N° 1566

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 juin 2025.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 146 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, dE L’Économie gÉnÉrale
et du contrÔLE BUDGÉTAIRE

relatif à l’évaluation des résultats des centres éducatifs fermés

ET PRÉSENTÉ PAR

 

M. Jean-Didier BERGER,
rapporteur spécial

——

 



SOMMAIRE

___

Pages

RECOMMANDATIONS du rapporteur spécial

INTRODUCTION

I. Les centreS éducatifs fermés : un dispositif extrêmement coûteux aux résultats pourtant incertains

A. Les centres éducatifs fermés : des établissements de la protection judiciaire de la jeunesse conçus comme une alternative à l’incarcération pour des mineurs multirécidivistes

1. La protection judiciaire de la jeunesse dispose de différents types de structures destinées à garantir un large choix de placement en fonction des mineurs concernés

2. Parmi ces structures, les centres éducatifs fermés ont pour vocation d’accueillir les mineurs délinquants récidivistes ou réitérant

B. Un dispositif extrêmement couteux, pour un nombre de mineurs concernés relativement faible

1. Des structures aux moyens conséquents mobilisant chacune 26,5 équivalents temps pleins

2. Le placement en CEF est le dispositif le plus onéreux de tous ceux que gère la protection judiciaire de la jeunesse

3. Ce coût est d’autant plus significatif que les centres éducatifs fermés ne sont actuellement occupés qu’aux deux tiers de leur capacité

C. En dépit de l’absence totale d’évaluation, un plan de construction de vingt nouveaux centres éducatifs fermés a été lancé en 2018

1. Le plan « 20 CEF » et le dispositif des centres éducatifs fermés dits de « nouvelle génération »

2. Un plan lancé alors même qu’un tiers des places actuelles sont vacantes et surtout sans aucune évaluation de la capacité des CEF à prévenir la récidive ou la réitération des mineurs placés

3. Ceci est d’autant plus problématique que la construction de nouveaux centres mobilise les crédits d’investissement du programme 182 au détriment des autres types de structures

II. Il est indispensable ET URGENT d’évaluer les centres éducatifs fermés pour s’assurer de lEUR pertinence AU REGARD DU coût pour les finances publiques

A. Des problématiques bien connues au SEIN DU ministère de la justice : la défaillance du suivi des jeunes placés relève en partie d’une insuffisante culture de l’évaluation et de l’absence d’interopérabilité des logiciels

1. L’absence d’interopérabilité des logiciels des différentes directions

2. Une culture insuffisante de l’évaluation

B. « On ne reçoit des nouvelles des jeunes que lorsqu’ils nous envoient une carte postale » : le suivi systématique des jeunes a également trop longtemps fait défaut

1. Des mineurs qui « disparaissent dans la nature » après leur passage en centre éducatif fermé

2. Une récente étude du ministère fait état de résultats préoccupants

C. Au-delà de l’évaluation, il est impératif de réfléchir au format et au fonctionnement des centres éducatifs fermés, demeurés inchangés depuis vingt ans

1. Douze jeunes maximum : repenser – ou au moins interroger – la capacité d’accueil des CEF

2. Secteur public ou secteur associatif habilité ?

D. RÉflÉchir dÈs À présent À des alternatives aux centres Éducatifs fermÉS ETANT DONNÉ l’INEfFICIENCE de cette solution

TRAVAUX DE LA COMMISSION

PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


   RECOMMANDATIONS du rapporteur spécial

Recommandation  1 : en l’absence d’évaluation démontrant l’efficacité des centres éducatifs fermés, mettre en pause le plan « 20 CEF » et renoncer à la construction de tout nouvel établissement qui n’aurait pas débuté.

 

Recommandation  2 : renforcer l’interopérabilité du logiciel Parcours avec les autres logiciels du ministère de la justice et avec certains logiciels d’autres ministères (ministères sociaux, ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche) afin de permettre le suivi des trajectoires des mineurs qui sortent des centres éducatifs fermés et évaluer ainsi leur insertion dans la société.

 

Recommandation  3 : alors qu’une réflexion quant à l’évolution du format des centres éducatifs fermés ne semble jamais avoir été envisagée, réfléchir à la possibilité de faire évoluer la capacité d’accueil de ces établissements.

 

Recommandation  4 : alors qu’une réflexion quant à l’évolution du format des centres éducatifs fermés ne semble jamais avoir été envisagée, réfléchir à la possibilité de faire évoluer la composition de l’équipe y intervenant.

 

Recommandation  5 : sur la base d’une évaluation des centres éducatifs fermés, affilier les futurs centres au secteur – public ou associatif – présentant les meilleurs résultats en matière d’insertion des jeunes et de prévention de la récidive.

 

Recommandation n°6 : étant donné l’inefficience du placement en centre éducatif fermé au regard de son coût, réfléchir sans attendre à des alternatives au placement en CEF pour les mineurs concernés.

 

 

 


   INTRODUCTION

Chaque année à l’automne, en amont de l’examen du projet de loi de finances, les rapporteurs spéciaux, en charge du suivi des crédits d’une mission budgétaire en particulier, auditionnent les services du ministère intéressé. Le rapporteur spécial a ainsi auditionné plusieurs des directeurs et directrices d’administrations centrales du ministère de la justice. L’enjeu principal de ces échanges est celui de l’adéquation de l’enveloppe budgétaire consacrée à leurs besoins. C’est dans ce cadre que le rapporteur spécial a reçu la directrice de la protection judiciaire de la jeunesse et ses équipes.

Le rapporteur spécial, dans ses échanges avec l’administration, partait d’un principe simple : la reconduction des crédits d’un programme ne doit pas être automatique et ne peut avoir lieu que si les politiques publiques mises en œuvre font preuve de leur efficacité. Or, il s’est avéré que la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, questionnée par exemple sur l’efficacité des centres éducatifs fermés sur la base du taux de récidive des mineurs placés dans ces établissements après leur sortie, n’a pas été en mesure de lui fournir une seule donnée sur le sujet. C’est dans ce contexte que le rapporteur spécial a décidé de consacrer ce rapport d’information à l’évaluation des centres éducatifs fermés.

Les centres éducatifs fermés ont été créés en 2002. Il s’agit d’établissements conçus pour apporter une réponse adaptée aux mineurs les plus ancrés dans la délinquance – c’est-à-dire multirécidiviste – ou qui commettent les actes les plus graves. On compte aujourd’hui 56 centres sur le territoire, qui accueillent un peu plus d’un millier de mineurs par an. Après vingt ans d’existence, une seule évaluation d’ampleur du dispositif a été réalisée, en 2023, par la Cour des comptes ([1]). Or, cette évaluation fait le constat qu’il est justement impossible d’évaluer l’efficacité – et donc la pertinence – de ces établissements, faute de données suffisantes sur le parcours des mineurs après leur sortie d’un centre éducatif fermé. Ceci est particulièrement grave pour le rapporteur spécial, alors que les centres éducatifs fermés représentent 10 % des crédits du programme 182 dédié à la protection judiciaire de la jeunesse, qui dispose, elle, de plus d’un milliard d’euros annuel. Autrement dit, un peu plus de 100 millions d’euros sont chaque année consacrés aux centres éducatifs fermés, pour un millier de mineurs placés dans ces établissements.

Alors même que les résultats des centres éducatifs fermés demeurent inconnus, le gouvernement s’est engagé depuis plusieurs années dans la construction d’une vingtaine de nouveaux centres. Le lancement d’un tel plan est d’autant plus surprenant que les centres éducatifs fermés ne sont actuellement occupés qu’aux trois quarts de leur capacité.

Le rapporteur spécial a donc cherché à comprendre s’il n’existait véritablement aucune évaluation du dispositif et, si c’était le cas, quelle en était la raison. Pour ce faire, il a interrogé les services centraux du ministère mais également l’administration déconcentrée, s’est rendu dans un centre éducatif fermé et a échangé avec plusieurs acteurs en lien avec le sujet, dont la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté. À l’issue de ses travaux, le rapporteur spécial constate que le ministère accuse un retard considérable dans la mise en place de dispositifs de nature à évaluer de façon sérieuse ces structures. Il constate également, sur la base des rares études disponibles, que l’efficacité des centres éducatifs fermés n’est pas du tout à la hauteur des coûts qu’ils représentent. Il considère par conséquent, à rebours de la volonté du gouvernement de construire de nouveaux centres, que la pertinence de ces structures doit être interrogée et qu’il est urgent de réaliser des études à même de démontrer, ou non, leur capacité à aider les jeunes qui y séjournent pendant une partie de leur adolescence. Le rapporteur spécial estime enfin qu’il faut, dès à présent, réfléchir à des alternatives au placement en centre éducatif fermé dans la mesure où il s’agit d’une solution extrêmement couteuse pour les finances publiques qui, faute de savoir si elle efficace, n’est certainement pas efficiente.

 


I.   Les centreS éducatifs fermés : un dispositif extrêmement coûteux aux résultats pourtant incertains

A.   Les centres éducatifs fermés : des établissements de la protection judiciaire de la jeunesse conçus comme une alternative à l’incarcération pour des mineurs multirécidivistes

1.   La protection judiciaire de la jeunesse dispose de différents types de structures destinées à garantir un large choix de placement en fonction des mineurs concernés

L’action de la protection judiciaire repose en grande partie sur l’accueil de mineurs au sein de structures adaptées aux besoins des jeunes prises en charge. Au 31 décembre 2024 ([2]), la DPJJ disposait ainsi de 1251 établissements et services : 234 en gestion directe relevant du secteur public, 1017 habilités et contrôlés par le ministère de la justice relevant du secteur associatif (SAH). La diversité de ces structures doit permettre d’apporter une réponse graduée, en fonction des problématiques auxquelles sont confrontés les mineurs. Parmi ces établissements, on peut par exemple citer :

– Les établissements de placement éducatif (EPE) qui accueillent des mineurs faisant l'objet de mesures éducatives ordonnées par un juge des enfants. Ils peuvent être ouverts ou semi-ouverts ;

– Les unités éducatives d’hébergement collectif (UEHC), qui reposent sur le principe de l’internat ;

– Les centres éducatifs renforcés, destinés aux mineurs présentant des difficultés comportementales importantes ;

– Les centres éducatifs fermés (CEF), considérés comme les établissements les plus « restrictifs », qui cherchent à concilier la contrainte et le travail éducatif.

D’autres structures peuvent accueillir des mineurs faisant l’objet d’une mesure judiciaire, mais ne relèvent pas de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse : il s’agit des établissements pénitentiaires pour mineurs, et des quartiers pour mineurs au sein d’établissements pénitentiaires accueillant des majeurs. Tant les établissements pénitentiaires pour mineurs que les quartiers pour mineurs relèvent de la direction de l’administration pénitentiaire du ministère de la justice.

2.   Parmi ces structures, les centres éducatifs fermés ont pour vocation d’accueillir les mineurs délinquants récidivistes ou réitérant

Les centres éducatifs fermés ont été créés par la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice (LOPJ, ou loi « Perben 1 »). Ils ont été conçus comme des alternatives à l’emprisonnement dans des quartiers pour mineurs. Selon l’article 33 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, dans sa rédaction issue de la LOPJ, les centres éducatifs fermés sont « des établissements publics ou des établissements privés habilités (…) dans lesquels les mineurs sont placés en application d'un contrôle judiciaire ou d'un sursis avec mise à l'épreuve ou d'un placement à l'extérieur ou à la suite d'une libération conditionnelle. » Ce même article précise qu’au sein de ces centres les mineurs font l'objet de mesures de surveillance et de contrôle permettant d'assurer un suivi éducatif et pédagogique renforcé et adapté à leur personnalité. Surtout, la violation des obligations auxquelles les mineurs sont astreints en vertu des mesures qui ont entraîné leur placement dans le centre peut entraîner, selon le cas, le placement en détention provisoire ou l'emprisonnement. Le caractère « fermé » de ces centres doit ainsi avant tout être entendu comme une fermeture juridique ([3]) et les centres éducatifs fermés constituent en réalité une sorte de dernière étape avant une potentielle incarcération.

Il existe aujourd’hui 56 CEF, 18 relevant du secteur public, les autres relevant du secteur associatif habilité ([4]). Ils sont répartis sur l’ensemble du territoire. On trouve ainsi un CEF à Arras, à Auxerre, à Dunkerque, à Rochefort ou encore à Toulouse. En 2024, un CEF a ouvert en Guyane. La durée moyenne de placement dans ces établissements est de quatre mois. Les centres éducatifs fermés sont conçus pour accueillir au maximum douze mineurs, même si ce seuil n’est quasiment jamais atteint.

En ce qui concerne le public, les CEF accueillent des mineurs âgés de 13 à 18 ans. Dans les faits, la plupart des jeunes ont en réalité plus de 16 ans ([5]). Un mineur de moins de 16 ans peut y être placé si la peine qu’il encourt est supérieure ou égale à cinq ans (pour un majeur) et s’il a déjà fait l’objet d’autres mesures éducatives. Pour les mineurs de 16 ans ou plus, le placement peut avoir lieu si la peine encourue est supérieure ou égale à trois ans. L’écrasante majorité des centres éducatifs fermés est réservée aux garçons. Une seule structure accueille, en effet, exclusivement des filles : il s’agit du centre éducatif fermé de Doudeville (76) ([6]). Toutefois, certains CEF, dits de « nouvelle génération » (voir infra) sont mixtes. C’est le cas de celui de Saint-Nazaire, inauguré en 2022. 1 590 jeunes ont été placés en centre éducatif fermé en 2024.

B.   Un dispositif extrêmement couteux, pour un nombre de mineurs concernés relativement faible

1.   Des structures aux moyens conséquents mobilisant chacune 26,5 équivalents temps pleins

Chaque centre éducatif fermé est basé sur un fonctionnement identique. Pour chaque établissement, la dotation théorique en ressources humaines est de 26,5 ETP, répartis de la manière suivante :

– 1 directeur ;

– 2 responsables d’unité éducative ;

– 1 adjoint administratif ;

– 16 personnels éducatifs (en réalité des éducateurs et un enseignant) ;

– 1 psychologue ;

– 4 adjoints techniques (un maître de maison, deux cuisiniers et un adjoint technique) ;

– 1,5 personnel de santé.

La dotation théorique de chaque établissement peut être représentée ainsi :

Une image contenant texte, capture d’écran, Police, carte de visite

Le contenu généré par l’IA peut être incorrect.Source : gouvernement.

Il s’agit là d’une dotation théorique et, même si la situation tend à s’améliorer, les centres éducatifs fermés ont longtemps fait face à d’importantes difficultés de recrutement en raison de conditions de travail jugées difficiles. Ces établissements pâtissent plus généralement du déficit d’attractivité des métiers du travail social. Si les offres de poste sont moins difficilement pourvues que par le passé, on constate néanmoins un recours croissant à des contrats courts au sein des centres éducatifs fermés. Dans son rapport précité de 2023, la Cour des comptes relevait ainsi que, dans le secteur public, la part des fonctionnaires titulaires au sein des effectifs employés dans les centres éducatifs fermés était en diminution constante. Alors qu’en 2014, sur 515 postes, 333 accueillaient un agent titulaire, soit un peu moins de deux tiers du total, en 2022, ce ratio dépassait à peine plus d’un sur deux (271 sur 514 postes). La qualité de la prise en charge éducative des mineurs placés dépend pourtant aussi de l’expérience des professionnels qui interviennent à leurs côtés et donc de leur ancienneté dans leur travail.

En raison de ces importants moyens humains mobilisés – pour des structures qui accueillent au maximum douze jeunes – la très grande majorité des dépenses des centres éducatifs fermés constituent des dépenses de personnel. Ainsi, en 2024, les dépenses de titre 2 des centres éducatifs fermés qui relèvent du secteur public s’élèvent à 33,8 millions d’euros, soit 88 % du total ([7]).

2.   Le placement en CEF est le dispositif le plus onéreux de tous ceux que gère la protection judiciaire de la jeunesse

L’importance de l’effectif nécessaire au fonctionnement d’un centre explique le prix particulièrement élevé de chaque journée de placement. Le rapport annuel de performance du programme 182 – Protection judiciaire de la jeunesse distingue le prix d’une journée de placement selon qu’un mineur est accueilli au sein d’un centre du secteur public ou d’un centre relevant du secteur associatif habilité. Au sein du secteur public, si l’ensemble des places disponibles étaient occupées, le coût total d’une journée reviendrait à 487 euros ([8]). Le rapport annuel de performance prend toutefois le soin d’opposer à ce coût théorique, le coût effectivement constaté sur la base du taux d’occupation réel des centres éducatifs fermés et du nombre de journées réalisées. Sur cette base, le coût d’une journée s’élève ainsi à 925 euros, soit près du double du coût théorique. Dans les centres éducatifs fermés du secteur associatif habilité, le prix affiché d’une journée sur la base des charges rattachées à l’exercice 2024 est de 719 euros. Si l’on considère que deux tiers des CEF relèvent du secteur associatif habilité et qu’un tiers relève du public, le coût moyen constaté est de 788 euros par jour. Étant donné qu’un mineur reste en moyenne quatre mois dans un CEF, le coût de placement équivaut à 94 520 euros par jeune. À titre de comparaison, le coût d’une journée en détention d’un mineur est de 118 euros et la dépense publique annuelle moyenne de formation par étudiant à l’université est estimée à 12 250 euros en 2022. Tout secteur confondu, le coût global du placement en CEF atteint 117,9 millions d’euros en 2024.

Prix d’une place par jour par type de structure du secteur public en 2024

Une image contenant texte, capture d’écran, Police, nombre

Le contenu généré par l’IA peut être incorrect.Source : rapport annuel de performance.

Prix d’une place par jour par type de structure du SAH

Une image contenant texte, Police, nombre, capture d’écran

Le contenu généré par l’IA peut être incorrect.

Source : rapport annuel de performance.

3.   Ce coût est d’autant plus significatif que les centres éducatifs fermés ne sont actuellement occupés qu’aux deux tiers de leur capacité

Comme indiqué précédemment, les centres éducatifs fermés sont destinés à accueillir douze mineurs. Dans les faits, peu sont toutefois les centres à accueillir ce nombre théorique de jeunes. Ainsi, selon les données transmises par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, au 1er février 2025, sur 55 centres éducatifs fermés, seuls sept accueillaient effectivement douze mineurs. À l’inverse, dix centres étaient occupés à moins de la moitié de leurs capacités. Le centre éducatif fermé de Nîmes affichait, par exemple, un taux d’occupation de 39 %, celui de Beauvais un taux d’occupation de 34 % et celui d’Hendaye un taux d’occupation de 30 %, soit environ quatre à cinq mineurs par centre. De manière générale, le rapport annuel de performances relatif à l’exécution 2024 indique que le taux d’occupation des centres éducatifs fermés s’élevait en 2024 à 75 %. Les données dont dispose le rapporteur spécial relatives à l’année 2025 font état d’un taux en légère baisse. Pour le rapporteur spécial ces taux sont alarmants au regard des moyens mobilisés et du fait que les coûts sont indépendants du nombre de jeunes accueillis. Les 26,5 ETP qui constituent l’équipe d’un centre sont en effet mobilisés quels que soient les effectifs accueillis.

Cette sous-occupation des centres éducatifs fermés est d’autant plus problématique pour le rapporteur qu’elle est assumée. Certes, il est parfois impossible pour certains centres d’accueillir douze mineurs en raison d’un manque d’effectifs, ces établissements étant confrontés à des problématiques récurrentes de recrutement. Toutefois, l’objectif fixé par les projets annuels de performance du programme 182 en matière de taux d’occupation des centres éducatifs fermés est de 85 %. Par ailleurs, plusieurs acteurs ont également affirmé au rapporteur spécial qu’il serait dans la plupart des cas impossible d’accueillir douze jeunes simultanément, non pas en raison des capacités d’accueil, mais en raison de l’encadrement que cela supposerait du fait des profils de ces jeunes. Le rapporteur spécial s’interroge dès lors sur la pertinence à maintenir l’idée selon laquelle ces établissements sont destinés à accueillir douze jeunes et pose la question plus générale de leur pertinence au regard de leur coût puisqu’en réalité ces structures n’accueillent en moyenne que huit à neuf jeunes à la fois.

C.   En dépit de l’absence totale d’évaluation, un plan de construction de vingt nouveaux centres éducatifs fermés a été lancé en 2018

1.   Le plan « 20 CEF » et le dispositif des centres éducatifs fermés dits de « nouvelle génération »

Le 27 septembre 2018, Nicole Belloubet, alors garde des sceaux, lançait le plan dit « 20 CEF », pour désigner un programme de construction de vingt nouveaux centres éducatifs fermés sur le territoire, mettant ainsi en œuvre un des engagements pris par Emmanuel Macron lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 2017. Ces vingt centres devaient alors s’ajouter aux 51 centres existants à l’époque, ce qui représentait une augmentation de près de 40 %. Plusieurs établissements ont depuis été ouverts. L’actuel ministre de la justice a ainsi inauguré il y a quelques semaines un centre éducatif fermé à Beauséjour, en Guyane. Plusieurs centres ont ouvert en 2022, à Épernay, Bergerac et Saint-Nazaire. D’autres doivent ouvrir. Au total, cinq centres ont ouvert depuis l’annonce de ce plan.

Au-delà des chiffres, le fonctionnement des établissements issus du plan « 20 CEF », dits de « nouvelle génération », a été repensé par rapport aux centres éducatifs fermés existants, avec pour enjeux de mieux prévenir la récidive en favorisant l’insertion ([9]). Les nouveaux centres appliquent notamment un programme architectural et technique nouveau. Les innovations portent en particulier sur la création systématique d’un espace parental, afin de favoriser le maintien du lien familial, et le renforcement des dispositifs de protection et de sécurité. La robustesse des matériaux utilisés constitue également une orientation forte. Le ministère considère que ces centres « nouvelle génération » seront plus efficaces dans la réinsertion des jeunes placés et compte pour cela sur leur implantation à proximité des centres urbains et économiques et sur l’évolution architecturale ([10]). Ce nouveau type de centre éducatif fermé repose également plus que par le passé sur la mixité.

2.   Un plan lancé alors même qu’un tiers des places actuelles sont vacantes et surtout sans aucune évaluation de la capacité des CEF à prévenir la récidive ou la réitération des mineurs placés

Le rapporteur spécial a déjà eu l’occasion de relever le taux d’occupation relativement faible des centres éducatifs fermés. Au moment du lancement de ce plan en 2018, ce taux d’occupation était similaire, autrement dit, en moyenne trois places restaient libres par centre, soit près de 150 places au total. Dans ce contexte, le rapporteur spécial comprend difficilement qu’un tel plan, destiné donc à offrir 240 places supplémentaires, ait été lancé.

Ceci est d’autant plus incompréhensible pour le rapporteur spécial qu’aucune étude ne venait alors faire état de l’efficacité des centres éducatifs fermés, notamment à prévenir la récidive ou la réitération des jeunes placés. Le ministère de la justice avait, de fait, été incapable de montrer à la Cour des comptes, qui réalisait un rapport ([11]) sur le sujet, les travaux soulignant l’apport des centres éducatifs fermés en matière de prévention de la récidive, travaux qu’il mettait pourtant en avant pour justifier la création de nouveaux centres. La Cour des comptes jugeait dans son rapport que « cette insuffisante analyse des besoins est d’autant plus grave que la contribution des CEF à la prévention de la récidive fait l’objet d’interrogations de longue date. » Un rapport d’information du Sénat ([12]) considérait déjà en 2011 qu’elle ne « repos[ait] sur aucune étude scientifique établie ».

Par ailleurs, les études du ministère, quand elles existent, ont plutôt tendance à montrer les piètres résultats de ces établissements. Ainsi, la Cour des comptes relevait que la direction de la protection judiciaire de la jeunesse a mené une enquête sur la réitération des mineurs placés en centres éducatifs fermés entre 2003 et 2006 qui indiquait que 44 % des mineurs de l’échantillon retenu ont été condamnés à une peine de prison ferme après leur séjour dans un centre éducatif fermé. La Cour des comptes s’inquiétait ainsi d’un plan « engagé sans études d’impact préalable » et « justifié par une efficacité supposée mais non démontrée en matière de récidive. » De son côté, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, dans plusieurs de ses rapports annuels ([13]), estime que « ce plan présente des risques importants et documentés alors que les bénéfices pour les enfants sont bien mal connus puisqu’il n’existe que très peu d’études et d’évaluations de leurs effets, sinon fort parcellaires » ([14]).

En l’absence d’évaluation, plusieurs voix ont demandé ou recommandé que le plan « 20 CEF » soit mis en pause le temps que le dispositif fasse l’objet d’une évaluation. Dans son rapport, la Cour des comptes avait ainsi formulé la recommandation suivante : « avant de lancer des projets nouveaux de CEF, établir les besoins à satisfaire, en se fondant sur une évaluation de l’offre existante ». De son côté, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté estimait dans un rapport ([15]) consacré aux droits fondamentaux des mineurs enfermés que les « justifications à l'ouverture de vingt nouveaux CEF sont peu lisibles au regard d'une part des données statistiques sur la délinquance des mineurs et d'autre part de l'absence d'une évaluation sérieuse du dispositif malgré le constat partagé des nombreuses difficultés rencontrées par les CEF » et recommandait dès lors le report du projet de création de vingt centres supplémentaires « dans l'attente d'une correction dûment évaluée des fragilités du dispositif et en raison du caractère exceptionnel que doit conserver le placement en CEF ».

Insensible à ces recommandations, le Gouvernement a poursuivi son plan. Le projet annuel de performance pour 2025 indique ainsi qu’un centre éducatif fermé doit, par exemple, ouvrir cette année au Vernet d’Ariège. Ceci est incompréhensible pour le rapporteur qui s’associe aux recommandations précitées et demande à mettre en pause le plan « 20 CEF » tant que l’efficacité de ces établissements n’aura pas été démontrée.

 

Recommandation : en l’absence d’évaluation démontrant l’efficacité des centres éducatifs fermés, mettre en pause le plan « 20 CEF » et renoncer à la construction de tout nouvel établissement qui n’aurait pas débuté.

3.   Ceci est d’autant plus problématique que la construction de nouveaux centres mobilise les crédits d’investissement du programme 182 au détriment des autres types de structures

L’intérêt de l’action de la protection judiciaire de la jeunesse réside notamment dans le fait de disposer d’établissements variés, adaptés à une diversité de profils. Or, un des risques mis en avant par les équipes de la Cour des comptes avec lesquelles le rapporteur spécial a pu échanger est que la construction de nouveaux centres éducatifs fermés accapare l’essentiel des crédits d’investissements du programme 182, au détriment des autres types de structures, qu’il s’agisse d’en construire ou d’en rénover. Ceci est d’autant plus vrai que les crédits dédiés à l’investissement représentent une part infime des crédits alloués au programme : le projet annuel de performance annexé au projet de loi de finances pour 2025 prévoyait ainsi que 36,7 millions d’euros sur un total de 1 141 millions d’euros financent des dépenses d’investissement, soit 3 %. Le rapporteur spécial appelle par conséquent à être particulièrement vigilant sur ce point, d’autant plus que les centres éducatifs fermés ne concernent qu’une extrême minorité des mineurs qui relèvent de la protection judiciaire de la jeunesse (1,2 %).

II.   Il est indispensable ET URGENT d’évaluer les centres éducatifs fermés pour s’assurer de lEUR pertinence AU REGARD DU coût pour les finances publiques

A.   Des problématiques bien connues au SEIN DU ministère de la justice : la défaillance du suivi des jeunes placés relève en partie d’une insuffisante culture de l’évaluation et de l’absence d’interopérabilité des logiciels

1.   L’absence d’interopérabilité des logiciels des différentes directions

La problématique du numérique est bien identifiée au sein du ministère de la justice. C’est elle qui a conduit au lancement, à la suite des États généraux de la justice, d’un premier puis d’un second plan de transformation numérique. Pour autant, ces plans n’ont pas toujours produit les résultats escomptés, comme l’a souligné la Cour des comptes ([16]) et comme l’a également constaté Patrick Hetzel lors de la précédente édition du Printemps de l’évaluation ([17]). L’une des difficultés qui demeurent provient du fonctionnement en silo des principaux applicatifs métiers du ministère que sont Cassiopée, Génésis et Parcours ([18]). La Cour des comptes affirmait ainsi dans son rapport dédié au premier plan de transition numérique que « l’approche générale du ministère repose encore sur de grands projets monolithiques, fonctionnant en silos les uns à côté aux autres. » Le ministère le reconnaît d’ailleurs lui-même : dans une étude ([19]) de septembre 2024, il est ainsi indiqué que le suivi des jeunes « lorsque la prise en charge a pris fin est particulièrement complexe, en l’absence d’un appariement des systèmes d’information judiciaires entre eux (en particulier Parcours et Cassiopée) et avec d’autres bases de données (éducation nationale, santé, etc.). »

Or, l’absence d’interopérabilité de ces logiciels pose un problème majeur dans le suivi des mineurs qui passent par un centre éducatif fermé : celle du suivi de leur parcours une fois qu’ils acquièrent la majorité. Conscient des problèmes que pose cette rupture, le ministère de la justice a engagé un chantier destiné à relier Parcours aux autres logiciels du ministère, dont le système d’information de la chaîne pénale, Cassiopée. Toutefois, le déploiement total de Parcours, présenté en mai 2022, a été estimé à une durée totale de dix ans ; or, l’interfaçage de Parcours avec les différents logiciels du ministère est fortement dépendant de son déploiement. Par ailleurs, l’interfaçage de Parcours avec les seuls logiciels du ministère de la justice n’est pas suffisant. Cela ne permettrait en effet que de suivre la trajectoire des mineurs placés sur le plan judiciaire une fois qu’ils deviendront majeurs. Le suivi de leur parcours scolaire et professionnel est, pourtant, tout aussi important. Pour cette raison, le rapporteur spécial invite le ministère de la justice non seulement à renforcer l’interopérabilité des logiciels du ministère de la justice, et ce dans des délais plus rapides, et à mettre en œuvre un interfaçage de Parcours avec certains logiciels d’autres ministères, comme le ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche et le ministère du travail.

Interrogé à ce sujet par le rapporteur spécial, le secrétariat général du ministère de la justice lui a indiqué qu’en 2025, le « lien » entre Parcours et Cassiopée était devenu effectif pour les jeunes entrés en centre éducatif fermé à compter de 2019, mais « l’interconnexion » des applicatifs doit intervenir au plus tard en mai 2027. Le secrétaire général adjoint a indiqué que le « lien » effectué en 2025 permettra à terme, par exemple, de mesurer la récidive à cinq ans ou de comparer le parcours d’un jeune en centre éducatif fermé et d’un jeune hors centre éducatif fermé. Ce travail devrait se faire avec la participation de l’Institut des politiques publiques. Le ministère travaille désormais à rapprocher les bases de données relevant du ministère de la justice et celles des ministères sociaux (comme la DARES) et du ministère de l’éducation nationale.

 

Recommandation : renforcer l’interopérabilité du logiciel Parcours avec les autres logiciels du ministère de la justice et avec certains logiciels d’autres ministères (ministères sociaux, ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche) afin de permettre le suivi des trajectoires des mineurs qui sortent de CEF dans des aspects variés de leur vie et évaluer ainsi leur insertion

2.   Une culture insuffisante de l’évaluation

Au-delà des problématiques liées au numérique, l’absence d’évaluation du dispositif des centres éducatifs fermés provient aussi du fonctionnement intrinsèque du ministère de la justice, au sein duquel la culture de l’évaluation est insuffisamment développée. Le garde des sceaux, ministre de la Justice, Gérald Darmanin l’a d’ailleurs reconnu le 3 octobre 2025 ([20]). Interrogé par le rapporteur spécial sur l’absence d’évaluation du dispositif des centres éducatifs fermés, le ministre a expliqué que : « Nous sous-estimons la politique de l’évaluation au ministère de la justice. Nous savons très peu évaluer l’efficacité de nos politiques publiques. C’est un ministère qui n’a pas de statistique indépendante (…), pas de comité scientifique ou universitaire pour vérifier les travaux du ministère et pas d’outil d’évaluation ». Quelques jours plus tôt, devant la commission des lois du Sénat ([21]), le ministre dressait le même constat, reconnaissant fonctionner au « pifomètre » : « Pour ce qui est des outils statistiques, le ministère de la justice, à mon grand étonnement, évalue peu, voire n'évalue pas du tout, et évalue mal. Je vous ai dit, par exemple, ne pas connaître exactement le nombre d'inculpés qui reconnaissent spontanément leur culpabilité. J'en suis gêné, croyez-moi, mais c'est « au  pifomètre », à force de faire le tour des cours d'appel, que je parviens à une estimation : rien n'est scientifique dans mon évaluation. Et, de manière générale, les statistiques manquent énormément. C'est vrai pour l'autorité judiciaire ; c'est vrai aussi pour la protection de l'enfance, ainsi que pour la pénitentiaire. » Le rapporteur spécial déplore très fortement cette situation.

Étant donné le nombre de jeunes placés en centre éducatif fermé, le rapporteur spécial souligne que l’emploi d’un ou deux chercheurs en sciences sociales permettrait de suivre l’intégralité des jeunes placés au cours d’une année. Le rapporteur spécial déplore en effet que les seules études menées jusqu’à présent se soient concentrées sur des panels, qui en raison de leur faible taille, rendent difficile toute généralisation. Le rapporteur se félicite ainsi que lors de la réunion précitée, le ministre ait affiché trois objectifs pour la protection judiciaire de la jeunesse :

Le rapporteur spécial sera particulièrement vigilant quant au respect de ses objectifs et tient surtout à souligner que se fixer comme objectif d’« évaluer l’efficacité des CEF » revient à reconnaître que cette évaluation n’a jamais eu lieu jusqu’à présent, plus de vingt ans après la création des centres éducatifs fermés.

B.   « On ne reçoit des nouvelles des jeunes que lorsqu’ils nous envoient une carte postale » : le suivi systématique des jeunes a également trop longtemps fait défaut

1.   Des mineurs qui « disparaissent dans la nature » après leur passage en centre éducatif fermé

Tant les auditions que les déplacements du rapporteur ont été l’occasion de constater l’incapacité des agents de la protection judiciaire de la jeunesse à suivre les parcours des jeunes passés un jour au sein d’un centre éducatif fermé. L’information quant au devenir des jeunes qui sortent de ces établissements dépend pour la plupart du temps de leur bon vouloir et de leur initiative à donner des nouvelles aux équipes qui les ont pris en charge, ce qui est pour le moins aléatoire. Il ne s’agit donc en aucun cas d’un suivi institutionnalisé de la part de la protection judiciaire de la jeunesse.

Une des raisons à cette situation réside dans le fait que le logiciel Parcours souffre d’un faible déploiement au sein des centres relevant du secteur associatif habilité, alors même que deux tiers des centres éducatifs fermés relèvent du SAH. Plus globalement, la qualité du logiciel a été constamment critiquée lors des auditions du rapporteur spécial, un de ses interlocuteurs allant jusqu’à le qualifier « d’énorme farce ».

Le suivi des jeunes est pourtant indispensable, à la fois pour évaluer tant le taux de récidive ou de réitération que, le cas échéant, leur insertion dans la société une fois leur passage dans un centre éducatif fermé terminé, dans le milieu scolaire ou professionnel par exemple.

2.   Une récente étude du ministère fait état de résultats préoccupants

Partant du constat que « connaître le parcours des jeunes à l’issue d’une prise en charge par les structures de la protection judiciaire de la jeunesse constitue un enjeu majeur, afin d’évaluer l’effet des différents dispositifs et de mieux anticiper les difficultés rencontrées par les jeunes à leur sortie », la direction de la protection judiciaire a conduit l’année dernière une étude ([22]) consacrée aux centres éducatifs fermés. Le rapporteur spécial note que cette étude se heurte à des obstacles méthodologiques, notamment le fait que les parcours biographiques et judiciaires des jeunes qui passent par un centre éducatif fermé sont caractérisés par de nombreuses ruptures (déménagements, changements d’établissements scolaires et de situation sur le plan de l’insertion, mesures judiciaires) qui compliquent le suivi de leur situation au cours de la prise en charge et proscrivent la possibilité d’isoler l’effet propre d’un dispositif. Par ailleurs, le fait que les réponses aux questionnaires réalisés pour les besoins de l’étude proviennent, pour l’essentiel, de mineurs qui sont toujours suivis par la protection judiciaire, laisse supposer que ces mineurs font face à davantage de difficultés que l’ensemble des jeunes. Pour autant, le rapporteur spécial tient à mettre en lumière certains des résultats de cette étude, dans la mesure où il s’agit de la seule réelle étude récente dont dispose la direction de la protection de la jeunesse sur ce sujet.

Ainsi, il apparaît qu’un an après la fin de leur placement en CEF, un tiers des jeunes sont placés au pénal ou incarcérés. Toujours un an après la fin de leur placement, 40 % des jeunes sont sans activité et le projet d’insertion élaboré pendant leur placement en centre éducatif fermé ne se concrétise que dans 30 % des cas. Enfin, l’étude constate que le taux de réitération après le placement est particulièrement élevé. Sur 275 jeunes, 113 jeunes ont fait l’objet d’au moins une nouvelle procédure durant l’année ayant suivi le placement, soit 41 % du panel, 71 jeunes n’ont fait l’objet d’aucune nouvelle procédure, soit 26 % du panel, cette information étant incomplète, indisponible ou non renseignée pour 91 jeunes (33 %). Si l’on s’en tient seulement aux répondants, ce sont donc près de deux tiers des jeunes qui réitèrent. Ces constats sont extrêmement préoccupants aux yeux du rapporteur spécial et entretiennent le doute sur l’efficacité de ces établissements.

Situation des jeunes six mois et un an après leur placement

C:\Users\faugas\Desktop\Printemps\Evaluation\Justice\Réitération.PNG

Source : direction de la protection judiciaire de la jeunesse

C.   Au-delà de l’évaluation, il est impératif de réfléchir au format et au fonctionnement des centres éducatifs fermés, demeurés inchangés depuis vingt ans

1.   Douze jeunes maximum : repenser – ou au moins interroger – la capacité d’accueil des CEF

Confronté à l’absence d’évaluation du dispositif, le rapporteur spécial a cherché, au fil de ses auditions et déplacements, à se faire sa propre opinion sur la pertinence des centres éducatifs fermés. Un élément en particulier l’a interpellé : le fait que la jauge d’accueil de ses établissements n’ait jamais été interrogée, notamment compte-tenu de leur sous-occupation. Que 26,5 ETP soient mobilisés de façon permanente pour accueillir en moyenne neuf jeunes l’a surpris, dans un contexte de contrainte budgétaire que connait le pays. Le rapporteur spécial estime ainsi que la capacité d’accueil des centres éducatifs fermés existants pourrait être revue à la hausse, pourquoi ne pas la fixer à quatorze par exemple ?

 

Recommandation : alors qu’une réflexion quant à l’évolution du format des centres éducatifs fermés ne semble jamais avoir été envisagée, réfléchir à la possibilité de faire évoluer la capacité d’accueil de ces établissements.

De façon alternative, les fonctions supports pourraient être mutualisées avec d’autres établissements de la protection judiciaire de la jeunesse ou de l’administration en général. On pourrait ainsi imaginer que l’agent en charge de la restauration cuisine pour d’autres personnes que les seuls mineurs et agents d’un centre éducatif fermé. Alors qu’il soumettait cette proposition, il a été répondu au rapporteur spécial que les agents remplissant les fonctions supports assurent également, par leurs interactions avec les mineurs, un rôle éducatif auprès des jeunes. Si le rapporteur spécial ne le conteste pas, il estime que le coût de ces établissements impose de chercher des pistes d’économies. Toujours pour cette raison, le rapporteur spécial invite à se demander si certains ETP ont réellement besoin d’être employés à temps plein par un centre éducatif fermé. Le rapporteur spécial s’interroge par exemple quant à la pertinence d’assurer la présence d’un psychologue en permanence dans chaque centre.

 

Recommandation : alors qu’une réflexion quant à l’évolution du format des centres éducatifs fermés ne semble jamais avoir été envisagée, réfléchir à la possibilité de faire évoluer la composition de l’équipe y intervenant.

À l’inverse, il apparaît que certaines fonctions méritent d’être renforcées. La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté a ainsi tenu à alerter le rapporteur spécial sur le très faible nombre d’heures d’enseignement dont bénéficient les mineurs placés en centre éducatif fermé. L’institution avait déjà publié un avis ([23]) pour alerter à ce sujet. Un seul enseignant est en effet présent dans chaque centre éducatif fermé. Or, en raison des différences de niveau des jeunes placés, il n’est pas possible d’assurer un cours unique. Par ailleurs, pour garantir le bon déroulé du cours, il n’est pas non plus possible de réunir l’ensemble des jeunes en classe. En outre, ces jeunes souffrent parfois de trouble de l’attention qui empêche de les retenir trop longtemps attentifs. Enfin, les mineurs placés sont parfois retenus par d’autres activités ou rendez-vous qui les empêchent d’être présents en classe. Ainsi, lors de sa visite d’un centre éducatif fermé, l’enseignant était bien présent dans le centre mais sans aucun élève face à lui. Pour toutes ces raisons, le nombre d’heures d’enseignement auquel est astreinte la personne en charge de cette activité chaque semaine ne permet d’accorder qu’un très faible nombre d’heures d’enseignement à chaque mineur placé dans un centre. L’accès à l’éducation est pourtant un droit fondamental et, comme le relève la CGLPL dans son avis, revêt, pour les mineurs privés de liberté, « un caractère d’autant plus crucial que la majorité d’entre eux arrivent dans les lieux d’enfermement en grande difficulté scolaire, au milieu de vies chaotiques et bouleversées. » Or, alors qu’un collégien suit vingt-six heures d’enseignement chaque semaine, le CGPLG constate qu’un mineur placé en centre éducatif fermé assiste à moins de cinq heures de cours hebdomadaires effectifs. Il est indispensable pour le rapporteur spécial de remédier à cette situation sous peine d’une aggravation des parcours, déjà bancals, de ces jeunes : l’enjeu est majeur tant pour le développement que l’insertion sociale des jeunes placés.

2.   Secteur public ou secteur associatif habilité ?

Une des particularités des centres éducatifs fermés est qu’ils ne relèvent pas tous du secteur public. Au contraire, la majorité d’entre eux est administrée par le secteur associatif habilité. Si le recours à ce secteur a pu s’expliquer à l’origine par les difficultés du secteur public à recruter dans ce type d’établissements, le rapporteur spécial a cherché à comprendre pourquoi ce dualisme demeurait aujourd’hui. En particulier, il a cherché à savoir, à l’ouverture d’un nouveau centre, la raison pour laquelle était privilégié l’une ou l’autre des options mais personne n’a été en mesure de lui apporter une explication rationnelle à ce sujet.

Lors de son audition du 3 juin 2025 devant la commission des finances de l’Assemblée nationale dans le cadre des commissions d’évaluation des politiques publiques (CEPP), le ministre, se fondant sur un rapport de l’Inspection générale de la justice, a affirmé que le taux de récidive observé en sortie de centre éducatif fermé était plus bas pour les centres éducatifs fermés relevant du secteur associatif. Le rapporteur spécial émet toutefois de fortes réserves sur ce résultat dans la mesure où le secteur associatif habilité où les centres qui en relèvent contribuent grandement au faible déploiement de Parcours. Pour le rapporteur spécial, l’évaluation des centres éducatifs devra également s’intéresser à cette question et, dans l’hypothèse où de nouveaux CEF devraient ouvrir, ceux-ci devraient être rattachés au secteur présentant les meilleurs résultats en matière d’insertion des jeunes et de prévention de la récidive.

 

Recommandation : sur la base d’une évaluation des centres éducatifs fermés, affilier les futurs centres au secteur – public ou associatif – présentant les meilleurs résultats en matière d’insertion des jeunes et de prévention de la récidive.

D.   RÉflÉchir dÈs À présent À des alternatives aux centres Éducatifs fermÉS ETANT DONNÉ l’INEfFICIENCE de cette solution

Réaliser une étude sérieuse sur l’efficacité des centres éducatifs fermés prendra du temps : cela supposera, en effet, de suivre la trajectoire de mineurs passés, au cours de leur adolescence, par un centre éducatif fermé, a minima, pendant quelques années. Un certain recul sera, de fait, nécessaire pour s’intéresser tant à leur parcours judiciaire – récidivent-ils ou réitèrent-ils après leur placement dans un centre éducatif fermé ? – qu’à leur insertion dans la société, à travers l’analyse de la poursuite d’un projet académique ou professionnel ou de leur capacité à renouer avec une vie de famille, par exemple.

Selon le rapporteur spécial, il n’est cependant pas possible de continuer à attendre pour réformer cette politique de la protection judiciaire de la jeunesse alors qu’elle est extrêmement coûteuse pour l’État. Sans pouvoir juger de son efficacité faute d’évaluation d’ampleur, le rapporteur spécial estime en effet qu’elle est inefficiente et qu’il n’est pas concevable de consacrer autant d’argent public pour un public aussi modeste sans résultats probants. Il invite dès lors le ministère à réfléchir dès à présent à des alternatives au placement en centre éducatif fermé.

 

Recommandation : étant donné l’inefficience du placement en centre éducatif fermé au regard de son coût, réfléchir sans attendre à des alternatives au placement en CEF pour les publics concernés

 

 


   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Lors de sa réunion de 9 heures, le mercredi 11 juin 2025, la commission, réunie en commission d’évaluation des politiques publiques, a entendu M. Jean-Didier Berger, rapporteur spécial de la mission Justice, sur son rapport d’information relatif à l’évaluation des résultats des centres éducatifs fermés, présenté en application de l’article 146, alinéa 3, du règlement de l’Assemblée nationale.

La commission a autorisé la publication du rapport d’information.

La vidéo de cette réunion est disponible sur le site de l’Assemblée nationale. Le compte rendu sera prochainement consultable

 

 

*

*     *

    

 


   PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL

 

Contrôleur général des lieux de privation de liberté

– Mme Dominique Simonnot, contrôleure générale des lieux de privation de liberté

– M. André Ferragne, secrétaire général du Contrôleur général des lieux de privation des libertés

Cour des comptes

– Mme Nathalie Casas, conseillère maître, présidente de section à la Cour des comptes

– M. Dominique Antoine, conseiller maître à la Cour des comptes

– M. Jean-François Clerc, conseiller référendaire en service extraordinaire à la Cour des comptes

Direction de la protection judiciaire de la jeunesse

– Mme Caroline Nissand, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse

– M. Hervé Hubert, sous-directeur du pilotage et de l’optimisation des moyens

– M. Méhidine Faroudj, sous-directeur des missions de protection judiciaire et d’éducation

– Mme Alice Simon, responsable du pôle recherche

– Mme Malika Zerwetz, cheffe de section au bureau des méthodes et de l’action éducative

Secrétariat général du ministère de la Justice

– M. Alexandre de Bosschere, secrétaire général adjoint du ministère de la Justice

– M. Abdelmalik Koubi, adjoint au chef du service de la statistique, des études et de la recherche

– Nicolas Bouniot, chef de bureau à la direction du numérique

 

Centre éducatif fermé de Bures-sur-Yvette

– M. Hakim Tilouch, directeur territorial

– Mme Laurence Martinat, directrice

– Mme Émilie Lievens, responsable d’unité éducative

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

 


([1]) Cour des comptes, Les centres éducatifs fermés et les établissements pénitentiaires pour mineurs, octobre 2023.

([2]) Rapport annuel de performance du programme 182 – Protection judiciaire de la jeunesse.

([3]) Selon l’analyse de la Cour des comptes précitée, page 27.

([4]) Ce secteur comprend des établissements et services qui sont gérés par des associations privées, mais qui sont habilités et financés par l'État.

([5]) Seul un tiers des mineurs placés a moins de 16 ans.

([6]) Un second centre dédié aux filles doit toutefois ouvrir dans le Vaucluse.

([7]) Rapport annuel de performance 2024 du programme 162.

([8]) Le calcul du RAP est toutefois trompeur car il suppose que le coût budgétaire exécuté – qui fait office de dénominateur – reste identique à 100 % des capacités.

([9]) Dossier de presse du ministère de la justice, Création de 20 centres éducatifs fermés – Dispositif des CEF « nouvelle génération », septembre 2018.

([10]) La Cour des comptes relevait toutefois dans son rapport précité que des CEF fonctionnent bien malgré une implantation en zone rurale, et que leur réussite repose pour l’essentiel sur le professionnalisme et la cohésion de l’équipe éducative.

([11]) Cour des comptes, Op. cit.

([12]) Rapport d’information n° 759 de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale, L’enfermement des mineurs délinquants : évaluation des centres éducatifs fermés et des établissements pénitentiaires pour mineurs », présenté par MM. Jean-Claude Peyronnet et François Pillet, sénateurs, juillet 2011.

([13]) Voir notamment les rapports d’activité 2021 et 2022 du CGLPL.

([14]) Voir notamment les rapports d’activité de 2021 et 2022.

([15]) Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Les droits fondamentaux des mineurs enfermés, 2021.

([16]) Cour des comptes, Améliorer le fonctionnement de la justice – Point d’étape du plan de transformation numérique du ministère de la justice, janv. 2022.

([17]) Rapport d'information par la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire relatif au pilotage des projets informatiques par la Chancellerie, n° 2716, déposé le lundi 3 juin 2024.

([18]) Pour la direction des services judiciaires, la direction de l’administration pénitentiaire et la direction de la protection judiciaire de la jeunesse.

([19]) Étude de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse que le rapporteur a pu consulter.

([20]) La vidéo est disponible ici : https://videos.assemblee-nationale.fr/video.16989559_683f433693ce3.commission-des-finances--m-gerald-darmanin-garde-des-sceaux-3-juin-2025.

([21]) Audition du 28 mai 2025 relative aux orientations du ministère en matière de justice pénale, de justice civile et d'organisation pénitentiaire - Audition de M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice.

([22]) DPJJ, « Que deviennent les jeunes après un placement en centre éducatif fermé ? », sept 2024.

([23]) Contrôleur général des lieux de privation de liberté, avis du 17 novembre 2023 relatif à l’accès des mineurs enfermés à l’enseignement.