N° 1422

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIXSEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 mai 2025

 

RAPPORT D’INFORMATION

FAIT

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
ET À LA DÉCENTRALISATION
 

 

SUR LE FINANCEMENT DE LA CAISSE NATIONALE DE RETRAITES DES AGENTS DES COLLECTIVITÉS LOCALES

 

 

À LA SUITE DES TABLES RONDES ORGANISÉES LES 12 ET 26 MARS ET 2 AVRIL 2025 PAR LA DÉLÉGATION

 

 

 

 

 

PAR

M. Stéphane DELAUTRETTE

Député


 

 


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SOMMAIRE

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Pages

AVANT-PROPOS DU PRÉSIDENT DE LA DÉLÉGATION

COMPTES RENDUS DES TABLES RONDES MENÉES PAR LA DÉLÉGATION

I. TABLE RONDE DU 12 MARS 2025

II. TABLE RONDE DU 26 MARS 2025

III. TABLE RONDE DU 2 AVRIL 2025

SYNTHÈSE DES AUDITIONS

I. LE CONSTAT UNANIME D’UNE SITUATION FINANCIèRE DéLICATE À LAQUELLE LE GOUVERNEMENT N’A PAS APPORTÉ DE SOLUTION SATISFAISANTE

A. La dégradation de la situation financière de la CNRACL rÉsulte de facteurs multiples

1. Comme les autres régimes, la CNRACL subit une érosion démographique

2. Certaines spécificités du régime expliquent également la détérioration rapide de son équilibre financier

B. Le relèvement de taux opéré par le Gouvernement apparaît aux collectivités comme une solution injuste et inefficace

1. La hausse des taux de cotisation pénalise lourdement l’ensemble des collectivités territoriales

2. Le relèvement des taux ne constitue pas une solution durable aux problèmes financiers de la CNRACL

II. UN RETOUR À L’ÉQUILIBRE FINANCIER QUI NE PEUT S’ENVISAGER SANS UNE RÉFORME PLUS GLOBALE DU RÉGIME

A. Certaines mesures d’urgence peuvent soulager à court terme les comptes de la CNRACL

1. La reprise de la dette de la Caisse par la CADES semble s’imposer

2. À court terme, la CNRACL doit pouvoir bénéficier de compensations provenant de la CNAF et du FSV, à l’instar des autres régimes de retraite de base

B. La consolidation financière de la CNRACL doit s’inscrire dans une rÉforme D’ensemble du régime de retraite des agents territoriaux et hospitaliers

1. Le régime ne peut être pérennisé sans un apport de ressources nouvelles et diversifiées

2. Une réflexion doit être engagée afin de réduire la charge pour le régime liée à l’indemnisation de l’invalidité

EXAMEN PAR LA DÉLÉGATION

 


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SYNTHÈSE DES RECOMMANDATIONS

 

Recommandation  1 : Adopter, dès l’année 2025, une loi autorisant la CADES à reprendre de manière permanente l’intégralité des déficits cumulés de la CNRACL, et une loi organique prolongeant de dix ans l’existence de la CADES.

Recommandation  2 : Intégrer sans délai, par voie règlementaire, les titulaires d’une pension de droit direct âgés de moins de 65 ans dans le calcul de la compensation démographique inter-régimes.

Recommandation  3 : Instaurer, en loi de financement de la sécurité sociale, un remboursement par la CNAF à la CNRACL de la charge financière représentée par la majoration pour enfants appliquée aux pensions de ses affiliés.

Recommandation  4 : Faire financer par le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) (par la CNAV à compter du 1er janvier 2026) la part des pensions d’invalidité et de retraite résultant de la garantie de pension minimale équivalente à la moitié du dernier traitement brut perçu pour les pensionnés dont le taux d’invalidité est au moins égal à 60 %.

Recommandation  5 : Instaurer, en loi de financement de la sécurité sociale, une compensation financière du FSV (puis à compter de 2026, par la CNAV) à la CNRACL pour la charge financière représentée par la validation des trimestres partiellement cotisés par les affiliés pendant les périodes de congé de maladie.

Recommandation  6 : Affilier tous les fonctionnaires territoriaux et hospitaliers à temps non complet à la CNRACL, en supprimant la condition liée à la durée de travail hebdomadaire. Étudier l’éventualité d’une affiliation rétroactive de ces fonctionnaires à la Caisse pour ceux qui le souhaitent.

Recommandation  7 : Affecter à la CNRACL une fraction de fiscalité transférée à hauteur du besoin de financement prévisible, déduction faite des mesures proposées par les cinq précédentes recommandations. Ce transfert de fiscalité devra mettre un terme à toute nouvelle augmentation du taux de la cotisation employeurs au-delà de 2028.

Recommandation  8 : Améliorer la connaissance du coût du risque invalidité en procédant à l’individualisation des cotisations vieillesse et invalidité, de façon à pouvoir adapter le financement de l’invalidité pour les affiliés à la CNRACL.

Recommandation  9 : Mettre en place sans délai le fonds de prévention de l’usure professionnelle, du maintien dans l’emploi et de l’accompagnement des transitions professionnelles dans la fonction publique territoriale.

Créer un compte pénibilité spécifique aux métiers de la fonction publique territoriale.

Recommandation  10 : Rappeler aux collectivités territoriales et leurs établissements concernés, par circulaire préfectorale, l’obligation d’établir un document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP).

 


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   AVANT-PROPOS DU PRÉSIDENT DE LA DÉLÉGATION

Lorsque le précédent Gouvernement annonce, à l’occasion de la réunion du Comité des finances locales (CFL) du 8 octobre 2024, une « trajectoire de retour à l’équilibre » des comptes de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), les élus locaux auraient pu légitimement s’attendre à la mise en œuvre des onze recommandations formulées par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), l’Inspection générale des finances (IGF) et l’Inspection générale de l’administration (IGA) dans un rapport conjoint publié quelques jours plus tôt ([1]).

La réalité fut bien différente : le rapport annexé au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, déposé le 10 octobre 2024, évoque uniquement un relèvement de douze points en trois ans du taux de cotisation des employeurs à la CNRACL ([2]), c’est-à-dire la mesure à la fois la plus facile à mettre en œuvre par la Gouvernement, mais aussi la plus lourde de conséquences pour les collectivités territoriales.

L’objectif poursuivi par le Gouvernement à travers cette hausse a été clairement affiché dès la réunion du CFL précitée : il s’agissait de prévoir une « contribution » des collectivités au « redressement des finances publiques » ([3]). Une telle mesure est la conséquence des prévisions gouvernementales de l’été 2024, qui rendaient les dépenses des collectivités injustement responsables de la dégradation des comptes publics de la France ([4]).

Même si le débat parlementaire a permis d’aboutir un étalement du relèvement sur quatre ans au lieu de trois ([5]), le choc pour les finances locales est significatif, puisqu’il représentera un surcoût de 3,9 milliards d’euros à compter de 2028, voire 4,2 milliards d’euros si l’on prend en compte l’extinction de la compensation de l’augmentation du taux opérée en 2024 ([6]).

Compte tenu de l’effort demandé en 2025, soit 1,2 milliard d’euros, l’augmentation du taux est ainsi comparable à la première mesure de rigueur imposée aux collectivités, à savoir le gel des fractions de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ([7]).

Indépendamment des comptes de la CNRACL, dont nul ne conteste la situation de plus en plus critique, on peut raisonnablement considérer que l’option choisie par le Gouvernement constitue une solution de facilité et regretter que les autres pistes de réforme évoquées par les corps d’inspection dans leur rapport précité n’aient pas été plus explorées.

C’est la raison pour laquelle le bureau de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l’Assemblée nationale a décidé, au cours de sa réunion du 4 mars dernier, d’organiser une série de tables rondes associant les experts, organisations et syndicats concernés. À l’instar de ce qui s’est déjà produit sur d’autres sujets intéressant les collectivités territoriales, il s’agit pour la délégation de conforter son rôle de force de proposition et, ainsi, de donner une légitimité aux réformes qui pourraient être engagées par le Gouvernement afin d’alléger la charge pesant sur les collectivités.

Les trois tables rondes, qui ont eu lieu successivement les 12 mars, 26 mars et 2 avril derniers, ont permis d’entendre le point de vue des auteurs du rapport des corps d’inspection précité, puis de la Conférence des employeurs territoriaux et, enfin, des représentants des organisations syndicales représentatives des personnels de la fonction publique territoriale.

Il ressort de ces travaux une constatation unanime : en dépit de la charge excessive qu’elle fera peser sur les finances locales, la hausse du taux de cotisation ne résoudra pas pour autant les problèmes financiers de la CNRACL.

En effet, le supplément de recettes provenant des cotisations versées par les collectivités s’avèrera probablement insuffisant, à court terme, pour rééquilibrer les comptes de la Caisse. Par ailleurs, le renchérissement du coût salarial des fonctionnaires territoriaux pourrait conduire les collectivités à privilégier le recrutement d’agents contractuels, c’est‑à‑dire de personnels qui ne cotisent pas à la CNRACL ([8]). À plus ou moins long terme, il en résultera une attrition de la base cotisante qui rendra d’autant plus difficile la couverture par la Caisse des prestations qu’elle sert.

Les tables rondes ont également permis de faire apparaître à quel point la structure des recettes de la CNRACL, composées à 97,1 % de cotisations, est une anomalie au milieu de régimes de retraite qui se financent, pour une part non négligeable, par l’impôt. On peut rappeler, sur ce point, que les impôts, taxes et contributions affectées à la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) s’élevaient, en 2023, à 21,4 milliards d’euros, soit 13,5 % du total de ses ressources ([9]).

À terme, la CNRACL devrait pouvoir s’appuyer, elle aussi, sur un « socle » de fiscalité transférée, dont la nature et le montant restent à déterminer.

Bien évidemment, il serait absurde d’apporter aux problèmes financiers de la Caisse une réponse qui ne serait pas pleinement cohérente avec ce qui sera décidé dans le cadre d’une future réforme globale du système de retraite en France. Si l’on n’adopte pas une large vision du financement des pensions des agents publics territoriaux, voire de l’ensemble du secteur public, l’attribution de nouvelles recettes à la CNRACL n’aura pour effet que de combler une carence en créant un manque à gagner dans un autre régime.

Pour autant, je garde de ces trois tables rondes une impression d’urgence : la situation financière de la CNRACL se dégrade si vite que l’on ne peut attendre une hypothétique réforme globale. Il convient de mettre en œuvre, dès 2026, des mesures qui, sans être exhaustives, permettront de soulager les comptes de la Caisse et, ainsi, de sécuriser le versement des prestations.

Tout d’abord, la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF) et le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) pourraient être utilement mis à contribution pour aider la CNRACL à financer l’octroi de certains avantages non contributifs qui s’apparentent à des prestations familiales ou à des dispositifs de solidarité pour cause de maladie ou d’invalidité. Ces avantages avaient été identifiés par les corps d’inspection dans leur rapport précité.

En tout premier lieu, on trouve la majoration de pension dont bénéficient les affiliés à la CNRACL à partir du troisième enfant. Il s’agirait de faire financer cet abondement complémentaire par la CNAF, comme celle-ci le fait déjà pour le régime général. Contrairement à ce que préconisent les corps d’inspection, il me paraît nécessaire d’envisager cette prise en charge à droits constants. En ce sens, il ne serait donc pas opportun de procéder à un alignement des conditions d’octroi de la majoration sur celles applicables au régime général comme le préconisent les corps d’inspection ([10]).

Le FSV, pour sa part, apporterait une compensation financière pour les avantages correspondant respectivement à la validation des périodes de demitraitement au titre du congé de maladie et la garantie d’une pension minimale pour les pensionnés dont le taux d’invalidité est au moins égal à 60 %.

Au titre des autres mesures susceptibles de donner à la CNRACL des recettes supplémentaires, il pourrait également être opportun de supprimer le seuil horaire d’affiliation, actuellement de 28 heures hebdomadaires, en-deçà duquel un agent territorial, même titulaire, est contraint de cotiser au régime général et à l’Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques (Ircantec). Une telle mesure aurait non seulement l’intérêt de mettre un terme à une distinction injustifiée entre fonctionnaires territoriaux, mais permettrait aussi d’élargir la base de cotisation.

Les corps d’inspection évaluent à environ 1,6 milliard d’euros le montant des recettes supplémentaires dont pourrait bénéficier la CNRACL chaque année si, dès 2026, les trois compensations précitées étaient mises en place et si l’ensemble des agents titulaires étaient affiliés. On peut constater que le gain ainsi réalisé serait supérieur à celui correspondant à un nouveau relèvement de trois points du taux de cotisation employeur, soit 1 milliard d’euros.

La mise en œuvre des mesures précitées pourrait, dès lors, être l’occasion, d’alléger quelque peu la charge pesant sur les collectivités en annulant le deuxième relèvement de taux prévu en 2026.

Naturellement, le maintien d’un déficit budgétaire, même légèrement réduit, oblige la CNRACL à s’endetter davantage pour couvrir ses dépenses. Dans l’attente d’une diversification des recettes, il paraît indispensable de permettre à la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES) de reprendre l’intégralité de cette dette, comme elle l’avait fait en partie, et avec succès, en 2020. Afin de donner à la CADES toute la latitude nécessaire pour que cette dette soit amortie dans de bonnes conditions, il pourrait être envisagé de prolonger de dix ans, par une loi organique, la fin du dispositif, actuellement prévue en 2033.

* * *

Au-delà des enjeux financiers que connaît actuellement la CNRACL, les trois tables rondes ont également permis d’aborder la question de sa gouvernance. Dans l’éventualité d’une évolution, je tiens à réaffirmer mon attachement au principe du paritarisme.

Les conditions de travail, parfois difficiles, des quelques 1,9 million d’agents publics qui contribuent à « faire vivre » le service public local, représentent un enjeu majeur, appelant à une plus grande reconnaissance de la pénibilité de ces métiers. Exercer les missions d’un sapeur-pompier ou d’un policier municipal expose à des risques qui peuvent dégrader sensiblement la santé, tant physique que mentale, des agents concernés.

Cette usure professionnelle, indépendamment du drame humain qu’elle constitue, constitue également un problème financier pour la CNRACL, chargée de verser des aides sociales et des prestations d’invalidité.

 

La délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation appelle donc le Gouvernement à mettre en place, dans les meilleurs délais, le fonds de prévention de l’usure professionnelle, du maintien dans l’emploi et de l’accompagnement des transitions professionnelles préconisé par les corps d’inspection dans un rapport ([11]) demandé par le Gouvernement en 2023 sur proposition de la Coordination des employeurs territoriaux, et d’entamer une réflexion en vue d’instituer rapidement un compte pénibilité spécifique aux métiers de la fonction publique territoriale.


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   COMPTES RENDUS DES TABLES RONDES
MENÉES PAR LA DÉLÉGATION

I.   TABLE RONDE DU 12 MARS 2025

La délégation a auditionné conjointement M. Jean-Pierre Cazenave, président de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), M. Ronan Mahieu, directeur des études et des statistiques à la direction des politiques sociales de la Caisse des dépôts, ainsi que MM. Yannick Le Guillou, inspecteur des affaires sociales en service extraordinaire, Vincent Ruol, inspecteur général des affaires sociales, et Bastien Sayen, inspecteur général de l’administration, co-auteurs d’un rapport sur la situation financière de la CNRACL.

Le président Stéphane Delautrette. Nous entamons cet après-midi un cycle de trois auditions, sous forme de tables rondes, sur la situation et les perspectives de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL). En effet, il m’a semblé utile que nous ayons une réflexion commune sur l’avenir de la CNRACL, compte tenu de l’impact financier que va représenter, pour les employeurs publics territoriaux, dans les années à venir, le relèvement progressif de trois points chaque année, de 2025 à 2028, du taux de cotisations vieillesse qu’ils acquittent pour leurs agents affiliés à cette caisse. C’est dans cet esprit que j’ai proposé au bureau de notre délégation, le 4 mars dernier, de nous emparer de ce sujet.

Du reste, ce cycle d’auditions s’inscrit dans le prolongement des travaux menés à l’automne dernier, lors de l’examen en première lecture du projet de loi de finances (PLF) et du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 par nos collègues Tristan Lahais et Nicolas Ray. Leur rapport d’information ([12]) a permis de mettre en lumière le poids considérable de cette mesure sur les budgets locaux, en particulier celui des petites communes.

Je tiens tout d’abord à vous remercier, Madame, Messieurs, d’avoir accepté l’invitation de notre délégation.

Pour parler de la CNRACL, nous recevons, tout d’abord, M. Jean-Pierre Cazenave, président du conseil d’administration de la CNRACL. La Caisse est un régime spécial de la sécurité sociale qui, je le rappelle, verse les prestations vieillesse à 1,34 million de retraités, de la fonction publique territoriale mais aussi de la fonction publique hospitalière, ainsi que des pensions d’invalidité pour un peu plus de 226 000 affiliés ([13]).

M. Cazenave, vous siégez depuis 2013 au conseil d’administration de la CNRACL et en avez pris la présidence l’année dernière. Vous avez une longue carrière dans la fonction publique hospitalière comme directeur d’hôpital et vous êtes actuellement directeur du centre hospitalier d’Orthez (64). Vous êtes accompagné de M. Ronan Mahieu, directeur des études et des statistiques à la direction des politiques sociales de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) – la gestion de la CNRACL étant, rappelons-le, confiée à la CDC qui assure la liquidation des droits des pensionnés et le versement des pensions. Vous êtes également accompagné de Mme Giulia Carré, directrice des affaires institutionnelles de la CDC.

Je me tourne maintenant vers les membres des inspections générales. Nous accueillons M. Yannick Le Guillou, inspecteur des affaires sociales (IGAS) en service extraordinaire, et M. Vincent Ruol, inspecteur général des affaires sociales, ainsi que M. Bastien Sayen, inspecteur général de l’administration (IGA).

Messieurs, vous êtes les co‑rédacteurs d’un rapport consacré à la situation financière de la CNRACL, achevé en mai 2024 et rendu public en septembre dernier ([14]). Ce rapport a retenu l’attention des parties prenantes, car, il faut le reconnaître, il a constitué un véritable électrochoc révélant avec acuité une situation préoccupante qui se caractérise par :

– un déséquilibre démographique croissant entre cotisants et pensionnés : en 2023, la Caisse comptabilisait 1,57 million de pensionnés pour 2,19 millions de cotisants, soit un ratio démographique de 1,40 cotisant pour 1 pensionné ([15]) ;

– un déficit qui s’est aggravé à 3,8 milliards d’euros en 2024 et qui devrait atteindre, selon vos estimations, plus de 10 milliards d’euros à l’horizon 2030, alors que la Caisse était encore excédentaire en 2017 ([16]) ;

– le prélèvement opéré sur la Caisse au titre de la compensation démographique depuis les années 1970, pour un montant cumulé avoisinant 100 milliards d’euros, que l’on peut considérer comme une injustice et qui se poursuit encore aujourd’hui malgré le déficit.

La réponse apportée par le Gouvernement a consisté en une hausse progressive, mais massive ([17]), de la cotisation des employeurs, qui représentera environ 4 milliards d’euros de coûts supplémentaires pour les collectivités territoriales en 2028.

L’objectif des échanges que nous allons avoir aujourd’hui est d’apporter des éclairages utiles sur la situation financière de la CNRACL et son évolution à moyen et long terme, mais surtout, de faire émerger d’autres pistes de réformes, y compris structurelles, que les seules mesures paramétriques déjà décidées qui vont peser lourdement sur les finances des collectivités territoriales.

Je propose de commencer ces échanges en donnant la parole au président Jean-Pierre Cazenave pour un exposé liminaire d’une dizaine de minutes avant de la céder aux membres des inspections générales qui pourront, le cas échéant, s’exprimer à plusieurs voix, sur une durée équivalente. Nous aurons ensuite un échange plus large avec mes collègues présents qui pourront poser leurs questions.

Je vous cède, M. le président Cazenave, la parole.

M. Jean-Pierre Cazenave, président du conseil d’administration de la CNRACL. Vous avez évoqué à juste titre, Monsieur le président, la dégradation progressive de la situation financière de la CNRACL à partir de 2017 ou, si l’on ne tient pas compte de la contribution au mécanisme de compensation démographique, de 2020 ([18]). Depuis cette date, l’évolution des déficits est exponentielle : ils s’élevaient, en montants cumulés, à près de 9 milliards d’euros en 2024 ; selon nos estimations, les déficits cumulés pourraient être portés à 38 milliards d’euros en 2028, puis à 60 milliards d’euros en 2030.

Une telle évolution était prévisible. La baisse du ratio entre le nombre de cotisants et de retraités depuis les années 1980 (4,5) jusqu’à aujourd’hui (1,40) était attendue. La Caisse avait bénéficié des recrutements de fonctionnaires territoriaux opérés à la suite des grandes lois de décentralisation, en 1982 et 1983, ainsi que de l’embellie de l’emploi hospitalier dans les années 1990. Il était certain que, tôt ou tard, le rapport démographique allait mécaniquement s’inverser. Le ratio, qui était encore de 2,6 cotisants pour un retraité en 2005, est tombé à 1,8 en 2015. Il devrait être ramené à 1,2 en 2028, puis à 1,1 en 2030. En termes d’ordre de grandeur, une baisse du ratio de 0,2 point correspond à un surcroît de 300 000 retraités. Le nombre de cotisants, qui s’élevait à 2,2 millions de personnes en 2023, est resté globalement stable depuis le début des années 2010.

Le mécanisme de compensation démographique ([19]) a également contribué à la dégradation de la situation financière de la CNRACL. En raison même de son ratio démographique favorable, la Caisse a dû abonder pendant plusieurs décennies les autres régimes de retraite. Les corps d’inspection ont évalué la charge supportée par la CNRACL à 80 milliards d’euros courants, et même à 100 milliards d’euros constants.

Très rapidement, il est apparu que le statu quo devenait intenable. La trésorerie de la Caisse ne lui permettant pas de faire face à ses échéances, il a fallu solliciter une autorisation d’endettement auprès de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS). En 2024, la CNRACL a dû emprunter 11 milliards d’euros. Cette année, l’emprunt devrait s’élever à 13 milliards d’euros.

Compte tenu de la gravité de la situation, le Gouvernement a décidé, en novembre 2023, de confier à l’Inspection générale des finances (IGF), à l’Inspection générale de l’administration (IGA) et à l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), une mission destinée à trouver des solutions de financement sur la période 20252030. Dans leur rapport précité, les corps d’inspection ont formulé plusieurs préconisations, notamment un relèvement du taux de cotisations des employeurs, une participation accrue des autres régimes de retraite ainsi que la reprise de la dette de la CNRACL par l’État ou, tout au moins, par la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES). La mission estimait à 7,47 points le nombre de points de cotisation supplémentaires pour assurer l’équilibre du régime en 2024. L’effort à fournir était estimé à 13,48 points en 2030 ([20]).

La course contre la montre a déjà commencé : le Gouvernement a décidé de procéder à un accroissement de 12 points en quatre ans du taux de cotisation supporté par les employeurs territoriaux et hospitaliers. Cette mesure est loin de régler le fond du problème : les services de la Caisse des dépôts et consignations estiment que le déficit cumulé s’élèverait encore à 18 milliards d’euros en 2030.

À plus long terme, la situation continuerait à se détériorer : le rapport entre cotisants et retraités serait ainsi ramené à 0,9 en 2040, puis se stabiliserait autour de 0,8 en 2050. Selon le rapport publié le mois dernier par la Cour des comptes sur l’ensemble des systèmes de retraites ([21]), la dette de la CNRACL atteindrait 50 milliards d’euros en 2035 et 125 milliards d’euros en 2045 en dépit du relèvement de 12 points du taux de cotisation.

À cet égard, je voudrais rappeler que, par rapport aux autres régimes de retraites, la CNRACL se caractérise par sa structure de financement, entièrement assise sur des cotisations. Elle diffère ainsi du régime général, dont les cotisations ne constituent qu’une partie des recettes, et du Service des retraites de l’État (SRE), qui est entièrement financé par l’impôt. À mon sens, on ne pourra résoudre les problèmes de financement de la CNRACL que dans le cadre d’une réforme globale comportant une diversification des ressources. L’équilibre n’est pas possible à périmètre constant.

Le président Stéphane Delautrette. Merci, M. Cazenave. Je vais maintenant demander à MM. Sayen, Ruol et Le Guillou de présenter le contenu de leurs travaux.

M. Bastien Sayen, inspecteur général de l’administration. Comme l’a indiqué le président Cazenave, le Gouvernement a constitué une mission d’inspection en novembre 2023, c’est‑à‑dire à un moment où il avait déjà décidé d’accroître d’un point ([22]) le taux de cotisation employeur à la CNRACL. Il ne nous a pas été demandé de réfléchir à une réforme systémique de l’ensemble des régimes de retraites, mais d’identifier une trajectoire de redressement des comptes de la Caisse.

Notre rapport effectue des constats et formule des propositions.

Au titre des constats, comme vient de le rappeler M. Cazenave, ce sont les caractéristiques propres au régime qui expliquent les difficultés actuelles de la CNRACL. Je ne reviendrai pas sur les facteurs qui ont conduit à la dégradation rapide du rapport entre cotisants et retraités. Ce rapport, qui est globalement de 1,40, ne fait pas apparaître de différences majeures entre les deux fonctions publiques concernées : le ratio est aujourd’hui légèrement meilleur dans la fonction publique territoriale (FPT) que dans la fonction publique hospitalière (FPH), mais la situation était inversée avant 1997. L’âge moyen du cotisant est, par ailleurs, de 46 ans, ce qui laisse supposer un accroissement important du nombre de retraités à moyen terme.

Je voudrais signaler deux données qui ont été, jusqu’à présent, peu citées : tout d’abord, l’espérance de vie en phase de retraite est supérieure de 7 mois à celle des autres régimes, probablement en raison du niveau élevé de féminisation des cotisants. Par ailleurs, on constate que l’âge moyen de départ en retraite est de près d’un an inférieur à celui constaté dans le régime général. En effet, le régime se caractérise par un recours plus fréquent au dispositif des « carrières longues » ([23]), qui représente 30 % de l’ensemble des pensionnés de la Caisse. Les agents de la FPH et de la FPT ont également la possibilité de bénéficier d’une retraite anticipée s’ils appartiennent à une catégorie d’emplois « active » ([24]) : même si ce dispositif a vocation à s’éteindre progressivement, il représentait encore 20 % des départs en retraite à la CNRACL en 2022.

S’agissant de la compensation démographique, nos travaux ont permis de confirmer le montant cumulé de 100 milliards d’euros de la contribution supportée par la CNRACL qui avait été annoncé par les employeurs territoriaux. En outre, le recours accru des employeurs aux contractuels, qui cotisent au régime général et à l’Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques (Ircantec), a provoqué une attrition de la base cotisante dans la mesure où ces personnels représentent aujourd’hui un quart de l’emploi territorial et hospitalier.

Au titre des propositions, nous avons identifié à 50 % le taux de cotisation permettant, à nos yeux, le retour à l’équilibre de la Caisse. Bien évidemment, une telle ponction serait difficilement soutenable pour les employeurs, notamment territoriaux.

Pour cette raison, nous avons également envisagé une diversification des ressources de la CNRACL. Ainsi, par exemple, la Caisse pourrait bénéficier de la prise en charge par la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF) de l’avantage non contributif que représente le versement aux retraités du régime d’une majoration de pension à compter du troisième enfant. Une telle compensation existe déjà au profit du régime général. Dans la même logique, le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) pourrait prendre en charge la garantie de pension d’invalidité équivalente à la moitié du dernier traitement brut pour les affiliés dont le taux d’invalidité est au moins égal à 60 %.

S’agissant de la compensation démographique, nous n’avons pas envisagé de réforme globale du système. Pour autant, le rapport identifie deux éléments qui pénalisent spécifiquement la CNRACL. Tout d’abord, le mécanisme ne tient pas compte des pensionnés de moins de 65 ans, alors que ceux-ci représentent une part non négligeable des effectifs indemnisés par la Caisse. Par ailleurs, le dispositif ne considère que des personnes retraitées indépendamment de leur durée de cotisation. Il pénalise donc les régimes où les retraités ont de longues durées cotisées, ce qui est le cas de la CNRACL.

Le rapport préconise également la reprise de la dette de la Caisse par la CADES. Selon nos estimations, en l’absence de toute réforme, les charges d’intérêts devraient dépasser le milliard d’euros à compter de 2029 ([25]).

Afin de réduire le phénomène d’attrition de la base cotisante, nous avons envisagé un mécanisme de taxation des contrats destiné à réduire le différentiel de cotisation entre les agents titulaires et non titulaires. Une telle disposition mériterait, toutefois, d’être expertisée plus profondément. Il pourrait également être envisagé de soumettre aux cotisations les primes allouées aux fonctionnaires. À court terme, il en résulterait un « choc » de recettes en faveur de la CNRACL, mais aussi, à plus long terme, un « choc » de dépenses dans la mesure où les agents concernés bénéficieraient d’un droit à pension plus élevé. Le rattachement à la CNRACL des personnels contractuels poserait, enfin, de nombreux problèmes pratiques : il n’est, en effet, pas toujours possible de reconstituer précisément la carrière des agents concernés, notamment la quotité d’heures travaillées. Il faudrait également prévoir une compensation de la part du régime général, ce qui ne paraît pas évident à mettre en place.

Notre mission a, en outre, essayé d’imaginer un mode de fonctionnement de la CNRACL similaire à celui du compte d’affectation spéciale (CAS) consacré aux pensions des fonctionnaires d’État. Nous avons exhumé, à cette occasion, un décret de 2007 ([26]) qui instaure une obligation pour les employeurs publics de contribuer à la résorption des déficits de leur caisse de retraite. Si ce décret était appliqué, il en découlerait les mêmes effets pour les collectivités territoriales que le relèvement du taux de cotisation engagé par le Gouvernement.

Enfin, le rapport esquisse l’hypothèse de la suppression de la CNRACL et le rattachement de tous les fonctionnaires au régime général. Selon les travaux réalisés par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) du ministère de la santé ([27]), une telle réforme aurait des conséquences très différentes selon les agents et favoriserait tendanciellement les fonctionnaires percevant des primes.

M. Vincent Ruol, inspecteur général des affaires sociales. Au‑delà des propositions de notre rapport, je voudrais rappeler que la situation financière de la CNRACL s’inscrit dans un cadre plus large, sous la forme de « poupées russes » : la Caisse n’est qu’un des régimes constitutifs du système de retraite, qui n’est lui‑même qu’une composante du modèle français de protection sociale. Financer la CNRACL par un prélèvement sur une autre branche de la sécurité sociale, par exemple la branche « famille », n’aura aucun effet au sens « maastrichtien » du terme. Nos propositions, en quelque sorte, ne font que déplacer des déficits pour les mettre là où il le faut.

M. Yannick Le Guillou, inspecteur des affaires sociales en service extraordinaire. Notre mission n’a pas cherché à évaluer la pertinence des règles générales applicables à l’ensemble des systèmes de retraite en France, car nous n’avions pas reçu du Gouvernement un mandat pour le faire. Le rapport, par exemple, évoque l’intérêt que pourrait constituer une réforme des modalités d’indexation des pensions sur l’évolution des dépenses de la Caisse, mais ne formule aucune préconisation en la matière dans la mesure où cela dépasserait « le seul cadre de la CNRACL » ([28]).

Le président Stéphane Delautrette. Merci, messieurs. Je vais maintenant donner la parole à M. Jean‑René Cazeneuve pour le groupe Ensemble pour la République (EPR).

M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Votre présentation, très claire, a le mérite de démontrer qu’il fallait prendre des mesures fortes pour rétablir la situation financière de la CNRACL.

Si l’on en croit votre rapport, le relèvement de douze points en quatre ans opéré par le Gouvernement dans le cadre de la loi n° 2025‑199 du 28 février 2025 de financement de la sécurité sociale pour 2025 représentera un coût supplémentaire de 4 milliards d’euros par an pour les collectivités territoriales. Certes, il ne s’agit pas d’une bonne nouvelle. Pour autant, si l’on considère le niveau global de leurs dépenses, de l’ordre de 300 milliards d’euros, et de leur épargne brute, qui s’élevait à 32,4 milliards d’euros à la fin du mois de janvier 2025 ([29]), peut-on considérer véritablement cet effort comme insoutenable ? Il ne me paraît pas illogique que les collectivités territoriales participent à l’équilibre de leur propre régime de retraite.

En revanche, on peut comprendre l’agacement des élus locaux à l’encontre de la contribution de 100 milliards d’euros que la CNRACL a dû fournir au titre de la compensation démographique. Cet effort paraît d’autant plus injuste qu’il n’est, en définitive, que la conséquence d’un transfert de charges découlant des lois de décentralisation.

M. Jean-Pierre Cazenave, président du conseil d’administration de la CNRACL. Je partage votre point de vue : les fonctionnaires recrutés par les collectivités territoriales à partir des années 1980 auraient été des agents de l’État s’il n’y avait pas eu de décentralisation. L’impôt, en quelque sorte, aurait dû financer les retraites de ces fonctionnaires. Cela rejoint ce que j’énonçais dans mon propos introductif : à paramètres constants, l’amélioration de la situation financière de la CNRACL suppose la mobilisation de nouvelles ressources qui, de mon point de vue, ne peuvent provenir, directement ou indirectement, que de la fiscalité.

Par ailleurs, je voudrais rappeler, une nouvelle fois, que, même si l’on mettait en œuvre l’ensemble des mesures de redressement figurant dans le rapport des corps d’inspection, le régime ne serait toujours pas équilibré en 2030.

M. Bastien Sayen, inspecteur général de l’administration. Je voudrais signaler un point que j’ai oublié de mentionner tout à l’heure au sujet de la contribution démographique : notre rapport ne propose pas de la supprimer, car la CNRACL devrait en être bénéficiaire à compter de 2027 ou 2028.

M. Jean-Pierre Cazenave, président du conseil d’administration de la CNRACL. Selon moi, le débat sur la compensation démographique est derrière nous. La CNRACL ne récupèrera pas les 100 milliards d’euros qu’elle a versés au fil des années. Actuellement, la compensation ne représente que quelques centaines de millions d’euros dans les comptes de la CNRACL ([30]) et ne cesse de baisser avec les années. Même si la Caisse devient bénéficiaire, les montants en jeu seront insuffisants pour rétablir les finances du régime.

M. Vincent Ruol, inspecteur général des affaires sociales. J’ajoute que le mécanisme de compensation démographique est un jeu à somme nulle : il y a des « perdants », tels que la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), le régime des avocats et, bien sûr, la CNRACL, et des « gagnants » – le premier d’entre eux étant le régime des exploitants agricoles.

M. Yannick Le Guillou, inspecteur des affaires sociales en service extraordinaire. Contrairement aux idées reçues, ce sont des régimes de retraite des agents publics qui ont financé pendant de nombreuses années des régimes de retraite du secteur privé.

Le président Stéphane Delautrette. Je ne reviendrai pas sur le débat qui a animé l’Assemblée nationale à l’automne dernier sur la « soutenabilité » de l’effort demandé aux collectivités territoriales. J’observe, néanmoins, que le relèvement des taux de cotisation pèsera sur leurs budgets de fonctionnement ainsi que sur leurs capacités d’investissement sans pour autant apporter une solution pérenne au problème financier rencontré par la CNRACL.

Par ailleurs, on peut craindre que cette mesure ne crée un tel différentiel de cotisation entre un fonctionnaire et un agent non titulaire que les employeurs territoriaux ne soient incités à recruter encore plus de personnels contractuels. L’apport financier du relèvement ne risque-t-il pas d’être en partie annulé par cet effet d’attrition de la base cotisante ? Comment pourrait-on, selon vous, y remédier ?

M. Jean-Pierre Cazenave, président du conseil d’administration de la CNRACL. Afin de réduire le différentiel de cotisation, la mission d’inspection envisageait la taxation des emplois contractuels ([31]). Cela impliquerait un accroissement des charges pesant sur les employeurs territoriaux et hospitaliers. J’ajoute, à cette occasion, que cela renchérirait le coût de l’emploi public dans le secteur public hospitalier et pourrait provoquer un appel d’air vers le secteur privé. Des effets de bord ne sont pas exclus.

Le Gouvernement a privilégié la voie du relèvement des taux de cotisation, car il s’agissait de l’une des préconisations du rapport de la mission d’inspection la plus facile à mettre en œuvre. Pour autant, il y a d’autres mesures qui, nonobstant le « jeu à somme nulle » qu’évoquait M. Ruol, pourraient aider la CNRACL : la prise en charge par la CNAF, par exemple, de la majoration de pension pour enfant représenterait un gain d’un milliard d’euros ([32]) dès cette année, ce qui n’est pas négligeable.

La reprise de la dette de la CNRACL par la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES), qui constitue l’une des principales recommandations du rapport ([33]), est également une piste intéressante. Je rappelle, à cet égard, que la Caisse a déjà bénéficié d’une intervention de la CADES en 2020, à hauteur de 1,3 milliard d’euros, dans la perspective de la mise en place du régime universel de retraite alors envisagé par le Gouvernement ([34]).

Ces deux mesures pourraient, à périmètre constant, soulager la Caisse et mériteraient, selon moi, d’être sérieusement envisagées.

M. Vincent Ruol, inspecteur général des affaires sociales. L’idée d’une taxation des contrats d’agents non titulaires ne se conçoit que dans la mesure où les employeurs territoriaux et hospitaliers peuvent « arbitrer » entre deux caisses de retraite dans leurs recrutements. Vous avez entièrement raison, M. le président : toute hausse de taux aura tendance à réduire le nombre de fonctionnaires et, ainsi, à aggraver les problèmes financiers de la CNRACL. Au terme du processus, le malade « mourra guéri », mais il « mourra ».

Le président Stéphane Delautrette. Vous avez confirmé ici une de mes craintes. Dans leur rapport présenté en décembre dernier devant notre délégation, MM. Tristan Lahais et Nicolas Ray ont indiqué que, selon eux, le régime de la CNRACL devait, à son tour, « adopter un mode de financement mixte assis en partie sur des taxes affectées » ([35]). Qu’en pensez-vous ?

M. Yannick Le Guillou, inspecteur des affaires sociales en service extraordinaire. Le fait que la CNRACL soit presque entièrement financée par des cotisations constitue, effectivement, un handicap spécifique au regard de la situation des autres régimes de retraite. À titre de comparaison, les cotisations ne représentaient que 66,6 % des ressources de l’ensemble des régimes de retraite en 2022, contre plus de 99 % à la CNRACL ([36]).

M. Vincent Ruol, inspecteur général des affaires sociales. Il pourrait également être intéressant de distinguer la part du déficit de la Caisse qui est due aux retraites et celle qui est liée aux prestations d’invalidité, donc à la maladie. Les cotisations, qui ne sont absolument pas fléchées, ne permettent malheureusement pas d’explorer cette piste.

M. Jean-Pierre Cazenave, président du conseil d’administration de la CNRACL. Cela créerait immanquablement de la complexité ! Au demeurant, on peut supposer que l’essentiel du déficit provient bien de la dégradation du ratio démographique.

M. Bastien Sayen, inspecteur général de l’administration. L’invalidité pourrait représenter, à terme, une charge significative pour la CNRACL si les collectivités employeurs devaient y recourir plus fréquemment dans le cadre de leur gestion des ressources humaines, faute d’investir suffisamment dans la prévention.

M. Jean-Pierre Cazenave, président du conseil d’administration de la CNRACL. L’allongement des carrières, découlant des reports successifs de l’âge légal de départ en retraite, peut, effectivement, avoir pour effet d’accroître de manière tendancielle le nombre de bénéficiaires d’une allocation d’invalidité, en particulier dans la fonction publique hospitalière, où les métiers sont physiquement durs. Il ressort, toutefois, d’études menées sur ce sujet – je ne me souviens plus précisément dans quel cadre – qu’une réforme consistant à sortir le volet « invalidité » du périmètre de la CNRACL n’aboutirait pas nécessairement à un gain financier pour la Caisse.

M. Bastien Sayen, inspecteur général de l’administration. Pourtant, un problème se pose dans la mesure où la masse des prestations d’invalidité versées a tendance à s’accroître à taux de cotisation constant. C’est la raison pour laquelle notre mission d’inspection avait préconisé d’individualiser les taux de cotisation dus au titre de l’invalidité afin de pouvoir ajuster les ressources à la dynamique des dépenses et, ainsi, mieux responsabiliser les employeurs ([37]).

M. Vincent Ruol, inspecteur général des affaires sociales. D’un point de vue comptable, les allocations d’invalidité sont considérées comme des dépenses d’assurance maladie. Elles n’en contribuent pas moins au déficit de la CNRACL et, dès lors, sont perçues comme un facteur explicatif de la dégradation de la situation financière du régime de retraite.

M. Yannick Le Guillou, inspecteur des affaires sociales en service extraordinaire. J’ajoute que, dans notre rapport, nous avons rappelé que la CNRACL prenait en charge l’avantage non contributif consistant en la validation complète, au titre de la retraite, des trimestres pendant lesquels un affilié perçoit un demi-traitement au titre d’un congé de maladie. Cet avantage pourrait, à l’instar du régime général, être financé par le FSV ([38]). Je précise, à cette occasion, que le FSV est financé par l’ensemble des assurés sociaux ([39]), parmi lesquels on trouve les affiliés à la CNRACL. Le gain financier de la mesure pour la CNRACL a été estimé à 228 millions d’euros en 2025 et 257 millions d’euros en 2030.

La prise en charge par le FSV de la garantie de pension d’invalidité minimale, mentionnée par M. Sayen tout à l’heure, rapporterait 50 millions d’euros à la CNRACL en 2025 et 57 millions d’euros en fin de période ([40]).

Le président Stéphane Delautrette. Afin d’éviter ces flux de compensation, ne serait-il pas finalement plus simple de faire cotiser tous les agents territoriaux, contractuels compris, à la CNRACL ?

M. Vincent Ruol, inspecteur général des affaires sociales. Cela supposerait de définir ce qui relève, dans le salaire d’un agent contractuel, d’un « traitement brut » soumis à cotisation et d’une « prime ». Par ailleurs, il n’est pas certain qu’un tel rattachement soit intéressant pour l’agent du point de vue de ses droits à la retraite. Compte tenu de l’inflation et de la relative stabilité du point d’indice sur une longue période, le maintien dans le régime général, où la cotisation s’effectue sur l’intégralité de la rémunération, paraît plus avantageux.

M. Yannick Le Guillou, inspecteur des affaires sociales en service extraordinaire. C’est l’un des principaux « scoops » du rapport : le régime de retraite des fonctionnaires est aujourd’hui moins intéressant que le régime général !

M. Bastien Sayen, inspecteur général de l’administration. Pour des raisons d’homogénéité, nous avons, en revanche, préconisé le rattachement à la CNRACL des fonctionnaires à temps partiel dont la durée de travail hebdomadaire est inférieure au seuil d’affiliation, actuellement de 28 heures ([41]).

M. Jean-Pierre Cazenave, président du conseil d’administration de la CNRACL. À première vue, il peut être tentant d’opérer un rapprochement entre, d’une part, la CNRACL et, d’autre part, le régime général et l’Ircantec. Il ressort, toutefois, des projections effectuées en février dernier par la Cour des comptes que l’Ircantec pourrait, à son tour, connaître une phase un peu plus délicate au cours des prochaines années ([42]). On n’a jamais fait de deux « pauvres » un « riche » !

M. Yannick Le Guillou, inspecteur des affaires sociales en service extraordinaire. Au-delà de l’année 2030, qui constitue la limite du mandat que le Gouvernement nous avait confié, les soldes des régimes de retraite varient fortement selon les hypothèses retenues. Il n’en demeure pas moins que l’on ne peut pas envisager une quelconque amélioration de la situation avant la fin des années 2040, quel que soit le régime concerné. Il s’agit moins de « passer un cap » que d’entamer une longue « traversée du désert ».

Le président Stéphane Delautrette. La métaphore que vous venez d’employer, M. Le Guillou, illustre parfaitement le travail qui attend notre délégation. En tout cas, j’ai bien noté, parmi les recommandations de votre rapport, celles qui mériteraient, selon vous, d’être examinées en priorité. Je vous remercie pour votre participation.

II.   TABLE RONDE DU 26 MARS 2025

La délégation a auditionné conjointement MM. Philippe Laurent, président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT), Yohann Nédélec, président du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et co‑président de la commission « fonction publique territoriale » de l’Association des maires de France et présidents d’intercommunalité (AMF), Jean-Marc Frizot, vice-président de la Fédération nationale des centres de gestion (FNCDG) et Thomas Fromentin, vice-président d’Intercommunalités de France, Mme Emmanuelle Rousset, co-présidente de la commission « fonction publique territoriale » de France Urbaine et M. Igor Sémo, vice‑président de l’Association des petites villes de France (APVF).

Le président Stéphane Delautrette. Nous poursuivons cet après-midi le cycle de tables rondes sur la situation financière et les perspectives de la CNRACL entamé le 12 mars dernier. Après avoir échangé avec M. Jean-Pierre Cazenave, président du conseil d'administration de la CNRACL, ainsi qu'avec les inspecteurs généraux auteurs du rapport sur la situation financière de la CNRACL rendu public en septembre 2024 ([43]), la délégation reçoit aujourd’hui les représentants de la coordination des employeurs publics territoriaux.

Dans un premier temps, je rappellerai brièvement le contexte dans lequel s’inscrit cette table ronde. Lors du dépôt du PLFSS pour 2025, le Gouvernement avait annoncé son intention de procéder à un relèvement massif du taux de la cotisation vieillesse qu’acquittent les employeurs publics territoriaux pour leurs agents affiliés à la CNRACL, cotisation qui avait déjà fait l’objet d’une augmentation d’un point en 2024, compensée – mais uniquement pour 2024 – par une diminution équivalente du taux de la cotisation d’assurance maladie due par les employeurs. Le décret ([44]) publié le 31 janvier 2025 prévoit une augmentation de 3 points chaque année, de 2025 à 2028, du taux de la cotisation employeur à la CNRACL qui passera de 31,65 % en 2024 à 43,65 % en 2028. Cette augmentation de 13 points – en prenant en compte la fin du taux dérogatoire de la cotisation maladie – représentera un coût supplémentaire très lourd pour les collectivités territoriales, de l’ordre de 4,2 milliards d’euros par an à partir de 2028.

Dès lors, il m'a paru pertinent d'engager, au sein de la délégation, une réflexion collective sur l'avenir de la CNRACL, en élargissant les travaux menés, lors de l’examen en première lecture du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, par nos collègues Tristan Lahais et Nicolas Ray, dont le rapport d’information ([45]) avait permis de mettre en lumière le poids considérable d’une hausse aussi importante du taux de cotisation employeur sur tous les budgets locaux, quelle que soit la strate concernée.

Notre délégation a également été très sensible aux différentes communications et alertes de la coordination des employeurs publics territoriaux qui regroupe l’ensemble des associations du collège employeurs du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT). Je rappellerai que les membres de la coordination constituent ensemble le deuxième employeur public de France avec 1,9 million d’agents.

Dans un communiqué rendu public lors du dernier Congrès des maires et présidents d’intercommunalité de France ([46]), vous avez dénoncé – je cite – « l’ampleur et la brutalité des récentes annonces financières qui viennent percuter la capacité d’action des collectivités, qu’il s’agisse des mesures contenues dans le projet de loi de finances ou de l’augmentation inédite de la contribution retraite des employeurs à la CNRACL ». Vous avez, à plusieurs reprises, rappelé l’apport des collectivités territoriales et de leurs agents à la solidarité nationale qui s’est traduite par le versement par la CNRACL de près de 100 milliards d’euros aux autres régimes depuis le milieu des années 70, alors même que la CNRACL rencontrait progressivement les mêmes difficultés que tous les autres régimes, à savoir un déséquilibre du ratio démographique entre cotisants et pensionnés, et qu’elle se retrouve aujourd’hui déficitaire, à hauteur de 3,8 milliards d’euros, et selon l’estimation du rapport des inspecteurs généraux précité, de 10 milliards d’euros à l’horizon 2030.

Cette situation peut être considérée, à l’évidence, comme une « injustice ». Mais au-delà du constat, nos échanges d’aujourd'hui visent à faire émerger des pistes de mesures alternatives ou complémentaires, y compris structurelles, à celles déjà arrêtées par le Gouvernement, afin de ne pas faire supporter aux seuls employeurs publics territoriaux la charge de l’équilibre financier du régime. Ces pistes feront l’objet d’un rapport de la délégation que je remettrai au ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation, M. François Rebsamen ainsi qu’à la ministre chargée des comptes publics, Mme Amélie de Montchalin.

Je propose de commencer ces échanges en donnant la parole à M. Philippe Laurent, maire de Sceaux (92), vice-président de la métropole du Grand Paris, conseiller régional d’Ile‑de‑France et président du CSFPT.

M. Philippe Laurent, président du CSFPT. La Coordination des employeurs territoriaux (CET) est une instance sans personnalité juridique regroupant les principales associations d’élus locaux ([47]), le CNFPT, la FNCDG ainsi que les membres du collège des employeurs au CSFPT. Née à l’occasion de la discussion sur le projet de loi de finances pour 2019, la CET a su s’imposer comme un interlocuteur de référence auprès du Gouvernement et des organisations syndicales.

C’est à ce titre que la CET a sollicité – et obtenu – du Gouvernement l’engagement d’une réflexion sur la mise en place d’un fonds de prévention de l’usure professionnelle dans la fonction publique territoriale ([48]). Nous avons également pu conclure le 11 juillet 2023 avec les organisations syndicales un accord collectif national sur la protection sociale complémentaire des agents territoriaux, actuellement en cours de transposition sur le plan législatif.

De notre point de vue, la retraite des agents publics territoriaux, fonctionnaires et contractuels, ne se limite pas à la CNRACL, dans la mesure où les employeurs que nous représentons cotisent également au régime général d’assurance vieillesse, à l’Ircantec et à la retraite additionnelle de la fonction publique (RAFP) ([49]). Les travaux réalisés par les corps d’inspection, dont les éléments les plus opérationnels ont été repris par MM. Tristan Lahais et Nicolas Ray dans leur rapport d’information, permettent d’avoir une vision précise de la situation financière de la CNRACL et des solutions susceptibles d’être apportées.

Pour autant, toute réforme, y compris paramétrique, du régime aura nécessairement un impact sur les autres. La hausse des taux de cotisation décidée par le Gouvernement a vocation à perdre de son efficacité à plus ou moins long terme dans la mesure où près de 25 % des postes dans la fonction publique territoriale sont aujourd’hui occupés par des contractuels. Nous estimons donc que la retraite des personnels des collectivités territoriales doit être envisagée sous l’angle le plus global possible.

À cet égard, nous avions déploré de ne pas avoir été associés aux premières réunions de la conférence nationale sur les retraites, surnommée « conclave ». L’organisation d’une session spécifique à la fonction publique, le 19 mars dernier, à laquelle la CET a été conviée, nous a rassurés sur ce point.

Le président Stéphane Delautrette. Je vous remercie. Les autres membres de la CET sont libres d’intervenir comme ils le souhaitent.

M. Yohann Nédélec, président du CNFPT. Comme l’indiquait à l’instant M. Philippe Laurent, l’usure professionnelle est une donnée importante lorsqu’on parle de retraite dans la fonction publique territoriale. La réforme des retraites de 2023 ([50]), imposée de manière unilatérale, omet malheureusement la réalité des tâches exercées par les agents publics territoriaux, qui sont parfois très pesantes à partir d’un certain âge. Sur ce point, le CNFPT dispose de 400 encadrants compétents pour accompagner les quelque 5 000 agents qui, chaque année, sollicitent une reconversion professionnelle, quelle qu’en soit la cause.

Grâce au rapport précité des corps d’inspection, les difficultés rencontrées par la CNRACL sont désormais connues. À cet égard, je voudrais rappeler que près de la moitié des recrutements dans la fonction publique territoriale se font aujourd’hui par la voie contractuelle. Le taux de 25 % d’agents contractuels évoqué à l’instant par M. Philippe Laurent a donc vocation à s’accroître rapidement au cours des prochaines années, ce qui devrait accélérer la dégradation de la situation financière de la Caisse.

Quelles que soient les réflexions sur les réformes à mener, il est indispensable que les employeurs territoriaux soient associés le plus en amont possible. Le relèvement des taux de cotisation, là aussi opéré de manière unilatérale, est d’autant moins apprécié qu’il intervient à une période de l’année où les collectivités territoriales bouclent leur budget, parfois dans des conditions délicates. La CET appelle le Gouvernement à revoir sa méthode.

M. Jean-Marc Frizot, vice-président de la FNCDG. Vous avez évoqué, Monsieur le président, le montant considérable de 100 milliards d’euros de la contribution versée par la CNRACL aux autres régimes en application du mécanisme de compensation démographique. Il ne s’agit pas pour nous de regretter cette situation et de nous appesantir sur le passé mais, au contraire, de formuler des propositions pour l’avenir.

Comme l’ont indiqué à l’instant MM. Laurent et Nédélec, la simple mesure paramétrique décidée par le Gouvernement ne résoudra pas le problème. À l’instar des autres régimes, la CNRACL est confrontée à une hausse tendancielle des dépenses découlant de l’allongement de la durée de la vie. Elle doit faire face – cela a également été dit – à l’usure professionnelle inhérente aux métiers de la fonction publique territoriale.

Rappelons que les trois quarts des agents territoriaux relèvent de la catégorie C, c’est-à-dire d’une catégorie où l’on trouve de nombreux métiers pénibles : policiers municipaux, agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM), etc. Par ailleurs, 43 % des agents ont plus de 50 ans. Il n’est donc pas surprenant de constater une « explosion » du nombre de cas d’invalidité dans la fonction publique territoriale depuis 20 ans : aujourd’hui, ce sont 52 000 agents qui, chaque année, sollicitent la reconnaissance d’une inaptitude ou d’une invalidité.

La première proposition que nous formulons porte précisément sur le fonds de prévention de l’usure professionnelle dans la fonction publique territoriale, évoqué tout à l’heure par M. Laurent. Il nous paraît essentiel de le mettre en place dans les meilleurs délais, le dispositif ayant vocation à être financé par une contribution de 0,1 % sur la masse salariale.

La reconnaissance de la pénibilité doit s’appuyer sur une refonte profonde de la liste des métiers relevant de la catégorie « active », dont les contours n’ont pas été sensiblement modifiés depuis longtemps ([51]). Un compte de pénibilité distinct de celui applicable au secteur privé devrait également être mis en place dans la fonction publique.

Afin de permettre un meilleur aménagement des fins de carrière, nous proposons, par ailleurs, que le compte épargne temps (CET) soit déplafonné afin de permettre à un agent territorial de prendre son congé juste avant son entrée en phase de retraite ([52]). Naturellement, ce déplafonnement ne serait valable que dans la perspective d’un départ en retraite.

La gestion du dispositif pourrait être utilement adossée à celle du fonds de prévention de l’usure professionnelle, lui-même intégré dans un établissement public autonome auquel serait rattaché le fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHP) ([53]). Une telle concentration permettrait de mieux anticiper les départs à la retraite difficiles.

M. Igor Sémo, vice-président de l’APVF. Selon l’APVF, il est essentiel que le fonds de prévention de l’usure professionnelle, évoqué par MM. Laurent et Frizot, soit mis en place dans les plus brefs délais. D’une certaine manière, nous sommes déjà en retard.

Les spécificités de la fonction publique territoriale, qui ont été rappelées tout à l’heure par M. Frizot, rendent d’autant plus nécessaire la prise en charge de l’usure professionnelle. Je voudrais, si vous me permettez, prendre l’exemple du service d’accueil de la petite enfance, qui représente le premier poste de dépenses de ressources humaines (RH) dans la commune de Saint-Maurice (94), dont je suis le maire. Contrairement à l’image qu’on peut en avoir, il s’agit d’un métier très exigeant, tant sur le plan physique que psychique.

Bien évidemment, le reclassement professionnel fait partie des options qui peuvent être offertes aux agents qui commencent à être usés professionnellement. Encore faut-il que la collectivité soit suffisamment grande pour pouvoir offrir une porte de sortie. À titre personnel, je me souviens d’un entretien avec Mme Dominique Faure, alors ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité, qui m’indiquait que, sur la totalité de son mandat de maire de la commune de Saint-Orens-de-Gameville (31), elle n’avait réussi à effectuer qu’un seul reclassement d’agent. Ce n’est pas « à l’échelle » dès lors que l’on considère les dizaines d’agents des services d’accueil de la petite enfance, des espaces verts et de la voirie qui sollicitent une réorientation chaque année.

Il existe une réelle marge de progression dans la prise en compte des conditions de travail dans la fonction publique territoriale. À ce jour, 38 % des employeurs territoriaux n’ont pas mis en place de document unique d’évaluation des risques professionnels ([54]). Les deux tiers des collectivités territoriales ne disposent pas de ressources internes en matière de santé et de sécurité au travail. Très souvent, l’entretien de milieu de carrière ([55]) n’est pas fait.

Enfin, je tiens à souligner les « effets de bord » qui devraient découler du report de l’âge de départ en retraite prévu en 2023. En effet, une retraite plus tardive pourrait entraîner une hausse des allocations d’invalidité, qui sont précisément versées par la CNRACL ([56]). Par ailleurs, les absences pour maladie qui pourraient résulter du maintien dans l’emploi d’agents usés professionnellement ne manqueront pas de peser négativement sur la qualité de service due aux usagers. Ces difficultés viennent s’ajouter à d’autres sujets de préoccupation pour les collectivités, notamment la hausse des coûts assurantiels liés à la sinistralité, qui a fait l’objet l’an dernier de travaux d’information au sein du Parlement ([57]).

Mme Emmanuelle Rousset, co-présidente de la commission « fonction publique territoriale » de France Urbaine. Les conditions de l’équilibre financier de la CNRACL se sont considérablement détériorées. La Caisse n’a pu contribuer, à hauteur de 100 milliards d’euros, aux autres régimes de retraite qu’en raison d’un ratio démographique qui lui était très favorable – 4,53 cotisants pour un retraité dans les années 1980. La situation n’est aujourd’hui plus comparable, puisque le ratio est tombé à 1,46 cotisant pour un retraité en 2022.

Lorsque le Gouvernement avait procédé, pour l’année 2024, au relèvement d’un point du taux de cotisation employeur à la CNRACL ([58]), nous avions pu obtenir une compensation au travers d’une baisse équivalente des cotisations d’assurance maladie. Cette compensation n’était, malheureusement, que temporaire.

Le décret du 30 janvier 2025 précité procède, cette fois, à une hausse significative du taux de cotisation. Selon nos estimations, cela pourrait porter le différentiel de coût entre un agent titulaire et un contractuel à 382 euros au profit de ce dernier. Même si tous les employeurs ici présents sont attachés au statut de la fonction publique territoriale, l’incitation au recrutement de contractuels risque d’être forte. Il en résultera une attrition plus élevée de la base de cotisation à la CNRACL.

Si l’on suit la trajectoire d’équilibre calculée par les corps d’inspection dans leur rapport ([59]), le taux de cotisation employeur s’établirait à 50,34 % en 2030. Si l’on voulait ainsi asphyxier le service public local, on ne s’y prendrait pas autrement…

Les employeurs territoriaux sont, naturellement, disposés à contribuer au redressement de la situation financière de la Caisse, mais dans des proportions qui restent soutenables.

M. Thomas Fromentin, vice-président d’Intercommunalités de France. À titre liminaire, je voudrais rappeler l’impact important du relèvement du taux de cotisation employeur, qui s’applique à toutes les collectivités territoriales et à tous les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Certains employeurs territoriaux n’ont pris conscience des effets de la mesure que quand elle a été mise en œuvre !

L’année dernière, on a pu faire un procès en mauvaise gestion à la CNRACL, qui nous paraît d’autant plus injuste que celle-ci a, au travers du mécanisme de compensation démographique, contribué à l’équilibre des autres régimes à hauteur de 100 milliards d’euros.

Au travers du relèvement des taux de cotisation, le Gouvernement adopte une approche purement paramétrique qui nous paraît inquiétante. Certaines des recommandations figurant dans le rapport des corps d’inspection nous paraissent devoir être envisagées. Tout d’abord, il semble indispensable de réformer le mécanisme de compensation démographique de manière à le rendre moins défavorable à la CNRACL ([60]). Nos adhérents ont, en effet, du mal à comprendre que la CNRACL doive encore aujourd’hui apporter une contribution alors qu’elle-même est devenue déficitaire…

Afin de réduire le différentiel de coût salarial évoqué à l’instant par Mme Rousset et, par la même occasion, de diversifier les ressources de la CNRACL, la mise en place d’une taxe pesant sur la rémunération des contractuels ([61]) apparaît comme une piste intéressante. Nous estimons également nécessaire d’affilier à la CNRACL l’ensemble des fonctionnaires territoriaux, y compris ceux dont la durée du travail est à temps partiel et inférieure au seuil de 28 heures ([62]). Enfin, nous partageons les réserves exprimées par les corps d’inspection concernant l’élargissement aux primes de l’assiette des cotisations à la CNRACL ([63]).

Alors que la situation financière de la Caisse continue de se dégrader, nous appelons à la constitution d’une mission complémentaire qui serait chargée de définir plus précisément les voies du rétablissement du régime de retraite des agents territoriaux et hospitaliers. Une telle réflexion, qui pourrait être conduite par les mêmes corps d’inspection, nous paraît urgente.

M. Philippe Laurent, président du CSFPT. La CET et le président de la Fédération hospitalière de France (FHF), M. Arnaud Robinet, se sont récemment entretenus avec le directeur de cabinet du Premier ministre, M. Nicolas Pernot, qui nous a répondu qu’il est possible de répondre favorablement à notre demande.

Le président Stéphane Delautrette. Sur ce point, j’ai moi-même discuté ce matin avec les conseillers du Premier ministre en charge du dossier, qui m’ont confirmé que le Gouvernement envisageait de demander aux corps d’inspection de mener des investigations complémentaires sur les questions qui avaient été traitées rapidement dans le rapport de 2024. J’estime que cette démarche correspond bien à l’état d’esprit dans lequel la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation conduit le cycle d’auditions qui nous réunit cet après-midi.

Comme la CET, nous allons faire valoir l’insuffisance des mesures paramétriques et mettre en avant quelques recommandations d’amélioration à court ou moyen terme dans l’attente des conclusions de la mission complémentaire.

Je vous propose, dès à présent, de donner la parole aux députés membres de la délégation qui sont présents, en commençant par Mme Mathilde Feld, pour le groupe LFI-NFP.

Mme Mathilde Feld (LFI-NFP). Le rattachement à la CNRACL des agents à temps non complet, évoqué par M. Fromentin tout à l’heure, constitue-t-il une réforme consensuelle ? L’égalité femmes-hommes dans les rémunérations permettrait-elle, selon vous, d’améliorer les ressources de la Caisse ? Enfin, pouvez‑vous me préciser les raisons pour lesquelles vous n’êtes pas favorables à l’intégration des primes dans la base de cotisation au régime ?

Mme Emmanuelle Rousset, co-présidente de la commission « fonction publique territoriale » de France Urbaine. Des progrès peuvent encore être faits dans les déroulements de carrière de façon à mieux « briser » certains plafonds de verre. Pour autant, il restera, à mon sens, toujours difficile de parvenir à une égalité parfaite des rémunérations en raison de la survalorisation des filières techniques.

Mme Mathilde Feld (LFI-NFP). J’ai moi-même été cadre dans la fonction publique territoriale avant d’être élue députée. Avec quatre enfants, mes compléments indemnitaires, notamment le supplément familial de traitement (SFT), représentaient une part significative de ma rémunération qui, de manière apparente, était aussi élevée que celle d’un homme. Or cette part de la rémunération n’était pas soumise à cotisation…

M. Thomas Fromentin, vice-président d’Intercommunalités de France. C’est précisément cette distinction qui explique nos réserves vis-à-vis de l’élargissement de la base de cotisation à la CNRACL. Certes, dans un premier temps, la Caisse voit ses ressources s’accroître mais, à plus ou moins long terme, les dépenses de prestations risquent d’augmenter fortement dans la mesure où c’est l’assiette de cotisation qui détermine le niveau de la pension.

M. Philippe Laurent, président du CSFPT. Il est souvent compliqué d’expliquer la différence entre le régime général, où l’assiette de cotisation est constituée de l’ensemble des salaires, primes comprises, sur les vingt-cinq meilleures années, et le régime de la fonction publique, où l’assiette est calculée à partir du seul traitement indiciaire des six derniers mois.

En dépit des réserves exprimées, la CET n’est pas pour autant hostile par principe à une réforme globale qui « rebattrait les cartes ». On pourrait imaginer, par exemple, que la rémunération des fonctionnaires soit prise en compte en totalité avec, en contrepartie, un alignement de l’assiette sur celle du régime général ou bien une baisse du taux de cotisation. Nous manquons, toutefois, des analyses qui permettraient de simuler les impacts d’une telle réforme.

M. Tristan Lahais (EcoS). Selon moi, le relèvement du taux de cotisation employeur n’est que l’un des volets d’un plan beaucoup plus large consistant à associer les collectivités territoriales à l’effort de réduction de la dépense publique. En ce sens, comme vous l’avez tous dit à juste titre, c’est la qualité du service public qui est en jeu. Je ne conteste pas l’idée même d’une discussion sur ce sujet, mais encore faudrait-il qu’elle soit pleinement transparente !

La situation financière de la CNRACL est, certes, préoccupante : si l’on en croit le rapport des corps d’inspection, le déficit dépasserait les 11 milliards d’euros en 2030 avec 1,5 milliard d’euros pour ce qui est de la seule charge d’intérêts ([64]). Mais peut-on se contenter d’accroître le taux de cotisation sans envisager d’autres sources de financement et, surtout, sans redonner une forme d’autonomie fiscale aux collectivités ? J’ajouterais que les réformes des retraites successives se font souvent au détriment de la santé au travail des agents les plus fragiles.

Les difficultés rencontrées dans la recherche de véritables solutions au problème de financement de la CNRACL s’inscrivent dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances pour 2026 qui, selon les propos de la porte‑parole du Gouvernement, pourrait être un vrai « cauchemar » ([65]).

M. Philippe Laurent, président du CSFPT. Ayant été pendant vingt ans président de la commission « Finances » de l’AMF, je ne peux que partager votre analyse, M. Lahais.

M. Nicolas Ray (DR). On peut se féliciter du léger ralentissement de la trajectoire de hausse des taux de cotisation, le projet initial prévoyant un relèvement de quatre points sur trois ans au lieu des trois points sur quatre ans finalement inscrits dans le décret précité du 30 janvier 2025. Pour autant, les mesures purement paramétriques mises en œuvre par le Gouvernement sont clairement insuffisantes : il convient d’engager une réforme systémique en s’appuyant, autant que possible, sur les recommandations formulées par les corps d’inspection.

Pour ma part, je suis favorable à l’élargissement du périmètre des ressources de la CNRACL et à la reprise de sa dette par la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES). Il me paraît également indispensable de trouver le moyen de réduire le différentiel de coût entre les agents titulaires et les contractuels. Peut-être cela peut-il passer, comme vous l’avez dit tout à l’heure, M. Fromentin, par une contribution sur la masse salariale contractuelle.

Au titre des efforts à fournir, que pensez-vous de la recommandation n° 3 du rapport des corps d’inspection visant à supprimer, dans un souci d’alignement sur le régime général, la majoration de pension supplémentaire de cinq points pour chaque enfant au-delà du troisième ? Par ailleurs, n’estimez-vous pas nécessaire de mieux intégrer la hausse du coût des agents territoriaux dans les décisions de recrutement ? À cet égard, je rappelle que les effectifs de la fonction publique territoriale ont été portés à 1,97 million de personnes fin 2022, contre 1,33 million en 2000 ([66]).

M. Jean-Marc Frizot, vice-président de la FNCDG. Les effectifs de la fonction publique territoriale se sont accrus, en grande partie, en raison du désengagement de l’État, notamment en ingénierie.

Au-delà de la raréfaction des ressources de la CNRACL, je voudrais également rappeler les spécificités des dépenses de ce régime de protection sociale. En plus des pensions de retraite stricto sensu, la CNRACL verse des prestations d’invalidité et garantit certains avantages familiaux. Rappelons, sur ce point, que le régime général se limite à la couverture du risque « vieillesse » : c’est le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) qui assure le financement de la validation gratuite des périodes non travaillées - notamment pour invalidité - des salariés du secteur privé. Par ailleurs, il appartient à la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF) de prendre en charge les majorations de pension pour enfant dues aux affiliés du régime général.

Mme Christine Hervieu (EcoS). Avez-vous constaté une stratégie des employeurs territoriaux visant à diminuer le nombre d’agents de catégorie C par un recours plus systématique à des prestations externes ?

M. Yohann Nédélec, président du CNFPT. Si une telle tentation existe, il est probable qu’elle est limitée. L’édition 2025 de l’enquête annuelle sur les tendances de l’emploi territorial ([67]) montre que, si les intentions de recrutement sont en baisse, celles-ci demeurent essentiellement motivées par la volonté de remplacer les départs.

M. Philippe Laurent, président du CSFPT. Les effectifs territoriaux exercent, pour une large part, dans les crèches, les écoles et les centres de loisirs. Les employeurs territoriaux sont conscients de la nécessité qui s’attache à ce que ces tâches soient internalisées.

Mme Emmanuelle Rousset, co-présidente de la commission « fonction publique territoriale » de France Urbaine. De nombreux métiers techniques souffrent de pénuries de recrutement. Sur ces postes, les collectivités territoriales sont en concurrence avec les employeurs du secteur privé. En ce sens, externaliser ne garantit pas nécessairement le maintien d’une qualité de service.

Par ailleurs, les employeurs territoriaux commencent à réaliser que confier une tâche à un acteur privé suppose la mise en place d’un pilotage exigeant. Les salariés peuvent parfois mieux négocier leurs rémunérations. Le gain espéré par la collectivité en termes de coût n’est pas toujours évident.

Le président Stéphane Delautrette. Pour ma part, j’estime que l’accroissement des effectifs de la fonction publique territoriale constitue un faux problème. De plus en plus de collectivités ont fait le choix d’internaliser certains services, car le niveau de prestation assuré par le titulaire de la délégation de service public (DSP) n’était pas suffisant. En outre, peut-on reprocher aux employeurs territoriaux de procéder à des recrutements pour des dispositifs publics impulsés au niveau national, tel que les espaces France Services ou les programmes de revitalisation de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) ?

On doit, en revanche, s’inquiéter des effets de la hausse de taux sur le niveau des recrutements et, de manière indirecte, sur la situation financière de la CNRACL. La charge pour les collectivités risque, par ailleurs, de devenir insoutenable. Je suis favorable à ce que l’on trouve de nouvelles ressources pour la Caisse.

M. Thomas Fromentin, vice-président d’Intercommunalités de France. Les recrutements opérés dans les collectivités sont-ils responsables de la dégradation des comptes publics de la France ? Je constate que la part des dépenses locales dans le produit intérieur brut est restée stable, autour de 11 %, depuis de nombreuses années…

Le président Stéphane Delautrette. S’il fallait classer les propositions des corps d’inspection sur la CNRACL par ordre de priorité, lesquelles mettriez-vous en premier ?

M. Philippe Laurent, président du CSFPT. Toutes les recommandations du rapport précité devraient, à notre avis, être envisagées. Si, tout au moins, on mettait en œuvre celles consistant à apporter à la CNRACL des compensations au titre de la majoration pour enfants et de l’invalidité, cela aurait le mérite de rendre les régimes plus comparables et, donc, de mieux identifier l’origine des problèmes de financement.

Dans un deuxième temps, une réforme globale de la retraite des agents publics territoriaux devra être envisagée. Il s’agit là d’un sujet complexe : si l’on décide, par exemple, de fusionner la CNRACL et l’Ircantec, comment traiter les pensions allouées aux personnels contractuels de l’État ?

Une réflexion me paraît également devoir être menée sur la gouvernance de la Caisse. Le conseil d’administration de la CNRACL est plus un organe de gestion qu’une instance de direction de la Caisse. La gravité de la situation actuelle tient, en partie, à la difficulté du conseil d’administration de se faire entendre des autorités politiques.

Le président Stéphane Delautrette. Au-delà de la gouvernance, les frais de gestion devraient-ils, selon vous, être revus ?

M. Philippe Laurent, président du CSFPT. On pourrait effectivement l’envisager, mais c’est loin d’être aujourd’hui un sujet de préoccupation majeur.

Le président Stéphane Delautrette. Je vous remercie pour votre participation. Le mercredi 2 avril prochain, la délégation auditionnera les représentants des organisations syndicales représentatives de la fonction publique territoriale.


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III.   TABLE RONDE DU 2 AVRIL 2025

La délégation a auditionné conjointement MM. Frédéric Aubisse et Didier Louvet, représentant la fédération CGT des services publics, Mmes Marie Coubret et Sophie Le Port, représentant la fédération Interco CFDT, MM. Didier Birig et Dominique Régnier, représentant la fédération des personnels des services publics et des services de santé Force Ouvrière (FO SPSS), et MM. Sébastien Jansem et Pascal Kessler, représentant la fédération autonome de la fonction publique territoriale (FA-FPT).

M. Nicolas Ray, vice-président de la délégation. En préambule, et pour replacer cette réunion dans son contexte, nous achevons cet après-midi le cycle, initié il y a trois semaines, de tables rondes sur la situation financière de la Caisse nationale de retraites des collectivités locales (CNRACL) – institution que vous connaissez bien.

Nous avons tenu une première réunion en présence de M. Jean-Pierre Cazenave, président du conseil d’administration de la CNRACL, et des inspecteurs généraux qui ont établi un rapport sur la situation financière de la CNRACL et sur ses perspectives. La semaine dernière, nous avons auditionné les représentants de la coordination des employeurs publics territoriaux, MM. Philippe Laurent, président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT), Yohann Nédélec, président du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), représentant également l’AMF, Jean-Marc Frizot, pour la Fédération nationale des centres de gestion (FNCDG), Thomas Fromentin, pour Intercommunalités de France, ainsi que Mme Emmanuelle Rousset pour France Urbaine et M. Igor Sémo pour l’Association des petites villes de France (APVF).

Il était très important pour nous de convier pour un temps d’échange les organisations syndicales représentatives des personnels de la fonction publique territoriale. Nous accueillons aujourd’hui des représentants des fédérations CGT des services publics, Interco CFDT, des personnels des services publics et des services de santé Force Ouvrière, et de la fédération autonome de la fonction publique territoriale FA FPT. Au nom de la délégation, je vous remercie d’avoir accepté notre invitation pour échanger sur un sujet d’importance pour tous les fonctionnaires territoriaux que vous représentez. Certains d’entre vous sont d’ailleurs membres du conseil d’administration de la CNRACL : il sera intéressant de croiser les regards sur la gouvernance de la Caisse.

Vous le savez, la CNRACL joue un rôle majeur en versant des prestations vieillesse et invalidité à près de 1,6 million de pensionnés de la fonction publique territoriale mais aussi de la fonction publique hospitalière. Vous comprendrez que notre délégation se concentrera davantage sur la fonction publique territoriale.

Avant de vous céder la parole, je rappellerai le contexte qui a motivé nos travaux sur la situation financière de la Caisse. Mon collègue Tristan Lahais, ici présent, et moi-même avons rendu un rapport visant à évaluer l’impact de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 sur les collectivités, en particulier celui lié à la hausse de la cotisation vieillesse des employeurs publics territoriaux au titre de leurs agents affiliés à la CNRACL.

La situation financière de la Caisse s’est sensiblement dégradée depuis 2017 : elle est désormais déficitaire de 3,8 milliards d’euros, après avoir été longtemps en excédent, et ce déficit devrait s’accroître pour atteindre plus de 10 milliards d’euros à l’horizon 2030. Vous en connaissez les causes : la baisse du ratio entre le nombre de cotisants et celui des pensionnés, passé de 4,5 en 1980 à 1,4 aujourd’hui. Cette évolution défavorable est celle de bien d’autres caisses de retraites. Il faut également souligner que nous assistons aujourd’hui au départ à la retraite de la génération de fonctionnaires territoriaux entrée dans nos collectivités à l’occasion de la vague de décentralisation du début des années 1980. Une autre particularité de la fonction publique territoriale réside dans la proportion d’emplois dits « actifs », reflet de la pénibilité de certains métiers qu’il convient de ne pas sous-estimer. Enfin, la progression continue du nombre de contractuels – qui ne sont pas affiliés à la CNRACL – contribue à réduire l’assiette des cotisations. Ces contractuels occupent désormais des emplois similaires à ceux des fonctionnaires.

La CNRACL a fortement contribué au mécanisme de compensation démographique inter-régimes. En tenant compte de l’inflation, la Caisse a apporté, au titre de la solidarité entre régimes de retraites, près de 100 milliards d’euros depuis la mise en place de cette compensation. La Caisse va bénéficier de ce mécanisme dans les prochaines années, mais il ne faut pas oublier qu’elle aura largement contribué à l’ensemble du système de retraites pendant cinquante ans.

Pour enrayer la détérioration de la situation financière de la CNRACL, le Gouvernement a opté pour une réforme paramétrique consistant en une hausse des cotisations des employeurs. Initialement répartie sur trois années, cette augmentation sera étalée sur les quatre prochaines années, à raison de trois points supplémentaires chaque année pendant quatre ans, ce qui va évidemment peser sur les budgets locaux.

Il est apparu opportun pour notre délégation de réfléchir aux propositions de réforme qui sont urgentes afin de pérenniser la caisse de retraites de nos fonctionnaires territoriaux. Je pense qu’au-delà des ajustements paramétriques, des réformes complémentaires plus profondes doivent être menées. Nous avons évoqué quelques propositions dans notre rapport. La délégation restituera les conclusions de ses travaux au ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation, M. François Rebsamen, et à la ministre chargée des comptes publics, Mme Amélie de Montchalin.

Je vous propose de débuter notre table ronde par un propos liminaire de chaque organisation syndicale. Conformément à l’usage, nous suivrons l’ordre de représentativité. Je donnerai ensuite la parole à chaque groupe représenté avec pour objectif de faire de cette réunion une source d’échanges fructueux.

M. Frédéric Aubisse, représentant la fédération CGT des services publics, administrateur de la CNRACL. Merci de nous avoir invités pour échanger sur la CNRACL. Pour faire suite à votre présentation, Monsieur le vice‑président, nous allons vous exposer l’analyse de la CGT sur la situation financière de la CNRACL et sur nos revendications pour pérenniser la Caisse.

Le rapport de la Cour des comptes ([68]) pointe le déficit de notre caisse de retraites. Rappelons que seuls y sont affiliés les fonctionnaires et stagiaires des fonctions publiques territoriales et hospitalières sur des postes d’au moins 28 heures hebdomadaires. Le déficit est, en grande partie, construit par des orientations politiques.

En premier lieu, la CNRACL souffre d’un manque de recettes. Les raisons en sont multiples :

– le gel du point d’indice, qui prive la CNRACL d’un milliard d’euros de cotisations par an depuis plus de dix ans ;

– l’écrasement des grilles indiciaires par les réformes successives : les déroulements de carrière sont insuffisants, la reconnaissance statutaire de la qualification et de la spécificité a été remplacée par des primes qui ne sont pas cotisées pour la retraite ;

– depuis 2005-2006, nous assistons à une pression permanente sur l’emploi public, pression aggravée par la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique qui donne la possibilité aux employeurs publics de recruter des contractuels sur des emplois permanents. Elle permet aussi le développement d’emplois titulaires à temps non complet, en-dessous du seuil d’affiliation à la CNRACL.

Ces facteurs contribuent à une dépréciation et à une perte d’attractivité de la fonction publique dues aux salaires bas, aux conditions de travail dégradées et au manque de reconnaissance. Dans certains métiers, les recrutements statutaires sont désormais difficiles.

De plus, la CNRACL détient une créance de plus de 400 millions d’euros auprès de 86 employeurs défaillants, certaines collectivités ou établissements, étranglés financièrement, ayant fait le choix de ne plus verser leurs cotisations. Les employeurs publics pourraient être plus nombreux à recruter des contractuels du fait de l’augmentation des cotisations qui vient d’être décidée.

Deuxièmement, la CNRACL souffre des dépenses imposées et de modes de gestion ayant pour seul but la recherche d’économies :

– des versements de compensation solidaire vers les régimes déficitaires qui perdurent et une surcompensation jusqu’en 2027 – 100 milliards d’euros au fil du temps. Ce n’est plus de la solidarité mais du « pillage » ;

– le déficit créé sur la CNRACL l’oblige, depuis 2018, à emprunter pour verser les pensions et payer la compensation, et occasionne des frais financiers avec des taux d’intérêts qui évoluent à la hausse.

En conséquence, la CGT revendique l’augmentation immédiate du point d’indice de la fonction publique à hauteur de 6 euros ([69]), un financement des services publics en fonction des besoins, une gouvernance de la Caisse strictement paritaire sans personnalités qualifiées ni droit de veto, l’abrogation de loi de 2019 de transformation de la fonction publique, l’augmentation des pensions avec le retour de la péréquation, une véritable reconnaissance de la pénibilité, des départs anticipés à 55 ans pour les fonctionnaires de la catégorie « active » et 50 ans pour ceux de la catégorie « super-active » ([70]), l’extension de la bonification ([71]) à tous les agents en catégorie « active », et la prise en compte des journées de grève dans les trimestres cotisés. Si la CGT est favorable à la compensation en tant que système de solidarité entre les régimes de retraite, la CNRACL devrait désormais en bénéficier. Elle est également favorable à la reconnaissance des qualifications des métiers féminisés notamment, et à une politique audacieuse de revalorisation de ceux-ci. La CGT demande l’intégration des primes dans le calcul des retraites et la suppression de la retraite additionnelle de la fonction publique (RAFP). Pour rappel, la part des primes par rapport aux salaires brut est de 24,3 % dans la fonction publique territoriale. Les agents fonctionnaires à temps non complet doivent être affiliés à la CNRACL dès la quotité de 17 h 30 par semaine, d’autant que ces postes précaires sont très souvent occupés par des femmes. L’État doit garantir les retraites à tous les agents des fonctions publiques territoriales et hospitalières en assurant l’équilibre de la CNRACL, sur le modèle du service des retraites de l’État (SRE). Il faut donner la préférence à l’emploi statutaire sur l’emploi contractuel et permettre à l’agent invalide de rester en activité jusqu’à sa retraite.

Un meilleur financement global du système de retraites contribuera de fait au financement de la CNRACL. 15 milliards d’euros seront nécessaires d’ici 2030. L’argent existe, il doit servir à financer les retraites plutôt que les profits des actionnaires.

L’égalité salariale entre les femmes et les hommes rapporterait 6 milliards d’euros, la lutte contre la fraude aux cotisations sociales du travail dissimulé rapporterait de 6 à 8 milliards d’euros, l’assujettissement aux cotisations sociales des rémunérations exemptées – intéressement et participation – rapporterait 4 milliards d’euros, l’augmentation d’un point des cotisations vieillesse sur la part employeur rapporterait 5 à 6 milliards d’euros, la récupération des exonérations non compensées rapporterait 3 milliards d’euros, soit au total près de 40 milliards d’euros de ressources.

Nous sommes conscients de la dégradation du ratio démographique de la CNRACL, mais ceci est vrai pour toutes les caisses de retraites. C’est un enjeu de société et notre pays doit consacrer une part suffisante de ses richesses pour y remédier.

Mme Marie Coubret, représentant la fédération Interco CFDT, administratrice de la CNRACL. La CNRACL est le deuxième régime de base de retraites en France. Elle couvre la totalité de la retraite de ses affiliés. Les fonctionnaires territoriaux et hospitaliers n’ont pas de retraite complémentaire. C’est une spécificité à souligner par rapport au régime général avec l’Agirc-Arrco et l’Ircantec qui est la retraite complémentaire d’autres personnels du secteur public. L’assiette de cotisation est le traitement brut indiciaire, donc une partie seulement de la rémunération.

M. Jean-Pierre Cazenave avait déjà évoqué devant vous le déficit financier de la CNRACL qui date de 2020, la pyramide des âges de la fonction publique territoriale qui est vieillissante, la compensation démographique versée par la Caisse aux autres régimes depuis 1974 et les ressources venant exclusivement des cotisations des agents et des employeurs. La situation d’aujourd’hui n’est pas une surprise : des alertes ont été formulées, notamment en conseil d’administration, depuis de nombreuses années.

Le rapport des inspections générales ([72]) paru en septembre 2024 avait pour mission un plan de redressement du régime, à périmètre constant, sans réforme paramétrique et sur une période allant de 2025 à 2030, c’est-à-dire à court terme. Pour la CFDT Interco, la plupart des recommandations du rapport sont intéressantes, à l’exception – et cela nous distingue de nos collègues de la CGT – de l’affiliation des fonctionnaires à temps non complet. En conseil d’administration de la CNRACL, nous avons étudié des cas-types qui n’étaient pas favorables aux agents. Le régime général et l’Ircantec sont, d’une manière générale, plus favorables pour les intéressés. Nous ne soutenons donc pas cette mesure.

Nous avons également un point de vigilance sur la première recommandation du rapport portant sur la gouvernance du conseil d’administration de la CNRACL ([73]).

Nous n’y sommes pas fondamentalement opposés, mais nous appelons à la prudence s’agissant de la désignation des personnalités qualifiées, dont le champ d’intervention et l’influence effective posent question. Nous avons en mémoire l’exemple de l’Ircantec, dont le Gouvernement avait annoncé, à la fin de l’année 2024, vouloir modifier par décret la gouvernance, et notamment les modalités de la présidence ([74]). Nous préférons faire preuve de prudence tant que les conditions de mise en œuvre de cette recommandation ne sont pas clarifiées.

En revanche, la prise en charge des avantages non contributifs par la CNAF et le FSV nous paraît opportune. M. Jean-Pierre Cazenave avait évoqué un montant de recettes pour la CNRACL qui dépasserait largement le milliard d’euros par an. Du reste, il s’agit d’une mesure d’équité par rapport aux autres régimes qui bénéficient de ces recettes.

Nous sommes favorables à la révision du mécanisme de compensation démographique. La CNRACL devrait en bénéficier à partir de 2027, mais les montants seront-ils à la hauteur des besoins ? Quels sont les régimes qui pourront contribuer pour renflouer la CNRACL ? C’est un sujet d’inquiétude.

Nous soutenons également la reprise de la dette de la CNRACL par l’ACOSS, la CADES ou l’État.

Nous sommes en accord avec les arguments du rapport recommandant la création d’une taxe assise sur la masse salariale des contractuels au profit de la CNRACL. Cette mesure permettrait d’instaurer un point d’équilibre entre le recrutement de contractuels et l’emploi titulaire alors que les contractuels représentent aujourd’hui un quart des postes occupés dans la fonction publique territoriale.

Enfin, l’individualisation des cotisations par risque entre la vieillesse et l’invalidité nous paraît une approche pertinente qui permettra de mieux distinguer les recettes et les dépenses attachées à chacune de ces prestations, comme cela a été suggéré par les inspecteurs généraux ([75]). Bien que l’invalidité représente encore une part relativement modeste des dépenses du régime, son poids ne cesse de croître d’année en année. Le report de l’âge de la retraite va amplifier ce phénomène. Signalons que l’invalidité a tendance à devenir un mode de management. Séparer la vieillesse et l’invalidité permettra de disposer d’indicateurs plus précis. Pour mémoire, les salariés invalides du secteur privé, et bientôt les fonctionnaires de l’État, ne sont pas mis en retraite pour invalidité avant l’âge légal. Cette dépense, qui pèse sur la CNRACL, pourrait faire l’objet d’une approche différente.

Mme Sophie Le Port, représentant la fédération Interco CFDT. Nous souhaitons rappeler que l’État est responsable de la trajectoire de l’emploi public. La loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique a favorisé l’emploi contractuel, ce qui a aujourd’hui des conséquences sur la CNRACL. L’augmentation de la cotisation des employeurs va les désinciter à recruter des fonctionnaires. Avec trois points supplémentaires de cotisation cette année, l’écart du coût d’un fonctionnaire et d’un contractuel pourra atteindre 352 euros par mois.

La défaillance de certains employeurs – cela a été dit – nous inquiète également. Auparavant circonscrit au versant hospitalier, ce phénomène touche désormais les collectivités territoriales, notamment les départements. Nous redoutons que ces difficultés conduisent à un « effondrement » de la CNRACL et au blocage du dialogue social sur la refonte des grilles indiciaires et la protection sociale complémentaire.

Aucune solution pérenne de rétablissement de l’équilibre financier de la CNRACL ne pourra voir le jour sans s’attaquer au problème du déséquilibre démographique. L’approche du système de retraites doit être envisagée de manière globale, au-delà du seul prisme des fonctions publiques territoriale et hospitalière, et sa réforme doit être entreprise par l’État dans une logique systémique englobant tous les versants de la fonction publique.

S’agissant de la pénibilité, nous demandons l’activation du fonds de prévention de l’usure professionnelle. Nous portons une politique coercitive en matière de prévention des risques professionnels qui oblige les employeurs à les anticiper et à gérer les fins de carrière, les reconversions, les maintiens dans l’emploi et les reclassements des agents. Je signale que les données de sinistralité ne sont aujourd’hui pas connues ; aussi avons-nous demandé, lors d’une réunion du CSFPT consacrée au document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP), la création d’une inspection du travail pour la fonction publique territoriale.

M. Didier Birig, représentant la fédération des personnels des services publics et des services de santé Force Ouvrière. Nous sommes agréablement surpris que l’Assemblée nationale se saisisse du dossier de la CNRACL, même si nous regrettons que le monde de la santé soit peu présent dans la discussion d’aujourd’hui.

Je veux mettre en exergue les ponctions subies par la CNRACL à hauteur de 100 milliards d’euros. Lorsque j’étais jeune fonctionnaire, les excédents dégagés par la Caisse étaient la garantie que nous n’aurions pas de problème d’équilibre financier jusqu’en 2050. Or, aujourd’hui, sans porter de jugement sur le bien-fondé du mécanisme de compensation inter-régimes, nous avons l’impression d’avoir été floués. Notre régime est maintenant en grave difficulté. La situation témoigne d’un manque de reconnaissance eu égard à ce qu’apportent au quotidien les fonctionnaires territoriaux et hospitaliers à nos concitoyens.

Nous avons attiré depuis longtemps l’attention du conseil d’administration sur l’iniquité du prélèvement sur la Caisse alors qu’elle est déjà en difficulté. C’est à ne plus rien y comprendre, sauf à vouloir « tuer » la CNRACL.

Nous sommes favorables à une reprise de la dette de la CNRACL par la CADES.

Il est urgent de trouver des solutions pérennes pour la Caisse et moins anxiogènes pour les fonctionnaires territoriaux et hospitaliers qui nous font souvent part de leurs inquiétudes.

M. Dominique Régnier, représentant la fédération des personnels des services publics et des services de santé Force Ouvrière, 5ème vice-président du conseil d’administration de la CNRACL. Toutes nos interventions seront sans doute en partie redondantes.

La solidarité avec les salariés et leurs régimes de retraite doit pleinement s’exercer, mais il convient de rappeler que la contribution de la CNRACL, à hauteur de 100 milliards d’euros a été considérable, qui plus est en faveur de régimes non-salariés dont certains sont aujourd’hui très excédentaires ([76]). Cela interpelle. Cette politique court-termiste des gouvernements successifs n’a pas permis à la CNRACL de constituer les réserves nécessaires pour anticiper la dégradation prévisible de son ratio démographique, comme a pu le faire l’Ircantec. La CNRACL doit emprunter et paie une charge d’intérêts qui représente 300 millions d’euros chaque année. En outre, de nombreux employeurs ont une dette vis-à-vis de la CNRACL.

Un quart des emplois sont occupés par des contractuels, ce qui pèse sur les recettes de la CNRACL. Cela a été dit, la loi de 2019 de transformation de la fonction publique a « ouvert les vannes » au recrutement de contractuels au détriment de l’emploi statutaire. Le tassement des grilles indiciaires et le gel du point d’indice ont aussi contribué à minorer les recettes de la Caisse.

Nous considérons que l’État doit prendre ses responsabilités en comblant le déficit de la CNRACL et en reprenant sa dette, que ce soit par le biais de la CADES ou du budget de l’État.

La compensation démographique – 700 millions d’euros prélevés cette année – doit être réformée. La politique de recrutement dans la fonction publique doit être repensée par rapport à l’emploi contractuel mais aussi par rapport à l’emploi précaire à temps non-complet et aux heures supplémentaires non cotisées. Les employeurs ont une part de responsabilité.

Nous rejetons le changement de gouvernance de la CNRACL proposé par le rapport des inspections générales commandé par le précédent Gouvernement.

Le déficit de la Caisse n’est pas du tout lié à sa gouvernance. Nous sommes opposés à toute remise en cause du paritarisme qui, du reste, est relatif puisque les tutelles – le ministère du budget ou la direction de la sécurité sociale (DSS) – ont la faculté de reconsidérer les délibérations du conseil d’administration. Pour conclure, nous sommes dans l’attente du plan d’action du Gouvernement par rapport aux préconisations de ce rapport.

M. Sébastien Jansem, représentant la fédération autonome de la fonction publique territoriale (FA-FPT). La concertation en cours sur les retraites ne prévoit pas une représentation de la fonction publique territoriale, alors même que la situation de la CNRACL est préoccupante, ce que nous regrettons.

Lors de l’examen du rapport des inspections générales par le CSFPT le 13 novembre 2024, la FA-FPT a rappelé que les agents des fonctions publiques territoriales et hospitalières n’étaient pas les responsables de la situation. La CNRACL a contribué à la solidarité envers les autres caisses de retraites à hauteur de 100 milliards d’euros depuis cinquante ans en tenant compte de l’inflation. Il est incompréhensible qu’aujourd’hui, le Gouvernement rejette l’idée que cette solidarité puisse s’exercer dans l’autre sens.

La FA-FPT relève qu’un facteur explicatif de la dégradation de la situation financière de la Caisse est omis dans ce rapport : le gel du point d’indice de la fonction publique a conduit à une baisse de 31 % de sa valeur en euros constant depuis 1999. L’indexation du point d’indice sur les prix aurait permis à la CNRACL de percevoir des recettes plus importantes et dynamiques. Selon l’Insee, à volume annuel de travail égal, le salaire net moyen de la fonction publique est inférieur de 3,7 % à celui du secteur privé ([77]), ce qui réduit l’assiette de cotisations.

La FA-FPT est opposée au calcul de la pension des fonctionnaires sur les 25 meilleures années, comme c’est le cas pour les pensions du secteur privé ([78]). L’étude de la DREES de novembre 2022 ([79]), citée dans le rapport, ne permet de conclure que cet alignement serait légèrement favorable aux fonctionnaires ([80]) qu’en raison des périodes de gel du point de la fonction publique.

Nous sommes également opposés à la réforme de la retraite qui recule l’âge de départ à 64 ans, pour ses conséquences sur le maintien dans l’emploi. Nous sommes favorables à l’affiliation des contractuels qui participeraient par leurs cotisations au financement de la Caisse. Nous demandons l’intégration des primes dans l’assiette de cotisation.

Nous réclamons une véritable politique de prise en compte de la pénibilité et de l’usure professionnelle avec – comme cela a déjà été évoqué – la création d’un fonds de prévention de l’usure professionnelle.

Sur cette question, l’État laisse les employeurs territoriaux et les agents dans le flou. Le décret précisant les modalités de l’entretien de carrière prévu à l’article 40 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, n’est jamais paru. La référence à ce décret a même disparu lors de la codification de cette disposition à l’article L. 813‑1 du code général de la fonction publique. Les rares leviers concourant à la prévention de l’usure professionnelle ne sont donc même pas opérationnels. L’augmentation des retraites pour invalidité, qui va alourdir la charge qui pèse sur la CNRACL, est un sujet d’importance qui n’est pas traité.

De notre point de vue, les pistes que votre délégation pourrait examiner pour assurer la pérennité de la CNRACL sont :

– revoir les modalités du mécanisme de compensation démographique inter‑régimes pour qu’il bénéficie enfin à la CNRACL ;

– abaisser le seuil d’affiliation à la Caisse aux fonctionnaires effectuant moins de 28 heures hebdomadaires ;

– intégrer les contractuels à la Caisse ;

– faire bénéficier la CNRACL d’autres sources de financement, à l’instar du régime général ou de celui des fonctionnaires de l’État ;

– faire reprendre la dette de la CNRACL par la CADES ;

– pourquoi ne pas envisager de supprimer la CNRACL et d’intégrer les fonctionnaires territoriaux et hospitaliers dans le service des retraites de l’État (SRE) pour bénéficier des autres sources de financement ?

M. Nicolas Ray, vice-président de la délégation. Merci, mesdames, messieurs. Sur le sujet des contractuels, plusieurs propositions ont été formulées : celle d’une taxe sur la masse salariale qui financerait la CNRACL, celle – plus compliquée à mettre en œuvre nous a-t-on dit – d’une affiliation des contractuels à la CNRACL. Quelles sont vos positions sur cette question ?

M. Didier Louvet, représentant la fédération CGT des services publics. Nous sommes favorables à une cotisation supplémentaire sur les contractuels, de façon à rendre identique le coût, pour l’employeur, d’un fonctionnaire ou d’un contractuel. Il pourrait être envisagé, à l’inverse, d’alléger les cotisations sur les fonctionnaires, cet allègement étant compensé par l’État. Les primes pourraient également être cotisées, abondant ainsi les recettes de la CNRACL.

M. Didier Birig, représentant la fédération des personnels des services publics et des services de santé Force Ouvrière. Le sujet des contractuels est complexe. Il faut souligner que nombre de contractuels ne souhaitent pas changer de statut ; certains occupent des métiers spécifiques (informaticiens par exemple).

En revanche, particulièrement dans la fonction publique hospitalière, beaucoup souhaitent devenir fonctionnaires. Pour eux, il faut instaurer des plans de titularisation.

M. Sébastien Jansem, représentant la fédération autonome de la fonction publique territoriale (FA-FPT). À court terme, nous sommes favorables à une cotisation supplémentaire des contractuels, mais à plus long terme, il faut pouvoir intégrer les contractuels qui le souhaitent dans la fonction publique, sur le modèle du dispositif « Sauvadet » ([81]).

Mme Marie Coubret, représentant la fédération Interco CFDT. L’affiliation des contractuels à la CNRACL nous paraît peu opportune, dès lors que le régime général et l’Ircantec leur sont plus favorables. Bien entendu, si un alignement par le haut des conditions de retraites pour les fonctionnaires permettait de rendre l’affiliation des contractuels à la CNRACL plus avantageuse, nous y serions favorables.

M. Nicolas Ray, vice-président de la délégation. Merci pour vos explications. Je vous propose de passer aux orateurs des groupes, en commençant par Mme Mathilde Feld.

Mme Mathilde Feld (LFI-NFP). Les employeurs territoriaux, que nous avons reçus la semaine dernière, ont des revendications finalement peu éloignées des vôtres. Nous partageons vos inquiétudes sur l’avenir de la CNRACL, et plus largement, sur celle des collectivités territoriales.

Le groupe LFI-NFP est favorable à ce que la loi de 2019 de transformation de la fonction publique fasse l’objet d’une révision, la non-affiliation des contractuels étant – vous l’avez tous dit – un facteur expliquant le déficit de la CNRACL.

A contrario, ne craignez-vous pas une fragilisation de l’Ircantec si les contractuels cotisent à la CNRACL ?

M. Dominique Régnier, représentant la fédération des personnels des services publics et des services de santé Force Ouvrière. L’Ircantec est une caisse complémentaire à laquelle sont également affiliés les contractuels de l’État. Un rapprochement entre l’Ircantec et la CNRACL semble difficilement envisageable.

M. Sébastien Jansem, représentant la fédération autonome de la fonction publique territoriale (FA-FPT). Il revient à l’État d’adapter l’Ircantec aux éventuels changements d’orientation politique. Notre constat est qu’il y a deux catégories d’agents qui entrent parfois en concurrence.

Mme Sophie Le Port, représentant la fédération Interco CFDT. Nous n’opposons pas les fonctionnaires aux contractuels mais nous sommes réalistes : il y avait des contractuels avant la loi de 2019 et il y en aura encore mais il faut réserver ces emplois à des périmètres particuliers. L’Ircantec va connaître des difficultés dans une quinzaine d’années, c’est pourquoi nous devons avoir une approche systémique du système des retraites.

M. Tristan Lahais (EcoS). Je partage la nécessité d’une vision systémique de la protection sociale et des retraites, et ce qui a été dit sur le gel du point d’indice et sur le travail féminin précaire, mais je constate que la situation de la CNRACL exige des solutions plus immédiates. Il faut également être conscient que toute augmentation de l’assiette cotisée ouvrant de nouveaux droits à pension – par exemple, l’inclusion des primes – entraîne un coût supplémentaire pour les collectivités. La question du financement des retraites demeure entière : souhaitons-nous, oui ou non, consacrer une part plus importante de notre richesse nationale à leur financement ? Le nombre de retraités va continuer à augmenter. Si nous refusons d’y allouer davantage de ressources, deux options s’imposeront : travailler plus longtemps ou accepter une diminution des pensions. Une hausse des salaires entraînerait mécaniquement une augmentation des cotisations, et donc de la part du PIB dédiée aux retraites. Je n’y suis pas opposé, mais force est de constater que ce n’est pas la voie que nous empruntons aujourd’hui. Nous devrons avoir ce débat démocratique sur le poids des retraites et l’effort collectif que nous devons y consacrer.

M. Didier Birig, représentant la fédération des personnels des services publics et des services de santé Force Ouvrière. Nous revendiquons des hausses de salaires car elles ont un impact direct sur les cotisations et sur les recettes des caisses de retraites.

M. Tristan Lahais (EcoS). Si les collectivités ne choisissent pas cette voie et ont recours à l’emploi contractuel, c’est parce qu’elles n’ont plus les ressources suffisantes. Elles ont notamment perdu une grande partie de leur levier fiscal.

M. Frédéric Aubisse, représentant la fédération CGT des services publics. Je veux attirer l’attention sur les emplois des catégories « actives » et « super-actives ». Les égoutiers ont une espérance de vie de dix-sept ans inférieure à la moyenne. Va-t-on les faire travailler plus ?

M. Didier Louvet, représentant la fédération CGT des services publics. Nous voulons revenir à la situation avant la loi de 2019 qui réservait l’embauche de contractuel sur des emplois non permanents. L’augmentation des salaires et l’intégration des primes induisent une recette immédiate pour la CNRACL, plus encore avec un taux de 43,65 % de la cotisation employeurs en 2028. Nous proposons effectivement de financer les retraites en consacrant une part plus importante du PIB. C’est un choix politique.

Mme Marie Coubret, représentant la fédération Interco CFDT. Les lois de décentralisation ont conduit à basculer des agents de l’État vers les collectivités. Si cela ne s’était pas produit, ces agents relèveraient du SRE. Il ne paraît pas illogique que l’État soutienne la CNRACL.

Les contractuels sont aussi une variable d’ajustement de l’emploi public, particulièrement dans les départements. Le non-renouvellement des contrats se fait au détriment du service public. Ce turnover contribue aussi à une perte d’expertise.

Les départs en retraite anticipé des catégories « actives » ne se font pas nécessairement à taux plein, ce qui est souvent ignoré. Voilà pourquoi une prolongation d’activité est parfois demandée pour compléter les trimestres manquants.

Enfin, il ne faut pas oublier que l’augmentation du point d’indice et intégration des primes dans l’assiette cotisée génèrera des recettes immédiates et des dépenses à terme.

En matière de prévention des risques professionnels, qui constitue un levier essentiel, il nous appartient de faire émerger une véritable culture au sein de la fonction publique territoriale alors même qu’elle rassemble 70 % de fonctionnaires de catégorie C exerçant des métiers techniques et pénibles. Nous soutenons la proposition des employeurs territoriaux de créer un « compte pénibilité ».

Mme Sophie Le Port, représentant la fédération Interco CFDT. J’ajoute qu’il faut absolument encadrer le temps non-complet qui maintient les agents sous le seuil d’affiliation à la CNRACL.

M. Sébastien Jansem, représentant la fédération autonome de la fonction publique territoriale (FA-FPT). Sur le terrain, nous constatons que des employeurs ne respectent pas leurs obligations en matière de prévention des risques professionnels. Les DUERP ne sont pas réalisés ni mis à jour. C’est pourquoi nous avions demandé la création d’une inspection du travail spécifique à la fonction publique territoriale avec des moyens coercitifs, ce qui a été refusé par les employeurs.

Mme Mathilde Feld (LFI-NFP). De plus en plus de contractuels ne souhaitent pas intégrer la fonction publique territoriale, en raison de la retraite insuffisante des fonctionnaires territoriaux. S’agissant du DUERP, il me semble que les syndicats devraient communiquer auprès des fonctionnaires territoriaux. Ceux‑ci ignorent d’ailleurs souvent les difficultés rencontrées par la CNRACL.

M. Nicolas Ray, vice-président de la délégation. Le mécanisme de compensation démographique inter-régimes existe depuis les années 1970. Proposez-vous de le supprimer ou de le réformer, comme le suggère la Cour des comptes ?

M. Didier Louvet, représentant la fédération CGT des services publics. La CGT a toujours été favorable aux mécanismes de solidarité. Aujourd’hui, c’est au tour de la CNRACL, qui y a beaucoup contribué par le passé, d’en bénéficier.

M. Nicolas Ray, vice-président de la délégation. Ce qui sera le cas dans quelques années, quand bien même cela peut paraître tardif.

M. Didier Louvet, représentant la fédération CGT des services publics. Oui, les déficits sont déjà là. La CNRACL doit emprunter pour payer la compensation à d’autres régimes.

Mme Marie Coubret, représentant la fédération Interco CFDT. Nous en faisons moins un cheval de bataille qu’il y a quelques années. En 2024, la CNRACL a payé 450 millions d’euros au titre de cette compensation et ce montant va continuer à diminuer. Au regard du déficit, elle va peser de moins en moins. Bien entendu, nous sommes favorables à une réforme du mode de calcul qui est injuste, d’autant qu’il ne prend pas en compte les départs à la retraite avant 65 ans. La suppression de ce mécanisme dès aujourd’hui permettrait à la Caisse d’économiser plusieurs centaines de millions d’euros, mais ne résoudrait pas le problème du déficit.

M. Dominique Régnier, représentant la fédération des personnels des services publics et des services de santé Force Ouvrière. Le sujet du mécanisme de compensation inter-régimes arrive trop tardivement. Les montants « pillés » à la CNRACL la mettent aujourd’hui en difficulté, faute d’avoir pu constituer des réserves. La question est : comment régler aujourd’hui la question du déficit ? Il faut, bien sûr, que la CNRACL arrête dès aujourd’hui de contribuer.

Je m’étonne que la seule mesure du rapport des inspections générales mise en œuvre est l’augmentation de la cotisation des employeurs qui ne comblera pas le déficit au-delà de 2028. L’État devrait prendre en charge la dette, les cotisations des employeurs permettant de constituer des réserves au lieu de combler le déficit.

M. Sébastien Jansem, représentant la fédération autonome de la fonction publique territoriale (FA-FPT). Nous sommes favorables au maintien de la compensation démographique à condition qu’elle bénéficie à la CNRACL. Même si elle ne suffira pas, ce serait un bon début.

M. Tristan Lahais (EcoS). Nous ne pourrons faire l’économie d’un débat sur les ressources des collectivités locales pour assurer le financement des services publics et de leurs agents ; à défaut, nous ne ferons que colmater sans cesse les brèches de la CNRACL. Il me paraît normal qu’il y ait des mécanismes de compensation mais ce sont des solutions de court terme. Je suis plutôt favorable à une augmentation des cotisations.

M. Pascal Kessler, représentant la fédération autonome de la fonction publique territoriale (FA-FPT). L’augmentation des cotisations des employeurs territoriaux pour leurs fonctionnaires conduit de facto à accroître le nombre de contractuels. C’est un cercle vicieux. Il faut augmenter les ressources primaires de la Caisse.

M. Nicolas Ray, vice-président de la délégation. Vous avez été très nombreux à évoquer une réforme systémique. Je partage cette approche. Quelle est votre position sur un système à points pour la fonction publique territoriale ?

Mme Sophie Le Port, représentant la fédération Interco CFDT. Notre confédération soutient une réforme systématique au-delà de la seule fonction publique territoriale.

M. Nicolas Ray, vice-président de la délégation. Une réforme d’une telle ampleur ne conduirait-elle pas à la disparition de la CNRACL ?

Mme Sophie Le Port, représentant la fédération Interco CFDT. Nous sommes attachés à une caisse de retraites de la fonction publique et au paritarisme. S’il existe un véritable enjeu à l’horizon de dix ou quinze ans, la question d’une fusion entre la CNRACL et le SRE ne se pose pas à ce jour. Ce sont des solutions d’urgence qui sont recherchées.

Il ne nous semble par ailleurs pas opportun d’alerter les agents territoriaux de manière anxiogène sur la situation financière de leur Caisse.

M. Didier Louvet, représentant la fédération CGT des services publics. Il existe déjà plusieurs régimes par points : l’Ircantec et l’AGIRC-ARRCO. Cela n’a pas empêché l’AGIRC-ARRCO de procéder à de multiples réformes.

M. Nicolas Ray, vice-président de la délégation. L’AGIRC-ARRCO, qui fonctionne selon le paritarisme, est aujourd’hui excédentaire.

M. Didier Louvet, représentant la fédération CGT des services publics. Oui, mais au prix de décotes supérieures au régime général. Ce n’est pas un système qui nous plaît. Le régime par points conduit à une individualisation des retraites. Nous sommes pour un régime inter-générationnel beaucoup plus solidaire. Le RAFP, régime par points souvent pris comme exemple par la presse, n’est pas un régime solidaire. C’est un régime jeune qui a plus de recettes que de dépenses.

La réforme du régime universel imaginée en 2019 avait beaucoup d’inconvénients pour les salariés privés ou publics. Il n’est pas possible d’apporter une réponse univoque à la question du régime de retraites par points tant que ses modalités ne sont pas plus clairement établies.

M. Dominique Régnier, représentant la fédération des personnels des services publics et des services de santé Force Ouvrière. Il n’est pas pertinent de comparer des régimes complémentaires – l’Ircantec, l’AGIRC-ARRCO et le RAFP – avec la CNRACL qui est un régime de base. Un système de retraites de base par points nécessite une analyse plus approfondie.

M. Sébastien Jansem, représentant la fédération autonome de la fonction publique territoriale (FA-FPT). Le régime par points existe en Suède. De prime abord, le système est séduisant car il intègre les primes. Mais on ne connaît pas par avance la valeur du point. Les fonctionnaires qui ont une part de primes importante sont gagnants mais pas les autres. Pour l’instant, nous y sommes opposés.

M. Nicolas Ray, vice-président de la délégation. Merci, mesdames, messieurs, pour vos contributions et vos analyses sur la situation de la CNRACL en tant que représentants des organisations syndicales des fonctionnaires territoriaux.

 


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   SYNTHÈSE DES AUDITIONS

I.   LE CONSTAT UNANIME D’UNE SITUATION FINANCIèRE DéLICATE À LAQUELLE LE GOUVERNEMENT N’A PAS APPORTÉ DE SOLUTION SATISFAISANTE

La CNRACL assure chaque année le versement de 26 milliards d’euros de pensions de vieillesse ou d’invalidité, soit environ 7 % du montant total des pensions servies en France. Confrontée à un déséquilibre démographique croissant et à une érosion progressive de sa soutenabilité financière, la Caisse est entrée dans une phase de déficit structurel. Dans ce contexte, l’urgence d’une réponse adaptée pour garantir la pérennité du régime est manifeste.

A.   La dégradation de la situation financière de la CNRACL rÉsulte de facteurs multiples

Jusqu’en 2017, les comptes de la CNRACL présentaient une situation excédentaire ([82]). La situation s’inverse à partir de 2018 : le déficit constaté par la Caisse en 2023 s’élevait à 2,5 milliards d’euros et devrait être porté à 3,8 milliards d’euros en 2024. Si les origines de cette dégradation ne sont pas fondamentalement différentes de celles qui affectent les autres régimes de retraite, certaines spécificités propres à la CNRACL ont également contribué à la rapidité de la détérioration de sa situation financière.

1.   Comme les autres régimes, la CNRACL subit une érosion démographique

Née de l’ordonnance n° 45‑993 du 17 mai 1945, la CNRACL est un régime spécial de protection sociale qui, à l’instar du service des retraites de l’État (SRE) pour les fonctionnaires d’État, assure la gestion des prestations vieillesse pour les agents de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière.

L’émergence après-guerre d’une Caisse de retraite intégrée pour les agents territoriaux et hospitaliers

L’ordonnance n° 45‑993 du 17 mai 1945 visait, au sortir de la guerre, à organiser les « services publics des communes, des départements et de leurs établissements publics ». S’agissant des retraites, elle substitue à la multitude de régimes préexistants une « caisse nationale » à laquelle peuvent être affiliés tous les agents des collectivités et établissements concernés « s'ils sont investis d'un emploi permanent » (article 3). Cette affiliation devient très vite obligatoire : l’obligation est explicitement prévue pour les agents des communes et de leurs établissements publics par la loi n° 52‑432 du 28 avril 1952 en son article 87.

Avec l’organisation d’une fonction publique hospitalière dans les années 1950, il est décidé d’affilier obligatoirement à la CNRACL tous les agents des établissements publics hospitaliers (article 100 du décret n° 55‑683 du 20 mai 1955).

Comme le système de retraite des fonctionnaires d’État, la CNRACL est un régime intégré qui ne distingue pas, à la différence des salariés du secteur privé ou des personnels contractuels, une « base » et une « part complémentaire » : la pension, qui est unique, est calculée à partir du traitement indiciaire brut du fonctionnaire.

Comme l’ont rappelé successivement MM. Jean-Pierre Cazenave, président du conseil d’administration de la CNRACL, et Bastien Sayen, inspecteur général de l’administration (IGA), lors de la table ronde du 12 mars 2025, le premier facteur de dégradation de la situation financière de la Caisse est de nature démographique. Le régime, qui fonctionne selon le principe de la répartition, est équilibré lorsque le nombre d’actifs cotisants est sensiblement supérieur à celui des retraités. Or, après un mouvement de hausse quasiment ininterrompu du nombre de cotisants, surtout dans les années 1970, 1980 et 2000, les effectifs se stabilisent à partir des années 2010 autour des 2,2 millions d’actifs et ont même diminué de 1,7 % entre 2015 (2,23 millions) et 2023 (2,19 millions).

Source : recueils statistiques de la CNRACL 2013 et 2023.

Selon le président Cazenave, ces évolutions sont, pour une large part, la conséquence des « grandes lois de décentralisation », notamment en 1982-1983, puis en 2004, ainsi que des campagnes de recrutement de personnels soignants mises en œuvre à partir de la fin des années 1990. En réalité, les causes sont probablement multifactorielles. S’agissant des agents territoriaux, comme l’admettait la Cour des comptes dans un rapport publié en 2009 ([83]), il est « impossible » de distinguer clairement « les effets propres aux mesures de décentralisation et aux transferts de compétences auxquels elles ont donné lieu » ([84]). Pour ce qui est des personnels hospitaliers, le relèvement progressif du « numerus clausus » à partir de 2000 ([85]) et la mise en œuvre de la réduction du temps de travail ont contribué à la hausse importante des effectifs au cours de la décennie 2000 (2000 : 0,86 million d’agents ; 2012 : 1,11 million en 2012, soit + 29,8 %).

Assez logiquement, les affiliés à la CNRACL ont commencé à faire valoir de plus en plus massivement leurs droits à pension à partir des années 1980. Les effectifs de pensionnés, qui étaient limités en 1950 (110 000 bénéficiaires), ont plus que décuplé pour s’établir à 1,57 million de personnes en 2023. Depuis 2010, le nombre de pensionnés s’accroît en moyenne de près de 45 000 personnes par an, contre 16 000 dans les années 1980.

Source : recueils statistiques de la CNRACL 2013 et 2023.

À l’instar du régime général, qui a connu une lente dégradation de son ratio démographique ([86]) depuis les années 1960 ([87]), celui de la CNRACL a commencé à décroître au début des années 1980, avant de chuter à la fin de la décennie (1990 : 3,59 cotisants pour un retraité, contre 4,53 en 1980).

La baisse s’est poursuivie de manière ininterrompue depuis lors et s’est même légèrement accélérée à la fin des années 2010 (1,40 en 2023, contre 2,16 en 2010).

Source : recueils statistiques de la CNRACL 2013 et 2023.

L’effet « ciseau », qui est responsable des difficultés rencontrées par la plupart des régimes de retraite par répartition, a donc affecté la CNRACL avec un léger décalage. Pour reprendre les termes utilisés par le président Cazenave lors de la table ronde, une telle évolution était entièrement « prévisible ». Mme Marie Coubret, administratrice de la CNRACL pour la CFDT, souligne que « la situation d’aujourd’hui n’est pas une surprise : des alertes ont été formulées depuis de nombreuses années par le conseil d’administration ».

2.   Certaines spécificités du régime expliquent également la détérioration rapide de son équilibre financier

Au-delà des évolutions démographiques propres à tout système de retraite par répartition, le régime de la CNRACL comporte plusieurs spécificités qui ont aggravé sa situation financière.

Tout d’abord, comme l’a souligné M. Sayen lors de la table ronde du 12 mars précitée, les deux fonctions publiques concernées sont fortement féminisées ([88]). Les femmes sont prépondérantes dans les effectifs de pensionnés (70,3 % en 2022 ([89])), ce qui a mécaniquement pour effet d’allonger la durée de versement des pensions en phase de retraite en raison d’une espérance de vie plus élevée.

Selon les estimations effectuées par les corps d’inspection dans leur rapport, et rappelées par M. Sayen, l’espérance de vie à 65 ans des affiliés à la CNRACL serait de 21 ans et 11 mois, soit 7 mois de plus que la moyenne des retraités français ([90]).

Par ailleurs, M. Sayen a rappelé que l’âge moyen de liquidation des pensions de droit direct, qui était de 62,1 ans en 2022, était inférieur de près d’une année à l’âge moyen de départ en retraite du régime général (63 ans en 2022) ([91]). Cette caractéristique résulte d’un recours important aux dispositifs dits des « carrières longues » et des « catégories actives », qui permettent aux agents de bénéficier d’un départ anticipé. Selon les corps d’inspection, les « carrières longues » et les « catégories actives » représentaient respectivement 27,2 % et 20,1 % des nouveaux pensionnés de la CNRACL en 2022 ([92]). À titre de comparaison, les « carrières longues » ne représentent que 14,5 % des départs dans le régime général qui, en outre, ne comporte aucun dispositif de « catégorie active ».

Les possibilités de départ à la retraite anticipé
dans les fonctions publiques territoriale et hospitalière

1/ Introduit par la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 (art. 23) pour le régime général et par la loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004 de finances pour 2005 (art. 119) pour les fonctionnaires, le dispositif des « carrières longues », actuellement régi par l’article L. 351-1-1 du Code de la sécurité sociale et par l’article L. 25 bis du code des pensions civiles et militaires de retraite, permet aux assurés ayant commencé à travailler avant un certain âge (16 ans, 18 ans, 20 ans ou 21 ans) de partir à la retraite avant l’âge légal d’ouverture des droits, sous réserve d’avoir validé une durée d’assurance suffisamment longue.

L’importance de la filière technique au sein de la fonction publique territoriale (45 % des effectifs en 2022 ([93])) explique en grande partie le niveau élevé des départs pour « carrière longue » chez les agents territoriaux (34,6 %). Selon le recueil statistique de la CNRACL pour 2023, l’âge moyen de départ pour carrière longue était de 61,7 ans en 2022.

2/ La catégorie « active », initialement appelée « catégorie B », est régie par l’article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite. Elle regroupe les emplois de la fonction publique « présentant un risque particulier ou des fatigues exceptionnelles » justifiant un départ anticipé à la retraite. Pour bénéficier du droit à une liquidation anticipée de cinq ans de sa retraite, le fonctionnaire doit se prévaloir d’au moins 17 ans de services accomplis dans un emploi relevant de la catégorie active.

Un arrêté interministériel du 12 novembre 1969 (modifié) établit la liste des emplois des deux fonctions publiques entrant dans la catégorie active. On y trouve, notamment, les sapeurs-pompiers professionnels et les policiers municipaux pour la fonction publique territoriale et une part importante des personnels de soin (certains infirmiers, les aides‑soignants, les sages‑femmes, etc.) dans la fonction publique hospitalière. Les fonctionnaires des réseaux souterrains des égouts sont classés dans la catégorie super-active et bénéficient d’un droit à une liquidation anticipée de leur retraite de dix ans.

Assez logiquement, les départs anticipés au titre de la « catégorie active » représentaient 45,2 % des départs des agents hospitaliers et seulement 6,1 % des départs des agents territoriaux en 2022 ([94]). L’âge moyen de départ était de 60,2 ans cette année-là pour la seule « catégorie active ».

Le versement de prestations d’invalidité constitue l’une des autres particularités du régime les plus fréquemment citées au cours du cycle d’auditions.

Comme l’a souligné M. Jean-Marc Frizot, vice‑président de la Fédération nationale des centres de gestion (FNCDG), lors de la table ronde du 26 mars dernier, cette prestation, qui remonte à la création même de la CNRACL ([95]), est spécifique aux fonctionnaires. Les salariés du secteur privé peuvent, en effet, percevoir une pension d’invalidité versée par la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) ([96]) et non par la caisse d’assurance vieillesse.

Or, compte tenu de la part significative que représentent les emplois des filières techniques ou relevant de la catégorie « active » (cf. supra) dans les deux fonctions publiques concernées, territoriale et hospitalière, le vieillissement des actifs ([97]) et le relèvement progressif de l’âge légal de départ en retraite opéré par les réformes de 2010 et de 2023 ont contribué à l’accroissement des demandes de pensions d’invalidité. Selon les éléments communiqués par M. Frizot en audition, on recenserait 52 000 agents qui, chaque année, solliciteraient la reconnaissance d’une inaptitude ou d’une invalidité. En 2023, la CNRACL allouait des pensions d’invalidité à 226 772 bénéficiaires, contre 187 817 en 2013 (+ 20,7 %).

L’impact de ces prestations sur les comptes de la CNRACL est loin d’être négligeable : la Caisse a versé 2,7 milliards d’euros de pensions d’invalidité en 2023, soit plus 10 % de l’ensemble des prestations versées, contre 2,05 milliards d’euros en 2013 (+ 32,1 %). Lors de la table ronde du 12 mars dernier, M. Vincent Ruol, inspecteur général des affaires sociales, a souligné que, bien qu’elles soient considérées d’un point de vue comptable comme des dépenses d’assurance maladie, les pensions d’invalidité « n’en contribuent pas moins au déficit de la CNRACL » et sont perçues comme « un facteur explicatif de la dégradation de la situation financière du régime de retraite ».

Pour M. Igor Sémo, vice‑président de l’Association des petites villes de France (APVF), cette situation vient, d’une certaine manière, neutraliser en partie les effets attendus des réformes des retraites précitées. Une retraite plus tardive peut entraîner une hausse des allocations d’invalidité, qui sont précisément versées par la CNRACL.

Un dernier point a fait consensus au sein des acteurs auditionnés lors des trois tables rondes : la CNRACL a apporté une contribution financière considérable au mécanisme de compensation démographique mis en place dans les années 1970 pour aider les régimes de retraite en difficulté. Pour reprendre les termes d’Olivier Richefou, président du département de la Mayenne, les collectivités ont « servi de pompier vis-à-vis des autres régimes » ([98]).

Le mécanisme de compensation inter-régimes, un dispositif de solidarité au fondement essentiellement démographique

La compensation démographique retraite, encore appelée compensation généralisée vieillesse, a été créée par la loi n° 74‑1094 du 24 décembre 1974 et est entrée en vigueur le 1er janvier 1975. Elle est actuellement régie par les articles L. 134‑1 et L. 134‑2 du Code de la sécurité sociale. D’abord conçue comme un mécanisme provisoire, qui devait durer 4 ans, elle est toujours en vigueur aujourd’hui et représentait 6 milliards d’euros de transferts en 2022.

Le dispositif vise à assurer une solidarité interprofessionnelle entre les régimes de base de la branche vieillesse faisant face à des inégalités découlant, d’une part, du déséquilibre démographique et, d’autre part, des disparités de capacités contributives. Le nombre de retraités de droit direct âgés d’au moins 65 ans est l’un des principaux critères pris en compte dans le calcul de la compensation (article D. 134-2 du code précité).

En 2023, 17 régimes de base de retraite participaient au système de compensation, parmi lesquels figure la CNRACL, la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), la Mutualité sociale agricole (MSA) et le régime de retraite des personnels civils de l’État.

Lors de la table ronde du 12 mars dernier, le président Cazenave a rappelé que, sans cette contribution, la Caisse serait demeurée excédentaire en 2019 et n’aurait été que faiblement déficitaire en 2020 ([99]). Par ailleurs, comme le mécanisme fonctionne à partir de critères purement démographiques, la CNRACL continue encore de fournir une contribution, qui tend certes à se réduire (618,4 millions d’euros en 2023, 475 millions d’euros en 2024 et 310 millions d’euros en 2025 ([100])) alors que son déficit ne cesse de se creuser. Comme l’a souligné M. Thomas Fromentin, vice-président d’Intercommunalités de France, lors de la table ronde du 26 mars dernier, c’est une situation difficile à comprendre pour de nombreux élus locaux.

C’est surtout le montant cumulé de la compensation supportée par la Caisse pendant 40 ans, estimé à 100 milliards d’euros, inflation comprise, par les corps d’inspection ([101]) qui est considéré comme ayant pesé significativement sur l’équilibre des comptes. Cette importante contribution au mécanisme de compensation n’a pas permis à la CNRACL d’accumuler les excédents nécessaires à l’absorption de la dégradation de son ratio démographique.

Bien qu’il ne souhaite pas « s’appesantir sur le passé », M. Frizot l’évoque dès le début de son intervention lors de la table ronde du 26 mars dernier. Les termes employés par les représentants des organisations syndicales lors de la table ronde du 2 avril dernier sont plus durs. M. Didier Birig (Force Ouvrière) estime ainsi que les affiliés à la CNRACL ont été « floués ». M. Frédéric Aubisse (CGT) et M. Dominique Régnier (FO) qualifient, pour leur part, le mécanisme de « pillage ».

B.   Le relèvement de taux opéré par le Gouvernement apparaît aux collectivités comme une solution injuste et inefficace

Sans attendre l’entrée en vigueur de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 ([102]), le Gouvernement a pris le 30 janvier dernier un décret ([103]) relevant progressivement, de trois points par an entre 2025 et 2028, le taux de cotisation des employeurs à la CNRACL. Cette hausse a suscité l’opposition des employeurs territoriaux. Une telle mesure apparaît non seulement injuste dans la mesure où elle pénalise des collectivités déjà soumises à de fortes contraintes budgétaires, mais aussi inefficace, car elle ne s’attaque pas aux causes structurelles du déséquilibre de la Caisse.

1.   La hausse des taux de cotisation pénalise lourdement l’ensemble des collectivités territoriales

Dès l’annonce par le Gouvernement de son intention de procéder à un relèvement des taux de cotisation, la Conférence des employeurs territoriaux (CET) a dénoncé dans un communiqué ([104]) « l’ampleur et la brutalité des récentes annonces financières qui viennent percuter la capacité d’action des collectivités, qu’il s’agisse des mesures contenues dans le projet de loi de finances ou de l’augmentation inédite de la contribution retraite des employeurs à la CNRACL ».

Lors de la table ronde du 26 mars dernier, les employeurs territoriaux ont confirmé leur opposition à cette mesure.

Alors que le rapport des corps d’inspection précité comportait onze recommandations, le Gouvernement a écarté celles qui étaient les plus structurantes au profit du seul relèvement de taux ([105]). Lors de la table ronde précédente, le 12 mars dernier, le président Cazenave avait souligné que ce choix du Gouvernement se justifiait essentiellement par la facilité à le mettre en œuvre, du moins sur le plan technique.

Pour M. Fromentin, cette approche « purement paramétrique » est « inquiétante », car elle fait reposer tout le poids de la résorption du déficit de la Caisse sur les seuls employeurs territoriaux, au moment précis où les collectivités connaissent des tensions sur leurs finances publiques et où il leur est demandé une contribution significative à l’effort de redressement des comptes publics. La mesure lui apparaît comme la conséquence du discours visant à rendre les collectivités « responsables de la dégradation des comptes publics de la France », ce qui est d’autant plus injuste que la part des dépenses des administrations publiques locales (APUL) est restée globalement stable depuis plusieurs décennies ([106]).

La participation des collectivités à l’effort de réduction des déficits publics dans la loi de finances pour 2025

Dans un courrier adressé aux présidents et aux rapporteurs généraux des commissions des finances des deux assemblées le 2 septembre 2024, le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et le ministre délégué chargé des comptes publics indique que le besoin de financement des collectivités territoriales pourrait s’élever en 2024 à 16 milliards d’euros, contre 9,9 milliards d’euros en 2023 et insiste sur la nécessité de « faire participer les collectivités à l’effort de redressement des comptes publics ».

Cette participation, d’un montant de plus de 3,5 milliards d’euros, s’articule principalement autour des trois mesures suivantes :

Stabilisation en valeur au titre de 2025 des fractions de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) affectées aux collectivités ([107]) : 1,2 milliard d’euros d’économies attendus ;

2° Mise en place d’un « dispositif de lissage conjoncturel » (DILICO) consistant en un prélèvement et une mise en réserve des recettes d’un certain nombre de collectivités pour un montant forfaitaire d’un milliard d’euros, avec une perspective de redistribution future selon des modalités qui demeurent encore à clarifier ([108]) ;

3° Réduction à 1,15 milliard d’euros, contre 2,5 milliards d’euros en 2024, des crédits (autorisations d’engagement) alloués au fonds d’accélération de la transition écologique dans les territoires, dit « fonds vert »  ([109]).

Dans ces circonstances, l’augmentation annuelle de trois points sur quatre ans du taux de cotisation des employeurs en faveur de la CNRACL, qui représente environ 3,9 milliards d’euros de dépenses supplémentaires pour les collectivités en 2028 ([110]), apparaît comme un allongement insidieux de l’effort contributif demandé par le Gouvernement. Cette mesure semble d’autant plus inique que les données globales laissent apparaître une relative maîtrise des comptes des collectivités en comparaison avec ceux des administrations centrales ([111]).

En outre, l’une des principales inquiétudes soulevées par les élus locaux porte sur son application uniforme à l’ensemble des employeurs territoriaux, sans distinction de situation financière. Si la situation budgétaire globale des collectivités territoriales peut, à première vue, sembler équilibrée ([112]), elle masque en réalité de fortes disparités.

À titre d’illustration, on peut brièvement rappeler les difficultés spécifiques rencontrées par la strate départementale, mises en lumière lors des débats sur le projet de loi de finances pour 2025. Confrontés à une inflation soutenue en 2022 et à une baisse marquée des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) ([113]) – qui représentent près de 20 % de leurs recettes – en raison de la crise touchant le secteur immobilier, de nombreux départements ont connu une nette dégradation de leur situation financière. Selon les résultats d’une étude menée par la Banque postale pour Départements de France en 2024 ([114]), 13 départements présentaient une épargne nette négative en 2023. Par ailleurs, si les départements affichaient, dans leur ensemble, des délais de désendettement ([115]) satisfaisants en 2023 (5,3 ans), 7 d’entre eux dépassaient déjà la limite prudentielle de 10 ans ([116]) et 7 autres en étaient très proches.

Au-delà des départements, toute collectivité fragilisée sur le plan financier subira de manière indifférenciée la charge supplémentaire découlant de la hausse du taux de cotisation. Confrontées à une impasse budgétaire, certaines collectivités peuvent être tentées de suspendre le paiement de leurs cotisations, comme l’ont indiqué les organisations syndicales lors de la table ronde du 2 avril dernier. Ainsi, M. Frédéric Aubisse, administrateur de la CNRACL et représentant de la CGT, a signalé que la Caisse détenait, d’ores et déjà, une créance de plus de 400 millions d’euros auprès de 86 employeurs publics. Mme Sophie Le Port, pour la CFDT, a précisé que, parmi les collectivités en défaut de paiement, on trouvait beaucoup de départements.

Du point de vue des employeurs territoriaux, la poursuite, en 2026, 2027 et 2028, du relèvement du taux de cotisation pourrait s’avérer difficilement soutenable pour de nombreuses collectivités. Pour reprendre les termes employés par Mme Emmanuelle Rousset, co-présidente de la commission « fonction publique territoriale » de France Urbaine, cela reviendrait à « asphyxier le service public local ».

2.   Le relèvement des taux ne constitue pas une solution durable aux problèmes financiers de la CNRACL

Dans leur rapport, les corps d’inspection indiquaient qu’une hausse immédiate de 10,20 points dès 2025 du taux de cotisation était nécessaire pour assurer l’équilibre financier de la CNRACL. Le taux d’équilibre en 2030 était estimé à 50,34 %, contre 31,65 % en 2024 ([117]).

Bien que l’objectif de taux fixé par le Gouvernement pour 2028 (43,65 %) se rapproche du taux d’équilibre estimé, il apparaît, d’ores et déjà, que ce ne sera pas suffisant. Comme l’a indiqué le président Cazenave lors de la table ronde du 26 mars dernier, le déficit cumulé de la Caisse pourrait, en dépit des mesures prises, s’élever à 18 milliards d’euros en 2030. Par ailleurs, le ratio démographique devrait continuer à décroître au cours des prochaines décennies : de 1,44 cotisant pour un retraité aujourd’hui, il pourrait être ramené à 0,9 en 2040 et même à 0,8 en 2050.

La situation financière de la CNRACL ne devrait donc pas s’améliorer. Selon la Cour des comptes, la dette de la Caisse atteindrait 50 milliards d’euros en 2035 et 125 milliards d’euros en 2045 en dépit du relèvement de 12 points du taux de cotisation ([118]).

Plus généralement, il est à craindre que le relèvement du taux de cotisation employeur à la CNRACL n’ait des répercussions directes sur l’emploi futur des fonctionnaires au sein de la fonction publique territoriale. En effet, dans leur rapport, les corps d’inspection soulignent que cette hausse « renchérit le coût relatif du travail des fonctionnaires par rapport à celui des contractuels » ([119]). Comme l’a rappelé M. Sayen lors de la table ronde du 12 mars dernier, il y a donc un risque « d’attrition » de la base de cotisation à la CNRACL par substitution progressive d’agents contractuels à l’emploi de personnels statutaires.

Au cours de la table ronde du 26 mars suivant, M. Yohann Nédélec, président du CNFPT, a signalé que près de la moitié des recrutements dans la fonction publique territoriale se faisait aujourd’hui par la voie contractuelle et que la part des contractuels, actuellement proche de 25 %, avait vocation à s’accroître rapidement au fur et à mesure des relèvements de taux de cotisation.

Le différentiel de coût du travail entre un fonctionnaire et un contractuel dans la fonction publique territoriale

Si, en matière d’assurance maladie, le taux de cotisation employeur applicable aux fonctionnaires (8,88 %) est inférieur à celui en vigueur pour les salariés du secteur privé, et donc pour les contractuels, (13 %), la différence de taux est, de manière significative, en faveur des contractuels en matière de retraite. Ainsi, en 2024, alors qu’un employeur territorial devait cotiser à hauteur de 31,65 % à la CNRACL, la cotisation pour un agent contractuel au salaire brut inférieur à 3 000 euros par mois ne s’élevait qu’à 14,77 % ([120]). Ce taux se décomposait en trois parties :

-          8,55 % pour la cotisation plafonnée au régime de base ;

-          2,02 % pour la cotisation déplafonnée ;

-          4,20 % pour l’IRCANTEC (tranche A).

Selon les éléments communiqués par Mme Emmanuelle Rousset lors de la table ronde du 26 mars, la différence de coût pour un employeur entre un fonctionnaire et un contractuel peut être évaluée en moyenne à 382 euros.

Comme l’a rappelé le président Cazenave lors de la table ronde du 12 mars précitée, ce phénomène d’attrition est d’autant plus pénalisant pour la CNRACL que les cotisations constituent la quasi-totalité de ses ressources ([121]), à la différence des autres régimes de retraite ([122]).

Les échanges menés dans le cadre des travaux de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l’Assemblée nationale ont permis de faire émerger une conviction largement partagée : dans l’état actuel du régime, la hausse du taux de cotisation ne saurait constituer qu’une réponse transitoire aux déséquilibres financiers observés sans pouvoir apporter une solution durable aux problèmes posés.

II.   UN RETOUR À L’ÉQUILIBRE FINANCIER QUI NE PEUT S’ENVISAGER SANS UNE RÉFORME PLUS GLOBALE DU RÉGIME

Des mesures de court terme permettraient de doter la CNRACL de ressources supplémentaires, analogues à celles dont bénéficient déjà la plupart des autres régimes, en particulier le régime général, et contribueraient ainsi à rétablir provisoirement son équilibre financier. Toutefois, ces leviers conjoncturels ne sauraient suffire sans une réforme plus structurelle, appelant à repenser à la fois la place des contractuels dans le régime, la prise en charge de la pénibilité et la couverture de l’invalidité, ainsi que le modèle de financement qui ne peut durablement reposer sur les seules cotisations des affiliés et de leurs employeurs.

A.   Certaines mesures d’urgence peuvent soulager à court terme les comptes de la CNRACL

Il paraît opportun de privilégier le déploiement cumulatif d’un ensemble de mesures d’une complexité maîtrisée et rapidement opérationnelles, ayant des effets positifs immédiats sur l’équilibre financier de la CNRACL avec le moins d’effets de bord que possible. Cette addition de mesures permettrait de soulager les comptes de la Caisse – à hauteur de 1,3 milliard d’euros environ en 2025 – de réduire sa dette, de supprimer sa contribution au mécanisme de compensation démographique dès cette année, et ainsi, de reporter dans le temps la nécessité d’une nouvelle hausse du taux de la cotisation vieillesse des employeurs.

1.   La reprise de la dette de la Caisse par la CADES semble s’imposer

L’apparition d’un déficit structurel en 2018 a conduit la CNRACL à solliciter un soutien financier de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) sous la forme d’avances remboursables, avec intérêts, allouées dans le cadre d’un plafond fixé chaque année par la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS).

L’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS)

Créée par l’ordonnance n° 67‑706 du 21 août 1967 en son article 47, l’ACOSS est un établissement public administratif à caractère national chargé d’assurer la gestion commune de la trésorerie des différents régimes de sécurité sociale. Elle joue, notamment, le rôle de « caisse centrale » des Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF).

En application de l’article L. 225‑1‑4 du Code de la sécurité sociale, elle peut également verser des avances « contre rémunération » aux régimes obligatoires de base autres que le régime général dans la limite du plafond de ressources non permanentes fixé chaque année par la loi de financement de sécurité sociale en application du e du 2° de l'article LO. 111‑3‑4.

À l’exception de l’année 2021, marquée par une reprise partielle de la dette par la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES) - cf. infra, le plafond d’endettement et l’encours de dette de la CNRACL au 31 décembre de chaque année n’ont cessé de s’accroître depuis 2019. Lors de la table ronde du 12 mars, le président Cazenave a rappelé que le plafond d’endettement avait été fixé à 11 milliards d’euros par la LFSS pour 2024, soit 5,5 fois plus que celui de la LFSS pour 2019 (2 milliards d’euros), et que la LFSS pour 2025 l’avait porté à 13,2 milliards d’euros ([123]).

Sources : Rapports annuels de la CNRACL (2018-2023) et LFSS 2018-2025.

Ce recours à l’emprunt engendre, naturellement, des charges d’intérêts non négligeables, qui s’élevaient à 139,2 millions d’euros en 2023 ([124]). Toutefois, comme l’a rappelé M. Sayen lors de la table ronde du 12 mars précitée, les corps d’inspection anticipent le basculement de la Caisse dans une spirale d’endettement susceptible de porter atteinte à sa viabilité financière : en l’absence de toute réforme, les charges d’intérêts, qui devraient s’élever à 306 millions d’euros en 2024, pourraient dépasser le milliard d’euros à compter de 2029 ([125]). Comme évoqué supra ([126]), les dernières prévisions effectuées par la Cour des comptes, qui font état d’un encours de dette de 50 milliards d’euros en 2035, ne sont guère plus optimistes.

Afin d’éviter la « constitution d’une dette financière létale » ([127]), les corps d’inspection ont préconisé la reprise de la dette de la CNRACL par la CADES ([128]). Lors de la table ronde du 12 mars précitée, le président Cazenave a souligné qu’une telle option était d’autant moins incongrue qu’elle avait déjà été mise en œuvre en 2020, à hauteur de 1,29 milliard d’euros, ce qui avait permis de limiter sensiblement la progression de l’endettement pendant un an.

La CADES et son intervention en faveur de la CNRACL en 2020

La CADES a été créée, dans le cadre du « plan Juppé », par l’ordonnance n° 96‑50 du 24 janvier 1996 sous la forme d’un établissement public national à caractère administratif. Elle a pour mission de reprendre et « d’apurer » une partie de la dette des organismes de sécurité sociale jusqu’au 31 décembre 2033. Concrètement, la CADES est un émetteur sur le marché international des capitaux, le deuxième après l’Agence France Trésor. Elle bénéficie de ressources fiscales, notamment de la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) et d’une fraction de la CSG. Au 31 décembre 2024, la CADES a repris 396,5 milliards d’euros de dette sociale, dont 258 milliards d’euros ont été amortis ([129]).

L’article 4 de l’ordonnance (II septies) est modifié par l’article 1er de la loi n° 2020-992 du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l'autonomie afin de permettre la reprise par la CADES des « déficits cumulés au 31 décembre 2019 du régime de retraite » géré par la CNRACL, ce qui correspond aux déficits des années 2018 (572 millions d’euros) et 2019 (722 millions d’euros), soit 1,29 milliard d’euros au total. L’encours de dette de la CNRACL constaté au 31 décembre 2021 (1,57 milliard d’euros) avait, ainsi, peu progressé par rapport au 31 décembre 2020 (1,41 milliard d’euros).

La reprise par la CADES de la totalité de la dette de la CNRACL fait partie des deux mesures qui, selon M. Cazenave, « mériteraient d’être sérieusement envisagées ». Lors de la table ronde du 2 avril, cette mesure a été citée par la plupart des représentants des organisations syndicales, qu’il s’agisse de Mme Marie Coubret pour la CFDT, de M. Didier Birig pour Force Ouvrière ou de M. Sébastien Jansem pour la Fédération autonome de la fonction publique territoriale (FA-FPT). M. Dominique Régnier (Force Ouvrière), pour sa part, précise que « l’État doit prendre ses responsabilités ». Les syndicats ont souligné la situation paradoxale de la Caisse à l’égard du mécanisme de compensation démographique inter-régimes : alors qu’elle est déjà déficitaire, elle doit emprunter pour en financer le versement à d’autres régimes de retraite.

Si d’aventure l’État devait s’engager dans cette voie, il faudrait probablement étendre l’échéance de la CADES au-delà du 31 décembre 2033, par exemple de dix nouvelles années. On notera, sur ce dernier point, que l’allongement au 31 décembre 2038, CNRACL non comprise, fait partie des recommandations du Haut Conseil pour le financement de la protection sociale dans une note publiée le 17 janvier 2025 ([130]). Par ailleurs, toute modification de la durée de fonctionnement de la CADES nécessitera la modification de l’article 4 bis de l’ordonnance du 24 janvier 1996, qui est de nature organique.

Recommandation  1 : Faire adopter, dès l’année 2025, une loi autorisant la CADES à reprendre de manière permanente l’intégralité des déficits cumulés de la CNRACL, et une loi organique prolongeant de dix ans l’existence de la CADES.

2.   À court terme, la CNRACL doit pouvoir bénéficier de compensations provenant de la CNAF et du FSV, à l’instar des autres régimes de retraite de base

Instaurée au milieu des années 1970 dans un objectif de solidarité entre régimes de retraites, la compensation repose sur des règles complexes qui se sont révélées inéquitables par la suite, sans pour autant être amendées malgré les réformes successives des régimes de retraite, comme l’a rappelé la Cour des comptes dans son rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale (RALFSS) de 2024 ([131]).

Dans son principe, l’existence d’une solidarité inter-régimes n’a pas été remise en cause par les participants : employeurs comme organisations syndicales considèrent qu’il faut maintenir le mécanisme de compensation, d’autant que « la CNRACL devrait en être bénéficiaire à compter de 2027 ou 2028 » (M. Bastien Sayen). Cependant, dans la mesure où seuls les titulaires d’une pension de droit direct âgés d’au moins 65 ans, indépendamment de leur durée de cotisations, sont pris en compte dans le régime fictif utilisé pour le calcul de la compensation, la CNRACL se trouve défavorisée en raison du nombre plus élevé de retraites anticipées qu’elle verse effectivement, notamment au titre de la catégorie « active » ou du dispositif des « carrières longues » ([132]). À court terme, une réforme a minima du mécanisme, consistant à intégrer les retraités âgés de moins de 65 ans, quand bien même elle peut apparaître comme « tardive » (M. Dominique Régnier, pour Force Ouvrière) et ne constitue plus « un cheval de bataille » (Mme Marie Coubret, pour la CFDT), permettrait à la Caisse de faire une économie de plusieurs centaines de millions d’euros en la rendant bénéficiaire du mécanisme avec deux ou trois années d’avance.

Une telle mesure, soutenue également par la coordination des employeurs publics territoriaux, s’inscrit dans le prolongement des recommandations des corps d’inspection, sans toutefois reprendre l’ensemble de la refonte de la compensation démographique qu’ils préconisent ([133]). Elle semble également plus simple à mettre en œuvre puisqu’elle revient seulement à supprimer la référence à l’âge figurant à l’article D. 134-2 du Code de la sécurité sociale. Toutefois, les effets de bord sur les autres régimes participant au mécanisme méritent d’être explorés, s’agissant d’un « jeu à somme nulle » entre régimes, comme l’a fait observer M. Ruol.

Recommandation  2 : Intégrer sans délai, par voie règlementaire, les titulaires d’une pension de droit direct âgés de moins de 65 ans dans le calcul de la compensation démographique inter-régimes.

À la différence des autres régimes d’assurance vieillesse obligatoire, la CNRACL ne bénéficie pas de financements extérieurs pour les avantages non contributifs qu’elle verse. C’est le cas pour la majoration pour enfants, dont le calcul est identique à celui des fonctionnaires civils et militaires de l’État ([134]), en vertu du principe d’égalité entre les agents publics.

Dans le régime général et le régime agricole, où la majoration pour enfants est plafonnée à 10 % à compter du troisième enfant, et dans la plupart des régimes spéciaux, le financement de cet avantage était assuré par le Fonds de solidarité vieillesse (FSV), lequel bénéficiait, depuis 2011 ([135]), d'un refinancement intégral par la CNAF. Depuis 2016 ([136]), la CNAF assure directement la prise en charge de ce financement. En revanche, la CNRACL doit assumer elle-même la charge relative à cette majoration.

Il apparaît illogique de ne pas faire financer par la branche famille cet avantage non contributif. Indirectement, cela revient à faire supporter aux agents et à leurs employeurs un avantage qui est mutualisé au niveau national via la CNAF. À ce propos, M. Jean-Marc Frizot, vice-président de la FNCDG, a estimé qu’ « il appartenait à la CNAF de prendre en charge les majorations de pensions pour enfants dues aux affiliés » tandis que M. Philippe Laurent fait observer que « des compensations apportées à la CNRACL au titre de la majoration pour enfants [et de l’invalidité] auraient le mérite de rendre les régimes plus comparables et, donc, de mieux identifier l’origine des problèmes de financement ».

En outre, une telle mesure permettrait d’amorcer « une diversification des ressources de la CNRACL » (M. Bastien Sayen). Reprenant le chiffrage des inspections générales ([137]), le président Jean-Pierre Cazenave a souligné, lors de la table ronde du 12 mars, l’enjeu financier représenté par cette prise en charge par la CNAF qui « représenterait un gain d’un milliard d’euros dès cette année ». Ce montant évoluerait, les années suivantes, dans les mêmes proportions que les dépenses du régime.

En revanche, l’alignement du calcul de la majoration pour enfants sur le régime général, avec la suppression de la majoration supplémentaire de 5 points par enfant au-delà du troisième, quoique proposée ([138]) dans leur rapport, n’a pas été évoquée par MM. Le Guillou, Ruol et Sayen. Il convient de relever qu’une telle mesure nécessiterait d’être étendue par la voie législative aux fonctionnaires de l’État, ce qui serait source de complexité politique et technique, et ne représenterait, en tout état de cause, qu’une économie marginale, d’une quarantaine de millions d’euros à l’horizon 2028, selon le rapport précité.

Recommandation  3 : Instaurer, en loi de financement de la sécurité sociale, un remboursement par la CNAF à la CNRACL de la charge financière représentée par la majoration pour enfants appliquée aux pensions de ses affiliés.

Dans le prolongement de la réflexion sur les avantages non contributifs, et comme cela a été rappelé supra, la CNRACL se distingue par la prise en charge directe par le régime lui-même des pensions d’invalidité qui représentaient 10,2 % des prestations servies en 2023 – alors que, pour les affiliés au régime général, ces pensions sont servies par les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) et non par l’assurance vieillesse.

Si le nombre de pensions d’invalidité de droit dérivé est relativement stable depuis une décennie, celui des pensions d’invalidité de droit direct est dynamique (+ 2,3 % par an), notamment dans la fonction publique territoriale qui représentait près des trois quarts des 7 101 nouvelles pensions d’invalidité de droit direct liquidées en 2023 ([139]).

Lors de la table ronde du 12 mars, reprenant la recommandation n° 6 de leur rapport, les inspecteurs généraux, par la voix de M. Bastien Sayen, ont suggéré que la garantie de pension minimale d’invalidité, équivalente à la moitié du dernier traitement brut accordée aux affiliés dont le taux d’invalidité est supérieur ou égal à 60 % ([140]), puisse faire l’objet d’une prise en charge par le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) ([141]) au titre des avantages non contributifs. M. Yannick Le Guillou a rappelé que le financement de ces pensions d’invalidité par le FSV représenterait un montant d’économies de 50 millions d’euros dès 2025 pour la CNRACL, montant qui progresserait proportionnellement à la dépense du régime les années suivantes.

Pour mémoire, cette garantie est prise en charge par l’État pour ses fonctionnaires, tandis que, dans le régime général, la garantie minimale de pension d’invalidité, correspondant à la 2ème catégorie (incapacité de travail sans assistance par une tierce personne) ouvre droit à un minimum de pension égale à la moitié du salaire moyen annuel brut des dix meilleures années. Cette pension minimale est versée par la CPAM.

Il ne semble pas incohérent que la CNRACL bénéficie du financement de cet avantage non contributif par le FSV, à l’instar des autres régimes de retraites, ce d’autant, comme le souligne M. Yannick Le Guillou, que le FSV est lui‑même financé par l’ensemble des assurés sociaux, dont les affiliés à la CNRACL.

Cette mesure pourrait être mise en œuvre à brève échéance.

Recommandation  4 : Faire financer par le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) (par la CNAV à compter du 1er janvier 2026) la part des pensions d’invalidité et de retraite résultant de la garantie de pension minimale équivalente à la moitié du dernier traitement brut perçu pour les pensionnés dont le taux d’invalidité est au moins égal à 60 %.

Par ailleurs, M. Le Guillou a rappelé que le FSV finance, au bénéfice des affiliés du régime général, des régimes agricoles et des régimes vieillesse des professions libérales et du barreau, la validation gratuite de trimestres non travaillés, notamment au titre des périodes d’arrêts de travail pour maladie. À cet effet, le FSV verse chaque année une compensation financière à la CNAV, à la Caisse centrale de la MSA, à la Caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL) et la Caisse nationale des barreaux français (CNBF), en application de conventions signées entre le FSV et ces organismes de retraites ([142]).

La CNRACL, quant à elle, perçoit les cotisations de ses agents affiliés lorsqu’ils perçoivent leur traitement. Ce dernier est réduit de moitié à compter du quatrième mois de congé de maladie. Or, le temps passé dans cette position administrative ne réduit pas les droits à pension. Il en va de même lorsque l’agent, placé en congé de longue maladie ou de longue durée après respectivement un an ou trois ans dans cette position, ne perçoit plus qu’un demi-traitement. C’est la Caisse qui prend à sa charge la validation complète de ces trimestres partiellement cotisés. Selon le rapport des inspections générales ([143]), cette validation représentait un coût pour la CNRACL de 228,5 millions d’euros en 2023.

Dans un souci d’équité entre régimes, la prise en charge par le FSV, puis à compter de 2026, par la CNAV, des trimestres incomplètement cotisés correspondant aux congés de maladie, validés au titre des retraites servies par la CNRACL, pourrait être envisagée.

Recommandation  5 : Instaurer, en loi de financement de la sécurité sociale, une compensation financière du FSV (puis à compter de 2026, par la CNAV) à la CNRACL pour la charge financière représentée par la validation des trimestres partiellement cotisés par les affiliés pendant les périodes de congé de maladie.

B.   La consolidation financière de la CNRACL doit s’inscrire dans une rÉforme D’ensemble du régime de retraite des agents territoriaux et hospitaliers

Aujourd’hui exclusivement alimentée par les cotisations des affiliés et de leurs employeurs, la CNRACL fait face à la nécessité de diversifier ses ressources, y compris par l’octroi de recettes de nature fiscale. Cette diversification doit s’accompagner d’une réflexion plus large sur la reconnaissance de l’usure professionnelle et sur la clarification du périmètre entre le risque vieillesse et le risque invalidité, dans un contexte marqué par la progression soutenue des pensions attribuées au titre de l’invalidité.

1.   Le régime ne peut être pérennisé sans un apport de ressources nouvelles et diversifiées

En préambule de la table ronde du 12 mars, M. Jean-Pierre Cazenave a tenu à rappeler que « la CNRACL se caractérise par sa structure de financement, entièrement assise sur les cotisations ». Il s’agit, selon les termes de M. Yannick Le Guillou, d’un « handicap spécifique » par rapport à l’ensemble des autres régimes de retraites pour lesquels les cotisations représentent les deux-tiers des recettes, le service des retraites de l’État (SRE) étant, pour sa part, financé par l’impôt.

Plusieurs leviers permettant de dégager, à plus ou moins brève échéance, des recettes nouvelles et pérennes ont été envisagées des échanges intervenus lors des trois tables rondes.

  1.      L’affiliation des agents titulaires ou stagiaires à temps non complet d’une durée hebdomadaire inférieure à 28 heures

La non-affiliation des fonctionnaires territoriaux à temps non complet effectuant moins de 28 heures hebdomadaires est une mesure dont la justification apparaît aujourd’hui incertaine. Cette exclusion reposait sur la logique de la carrière complète dans la fonction publique, ce qui correspond de moins en moins à la norme. Une étude récente de la DGCL ([144]) indique que 121 300 fonctionnaires territoriaux étaient à temps non complet au 31 décembre 2021, soit 8,4 % de l’ensemble des fonctionnaires territoriaux, dont 61 % effectuaient moins de 28 heures hebdomadaires (environ 75 000). Ils sont particulièrement représentés dans les communes de moins de 1 000 habitants et les syndicats intercommunaux. Dans près de neuf cas sur dix, il s’agit de fonctionnaires féminins de catégorie C.

Le seuil horaire d’affiliation à la CNRACL

La loi du 26 janvier 1984 sur le statut de la fonction publique territoriale disposait, en son article 107, que « tout fonctionnaire nommé dans un emploi à temps non complet doit être affilié à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales s'il consacre à son service un nombre minimal d'heures de travail ». Une disposition similaire figurait à l’article 108 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière. L’article 2 du décret n° 2007-173 du 7 février 2007 relatif à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales y fait toujours référence. Ces dispositions sont, néanmoins, codifiées à l’article L. 613-5 du code général de la fonction publique qui renvoie à un décret le soin de fixer cette quotité minimale, qui ne peut être inférieure à la moitié de la durée légale du travail des fonctionnaires territoriaux à temps complet. L’article L. 613-6 du même code prévoit l’affiliation au régime général et à l’Ircantec des fonctionnaires qui ne sont pas affiliés à la CNRACL.

Le seuil de 28 heures hebdomadaires, décidé historiquement par le conseil d’administration de la Caisse, est donc aujourd’hui fixé par le pouvoir réglementaire (décret n° 2022-244 du 25 février 2022 pour la fonction publique territoriale).

M. Bernard Sayen a rappelé que les inspections générales étaient favorables, « pour des raisons d’homogénéité », au rattachement à la CNRACL des fonctionnaires à temps partiel dont la durée de travail hebdomadaire est inférieure au seuil d’affiliation fixé actuellement à 28 heures. Le rattachement des quelques 75 000 fonctionnaires concernés permettrait à la Caisse de bénéficier d’un montant potentiel de cotisations d’environ 290 millions d’euros ([145]).

Cette mesure, évoquée par les employeurs territoriaux, par la voix de M. Thomas Fromentin, comme par les organisations syndicales – M. Sébastien Jansem, pour la FA-FPT, la citant parmi celles à mettre en œuvre rapidement, M. Frédéric Aubisse, pour la CGT, suggérant la possibilité d’abaisser le seuil à 17 h 30 (mi‑temps) – a fait consensus, à l’exception de la CFDT qui a alerté sur le fait que, selon des simulations réalisées sur des cas-types, l’affiliation des fonctionnaires concernés à la CNRACL pouvait être moins favorable que celle au régime général et à l’Ircantec.

Si la voie de la suppression de la quotité hebdomadaire travaillée nécessaire pour être affilié était engagée, il conviendrait d’étudier la possibilité pour les fonctionnaires qui en ferait la demande, de les affilier rétroactivement par un reversement à la CNRACL des cotisations afférentes.

Recommandation  6 : Affilier tous les fonctionnaires territoriaux et hospitaliers à temps non complet à la CNRACL, en supprimant la condition liée à la durée de travail hebdomadaire. Étudier l’éventualité d’une affiliation rétroactive de ces fonctionnaires à la Caisse pour ceux qui le souhaitent.

  1.      L’affiliation des agents contractuels de la fonction publique territoriale à la CNRACL

À la dégradation naturelle du ratio démographique, commune à la quasi‑totalité des régimes de retraite, s’ajoute une « attrition de la base cotisante » qui résulte du recrutement croissant d’agents contractuels, lesquels représentent aujourd’hui environ un quart des postes au sein de la fonction publique territoriale.

Cette évolution est structurelle, ce qui implique, selon M. Philippe Laurent, président du CSFPT, d’envisager la retraite des personnels des collectivités territoriales « sous l’angle le plus global possible ». Les organisations syndicales ont regretté que la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique ait « aggravé » la « pression permanente » sur l’emploi public (M. Frédéric Aubisse, pour la CGT) et « ouvert les vannes » (M. Dominique Régnier, pour FO en donnant la possibilité aux employeurs publics de recruter des agents contractuels sur des emplois permanents même si le recrutement de contractuels dans la fonction publique territoriale est antérieur à cette loi (Mme Sophie Le Port, pour la CFDT).

Pour autant, le rapport des inspections générales estime que l’effet de substitution d’agents titulaires par des agents contractuels ne contribuerait qu’à hauteur de 10 à 15 % à la dégradation du ratio démographique ([146]).

Aussi, leur affiliation à la CNRACL, abondamment évoquée au cours des trois tables rondes, n’apporterait qu’une solution limitée aux difficultés de la Caisse. Un tel transfert se heurterait, par ailleurs, à des obstacles techniques – énumérés par MM. Le Guillou, Ruol et Sayen – liés, notamment, à la difficulté de connaître précisément certaines données nécessaires à la reconstitution des durées cotisées, qui sont parfois mal renseignées par les employeurs. Enfin, la rémunération des contractuels ne permet pas, à ce jour, de distinguer la part correspondant à un traitement indiciaire brut, qui serait assujetti aux cotisations à la CNRACL, et celle part correspondant à des primes ([147]). Par ailleurs, et cela a été souligné par Mme Coubret (CFDT), certains agents contractuels ne souhaitent pas être affiliés à la CNRACL car la retraite du régime général et l’Ircantec leur sont plus favorables, notamment parce que l’assiette des droits à pension est constituée par l’intégralité de la rémunération (M. Ruol).

  1.      La fusion de la CNRACL avec l’Ircantec

La perspective, a priori séduisante, d’un rapprochement entre la CNRACL et l’Ircantec a été évoquée. Toutefois – et cela a été rappelé par M. Dominique Régnier (FO) – l’Ircantec est une caisse complémentaire qui couvre également les agents contractuels de l’État, ce qui rend difficilement envisageable une fusion des deux caisses.

L’Ircantec pourrait également, à moyen terme, être confrontée à des déséquilibres similaires à ceux que connaît aujourd’hui la CNRACL, ce qui fait dire au président Cazenave qu’ « on n’a jamais fait de deux pauvres un riche ».

  1.      L’assujettissement de la masse salariale affectée aux agents contractuels à une taxe spécifique

S’il n’apparaît pas pertinent de s’engager dans l’une ou l’autre de ces voies, compte tenu de leur complexité et des effets négatifs qu’elle pourrait avoir sur la retraite des agents contractuels, les corps d’inspection ont, en revanche, préconisé d’assujettir la masse salariale consacrée aux agents non titulaires de la fonction publique territoriale à une taxation spécifique afin de rendre plus onéreuse l’embauche de contractuels et de réduire le différentiel de coût entre fonctionnaires et agents contractuels. En effet, ce différentiel ([148]) devrait s’accroître mécaniquement dans les années à venir, porté par la forte augmentation de la cotisation des employeurs publics pour leurs agents affiliés à la CNRACL, les incitant à embaucher davantage d’agents non titulaires, renforçant un « cercle vicieux » que les organisations syndicales ont mis en évidence lors de la table ronde du 2 avril. Dès lors, la mise en place d’un mécanisme permettant de réduire l’effet désincitatif lié au coût de l’emploi titulaire et de favoriser une gestion plus neutre des ressources humaines fait partie des pistes de réforme évoquées par M. Fromentin lors de la table ronde du 26 mars.

Dans la mesure où cette charge pèserait directement sur les employeurs publics territoriaux, déjà fortement mis à contribution par la hausse du taux de cotisation vieillesse applicable aux agents titulaires, il convient d’explorer d’autres sources de financement complémentaires.

  1.      Le recours à la fiscalité transférée

Concluant son propos liminaire lors de la table ronde du 12 mars, M. Vincent Ruol a tenu à replacer la CNRACL dans l’architecture globale du système de retraite qui est, lui-même, une composante du modèle français de protection sociale : la réallocation de ressources provenant d’autres régimes de retraite (au titre de la compensation démographique), de la CNAF (pour le financement de la majoration pour enfants), du FSV (pour le financement d’autres avantages non contributifs) ou des collectivités (s’agissant de la taxation des contrats des non-titulaires) ne fait que « déplacer des déficits pour les mettre là où il faut ».

Pour le président Cazenave, seul le recours à de nouvelles ressources d’origine fiscale apparaît en mesure d’infléchir durablement la trajectoire financière défavorable de la Caisse. Par ailleurs, les inspecteurs généraux ont rappelé que la CNRACL faisait figure d’exception dès lors que la plupart des autres régimes de retraite bénéficient d’un financement mixte, composé de cotisations et du produit de la fiscalité transférée ([149]).

Dans un contexte de dégradation progressive des comptes de la CNRACL, l’instauration d’un socle de fiscalité transférée est apparue lors de la première table ronde comme une évolution à la fois logique et nécessaire. À l’instar de nombreux régimes de retraite qui bénéficient déjà de ressources issues de l’impôt, la CNRACL devrait pouvoir s’appuyer à terme sur des recettes fiscales pérennes, dont la nature et le produit restent à définir. Ce levier offrirait une réponse structurelle au déficit prévisible du régime, une fois mises en œuvre les mesures des recommandations n° 2 à 6 ci-avant, équivalentes à 1,6 milliard d’euros par an.

Un tel financement par l’impôt présenterait en outre un avantage de soutenabilité pour les finances publiques locales : il permettrait d’éviter de procéder à une nouvelle hausse des taux de cotisation employeur ([150]), qui pèserait fortement sur les budgets des collectivités territoriales déjà mis à contribution. Il s’agirait ainsi non seulement d’assurer la viabilité du régime, mais aussi de préserver la capacité d’action des employeurs publics locaux.

Au-delà du recours à la fiscalité affectée, un large consensus s’est dessiné, au fil des trois tables rondes, en faveur d’une « approche globale » (M. Jean-Pierre Cazenave) et d’une « vision systémique » (Mme Sophie Le Port) du système des retraites, car « toute réforme, y compris paramétrique, du régime [de la CNRACL] aura nécessairement un impact sur les autres » (M. Philippe Laurent).

Recommandation  7 : Affecter à la CNRACL une fraction de fiscalité transférée à hauteur du besoin de financement prévisible, déduction faite des mesures proposées par les cinq précédentes recommandations. Ce transfert de fiscalité devra mettre un terme à toute nouvelle augmentation du taux de la cotisation employeurs au-delà de 2028.

2.   Une réflexion doit être engagée afin de réduire la charge pour le régime liée à l’indemnisation de l’invalidité

Le nombre de pensions d’invalidité servies par la CNRACL, documenté par une étude récente de la Caisse des dépôts ([151]) mentionnée par plusieurs organisations syndicales, a sensiblement augmenté depuis 2010 pour se stabiliser depuis 2020. M. Jean-Marc Frizot a, pour sa part, insisté sur l’afflux de demandes de pensions pour invalidité, qualifié d’ « explosion ».

M. Bastien Sayen a rappelé, lors de table ronde du 12 mars, que la masse des prestations servies pour invalidité connaissait une dynamique bien plus élevée que les cotisations.

Aussi, la mission conjointe des inspections générales a-t-elle recommandé l’individualisation des taux de cotisation au titre des prestations vieillesse et celles d’invalidité, de façon à pouvoir ajuster le financement de l’invalidité à l’évolution des dépenses.

Cette distinction aurait un triple intérêt : d’un point de vue comptable, elle permettrait de rendre compte des recettes à mettre en face de dépenses qui relèvent par leur nature de l’assurance maladie mais « n’en contribuent pas moins au déficit de la CNRACL » (M. Vincent Ruol) ; d’un point de vue informatif, elle permettrait de disposer d’indicateurs plus précis sur l’invalidité alors que « le report de l’âge de la retraite va amplifier ce phénomène » (Mme Marie Soubrette) ; d’un point de vue opérationnel, elle permettrait de mieux responsabiliser les employeurs sur les conditions de travail et la pénibilité de certains postes (M. Sébastien Lançâmes).

Recommandation  8 : Améliorer la connaissance du coût du risque invalidité en procédant à l’individualisation des cotisations vieillesse et invalidité, de façon à pouvoir adapter le financement de l’invalidité pour les affiliés à la CNRACL.

Dans le prolongement de la réflexion sur la pénibilité inhérente aux métiers de la fonction publique territoriale, M. Frisotte a rappelé le souhait de la CET, exprimé auprès du Gouvernement, que le fonds de prévention de l’usure professionnelle, du maintien dans l’emploi et de l’accompagnement des transitions professionnelles dans la fonction publique territoriale, proposé par le président de la FNCDG ([152]), soit rapidement activé – dans un contexte d’allongement des carrières avec le report de l’âge de la retraite – en suggérant qu’il soit financé par une contribution égale à 0,1 % de la masse salariale. Ce fonds permettrait de financer les actions de prévention, d’aménagement des postes et d’accompagnement dans les transitions professionnelles. La CET soutient également la création d’un compte de pénibilité, sur le modèle de celui existant dans le secteur privé mais spécifique aux métiers exercés par les agents des collectivités territoriales.

Ces deux mesures permettraient d’agir en amont sur les facteurs de pénibilité, contribuant à réduire les départs précoces pour invalidité et autorisant l’ouverture des droits à des aménagements de carrière ou à un départ anticipé mieux encadré. Elles contribueraient à mieux adapter la retraite aux réalités des parcours professionnels tout en valorisant les métiers les plus exposés.

Recommandation  9 : Mettre en place sans délai le fonds de prévention de l’usure professionnelle, du maintien dans l’emploi et de l’accompagnement des transitions professionnelles dans la fonction publique territoriale.

Créer un compte pénibilité spécifique aux métiers de la fonction publique territoriale.

Par ailleurs, M. Igor Semo a souligné que près de deux employeurs territoriaux sur cinq n’ont pas établi de document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP), bien qu’il s’agisse d’une obligation légale depuis 2002 ; les organisations syndicales ont fait le même constat et ont rappelé qu’elles ont exprimé le souhait, lors d’une réunion du CSFPT sur ce sujet, qu’une inspection du travail soit créée pour la fonction publique territoriale (Mme Le Port pour la CFDT et M. Jansem pour la FA-FPT).

Au-delà des inconvénients qu’elle représente pour la mise en place d’une démarche de prévention des risques et une bonne gestion des ressources humaines, l’absence de ce document, qui permet d’identifier, analyser et hiérarchiser les risques auxquels sont exposés les agents, limite la capacité des collectivités à accompagner les évolutions des postes et les besoins de reclassement, notamment dans les métiers les plus exposés à la pénibilité. Les marges de progression en matière de prévention sont donc importantes.

Recommandation  10 : Rappeler aux collectivités territoriales et leurs établissements concernés, par circulaire préfectorale, l’obligation d’établir un document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP).

 

 

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   EXAMEN PAR LA DÉLÉGATION

Lors de sa réunion du mardi 13 mai 2025 à 16 heures 30, la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation a examiné le présent rapport et en a autorisé la publication.

Le compte rendu de cette réunion peut être consulté en ligne, sur le site de l’Assemblée nationale :

 

https://assnat.fr/jrbGFu

 

 

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([1]) Situation financière de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales - bilan et perspectives - n° 2023-104R (IGAS), n° 2023-M-104-02 (IGF) et n° 23107R (IGA) - mai 2024 (publié le 27 septembre 2024).

([2]) Alinéas 3, 9, 10, 16, 17 et 22 du rapport annexé au PLFSS 2025.

([3]) Termes utilisés dans la présentation diffusée aux membres du CFL par Mme Catherine Vautrin, ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation, et de M. Laurent Saint-Martin, ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics (page 11).

([4]) Courrier adressé le 2 septembre par le Gouvernement démissionnaire aux présidents et rapporteurs généraux des commissions des finances des deux assemblées.

([5]) Loi n° 2025-199 du 28 février 2025 de financement de la sécurité sociale pour 2025.

([6]) Un premier relèvement du taux de cotisation (de 30,65 % à 31,65 %) avait été effectué en janvier 2024, mais avait été compensé par une baisse équivalente, mais temporaire, du taux de cotisation maladie.

([7]) Article 109 de la loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025. Son impact avait été également évalué à 1,2 milliard d’euros.

([8]) Les contractuels cotisent au régime général et à l’Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques (Ircantec).

([9]) Rapport du Gouvernement à la commission des comptes de la sécurité sociale (2023-2024). La CNAV a reçu en 2023 6,4 milliards d’euros au titre du forfait social, 9 milliards d’euros au titre de la taxe sur les salaires et 4,8 milliards d’euros au titre de la contribution sociale de solidarité à la charge des sociétés (C3S).

([10]) Recommandation n° 3 du rapport des corps d’inspection précité.

([11]) Rapport de préfiguration de M. Michel Hiriart, président de la FNCDG, élaboré avec l’IGA (n° 23052-R) et l’IGAS (M2023-041) - octobre 2023.

([12]) Rapport d’information n° 727 du 18 décembre 2024.

([13]) Recueil statistique 2023 de la CNRACL - juin 2024 (page 14).

([14]) Rapport des corps d’inspection précité.

([15]) Recueil statistique de la CNRACL 2023 (page 13).

([16]) Rapport des corps d’inspection précité (page 29).

([17]) Le décret n° 2025-1986 du 30 janvier 2025 a procédé à un relèvement de 3 points du taux de cotisation, qui est ainsi passé de 31,65 % à 34,65 % en 2025. Trois autres hausses de 3 points sont prévues respectivement en 2026, 2027 et 2028.

([18]) En 2019, le déficit de la Caisse s’élevait à 722,28 millions d’euros pour une contribution au mécanisme de compensation de 1,13 milliard d’euros. En 2020, le déficit (1,47 milliard d’euros) devient supérieur à la contribution (1,25 milliard d’euros).

([19]) Instauré par la loi n° 74‑1094 du 24 décembre 1974, le mécanisme oblige les régimes de retraite à la démographie favorable à aider financièrement les régimes à la démographie déclinante.

([20]) Rapport des corps d’inspection précité (page 63).

([21]) Communication au Premier ministre du 20 février 2025 sur « la situation financière et les perspectives du système de retraites ».

([22]) De 30,65 % à 31,65 %.

([23]) Dispositif, non spécifique à la CNRACL, qui permet à un cotisant de partir à la retraite avant l’âge légal de 64 ans s’il a commencé à travailler avant 16 ans, 18 ans, 20 ans ou 21 ans.

([24]) Distinction issue d’un arrêté interministériel du 12 novembre 1969. Les emplois de la catégorie active sont considérés comme plus pénibles que les autres et permettent de bénéficier, sous conditions, d’un départ à la retraite anticipée.

([25]) Rapport des corps d’inspection précité (page 29).

([26]) Décret n° 2007‑173 du 7 février 2007 relatif à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (art. 5).

([27]) Les dossiers de la DREES n° 103 - novembre 2022 - Retraites : règles de la fonction publique et du privé.

([28]) Rapport des corps d’inspection précité (page 57).

([29]) Situation mensuelle comptable des collectivités locales (n° 28 - février 2025).

([30]) 635 millions d’euros en 2023.

([31]) Rapport des corps d’inspection précité (page 57).

([32]) Rapport des corps d’inspection précité (page 63).

([33]) Rapport des corps d’inspection précité (page 44).

([34]) Loi n° 2020-992 du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l'autonomie. Il s’agissait alors de reprendre les déficits cumulés de la CNRACL au titre des exercices 2018 et 2019.

([35]) Rapport d’information n° 727 précité du 18 décembre 2024 (page 77).

([36]) Rapport des corps d’inspection précité (page 32).

([37]) Rapport des corps d’inspection précité (page 38).

([38]) Rapport des corps d’inspection précité (page 35).

([39]) Les ressources du FSV proviennent, pour une large part, du produit de la cotisation sociale généralisée (CSG).

([40]) Rapport des corps d’inspection précité (page 6).

([41]) Rapport des corps d’inspection précité - page 22. Le décret n° 2022-244 du 25 février 2022 applicable à la fonction publique territoriale fixe ce seuil à 28 heures.

([42]) Communication du Premier ministre du 20 février 2025 précitée. Il est fait mention (page 54) d’une diminution sensible des excédents des régimes complémentaires dans les années 2030 compte tenu d’une hypothèse de croissance de la productivité de 0,7 %.

([43]) IGF-IGAS-IGA : Situation financière de la CNRACL - bilan et perspectives, septembre 2024 (cf. supra).

([44]) Décret n° 2025‑86 du 30 janvier 2025 précité.

([45]) Rapport d’information n° 727 du 18 décembre 2024 précité.

([46]) Communiqué du 20 novembre 2024.

([47]) Association des maires de France et présidents d’intercommunalité (AMF) - Départements de France - Régions de France - Intercommunalités de France - France urbaine - Villes de France - Association des petites villes de France (APVF) et Association des maires ruraux de France (AMRF).

([48]) Rapport de préfiguration de M. Michel Hiriart, président de la FNCDG, élaboré avec l’IGA (n° 23052-R) et l’IGAS (M2023-041) - octobre 2023.

([49]) Régime de retraite complémentaire obligatoire, par répartition provisionnée et par points, issu de l’art. 76 de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites, permettant à tout fonctionnaire d’obtenir un complément de retraite en cotisant sur une partie (plafonnée à 20 %) du montant de ses éléments de rémunération complémentaires à son traitement indiciaire (primes et indemnités).

([50]) Loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.

([51]) La distinction entre les catégories active et sédentaire est issue d’un arrêté interministériel du 12 novembre 1969, qui n’a pas été modifié entre 1979 et 2025.

([52]) Le CET, qui permet à un agent d’épargner une partie de ses jours de congés non pris, est actuellement limité à 60 jours.

([53]) La création de cet établissement public chargé de la gestion des deux fonds fait partie des propositions du rapport de M. Hiriart précité (page 7).

([54]) Les employeurs publics sont tenus d’évaluer les risques professionnels (physiques et psychosociaux) auxquels leurs agents sont exposés et de les répertorier dans un document appelé document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) - cf. art. L. 4121-1 et R. 4121-1 du code du travail applicables à la fonction publique (art. L. 811-1 et L. 811-2 du code général de la fonction publique).

([55]) Entretien prévu par le protocole d’accord relatif à la formation professionnelle dans la fonction publique tout au long de la vie (protocole « Jacob ») du 21 novembre 2006 en son article 17.

([56]) La CNRACL a versé en 2023 2,7 milliards d’euros de prestations d’invalidité sur un total de dépenses de prestations de 26 milliards d’euros.

([57]) Notamment le rapport de la commission des finances du Sénat n° 474 du 27 mars 2024 (M. Jean-François Husson).

([58]) Le taux était ainsi passé de 30,65 % à 31,65 %.

([59]) Rapport des corps d’inspection précité (pages 6 et 30).

([60]) Recommandation n° 8 du rapport des corps d’inspection précité.

([61]) Recommandation n° 10 du rapport des corps d’inspection précité.

([62]) Recommandation n° 2 du rapport des corps d’inspection précité

([63]) Rapport des corps d’inspection précité (page 47).

([64]) Rapport des corps d’inspection précité (pages 6 et 63).

([65]) Propos tenus par Mme Sophie Primas, ministre déléguée, porte-parole du Gouvernement, sur Public Sénat le 26 mars 2025.

([66]) Données de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE).

([67]) « HoRHizons 2025 » - publié le 28 janvier 2025.

([68]) Communication du 20 février 2025 précitée sur la situation financière et les perspectives du système de retraites.

([69]) Le point d’indice de la fonction publique est fixé à 4,922783 euros depuis le 1er juillet 2023.

([70]) Il s’agit des emplois en milieu insalubre (agents des réseaux souterrains des égouts, agents identificateurs de l’institut médico-légal de la préfecture de police de Paris) : art. 25 du décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la CNRACL.

([71]) Bonification dont bénéficient les sapeurs-pompiers professionnels, égale au cinquième du temps des services accomplis en cette qualité, dans la limite de cinq ans : art. 15-II du décret précité.

([72]) IGF-IGAS-IGA : Situation financière de la CNRACL - bilan et perspectives (op. cit.).

([73]) Renforcer la gouvernance par la mise à disposition d’une ressource permanente et la nomination de personnalités qualifiées au conseil d’administration.

([74]) La direction de la sécurité sociale avait annoncé le 22 novembre 2024 aux organisations syndicales et aux employeurs publics la volonté du Gouvernement de faire évoluer la gouvernance de l’Ircantec. Cette réforme, qui n’avait ni le soutien des organisations syndicales ni celui de la majeure partie des employeurs publics, a été retirée.

([75]) Voir supra p. 22.

([76]) Selon la Cour des comptes (op. cit. p. 29), les régimes des non-salariés (professions libérales, exploitants agricoles, etc.) étaient excédentaires de 0,7 milliard d’euros en 2023. C’est principalement le régime des exploitants agricoles qui bénéficie de la compensation démographique à hauteur de 2,6 milliards d’euros.

([77]) Insee Première, n° 2043, 20 mars 2025. Cette étude porte sur l’année 2021.

([78]) Il ne s’agit cependant pas d’une recommandation du rapport.

([79]) Étude précitée p. 12.

([80]) De 2 % selon le rapport des inspections générales (p. 62).

([81]) La loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique, dite « loi Sauvadet » avait pour objectif de faciliter l'accès des agents contractuels à l'emploi permanent dans la fonction publique, en rendant possible la transformation des CDD en CDI.

([82]) L’excédent s’élevait à 15,3 millions d’euros en 2017.

([83]) Les effectifs de l’Etat 1980-2008 : un état des lieux (rapport public thématique publié le 17 décembre 2009).

([84]) Ibid. (page 14).

([85]) Le numerus clausus, qui était descendu à 3 700 en 1999, est porté à 3 850 en 2000, puis sensiblement relevé à partir de 2002 pour atteindre 7 400 en 2009.

([86])Nombre de cotisants rapporté au nombre de pensionnés.

([87]) On constatait 4,29 actifs pour un retraité du régime général en 1965. Le ratio est tombé à 1,54 en 1997, puis est passé sous le seuil de 1,39 à la fin de l’année 2011.

([88]) Selon le rapport annuel 2024 sur l’état de la fonction publique de la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), la part des femmes dans les effectifs au 31 décembre 2022 était de 61 % dans la fonction publique territoriale et de 78 % dans la fonction publique hospitalière (page 34).

Selon le même rapport, les femmes ont représenté 58 % des 47 700 retraités de la fonction publique territoriale de 2023, et 80 % des 25 100 retraités de la fonction publique hospitalière de 2023 (page 78).

([89]) Recueil statistique de la CNRACL 2023 (page 36).

([90]) Rapport des corps d’inspection précité (page 23).

([91]) Recueil statistique 2023 de la CNRACL et recueil statistique 2022 de l’Assurance retraite.

([92]) Rapport des corps d’inspection précité (pages 24 et 26).

([93]) Rapport annuel sur l’état de la fonction publique - DGAFP - édition 2024 (page 108).

([94]) Recueil statistique 2023 de la CNRACL (page 25).

([95]) Décret n° 49-1416 du 5 octobre 1949 (art. 27 à 31).

([96]) Art. L. 341‑1 et suivants du Code de la sécurité sociale.

([97]) L’âge moyen des actifs affiliés à la CNRACL était de 46,8 ans en 2023, contre 44,9 ans en 2013.

([98]) Communiqué de presse de Départements de France du 31 janvier 2025.

([99]) Ce n’est qu’en 2020 que le déficit de la CNRACL (1,47 milliard d’euros) devient supérieur au montant de la compensation (1,25 milliard d’euros).

([100]) Montant définitif pour 2023 et acomptes pour 2024 et 2025, prévus par l’arrêté du 20 décembre 2024 fixant pour 2023 les montants des transferts définitifs et pour 2024 et 2025 les montants des acomptes.

([101]) Rapport des corps d’inspection précité (pages 75-77).

([102]) La loi de financement est finalement entrée en vigueur le 28 février.

([103]) Décret n° 2025-86 du 30 janvier 2025.

([104]) Communiqué du 20 novembre 2024.

([105]) Recommandation n° 11 du rapport des corps d’inspection précité.

([106]) 11,2 % du produit intérieur brut (PIB) en 2023, contre 11,8 % en 2012 et 10,1 % en 2003.

([107]) Article 109 de la loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025.

([108]) Article 186 de la loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025.

([109]) Article 139, état législatif annexé B, de la loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025.

([110]) Sans tenir compte de la hausse d’un point du taux de cotisation opérée en 2024.

([111]) En 2023, sur un total de 153,9 milliards d’euros de déficits publics, le besoin de financement des APUL s’élevait à 9,9 milliards d’euros (5,5 milliards d’euros pour les seules collectivités), contre un déficit de 157,2 milliards d’euros pour les administrations centrales et un excédent de 13,2 milliards d’euros pour les administrations de sécurité sociale (INSEE Première n° 1998 - 31 mai 2024).

([112]) Au 31 décembre 2024, l’épargne brute des collectivités locales s’élevait à 20, 97 milliards d’euros, en baisse de 16,1 % par rapport au solde de la fin de l’année 2023 (DGFIP - Situation mensuelle comptable des collectivités locales - janvier 2025 - n° 27).

([113]) Selon des données publiées en janvier 2025 par l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD), les recettes des DMTO en 2024 seraient de 13,5 % inférieures à leur niveau de 2023. Entre 2022 et 2024, la baisse cumulée se situerait autour de 33,3 %.

([114]) Regards financiers sur les départements - novembre 2024 (pages 10 et 11).

([115]) Rapport entre l’encours de dette et l’épargne brute hors cessions.

([116]) Art. 29 de la loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.

([117]) Rapport des corps d’inspection précité (page 30).

([118]) Communication de la Cour des comptes au Premier ministre du 20 février 2025 sur « la situation financière et les perspectives du système de retraites ».

([119]) Rapport des corps d’inspection précité (page 54).

([120]) Sites des URSSAF et de l’IRCANTEC.

([121]) En 2023, le produit des cotisations sociales (et assimilées) s’élevait à 24,39 milliards d’euros, soit 97,1 % du total des ressources de la CNRACL (25,12 milliards d’euros).

([122]) Le régime général d’assurance vieillesse, par exemple, perçoit le forfait social ainsi qu’une fraction de la taxe sur les salaires et de la contribution sociale de solidarité à la charge des sociétés (C3S). Ces fractions représentaient en 2023 13,5 % de l’ensemble de ses ressources.

([123]) Art. 35 de la LFSS pour 2024 et art. 39 de la LFSS pour 2025.

([124]) Rapport annuel des comptes de la CNRACL 2023.

([125]) Rapport des corps d’inspection précité (page 29).

([126]) Cf. page 15.

([127]) Rapport des corps d’inspection précité (page 44).

([128]) Recommandation n° 9.

([129]) Communiqué de presse de la CADES du 11 décembre 2024.

([130]) HCFiPS - État des lieux du financement de la protection sociale - la sécurité sociale fragilisée.

([131]) Rapport de la Cour des comptes sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale, mai 2024, chapitre III : La compensation démographique entre régimes de retraite : un dispositif complexe, artificiel et mal géré (pages 123 et suivantes).

([132]) Selon le rapport des corps d’inspection précité (page 39), en 2022, la proportion de retraités de moins de 65 ans était de 21,4 % à la CNRACL contre 12,4 % tous régimes confondus. Elle tend néanmoins à diminuer depuis dix ans, du fait des reports successifs de l’âge d’ouverture des droits.

([133]) Le rapport recommande de corriger le biais lié à l’absence de pondération par les durées cotisées des effectifs pris en compte pour le calcul de la compensation, biais également défavorable à la CNRACL en raison des « carrières longues ».

([134]) Art. 24 du décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales.

([135]) L’art. 21 de la LFSS pour 2001 avait instauré une prise en charge par la CNAF des dépenses du FSV à hauteur de 15 % de la majoration pour enfants, taux qui a été relevé les années suivantes pour atteindre une prise en charge complète en 2011.

([136]) Art. 24 de la LFSS pour 2016.

([137]) Rapport des corps d’inspection précité (pages 6 et 33, recommandation n° 4).

([138]) Recommandation n° 3.

([139]) Recueil statistique de la CNRACL 2023 (page 59).

([140]) Cette garantie est prévue au I de l’art. 34 du décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales. Une disposition identique figure à l’art. L 30 du code des pensions civiles et militaires de retraite, s’agissant des fonctionnaires de l’État.

([141]) Pour rappel, le XXII de l’art. 24 de la loi n° 2025-199 du 28 février 2025 de financement de la sécurité sociale pour 2025 prévoit que les droits et obligations du FSV seront entièrement dévolus à la CNAV à compter du 1er janvier 2026.

([142]) 2° de l’art. L. 135-2 et art. R. 135-9 à R. 135-13 du Code de la sécurité sociale.

([143]) Rapport des corps d’inspection précité (pages 6 et 35, recommandation n° 5).

([144]) Bulletin d’information statistique n° 177, septembre 2023.

([145]) Rapport des corps d’inspection précité (pages 6 et 22).

([146]) Rapport des corps d’inspection précité (page 20).

([147]) La rémunération des agents contractuels est fixée de manière globale par référence à un échelon.

([148]) Voir supra page 73.

([149]) À titre d’exemple, la CNAV bénéficie, à hauteur de 13,5 % de ses recettes, d’impôts et de taxes affectées (forfait social, taxe sur les salaires, C3S). Le régime des non-salariés agricoles bénéficie notamment de l’affectation d’une fraction de la taxe sur les alcools boissons non alcoolisés.

([150]) Dans leur rapport précité (pages 6 et 30), les inspections générales ont identifié à 50,34 % le taux de la cotisation employeurs d’équilibre, taux également mentionné par M. Bastien Sayen lors de la table ronde du 12 mars.

([151]) P. Joubert et G. Langevin, Évolution des départs en invalidité des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers, QPS n° 43, février 2025.

([152]) Rapport précité de M. Michel Hiriart (octobre 2023).