parole aux représentants de groupes pour leurs questions.
M. Davy Rimane (GDR). Cher collègue, vous avez répété que la France est une puissance indopacifique grâce aux territoires d’outre-mer. Toutefois, je n’ai pas entendu l’élément principal, à savoir que ce sont ces territoires qui permettent à la France de rayonner dans la région.
Nous connaissons tous la réalité des territoires d’outre-mer. Les dégâts provoqués par le cyclone Chido à Mayotte constituent un véritable drame. Alors que ces territoires permettent le rayonnement de la France à l’échelle du monde, ils sont pourtant intrinsèquement sous-dotés, sous-développés et connaissent un sous‑investissement chronique. Dans vos écrits, pas une ligne n’est consacrée à la façon « d’ancrer » la France par le biais de ces territoires, en les développant, en les structurant et en les aménageant au niveau escompté.
Par ailleurs, vous évoquez la surveillance satellitaire. Le paradoxe est que la Guyane, qui abrite le lanceur européen qui envoie des satellites régulièrement, est l’un des territoires où la couverture numérique est la plus faible à l’échelle de l’État français.
Je rappelle que ces territoires d’outre-mer sont l’héritage physique du passé esclavagiste et colonial de la France. Au regard du retard qui s’est accumulé et de l’histoire entre ces territoires et la France, il est nécessaire de les équiper, de les aménager et de les structurer si nous souhaitons qu’ils permettent un réel ancrage de la France. Or, ce n’est pas le cas aujourd’hui.
Au-delà de la montée de la présence de la France dans l’Indopacifique sur le plan militaire, quelle stratégie pouvez-vous définir pour permettre à ces territoires français de passer de territoires sous-développés à des territoires d’excellence, à tout point de vue ?
M. Michel Herbillon, rapporteur. Mon rapport mentionne à plusieurs reprises, de manière circonstanciée, la nécessité de valoriser les atouts ultramarins et d’intégrer, de manière plus affirmée, ces territoires dans la stratégie indopacifique sur un certain nombre d’expertises qui y sont développées.
Dans la huitième recommandation, qui vise à affirmer le statut de la France en tant que puissance indopacifique, je propose d’organiser deux sommets présidentiels, l’un franco-indien à La Réunion et l’autre franco-australien en Nouvelle-Calédonie. Ces réunions au plus haut niveau de l’État assureraient la représentation importante des territoires ultramarins et montreraient que la France est une puissance de l’Indopacifique.
Concernant le développement durable, la surveillance climatique ou encore la lutte contre la pêche illicite, il est essentiel de s’appuyer fortement sur la présence de nos territoires ultramarins. Si ma présentation initiale n’a pas pu aborder tous ces aspects, je vous assure que le fait de s’appuyer sur les territoires d’outre-mer constitue l’un des axes forts de ce rapport, comme je l’avais déjà souligné dans mon rapport de 2022.
M. Jorys Bovet (RN). La France est, par ses territoires ultramarins, une nation indopacifique à part entière. Aujourd’hui, 1,65 million de nos compatriotes vit sur ces territoires, conférant à notre pays une responsabilité et un rôle stratégique majeur dans la région.
Si la présence française dans l’Indopacifique offre à notre pays de multiples avantages, elle implique également de nombreux devoirs et des défis.
En plus des services civils de l’État, les 7 000 militaires français stationnés dans la région font face à des catastrophes naturelles, comme Chido à Mayotte, à la pêche illégale et au trafic de drogue. Ces militaires assurent la protection de nos territoires et de nos ressortissants, luttent contre les menaces transnationales et sécurisent les voies de communication maritimes. Nos forces armées jouent également un rôle crucial dans la gestion du défi migratoire avec le contrôle de nos frontières, notamment dans le département submergé de Mayotte.
La crédibilité de la France en Indopacifique passe aussi par le renforcement de nos capacités aéronavales en outre-mer. La deuxième ZEE du monde doit avoir une défense à la hauteur de ses ambitions, notamment après l’échec du pacte AUKUS qui nous a éliminés d’un contrat stratégique et a vu s’effondrer l’axe Paris-New Delhi-Canberra.
Pour maintenir son influence dans cette zone incontournable d’échanges, la France doit nécessairement amplifier les moyens militaires, économiques et sécuritaires dans la région, engager le rétablissement des relations avec Canberra et consolider son statut dans la région, notamment face à la Chine et aux États-Unis.
Les ambitions chinoises, principalement dues à la stratégie du collier de perles et aux nouvelles routes de la soie, ont considérablement accru l’expansion et l’influence du pays dans la région, mais également fragilisé l’équilibre de cet espace. La Chine est l’acteur économique et militaire majeur de la zone, faisant craindre une montée des tensions avec Taïwan. Pékin ne cache pas sa volonté hégémonique face à un président américain qui a promis d’adopter une ligne dure vis-à-vis de la Chine, réaffirmée en janvier dernier par le secrétaire d’État américain lors d’une réunion du groupe indopacifique.
Face aux confrontations des deux rivaux, la France défend une stratégie de troisième voie. Cependant, cette approche ne perd-elle pas en visibilité pour les acteurs de la zone qu’elle entend pourtant fédérer ?
Après la remise en cause du partenariat stratégique avec l’Australie, qui a fortement fragilisé la stratégie française dans la région, quels partenaires et accords de défense notre pays pourrait-il saisir pour renforcer son action ?
Enfin, comment envisagez-vous la poursuite du rapprochement entre les puissances japonaise et indienne ?
M. Michel Herbillon, rapporteur. Votre analyse est tout à fait pertinente. Vous avez rappelé les différents défis auxquels sont confrontés les pays de l’Indopacifique, avec les catastrophes naturelles, les pêches illégales, les enjeux de sécurité liés aux trafics et la sécurisation des circulations maritimes, qui est essentielle.
Le contrat que nous avions passé avec l’Australie a en effet été mis à mal avec la constitution du pacte AUKUS, comptant l’Australie, les États-Unis et la Grande-Bretagne. Si ces événements ont entraîné une relation difficile entre l’Australie et la France, les liens sont maintenant rétablis. Le changement de gouvernement en Australie a un peu facilité ce processus. Nos relations diplomatiques et économiques avec l’Australie ont été réinitialisées.
Par ailleurs, les velléités de la Chine se manifestent de diverses manières, notamment par une montée en puissance militaire et navale considérable. Je rappelle que le renforcement de la partie navale de la Chine équivaut, tous les trois ans, à la totalité de la marine française. Cette présence de la Chine s’observe particulièrement par les manœuvres autour de Taïwan, mais aussi vis-à-vis des Philippines, comme le montrent les incidents récurrents, et du Japon, ce qui explique le renforcement significatif de la puissance militaire, de l’industrie de défense et du budget de la défense du Japon.
Enfin, la France défend en effet une troisième voie : ne pas entrer dans cette confrontation entre la Chine et les États-Unis, mais apparaître comme une puissance d’équilibre et un catalyseur de souveraineté. Grâce à l’expertise de la France en matière climatique, de développement durable ou encore de surveillance de la pêche illégale, il s’agit de proposer une autre option à ces pays que la seule confrontation entre les deux grandes puissances.
M. Moerani Frébault (EPR). La France est une puissance de l’Indopacifique, pas par opportunisme mais par réalité géographique et historique. Sept des treize territoires ultramarins sont les piliers de cette présence qui nous confère une responsabilité majeure dans cette région stratégique.
Néanmoins, face aux rivalités croissantes entre la Chine et les États-Unis, notre posture demeure fragile. La militarisation de la mer de Chine méridionale, les tensions autour de Taïwan et la compétition économique et technologique redéfinissent les équilibres de la région. La France ne peut rester spectatrice.
Le rapport met en lumière les faiblesses de notre stratégie actuelle : un manque de coordination, une présence militaire sous-dimensionnée et une diplomatie qui peine à s’imposer face aux grandes puissances.
Pourtant, nous avons des atouts uniques. Nos outre-mer ne sont pas de simples points d’ancrage. Ils doivent être pleinement intégrés à notre stratégie en matière de surveillance maritime, de coopération environnementale et d’influence régionale.
Dans cette optique, comme vous l’avez écrit, monsieur le rapporteur, plusieurs priorités doivent guider notre action : renforcer notre présence militaire avec des moyens supplémentaires pour la surveillance et la protection de nos ZEE ; consolider nos alliances avec les acteurs régionaux, notamment l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les États insulaires du Pacifique, pour contrer les tentatives d’ingérence et protéger nos intérêts communs ; développer une diplomatie économique et climatique proactive en valorisant nos expertises en gestion durable des ressources marines et en transition énergétique ; enfin, alors que l’Indopacifique devient un théâtre d’affrontements stratégiques, clarifier et actualiser notre stratégie.
Premièrement, comment la France pourrait-elle renforcer son soutien aux territoires ultramarins du Pacifique afin d’en faire des acteurs clés de notre présence dans la région ?
Deuxièmement, au-delà des enjeux stratégiques, il est essentiel d’impliquer pleinement les populations ultramarines dans cette vision. Comment mieux prendre en compte leurs préoccupations et garantir ainsi un développement durable et inclusif ?
M. Michel Herbillon, rapporteur. Vous avez parfaitement souligné les atouts dont dispose notre pays grâce aux outre-mer. Je tiens à dire que la France doit s’appuyer sur les outre-mer, éléments clés de notre stratégie indopacifique. C’est parce que nous avons ces territoires d’outre-mer et la ZEE qui y est associée que nous sommes une nation de l’Indopacifique. Ces territoires, leur population et leurs expertises sont donc des atouts considérables, expliquant que nous puissions prétendre être une nation de l’Indopacifique et développer une stratégie à ce titre.
Nous ne pourrons pas lutter sur le plan militaire dans la compétition entre la Chine et les États-Unis. Ce n’est pas forcément ce que la France souhaite, mais, de toute manière, nous ne sommes pas dans cette catégorie. Il faut offrir une autre voie en impliquant la population des territoires d’outre-mer et en s’appuyant sur leur expertise, notamment en développant une diplomatie climatique active et en en faisant l’illustration, avec toute une série de programmes en matière de développement durable pouvant servir de vitrine et de référence pour d’autres pays, tels que les petits pays insulaires du Pacifique. Ces pays pourraient ainsi savoir qu’ils ont, avec la France et les territoires d’outre-mer, une expertise qui pourrait être développée chez eux.
Enfin, il convient également de poursuivre les investissements dans les infrastructures – notamment en renforçant les infrastructures portuaires –, de soutenir les filières locales, de permettre une autonomie énergétique et de faciliter l’accès au financement.
Mme Dieynaba Diop (SOC). La région compte en effet des enjeux économiques, environnementaux, sécuritaires et militaires cruciaux, mais aussi des enjeux liés à nos valeurs démocratiques. La France, notamment compte tenu de ses territoires d’outre-mer, joue un rôle clé et le poids de sa parole s’est estompé ces dernières années. La France, en tant que puissance maritime avec des territoires dans la région, est directement concernée par l’évolution de cette zone. Vous l’avez rappelé, près de 1,6 million de nos compatriotes vit dans cette région. La France est un acteur central dans la stabilité et la sécurité de l’Indopacifique.
Toutefois, je relève dans vos propos une absence de propositions structurelles et économiques pour donner les mêmes chances à nos compatriotes qui vivent dans ces territoires. Vous n’avez pas souligné, comme l’a fait Davy Rimane, la rupture d’égalité qui peut exister dans ces territoires, notamment concernant les infrastructures et le développement. Notre jeunesse se plaint régulièrement de ne pas avoir les mêmes accès que les autres.
Je regrette par ailleurs que la question des enjeux environnementaux soit présente dans seulement trois des quatre-vingt-douze pages que compte votre rapport. Dans le contexte du changement climatique qui touche particulièrement les petites îles du Pacifique, la France doit être force de proposition. Vous avez dit, lors de votre exposé, que la France doit jouer un rôle actif dans la préservation de l’environnement marin et de la biodiversité, mais il faut aussi protéger nos compatriotes présents sur place. Les derniers événements, notamment le cyclone Chido, en sont un rappel criant.
Tout d’abord, j’aimerais que vous nous donniez des précisions sur notre stratégie de lutte contre le changement climatique.
Ensuite, dans cette région soumise à de nombreuses tensions entre les différentes puissances régionales, comment la France, qui dispose d’un réseau diplomatique très fort, peut-elle jouer pleinement son rôle de pacification ?
Enfin, êtes-vous inquiet des velléités de la Chine quant à nos territoires sur place, notamment la Nouvelle-Calédonie ?
M. Michel Herbillon, rapporteur. Je tiens à souligner que près d’un tiers de mes recommandations concernent le développement durable et les enjeux climatiques. Ces aspects sont donc loin d’être négligés et occupent au contraire une place prépondérante dans mes recommandations. Ce sujet me semble être l’un des axes forts de développement de la stratégie indopacifique de la France. L’idée est de s’appuyer sur l’expertise développée dans nos territoires d’outre-mer pour proposer aux pays de l’Indopacifique notre savoir-faire dans les domaines du développement durable, du solaire et de la biodiversité. Je crois plus à ce savoir‑faire qu’à l’idée d’une confrontation militaire.
Concernant le rôle international de la France, mon rapport préconise une présence accrue, notamment au niveau ministériel, dans les diverses instances comme l’ASEAN et la Coopération économique pour l’Asie-Pacifique (APEC). J’estime crucial que la France investisse davantage, au plus haut niveau, ces différents forums et réunions internationales, où notre pays est présent en tant qu’acteur ou observateur, afin de peser sur les décisions et proposer à ces pays une offre différente que la seule confrontation avec la Chine et les États-Unis.
Sur la question du changement climatique, je recommande que la France soit force de proposition quant à la protection des écosystèmes marins, notamment par la création d’aires maritimes. De même, nous devrions initier des propositions sur des sujets tels que la préservation des forêts et la lutte contre la pêche illégale. Enfin, à la lumière des événements récents à Mayotte et ailleurs, la France devrait se positionner comme un acteur clé dans la protection face aux catastrophes climatiques, notamment aux cyclones qui peuvent dévaster les territoires d’outre-mer.
M. Arnaud Le Gall (LFI-NFP). Comme vous l’avez souligné, il existe un manque de lisibilité et de cohérence dans la stratégie, ce qui se reflète dans l’absence de publication de la feuille stratégique. Je pense que ce retard n’est pas uniquement dû à des raisons logistiques, mais révèle une difficulté à définir une ligne claire. Cette difficulté se voit depuis qu’en 2018, Emmanuel Macron a adopté la notion d’Indopacifique, dans l’optique états-unienne. Le choix des mots a un sens. À titre personnel, j’aurais réhabilité la notion d’Asie-Pacifique. Choisir la notion d’Indopacifique signifie déjà se placer dans le cadre stratégique choisi par les États‑Unis, ainsi que leurs alliés japonais et australiens, à partir de 2005. Ce choix, qui a sa légitimité, a immédiatement envoyé un signal, notamment à la Chine. Or, vous avez dit vous-même que se lancer dans une compétition militaire avec la Chine ou les États-Unis n’aurait aucun sens, particulièrement dans cette région.
Nous avons assisté à des embardées stratégiques ces dernières années. Tout d’abord, le plus important exercice naval de notre histoire a eu lieu avec les États‑Unis et l’Australie, près de Taïwan. Un an plus tard, ces mêmes Australiens nous ont, selon les mots de M. Jean-Yves Le Drian, « planté un coup de poignard dans le dos », portant un coup sévère à l’un des piliers de cette stratégie. Désormais, le ministre Sébastien Lecornu parle de « non alignement » lorsqu’il se rend en Indonésie, ce qui constitue des mots forts, qui figurent en tête de notre programme.
Je ne partage pas la proposition de mieux s’ancrer à l’Union européenne dans la zone car sa seule stratégie est liée à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Or, le président Emmanuel Macron lui-même a souligné la nécessité de se distancier de l’OTAN concernant le Pacifique, refusant même l’ouverture d’un bureau de l’organisation au Japon, ce qui était une bonne décision.
Par ailleurs, notre groupe parlementaire partage totalement votre proposition de multiplier les relations bilatérales et multilatérales.
Enfin, vous avez évoqué les moyens militaires supplémentaires à mettre en place. Qu’en est-il des moyens diplomatiques ? Nos effectifs diplomatiques ont considérablement diminué ces trente dernières années. La France a besoin de diplomates pour mettre en œuvre les mesures que vous préconisez.
M. Michel Herbillon, rapporteur. Il existe effectivement un manque de lisibilité et de cohérence dans la stratégie actuelle. Comme vous l’avez justement souligné, les mots ont un sens. Nous sommes tous las des discours sémantiques qui ne se traduisent pas dans la réalité. Il est indispensable que la stratégie revisitée soit enfin publiée. Son retard soulève effectivement des questions.
Concernant l’Australie, il est vrai que nous avons connu un dysfonctionnement grave qui a remis en question notre stratégie indopacifique, le contrat avec l’Australie étant un élément très fort. Cependant, je tiens à préciser que les liens diplomatiques ont été rétablis avec l’Australie et que de nouveaux partenariats s’établiront de nouveau.
Quant aux moyens diplomatiques, j’insiste sur la nécessité pour la France de réinvestir certains forums et réunions, tels que l’ASEAN, l’APEC et divers forums géographiques, tant pour l’océan Indien que pour le Pacifique, afin d’affirmer son rôle. Il est crucial que la France s’y implique au plus haut niveau, c’est-à-dire au niveau ministériel, et pas uniquement par l’intermédiaire de fonctionnaires.
J’ai également mis l’accent sur l’importance de s’appuyer sur les Alliances françaises pour développer une diplomatie d’influence, ainsi que sur nos établissements scolaires et la promotion de la langue française. Je rappelle que deux de nos ambassades les plus récemment ouvertes se trouvent au Vanuatu et aux îles Samoa, illustrant notre volonté d’investir le champ diplomatique dans cette région.
M. Nicolas Forissier (DR). Ce rapport offre une vision très complète de la situation dans cette partie du monde où le basculement a lieu.
La France dispose de nombreux atouts, notamment grâce à son domaine maritime et à la présence des territoires d’outre-mer, dont nous devons être fiers.
Je m’interroge sur les moyens, notamment budgétaires, alloués à notre stratégie dans l’Indopacifique. Si nous dégagions un peu plus de moyens ici, nous pourrions investir davantage dans notre présence et notre développement dans cette région.
Je rejoins totalement votre avis sur la nécessité d’une présence politique plus marquée. Nos diplomates et notre réseau sont excellents mais nos hommes et femmes politiques, y compris les parlementaires, ne sont pas assez présents dans cette zone du monde. Nous devrions initier beaucoup plus de missions, notamment en Indonésie, pays de 170 millions d’habitants où la France est quasiment absente.
La France constitue un atout pour la plupart des pays européens. Ne pourrions-nous pas trouver une meilleure coordination avec nos partenaires de l’Union européenne, autour de la France, pour la présence européenne dans cette zone ?
Je m’interroge également sur l’implication de la France dans le domaine économique, particulièrement en matière de commerce extérieur et d’investissements directs. Je ne suis pas persuadé que nous ayons réellement progressé.
Enfin, je suis assez favorable à la notion d’Indopacifique, car le partenariat stratégique avec l’Inde est extrêmement puissant depuis vingt ans et la coopération se développe en Indonésie. Il existe donc une certaine cohérence derrière ce terme, qui se traduit par le renforcement, peut-être insuffisant, de nos deux partenariats. Quel est votre avis sur ce point ?
M. Michel Herbillon, rapporteur. Il est clair que la France ne met pas tous les moyens nécessaires. C’est pourquoi notre stratégie doit s’appuyer sur nos territoires et les compétences qui ont pu y être développées. Nous ne pourrons pas entrer dans la compétition avec la Chine et les États-Unis sur le plan militaire et sécuritaire, mais nous disposons d’autres moyens, notamment diplomatiques.
Je partage votre point de vue sur l’importance de maintenir notre réseau diplomatique dans cette région. On nous a régulièrement dit lors de nos déplacements que la France doit être plus présente. Nos équipes diplomatiques sont remarquables, notamment au Japon et en Indonésie, où la coopération se développe de manière très importante. L’importance de l’Indonésie, qui est aussi le deuxième pays musulman au monde, est souvent oubliée. Notre coopération se poursuit avec l’Inde, partenaire traditionnel de la France, avec la multiplication de contrats, notamment dans le domaine militaire. L’Inde pratique un multi-alignement dans lequel la France occupe une place importante.
Une meilleure coordination est nécessaire au niveau européen. Je suis assez réservé sur le programme européen et la stratégie « Global Gateway », qui ne favorisent pas suffisamment les entreprises européennes. La stratégie indopacifique de l’Europe ne peut fonctionner que si elle s’appuie principalement sur la France, seul pays véritablement indopacifique de l’Union européenne.
Enfin, les investissements directs français dans l’Indopacifique ont progressé de 80 % entre 2018 et 2022, avec une majorité concernant Singapour.
Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). L’Indopacifique est une zone de fracture à la confluence des crises environnementales, des tensions géopolitiques et des appétits impérialistes d’hier et d’aujourd’hui. La France y a toute sa place, avec 90 % de sa ZEE située dans cette région et près de 2 millions de nos compatriotes qui y sont domiciliés, dont 1,8 million réside directement dans les territoires ultramarins de notre pays.
Avec nos partenaires européens, nous avons une immense responsabilité : porter une stratégie globale d’apaisement et de diplomatie face aux logiques d’affrontement dans l’une des régions les plus menacées par le réchauffement climatique. Les territoires de l’Indopacifique sont effectivement en première ligne, avec la disparition, d’ici la fin du siècle, d’États entiers, comme les Maldives, Tuvalu, ou encore d’atolls. L’acidification des océans, la disparition des récifs coralliens et l’intensification des phénomènes climatiques extrêmes, comme nous l’avons constaté avec le cyclone Chido à Mayotte, nous ramènent à une brutale réalité : il n’y aura aucun commerce, échange ou influence quand les territoires et leurs habitants auront disparu.
En ce sens, je tiens à souligner l’importance primordiale d’une diplomatie écologiste dans la région. La conférence des océans prévue à Nice cet été devra en être un des points d’ancrage. Au lieu de participer aux surenchères belligérantes et unilatérales, nous devons promouvoir une diplomatie du commun et du multilatéralisme, fondée sur la préservation des ressources et la protection des plus vulnérables. En ce sens, quels sont nos alliés dans la région, tant en Europe qu’en Asie ? Comment pouvons-nous renforcer notre diplomatie verte et la développer comme une solution alternative et indispensable face aux bouleversements climatiques qui affectent particulièrement cette zone ?
À ce titre, nous avons une responsabilité particulière concernant la surpêche, notamment au regard des pratiques plus que contestables de certains de nos chalutiers dans la région. Quels dispositifs de contrôle pouvons-nous mettre en place pour nos navires ?
Sans fausse naïveté, nous devons préserver nos propres intérêts, là où transitent 40 % des importations extra-européennes et près d’un tiers de nos exportations.
Dans un contexte de reprise des tensions sino-américaines, avec l’élection de Donald Trump, qui demande une conformité totale des puissances européennes à sa politique extérieure, la France et l’Europe doivent adopter une stratégie globale remettant en cause l’alignement systématique avec les États-Unis. Nous savons que la Chine mène également une stratégie de plus en plus agressive dans la région avec la Belt and Road Initiative et la militarisation accrue de la mer de Chine. Nous devons donc cesser de suivre aveuglément Washington. Je me réjouis d’avoir entendu le ministre parler de non-alignement. L’Europe doit s’imposer comme un acteur non-aligné, ce qui a fait sa force depuis des années dans les différentes régions du monde. Elle doit trouver le chemin d’une diplomatie postcoloniale dans une région qui a été grignotée par les appétits d’hier et d’aujourd’hui. Comment renforcer l’autonomie stratégique européenne quand les politiques de nos États sont éparpillées dans la région ?
M. Michel Herbillon, rapporteur. Vous avez raison d’insister sur l’importance des phénomènes climatiques et sur le fait que la France a, dans ce domaine, une expertise et un savoir-faire à faire connaître et à développer.
Je ne crois pas qu’il faille entrer dans une compétition entre la Chine et les États-Unis, car la France a tout à perdre dans ce domaine. Nous devons nous positionner comme un catalyseur de souveraineté et proposer des solutions, notamment en ce qui concerne les phénomènes climatiques, la surpêche et la biodiversité.
Nous veillerons à ce que, lors du sommet de Nice, ces questions climatiques pour l’Indopacifique, en lien avec nos territoires ultramarins, soient prioritaires dans l’agenda. Le message envoyé par notre pays à cette occasion serait crucial.
Je partage votre avis sur l’importance d’une diplomatie climatique. C’est l’un des axes majeurs de mon rapport et des recommandations que je formule. Nous avons une offre de propositions à faire à un certain nombre de ces pays, confrontés aux mêmes défis que nous, mais pour lesquels nous disposons de moyens supplémentaires pour y répondre.
Par ailleurs, les alliés sont principalement l’Australie pour la surveillance maritime et l’Inde pour l’alliance solaire.
Enfin, je voulais aussi vous informer que la France finance le projet Kiwa pour l’adaptation au changement climatique dans les îles du Pacifique.
Mme Maud Petit (Dem). Avec la guerre en Ukraine, le conflit au Proche‑Orient et les tensions de part et d’autre du globe, le risque d’un nouveau conflit planétaire n’a jamais été aussi élevé et concernerait probablement cette zone tant les tensions entre la Chine et les États-Unis y sont importantes. La Chine, en prenant possession d’îlots en mer de Chine méridionale et en les poldérisant pour y construire des installations à des fins militaires, est clairement dans une stratégie offensive dans cette région. Ce déploiement chinois se manifeste aussi culturellement, notamment à travers le développement de festivals et d’échanges universitaires, et économiquement, avec la nouvelle route de la soie. L’expansionnisme chinois inquiète particulièrement les États-Unis, qui craignent de voir leur influence contestée dans ces régions, essentielles, selon eux, à leur sécurité nationale. Vous avez bien expliqué qu’il ne faut pas que nous entrions dans le conflit sino-américain. Toutefois, la France a-t-elle un rôle à jouer dans l’apaisement des relations entre les pays qui sont parties prenantes dans cette zone ?
Vous avez cité quatre piliers essentiels. Pourriez-vous développer l’axe de la diplomatie et de la coopération culturelle, notamment avec la Chine ? Je pense qu’il faut peut-être ouvrir les perspectives avec la Chine. Nous avons déjà des engagements avec sa société civile et des projets d’échanges académiques. Je pense également à la diplomatie économique, avec la nouvelle route de la soie, le développement ferroviaire et les développements technologiques, comme la 5G et l’intelligence artificielle.
M. Michel Herbillon, rapporteur. Le rapport commence par la présentation de la situation en mer de Chine, avec toutes ses îles et la poldérisation rapide, organisée et pensée par la Chine dans cette région. Je vous invite vraiment à lire ce chapitre car je crains que, outre la situation à Taïwan, ce soit là que se trouve le risque de confrontation réelle. Un rapport avait d’ailleurs été rédigé, au début de la XVe législature, par nos collègues Delphine O et Jean-Luc Reitzer sur ces îles.
Lors de mon déplacement à La Réunion, j’ai été frappé par l’activisme du consul chinois, présent à chaque manifestation culturelle sur l’île. Vous avez raison d’insister sur le fait qu’il faut développer une diplomatie culturelle. Dans ce rapport, j’évoque l’année France-Chine de la culture en 2024. Je propose d’établir une quatrième résidence d’artistes pérenne en Chine dans la zone indopacifique, en complément de celles qui existent en Inde, au Vietnam et au Japon. Nous devons nous montrer très proactifs sur le plan culturel, car nous avons des atouts à faire valoir compte tenu de l’importance de la culture en France, de notre langue, de la francophonie et de nos établissements scolaires. La diplomatie culturelle est un axe de différenciation dans la stratégie indopacifique de la France.
Mme Lætitia Saint-Paul (HOR). Je m’étais également prononcée en faveur de la présence militaire stratégique lors des débats sur la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 car les moyens actuels ne sont pas du tout adaptés à l’augmentation de la violence et de la contestation des espaces maritimes. J’avais porté, à l’époque, le renforcement de deux patrouilleurs, dont nous pouvons espérer qu’ils seront livrés en 2027.
J’ai appris que notre porte-avions a reçu un accueil très chaleureux en Indopacifique et qu’il a pu stationner dans des ports jusqu’à présent interdits aux porte-avions étrangers. Au regard du changement de l’ordre mondial, avec toutes les prises de position de Donald Trump et de son administration, ce moment peut être un tournant pour la France en Indopacifique. En effet, le rôle clé d’un allié est bien la fiabilité. Or j’imagine que, dans les pays que vous avez pu visiter, la fiabilité de l’administration Trump est largement entamée. La France, qui porte un ordre international fondé sur le droit et n’en dévie pas, peut renforcer sa présence et sa voix. J’aimerais votre retour sur cette actualité.
M. Michel Herbillon, rapporteur. Vous aviez montré le chemin dans votre rapport, dont nous avons tous la mémoire. Dans les toutes premières propositions, je recommande de renforcer la présence militaire en Indopacifique en affectant de manière permanente une frégate de premier rang à la zone maritime Asie-Pacifique, afin de crédibiliser la position militaire de la France dans un contexte de grande montée des tensions en mer de Chine méridionale. On ne mesure pas à quel point les tensions sont vives dans cette région du monde, ce qui est extrêmement inquiétant, surtout au regard des velléités chinoises sur Taïwan. Je rappelle que le nouveau président élu de Taïwan n’a pas de majorité au sein de l’Assemblée législative, avec une influence chinoise extrêmement prégnante. Lors de notre visite à La Réunion, nous avons vu que les responsables des forces armées dans la zone sud de l’océan Indien (FAZSOI), dont le travail est tout à fait remarquable, peinent à rassembler les moyens nécessaires. Ils ne disposent même pas d’un drone permanent pour surveiller la région. Nous pourrions veiller ensemble à ce que le renforcement que nous préconisons devienne réalité.
Ensuite, vos propos sur la présence du porte-avions Charles de Gaulle, qui a été très bien accueilli aux Philippines et en Indonésie, sont tout à fait justes. La présence de ce porte-avions constitue un élément très fort de notre diplomatie d’influence et militaire.
Enfin, nous pouvons utiliser les revirements intempestifs de la diplomatie du nouveau président des États-Unis comme une opportunité, pour la France, de dire à ces pays de l’Indopacifique qu’ils devraient s’appuyer sur notre pays – qui a une vision plus cohérente, permanente et respectueuse de l’État de droit dans les relations diplomatiques –, plutôt que sur un partenaire dont les propos sont variables d’un jour à l’autre.
Mme Christine Engrand (NI). Vous nous avez spécifié la nécessité d’une présence permanente dans cette région. Pensez-vous que cette présence soit encore possible et réaliste alors que la France est en grande difficulté ?
En outre, comment optimiser le « Global Gateway » dans le cadre d’un travail sur un protectionnisme européen, voire français ? Quelle autre solution envisagez-vous si nous n’y parvenons pas ? Je pense que, concernant le « Global Gateway », nous sommes en grand déficit.
M. Michel Herbillon, rapporteur. La France a l’un des meilleurs réseaux diplomatiques au monde. Les diplomates présents dans cette zone ne font pas exception à la règle. Nous avons vu des équipes extrêmement engagées, sur le plan de la présence française, notamment culturelle, et des relations économiques. Il est nécessaire de continuer à assurer une présence diplomatique forte dans ces pays. De plus, les ministres doivent être présents dans les différents forums et réunions diplomatiques, ce qui est important pour l’image de la France.
Je suis assez circonspect concernant le programme « Global Gateway », qui devrait davantage bénéficier aux entreprises françaises et européennes. Des mutualisations devraient être réalisées, en favorisant la création de consortiums économiques entre différentes entreprises pour cette région.
M. le président Bruno Fuchs. Je cède la parole aux collègues pour leurs interventions et questions formulées à titre individuel.
M. Alain David (SOC). Derrière la carte postale, il y a des populations, oubliées du progrès, qui souffrent. Elles subissent la dégradation du climat, la vie chère, le faible pouvoir d’achat, le manque d’équipements et le déficit de moyens pour l’enseignement. Quand mettrons-nous en place un véritable plan de rattrapage des équipements et des conditions de vie dans nos territoires ultramarins ? L’égalité républicaine est essentielle pour garantir la fidélité durable de ces territoires. Bien que je ne pense pas qu’une puissance quelconque puisse nous les prendre, le risque principal est que certains d’entre eux nous quittent.
M. Michel Herbillon, rapporteur. J’espère que vos prévisions, qui sont assez alarmistes, ne se réaliseront pas.
Vous soulignez à juste titre les souffrances et difficultés quotidiennes auxquelles sont confrontées ces populations, notamment en matière de pouvoir d’achat et face au dérèglement climatique. Cependant, je tiens à préciser que nous sommes la commission des affaires étrangères, et non la délégation aux outre-mer. Ce rapport porte donc sur l’Indopacifique et la politique étrangère de la France, et non sur les outre-mer.
Vous indiquez à juste titre que des populations souffrent. Il est tout de même important de noter la mobilisation particulièrement rapide et forte de la communauté nationale et l’engagement du législateur lors du terrible cyclone qui a dévasté Mayotte, ce qui démontre l’importance de l’État français. Je pense que de nombreux pays de l’Indopacifique confrontés à la même situation n’auraient pas bénéficié d’une telle mobilisation s’ils n’étaient pas français.
M. Michel Guiniot (RN). Je souhaiterais obtenir des précisions sur votre 25e proposition relative aux capacités de surveillance dans les ZEE grâce à l’utilisation de drones embarqués sur les patrouilleurs maritimes. Vous mentionnez, à la page 82, que les principales menaces sont liées à la lutte contre la pêche illégale et à la protection de l’environnement. N’y a-t-il pas d’autres sujets de protection de notre espace maritime ?
Dans l’océan Indien, on peut citer les îles Europa, Glorieuses ou Éparses dont la souveraineté est contestée, par exemple, par Madagascar. Dans l’océan Pacifique, l’île Clipperton a fait l’objet d’une vive contestation jusqu’en 1959 et la France a de grandes difficultés à faire respecter sa ZEE, en particulier avec le Mexique.
Votre première proposition vise à affecter de manière permanente une frégate afin de crédibiliser la position militaire de la France. Ne serait-il pas possible de crédibiliser notre position militaire, en particulier sur nos territoires contestés, avec la mise en place d’une surveillance par drones qui disposent d’une capacité et d’une réactivité plus importantes que les navires, même s’ils ne sont que des outils complémentaires de notre puissance maritime ? En somme, les drones peuvent-ils avoir une autre utilité, au-delà de la surveillance de la pêche illégale ?
M. Michel Herbillon, rapporteur. Vous avez raison d’insister sur cet aspect. Lors de notre visite à l’île de la Réunion, on nous a souligné l’importance d’utiliser ces drones embarqués pour la surveillance des espaces maritimes et de notre ZEE. En effet, c’est une solution peu coûteuse et extrêmement efficace. Cette proposition pourrait évidemment être élargie à d’autres territoires pour surveiller notre ZEE, comme vous le soulignez.
M. Pierre Pribetich (SOC). Notre collègue rapporteur a exprimé à de nombreuses reprises le souhait d’une stratégie plus lisible. La Chine considère Taïwan comme une province séparatiste depuis un empereur chinois en 239, gouvernée rarement par les Chinois de l’intérieur, mais par des puissances étrangères durant des siècles. Le président Xi Jinping a réitéré sa détermination à réunifier Taïwan avant 2027, cette réunification étant inévitable, selon lui.
Depuis le 20 janvier 2025, Donald Trump change l’ordre mondial avec sa stratégie du bulldozer, préparant son affrontement avec la Chine, qui pourrait n’être que commercial.
La France, puissance maritime, cabote et évite de s’impliquer. Alliée des États-Unis, elle semble adopter une position prudente, cherchant une troisième voie dans la pure tradition gaullienne depuis le 27 janvier 1964. La troisième voie serait d’être un catalyseur de souveraineté. De quelle souveraineté s’agit-il ? S’agit-il de celle de la Chine ou de celle de Taïwan ?
De plus, concernant la présence militaire renforcée de la France, quelles sont les implications ? Car le rôle clé d’un allié est la fiabilité.
M. Michel Herbillon, rapporteur. Il s’agit d’assurer la préservation de la souveraineté de ces pays pour éviter qu’ils ne soient conduits à choisir entre les deux protagonistes de cette nouvelle guerre froide. C’est le chemin que peut proposer la France à ces pays.
Je partage votre préoccupation et votre inquiétude en ce qui concerne Taïwan. Xi Jinping a déclaré que la réunification devrait intervenir avant 2049, c’est-à-dire avant le centenaire de la création de la République populaire de Chine. Cela dit, on voit bien quel est son objectif, puisqu’il en parle régulièrement. Outre l’aspect géopolitique, vous savez à quel point les semi-conducteurs, notamment toutes ces puces extrêmement innovantes utilisées dans l’industrie aéronautique, spatiale et automobile, constituent un élément clé de la volonté de la Chine d’annexer de nouveau Taïwan.
Mme Dominique Voynet (EcoS). Vous avez beaucoup insisté tout à l’heure sur le fait qu’un tiers de vos recommandations concernaient le changement climatique et le développement durable, dont vous vouliez faire un axe fort de la stratégie française dans l’Indopacifique. Vous avez notamment évoqué les petits États insulaires voisins. Je tiens à souligner que ces petits États insulaires sont tous très en avance sur la France. Ils sont d’ailleurs organisés pour peser lors des Conférences des parties (COP) climat et nous aurions sans doute beaucoup à apprendre d’eux. Nous avons, certes, des experts en biodiversité très compétents, notamment à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), qui intervient par exemple à Madagascar mais, dans d’autres domaines, nous sommes des nains.
Concernant la sécurité civile et la lutte contre les catastrophes, il est assez étrange que nous n’ayons pas sollicité l’appui de certains de nos voisins lors du passage du cyclone Chido.
Par ailleurs, nous n’avons pas dit un mot lors de cet échange sur l’enseignement supérieur et les échanges d’étudiants, ce qui est étrange. En Polynésie, il paraît logique de renforcer les liens avec la Nouvelle-Zélande ou l’Australie, de même qu’en Nouvelle-Calédonie. J’aimerais savoir si vous y avez travaillé et ce que vous en pensez.
M. Michel Herbillon, rapporteur. Beaucoup d’échanges ont lieu, notamment avec l’Indonésie. De plus en plus d’étudiants indonésiens viennent en France, à la mesure du renforcement de la coopération entre la France et l’Indonésie.
Concernant le fait que nous avons beaucoup à apprendre des petits États insulaires voisins, je partage votre point de vue. Dans les domaines tels que la biodiversité ou encore le changement climatique, la France ne doit pas adopter une attitude de donneur de leçons. Ces États sont confrontés à la logique des blocs entre les États-Unis et la Chine, dont l’alternative ne doit pas être une logique impérieuse de la France, qui a effectivement tendance à donner des leçons.
Il serait extrêmement utile pour notre commission de veiller dès à présent à l’ordre du jour du sommet de Nice, lors duquel des collègues de la commission seront sans doute présents. Nous devons nous assurer que ces questions relatives à la biodiversité et au changement climatique, absolument essentielles, seront en haut de l’agenda, parce que nous avons aussi une expertise à perfectionner dans ce domaine.
Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Ma collègue a posé une question très importante, pour laquelle nous n’avons pas eu de réponse. Lors du passage du cyclone Chido, comment expliquer qu’il n’y a pas eu de coopération régionale pour nous aider sur place ?
De plus, la question sur les coopérations universitaires ne portait pas tellement sur les étudiants qui viennent en France, mais plutôt sur la coopération au niveau régional des échanges des étudiants universitaires. Des échanges ont-ils lieu au niveau local ?
M. Michel Herbillon, rapporteur. Des échanges ont lieu, pour des étudiants de Nouvelle-Calédonie, avec la Nouvelle-Zélande et l’Australie.
Concernant le fait qu’il n’y a pas eu d’intervention de la sécurité civile d’autres pays voisins au moment de la catastrophe liée au cyclone Chido à Mayotte, je n’ai pas la réponse. Je ne suis pas expert de cette question mais la réponse est peut-être qu’ils n’ont pas le même niveau d’expertise ou de mobilisation que nous.
M. le président Bruno Fuchs. Notre commission se demandera comment accompagner une partie importante de ces propositions pour qu’elles soient mises en œuvre rapidement, notamment concernant la stratégie française qui doit être publiée dans les meilleurs délais.
Conformément à l’article 145 du Règlement de l’Assemblée nationale, à l’issue des échanges, la commission autorise la publication du rapport d’information qui lui a été présenté.
ANNEXE 1 : liste des personnes auditionnÉes
par le rapporteur
Le rapporteur adresse ses remerciements chaleureux à l’ensemble du personnel des ambassades de France en Indonésie, au Japon et à Singapour pour l’excellence de leur accueil au cours des déplacements effectués.
• Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères
- S.E. M. Marc Abensour, ambassadeur de France pour l’Indopacifique ;
- S.E. M. Benoît Guidée, directeur Asie-Océanie du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères ;
- S. E. M. Jean-Claude Brunet, ambassadeur délégué à la coopération régionale dans la zone de l’océan Indien.
• Ministère des Armées et des Anciens combattants
- Vice-amiral Xavier Petit, sous-chef opérations de l’état-major de la marine nationale ;
- Capitaine de vaisseau Nicolas Rossignol, chef du département
Asie-Océanie-Amérique latine à la Direction générale des Relations internationales et de la Stratégie du ministère des Armées et des Anciens combattants.
• Chercheurs
- M. Antoine Bondaz, chargé de recherche pour la Fondation pour la recherche stratégique et conseiller sur la Chine auprès de la présidente de la Commission européenne ;
- M. Mathieu Duchâtel, directeur des Études internationales de l’Institut Montaigne et directeur du programme Asie ;
- M. Christophe Jaffrelot, directeur de recherche au CERI de Sciences Po Paris et au CNRS, consultant permanent au Centre d’Analyse, de prévision et stratégie du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères ;
- Mme Céline Pajon, responsable des activités sur le Japon et coordinatrice du Programme Océanie au centre Asie de l’Institut français des relations internationales ;
- M. Emmanuel Véron, enseignant-chercheur à l’INALCO et à l’École navale, spécialiste de la Chine contemporaine.
• Ambassadeurs étrangers
- S.E. M. Makita Shimokawa, ambassadeur du Japon en France ;
- S.E. Mme Gillian Bird, ambassadrice d’Australie en France, ambassadrice non-résidente accréditée auprès de l’Algérie, de la Mauritanie et de Monaco.
• Déplacement à Singapour
- Mme Jeanne Tor de Tarlé, chargée d’affaires a.i., ambassade de France à Singapour ;
- M. Mario Bernardo, Business Development Director Asia d’EDF ;
- M. Nicolas Bouverot, vice-président de Thales Group pour la région Asie ;
- Brigadier général Frederick Choo, deputy secretary du ministère de la défense singapourien, et le capitaine de frégate Riaz Akhoune, attaché de défense à l’ambassade de France à Singapour et au Brunei ;
- M. Yann Le Goff, responsable régional de la sécurité Asie-Pacifique de CMA-CGM, M. Julien Lecuyer, Group Agencies Network Senior Manager de CMA-CGM, M. François Chirol, Lines Senior Manager de CMA-CGM, et Mme Aude Viornery, Procurement Senior Manger de CMA-CGM ;
- Mme Carine Lespayandel, directrice générale de la Chambre de Commerce française à Singapour ;
- Mme Camille Macaire, représentante de la Banque de France pour la région Asie-Pacifique ;
- M. Paco Milhiet, Docteur en géopolitique et chercheur à la S. Rajaratnam School of International Studies (RSIS) à Singapour ;
- M. Vikram Nair, président du comité parlementaire du parti majoritaire pour la défense et les affaires étrangères au sein du parlement singapourien ;
- M. Hervé Ochsenbein, chef du service économique régional de l’ambassade de France à Singapour et au Brunei.
• Déplacement en Indonésie
- M. Laurent Legodec, chargé d’affaires i. e., ambassade de France en Indonésie ;
- M. Alexander Murugasu, conseiller politique, ambassade de France en Indonésie ;
- S.E. M. Soemadi Brotodiningrat, ancien ambassadeur et representant du Foreign Policy Community of Indonesia ;
- S.E. M. Bovonethat Duangchak, ambassadeur et représentant permanent du Laos auprès de l’ASEAN ;
- M. Sébastien Gautier et M. Mathieu Lavoine, représentants de la Chambre de Commerce et d’Industrie franco-indonésienne ;
- S.E. M. Yasushi Masaki, ambassadeur du Japon en Indonésie ;
- S.E. Mme Ina Lepel, ambassadrice d’Allemagne en Indonésie, et M. Stéphane Mechati, Ministre conseiller de la délégation de l’Union européenne en Indonésie.
• Déplacement au Japon
- S.E. M. Philippe Setton, ambassadeur de France au Japon ;
- M. Olivier Audry, délégué général de Safran pour le Japon, M. Boris Darceaux, directeur général Air France-KLM au Japon, en Corée du Sud et en Nouvelle-Calédonie, et M. Fabien Giordano, directeur Asie du Nord de Bolloré Logistics ;
- M. Keiichi Ichikawa, National Security Advisor and Assistant Chief Cabinet Secretary du ministère des Affaires étrangères japonais ;
- M. Hideo Ishizuki, directeur général en charge de la coopération internationale du ministère des Affaires étrangères japonais ;
- M. Takaaki Katsumata, président de la commission des Affaires étrangères de la chambre basse du Parlement japonais ;
- M. Yasuhiro Kobe, directeur général de la direction de la politique étrangère du ministère des Affaires étrangères japonais ;
- M. Takehiko Matsuo, vice-ministre pour les affaires internationales du ministère de l’économie et de l’industrie japonais ;
- M. Masashi Nakagome, directeur général de la direction Europe du ministère des Affaires étrangères japonais ;
- M. Yuichi Oba, vice-président de l’Agence de coopération internationale japonaise (JICA) ;
- S.E. M. Jean-Éric Paquet, ambassadeur pour l’Union européenne au Japon.
• Déplacement à la Réunion
- Mme Florence Jeanbanc-Risler, préfète et administratrice supérieure des Terres australes et antarctiques françaises ;
- M. Laurent Amar, conseiller diplomatique du préfet de La Réunion, M. Nicolas Le Bianic, directeur de la mer sud océan Indien, Mme Nathalie Infante, secrétaire générale pour les affaires régionales de La Réunion, et M. Philippe Grammont, directeur de l’environnement, de l’aménagement et du logement de La Réunion ;
- M. Wilfrid Bertile, ancien député et ancien secrétaire général de la Commission de l’océan Indien de 2001 à 2004, actuellement conseiller régional ;
- Capitaine de vaisseau Cyrille de Cerval, commandant la zone maritime, et chef du bureau de l’action de l’État en mer dans la zone sud de l’océan Indien ;
- Colonel Frédéric Ducotey, chef d’état-major interarmées des FAZSOI et des officiers de son état-major en charge des opérations, de l’entrainement des forces armées et de la coopération militaire dans la zone de responsabilité ;
- M. Didier Fauchard, président du MEDEF de La Réunion ;
- Général de brigade Jean-Marc Giraud, commandant supérieur (COMSUP) des Forces armées dans la Zone-sud de l’océan Indien (FAZSOI) et commandant de la base de défense de La Réunion-Mayotte ;
- Mme Emmanuelle Hoarau, directrice générale de CMA-CGM pour La Réunion ;
- M. Velayoudom Marimoutou, ancien secrétaire général de la Commission de l’océan Indien (2020-2024) ;
- Mme Laurence Mondon, vice-présidente du Conseil Départemental de La Réunion ;
- Mme Karine Pothin, directrice de l’Agence régionale de la biodiversité de La Réunion.
ANNEXE 2 :
liste des PRINCIPAUX acronymes utilisÉs dans le rapport
ADMM+ |
Réunion des ministres de la défense de l’ASEAN |
AMTI |
Asian Maritime Transparency Initiative |
APEC |
Asia-Pacific Economic Cooperation |
ASEAN |
Association des nations de l’Asie du Sud-Est |
ASML |
Advanced Semiconductor Materials lithography |
ATASM |
Avion de transport et d’assaut du segment médian |
AUKUS |
Australia, United Kingdom, United States |
BECA |
Basic Exchange and Cooperation Agreement |
BRI |
Belt and Road initiative |
CATL |
Contemporary Amperex Technology Co., Limited |
CNES |
Centre national d’études spatiales |
CNRS |
Centre national de recherche scientifique |
CNUDM |
Convention des Nations unies sur le droit de la mer |
COI |
Commission de l’océan Indien |
CPS |
Communauté du Pacifique |
CPTPP |
Comprehensive and Progressive Agreement for Trans-Pacific Partnership |
DROM-COM |
Départements et régions d’outre-mer et collectivités d’outre-mer |
EDCA |
Enhanced Defense Cooperation Agreement |
FAZSOI |
Forces armées dans la zone Zone-Sud de l’océan Indien |
FIP |
Forum des îles du Pacifique |
FRANZ |
France, Australie, Nouvelle-Zélande |
IA |
Intelligence artificielle |
INN |
Pêche illégale, non déclarée et non réglementée |
IONS |
Indian Ocean Naval Symposium |
IORA |
Association des États riverains de l’océan Indien |
IRA |
Inflation Reduction Act |
IRD |
Institut de recherche pour le développement |
ISO |
International Organization for Standardization |
JAXA |
Japan Aerospace Exploration Agency |
JICA |
Japan International Cooperation Agency |
LPM |
Loi de programmation militaire |
MALE |
Drone moyenne altitude et longue endurance |
MCD |
Mission de courte durée |
MEAE |
Ministère de l’Europe et des affaires étrangères |
MICA |
Maritime Information Cooperation & Awareness Center |
OMI |
Organisation maritime internationale |
OTAN |
Organisation du traité de l’Atlantique nord |
PIB |
Produit intérieur brut |
POM |
Patrouilleur Outre-mer |
PQUAD |
Pacific Quadrilateral Defence Coordinating Group |
PROE |
Programme régional océanien de l’environnement |
QUAD |
Dialogue quadrilatéral pour la sécurité |
RIMPAC |
Rim of the Pacific Exercise |
RNS |
Revue nationale stratégique |
RPC |
République populaire de Chine |
SAR |
Radar à synthèse d’ouverture |
SMIC |
Semiconductor Manufacturing International Corporation |
SNA |
Sous-marins nucléaires d’attaque |
TAAF |
Terres australes et antarctiques françaises |
THAAD |
Terminal High Altitude Area Defense |
TIC |
Technologies de l’information et de la communication |
TSMC |
Taiwan Semiconductor Manufacturing Company |
UE |
Union européenne |
VE |
Véhicule électrique |
ZEE |
Zone économique exclusive |
|
|
([1]) Rapport d’information déposé en application de l’article 145 du règlement, par la commission des affaires étrangères, en conclusion des travaux d’une mission d’information sur l’espace indopacifique : enjeux en stratégie pour la France, et présenté par Mme Aude Amadou et M. Michel Herbillon, n° 5041, février 2022.
([2]) Discours du Président de la République à l’occasion de la Conférence des ambassadrices et ambassadeurs, 6 janvier 2025.
([3]) Et alors même que la sentence rendue par la Cour permanente d’arbitrage en date du 12 juillet 2016 a souligné que la ligne à 9 traits défendue par la Chine n’avait aucune valeur juridique. La France s’attache au respect de cette décision.
([4]) Loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.
([5]) Le label « Villa Formose » est une initiative lancée en 2022 par le Centre de coopération et d’action culturelle de Taipei dont l’objectif est de renforcer les liens entre la France et Taiwan en proposant des résidences pour créateurs.
([6]) Rapport d’information déposé en application de l’article 145 du Règlement par la commission des affaires étrangères en conclusion des travaux d’une mission d’information portant sur « l’espace indopacifique : enjeux et stratégie pour la France » et présenté par Mme Aude Amadou et M. Michel Herbillon le 16 février 2022.
([7]) A. Bondaz, La France « catalyseur de souveraineté » en Indopacifique, Esprit de Défense n° 10, Ministère des Armées, 2024.
([8]) L’APEC (Asia-Pacific Economic Cooperation) est une organisation intergouvernementale qui regroupe 21 pays de la région Indopacifique. Elle a été fondée en 1989 dans le but de promouvoir le libre-échange, la coopération économique et le développement durable dans la région. Les 21 membres de l’APEC sont :
Australie, Brunei, Canada, Chili, Chine, Hong Kong, Indonésie, Japon, Malaisie, Mexique, Nouvelle-Zélande, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Pérou, Philippines, Russie, Singapour, Corée du Sud, Taïwan, Thaïlande, États-Unis et Vietnam.
([9]) Le P-QUAD (ou Quad Plus) est une extension du Quad (Quadrilateral Security Dialogue), un dialogue stratégique entre quatre pays : les États-Unis, le Japon, l’Inde et l’Australie. Le terme P-QUAD fait référence à une version étendue du Quad où des pays supplémentaires, tels que la Nouvelle-Zélande, le Vietnam, ou d’autres membres de la région Indopacifique, sont impliqués dans des dialogues ou des coopérations spécifiques, bien que le Quad original reste composé des quatre premiers pays.