N° 1014
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 février 2025.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145-7 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES
sur l’évaluation de la loi n° 2021-1357 du 18 octobre 2021
visant à protéger la rémunération des agriculteurs
ET PRÉSENTÉ PAR
M. Julien DIVE, Mme Mathilde HIGNET, M. Harold HUWART et M. Richard RAMOS
Députés.
SOMMAIRE
___
Pages
I. Un impact Économique de la loi égalim 2 difficile À Évaluer
A. Des premiÈres annÉes d’application concomitantes À une volatilitÉ exceptionnelle des marchÉs
a. À l’amont, une hausse significative des coûts de production agricoles
c. À l’autre bout de la chaîne, une inflation tirée par les produits alimentaires
B. La transparence sur la répartition de la valeur doit être renforcée
1. Des cycles récents de négociations marqués par une tension importante sur les prix
b. L’inflation contraint les choix des consommateurs et favorise l’achat des marques distributeurs
2. Une asymétrie de l’information défavorable aux acteurs en amont
1. La base de l’édifice de la « marche en avant » des prix doit encore être consolidée
b. Même lorsque le contrat écrit est obligatoire, il est trop rarement présent
c. La place des organisations de producteurs et de leurs associations n’a pas assez progressé
2. Une certaine défiance des agriculteurs vis-à-vis de la contractualisation écrite
a. Distinguer prix du contrat et indicateurs de coûts de production
b. Renforcer le poids des indicateurs de coûts de production dans la construction du prix payé
c. L’expérimentation de la clause dite du « tunnel de prix »
B. À l’aval, une évolution structurelle encore inaboutie des négociations commerciales
1. Un nouvel équilibre qu’il faut s’abstenir de bouleverser
b. La question du maintien de la date-butoir
2. La transparence sur le coût de la matière première agricole doit être renforcée
4. Simplifier et rendre non discriminatoires les modalités de révision des prix
III. Le dispositif Français de « marche en avant » des prix mérite d’être défendu et promu
A. Renforcer les contrôles et appliquer des sanctions
2. Le nombre important de manquements révélés justifie de poursuivre le renforcement des contrôles
3. Le renforcement des contrôles suppose une hausse des moyens qui y sont consacrés
B. Lutter contre les stratÉgies de contournement en France et en Europe
3. Ces évolutions doivent inspirer des réformes au niveau européen
IV. des dispositions relatives À l’Étiquetage en grande partie inappliquÉes
A. Une expÉrimentation du « rÉmunÉra-score » Encore attendue
B. Plusieurs mesures d’information du consommateur inapplicables À droit constant
Liste des personnes auditionnÉes
Le présent rapport est présenté en application de l’article 145-7, al. 3, du Règlement de l’Assemblée nationale, qui prévoit, à l’issue d’un délai de trois ans suivant l’entrée en vigueur d’une loi, la présentation d’un rapport d’évaluation sur l’impact de cette loi.
La commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale a ainsi désigné, le 19 septembre 2024, M. Julien Dive, Mme Mathilde Hignet, M. Harold Huwart et M. Richard Ramos rapporteurs de la mission d’information sur l’évaluation de la loi n° 2021-1357 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs, dite loi « Égalim 2 » ([1]). Une première mission d’évaluation avait été lancée en février 2024 avant que ses travaux soient interrompus par la dissolution de l’Assemblée nationale, le 9 juin 2024. La présidente de la commission des affaires économiques, notre collègue Aurélie Trouvé, et notre ancien collègue Frédéric Descrozaille étaient membres de cette première mission.
Déposée par M. Grégory Besson-Moreau (LREM) le 4 mai 2021, la proposition de loi n° 4134 visant à protéger la rémunération des agriculteurs a été adoptée rapidement, dans un esprit de consensus, voire d’unanimité.
Adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale et le Sénat respectivement les 24 juin et 22 septembre 2021, elle a fait l’objet d’un accord en commission mixte paritaire (CMP) le 4 octobre 2021, puis d’une adoption dans chacune des deux assemblées, respectivement, les 6 et 14 octobre 2021, avant d’être promulguée le 18 octobre 2021.
Le présent rapport s’inscrit dans le cadre de la mission d’évaluation des politiques publiques confiée au Parlement sur le fondement de l’article 24 de la Constitution. Il a pour objet d’évaluer l’impact de la loi Égalim 2 et, en particulier, ses conséquences juridiques, économiques et sociales autour d’une question contenue dans le titre de la loi : ce texte a-t-il permis de rééquilibrer les relations commerciales relatives aux produits agricoles et alimentaires de manière à améliorer la rémunération des agriculteurs ?
Trois ans après l’entrée en vigueur de la loi Égalim 2, cette question du juste prix payé aux agriculteurs pour leurs productions demeure plus que jamais d’actualité. Elle était présentée comme « la mère des batailles » et la condition du renouvellement des générations en agriculture et de la souveraineté alimentaire lors du mouvement de contestation des agriculteurs du début de l’année 2024. Or, ce sujet fait partie de ceux pour lesquels des réponses restent encore attendues à ce jour.
Pour autant, la situation n’est pas restée figée depuis l’entrée en vigueur de la loi Égalim 2, qui a coïncidé avec le début d’une période de forte augmentation des coûts et des prix à tous les échelons de la chaîne agroalimentaire au cours de l’année 2022 et au début de l’année 2023, alors que la tendance était globalement à la stagnation des prix agricoles et alimentaires au cours de la décennie précédente. La reprise économique rapide succédant à la crise sanitaire, puis le déclenchement de la guerre en Ukraine, ainsi que certains évènements climatiques majeurs ([2]) ont assurément contribué à cette conjoncture.
Dans ce contexte, évaluer l’impact économique de la loi Égalim 2 et l’isoler des parts attribuables à d’autres causes possibles n’est pas chose aisée, ce qui souligne que, de manière générale, les capacités d’évaluation des dispositifs de régulation des relations commerciales doivent être renforcées (I).
En revanche, la logique de la loi Égalim 2 consistant à instaurer la « marche en avant » du prix en traitant de manière verticale la chaîne de production, de transformation et de distribution des produits agricoles et alimentaires a été bien comprise par les acteurs économiques. La loi a eu un impact juridique certain sur les relations contractuelles et le déroulement des négociations entre ces acteurs. Cependant, certaines faiblesses ont pu être identifiées et il faut y remédier pour que le dispositif gagne en efficacité (II).
Il est aussi largement admis que le dispositif dit « Égalim » de « marche en avant » du prix ne suffit pas à lui seul à régler la question de la rémunération des agriculteurs. D’abord parce qu’il ne couvre qu’une partie des débouchés des produits agricoles français. Ensuite, parce qu’il n’a jamais été question qu’il permette de faire l’économie d’une réflexion stratégique pour l’ensemble de nos filières agricoles et alimentaires. Ces dernières doivent faire l’objet de plans de modernisation et d’adaptation ambitieux pour en assurer la compétitivité dans le temps long, des prix agricoles stables et rémunérateurs et, par là même, notre souveraineté alimentaire.
Cela ne retire rien au fait qu’il faille défendre et promouvoir la logique française de « marche en avant » du prix, car elle est cohérente avec notre vision d’une agriculture de qualité au service d’une alimentation saine, durable et accessible à tous (III).
En dépit du défi que représente le financement de la transition agro-écologique dans le contexte d’une hausse des coûts de production et d’une demande atone, notre ambition collective doit rester de concilier la compétitivité de notre modèle et l’amélioration du revenu de nos agriculteurs.
Cela passe aussi par une reconnaissance et une protection de ce modèle vertueux, ce qui renvoie notamment au sujet de l’information sur l’origine des produits (IV).
* *
I. Un impact Économique de la loi égalim 2 difficile À Évaluer
Le cadre contractuel mis en place par les lois Égalim agit sur les mécanismes de fixation des prix pratiqués par les différents acteurs de la chaîne agroalimentaire en faveur de l’agriculteur producteur. Toutes choses égales par ailleurs, l’impact économique de la loi Égalim 2 devrait donc aboutir à une répartition plus équitable des marges de l’ensemble des acteurs de la chaîne agroalimentaire.
Le contexte de volatilité exceptionnelle des prix entre 2022 et 2024 (A), allié au manque persistant de transparence sur les marges de plusieurs des acteurs de la chaîne (B), rend cependant difficile l’évaluation isolée des effets de l’entrée en vigueur de la loi sur l’évolution de la rémunération des agriculteurs.
A. Des premiÈres annÉes d’application concomitantes À une volatilitÉ exceptionnelle des marchÉs
1. La crise inflationniste : une hausse des coûts et des prix à tous les échelons de la chaîne de production et de distribution agroalimentaire
Dès la fin de l’année 2021, la sortie de la crise sanitaire liée à l’épidémie de la Covid-19 entraîne un effet de rattrapage de l’économie, des perturbations des chaînes logistiques et provoque une hausse du cours des matières premières. L’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022 a pour conséquence de mettre davantage sous pression le marché de l’énergie avant de faire exploser les coûts de production des entreprises les plus exposées au prix des matières premières. Rapidement, la hausse des coûts se propage à l’ensemble de l’économie, entraînant également une volatilité importante du cours des denrées alimentaires à l’échelle mondiale.
a. À l’amont, une hausse significative des coûts de production agricoles
Cette instabilité des prix s’explique par des mouvements de hausse et de baisse successifs sur les prix des intrants et des produits agricoles, sur la période 2022-2024, ne touchant pas les mêmes secteurs ni les mêmes filières aux mêmes moments.
La hausse du prix des denrées agricoles est portée, dans un premier temps, par l’augmentation des prix des intrants agricoles que mesure l’indice annuel des prix d’achat des moyens de production agricole (Ipampa) de l’Insee : celui-ci a augmenté de 21,8 % en 2022 ([3]) . Cette hausse généralisée masque néanmoins des évolutions très différentes par filières selon la nature de ces intrants : entre le début de l’année 2021 et celui de l’année 2022, le coût des engrais et des amendements a presque été multiplié par deux (+ 98,9 %), celui de l’énergie et des lubrifiants agricoles a connu une hausse de près de 50 %, alors que le coût des produits et services vétérinaires, des produits phytosanitaires et des semences n’a affiché une hausse que d’environ 3 % ou moins ([4]) .
b. Le prix des produits agricoles suit la hausse des coûts de production sans nécessairement la couvrir
Corrélativement à cette hausse des coûts de production agricoles, sur la même période 2021-2022, l’indice annuel des prix agricoles à la production (Ipap), qui permet de mesurer l’évolution des prix perçus par les agriculteurs en contrepartie des produits qu’ils livrent, a augmenté de 21,5 %.
Pourtant, cette hausse ne se poursuit pas de manière linéaire entre 2022 et 2023. Dès la fin du premier semestre de 2022, l’évolution des indices des prix alimentaires est à la baisse, à l’exception de certaines denrées, notamment celles issues de productions tropicales (riz, café, cacao). Cette baisse tendancielle s’explique par la diminution des coûts des intrants soumis à une forte inflation l’année précédente (engrais et amendements : – 12 % ; énergie et lubrifiants : – 5,9 %).
Entre 2021 et 2023, le bilan de ces fluctuations demeure une hausse de près de 27 % des coûts de production agricoles, en raison notamment du fait que de nouveaux postes ont suivi une tendance à la hausse à partir de 2022 (services, biens d’équipements, etc.).
À l’image de l’évolution du prix des intrants, celle du prix des productions agricoles connaît deux mouvements distincts selon la période.
Entre le premier semestre de 2021 et celui de 2022, les prix des productions agricoles ont fortement progressé, à commencer par ceux des grandes cultures céréalières (+ 56,1 %) et oléagineuses (+ 61,3 %). La hausse du prix des produits d’origine animale varie entre + 29,0 % (pour les gros bovins) et + 8,4 % (pour les ovins). En sens inverse, le cours des fruits et légumes frais affiche une baisse de – 5,4 %.
La période allant de 2022 à 2023 est marquée par un très fort repli des prix des productions végétales (– 30 % en moyenne), mais le maintien d’une hausse conséquente sur les productions animales (près de + 40,0 % pour la viande porcine, et une hausse contenue entre + 5,0 % et + 20,0 % pour les autres). Les prix des fruits et légumes augmentent eux aussi fortement (+ 19,6 %)
Au final, la hausse des prix est très importante sur l’ensemble des productions entre 2021 et 2023, à l’exception des productions des oléagineux (– 4,2 %).
c. À l’autre bout de la chaîne, une inflation tirée par les produits alimentaires
Ce découpage en phases successives permet de comprendre le rôle joué par les prix des productions agricoles sur l’indice général des prix à la consommation (cf. graphique ci-dessous). Au premier semestre 2022, l’inflation des productions agricoles est ainsi plus faible que l’inflation générale des prix, mais dès le premier semestre 2023, c’est elle qui tire l’inflation générale des prix.
Note de lecture : IPC = Indice des prix à la consommation. Base 100 = 2015
Source : traitement de données Insee et Eurostat par FranceAgriMer
2. Un effet Égalim ? L’incertitude quant à l’effet de la loi sur la capacité des producteurs agricoles à répercuter la hausse de leurs coûts de production
Au-delà des tendances générales marquées par l’inflation, l’évaluation de l’impact économique de la loi Égalim 2 supposerait de pouvoir mesurer le rôle joué par la sanctuarisation de la matière première agricole, telle qu’établie dans la loi, sur la capacité des producteurs agricoles à faire passer les hausses de leurs coûts de production jusque dans la fixation des prix au détail.
L’observation des évolutions respectives de l’Ipap et de l’Ipampa sur la période 2021-2023 montre une corrélation entre augmentation des coûts de production et augmentation du prix des produits agricoles sur la première partie de la période. Lorsque les courbes s’inversent en 2023, l’Ipap baisse plus rapidement que l’Ipampa.
Cette capacité du maillon agricole à bien répercuter la hausse de ses coûts de production en début de période est confirmée par l’étude des déterminants de l’inflation.
Sur la période 2021-2022, l’Observatoire de formation des prix et des marges (OFPM) constatait dans son rapport d’activité 2023 que, sur un panier de consommation de produits alimentaires moyen, la hausse des prix agricoles comptait pour une large part des hausses de prix au détail, le reste étant dû par d’autres charges qui progressaient en aval (énergie, emballages…). Pour une hausse moyenne du prix au détail de 7,9 %, 5,5 points sont dus à la progression de la MPA. Les 2,3 points restants sont liés à l’évolution des marges en aval de l’agriculture.
Sur le graphique ci-dessous, cela se traduit par une corrélation générale entre l’évolution du prix au détail de l’aliment considéré (point rouge), et la progression de la MPA (rectangle bleu). Certains produits font toutefois exception à cette tendance générale, comme certains produits laitiers (beurre, lait).
Source : OFPM, d’après Kantar Worldpanel, Insee, Eurostat, SSP, RNM, FranceAgriMer, Culture Viande, ATLA, la Dépêche-Le Petit Meunier, Mintec, SNCPT, VISIOMer, Douane française, Eumofa
Dans cette première phase, il apparaît donc que, de manière générale, l’inflation alimentaire a une explication agricole, ce qui laisse à penser que le maillon de la production agricole a réussi à faire passer une bonne partie de l’augmentation de ses coûts de production.
Principaux indicateurs suivis
par l’Observatoire de formation des prix des marges
au regard des objectifs fixés par « Égalim 2 »
La question pertinente, au regard de l’objectif poursuivi par la loi Égalim 2, est de savoir si le principe de non-négociabilité de la matière première agricole (MPA) s’est traduit par une augmentation du résultat net des exploitations agricoles. Autrement dit, la progression de cette MPA a-t-elle permis la compression des marges brutes en aval, et plus précisément la diminution des marges nettes dans l’industrie et dans la grande distribution ?
Pour comprendre l’enjeu, il convient au préalable de définir les différentes composantes du prix au détail d’une production agricole qui sont mesurées et suivis par l’Observatoire de formation des prix des marges (OFPM).
Source : rapport d’activité 2024 OFPM
La matière première agricole (MPA) est le plus souvent séparée en constituants ou morceaux, puis transformée ou préparée pour obtenir un produit alimentaire. C’est pourquoi l’Observatoire établit des modèles pour estimer le coût d’achat de la matière première agricole contenue dans le produit alimentaire final. Le coût d’achat de la matière première agricole est ainsi rarement le prix du produit agricole et n’est jamais directement la marge brute agricole.
Pour chaque acteur de la chaîne (agriculteur, fournisseur-industriel, distributeur-GMS), la marge brute est définie comme le prix de vente moins le coût d’achat (coût d’achat du produit pour le commerce, de la matière première agricole pour l’industrie agroalimentaire). Elle peut donc se calculer à partir des prix des produits vendus aux consommateurs. Elle finance aussi les autres charges (emballages, énergie, salaires, investissements…). Pour un rapport publié l’année n, ces données sont généralement disponibles pour l’année n-1.
La marge nette est définie comme la différence entre les produits perçus et les charges supportées. Elle se calcule à partir des comptes des entreprises. Pour la déduire de la marge brute sur les produits, il faudrait appliquer des conventions de répartition des charges communes (salaires, énergie, investissements…) qui ne refléteraient pas la diversité des situations réelles. Pour un rapport publié l’année n, ces données sont généralement disponibles pour l’année n-2.
En revanche, en 2023, on constate un net effet de rattrapage pour de nombreux produits suivis par l’OFPM. La hausse des prix au détail s’accélère avec une hausse moyenne des produits observés de l’ordre de 10,9 %. Cependant, 6,0 points de cette augmentation s’expliquent cette fois-ci par la hausse des marges brutes aval. La progression de la MPA compte pour les 4,9 points restants.
Source : OFPM, d’après Kantar Worldpanel, Insee, Eurostat, SSP, RNM, FranceAgriMer, Culture Viande, ATLA, la Dépêche-Le Petit Meunier, Mintec, SNCPT, VISIOMer, Douane française, Eumofa
En raison de la méthodologie de calcul difficile des marges aval, l’OFPM avertit néanmoins sur la nécessité de regarder ces premiers résultats comme des résultats intermédiaires.
Ils permettent cependant d’observer deux dynamiques différentes de construction du prix de détail selon la période observée. Lors de la première année de forte inflation (2021-2022), la hausse brutale des prix des productions agricoles a conduit à une compression des marges aval. Ce résultat se vérifie moins sur la période courant jusqu’en 2023, ce qui indique que les marges brutes aval ont pu être reconstituées. Mais ces marges brutes tiennent nécessairement compte de la hausse d’autres intrants au niveau industriel (énergie, emballages), qui ont continué de progresser au cours de l’année 2022.
La reconstitution de ces marges brutes aval est telle qu’elle représente désormais plus du tiers de la hausse du prix au détail sur 28 produits sur l’ensemble de la période 2021-2023. Elle ne doit pas faire oublier que la part du prix au détail rémunérant la MPA a, elle aussi, significativement augmenté.
De l’avis général, il est ainsi difficile de conclure à l’efficacité économique des nouvelles dispositions prévues par la loi Égalim 2. Par ailleurs, l’analyse des données disponibles ne permet pas d’analyser les marges nettes aval et leurs évolutions.
B. La transparence sur la répartition de la valeur doit être renforcée
1. Des cycles récents de négociations marqués par une tension importante sur les prix
Aussi ambitieux soit-il, le dispositif de « marche en avant » des prix promu par les lois Égalim ne fait pas pour autant disparaître les différentes facettes des négociations qui sous-tendent toute démarche de contractualisation. En période de forte inflation et d’instabilité des prix, ces négociations se sont avérées particulièrement difficiles sur la période 2022-2024.
a. La lutte contre l’inflation et pour le maintien du pouvoir d’achat des ménages durcit les conditions de négociation
Confrontés à une hausse inédite du coût de leurs intrants (notamment le prix de l’énergie, mais aussi la hausse des métaux en 2022), les industriels ont obtenu de la grande distribution des prix en hausse de 3,5 % ([5]), lors des négociations commerciales 2022 : cette hausse était la première depuis huit ans.
Dans son Observatoire des négociations commerciales du 13 mai 2024, le Médiateur des relations commerciales agricoles (MRCA) relève que les industriels de l’agroalimentaire ont obtenu une hausse moyenne de tarif inférieure à 1 %, tandis que la demande d’augmentation initiale formulée dans leurs conditions générales de vente (CGV) se situait en moyenne à + 4,5 % – avec une dispersion entre familles de produits (de + 3 % à + 5,7 %) moindre que les années précédentes. Les contre-propositions des distributeurs étaient principalement en déflation pour l’ensemble des catégories (- 3,5 % en moyenne), ainsi que pour une grande majorité de fournisseurs.
Cet Observatoire fait état de « l’avis général », selon lequel « les négociations annuelles sont toujours aussi difficiles. Les distributeurs et, dans une moindre mesure, les industriels sont plutôt satisfaits du déroulement des négociations pour la prise en compte de la matière première agricole mais les fournisseurs restent, comme les années précédentes, déçus de la négociation sur les autres coûts. »
Les négociations commerciales se caractérisent en effet par une forte pression des distributeurs, notamment les enseignes, pour obtenir des baisses de prix dès que sont mesurées ou annoncées des évolutions marquant un recul de l’inflation, voire une baisse des prix de certains produits et certaines matières premières (cf. I. A). Les distributeurs n’hésitent pas à reprendre, à l’appui de leur demande, les arguments et objectifs définis par le Gouvernement ou les institutions européennes (Banque centrale et Commission européenne, notamment), dans le cadre de leur lutte contre l’inflation et pour le maintien du pouvoir d’achat des ménages.
Le choix d’avancer la date des négociations commerciales de 2024 par la loi n° 2023-1041 du 17 novembre 2023 portant mesures d’urgence pour lutter contre l’inflation concernant les produits de grande consommation s’inscrivait dans cet objectif d’accélérer la répercussion sur les prix de détail de la tendance baissière des prix des matières premières anticipée par l’Insee. L’avancement du calendrier des négociations, qui a contraint les acteurs à accélérer leurs négociations commerciales, a en conséquence engendré des crispations inutiles au cours de ce cycle. Si les courts de certaines matières premières avaient bien diminué (blé, huile, verre), d’autres au contraire étaient en forte augmentation (sucre, cacao, café…) ou se maintenaient à des niveaux élevés (énergie).
b. L’inflation contraint les choix des consommateurs et favorise l’achat des marques distributeurs
Encouragés par le Gouvernement à maintenir des prix bas, les distributeurs ont également vu dans l’inflation l’opportunité de mettre en avant davantage leurs propres marques, au détriment des grandes marques des fournisseurs.
De son côté, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes analyse que « les distributeurs ont tendance à réduire la part des produits à marque nationale dans leurs assortiments pour privilégier leurs produits à marque de distributeur, ce qui renforce la concurrence entre produits de gamme comparable, et donc la pression sur les prix. » ([6]) )
D’après l’Observatoire de formation des prix et des marges, l’inflation a contraint les ménages à modifier leurs habitudes de consommation. Si les ménages les plus modestes ont été obligés de réduire leur consommation, presque tous les ménages français se sont résolus à descendre en gamme dans le choix de leurs achats. Ainsi, d’après Kantar Worldpanel, les marques de distributeur (MDD) progressent dans pratiquement toutes les enseignes généralistes hors enseignes à dominante marque propre en 2022 et 2023 (+ 2 points de parts de marché entre 2019 et 2023) ([7]) .
La baisse de consommation a été plus marquée encore pour la filière biologique. Les ventes de produits bio ont reculé en 2023 pour la troisième année consécutive, atteignant un pic dans leur baisse en mars 2023 (- 15 % en glissement annuel) ([8]) . Cette tendance semble s’inverser en 2024, du moins dans les magasins spécialisés.
Malgré la mise en œuvre des nouvelles dispositions de la loi Égalim 2 pour les négociations commerciales intervenues entre 2022 et 2023, la préoccupation de maintenir des prix au détail le plus bas possible semble avoir significativement pesé sur les conditions et résultats des négociations. Isoler un « effet Égalim » paraît ainsi difficile dans ce contexte.
2. Une asymétrie de l’information défavorable aux acteurs en amont
Le fonctionnement d’un marché repose aujourd’hui sur la conciliation entre deux principes a priori opposés : celui, d’une part, de transparence des prix, conformément au modèle de concurrence pure et parfaite ; et celui, d’autre part, du secret des affaires afin de protéger les entrepreneurs et leurs éventuels avantages compétitifs.
Le marché agroalimentaire se caractérise simultanément par une forte régulation et un important déséquilibre. Dans ce cadre, un effort particulier doit être fait en matière de transparence de l’information afin d’assurer le bon fonctionnement de ses mécanismes de régulation.
D’après les producteurs auditionnés par les rapporteurs, l’asymétrie d’information sur ce marché provient davantage des acteurs de l’aval, lesquels ne transmettent que très peu d’information sur leurs marges. D’après l’association d’organisations de producteurs (AOP) de lait de vache Sunlait, les producteurs communiquent systématiquement le détail de leurs résultats économiques, ainsi que des indicateurs conjoncturels, alors que les industriels ne diffusent leurs résultats que de manière discrétionnaire, et aléatoire. Cela peut se faire en fonction des obligations de publicité encadrant leur cotation en bourse, ou dans le cadre d’une démarche volontariste.
En outre, les données en ligne relatives aux producteurs sont facilement accessibles, et traitées par types de production ou par région. L’inverse n’étant pas vrai, les industriels disposent d’une bien meilleure connaissance du marché des producteurs, ce qui les place en position de force dans les négociations.
Afin de rééquilibrer cette relation, l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (OFPM) vise à renforcer la transparence du marché agroalimentaire. Il est notamment chargé de calculer la répartition de sa valeur tout au long de la chaîne agroalimentaire. L’Observatoire rend compte chaque année au Parlement de ses évaluations dans le rapport visant à la transparence des prix.
Parmi les principaux indicateurs qu’il mesure et surveille, figure l’évolution des marges nettes (cf. encadré dans le I. A. 2), étudiée à partir des résultats comptables disponibles au niveau de la production agricole, de l’industrie agroalimentaire et des grandes et moyennes surfaces.
Pour la production agricole, l’Observatoire exploite en priorité les données disponibles uniquement pour l’année n-2, issues du réseau d’informations comptables agricole (RICA) géré par le service de la statistique et de la prospective (SSP) du ministère de l’Agriculture. Il produit également des estimations portant sur l’année n-1 pour certaines productions à partir des résultats du RICA, en appliquant les indices disponibles d’évolution des prix et de charges. En complément, les travaux réalisés par les instituts techniques agricoles permettent de disposer d’estimations plus détaillées pour certaines productions, portant sur l’année n-1.
De plus, les organisations interprofessionnelles et les instituts techniques agricoles travaillent à la définition d’indicateurs de coûts de production. Le troisième alinéa de l’article L. 632-2-1 du code rural et de la pêche maritime prévoit ainsi : « Afin d’améliorer la connaissance et la transparence des marchés et de contribuer à une meilleure coordination de la mise sur le marché des produits, les organisations interprofessionnelles peuvent publier des données statistiques agrégées relatives aux coûts de production, aux prix, accompagnées le cas échéant d’indicateurs de prix, aux volumes et à la durée des contrats précédemment conclus, et en réalisant des analyses sur les perspectives d’évolution du marché au niveau régional, national ou international, ainsi que tout élément de nature à éclairer la situation de la filière. » Elles élaborent et publient donc les indicateurs mentionnés au quinzième alinéa du III de l’article L. 631-24 du même code, qui sont indispensables à la conclusion des contrats écrits de vente de produits agricoles, mais qui constituent également des sources d’information pour toutes les filières.
Mise en place dans la filière laitière de
l’observatoire national des coûts de production du lait de vache en France
et méthode Couprod
Dans la filière laitière, le Centre national interprofessionnel de l’économie laitière (CNIEL), avec l’appui technique de l’Institut de l’élevage (Idele) et des données mises à disposition par des centres de gestion et organismes de conseil en élevage, a mis en place un observatoire national des coûts de production du lait de vache en France, visant à produire des références nationales annuelles de coût de production et de prix de revient pour quatre types d’ateliers laitiers.
Des AOP de lait, telle Sunlait, mettent en avant l’utilité de la méthode Couprod de l’Idele, laquelle offre un logiciel d’analyse harmonisé des comptabilités du territoire et des productions. Néanmoins, Sunlait regrette que les opérateurs ne se saisissent pas suffisamment de cet outil pour tester des paramètres particuliers à la négociation, en faisant par exemple varier le territoire de production, ou l’objectif de marge du producteur.
Pour l’industrie agroalimentaire, alors même qu’environ trois mille entreprises représentent la quasi-totalité de l’activité, il n’existe aucun système d’information statistique unique et centralisé des résultats comptables. L’Observatoire doit par conséquent s’appuyer sur les nombreuses sources disponibles, lesquelles délivrent des résultats hétérogènes en termes de précision et de période couverte.
Pour les grandes et moyennes surfaces, l’Observatoire a mis en place sa propre enquête auprès des sept plus grandes enseignes de distribution.
Alors que les négociations annuelles jouent un rôle déterminant pour fixer le niveau de revenus des producteurs et des autres acteurs de la chaîne, une information fiable, accessible et récente est un préalable nécessaire à la constitution d’un cadre de négociations le plus équilibré possible.
Afin d’apporter une réponse au constat de l’Observatoire relatif à l’insuffisance des remontées de données relatives aux marges de la part des industriels, vos rapporteurs recommandent que soient étudiées les conditions d’un renforcement des obligations de transmission de données aux organismes chargés de la statistique publique.
Proposition n° 1 :
Renforcer les obligations de transmissions de données pour alimenter le système d’information statistique, afin de disposer à n+1 de données fiables sur les niveaux de marge brut et de marge nette pratiqués par l’industrie agroalimentaire et les distributeurs, pour les différentes catégories de produits.
II. L’impact juridique d’une loi qui a ouvert de nouvelles perspectives en matiÈre de relations commerciales
La loi Égalim 2 est plus qu’un prolongement de la loi « Égalim » de 2018. Certes, cette première loi Égalim traduit déjà la volonté exprimée lors des États généraux de l’alimentation d’instaurer la « marche en avant » des prix. Mais les dispositions de son titre Ier consacré à la rémunération des agriculteurs demeurent centrées sur les règles applicables aux contrats conclus entre les producteurs agricoles et leurs premiers acheteurs, ainsi que sur la mise en place d’expérimentations relatives au relèvement du seuil de revente à perte par les distributeurs et à l’encadrement des promotions.
Avec la loi Égalim 2, le législateur a souhaité avoir une approche verticale de l’ensemble de la chaîne de production, de transformation et de distribution des produits alimentaires, afin de mettre en place un dispositif cohérent de protection de la valeur de la production agricole tout au long de cette chaîne. La pertinence de la logique qui fonde une telle approche est reconnue par la grande majorité des acteurs rencontrés par les rapporteurs.
À la base de cet édifice, l’article 1er de la loi Égalim 2 renforce les règles applicables aux contrats conclus entre les producteurs agricoles et leurs premiers acheteurs, autrement appelés « contrats amont ».
Tout au long de la chaîne de transformation et de distribution qui suit cette première étape, le législateur a entendu sanctuariser la valeur des productions agricoles afin d’éviter toute marche arrière dans la construction du prix.
A. À l’Amont agricole, une contractualisation qui a insuffisAmment progressÉ malgré l’ambition de la loi
1. La base de l’édifice de la « marche en avant » des prix doit encore être consolidée
Le caractère écrit des contrats de vente de produits agricoles emporte l’application de toute une série d’obligations touchant aux modalités de conclusion du contrat et à son contenu. Depuis 2018 et la loi Égalim, la proposition de contrat écrit doit émaner du producteur, et non de l’acheteur, dans les secteurs où le contrat écrit est obligatoire. La loi Égalim 2 précise que cette proposition constitue « le socle de la négociation entre les parties ». Ces contrats doivent comprendre un ensemble de clauses relatives au prix, à la quantité, aux modalités de collecte ou de livraison, à la durée, ou encore aux conditions de résiliation. Le contenu de ces clauses fait également l’objet d’un encadrement. La durée minimum du contrat est de trois ans et les critères et modalités de révision ou de détermination du prix font l’objet de règles spécifiques, en particulier s’agissant des indicateurs devant être utilisés.
Alors que l’écrit était auparavant facultatif, sauf dans les filières pour lesquelles il avait été rendu obligatoire par un accord interprofessionnel étendu ou par décret en Conseil d’État ([9]) , l’article 1er de la loi Égalim 2 instaure le principe de l’obligation de conclure un contrat écrit. Il peut être dérogé à ce principe par un accord interprofessionnel étendu ou par un décret en Conseil d’État.
L’Union européenne pourrait s’inspirer de ce modèle puisque, dans sa récente proposition de règlement modifiant des règlements antérieurs en ce qui concerne le renforcement de la position des agriculteurs dans la chaîne d'approvisionnement alimentaire, la Commission européenne indique que « chaque livraison de produits agricoles devrait être couverte par un contrat écrit, sous réserve de certaines exceptions et de la possibilité pour les États membres d'exempter certains produits agricoles de cette exigence » ([10]) .
a. Le champ d’application de l’obligation de conclure un contrat écrit a été fortement réduit par le pouvoir réglementaire
Dans les faits, depuis l’entrée en vigueur progressive de la loi Égalim 2, un grand nombre de filières ou de produits ont été exclus de l’obligation de conclure un contrat écrit.
Les services du ministère chargé de l’agriculture ne sont pas en mesure de déterminer la part de la valeur de la production agricole française effectivement soumise à l’obligation de conclure un contrat écrit.
Schématiquement, la quasi-totalité des filières de productions animales demeure soumise à la contractualisation écrite obligatoire, incluant les filières viandes, laits et œufs alors que, a contrario, une large part des secteurs végétaux en sont exclus.
L’article R. 631-6-1 du code rural et de la pêche maritime dresse la liste des produits et catégories de produits pour lesquels le contrat de vente ou l'accord-cadre peut ne pas être conclu sous forme écrite.
Certaines productions sont exclues en bloc : céréales, riz, fourrages, semences, huiles, olives de table, lin et chanvre, fruits et légumes frais et transformés, bananes, fruits à coque, graines, plantes et fleurs, ou encore produits de l'apiculture.
Pour d’autres catégories de produits, l’exclusion du champ de l’obligation de conclure un contrat écrit est plus ciblée : cannes à sucre destinées à la production de rhum, pommes de terre à l'état frais ou réfrigéré et de semence, alcool éthylique d'origine agricole. Pour le vin, l’exclusion éventuelle du champ d’application se fait en fonction de l’appellation, les vins de France sans appellation géographique n’étant pas exclus.
Si les filières n’ont pas à justifier leur demande de sortir de l’obligation de conclure un contrat écrit, il ressort de leurs échanges avec le ministère chargé de l’agriculture qu’elles considèrent leurs chaînes d’approvisionnement peu compatibles avec les règles qui s’appliquent à ces contrats écrits.
Ainsi, les acteurs du secteur des fruits et légumes frais font valoir que la négociation se fait principalement en fonction de l’offre et de la demande du jour. La forte variabilité des productions, la volatilité des marchés ou encore la météo-dépendance de la consommation des fruits et légumes par les consommateurs seraient des facteurs faisant obstacle à la conclusion de contrats écrits, avec des engagements sur des quantités et des prix dans la durée.
Dans les faits, le producteur établit souvent avec ses clients intermédiaires ou distributeurs une relation de confiance orale. Le prix, élément essentiel de la relation, est convenu soit en début de saison, soit de façon hebdomadaire ou quotidienne selon la fréquence des livraisons, et il est proposé par le producteur, ne faisant que rarement l’objet de négociations.
À l’inverse, pour les fruits et légumes transformés, des contrats écrits existent bien mais ils sont souvent quasi intégrés, répondant aux cahiers des charges des acheteurs : les processus de transformation impliquent des partenariats structurés. Par ailleurs, les exploitants soulèvent la question de la liberté de définir la composition de leur assolement d’année en année, qui serait peu compatible avec des contrats pluriannuels – un argument qui peut d’ailleurs paraître contradictoire avec le premier. En tout état de cause, dans ces secteurs exclus de la contractualisation écrite obligatoire, si le contrat est tout de même conclu sous forme écrite, il est en principe régi par l'article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime, sauf s’agissant de l’encadrement de sa durée, qui est libre.
Tous les fruits et légumes et les produits transformés à base de fruits et légumes sont ainsi exclus du champ du contrat écrit obligatoire. Pourtant, les arguments avancés ne semblent pas toujours insurmontables. Les parties peuvent définir des clauses adaptées aux spécificités de leurs productions et permettant, par exemple, de gérer les fluctuations saisonnières, de déterminer le prix au moment de la livraison en fonction d’indicateurs prédéfinis ou encore d’intégrer une rotation de l’assolement.
Afin de laisser plus de souplesse aux parties et d’encourager les filières à se saisir du contrat écrit, un assouplissement des règles applicables à ce contrat, en particulier la durée minimale introduite par la loi Égalim 2, pourrait être étudié et le code rural et de la pêche maritime pourrait prévoir que cette durée minimale peut être abaissée par un accord interprofessionnel étendu ([11]).
Proposition n° 2 :
Modifier le VI de l’article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime pour prévoir que la durée minimale fixée par accord interprofessionnel étendu peut être inférieure à trois ans.
S’agissant des grandes cultures, les exploitants commercialisent une grande partie de leurs productions dans le cadre de contrats écrits et à terme, considérés comme peu conciliables avec les contraintes posées par l’article L. 631‑24 du code rural et de la pêche maritime. L’article 21 de la loi n° 2023-221 du 30 mars 2023 tendant à renforcer l'équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs a précisément prévu un ajustement au VIII de cet article L. 631-24 pour tenir compte de la spécificité de ces contrats.
Dans le secteur vitivinicole, environ un tiers des appellations ont conservé l’obligation de contractualisation écrite. C’est par exemple le cas en Alsace, en Champagne, dans la Loire ou en Languedoc-Roussillon. Dans certains de ces bassins et bien que cela soit difficile à quantifier, les pratiques de contrats oraux semblent néanmoins perdurer.
L’article L. 631-24 précité prévoit quelques particularités pour la filière, comme la possibilité de conclure des contrats d’une durée inférieure à trois ans.
Dans d’autres bassins, en particulier le Bordelais, le contrat écrit est très présent, mais, en pratique, il est souvent consécutif à des appels d’offres réalisés par les négociants : ce sont ces négociants qui définissent le cadre contractuel, ce qui ne correspond donc pas à l’exigence de proposition d’un contrat par le producteur, induite par l’obligation de conclure un contrat écrit. Pourtant, dans un courrier daté du 20 février 2020, les ministres chargés de l’agriculture et de l’économie considèrent que « lorsque la contractualisation n’a pas été rendue obligatoire, la pratique consistant pour l’acheteur à diffuser publiquement une offre ou à négocier sans support écrit préalable n’est (…) pas contraire au principe de l’initiative contractuelle du producteur dans la mesure où elle ne remet pas en cause le pouvoir de négociation du producteur. Afin de sécuriser cette pratique, il semble cependant possible d’introduire dans les contrats types prévus par les accords interprofessionnels étendus par arrêté interministériel une clause type stipulant que le contrat a bien été négocié dans le respect de la liberté contractuelle du producteur, ce dernier ayant pu faire valoir ses positions préalablement à la signature du contrat et n’ayant pas sur cette base souhaité une proposition de contrat ».
Vos rapporteurs considèrent que la liste des exclusions à l’obligation de conclure un contrat écrit devrait être affinée pour en limiter la portée aux seules productions pour lesquelles il existe un consensus pour conclure que cette obligation n’est pas adaptée. Par exemple, les catégories « Fruits et légumes frais » ou « Produits transformés à base de fruits et légumes » sont beaucoup trop larges et il faudrait entrer dans plus de détails.
Les arguments tenant à la saisonnalité ou aux variations de production ne doivent pas conduire à s'opposer, par principe, à l’application de l’obligation de conclure un contrat écrit. Il convient certainement de rendre plus flexibles et adaptables les propositions de contrats et les contrats eux-mêmes, afin de tenir compte des spécificités de certaines productions, mais le contrat écrit et la proposition du producteur doivent réellement devenir le principe.
Proposition n° 3 :
Réexaminer, au niveau réglementaire, la liste des filières exclues du champ de l’obligation de conclure un contrat écrit ([12]).
b. Même lorsque le contrat écrit est obligatoire, il est trop rarement présent
Au-delà de ce problème de détermination, par le pouvoir réglementaire, du champ d’application de la loi, il est avéré que, même dans les filières soumises à l’obligation de conclure un contrat écrit, cette obligation est pour l’heure peu respectée.
Le contrat écrit entre le producteur de produits agricoles et son premier acheteur est le socle de l’édifice de la « marche en avant » du prix. Certes, il y a toujours un prix – même avec un contrat oral – et celui-ci peut théoriquement être pris en compte pour être « sanctuarisé » à l’aval de la chaîne de transformation et de commercialisation. Mais les principes de transparence et de sanctuarisation de la matière première agricole seront d’autant plus efficacement appliqués et contrôlés que la valeur réelle de la production agricole sera établie à l’amont.
Dans les secteurs soumis à la contractualisation écrite obligatoire, les dynamiques diffèrent significativement entre le secteur laitier et celui des viandes.
Le secteur laitier affiche un respect plutôt satisfaisant des règles en vigueur. Cette conformité s’explique par un contexte historique favorable, la contractualisation écrite étant ancienne et bien ancrée dans cette filière (puisqu’obligatoire depuis 2011).
Les producteurs vendent généralement l’ensemble de leur production à une seule laiterie, alors qu’une situation de dépendance réciproque existe souvent pour des raisons géographiques : la laiterie a besoin de collecter dans un rayon le plus resserré possible et les producteurs disposent de peu d’alternatives en termes de collecte, d’autant qu’une collecte doit avoir lieu au maximum tous les trois jours.
Toutefois, la loi n’est pas toujours parfaitement appliquée. Les négociations entre les producteurs (ou leurs groupements) et les acheteurs peuvent s’avérer très longues, n’aboutissant pas toujours à la conclusion d’un accord-cadre et conduisant parfois à la fixation de prix mois après mois, ce qui profite généralement aux acheteurs.
Le secteur des viandes rencontre davantage de difficultés encore dans l’application des dispositions des lois Égalim. Cela s’explique par le poids des pratiques historiques, où les relations commerciales reposent fréquemment sur des accords informels ou des habitudes non écrites, notamment entre les éleveurs et les marchands de bestiaux. Ces pratiques, profondément enracinées, ralentissent la transition vers un système plus formel de contractualisation.
S’agissant du porc, les coopératives, qui ne sont pas soumises aux obligations de contractualisation écrite avec leurs adhérents, sont très présentes. Ces coopératives sont toutefois tenues d’assurer à leurs adhérents des « effets similaires à ceux des clauses mentionnées au III de l'article L. 631-24 » dans leur statut, dans leur règlement intérieur ou dans les règles ou décisions prévues par ces statuts (ou en découlant). Or le prix payé aux producteurs est souvent fondé par référence à la cotation du marché au cadran de Plérin (MPB), qui ne constitue pas un indicateur du coût de production.
Les « effets similaires » au contrat écrit au bénéfice des adhérents de coopératives
L’article L. 631-24-3 du code rural et de la pêche maritime dispose que « les articles L. 631-24 à L. 631-24-2 ne sont pas applicables aux relations des sociétés coopératives agricoles mentionnées à l'article L. 521-1 avec leurs associés coopérateurs, non plus qu'aux relations entre les organisations de producteurs et associations d'organisations de producteurs bénéficiant d'un transfert de propriété des produits qu'elles commercialisent et les producteurs membres si leurs statuts, leur règlement intérieur ou des règles ou décisions prévues par ces statuts ou en découlant comportent des dispositions produisant des effets similaires à ceux des clauses mentionnées au III de l'article L. 631-24. »
Du fait des « effets similaires » que les dispositions des statuts ou des règlements intérieurs des sociétés coopératives agricoles produisent, ces coopératives peuvent être regardées comme procurant à leurs associées coopérateurs des garanties équivalentes à celles procurées par les règles applicables au contrat écrit en vertu de l’article L. 631-24.
Les coopératives ont toutes modifié leurs statuts à la suite de l’ordonnance n° 2019-362 du 24 avril 2019 relative à la coopération agricole qui organise la garantie des effets similaires, en particulier s’agissant des conditions de rémunération des apports des associés coopérateurs.
Cette rémunération est décidée par le conseil d’administration de la coopérative avant d’être complétée, lors de l’assemblée générale, par l’affectation du résultat appelée « ristourne ».
Les coopératives doivent insérer dans leurs règlements intérieurs les indicateurs dont elles tiennent compte ainsi que la pondération de ceux-ci. La rémunération finale n’est toutefois connue qu’après l’assemblée générale. Mais les indicateurs servent ensuite de comparaison lorsque la coopérative fournit à ses associés les explications sur les écarts entre la rémunération finale et l’évolution de l’indicateur.
Ces données font l’objet d’une information individuelle de chaque associé sur la rémunération finale de ses apports.
Ainsi, les effets du contrat écrit obligatoire sont en principe assurés par équivalence pour toutes les relations entre les coopératives agricoles et leurs associés coopérateurs, quelle que soit la filière concernée. Cela suppose néanmoins que les coopératives respectent ces règles assurant des effets similaires, ce à quoi doivent veiller tant le Haut Conseil de la coopération agricole que la direction générale de la consommation et de la répression des fraudes – étant rappelé qu’une coopérative qui n’assure pas les effets similaires est théoriquement soumise à l’obligation de conclure un contrat écrit avec son associé, ce qui n’est pas possible et l’expose donc à des sanctions.
Dans le secteur de la viande bovine, le faible niveau de contractualisation écrite persiste et la progression relevée par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) en 2023 par rapport à l’année 2022, est très faible. L’interprofession du bétail et des viandes (Interbev) estimait que 17 % des volumes de viande bovine déclarés par les abattoirs faisaient l’objet d’un contrat écrit en 2023 ([13]). La filière a eu une position plutôt attentiste, face à des cours élevés et dans l’attente du positionnement des plus gros opérateurs de la filière, notamment des négociants, qui sont réticents à une contractualisation écrite dont l’impact n’est pas perçu comme bénéfique. Peu de contrats, lorsqu’ils sont conclus, respectent le formalisme imposé par le code rural et de la pêche maritime, notamment concernant les clauses obligatoires.
Pourtant, Interbev mène une démarche de communication active sur la contractualisation et met à disposition des acteurs des supports pédagogiques et des modèles de contrats ([14]).
Dans les secteurs de la volaille et de l’œuf, la contractualisation est obligatoire depuis 2023 sans que l’on dispose de données précises sur le respect de cette obligation. Dans le secteur de l’œuf, les contrôles de la DGCCRF ont montré que la pratique du contrat écrit est répandue. De longue date, ce secteur intègre le coût de production dans la définition du prix payé au producteur par le truchement du prix de l’aliment, lequel peut représenter entre 60 % et 70 % du prix de revient de l’œuf. Cependant, ces contrats ne sont pas strictement conformes aux dispositions des lois Égalim.
Augmenter la part des produits agricoles vendus sur le fondement de contrats écrits conformes à l’article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime passe, outre par des contrôles et l’application de sanctions, par un accompagnement renforcé de l’ensemble des agriculteurs pour qu’ils soient en mesure de formuler une proposition de contrat conforme à leurs intérêts, puis de la négocier.
Au stade de la proposition, la tâche du producteur doit être simplifiée : il n’est pas utile de lui imposer de proposer à son acheteur un contrat complet. L’article L. 631-24 pourrait être modifié pour que la proposition de contrat puisse ne comporter que les éléments essentiels du contrat : l’objet et le prix. Les producteurs resteraient évidemment libres de faire figurer dans leur proposition davantage d’éléments.
Proposition n° 4 :
Alléger le contenu obligatoire de la proposition de contrat actuellement prévue au III de l’article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime pour s’en tenir à l’objet et au prix ([15]) .
En tout état de cause, face à cette responsabilité d’établir la proposition de contrat, le producteur ne doit pas être laissé seul. Certaines interprofessions ont proposé des modèles de contrats. C’est une bonne pratique qui doit être encouragée.
Un décret pourrait établir une trame type que les organisations interprofessionnelles seraient libres d’adapter. Surtout, cette trame devrait être accompagnée d’une notice explicative, à la rédaction de laquelle contribueraient notamment le comité de règlement des différends commerciaux agricoles et le médiateur des relations commerciales agricoles, qui pourraient s’appuyer sur leurs lignes directrices et recommandations respectives. Par exemple, dans ses lignes directrices, le comité de règlement des différends commerciaux agricoles précise que le « délai raisonnable » pour la réponse de l’acheteur à la proposition de contrat est d’un mois. Il s’agit là d’une recommandation qui gagnerait à être reprise dans les propositions de contrat.
Proposition n° 5 :
Établir une trame de contrat type annexée à un décret, qui reprendrait les clauses obligatoires de la proposition de contrat et comporterait une notice pour aider les producteurs agricoles à construire les rubriques de cette proposition
Ces outils seraient utilement complétés par des dispositifs d’accompagnement individuel des producteurs au cours du processus de contractualisation. Il serait pertinent qu’ils puissent être mis en place localement.
Le réseau des chambres d’agriculture, auxquelles la loi confie une mission d'amélioration de la performance économique, sociale et environnementale des exploitations agricoles et une mission d'appui, d'accompagnement et de conseil auprès des personnes exerçant des activités agricoles ([16]), propose des prestations de suivi technico-économique permettant, par exemple, aux agriculteurs de calculer leurs marges. Ce réseau pourrait approfondir cet accompagnement économique et juridique au moment de l’élaboration de la proposition de contrat par les producteurs.
Le futur réseau « France services agriculture » pourrait également intégrer d’autres structures susceptibles de réaliser cet accompagnement.
En matière de contrats de vente de produits agricoles, l’exercice de sa liberté contractuelle par le producteur n’est pas acquis du fait de l’asymétrie des relations commerciales entre le maillon agricole atomisé et l’acheteur industriel. Le contrat écrit doit donc être rendu accessible à tout producteur. De ce point de vue, le moyen le plus efficace pour rééquilibrer ce rapport de force réside certainement dans la progression des organisations de producteurs et associations d’organisations de producteurs.
c. La place des organisations de producteurs et de leurs associations n’a pas assez progressé
Le chapitre III du titre II de la partie II du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 modifié portant organisation commune des marchés des produits agricoles prévoit les règles relatives à la reconnaissance des organisations de producteurs (OP) et de leurs associations (AOP).
Le droit européen de la concurrence ne s’appliquant à la production et au commerce de produits agricoles que dans la mesure où elles ne font pas obstacle à la poursuite des objectifs de la politique agricole commune ([17]), les producteurs membres d’une OP et les OP membres d’une AOP, peuvent donc assurer la programmation de la production et son adaptation à la demande, notamment en termes de qualité et de quantité, ou encore concentrer l'offre et mettre sur le marché la production de leurs membres, sans tomber sous le coup du droit de la concurrence, notamment le droit des ententes ([18]).
Ces outils sont donc précieux pour rééquilibrer le rapport de force avec les acheteurs.
Certaines filières sont historiquement bien structurées, comme la filière laitière ou les fruits et légumes, par exemple. D’autres sont marquées par un grand nombre de petites exploitations qui ne sont pas regroupées en OP ou AOP et ont une tradition d’indépendance, comme la filière bovine, par exemple.
La structuration des producteurs en OP est soutenue par des programmes opérationnels (PO) de la politique agricole commune (PAC), qui permettent aux organisations de producteurs de bénéficier de financements. Jusque-là réservé au secteur des fruits et légumes, ce dispositif d’aide s’est ouvert à d’autres secteurs dans le cadre de la PAC 2023‑2027, tels que les protéines végétales, le riz ou les veaux « Label rouge ».
Dans sa proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant les règlements (UE) 1308/2013, (UE) 2021/2115 et (UE) 2021/2116 en ce qui concerne le renforcement de la position des agriculteurs dans la chaîne d'approvisionnement alimentaire, présentée le 10 décembre 2024, la Commission européenne propose de renforcer les possibilités d’aide aux OP et AOP et les incitations pour les producteurs à rejoindre ces entités. Ces propositions vont dans le bon sens et la France devra s’en saisir dans le cadre de la prochaine programmation de la politique agricole commune.
Une des clés de la réussite du dispositif instauré par les lois Égalim réside dans le fait que la contractualisation écrite à l’amont repose principalement sur des AOP et des OP plutôt que sur des producteurs à titre individuel. Ces organisations doivent donc jouer tout leur rôle dans la négociation et dans la contractualisation.
Pourtant, dans un secteur très structuré comme celui du lait, il n’est pas rare de constater que ce sont les laiteries qui proposent leurs contrats aux producteurs, alors que la loi prévoit que c’est à l’OP (ou à l’AOP) qu’il revient de formuler la proposition de contrat ou d’accord-cadre.
Cela relève en partie de la responsabilité des AOP et des OP, parfois insuffisamment armées dans la négociation. Les aides aux AOP et aux OP doivent donc viser spécifiquement leur professionnalisation en matière de négociation et de commercialisation.
Proposition n° 6 :
Rendre plus incitatif le regroupement en organisation de producteurs et accompagner ces organisations et leurs associations afin qu’elles disposent des moyens et des compétences pour négocier les accords-cadres ou les contrats pour leurs membres ([19]).
Dans le même temps, il faut prémunir ces AOP et OP contre les stratégies de contournement parfois mises en œuvre par certains acheteurs. En particulier, ces acheteurs peuvent être tentés d’inciter les producteurs à quitter leur OP – ou certaines OP à quitter leur AOP – pour conclure un contrat directement avec eux, notamment lorsque la négociation avec l’OP ou l’AOP est difficile.
Toutefois, l’appartenance des producteurs à une OP et celle des OP à une AOP sont protégées et elle ne peut être remises en cause au cours de la période d’engagement.
Le premier paragraphe de l’article 154 du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles prévoit qu’ « afin d'être reconnue par un État membre, une organisation de producteurs qui fait cette demande de reconnaissance est une entité juridique ou toute partie clairement définie d'une entité juridique qui : (…) c) offre des garanties suffisantes quant à l'exécution correcte de ses activités tant du point de vue de la durée que du point de vue de l'efficacité, de la mise à disposition effective de moyens d'assistance humains, matériels et techniques à ses membres, et s'il y a lieu, de la concentration de l'offre ;(…) ». En application de ces dispositions, pour le secteur du lait, l’article D. 551-34 du code rural et de la pêche maritime dispose que « la durée minimale d'adhésion des membres producteurs de l'organisation de producteurs ou de l'association d'organisations de producteurs est de cinq ans renouvelables (…) ».
Il y a lieu d’en conclure que ces dispositions font de la pérennité de l’entité demandant sa reconnaissance comme OP ou AOP une condition de cette reconnaissance. L’article 4 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, qui dispose que « tout membre d’une association peut s’en retirer en tout temps, après paiement des cotisations échues et de l’année courante, nonobstant toute clause contraire », ne fait pas obstacle à l’application des dispositions spéciales applicables aux OP et AOP, qui les écartent implicitement, mais nécessairement.
Ainsi, les producteurs ne peuvent légalement quitter leur OP avant le terme de leur engagement et un acheteur ne peut inciter un producteur à quitter son OP pendant cette période d’engagement pour pouvoir contracter directement avec lui. Il en va de même pour les relations entre les AOP et leurs OP membres.
Ces principes pourraient être affirmés encore plus clairement dans la loi, en posant le principe d’une durée minimale d’adhésion aux associations entre producteurs agricoles.
En complément de cette clarification, il est proposé que soit créée une nouvelle pratique restrictive de concurrence au chapitre II du titre IV du livre IV du code de commerce afin de pouvoir sanctionner toute déstabilisation (ou tentative de déstabilisation) d’une OP ou d’une AOP.
Proposition n° 7 :
Mieux protéger les organisations de producteurs et leurs associations des stratégies de contournement mises en œuvre par certains acheteurs en réaffirmant l’engagement des producteurs dans la durée et en créant une nouvelle pratique restrictive de concurrence consistant en la déstabilisation (ou tentative de déstabilisation) d’une OP ou d’une AOP ([20]).
d. Faire de la signature d’un contrat amont un préalable à la négociation commerciale est une piste à expérimenter
Le constat que les conditions générales de vente (CGV) des fournisseurs de produits alimentaires étaient souvent envoyées aux distributeurs sans que des contrats d’approvisionnement en produits agricoles aient préalablement été conclus entre ces fournisseurs et des producteurs de produits agricoles a fait émerger l’idée de conditionner l’envoi de ces CGV à la signature préalable des contrats de vente de produits agricoles, dits « contrats amont ».
Dans un communiqué de presse du 12 novembre 2024, le groupement Les Mousquetaires a ainsi affirmé sa volonté « de ne pas débuter les négociations commerciales pour l’année 2025 avec les industriels laitiers tant que ceux-ci n’auront pas trouvé un premier niveau d’accord avec leurs producteurs et fournisseurs. » Cette position est largement partagée par les distributeurs.
La logique qui sous-tend cette idée de « date-butoir amont » est de garantir l'intégration dans les conditions générales de vente d’un coût de la matière première agricole prenant en compte les coûts de production agricole, grâce à l’application des règles relatives à la contractualisation écrite, afin que la transparence sur ce coût de la matière première agricole, puis sa sanctuarisation, soient ensuite assurées. La logique de « marche en avant » du prix serait ainsi renforcée.
Les industriels soutiennent toutefois qu’un tel dispositif risquerait de bloquer les cycles de négociation, en particulier du fait du faible degré de diffusion du contrat écrit dans certaines filières et de cycles de production et d’approvisionnement en matières premières agricoles souvent décorrélés du calendrier de la négociation commerciale.
Il est certain qu’il faut envisager avec la plus grande prudence le fait de contraindre – et donc complexifier davantage – les relations contractuelles entre les acteurs de la chaîne de production et de distribution de produits alimentaires. La logique de cette proposition semble toutefois faire sens pour les filières dans lesquelles la contractualisation écrite amont est déjà largement pratiquée par les acteurs, en particulier pour la filière laitière.
Ce dispositif de date-butoir amont – ou, plus exactement, de contractualisation écrite amont préalable à l’envoi des conditions générales de vente – pourrait faire l’objet d’une expérimentation dans les filières dans lesquelles cette contractualisation amont est considérée comme suffisamment mature par le Gouvernement, à commencer par la filière laitière.
Proposition n° 8 :
Expérimenter, dans les filières dans lesquelles la contractualisation est suffisamment diffusée, l’instauration d’une obligation, pour le fournisseur, d’avoir conclu un contrat amont avec un producteur agricole avant d’envoyer ses CGV ([21]).
e. Le Comité de règlement des différends commerciaux agricoles peut trouver sa place avec la montée en puissance de la contractualisation écrite
L’article 11 de la loi Égalim 2 a créé un Comité de règlement des différends commerciaux agricoles (CRDCA), susceptible d’être saisi en cas d’échec de la médiation menée par le médiateur des relations commerciales agricoles concernant des contrats de vente de produits agricoles.
Le CRDCA a rendu deux décisions en 2024. Cette activité encore modeste doit être resituée dans son contexte particulier. Le champ de compétence du CRDCA est limité aux contrats amont entre les producteurs agricoles et leurs premiers acheteurs. Or ces acteurs n’ont pas pour habitude de faire trancher leurs litiges par un tiers. Le CRDCA a d’ailleurs été créé pour ouvrir une voie de règlement des différends en cas d’échec de la médiation, afin de renforcer l’incitation à réussir cette médiation, mais sans aller jusqu’à devoir saisir un juge. Il faut donc du temps pour que la possibilité de se tourner vers ce comité entre dans les habitudes ; il n’est au demeurant pas destiné à être massivement saisi, l’objectif premier étant de renforcer l’efficacité de la médiation.
Le CRDCA ne peut en effet intervenir qu’en cas d’échec de la médiation tentée par le médiateur des relations commerciales agricoles (MRCA). Lorsqu’une procédure particulière de règlement des différends a été prévue par une filière ou en cas de médiation privée, la saisine du CRDCA n’est donc pas possible. Or le MRCA est, pour l’heure, peu saisi de litiges relatifs aux contrats amont.
Certains opérateurs ont même prévu des médiations privées, afin d’écarter toute possibilité de saisir le CRDCA. Il y a là un écueil dans le champ de compétence du CRDCA défini par la loi : le CRDCA devrait pouvoir être saisi à la suite de toute médiation ou modalité alternative de règlement des différends.
Par ailleurs, pour renforcer l’efficacité de son intervention, le CRDCA devrait pouvoir demander aux parties de lui communiquer tout document qui lui paraît nécessaire – y compris couvert par le secret des affaires – tout en ayant la possibilité de déroger à l’obligation de communication à l’autre partie.
Enfin, à l’instar du MRCA, le CRDCA devrait pouvoir faire toutes recommandations aux ministres chargés de l'économie et de l'agriculture, sur l'évolution de la réglementation relative aux relations contractuelles ou sur l’application de cette réglementation.
Proposition n° 9 :
Prévoir que le Comité de règlement des différends commerciaux agricoles peut être saisi après toute tentative infructueuse de médiation et trouver un meilleur équilibre entre respect du contradictoire et préservation du secret des affaires lors de la procédure devant ce Comité.
Prévoir qu’il peut faire toutes recommandations aux ministres chargés de l’économie et de l’agriculture sur l'évolution et l’application de la réglementation relative aux relations contractuelles.
S’agissant de la médiation du MRCA, dont l’objectif de la loi Égalim 2 était de la rendre plus attractive et efficace, la question de sa réorganisation pourrait être étudiée pour qu’une séparation soit instaurée entre la médiation des litiges dits « amont » entre producteurs agricoles et industriels et celle des litiges dits « aval » entre industriels et distributeurs. Les producteurs agricoles, les OP et les AOP seraient certainement davantage incités à saisir un médiateur spécialisé dans le règlement de leurs litiges si celui-ci ne se prononce pas, par ailleurs, sur d’autres types de litiges concernant leurs partenaires industriels.
2. Une certaine défiance des agriculteurs vis-à-vis de la contractualisation écrite
a. Distinguer prix du contrat et indicateurs de coûts de production
Le premier objectif de la contractualisation écrite obligatoire est d’améliorer la rémunération du travail des agriculteurs. Dans le contrat écrit, le prix est en effet un élément essentiel.
Le contrat peut soit fixer le prix, soit fixer les critères et modalités de détermination de ce prix. La loi Égalim 2 prévoit que le contrat à prix déterminé doit également prévoir les critères et modalités de révision de ce prix : les critères et modalités de détermination et de révision du prix doivent prendre en compte des indicateurs de coûts de production, issus de la proposition de contrat, et d’autres indicateurs, en particulier des indicateurs de prix sur les marchés pertinents.
Ces indicateurs sont indispensables pour apprécier et tenir compte des évolutions. Plus que leur niveau, c’est leur évolution qui importe pour en tirer les conséquences appropriées sur la fixation ou l’évolution du prix du contrat.
Les indicateurs doivent donc concourir à la détermination ou à la révision d’un prix, mais ils ne sont pas le prix du contrat. Ainsi conçus, ils ne peuvent avoir pour effet d’écraser les prix, puisqu’ils ne constituent ni un plancher, ni un plafond.
Un producteur particulièrement compétitif peut tout à fait proposer un prix inférieur à la valeur de l’indicateur de coûts de production, tout en prenant en compte l’évolution de cet indicateur pour déterminer ou pour réviser son prix. De même, les quantités qui font l’objet d’un contrat ou d’un accord-cadre ont une influence sur le prix du contrat en ce qu’elles peuvent permettre de couvrir les coûts fixes et donc de diminuer le prix de revient du producteur. À l’inverse, un producteur produisant des volumes très faibles pour un marché de niche aura des coûts de production et des prix largement supérieurs à la valeur d’un indicateur de coûts de production, ce qui n’exclut pas l’intérêt de tenir compte de l’évolution de cet indicateur.
L’indicateur ne constituant pas le prix du contrat ou une fraction de ce prix, il serait vain de chercher à bâtir un indicateur de coûts de production par ferme. Il est en revanche nécessaire de disposer d’indicateurs pertinents selon les productions et les modes de production.
Pour bâtir ces indicateurs, il faut pouvoir s’appuyer sur des méthodologies reconnues et transparentes.
S’agissant des indicateurs de coûts de production, trois types de charges les composent :
– les charges courantes qui ont donné lieu à des flux monétaires, ainsi que l’autoconsommation (par exemple, les céréales en élevage) ;
– les amortissements, qui correspondent à l’usure et l’obsolescence du matériel, des équipements et des bâtiments ;
– les charges dites « forfaitaires » ou « supplétives », calculées à partir de conventions pour rémunérer les facteurs de production (capital et travail), avec en particulier la question de savoir quelle doit être la rémunération normative du travail du producteur (1,3 Smic en grandes cultures, 2 Smic en élevage ruminant).
La nature de ce qu’est un indicateur de coûts de production, qui vient d’être rappelée, relativise le débat sur le caractère normatif de l’indicateur. Le principal enjeu réside dans la définition partagée d’une méthode de calcul transparente au sein des organisations interprofessionnelles auxquelles la loi confie cette mission. Elles peuvent s’appuyer sur le travail des instituts techniques agricoles pour œuvrer en ce sens. Les constats sont, de ce point de vue, contrastés selon les filières ([22]). L’Observatoire de la formation des prix et des marges publie un support synthétique reprenant l’ensemble des indicateurs rendus publics ([23]) en application de l’article L. 682-1 du code rural et de la pêche maritime dans sa version résultant de la loi Égalim 2.
Pour les filières laitières et viande bovine, l’Institut de l'élevage (Idele) a développé depuis plus de dix ans l’outil Couprod qui permet aux éleveurs et polyculteurs-éleveurs de calculer leurs coûts de production pour chaque atelier de l'exploitation ([24]).
Pour le lait de vache, en se fondant sur la méthode Couprod, le Centre national interprofessionnel de l'économie laitière (Cniel) a mis en place un observatoire national des coûts de production et des prix de revient du lait de vache en France, pour produire des références annuelles ([25]) selon quatre types d’ateliers laitiers : conventionnel de plaine, conventionnel de montagne, bio de plaine et bio de montagne.
Pour la filière « Viandes bovines », Interbev fournit des indicateurs de référence pour les coûts de production et les prix de revient des gros bovins de type viande. Les calculs sont basés sur un échantillon de 118 exploitations spécialisées dans l'élevage de bovins issues du réseau Inosys. Les charges sont actualisées mensuellement via l'Ipampa et les ajustements annuels incluent le Smic, le taux du livret A, la valeur du fermage ou encore les aides de la PAC. Cette méthode a été validée par un accord interprofessionnel en 2019. En revanche, la publication de l’indicateur n’a pas été validée au niveau de l’interprofession et c’est donc l’Idele, saisie par la Fédération nationale bovine, qui les publie semestriellement.
Pour la viticulture, aucune interprofession viticole n’a élaboré ou diffusé d’indicateurs pouvant servir d’indicateurs de référence au sens de l’article L. 631‑24 du code rural et de la pêche maritime. La filière craint que la publication d’indicateurs puisse être considérée comme s’apparentant à la diffusion de consignes de prix par l’Autorité de la concurrence. Encore une fois, il faut, de ce point de vue, considérer les indicateurs pour ce qu’ils sont et les interprofessions viticoles, qui ont de réelles compétences économiques, devraient être en mesure de reconsidérer cette position et d’établir des indicateurs pertinents à l’échelle de leurs bassins de production respectifs. Une prise de position gouvernementale devrait suffire à sécuriser juridiquement de telles démarches.
Proposition n° 10 :
Approfondir le travail sur les indicateurs de coûts de production pour fournir des indicateurs reconnus et adaptés aux différentes productions.
Les choses étant ainsi posées sur la nature des indicateurs et la nécessité de persévérer dans leur construction collective et leur mise à disposition des parties prenantes, il convient ensuite d’évaluer la façon dont ces indicateurs sont pris en compte pour la détermination ou la révision du prix. La définition des formules de prix ne doit pas conduire à priver d’effet les indicateurs ou à minimiser la prise en compte des indicateurs de coûts de production proposés par le producteur au bénéfice d’autres indicateurs suggérés par l’acheteur.
b. Renforcer le poids des indicateurs de coûts de production dans la construction du prix payé
En premier lieu, il convient de rappeler que conformément au quinzième alinéa du III de l’article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime dans sa version issue de la loi Égalim 2, l’indicateur de coûts de production qui figure dans la proposition de contrat ou d’accord-cadre du producteur, de l’OP ou de l’AOP, « socle de la négociation entre les parties », doit être repris dans le contrat qui résulte de la négociation.
Contrôler le respect de la loi Égalim passe donc par le contrôle du respect du socle de la négociation, ce qui implique que le maillon « amont » s’en saisisse plus largement.
En second lieu, cet indicateur de coûts de production s’inscrit dans une formule de détermination ou de révision du prix dont l’objectif est qu’elle conduise à ce que le prix payé aux agriculteurs pour la vente de leurs produits soit au moins égal au coût de revient, c’est-à-dire un prix qui permette de couvrir l’ensemble des charges engagées et de rémunérer l’ensemble des facteurs de production.
Vos rapporteurs ne partagent pas une vision commune sur la question des prix planchers.
Notre collègue Mathilde Hignet considère que l’instauration de prix rémunérateurs garantis en référence à des indicateurs élaborés par les filières et à l’échelle des bassins de production, associée à la mise en place de coefficients multiplicateurs encadrant les marges des industriels et des distributeurs, constituerait l’outil le plus efficace pour garantir aux agriculteurs un revenu à hauteur de leurs coûts de production ([26]).
Les autres rapporteurs ne partagent pas cette position et considèrent que l’instauration d’un tel mécanisme aurait pour effet de déconnecter les prix des produits agricoles français des prix de marché, dégradant ainsi la compétitivité de notre agriculture. Ces prix planchers pourraient également se retourner contre les producteurs et constituer des prix plafonds selon les circonstances.
Toutefois, tous vos rapporteurs partagent l’idée qu’il n’est pas acceptable que les agriculteurs soient structurellement amenés à vendre leurs productions à un prix inférieur à leur coût de revient. Ils convergent donc vers l’idée que les indicateurs de coûts de production qui figurent dans la proposition de contrat ou d’accord-cadre doivent être pris en compte à un niveau suffisant pour la détermination ou la révision du prix des contrats de vente de produits agricoles.
Certaines pratiques consistant à diluer totalement l’indicateur de coûts de production – si tant est qu’il figure encore dans la formule de prix retenue dans le contrat – sont de ce point de vue inacceptables et constituent un contournement manifeste de l’article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime, qui doit être sanctionné.
Pour autant et même si la demande est formulée par certains représentants des producteurs, la solution ne peut résider dans la fixation arbitraire d’un poids minimal des indicateurs de coûts de production dans la formule de prix, par rapport aux indicateurs de marché ([27]). Les parties doivent disposer d’une certaine liberté pour déterminer cette formule, pour des raisons économiques tenant à la bonne connexion avec les évolutions des marchés ; cette question ne se pose d’ailleurs pas dans les mêmes termes pour toutes les productions et tous les débouchés.
Les parties au contrat disposent, en tout état de cause, de cette liberté pour des raisons juridiques. Les marges de manœuvre du législateur pour intervenir sur ce sujet sont en effet limitées par le respect des principes constitutionnels de liberté d’entreprendre et de liberté contractuelle et par le droit européen de la concurrence, qui est l’un des objectifs poursuivis par l’organisation commune des marchés agricoles – ce que le Conseil d’État avait d’ailleurs expliqué dans son avis n° 394081, rendu sur le projet de loi Égalim en 2018.
Conseil d’État, Avis consultatif, Section des finances, Section des travaux publics, Assemblée générale du 25 janvier 2018, n° 394081, point 7
« (…) la règle selon laquelle les critères et modalités de détermination du prix figurant dans le contrat, à défaut ou en complément de prix fixe, doivent prendre en compte notamment un ou plusieurs indicateurs relatifs aux coûts de production en agriculture ou à l’évolution de ces coûts et un ou plusieurs indicateurs relatifs aux prix des produits agricoles et alimentaires constatés sur les marchés sur lesquels opère l’acheteur, ne méconnaît pas le principe de libre négociation fixé par le règlement [(UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles], dans la mesure où les opérateurs restent libres, tant du choix ou de la création des indicateurs, que de la façon de les prendre en compte. (…) »
Cette liberté n’est cependant pas absolue. L’article L. 442-7 du code de commerce prévoit en effet qu’« engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait pour un acheteur de produits agricoles ou de denrées alimentaires de faire pratiquer par son fournisseur un prix de cession abusivement bas.
« Pour caractériser un prix de cession abusivement bas, il est tenu compte notamment des indicateurs de coûts de production mentionnés aux articles L. 631‑24, L. 631-24-1, L. 631-24-3 et L. 632-2-1 du code rural et de la pêche maritime ou, le cas échéant, de tous autres indicateurs disponibles dont ceux établis par l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires mentionné à l'article L. 682-1 du même code. Dans le cas d’une première cession, il est également tenu compte des indicateurs figurant dans la proposition de contrat du producteur agricole. »
Vos rapporteurs préconisent de compléter le lien établi entre cette disposition du code de commerce et les dispositions du code rural et de la pêche maritime relatives aux contrats de vente de produits agricoles. En effet, les modalités de révision ou de détermination du prix de ces contrats ne doivent pas être construites de manière à faire échec à la prise en compte des coûts de production du producteur, quand bien même une référence serait formellement faite à un indicateur de coûts de production.
Le juge saisi de cette pratique restrictive de concurrence, le cas échéant par le ministère public comme le prévoit l’article L. 442-7 du code de commerce, doit être invité à se livrer à une analyse économique du contrat et en particulier de sa formule de prix.
Cela ne revient pas à sanctionner systématiquement un prix inférieur à un indicateur. Mais cela doit faire obstacle à des formules de prix qui empêchent structurellement et manifestement la couverture des coûts de revient de l’agriculteur.
Seule la mise en œuvre de la technique du « faisceau d’indices » peut permettre de caractériser un prix abusivement bas. Il s’agit ici d’orienter les instances de contrôle et le juge dans la découverte de certains de ces indices : l’existence d’une formule de prix qui écarte de facto la prise en compte des coûts de production ou d’une formule qui aboutit à une fixation unilatérale du prix par l’acheteur, par exemple par application d’une clause d’alignement concurrentiel (par ailleurs prohibée), constitue de tels indices.
Proposition n° 11 :
Prévoir que constitue un prix « abusivement bas » au sens de l’article L. 442-7 du code de commerce, le prix d’un contrat dont les critères et les modalités de révision ou de détermination du prix ont pour effet d’empêcher la prise en compte, à un niveau suffisant pour atteindre le coût de revient, des indicateurs de coûts de production indiqués dans le socle de la négociation.
c. L’expérimentation de la clause dite du « tunnel de prix »
L’article 2 de la loi Égalim 2 permet d’expérimenter, pour une période de cinq ans au maximum, au sein des contrats écrits de vente de produits agricoles, la mise en place de bornes minimales et maximales entre lesquelles le prix de vente peut librement fluctuer, créant de ce fait un « tunnel de prix ».
Le décret n° 2021-1415 du 29 octobre 2021 précise les conditions d’application de cet article. L’expérimentation concerne la viande bovine et l’article 2 du décret précité dispose que « le prix payé en application des critères et modalités de détermination ou de révision du prix est compris entre une borne minimale et une borne maximale, ces valeurs extrêmes étant fixes ». Ces bornes sont librement fixées par les parties au contrat ou à l’accord-cadre. L’interprofession concernée peut élaborer et publier un modèle type de clause contractuelle qui précise et adapte la clause mentionnée au II que le ministre de l’agriculture et de l’alimentation peut rendre obligatoire par arrêté.
L’expérimentation, entrée en vigueur en 2022, est prévue jusqu'à fin 2026.
Les producteurs de viande bovine n’y trouvent pas nécessairement la protection qu’ils attendaient, dès lors que les bornes du tunnel de prix, notamment sa borne inférieure, sont librement négociées. Les enjeux et les conditions de sa fixation sont en réalité les mêmes que ceux qui prévalent pour la fixation du prix du contrat ou de l’accord-cadre. Mais cet outil présente néanmoins l’avantage de sécuriser les parties dans l’élaboration des clauses de prix, en limitant les évolutions trop erratiques auxquelles pourraient mener certaines formules de prix.
B. À l’aval, une évolution structurelle encore inaboutie des négociations commerciales
1. Un nouvel équilibre qu’il faut s’abstenir de bouleverser
Les acteurs économiques regrettent unanimement un excès et une complexité croissante des normes, ainsi que des évolutions successives trop rapprochées. Un besoin de stabilité se fait sentir.
Pourtant, ces mêmes acteurs expriment concomitamment le souhait d’évolutions importantes du cadre juridique de la négociation commerciale. Les producteurs, comme les distributeurs, plaident pour une extension du champ d’application de la « sanctuarisation » de la matière première agricole à la restauration hors foyer. Un débat existe également sur le maintien de la date-butoir pour les négociations commerciales.
a. La question de l’extension aux grossistes du champ d’application du principe de sanctuarisation de la matière première agricole
L’article 4 de la loi Égalim 2 renforce la transparence sur la part des matières premières agricoles dans le cadre des négociations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, dans le but d’exclure de cette négociation la part du tarif qui correspond au prix des matières premières agricoles. Certains acteurs reprochent à ce dispositif de laisser de côté toute la partie des débouchés de la production agricole française qui n’est pas destinée à la grande distribution. Les acteurs de la distribution relèvent ainsi qu’ils représentent moins de la moitié des débouchés des exploitations agricoles françaises.
Il est vrai que près de 40 % de la production agricole française, qui s’élève à 95,5 Md€ en 2023, sont destinés à l’exportation ([28]). Mais le législateur français ne peut régir les prestations commerciales exécutées à l’étranger et la protection de la valeur de ces productions destinées aux exportations renvoie en partie à la question d’une plus grande harmonisation des règles concernant les relations commerciales au sein de l’Union européenne, qui a pu être formulée par le vœu de la mise en place d’un « Égalim européen ».
Pour ce qui concerne la part de la production agricole française consommée en France, la consommation à domicile est très largement majoritaire et les grandes et moyennes surfaces représentent un peu moins de 70 % des débouchés de cette production (produits bruts ou transformés).
Source : Confédération des grossistes de France à partir de données FranceAgriMer, Insee et Gira food.
Il peut donc être considéré que le dispositif de sanctuarisation du prix de la matière première agricole instauré par la loi Égalim 2 atteint sa cible.
La question de savoir s’il faut étendre le champ de ces règles pour atteindre la consommation hors domicile, qui représente 20 % des débouchés des produits agricoles français, revient principalement ([29]) à poser la question de la soumission des grossistes au dispositif instauré par la loi Égalim 2 pour la relation entre les distributeurs et leurs fournisseurs.
Il faut d’abord rappeler, sur ce point, que les grossistes sont soumis aux dispositions du code rural et de la pêche maritime relatives à la contractualisation amont s’ils interviennent en tant que premier acheteur d’un produit agricole, ce qui peut être le cas pour des achats de produits locaux.
S’agissant du code de commerce, le V de l’article L. 441-1-1 rend inapplicables aux grossistes, tant dans leurs relations avec leurs fournisseurs que dans leurs relations avec les acheteurs, les dispositions relatives à la transparence sur le coût de la matière première agricole et, par conséquent, celles relatives à la non-négociabilité de cette matière première agricole.
Ces dispositions ont été spécialement conçues pour la négociation commerciale entre les fournisseurs et les distributeurs. Elles ne sont pas adaptées aux relations spécifiques entre les fournisseurs et les grossistes ou entre ces derniers et leurs acheteurs. C’est particulièrement le cas, par exemple, lorsqu’un grossiste répond à un appel d’offres pour un marché public de restauration collective.
Par ailleurs, dans les relations commerciales des grossistes, le prix ne fait pas l’objet de négociations semblables à celles qui existent dans les négociations commerciales : la structure du marché des grossistes n’est pas comparable à celle des distributeurs, avec plus de six mille entreprises de commerce de gros dans le secteur alimentaire. Avec leurs fournisseurs, les grossistes cherchent prioritairement à sécuriser leurs approvisionnements. La différenciation entre grossistes vis-à-vis de la clientèle ne se fait pas, en premier lieu, sur le prix mais sur l’offre, c’est-à-dire sur la largeur et la profondeur de gamme, la qualité des produits, la qualité du service logistique (taux de service, livraison en temps et en heure). Le risque de non-respect de la valeur de la production agricole est donc nettement plus limité dans ce contexte.
Il n’y a donc pas lieu de revenir sur cette dérogation « Grossistes » et sur la spécificité du régime juridique qui leur est applicable, en application des articles L. 441-1-2 et L. 441-3-1 du code de commerce créés par la loi n° 2023-221 du 30 mars 2023 tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, même si ce cadre réglementaire pourra lui aussi faire l’objet d’ajustements qui lui seraient propres pour mieux valoriser la production agricole française.
Proposition n° 12 :
Rejeter l’idée d’étendre aux grossistes le champ d’application de la transparence sur le coût de la matière première agricole et de sa sanctuarisation
b. La question du maintien de la date-butoir
Relevant que la France fait exception en Europe avec l’existence d’une date-butoir des négociations commerciales, certains acteurs, au premier rang desquels les distributeurs, demandent la suppression de la date-butoir du 1er mars.
Une telle mesure constituerait un réel facteur de déstabilisation pour un secteur économique qui exprime, au contraire, un besoin de stabilité. Cette stabilité est devenue un élément clé pour l’organisation et le fonctionnement des filières. L’accélération ponctuelle du calendrier des négociations commerciales par la loi n° 2023-1041 du 17 novembre 2023 portant mesures d’urgence pour lutter contre l’inflation a d’ailleurs perturbé le bon déroulement des négociations 2024 sans apporter de résultats probants pour les consommateurs. La différenciation du calendrier en fonction de la taille du fournisseur s’est également révélée très complexe à instaurer, notamment en raison de la difficulté à choisir un seuil pertinent, pour un résultat plus qu’incertain.
La date-butoir est indispensable pour éviter des négociations permanentes qui seraient défavorables aux plus petits acteurs, rendraient difficile la réalisation des contrôles par les services de l’État et fragiliseraient finalement le mécanisme de sanctuarisation de la matière première agricole.
Cependant, la durée de la négociation commerciale à compter de l’envoi des conditions générales de vente pourrait certainement être réduite pour éviter les comportements dilatoires préjudiciables aux plus petits acteurs, qui n’ont pas les mêmes moyens à consacrer à cette phase de négociation que de plus grands opérateurs.
Un raccourcissement de la durée des négociations commerciales présenterait également l’avantage, pour tous, de voir le plan d’affaires négocié s’appliquer sur une plus longue période.
Il est donc proposé de fixer deux bornes à la négociation : l’envoi des conditions générales de vente avant le 15 décembre – les plus petites entreprises étant libres d’anticiper cette date pour négocier avant les plus grandes – puis la signature de la convention unique dans les deux mois qui suivent l’envoi de ces conditions, soit le 15 février au plus tard.
Proposition n° 13 :
Maintenir une date-butoir des négociations commerciales, sans différenciation, tout en apportant une certaine souplesse aux acteurs :
- envoi des CGV entre le 15 novembre et le 15 décembre, le cas échéant, dans les filières pour lesquelles cela a été rendu obligatoire à titre expérimental (cf. proposition n° 8), après que le fournisseur a conclu ses contrats d’approvisionnement en matières premières agricoles ;
- signature de la convention unique au plus tard deux mois après l’envoi des CGV, soit entre le 15 janvier et le 15 février ([30]).
2. La transparence sur le coût de la matière première agricole doit être renforcée
Les informations sur la part des matières premières agricoles dans le volume et le tarif des produits alimentaires doivent figurer dans les conditions générales de vente sous l’une des trois formes suivantes (au choix exclusif du fournisseur) :
– en indiquant, pour chacun des produits transformés, le pourcentage de chaque matière première en volume et en pourcentage du tarif (option n° 1) ;
– en indiquant ces mêmes informations de manière agrégée pour chaque produit transformé (option n° 2) ;
– en faisant intervenir un tiers indépendant, qui atteste de la part de l’évolution du tarif par rapport à l’année précédente qui résulte de celle du prix des matières premières agricoles (option n° 3). Dans cette hypothèse, le tiers indépendant est aussi chargé d'attester, au terme de la négociation, que celle-ci n'a pas porté sur la part de l'évolution du tarif du fournisseur qui résulte de celle du prix des matières premières agricoles. Ce système de double attestation résulte de la loi n° 2023-221 du 30 mars 2023 tendant à renforcer l'équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, dite loi « Égalim 3 ».
En 2024, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a constaté que 60 % des fournisseurs contrôlés ont choisi l’option n° 3, tandis que 40 % ont eu recours à l’option n° 2, ce qui représente une progression par rapport à 2023. Le choix de l’option n° 1 demeure très résiduel.
Les TPE et les PME ont davantage recours à l’option n° 2, alors que l’option n° 3, qui nécessite le recours à un tiers indépendant et représente donc un coût important pour les entreprises, est très largement choisie par les gros industriels.
Cette option n° 3 est, de l’avis général, appliquée de façon très variable selon les industriels. Certains en font un usage transparent et pédagogique, alors que d’autres se limitent strictement à leur obligation légale de communication d’un pourcentage de variation de la matière première agricole.
Un débat existe sur le sujet du maintien ou de la suppression de l’option n° 3 et il se cristallise autour de deux arguments.
Pour les industriels, il s’agirait de la seule option qui permette de préserver le secret des affaires, alors que leurs relations avec les distributeurs ne se limitent pas à la négociation commerciale (puisqu’ils sont également concurrents de ces mêmes distributeurs, s’agissant des produits vendus sous « marque de distributeur »).
Pour les distributeurs, cette option n° 3 n’assure pas la transparence sur la part de la matière première agricole dans le tarif du fournisseur et c’est tout l’édifice de sanctuarisation de cette matière première agricole qui se trouverait compromis.
Les attestations délivrées par les tiers indépendants apportent manifestement une information d’intérêt variable, parfois limité, pour atteindre l’objectif de sanctuarisation de la matière première agricole.
D’après les distributeurs, des différences significatives peuvent être observées entre, d’un côté, la part de l’évolution du tarif du fournisseur qui résulte de l’évolution du prix des matières premières agricoles attestée lors de l’envoi des conditions générales de vente et, de l’autre, cette même part attestée au terme de la négociation.
Les industriels reconnaissent eux-mêmes que l’extension de la non-négociabilité de la matière première agricole aux produits vendus sous marque de distributeur n’a pas posé de difficulté, dès lors que la transparence est plus importante pour ces produits pour lesquels l’industriel suit un cahier des charges déterminé en grande partie par le distributeur. Il est possible d’en déduire qu’une plus grande transparence sur la matière première agricole conduit à une meilleure protection de celle-ci.
De plus, l’option n° 3 rend plus difficile le contrôle du respect de ce principe de sanctuarisation de la matière première agricole, qui relève de la compétence des services de l’État et non de la responsabilité du tiers indépendant. Le fournisseur doit rester le seul responsable de ce qui figure dans ses conditions générales de vente et les parties au contrat de ce sur quoi elles se sont entendues.
La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a constaté l’existence d’attestations selon lesquelles, au terme de la négociation, le tarif convenu est inférieur au tarif de l’année précédente majoré de la part de la hausse demandée par le fournisseur et imputable au coût des matières premières agricoles. Dans ce cas, à la demande des distributeurs, les fournisseurs ont pu produire des attestations selon lesquelles la négociation, malgré l’attestation négative délivrée par le tiers indépendant, n’a pas porté sur la matière première agricole, mais sur d’autres coûts.
Enfin, l’option n° 3 crée une distorsion entre les entreprises qui ont les moyens de s’en saisir et celles qui ne les ont pas : le recours à l’option n° 3 représente une charge de l’ordre de 50 000 euros pour un fournisseur.
Ce système à trois options, source de complexité plus que de souplesse, semble donc présenter plus d’inconvénients que d’avantages.
Rejoignant les conclusions de la mission confiée à nos anciens collègues Anne-Laure Babault et Alexis Izard, vos rapporteurs proposent de simplifier l’option n° 2, de sorte que la transparence sur la matière première agricole puisse ne concerner que la part agrégée des trois principales matières premières agricoles contenues dans le produit, sous forme d’un pourcentage en volume et d’un pourcentage du tarif du fournisseur.
Les fournisseurs soucieux de protéger le secret des affaires trouveront ainsi dans cette option n° 2 simplifiée une solution satisfaisante, alors que la transparence sera suffisante pour assurer de manière effective la sanctuarisation de la matière première agricole.
Dans ces conditions, l’option n° 3 pourrait être supprimée.
Par ailleurs, la proposition n° 23, en faveur de la transparence sur l’origine de la matière première agricole, s’inscrit en cohérence avec la présente proposition ([31]).
Proposition n° 14 :
Simplifier l’option n° 2 pour que la transparence sur la matière première agricole puisse ne concerner que la part agrégée des trois principales matières premières agricoles contenues dans le produit, ce qui permettrait, sans que cela porte atteinte à la protection du secret des affaires, de supprimer l’option n° 3 consistant à faire certifier que le prix de l'année n est au moins égal à celui de l'année précédente majoré de la hausse imputable au coût de la matière première agricole ([32]).
3. La sanctuarisation de la matière première agricole passe par celle de la matière première industrielle
La négociation commerciale ne peut pas porter sur la part, dans le tarif du fournisseur, correspondant au prix des matières premières agricoles. Cette idée fait consensus, mais les fournisseurs considèrent que, malgré les dispositions introduites dans le code de commerce par la loi Égalim 2, ils ne sont pas en mesure de faire échapper à la négociation commerciale le coût de leur approvisionnement en matière première agricole.
Plus précisément, les fournisseurs indiquent que si la sanctuarisation de la matière première agricole est globalement et formellement respectée durant les négociations commerciales, celle-ci s’avère néanmoins d’une portée réelle limitée dans la mesure où la négociation se reporte alors sur les autres coûts, notamment ceux des matières premières industrielles (énergie, emballage, transport, etc.).
La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes met ainsi en évidence que « même pour un produit très peu transformé tel que le lait UHT, si la matière première agricole représente 100 % du produit en volume, elle représente moins de 50 % du tarif (cette part chute à moins de 15 % pour les produits ultra-transformés) ». La plus grande partie du tarif reste donc négociable et une diminution du prix convenu est compatible avec le respect de la sanctuarisation de la matière première agricole.
En outre, la sanctuarisation de la matière première agricole s’apprécie indépendamment des accords relatifs aux services de coopération commerciale et autres services rendus par le distributeur, dont la rémunération exprimée en pourcentage du prix convenu « deux fois net » ([33]) vient en déduction de ce dernier.
La DGCCRF tire de ces constats que « compte tenu de la part minoritaire voire largement minoritaire des coûts de matière première agricole parmi l’ensemble des coûts de production dans certains produits, de nombreux autres éléments concourent, légitimement, à cette négociation du prix convenu. Il reste, dès lors, difficile d’objectiver le lien entre le prix convenu entre les parties et la sanctuarisation de la matière première agricole. ».
De fait, d’un point de vue économique, lorsque la négociation conduit à ne pas couvrir les coûts de la matière première industrielle, cela remet nécessairement en cause la sanctuarisation de la matière première agricole puisque le poids de la perte pour le fournisseur pèse sur l’ensemble de ses coûts.
Certes, le thème de l’évolution des coûts des matières premières agricoles s’est invité à l’agenda des négociations commerciales entre industriels et distributeurs, ce qui constitue en soi un progrès permis par la loi Égalim 2. Mais l’absence de prise en compte des autres coûts de la transformation relativise la portée de cette discussion sur la matière première agricole.
Afin de progresser vers l’objectif des lois Égalim de réinstaurer un principe de construction du prix « en marche avant », vos rapporteurs recommandent donc d’étendre la sanctuarisation des coûts dans la négociation commerciale à la matière première industrielle, dont le champ précis devra être discuté avec les acteurs de cette négociation, mais qui devrait notamment comporter l’énergie, les transports et les matériaux entrant dans la composition des emballages strictement nécessaires au conditionnement des aliments.
Proposition n° 15 :
Étendre la sanctuarisation des coûts dans la négociation commerciale des produits agricoles et alimentaires à la matière première industrielle (principales matières premières non agricoles, énergie, transport et matériaux entrant dans la composition des emballages).
Cette proposition n° 15 forme un ensemble cohérent avec la proposition précédente. Elle vise à assurer l’effectivité de la sanctuarisation de la matière première agricole par une plus grande transparence et la prévention d’un effet de rattrapage de la négociation sur les autres coûts de production. De même, la proposition n° 17 tire les conséquences de cette proposition n° 15 ([34]).
4. Simplifier et rendre non discriminatoires les modalités de révision des prix
L’article 4 de la loi Égalim 2 impose qu’une clause de révision automatique des prix en fonction de la variation du coût de la matière première agricole figure dans la convention unique conclue entre le fournisseur et l’acheteur.
La perturbation des relations contractuelles engendrée par la crise inflationniste de 2022-2023 démontre, à elle seule, l’intérêt de prévoir dans le contrat des mécanismes de révision du prix.
La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes dresse le constat que la majorité des contrats conclus à l’issue des négociations de 2024 comportent bien une clause de révision automatique. Son absence est le plus souvent due à la difficulté de déterminer, pour certains produits ou gammes de produits spécifiques, le ou les indicateurs pertinents.
La mise en œuvre de cette clause est parfois rendue difficile par des conditions de déclenchement trop restrictives (périodicité trop longue ou seuils trop élevés, par exemple). Ces difficultés résultent parfois d’une méfiance et d’une volonté des acteurs de la négociation, fournisseurs comme distributeurs, d’en neutraliser les effets, afin d’éviter une répercussion des prix de manière automatique à la hausse ou à la baisse.
Une confusion avec la clause de renégociation prévue à l’article L. 441-8 du code de commerce existe également pour certains acteurs.
Les ministres chargés de l’économie et de l’agriculture ont saisi la Commission d’examen des pratiques commerciales (CEPC) pour l’élaboration d’une recommandation établissant de bonnes pratiques en matière de clauses de révision automatique, afin de rendre leur mise en œuvre plus effective. La CEPC a ainsi publié une recommandation (n° 24-1) relative à un guide de bonnes pratiques en matière de clauses de révision automatique des prix et de clauses de renégociation dans les relations entre industriels et distributeurs, qui pourrait aider les professionnels à rendre la clause de révision automatique plus opérationnelle.
L’enjeu de la clause de révision n’est pas de faire apparaître l’évolution du coût d’approvisionnement en matières premières agricoles réellement supportée par l’industriel en cours d’exécution du contrat : il serait illusoire de chercher un indicateur à même de fournir cette information en temps réel. De plus, les indicateurs de référence subissent des variations récurrentes, au moins mensuelles, alors que l’industriel s’approvisionne rarement sur les marchés au comptant (spot market) puisqu’il doit sécuriser ses approvisionnements et ses coûts prévisionnels.
La sanctuarisation de la matière première agricole intervient lors de la conclusion du contrat et il ne s’agit, au cours de l’exécution de ce contrat, que de se prémunir contre des dérèglements manifestes.
Ainsi conçues, les clauses de révision devraient pouvoir se fonder sur des indicateurs de prix des produits agricoles sur les marchés pertinents.
De plus, la clause de révision devrait figurer dans les conditions générales de vente des fournisseurs pour se voir appliquer le principe de non-discrimination tarifaire. On voit mal, en effet, la justification d’une négociation et d’une différenciation sur une telle clause d’ajustement technique du prix.
La transparence sur la part de la matière première agricole dans le tarif, telle qu’elle serait renforcée par la mise en œuvre des propositions du présent rapport (suppression de l’option n° 3 au profit d’une option n° 2 simplifiée, transparence sur l’origine des principales matières premières agricoles), doit permettre de rendre objectifs les paramètres de la clause de révision du prix.
Par ailleurs et partant du constat d’une complexité excessive des règles applicables à l’établissement des conditions générales de vente, en particulier pour les plus petits fournisseurs ([35]), la clause de renégociation devrait être rendue facultative dès lors qu’une clause de révision figure effectivement dans les conditions générales de vente.
Vos rapporteurs proposent donc d’imposer que les conditions générales de vente du fournisseur prévoient une clause de révision des prix dès lors que le contrat a une durée supérieure à un an. La clause de renégociation serait rendue facultative pour ces contrats.
Lorsque la durée du contrat ne dépasse pas un an, le fournisseur serait libre de prévoir une clause de révision ou une clause de renégociation dans ses conditions générales de vente.
Proposition n° 16 :
Simplifier l’utilisation des clauses de révision ou de renégociation des prix tout en les faisant entrer dans le champ de la non-discrimination tarifaire ([36]).
Enfin, en cohérence avec la proposition n° 15 tendant à étendre la sanctuarisation à la matière première industrielle, les clauses de révision devraient être étendues à cette matière première industrielle.
Proposition n° 17 :
Étendre la clause de révision du prix à la matière première industrielle.
5. Prolonger l’expérimentation du « SRP + 10 » pour en évaluer les effets et préparer son éventuelle disparition
Sur le fondement de l’article 15 de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi « Égalim », l’article 2 de l’ordonnance n° 2018-1128 du 12 décembre 2018 relative au relèvement du seuil de revente à perte (SRP) et à l'encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires prévoit que, pour une durée de deux ans, « le prix d'achat effectif défini au deuxième alinéa du I de l’article L. 442-5 du code de commerce est affecté d'un coefficient de 1,10 pour les denrées alimentaires et les produits destinés à l'alimentation des animaux de compagnie revendus en l'état au consommateur ».
Cette règle dite du « SRP + 10 » a été reconduite jusqu’au 15 avril 2023 par l’article 125 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l'action publique, puis jusqu’au 15 avril 2025 par l’article 2 de la loi Égalim 3, qui en a exclu dans le même temps les fruits et légumes frais et les bananes.
La loi Égalim 2 n’a pas modifié les dispositions applicables au SRP +10. Néanmoins, le sujet ne peut être délaissé au moment d’évaluer ses dispositions, d’autant que se pose la question de l’avenir d’un dispositif qui arrive à échéance dans quelques semaines (15 avril 2025).
L’expérimentation du relèvement du seuil de revente à perte a fait l’objet de deux rapports d’évaluation réalisés par des économistes indépendants et remis au Parlement en octobre 2020 et 2022 ([37]). Les auteurs ont conclu que l’encadrement des promotions et le relèvement du seuil de revente à perte n’avaient eu qu’un très faible effet inflationniste sur les produits alimentaires. En revanche, ils n’ont pas réussi à analyser les impacts de ces mesures sur les revenus des agriculteurs.
Pourtant, le relèvement du seuil de revente à perte repose sur l’idée qu’un surcroît de marge sur les produits d’appel permettrait aux distributeurs de revaloriser les tarifs accordés à leurs fournisseurs de produits alimentaires et, indirectement, aux producteurs. Le caractère fondé de cette intuition n’a donc jamais été démontré.
L’article 2 de la loi Égalim 3 prévoit que le rapport annuel du Gouvernement au Parlement évaluant les effets du « SRP + 10 » sur la construction des prix de vente des denrées alimentaires et des produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie revendus en l’état au consommateur doit fournir des informations sur l’usage par les distributeurs, depuis 2019, du surplus de chiffre d’affaires résultant du relèvement du seuil de revente à perte.
Cette évaluation n’a jamais pu être fournie par le Gouvernement, qui soutient ne pas être en mesure de la livrer faute de pouvoir recueillir des données utiles auprès des distributeurs pourtant tenus de « transmettre aux ministres chargés de l’économie et de l’agriculture, avant le 1er septembre de chaque année, un document présentant la part du surplus de chiffre d’affaires enregistré à la suite de la mise en œuvre du “SRP+10” qui s’est traduite par une revalorisation des prix d’achat des produits alimentaires et agricoles auprès de leurs fournisseurs ».
L’abandon pur et simple du « SRP + 10 » ne peut toutefois pas être envisagé alors que les acteurs économiques sont en demande de stabilité des règles et que les producteurs redoutent qu’à défaut d’avoir profité du « ruissellement » du « SRP + 10 », ils puissent subir les conséquences de sa suppression sur leur rémunération.
Dans ces conditions, vos rapporteurs ne peuvent que rejoindre la position exprimée par les rapporteurs du groupe de suivi des lois Égalim du Sénat qui, dans leur rapport, appellent à « évaluer le SRP + 10 % et prolonger (et non pérenniser) l’expérimentation » ([38]). Le Gouvernement devra donc s’efforcer d’évaluer les effets du « SRP + 10 » sur les prix payés aux producteurs et sur l’inflation.
Proposition n° 18 :
Prolonger l’expérimentation du « SRP + 10 »
La principale crainte liée à la disparition de ce relèvement du seuil de revente à perte réside dans une résurgence de la « guerre des prix » entre des distributeurs libres de faire jouer plus largement la péréquation de leurs marges entre les produits d’appel et les autres.
Ces distributeurs pourraient décider d’augmenter exagérément leurs marges sur certains produits, souvent des produits durables et de qualité, pour compenser des marges nulles ou très faibles sur des produits d’entrée de gamme ou des produits d’appel. Les producteurs seraient en toute hypothèse pénalisés, soit en subissant une pression à la baisse sur leurs prix, soit en voyant la demande pour leurs produits baisser en raison de leur renchérissement pour le consommateur.
Ainsi, pour préparer une éventuelle sortie du dispositif de « SRP + 10 » à l’issue d’une nouvelle période de prolongation et d’évaluation, il semble opportun à vos rapporteurs d’instaurer une interdiction de pratiquer un taux de marge excessif ayant pour objet ou pour effet de dépositionner certains produits. À terme, les distributeurs pourraient ainsi retrouver une plus grande latitude pour la péréquation de leurs marges sans que cela leur permette de pratiquer des marges excessives sur certains produits (ce que rendraient possibles des marges abusivement basses sur d’autres produits). En quelque sorte, la limitation se ferait « par le haut » et non plus « par le bas », ce qui permettrait de protéger tant les fournisseurs et leurs producteurs que les consommateurs.
Si de telles pratiques peuvent certainement relever de l’abus de position dominante, les difficultés à caractériser cette infraction justifient la définition d’une infraction spécifique et plus précise.
Proposition n° 19 :
Réprimer la pratique commerciale déloyale consistant, pour un distributeur de produits agricoles ou alimentaires, à pratiquer pour un produit donné un taux de marge commerciale abusivement haut par rapport au taux de marge moyen pratiqué par ce distributeur.
III. Le dispositif Français de « marche en avant » des prix mérite d’être défendu et promu
A. Renforcer les contrôles et appliquer des sanctions
1. La montée en puissance des contrôles a permis une appropriation progressive des dispositions législatives nouvelles
Les contrôles opérés par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) portent, d’une part, pour l’amont, sur la relation contractuelle entre un producteur de produits agricoles et son « premier acheteur », et d’autre part, pour l’aval, sur la relation contractuelle entre fournisseur et distributeur. Dans ce cadre, la DGCCRF a su adapter la nature et le degré de ses contrôles, au regard de l’évolution constatée des pratiques.
Entre 2022 et 2024, le nombre de contrôles ainsi opérés a plus que doublé au niveau de l’amont agricole : ils étaient au nombre de 100 en 2022 et de 250 en 2024. Cette augmentation significative traduit certainement la volonté du Gouvernement, renforcée par le mouvement des agriculteurs à partir de la fin de l’année 2023, de parvenir à faire appliquer pleinement les obligations édictées dans le cadre des lois Égalim successives, après une période d’ajustement laissée aux différents acteurs.
Lors de son audition, la DGCCRF a confirmé que les contrôles opérés jusqu’en 2023 avaient une vocation davantage pédagogique que répressive, dans la mesure où la contractualisation écrite obligatoire mise en place par la loi Égalim 2 constituait une disposition nouvelle et difficile à s’approprier pour de nombreux acteurs. Elle marque en effet un changement profond de pratiques dans certaines filières.
À l’aval, il apparaît encourageant qu’un certain nombre de contrôles opérés aient mis en évidence l’appropriation des nouvelles règles par les acteurs. Ainsi, en 2022, trois types de contrôles ont été pratiqués sur cette partie de la chaîne, dont certains n’ont pas eu besoin d’être reconduits :
– le contrôle des conditions générales de vente (CGV) des fournisseurs, afin de s’assurer qu’elles mentionnaient bien l’une des trois options de transparence prévue par la loi Égalim 2. Au-delà de l’épineuse question de la pertinence de l’option n° 3 (cf. supra partie II), ces contrôles n’ont pas été reconduits en 2023 du fait de l’appropriation du dispositif par les opérateurs ;
– le contrôle des lettres de réponse des distributeurs aux conditions générales de vente des fournisseurs qui, en cas de refus, doivent être présentées dans un délai d’un mois et de manière argumentée pour les produits alimentaires. De même, ces contrôles n’ont pas été reconduits en 2023 du fait de l’appropriation rapide du dispositif par les opérateurs ;
– le contrôle des conventions signées entre les fournisseurs et les distributeurs. Aucun retard significatif de signature des contrats par rapport à la date-butoir du 1er mars n’a été constaté. Cependant, l’insertion des clauses de révision automatique a, dans environ 80 % des contrats, parfois été repoussée au-delà du 1er mars 2022, en raison des difficultés des parties à se mettre d’accord sur leur contenu.
Si le nombre de contrôles a augmenté en 2023, dans la mesure où le ministre chargé de l’économie a appelé les opérateurs à renégocier les contrats conclus en 2023 quelques semaines après la date-butoir du 1er mars, la DGCCRF n’a pas jugé opportun de mener des contrôles approfondis sur ce point. Elle estimait en outre que, passé le début du mois d’avril, il ne semblait plus pertinent de les réaliser.
Parallèlement, la loi n° 2023-221 du 30 mars 2023 tendant à renforcer l'équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, dite loi « Descrozaille », a prévu que les parties pouvaient continuer à négocier les conditions applicables entre elles et saisir le médiateur des relations commerciales agricoles jusqu’au 1er avril. Même si la loi est entrée en vigueur après la date-butoir du 1er mars 2023, il aurait été discutable de prendre des sanctions la même année pour non-respect de la date-butoir après le 1er avril, lorsque les parties avaient saisi le médiateur.
2. Le nombre important de manquements révélés justifie de poursuivre le renforcement des contrôles
Le renforcement des contrôles n’a pas manqué de révéler un nombre important de manquements, notamment du côté des acteurs de l’aval au regard de leurs obligations contractuelles. L’inflexion décidée par le Gouvernement à partir de la fin 2023, sur le nombre des contrôles et la nature des réponses à apporter aux infractions, apparaissait dès lors nécessaire pour éviter le risque, souligné par la DGCCRF lors de son audition, que des lois structurantes pour le secteur agricole et l’ensemble de la chaîne agroalimentaire ne puissent pleinement produire leurs effets.
L’enquête lancée en 2022 par la DGCCRF avait pour objectif de s’assurer du respect des lois Égalim par l’ensemble de la filière agroalimentaire, de l’amont à l’aval.
À l’amont, notamment, les contrôles avaient mis en évidence une prise en compte partielle de la loi dans certaines filières habituées à la contractualisation écrite (filière laitière, par exemple). En revanche, les filières peu habituées et peu enclines à la contractualisation écrite (filière « Viande bovine », en particulier) témoignaient d’un certain attentisme, accentué par les tensions géopolitiques et la volatilité des cours. Dans certaines filières (filière porcine, notamment), les négociations n’ont pas toujours permis la répercussion des hausses de coûts. Ces contrôles avaient révélé, par ailleurs, les réticences à l’égard de la loi de certains producteurs agricoles qui devaient, en principe, être à l’initiative de la proposition de contrat mais semblaient, dans certains cas, préférer négocier « au coup par coup » (filière bovine, par exemple).
En 2023, la même enquête a fait ressortir de nombreux manquements, avec un défaut d’application de la loi quasi généralisé dans certaines filières : ainsi en est-il – exemple le plus symptomatique – la filière « Viande bovine » dans laquelle on constate un faible degré de contractualisation écrite, en raison notamment de l’absence de proposition de contrat émanant du producteur agricole (ou de son groupement) à son acheteur, alors que ce principe constitue le fondement mêle de la « marche en avant » du prix.
En tout état de cause, il est demandé aux enquêteurs de vérifier que la proposition initiale de contrat du producteur (ou de l’organisation de producteurs) est bien annexée au contrat signé entre les deux parties et de les comparer afin de mettre en évidence les modifications intervenues au cours de la négociation. Les contrôles se concentrent alors, en pratique, sur le contenu du contrat, la présence des clauses obligatoires, la présence des indicateurs et leur pondération. Tous ces éléments doivent ensuite être contextualisés au regard des éléments recueillis sur la relation économique qui unit le producteur et son acheteur (ancienneté de la relation, déroulement des négociations, caractère conflictuel, situation de dépendance économique…).
C’est dans ce cadre qu’ont été lancées, début 2024, des procédures contre des acheteurs de taille significative et pouvant donc avoir une influence sur l’ensemble des opérateurs des filières. Il s’agissait de sanctionner, en majorité, un défaut de contractualisation. Ont ainsi été visés un opérateur de la filière laitière et trois opérateurs de la filière bovine. Des procédures de pré-injonction ont été engagées et elles ont déjà eu un impact sur le niveau de contractualisation ; elles sont toujours en cours.
Une difficulté réside dans le fait que ce défaut de contractualisation procède aussi d’un défaut de proposition de contrat de la part des producteurs agricoles concernés – et parfois d’un refus du principe même de conclusion d’un contrat écrit. Ces producteurs mettent en avant la complexité, pour eux, de faire une proposition de contrat, rappelant la pertinence des propositions nos 2, 4 et 5 de vos rapporteurs (cf. supra).
Au total, 51 manquements ont été constatés en 2023, dont 35 ont concerné des acheteurs et 16 des producteurs. Ils corroborent, de manière générale, les constats faits en 2022 : l’absence de contrat ou de proposition de contrat représente 60 % des manquements ; viennent ensuite les contrats ne respectant pas le formalisme et les clauses obligatoires (25 %) ; les autres manquements concernent l’absence de clause de tunnel de prix ou le non-respect des modalités de facturation. La filière bovine, viande comme laitière, concentre 82 % des manquements relevés.
Ces chiffres confirment le ressenti des principales associations de producteurs agricoles auditionnées par vos rapporteurs :
– La Fédération nationale bovine (FNB), adhérent d’Interbev, reconnaît ainsi que les dispositions législatives mises en place par la loi Égalim 2 n’ont pas été respectées et appelle à accélérer les dispositifs de contrôle et de sanctions prévues par la loi ;
– L’association d’organisations de producteurs Sunlait regrette le manque de communication à visée pédagogique (à travers, par exemple, la présentation de lignes directrices ou de publications ciblées, l’organisation d’évènements…) et le manque d’accompagnement qui suit les contrôles. Elle relève que nombre de contrôles restent sans suite, laissant les organisations de producteurs seules face aux problématiques de déséquilibres et de non-respect de la loi ;
– L’association nationale des industries alimentaires (ANIA) estime que l’administration gagnerait à approfondir l’accompagnement des producteurs face à la complexité des clauses contractuelles et des dispositions de la loi.
Ces acteurs plaident également pour un approfondissement des éléments soumis au contrôle, à l’amont comme à l’aval – ce à quoi souscrivent pleinement vos rapporteurs. Au-delà de leur formalisme, il conviendrait de contrôler l’économie même des contrats.
Les contrôles devraient également porter sur les relations hors contrat (en cas d’absence de réponse à la proposition de contrat ou de non-respect du socle de la négociation, par exemple).
Dans le même sens, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) plaide pour des contrôles réguliers et débouchant sur des sanctions systématiques ayant pour finalité de s’assurer, au-delà du formalisme des contrats (présence et rédaction des clauses de prix, par exemple), que l’esprit des lois Égalim est respecté – à savoir, la sanctuarisation complète des coûts des matières premières agricoles de l’amont à l’aval, dans une logique de construction des prix « en marche avant ».
Cela supposerait que les contrôleurs de la DGCCRF soient familiarisés avec les enjeux amont et l’articulation entre les dispositions du code rural et de la pêche maritime (enjeux de production agricole) et celles du code du commerce (enjeu de loyauté des relations commerciales).
3. Le renforcement des contrôles suppose une hausse des moyens qui y sont consacrés
Malgré l’engagement louable des équipes de la DGCCRF, qui s’appuie pour la réalisation de ses contrôles sur les services déconcentrés de l’État et, plus particulièrement, les directions régionales et interdépartementales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités et leurs brigades des relations interentreprises, ces équipes ne sont dotées que de moyens et d’effectifs trop limités pour aspirer à augmenter encore significativement le nombre de contrôles réalisés dans les prochaines années. La nécessité de renforcer ces moyens a d’ailleurs déjà pu être signalée à diverses reprises à l’occasion de travaux parlementaires ([39]) et elle est d’autant plus légitime que les contrôles ont également vocation à porter sur les activités des centrales d’achat internationales, qui permettent largement de contourner le cadre de la loi (cf. infra, III. B.). Or, la brigade des relations interentreprises d’une direction régionale et interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités n’est composée que de 24 personnes, dont 11 inspecteurs affectés spécifiquement au suivi des enseignes de grande distribution ([40]) .
Au-delà du renforcement quantitatif de ces contrôles, vos rapporteurs souhaitent insister sur la nécessité de progresser également sur la formation des enquêteurs, le champ des contrôles et les mesures à prendre.
S’agissant du volet « Formation », l’audition du ministère chargé de l’agriculture a révélé que les agents de FranceAgriMer ([41]) ne se sont aucunement saisis de leur pouvoir de contrôle du respect des dispositions des lois Égalim, pour des raisons liées au manque d’effectifs (déjà fortement mobilisés pour le contrôle des dispositifs d’aides de crise, des programmes opérationnels et des organisations de producteurs), mais également au manque de compétences techniques et juridiques, compte tenu de la complexité des dispositions à contrôler. Or cette formation approfondie n’est assurée, à ce stade, qu’au sein du corps des enquêteurs de la DGCCRF. Pourtant, la participation d’agents de FranceAgriMer aux procédures de contrôle du respect des dispositions relatives aux contrats amont permettrait une approche complémentaire, centrée sur les enjeux de la production agricole, à celle des agents de la DGCCRF.
Proposition n° 20 :
Augmenter les effectifs consacrés au contrôle du respect des dispositions des lois Égalim au sein de la DGCCRF et de FranceAgriMer.
Enfin, les manquements constatés lors des contrôles gagneraient à être davantage assortis de sanctions : sans sanctions dissuasives, ces contrôles resteront vains. Vos rapporteurs rejoignent donc la proposition issue d’un récent rapport du Sénat ([42]), appelant à systématiser les sanctions, notamment lorsque les manquements portent sur les centrales d’achat internationales qui sont au cœur de stratégies de contournement du cadre légal.
B. Lutter contre les stratÉgies de contournement en France et en Europe
1. Le recours accru aux centrales d’achat internationales masque un contournement organisé du cadre des lois Égalim
Les distributeurs justifient traditionnellement le recours à des centrales internationales par un objectif de mutualisation des achats à l’échelle européenne, face à des fournisseurs étrangers plus puissants qu’eux. Ils gagneraient ainsi en puissance d’achat et pourraient, dans le même temps, sécuriser l’approvisionnement de leurs magasins à l’étranger. Or, à l’exception de quelques rares enseignes comme Carrefour, l’essentiel des distributeurs français ne dispose pas (ou peu) de magasins à l’étranger. Il apparaît ainsi que la majorité des transactions effectuées par l’intermédiaire de ces centrales sert, en réalité, à l’approvisionnement de leurs points de vente en France.
Selon la DGCCRF, de 40 % à 50 % des volumes et jusqu’à 20 % de la valeur des produits vendus par la grande distribution en France sont négociés par ces centrales d’achat implantées à l’étranger.
Alors que le recours aux centrales d’achat internationales était à l’origine exclusivement réservé aux multinationales, il concerne aujourd’hui presque tous les distributeurs français. Ainsi, dans le sillage des trois enseignes dominantes du marché que sont Leclerc, Carrefour et Aura (alliance Intermarché, Auchan et Casino), des enseignes comme Les Mousquetaires et Système U ont rejoint, elles aussi, des centrales d’achat européennes ; ce dernier a toutefois annoncé son retrait de la centrale d’achats européenne Everest en septembre 2024.
La croissance de cette pratique et son extension à des acteurs qui ne sont que très faiblement implantés sur des marchés hors de France rendent difficile de ne pas y voir une stratégie organisée de contournement du cadre législatif français. L’évolution régulière de ces alliances renforce encore cette impression.
En effet, en négociant directement avec les industriels de grandes marques (Nestlé, Coca-Cola, etc.), ces centrales d’achat visent à se fournir aux prix les plus bas et à échapper au cadre législatif français des négociations commerciales, qui prévoit notamment la sanctuarisation de la matière première agricole. Ces négociations pourraient également servir à contourner le régime de sanctions et les mesures de lutte contre les pratiques commerciales déloyales, renforcées dans le cadre de la loi Égalim 3 (cf. articles L. 442-1 à L. 442-11 du code de commerce), ainsi que les dispositions particulières qui s’appliquent aux denrées alimentaires (en matière d’information, de négociations, etc.).
Lors de son audition, le médiateur des relations commerciales agricoles a illustré l’effet potentiel de ces centrales d’achat à travers l’exemple emblématique du lait français : dès lors que les producteurs dominants du marché (Lactalis, Savencia, Sodiaal et Danone) sont contraints de négocier leurs tarifs hors de France, donc potentiellement sans application du cadre défini par les lois Égalim, « à quoi peut servir de demander aux industriels laitiers de négocier en amont un prix d’achat du lait avec les agriculteurs, si ce prix ne pourra pas être pris en compte à l’aval ? ».
Ce phénomène est amplifié avec la généralisation des centrales de services internationales, comme le relevaient également, en conclusion de la mission qui leur avait été confiée, nos anciens collègues Anne-Laure Babault et Alexis Isard ([43]). Ces centrales, dont les principales sont Coopernic (Leclerc et Rewe) et Carrefour World Trade, commercialisent des services à destination des fournisseurs de tous les pays, qui vont du partage et traitement de données à des services visant à améliorer la visibilité des produits. Or ces services ne sont pas pris en compte dans la construction du tarif de l’industriel, au mépris de la loi – voire sont fictifs. De plus, nombre d’industriels reprochent régulièrement à ces centrales de rendre l’achat de leurs services obligatoires afin de pouvoir ensuite contractualiser avec le distributeur partenaire.
Dans ce contexte, la légitimité et la nécessité des contrôles opérés par la DGCCRF sont évidemment soulignées. Mais la compétence des autorités françaises pour agir reste régulièrement contestée et elle est parfois difficile à prouver.
L’article 1er de la loi Égalim 3 a réaffirmé le caractère d’ordre public des règles sur les négociations commerciales, afin que lorsqu’un juge est saisi de pratiques non conformes à ces règles, il puisse reconnaître le caractère de loi de police des dispositions du code de commerce ayant pour objet de protéger l’ordre public économique français, quand bien même ces pratiques interviendraient formellement en dehors du territoire français et dès lors que les produits sont, quant à eux, bien commercialisés en France ([44]). Mais cela ne suffit pas à dissuader la grande majorité des enseignes de se lancer dans des batailles juridiques avec les autorités françaises.
2. Les difficultés à faire aboutir les litiges à l’encontre des centrales d’achat justifient de faire évoluer le régime de responsabilité des distributeurs
Plusieurs centrales d’achat ont été sanctionnées pour ne pas avoir respecté les obligations contractuelles imposées par les lois Égalim, notamment pour avoir enfreint la « date-butoir » de clôture des conventions habituellement fixée au 1er mars (mais avancée au 15 ou 31 janvier 2024 lors du dernier cycle de négociations, conformément à la loi du 17 novembre 2023 portant mesures d’urgence pour lutter contre l’inflation concernant les produits de grande consommation).
Ainsi, les centrales internationales d’achats Eurelec, dont est membre l’enseigne Leclerc, et Eureca, qui appartient au groupe Carrefour, ont été sanctionnées par la DGCCRF d’amendes administratives conséquentes, à hauteur, respectivement, de 38 millions d’euros et 10 millions d’euros ([45]), à l’issue des négociations commerciales 2024 pour non-respect de la date-butoir.
En parallèle, la DGCCRF cherche à sanctionner les pratiques abusives et déloyales au sein des contrats des centrales de services internationales. Par exemple, en janvier 2022, Intermarché a été condamné à une amende de 19,2 millions d’euros pour ne pas avoir mentionné ces services internationaux dans ses conventions avec ses fournisseurs français.
Face aux sanctions, plusieurs distributeurs ont contesté la compétence des autorités et des juges français. Ces contestations allongent considérablement la durée des procédures et visent à faire obstacle à une application effective de la loi, voire à faire échec au caractère potentiellement dissuasif des sanctions.
À titre d’illustration, en 2019, Eurelec et d’autres entités du groupe Leclerc ont été assignées devant le tribunal de commerce de Paris pour déséquilibre significatif, à hauteur de 117 millions d’euros. Elles ont alors contesté la compétence du juge français, retardant l’examen de l’affaire. En février 2024, la cour d’appel a tranché en confirmant cette compétence. De son côté, l’entité belge d’Intermarché a adopté une stratégie similaire après son assignation en 2021 pour les pratiques d’Agecore. Enfin, Eurelec a engagé plusieurs recours en Belgique pour empêcher la DGCCRF d’enquêter sur elle, ainsi que sur ses membres et ses fournisseurs basés en France.
Devant ces difficultés et l’incertitude quant à l’issue des mesures de sanction prises par la DGCCRF à l’égard de ces centrales européennes ou internationales, la question se trouve posée de modifier le régime de responsabilité des enseignes établies en France. L’objectif serait de pouvoir tenir solidairement responsable des manquements commis par une centrale d’achat européenne l’enseigne de distribution installée en France, qui commercialise les produits et qui adhère à cette centrale.
La question délicate de l’extranéité serait ainsi en partie résolue et l’incitation à délocaliser les négociations hors de France serait amoindrie. Cela aurait en effet pour conséquence de rendre inopérantes les stratégies de contournement du cadre légal français déployées par certains distributeurs par le biais des centrales d’achat.
Proposition n° 21 :
Prévoir une responsabilité solidaire du distributeur qui exploite un ou plusieurs magasins de commerce de détail en France pour la méconnaissance, par une centrale d'achat ou de référencement, des règles du titre IV du livre IV du code de commerce lors de l’achat des produits qu’il distribue.
Les autorités françaises ne devraient pas pour autant renoncer aux poursuites directes contre les centrales d’achat. Ces poursuites pourraient être facilitées à condition de porter une harmonisation et une clarification des règles applicables au niveau de l’Union européenne.
3. Ces évolutions doivent inspirer des réformes au niveau européen
Si la mise en place, au niveau national, de mesures nécessaires à la défense du modèle français de « marche en avant » des prix, est pleinement légitime, il paraît utile de porter au niveau de l’Union européenne l’ambition de promouvoir des bonnes pratiques et un cadre harmonisé des pratiques illégales en matière de relations commerciales dans le domaine alimentaire.
Si la directive (UE) n° 2019/633 du 17 avril 2019 encadrant les relations commerciales dans la filière agroalimentaire constitue l’un des premiers fondements du cadre juridique européen en la matière, elle n’apporte pas de grandes modifications par rapport au cadre déjà existant en France. En effet, la plupart des pratiques visées par cette directive sont déjà illicites dans notre pays, en application des règles consacrées par la loi Égalim 1 et par l’ordonnance du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du code de commerce, qui a recentré le droit national des pratiques commerciales restrictives de concurrence autour de trois pratiques illicites générales : le déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, l'avantage sans contrepartie et la rupture brutale des relations commerciales.
Le texte de l’Union européenne crée toutefois trois nouvelles pratiques illicites qui ne pouvaient pas être appréhendées par le droit français, au regard des pratiques illicites générales rappelées ci-dessus. Il s'agit de :
– l’interdiction d’annuler une commande à trop brève échéance ;
– l’interdiction d’obtenir, d’utiliser ou de divulguer le secret des affaires ;
– l’interdiction de refuser de confirmer par écrit les conditions d’un contrat.
Ces apports restent considérablement en retrait par rapport aux exigences qu’a entendu fixer le législateur en matière de protection du consommateur et des agriculteurs, s’agissant du cadre des négociations contractuelles entre les différents acteurs de la chaîne agroalimentaire.
Le problème de la compétence des autorités nationales ayant à se prononcer sur des litiges dont l’une des parties ne réside pas sur le sol français reste par ailleurs entier (cf. supra – partie III. B. 2). C’est pourquoi la DGCCRF plaide auprès de la Commission européenne afin que celle-ci reconnaisse sa compétence visant à garantir le respect de l’ordre public économique français.
En phase avec les recommandations déjà présentées dans le cadre d’autres travaux parlementaires ([46]), vos rapporteurs proposent de plaider à l’échelle européenne pour instaurer des règles qui encadrent les relations commerciales, garantissant, de fait, une régulation appropriée de celles-ci au sein du marché européen. Il va de soi que le niveau de protection appelé à être promu au niveau européen ne pourrait pas conduire à affaiblir celui qui est aujourd’hui en vigueur en France.
Proposition n° 22 :
Porter au niveau européen un approfondissement du cadre applicable aux pratiques commerciales déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d'approvisionnement agricole et alimentaire, tout en faisant reconnaître le critère du lieu de commercialisation des produits pour déterminer le droit applicable.
IV. des dispositions relatives À l’Étiquetage en grande partie inappliquÉes
A. Une expÉrimentation du « rÉmunÉra-score » Encore attendue
L’article 10 de la loi Égalim 2 a instauré une expérimentation, pour une durée maximale de cinq ans, qui porte sur un affichage destiné à apporter au consommateur « une information relative aux conditions de rémunération des producteurs de produits agricoles ».
Cette expérimentation poursuit un double objectif : répondre à une demande d’information des consommateurs et promouvoir des modalités de rémunération satisfaisantes pour les producteurs agricoles, afin de contribuer à la souveraineté alimentaire nationale et faciliter les transitions de l’agriculture française.
Un rapport remis en novembre 2022 par le Conseil général de l’alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) ([47]) a décrit le contexte de l’expérimentation et, en particulier, les diverses initiatives qui l’ont précédée. Il envisage les enjeux, les éléments à prendre en compte, les aspects méthodologiques et les difficultés à surmonter.
Le décret n° 2023-540 du 29 juin 2023 a fixé la liste des productions qui participent à l’expérimentation, à savoir : les viandes bovines, ovines, caprines et porcines ; les fruits et légumes frais ; le lait de consommation et les produits laitiers (yaourts et laits fermentés, crème conditionnée, beurre et fromages) au lait de vache, de chèvre ou de brebis ; et les œufs coquille.
L'expérimentation devra évaluer les initiatives portées par les acteurs qui se seront fait connaître dans le cadre d'un appel à manifestation d'intérêt, dont le lancement prévu au deuxième semestre 2024 est encore attendu. Les porteurs de projet devront répondre à des questions thématiques avec l'appui d'un tiers évaluateur. Il pourra s'agir d'initiatives existantes ou nouvelles.
La gouvernance de l'expérimentation a été présentée dans une réponse ministérielle à une question parlementaire ([48]). Le comité de pilotage de l’expérimentation est déjà installé et cette gouvernance permettra d’associer toutes les parties prenantes.
Parmi les nombreux défis à relever, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a rappelé qu’un tel dispositif devait se conformer aux dispositions du règlement (UE) n° 1169/2011, dit règlement « Inco » ([49]) et respecter le principe de libre circulation des marchandises, d’une part, et que sa mise en œuvre généralisée devait satisfaire sa pleine conformité avec le droit de l’Union européenne ([50]) – ce qui nécessiterait de le notifier préalablement à la Commission européenne –, d’autre part.
Ces observations renvoient à une autre difficulté relative aux modalités de prise en compte des produits importés dans les paramètres de l’expérimentation. La matière première de certains produits peut en effet provenir de plusieurs pays, dont la France : dès lors, l’information sur la rémunération du producteur agricole peut être difficile à faire remonter tout au long de la chaîne de transformation, un même prix payé ne couvrant pas de la même façon le prix de revient du producteur selon les pays. L’objectif de loyauté de l’information envers le consommateur est donc confronté à la difficulté de pouvoir déterminer objectivement les notions de « rémunération du producteur », de « coût de production » ou de « juste niveau » de rémunération du producteur agricole ([51]).
Toutefois, du point de vue de l’intérêt du consommateur pour l’origine des produits, la question de la juste rémunération du producteur agricole reste pertinente. Cette question peut participer à la segmentation des marchés et donc à la création de valeur pour les produits français.
Déploiement du dispositif « Rémunéra-score » sur une sélection de produits de la filière « Viande bovine »
Dans le cadre des dispositions de l’article 10 de la loi Égalim 2 et quinze mois avant la parution du décret d’application, la Fédération nationale bovine et l’enseigne Lidl ont conclu un partenariat pour mettre en place un affichage « Rémunéra-score », visant à informer le consommateur sur les conditions de rémunération des producteurs.
Cette démarche a été officiellement lancée lors du salon international de l’agriculture 2022. Elle a été appliquée aux produits de la filière « Viande bovine » de race limousine distribués dans les 150 supermarchés de la région Grand-Est de l’enseigne Lidl et elle continue à se déployer.
La notation de ce « Rémunéra-score » repose sur l’indicateur de coûts de production établi dans la filière bovine, qui vise à couvrir le prix de revient des producteurs (cf. II.A.2. supra). La notation s’étend de A+ à F, avec des paliers différenciés et incitatifs pour les opérateurs : la notation A+ correspond à une prise en compte minimum de 100 % de l’indicateur de référence du prix de revient, tandis que la notation F correspond à l’absence totale de revenu pour le producteur.
B. Plusieurs mesures d’information du consommateur inapplicables À droit constant
La loi Égalim 2 comporte une série de dispositions visant à améliorer l’information du consommateur quant à l’origine des produits alimentaires.
Le paragraphe I de son article 12 prévoit ainsi que le Gouvernement remet chaque année au Parlement, au plus tard le 31 décembre, un rapport sur sa politique de contrôle de l’année en matière de pratiques commerciales trompeuses portant sur l'affichage de l'origine des denrées alimentaires.
Le premier rapport, compilant les résultats des contrôles pour les années 2021 et 2022, a été transmis au Parlement le 5 février 2024. Toutefois, la DGCCRF met en avant la difficulté à respecter l’échéance du 31 décembre, car les résultats des contrôles d’une année donnée, comme le montant des sanctions, sont au plus tôt connus au 30 juin de l’année suivante.
Activités de contrôle de la DGCCRF en 2023
Le rapport du Gouvernement remis au Parlement en application de l’article 12 de la loi Égalim 2 retrace l’activité de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) en 2023 pour ce qui concerne la répression des pratiques commerciales trompeuses portant sur l'affichage de l’origine des denrées alimentaires.
Nombre de contrôles effectués en 2023
En 2023, 11 743 visites (11 937 en 2022) portant notamment sur la réglementation relative à l’origine des produits ont été effectuées dans 10 140 établissements (10 293 en 2022), dont 41,6 % présentaient une anomalie, c’est-à-dire une non-conformité à la réglementation (41 % en 2022). Chaque établissement peut être contrôlé sur plusieurs produits ou plusieurs réglementations : au total, 14 903 actions de contrôle sur l’origine des produits ont été menées en 2023, dont 34,7 % étaient en anomalie.
Suites données aux contrôles en 2023
Par ailleurs, en 2023, 338 transactions ont été proposées, dont 265 ont été acceptées. Le montant moyen des transactions acceptées était de 2 546 €.
– Le paragraphe II de l’article 12 complète l’article L. 121-4 du code de la consommation qui définit les pratiques commerciales réputées trompeuses pour y ajouter l’interdiction de faire figurer un drapeau français, une carte de France ou tout symbole représentatif de la France sur les emballages alimentaires lorsque les ingrédients primaires ne sont pas d’origine française.
Aucun décret d’application de ces dispositions n’a été pris à ce jour, notamment afin de déterminer les filières concernées par ces dispositions.
Ces dispositions présentent en effet un problème de conformité avec le droit de l’Union européenne et, plus particulièrement, avec le règlement Inco. La publication des décrets d’application a ainsi été suspendue dans l’attente de la révision annoncée de ce règlement.
En effet, dans le cadre de sa stratégie « De la ferme à la table », la Commission européenne avait lancé une révision de ce règlement en décembre 2020 visant à assurer une meilleure information des consommateurs sur l’étiquetage des produits alimentaires, notamment au regard des enjeux de santé alimentaire et de traçabilité des matières premières. Le calendrier prévoyait que cette révision soit adoptée pour le quatrième trimestre 2022, mais il a été compromis par des campagnes d’influence et des désaccords entre les États membres de l’Union européenne ([52]) .
En dépit de l’inapplicabilité de ces dispositions, la DGCCRF veille à la loyauté de l’information du consommateur, comme le prévoit d’ailleurs l’article 7 du règlement Inco, et à l’absence de pratique commerciale trompeuse, ce qui peut concerner l’utilisation de symboles pouvant induire en erreur le consommateur sur l’origine des ingrédients.
– Le 1° du paragraphe I de l’article 13 reproduit, au deuxième alinéa de l’article L. 412‑4 du code de la consommation, les obligations découlant de l’article 26, paragraphe 3 du règlement Inco applicables à l’indication de l’origine de l’ingrédient primaire. Il fait écran à l’application directe du droit de l’Union européenne, ce qui ne pose pas de difficultés en soi.
– Le 2° du paragraphe I du même article prévoit des obligations spécifiques pour l’information du consommateur, au moyen de l’étiquetage, sur l’origine de la gelée royale et du cacao produits au sein d’un État membre de l’Union européenne ou d’un pays tiers. Faute de révision du règlement Inco, la France a notifié deux projets de décret à la Commission européenne. Le premier porte sur l’origine du cacao, lequel a reçu un avis circonstancié sur sa non-conformité à la directive 2000/36/CE relative aux produits de cacao et de chocolat destinés à l’alimentation humaine. Le second porte sur l’origine de la gelée royale, pour lequel la Commission a demandé plus de précisions afin d’évaluer sa conformité au règlement Inco.
S’agissant de l’origine du miel, le décret n° 2022-482 du 4 avril 2022 relatif au miel a été pris en application des dispositions du 2° du I de l’article 13. Il prévoit une obligation, pour les mélanges de miels conditionnés en France, d'indiquer le nom des pays d'origine, alors que les miels conditionnés en dehors du territoire national peuvent faire référence à une origine UE ou non UE.
– Le paragraphe II de l’article 13 est relatif à l’information du consommateur en matière d’origine des vins et de la bière. Le décret n° 2022-1038 du 22 juillet 2022 relatif à l’information sur la provenance des vins rend ainsi obligatoire l’indication de la provenance et, le cas échéant, la mention de l'appellation d'origine protégée ou de l’indication géographique protégée d'un vin sur la carte des vins ou tout autre support utilisé par les établissements titulaires d’une licence de débit de boissons à consommer sur place ou à emporter ou d'une licence de restaurant.
La Commission européenne a en revanche émis un avis négatif sur le projet du Gouvernement visant à prendre un décret d’application des dispositions relatives à l’information du consommateur sur l’origine de la bière ([53]).
Ainsi, la plupart des dispositions de la loi Égalim 2 relatives à l’indication de l’origine des produits agricoles et alimentaires n’ont pas pu faire l’objet de textes d’application en raison du risque de non-conformité au droit européen.
Les rapporteurs appuient donc la demande unanime de voir la France porter une initiative au niveau européen pour réviser dans les meilleurs délais le règlement Inco, afin de renforcer les obligations d’information des consommateurs en matière d’origine des denrées alimentaires ([54]).
Proposition n° 23 :
Porter une initiative au niveau européen en faveur d’une obligation d’information sur l’origine de la matière première agricole
Dans cette attente, les démarches volontaires – notamment la démarche Origin’Info, en lien avec les professionnels et les consommateurs – doivent être saluées. Mais elles ne sauraient être considérées comme apportant une réponse suffisante aux attentes des consommateurs ([55]) et des producteurs agricoles.
L’information sur l’origine du produit est en effet un outil indissociable de la question de la rémunération des agriculteurs. Sans négliger la question de la compétitivité de l’agriculture française, l’information sur l’origine doit permettre, grâce à une plus grande transparence pour le consommateur, de différencier les produits, de segmenter les marchés et de créer davantage de valeur pour les produits issus de l’agriculture française.
En lien avec les propositions relatives à la transparence sur le coût de la matière première agricole ([56]) et sans qu’il soit nécessaire d’attendre la révision du règlement Inco pour ce faire, l’information sur l’origine des produits devrait être renforcée entre professionnels pour optimiser les mécanismes de sanctuarisation de cette matière première agricole instaurés par la loi Égalim 2.
Proposition n° 24 :
Imposer aux fournisseurs d’indiquer aux acheteurs professionnels le pays d’origine des trois principales matières premières agricoles ou bien, le cas échéant, qu’ils ne sont pas en mesure de leur communiquer cette information ([57]) .
Au cours de sa réunion du mardi 11 février 2025, la commission des affaires économiques a présenté le rapport de la mission d’évaluation de la loi n° 2021-1357 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs, dite « Egalim 2 » (M. Julien Dive, Mme Mathilde Hignet, M. Harold Huwart et M. Richard Ramos, rapporteurs).
Ce point de l’ordre du jour n’a pas fait l’objet d’un compte rendu écrit. Les débats sont accessibles sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :
Proposition n° 1 :
Renforcer les obligations de transmissions de données pour alimenter le système d’information statistique afin de disposer à n+1 de données fiables sur les niveaux de marge brut et de marge nette pratiqués par l’industrie agroalimentaire et les distributeurs, pour les différentes catégories de produits.
Proposition n° 2 :
Modifier le VI de l’article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime pour prévoir que la durée minimale fixée par accord interprofessionnel étendu peut être inférieure à trois ans.
Proposition n° 3 :
Réexaminer, au niveau réglementaire, la liste des filières exclues du champ de l’obligation de conclure un contrat écrit.
Proposition n° 4 :
Alléger le contenu obligatoire de la proposition de contrat actuellement prévue au III de l’article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime pour s’en tenir à l’objet et au prix.
Proposition n° 5 :
Établir une trame de contrat type annexée à un décret, qui reprendrait les clauses obligatoires de la proposition de contrat et comporterait une notice pour aider les producteurs agricoles à construire les rubriques de cette proposition.
Proposition n° 6 :
Rendre plus incitatif le regroupement en organisation de producteurs et accompagner ces organisations et leurs associations afin qu’elles disposent des moyens et des compétences pour négocier les accords-cadres ou les contrats pour leurs membres.
Proposition n° 7 :
Mieux protéger les organisations de producteurs et leurs associations des stratégies de contournement mises en œuvre par certains acheteurs en réaffirmant l’engagement des producteurs dans la durée et en créant une nouvelle pratique restrictive de concurrence consistant en la déstabilisation (ou tentative de déstabilisation) d’une OP ou d’une AOP.
Proposition n° 8 :
Expérimenter, dans les filières dans lesquelles la contractualisation écrite sera considérée comme suffisamment diffusée, l’instauration d’une obligation, pour le fournisseur, d’avoir conclu un contrat amont avec un producteur agricole avant d’envoyer ses conditions générales de vente (CGV).
Proposition n° 9 :
Prévoir que le Comité de règlement des différends commerciaux agricoles peut être saisi après toute tentative infructueuse de médiation et trouver un meilleur équilibre entre respect du contradictoire et préservation du secret des affaires lors de la procédure devant ce Comité.
Prévoir qu’il peut faire toutes recommandations aux ministres chargés de l’économie et de l’agriculture sur l’évolution et l’application de la réglementation relative aux relations contractuelles.
Proposition n° 10 :
Approfondir le travail sur les indicateurs de coûts de production pour fournir des indicateurs reconnus et adaptés aux différentes productions.
Proposition n° 11 :
Prévoir que constitue un prix « abusivement bas » au sens de l’article L. 442-7 du code de commerce, le prix d’un contrat dont les critères et les modalités de révision ou de détermination du prix ont pour effet d’empêcher la prise en compte, à un niveau suffisant pour atteindre le coût de revient, des indicateurs de coûts de production indiqués dans le socle de la négociation.
Proposition n° 12 :
Rejeter l’idée d’étendre aux grossistes le champ d’application de la transparence sur le coût de la matière première agricole et de sa sanctuarisation.
Proposition n° 13 :
Maintenir une date butoir des négociations commerciales, sans différenciation, tout en apportant une certaine souplesse aux acteurs :
- envoi des CGV entre le 15 novembre et le 15 décembre, le cas échéant, dans les filières pour lesquelles cela a été rendu obligatoire à titre expérimental (cf. proposition n° 8), après que le fournisseur a conclu ses contrats d’approvisionnement en matières premières agricoles ;
- signature de la convention unique au plus tard deux mois après l’envoi des CGV, soit entre le 15 janvier et le 15 février.
Proposition n° 14 :
Simplifier l’option n° 2 pour que la transparence sur la matière première agricole puisse ne concerner que la part agrégée des trois principales matières premières agricoles contenues dans le produit, ce qui permettrait, sans que cela porte atteinte à la protection du secret des affaires, de supprimer l’option n° 3 consistant à faire certifier que le prix de l’année n est au moins égal à celui de l’année précédente majoré de la hausse imputable au coût de la matière première agricole.
Proposition n° 15 :
Étendre la sanctuarisation des coûts dans la négociation commerciale des produits agricoles et alimentaires à la matière première industrielle (principales matières premières non agricoles, énergie, transport et matériaux entrant dans la composition des emballages).
Proposition n° 16 :
Simplifier l’utilisation des clauses de révision ou de renégociation des prix tout en les faisant entrer dans le champ de la non-discrimination tarifaire.
Proposition n° 17 :
Étendre la clause de révision du prix à la matière première industrielle.
Proposition n° 18 :
Prolonger l’expérimentation du « SRP + 10 ».
Proposition n° 19 :
Réprimer la pratique commerciale déloyale consistant, pour un distributeur de produits agricoles ou alimentaires, à pratiquer pour un produit donné un taux de marge commerciale abusivement haut par rapport au taux de marge moyen pratiqué par ce distributeur.
Proposition n° 20 :
Augmenter les effectifs consacrés au contrôle du respect des dispositions des lois Égalim au sein de la DGCCRF et de FranceAgriMer.
Proposition n° 21 :
Prévoir une responsabilité solidaire du distributeur qui exploite un ou plusieurs magasins de commerce de détail en France, pour la méconnaissance par une centrale d’achat ou de référencement, lors de l’achat des produits qu’il distribue, des règles du titre IV du livre IV du code de commerce.
Proposition n° 22 :
Porter au niveau européen un approfondissement du cadre applicable aux pratiques commerciales déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d’approvisionnement agricole et alimentaire, tout en faisant reconnaître le critère du lieu de commercialisation des produits pour déterminer le droit applicable.
Proposition n° 23 :
Porter une initiative au niveau européen en faveur d’une obligation d’information sur l’origine de la matière première agricole.
Proposition n° 24 :
Imposer aux fournisseurs d’indiquer aux acheteurs professionnels le pays d’origine des trois principales matières premières agricoles, ou bien le cas échéant qu’ils ne sont pas en mesure de leur communiquer cette information.
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Liste des personnes auditionnÉes
Ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire
M. Aurélien de la Noue, conseiller économie et suivi des filières alimentaires
M. Pierre Rebeyrol, adjoint à la sous-directrice compétitivité de la direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE)
M. Maxime Piat, chef du bureau relations économiques et statut des entreprises (DGPE)
Ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique - Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF)
M. Thomas Pillot, chef du service protection des consommateurs et régulation des marchés
Mme Carla Deveille Fontinha, sous directrice droit de la concurrence
Mme Odile Cluzel, sous-directrice produits et marchés agroalimentaires
Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer)
M. Pierre Claquin, directeur marchés, études et prospective
Observatoire de formation des prix et des marges (OFPM)
Mme Sophie Devienne, présidente
Comité de règlement des différends commerciaux agricoles (CRDCA)
Mme Marie-Françoise Guilhemsans, présidente
Médiateur des relations commerciales agricoles
M. Thierry Dahan, médiateur
Institut de l’élevage (Idele)
M. Joël Merceron, directeur général
M. Boris Duflot, directeur du département économie
Coordination rurale *
Mme Sophie Lenaert, vice-présidente
Confédération paysanne *
Mme Sylvie Colas, secrétaire nationale
M. Fabien Champion, animateur filières
Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) *
M. Patrick Benezit, vice-président de la FNSEA et président de la Fédération nationale bovine (FNB)
M. Ali Karakoman, chef du service économique
M. Romane Sagnier, chargée de mission affaires publiques
Association nationale des industries alimentaires (ANIA) *
M. Miloud Benaouda, président Europe de l’ouest de Barilla et président de la commission industrie-commerce de l’ANIA
M. Simon Foucault, directeur des affaires publiques de l’ANIA
Institut de liaisons des entreprises de consommation (ILEC) *
M. Antoine Quentin, délégué général
M. Daniel Diot, secrétaire général
Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF) *
M. Léonard Prunier, président
Mme Diane Aubert, directrice des Affaires publiques
La coopération agricole *
M. Dominique Chargé, président
M. Thibault Bussonnière, directeur adjoint communication et relations extérieures
Groupe Carrefour *
M. Laurent Vallée, secrétaire général
E. Leclerc *
M. Philippe Michaud, co-président
Mme Marie de Lamberterie, secrétaire générale
M. Alexandre Tuaillon, responsable des affaires publiques
Groupement les Mousquetaires *
M. Pierre-René Tchoukriel, directeur général adjoint
M. Frédéric Thuillier, conseiller
M. Nicolas Raynal, directeur adjoint, en charge des affaires publiques et des relations institutionnelles agricoles
Système U *
M. Dominique Schelcher, président directeur général
M. Philippe Gigleux, chargé de mission auprès de la Présidence
Lidl *
M. François Bluet, directeur juridique et Compliance
Mme Paula Ozorio-Seekatz, responsable Affaires Publiques
Confédération des grossistes de France *
M. Jacques-Olivier Boudin, président de la commission Économie
M. Pierre Perroy, directeur des affaires économiques et fiscales
Mme Kristelle Hourques, directrice des affaires publiques
Fédération du commerce et de la distribution (FCD) *
Mme Layla Rahhou, déléguée générale
Jacques Davy, directeur des affaires juridiques et fiscales
AOP Sunlait *
M. Nicolas Bernatas, président
M. Landry Rivière, vice-président
M. Xavier Briot, coordinateur AOP
Sodiaal *
M. Jean-Michel Javelle, président
M. Simon Benadiba, responsable des affaires publiques
UFC – Que choisir
M. Olivier Andrault
Fondation pour la nature et l’homme (FNH)
M. Thomas Uthayakumar, directeur des Programmes et du Plaidoyer
Bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne (BASIC)
M. Christophe Alliot, président
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire AGORA des représentants d’intérêts de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui vise à fournir une information aux citoyens sur les relations entre les représentants d’intérêts et les responsables publics lorsque sont prises des décisions publiques
([1]) En référence à la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite « loi Égalim », adoptée dans le prolongement des États généraux de l’alimentation (EGA) lancés en juillet 2017.
([2]) Conséquences des épisodes de gel tardifs de 2021, puis d’une pluviométrie excessive en fin de cycle, avant une sécheresse en sortie d’hiver.
([3]) Source : Insee
([4]) Source : résultats présentés lors de l’audition de FranceAgriMer (contribution écrite).
([5]) Source : groupe travail Égalim du Sénat _ rapport 2024
([6]) Audition de la direction générale de la consommation et de la répression des fraudes.
([7]) Rapport annuel 2024 de l’OFPM.
([8]) Idem.
([9]) Elle ne l’était plus que pour la filière « Lait de vache » en application de l’article R. 631-8 du code rural et de la pêche maritime (dans sa version applicable entre 2011 et 2020) et de l’article R. 631-7 du même code (jusqu’à la fin de l’année 2021). Un temps rendue obligatoire, la contractualisation a en revanche cessé de l’être dans la filière ovine à compter de 2016, de même que la contractualisation pluriannuelle dans le secteur des fruits et légumes à compter de 2019.
([10]) Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant les règlements (UE) n° 1308/2013, (UE) 2021/2115 et (UE) 2021/2116 en ce qui concerne le renforcement de la position des agriculteurs dans la chaîne d'approvisionnement alimentaire présentée par la Commission européenne le 10 décembre 2024.
([11]) Le VI de l’article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime prévoit actuellement que la durée fixée par accord interprofessionnel étendu doit respecter une durée minimale de trois ans.
([12]) Dans leur rapport de mission relatif aux perspectives d’évolution du cadre juridique applicable aux négociations et aux relations commerciales dans la filière agroalimentaire, remis le 10 octobre 2024, nos anciens collègues Anne-Laure Babault et Alexis Izard formulent une recommandation similaire (proposition n° 6). Voir également la proposition n° 7 du rapport d'information n° 156 (2024-2025), déposé le 20 novembre 2024 au nom de la commission des affaires économiques sur le suivi des lois Égalim, par M. Daniel Gremillet et Mme Anne-Catherine Loisier.
([13]) Voir, sur ces estimations : Cour des comptes, Le contrôle de la contractualisation dans le cadre des lois Égalim : premiers enseignements pour les éleveurs bovins - Exercices 2022-2023, février 2024, p. 30 à 32.
([15]) Dans leur rapport de mission relatif aux perspectives d’évolution du cadre juridique applicable aux négociations et aux relations commerciales dans la filière agroalimentaire, remis le 10 octobre 2024, nos anciens collègues Anne-Laure Babault et Alexis Izard formulent une proposition n° 10 similaire.
([16]) Articles L. 510-1 et L. 511-4 du code rural et de la pêche maritime.
([17]) Cf. articles 42 et 43 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
([18]) CJUE, C-671/15, 14 novembre 2017, Président de l’Autorité de la concurrence c/Association des producteurs vendeurs d’endives et a.
([19]) Dans leur rapport de mission relatif aux perspectives d’évolution du cadre juridique applicable aux négociations et aux relations commerciales dans la filière agroalimentaire, remis le 10 octobre 2024, nos anciens collègues Anne-Laure Babault et Alexis Izard formulent une proposition n° 1 similaire.
([20]) Dans leur rapport de mission relatif aux perspectives d’évolution du cadre juridique applicable aux négociations et aux relations commerciales dans la filière agroalimentaire remis le 10 octobre 2024, nos anciens collègues Anne-Laure Babault et Alexis Izard formulent une proposition n° 3 en lien avec cette proposition.
([21]) Dans leur rapport de mission relatif aux perspectives d’évolution du cadre juridique applicable aux négociations et aux relations commerciales dans la filière agroalimentaire, remis le 10 octobre 2024, nos anciens collègues Anne-Laure Babault et Alexis Izard propose l’instauration d’une date-butoir amont (proposition n° 13). À l’inverse, cette proposition n’est pas retenue dans le rapport d'information n° 156 (2024-2025) de nos collègues sénateurs Daniel Gremillet et Anne-Catherine Loisier, déposé le 20 novembre 2024 au nom de la commission des affaires économiques et portant sur le suivi des lois Égalim.
([22]) Cf. FranceAgriMer, « État des lieux des données de coûts de production agricoles et de leurs méthodes, dans les filières conventionnelles et sous SIQO », juillet 2021.
([23]) Cette liste est disponible sur le site de FranceAgriMer : https://observatoire-prixmarges.franceagrimer.fr/sites/default/files/pictures/tableau_egalim_couts_prod_et_marche_pour_publi_20231018.pdf
([24]) Cf. encadré supra p. 18.
([25]) Les données relatives à l’année n sont publiées en novembre de l’année n+1.
([26]) Voir, sur ce point, la proposition de loi visant à lutter contre l’inflation par l’encadrement des marges des industries agroalimentaires, du raffinage et de la grande distribution et établissant un prix d’achat plancher des matières premières agricoles, n° 1776, déposée le mardi 17 octobre 2023.
([27]) Une telle proposition figure dans le rapport de mission relatif aux perspectives d’évolution du cadre juridique applicable aux négociations et aux relations commerciales dans la filière agroalimentaire, remis le 10 octobre 2024 : nos anciens collègues Anne-Laure Babault et Alexis Izard formulent une proposition n° 16 similaire.
([28]) Les performances à l’export des filières agricoles et agroalimentaires françaises, situation en 2023, FranceAgriMer : en 2023, pour une production agricole française s’élevant à 95,5 Md€ (chiffre Insee), les exportations françaises de produits agricoles bruts s’élèvent à 18,7 Md€ et celles des vins et spiritueux à 18,3 Md€.
([29]) La restauration hors foyer représente environ 15 % des débouchés des produits agricoles français, mais, au sein de la restauration commerciale, la restauration rapide ne fait que marginalement appel aux grossistes.
([30]) Dans leur rapport de mission relatif aux perspectives d’évolution du cadre juridique applicable aux négociations et aux relations commerciales dans la filière agroalimentaire, remis le 10 octobre 2024, nos anciens collègues Anne-Laure Babault et Alexis Izard avancent une proposition n° 13 bis de date-butoir mobile, sans vouloir trancher sur la suppression d’une date-butoir fixe. La proposition n° 8 du rapport d'information n° 156 (2024-2025), déposé le 20 novembre 2024 au nom de la commission des affaires économiques sur le suivi des lois Égalim, par M. Daniel Gremillet et Mme Anne-Catherine Loisier vise à avancer la date-butoir au 1er février pour raccourcir le cycle de négociation.
([31]) Cf. infra p. 69.
([32]) Dans leur rapport de mission relatif aux perspectives d’évolution du cadre juridique applicable aux négociations et aux relations commerciales dans la filière agroalimentaire, remis le 10 octobre 2024, nos anciens collègues Anne-Laure Babault et Alexis Izard avancent une proposition n° 20 consistant à fusionner les options nos 2 et 3 en proposant aux fournisseurs de présenter la part agrégée et l’origine des trois principales matières premières agricoles qui entrent dans la composition du produit.
([33]) Le prix « deux fois net » est le prix net, c’est-à-dire le prix d’un produit diminué des remises liées à l’acte de vente, diminué des ristournes conditionnelles non liées directement à l’acte de vente.
([34]) Cf. infra p. 49.
([35]) 84 % des adhérents de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France interrogés par cette dernière indiquent que les clauses de révision et de renégociation des prix sont trop complexes à mettre en œuvre.
([36]) Cette proposition rejoint la proposition n° 10 du rapport d'information n° 156 (2024-2025) sur le suivi des lois Égalim, déposé le 20 novembre 2024 au nom de la commission des affaires économiques du Sénat par M. Daniel Gremillet et Mme Anne-Catherine Loisier. Dans leur rapport de mission relatif aux perspectives d’évolution du cadre juridique applicable aux négociations et aux relations commerciales dans la filière agroalimentaire, remis le 10 octobre 2024, nos anciens collègues Anne-Laure Babault et Alexis Izard avancent des propositions n° 21 et 22 consistant à supprimer la clause de révision obligatoire et à rendre facultative l’inscription dans les conditions générales de vente de la clause de renégociation.
([37]) Rapport au Parlement, Évaluation des mesures expérimentales de relèvement du seuil de revente à perte et d’encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires (article 4 de l’ordonnance n° 2018-1128 du 12 décembre 2018), 30 septembre 2020. Un second rapport du 2 novembre 2022 confirme ces conclusions (voir en ce sens la réponse publiée le 17 janvier 2023 à la question écrite n° 2562 du 25 octobre 2022).
([38]) Cf. proposition n° 13 du rapport d'information n° 156 (2024-2025), déposé le 20 novembre 2024 au nom de la commission des affaires économiques sur le suivi des lois Égalim, par M. Daniel Gremillet et Mme Anne-Catherine Loisier.
([39]) Voir, par exemple, le rapport d’information déposé en application de l’article 147 7 du Règlement de l’Assemblée nationale par la commission des affaires économiques sur l’application de la loi n° 2023-221 du 30 mars 2023 tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs et présenté par M. Frédéric Descrozaille et Mme Aurélie Trouvé (cf. partie I. 3.).
Voir également la proposition n° 27 du rapport sur les perspectives d’évolution du cadre juridique applicable aux négociations et aux relations commerciales dans la filière agroalimentaire confié à nos anciens collègues Anne-Laure Babault et Alexis Izard.
([40]) Rapport d’information (préc.) de M. Frédéric Descrozaille et Mme Aurélie Trouvé.
([41]) L’article R. 631-15 du code rural et de la pêche maritime dispose pourtant que « sont habilités à rechercher et constater les manquements mentionnés à l’article L. 631-25 : (…) 3° Les agents assermentés de l’établissement mentionné à l’article L. 621-1 désignés par le directeur général de cet établissement en application du deuxième alinéa de l’article R. 622-6 ».
([42]) Rapport d’information fait au nom de la commission des affaires économiques sur le suivi des lois Égalim, par M. Daniel Gremillet et Mme Anne-Catherine Loisier (p. 9).
([43]) Rapport sur les perspectives d’évolution du cadre juridique applicable aux négociations et aux relations commerciales dans la filière agroalimentaire confiée à nos anciens collègues Anne-Laure Babault et Alexis Izard.
([44]) Conformément à l’article 9 du règlement (UE) n° 593/2000 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, dit « Rome I », les dispositions de ce règlement « ne pourront porter atteinte à l’application des lois de police du juge saisi », les mesures d’ordre public étant reconnues comme des mesures de police au sens de ces dispositions.
([45]) La sanction prononcée à l’encontre d’Eurelec représente environ 0,3 % du chiffre d’affaires 2023 de la centrale d’achats (11,5 Mds€) et moins de 0,1 % du chiffre d’affaires 2023 du groupe Leclerc (48,5 Mds€). Les informations sur le chiffre d’affaires d’Eureca ne sont pas disponibles. L’amende qui lui a été infligée représente néanmoins environ 0,01 % du chiffre d’affaires 2023 du groupe Carrefour (94,1 Mds€).
([46]) Voir, par exemple, la résolution européenne visant à mettre en place un cadre européen sur les relations contractuelles des centrales d’achats de la grande distribution avec les producteurs, du 29 janvier 2025.
Voir également le rapport précité de nos anciens collègues Anne-Laure Babault et Alexis Izard.
([47]) Le CGAAER a été chargé d’élaborer le cadrage de l’expérimentation d’un affichage destiné au consommateur sur les conditions de rémunération des producteurs de produits agricoles et a ainsi remis, en novembre 2022, le rapport n° 22042 intitulé « Comment informer les consommateurs des conditions de rémunération des producteurs agricoles ? Architecture à mettre en place pour accompagner l’expérimentation prévue par l’article 10 de la loi n° 2021-1357 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs ».
([48]) Réponse du 2 avril 2024 à la question écrite n° 15924 du 12 mars 2024 « Application réelle de l'expérimentation du « rémunéra-score » de M. Benjamin Saint-Huile.
([49]) Le règlement (UE) n° 1169/2 011 concernant l’information du consommateur sur les denrées alimentaires reconnaît en effet les considérations d’ordre économique et social comme un critère d’information pour les consommateurs. Précisément, le dispositif « Rémunéra-score » serait soumis aux termes de l’article 7 de ce même règlement, qui vise à assurer les pratiques loyales en matière d’information.
([50]) En particulier, si le dispositif aboutissait à une notation dégradée de produits transformés incorporant des ingrédients importés.
([51]) Cela constitue, par exemple, une différence avec le « Nutri-Score », dont la valeur est calculée par un algorithme public à partir de données objectives.
([52]) Sur le report sine die de ce projet de révision du règlement Inco, voir le rapport d’information n° 2338 sur la protection européenne du consommateur déposé par la commission des Affaires européennes de l’Assemblée nationale et enregistré le 13 mars 2024, pp. 16 à 18.
([53]) Le cadre réglementaire présenté par la France à la Commission consistait à fournir aux consommateurs des informations indiquant sur l’étiquette du produit le nom du brasseur ainsi que le lieu de brassage des bières.
([54]) Voir, en ce sens, notamment l’article 1er quater du projet de loi d'orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture, introduit par amendement à l’Assemblée nationale et modifié au Sénat qui finalise l’examen de ce texte au moment de l’écriture du présent rapport.
([55]) 51 % des Français estiment que l'origine des produits alimentaires est le facteur le plus important dans leur décision d’achat, selon le sondage réalisé par l’institut Consumer Science & Analytics pour CNEWS, Europe 1 et le JDD, publié le 31 janvier 2024.
([56]) Cf. II. B. 2 supra.
([57]) Cette proposition est la reprise de la proposition n° 17 du rapport intitulé « Perspectives d’évolution du cadre juridique applicable aux négociations et aux relations commerciales dans la filière agroalimentaire » de Mme Babault et de M. Izard.