N° 1645

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 juin 2025.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 146 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, dE L’Économie gÉnÉrale
et du contrÔLE BUDGÉTAIRE

sur le soutien public à l’industrie de défense

ET PRÉSENTÉ PAR

M. Émeric Salmon,
rapporteur spécial

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SOMMAIRE

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Pages

SYNTHèSE DES RECOMMANDATIONS

INTRODUCTION

L’INDUSTRIE FRANÇAISE DE DÉFENSE : DES BESOINS importants DE FINANCEMENTS EN RAISON DE FAIBLESSES STRUCTURELLEs

I. Une industrie largement dÉpendante de la commande publique : un lien Étroit avec l’État, indispensable mais source de fragilitÉs

A. La commande PUBLIQUE CONSTITUE LE cœur DU MODÈLE ÉCONOMIQUE DE LA BITD FRANÇAISE

1. L’importance de la commande publique dans le chiffre d’affaires des entreprises de la BITD

2. La commande publique ne constitue cependant pas le seul débouché des entreprises de la BITD, qui ont pour la plupart développé des activités duales

B. l’investissement massif de la loi de programmation militaire : 413 milliards d’euros concentrÉs sur quelques programmes majeurs structurant l’ensemble de la chaîne de valeur

1. La loi de programmation militaire, épine dorsale du soutien public à l’industrie de défense

2. Une contractualisation passée principalement avec les maîtres d’œuvre industriels, qui doivent jouer un rôle de courroie pour l’ensemble de la filière

3. Des montants d’investissement nouveaux à nuancer fortement et dont le décaissement demeure imprécis, obérant l’organisation de la filière

C. LA dÉpendance aux calendriers budgÉtaires publics, facteur de rigiditÉ pour la planification industrielle

1. Une exécution budgétaire des crédits de la mission Défense entravée par le montant colossal des reports de charges

2. Les reports de charges constituent une dette à l’égard des fournisseurs qui fragilise l’ensemble de la filière

II. UN Tissu industriel aux capacitÉs financiÈres limitÉes

A. une chaine de valeur en manque de solvabilitÉ, dont l’accÈs au crÉdit est encore limitÉ

1. Les besoins de la BITD sont insuffisamment couverts par les financements privés, ce qui requiert un soutien financier de l’État, sous forme d’aides, de prêts et d’investissements

2. L’État a tardé à se saisir de son rôle d’incitateur pour les financements privés

3. Des progrès ont été réalisés pour débloquer les financements privés, au niveau national, et semblent enfin avoir trouvé un relai au niveau européen, longtemps réticent à les orienter vers le secteur de la défense

B. la situation de trÉsorerie de la bitd requiert une action spÉcifique de l’État

III. restructurer la bitd pour accroître sa rÉsilience

A. UN Morcellement de la filiÈre qui pourrait être compensÉ par un encouragement à la STRUCTURATION d’entreprises de taille intermédiaire

B. Accélérer la mobilisation de la ressource humaine au service de l’industrie de défense

1. L’enjeu de formation est crucial pour la montée en cadence de la BITD

2. La réserve industrielle de défense, une initiative non encore suivie d’effets

LE SOUTIEN PUBLIC À la bitd : L’État acheteur, l’État investisseur, l’État promoteur des entreprises de dÉfense

I. l’État acheteur de matÉriels militaires : optimiser le levier de la commande publique, encourager l’innovation et donner de la visibilitÉ

A. La direction gÉnÉrale de l’armement, une administration efficace et agile mais entravÉe par la situation budgÉtaire

1. La Direction générale de l’armement a réorganisé ses services pour se rapprocher de ses interlocuteurs industriels et appréhender l’ensemble de la chaîne de valeur

2. L’Agence de l’innovation de défense : orienter la BITD vers les besoins des armées, sans négliger les développements civils, en amont de la commande publique

3. Conséquence d’une situation budgétaire hors de contrôle et d’une prévision insincère, la commande publique n’offre cependant plus la visibilité nécessaire à la BITD

B. RÉformer la commande publique pour en faire un levier efficace de soutien À l’industrie de dÉfense

1. Simplifier les procédures de passation des marchés, y compris au niveau européen

2. Poursuivre l’action menée en faveur des PME au moyen de conventions responsabilisant les donneurs d’ordre

C. le rôle de l’État acheteur souverain ne doit pas Être remis en cause ou affaibli au niveau europÉen

1. Le modèle de la DGA, experte de la BITD, doit être valorisé et gagnerait à se structurer au niveau européen

2. Face aux perspectives de découplage stratégique, il est urgent pour les États européens de garantir la maîtrise de leur utilisation souveraine des matériels militaires

3. Si la commande publique doit rester impérativement une prérogative de souveraineté nationale, il revient à l’Union européenne de lever les entraves au développement de l’industrie de défense

II. L’ÉTAT INVESTISSEUR D’ENTREPRISES DE DÉFENSE : UNE DOCTRINE d’intervention À CLARIFIER, une coordination À renforcer avec ses autres missions

A. EN dÉtenant des participations directes dans les entreprises de dÉfense, L’État poursuit des objectifs diffÉrenciÉs

1. L’Agence des participations de l’État, principal investisseur public dans le secteur de la défense

2. Bpifrance : une action résolue en faveur de la BITD qui doit être renforcée, simplifiée et davantage ouverte aux PME

3. Clarifier les interventions respectives de l’APE et de Bpifrance, et renforcer l’intégration des stratégies de l’État comme investisseur et comme acheteur

B. LES FONDS DE BPIFRANCE POUR LA DÉfense : maximiser l’effet de levier du financement public aux côtÉs d’autres investisseurs

1. Les fonds Definvest et Innovation Défense : des dispositifs à pérenniser, dans une stratégie de restructuration de la filière

2. Bpifrance Défense : concilier patriotisme économique et efficacité industrielle

3. D’autres solutions pour orienter l’épargne privée vers la défense méritent d’être simultanément développées

C. Au-delà des fonds Étatiques, l’essor des financements europÉens constitue une opportunitÉ pour la bitd franÇaise

III. L’État promoteur de la bitd : un soutien financier et non financier, pour accompagner le dÉveloppement dans les territoires et assurer le rayonnement de nos entreprises à l’international

A. ACCOMPAGNER LE DÉVELOPPEMENT DEs entreprises de la dÉfense dans les territoires

1. Entre l’État déconcentré et les collectivités, une articulation des dispositifs et des aides à clarifier

2. L’exemple de la filière aéronautique dans le Sud-Ouest : un écosystème résilient et solidement structuré

B. ASSURER LA COMPÉTITIVITÉ DES ENTREPRISES FRANÇAISES DU SECTEUR DE LA DÉFENSE

1. Les difficultés rencontrées par les industriels ne sont pas spécifiques au secteur de la défense

2. Le crédit impôt recherche constitue un dispositif essentiel pour assurer la compétitivité de la BITD française et doit être maintenu

C. LE SOUTIEN À L’EXPORT, levier de sÉcurisation de la bitd

1. L’exportation constitue pour les entreprises un relai vital durant les périodes creuses de la commande nationale en même temps qu’elle contribue à une baisse des coûts des achats de l’État

2. Des dispositifs de soutien à l’export peu connus des industriels de la BITD

3. Des voies de simplification existent pour fluidifier les procédures à l’export au bénéfice des entreprises de la BITD

Travaux de la commission

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL

 

 

 


   SYNTHèSE DES RECOMMANDATIONS

Recommandation n° 1 : Renforcer la sincérité du budget de la mission Défense en loi de finances initiale afin de revenir à un seuil acceptable de reports de charges, pour ne pas entraver les capacités de la DGA à passer les commandes prévues sur l’ensemble de l’année.

Recommandation n° 2 : Rebâtir un nouveau texte de programmation militaire sans attendre l’horizon de 2030 pour clarifier devant la représentation nationale les marges de manœuvre budgétaire permettant de financer les programmes et donner une visibilité crédible à notre BITD.

Recommandation n° 3 : Promouvoir une nouvelle culture de « finance patriotique » au bénéfice des entreprises de la BITD, à la fois en renforçant la culture financière de leurs dirigeants et en proposant aux directeurs d’agences bancaires une formation portant sur les spécificités de ces entreprises et leurs besoins.

Recommandation n° 4 : Agir sur la trésorerie des entreprises, en permettant le rééchelonnement des PGE pour l’ensemble de la filière, en développant des solutions bancaires de préfinancement du crédit impôt recherche, et en étudiant la mise en place d’une structure temporaire de portage des stocks restant à la charge des entreprises.

Recommandation n° 5 : Encourager la constitution d’ETI et mettre à l’ordre du jour la question de la transmission des entreprises dont les dirigeants sont âgés, en intégrant cet objectif à l’ensemble des dispositifs de soutien en faveur de la BITD.

Recommandation n° 6 : Mettre en œuvre un plan national de promotion des métiers de l’industrie de défense, et soutenir les initiatives de formation menées par les industriels.

Recommandation n° 7 : Clarifier l’opérationnalité de la réserve industrielle de défense, le calendrier de son déploiement et la portée de sa contribution à la BITD en phase de montée en cadence.

Recommandation n° 8 : Engager la révision des règles des marchés publics de la défense afin de favoriser l’émergence de projets innovants, bénéficiant d’un accompagnement spécifique, et veiller à ne pas introduire de nouvelles normes étrangères aux considérations de la performance et d’efficacité des matériels, comme des exigences de décarbonation de la chaîne de valeur.

Recommandation n° 9 : Conditionner l’éligibilité des grands groupes de la BITD aux marchés publics au respect des conventions PEPS en faveur des PME, et mener une évaluation de leurs résultats.

Recommandation n° 10 : Renforcer la coordination des doctrines d’investissement de l’APE, de la Caisse des dépôts et de Bpifrance au service de la reconquête des capacités de production de la BITD et pour déployer un plan de relocalisation des actifs stratégiques.

Recommandation n° 11 : Assurer une meilleure représentation des intérêts de l’État acheteur dans les instances de décision des investissements publics, en associant sur le long terme la DGA au suivi des participations.

Recommandation n° 12 : Accélérer la mise sur le marché du nouveau fonds Bpifrance Défense ouvert aux particuliers, en limitant la commission de gestion pour ne pas obérer les perspectives de rendements.

Recommandation n° 13 : Au-delà du capital-investissement, proposer des produits plus sécurisés au service d’une « finance patriotique », comme le fléchage d’une partie des fonds du livret A vers la défense ou des comptes à terme spécifiques, notamment pour financer les besoins de trésorerie à court terme de la BITD.

Recommandation n° 14 : Réduire drastiquement les charges administratives liées aux autorisations d’installation ou d’extension pour les sites de production de la BITD, en cartographiant les points bloquants et en accompagnant les dirigeants dans les procédures.

Recommandation n° 15 : Exempter du « zéro artificialisation nette » les projets liés à l’industrie de défense en considération de leur objectif majeur d’intérêt national.

Recommandation n° 16 : Recenser les emprises foncières du ministère des Armées disponibles pour accueillir des sites de production de la BITD, par des transferts de propriété ou l’établissement de baux emphytéotiques.

Recommandation n° 17 : Structurer au niveau européen un réseau d’acheteurs publics, refuser la prétention de la Commission européenne à se constituer en plateforme d’achats groupés, et renforcer la présence de la DGA à Bruxelles pour accompagner les entreprises françaises dans l’obtention des nouveaux financements européens.

Recommandation n° 18 : Défendre à Bruxelles une position maximaliste sur le critère de « préférence européenne », au-delà des 65 % de part européenne, et mettre en place un suivi de l’entrée des commandes selon leur provenance.

Recommandation n° 19 : Mieux intégrer les perspectives de succès à l’export dès la phase de conception et de sélection des commandes par la DGA, en instituant des contrats avec formules de prix selon les performances des entreprises à l’international.

Recommandation n° 20 : Renforcer la communication autour de la procédure d’avance remboursable dite « article 90 » pour en faire un élément clé du soutien à l’export et du renforcement de la compétitivité des matériels français, et envisager le réabondement par le budget général du compte de commerce 904 pour soutenir un plus grand nombre de projets.

 

 

 

 


   INTRODUCTION

En choisissant d’orienter son travail du « Printemps de l’évaluation » sur le soutien public à l’industrie de défense, votre rapporteur entendait fournir un état des lieux des initiatives déployées par l’État en faveur de sa base industrielle et technologique de défense (BITD), alors que depuis le déclenchement de la guerre menée par la Russie en Ukraine, en février 2022, et tout spécialement au cours du premier semestre de l’année 2025, les initiatives se multiplient pour tenter de donner une consistance à « l’économie de guerre » appelée de ses vœux par le président de la République.

Le constat dressé par votre rapporteur, au terme d’un cycle d’auditions et de rencontres avec les acteurs de la BITD, administrations et industriels, est d’abord celui du décalage entre les postures, résolues voire martiales, et les difficultés concrètes de mise en œuvre d’une politique de défense à la hauteur des défis technologiques actuels, dans un contexte de dérapage budgétaire aggravé.

Sans se payer de mots, il convient plutôt de partir des besoins exprimés par ceux qui œuvrent au maintien et à l’enrichissement de nos capacités militaires souveraines. Votre rapporteur peut témoigner de l’étroite collaboration et de la compréhension fine qui unissent l’ensemble des entreprises concourant aux marchés de la défense et les administrations, civiles et militaires, chargées d’orienter notre politique industrielle. La priorité doit être de redonner à cet écosystème d’innovation et de production les moyens qui lui ont fait défaut depuis plus d’un quart de siècle, lorsque les gouvernements successifs ont cru sans conséquence pouvoir jouir indéfiniment des « dividendes de la paix ».

Le « soutien public » ne devrait pas être la préoccupation principale de l’industrie de défense. Pour ses activités militaires, l’État est son client exclusif, et un partenaire incontournable pour s’ouvrir à d’autres marchés nationaux. La BITD requiert avant tout des commandes publiques, à un niveau en phase avec les moyens budgétaires alloués par la représentation nationale, passées en toute transparence, selon un calendrier permettant d’actionner en amont la mise en ordre de marche de l’ensemble de la filière, et payées dans les délais définis.

Un soutien de l’État est cependant bienvenu pour permettre au secteur de la défense de jouer à armes égales avec les autres filières industrielles, pour l’accès au crédit ou aux fonds propres, et pour rayonner de façon compétitive à l’échelle européenne et mondiale. Le soutien de l’État se justifie au premier chef par sa capacité de mobilisation de l’ensemble des acteurs, publics et privés, condition de la montée en cadence de notre production. Dans cette perspective, les modalités de ce soutien sont autant financières que non financières, et les recommandations présentées par votre rapporteur visent à optimiser les actions déjà déployées par l’État comme acheteur, comme partenaire financier – investisseur ou bailleur de fonds, – et comme promoteur de sa BITD.

L’industrie de défense est au service de la maîtrise de notre souveraineté, et nos voisins du Vieux Continent commencent à prendre conscience de ce caractère crucial à l’heure où un découplage stratégique au sein même de l’OTAN ne peut plus être exclu. Ce tournant historique n’est pas sans susciter, du côté des institutions européennes, une certaine frénésie, qui se traduit par la multiplication des initiatives en vue de faire émerger une « BITD européenne » résiliente et indépendante. Votre rapporteur invite le Gouvernement à défendre pleinement les positions de la France et un haut niveau d’exigence dans la mise en œuvre d’une « préférence européenne » qui peut seule garantir la pleine maîtrise des armements utilisés par nos partenaires.

L’Union européenne peut et doit lever les obstacles au développement de notre industrie de défense, en commençant par garantir un accès équitable aux financements européens. Elle ne saurait en aucun cas se substituer aux États dans la planification industrielle et dans leurs fonctions de concepteurs et d’acheteurs souverains.

 


   L’INDUSTRIE FRANÇAISE DE DÉFENSE : DES BESOINS importants DE FINANCEMENTS EN RAISON DE FAIBLESSES STRUCTURELLEs

I.   Une industrie largement dÉpendante de la commande publique : un lien Étroit avec l’État, indispensable mais source de fragilitÉs

A.   La commande PUBLIQUE CONSTITUE LE cœur DU MODÈLE ÉCONOMIQUE DE LA BITD FRANÇAISE

1.   L’importance de la commande publique dans le chiffre d’affaires des entreprises de la BITD

De nombreuses études sont venues éclairer, depuis cinq ans, la spécificité de la filière industrielle de la défense. Celle-ci est toutefois confrontée à des évolutions majeures. La rupture des chaînes d’approvisionnement lors de la crise sanitaire de 2020-2021 a mis en exergue l’utilité de continuer à produire sur le territoire national l’ensemble des composantes de la chaîne de valeur, ce qui a conduit la direction générale de l’armement (DGA), en partenariat avec l’agence des participations de l’État (APE) ou Bpifrance, à mener des opérations de relocalisations stratégiques. Le déclenchement de la guerre menée par la Russie en Ukraine, le 24 février 2022, a permis la prise de conscience de l’urgence de retrouver nos capacités de production militaire, que ce soit pour venir en soutien à un pays allié ou dans la perspective d’un affrontement majeur direct. Enfin, le délitement du soutien américain au sein de l’OTAN donne raison au choix fait par la France, depuis les années 1960, de conserver la pleine maîtrise de l’ensemble des matériels et technologies utiles à ses armées. La complétude de la BITD française est un atout majeur, mais représente un défi structurel pour les entreprises qui doivent nécessairement développer d’autres activités pour assurer la viabilité de leur modèle, la commande publique ne pouvant représenter un débouché suffisant.

La BITD française présente donc un paysage fragmenté en de très nombreuses entités (4 500 entreprises, 220 000 emplois directs et indirects), distinctes mais fortement intégrées au sein de grands programmes d’armements dont la conduite stratégique est confiée par la DGA à ses principaux cocontractants, dits « donneurs d’ordres » ou « maîtres d’œuvre industriels » (MOI). Il en résulte une structure fondamentalement duale des activités de la grande majorité des entreprises de la BITD, reposant à la fois sur des technologies civiles et militaires.

Selon une étude de l’Observatoire économique de la défense (OED) et de la direction générale du Trésor (DGT) ([1]) , le portrait-robot d’une entreprise de la BITD est une PME d’environ 50 employés, réalisant 6 à 8 millions de chiffre d’affaires dont moins de 20 % pour le secteur de la défense. Ces entreprises sont le plus souvent moins rentables, plus endettées que la moyenne et insuffisamment capitalisées.

Un état des lieux de l’accès au financement des entreprises de la BITD a été mené à l’issue de la publication de cette étude, lors d’une conférence organisée à Bercy le 20 mars 2025 par le ministère de l’Économie et des finances et par le ministère des Armées. Les obstacles au financement bancaire, sous forme de crédits, sont en passe d’être résorbés : la rentabilité plus faible que dans d’autres secteurs n’empêche pas un niveau d’endettement élevé. En revanche, les limitations d’accès aux fonds propres continuent de compromettre le développement de nombreuses startups, PME et ETI de la défense. Au-delà des obstacles réputationnels, c’est la faible rentabilité de ces entreprises qui peut dissuader les investisseurs privés de répondre à leurs besoins. L’intensification des commandes publiques est donc indispensable pour assurer le développement des entreprises.

2.   La commande publique ne constitue cependant pas le seul débouché des entreprises de la BITD, qui ont pour la plupart développé des activités duales

La dualité renvoie au fait que la grande majorité des cocontractants de la direction générale de l’armement, de même que leurs fournisseurs, développent simultanément des matériels et technologies civils et militaires. La dualité est au cœur de ce modèle économique, dans la mesure où l’application militaire d’une technologie initialement développée pour répondre à un besoin civil peut apparaître dans une seconde phase de sa diffusion. La commande publique s’appuie donc sur la dualité des entreprises de la défense, et il est souvent difficile de tracer une ligne claire au sein de l’activité de recherche et développement (R&D).

Cette polyvalence est également recherchée comme instrument de résilience dans les périodes de contraction des crédits budgétaires : le report d’un programme d’armement, ou le décalage d’une commande, libère alors les moyens et les compétences pour un besoin civil. La montée en cadence soutenue demandée actuellement aux industriels constitue une marche moins élevée pour ceux qui ont pu déplacer une partie de leurs ingénieurs sur des projets civils, elle est en revanche beaucoup plus lente à mettre en place si les recrutements et la formation doivent être intégralement repris. Comme votre rapporteur a pu l’observer sur le terrain, la dualité favorise aussi l’ancrage territorial des entreprises, en évitant de constituer l’industrie de défense en secteur isolé.

La dualité n’est d’ailleurs pas le seul fait des petites entreprises, elle se retrouve aussi chez les principaux donneurs d’ordres, comme l’illustre la composition d’un groupe comme Safran ou Airbus, même si certains, comme KNDS, se consacrent exclusivement à satisfaire des besoins militaires.

Au sein même des activités militaires, si la part de la commande publique nationale est prépondérante, les activités à l’export représentent ainsi, en moyenne, un tiers du chiffre d’affaires.

Le soutien à l’industrie de défense doit donc prendre en compte ce caractère dual. Certains dispositifs, comme le Fonds innovation défense (FID) de Bpifrance, ou l’Agence de l’innovation de défense (AID), ne limitent pas leur soutien aux seuls projets susceptibles de faire l’objet, à court terme, d’une commande des armées.

B.   l’investissement massif de la loi de programmation militaire : 413 milliards d’euros concentrÉs sur quelques programmes majeurs structurant l’ensemble de la chaîne de valeur

1.   La loi de programmation militaire, épine dorsale du soutien public à l’industrie de défense

La loi de programmation militaire (LPM) constitue une spécificité française à laquelle l’industrie de défense est particulièrement attachée, car elle fournit une visibilité pour le volume et le montant des commandes passées par les armées. Destinée à quantifier l’effort financier de la politique militaire sur une période de sept ans, elle suppose cependant une transposition chaque année dans les lois de finances initiales. Son caractère incitatif est réel, mais sa portée est limitée si les marges de manœuvre ne sont pas dégagées chaque année pour en respecter la trajectoire.

La LPM 2024-2030, votée au printemps 2023, intègre heureusement la nouvelle donne des investissements dans le contexte de retour de la guerre sur le continent européen. Elle prévoit de porter les autorisations d’engagement à 413,3 milliards d’euros, soit 118 milliards d’euros supplémentaires par rapport à la précédente programmation (2019-2025). Cela représente une croissance des dépenses de défense françaises sur la période 2024-2030 de 3,2 milliards d’euros courants en moyenne chaque année.

La part des crédits consacrés aux équipements, qui se traduit directement par des commandes à la BITD, représente les deux tiers de l’effort total (268 milliards d’euros). Les programmes majeurs seraient financés à hauteur de 100 milliards d’euros, le maintien en condition opérationnelle (MCO) à 49 milliards d’euros, et 20 milliards pour les autres opérations d’armement et les études amont. Ces deux derniers postes bénéficient d’une moindre précision dans le détail des dépenses et la filière redoute que des surcoûts sur les principaux programmes ne viennent limiter l’enveloppe allouée.

L’évolution de la répartition des crédits au sein de la mission Défense, qui devrait bénéficier à l’horizon 2030 d’un budget de 67 milliards d’euros, illustre la priorité donnée au programme 146 Équipement des forces, piloté par la direction générale de l’armement (passant de 30 à 40 % des crédits), alors que la part des crédits du programme 212 Soutien de la politique de défense, qui portent les dépenses de personnel, diminue (de 43 à 24 % des crédits), comme l’illustrent les graphiques ci-dessous.

 

 

2.   Une contractualisation passée principalement avec les maîtres d’œuvre industriels, qui doivent jouer un rôle de courroie pour l’ensemble de la filière

La maîtrise d’œuvre des programmes prévus par la loi de programmation militaire est confiée, par la direction générale de l’armement, aux principaux groupes industriels de la BITD, qui en constituent les chefs de file. Ces contractants de l’État sont eux-mêmes engagés dans d’autres contrats avec des PME et ETI, qui ont un rôle de fournisseurs ou de maîtrise d’ouvrage sur une partie des programmes. Ces grands groupes sont également bénéficiaires de la plupart des contrats de maintien en condition opérationnelle (MCO), le « service après-vente » des armées. Cette dépendance de la BITD à l’égard des maîtres d’œuvre industriels (MOI) n’est pas perçue comme excessive, dans la mesure où ceux-ci remplissent un rôle d’organisation de la filière et de transmission des commandes publiques, en assumant directement les phases amont et les règles de passation de marchés complexes. La maîtrise des différents procédés industriels leur permet de disposer d’une expertise d’ensemble et de proposer des produits directement opérationnels pour les armées.

Toutefois, la visibilité de long terme de la LPM bénéficie de ce fait avant tout aux grands groupes, sur lesquels reposent l’organisation d’un dialogue fluide et équilibré entre donneurs d’ordres et sous-traitants.

En outre, les crédits disponibles sont d’abord affectés à la poursuite des programmes structurants, ainsi qu’à la couverture de leurs surcoûts éventuels, ce qui peut conduire à reporter, parfois de manière récurrente selon les besoins d’ajustement en gestion, le lancement des moyens et petits programmes auxquels les PME de la BITD sont susceptibles d’être directement intéressées. Il est donc essentiel que la programmation militaire puisse donner une visibilité de moyen et long terme pour l’ensemble des programmes, au profit de la plus grande partie de la BITD.

Dans certains cas, la fonction de courroie que la DGA fait implicitement reposer sur les maîtres d’œuvre industriels, en leur confiant la réalisation de programmes complexes, peut se traduire par un système délétère dans lequel le risque est transféré des grands groupes vers les sous-traitants et fournisseurs. Un tel fonctionnement génère des surcoûts avec la multiplication à tous les échelons des provisions pour risques, qui se répercutent in fine sur le prix final des programmes d’armement.

La responsabilité du bon fonctionnement de la BITD repose donc sur l’acheteur public, et la DGA a déjà mis en œuvre des procédures sur l’ensemble de la chaîne de valeur pour diffuser des pratiques commerciales vertueuses. Votre rapporteur suggère que la DGA étudie plus systématiquement la possibilité de fragmenter certains programmes pour contracter directement, lorsque cela est possible, avec des PME et ETI, quitte à les accompagner dans la complexité des procédures liées à la commande publique et à la gestion dans la durée d’un programme (ou d’un sous-programme) d’armement. De même, la mise en relation entre les grands groupes et de potentiels fournisseurs et sous-traitants (PME, ETI) peut se faire à l’initiative de l’acheteur public. L’ouverture de la BITD, même si elle requiert des qualifications spécifiques, s’inscrit ainsi dans une politique de soutien à la réindustrialisation, en incitant certaines entreprises à développer des activités militaires ou à penser l’utilisation de leurs produits civils pour les besoins des armées.

 

Les maîtres d’œuvre des principaux programmes inscrits dans la LPM 2024-2030

 

Armée de Terre

1 216 Serval (Arquus, Nexter, Thalès)

862 Griffon (Arquus, Nexter, Thalès)

178 Jaguar (Arquus, Nexter, Thalès)

20 Hélicoptères NH90 TTH (Airbus Helicopters)

180 véhicules blindés d’aide à l’engagement (VBAE) (Arquus)

 

Armée de l’Air et de l’Espace

37 Rafale Air (Dassault, Safran, Thalès)

12 Mirage 2000 rénovés (Dassault, Thalès)

1 démonstrateur SCAF/ NGF (Dassault, Airbus, Indra)

Plus de 13 A400M (Airbus)

 

Marine nationale

4 Sous-marins SNA Barracuda (Naval Group, TechnicAtome)

1 modèle de porte-avions de nouvelle génération (Naval Group, TechnicAtome, Chantiers de l’Atlantique)

Rénovation du porte-avions Charles-de-Gaulle (Naval Group)

8 AVISMAR Albatros (Airbus, Thalès)

 

Capacités interarmées

20 Guépard HIP (Airbus Helicopters)

5 915 unités du programme CONTACT (Thalès)

2 satellites Syracuse IV (Thalès, Airbus)

3.   Des montants d’investissement nouveaux à nuancer fortement et dont le décaissement demeure imprécis, obérant l’organisation de la filière

Si la loi de programmation militaire prévoit des programmes ambitieux, la filière dans son ensemble doute de plus en plus ouvertement de la capacité de l’État de les conduire à leur plein achèvement dans les délais annoncés, au regard des capacités budgétaires fortement contraintes. En outre, la LPM 2024-2030 est jugée moins précise que les précédentes, qui formalisaient davantage de jalons intermédiaires.

Dans son rapport sur la première année de l’exécution de la loi de programmation militaire ([2]), le sénateur Dominique de Legge relevait récemment l’insuffisance des montants budgétisés pour couvrir les programmes annoncés. En effet, la somme de 413,3 milliards d’euros annoncée par la LPM doit s’entendre en euros courants, l’inflation érodant de 30 milliards d’euros les crédits prévus. En outre, la hausse de l’effort de défense de 2,06 % à 2,3 % du PIB en 2030 s’inscrit dans un contexte d’affaissement des perspectives de croissance du produit intérieur brut. Surtout, 13 milliards d’euros constituent des « recettes extrabudgétaires » (recettes export, attributions de produit du service de santé des Armées…), dont la perception est par nature très incertaine et ne devrait donc pas permettre de financer des dépenses équivalentes, ces recettes ne pouvant être prises en considération qu’à l’aune de surcoûts éventuels. Ainsi, le montant annoncé en LPM relève de l’affichage et son évaluation est constitutive d’une insincérité manifeste, à rebours de la visibilité prétendument donnée à la filière.

Cette insuffisance des moyens budgétaires au regard des ambitions affichées est une source d’insatisfaction pour les acteurs de la BITD, qui constatent le retard ou l’étalement de certains programmes (comme le programme Scorpion de modernisation de l’armée de terre ou la rénovation des chars Leclerc). En tout état de cause, les à-coups dans la conduite des programmes (« stop and go »), dictés par la rétraction des marges de manœuvre budgétaire, ont un impact préjudiciable pour la mobilisation et le maintien en compétence des industriels, pour lesquels la préparation peut intervenir plusieurs mois ou années avant le lancement effectif d’un programme. En conséquence, l’ensemble de la chaîne de sous-traitance s’inquiète de la paralysie des commandes, alors que les entreprises ont fondé sur les anticipations de la LPM des investissements, acheté des machines et recrutés des salariés en vue de commandes qui ne seront pas passées. Les conséquences du manque de rigueur voire de l’insincérité dans l’évaluation des ressources disponibles pour financer la programmation militaire de la France font au total peser un risque majeur, social et industriel, sur une activité pourtant au cœur de notre souveraineté.

Le rôle structurant de la LPM se trouve dès lors remis en cause. Un ajustement de la trajectoire budgétaire, soit en dégageant des capacités budgétaires supplémentaires, soit en actant la priorisation de certains programmes, est attendue par une partie de la filière pour clarifier les attentes de l’État acheteur au regard des moyens dont il dispose d’une année sur l’autre.

C.   LA dÉpendance aux calendriers budgÉtaires publics, facteur de rigiditÉ pour la planification industrielle

1.   Une exécution budgétaire des crédits de la mission Défense entravée par le montant colossal des reports de charges

Votre rapporteur s’est inquiété, dans son commentaire sur l’exécution budgétaire 2024 des programmes 178 et 212 de la mission Défense, des marges de manœuvre de plus en plus faibles laissées aux gestionnaires pour affecter les crédits votés aux programmes du ministère. Celle-ci se caractérise en effet par le montant des reports de charges, de l’ordre de 8 milliards d’euros au début de l’année 2025, soit près du quart des crédits de la mission, hors masse salariale. Les charges de 2023 reportées sur l’année 2024 s’établissaient à environ 6 milliards d’euros, ce qui correspond à une hausse de 30 % en un an, et à un doublement en trois ans.

Il est important de noter que ces charges non payées correspondent, en partie aux surcoûts, liés aux opérations extérieures (OPEX), dont la sous-budgétisation est systématique (700 millions d’euros prévus en 2025 alors que l’exécution a toujours été supérieure à un milliard d’euros). Ce manque de rigueur dans la prévision des dépenses aboutit à une gestion sous tension des programmes reportables, et désorganise profondément la politique d’achat du ministère : l’urgence de trouver des montants considérables en fin de gestion conduit à limiter la disponibilité des crédits, via des mesures de gel puis d’annulation, allant à l’encontre de l’ambition capacitaire de la LPM.

Tout indique que ce fonctionnement délétère est appelé à se poursuivre si des crédits supplémentaires ne sont pas dégagés pour payer les fournisseurs des armées. En effet, ces sommes correspondent à un report du décaissement de crédits qui auraient dû donner lieu à un paiement l’année de leur exécution, faute d’un stock suffisant de crédits disponibles. Le mécanisme des reports de charges, s’il est habituel, atteint aujourd’hui un niveau alarmant, qui aboutit à un décalage du lancement de nouvelles commandes prévues au titre de l’année, et réduit d’emblée la marge de manœuvre du gestionnaire pour le restant de l’exercice. De fait, l’émergence de priorités nouvelles – légitimes dans un domaine aux évolutions technologiques soudaines – ne peut que conduire à l’éviction d’autres programmes. La diminution des reports de charges était pourtant déjà présentée comme essentielle à la « sincérisation » de la précédente loi de programmation militaire, couvrant les exercices 2019 à 2025. La progression incontrôlée de ces reports illustre bien l’atteinte d’un point de non-retour qui démontre a posteriori le caractère insoutenable des engagements de la LPM 2024-2030, qui repose sur une illusion de capacités d’achats qui ne pourront pas être mobilisées.

La montée en cadence des commandes ne saurait rigoureusement s’inscrire dans un cadre budgétaire pareillement dégradé, en dépit des annonces politiques. La reconstitution de marges de manœuvre budgétaire est donc le préalable au déploiement d’un soutien public efficace pour l’industrie de défense, passant d’abord par la commande, et non par le financement de dispositifs palliatifs.

2.   Les reports de charges constituent une dette à l’égard des fournisseurs qui fragilise l’ensemble de la filière

Le mécanisme des reports de charges, s’il ne constitue pas en lui-même une anomalie dans la conduite de programmes longs et complexes, revient, par sa récurrence et les montants en cause, à faire financer par les maîtres d’œuvre industriels des dépenses que l’État ne peut assumer du fait de l’étroitesse de ses marges budgétaires. Pour les gestionnaires de crédits, le poids de ces charges, qui doivent être payées avant toute autre dépense au début de l’année suivante, limite leur capacité à lancer dans les délais prévus les nouvelles commandes. Le premier trimestre est donc une période de latence pour la BITD, dans l’attente de la formalisation des commandes annoncées. En 2025, du fait du vote tardif du budget, cette situation atone s’est étendue sur l’ensemble du premier semestre, générant des inquiétudes de la part des industriels. Surtout, la consommation dès le début de l’exercice de crédits de paiement au titre des reports de l’année précédente conduit à une attrition précoce des crédits disponibles en fin d’année : l’intégralité des crédits de paiement se trouve consommée de plus en plus tôt en fin d’année, dès le mois d’octobre. Les reports de charges sont ainsi un phénomène auto-entretenu, qui alimente les surcoûts des programmes complexes du fait des intérêts moratoires prévus par les contrats passés avec la BITD, de l’ordre de 8 à 11 %.

Il est vrai que les industriels sont habitués à ces rythmes de paiement, et peuvent eux-mêmes établir avec leurs partenaires financiers des contrats de prêts ou d’affacturage à des taux d’intérêt inférieurs aux indemnités moratoires dues par l’État. Pour autant, les groupements industriels ont fait valoir à votre rapporteur que les sous-traitants ne bénéficient pas toujours des indemnités versées par l’État à ses contractants directs. La responsabilité de la gestion de l’ensemble d’un programme impose pourtant un partage équitable des gains et des risques au sein de l’ensemble de la chaîne de valeur, et il serait opportun que la direction générale de l’armement, en lien avec la médiation des entreprises, prête une plus grande attention aux conséquences de ses reports de charges sur le décalage des délais de paiement en bout de chaîne. En effet, si les plus grands groupes peuvent disposer de la trésorerie de court terme nécessaire pour supporter ces périodes creuses de quelques mois, les PME et ETI n’ont pas la même capacité financière et peuvent être affaiblies durablement.

De ce fait, la pluriannualité promue par la loi de programmation militaire, cadre indispensable à la mobilisation et à la projection à moyen et long terme de la BITD, est rendue en large partie inopérante du fait des contraintes pesant en gestion et du manque de sincérité de certaines prévisions. Faute de pouvoir dégager des ressources supplémentaires, une clarification des objectifs prioritaires et un rééchelonnement transparent des autres programmes est indispensable. Au regard de ces éléments d’analyse budgétaire, votre rapporteur considère qu’il est indispensable de rebâtir un nouveau texte de programmation sans attendre le terme de la LPM ou même 2027 : non financée, irréaliste dans ses jalons capacitaires, d’ailleurs imprécis, la LPM ne pourra pas continuer à faire l’objet de « réagencements » dans l’opacité de bureaux ministériels alors que sa mise en œuvre éloigne définitivement les engagements pris devant la représentation nationale.

II.   UN Tissu industriel aux capacitÉs financiÈres limitÉes

A.   une chaine de valeur en manque de solvabilitÉ, dont l’accÈs au crÉdit est encore limitÉ

1.   Les besoins de la BITD sont insuffisamment couverts par les financements privés, ce qui requiert un soutien financier de l’État, sous forme d’aides, de prêts et d’investissements

Le soutien public à l’industrie de défense doit relever un premier défi : celui de mieux financer les entreprises de la BITD, par l’augmentation de leurs fonds propres aussi bien que par un accès plus fluide à l’endettement bancaire. Selon la direction générale de l’armement, les objectifs capacitaires posés par la loi de programmation militaire requièrent que les entreprises de la BITD mobilisent entre 5 et 7 milliards d’euros de financements nouveaux, dont 1 à 3 milliards d’euros de fonds propres, dans les cinq prochaines années. Ces financements couvriront d’abord les besoins en fonds de roulement (BFR) qui sont utilisés notamment pour anticiper les commandes, en amont de la passation des contrats. À l’échelle du capital-investissement, la difficulté n’est pas de réunir de tels montants, mais de convaincre les investisseurs de l’importance de soutenir la défense.

Plusieurs raisons expliquent la réticence des financeurs privés (banques, assurances, fonds d’investissement) à s’engager pleinement auprès de la BITD. Le ratio d’endettement élevé de ces entreprises au regard des marges qu’elles dégagent, sur des cycles d’exploitation très longs, peut d’abord décourager les financeurs qui attendent un retour sur investissement à court ou moyen terme. En ce sens, l’État acheteur, par la fiabilisation des commandes, a un rôle à jouer en rendant les entreprises de la défense plus rentables, ce qui suscitera de nouvelles possibilités de financement. D’autre part, l’exposition à l’export dans des pays jugés « risqués » ou « peu fiables » pour les entreprises de la BITD peut être une cause de frilosité des banques à soutenir ce développement pourtant indispensables à leur consolidation, afin de ne pas dépendre exclusivement des commandes nationales. Une meilleure connaissance de la part des banques de la diversité des dispositifs de soutien et de sécurisation à l’export, pilotés par l’État, devrait pourtant suffire à rassurer les financeurs. De la même façon, concernant le besoin de fonds propres, des considérations économiques peuvent pousser les investisseurs à regarder le secteur de la défense comme des participations moins liquides en cas de revente. En effet, ces actifs stratégiques ressortissent à la procédure de contrôle des investissements étrangers en France (IEF), qui soumet à l’agrément du ministre de l’Économie la vente à un investisseur étranger de titres détenus dans certaines entreprises de la BITD. Sur 4 500 entreprises, la direction générale de l’armement en a catégorisé plus d’un millier comme « stratégiques » ou « sensibles ». Dans cette logique, des efforts de sensibilisation et d’accompagnement doivent être ciblés pour aider les investisseurs à appréhender ces spécificités du secteur.

Des enjeux réputationnels sont cependant plus généralement mis en avant : les banques, et surtout les fonds d’investissements qui doivent rendre un compte rigoureux de l’utilisation des sommes qui leur sont confiées en gestion, ont postulé, à tort, l’incompatibilité entre le secteur de la défense et le respect de règles qualitatives, comme les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). À ce titre, il convient de rappeler avec vigueur que la sécurité est la condition de la durabilité et de la soutenabilité. En outre, l’utilisation courante de catégories sans consistance juridique, comme celle « d’armes controversées », doit, selon votre rapporteur, être proscrite des processus de sélection des investissements. Ce vocable, prépondérant dans les politiques sectorielles des banques et des fonds, n’est susceptible de recevoir aucune définition rigoureuse : les armes interdites par les traités internationaux ne relèvent pas de la production de la BITD française, qui n’a donc pas à subir des soupçons sans fondement, ni à se justifier d’une activité parfaitement légale et constamment justifiée par le contexte géopolitique. Votre rapporteur a pu constater l’étendue de cette stigmatisation, plusieurs cas lui ayant été rapportés de startups ou PME pour lesquelles des banques avaient fermé le compte lorsque leurs activités ont commencé à avoir des prolongements dans le domaine de la défense.

Lorsque cela est possible, et pour ne pas accroître leurs ratios d’endettement, les entreprises de la défense doivent considérer l’ouverture de leur capital via l’émission d’actions ou d’obligations, le recours à des fonds de dette privée ou même leur introduction en bourse. Le renforcement de la culture financière des dirigeants d’entreprises souvent familiales doit passer par un accompagnement spécifique de l’État acheteur et de Bpifrance dans ces opérations.

2.   L’État a tardé à se saisir de son rôle d’incitateur pour les financements privés

L’État est en mesure d’apporter une réponse décisive à ces difficultés récurrentes de l’industrie de défense, en prenant pleinement conscience de sa capacité à agir comme un levier pour les capitaux privés. Ainsi, à la fin de l’année 2024, la Caisse des dépôts et consignations a fait évoluer, avec retard, sa doctrine d’investissement, pour y faire figurer la possibilité d’investir dans des projets de défense pour toutes ses directions et filiales.

Cet effet de levier garantit de plus un engagement limité des fonds publics, en faisant reposer l’essentiel de l’effort d’investissement sur des fonds privés qui se trouvent incités à s’engager aux côtés de l’État. Cette marque de confiance de l’État envers ses fournisseurs et sous-traitants agit comme un signal pour un secteur dont les perspectives de croissance ont été rigoureusement évaluées et dont le cadre de production est étroitement régulé. La présence d’un investisseur public, même minoritaire, constitue un gage précieux de bonne gouvernance. Selon les estimations de la direction générale du Trésor, communiquées à votre rapporteur, l’effet d’entraînement peut être mesuré par le montant des capitaux privés co-investis dans la défense aux côtés de fonds publics : en 2024, il est estimé à 2,2 fois le montant investi par les fonds souverains. Cet effet d’entraînement se traduit par la hausse du nombre d’investisseurs institutionnels (banques et assurances) actifs dans le domaine de la défense, qui s’établit à 27 en 2024, soit 11 de plus qu’en 2022.

3.   Des progrès ont été réalisés pour débloquer les financements privés, au niveau national, et semblent enfin avoir trouvé un relai au niveau européen, longtemps réticent à les orienter vers le secteur de la défense

La conférence sur le financement de la BITD, qui s’est tenue à Bercy le 20 mars 2025, constitue un jalon important dans la détermination à résoudre les difficultés d’accès au crédit et aux capitaux qui persistent pour ces entreprises. Des engagements forts ont été exprimés, tant par le Gouvernement que par les représentants des financeurs (Fédération bancaire française, France Invest), pour sortir de l’ambiguïté, en ce qui concerne la mise en œuvre des critères ESG ou l’usage du vocable « d’armes controversées ».

Votre rapporteur appelle à veiller, à présent, à diffuser à tous les échelons du maillage de la banque-assurance et du capital-investissement, cette nouvelle culture de « finance patriotique ». Au niveau local, des difficultés de financement continuent d’être remontées par les entreprises, reflétant l’ancrage d’une approche hostile au secteur de la défense depuis plusieurs décennies. Des rencontres régulières entre industriels et responsables du financement des entreprises pourraient être organisées, par exemple lors de salons réguliers, par la direction générale de l’armement au niveau régional. Des formations aux enjeux de la BITD pourraient être proposées à ces acteurs financiers par Bpifrance, qui dispose d’un solide maillage territorial, en lien avec l’Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN), pour contribuer à instaurer un climat de confiance et une volonté partenariale.

Dans cet objectif, il sera nécessaire de suivre de près le fonctionnement et les résultats du « dialogue de place », institué à l’issue de la conférence de mars 2025, présidé par deux figures expérimentées : M. Hervé Guillou, ancien président-directeur général de Naval Group, et M. Philippe Brassac, directeur général du Crédit agricole. Le suivi interministériel devrait permettre de débloquer les dossiers en carence de financement, le secrétariat de cette instance étant assuré conjointement par la direction générale du Trésor (ministère de l’Économie et des finances) et par la direction de l’industrie de défense (DGA, ministère des Armées). Votre rapporteur se félicite de ce changement de discours, mais il convient de maintenir une forme de vigilante attention sur le secteur dans la durée. Au-delà des premières annonces, il serait ainsi souhaitable d’assurer une communication à échéance régulière (tous les six mois) et que des conventions soient établies entre les parties prenantes (réseaux bancaires en région et groupements industriels) pour diffuser les bonnes pratiques et assurer un traitement équitable des dossiers. À cet égard, le rôle des « référents BITD » au sein des banques ne peut être effectif que s’ils sont correctement identifiés par les entreprises et que leur saisine est aisée, suivie d’un traitement du dossier dans les plus brefs délais.

En ce qui concerne les fonds propres, la DGA a lancé, à la fin du mois de mai 2025, un « club d’investisseurs » pour faire connaître les besoins et les potentialités de recours des entreprises de la BITD à des fonds. La finalité ne se limite pas à une opération de promotion, mais doit aussi fonctionner comme une instance d’évaluation des intentions des investisseurs, qui doivent présenter des garanties de gouvernance et des perspectives de long terme pour constituer des partenaires propres à soutenir la montée en cadence de la production réclamée aux entreprises. Il s’agit pour la DGA de réaliser un travail préalable de filtrage des fonds pour répondre aux besoins spécifiques de chaque entreprise et rassurer ses dirigeants sur les conditions de l’ouverture de leur capital.

Votre rapporteur ne peut que se réjouir que cette prise de conscience se trouve relayée au niveau européen. Cependant, les leviers pour agir concrètement à l’échelon des financeurs se trouvent d’abord au niveau des États, qui ont une connaissance plus fine des besoins de leur BITD, en tant qu’acheteurs – qualité que la Commission européenne ne possède pas, et qu’elle ne paraît pas propre à exercer. En revanche, les financements européens pourraient être rendus plus accessibles au secteur de la défense, les critères ESG ayant été appliqués avec une plus grande rigueur dans la doctrine de la Banque européenne d’investissement (BEI) et de sa filiale le Fonds européen d’investissement (FEI). Ces financements destinés à soutenir l’industrie européenne ne sont pas encore complètement ouverts aux industries de défense, malgré la volonté affichée. De plus, le risque existe que cette ouverture se fasse sans critères suffisants de part européenne dans la conception et la réalisation des programmes financés.

B.   la situation de trÉsorerie de la bitd requiert une action spÉcifique de l’État

La trésorerie des entreprises de la BITD, déjà fragile avant 2020, a pu traverser la crise sanitaire grâce au recours massif aux prêts garantis par l’État (PGE). Une amélioration de la trésorerie doit être notée, par rapport à la récente étude de la direction générale du Trésor qui porte sur la période 2016-2021. Ainsi, la marge opérationnelle moyenne des PME de la BITD s’établit à 7,8 % en 2024, en progression de 0,9 point par rapport à 2021. La capacité d’autofinancement, qui correspond à la trésorerie potentielle générée par l’activité après impôts et charges, est de 11,4 %, en hausse de 3,2 points. Cette capacité permet à l’entreprise de réinvestir, de rembourser ses crédits, et de dégager éventuellement un bénéfice.

La structure générale n’en reste pas moins fragile. Elle se trouve de surcroît mise en tension par l’exigence de montée en cadence qui pèse sur la filière, mais qui ne se traduit pas, à ce jour, par des engagements d’achats fermes de la part de l’État. Dans ces conditions, les annonces contradictoires suscitent un désarroi certain dans la filière. Le président de la République avait ainsi annoncé, en avril, une « révision à la hausse » de la loi de programmation militaire, avant que son Premier ministre ne se contente de réitérer son engagement à la respecter – ce qui constitue déjà un effort difficilement atteignable. Ces expressions contradictoires emportent des conséquences dommageables sur la crédibilité de la parole publique, dont il faudrait au contraire ménager la force de direction en ne faisant part d’évolutions que lorsque celles-ci ont fait l’objet d’un arbitrage sérieux.

Les entreprises de la BITD sont incitées, par ces annonces, à constituer dès à présent des stocks en vue de pouvoir répondre aux prochaines commandes. L’article 49 de la loi de programmation militaire va également dans ce sens, mais sans garantie que ces stocks soient à terme achetés par l’État. Cette pression sur les stocks entraîne une consommation supplémentaire de trésorerie, tandis que leur conservation génère un coût non répercutable pour les entreprises.

Dans ce contexte, une approche sectorielle de la situation de trésorerie des PME de la BITD doit être envisagée pour leur permettre de dégager un besoin en fonds de roulement dans l’attente de nouvelles commandes. Dans la continuité du dialogue de place, une incitation forte de l’État auprès des banques serait souhaitable pour permettre aux entreprises de la défense, qui font face à des difficultés de trésorerie et qui sont dans l’attente de commandes, de rééchelonner le remboursement des PGE. Ce rééchelonnement leur permettrait de solliciter d’autres financements, nécessaires à la montée en cadence et à la reconstitution de stocks.

De manière complémentaire, de nombreuses PME déplorent l’absence de dispositif de préfinancement ou de garantie en cas de non-rachat du stock qui constituerait un cadre plus protecteur. Une structure de portage des stocks pourrait être mise en place, au niveau des maîtres d’œuvre industriels, qui disposent d’une capacité financière plus étendue, afin de permettre au reste de la chaîne de dégager de la trésorerie. Cette structure bénéficierait d’une garantie de l’État, ou serait en partie financée par la Caisse des dépôts et consignations (CDC), dont les qualités d’investisseur patient seraient compatibles avec une telle structure.

Au-delà de ces mesures transitoires, qui permettront à la BITD de satisfaire les attentes de production nationale, alors que des débouchés européens plus nombreux s’ouvrent aussi à l’export, le premier soutien de l’État passe par une restauration de sa qualité d’acheteur fiable, prévisible et de long terme, qui seule peut inciter les industriels à anticiper les programmes inscrits en LPM. Cette crédibilité de l’acheteur public est impérative pour assurer la coordination des financements privés. Les commandes doivent être fermes et sans révision en cours d’année, afin que les banques et les fonds ne doutent pas des perspectives d’activité et de rentabilité des PME.

III.   restructurer la bitd pour accroître sa rÉsilience

A.   UN Morcellement de la filiÈre qui pourrait être compensÉ par un encouragement à la STRUCTURATION d’entreprises de taille intermédiaire

L’organisation de la base industrielle et technologique de défense française reflète la structure des principaux programmes militaires, conduits par la direction générale de l’armement avec un petit nombre de maîtres d’œuvre chargés d’animer une filière. Cette organisation se révèle efficace dans la conduite de projets, mais entretient une forme de dépendance qui peut être frein pour l’innovation et la compétitivité à l’export.

La BITD française est structurée autour de neuf grands groupes industriels (Airbus Defense and Space, Ariane Group, Arquus, Dassault, Nexter, MBDA, Naval Group, Safran, Thales), pour des chiffres d’affaires compris entre 500 millions d’euros et 25 milliards d’euros. Parmi les 4 500 entreprises qui la composent, la très grande majorité sont des PME, dont la situation présente des disparités marquées. D’un côté, les startups et PME les plus innovantes, très fortement duales, parviennent à lever des fonds et bénéficient de nombreux dispositifs de soutien. De l’autre côté, les PME de taille moyenne n’ont pas toujours les moyens ou la volonté de croître. Dans ces entreprises, les questions de transmission sont progressivement mises à l’ordre du jour, alors que les patrons sont en moyenne plus âgés que dans d’autres filières et que leur capital est moins ouvert.

Le soutien public à la BITD ne peut éluder la question de la restructuration de la filière pour accroître son efficacité. Si ce morcellement ne représente pas un obstacle pour la commande publique, qui a une connaissance très fine des acteurs industriels à travers la direction générale de l’armement, elle constitue une limite à la projection à l’export, alors même que les entreprises françaises doivent se montrer compétitives pour proposer leurs technologies aux pays européens qui seraient susceptibles de chercher d’autres partenaires que les États-Unis. L’intégration par la croissance externe des grands groupes ne peut être le seul modèle de passage à l’échelle. Ainsi restructurée, la BITD française bénéficierait d’un tissu industriel fondé davantage sur d’entreprises de taille intermédiaire (ETI), susceptibles de créer des emplois plus nombreux dans les territoires. L’État pourrait davantage développer des outils d’accompagnement spécifiques pour permettre le passage à l’échelle des PME en forte croissance. La doctrine d’investissement de Bpifrance dans le domaine de la défense devrait intégrer cet objectif à ses opérations en capital. Les outils développés en faveur des startups, de type accélérateur ou incubateur, pourraient être répliqués pour cette catégorie d’entreprises.

B.   Accélérer la mobilisation de la ressource humaine au service de l’industrie de défense

1.   L’enjeu de formation est crucial pour la montée en cadence de la BITD

La montée en puissance des capacités industrielles suppose une politique volontariste en matière de recrutement et de formation. Les emplois de l’industrie de défense présentent un haut niveau de qualification, une stabilité et des conditions salariales attractives. Ses 210 000 emplois industriels, directs ou indirects, se répartissent dans l’ensemble du territoire et constituent un élément d’attraction peu délocalisable. Malgré ces opportunités, l’Observatoire des métiers de la BITD considère que 9 métiers sur 10 sont en tension et qu’environ 10 000 emplois supplémentaires seraient nécessaires pour répondre à l’accroissement de la demande. Une véritable promotion de ces métiers doit être entreprise par les responsables des formations, éducation nationale et régions, alors que ceux-ci peuvent encore souffrir d’une image négative et plus généralement d’un manque de connaissance.

Le soutien de l’État à la filière se manifeste en particulier par l’établissement d’une convention, signée en novembre 2024, entre la direction générale de l’armement et France Travail, pour faire connaître ces emplois et favoriser le recrutement des entreprises. La communication sur ces opportunités professionnelles a par exemple donné lieu à l’organisation d’un salon des métiers de la BITD, en avril 2025.

Si les recrutements sont ouverts à différents niveaux de qualification, les industriels alertent sur la durée incompressible pour former les nouvelles recrues, ce qui implique une plus forte anticipation et la création de parcours professionnalisants. Des créations d’écoles des métiers sont projetées par certains groupes industriels et doivent être soutenues. Le basculement d’une partie des emplois en provenance de filières traversant des difficultés structurelles, comme le secteur automobile, doit également être envisagé comme réponse aux besoins de la BITD. Votre rapporteur souligne néanmoins que ces réorganisations ne doivent pas être trop précoces, car elles doivent accompagner avec précision la montée effective des commandes, au risque sinon de désorganiser les filières.

2.   La réserve industrielle de défense, une initiative non encore suivie d’effets

La réserve industrielle de défense (RID) constitue une initiative de la direction générale de l’armement visant à augmenter la résilience de la BITD en cas de mobilisation soutenue. Lancée en octobre 2023, elle ambitionne de rassembler 3 000 réservistes à l’horizon 2030, citoyens volontaires ayant des compétences industrielles, disposés à venir prêter leur appui, sous statut militaire et sur la base de 10 jours par an, en cas de défaillance d’une chaîne de production ou d’approvisionnement. Ces réservistes peuvent être mobilisés aussi bien au sein d’entreprises industrielles privées que dans les services industriels de l’armée, par exemple pour le maintien en condition opérationnelle des équipements.

Une telle initiative ne peut que renforcer la capacité de réponse rapide de la BITD, mais son lancement n’a pas encore donné lieu à une organisation concrète, au risque de décourager la volonté d’engagement des intéressés. L’industrie civile comme militaire est pourtant disposée à faciliter cette démarche et a fait savoir à votre rapporteur sa capacité à mobiliser rapidement et à accueillir les effectifs souhaités. Pourtant, à ce jour, six conventions seulement ont été signées entre la direction générale de l’armement et des entreprises : Scania Public and Defense, dans le Maine-et-Loire, Verney-Carron, fabricant de fusils à Saint‑Étienne, la société d’imagerie Geo4i à Creil, ainsi que trois grands groupes, Arquus, KNDS France et Naval Group. L’opérationnalité de la réserve industrielle de défense doit donc être clarifiée par la DGA, ainsi qu’une perspective ou une doctrine précise de déploiement, pour ne pas désorganiser les filières industrielles.

 

 


   LE SOUTIEN PUBLIC À la bitd : L’État acheteur, l’État investisseur, l’État promoteur des entreprises de dÉfense

I.   l’État acheteur de matÉriels militaires : optimiser le levier de la commande publique, encourager l’innovation et donner de la visibilitÉ

A.   La direction gÉnÉrale de l’armement, une administration efficace et agile mais entravÉe par la situation budgÉtaire

1.   La Direction générale de l’armement a réorganisé ses services pour se rapprocher de ses interlocuteurs industriels et appréhender l’ensemble de la chaîne de valeur

Direction centrale du ministère des armées, la direction générale de l’armement a entrepris une réforme de ses structures, dans le cadre du projet « DGA Impulsion », visant notamment à se rapprocher des industriels de la défense pour adopter une posture moins verticale en tant qu’État acheteur. Il s’agissait également de faire évoluer la DGA d’une administration au service de l’expertise technologique, dont la capacité à concevoir des marchés complexes est reconnue, à un outil au service d’une production massifiée, en entraînant derrière elle l’ensemble de la filière.

Depuis le 28 mars 2024, la direction de l’industrie de défense (DGA-DID) regroupe trois services :

– le service des orientations industrielles, dont dépendent les attachés d’industrie de défense en région (une cinquantaine de représentants), chargés de cartographier les besoins et les opportunités des entreprises et spécialement des PME, avec un objectif de 900 sites visités chaque année ;

– le service de la performance et de la qualité, qui regroupe les différents aspects de l’industrie d’État (maintenance industrielle), et qui produit désormais des missions d’audit et de conseil en performance industrielle auprès des entreprises privées ;

– enfin, le service de la sécurité économique des entreprises s’attache à améliorer l’environnement économique et cyber de la BITD, en s’efforçant de trouver des solutions aux problèmes de financement et en diffusant les bonnes pratiques dans un contexte de multiplication des cyberattaques.

Ces trois services coordonnent un dispositif permanent de suivi, notamment des 1 000 à 1 500 entreprises les plus stratégiques ou critiques de la BITD, collectant des données sur la santé financière, l’avancement des projets, les besoins de recrutement, les projets de rapprochement ou d’acquisition.

Votre rapporteur a pu constater auprès des industriels la perception très positive de cette réforme, dont le message partenarial auprès des entreprises a été efficacement porté. La direction de l’industrie de défense, par le biais de ses attachés en région, fait ainsi figure d’accès unique à l’ensemble des services offerts par la DGA aux entreprises (mise en place d’un numéro vert pour guider les industriels dans les procédures). Pour prolonger cet effort de simplification, cet accès unique pourrait être étendu à d’autres services non pilotés par la DGA mais également utiles aux entreprises, pour les renseigner sur les possibilités de prêts et subventions de Bpifrance ou sur le fonctionnement du soutien à l’export, qui relève de la direction générale du Trésor, qui peuvent apparaître d’un maniement complexe.

Enfin, la DGA s’efforce de faire bénéficier toutes les entreprises, sans exclusive, de l’expertise technique qu’elle tire de sa connaissance fine du secteur et de l’innovation. La diffusion de notes d’orientation industrielles (NOI) ([3])  permet ainsi d’orienter les entreprises vers les bons maîtres d’œuvre industriels afin de participer aux programmes et développer une activité liée à la défense.

2.   L’Agence de l’innovation de défense : orienter la BITD vers les besoins des armées, sans négliger les développements civils, en amont de la commande publique

Dans la continuité de ces adaptations, l’Agence de l’innovation de défense (AID) manifeste la volonté de l’État acheteur de se positionner le plus en amont possible de la commande afin de stimuler les industriels et les concepteurs de technologies innovantes. Service à compétence nationale rattaché au directeur général de l’armement, l’AID compte 130 agents (officiers, ingénieurs, chercheurs, innovateurs) et se veut une sorte d’incubateur de l’innovation au sein des technologies duales, favorisant la captation de l’innovation civile au profit des besoins militaires. Pour pallier les effets de lourdeur et de normalisation élevés de la DGA, qui opère sur de larges programmes avec des partenaires privilégiés, l’AID développe un mode opératoire plus agile et a mis en œuvre de nouvelles procédures de passation de marchés afin de rapprocher l’ensemble de la BITD, y compris les startups et les PME, de la commande publique. Trois types d’actions peuvent être citées pour illustrer la diversité des modes opératoires :

– l’AID a lancé des appels à projets simplifiés (APS), avec un nombre restreint d’exigences techniques, pour permettre à des entreprises ordinairement sous-traitantes de gagner en autonomie sur des projets innovants. L’appel à projet LARINAE de munitions téléopérées a été conduit à l’automne 2023 selon cette procédure ;

– les accords-cadres OASIS (opérations agiles de stimulation de l’innovation appliquée à un système) entendent combiner les qualités opérationnelles des PME et des maîtres d’œuvre industriels : le projet CENTURION vise ainsi à créer des boucles courtes de préparation et de lancement de projets innovants au profit de l’équipement du fantassin, conçus par des PME, en favorisant leur montée en maturité en lien avec les infrastructures et l’expertise de deux grands MOI, Safran et Thales ;

– les partenariats d’innovation sont un nouveau type de marchés publics permettant à l’AID d’accompagner simultanément plusieurs projets innovants jusqu’à l’étape des prototypes, sans remise en concurrence entre la phase de développement et d’expérimentation et la phase de production. Quatre partenariats d’innovation sont en cours, concernant notamment des systèmes de drone naval de surface armée, et trois autres sont en phase de rédaction. La DGA sollicite directement, par l’envoi d’une lettre de candidature, les industriels qui lui paraissent les plus avancés pour conduire ce type de partenariat dans la durée.

Toutes ces formes d’accompagnement se distinguent donc des procédures habituellement lourdes et redondantes de passation de la commande publique, dont la charge de gestion aboutit souvent à les réserver aux plus grandes entreprises disposant de la capacité et du temps nécessaire pour suivre leur candidature. L’AID permet donc de rapprocher les startups et PME de l’État acheteur. Pour la DGA, l’objectif est de pouvoir se positionner plus rapidement sur les technologies innovantes, en manifestant son intérêt et en offrant son accompagnement sans s’engager exclusivement dans des commandes sur produits finis. Ce mode de fonctionnement s’inspire des relations nouées sur le terrain entre les fabricants de drone et l’armée ukrainienne, domaine dans lequel la France a pris du retard, faute de pouvoir dégager dans des délais brefs les crédits suffisants pour accompagner une technologie émergente.

3.   Conséquence d’une situation budgétaire hors de contrôle et d’une prévision insincère, la commande publique n’offre cependant plus la visibilité nécessaire à la BITD

Votre rapporteur a pu constater l’intérêt de l’ensemble des acteurs de la BITD pour ces nouvelles formes de partenariats noués avec la DGA. Celle-ci n’en subit pas moins les conséquences des rigidités de la gestion budgétaire et de l’insuffisante sincérité des programmations de long terme, et ne peut donc offrir aux industriels la visibilité et les engagements fermes dont ils ont besoin pour avancer sur leurs projets. Une sanctuarisation des crédits à la main de la DGA, au sein des crédits de la mission Défense, sans que les crédits gelés en début d’année puissent être affectés au paiement de surcoûts extérieurs à la commande publique, permettrait à celle-ci de s’engager de façon plus crédible auprès des industriels sur la réalisation des programmes.

Ainsi, alors que 20 milliards d’euros de contrats pour les « programmes à effets majeurs » étaient annoncés dans la documentation budgétaire accompagnant le projet de loi de finances pour 2025, le début de l’année a été particulièrement atone, au risque de susciter une démobilisation des entreprises pourtant incitées à s’engager dans une montée en cadence. Le président-directeur général de Dassault estime à un tiers le recul des commandes nouvelles passées à la BITD en 2025 par rapport à la même période de 2024. Le décalage du vote du budget ne peut expliquer à lui seul ces retards.

Dans ce contexte, l’ouverture des armées aux expérimentations est appréciée, mais peut générer des frustrations en cas d’absence de commandes ou de passages à l’échelle ultérieurs, alors même que les produits finaux donnent satisfaction. Cependant, la DGA pourrait s’efforcer de fournir aux industriels des formes d’engagement plus souples, lorsque le besoin pour les armées est avéré, que l’acquisition est indispensable mais qu’il n’est pas encore possible de passer une commande, par exemple en raison de la superposition de divers programmes n’ayant pas encore été complètement payés. Des étapes dans la réalisation de la commande, via des lettres d’intention ou promesses d’achat reporté, permettraient de manifester l’intérêt des armées pour une technologie et d’engager les industriels à mener à bien leurs projets. Il ne faut pas négliger, au surplus, l’intérêt de telles manifestations pour les industriels qui pourront les faire valoir auprès de leurs acheteurs étrangers.

B.   RÉformer la commande publique pour en faire un levier efficace de soutien À l’industrie de dÉfense

1.   Simplifier les procédures de passation des marchés, y compris au niveau européen

Plusieurs pistes d’évolution de la commande publique peuvent être envisagées pour apporter davantage de souplesse à la BITD sans transiger sur l’excellence et l’achèvement des programmes livrés. Certains modes d’accompagnement expérimentés à petite échelle, par exemple au sein de l’AID, pourraient être normalisés pour la passation d’autres programmes. Les règles des marchés publics, qui conduisent à une remise en compétition à toutes les étapes de développement technologique, sont identifiées comme peu favorables à l’émergence d’innovations significatives.

En tout état de cause, votre rapporteur tient à mettre en garde contre l’insertion de nouvelles normes dans les marchés d’armement. Plusieurs voix se sont fait entendre, au niveau français et européen, pour inciter le ministère des Armées à inclure des objectifs de décarbonation dans les cahiers des charges. En matière de défense, la priorité doit être donnée à la performance du matériel, et à la réponse qu’il apporte au besoin capacitaire. Les objectifs de décarbonation ne doivent pas constituer un obstacle supplémentaire dans l’accès à la commande publique, en générant une charge administrative accrue en termes de reporting, qui serait fortement dommageable pour les PME.

A contrario, certaines voies de simplification des procédures de marchés publics méritent d’être étudiées. À ce titre, il faut se réjouir des récentes annonces de la Commission européenne, dans la présentation de son dernier « paquet omnibus » visant à soutenir l’industrie de défense. Parmi les mesures évoquées, la Commission suggère notamment une révision limitée de la directive de 2009 ([4]) sur les passations de marchés publics dans les domaines de la sécurité et de la défense, en relevant le seuil de 450 000 à 900 000 euros. En-deçà de ces seuils, des marchés de gré à gré pourront être conclus, permettant de réduire les délais dans la gestion de programmes.

2.   Poursuivre l’action menée en faveur des PME au moyen de conventions responsabilisant les donneurs d’ordre

Le soutien du ministère des Armées aux PME s’inscrit dans une politique spécifique déployée depuis la fin des années 1990. La mission ministérielle PME, créée en 1999, puis diverses instructions ministérielles, ont fait évoluer le suivi des problématiques rencontrées par cette catégorie d’entreprise. Le plan « Action PME », lancé en 2018, a été élargi et complété au regard des difficultés nouvelles rencontrées par les entreprises en sortie de crise sanitaire, donnant naissance, sur la base de la dernière instruction ministérielle de juillet 2024, à un nouveau « Plan en faveur des ETI, PME et Startups », dit PEPS.

Ce plan se traduit par la signature de « conventions PEPS » entre la DGA et les principaux industriels intégrateurs, qui organisent la participation indirecte des entreprises de plus petite taille aux programmes dont ils sont responsables. Ces conventions ont été signées par la plupart des principaux maîtres d’œuvre, des raisons conjoncturelles ayant pu être présentées à votre rapporteur à l’absence de conventionnement (par exemple, dans le cas d’un groupe soumis à un changement d’actionnaire majoritaire, qui ne disposait donc pas de la latitude souhaitée en amont de la définition d’une nouvelle stratégie). Ces conventions visent à inciter les industriels intégrateurs à veiller à la circulation des bonnes pratiques sur l’ensemble de la chaîne de sous-traitance, en déclinant un programme de 29 actions. Les principaux engagements concernent le suivi du ruissellement des paiements et le respect des délais, ainsi que la formation aux enjeux de cybersécurité pour les chaînes de sous-traitance. Les maîtres d’œuvre doivent aussi animer un dialogue de proximité avec l’ensemble des entreprises de la BITD dans les territoires où ils sont implantés, en communiquant auprès des entreprises qui souhaiteraient rejoindre leurs programmes.

Votre rapporteur apprécie l’importance de ces conventions pour assurer la résilience de la BITD. Cependant, en dépit de la mise en place d’un délégué aux PME et ETI et d’un médiateur des entreprises de la BITD au sein de la DGA-DID, l’impact concret de ces mesures devra faire l’objet d’une évaluation, dans les prochains mois, de la satisfaction des entreprises censées bénéficier de ces dispositifs. Une conditionnalité de l’accès aux marchés de commande publique au respect des engagements de la convention paraît de nature à renforcer leur effectivité, et pourrait être étudiée.

C.   le rôle de l’État acheteur souverain ne doit pas Être remis en cause ou affaibli au niveau europÉen

1.   Le modèle de la DGA, experte de la BITD, doit être valorisé et gagnerait à se structurer au niveau européen

Si des voies d’amélioration de l’action de la DGA existent, la satisfaction de l’industrie de défense à l’égard de son partenaire principal s’affiche à un niveau exceptionnellement élevé. Malgré les contraintes budgétaires, la DGA maintient un pilotage efficace des programmes d’armement et les relations de proximité qu’elle entretient avec les industriels permettent de les ajuster avec une souplesse appréciable en cas de nécessité. Les fréquents aller-retour des ingénieurs de l’armement entre la DGA, les autres administrations du ministère des armées, et des postes opérationnels au sein de l’industrie, contribuent à cette intercompréhension des contraintes de chaque partie.

Le modèle d’État acheteur français est ainsi loué à l’étranger et inspire certaines réformes dans un sens d’intégration renforcée, la DGA ayant réussi à assurer dans la durée la cohérence de l’ensemble des systèmes d’armes en créant un lien très fort avec la BITD. Parallèlement, votre rapporteur incite la DGA à faire évoluer ses modèles en s’inspirant des pratiques efficaces observées dans d’autres États : des études prospectives, menées par les attachés de défense dans nos représentations diplomatiques, doivent se montrer particulièrement attentives dans un contexte de concurrence accrue entre les BITD. Les conditions de développement d’un réseau d’ETI exportatrices en Italie, qui fait défaut à la France, méritent ainsi d’être examinées.

Au niveau européen, la structuration d’un réseau d’États concepteurs et acheteurs de matériels de défense, et non l’intégration des structures existantes, doit se renforcer. La France a les moyens d’acquérir une position de leadership dans un tel réseau et de promouvoir la spécificité de son modèle industriel. Enfin, la volonté de l’Union européenne de favoriser les investissements dans la défense doit conduire la DGA à développer une présence renforcée à Bruxelles, pour acquérir une meilleure connaissance des possibilités offertes et guider les entreprises françaises dans leur recherche de financements.

2.   Face aux perspectives de découplage stratégique, il est urgent pour les États européens de garantir la maîtrise de leur utilisation souveraine des matériels militaires

La nouvelle donne internationale constitue une opportunité réelle pour la diffusion des productions françaises auprès de nos partenaires européens. Ce développement est d’ailleurs vital pour le maintien de la complétude de notre industrie de défense : la France est l’un des pays à disposer du taux de couverture de ses besoins capacitaires nationaux par la production intérieure le plus élevé, estimé par la DGA à 83 % en 2024. Si la BITD française est en mesure de produire pour les armées la quasi-totalité de leurs besoins technologiques et capacitaires, celles-ci ne constituent pas un marché suffisant pour soutenir l’effort d’innovation. L’exportation est donc indispensable, et doit d’abord se réaliser sur le continent européen. La part des importations extra-européennes dans les achats d’armement des États membres demeure élevée, de l’ordre de 40 %, même si elle est en diminution. Héritage de décennies de sous-traitance de la protection militaire de l’Europe aux États-Unis, les habitudes d’achat de nos voisins sont profondément ancrées et ne pourront évoluer que sous l’effet de dispositions contraignantes.

Votre rapporteur attache une particulière importance au critère de « préférence européenne », que les États devraient respecter lorsqu’ils achètent des armements dans le cadre des facilités de prêts ouvertes au niveau communautaire (150 milliards d’euros annoncés pour la défense). Le niveau de 65 % du coût des acquisitions, évoqué par la Commission européenne lors de la présentation de son futur instrument de prêt, au printemps 2025, doit être considéré comme un niveau minimum, votre rapporteur défendant un critère plus strict, allant de 70 à 75 % du coût des acquisitions. La mise en place d’un mécanisme de suivi des entrées de commandes selon leur provenance doit être également institué, afin de limiter l’éviction potentielle de l’industrie française par des acquisitions extra-européennes financées sur des ressources communes.

La maîtrise de l’utilisation souveraine des matériels militaires requiert enfin la poursuite, au niveau européen, de la « désITARisation », par référence aux réglementations américaines sur le contrôle des exportations de défense (International Traffic in Arms Regulations). L’application extensive, par le département d’État américain, de ces réglementations peut en effet conduire à empêcher l’exportation de tout matériel militaire français intégrant une composante américaine.

Enfin, la procédure de contrôle des investissements étrangers en France (IEF) ([5]) permet de s’assurer que les prises de participations d’au moins 25 % au capital d’entreprises de la BITD, effectuées par des investisseurs étrangers, ne limitent pas l’accès souverain des armées françaises à des technologies stratégiques. Pour s’assurer d’un accès dans la durée, 200 lettres de conditions ont été émises par la DGA, formalisant un accord négocié avec les investisseurs. Ces conditions visent notamment à empêcher tout basculement de ces technologies stratégiques sous le régime ITAR. Les actions menées par ailleurs pour renforcer l’accès des entreprises de la BITD aux fonds propres devraient limiter les ouvertures risquées à des investisseurs étrangers (140 dossiers sont examinés chaque année par la DGA-DID pour préparer la décision du ministre de l’Économie).

3.   Si la commande publique doit rester impérativement une prérogative de souveraineté nationale, il revient à l’Union européenne de lever les entraves au développement de l’industrie de défense

Au regard des propositions qui ont été émises au niveau européen, votre rapporteur insiste sur l’absolue nécessité de préserver la prérogative des États membres comme acheteurs de leurs matériels de défense. La mise en place de facilités supplémentaires au niveau communautaire, comme l’enveloppe de prêt de 150 milliards d’euros annoncée par la Commission (programme européen SAFE), ne justifie pas de doter celle-ci d’une fonction de plateforme d’achats groupés de matériels militaires.

Outre le fait que cette attribution outrepasserait ses compétences, la Commission ne saurait se prévaloir du même niveau d’expertise que les administrations nationales chargées de passer des contrats avec leur BITD. Surtout, la défense ne saurait être intégrée dans le marché unique, comme le garantit expressément le régime d’exemption de l’article 346 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) ([6]) ; elle appelle des règles spécifiques dont la détermination doit demeurer une prérogative de souveraineté nationale. En matière de défense, l’Union européenne peut être un facilitateur des initiatives des États, nullement un chef de file ; elle doit inciter à ce que les achats d’armements de ses membres renforcent l’indépendance du continent en imposant des exigences garantissant une autorité de conception réellement européenne dans les productions achetées sur des fonds européens, plutôt que des matériels sous licence d’exportation d’un pays tiers qui pourrait contrôler son utilisation ultérieure.

II.   L’ÉTAT INVESTISSEUR D’ENTREPRISES DE DÉFENSE : UNE DOCTRINE d’intervention À CLARIFIER, une coordination À renforcer avec ses autres missions

A.   EN dÉtenant des participations directes dans les entreprises de dÉfense, L’État poursuit des objectifs diffÉrenciÉs

Au 31 décembre 2024, les interventions directes de l’État actionnaire dans la défense s’élèvent à 18,1 milliards d’euros en valeur de portefeuille. Trois institutions possèdent des participations dans le domaine de la défense, ainsi ventilées :

– l’Agence des participations de l’État (APE), à hauteur de 12,7 milliards d’euros ;

– la Banque publique d’investissement (Bpifrance), pour 1,2 milliard d’euros ;

– la Caisse des Dépôts et ses filiales, à hauteur de 4,2 milliards d’euros.

1.   L’Agence des participations de l’État, principal investisseur public dans le secteur de la défense

L’APE, qui agit comme un fonds souverain pour le compte de l’État français, joue un rôle structurant dans le contrôle financier de la BITD, en cumulant des participations majeures dans six des neuf chefs de file de l’industrie de défense, ainsi que des participations dans d’autres entreprises jugées stratégiques. Le montant des participations détenues par l’APE atteint 12,7 milliards d’euros. Les entreprises cotées en bourse représentent le tiers des participations de l’APE, tous domaines confondus, mais cette part progresse sous l’effet des fortes valorisations des entreprises de la défense.

L’APE entend agir comme un investisseur de long terme, garant d’une gouvernance intégrant les enjeux de souveraineté et de sécurité des approvisionnements. Le montant des participations n’est pas le seul vecteur pour l’État actionnaire : lorsque l’entrée au capital est motivée avant tout par la défense d’un intérêt stratégique, par exemple dans un contexte de cession d’activités à un investisseur étranger, l’APE peut chercher à acquérir une minorité de blocage ou à négocier des actions de préférence, disposant de droits spécifiques. Dans le domaine de la défense, de telles actions de préférence sont détenues aussi bien au capital de grands maîtres d’œuvre comme Ariane Group ou Airbus Defense and Space, que de PME et ETI, comme Aubert&Duval ou Roxell. De façon générale, le recours à des actions spécifiques ou de préférence doit être privilégié lorsqu’il s’agit d’opérations de défense de nos capacités souveraines. Il est préférable de limiter les investissements aux entreprises de la défense qui traversent des difficultés liées à une sous-capitalisation ou qui appellent une restructuration.

Le soutien de l’État actionnaire se traduit par la recherche d’un arbitrage entre les intérêts financiers et l’impératif industriel. Ainsi, l’APE ne requiert le versement de dividendes que lorsque ceux-ci sont soutenables, c’est-à-dire lorsqu’ils ne grèvent pas les capacités d’investissements, requises pour assurer la performance à très long terme de l’entreprise.

La présence de l’État au capital d’entreprises de défense a permis d’accompagner des opérations de relocalisation de la production à des fins de sécurisation des approvisionnements : l’exemple d’Eurenco, dont le capital est détenu à 100 % par l’État, est emblématique de cette stratégie de reconquête de souveraineté industrielle, en ayant permis la relocalisation de la production de poudres de gros calibre, destinées à l’artillerie de 155 mm (canons Caesar) sur le site de Bergerac (Dordogne).

Principales participations de l’État dans le domaine de la défense

Entreprise

Part détenue par l’État au capital

Airbus

6,4 milliards d’euros soit 10,87 % (premier actionnaire)

Thales

2,5 milliards d’euros soit 26,6 % (premier actionnaire, aux côtés de Dassault Aviation)

Safran

3,1 milliards d’euros soit 11,48 % (premier actionnaire)

Naval Group

0,7 milliard d’euros soit 62,25 % (premier actionnaire, aux côtés de Thales)

KNDS France (Nexter)

50 % (co-contrôle avec un actionnaire familial allemand)

Eurenco

100 % du capital

TechnicAtome

50,32 % (aux côtés du CEA, Naval Group, et EDF)

John Cockerill Defense

10 % (minoritaire aux côtés d’un autre actionnaire minoritaire représentant l’État belge, et d’un actionnaire majoritaire privé)

Source : données communiquées par l’APE lors de son audition par votre rapporteur.

2.   Bpifrance : une action résolue en faveur de la BITD qui doit être renforcée, simplifiée et davantage ouverte aux PME

La Banque publique d’investissement, dont l’État est actionnaire à 49,18 % aux côtés de la Caisse des dépôts, présente un modèle d’investissement distinct de l’APE dans le domaine de la défense. Forte de son maillage territorial, Bpifrance privilégie des prises de participations minoritaires aux côtés d’investisseurs privés, jouant pleinement sur l’effet d’entraînement de l’investissement public.

Bpifrance se veut un investisseur réactif, procurant des fonds propres à une entreprise pour une étape de sa croissance. La perspective de sortie du capital doit être clairement identifiée dès la décision d’investissement. Pour des opérations qui nécessitent une présence sur le long terme pour sauvegarder une activité fragilisée, la Caisse des dépôts apparaît comme un investisseur public plus adapté.

Modélisation par Bpifrance de l’effet levier de ses investissements

Depuis sa création en 2013, Bpifrance constitue un guichet unique pour le financement public des entrepreneurs. L’originalité de son modèle est de développer, outre son activité d’investisseur, des services bancaires pour les startups, PME et ETI, en distribuant des prêts et en garantissant les crédits octroyés par les banques privées. Le rôle de Bpifrance peut être crucial pour inciter les financeurs privés à consentir un prêt à une entreprise privée, en prêtant elle-même une partie de la somme demandée : l’engagement de l’État est un marqueur, le gage de perspectives de croissance fondées et de la robustesse du modèle de l’entreprise.

Outre cet accès au financement, Bpifrance coordonne des activités de soutien diverses, des aides à l’innovation au crédit export, en passant par des prestations de conseil et d’accompagnement des entrepreneurs. L’« accélérateur défense » vise à aider les petites entreprises et les startups à répondre à l’objectif d’accélérateur de cadence. Des « diagnostics cyber » sont également proposés pour aider les sous-traitants de la défense à atteindre les exigences de cybersécurité qui peuvent être la condition de leur participation aux programmes de la BITD.

Si les activités de Bpifrance sont destinées au soutien de l’ensemble des entrepreneurs, des initiatives spécifiques ont été mises en place, dès 2017, à destination du secteur de la défense, en créant des enveloppes de capital‑investissement spécifiques, ainsi que des produits financiers adaptés aux difficultés de la BITD, comme les prêts Def’fi, pour le financement de l’innovation. Cet engagement s’inscrit depuis 2020 dans le cadre d’un accord de coopération avec la direction générale de l’armement.

Une certaine méconnaissance des services proposés par Bpifrance est toutefois à relever, notamment pour les entreprises aux marges de la BITD mais qui souhaiteraient la rejoindre. La présence de directions régionales de Bpifrance devrait permettre une action proactive auprès des entreprises, à l’occasion de salons organisés à échéances régulières par la direction générale de l’armement en région. La diversité des services proposés par Bpifrance appelle une communication active à destination des entrepreneurs sur l’utilité et les conditions de recours de chacun des dispositifs.

L’Accélérateur Défense de Bpifrance

L’Accélérateur de défense consiste en un programme d’accompagnement de 12 mois, destiné à 28 entreprises de la BITD. La deuxième édition a été lancée en 2025 et s’inscrit dans le « continuum défense » des outils de soutien que Bpifrance entend déployer pour les entreprises de la BITD.

L’Accélérateur se présente comme une sorte d’incubateur de la montée en cadence des moyens de production, en maîtrisant les coûts et les délais, à partir d’un audit de l’entreprise et de ses axes de croissance. Les dirigeants bénéficient d’une formation aux enjeux de l’économie de défense et aux spécificités de la commande publique de la DGA.

L’Accélérateur vise aussi à créer des échanges entre des industriels de même niveau, alors que la filière est marquée par une forte intégration verticale, qui tend à masquer la pertinence des coopérations horizontales sur certains projets.

3.   Clarifier les interventions respectives de l’APE et de Bpifrance, et renforcer l’intégration des stratégies de l’État comme investisseur et comme acheteur

Les doctrines d’investissement de l’État actionnaire à travers ses trois entités (APE, Bpifrance et Caisse des dépôts) se veulent distinctes et complémentaires.

Alors que l’APE agit directement pour le compte de l’État, dans une logique patrimoniale et de défense des capacités souveraines (maintien d’une minorité de blocage), Bpifrance se veut un acteur plus agile, privilégiant les interventions minoritaires, pour des montants de l’ordre de 5 à 20 millions d’euros, avec une perspective de revente à moyen terme. De ce fait, la Banque publique d’investissement apparaît moins directement concernée par les impératifs de souveraineté, en poursuivant l’objectif de consolidation et d’animation d’un écosystème financier propice au développement de la BITD. Beaucoup d’interventions de Bpifrance s’inscrivent directement dans la continuité des objectifs poursuivis par la direction générale de l’armement, avec laquelle plusieurs conventions ont été passées depuis 2020. La Caisse des dépôts et consignations, enfin, réalise des interventions plus ponctuelles de « capital-patient », avec un horizon supérieur à 15 ans, centrées sur les infrastructures stratégiques.

Chacune de ces institutions affiche donc le souci de présenter une doctrine d’investissement spécifique, mais les domaines d’intervention ne sont pas toujours clairement délimités, notamment dans le domaine de la défense. Certaines inflexions perturbent ponctuellement la lisibilité de ce partage des investissements. Ainsi, en 2024, l’APE a été mobilisée sur deux opérations dans le domaine de la défense, alors que de telles interventions avaient été exclusivement laissées à Bpifrance ces dernières années. Il s’agissait, d’abord de prendre une participation de 10 % au capital de John Cockerill Defense, à la faveur de l’entrée de ce groupe belge au capital du constructeur de véhicules blindés Arquus, ensuite de la prise de contrôle d’Alcatel Submarine Networks (câbles de télécommunication sous‑marins).

Tout dernièrement, une augmentation du capital d’Eutelstat, seul opérateur de satellites français et européen mais traversant des difficultés financières, a été annoncée par le président de la République en visite au salon du Bourget, mobilisant l’APE qui lèvera des fonds tout en rachetant les participations précédemment détenues par Bpifrance. Les raisons de ce passage de relai sont vraisemblablement à chercher dans la volonté de l’État d’accompagner dans la longue durée cette entreprise jugée stratégique. Elles gagneraient en tout état de cause à être précisées.

Les études sur l’État actionnaire mettent régulièrement l’accent sur la répartition des interventions selon une doctrine clarifiée ([7]). Dans le domaine de la défense, la conjonction des deux critères de la valorisation des parts et de la durée de détention envisagée correspondent dans l’ensemble à la structure du portefeuille de l’APE et de Bpifrance.

Par ailleurs, la volonté de l’État d’engager la mobilisation de la BITD pour reconquérir ses capacités de production pourrait justifier une adaptation de la doctrine d’investissement et de l’articulation entre les interventions. Dans cette optique, un comité d’investissement commun aux trois structures et spécifique au secteur de la défense pourrait être institué, afin d’y faire converger les analyses de l’ensemble des acteurs du soutien à l’industrie de défense (Trésor, DGA). Des contacts réguliers avec la Banque européenne d’investissement (BEI) permettraient également de clarifier la répartition des financements. Une meilleure représentation de l’État acheteur dans les instances de décision de l’État investisseur est ainsi nécessaire.

B.   LES FONDS DE BPIFRANCE POUR LA DÉfense : maximiser l’effet de levier du financement public aux côtÉs d’autres investisseurs

1.   Les fonds Definvest et Innovation Défense : des dispositifs à pérenniser, dans une stratégie de restructuration de la filière

Bpifrance dispose d’une expérience solide dans la constitution et la gestion de fonds de capital-investissement (private equity), y compris en les adaptant pour ouvrir leur souscription aux investisseurs particuliers (fonds retail). Recherchant systématiquement le co-investissement aux côtés des acteurs privés, Bpifrance a mis en place plusieurs enveloppes dédiées spécifiquement au secteur de la défense, afin d’entrer directement au capital d’entreprises de la BITD, ou d’y investir par l’intermédiaire de fonds d’investissement privés, afin d’inciter à la constitution d’enveloppes de private equity dédiées à la défense (méthode du fonds de fonds). Deux fonds principaux ont été institués en lien étroit avec la direction générale de l’armement. Un troisième fonds, dans le cadre de France 2030, investit plus largement dans les technologies de souveraineté ; un certain nombre de ses participations relèvent de ce fait du secteur de la défense.

Bpifrance est ainsi actionnaire direct de plus de 70 entreprises de la BITD, très majoritairement duales (à 97 %). Les investissements dans la BITD ont toujours constitué l’une des cibles de la Banque publique d’investissement mais ont connu une forte croissance sur les cinq dernières années : ainsi, pour un montant total de 400 millions d’euros investis, plus de 300 millions d’euros constituent de nouveaux investissements effectués depuis 2020. Les startups sont particulièrement recherchées (54 % des entreprises de la BITD présentes dans le portefeuille), afin de financer leur innovation puis leur passage à l’échelle industrielle, ainsi que les PME et ETI (46 %).

● Le fonds Definvest, lancé en 2018 pour une cible de 100 millions d’euros sur une durée de vie de 18 ans, a permis d’engager 85 millions d’euros dans 9 PME critiques. Le ticket moyen est de 9,4 millions d’euros par entreprise, avec un horizon d’investissement de 12 ans.

● Le fonds Innovation défense (FID), créé en 2021 pour une cible de 200 millions d’euros, vise plus spécifiquement le soutien des startups et PME innovantes, en lien avec l’Agence de l’innovation de défense (AID) du ministère des Armées. Les innovations dans des technologies potentiellement stratégiques pour les armées, mais qui ne relèvent pas encore de la BITD, sont l’objet même de cette enveloppe spécifique. Des investissements ont été réalisés pour des projets en intelligence artificielle, sans qu’il existe à ce stade de perspective de commande pour les armées. Ainsi, les entreprises bénéficiant du FID sont encouragées à travailler également les débouchés civils de leurs innovations.

Lors de la conférence du financement du 20 mars dernier, trois investisseurs institutionnels – l’assureur Allianz, le missilier MBDA et la Caisse des dépôts, à parts égales – ont annoncé une souscription de 75 millions d’euros pour étendre l’enveloppe du fonds.

Les politiques d’investissement et la participation à la gouvernance dans les entreprises des fonds Definvest et Innovation défense sont mises directement en œuvre par Bpifrance dans le cadre d’un règlement de gestion arrêté conjointement par la DGA et la DG Trésor. Les dossiers sont instruits par une cellule mixte, la décision finale d’investissement étant prise par la banque au regard de l’analyse technique préparée par la DGA.

Pour ces deux fonds, la rentabilité cible (taux interne de rendement de 7 %) est désormais atteinte. Une évaluation de la pertinence des investissements menés dans le secteur de la défense devra donc être conduite dans un horizon proche, afin de réévaluer ([8]) les modes de gestion et de rémunération de Bpifrance au titre de ces deux portefeuilles ([9]). Une plus grande intégration de la DGA est souhaitable dans le suivi des investissements, au-delà de la décision initiale.

● La gestion du fonds French Tech Souveraineté, dans le cadre du plan de relance France 2030, doit aussi être mentionnée même si cette enveloppe n’est pas spécifiquement dédiée au secteur de la défense. Les investissements réalisés apparaissent plus risqués, Bpifrance intervenant alors en relai des investisseurs privés pour des technologies d’avenir dont l’intérêt souverain pour la France est avéré. Lancé en juin 2020, le fonds est initialement doté de 650 millions d’euros, et a été réabondé de 200 millions d’euros en 2025. Dans le cadre de France 2030, la sécurisation des sources d’approvisionnement (diversification et relocalisation) est l’un des objectifs recherchés dans les investissements.

2.   Bpifrance Défense : concilier patriotisme économique et efficacité industrielle

Forte de cette expérience dans le soutien à l’investissement, Bpifrance a annoncé, le 20 mars 2025, le lancement d’un nouveau fonds de private equity dédié au secteur de la défense, pour une taille cible de 450 millions d’euros (en plusieurs phases de souscription), présentant la particularité d’être accessible aux investisseurs particuliers, y compris les petits porteurs puisque le ticket minimum de souscription a été abaissé à 500 euros. Il s’agit d’un placement moins liquide que l’épargne réglementée ou la souscription d’actions d’entreprises cotées en bourse, ce qui justifie une durée minimale d’investissement de cinq ans (fonds bloqués). Il s’agit d’un fonds sans échéance fixe (fonds evergreen), ce qui signifie que sa durée de vie est en principe illimitée, sans date de clôture fixée à l’avance. Les fonds ainsi collectés seront utilisés, soit pour l’investissement direct au capital d’autres entreprises que celles bénéficiant du fonds Definvest, soit pour investir au sein de fonds privés dédiés à la défense, afin d’encourager la constitution de ces enveloppes actuellement peu nombreuses ([10]).

Bpifrance Défense semble prendre le modèle des précédents fonds retail commercialisés par la Banque publique d’investissement, qui a lancé l’année dernière un quatrième fonds cumulant un faible niveau du ticket d’entrée, abaissé à 500 euros, et une cible d’investissement ambitieuse, de 120 à 150 millions d’euros. Au total, les quatre fonds de private equity accessibles aux particuliers ont séduit 11 000 investisseurs, pour un montant total de souscription de 235 millions d’euros.

Votre rapporteur suivra avec attention la mise en place de ce fonds, prévue au dernier trimestre de l’année 2025, qui répond aux attentes des Français de pouvoir mobiliser leur épargne au service de la défense nationale, en bénéficiant de la croissance promise à ce secteur. L’abaissement du ticket d’entrée vise tout spécialement, selon Bpifrance, les jeunes actifs, dotés d’une bonne culture financière et d’une appétence au risque, mais qui sont généralement exclus des fonds de private equity dont les souscriptions minimales sont généralement de dix à cent fois supérieures. Ainsi, le nouveau fonds « Bpifrance Défense » contribuerait à la démocratisation raisonnée du capital-investissement, appelée de leurs vœux par nos collègues Jean-Philippe Tanguy et François Jolivet dans leur récent rapport sur la rémunération de l’épargne populaire et des classes moyennes ([11]). Bpifrance assure travailler sur la simplicité de l’accès à la souscription, qui pourra se faire, soit directement (sur le site internet), soit par des intermédiaires financiers, en logeant la part sur une enveloppe présentant des avantages fiscaux (assurance-vie en unités de compte, épargne salariale, PEA et PEA-PME).

Il convient toutefois d’insister sur les objectifs difficilement conciliables poursuivis par ce fonds, associant patriotisme économique et exigence d’efficacité industrielle pour la filière. En effet, les entreprises de la BITD présentant des marges moindres que dans d’autres secteurs, les perspectives de rentabilité évoquées, de l’ordre de 7 à 10 % selon les premières estimations du directeur général de Bpifrance, M. Nicolas Dufourcq, paraissent extrêmement ambitieuses. Votre rapporteur relève le décalage avec la rentabilité des autres fonds retail, qui se situe plutôt autour de 5,5 %, et appelle à une campagne présentant de manière réaliste les perspectives de ce fonds, lors de la première souscription à l’automne, et insistant sur la durée souhaitable de détention, de 8 à 10 ans minimum, soit bien au-delà de la durée pendant laquelle les fonds seraient réglementairement bloqués (5 ans).

Un fonds sectoriel a nécessairement des perspectives de rendement plus aléatoires, aussi votre rapporteur estime qu’un élargissement de la thèse d’investissement à d’autres entreprises jugées stratégiques ou de souveraineté permettrait de limiter le niveau de risque pour les souscripteurs sans remettre en cause les objectifs du fonds. Pour contenir les risques de perte en capital, il est en effet souhaitable de diversifier au maximum les prises de participations. Quelle que soit la cible retenue, il importe de ne pas décevoir les attentes des investisseurs particuliers, afin que l’intérêt ne s’érode pas lors des prochaines souscriptions. En tout état de cause, une telle perspective de rendement appelle à contenir strictement les commissions de gestion prélevées par Bpifrance, ce qui apparaît justifié dans la mesure où le travail d’analyse et de suivi des opportunités d’investissement pourra s’appuyer largement sur l’expertise de la DGA, et non sur les seuls moyens humains de Bpifrance.

Enfin, l’annonce toute récente faite au salon du Bourget, par le fonds d’investissement Tikehau, du lancement dès le mois de septembre 2025, d’un fonds retail défense ouvert aux particuliers, paraît avoir pris de court Bpifrance dont la mise en place de son propre fonds, soumis à l’agrément de l’Autorité des marchés financiers mais sans date de commercialisation annoncée, se fait attendre. Si le public d’investisseurs visés n’est pas le même, puisque le ticket d’entrée s’élève à 20 000 ou 30 000 euros et non à 500 euros, le risque de captation d’une partie des investisseurs les plus pressés existe désormais, et doit inciter Bpifrance à hâter la mise sur le marché de son fonds.

3.   D’autres solutions pour orienter l’épargne privée vers la défense méritent d’être simultanément développées

Le capital-investissement ne doit pas constituer la seule voie de participation de l’épargne des Français au soutien à l’industrie de défense. En dépit d’une volonté de démocratisation, les risques liés et l’immobilisation du capital sont des facteurs qui pourront dissuader une partie des investisseurs particuliers.

Votre rapporteur considère, au regard du maintien à un niveau très élevé du taux d’épargne des ménages, qu’il est pertinent de proposer une diversité de produits financiers, en particulier des livrets réglementés. Le fléchage d’une partie des fonds du livret A vers la défense, sans remettre en cause le soutien apporté au logement social qui ne constitue au demeurant qu’une partie de son affectation, constituerait un vecteur de participation beaucoup plus large à la « finance patriotique ». De manière générale, les entreprises de la BITD bénéficient à tous points de vue du renforcement du lien entre l’armée et la nation. La création de comptes à terme, avec un capital garanti mais bloqué sur une échéance, généralement de 18 à 24 mois, permettrait une proposition alternative susceptible de séduire les investisseurs plus averses au risque. Ces solutions paraissent indiquées non pas pour financer le développement des entreprises, mais plutôt pour financer des besoins de trésorerie à court terme.

C.   Au-delà des fonds Étatiques, l’essor des financements europÉens constitue une opportunitÉ pour la bitd franÇaise

L’État investisseur n’est pas le seul partenaire public de confiance des entreprises de la BITD, qui doivent considérer avec attention les possibilités ouvertes au niveau européen.

L’implication de l’Union européenne dans le champ de la défense est récente, et s’est fortement accélérée depuis le début de la guerre menée par la Russie en Ukraine. Dans l’ensemble, il faut se féliciter de l’amélioration de la perception du secteur à Bruxelles, tout en se montrant vigilant face aux modalités de déploiement des fonds. Dans ce domaine de souveraineté, les États doivent garder l’initiative et pouvoir s’assurer que leurs contributions ne financent pas des achats qui fragilisent l’indépendance stratégique du continent européen.

Sur la période 2021-2027 ([12]), les enveloppes disponibles au niveau européen pour la politique industrielle de défense représentent un montant cumulé de 9,9 milliards d’euros : le Fonds européen de défense (FEDef) en représente l’essentiel (7,9 milliards d’euros), puis divers programmes, comme l’Acte de soutien à la production de munitions (ASAP) pour 0,5 milliard d’euros, l’Instrument de passation conjointe (EDIRPA) pour 0,3 milliard d’euros, et le Programme européen pour l’industrie de défense (EDIP), pour 1,2 milliard d’euros. Il convient également d’y ajouter les 650 milliards d’euros de dépenses souveraines exonérées temporairement de discipline budgétaire, et un guichet SAFE (Security Action for Europe) de 150 milliards de prêts, annoncé par la Commission en mars 2025 dans le plan ReArm Europe.

Si la BITD suit avec intérêt les annonces de Bruxelles, particulièrement nombreuses au cours du printemps 2025, leur multiplication tend à les rendre difficilement lisibles. Une clarification devrait intervenir dans le cadre de la présentation du prochain cadre financier pluriannuel (CFP) pour la période 2028‑2034. L’augmentation des financements disponibles est toutefois diversement appréciée, les institutions européennes n’ayant pas une connaissance très précise des réalités industrielles. Des pistes d’amélioration sont régulièrement avancées, comme la réduction des délais entre l’appel d’offres et la sélection des candidats. La charge qui repose sur les entreprises pour obtenir ces fonds est particulièrement lourde, nécessitant un travail de suivi et de coordination spécifique.

De surcroît, les effets d’une taxonomie hostile à la défense, en particulier au sein de la Banque européenne d’investissement (BEI) et de sa filiale, le Fonds européen d’investissement (FEI), apparaissent encore bien ancrés pour les industriels. La BEI intervient en prêts et garanties pour un montant disponible de l’ordre d’un milliard d’euros, tandis que le FEI a annoncé un investissement de 175 millions d’euros destiné spécifiquement à la BITD, en cours de déploiement (la moitié a déjà été investie). Bpifrance est actionnaire du FEI, mais sa doctrine d’investissement est encore peu lisible et n’est plus adaptée au tournant stratégique promu par l’Union européenne, puisque les armes et munitions létales ne peuvent être financées. Cette exclusion n’est pas précisément délimitée, notamment pour les sous-traitants qui souhaiteraient avoir accès à ces fonds. Si la France s’est positionnée à de nombreuses reprises contre cette exclusion, le moment apparaît favorable pour mener une offensive, avec l’appui d’autres pays européens, pour obtenir une clarification de la doctrine d’investissement du FEI.

Malgré ces difficultés, la direction générale du Trésor fait valoir la performance des grands groupes français qui bénéficient d’un retour sur investissement net. La France reçoit ainsi 32 % des subventions et constitue la première nation bénéficiaire du Fonds européen de défense (FED), doté d’un budget de 8 milliards d’euros, finançant aux deux tiers l’augmentation des capacités de production et pour un tiers la recherche de solutions innovantes face aux menaces émergentes. En revanche, les PME et ETI semblent beaucoup moins agiles à se saisir de ces financements, ce qui justifie un fort soutien de la DGA au niveau européen. Votre rapporteur appelle donc à un suivi attentif de la question de l’éligibilité à ces dispositifs, et souhaite qu’une évaluation précise de la manière dont l’industrie de défense française parvient à en bénéficier soit rendue prochainement disponible.

En tout état de cause, la disponibilité des fonds européens doit être vue comme une ressource supplémentaire pour les entreprises, sans qu’elle puisse justifier une révision à la baisse de la budgétisation des programmes en LPM et dans les lois de finances de l’année. La capacité à lancer les programmes nécessaires à nos armées ne saurait reposer sur l’obtention hypothétique de crédits européens. Plusieurs industriels ont appelé l’attention de votre rapporteur sur un possible effet de substitution pour justifier une révision à la baisse du soutien accordé au niveau national.

III.   L’État promoteur de la bitd : un soutien financier et non financier, pour accompagner le dÉveloppement dans les territoires et assurer le rayonnement de nos entreprises à l’international

A.   ACCOMPAGNER LE DÉVELOPPEMENT DEs entreprises de la dÉfense dans les territoires

1.   Entre l’État déconcentré et les collectivités, une articulation des dispositifs et des aides à clarifier

La BITD représente une industrie fortement pourvoyeuse d’emplois dans les territoires. Après la défaite de Sedan en 1870 et plus encore après la Première Guerre mondiale, l’État a entrepris une relocalisation des principaux sites de production d’armement loin des frontières de l’Est, dans des régions plus ou moins fortement industrialisées au préalable (bassin stéphanois, sud-ouest, Berry). Les fortes perspectives de croissance actuelles de la BITD peuvent ainsi fortement contribuer au dynamisme d’un bassin d’emploi, comme c’est le cas dans la région de Bourges (Cher), où le nombre de recrutements et les conditions salariales offertes par les maîtres d’œuvre industriels (KNDS France et MBDA) ainsi que des PME en forte croissance peuvent susciter des tensions marquées.

Le soutien de l’État à l’industrie de défense doit donc se traduire au niveau local et de nombreux efforts ont été faits en ce sens pour rapprocher les entreprises et les représentants du ministère des Armées. La réforme de la DGA en 2024 a constitué une avancée décisive, en instituant dans chaque région un attaché d’industrie et de défense (AIDER), relevant du sous-directeur des chaînes d’approvisionnement et de l’action dans les territoires au sein de la direction de l’industrie de défense. Ce représentant de la DGA est chargé de conseiller à la fois le préfet de région – qui s’appuie également sur les services déconcentrés placés sous sa responsabilité, comme la DREETS (Direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités) – et le conseil régional dans la mise en œuvre de politiques industrielles. L’AIDER est ainsi placé à l’interface entre l’État déconcentré et les collectivités territoriales, chargé de l’animation d’un réseau qui intègre également les financeurs privés et la direction régionale de Bpifrance ([13]). Intervenant en amont de la commande publique, et chargé d’accompagner toute entreprise souhaitant intégrer la BITD, l’AIDER dispose des moyens de la DGA pour fournir un soutien concret aux entreprises qu’il visite régulièrement. Il peut ainsi proposer aux sous-traitants critiques ou fragiles un accompagnement par des experts en performance industrielle de la DID. Il occupe ainsi une fonction distincte du délégué régional du ministère des armées, dépendant du secrétariat général pour l’administration (SGA), et de l’officier général de zone de défense et de sécurité. L’AIDER a vocation à s’imposer comme le point de référence à la fois pour les entreprises et les acteurs publics pour les orienter vers les modalités de soutien adaptées à leurs besoins.

Les groupements et les industriels ont exprimé à votre rapporteur de fortes attentes à l’égard des régions, en mettant particulièrement en exergue leur rôle dans la formation et le développement des infrastructures, ainsi que dans le fléchage des fonds structurels européens vers le secteur de la défense. Le déploiement de pôles de compétitivité constitue une modalité classique de la politique industrielle régionale, particulièrement pertinente dans le cas d’une industrie aussi fortement intégrée que la BITD.

La région peut également agir conjointement avec l’État, comme dans le cas de la reprise de la fonderie de Caudan (Morbihan) par le groupe Europlasma, qui a bénéficié au printemps 2025 d’un prêt de l’État et de la région Bretagne pour financer la moitié des investissements consentis par le groupe pour réorienter, de l’automobile vers la défense, l’activité de cette entreprise implantée dans le Morbihan (7 millions d’euros prêtés sur 15 millions d’euros investis). Certaines régions ont élaboré des feuilles de route spécifiques pour l’industrie de défense, notamment en Île-de-France, Grand Est, Occitanie et Nouvelle-Aquitaine : l’intérêt ainsi exprimé pour la BITD doit ensuite se concrétiser par des actions sur le terrain.

2.   L’exemple de la filière aéronautique dans le Sud-Ouest : un écosystème résilient et solidement structuré

Lors d’un déplacement à Bordeaux, votre rapporteur a ainsi pu apprécier l’efficacité d’un écosystème industriel de défense particulièrement bien intégré et organisé autour de la présence de grands donneurs d’ordre, dans le secteur aéronautique et spatial. Le rôle structurant des maîtres d’œuvre industriels – Dassault Aviation, Thales et Ariane Group disposent notamment de sites de production et d’assemblage importants dans l’agglomération bordelaise – est apprécié par les plus petites entreprises, qui bénéficient aussi des marchés de maintien en condition opérationnelle sur les sites industriels de la DGA (le service de la qualité à Bordeaux, le service Essais de missiles à Saint-Médard-en-Jalles ou l’Atelier industriel de l’aéronautique à Florac).

Un effort de formation et d’accompagnement est déployé à l’initiative des industriels, rassemblés depuis 1983 dans l’association BAAS (Bordeaux Aéronautique Aérospatial), en lien étroit avec la Chambre de commerce et d’industrie et le syndicat de la métallurgie (section régionale de l’UIMM), qui regroupe la grande majorité des métiers de la BITD bordelaise. L’association BAAS présente l’originalité de réunir, au-delà des industriels, la délégation régionale du ministère des Armées ainsi que le CEA. Ces liens forts ont été matérialisés par la signature d’un partenariat, à l’initiative du ministère des Armées en décembre 2023, dit « trinôme économique » entre la chambre de commerce, l’IHEDN et la DGA.

La forte intégration régionale de la BITD bordelaise est organisée autour de plusieurs pôles de compétitivité (Aerospace Valley et Alpha-RLH), à l’échelle de l’ensemble de la vallée de la Garonne : si l’ensemble des activités présentent un caractère dual, le pôle bordelais est principalement orienté vers la satisfaction des commandes militaires tandis que le pôle toulousain regarde davantage vers l’aviation civile. Ces pôles de compétitivité sont structurés par les deux régions Nouvelle-Aquitaine et Occitanie. La première dispose depuis 2021 d’une feuille de route ASD (filière aérospatial et défense), qui succède au plan Maryse Bastié déployé depuis 2015. Des efforts d’animation de réseau sont organisés au niveau régional, à l’instar des Assises du financement des entreprises industrielles régionales, à la fin du mois de mai 2025. À l’instar de l’État trois mois plus tôt, la région Nouvelle-Aquitaine s’est ainsi pleinement saisie d’un rôle de facilitateur et de promoteur de sa BITD auprès des financeurs locaux, afin de développer des produits adaptés aux stratégies industrielles, et permettre aux banques de mieux appréhender les spécificités et les risques inhérents à l’activité en cause.

Outre la région, il convient aussi de relever l’action de la métropole de Bordeaux, qui a mis en place un cluster spécialisé au sein de Bordeaux Technowest, son incubateur de startups : le « Cockpit » offre une implantation à 15 startups et 45 sous-traitants aéronautiques, regroupant 400 emplois à proximité des grands donneurs d’ordre, et constituant une position de choix pour accéder à la BITD et faire connaître leurs technologies.

Au bilan, l’industrie de défense bordelaise bénéficie de relais solidement constitués tant au niveau de l’État régional que des collectivités. Les liens entretenus avec la DGA, en particulier, sont de qualité, les industriels appréciant d’avoir des échanges exigeants avec des interlocuteurs techniques de haut niveau, eux-mêmes dotés d’une expérience concrète du monde de l’industrie. La capacité de la DGA à conduire des programmes est louée, et les entreprises se disent prêtes à assumer la montée en cadence, même si elles expriment des inquiétudes sur la visibilité des commandes et les délais de paiement.

B.   ASSURER LA COMPÉTITIVITÉ DES ENTREPRISES FRANÇAISES DU SECTEUR DE LA DÉFENSE

1.   Les difficultés rencontrées par les industriels ne sont pas spécifiques au secteur de la défense

La compétitivité des entreprises de la BITD doit être prise en compte dans un plan d’ensemble visant à lever les obstacles à la réindustrialisation de la France. De nouveaux projets de relocalisation stratégique ne peuvent avoir lieu sans commande publique et sans simplification de la vie des entreprises. Les inquiétudes exprimées à votre rapporteur rejoignent largement les problématiques de l’ensemble des entrepreneurs (effets de seuil, complexité des cahiers des charges des marchés publics, charges administratives pour satisfaire l’ensemble des normes).

Une attention particulière doit être portée à la facilitation des installations (implantation de nouveaux sites ou extension de sites existants), dans le cadre d’un assouplissement souhaitable de l’objectif de « zéro artificialisation nette », dont les projets industriels concourant à la défense nationale doivent être exempts, au nom de l’intérêt national qui y est attaché. Dans la région bordelaise, l’extension des sites de production atteint ainsi des limites liées au manque de terrains de compensation, malgré l’aide fournie par la métropole pour en proposer aux industriels. Votre rapporteur souhaiterait qu’un recensement des terrains disponibles pour des implantations de chaînes de production soit mené par la DGA sur les propriétés foncières du ministère des Armées. La vente des terrains inutilisés, ou leur mise à disposition sous la forme de baux emphytéotiques, permettrait une utilisation optimale du patrimoine foncier de l’État.

Plus largement, la simplification des démarches d’implantation devrait aboutir à une réduction drastique des délais d’autorisations administratives, qui constituent un frein au développement des PME et limitent leur passage à l’échelle et la structuration d’un réseau d’ETI solide. Votre rapporteur a ainsi pu échanger avec le dirigeant d’une PME du secteur naval, souhaitant créer une chaîne de production sur une zone d’activité pourtant préexistante : la mobilisation pendant un an et demi de deux équivalents temps-plein, selon ce témoignage, a été nécessaire pour faire aboutir le projet en satisfaisant à l’ensemble des études préalables. Une cartographie précise des points bloquants apparaît un préalable indispensable à l’effort de montée en cadence et devrait donner lieu à un programme de simplification, proposé par la DGA à brève échéance.

2.   Le crédit impôt recherche constitue un dispositif essentiel pour assurer la compétitivité de la BITD française et doit être maintenu

Les entreprises auditionnées par votre rapporteur ont fait valoir le caractère indispensable du crédit impôt recherche (CIR), dépense fiscale qui permet de rétablir la compétitivité de la recherche et développement (R&D) en France. Son maintien apparaît crucial pour le secteur de la BITD, à haute valeur technologique ajoutée. Cette dépense fiscale constitue la majeure partie des 2,1 milliards d’euros de financements publics à l’innovation bénéficiant à la BITD en 2021, sur un total de 3,7 milliards tous secteurs confondus ([14]). Sur le coût total représenté par le CIR pour les finances publiques, une étude du ministère des Armées de 2015 estimait que les entreprises de la BITD généraient 21 % des dépenses déclarées au CIR (chiffres sur l’année 2012).

Le crédit impôt recherche représente effectivement une part significative qui contribue à alléger le poids des charges payées par les entreprises. Pour les grandes entreprises de la BITD, le CIR représente couramment l’équivalent de 10 % du montant total des charges patronales. Interrogé par votre rapporteur, le groupe Safran, qui mène l’essentiel de ses activités de R&D en France, met l’accent sur la baisse du coût du chercheur français. Malgré cet apport, la R&D française demeure plus onéreuse que dans des pays voisins (le coût d’un chercheur allemand serait inférieur de 16 % en Allemagne et même de 29 % en Italie). Le dispositif du CIR est donc un atout pour les investisseurs étrangers. Pour les petites entreprises et les startups, le CIR permet de financer une grande partie de l’investissement, en particulier dans les premières années de développement, avant que des commandes fermes puissent être passées. Une startup générant un chiffre d’affaires de 10 millions d’euros réinvestit dans la R&D entre 30 et 40 % de ce montant.

Votre rapporteur considère toute réduction des dépenses éligibles au CIR comme une menace pour la pérennité des startups et PME de la BITD, ainsi qu’un affaiblissement considérable de la compétitivité à l’export des matériels français. Le dispositif Jeune entreprise innovante (JEI) apporte un soutien complémentaire pour les entités nouvelles, et pourrait être enrichi de considérations relatives à des activités de souveraineté. Le cumul entre CIR et JEI pour les entreprises éligibles est particulièrement intéressant car il permet d’obtenir le remboursement immédiat de la créance du CIR pendant toute la durée de la reconnaissance du statut JEI. Les startups sont en effet confrontées à la limite principale du crédit d’impôt, applicable sur les résultats de l’année suivante : pour mieux prendre en charge les besoins de ces jeunes entreprises, il serait utile que les banques, et notamment Bpifrance, développent des solutions de préfinancement du CIR.

C.   LE SOUTIEN À L’EXPORT, levier de sÉcurisation de la bitd

1.   L’exportation constitue pour les entreprises un relai vital durant les périodes creuses de la commande nationale en même temps qu’elle contribue à une baisse des coûts des achats de l’État

L’export contribue de manière décisive à la résilience de la BITD, les armées françaises ne constituant pas un débouché suffisant au regard des investissements consentis. La BITD française couvre en effet tous les champs capacitaires à de très bons niveaux d’excellence, sans relation avec la taille de ses armées. Cet écart était particulièrement prononcé pendant les trois dernières décennies de rétrécissement des budgets militaires, et a permis de maintenir des savoir-faire et le développement de technologies de pointe, qui pour certaines ont d’abord été utilisées à l’étranger. Une BITD exportatrice contribue ainsi à limiter l’érosion de la balance commerciale de la France, celle-ci étant très largement excédentaire dans le domaine de la défense. La France conserve ainsi sa place de deuxième exportateur mondial d’armement dans le monde (6ème exportateur mondial tous produits confondus).

Le montant des exportations de la BITD est par nature soumis à de fortes variations d’une année sur l’autre, selon le rythme des livraisons. Le total des exportations de la BITD se chiffrait ainsi à 11,7 milliards d’euros en 2021, 22 milliards d’euros en 2023, contre 8,7 milliards d’euros en 2023 – le montant moyen sur la dernière décennie étant de 11,5 milliards d’euros, soit un montant équivalent aux 11 milliards d’euros dépensés par la France pour l’équipement de ses forces en 2023. L’année 2024 a connu un niveau très satisfaisant de prises de commandes, diversifiées sur les trois armes, à hauteur de 18 milliards d’euros. L’Asie-Pacifique est aujourd’hui le premier marché à l’export (50 % des ventes en 2023), suivi par l’Europe où les potentialités sont importantes du fait de la prise de conscience de l’indépendance stratégique et matérielle (25 % des ventes), le Moyen-Orient (11 %) et l’Afrique (6 %).

Il est ainsi légitime de considérer que la BITD repose sur deux activités d’importance égale, comme fournisseur des armées françaises et comme exportateur. Ces deux activités génèrent des bénéfices réciproques, permettant aux entreprises de supporter les à-coups de la commande publique, en particulier dans une période de fortes contraintes budgétaires. Globalement, les ventes réalisées à l’export génèrent des paiements plus rapides, avec un système d’acompte de 15 % dès la commande, conformément au règlement de l’OCDE. L’État acheteur y trouve également son compte, le succès d’un matériel à l’export permettant de diminuer le prix d’achat pour ses propres besoins. La DGA gagnerait donc à mieux intégrer les perspectives de succès à l’export dans les marchés qu’elle établit avec la BITD, en prenant en compte dès la conception les possibilités de développement sur d’autres marchés et en intégrant des formules de prix selon les ventes réalisées à l’étranger.

Pour autant, certaines faiblesses à l’export de la BITD française doivent être prises en compte. Tout d’abord, le modèle d’armée française centré sur la dissuasion nucléaire et les opérations expéditionnaires demeure relativement éloigné des standards internationaux. Ensuite, le choix de développer toutes les technologies, mais en petite quantité au regard des besoins nationaux, rend l’industrie française moins compétitive d’un point de vue capacitaire, ce qui a des incidences en termes de délais de livraison, qui sont généralement plus étendus que ceux de nos concurrents. Enfin, la faible part des stocks constitués par les armées françaises limite la force de l’export.

2.   Des dispositifs de soutien à l’export peu connus des industriels de la BITD

Le régime français de contrôle des exportations est reconnu comme l’un des plus efficaces ([15]). Il s’inscrit dans un cadre strict de dérogation, impliquant l’octroi systématique de licence, et de procédures contraignantes pour les entreprises exportatrices, qui doivent respecter des règles prédéfinies. En contrepartie, des dispositifs de soutien à l’export peuvent être sollicités, même si votre rapporteur déplore qu’ils demeurent encore trop peu connus.

Le cadre applicable à l’export relève à la fois du ministère des Armées (direction des affaires internationales de la DGA) et du ministère de l’Économie et des finances (direction générale du Trésor), et bénéfice d’un appui interministériel par le biais du Secrétariat général à la défense et à la sécurité nationale (SGDSN), chargé de formuler un avis motivé sur l’octroi de licences d’exportation. Deux régimes distincts, mais impliquant les mêmes acteurs, existent selon la catégorisation des biens exportés : la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG) et la commission interministérielle pour les biens à double usage (CIMBDU), dont le secrétariat est assuré par le SGDSN.

Trois types de contraintes doivent être pris en considération par les candidats exportateurs :

● En premier lieu, la politique de financement export détermine le niveau maximum d’exportation par secteur et par destination géographique. Une carte publiée annuellement reflète ce cadre prudentiel, élaboré par la DGT pour limiter l’exposition des finances publiques, dans la mesure où les garanties exports reposent sur le budget de l’État. La situation macroéconomique de chaque pays est prise en compte, ainsi que sa balance courante, pour évaluer le degré de risque emporté par la passation d’un contrat d’exportation. Des cas de dérogation peuvent être pris sur décision expresse du ministre de l’Économie, principalement pour des raisons diplomatiques, la décision finale impliquant généralement l’état-major particulier du président de la République.

● En second lieu, les matériels exportés doivent respecter des exigences de part française, d’au moins 20 %. L’exportateur est tenu de présenter les certificats d’origine de l’ensemble de sa chaîne de valeur. Même si cette part paraît faible, elle est perçue comme un obstacle sérieux par les grands maîtres d’œuvre. Votre rapporteur considère qu’elle doit être maintenue, et qu’elle pourrait même être portée à un niveau supérieur, dans la mesure où la contrainte réelle est dans la plupart des cas assez faible, la chaîne de valeur des entreprises de la BITD étant très majoritairement située en France. Une révision à la hausse de cette exigence minimale serait conforme à la volonté affichée de relocalisation des chaînes d’approvisionnement stratégique, et cohérente avec les efforts de la France pour imposer une préférence européenne dans les achats financés par des fonds ou des facilités de prêts européens.

● En troisième lieu, contrairement à certains de ses voisins (Royaume-Uni et Italie notamment), la France a fait le choix d’appliquer intégralement l’arrangement de l’OCDE sur le soutien public à l’exportation de matériel de guerre ([16]). La principale disposition de cet accord fixe un acompte minimal de 15 % du prix total, versé par le pays acheteur lors de la passation de la commande, afin de garantir sa solvabilité. Une telle exigence se justifie au vu de l’ampleur des expositions des finances publiques à l’exportation du matériel de guerre, puisque 40 % des 70 milliards d’euros supportés par l’État au titre de l’assurance-crédit export concernent des matériels de guerre. Votre rapporteur considère au surplus qu’il s’agit d’une garantie opportune pour les entreprises exportatrices, propre à améliorer leur situation de trésorerie et à limiter leur niveau d’endettement. Cette exigence propre à la France ne semble pas faire obstacle, dans l’ensemble, à la passation de contrats d’exportation ([17]).

En contrepartie de ce cadre rigide mais dans l’ensemble vertueux, l’État consent diverses facilités aux acheteurs étrangers pour encourager les exportations. Celles-ci font l’objet de négociations entre États, parallèlement aux négociations commerciales entre l’entreprise et son acheteur. Quatre dispositifs principaux peuvent être mentionnés :

– le mécanisme de l’assurance-crédit export, qui implique Bpifrance Assurance Export, consiste en l’octroi d’une garantie de l’État français aux emprunts contractés par un acheteur étranger pour l’achat de matériel militaire, en prenant en compte un niveau de risque raisonnable pour les finances publiques ;

– le mécanisme de stabilisation des taux, spécificité française qui permet à l’acheteur de se garantir un taux stable pour les intérêts du prêt souscrit en financement, alors que les consortiums bancaires demandent généralement des taux variables pour financer des opérations de cette ampleur sur une durée longue. Le risque de taux est alors couvert par l’État, ce qui constitue un argument de poids pour inciter les acheteurs étrangers à contracter avec la BITD française ;

– les prêts et avances du Trésor peuvent être directement octroyés aux États acheteurs, généralement sur une part symbolique du montant total de l’opération, comme une marque de soutien politique, traduisant l’engagement de la France à soutenir son modèle d’exportation ;

– le refinancement du prêt par la SFIL (Société de financement et d’investissement local), banque publique de développement dont l’État est l’actionnaire de référence à 75 %, aux côtés de la Caisse des dépôts et de la Banque postale.

● Enfin, un dispositif spécifique qui mériterait d’être davantage promu auprès de la BITD est la procédure d’avances remboursables dite « article 90 », qui bénéficie cette fois-ci directement à l’entreprise exportatrice ([18]).

Porté par le compte de commerce n° 904 Lancement de certains matériels de guerre, avec un encours de 70 millions d’euros au 31 décembre 2024 (en progression de 4 % sur les douze derniers mois), ce dispositif vise à soutenir le développement industriel et la promotion d’un matériel ou d’une technologie en vue de son exportation. L’État consent une avance qui donne lieu au paiement d’intérêts (de l’ordre de 8 %) mais dont le principal n’est entièrement remboursable qu’en cas de succès à l’export, selon un niveau d’unités vendues défini à l’avance. Plusieurs critères encadrent son utilisation, définissant en particulier un certain degré de maturité technologique de l’équipement et permettant de vérifier la pertinence du plan d’exportation. Le dispositif de l’article 90 n’est donc pas un outil de soutien à l’innovation, mais plutôt une facilité pour adapter un matériel existant aux besoins d’autres marchés. Bpifrance Assurance Export, agissant comme opérateur du ministère de l’Économie et des finances, est chargée de conclure les contrats d’avances avec l’entreprise bénéficiaire, couvrant en général 60 à 65 % des dépenses éligibles, remboursables sur une durée réduite en 2021 de quinze à douze ans. Ce dispositif permet une forme de partage des risques entre les industriels et l’État, dans le cas où les perspectives à l’export ne se réalisent pas comme prévu.

Le compte de commerce qui porte ces mouvements de crédits n’a donné lieu à aucun abondement depuis 1982, ce qui s’explique par la discrétion du dispositif, trop peu sollicité, mais aussi du fait des bons retours constatés pour les matériels bénéficiant de ces avances, ce qui en fait un outil de soutien précieux pour les entreprises sans coût pour les finances publiques, le compte de commerce étant autofinancé par les remboursements et le paiement des intérêts.

Un effort a déjà été accompli ces dernières années pour orienter le bénéfice de ce dispositif vers les PME afin de les mettre en capacité de se créer un marché à l’export, sans exclure pour autant les plus grands groupes de la possibilité de le solliciter. Les PME représentent aujourd’hui 70 % des contrats en cours au titre de l’article 90. Une extension de ce mécanisme pourrait être envisagée, même si un versement complémentaire depuis le budget général pour augmenter sa capacité est peu envisageable dans le contexte actuel. Néanmoins, une étude rigoureuse des plans d’exportation soumis par les entreprises candidates doit permettre de limiter le risque et des marges de manœuvre existent à dotation constante. À tout le moins, une campagne de promotion par la DGA auprès de la BITD permettrait de renforcer l’intérêt pour cette procédure, qui gagnerait aussi en visibilité en prenant un nom commercial plus facilement identifiable.

3.   Des voies de simplification existent pour fluidifier les procédures à l’export au bénéfice des entreprises de la BITD

Outre la promotion des outils existants, votre rapporteur considère que le soutien à l’export constitue l’une des principales voies de renforcement du soutien de l’État à la BITD. Plusieurs points d’attention méritent d’être retenus par les acteurs de cette politique de soutien – DGA, DGT, SGDSN à titre principal – pour en améliorer l’efficience.

En premier lieu, les entreprises exportatrices signalent une complexité croissante des procédures donnant lieu à l’octroi de licences. Un audit du fonctionnement des CIEEMG et CIMBDU pourrait être envisagé afin de réduire la durée nécessaire à l’examen des dossiers, les délais constatés étant de l’ordre de 2 à 5 mois actuellement. Le GICAT relève ainsi une augmentation des délais moyens sur l’année 2024, de l’ordre de 46 jours contre 36 jours en 2023 et 42 jours en 2022. Parallèlement, une augmentation des conditions imposées lors de l’octroi des licences tend à restreindre la marge de manœuvre et d’adaptation des matériels destinés à l’exportation, tandis que des craintes sont exprimées quant à la rédaction de ces conditions, source potentielle d’insécurité juridique.

Si la pertinence du cadre dérogatoire de contrôle strict n’est pas en cause, il convient cependant de promouvoir un accompagnement pédagogique des entreprises, en particulier les PME qui tentent un développement à l’export, en évitant toute judiciarisation de la procédure. La fluidité du processus de contrôle des exportations est un élément majeur de la compétitivité de la BITD, son amélioration doit donc constituer une priorité pour l’administration.

En second lieu, une réflexion plus systématique doit être conduite par la DGA pour penser la possibilité de développement de marchés à l’export dès la définition des grands programmes d’armement. Si la possibilité de l’export n’est pas prise en compte lors de cette phase de conception, le design de la version exportée des matériels est trop souvent dérivé de la version nationale avec une couche supplémentaire de spécifications qui rend le produit peu compétitif. La DGA doit aussi mettre à l’étude de nouvelles formules contractuelles permettant de réduire ses coûts d’acquisition en les faisant dépendre, pour partie, du succès à l’export rencontré par son contractant. Un tel équilibre serait bénéfique pour les deux parties et source de meilleure maîtrise budgétaire des programmes.

Quoi qu’il en soit, il est important de rappeler avec force que l’export ne saurait être un substitut de la commande publique en période de tensions sur les budgets. Le succès à l’export dépend étroitement de l’usage qui est fait des matériels par les armées, et de l’image perçue à l’étranger pour un produit ayant fait l’objet de commandes préalables de l’armée française.

 


   Travaux de la commission

Lors de sa troisième réunion, le mercredi 25 juin 2025, la commission, réunie en commission d’évaluation des politiques publiques, a entendu M. Emeric Salmon, rapporteur spécial des crédits de la mission Défense : Budget opérationnel de la Défense, sur son rapport d’information sur le soutien public à l’industrie de défense, présenté en application de l’article 146, aliéna 3, du règlement de l’Assemblée nationale.

La commission a autorisé la publication du rapport d’information.

La vidéo de cette réunion est disponible sur le site de l’Assemblée nationale.

Le compte rendu sera prochainement consultable.

 

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LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL

 

Direction générale de l’Armement

– M. Benoît Laroche de Roussane, directeur de la Direction de l’Industrie,

– Mme Laure Dupasquier, cheffe de cabinet,

– Mme Mathilde Hermann, conseillère pour la communication et les relations avec les élus.

Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN)

– Ingénieur général Cyril Crozes, directeur adjoint AIST

Direction générale du Trésor

– M. Armel Castets, sous-directeur du financement international des entreprises et du soutien au commerce extérieur,

– Mme Sandrine Ménard, sous-directrice du financement des entreprises et des marchés financiers,

– Mme Camille Sutter, cheffe du bureau Financement et développement des entreprises,

– Mme Audrey Strochlic, adjointe au chef du bureau des Affaires aéronautiques, militaires et navales,

 M. Gaëtan Mouilleseaux, adjoint au chef de bureau Industrie, Economie de la connaissance et de l’innovation,

– M. Sofien Abdallah, conseiller parlementaire et relations institutionnelles (intérim).

Direction du budget  Bureau de la défense et de la mémoire (5 BDM)

– M. Benoit Malbrancke, chef de bureau,

– M. Clément Boisnaud, sous-directeur des budgets de la défense, de la sécurité, de l'administration gouvernementale, générale et territoriale de l'État et des relations avec les collectivités territoriales.

Agence des participations de l’État

– M. Alexis Zajdenweber, Commissaire aux participations de l’État et directeur général de l’APE,

– M. Pierre Jeannin, directeur de la participation Industrie,

– M. Antonin Valls, adjoint à la cheffe de cabinet.

Banque Publique d’Investissement (BPI) *

– M. Pascal Lagarde, directeur exécutif en charge de l’international, de la stratégie, des études et du développement,

– M. Cédric Lowenbach, directeur de développement au sein de la direction de la stratégie et du développement,

– M. Jean-Baptiste Marin-Lamellet, directeur des relations institutionnelles,

– M. Pierre Cejka, chargé de relations institutionnelles et médias.

Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (Gicat) *

 Général Jean-Marc Duquesne, délégué général,

 Mme Léa Benassem-Durieux, directrice des affaires publiques,

 Mme Hinde Doux, présidente de la Commission PME du GICAT et présidente de la société TNS MARS,

 M. Lucas Le Bell, président de la société CERBAIR.

Groupement des industries de construction et activités navales (Gican) *

– M. Jean-Marie Dumon, directeur général adjoint en charge de la défense et de la sécurité,

– M. Thibaud Bezacier, président d’Alseamar.

Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas) *

– M. Frédéric Parisot, délégué général,

– M. Jérôme Jean, directeur des Affaires Publiques.

Groupe Thales *

– M. Alexandre Houlé, directeur de la stratégie,

– Pierre Bénard, vice-président commerce France,

– Mme Isabelle Caputo, directrice des relations parlementaires et politiques.

Airbus *

– M. Fabien Menant, directeur des affaires publiques France,

– Général Louis Pena, conseiller militaire,

– M. Olivier Masseret, directeur des relations parlementaires et politiques.

Arquus *

– M. Charles Maisonneuve, directeur des affaires publiques et des médias,

– Mme Clémence Bouvier, cheffe de projet affaires publiques,

– Mme Ermance Michaux, chargée de mission affaires publiques.

Safran *

– M. Axel Nicolas, directeur adjoint des affaires publiques,

– M. Fabien Kuzniak, conseiller militaire,

– Mme Suzanne Kucharekova, directrice des affaires institutionnelles.

 

Table ronde à la chambre de commerce et d’industrie (CCI) Bordeaux Gironde * avec des dirigeants de PME et ETI du secteur de la défense

– M. Gilles Fonblanc, président de l’association BAAS (Bordeaux Aquitaine Aéronautique et Spatial),

– M. Alexandre Le Camus, délégué général de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) Gironde-Landes,

– M. Patrice Béal, président d’Inorix,

– M. Sylvain Bataillard, directeur stratégie et co-fondateur d'HyPrSpace,

– M. Fabien Beyrand, dirigeant fondateur de la startup TiPi3D. 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique

 

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([1]) TrésorEco n° 360, Quelle était la situation financière des entreprises de la BITD avant la guerre en Ukraine ?, mars 2025.

([2]) Commission des finances du Sénat, Rapport d’information sur les Perspectives de financement des objectifs fixés par la loi de programmation militaire, 14 mai 2025.

([3]) Plusieurs notes thématiques font le point sur le développement d’une filière technologique et clarifient les attentes de la DGA à l’égard des concepteurs, par exemple sur les satellites, les drones, le titane ou l’impression 3D.

([4])  Directive 2009/81/CE du 13 juillet 2009 relative à la coordination des procédures de passation de certains marchés de travaux, de fournitures et de services par des pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices dans les domaines de la défense et de la sécurité, et modifiant les directives 2004/17/CE et 2004/18/CE.

 

([5]) Depuis la loi du 28 décembre 1966, l’article L. 151-3 du code monétaire et financier prévoit que les investissements étrangers réalisés dans des entités françaises exerçant des activités de nature à porter atteinte aux intérêts de la défense nationale sont soumis à l’autorisation préalable du ministre chargé de l’économie.

([6]) En vertu de cet article, « tout État membre peut prendre les mesures qu’il estime nécessaires à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité et qui se rapportent à la production ou au commerce d’armes, de munitions et de matériels de guerre ; ces mesures ne doivent pas altérer les conditions de la concurrence dans le marché intérieur en ce qui concerne les produits non destinés à des fins spécifiquement militaires ».

([7]) Par exemple la Cour des comptes, dans son rapport de février 2022 sur la gestion des participations financières de l’État pendant la crise sanitaire, appelait à « clarifier la répartition des rôles entre les trois grands actionnaires publics ».

([8]) L’évaluation du fonds Definvest par la Cour des comptes en novembre 2023, tout en formulant des observations pertinentes qui ont pu être prises en compte par les gestionnaires du fonds, intervenait de façon prématurée au regard du recul nécessaire pour juger d’investissements de long terme (seul un tiers de l’enveloppe visée avait alors été investi).

([9]) Le rapport de 2023 critiquait en particulier le taux de rémunération du gestionnaire, de l’ordre de 1,8 %. Jugé dans la moyenne basse par Bpifrance, il a cependant été abaissé depuis. Dans la perspective d’une ouverture aux investisseurs particuliers d’un fonds dédié au financement de la défense, la maîtrise des frais de gestion doit faire l’objet d’une attention particulière, pour ne pas obérer les perspectives de rendement, structurellement plus incertain dans le non côté.

([10]) Le fonds Eiréné, de Weinberg Capital, pourrait ainsi se voir abondé par Bpifrance Défense pour attirer également d’autres investisseurs institutionnels.

([11]) Rapport d’information au nom de la commission des finances de l’Assemblée nationale, déposé le 14 mai 2025.

([12]) Chiffres communiqués par la Direction générale du Trésor.

([13]) 90 % des montants investis ou prêtés par Bpifrance sont arbitrés au niveau des directions régionales, seules les opérations en capital les plus importantes remontant au niveau du siège.

([14]) Données transmises à votre rapporteur par la DGA et la direction des applications militaires du CEA.

([15]) Le classement 2024 du Peddling Peril Index, qui fait référence en la matière, l’a désigné comme le plus efficient au monde.

([16]) Arrangement sur les crédits à l'exportation bénéficiant d'un soutien public, adopté le 22 février 1978.

([17]) Une exception a pu être consentie en 2017 au profit de l’Égypte, le contrat prévoyant expressément que l’emprunt souscrit par ce pays couvrirait une partie de l’acompte de 15 %. Cependant, cette part n’a pas été empruntée auprès de la France, mais par l’intermédiaire d’autres partenaires financiers.

([18]) La dénomination de ce dispositif fait référence à l’article qui l’a créé, dans le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, instituant un compte de commerce pour en supporter les dépenses. Pris en application de la loi de finances rectificative pour 1963 n° 63-628 du 2 juillet 1963, ce décret créait un dispositif prévu à l’origine pour soutenir l’industrie aéronautique, progressivement transformé en aide à l’industrie de défense, au titre de l’exemption prévue à l’article 346 du TFUE.