N° 1356

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 avril 2025.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES

en conclusion des travaux d’une mission d’information

sur le thème de « l’artillerie à l’aune du nouveau contexte stratégique »

 

 

ET PRÉSENTÉ PAR

MM. Matthieu BLOCH et Jean-Louis Thiériot,

Députés

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SOMMAIRE

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Pages

Introduction

I. Si le format et les capacités de l’artillerie française ont été considérablement réduits à l’aune des dividendes de la paix, le nouveau contexte stratégique remet cette arme d’appui au centre de l’ordre de bataille militaire

A. L’artillerie, une arme d’appui aux effets militaires décisifs

1. Une arme savante au cœur de la tradition militaire française

a. Une arme savante…

b. Au cœur de la tradition militaire française…

c. Pouvant être approchée selon trois définitions

2. Au-delà de la seule destruction d’une cible, les effets militaires recherchés de l’artillerie sont nombreux

a. L’emploi de l’artillerie vise des effets militaires nombreux et complémentaires les uns des autres

b. Les obus d’artillerie produisent une diversité d’effets militaires

3. L’artillerie, un système d’armes complexe qui fait face au perpétuel défi de raccourcir sa boucle de renseignement-feux

B. Le format et les capacités de l’artillerie sol-sol ont été durablement réduits depuis la fin de la guerre froide, au risque de ruptures capacitaires majeures

1. Le format et les capacités de l’artillerie ont été durablement réduits depuis les années 1990

2. Face à des ennemis asymétriques, les armées occidentales ont privilégié les appuis-feux aériens sur les appuis-feux terrestres

C. Le nouveau contexte stratégique remet l’artillerie au centre de l’ordre de bataille interarmées

1. Le retour de la haute intensité dans un contexte d’absence de supériorité aérienne réaffirme le rôle central de l’artillerie en haute intensité

2. L’armée française face au défi de la frappe dans la profondeur terrestre

a. Un allongement du champ de bataille aéroterrestre

i. La portée accrue des frappes terrestres répond au blocage tactique du front

ii. L’armée de Terre française au défi de la profondeur tactico-opérative

b. Le nouveau contexte stratégique consacre la place prééminente des drones et des munitions télé-opérées dans la trame artillerie

c. Limiter la ségrégation entre les intervenants dans la troisième dimension

3. La doctrine russe accorde à l’artillerie une place prééminente

II. Si la remontée en puissance de l’ensemble de la chaîne artillerie sol-sol traditionnelle est indispensable, le nouveau contexte stratégique invite à repousser les frontières des appuis feux indirects en dotant la France de capacités de frappes terrestres conventionnelles dans la grande profondeur

A. Dans la perspective d’une artillerie « bonne de guerre », la densification de la trame artillerie sol-sol traditionnelle est indispensable

1. Sur le plan organisationnel, la montée en puissance de la 19e brigade d’artillerie doit être achevée d’ici à 2030

2. Sur le plan capacitaire, l’ensemble de la trame artillerie doit gagner en épaisseur et en profondeur

a. Les vecteurs

i. La nécessaire poursuite de la densification de la trame mortier

ii. La nécessaire densification de la trame canon

iii. Redonner au niveau division une capacité de frappe dans la profondeur tactico-opérative grâce au successeur du LRU

iv. Les munitions télé-opérées

b. Les effecteurs

i. Une consommation massive de munitions d’artillerie en haute intensité

ii. La nécessaire remontée des stocks stratégiques français est indissociable d’un accroissement durable des capacités de production de la BITD française

iii. Le manque de munitions est préjudiciable à l’entraînement et à la préparation opérationnelle des artilleurs

c. Les systèmes de détection et d’acquisition

i. La trame de lutte contre les tirs indirects

ii. Les drones d’observation et de renseignement

iii. Les véhicules d’observation artillerie

iv. Le défi continu de raccourcir la boucle renseignement-feux

3. Une artillerie « bonne de guerre » devra pouvoir compter sur un soutien logistique de théâtre renforcé

4. Une artillerie « bonne de guerre » sera une cible prioritaire de l’ennemi et devra par conséquent bénéficier d’une bulle de protection

5. Une artillerie « bonne de guerre » pourrait éventuellement s’enrichir d’armes à sous-munitions à l’issue d’une étude approfondie sur la dangerosité de ces nouvelles générations d’armes

B. Le nouveau contexte stratégique plaide en faveur de l’acquisition de capacités de frappes terrestres conventionnelles dans la grande profondeur

1. Les objectifs de la frappe conventionnelle sol-sol dans la profondeur opérative

2. La capacité de frappe conventionnelle sol-sol dans la grande profondeur opérative complèterait utilement les capacités air-sol et mer-sol existantes

3. Nos alliés comme nos compétiteurs stratégiques se dotent déjà de ce type de capacités

4. Impulsée par la France, l’initiative ELSA doit accompagner les réflexions doctrinales relatives à cette future capacité

5. L’acquisition de cette capacité supposera une coordination interarmées indispensable dans son emploi

6. Les technologies balistique et de croisière présentent chacune des avantages et des inconvénients qui plaident en faveur d’un développement de ces deux technologies

Examen en commission

Annexe I : Liste des propositions

Annexe II : Auditions et déplacements des rapporteurs

Auditions

Déplacements

 


   Introduction

« L’artillerie conquiert, l’infanterie occupe »

     Général de Castelnau, décembre 1914

Le 24 février 2022, l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie a remis l’artillerie au centre de l’ordre de bataille militaire européen. Si 75 % des pertes des deux guerres mondiales furent causées par l’artillerie, cette « vieille » arme serait également à l’origine de près de 70 % des destructions dans la première phase du conflit à grande échelle en Ukraine. Arme d’appui visant la conquête de la supériorité des feux, l’artillerie façonne l’ennemi en le harcelant et le désorganisant. Arme réseau-centrée, l’artillerie est trop souvent réduite aux seuls obus et canons qui n’en constituent que le « bras » émergé. Cette arme que d’aucuns qualifient de « savante » ne pourrait en effet fonctionner sans les systèmes de détection, d’acquisition et de commandement qui l’inscrivent au cœur d’une boucle de « renseignement-feux » dont le raccourcissement constitue un défi de tous les instants.

L’éternel retour du « Dieu de la Guerre ([1]) » sur les théâtres contemporains de guerre s’opère dans un champ de bataille aéroterrestre en pleine mutation. Le nouveau contexte stratégique consacre la place centrale des drones et des munitions télé-opérées dans la trame artillerie, tandis que la portée sans cesse accrue des appuis-feux indirects repousse les limites du champ de bataille aéroterrestre. La frappe dans la profondeur tactique et opérative perturbe le dispositif ennemi en l’obligeant à repousser ses infrastructures et matériels critiques au-delà de la portée maximale des frappes adverses.

À l’aune des dividendes de la paix, le format et les capacités de l’artillerie sol-sol française ont été considérablement réduits, au risque de ruptures capacitaires majeures. Alors que les châssis des neuf lance-roquettes unitaires en dotation dans l’armée de Terre seront frappés d’obsolescence en 2027, l’artillerie française est à la croisée des chemins. Les retours d’expérience des conflits récents imposent de densifier l’épaisseur logistique de l’ensemble de la chaîne artillerie sol-sol traditionnelle tout en repoussant encore les frontières de la frappe terrestre dans la profondeur.

Au terme de cinq mois de travaux, de 17 auditions et de 5 déplacements dont deux en Pologne et Ukraine, vos rapporteurs ont souhaité mettre en lumière les principaux défis auxquels est confrontée l’artillerie sol-sol française. Leurs conclusions ne sont dictées que par un seul objectif : doter la France d’une artillerie « bonne de guerre » au moment où la guerre sévit de nouveau aux portes de l’Europe.


I.   Si le format et les capacités de l’artillerie française ont été considérablement réduits à l’aune des dividendes de la paix, le nouveau contexte stratégique remet cette arme d’appui au centre de l’ordre de bataille militaire

A.   L’artillerie, une arme d’appui aux effets militaires décisifs

1.   Une arme savante au cœur de la tradition militaire française

a.   Une arme savante…

Depuis la bataille de Castillon (1453), l’artillerie s’est imposée comme « l’arme savante » par excellence. Si catapultes et balistes ont été utilisées dans l’Antiquité et au Moyen Âge, une révolution intervient dans l’usage militaire de projectiles aux XIVème et XVe siècles avec l’apparition en Europe des armes à feu. À vocation collective et non individuelle, les pièces les plus lourdes deviennent alors ce qu’on appelle l’artillerie. Les premières pièces fabriquées de manière artisanale et empirique laissent progressivement la place à des canons produits de façon industrielle et scientifique.

Des progrès significatifs dans le domaine de l’artillerie ont lieu au XIXe siècle, conduisant à une augmentation significative de la cadence de tir, de la précision et de la portée des canons. Sur la ligne de front, l’artillerie s’éloigne peu à peu de l’infanterie.

b.   Au cœur de la tradition militaire française…

L’artillerie est au cœur de la tradition militaire française. L’excellence française dans ce domaine connaît son âge d’or au XIXe siècle. On peut notamment citer les travaux de Charles Ragon de Bange (1833-1914) qui ont mis en lumière le concept de l’obturateur à vis et le calibre de 155 mm ou encore l’apparition du canon de 75 mm qui a également révolutionné l’emploi des feux à partir de 1914. Le calibre de 155 mm s’est généralisé et les pièces françaises produites comme le 155 mm GPF furent utilisées jusqu’en 1940. C’est d’ailleurs à partir des engins français que l’US Army développa ses propres 155 mm, imposant définitivement ce calibre. Les années 1960-1980 virent le développement en France de matériels de grande qualité conçus pour faire face aux blindés du Pacte de Varsovie, à l’instar du 155 mm AUF1 construit sur un châssis de la famille AMX 30.

Jusqu’à la seconde guerre mondiale, le choix de l’arme d’artillerie était particulièrement prestigieux parmi les élites militaires. Les officiers artilleurs étaient alors formés à l’école Polytechnique, tandis les officiers de l’infanterie et de la cavalerie suivaient leur formation à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr. Au cours du premier conflit mondial, environ 70 % des polytechniciens furent affectés dans l’artillerie et 30 % dans le génie. Le maréchal Foch fut lui-même artilleur. Une rupture s’opère au lendemain de la seconde guerre mondiale, les officiers artilleurs intégrant alors le cursus militaire de Saint-Cyr. Aujourd’hui, il est intéressant de relever que les élèves les mieux classés en sortie de Saint-Cyr tendent à choisir les armes de mêlée comme la cavalerie ou l’infanterie a contrario d’autres Nations comme la Russie où l’artillerie reste toujours auréolée du prestige de « déesse de la guerre ([2]) ».

c.   Pouvant être approchée selon trois définitions

L’artillerie peut être approchée selon plusieurs définitions, selon que l’on choisisse un prisme capacitaire, organisationnel ou conceptuel.

– une définition par les équipements : l’artillerie peut être définie par ses vecteurs que sont les mortiers, canons (canons lourds, légers, automoteurs ou sur camions) ou lance-roquettes, l’ensemble de ces vecteurs nécessitant des munitions spécifiques que sont des obus, roquettes, missiles sol-sol etc. On parle ainsi de « trame obus-roquettes-missiles ».

 une définition structurelle ou organisationnelle : l’artillerie est l’une des neuf armes de l’armée de Terre. Il convient néanmoins de nuancer cette définition structurelle : l’artillerie ne concerne pas uniquement l’armée de Terre, la Marine utilisant elle aussi des canons d’artillerie.

– une définition conceptuelle selon laquelle l’artillerie se définit par ses effets.

Au cours de la présente mission d’information, les rapporteurs ont fait le choix de centrer leurs travaux sur l’artillerie sol-sol, le co-rapporteur JeanLouis Thiériot ayant déjà écrit en 2023 un rapport d’information sur la défense sol-air qui traitait des enjeux de la remontée en puissance de l’artillerie sol-air ([3]).

2.   Au-delà de la seule destruction d’une cible, les effets militaires recherchés de l’artillerie sont nombreux

a.   L’emploi de l’artillerie vise des effets militaires nombreux et complémentaires les uns des autres

Arme des feux, l’artillerie contribue à la décision en exerçant sur l’adversaire des effets directs, sélectifs et souvent décisifs. C’est l’ultima ratio regum, le dernier « argument des rois » ainsi que l’indique l’adage que Louis XIV fit graver sur ses canons.

L’artillerie est traditionnellement comprise comme étant l’ensemble des feux ayant pour but de gêner et de désorganiser l’ennemi. Arme d’appui, l’artillerie permet ainsi le « modelage » de l’ennemi afin de confier aux armes de contact un ennemi déjà amoindri en vue d’une action. Les objectifs de l’artillerie sont pluriels : permettre la manœuvre aéroterrestre en facilitant la protection et liberté d’action des forces de mêlée (infanterie et cavalerie), détruire des cibles à haute valeur ajoutée grâce à des frappes à longue portée, créer une « zone interdite » via des tirs massifs de barrage, neutraliser et supprimer les dispositifs ennemis ou encore réaliser des tirs de contre-batterie consistant à frapper des positions d’artillerie repérées à la suite de tirs ennemis.

Les feux-indirects ([4]) désignent la capacité de frappes à distance jusqu’à 300 km au sens de l’OTAN. Les feux indirects participent pleinement à la conquête de la supériorité des feux. Il s’agit ainsi d’agresser l’ensemble des moyens (bouches à feux mais aussi moyens d’acquisition) qui permettent à l’adversaire de délivrer des feux directs, indirects, sol-sol, sol-air et air-sol ainsi que ses moyens de commandement. La contrebatterie représente un volet de cette mission globale.

Concernant la notion de « profondeur » terrestre, il est d’usage d’estimer à :

– environ 60 km la profondeur d’une brigade ;

– entre 60 et 150 km celle d’une division ;

– entre 150 et 300 km celle d’un corps d’armée.

L’artillerie a toujours été l’une des principales sources d’attrition chez l’adversaire. 75 % des pertes des deux guerres mondiales ont été causées par l’artillerie. En Ukraine, on estime que près de 70 % des destructions ennemies, notamment dans la première phase de la guerre, résultent de frappes d’artillerie.

Outre la notion d’agression, le renseignement et l’acquisition d’objectifs représentent également deux missions essentielles de l’artillerie. Grâce à ses moyens humains et techniques, l’artillerie contribue pleinement au cycle du renseignement, par la recherche du renseignement d’ordre tactique, le suivi d’objectifs, l’acquisition d’objectifs et l’évaluation des dommages. Les artilleurs contribuent ainsi à la fois au conseil des chefs tactiques - de la compagnie au corps d’armée – ainsi qu’à la manœuvre des feux en planification et en conduite.

Les artilleurs contribuent également à la coordination des feux dans la troisième dimension sur leur zone d’opération (coordination 3D).

En outre, les effets psychologiques de l’artillerie sur l’adversaire sont redoutables. Pendant la IIGM, les katiouchas ou « orgues de Staline » marquent les imaginaires. Cette innovation, qui consiste en l’installation de roquettes sur des châssis de camion, contribue à inspirer l’effroi dans les rangs allemands en raison de son bruit caractéristique et de sa réputation d’efficacité en matière de tirs de barrage.

Enfin, les appuis-feux terrestres ont pour eux l’avantage de la permanence dans un contexte où la contestation de la supériorité aérienne limite l’emploi des appui-feux aériens. Arme d’usure et d’attrition caractérisée par sa permanence, sa foudroyance, ses capacités d’observation et d’allonge, l’artillerie façonne l’ennemi en permettant de « gagner la bataille avant la bataille ».

b.   Les obus d’artillerie produisent une diversité d’effets militaires

La notion d’effet reste le centre de toute réflexion sur l’emploi de l’artillerie. La discrimination entre les différentes capacités de feux (mortier, canon, roquette) doit s’effectuer en fonction de leur portée et de leurs effets.

À partir de la seconde moitié du XXe siècle, l’artillerie se caractérise par la place croissante des roquettes et fusées dans les arsenaux militaires. Dans les années 1980, la révolution de la précision affecte l’artillerie qui devient une artillerie de précision avec l’arrivée en 1984 de l’obus de 155 mm à guidage terminal laser. Aujourd’hui « l’écart probable circulaire » d’un obus tiré par un canon CAESAR n’est que de 20 m à une distance de 40 km tandis que la précision du lance-roquettes unitaire (LRU) est de l’ordre de 4 m à 80 km.

Les munitions d’artillerie peuvent produire un large spectre d’effets :

– Effets d’agression : semonce, harcèlement, neutralisation temporaire, neutralisation et destruction tactiques, cloisonnement ;

– Effets spéciaux : aveuglement, éclairement ;

– Effets sur le mouvement : arrêt, barrage ;

– Effets psychologiques chez l’adversaire visant à créer l’incertitude.

Les modes de détonation vont du déclenchement fusant ([5]), de proximité, à l’impact, à l’impact retardé et chronométrique. Il existe une gradation des leurs effets (létaux et non létaux) qui justifie la nécessaire diversification de la nature des munitions stockées par les armées afin d’obtenir une complémentarité des effets recherchés.

3.   L’artillerie, un système d’armes complexe qui fait face au perpétuel défi de raccourcir sa boucle de renseignement-feux

Il importe de ne pas restreindre artificiellement l’artillerie aux seuls canons. En effet, l’artillerie renvoie à une trame complète constituée à la fois de capteurs, d’un système de commandement et de contrôle (C2), de vecteurs et enfin d’effecteurs qui sont eux-mêmes pluriels (obus, roquettes, drones etc). Le défi majeur de cette chaîne est de raccourcir la boucle « acquisition-feux » que d’aucuns appellent boucle « OODA » pour « Observer, Orienter, Décider, Agir ».

L’efficacité des appui-feux indirects suppose la présence d’observateurs avancés à portée visuelle de la cible, capables de relever et transmettre les coordonnées de cette dernière. Nécessitant une liaison de données en temps réel entre capteurs, observateurs avancés, postes de commandement (PC) et effecteurs, l’artillerie est une arme réseau-centrée : on parle à son égard de système d’armes. Depuis la IIGM, l’usage du radar et de la radio permettent de coordonner en direct l’observation et les frappes d’artillerie. La durée de mise en batterie et sortie de batterie devient un facteur essentiel dès l’apparition des radars de contre-batterie. Ces derniers rendent particulièrement vulnérables les canons tractés dont la mise en batterie réclame jusqu’à une heure, d’où la généralisation au sein de l’OTAN de canons automoteurs ou automouvants dont la mise en batterie ne nécessite que quelques minutes.

La coordination en temps réel entre capteurs, PC et effecteurs repose nécessairement sur un système C2 efficace. Dans les armées françaises, le système ATLAS est la clé de voûte de l’efficacité de l’artillerie. Déployé depuis le début des années 2000 et en perpétuelle évolution, il permet le commandement des unités de l’artillerie sol-sol - manœuvre, feux, renseignement, logistique, coordination 3D.

ATLAS permet ainsi tout à la fois l’interopérabilité avec les unités interarmées et internationales, via le protocole ASCA ([6]) pour l’OTAN. En interarmées, il rend possible la gestion des demandes d’appui-aérien mises en œuvre par la composante aérienne. Il permet notamment de sécuriser la déconfliction des volumes au-dessus du champ de bataille en faisant en sorte que les munitions ne traversent pas des couloirs aériens où des aéronefs pourraient se trouver.

ATLAS permet également l’exploitation des informations remontées par les différents systèmes de détection et d’acquisition utilisés par les artilleurs.

Les différents systèmes de détection et d’acquisition en service
dans l’artillerie sol-sol française

Dans le domaine de la surveillance du champ de bataille, l’armée de terre dispose de 54 radars de surveillance du sol MURIN. Léger, compact, facile d’emploi et très performant, ce moyen équipe prioritairement les sections radars ainsi que les observateurs avancés au sein des régiments d’artillerie pour répondre au besoin d’acquisition de cibles et de réglage des tirs. Depuis 2023, une partie des MURIN ont été transférés vers les escadrons de reconnaissance et d’intervention de la cavalerie pour renforcer leur capacité de renseignement de contact et dans les intervalles.

La trame de la lutte contre les tirs indirects (LCTI) de l’armée de Terre se décompose en trois équipements majeurs exclusivement mis en œuvre par le 1er régiment d’artillerie de Bourogne :

Le radar COBRA est un radar de contre-batterie franco-allemand entré en service en 2006. Le COBRA détecte les projectiles (obus, roquettes) qui traversent sa nappe radar jusqu’à 40 km et localise la batterie ennemie pour déclencher des tirs de contre-batterie. C’est une capacité d’acquisition clé pour la conquête de la supériorité des feux. Très précis en localisation et classification, le COBRA est cependant peu discret du point de vue électromagnétique ;

Les systèmes de localisation de l’artillerie par l’acoustique (SL2A) permettent la localisation des canons, mortiers et lanceurs de roquettes adverses par des capteurs acoustiques. Les SL2A sont des systèmes de détection passifs conçus pour une observation acoustique discrète. Combinés au COBRA, ils servent d’alerteur à celui-ci. La détection des SL2A déclenche et oriente une émission radar sur une localisation acoustique de départ de coup. Le système peut détecter et localiser des canons jusqu’à plusieurs dizaines de km de la zone de déploiement du système. Face à un adversaire doté de moyens offensifs de guerre électronique et cherchant à détruire en priorité les radars « amis », le système SL2A permet de garder les radars éteints tout en continuant l’observation des activités de l’artillerie tous azimuts sans signature électromagnétique forte. Néanmoins, le système est moins précis qu’un radar sur la localisation et la classification ;

Les alerteurs terrestres GA10 permettent de protéger la force contre les tirs de harcèlement par roquettes et obus de mortier. Prioritairement consacré à la protection des emprises, le GA10 émet un signal sonore permettant au personnel environnant de prendre les mesures de protection urgentes avant l’arrivée des projectiles. Il permet par ailleurs de localiser le point d’origine des tirs et de déterminer la nature du lanceur.

D’autres équipements de type « senseurs » sont déployés au profit de l’artillerie, comme des radars de veille de surface ou des lunettes optroniques de localisation et de désignation de cibles pour les observateurs avancés.

B.   Le format et les capacités de l’artillerie sol-sol ont été durablement réduits depuis la fin de la guerre froide, au risque de ruptures capacitaires majeures

1.   Le format et les capacités de l’artillerie ont été durablement réduits depuis les années 1990

Le segment « artillerie sol-sol » a particulièrement souffert des dividendes de la paix et de la révision générale des politiques publiques (RGPP). Si l’artillerie française a conservé une capacité de frappe canon moderne grâce notamment à l’arrivée du canon CAESAR dès 2008, le nombre de régiments d’artillerie sol-sol a fortement diminué tandis qu’une forte réorganisation a été imposée en interne.

Une réduction du nombre de régiments d’artillerie canon : un régiment de lance-roquettes multiples et deux régiments d’artillerie « canon » ont été dissous entre 2009 et 2015. Les régiments canons permettaient l’appui de brigades interarmes tandis que le régiment de lance-roquettes multiples (LRM) permettait un appui feux de niveau divisionnaire. En outre, la brigade artillerie (BART) a été dissoute en 2010 ;

une réduction du nombre de batteries de tir par régiment : le nombre de batteries de tir par régiment est passé de 4 à 2 entre 2008 et 2009, avant de repasser à 3 en 2015 (deux batteries CAESAR, une batterie mortier), ce rattrapage partiel s’étant toutefois effectué à iso-effectif pour les régiments. Une batterie de canons Caesar comprend 8 canons, tandis qu’une section en comprend 4.

D’après les informations communiquées à vos rapporteurs, la perte subséquente du nombre de canons correspond à l’équivalent de 40 sections de 4 canons. Sur le terrain, une section de 4 canons est capable de neutraliser une section mécanisée en tirant une salve de 48 obus en 2 minutes. Cela correspond de facto à un passage de 256 pièces d’artillerie canons à une cible théorique à 109 canons en 2030 et de 48 LRM à une cible théorique de 26 successeurs LRU post- 2030 conformément aux équilibres définis par la loi de programmation militaire 2024-2030 ([7]).

La diminution très nette du nombre de canons d’artillerie a entraîné une forte dégradation de l’équilibre entre armes d’appui et armes de mêlée au sein des brigades interarmes (BIA). Depuis la fin des années 1990, ce ratio serait passé de 1 canon d’artillerie pour 5 chars à 1 canon d’artillerie pour 10 chars.

Cette réduction du nombre de vecteurs est particulièrement préoccupante aujourd’hui sur le segment du lance-roquettes unitaires.

LRU : vers une rupture temporaire de capacité non anticipée

À la fin des années 1990, l’armée de Terre disposait de deux régiments de LRM. Afin de se conformer à la convention internationale d’Oslo sur les armes à sous-munitions, 13 des 57 LRM M270 acquis par les armées françaises furent transformés en lance-roquettes unitaires. Ils sont entrés en service au sein du 1er régiment d’artillerie en 2014.

Dans leur étude de novembre 2024 intitulée : « La frappe dans la profondeur : un nouvel outil pour la compétition stratégique » ([8]), Héloïse Fayet et Léo Péria-Peigné écrivent : « Seuls neuf LRU étaient encore officiellement en dotation en 2024. Leur remplacement se fait attendre car longtemps considéré comme peu prioritaire pour une armée de Terre au budget contraint. Hormis un court déploiement de trois LRU sur l’opération Barkhane en 2016, ces derniers ont rarement quitté la métropole pour des missions de combat et le non-renouvellement de leur déploiement au Mali laisse supposer que leur utilité y a été limitée. Basés sur le châssis du M2 Bradley mis en service en 1981, les LRU et leurs homologues européens vieillissent. Si l’Allemagne et le Royaume-Uni ont envisagé une modernisation dès le début des années 2020 pour leur permettre de rester en service, les LRU français n’ont pas bénéficié des mêmes attentions : rien n’était envisagé dans la LPM 2019-2025, alors même que leur maintenance n’est garantie que jusqu’en 2027. »

La loi de programmation militaire 2024-2030 ([9]) prévoit une cible d’au moins 13 systèmes LRU fin 2030 et de 26 systèmes à horizon 2035. À la suite de l’adoption d’un amendement parlementaire, le rapport annexé de la même LPM énonce : « En particulier, s’agissant des capacités de frappe à longue portée, la recherche d’une solution souveraine sera privilégiée pour remplacer le lance-roquettes unitaire dans les meilleurs délais. Une solution permettant d’éviter des duplications dans les développements et d’envisager un accroissement de la portée sera recherchée, notamment en permettant l’intégration sur cette même plateforme terrestre d’une capacité de frappes opératives et précises dans la profondeur de missiles hypervéloces à des portées de plusieurs centaines de kilomètres. »

Les châssis des 9 LRU dont dispose officiellement l’armée de Terre seront frappés d’obsolescence en 2027. Fin novembre 2024, le ministère des Armées a annoncé le lancement d’un « partenariat d’innovation » qui ouvre la voie à une éventuelle solution souveraine de remplacement au LRU, solution sur laquelle les rapporteurs reviendront ultérieurement. La solution souveraine ne sera probablement pas prête en 2027. Les rapporteurs ne peuvent que déplorer le lancement tardif de ce partenariat d’innovation par le ministère des armées et la non-anticipation avant 2023 de la rupture temporaire de capacité du LRU, alors même que l’utilité des lance-roquettes unitaires avait été largement démontrée dans des conflits antérieurs au 24 février 2022, à l’instar de la guerre du Haut-Karabagh.

Afin d’éviter la rupture capacitaire en 2027 des derniers LRU en dotation dans l’armée française, un plan de pérennisation 2027-2030 des LRU a été confié à la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT) de l’armée de Terre. Alors que les pièces de rechange des LRU en provenance des États‑Unis mettent parfois près de 6 mois à parvenir aux forces armées, l’absence de rupture temporaire de capacités du LRU repose aujourd’hui principalement sur la SIMMT. Si les artilleurs du 1er régiment d’artillerie peuvent toujours s’entraîner au tir LRU grâce aux simulateurs, la faible disponibilité des LRU combinée à l’absence actuelle de solution temporaire palliative risque à terme d’entraîner une perte de compétences des artilleurs français sur ce segment.

une perte de la capacité miroir des postes de commandement (PC) régimentaires et des postes de commandement de batterie, cette notion faisant référence à la séparation entre une partie du PC consacrée à la planification des opérations et une autre focalisée sur leur conduite ;

les unités logistiques ont été réduites avec l’abandon des sections logistiques des batteries remplacées par des groupes logistiques au sein des sections de tir. Cette mesure qui n’a pas compensé entièrement la perte de la section logistique a eu des impacts sur l’organisation opérationnelle de la batterie et ne permet pas in fine le même emport de munitions en son sein ;

le train de combat n° 2 a également connu une diminution du nombre de groupes de munitions en son sein. Le train de combat (TC) désigne l’ensemble de la logistique d’une unité. Pour une batterie d’artillerie, le TC n° 1 renvoie à la composante ravitaillement, mécanique, soutien médical (RAV-MEC-SAN). Au niveau régimentaire, le TC n° 2 est composé des mêmes éléments regroupés au quartier dans la batterie de commandement et logistique.

la défense d’accompagnement de l’artillerie sol-sol a été perdue avec le retrait des missiles Roland (capacité blindée autonome de défense sol-air). En outre, les systèmes d’armes d’artillerie sol-air classiques comme les canons antiaériens ont été abandonnés pour la défense sol-air basse couche.

2.   Face à des ennemis asymétriques, les armées occidentales ont privilégié les appuis-feux aériens sur les appuis-feux terrestres

Marginalisé pendant une partie de la guerre froide du fait de la primauté des stratégies indirectes (dissuasion, guerre irrégulière), l’appui-feu redevient central à la fin des années 1990. Néanmoins, l’appui feu aérien est alors privilégié sur l’appui-feu terrestre. La lourdeur associée à un déploiement d’artillerie dans le cadre de guerres expéditionnaires à empreinte légère s’est traduite par une prévalence des missions d’appui aérien rapproché réalisées par l’Armée de l’air ([10]) mais aussi l’aviation légère de l’armée de Terre et l’aéronautique navale. En outre, l’utilité stratégique du feu est remise en cause dans le cadre de guerres irrégulières où le coût politique des dommages collatéraux dépasse celui des bénéfices tactiques obtenus.

Après l’apparent « succès » de l’intervention de l’OTAN au Kosovo en 1999, la perspective d’un conflit remporté essentiellement par l’arme aérienne semble se muer en réalité. La frappe dans la profondeur est utilisée comme prélude à des opérations terrestres de grande ampleur. Les deux invasions américaines de l’Irak et celle de l’Afghanistan sont précédées par une phase d’acquisition de la suprématie aérienne grâce à la destruction des défenses anti-aériennes adverses. En novembre 2001, pour la première fois dans l’histoire récente, les troupes de combat occidentales sont déployées en Afghanistan en l’absence totale d’artillerie de campagne et comptent entièrement sur l’arme aérienne pour assurer leur appui.

Engagés en Syrie et en Irak contre l’État islamique, les artilleurs français ont toutefois démontré toute la pertinence de l’appui-feu terrestre sur un théâtre d’opération ainsi que le soulignait encore récemment le chef d’état-major de l’armée de Terre ([11]) : « Les armées n’ont pas été épargnées par la « fin de l’Histoire » théorisée après la chute du mur de Berlin. Dans le sillage de la Guerre Froide, des savoir- faire, des capacités, des gammes de matériels ont été écartés comme obsolètes, « ringardisés » voire oubliés. Sans la masse qui correspondait à l’armée de conscription d’avant 1996, avec des forces aériennes délivrant des munitions d’une précision métrique face à des ennemis à l’infériorité technologique et capacitaire avérée, dans la logique de réduction budgétaire pour « tirer les dividendes de la paix », le besoin de disposer d’une artillerie puissante était discutable (…). Cependant, l’artillerie démontra qu’elle restait pertinente lors des opérations menées contre l’État islamique en Syrie et, surtout, en Irak. Entre 2016 et 2019, le détachement français Wagram, doté de quatre CAESAR [Camions équipés d’un système d’artillerie de 155 mm], assura environ 2 500 missions de tirs [soit 18 000 obus tirés], notamment au cours de la bataille de Mossoul. »

Face au manque de persistance et d’autonomie en vol du seul appui aérien rapproché, les troupes de mêlée peuvent être vite en difficultés. Le retour d’une manœuvre interarmes à même d’offrir la puissance de feu et la persistance de la frappe de saturation est nécessaire dès lors que l’on se situe dans le haut du spectre de la conflictualité. Or, la capacité à maintenir dans la durée un volume de feu suffisant est sans aucun doute l’avantage universellement reconnu à l’artillerie, l’appui aérien disposant du volume sans la persistance et le mortier de la persistance sans le volume ni la précision.

Ainsi que l’écrivait Elie Tenenbaum dans le focus stratégique précité, « En demeurant la seule arme capable de réunir une capacité de saturation grâce à sa persistance et sa puissance de feu, l’artillerie a en partie retrouvé son rôle dans le triangle fondamental formé par les forces de manœuvre, le feu et le génie. Des faiblesses persistent cependant, notamment dans le domaine politiquement crucial, de la précision, ainsi qu’en matière de mobilité et d’empreinte logistique, elles aussi déterminantes pour les décideurs en des temps de forte aversion au risque. Ces contraintes soulignent donc la forte complémentarité entre l’arme aérienne et l’artillerie et doivent pousser à une réflexion globale sur l’intégration des feux. »

C.   Le nouveau contexte stratégique remet l’artillerie au centre de l’ordre de bataille interarmées

1.   Le retour de la haute intensité dans un contexte d’absence de supériorité aérienne réaffirme le rôle central de l’artillerie en haute intensité

Dans le discours précité, le chef d’état-major de l’armée de Terre soulignait le rôle crucial de l’artillerie sur le théâtre ukrainien : « En effet, la guerre en Ukraine met en évidence le point suivant : dans un environnement tactique où la supériorité aérienne n’est plus acquise, où les volumes comptent encore plus que la technicité, l’artillerie est la « reine des batailles ». Les duels d’artillerie en cours rappellent ceux des deux conflits mondiaux, paralysant le champ de bataille, provoquant l’essentiel des pertes. On estime ainsi que 70 % des pertes en Ukraine sont provoquées par l’artillerie. Aujourd’hui, l’intérêt et l’efficacité de l’artillerie sont décuplés par l’omniprésence des drones, conférant ce qu’il est désormais convenu d’appeler la transparence du champ de bataille, démultipliant les capacités de la « chaîne » artillerie. Plus que jamais, « l’artillerie conquiert, l’infanterie occupe », ce qui conduit au paradoxe suivant : dans l’environnement très technologique de la guerre en Ukraine, c’est possiblement le volume d’obus disponibles qui fera pencher le cours de la guerre. »

Vieille arme, l’artillerie est redevenue centrale sur le théâtre ukrainien qui se caractérise par un usage massif de l’artillerie dans une optique d’usure dans un double contexte de stabilisation de la ligne de contact et d’absence de supériorité aérienne (bulle de déni d’accès et d’interdiction de zone A2/AD). Après un premier temps de la manœuvre où les feux indirects ont été peu utilisés, les forces armées de la Fédération de Russie (FAFR) ont mis en œuvre l’ensemble des capacités de leur artillerie afin de relancer l’action et de conquérir les zones urbaines majeures comme Marioupol. Dans les phases de repli, les désengagements furent couverts par de puissantes contre-attaques visant à freiner les forces ukrainiennes (FAU) et à dissuader les tentatives de poursuite.

Dans un focus stratégique de l’IFRI en date de juillet 2022, Laurent Bansept écrivait : « En matière de feux indirects, il est intéressant de noter que 85 à 90 % des frappes ukrainiennes ont été réalisées par l’artillerie sol-sol conventionnelle dans laquelle s’inscrivent les quelques CAESAR français. Elle reste centrale malgré la place prise, dans les conflits récents, par les feux air-sol, et notamment par les munitions de précision. Cependant, sans supériorité aérienne complète, la disponibilité des appuis aériens rapprochés, qu’ils proviennent des avions de chasse ou des drones (plus vulnérables encore aux menaces sol-air adverses), auxquels les forces terrestres se sont de plus en plus habituées, deviendra plus aléatoire. Un engagement de haute intensité capacitaire impose donc clairement de disposer d’une artillerie de contact plus dense permettant de répondre aux besoins immédiats des forces terrestres ([12]). »

Les auditions menées par vos rapporteurs concernant le retour d’expérience « artillerie » de la guerre en Ukraine ont mis en évidence les constats suivants :

– Au-delà des drones sur lesquels les rapporteurs reviendront infra, les FAU cherchent à diversifier les types de systèmes d’acquisition (acoustique, radar, optique, passifs et actifs) dans l’objectif de contrer toute tentative d’intrusion ennemie dans leur dispositif ;

– une réduction significative de la boucle « acquisition-feux » et une augmentation significative de la cadence de tirs : le delta entre la détection et la frappe aurait été divisé par trois depuis le début de la guerre en Ukraine, avec une durée moyenne de frappe de quelques minutes, temps de vol de l’obus compris ;

– la rapidité de la contre-batterie ennemie nécessite une mise en batterie, des tirs d’efficacité et des sorties de batterie les plus rapides possibles, ce qui suppose une efficacité d’emblée de l’artillerie. Une pièce d’artillerie en Ukraine est aujourd’hui touchée en quelques dizaines de minutes par un tir de contre-batterie. La grande mobilité des pièces d’artillerie est un gage de survie ;

– afin d’augmenter la survie des artilleurs, l’art du camouflage, de la déception ([13]) et du leurrage font leur grand retour tandis que la protection des véhicules est renforcée. Les unités se dispersent, s’enterrent et ne transportent qu’un nombre restreint de munitions à l’instant T liées aux missions immédiates, ne bougent que pour les missions de feux (position de sauvegarde-positions de tir). À l’alternance initiale de phases de tirs d’artilleurs puis de manœuvre des servants a succédé une phase d’enterrement des positions de tir ;

– bien que disposant de matériel occidental de qualité, les FAU subissent un feu nourri de la part des troupes russes qui oblige à disposer d’une « masse d’artillerie » conséquente. D’après les éléments transmis à vos rapporteurs, en novembre 2024, les FAU disposaient des matériels étrangers suivants :

- Près de 650 canons de 155 mm ;

- Près de 100 lance-roquettes multiples ;

- Près de 100 radars de contre-batterie de tout type ;

- Plus d’un million de munitions délivrées en 2024 (dont près de 500 000 obus de 155 mm via l’initiative tchèque).

En parallèle, la BITD ukrainienne annonçait être en mesure de produire l’équivalent de 20 camions BOHDANA par mois (équivalent ukrainien du CAESAR pour sa version automoteur mais qui existe aussi en version tractée). En combinant ces donations, la production locale et la dotation initiale des forces armées ukrainiennes, il est possible d’estimer qu’étaient déployés sur la ligne de front près de 2 000 canons de tous calibres, dont la moitié en 155 mm et équivalent (152 mm).

– afin de « tenir » dans la durée, disposer d’une profondeur stratégique est essentiel pour la reconstitution des stocks de munitions et d’effecteurs ainsi que l’augmentation rapide des capacités de production, d’acheminement et transport ;

– en outre, le contexte de brouillage électromagnétique omniprésent en Ukraine nécessite le recours à des obus et roquettes guidés résilients « GNSS denied ». Le recalage des centrales inertielles des effecteurs d’artillerie est indispensable tandis que des contre-mesures visant à protéger les systèmes de détection et d’acquisition radar du feu ennemi s’imposent (bulle de protection, mobilité et relais fréquent des radars entre eux) ;

– enfin, le RETEX artillerie ukrainien met en évidence la centralité des frappes dans la profondeur terrestre pour atteindre l’ennemi.

2.   L’armée française face au défi de la frappe dans la profondeur terrestre

a.   Un allongement du champ de bataille aéroterrestre

i.   La portée accrue des frappes terrestres répond au blocage tactique du front

La frappe dans la profondeur contemporaine est le résultat d’une évolution technologique et doctrinale conduite tout au long du XXe siècle. Elle répond au besoin de dépasser le blocage de la ligne de front. Les frappes dans la profondeur représentent un atout majeur pour prendre l’ascendant sur l’ennemi à distance et le façonner en amont de son engagement au contact. La portée des lanceurs d’artillerie doit offrir à la fois la capacité d’appui en temps réel au profit des troupes au contact mais aussi la capacité de venir harceler l’ennemi dans ses arrières.

Par ailleurs, l’artillerie terrestre se distingue des frappes aériennes par son aptitude à délivrer des feux indépendamment des conditions météorologiques à tout moment sur court préavis. La permanence et la persistance des appuis-feux terrestres sont d’autant plus importantes en l’absence de suprématie aérienne comme cela est aujourd’hui le cas en Ukraine.

La frappe dans la profondeur vise spécifiquement les cibles à haute valeur ajoutée (High Value Target, HVT) : centres de commandement, dépôts de munitions, infrastructures ennemies critiques ou encore décideurs politico‑militaires qui ont tendance à se trouver au-delà de la portée maximale connue des capacités de frappe adverses tout en restant suffisamment proches afin de pas perdre en efficacité. L’apparition des lance-roquettes multiples américains HIMARS dont les munitions basiques portent jusqu’à 80 km a ainsi contraint les forces russes en Ukraine à reculer leurs dépôts logistiques de 40 à plus de 80 km du front pour les préserver.

La profondeur peut être tactique, opérative ou stratégique selon la distance parcourue depuis la ligne de front et le type de vecteurs employés.

La doctrine militaire de l’OTAN définit la frappe dans la profondeur selon sa place dans l’échelonnement des feux par rapport à la ligne de front (Forward Line of Own Troops, FLOT, en anglais). Pour la composante terrestre, la profondeur dépend des échelons et commence au-delà des zones des opérations rapprochées (ZOR) avec les zones d’opération dans la profondeur (ZOP).

La zone d’opération dans la profondeur d’une brigade s’étend ainsi jusqu’à 50 km à partir de la ligne de front. On parle à cet égard de profondeur tactique ; c’est alors le terme de « feux » plutôt que celui de « frappe » qui est dès lors privilégié.

La profondeur de la division s’étend à son tour jusqu’à 150 km de la ligne de front, au-delà desquels commence la zone d’opération dans la profondeur du corps d’armée qui s’arrête entre 300 et 500 km de la ligne de front. Cette subsidiarité prend ainsi en compte l’extension maximale théorique des capacités des capteurs et effecteurs de chaque échelon. Le schéma ci-après issu du focus stratégique précité ([14]) illustre le partage du champ de bataille entre ligne de front et ZOP des brigades, divisions et corps d’armée.

Dans une approche fonctionnelle, la frappe dans la profondeur se distingue aussi par l’instance de décision qui la commande. Dans le contexte ukrainien, l’utilisation des différents missiles longue portée sol-sol ou air-sol par les forces ukrainiennes fait l’objet d’une validation à un niveau hiérarchique militaire élevé, voire jusqu’au niveau politique pour les systèmes les plus rares.

En Ukraine, l’absence de supériorité aérienne et l’étanchéité du front ont contraint les belligérants à contourner le blocage tactique du front et de la guerre de tranchées en ayant recours à des armes permettant de frapper le dispositif ennemi dans sa profondeur opérative voire stratégique, au-delà du millier de kilomètres. On assiste donc à un allongement significatif des portées des frappes sol-sol et donc du champ de bataille aéroterrestre.

Dans le cas du conflit ukrainien, le duel des feux à longue portée voit principalement s’affronter le système BM-30 Smerch côté russe (portée de 120 km) et un panel de lance-roquettes multiples soviétiques et occidentaux côté ukrainien, dont le plus connu est le M142 HIMARS5 américain capable de tirer jusqu’à 300 km avec des missiles ATACMS.

ii.   L’armée de Terre française au défi de la profondeur tactico-opérative

Il a été déjà fait mention du risque de rupture temporaire de capacité qui pesait sur les 9 lance-roquettes unitaires officiellement en dotation dans l’armée de Terre. Au vu de la disponibilité réduite des LRU, l’armée de Terre se retrouve de facto privée de capacités de frappes dans la profondeur d’une division, tandis qu’elle ne possède pas de capacité de frappes dans la profondeur terrestre du corps d’armée.

Dans un précédent rapport d’information relatif à la préparation à la haute intensité ([15]) , votre co-rapporteur Jean-Louis Thiériot alertait déjà sur la nécessité de renforcer substantiellement la capacité de frappes dans la profondeur terrestre française : « À l’issue de 25 ans de priorité accordée aux opérations de paix et de guerre irrégulière, les forces terrestres sont déséquilibrées et manquent cruellement de capacités d’appui, c’est-à-dire d’appui-feu mais aussi d’appui renseignement et de guerre électronique. Celles de défense sol-air courte portée en mesure de protéger les unités et leurs sites contre les roquettes et les drones sont extrêmement faibles. […] Les capacités de frappe dans la profondeur sont aussi très insuffisantes. Ainsi, les feux sol-sol manquent non seulement d’épaisseur mais aussi drastiquement de portée ; à titre d’exemple, un lanceroquette unitaire a une portée de 70 km. » Comme l’indiquait M. Tenenbaum, dans le conflit au Haut-Karabakh, « 170 lance-roquettes ont été détruits. Nous en avons 13. » Le général Michel Delion, directeur du centre de doctrine et d’enseignement du commandement (CDEC) de l’armée de Terre l’a volontiers reconnu : « nous manquons de portée, de systèmes d’acquisition. Il faudra un renforcement considérable en feux », a-t-il conclu. Pour corriger ces lacunes, tout en garantissant une rentabilité maximale des engagements des forces françaises dans la diversité des cadres évoqués et des fonctions stratégiques, il faudrait investir dans un « high-low mix », c’est-à-dire panacher des capacités de haute technologie avec des solutions plus rustiques et moins coûteuses, à l’instar de ce que recherchent les Américains. Dans le cas français, ce high-low mix pourrait s’appuyer sur les canons automoteurs de 155 mm (CAESAR), en augmentant le nombre et en renouvelant, après 2025 les lance-roquettes unitaires (LRU) d’une portée de 84 kilomètres et en développant les missiles de portée comprise entre 150 et jusqu’à 500 kilomètres. »

Dans l’attente d’une remontée en puissance rapide sur la capacité de frappes dans la profondeur divisionnaire sur laquelle les rapporteurs reviendront, l’armée de Terre a engagé une transformation majeure de son modèle visant à s’adapter à cet allongement du champ de bataille aéroterrestre. En réaction, l’armée de Terre a créé en 2024 le Commandement des actions dans la profondeur et du renseignement (CAPR), l’un de ses trois commandements « Alpha ». De niveau divisionnaire, le CAPR est organisé autour d’un état-major, du centre de renseignement Terre et de trois brigades : la 4e brigade d’aérocombat, la 19e brigade d’artillerie et la brigade de renseignement et de cyber‑électronique. Selon les mots de son commandant, le CAPR constitue « un incubateur du combat dans la profondeur ». Le CAPR cherche notamment à accélérer la boucle acquisition-feux. Il renforce la capacité de combat des forces terrestres dans la profondeur tactico- opérative, située entre 50 et 500 kilomètres au-delà de la ligne de front. Disposer de capacités de frappes terrestres dans la profondeur permettrait en outre de soutenir l’ambition française de commander un corps d’armée, dont la zone d’effet doit pouvoir couvrir près de 300 km.

Avec les autres armées et nos principaux alliés, le CAPR entraîne les forces terrestres à agir dans la profondeur de l’espace de bataille où stationnent les postes de commandement, l’artillerie, la logistique et les réserves de l’ennemi. Durant le mois de mars 2025, vos rapporteurs ont eu l’opportunité d’assister à une séquence de l’exercice DIODORE 25. Cet exercice vise à tester et évaluer l’emploi d’une structure tactique de circonstance de niveau brigade et son poste de commandement, à entraîner les chaînes métiers impliquées dans le combat de haute intensité mené dans la profondeur de la zone des opérations du corps d’armée, tout en s’intégrant dans un contexte interarmées.

b.   Le nouveau contexte stratégique consacre la place prééminente des drones et des munitions télé-opérées dans la trame artillerie

L’omniprésence des drones dans le conflit ukrainien démultiplie les capacités de destruction et d’observation de l’artillerie. En effet, le champ de bataille est devenu plus transparent et la multiplication de ces vecteurs aériens accélère la boucle « acquisition-feux » permettant ainsi de détecter et de détruire plus rapidement des cibles sur l’ensemble du front mais également dans la profondeur. Dans les vingt kilomètres de part et d’autre de la ligne de front, le recours à des drones d’observation est massif, dans un contexte d’extrême vulnérabilité des observateurs avancés humains. Les capacités drones sont réparties dans toutes les unités jusqu’au niveau tactique. Dans l’armée russe, des compagnies et bataillons de drones existent à tous les niveaux, tandis qu’un commandement pour les drones favorise un emploi massif et généralisé.

Si les drones jouent un rôle déterminant dans l’acquisition de cibles et le renseignement, ils exercent également un rôle croissant dans la frappe dans la profondeur tactique. Les responsables du ministère de la Défense ukrainien ont confirmé à votre rapporteur leur place croissante aux côtés de l’artillerie sur le front : de 75 % au début de la guerre, la part des destructions causées par l’artillerie a décru à 50 % en raison de la place croissante des drones dans les frappes.

Au sein de la chaîne artillerie, les drones et munitions télé-opérées peuvent être vus comme des moyens d’appui feux indirects ou d’acquisition et trouvent donc à présent pleinement leur place dans cette arme. Les rapporteurs entendent par le terme de munition télé-opérée (MTO) un système consommable composé d’un vecteur et d’une charge militaire, les deux étant solidaires. Il est à noter que :

– la munition télé-opérée se distingue d’un drone armé car ce dernier a la capacité de larguer sa charge et peut être récupéré pour une utilisation ultérieure ;

– ce n’est pas non plus un missile car celui-ci est tiré après désignation d’une cible et ne reste en vol que le temps d’atteindre son objectif alors qu’une MTO peut décoller sans cible précisément identifiée et rester en vol le temps de la désignation, l’opérateur restant dans la boucle ;

– enfin, ce n’est pas une munition rôdeuse : cette dernière agissant, une fois en vol, sans aucune intervention humaine.

Si les munitions télé-opérées ont compensé dans un premier temps l’insuffisance des moyens artillerie (lanceurs/munitions) en Ukraine, elles les complètent et en démultiplient à présent les effets. Les drones suicides de type « First person view » (FPV) sont des MTO permettant de détruire de manière très précise un objectif. Les FAU et FAFR utilisent massivement ces vecteurs qui sont conçus comme des « consommables » produits en masse et à très faible coût.

Si l’emploi des petits drones d’attaque à très courte portée (2-15 km) est fréquent en Ukraine, celui des drones de moyenne portée est plus rare en raison de leur grande vulnérabilité à l’environnement de guerre électronique. Face à une attrition très rapide des matériels (l’espérance moyenne de survie en Ukraine d’un drone d’observation serait aujourd’hui de 3 à 6 vols), les belligérants se sont orientés vers des matériels peu chers et détournés d’usages civils. La menace de la destruction par les canons ennemis se double d’une menace électromagnétique omniprésente. En mars 2024, des munitions télé-opérées guidées par fibre optique sont utilisées pour la première fois par les FAFR afin de se prémunir de la guerre électronique, une innovation rapidement dupliquée par les FAU. Ce nouveau mode de commande filaire semble une innovation importante qui mérite d’être suivie de près dans la perspective d’une éventuelle dotation dans nos forces.

Les FAFR utilisent une grande variété de MTO de moyenne portée comme le Lancet de Zala Aero pour des missions de contre-batterie contre des canons d’artillerie de 155 mm. D’après le focus stratégique de l’IFRI précité ([16]), plus de 300 Lancets ont été ainsi tirés chaque mois en 2024, notamment pour des missions de contre-batterie sur des systèmes précieux comme le CAESAR. En réaction, la protection des matériels d’artillerie contre la menace drones est indispensable. Selon les informations parvenues à vos rapporteurs, les canons CAESAR cédés par la France à l’Ukraine auraient ainsi fait l’objet d’adaptations techniques de la part des FAU telles que l’installation de cages autour de la cabine ainsi que de casiers aux fins de se protéger de la menace drones. Une brigade russe ([17]) serait aujourd’hui en mesure de tirer jusqu’à 300 drones à vocation cinétique de type First-person view (FPV) par jour, ce qui représente une puissance de feu substantielle.

Par ailleurs, l’emploi combiné de munitions télé-opérées avec des drones d’acquisition est devenu une réalité dans le conflit russo-ukrainien. Le drone d’acquisition est alors en charge de la détection-reconnaissance-identification nécessaire à la désignation de cibles ainsi que de l’évaluation des dommages à l’issue de la destruction. Ce procédé est actuellement mis en œuvre par les forces armées ukrainiennes qui y ajoutent par ailleurs un « drone-leurre » afin d’inciter l’ennemi à dévoiler ses positions tout en préservant la discrétion des opérateurs ukrainiens.

Enfin, on assiste sur le front ukrainien à une dronisation de la frappe dans la profondeur, les salves russes et ukrainiennes s’étant peu à peu enrichies de munitions programmées de type « One way attacks » à l’instar du Shahed- 136 iranien de plus de 2 000 km de portée dans le cas russe. Volant à moins de 200 km/heure et portant une charge explosive limitée, ces drones sont lancés en masse et permettent de saturer la défense anti-aérienne adverse, augmentant ainsi les chances pour des missiles plus sophistiqués d’atteindre leur cible. Moins performants et perforants que les missiles de croisière mais s’inscrivant dans un continuum avec ces derniers en raison de la nature de leurs cibles et des effets militaires recherchés, leur utilisation en tant que munitions les fait quitter la catégorie des drones, censés pouvoir revenir à la base. Les termes « One Way Drone » ou « munition programmée » peuvent être utilisés comme palliatifs pour décrire ce nouveau type de système. Ces vecteurs sont également utilisés par des acteurs non étatiques comme les Houthis et constituent une menace sensible pour les armées européennes dont les défenses actuelles sont d’abord pensées pour des menaces du haut du spectre. Le général de brigade Eric Lendroit, en charge de la coalition artillerie pour l’Ukraine, a précisé à vos rapporteurs que « les 2/3 des frappes russes dans la profondeur sont effectuées avec des drones Shahed d’une portée de 1 000 à 1 500 km. Ces munitions sont donc aussi une capacité essentielle à détenir et dont il faut également se protéger ». Le conflit en Ukraine interroge ainsi les capacités européennes de frappe dans la profondeur, mais aussi leur défense face à ces menaces. L’utilisation des drones « OWA » s’inscrit dans le cadre d’un « high-low mix » s’intégrant dans un ratio performance/prix favorable, un drone OWA coûtant en moyenne 10 à 20 fois moins cher qu’un missile balistique terrestre.

c.   Limiter la ségrégation entre les intervenants dans la troisième dimension

La multiplication des intervenants militaires dans la troisième dimension ainsi que dans la grande profondeur nécessite de limiter la ségrégation entre intervenants dans cette couche (drones, MTO, avions de chasse, avions de guet aérien, avions ravitailleurs, munitions, roquettes, missiles, hélicoptères etc.).

Cela implique une coordination étroite entre toutes les composantes de la chaîne artillerie et la composante aérienne. Cette coordination suppose de conduire des procédures de « déconfliction » par rapport aux avions volant dans les zones d’intervention de l’artillerie, par la création de « volumes » dans la troisième dimension consistant à interdire temporairement le survol par les aéronefs dans ces zones. À cette fin, le centre de management de la défense dans la 3e dimension (CMD3D) est un outil numérisé de coordination des feux terrestres et aériens. Il fait partie du système MARTHA de maillage des radars tactiques pour la lutte contre les hélicoptères et les aéronefs à voilure fixe. Il a pour objectif de coordonner les actions des intervenants de l’armée de Terre dans la 3e dimension (hélicoptères, drones, artillerie sol-sol) en liaison avec le commandement des opérations aériennes de théâtre, responsable de la manœuvre dans la 3D.

3.   La doctrine russe accorde à l’artillerie une place prééminente

Depuis le XVIIIe siècle, l’armée russe est « artillo-centrée ». Considérée en Russie comme une arme de mêlée, l’artillerie est une arme qui continue d’attirer les plus hauts potentiels. Staline qualifiait à cet égard l’artillerie de « Dieu de la guerre ». Orientée pour le combat de haute intensité, la manœuvre terrestre russe continue de reposer en partie sur une forte densité des feux.

Les efforts de réarmement russes de ces dernières années se sont portés sur le ciblage des éléments de supériorité ennemis ainsi que sur la rapidité dans l’exécution de la manœuvre dans l’optique de raccourcir la boucle « acquisition- feux ». Les unités d’artillerie sont réparties du niveau opératif jusqu’à l’échelon tactique, y compris dans les forces aéroportées et l’infanterie navale. La brigade est l’unité de référence de la manœuvre tactique avec 4 bataillons de mêlée et de très nombreux appuis (artillerie, génie, défense sol-air, drones, guerre électronique, etc.) et soutiens. Bien que les effectifs des brigades russes soient inférieurs aux effectifs standards d’une brigade occidentale, ils sont davantage dotés en appuis-feux. La division est composée de régiments et a des moyens de mêlée et d’appui supplémentaires. Selon les informations transmises à vos rapporteurs, chaque régiment et brigade russe serait pourvu d’environ 18 canons à chaque niveau, auxquels il faudrait rajouter les systèmes de lanceroquettes et de frappes à longue portée terrestre. Les unités d’artillerie des FAFR utilisent massivement les drones ainsi que les capacités de guerre électronique afin de bénéficier de capacités de localisation extrêmement précises combinées à de la saturation.

Par ailleurs, la doctrine russe contemporaine dérive de la doctrine soviétique qui prescrivait un emploi massif de l’artillerie, notamment au moyen de tirs a priori.

II.   Si la remontée en puissance de l’ensemble de la chaîne artillerie sol-sol traditionnelle est indispensable, le nouveau contexte stratégique invite à repousser les frontières des appuis feux indirects en dotant la France de capacités de frappes terrestres conventionnelles dans la grande profondeur

L’artillerie sol-sol traditionnelle française a subi de plein fouet les réductions de format ayant affecté l’armée française depuis la fin de la guerre froide. Confrontée au défi du réarmement inhérent à la haute intensité, l’artillerie française sol-sol doit rapidement retrouver son épaisseur en comblant les trous capacitaires bien identifiés et en densifiant toutes les composantes de la chaîne artillerie (systèmes de détection et d’acquisition, effecteurs, munitions).

D’après les informations transmises à vos rapporteurs, les cibles d’artillerie retenues dans le cadre de la LPM 2024-2030 pourraient en théorie permettre un engagement de haute intensité d’une durée de 2 mois, cette estimation dépendant bien évidemment des règles et de l’intensité de l’engagement. En outre, si le retour d’expérience ukrainien éclaire les lois de consommation de matériels et munitions d’artillerie et aide à leur mise à jour, il ne peut être appliqué directement pour nos forces car les tactiques tout comme les conditions éventuelles d’engagement seraient différentes. Toutefois, le concept de « laboratoire de la guerre de demain » pour qualifier le théâtre ukrainien retient toute l’attention de vos rapporteurs qui en réaction appellent de leurs vœux la remontée en puissance de l’ensemble de la chaîne artillerie sol-sol.

A.   Dans la perspective d’une artillerie « bonne de guerre », la densification de la trame artillerie sol-sol traditionnelle est indispensable

1.   Sur le plan organisationnel, la montée en puissance de la 19e brigade d’artillerie doit être achevée d’ici à 2030

Dans le cadre de sa transformation en une « armée de Terre de combat », l’armée de Terre a recréé en 2024 la 19e brigade d’artillerie, qui constitue l’une des trois brigades du Commandement des appuis dans la profondeur et du renseignement (CAPR). Elle se compose des 1er, 54e et 61e régiments d’artillerie. Les retours d’expérience ukrainiens et arméniens/azéris sont centraux dans cette création.

Redonnant à l’armée de Terre une capacité de commandement de ses moyens d’artillerie, cette nouvelle création doit permettre d’apporter une cohérence d’ensemble à la manœuvre des feux au profit d’un corps d’armée ou d’une division. Cette unité a vocation à mettre en œuvre les différents appuis du niveau du corps d’armée et de la division.

Entre 2026 et 2030, la 19e brigade doit composer l’ossature d’une brigade d’artillerie en format OTAN  Multinational field artillery brigade ») capable d’appuyer en interalliés sous commandement français une division dans sa zone de profondeur (jusqu’à 150 km). En 2030, la 19e brigade doit être en mesure de déployer un poste de commandement de brigade jusqu’au niveau corps d’armée, en intégrant la puissance des feux interalliés.

En dépit d’objectifs ambitieux que les rapporteurs saluent, la brigade ne dispose pas encore des moyens de ses ambitions :

        L’état-major de la brigade compte aujourd’hui une trentaine de personnels. À terme, en 2026, il devra en compter 52 ;

        La brigade d’artillerie n’est pas encore en mesure d’armer un poste de commandement (PC). Elle n’est pas encore équipée de véhicules PC garantissant une mobilité sous blindage ;

        La brigade d’artillerie ne dispose pas non plus encore de capacités transmissions autonomes avec une compagnie de commandement et de transmissions (CCT). D’ici 2027 et faute de CCT, le déploiement de son état-major est intégré au système de poste de commandement divisionnaire. Le bénéfice rapide d’une CCT au profit de la brigade est absolument essentiel afin d’améliorer la boucle acquisition-frappes entre les composantes de la brigade ;

        Surtout, en raison du nombre réduit de LRU encore en dotation au 1er régiment d’artillerie et de l’absence à date de solution de remplacement à compter de 2027, la 19e brigade d’artillerie se retrouve de facto dépourvue d’une réelle capacité d’appui-feux terrestres de niveau division et corps d’armée.

La brigade devrait sous toutes réserves atteindre sa capacité opérationnelle en 2026 à l’issue d’une validation par contrôle opérationnel. Vos rapporteurs appellent de leurs vœux une rapide mise à disposition de la 19e brigade d’artillerie de capacités de transmissions et de commandement, sans quoi ses ambitions opérationnelles ne pourront être correctement mises en œuvre.

Proposition n° 1 : Achever rapidement la montée en puissance de la 19e brigade d’artillerie en la dotant de capacités de transmissions et de commandement

2.   Sur le plan capacitaire, l’ensemble de la trame artillerie doit gagner en épaisseur et en profondeur

Aujourd’hui, en vue d’une brigade « bonne de guerre » et d’une division projetable en 2027 et conformément aux orientations arrêtées en loi de programmation 2024-2030 :

        Une brigade interarmes se compose d’un régiment d’artillerie à 16 camions CAESAR (deux batteries de 8 pièces chacune) et de 8 Mortiers de 120 mm (véhicules GRIFFON MEPAC ([18]) pour certains régiments en 2027) ;

        Une division se compose de deux brigades françaises ainsi que d’une brigade multinationale complétées par des éléments organiques d’appui au niveau de la division (1er régiment d’artillerie, 54e régiment d’artillerie) donc au total 32 CAESAR + 16 Mortiers de 120 + 9 LRU et l’apport artillerie de la brigade multinationale (si c’est une brigade américaine elle sera composée de 18 canons de 155 mm tandis que s’il s’agit d’une brigade belge de 16 canons de 155 mm) soit environ 50 canons de 155 mm + 16 Mortiers 120 + 9 LRU (DIV27) ;

        Un corps d’armée se compose au minimum de deux divisions, voire trois avec des abaques différents selon les Nations qui constituent ces divisions. Ainsi, sur la base d’un corps à trois divisions il est raisonnable de compter environ 150 à 180 canons de 155 type CAESAR, 32 mortiers de 120 mm, 36 systèmes de lance-roquettes multiples de type HIMARS américain ainsi que les 9 lance-roquettes unitaires français officiellement en dotation dans l’armée de Terre.

a.   Les vecteurs

Une complémentarité des capacités feux doit être recherchée entre l’ensemble des vecteurs que sont les mortiers, les canons et les lance-roquettes unitaires.

i.   La nécessaire poursuite de la densification de la trame mortier

La densification de la trame mortier a été amorcée dès 2024, à l’aune du retour d’expérience ukrainien. L’armée de Terre a ainsi opté pour le renforcement de ses capacités d’appuis feux au contact à travers la création dans chaque régiment d’infanterie de sections d’appui mortier de 120 mm en complément des mortiers de 81 mm ainsi que des batteries de mortiers des régiments d’artillerie. L’armée de Terre dispose aujourd’hui de 174 mortiers lourds tractés de 120 mm.

La création de sections d’appui mortiers dans les régiments d’infanterie ne remet cependant pas en question les capacités mortier de l’artillerie qui doivent se traduire par la livraison dès 2025 des véhicules GRIFFON avec mortier embarqué de type MEPAC. Le MEPAC a été qualifié en décembre 2024, tandis qu’un seul véhicule a été livré à l’armée de Terre pour le moment alors même que huit étaient prévus en programmation pour 2024. Une livraison de dix véhicules est prévue en 2025. Vos rapporteurs plaident pour la tenue du calendrier initial de livraison qui prévoit que 54 MEPAC seront livrés à l’armée de Terre d’ici fin 2028.

À terme, un retour d’expérience de l’utilisation des MEPAC dans les régiments d’artillerie devra être conduit. Est-il pertinent de continuer à répartir les mortiers entre régiments d’artillerie et d’infanterie ou ne vaudrait-il pas mieux rapatrier l’ensemble des mortiers, MEPAC compris, au profit de l’infanterie ? Vos rapporteurs estiment que cette question mérite d’être posée.

Proposition n° 2 : Respecter le calendrier de livraison des 54 MEPAC à l’armée de Terre d’ici fin 2028 et engager une réflexion sur le rapatriement de l’ensemble des mortiers au profit de l’infanterie.

ii.   La nécessaire densification de la trame canon

Le parc canon de l’armée de Terre est composé d’environ 95 pièces. Il se partage entre 63 CAESAR et 32 canons AUF1. Si les CAESAR sont largement plébiscités depuis le début de la guerre en Ukraine, les canons AUF1 sont quant à eux des matériels éprouvés à la disponibilité réduite dont la réforme a été décidée en mars 2025.

Le retrait du service opérationnel des AUF1 est principalement conditionné au calendrier de livraison dans les forces des 12 derniers CAESAR dans le cadre du recomplètement des cessions ukrainiennes. Ces canons sont des améliorations du CAESAR. D’après les informations disponibles en source ouverte ([19]), l’armée de Terre aurait cédé aux FAU 30 CAESAR sur les 75 dont elle disposait avant le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine. Dès la fin de l’année 2023, le recomplètement des CAESAR cédés a été entrepris. Le parc CAESAR devrait retrouver son niveau d’avant cessions à l’été 2025.

Le canon Caesar, un matériel plébiscité par les artilleurs ukrainiens

Lors de son audition, le Général de brigade Eric Lendroit qui commande la coalition artillerie pour l’Ukraine a partagé les excellents retours des artilleurs ukrainiens sur le CAESAR français. À cet égard, les artilleurs ukrainiens soulignent notamment :

– Sa grande mobilité et sa manœuvrabilité, qui permettent aux équipages de tirer et d’évacuer la zone rapidement, en évitant ainsi la détection et les tirs de contre-batterie adverses ;

– Sa précision ;

– Sa résistance aux cadences de tirs élevées ;

– Son autonomie (600 km) qui s’intègre pleinement dans la doctrine ukrainienne basée sur la mobilité et la bascule d’efforts de feux ;

– Sa taille réduite-compacité (pour la version 6x6) qui permet de le camoufler rapidement par rapport d’autres modèles étrangers, de limiter la détection par les capteurs ennemis et de manœuvrer dans des espaces réduits (caches) ;

– Sa faible empreinte au sol (pas de traces de chenilles) ;

– Sa rusticité qui permet aux équipages de réparer eux-mêmes de nombreux problèmes ;

– Ses dispositifs d’urgence dégradés en sortie de batterie qui permettent, en cas de panne, d’éviter de laisser le canon sur position.

Ainsi, le canon CAESAR apporte satisfaction aux artilleurs ukrainiens tout en élargissant son aspect « combat proven » à la haute intensité après avoir fait ses preuves en Afghanistan, en Afrique, puis en Irak dans le cadre de la contre-rébellion.

Selon des sources ouvertes rapportées par KNDS en audition, moins de 10 % des CAESAR sont hors d’usage contre 2 à 3 fois plus pour d’autres canons d’architecture comparable tandis que la disponibilité après cinq mois d’engagement du PzH2000 et de l’Archer chutait à 32 % et 38 % contre une disponibilité de plus de 60 % pour le CAESAR.

De manière générale, le canon et sa munition présentent toujours un rapport coût/efficacité très performant, l’obus demeurant en outre à ce jour la seule munition presque invulnérable sur trajectoire.

À l’aune de ce retour d’expérience en haute intensité, la trame canon connaîtra un renouvellement intégral à partir de 2026 grâce à l’arrivée dans les forces de CAESAR nouvelle génération en remplacement des AUF1 d’abord puis des MK1 et MK1*. (CAESAR NG, dit MK II). Lors de son audition, KNDS a rappelé l’ensemble des améliorations comprises dans le canon CAESAR MK II (NG) : mobilité accrue, protection renforcée de l’équipage en cabine grâce à un niveau de blindage supérieur, motorisation durcie et automatisation du boitier de vitesse. Les livraisons des 32 premiers CAESAR MK II doivent avoir lieu à partir de la fin de l’année 2026. Au total et conformément à la cible prévue en loi de programmation militaire 2024-2030, l’artillerie française devrait posséder 109 CAESAR NG d’ici à 2030.

Les besoins toujours plus importants en véhicules d’artillerie ont conduit KNDS à augmenter significativement sa cadence de production de CAESAR de 2 véhicules par mois avant la guerre en Ukraine à 6 véhicules par mois depuis l’automne 2024. KNDS a réduit son cycle de production à 15 mois, contre 30 mois auparavant. Les limites actuelles seraient liées aux capacités de fourniture des sous‑traitants et de production de la canonnerie de KNDS. Si vos rapporteurs saluent l’augmentation significative des cadences de production de la part de KNDS, ils rappellent néanmoins que l’usure accélérée des canons utilisés en Ukraine favorisée d’une part par le nombre important de coups tirés par jour (moyenne de 60 à 90 coups par jour avec des pics à 150 coups/jour) et d’autre part par l’emploi des portées maximales des tirs, nécessite de disposer en national d’une capacité industrielle rapide de régénération des tubes des camions CAESAR. En Ukraine, d’après les informations transmises à votre rapporteur, les canons Bohdana fabriqués par l’entreprise ukrainienne KZVV supportent en moyenne jusqu’à 7 000 à 8 000 coups avant usure. L’érosion accélérée des tubes d’artillerie en haute intensité limite temporairement la disponibilité opérationnelle et/ou la performance sur le champ de bataille. En conséquence, la recherche d’un optimum économique entre performance en portée des poudres utilisées et disponibilité opérationnelle (métallurgie du tube) doit être poursuivie en haute intensité.

Les exigences de la haute intensité imposent à la France de disposer d’un outil de production industriel capable d’accélérer encore ses cadences de production afin de régénérer rapidement la trame canon en cas d’engagement majeur. En avril 2024, le ministre des Armées a annoncé un objectif de production à terme de douze canons CAESAR par mois. Vos rapporteurs appellent de leurs vœux la tenue prochaine de cette cible.

Proposition n° 3 : Tendre vers un objectif industriel de production de 12 canons CAESAR par mois

Le retour d’utilisation des canons CAESAR doit conduire à mettre en œuvre de manière préventive un certain nombre de mesures visant à optimiser notre capacité de régénération de canons en hypothèse d’engagement majeur, notamment :

– Constituer des stocks dès à présent, en particulier sur les pièces de rechange essentielles (i.e. nécessaires au système pour qu’il puisse rouler et tirer) et/ou critiques (i.e. difficiles voire impossibles à approvisionner) qui vont jusqu’aux tubes de rechanges ;

– Allonger les pas de maintenance ([20]) afin de redonner de la disponibilité au système ;

– Avoir à l’esprit la maintenance du matériel dès sa phase de conception afin d’en faciliter la réparation et de limiter dans la mesure du possible la composante électronique au profit de la rusticité ;

– Disposer d’une capacité à produire en interne certaines pièces sous conditions de sécurité, ce qui peut notamment supposer la disposition en propre d’imprimantes 3D en régie.

Proposition n° 4 : Optimiser la capacité industrielle de régénération de canons CAESAR en cas d’engagement majeur en constituant des stocks de pièces de rechange essentielles, en allongeant les pas de maintenance, en intégrant la maintenance dès la phase de conception et en disposant d’une capacité de production interne de certaines pièces.

Les auditions menées par vos rapporteurs ont par ailleurs permis de mettre en lumière la très faible disponibilité des champs de tir grande distance (jusqu’à 40 km) nécessaires aux tests des canons CAESAR avant leur mise en service. La levée de cette contrainte est indispensable pour permettre l’accélération durable des cadences de production. Les tirs d’acceptation de ces matériels ont généré de facto une surcharge d’activité sur le polygone de tirs de la DGA Techniques terrestres sise à Bourges, site disposant des moyens et compétences adaptées à ces tirs d’acceptation. Un groupe de travail entre KNDS et la DGA a été ainsi mis en place afin d’étudier des solutions d’optimisation des tirs de recette de ces matériels et plusieurs améliorations semblent avoir été apportées, allant des méthodes d’essai jusqu’à la densification des créneaux de tir. Il a été précisé à vos rapporteurs que d’autres actions étaient à l’étude avec KNDS à plus long terme si la surcharge devait encore augmenter (tir en chambre à sable, autorisation d’occupation temporaire (AOT) au profit de KNDS, etc.).

Proposition n° 5 : Augmenter rapidement la disponibilité des champs de tir grande distance pour les tests des canons CAESAR avant leur mise en service.

En outre, la densification actuelle de la trame canon doit s’accompagner dès aujourd’hui d’une nécessaire réflexion sur le futur système d’artillerie qui remplacera le système CAESAR à horizon 2040. D’après les informations communiquées à vos rapporteurs, une étude technico-opérationnelle sera initiée à cet égard en 2025. Dans le domaine canon, la portée, l’automatisation, la précision et la robotisation seront les principaux axes d’effort à porter. Le programme franco- allemand Common Indirect fire system (CIFS) devait notamment pourvoir à la succession du système CAESAR. Face aux difficultés et/ou retards rencontrés dans le cadre d’autres programmes faisant l’objet d’une coopération franco-allemande, l’aboutissement de ce programme a été reporté de 2040 à 2045. En outre, il semblerait qu’avec le RCH155 produit par KNDS Allemagne, l’armée allemande détienne déjà une solution d’avenir « haut du spectre » qui peut répondre à un besoin en 2045. Par conséquent, vos rapporteurs appellent de leurs vœux le lancement d’une réflexion nationale sur le développement du futur système d’artillerie appelé à succéder au CAESAR à l’horizon 2040.

Proposition n° 6 : Lancer une réflexion nationale dès-à-présent sur le développement du futur système d’artillerie à l’horizon 2040.

iii.   Redonner au niveau division une capacité de frappe dans la profondeur tactico-opérative grâce au successeur du LRU

Dans le focus stratégique de l’IFRI précité consacré au « Retour de la haute intensité en Ukraine », Laurent BANSEPT écrivait en juillet 2022 : « Enfin, parmi les moyens mis en œuvre des deux côtés, le lance-roquettes multiple comme le missile balistique restent peu présents dans l’ordre de bataille français. Dès lors, dans le cadre d’un affrontement, la contre-batterie à longue distance ne pourrait aujourd’hui s’envisager que par l’appui air-sol, imposant de garantir la supériorité aérienne, pourtant devenue incertaine. Le renforcement d’un segment d’artillerie longue portée, capable de frapper dans la profondeur y compris depuis un territoire tiers, apparaît donc prioritaire dans le cadre de la haute intensité, permettant de disposer d’une marche supplémentaire dans la gestion de l’escalade (…) Par exemple, dans le conflit au Haut-Karabagh, près de 170 lance- roquettes ont été détruits, la France en disposant officiellement de 9. »

Au cours des années 1990, la France disposait de deux régiments de lance-roquettes multiples (LRM). Ces régiments étaient équipés de LRM M270 achetés sur étagère auprès de l’entreprise américaine Lockheed Martin. Afin de se conformer à la convention internationale d’Oslo sur les armes à sous-munitions, 13 de ces 57 LRM M270 furent transformés en lance-roquettes unitaires. Ils sont entrés en service au sein du 1er régiment d’artillerie en 2014. À la suite de la cession aux forces armées ukrainiennes de 4 LRU ([21]), la France ne dispose plus officiellement que de 9 LRU. Sur ce reliquat, 3 LRU sont stationnés sur le camp Berthelot de Cincu en Roumanie ([22])  dans le cadre de la mission opérationnelle Aigle. Or, les châssis des derniers LRU en service dans les armées françaises seront frappés d’obsolescence en 2027. Un certain nombre de pièces de rechange ainsi que les roquettes utilisées par ces systèmes ne sont plus fabriqués en Europe tandis que la livraison du reliquat de pièces encore disponibles subit fréquemment des retards de plusieurs mois.

Faute d’anticipation de la rupture temporaire de capacité sur ce segment, les armées françaises ne disposent plus aujourd’hui de moyens terrestres de frappes indirectes dans la longue portée au-delà du niveau brigade. En conséquence, les appuis indirects de niveau division et de niveau corps d’armée doivent être renforcés de toute urgence. Disposer de ces capacités permettrait également de soutenir l’ambition française de commander un corps d’armée dont la zone de profondeur s’étend jusqu’à 300 kilomètres audelà de la ligne de front.

Proposition  7 : Redonner dans les meilleurs délais au niveau division une capacité de frappe dans la profondeur tactico-opérative grâce au successeur du LRU.

Deux options s’offrent donc aux décideurs politiques afin de redonner au niveau division une capacité de frappes dans la profondeur tactico-opérative durable : l’achat sur étagère d’un successeur étranger au LRU ou le développement d’une solution souveraine devant être rapide et fiable. L’emploi massif de solutions de frappes dans la profondeur tactico-opérative en Ukraine a agi comme un électrochoc en France où le choix semblait avoir été tacitement fait de « laisser lentement mourir la capacité LRU ([23]) » dans un contexte de guerres asymétriques où cette capacité ne fut guère utilisée.

L’adoption d’un amendement d’origine parlementaire au projet de LPM 2024-2030 a indiqué la préférence de la Représentation nationale pour l’option souveraine, le rapport annexé rappelant que « S’agissant des capacités de frappe à longue portée, la recherche d’une solution souveraine sera privilégiée pour remplacer le lance-roquettes unitaire dans les meilleurs délais. ». Les mérites du choix d’une solution souveraine sont en effet nombreux et incontestables : liberté d’emploi pour les forces, liberté de décision en ce qui concerne l’exportation du matériel et maîtrise de l’évolution du système grâce à l’autorité de conception. En outre, la fabrication du système par la BITD française permet en théorie de maîtriser les cadences et les volumes de production ainsi que d’entretenir les compétences associées sur le territoire national. Par ailleurs, en achetant du matériel étranger, la France s’exposerait au risque non théorique de ne pas être jugée prioritaire sur les livraisons de matériels en cas d’évolutions des priorités stratégiques du partenaire.

Le rapport annexé de la LPM 2024-2030 prévoit ainsi un parc d’au moins 13 systèmes à la fin de l’année 2030 et de 26 systèmes à l’horizon 2035 sans être davantage disert sur la nature et les caractéristiques de la solution retenue. La cible de 26 systèmes en 2035 permettrait d’appuyer une division seulement, alors que l’ambition française de commander un corps d’armée nécessiterait par ailleurs de disposer de deux régiments de LRU. Vos rapporteurs appellent de leurs vœux l’accélération de la déclinaison du calendrier de livraison des 26 systèmes au cours de la loi de programmation militaire 2024-2030 afin de disposer d’un maximum de systèmes à l’horizon 2030. En parallèle, ils plaident pour une augmentation de la cible terminale à horizon 2035-2040 afin de disposer à terme de deux régiments LRU affectés au soutien dans leur profondeur respective d’une division puis d’un corps d’armée.

Proposition n° 8 : Accélérer la livraison des 26 systèmes LRU au cours de la LPM 2024-2030 et disposer à horizon 2035-2040 de deux régiments LRU aptes à soutenir dans la profondeur une division mais aussi un corps d’armée.

Le remplacement des LRU se déroule dans le cadre du programme à effet majeur « Frappe longue portée terrestre » (PEM FLP-T) aujourd’hui divisé en deux incréments. Le premier se concentre sur la frappe tactique (<150 km), le deuxième sur la frappe opérative (au-delà de 500 km voire de 1 000 km) sur laquelle les rapporteurs reviendront ultérieurement. La phase de préparation du programme FLP-T a été lancée en juillet 2023. Cette phase a pour objectif d’étudier différentes options pour un choix de solution initialement prévu en 2025. Dans ce cadre, des études préliminaires ont été notifiées en novembre 2024 aux deux groupements momentanés d’entreprises concurrents Safran/MBDA et Thales/ArianeGroup dans le cadre d’un « partenariat d’innovation ». Ce dernier porte sur le développement d’une solution souveraine complète (lanceur, solution d’entraînement, les paniers, munition et partie guidage/navigation.).

Une revue de définition préliminaire doit être conduite en novembre 2025 tandis qu’un tir de démonstration doit avoir lieu en avril 2026. Selon les informations transmises à vos rapporteurs, l’analyse des offres et la notification du groupement choisi pourraient avoir lieu au second semestre 2026, accusant d’ores et déjà un retard certain par rapport à la date initialement annoncée. Selon les industriels en compétition, la mise en service opérationnelle souhaitée par la DGA est fixée à 2030 tandis que les forces armées espèrent une entrée en service à compter de 2029.

En audition, la DGA a confirmé à vos rapporteurs que le système développé devrait offrir une portée de tir allant jusqu’à 150 km, ce qui correspond à la zone de profondeur d’une division. Il devra également bénéficier d’une précision et de performances de mise en œuvre au moins égales à celles du LRU tout en disposant d’une mobilité opérative élevée ainsi que d’une mobilité tactique satisfaisante. Vos rapporteurs rappellent la nécessité pour le futur système de pouvoir fonctionner en environnement contesté et électromagnétiquement brouillé (« GNSS denied »). En outre, son gabarit devra rester aérotransportable en A400M en cas de projection tandis qu’il serait hautement souhaitable qu’il soit interopérable avec une diversité de munitions longue-portée au premier chef desquelles les roquettes de fabrication américaine en stock dans l’armée de Terre afin d’écouler les stocks encore en dotation. Le futur système devrait bien évidemment être en capacité de pouvoir tirer des roquettes d’entraînement à portée réduite d’un gabarit compatible avec les champs de tir de l’armée de Terre. La possibilité de faire ultérieurement évoluer la nature et la portée des munitions tirées depuis une plateforme unique offrirait un avantage opérationnel indéniable. Ainsi, vos rapporteurs plaident pour la possibilité à terme de tirer depuis la même plateforme des munitions dans la profondeur d’une division (50-150 km) mais aussi d’un corps d’armée (150-300 km), à l’instar des solutions similaires actuellement en service dans les forces armées américaines ou russes.

Par ailleurs, il semblerait qu’un engagement sur une cible de 300 roquettes souveraines en 2030 ait été exigée des deux consortiums par la DGA, avec une cadence de fabrication annuelle de 50 à 100 roquettes par an. Or, la consommation annuelle de roquettes longue-portée par l’Ukraine sur le front serait d’environ 500 unités. La cible française de 300 roquettes souveraines pourrait donc être épuisée en moins d’une année dans l’hypothèse d’un engagement de haute intensité à parité dans un contexte d’engagement similaire à la guerre russo‑ukrainienne. La capacité de l’industriel sélectionné à régénérer dans un contexte d’économie de guerre une production nationale de munitions sera donc là encore décisive.

Au cours de leurs auditions, vos rapporteurs ont découvert l’existence d’un troisième projet de solution souveraine, développée par l’entreprise française Turgis Gaillard hors du cadre du partenariat d’innovation. La solution développée, dénommée Foudre, inclut le châssis, le panier de roquettes et la conduite de tir. Turgis Gaillard la présente comme complémentaire et non concurrente du partenariat d’innovation puisque le système développé serait en mesure de tirer les munitions souveraines développées par les deux consortiums nationaux mais également des munitions étrangères y compris les Guided Pinaka indiennes de 75 km de portée. L’entreprise espère pouvoir prochainement être autorisée à faire un premier tir de démonstration avec des munitions déjà existantes. En cas de succès, la solution souveraine développée par Turgis Gaillard pourrait vraisemblablement être disponible rapidement et permettrait, selon l’entreprise, d’éviter la rupture temporaire de capacités des LRU en 2027.

Vos rapporteurs appellent à étudier avec le plus grand sérieux les mérites respectifs de ces trois solutions nationales. Ils rappellent que le développement d’une solution souveraine constituerait un optimum.

D’après les informations parvenues à vos rapporteurs, des travaux sont menés en parallèle du partenariat d’innovation afin de préparer une solution de repli étrangère, dans le cas où le choix d’une solution souveraine ferait courir aux armées françaises le risque d’une trop longue rupture temporaire de capacités ou s’avèrerait trop coûteuse. L’achat sur étagère d’un système préexistant pourrait en théorie concerner le M142 HIMARS américain, le K239 sud‑coréen, l’Europuls germano-israélien ou encore le « Pinaka » Indien, solution ayant bénéficié récemment d’un certain écho médiatique ([24]). Aujourd’hui, la majorité des alliés européens de la France ont déjà passé commande de solutions étrangères de frappes indirectes dans la profondeur tactico-opérative, ce qui pose notamment la question du « time-to-market » d’une solution souveraine dont les perspectives d’export seraient réduites.

Les capacités de frappes indirectes dans la profondeur tactico-opérative de nos principaux alliés européens

La majorité des systèmes de frappes indirectes dans la profondeur tactico-opérative ainsi que les munitions associées ne sont présents qu’en quantité limitée dans les arsenaux militaires de nos alliés européens et présentent des niveaux de disponibilité et de modernisation hétérogènes. Les missions de frappe dans la profondeur ayant longtemps été laissées à l’aviation, ces systèmes ont de facto été très peu utilisés depuis leur acquisition. De nombreux alliés européens ont annoncé l’achat de systèmes sur étagère auprès de fournisseurs extra-européens.

L’Espagne, l’Allemagne et les Pays-Bas ont signé en 2023 l’acquisition respective de 16, 5 et 20 lance-roquettes israéliens PULS, systèmes censés permettre l’utilisation d’une grande diversité de munitions jusqu’à 300 km. En 2019, la Pologne a commandé 20 lance-roquettes M142 HIMARS ainsi que les munitions associées auprès des États-Unis. Elle a annoncé son souhait de commander près de 500 HIMARS supplémentaires en 2023. De leur côté, Estonie, Lettonie et Lituanie se sont dotées pour la première fois de capacités de frappe longue portée en acquérant respectivement six, six et huit M142 HIMARS, un système qui semble intéresser aussi l’Italie. En outre, la Pologne a également fait le choix en 2022 du lance-roquettes K239 Chunmoo sud-coréen dans le cadre d’un contrat-cadre qui pourrait atteindre à terme 288 systèmes. Le choix polonais a été favorisé par la promesse de livraisons rapides, les premiers véhicules ayant été réceptionnés dans les forces moins d’un an plus tard.

L’armée britannique de son côté va lancer une modernisation du Himars M270 B1 afin qu’il réponde à la norme M270 A2 américaine. La mise à niveau des lanceurs a été initiée en 2022. Le Royaume-Uni renforce également son nombre de lanceurs. En 2029, l’armée britannique devrait disposer de 76 M270 MLRS.

L’armée allemande est actuellement équipée du lance-roquettes vieillissant MARS II dérivé du système américain MLRS M270 A1. Le pays vise son remplacement par le système EUROPULS dérivé du système israélien PULS. À l’horizon 2035, l’armée allemande devrait posséder 289 obusiers automoteurs et 76 lance-roquettes multiples.

L’armée grecque dispose également du missile semi-balistique tactique ATACMS développé par les États-Unis dans les années 1980 pour frapper jusqu’à 300 km. La Roumanie dispose quant à elle d’une version sur roues, allégée et modernisée du M270, le M142 HIMARS, également commandée par la Pologne en 2019. Outre sa douzaine de M270, la Turquie dispose d’une centaine de TRG-300, un modèle national portant jusqu’à 120 km.

Dès 2022, la majorité de nos grands alliés européens ont fait le choix d’une modernisation et/ou d’une acquisition sur étagère de systèmes de frappes dans la longue portée, pour une quantité moyenne de vecteurs qui devrait largement dépasser la cible retenue tardivement par la France.

Vos rapporteurs estiment que faire le choix de la solution américaine reviendrait probablement à assumer les inconvénients précités d’un achat de matériel étranger sans bénéficier pour autant du principal atout d’un achat sur étagère : la disponibilité rapide. En effet, le carnet de commandes de Lockheed Martin concernant les systèmes Himars serait plein jusqu’en 2029/2030. En outre, à l’heure de renforcer l’autonomie stratégique de la BITD européenne face à l’inconstance de plus en plus manifeste du partenaire américain, le choix du Himars qui n’est pas ITAR-free ([25]) serait géopolitiquement risqué et politiquement incompréhensible.

Vos rapporteurs rappellent par ailleurs qu’il faut distinguer au sein du futur LRU les technologies critiques qui devront être souveraines (la conduite de tir et la munition) et les technologies non critiques qui pourront être étrangères (le châssis et le panier de roquettes). Si pour les raisons précédemment évoquées, un achat sur étagères était favorisé, il importerait alors de conserver une pleine souveraineté d’usage sur l’utilisation de cet armement. Une production de la solution étrangère sous licence sur le sol français devrait à tout prix être privilégiée, à l’instar du choix effectué par la Pologne à la suite de l’achat de lance-roquettes sud-coréens. Les roquettes utilisées seraient souveraines et issues du partenariat d’innovation mentionné supra. La conduite de tir utilisée impliquerait nécessairement ATLAS et résulterait également des trois solutions souveraines précédemment mentionnées.

Dans le dilemme existant entre achat sur étagère et développement d’une solution souveraine, le facteur budgétaire reste un élément discriminant que vos rapporteurs souhaitent cependant remettre au centre du débat, alors que la France est engagée dans un indispensable mais coûteux effort de réarmement qui imposera aux finances publiques du pays des renoncements difficiles. Vos rapporteurs regrettent de n’avoir pas réussi à obtenir une estimation précise du coût des systèmes développés par les deux consortiums ainsi que celui des principales solutions étrangères au cours de leurs travaux. Héloïse Fayet et Léo Péria-Peigné posaient ainsi le problème : « Reste le problème prégnant du coût unitaire : l’achat de 26 systèmes laisse présager un prix par système très élevé, d’autant plus difficile à étaler par l’export que la plupart des États européens potentiellement intéressés ont déjà acté l’achat de systèmes étrangers. D’une manière générale, les missiles sol-sol longue portée sont des armes coûteuses : l’ATACMS américain coûte moins de deux millions de dollars car il a été produit à plus de 3 500 exemplaires, réduisant son prix unitaire. Un futur LRU portant à plus de 500 km et acquis exclusivement par la France risquerait ainsi de présenter des coûts élevés et de n’être acquis qu’en quantités limitées, réduisant son usage à un cadre stratégique strict. Alors que le chef d’état-major de l’armée de Terre exprimait le souhait de disposer d’une solution souveraine afin de ne pas être restreint dans son emploi, celui-ci pourrait en réalité être contraint par le nombre de munitions acquises ».

Dans la difficile évaluation du coût d’une éventuelle future solution souveraine, la question du time-to-market mérite incontestablement d’être posée. Si les perspectives d’exportation d’une solution souveraine semblent relativement réduites en raison des éléments précédemment mentionnés, plusieurs alliés européens ou extra-européens pourraient néanmoins être désireux d’acquérir sur étagère une solution française « ITAR-free » dans le contexte de tensions géopolitiques croissantes avec les partenaires américain ou israélien.

Proposition n° 9 : En cas d’achat sur étagère, distinguer au sein du futur LRU les technologies critiques qui devront être souveraines (la conduite de tir et la munition) et les technologies non critiques qui pourront être étrangères (le châssis et le panier de roquettes). Une production de la solution étrangère sous licence sur le sol français devrait à tout prix être privilégiée.

En parallèle, la SIMMT se voit placée dans l’impérieuse nécessité de conduire un plan d’action de pérennisation du LRU doté de 2 à 3 millions d’euros afin de limiter les effets attendus de la rupture de soutien en 2027. Toutefois, à l’impossible nul n’est tenu et à l’instar de plusieurs personnes auditionnées les rapporteurs n’excluent pas le risque d’un arrêt soudain du parc à compter de 2027. L’armée de Terre a passé en 2024 auprès de Lockheed Martin une commande substantielle de roquettes M31A2 après l’arrêt de la production des roquettes M31A1 produites en Europe sous licence américaine. Cette commande permettra de tenir un stock de guerre crédible jusqu’à la livraison des FLP-T tactiques. La livraison de ces nouvelles roquettes impose cependant une révision du système de contrôle des feux (conduite de tir) qui devrait être réalisée en 2025 par le biais de l’agence OTAN de soutien et d’acquisition, la NSPA. En outre, l’armée de Terre ne dispose plus de roquettes d’entrainement à portée réduite (LAR 110), ces munitions n’étant également plus produites aux États-Unis. En conséquence, les artilleurs du 1er régiment d’artillerie sont contraints de tirer des roquettes de guerre dont la portée impose de réaliser ces tirs depuis les îles du Levant et dont l’approvisionnement est long auprès du partenaire américain. Vos rapporteurs déplorent que ces conditions de tir ne permettent plus de conduire des tirs en environnement tactique de manœuvre suivies de tirs et consomment inutilement des munitions de guerre dont le coût est nécessairement supérieur à celui des munitions d’entraînement.

En résumé, le défi technique qui se pose aux maintenanciers de l’armée de Terre est immense. Dans un récent article, les rapporteurs apprenaient que « le détachement de Tulle de la 13e base de soutien du matériel [BSMAT] a effectué plus de 120 heures de travail [dont 100 heures de recherches, faute de disposer d’une documentation en français] pour réparer la boîte de vitesses HMPT-500E d’un LRU. ([26]) »

iv.   Les munitions télé-opérées

Les MTO s’inscrivent en complémentarité des effets traditionnels de l’artillerie. Leur emploi procure un avantage tactique en réduisant de façon significative les délais de la boucle « détection-identification-décision-frappe ». Pour le général Eric Lendroit, « Cette nouvelle capacité augmente l’aptitude à cibler et détruire des cibles fugaces et mobiles, dans le cadre de l’appui aux troupes au sol mais aussi pour des frappes dans la profondeur. » Leur emploi semble également davantage pertinent en milieu cloisonné. Toutefois, elles ne disposent pas des mêmes capacités de neutralisation qu’une salve d’obus. Il importe ainsi de déterminer la juste répartition entre obus, roquettes et MTO dans la trame artillerie aux fins de maximiser les bénéfices résultant de la complémentarité des trajectoires et effets militaires des différents effecteurs. Le général Lendroit a précisé à vos rapporteurs « qu’en variant les composants de la MTO (vecteur ou charge), l’artillerie peut varier ses effets et mener ainsi des missions de destruction, de déception, d’harcèlement, d’aveuglement ou d’arrêt en complémentarité de ses moyens sol-sol. »

Afin de densifier la capacité MTO au sein des armées françaises, différentes initiatives sont en cours :

 L’acquisition de MTO s’inscrit dans le cadre du programme à effet majeur (PEM) « Drones de contact ». Lancée en 2023 aux fins de développer une première génération de MTO de courte portée française qualifiée, la procédure conduite par la DGA a abouti à un contrat passé avec KNDS et DELAIR en juillet 2024 pour le développement de MTO anti-personnel et anti véhicule non protégé. Les premières livraisons sont prévues en juillet 2025, le marché permettant de commander plus de 2000 munitions. Cette démarche s’est construite dans le cadre de l’appel à projets Colibri. Il a été indiqué à vos rapporteurs que la DGA mettrait en place ultérieurement un cadre contractuel permettant d’élargir la gamme de MTO de courte portée pouvant être acquises à destination des forces. Antérieurement, deux autres types de MTO de courte portée avaient été acquises dans un contexte d’urgence opérationnelle : 72 Switchblade 300 achetées aux États- Unis fin 2022 dont la livraison reste encore attendue en raison de de difficultés industrielles ainsi que près de 20 MTO OSKAR issues de l’appel à projets COLIBRI commandées en avril 2024 ;

– Concernant les MTO de moyenne portée, les démonstrateurs issus de l’appel à projets LARINAE de l’Agence d’innovation de la Défense (AID) doivent faire l’objet de démonstrations inertes en vol avant l’été 2025, tandis que les démonstrations avec des charges actives sont prévues en fin d’année. L’acquisition de MTO moyenne portée est actuellement programmée en 2027, dans le cadre d’un incrément du PEM « Drones ». La préparation de cet incrément a débuté à l’été 2024 grâce à l’acquisition de drones VELOCE 330 et ISTAR 330 afin que les forces conduisent des expérimentations visant à consolider le besoin MTO dans la profondeur du champ de bataille. L’objectif recherché est le traitement des cibles fugaces et mobiles dans une profondeur tactique de la classe 50 km en complément des capacités traditionnelles de l’artillerie. L’objectif calendaire est le développement d’une MTO moyenne portée avant 2030. Vos rapporteurs appellent à une accélération de ce calendrier de développement pour une production dès 2027 voire 2026 ;

– Concernant les MTO longue portée, la DGA a engagé « une démarche explorant de nouvelles solutions à la fois performantes et productibles en masse à moindre coût, qui pourraient être mobilisées dans le cadre d’un conflit de haute intensité ». Elle a ainsi lancé un appel à idées dans le cadre du pacte drones aériens de défense au début décembre 2024. Huit réponses industrielles ont été reçues en janvier et font l’objet d’entretiens entre la DGA et les industriels. Cette initiative s’inscrit dans une logique d’accompagnement de missiles haut de gamme dans la profondeur opérative afin de saturer les défenses et de détruire des objectifs dans la profondeur.

Vos rapporteurs soulignent que les RETEX Ukraine ou Moyen-Orient rappellent chaque jour le caractère « consommable » des MTO ou encore des drones « One-way attacks ». Il convient donc de rechercher un ratio coût/technologie admissible au vu de la masse nécessaire de MTO ou d’OWA afin de combattre un ennemi paritaire. Sur cette gamme de vecteurs, le principal point d’attention portera sur le prix des munitions. S’agissant de premiers développements et d’une première production en quantités limitées, le coût unitaire des MTO courte portée serait aujourd’hui compris entre 25 k€ et 60 k€ TTC tandis que le coût marginal unitaire visé par les MTO moyenne portée et longue portée serait inférieur à 100k€. Vos rapporteurs souhaitent également attirer l’attention sur l’obsolescence rapide des technologies utilisées. Autant que le stock, c’est ainsi la capacité industrielle à concevoir de nouveaux systèmes et à alimenter le flux qui sera essentielle pour répondre aux besoins opérationnels des forces.

Proposition n° 10 : Densifier la capacité MTO des armées françaises en veillant à la fois à respecter un rapport coût/technologies admissible au vu du caractère consommable et de la rapide obsolescence de ces technologies.

b.   Les effecteurs

i.   Une consommation massive de munitions d’artillerie en haute intensité

Le conflit actuel en Ukraine a mis en évidence la consommation massive de munitions d’artillerie en haute intensité. Le général Eric Lendroit l’a ainsi évoqué devant vos rapporteurs: « Les besoins en munitions remontés par les forces ukrainiennes sont colossaux. Ils correspondent au niveau d’engagement actuel face à la Russie pour un front sur 1 000 km. La totalité des capacités de production des pays de la coalition artillerie pour l’Ukraine ne permet pas de répondre à ce besoin. La production internationale, en particulier de charges propulsives est notoirement insuffisante pour satisfaire les besoins ukrainiens. »

En 2022, le « rapport de feux » (RAPFEU) sur le segment munitions d’artillerie était largement en faveur des FAFR, celles-ci tirant au déclenchement de l’offensive 10 fois plus d’obus par jour que les FAU (40 000 à 50 000 obus journaliers contre 4 000 à 5 000 obus côté ukrainien). Au cours du conflit, ce RAPFEU a diminué grâce aux livraisons alliées. Ainsi, début 2024, des sources américaines et ukrainiennes concordantes évoquaient un RAPFEU de 1 contre 5. La tendance actuelle est à un net rééquilibrage (1 contre 1,5/2) avec une amélioration des capacités ukrainiennes (pièces et coups complets) ainsi qu’une franche diminution du nombre d’obus tirés par les FAFR et/ou une amélioration de la précision de ces derniers. Selon les éléments rapportés par le Général Lendroit, le RAPFEU entre les FAFR et les FAU se serait parfois localement inversé à raison de 1,5/1 voire parfois de 3/1 en faveur des FAU. Les FAFR essaieraient de compenser cette inversion du RAPFEU en utilisant davantage de bombes guidées ainsi que des frappes aériennes. Pour autant, la quantité de munitions d’artillerie tirées par les belligérants reste très élevée, à hauteur de 20 000 obus par jour de chaque côté.

Assurer la production et la disponibilité des munitions d’artillerie est un enjeu de premier ordre qui nécessite une capacité de production de masse que les besoins souverains seuls ne peuvent entretenir. La consommation connait des pics et nécessite donc des stocks accrus d’obus tout en étant en mesure de compter sur une industrie capable de les recompléter en quelques mois. Aujourd’hui, la durée moyenne de recomplètement des stocks d’obus en Europe reste proche de deux ans.

Proposition n° 11 : Augmenter de manière rapide et significative les capacités françaises de production des obus, des charges propulsives modulaires ainsi que des fusées au-delà des augmentations de cadences déjà consenties.

ii.   La nécessaire remontée des stocks stratégiques français est indissociable d’un accroissement durable des capacités de production de la BITD française

Le niveau actuel ainsi que l’objectif recherché de stock d’obus d’artillerie français est protégé par le secret de la défense nationale. À la suite des cessions aux FAU, le stock d’obus aurait atteint un niveau bas en 2023/2024 avant d’entamer une remontée significative au travers de différents leviers permettant de passer les commandes, parmi lesquels la création d’un programme à effet majeur « Munitions gros calibres » (PEM MGC). Vos rapporteurs saluent la création du PEM MGC qui a permis de piloter et de coordonner le suivi des commandes et des livraisons de tous les sous-ensembles constituants les munitions d’artillerie de 155 mm.

L’accroissement des stocks de munitions gros calibres s’opère par paliers et aurait fait l’objet en 2024 d’un nouveau renforcement à l’occasion de l’ajustement annuel de la programmation militaire. Vos rapporteurs rappellent par ailleurs que les obus d’artillerie résistent très bien au stockage et peuvent donc être achetés dans un objectif préventif de constitution durable de stocks, à l’inverse des munitions complexes qui disposent d’une date limite d’usage dont le dépassement entraîne nécessairement un démantèlement.

Il est donc primordial que les industriels français augmentent de manière rapide et significative leurs capacités de production des obus, des charges propulsives modulaires ainsi que des fusées au-delà des augmentations de cadences déjà consenties.

Un coup complet est composé d’un projectile (l’obus), d’une fusée (pour déclencher son explosion), de charges modulaires (qui assurent la propulsion de l’obus lors du tir), d’une étoupille (pour mettre à feu les charges modulaires) ainsi que de réducteurs de traînée optionnels (afin d’augmenter la portée des tirs).

En ce qui concerne les obus de 155 mm, les cadences de production de KNDS AMMO France sont passées de 30 000 obus par an en 2022 à 45 000 obus par an en 2024 (soit + 50 % en deux ans). L’objectif de KNDS est de passer à 60 000 obus par an en 2025 puis à 100 000 obus par an d’ici 2027 ([27]). Vos rapporteurs saluent cette augmentation de cadence de la part de KNDS France mais rappellent qu’une production de 60 000 obus annuels représente actuellement la quantité d’obus consommés par les FAU en quelques jours sur le front. Ils rappellent également que l’industriel allemand Rheinmetall s’est engagé à produire sur l’ensemble de ses sites européens jusqu’à 700 000 obus d’artillerie par an en 2025, contre environ 500 000 en 2024 et 70 000 avant le déclenchement de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine ([28]).

Les besoins de consommation annuelle de l’armée française en temps de paix ne couvriront qu’une petite part d’une capacité de production annuelle de KNDS à 100 000 obus par an. Vos rapporteurs appellent donc de leurs vœux KNDS à renforcer sa stratégie export ainsi que la compétitivité-prix de ses obus afin d’élargir la taille de son marché. Les forces armées ukrainiennes expriment des besoins très significatifs à son égard et souhaiteront probablement constituer des stocks stratégiques très importants dans l’hypothèse de survenue d’un cessez-le-feu à moyenne échéance. En juin 2024, une première lettre d’intention a été signée entre KNDS et KZVV, l’entreprise ukrainienne fabriquant les canons Bohdana ainsi que des munitions d’artillerie de 155, concernant la co-production en Ukraine d’obus de 155 mm. D’après les informations relevées par votre co-rapporteur en Ukraine, et malgré la volonté exprimée au niveau politique par chacune des Parties, la mise en œuvre à date de ce mémorandum n’a pas débuté. Les discussions entre industriels achoppent en effet sur le prix des licences exigé par KNDS pour l’établissement d’une joint venture en Ukraine.

En ce qui concerne les charges modulaires ([29]), cette capacité est principalement produite par EURENCO. La production de charges modulaires par Eurenco a été multipliée par 7 entre 2022 et 2025. La capacité de production de charges modulaires théorique d’Eurenco est d’aujourd’hui environ 500 000 charges modulaires par an en utilisant à pleine capacité et 24/24 heures les deux lignes de production existantes dans l’usine de Bergerac ([30]). Cette production est aujourd’hui principalement consacrée à l’export. Eurenco a confié à vos rapporteurs « œuvrer à l’amélioration de la performance opérationnelle de ces deux lignes pour sécuriser puis augmenter leurs capacités jusqu’à 600 000 charges modulaires. Toutefois, l’utilisation intensive de l’outil de production conduit à devoir renforcer les actions de maintenance et la production est également pénalisée par le manque de standardisation actuel des produits. EURENCO estime qu’une standardisation permettrait de gagner 15 % de capacité supplémentaire. ».

Le manque de standardisation des munitions limite leur interopérabilité

Alors que se profile l’horizon de la haute intensité, l’interopérabilité des munitions reste un défi majeur. Face aux difficultés d’approvisionnement ou au manque de masse, les armées doivent pouvoir tirer les munitions des « autres » en améliorant la compatibilité des obus (poids, taille, système de mise de feu) et systèmes. Cela suppose d’expérimenter des munitions étrangères afin de définir des tables de tir. Ainsi, sur le front ukrainien, il semblerait que l’obus Excalibur américain ait été homologué sur canon CAESAR français après une phase d’essai aux États-Unis. De même, il semblerait que des obus de 155 mm de fabrication Rheinmetall aient fait l’objet de tirs ukrainiens depuis des canons CAESAR.

Ainsi que l’a indiqué Eurenco à vos rapporteurs, « l’interchangeabilité des munitions et des canons de fabrications différentes est un sujet de fond en termes de sécurité et de capacité d’emploi sur le champ de bataille. À cet effet, même si le standard OTAN (JB MoU) pour les charges modulaires existe, chaque munitionnaire souhaite une solution spécifique adaptée à chaque type d’obus et chaque type de système. De fait aucune réelle standardisation n’existe conduisant à des reconfigurations permanentes des chaines de production et donc à des pertes de capacité de production. »

Autant que de possible, vos rapporteurs plaident pour une standardisation effective des charges modulaires mais aussi des obus et systèmes, ce qui permettrait de gagner rapidement une capacité de production supplémentaire.

 

Proposition n° 12 : Rechercher une plus grande standardisation des obus, charges modulaires et systèmes afin de gagner une capacité de production supplémentaire.

L’accroissement ultérieur de la capacité de production de charges modulaires sera favorisé par la mise en place en France d’une première ligne de production de poudre sur le site de Bergerac opérationnelle à compter de mars 2025. À partir du second semestre 2025, le site devrait compter sous toutes réserves 4 lignes de production. Les productions française et finlandaise de poudre par Eurenco ont été arrêtées au mitan des années 2000. Les poudres des charges d’artillerie pour les besoins des forces terrestres françaises étaient ainsi jusqu’en 2025 achetées par KNDS à Nitrochemie (Groupe Rheinmetall) et mises à disposition d’EURENCO dans le cadre de la fabrication des charges modulaires. L’atteinte de la pleine cadence de production de poudre à Bergerac permettra à Eurenco de fabriquer au profit des armées françaises des charges modulaires entièrement souveraines. Vos rapporteurs espèrent que cette nouvelle capacité permettra à Eurenco d’ouvrir une troisième ligne de production de charges modulaires, portant sa capacité de production à terme à plus d’un million de charges modulaires soit près de 200 000 coups complets[31].

Vos rapporteurs souhaitent ici alerter sur les difficultés actuellement rencontrées par une partie de l’industrie européenne de la chimie. Ces difficultés pourraient à terme menacer la relocalisation en Europe des fabrications de poudres et explosifs.

Les difficultés de l’industrie européenne de la chimie menacent à terme les capacités européennes de poudres et explosifs

À l’instar de l’ensemble des autres acteurs du marché en Europe, la chaîne d’approvisionnement actuelle d’Eurenco s’appuie sur des fournisseurs qualifiés multiples sous tension permanente. Un nombre croissant de fournisseurs sont en effet passés sous le contrôle de munitionnaires intégrés (Rheinmetall, Nammo) qui ne mettent plus de produits sur le marché. Le rôle transverse et indépendant d’Eurenco est donc essentiel pour assurer à l’ensemble des munitionnaires européens une fourniture en poudres et explosifs.

En amont, les composants énergétiques des poudres et explosifs dépendent de matière premières critiques et spécifiques comme l’acide nitrique concentré. Or, cet acide est produit dans des filières chimiques qui dépendent de débouchés avals civils tels que les engrais et les plastiques. D’après les informations transmises à vos rapporteurs par Eurenco, la compétitivité de ces filières, placées sur des marchés internationaux très concurrentiels, est actuellement mise à mal en raison de plusieurs facteurs : complexité réglementaire croissante, prix de l’énergie (gaz, électricité) et obligations de décarbonation coûteuses qui entrainent des restructurations industrielles lourdes. Il existe donc un risque non théorique que ces filières cessent de produire et que cet arrêt se traduise par l’impossibilité de continuer la fabrication des poudres et explosifs en Europe, l’acide nitrique concentré devant être utilisé dans le mois suivant sa fabrication. Il ne peut donc pas faire l’objet de stock stratégique et limite la fabrication à la zone Europe.

Par ailleurs, la cellulose (matière première de la nitrocellulose) est aussi un sujet de préoccupation pour Eurenco et pour la souveraineté de la chaîne munitionnaire française. D’après les informations communiquées par Eurenco, deux qualités principales existent :

• la cellulose de coton mais dont les pays producteurs sont extra européens (Chine et USA principalement) ;

• La cellulose de bois

EURENCO fabrique aujourd’hui de la nitrocellulose à partir de ces deux types de cellulose. Les poudres de Bergerac seront fabriquées entièrement à partir de cellulose de bois et Eurenco souhaite qualifier au plus vite une solution complète de charges modulaires non dépendante du coton.

En ce qui concerne les obus de mortiers, Thalès serait en train de quadrupler sa production d’obus de mortier rayés de 120 mm ainsi que d’obus de 81 mm sur son site de La Ferté Saint-Aubin. Vos rapporteurs saluent cet effort d’augmentation du volume de production de mortiers mais appellent également de leurs vœux une étude portant sur la faisabilité d’une relocalisation partielle ou totale de la chaîne d’approvisionnement des mortiers de 120 mm, l’industriel Thalès dépendant aujourd’hui essentiellement d’un fournisseur espagnol pour l’approvisionnement des fusées et des poudres et de tolite en provenance d’Australie.

L’accroissement quantitatif des stocks de munitions d’artillerie doit s’accompagner d’une réflexion sur l’équilibre à trouver concernant la nature des munitions stockées. L’évolution de la conflictualité documente la nécessité d’une épaisseur logistique en obus classiques, capables principalement de saturer les zones ennemies. Par ailleurs, le retour d’expérience ukrainien vient également conforter le besoin en munitions de précision capables de traiter des cibles fugaces ou imbriquées tout en minimisant le risque de dommages collatéraux. En outre, la capacité de telles munitions à continuer à opérer en environnement électromagnétique contesté doit impérativement être recherchée afin de résister au brouillage aujourd’hui omniprésent en Ukraine.

Concernant les munitions de précision, différentes solutions existent et peuvent être envisagées :

– les munitions de précision métrique : ces munitions disposant d’une capacité GPS couplée à une capacité inertielle permettent d’atteindre une cible très précisément. Un environnement « GNSS denied » à l’image du front ukrainien impose de disposer de capacités GPS durcie au risque pour la munition de ne pas atteindre sa cible ;

– les munitions à atténuation de dispersion : ces munitions permettent un gain de précision mais ne permettent pas d’atteindre exclusivement un objectif. Le gain de précision obtenu permettra néanmoins de diminuer la consommation mais ne compensera pas les effets de saturation des munitions traditionnelles ;

– les munitions anti-char : ces munitions sont capables de viser une source de chaleur grâce à un système infrarouge.

Vos rapporteurs appellent de leurs vœux la recherche d’une répartition optimale dans la nature des munitions d’artillerie détenues par les armées françaises. Une part significativement prépondérante d’obus classiques de saturation pourrait ainsi être complétée par une part non négligeable de munitions à atténuation de dispersion ainsi qu’une petite part de munitions de précision métrique et de munitions anti-char, le reliquat pouvant se répartir entre effets d’éclairements, d’aveuglement et de semonce. Ces éléments corroborent par ailleurs les besoins aujourd’hui exprimés sur le terrain par les FAU. D’après le Général Eric Lendroit : « Sur le sujet des munitions complexes à guidage GPS, il ne s’agit pas de disposer uniquement de ce type de munitions car elles sont certes nécessaires pour du ciblage mais restent très coûteuses. De plus, elles peuvent être brouillées par les systèmes de défense ennemis. Il faut constituer un stock conséquent de munitions « simples » pour saturer l’ennemi et prendre ou reprendre l’ascendant. Les FAU continuent à demander et à utiliser des munitions simples, au-delà des munitions complexes livrées. De façon générale, les FAU cherchent à constituer une artillerie alliant quantité, qualité et variété des lanceurs, capteurs et munitions pour pouvoir appliquer des feux. »

Au sein des armées, l’acquisition d’obus de précision métrique de type « KATANA » développés en autofinancement par KNDS est étudiée dans le cadre des futurs incréments du PEM munitions gros calibre. D’autres options seraient également à l’étude, parmi lesquelles la fusée à correction de trajectoire permettant d’améliorer la précision des obus, l’obus LU220 d’une portée supérieure aux obus actuels, l’emport d’explosifs plus puissants dans les obus actuels ou encore une évolution de l’obus antichars Bonus. Vos rapporteurs estiment que le choix final de solution retenue par l’armée de Terre devra résulter d’une comparaison rationnelle entre le gain opérationnel permis par ces munitions avec leur coût de développement, leur coût unitaire et la soutenabilité sur le long-terme de telles filières.

iii.   Le manque de munitions est préjudiciable à l’entraînement et à la préparation opérationnelle des artilleurs

Si le niveau de préparation opérationnelle des artilleurs français est élevé en raison d’une expérience opérationnelle forte (projection en format métier en Roumanie, en Estonie, à Djibouti, ou encore aux Émirats-arabes unis pour l’artillerie sol-sol en sus des expériences en Afghanistan, en bande sahélo- sahélienne, en Irak et des exercices multinationaux), ce niveau de préparation opérationnelle est menacé – voire altéré – par le manque de munitions et d’équipements d’entraînement. Ce manque de munitions n’est que partiellement compensé par la simulation.

D’après les informations parvenues à vos rapporteurs, la carence en munitions ne permet plus d’exploiter au mieux ni d’approfondir la maîtrise des savoir-faire des artilleurs sol-sol. Aujourd’hui, le nombre de munitions distribuées annuellement aux unités, en incluant les munitions des actions de formation de l’école d’artillerie, est significativement inférieur au besoin minimal. Le volume distribué permet aux unités d’atteindre un standard opérationnel de niveau 1, ce qui signifie que les unités ne réalisent qu’une simple préparation opérationnelle métier en France.

Or, ce manque de munitions serait aggravé par une problématique de charges. En effet, le canon CAESAR tire soit des modules de charges vives soit des modules de charges lentes, la charge vive permettant de tirer à des courtes portées tandis que la charge lente permet de tirer à des longues portées. En 2024, aucune charge vive n’aurait été livrée aux régiments d’artillerie. Cette absence de livraison de charges vives induit une impossibilité de tirer sur le camp de SUIPPES et limite de facto les positions de tir sur le camp de CANJUERS. En outre, le nombre limité de charges lentes oblige les régiments d’artillerie à tirer en charge 3 limitant de facto les possibilités de tir en charge 4 et 5 avec 4 ou 5 modules lents. Contrainte par le nombre de positions, la capacité de manœuvre des unités s’en retrouve fortement impactée. La cinématique « manœuvre-entrée de batterie-tir-sortie de batterie » est par conséquent peu réalisée et sur peu de positions, affectant ainsi les capacités de manœuvre de l’unité.

En ce qui concerne les lance-roquettes unitaires (LRU), l’armée de Terre ne disposant plus de roquettes d’entraînement à portée réduite, les artilleurs du 1er régiment d’artillerie effectuent une campagne de tir par an en France sur l’île du Levant avec des munitions de guerre tandis que chaque section du régiment projetée en Roumanie dans le cadre de la mission opérationnelle Aigle fait un tir de LRU. Cependant, toutes les sections du 1er régiment d’artillerie ne sont pas projetées chaque année. La diminution de la fréquence des campagnes annuelles de tir au fil des années est réelle, chaque régiment d’artillerie effectuant il y a vingt ans environ 7 à 8 semaines de campagne de tir à Canjuers. Les équipements du 1er régiment d’artillerie étant limités, les unités ne peuvent pas réaliser convenablement d’entraînement de niveau batterie et n’ont d’autre choix que de se concentrer sur la capacité de simulation pour limiter la perte de savoir-faire.

c.   Les systèmes de détection et d’acquisition

Indispensable au bon fonctionnement de la chaîne artillerie dans son ensemble, le segment des systèmes de détection et d’acquisition doit également gagner en épaisseur.

i.   La trame de lutte contre les tirs indirects

Aujourd’hui, la trame de lutte contre les tirs indirects (LCTI) de l’armée de Terre se décompose en trois équipements majeurs exclusivement mis en œuvre par le 1er régiment d’artillerie :

Dix radars COBRA comme moyen principal de détection des tirs de contre-batterie. Entré en service en 2006, le radar franco-allemand COBRA détecte les obus et roquettes qui traversent sa nappe radar jusqu’à 40 km et localise la batterie ennemie afin de déclencher des tirs de contre-batterie. Les 10 radars COBRA bénéficieront en 2026 d’une rénovation à mi-vie qui permettra un accroissement des performances initiales et le traitement d’obsolescences. En outre, leur spectre de détection sera étendu. Vos rapporteurs saluent la future extension de portée des radars COBRA mais s’interrogent toutefois sur le volume des COBRA détenus par les artilleurs français. L’ambition française d’être en capacité de projeter une division terrestre suppose d’accroître le volume de COBRA à disposition des artilleurs en visant un volume de 15 et 20 COBRAS. Enfin, vos rapporteurs appellent à anticiper dès à présent le retrait de service des COBRA prévu en 2035. Le système de contre-batterie du futur reste encore à déterminer ;

Proposition n° 13 : Accroître le volume de radars COBRA à disposition des artilleurs et anticiper le retrait de service des COBRA prévu en 2035 en imaginant le système de contre‑batterie du futur.

– Dix systèmes de localisation de l’artillerie par l’acoustique (SL2A) permettent la localisation des canons, mortiers et lanceurs de roquettes adverses par des capteurs acoustiques. Combinés au COBRA, ils servent d’alerteurs à celui-ci. Les 10 SL2A sont à maturité de développement, c’est-à-dire qu’ils ne pourront plus être rénovés ultérieurement. Vos rapporteurs alertent donc là encore sur la nécessité d’anticiper une autre capacité afin de disposer de spécifications supérieures lorsque les SL2A devront être retirés du service opérationnel ;

Proposition n° 14 : Anticiper dès-à-présent le retrait du service des systèmes de localisation de l’artillerie par l’acoustique SL2A

Onze alerteurs terrestres GA10 permettent de protéger la force contre les tirs de harcèlement par roquettes et obus de mortier. Entré en service dans les forces françaises en 2011, le GA10 a bénéficié en 2024 sur la programmation militaire 2024-2030 d’une rénovation visant à traiter ses obsolescences et améliorer ses performances.

ii.   Les drones d’observation et de renseignement

Outre les capacités humaines d’acquisition de cibles permises par les « observateurs avancés » déployés au sol, les capacités d’acquisition de cibles des artilleurs reposent de manière croissante sur les drones de reconnaissance et d’acquisition. La capacité de tir sous observation drone est une capacité maîtrisée par l’ensemble des régiments d’artillerie de brigades interarmes depuis la création en leur sein en 2008 de sections drones équipées de systèmes de mini-drones de renseignement (SMDR). La montée en puissance de cette capacité se traduit aujourd’hui par le remplacement des 35 systèmes de drones SMDR vieillissants par des drones DT46 de Delair commandés en 2023/2024. D’après les informations transmises à vos rapporteurs, les commandes pourraient se poursuivre en 2025 et 2026 pour atteindre la cible de 50 systèmes livrés.

Le couple « drone-effecteur » reste un pilier de la capacité de frappe du niveau brigade et division. Il permet de raccourcir significativement la boucle capteur-effecteur. Des travaux sont actuellement menés afin de raccourcir davantage cette boucle, notamment grâce à une interconnexion du drone et du système ATLAS ou encore l’intégration de briques d’intelligence artificielle (IA) dans les drones d’observation (détection de cible, d’impacts, désignation d’objectifs pour tirs suivants).

Concernant les systèmes de drones tactiques légers (SDTL), une démarche innovante reposant sur un premier achat de quelques drones sur étagères via la DMAé a été lancée. Quatre premiers systèmes différents de SDTL ont ainsi été commandés fin 2024, complétés par un cinquième en février 2025. Le retour d’expérience de ces premières dotations dans les trois armées permettra de décider des modèles destinés à équiper les armées, qui seront commandés d’ici fin 2025.

Vos rapporteurs rappellent que les attentes restent très fortes autour de l’arrivée espérée mais toujours plus retardée du système de drone tactique Patroller au sein du 61e régiment d’artillerie, régiment de recherche par imagerie des forces terrestres.

Le SDT Patroller doit théoriquement remplir des missions de recherche de renseignement (recherche par imagerie dès l’arrivée des premiers systèmes, puis à terme recherche d’origine électromagnétique voire géographique), d’acquisition d’objectifs dans la profondeur et ultérieurement, d’appui-feux. Le SDT Patroller sera intégré dans un groupement de recherche multicapteur afin de répondre aux besoins de la recherche spécialisée dans la profondeur du corps d’armée et de la division tout en contribuant à l’acquisition d’objectifs.

D’après les informations communiquées à vos rapporteurs par la DGA, un premier vecteur SDT et une station sol ont été livrés à la fin 2024. Une fois les difficultés techniques résolues, l’intégralité des 8 livraisons devrait être effective pour début 2026. Les difficultés actuelles seraient essentiellement liées à des problèmes de navigabilité qui n’ont pas permis de dérouler les expérimentations technico-opérationnelles en vol attendues. Un plan d’action serait en cours de mise en place avec l’industriel concerné afin de permettre des expérimentations en vol dans les meilleures conditions.

iii.   Les véhicules d’observation artillerie

Enfin et au-delà des drones, l’artillerie poursuit la modernisation de ses moyens d’acquisition grâce à la réception progressive dans l’armée de Terre des GRIFFON en version véhicule d’observation artillerie (VOA) dont la spécificité est de disposer d’un mât d’observation optronique, de moyens de pointage, de télémétrie et désignation laser permettant l’observation, la désignation d’artillerie, voire de frappe aérienne avec présence d’un contrôleur aérien avancé (JTAC). En outre, le GRIFFON VOA embarque un radar d’observation terrestre MURIN déployable hors du véhicule lorsque celui-ci est posté sur le champ de bataille. En 2024, l’armée de Terre était équipée de 15 VOA.

iv.   Le défi continu de raccourcir la boucle renseignement-feux

Une artillerie bonne de guerre devra toujours chercher à raccourcir sa boucle renseignement-feux et la modernisation de l’ensemble des systèmes de détection, d’observation et d’acquisition précédemment décrits y contribue de manière essentielle.

À cet égard, le principal défi reste d’intégrer en temps réel l’ensemble des capteurs et des effecteurs au système ATLAS. Récemment, des travaux ont permis l’intégration des drones SMDR à ATLAS. La rénovation à mie-vie du radar COBRA doit également être l’occasion de toujours plus renforcer son intégration sur ATLAS. À terme, il s’agira d’intégrer l’ensemble des nouveaux effecteurs sur ATLAS, que l’on pense aux munitions télé-opérées, aux munitions programmées (OWA) ou encore au futur système de frappe longue-portée terrestre (FLP-T).

Vos rapporteurs appellent de leurs vœux l’intégration d’Atlas dans un réseau satellitaire de connectivité en orbites basses de type One Web ou Iris2. La connectivité en orbites basses permettrait en effet de diminuer de manière décisive la boucle « senseur-effecteur » en réduisant significativement le temps de latence du cheminement du renseignement capté, de son exploitation, de la demande de tir et in fine du suivi de sa réalisation. D’après les informations transmises à vos rapporteurs, une étude de levée de risque aurait souligné et quantifié les gains de réactivité offerts par cette intégration. Le passage à l’échelle serait possible à court terme, le bout-en-bout artillerie ayant été identifié comme celui qui bénéficierait le plus du raccourcissement « senseur-effecteur » de l’emploi de ces nouvelles capacités.

Ils plaident également pour une utilisation croissante de l’intelligence artificielle (IA) dans la chaine artillerie dans l’optique d’une diminution de la boucle « senseur-effecteur ». L’intelligence artificielle commence à être utilisée à la fois dans les moyens d’acquisition et de désignation des objectifs mais aussi dans la proposition de solutions de tir lorsque plusieurs unités sont à portée de la cible afin de déterminer quelle pièce d’artillerie est la plus à même de tirer sur une cible donnée, en fonction de sa localisation, de son niveau d’autonomie en munitions et carburant ainsi que des menaces environnantes. Il convient toutefois de noter que le choix final relève toujours d’un opérateur humain, conformément à la doctrine des armées françaises.

Par ailleurs, il convient d’améliorer constamment l’interopérabilité des systèmes d’artillerie utilisés en format interalliés en faisant notamment évoluer le système d’information ATLAS. La France est une participante historique de la communauté ASCA (Artillery Systems Cooperation Activities) qui permet aux pays membres d’interopérer en coalition leurs système d’information et de communication d’appui-feux respectifs. L’interopérabilité en temps réel représente le cœur de l’exercice d’artillerie multinational annuel de l’OTAN Dynamic Front. L’architecture ASCA permet de réaliser des tirs dans une chaîne de commandement numérisée sans rupture entre les différents niveaux de classification (NATO secret et NATO restricted). Tous les membres de l’Alliance Atlantique (OTAN) ne sont pas membres de la communauté ASCA mais cette communauté ne cesse de grandir, avec notamment l’intégration de la Pologne en mai 2024.

3.   Une artillerie « bonne de guerre » devra pouvoir compter sur un soutien logistique de théâtre renforcé

Historiquement, l’arme du train fut créée par Napoléon Ier afin d’acheminer les obus d’artillerie sur le champ de bataille. Une artillerie « bonne de guerre » devra nécessairement bénéficier d’une logistique de théâtre renforcée et dimensionnée pour la haute intensité.

Or, il a été précédemment rappelé que les unités logistiques ont été réduites au sein de l’artillerie avec l’abandon des sections logistiques des batteries qui furent remplacées par des groupes logistiques au sein des sections de tir. En outre, le train de combat n° 2 a également connu une diminution du nombre de groupes de munitions en son sein.

Vos rapporteurs appellent à une densification de l’épaisseur logistique de la chaîne artillerie. Une artillerie « bonne de guerre » devra compter sur une flotte accrue de camions logistiques afin de réapprovisionner rapidement les unités en pièces d’artillerie soumises à une usure accélérée en haute intensité. Il convient donc de réacquérir rapidement les « métriques » correspondantes.

Proposition n° 15 : Bénéficier d’une flotte accrue de camions logistiques afin de réapprovisionner rapidement les unités en pièces d’artillerie en cas d’engagement à effet majeur

Cette densification de la flotte de camions logistiques concernera également les besoins en acheminement des munitions stockées par le service interarmées des munitions (SIMu), service chargé de la gestion, d’une partie de l’acquisition, du stockage, de la maintenance et de la mise à disposition des munitions auprès des armées françaises. D’après les informations transmises à vos rapporteurs, le SIMu dispose d’ores et déjà des infrastructures pour accueillir les stocks de munitions d’artillerie commandés par les états-majors. En cas d’hypothèse d’engagement majeur, l’acheminement en temps des munitions constituera un point de vigilance majeur. En temps de guerre, il serait nécessaire de délivrer 5 000 tonnes de munitions par mois et environ 13 000 tonnes de munitions le mois précédant l’engagement. Le SIMu ne dispose pas de moyens propres pour l’acheminement et travaille à cette fin en étroite collaboration avec le centre du soutien des opérations et des acheminements (CSOA) et les armées afin de répondre aux exigences des dates de livraison. Un effort significatif est actuellement réalisé par le SIMu concernant les facilités logistiques, notamment les embranchements voie ferrée dans les dépôts de munitions ([32]).

4.   Une artillerie « bonne de guerre » sera une cible prioritaire de l’ennemi et devra par conséquent bénéficier d’une bulle de protection

Nos artilleries sol-sol comme sol-air seront en tête de liste des priorités ennemies. Ce dernier concentrera ses efforts cinétiques (attrition de nos lanceurs et de nos moyens d’acquisition et de détection) et non-cinétiques (emploi de moyens offensifs de guerre électromagnétique et actions cyber) sur notre chaîne artillerie. Elle sera par définition très vulnérable et devra par conséquent faire l’objet d’une protection permanente. D’après les chiffres avancés par le National Training Center américain à Fort Irwin, sans protection ni manœuvre de déception et en prenant en compte les capacités munitions de l’adversaire, les capacités artillerie d’une brigade peuvent être neutralisées voire détruites en 4 heures à l’issue de séquences offensives.

Votre co-rapporteur Jean-Louis Thiériot a déjà eu l’occasion dans un précédent rapport d’appeler de ses vœux l’indispensable remontée en puissance de la défense sol-air dans les armées françaises. Notamment, l’artillerie sol-sol doit pouvoir bénéficier d’une défense d’accompagnement de théâtre afin d’être protégée par une bulle de protection dans la troisième dimension. En outre, le retour d’expérience ukrainien souligne la nécessité pour les régiments d’artillerie de disposer de moyens de guerre électronique afin de localiser les radars, brouilleurs et émissions radio adverses. Ces moyens de guerre électronique amélioreront la survivabilité sur un champ de bataille toujours plus létal tandis que nos forces devront apprendre à constamment diminuer la signature électromagnétique des équipements et PC utilisés.

5.   Une artillerie « bonne de guerre » pourrait éventuellement s’enrichir d’armes à sous-munitions à l’issue d’une étude approfondie sur la dangerosité de ces nouvelles générations d’armes

Résultat d’un processus lancé en 2007 par 46 États dont la France, la Convention d’Oslo sur les armes à sous-munitions est un instrument international interdisant l’utilisation, la production, le stockage et le transfert de toutes les armes à sous-munitions définies comme telles. Elle est entrée en vigueur le 1er août 2010. Selon son article 2, le terme « armes à sous-munitions » désigne une « munition classique conçue pour disperser ou libérer des sous-munitions explosives dont chacune pèse moins de 20 kilogrammes, et comprend ces sous-munitions explosives ». En 2019, la Convention comptait 106 États parties et 16 États signataires. Cependant, les États-Unis, la Russie, l’Inde, Israël, le Pakistan, la Chine ou la Corée du Sud n’y ont pas adhéré. D’après le site du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE), « La France n’a pas utilisé d’arme à sous-munitions depuis 1991 et a cessé d’en fabriquer dès 2002 (…). Avant même l’entrée en vigueur de la Convention, la France avait donc décidé de retirer du service opérationnel la totalité des armes désormais interdites par cette Convention : la roquette M26 et l’obus de 155 mm à grenades (OGR). »

Ces armes qui étaient notamment tirées par les lance-roquettes multiples MLRS acquis par la France ont été interdites en raison de leurs graves conséquences humanitaires. S’ouvrant en l’air, elles dispersaient de multiples sous-munitions ou bombes sur une large zone sans distinguer entre cibles civiles et militaires. En outre, de nombreuses sous-munitions n’explosaient pas au moment de l’impact initial
– jusqu’à 40 % d’entre elles – occasionnant beaucoup d’explosions a posteriori dont les premières victimes étaient civiles.

Aujourd’hui, les armes à sous-munitions sont très largement utilisées en Ukraine. En juillet 2023, les États-Unis ont accepté de céder à Kyiv des armes à sous-munitions en réponse à l’utilisation massive de ces armes par Moscou. Ces armes sont utilisées dans un objectif d’interdiction et de saturation de zone par les FAU : d’après les éléments transmis à votre co-rapporteur en Ukraine, il suffirait de tirer 8 à 10 armes à sous-munitions pour sécuriser un secteur de 200 m/200 m. Ces armes sont ainsi très efficaces pour neutraliser l’infanterie adverse et détruire les véhicules ennemis y compris les véhicules avec blindage léger. Les interlocuteurs ukrainiens ont confié à votre co-rapporteur que « la ligne de front aurait peut-être eu une autre configuration si nous avions eu plus tôt des armes à sous-munitions ». Interrogés au sujet de la part des sous-munitions tirées qui n’explosaient pas immédiatement, les interlocuteurs ukrainiens ont répondu qu’environ 2 % des sous-munitions n’explosaient pas immédiatement après le tir, un chiffre concordant avec le taux d’échec moyen évoqué par le Pentagone au moment de la cession des armes à sous-munitions au partenaire ukrainien en juillet 2023 ([33]) .

Directement confrontés à la menace russe, la Pologne et les trois États Baltes ont récemment fait le choix de se retirer de la Convention d’Oslo afin de pouvoir disposer d’un arsenal conventionnel le plus large possible en cas d’incursion russe à leurs frontières.

À l’aune de ces éléments, vos rapporteurs estiment qu’il ne faut pas s’interdire d’ouvrir une réflexion sur la réutilisation possible par les armées françaises d’armes à sous-munitions. Ils appellent donc de leurs vœux la réalisation d’une étude technique documentant l’efficacité militaire et la dangerosité pour les populations civiles des nouvelles générations d’armes à sous-munitions. À l’issue de cette étude et selon ses résultats, une réflexion éthique pourra être ouverte sur l’opportunité d’un éventuel retrait de la France de la convention d’Oslo.

Proposition n° 16 : Ouvrir une réflexion sur la réutilisation possible par les armées françaises d’armes à sous-munitions, via la réalisation d’une étude technique documentant l’efficacité militaire et la dangerosité pour les populations civiles des nouvelles générations d’armes à sous-munitions

B.   Le nouveau contexte stratégique plaide en faveur de l’acquisition de capacités de frappes terrestres conventionnelles dans la grande profondeur

Depuis l’hiver 2023, le blocage du front ukrainien incite les belligérants à recourir davantage aux frappes dans la grande profondeur opérative, à la recherche d’un effet militaire devenu impossible à obtenir sur la ligne de front. La dissémination et démocratisation des moyens conventionnels de frappes dans la grande profondeur (+ 500 km) s’observent sur un nombre croissant des théâtres de guerre contemporains (Iran/Israël, Mer Rouge, Ukraine/Russie). La fin du traité sur les forces nucléaires intermédiaires (FNI) en 2019 ainsi que l’échec plus général des divers instruments de régulation (code de conduite de La Haye, régime de contrôle de la technologie des missiles) couplé à une révolution technologique contemporaine de la précision, de la furtivité et de la vitesse expliquent aujourd’hui la prévalence de ces vecteurs.

Le 20 août 2024, le commandant en chef des armées ukrainiennes a affirmé que près de 10 000 missiles russes avaient été tirés depuis le début de la guerre en février 2022. Sur le seul mois d’octobre 2024, 225 missiles de croisière et 55 missiles balistiques ont été lancés vers l’Ukraine par les FAFR.

Les termes de frappe dans la longue portée, dans la profondeur et de précision sont tous les trois plus ou moins interchangeables. Par commodité, le terme OTAN de « Deep precision strike » (DPS) est souvent préféré.

Ces capacités de frappe de précision dans la grande profondeur peuvent être lancés depuis des vecteurs terrestres, marins ou aériens, l’aviation restant un moyen privilégié de frappe dans la profondeur. Toutefois, dans un contexte de déni d’accès, il est de plus en plus compliqué pour l’aviation d’acquérir durablement la supériorité aérienne.

Aujourd’hui, la France ne dispose pas de capacités de frappes conventionnelles sol-sol dans la grande profondeur. Vos rapporteurs plaident pour que les armées se dotent dans les meilleurs délais de cette capacité. Cette dernière capacité serait distincte de la capacité de frappe tactique dans la longue portée-terrestre (premier incrément du FLP-T). Vos rapporteurs remarquent toutefois que rien n’interdit d’imaginer une plateforme commune permettant à la fois de frapper dans la profondeur tactique comme opérative voire stratégique (+ 2 000 km).

1.   Les objectifs de la frappe conventionnelle sol-sol dans la profondeur opérative

Il convient tout d’abord de rappeler la finalité des frappes dans la profondeur, selon trois contextes d’engagement :

– dans des logiques démonstratives, coercitives ou en soutien à des opérations militaires ;

– en gestion de l’escalade préalable au conflit dans le cadre d’un signalement stratégique par le déploiement de porteurs : réassurance d’un allié, signal de détermination par changement de posture/position ;

– en cas de conflit, afin de contraindre l’adversaire par la menace ou la destruction de cibles clefs sur le théâtre en appui de nos opérations (entrée en premier, façonnage de l’ennemi, affaiblissement logistique, nœuds de communication, etc.).

Ainsi que l’a résumé le Général Eric Lendroit, auditionné par vos rapporteurs : « Les cibles visées par les capacités de longue portée sont situées dans une profondeur tactique à opérative, voire stratégique. De natures variées, distribuées dans la profondeur, elles comprennent, outre des infrastructures, des unités de renseignement, des unités d’appui notamment d’artillerie, de défense solair et de génie spécialisé, mais aussi des postes de commandement et moyens de communication associés, des unités et zones logistiques voire des unités de manœuvre dédiées au combat de contact. Ces cibles peuvent être fixes (ex : infrastructure), déplaçables (ex : unité de défense sol-air, poste de commandement) ou mobiles (unités d’artillerie, unités de manœuvre). »

2.   La capacité de frappe conventionnelle sol-sol dans la grande profondeur opérative complèterait utilement les capacités air-sol et mer-sol existantes

Dans le focus stratégique précité de l’IFRI consacré à la frappe dans la profondeur, Héloïse Fayet et Léo Péria-Peigné écrivent : « La France dispose en la matière de capacités solides, mais peu nombreuses. L’armée de l’Air et de l’Espace ainsi que la Marine nationale peuvent compter sur les missiles de croisière SCALP et MdCN que des programmes en cours doivent compléter par des vecteurs plus performants d’ici la fin de la décennie. Cependant ces munitions ont été acquises en quantités limitées faute de moyens et plusieurs dizaines de SCALP acquis ont en outre été cédées à l’Ukraine. Développer une capacité de feux terrestres à plus longue portée doit aussi permettre à la France de remplir ses obligations vis-à-vis du dispositif OTAN dans le cadre d’un corps d’armée français complet (…). »

Une diversification des vecteurs (aériens, navals et terrestres) de frappe dans la grande profondeur augmenterait en outre les options à la main du décideur politique. Elle lui donnerait un vecteur offensif supplémentaire dans la gestion d’une éventuelle escalade. Par ailleurs, un éventuel engagement de l’ensemble des moyens interarmées de frappe dans la grande profondeur permettrait de combiner les trajectoires et de saturer ponctuellement dans l’espace et dans le temps les défenses de l’adversaire en lui imposant des dilemmes. Dans un contexte où les futurs conflits reposeront sur l’usure et des capacités d’interdiction de zone efficaces, les armées disposeraient alors d’outils leur permettant tout à la fois de saturer les défenses ennemies et de frapper les points névralgiques et sensibles le fragilisant.

Enfin, les vecteurs de frappe dans la grande profondeur aujourd’hui déployés par la Marine nationale et l’Armée de l’air et de l’espace sont en partie contraints par la performance des moyens de défense et de déni d’accès adverses en raison de la vitesse subsonique de leurs moyens actuels. Le système terrestre pourrait offrir une souplesse d’emploi plus grande afin de ne pas limiter l’usage de cette capacité aux procédures de ciblages opératives (voire stratégiques) mais de l’ouvrir de manière réactive à des ciblages d’opportunité dans une logique de théâtre.

L’ensemble des capacités de frappes dans la grande profondeur, qu’elles soient air-sol, sol-sol ou mer-sol, s’inscriraient ainsi dans une logique de complémentarité, chaque système disposant de caractéristiques particulières relatives au milieu et à la rapidité de mise en œuvre, à la permanence ou la fulgurance, au type de trajectoire (croisière ou balistique), à la résilience face aux moyens de défense sol-air ennemis et enfin à la discrétion ou au contraire à l’aptitude au signalement stratégique etc. Leur emploi se ferait dans une manœuvre d’ensemble permettant, in fine, de frapper les cibles choisies en dépit des défenses ennemies. On pourrait ainsi imaginer qu’un des moyens interarmées de frappes dans la grande profondeur sature les systèmes de défense ennemis tandis qu’un autre se concentrerait sur le ciblage du dispositif ennemi.

Selon Héloïse Fayet, auditionnée par vos rapporteurs, la doctrine d’emploi de cette future capacité dépendra de facto de la masse de vecteurs disponibles : «  Si peu d’unités sont disponibles, alors il en sera probablement fait un usage stratégique pour frapper des centres de gravité de l’adversaire, donc envoyer un message fort mais au risque de provoquer une escalade si c’est proche des intérêts vitaux – ou, au contraire de ne pas avoir l’usage dissuasif attendu s’il n’est pas possible de réitérer la frappe. A contrario, si beaucoup de missiles sont disponibles, les frappes seront de niveau opérationnel et auront donc peu de lien avec les intérêts vitaux de l’adversaire ».

Ainsi que l’écrivent les deux chercheurs dans le focus stratégique de l’IFRI précité : « Déployer une capacité de frappe dans la profondeur en disposant de suffisamment de munitions pour traiter des objectifs d’importance tactico-opérative permet ainsi de maintenir une pression forte sur le dispositif adverse qui ne peut s’étaler indéfiniment sous peine de perdre en cohérence et en efficacité : un plot logistique divisionnaire ne peut se trouver à plus d’une centaine de kilomètres du front sans fragiliser le soutien de l’avant. En outre, le cas ukrainien souligne la multiplication de cibles de valeur intermédiaire, nécessitant des capacités de frappe à plus longue portée tout en étant capable de soutenir une certaine masse de feux. Des capacités terrestres de frappe dans la profondeur opérative apporteraient ainsi un complément réactif bienvenu à celle, toujours indispensable, des forces aériennes. ». Si un usage opératif de cette capacité était privilégié, le déclenchement de telles frappes devrait en toute logique être délégué au commandant de théâtre.

3.   Nos alliés comme nos compétiteurs stratégiques se dotent déjà de ce type de capacités

Trois théâtres de conflictualité se distinguent particulièrement par leur emploi des frappes dans la grande profondeur : Russie/Europe de l’Est, Asie/Pacifique et Moyen-Orient. Nos alliés comme nos compétiteurs se dotent de capacités terrestres de frappes de précision dans la profondeur, ainsi que l’ont très précisément Héloïse Fayet et Léo Péria-Peigné dans le focus stratégique précité :

– Aux États-Unis : outre le Precision Strick Missile (PrSM ([34])), l’U.S. Army bénéficie de plusieurs innovations technologiques dans le domaine de la frappe dans la profondeur. L’arsenal terrestre américain de frappes de précision dans la grande profondeur est visible ci-après :

 

Nom

Type

Portée maximale (en km)

Tomahawk Block V

Missile de croisière Sol-Sol

1 600

ATACMS

Missile balistique tactique de courte portée

300

PrSm

Missile balistique de courte ou moyenne portée

499 – 1 000

LRHW

Missile avec planeur hypersonique sol-sol (projet CPS)

Plus de 2 700

SM-6

Missile modulable selon les plateforme

Dépend des plateformes

– Le Royaume-Uni a annoncé vouloir disposer d’un missile de croisière hypersonique « souverain » d’ici 2030 ;

– En Corée du Sud : le lance-roquettes multiples K239 Chunmoo peut tirer une large gamme de munitions balistiques à longue portée. Une version du missile balistique sol-sol Ure est proposée à l’export avec une portée de 500 km ;

Nom

Type

Portée (en km)

Haesona

Missile de croisière

180

Ure

Missile balistique courte portée

De 180 à 290

Hyunmoo

(Hyunmoo V : missile sud-coréen le plus puissant)

Missile balistique

Selon les versions 3 000

 


– La Russie dispose d’un arsenal substantiel de frappes dans la profondeur.

 

Nom

Type

Portée (en km)

Totchka-U

Missile balistique courte portée

180

Iskander

Missile balistique moyenne portée

500

Kalibr

Missiles multi-rôle – missile de croisière (destruction de cible terrestre)

300 à 2 600

Orechnik

Missile balistique hypersonique

3 000 à 5 000

Topol-M

Missile balistique intercontinental hypersonique

10 000

– La Chine a également développé une gamme très diversifiée de vecteurs :

 

Nom

Type

Charge déclarée

Mise en service

Portée (en km)

DF-11

Missile balistique sol‑sol de courte portée

Conventionnelle

1992

500-600

DF-15

Missile balistique sol‑sol de courte portée

Conventionnelle

1991 (DF-15A), 2009 (DF-15B), 2013 (DF-15C)

Entre 600 et 900 (selon les versions)

DF-16

Missile balistique sol‑sol de courte portée

Conventionnelle

2011

Plus de 700

DF-17

Missile balistique sol‑sol de moyenne portée sur planeur hypersonique

Conventionnelle

2020

Inconnue

DF-21D

Missile balistique antinavire de moyenne portée

Conventionnelle

200-

Plus de 1500

DF-26

Missile balistique sol‑sol de portée intermédiaire

Conventionnelle ou nucléaire

2016

Plus de 3000

DF-26B

Missile balistique sol‑sol de portée intermédiaire

Conventionnelle

2016

4000

DF-27

Missile balistique sol‑sol de portée intermédiaire sur planeur hypersonique

Inconnue

Pas encore en service

Entre 5000 et 8 000

CJ-100

Missile de croisière sol‑sol

Conventionnelle

2009

2 000

CJ-10

Missile de croisière sol‑sol

Conventionnelle

2019

2 000

Au vu de ces éléments, il semble indispensable aux yeux de vos rapporteurs que la France se dote de cette capacité sol-sol de précision dans la grande profondeur. L’absence d’une telle capacité dans l’arsenal militaire français et/ou européen fait naître un risque de contournement par le bas de la dissuasion nucléaire. Entre le bas du seuil de la dissuasion et la capacité maximum d’épaulement par les forces conventionnelles, il existe en effet un « vide dissuasif » que le développement de ce type de capacités doit venir combler tant qu’il en est encore temps.

Se doter d’un système similaire à celui détenu par l’adversaire permettrait de lui envoyer un signal visant à défendre ceux de nos intérêts ne relevant pas directement des intérêts vitaux et donc de l’emploi potentiel de la dissuasion nucléaire. Dans ce contexte, vos rapporteurs appellent à une nécessaire réflexion sur le concept d’emploi de cette future capacité. Devra-t-elle uniquement être déployée lors d’un engagement en coalition et le cas échéant au sein de quelle chaîne de commandement ? Au vu des menaces – étatiques et/ou non étatiques – actuelles sur le flan oriental de l’Europe ou en provenance des rives sud de la Méditerranée, le positionnement de cette future capacité hors du sol français semble pertinent afin d’offrir une dissuasion conventionnelle préstratégique à l’ensemble des alliés pour des menaces « sous le seuil » de la dissuasion nucléaire.

4.   Impulsée par la France, l’initiative ELSA doit accompagner les réflexions doctrinales relatives à cette future capacité

Des déploiements épisodiques de missiles américains Tomahawk (en configuration sol-sol), de missiles SM-6 et d’armes hypersoniques étaient prévus en Allemagne de la part des États-Unis dès 2026. Or, plus que jamais, l’incertitude demeure sur la pérennité des garanties de sécurité américaines en Europe et le devenir de ces déploiements. Comme l’écrivent Héloïse Fayet et Léo Péria-Peigné, « une Europe seule dans un conflit à parité avec la Russie ne disposerait que de moyens limités pour frapper la profondeur adverse ».

L’initiative « European Long Strike Approach » (ELSA) lancée par la France répond pleinement à cette faille capacitaire européenne. Une lettre d’intention relative à ELSA a été signée le 11 juillet 2024 par la France, l’Allemagne, la Pologne et l’Italie lors du sommet de Washington. L’initiative offre un cadre de coopération intergouvernementale innovant visant à aider la base industrielle et technologique de défense européenne à concevoir, développer et produire ses propres capacités de frappe dans la profondeur dans l’ensemble des milieux. Le Royaume-Uni et la Suède ont rejoint l’initiative le 17 octobre 2024. Les États-membres de l’initiative sont invités à rejoindre des « clusters » qui correspondent à autant de domaines prioritaires relatifs à la longue portée. La capacité de frappe sol-sol dans la grande profondeur opérative est bien évidemment un élément majeur des discussions. L’initiative ELSA permet aux Nations membres de préciser au sein de chaque cluster leur besoin opérationnel et d’envisager un cadre doctrinal d’emploi des capacités concernées. Vos rapporteurs saluent cette méthodologie de coopération innovante et souple qui ouvre la voie au réarmement européen dans le volet de la frappe de précision dans la profondeur.

Ils espèrent qu’un lien étroit sera établi entre l’initiative ELSA et l’incrément « tactico-opératif » du programme à effet majeur « Frappe longue portée-terrestre ». Cet incrément repose sur deux études technico-opérationnelles :

– la première dont le maître d’œuvre est Ariane Group (AGS) qui propose une solution de missile balistique terrestre (MBT) ;

– la seconde est pilotée par MBDA et repose sur une version terrestre du Missile de croisière naval (MdCN) appelée Land Cruise Missile (LCM) ou missile de croisière terrestre (MdCT).

D’après les éléments transmis à vos rapporteurs par la DGA, le cahier des charges précis de l’incrément tactico-opératif du PEM FLP-T est en cours de constitution. Les travaux de convergence sur la portée maximale spécifiée – en fonction des solutions qui pourront être apportées à court, moyen et long-terme – sont en cours. Ils prennent notamment en compte les discussions conduites dans le cadre de l’initiative ELSA. D’après les éléments transmis à vos rapporteurs, l’état- major des armées privilégierait à cet égard un système balistique d’une portée supérieure à 2000 km. La réalisation de l’incrément relatif à la frappe opérative est actuellement prévue à l’horizon 2030.

5.   L’acquisition de cette capacité supposera une coordination interarmées indispensable dans son emploi

L’acquisition par les armées françaises de moyens de frappe sol-sol dans la grande profondeur devra s’accompagner d’une réflexion globale sur le C2 afin d’intégrer de manière efficiente ces nouvelles capacités dans la chaîne de contrôle des feux. Elle supposera un renforcement des capacités de ciblage interarmées, préalable indispensable à une attribution par le commandement interarmées des cibles entre forces terrestres et aériennes. Une coordination fine dans l’emploi de l’espace aérien sera également indispensable. Les capacités d’acquisition devront être renforcées afin de maintenir une boucle « senseur‑effecteur » réactive et efficace en cas de frappes d’opportunité dans une logique de théâtre. L’acquisition dans la profondeur opérative s’appuiera essentiellement sur des moyens interarmées (renseignement d’origine image, électromagnétique, IA) et en complément sur des moyens aéroterrestres (forces spéciales, drones, appareils de reconnaissance, etc.). La chaîne C2 devra être réactive et robuste grâce notamment à une connectivité satellitaire en orbites basses qui sera décisive pour la rapidité des communications militaires et le raccourcissement de la boucle OODA à l’échelle du théâtre.

Par ailleurs, le système d’armes choisi devra nécessairement être mobile, réactif et protégé contre le brouillage car il sera une cible cinétique et/ou non-cinétique prioritaire de l’ennemi. L’acheminement et la protection du système sur le théâtre représentera un défi logistique majeur.

6.   Les technologies balistique et de croisière présentent chacune des avantages et des inconvénients qui plaident en faveur d’un développement de ces deux technologies

Les technologies balistique et de croisière présentent toutes deux des avantages comparatifs certains qui conduisent les rapporteurs à souhaiter idéalement un développement des deux technologies pour la future frappe sol-sol de précision dans la profondeur.

Le missile balistique terrestre (MBT) effectue une partie de sa trajectoire en très haute altitude afin d’optimiser sa vitesse (hypersonique) et ainsi percer les défenses anti-aériennes adverses. Si la trajectoire parabolique suivie par un missile balistique le rend plus détectable qu’un missile de croisière, sa vitesse hypersonique le rend plus difficilement interceptable. Sa capacité de pénétration (ou de non-interception) serait ainsi significativement supérieure à celle d’un missile de croisière tandis que sa vitesse hypersonique permet une délivrance plus rapide de son effet militaire. La trajectoire d’un missile balistique n’a pas autant à tenir compte de la localisation précise des systèmes de défense sol-air adverses qu’un missile de croisière terrestre, ce qui lui confère un avantage comparatif précieux en termes de préparation de mission. Le missile balistique s’impose donc comme un système opportun pour tirer en réactivité dans une logique de théâtre. Si le missile balistique peut porter une charge plus importante, il ne peut en revanche pas adapter son profil de vol contrairement au missile de croisière.

Le missile de croisière terrestre effectue quant à lui sa trajectoire dans la basse atmosphère. Très manœuvrant et précis, le missile de croisière est capable de suivre une trajectoire complexe, en suivant le terrain à très basse altitude tout en évitant les obstacles physiques. Sa trajectoire serait ainsi beaucoup moins prédictible que celle d’un missile balistique de théâtre et beaucoup moins détectable par la défense aérienne ennemie. Toutefois, sa vitesse subsonique ou supersonique à l’arrivée sur cible le rendrait également plus facilement interceptable par la défense anti-aérienne ennemie. Les missiles de croisière disposent également de système de guidage terminal reposant sur des senseurs les rendant capable d’agresser une cible en environnement GNSS brouillé ou située dans un environnement 3D complexe et sur une cible fixe ou en mouvement. Ils sont capables d’emporter des charges significatives à très grande distance ainsi que des charges spécialement conçues pour pénétrer des cibles durcies ou enterrées.

Les objectifs de tir sont donc différents selon la technologie utilisée : le tir balistique vise prioritairement un tir de masse et de saturation sur une cible fixe tandis que le tir d’un missile de croisière obéit davantage à une recherche de précision voire de tir « chirurgical » sur des cibles fixes ou mobiles.

Afin d’accroître leur capacité de pénétration, les missiles de croisière sont généralement lancés par salves de plusieurs unités en arrivant sur une cible par plusieurs directions, à différentes altitudes et de différents angles, rendant la riposte par la défense aérienne très difficile à mener. Leur capacité de pénétration est également accrue s’ils sont précédés d’une salve de munitions programmées de type Shahed visant à saturer les défenses antiaériennes ennemies afin de maximiser les chances de pénétration des missiles. Le retour d’expérience de la guerre en Ukraine montre que les FAFR tendent à lancer d’abord une salve de Shaheds visant à saturer les défenses sol-air ukrainiennes, avant de tirer des missiles de croisière qui détruisent ces DSA puis enfin un missile balistique terrestre qui engage des infrastructures critiques. L’usage combiné de ces vecteurs maximise les avantages comparés de chaque solution.

Face aux avantages comparatifs de chaque solution, les rapporteurs souhaitent dans l’idéal le développement des deux technologies au profit des armées françaises. Néanmoins, les auditions conduites par vos rapporteurs ainsi que le déplacement effectué en Ukraine suggèrent que le taux d’interception par les défenses anti-aériennes des missiles balistiques terrestres reste significativement inférieur à celui des missiles de croisière.

En conséquence, si une seule technologie devait être retenue en raison du contexte budgétaire contraint, ils estiment l’opportunité de développer la technologie balistique terrestre supérieure à celle de développer la technologie de croisière terrestre. Ce choix devrait par ailleurs être contrebalancé par une augmentation du nombre de missiles de croisière détenus par l’Armée de l’air et de l’espace et la Marine, dans un objectif de complémentarité des effets militaires recherchés.

Les capacités futures de frappe de précision dans la profondeur devront par ailleurs nécessairement tenir compte de l’augmentation des coûts d’acquisition de ces vecteurs afin de pénétrer les bulles de protection adverse. En conséquence, ces capacités pourront opportunément évoluer vers des capacités de salves mixtes combinant effet de saturation à moindre coût par des munitions programmées ou drones OWA et effet de pénétration par des vecteurs haut de gamme très performants mais au coût bien supérieur.

Proposition n° 17 : Doter les armées françaises d’une capacité de frappe sol- sol dans la grande profondeur, en privilégiant si nécessaire la technologie balistique sur la technologie de croisière.

Proposition n° 18 : Augmenter en réaction le nombre de missiles de croisière détenus par l’Armée de l’air et de l’espace et la Marine, dans un objectif de complémentarité des effets militaires recherchés.


   Examen en commission

Au cours de sa réunion du mercredi 30 avril 2025, à 11 heures, la commission a procédé à l’examen du rapport de la mission d’information sur « l’artillerie à l’aune du nouveau contexte stratégique ».

Les débats sont accessibles sur le portail vidéo de l’Assemblée à l’adresse suivante :

https://assnat.fr/2gUQA3.

La commission a approuvé la publication du rapport d’information.


   Annexe I : Liste des propositions

Sur le plan organisationnel

Proposition n° 1 : Achever rapidement la montée en puissance de la 19e brigade d’artillerie en la dotant de capacités de transmissions et de commandement

Sur le plan capacitaire

Densification de la trame mortier

Proposition n° 2 : Respecter le calendrier de livraison des 54 MEPAC à l’armée de Terre d’ici fin 2028 et engager une réflexion sur le rapatriement de l’ensemble des mortiers au profit de l’infanterie.

Densification de la trame canon

Proposition n° 3 : Tendre vers un objectif industriel de production de 12 canons CAESAR par mois

 

Proposition n° 4 : Optimiser la capacité industrielle de régénération de canons CAESAR en cas d’engagement majeur en constituant des stocks de pièces de rechange essentielles, en allongeant les pas de maintenance, en intégrant la maintenance dès la phase de conception et en disposant d’une capacité de production interne de certaines pièces.

 

Proposition n° 5 : Augmenter rapidement la disponibilité des champs de tir grande distance pour les tests des canons CAESAR avant leur mise en service.

 

Proposition n° 6 : Lancer une réflexion nationale dès à présent sur le développement du futur système d’artillerie à l’horizon 2040.

Profondeur tactico-opérative

Proposition  7 : Redonner dans les meilleurs délais au niveau division une capacité de frappe dans la profondeur tactico-opérative grâce au successeur du LRU.

 

Proposition n° 8 : Accélérer la livraison des 26 systèmes LRU au cours de la LPM 2024-2030 et disposer à horizon 2035-2040 de deux régiments LRU aptes à soutenir dans la profondeur une division mais aussi un corps d’armée.

 

Proposition n° 9 : En cas d’achat sur étagère, distinguer au sein du futur LRU les technologies critiques qui devront être souveraines (la conduite de tir et la munition) et les technologies non critiques qui pourront être étrangères (le châssis et le panier de roquettes). Une production de la solution étrangère sous licence sur le sol français devrait à tout prix être privilégiée.

Densifier la capacité « Munitions télé-opérées »

Proposition n° 10 : Densifier la capacité MTO des armées françaises en veillant à la fois à respecter un rapport coût/technologies admissible au vu du caractère consommable et de la rapide obsolescence de ces technologies.

Augmenter et régénérer nos stocks de munitions

Proposition n° 11 : Augmenter de manière rapide et significative les capacités françaises de production des obus, des charges propulsives modulaires ainsi que des fusées au-delà des augmentations de cadences déjà consenties.

 

Proposition n° 12 : Rechercher une plus grande standardisation des obus, charges modulaires et systèmes afin de gagner une capacité de production supplémentaire.

Renforcer les systèmes de détection et d’acquisition

Proposition n° 13 : Accroître le volume de radars COBRA à disposition des artilleurs et anticiper le retrait de service des COBRA prévu en 2035 en imaginant le système de contre-batterie du futur.

 

Proposition n° 14 : Anticiper dès-à-présent le retrait du service des systèmes de localisation de l’artillerie par l’acoustique SL2A

Gagner en épaisseur logistique

Proposition n° 15 : Bénéficier d’une flotte accrue de camions logistiques afin de réapprovisionner rapidement les unités en pièces d’artillerie en cas d’engagement à effet majeur

Ouvrir une réflexion sur l’éventuel usage d’armes à sous-munitions

Proposition n° 16 : Ouvrir une réflexion sur la réutilisation possible par les armées françaises d’armes à sous-munitions, via la réalisation d’une étude technique documentant l’efficacité militaire et la dangerosité pour les populations civiles des nouvelles générations d’armes à sous-munitions


Doter la France d’une capacité balistique de frappe sol-sol dans la grande profondeur

Proposition n° 17 : Doter les armées françaises d’une capacité de frappe sol- sol dans la grande profondeur, en privilégiant si nécessaire la technologie balistique sur la technologie de croisière.

Proposition n° 18 : Augmenter en réaction le nombre de missiles de croisière détenus par l’Armée de l’air et de l’espace et la Marine, dans un objectif de complémentarité des effets militaires recherchés.


   Annexe II : Auditions et déplacements des rapporteurs

Auditions

Ministère des armées

État-major des ArméesM. le général de division aérienne Vincent Coste, chef de la division « cohérence capacitaire » ;

État-major de l’armée de TerreM. le général de brigade Alain Lardet, sous-chef d’état-major « plans-programmes » ;

État-major de l’armée de Terre – M. le général de brigade Éric Lendroit, général adjoint partenariats auprès du général commandant la force et les opérations terrestres (CFOT) et chargé de la coalition « artillerie pour l’Ukraine »;

État-major de l’armée de l’air et de l’espace M. le général de division aérienne Vincent Chusseau, sous-chef d’état-major « plans-programmes » ;

Direction générale de l’armement, MM. l’ingénieur général hors classe Guilhem Reboul et Marc Aussedat, respectivement directeur des opérations et adjoint « Forces » auprès du Délégué ainsi que Mme Mathilde Herman, conseillère communication, relations élus et plume auprès du Délégué ;

Service interarmées des munitions – M. le général de division Éric Laval, directeur ;

Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) Mme Alice Rufo, directrice générale, accompagnée des colonels Xavier Toutain et Guillaume Kubal ;

Industriels

  KNDS France M. Alexandre Dupuy, directeur des activités systèmes ;

  Safran Electronics & Defense – Mme Hélène Lecoeuche, directrice des programmes défense ;

ArianeGroup MM. Vincent Pery et Hugo Richard, respectivement Directeur des programmes défense et Directeur du CEO office ;

MBDA FranceMM. Hervé de Bonnaventure et Jean-René Gourion, respectivement conseiller défense du CEO et Directeur général délégué de MBDA France et Mme Anne-Sophie Thierry-Bozetto, responsable des relations politiques et parlementaires.

Aubert & DuvalMM. Jean François Juery et Rémi Le Tenier, respectivement vice-Président d’Aubert & Duval, en charge des filières d’avenir et de la stratégie et responsable des affaires publiques et chargé de missions auprès du vice-Président ;

Eurenco MM. Thierry Francou et Yves Traissac, respectivement Président-directeur Général et adjoint au PDG de l’entreprise ;

Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (GICAT) Mmes Martine Poirmeur et Léa Benassem-Durieux, respectivement déléguée générale adjointe et directrice des affaires publiques ;

Turgis Gaillard M. Patrick Gaillard, Directeur général ;

Chercheurs

  M. Léo Péria-Peigné – Centre des études de sécurité - Observatoire des conflits futurs - Institut français des relations internationales (IFRI) ;

Mme Héloïse Fayet – Centre des études de sécurité - Observatoire des conflits futurs - Institut français des relations internationales (IFRI) et responsable du programme de recherche dissuasion et prolifération ;

Déplacements

Le 23 janvier 2025 : déplacement à La Valbonne auprès de la 19e brigade d’artillerie et du 68e régiment d’artillerie d’Afrique;

Le 12 mars 2025 : déplacement à Suippes dans le cadre d’une observation de l’exercice « Diodore » ;

Le 13 mars 2025 : déplacement au 1er régiment d’artillerie à Bourogne ;

Du 3 au 5 février 2025 : déplacement en Pologne ;

Du 9 au 10 avril 2025 : déplacement en Ukraine.


([1]) Staline qualifiait l’artillerie de « Dieu de la Guerre ».

([2]) D’après l’expression de Joseph Staline.

([3]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion_def/l16b0866_rapport-information (Rapport d’information déposé en application de l’article 145 du règlement, par la commission de la défense nationale et des forces armées en conclusion des travaux d’une mission flash, n° 866, déposé le mercredi 15 février 2023).

([4]) En anglais, OTAN IFS soit Indirect Fire Support.

([5]) Un obus fusant explose en l’air à l’inverse d’un obus percutant qui explose en heurtant le sol.

([6]) La communauté ASCA (Artillery Systems Cooperation Activities) permet aux pays membres d’interopérer en coalition leurs système d’information et de communication d’appui-feux respectifs.

([7]) LOI n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

([8]) Héloïse Fayet et Léo Péria-Peigné, « La frappe dans la profondeur : un nouvel outil pour la compétition stratégique ? », Focus stratégique, n° 121, Ifri, novembre 2024.

([9]) LOI n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

([10]) Elie Tenenbaum, « Entre ciel et Terre : le débat air-sol et les défis de l’appui-feu », Focus stratégique n° 35, février 2012.

([11]) https://www.opex360.com/2024/01/21/pour-le-chef-detat-major-de-larmee-de-terre-lartillerie-est-maintenant-la-reine-des-batailles/.

([12]) Laurent Bansept, « Le retour de la haute intensité en Ukraine : quels enseignements pour les forces terrestres ? », Focus stratégique, n° 111, Ifri, juillet 2022.

([13]) Action de dissimulation et d’intoxication.

([14]) Héloïse Fayet et Léo Péria-Peigné, « La frappe dans la profondeur : un nouvel outil pour la compétition stratégique ? », Focus stratégique, n° 121, Ifri, novembre 2024.

([15]) Rapport d’information déposé en application de l’article 145 du règlement, par la commission de la défense nationale et des forces armées, en conclusion des travaux d’une mission d’information sur la préparation à la haute intensité, n° 5054, déposé le jeudi 17 février 2022.

([16]) Héloïse Fayet et Léo Péria-Peigné, « La frappe dans la profondeur : un nouvel outil pour la compétition stratégique ? », Focus stratégique, n° 121, Ifri, novembre 2024.

([17]) Les brigades russes comprennent environ 5 000 personnels, contre 7 000 à 8 000 PAX en France.

([18]) Mortiers embarqués pour l’appui au contact.

([19]) https://www.defense.gouv.fr/terre/actualites/livraison-nouveaux-canons-caesar-larmee-terre#:~:text=La%20France%20a%20fait%20don,et%20se%20poursuivra%20en%202024.

([20]) Espacer les visites.

([21]) https://www.defense.gouv.fr/actualites/coalition-artillerie-aider-lukraine-construire-son-artillerie-du-futur.

([22]) https://www.defense.gouv.fr/sites/default/files/operations/20240622_CABCEMACOM_DP_AIGLE_FR.pdf.

([23]) Audition de la mission d’information relative à l’artillerie à l’aune du nouveau contexte stratégique.

([24]) https://www.opex360.com/2025/02/11/selon-linde-la-france-sinteresse-de-pres-au-lance-roquettes-multiple-pinaka/#google_vignette.

([25]) L’ITAR (International Traffic in Arms Regulations) est une réglementation américaine qui contrôle la fabrication, la vente et la distribution d’objets et de services liés à la défense et à l’espace, tels que définis dans l’USML (United States Munitions List). La mention « ITAR-free » désigne un produit fini ne contenant pas de composants relevant de la règlementation ITAR et donc susceptibles de susciter l’opposition du gouvernement des États-Unis.

([26]) https://www.opex360.com/2025/04/10/artillerie-la-dga-prevoit-de-mener-les-essais-des-potentiels-successeurs-du-lru-dici-la-mi-2026/#google_vignette.

([27]) https://www.lexpress.fr/societe/dans-lusine-knds-de-bourges-on-pousse-les-murs-pour-produire-toujours-plus-de-canons-caesar-MR3QUKV2EZC53JGU36AE5CSVS4/?cmp_redirect=true ou encore https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cion_def/l17cion_def2425040_compte-rendu (Compte-rendu de l’audition, ouverte à la presse, de M. Alexandre Dupuy, directeur des activités systèmes de KNDS France, par la commission de la Défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale le 12 février 2025).

([28]) https://www.gifas.fr/press-summary/rheinmetall-lance-la-construction-de-sa-nouvelle-usine-d-obus-d-artillerie-en-allemagne#:~:text=Rheinmetall%20pr%C3%A9voit%20de%20doubler%2C%20voire,environ%20700%20000%20par%20an.

([29]) Une charge modulaire est constituée d’un boitier contenant la poudre propulsive, fabriquée généralement en nitrocellulose. Ce contenant brûle et participe à la poussée. Plusieurs charges peuvent être empilées afin de moduler la portée de la munition.

([30]) https://www.forcesoperations.com/acceleration-capacitaire-en-vue-sur-fond-dannee-record-pour-eurenco/ ou encore https://france3-regions.francetvinfo.fr/nouvelle-aquitaine/dordogne/bergerac/nous-sommes-en-economie-de-guerre-pourquoi-le-fabricant-de-propulseurs-militaires-eurenco-tourne-a-plein-regime-2942673.html.

[31] https://www.francebleu.fr/infos/economie-social/armement-l-usine-eurenco-a-relance-sa-production-de-poudre-a-bergerac-1979596.

([32]) « Installation terminales d’embranchement ITE ».

([33]) https://www.lemonde.fr/international/article/2023/07/08/les-etats-unis-s-engagent-a-fournir-a-l-ukraine-des-armes-a-sous-munitions-malgre-l-impact-pour-les-civils_6181057_3210.html.

([34]) Missile balistique terrestre successeur du MGM-140 ATACMS tiré depuis le lanceur terrestre Autonomous Multi-Domain Launcher (AML).