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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 juin 2025.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 146 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES FINANCES, dE L’Économie gÉnÉrale
et du contrÔLE BUDGÉTAIRE
sur l’évaluation du bilan et des perspectives de recettes des IFER dites « mobile » et « fixe »
ET PRÉSENTÉ PAR
M. Jacques OBERTI,
rapporteur spécial
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SOMMAIRE
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Pages
A. L’IFER Fixe est dUE par les opÉrateurs du rÉseau cuivre et fibre et reversÉE aux rÉgions
1. Une imposition pesant initialement sur France Télécom, puis étendue à tous les opérateurs réseau
2. Une assiette constituée des réseaux fixes de plus de 5 ans
2. Un rendement dégressif en 2025 qui devrait progresser de plus de 30 % d’ici 2030
a. Une imposition peu dynamique avant 2025 qui n’atteint pas le plancher de 400 millions
A. Un rÉgime complexe grEvÉ de nombreuses exonÉrations
2. Un tarif grevé de nombreuses exonérations
3. Le produit de l’IFER mobile est réparti entre le bloc communal et les départements
A. Les constats ayant conduit À l’Échec des concertations en 2021 ne sont aujourd’hui plus valables
B. Trois axes de réforme doivent Être envisagÉS
b. L’affectation à l’ANCT est le choix le plus opportun opérationnellement et juridiquement
a. La réflexion sur la taxation des données, aujourd’hui au point mort, doit être relancée
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL
Recommandation n° 1 : En prévision du décommissionnement de la 2G et 3G, mettre en œuvre les recommandations du Conseil supérieur du numérique et des postes (CSNP) afin de garantir une bonne information des usagers et collectivités territoriales et de s’assurer de la continuité des services critiques sur les nouvelles générations.
Recommandation n° 2 : Réformer le régime de l’IFER mobile en mettant en place une taxation par site à tarif unique avec une cible de rendement fixée ab initio garantissant la stabilité du produit de l’IFER pour les collectivités et les opérateurs au cours des prochaines années.
Recommandation n° 3 : Affecter une fraction de l’IFER mobile à l’ANCT afin de garantir un financement stable de l’inclusion numérique.
Recommandation n° 4 : Relancer les négociations au niveau européen en faveur d’une taxation des fournisseurs de contenus sur le modèle du règlement sur les marchés numériques (DMA).
Recommandation n° 5 : Expertiser au niveau français la possibilité d’une hiérarchisation des flux de données par les pouvoirs publics en fonction d’objectifs de priorisation des usages essentiels et de sobriété et plaider au niveau européen pour une révision du règlement 2015/2120.
L’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER), instaurée en 2010 en même temps que la contribution économique territoriale (CET) pour compenser la suppression de la taxe professionnelle, s’articule en dix composantes, dont les volets « fixe » et « mobile ». Ces deux composantes ont connu une dynamique contrastée depuis leur création, dans un contexte de mutation profonde des réseaux de télécommunications. Initialement centrée sur les réseaux cuivre, l’IFER fixe a vu son assiette élargie aux réseaux en fibre optique et câble coaxial. Afin d’éviter une hausse brutale de son rendement liée à l’arrivée massive de lignes fibre dans la base taxable, la loi de finances 2024 a instauré un mécanisme de plafonnement venant compléter le plancher existant. Cette réforme permet une croissance maîtrisée du produit de l’impôt, estimé à 30 % d’ici 2030, qui assure une recette dynamique pour les régions. Le régime actuel de l’IFER mobile, grevé de nombreuses exonérations, se caractérise par une grande complexité, une trajectoire erratique, et une répartition injuste de son produit au détriment des territoires ruraux. L’évolution rapide des technologies (déploiement de la 5G, extinction progressive des réseaux 2G/3G) conduit aujourd’hui à inverser le constat fait par l’inspection générale des finances (IGF) en 2021. Le produit de la taxe devrait reculer fortement entre 2028 et 2032, menaçant la stabilité des ressources pour les collectivités. Le rapport identifie par conséquent trois axes de réforme prioritaires pour l’IFER mobile : – La taxation par site à tarif unique pour assurer lisibilité, stabilité et équité territoriale ; – l’affectation d’une fraction (5 %) du produit de l’IFER mobile à l’ANCT pour garantir le financement pérenne de l’inclusion numérique via les conseillers numériques ; – le lancement d’une réflexion sur la fiscalité des données et la hiérarchisation des flux, afin d’impliquer les principaux acteurs de la consommation de données dans le financement des réseaux et la maîtrise de l’empreinte du numérique. Ces propositions visent à moderniser la fiscalité du numérique et à corriger les déséquilibres actuels, tout en répondant aux impératifs de couverture, d’inclusion et de sobriété numérique. |
L’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER) prévue à l’article 1635-0 quinquies du code général des impôts (CGI) a été instaurée par la loi de finances pour 2010, au moment de la suppression de la taxe professionnelle (TP) pour :
– d’une part, neutraliser le gain fiscal dont auraient bénéficié quelques grandes entreprises de réseaux de secteurs non délocalisables (énergie, transport ferroviaire, télécommunications) ;
– d’autre part, compenser une partie de la perte du produit de la taxe professionnelle pour les collectivités territoriales ;
– enfin, maintenir au profit des collectivités territoriales, une forme d’incitation financière à l’accueil d’installations génératrices d’externalités négatives.
L’IFER est constituée de dix composantes, assises chacune sur une catégorie de biens distincte (centrales nucléaires et thermiques à flamme, transformateurs électriques, installations gazières, matériel ferroviaire, etc.). Les IFER mobile et fixe constituent deux composantes respectivement assises sur les stations électriques, qui constituent le support matériel des réseaux mobiles (2G, 3G, 4G, 5G), de télévision et de radio, et sur les infrastructures fixes de télécommunications composées de la boucle locale du cuivre puis de la fibre et du câble coaxial. Elles pèsent par conséquent essentiellement, mais pas uniquement, sur les quatre principaux opérateurs de télécommunication en France : Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free mobile.
Ces deux impositions visent des secteurs qui ont connu de profondes mutations au cours des quinze dernières années. Les réseaux mobiles ont vu le déploiement successif de la 4G puis de la 5G soutenu par des plans publics visant à assurer une couverture de qualité sur l’ensemble du territoire (programme « zone blanche – centre bourg », New deal mobile). Les réseaux fixes se sont transformés avec le déploiement rapide de la fibre également soutenu par les pouvoirs publics (Plan France Très Haut Débit). À l’avenir, à l’extension de la 5G, puis au déploiement de la 6G, et de la fibre répondra le décommissionnement des technologies 2G puis 3G ainsi que du réseau cuivre déjà annoncé par les opérateurs.
Pour répondre à ces évolutions, les IFER mobile et fixe ont fait l’objet d’une succession d’ajustements visant à maîtriser leur produit et à inciter les opérateurs à investir dans les zones les moins bien dotées en infrastructures. Toutefois, aucun bilan d’ensemble de l’IFER mobile n’a été fait depuis un rapport de l’inspection générale des finances (IGF) publié en 2021 sur l’IFER mobile dont les hypothèses apparaissent aujourd’hui dépassées. Par ailleurs, si l’IFER fixe a fait l’objet d’une réforme qui paraît satisfaisante à l’occasion de la loi de finances initiale pour 2024 (LFI) ([1]), ce n’est pas le cas de l’IFER mobile pour lequel une remise à plat apparaît nécessaire.
L’objet de ce rapport d’évaluation est par conséquent de proposer un bilan des IFER mobile et fixe à partir duquel des recommandations pour une réforme de l’IFER mobile pourront être proposées. Les travaux du rapporteur spécial l’ont conduit à rencontrer les opérateurs télécoms, les administrations compétentes, les représentants des collectivités territoriales, les autorités de régulation et les cabinets des ministres chargés de l’industrie et du numérique.
I. Le rÉgime de l’IFER fixe, rÉcemment rÉformÉ, rÉpond À l’objectif de prÉVISIBILITÉ du rendement pour les opÉrateurs et les collectivitÉs
L’IFER fixe est un impôt pesant sur les opérateurs du réseau cuivre et fibre. Sa faible dynamique depuis 2010 a conduit à le doter d’un mécanisme de réévaluation qui, couplé à l’arrivée massive de nouvelles lignes fibres, devait conduire à une explosion de son rendement d’ici 2030. La loi de finances initiale pour 2024 a corrigé cette trajectoire tout en préservant un surplus de recettes pour les régions.
Initialement limitée aux réseaux cuivre de France Télécom, l’assiette de l’IFER fixe a par la suite été étendue aux réseaux fibres et en câble coaxial. Afin de maîtriser sa trajectoire et d’inciter au déploiement de la fibre, une exonération pour les nouvelles lignes a été mise en place à partir de 2019.
L’article 1599 quater B du CGI (« IFER fixe ») a été introduit en même temps que l’IFER mobile ([2]). Cette IFER s’appliquait à l’origine aux seuls répartiteurs principaux de la boucle locale cuivre, détenus intégralement par Orange. Toutefois, en raison de la refacturation de cette imposition par l’opérateur historique, les opérateurs de télécommunications qui utilisaient la boucle locale cuivre payaient indirectement l’IFER. Afin de limiter le risque d’effets induits au détriment de ces opérateurs, la loi de finances pour 2011 ([3]) a, d’une part, abaissé le tarif par ligne composant le répartiteur principal et, d’autre part, diversifié l’assiette de l’IFER en l’appliquant également aux unités de raccordement d’abonnés (URA) et aux cartes d’abonnés. Ces équipements du marché de la commutation n’étaient détenus et utilisés que par Orange, qui se retrouvait donc le seul opérateur assujetti pour cette partie de l’IFER.
De 2013 à 2017, l’assiette de l’IFER fixe a progressivement basculé sur les seules lignes des répartiteurs de la boucle locale cuivre ([4]). Ainsi, à partir du 1er janvier 2017, l’IFER fixe s’appliquait uniquement aux répartiteurs principaux de la boucle locale cuivre.
La loi de finances rectificative pour 2017 ([5]) a modifié l’assiette de l’IFER, afin de respecter le principe de neutralité technologique ([6]) et tenir compte de l’érosion progressive du nombre de lignes cuivre en service, en élargissant l'imposition aux réseaux de communications électroniques en fibre optique et en câble coaxial. Depuis le 1er janvier 2019, l’IFER s’applique donc également aux points de mutualisation des réseaux de communications électroniques en fibre optique jusqu’à l’utilisateur final (FttH) au sens de l’article L. 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques (CPCE) et aux nœuds de raccordement optique des réseaux en fibre optique avec terminal en câble coaxial. Néanmoins, afin de ne pas pénaliser le déploiement de la fibre, une exonération de cinq ans est prévue pour les nouvelles lignes.
● En l’état du droit, et conformément aux dispositions de l’article 1599 quater B du code général des impôts (CGI), l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux s’applique :
– aux répartiteurs principaux de la boucle locale cuivre au sens du 4° ter de l’article L. 32 du code des postes et des communications électroniques (CPCE) ;
– aux points de mutualisation des réseaux de communications électroniques en fibre optique jusqu’à l’utilisateur final au sens de l’article L. 34-8-3 du CPCE ;
– aux nœuds de raccordement optique des réseaux de communications électroniques en fibre optique avec terminaison en câble coaxial.
Pour les répartiteurs principaux, les points de mutualisation et les nœuds de raccordement optique, le montant de l’imposition est fonction du nombre de lignes en service que l’équipement comporte au 1er janvier de l’année d’imposition. Une ligne est considérée comme étant en service lorsqu’elle fait l’objet d’un contrat entre un opérateur commercial et un abonné. Le tarif de l’IFER est revalorisé comme le taux prévisionnel, associé au projet de loi de finances de l’année, d’évolution des prix à la consommation des ménages, hors tabac, pour la même année ([7]). Le produit de l’IFER fixe est ensuite reversé intégralement à la région.
L’assiette et les redevables de l’IFER fixe
Le répartiteur principal, situé au niveau du nœud de raccordement abonné (NRA), reçoit les signaux des centraux téléphoniques et héberge les équipements des opérateurs. Le sous-répartiteur est un point de concentration intermédiaire du réseau cuivre, prenant généralement la forme d’une armoire installée sur la voie publique qui regroupe un certain nombre de lignes téléphoniques partant du NRA. De ce sous-répartiteur, les lignes se divisent vers les points de terminaison dans les quartiers ou les rues, puis vers les habitations des abonnés.
Les nœuds de raccordement optique (NRO) constituent le point de départ qui concentre le réseau fibre dans une zone géographique. Les points de mutualisation sont un point intermédiaire entre le NRO et les utilisateurs finals où les opérateurs commerciaux (Orange, SFR, Bouygues, Free…) mutualisent l’accès fibre posé par l’opérateur d’infrastructure en amont de la distribution aux abonnés.
À la fin 2024, les principaux propriétaires des répartiteurs étaient :
– pour le réseau cuivre : Orange ;
– pour le réseau câble coaxial : très principalement SFR ;
– pour le réseau fibre : 118 opérateurs infrastructures fibres (Orange, SFR, Altitude infra).
● À compter des impositions dues au titre de 2019, une ligne raccordée par un répartiteur principal, un point de mutualisation ou un nœud de raccordement optique n’est pas prise en compte dans le calcul du montant de l’imposition de l’équipement pendant les cinq années suivant celle de la première installation jusqu’à l’utilisateur final.
Cette exonération de cinq ans pour les nouvelles lignes concerne non seulement toutes les lignes construites à compter de 2019, mais également toutes celles qui auront moins de cinq ans à cette même date. Pour les impositions dues au titre de 2019, toutes les lignes installées et mises en service après le 1er janvier 2014 ont été exonérées. Par la suite, l’exonération s’est appliquée aux lignes installées et mises en service après le 1er janvier 2015.
Les lignes installées et mises en service en 2014 ont donc bénéficié d’une exonération d’un an, en 2019 ; les lignes installées et mises en service en 2015 d’une exonération de deux ans, en 2019 et 2020 ; les lignes installées et mises en service en 2016 d’une exonération de trois ans, de 2019 à 2021 ; les lignes installées et mises en service en 2017 d’une exonération de quatre ans, de 2019 à 2022, etc.
L’entrée progressive des infrastructures fibre dans l’assiette de l’IFER fixe a été décalée en raison de l’exonération des nouvelles lignes. Couplée au mécanisme de « plancher » qui a conduit à une montée rapide du tarif à la ligne, elle devait conduire à un doublement du produit de l’IFER fixe d’ici à 2030. Sa trajectoire a toutefois été corrigée par la LFI pour 2024 avec l’instauration d’un mécanisme de « plafond » symétrique à celui « plancher » déjà existant.
Dans le cadre du Plan France Très Haut Débit, qui vise une généralisation de la fibre optique (FttH) d’ici fin 2025, des déploiements massifs FttH ont lieu sur l’ensemble du territoire national. À la fin de l’année 2024, 91 % des locaux du territoire national sont raccordables à la FttH, soit 4 millions de locaux restant à rendre raccordables. En 2012, moins de 10 % des locaux étaient couverts.
Évolution depuis fin 2016 du nombre de locaux Éligibles au FttH
(et aux autres rÉseaux filaires ([8]) )
(en millions de lignes)
Source : Arcep.
Grâce à ces niveaux de couverture FttH élevés, de plus en plus d’utilisateurs peuvent migrer vers des abonnements FttH qui s’établissent à 75 % des abonnements internet fixe fin 2024 (24,4 millions d’abonnements fibre) avec une croissance rapide depuis la crise sanitaire.
Évolution depuis la fin de l’annÉe 2021 de la part des abonnements FttH parmi tous les abonnements internet fixe
Source : Arcep.
L’une des conséquences de ces déploiements est que les réseaux historiques cuivre et câble coaxial deviennent progressivement obsolètes. Ils font par conséquent l’objet de plans de fermeture par les deux opérateurs concernés, respectivement Orange et SFR.
S’agissant du réseau cuivre, Orange a fixé, fin janvier 2022, les grands principes d’un plan de décommissionnement qui doit aboutir à la fermeture technique ([9]) des infrastructures cuivre d’ici à 2030. Le plan de fermeture est strictement encadré par l’Arcep qui fixe les obligations d’Orange en matière d’accès à son réseau cuivre par les opérateurs alternatifs ([10]). Ce plan est encore en phase de montée en charge et s’échelonne jusqu’à fin 2030 de la façon suivante :
Le calendrier de fermeture technique du rÉseau cuivre
Source : Arcep.
S’agissant du réseau de câble coaxial, SFR semble prévoir aussi plusieurs étapes de fermeture d’ici à 2030. Il est à noter que SFR n’a pas d’obligation en matière d’accès à son réseau câble pour les opérateurs alternatifs.
L’IFER fixe dispose d’un « plancher » de 400 millions d’euros appliqué tous les ans depuis 2011 du fait de l’absence de caractère dynamique de l’impôt. Son produit n’a en effet jamais atteint le plancher de 400 millions d’euros et, depuis 2015, il connaît une baisse tendancielle. Le décommissionnement des lignes cuivre entraîne en effet une contraction de l’assiette de l’IFER fixe, très peu compensée par le déploiement des lignes fibre qui bénéficient encore pour l’essentiel de l’exonération temporaire de cinq ans pour les nouvelles lignes.
Rendement de l’IFER mobile entre 2011 et 2024
(en euros)
Source : DGE.
Le « plancher » ne garantit toutefois pas un produit minimal aux collectivités, mais conduit à adapter le tarif en fonction du produit de l’impôt l’année précédente pour stabiliser son rendement lorsque celui-ci est inférieur à 400 millions d’euros. Lorsque le montant du produit total de l’IFER fixe perçu au titre d’une année est inférieur à ce montant, le tarif applicable au titre de l’année suivante à chacun de ces éléments est majoré par un coefficient égal au quotient d’un montant de 400 millions d’euros par le montant du produit perçu ([11]).
Cette convergence tendancielle du produit de l’IFER fixe vers 400 millions d’euros devrait se poursuivre jusqu’en 2026 sous l’effet du mécanisme de plancher. L’élargissement de l’assiette de la fibre avec un effet différé du fait de l’exemption temporaire des lignes en service depuis moins de 5 ans ne devrait pas compenser la décroissance des lignes cuivre jusqu’en 2027. En effet, parmi les lignes de fibre en service à ce jour, une part significative a fait l’objet d’une première mise en service au cours des cinq dernières années et ne va donc intégrer la base imposable de l’IFER « fixe » que progressivement au cours des années à venir. Par conséquent, sous l’effet du mécanisme plancher, le tarif de l’IFER devrait continuer à progresser pour faire tendre le produit de l’impôt vers l’objectif de 400 millions d’euros par an.
PrÉvision d’Évolution de l’IFER fixe entre 2024 et 2030
Année |
2024 |
2025 |
2026 |
2027 |
2028 |
2029 |
2030 |
Nombre d’éléments imposables (millions de lignes) |
16,7 |
15,3 |
14,9 |
16,1 |
19,8 |
23,5 |
27,2 |
Coefficient de majoration pour N +1* |
1,10 |
1,07 |
1,00 |
1,00 |
1,00 |
1,00 |
1,00 |
Tarif IFER (euros)** |
21,82 |
24,45 |
26,77 |
27,42 |
28,00 |
28,59 |
29,19 |
IFER (millions d’euros) |
364,5 |
373,1 |
398,6 |
440,3 |
553,0 |
670,6 |
794,8 |
Coefficient de majoration‑minoration pour N +1* |
1,10 |
1,07 |
1,00 |
0,97 |
0,81 |
0,84 |
0,86 |
Tarif IFER (euros)** |
21,78 |
24,45 |
26,77 |
27,42 |
27,18 |
22,56 |
19,39 |
IFER (millions d’euros) |
363,8 |
373,1 |
398,6 |
440,3 |
536,9 |
529,2 |
528,0 |
Inflation anticipée au regard de l’indice des prix à la consommation, hors tabac |
2,5 % |
2,1 % |
2,1 % |
2,1 % |
2,1 % |
2,1 % |
2,1 % |
* sans inflation.
** corrigé pour tenir compte de l’inflation.
Source : direction générale des entreprises.
La conséquence de cette hausse du tarif est qu’avec l’entrée dans l’assiette de l’impôt d’un volume important de lignes en fibre optique à partir de 2027, le produit de l’IFER fixe devait doubler en 2030. Cette hausse rapide du produit de l’IFER a été présentée au rapporteur spécial comme une « erreur technique » par les administrations, intégrée au calcul de l’impôt au moment de la mise en place du mécanisme d’exonération sur la fibre.
La direction de la législation fiscale (DLF) comme les opérateurs estiment que cette hausse était telle qu’elle risquait de pénaliser l’investissement des opérateurs et des collectivités territoriales qui mettent en place des réseaux d’initiative publique (RIP) et, à terme, d’être répercutée sur les consommateurs. En effet, au troisième trimestre 2024, 38 % des lignes en fibre optique étaient déployées en zone d’initiative publique, et ces zones constituent la principale réserve pour de futurs déploiements. Les lignes demeurant par principe la propriété des collectivités territoriales, notamment des départements ou des syndicats mixtes réunissant différents niveaux de collectivités, celles-ci deviendront progressivement des redevables de plus en plus importants à l’IFER fixe au cours des prochaines années.
C’est pourquoi l’article 81 de la loi de finances pour 2024 vise à neutraliser les effets de cette transition technologique en maîtrisant l’augmentation du produit de l’IFER fixe tout en garantissant un surplus de recettes aux régions durant les prochaines années. Il instaure, sur le modèle inverse du « plancher », un mécanisme d’ajustement à la baisse du tarif de l’IFER fixe chaque fois que son produit aura dépassé 400 millions d’euros au titre de l’année précédente.
PrÉvision du produit de l’IFER fixe entre 2024 et 2030
(en millions d’euros)
Source : DGE.
Le tarif est en outre revalorisé annuellement en fonction de l’inflation, après application du plancher ou du nouveau plafond ([12]). Ainsi, pour les impositions dues à compter de 2024, lorsque le produit total de l'imposition perçu au titre d'une année est supérieur à 407 200 000 euros, le tarif applicable au titre de l'année N+1 à chacun de ces éléments est minoré par un coefficient égal au quotient de ce montant de 407 200 000 euros par le montant du produit perçu. Ce mécanisme ne devrait toutefois trouver à s’appliquer qu’à partir de 2027.
En l’état, ce dispositif semble satisfaisant, les opérateurs tout comme la direction générale des entreprises (DGE) n’estiment pas nécessaire une révision de l’IFER fixe. Régions de France a indiqué au rapporteur spécial avoir accepté cette réforme à condition que cette recette, qui se substituait à une recette dynamique, conserve un dynamisme égal au taux d’inflation annuel.
Compte tenu de ces éléments, le présent rapport s’en tient au mécanisme mis en place notamment par la LFI 2024.
II. Une rÉforme de l’IFER mobile est nÉcessaire pour amÉliorer sa lisibilitÉ et la meilleure rÉpartition de son produit, notamment au bÉNÉfice des communes rurales
L’IFER mobile est doté d’un régime complexe prévoyant de nombreuses réductions et exonérations inefficaces qui privent les communes rurales de la majorité de son produit. Cette iniquité territoriale, associée à une trajectoire erratique durant les prochaines années, appelle à une remise à plat de ce régime.
L’IFER mobile est une imposition assise sur les infrastructures des services mobiles et répartie entre les communes et les départements. Les réductions et exonérations introduites depuis 2010 visent à maîtriser la croissance de son produit, alors rapide, et à inciter les opérateurs à investir dans les territoires les moins bien dotés en infrastructures mobiles.
1. Une base taxable croissante avec le développement de la couverture réseau du territoire et le nombre de technologies exploitées
● La composante prévue à l’article 1519 H du code général des impôts (CGI), dite « IFER mobile », s’applique aux stations radioélectriques dont la puissance impose un avis, un accord ou une déclaration à l’Agence nationale des fréquences (ANFR). Une station radioélectrique correspond à un ou plusieurs émetteurs ou récepteurs, y compris les appareils accessoires, appartenant à un réseau de communications électroniques donné en un emplacement donné. Ces infrastructures radioélectriques regroupent principalement des antennes, actives ou passives, des unités de bande de base (BBU), des unités radio distantes (RRU) et des faisceaux hertziens.
L’IFER est due chaque année par les personnes qui disposent pour les besoins de leur activité professionnelle de ces stations au 1er janvier de l’année d’imposition. Elle est par conséquent principalement acquittée par les opérateurs de téléphonie mobile, mais d’autres opérateurs y sont également assujettis, notamment les sociétés de diffusion de l'audiovisuel (TDF, TowerCast etc.). S’agissant des réseaux mobiles ouverts au public, le nombre de contributeurs en avril 2025 est de :
– 4 en France métropolitaine : SFR, Free Mobile (depuis 2012), Orange France et Bouygues Telecom ;
– 4 en Guadeloupe, Martinique et Guyane : Outremer Telecom, Free Caraïbe (depuis 2022), Digicel, Orange Caraïbe ;
– 4 à La Réunion : Orange Mayotte, SRR, Telco OI (depuis 2017) et Zeop (depuis 2019) ;
– 3 à Mayotte : Orange Mayotte, SRR et Telco OI.
Lorsqu’un opérateur dispose sur un même site de plusieurs stations radioélectriques appartenant à des réseaux différents (2G, 3G, 4G, 5G), il doit déclarer autant de stations qu’il y a de réseaux. Une exception est prévue sous la forme d’un partage du coût de l’IFER lorsque les opérateurs concernés mutualisent leurs stations (« RAN sharing »). Ce partage n’est possible que pour la mutualisation d’installations actives hors « roaming » ([13]), ce qui exclut le simple partage d’infrastructures passives ([14]) – pylônes, socles en béton – ou d’antennes et l’itinérance.
Les diffÉrents degrÉs de partage de rÉseaux par les opÉrateurs
Source : Arcep.
2. Un tarif grevé de nombreuses exonérations
Le tarif de l’IFER est réévalué annuellement comme le taux prévisionnel d'évolution des prix à la consommation des ménages, hors tabac : le tarif de droit commun est fixé en 2025 à 1 860 euros par station dont le redevable dispose au 1er janvier de l'année d'imposition.
● Cinq réductions de tarif et exonérations ont été introduites en vue de limiter l’impact de l’IFER et de soutenir le déploiement des réseaux mobiles dans les zones peu denses. Trois d’entre elles ont essentiellement pour objectif d’orienter les investissements vers des zones prioritaires en termes d’aménagement numérique :
– une réduction de 50 % du montant de l’IFER pour les stations en « zones blanches » (loi de finances pour 2010) ;
– une exonération totale de l’IFER pour les stations radioélectriques de téléphonie mobile construites en zone de montagne entre le 1er janvier 2017 et le 31 décembre 2020 (loi « Montagne » du 28 décembre 2016) ;
– dans le cadre du « New deal mobile » conclu en 2018 entre le Gouvernement et les opérateurs de téléphonie mobile, une exonération de cinq ans pour les stations de téléphonie mobile installées entre le 3 juillet 2018 et le 31 décembre 2022 pour couvrir les zones caractérisées par un besoin d’aménagement numérique (loi de finances pour 2019).
● Deux réductions de tarifs ont plus directement pour objectif de limiter la progression du rendement de l’impôt :
– une réduction de 50 % du montant de l’IFER pour les nouvelles stations au titre des trois premières années d’imposition (loi de finances pour 2011), réduction portée à 75 % pour les stations installées à compter de 2017 (loi de finances rectificative pour 2016) ;
– une réduction de 90 % du montant de l’IFER pour les cellules de petite taille à plus faible portée (« small cells ») (loi de finances pour 2016) ([15]) ;
3. Le produit de l’IFER mobile est réparti entre le bloc communal et les départements
Le produit de l’IFER mobile est réparti en principe pour un tiers au département et pour deux tiers à la commune. Cet ancrage territorial de l’IFER mobile doit inciter les collectivités territoriales à accueillir des antennes.
Lorsque l’antenne se trouve sur le territoire d’un établissement public de coopération intercommunale (EPCI), la situation dépend du régime de l’EPCI. Au sein des EPCI à fiscalité propre, deux grands régimes fiscaux coexistent :
– d’une part, celui des EPCI à fiscalité professionnelle unique (FPU), qui se substituent à leurs communes membres pour l’application des dispositions relatives à l’ensemble de la fiscalité professionnelle ;
– d’autre part, le régime des EPCI à fiscalité additionnelle (FA), qui perçoivent des impôts directs locaux en votant des taux additionnels à ceux votés par leurs communes membres et partagent la fiscalité professionnelle avec leurs communes membres.
Les EPCI à fiscalité propre se substituent à leurs communes membres pour la perception de l’IFER. Il en est de même pour les EPCI à fiscalité additionnelle où les communes ont accepté que l’établissement se substitue à elles pour la perception de l’IFER.
B. Une dynamique nettement infÉrieure aux prÉvisions et une rÉpartition du produit inÉquitable entre les collectivitÉs
L’IFER mobile pose deux difficultés majeures pour les opérateurs, et surtout pour les collectivités territoriales. Les prévisions établies par l’IGF en 2021 d’un doublement anticipé du produit de l’IFER mobile ne sont tout d’abord plus d’actualité et laisse place à une chute brutale avant une remontée en 2032. Ensuite, l’ensemble des personnes auditionnées constate l’inefficacité des exonérations sur l’investissement des opérateurs en zones prioritaires et leur effet néfaste sur la répartition du produit de l’IFER entre les collectivités, au détriment des territoires ruraux.
Le décommissionnement plus rapide qu’anticipé de la 2G et de la 3G par les opérateurs a conduit à infléchir à la baisse la trajectoire de l’IFER mobile. Il pose en outre des questions d’information du public et des collectivités et d’anticipation de la mutation des équipements critiques dépendant de ces fréquences.
L’assiette forfaitaire par station radioélectrique induit une croissance à la mesure de l’implantation de nouvelles stations. Or, l’offre de services mobiles étant très dynamique en France, l’arrivée sur le marché de nouvelles générations technologiques – la 4G vers 2010 et la 5G en 2020 – et la concurrence entre les opérateurs ont stimulé la croissance du nombre de clients finals. Le nombre de stations a été multiplié par cinq entre 2011 et 2024, passant de 65 000 éléments à 329 400. Le produit de l’IFER mobile a crû par conséquent au rythme moyen de 10 % par an et a connu une augmentation de 177 % en treize ans.
Évolution du rendement et de l’assiette de l’iFER mobile entre 2017 et 2024
Année |
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
2024 |
Montant de l'IFER (en millions d’euros) |
213,6 |
213,5 |
222,2 |
238,3 |
267,7 |
298,1 |
335,8 |
370,0 |
Nombre d'établissements taxés (cotisation > 0) |
44 931 |
47 767 |
49 962 |
52 333 |
54 157 |
56 220 |
59 338 |
62 132 |
Éléments d'assiette |
|
|
|
|
|
|
|
|
Nombre total de stations radioélectriques |
181 181 |
202 432 |
222 715 |
234 384 |
256 076 |
284 217 |
310 561 |
329 398 |
Nombre de stations ordinaires |
166 079 |
184 576 |
202 880 |
211 381 |
228 313 |
255 222 |
279 679 |
298 168 |
Nombre de stations ordinaires en zones "blanches" |
4 807 |
5 702 |
5 870 |
9 399 |
13 882 |
15 282 |
17 328 |
18 683 |
Nombre de stations relevant de la loi n° 86-1067 du 30 sept 1986 et assurant la diffusion au public de services de radio ou de télévision |
7 483 |
8 109 |
8 214 |
8 331 |
8 438 |
8 437 |
8 374 |
8 611 |
Nombre de stations en franchise |
363 |
220 |
170 |
174 |
171 |
172 |
197 |
198 |
Nombre d'émetteurs soumis à une simple déclaration auprès de l'ANFR |
2 449 |
3 823 |
3 908 |
5 071 |
5 247 |
5 119 |
4 977 |
3 733 |
Nombre d'émetteurs soumis à une simple déclaration auprès de l'ANFR installés en zone blanche |
– |
2 |
0 |
28 |
25 |
5 |
6 |
5 |
Sources : DGFIP, état statistique CFE-1081.
Cette évolution est visible dans l’augmentation du nombre de cartes SIM actives ([16]) pour chaque technologie qui a suivi une trajectoire similaire depuis 2010 ([17]).
Source : Arcep.
Les opérateurs se montrent critiques à l’égard du mode de calcul actuel de l’IFER mobile, car plus un opérateur améliore la couverture du territoire et propose de nouvelles technologies, plus la taxation augmente sans que son chiffre d’affaires ne progresse à due proportion. Le revenu des opérateurs sur les services mobiles s’est érodé de 22,6 % entre 2012 et 2019.
Le rapport rendu par l’IGF en 2021 prévoyait que le dynamisme de l’IFER mobile devait se poursuivre, voire s’accélérer, en raison de la couverture complète du territoire en 4G prévue par le New Deal mobile de 2018 et le déploiement massif de la 5G. À droit constant, les opérateurs prévoyaient en conséquence un quasi triplement de l’imposition pour atteindre près de 600 millions d’euros en 2030. Ils estimaient que cette évolution pénaliserait lourdement leur capacité d’investissement et freinerait le développement des réseaux.
Évolution prÉvisionnelle du produit de l’ifer mobile entre 2019 et 2030 telle qu’anticipÉe en 2020
(en millions d’euros)
|
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
2024 |
2025 |
2026 |
2027 |
2028 |
2029 |
2030 |
Produit de l’IFER fixe |
222,2 |
239,5 |
272,3 |
305,1 |
334,0 |
372,3 |
420,0 |
460,8 |
496,4 |
527,0 |
561,9 |
596,7 |
Évolution annuelle |
N.A. |
7,7 % |
13,7 % |
12,0 % |
9,5 % |
11,5 % |
12,8 % |
9,7 % |
7,7 % |
6,2 % |
6,6 % |
6,2 % |
Sources : IGF 2020, Évaluation de l’IFER appliquée aux stations radioélectriques.
Si les prévisions restent en partie incertaines, les stratégies de déploiement des opérateurs restant confidentielles, il apparaît toutefois que le décommissionnement rapide de la 2G et de la 3G par les opérateurs, qui n’avait pas encore été amorcé en 2020, rend ces trajectoires maximalistes caduques. L’IFER mobile devrait continuer de croitre en 2025 avec un produit attendu de 428 millions d’euros, contre 366 millions d’euros en 2024 (soit une croissance de 62 millions d’euros, donc de près de 17 %). À partir de 2026, le produit de l’IFER mobile sera affecté par deux dynamiques contraires : les premières extinctions 2G et 3G devraient tirer le rendement à la baisse, et la densification des déploiements 4G et 5G, y compris l’utilisation des espaces libérés par l’extinction des antennes 2G et 3G, devraient au contraire tirer le rendement à la hausse.
Évolution prÉvisionnelle du produit de l’ifer mobile entre 2023 et 2035
(en millions d’euros)
Prévisions |
2023 |
2024 |
2025 |
2026 |
2027 |
2028 |
2029 |
2030 |
2031 |
2032 |
2033 |
2034 |
2035 |
IFER auprès des |
323 |
366 |
428 |
446 |
434 |
485 |
452 |
373 |
412 |
439 |
456 |
494 |
499 |
dont IFER 2G/3G |
194 |
207 |
223 |
204 |
160 |
175 |
108 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
poids IFER 2G/3G |
60 % |
56 % |
52 % |
46 % |
37 % |
36 % |
24 % |
0 % |
0 % |
0 % |
0 % |
0 % |
0 % |
Source : DGE.
En 2027, l’effet de l’extinction des réseaux 2G des deux autres opérateurs ayant déployé cette technologie (Bouygues et SFR), devrait être contrebalancé par la poursuite des déploiements de sites 4G et 5G. Au final, cela devrait se traduire par une légère baisse des recettes de l’IFER radio en 2027 (434 millions d’euros).
En 2028, le produit de la taxe devrait à nouveau augmenter de 51 millions d’euros pour atteindre 485 millions d’euros en 2028, porté par de nouveaux déploiements de sites 4G et 5G, avant de connaître une nouvelle période de baisse de ces recettes jusqu’en 2030 retombant à 373 millions d’euros du fait des extinctions successives des réseaux 3G de chacun des quatre opérateurs.
À partir de 2030, l’IFER mobile croîtrait de nouveau, alimenté par l’accélération des déploiements des sites 5G résultant de l’obligation de généraliser la 5G sur tous les sites imposés aux opérateurs à fin 2030, pour se stabiliser à 494 millions d’euros en 2034. Ces prévisions ne prennent toutefois en compte que les recettes perçues auprès des quatre grands opérateurs (Orange, SFR, Bouygues et Free) et n’intègrent pas les effets du déploiement de la 6G qui viendra à nouveau rehausser le montant de l’IFER, si le principe de la taxation par technologie et non par site continue de prévaloir.
Évolution prÉvisionnelle du produit de l’ifer mobile
(en millions d’euros)
Source : DGE.
Les décisions d’extinction des technologies 2G et 3G relèvent de la stratégie des opérateurs qui en sont propriétaires. Cette décision, qui suit une tendance mondiale où la France est particulièrement avancée, est motivée par plusieurs raisons :
– la 4G et la 5G offrent des vitesses de téléchargement et de navigation plus rapides et une sécurité renforcée avec des protocoles de chiffrement avancés, une authentification robuste et une architecture réseau conçue pour résister aux menaces modernes par rapport aux technologies 2G et 3G. L’extinction des technologies moins robustes renforce l’intégrité des réseaux mobiles et la sécurité des données qui y transitent ;
– les technologies 2G et 3G ne représentent plus qu’une faible portion du trafic acheminé sur les réseaux et les industriels à travers le monde qui fabriquent et maintiennent les produits et services nécessaires au fonctionnement de ces technologies délaissent lesdites technologies au profit de celles de la 4G et la 5G ;
– le fonctionnement des réseaux 2G et 3G est, toutes choses égales par ailleurs, plus énergivore que celui de la 4G et la 5G ;
– l’arrêt de la 2G et de la 3G permet de libérer des capacités. Réutiliser les fréquences pour la 4G et la 5G devrait encore améliorer la qualité de service sur ces réseaux.
Dès la fin de l’année 2025 ou au plus tard à la fin du 1er trimestre 2026, Orange débutera l’extinction de son réseau 2G en France métropolitaine. Il sera suivi fin 2026 par Bouygues et SFR. Entre 2028 et 2029, ce sera le réseau 3G de l’ensemble des opérateurs qui sera suspendu. Free mobile n’a pas fait d’annonce concernant l’arrêt de ses services 2G et 3G. Free n’étant pas titulaire d’une autorisation d’utilisation de fréquences en 2G, ses clients bénéficient d’une itinérance sur le réseau 2G d’Orange.
ÉCHÉance de fermeture des rÉseaux 2G et 3G en France hexagonale
Opérateurs |
Orange |
SFR |
Bouygues Telecom |
Free Mobile |
|
France métropolitaine |
Extinction 2G |
À partir de la fin 2025 |
Fin 2026 |
Fin 2026 |
Non encore annoncée |
Extinction 3G |
À partir de la fin 2028 |
Fin 2028 |
Fin 2029 |
Non encore annoncée |
Source : Arcep.
S’agissant des départements d’outre-mer, seul Orange a communiqué des dates d’extinction de ses réseaux 2G et 3G.
ÉCHÉance de fermeture des rÉseaux 2G et 3G dans les DROM
|
La Réunion |
Mayotte |
Martinique |
Guadeloupe |
Guyane |
Extinction 2G |
Fin 2024 |
Fin 2024 |
Fin 2025 |
Fin 2025 |
Fin 2025 |
Extinction 3G |
Non annoncé |
Non annoncé |
Fin 2028 |
Fin 2028 |
Fin 2028 |
Source : Arcep.
Du côté des usages, la 4G et la 5G ont déjà pris le relais pour l’essentiel des appels et SMS ou l’accès à Internet mobile du grand public dans la très grande majorité des cas. Du côté des réseaux mobiles, aujourd’hui, plus de 99,8 % des sites d’émission 2G et 3G sont équipés de 4G. La DGE estime par conséquent que le décommissionnement de la 2G ne posera pas de difficultés de couverture sur le territoire, tandis qu’une attention devra être maintenue sur le déploiement de la 4G et 5G pour s’assurer que la fin de la 3G se déroule dans de bonnes conditions.
Toutefois, comme le pointe la Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP) ([18]), l’extinction des réseaux 2G et 3G pourrait perturber les équipements qui ne sont pas compatibles avec des technologies de télécommunication 4G et 5G. Cela concerne un certain nombre de téléphones, notamment utilisés par les personnes âgées, mais aussi des alarmes, des systèmes de téléassistance ou encore certaines infrastructures d’eau/assainissement ou de transport. Ces dispositifs devront donc être remplacés, ce qui suppose une bonne information des usagers et une surveillance des équipements les plus sensibles (appels d’urgence, alarmes, service d’adduction et de traitement des eaux, terminaux de paiement, ascenseurs, eCall) afin qu’ils fonctionnent correctement sur les nouvelles générations. Interrogé par le rapporteur spécial, le cabinet du ministre de l’industrie a assuré avoir lancé une concertation avec les opérateurs sur ces points.
Recommandation n° 1 : En prévision du décommissionnement de la 2G et de la 3G, mettre en œuvre les recommandations de la Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP) afin de garantir une bonne information des usagers et des collectivités territoriales et de s’assurer de la continuité des services critiques sur les nouvelles générations de télécommunication.
Les exonérations d’IFER visent essentiellement à limiter la progression du rendement de l’impôt et à stimuler les investissements des opérateurs en les orientant vers des zones moins attractives car plus coûteuses (zone de montagne, zone blanche). Les opérateurs ainsi que la direction de la législation fiscale (DLF) s’accordent sur le fait que la superposition de ces réductions de tarifs a considérablement complexifié le dispositif, tout en constatant qu’elles ne sont pas parvenues à atteindre leurs objectifs.
S’agissant de l’objectif de limitation du rendement, ces dispositifs d’allègement représentent un coût annuel supérieur à 106 millions d’euros pour les collectivités. Ils n’ont toutefois pas empêché le quasi-triplement du produit de l’impôt en treize ans, qui l’a porté à 370 millions d’euros en 2024.
L’objectif d’aménagement numérique du territoire vise à compenser la tendance des opérateurs à investir en priorité dans les zones denses en population, commercialement plus rentables. L’IGF concluait cependant dans son rapport de 2021 qu’aucune efficacité ne pouvait être démontrée pour l’un des trois leviers fiscaux à visée d’aménagement numérique des zones peu denses (zones blanches, zones de montagne, zones « New deal » mobile). C’est essentiellement la politique de régulation de l’Arcep qui fixe aux opérateurs des objectifs de couverture du territoire et de montée en gamme technologique qui a permis d’améliorer la couverture mobile du territoire.
La politique de régulation de l’Arcep : un levier efficace de déploiement
dans les zones moins attractives commercialement
Le New Deal mobile, annoncé en janvier 2018, a fixé des objectifs de généralisation, d’amélioration de la qualité des réseaux mobiles en France métropolitaine et de couverture de zones jugées prioritaires en termes d’aménagement numérique. Ce programme succède à une série de dispositifs antérieurs qu’il intègre, notamment le programme « zone blanches centre-bourgs ». Le New Deal mobile a toutefois marqué un changement de paradigme en priorisant l’objectif d’aménagement des territoires plutôt qu’un critère financier pour l’attribution des fréquences.
Les opérateurs ont en effet des obligations de déploiement de sites ou d’accroissement de la couverture mobile sur l’ensemble du territoire métropolitain et des obligations spécifiques dans certaines zones. Sont notamment concernés les axes routiers prioritaires, le réseau ferré régional et les zones peu denses, désignées comme zones de déploiement prioritaire. Elles comprennent environ 22 500 communes rurales, qui représentent 18 % de la population et 63 % du territoire. Ces obligations sont intégrées au cahier des charges des attributions de fréquences et leur respect est suivi par l’Arcep. Les obligations de couverture ont été dans l’ensemble plus que respectées. À titre d’exemple, au 31 décembre 2024, 99,4 % des sites du programme « zone blanches centre-bourgs » qui existaient au 1er juillet 2018 étaient équipés en 4G.
Par ailleurs, ces dispositifs présentent le défaut de priver de ressources fiscales les collectivités territoriales rurales concernées par ces exonérations ou réductions d’impôts. Ces collectivités sont pourtant celles qui bénéficient le moins de l’IFER étant donné que, malgré la régulation de l’Arcep, moins de stations y sont déployées. Elles sont aussi plus dépendantes des ressources de l’IFER. Ainsi, en 2019, 5 % de collectivités territoriales les plus denses percevaient un tiers du produit de l’IFER, du fait à la fois de la présence de plus de stations et de stations plus fréquemment imposées au taux plein. À l’inverse, les communes peu et très peu denses qui représentent 80 % des collectivités percevant l’IFER ne recevaient que 41 % du produit total et des montants individuels peu élevés du fait d’un faible nombre d’éléments imposables et souvent à taux réduit. Département de France pointe ainsi un dispositif qui crée une « double peine pour les uns et la double récompense pour les autres. ». Les collectivités les moins denses ne bénéficient pas d’investissements supplémentaires, et sont privées d’une ressource fiscale essentielle à leur budget.
III. La rÉforme de l’IFER Mobile, qui apparait comme une nÉCESSITÉ, suppose une conciliation prÉalable des acteurs
Le constat de la nécessité d’une réforme était déjà établi en 2021, mais les tentatives de réformes initiées par la DGE ont échoué en raison des oppositions entre opérateurs et collectivités. La trajectoire très dynamique de l’IFER mobile ayant favorisé l’échec des concertations, étant toutefois caduque, le rapporteur spécial estime qu’une réforme est aujourd’hui possible. Elle devra toutefois intégrer les nouveaux enjeux que pose le financement de l’inclusion numérique et s’accompagner d’une réflexion plus large sur la fiscalité et la réglementation des données qui ne peut reposer uniquement sur les opérateurs d’infrastructures. Seul un encadrement adapté des fournisseurs des services, qui captent la majeure partie de la valeur ajoutée, permettra de maîtriser la croissance de l’empreinte du numérique sur l’environnement et d’assurer un financement des infrastructures à long terme.
A. Les constats ayant conduit À l’Échec des concertations en 2021 ne sont aujourd’hui plus valables
Un travail de concertation avec les opérateurs de téléphonie et les représentants des collectivités territoriales concernées avait été engagé par la DGE sur les bases du rapport de 2021. Il visait à :
– Simplifier le calcul de l’imposition en passant de la taxation par antenne à une taxation au pylône ;
– réduire la dynamique du produit via un plafonnement, l’IGF ayant alors anticipé un quasi-doublement de l’IFER mobile en 2030 du fait d’une sous-estimation de la vitesse de décommissionnement de la 2G et de la 3G par les opérateurs ;
– réviser la clé de répartition au profit des communes rurales.
Toutefois, l’absence de consensus entre opérateurs et l’opposition entre les collectivités n’ont pas permis de réunir les conditions d’une réforme de l’IFER. Le désaccord de fond tenait essentiellement à la lecture divergente de la dynamique de l’IFER entre les opérateurs favorables à un plafonnement de l’IFER mobile et à une taxation par site qui renforçait la prévisibilité et la lisibilité de l’impôt et les collectivités territoriales qui refusaient d’être privées d’une ressource dynamique ([19]).
Le rapporteur spécial estime toutefois que la situation est aujourd’hui plus à même de permettre la construction d’un consensus avec les collectivités territoriales concernées.
D’une part, la dynamique de l’IFER mobile ne conduit plus à une croissance de son produit, mais à une légère hausse suivie d’une perte de recettes considérable à l’horizon 2030 avant une remontée progressive jusqu’en 2035. Cette dynamique est par ailleurs susceptible de varier en fonction des décisions d’investissement ou d’une potentielle accélération du décommissionnement par les opérateurs. Les communes et les départements, comme les opérateurs, auraient donc intérêt à un lissage du produit de l’impôt dans la décennie à venir pour renforcer sa prévisibilité. Les collectivités territoriales seraient ainsi protégées de la dynamique baissière de l’IFER mobile dans les prochaines années.
D’autre part, l’iniquité de l’IFER mobile pour les communes rurales demeure un problème majeur qui ne pourra pas être résolu sans réforme globale de ce dispositif. Le maintien du statu quo ferait d’elles les grandes perdantes du régime de l’IFER dans les prochaines années.
Si l’Association des Maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) s’est montrée réservée sur une potentielle réforme de l’IFER au cours des auditions du rapporteur, craignant qu’elle conduise à une baisse de son produit, Intercommunalités de France s’y est montrée plus ouverte à condition que celle-ci fasse l’objet d’une étude d’impact rigoureuse quant aux évolutions d’usages des technologies. Départements de France a également pointé son inquiétude au regard de l’inversion de la tendance de l’IFER mobile, son intérêt pour une imposition par site et une suppression des tarifs réduits avec une cible fixée ab initio.
B. Trois axes de réforme doivent Être envisagÉS
Les constats établis à l’occasion des travaux du rapporteur spécial ont conduit à envisager trois axes de réforme pour l’IFER mobile :
– une taxation par site à tarif unique qui permettrait d’opérer une répartition plus équitable du produit de l’IFER mobile ;
– une affectation d’une fraction du produit de l’IFER mobile au financement de l’inclusion numérique ;
– le lancement d’une réflexion sur la hiérarchisation des flux de données et la taxation des services de données.
Le rapporteur spécial a en revanche écarté l’option d’une taxation du chiffre d’affaires des activités mobiles, défendue par les opérateurs. Elle priverait l’IFER de son assise territoriale et soulèverait d'importantes difficultés d'exécution pour éviter les comportements d’optimisation fiscale selon la DGE et la DLF.
1. La taxation par site à tarif unique permettrait d’opérer une répartition plus équitable du produit de l’IFER mobile
La première piste de réforme consisterait en une taxation par site, et non par technologie, associée à une suppression des exonérations et réductions d’impôts au profit d’un tarif unique. Elle permettrait un contrôle aisé du produit de l’impôt via une cible fixée ab initio et assurerait une répartition équitable au profit des communes rurales.
a. La taxation par site et non plus par technologie et la suppression des exonérations et réductions d’impôts
● La taxation en fonction du nombre de sites exploités consisterait à considérer que lorsqu’un opérateur dispose sur un même emplacement de plusieurs équipements appartenant à des réseaux différents, il n’est tenu de ne déclarer qu’une seule station radioélectrique. La technologie utilisée et le nombre d’équipements actifs à un même emplacement seraient ainsi sans influence sur le montant de l’impôt dû. L’imposition par site poursuivrait plusieurs objectifs :
– stabiliser le rendement de l’IFER mobile en anticipant l’arrivée de la 6G avec un produit qui ne dépendrait plus du rythme des déploiements et des décommissionnements par les opérateurs ;
– réduire fortement le nombre et la technicité des éléments imposables, et ainsi simplifier les déclarations pour les opérateurs et les contrôles pour l’administration fiscale. Il conviendra toutefois de s’assurer que l’Agence nationale des fréquences (ANFr) dispose d’informations suffisantes sur les antennes déployées.
L’imposition par site demeure liée aux investissements physiques et maintient donc une dynamique du produit au fur et à mesure des nouvelles implantations. Néanmoins, elle se traduirait par une forte diminution du nombre d’équipements imposables. Le maintien du rendement actuel de l’IFER impliquerait donc d’augmenter fortement le tarif, à environ 4 000 euros par station, au lieu de 1 860 euros en 2025.
La fixation du tarif pourrait s’opérer selon un objectif de stabilisation du rendement qui n’alourdirait pas la charge fiscale pour les opérateurs, indexée à l’inflation, avec une cible fixée ab initio et une division du montant global entre le nombre de sites exploités. Un tel dispositif aurait l’avantage d’assurer une prévisibilité de l’imposition pour les opérateurs et pour les communes en lissant son rendement sur les dix prochaines années, alors que dans la situation actuelle les communes devraient connaître une chute modérée de leurs ressources en 2027 puis drastique entre 2028 et 2032. Ainsi, avec un rendement lissé entre 2026 et 2035, les collectivités recevraient 449 millions d’euros par an sur la période, contre seulement 366 millions d’euros en 2024 et 373 millions d’euros prévus en 2030 à droit constant.
Estimation du produit de l’IFER mobile et scÉnario avec un rendement lissÉ entre 2026 et 2035 (opÉrateurs mobiles uniquement)
(en millions d’euros)
Source : Commission des finances, d’après les estimations de la DGE.
● La suppression des tarifs réduits et des exonérations au profit d’un tarif unique permettrait d’assurer une meilleure répartition du produit de l’IFER mobile entre les collectivités territoriales. Elle poursuit en outre l’objectif de simplification de la tarification par site qui, sans tarif unique, devrait conduire à repenser les tarifs réduits et complexifierait la fixation d’une cible de rendement, réduisant fortement l’intérêt de la réforme. Une telle suppression fait l’objet d’un relatif consensus auprès des personnes auditionnées, les administrations comme les opérateurs et les collectivités constatant l’inefficacité et l’iniquité du dispositif.
Elle conduirait à augmenter le rendement de l’IFER mobile de l’ordre de 100 millions d’euros et devrait donc conduire à ajuster le tarif à la baisse pour respecter la cible de rendement.
b. Une répartition plus équitable du produit de l’IFER mobile entre les collectivités et de sa charge entre les opérateurs
● Une taxation par site avec un tarif unique rééquilibrerait la répartition du produit de l’IFER au bénéfice des communes peu ou très peu denses, qui supportent la plupart du coût des réductions et des exonérations (zones blanches, de montagne ou encore communes couvertes par le « New deal » mobile) au détriment des grandes villes. Le rapport de l’IGF de 2021 estimait qu’une bascule au site à tarif unique aurait été gagnant pour 77 % des communes très peu denses en 2019 ([20]).
À l’inverse, 76 % des communes densément peuplées auraient été « perdantes » (58 % d’entre elles perdaient entre 10 et 30 %, 5 % plus de 30 %). Cette perte est cependant à relativiser : d’une part, l’IFER représente pour les communes concernées une part très faible de leurs recettes fiscales ; d’autre part, ces communes appartiennent dans 99,5 % des cas (et dans 90,3 % des cas pour les 794 communes perdant plus de 30 %) à un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) percevant l’IFER pour le compte des communes membres et au sein duquel les gains et pertes seront mutualisés. Aucun EPCI ne connaîtrait des niveaux de pertes supérieurs à 30 %. Au total, toutes catégories confondues, 66,7 % des EPCI percevant l’IFER étaient gagnants, 18,6 % gardaient des montants stables et 14,6 % seraient perdants.
Si ces chiffres ne peuvent pas être repris tels quels au vu de l’évolution du rendement et de la base taxable de l’IFER mobile, les effets d’ensemble devraient rester les mêmes pour les collectivités. Il conviendrait toutefois d’étudier une solution pour laquelle les communes les moins denses connaitrait une augmentation, tandis que les communes les plus denses verraient l’IFER mobile stagner. Celle-ci pourrait s’appuyer sur une cible de produit fixée de manière à assurer cette objectif, et une progressivité pluriannuelle qui répartirait le produit de l’impôt
Pourcentage de perte en fonction du profil de commune
Source : IGF.
● Une telle réforme modifierait également la répartition de la charge de l’impôt entre les redevables.
Un effet de bord de l’imposition par site associé à une hausse du tarif serait que les opérateurs redevables autres que ceux de téléphonie mobile, notamment les opérateurs de télédiffusion ou de radiodiffusion, verraient leur imposition fortement augmenter. Ils constituent actuellement les seconds contributeurs à l’IFER mobile avec 8 600 stations taxées sur 329 400 en 2024. Leur situation spécifique devrait être prise en compte afin d’éviter un choc fiscal pour ces opérateurs.
Par ailleurs, l’avantage fiscal lié à la mutualisation bénéficie essentiellement à SFR et Bouygues Telecom, ce que le ministère de l’économie considère comme une distorsion concurrentielle. En cas de bascule vers une imposition par site, la réduction du nombre d’éléments taxés rend le produit de l’IFER encore plus sensible au recours à la mutualisation. Elle avantagerait donc les opérateurs ayant comparativement un plus grand nombre de stations par site.
Le rapporteur spécial préconise par conséquent de réduire partiellement l’avantage fiscal actuel lié à la mutualisation des équipements, tout en portant attention à éviter le choc fiscal qu’entraînerait une suppression nette pour les opérateurs. Ainsi :
– les sites mutualisés à deux opérateurs pourraient être imposés entre une et deux fois au titre de l’IFER, au lieu d’une fois actuellement ;
– les sites mutualisés à quatre opérateurs sur les programmes réglementaires de couverture pourraient être imposés par exemple trois fois au titre de l’IFER, à taux plein, au lieu d’une fois actuellement à tarif réduit.
Une telle évolution devrait profiter aux communes peu ou très peu denses, les opérateurs utilisant davantage le partage de stations pour couvrir les territoires ruraux à moindre coût.
Recommandation n° 2 : Réformer le régime de l’IFER mobile en mettant en place une taxation par site à tarif unique avec une cible de rendement fixée ab initio garantissant la stabilité du produit de l’IFER pour les collectivités et les opérateurs au cours des prochaines années.
2. L’affectation d’une fraction du produit de l’IFER mobile permettrait de garantir le financement de l’inclusion numérique et sa pérennisation
a. L’affectation de l’ordre de 5 % de l’IFER mobile permettrait de garantir la pérennité du dispositif des conseillers numériques
● Les conseillers numériques sont le principal dispositif de l’État visant à accompagner la population la plus éloignée du numérique, soit un tiers des Français, avec 2,6 millions de personnes suivies sur 3 ans. L’État a décidé de dématérialiser l’ensemble de ces services. Cette dématérialisation s’est avérée complète en 2022. L’État cofinance la formation et l’activité des conseillers numériques qui sont accueillis majoritairement par des collectivités territoriales et des acteurs privés relevant de l’économie sociale et solidaire. Cet investissement inédit a marqué un tournant dans l’action publique en faveur de la médiation numérique. Il est de surcroît un atout support pour diffuser des pratiques plus vertueuses en matière de cybersécurité ou d’intelligence artificielle, et plus globalement de numérique plus inclusif et plus responsable.
Ce sont plus de 4 200 conseillers numériques France Services qui assurent des accompagnements, des permanences, organisent des ateliers, proposent des formations afin de permettre à chacun, près de chez soi, de s’approprier progressivement les usages numériques du quotidien : protéger ses données personnelles, maîtriser les réseaux sociaux, effectuer une démarche en ligne, vérifier les sources d’information, faire son CV, vendre ou acheter en ligne, travailler à distance, consulter un médecin, etc. Contrairement aux conseillers France services classiques qui remplissent principalement des fonctions d’assistance dans les démarches numériques, les conseillers numériques ont un rôle d’accompagnement vers l’autonomie. Près de 3 millions d’usagers ont ainsi déjà été accompagnés avec un taux de satisfaction des bénéficiaires dépassant les 90 % ([21]). Les conseillers numériques portent également une action de formation des TPE-PME dans leur numérisation et des agents publics à l’inclusion numérique qui a permis depuis 2021 de former 14 000 professionnels.
Outre un rôle d’autonomisation des publics éloignés du numérique soutenu par l’État, qui constitue la contrepartie de la numérisation rapide de ses relations avec les usagers, les conseillers numériques sont un investissement essentiel dans les domaines de l’économie numérique, de l’emploi et de la formation, des relations avec les services publics, de l’inclusion sociale et du bien-être. France Stratégie chiffrait à 1,6 milliard d’euros par an en moyenne les gains attendus d’une meilleure maîtrise des outils numériques par la population française qui ne les utilise pas ou peu dans la vie courante ([22]).
● En 2025, un budget de 40 millions d’euros a été alloué pour financer l’ensemble du dispositif, soit une baisse de 33 % par rapport à 2024. Cet arbitrage, plus favorable que le PLF, garantit le respect par l’État de ses engagements conventionnels et permet d’assurer le financement de 2 900 postes de conseillers numériques sur une cible initiale de 4 000.
À moyen terme, l’incertitude est toutefois plus forte. Avec seulement 10 millions d’euros prévus en 2026 et aucune dotation en 2027, il est probable que le réseau soit réduit de manière drastique, passant d'environ 2 900 postes début 2025 à seulement 273 postes fin 2027. Cette trajectoire budgétaire compromet fortement la pérennité du dispositif sans mesures de financement complémentaire, ce qui suscite l’inquiétude de l’ensemble des associations d’élus auditionnées par le rapporteur spécial. Imaginer que les collectivités territoriales prendront le relais du financement des conseillers numériques, est ignoré d’une part le fait que la moitié d’entre eux ont des employeurs relevant du droit privé, et d’autre part que la démarche France Numérique Ensemble conduite dans chaque département sous la responsabilité de l’État, est là pour impliquer tous les territoires et pas uniquement ceux mobilisés jusqu’à présent.
La fluctuation des arbitrages de l’État sur le financement des conseillers numériques, malgré des gains bien identifiés et un consensus au niveau local et central sur l’efficacité du dispositif, conduit le rapporteur spécial à préconiser l’affectation d’une fraction de l’IFER à hauteur de 30 millions d’euros au dispositif afin de stabiliser les moyens dédiés à un niveau raisonnable. Interrogée sur l’opportunité de cette mesure, Madame Clara Chappaz, secrétaire d’État chargée de l’Intelligence artificielle et du Numérique estime que « L’affectation d’une partie du produit de l’IFER à l’ANCT pour financer l’inclusion numérique constituerait une évolution particulièrement opportune ».
Elle permettrait de garantir une source de financement pérenne, indépendante des arbitrages budgétaires annuels, pour une mission de service public de plus en plus stratégique au vu des objectifs annoncés sur la formation des citoyens à l’IA et aux risques cyber notamment. Elle constituerait en outre une mesure d’équité territoriale garantissant le financement de la formation continue et le renouvellement des postes dans les départements les plus touchés par l’illectronisme.
b. L’affectation à l’ANCT est le choix le plus opportun opérationnellement et juridiquement
● L'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) est un établissement public créé en 2019 et placé sous la tutelle des ministres chargés de l’aménagement du territoire. Elle a pour objectif de faciliter les projets portés par les collectivités, en déployant des dispositifs de l’État en faveur de la cohésion territoriale et en facilitant l’accès des petites collectivités à l’ingénierie. Dans ce cadre elle participe notamment au déploiement du programme des conseillers numériques France Services. Elle gère notamment les subventions destinées à cofinancer le recrutement des conseillers par les structures employeurs. L’ANCT réalisant déjà ce « métier », la désigner comme structure bénéficiaire d’une fraction de l’IFER permettrait de valoriser les charges déjà induites pour l’affectation des fonds, et donc d’éviter de créer des charges nouvelles pour la gestion.
L’affectation à l’ANCT ne pose pas de difficultés au regard de la loi organique. La loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) prévoit que les impositions de toutes natures ne peuvent être affectées à un tiers autre que les collectivités territoriales, leurs établissements publics, les organismes de Sécurité sociale, ou les organismes du secteur public de la communication audiovisuelle qu’à trois conditions cumulatives :
– Ce tiers est doté de la personnalité morale ;
– ces impositions sont en lien avec les missions de service public qui lui sont confiées ;
– cette affectation résulte d’une disposition adoptée en loi de finances.
L’ANCT est un établissement public ([23]), et par conséquent dotée de la personnalité morale. L’article L. 1231-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT) dans sa version issue de la loi du 29 décembre 2022 détermine les missions de l’ANCT. Il définit clairement des missions de service public en faveur du développement des usages et de l’accès au numérique :
« L'agence a pour mission d'impulser, d'aider à concevoir et d'accompagner les projets et les initiatives portés par l'État, les collectivités territoriales et leurs groupements, les réseaux d'entreprises et les associations dans le domaine du numérique.
À ce titre, l'agence :
1° Assure la mise en œuvre des programmes nationaux territorialisés visant à assurer la couverture de l'ensemble du territoire national par des réseaux de communications électroniques mobiles et fixes à très haut débit ;
2° Favorise l'accès de l'ensemble de la population aux outils numériques et le développement des usages et des services numériques dans les territoires. » ([24])
L’IFER mobile taxant essentiellement les stations radioélectriques des opérateurs, elle constitue une imposition sur le déploiement du numérique mobile en France. L’IFER mobile présente donc un lien net avec les missions de service public de l’ANCT tendant à assurer la couverture de l’ensemble du territoire national en communications électroniques mobiles et de formation des usagers à l’usage de ces technologies.
● Une possibilité alternative envisagée au cours des auditions serait d’affecter le produit de l’IFER mobile au groupe La Poste. L’affectation s’inscrirait alors dans la perspective d’une intégration renforcée du groupe dans le dispositif des conseillers numériques. La Poste pourrait s’appuyer sur son réseau territorial pour assurer un suivi des conseillers numériques, en collaboration avec le réseau France services, en contrepartie d’une compensation adéquate.
Toutefois, une telle réforme paraît devoir s’inscrire dans une réflexion globale sur les missions de La Poste dans l’inclusion numérique. Si La Poste assure déjà des missions de lutte contre l’exclusion numérique de façon autonome ou dans le cadre de partenariats avec des collectivités territoriales, elle ne réalise pas de mission de service public au niveau national liée au numérique ([25]). La loi postale qui devrait intervenir en 2026-2027 pourrait être l’occasion d’une telle réflexion.
c. Le financement de l’inclusion numérique ne représentera qu’une charge minime pour les opérateurs et les collectivités, largement compensée par les avantages de la réforme
Toute réforme de l’IFER mobile supposera une concertation préalable et approfondie avec les opérateurs et les collectivités. Ceux-ci ont en effet exprimé la crainte respectivement d’un accroissement sensible du poids de l’IFER mobile et d’une réduction de son produit en cas d’affectation. Une telle réforme pourrait cependant éviter ces deux écueils en s’appuyant sur un lissage adapté du produit de l’IFER au regard du faible coût du dispositif par rapport au rendement de l’impôt.
● S’agissant des opérateurs, il résulte clairement des travaux du rapporteur spécial que l’IFER mobile, comme l’IFER fixe, n’ont pas d’effet sur la dynamique d’investissement des opérateurs. Si les IFER mobile et fixe constituent une fiscalité sectorielle au poids significatif pour les opérateurs des télécoms, ceux-ci ont maintenu un niveau important d’investissement depuis 2010. Le montant des investissements réalisés par les opérateurs en 2023 s’élève ainsi à 13,7 milliards d’euros, soit un quasi-doublement en treize ans.
Source : Arcep.
La DGE estime ainsi que les IFER mobile et fixe représentent un facteur secondaire dans les décisions d’investissement des opérateurs, au regard de son coût marginal dans le déploiement de nouveaux sites ou réseaux. C’est essentiellement la concurrence existante sur le marché et les obligations de déploiements qui déterminent les décisions d’investissements. La France est ainsi l’un des leaders européens dans le déploiement de la fibre optique et se place au-dessus de la moyenne européenne dans le déploiement de la 5G ([26]).
S’agissant de l’IFER mobile, ce constat est cohérent avec l’inefficacité établie des dépenses fiscales associées pour stimuler l’investissement dans certaines zones. Le rapport de l’IGF aboutissait à des conclusions similaires en 2021. Le montant de l’IFER mobile ne représentant que 1 % à 2 % du coût d’une nouvelle installation, il apparaissait trop faible pour infléchir sur un choix d’investissement.
● La croissance rapide des IFER mobile et fixe et des investissements des opérateurs, doivent toutefois être comparées à la stagnation des revenus des opérateurs dans la dernière décennie :
– les revenus des opérateurs mobiles sont passés de 19,5 milliards d’euros en 2010 à 15,1 milliards d’euros en 2023, soit une baisse de 22,6 % en treize ans ;
– dans le même temps, les revenus pour les services fixes sont passés de 19 milliards d’euros à 17 milliards d’euros, soit une baisse de 10,5 % sur la période.
Source : Arcep
Par conséquent, si les IFER mobile et fixe n’ont pas d’impact sur les investissements, les marges limitées des opérateurs rendent vraisemblable un report de la taxation sur les consommateurs finaux en cas d’augmentation de l’IFER ([27]). Ce risque doit toutefois être relativisé au regard, d’une part, de la forte baisse des tarifs mobiles depuis dix ans, et d’autre part, de la faible part de l’IFER dans les tarifs des services mobiles et fixes. Ainsi :
– L’IFER mobile représentait, en 2023, 2,2 % des 15,1 milliards d’euros de recettes hors taxes des opérateurs pour les services mobiles. Autrement dit, sur une facture mobile de 20 euros TTC payée par un consommateur, l’IFER pesait 0,44 euro ;
– L’IFER fixe représentait en 2023, 2,1 % des 17 milliards d’euros de recettes hors taxes des opérateurs pour les services fixes. Autrement dit, sur une facture fixe de 40 euros TTC payée par un consommateur, l’IFER pesait 0,84 euro.
La facture moyenne par carte SIM (hors cartes MtoM ou M2M) s’élève à 15 euros HT par mois en France en 2023, soit une baisse de 43,2 % depuis 2010.
Source : Arcep.
Par ailleurs, si l’analyse comparative des prix doit être regardée avec précaution car elle dépend fortement des paniers choisis et de la fiscalité, il apparait que le niveau moyen des tarifs mobiles en France est plus modéré que chez la plupart de ses voisins européens. Le rapport de l’IGF, se fondant sur une étude commandée par la Fédération française des télécoms (FFT), évoque ainsi un prix de 41 euros en Espagne et de 45 euros en moyenne par utilisateur en Allemagne ([28]). D’autres études constatent un prix inférieur à la moyenne européenne en parité de pouvoir d’achat ([29]).
Le rapporteur spécial estime par conséquent qu’une cible à 3,3 % supérieure au lissage sur la période 2026-2035 serait souhaitable. Elle permettrait un financement de l’inclusion numérique à hauteur de 15 millions d’euros par an, sans risque sur l’investissement des opérateurs et pour un coût maximal anticipé sur le consommateur final inférieur à 1 centime par forfait mobile. Le financement de l’inclusion numérique ne requérait alors que 15 millions d’euros supplémentaires, qui pourraient être prélevés sur le produit de l’IFER mobile.
Les gains de la réforme pour les collectivités seraient ainsi largement préservés. La prévisibilité de l’impôt garantirait des ressources stables pour les collectivités, et la légère baisse du lissage serait compensée pour les communes par une redistribution nettement plus équilibrée au profit des territoires ruraux et pour les départements par un financement garanti de l’inclusion numérique.
Recommandation n° 3 : Affecter une fraction de l’IFER mobile à l’ANCT afin de garantir un financement stable de l’inclusion numérique.
3. Une réflexion plus large doit être initiée sur la fiscalité et la réglementation numérique afin de faire peser la charge de l’impôt sur les principaux responsables de la croissance de la consommation de données
Le trafic de données suit une trajectoire exponentielle depuis 2012 qui contraint les opérateurs à des investissements massifs et pèse sur l’empreinte énergétique et environnementale de la France. Dans le cadre de ses collectes d’informations sur l’interconnexion et l’acheminement de données, l’Arcep collecte les données de trafic entrant et sortant du réseau, agrégées pour les réseaux fixe et mobile, auprès des quatre principaux fournisseurs d’accès internet (FAI) en France. Fin 2023, le trafic entrant vers les quatre principaux FAI en France au point d’interconnexion s’élevait à 46,5 Tbit/s fin 2023, marquant une augmentation de 7,6 % en un an. Quant au trafic sortant, il atteignait 4,4 Tbit/s fin 2023, soit une hausse de 14,6 % par rapport à fin 2022.
Évolution du trafic entrant À l’interconnexion vers les principaux FAI en France entre 2012 et 2023 ([30])
Source : Arcep.
L’édition 2024 du Rapport sur l’état de l’internet en France de l’Arcep ([31]) met en exergue le fait que 53 % du trafic internet provient de cinq entreprises : Netflix (15,3 %), Akamai ([32]) (12,3 %), Meta (6,8 %), Google (9,8 %) et Amazon (6,4 %).
Or, ces acteurs ne participent pas à l’entretien et au développement des infrastructures qu’ils utilisent intensivement ([33]). Ils font ainsi office de « passagers clandestins » par rapport à des FAI et à l'État qui investissent des sommes considérables dans le développement et l'entretien des réseaux, tandis que les géants du Web en bénéficient gratuitement. Les grands acteurs du Web ne sont donc pas incités à optimiser ou limiter leur utilisation de la bande passante qui pèse lourdement tant sur l’empreinte carbone de la France que sur la consommation électrique française. Le numérique représente ainsi 4,4 % de l’empreinte carbone de la France en 2022 et 11 % de la consommation électrique, et son potentiel de croissance est exponentiel au vu du développement de l’IA générative. À l’horizon 2050, si rien n’est fait pour réduire l’empreinte environnementale du numérique et que les usages continuent de progresser au rythme actuel, l’empreinte carbone du numérique pourrait tripler par rapport à 2020 ([34]).
Les caractéristiques techniques de la taxation des réseaux impliquent une réflexion au niveau européen ([35]). Cette perspective a toutefois été abandonnée en 2023 par la Commission européenne ([36]), en même temps que la France s’engageait, en tant que membre du Cadre inclusif de l’OCDE visant à instaurer une taxation minimale sur les sociétés, à ne pas instaurer de nouvelles taxes sur les services numériques ou d'autres mesures équivalentes relevant du pilier I.
Les difficultés techniques de la taxation des usages numériques :
un défi qui impose une réflexion au niveau européen
La mise en place d’une taxation de l’utilisation de la bande passante pose deux difficultés techniques.
En premier lieu, le calcul du niveau de bande passante utilisé pour les services des grandes plateformes est techniquement difficile, sauf à porter atteinte de manière significative aux règles de protection des données personnelles actuellement en vigueur.
En second lieu, une taxation est susceptible d’être contournée dans la mesure où elle doit être mise en œuvre au niveau des points d’interconnexion. Une telle localisation de la mesure, optimale techniquement, ne permet en effet pas de capter tout le trafic, les flux peer-to-peer ([37]) par exemple, et est soumise au risque de délocalisation des réseaux de diffusion de contenus (CDN ([38])) en dehors du territoire national. Les caractéristiques techniques des réseaux couplées aux exigences du marché unique rendraient les stratégies de contournement aisées pour les grandes plateformes.
Une réflexion autour de la contribution des grandes plateformes au financement des réseaux doit donc être élaborée au niveau européen pour limiter ces stratégies d’évitement.
Le rapporteur spécial se positionne en faveur d’une reprise des discussions afin d’améliorer la cohérence de la taxation du numérique. Il s’agit d’un impératif tout autant pour créer de nouvelles recettes nécessaires pour permettre la réalisation d’investissements numériques stratégiques que d’une exigence écologique pour maîtriser la croissance exponentielle de la consommation de données.
Plutôt qu’une taxation de la bande passante, à la mise en œuvre technique difficile, un traitement différencié des fournisseurs de contenu à l’échelle européenne sur le modèle du règlement sur les marchés numériques (DMA) pourrait être envisagé. À l’instar des gate keepers ([39]), les fournisseurs de contenu occupant une grande partie de la bande passante seraient désignés par les textes européens en fonction de seuils et seraient amenés à contribuer sur une base déclarative aux financements des infrastructures réseau, notamment dans les zones les moins rentables. Les autorités perceptrices de ces contributions seraient alors dotées de la capacité de contrôler la réalité de ces déclarations.
Recommandation n° 4 : Relancer les négociations au niveau européen en faveur d’une taxation des fournisseurs de contenus sur le modèle du règlement sur les marchés numériques (DMA).
En France et en Europe, le principe de neutralité du net - garanti par la loi pour une République numérique du 7 octobre 2016 ([40]) – et le règlement européen 2015/2120 ([41]), consacre le droit des utilisateurs d’accéder et de diffuser les contenus, applications et services de leurs choix et se traduit ainsi par l’interdiction faite aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI) de discriminer le trafic en fonction du contenu, de l’application ou du service. Le principe de neutralité du net permet ainsi de prévenir la mise en place, par les FAI, de barrières (blocage, bridage du débit) ou d’avantages (priorisation des flux, offre à tarification nulle). En France, depuis 2016, l’Arcep est l’autorité chargée de veiller à la bonne application du règlement européen 2015/2120.
Les exceptions à ce principe ([42]) sont limitées à des nécessités liées à la gestion du trafic en cas de congestion du réseau, de protection de la sécurité du réseau (cybersécurité) et pour l’application d’ordonnances judiciaires. Certains fournisseurs d’accès à Internet peuvent également avoir des accords de peering ([43]) qui offrent un accès privilégié à de grands fournisseurs de contenu, comme Google ou Netflix.
Si les règles issues du règlement de 2015 apparaissent louables dans leur principe, la hiérarchisation des flux ne relève pas d’enjeux uniquement commerciaux. Elle répond au souci légitime des citoyens de préserver les usages critiques du réseau tout en limitant leur empreinte écologique.
La hiérarchisation des flux est en effet un enjeu écologique essentiel. Elle engagerait une responsabilisation des fournisseurs de services quant à leur empreinte environnementale en les incitant à limiter la consommation de données par leurs services. Elle permettrait ainsi d’éviter que l’usage croissant de l’IA et du streaming à haut débit ne conduise à une croissance exponentielle de la consommation de données. La hiérarchisation des flux est également un outil de résilience en cas de pression sur les infrastructures. Elle garantirait une qualité de service minimale pour les applications critiques (visioconférence, services d’urgence) qui nécessitent une faible latence et une bande passante stable, surtout en période de congestion du réseau. En allouant plus de bande passante aux services essentiels, la hiérarchisation des flux permettrait de faire en sorte que les usages moins prioritaires (téléchargement massif, streaming non-urgent) soient ralentis pour décharger le réseau. Actuellement, l’absence de hiérarchisation contraint les opérateurs à maintenir des investissements massifs pour garantir la continuité des services essentiels.
Le rapporteur spécial se positionne par conséquent en faveur d’une révision de la neutralité des opérateurs vis-à-vis des flux de données qui permettrait de hiérarchiser les flux en fonction de leur caractère critique dans un objectif de sobriété énergétique et écologique.
Une hiérarchisation des flux ne doit cependant pas conduire à une monétisation de la priorité d’accès à la bande passante pour certains services ou clients qui remettrait en cause l’égalité d’accès des utilisateurs à internet. Une telle réforme devrait nécessairement être précédée de la réalisation de travaux techniques à l’échelle nationale et européenne pour encadrer les nouvelles exceptions ou les cas dans lesquels la priorisation du trafic est autorisée en précisant quels types de flux et quels fournisseurs pourraient bénéficier d’une priorité ou d’un accès garanti à la bande passante. Il s’agirait ainsi de déterminer, comme critère principal de hiérarchisation dont l’application serait confiée à l’Arcep, la nature du service concerné et non les accords commerciaux ou les différents types d’abonnés.
Cette réforme devrait également s’accompagner de la mise en place de mécanismes de transparence pour informer les utilisateurs et les autorités de la gestion différenciée du trafic ainsi que d’une surveillance accrue des impacts possibles sur la concurrence, l’innovation, la liberté d’expression ainsi que l’accès à l’information des usagers.
Recommandation n° 5 : Expertiser au niveau français la possibilité d’une hiérarchisation des flux de données par les pouvoirs publics en fonction d’objectifs de priorisation des usages essentiels et de sobriété et plaider au niveau européen pour une révision du règlement européen 2015/2120.
Lors de sa réunion du mercredi 18 juin 2025 à 9 heures, la commission des finances, réunie en commission d’évaluation des politiques publiques, a entendu M. Jacques Oberti, rapporteur spécial des crédits des programmes 143 Développement des entreprises et régulations, 343 – Plan France Très Haut Débit et du compte de concours financiers Prêts et avance à des particuliers ou à des organismes privés.
L’enregistrement audiovisuel de cette réunion est disponible sur le site de l’Assemblée nationale. Le compte rendu sera bientôt consultable en ligne.
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LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL
– Association des maires de France (AMF)
M. Joel Balandraud, vice-président
Mme Véronique Picard, chargée de mission numérique
– Agence Nationale de la Cohésion des Territoires (ANCT)
M. Laurent Rojey, directeur général délégué numérique
M. Anouk Arzur, directrice adjointe – Programme France Mobile
– Fédération Française des Télécoms (FFT) *
M. Olivier Riffard, direteur général adjoint
Mme Marie Lhermelin, secrétaire générale adjointe ALTICE SFR
M. Laurentino Lavezzi, directeur des affaires publiques Orange
M. Hervé De Tournadre, directeur des affaires règlementaires Bouygues Telecom
Mme Ombeline Bartin, directrice des affaires publiques d’ILIAD FREE
– Départements de France
Mme Valérie Nouvel, vice-présidente du Département de la Manche
M. Edouard Guillot, conseiller environnement, transition énergétique, agriculture, eau et réseaux
M. Brice Lacourieux, conseiller relations avec le parlement
– Direction générale des finances publiques (DGFIP)
Mme Julie Deschênes, cheffe du bureau de la fiscalité locale des professionnels
M. Damien Lauth, adjoint à la cheffe du bureau de la fiscalité locale des professionnels
Mme Sonia Montassar, cheffe de section au bureau de la fiscalité locale des professionnels
Mme Eve Perennec-Segarra, sous-directrice de la fiscalité locale
– Altitude *
M. Bruno Sablière, directeur des affaires publiques Groupe
M. David Elfassy, vice-président en charge des relations publiques
M. Arnaud Van Troeyen, directeur général d’Altitude Infra
– Direction générale des entreprises (DGE)
M. Antoine Jourdan, sous-directeur des communications électroniques et des postes
M. Martin Cassoux, chargé de projet « réseaux fixes »
M. Sélim Ben Mami, chargé de projets " Couverture mobile et attribution de fréquences"
– Intercommunalités de France
Mme Marlène le Dieu de Ville, vice-présidente, déléguée à l’économie numérique, aux systèmes d’information et à la culture de la communauté de communes de Lacq-Ortez
M. Clément Baylac, conseiller économie et attractivité
Mme Montaine Blonsard, responsable des relations avec le Parlement Intercommunalités de France
– ARCEP
Contributions écrites :
– Régions de France
– Cabinet de Monsieur Marc Ferracci, ministre chargé de l’industrie et de l’énergie
– Cabinet de Madame Clara Chappaz, secrétaire d’état chargée de l’intelligence artificielle et du numérique
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
([1]) Voir l’article 9 du projet de loi de finances initiale pour 2024 pour l’étude d’impact et l’article 81 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 pour le dispositif.
([2]) Article 2 de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010.
([3]) Article 112 de la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011.
([4]) Article 71 de la loi n° 2013-1279 du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013.
([5]) Article 49 de la loi n° 2017-1775 du 28 décembre 2017 de finances rectificative pour 2017.
([6]) L’absence d’imposition des technologies alternatives au cuivre était susceptible d’être assimilée à une aide d’État au sens du droit de la concurrence de l’Union européenne. Une plainte en ce sens avait été déposée auprès de la Commission européenne, plainte qui a été retirée lorsque la loi a élargi le champ de l’IFER.
([7]) Article 1599 quater B du CGI et du II de l’article 1635-0 quinquies du CGI, sous réserve, le cas échéant, de sa majoration ou de sa minoration chaque année conformément aux dispositions respectives du III de l’article 112 de la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 et du I de l’article 81 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 (II-A § 110).
([8]) Ftth (fiber to the home) : ligne de fibre jusqu’au domicile de l’utilisateur final ; THD : ligne très haut débit ; VDSL (very high rate digital subscriber line) : ligne de transmission numérique à très haute vitesse via le réseau cuivre.
([9]) La fermeture technique correspond à l’arrêt de tous les services fournis sur le réseau cuivre. Elle est précédée de la fermeture commerciale qui correspond à l’arrêt de la commercialisation des offres sur le réseau.
([10]) Les opérateurs alternatifs sont les opérateurs qui ne disposent pas de leur propre réseau et souhaitent accéder au réseau de l’opérateur historique pour proposer leurs offres.
([11]) III de l’article 112, loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011.
([12]) Article 81 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024. En application du § 2 du I de l’article 81, le montant du plafond (qui sert également de numérateur au mécanisme de plafonnement) est revalorisé chaque année par application du taux prévisionnel, associé au projet de loi de finances de l'année, d'évolution des prix à la consommation des ménages, hors tabac, pour la même année.
([13]) Le roaming, ou itinérance des données, est une fonctionnalité qui permet d’utiliser les services mobiles à l’étranger grâce à un accord entre opérateurs.
([14]) Le partage d’infrastructures passives est le premier degré de mutualisation possible. Il permet à plusieurs opérateurs mobiles d’installer leurs équipements sur un même support (pylônes, socles…) sans partage des ondes.
([15]) Ces cellules mises en place notamment pour le déploiement de la 5G doivent permettre de mieux couvrir les zones moins denses du territoire, avec une meilleure intégration paysagère, tout en consommant moins d’énergie.
([16]) Le parc actif est défini comme le nombre de clients ayant accédé au cours des trois derniers mois de l’année (en émission ou en réception) à un service mobile de voix ou de transfert de données utilisant une technologie d’accès radio (3G, 4G ou 5G). Ne sont comptabilisés ici que les clients actifs qui disposent donc à la fois d’une offre et d’un terminal compatible. Un client mobile actif sur une technologie radio peut être aussi actif sur d’autres technologies. Par exemple, une carte active sur les réseaux 5G peut également être active sur les réseaux 3G ou 4G.
([17]) Ce graphique ne tient toutefois pas compte des usagers recourant à des cartes SIM étrangères sur le territoire national, hors roaming. Les cartes SIM MtoM ou M2M ne sont également pas intégrées. Elles sont conçues pour des objets connectés et offrent une connectivité fiable via réseaux multi-technologies (2G/3G/4G/5G/NB-IoT/LTE-M).
([18]) Avis n° 2025-02 du 10 avril 2025 sur les conséquences liées à la fermeture des technologies 2G et 3G.
([19]) Voir le communiqué de presse commun des associations d’élus locaux du 10 septembre 2021 « IFER appliquée aux stations radioélectriques : l’ADF, l’AMF, France urbaine, l’ADCF, l’AMRF et l’APVF s’opposent à une nouvelle réduction des ressources locales ».
([20]) Inspection générale des finances, Évaluation de l’IFER appliquée aux stations radioélectriques, annexe III.
([21]) Les travaux d’évaluation du dispositif conduits par l’ANCT montrent que 99 % des personnes bénéficiaires interrogées estiment que le conseiller numérique a répondu à leurs attentes, 93 % ressortent en sachant faire des actions qu’ils ne savaient pas faire avant, et 97 % ont le sentiment d’avoir progressé.
([22]) France Stratégie, « Les bénéfices d’une meilleure autonomie numérique », juillet 2018.
([23]) Article L. 1231-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT).
([24]) V de l’article L. 1231-2 du code général des relations avec les collectivités territoriales.
([25]) Ces missions sont définies par la loi n° 2010-123 du 9 février 2010 relative à l'entreprise publique La Poste.
([26]) Rapport biannuel, Observatoire européen de la 5G, juin 2024.
([27]) Les opérateurs ont procédé à la vente d’une partie des emprises foncières des pylônes afin de retrouver des marges d’investissement. La part des investissements dans le chiffre d’affaires des opérateurs demeure toutefois élevée.
([28]) Inspection générale des finances, Évaluation de l’IFER appliquée aux stations radioélectriques, annexe II 1.3.2.
([29]) Stank, Jolenta (2024), Mobile Broadband Tariffs in Europe: Key Metrics in Q3 2024, Point Topic, 12 novembre 2024.
([30]) Le peering public est une forme d’interconnexion entre plusieurs réseaux internet via une structure publique. Le peering privé consiste en une connexion directe entre deux réseaux, souvent via un lien dédié ou un point d’échange.
([31]) Arcep, L’état d’internet en France, juin 2024.
([32]) Akamai Technologies est une société américaine notamment spécialisée dans la mise à disposition des serveurs de cache pour les entreprises, et donc de services de cloud, de sécurité et de diffusion de contenu.
([33]) Si les plateformes numériques sont assujetties à la taxe sur les services numériques (TSN), instaurée en 2019, cette taxation demeure toutefois largement inférieure au niveau des entreprises traditionnelles, et n'exerce pas d’effet incitatif sur ces acteurs à maîtriser la croissance des flux de données. La Commission européenne estimait ainsi en 2018 qu’au niveau européen, les entreprises du numérique sont en moyenne deux fois moins taxées que les entreprises traditionnelles (Communiqué de presse, 21 mars 2018 Imposition de l'économie numérique : la Commission propose de nouvelles mesures pour garantir que toutes les entreprises paient leur juste part d'impôt dans l'UE).
([34]) Étude ADEME-Arcep sur l’empreinte environnementale du numérique en 2020, 2030 et 2050, avril 2023.
([35]) Avis n° 2015-0832 en date du 7 juillet 2015 portant sur la structure de l’usage de la bande passante des réseaux d’accès à internet sur le territoire français.
([36]) Commission européenne, Rapport de la commission au Parlement européen et au conseil sur la mise en œuvre des dispositions du règlement (UE) 2015/2120 relatives à l’accès à un internet ouvert.
([37]) Le peer-to-peer ou pair-à-pair est un modèle de réseau où chaque appareil connecté agit à la fois comme client et comme serveur, sans passer par un serveur central.
([38]) Content delivery Network.
([39]) Les gatekeepers sont des professionnels de l’information qui sont des intermédiaires de l’espace public. Ils prélèvent dans le flux d’informations et de discours ceux qui retiennent le plus leur attention pour permettre à un communicant de les retransmettre ensuite au public.
([40]) Loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique.
([41]) Règlement (UE) 2015/2120 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 établissant des mesures relatives à l’accès à un internet ouvert.
([42]) Arcep, Baromètre de l’interconnexion de données en France, 4 juillet 2024.
([43]) Accord d’interconnexion entre plusieurs réseaux Internet. Voir peering privé et peering public ci-dessus.