N° 1453

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 mai 2025

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 146-3, alinéa 6, du Règlement

PAR le comitÉ d’Évaluation et de contrÔle des politiques publiques

 

sur l’évaluation du contrôle des investissements étrangers en France

ET PRÉSENTÉ PAR

MM. François JOLIVET et HervÉ de LÉpinau

Députés

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SOMMAIRE

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Pages

PROPOSITIONS DES RAPPORTEURS

SYNTHÈSE

INTRODUCTION

PARTIE I : DANS UN CONTEXTE D’INSTABILITÉ CROISSANTE, LA FRANCE A AMÉLIORÉ SA PRISE EN COMPTE DES MENACES LIÉES AUX INVESTISSEMENTS DIRECTS ÉTRANGERS (IDE)

I. EN COMPLÉMENT DE L’ATTRACTIVITÉ FRANÇAISE, UNE MULTIPLICATION DES RISQUES SÉCURITAIRES DANS LES SECTEURS STRATÉGIQUES

A. LE RENFORCEMENT DE L’ATTRACTIVITÉ DE LA FRANCE À L’ÉGARD DES INVESTISSEMENTS DIRECTS ÉTRANGERS

1. Une attractivité en constante progression

a. Un dynamisme constant des investissements étrangers

b. Des classements internationaux qui témoignent de l’attractivité française

2. Une attractivité tournée vers les secteurs stratégiques

B. L’AGGRAVATION DES MENACES STRATÉGIQUES, COROLLAIRE DE VULNÉRABILITÉS CRITIQUES

1. L’aggravation de stratégies d’influence économique étrangères

a. L’essor des menaces : accélération, diversification, concentration

b. Une réponse accrue de l’État aux ingérences étrangères

2. La carence critique du financement des activités stratégiques en France

a. Les difficultés chroniques de l’écosystème de financement

b. Les implications financières d’un refus de l’IDE

II. EN FRANCE, UN FILTRAGE DES IDE QUI A CONNU DE MULTIPLES ADAPTATIONS POUR MIEUX PROTÉGER LES INTÉRÊTS NATIONAUX

A. UN CONTRÔLE DYNAMIQUE DANS LES SECTEURS STRATÉGIQUES

B. LA CONSOLIDATION DU DEGRÉ DE RESTRICTION DU FILTRAGE

1. L’élargissement théorique de l’éligibilité au contrôle des investissements étrangers en France (IEF)

a. Une amélioration sensible des critères d’éligibilité financiers

b. L’expansion de la notion de secteur stratégique

2. Le durcissement des sanctions

C. LA QUALITÉ RECONNUE DE L’INTRUCTION DES DOSSIERS

1. Un examen administratif globalement efficace

a. Des délais courts et respectés

b. Une modernisation récente de la procédure

2. Une logique interministérielle en constante progression

a. La sollicitation des administrations dans l’examen des dossiers

b. Un suivi des conditions partagé sous le pilotage du SISSE

D. UNE COHÉRENCE EXTERNE EN NETTE PROGRESSION

a. La mise en place d’un schéma interministériel de veille

b. Une complémentarité renforcée entre les différents outils sécuritaires

III. EN EUROPE, UN FILTRAGE DES IDE EN VOIE DE MODERNISATION

A. LA RÉFORME DES MÉCANISMES DE FILTRAGE NATIONAUX

1. Dans le monde, une appréhension accrue des risques liés aux IDE

a. Évolution quantitative du nombre d’États pratiquant un filtrage

b. Évolution qualitative des mécanismes de filtrage

2. En Europe, un tournant sécuritaire des réglementations

a. Une fréquence des contrôles liées aux IDE en nette hausse

b. La réforme des principaux mécanismes existants

B. LE RENOUVELLEMENT DE LA COOPÉRATION COMMUNAUTAIRE

1. La mise en place du mécanisme de coopération européen

a. Une tentative d’harmonisation des pratiques de filtrage dans l’Union

b. La hausse sensible de la coopération européenne

2. Le projet de révision du règlement 2019/452

a. Les limites du mécanisme de coopération

b. Une proposition de révision du règlement

PARTIE II : LE CONTRÔLE DES INVESTISSEMENTS ÉTRANGERS EN FRANCE (IEF) DOIT ENCORE FAIRE L’OBJET D’AMÉLIORATIONS, DANS UNE LOGIQUE DE SÉCURITÉ ÉCONOMIQUE, DE TRANSPARENCE ET DE SOUVERAINETÉ

I. LE DISPOSITIF DE FILTRAGE RÉVÈLE DES LIMITES PRÉJUDICIABLES

A. UNE ARCHITECTURE GLOBALE À RÉNOVER

1. Les revers du contrôle des IDE en France

a. Une quantité problématique de cessions stratégiques

b. La médiatisation aiguë des projets avortés ou des rares vetos

2. Aménager l’architecture générale à l’aune des exemples étrangers

a. Affiner la portée des obligations en fonction de la sensibilité des actifs

b. Modifier la temporalité du contrôle pour faciliter l’intervention de l’État

B. DES CRITÈRES D’ÉLIGIBILITÉ QUI DOIVENT ENCORE ÊTRE ÉLARGIS

1. Intégrer les investissements de création aux opérations éligibles

2. Adapter la notion de contrôle selon une logique d’influence

3. Élargir l’étendue des secteurs stratégiques

a. L’impossible exhaustivité de la liste des secteurs

b. Des ajustements indispensables pour la sécurité économique

C. UN CONTRÔLE QUI DOIT GAGNER EN EFFICACITÉ ET EN MOYENS

1. Renforcer les moyens de l’État pour l’instruction des dossiers

2. Affermir le suivi et la portée des conditions

a. Des conditions trop génériques et un contrôle trop peu systématique

b. Aménager la nature et le suivi des conditions

II. CONFORTER LA TRANSPARENCE DU CONTRÔLE IEF

A. UN CONTRÔLE PARLEMENTAIRE À REPENSER DE FOND EN COMBLE

1. Un droit de regard parlementaire soumis à de sévères limitations

a. La formalisation d’une supervision des assemblées sur le contrôle IEF

b. Une supervision parlementaire conçue pour être inopérante

2. Une supervision parlementaire en retrait : éléments de comparaison

a. Aux États-Unis

b. Au Royaume-Uni

3. Propositions pour un contrôle parlementaire efficace et cohérent

B. UN IMPÉRATIF DE TRANSPARENCE À METTRE EN ŒUVRE

1. Améliorer la complétude des informations publiées par la DG Trésor

2. Formaliser un contrôle déontologique des activités d’influence

a. Des activités d’influence en marge des contrôles opérés par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP)

b. Renforcer le contrôle déontologique des représentants d’intérêts

III. INSÉRER LE CONTRÔLE IEF DANS UNE PERSPECTIVE DE SÉCURITÉ GLOBALE

A. POUR L’ÉMERGENCE D’UN RÉFLEXE SÉCURITAIRE

1. Concevoir une doctrine nationale d’intelligence économique

a. Élaborer une doctrine cohérente en amont du filtrage des IDE

b. Adjoindre un volet offensif à la procédure de filtrage

2. Conforter les activités de veille et de suivi

a. Favoriser la coordination entre les services chargés du suivi des risques

b. Intensifier les efforts de sensibilisation auprès des entreprises

3. Élargir le réflexe sécuritaire du contrôle IEF

a. Inscrire un critère de souveraineté dans les marchés publics stratégiques

b. Renforcer la coordination à l’occasion des procédures collectives

B. POUR UN RÉARMEMENT FINANCIER EN CONTREPOINT DU FILTRAGE

1. Soutenir la complémentarité des opérateurs financiers publics

a. L’affirmation de priorités stratégiques

b. Aviver la complémentarité des financements

2. Renforcer l’intégration de l’Agence des participations de l’État (APE) au contrôle IEF

a. Une association incidente mais active à la procédure IEF

b. Une capacité d’intervention à renforcer

3. Favoriser le développement d’un écosystème d’offres financières

EXAMEN PAR LE COMITÉ

ANNEXE : PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURS

 


 

   PROPOSITIONS DES RAPPORTEURS

 

Proposition n° 1 : Aménager le cadre juridique du contrôle des investissements étrangers en France (IEF) pour mettre en œuvre un filtrage modulable et gradué, avec une différenciation des critères d’éligibilité (seuil de prise de participation et critère de nationalité) en fonction du degré de sensibilité de l’actif considéré.

Proposition n° 2 : Accorder à l’État la possibilité d’intervenir a posteriori de la réalisation d’une opération dans un secteur stratégique, dès lors que le justifient les enjeux de la sécurité nationale, selon l’exemple du régime britannique.

Proposition n° 3 : Élargir la définition des investissements éligibles à d’autres types d’opérations que l’acquisition du contrôle au sens de l’article L. 233‑3 du code de commerce, l’acquisition de tout ou partie d’une branche d’activité ou le franchissement d’un seuil de détention des droits de vote, en y insérant la mention des investissements de création (« greenfield investments »).

Proposition n° 4 : Élargir la définition de la prise de contrôle dans une logique opérationnelle prenant en compte l’influence étrangère, en prévoyant l’inclusion à l’article R. 151-2 du code monétaire et financier (CMF) des opérations conférant une influence déterminante et de certaines opérations sans prise de contrôle.

Proposition n° 5 : Élargir la liste des secteurs mentionnés à l’article R. 151‑3 du code monétaire et financier à d’autres activités stratégiques : activités de plateformes numériques et de réseaux sociaux, activités de data centers, activités bancaires et financières, secteur de la culture, investissements immobiliers sous certaines conditions, nouvelles technologies et intelligence artificielle.

Proposition n° 6 : Renforcer les effectifs du bureau du contrôle des investissements étrangers en France (CIEF), et prévoir notamment le recrutement de juristes spécialisés dans le droit des sociétés pour l’assister dans l’identification des éventuelles constructions juridiques sui generis.

Proposition n° 7 : Clarifier et formaliser par une circulaire le déroulement de la procédure d’analyse des dossiers de demande d’autorisation au sein du comité interministériel des investissements étrangers en France (CIIEF).

Proposition n° 8 : Définir dans le code monétaire et financier les conditions imposées par l’État aux investisseurs dans les lettres d’engagement, en prévoyant la possibilité explicite d’imposer des proxy agreements dans le secteur de la défense et en assortissant les conditions d’indicateurs évaluatifs standardisés.

Proposition n° 9 : Imposer aux investisseurs le paiement d’un droit de timbre au moment du dépôt de dossier, consistant en un montant proportionnel à la valeur de la transaction.

Proposition n° 10 : Créer une délégation parlementaire à la sécurité économique, commune aux deux assemblées et composée de manière paritaire, compétente pour exercer un contrôle régulier sur l’activité du bureau du contrôle des investissements étrangers en France, le respect des conditions par les investisseurs et les mesures de sanctions prises par l’administration.

Proposition n° 11 : Modifier le code monétaire et financier pour supprimer les freins au contrôle parlementaire sur le dispositif IEF, en créant des dispositifs ciblés d’information, des procédures effectives de contrôle a posteriori des décisions prises par le ministre chargé de l’économie, et des moyens d’évaluation du respect des conditions imposées aux investisseurs.

Proposition n° 12 : Publier, dans le rapport annuel de la DG Trésor consacré aux IEF, la nature et la fréquence des principales conditions imposées aux investisseurs, ainsi que des informations relatives aux principales prises de participation par des investisseurs étrangers dans des entreprises stratégiques françaises.

Proposition n° 13 : Clarifier l’application du décret relatif au répertoire numérique des représentants d’intérêts, afin que les activités de représentation effectuées auprès de la direction générale du Trésor pour le compte d’un investisseur étranger soient intégrées à la liste des actions d’influence assujetties aux règles de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

Proposition n° 14 : Établir une doctrine formalisée d’intelligence économique par voie d’instruction interministérielle, qui comprenne un volet consacré au contrôle des investissements étrangers en France, avec des exemples de décisions anonymisées à l’attention des administrations, des entreprises françaises et des investisseurs étrangers.

Proposition n° 15 : Accroître la visibilité de la procédure d’examen préalable, corollaire de la demande d’autorisation IEF, auprès des entreprises françaises, et encourager la possibilité d’une saisine du CIEF en amont du projet d’opération par les investisseurs étrangers, afin d’anticiper la prise en compte du contrôle dans leur stratégie d’investissement.

Proposition n° 16 : Élargir le champ d’application de la politique de sécurité économique en y intégrant un volet offensif par la mise en place d’un contrôle des investissements sortants.

Proposition n° 17 : Favoriser la circulation de l’information stratégique entre les différents services de sécurité économique, afin de mieux anticiper les menaces et de mieux analyser la sensibilité des activités : partage des référentiels stratégiques, communication des informations relatives à l’évolution du contexte sécuritaire, meilleure implication des services des hauts fonctionnaires de défense et de sécurité, meilleur partage de l’information stratégique.

Proposition n° 18 : Inscrire un critère prioritaire de garantie de la souveraineté économique dans la procédure de passation des marchés publics qui interviennent dans les secteurs stratégiques énumérés à l’article R. 151-3 du code monétaire et financier.

Proposition n° 19 : Prévoir une articulation spécifique entre le code de commerce et le code monétaire et financier afin de mettre en œuvre de manière systématique un contrôle de souveraineté dès lors qu’une entité étrangère entend racheter une entreprise stratégique française à l’issue d’un redressement ou d’une liquidation judiciaires.

Proposition n° 20 : Favoriser la coordination entre les doctrines de l’Agence des participations de l’État, de la Caisse des dépôts et consignations et de Bpifrance, afin de faciliter la mobilisation d’alternatives financières publiques dans les secteurs stratégiques à l’occasion du refus d’un projet d’investissement direct étranger.

Proposition n° 21 : Renforcer les capacités d’intervention de l’Agence des participations de l’État dans les dossiers de cession éminemment stratégiques, en affectant les dividendes des entreprises publiques au compte d’affectation spéciale « Participations financières de l’État ».

Proposition n° 22 : Soutenir le développement de fonds d’investissement accessibles au grand public et ciblés spécifiquement sur le financement des différentes filières stratégiques, à l’image du nouveau fonds Bpifrance Défense.

 


   SYNTHÈSE

 



 

   INTRODUCTION

 

Le 5 décembre 2024, le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) a inscrit à son programme de travail, à l’initiative du groupe Rassemblement National, une évaluation du « contrôle des investissements étrangers en France », et a désigné comme rapporteurs MM. François Jolivet (Horizons & Indépendants) et Hervé de Lépinau (Rassemblement National).

À une époque marquée par l’intensification massive des tensions géopolitiques et de la concurrence internationale, le contrôle des investissements directs étrangers (IDE) dans les secteurs stratégiques revêt, aux yeux d’un nombre croissant d’États, une importance vitale pour la garantie de leur sécurité économique. En France, le mécanisme de filtrage des investissements étrangers (dit « contrôle IEF ») a pour objectif d’empêcher que des activités, des entreprises ou des technologies sensibles ne soient captées par des entités étrangères, au service de stratégies capitalistiques concurrentes ([1]).

Vos rapporteurs se sont attachés à analyser l’efficience de ce mécanisme de filtrage, afin d’en identifier les limites et d’en proposer des voies d’amélioration.

Réalisant l’ampleur des lacunes dont souffre l’écosystème des secteurs stratégiques dans notre pays et constatant le manque global d’un réflexe de souveraineté, non seulement dans les administrations mais encore au sein même des entreprises, vos rapporteurs ont pris conscience de la situation de sujétion dans laquelle nous place la dépendance aux financements de la part d’entités étrangères. Ils estiment qu’à court terme, sans un renforcement généralisé de l’acculturation aux risques sécuritaires, cette sujétion risque de porter irrémédiablement atteinte à notre souveraineté.

Au terme des travaux de la mission, qui auront conduit les rapporteurs à auditionner plus d’une cinquantaine de personnes, le présent rapport rend compte, dans un premier temps, des caractéristiques essentielles du filtrage des IDE en France. Dans un second temps, les rapporteurs prennent position en faveur d’une réforme de ce dispositif en proposant une vingtaine de pistes d’amélioration.

Méthode évaluative de la mission

Afin d’évaluer le contrôle des investissements étrangers en France (IEF), la mission s’est appuyée sur une méthode d’analyse qualitative, fondée sur une revue de littérature scientifique et administrative, une série d’entretiens et un ensemble de questionnaires. Ils ont pris en compte des indicateurs évaluatifs visant à apprécier :

L’efficacité du contrôle des IEF (la protection des intérêts économiques stratégiques de la France par le mécanisme de filtrage des IDE est-elle effectivement garantie ?) ;

L’efficience du dispositif de filtrage, à savoir l’efficacité comparative de la protection au regard des moyens et des menaces (les actifs stratégiques français feraient-ils l’objet d’une meilleure protection face aux menaces capitalistiques étrangères si le dispositif IEF était davantage étendu et disposait de plus de moyens ?) ;

La pertinence d’un mécanisme reposant sur une obligation de demande d’autorisation préalable et une logique de liste des secteurs stratégiques couverts (d’autres logiques de filtrage ou d’autres outils de sécurité économique permettraient-ils d’arriver aux mêmes résultats ?) ;

La cohérence du processus réglementaire de filtrage (le contrôle IEF s’inscrit-il dans une logique de complémentarité avec les autres outils de sécurité économique ?).

Vos rapporteurs ont plus précisément fondé leur évaluation du mécanisme sur les questions évaluatives suivantes :

1°) La liste des activités sensibles couvertes par le dispositif IEF est-elle suffisamment exhaustive et les seuils de déclenchement du contrôle sont-ils suffisants ?

2°) L’examen par l’administration des dossiers de demande d’autorisation est-il efficace et de bonne qualité ?

3°) Le suivi des engagements pris par les investisseurs fait-il l’objet d’un contrôle suffisamment fréquent et donne-t-il lieu à des sanctions effectives en cas de non-respect ?

4°) Les décisions IEF s’articulent-elles de façon suffisante avec un écosystème de sécurité économique (alternatives françaises de financement, outils sécuritaires, analyse des risques, activités de veille, etc.) ?

5°) Le contrôle français des investissements étrangers dans les secteurs stratégiques est‑il plus ou moins efficace que les dispositifs comparables en vigueur aux États-Unis et dans les autres pays européens ?

 


PARTIE I :
DANS UN CONTEXTE D’INSTABILITÉ CROISSANTE,
LA FRANCE A AMÉLIORÉ SA PRISE EN COMPTE DES MENACES LIÉES AUX INVESTISSEMENTS DIRECTS ÉTRANGERS (IDE)

À l’heure d’une exacerbation marquée des tensions géopolitiques et de la compétition économique internationale, la nécessaire protection de la souveraineté économique a conduit de nombreux États à mieux prendre en compte les risques sécuritaires liés aux investissements directs étrangers (IDE) sur leur sol, lorsque ceux-ci portent sur des secteurs vitaux de leur économie.

En Europe, l’extension du champ des activités sensibles dans lesquelles les investissements d’origine étrangère sont soumis à une procédure de filtrage ([2]) et le renforcement de la portée de ces mécanismes ont eu pour objectif de répondre à cet impératif, à la faveur d’un tournant sécuritaire européen. D’indispensables réformes demeurent cependant nécessaires afin de renforcer la protection de nos entreprises stratégiques face aux risques économiques mondiaux et à la recrudescence des stratégies d’influence étrangères.

I.   EN COMPLÉMENT DE L’ATTRACTIVITÉ FRANÇAISE, UNE MULTIPLICATION DES RISQUES SÉCURITAIRES DANS LES SECTEURS STRATÉGIQUES

A.   LE RENFORCEMENT DE L’ATTRACTIVITÉ DE LA FRANCE À L’ÉGARD DES INVESTISSEMENTS DIRECTS ÉTRANGERS

1.   Une attractivité en constante progression

L’attractivité de la France à l’égard des investissements étrangers se confirme nettement, d’une part au regard de la dynamique des flux de transactions, d’autre part à la lecture des classements internationaux.

a.   Un dynamisme constant des investissements étrangers

– Des flux et un stock d’IDE en progression sur la durée. Le renforcement de l’attractivité de la France se reflète tout d’abord dans les statistiques d’IDE. En 2023, selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), le flux net d’IDE s’élève à 39,1 milliards d’euros, après un record de 72,2 milliards d’euros atteint en 2022 ([3]). Ces deux années, les flux enregistrés dépassent ainsi le niveau d’IDE observé avant la crise sanitaire, avec une moyenne de 28,7 milliards d’euros annuels entre 2015 et 2019 ([4]). D’après la Banque de France, sur les trois premiers trimestres de l’année 2024, le flux net d’IDE s’inscrit en hausse de + 7,3 milliards d’euros par rapport à la même période l’année précédente (27,4 milliards d’euros, contre 20,1 milliards d’euros sur la période T1‑T3 2023).

En outre, selon la Banque de France ([5]), le stock d’IDE, qui s’élevait à 919 milliards d’euros en 2023, a connu une progression de + 3 % entre 2023 et 2022, et devrait également connaître une progression sensible entre 2023 et 2024. Ce stock se concentre en premier lieu dans l’industrie manufacturière (34 % des IDE : industries chimique, alimentaire et pharmaceutique notamment), puis dans les activités immobilières (19 %) et les activités financières et assurantielles (14 %).

L’IDE : cadre juridique

Constituent selon l’INSEE des IDE tous « les investissements qu’une unité institutionnelle résidente d’une économie effectue dans le but d’acquérir un intérêt durable dans une unité institutionnelle résidente d’une autre économie » ([6]). Par convention, en France, le seuil de détention du capital social de la société investie au-delà duquel la relation d’investissement direct est établie est fixé à 10 % ([7]).

D’un point de vue réglementaire, toute opération d’investissement direct étranger en France doit obligatoirement faire l’objet d’une déclaration statistique ([8]) de la part de l’investisseur auprès de la Banque de France dans les vingt jours ouvrables suivant la réalisation effective de l’investissement considéré.

– Les raisons de ce dynamisme. Auditionné par vos rapporteurs, le service des affaires bilatérales, de l’internationalisation des entreprises et de l’attractivité (SABINE) a souligné l’incidence des récentes réformes de modernisation économique sur le dynamisme des flux d’IDE ([9]) : ainsi, à la faveur de la réduction du coût du travail, les investisseurs étrangers bénéficient ainsi aujourd’hui d’un « environnement fiscal stable et prévisible » ([10]) – même si d’indispensables efforts restent nécessaires pour faciliter l’implantation de sites industriels.

De plus, ce dynamisme tire également sa source de l’affermissement du soutien public aux secteurs stratégiques, avec la multiplication des financements dédiés aux industries de pointe (hydrogène, avion bas carbone, semi-conducteurs, industrie verte, etc.).

b.   Des classements internationaux qui témoignent de l’attractivité française

À la fois conséquence et vecteur de ce dynamisme des flux, l’attractivité de la France pour les investissements étrangers se confirme de manière nette à la lecture des classements internationaux. D’après le baromètre de l’attractivité de la France 2025 ([11]), publié par le cabinet EY en mai 2025 à partir des données de l’année 2024, la France demeure pour la sixième année consécutive (depuis 2019) le premier pays d’accueil des investissements internationaux en Europe, avec 1 025 projets, devant le Royaume-Uni (853, – 13 %) et l’Allemagne (608, – 17 %), sur un total de 5 383 projets d’IDE sur le continent. Les bilans des investissements internationaux publiés par Business France font en outre état d’une amélioration continue de cette attractivité, avec une augmentation de + 62 % du nombre de projets d’investissement depuis 2016 et de + 97 % des emplois associés.


Investissements étrangers en France, au Royaume-Uni et en Allemagne (2023)

 

Source : Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, données transmises par le SABINE pour l’année 2024.

La dynamique de l’investissement connaît toutefois un ralentissement notable par rapport à 2023. D’une part, le nombre de projets d’implantation en France subit une diminution de - 14 % en l’espace d’un an, parallèlement à la forte baisse des créations de postes liées à ces projets (- 27 % entre 2023 et 2024). D’autre part, cette inflexion s’inscrit dans un contexte européen marqué par une diminution, pour la deuxième année consécutive, des IDE dans l’Union (- 5 % par rapport à 2023) ([12]).

Nombreux sont cependant les classements qui attestent de l’attractivité française pour les investisseurs étrangers, dans des champs particulièrement variés.

L’attractivité de la France selon les classements internationaux

Classement

Organisme

Objet

Place de la France

Foreign Direct Investment Confidence Index (2024)

Cabinet Kearney

Indice de confiance des investisseurs étrangers

6e place (derrière les États‑Unis, le Canada, la Chine, le Royaume-Uni et l’Allemagne)

Global Talent Competitiveness Index (2023)

INSEAD (Institut européen d’administration des affaires)

Indice de la capacité des États à développer, à attirer et à retenir les talents

19e place

Global Innovation Index (2024)

Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI)

Indice de la performance des États en matière d’innovation

12e place

Open Financial Ecosystem Index (OFEX – 2025)

Institut Louis Bachelier

Mesure de l’attractivité des places financières

5e position mondiale (derrière New-York, Chicago et Londres) et 1ère place européenne

Source : Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, données transmises par le SABINE.

2.   Une attractivité tournée vers les secteurs stratégiques

Dans les faits, les investissements étrangers en France contribuent au développement des activités stratégiques. Plus précisément, les opérations d’investissement sont ciblées sur certains domaines économiques sensibles.

– Des secteurs stratégiques couverts par le plan France 2030. Le financement des entreprises et la transformation du tissu industriel s’appuient sur le plan d’investissement « France 2030 », lancé en 2021 et doté de 54 milliards d’euros. Celui-ci a notamment pour objectif de contribuer au développement de nouvelles filières industrielles et technologiques stratégiques : hydrogène, véhicules électriques, avions bas carbone, semi-conducteurs, numérique, biotechnologies, etc. D’après le rapport d’activité du plan, publié en juin 2024 par le secrétariat général pour l’investissement, la mise en œuvre de celui-ci avait engagé, en décembre 2023, près de 30 milliards d’euros pour soutenir 3 650 projets innovants au bénéfice de près de 6 000 lauréats, avec 4 633 intentions de brevets envisagés.

Dans le champ des secteurs stratégiques relevant des domaines identifiés par le code monétaire et financier (art. R. 151-3) et financés par le plan France 2030, les activités suivantes bénéficient ainsi d’investissements étrangers :

● l’intelligence artificielle et le quantique (près de la moitié des montants annoncés lors du Sommet 2024, avec 6,9 milliards d’euros), à l’image du projet du groupe finlandais IQM, prévoyant de construire une unité de production de puces quantiques (100 millions d’euros) ;

● les batteries et la mobilité décarbonée (près du quart des montants investis, 3,3 milliards d’euros), avec notamment la construction d’une usine de conversion de nickel par le groupe suisse KL1 (300 millions d’euros) ;

● l’agroalimentaire (1,9 milliard d’euros pour 14 % des montants investis), avec en particulier le projet à 1,3 milliard d’euros du groupe espagnol Fertighy destiné à l’implantation d’une première usine de production d’engrais en France ;

● la santé (1,2 milliard d’euros pour 9 % des montants investis), avec l’augmentation des capacités de production des traitements sur le sol français, à l’image des investissements en R&D du groupe Pzifer dans les domaines de l’oncologie et des maladies rares (500 millions d’euros). Comme l’a indiqué le SABINE à vos rapporteurs ([13]), « le groupe danois Novo Nordisk a également investi 50 millions d’euros pour la relocalisation depuis le Danemark d’une activité de production d’insuline humaine sur son site de Chartres. Le groupe a réinvesti 130 millions d’euros en 2023 pour l’ajout de nouvelles lignes de production de stylos injecteurs d’insuline » ;

● le secteur financier, avec en particulier le projet de la banque britannique Revolut de doubler la taille de son implantation parisienne (100 millions d’euros).

– Un intérêt réaffirmé des investisseurs étrangers. Par ailleurs, le résultat des Sommets Choose France témoigne de l’intérêt, régulièrement confirmé, des investisseurs étrangers pour les secteurs stratégiques en France. De fait, comme le souligne le SABINE, « la moitié des investissements annoncés lors des Sommets Choose France 2023 et 2024 concerne les filières industrielles vertes, notamment les énergies durables et décarbonées et les véhicules électriques. En 2023, citons notamment le projet de construction d’une usine de batteries solides de nouvelle génération par le groupe taïwanais ProLogium (5,2 milliards d’euros), qui a récemment obtenu son permis de construire. » ([14])

D’après les données transmises à vos rapporteurs par la direction générale du Trésor, parmi les annonces de Choose France 2024 :

● 56 % des projets financés par des IDE visaient à accroître ou à moderniser la production industrielle, à l’image du projet d’électrification des ferries du groupe danois DFDS dans les ports de Calais et Dunkerque ;

● 19 % des opérations prévoyaient le lancement d’activités de R&D, à l’image d’investissements intervenant dans la R&D (Motherson, IBM, Accenture, Thorizon, ATR) ou d’investissements dans la R&D qui s’inscrivent dans un plus large projet de modernisation de la production (Skeleton, Pfizer, Hager, AbbVie) ;

● deux projets mettaient en œuvre des investissements immobiliers : celui, précité, de la banque britannique Revolut (à hauteur de 100 millions d’euros), ainsi que celui du groupe estonien Bolt, qui prévoit d’aménager un espace pour ses chauffeurs de taxi à Saint-Ouen (100 millions d’euros).

Auditionnée par vos rapporteurs, la direction générale du Trésor a de plus souligné que, pour le 7e Sommet Choose France, en 2024, « le montant des investissements annoncés en 2024 est près de six fois supérieur à celui de la première édition, atteignant un niveau record de 15 milliards d’euros et 10 000 emplois créés sur l’ensemble du territoire. Au total, depuis 2018, plus de 120 projets d’investissements représentant environ 46 milliards d’euros cumulés ont été annoncés lors des Sommets Choose France. »  ([15]) Le 19 mai 2025, 53 projets, représentant un montant de 40,8 milliards d’euros d’investissements, ont été annoncés à l’occasion de la 8e édition du Sommet Choose France.

– Dans le secteur de la santé, le marché français de l’industrie sanitaire se caractérise par une très forte attractivité à l’égard des investisseurs étrangers, en raison des atouts dont il dispose. Comme l’ont souligné les membres du service du haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) des ministères sociaux au cours de leur audition, « les politiques publiques de soutien à l’innovation dans le secteur sanitaire sont nombreuses : le programme France 2030 ; les financements régionaux, universitaires ou ceux de l’Agence nationale de la recherche, de l’Agence de l’innovation en santé, de Bpifrance, des incubateurs, des sociétés d’accélération du transfert de technologies (SATT), ou encore du crédit d’impôt recherche (CIR). L’écosystème français est propice à l’innovation et repose sur son excellence scientifique, avec la présence d’acteurs institutionnels publics de qualité : CEA, CNRS, Inserm, Institut Pasteur, Institut Curie, Institut Gustave Roussy, CHU, etc. La présence de plusieurs pôles de compétitivité spécialisés sur le territoire national (Alsace Biovalley, Atlanpole Biothérapie, Cancer Bio Santé, Eurobiomed, Medicen, Lyonbiopôle, …) renforce la dynamique territoriale en matière de recherche et développement. » ([16])

En outre, les particularités structurelles de la société française (vieillissement de la population, croissance démographique) contribuent à l’accroissement de la demande en produits et en services de santé, situation qui nourrit également l’attractivité du marché à l’égard des investisseurs étrangers.

B.   L’AGGRAVATION DES MENACES STRATÉGIQUES, COROLLAIRE DE VULNÉRABILITÉS CRITIQUES

Au-delà de l’écosystème des facteurs qui avivent l’attractivité française, il apparaît que les technologies de pointe développées par nos entreprises et nos centres de recherche constituent un point d’intérêt sensible pour certains investisseurs, parfois au service de stratégies d’influence déployées par des États étrangers. Dans ce contexte, face aux préoccupations sécuritaires croissantes liées aux risques associés à certaines opérations d’IDE, de nombreux États ont été conduits à renforcer leurs contrôles des transactions internationales pour des raisons de sécurité nationale.

1.   L’aggravation de stratégies d’influence économique étrangères

Dans un monde globalisé et interdépendant, les stratégies d’influence économique étrangères se multiplient et se diversifient. De fait, il apparaît que « les investissements directs de puissances étrangères, d’entreprises d’État ou assimilées dans des secteurs stratégiques ou d’infrastructures critiques peuvent […] créer des dépendances fortes » ([17]) ; certains investissements servent dès lors de support à des stratégies d’influence orchestrées par des puissances étrangères offensives ou des entreprises concurrentielles ([18]).

Les influences étrangères : contexte et définition

D’après l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les entités étrangères peuvent, par le biais de leurs activités de lobbying, « chercher à influencer les représentants d’un gouvernement étranger et/ou le public en ce qui concerne les politiques intérieures, ou étrangères du pays en question afin de promouvoir leurs propres intérêts » ([19]). Quand ces activités d’influence sont exercées de manière secrète ou illicite, on parle d’ingérence étrangère, notion qui renvoie aux « activités hostiles, volontairement tenues secrètes, malveillantes et trompeuses, entreprises par une puissance étrangère […] qui visent à saper nos sociétés et à porter atteinte à notre souveraineté politique et militaire, mais également économique et technologique » ([20]).

Ces activités d’influence comprennent notamment, outre les pratiques de capture des élites politiques et économiques (corruption, influence, etc.), de financement de la vie politique, de manipulations de l’information et de contrôle de la diaspora, les opérations de coercition économique, dont la réalisation d’IDE peut constituer l’un des volets ([21]).

a.   L’essor des menaces : accélération, diversification, concentration

– Une accélération du nombre d’influences étrangères. Au cours de la décennie passée, la France a fait face à un « recours de plus en plus désinhibé à des stratégies d’influence malveillante », alors même que des compétiteurs étrangers s’efforcent de promouvoir ou bien leurs valeurs et leur modèle, ou bien leur emprise économique ([22]). Comme le soulignait récemment une étude de l’OCDE, « si le risque d’ingérence étrangère n’est pas nouveau et a longtemps été appréhendé à travers les outils du renseignement, la mondialisation, la prégnance du numérique ou les approches de gouvernance plus ouvertes et participatives ont largement renforcé les possibilités d’ingérence et de déstabilisation des systèmes politiques » ([23]).

Les raisons de cette mutation sont diverses et clairement identifiées. D’une part, l’évolution du contexte géopolitique mondial est marquée par un accroissement des préoccupations relatives à l’approvisionnement en matières premières essentielles et à la densification de stratégies d’investissement dirigées par des États désireux d’acquérir des actifs stratégiques étrangers.

L’intensification des menaces contre la souveraineté économique

En France, le service pour l’information stratégique et la sécurité économique (SISSE) a coordonné en 2024 le traitement interministériel de 750 alertes de sécurité économique, contre environ 340 en 2020, 480 en 2021, 694 en 2022 et 1 000 en 2023. Il apparaît que « la moitié de ces menaces étaient de nature capitalistique, et entre 30 et 40 % touchaient aux savoirs, savoir-faire et données sensibles des entreprises stratégiques. L’approche retenue est une approche au cas par cas, sans discriminer selon les pays ex ante. » ([24])

Selon la typologie de la direction générale des Entreprises (DGE), ces menaces se déclinent en deux grands types :

- les menaces pesant sur le patrimoine informationnel des entreprises, liées aux tentatives de manipulation de l’information, de captation de la propriété intellectuelle, de détention d’informations stratégiques, etc. ;

- les menaces capitalistiques, qui renvoient à l’éventualité d’un rachat d’une entreprise stratégique par des acteurs économiques étrangers, pouvant donner lieu à une perte d’autonomie dans un domaine particulier.

D’autre part, l’apparition de crises, à l’image de la pandémie de Covid‑19 ou de l’invasion de l’Ukraine par la Russie ([25]), a contribué à l’accélération des risques. Comme le souligne la Commission européenne, ce conflit ainsi que « les risques nouveaux et émergents qui en découlent pour la sécurité ont davantage mis l’accent sur les technologies/secteurs et infrastructures (avancés) critiques. » ([26]) Enfin, la « nouvelle donne technologique » ([27]) concourt à la recrudescence des vulnérabilités, avec la montée en puissance de technologies qui, d’un côté, créent de nouveaux canaux d’influence (intelligence artificielle, plateformes numériques), et, de l’autre, constituent des cibles privilégiées pour les stratégies de prise de contrôle de la part d’entités étrangères (biens à double usage, recherche stratégique).

Au-delà des actions d’espionnage et de sabotage, bien identifiées et contre lesquelles existe un arsenal juridique puissant ([28]), vos rapporteurs expriment leur vive inquiétude à l’égard des stratégies de captation de la propriété intellectuelle et de prise de contrôle du capital des entreprises et des centres de recherche stratégiques.

– Une diversification des menaces. Dans ce contexte, ces stratégies connaissent une diversification significative. En témoigne le cas des investissements chinois dans le secteur de la santé : comme l’a souligné à l’attention des rapporteurs le service de défense et de sécurité des ministères sociaux, si les investissements chinois en France demeurent relativement limités, « l’influence économique chinoise s’exerce plutôt par des canaux alternatifs davantage complexes à appréhender, tels que : des pratiques commerciales agressives (stratégies de concurrence par les prix), l’acquisition de compétences stratégiques (via des mécanismes d’attraction de talents clés), des politiques de soutien à l’innovation en Chine ou la mise en œuvre de législations chinoises à portée extraterritoriale. » ([29])

En outre, les risques associés à certaines opérations d’IDE connaissent une diversification significative, les activités sensibles constituant une cible de choix pour les stratégies d’influence étrangères. En témoigne la typologie des risques associés aux IDE élaborée par le HFDS du ministère de la santé : l’atteinte aux éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la nation (transfert de technologies, perte d’actifs stratégiques, arrêt ou délocalisation des activités de recherche, perte de souveraineté industrielle par l’arrêt ou la délocalisation de la production d’un produit sensible, vulnérabilité dans une chaîne d’approvisionnement critique), le risque de détournement du potentiel scientifique et technique, le risque de prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs, et le risque de détournement de savoirs susceptibles d’être utilisés à des fins d’activités terroristes, menées sur le territoire national ou à l’étranger.

– Une concentration sur les secteurs stratégiques. En France, les activités sensibles sont particulièrement touchées par les influences étrangères de nature capitalistique. Le secteur de la santé est ainsi confronté à une augmentation significative du nombre d’influences étrangères au cours des dernières années : de fait, le service du HFDS des ministères sociaux constate « (i) une augmentation de plus de la moitié du nombre de saisines par la direction générale du Trésor entre 2022 et 2024 dans le cadre du dispositif de contrôle IEF et (ii) une augmentation générale des alertes de sécurité économique en lien avec le secteur de la santé, hors IEF » ([30]).

En outre, le service de défense et de sécurité du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche a rappelé l’intense travail de veille et de contre‑ingérence qu’il menait pour identifier et combattre les opérations d’influence étrangères visant les institutions et les actifs de la recherche ([31]). Le rapport d’information sénatorial de 2021 consacré à la protection du patrimoine scientifique et des libertés académiques a également mis en avant les vulnérabilités proprement françaises dans le champ de la recherche, qui sont susceptibles de le rendre d’autant plus sensible à ces tentatives d’influence : insuffisance des ressources budgétaires, faiblesse administrative, culture d’ouverture « d’un monde de la recherche par nature réticent à penser son activité dans un contexte de conflits et d’intérêts nationaux » ([32]). Le rapport Gattolin signale spécifiquement la dépendance financière des universités à l’inscription d’étudiants chinois, qui constituent une part de plus en plus conséquente du vivier de chercheurs travaillant dans les laboratoires universitaires.

Entre investissements et entrisme, ces stratégies étrangères induisent de fait, selon le Conseil d’État, un grave risque de « divulgation des savoirs scientifiques et technologiques dans un contexte de très large ouverture du monde de la recherche aux partenariats internationaux » ([33]).

b.   Une réponse accrue de l’État aux ingérences étrangères

Pour lutter contre les ingérences étrangères dans le champ économique, la France a développé plusieurs outils législatifs et réglementaires, allant du dispositif de répression des atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation à l’encadrement des activités de représentation d’intérêts, en passant par les mécanismes de lutte contre les atteintes à la probité, les ingérences numériques ou de contrôle des IDE. Cet arsenal s’inscrit dans le cadre de la politique de sécurité économique qui, aux termes du décret n° 2019-206 du 20 mars 2019, « vise à assurer la défense et la promotion des intérêts économiques, industriels et scientifiques de la nation, constitués notamment des actifs matériels et immatériels stratégiques pour l’économie française » ([34]). Depuis 2019, cette politique s’est structurée autour de la protection des actifs stratégiques français, dont la coordination repose sur l’activité du service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE).

Le SISSE, rouage organique de la sécurité économique

À la suite du décret du 29 janvier 2016, qui a créé un service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE) ([35]) sous la forme d’un service à compétence nationale (SCN), cet organe central de la sécurité économique française a été rattaché en 2019 à la direction générale des Entreprises (DGE) ([36]), à l’aune de la fusion de la fonction de commissaire à l’information stratégique et à la sécurité économiques avec celle de directeur général des entreprises.

Depuis 2019, le SISSE assure le pilotage de la politique de sécurité économique, autour d’une mission opérationnelle de détection et de traitement des menaces qui pèsent sur les actifs stratégiques de l’économie française. Dans cet objectif, il est notamment chargé d’identifier les secteurs relevant des intérêts économiques de la nation (mission d’information stratégique) et de contribuer à la détection des opérations d’investissement étranger réalisées sans autorisation préalable (mission de sécurité économique).

Afin de cibler au mieux les actifs stratégiques dont il convient d’assurer la protection, le SISSE a élaboré trois listes prioritaires, dont l’existence est publique mais le contenu protégé par le secret de la défense nationale : une liste d’entreprises stratégiques, créée ad hoc en 2019 et comprenant aussi bien des grands groupes industriels que des sous-traitants ou des PME qui développent certaines technologies critiques ; une liste de technologies critiques ; et une liste de laboratoires publics de recherche sensibles et potentiellement concernés par des ingérences étrangères. Vos rapporteurs regrettent cependant l’opacité de ces listes, n’ayant pas même pu prendre connaissance du nombre approximatif d’entreprises qu’elles contiennent, et appellent à renforcer l’information de la représentation nationale en ce qui concerne la quantification de ces entités stratégiques.

Comme l’ont par ailleurs indiqué les représentants de ce service, « au quotidien, le SISSE oriente les services de l’État pour être en mesure de détecter aussi tôt que possible un intérêt étranger sur un actif stratégique, centralise ces détections de menace et s’assure qu’une réponse est apportée dans un cadre interministériel, en s’appuyant sur les préfets de région. » ([37])

2.   La carence critique du financement des activités stratégiques en France

a.   Les difficultés chroniques de l’écosystème de financement

Face aux tentatives de prise de contrôle opérées par des entités économiques étrangères, les secteurs stratégiques de l’économie française souffrent d’une vulnérabilité sensible liée à leurs difficultés de financement. Cette carence constitue une spécificité des secteurs stratégiques, dans lesquels l’État a longtemps joué un rôle privilégié de client, d’autorité de tutelle et d’actionnaire.

– Une fragmentation préjudiciable. Comme le relèvent Jean-Charles Larsonneur et Jean-Louis Thiériot dans un rapport parlementaire de 2024, alors même qu’elle se situe « au cœur des […] défis stratégiques que doit relever l’Europe » ([38]), l’industrie de défense en Europe est marquée par une fragmentation problématique. Dans les faits, celle-ci résulte du déficit de taille critique des industriels français et européens par rapport aux industriels américains. Selon le classement des grandes entreprises de défense établi en 2024 par l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), sur les 20 premières entreprises de défense mondiales, seules 4 sont européennes (BAE Systems, Airbus, Leonardo et Thalès) ([39]). Comme le soulignait en outre le SIPRI en décembre 2024, sur un chiffre d’affaires total agrégé des 100 plus grandes entreprises d’armement de 632 milliards de dollars en 2023 (+ 4,2 % par rapport à 2022), le chiffre d’affaires agrégé des 41 entreprises d’armement américaines du Top 100 s’élève à 317 milliards de dollars (50,2 % du total à l’échelle mondiale), alors que le chiffre d’affaires agrégé des 27 entreprises européennes du Top 100 s’élève seulement à 133 milliards d’euros.

– Un sous-financement critique. À titre d’illustration, le secteur de la santé fait l’objet d’une dépendance significative à l’égard de capitaux étrangers. Il ressort des auditions menées par vos rapporteurs que ce secteur, « particulièrement celui des biotechnologies et de la recherche, se caractérise par des besoins en capitaux importants, au regard des capacités d’investissement des fonds de capital-risque français. Ces besoins se manifestent principalement à des stades avancés de développement, tels que les essais cliniques de phase 2 et 3, ainsi que les étapes d’industrialisation et de mise sur le marché. Confrontées à ces contraintes financières, les sociétés du secteur de la santé sont amenées à diversifier leurs sources de financement en sollicitant des investisseurs internationaux pour compléter leurs levées de fonds et ainsi assurer la poursuite du développement de leurs innovations ou la commercialisation de leurs produits matures. » ([40])

Les entreprises de défense sont elles aussi victimes d’un sous-financement chronique. Le Livre blanc de la Commission européenne sur l’avenir de la défense européenne fait ainsi état de « décennies de sous-investissements dans la défense à travers l’UE, [qui] ont mené à des insuffisances critiques en matière de capacités militaires, des forces armées réduites et manquant de ressources, ainsi qu’une base industrielle de défense fragmentée » ([41]). Auditionnés par vos rapporteurs, les représentants de la direction générale de l’armement ([42]) ont soulevé à ce titre trois difficultés cruciales : d’une part, une difficulté des entreprises de la base industrielle et technologique de défense (BITD) à attirer des financements privés ; d’autre part, une situation financière fragile d’un nombre significatif de ces entreprises, avec un endettement assez fort et des difficultés à lever des capitaux ; enfin, pour celles qui sont le plus assimilées au secteur de l’armement (production d’armes ou de munitions), une difficulté d’accès au crédit et aux fonds propres, de nombreux fonds d’investissement entretenant des « exclusions défense » relativement larges.

Les chiffres de la BITD en France et en Europe

- En France, la BITD représente 9 grands groupes industriels (Airbus Defence and Space, Ariane Groupe, Arquus, Dassault Aviation, MBDA, Naval Group, Nexter, Safran, Thales) et 4 500 PME, ETI et startups (dont 1 000 revêtent, selon la DGA, une importance stratégique), pour 210 000 emplois directs et indirects et un chiffre d’affaires annuel qui s’élève à environ 30 milliards d’euros.

- À l’échelle européenne, comme le relève la Commission européenne, « la base industrielle et technologique de défense de l’Union se compose d’une combinaison de maîtres d’œuvre divers, avec des entreprises à moyenne capitalisation et un grand nombre de petites et moyennes entreprises (PME). » ([43]) Dans ce contexte, la BITDE dispose d’un chiffre d’affaires annuel d’environ 70 milliards d’euros et emploie 500 000 personnes sur le continent.

Les fonds intervenant dans le private equity et le venture capital pour le secteur de la défense sont, quant à eux, relativement peu nombreux (essentiellement Weinberg Capital Partners et Tikehau Capital) ([44]). Président de WCP, M. Serge Weinberg souligne que « nous avons aujourd’hui un problème crucial d’insuffisance d’épargne qui s’oriente vers les entreprises. Alors même que les acteurs institutionnels n’occupent plus dans les secteurs stratégiques qu’une place mineure en raison de la réglementation, qui les oblige à consacrer une part importante de fonds propres lors d’investissements en actions, cette situation est d’autant plus dommageable que les valorisations des entreprises européennes, et particulièrement des entreprises françaises, comparées à celles de leurs pairs américains, sont faibles. » ([45]) Dans ce contexte, WCP a lancé en 2023 la création du fonds Eiréné, dont l’objectif est de soutenir le développement d’entreprises françaises dans les secteurs stratégiques de la sécurité et de la défense. Ce fonds de LBO ([46]) « a vocation à prendre principalement des positions d’actionnaire majoritaire dans le cadre d’opérations de capital-transmission » ([47]) de PME ou d’ETI des secteurs souverains de la sécurité et de la défense qui disposent d’un fort potentiel de croissance en France ([48]). Il apparaît en conséquence à vos rapporteurs qu’une approche de la souveraineté économique qui ne chercherait pas à résoudre ce problème de financement des activités sensibles induirait un risque majeur pour la préservation de notre autonomie stratégique.

b.   Les implications financières d’un refus de l’IDE

Au vu de ces carences en termes de financement, vos rapporteurs ont pu constater que l’hypothèse d’un refus opposé à des projets d’investissement dans le cadre du dispositif de filtrage national pouvait entraver le fonctionnement du marché et provoquer des effets de bord pour l’entreprise-cible en quête d’un repreneur. Ces difficultés se manifestent à deux égards.

– La complexification des stratégies de sortie des fonds d’investissement. Lorsque des entreprises développent des technologies innovantes entrant dans le champ de la sécurité économique et qu’elles risquent d’être protégées au titre du filtrage des IDE (qui peut conduire l’État à bloquer une transaction de rachat entreprise par une entité étrangère), le caractère éventuel du blocage réduit les perspectives de sortie des fonds d’investissement nationaux, pour lesquels la probabilité de trouver un repreneur étranger est par conséquent plus faible. De fait, comme le souligne la Commission européenne, « les contrôles des investissements étrangers limitent les options de stratégies de sortie lorsqu’un acheteur ne peut être trouvé sur le marché de l’UE » ([49]). En effet, les secteurs stratégiques sont caractérisés par une incertitude portant sur les retours sur investissement ainsi que sur les stratégies de sortie. Or, il apparaît que « les fonds de capital-investissement investissent avec prudence et évitent des problèmes lorsqu’ils cherchent à sortir. Compte tenu des nombreuses restrictions appliquées au secteur, il y a peu d’acquéreurs potentiels, ce qui complique la sortie des investisseurs actuels. » ([50])

– Le risque de faillite de l’entreprise-cible, susceptible d’être provoqué par une décision de refus. Vos rapporteurs estiment que la faiblesse des fonds d’investissement rend singulièrement difficile la possibilité pour l’État d’exercer son contrôle de souveraineté sur les IDE dans les activités sensibles : celui-ci se trouve en effet régulièrement confronté à l’alternative entre refuser la transaction problématique (au risque de provoquer la faillite de l’entreprise-cible) et autoriser l’opération (au risque de grever la souveraineté économique). Auditionnés par vos rapporteurs, certains avocats ont relevé le fait que, « dès lors qu’il existera des offres de reprise françaises, il sera plus facile de permettre à l’État de dire non à un investisseur étranger » ([51]), évitant ainsi les risques de faillite des entreprises-cibles. Pour les pouvoirs publics, le défi repose dès lors sur la capacité à trouver l’équilibre efficient entre autorisation des participations étrangères nécessaires au développement de projets industriels stratégiques, en l’absence de menaces à la sécurité économique, et blocage des investissements internationaux susceptibles de représenter une menace, afin de ne pas décourager les investisseurs potentiels, dont les transactions sont essentielles pour le développement des différentes filières.

II.   EN FRANCE, UN FILTRAGE DES IDE QUI A CONNU DE MULTIPLES ADAPTATIONS POUR MIEUX PROTÉGER LES INTÉRÊTS NATIONAUX

Historiquement fondée sur une dérogation au principe de libre circulation des capitaux conçue au nom de la protection des intérêts nationaux, le contrôle des investissements étrangers en France a été progressivement étendu à un nombre croissant de secteurs économiques stratégiques, afin d’assurer une protection plus complète de la souveraineté économique française. La pratique de ce filtrage opéré, selon des critères précis, sur certaines transactions internationales répond à trois objectifs :

● préserver les intérêts fondamentaux de la nation, qui peuvent se définir au sens de l’article 410‑1 du code pénal ([52]) : indépendance, intégrité, sécurité, forme républicaine, sauvegarde de la population, de son potentiel et de son patrimoine ;

● défendre l’autonomie stratégique de la France, en donnant à l’État les moyens d’interdire les transactions susceptibles de constituer des formes d’influence étrangère et d’éviter la captation de technologies critiques par des puissances étrangères concurrentes ;

● soutenir la résilience des chaînes de valeur, en garantissant aux entreprises exerçant des activités sensibles une autonomie en matière d’approvisionnement (matériaux, équipements, composants spécialisés, etc.) et de financements.

Dans ce cadre, le contrôle IEF permet d’éviter que des cessions d’entreprises ou des prises de participation étrangères ne se traduisent in fine par une délocalisation imprévue ou une rupture d’approvisionnement, en particulier en période de crise.

Au fil des auditions qu’ils ont menées, vos rapporteurs ont constaté la nette progression de l’efficacité du contrôle IEF, qui constitue aujourd’hui l’outil le plus visible de la politique de sécurité économique, marqué par une certaine complétude au regard des évolutions qu’il a connues et en comparaison avec les filtrages qui existent dans les pays comparables. Ils ont apprécié son efficience au regard de plusieurs critères : le dynamisme du contrôle, le degré de restriction du filtrage, la qualité de l’examen et la cohérence externe du processus réglementaire. Comme l’ont rappelé les représentants de la DG Trésor, « notre capacité à accorder des autorisations se caractérise par une véritable cohérence entre la partie “amont” (autorisation et conditions) et la partie “aval” (contrôle et sanctions). En outre, les textes ont connu des adaptations pertinentes, afin de tenir compte de l’évolution des risques. Aussi cet outil de souveraineté a-t-il su s’adapter à de nouvelles formes de menaces ; il correspond bien à la réalité de la défense des intérêts nationaux. » ([53])

Le contrôle IEF : précisions procédurales

En vertu de l’article L. 1513 du code monétaire et financier, « sont soumis à autorisation préalable du ministre chargé de l’économie les investissements étrangers dans une activité en France qui, même à titre occasionnel, participe à l’exercice de l’autorité publique ou relève de l’un des domaines suivants :

« a) Activités de nature à porter atteinte à l’ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale ;

« b) Activités de recherche, de production ou de commercialisation d’armes, de munitions, de poudres et substances explosives. » ([54])

D’un point de vue procédural, la notion de contrôle des investissements étrangers en France renvoie à trois procédures distinctes, administrées par le bureau du contrôle des investissements étrangers en France (CIEF) du service des affaires multilatérales et du développement (SAMD), au sein de la DG Trésor :

-          les demandes d’autorisation d’investissement, obligatoires quand sont remplis les critères d’éligibilité fixés par le code monétaire et financier ;

-          les demandes d’examen préalable d’une activité, déposées par un investisseur étranger ou par une entreprise française afin de déterminer si l’activité concernée entre dans le champ des secteurs stratégiques visés par le dispositif IEF ;

-          les notifications de franchissement du seuil de détention de 10 % des droits de vote dans une société cotée par un investisseur non-européen.

À l’issue d’une procédure d’examen en deux phases, le ministre chargé de l’économie émet, sur proposition de la DG Trésor :

-          soit une décision d’inéligibilité (lorsque les activités-cible ne sont pas considérées comme stratégiques ou que les seuils constitutifs de l’IDE ne sont pas franchis) ;

-          soit, si l’éligibilité au dispositif est reconnue, une décision d’autorisation simple, une décision d’autorisation assortie de conditions, ou bien une décision de refus.

A.   UN CONTRÔLE DYNAMIQUE DANS LES SECTEURS STRATÉGIQUES

– Dynamique générale. Le contrôle IEF est aujourd’hui marqué par une augmentation notable du nombre de procédures, dont la DG Trésor a constaté, en 2023, le maintien à un niveau élevé, après plusieurs années de hausse ininterrompue. Comme l’indique le rapport annuel 2024 consacré au contrôle des IEF, 309 dossiers de demandes d’autorisation et d’examen préalable ont été présentés en 2023 devant le bureau du contrôle des investissements étrangers en France (CIEF), contre 325 en 2022 et 184 en 2018.

Cependant, vos rapporteurs déplorent que les données relatives au nombre de dossiers déposés ne soient publiques que depuis l’adoption de la loi PACTE, en 2019 : aucune information sur l’évolution de long terme des demandes d’autorisation n’a pu leur être fournie.

Évolution du nombre de dossiers déposés devant le CIEF

Source : Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, d’après les données transmises par le CIEF.

Le CIEF a précisé à vos rapporteurs que « l’année 2024 a[vait] été marquée par une nette hausse dans le nombre de demandes déposées au titre du contrôle des IEF, essentiellement observée au cours du premier semestre 2024, et en conséquence du nombre de décisions rendues. Cette hausse peut s’expliquer par la reprise de l’activité des fusions-acquisitions au cours du premier semestre, et la mise en place de la nouvelle plateforme en ligne de dépôt des demandes “Plateforme IEF”, qui facilite le dépôt des demandes. La part d’opérations éligibles au contrôle et d’autorisations sous conditions reste stable. » ([55])

En outre, l’augmentation du flux de décisions rendues conduit à une croissance significative du stock d’autorisations sous conditions, dont le ministère chargé de l’économie (via le SISSE) assure le suivi, en lien avec les ministères sectoriels.


Les chiffres-clés du contrôle IEF en 2023

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Source : Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, d’après les données du rapport annuel 2024 sur le contrôle des investissements étrangers en France, direction générale du Trésor.

– Dynamique sectorielle. D’après la classification réalisée par la DG Trésor, les investissements étrangers entrant dans le champ du contrôle se répartissent de la façon suivante :

● investissements dans les activités sensibles par nature, « de nature à porter atteinte aux intérêts de la défense nationale, participant à l’exercice de l’autorité publique ou de nature à porter atteinte à l’ordre public » ([56]) (21,5 % des 135 IDE autorisés en 2023, contre 23,7 % en 2022) ;

● investissements dans des infrastructures, biens ou services essentiels pour garantir « l’intégrité, la sécurité ou la continuité » de l’approvisionnement en énergie et en eau, de l’exploitation des réseaux et services de transport, des opérations spatiales, de l’exploitation des réseaux et services de communications électroniques et de l’exercice des missions de la police et de la gendarmerie nationales ([57]) (63,7 % des IDE autorisés en 2023, contre 51,9 % en 2022) ;

● investissements mixtes, relevant des deux secteurs ([58]) (14,8 % des IDE autorisés en 2023, contre 24,4 % en 2022).

Répartition sectorielle des IDE autorisés au titre du contrôle IEF en 2023

Source : Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, d’après les données du rapport annuel 2024 sur le contrôle des investissements étrangers en France, direction générale du Trésor.

En ce qui concerne le secteur de la santé, « les opérations d’investissements étrangers en France, et plus largement les alertes de sécurité économique, sont en constante augmentation chaque année [dans le secteur des industries sanitaires et pharmaceutiques]. À titre d’exemple, une augmentation de plus de 50 % du nombre d’avis rendus par le service du HFDS [des ministères sociaux] dans le cadre du dispositif de contrôle des IEF est observée entre 2022 et 2024. » ([59])

B.   LA CONSOLIDATION DU DEGRÉ DE RESTRICTION DU FILTRAGE

Depuis le début des années 2010, le régime de contrôle a connu plusieurs extensions successives de son champ d’application, en parallèle d’une modernisation de la procédure d’instruction et d’un renforcement des pouvoirs de police et de sanction du ministre. Ces élargissements de la portée des secteurs stratégiques ont directement provoqué une amélioration du degré de restriction du filtrage, comme le signalent les différents indicateurs internationaux.

La mesure du degré de restriction des IDE

Plusieurs indicateurs existent pour mesurer le degré de restriction d’un dispositif de filtrage des IDE pour des raisons de sécurité nationale.

- L’indice de restrictivité réglementaire de l’IDE (FDIRRI – Foreign direct investment regulatory restrictiveness index) est un outil conçu par l’OCDE pour mesurer le degré de restriction à l’égard des IDE. Élaboré en 2003, récemment révisé en décembre 2024, il évalue les barrières réglementaires, classées en quatre catégories (limites à une prise de participation étrangère ; mécanismes de filtrage ; restrictions concernant le personnel étranger ; autres restrictions opérationnelles), dans 22 secteurs économiques. Chaque barrière fait l’objet d’une notation sectorielle sur une échelle allant de 0 (ouverture totale aux IDE) à 1 (fermeture totale), les différentes notes étant ensuite agrégées dans l’indice.

- L’indicateur de restrictivité des IDE, élaboré par Lorenzo Bencivelli en 2023, mesure le degré de restriction dans les secteurs stratégiques sur une échelle de 0 à 1. Il repose sur l’agrégation de cinq critères : les caractéristiques de l’investisseur, l’étendue des pouvoirs d’enquête des autorités, la qualité de la procédure de filtrage, le degré des seuils et le type de transactions contrôlées. Sa présentation met en avant l’hétérogénéité des dispositifs en indiquant la part occupée par chacun des critères dans le degré de restriction agrégé.

Il apparaît à la lecture de l’indicateur de restrictivité des IDE que les systèmes de filtrage les plus restrictifs se trouvent au Japon, en Australie et au Canada. D’après L. Bencivelli, « dans ces trois pays, le contrôle des investissements couvre un grand nombre d’activités jugées sensibles et est renforcé pour les projets d’investissement menés par des entreprises publiques. De plus, il couvre l’acquisition d’actifs existants (brownfield) ainsi que les investissements dans de nouvelles installations (greenfield). Les autorités disposent également de pouvoirs d’enquête étendus. Au Japon et au Canada, les seuils de contrôle des investissements étrangers sont relativement bas. » ([60])

Indicateur de restrictivité des IDE (2023)

Source : Bencivelli et al., 2023, p. 20.

1.   L’élargissement théorique de l’éligibilité au contrôle des investissements étrangers en France (IEF)

Afin de déterminer si une transaction est éligible au contrôle IEF, la DG Trésor prend en compte trois critères cumulatifs : la présence d’un investisseur étranger ([61]), l’existence d’une opération d’investissement dans une entité de droit français, et l’exercice par l’entité-cible d’une ou plusieurs activités stratégiques.

a.   Une amélioration sensible des critères d’éligibilité financiers

– Une extension de la notion d’entreprise française. Pour être éligible au contrôle IEF, l’opération envisagée doit avoir pour cible une entité de droit français. Ce premier critère a longtemps exclu du champ du filtrage les hypothèses de rachat de filiales françaises de sociétés de droit étranger par un investisseur étranger. Afin de combler cette lacune, le décret n° 2023‑1293 du 28 décembre 2023 ([62]) a étendu l’éligibilité aux prises de contrôle de ces succursales françaises de sociétés étrangères ; modifié en conséquence, l’article R. 151‑2 du code monétaire et financier prévoit désormais que, pour être éligible, l’acquisition du contrôle doit avoir lieu dans une entité de droit français ou dans « un établissement immatriculé au registre du commerce et des sociétés en France » ([63]).

– Un accroissement des opérations éligibles. Outre ce critère de nationalité de la société-cible, l’opération doit être constitutive d’un investissement direct, c’est-à-dire avoir pour effet : soit l’acquisition du contrôle, au sens de l’article L. 233‑3 du code de commerce ([64]), d’une entité de droit français ou d’un établissement immatriculé au registre du commerce et des sociétés en France ; soit l’acquisition de tout ou partie d’une branche d’activité d’une entité de droit français ; soit le franchissement, directement ou indirectement, du seuil de 25 % de détention des droits de vote d’une entité de droit français ou le franchissement du seuil de 10 % de détention des droits de vote d’une société de droit français cotée, étant précisé que sont exemptées d’une obligation de demande d’autorisation, dès lors qu’elles réalisent ces franchissements de seuil, les personnes physiques possédant la nationalité d’un État membre de l’Union européenne ou d’un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen (ou toute entité économique dont l’ensemble des membres de la chaîne de contrôle relève exclusivement du droit de l’un de ces États).

Dans le contexte de la crise sanitaire, prenant acte des risques pour la souveraineté économique du pays, le gouvernement a décidé d’abaisser temporairement le seuil de franchissement des droits de vote de 25 % à 10 % dans les sociétés françaises dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé ([65]). Prévu pour n’être applicable que de façon temporaire, cet abaissement a fait l’objet de nombreux débats visant à le rendre pérenne : un avis du CESE préconisait notamment, en 2021, de proroger l’abaissement à 10 % jusqu’en 2023, afin d’empêcher la prise de participation par des actionnaires étrangers de nature à leur accorder une influence déterminante sur l’entreprise dans un contexte d’incertitudes boursières et de grande dispersion de l’actionnariat ([66]).

Après avoir été prorogé à deux reprises, en 2021 ([67]) puis en 2022 ([68]), ce seuil a fait l’objet d’un abaissement définitif à 10 % par le décret n° 2023‑1293 du 28 décembre 2023 ([69]), entré en vigueur le 1er janvier 2024, qui a en outre pérennisé une procédure allégée de simple notification de ce franchissement de seuil ([70]). Dans ce cas, il suffit à l’investisseur d’adresser au ministre chargé de l’économie une notification préalable à la réalisation de l’investissement ; en l’absence d’opposition de la part du ministre, manifestée dans un délai de 10 jours ouvrés, la réalisation de l’investissement est dispensée du dépôt d’une véritable demande d’autorisation.

b.   L’expansion de la notion de secteur stratégique

– La constante progression de la notion. Le concept d’intérêts nationaux a d’abord été employé par la loi n° 66-1008 du 28 décembre 1966 pour justifier le maintien de conditions dérogatoires d’examen de certains investissements étrangers réalisés en France au moment de la libéralisation des relations financières avec l’étranger ([71]). Par la suite, le décret n° 90-58 du 15 janvier 1990 réglementant les relations financières avec l’étranger a établi une première liste de secteurs précisant les champs dans lesquels les IEF devaient, au-delà de certains seuils, faire l’objet d’une autorisation. Il s’agissait alors des secteurs participant à l’exercice de l’autorité publique ou relevant des activités de nature à porter atteinte à l’ordre public, la santé publique ou la sécurité publique, ainsi que des activités de production ou de commercialisation d’armes, de munitions et de matériels de guerre.

Le décret n° 2003-196 du 7 mars 2003 a ensuite de nouveau précisé la définition des activités couvertes par le dispositif ([72]), à savoir les secteurs touchant à l’ordre public, à la sécurité publique, à la santé publique et à la défense nationale, laquelle se trouve ainsi ajoutée par le décret à la liste réglementaire.

– La définition extensive des secteurs sensibles. Aujourd’hui, la liste des secteurs stratégiques dans lesquels les IDE sont soumis à autorisation, établie par un décret en Conseil d’État aux termes de l’article L. 151-3, est fixée à l’article R. 151-3 du code monétaire et financier, qui a connu de multiples aménagements afin d’en étendre la portée.

Face à l’absence d’utilisation du dispositif de contrôle, le décret n° 2005‑1739 du 30 décembre 2005, dit « décret Loos-Villepin » a élargi la liste en recensant 11 champs d’activité stratégiques ([73]). Constatant par la suite l’impossibilité de mettre en application les dispositions du décret Villepin pour soumettre la branche énergie d’Alstom au contrôle IEF, le décret n° 2014‑479 du 14 mai 2014 (dit « décret Montebourg ») a créé une nouvelle catégorie d’activités soumises à autorisation préalable, en inaugurant le concept d’ « activités essentielles à la garantie des intérêts du pays » et en portant ajout de six nouvelles activités aux domaines stratégiques : l’approvisionnement en énergie et en eau, l’exploitation des réseaux et des services de transports et de communications électroniques, des ouvrages d’importance vitale, et la protection de la santé publique ([74]).

En 2018, le décret n° 2018-1057 du 29 novembre 2018 a encore étendu le champ des secteurs stratégiques, notamment aux activités relatives à l’intégrité, la sécurité et la continuité des opérations spatiales et de l’exploitation des systèmes électroniques et informatiques spécifiques nécessaires pour l’exercice des missions de la police nationale, de la gendarmerie nationale, des services de sécurité civile et de la douane ([75]).

Par la suite, pris en application de la loi PACTE, le décret n° 2019‑1950 du 31 décembre 2019 a une nouvelle fois clarifié le dispositif, afin de mieux prendre en compte certaines activités visées par le règlement européen n° 2019/452 du 19 mars 2019 établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers dans l’Union européenne ; le décret remplace notamment l’appellation d’activités essentielles par la notion d’activités portant sur les « infrastructures, biens ou services essentiels » ([76]). Enfin, dernière modification réglementaire à ce jour, le décret n° 2023-1293 du 28 décembre 2023 a encore consolidé le cadre juridique du filtrage en ajoutant au périmètre stratégique, d’une part, les activités visant à garantir l’intégrité, la sécurité ou la continuité de l’extraction, de la transformation et du recyclage des matières premières critiques et, d’autre part, les activités de sécurité des établissements pénitentiaires ([77]).

Derniers ajouts à la liste des secteurs stratégiques

Année

Nature du secteur ajouté à la liste des activités stratégiques (art. R. 151-3)

2014

6 nouvelles activités : l’approvisionnement en énergie, l’approvisionnement en eau, l’exploitation des réseaux et des services de transports, l’exploitation des réseaux et des services de communications électroniques, l’exploitation d’un ouvrage d’importance vitale, et la protection de la santé publique.

2018

2 nouvelles activités : les opérations spatiales et l’exploitation des systèmes électroniques et informatiques spécifiques nécessaires pour l’exercice des missions de la police nationale, de la gendarmerie nationale, des services de sécurité civile et de la douane.

2019

Refonte de la typologie de l’art. R. 151-3.

2023

2 nouveaux ajouts : l’extraction, la transformation et le recyclage des matières premières critiques et les activités de sécurité des établissements pénitentiaires.

Source : Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques.

– La précision accrue des technologies critiques. En ce qui concerne les activités de recherche et de développement portant sur des technologies critiques ([78]), l’arrêté du 28 décembre 2023 relatif aux investissements étrangers en France a étendu la liste de ces activités aux technologies de production d’énergie bas carbone et aux technologies liées à l’utilisation de la photonique. En conséquence, les technologies critiques couvrent aujourd’hui les domaines de la cybersécurité, de l’intelligence artificielle, de la robotique, de la fabrication additive, des semi‑conducteurs, du quantique, du stockage d’énergie, des biotechnologies, de la production d’énergie bas carbone et de la photonique.

2.   Le durcissement des sanctions

– Un renforcement notable des mesures de sanction. Prenant acte de l’impérieuse nécessité de confier au ministre chargé de l’économie des pouvoirs suffisamment forts pour garantir la souveraineté française, la loi PACTE a consacré un corpus étendu de sanctions ([79]). D’une part, pour tout IDE éligible réalisé sans autorisation préalable, le ministre dispose de pouvoirs d’injonction étendus : injonctions à l’investisseur de déposer une demande d’autorisation, de rétablir à ses frais la situation antérieure ou de modifier l’investissement, susceptibles d’être assorties d’une astreinte dont le montant journaliser ne peut excéder cinquante mille euros ([80]). Si la protection des intérêts nationaux est compromise, le ministre peut prendre des mesures conservatoires : suspension des droits de vote, interdiction de la distribution de dividendes, suspension de la libre disposition des actifs, désignation d’un mandataire chargé de veiller au sein de l’entreprise à la protection des intérêts nationaux. D’autre part, lorsque les conditions qui assortissent l’autorisation accordée au titre du dispositif IEF ne sont pas respectées par l’investisseur, le ministre chargé de l’économie peut procéder au retrait de l’autorisation ([81]) ou enjoindre à celui-ci de respecter la condition non exécutée dans un délai fixé. En cas de non-respect de cette injonction, il peut contraindre l’investisseur à exécuter des prescriptions en substitution de l’obligation non exécutée, pouvant aller jusqu’au rétablissement de la situation antérieure au non‑respect de l’obligation et à la cession des activités stratégiques impliquées dans la transaction ([82]).

Par ailleurs, en cas de réalisation d’un IDE éligible sans autorisation préalable, d’obtention par fraude de l’autorisation, par exemple via la falsification des pièces justificatives, ou de méconnaissance des injonctions précitées, le ministre chargé de l’économie dispose désormais d’un pouvoir de sanction pécuniaire ([83]). Le montant maximum de la sanction qu’il peut infliger à l’investisseur, après l’avoir mis à même de présenter ses observations dans un délai minimal de quinze jours, s’élève à la plus élevée des sommes suivantes : soit le double du montant de l’investissement irrégulier, soit 10 % du chiffre d’affaires annuel hors taxes de l’entreprise-cible, soit cinq millions d’euros pour les personnes morales et un million d’euros pour les personnes physiques.

Enfin, des sanctions pénales peuvent s’appliquer à l’encontre d’un investisseur qui aurait contrevenu à la réglementation IEF en ne respectant pas une obligation de déclaration, en n’observant pas les procédures prescrites ou en ne satisfaisant pas aux conditions : peine de 5 ans d’emprisonnement, confiscation des biens et avoirs constituant le produit de l’infraction, amende égale au maximum au double de la somme sur laquelle a porté l’infraction ([84]).

– Une efficience avérée dans la pratique. Les auditions menées par vos rapporteurs témoignent de la pertinence du régime de sanctions, dont la portée s’avère aujourd’hui suffisante. Interrogés sur la mise en œuvre effective de ces sanctions, les représentants de la DG Trésor ont rappelé que « des manquements peuvent être repérés lors des contrôles sur pièces et sur place opérés par le CIEF ; ils donnent effectivement lieu à la mise en œuvre des pouvoirs de police du ministre (astreintes, injonctions à se conformer aux conditions, sanctions pécuniaires et pénales). C’est un régime de sanctions pleinement opérationnel. Par ailleurs, ces sanctions sont susceptibles de faire l’objet de recours gracieux puis de recours administratifs devant le tribunal administratif de Paris. » ([85])

Les comparaisons témoignent également de la qualité du régime français de sanctions, dont la portée est comparable, sinon supérieure, à celles en vigueur dans les autres pays européens.

Étendue réglementaire des sanctions : comparaison européenne

Pays

Nature des sanctions

France

Des sanctions financières élevées (soit le double du montant de l’investissement irrégulier, soit 10 % du chiffre d’affaires annuel HT de l’entreprise, soit 5 millions d’euros pour les personnes morales ou 1 million d’euros pour les personnes physiques).

De lourdes sanctions pénales (5 ans d’emprisonnement maximum).

Royaume-Uni

La loi NSI ([86]) permet au secrétaire d’État chargé du commerce de prendre des sanctions en cas de non-respect du régime du contrôle, pouvant aller jusqu’à une amende de 10 millions de livres sterling ou 5 % du chiffre d’affaires mondial de la société étrangère.

Pays-Bas

En cas de non-respect de l’obligation de déclaration de l’investissement, le bureau du contrôle des IDE (bureau Toetsing Investeringen – BTI) peut suspendre l’exercice des droits de vote de l’investisseur et fixer une amende susceptible de s’élever jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires mondial de la société.

Autriche

- En cas d’omission de l’obligation de déclaration, suspension sans effet de l’exécution de la transaction.

- En cas de réalisation de l’opération sans autorisation, existence de lourdes amendes et de peines d’emprisonnement (jusqu’à trois ans).

Pologne

Sanctions pénales pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 10 millions d’euros d’amende.

Source : Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques.

C.   LA QUALITÉ RECONNUE DE L’INTRUCTION DES DOSSIERS

Dès lors que l’IDE entre dans le champ d’éligibilité du contrôle, l’investisseur se trouve dans l’obligation de déposer une demande d’autorisation auprès de la DG Trésor, soit par voie dématérialisée (via la plateforme IEF), soit par courrier papier. Créé en janvier 2019 en remplacement du MULTICOM 4, le bureau CIEF (contrôle des investissements étrangers en France) instruit les dossiers. Cet examen des dossiers a connu, dans les faits, une notable modernisation, dans une perspective de plus en plus interministérielle.

1.   Un examen administratif globalement efficace

a.   Des délais courts et respectés

– Une relative brièveté des délais. En théorie, la procédure d’autorisation préalable prend place dans un délai réglementaire maximal de 75 jours ouvrés après le dépôt du dossier ([87]) : 30 jours maximum pour une première phase d’instruction (évaluation de l’éligibilité de l’investissement), qui se conclut soit par une décision explicite d’éligibilité au dispositif IEF, susceptible de donner lieu à une autorisation simple ou à l’ouverture d’une phase d’examen complémentaire, soit par une décision d’inéligibilité ; et 45 jours maximum pour la phase complémentaire d’examen, qui se conclut soit par une autorisation simple du ministre, soit par une autorisation sous conditions ([88]), soit par un refus (par décision expresse ou en raison du silence gardé par l’administration à l’issue de la phase complémentaire ([89])). Il ressort de l’analyse menée par vos rapporteurs que les délais d’examen des dossiers d’autorisation sont, en France, relativement plus courts que dans les pays comparables : cet atout constitue à leurs yeux un réel avantage.

délais d’analyse des dossiers de contrôle des IDE dans les pays européens

Pays

Délais de la procédure de contrôle

France

Phase 1 (30 jours) et phase 2 (45 jours), pour un délai total de 75 jours.

Royaume-Uni

La loi NSI de 2021 prévoit des délais fixes pour l’enquête administrative : un premier délai de 30 jours aboutissant à une première réponse, et un second délai de 45 jours en cas d’examen supplémentaire au terme de cette première analyse.

États-Unis

Délai d’un mois pour l’instruction des dossiers par le CFIUS.

Autriche

Arrêt de la procédure nationale pendant les 6 semaines (maximum) de la procédure européenne, puis délai d’un mois pour la phase 1, et délai de 2 mois maximum en cas d’ouverture d’une phase 2 complémentaire.

Pologne

Première phase de 30 jours ouvrables (décision d’éligibilité et éventuelle validation de la transaction) puis éventuelle seconde phase (120 jours civils, sans prise en compte des délais d’attente de documents supplémentaires).

Pays-Bas

2 phases d’examen, avec une phase initiale (8 semaines maximum) et une phase complémentaire (8 semaines maximum) pouvant être décidée à l’issue de la phase 1 ; la phase 2 peut être étendue sur une durée maximale de 6 mois, et le délai de la procédure cesse de courir en cas de demande d’informations supplémentaires de la part de l’administration.

Source : Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques.

– Un respect des délais réglementaires de la procédure. Le respect des délais d’instruction par le CIEF a été invariablement souligné au cours des auditions de la mission. Ainsi, les cabinets d’avocats représentés ont signalé la relative rapidité de l’analyse des dossiers de demande d’autorisation, soulignant qu’ils n’avaient « jamais été confrontés à un cas où l’administration aurait décalé l’opération en raison d’un retard dans son examen du dossier ». Comme l’ont en outre rappelé les agents du CIEF ([90]), « critère essentiel à nos yeux, nous respectons les délais, qui sont plus courts chez nous que dans la plupart des pays comparables, signal d’attractivité de la France pour les investisseurs étrangers. »

Au-delà de leur respect, ces délais sont aménageables en phase 1 pour toute demande d’informations supplémentaires par l’administration. Comme le précisent les lignes directrices de la DG Trésor, la demande par l’administration d’informations supplémentaires jugées nécessaires pour l’instruction du dossier a pour conséquence la suspension des délais réglementaires sur la période qui court entre la date de la demande des documents complémentaires et la date de réception de ces documents ([91]).

Procédure et délais du régime sectoriel de contrôle des IDE en Allemagne

Dans le cadre de l’examen préliminaire, les opérations de prise de contrôle éligibles au filtrage font l’objet d’une notification écrite. Le ministère fédéral de l’économie et de l’énergie (Bundesministerium für Wirtschaft und Klimaschutz – BMWK) dispose d’un délai de deux mois pour ouvrir une phase d’examen approfondi ; en l’absence de réponse, l’acquisition est implicitement approuvée ([92]).

Si une enquête ouverte est déclenchée, le BMWK demande à l’investisseur l’ensemble des documents requis pour évaluer l’incidence de l’opération. Il dispose ensuite d’un nouveau délai de quatre mois pour déclarer l’autorisation ou le refus de l’investissement ([93]). Un délai de trois mois peut être ajouté en cas de difficultés juridiques, puis un second délai d’un mois si l’opération affecte la défense nationale.

Au total, le contrôle peut donc s’étendre sur un délai de 10 mois.

b.   Une modernisation récente de la procédure

– Numérisation. Dans l’exercice de ses missions, la DG Trésor a récemment créé une plateforme IEF ([94]), téléservice à destination des investisseurs étrangers et des entités de droit français. Cette plateforme, entrée en service le 1er octobre 2023, permet à ces derniers de déposer leurs dossiers de demande d’autorisation ou d’examen préalable de façon entièrement dématérialisée ; sa mise en place répond à un objectif de simplification et d’accélération du traitement des dossiers. Dans la pratique, la direction générale du Trésor dresse un bilan très positif de la mise en place de la plateforme IEF ; elle estime que cet outil « a permis d’homogénéiser le contenu et la qualité des demandes qui sont déposées – permettant à l’administration d’économiser du temps d’instruction, et de faciliter l’accessibilité du contrôle IEF – en offrant une plateforme facile d’utilisation, qui permet plus facilement aux investisseurs étrangers et entités françaises de déposer une demande sans recourir à un cabinet d’avocats. Des efforts d’amélioration continue sont en cours pour améliorer l’ergonomie de la plateforme et intégrer de nouvelles démarches. » ([95])

– Transparence. Conformément à la recommandation du Conseil de l’OCDE concernant les lignes directrices sur les politiques d’investissement des pays d’accueil relatives à la sécurité nationale ([96]) et afin d’améliorer la prévisibilité du dispositif d’autorisation, la DG Trésor a élaboré en 2022 des lignes directrices, qui complètent les textes législatifs et réglementaires en précisant la doctrine d’instruction qu’elle s’engage à suivre dans l’examen des dossiers. Ces lignes directrices devaient faire l’objet au début de l’année 2025 d’une première mise à jour ; celle-ci n’avait pas encore eu lieu au moment de la publication de ce rapport.

2.   Une logique interministérielle en constante progression

a.   La sollicitation des administrations dans l’examen des dossiers

– Un cadre interministériel. Sous le pilotage du CIEF, les deux phases de l’instruction des dossiers s’appuient sur le comité interministériel des investissements étrangers en France (CIIEF), qui réunit une trentaine d’agents d’administrations et d’agences de l’État : direction générale de l’armement, services de défense et de sécurité des ministères sociaux, de l’enseignement supérieur et de la recherche, de la transition écologique, Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), etc. Ceux-ci apportent au cas par cas leur expertise sectorielle pour évaluer la sensibilité de l’activité exercée par l’entité-cible de la transaction et l’opportunité d’assortir l’autorisation de conditions. Cette démarche interministérielle a été mise en place « dès la création du régime de contrôle des IEF, en 1966, de façon informelle, pour appuyer le ministre dans l’analyse des transactions qui lui sont soumises. Ce comité se réunit plusieurs fois par an » ([97]). Dans la pratique, chaque demande d’autorisation est transmise par le CIEF pour avis aux administrations compétentes. Comme l’ont précisé les interlocuteurs auditionnés, l’avis rendu dans ce cadre est exclusivement consultatif et ne lie pas la DG Trésor quant à la proposition de décision finale.

– Des sollicitations sectorielles. Saisi par la DG Trésor pour les dossiers en lien avec des activités de recherche et de développement civiles, le service de défense et de sécurité du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche apporte son expertise sectorielle, en lien avec la direction générale de la recherche et de l’innovation (DGRI). Pour traiter un dossier et formuler son avis sur une opération d’investissement, il peut saisir des acteurs divers de l’écosystème de la recherche : les établissements ou opérateurs qui entretiennent des relations commerciales ou scientifiques avec la société cible, via leurs fonctionnaires de défense et de sécurité respectifs ; les sociétés d’accélération du transfert de technologies (SATT), via leurs référents sécurité économique ; les délégations régionales académiques à la recherche et à l’innovation (DRARI), notamment lorsque la société-cible est bénéficiaire du crédit d’impôt recherche ([98]).

Dans les dossiers liés à la recherche médicale ou à l’industrie sanitaire, le service du HFDS des ministères sociaux est lui aussi amené, sur la sollicitation du CIEF, à produire une expertise sectorielle. Pour cela, il prend en compte un faisceau d’indices fondés sur une analyse de l’impact économique de l’entité-cible et un examen de la sensibilité technique de ses activités au regard de l’impératif de protection de la santé publique. Au terme de cette analyse, le service du HFDS adresse à la DG Trésor un avis qui indique : « (i) si l’activité de l’entité objet de l’investissement est éligible au contrôle IEF, (ii) si elle en relève mais que l’autorisation doit être assortie de conditions, ou (iii) si l’opération doit être refusée. Afin de satisfaire aux exigences de proportionnalité du contrôle, les conditions proposées sont précisément motivées et comprennent (i) le fondement juridique de l’éligibilité, (ii) une description précise des activités de l’entité objet de l’investissement, et (iii) une identification des éventuels risques d’atteinte aux intérêts de la défense nationale, à l’ordre public et à la sécurité publique. » ([99])

Dans les faits, la proportion importante de saisines effectuées par la DG Trésor auprès des services ministériels au regard du nombre de dossiers déposés auprès du CIEF et la régulière concordance observée entre les avis de ces administrations et la décision ministérielle finale permettent de conclure à la qualité de cette démarche interministérielle. Il a ainsi été souligné au cours des auditions que, de manière générale, la direction générale du Trésor et les services des HFDS ministériels adoptaient une démarche fondée sur la concertation et la recherche de consensus. Les cas de divergence quant au sens de la décision finale à rendre demeurent donc rares.

Nombre de saisines des services sectoriels par le CIEF en 2024

Service saisi par la DG Trésor
ou par le SISSE

Nombre de saisines sur l’année 2024

Effectifs consacrés par les services saisis

Service de défense et de sécurité des ministères sociaux (recherche médicale, industrie de la santé)

160 saisines par la DG Trésor.

1 ETP.

Service de défense et de sécurité du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche

Une cinquantaine de dossiers (augmentation constante par rapport aux dernières années).

0,2 ETP de catégorie A.

Direction générale de l’armement

50 % du flux annuel des dossiers déposés auprès de la DG Trésor.

Absence de donnée

Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives

40 sollicitations sur des dossiers IEF pour la direction de la sécurité et de la sûreté nucléaire (DSSN) du CEA ; saisines annexes de la direction des applications militaires par le ministère des armées pour les activités de défense.

Absence de donnée

Source : Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques.

b.   Un suivi des conditions partagé sous le pilotage du SISSE

– La rationalisation du suivi. Depuis 2019, le service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE) coordonne, en lien avec les départements ministériels concernés, le suivi des engagements imposés aux investisseurs au titre de la procédure IEF. Constatant des lacunes en termes de contrôle du respect des conditions, le SISSE a mis en place en 2023 un dispositif interministériel de suivi des engagements, qu’il a déployé à large échelle. Comme le notent les agents du CIEF, « la mise en place de ce dispositif de suivi garantit la crédibilité dans la durée du mécanisme de contrôle des IEF » ([100]). Dans la pratique, le dispositif repose sur, d’une part, des contrôles documentaires synthétiques (contrôle sur pièces, par l’analyse des rapports annuels fournis par les investisseurs relativement à leur application des engagements contractés), réalisés tous les ans par les services des HFDS des ministères exerçant une compétence sectorielle sur le champ couvert par l’activité objet de l’investissement ; et, d’autre part, des contrôles sur place.

Dans ce second cas de figure, l’objectif du SISSE est de contrôler l’intégralité des lettres d’engagement sur une base glissante de 5 ans, dans un contexte marqué par une forte augmentation du nombre d’autorisations sous conditions (+ 65 % en 2024 par rapport à 2023), le vivier des entreprises actuellement soumises à de pareilles conditions s’élevant approximativement à un demi-millier. À ce rythme, le service organise une centaine de contrôles par an, 90 % des audits 2024 ayant consisté en des visites sur site réalisées par les 23 délégués à l’information stratégique et à la sécurité économiques (DISSE) ([101]). En 2024, le service a notamment mobilisé 3 ETP supplémentaires en région pour suivre au plus près le respect des engagements.

Les conditions imposées aux investisseurs

Dès lors que l’autorisation de l’investissement est préférable à un refus, le ministre chargé de l’économie peut l’assortir de conditions « visant à assurer que l’investissement projeté ne portera pas atteinte aux intérêts nationaux » ([102]).

Ces conditions peuvent avoir pour objet d’assurer la pérennité et la sécurité des activités sensibles exercées par la société-cible française, notamment en veillant à ce que les activités ne soient pas soumises à la législation d’un État étranger ; d’assurer le maintien et la protection des savoirs et du savoir-faire de la société-cible française, afin de faire obstacle à leur captation ; d’adapter les modalités d’organisation interne et de gouvernance de l’entité-cible, ainsi que les conditions d’exercice des droits acquis par l’investisseur à la faveur de la transaction ; ou encore de fixer les modalités d’échange des informations entre les parties prenantes à l’investissement et les services de l’État compétents en matière de contrôle des conditions, signataires de la lettre d’engagement ([103]).

– Le renforcement de la démarche interministérielle. La programmation annuelle des contrôles par le SISSE associe étroitement les services ministériels compétents. Les représentants du service de défense et de sécurité des ministères sociaux ont ainsi indiqué qu’il revenait aux services des HFDS « de prioriser les actions de suivi des conditions en fonction de l’échéance des engagements stipulés dans la lettre de conditions, de la criticité des produits ou des activités de la cible française ou de facteurs de risques conjoncturels (détérioration de la situation financière de la société, signaux d’alerte laissant penser à un potentiel non-respect des engagements par l’investisseur étranger) » ([104]). Élaborée sur la base de ces informations par le SISSE, la programmation annuelle des visites sur site est donc fondée sur des critères objectifs portant sur la criticité des activités de l’entreprise, la sensibilité des informations traitées, l’historique des contrôles et la bonne représentativité de la répartition géographique ([105]).

Dans les faits, les services entendus par la mission estiment satisfaisante l’application des conditions, quoiqu’il n’ait pas été possible pour vos rapporteurs de vérifier cet état de fait en raison du caractère secret des lettres d’engagement, qui en rend tout audit impossible.

– Les spécificités de la DGA. À la différence des autres ministères, le ministère des armées assure lui-même, sans implication du SISSE, le suivi des conditions imposées aux investisseurs. Chargée du contrôle de ces engagements, la DGA a réalisé en 2024 70 opérations sur place (sur les 1 000 visites réalisées au cours de l’année dans des entreprises de la BITD), sur un stock d’environ 200 lettres actives. La connaissance du tissu industriel et les capacités en termes de ressources humaines de la DGA expliquent cette différence avec les autres services dans le rythme des contrôles.

D.   UNE COHÉRENCE EXTERNE EN NETTE PROGRESSION

Enfin, la qualité du contrôle IEF s’apprécie également en termes de cohérence externe : c’est-à-dire au regard de l’insertion de ce filtrage dans un écosystème sécuritaire complet. Dans cette perspective, la politique de sécurité économique, dans laquelle prend place le contrôle IEF, a connu une véritable structuration au cours des dernières années.

a.   La mise en place d’un schéma interministériel de veille

– Un suivi des risques formalisé. En lien avec le coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT), le SISSE assure depuis 2020 la coordination d’un réseau opérationnel de surveillance des alertes de sécurité économique. Ces alertes sont traitées par le comité de liaison en matière de sécurité économique ([106]), qui réunit le CNRLT, les représentants des ministères (dont les services des HFDS) et le SISSE, sous la présidence du SGDSN. En outre, le SISSE assure avec le CNRLT la co-présidence du Comité d’orientation pour le renseignement d’intérêt économique (CORIE), qui réunit les services de renseignement sur le volet du renseignement économique. Ces deux cercles, qui permettent la circulation des informations clés entre les services, sont susceptibles d’être saisis dès lors que la réalisation d’un IDE dans un domaine stratégique peut constituer une menace pour la souveraineté française.

– Une contribution croissante des HFDS. Pour assurer la détection des menaces relatives aux influences étrangères susceptibles de se manifester par le biais de transactions internationales, les services des HFDS ministériels établissent chaque année une stratégie qui est propre aux domaines d’activité de leur champ sectoriel, afin de préserver la résilience des entités critiques de ces secteurs : dispositif de sécurité des activités d’importance vitale (SAIV), zones à régime restrictif (ZRR), plans de défense, dispositif des opérateurs de services essentiels (OSE), etc. La mise en œuvre de ces mécanismes contribue à l’identification des entités et des actifs stratégiques, et dont la captation ou le détournement par une entité étrangère serait susceptible d’entrer dans le champ d’éligibilité du contrôle IEF.

b.   Une complémentarité renforcée entre les différents outils sécuritaires

Facette emblématique de la politique de sécurité économique, le contrôle IEF coexiste avec d’autres mécanismes de sauvegarde économique déployés par l’État pour garantir la protection des intérêts stratégiques de la nation ([107]). Outre la réglementation IEF, ces actions relèvent de divers outils qui peuvent être mobilisés non seulement en parallèle du contrôle des IDE, mais aussi pour assurer la protection de secteurs stratégiques qui ne relèvent pas (ou pas encore) de la réglementation IEF : contrôle des exportations sensibles, dispositif de protection du potentiel scientifique et technique de la nation, autres vecteurs défensifs à l’image des habilitations ou actions de sensibilisation diverses. Les représentants du service de protection physique et du secret à la direction de la sécurité et de la sûreté nucléaire du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives ont ainsi indiqué à vos rapporteurs qu’ils réalisaient dans ce cadre, chaque année, un travail de sensibilisation d’environ 1 000 chercheurs ([108]).

III.   EN EUROPE, UN FILTRAGE DES IDE EN VOIE DE MODERNISATION

La mise en œuvre, en France, de l’arsenal réglementaire issu de la loi PACTE ([109]) a coïncidé avec un certain nombre de réformes structurelles des dispositifs nationaux de filtrage en Europe (Grande-Bretagne, Allemagne, Italie, Pays‑Bas, Autriche, Pologne, Espagne, etc.), en parallèle de l’entrée en vigueur du règlement européen de 2019, destiné à favoriser la coordination entre les États membres de l’Union européenne en la matière.

A.   LA RÉFORME DES MÉCANISMES DE FILTRAGE NATIONAUX

1.   Dans le monde, une appréhension accrue des risques liés aux IDE

Au nom de la préservation de la souveraineté nationale, les politiques de l’investissement en Europe ont connu ces dernières années une inflexion sensible. Alors qu’il était traditionnellement admis que l’investissement international constituait un outil « bénéfique à la fois pour les économies d’accueil et d’origine aussi bien que pour les entreprises qui en sont les premiers acteurs » ([110]), un nombre croissant d’États occidentaux ont amélioré leur prise en compte des risques associés aux opérations internationales dans les secteurs stratégiques. Aujourd’hui, 80 % des 61 États qui participent aux tables rondes de l’OCDE sur la liberté de l’investissement disposent d’instruments de filtrage des IDE ([111]).

Typologie des mécanismes de filtrage des IDE dans le monde

D’un point de vue théorique, il existe trois types de contrôle des IDE dans le monde :

Les contrôles à notification obligatoire, pratiqués ex ante par un organe gouvernemental avant la réalisation de l’opération financière transnationale, et associés à l’existence d’une obligation imposée à l’investisseur étranger de demander une autorisation aux autorités du pays d’accueil (France).

Les contrôles à notification volontaire, qui donnent la possibilité à tout moment aux autorités nationales de contrôler le résultat d’une opération. Le dispositif de notification volontaire permet aux investisseurs de signaler, sur le principe du volontariat, la réalisation de leur investissement, afin de s’assurer que celle-ci ne sera pas amenée, par la suite, à remettre en cause la réalisation de l’investissement au nom de la souveraineté économique du pays d’accueil de l’opération.

Les contrôles hybrides, à mi-chemin entre ces deux types de régimes : existence d’une liste assez restrictive de secteurs dans lesquels les investisseurs sont soumis à une obligation d’autorisation (notification obligatoire a priori) et ensemble non défini d’activités pour lesquelles un contrôle peut être réalisé par l’autorité nationale dès lors que sont en jeu des facteurs de souveraineté (États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne).

a.   Évolution quantitative du nombre d’États pratiquant un filtrage

À rebours de l’ouverture croissante des économies, le pourcentage d’IDE mondiaux susceptibles de faire l’objet d’un examen dans le cadre d’un dispositif de filtrage national est progressivement passé de 37 % en 1990 à 59 % en 2020 ([112]). En contrepoint peut être observée une augmentation linéaire de long terme de la proportion de pays membres de l’OCDE disposant d’un mécanisme de filtrage des investissements étrangers, signalant entre 1990 et 2020 une lente progression de la prise en compte des enjeux sécuritaires par les États : en effet, cette proportion passe de 23 % en 1990 à environ 58 % en 2020 ([113]).

Les années 2016-2020 sont particulièrement marquées par une augmentation exponentielle du nombre de mesures relatives aux mécanismes de filtrage dans les 38 pays membres de l’OCDE. Cette dynamique quantitative se traduit également par une augmentation du nombre de décisions prises en vertu des mécanismes de filtrage.

Augmentation du nombre de transactions faisant l’objet d’un filtrage

Source : OCDE, Évolutions des politiques de l’investissement dans 61 économies (2021-2023), avril 2023, p. 10.

b.   Évolution qualitative des mécanismes de filtrage

De plus, une évolution qualitative des mécanismes existants, signalant une augmentation de la portée des filtrages, peut être observée. Cette tendance s’est traduite, en 2020, outre l’entrée en vigueur du mécanisme européen de coopération, par les réformes des dispositifs de filtrage en France, au Japon, aux États-Unis, en Italie, en Australie, en Hongrie, en Espagne, en Allemagne, en Autriche, en République tchèque, en Finlande, en Corée, en Lituanie, aux Pays-Bas et en Nouvelle‑Zélande. En outre, la même année, le Danemark, la Slovénie, la Suède et le Royaume-Uni ont annoncé la mise en place d’un mécanisme de contrôle. Ces réformes se manifestent par l’abaissement des seuils de déclenchement du contrôle et l’augmentation du nombre de secteurs soumis à la réglementation.

– L’effet accélérateur des crises mondiales. En pratique, les crises mondiales (énergétiques, sécuritaires, sanitaires, etc.) constituent un puissant accélérateur de la prise en compte des risques sécuritaires dans les politiques de l’investissement ([114]). Cet effet d’accélération s’est parfaitement illustré au moment de la crise sanitaire (2020) et au début de la guerre d’agression de l’Ukraine par la Russie (2022). À titre d’illustration, les bouleversements économiques provoqués par la pandémie de Covid-19 ont eu pour conséquence d’inciter de nombreux pays à ajouter le secteur de la santé (biotechnologies, intrants pour la fabrication de médicaments, équipements médicaux, biens à double usage entrant dans le champ des industries sanitaires) dans la liste des technologies et des secteurs protégés.

– L’élargissement du champ des secteurs protégés. Dans ce contexte, le champ des secteurs faisant l’objet d’une protection par un mécanisme de filtrage tend à s’élargir de manière notable dans la plupart des pays membres de l’OCDE. Initialement centrés sur les investissements internationaux intervenant dans les secteurs liés à la défense ou à la sécurité nationale, les mesures de filtrage se sont progressivement appliquées aux infrastructures et aux technologies critiques, comme cela a été le cas en France.

portée des secteurs couverts par un mécanisme de filtrage (OCDE)

Source : OCDE, Évolutions des politiques de l’investissement dans 61 économies (2021-2023), avril 2023, p. 10.

2.   En Europe, un tournant sécuritaire des réglementations

a.   Une fréquence des contrôles liées aux IDE en nette hausse

– L’intensification des mesures de filtrage. Dans les pays européens, les dernières années ont été marquées par une intense activité du filtrage des IDE. En 2023, 1 808 demandes d’autorisation d’IDE ont été traitées par les contrôles nationaux (dont 309 par le CIEF en France, soit un sixième du total européen) : 56 % de ces demandes ont fait l’objet d’un filtrage formel et 44 % ont été jugées inéligibles (contre respectivement 55 % et 45 % pour 2022). Parmi les dossiers ayant fait l’objet d’un filtrage, 85 % ont bénéficié d’une autorisation sans condition (contre 86 % en 2022) et 10 % consistent en des approbations assorties de conditions (contre 9 % en 2022) ; 1 % seulement des demandes se sont vu opposer un refus ([115]).

– La création de nouveaux mécanismes de filtrage. En outre, sept États membres, auparavant dépourvus de contrôle des IDE au début de l’année 2024, ont entrepris la mise en place de ces dispositifs : la Belgique (adoption en novembre 2022), la Bulgarie (adoption de la nouvelle législation le 22 février 2024), l’Estonie (adoption d’une loi sur l’évaluation de la fiabilité des investissements étrangers en janvier 2023), l’Irlande (adoption en octobre 2023 de la loi sur le filtrage des transactions de pays tiers), le Luxembourg (juillet 2023), la Slovaquie (mars 2023) et la Suède (décembre 2023). En outre, la Croatie, la Chypre et la Grèce avaient commencé en 2024 à étudier l’élaboration d’un mécanisme de filtrage des IDE.

b.   La réforme des principaux mécanismes existants

évolutions récentes des réglementations en matière d’IDE dans l’UE

Pays

Réforme

Exemples de mise en œuvre du filtrage

Allemagne

Réforme en 2020 et en 2021 du mécanisme allemand de contrôle des IDE : abaissement des seuils de détention, élargissement des secteurs stratégiques et renforcement des pouvoirs de l’autorité de contrôle.

- Veto opposé par le gouvernement allemand au rachat de Siltronic, fabricant de plaquettes en silicium, par le groupe taïwanais GlobalWafers (2022).

Espagne

Création en 2020 d’un dispositif obligatoire d’autorisation préalable à destination des investisseurs hors-UE et AELE pour les acquisitions portant sur au moins 10 % du capital dans des entreprises espagnoles des secteurs de la défense et des technologies et biens à double usage.

- Au cours de la vente d’ITP Aero, équipementier aéronautique espagnol (2022), conditionnement du rachat par le fonds américain Bain Capital à une prise de participation d’acteurs espagnols à hauteur de 30 % du capital (SAPA Placencia et JB Capital).

Italie ([116])

Décret-loi du 8 avril 2020 : extension quantitative de la liste des secteurs stratégiques (secteur financier, infrastructures critiques, santé, sécurité alimentaire, accès aux données personnelles, robotique, semi-conducteurs, cybersécurité, biotechnologies) et renforcement qualitatif de la portée du dispositif (élargissement de l’obligation de notification aux investisseurs européens pour toute prise de participation majoritaire et création d’une obligation de notification pour tout projet de prise de participation d’au moins 10 % du capital d’une entreprise stratégique dès lors que la valeur de l’acquisition dépasse le million d’euros).

Décrets n° 179 et 180 des 18 et 23 décembre 2020 : nouvelle clarification de la liste des secteurs stratégiques.

- Rachat bloqué du constructeur automobile Iveco par le groupe industriel chinois FAW Group (2021).

- Veto opposé par le gouvernement italien au rachat de la société LPE (fabricant d’équipements pour les supraconducteurs) par le groupe chinois Shenzhen Investment Holdings (2024).

Source : Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques ([117]).

D’autre part, suivant en ce sens les recommandations émises par la Commission européenne dans ses lignes directrices relatives à l’application du règlement 2019/452, dix États membres ont renforcé en 2023 et en 2024 leurs contrôles réalisés sur les investissements transnationaux dans les activités stratégiques : l’Allemagne, le Danemark, l’Espagne, la France, la Hongrie, l’Italie, la Lettonie, les Pays-Bas, la Pologne et la Slovénie ([118]).

Cette dynamique de création ou de renforcement des mécanismes de filtrage nationaux en Europe a également été mise en avant au cours des travaux de la mission. Selon la DG Trésor, « la part d’États membres de l’OCDE possédant un mécanisme de filtrage des IDE a augmenté de 60 % à 87 % entre 2012 et 2022. Dans l’Union européenne, à la fin de l’année 2024, 24 États membres de l’UE avaient ainsi adopté une législation sur le filtrage des IDE. Au sein de ces États, le champ d’application du régime tend à s’étendre et le régime français ne semble pas significativement plus restrictif que la moyenne des États membres de l’UE. » ([119])

B.   LE RENOUVELLEMENT DE LA COOPÉRATION COMMUNAUTAIRE

  1.   La mise en place du mécanisme de coopération européen

Mis en place par le règlement (UE) 2019/452 du 19 mars 2019 et entré en vigueur en octobre 2020, le cadre pour le filtrage des IDE dans l’Union complète les dispositifs nationaux de filtrage des IDE. À l’heure actuelle, il vise exclusivement les opérations d’investissement en provenance de pays tiers à l’Union et offre aux mécanismes de filtrage nationaux des outils de coopération entre États membres.

  1.   Une tentative d’harmonisation des pratiques de filtrage dans l’Union

– Détermination des caractères généraux des filtrages nationaux. Le cadre européen mis en place par le règlement vise d’abord à assurer la sécurité juridique et la transparence des contrôles nationaux des IDE. Dans cette perspective, le règlement précise, à des fins de sécurité juridique, les caractères généraux que doivent revêtir ces contrôles. Ainsi, les règles et les procédures (y compris les délais applicables) doivent être transparentes et ne pas créer de discrimination entre les pays tiers ; les États doivent définir clairement les conditions dans lesquelles un filtrage peut être déclenché et les règles de procédure applicables ; les informations confidentielles relatives au secret des affaires doivent faire l’objet d’une entière protection ; et les investisseurs étrangers ont la possibilité de former des recours contre les décisions de filtrage des autorités nationales ([120]).

En outre, à des fins d’information, le règlement prévoit la publication par chaque État membre d’un rapport annuel portant sur les IDE réalisés dans leur territoire et sur l’application de leurs mécanismes de filtrage ; la Commission est quant à elle chargée de présenter au Parlement et au Conseil un rapport annuel sur la mise en œuvre du règlement 2019/452.

– Définition des facteurs de l’analyse. De plus, le règlement définit un ensemble de facteurs susceptibles d’être pris en considération par les États membres ou la Commission, dont l’identification a vocation à renforcer la sécurité juridique des contrôles nationaux : d’une part, un ensemble non limitatif de secteurs sensibles (effets potentiels de l’IDE sur les infrastructures critiques, les technologies critiques et les biens à double usage, l’approvisionnement en intrants essentiels, l’accès aux informations sensibles, la liberté et le pluralisme des médias) ; d’autre part, un ensemble de caractéristiques relatives à l’investisseur (existence d’un contrôle de l’investisseur par un État tiers, participation à des activités portant atteinte à la sécurité ou à l’ordre public d’un État membre de l’Union, existence d’un risque grave que l’investisseur exerce des activités illégales ou criminelles) ([121]).

– Respect de la subsidiarité. Ce cadre européen, qui vise à l’organisation d’une coopération renforcée entre les États membres et la Commission afin d’améliorer la protection des actifs stratégiques face aux stratégies d’influence en provenance de pays tiers, respecte la seule responsabilité des États en matière d’identification de la menace que peuvent représenter certains IDE sur leur territoire ([122]). Comme l’ont souligné les représentants de la direction générale du Commerce de la Commission européenne, « le cadre européen n’a pas vocation à se substituer au contrôle IEF : il s’agit d’un mécanisme de coopération additionnel, qui reflète l’exposition commune des États membres aux menaces liées à certains IDE. Il y a en effet dans le marché intérieur la nécessité de prendre en compte des éléments de sécurité essentiels pour plus d’un État membre » ([123]).

– Mécanisme de notification. Le règlement européen porte création d’un mécanisme de notification, de la part des États membres à la Commission et aux autres États, de la réalisation de tout IDE soumis à un filtrage national ([124]), indiquant notamment : la structure de propriété de l’investisseur étranger, la valeur de l’investissement, le financement et la source de l’investissement, etc. En retour, dès lors qu’un État considère que l’IDE considéré, après avoir fait l’objet d’une notification, est susceptible de porter atteinte à sa sécurité ou à son ordre public, il peut adresser des commentaires à l’État procédant au filtrage, lesquels sont également transmis à la Commission ([125]). Indépendamment des commentaires réalisés par les États membres, la Commission peut également émettre un avis, dès lors qu’elle estime que l’IDE faisant l’objet d’un filtrage national est susceptible de porter atteinte à la sécurité ou à l’ordre public de plus d’un État membre ([126]).

Modalités pratiques du processus de notification communautaire

La mise en œuvre des notifications prévues par le cadre européen fait l’objet de deux phases d’analyse distinctes.

- Dans un premier temps (« phase 1 »), les transactions notifiées par les administrations des États membres font l’objet d’une évaluation préliminaire générale ;

- Dans un second temps (« phase 2 »), les dossiers qui n’ont pas été clôturés par un avis de la Commission font l’objet d’une évaluation plus précise, en particulier lorsqu’ils sont susceptibles de porter atteinte à la sécurité ou à l’ordre public dans plus d’un État membre, d’engendrer des risques spécifiques pour des programmes présentant un intérêt communautaire, ou bien de porter sur des infrastructures critiques, des technologies critiques, des biens à double usage, ou l’accès à des informations sensibles ([127]). Au terme de cette seconde phase, la Commission peut choisir d’émettre un avis sur l’IDE considéré, et recommander des mesures ou partager des informations à destination de l’État notifiant, afin de l’accompagner dans sa prise de décision.

b.   La hausse sensible de la coopération européenne

D’après le rapport annuel 2024 de la Commission européenne consacré au filtrage des investissements directs étrangers dans l’Union ([128]), 18 États ont procédé en 2023 à 488 notifications auprès de la Commission européenne, en vertu de l’article 6 du règlement sur le filtrage des IDE (contre 421 notifications en 2022, effectuées par 17 États membres, et 414 notifications en 2021). Sur la période 2021‑2023, on assiste ainsi à une augmentation de 18 % du nombre des notifications ; en parallèle, le nombre d’États se saisissant du mécanisme de coopération est passé de 14 en 2021 à 18 en 2023. Pour l’année 2023, 85 % de ces notifications ont été effectuées par seulement 7 États membres (France, Allemagne, Italie, Autriche, Danemark, Roumanie, Espagne).

Les principaux secteurs dans lesquels sont intervenus les IDE qui ont fait l’objet d’une notification au mécanisme de coopération en 2023 sont : l’industrie manufacturière (23 % des transactions), les technologies de l’information et de la communication (14 %), le commerce de gros et de détail (11 %), les activités financières (11 %) et les activités spécialisées (21 %).

2.   Le projet de révision du règlement 2019/452

a.   Les limites du mécanisme de coopération

Depuis l’adoption du règlement (UE) 2019/452, les questions relatives à la protection de la sécurité et de l’ordre public ont pris, dans l’espace européen, une importance notable, dans un contexte où un nombre croissant d’États membres ont réformé leurs contrôles nationaux. D’après le rapport annuel 2024 sur le filtrage des IDE dans l’Union, la Commission estime que le mécanisme de coordination issu du règlement de 2019 « a eu une incidence positive sur la protection de la sécurité et de l’ordre public contre les IDE à risque dans l’UE » ([129]).

Cependant, plusieurs lacunes ont pu être identifiées, à commencer par la complexité réglementaire accrue pour les parties aux transactions qui résulte de ce nouvel outil, ainsi que la fragmentation qui persiste entre les différents mécanismes nationaux ([130]). La synchronisation des dispositifs entre les États européens demeure aujourd’hui un défi à relever (champ d’application, délais, types d’activités et secteurs couverts, modalités des décisions de l’autorité nationale, critères d’évaluation des risques, etc.). Dans ce contexte, la Commission estime que « cette fragmentation […] peut gravement nuire à l’efficacité et à l’efficience du mécanisme de coopération, créer des obstacles au sein du marché intérieur et réduire l’attrait de l’UE pour les investissements étrangers. » ([131])

En outre, la Cour des comptes européenne, dans son rapport spécial 27/2023 consacré au filtrage des investissements directs étrangers dans l’UE ([132]), observe, trois ans après l’entrée en vigueur du dispositif, qu’il « subsiste […] au niveau de l’EU27 des limites importantes qui nuisent à l’efficacité et à l’efficience du cadre lorsqu’il s’agit de prévenir les risques pour la sécurité et l’ordre public » ([133]). Il s’agit, en particulier, des lacunes en termes de coordination liées à l’application du règlement, à la définition des secteurs critiques et à l’interprétation par les États des concepts-clés du contrôle. En conséquence, la Cour formule un ensemble de recommandations destinées à améliorer le cadre européen : modifier le règlement en remédiant aux zones d’ombre existantes ; évaluer la conformité des mécanismes nationaux avec les normes réglementaires et renforcer le processus d’établissement de rapports, dans une logique d’évaluation.

b.   Une proposition de révision du règlement

Prenant en compte ces critiques, la Commission a adopté le 24 janvier 2024 cinq initiatives visant à renforcer la sécurité économique de l’Union, l’une d’entre elles consistant en une proposition de révision du règlement de 2019. Considérant que le cadre établi en 2019 a atteint son objectif, avec un mécanisme formel permettant aux États membres et à la Commission d’échanger des informations sur les IDE, celle-ci propose un nouvel instrument législatif, prévoyant :

● l’obligation pour tous les États membres de mettre en place un dispositif de contrôle des IDE pour des motifs de sécurité et d’ordre public ;

● l’extension du mécanisme de coopération aux investissements effectués entre États membres par un investisseur de nationalité européenne, mais contrôlé directement ou indirectement par une entité étrangère à l’Union – alors que le règlement 2019/452 s’appliquait jusqu’alors seulement aux opérations réalisées dans l’Union par des investisseurs expressément originaires de pays tiers ;

● la prise en compte des investissements de création effectués par des entités étrangères dans les pays de l’Union ;

● une liste précise des actifs stratégiques et des technologies critiques devant faire l’objet d’une surveillance renforcée.

Le 8 avril 2025, la commission du commerce international du Parlement européen a adopté les règles révisées du projet de règlement pour le filtrage des IDE dans l’UE, incluant notamment une extension des obligations de contrôle à l’attention des États aux secteurs des médias, des matières premières critiques et des infrastructures de transport. Le projet de règlement devra ensuite être examiné par le Parlement européen en séance plénière, avant de faire l’objet de négociations entre les États membres.

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*     *

 


PARTIE II :
LE CONTRÔLE DES INVESTISSEMENTS ÉTRANGERS EN FRANCE (IEF) DOIT ENCORE FAIRE L’OBJET D’AMÉLIORATIONS,
DANS UNE LOGIQUE DE SÉCURITÉ ÉCONOMIQUE,
DE TRANSPARENCE ET DE SOUVERAINETÉ

Dans la pratique, le contrôle IEF est devenu l’instrument le plus visible de la politique de sécurité économique. La réglementation a connu de nombreuses évolutions (abaissement des seuils, ajout des filiales et des succursales étrangères sur le territoire français, extension des secteurs stratégiques), destinées à mieux prendre en compte les stratégies d’influence économique étrangère, et qui ont amélioré la portée du dispositif. De fait, selon la direction générale du Trésor, il n’existerait aujourd’hui plus aucune « nécessité d’évolution du cadre juridique du contrôle IEF, qui est désormais suffisamment large pour couvrir les intérêts nationaux. Les dernières insuffisances du régime ont récemment été comblées par le décret et l’arrêté du 28 décembre 2023, qui ont conduit à nouvelle extension du champ des opérations et des activités contrôlées. Une priorité doit désormais être accordée à la stabilisation du cadre réglementaire. » ([134])

Cependant, les intérêts de la nation sont aussi évolutifs que changeants. Ils requièrent en permanence une véritable adaptation des outils sécuritaires, afin de systématiquement repousser, à défaut de toujours les anticiper, les risques protéiformes corrélés aux IDE dans les secteurs stratégiques. Or, les limites de l’outil IEF se sont à maintes reprises révélées, souvent à l’occasion de cessions polémiques : insuffisant ciblage des outils de contrôle, vulnérabilités nombreuses, listage incomplet des intérêts stratégiques de la nation, manque de coordination entre les outils de sécurité économique, carence d’une vision globale, failles multiples dont peuvent profiter des investisseurs malintentionnés ou des nations concurrentielles.

Vos rapporteurs estiment qu’il est urgent de mettre en œuvre d’indispensables efforts de pédagogie, de clarification et de transparence. En termes de cohérence globale, au-delà d’une modification du code monétaire et financier, la question semble d’abord être celle de la promotion d’une culture de la protection et de la sécurité économique. Cette réforme du contrôle des investissements étrangers en France devra embrasser plusieurs axes : un élargissement des cas d’éligibilité au dispositif, dont l’architecture et la précision pourraient être remaniées ; une meilleure insertion du filtrage au sein de la politique de sécurité économique ; enfin, un renforcement substantiel de la transparence du contrôle IEF. Ce troisième axe constitue pour vos rapporteurs une absolue priorité, car c’est en créant un véritable contrôle parlementaire sur le filtrage des IEF que l’efficacité de ce mécanisme pourra connaître une véritable amélioration.

  1.   LE DISPOSITIF DE FILTRAGE RÉVÈLE DES LIMITES PRÉJUDICIABLES

A.   UNE ARCHITECTURE GLOBALE À RÉNOVER

1.   Les revers du contrôle des IDE en France

a.   Une quantité problématique de cessions stratégiques

– Un ensemble critique de cessions stratégiques. Comme le rappelait récemment un article dans Les Échos consacré aux dix ans de l’affaire Alstom, « la reprise de la branche énergie et des turbines d’Alstom pour les réacteurs nucléaires [en 2015], qui a cristallisé le procès en abandon de souveraineté, reste à ce jour, côté américain, la plus grosse acquisition jamais réalisée en France ces dix dernières années » ([135]). En dix ans (entre 2014 et 2024), les États-Unis ont réalisé 132,2 milliards de dollars d’investissements en France pour racheter 1 571 entreprises françaises ([136]). Cependant, ces acquisitions américaines en France s’inscrivent en contrepoint de la réalisation par la France d’investissements aux États-Unis à hauteur de 232 milliards de dollars sur la période 2014-2024, pour le rachat de 1 177 entreprises – total par conséquent bien supérieur à la somme des investissements américains sur le sol français.

Exemples de transactions entre la France et les ÉTats-Unis

Rachats emblématiques d’entreprises françaises par des fonds américains

Rachats tricolores aux États-Unis

2015

Branche « énergie » d’Alstom

2016

Rachat de la société Airgas par le français Air Liquide

2017

Entreprise parapétrolière Technip (rachat par FMC en 2017, suivi d’une scission)

2018

Rachat de Bioverativ par Sanofi

2025

Opella (ouverture du capital à plus de 50 % au fonds CD&R)

2023

Rachat de la société de cybersécurité Imperva par Thalès

Source : Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, d’après Anne Drif, « Alstom, Technip, Doliprane… en dix ans, les États-Unis se sont offert plus de 130 milliards de dollars de fleurons français », in : Les Échos, 10 février 2025.

Dans ce contexte, vos rapporteurs font le constat d’un retard dans l’identification par l’État des intérêts nationaux, qui a directement conduit à des cessions d’entreprises ou de technologies véritablement stratégiques pour la souveraineté économique française. Malgré l’analyse au cas par cas des dossiers IEF et les fréquentes actualisations du décret, de nombreux exemples de cette défaillance peuvent être identifiés : l’entrée en 2000 au capital de Gemplus, spécialiste mondial de la fabrication de cartes à puce, du fonds américain Texas Pacific Group ; le rachat d’Arcelor par le groupe indien Mittal Steel en 2006 ; la vente des turbines d’Alstom équipant les sous-marins nucléaires à General Electric en 2015 ; la vente d’Alcatel-Lucent, expert dans la fabrication des câbles sous‑marins, au groupe finlandais Nokia en 2015-2016 ; la vente de Morpho, filiale de Safran consacrée à la sécurité et à l’identification biométrique, devenue « Safran Identity & Security », à Oberthur Technologies, détenue par le fonds américain Advent International (conduisant à la création d’Idemia), en 2017 ; la vente de Technip (spécialiste de l’ingénierie pétrolière) au groupe américain FMC Technologies en 2017 ; l’acquisition de HGH, entreprise spécialisée dans les technologies infrarouges, par le fonds américain Carlyle, en 2018 ; la cession en 2018 de Manurhin, entreprise spécialisée dans la fabrication de munitions, au groupe de défense Emirates Defence Industries Company à la suite d’une procédure de redressement judiciaire ; la prise de contrôle de Latécoère par le fonds d’investissement Searchlight Capital en 2019 ; l’achat d’Exxelia, fabricant de sous‑systèmes de précision utilisés dans l’aviation et la défense, par le groupe américain Heico en 2023, etc. En vingt ans, plus de quinze entreprises stratégiques françaises sont passées sous pavillon étranger, malgré la vigilance de l’État dans ces secteurs.

Récemment encore, au terme d’une autorisation décrétée dans le cadre de la procédure IEF qui a abouti à l’application de conditions strictes et à une prise de participation de l’État à hauteur de 10 % des parts sociales de l’entreprise, le constructeur français Arquus, spécialiste des véhicules de transports et de reconnaissance Griffon et Jaguar, qui emploie 1 200 personnes sur le territoire national, a été racheté par le groupe industriel belge John Cockerill. Si les engagements fixés semblent exhaustifs, vos rapporteurs émettent des doutes sur la pertinence de telles cessions à l’heure où il semble plus essentiel que jamais de définir les conditions de notre souveraineté industrielle et militaire. De même, en février 2025, le fonds Tikehau Capital est entré en négociations exclusives avec le groupe américain Loar pour la cession de l’entreprise corrézienne LMB Aerospace, spécialisée dans la production des ventilateurs électriques qui équipent le Rafale, alors même qu’aucun fonds français ne s’était porté acquéreur. Vos rapporteurs encouragent le gouvernement à faire usage des outils dont il dispose avec le contrôle IEF, afin de ne pas livrer sans de fermes garanties une pépite technologique nationale à un investisseur américain, au détriment de notre souveraineté.

– Le cas Alstom. En 2018 et 2019, la commission d’enquête présidée par M. Olivier Marleix, chargée d’examiner les décisions de l’État en matière de politique industrielle avait concentré ses travaux sur trois cessions d’entreprises stratégiques : Alstom à General Electric, Alcatel à Nokia et STX à Fincantieri. Partant du constat que, « chaque semaine, 21 sociétés étrangères décident d’investir en France » ([137]), le rapporteur de la commission indiquait, au-delà des avantages que procurent ces investissements internationaux pour des dizaines de milliers d’entreprises, que ceux-ci peuvent occasionnellement représenter des menaces pour la sécurité nationale ou être « le fruit d’une tentative d’appropriation du patrimoine technique et scientifique de nos industries par une entité étrangère » ([138]) ; dans ce contexte, ils qualifiaient notamment la cession d’Alstom, d’Alcatel et de STX de traumatismes nationaux. Proposées pour remédier à la problématique cession d’Alstom, les voies d’amélioration identifiées par le rapport n’ont cependant pas encore été toutes mises en œuvre, alors même que les carences du contrôle IEF se cumulent avec un manque de vision globale de la souveraineté économique ([139]).

Recommandations de la commission d’enquête sur l’affaire Alstom

Pour résorber les lacunes qui ont poussé à la vente de fleurons français, le rapport de la commission d’enquête émet les recommandations suivantes :

- Mieux définir ce qui est stratégique, en raison de la forte disparité entre les définitions existantes. Dans ce cadre, le rapporteur recommandait d’étendre le champ couvert par le régime de contrôle à de nombreux secteurs d’avenir, dans une logique de plus grande flexibilité.

- Améliorer l’efficacité du processus de contrôle, en renforçant la veille stratégique via la mise en place d’un « mécanisme systématisé qui permette d’anticiper les risques de rachat des entreprises identifiées comme stratégiques » ([140]) et en consolidant l’information du Parlement.

- Affermir le contrôle des engagements pris par les investisseurs étrangers au nom de la garantie de la souveraineté économique.

b.   La médiatisation aiguë des projets avortés ou des rares vetos

– Des projets abandonnés de justesse. D’autres projets de cession n’ont été évités que de justesse, souvent en raison de l’implication de parlementaires dans le dossier : ainsi du projet de cession des Chantiers de l’Atlantique à la société italienne Fincantieri, en association avec un conglomérat chinois, abandonné à juste titre. Il en est allé de même en 2021 pour l’affaire Carrefour. Alors que le fondateur du groupe Alimentation Couche-Tard envisageait de déposer une offre publique d’achat (OPA) sur le groupe Carrefour pour un montant de 16 milliards d’euros, plusieurs parlementaires se sont emparés du sujet ([141]) ; en réponse, le ministre chargé de l’économie, M. Bruno Le Maire, avait fait savoir que l’État opposerait son refus à une pareille opération au nom de la garantie de la sécurité alimentaire nationale, avant même qu’une demande IEF ait été déposée ([142]).

En outre, certaines acquisitions ont fait l’objet à terme d’une reprise française négociée par l’État, palliant avec un préjudiciable retard la perte de souveraineté provoquée par leur vente à des investisseurs étrangers (rachat des turbines Arabelle par EDF en mai 2024 ; rachat des câbles sous-marins d’Alcatel à Nokia en juin 2024).

– Deux vetos médiatisés. Certaines cessions, jugées emblématiques, ont en outre suscité de vives réactions au sein du débat public, en particulier parmi les parlementaires inquiets de la sauvegarde de la souveraineté française : ces prises de parole, ces interpellations du gouvernement permettent souvent à l’opinion de prendre conscience de l’ampleur de la perte de souveraineté que pourrait déclencher tel ou tel projet de cession. Il en va ainsi des rares cas de blocage avérés, dans lesquels l’État a jugé que la mise en place de conditions n’était pas suffisante pour assurer la protection des secteurs concernés. Deux vetos formels ont été par exemple émis au titre du dispositif IEF : un premier opposé au rachat de Photonis par la société Teledyne en 2020, et le second au rachat de Segault et Velan SAS par Flowserve en 2023.

Dans le premier cas, le fonds de capital-investissement Ardian est entré, à la fin de l’année 2019, en négociations exclusives avec le groupe américain Teledyne Technologies pour la vente de Photonis, entreprise spécialisée dans le développement des technologies optroniques ([143]) et fournisseur de composants stratégiques pour les sous-marins nucléaires d’attaque et le Laser Mégajoule. L’investisseur américain souhaitait alors concevoir une grande entreprise dédiée aux technologies optroniques, à partir de la fusion entre Photonis et Flir Systems, qui soit en mesure de rivaliser avec Lynred (filiale de Safran et de Thalès) ([144]).

Soulignant les risques liés à la vente de cet actif stratégique, dix‑sept parlementaires français membres de la commission de la défense nationale et des forces armées ont signé le 27 novembre 2019 une tribune destinée à alerter le gouvernement sur les risques que la vente de cette entreprise pouvait faire courir à l’autonomie stratégique en matière de matériels militaires ; selon eux, l’acquisition par un groupe américain de la technologie photonique LIFI, développée par Photonis, risquait de provoquer l’intervention de la réglementation ITAR (International Traffic in Arms Regulations – réglementation américaine sur le trafic d’armes au niveau international) sur cette technologie, qui pourrait dès lors faire l’objet d’interdictions de vente à l’exportation par les États-Unis. En parallèle, plusieurs parlementaires ont fait usage de leur prérogative d’adresser des questions écrites au gouvernement, afin d’interroger les ministres de l’économie et des armées sur l’action de l’État pour sauvegarder la souveraineté française sur cette technologie stratégique ([145]).

Alors que le fonds Ardian avait accepté l’offre de rachat du groupe Teledyne sur le fondement d’une valorisation correspondant à 500 millions d’euros, le gouvernement a fait connaître son refus au titre du contrôle IEF, annonçant que l’État souhaitait préserver la souveraineté française sur les technologies optroniques développées par l’entreprise ([146]). En conséquence, Ardian a été contraint de céder Photonis au fonds luxembourgeois HLD, qui a obtenu une autorisation au titre du contrôle IEF, avec un rabais de 25 % sur le prix initial de la vente. Rebaptisée Exosens, l’entreprise a fait en juin 2024 son entrée à la Bourse de Paris.

Dans le second cas, en 2023, le gouvernement a opposé son refus au rachat de la PME Segault, équipementier concepteur des robinetteries utilisées pour les réacteurs nucléaires civils et les sous-marins nucléaires français et propriété du groupe canadien Velan, par l’américain Flowserve. À la suite de cette seconde décision de refus formulée au titre du dispositif IEF, l’entreprise a été rachetée à la fin du mois de mars 2025 par l’industriel Framatome (détenu à 80 % par EDF) et le groupe TechnicAtome (détenu en majorité par l’État français).

Dans d’autres cas, l’implication des parlementaires et la médiatisation du dossier n’ont pas suffi pour convaincre le gouvernement de la nécessité d’utiliser le décret IEF : ainsi de la vente d’Exxelia en janvier 2023 (malgré le maintien d’une golden share détenue par l’État français).

2.   Aménager l’architecture générale à l’aune des exemples étrangers

Au regard de ces revers qui ont manifesté les limites de notre dispositif de filtrage, vos rapporteurs considèrent que l’architecture globale du contrôle IEF pourrait être réaménagée pour faciliter l’intervention de l’État, dans un objectif de souplesse et de granularité, en s’inspirant de deux régimes étrangers, caractérisés par leur adaptabilité et leur étendue (quoi qu’ils soient très récents) : le système allemand et le système britannique.

a.   Affiner la portée des obligations en fonction de la sensibilité des actifs

Constatant l’impossibilité d’adapter les obligations imposées aux entreprises au degré de sensibilité des actifs considérés, vos rapporteurs jugent problématique que les mêmes obligations s’appliquent à tout projet d’IDE dans l’ensemble des 24 secteurs stratégiques du CMF. En effet, les activités de fabrication d’armes, les activités de cryptologie et les infrastructures essentielles pour la défense nationale ne présentent pas les mêmes enjeux en termes de souveraineté, au sens strict du terme, que d’autres activités. Aux entités économiques étrangères projetant de réaliser une acquisition dans l’un de ces domaines ultra-stratégiques, il est indispensable d’appliquer des obligations plus strictes, dans une logique de modulation inspirée de l’exemple allemand :

Une modulation des obligations reposant sur les investisseurs : l’exemple allemand

Le principe essentiel du système de filtrage allemand, amplement réformé en 2020 et en 2021, est celui d’une granularité très fine de l’analyse sectorielle, associée à une différenciation des obligations auxquelles se trouvent soumis les investisseurs étrangers. Ce système de filtrage repose sur le cumul entre deux régimes distincts :

- Un régime sectoriel d’examen (sektorspezifische Investitionsprüfung), qui s’applique à la prise de contrôle et à l’acquisition de parts dans des entreprises exerçant des activités dans trois domaines très stratégiques : fabrication d’armes, d’équipements militaires et de technologies de défense, technologies de cryptage et installations critiques pour la défense nationale. Un investisseur étranger (européen ou extra-européen) ayant pour projet de réaliser une opération d’acquisition dans un de ces trois secteurs se trouve dans l’obligation de solliciter l’autorisation du Bundesministerium für Wirtschaft und Klimaschutz (BMWK, ministère fédéral de l’économie et de l’énergie), via le dépôt d’une notification préalable, dès lors qu’il acquiert au moins 10 % des droits de vote dans cette entreprise ou qu’il fait l’acquisition de tout ou partie d’une branche d’activité.

- Un régime intersectoriel d’examen (sektorübergreifende Investitionsprüfung), qui s’applique à toute acquisition d’une société nationale ou à toute prise de participation dans une société allemande par un investisseur extra-européen (exemption des investisseurs européens pour ce régime de contrôle). Peut faire l’objet d’un examen dans le cadre de cette procédure toute opération susceptible de porter une atteinte probable à l’ordre public ou à la sécurité de la République fédérale d’Allemagne, au regard d’une liste non exhaustive de 27 secteurs stratégiques. Dans le cadre de cette seconde procédure, le seuil de prise de participation éligible au contrôle diffère ensuite selon le degré de sensibilité des activités mentionnées par la liste précitée :

-          sont éligibles dès lors que la prise de participation étrangère dépasse 10 % les opérations relatives aux infrastructures critiques, à la gestion des télécommunications, aux supercalculateurs, et aux médias ;

-          sont éligibles à partir du dépassement du seuil de 20 % les opérations intervenant dans l’ensemble des secteurs restants de la liste, et notamment les technologies critiques : semi-conducteurs, IA, impression 3D, technologies quantiques, etc. ;

-          sont éligibles à partir du franchissement du seuil de 25 % les opérations intervenant dans des activités non listées, dès lors qu’elles sont susceptibles d’avoir une incidence sur l’ordre public ou la sécurité nationale.

● D’une part, en abaissant le seuil de prise de participation à 10 % des droits de vote de l’entreprise-cible éligible au contrôle dans ces trois secteurs. S’il a indéniablement permis d’affiner le contrôle des IEF dans les secteurs stratégiques à certaines stratégies d’influence, l’abaissement du seuil de détention de 25 % à 10 % réalisé en 2023 ne s’applique aujourd’hui que dans les sociétés cotées. Or, comme le soulignait en 2022 le rapport d’information sénatorial consacré à la souveraineté économique de la France, cet élargissement du seuil d’éligibilité « exclut du bénéfice de [la] mesure les PME sous-traitantes, dont l’activité peut tout autant être stratégique pour l’économie française » ([147]). En conséquence, il semble utile, pour ce trio de domaines ultra-stratégiques, de procéder à un nouvel abaissement du seuil de détention, afin de prendre en compte tout l’écosystème des PME du secteur de la défense.

● D’autre part, en aménageant dans ces secteurs le critère de nationalité pour l’éligibilité au contrôle. Sont en effet exemptés, au titre du régime actuel, de tout contrôle dans le cadre d’une prise de participation dépassant le seuil de 25 % des droits de vote les investisseurs étrangers de nationalité européenne, ou ceux dont l’ensemble de la chaîne de contrôle est originaire de l’Union européenne ou de l’espace économique européen. Or, cette exemption, justifiée dans un grand nombre de nos secteurs stratégiques au regard de l’intégration du marché européen, l’est moins dans des secteurs qui touchent fondamentalement à notre souveraineté. Il serait donc envisageable de supprimer cette exemption dans ces trois secteurs.

C’est dans cette perspective que vos rapporteurs estiment qu’il est impératif de renforcer la protection des secteurs critiques, tout en évitant des blocages qui ne sont pas nécessaires lorsque les activités considérées revêtent un caractère moins sensible. Une telle architecture permettrait de différencier la nature des contrôles, selon une logique de « gradients de souveraineté », comme ont pu l’exprimer, au cours des auditions, certains interlocuteurs. Un tel ciblage serait à même de faciliter l’équilibre entre encadrement des prises de participation étrangères et protection des intérêts fondamentaux de la nation, sans obérer les perspectives de financement des entreprises stratégiques.

Proposition n° 1 : Aménager le cadre juridique du contrôle des investissements étrangers en France (IEF) pour mettre en œuvre un filtrage modulable et gradué, avec une différenciation des critères d’éligibilité (seuil de prise de participation et critère de nationalité) en fonction du degré de sensibilité de l’actif considéré.

b.   Modifier la temporalité du contrôle pour faciliter l’intervention de l’État

En outre, le code monétaire et financier ne prévoit aujourd’hui que la possibilité d’un contrôle a priori. Préjudiciable à plus d’un titre, cette situation interdit à l’État d’intervenir après la réalisation de l’opération, hors des cas de sanction et de régularisation ; il est, en conséquence, impossible de procéder à un contrôle de souveraineté sur une opération intervenue dans une activité non recensée par la liste, mais qui, pour un certain nombre de raisons (unicité du fournisseur, position stratégique sur un marché, situation de crise rendant tel produit indispensable, etc.), aurait acquis par la suite un caractère sensible qui justifierait l’imposition de conditions à l’investisseur.

Au contraire du régime français, le système britannique permet de telles interventions a posteriori des pouvoirs publics, dès lors que la sécurité nationale est en jeu. Ainsi, l’élargissement, dans le cadre du NSI Act, du système de callin notices à tous les cas où la réalisation de l’IDE porte atteinte à la sécurité nationale a permis au gouvernement britannique d’interdire, en 2020, les investissements réalisés par le groupe chinois Huawei dans le secteur des systèmes de communication au Royaume-Uni. Il en va de même pour le régime américain, où l’essentiel des notifications réalisées par les investisseurs auprès du Committee on Foreign Investment in the United States (CFIUS) sont effectuées de manière volontaire : celui-ci peut contrôler une opération à tout moment, y compris lorsqu’elle a déjà été conclue, sans prescription de temps, dès lors qu’il estime qu’il est compétent pour mener ce contrôle et que cette opération menace la sécurité nationale. Vos rapporteurs estiment que de pareils systèmes garantissent un contrôle efficient de souveraineté sur les secteurs stratégiques, l’intervention d’une enquête n’étant pas limitée par une logique temporelle trop restrictive.

Une modulation de la temporalité de l’intervention des pouvoirs publics : l’exemple britannique

En 2021, le National Security and Investment (NSI) Act a créé au Royaume-Uni un dispositif de contrôle des IDE pour des raisons de sécurité nationale. Ce filtrage consiste en un système hybride, reposant sur l’association entre une procédure de notification obligatoire et une procédure de pré-notification volontaire, et sur la possibilité pour le gouvernement britannique de procéder à l’examen de toute opération transnationale dès que celle-ci est susceptible de menacer la sécurité nationale (a priori comme a posteriori).

Entrées en vigueur le 4 janvier 2022, les dispositions de la loi NSI prévoient la création d’un mécanisme d’autosaisine, qui permet à l’administration d’examiner tout investissement étranger dont le gouvernement jugerait la réalisation néfaste pour la sécurité nationale. Ce mécanisme repose sur la prérogative accordée au secrétaire d’État chargé des affaires et du commerce d’émettre des « call-in notices », lui permettant d’obliger un investisseur à notifier son opération et de déclencher l’enquête administrative. Ce contrôle peut avoir lieu à n’importe quel moment, en amont ou en aval de l’opération, que la transaction ait été ou non notifiée au préalable au gouvernement, non seulement pour toute acquisition par un investisseur étranger d’une société liée à l’un des 17 secteurs jugés stratégiques ([148]), mais encore dès lors que la transaction est raisonnablement susceptible de conduire à la prise de contrôle d’une entité stratégique pour la sécurité nationale.

L’architecture du contrôle des IEF pourrait donc être aménagée afin d’accorder aux pouvoirs publics la possibilité d’obliger un investisseur à déposer une notification, y compris après la réalisation de l’opération, dès lors que celle‑ci a acquis un caractère sensible au regard des intérêts de la nation. Une semblable hybridation entre le régime français de filtrage, exclusivement a priori et reposant sur un seul mécanisme de demande obligatoire d’autorisation, et les systèmes britannique et américain, pourrait à cet égard être tout à fait appréciable.

Proposition n° 2 : Accorder à l’État la possibilité d’intervenir a posteriori de la réalisation d’une opération dans un secteur stratégique, dès lors que le justifient les enjeux de la sécurité nationale, selon l’exemple du régime britannique.

B.   DES CRITÈRES D’ÉLIGIBILITÉ QUI DOIVENT ENCORE ÊTRE ÉLARGIS

1.   Intégrer les investissements de création aux opérations éligibles

Précisément énumérées par le code monétaire et financier, les transactions éligibles au contrôle IEF sont de trois ordres : acquisition du contrôle, acquisition de tout ou partie d’une branche d’activité, et prise de participation au-delà d’un certain seuil. Cependant, certaines opérations, qui ne relèvent pas de celles ici mentionnées, peuvent également revêtir une importance stratégique et créer un risque pour la garantie des intérêts fondamentaux de la France.

– Investissements de création. Il en va ainsi des investissements de création, ou « greenfield investments », qui n’entrent pas dans le champ du règlement. Comme le précisent les lignes directrices de la DG Trésor, « seules les opérations d’investissement réalisées par un investisseur étranger dans des entités de droit français exerçant à la date de l’opération des activités sensibles […] nécessitent l’autorisation préalable du ministre. Par conséquent, les créations d’entités en France par un investisseur étranger pour développer une activité en France […] ne sont pas soumises au contrôle IEF » ([149]). Dans la mesure où 47 % des 1 815 projets d’IDE recensés en 2023 consistaient en des créations d’établissement ([150]), vos rapporteurs jugent cette situation hautement préoccupante.

Comparaison : la prise en compte des greenfield investments par le CFIUS

Traditionnellement, les investissements de création ne sont pas soumis au contrôle du CFIUS, sauf lorsqu’ils concernent des biens immobiliers situés à proximité d’installations sensibles : exception liée à la compétence du Committee en matière immobilière. La publication, le 21 février 2025, par la Maison Blanche d’un mémorandum du président Trump relatif à la politique d’investissement américaine (« America First Investment Policy ») devrait avoir pour conséquence, au terme d’une prochaine réforme législative du régime de contrôle des IDE, d’élargir le droit de regard du CFIUS à l’ensemble des investissements de création, en proposant de faire de ces opérations une catégorie spécifique de transactions couvertes par le régime américain de filtrage, dès lors qu’elles sont effectuées par des entreprises originaires de la République populaire de Chine.

Comme le soulignait en février dernier le cabinet Skadden & Arps dans une publication consacrée à ce mémorandum, « la partie de la réforme de la politique d’investissement la plus susceptible d’avoir une incidence sur les investisseurs de la RPC, si elle est mise en œuvre, est sans doute l’appel lancé par le document en faveur d’un rôle élargi du CFIUS en ce qui concerne les investissements de création. » ([151])

La question de savoir s’il est opportun d’inclure les investissements de création dans la portée du contrôle IEF se pose aujourd’hui au niveau européen, dans la mesure où le projet de révision du règlement 2019/452, déposé par la Commission européenne en janvier 2024 et qui a pour principal objectif de rendre obligatoire l’existence d’un mécanisme de filtrage des IDE dans les États membres, prévoit également d’englober les greenfield investments dans la liste des opérations éligibles aux contrôles. Celle-ci recommande que « les investissements étrangers de création [relèvent] du champ d’application du présent règlement […] parce qu’ils créent des relations durables et directes entre un investisseur étranger et les installations ou les entreprises en question. En outre, en établissant de nouvelles installations, un investisseur étranger peut avoir une incidence sur la sécurité et l’ordre public, notamment lorsque ce risque concerne des intrants économiques essentiels. Les États membres sont donc encouragés à inclure les investissements étrangers de création parmi les opérations visées par leur mécanisme de filtrage, en particulier lorsque ces investissements ont lieu dans des secteurs pertinents pour leur sécurité ou leur ordre public. » ([152])

Proposition n° 3 : Élargir la définition des investissements éligibles à d’autres types d’opérations que l’acquisition du contrôle au sens de l’article L. 233‑3 du code de commerce, l’acquisition de tout ou partie d’une branche d’activité ou le franchissement d’un seuil de détention des droits de vote, en y insérant la mention des investissements de création (« greenfield investments »).

– Obligations convertibles en actions et prêts bancaires. Par ailleurs, certaines opérations, qui ne sont pas catégorisées à l’actif, mais au passif du bilan comptable d’une entreprise, peuvent présenter des risques pour la souveraineté française.

Au cours de leurs auditions, vos rapporteurs ont ainsi mis en avant la problématique des prêts bancaires et des obligations à bons de souscription en actions (OBSA) ([153]), qui constituent dans la pratique une porte d’entrée privilégiée pour les investisseurs. Dans ce second cas, la détention de pareilles obligations n’entre pas dans le champ du contrôle IEF au moment de la souscription de l’obligation, mais au moment de la conversion de celle-ci en action. Interrogées à ce sujet, les administrations ont confirmé que l’opération de conversion d’une OBSA en parts au capital de l’entreprise constituait une opération éligible au contrôle IEF dès lors qu’elle avait pour conséquence le franchissement du seuil indiqué de 25 % de détention des droits de vote.

Il ressort des travaux de la mission que les administrations impliquées dans le processus d’examen interministériel des dossiers, qui se réunissent au sein du comité de liaison en matière de sécurité économique (COLISE), exercent en permanence un travail de suivi sur leurs secteurs propres afin d’anticiper les éventuelles difficultés de financement des entreprises et les potentialités de prise de contrôle par des conversions d’obligations.

Vos rapporteurs appellent donc l’attention des pouvoirs publics sur ce type d’opérations, jugeant essentiel de maintenir une veille permanente et détaillée des administrations sur les stratégies de financement de nos entreprises stratégiques.

2.   Adapter la notion de contrôle selon une logique d’influence

Outre les opérations de prise de participation, un investissement peut faire l’objet d’un examen de la part du CIEF dès lors qu’il consiste en l’acquisition du contrôle d’une société exerçant une activité stratégique. La notion de contrôle renvoie exclusivement à la définition qu’en donne l’article L. 233‑3 du code de commerce : à savoir la détention d’une fraction du capital conférant à l’investisseur la majorité des droits de vote, situation qui le conduit à déterminer les décisions de l’assemblée générale de la société-cible et à disposer du pouvoir de nommer ou de révoquer la majorité des membres de l’organe de direction de cette société. Aujourd’hui, ce concept de contrôle est uniquement envisagé en vertu d’une conception juridique qui repose sur un faisceau d’indices précis. Cependant, il exclut des formes plus diffuses de contrôle et ne prend donc pas en compte, avec efficacité et lucidité, les différentes apparences que revêt l’influence économique.

La situation est très différente aux États-Unis, où le Foreign Investment Risk Review Modernization Act (FIRRMA) de 2018 définit de manière très large la notion de contrôle comme « le pouvoir, direct ou indirect, exercé ou non exercé, de déterminer, d’orienter ou de décider de questions importantes affectant une entité assujetties à la réglementation prescrite par le CFIUS » ([154]). En pratique, la conception américaine du contrôle recouvre l’ensemble des prises de participation en capital supérieures à 9,9 % (ainsi que les participations inférieures à 9,9 % dans le cas où l’investisseur dispose de droits spécifiques dans la gouvernance de l’entreprise, comme la possibilité de nommer un représentant au sein du conseil d’administration) ([155]). Le critère de compétence du CFIUS est donc beaucoup plus large que celui de la DG Trésor au titre du contrôle IEF.

Au contraire de la France, les Pays-Bas, l’Autriche et les États-Unis ont ainsi intégré dans leurs régimes de filtrage des IDE des dispositions concernant l’acquisition d’une influence déterminante ou les investissements sans prise de contrôle.

Des transactions sous le prisme de l’influence économique

Aux Pays-Bas, la loi Vifo (Wet veiligheidstoets investeringen, fusies en overnames) de 2023 a créé un régime de notification obligatoire pour toute transaction intervenant dans des secteurs sensibles en cas de changement de la structure de contrôle de l’entité (prise de participation, avec une éligibilité pour le franchissement des seuils de 10, 20 et 25 %) ou d’acquisition d’une influence significative dans une pareille société. Cette notion d’influence significative, historiquement présente dans la réglementation antitrust néerlandaise, est suffisamment large pour permettre l’analyse de toute action conférant à une entité étrangère le moyen d’exercer une influence déterminante sur les activités stratégiques de la société-cible.

En Autriche, la loi sur le contrôle des investissements (Investitionskontrollgesetz – InvKG), publiée le 24 juillet 2020, prévoit l’existence d’une obligation générale de demande d’autorisation dès lors que la transaction envisagée consiste en l’acquisition d’une influence dominante sur une entreprise autrichienne (au-delà des cas traditionnels de prise de contrôle et de franchissement d’un seuil). Le régime autrichien inclut donc un ensemble large d’opérations (asset deals, share deals, création d’entreprises, contrats de syndication, coentreprises), dès lors que des liens contractuels permettent d’exercer une influence déterminante sur la conduite des activités de la société-cible.

Aux États-Unis, la ratification en 2018 du FIRRMA a étendu la compétence du CFIUS à des investissements sans prise de contrôle. Outre les cas classiques d’acquisition du contrôle sur une société américaine, le Comité dispose désormais d’une compétence de principe pour examiner tout investissement minoritaire intervenant dans un secteur très sensible (données personnelles sensibles de citoyens américains, technologies sensibles, infrastructures critiques), quel que soit le pourcentage de détention, dès lors que la réalisation de cette opération sans prise de contrôle confère à l’investisseur étranger la possibilité d’être représenté au conseil d’administration ou d’intervenir d’une quelconque façon dans la gestion de l’activité ([156]).

Prévoyant une prise en compte de l’influence dominante, le régime autrichien de contrôle permet par exemple d’inclure dans le champ du filtrage le cas de restructurations intragroupes avec intervention d’une holding au sein de la chaîne d’actionnaires qui soit en mesure d’exercer un contrôle indépendant sur la société-cible. Un semblable élargissement de la portée du contrôle du IEF paraîtrait pertinent aux yeux de vos rapporteurs, eu égard à l’interminable restructuration du groupe Atos. À cet égard, le rapport sénatorial consacré en 2024 aux influences étrangères préconisait également de « se doter d’un outil de suivi des investissements étrangers en France à l’aune non plus seulement, comme le fait le service de l’information stratégique et de la sécurité économique (SISSE), du caractère stratégique de leur objet, mais de leur possible finalité d’influence à moyen-long terme » ([157]). Vos rapporteurs jugent par conséquent indispensable de proposer une définition plus opérationnelle du contrôle.

Proposition n° 4 : Élargir la définition de la prise de contrôle dans une logique opérationnelle prenant en compte l’influence étrangère, en prévoyant l’inclusion à l’article R. 151‑2 du code monétaire et financier (CMF) des opérations conférant une influence déterminante et de certaines opérations sans prise de contrôle.

3.   Élargir l’étendue des secteurs stratégiques

a.   L’impossible exhaustivité de la liste des secteurs

– La nécessité d’un processus d’actualisation permanent. Eu égard à la rapidité des mutations technologiques et à l’évolution des vulnérabilités, il est singulièrement difficile de maintenir à jour la liste des secteurs stratégiques couverts par le contrôle IEF. En effet, un processus d’actualisation permanent est nécessaire, car ce qui n’était pas stratégique hier le devient aujourd’hui, alors que de nouvelles technologies apparaissent à un rythme accéléré – comme le montre l’exemple de l’intelligence artificielle. Cependant, en France, la non-inscription d’un domaine dans la liste précisée par l’article R. 151-3 du code monétaire et financier rend de facto l’opération inéligible.

Une conception extensive des secteurs stratégiques

Aux États-Unis, où les pouvoirs du Comité ont fait l’objet de régulières extensions, le CFIUS développe une conception particulièrement extensive des secteurs jugés stratégiques, qu’il rattache à la notion de sécurité nationale : ainsi, tous les investissements étrangers liés à la garantie de cette sécurité nationale peuvent faire l’objet d’une notification préalable, sans qu’un nombre fixe de secteurs soit listé par la loi.

En Allemagne, la liste des 27 secteurs stratégiques dans lesquels s’applique le régime intersectoriel d’examen, déterminée par la réglementation ([158]), n’est pas exhaustive : ainsi, la procédure est susceptible de s’appliquer, selon une définition large, à toute acquisition par un investisseur extra-européen de nature à porter une atteinte probable à l’ordre public ou à la sécurité de la République fédérale d’Allemagne, la probabilité de l’incidence de l’opération sur ces deux critères étant évaluée par l’administration en prenant en compte l’éventuel degré d’intervention de la société-cible dans les secteurs listés ([159]).

Aux États-Unis et en Allemagne, les régimes de contrôle confèrent aux pouvoirs publics une marge d’interprétation décisive dans l’analyse du caractère stratégique des activités cibles de l’investissement : la non-inscription de tel domaine dans la liste des secteurs ne constitue de fait pas, d’un point de vue réglementaire, un empêchement au blocage de l’opération par le gouvernement.

– La difficile appréhension des biens à double usage. Comme l’ont par ailleurs rappelé vos rapporteurs au cours des auditions qu’ils ont menées, au-delà de la liste des biens à double usage élaborée dans le cadre du règlement européen 2021/821 ([160]), il est particulièrement difficile d’identifier les actifs stratégiques pouvant faire l’objet d’une utilisation à la fois militaire et non militaire dans le cadre d’un dispositif de filtrage des investissements étrangers. Certains interlocuteurs de la mission ont par exemple mentionné le cas des centrales inertielles, utilisées pour la conception de la trajectoire des missiles balistiques, mais qui connaissent également un usage civil pour la navigation des avions de ligne : « dans le cas où la centrale à inertie est utilisée pour la conception d’un missile, il s’agit bien sûr d’un usage militaire ; cependant la difficulté de définir une frontière entre les deux usages est particulièrement aiguë dans ce cas de figure. Dans ce débat, l’ingénieur saura toujours transformer une centrale inertielle utilisée pour un avion en un composant de missile : dès lors, ce qui n’était au départ qu’un débat juridique sur l’éligibilité d’un investissement au filtrage des IDE s’avère être un débat d’ingénieurs, qui parviennent à détourner les textes. » ([161])

En outre, en France, le contrôle IEF prend uniquement en compte le risque sécuritaire causé par l’éventualité de l’acquisition d’un bien sensible par un investisseur étranger à l’instant de l’opération, mais ne prévoit pas de clause de réexamen dans le cas où la technologie considérée se révélerait avoir un usage dans le domaine de la défense à moyen ou à long terme. Dans ce contexte, vos rapporteurs souhaitent tout particulièrement attirer l’attention sur le secteur du nucléaire civil, qui n’est pas, en France, protégé par la réglementation sur les investissements étrangers.

b.   Des ajustements indispensables pour la sécurité économique

– De nouveaux secteurs à protéger. Vos rapporteurs considèrent qu’il est a minima indispensable, à court terme, de modifier l’article R. 151-3 du CMF afin d’ajouter à la liste des 24 secteurs certaines activités éminemment stratégiques.

Les activités de plateformes numériques, de réseaux sociaux et de centres de données, qui n’auraient pas forcément eu vocation à entrer dans le champ du contrôle IEF il y a quelques années, peuvent aujourd’hui présenter des risques cruciaux, en particulier en ce qui concerne la potentielle captation des données personnelles de citoyens français et la protection de notre souveraineté numérique. À titre de comparaison, le rachat d’une plateforme numérique ou d’un réseau social entre déjà dans le champ des secteurs contrôlés par le CFIUS aux États-Unis. Par ailleurs, les activités liées aux data centers, seulement protégées aujourd’hui dans la mesure où elles se rattachent à des activités déjà sensibles, mais pas dans l’absolu, pourraient faire l’objet d’une meilleure protection face aux opérations d’influence via une modification du paragraphe concerné de l’article R. 151‑3 ([162]). Vos rapporteurs considèrent comme un indispensable prérequis, eu égard à la protection de notre souveraineté numérique, que la détention et la gestion d’infrastructures numériques soient considérées comme faisant pleinement partie des activités sensibles.

Bien que le secteur bancaire fasse déjà l’objet d’une protection au titre de la supervision prudentielle, les activités bancaires et financières ne sont pas aujourd’hui évoquées en tant que telles dans la réglementation IEF. Bénéficient en effet seulement d’une protection, au titre de l’article R. 151-3, les activités portant sur des infrastructures, biens ou services essentiels pour garantir « l’intégrité, la sécurité ou la continuité de l’exploitation d’un établissement […] d’importance vitale » ([163]) – définition renvoyant à la liste des opérateurs d’importance vitale (OIV), coordonnée par le SGDSN, qui comprend, dans le secteur économique, 15 grands établissements bancaires et financiers. Or, limitative par principe, cette liste ne porte que sur de grands établissements, et pas sur des PME qui joueront demain un rôle stratégique, à l’image des startups de la fintech. De plus, ces secteurs bénéficient déjà d’une protection dans certains autres pays : c’est notamment le cas depuis peu en Allemagne ([164]) et en Italie ([165]), mais également depuis longtemps au Royaume‑Uni et aux États-Unis.

Les activités culturelles gagneraient également à faire l’objet d’une meilleure protection. Si les médias d’information générale sont déjà inclus dans la liste des secteurs stratégiques ([166]), il pourrait être opportun, afin de renforcer la lutte contre les risques d’influence étrangère dans le champ culturel, d’ajouter au code monétaire et financier une référence directe au secteur de la culture.

Se pose en outre la question de l’intégration dans le dispositif IEF des investissements immobiliers, qui ne sont nullement mentionnés dans le code monétaire et financier, mais peuvent faire l’objet de stratégies d’influence diverses. Comme l’ont rappelé certains interlocuteurs de la mission, « les terrains immobiliers peuvent poser deux problèmes : la proximité avec des sites sensibles d’une part, et une problématique d’accès aux ressources vitales, qui constitue l’un des objectifs de sécurité économique, d’autre part. Or, dans ces ressources vitales figurent l’eau et la terre. Il ne serait donc pas surprenant que l’on inclue à terme certains types d’actifs immobiliers dans la liste des secteurs protégés. » ([167])

La prise en compte par le CFIUS des investissements immobiliers

Les investissements immobiliers sont couverts par le CFIUS dès lors qu’ils sont réalisés sur des terrains situés à proximité de certains sites sensibles ou de certaines zones urbaines, afin de contrôler les situations où une entité économique étrangère chercherait à faire l’acquisition de biens immobiliers sensibles pour la sécurité nationale compte tenu de leur proximité avec des installations militaires.

Dans ce contexte, en 2018, le FIRRMA a d’une part confirmé la compétence du CFIUS pour examiner l’acquisition par des personnes étrangères de biens immobiliers américains, et d’autre part élargi la portée de son contrôle aux baux et autres types de transactions immobilières, ainsi qu’à l’achat de terrains vacants. Les dispositions législatives intègrent désormais « l’achat, la location ou la concession d’un bien immobilier [dont la localisation] pourrait poser un risque pour la sécurité nationale en relation avec une installation militaire des États-Unis ou une autre installation ou propriété du gouvernement des États-Unis » ([168]).

– Une protection à élargir dans certains secteurs déjà protégés. Certains secteurs, qui sont déjà mentionnés à l’article R. 151-3, gagneraient à faire l’objet d’une protection accrue. Il en va ainsi des nouvelles technologies et de l’intelligence artificielle, qui figurent dans le CMF uniquement sous l’angle des activités de recherche et développement ([169]). Or, cette description exclut l’ensemble des fonctions qui sont rattachées à l’IA, alors même que le champ de cette technologie recouvre des domaines bien plus larges que la seule R&D : services, fourniture de logiciels, prestations d’édition, etc.

Proposition n° 5 : Élargir la liste des secteurs mentionnés à l’article R. 151‑3 du code monétaire et financier à d’autres activités stratégiques : activités de plateformes numériques et de réseaux sociaux, activités de data centers, activités bancaires et financières, secteur de la culture, investissements immobiliers sous certaines conditions, nouvelles technologies et intelligence artificielle.

C.   UN CONTRÔLE QUI DOIT GAGNER EN EFFICACITÉ ET EN MOYENS

Comme il est apparu au cours des travaux de la mission, le contrôle IEF constitue indéniablement un bon outil, probablement l’un des plus anciens contrôles au niveau européen. Plusieurs points peuvent cependant faire l’objet d’améliorations, en ce qui concerne l’analyse des dossiers par le bureau du contrôle des investissements étrangers en France, la remontée d’informations depuis les administrations sollicitées jusqu’à la DG Trésor, et le suivi des conditions imposées aux investisseurs.

1.   Renforcer les moyens de l’État pour l’instruction des dossiers

– Augmenter les effectifs du CIEF. En premier lieu, les moyens alloués au bureau du contrôle des IEF demeurent trop faibles en considération de l’augmentation du nombre de dossiers. Comme l’a rappelé la DG Trésor, « l’élargissement du champ du régime s’est accompagné d’une hausse du nombre de demandes d’autorisation et d’une complexification de l’instruction de ces demandes, du fait de la plus grande diversité des schémas financiers » ([170]). Si les délais sont aujourd’hui respectés, le bureau CIEF n’est composé que de 7 agents, qui bénéficient pour l’instruction des dossiers de l’appui des administrations sectorielles ([171]). Cette caractéristique administrative en fait un organe sous-doté en termes d’effectifs et de moyens en comparaison avec d’autres organismes chargés d’examiner les projets d’investissements étrangers.

Les moyens du contrôle des IDE aux États-Unis et en Grande-Bretagne

Créé en 1975, le CFIUS dispose depuis l’adoption du Foreign Investment and National Security Act de 2007 (FINSA) d’un statut collégial « multi-agences » ([172]), qui réunit, sous la présidence du Secrétaire au Trésor, neuf membres permanents ([173]), deux membres observateurs qui ne disposent pas de droit de vote ([174]) et cinq observateurs qualifiés (participant au cas par cas). Afin d’identifier les transactions n’ayant pas fait l’objet d’une notification alors qu’elles interviennent dans des secteurs couverts par la réglementation américaine, le CFIUS dispose de l’appui du Bureau de surveillance et de suivi de la sécurité des investissements (Office of Investment Security Monitoring & Enforcement), qui identifie les cas où une transaction peut soulever des problèmes au regard de la sécurité nationale. Dans le cadre de ses missions, et afin d’éviter toute coupe budgétaire, le CFIUS dispose enfin depuis l’adoption du FIRRMA en 2018 d’un fonds d’affectation spéciale (« CFIUS Fund »), doté d’une enveloppe d’environ 20 millions de dollars annuels depuis 2019. Cette enveloppe a été, en 2021, élevée à 24 millions de dollars.

Au Royaume-Uni, le support administratif du système de contrôle des IDE mis en place par le NSI Act de 2021 est assuré par l’Unité de sécurité des investissements (Investment Security Unit – ISU). Initialement placé auprès du Department for Business, Energy and Industrial Strategy, le bureau a été déplacé en février 2023 auprès du Cabinet Office (services du Premier ministre). En juillet 2022, le service était composé de 94 ETP, exclusivement consacrés à l’instruction des dossiers et à la formulation de conditions.

Malgré les nombreuses synergies qui existent au sein de l’administration, les effectifs du CIEF pourraient donc être renforcés, en prévoyant entre autres la possibilité de recruter des juristes spécialisés dans le droit des sociétés, dont l’expertise permettrait de mieux déceler certaines stratégies de prédation financière mises en œuvre par des entités étrangères.

Proposition n° 6 : Renforcer les effectifs du bureau du contrôle des investissements étrangers en France (CIEF), et prévoir notamment le recrutement de juristes spécialisés dans le droit des sociétés pour l’assister dans l’identification des éventuelles constructions juridiques sui generis.

– Rationaliser le processus interministériel d’instruction. Malgré le renforcement de l’efficacité de cette procédure, vos rapporteurs observent qu’aucun texte ne semble aujourd’hui régler de manière formelle le déroulement de ces sollicitations interministérielles : de fait, l’existence du comité interministériel des investissements étrangers en France (CIIEF) n’est formalisée par aucun texte réglementaire (à la différence, par exemple, du comité interministériel de liaison de sécurité économique ([175])). Il est en conséquence impossible, pour les investisseurs comme pour leurs conseils, de savoir comment se déroulent les discussions interministérielles réalisées au cours de l’instruction des dossiers de demande d’autorisation. Au contraire, aux États-Unis, les échanges entre les agences réunies au sein du CFIUS sont clairement organisés par la réglementation et permettent une synergie globale d’une excellente qualité.

Par suite, pour pallier cette insécurité juridique, l’organisation du CIIEF devrait faire l’objet d’une clarification conséquente, qui pourrait se manifester par, d’un côté, la consécration réglementaire de l’existence du CIIEF, associée à la publication du nom des organismes interagissant au sein de ce comité, afin d’améliorer la transparence de la procédure d’instruction et d’en faciliter la compréhension par les investisseurs étrangers ; et, de l’autre, la formalisation par une circulaire de l’organisation de la procédure, dans l’objectif de renforcer la coordination entre les services chargés du suivi sectoriel des secteurs sensibles et d’assurer la bonne identification du caractère stratégique des activités-cibles.

Proposition n° 7 : Clarifier et formaliser par une circulaire le déroulement de la procédure d’analyse des dossiers de demande d’autorisation au sein du comité interministériel des investissements étrangers en France (CIIEF).

2.   Affermir le suivi et la portée des conditions

a.   Des conditions trop génériques et un contrôle trop peu systématique

Aujourd’hui, les conditions imposées aux investisseurs, en plus de n’être pas rendues publiques, souffrent de deux défauts : la limitation de leur portée aux critères fixés par l’article R. 151-8 du CMF et leur caractère non-auditable.

– Des lettres d’engagement à la portée limitée. D’une part, les lettres d’engagement apparaissent trop génériques dans leur rédaction et leur portée ; ces lettres sont donc dotées d’un pouvoir contraignant jugé trop faible par les administrations qui interagissent avec la DG Trésor dans l’instruction des demandes d’autorisation. Les représentants du service de défense et de sécurité des ministères sociaux estiment ainsi que « les conditions assortissant l’autorisation ne peuvent porter que sur les activités réalisées en France par la société cible française, à la date de réalisation de l’opération. Elles ne peuvent répondre à des objectifs de politique industrielle ou de politique économique, ni avoir pour objectif de maintenir l’activité ou l’emploi au sein d’une société sans démonstration du risque d’atteinte qu’elle est susceptible de porter aux intérêts nationaux. » ([176])

De même, le service de défense et de sécurité du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche signale que « le régime des autorisations sous conditions, en ce que les engagements ont un pouvoir contraignant faible sur les investisseurs étrangers, peut présenter certaines limites. Il est regrettable, notamment en cas de synergie des stratégies entre l’investisseur minoritaire et la cible susceptible de présenter un risque pour les intérêts nationaux, que cette dernière ne puisse être soumise à des engagements. » ([177]) Au contraire de la pratique française, le CFIUS impose différents types de contrats aux investisseurs désireux de réaliser une acquisition dans un secteur stratégique américain.

La pratique des engagements, un outil efficace aux États-Unis

Le CFIUS est en mesure de soumettre les autorisations d’investissement au respect d’un ensemble de conditions susceptibles de limiter sévèrement l’influence étrangère dans le secteur stratégique considéré. Dans ce cadre, plusieurs types de contrats sont à la disposition des autorités américaines pour imposer aux investisseurs le respect de leurs conditions, depuis les special control agreements (SCA) jusqu’aux special security agreements (SSA) et aux proxy agreements.

- Les special control agreements consistent en des contrats relativement souples, imposés aux entreprises qui, au terme d’une opération de prise de contrôle, ne sont pas détenues intégralement par un investisseur étranger, mais comprennent des représentants d’un investisseur étranger dans leur conseil d’administration.

- Les special security agreements contiennent des engagements plus stricts à l’attention des investisseurs : nomination d’administrateurs par le gouvernement, restriction de la nomination des dirigeants à des seuls citoyens américains, contrôle des exportations, etc.

- Les proxy agreements constituent un véritable « dispositif de dévolution » ([178]) : l’administration américaine peut organiser un cloisonnement de l’information qui remonte à l’investisseur, lequel a seulement le droit de bénéficier de données financières sur l’entité qu’il détient, sans rien connaître de ses activités stratégiques.

Interrogés sur le sujet, certains interlocuteurs de la mission ont mis en avant le caractère extrêmement granulaire du contenu des lettres d’engagement américaines, adaptables au cas par cas suivant un niveau de détail très précis. Or, si rien, en droit, n’empêche la DG Trésor d’établir de pareilles conditions, leur portée pratique demeure bien plus faible en France. Une seule exception a été soumise à l’attention de vos rapporteurs : les représentants de la DGA ont ainsi précisé avoir mis en place « un dispositif de quasi boîte noire (comme les proxys américains) ; de la sorte, un investisseur allemand a accepté de n’ obtenir que des informations financières sur l’argent qui entrait et sortait, sans rien connaître de la nature des activités exercées par l’entreprise-cible » ([179]).

– Une formulation qui rend tout audit impossible. En outre, les conditions imposées aux investisseurs ne présentent pas d’indicateurs de nature à en permettre l’évaluation. D’une part, il n’existe pas de liste formalisée des conditions édictées en pratique, au contraire des États-Unis, où le CFIUS dispose d’un catalogue public de mesures. D’autre part, il est apparu au cours des auditions que ces documents ne sont en réalité pas auditables : autrement dit, il est impossible de réaliser un audit de l’efficacité du dispositif, de l’évaluer et de la mesurer, au regard de la rédaction actuelle des lettres d’engagement. À ce titre, vos rapporteurs estiment qu’il serait opportun d’assortir chaque condition d’un indicateur de performance (calendrier, données chiffrées, etc.) permettant d’en évaluer l’application et de quantifier, à large échelle, le respect de leurs engagements par les investisseurs.

– Un suivi des conditions qui n’a pas encore fait ses preuves. En outre, à la différence de la DGA, dont la direction de l’industrie de défense assure un suivi régulier des engagements auxquels sont soumis les entreprises qui ont fait l’objet d’un rachat soumis à un agrément sous conditions, le SISSE n’a mis en place un dispositif formalisé de suivi des conditions qu’en 2023, avec un objectif de contrôle relativement faible et des moyens qui demeurent limités. Comme l’ont cependant observé les représentants de Bpifrance, « le contrôle des conditions pour la réalisation d’une opération constitue un enjeu essentiel post accord. Ainsi, lorsque Nokia a racheté Alcatel-Lucent en 2016, il y avait une condition de cession d’Alcatel Submarine Networks. Cependant, l’opération vient seulement d’être bouclée avec le rachat par l’APE en novembre 2024 » ([180]). Il semble donc en premier lieu très important aujourd’hui de renforcer le suivi de ces lettres d’engagement.

b.   Aménager la nature et le suivi des conditions

– Affiner la portée des engagements. Afin de conférer une plus grande précision aux conditions qui assortissent les autorisations délivrées par le ministre chargé de l’économie, une clarification de la nature de ces engagements s’impose. À ce titre, vos rapporteurs considèrent qu’il est essentiel de modifier l’article R. 151‑8 du CMF pour y insérer une typologie plus précise des conditions susceptibles d’assortir l’autorisation de réalisation d’un IDE, en y prévoyant explicitement la possibilité de mettre en œuvre des dispositifs de proxys à la manière du CFIUS américain. Vos rapporteurs préconisent en outre d’adjoindre à cette typologie une condition relative au maintien de l’emploi qualifié, pour éviter la captation de savoir-faire sensibles par des entités étrangères hostiles. De fait, le maintien de l’emploi, en particulier de l’emploi qualifié, constitue dans ce cadre une donnée importante, qui est certes régulièrement prise en compte dans la pratique par le CIEF, mais qui ne figure pas aujourd’hui dans les textes. Enfin, il serait utile d’assortir chacune de ces conditions d’indicateurs d’évaluation précis, pour résorber les difficultés d’analyse et de quantification du respect des lettres d’engagement par les investisseurs et afin de faciliter l’audit de ces conditions.

Quelques exemples de conditions proposées par les services ministériels

- À l’occasion du franchissement par un investisseur étranger du seuil de 25 % des droits de vote d’une société française spécialisée dans l’entretien et l’exploitation d’installations de traitement de l’eau, le service ministériel compétent a recommandé à la direction générale du Trésor d’inscrire dans la lettre d’engagement le maintien des activités considérées sur le territoire national, et assure aujourd’hui un suivi approfondi, sur pièces et sur place, du respect de cette condition.

- En marge d’une autorisation accordée sous conditions à l’acquisition par une société étrangère du contrôle exclusif d’une société française spécialisée dans la maintenance d’unité de décontamination de l’air, le service ministériel compétent a proposé d’imposer à l’investisseur, en plus du maintien des activités sur le territoire national, la réalisation d’une visite de diagnostic d’éligibilité au dispositif de protection du potentiel scientifique et technique de la nation (PPST) au moment de la réalisation de l’investissement.

- À l’occasion d’un avis formulé à la demande de la DG Trésor concernant la cession à un investisseur étranger d’activités de production et de distribution de combinaisons de protection biologique, le service ministériel compétent a recommandé le maintien des activités sur le territoire national, considérant qu’il s’agissait là d’une technologie à double usage.

La mise en œuvre de cette modification de l’article R. 151-8 permettrait donc d’améliorer nettement la portée et la précision des lettres d’engagement.

Proposition n° 8 : Définir dans le code monétaire et financier les conditions imposées par l’État aux investisseurs dans les lettres d’engagement, en prévoyant la possibilité explicite d’imposer des proxy agreements dans le secteur de la défense et en assortissant les conditions d’indicateurs évaluatifs standardisés.

– Renforcer les moyens financiers alloués au suivi des conditions en créant un droit de timbre associé au dépôt d’un dossier de demande d’autorisation. De fait, la gratuité du dispositif IEF pourrait en ce sens faire l’objet d’aménagements. En effet, le dépôt d’un dossier par l’investisseur étranger est entièrement gratuit, d’un strict point de vue administratif ([181]) ; contrairement aux pratiques en vigueur dans d’autres pays, les investisseurs étrangers ne doivent donc pas s’acquitter du paiement d’un droit de timbre.

Aux États-Unis, en particulier, l’administration du CFIUS emploie le montant de ces frais de dossier perçus pour faire appel à des auditeurs externes, qui conduisent des audits de conformité entre l’activité des investisseurs et les national security agreements qu’ils ont dû contracter.

Dans le monde, l’existence de droits de timbre pour le dépôt d’un dossier

Au contraire de la France, les États-Unis ont instauré en 2018, dans le cadre du Foreign Investment Risk Review Modernization Act (FIRRMA), un droit de timbre incombant à l’investisseur au moment du dépôt du dossier de notification. Ce droit de timbre consiste en un montant proportionné à la valeur de la transaction envisagée, pouvant aller jusqu’à une valeur de 300 000 dollars. Afin d’inciter les investisseurs potentiels à s’acquitter de façon régulière du montant des droits de timbre, l’examen du dossier et la délivrance de l’autorisation sont conditionnés au bon respect du calendrier des paiements.

En Allemagne, conformément à la loi fédérale sur les émoluments ([182]) qui prévoit la possibilité pour le gouvernement fédéral de percevoir des droits de timbre sur les prestations publiques aboutissant à une décision administrative individuelle, le règlement spécial sur les taxes pour les domaines du contrôle des armes de guerre, de contrôle des exportations et de l’examen des investissements étrangers ([183]), promulgué en 2023, oblige le demandeur (en l’espèce, l’acquéreur direct) à s’acquitter d’une taxe, dont le montant doit être versée dix jours après la notification auprès du ministère compétent.

En conséquence, vos rapporteurs estiment que la mise en œuvre d’un pareil droit de timbre proportionné au montant de l’opération serait de nature à considérablement renforcer les moyens financiers alloués par le SISSE au suivi des lettres d’engagement et d’améliorer la fréquence des contrôles sur pièces et sur place ainsi que les garanties apportées à la souveraineté économique de la nation.

Proposition n° 9 : Imposer aux investisseurs le paiement d’un droit de timbre au moment du dépôt de dossier, consistant en un montant proportionnel à la valeur de la transaction.

II.   CONFORTER LA TRANSPARENCE DU CONTRÔLE IEF

Traditionnellement dépourvu de toute prérogative de supervision en la matière, le Parlement n’a longtemps pu se saisir du contrôle IEF que par le biais des questions parlementaires orales et écrites ([184]) et de ses pouvoirs d’information. En dépit des réformes successives, le contrôle parlementaire sur le filtrage des IEF demeure inexistant dans la pratique. Auditionné par la mission, le président de la commission d’enquête de 2019, M. Olivier Marleix, a rappelé l’importance fondamentale que devrait revêtir une pareille supervision : « À Washington, le secrétaire général du CFIUS avait affirmé que, sans supervision parlementaire, le contrôle des IDE ne serait pas efficient. Si l’on souhaite obliger le ministère chargé de l’économie à mettre en place une véritable doctrine, il faut de toute urgence bâtir un authentique contrôle parlementaire. ». Vos rapporteurs adhèrent pleinement à cette philosophie : c’est précisément parce que des parlementaires sont informés de l’instruction des dossiers que l’administration est poussée à améliorer son travail de veille, de suivi, d’analyse et d’anticipation des risques.

A.   UN CONTRÔLE PARLEMENTAIRE À REPENSER DE FOND EN COMBLE

1.   Un droit de regard parlementaire soumis à de sévères limitations

a.   La formalisation d’une supervision des assemblées sur le contrôle IEF

La supervision des parlementaires sur le contrôle IEF

Depuis la promulgation de la loi PACTE, l’article L. 151-7 du CMF prévoit :

Des pouvoirs d’information, via la transmission annuelle, par le gouvernement, d’un rapport portant sur l’action du gouvernement en matière de protection des intérêts économiques de la nation, adressé aux présidents des commissions chargées des affaires économiques et aux rapporteurs généraux des commissions chargées des finances de chaque assemblée et comportant des informations relatives au contrôle IEF (nombre de demandes, nombre de refus, nature des opérations autorisées et des opérations autorisées assorties de conditions, exercice des sanctions). Ce rapport diffère du rapport public prévu à l’article L. 151-6 (cf. supra).

Des pouvoirs d’enquête, via la possibilité pour ces mêmes parlementaires, conjointement, d’entendre les ministres et les responsables administratifs compétents et de procéder à des investigations, sur pièces et sur place, de l’action du gouvernement en matière de contrôle des IEF. L’exercice de ces pouvoirs d’enquête peut donner lieu à une communication publique pouvant s’accompagner de la publication d’un rapport.

Des pouvoirs de recommandation, via la possibilité pour les parlementaires mentionnés, d’adresser conjointement des recommandations aux ministres compétents.

– L’apport de la loi PACTE. En 2019, la loi PACTE ([185]) a instauré des modalités formalisées d’information, conformément à certaines des recommandations qu’avaient émises le rapport de la commission d’enquête de 2019. La loi prévoit ainsi, d’une part, la publication par le ministère de l’économie d’un rapport annuel précisant les principales données statistiques relatives au contrôle des IEF ([186]) ; et, d’autre part, l’existence d’un droit d’information des présidents des commissions chargées des affaires économiques et des rapporteurs généraux des commissions chargées des finances des deux chambres.

– L’apport de la loi visant à prévenir les ingérences étrangères. Par la suite, en application des recommandations du rapport sénatorial d’information du 12 juillet 2023 portant sur l’intelligence économique ([187]), la loi n° 2024‑850 du 25 juillet 2024 visant à prévenir les ingérences étrangères en France ([188]) a introduit la possibilité d’un débat annuel à l’Assemblée nationale et au Sénat portant sur la publication annuelle des données statistiques relatives au contrôle des investissements étrangers en France ([189]).

b.   Une supervision parlementaire conçue pour être inopérante

La supervision parlementaire sur le contrôle IEF est encadrée par des dispositions législatives impraticables, qui en suppriment toute possibilité de mise en œuvre pratique.

– Un pouvoir entravé par des limitations intuitu personae. Ces prérogatives sont en droit exclusivement réservées aux présidents des commissions chargées des affaires économiques et aux rapporteurs généraux des commissions chargées des finances des deux chambres. Or, l’importance des enjeux que ce sujet implique pour notre souveraineté justifierait qu’outre ces derniers, d’autres parlementaires soient spécifiquement désignés pour exercer ce contrôle dans un organisme ad hoc.

Par ailleurs, les présidents et les rapporteurs généraux concernés ne peuvent rendre publics ni les informations qui leur sont transmises, ni le contenu des auditions qu’ils auront pu mener au titre de l’article L. 151-7. De plus, la communication publique qu’ils peuvent réaliser à l’issue de l’exercice de leurs pouvoirs ne peut faire état d’aucun élément permettant l’identification des entreprises impliquées.

– Des informations très restreintes. Si le CMF énumère précisément les éléments d’information auxquels ont droit les présidents des commissions chargées des affaires économiques et les rapporteurs généraux des commissions chargées des finances ([190]), cette liste est en réalité limitative. En effet, il est explicitement indiqué que ces éléments d’information peuvent être fournis « à l’exclusion [de ceux] permettant l’identification des personnes physiques ou morales concernées par la procédure d’autorisation préalable ».

Or, cet obstacle au droit de regard parlementaire paralyse toute véritable tentative de contrôle à deux égards. D’une part, il est difficile d’anonymiser intégralement les cas d’autorisation ou de refus, de sorte que la transmission, même sous couvert d’anonymat, des informations pré‑mentionnées dépend exclusivement du bon vouloir de l’administration. D’autre part, pour ajouter encore à l’opacité du texte, vos rapporteurs jugent étonnant que le rapport transmis aux présidents des commissions des affaires économiques et aux rapporteurs généraux, alors même qu’il n’a pas vocation à être rendu public, exclue toute possibilité d’identification des personnes impliquées, alors que l’audition par ces derniers des ministres et des responsables administratifs compétents peut « porter sur des éléments permettant l’identification des personnes physiques ou morales faisant l’objet de la procédure d’autorisation préalable » ([191]). Une pareille contradiction nuit à la portée des dispositions législatives.

– Un pouvoir d’enquête limité. Outre les limitations apportées au droit d’information des parlementaires, leur pouvoir d’enquête est considérablement restreint, dans la mesure où les investigations sur pièces et sur place ne peuvent porter « sur des investissements susceptibles de faire l’objet de décisions du ministre chargé de l’économie » ([192]). Omission faite de la singulière absence de clarté de cette disposition, la multiplication des entraves à la libre application de cette supervision apparaît ici de manière criante : répondant en 2023 à une question écrite ([193]), le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique avait ainsi expliqué que des auditions ou des contrôles menés dans ce cadre ne pourraient en aucun cas porter sur des dossiers en cours. Cette restriction interdit toute possibilité de supervision parlementaire pendant une période indéfinie, dans la mesure où un dossier est susceptible de faire l’objet de décisions ministérielles aussi longtemps que les conditions imposées à l’investisseur sont applicables.

– Un contrôle inexistant dans la pratique. Conséquence de ces entraves juridiques, les dispositions prévues par la loi PACTE n’ont fait l’objet d’aucune application. Le ministre chargé de l’économie a ainsi confirmé en 2023 qu’aucune audition n’a été conduite sur ce fondement depuis 2019 ; de même, aucune investigation n’a été réalisée depuis cette date. En outre, la possibilité d’un débat annuel dans chacune des deux assemblées sur la publication annuelle des données statistiques relatives au contrôle des IEF n’a jamais encore été mise en œuvre, que ce soit à l’Assemblée nationale ou au Sénat.

2.   Une supervision parlementaire en retrait : éléments de comparaison

L’existence, dans certains pays, de mécanismes de supervision parlementaire développés devrait, selon vos rapporteurs, alerter les pouvoirs publics quant à l’urgence d’une réforme en la matière. Si les régimes de filtrage en vigueur aux États-Unis et en Grande-Bretagne jouissent d’une telle efficacité, cette situation repose sur l’existence d’un contrôle parlementaire performant.

a.   Aux États-Unis

Outre-Atlantique, le système de contrôle des investissements étrangers administré par le CFIUS est placé sous le regard vigilant des membres de la Chambre des représentants et du Sénat, qui disposent de prérogatives nettement plus fortes qu’en France. À la suite de l’affaire Dubaï Ports World, qui avait conduit le Congrès à intervenir par le biais de divers mécanismes dans la gestion du contrôle des IDE, le Foreign Investment National Security Act (FINSA) de 2007 a reconnu aux parlementaires américains un droit de regard singulièrement puissant. La section 7 de cette loi prévoit, d’une part, la prérogative pour certains membres du Congrès de demander des comptes au CFIUS sur certaines transactions ; et, d’autre part, la publication par le CFIUS, sur un rythme annuel, d’un rapport au Congrès portant sur l’ensemble des contrôles réalisés. Dans ce contexte, le CFIUS a publié en 2008 son premier rapport annuel (douze ans avant la DG Trésor), en application des dispositions précitées du FINSA. Deux versions en ont été publiées : une version classifiée à l’attention des membres habilités du Congrès, et une autre, déclassifiée, à l’attention des autres parlementaires et des citoyens américains.

Par la suite, le Foreign Investment Risk Review Modernization Act (FIRRMA) de 2018 a renforcé les pouvoirs de contrôle du Congrès sur l’activité du CFIUS. Cette réforme d’ampleur prévoyait en particulier l’édiction de lignes directrices par le CFIUS, destinées à informer le Congrès de la méthodologie suivie dans le détail pour l’examen des dossiers, et l’augmentation de la quantité des informations publiées dans le rapport annuel. À ce titre, ce dernier doit désormais contenir une liste de l’ensemble des dossiers examinés et des investigations réalisées, une description du détail de chaque enquête précisant entre autres les conditions imposées aux investisseurs, des informations de base sur les parties prenantes aux transactions, la nature des activités visées par les opérations financières ainsi que le résultat des procédures engagées. En outre, le rapport doit inclure des statistiques relatives à la conformité des actions entreprises par les investisseurs à l’égard de leurs engagements, et aux mesures prises par le Comité pour assurer le suivi de ces conditions et déployer les éventuelles sanctions et les possibles pénalités requises dans le cas où celles-ci ne seraient pas respectées. En conséquence, le FIRRMA a considérablement amplifié la transparence du processus de contrôle des investissements étrangers régi par le CFIUS.

b.   Au Royaume-Uni

Outre-Manche, l’adoption en 2021 du National Security and Investment (NSI) Act a non seulement très largement renforcé les pouvoirs du gouvernement en termes de filtrage des IDE, mais encore reconnu l’importance d’un contrôle de l’activité gouvernementale par les parlementaires et la nécessité pour l’Investment Security Unit (ISU) de rendre des comptes devant le Parlement.

Dans ce cadre, le Business, Energy and Industrial Strategy (BEIS) Committee de la Chambre des Communes et le gouvernement britannique ont engagé au début de l’année 2022 une période de négociations, qui ont abouti en mars 2023 à la signature d’un protocole d’accord. Ce Memorandum of Understanding définit la façon dont la commission organise et mène le contrôle de l’ISU, formellement au sein d’une sous-commission de la sécurité nationale et des investissements (National Security and Investment Sub-Committee). Comme le précise le document, la mission de surveillance de la commission consiste en une évaluation annuelle de l’efficience du dispositif NSI et de l’activité de l’ISU, au regard de l’incidence du mécanisme de contrôle sur l’attractivité du pays ([194]).

Les parlementaires membres de la sous-commission de la sécurité nationale et des investissements disposent des prérogatives suivantes : la possibilité d’exiger du secrétaire d’État ou du Cabinet Office la transmission d’informations sous la forme d’un « explanatory memorandum », pouvant comprendre des éléments relatifs à des cas individuels, la description des facteurs de risque pris en compte dans l’analyse, dès lors que les transactions afférentes et les éventuels recours sont définitivement clos ; le pouvoir de mener des auditions et d’adresser des questions écrites, lorsque la sous-commission souhaite entreprendre un contrôle plus approfondi de certaines situations ; le bénéfice d’une annexe confidentielle au rapport annuel du secrétaire d’État, présentant des statistiques non-publiques relatives à la mise en œuvre du dispositif NSI, à l’ensemble des actions entreprises dans ce cadre et à la coopération de l’ISU avec les autres ministères ; enfin, le droit de publier des rapports sur le fonctionnement du dispositif NSI, le travail de l’ISU et les projets de réforme du NSI.

Au Royaume-Uni, une supervision efficace de l’application du NSI Act

Afin de ne pas interférer dans le fonctionnement régulier de l’ISU, le BEIS Committee s’engage notamment, dans le cadre du mémorandum précité, à :

- ne pas entraver l’effectivité opérationnelle de l’ISU de manière indue ;

- ne pas compromettre le fonctionnement du NIS en divulguant des informations sensibles ;

- réaliser un contrôle a posteriori des opérations déjà réalisées, à moins qu’il en ait été décidé autrement avec le secrétaire d’État ([195]).

3.   Propositions pour un contrôle parlementaire efficace et cohérent

Au regard des freins précédemment mentionnés, il apparaît indispensable, aux yeux de vos rapporteurs, de supprimer les obstacles qui entravent l’existence d’une véritable supervision parlementaire sur le contrôle des IEF.

– Créer un organe parlementaire de contrôle. Le contrôle des IDE étant lié à une logique de souveraineté, il semble naturel que des parlementaires, représentants de la nation, soient impliqués dans une mission de suivi, chargée de surveiller la qualité de l’instruction des dossiers par la DG Trésor et d’évaluer régulièrement l’efficacité du dispositif. Auditionné par vos rapporteurs, M. Arnaud Montebourg a ainsi suggéré de créer une mission permanente de contrôle parlementaire sur l’autorisation et le suivi des IEF, affirmant qu’il était « essentiel que certains parlementaires aient la possibilité de connaître le contenu de certains dossiers, de rendre publics certains dossiers problématiques et d’engager un débat en séance publique sur les sujets les plus sensibles » ([196]).

Cette mission devrait bénéficier d’un statut de délégation permanente, à l’image de l’actuelle délégation parlementaire au renseignement, créée en 2007 et commune aux deux assemblées ([197]) : composée de quatre députés et de quatre sénateurs, cette délégation a pour mission de « suivre l’activité générale et les moyens des services spécialisés » ([198]) ; ses membres disposent d’un droit d’information et d’un pouvoir de contrôle, ses travaux sont couverts par le secret de la défense nationale, et ses membres sont « astreints au respect du secret de la défense nationale » ([199]) pour les renseignements dont ils ont connaissance en leur qualité. Enfin, la délégation établit chaque année un rapport public dressant le bilan de son activité.

Le modèle de cette délégation pourrait être repris pour inspirer la création d’une délégation parlementaire à la sécurité économique, commune à l’Assemblée nationale et au Sénat. Déjà en 2019, au cours de l’examen de la loi PACTE, un amendement visant à créer une pareille délégation avait été voté à l’Assemblée, dans un esprit d’accord transpartisan ([200]) ; mais il a par la suite été supprimé du texte, qui s’est contenté de créer l’article L. 151-7. Dans la pratique, cette délégation pourrait être composée de quatre députés et de quatre sénateurs ; les présidents des commissions permanentes chargées des affaires économiques et des finances en seraient membres de droit. Ses autres membres seraient désignés par le président de chaque assemblée pour la durée de la législature (à l’Assemblée) ou après chaque renouvellement partiel (au Sénat). De plus, la fonction de président de la délégation pourrait être assurée alternativement par un député ou un sénateur, élu par ses pairs pour la durée de la session. Les pouvoirs d’enquête de cette délégation seraient élargis par rapport à ceux dont disposent aujourd’hui les parlementaires identifiés par l’article L. 151-7.

La création de cette délégation devrait en outre être assortie de garanties, afin de permettre au gouvernement de mener à bien le contrôle qu’il opère. De fait, la coordination entre les travaux de la délégation et ceux de l’administration pourrait faire l’objet d’un protocole d’accord, comme cela est le cas au Royaume-Uni.

Proposition n° 10 : Créer une délégation parlementaire à la sécurité économique, commune aux deux assemblées et composée de manière paritaire, compétente pour exercer un contrôle régulier sur l’activité du bureau du contrôle des investissements étrangers en France, le respect des conditions par les investisseurs et les mesures de sanctions prises par l’administration.

– Supprimer les obstacles juridiques restreignant les droits d’information et d’enquête des parlementaires. Plusieurs modifications pourraient être, en ce sens, apportées à l’article L. 151-7. D’une part, l’article L. 151-7 doit être amendé pour que soit supprimée la disposition limitant le droit de regard des parlementaires aux seuls dossiers passés ([201]). Cette partie de l’article doit être réaménagée afin de permettre à la délégation à la sécurité économique de connaître de toute transaction autorisée ou refusée dans le cadre de la procédure IEF à partir d’un délai d’un an après la décision, quelle que soit la durée des conditions prévues.

D’autre part, il importe de donner au Parlement les moyens d’une information véritable et complète : le rapport prévu à l’article L. 151‑7 I, aujourd’hui transmis aux présidents des commissions chargées des affaires économiques et aux rapporteurs généraux des commissions chargées des finances, devrait être transmis aux membres de la nouvelle délégation, mais aussi à l’ensemble des présidents de commission, au regard de la diversité des compétences sectorielles impliquées dans les autorisations IEF. En outre, la composition des éléments transmis par le gouvernement devrait être précisée et élargie : nom des acteurs impliqués, nature de la décision prise dossier par dossier, nature et typologie exacte des conditions imposées, éléments de suivi et d’évaluation sur le respect de ces conditions, sans préjudice des éléments permettant l’identification des personnes physiques ou morales concernées par la procédure d’autorisation préalable. Dans ce cadre, les parlementaires membres de la délégation pourraient se voir transmettre certaines lettres d’engagements, afin d’évaluer l’action de l’État en matière de suivi du respect de ces conditions par les investisseurs.

Enfin, la rédaction de l’article L. 151-7 doit être modifiée afin de permettre à la délégation d’engager une communication institutionnelle. Il est essentiel que celle‑ci puisse proposer aux présidents des deux chambres d’inscrire à l’ordre du jour de la semaine de contrôle d’une des deux assemblées un débat public portant sur un investissement éligible au contrôle IEF, dès lors qu’il comporte des enjeux particuliers en termes de souveraineté. Il conviendrait également d’autoriser la délégation à publier un rapport annuel d’évaluation sur l’exécution du contrôle des investissements étrangers en France.

Proposition n° 11 : Modifier le code monétaire et financier pour supprimer les freins au contrôle parlementaire sur le dispositif IEF, en créant des dispositifs ciblés d’information, des procédures effectives de contrôle a posteriori des décisions prises par le ministre chargé de l’économie, et des moyens d’évaluation du respect des conditions imposées aux investisseurs.

B.   UN IMPÉRATIF DE TRANSPARENCE À METTRE EN ŒUVRE

Il est apparu au cours des travaux de la mission que la transparence du contrôle des IEF, définie comme « la divulgation et l’accessibilité ultérieure des données et informations gouvernementales pertinentes » ([202]) relatives à la procédure, demeurait très lacunaire. Si les chiffres clés sont publiés depuis 2018 ([203]), la transparence globale du dispositif devrait être améliorée, en termes à la fois de publicité des informations et de contrôle déontologique sur les représentants d’intérêts qui interagissent avec le CIEF au cours de l’instruction des dossiers. Vos rapporteurs observent que le renforcement de la transparence de la procédure IEF constituerait un moyen efficace pour lutter contre les ingérences étrangères ([204]).

1.   Améliorer la complétude des informations publiées par la DG Trésor

En pratique, la transparence du contrôle IEF a été considérablement améliorée : publication d’un rapport annuel sur les principales statistiques du dispositif d’autorisation, publication de lignes directrices à l’attention des investisseurs, mise en ligne d’une foire aux questions (avec une version courte et une version longue) pour présenter les grandes lignes et le cadre juridique du mécanisme. Ces améliorations ont grandement contribué à accroître la transparence du contrôle IEF, qui pâtissait auparavant de la comparaison avec les autres pays dotés d’un filtrage des IDE ([205]).

Cette transparence demeure cependant limitée à deux égards. D’une part, la mise à jour des documents publiés par la DG Trésor demeure trop peu fréquente. En effet, les lignes directrices n’ont pas été mises à jour depuis leur publication initiale en 2022, alors même que, dans la pratique, de nombreuses évolutions ont contribué à l’accroissement des contrôles opérés sur les investisseurs. À ce titre, il est notable que la foire aux questions mise en ligne par la DG Trésor ait fait l’objet d’une actualisation en janvier 2025. D’autre part, le contenu des informations présentées par le rapport demeure par trop lacunaire : en effet, les statistiques mentionnées maintiennent une forme d’opacité sur le nombre de refus adressés, implicitement ou explicitement, par le ministre aux demandes formulées par les investisseurs étrangers. En outre, ces données n’incorporent aucune démarche évaluative : aucune indication précisant le degré de respect des conditions par les investisseurs, aucun développement chiffré sur le montant des prises de participation considérées, aucune précision sur les moyens alloués à l’État en termes de suivi des autorisations.

Vos rapporteurs estiment donc qu’il serait essentiel de renforcer la portée des informations précisées par le rapport annuel de la DG Trésor consacré aux IEF, via une modification de l’article L. 151-6 du CMF, qui devrait préciser une liste exhaustive des éléments indiqués dans cette publication.

Proposition n° 12 : Publier, dans le rapport annuel de la DG Trésor consacré aux IEF, la nature et la fréquence des principales conditions imposées aux investisseurs, ainsi que des informations relatives aux principales prises de participation par des investisseurs étrangers dans des entreprises stratégiques françaises.

2.   Formaliser un contrôle déontologique des activités d’influence

Dans la mesure où les relations entre les investisseurs étrangers et les pouvoirs publics font intervenir des intermédiaires, incarnés par les cabinets de conseil, les banques d’affaires et les cabinets d’avocats, le déroulement de la procédure IEF est particulièrement soumis à des menaces d’influence économique. Dans ce cadre, la transparence des pratiques mises en œuvre par les différents acteurs sollicitant une décision favorable de la part de l’État revêt selon vos rapporteurs une importance cruciale : elle constitue, aux termes de l’OCDE, « un levier d’action important pour contrer le risque d’ingérence étrangère » ([206]). Or, l’intervention des différents conseils juridiques et financiers des investisseurs dans le déroulement de la procédure IEF, ne fait pas l’objet d’un cadre juridique clair en matière de transparence. Un tel encadrement constituerait pourtant, selon vos rapporteurs, la condition d’un contrôle pérenne et le vecteur d’une protection efficace de la souveraineté économique.

a.   Des activités d’influence en marge des contrôles opérés par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP)

– Des zones grises en termes de transparence dans le cas des stratégies d’influence économique orchestrées par des États étrangers. Le répertoire français des représentants d’intérêts n’a longtemps couvert « qu’une partie limitée des acteurs effectuant des activités d’influence au nom de gouvernements étrangers et d’organisations étatiques étrangères » ([207]) : les activités de représentation d’intérêts menées au nom d’États tiers n’étaient de fait pas, dans la pratique, inscrites dans le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Pour remédier à cette situation, l’entrée en vigueur en octobre 2023 d’une nouvelle version des lignes directrices de la HATVP a explicitement inclus dans cette obligation les cabinets de conseil ou d’avocats agissant pour le compte d’autorités publiques étrangères ([208]), dès lors que l’action de représentation d’intérêts est menée auprès des responsables publics nationaux visés par la loi ([209]).

Des obligations de transparence élevées à l’attention des représentants d’intérêts

En matière de lobbying, la loi Sapin II ([210]) établit, en France, un régime juridique spécifique pour les représentants d’intérêts, qui sont inscrits sur un répertoire numérique, destiné à assurer « l’information des citoyens sur les relations entre les représentants d’intérêts et les pouvoirs publics » ([211]) et rendu public par la HATVP dans un format ouvert librement consultable. À ce titre, ils sont tenus de communiquer à la HATVP, dans un délai de deux mois à compter de la date à partir de laquelle l’entité exerce sa mission de représentation, son identité, le champ de ses activités de représentation, le montant des dépenses liées à ces actions et le nombre de personnes employées dans ce cadre ([212]). En outre, ils sont tenus d’adresser à la HATVP, dans un délai de trois mois à compter de la clôture de leur exercice comptable, le type de décisions publiques sur lesquelles ont porté les actions de représentation d’intérêts engagées et l’identité des tiers pour lesquels les actions de représentation d’intérêts ont été accomplies.

– Des obstacles intrinsèques à l’examen déontologique des cabinets représentant les investisseurs étrangers auprès de la DG Trésor. En principe, dès lors qu’est en jeu la notion d’intérêts, les entités qui consacrent une partie de leur activité à des interventions auprès de décideurs publics sont soumises en France à un cadre déontologique strict. Cependant, dans la pratique, les banquiers d’affaires et les cabinets qui interviennent auprès de l’administration au cours de l’instruction d’un dossier IEF pour le compte des investisseurs ne sont pas inscrits au répertoire de la HATVP. Cette situation résulte de plusieurs entraves clairement identifiées.

● Une première entrave repose sur une problématique de définition. Aux termes du décret du 9 mai 2017 relatif au répertoire numérique des représentants d’intérêts, « ne constitue pas une entrée en communication […] le fait de solliciter, en application de dispositions législatives ou règlementaires, la délivrance d’une autorisation […] dont l’attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l’obtenir, ainsi que le fait […] d’effectuer une démarche dont la réalisation est, en vertu du droit applicable, nécessaire à la délivrance d’une autorisation » ([213]). Au titre de cette exception, les banques d’affaires et les cabinets d’avocat représentant les investisseurs sont donc exemptés de toute obligation déontologique dans leurs rapports avec l’administration concernant la procédure IEF. Dans la mesure où le filtrage résulte en la délivrance d’une autorisation, et non en un acte réglementaire, l’activité de ces entités n’est pas directement ciblée par le texte.

● Une seconde entrave est liée à la persistance du caractère marginal de la culture de la transparence. Dans la pratique, l’affaire Alstom a en effet mis en avant le manque d’encadrement déontologique des représentants d’intérêts. Dans son avant-propos du rapport de la commission d’enquête chargée d’examiner les décisions de l’État en matière de politique industrielle, M. Olivier Marleix, président de la commission, écrivait que « le cas Alstom a[vait] mis en évidence que la procédure de contrôle des investissements étrangers en France [était] largement pervertie ». Il constatait que, si, « selon les termes de la loi, la décision d’autoriser la vente d’un actif stratégique relève du seul ministre de l’Économie et est prise au terme d’une instruction qui doit permettre de préserver les intérêts nationaux qui pourraient être menacés », dans le cas particulier du dossier Alstom, « il semble que […] se soit installée l’habitude d’aller d’abord chercher un feu vert au sommet de l’État, l’administration réalisant, ensuite, l’instruction formelle de l’autorisation » ([214]). Comme l’observe également P. Dupeyrat, cette « inversion du processus d’examen de l’autorisation préalable » ([215]) souligne en contrepoint la vulnérabilité du contrôle IEF aux activités d’influence.

b.   Renforcer le contrôle déontologique des représentants d’intérêts

Dans la mesure où les pouvoirs publics exercent, dans le cadre de la procédure IEF, un pouvoir discrétionnaire, il est indispensable qu’ils soient placés à l’abri des influences et que les cabinets qui interagissent avec les administrations soient soumis à des exigences fermes en termes de transparence. M. Pascal Dupeyrat a ainsi proposé d’ajouter à la loi Sapin II les dispositions suivantes : « Sont soumises aux dispositions de la présente loi, l’ensemble des actions d’influence visant à solliciter, en application de dispositions législatives ou réglementaires, la délivrance d’une autorisation ou le bénéfice d’un avantage d’un montant supérieur à 5 millions d’euros et dont l’attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l’obtenir. » ([216])

Pour cela, vos rapporteurs recommandent donc de clarifier l’application du décret n° 2017‑867 du 9 mai 2017, afin de prévoir un assujettissement effectif aux règles de déontologie des cabinets qui interviennent auprès de la DG Trésor pour le compte des investisseurs étrangers dans le cadre de la demande d’autorisation. En conséquence, l’article 1er du décret devrait être modifié afin que constitue une entrée en communication, aux yeux de la loi et sans exception aucune, le fait de solliciter la délivrance d’une autorisation au titre du contrôle IEF ; les cabinets impliqués se trouveraient alors soumis aux règles habituelles de transparence qui s’appliquent aux représentants d’intérêts.

Une pareille mesure aurait pour conséquence de répondre aux objectifs formulés par l’OCDE dans son rapport de 2024 consacré à la lutte contre les risques d’influences étrangères, dans lequel l’organisation recommande tout particulièrement d’intégrer dans les dispositifs d’encadrement des activités de lobbying et d’influence, qu’ils soient ou non effectués au nom d’organisations publiques étrangères, les activités portant influence sur des processus décisionnels individuels et de prévoir un régime gradué de sanctions en cas de non-respect des obligations de déclaration afférentes.

Proposition n° 13 : Clarifier l’application du décret relatif au répertoire numérique des représentants d’intérêts, afin que les activités de représentation effectuées auprès de la direction générale du Trésor pour le compte d’un investisseur étranger soient intégrées à la liste des actions d’influence assujetties aux règles de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

III.   INSÉRER LE CONTRÔLE IEF DANS UNE PERSPECTIVE DE SÉCURITÉ GLOBALE

A.   POUR L’ÉMERGENCE D’UN RÉFLEXE SÉCURITAIRE

Quoiqu’il fasse partie d’un écosystème sécuritaire, le contrôle des IEF ne s’inscrit pas encore pleinement dans une doctrine globale. Effectuée au cas par cas, l’instruction des dossiers ne prend pas toujours en compte un réflexe stratégique, qui devrait selon vos rapporteurs se décliner en trois volets : un volet doctrinal (doctrine d’intelligence économique, complémentarité entre les outils, cohérence chaînon défensif – chaînon offensif) ; un volet informationnel (circulation de l’information stratégique, partage des référentiels d’analyse, analyse de la sensibilité des actifs) ; et un volet réglementaire (pour adjoindre ce réflexe sécuritaire à certaines procédures qui constituent aujourd’hui des failles dans le dispositif de sécurité économique national).

Tous ces éléments doivent participer au développement d’une culture de l’intelligence économique, conditionnée par l’acculturation des administrations et des entreprises françaises aux enjeux sécuritaires des politiques de l’investissement.

1.   Concevoir une doctrine nationale d’intelligence économique

Au cours des auditions qu’ils ont menées, vos rapporteurs ont pu constater que certains secteurs n’avaient pas conscience du caractère stratégique des activités qu’ils menaient. Comme l’ont observé certains de leurs interlocuteurs, cette réalité est singulièrement prégnante dans le cas de l’industrie du jeu vidéo. À titre d’exemple, leader français sur le marché, Ubisoft dispose aujourd’hui de capacités techniques remarquables ; or, le jeu vidéo peut devenir une technologie à double usage, en intégrant des simulateurs de combat qui participent à la formation des forces armées ou à l’amélioration de la prise de décisions sur le champ de bataille. Pourtant, la culture du contrôle IEF n’est pas inscrite dans ce secteur d’activités, alors même que l’actualité nous montre chaque jour que les biens à double usage y sont de plus en plus nombreux : la R&D sur les jeux vidéo pourrait ainsi servir demain à l’élaboration d’une technologie efficiente dans le secteur de la défense.

Pour une doctrine nationale d’intelligence économique

Aux termes des conclusions du groupe « Intelligence économique et stratégique des entreprises », piloté par le Commissariat général au Plan en février 1994, l’intelligence économique renvoie à « l’ensemble des actions coordonnées de recherche, de traitement et de distribution en vue de son exploitation, de l’information utile aux acteurs économiques. Ces diverses actions sont menées légalement avec toutes les garanties de protection nécessaires à la préservation du patrimoine de l’entreprise, dans les meilleures conditions de qualité, de délais et de coût » ([217]).

Par la suite, le rapport de M. Bernard Carayon en juillet 2003 a souligné les handicaps dont souffrait la France pour la création d’une politique d’intelligence économique, qui étaient à la fois d’ordre institutionnel (cloisonnement des administrations, manque de circulation de l’information, toujours de manière horizontale et jamais de manière verticale, absence de reconnaissance des convergences d’intérêts entre le secteur public et le secteur privé, sinon méfiance) et d’ordre culturel (formation superficielle des élites aux transformations de l’environnement économique mondial).

Dans la pratique, le décret n° 2013-759 du 22 août 2013 ([218]) a défini l’intelligence économique par renvoi aux compétences du délégué interministériel à l’intelligence économique, chargé d’identifier les intérêts économiques nationaux et de jouer un rôle de coordination et de protection du patrimoine technologique de l’État et des entreprises.

 

Il apparaît donc essentiel de renforcer à la fois la cohérence et la visibilité de notre dispositif national de filtrage des IDE dans les secteurs stratégiques, autour d’une véritable doctrine d’intelligence économique.

a.   Élaborer une doctrine cohérente en amont du filtrage des IDE

– Définir une doctrine d’intelligence économique dans laquelle s’inscrive le contrôle IEF. Au terme de leurs travaux, vos rapporteurs observent qu’une pareille doctrine fait aujourd’hui défaut. Soulignant le lien qui existe entre intelligence économique au sens large et contrôle des IDE, qui en constitue l’une des déclinaisons, le rapport sénatorial d’information du 12 juillet 2023 portant sur l’intelligence économique rappelle que les constats des rapports Martre et Carayon restent aujourd’hui d’actualité, « faute de stratégie pérenne d’intelligence économique en France et malgré les récentes évolutions de l’activité de l’État en la matière » ([219]). Pour remédier à cette faiblesse française, les auteurs du rapport recommandaient entre autres de définir une stratégie nationale d’intelligence économique (SNIE) au sein d’un document validé au niveau interministériel ; cette préconisation n’a toutefois pas été mise en œuvre par les pouvoirs publics.

Certains interlocuteurs auditionnés par la mission ont de plus pointé l’existence de contradictions dans les messages adressés par l’État à ses opérateurs en termes de protection face à certains investissements étrangers. Ainsi, les représentants du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ont observé que « si, conformément aux orientations préconisées par le Plan national pour la science ouverte, le CEA s’engage dans une stratégie d’ouverture équilibrée des données de recherche, nous rencontrons fréquemment deux cas de figures pouvant laisser apparaître une certaine contradiction entre les messages adressés par l’État : d’une part, ceux qui appellent à une vigilance renouvelée et renforcée dans le domaine de la PPST et qui, dans le même temps, apportent leur soutien à des accords d’échanges bilatéraux visant à l’accueil de plusieurs dizaines de personnels temporaires dans des domaines pouvant s’avérer sensibles ; d’autre part, des politiques européennes requérant également que les retombées de projets (H2020, Horizon Europe ou ERC) financés se fassent en Europe tout en exigeant que les chercheurs employés à ces projets viennent de l’étranger » ([220]).

Dans ce cadre, vos rapporteurs proposent donc de formaliser une doctrine d’intelligence économique nationale par voie d’instruction interministérielle, qui serait pilotée par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) en lien avec les services des hauts fonctionnaires de défense et de sécurité des ministres et le service de l’information et de la sécurité économiques (SISSE) de la direction générale des Entreprises. Ce document à valeur réglementaire comporterait un volet dédié au contrôle des investissements étrangers, qui, d’une part, préciserait la doctrine d’instruction des dossiers de demande d’autorisation par l’administration, et, d’autre part, détaillerait un répertoire de décisions anonymisées, favorisant ainsi la compréhension par les investisseurs étrangers de la portée des textes et de la nature des secteurs stratégiques.

Ce second point a fait l’objet de demandes récurrentes auprès de vos rapporteurs de la part des cabinets d’avocats auditionnés au cours de la mission. Ceux‑ci ont notamment constaté que, malgré les efforts réalisés au cours des dernières années par la DG Trésor en termes de transparence, « il demeure une difficulté sensible quant à la lisibilité de l’interprétation du code monétaire et financier. Quoique les lignes directrices publiées par le CIEF permettent aux investisseurs de nourrir leur opinion sur le dispositif, l’absence de publication des décisions (y compris en les rendant anonymes) constitue un défaut ; à condition d’en expurger l’ensemble des contenus sensibles, cette publication pourrait pourtant constituer un aperçu de la doctrine française en matière d’application des textes relatifs aux IEF. Or, il est dommage qu’au nom d’un secret administratif allégué, aucun corpus jurisprudentiel ne permette d’appréhender en connaissance de cause les décisions du ministre de l’économie en matière d’IEF. Prenons l’exemple d’un investisseur en provenance des États-Unis : dans son pays, outreAtlantique, ces informations sont transparentes. Pour lui, le seul fait de disposer du code monétaire et financier quand il souhaite investir en France, sans doctrine claire d’interprétation, ne constitue pas nécessairement un gage de sécurité. » ([221])

En accord avec cette demande, vos rapporteurs estiment qu’une publication de certaines décisions, expurgées des informations confidentielles et des données sensibles, dont la faisabilité technique ne peut être mise en doute, permettrait de préciser aux différents acteurs ce que l’État entend par santé publique, sécurité nationale, sécurité alimentaire, etc. Ils observent en outre que l’élargissement de la transparence du dispositif par le biais d’une pareille publication au sein d’une instruction interministérielle portant création d’une doctrine d’intelligence économique constituerait un facteur notable d’attractivité, contribuant à rassurer les investisseurs étrangers sur la clarté et la stabilité du climat juridique français.

Proposition n° 14 : Établir une doctrine formalisée d’intelligence économique par voie d’instruction interministérielle, qui comprenne un volet consacré au contrôle des investissements étrangers en France, avec des exemples de décisions anonymisées à l’attention des administrations, des entreprises françaises et des investisseurs étrangers.

 

– Renforcer la visibilité de la procédure d’examen préalable. Vos rapporteurs ont constaté au cours de leurs travaux que cette procédure ([222]) , qui constitue le second volet du contrôle IEF, n’était que très peu utilisée, et dans tous les cas peu connue des entreprises stratégiques françaises, même lorsque celles-ci entretiennent des rapports nourris avec le SISSE. Dans la mesure où cette procédure contribue à l’information des acteurs concernés, elle devrait bénéficier d’une visibilité plus grande auprès des entreprises. En outre, il serait utile de renforcer la possibilité pour les investisseurs étrangers de saisir le CIEF en amont d’une demande d’autorisation. Cette saisine, aujourd’hui possible mais peu pratiquée, concernant exclusivement le point de l’analyse relatif au caractère stratégique de l’activité concernée par le projet de rachat, pourrait permettre à l’investisseur d’obtenir un certificat de non-éligibilité de l’opération au contrôle. Ce faisant, celui-ci serait mieux à même d’intégrer la préoccupation sécuritaire plus en amont dans sa stratégie d’investissement.

En Allemagne et en Autriche, un dispositif de certificats d’autorisation efficace

En Allemagne, le régime intersectoriel d’examen (sektorübergreifende Investitionsprüfung) des investissements étrangers s’applique à toute acquisition ou prise de participation au-delà d’un certain seuil dans une société allemande stratégique par une entité extra-européenne. Pour l’ensemble des secteurs non visés par la liste des 27 secteurs sensibles et dans le cas où l’opération envisagée consisterait en une prise de participation inférieure à 25 %, l’investisseur étranger n’est soumis à aucune obligation de notification ; il peut cependant solliciter auprès du BMWK ([223]) l’obtention d’un certificat d’autorisation (Unbedenklichkeitsbescheinigung([224]), lui garantissant le fait que l’opération ne constitue, aux yeux du gouvernement allemand, aucune menace pour l’ordre public ou la sécurité nationale. Dans le cas où la société acquéreuse ne solliciterait pas l’obtention de ce certificat, le gouvernement allemand dispose d’un délai de 5 ans à compter de la signature de l’accord contractuel d’acquisition pour engager une procédure d’enquête sur l’investissement considéré.

En Autriche, la loi sur le contrôle des investissements du 24 juillet 2020 permet à un acquéreur étranger de solliciter du ministère fédéral du travail et de l’économie, responsable du processus d’autorisation, une attestation de non-opposition avant même la conclusion du contrat et le dépôt d’une demande d’autorisation ([225]). L’autorité dispose alors d’un délai de deux mois pour délivrer l’attestation de non-opposition ; dans le cas d’un refus, la procédure normale est engagée dès le dépôt de la demande.

Un tel dispositif pourrait se révéler judicieux pour améliorer la prise en compte du contrôle IEF dans la stratégie des investisseurs étrangers.

Proposition n° 15 : Accroître la visibilité de la procédure d’examen préalable, corollaire de la demande d’autorisation IEF, auprès des entreprises françaises, et encourager la possibilité d’une saisine du CIEF en amont du projet d’opération par les investisseurs étrangers, afin d’anticiper la prise en compte du contrôle dans leur stratégie d’investissement.

b.   Adjoindre un volet offensif à la procédure de filtrage

En complément du volet défensif des politiques visant à assurer la sécurité économique de la nation, qu’incarne spécifiquement le contrôle des IDE, vos rapporteurs considèrent que les investissements sortants sont également susceptibles de présenter des risques critiques pour notre économie. Comme l’observait en juin 2023 la Commission européenne, les investissements réalisés par des entreprises de l’UE dans des pays tiers pourraient provoquer des « risques de fuite de technologies et de savoir-faire » critiques ([226]).

– Une prise de conscience européenne. Un pareil contrôle n’existe pas aujourd’hui en France, ni à l’échelle nationale ni à l’échelle communautaire, au contraire d’autres pays, comme le Japon, la Chine ou les États-Unis. Cependant, à l’aune d’une prise de conscience européenne, la Commission européenne a publié en janvier 2024 un livre blanc sur les investissements sortants, qui analyse le lien entre investissements sortants et investissements directs étrangers entrants dans l’Union : « Si un investissement entrant dans des entreprises de l’UE détenant des technologies sensibles par des investisseurs risqués pourrait être restreint ou interdit par des mesures imposées dans le cadre d’un régime de filtrage des IDE, il existe un risque potentiel que les entreprises concernées de l’UE mettent ces technologies à la disposition de ces mêmes investisseurs au moyen d’investissements sortants. Toutefois, à l’heure actuelle, ces investissements sortants ne font même pas l’objet d’une surveillance. Cela pourrait nuire à l’efficacité de nos contrôles existants et, partant, à la sécurité de l’UE dans son ensemble ainsi qu’à celle des différents États membres. » ([227])

Des contrôles sur les investissements sortants qui existent déjà dans certains pays

Au Japon, en vertu de la loi sur les changes et le commerce extérieur de 1949, des contrôles sur les investissements sortants s’appliquent dans un nombre restreint de secteurs : pêche, cuir et produits en cuir, fabrication d’armes, stupéfiants ([228]).

En Chine, les orientations législatives prises par le Conseil des affaires de l’État concernant les investissements étrangers en 2017 établissent trois catégories d’investissements sortants : les transactions encouragées, restreintes et interdites. En 2018, la Commission nationale chinoise de développement et de réforme a publié un catalogue des industries sensibles en matière d’investissements à l’étranger, qui précise l’ensemble des secteurs dans lesquels les transactions sortantes sont interdites : armes, ressources en eau, médias d’information, immobilier, hôtellerie, cinéma, clubs sportifs, fonds d’investissement en actions, etc. ([229])

Enfin, les États-Unis ont entamé en 2023 ([230]) l’élaboration d’un dispositif de contrôle des investissements sortants pour les secteurs stratégiques de l’économie américaine, aujourd’hui finalisé. Ce régime a pour conséquence que les fonds d’investissement américains ne peuvent plus financer l’industrie militaire ou para-militaire chinoise.

Constatant qu’il existait « un important déficit de connaissances » et « un tableau très limité des investissements sortants réalisés par les investisseurs de l’UE », la Commission a par la suite publié en janvier 2025 une recommandation ([231]) invitant les États membres à examiner les investissements sortants et à évaluer les risques que ceux-ci posent pour la sécurité économique : première phase d’analyse d’une durée de quinze mois (jusqu’en juin 2026), au terme de laquelle elle jugera s’il est opportun de prendre des mesures supplémentaires au niveau communautaire comme au niveau national. La recommandation précise le champ d’application des technologies à examiner, qui inclut les technologies dans les domaines des semi‑conducteurs, de l’intelligence artificielle et du quantique.

– Une indispensable réforme. Dans ce cadre, vos rapporteurs jugent que la mise en place d’un contrôle des investissements sortants aurait, de façon indirecte, un lien décisif avec la sauvegarde de la souveraineté française que favorise déjà l’existence d’un contrôle des investissements entrants. Les représentants du service du haut fonctionnaire de défense et de sécurité des ministères sociaux ont ainsi pu suggérer d’« élargir le champ d’application de la politique de sécurité économique au-delà de sa dimension actuelle uniquement défensive et d’y intégrer un volet offensif, à travers le contrôle des investissements sortants, conformément aux recommandations formulées par la Commission européenne. Par exemple, les investissements sortants par le biais de joint-ventures peuvent présenter des risques significatifs de transfert de technologies sensibles et participer ainsi (i) au renforcement des capacités militaires et de renseignement de pays tiers, au détriment de la sécurité de la France et, le cas échéant, de l’Union européenne et (ii) à la perte de savoirs et savoir-faire importants, entraînant dès lors l’érosion des avantages compétitifs français et européens ainsi qu’une dépendance accrue vis-à-vis des partenaires étrangers. Les joint-ventures offrent en effet plusieurs avantages permettant de faciliter l’entrée d’une société, française ou étrangère, sur un marché qui n’est pas le sien. » ([232])

Proposition n° 16 : Élargir le champ d’application de la politique de sécurité économique en y intégrant un volet offensif par la mise en place d’un contrôle des investissements sortants.

2.   Conforter les activités de veille et de suivi

Le dispositif de veille des menaces stratégiques s’est indéniablement renforcé au cours des dernières années. À cet égard, l’actuelle coopération entre les différents services impliqués dans le CIIEF et le renforcement du suivi des conditions imposées aux investisseurs par le SISSE depuis 2023 constituent des avancées louables. Il n’en reste pas moins que l’anticipation des menaces pesant sur les activités stratégiques françaises pourrait encore faire l’objet d’améliorations ([233]).

a.   Favoriser la coordination entre les services chargés du suivi des risques

– Promouvoir le partage des référentiels stratégiques entre les administrations chargées de la politique de sécurité économique. Vos rapporteurs constatent, au terme de leurs travaux, que les différents outils utilisés pour la protection de la sécurité économique subissent une logique de silo caractérisée par un cloisonnement prégnant. En particulier, les référentiels stratégiques diffèrent selon les services. Les représentants du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives ont ainsi souligné que « l’analyse et la compréhension de la sensibilité des activités des acteurs français pourraient être renforcées, notamment en s’adossant à une définition plus claire et cohérente de la “souveraineté”, sur le plan industriel et technologique, qui à ce jour ne semble porter, de manière opérationnelle, que sur des opérations impactant directement la défense nationale (l’exception défense). Or, de nombreuses activités de recherche et développement, hors du champ strict de la défense, mais pouvant impacter l’émergence ou le développement économique des champions nationaux, sont probablement insuffisamment prises en compte afin d’évaluer si elles relèvent ou non de la procédure IEF » ([234]).

Dans ce cadre, il apparaîtrait utile de créer un partage des référentiels de sécurité économique entre les services qui interviennent, au sein du CIIEF, dans l’instruction des dossiers d’autorisation : CIEF, SISSE, SGDSN, services de renseignement, mais aussi services de défense et de sécurité des opérateurs, à l’image du CEA et des universités pour les activités de recherche.

Interrogés sur d’éventuelles pistes d’amélioration du contrôle IEF, les services des hauts fonctionnaires de défense et de sécurité des ministères sectoriels ont régulièrement pointé la nécessité d’améliorer en ce sens la coordination pour la veille et l’anticipation des menaces. Dans le domaine de la santé, le service interrogé recommande ainsi de « renforcer les capacités de veille et d’anticipation des risques émergents pouvant impacter le secteur de la santé ainsi que l’ensemble de sa chaîne de valeur, englobant les entités économiques exerçant des activités de sous-traitance et les fournisseurs associés. Ces dispositifs de veille renforcés viseraient particulièrement les flux des matières premières pharmaceutiques produites sur le continent asiatique, celles-ci étant potentiellement sujettes à des mesures restrictives ou à des orientations budgétaires pouvant fragiliser et perturber l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement. La mise en œuvre de cette recommandation pourrait, par exemple, impliquer la mobilisation de la DGE ainsi que les Services Économiques Régionaux (SER) dédiés au secteur de la santé, relevant de la direction générale du Trésor. » ([235])

En outre, la circulation de l’information en amont de la procédure et de l’instruction des dossiers pourrait également être améliorée. Certains interlocuteurs de la mission soulignent ainsi, sur le volet IDE de l’intelligence économique, la difficulté qu’ils éprouvent à obtenir des services ministériels des éléments d’appréciation et d’évaluation d’ensemble du contexte sécuritaire. Ils relèvent que l’évolution de l’appétence des pays étrangers sur ces sujets reste cloisonnée dans les services de sécurité économique et ne descend pas vers les HFDS puis vers les organismes publics. Ils constatent, de ce fait, souffrir de ce manque de partage d’informations et de données. Il semble donc clair à vos rapporteurs que la circulation des informations sensibles demeure problématique dans notre pays.

– Favoriser l’articulation entre les dispositifs de sécurité économique. Comme l’ont noté certains organismes publics interrogés au cours de la mission, qui mettent en œuvre, outre leur participation au contrôle IEF, d’autres dispositifs de sécurité et de protection, une articulation plus opérationnelle entre les dispositifs mis en œuvre par le SGDSN (comme la PPST) et la procédure IEF renforcerait la cohérence d’ensemble, qui se décline d’un point de vue opérationnel dans l’instruction des dossiers. De fait, « au-delà d’une liste de secteurs et d’activités se recoupant entre ces dispositifs, les mesures prises à l’aune d’un questionnement IEF (éligibilité ou non à la procédure, demande d’engagements à l’investisseur ou non, solution de financement nationale ou européenne concurrente le cas échéant) peuvent apparaître incohérentes si les activités de l’entité française ne relèvent pas directement de la défense nationale. » ([236]) Ce constat rejoint la nécessité, évoquée ci‑avant, de publier une véritable doctrine d’intelligence économique, qui puisse faciliter la coordination entre ces différents mécanismes destinés à promouvoir la sécurité des activités stratégiques.

Proposition n° 17 : Favoriser la circulation de l’information stratégique entre les différents services de sécurité économique, afin de mieux anticiper les menaces et de mieux analyser la sensibilité des activités : partage des référentiels stratégiques, communication des informations relatives à l’évolution du contexte sécuritaire, meilleure implication des services des hauts fonctionnaires de défense et de sécurité, meilleur partage de l’information stratégique.

b.   Intensifier les efforts de sensibilisation auprès des entreprises

– Des actions de sensibilisation globalement efficaces. Vos rapporteurs souhaitent mettre en avant la qualité et l’efficience globales des actions de sensibilisation menées par les administrations sectorielles et les services des HFDS ministériels à l’attention des administrations et des entreprises. Les cabinets d’avocats auditionnés soulignent ainsi le grand dynamisme de l’administration française dans sa démarche de sensibilisation des entreprises et des investisseurs étrangers aux enjeux du contrôle IEF.

Dans ce cadre, le service du HFDS des ministères sociaux a présenté aux rapporteurs les actions de sensibilisation qu’il menait dans le secteur sanitaire concernant le contrôle IEF : « des réunions d’information et de sensibilisation annuelles relatives au dispositif de contrôle du dispositif de contrôle des IEF, organisées avec la direction générale du Trésor, et au profit des directions métiers du ministère en charge de la santé et des opérateurs sous sa tutelle ; la publication mensuelle, trimestrielle ou annuelle de documents d’information et de bonnes pratiques sur les risques liés à la sécurité économique à destination du ministère en charge de la santé, des autres administrations, des opérateurs d’importance vitale (OIV) ou des établissements hébergeant des zones à régime restrictif (ZRR), dans le cadre du dispositif de protection du potentiel scientifique et technique de la nation (PPST). Ces publications sont couvertes par le secret de la défense nationale ; des réunions bilatérales avec les organisations professionnelles du secteur de la santé visant à présenter le service du HFDS et ses missions essentielles ; et, enfin, la sensibilisation des sociétés sous conditions IEF aux risques liés à la sécurité économique, à l’occasion de visites sur sites effectuées dans le cadre du suivi des conditions IEF ou d’une visite de diagnostic d’éligibilité au dispositif de protection du potentiel technique et scientifique de la nation (PPST) imposée dans une lettre de conditions. » ([237])

En outre, le SISSE observe qu’« un effort particulier a été consacré à la sensibilisation des entreprises et à la mise en place d’outils (guide de la sécurité économique qui se présente en 28 fiches comportant des conseils pratiques pour protéger son patrimoine économique, ses données, son image, outil d’autodiagnostic “diagseco”) » ([238]). Il considère que ces actions contribuent à diffuser la culture de la sécurité économique à l’ensemble des acteurs privés comme publics et à augmenter les signalements spontanés.

– Néanmoins, des progrès sont encore possibles. Plusieurs éléments de progression en matière de sensibilisation des entreprises et des administrations ont ainsi été relevés pendant les travaux de la mission. Il s’agit, d’une part, d’intensifier les efforts de sensibilisation auprès des entreprises sur les risques liés à la sécurité économique et les bonnes pratiques à adopter, notamment en ce qui concerne les accords de coopération internationale conclus avec des entités étrangères ; et, d’autre part, de renforcer l’offre de soutien aux entreprises afin de les aider dans l’identification des risques spécifiques aux différents domaines d’activité stratégiques.

3.   Élargir le réflexe sécuritaire du contrôle IEF

a.   Inscrire un critère de souveraineté dans les marchés publics stratégiques

– Dans le cadre de la passation de marchés publics, les secteurs stratégiques font aujourd’hui l’objet d’une protection insuffisante. Attentifs à la bonne attribution des marchés publics intervenant dans des domaines sensibles (en particulier dans les secteurs du numérique et de l’intelligence artificielle), vos rapporteurs constatent que la réglementation de la commande publique ne permet pas aujourd’hui de noter l’offre d’une entreprise candidatant à l’attribution d’un marché en fonction de critères de souveraineté. Singulièrement absent de cette procédure de passation, le réflexe sécuritaire qui imprègne le contrôle IEF ne peut ici être utilisé par l’État pour empêcher des formes de participation qui, à défaut de constituer un IDE, représentent bel et bien des facteurs d’influence économique.

De fait, en raison des dispositions nationales et européennes réglementant la passation des marchés publics, et malgré la réforme des directives de 2014 qui avait pour objectif d’encourager une plus grande prise en compte de certains aspects jugés stratégiques dans l’attribution des marchés publics de travaux, la Cour des comptes européenne souligne que « la part des marchés attribués au moins-disant représente toujours [en Europe] la majeure partie de l’ensemble des marchés attribués dans tous les États membres » ([239]). En France spécifiquement, le code de la commande publique prévoit que les critères d’attribution destinés à attribuer un marché public aux opérateurs économiques se fondent sur « l’offre économique la plus avantageuse », prenant en compte un critère de prix, mais également des éléments d’appréciation qualitatifs, environnementaux et sociaux ([240]) ; néanmoins, le code ne prévoit aucune disposition spécifique aux secteurs stratégiques pour permettre à l’État de refuser l’offre moins-disante d’une entreprise étrangère au nom de critères de souveraineté nationale et de sécurité économique.

Cette situation est la source de difficultés nombreuses pour les opérateurs publics, en particulier dans le champ de la recherche. Comme l’ont expliqué les représentants du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, « pour le CEA une contrainte peut nous gêner en matière de marchés publics : le droit nous contraint à prendre l’offre la moins chère en termes de coûts dans la plupart des cas. L’argument de souveraineté dans le choix des fournisseurs pour le cas d’un marché public stratégique, en particulier pour les organismes de recherche comme nous, n’existe pas : nous n’avons pas le droit de choisir un fournisseur français, sauf s’il est le moins cher. Nous soulevons régulièrement cette problématique auprès du SGDSN en ce qui concerne la protection des activités d’importance vitale, où il est crucial que nous disposions des outils juridiques adéquats pour lutter contre les ingérences étrangères qui se manifestent par le biais de la candidature à des marchés publics. Dans ce cas de figure, nous sommes donc amenés à utiliser des outils détournés dans la rédaction de l’appel d’offres, comme l’argument écologique ou le critère de proximité. » ([241])

– D’indispensables aménagements juridiques. Constatant que le droit européen et national ne propose pas de levier efficace pour sélectionner un fournisseur au détriment du moins-disant dans un secteur où le contrôle IEF empêcherait toute acquisition étrangère sans la mise en place de strictes conditions, vos rapporteurs proposent de lutter contre cette dépendance subie par les opérateurs publics français dans la passation de leurs marchés publics – dépendance qui obère notre autonomie stratégique globale.

Pour cela, ils recommandent de prévoir l’inscription d’un critère lié au maintien de la souveraineté économique dans les appels d’offres pour les marchés publics qui relèvent des secteurs d’activités énumérés à l’article R. 151‑3. Une pareille mesure, réglementation sœur du contrôle IEF, permettrait juridiquement de construire les appels d’offres afin d’assurer le blocage de toute candidature à un marché public dans un domaine stratégique dès lors que celle-ci, émise par une entité étrangère, est susceptible de porter atteinte à l’exercice de l’autorité publique, à l’ordre public, à la sécurité publique et aux intérêts de la défense nationale.

Proposition n° 18 : Inscrire un critère prioritaire de garantie de la souveraineté économique dans la procédure de passation des marchés publics qui interviennent dans les secteurs stratégiques énumérés à l’article R. 151‑3 du code monétaire et financier.

b.   Renforcer la coordination à l’occasion des procédures collectives

Les procédures collectives constituent un second « trou dans la raquette » de l’écosystème sécuritaire lié aux acquisitions étrangères en France. Dans la pratique, la temporalité de la procédure judiciaire qui s’applique à une entreprise en difficulté ne laisse que peu de temps aux administrateurs judiciaires pour faire prévaloir des intérêts liés à la sauvegarde de la sécurité économique nationale dans le choix du repreneur. À cet égard, les représentants de la direction générale de l’armement (DGA) observent que « le nombre de dossiers liés à des procédures judiciaires a connu une progression marquée en 2024. Ces dossiers doivent être traités dans des délais encore plus contraints que la procédure ordinaire. Les conditions ne sont alors pas optimales pour négocier les engagements avec l’investisseur et il est souvent trop tard pour rechercher une solution alternative à la reprise par un investisseur étranger. »

Vencorex : reprise par un groupe chinois d’un fabricant de composants chimiques

Placée en redressement judiciaire en septembre 2024, l’usine chimique Vencorex fournit des matériaux utilisés dans la fabrication des missiles M51 et des fusées Ariane 6.

À la suite d’une décision du tribunal de commerce de Lyon, le 10 avril 2025, l’entreprise a été partiellement acquise par le groupe chinois Wanhua, via sa filiale hongroise BorsodCHem, sans entrée de l’État au capital ni imposition de conditions au terme d’une procédure IEF. D’après Les Échos, le repreneur chinois ne conservera qu’une cinquantaine d’emplois sur les 464 que comptait initialement ce site industriel ([242]).

Outre cette lacune en termes de temporalité, les entreprises intervenant dans des secteurs stratégiques qui se retrouvent en état de cessation des paiements sont confrontées à des administrateurs judiciaires qui n’ont pas la culture du contrôle IEF. Les représentants de la DGA observent ainsi qu’une sensibilisation des administrateurs judiciaires et des tribunaux de commerce aux spécificités de la défense et la systématisation d’un dialogue avec la DGA serait souhaitable.

Pour y remédier, vos rapporteurs proposent de prévoir une articulation entre les différents services impliqués dans la politique de sécurité économique en ce qui concerne la gestion des procédures collectives (redressement et liquidation judiciaires). Dans ce cadre, il est essentiel d’agir auprès des tribunaux de commerce via une information, en amont des procédures, sur les enjeux de souveraineté économique :

● d’une part, par la publication d’une circulaire du ministère chargé de la justice, instaurant une procédure d’information des tribunaux de commerce sur les risques liés aux prédations de technologies dans les entreprises en situation de redressement judiciaire, qui pourrait passer par la sollicitation d’un avis technique par les mandateurs judiciaires auprès du SISSE et de la DGA, en fonction des secteurs stratégiques concernés ;

● d’autre part, en prévoyant une modification du code de commerce, afin d’assurer l’intervention d’un contrôle IEF dans le cas de reprise d’activités stratégiques par une société étrangère au terme d’une procédure collective.

Proposition n° 19 : Prévoir une articulation spécifique entre le code de commerce et le code monétaire et financier afin de mettre en œuvre de manière systématique un contrôle de souveraineté dès lors qu’une entité étrangère entend racheter une entreprise stratégique française à l’issue d’un redressement ou d’une liquidation judiciaires.

B.   POUR UN RÉARMEMENT FINANCIER EN CONTREPOINT DU FILTRAGE

L’un des principaux enjeux liés au contrôle IEF relève de la faculté des pouvoirs publics à maintenir un équilibre efficient entre attractivité et promotion de la souveraineté économique, et, par suite, de leur capacité à créer des offres alternatives de reprise afin de favoriser le rachat des activités stratégiques par des entreprises françaises. Face aux difficultés auxquelles sont confrontées des entreprises françaises souhaitant céder leur activité stratégique, vos rapporteurs estiment que l’efficience de notre filtrage des IDE dépend de la capacité de notre écosystème financier à créer des alternatives réelles pour les entreprises françaises.

Au terme de leurs travaux, vos rapporteurs considèrent que le contrôle IEF ne constitue pas un frein à l’investissement étranger dans les secteurs stratégiques de notre économie : en témoignent les récents classements internationaux qui soulignent l’attractivité de la France à l’égard des capitaux étrangers. La DGA rappelle ainsi que « la procédure IEF intervient afin de contrôler si les conditions de l’investissement restent compatibles des intérêts stratégiques de l’État, notamment pour ce qui concerne la défense nationale. Elle permet d’atteindre le bon équilibre entre souveraineté et attractivité : le contrôle s’effectue de manière proportionnée afin de protéger les intérêts de l’État sans porter atteinte au principe de libre circulation des capitaux. » ([243])

Cependant, il est essentiel que le contrôle IEF ne dégrade pas les valorisations de sortie en décourageant les fonds d’investissement français qui pourraient investir dans certains secteurs stratégiques, mais le refusent en raison de leur difficulté à trouver un repreneur, qu’il soit français – à cause des faiblesses de l’écosystème de financement – ou étranger – du fait de la rigueur du contrôle IEF, qui empêcherait une prise de participation majoritaire étrangère dans une activité très sensible. Comme l’a indiqué M. Pascal Lagarde, directeur exécutif de Bpifrance, « il ne faut pas que les IEF deviennent un repoussoir pour les fonds d’investissement qui ont besoin d’une liquidité pour céder leurs participations. À l’exemple de certains fonds d’investissement qui refusent maintenant d’investir dans le secteur de la défense. » ([244])

Auditionné par vos rapporteurs, M. Alexis Zajdenweber, commissaire aux participations de l’État, a en outre observé que, « si l’on refuse trop systématiquement des investisseurs étrangers, il est indispensable qu’existent de réelles alternatives. Une des raisons pour lesquelles nous avons du mal à faire exister des fonds français est liée à la difficulté pour ces fonds d’opérer des stratégies de sortie en vendant l’entreprise stratégique qu’ils ont achetée, parce que la plupart des investisseurs à qui ils pourraient la céder sont étrangers. Le cas Photonis était de fait emblématique à cet égard. Il est donc indispensable de créer les conditions d’un écosystème attractif. » ([245])

1.   Soutenir la complémentarité des opérateurs financiers publics

a.   L’affirmation de priorités stratégiques

– Une prise en compte active des priorités stratégiques dans la doctrine d’intervention de l’agence des participations de l’État (APE). En 2017, la doctrine d’intervention de l’État actionnaire a été redéfinie autour de trois axes prioritaires, dans une approche de souveraineté globale ([246]) : le soutien aux entreprises stratégiques contribuant à l’indépendance de la France ; le soutien aux entreprises participant à des missions de service public ou d’intérêt général ; et le soutien aux entreprises en difficulté, dont la disparition pourrait entraîner une perte d’indépendance. M. Alexis Zajdenweber relève à cet égard que « cette doctrine d’intervention a démontré sa robustesse, notamment face aux crises qui se sont succédées depuis 2017, mais aussi sa flexibilité, en ce qu’elle a permis à l’État actionnaire d’investir à la fois dans des entreprises entrant dans le champ traditionnel de la souveraineté économique (notamment la défense), mais aussi de prendre position dans des secteurs plus nouveaux (comme le numérique avec la récente prise de contrôle d’Alcatel Submarine Networks). » ([247])

Certaines participations renforcées dans des secteurs stratégiques témoignent de cette inflexion doctrinale. Ainsi, d’un point de vue sectoriel, au 30 juin 2024, les participations dans les secteurs de l’aéronautique et de la défense (soit pour les entreprises : Airbus, Safran et Thalès) représentaient 57,4 % de la valeur du portefeuille coté de l’APE ; les entreprises cotées relevant du secteur de l’énergie correspondaient quant à elles à une proportion de 16,7 %.

– Un soutien décisif de Bpifrance à l’innovation stratégique. D’autre part, alors que l’APE se concentre sur des participations majoritaires, Bpifrance investit au moyen de participations minoritaires dans des PME ou des ETI revêtant une importance critique. M. Pascal Lagarde a ainsi précisé à vos rapporteurs ([248]) que « Bpifrance apporte un service de proximité et d’accompagnement des entreprises, tout au long de leur cycle de vie, en focalisant prioritairement son action sur les TPE, les PME et les ETI porteuses de croissance et de compétitivité ». Depuis le soutien aux activités en amont de la R&D jusqu’au renforcement du capital des startups innovantes, Bpifrance accompagne l’innovation de rupture et l’industrialisation, « particulièrement dans des secteurs en développement tels que les nouvelles technologies, l’environnement, la santé ou encore les domaines contribuant à la transition écologique et énergétique » ([249]).

Un soutien stratégique aux entreprises du quantique : l’exemple d’Alice & Bob

Via ses fonds Deep Tech 2030, Innovation Défense et Digital Venture, Bpifrance a participé en javnier 2025 à une deuxième levée de fonds de 100 millions d’euros pour l’entreprise Alice & Bob, leader dans le développement des ordinateurs quantiques. Selon le groupe, « ce financement permettra d’accélérer les efforts de la société pour construire le premier ordinateur quantique capable de produire des résultats concrets » ([250]).

Dans ce cadre, les investisseurs de la première levée de fonds (Elaia Partners, Breega, Supernova Invest et Bpifrance) ont reconduit leur engagement pour cette seconde levée de fonds, aux côtés de nouveaux investisseurs : entre autres, Future French Champions, Axa Venture Partners, European Innovation Council.

À cet égard, les grandes priorités stratégiques du groupe, fixées dans son plan stratégique à cinq ans établi au terme d’un dialogue avec les représentants de l’État et du comité national d’orientation de la banque, concernent spécifiquement des domaines d’activité prioritaires dans le champ de l’innovation : les activités industrielles (au travers d’un « plan industrie » : santé, nucléaire, défense), les technologies de pointe (« plan tech » : IA, cyber, logiciel), mais aussi les industries culturelles et créatives et la greentech. Dans ce cadre, Bpifrance dispose de nombreux fonds pour viser particulièrement les technologies de rupture : ainsi du fonds Deep Tech 2030, géré par Bpifrance pour le compte de l’État dans le cadre du plan France 2030, et du fonds Innovation Défense, créé en 2021 pour financer des opérations de capital-risque et d’amorçage de startups dans les sociétés duales ou civiles à haut potentiel de création de valeur et développant des technologies innovantes en lien avec le secteur de la défense : « énergie, quantique, intelligence artificielle, analyse de données, réalité virtuelle/augmentée ou simulation, connectivité, matériaux, semi-conducteurs, capteurs/émetteurs, véhicules autonomes, robotique, cybersécurité, spatial, etc. » ([251]).

b.   Aviver la complémentarité des financements

Au cours de leurs travaux, vos rapporteurs ont régulièrement pointé la problématique de l’absence d’un fonds souverain suffisamment doté, dont l’activité serait concentrée sur les secteurs de la défense, de l’industrie et de l’agriculture, et qui permettrait d’assurer des solutions de financement efficaces dans les secteurs stratégiques de l’économie française. Il est apparu au fil des auditions qu’il importait en premier lieu de favoriser le rapprochement entre les trois acteurs existants dans le champ des secteurs stratégiques : APE, Bpifrance et Caisse des dépôts et consignations, dont la complémentarité entre les différentes doctrines et les moyens d’intervention pourraient être significativement renforcés ([252]).

Vos rapporteurs saluent les initiatives qui vont dans le sens d’un renforcement de la coordination entre ces organismes afin de créer, systématiquement, des solutions de reprise françaises pour les entreprises exerçant des activités stratégiques dans le cas d’une décision de refus IEF. Une pareille coopération pourrait avoir lieu par le biais d’une meilleure articulation entre la doctrine de prises de participations de l’État avec celles de la Caisse des dépôts et consignations et de Bpifrance, ainsi que le recommandait déjà la Cour des comptes dans un audit de 2024 ([253]).

Proposition n° 20 : Favoriser la coordination entre les doctrines de l’Agence des participations de l’État, de la Caisse des dépôts et consignations et de Bpifrance, afin de faciliter la mobilisation d’alternatives financières publiques dans les secteurs stratégiques à l’occasion du refus d’un projet d’investissement direct étranger.

2.   Renforcer l’intégration de l’Agence des participations de l’État (APE) au contrôle IEF

a.   Une association incidente mais active à la procédure IEF

– Une sollicitation récurrente au titre de l’instruction des dossiers. Quoique l’agence n’intervienne pas dans le contrôle IEF, elle peut en pratique être sollicitée lorsque l’examen d’un dossier conclut à la nécessité pour l’État de prendre une action de préférence au capital d’une entreprise, pour protéger certains intérêts essentiels avec une exposition minime en capital.

Prises de participation récentes de l’APE (2024)

Le 5 novembre 2024, l’État a acquis 80 % du capital de la société Alcatel Submarine Networks (ASN), après plusieurs mois de négociations avec Nokia.

Le 24 octobre 2024, l’APE a confirmé la souscription de l’État pour un montant de 300 millions d’euros à l’augmentation de capital d’Orano ; en conséquence, la participation de l’État au capital d’Orano s’élève désormais à 90,33 %.

Le 27 juin 2024, dans le prolongement du mémorandum d’entente conclu entre le président de la République et le Premier ministre belge le même jour en vue du renforcement de la coopération industrielle, l’État est entré au capital de la société belge John Cockerill Defense (JCD) à hauteur de 10 %, aux côtés de la Société Fédérale de Participations et d’Investissement (SFPIM, fonds souverain belge), qui détient également 10 % du groupe. Cette prise de participations se produit à la suite de l’acquisition par John Cockerill Defense de l’entreprise française Arquus, spécialisée dans les véhicules militaires (anciennement Renault Truck Defense).

– La mobilisation d’outils de financement dédiés. Lorsque l’APE est saisie d’un dossier IEF, plusieurs leviers d’action peuvent être mobilisés, dans une logique de subsidiarité : la prise de participation directe en capital de l’État (récemment, pour Alcatel Submarine Networks) ; la mise en place d’actions de préférence (Exxelia) ou l’acquisition par des entreprises à participation publique d’autres entreprises (par exemple, le rachat d’Arabelle Solutions par EDF ou d’Idemia par IN Groupe). M. Alexis Zajdenweber a ainsi mentionné la possibilité pour l’APE de prendre une action spécifique dans certaines opérations pour permettre la finalisation de la transaction, tout en favorisant la garantie des intérêts nationaux : « Ces instruments évitent que soit opposé un refus à l’opération lorsqu’il existe un réel intérêt financier à ce qu’elle se conclue, mais permettent que cela se produise dans des conditions favorables à la souveraineté française. » ([254])

De fait, en complément des conditions qui assortissent les autorisations d’investissement accordées par le ministre de l’économie, certains outils financiers sont facilement mobilisables par l’État, permettant à celui-ci de se ménager des moyens de contrôle sur la gouvernance et les activités de l’entreprise stratégique cédée à un investisseur étranger :

– Les actions de préférence, de droit commun ([255]), sont inspirées par le droit anglo‑saxon et relativement récentes dans le droit des sociétés en France. Selon l’APE, elles sont « pour l’instant peu mises en œuvre au sein du portefeuille [de l’État actionnaire] » ([256]). Ces actions, avec ou sans droit de vote, sont assorties de droits particuliers de toute nature, à titre temporaire ou permanent ; elles doivent faire l’objet d’une mention dans les statuts, c’est-à-dire être approuvées par un vote du conseil d’administration de l’entreprise.

Exemples d’actions de préférence détenues par l’ÉTat

Entité économique ciblée

Justification de l’action de préférence

ADIT SAS

N’étant plus au capital de l’ADIT, l’action de préférence prise par l’APE permet néanmoins à l’État de conserver un droit d’agrément sur tout nouvel actionnaire – et ce également en cas de changement de contrôle indirect.

ARIANEGROUP SAS

Une action de préférence a été mise en place à l’occasion de la création d’ArianeGroup, société détenue à parité par Airbus et Safran et chargée d’activités sensibles (lanceurs spatiaux et missiles balistiques), pour assurer la protection des intérêts de l’État dans ces secteurs.

EXXELIA INTERNATIONAL SAS

Au moment du rachat d’Exxelia, société spécialisée dans la fabrication de sous-systèmes de précision (transformateurs, condensateurs, résistances, etc.) à destination des industries de l’aviation, de la défense et du spatial, par le groupe américain Heico Corps en 2023, l’APE a acquis une action de préférence octroyant des droits particuliers à l’État afin de préserver les compétences et le savoir-faire d’Exxelia en lien avec la défense nationale.

BULL SA

En octobre 2024, l’APE a souscrit à l’augmentation de capital de Bull SA, filiale française d’Atos regroupant l’essentiel des activités sensibles du groupe en matière de supercalculateurs, au travers d’une action de préférence ([257]).

Comme l’indique l’APE, « en inscrivant dans les statuts de la société Bull SA les droits de l’État, cette action de préférence renforce la convention de protection des intérêts stratégiques signée entre l’État et Atos le 28 juin 2024 ayant pour objectif la mise en place d’un dispositif de protection des intérêts de la nation adapté à la nature stratégique de certaines activités réalisées par Bull SA, et ce indépendamment d’une éventuelle acquisition de ces activités » ([258]).

Source : Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, d’après les réponses de l’APE au questionnaire des rapporteurs de la mission d’évaluation du contrôle des investissements étrangers en France.

– Les actions spécifiques (ou golden shares). Au-delà des mécanismes de droit commun (pactes d’actionnaires, conventions, actions de préférence, etc.), l’État dispose de prérogatives spécifiques dès lors qu’il souhaite, en tant qu’actionnaire, assurer la protection d’un actif stratégique. Introduites en droit français par la loi n° 86-912 du 6 août 1986 relative aux modalités des privatisations ([259]), ces actions permettent à un État de détenir un droit de veto sur l’évolution des activités et du capital d’une société, grâce à la détention d’une action ordinaire.

Exemples d’actions spécifiques détenues par l’État

L’APE détient des actions spécifiques dans six entreprises, dont :

Le groupe Thales ([260]), avec une action mise en place en 1997 lors de la privatisation de Thomson pour protéger les activités sensibles du groupe en plus d’un haut niveau de détention du capital par l’État ; le franchissement de seuil effectué par Dassault Aviation au capital de Thales en 2009 a ainsi dû obtenir l’agrément du ministre chargé de l’économie.

Aubert & Dauval SAS ([261]), concepteur et fabricant de métaux stratégiques : action spécifique mise en place pour garantir les intérêts stratégiques de l’État dans le domaine de la défense dans le cadre de la cession de la société par Eramet à un consortium regroupant Airbus, Safran et le fonds Tikehau Ace Aeropartners en mai 2023.

Engie ([262]), afin de préserver les intérêts essentiels de la France relatifs à la continuité et à la sécurité d’approvisionnement en énergie. Au titre de cette action spécifique, l’État peut s’opposer aux décisions de cession de certains actifs détenus par le groupe dans le champ des infrastructures stratégiques (réseau de distribution de gaz naturel, installations de stockage, etc.).

KNDS Systems (anciennement Nexter Systems, renommé en avril 2024) ([263]), fabricant d’armes et de munitions : action mise en place lors de la création de KNDS par rapprochement de Nexter et de la société allemande KMW.

b.   Une capacité d’intervention à renforcer

Alors qu’il apparaîtrait opportun de renforcer les moyens d’intervention d’un organisme comme l’APE, celle-ci a précisé à vos rapporteurs qu’elle ne disposait pas aujourd’hui des moyens pour intervenir à large échelle. Ainsi, sa vocation est tout d’abord sélective et subsidiaire : elle ne peut intervenir que lorsque les circonstances l’exigent absolument, avec une équipe d’une soixantaine de personnes pour un portefeuille de 86 entreprises. De fait, la Cour des comptes soulignait en avril 2024 le faible ratio d’ETP par entreprise de son portefeuille (0,6 ETP par entreprise), en comparaison avec ceux des grands fonds français investis majoritairement à long terme (Meridiam, Ardian et Wendel, avec un ratio allant de 3 à 4), ainsi que le faible taux de frais de fonctionnement par rapport à la valeur des actifs sous gestion (0,007 % pour l’APE, contre 1 à 2 % pour ces fonds privés) ([264]).

Il semble donc indispensable de renforcer la capacité d’intervention de l’agence, dès lors que de ses moyens dépend l’effectivité de l’action de l’État, en complément de la procédure IEF, pour maintenir sous pavillon français des entreprises emblématiques de notre souveraineté. En effet, l’activité d’investissement de l’APE repose sur le compte d’affectation spéciale « Participations financières de l’État », qui n’est alimenté que par des produits de cession et des dotations budgétaires ciblées, et non par les dividendes des entreprises publiques (entre 2 et 3 milliards d’euros annuels), qui sont versés au budget général. Autrement dit, l’APE ne dispose pas des marges de manœuvre financières pour procéder à des réinvestissements. M. Alexis Zajdenweber relève ainsi qu’une affectation des « dividendes au CAS PFE permettrait de donner à l’APE des moyens d’agir comme un investisseur plus proactif. » ([265]) Une pareille réforme serait effectivement de nature à renforcer les moyens de l’agence.

Proposition n° 21 : Renforcer les capacités d’intervention de l’Agence des participations de l’État dans les dossiers de cession éminemment stratégiques, en affectant les dividendes des entreprises publiques au compte d’affectation spéciale « Participations financières de l’État ».

3.   Favoriser le développement d’un écosystème d’offres financières

Pour que le contrôle des IEF soit efficace, il est essentiel que puissent exister, en parallèle des solutions publiques, des alternatives domestiques privées de rachat des entreprises stratégiques ; sans ces dernières, il est difficile, sinon impossible, d’imposer un refus aux investisseurs étrangers, au risque de porter préjudice à la société-cible qui se trouve dans la nécessité de trouver un repreneur, mais ne parvient pas à en trouver un en France.

Afin de pallier les difficultés de financement des secteurs stratégiques et de favoriser des offres de reprise françaises, il importe de soutenir le développement d’acteurs privés français solides dans les différentes filières tout en leur donnant les moyens de lever des financements nécessaires aux acquisitions. Or, le secteur financier, en France comme en Europe, subit une perte de vitesse liée aux contraintes croissantes de la réglementation bancaire et des exigences prudentielles, qui s’ajoutent aux vulnérabilités intrinsèques de ces secteurs. Vos rapporteurs ont observé, au cours des travaux qu’ils ont menés, que « 65 % des actifs européens sous gestion en equity sont investis hors Europe et 47 % en obligataires, en augmentation continue depuis 2012. La taille relative de l’UE sur les marchés mondiaux des capitaux est passée de 18 % à 10 % en 15 ans. » ([266])

Dans ce contexte, vos rapporteurs considèrent qu’il est capital de favoriser la mobilisation de ressources supplémentaires. Comme le constate Bpifrance, « si Bpifrance dispose dans l’absolu de moyens conséquents (ses fonds propres, les fonds gérés pour le compte de l’État…), ils doivent toutefois être augmentés pour faire face à cette situation, a fortiori dans un environnement prudentiel qui requerra plus de capital pour nos métiers d’investissement. » ([267])

À cet égard, la mise en place de nouveaux fonds à destination des particuliers et des entreprises résidant fiscalement en France (c’est-à-dire permettant au grand public d’accéder au capital-investissement dans des catégories d’actifs non cotés traditionnellement réservés aux investisseurs professionnels) constitue une voie d’amélioration privilégiée. Vos rapporteurs saluent les initiatives de Bpifrance en ce sens, avec la mise en place de la gamme de fonds « Bpifrance Entreprises » (BE1, BE2, BE3 et BEA1) à partir de 2020, dont le quatrième fonds (BE3) a été lancé en septembre 2024 ; ces fonds dits « retail », diffusés via les principaux assureurs, ont permis la collecte de 350 millions d’euros auprès de 20 000 investisseurs particuliers. M. Pascal Lagarde précise à cet égard que, « dans les années à venir, Bpifrance envisage de maintenir le rythme d’un nouveau fonds par an pour stimuler le marché, pour encourager une orientation durable de l’épargne des particuliers vers le capital-investissement » ([268]).

L’annonce le 20 mars dernier du lancement du fonds « Bpifrance Défense » par le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, aux côtés du ministre des armées, à destination des épargnants (avec un ticket d’entrée à 500 euros, pour une taille cible de 450 millions d’euros et centré sur le financement des entreprises des domaines de la défense et de la cybersécurité) constitue donc un précédent salutaire pour accompagner le développement et la démocratisation du capital-investissement – l’objectif étant, à terme, de disposer d’un écosystème de financement français suffisamment dynamique pour constituer un corollaire efficace et entier du contrôle IEF.

Dans le champ des industries de l’armement, la DGA a quant à elle mené un certain nombre d’initiatives pour améliorer le financement des entreprises stratégiques de la BITD, qui sont destinées à s’amplifier. La direction a notamment investi dans plusieurs dizaines d’entreprises via les fonds Definvest et Innovation défense, mené une veille active sur les politiques d’exclusion défense des différents réseaux bancaires français, constitué un réseau d’investisseurs susceptible d’intervenir dans le secteur et mis en place, en concertation avec la fédération bancaire française (FBF), un réseau de référents défense au sein des grandes banques françaises, pour « objectiver les éventuelles difficultés d’accès au crédit des entreprises du secteur (difficultés non systémiques mais qui peuvent exister du fait de la mauvaise interprétation au sein d’agences locales de la mise à jour des politiques nationales de tel ou tel réseau bancaire) » ([269]).

Cet ensemble d’initiatives répond à l’objectif d’instaurer un dialogue avec les entreprises sur leurs difficultés et leurs perspectives financières, en amont d’un projet de reprise par un investisseur étranger. En raison des liens que nourrit sa direction de l’industrie de défense avec les 4 500 entreprises de la BITD, la DGA est effectivement en mesure d’anticiper de nombreux projets de cession dans la filière et d’organiser la mise en place de solutions de reprise.

Proposition n° 22 : Soutenir le développement de fonds d’investissement accessibles au grand public et ciblés spécifiquement sur le financement des différentes filières stratégiques, à l’image du nouveau fonds Bpifrance Défense.

 

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EXAMEN PAR LE COMITÉ

Le Comité a procédé à l’examen du présent rapport d’information lors de sa réunion du jeudi 22 mai 2025 et a autorisé sa publication.

Les débats qui ont eu lieu au cours de cette réunion sont accessibles sur le portail vidéo du site de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

https://videos.assemblee-nationale.fr/video.16901125_682ed7589c891.comite-d-evaluation-et-de-controle--controle-des-investissements-etrangers-en-france-22-mai-2025

 


 

   ANNEXE :
PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURS

1. Auditions :

        MM. Olivier Assant, avocat à la Cour, associé du cabinet Bredin Prat, et Guillaume Léonard, avocat à la Cour, collaborateur au sein de l’équipe Droit public du cabinet Bredin Prat (15 janvier 2025)

        M. Mathias Audit, avocat à la Cour, associé-fondateur du cabinet Audit-Duprey-Fekl, professeur agrégé des facultés de droit à l’École de droit de la Sorbonne (15 janvier 2025)

        M. William Roos, chef du service des affaires multilatérales et du développement (SAMD) de la direction générale du Trésor (DGT), accompagné de Mme Sabine Lemoyne de Forges, sous-directrice de la politique commerciale et de l’investissement (MULTICOM), M. Thomas Ernoult, chef du bureau du contrôle des investissements étrangers en France (CIEF), Mme Camille Brueder, adjointe au chef du bureau CIEF, et M. Sofien Abdallah, conseiller parlementaire et relations institutionnelles, chargé de mission auprès de la secrétaire générale de la DGT (22 janvier 2025)

        Mme Magali Cesana, cheffe du service des affaires bilatérales, de l’internationalisation des entreprises et de l’attractivité (SABINE) de la direction générale du Trésor (DGT), accompagnée de M. Pierre Gouriou, chef du bureau de l’attractivité des investissements (ATTRACT), Mme Marie-Victoria Frey, adjointe au chef du bureau ATTRACT, et M. Sofien Abdallah, conseiller parlementaire et relations institutionnelles, chargé de mission auprès de la secrétaire générale de la DGT (29 janvier 2025)

        M. Jean-Christophe Martin, consultant en intelligence économique pour le cabinet RELIANS* et expert en opérations de fusions-acquisitions dans les secteurs de la sécurité, de la défense et de l’aéronautique (30 janvier 2025)

        M. Joffrey Célestin-Urbain, chef du service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE) de la direction générale des Entreprises (DGE), accompagné de M. Mathieu Kahn, chef du pôle des opérations, et Mme Maële Andrieu, directrice de projets (5 février 2025)

        M. Pascal Bine, avocat associé du cabinet Skadden Arps (5 février 2025)

        M. Pascal Dupeyrat, conseil stratégique et lobbyiste spécialisé dans les questions relatives aux investissements étrangers, dirigeant du cabinet RELIANS*, auteur des ouvrages « CFIUS. Le contrôle des investissements étrangers aux États-Unis » (RELIANS, 2022) et « IEF. Le contrôle des investissements étrangers en France » (RELIANS, 2024) (19 février 2025)

        Mme Sophie Pelé, avocate à la Cour, associée du cabinet Dechert LLP (19 février 2025)

        M. Christophe Peyrel, haut fonctionnaire adjoint de défense et de sécurité, chef du service de défense et de sécurité des ministères de l’éducation, de la jeunesse, des sports, de l’enseignement supérieur et de la recherche, accompagné de Mme Catherine Billard, sous‑directrice de la protection de la recherche et des activités critiques, et de M. Jérémie Castello, adjoint au chef du bureau de la protection du potentiel scientifique et technique et de l’intelligence économique (5 mars 2025)

        Mme Sophie Lebret, secrétaire générale des ministères sociaux et haute fonctionnaire de défense et de sécurité, accompagnée de M. Marc Meunier, haut fonctionnaire adjoint de défense et de sécurité et chef du service, M. Mathieu Pampin, chef du pôle Défense et sécurité, adjoint au chef de service, et Mme Louise Langlois-Damade, chargée de mission Sécurité économique (12 mars 2025)

        Mme Audrey Duval, directrice des affaires Corporate et présidente de Sanofi France*, Mme Agnès Perré, directrice financière France, et M. Philippe Charreau, directeur Manufacturing & Supply France, accompagnés de M. Jean-Yves Moreau, directeur des affaires publiques territoriales France (12 mars 2025)

        M. Joachim Pohl, chef de l’unité de la gouvernance des investissements internationaux (division des investissements de la direction des affaires financières et des entreprises) au sein du secrétariat de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), accompagné de M. Nicolas Rosselot, analyste juridique auprès de l’unité de la gouvernance des investissements internationaux (OCDE) (19 mars 2025)

        M. Serge Weinberg, président fondateur de Weinberg Capital Partners (19 mars 2025)

        M. Alexis Zajdenweber, commissaire aux participations de l’État, directeur général de l’Agence des participations de l’État (APE), accompagné de M. Antonin Valls, adjoint à la cheffe de cabinet (26 mars 2025)

        M. Olivier Marleix, député, et M. Guillaume Kasbarian, député et ancien ministre, respectivement président et rapporteur de la commission d’enquête chargée d’examiner les décisions de l’État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d’entreprises d’Alstom, d’Alcatel et de STX, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels (26 mars 2025)

        M. Arnaud Montebourg, ancien ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique (2 avril 2025)

        MM. Éric Gosset, officier central de sécurité et chef du service de protection physique et du secret à la direction de la sécurité et de la sûreté nucléaire, Hervé Desvaux, directeur délégué aux programmes, Cyrille Fruchaud, expert référent dans le domaine de la protection des activités de recherche face aux risques d’ingérence étrangère et sécurité économique au sein de la direction de la sécurité et de la sûreté nucléaire et au service de protection physique et du secret, et Patrick Cappe de Baillon, référent intelligence économique à la direction de la valorisation, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) (2 avril 2025)

        M. Alexandre Lahousse, directeur général adjoint de la direction générale de l’armement (DGA), accompagné de Mme Mathilde Herman, conseillère pour la communication et les relations avec les élus auprès du délégué général pour l’armement (9 avril 2025)

        M. Pascal Lagarde, directeur exécutif de Bpifrance*, en charge de l’international, de la stratégie, des études et du développement, accompagné de M. Cédric Lowenbach, directeur de développement au sein de la direction de la stratégie et du développement, et de M. Pierre Cejka, chargé des relations institutionnelles (9 avril 2025)

2. Contributions écrites :

        Service des biens à double usage (SBDU), direction générale des Entreprises (DGE)

        Service de l’économie numérique (SEN), direction générale des Entreprises (DGE)

        Service de l’industrie (SI), direction générale des Entreprises (DGE)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.


([1]) Les politiques de contrôle des investissements directs étrangers (IDE) désignent l’ensemble des mécanismes visant à soumettre à autorisation (ou refus, ou autorisation sous conditions) les opérations d’investissement entreprises par des entités économiques étrangères dans des sociétés de droit national dont le champ d’activité relève de secteurs dits stratégiques, dans la mesure où leur indépendance à l’égard des influences étrangères constitue un facteur essentiel de la souveraineté ou de la sécurité économique d’un pays.

([2]) Pour la France, ce champ correspond aux activités décrites à l’article L. 151-3 du code monétaire et financier.

([3]) En outre, en 2023, les flux d’investissements directs français à l’étranger ont connu une progression de + 32,8 % par rapport à 2022, soit une progression de 50,6 à 67,2 milliards d’euros en l’espace d’une année.

([4]) D’après les réponses écrites au questionnaire des rapporteurs transmises par le service des affaires bilatérales, de l’internationalisation des entreprises et de l’attractivité (direction générale du Trésor).

([5]) Banque de France, données 2024 pour 2023.

([6]) Site internet de l’INSEE, onglet « Définitions, méthodes et qualité », définition des « Investissements directs étrangers », 05/11/2019, consulté le 04/05/2024.

([7]) Art. R. 152-11, code monétaire et financier.

([8]) Art. R. 152-3, code monétaire et financier.

([9]) Comme l’a relevé le SABINE, « la fiscalité des entreprises a été allégée avec la réduction progressive de l’impôt sur les sociétés (de 33,33 % à 25 % en 2022) et des impôts de production. La loi de finances initiale (LFI) pour 2025 maintient les fondamentaux de notre politique d’attractivité. »

([10]) Audition du mercredi 29 janvier 2025.

([11]) EY, « Baromètre EY de l’attractivité de la France 2025. Nouveaux chocs, nouveaux défis pour la France et l’Europe », mai 2025.

([12]) Ibid., p. 6 : « les tensions géopolitiques sont perçues comme le principal risque pour l’attractivité européenne (35 %), devant le contexte macroéconomique (34 %) et les barrières commerciales (30 %). Nul doute que ce sujet a pris de l’intensité depuis l’accentuation de la guerre commerciale avec l’augmentation des droits de douane et ses implications sur la croissance et l’investissement, en Europe et ailleurs ».

([13]) Audition du mercredi 29 janvier 2025.

([14]) Audition du mercredi 29 janvier 2025.

([15]) Audition du mercredi 29 janvier 2025.

([16]) Audition du mercredi 12 mars 2025.

([17]) Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), Projet sur la liberté d’investissement, Évolutions des politiques de l’investissement dans 61 économies : 16 octobre 2021 – 15 mars 2023, avril 2023, p. 16.

([18]) Ibid., 12.

([19]) OCDE, Renforcer la transparence et l’intégrité des activités d’influence étrangère en France : Un outil pour lutter contre les risques d’ingérences étrangères, 2024, p. 11.

([20]) Assemblée nationale, rapport n° 1311 fait au nom de la commission d’enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères – États, organisations, entreprises, groupes d’intérêts, personnes privées – visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français, par M. Jean-Philippe Tanguy, président, et Mme Constance Le Grip, rapporteure, 1er juin 2023, p. 17.

([21]) OCDE, op. précit., 2024, p. 16.

([22]) Sénat, rapport n° 739 fait au nom de la commission d’enquête sur les politiques publiques face aux opérations d’influences étrangères visant notre vie démocratique, notre économie et les intérêts de la France sur le territoire national et à l’étranger afin de doter notre législation et nos pratiques de moyens d’entraves efficients pour contrecarrer les actions hostiles à notre souveraineté, par M. Dominique de Legge, président, et M. Rachid Temal, rapporteur, 23 juillet 2024, p. 17.

([23]) OCDE, op. précit., 2024, p. 3.

([24]) Audition du mercredi 5 février 2025.

([25]) Sénat, rapport d’information n° 755 fait au nom de la commission des affaires économiques sur la souveraineté économique de la France, par Sophie Primas, Amel Gacquerre et Franck Montaugé, 6 juillet 2022.

([26]) Commission européenne, rapport annuel 2024 précité sur le filtrage des investissements directs étrangers dans l’Union, p. 8.

([27]) Sénat, rapport n° 739 précit., 23 juillet 2024, p. 17.

([28]) Conseil d’État, étude annuelle 2024, La souveraineté, p. 316.

([29]) Audition du mercredi 12 mars 2025.

([30]) Audition du mercredi 12 mars 2025.

([31]) Audition du mercredi 5 mars 2025.

([32]) Sénat, rapport d’information n° 873 fait au nom de la mission d’information sur les influences étatiques extra‑européennes dans le monde universitaire et académique français et leurs incidences, Mieux protéger notre patrimoine scientifique et nos libertés académiques, par M. André Gattolin, 29 septembre 2021, p. 11.

([33]) Conseil d’État, étude annuelle 2024, La souveraineté, p. 319.

([34]) Art. 1er du décret n° 2019-206 du 20 mars 2019 relatif à la gouvernance de la politique de sécurité économique.

([35]) Décret n° 2016-66 du 29 janvier 2016 instituant un commissaire à l’information stratégique et à la sécurité économiques et portant création d’un service à compétence nationale dénommé « service de l’information stratégique et de la sécurité économiques ».

([36]) Art. 3 du décret n° 2019-206 du 20 mars 2019 relatif à la gouvernance de la politique de sécurité économique.

([37]) Audition du mercredi 5 février 2025.

([38]) Assemblée nationale, rapport d’information n° 2625 fait au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées sur l’industrie de défense, pourvoyeuse d’autonomie stratégique en Europe, par MM. Jean‑Charles Larsonneur et Jean-Louis Thiériot, 15 mai 2024, p. 16.

([39]) Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), Top 100 arms-producing and military services companies in the world, 2023, consulté en ligne le 20/03/2025.

([40]) Audition du mercredi 12 mars 2025.

([41]) Feuille de route pour booster l’industrie de défense de l’Union, Livre blanc sur l’avenir de la défense européenne – White Paper for European Defence – Readiness 2030, dévoilé le 19 mars 2025 par la haute représentante de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Kaja Kallas, et le commissaire européen à la défense, Andrius Kubilius.

([42]) Audition du mercredi 9 avril 2025.

([43]) Commission européenne, Communication conjointe au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, « Une nouvelle stratégie pour l’industrie européenne de la défense pour préparer l’Union à toute éventualité en la dotant d’une industrie européenne de la défense réactive et résiliente », 05/04/2024.

([44]) Xefri, Étude prospective et stratégique, Les fonds d’investissements et les entreprises de défense., 2022.

([45]) Audition du mercredi 19 mars 2025.

([46]) Leveraged buy-out.

([47]) Site internet de Weinberg Capital Partners, onglet « À propos – Notre histoire », consulté le 13/03/2025.

([48]) À cette difficulté de financement s’ajoute le caractère lacunaire de l’architecture européenne de la défense. De fait, près de 80 % des dépenses d’équipement des États membres de 2022-2023 ont été réalisées hors de l’Union européenne, dont les quatre cinquièmes bénéficient à des industriels américains (d’après : Jean‑Pierre Maulny, « The Impact of the War in Ukraine on the European Defence Market », Note de l’IRIS, septembre 2023).

([49]) Commission européenne, Access to Equity Financing For European Defence SMEs, 2024, Publications Office of the European Union, p. 34.

([50]) Ibid., p. 34.

([51]) Audition du mercredi 30 janvier 2025.

([52]) Art. 410‑1 du code pénal, « Les intérêts fondamentaux de la nation s’entendent […] de son indépendance, de l’intégrité de son territoire, de sa sécurité, de la forme républicaine de ses institutions, des moyens de sa défense et de sa diplomatie, de la sauvegarde de sa population en France et à l’étranger, de l’équilibre de son milieu naturel et de son environnement et des éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de son patrimoine culturel. »

([53]) Audition du mercredi 22 janvier 2025.

([54]) Art. L. 151‑3 I du code monétaire et financier.

([55]) Audition du mercredi 22 janvier 2025.

([56]) Art. R. 151‑3 al. 1er et al. 3 du code monétaire et financier : production d’armes, de munitions, de poudres et de substances explosives, biens et technologies à double usage, prestations de cryptologie, et activités de R&D liées à ces secteurs portant sur des technologies critiques ou des biens et technologies à double usage.

([57]) Art. R. 151‑3 al. 2 du code monétaire et financier.

([58]) La DG Trésor donne à cet égard l’exemple « d’entreprises françaises qui fabriqueraient des pièces aéronautiques à destination de l’aviation civile mais aussi militaire » (Rapport annuel 2024, p. 9).

([59]) Audition du mercredi 12 mars 2025.

([60]) Lorenzo Bencivelli, Violaine Faubert, Florian Le Gallo, Pauline Négrin, « The rise in FDI screening in the EU and major advanced economies », 2023, p. 3.

([61]) Art. R. 151-1 du code monétaire et financier. Au sens de cet article, constituent un investisseur étranger, selon quatre critères alternatifs, toute personne physique de nationalité étrangère ; toute personne physique de nationalité française qui n’est pas domiciliée en France ; toute entité de droit étranger ; et toute entité de droit français contrôlée par une ou plusieurs personnes ou entités mentionnées précédemment.

([62]) Art. 1er du décret n° 2023-1293 du 28 décembre 2023 relatif aux investissements étrangers en France.

([63]) Art. R. 151-2 1° du code monétaire et financier.

([64]) Au sens de l’art. L. 233-3 du code de commerce, le contrôle d’une entité économique se définit par la détention, directe ou indirecte, d’une fraction du capital de la cible conférant à l’acquéreur la majorité des droits de vote dans les assemblées générales de cette société ; par le pouvoir pour l’acquéreur de détenir la majorité des droits de vote en vertu d’un accord conclu avec d’autres associés ou actionnaires ; par le fait de déterminer les décisions dans les assemblées générales de la société-cible ; ou par le fait de disposer du pouvoir de nommer ou de révoquer la majorité des membres des organes d’administration, de direction ou de surveillance de la société considérée. Est en outre présumée exercer un contrôle l’entité qui dispose d’une fraction des droits de vote supérieure à 40 % dès lors qu’aucun autre associé ne détient une fraction supérieure à la sienne.

([65]) Décret n° 2020-892 du 22 juillet 2020 relatif à l’abaissement temporaire du seuil de contrôle des investissements étrangers dans les sociétés françaises dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé.

([66]) CESE, Carole Couvert et Christian Nibourel, avis 2021-09, « Pour une stratégie d’investissements directs étrangers en France soutenables et responsables », mars 2021, recommandation n° 18.

([67]) Décret n° 2021-1758 du 22 décembre 2021 prorogeant l’abaissement temporaire du seuil de contrôle des investissements étrangers dans les sociétés françaises dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé.

([68]) Décret n° 2022-1622 du 23 décembre 2022 relatif à l’abaissement temporaire du seuil de contrôle des investissements étrangers dans les sociétés françaises dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé.

([69]) Décret n° 2023-1293 du 28 décembre 2023 relatif aux investissements étrangers en France.

([70]) Art. R. 151-5 al. 3 du code monétaire et financier.

([71]) Art. 3 de la loi n° 66-1008 du 28 décembre 1966 relative aux relations financières avec l’étranger.

([72]) Art. 7 du décret n° 2003-196 du 7 mars 2003 réglementant les relations financières avec l’étranger.

([73]) Art. 2 du décret n° 2005-1739 du 30 décembre 2005 réglementant les relations financières avec l’étranger et portant application de l’article L. 151-3 du code monétaire et financier. Ces 11 secteurs sont : les jeux d’argent ; les activités réglementées de sécurité privée ; les activités de recherche, de développement ou de production relatives aux moyens destinés à faire face à l’utilisation illicite d’agents pathogènes ou toxiques ; les activités portant sur les matériels conçus pour l’interception des correspondances et la détection à distance des conversations ; les activités de service relatives à l’évaluation et à la certification de la sécurité offerte par les produits et les systèmes des technologies de l’information ; les activités de production de biens ou de prestation de services de sécurité dans le secteur de la sécurité des systèmes d’information ; les activités relatives aux biens et technologies à double usage ; les activités relatives aux moyens de cryptologie ; les activités exercées par les entreprises dépositaires de secrets de la défense nationale ; les activités de recherche, de production ou de commercialisation d’armes, de munitions, de poudres et de substances explosives destinées à des fins militaires ; et les activités exercées par les entreprises ayant conclu un contrat d’étude ou de fourniture d’équipements au profit du ministère de la défense.

([74]) Décret n° 2014-479 du 14 mai 2014 relatif aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable.

([75]) Art. 1er du décret n° 2018-1057 du 29 novembre 2018 relatif aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable.

([76]) Art. 1er du décret n° 2019-1950 du 31 décembre 2019 relatif aux investissements étrangers en France. Cet article remplace la précédente version du titre V du livre Ier du code monétaire et financier par le nouveau chapitre Ier « Investissements étrangers soumis à autorisation », comprenant un nouvel art. R. 151‑3 CMF.

([77]) Décret n° 2023-1293 du 28 décembre 2023 relatif aux investissements étrangers en France.

([78]) Art. R. 151-3 III du code monétaire et financier.

([79]) Art. 152 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.

([80]) Art. L. 151-3-1 I  du code monétaire et financier.

([81]) Cas dans lequel l’investisseur, sauf à ce qu’il rétablisse la situation antérieure à l’opération, se voit contraint de solliciter à nouveau l’autorisation du ministre au sens de l’article L. 151-3.

([82]) Art. L. 151-3-1 II du code monétaire et financier.

([83]) Art. L. 151-3-2 du code monétaire et financier.

([84]) Art. 459 du code des douanes.

([85]) Audition du mercredi 22 janvier 2025.

([86]) National Security and Investment Act, 2021.

([87]) Art. R. 151-6 du code monétaire et financier.

([88]) Art. R. 151-8 du code monétaire et financier.

([89]) Dans le cadre du contrôle IEF, le silence gardé par l’administration pendant deux mois vaut décision de rejet, par dérogation aux dispositions générales de l’article L. 231-1 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA).

([90]) Audition du mercredi 22 janvier 2025.

([91]) DG Trésor, Lignes directrices relatives au contrôle des IEF, septembre 2022, p. 31.

([92]) Section 61, paragraphe 2, Außenwirtschaftsverordnung.

([93]) Section 14a, paragraphe 1, point 2, Außenwirtschaftsgesetz (la loi relative aux échanges extérieurs).

([94]) Rapport annuel 2024, Contrôle des IEF, DG Trésor, 2024, p. 19.

([95]) Audition du mercredi 22 janvier 2025.

([96]) OCDE, recommandation du Conseil concernant les lignes directrices sur les politiques d’investissement des pays d’accueil relatives à la sécurité nationale, 25 mai 2009.

([97]) Audition du mercredi 22 janvier 2025.

([98]) Audition du mercredi 5 mars 2025.

([99]) Audition du mercredi 12 mars 2025.

([100]) Audition du mercredi 22 janvier 2025.

([101]) Le SISSE emploie au total 57 ETP : 34 en administration centrale et 23 DISSE, placés sous l’autorité conjointe du préfet de région et du directeur régional de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS).

([102]) Article L. 151-3 II du code monétaire et financier.

([103]) Article R. 151-8 du code monétaire et financier.

([104]) Audition du mercredi 12 mars 2025.

([105]) D’après les réponses écrites fournies par le SISSE au questionnaire des rapporteurs.

([106]) Créé par l’art. 1er du décret n° 2019-206 du 20 mars 2019 relatif à la gouvernance de la politique de sécurité économique.

([107]) Conseil d’État, Guide des outils d’action économique, mis à jour en janvier 2025, fiche n° 20, recensant les mécanismes de protection des intérêts stratégiques dans les entreprises.

([108]) Audition du mercredi 2 avril 2025.

([109]) En 2019, le veto opposé par le gouvernement français au rachat de Photonis par l’américain Teledyne constitue le premier cas de blocage formel par le gouvernement français du rachat d’une entreprise stratégique par un investisseur étranger.

([110]) OCDE, Filtrage des investissements pendant la crise de la Covid-19 – et au-delà, 7 juillet 2020, p. 1.

([111]) OCDE, Projet sur la liberté d’investissement, Évolutions des politiques de l’investissement dans 61 économies : 16 octobre 2021 – 15 mars 2023, avril 2023, p. 10.

([112]) OCDE, Filtrage des investissements pendant la crise de la Covid-19 – et au-delà, 7 juillet 2020, p. 3.

([113]) Ibid., p. 3.

([114]) OCDE, Évolutions des politiques de l’investissement dans 61 économies (2021-2023), avril 2023, p. 10.

([115]) Commission européenne, Quatrième rapport annuel sur le filtrage des investissements directs étrangers dans l’Union, 17 octobre 2024.

([116]) En vertu du décret-loi n° 21 du 15 mars 2012 (création d’un régime de contrôle des investissements étrangers, appelé « Golden Power »), le gouvernement italien, qui exerce directement la compétence du filtrage, est autorisé, en cas d’atteinte grave aux intérêts essentiels de la défense et de la sécurité nationale, à mettre en œuvre des pouvoirs exorbitants dans les secteurs stratégiques. Ce régime s’appuie sur un mécanisme d’obligation de notification de toute prise de participation majoritaire.

([117]) D’après : Xerfi, Étude prospective et stratégique. Les fonds d’investissements et les entreprises de défense, 2022.

([118]) À titre d’illustration, le gouvernement polonais a fait le choix d’ajouter deux nouveaux secteurs à la liste des activités dans lesquelles les investissements étrangers sont soumis à un filtrage obligatoire, et la Lettonie a mis en place une institution indépendante qui se voit chargée de la réalisation du filtrage des IDE.

([119]) Audition du mercredi 22 janvier 2025.

([120]) Art. 3, « Mécanismes de filtrage des États membres », du règlement 2019/452.

([121]) Art. 4 du règlement (UE) 2019/452.

([122]) Art. 1er, al. 2 et 3, du règlement (UE) 2019/452.

([123]) Audition du mercredi 23 avril 2025.

([124]) Art. 6 al. 1er du règlement (UE) 2019/452.

([125]) Art. 6 al.2 du règlement (UE) 2019/452.

([126]) Art. 6 al. 3 du règlement (UE) 2019/452.

([127]) Art. 4 du règlement (UE) 2019/452.

([128]) Communication de la Commission européenne au Parlement européen et au Conseil, Quatrième rapport annuel sur le filtrage des investissements directs étrangers dans l’Union, 17 octobre 2024.

([129]) Communication de la Commission européenne au Parlement européen et au Conseil, Quatrième rapport annuel sur le filtrage des investissements directs étrangers dans l’Union, 17 octobre 2024, p. 26.

([130]) Audition du mercredi 23 avril 2024.

([131]) Ibid., p. 26.

([132]) Cour des comptes européenne, rapport spécial 27/2023, Filtrage des investissements directs étrangers dans l’UE. Le cadre est en place, mais des limites importantes empêchent une gestion efficace des risques pour la sécurité et l’ordre public, 2023.

([133]) Ibid., p. 5.

([134]) Audition du mercredi 22 janvier 2025.

([135]) Anne Drif, « Alstom, Technip, Doliprane… en dix ans, les États-Unis se sont offert plus de 130 milliards de dollars de fleurons français », in : Les Échos, 10 février 2025.

([136]) Article précité, Les Échos, d’après des données LSEG.

([137]) Assemblée nationale, rapport n° 897 du 19 avril 2019, fait au nom de la commission d’enquête chargée d’examiner les décisions de l’État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d’entreprises intervenues récemment, notamment dans le cas d’Alstom, d’Alcatel et de STX, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé, présenté par M. Olivier Marleix, président, et M. Guillaume Kasbarian, rapporteur, p. 23.

([138]) Ibid., p. 23.

([139]) Comme le relevait en 2019 le rapport de la commission d’enquête, le contrôle IEF ne saurait à lui tout seul « résoudre les questions essentielles de financement, de taille critique, de compétitivité, de développement des compétences, ou encore d’avance technologique […] que doivent surmonter nos industries dans la compétition mondiale. Or, c’est précisément un accompagnement sur ces questions qu’attendent les industriels. »

([140]) Ibid., p. 152.

([141]) Sénat, questions au gouvernement n° 1606G au ministre de l’économie et des finances, 21 janvier 2021, par M. Didier Rambaud.

([142]) Si l’éligibilité des activités du groupe Carrefour au dispositif IEF n’avait pas l’objet d’un examen en bonne et due forme selon les termes prescrits par le décret, la sécurité alimentaire figure bien au point II de l’article R. 151‑3 du code monétaire et financier. Dans les faits, le groupe Carrefour joue un rôle essentiel dans la distribution alimentaire en France, à hauteur de 20 % du marché.

([143]) Capteurs optiques, systèmes de traitement d’images, etc. L’entreprise Photonis assurait notamment la production de jumelles à vision nocturne pour les forces armées françaises.

([144]) Pascal Dupeyrat, IEF : Le contrôle des investissements étrangers en France, octobre 2024, pp. 61-62.

([145]) À titre d’illustration : Sénat, question écrite n° 13500 au ministre de l’économie et des finances, 19 décembre 2019, par Marie-Noëlle Lienemann (groupe CRCE-R).

([146]) Communiqué de presse de la ministre des armées, « Souveraineté des entreprises stratégiques : Florence Parly annonce que l’État travaille à une solution alternative de reprise de Photonis », 18 décembre 2020.

([147]) Rapport d’information n° 755, enregistré à la Présidence du Sénat le 6 juillet 2022, fait au nom de la commission des affaires économiques sur la souveraineté économique de la France, par Mmes Sophie Primas, Amel Gacquerre et M. Franck Montagné, sénatrices et sénateur, p. 241.

([148]) Aujourd’hui, le gouvernement britannique dispose d’une liste de 17 secteurs stratégiques dans lesquels les investissements étrangers sont soumis à une notification obligatoire. Ces secteurs englobent notamment : la défense, le nucléaire civil, les communications électroniques, les transports, l’énergie, l’intelligence artificielle, la robotique, etc.

([149]) Direction générale du Trésor, Lignes directrices relatives au contrôle des investissements étrangers en France, septembre 2022, p. 11.

([150]) Business France, communiqué de presse, « La France consolide son attractivité dans un contexte mondial instable », 29 février 2024.

([151]) Skadden Arps, « America First Investment Policy’ Aims To Reshape CFIUS and ‘Reverse CFIUS’ », 24 février 2025.

([152]) Commission européenne, proposition de règlement 2024/0017 du Parlement européen et du Conseil relatif au filtrage des investissements étrangers dans l’Union et abrogeant le règlement (UE) 2019/452 du Parlement européen et du Conseil, 24 janvier 2023, p. 24.

([153]) Une obligation à bon de souscription en actions est une obligation ordinaire à laquelle est attaché un bon de souscription d’actions. Ce dernier permet de souscrire à une future augmentation de capital à un prix fixé à l’avance. Le souscripteur d’une OBSA est d’abord un investisseur obligataire, mais aussi un actionnaire potentiel de la société émettrice (d’après la définition de la Banque de France).

([154]) Ibid., sec. 1703, Definitions, sec. 721 (a) (3), Control.

([155]) Fusions & Acquisitions, Ivan Schlager, Michael Leiter, Donald Vieira, Pascal Bine, Jonathan Gafni (cabinet Skadden), « La réforme du CFIUS aux États-Unis : ce que cela signifie pour les acteurs du M&A et les investissements étrangers », 6 novembre 2018.

([156]) John S. McCain National Defense Authorization Act For Fiscal Year 2019, titre XVII, Review of Foreign Investment and Export Controls, Subtitle A, Committee on Foreign Investment in the United States, sec. 1703, Definitions, sec. 721 (a) (4), Covered Transaction, (D), Other investments.

([157]) Sénat, rapport n° 739 fait au nom de la commission d’enquête sur les politiques publiques face aux opérations d’influences étrangères visant notre vie démocratique, notre économie et les intérêts de la France sur le territoire national et à l’étranger afin de doter notre législation et nos pratiques de moyens d’entraves efficients pour contrecarrer les actions hostiles à notre souveraineté, 23 juillet 2024, par M. Dominique de Legge, président, et M. Rachid Temal, rapporteur, recommandation n° 9.

([158]) Section 55a, paragraphe 1, points 1 à 27, Außenwirtschaftsverordnung.

([159]) Cette liste recoupe les secteurs suivants : infrastructures critiques, composants critiques, gestion des télécommunications, services de cloud computing et supercalculateurs, industrie des médias et opinion publique, infrastructures de communication, équipements défensifs personnels, médicaments essentiels, services médicaux, intelligence artificielle, véhicules motorisés et aéronefs sans pilote, robotique, micro‑processeurs, compagnie d’aviation avec une licence d’exploitation, technologies quantiques, réseaux de données, logiciels et systèmes de réseaux (énergie, eau, informations, finance, santé, transport, industrie alimentaire.), extraction de matériaux rares, etc.

([160]) Règlement européen 2021/821 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2021 instituant un régime de l’Union de contrôle des exportations, du courtage, de l’assistance technique, du transit et des transferts en ce qui concerne les biens à double usage.

([161]) Audition du jeudi 30 janvier 2025.

([162]) Art. R. 151-3 I 11° du code monétaire et financier.

([163]) Art. R. 151-3 II 7° du code monétaire et financier.

([164]) Section 55a, paragraphe 1, points 1 à 27, AWV.

([165]) Décret-loi du 8 avril 2020.

([166]) Art. R. 151-3 II 10° du code monétaire et financier.

([167]) Audition du mercredi 5 février 2025.

([168]) John S. McCain National Defense Authorization Act For Fiscal Year 2019, titre XVII, Review of Foreign Investment and Export Controls, Subtitle A, Committee on Foreign Investment in the United States, sec. 1703, Definitions, sec. 721 (a) (4), Covered Transaction, (C), Real Estate Transactions.

([169]) Art. R. 151-3 III 1° du code monétaire et financier.

([170]) Audition du mercredi 22 janvier 2025.

([171]) En ce qui concerne le coût global du dispositif IEF, vos rapporteurs ne se sont vu transmettre que des informations fragmentaires, qui ne leur permettent pas de chiffrer précisément le coût du contrôle IEF.

([172]) Pascal Dupeyrat, CFIUS. Le contrôle des investissements étrangers aux États-Unis, 2022, RELIANS, p. 68.

([173]) Le secrétaire du Trésor, le procureur général, le secrétaire à la sécurité intérieure, le secrétaire au commerce, le secrétaire à la défense, le secrétaire d’État, le secrétaire à l’énergie, etc.

([174]) Le directeur des services secrets américains et le ministre du travail.

([175]) Art. 1er du décret n° 2019-206 du 20 mars 2019 relatif à la gouvernance de la politique de sécurité économique.

([176]) Audition du mercredi 12 mars 2025.

([177]) Audition du mercredi 5 mars 2025.

([178]) Assemblée nationale, rapport d’information fait au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées sur la participation de capitaux étrangers aux industries européennes d’armement, par MM. Bernard Deflesselles et Jean Michel, 23 mars 2005, p. 38.

([179]) Audition du mercredi 9 avril 2025.

([180]) Audition du mercredi 9 avril 2025.

([181]) À titre subsidiaire, la réalisation de l’opération emporte un certain nombre de coûts indirects pour l’investisseur potentiel : collecter l’ensemble des informations nécessaires à la compréhension et à l’éventuelle réussite de la procédure et s’acquitter des frais de conseil juridique auprès de cabinets d’avocats.

([182]) Gesetz über Gebühren und Auslagen des Bundes (Bundesgebührengesetz, BGebG), 15 août 2013.

([183]) Gebührenverordnung für die Bereiche Kriegswaffenkontrolle, Ausfuhrkontrolle und Investitionsprüfung, 15 septembre 2023.

([184]) Arts. 133-135 du règlement de l’Assemblée nationale.

([185]) Art. 153 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.

([186]) Art. L.151-6 du code monétaire et financier.

([187]) Sénat, rapport d’information n° 872 du 12 juillet 2023 fait au nom de la commission des affaires économiques sur l’intelligence économique, M.-N. Lienemann et J.-B. Lemoyne.

([188]) Art. 5 de la loi n° 2024-850 du 25 juillet 2024 visant à prévenir les ingérences étrangères en France.

([189]) Art. L.151-6 du code monétaire et financier.

([190]) Art. L. 151-7 I al. 3 du code monétaire et financier, « éléments détaillés relatifs au nombre de demandes d’autorisation préalables adressées au ministre chargé de l’économie, de refus d’autorisation, d’opérations autorisées, d’opérations autorisées assorties de conditions prévues au II du même article L. 1513, ainsi que des éléments relatifs à l’exercice par le ministre du pouvoir de sanction prévu audit article L. 1513 ».

([191]) Art. L. 151-7 II 1° du code monétaire et financier.

([192]) Art. L. 151-7 II 2° du code monétaire et financier.

([193]) Assemblée nationale, question écrite n° 6278 au ministre de l’économie, des finances, de la souveraineté industrielle et numérique, 14 mars 2023, par M. Olivier Marleix (groupe Les Républicains).

([194]) House of Commons, Business, Energy and Industrial Strategy Committee, Memorandum of Understanding on scrutiny of the Investment Security Unit, Eigth Report of Session 2022-23, « Report, together, with formal minutes relating to the report », 21 March 2023.

([195]) Ibid., p. 9.

([196]) Audition du mercredi 2 avril 2025.

([197]) Loi n° 2007-1443 du 9 octobre 2007 portant création d’une délégation parlementaire au renseignement, portant ajout à l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires d’un article 6 nonies.

([198]) Art. 6 nonies III de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

([199]) Art. 6 nonies V de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

([200]) Article 55 ter, version de la loi PACTE votée en première lecture à l’Assemblée en 2019.

([201]) Suppression des termes : « Ces investigations ne peuvent porter sur des investissements susceptibles de faire l’objet de décisions du ministre chargé de l’économie. »

([202]) OCDE, Recommandation du Conseil sur le gouvernement ouvert, 2017.

([203]) À ce jour, 6 rapports d’activité IEF ont fait l’objet d’une publication. Au début du mois de mai 2025, la publication du rapport d’activité IEF pour l’année 2024 devait avoir lieu sans tarder.

([204]) OCDE, 2024, Renforcer la transparence et l’intégrité des activités d’influence étrangère en France : Un outil pour lutter contre les risques d’ingérences étrangères, Paris, p. 11 : « l’une des façons dont les pays peuvent renforcer leur résilience face à l’ingérence étrangère est de mettre en place des cadres de transparence solides qui couvrent les activités de lobbying et d’influence effectuées au nom […] d’entités étrangères. »

([205]) Ainsi du « Golden Power » italien : en Italie, les décisions prises par le Premier ministre en matière de filtrage sont publiées dans les communiqués du compte rendu du Conseil des ministres, au cas par cas.

([206]) OCDE (2024), Renforcer la transparence et l’intégrité des activités d’influence étrangère en France : Un outil pour lutter contre les risques d’ingérences étrangères, Paris, p. 19.

([207]) OCDE, op. précit., 2024, p. 37.

([208]) Selon l’OCDE (op. précit., 2024, p. 20), « À ce jour, cinq pays de l’OCDE et l’Union européenne disposent donc d’un outil de transparence permettant de rendre transparentes toutes ou une partie des activités de lobbying et d’influence effectuées au nom de gouvernements étrangers par le biais du lobbying » : Australie, Canada, France, Grande-Bretagne, États-Unis et Union européenne.

([209]) Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, Répertoire des représentants d’intérêts, Lignes directrices : nouvelle version, p. 17.

([210]) Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, titre II, « De la transparence des rapports entre les représentants d’intérêts et les pouvoirs publics », arts. 25 à 33.

([211]) Art. 18-1 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, créé par l’art. 25 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

([212]) Art. 2 du décret n° 2017-867 du 9 mai 2017 relatif au répertoire numérique des représentants d’intérêts.

([213]) Art. 1er du décret n° 2017-867 du 9 mai 2017 relatif au répertoire numérique des représentants d’intérêts.

([214]) Assemblée nationale, rapport n° 897 fait au nom de la commission d’enquête chargée d’examiner les décisions de l’État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d’entreprises intervenues récemment, notamment dans le cas d’Alstom, d’Alcatel et de STX, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé, par M. Olivier Marleix, président, et M. Guillaume Kasbarian, rapporteur, 19 avril 2018, pp. 15-16.

([215]) P. Dupeyrat, op. cit., p. 112.

([216]) Audition du mercredi 19 février 2025.

([217]) Rapport du groupe « Intelligence économique et stratégie des entreprises » du Commissariat général au Plan, présidé par Henri Martre, février 1994.

([218]) Décret n° 2013-759 du 22 août 2013 relatif au délégué interministériel à l’intelligence économique, abrogé par le décret n° 2016-66 du 29 janvier 2016 instituant un commissaire à l’information stratégique et à la sécurité économiques et portant création d’un service à compétence nationale dénommé « service de l’information stratégique et de la sécurité économiques ».

([219]) Sénat, rapport d’information n° 872 fait au nom de la commission des affaires économiques sur l’intelligence économique, par Mme Marie-Noëlle Lienemann et M. Jean-Baptiste Lemoyne, 12 juillet 2023, p. 22.

([220]) Audition du mercredi 2 avril 2025.

([221]) Audition du mercredi 15 janvier 2025.

([222]) Art. R. 151-4 du code monétaire et financier.

([223]) Bundesministerium für Wirtschaft und Klimaschutz.

([224]) Section 58 de l’Außenwirtschaftsverordnung, AWV, 27 avril 2021.

([225]) Art. 9 de l’Investitionskontrollgesetz.

([226]) Commission européenne, Communication conjointe au Parlement européen et au Conseil relative à la « Stratégie européenne en matière de sécurité économique » Bruxelles, 20 juin 2023.

([227]) Commission européenne, Livre blanc sur les investissements sortants, Bruxelles, 24 janvier 2024, p. 2.

([228]) D’après : Commission européenne, Livre blanc sur les investissements sortants, Bruxelles, 24 janvier 2024, p. 3.

([229]) Ibid., p. 3.

([230]) Décret présidentiel n° 14105 du 9 août 2023.

([231]) Recommandation (UE) 2025/63 de la Commission du 15 janvier 2025 relative à l’examen des investissements sortants dans des domaines technologiques essentiels pour la sécurité économique de l’Union.

([232]) Audition du mercredi 12 mars 2025.

([233]) À cet égard, le rapport Martre de 1994 sur l’intelligence économique soulignait déjà l’importance notable de la veille technologique et du « décloisonnement de notre système socio-productif et de nos administrations, afin d’accroître la concertation à tous les niveaux, et en particulier au sein des entreprises » (Commissariat général du Plan, Intelligence économique et stratégie des entreprises, travaux du groupe présidé par Henri Martre, février 1994 ; rapporteur général Philippe Clerc, Commissariat général du Plan, p. 3).

([234]) Audition du mercredi 2 avril 2025.

([235]) Audition du mercredi 12 mars 2025.

([236]) Audition du mercredi 2 avril 2025.

([237]) Audition du mercredi 12 mars 2025.

([238]) Audition du mercredi 5 février 2025.

([239]) Cour des comptes européenne, rapport spécial, Marchés publics dans l’UE. Recul de la concurrence pour les contrats de travaux, de biens et de services passés entre 2011 et 2021, 2023, p. 34.

([240]) Art. L. 2152-7 du code de la commande publique.

([241]) Audition du mercredi 2 avril 2025.

([242]) Les Échos, « Clap de fin pour le chimiste Vencorex partiellement repris par son rival chinois », Florian Espalieu, 11 avril 2025.

([243]) Audition du mercredi 9 avril 2025.

([244]) Audition du mercredi 9 avril 2025.

([245]) Audition du mercredi 26 mars 2025.

([246]) Annexe au projet de loi de finances pour 2025, Rapport relatif à l’État actionnaire, 2025, p. 28.

([247]) Audition du mercredi 26 mars 2025.

([248]) Audition du mercredi 9 avril 2025.

([249]) Réponses écrites de Bpifrance au questionnaire adressé par les rapporteurs de la mission d’évaluation du contrôle des investissements étrangers en France.

([250]) Ibid.

([251]) Page internet de Bpifrance, onglet « Fonds spécialisés - Fonds Innovation Défense », consulté le 18 avril 2025.

([252]) Comme l’a souligné M. Pascal Lagarde, directeur exécutif de Bpifrance, « il existe plusieurs natures de fonds souverains, étant rappelé que les fonds souverains étrangers les plus connus se sont construits à l’appui de balances commerciales excédentaires ou d’excédents budgétaires conséquents. Telle n’est pas la situation de la France. Bpifrance appartient à la catégorie des fonds souverains dont l’objet est de concourir au développement domestique. À ce titre, au regard de leur complémentarité, Bpifrance, avec l’APE et la CDC, constitue le fonds souverain français. » (Audition du mercredi 9 avril 2025.)

([253]) Cour des comptes, Première chambre, deuxième section, Observations définitives (art. R. 143‑11 du code des juridictions financières), L’Agence des participations de l’État. Exercices 2018 à 2022 (constats actualisés au 31/12/2023), 22 avril 2024, recommandation n° 1.

([254]) Audition du mercredi 9 avril 2025.

([255]) Art. L. 228-11 du code de commerce.

([256]) Réponses écrites de l’Agence des participations de l’État au questionnaire adressé par les rapporteurs de la mission d’évaluation du contrôle des investissements étrangers en France.

([257]) Arrêté du 24 octobre 2024 décidant la souscription par l’État à l’augmentation de capital de la société anonyme Bull.

([258]) Réponses écrites de l’Agence des participations de l’État au questionnaire adressé par les rapporteurs de la mission d’évaluation du contrôle des investissements étrangers en France.

([259]) Art. 10 de la loi n° 86-912 du 6 août 1986 relative aux modalités des privatisations.

([260]) Décret n° 97-190 du 4 mars 1997 instituant une action spécifique de l’État au capital de Thomson.

([261]) Décret n° 2022-1182 du 15 août 2022 instituant une action spécifique au capital de la société Aubert & Dauval.

([262]) Décret n° 2007-1790 du 20 décembre 2007 instituant une action spécifique de l’État au capital de Gaz de France.

([263]) Décret n° 2015-1586 du 4 décembre 2015 instituant une action spécifique de l’État au capital de Nexter System.

([264]) Cour des comptes, Première chambre, deuxième section, Observations définitives (art. R. 143-11 du code des juridictions financières), L’Agence des participations de l’État. Exercices 2018 à 2022 (constats actualisés au 31/12/2023), 22 avril 2024, p. 17.

([265]) Audition du mercredi 26 mars 2025.

([266]) Réponses écrites de Bpifrance au questionnaire adressé par les rapporteurs de la mission d’évaluation du contrôle des investissements étrangers en France.

([267]) Audition du mercredi 9 avril 2025.

([268]) Ibid.

([269]) Audition du mercredi 9 avril 2025.