N° 1268
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 avril 2025.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES
en conclusion des travaux d’une mission d’information
sur le thème de « la sensibilisation de la jeunesse à l’esprit de défense »
ET PRÉSENTÉ PAR
M. FRÉDÉRIC BOCCALETTI et Mme ALEXANDRA MARTIN,
Députés
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SOMMAIRE
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Pages
I. LE « MILLEFEUILLE » DES DISPOSITIFS VISANT À DIFFUSER L’ESPRIT DE DÉFENSE À LA JEUNESSE
3. Le Service national universel (SNU)
B. Des acteurs impliqués également très nombreux et très différents
1. Le ministère de l’Éducation nationale
A. Des dispositifs qui, malgré leur intérêt propre, souffrent à la fois de faiblesses et de limites
a. Un cours d’EMC à la discrétion des enseignants
b. Une JDC qui n’a(vait) plus rien de militaire
c. Un SNU ni militaire, ni universel
B. Un contexte lourd de menaces pour notre pays
2. L’affaiblissement de la cohésion nationale malgré la volonté d’engagement des jeunes
1. La défense globale : un concept partagé au plus haut niveau et dans toute l’Europe
2. La réforme de la Journée Défense et Citoyenneté : une militarité désormais assumée
III. LES CONVICTIONS ET LES PROPOSITIONS DE LA MISSION D’INFORMATION « FLASH »
A. Les convictions de vos rapporteurs
2. Le retour au service militaire d’antan n’est ni possible, ni souhaitable
2. Deuxième composante : des sections d’excellence « Défense et sécurité nationale »
5. Cinquième composante : associer les établissements scolaires aux cérémonies nationales
Annexe : auditions et déplacements
2. Déplacement à Riga (17 février 2025)
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Après 1945 et 1989, 2025 représente un nouveau tournant stratégique pour la France, l’Europe et le monde.
À partir de 1989, comme pour l’ensemble des pays européens, la disparition de l’Union soviétique et de la menace existentielle qu’elle faisait peser sur notre continent a justifié que la France réduise drastiquement son budget de défense, le format de ses armées et ses capacités conventionnelles, se contentant d’une armée de métier calibrée pour des opérations extérieures et des conflits asymétriques, en Afrique et ailleurs, tandis que le territoire national était sanctuarisé par la dissuasion nucléaire. Ainsi pensée et mise en œuvre, notre défense ne reposait plus sur l’armée de masse et son instrument : la conscription. Le service militaire fut ainsi suspendu en 1996.
Pendant trente ans, notre pays a ainsi touché les « dividendes de la paix », pensant que celle-ci serait éternelle, une sorte « la fin de l’Histoire » telle que l’annonçaient certains intellectuels, qui verraient la démocratie, les droits de l’Homme et le capitalisme libéral triompher partout sur la planète et définitivement de leurs opposants. Aujourd’hui, force est de reconnaître que ce n’est pas le cas et que la guerre, loin d’être une relique du passé, est de retour en Europe, avec ces destructions massives et ses centaines de milliers de morts et de blessés et, avec elle la menace russe. Avec le pivotement stratégique américain, le changement climatique et les ruptures technologiques, c’est bien un nouvel environnement stratégique qui se dessine aujourd’hui, lourd de menaces pour notre pays.
Ces menaces ne sont pas seulement conventionnelles ou nucléaires et n’appellent pas forcément une réponse armée. Elles peuvent aussi être hybrides, nous déstabiliser de l’intérieur ou prendre la forme d’une pandémie mondiale. Face à de telles menaces, protéiformes et imprévisibles, c’est l’ensemble de la population et toutes les ressources du pays qui, comme en Ukraine aujourd’hui, doivent pouvoir être mobilisées.
Ce qu’on appelle la défense globale ou totale est désormais au cœur des réflexions, tant des autorités politiques que militaires. Elle implique, certes, des forces armées de haut niveau et en nombre suffisant mais aussi et surtout, une population sensibilisée à l’esprit de défense et, désormais, face aux menaces, animées d’une volonté de défendre son pays.
Or, cet esprit de défense et cette volonté de défense ne vont pas de soi, surtout à une période où la cohésion nationale est fragilisée. Parce qu’ils s’acquièrent principalement pendant les années de jeunesse, la fin du service national en 1996 a, par elle-même, distendu le lien entre les armées et les jeunes et éloigné ces derniers de la « chose militaire », dont ni eux, ni leurs enseignants nés après 1979 n’ont plus l’expérience directe. Certes, de nouveaux dispositifs ont été créés depuis, dans le cadre scolaire pour l’essentiel, afin de maintenir autant que possible ce lien mais ils n’ont pas atteint leurs objectifs, faute que ces dispositifs aient été suffisamment bien calibrés et mis en œuvre. Si la jeunesse est toujours au cœur des armées qui exigent, pour remplir leurs missions, un flux constant de jeunes conjugué à l’expérience des chefs, celles-ci ne sont plus au cœur de la jeunesse, éloignée de ses valeurs et rétives à ses contraintes.
Face aux menaces pesant sur notre pays, à la nécessité de renforcer l’esprit de défense et la volonté de défense d’une jeunesse aux classes d’âge toujours moins nombreuses, à l’urgence de sécuriser sur le long terme les recrutements de nos armées, lesquels sont largement liés à cet esprit et à cette volonté de défense, repenser les nombreux dispositifs existants à cette fin a été l’objet de cette mission d’information « flash ». Nourrie par ses auditions et ses déplacements en Suède et en Lettonie, les réflexions et expériences de ses rapporteurs ainsi que par les nombreux travaux existants, elle s’est efforcée d’aboutir à des propositions à la hauteur des enjeux qu’exige la situation de notre pays.
I. LE « MILLEFEUILLE » DES DISPOSITIFS VISANT À DIFFUSER L’ESPRIT DE DÉFENSE À LA JEUNESSE
Lorsque vos rapporteurs ont commencé leurs travaux, ils n’ont pu que constater, comme l’ensemble des personnalités ayant travaillé sur le même sujet, le nombre et la diversité des dispositifs visant, d’une manière générale, à inculquer l’esprit de défense à la jeunesse. Sans vouloir reproduire la présentation faite de ces derniers dans de multiples rapports, ils ont néanmoins essayé, sans viser à l’exhaustivité tant ils sont nombreux, d’établir une classification desdits dispositifs en croisant trois critères essentiels : le cadre, la finalité et les jeunes auxquels ils sont destinés, avec cette précision que certains dispositifs peuvent poursuivre plusieurs finalités ou s’intégrer dans différents cadres.
A. Des dispositifs mis en œuvre dans des cadres multiples, aux finalités variées et destinés à des publics différents
1. Les dispositifs dans le cadre scolaire (EMC, CDSG, rallyes citoyens…) visent principalement à éveiller à l’esprit de défense
Le premier endroit au sein duquel les jeunes sont confrontés aux enjeux de défense est, très naturellement, l’école et, en particulier, l’enseignement secondaire. La loi n° 97-1019 du 28 octobre 1997 portant réforme du service national a en effet créé un article L114-1 au sein du code du service national qui dispose que « les principes et l’organisation de la défense nationale et de la défense européenne font l’objet d’un enseignement obligatoire dans le cadre des programmes des établissements d’enseignement du second degré des premiers et seconds cycles. Cet enseignement a pour objet de renforcer le lien armée-Nation tout en sensibilisant la jeunesse à son devoir de défense ».
C’est donc dans les collèges et lycées de notre pays que, sur le temps scolaire, plus de 5,6 millions d’élèves suivent le cours d’Enseignement Moral et Civique (EMC), ainsi dénommé depuis 2015, qui met en œuvre l’article précité du code du service national. Ce cours est dispensé par des enseignants, le plus souvent d’Histoire-géographie.
Concrètement, selon les bulletins officiels du ministère de l’Éducation nationale établissant le programme de ce cours, ce dernier poursuit trois finalités, liées entre elles, que sont : respecter autrui, acquérir et partager les valeurs de la République et construire une culture civique. C’est dans le cadre de cette dernière finalité que les élèves doivent comprendre les enjeux de défense et de sécurité et, notamment « les menaces sur la liberté des peuples et la démocratie », connaître « les grands principes et les valeurs qui régissent la Défense nationale » ainsi que « l’organisation de la sécurité et des services de sécurité en France ». Enfin, les élèves découvrent pendant ce cours comment « servir leur pays et les formes d’engagement » : la Journée défense et citoyenneté, le service national universel ainsi que les dispositifs ouverts dans le cadre du lien armées-jeunesse.
En plus de ce cours d’EMC, universel et obligatoire, les élèves ont pu bénéficier de certains dispositifs dédiés. Ainsi en est-il des Classes de Défense et de Sécurité Globale (CDSG). Existantes depuis 2005 et créées à l’initiative d’une équipe pédagogique, autour d’un projet interdisciplinaire d’éducation à la défense s’ancrant dans les programmes scolaires, ces CDSG s’appuient sur une « unité marraine » qui peut être une unité militaire (régiment de l’armée de terre, base aérienne ou navale, unité de soutien, unité de gendarmerie), un musée relevant de la sphère défense et sécurité ou un acteur de la sécurité (forces de sécurité intérieure, pompiers, sécurité civile, douanes…).
Le fonctionnement des CDSG est en effet relativement souple, l’enseignant restant totalement maître de son organisation pédagogique. Si 50 % des enseignants référents des CDSG sont des enseignants d’histoire-géographie, les CDSG par nature interdisciplinaires sont fréquemment portées par des enseignants issus d’autres disciplines particulièrement investis dans les questions de défense. Les CDSG présentent également l’avantage du concret, en permettant aux élèves de rencontrer physiquement des personnels en uniforme, voire de se déplacer dans l’emprise de « l’unité marraine »
Ces classes peuvent connaître plusieurs déclinaisons : « cyber », « Croix-Rouge », à ancrage « Service santé des Armées » ou « enjeux maritimes », ces dernières plus spécifiquement dans les lieux où la Marine nationale est présente (principalement les bases navales).
Près de 20 000 jeunes, sur l’ensemble des départements français, y compris Outre-mer, sont concernés par les quelque 800 CDSG relevant du ministère des Armées, beaucoup d’« unités marraines » étant des gendarmeries, permettant ainsi de surmonter la contrainte des « déserts militaires ».
Dernier dispositif significatif, les Cadets de la défense qui, en 2024, concernaient près de 1 100 élèves. Il consiste en un partenariat entre une unité militaire et les établissements scolaires environnants afin de leur proposer des activités éducatives, citoyennes et sportives se déroulant hors temps scolaire, encadrées à la fois par des personnels militaires et du ministère de l’Éducation nationale. Le dispositif des cadets concerne également la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (5 560 jeunes) ainsi que la Gendarmerie nationale (2 600 jeunes), étant précisé que les cadets de la GN sont à présent fondus dans la phase 2 du SNU (mission d’intérêt général).
Enfin, d’autres dispositifs, plus limités, existent dans le cadre scolaire, tout en impliquant des acteurs de la défense nationale :
– les rallyes citoyens, qui consistent en des actions pluridisciplinaires d’enseignement de défense proposant aux élèves de participer à un parcours aux dimensions citoyennes, sportives et mémorielles, à travers différentes activités ou ateliers proposés par l’Éducation nationale, le MINARM, et de nombreux partenaires publics associatifs ou privés ;
– les stages dans un organisme relevant de la défense nationale, principalement destinés aux élèves de 3e et de 2nde, leur permettant de découvrir concrètement son fonctionnement et prolongeant de manière concrète l’éveil aux enjeux de défense initié dans le cadre de l’EMC ;
– les brevets d’initiation mer (BIMer) et son pendant aéronautique (brevet d’initiation aéronautique), qui sont des dispositifs de découverte de la culture maritime et aéronautique de la 3e au lycée, dans lequel la Marine nationale et l’armée de l’Air sont fortement impliquées, proposant notamment des conférences, des supports pédagogiques et des visites de bases.
2. Les dispositifs dans le cadre militaire (JDC, Préparations et périodes militaires, SMV…), très variés, poursuivent des objectifs très différents selon les jeunes auxquels ils s’adressent
Nombreux sont les dispositifs à destination de la jeunesse à avoir été mis en place dans le cadre militaire, la jeunesse constituant, comme l’a rappelé le général Le Segretain du Patis, chef de la division relative à la cohésion nationale à l’état-major des armées, « un sujet crucial pour les armées comme pour le pays ». Nombreux, ces dispositifs sont également très différents, à la fois dans leur finalité, plus ou moins militaire, et dans les jeunes auxquels ils sont destinés.
Le principal dispositif à destination de la jeunesse organisée par le ministère des Armées est, bien sûr, la Journée Défense et Citoyenneté (JDC). Créée après la suspension du service national en 1996, sous la forme d’une journée d’appel et de préparation à la défense, la JDC constitue la troisième et dernière étape du parcours de citoyenneté, après l’EMC et le recensement obligatoire des jeunes à 16 ans. Par son caractère obligatoire et universel, la JDC constitue une occasion unique de sensibiliser toute une classe d’âge aux enjeux de la défense nationale, soit près de 800 000 jeunes.
Le programme de la JDC est fixé par l’article L 114-3 du code du service national. Sont ainsi présentés aux jeunes « les enjeux et les objectifs généraux de la défense nationale et du modèle français de sécurité civile, les moyens civils et militaires de la défense et leur organisation, le service civique et les autres formes de volontariat ainsi que les périodes militaires d’initiation ou de perfectionnement à la défense nationale et les possibilités d’engagement dans les forces armées et les forces de réserve ou en qualité de sapeur-pompier volontaire. Ils sont sensibilisés aux droits et devoirs liés à la citoyenneté et aux enjeux du renforcement de la cohésion nationale et de la mixité sociale. La charte des droits et devoirs du citoyen français mentionné à l’article 21-24 du Code civil leur est remise à cette occasion. Ils bénéficient également d’une sensibilisation à la sécurité routière. À cette occasion sont organisés des tests d’évaluation des apprentissages fondamentaux de la langue française. Il est délivré une information générale sur le don de sang, de plaquettes, de moelle osseuse, de gamètes et sur le don d’organes à fins de greffe. […] Par ailleurs, une information est dispensée sur la prévention des conduites à risque pour la santé, notamment celles susceptibles de causer des addictions et des troubles de l’audition. Une information consacrée à l’égalité entre les femmes et les hommes, à la lutte contre les préjugés sexistes et à la lutte contre les violences physiques, psychologiques ou sexuelles commises au sein du couple est dispensée. ». En d’autres termes, bien qu’à l’origine dispositif militaire, centré sur les questions de défense, la JDC s’est largement « démilitarisée », devenant une journée utilisée à d’autres fins que la diffusion de l’esprit de défense, justifiant la réforme actuellement mise en œuvre (voir infra).
Bénéficiant à près de 1 500 jeunes par an, le service militaire volontaire (SMV), contrairement à ce que sa dénomination laisse supposer, n’a rien d’un service militaire. En effet, le SMV est, selon le site internet du ministère des armées, « une contribution [de ce dernier] dans le domaine de l’insertion citoyenne et professionnelle de jeunes Français de métropole et de l’étranger âgés de 18 à 25 ans exclus du marché de l’emploi ». C’est ainsi que sa vocation première est de former des jeunes en difficulté, ayant souvent décroché de l’école, dont 16 % sont d’ailleurs illettrés, mais également de renforcer leur estime de soi et leur rapport à la citoyenneté. L’esprit de défense n’est donc pas totalement absent de ce dispositif puisque ses participants, qui portent l’uniforme et sont sous statut militaire, apprennent, au contact des militaires qui les encadrent, les règles essentielles du savoir-être citoyen. Outre-mer, l’équivalent du SMV est le service militaire adapté (SMA).
Très différentes sont les Préparations ou Périodes militaires (PM), qui concernent chaque année entre 11 000 et 13 000 jeunes de plus de 16 ans (jusqu’à 30 ans) effectuant une période militaire d’initiation ou de perfectionnement dans l’une des trois armées. S’effectuant sous statut militaire, ayant une forte militarité en ce qu’elles impliquent efforts physiques, technicité et maniement des armes, ces PM s’adressent principalement à des jeunes d’ores et déjà éveillés à l’esprit de défense et souvent désireux de s’engager plus en avant dans la défense de leur pays, soit comme soldats de métier, soit comme réservistes. D’ailleurs, les préparations militaires font désormais partie intégrante du cursus pour devenir réserviste opérationnel.
Concrètement, dans l’armée de terre, les PM sont des stages d’immersion à caractère militaire visant à initier les jeunes aux techniques et aux connaissances de base du soldat. Elles sont proposées tout au long de l’année, généralement pendant les vacances scolaires. Dans la Marine nationale, les préparationnaires sont encadrés par des réservistes opérationnels et le rythme est différent. Les PM Marine se déroulent en effet sur plusieurs journées échelonnées tout au long de l’année scolaire – généralement le week-end, auxquelles s’ajoutent deux périodes de cinq jours effectuées à Brest et/ou Toulon pour les stagiaires de métropole ainsi que dans les bases navales ultramarines pour les stagiaires ultramarins. Quant à l’Armée de l’Air et de l’Espace, elle propose elle aussi ce qu’elle appelle une période militaire d’initiation et une période militaire de perfectionnement qui, sur le même modèle que les PM précités, visent des jeunes qui se destinent aux métiers des armes, à la réserve opérationnelle ou, à défaut, « à devenir des ambassadeurs de l’armée de l’air et de l’Espace ».
Enfin, pour donner une idée du mille-feuille des dispositifs à destination de la jeunesse, vos rapporteurs se sont plus spécifiquement intéressés à ce que propose l’Armée de l’air et de l’espace aux jeunes. Recensés dans le « Plan Air Jeunesse » en tant qu’actions renforçant le lien armées-jeunesse, les dispositifs, d’une plus ou moins grande portée, sont les suivants :
– les « escadrilles air jeunesse » ont pour objectif le développement et la fidélisation d’un vivier de jeunes femmes et hommes âgés de 12 à 25 ans souhaitant s’impliquer dans le domaine aéronautique et spatial. Les mercredis, samedis et pendant les vacances scolaires, ils participent à des activités culturelles et sportives préparent le brevet d’initiation aéronautique (BIA) et peuvent visiter des bases et faire des vols de découverte. Les élèves participent aussi à des cérémonies militaires et apportent leur aide lors de grandes manifestations telles que des meetings aériens ;
– la journée sport armées-jeunesse, organisée sur des sites militaires, destinés aux élèves du primaire et du secondaire ;
– le brevet d’initiation aéronautique, déjà évoqué supra ;
– le service civique, qui est un engagement volontaire de 6 à 12 mois au service de l’intérêt général ;
– les volontaires aspirants en année de césure qui, dans le cadre d’un partenariat avec leur école (Sciences-po Paris pour le moment) peuvent occuper des postes dans des domaines tels que la communication, l’informatique ou le renseignement ;
– les concours jeunesse et le prix Saint-Exupéry « l’envol de la jeunesse », qui récompensent chaque année, respectivement, une action entreprise à destination de la jeunesse et les meilleurs collégiens et lycéens scolarisés dans les établissements partenaires de l’école de l’Air.
3. Le Service national universel (SNU)
Créé en 2019, le Service national universel trouve son origine dans un discours sur la défense prononcé le 18 mars 2017 par Emmanuel Macron, alors candidat à l’élection présidentielle, à l’Hôtel des arts et métiers, à Paris : « La situation stratégique […], les menaces qui pèsent sur notre pays nous commandent aussi de renforcer le lien armées-nation, en permettant à l’ensemble de notre jeunesse de faire l’expérience de la vie militaire et d’être des acteurs à part entière de l’esprit de défense. Je souhaite donc, pour ce faire, que chaque jeune Français ait l’occasion d’une expérience, même brève, de la vie militaire. Un service national de durée courte, obligatoire et universel, sera donc instauré. C’est là un projet de société majeur, un véritable projet républicain, qui doit permettre à notre démocratie d’être plus unie et d’accroître la résilience de notre société. […] Ce service national universel, encadré par les armées et la Gendarmerie nationale, s’adressera aux jeunes femmes et hommes aptes de toute une classe d’âge – soit environ 600 000 jeunes par an. Au travers d’une expérience directe de la vie militaire, de ses savoir-faire et de ses exigences, chaque jeune Français ira ainsi à la rencontre de ses concitoyens, fera l’expérience de la mixité sociale et de la cohésion républicaine, durant un mois. Ce temps de service militaire universel devra intervenir dans les 3 ans suivant le dix-huitième anniversaire de chacun. À l’issue de cette période, l’accès des jeunes aux métiers de la Défense en tant que militaire d’active ou dans la Garde nationale sera facilité. Ce service militaire universel permettra aussi de disposer, en cas de crise, d’un réservoir mobilisable, complémentaire de la Garde nationale. ».
Le projet initial du SNU revêtait ainsi une forte coloration militaire et constituait un projet à part entière d’éducation à la défense nationale.
Dans les faits, le SNU s’adresse aux Français recensés, âgés de moins de dix-huit ans, et se déroule en deux phases :
– la phase 1 est un séjour de cohésion d’une durée de 12 jours, réalisé dans un département autre que le département d’origine du participant,
– la phase 2 est un engagement qualifié de « mission d’intérêt général », de 12 jours minimum ou 84 heures de façon ponctuelle ou régulière, faite dans une structure de type association, services publics, corps en uniformes, établissements de santé privés d’intérêt collectif mais également au sein des armées, notamment les Escadrilles Air Jeunesse précitées ou les Cadets de la gendarmerie.
Aujourd’hui, au-delà des activités physiques, sportives et de cohésion, les jeunes suivent plusieurs modules : « Valeurs de la République », « Journée Défense et mémoire » (JDM), « Sécurité intérieure », « Prévention et secours civiques de niveau 1 » (PSC1) ainsi qu’un module d’initiation à l’autodéfense. La JDM comporte quant à elle plusieurs modules, animés par des intervenants civils et militaires portant sur la « Défense », la « résilience » (1 h 30) et la « Mémoire (1 h), au cours desquels sont notamment organisés, des « serious games » ou des activités en extérieur.
Depuis juin 2023, ce dispositif de base a été complété par des « Classes et Lycées engagés » (CLE). Celles-ci s’inscrivent dans le cadre d’un projet pédagogique annuel qui implique également la participation à un séjour de cohésion du SNU sur temps scolaire. Ce séjour peut se décliner dans les 4 colorations, chaque coloration devant correspondre au projet de classe : Défense et mémoire, sport et Jeux olympiques et paralympiques, environnement et résilience et prévention des risques. D’après les informations communiquées à vos rapporteurs par la délégation générale du SNU (DGSNU), il y a aujourd’hui 1 000 CLE et, en 2024, la coloration défense représentait 35 % des classes et la coloration résilience et prévention 18 %, soit la majorité des séjours. Au total, 56 812 jeunes ont fait le SNU en 2024, lesquels se partagent entre 42 579 séjours individuels, hors temps scolaires, et 14 233 séjours dans le cadre des Classes et Lycées engagés (CLE).
B. Des acteurs impliqués également très nombreux et très différents
Les dispositifs présentés infra sont mis en œuvre par le ministère des Armées ou par le ministère de l’Éducation nationale mais, le plus souvent, ils impliquent une coopération entre les deux ainsi que la participation d’autres acteurs, parfois essentiels. Cette organisation est encore compliquée par la multitude des organes et des chaînes hiérarchiques qui, au sein de ces deux ministères, participent à cette mise en œuvre.
1. Le ministère de l’Éducation nationale
Parce qu’une part substantielle de la diffusion de l’esprit de défense repose sur l’École et les enseignants, le ministère de l’Éducation nationale joue un rôle majeur à travers le directeur général de l’enseignement scolaire (DGESCO) et son conseiller technique : le « délégué pour l’éducation à la défense ». Créé en 2007, ce dernier veille à l’application du protocole interministériel du 20 mai 2016 développant les liens entre la jeunesse, la défense et la sécurité nationale, coordonne les actions de sensibilisation des élèves et du personnel aux questions de défense et de sécurité et œuvre à renforcer la place et le rôle de l’éducation à la défense au sein des enseignements ainsi que dans la formation initiale et continue des enseignants.
Dans les académies, l’éducation à la défense est portée par les trinômes académiques. Placés sous l’autorité du Recteur, ils regroupent un représentant du ministère des armées, un représentant du ministère de l’Éducation nationale (conseiller défense du Recteur) et un représentant de l’association régionale des auditeurs de l’IHEDN. D’autres représentants (de la Gendarmerie, de l’ONaCVG…) s’associent aux trinômes au sein de « polynômes académiques ». Les trinômes conduisent ou accompagnent les établissements dans l’organisation d’actions éducatives de sensibilisation aux enjeux de défense et de sécurité nationale (rallyes citoyens, conférences, visites de sites, actions mémorielles, formations, etc.). Ils appuient aussi les demandes de subvention effectuées auprès de la direction de la mémoire, de la culture et des archives (DMCA) du ministère des armées.
Au niveau infra-académique, on peut retrouver des référents au niveau des directions des services départementaux de l’Éducation nationale ainsi que des relais défense au sein des bassins d’éducation et de formation ou des relais défense en établissement. Les « relais défense » sont les interlocuteurs académiques du secondaire qui transmettent au personnel éducatif les informations proposées par les forces de défense et de sécurité en matière de formation et d’actions pédagogiques. Chaque établissement est invité à nommer un relais défense parmi ses professeurs.
Enfin, l’enseignement de défense, qu’il s’agisse de l’EMC, des CDSG ou des autres dispositifs, ne pourrait être mis en œuvre sans l’implication directe, permanente et enthousiaste, au niveau des établissements scolaires, des chefs d’établissement et des enseignants, notamment d’Histoire-Géographie.
Au sein du ministère des Armées, deux chaînes sont impliquées dans le soutien à l’éducation à la défense. La première relève du Secrétariat général pour l’administration (SGA), au sein duquel la direction du service national et de la jeunesse (DSNJ) et la direction de la mémoire, de la culture et des archives (DMCA) jouent un rôle essentiel.
La DSNJ pilote la politique jeunesse du ministère des Armées en faisant vivre au quotidien le plan « Ambition armées-jeunesse », notamment en mettant en œuvre la JDC sur l’ensemble territoire national. Elle anime et coordonne également la participation du ministère aux différents dispositifs d’éducation à la défense que sont les CDSG, les cadets de la défense, les stages, les services civiques, les préparations militaires, le dispositif « Aux sports
jeunes citoyens ! », les journées défense et mémoire relevant du service national universel, ainsi que la commission armées-jeunesse et les comités régionaux armées-jeunesse.
La DMCA est quant à elle en charge du soutien à l’enseignement de défense au sein du ministère. Elle co-anime et finance au niveau national le réseau des trinômes académiques et soutient l’éducation à la défense via deux leviers principaux :
– le soutien financier : la DMCA subventionne les projets pédagogiques des écoles et établissements scolaires portant sur l’enseignement de défense ainsi que les projets locaux portés par des associations et des collectivités territoriales, dont l’objectif est de sensibiliser la jeunesse aux enjeux mémoriels ;
– la mise à disposition de ressources pédagogiques : la DMCA conçoit et diffuse des ressources pédagogiques nationales d’enseignement de défense sur le site internet « Chemins de mémoire » et notamment sur la plateforme d’enseignement de défense « Educ@def ». Cette dernière est interfacée avec la plateforme EDUSCOL du MENJ qui vise à accompagner l’ensemble des professionnels de l’éducation.
La seconde chaîne relève quant à elle de l’état-major des armées (EMA) et se divise elle-même en deux :
– la première est l’organisation territoriale interarmées de défense (OTIAD), chaîne purement opérationnelle et cadre dans lequel s’organise la coordination des moyens civils et militaires de défense du territoire national. Dans chaque zone de défense et de sécurité, un officier général, placé sous l’autorité du chef d’état-major des armées (CEMA), exerce les responsabilités de conseiller militaire du préfet de zone. Il est représenté, dans chaque département, par un délégué militaire départemental (DMD) qui est également le conseiller militaire du préfet et représentant du ministère des Armées au sein du trinôme académique précité ;
– créée à l’été 2023, la division « cohésion nationale » (DCN) de l’EMA participe à la conception, à la coordination et au pilotage de la politique jeunesse de l’EMA, en lien avec les différents organes concernés au sein du ministère (DSNJ, DCMA, DGSNU…) mais aussi en dehors, notamment au ministère de l’Éducation nationale Surtout, la DCN est donneuse d’ordres à destination de la chaîne OTIAD, pour l’application des directives nationales relatives à l’enseignement de défense et coordonne les actions mises en œuvre par les états-majors d’armées.
En effet, c’est à chaque armée qu’il revient la responsabilité de mettre en œuvre sa déclinaison territoriale du plan « Ambition armées-jeunesse » tout ayant son propre organigramme qui n’est pas nécessairement harmonisé avec les autres armées.
Plusieurs autres acteurs sont impliqués dans la diffusion de l’esprit de défense auprès de la jeunesse. Ainsi le département mémoire et citoyenneté de l’Office national des combattants et victimes de guerre (ONaCVG), organe sous tutelle de la DCMA, met-il en œuvre la politique mémorielle du ministère des armées, notamment via ses directions départementales et ses référents régionaux mémoire. Il entretient des contacts étroits avec les différentes composantes des trinômes académiques, notamment les DMD, avec lesquels sont organisées une grande partie des 1 200 actions mémorielles menées chaque année par l’Office, dont les représentants interviennent également dans les CDSG.
Les directions générales de la Police nationale et de la Gendarmerie nationale ainsi que la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises sont également fortement impliquées dans des actions d’éducation à la défense, ainsi que certains services du Premier ministre, parmi lesquels l’Institut des Hautes Études de Défense nationale (IHEDN) et le Secrétariat Général pour la Défense et la Sécurité Nationale (SGDSN).
Enfin, plusieurs acteurs associatifs contribuent à la diffusion de l’esprit de défense, notamment les associations régionales des auditeurs de l’IHEDN, regroupées sous la bannière de l’Union IHEDN, qui sont l’une des trois composantes des trinômes académiques, la fédération nationale André Maginot (FNAM), l’union des blessés de la face et de la tête (UBFT) ainsi que le fonds de dotation du Bleuet de France. Quant au SNU, « les séjours de cohésion » qui en constituent la phase II ne pourraient tout simplement pas être organisés sans l’implication de très nombreuses associations au niveau local.
II. DES DISPOSITIFS QUI, MALGRÉ LEUR INTÉRÊT PROPRE, NE SEMBLENT PAS TOTALEMENT ADAPTÉS AU NOUVEAU CONTEXTE DE CRISE AUQUEL FAIT FACE NOTRE PAYS
A. Des dispositifs qui, malgré leur intérêt propre, souffrent à la fois de faiblesses et de limites
En préalable, vos rapporteurs tiennent à souligner l’intérêt de ces dispositifs. Malgré tous les défauts et limites qui seront développés infra, ils ont permis, pour chacun d’entre eux, de faire vivre le lien entre les armées et la jeunesse après la suppression du service national et contribué à diffuser, certes de manière imparfaite, l’esprit de défense au sein de celle-ci.
1. Trois dispositifs universels « fourre-tout » : l’EMC, la JDC et le SNU, au contenu vague et aux objectifs multiples
Parmi l’ensemble des dispositifs destinés à diffuser l’esprit de défense dans la jeunesse, deux se distinguent en ce qu’ils concernent l’ensemble d’une classe d’âge, soit aujourd’hui près de 800 000 jeunes : l’enseignement moral et civique (EMC) et la Journée défense et citoyenneté (JDC). Or, comme vos rapporteurs l’ont évoqué brièvement dans la première partie, ces deux dispositifs sont aujourd’hui devenus de véritables « fourre-tout », éloignés des enjeux de défense et de sécurité nationale, et de simples réceptacles des priorités sociales ou politiques successives, lesquelles sont tout à fait légitimes par ailleurs.
a. Un cours d’EMC à la discrétion des enseignants
C’est le cas, pour commencer, de l’enseignement moral et civique (EMC). À sa décharge, celui-ci n’a jamais été pensé ni construit comme un cours orienté sur les enjeux de défense et de sécurité nationale. Son intitulé même montre qu’il va bien au-delà, ce que confirment les différentes circulaires ministérielles établissant son programme. Quant au nouveau programme de l’EMC, annexé à l’arrêté du 29 mai 2024, il révèle l’ampleur exceptionnelle de la tâche qui incombe aux enseignants qui en sont chargés. Il leur appartient en effet d’instruire leurs élèves de « l’ensemble des dimensions éthiques et politiques de la citoyenneté, depuis les rapports interpersonnels des enfants et des adolescents dans et hors de la classe, jusqu’à leur engagement dans la vie économique, sociale et politique, dont les enjeux sont tout à la fois locaux, nationaux et mondiaux. Le programme assure une connaissance du cadre institutionnel de la République française ainsi que de l’Union européenne. Il participe pleinement à l’éducation aux médias et à l’information (EMI) ainsi qu’à l’éducation au développement durable (EDD). Il met en avant la dimension humaine des relations sociales, politiques, économiques et culturelles, en contribuant à développer la capacité d’empathie des élèves. Enfin, il développe et consolide des compétences qui permettront aux futurs adultes de contribuer à résoudre les problèmes collectifs de leur temps ».
Certes, la défense et la sécurité nationale font bien partie de ce (vaste) programme, ainsi qu’il a été rappelé en première partie du présent rapport, mais uniquement dans les classes de 4e au collège et de 1re au lycée. En outre, le cours d’EMC porte également sur des matières aussi diverses que l’égalité entre homme et femme, la lutte contre les discriminations, les institutions et l’État de droit, la laïcité ou encore les risques environnementaux.
Aucune hiérarchie n’étant faite ni priorité donnée entre ces différentes matières, toutes évidemment légitimes et parfaitement à leur place dans un cours consacré à la morale et à la citoyenneté, il revient donc aux enseignants qui en sont chargés de traiter comme ils peuvent ce programme dans le volume horaire limité (trente minutes par semaine jusqu’en 2024 dans le secondaire, une heure désormais) dont ils disposent. S’il est difficile de savoir ce qui se passe réellement dans les dizaines de milliers de cours d’EMC dispensées chaque année en raison de l’absence de statistiques sur l’enseignement de défense, nombre de rapports faits sur le sujet ont montré que l’enseignement de défense dans ce cadre n’était pas satisfaisant, ce que les auditions ont confirmé.
En effet, comme l’a souligné le général Pierre-Joseph Givre, directeur du service national et de la jeunesse (DSNJ), « les cours d’EMC ont une composante Défense mais celle-ci n’est pas forcément appliquée par les enseignants. Moins de 40 % d’entre eux le feraient et aucune autorité ne s’exerce sur eux, si bien que les enseignants donnent en pratique à ce cours le contenu qu’ils veulent ». Ce constat a été confirmé par M. Maxime Launay, chercheur à l’IRSEM : « les cours d’EMC ne sont absolument pas cadrés et normalisés. Chaque enseignant fait à peu près ce qu’il veut pendant ses heures et ne traite pas forcément de la défense ». Certains peuvent ainsi totalement écarter les questions de défense, soit qu’ils considèrent que ce n’est pas le rôle de l’école, soit qu’ils souffrent d’un manque de formation ou de ressources ; d’autres au contraire, pleinement investis, lui donnent une large place, en particulier s’ils enseignent dans des CDSG. Enfin, tous les enseignants, quels qu’ils soient, sont confrontés à la lourdeur des programmes dans leur matière respective. La tentation est donc grande de prendre sur le cours d’EMC les heures nécessaires pour les achever avant la fin de l’année.
Le rapport de M. Christophe Blanchet et Mme Martine Étienne confirme tous ces points. La consultation qui l’accompagne, à laquelle ont répondu 2 688 enseignants du secondaire, révèle ainsi que près de huit enseignants sur dix (77,29 %) considèrent que la défense nationale ne doit pas faire l’objet d’un enseignement dispensé dans le cadre scolaire. Près de neuf enseignants sur dix (88,07 %) disent ne pas avoir été formés à l’éducation à la défense, et, surtout, que 69,95 % ne le regrettent pas. D’autres indiquent que les programmes sont déjà surchargés (352 réponses), qu’ils ont d’autres priorités que la défense (93 réponses), que l’éducation à la défense ne ressortit pas du rôle de l’école (30 réponses) et, enfin, qu’il s’agit d’un choix personnel de ne pas l’enseigner (27 réponses). Même si cette consultation n’a pas valeur de sondage et doit être prise avec précaution en raison des biais qu’elle comporte, elle n’en montre pas moins que l’enseignement de la défense ne va pas de soi pour nombre d’enseignants.
Dans son rapport consacré à l à Formation à la citoyenneté » (octobre 2021), la Cour des comptes qualifie quant à elle le cours d’EMC d’ « épine dorsale du parcours citoyen car l’apport de connaissances repose largement sur cette matière ». Pourtant, elle confirme « ce que plusieurs observateurs ont déjà dénoncé : la place de l’EMC est secondaire et de nombreux enseignants n’y accordent pas un temps spécifique ». Elle pointe en particulier « l’absence de conseil d’enseignement propre à cet enseignement, la rareté voire l’inexistence d’inspection de cette matière, même envers les professeurs d’histoire géographie de collège. L’EMC pouvant être la variable d’ajustement, les référentiels sont mal respectés : confrontés à un programme à la fois foisonnant et vague, les enseignants font des impasses ».
Le contraste apparaît ainsi saisissant avec ce qui se passe dans les écoles en Lettonie, où vos rapporteurs se sont rendus. Au Lycée français de Riga, plus particulièrement, ils ont pu constater la large place occupée par l’enseignement de défense. Cours autonome et obligatoire, il représente un volume horaire de 56 heures par an, dédié à la défense et à la résilience, et encadré par des civils ou des personnels en uniforme. Le fait que chaque cours dure 7 heures permet d’associer à l’enseignement théorique de la défense nationale et de la sécurité, fortement structuré, des exercices pratiques. Concrètement, les élèves sortent de l’enceinte scolaire et vont en forêt s’exercer à l’allumage de feu, à l’utilisation des radios militaires ou à des courses d’orientation.
b. Une JDC qui n’a(vait) plus rien de militaire
Ainsi qu’il a été dit supra, la Journée défense et citoyenneté a été créée à la suite de la suspension du service militaire par la loi n° 97-1019 du 28 octobre 1997 portant réforme du service national. L’article L.114-3 du code du service national fixe le programme de cette JDC. Sont présentés aux jeunes « les enjeux et les objectifs généraux de la défense nationale et du modèle français de sécurité civile, les moyens civils et militaires de la défense et leur organisation, le service civique et les autres formes de volontariat ainsi que les périodes militaires d’initiation ou de perfectionnement à la défense nationale et les possibilités d’engagement dans les forces armées et les forces de réserve ou en qualité de sapeur-pompier volontaire ».
Toutefois, le programme de la JDC ne se limite pas aux questions de défense et de sécurité nationale. Au fur et à mesure des douze lois ayant modifié l’article précité depuis sa création, celle-ci s’est progressivement élargie à de nombreux autres sujets très éloignés de son cœur de cible tels que : « les droits et devoirs liés à la citoyenneté et aux enjeux du renforcement de la cohésion nationale et de la mixité sociale », « le don de sang, de plaquettes, de moelle osseuse, de gamètes et sur le don d’organes à fins de greffe, « la prévention des conduites à risque pour la santé, notamment celles susceptibles de causer des addictions et des troubles de l’audition », « l’égalité entre les femmes et les hommes, à la lutte contre les préjugés sexistes et à la lutte contre les violences physiques, psychologiques ou sexuelles commises au sein du couple est dispensée ».
L’ensemble de ces sujets sont éminemment respectables mais ils réduisent d’autant la place consacrée aux enjeux de défense et de sécurité, alors même que la JDC, déjà fragilisée pendant plusieurs années par la crise sanitaire, s’est progressivement réduite à une demi-journée. Comme l’a souligné le rapporteur pour avis des crédits de la mission anciens combattants, M. Laurent Jacobelli, dans son avis sur le projet de loi de finances pour 2025, après de nombreux autres observateurs, la JDC était, jusqu’à sa nouvelle réforme cette année, un « fourre‑tout » dans lequel « non seulement les appelés manquent de temps pour assimiler les séquences sur la défense et approfondir leurs échanges avec les animateurs, mais peinent aussi à absorber véritablement les autres messages ». Même les données recueillies lors de la JDC sont insuffisamment qualitatives pour assurer un suivi personnalisé et utile des jeunes appelés.
Dans ces conditions, alors que la JDC devrait être un moment privilégié de rencontre entre la jeunesse et les armées, offrant à celles-ci la possibilité de se mettre en valeur et de détecter les jeunes potentiellement désireux de s’engager, les jeunes sont déçus par cette JDC, qui n’a plus rien de militaire ou presque, à laquelle ils se rendent contraints et forcés sans en attendre rien. Quant aux armées, elles ne voient aucun bénéfice à l’investissement massif que son organisation exige de leur part.
Par conséquent, ces deux dispositifs qui sont, par leur universalité, au cœur du parcours citoyen n’atteignent pas leurs objectifs, qu’ils s’agissent de la diffusion de l’esprit de défense, du renforcement de la cohésion nationale ou du recrutement des armées.
c. Un SNU ni militaire, ni universel
Le SNU était, à l’origine, porté par une grande ambition et, comme le montre clairement le discours précité du candidat Macron à l’Hôtel des arts et métiers en 2017, considéré comme un dispositif « militarisé » : des jeunes en uniforme, faisant l’expérience de la vie militaire, acteurs à part entière de l’esprit de défense, encadrés par les armées et la gendarmerie nationale, avec pour objectif de renforcer le lien armée-nation.
Malgré l’enthousiasme et l’implication des fonctionnaires de la délégation générale au SNU, nous sommes loin, aujourd’hui, de cette ambition initiale. Les auditions de vos rapporteurs ont confirmé ce que bien d’autres rapports, notamment celui de la Cour des comptes (septembre 2024), avaient déjà mis en évidence. Même si certaines des critiques formulées contre le SNU ne sont plus pertinentes aujourd’hui, de nombreuses améliorations ayant été apportées à l’organisation des séjours de cohésion, il n’en reste pas moins que le SNU n’est que l’ombre du dispositif « militarisé » et universel qu’il ambitionnait d’être.
En termes de contenu, la part de la phase 1 – séjour de cohésion – consacrée aux enjeux de défense nationale et de sécurité est réduite à la portion congrue. Aujourd’hui, les seuls éléments se rapportant réellement à la Défense nationale et la sécurité dans le SNU sont la coloration « Défense et mémoire », choisie par plus de la moitié de collèges et lycées engagés (CLE), et la « Journée Défense et mémoire » (JDM) qui est une composante obligatoire du séjour de cohésion et se compose des trois modules précédemment cités. Sur un total de douze journées, c’est peu et encore, rien ne garantit la présence d’uniformes ni des visites d’unités, en particulier lorsque les séjours ont lieu dans des « déserts » militaires. Quant à la part de la phase II, rien n’oblige le participant à choisir une mission d’intérêt général dans un organisme relevant de la défense nationale ou de la sécurité.
S’agissant de l’universalité, le recrutement du SNU a été biaisé, dès l’origine, par son caractère volontaire. Par définition, ne sont volontaires que les jeunes, souvent socialement favorisés, qui sont d’ores et déjà éveillés aux questions de défense nationale et de sécurité, par affinité personnelle ou origine familiale. Les jeunes les plus éloignés de celles-ci, qui auraient plus que les autres intérêts à faire le SNU, ne se sentent donc pas concernés et le SNU n’a pas les moyens de les atteindre. L’objectif de mixité sociale du SNU, laquelle est une composante de la cohésion nationale, n’a donc pas été atteint.
Quant à l’engagement des jeunes, autre objectif du SNU, il est très difficile à mesurer, faute de suivi des jeunes au-delà de la mission d’intérêt général (phase II). D’une manière générale, comme l’a reconnu Mme Corinne Orzechowski, délégué général du SNU, « il n’y avait pas de bilan officiel du SNU, même s’il y a un retex annuel ».
La principale faiblesse du SNU, soulignée par la Cour des comptes dans son rapport précité, est la même que celle de la JDC et de l’EMC. La multiplication des objectifs : « renforcer la cohésion nationale, faire vivre les valeurs républicaines, participer à la mixité sociale et territoriale, développer une culture de l’engagement, accompagner l’orientation et l’insertion des jeunes, développer la résilience et l’esprit de défense, etc. Ils se sont multipliés au fil de sa mise en œuvre, la communication ayant insisté sur certains d’entre eux, en fonction de l’actualité […]. Cette diversité d’objectifs a entretenu une incertitude sur l’ambition et le sens du SNU, se traduisant par des attentes diverses et contradictoires. Ce point a également été relevé par l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire, évoquant la confusion et même parfois la déception de jeunes qui s’attendaient à un entraînement sportif et militaire ».
Pour M. Édouard Geffray, ancien directeur général de l’enseignement scolaire, le constat est le même : « le SNU est ainsi un entre-deux, refusant le militaire mais imposant l’uniforme », se reposant avant tout sur des associations civiles mais communiquant sur la dimension militaire, tout en souffrant de « l’accumulation des modules pendant le séjour de cohésion, tous légitimes, mais extrêmement variés, au risque de perdre de vue l’objectif initial », sans parler des chevauchements avec d’autres dispositifs, les Collèges et Lycées Engagés (CLE) rappelant ainsi furieusement les Classe défense et sécurité globale (CDSG).
Comme l’a souligné Mme Corinne Orzechowski, « le SNU n’a du sens que s’il est amplifié. À 50 000 jeunes par an, il n’a pas de sens. Il en aurait à la moitié d’une classe d’âge mais les nouvelles réductions budgétaires en 2025 sont venues casser l’élan ». Il n’est en effet plus question aujourd’hui de généraliser un dispositif qui ne pourrait être obligatoire et universel, faute de moyens financiers et humains. Le choix n’est pas fait entre l’extinction du SNU et son éventuelle relance, dans une forme qui reste à déterminer et qui pourrait, selon ce que voudra le Président de la République et accepteront le gouvernement et le Parlement, très différent et de ce qu’il est devenu aujourd’hui.
2. Deux dispositifs efficaces mais limités par la disponibilité des militaires : les CDSG et les Préparations/Périodes militaires
À côté de ces dispositifs « fourre-tout » que sont l’EMC, la JDC et le SNU, aux contenus et aux objectifs multiples, d’autres dispositifs mis en œuvre par l’Éducation nationale et/ou les armées, ciblés sur les questions de défense et de sécurité nationale et aux objectifs clairement identifiés, ont fait leur preuve. Parmi ceux-ci, deux ont retenu l’attention de vos rapporteurs.
Le premier, ce sont les classes de défense et de sécurité globale. De l’avis général, celles-ci sont un succès, comme le montre la progression constante de leur nombre. Comme l’a rappelé M. Édouard Geffray, ancien directeur général de l’enseignement scolaire, « le nombre de CDSG a été multiplié par trois ans en cinq ans », si bien qu’on en compte près de 1 000 aujourd’hui, au sein desquelles sont scolarisés plus de 25 000 élèves. Elles sont également présentes dans tous des départements, y compris dans les Outre-mer (sauf à Saint-Pierre-et-Miquelon). M. Stéphane Colin, conseiller « défense » du directeur général de l’enseignement scolaire, a aussi souligné lors de son audition « l’impact de l’actualité sur la dynamique de ce dispositif et, notamment, les attentats de 2015, qui sont à l’origine du Protocole du 20 mai 2016 entre le MINARM et l’Éducation nationale. La dynamique est aujourd’hui portée par l’Ukraine et le Proche et Moyen-Orient, avec de vrais questionnements des élèves à ce sujet ».
La forte dynamique du dispositif va de pair avec la satisfaction de l’ensemble des parties prenantes : MINARM, ministère de l’Éducation nationale et élèves. Selon une étude de l’IRSEM publiée en 2022, présentée dans le cadre du rapport précité de M. Christophe Blanchet et Mme Muriel Étienne, « les classes de défense contribuent à relever ces défis primordiaux en insistant sur le besoin de cohésion et de solidarité entre générations, en proposant aux jeunes un espace où s’engager et où cultiver les valeurs d’engagement ainsi que les principes républicains. Cela en prenant exemple sur l’action des armées ».
Malgré ce succès et l’intérêt qu’elles présentent, tant pour les élèves que pour la diffusion de l’esprit de défense, il apparaît difficile de multiplier les CDSG en raison principalement de la contrainte qu’elle représente pour les unités militaires. Même si une seule unité peut marrainer plusieurs CDSG, il n’en reste pas moins que donner de la substance à ce marrainage (visite de l’emprise militaire, rencontre avec les personnels etc.…) implique, pour les unités concernées, du temps et des contraintes alors même que leurs obligations opérationnelles sont lourdes. Dans ces conditions, le nombre de CDSG possibles est étroitement lié aux nombres d’unités militaires, lequel sont relativement réduits, y compris pour les gendarmeries, alors qu’on compte 30 000 classes par niveau au seul collège et 3,4 millions de collégiens. Le général Goujon, sous-directeur du pôle recrutement de l’armée de Terre, a ainsi indiqué que cette dernière « vise 600 classes de défense à l’horizon 2026 [contre 400 aujourd’hui], soit une classe de défense par unité élémentaire (compagnie), optimum indépassable sans effet d’éviction sur d’autres activités ».
Par conséquent, malgré la pertinence et la réussite de ce dispositif, seule une infime minorité d’élèves (moins de 1 %) pourront bénéficier du dispositif des CDSG, lesquelles ne seront pas forcément également réparties sur le territoire compte tenu des « déserts militaires » que constituent certains départements.
Le deuxième dispositif qui a fait la preuve de son efficacité, ce sont les préparations ou périodes militaires. Contrairement aux CDSG, qui sont en quelque sorte imposées aux élèves par leurs enseignants et leurs établissements, les jeunes sont les premiers acteurs de leur engagement dans les PM. Celles-ci sont aussi, comme les CDSG, clairement ciblées, à la fois dans leur contenu et dans leur finalité. Ce contenu est, en effet, strictement militaire, ainsi que l’encadrement, et leur présentation sur les sites des différentes armées est éloquente. Dans la PM initiale de l’armée de Terre, le jeune est ainsi « habillé en tenue de combat et découvrira avec d’autres jeunes les bases du métier militaire et la vie dans un régiment. Il découvrira également la vie en collectivité, la vie sur le terrain (bivouac, secourisme, etc.), fera du sport (course d’orientation, marche...) et apprendra à marcher au pas en chantant des chants militaires. ». Idem dans la Marine où les PM sont « axées sur l’apprentissage du milieu militaire et maritime, la pratique du sport et l’entraînement aux exercices de sécurité ou de secours (découverte de l’organisation de la Défense, apprentissage de l’ordre serré, formation à la conduite des embarcations à moteur...). Le tout en développant l’esprit d’équipage et de cohésion ». Quant à l’objectif poursuivi par ces PM, il est lui aussi clairement identifié et assumé : le recrutement des futurs soldats d’active et réservistes opérationnels.
Les PM présentent toutefois la même faiblesse que les CDSG. Parce qu’elles sont fortement consommatrices de « ressources militaires », elles sont soumises aux mêmes contraintes que ces dernières s’agissant de la disponibilité des unités, qui doivent les concilier avec l’ensemble de leurs missions. Dès lors, il est difficile d’imaginer qu’elles puissent bénéficier à beaucoup plus que les quelque 13 000 jeunes engagés actuels. Comme l’a souligné le contre-amiral Laurent Berlizot, chef de la division de la cohésion nationale pour la Marine nationale, « les PMM vont poursuivre leur progression mais modérément ». Idem dans l’armée de Terre, le général Goujon ayant indiqué lors de son audition que le nombre de places passerait de 6 500 à 7 400.
B. Un contexte lourd de menaces pour notre pays
1. Une dégradation de l’environnement stratégique européen, marqué par l’accumulation des menaces de toutes natures
L’année 2025 constitue un tournant stratégique, marquant l’aboutissement des plusieurs tendances lourdes ayant débuté dans les années 2000, qui sont aujourd’hui autant de menaces auxquelles est confronté notre pays.
La première est la résurgence de la menace russe à partir de 2008, année qui a vu pour la première fois la Russie agresser militairement un autre État : la Géorgie. En 2014, c’est l’Ukraine qui, à son tour, a fait les frais de la nouvelle agressivité russe, laquelle s’est traduite par l’annexion de la Crimée et la déstabilisation durable de l’Est du pays, devenue les années suivantes un conflit de basse intensité aux frontières de l’Europe ; ce conflit, faut-il le rappeler, est devenu une guerre de haute intensité le 24 février 2022 lorsque la Russie a envahi militairement l’Ukraine, conflit qui se poursuit encore aujourd’hui et a causé plusieurs centaines de milliers de morts et de blessés. Alors qu’elle était encore considérée, en 2010, comme un « partenaire stratégique » par l’OTAN, la Russie est désormais vue, dans le Concept stratégique de 2022, comme « la menace la plus importante et la plus directe pour la sécurité des Alliés, ainsi que pour la paix et la stabilité dans la zone euro-atlantique », menace qui n’est pas seulement conventionnelle mais également nucléaire et hybride, comme le montrent ses multiples attaques cyber ou (dés)informationnelles visant des pays européens.
L’agression de l’Ukraine par la Russie est la manifestation la plus visible et la plus brutale de la remise en cause, par certaines grandes puissances, de l’ordre international fondé sur les règles tel qu’il est issu de 1989 et, au-delà, de 1945. Leur stratégie de puissance, impliquant l’utilisation assumée de la force, remet en cause les principes fondateurs de ce dernier, tels que l’interdiction de l’agression armée, l’intangibilité des frontières ou la liberté de navigation. Cette deuxième tendance lourde n’est pas seulement le fait de la Russie mais également de la Chine ou de la Turquie, sans oublier, depuis l’élection de Donald Trump, du garant en dernier ressort dudit ordre : les États-Unis.
Troisième tendance lourde, le retrait progressif des États-Unis des affaires européennes. Entamé dès 2010 sous la présidence de Barack Obama, le pivotement des intérêts stratégiques américains vers l’Indopacifique vise à répondre à la menace que représente la Chine pour la suprématie américaine. Il justifie que les États-Unis concentrent leurs forces sur celle-ci en délaissant les autres théâtres, à commencer par l’Europe. Ce pivotement a connu une accélération brutale avec l’élection de Donald Trump et sa décision – même provisoire – de suspendre l’aide militaire à l’Ukraine, tout en entamant des négociations directes avec la Russie sans l’Ukraine, afin de mettre un terme au conflit. La fin pressentie de la protection américaine de l’Europe via l’OTAN a contraint en urgence les États membres de l’Union européenne à repenser l’architecture de leur sécurité et à se réarmer massivement pour faire face à la menace russe.
Quatrième tendance lourde : l’accélération du progrès technologique, lequel a des implications militaires majeures, via l’apparition d’armes autonomes ou, plus simplement, en renforçant considérablement l’efficacité des armes existantes ou encore le MCO (qui deviendrait prédictif). L’intelligence artificielle, encore balbutiante il y a quelques années seulement, est désormais au cœur des préoccupations de nos sociétés comme de nos armées et constitue, après Internet à la fin des années quatre-vingt-dix, une nouvelle révolution industrielle, dans laquelle l’Europe, malheureusement, apparaît distancée. D’autres innovations majeures sont à probablement à venir, notamment en matière d’ordinateur quantique, lui aussi de nature à bouleverser l’art de la guerre par sa puissance de calcul.
Enfin, la dernière tendance lourde est le changement climatique. À l’œuvre depuis plusieurs décennies, il va en s’accélérant, faute de volonté politique réelle et universelle de limiter les émissions de gaz à effet de serre, et ses conséquences frappent désormais régulièrement l’Europe : incendies, sécheresses, inondations, chaleurs extrêmes, autant de phénomènes que l’on retrouve, parfois amplifiés, dans d’autres régions du monde. Non seulement le changement climatique fragilise nos sociétés, en soumettant l’environnement, les biens et les personnes à des tensions accrues, mais il risque de déstabiliser notre voisinage et nourrir des phénomènes migratoires massifs difficiles à contrer.
Au-delà de ces tendances, vos rapporteurs soulignent que la guerre en Ukraine ne doit pas faire oublier le totalitarisme islamiste, qui reste pour notre pays la première menace intérieure et extérieure. Il a déjà, à de nombreuses reprises frappé sur notre sol et, malgré la vigilance des services de renseignements et en dépit des coups portés aux organisations djihadistes, notamment au Sahel dans le cadre de l’opération Barkhane, cette menace reste vivace.
2. L’affaiblissement de la cohésion nationale malgré la volonté d’engagement des jeunes
Cette dégradation accélérée de notre environnement stratégique intervient à un moment où notre cohésion nationale est, plus que jamais, fragilisée. Bien que la France ait su faire la preuve, au cours de la dernière décennie, de sa résilience dans les crises qui l’ont frappée (pandémie de Covid-19, attaques terroristes…), pour autant, les « fractures françaises », pour reprendre le terme que l’institut IPSOS donne à son enquête annuelle sur l’état de notre société, sont nombreuses. L’édition 2024, publiée en novembre dernier, documente la croissance d’un sentiment de colère à travers les différentes catégories de la population. Près d’un Français sur deux (43 %) se dit aujourd’hui appartenir à une France « en colère et très contestataire » tandis que 54 % sont mécontents, sans forcément être en colère, seulement 3 % disant vivre dans une France « apaisée et satisfaisante ». Une immense majorité de notre population (87 %, + 18 points depuis 2017) a également le sentiment d’une France en déclin. D’après cette même enquête, les Français ont aujourd’hui le sentiment de vivre dans une société violente (92 %), violence qui ne ferait que s’aggraver selon eux (89 %).
Au-delà de cette enquête, l’affaiblissement de la cohésion nationale est une expérience que chaque Français peut vivre au quotidien tant sont visibles le primat de l’individu et de ses droits sur la société et les devoirs, l’exacerbation des clivages de toutes sortes : politiques, économiques ou sociologiques, la perte de confiance dans les institutions politiques censées représenter et servir les citoyens, et, enfin, la difficulté de renouer le dialogue avec des individus radicalisés sur leur position et encouragés à l’être par des réseaux sociaux hors de contrôle.
Cet affaiblissement de notre cohésion nationale nous fragilise alors que les menaces s’accumulent. Il constitue une vulnérabilité interne qui pourrait être instrumentalisée par des compétiteurs de la France ainsi que le soulignait la revue nationale stratégique en 2022 : « nos compétiteurs stratégiques s’efforcent d’instrumentaliser nos dépendances, de porter atteinte à nos capacités d’appréciation souveraine et à notre cohésion nationale afin d’orienter notre compréhension des situations et de contraindre nos décisions […]. Les opérations russes et chinoises dans ce domaine cherchent à fragiliser nos propres systèmes politiques et notre cohésion nationale, tout en alimentant voire en suscitant des effets d’alignement en notre défaveur, comme l’atteste la guerre en Ukraine ».
Le paradoxe, c’est que cet état dégradé de notre société et l’affaiblissement de notre cohésion nationale vont de pair avec la volonté renouvelée des jeunes de s’engager au service de leur pays. Comme l’a souligné le général Goujon, « la jeunesse française fait preuve d’une forte sensibilité aux questions de défense. Nous le constatons dans nos contacts au quotidien comme dans les études que nous conduisons ou faisons conduire, par exemple les travaux récents d’Anne Muxel, menés avec l’IRSEM. Ils nous révèlent que les tendances profondes qui structurent notre jeunesse et ses aspirations sont loin des représentations communément admises. Confirmant l’attrait pour l’engagement et éventuellement le métier des armes, ces études témoignent toutes de la vitalité et des aspirations élevées de la génération qui vient. 62 % des 18-24 ans se disent aujourd’hui prêts à défendre leur pays, dont 48 % jusqu’au sacrifice de leur vie si nécessaire ». Cette volonté de défense s’accompagne d’une excellente image des armées dans la jeunesse, tant de la Marine (80 %), que de l’armée de Terre (75 %).
Toutefois, cette confiance dans les armées comme cette volonté de s’engager s’accompagne paradoxalement – à moins que ce soit l’une des explications – d’une certaine méconnaissance à la fois des enjeux de défense et d’une réticence aux contraintes de l’engagement. Le capitaine de vaisseau Laurent Machard de Gramont, chef du pôle « recrutement, écoles et formation » pour la Marine nationale, l’a ainsi souligné lors de son audition : « il est frappant de constater à quel point ils ont, comme les Français en général, une méconnaissance des enjeux maritimes. La Marine voit des jeunes qui sont motivés mais qui, d’une manière générale, acceptent difficilement le mode de vie qu’elle leur propose : pas d’internet sur les bateaux, et donc pas de réseaux sociaux, longue période d’éloignement etc… Ils sont à la fois plus volatils que leurs aînés, ce qui exige de notre part un effort supplémentaire de fidélisation, tout en réclamant du sens à leur vie, qui peut également soutenir leur engagement ».
Cette méconnaissance des enjeux de la défense nationale est largement partagée par nos concitoyens, méconnaissance que la suspension du service nationale a probablement nourrie. Si le service national obligatoire n’entraînait pas mécaniquement une maîtrise des enjeux de la défense nationale par les « appelés du contingent », il permettait néanmoins d’accroître la porosité entre citoyens et militaires, porosité qui demeure au cœur de ce qui est aujourd’hui communément appelé « le lien armées-Nation ». En outre, les enseignants nés après 1979 n’ont plus fait leur service national sans que leur formation ne supplée ce manque d’expérience militaire, alors même que la diffusion de l’esprit de défense repose, en grande partie, sur l’École.
3. Le déclin démographique, aggravé par la baisse des performances académiques et physiologiques de la jeunesse
La volonté d’engagement des jeunes et les qualités dont ceux-ci peuvent faire preuve se heurtent ainsi aux contraintes de l’engagement, souvent largement ignorées faute de réelle connaissance de la « chose militaire », mais également à la baisse de leurs capacités académiques et physiologiques, sans oublier la perte de valeur et de savoir-être.
Ce fait a été rappelé à de nombreuses reprises lors des auditions. Ainsi le capitaine de vaisseau Machard de Gramont a-t-il souligné « la baisse de leur niveau scolaire, en particulier dans les matières scientifiques et en français. Ainsi, lors du test d’entrée à l’EAMEA (école d’application militaire de l’énergie atomique), rigoureusement le même depuis vingt ans, la moyenne s’est effondrée de 9 à 4. La condition physique, elle aussi, s’est détériorée. Les repères sociaux ont également été, en partie, érodés sous l’influence des réseaux sociaux, qui expliquent certaines violences sexuelles et sexistes, mais aussi verbales. La Marine doit donc, dans ses écoles, les remettre à niveau mais également leur apprendre le savoir-être car le vivre-ensemble est essentiel pour la vie en équipage ».
Ce phénomène n’est d’ailleurs pas spécifique à la France. Le même a rappelé qu’ « aux États-Unis, 76 % des jeunes sont inaptes à servir dans l’US Navy, si bien que celle-ci recrute dans 24 % de la population. En Suède, à l’issue du recensement en ligne, seuls 25 % des jeunes sont jugés aptes et convoqués aux tests ». Aux États-Unis, en Suède et très probablement en France également, les armées sont ainsi contraintes de recruter dans une part réduite des jeunes, faute pour ceux-ci de satisfaire aux critères scolaires, physiques et psychologiques nécessaires.
Déjà problématique, ce fait est aggravé par la diminution régulière de la natalité dans notre pays. Alors que les armées recrutent aujourd’hui dans la classe d’âge 2005-2007 – dont le nombre est d’environ 775 000, le nombre d’enfants nés en France s’est élevé à 663 000 en 2024. Par conséquent, comme l’a souligné le contre-amiral Berlizot, « face à la diminution des classes d’âge, le besoin d’un recrutement de qualité, en quantité suffisante, va mécaniquement être plus difficile à satisfaire », d’autant plus que parmi ces cohortes réduites de jeunes Français, le choix des matières scientifiques au secondaire va lui aussi en diminuant. Or, c’est dans les spécialités scientifiques que sont, principalement, recrutés les officiers, en particulier dans l’armée de l’Air et la Marine, tandis que de nombreux métiers des armées exigent de solides connaissances scientifiques. Une remise à niveau peut se faire dans les écoles militaires mais il faut bien partir d’une base minimale qui pourrait un jour faire défaut.
Certes, actuellement, les difficultés de recrutement sont limitées d’une manière générale et les armées atteignent, bon an mal an, leurs objectifs de recrutement, malgré une alerte sérieuse pour l’armée de Terre en 2023. Toutefois, certaines filières font face à des difficultés spécifiques de recrutement, comme l’a souligné le capitaine de vaisseau Machard de Gramont, « le recrutement de la Marine est sous tension depuis 4-5 ans, même si les objectifs sont atteints. Deux domaines sont toutefois difficiles : les secteurs dynamiques, comme le nucléaire, le numérique ou la maintenance aéronautique, dans lesquels la concurrence avec le civil est forte, et les secteurs qui n’attirent plus, comme l’hôtellerie-restauration ou les guetteurs sémaphoriques, ou encore les métiers administratifs ». Ces difficultés sont vouées à s’aggraver à mesure que les classes d’âge se réduiront et que les armées seront en concurrence, pour attirer les mêmes compétences, avec des acteurs civils qui n’auront ni les mêmes rigidités salariales, ni les mêmes contraintes opérationnelles.
Le déclin démographique et la baisse des performances académiques et physiques en France et, plus généralement, en Occident, font donc peser une hypothèque majeure sur le recrutement et donc sur la capacité des armées à accomplir leurs missions et ce, alors même que les menaces s’alourdissent.
C. La prise de conscience du rôle des citoyens et, en particulier, de la jeunesse dans la défense du pays
1. La défense globale : un concept partagé au plus haut niveau et dans toute l’Europe
L’idée que les citoyens doivent, en tant que tels, contribuer à la défense de leur pays, est une idée française, mise en œuvre pendant la Révolution et poursuivie jusqu’en 1996 et la suspension du service national. Si le changement d’ère stratégique, en 1989, nous a incités à opter pour une armée professionnelle au format expéditionnaire, telle n’a cependant pas été la voie suivie par certains de nos partenaires européens qui, eux, ont conservé ou rétabli le service militaire dans une conception globale de la défense et de la sécurité nationale.
En effet, on voit qu’aujourd’hui est enclenché, en Europe, un vaste mouvement de rétablissement du service militaire, lequel est directement lié à l’agressivité de la Russie. C’est pourquoi il concerne plus particulièrement les pays proches ou frontaliers de la Russie et, en particulier, la Suède et en Lettonie.
La Suède l’a rétabli en 2015, juste après l’annexion de la Crimée. Quant à la Lettonie, elle a fait de même en 2023, l’année suivant le déclenchement de la guerre en Ukraine. Dans ces deux pays, la défense n’est pas seulement le fait des militaires mais de la population tout entière, concept défini sous le nom de défense globale ou totale. Face à une menace et, plus encore, à une agression armée ou une attaque hybride (ingérence, désinformation, cyberattaques…), c’est l’ensemble de la population qui doit être mobilisée, non seulement pour la repousser mais aussi pour maintenir le pays en état de fonctionnement. La défense globale implique donc à la fois le partage dans la population d’un esprit de défense, diffusé à travers l’enseignement de défense à l’école mais aussi d’organisations paramilitaires comme la Jeune Garde en Lettonie, une volonté de défendre son pays, qui est la conséquence directe de la diffusion de cet esprit de défense et, enfin, la défense elle-même du pays, à travers la mobilisation préalablement préparée et organisée des citoyens. En d’autres termes, la défense globale repose sur la cohésion nationale, laquelle est, comme l’a souligné le Major général de la Gendarmerie lors de son audition par la commission de la défense le 6 mars 2024, « le ciment qui permet à un pays de tenir ».
L’importance de la cohésion nationale pour la défense et la sécurité nationale a été rappelée par le (futur) Président de la République dans son discours précité du 18 mars 2017, préalable au lancement du SNU, « un projet de société majeur, un véritable projet républicain, qui doit permettre à notre démocratie d’être plus unie et d’accroître la résilience de notre société ». Si le résultat du SNU est, ainsi qu’il a été dit supra, loin de cette ambition initiale, ce discours et les initiatives qui ont suivi montrent que le concept de défense globale – et ce qu’il implique en matière d’esprit de défense – est désormais repris au plus haut niveau de l’État.
Il est également une composante essentielle de la vision stratégique du CEMA Comme l’a souligné le général Le Segretain du Patis, « en 2021, le CEMA a diffusé sa stratégie militaire générale dont l’un des axes vise à contribuer à la cohésion nationale. Cette stratégie part du constat qu’à l’alternance de paix et de conflits, généralement de basse intensité, a succédé un continuum compétition, contestation, affrontement, se traduisant par une conflictualité permanente. Dans ce nouvel environnement stratégique, le citoyen devient un acteur majeur, au cœur des enjeux dès l’école, justifiant l’attention que lui portent les armées.
Justifiant la création de la division « Cohésion nationale » au sein de l’EMA, cette stratégie a ensuite été déclinée dans chaque armée et, notamment, dans la Marine avec la création, en 2023, d’un pôle « cohésion nationale directement rattaché au Major Général de la Marine. Comme l’a souligné son chef, le contre-amiral Berlizot, lors de son audition, ce pôle assure « la coordination et la mise en œuvre des quatre politiques suivantes : l’emploi des réserves, la politique en faveur de la jeunesse, les liens avec les entreprises et les liens avec le monde maritime. Il y a une cohérence d’ensemble à ces politiques. Les dispositifs en faveur de la jeunesse alimentent l’armée d’active ainsi que les réserves tout autant que le monde de l’entreprise. Toutes les structures de la nation sont concernées par l’esprit de défense ».
Face aux menaces qui se multiplient dans notre environnement stratégique, du chef des armées aux chefs de pôles des différentes armées et jusqu’aux chefs de corps chargés de l’appliquer sur le terrain, l’ensemble de la chaîne de commandement politico-militaire a pris conscience de l’importance de la cohésion nationale et de l’esprit de défense qui y concourt et commencé à prendre les décisions qui s’imposent pour le diffuser et renforcer la volonté de défense.
2. La réforme de la Journée Défense et Citoyenneté : une militarité désormais assumée
Parmi ces décisions, l’une des plus importantes et peut-être la plus symbolique, eu égard à sa portée, est la réforme en cours de la JDC. Comme l’a souligné Mme Bénédicte Chéron, maître de conférences en Histoire contemporaine, lors de son audition, « à ces yeux, comme aux yeux de nombreux jeunes, la JDC n’a aucun intérêt aujourd’hui ». Limitée à quelques heures dans une salle quelconque, elle n’est devenue rien d’autre qu’une formalité rébarbative, un « fourre-tout », pour reprendre le terme de M. Laurent Jacobelli, bien loin de son ambition initiale d’être la dernière rencontre obligatoire entre l’ensemble d’une classe d’âge et le monde de la défense.
Le constat était unanimement partagé et la réforme initiée en 2025 est l’aboutissement d’une longue réflexion de la DSNJ pour revitaliser la JDC. Ce dispositif a en effet été jugé prioritaire par le CEMA compte tenu de la masse qu’il représente. Comme l’a indiqué le général Le Segretain du Patis, « les armées ont choisi de faire effort sur ce dispositif pour en augmenter l’efficience ».
Pour le général Givre, la JDC réformée représente une des solutions possibles. « La nouvelle JDC assume en effet plus de militarité, soutenant l’apprentissage des valeurs républicaines par les vertus militaires. Au cours de cette journée, qui aura lieu sur des emprises militaires, les jeunes verront des uniformes, assisteront à la levée des couleurs, chanteront la Marseillaise. On leur énoncera leurs droits et, surtout, leurs devoirs. Plusieurs ateliers sont en outre prévus : atelier tir sportif laser, test de compréhension écrite et orale, jeu de rôle sur la défense, avec des scénarios sur la dissuasion nucléaire ou l’aide à la population. La ration militaire qui leur sera servie sera l’occasion de les sensibiliser à l’équilibre alimentaire, au recyclage et à la lutte contre le gaspillage. Enfin, la journée comportera un forum des métiers militaires car la JDC réformée assume de faire du recrutement l’une de ses finalités ».
Cette nouvelle JDC va dans le sens de ce que souhaitent les armées. Comme l’a souligné le général Goujon, « c’est pourquoi l’armée de Terre s’engage résolument dans la refonte de la JDC portée par le ministère : très qualitative, la nouvelle formule permettra en effet un contact plus efficace et, se tenant dans nos régiments ou nos écoles, créera un contact plus intime et plus incarné entre la jeunesse et son armée de Terre ».
Par conséquent, cette nouvelle JDC supprime l’ensemble des défauts identifiés dans la mouture actuelle afin d’en faire une véritable étape dans le parcours de citoyenneté et un vecteur essentiel de la diffusion de l’esprit de défense. Ainsi, les participants iront, probablement pour la première fois, dans une emprise militaire et croiseront forcément, en plus de leurs formateurs, des militaires dans leurs tâches quotidiennes. Le simple fait pour un jeune d’être ainsi transposé dans un autre univers, radicalement différent du sien, peut avoir un effet immédiat. Comme l’a souligné le général Givre, se fondant sur ses observations personnelles, « même à Marseille, une fois dans la caserne, la jeunesse des quartiers Nord se fond dans le collectif républicain ». Surtout, alors que la JDC actuelle est un « fourre-tout », la nouvelle JDC sera recentrée sur la défense et la sécurité nationale, qui était son objectif premier, progressivement délaissé. Formateurs en uniforme, ateliers et jeux orientés défense, forum pour présenter les métiers offerts par les armées et nouer des contacts utiles avec des jeunes prêts à s’engager, l’ensemble des séquences poursuivent la double vocation de la JDC : diffusion de l’esprit de défense et détection, en vue de leur recrutement, des futurs soldats.
Cette « militarité assumée » mais également les difficultés d’organisation et de cohésion excluent, à court terme, « la possibilité d’associer d’autres corps en uniforme à la JDC, sauf les gendarmes ». Toutefois, pour le général Givre « à terme, lorsque la JDC sera en vitesse de croisière, la contribution d’autres corps en uniforme sera étudiée ».
3. Des relations renforcées et apaisées entre les armées et un ministère de l’Éducation nationale de plus en plus conscient des enjeux de défense
Si la JDC permet de toucher l’ensemble d’une classe d’âge, la volonté de diffuser le plus largement possible l’esprit de défense n’est réalisable que par l’intermédiaire de l’école qui, comme l’a rappelé M. Jean Hubac, adjoint du directeur général de l’enseignement scolaire (DGESCO), « voit en effet passer tous les élèves et, surtout, dans la durée ».
Or, intégrer la défense parmi les enseignements scolaires et faire pénétrer les armées dans les écoles ne vont pas de soi. Comme l’a rappelé M. Maxime Launay, « la finalité de l’école est à l’opposé de celle des armées : les armées reposent sur la discipline, le collectif et l’obéissance. Elles ont besoin de certitudes. Les écoles, au contraire, promeuvent le doute et la critique, l’affirmation de l’individu en tant que citoyen capable de décider par lui-même. Les relations ont été particulièrement difficiles après 1968 tant les visions du monde étaient opposées. Vis-à-vis des enjeux de défense et des armées, les enseignants avaient une méfiance au pire, au mieux une méconnaissance et une indifférence ».
Les choses se sont toutefois améliorées depuis quelques années. Loin d’être protégée des menaces auxquels notre pays fait face, l’école s’est en effet retrouvée en première ligne, frappé en son cœur – les enseignants – par les mêmes ennemis qui tuent nos soldats à l’étranger ou commettent des attentats aveugles sur notre territoire : les islamistes. Elle est confrontée elle aussi, au quotidien, aux conséquences de nos multiples fractures et du délitement de la cohésion nationale. Enseigner la défense et diffuser l’esprit de défense n’est donc plus tant faire le jeu des armées que participer à une œuvre commune dont l’École bénéficiera également. M. Jean Hubac a ainsi noté « une acceptabilité plus forte des questions de défense par les enseignants. Certes, il y a des réticences mais plus au niveau local qu’en centrale où il souligne la convergence d’intérêt avec le Minarm : les attentats de 2015, Samuel Paty etc. ont contribué à resserrer les liens ». Le général Givre l’a lui aussi constaté : « l’intérêt est partagé » et il a relevé « la prise de conscience des enjeux de défense et de sécurité, liée notamment aux attentats et, en particulier celui contre Samuel Paty. D’une manière générale, il n’y a pas d’antimilitarisme aujourd’hui en France, ou alors dans des milieux très spécifiques ».
L’École s’est également ouverte aux stages réalisés dans les organismes relevant du ministère des Armées, stages qui constituent l’un des axes de la stratégie de l’EMA pour diffuser l’esprit de défense. Ainsi, 10 000 stages sont désormais offerts aux élèves de 2nde, soit 4 000 de plus qu’auparavant. Comme l’a souligné le général Le Segretain du Patis, « certes, ce n’est pas un dispositif de masse et les stages ne durent que deux semaines mais ils présentent l’avantage de faire du jeune un acteur de l’esprit de défense » C’est en effet le jeune qui fait le choix d’un stage au ministère des Armées, alors que les autres dispositifs dans le cadre scolaire lui sont imposés. « Dans les CDSG, par exemple, la démarche est passive, l’élève suivant les choix de l’enseignant ».
Les relations renforcées entre le MINARM et le ministère de l’Éducation nationale passent également par les rapports plus étroits entre leurs personnels respectifs. Ainsi, le général Le Segretain du Paris a indiqué que le bureau Jeunesse au sein de la division cohésion nationale de l’EMA « était dirigé par une inspectrice d’académie, exemple de l’excellent état d’esprit qui règne dans la coopération qu’entretient le ministère des armées avec la DGESCO et qui émane du plus haut niveau ». De même, ainsi qu’il a été dit supra, un conseiller Défense est désormais placé auprès du directeur général de l’enseignement scolaire, tandis qu’au niveau local, les trinômes académiques associent étroitement le monde de la Défense et le monde de l’Éducation.
III. LES CONVICTIONS ET LES PROPOSITIONS DE LA MISSION D’INFORMATION « FLASH »
A. Les convictions de vos rapporteurs
1. L’insuffisance des dispositifs actuels de diffusion de l’esprit de défense au regard des menaces auxquelles notre pays est exposé
Vos rapporteurs ont présenté, dans la deuxième partie du présent rapport, les tendances à l’œuvre dans le monde, lesquelles définissent un nouveau contexte stratégique lourd de menaces pour notre pays.
Ces menaces sont, pour l’essentiel extérieures à notre pays, en particulier la menace russe, mais même pour cette dernière, la réponse ne peut être seulement militaire et reposer uniquement sur les armées. Parce que la cohésion nationale est « le ciment qui permet à un pays de tenir », c’est sur la population de notre pays et, en particulier, sa jeunesse, que reposent sa défense et sa sécurité. C’est encore plus vrai pour le changement climatique, menace globale qui affectera l’ensemble de la population française et dont les conséquences (sécheresse, inondations, incendies, voire nouvelles pandémies…) mettront à rude épreuve la résilience de notre nation. Dès lors, diffuser l’esprit de défense, c’est bien, mais il est nécessaire d’aller au-delà, vers une véritable volonté de défense partagée par l’ensemble de la population de notre pays.
Nous en sommes loin.
En effet, même si des progrès ont été faits, en particulier dans le cadre scolaire, avec la nouvelle JDC, la réforme de l’EMC, la multiplication des CDSG et l’augmentation du nombre de stages proposés aux élèves de 2nde, la réalité n’en reste pas moins que, même si elle est en progression constante, seule une infime minorité de collégiens et de lycéens ont, aujourd’hui la chance de bénéficier de professeurs motivés, impliqués dans les questions de défense et de sécurité nationale, portant une CDSG ou orientant l’EMC vers celles-ci, ou de faire un stage au sein du MINARM. Certes, l’administration centrale de l’Éducation nationale est convaincue de l’importance des enjeux de défense mais un travail considérable reste à faire, en particulier au niveau de la formation des enseignants, laquelle est justement l’un des axes d’effort définis par le CEMA.
Dans les armées, les dispositifs qui ont fait leurs preuves, tels que les préparations ou périodes militaires, se heurtent aux contraintes opérationnelles des armées, lesquelles ne peuvent dégager plus de ressources pour les PM, sauf à la marge.
Enfin, force est de constater que, confrontés aux mêmes menaces, certains de nos partenaires européens font bien plus pour développer cette volonté de défense, tels que la Suède qui, non seulement a rétabli un service militaire sélectif mais a également adopté une loi de défense globale en 2024 qui renforce à la fois les aspects militaires mais également les aspects civils de la défense et de la sécurité nationale, matérialisés par un manuel de situation de crise distribué à l’ensemble de la population. Certes, ce pays, comme la Finlande ou les pays Baltes sont directement exposés à la menace russe mais nous le sommes aussi. Les cyberattaques ou les attaques informationnelles ne connaissent ni les frontières, ni les distances et si les chars russes devaient déferler sur ces pays, membres de l’OTAN et de l’UE, la solidarité atlantique et européenne nous obligerait à leur venir en aide.
2. Le retour au service militaire d’antan n’est ni possible, ni souhaitable
Le service national a été suspendu il y a maintenant près de trente ans et, avec le temps, force est de constater qu’il a été idéalisé, devenu un fantasme très éloigné de ce qu’il fut réellement. Évoquer le service national dans le contexte d’aujourd’hui, c’est imaginer l’ensemble d’une classe d’âge se coulant dans le moule des armées, creuset de l’identité et de la cohésion nationale, expérimentant la vie et la solidarité militaire, nouant des relations au-delà des classes sociales, des races et des religions et, ensemble fortifiant la volonté et la capacité à défendre la France.
La réalité, c’est que moins de la moitié d’une classe d’âge faisait réellement son service militaire, l’autre en étant dispensée pour de multiples raisons. Après les classes, les tâches étaient généralement peu gratifiantes et ennuyeuses et la mixité sociale limitée, les jeunes issus des classes aisées qui n’en étaient pas dispensés en raison de la poursuite d’études supérieures l’effectuant souvent en coopération. Il était surtout devenu une contrainte à laquelle ceux qui le pouvaient essayaient d’échapper par tous les moyens et un sujet de moquerie, argument d’innombrables comédies aux titres aussi évocateurs que « Le pistonné » (1970), « Les bidasses en folie » (1971), « Les planqués du régiment » (1983), sans oublier « Comment se faire réformer » (1978), constituant un genre cinématographique à part entière.
Surtout, le service militaire était, comme l’a rappelé Mme Bénédicte Chéron, « devenu le réceptacle des inquiétudes sur la jeunesse et un objet de politique intérieure : la Droite voulait, par le service national, faire adhérer les jeunes à des valeurs patriotiques tandis que la Gauche voyait en lui un instrument pour ancrer le civisme dans la population. De telles initiatives ont l’inconvénient de distraire les armées de leur mission première : la défense nationale, sans atteindre les objectifs qui leur ont été fixés : les effets de l’implication des armées dans des chantiers de politique intérieure, en matière de cohésion ou d’infléchissement des grandes évolutions sociales, sont nuls ou quasi nuls ». Ainsi, des années 1950 aux années 1990, « aucune des grandes évolutions sociales, à commencer par ce que les sociologues nomment l’individualisation des valeurs, n’a été empêchée par le service militaire, pas plus que celui-ci n’a réglé le problème de l’intégration des jeunes Français issus de l’immigration. Dans les années quatre-vingt, on croyait pouvoir intégrer ces jeunes Français issus de l’immigration via le service national sans que les résultats ne soient probants ».
Cette réalité a été largement oubliée et aujourd’hui, ce qu’on voit, c’est la force intégratrice des armées qui réunissent à faire primer le groupe sur l’individu, dans une société privilégiant ce dernier et ayant largement abandonné le collectif. Pour le général Givre, face aux fractures de notre pays et au délitement de la cohésion nationale, « la tentation existe donc de répliquer le modèle intégrateur de l’armée dans divers dispositifs à destination de la jeunesse, mais en oubliant que la singularité militaire ne peut s’imposer à tous. Elle est en effet une exception aux libertés communes et ne peut fonctionner que si la finalité est le combat, dont découle l’ensemble des contraintes qui sont imposées à l’individu. Ainsi s’explique l’impasse du SNU, qui a voulu appliquer les contraintes militaires en les détachant de leur finalité. De ce point de vue, le SNU s’apparente à d’autres initiatives visant à trouver, via le cadre militaire, une solution aux problèmes rencontrés par la jeunesse et la société en général : perte de sens, violence, individualisme… ». La solution militaire, pourtant séduisante, n’en est pas une.
En outre, à supposer que le rétablissement du service national d’antan soit la solution miracle aux problèmes que rencontrent notre pays et sa jeunesse, les problèmes qu’il poserait seraient insurmontables. Depuis les années quatre-vingt-dix, une part considérable du patrimoine immobilier des armées a été liquidée, en particulier les logements qui, comme l’a souligné Mme Sylviane Bourguet, directrice des Territoires, de l’immobilier et de l’environnement du Ministère des Armées, étaient « devenus inutiles avec la fin de la conscription et la réduction des personnels militaires ». Ainsi, « de 40 millions de mètres carrés de bâti (en incluant la Gendarmerie) en 1996, le ministère des Armées ne dispose plus aujourd’hui que de 25 millions de mètres carrés, soient 242 000 hectares, dont 70 % sont des espaces naturels, souvent protégés ». Aujourd’hui, « le parc immobilier du ministère des Armées répond désormais strictement aux besoins de ces dernières » et toute augmentation du nombre de personnel sous statut militaire, comme le doublement du nombre de réservistes prévu par la LPM, « oblige à des investissements supplémentaires pour les accueillir ».
Le coût d’un tel rétablissement, en termes d’infrastructures, serait donc considérable, sans oublier que les armées n’ont plus, aujourd’hui, le personnel nécessaire pour encadrer plusieurs centaines de milliers de jeunes, masse encore accrue par le fait que les jeunes filles seraient, désormais, concernées elles aussi. Surtout, les armées n’ont pas besoin, pour accomplir leur mission, d’une telle masse dont elles ne sauraient, tout simplement, pas quoi faire. Comme l’a souligné le capitaine de vaisseau Marchard de Gramont pour la Marine, celle-ci « présente la particularité d’être une arme de haute technicité, déployée en permanence sur le terrain, avec des navires qui, aujourd’hui, sont fortement automatisés et fonctionnent avec des équipages réduits. Par conséquent, les marins embarqués doivent être multi-compétents. En cas de rétablissement d’un service national, à peine 200 à 300 volontaires pourraient embarquer, et la perspective de servir à terre serait donc potentiellement de nature à créer quelques frustrations. En réalité, la Marine n’a pas nécessairement besoin de masse conséquente, en dehors de quelques fonctions comme la protection défense de ses sites qui seraient alors utilement renforcées, mais de compétences ». C’est la même chose pour l’armée de l’Air et de l’Espace et, dans une moindre mesure, pour l’armée de Terre.
En d’autres termes, le rétablissement d’un service national obligatoire et universel, qui verrait l’ensemble d’une classe d’âge prendre l’uniforme pour plusieurs mois, ne serait pas la solution unique aux problèmes actuels, en plus de poser des difficultés matérielles insurmontables.
3. La nécessité d’un consensus sur la menace, de dispositifs aux finalités claires et d’une cohérence d’ensemble de ces derniers
Si le rétablissement du service militaire tel que la France l’a mis en œuvre pendant deux siècles n’est pas une réponse pertinente aux défis qui se posent à notre pays, il n’en reste pas moins que les armées ont un rôle majeur à jouer dans la diffusion de l’esprit de défense et le renforcement de la volonté de défense au sein de la jeunesse. Toutefois, vos rapporteurs ont acquis la conviction qu’à cette fin, c’est l’École qui doit en constituer le cadre principal parce que c’est dans cette institution et elle seule que passe l’ensemble de la jeunesse française.
Sans revenir sur les dispositifs existants dans ce cadre, qui ont été longuement analysés supra, vos rapporteurs insistent sur la limite fondamentale du plus important d’entre eux, l’EMC, qui met également en lumière le principal enjeu de l’enseignement de défense et de l’ensemble des dispositifs visant à diffuser l’esprit de défense : leurs finalités.
La question de la finalité apparaît en effet absolument essentielle à vos rapporteurs en ce qu’elle conditionne à la fois l’efficacité des dispositifs et leur acceptabilité par la jeunesse et, au-delà, par la population française tout entière. Pour rappel, c’est bien la multitude et le flou des objectifs de nombre de ces dispositifs, tels que le SNU, la JDC ou l’EMC, qui ont pour conséquence qu’aucun d’entre eux ne soit finalement atteint, tout en affaiblissant considérablement l’intérêt des jeunes et le soutien que leur portent la population. Il faut donc que la finalité des différents dispositifs soit clairement établie, ce qui est évidemment le cas pour les dispositifs militaires et la JDC nouvelle formule, mais pas forcément pour les autres et, en particulier, pour l’EMC.
Lors de son audition, Mme Bénédicte Chéron, a souligné les questions essentielles auxquelles notre pays doit répondre : « de quoi a-t-on besoin ? Pour quoi faire ? ». Leurs travaux ont convaincu les rapporteurs que notre pays avait besoin d’une jeunesse au fait des enjeux de défense et de sécurité pour renforcer la résilience du pays et fournir aux armées les ressources dont elles auront besoin pour accomplir leur mission dans un contexte stratégique de plus en plus dégradé. Dès lors, la finalité des dispositifs à destination de la jeunesse apparaît évidente : renforcer l’esprit et la volonté de défense et favoriser le recrutement des futurs militaires, ceux-ci contribuant par eux-mêmes à la cohésion nationale. Comme l’a souligné M. Édouard Geffray, la cohésion nationale « repose, in fine, sur l’amour du pays qui ne s’apprend pas dans un cours, quel qu’il soit, si bien fait soit-il. La littérature participe autant à l’attachement que l’on ressent pour son pays que le ferait la visite d’une caserne, voire même plus ».
Donner une finalité claire à l’ensemble des dispositifs permettrait également leur mise en cohérence, laquelle fait aujourd’hui défaut, et renforcerait leur efficacité. C’est ce que cherche notamment à faire la Marine qui, pour reprendre les termes de l’amiral Berlizot, souhaite « organiser une continuité dans la durée dans les différents dispositifs : au collège, les CDSG et le brevet d’initiation mer, fin de collège et seconde, les stages, et ensuite, les PMM » afin, une fois de plus, de favoriser in fine le recrutement à partir de dix-huit ans. Tout est en effet lié, comme l’a souligné le général Goujon, évoquant les difficultés de recrutement rencontrées par l’armée de Terre au premier semestre 2023. Celles-ci « trouvaient leur cause dans la perte de contact avec la jeunesse pendant la longue période COVID et post-COVID pendant laquelle les JDC avaient lieu « en distanciel », et qui a vu les salons de l’étudiant et autres forums de l’emploi suspendus pour une longue durée. Nous avons surmonté ces difficultés par une reprise de contact massive avec la jeunesse, montrant bien la dualité des enjeux, entre sensibilisation à l’esprit de défense et encouragement des vocations ».
Toutefois, comme l’a souligné Mme Bénédicte Chéron, « on essaie de susciter des vocations notamment en renforçant la militarité de la JDC mais il faut bien être conscient que cela ne fonctionnera pas si les Français ne sont pas convaincus par des scénarios qui rendent impératif une plus importante mobilisation militaire ».
Telle est en effet la condition de l’efficacité de ces dispositifs, laquelle repose sur un consensus national sur les menaces auxquelles notre pays est et sera exposé. Dans un entretien publié dans Le monde le 19 mars dernier,
Mme Bénédicte Chéron a souligné que « la guerre n’est plus appréhendée par les Français que comme un conflit interétatique majeur, avec un risque d’invasion du territoire national qui bouleverse l’ensemble de la vie sociale et politique ». Si la dissuasion nous protège en principe d’une telle guerre et de ses conséquences, « les Français ont pu ainsi laisser de côté l’idée qu’entre la paix et la guerre, il y a une gamme de scénarios qui relèvent de la conflictualité armée, qui ne sont pas que des crises et qui peuvent nous concerner directement ». On retrouve ici l’analyse présentée supra du CEMA qui, au manichéisme de la paix et de la guerre, préfère parler d’un continuum compétition, contestation et confrontation.
Pour vos rapporteurs, il ne fait pas de doute que l’accroissement des menaces exige plus de « militarité » dans les dispositifs précités mais le degré de ces derniers, qui pourrait aller dans certaines circonstances vers un véritable service « militaire » volontaire, mais également le caractère obligatoire d’un service « civique » généralisé, sont étroitement liés à l’analyse des menaces qui sera faite par les autorités politiques. Comme l’a souligné le général Givre, « jusqu’en 1989, l’ennemi a toujours été clairement désigné, ce qui permettait d’imposer la conscription, qui n’est rien d’autre qu’une privation de la liberté du citoyen. Ainsi, seule une menace grave contre la sécurité de la Nation est susceptible de justifier pareille privation de liberté. La cohésion nationale ou un quelconque autre objectif ne le peut pas. Après 1989, la disparition de l’ennemi a justifié la fin de la conscription et le passage de la Nation en armes à l’armée de métier. Aujourd’hui, alors que la menace militaire fait son retour, il faut nous réarmer mais différemment du passé. De la Nation en armes, il faut passer à la Nation armée. À cette fin, deux approches sont possibles : volontaire ou obligatoire. L’approche obligatoire n’est possible que si l’ennemi est clairement identifié et la menace grave contre les intérêts nationaux, faisant consensus au sein de la population ».
Or, dans son adresse aux Français diffusée le 5 mars dernier, le Président de la République n’a pas hésité à dire que « la paix ne peut plus être garantie sur notre continent » et que « la menace russe est là et touche les pays d’Europe. Nous touche », tandis que le ministre des affaires étrangères, le 3 mars, déclarait que « la ligne de front ne cesse de se rapprocher de nous ». Si l’on peut regretter ce que Mme Bénédicte Charon appelle, dans l’article précité, « l’abus du registre de guerre », il faut néanmoins se réjouir que la parole publique assume enfin que la France, malgré la dissuasion nucléaire, est directement concernée par les nouveaux rapports de force internationaux et qu’elle doit en tirer les conséquences.
B. La proposition d’un parcours de citoyenneté à la culture de défense renforcée, commençant au collège et s’achevant par un service national militaire ou un service national civil
Forts de cette conviction que le nouveau contexte stratégique et les menaces qu’il comporte pour notre pays exigent une réponse forte, vos rapporteurs proposent la mise en cohérence des dispositifs de sensibilisation de la jeunesse à l’esprit de défense dans un véritable parcours, tout au long de la scolarité, la « militarité » serait renforcée, débouchant sur un service civil éventuellement obligatoire et un service militaire sélectif, basé sur le volontariat. Ce parcours comporterait cinq composantes.
1. Première composante : Un cours à part entière (Culture Citoyenne et Défense), ciblé sur l’apprentissage de la citoyenneté, de l’engagement et de la défense
Il est inutile de revenir, à ce stade du rapport, sur les insuffisances du cours actuel d’enseignement moral et civique (EMC). Comme l’a parfaitement résumé le général Le Segretain du Patis, « les cours d’EMC sont, certes, obligatoires mais dans la réalité, peu dispensés et, surtout, le sujet défense est en concurrence avec de nombreux autres sujets : laïcité, développement durable, médias, institutions, égalité homme/femme… L’enseignant doit faire un choix entre ces différents sujets et, ne connaissant pas la défense, ne choisit pas forcément d’y porter son effort ». Bref, un cours « fourre-tout » fait par des enseignants parfois réticents mais surtout largement indifférents et/ou mal formés aux enjeux de défense et de sécurité nationale.
C’est sur ces deux points que portent les propositions de vos rapporteurs pour cette première composante.
Premier point, le cours d’EMC actuel, dont la durée, a été portée à une heure par semaine, serait recentré sur les questions liées à l’apprentissage de la citoyenneté, à la sécurité et la défense nationale. Vos rapporteurs ont parfaitement conscience que l’ensemble des thèmes abordés actuellement dans ce cours sont parfaitement légitimes et importants pour la formation des élèves en tant que citoyens. Toutefois, il faut faire des choix et en voulant tout faire dans le cours d’EMC, les élèves ne sont finalement formés à rien, ni la défense, ni à la citoyenneté, ni au développement durable… Compte tenu de ce que nos jeunes vont devoir affronter au cours des années à venir, compte tenu des menaces auxquelles est exposé notre pays, c’est bien la volonté de défense qui, pour vos rapporteurs, doit être la priorité et cette priorité ne doit être laissée à la discrétion des enseignants mais s’imposer à eux via un cours obligatoire dont le programme serait normalisé. D’ailleurs, ceux qui seraient opposés, pour des raisons idéologiques à cet enseignement, n’auront pas de raison de le faire, vos rapporteurs étant convaincus qu’il se trouvera dans nos établissements suffisamment de volontaires conscients de l’importance des questions de défense pour l’assurer.
En effet, comme l’a souligné le général Le Segretain du Patis, « Aujourd’hui, les jeunes sont en effet directement victimes d’attaques hybrides, sous le seuil de la dissuasion : désinformation, attaques cyber… ». Demain, c’est sur eux que pèsera physiquement la défense du pays, sur ceux qui choisiront d’être soldats mais pas seulement car la défense est l’affaire de tous. Ils le savent d’ailleurs, comme l’a noté Mme Bénédicte Chéron, dans l’entretien précité : « les jeunes français des années 2020 ont des représentations du monde plus réalistes, alimentées notamment par les attentats de 2015, moins marquées par les promesses de paix des années 1990 ». Sensibiliser à la défense l’ensemble des citoyens, via l’École qui les touche tous et dans la durée, c’est améliorer notre résilience et notre volonté de défense, tout en préparant le terrain aux futurs et nécessaires recrutements.
Ce cours visant à renforcer une dynamique entre citoyenneté, valeurs républicaines et esprit de défense commencerait au collège qui, pour vos rapporteurs, est le moment privilégié pour être sensibilisé à ces sujets, sans a priori idéologique ou politique. La durée resterait une heure par semaine mais plus qu’un cours d’une heure par semaine, il est préférable de dégager un volume annuel d’heures qui serait ensuite mis à disposition des enseignants. En effet, sensibiliser notamment aux enjeux de défense et de sécurité peut impliquer, par exemple, la visite d’une emprise militaire, une course d’orientation dans les bois ou l’apprentissage de quelques techniques de survie, toujours utiles en cas de catastrophes naturelles, autant d’activités qui ne peuvent se réaliser en une heure. C’est d’ailleurs le cas en Lettonie où ce cours a lieu une fois par mois et dure toute la journée. En fonction du projet pédagogique de l’enseignant, l’accent pourrait ainsi être mis sur tel ou tel aspect de l’engagement citoyen ou de la défense et de la sécurité nationale, dans les limites évidemment d’un cadre défini par le ministère de l’Éducation nationale, en partenariat avec le MINARM. Naturellement, des visites de militaires et autres corps en uniforme pourraient être organisées, afin que les élèves rencontrent physiquement les acteurs de la défense et de la sécurité.
La deuxième faiblesse est celle de la formation des enseignants. Comme l’a résumé M. Jean Hubac, adjoint au directeur général de l’enseignement scolaire, « les enseignants n’étaient, aujourd’hui, pas suffisamment formés aux enjeux de défense et un effort supplémentaire devait être fait en ce sens, à la fois sur la formation initiale et la formation continue ». Il souligne aussi qu’ « une majorité d’enseignants n’est ni opposée, ni volontaire, et attend des précisions et un soutien en termes de ressources et de formation ». Les armées et le ministère des Armées en général, en particulier la DMCA, ont un rôle particulier à jouer, en mettant à disposition des enseignants les ressources nécessaires. Parmi les autres pistes évoquées lors des auditions, notamment par le général Le Segretain du Patis, l’une a retenu l’attention de vos rapporteurs : introduire « des questions sur la défense dans les concours de recrutement des enseignants, les obligeant de fait à développer leurs connaissances sur ces sujets ».
Enfin, il semble utile à vos rapporteurs que cet enseignement au collège fasse l’objet d’une valorisation dans le cadre du brevet et, le cas échéant, d’une cérémonie, au sein de l’établissement scolaire, avec la remise d’un diplôme, cérémonie qui pourrait s’accompagner d’une levée de drapeau et d’une Marseille.
Il n’est évidemment pas question, dans le présent rapport, de détailler plus précisément ce que serait ce cours mais d’en fixer les grandes lignes : donner aux élèves une meilleure compréhension de leur rôle dans la société, de leur engagement possible et des enjeux de sécurité et de défense en France et dans le monde, impliquant des exercices pratiques et hors les murs, mis en œuvre avec souplesse dans le cadre d’un programme national par des enseignants spécialement formés à ces enjeux. En d’autres termes, des cours vivants, des approches concrètes et des projets collectifs.
2. Deuxième composante : des sections d’excellence « Défense et sécurité nationale »
Les classes de défense et de sécurité globale (CDSG) sont, de l’avis général, un succès qu’il est tentant de vouloir généraliser. Vos rapporteurs ont testé cette éventualité lors de leurs auditions et la réponse qui leur a été faite par les armées est unanime : elles n’ont pas les capacités de marrainer autant de CDSG qu’il y a d’établissements secondaires en France, soit 6 980 collèges et 3 700 lycées. En d’autres termes, leur nombre va certainement continuer à progresser mais il n’y aura jamais une CDSG par établissement, faute de ressources militaires disponibles et ce, même en incluant les autres corps en uniforme.
De plus, outre la limite de leur nombre, les CDSG présentent une limite temporelle en ce qu’elles sont limitées à une année. Or, il est important que la sensibilisation à l’esprit de défense se fasse dans la durée, si l’on veut qu’elle débouche sur une volonté de défense. Telle est la ligne directrice de vos rapporteurs dans leur proposition de ce parcours.
Conscient de cette double limite, vos rapporteurs ont privilégié une autre voie qui est celle de sections d’excellence « Défense et sécurité nationale ». Celles-ci présenteraient l’avantage d’inscrire les CDSG dans la durée mais également de permettre à des étudiants spécialement intéressés par les enjeux de défense et de sécurité et s’y étant particulièrement impliqués au collège d’approfondir leurs connaissances en la matière. Comme l’a souligné M. Édouard Geffray, ancien DGESCO, « de telles sections, pendant toute la durée du lycée, permettraient un suivi dans la durée, un ancrage dans le temps de la relation à la défense ainsi qu’une valorisation de l’engagement via le baccalauréat option « défense nationale ».
Comme pour le cours Culture Citoyenne et Défense présenté supra, le présent rapport n’entrera pas dans le détail d’une section qui reste à construire intégralement, ce qui ne peut se faire qu’en concertation avec l’ensemble des parties prenantes. Ce qui semble néanmoins évident à vos rapporteurs, c’est que les élèves de ces sections participeront obligatoirement aux périodes et préparations militaires, composantes à part entière de leur formation, ainsi qu’aux autres dispositifs proposés par les armées, comme les stages de seconde. De telles sections seront ainsi bien plus aisées à gérer par les armées qu’une multiplication des CDSG car leur nombre sera limité et elles s’inscriront dans des dispositifs militaires existants.
Par conséquent, après la sensibilisation aux enjeux de défense pendant les années de collège, les sections d’excellence « Défense et sécurité nationale » sélectionneront les élèves les plus motivés pour les initier au monde militaire. Ils retrouveront les autres élèves lors de la JDC « militarisée » pour, le cas échéant, aller plus loin dans leur engagement.
3. Troisième composante : Un recensement obligatoire des compétences des jeunes, s’inscrivant dans la durée
Aujourd’hui, le recensement de l’ensemble d’une classe d’âge intervient à seize ans. Or, comme l’a souligné le général Givre lors de son audition, « les données recueillies sont très limitées et ne servent, en pratique, qu’à préparer la JDC ». Or, il ne peut être exclu qu’un jour, une situation de crise exige un « appel sous les drapeaux », toujours prévu par l’article L. 111-1 du code du service national. Ainsi, à titre d’exemple, notre pays pourrait faire l’objet d’une cyberattaque massive, paralysant le fonctionnement de l’État. Dans cette situation qui serait hautement dangereuse pour l’ordre public, la mobilisation de nombreux informaticiens serait probablement nécessaire mais l’État serait dans l’incapacité de la décréter, ne sachant pas de combien d’informaticiens la France dispose, où ils sont situés et comment les contacter. Autre exemple, donné lors d’une audition, la capacité à parler une langue très rare, compétence qui pourrait se révéler essentielle en cas de menace imminente d’attaque terroriste. Ne sachant pas qui parle quoi dans le pays, comment l’État pourrait-il trouver la ressource nécessaire ?
Certes, les auditions ont appris à vos rapporteurs qu’une réforme était en cours pour accroître le nombre d’informations dont disposent les armées sur la jeunesse, en particulier via le nouveau parcours numérique associé à la JDC. Seulement, comme l’a indiqué le général Le Segretain du Patis, « après 18 ans, ce suivi numérique permettra d’identifier les parcours des jeunes, pour autant qu’ils continuent à le renseigner ». Le général Givre veut, quant à lui, aller plus loin que ce parcours numérique, en particulier via la collecte de « l’ensemble des données dont disposent les autres ministères, à commencer par celui de l’Éducation nationale. La loi donne au ministère des Armées la capacité de demander toutes les informations nécessaires aux autres administrations publiques ». En effet, l’Éducation nationale dispose de très nombreuses informations sur les jeunes, à commencer par l’ensemble des données recueillies au cours de la procédure ParcourSup. Dans les candidatures qu’ils présentent, les jeunes dévoilent leurs aspirations mais également leurs activités annexes, comme le scoutisme, révélant des compétences qui peuvent être utiles en cas de crise. Mais à supposer qu’elle se réalise, cette collecte se heurterait à la même limite que le parcours numérique précité. Elle aurait lieu une seule et unique fois, à dix-sept ou dix-huit ans, complétée le cas échéant par les données recueillies au cours de la procédure Monmaster, qui toutefois ne concerne que les étudiants s’inscrivant en Master, ce qui est loin d’être la majorité de la jeunesse.
Le recensement de la jeunesse n’a donc de sens que s’il s’inscrit dans la durée et, surtout, s’il contient des informations utiles sur les compétences des jeunes, lesquelles ne sont souvent acquises qu’après dix-huit ans. Dans ces conditions, vos rapporteurs proposent que le ministère des Armées ait accès aux informations relatives à la jeunesse dont disposent les autres ministères, sous réserve naturellement de respecter l’ensemble des dispositions relatives à la protection de vie privée, mais également que le recensement se poursuive après les dix-huit ans, jusqu’à un âge à déterminer, par exemple trente ans mais ce pourrait être plus. Alors seulement les armées seraient en mesure de disposer des informations nécessaires en cas de crise nécessitant de faire appel aux ressources de la nation. Concrètement, vos rapporteurs voient ce recensement comme un formulaire à remplir en ligne chaque année, lequel ne serait pas plus contraignant, par exemple, que la déclaration de revenus. Les informations à fournir n’auraient probablement d’ailleurs rien de confidentielles, nombre d’entre elles étant souvent publiques, par exemple via les réseaux sociaux comme LinkedIn. Elles seraient toutefois complétées par d’autres, d’ordre physique ou psychologique, et seraient associées à des mails et à des numéros de téléphone portable. Aidé par l’intelligence artificielle, l’État connaîtrait ainsi l’ensemble des ressources dont il dispose pour mieux élaborer les plans de gestion de crise.
4. Quatrième composante : un service à la Nation généralisé, comprenant un volet militaire volontaire, soumis à sélection et un volet civil le cas échéant obligatoire
Ce recensement aurait d’autant plus de sens que, poursuivant leur ligne directrice du parcours, vos rapporteurs proposent qu’à leur majorité, il soit laissé le choix aux jeunes Français de faire un service militaire ou, à défaut un service civil.
S’agissant du service militaire, vos rapporteurs proposent de s’inspirer librement du modèle suédois qu’ils ont eu l’opportunité de découvrir lors de leur déplacement à Stockholm. Après avoir été supprimé en 2010, le service militaire a été rétabli en 2017 sous une forme sélective. Concrètement, l’évaluation des candidats, l’enrôlement et la formation de base des conscrits relèvent de la compétence de l’Agence de conscription et d’évaluation de la défense, qui tient à jour le registre des citoyens mobilisables en temps de guerre. L’ensemble d’une classe d’âge – soit environ 100 000 jeunes – reçoit un formulaire d’enrôlement auquel ils ont l’obligation de répondre dans un délai de deux semaines, sous peine d’amende. Sur la base de ce questionnaire, 28 000 jeunes environ sont convoqués à des tests d’évaluation (tests psychologiques, bilan de santé, test de vision, test auditif, test de force, vélo d’essai, entretien avec un psychologue) conclus par un entretien d’enrôlement. Enfin, les 8 000 jeunes sélectionnés selon cette procédure en 2024 sont orientés vers l’instruction militaire la plus adaptée, pour une durée de neuf à quinze mois. Le fait de refuser de servir est puni d’une amende et d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à un an (quatre ans en cas d’état d’urgence).
Il convient toutefois de préciser que, jusqu’à présent, d’après les informations communiquées à vos rapporteurs, il n’a pas été nécessaire d’imposer à un jeune de faire son service militaire contre son gré, l’ensemble des besoins des armées ayant été couverts par des volontaires.
C’est en effet toute la différence avec le service national tel qu’il a été organisé en France jusqu’en 1996. Ce service militaire sélectif reposerait sur les besoins des armées, tels qu’elles les définissent elles-mêmes. Si la France adoptait ce modèle, ce serait donc aux armées de définir chaque année le nombre d’appelés dont elles auront besoin et de donner à ce service militaire la forme et la durée qu’elles souhaitent. Il est d’ailleurs probable que, les premières années, seules quelques centaines ou milliers de jeunes seraient ainsi intégrés dans les armées via ce service militaire, lequel serait probablement l’antichambre d’un recrutement plus pérenne. Le recrutement serait ainsi, clairement, l’un des objectifs de ce nouveau service militaire.
Toutefois, il y aurait une différence majeure avec le modèle suédois, à savoir que ce service militaire à la française serait volontaire, constituant ainsi un nouveau dispositif à destination de la jeunesse. La France n’est en effet pas dans la situation géopolitique de la Suède ou de la Lettonie, qui a elle aussi rétabli son service militaire en 2023. Son territoire national n’est pas exposé à une menace militaire immédiate, liée à la proximité de la Russie, Or, comme l’a rappelé le général Givre, « l’approche obligatoire n’est possible que si l’ennemi est clairement identifié et la menace grave contre les intérêts nationaux, faisant consensus au sein de la population ». Ce n’est pas le cas aujourd’hui.
Par conséquent, il faut séduire les jeunes et les inciter à se porter volontaires. On peut considérer que le parcours de citoyenneté renforcé suivi jusqu’alors y contribuera mais, comme l’a rappelé le général Givre, il faudra aussi que « ce service militaire volontaire soit fortement valorisé, avec de bonnes conditions de prise en charge et d’indemnisation, ouvrant droit par exemple à des bourses d’études ». Cette idée a particulièrement séduit vos rapporteurs, le jeune s’engageant pour la défense de la nation voyant celle-ci prendre en charge en retour, au moins en partie, le coût de sa future formation, si tant est qu’il ne souhaite pas rester dans les armées. M. Édouard Geffray a en outre pointé la situation « des jeunes en réorientation après une erreur d’orientation en première année de licence. Cela concerne 10 à 15 % des étudiants qui, voulant valoriser leur temps et leur dossier avant une nouvelle orientation via ParcourSup, pourraient constituer un vivier pour les armées ». Non seulement ceux-ci pourraient ainsi acquérir une expérience valorisable pour leur candidature mais, en plus, ils bénéficieraient d’une aide supplémentaire pour financer leurs études.
Enfin, ce service militaire, pensé au départ comme volontaire, présenterait un avantage majeur en cas de crise majeure ou de graves difficultés de recrutement mettant en danger l’accomplissement, par les armées, de leurs missions. S’appuyant sur le recensement, en cas d’accroissement soudain et important des besoins des armées, celles-ci disposeraient de l’ensemble des instruments pour recruter les ressources nécessaires. De volontaire, le service national deviendrait ainsi obligatoire « en cas de menace grave contre les intérêts nationaux faisant consensus au sein de la population », condition sine qua non de son acceptabilité sociale.
À côté de ce service militaire, par définition limité dans le nombre des jeunes qu’il concernait, vos rapporteurs estiment important d’impliquer les jeunes majeurs dans des activités d’intérêt général, au service de la Nation, sur le modèle de ce qui se fait aujourd’hui dans le cadre du service civique. Pour M. Frédéric Boccaletti, ce « service à la nation » serait obligatoire pour tous les jeunes qui n’ont pas voulu ou pas pu faire le service national militaire précité. Sa durée serait moins longue que celle du service civique, par exemple un à deux mois contre six à douze mois pour ce dernier. Indemnisé, il devrait être réalisé par les jeunes Français avant leur trentième anniversaire, ce délai de douze ans permettant une facile articulation avec les études ou la vie professionnelle.
Concrètement, ce service civil serait réalisé dans une association ou une institution publique ou privée chargée d’une mission d’intérêt général. Il sera l’occasion, pour les jeunes actifs, de mettre leurs compétences au service de l’intérêt général et, pour les étudiants, d’acquérir une expérience supplémentaire valorisable, soit pour un emploi, soit pour une formation. Dans tous les cas, il montrera l’implication de la jeunesse au service de son pays.
La réalisation de ce service national civil serait enregistrée via le recensement précité, qui comporterait une case indiquant si le jeune a fait son service militaire ou, à défaut, son service civil.
5. Cinquième composante : associer les établissements scolaires aux cérémonies nationales
Le constat est largement partagé que les cérémonies nationales, qui commémorent la mémoire des faits d’armes des grands hommes, des combattants et le sacrifice des victimes civiles ou militaires des guerres, attirent peu les jeunes.
Pour vos rapporteurs, il serait plus efficace d’associer directement les établissements scolaires à l’organisation d’un moment dédié à la mémoire, s’en remettant à l’échelon local pour l’organisation de cette journée patriotique. En outre, il leur semble important d’associer les parents à la cérémonie, qui pourrait aussi avoir lieu dans l’établissement scolaire. À plusieurs reprises, en effet, lors des auditions, est revenue la nécessité d’une cohérence des messages. Comme l’a souligné le contre-amiral Berlizot, « l’esprit de défense se construit dans le temps long et repose sur une cohérence globale des messages, évoquant les éducateurs spécialisés qu’il rencontrait dans son poste précédent. Tous soulignaient l’importance que le message délivré à l’école, au sein des familles et à l’occasion des activités tierces soit cohérent ». Associer les parents permettrait ainsi de faire entrer l’esprit de défense dans les familles et d’en faire un sujet de discussion commun.
Cette cinquième composante viserait à faire prendre conscience à ces jeunes de leur Histoire commune, à faire vibrer en eux la fibre nationale et, finalement, contribuerait à faire d’eux un même peuple. Comme les autres composantes, c’est bien l’esprit de défense qui est l’objectif car comme l’a souligné le contre-amiral Berlizot, « l’esprit de défense se construit aussi en faisant aimer la France. Or, on aime bien ce que l’on connaît, et on défend bien ce que l’on aime ».
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La commission procède à l’examen du rapport de la mission d’information sur « la sensibilisation de la jeunesse à l’esprit de défense » au cours de sa réunion du mercredi 9 avril 2025.
M. le président Jean-Michel Jacques. Mes chers collègues, nous nous retrouvons ce matin pour l’examen du rapport sur la sensibilisation de la jeunesse à l’esprit de défense, confié à nos collègues Alexandra Martin et Frédéric Boccaletti.
La jeunesse a toujours été au cœur des préoccupations des ressources humaines des armées, parce qu’une armée repose à la fois sur l’expérience des chefs, mais aussi sur un flux constant de jeunes recrues. La suspension du service national en 1996 et la professionnalisation des armées ont distendu ce lien entre l’armée et la jeunesse, même si d’autres dispositifs, que vous évoquez d’ailleurs dans votre rapport, se sont efforcés de le maintenir.
Force est de constater néanmoins que la sensibilisation à l’esprit de défense dans une période marquée par la paix, et donc la professionnalisation des armées, n’était pas toujours au cœur du débat public. Aujourd’hui, la situation a changé. Le retour de la guerre sur le sol européen, la remise en cause de l’ordre international, les doutes croissants sur la garantie de sécurité américaine, le changement climatique, constituent autant de menaces auxquelles la réponse ne peut être uniquement militaire.
La défense de notre pays se doit plus que jamais être globale, en impliquant notamment davantage notre jeunesse. Cette conscience des menaces et de la nécessité d’une défense globale et partagée par les états-majors mais aussi au niveau politique. Le président de la République, dans ses vœux aux armées le 20 janvier dernier a très clairement indiqué la voie pour renforcer l’engagement de la jeunesse au service de notre nation. Nos partenaires européens en font de même, certains d’entre eux allant jusqu’au rétablissement du service militaire. Votre rapport arrive donc à point nommé et je ne doute pas qu’il nous apporte de nombreux éléments utiles pour nourrir nos réflexions.
Mme Alexandra Martin, rapporteur. Après 1945 et 1989, l’année 2025 représente un nouveau tournant stratégique pour la France, l’Europe et le monde. Cette année 2025 a ainsi brisé la perspective, ouverte en 1989, d’un monde en paix, régi par la démocratie, le droit, le libre-échange. Nous vivons aujourd’hui l’exact inverse : les régimes illibéraux gagnent du terrain, le rapport de force entre les États est de retour, avec ses corollaires naturels, la violence et la guerre. La guerre de haute intensité est à nos portes, tandis qu’en Afrique, en Asie centrale et au Moyen-Orient, les groupes islamistes reconstituent leurs forces, profitant du retrait de l’Occident. Compte tenu du pivotement américain vers l’Indo‑Pacifique, du changement climatique ou encore des ruptures technologiques, un nouvel environnement stratégique se dessine pour notre pays.
Cet environnement stratégique, très dégradé par rapport à ce que nous avons connu, est lourd de menaces. Ces menaces ne sont plus seulement conventionnelles ou nucléaires. Elles peuvent aussi être hybrides, nous déstabiliser de l’intérieur ou prendre la forme d’une pandémie mondiale. Face à de telles menaces protéiformes et imprévisibles, il faut certes des forces armées, mais aussi et surtout une population sensibilisée à l’esprit de défense et animée d’une volonté de défendre son pays.
Or cet esprit de défense et cette volonté de défense ne vont pas de soi, surtout dans une période où la cohésion nationale est fragilisée. La fin du service national en 1996 a par elle-même distendu le lien entre les armées et les jeunes et éloigné ces derniers de la chose militaire, dont ni eux, ni leurs enseignants nés après 1979 n’ont plus d’expérience directe. Certes, de nouveaux dispositifs ont été créés depuis, pour l’essentiel dans le cadre scolaire. C’est à leur analyse que se consacre la première partie de notre rapport, qui va vous être présentée par mon corapporteur.
M. Frédéric Boccaletti, rapporteur. Les dispositifs visant à sensibiliser la jeunesse à l’esprit de défense sont en effet nombreux et, pour certains d’entre eux, bien connus de nous tous. Le premier cadre au sein duquel les jeunes sont confrontés aux enjeux de défense est très naturellement l’école, en particulier l’enseignement secondaire.
Depuis la loi du 28 octobre 1997 portant réforme du service national, 5,6 millions d’élèves du secondaire doivent suivre un cours d’enseignement moral et civique dont le programme intègre notamment, « les grands principes et les valeurs qui régissent la défense nationale ainsi que l’organisation de la sécurité et des services de sécurité en France ». Les élèves découvrent aussi pendant ce cours comment servir leur pays et les formes d’engagement, notamment le service national universel (SNU) ou la Journée Défense et Citoyenneté (JDC).
En plus du cours d’enseignement moral et civique (EMC), qui est universel et obligatoire, les élèves ont pu bénéficier de certains dispositifs dédiés, comme les classes de défense et de sécurité globale (CDSG). Créées à l’initiative d’une équipe pédagogique autour d’un projet interdisciplinaire d’éducation de la défense, ces CDSG s’appuient sur une unité marraine qui peut être une unité militaire ou un acteur de sécurité. La CDSG présente ainsi l’avantage du concret, en permettant aux élèves de rencontrer physiquement des personnels en uniforme, voire de se déplacer dans l’emprise de l’unité marraine. Près de 20 000 jeunes sur l’ensemble des départements français, y compris d’outre-mer, sont concernés par les 800 CDSG relevant du ministère des armées.
Mme Alexandra Martin, rapporteur. À côté de ces dispositifs mis en œuvre dans le cadre scolaire, il existe de nombreux dispositifs impliquant directement les armées, le principal étant à destination de la jeunesse et organisé par le ministère des armées : la fameuse JDC qui, par son caractère obligatoire et universel, constitue une occasion unique de sensibiliser l’ensemble d’une classe d’âge aux enjeux de la défense nationale, soit près de 800 000 jeunes.
Aux termes du code du service national, les jeunes se voient en effet présentés au cours de cette journée « les enjeux, les objectifs généraux de la défense nationale et du modèle français de sécurité civile, ou encore les possibilités d’engagement dans les forces armées et les forces de réserve, ou en qualité de sapeur-pompier volontaire ». Il s’agit donc de sensibiliser, mais aussi, le cas échéant, de susciter des vocations. Tel est également l’engagement et la finalité des préparations militaires qu’organisent nos trois armées.
Elle concerne environ entre 11 000 et 13 000 jeunes par an et s’adresse principalement à des jeunes d’ores et déjà éveillés à l’esprit de défense et souvent désireux de s’engager plus avant dans la défense de leur pays, soit comme soldat de métier, soit comme réserviste.
Contrairement à ce que sa dénomination laisse supposer, le service militaire volontaire (SMV) n’a rien d’un service militaire. En effet, le SMV est un dispositif d’insertion visant à former à un métier, dans le cadre militaire, des jeunes en difficulté. Il concerne environ 1 500 jeunes par an. Le dernier dispositif est le SNU. Créé en 2019 à l’initiative du président de la République ; il a concerné 57 000 jeunes en 2024.
M. Frédéric Boccaletti, rapporteur. Il existe ainsi de nombreux dispositifs, cadres et acteurs impliqués. Le premier d’entre eux est naturellement le ministère de l’éducation nationale, à travers le directeur général de l’enseignement secondaire et son conseiller, le délégué pour l’éducation à la défense, chargé de définir et de coordonner des actions de sensibilisation des élèves et du personnel aux questions de défense.
Dans les académies, l’éducation à la défense est portée par des trinômes académiques qui regroupent un représentant du ministère des armées, un représentant du ministère de l’éducation nationale et un représentant de l’association régionale des auditeurs de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN). Les trinômes accompagnent les établissements dans l’organisation d’actions éducatives de sensibilisation aux enjeux de défense nationale.
Dans le cadre infra-académique, il existe des référents au niveau des directions des services départementaux de l’éducation nationale, ainsi que des relais défense au sein des bassins d’éducation et de formation ou des relais défense en établissement (RDE). Enfin, l’enseignement de défense, qu’il s’agisse de l’EMC, des CDSG ou d’autres dispositifs, ne pourrait être mis en œuvre sans l’implication, au niveau des établissements scolaires, les chefs d’établissements et des enseignants.
Au sein du ministère des armées, deux chaînes sont impliquées dans le soutien à l’éducation de défense. La première relève du secrétariat général pour l’administration (SGA), au sein duquel la direction du service national et de la jeunesse (DSNJ) et la direction de la mémoire, de la culture et des archives (DMCA) jouent un rôle essentiel.
La DSNJ pilote la politique jeunesse du ministère des armées en faisant vivre au quotidien le plan Ambition armées-jeunesse, notamment en mettant en œuvre la JDC sur l’ensemble du territoire national. La DMCA est quant à elle en charge du soutien à l’enseignement de défense. Elle coanime et finance les trinômes académiques et soutient l’éducation à la défense via deux leviers principaux : le soutien financier et la mise à disposition des ressources pédagogiques pour les enseignants.
La seconde chaîne hiérarchique relève quant à elle de l’état-major des armées (EMA) et inclut notamment la division « cohésion nationale », qui participe à la conception, à la coordination et au pilotage de la politique jeunesse de l’EMA, en lien avec les différents organes concernés au sein du ministère, mais aussi en dehors, notamment au ministère de l’éducation nationale. Enfin, de multiples autres acteurs sont impliqués, comme l’Office national des combattants et des victimes de guerre (ONACVG), l’Union-IHEDN ou les directions générales de la gendarmerie ou de la sécurité civile.
Mme Alexandra Martin, rapporteur. Que penser de ce millefeuille de dispositifs visant à sensibiliser la jeunesse à l’esprit de défense ? En premier lieu, il apparaît que les deux dispositifs universels obligatoires que sont la JDC et les cours de MCE constituent de véritables « fourre-tout », éloignés des enjeux de défense et de sécurité nationale, réceptacle des priorités sociales ou politiques des gouvernements et majorité successifs. Dans les cours d’EMC, la défense et la sécurité nationale font certes partie de son programme, mais uniquement dans les classes de quatrième et de première. En outre, il porte également sur des matières aussi diverses que l’égalité entre hommes et femmes, la lutte contre les discriminations, les institutions et l’état de droit ou encore les risques environnementaux. Aucune hiérarchie n’est établie, ni priorité donnée entre ces différentes matières, toutes évidemment légitimes dans un cours consacré à la morale et à la citoyenneté. C’est donc aux enseignants de traiter comme ils peuvent ce programme dans le volume horaire limité – trente minutes jusqu’à présent et une heure à partir de l’année prochaine.
Nos auditions ont confirmé qu’ils font en pratique ce qu’ils veulent ou ce qu’ils peuvent et n’accordent pas, sauf exception, la priorité aux questions de défense et de sécurité. Quant à la JDC, avant sa réforme en cours, elle n’avait plus rien de militaire. Dans ces conditions, alors que la JDC devait être un moment privilégié de rencontre entre les jeunes et les armées, elle suscite des déceptions chez ses premiers. Après ce rendez-vous, ils se sentent contraints et forcés. Quant aux armées, elles ne voient aucun bénéfice à l’investissement massif que son organisation exige de leur part.
Ensuite, l’échec du SNU ne fait maintenant plus aucun doute. Il était à l’origine porté par une grande ambition et considéré comme un dispositif militarisé : des jeunes en uniforme faisant l’expérience de la vie militaire, acteurs à part entière de l’esprit de défense, encadrés par des armées ou la gendarmerie nationale. En réalité, il s’agit de séjours de cohésion, où la part consacrée aux enjeux de défense est réduite à la portion congrue. Dans la deuxième phase, les jeunes n’avaient pas l’obligation de choisir une mission d’intérêt général dans un organisme relevant de la défense ou de la sécurité. Comme pour la JDC et l’EMC, la multiplication et la confusion des objectifs provoquent leur échec.
M. Frédéric Boccaletti, rapporteur. À côté de ces dispositifs « fourre-tout » que sont l’EMC, la JDC ou le SNU aux contenus aux objectifs multiples, d’autres dispositifs mis en œuvre par l’éducation nationale et/ou les armées, ciblés sur les questions de défense et de sécurité nationale et aux objectifs clairement identifiés, ont fait leurs preuves.
Le premier dispositif concerne les classes de défense et de sécurité globale. De l’avis général, celles-ci sont un succès, comme en attestent la forte progression de leur nombre ces dernières années et la satisfaction de l’ensemble des parties prenantes ; ministère des armées, ministère de l’éducation nationale, enseignants et élèves. Malgré ce succès et l’intérêt qu’elles présentent, il apparaît cependant difficile de multiplier les CDSG, en raison principalement de la contrainte qu’elles représentent pour une unité militaire. En conséquence, elles ne toucheront jamais plus de 1 % des jeunes.
La même contrainte pèse sur les préparations ou les périodes militaires. Celles-ci sont également ciblées, à la fois dans leur contenu militaire et dans leur finalité, qui est le recrutement. Mais elles font peser une telle contrainte sur les ressources des armées qu’il n’est pas envisageable de les développer beaucoup plus qu’actuellement, malgré une forte demande de la part des jeunes.
Mme Alexandra Martin, rapporteur. Après cette analyse des dispositifs tels qu’ils existent, de leurs insuffisances et limites, notre rapport s’est attaché à définir le nouveau contexte stratégique qui s’impose à notre pays et les menaces auxquelles celui-ci est exposé.
Nous avons identifié cinq tendances lourdes : la résurgence de la menace russe, la remise en cause de l’ordre international fondé sur des règles internationales, le retrait progressif des États-Unis des affaires européennes, l’accélération du progrès technologique, le changement climatique. À ces nouvelles menaces s’ajoutent naturellement des menaces malheureusement habituelles, à commencer par le terrorisme islamiste, qui reste pour notre pays la première menace intérieure et extérieure.
Cette dégradation de notre environnement stratégique intervient à un moment où notre cohésion nationale est fragilisée, fissurée par le primat de l’individu, par certains qui préfèrent respecter la loi de leur clan plutôt que la loi de la France, mais aussi la perte de confiance dans les institutions politiques censées représenter et servir les citoyens et enfin, la difficulté de renouer un dialogue avec des individus radicalisés sur leurs positions et encouragés aussi à l’être par des réseaux sociaux souvent hors de contrôle.
Paradoxalement, cet état dégradé de notre société va de pair avec une volonté renouvelée des jeunes de s’engager au service de leur pays. La jeunesse française fait en effet preuve d’une forte sensibilité aux questions de défense. D’après une étude de l’Institut de recherche stratégique de l’école militaire (IRSEM), 62 % des 18-24 ans se disent aujourd’hui prêts à défendre leur pays, dont 48 % jusqu’au sacrifice de leur vie, si nécessaire. Cette volonté de défense s’accompagne aussi d’une excellente image des armées, pour plus de 75 % de la jeunesse.
M. Frédéric Boccaletti, rapporteur. Toutefois, pour une partie de la jeunesse, cette confiance dans les armées, comme leur volonté de s’engager se heurtent rapidement aux contraintes de l’engagement, souvent ignorées faute de connaissance de la chose militaire, mais également à la baisse de leurs capacités académiques et physiologiques, sans oublier la perte de valeurs et de savoir être.
Les armées ont toutes souligné ce point et sont souvent contraintes de recruter auprès d’une part réduite des jeunes. Déjà problématique, ce fait est aggravé par la diminution régulière de la natalité de notre pays. Alors que les armées recrutent aujourd’hui dans les classes d’âge 2005-2007, dont le nombre est d’environ 775 000 jeunes, seuls 663 000 enfants sont nés en 2024.
Par conséquent, le besoin d’un recrutement de qualité en quantité suffisante sera mécaniquement plus difficile à satisfaire, d’autant plus que les armées sont encore en concurrence pour attirer les mêmes compétences avec des acteurs civils qui n’auront ni les mêmes rigidités salariales, ni les mêmes contraintes opérationnelles. Le déclin démographique et la baisse des performances académiques et physiques en France et plus généralement en Occident font donc peser une hypothèque majeure sur le recrutement et donc sur la capacité des armées à accomplir leurs missions, alors même que les menaces s’alourdissent.
Mme Alexandra Martin, rapporteur. Il s’agit d’une menace pour les armées, mais également pour la défense du pays elle-même. Face à une telle menace, et plus encore à une agression armée ou attaque hybride – ingérences, désinformations, cyberattaques –, l’ensemble de la population doit être mobilisée, non seulement pour la repousser, mais aussi pour maintenir le pays en état de fonctionnement.
La défense globale implique donc à la fois la diffusion dans la population d’un esprit de défense et une volonté de défendre son pays, conséquence directe de celle-ci et enfin, la défense elle-même du pays, à travers la mobilisation préalable, préparée et organisée des citoyens. Cette importance de l’esprit de défense de la cohésion nationale et de la nécessité d’impliquer la population est de plus en plus prise en considération, notamment par le chef d’état-major des armées (CEMA). Celui-ci en a fait un de ses axes d’efforts, lequel s’est traduit par la création de la division de la cohésion nationale au sein de l’EMA et la mobilisation de l’ensemble de la chaîne de commandement politico-militaire, qui a commencé à prendre les décisions qui s’imposent pour renforcer l’esprit et la volonté de défense.
M. Frédéric Boccaletti, rapporteur. Parmi ces décisions, l’une des plus importantes et peut-être la plus symbolique concerne la réforme en cours de la JDC, dispositif jugé prioritaire par le CEMA compte tenu de la masse qu’il représente. La nouvelle JDC supprime en effet l’ensemble des défauts identifiés dans la mouture actuelle, afin d’en faire une véritable étape de parcours de citoyenneté et un vecteur essentiel de la diffusion de l’esprit de défense. Ainsi, les participants iront probablement pour la première fois dans une emprise militaire et croiseront forcément, en plus de leurs formateurs, des militaires dans leurs tâches quotidiennes. Le simple fait pour un jeune d’être ainsi transposé dans un autre univers, radicalement différent du sien, peut avoir un effet immédiat. Alors que la JDC actuelle est un « fourre-tout », la nouvelle JDC sera recentrée sur la défense et la sécurité nationale, qui étaient son objectif premier.
Mme Alexandra Martin, rapporteur. Si la JDC permet effectivement de toucher l’ensemble d’une classe d’âge, la volonté de diffuser plus largement possible l’esprit de défense n’est réalisable que par l’intermédiaire de l’école, puisque celle-ci s’inscrit dans la durée. Or, intégrer la défense parmi les enseignements scolaires et faire pénétrer les armées dans les écoles ne vont pas de soi.
Vis-à-vis des enjeux de défense et des armées, les enseignants – surtout, après 1968 – témoignaient au pire une méfiance ; au mieux, une méconnaissance et une indifférence. La situation s’est toutefois améliorée depuis quelques années. Loin d’être protégée des menaces auxquelles notre pays fait face, l’école s’est malheureusement retrouvée en première ligne, frappée en son cœur par les mêmes ennemis qui tuent nos soldats à l’étranger ou commettent des attentats aveugles sur notre territoire, c’est-à-dire les islamistes.
Elle est également confrontée au quotidien aux conséquences du délitement de la cohésion nationale. Enseigner la défense participe à une œuvre commune dont l’école bénéficiera également, ce dont elle a désormais pleinement conscience. Les liens entre le ministère des armées et l’éducation nationale sont désormais étroits, en particulier au niveau central.
M. Frédéric Boccaletti, rapporteur. De nos constats, nous avons tiré trois convictions. La première concerne l’insuffisance des dispositifs existants au regard des menaces actuelles et à venir, pour lesquelles la réponse ne peut être seulement militaire et reposer uniquement sur les armées. Parce que la cohésion nationale est le ciment qui permet à un pays de tenir, sa défense et sa sécurité reposent sur sa population, en particulier sa jeunesse.
Ceci est encore plus vrai pour les catastrophes naturelles – sécheresses, inondations, incendies, voire nouvelle pandémie – pouvant affecter l’ensemble de la population française et dont les conséquences mettront à rude épreuve la résilience de notre nation. Dès lors, s’il est bien de diffuser l’esprit de défense, il est tout aussi nécessaire d’aller au-delà, vers une véritable volonté de défense partagée par l’ensemble de la population de notre pays.
Or, même si des progrès ont été réalisés, il n’en demeure pas moins qu’une infime minorité de collégiens et lycéens ont aujourd’hui la chance de bénéficier de professeurs motivés et impliqués dans les questions de défense. Certes, l’administration centrale de l’éducation nationale est convaincue de l’importance des enjeux de défense, mais un travail considérable reste à accomplir, en particulier au niveau de la formation des enseignants.
Dans les armées, les dispositifs qui ont fait leurs preuves, tels que les préparations ou périodes militaires, se heurtent aux contraintes opérationnelles des armées, lesquelles ne peuvent pas dégager plus de ressources, sauf à la marge. Enfin, force est de constater que, confrontés aux mêmes menaces, nos partenaires européens agissent bien plus pour développer cette volonté de défense, tels la Suède ou la Lettonie, qui a rétabli son service militaire en 2023, tandis que le débat est en cours en Allemagne.
Mme Alexandra Martin, rapporteur. Notre deuxième conviction est la suivante : le rétablissement du service militaire d’antan n’est ni possible, ni souhaitable. Le service national a été suspendu il y a maintenant près de trente ans et, avec le temps, il a été idéalisé, est devenu un fantasme très éloigné de ce qu’il fut réellement. Pesant sur une part limitée de la population, se traduisant par des tâches souvent ingrates, il était devenu une contrainte à laquelle ceux qui le pouvaient essayaient d’échapper par tous les moyens, soit quasiment la moitié des appelés.
Aujourd’hui, est surtout mise en lumière la force intégratrice des armées, qui réussissent effectivement à faire primer le groupe sur l’individu dans une société ayant largement abandonné le collectif. La tentation existe donc de répliquer le modèle intégrateur de l’armée dans des dispositifs à destination de la jeunesse, en oubliant que la singularité militaire ne peut s’imposer à tous. Elle est en effet une exception aux libertés communes et ne peut fonctionner que si la finalité est le combat, dont découlent l’ensemble des contraintes qui sont imposées à l’individu
En outre, à supposer que le rétablissement du service national soit la solution miracle aux problèmes que rencontrent notre pays et sa jeunesse, les difficultés qu’il poserait seraient insurmontables. Nos armées n’ont plus aujourd’hui les ressources humaines ni les infrastructures nécessaires pour accueillir l’ensemble d’une classe d’âge, même si le service militaire était comme avant limité aux seuls garçons, ce qui n’est pas souhaitable.
M. Frédéric Boccaletti, rapporteur. Notre troisième conviction concerne la nécessité d’un consensus sur la menace, de dispositifs aux finalités claires et d’une cohérence d’ensemble de ces derniers. La question de la finalité nous apparaît en effet absolument essentielle, car elle conditionne à la fois l’efficacité des dispositifs à leur acceptabilité par la jeunesse et, au-delà, par l’ensemble de la population française.
La multitude et le flou des objectifs de nombre de dispositifs comme le SNU, la JDC ou l’EMC ont pour conséquence qu’aucun d’entre eux ne soit finalement atteint. Dès lors, la finalité des différents dispositifs doit être clairement établie, ce qui est évidemment le cas pour les dispositifs militaires et la JDC nouvelle formule, mais pas nécessairement pour les autres, en particulier pour l’EMC.
En réalité, notre pays doit répondre à deux questions essentielles : de quoi avons‑nous besoin et pour quoi faire ? Nos travaux nous ont convaincus que notre pays avait besoin d’une jeunesse au fait des enjeux de défense et de sécurité pour renforcer la résilience du pays et fournir aux armées des ressources dont elles auraient besoin pour accomplir leur mission dans un contexte stratégique de plus en plus dégradé.
Dès lors, la finalité des dispositifs à destination de la jeunesse apparaît évidente : renforcer l’esprit et la volonté de défense et favoriser le recrutement des futurs militaires, ces deux objectifs contribuant par eux-mêmes à la cohésion nationale. Par conséquent, il faut qu’ils comportent plus de militarité, mais cela ne sera accepté que si les Français sont convaincus par des scénarios qui rendent une plus importante mobilisation militaire impérative, c’est-à-dire si les menaces font l’objet d’un consensus dans la société française. Il revient à la parole publique de définir ce consensus, de convaincre les Français que leur pays, malgré la dissuasion nucléaire, est directement concerné par les nouveaux rapports de force internationaux et qu’il doit en tirer toutes les conséquences.
Mme Alexandra Martin, rapporteur. Dans notre rapport, nous formulons la proposition d’un parcours de citoyenneté à la culture de défense renforcée, qui comporterait cinq composantes cohérentes. La première porterait sur un cours à part entière, qui pourrait être appelé « culture citoyenne et défense », ciblé sur l’apprentissage de la citoyenneté, de l’engagement et de la défense. Aujourd’hui, l’EMC est un cours « fourre-tout », effectué par des enseignants parfois réticents, mais surtout qui peuvent utiliser cette petite demi‑heure ou cette heure pour achever leur programme d’histoire-géographie.
Les cours d’EMC « culture citoyenne et défense » seraient recentrés sur des questions liées à l’apprentissage de la citoyenneté, à la sécurité et la défense nationale. Nous avons parfaitement conscience que l’ensemble des thèmes abordés actuellement sont légitimes et importants pour la formation des élèves en tant que citoyens. Toutefois, il faut opérer des choix.
Compte tenu des menaces auxquelles notre jeunesse est exposée, la volonté de défense doit constituer une priorité. Cette priorité ne doit pas être laissée à la discrétion des enseignants, mais s’imposer à eux via un cours obligatoire ciblé. Ce cours visant à renforcer une dynamique entre citoyenneté, valeurs républicaines et esprit de défense, commencerait au collège. Le collège constitue en effet pour nous le moment privilégié pour être sensibilisé à ces sujets, sans a priori idéologique ou politique. Sa durée serait d’une heure par semaine. Mais plus qu’un cours d’une heure par semaine, il nous semble préférable de dégager un volume annuel d’heures qui serait ensuite mis à la disposition des enseignants pour créer des moments vivants, attractifs et des activités hors les murs.
Le deuxième point porte sur la formation des enseignants qui, de l’avis général, est insuffisante sur les sujets de défense. Plusieurs idées sont avancées dans le rapport, impliquant la mise à disposition de ressources par le ministère des armées, en particulier la DMCA. Enfin, il nous semble utile que cet enseignement au collège fasse l’objet d’une valorisation dans le cadre du brevet et, le cas échéant, d’une cérémonie avec remise de diplômes et qui pourrait s’accompagner d’une levée de drapeau et d’une Marseillaise.
M. Frédéric Boccaletti, rapporteur. La deuxième composante concernerait la création de sections d’excellence « défense et sécurité nationale » au lycée. Les classes de défense et de sécurité globale sont, de l’avis général, un succès qui est malheureusement difficile d’élargir, faute de ressources disponibles du côté des armées. De plus, les CDSG présentent une limite temporelle, car elles sont limitées à une année. Or il est important que la sensibilisation de l’esprit de défense se déroule dans la durée.
Conscients de cette double limite, nous privilégions une autre voie, celle des sections d’excellence « défense et sécurité nationale ». Celles-ci permettraient de prolonger les CDSG pour les étudiants intéressés par les enjeux de défense et de sécurité, afin d’approfondir leurs connaissances en la matière. Elles offriraient un suivi dans la durée, un ancrage dans le temps de la relation à la défense ainsi qu’une valorisation de l’engagement, par exemple via un baccalauréat option « défense nationale ».
Il nous semble évident que les élèves de ces sections participeront obligatoirement aux périodes de préparation militaire, composantes à part entière de la formation, ainsi qu’aux dispositifs proposés par les armées comme des stages de seconde. De telles sections seront aussi bien plus faciles à gérer par les armées qu’une multitude de CDSG, car leur nombre sera limité et elles s’inscriront dans les dispositifs militaires existants.
Mme Alexandra Martin, rapporteur. La troisième composante porte sur un recensement obligatoire des compétences des jeunes s’inscrivant dans la durée. Aujourd’hui, le recensement de l’ensemble d’une classe d’âge intervient à 16 ans, mais les données recueillies sont très limitées et ne servent en pratique qu’à préparer la JDC. Or, il ne peut être exclu qu’un jour, une situation de crise exige un appel sous les drapeaux, toujours prévu par l’article L111-1 du code du service national.
Ainsi, à titre d’exemple, notre pays pourrait faire l’objet d’une cyberattaque massive, paralysant le fonctionnement de l’État. Dans cette situation, qui serait hautement dangereuse pour l’ordre public, la mobilisation de nombreux informaticiens serait probablement nécessaire, mais l’État serait dans l’incapacité de la décréter, ne sachant pas de combien d’informaticiens la France dispose, où ils sont situés et comment les contacter. Dans ces conditions, il est également difficile de bâtir un plan de gestion de crise. Il nous semble donc essentiel, dans la perspective d’une défense globale, que l’État dispose de plus amples informations sur les compétences disponibles dans notre pays.
Le recensement de la jeunesse n’a donc de sens que s’il s’inscrit dans la durée et surtout s’il contient des informations utiles sur les compétences des jeunes, qui ne sont souvent acquises qu’après 18 ans. Le recensement doit se poursuivre après les 18 ans jusqu’à un âge qui reste à déterminer, par exemple 30 ans. Concrètement, nous envisageons que ce recensement s’effectuerait à travers un formulaire à remplir en ligne chaque année.
M. Frédéric Boccaletti, rapporteur. Notre quatrième composante est la suivante : à leur majorité, il serait laissé le choix aux jeunes Français d’effectuer un service militaire ou, à défaut, un service civil. Le service militaire que nous proposons s’inspire librement du service militaire suédois, qui est sélectif : après le recensement des jeunes Suédois, l’armée sélectionne elle-même les jeunes dont elle estime avoir besoin.
Ce service militaire sélectif reposera sur les besoins exprimés par nos armées. Dans notre proposition, il reviendrait aux armées de définir chaque année le nombre d’appelés dont elles auraient besoin et de donner à ce service militaire la forme et la durée qu’elles souhaitent. Toutefois, notre proposition présente une différence majeure avec le modèle suédois : ce service militaire à la française serait volontaire, constituant ainsi un nouveau dispositif à destination de la jeunesse. La France n’est en effet pas dans la situation géopolitique de la Suède et des Pays baltes ; elle n’est pas exposée à une menace militaire immédiate qui nécessiterait une approche globale, obligatoire, du volet militaire.
L’ennemi n’est pas clairement identifié et la menace ne fait pas consensus pour les Français. Par conséquent, il faudra séduire les jeunes et les inciter à se porter volontaires. Le parcours citoyenneté renforcée pendant le cursus scolaire y contribuera. Il conviendra également que ce service militaire volontaire soit fortement valorisé, à travers de bonnes conditions de prise en charge et d’indemnisation ouvrant droit, par exemple, à des bourses d’études.
Il nous semble justifié que le jeune qui s’engagerait pour la défense de la nation voie celle-ci prendre en charge en retour au moins une partie du coût de sa future formation. Enfin, ce service militaire, pensé comme volontaire, présenterait un avantage en cas de crise majeure ou de graves difficultés de recrutement mettant en danger l’accomplissement par les armées de leurs missions.
S’appuyant sur le recensement en cas d’accroissement soudain et important des besoins des armées, celles-ci disposeraient de l’ensemble des instruments pour recruter les ressources nécessaires. À côté de ce service militaire, par définition limité dans le nombre de jeunes qu’il concernerait, nous estimons important d’impliquer les jeunes majeurs dans des activités d’intérêt général, au service de la nation.
En ce qui me concerne, j’envisage que ce service à la nation serait obligatoire pour tous les jeunes, qui auraient alors le choix entre le volet militaire sélectif et le volet civil. Indemnisé, ce volet civil pourrait s’étendre sur une période comprise entre trente et soixante jours, sur la tranche des 18-30 ans, soit au maximum un jour tous les deux mois et demi. Il ne s’agit donc pas d’un dispositif véritablement contraignant. Par ailleurs, ce service pourrait s’effectuer d’un seul tenant ou être étalé dans le temps. Concrètement, il pourrait être réalisé au sein de structures telles que les services de protection civile ou encore d’associations d’intérêt général portant sur la défense du patrimoine environnemental ou culturel.
Il fournira l’occasion pour les jeunes actifs de mettre leurs compétences au service de l’intérêt général et pour les étudiants d’acquérir une expérience supplémentaire valorisable, soit par un emploi, soit par une formation. Dans tous les cas, il montrera l’implication de la jeunesse au service de son pays.
Mme Alexandra Martin, rapporteur. Enfin, la dernière composante de notre parcours repose sur le constat largement partagé que les cérémonies nationales attirent peu de jeunes. Selon nous, il serait plus efficace d’associer directement les établissements scolaires à l’organisation de ces moments dédiés à la mémoire, qui pourraient avoir lieu dans leur enceinte ou à l’extérieur, tout en associant les parents d’élèves.
Cette cinquième composante viserait à faire prendre conscience à ces jeunes de leur histoire commune, à faire vibrer en eux une fibre nationale et, finalement, contribuerait à faire d’eux un même peuple. Comme pour les autres composantes, l’esprit de défense constitue l’objectif, car celui-ci se construit aussi en faisant aimer la France.
M. le président Jean-Michel Jacques. Je vous remercie et cède à présent la parole aux orateurs de groupe.
M. Alexandre Dufosset (RN). Votre rapport permet d’aborder une question essentielle pour l’avenir de notre nation : la sensibilisation de la jeunesse à l’esprit de défense. Face à l’accélération de l’histoire à laquelle nous assistons depuis quelques mois, nous redécouvrons la nécessité de pouvoir nous défendre par nous-mêmes. Pour reprendre les mots du général Vuillaume, ancien chef d’état-major du gouverneur militaire de Paris, « Le peuple est le bras armé de l’esprit de défense ».
Or, aujourd’hui, des générations entières sortent de l’école sans contact réel avec l’armée, son histoire et sa mission, alors même que dans sa majorité, la jeunesse admire nos soldats et aspire à des engagements intenses, qu’ils soient civils ou militaires. Votre rapport propose la mise en place d’un continuum de formation et d’engagement, en première étape dans l’enseignement secondaire, à travers un enseignement moral et civique rénové qui intègre des heures de cours supplémentaires dédiées à l’engagement, à la sécurité nationale, à l’histoire militaire. En complément, des sections d’excellence « défense et sécurité nationale » permettront aux élèves volontaires d’aborder de manière encore plus approfondie les thématiques en question et de découvrir les métiers qui s’y rattachent. Toujours au niveau scolaire, les établissements seront systématiquement associés aux cérémonies nationales. La deuxième étape concerne un service à la nation, avec une composante militaire sur la base du volontariat et sur sélection, et une composante civile pour tous ceux qui ne choisiraient pas la voie militaire.
Votre rapport dresse également le bilan du SNU qui, malgré la mobilisation des personnels, n’a pas atteint ses objectifs et s’avère inapproprié pour résoudre le défi de sécurité et de défense tel qu’il se pose aujourd’hui. Il faut alors aller de l’avant. Nous voulons donc une jeunesse française, éduquée, préparée, fière de son uniforme quand elle le porte, respectueuse quand elle le croise. C’est à cette condition que notre autonomie stratégique deviendra une réalité politique.
Monsieur le rapporteur, pour le service à la nation, vous privilégiez un format obligatoire plutôt que volontaire. Pouvez-vous nous expliquer ce qui motive cette préférence ?
M. Frédéric Boccaletti, rapporteur. Je préconise effectivement que ce service à la nation soit obligatoire. Il comporte deux composantes : un volet militaire, sélectif et volontaire, et un volet civil. Cette obligation a pour objet de distinguer ce dispositif au sein du millefeuille existant. À titre personnel, je souhaite aussi éviter une fracture citoyenne : tous les jeunes Français doivent pouvoir y participer, qu’ils soient issus d’un quartier populaire, d’un quartier aisé, de la ruralité. Nous défendons également la mixité et l’inclusivité de ce service auprès des jeunes Français en situation de handicap. L’ensemble de ces raisons me conduisent à vouloir un service obligatoire.
Ce volet civil permettrait aux jeunes de s’intégrer dans certaines structures, notamment celles de la protection civile, qui manquent de bénévoles et peinent à recruter. Il s’agirait également de susciter des vocations, dans l’intérêt de ces structures, mais aussi de nos compatriotes.
M. Karl Olive (EPR). Nous traversons une époque troublée et savons qu’il ne s’agit là que de prémices d’un monde en recomposition. Ces tensions sont nourries par plusieurs dynamiques : la résurgence de la menace russe, la remise en cause de l’ordre international issu de la Seconde guerre mondiale, le retrait progressif des États-Unis des affaires européennes, l’accélération des mutations technologiques et, enfin, les effets du changement climatique.
Mais au-delà des enjeux militaires, c’est une interrogation plus profonde qui traverse votre rapport : comment refaire nation ? Car la défense n’est pas seulement une affaire militaire, elle est aussi une affaire de cohésion et de conscience collective. Les anciennes générations ont su, lorsqu’il le fallait, s’unir derrière le drapeau tricolore pour défendre l’intégrité de notre pays.
Aujourd’hui, selon un sondage OpinionWay, 50 % des jeunes se déclarent prêts à s’engager dans l’armée en cas de conflit. Il faut saluer, mais aussi interroger ce chiffre. Il signifie qu’un jeune français sur deux ne se sent pas assez concerné par le salut de la France pour aller jusqu’à franchir le pas de l’engagement. Pourtant, les dispositifs existent : l’enseignement moral et civique, la JDC et le SNU constituent autant d’outils a priori utiles, mais dont votre rapport expose les limites. Tout cela manque de cohérence et de visibilité. C’est pourquoi votre proposition d’un parcours de citoyenneté à la culture de défense renforcé, structuré autour de cinq priorités centrées sur l’école mérite notre attention. Je souhaiterais m’arrêter sur la quatrième composante du parcours, celle d’un service à la nation généralisé, articulé autour de deux volets : un volet militaire sélectif et un volet civil obligatoire.
Pouvez-vous nous préciser davantage votre vision de ce service à la nation ? En quoi permettrait-il de répondre aux fractures sociales et identitaires que traverse notre pays ? Comment faire en sorte que ce service à la nation devienne un outil de cohésion et qu’il puisse répondre au défi de refaire nation ?
Mme Alexandra Martin, rapporteur. Notre rapport étant une mission flash, nous ne sommes pas rentrés dans les détails des composantes de ce service à la nation. À date, j’estime que nous ne pouvons pas le rendre obligatoire. Je suis attachée à l’acculturation, et ce parcours citoyen constitue précisément selon moi un fil rouge qui permettra à nos jeunes d’être acculturés à la citoyenneté, à l’engagement et à la défense et ainsi devenir des citoyens éclairés.
Toutes les armées nous indiquent que de nombreux jeunes veulent s’engager, mais qu’elles ne peuvent pas aujourd’hui répondre positivement à toutes les demandes, notamment pour les préparations militaires. Nous considérons ce service à la nation comme une continuité de cette acculturation et de ce parcours, que nous concentrons sur le collège.
Le service civil ferait naître le goût de l’engagement, notamment au sein d’associations, mais aussi de collectivités locales ; le service national permettant de son côté une acculturation aux armées, au maniement des armes et à une éventuelle mobilisation de la population en cas de nécessité, demain.
M. Frédéric Boccaletti, rapporteur. Comment créer un esprit de défense et la cohésion nationale ? Le rapport préconise la modification de l’EMC, car aujourd’hui, les trente minutes de cours ou l’heure de cours sont souvent utilisées pour couvrir d’autres matières. Nous proposons à l’inverse de faire de l’EMC une matière à part entière, qui permettra d’établir cet esprit défense et de cohésion nationale.
Le service civique poursuit le même objectif. Dans ma circonscription, j’ai l’occasion de rencontrer de nombreux jeunes qui s’engagent auprès de la protection civile, des jeunes sapeurs-pompiers (JSP) ou des préparations militaires Marine (PMM) à Saint‑Mandrier-sur-Mer. Cette belle jeunesse s’engage, mais elle est aujourd’hui limitée, raison pour laquelle je préconise d’instaurer une obligation. En effet, je suis certain que de nombreux jeunes ne connaissent pas ces dispositifs. Grâce à l’école, aux cours d’EMC, mais aussi par l’obligation de service nationale, nous parviendrons à créer une véritable cohésion nationale.
M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP). En premier lieu, votre rapport se rapproche beaucoup des travaux menés par Martine Étienne et Christophe Blanchet. Le fond et les constats se ressemblent, seules les propositions diffèrent. Au lieu de multiplier les rapports sur le même sujet, ne pourrait-on pas espérer voir un jour notre commission être directement saisie sur ces questions, par exemple sur le projet de loi qui concernerait le SNU ?
Sur le fond, hormis votre obsession assez malaisante des réseaux sociaux et de l’islamisme, et hormis la référence au sondage glauque sur le déclin de la France, une question essentielle reste en suspens : qu’entendez-vous par « esprit de défense » ? S’agit-il d’une espèce de mystique qui transcende les corps et les esprits de sujets exposés à cette discipline, comme cela aurait été le cas pour « les jeunes des quartiers nord de Marseille », jeunes qui semblent profondément vous étonner lorsqu’ils passent les portes d’une caserne ? J’ai du mal à comprendre en quoi il serait si surprenant que ces jeunes fassent preuve d’esprit de républicain, mais peut-être pourriez-vous m’éclairer à ce sujet ?
Concernant le SNU, vous développez à raison son inutilité et son dysfonctionnement – nous nous rejoignons sur ce sujet –, à mi-chemin entre une colonie de vacances et un camp scout. Il s’agit là d’argent public perdu pour l’école publique, une dépense superfétatoire. Mais étonnamment, alors que vous venez de terminer un rapport sur le sujet, vous écrivez qu’il reviendra au président de la République de définir l’avenir du SNU. Comme 95 % de la population, selon le sondage du rapport Étienne-Blanchet, souhaitez-vous vous aussi supprimer le SNU ?
Par ailleurs, s’agissant du service militaire, vous souhaitez organiser un recensement qui fonctionne comme un fichage en règle des adolescents, par le recueil de leurs données personnelles tous les ans via des fiches formulaire ou directement par le biais de la plateforme Parcoursup, dont nous prônons l’abrogation. Nous sommes contre une telle option.
Enfin, le service militaire que vous proposez n’est, à notre sens, pas adapté au contexte et à notre modèle d’armée. Un autre modèle est possible, celui d’une conscription citoyenne obligatoire à neuf mois, rémunérée au smic et proche du lieu de vie, mettant fin à l’éloignement du peuple des questions de défense et replaçant les jeunes au cœur des services publics. Nous voyons mal en quoi vos projets de militarisation et de domestication de la jeunesse permettent d’atteindre ces objectifs.
M. Frédéric Boccaletti, rapporteur. D’abord, il est normal qu’à partir d’un constat commun, des députés différents émettent des propositions différentes.
Ensuite, vous parlez d’obsession sur l’islamisme. À titre personnel, je trouve ce propos particulièrement déplacé. Comment parler d’obsession, quand on connaît le nombre de Français tués à cause de l’islamisme ? Vous êtes hors sujet, mais nous en avons l’habitude.
Par ailleurs, vous avez évoqué le SNU. Dans le dispositif que nous proposons, ce SNU n’aurait pas vocation à être poursuivi. De manière plus polémique et toujours provocatrice, vous mentionnez un « fichage en règle de notre jeunesse ». Mais il ne s’agit en réalité que d’un recensement, qui est également utilisé à l’heure actuelle par l’administration des impôts, et que nous voulons prolonger dans le temps pour un certain nombre de raisons.
Mme Alexandra Martin, rapporteur. Monsieur Saint-Martin, notre rapport s’inscrit aujourd’hui dans une situation stratégique différente de celle qui avait cours lors des précédents rapports. À ce sujet, je fais preuve de cohérence, puisque dès 2023, j’avais déposé une proposition de loi visant à mettre en place un parcours citoyen, notamment pour remplacer les cours d’EMC.
Pour nous, l’esprit de défense concerne la défense globale, les valeurs et les principes de la République qui font de nous un peuple, nous font appartenir à la nation, un ensemble plus grand que les individus qui la composent, et des citoyens éclairés. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une grave crise démocratique, à laquelle nous ne viendrons jamais à bout si nous persistons avec des questions comme les vôtres.
Quand vous avez parlé de l’islamisme, en tant que Niçoise d’origine, je n’ai pu m’empêcher de penser avec beaucoup de tristesse à tous les anges qui sont morts sur la promenade des Anglais, à Samuel Paty et à tant d’autres. Votre réaction est nourrie d’idéologisme.
S’agissant du SNU, j’ai considéré dès le début qu’il s’agissait d’une erreur. Il n’est pas universel, dans la mesure où il est basé sur le volontariat. Je sais que des propositions à son égard seront effectuées dans les semaines prochaines, mais pour ma part, je pense qu’il n’a plus de raison de deux de perdurer.
Mme Valérie Bazin-Malgras (DR). Au nom de mon groupe, la Droite Républicaine, je vous remercie pour votre travail sur la sensibilisation à la jeunesse à l’esprit de défense.
Le nouveau programme d’EMC n’aborde qu’à deux reprises la souveraineté nationale et la défense, en classes de quatrième et de première, dans le cadre de chapitres qui abordent également bien d’autres sujets tels que la police, l’environnement et la décentralisation. Autrement dit, dans l’ensemble de leur scolarité, les élèves français auront moins de quatre heures de cours consacrés aux questions de défense, et seulement si le programme est entièrement traité par l’enseignant.
Le monde dans lequel nous vivons est marqué par une nouvelle forme de conflictualité, qui nécessite de développer un esprit de défense au sein de notre population. Le nouveau programme d’EMC ne permet pas de répondre à cet impératif d’éveil à la sécurité nationale de nos jeunes concitoyens. Madame la rapporteure, vous proposez de créer un cours à part entière de culture citoyenne et de défense. Ce rapport fixe les grandes lignes de ce cours, mais pouvez-vous nous en préciser le contenu ?
Mme Alexandra Martin, rapporteur. La diversité des thématiques abordées dans le nouveau cours d’EMC tel qu’il a été défini en 2024 ne permet pas de se concentrer sur un sujet. De plus, ces cours étant prodigués principalement par des professeurs d’histoire-géographie, ils profitent de ces heures pour achever leur programme.
Dans une finalité d’esprit et de volonté de défense, nous estimons qu’il faut mettre en place un cours qui s’attache à la compréhension par chacun de son rôle de citoyen, ainsi qu’aux enjeux de sécurité et de défense en France, en Europe et dans le monde, par le prisme d’exercices pratiques. C’est la raison pour laquelle nous pensons que cette heure de culture citoyenne et défense doit pouvoir être rassemblée en un volume d’heures plus importants. Par exemple, une fois par mois, il serait possible d’aller hors les murs, sur des monuments patriotiques et historiques ; ainsi que faire venir des soldats, des gendarmes. Il s’agit ainsi de montrer aux enfants qu’ils ont des droits, mais également des devoirs.
Nous avons esquissé un programme de culture citoyenne et défense pour le collège, avec en sixième, l’apprentissage des bases de la citoyenneté et de la défense, le respect, la coopération, les symboles de la République, la mémoire, les commémorations ; en cinquième la liberté, la justice et la sécurité, les droits fondamentaux et libertés publiques, le rôle de la justice et de la loi ; en quatrième, la défense, la sécurité et l’engagement avec les institutions, les menaces actuelles, la mémoire nationale et la transmission ; et en troisième, la citoyenneté, la géopolitique et l’engagement, la démocratie en France et dans le monde, la place de la France dans le monde. Nous croyons aussi dans la valorisation de ce parcours, dont le prolongement naturel serait la remise d’un diplôme. Enfin, cette matière constituerait une matière à part entière au sein du brevet des collèges.
Mme Anna Pic (SOC). Votre rapport souligne que les trois principaux dispositifs existants en la matière – la JDC, l’EMC et le SNU – souffrent de plusieurs limites. Elles sont notamment liées à l’hétérogénéité des acteurs intervenants et à la façon dont ils s’emparent ou non de ces dispositifs, ou encore à des raisons organisationnelles. Paradoxalement, ce sont deux dispositifs, plus secondaires qui trouvent grâce à vos yeux : les CDSG et les préparations militaires, malgré une disponibilité militaire limitée.
Pour tenter de corriger ce constat, vos propositions consistent à créer un parcours de citoyenneté que vous estimez plus cohérent, aux finalités plus claires. À vous entendre, je m’interroge sur votre définition de la culture de défense et de la sécurité. Vous semblez enclins à inviter notre jeunesse à s’enrôler. Or nous avons besoin d’une société résiliente, consciente des ingérences possibles de puissances étrangères dans leur quotidien, capable d’analyser les menaces de déstabilisation de notre démocratie et de notre République, capable de s’investir dans la cohésion sociale qui fait sa force. Mais nous n’avons pas nécessairement besoin d’une jeunesse qui se projette sous le feu. L’ensemble des disciplines enseignées dans les établissements scolaires permettent cette résilience.
Si l’idée de sensibiliser la jeunesse à anticiper les risques et menaces est tout à fait pertinente, sur quelles données vous appuyez-vous pour affirmer que notre jeunesse se serait éloignée de l’esprit de défense, depuis la fin du service militaire ? Votre proposition de service à la nation obligatoire dans son volet civil pour ceux qui n’auraient pas intégré le volet militaire ne va-t-elle pas encore affaiblir un service civique déjà malmené depuis plusieurs années ?
Quel dispositif proposez-vous de supprimer dans l’éventualité où votre proposition verrait le jour ? Enfin, votre rapport ne dit rien des places que pourrait prendre la réserve militaire dans un contexte de renforcement acté à l’occasion de la dernière loi de programmation militaire (LPM) ? La même question se pose concernant l’éducation populaire ou encore nos entreprises de la base industrielle et technologique de défense (BITD). Nous avons besoin que nos jeunes soient aussi sensibilisés à ces métiers de l’industrie.
M. Frédéric Boccaletti, rapporteur. À écouter votre question, je ne suis pas certain que vous ayez lu le projet de rapport. Vous me reprochez de vouloir enrôler notre jeunesse dans les armées, alors que notre idée de service à la nation repose d’une part sur un service militaire sur la base du volontariat et, d’autre part, sur un service civil permettant aux jeunes de s’engager auprès d’associations de défense environnementale, de défense du patrimoine, de protection civile. Ne caricaturez pas notre proposition : le service militaire n’est pas obligatoire, seul le service à la nation l’est.
Notre jeunesse a des droits, mais également des devoirs. Il ne me paraît pas hors de propos de demander à un jeune de s’impliquer un jour tous les deux mois et demi, entre 18 et 30 ans, au service de la nation et des Français.
Notre mission étant une mission flash, nous n’avons pas pu rentrer dans le détail de tous les dispositifs. Certains devraient certainement être soutenus, d’autres devraient être fusionnés et même supprimés. Enfin, vous avez mentionné des objets qui ne figurent pas dans le rapport pour la simple raison qu’ils ne sont pas au cœur du sujet auquel nous nous sommes attachés.
Mme Alexandra Martin, rapporteur. Je partage ces propos. Dans notre rapport, nous avons voulu mettre en exergue la cohérence et l’importance de la finalité. J’ai déjà donné mon avis personnel sur le SNU. Au-delà, nous ne proposons pas de supprimer des dispositifs, mais de les mettre en cohérence, autour d’une colonne vertébrale symbolisée par les composantes que nous vous avons présentées. Enfin, l’acculturation dont je parlais permettra de susciter l’intérêt des jeunes à l’égard des réserves.
M. Damien Girard (EcoS). Nous vous remercions pour ce rapport qui souligne la nécessité du lien armée-nation. Notre armée doit être davantage en lien avec la société, notamment sa jeunesse, condition de sa légitimité comme de son efficacité.
Si nos forces armées peuvent faire face à des difficultés sur des compétences spécifiques de recrutement, elles ne manquent pas de professionnels, de façon significative. Je vous rejoins donc sur l’absence de pertinence, dans le contexte actuel, d’un service militaire obligatoire. Cependant, le service civil obligatoire d’un mois ou deux que vous proposez ne semble pas répondre à un besoin national précis, mais constitue une forme de SNU obligatoire à l’objectif flou, sans lien avec les enjeux de défense.
Notre territoire fait face à des risques accrus de gestion de crise : incendies, épidémies, températures extrêmes et autres phénomènes climatiques majeurs. Nos militaires ne doivent pas être sur-mobilisés pour ces missions. Dans ce contexte, quel serait votre regard sur la création d’une véritable réserve civile, sur le modèle de la réserve opérationnelle militaire, qui répondrait à un besoin réel sur le territoire national ?
M. Frédéric Boccaletti, rapporteur. Je ne partage pas vos propos : le service civil ne correspond pas à un SNU obligatoire. Le service civil que nous proposons a pour objet d’envoyer des jeunes sur le terrain, notamment auprès de la protection civile ou des JSP. Ce faisant, ce service civil répond à un besoin : les structures de protection civile manquent de bénévoles aujourd’hui, notamment de jeunes bénévoles.
M. Christophe Blanchet (Dem). Je suis à la fois rassuré et circonspect. Je suis rassuré parce que votre rapport partage le constat que nous avions établi il y a un an avec ma collègue Martine Étienne, mais demeure circonspect car depuis un an, les menaces ont augmenté.
Vous avez mis l’accent sur la volonté de défense nécessaire et je vous rejoins entièrement. Mais pour faire preuve de cette volonté défense, encore faut-il qu’il existe un esprit de défense. Or, aujourd’hui, cet esprit de défense n’existe pas globalement au sein de la population. À ce titre, il faut cesser de stigmatiser la jeunesse.
Les cours d’EMC évoquent la défense sociale, mais ils sont contraints de traiter un nombre de sujets trop nombreux. Symboliquement, ne faudrait-il pas déjà en changer le nom, pour parler « d’éducation patriotique » ? Ensuite, vous avez évoqué le millefeuille des dispositifs existants. Ne devraient-ils pas être simplifiés, notamment par la nomination d’un délégué interministériel auprès du premier ministre qui serait chargé de faire la lumière sur ces aspects ?
Mme Alexandra Martin, rapporteur. Cher collègue, nous avons naturellement relu votre précédent rapport, mais l’état des menaces est aujourd’hui différent. Pour ces raisons, nous avons intégré au cœur de nos propositions les notions d’enseignement à la défense, d’esprit de défense, de cohésion nationale. Au terme « éducation patriotique », nous privilégions celui de « culture citoyenne et défense ».
Ensuite, il convient effectivement de mener un travail sur ce millefeuille, mais les dispositifs de préparation militaire ou des classes défense, s’ils ne peuvent être implantés partout, demeurent de bons dispositifs, qu’il convient de mettre en cohérence. Enfin, je suis attachée à l’idée d’une classe spécialisée sur la défense, au collège comme au lycée.
Mme Anne Le Hénanff (HOR). Je vous remercie pour vos propositions et vos analyses ; j’en partage certaines. Je souhaiterais en préambule rappeler deux éléments. D’abord, le service militaire tel que nous l’avons connu n’est pas souhaitable, mais il est également impossible à réaliser.
Les jeunes ont envie de s’engager. Ils le font déjà, mais peut-être convient-il de les accompagner, afin qu’ils aillent encore plus loin en matière de développement durable, de protection civile, de culture générale et géopolitique et d’inclusion, et leur donner encore plus confiance, sans nécessairement vouloir tout militariser. Avant toute autre chose, il importe de bien définir ce que nous voulons faire. Si tel n’est pas le cas, nous perdrons de l’énergie, du temps et de l’argent.
La résilience de la nation figure au cœur de la mise à jour de la revue nationale stratégique, qui ne pourra pas intervenir sans prendre en compte la jeunesse. De quelle manière pourrons-nous embarquer davantage l’éducation nationale ? Ensuite, je crois beaucoup à l’engagement volontaire ; notre groupe soutient cette idée. Estimez-vous intéressant et nécessaire que la commission de la défense nationale puisse se saisir de ce sujet à travers une mission, afin de fixer le cadre de cet engagement volontaire ?
Mme Alexandra Martin, rapporteur. Chère collègue, nous partageons les mêmes constats. Vous avez raison d’insister sur la finalité, c’est-à-dire la résilience de la nation, laquelle passe évidemment par l’éducation de nos jeunes à la défense, à la citoyenneté et à l’engagement.
Qu’attendons-nous de l’éducation nationale ? Nous attendons d’elle qu’elle s’empare de ces sujets et qu’elle puisse mieux se former, à la fois en formation initiale, mais aussi en formation continue. Il existe déjà des plateformes à la disposition des enseignants, qui demeurent insuffisamment utilisées. Nous attendons également qu’ils emploient les ressources existantes dans les départements pour rendre les cours de culture citoyenne et de défense plus vivants.
Les différentes personnalités auditionnées nous ont expliqué qu’un lien très fort est en train de s’établir entre l’éducation nationale et les armées, ce dont il faut évidemment se féliciter.
M. le président Jean-Michel Jacques. Nous passons maintenant à une séquence de six questions complémentaires, en commençant par une première série de trois questions.
M. Pascal Jenft (RN). Je me permets tout d’abord de vous féliciter pour la qualité de votre travail. Dans votre rapport, vous évoquez la possible création d’un service à la nation pour tous les jeunes Français. Ils auraient ainsi la possibilité d’opter pour un service militaire ou bien un service civil. Cela pourrait leur permettre de construire leur esprit de défense et de services rendus à la nation.
Monsieur le rapporteur, vous évoquez un service à la nation obligatoire. Or, une obligation implique une sanction en cas de non-respect de celle-ci. Quel type de sanctions préconisez-vous en cas de non-respect du service à la nation ?
Mme Stéphanie Galzy (RN). Depuis la suspension du service militaire en 1997, le débat sur le service national suscite de nombreuses attentes dans notre pays, tant il touche à la cohésion nationale, à l’engagement civique et à la résilience de notre société. Votre proposition de mise en place d’un service à la nation pour les jeunes Français s’inscrit dans une vision à long terme que je salue. Il renoue en partie avec un héritage républicain d’intégration et de formation, tout en cherchant à l’adapter aux réalités contemporaines.
Néanmoins, un point mérite d’être éclairci. Alors que certains de nos voisins européens ont récemment rétabli un service militaire obligatoire face à des menaces géopolitiques directes, vous formulez une proposition ambitieuse reposant sur une composante militaire sélective et, à défaut, une composante civile. Dès lors, il semble nécessaire de comprendre ce qui a motivé cette orientation afin d’éclaircir pleinement nos concitoyens sur la nature et les ambitions de ce nouveau modèle. Pourquoi avoir fait le choix d’écarter un service militaire obligatoire pour tous ? Quel diagnostic a conduit à cette architecture particulière du projet ?
M. Sébastien Saint-Pasteur (SOC). La sensibilisation des jeunes à l’esprit de défense représente un enjeu majeur. Elle ne se décrète pas, mais se construit aussi dans la durée par des parcours concrets, incarnés et valorisés. Plus que l’incantation, la démonstration par l’exemple est souvent bien plus efficace. Le lien armée-nation ne doit pas être à sens unique, mais bien réciproque.
Je souhaite ici évoquer un exemple étranger pouvant nous inspirer dans une certaine mesure, la Reserve Officers Training Corps (ROTC) américaine, où l’engagement militaire est intégré au parcours universitaire, en contrepartie de bourses d’études substantielles. Ce dispositif attire des jeunes de tous horizons et leur permet de découvrir l’armée et d’en partager les valeurs, sans pour autant renoncer à une trajectoire civile. Il permet aussi de travailler l’attractivité sur des profils spécifiques, particulièrement recherchés. Pourquoi ne pas imaginer un modèle français adapté, combinant excellence académique et esprit de défense, notamment dans les universités ou les grandes écoles ? Cela permettrait d’enraciner profondément et positivement la culture de défense dans notre jeunesse.
M. Frédéric Boccaletti, rapporteur. Puisque je propose un principe d’obligation, celui-ci prévoit nécessairement une sanction pour les jeunes qui refuseraient de s’y soumettre.
Je rappelle que ce dispositif est prévu pour s’étendre au maximum soixante jours, pour des personnes âgées de 18 à 30 ans, soit un jour tous les deux mois et demi, ce qui ne me semble pas extrêmement contraignant. En outre, cette période pourrait être suivie soit en bloc, soit de manière étalée dans le temps.
Enfin, je suis convaincu que si nous mettons en place ces cours d’EMC dès le collège, nous pourrons apporter à ces jeunes cet esprit de défense et d’implication auprès de la société. Ensuite, à 18 ans, le service national prendra le relais. Honnêtement, je ne pense pas que les jeunes, dans leur grande majorité, refuseraient de le suivre. Les sanctions éventuelles devraient être mesurées, proportionnées. Il pourrait s’agir d’une amende pécuniaire ou de travaux d’intérêt général correspondant au service national qu’ils n’auraient pas suivi.
Mme Alexandra Martin, rapporteur. Madame Galzy, nous appelons de nos vœux un service à la nation moderne, adapté aux enjeux actuels et à la sociologie de nos jeunes. À ce titre, nous pensons que les jeunes ne sont plus à même d’accepter une césure et nous nous sommes fortement inspirés du modèle suédois.
Monsieur Saint-Pasteur, le parcours, doit naturellement se poursuivre jusque dans les études supérieures. De notre côté, nous avons décidé d’insister sur le collège, car nous estimons que dans cette tranche d’âge, les jeunes sont plus réceptifs.
M. Yannick Chenevard (EPR). Au moment où nous pourrions devoir affronter des heures sombres, votre rapport tombe à point nommé. Il nous rappelle d’ailleurs nos devoirs en tant que citoyens, au service du pays. L’organisation de la sécurité civile en France repose sur deux piliers : 250 000 sapeurs-pompiers professionnels et volontaires, et 250 000 bénévoles des associations agréées de sécurité civile. Ainsi, 500 000 personnes peuvent concourir à la résilience de la nation.
Vous avez évoqué la possibilité pour les jeunes citoyens de s’inscrire dans cette logique, ce qui nous permettrait peut-être de retrouver l’esprit de défense passive et de défense civile, dont la nation a besoin pour sa résilience. Par quels mécanismes voudriez-vous y parvenir ?
Mme Delphine Batho (EcoS). L’étude qui fait référence sur le sujet est celle réalisée par Anne Muxel. Elle brise en effet toutes les idées reçues sur la jeunesse, dont le potentiel est immense. En particulier, depuis les attentats de 2015, la jeunesse fait preuve d’une grande maturité dans son rapport aux questions de sécurité et de défense nationale.
La question de l’engagement de la jeunesse pour le pays ne peut pas être séparée de son état de santé. Je rappelle que dans notre pays, certains étudiants ne mangent même pas à leur faim. Ensuite, tous les gouvernements successifs ont connu des échecs dans l’établissement de dispositifs « par le haut », qu’il s’agisse de service civique ou de SNU. Peut-être convient-il de changer de logique et de soutenir les acteurs de terrain. Tous les ans, les demandes d’intégration des jeunes sapeurs-pompiers dépassent les offres disponibles. Pourquoi ne pas confier plus de moyens aux pompiers ? Enfin, l’enjeu majeur d’attractivité des forces armées auprès de la jeunesse passe par le recrutement massif de femmes.
M. Christophe Blanchet (Dem). Comment considérez-vous le fait qu’aujourd’hui, 75 % des enseignants ne jugent pas nécessaire d’évoquer la défense nationale à l’école ? Ensuite, s’agissant du service national obligatoire, je suis favorable aux modèles suédois et estonien, qui reposent sur une sélection. Pourquoi les armées ne seraient-elles pas en mesure d’indiquer le nombre de jeunes dont elles auraient besoin ? Enfin, nos travaux ne mériteraient-ils pas de s’inscrire dans le débat que le premier ministre a ouvert sur la question suivante : qu’est-ce qu’être Français ?
M. Frédéric Boccaletti, rapporteur. M. Chenevard, compte tenu du caractère « flash » de notre mission qui a duré quelques semaines, nous n’avons pas pu approfondir le sujet des mécanismes. Cependant, à partir du moment où des jeunes devront effectuer un service civil, ils pourront être impliqués dans des associations de sécurité civile.
Mme Alexandra Martin, rapporteur. Mme Batho, je partage avec vous l’idée que la jeunesse dispose d’un potentiel immense. L’état de santé, physiologique et mental, mais aussi le niveau académique de nos jeunes doivent être pris en compte.
Je partage également la nécessité de soutenir les acteurs de terrain, notamment les jeunes sapeurs-pompiers. Il convient d’ailleurs de leur donner plus de moyens, car ils représentent un formidable levier d’engagement. La féminisation est également au cœur de nos préoccupations ; nous considérons à ce titre que le service national à la nation, quelle que soit sa version militaire ou civile, doit naturellement s’ouvrir aux femmes.
Monsieur Blanchet, nous avons naturellement regardé votre sondage avec un grand intérêt. Cependant, aujourd’hui, l’état d’esprit des professeurs a fortement changé. L’éducation nationale et les armées nous disent unanimement que ces professeurs sont désormais prêts, notamment parce qu’ils ont été touchés eux‑mêmes dans leurs cœurs et dans leur corps.
Enfin, nous avons été séduits par le modèle suédois et je pense que des propositions allant dans ce sens seront formulées.
M. le président Jean-Michel Jacques. Je vous remercie.
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Annexe : auditions et déplacements
(Par ordre chronologique)
1. Auditions
Mme Sylviane Bourguet, de la Direction des Territoires, de l’immobilier et de l’environnement du Ministère des Armées ;
M. le général de brigade aérienne Jean-Patrice Le Saint, délégué au patrimoine et rayonnement et M. le général de brigade aérienne Frederick Devanlay, sous‑directeur recrutement réserve jeunesse de la direction des Ressources humaines ;
Mme Bénédicte Cheron, maître de conférences en histoire contemporaine et M. Maxime Launay, chercheur « Défense et Société » à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire ;
Mme Corinne Orzechowski, déléguée générale et Mme Émilie Guerel, cheffe de cabinet, responsable de la cellule de suivi des séjours de cohésion à la Délégation générale au service national universel ;
M. le général de corps d’armée Pierre-Joseph Givre, directeur du service national et de la jeunesse ;
M. le général de division Guillaume Le Segretain du Patis, chef de la division relative à la cohésion nationale, État-major des armées ;
M. le capitaine de vaisseau Laurent Marchard de Gramont, sous-directeur recrutement, écoles et formation pour la Marine nationale ;
M. le contre-amiral Laurent Berlizot, chef de la division de la cohésion nationale pour la Marine nationale ;
M. Édouard Geffray, ancien directeur général de l’enseignement scolaire ;
M. le général de brigade Arnaud Goujon, sous-directeur du pôle recrutement de l’armée de Terre.
2. Déplacement à Riga (17 février 2025)
M. Manuel Lafont Rapnouil, ambassadeur de France en Lettonie, M. Benjamin Le Gall, Attaché de défense, et Mme Apolline Carras, chargée de mission politique ;
Mme Dace Kundrāte, directrice du Départment des affaires publiques militaires au ministère de la défense, M. Kristers Grauze, directeur du département de la Défense nationale, et M. le colonel Aivis Mirbahs, directeur du centre de la Jeune garde ;
M. le colonel Gilles Dutertre, délégué général du Souvenir français en Lettonie ;
Mmes Sanita Dragone et Ilze Dedumiete, directrices adjointes du Lycée français de Riga ;
M. Igors Rajevs, député et secrétaire parlementaire de l’Intérieur, ancien colonel de l’armée lettonne et M. Atis Švinka, député, secrétaire parlementaire de la Défense.
3. Déplacement à Stockholm (18 et 19 février 2025)
Mme Claire Doucerain, chargée d’affaires, ambassade de France auprès du Royaume de Suède ;
Mme Adrienne Coyet Folke, conseillère politique au cabinet du ministre de la défense ;
M. Johan Berggren, secrétaire d’État auprès du ministre de la Défense civile ;
M. Peter Hultqvist, Président de la Commission de défense du Parlement Suédois ;
Mme Karin Abbor-Svensson, Directrice de l’association Folk och Försvar (« Peuple et défense »), et Mme Niki Scharp Brilly, responsable des formations et POC pour l’information auprès des jeunes dans les écoles secondaires et dans les organisations membres.