N° 1584
______
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIèME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 juin 2025.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
en conclusion des travaux de la mission d’évaluation et
de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale
sur les mécanismes de fixation du prix des médicaments et leurs enjeux,
ET PRÉSENTÉ PAR
M. Jérôme Guedj et M. Cyrille Isaac‑Sibille,
Députés.
——
— 1 —
___
Pages
— 1 —
Dans le cadre de ses prérogatives, la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Mecss) a engagé à la fin de l’année 2024 un cycle d’auditions sur le thème des dépenses de médicaments, aux fins d’éclairer la mission sur certains enjeux spécifiques à ce domaine caractérisé à la fois par une grande technicité et par un poids croissant dans les dépenses sociales. Les trois auditions de ce cycle ont permis aux membres de la mission d’aborder une diversité de sujets avec les principaux acteurs de la politique du médicament, dans un format souple et un calendrier resserré, dans le but de renforcer l’information et le contrôle du Parlement sur le vote des lois de financement de la sécurité sociale.
Le choix du thème des dépenses de médicaments s’explique par le contexte particulier d’adoption de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, qui a été marqué par la communication par le Gouvernement, au cours de la navette parlementaire, d’une modification des équilibres budgétaires, en raison d’une sur‑exécution des dépenses de médicaments alors estimée à 1,2 milliard d’euros au titre de l’année 2024. Cette situation a motivé l’adoption en première lecture au Sénat de plusieurs amendements du Gouvernement visant à rectifier l’écart à la prévision par des mesures correctives pour 2024 et pour 2025. L’adoption le 4 décembre 2024 d’une motion de censure à l’encontre du Gouvernement de M. Michel Barnier, qui avait engagé sa responsabilité sur le texte du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, a engendré un retard d’adoption de la loi après le 31 décembre 2024, expurgée des mesures correctives portant sur l’exercice 2024. Dans ce contexte et compte tenu du poids croissant des dépenses de médicaments dans les dépenses sociales et de l’impact d’une erreur de prévision sur l’équilibre des comptes sociaux, la Mecss a estimé nécessaire d’établir l’ampleur réelle de l’écart à la prévision budgétaire de dépenses de médicaments pour 2024, ses causes et le rôle de chacune des parties prenantes afin de formuler des recommandations dans la perspective de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026.
La fixation du prix du médicament est l’un des mécanismes les plus complexes de notre système de protection sociale. Elle repose sur un jeu de négociations mené par les industriels, le Comité économique des produits de santé et le ministère de la santé. Au‑delà de la seule question de l’amélioration du service médical rendu, de nombreux enjeux sont pris en compte, tels que la souveraineté nationale. Chaque année, lors de l’examen du PLFSS, ces compromis se traduisent en articles de loi techniques, difficiles à appréhender pour l’ensemble des parlementaires. Peu en saisissent véritablement la portée. En réalité, très peu de personnes connaissent réellement le coût exact d’un médicament, entre le prix facial inscrit sur l’ordonnance, les remises confidentielles, les négociations à chaque étape de la chaîne de fabrication
Pour le législateur, cette opacité complique toute anticipation, discussion et évaluation budgétaire. D’où l’intérêt de la présente mission : avant de mesurer les dérapages, elle permet de lever le voile sur le mécanisme de fixation du prix du médicament.
La Mecss a auditionné entre le 18 décembre 2024 et le 19 mars 2025 les trois principaux acteurs concernés par la régulation du prix du médicament : le Comité économique des produits de santé (Ceps), Les Entreprises du médicament (Leem) et la direction de la sécurité sociale (DSS), dans le but de mieux comprendre les mécanismes de détermination du prix des médicaments et de pilotage de la dépense publique afférente. La présente publication restitue le contenu de ces auditions ainsi que les réponses écrites des personnes auditionnées aux questionnaires adressés par la Mecss.
Riches d’enseignements, ces auditions ont permis à la Mecss de répondre pour l’essentiel aux objectifs qu’elle s’était fixé avec une efficacité de moyens et une rapidité à saluer.
S’agissant premièrement de l’estimation de l’écart à la prévision de dépenses de médicaments au titre de l’exercice 2024, les auditions ont permis de constater que le montant de 1,2 milliard d’euros annoncé par le Gouvernement à l’automne 2024 devait être réévalué à la baisse au regard des données disponibles au moment de la clôture des comptes en mars 2025. Le montant de cet écart ne fait toutefois pas consensus entre les acteurs, puisque le Leem l’estime à 200 millions d’euros alors que la DSS l’a réévalué à 950 millions d’euros.
La cause de cet écart résiderait dans une erreur d’estimation par la DSS d’un poste de dépenses appelé « remises produits » : il s’agit de sommes versées par les laboratoires à l’assurance maladie en application de clauses conventionnelles conclues produit par produit entre chaque laboratoire et le Ceps. Le montant de ces remises est difficile à prévoir car il dépend à la fois de négociations conventionnelles entre les industriels du médicament et le Ceps, mais aussi du volume des ventes de chaque produit et dès lors de la dynamique du marché du médicament. Alors que le marché du médicament est très dynamique et que le montant des remises produit augmente tendanciellement de 30 % chaque année, et malgré une hypothèse d’infléchissement de cette tendance à seulement 20 % en prévision pour 2024, le marché du médicament a marqué une rupture très forte l’année passée, conduisant à une croissance des remises produits légèrement inférieure à 10 %. Cet écart explique le manque à gagner pour l’assurance maladie au titre des remises produits en 2024 et partant, la hausse plus importante qu’anticipée des dépenses de médicaments.
Il résulte de cette situation un paradoxe qui interpelle la Mecss et que les auditions n’ont pas permis d’élucider totalement : malgré une baisse de la dépense brute de médicaments, la dépense nette constatée pour l’assurance maladie est en augmentation. Selon la DSS, l’Ondam 2024 a bien été dépassé de 950 millions d’euros au titre des dépenses de médicaments, soit une progression des dépenses de médicaments (+ 5,7 %) plus rapide que la progression de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) (+ 3 %). Par ailleurs, le moindre rendement des remises versées au titre de l’année 2024 se répercutera nécessairement dans la base de calcul au titre de l’exercice 2025.
Alors qu’il incombe à la DSS d’établir la prévision de dépenses de médicaments pour l’année suivante, celle-ci ne dispose pas au moment de l’établissement de cette prévision des informations nécessaire à la fiabilisation de sa prévision en particulier s’agissant des remises produit, négociées directement entre chaque laboratoire et le Ceps. Difficiles à prévoir, ces remises constituent un poste de dépenses qui représentent désormais le quart de la dépense brute de médicaments. Il en ressort que toute erreur de prévision relative à leur rendement affecte directement la qualité du pilotage et la maîtrise de la dépense publique de médicaments. La tardiveté du versement des remises produits (novembre de l’année de référence) ajoute à la difficulté de l’exercice de prévision.
Les causes précises de la hausse de la dépense nette malgré la baisse de la dépense brute ne sont pas déterminées avec précision et pourraient se reproduire. En pratique, cette situation traduit une hausse préoccupante des dépenses publiques de médicaments – dont la croissance est deux fois plus rapide que celle de l’Ondam – et soulève la question de leur soutenabilité comme de l’efficacité des outils de pilotage actuels.
Il ressort de ces auditions que plusieurs leviers seraient de nature à améliorer la qualité de la prévision et la maîtrise du pilotage de la dépense de médicaments. Ainsi, le meilleur partage de l’information entre l’ensemble des acteurs – et en particulier vis-à-vis de la DSS, chargée de la prévision et du pilotage de la dépense de médicaments –, le passage à une base trimestrielle pour les révisions de la prévision par la DSS ainsi que le versement anticipé des remises par les laboratoires permettraient d’améliorer la qualité du pilotage de la dépense. Au-delà de ces recommandations, il apparaît nécessaire à la mission d’assurer un suivi plus fin des raisons de la forte croissance des dépenses de médicaments. Cet objectif n’est toutefois pas aisé compte tenu du calendrier tardif de versement de la clause de sauvegarde du médicament et des remises produit et en l’absence de sous‑objectif dédié agrégeant l’ensemble des dépenses de médicaments au sein de l’Ondam.
— 1 —
COMPTE RENDU DES AUDITIONS de la Mission
1. Audition du mercredi 18 décembre 2024
La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale auditionne, en visioconférence, M. Philippe Bouyoux, président du Comité économique des produits de santé ([1]).
M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Je vous remercie de participer à cet exercice dans le cadre de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Mecss). J’ai récemment lancé ce processus d’audition des acteurs majeurs de notre système de soins. L’audition de ce matin a tout d’abord pour objectif de recueillir votre point de vue sur les médicaments puis de vous proposer une séance de questions-réponses avec les membres de la Mecss. Cette approche nous permet d’auditionner des acteurs essentiels en dehors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), afin de mieux comprendre les différents mécanismes et d’effectuer un contrôle ainsi qu’une évaluation continue.
M. Philippe Bouyoux, président du Comité économique des produits de santé (Ceps). Je souscris pleinement à cette démarche et vous remercie d’avoir sollicité le Comité économique des produits de santé. Je souhaiterais commencer par présenter brièvement le Ceps afin de clarifier notre champ de compétences. Je vous exposerai ensuite notre actualité puis j’aborderai les thèmes que vous avez identifiés dans le questionnaire. Nous pourrons vous fournir des informations chiffrées par écrit mais je me concentrerai ici sur les messages principaux en réponse à vos questions.
M. le président Cyrille Isaac-Sibille. En tant que président du Ceps, pouvez‑vous tout d’abord nous présenter le périmètre de votre mission ?
M. le président du Ceps. Les deux activités principales du Ceps sont la tarification et la régulation. La tarification est une approche microéconomique, produit par produit, pour les médicaments et les dispositifs médicaux entrant sur le marché. Elle s’appuie sur des critères légaux, dont le principal est la valeur thérapeutique estimée par la Haute Autorité de santé (HAS) à travers l’indicateur relatif d’amélioration du service médical rendu (ASMR). Nous valorisons ainsi le produit par rapport à des comparateurs existants.
La régulation concerne les plans de baisse annuels. Il s’agit d’un exercice macroéconomique qui débute en juillet, lorsque nous annonçons les classes thérapeutiques visées par les efforts de baisse. Les négociations se déroulent ensuite à partir du mois de septembre, avec l’objectif de conclure avant la fin de l’année civile pour une mise en œuvre rapide l’année suivante. L’objectif de cet exercice est d’examiner l’écart entre la trajectoire spontanée des dépenses et celle qui a été jugée soutenable.
La régulation peut prendre différentes formes, notamment la clause de sauvegarde légale et les baisses de prix négociées par le Ceps. L’ampleur de la régulation est ajustée globalement, puis ventilée entre ces deux leviers principaux.
Pour ces deux missions, nous appliquons la méthode de la négociation. Le Ceps est un lieu de politique conventionnelle qui opère à deux niveaux. Premièrement, nous négocions les règles de la tarification avec les industriels – Les Entreprises du médicament (Leem) pour le médicament et le Syndicat national de l’industrie des technologies médicales (Snitem) pour les dispositifs médicaux. De ces négociations, naissent des accords-cadres pluriannuels qui définissent les avantages conventionnels accordés selon les niveaux d’ASMR attribués par la HAS, ainsi que les économies attendues. Deuxièmement, nous menons des négociations produit par produit pour la tarification ou dans le cadre des plans de baisse. Bien que notre objectif soit d’aboutir à un accord, nous pouvons être amenés à prendre des décisions unilatérales si nécessaire, même si cela est considéré comme un échec de la négociation.
Concernant notre actualité, nous mettons actuellement en œuvre le plan de baisse annuel. Depuis juillet, nous négocions avec les laboratoires des baisses sur plus de 200 produits ciblés et avons atteint un accord ou sommes proches d’un accord pour environ 90 % d’entre eux. Notre objectif d’un milliard d’euros de baisses semble réalisable, bien que des décisions unilatérales puissent être nécessaires dans certains cas.
Nous préparons également la renégociation de l’accord-cadre avec le Leem. L’accord de mars 2021, prorogé jusqu’à mars 2025, devra être à nouveau prolongé pour mener à bien les négociations approfondies. Parmi les thèmes majeurs à aborder, figurent la tarification des produits innovants, l’utilisation de nouveaux outils tels que l’évaluation médico-économique et, du côté du Leem, la valorisation de l’innovation dans certains domaines longtemps délaissés car celui‑ci considère qu’on ne valorise pas à sa juste valeur une innovation qui intervient sur un produit ou une ère thérapeutique qui n’a connu aucune évolution récente avec laquelle comparer cette innovation. La question des remises, qui représentent la différence entre le prix facial et le prix net ou effectif, sera également discutée. Bien que conçues par la loi comme temporaires et exceptionnelles, elles se sont considérablement développées ces dernières années. Nous aborderons également les questions de sécurité des approvisionnements et de souveraineté sanitaire et industrielle. Des sujets stratégiques, tels que l’introduction de critères environnementaux dans la tarification, nécessiteront des orientations gouvernementales. Enfin, nous examinerons des aspects techniques pour améliorer l’efficacité de nos négociations.
M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Le rapport annuel provisoire que vous nous avez fourni, complet et instructif, permet de mieux appréhender la complexité de la tarification des médicaments.
M. le président du Ceps. Bien que notre rapport reflète la complexité de notre matière, nous devons améliorer sa lisibilité et son délai de publication. Un amendement, discuté lors du PLFSS au Sénat, proposait que nous adressions le rapport annuel au Parlement avant le 30 septembre. Nous vous avons transmis une version provisoire mi-décembre. Certaines données, notamment financières, ne sont pas disponibles en septembre en raison de délais légaux et de possibles contestations par les entreprises. Une grande partie des informations pourrait néanmoins être mise à disposition du Parlement bien plus tôt.
M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Concentrons-nous sur les médicaments remboursés en laissant de côté les autres produits de santé. Vos chiffres évoquent 26,5 milliards d’euros avec une augmentation de 7,1 %. Je m’interroge sur l’efficacité du plan de baisse, notamment face à l’augmentation de 44 % des médicaments à accès dérogatoire. Comment analysez-vous l’évolution des prix pour les années à venir, particulièrement concernant les médicaments innovants, matures, génériques et biosimilaires ? Le chiffre de 26,5 milliards est‑il net ? En y ajoutant les clauses de sauvegarde et les remises, quel serait le montant total ?
M. le président du Ceps. Je ne vous recommande pas d’effectuer cette addition.
M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Pouvez-vous nous indiquer le montant total des remises et de la clause de sauvegarde par rapport aux 26,5 milliards d’euros nets ?
M. le président du Ceps. Le chiffre net de 26,5 milliards d’euros correspond à un chiffre brut d’environ 34 milliards car les remises produits représentent désormais une masse considérable. Or, les économies demandées dans le cadre des plans de baisse sont calculées en net.
Concernant l’évolution des dépenses, notre rapport décompose la croissance des ventes de médicaments en ville en trois effets : prix, volume et structure. L’effet volume varie d’une année sur l’autre entre – 3 % et + 3 %. L’effet prix, résultant de nos actions de baisse, est constamment négatif, autour de – 3 à – 4 %. L’effet de structure est massif, proche de 10 points, atteignant même 12 points en 2023.
Pour les produits innovants, plusieurs facteurs influencent leur contribution à la dépense : le flux d’arrivée de nouveaux produits, leur valorisation à travers leur tarification initiale, la phase de régulation avec nos baisses de prix et enfin l’arrivée à généricité. Le Ceps peut agir sur la valorisation de l’innovation et sur le rythme de régulation, mais pas sur le flux d’entrée.
Le dynamisme de la dépense nous amène à nous interroger sur la nécessité d’intervenir sur ces leviers en sachant comment équilibrer la reconnaissance de l’innovation et la maîtrise des dépenses, tout en tenant compte des différentes phases du cycle de vie des produits. À mon sens, et je m’exprime ici à titre personnel et non au nom du Ceps, il est crucial de maintenir un signal fort en faveur de l’innovation. Cela passe par une valorisation initiale élevée, tant en termes de prix facial que de prix net, dans certaines limites. Le prix facial publié doit démontrer que la France reconnaît l’innovation, tandis que le prix net doit rendre le marché français attractif pour les laboratoires innovants. L’enjeu réside dans la régulation ultérieure de ces produits innovants, en étant exigeant sur leur rythme de baisse afin d’éviter le maintien d’une rente injustifiée. Notre objectif doit être de diversifier l’offre et d’accueillir la concurrence. À l’approche de la perte de brevet, la concurrence doit pouvoir s’exercer pleinement. Les remises posent alors un problème car elles masquent le prix net réel, ce qui peut constituer une barrière à l’entrée pour les génériques potentiels.
M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Les remises sont-elles inconnues ?
M. le président du Ceps. Il est important de distinguer le prix facial, qui est public et donc connu, du prix net, qui ne l’est pas. Le prix facial représente la reconnaissance de l’innovation et est largement déterminé par référence au prix international, notamment européen. Le calcul de la valeur basé sur l’ASMR intervient dans la négociation du prix net. Le prix facial est souvent exogène, basé sur ce que nous appelons un prix européen, qui est généralement le prix le plus bas entre ceux de plusieurs autres pays. Dans certains cas, rares et définis dans l’accord-cadre, nous pouvons accepter le prix européen le plus élevé. Le prix net est, quant à lui, censé refléter la véritable valeur du produit. La remise est simplement la différence entre le prix facial et le prix net. Nous n’incluons pas les comparaisons internationales dans le rapport annuel car elles sont extrêmement complexes en raison des différences de systèmes de remises entre pays. Dans nos échanges internationaux, nous discutons des méthodes mais pas des prix nets spécifiques, qui sont protégés par le secret des affaires.
M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Vous avez évoqué le flux des produits innovants qui arrivent sur le marché et qu’il faut valoriser. Pourriez-vous nous expliquer le fonctionnement des répertoires, des génériques et des différents taux de remboursement ? Dans un contexte où de nouveaux produits arrivent constamment, comment est gérée la sortie de certains produits ou leur passage au statut de générique, tout en maintenant un équilibre global ?
M. le président du Ceps. Concernant la dynamique des flux d’entrée et de sortie, nous gérons la transition des produits innovants vers des produits plus anciens jusqu’à la perte de brevet. Pour les produits innovants, nous accordons des corrélations entre le prix facial et le prix net, avec des remises réputées exceptionnelles et temporaires. Les remises doivent avoir disparu avant l’arrivée des génériqueurs sur le marché pour commercialiser le produit, c’est‑à‑dire qu’il faut faire baisser le prix facial et en même temps le prix net pour que le prix facial et le prix net convergent, ce qui permet aux concurrents d’avoir connaissance du prix réel du produit, et de construire une offre compétitive sur le marché.
Notre stratégie de régulation vise deux objectifs : faire baisser les prix nets avant le passage au générique et réduire l’opacité en rapprochant le prix facial du prix net, notamment à l’approche de la perte de brevet. Un enjeu majeur de l’accord‑cadre sera de rediscuter cette méthode.
Concrètement, lorsqu’un prix facial plus élevé que le prix net est accordé, une période de stabilité est souvent accordée. À la fin de cette période, nous cherchons à baisser le prix, tandis que les laboratoires souhaitent le maintenir jusqu’à la perte de brevet. Cette zone de négociation complexe sera également abordée dans l’accord‑cadre.
La perte de brevet est un fait que nous constatons et intégrons dans nos négociations. Nous appliquons ensuite une régulation sur les produits des groupes génériques, comprenant le princeps et les génériques. Cette régulation prend la forme à la fois de mécanismes encadrés examinant le taux de substitution et ajustant le poids relatif du princeps et des génériques et de négociations annuelles lors des comités de suivi des génériques pour faire baisser les prix au sein des groupes génériques. Dans ces discussions, nous cherchons à faire jouer la concurrence tout en tenant compte des marges d’exploitation réduites et des risques de pénurie.
Pour les baisses de prix, nous utilisons différents critères. Cette année, nous avons appliqué un critère de convergence vers les prix européens, avec certaines limites pour éviter des baisses trop importantes. Le GEnérique Même MEdicament (Gemme) nous a indiqué comprendre et accepter la logique mais nous encourage à relever le prix des produits lorsqu’ils sont inférieurs à la moyenne européenne.
Le prix fixé par le Ceps n’est pas le prix final effectif, car il faut prendre en compte les remises commerciales accordées par les génériqueurs aux officines.
M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Qu’en est-il des répertoires de produits potentiellement généricables qui ne sont pas nécessairement inclus ? Pouvez-vous contrôler cela ?
M. le président du Ceps. Nous n’avons pas de contrôle direct sur les répertoires et les utilisons tels qu’ils sont établis. Le débat sur la substitution concerne à la fois la substitution au sein d’un répertoire existant et la création dynamique de nouveaux groupes dans le répertoire. C’est sur ce dernier point que la France est en retard par rapport à d’autres pays.
M. Michel Lauzzana (EPR). Une récente lettre de mission introduisait un nouveau critère industriel lié à la territorialisation. La crise sanitaire a mis en évidence le besoin d’industries implantées sur notre territoire pour éviter les pénuries. Or, les laboratoires affirment que cette territorialisation n’est pas prise en compte dans le prix du médicament. Une réflexion est par ailleurs en cours, y compris au niveau ministériel, sur la possibilité d’intégrer l’empreinte écologique du médicament dans la fixation du prix. Pouvez-vous nous éclairer sur ces deux aspects ?
M. le président du Ceps. La question des critères industriels est effectivement très importante. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 a introduit, dans son article 65, de nouveaux critères s’ajoutant à ceux existants, dont le principal reste la valeur thérapeutique déduite du niveau d’ASMR. Le comité peut désormais prendre en compte la sécurité d’approvisionnement du marché français que garantit l’implantation des sites de production. Afin de bénéficier de cet article, les entreprises doivent nous fournir des informations détaillées sur leurs chaînes de valeur : fabrication du principe actif, du produit fini et conditionnement. Nous examinons où se déroulent ces étapes et si les sites sont uniques, principaux ou de backup. Ce dossier est instruit pour le Ceps par la direction générale des entreprises (DGE) à Bercy. L’éligibilité est examinée selon plusieurs critères. Les produits innovants d’ASMR 1 à 3 sont automatiquement éligibles, car leur absence pourrait entraîner une perte de chance pour les patients français. Pour les produits moins innovants, nous évaluons la situation du marché afin de déterminer s’il existe un réel enjeu de sécurité d’approvisionnement. Si le produit est éligible, nous examinons en détail sa chaîne de valeur et, selon la localisation des différentes étapes de production, nous pouvons accorder un avantage sur le prix net allant jusqu’à 15 %. Cet avantage est clairement identifié dans le contrat afin d’éviter tout impact inflationniste. Par exemple, si un produit fabriqué en France bénéficie d’un prix net de 110 au lieu de 100 grâce à sa localisation, un concurrent fabriquant entièrement en Chine ou aux États-Unis ne pourrait pas prétendre au même prix, même si son produit est considéré comme équivalent par la HAS.
Par rapport aux orientations antérieures, l’article 65 facilite donc la gestion, bien que l’exercice reste complexe. Le comité a élaboré une doctrine de mise en œuvre, rendue publique dans notre rapport annuel, qui s’applique uniquement aux nouveaux produits. La question du traitement des produits existants, qui représente un enjeu financier significatif, n’a pas encore été résolue par une doctrine précise. Ce sujet a fait l’objet de discussions techniques au sein du comité et avec différentes administrations. Les arbitrages sur ces choix ont été suspendus depuis juin, mais le sujet reste d’actualité pour le nouveau gouvernement et sera demandé par le Leem dans le cadre de la renégociation de l’accord-cadre. Je tiens à préciser que cet article constitue un critère législatif explicite, ce qui explique pourquoi nous en parlons spécifiquement. Nous disposons également d’une gamme d’instruments conventionnels prenant en compte la dimension industrielle. Dans l’accord-cadre, nous avons établi le fait que lorsqu’une entreprise investit en France pour la production d’un médicament, elle nous offre une visibilité. En contrepartie, nous lui accordons un avantage en termes de stabilité des prix.
Un autre outil de politique industrielle est le système des avoirs sur remises, communément appelés « crédits CSIS ». Les entreprises ayant réalisé des investissements en France en 2023 ont déposé un dossier auprès de la DGE à Bercy fin 2024. Cette dernière examine ces dossiers, vérifiant la réalité et la nature de l’investissement, avec une priorité accordée aux projets d’accroissement de capacité. L’avantage accordé peut atteindre jusqu’à 15 % du montant de l’investissement, sous forme d’avoir sur remise utilisable pour s’acquitter des remises dues à l’assurance maladie, sur différents produits ou pour la clause de sauvegarde.
Nous débattons actuellement de la meilleure façon d’intégrer les politiques publiques dans l’action du Ceps, notamment concernant la souveraineté et les critères environnementaux. La question est de savoir s’il faut les intégrer dans le prix ou utiliser des outils distincts tels que les crédits CSIS. Le Ceps a par ailleurs mis en place un guichet supplémentaire à la DGE afin de traiter rapidement les projets d’investissement en cours et de soutenir les entreprises qui hésitent entre différents pays pour leurs investissements.
M. Yannick Neuder, rapporteur général. Je constate que la prise en compte du lieu de production par le Ceps n’est pas systématique pour des produits non innovants mais stratégiques comme le paracétamol.
Les enjeux industriels, particulièrement pour les politiques de site chimique, semblent insuffisamment considérés. Il y a un décalage entre la théorie que vous avez décrite et la pratique vécue par les entreprises de ma circonscription. Ces dernières souhaiteraient que leur production en France soit davantage valorisée face à la concurrence, notamment en étant moins impactées par la clause de sauvegarde, ce qui ne semble pas être le cas actuellement.
M. le président du Ceps. Concernant les produits non innovants comme le paracétamol, nous avons des projets de relocalisation en France. Pour soutenir ces investissements, nous disposons de plusieurs leviers. Premièrement, nous accordons des avantages sous forme de stabilité de prix, indépendamment de l’article 65. Cela explique pourquoi certains produits matures n’ont pas vu leur prix baisser ces dernières années. Deuxièmement, l’article 28 de l’accord-cadre permet de répercuter les hausses de coûts de production sur le prix, notamment en cas de relocalisation. Enfin, l’article 65 s’applique spécifiquement aux enjeux de sécurité d’approvisionnement. Le Ceps évalue d’abord s’il existe un tel enjeu, puis examine si la localisation peut améliorer cette sécurité. Dans ce cas, nous appliquons l’avantage prévu.
M. Yannick Monnet (GDR). Ma question porte sur les actions que vous pouvez entreprendre pour faciliter l’accès aux médicaments matures. Aujourd’hui, pour répondre aux exigences de rentabilité des actionnaires, les industries pharmaceutiques cherchent souvent à réduire les coûts de fabrication des molécules anciennes en délocalisant ou en s’approvisionnant dans des pays à bas coûts. Cette logique de marché accentue la dépendance et le risque de pénurie, notamment pour les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur et les médicaments essentiels. Une commission d’enquête sénatoriale a montré que les efforts se sont concentrés ces dernières années sur les spécialités innovantes au détriment des produits matures, qui subissent d’importantes baisses de prix malgré leur caractère indispensable. Qu’est-ce qui s’oppose aujourd’hui à une augmentation des prix des médicaments matures dont l’intérêt thérapeutique est avéré ?
M. le président du Ceps. Certains grands laboratoires, visant des taux de rendement élevés, cèdent leurs produits matures moins rentables. Cela peut entraîner un risque de délocalisation. Cependant, d’autres laboratoires, avec des ambitions différentes en matière d’innovation et de rentabilité, peuvent trouver ces produits intéressants même avec des marges plus faibles. Pour gérer ces situations, des dispositions ont été votées au Parlement, imposant une forme d’obligation de recherche de repreneur. Lorsque des laboratoires nous sollicitent en arguant de difficultés financières, nous privilégions l’utilisation de l’article 28 de notre accord‑cadre avec le Leem, qui permet de répercuter les éventuelles hausses de coûts de production sur le prix si le retrait du produit du marché français présente un risque pour l’accès des patients. Notre approche est la suivante : si un laboratoire nous signale un risque de retrait d’un produit important, nous lui demandons de documenter l’augmentation des coûts. Si cette augmentation est liée aux coûts de production et bien documentée, nous la répercutons sur le prix. Cependant, si un produit a de nombreux concurrents qui ne demandent pas d’augmentation, nous sommes plus réticents à accorder une hausse de prix. Le critère principal est donc l’existence d’un réel risque pour l’accès des patients. Si ce risque est avéré et que la hausse des coûts est bien documentée, nous répercutons cette hausse. Nous avons récemment négocié un avenant à l’accord-cadre avec le Leem pour permettre au comité de s’autosaisir à partir de la demande d’une entreprise dans certaines situations spécifiques.
Lorsqu’une entreprise signale des difficultés et les documente, nous considérons que des problèmes similaires pourraient affecter toute la classe de médicaments, ce qui pourrait entraîner des enjeux d’approvisionnement pour les patients. Dans ce cas, le comité peut décider d’une hausse des prix pour tout ou partie de la classe. Nous suivons toujours la logique de répercussion de la hausse des coûts. Cependant, dans certains cas d’urgence, notamment sanitaire, nous pouvons fixer le prix au niveau nécessaire, pas uniquement en répercutant les hausses de coûts des matières premières.
Concernant les remises, il existe une ambiguïté que certains laboratoires exploitent. Les remises, qui ne sont pas une ristourne commerciale, ont considérablement progressé ces dernières années. Les entreprises ont tendance à présenter ces remises comme une charge supplémentaire, au même titre que la clause de sauvegarde et les baisses de prix. Or, l’augmentation des remises est due à l’accroissement des produits innovants et aux avantages conventionnels négociés depuis 2021. Nous avons étendu ces avantages à davantage de produits et sur des durées plus longues, à la demande du Leem. Il est donc erroné de présenter ces remises comme une contribution au même titre que la clause de sauvegarde. Il s’agit d’un avantage conventionnel obtenu par les entreprises et non d’une charge.
M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Pouvez-vous vous exprimer sur le dérapage récent de 1,2 milliard d’euros ?
M. le président du Ceps. Le Ceps n’effectue pas de prévisions. Notre rôle se limite à décrire ce qui s’est passé, comme dans notre rapport annuel pour 2023. Les prévisions sont réalisées par l’administration en charge du PLFSS, car il s’agit par nature d’un exercice prévisionnel. Nous n’intervenons pas dans la détermination de la régulation globale pour l’année à venir, ni dans sa répartition entre clause de sauvegarde et baisse de prix. Nous nous contentons de les appliquer.
La seule interaction que nous avons eue à ce sujet concerne le rapport 2022. En janvier 2024, une fois nos chiffres 2022 consolidés, la direction de la sécurité sociale (DSS) est venue récupérer nos données afin de simuler des prévisions sur 2023. Ils ont conclu que leur outil fonctionnait bien pour ce type de prévisions.
M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Cela vient-il plutôt de la DSS ou de Bercy ?
M. le président du Ceps. Dans le PLFSS, la DSS est responsable. Je rappelle que la DSS a plusieurs tutelles, dépendant à la fois du ministère des comptes publics et du ministère de la Santé.
M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Nous constatons de plus en plus de thérapeutiques innovantes sans modèle économique. Avec plus de 44 % sur les médicaments en accès dérogatoire, comment envisagez-vous le modèle économique futur pour ces thérapeutiques innovantes ? Tous les patients français auront-ils accès à ces innovations ? Est‑ce soutenable pour l’assurance maladie, sachant que l’enveloppe tend plutôt à la baisse ?
M. le président du Ceps. La question du prix des médicaments innovants est complexe. Notre mission est d’assurer l’accès de tous aux traitements, conformément au principe français. Lors de la tarification initiale d’un produit, nous nous concentrons sur sa valeur réelle plutôt que sur la régulation budgétaire. Notre objectif est d’éviter de surpayer par rapport aux règles françaises, en tenant compte de l’apport relatif du produit en termes de santé publique comparé à ses alternatives.
Face à la pression croissante des laboratoires pour des prix élevés, souvent basés sur les références américaines, notre approche est double. Nous accordons un prix facial élevé pour reconnaître l’innovation, ce qui est important pour le référencement international, tout en appliquant des remises pour atteindre un prix net compétitif.
La tarification des produits disruptifs reste un défi. Nous cherchons à améliorer nos méthodes, notamment par l’évaluation médico-économique. Cette approche vise à quantifier l’apport d’un produit en années de vie gagnées, pondérées par la qualité de vie, nous permettant d’évaluer le coût par année de vie gagnée en bonne santé. Cet indicateur nous aide à déterminer la valeur que nous sommes prêts à payer pour un médicament, en recherchant l’efficience. Mais nous devons également considérer la soutenabilité budgétaire. L’objectif est de développer un système qui intègre l’information de l’ASMR, les calculs d’efficience et la soutenabilité budgétaire afin de déterminer un prix juste.
Les techniques d’évaluation médico-économique et d’analyse d’impact budgétaire nous permettent d’élargir notre perspective. Nous prenons en compte non seulement le coût direct du traitement mais également les dépenses évitées ailleurs dans le système de santé, telles que la réduction des hospitalisations. Ces outils, développés par la HAS, nous aident à réaliser des évaluations plus complètes, prenant en compte l’ensemble des coûts et bénéfices associés à un nouveau traitement.
M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Les analyses d’impact budgétaire relèvent‑elles de votre responsabilité ou de celle de la HAS ?
M. le président du Ceps. C’est la HAS qui est responsable de ces analyses pour les produits innovants au-delà d’un certain seuil. Les laboratoires doivent soumettre une évaluation médico-économique qu’ils peuvent compléter par une analyse d’impact budgétaire. Cette dernière ne se limite pas au simple calcul du prix du médicament multiplié par les ventes prévues, mais prend en compte l’ensemble des dépenses induites et évitées.
M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Est-il envisageable que les Français n’aient pas accès à ces innovations dans les années à venir en raison de leur impact budgétaire ?
M. le président du Ceps. Je refuse d’envisager cette possibilité et nous faisons tout notre possible pour l’éviter. Les produits les plus coûteux sont actuellement les thérapies géniques. Certains laboratoires annoncent des traitements révolutionnaires pour des maladies chroniques, avec une seule injection coûtant jusqu’à 2,5 millions d’euros. Ces traitements promettent des effets durables mais les données de suivi à long terme sont encore limitées, ce qui soulève des incertitudes.
Pour faire face à ces défis, nous développons de nouvelles techniques de tarification, incluant l’évaluation médicale et des contrats de performance. Ces approches nous permettront d’évaluer l’efficacité réelle des traitements au fil du temps.
Il est important de noter que ces produits innovants concernent généralement des populations restreintes. La problématique est donc plus une anticipation qu’une réalité actuelle. Ce ne sont pas les thérapies géniques qui expliquent la récente augmentation des dépenses de santé. D’autres classes de produits innovants et coûteux, comme les immunothérapies, ont cependant fait l’objet de débats parlementaires ces dernières années. Ces traitements, bien qu’onéreux, montrent des résultats probants. La question de leur tarification reste un défi que nous continuons d’aborder.
Une régulation spécifique au sein de la clause de sauvegarde avait été envisagée de manière législative, mais le gouvernement avait dû la retirer au regard du message qu’elle aurait porté. Ces sujets sont déjà présents et, pour les traiter, nous envisageons notamment d’améliorer les outils et instruments de tarification. En matière de régulation, je pense personnellement que si le législateur reconnaissait explicitement au Ceps la capacité de procéder à une régulation par groupe de produits, nous pourrions davantage appeler des baisses de prix dans nos exercices de régulation. Cela rendrait plus effective la concurrence entre les produits innovants au sein d’un même groupe. Il s’agit d’une piste de réflexion parmi d’autres.
M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Souhaitez-vous partager d’autres recommandations avant de clore cette audition ?
M. le président du Ceps. Cette audition a été extrêmement riche. Nous allons vous retourner votre questionnaire en précisant certains points, reprenant, corrigeant ou complétant mes propos.
M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Cette discussion nous permet de réfléchir en dehors et en amont du PLFSS, ce qui est très intéressant. Il est important de réfléchir à la manière dont nous pouvons construire ensemble et proposer des ajustements au système.
2. Audition du mercredi 5 mars 2025
La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale auditionne Les Entreprises du médicament (Leem) sur les mécanismes de fixation du prix des médicaments et leurs enjeux : Mme Laurence Peyraut, directrice générale, Mme Marianne Bardant, directrice des affaires juridiques, fiscales et conformité, M. Laurent Gainza, directeur des affaires publiques, et M. Matthieu Boudon, responsable Financement et régulation ([2]).
M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Dans la perspective du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), nous cherchons à comprendre les principes de fixation du prix des médicaments, les mécanismes de leur financement, et particulièrement la différence substantielle, de 1,2 milliard d’euros, qui a été constatée entre vos chiffres et ceux de la direction de la sécurité sociale (DSS).
Pourriez-vous nous préciser le chiffre d’affaires net des entreprises du médicament ? Vous indiquez dans votre réponse écrite que le Leem ne dispose pas d’informations sur les remises, conventionnelles ou légales, de ces entreprises. Comment cependant les estimez‑vous ?
Mme Laurence Peyraut, directrice générale des Entreprises du médicament (Leem). Notre secteur comprend environ 300 entreprises sur le marché français, dont plus de la moitié emploient moins de 250 salariés. Au total, notre secteur emploie 106 000 salariés, dont 12 000 en recherche et développement (R&D). Il dispose de 270 sites de production, dont 52 en bioproduction. Nous sommes le quatrième contributeur à la balance commerciale française.
Le Leem signe l’ensemble des accords de branche du secteur et négocie avec le gouvernement les conditions économiques d’exercice de nos entreprises. Notre raison d’être au quotidien est de garantir l’accès des patients en France à leurs traitements, où qu’ils soient sur le territoire et au moment où ils en ont besoin. Nous cherchons donc à construire un espace de régulation capable d’intégrer un double objectif ambitieux : contribuer à la protection du modèle social français en assurant la soutenabilité des comptes de l’assurance maladie, d’une part ; soutenir la situation économique des entreprises opérant sur notre marché, d’autre part.
Or, depuis des années, nous alertons sur les difficultés croissantes que fait peser sur ces dernières notre système de financement « à bout de souffle ». Certes, nous vieillissons en meilleure santé, en partie grâce à l’innovation thérapeutique dans notre pays. Cependant, la France ne domine plus le secteur de la santé en Europe. Elle est passée en quinze ans à la quatrième place en production industrielle, et à la troisième place, derrière l’Allemagne et l’Espagne, en matière d’essais cliniques. Or, réaliser des essais cliniques sur notre territoire permet d’y investir dans les hôpitaux et en production. Notre balance commerciale a failli devenir négative fin 2024.
Nous pratiquons les prix les plus bas d’Europe, de 10 % inférieurs à la moyenne européenne, et même de 30 % inférieurs s’agissant des molécules dites essentielles. Cependant, nous subissons la fiscalité la plus élevée et la plus imprévisible d’Europe, pesant pour 60 % sur le résultat de nos entreprises. Nous ne contestons pas l’importance de la fiscalité et de la régulation, mais nos entreprises présentent ainsi la quatorzième rentabilité la plus basse des dix‑huit pays européens.
La situation est devenue critique en novembre 2024, avec l’annonce par la DSS d’un « dérapage potentiel » de 1,2 milliard d’euros sur le poste « médicaments », en plein examen du PLFSS au Sénat. Dans l’urgence, les sénateurs ont donc demandé 600 millions d’économies au secteur du médicament. Le Gouvernement est quant à lui revenu sur ses engagements concernant le plafonnement de la clause de sauvegarde 2024‑2025, qui représente 1,6 milliard d’euros de fiscalité pour les entreprises du médicament, et le montant M de chiffre d’affaires prévisionnel au-delà duquel la clause de sauvegarde est appelée. Une nouvelle baisse des prix historique de 1 milliard d’euros a également été prévue à cette occasion, sans que nous en connaissions le rendement global. Nous demandons aujourd’hui que le Gouvernement revienne à ses engagements initiaux.
Surtout, nous contestons le dérapage annoncé, qui n’apparaît pas dans les données que nous communiquons aux autorités, et qui sont issues du Groupement pour l’élaboration et la réalisation de statistiques (Gers), outil de pilotage des entreprises du médicament. Les budgets de régulation du prix du médicament sont fondés sur les prévisions de chiffre d’affaires de nos entreprises net des remises légales ou conventionnelles. Or, au quatrième trimestre 2024, sur un chiffre d’affaires net global de 27 milliards d’euros, nos propres prévisions ne sont dépassées que de 200 millions d’euros. Nous sommes prêts à contribuer sur ce dépassement, mais nous contestons d’avoir la responsabilité de rattraper 1,2 milliard d’euros. Nous rencontrons la DSS chaque semaine pour comparer nos calculs.
Cette annonce d’un dérapage est d’autant plus regrettable qu’elle a empêché le vote, dans le cadre du PLFSS, de mesures d’économie et d’efficience que nous avions proposées au printemps 2024 au gouvernement Barnier, qui les avait reprises dans son discours de politique générale, et qui ont été reconduites par le gouvernement actuel. Elles auraient permis à l’État d’économiser 1,1 milliard d’euros, sans impact pour les patients.
La première de ces mesures était le « délistage » de certaines molécules, afin qu’elles puissent être fournies par les pharmaciens sans avoir à être prescrites par un médecin. Selon une étude conduite à l’échelon européen, près de 300 millions d’euros d’économies pourraient ainsi être réalisés.
Nous avions également proposé des mesures de bon usage, consistant à inciter les médecins à vérifier leurs prescriptions dès lors que plus de cinq molécules différentes sont prescrites à une même personne, généralement âgée, ce qui va avoir un effet délétère. Nous avons dès 2024 lancé une campagne en ce sens auprès des médecins, avec un taux de vérification des prescriptions concernées qui a montré que les médecins participants ne rejetaient pas cette campagne. Là aussi, 300 millions d’euros d’économies ont été estimés possibles.
Enfin, nous avions proposé de réaliser des avances sur nos remises, qui sont payées à dix‑huit mois en raison d’un processus complexe d’application, qu’il serait possible de simplifier. Les économies de rendement qui en résulteraient ont été évaluées à 500 millions d’euros.
Nous sommes toujours prêts à engager ces mesures de bon sens, que nous continuons à discuter avec la DSS, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam). Elles permettraient de rattraper le dépassement de 200 millions d’euros que nous constatons, voire de passer en surexécution, ce qui allégerait la fiscalité de nos entreprises du poids considérable de la clause de sauvegarde.
Nous demandons également que les PLFSS soient construits sur la base de plans de santé pluriannuels. À cet égard, nous tenons à votre disposition l’étude, dite « Horizon Scanning », que nous réalisons chaque année concernant l’impact à trois ou dix ans de l’innovation thérapeutique sur les traitements des Français, et sur leurs prix. Nous sommes également prêts à contribuer aux propositions de pilotage du budget de l’État annoncées en début de semaine par le ministre de l’économie et des finances et par Mme Amélie de Montchalin. Nous avons ainsi contribué au rapport de la mission « Financement et régulation des produits de santé », dit « rapport Borne », publié fin 2023, et qui soulignait déjà la nécessité de disposer d’outils de pilotage communs.
M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Le dérapage constaté paraît tenir à la clause de sauvegarde, qui s’applique différemment aux chiffres d’affaires nets des médicaments matures, génériques et innovants. Pourriez-vous nous détailler ces différents chiffres d’affaires ?
Mme Laurence Peyraut. N’ayant pas accès aux informations de droit privé relatives aux remises négociées entre les entreprises et le Comité économique des produits de santé, nous ne pouvons pas vous fournir ce détail.
Il nous a toutefois été indiqué qu’une partie du dérapage tiendrait plutôt à une diminution des remises.
M. Matthieu Boudon, responsable Financement et régulation du Leem. La clause de sauvegarde s’applique a posteriori, en fonction du chiffre d’affaires brut et des remises. Selon la DSS, le dérapage concerne principalement, et à parts égales, les remises conventionnelles et légales, et non la clause de sauvegarde, qui devrait en partie compenser ce dérapage. Nous estimons, sensiblement comme la DSS, qu’environ 9 milliards d’euros de remises devraient être collectés pour 2024. En revanche, nous sommes surpris qu’une hypothèse initiale ait apparemment été établie à 10,2 milliards d’euros en PLFSS 2024, pour qu’un dérapage de 1,2 milliard d’euros soit constaté. N’étant pas informés sur les sous‑jacents de la construction du budget « médicaments » du PLFSS, malgré nos demandes répétées en ce sens, nous ne sommes cependant pas en mesure de contester cette hypothèse. Par rapport à la trajectoire de chiffre d’affaires net que nous avions anticipée, nous ne constatons pour notre part qu’un dépassement de 200 millions d’euros.
M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Dans le PLFSS 2026, la clause de sauvegarde ne sera plus calculée par rapport au chiffre d’affaires, mais par rapport aux montants remboursés par l’assurance maladie. Dès lors qu’elle n’est pas en cause dans le dérapage constaté, cette modification ne semble cependant pas de nature à changer la situation.
Mme Laurence Peyraut. Nous comprenons cet objectif de la DSS de fonder la régulation sur des chiffres de remboursement constatés, plus tôt que prévus. Toutefois, les calculs qui nous ont été présentés sur cette nouvelle base et dont nous ne connaissons pas non plus le détail, nous laissent anticiper des augmentations de fiscalité de l’ordre de 10 % par entreprise. Ce manque de transparence persistant nous fait donc craindre des contentieux, d’autant que nous n’aurons plus aucun contrôle sur les chiffres de remboursement annoncés, tandis que nous pouvions du moins piloter le chiffre d’affaires net auparavant. Perdre ces outils de pilotage communs pose un problème de décision démocratique. Nous avons déjà discuté de ce sujet avec le directeur de la sécurité sociale.
Nous remercions les parlementaires d’avoir repoussé cette mise en œuvre à 2026 suite à nos alertes, mais nous appelons vraiment à une construction conjointe du PLFSS entre le public et le privé.
M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Des prévisions plus régulières – semestrielles, voire trimestrielles – des dépenses par la DSS, en association avec les entreprises du médicament, seraient-elles envisageables, pour éviter de tels constats de dérapages massifs en fin d’année ?
Mme Laurence Peyraut. Les outils dont nous disposons en 2025 devraient en effet nous permettre de suivre des dépenses trimestriellement. Les déclarations des entreprises dans la base commune du GERS nous permettent déjà d’établir des reportings semestriels. Un tel pilotage commun vous serait également utile lors du vote des textes, pour procéder aux ajustements nécessaires.
M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Connaissez-vous le montant de l’enveloppe de Santé publique France concernant les médicaments en stock qui ne sont pas inclus dans la clause de sauvegarde ?
Mme Laurence Peyraut. Ce chiffre ne nous est communiqué qu’a posteriori. Nous demandons depuis des années à connaître la composition détaillée du budget de Santé publique France.
M. Matthieu Boudon. Ce sujet est particulièrement crucial pour nous depuis que les médicaments achetés par Santé publique France ont en 2024 été intégrés à l’assiette de calcul de la clause de sauvegarde.
M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Vous ne connaissez donc pas le montant des achats de Santé publique France auprès de vos entreprises ?
M. Matthieu Boudon. Nos entreprises ont individuellement connaissance des procédures que Santé publique France met en place avec elles, mais cette information n’est pas partagée de manière agrégée.
M. Jean-François Rousset (EPR). Pour quelles raisons sommes-nous passés à la troisième position européenne en matière d’essais cliniques ?
Mme Laurence Peyraut. L’Allemagne et l’Espagne ont surtout procédé à des simplifications administratives concernant l’accès aux essais cliniques. Nous avons formulé des propositions similaires dans le cadre de la proposition de loi de simplification. Elles sont à nouveau en discussion et j’espère qu’elles seront adoptées. Elles permettraient un accès plus rapide aux soins pour les patients, mais aussi à nos entreprises de travailler avec les centres hospitaliers universitaires, et ainsi de gagner en compétitivité, et elles favoriseraient la production des médicaments en France. L’Allemagne a ainsi adopté une disposition accordant une préférence tarifaire aux médicaments dont les essais cliniques ont été réalisés sur son territoire.
M. Hadrien Clouet (LFI). Comment expliquez-vous que la Finlande, la Suède, les Pays‑Bas ou la Pologne vendent des médicaments ayant perdu leurs brevets à des prix parfois 15 à 20 % inférieurs à ceux pratiqués en France ?
Pourriez-vous comparer les investissements consentis par vos entreprises en R&D et les dividendes qu’elles ont versés en 2023 ou 2024 ?
Mme Laurence Peyraut. Certains pays européens ont choisi de se positionner davantage sur les génériques que sur la R&D. La France a quant à elle opté pour une stratégie équilibrée entre ces deux aspects, pour favoriser l’innovation tout en maintenant la part du médicament dans le budget de la sécurité sociale à moins de 10 % depuis une dizaine d’années.
La France investit actuellement près de 6 milliards d’euros par an en R&D, ce qui représente une prise de risque importante, dès lors qu’il faut une dizaine d’années en moyenne pour développer une molécule. En revanche, je n’ai pas d’informations précises à vous communiquer concernant les dividendes versés par les entreprises en compensation de cette prise de risque.
M. Thibault Bazin, rapporteur général. Quels critères envisagez-vous pour la mesure de délistage que vous avez préconisée, et qui s’apparente à une forme de déremboursement ? Un travail a-t-il été mené à cet égard avec le Haut Conseil de la nomenclature ?
D’après quelles hypothèses espérez-vous réaliser 300 millions d’euros d’économies grâce à des mesures de bon usage, qui paraissent surtout dépendre des prescripteurs ?
L’avance sur remise quant à elle ne permet de réaliser des gains qu’une seule fois. Pourquoi le Gouvernement n’a-t-il pas retenu cette proposition, que j’ai d’ailleurs moi‑même portée puisque nous avions eu des auditions préalables au PLFSS ? Payer plus tôt permettrait d’avoir une meilleure visibilité sur les comptes annuels et d’accroître la trésorerie de l’État. Nous pourrions encore en bénéficier en 2026.
Enfin, comment établir un plan pluriannuel fiable sur des dépenses individuelles, et non collectives ?
Mme Laurence Peyraut. Le délistage n’est pas un déremboursement. C’est pourquoi il n’impacte pas les patients, qui pourront toujours demander une prescription à leurs médecins s’ils le souhaitent, mais pourront aussi payer directement les médicaments concernés à leurs pharmaciens.
Une étude réalisée par NèreS, sur une centaine de molécules sur le marché européen conclut que le délistage permettrait de réaliser des économies à hauteur de 100 millions d’euros sur les médicaments, et de 200 millions d’euros sur les prescriptions.
M. le rapporteur général. Les économies seraient donc plutôt réalisées par les médecins.
Mme Laurence Peyraut. Le système serait ainsi rendu plus efficient dans son ensemble. Nous échangeons à ce sujet avec l’ANSM, qui a identifié une trentaine de molécules intéressantes à étudier. Nous nous concentrons sur une dizaine d’entre elles. Nous sommes ouverts à d’autres suggestions, mais les débats de la fin d’année dernière ont montré que le déremboursement soulevait des questions légitimes, car son impact est direct sur les patients.
Les prescriptions des médecins sont en effet libres en France. Cependant, nous avons testé avec l’éditeur de logiciels Vidal l’intégration d’alertes « pop-up » sur les écrans de 23 000 médecins lorsque leurs prescriptions dépassaient cinq médicaments. 95 % des prescriptions concernées ont été ouvertes et traitées par les médecins. Avec le soutien de la puissance publique, nous pourrions étendre cette initiative à plus grande échelle, notamment pour prévenir les risques de surprescription chez les personnes âgées. Des économies peuvent donc être réalisées tout en traitant des enjeux de santé publique, voire des enjeux écologiques, puisque produire moins est aussi bénéfique pour notre pays.
Les avances sur remises ne sont effectivement bénéfiques que pour une année. C’est pourquoi elles n’avaient pas été jugées pertinentes l’année dernière pour régler les problèmes de déficit dans la mesure où ces avances sur remises ne sont pas considérées comme de moindres dépenses. Elles permettraient néanmoins de collecter des recettes au moment où il y en a besoin, et de simplifier les processus de paiement, y compris de la clause de sauvegarde, qui prend elle aussi dix‑huit mois à être perçue.
Enfin, nous demandons un plan pluriannuel, parce que nous considérons le coût des médicaments, non pas uniquement comme une dépense, mais comme un investissement : en permettant par exemple des soins à domicile, certains médicaments évitent des hospitalisations et réduisent les indemnités journalières.
M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Je vous serais reconnaissant de nous transmettre les différentes études que vous avez mentionnées concernant le délistage et l’amélioration des prescriptions.
M. le rapporteur général. Le délistage doit-il selon vous permettre à un patient recevant un médicament directement d’un pharmacien d’être remboursé dans les mêmes conditions qu’en recevant un médicament prescrit par un médecin ?
Pourriez-vous nous fournir un chiffrage précis de la réduction des prescriptions permise par un logiciel d’aide à la prescription ?
M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Je comprends que le délistage permettrait à un médicament d’être remboursé, même s’il n’est pas prescrit.
Nous n’avons pas non plus évoqué la question des taux de remboursement. Pourquoi selon vous, certains médicaments, aujourd’hui remboursés à 30 % et qui devraient en principe être déremboursés, ne le sont-ils toujours pas ?
Mme Laurence Peyraut. Avec le délistage, le remboursement restera possible, mais seulement sur présentation de l’ordonnance de son médecin, comme c’est déjà le cas pour le paracétamol par exemple.
Nous pourrons vous transmettre les chiffres dont nous disposons concernant les réductions de prescriptions permises par le logiciel Vidal d’aide à la prescription. Toutefois, nous avons proposé à la Cnam d’étendre cette démarche à d’autres éditeurs de logiciels pour couvrir l’ensemble du territoire français. Ses outils de pilotage permettraient également de disposer de données plus précises. Un pilotage commun serait encore une fois nécessaire, y compris pour travailler sur d’autres propositions que celles que nous avons présentées pour notre part.
En revanche, il ne me revient pas de me prononcer sur les niveaux de remboursement à appliquer.
M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Je vous remercie pour les nombreuses précisions que vous avez apportées. Il serait bénéfique de renouveler plus régulièrement ce type d’échanges dans le cadre de la Mecss.
3. Audition du mercredi 19 mars 2025
La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale auditionne M. Pierre Pribile, directeur de la sécurité sociale, Mme Bénédicte Colnet, cheffe du bureau des produits de santé, et M. Harry Partouche, sous-directeur des études et des prévisions financières, sur les mécanismes de fixation du prix des médicaments et leurs enjeux ([3]).
M. Pierre Pribile, directeur de la sécurité sociale. Je vais tenter de vous expliquer le plus clairement possible la nature de l’écart de 1,2 milliard d’euros auquel vous vous intéressez. Je m’appuierai pour cela sur les derniers chiffres issus de la clôture des comptes 2024.
Cette somme correspond aux remises produits versées par les laboratoires à l’assurance maladie conformément aux clauses négociées entre chaque laboratoire et le Comité économique des produits de santé (Ceps), médicament par médicament. Le Ceps fixe un prix pouvant inclure des clauses prévoyant des remises fondées sur divers paramètres définis au cours de négociations spécifiques. Les deux types de clauses existantes sont les remises de droit commun, qui résultent des conditions établies lors de la fixation des prix, et un mécanisme spécifique qui s’applique aux accès précoces pour des médicaments particulièrement innovants, commercialisés à un prix librement fixé par le laboratoire. En contrepartie, ce dernier verse des remises calculées selon un barème forfaitaire. Lorsque le prix du produit est négocié, une seconde série de remises, appelées remises de débouclage, est appliquée.
L’écart correspond ainsi à la différence entre le montant de remises de produits initialement intégré dans l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) pour 2024 et la réévaluation opérée en novembre, qui a révélé un rendement inférieur de ces dispositifs à hauteur de 1,150 milliard d’euros.
L’impact sur les comptes se traduit, en 2024, par une majoration équivalente des dépenses d’assurance maladie liées aux médicaments. Cet écart, découvert au mois de novembre, n’avait pas été intégré au moment de la présentation du projet de loi en première lecture. Dès que l’information a été vérifiée, elle a été transmise au gouvernement, puis immédiatement communiquée au parlement, entraînant une révision de la norme pour 2024 et de la prévision 2025.
Les derniers chiffres issus de la clôture des comptes 2024, qui estiment désormais l’écart à 950 millions d’euros, montrent que celui-ci reste considérable.
Les dépenses de médicaments prises en charge par l’assurance maladie ont conséquemment enregistré en 2024 une hausse de 5,7 %.
Cet écart inattendu constitue une rupture marquée dans la dynamique des remises, dont le rendement progressait jusqu’à lors annuellement d’environ 30 %. Lors de l’élaboration de l’Ondam 2024, une inflexion de cette tendance avait été anticipée, avec une croissance ramenée à 20 %. En réalité, cette progression s’avère inférieure à 10 %, traduisant ainsi un bouleversement majeur dans la dynamique des remises produits.
Les industriels ont été surpris par cette situation pour deux raisons. D’une part, la dépense nette de médicaments a progressé plus que prévu, malgré une dépense brute modérée, en raison d’un rendement des remises inférieur aux attentes. D’autre part, une asymétrie d’information persiste car la sécurité sociale dispose de toutes les clauses négociées avec le Ceps tandis que chaque laboratoire ne connaît que ses propres engagements. Afin d’affiner les prévisions, un travail de comparaison a été mené avec certains laboratoires volontaires.
Le décalage temporel dans la planification de l’Ondam, fondée sur des données parfois anciennes, complique l’exercice. De plus, le versement tardif des remises contraint à raisonner uniquement sur des projections. Ce suivi repose sur la consolidation de plus de quatre cents prévisions individuelles, intégrant les clauses existantes et diverses hypothèses. Avec un montant total de 10 milliards d’euros, toute erreur de 10 % représente un écart budgétaire d’un milliard d’euros, posant un défi majeur en matière de maîtrise des dépenses.
Plusieurs questions émergent. L’amélioration des méthodes de prévision passe par une exploitation plus fréquente des données trimestrielles des laboratoires. Par ailleurs, le poids croissant des remises, représentant désormais un quart des dépenses brutes de médicaments, interroge sur la pertinence du prix facial des médicaments. Enfin, la hausse des dépenses pharmaceutiques, deux fois plus rapide que celle de l’Ondam, soulève la question de la capacité du système à assurer une régulation efficace.
M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Pour quelle raison la clause de sauvegarde semble-t-elle mise à l’écart dans le document alors qu’elle constitue, au même titre que les autres, une remise ?
M. Pierre Pribile. L’écart porte uniquement sur les remises produits.
M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Sur quels éléments vous êtes‑vous appuyés pour établir votre prévision ?
M. Pierre Pribile. Cette prévision n’est pas le fruit d’une analyse statistique classique car aucun modèle ne permet d’anticiper, sur la base d’indicateurs prédéfinis, une évolution précise de la dynamique des remises. Cela résulte en réalité d’une agrégation de plusieurs centaines de prévisions établies produit par produit. L’inflexion à 20 % prévue pour 2024 constituait déjà un changement structurel majeur, représentant une réduction d’un tiers du rendement des remises.
Pour les dispositifs d’accès précoce, l’exercice est encore plus complexe. Certes, le chiffre d’affaires constitue un élément central, puisque le barème des remises repose sur son niveau, mais d’autres facteurs tels que les remises de débouclage entrent également en jeu. Bien que les négociations soient suivies de près, leur issue demeure incertaine jusqu’à leur finalisation.
M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Ne pouvons-nous pas imaginer un suivi plus fin que ces opérations biannuelles ?
M. Pierre Pribile. Une solution envisageable consisterait à effectuer ce suivi quatre fois par an en s’appuyant sur les données trimestrielles disponibles.
M. Thibault Bazin, rapporteur général. Derrière ces échanges, c’est la question de la sincérité de nos textes budgétaires qui se pose.
Tout d’abord, quelle part de l’écart est imputable aux dispositifs d’accès précoce ? Quelle est la part attribuable aux remises de rebouclage ? Dans l’hypothèse d’une réduction du nombre d’accès précoces, sur quelle période cela s’étend-il ?
Deuxièmement, quelle part de la progression des dépenses de l’assurance maladie pour les médicaments, évaluée à 5,7 %, est liée à un accroissement des volumes et quelle part découle de la mise sur le marché de nouveaux médicaments ?
Ensuite, estimez-vous qu’une projection pluriannuelle permettrait une meilleure anticipation et une plus grande stabilité ? Quelle est la position de la direction de la sécurité sociale (DSS) sur ce sujet ? Est-elle prête à évoluer vers une telle approche et y est-elle favorable ? Comment pourrions-nous concrètement instaurer cette pluriannualité pour les dépenses de médicaments ? Une telle évolution nécessiterait-elle une modification du cadre organique ? Quelles en seraient les implications concrètes ?
Une mesure visant à accélérer le paiement des remises pourrait-elle être envisagée ?
Ma dernière question porte sur les outils de souveraineté. Pour quelle raison le dispositif de soutien à la production en France est-il si peu utilisé ? Comment pourrait-il évoluer à l’avenir ? Pourrions-nous envisager d’étendre ce mécanisme aux métiers en tension ?
M. Pierre Pribile. J’estime que cette situation ne remet en rien en cause la sincérité des textes budgétaires, ceux-ci ayant été établis sur la base des meilleures prévisions disponibles au moment de leur construction. C’est au cours de l’exercice de révision et d’actualisation des prévisions que l’écart a été identifié. Dès les chiffres connus, cette information a été transmise aux ministres concernés et communiquée au Parlement.
Le fait qu’un tel écart puisse être découvert si tardivement suscite néanmoins la plus grande inquiétude car il soulève des interrogations sur la capacité globale à assurer un suivi rigoureux des comptes. C’est pourquoi l’un des premiers axes de réflexion consiste à accélérer la fréquence de ces exercices de prévision. Cette possibilité demeure toutefois limitée par la disponibilité des données. La meilleure approche consiste donc à exploiter ces informations dès leur réception. Une telle réactivité aurait sans doute permis de détecter cet écart en amont de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) à l’Assemblée nationale.
M. Harry Partouche, sous-directeur des études et des prévisions financières. Aujourd’hui, nous connaissons seulement la distinction entre le marché brut avant remises et le marché net, soit + 5,7 %. Cette approche offre des indications sur l’évolution du marché brut, où un ralentissement est clairement observé par rapport aux prévisions initiales.
M. Pierre Pribile. Il ressort d’ores et déjà une dynamique des dépenses brutes plus soutenue que prévu, ce qui confère à la situation un caractère contre-intuitif. Cette tendance semble accréditer l’hypothèse d’un effet structurel sous-jacent qui alimente cette forte progression des dépenses. Ces informations feront l’objet d’un examen plus approfondi ultérieurement.
M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Cette situation ne met-elle pas en lumière un déficit de communication entre les industriels, qui suivent mensuellement les données de volumes et de tarifs, et la sécurité sociale ?
M. Pierre Pribile. La dépense brute est bien suivie mensuellement, mais les remises restent une variable difficilement prévisible, même pour les industriels qui, malgré un suivi précis, n’avaient pas anticipé l’écart. Après un travail approfondi, ce chiffre a été réajusté à 950 millions d’euros, soulignant la complexité des prévisions. Le débouclage des remises donne par ailleurs lieu à des contestations qui retardent souvent leur versement, rendant le suivi encore plus incertain.
Malgré cette complexité, le système des remises reste un outil essentiel qui offre une flexibilité dans la négociation des prix, permettant d’affiner la régulation plutôt que d’imposer un prix facial. Il permet également d’encadrer l’exploitation commerciale des médicaments, en limitant les bénéfices sur certaines indications médicales jugées moins pertinentes pour la santé publique.
Nous sommes pleinement favorables à la pluriannualité, car elle apporte visibilité et cohérence à la trajectoire budgétaire. L’objectif du PLFSS est d’ailleurs d’inscrire la résorption des écarts dans une logique pluriannuelle, comme en témoigne la résorption progressive du dépassement de 950 millions d’euros. Cette approche ne doit pas servir de prétexte pour reporter les ajustements nécessaires à court terme mais bien pour organiser une régulation efficace dans la durée.
Concernant le paiement des remises, nous partageons l’idée qu’il devrait être avancé. Des discussions sont en cours avec l’industrie pharmaceutique pour mettre en place un versement anticipé sur une base volontaire. Un tel dispositif permettrait un gain financier pour l’assurance maladie, réduisant les frais financiers d’environ 200 millions d’euros. Une disposition législative pourrait encadrer ce versement et l’introduction d’acomptes engageants de la part des laboratoires offrirait un signal précieux sur leurs anticipations de chiffre d’affaires.
Quant aux outils de souveraineté, le mécanisme des avoirs sur remise est le plus utilisé. Il permet de concilier plusieurs objectifs sans distordre les signaux de prix, notamment pour les acheteurs hospitaliers soumis à des impératifs de coût. Intégrer ces dispositifs directement dans le prix facial risquerait de brouiller ces mécanismes. En l’état, ces avoirs constituent un levier efficace pour encourager l’investissement industriel sur le territoire national.
M. le rapporteur général. La hausse continue des dépenses de médicaments, parallèlement à la diminution des remises, interroge sur un éventuel manque à gagner économique et un affaiblissement du marché. Cette situation rend nécessaire une réévaluation de ce système de régulation complexe. Pourriez-vous tout d’abord clarifier la distinction entre les dynamiques des dépenses brutes et nettes ?
En matière de prévisibilité, comment expliquer que Les Entreprises du médicament (Leem) affirment pouvoir verser des montants en continu grâce aux données agrégées des laboratoires, alors qu’un écart de 1 milliard d’euros apparaît dans vos comptes en fin d’exercice ? Cette situation remet-elle en cause la capacité de pilotage du système ? L’amélioration du suivi et des transmissions d’informations pourrait s’inspirer des mécanismes d’acompte appliqués à l’impôt sur les sociétés.
Concernant la programmation, comment passer d’un modèle de prévisions annuelles à une véritable programmation stabilisée ?
Enfin, les avoirs sur remises, qui financent des investissements en France, constituent un levier important pour le Ceps. Si les remises diminuent en raison de ces mécanismes, quel en sera l’impact sur le soutien aux projets d’investissement ?
M. Pierre Pribile. Les capacités de prévision du Leem ne sont pas meilleures que les nôtres, comme en témoigne la découverte tardive de l’écart révisé à 950 millions d’euros. Bien qu’ils possèdent des données individuelles, cela ne leur permet pas d’anticiper plus précisément les écarts, ce qui souligne la difficulté inhérente à cet exercice. Ce ne sont pas les laboratoires qui ont permis d’affiner l’analyse, mais bien notre propre exercice de révision, qui a confirmé une convergence des prévisions. Des discussions avec le Leem sont en cours pour envisager un engagement plus structuré des laboratoires, inspiré du mécanisme d’acompte appliqué à l’impôt sur les sociétés. Une transparence accrue pourrait améliorer la qualité des prévisions et générer un gain de trésorerie pour la sécurité sociale.
En outre, les remises ne diminuent pas en valeur absolue, mais leur croissance ralentit. Elles continuent d’augmenter à un rythme de 20 %, ce qui reste conséquent, et progressent toujours plus vite que la dépense nette, accentuant l’écart entre le prix facial et la dépense réelle.
La clause de sauvegarde, initialement conçue pour absorber d’éventuels dépassements, est désormais utilisée comme un instrument de rendement, avec un objectif d’1,6 milliard d’euros en 2025. Cette évolution interroge sur la pertinence du dispositif, qui n’a pas été imaginé pour cet usage. La complexité du calcul, dépendant des interactions entre laboratoires, constitue un autre défi tant pour l’administration que pour les industriels.
Enfin, la dynamique plus modérée des remises n’affecte pas la valeur des avoirs sur remises, qui restent accordés en valeur absolue et s’imputent sur un volume global de remises toujours élevé, avoisinant les 10 milliards d’euros.
M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Quel est le montant des médicaments stratégiques achetés par Santé publique France ? Quel est son lien avec la clause de sauvegarde ?
M. Pierre Pribile. Nous vous communiquerons des chiffres précis, mais l’ordre de grandeur est de 70 à 80 millions d’euros pour 2024.
Mme Bénédicte Colnet, cheffe du bureau des produits de santé. Ces achats sont intégrés dans la clause de sauvegarde depuis 2024, à l’exception des traitements liés au covid. Dès 2025, tous les médicaments seront inclus dans l’assiette. Les achats de Santé publique France sont désormais pris en compte pour estimer le chiffre d’affaires de l’année suivante et calculer le montant M. Ces prévisions restent toutefois sujettes à des ajustements en fonction des épidémies ou d’autres besoins imprévus. Un échange régulier avec Santé publique France permet de suivre ces évolutions, avec une mise à jour réalisée en fin d’exercice pour ajuster les écarts par rapport aux prévisions initiales.
M. Michel Lauzzana (EPR). Concernant l’accès précoce, devons-nous comprendre qu’une diminution des dépenses a entraîné une moindre remise ?
M. Pierre Pribile. La situation est plus complexe. Si les remises issues du dispositif d’accès précoce ont été inférieures aux prévisions, l’écart total de 950 millions d’euros se répartit en 100 millions de moins d’avoirs sur remises accordés par rapport aux prévisions, 758 millions d’écart sur les remises conventionnelles classiques et 300 millions sur l’accès précoce. Proportionnellement, l’écart est donc bien plus marqué sur ce dernier, du fait d’un montant global plus restreint.
Cet écart ne traduit pas un dysfonctionnement du dispositif, mais la difficulté accrue à établir des prévisions fiables pour ces produits. Contrairement aux autres, il ne s’agit pas seulement d’anticiper un chiffre d’affaires, mais également de prévoir la date et l’issue des négociations, un exercice particulièrement délicat. Il ne faut donc pas en conclure que le dispositif est problématique, mais simplement reconnaître que son caractère incertain en fait un élément plus difficile à intégrer dans une trajectoire budgétaire précise. C’est le revers d’un mécanisme qui, malgré ces contraintes, conserve tout son intérêt.
M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Comment ces 950 millions d’euros de ressources en moins ont-ils été comblées ?
M. Pierre Pribile. En 2024, le dépassement initialement estimé à 1,150 milliard d’euros a été en partie absorbé par la clause de sauvegarde, à hauteur de 300 millions d’euros, entraînant ainsi un dépassement de 850 millions d’euros de l’Ondam 2024. Finalement, l’exécution des comptes a révélé un dépassement réel de 950 millions d’euros, qui est compensé en partie par une moindre dépense brute d’environ 100 millions d’euros mais la clause de sauvegarde aura un rendement inférieur de 200 millions d’euros à celui qui était attendu, de telle sorte que le dépassement constaté est assez proche des estimations faites par la DSS.
L’objectif pour 2025 est de résorber ce dépassement. L’article 9 de la loi de financement prévoit un rendement de la clause de sauvegarde porté à 1,6 milliard d’euros. Des discussions avec les acteurs du secteur sont en cours pour identifier des mesures permettant de ramener les dépenses nettes à leur niveau prévisionnel. L’élément central reste le respect des objectifs de dépenses nettes fixés par le Parlement, indépendamment de la répartition entre dépenses brutes et remises.
Enfin, il serait préférable d’éviter un scénario où la seule clause de sauvegarde, en augmentant continuellement son rendement, absorberait systématiquement les dépassements. L’industrie pharmaceutique partage vraisemblablement cette perspective et d’autres solutions sont à explorer pour éviter cette dynamique.
M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Qu’en est-il de la dynamique ? De 30 % en 2023 à 8 % en 2024, elle est aujourd’hui réévaluée à 17 % pour 2025 alors même que la tendance de l’évolution des remises est à la baisse.
M. Pierre Pribile. Il est complexe de se prononcer sur ce sujet avec certitude car l’évolution des remises ne relève pas d’une simple tendance générale mais résulte de l’agrégation de plusieurs centaines de prévisions individuelles, chacune soumise à des variables spécifiques.
La prévisibilité des remises est une tâche particulièrement complexe, comme en témoigne l’évolution irrégulière de leur dynamique au fil des années. Le tableau transmis illustre ces variations : 32 % en 2016, 45 % en 2017, 30 % en 2018, 20 % en 2019, 33 % en 2020, 40 % en 2021, puis 33 % en 2022. Ces fluctuations, d’ampleur significative, sont difficilement interprétables d’un point de vue statistique, car elles résultent d’un agrégat de plusieurs centaines de négociations indépendantes, propres à chaque produit et à chaque laboratoire.
Notre travail consiste à actualiser ces prévisions en fonction des dynamiques observées au premier semestre de l’année N, afin de clôturer l’exercice précédent et d’ajuster les prévisions de l’année en cours. À ce jour, bien que ces données ne soient pas encore disponibles, le risque semble similaire à celui de l’année précédente. Il est même légitime de s’interroger sur les raisons pour lesquelles un écart tel que celui de 2024 ne s’est pas produit plus tôt, tout comme il est possible que la tendance s’inverse. Nous ne serons fixés que dans quelques mois.
M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Prévoyez-vous de réaliser dès cette année une analyse trimestrielle ?
M. Pierre Pribile. En effet. L’augmentation de la fréquence des prévisions, passant de deux à quatre fois par an, constitue aujourd’hui la meilleure amélioration possible, en s’alignant sur le rythme de production des nouvelles données. Cette évolution contribuera à affiner les estimations mais, compte tenu de la complexité des paramètres en jeu, il ne faut pas s’attendre à une amélioration spectaculaire de la fiabilité.
M. le rapporteur général. Une part importante de l’écart constaté provient du secteur accès précoce, avec un montant global de 2 milliards d’euros et un différentiel de 300 millions. Si les difficultés d’estimation sont bien comprises, quelles en sont les causes profondes ? Quelles dynamiques ont été à l’œuvre ? Les négociations sur l’accès précoce ont‑elles joué un rôle ? L’issue des discussions avec le Ceps a-t-elle influencé cette situation ? L’innovation a-t-elle été moins forte cette année, entraînant une dynamique plus faible que prévu ? L’échec de certaines négociations a-t-il conduit à une augmentation des dépenses sociales et à une diminution des remises ?
Pour mieux appréhender la situation, il est essentiel de comprendre ce qui s’est réellement passé au cours de l’année écoulée. L’année à venir pourrait voir des évolutions différentes avec davantage ou moins de mises sur le marché, des négociations Ceps plus abouties. Il s’agit de redonner du sens à ces évolutions pour en améliorer la maîtrise. Le système d’information repose sur quatre cents simulations mais, au-delà de ces projections, il est nécessaire d’identifier les dynamiques fondamentales. Le pilotage de la politique pharmaceutique s’inscrit dans une logique de souveraineté sanitaire et l’accumulation d’instruments de régulation complexifie l’ensemble et rend les prévisions plus incertaines.
Si ces mécanismes ne permettent ni d’atteindre les objectifs fixés, ni d’assurer une production nationale suffisante, il est impératif de repenser le système. Quelles transformations sont nécessaires ? Quels changements relèvent du législateur et quels ajustements peuvent être opérés sans intervention législative ?
M. Pierre Pribile. La réponse dépend avant tout de l’objectif poursuivi. Si la priorité est un pilotage strict des dépenses, il est alors indéniable que les dispositifs d’accès précoce et les mécanismes de remises complexifient la gestion budgétaire. Ces dispositifs ont cependant une finalité différente, puisqu’ils visent notamment à garantir un accès rapide aux innovations médicales. Il serait donc réducteur de sacrifier cet enjeu simplement pour optimiser la régulation des dépenses.
L’administration ne multiplie pas ces mécanismes par pure volonté de complexification mais parce que plusieurs objectifs doivent être conciliés simultanément. Le pilotage des dépenses doit s’articuler avec l’accélération de l’accès aux innovations, la corrélation des coûts à la qualité et à l’impact sur la santé publique, ainsi que la dynamique de souveraineté industrielle. Plus ces objectifs s’accumulent, plus les instruments se diversifient, ce qui complique la gestion budgétaire, mais demeure nécessaire. Malgré cette complexité, nous parvenons à assurer cet équilibre.
Concernant l’accès précoce, il représente une part significative du dépassement constaté puisque, sur un écart total d’un peu moins de 1 milliard d’euros, 300 millions sont liés à ce dispositif. Bien que cette proportion soit minoritaire, elle reste notable, d’autant plus que le total des remises atteint seulement 1 milliard d’euros.
L’écart observé sur l’assiette révèle une dynamique particulière, avec 300 millions sur 1 milliard pour l’accès précoce contre 750 millions pour les autres éléments, qui se rapportent à 8 milliards. Cet écart s’explique par deux raisons principales : d’une part, le dispositif reste récent et il n’est pas certain que son rythme soit stabilisé ; d’autre part, les négociations ont abouti à des conditions moins favorables que prévu.
Un rapport détaillé sur les trois premières années de fonctionnement du dispositif sera bientôt publié, permettant d’en tirer des enseignements. Il est toutefois indéniable que l’accès précoce fonctionne efficacement, assurant une mise à disposition très rapide des produits innovants. Le processus de négociation, bien qu’encadré par un équilibre entre liberté de fixation des prix et mécanisme de remises, est pleinement opérationnel. Si des améliorations sont envisageables, notamment pour accélérer certaines négociations, remettre en cause le dispositif serait une erreur. Son objectif principal n’est pas le pilotage budgétaire mais l’accès à l’innovation, un enjeu que nous devons continuer à concilier avec la maîtrise des dépenses publiques.
M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Comment envisagez-vous de collaborer avec le Leem pour réduire le volume de médicaments prescrits ?
M. Pierre Pribile. Nous échangeons en effet sur les trois sujets de leur recommandation, y compris sur le chiffrage des mesures envisagées. La principale difficulté réside dans l’évitement des doubles comptes, un point central des discussions. La préoccupation de sincérité budgétaire soulevée par le rapporteur est bien comprise.
Dans le cadre du PLFSS 2025 et de la construction budgétaire globale, des objectifs chiffrés ambitieux ont déjà été intégrés. Le Leem propose des instruments complémentaires, dont l’impact est en cours d’évaluation.
L’objectif est de combiner ces mesures et d’en ajouter d’autres si nécessaire, car celles actuellement identifiées ne suffiront probablement pas à elles seules. L’ambition demeure de résorber le dérapage budgétaire constaté entre 2024 et 2025.