N° 1689
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 juillet 2025.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
sur le déplacement d’une délégation de la commission à Nice,
à l’occasion de la troisième conférence des Nations unies sur l’océan,
du 8 au 10 juin 2025
présenté par
M. Bruno FUCHS,
Mmes Pascale GOT et Alexandra MASSON,
et MM. Hervé BERVILLE, Pierre-Yves CADALEN
et Jean-Louis ROUMÉGAS,
Députés
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La délégation de la commission était composée de : M. Bruno Fuchs (Haut-Rhin – Les Démocrates), président de la commission ; M. Hervé Berville (Côtes-d’Armor – EPR), M. Pierre-Yves Cadalen (Finistère – LFI-NFP), Mme Pascale Got (Gironde – SOC), Mme Alexandra Masson (Alpes-Maritimes – RN), Mme Mereana Reid-Arbelot (Polynésie française – GDR), M. Jean-Louis Roumégas (Hérault – EcoS).
SOMMAIRE
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Pages
I. L’exploitation croissante des eaux internationales : entre convoitise et encadrement
A. Un cadre juridique international complexe
B. Un milieu maritime porteur de richesses
1. L’économie bleue, secteur majeur à l’échelle de la planète
b. Les perspectives et opportunités de financement
ii. Le poids du secteur maritime dans l’économie nationale
2. Le potentiel des grands fonds marins
C. Un écosystème maritime fragile et menacé
1. Le défi de la pollution plastique
a. Une urgence en Méditerranée
b. Les territoires d’outre-mer en première ligne face à la pollution plastique
c. Un volume alarmant : l’ampleur mondiale de la pollution plastique
2. Les risques liés à la pollution chimique, péril invisible
A. Le plus grand sommet sur l’océan jamais organisé à aussi haut niveau politique
2. Un volet parlementaire non moins important
B. La mise en lumière des défis de la préservation des milieux marins
1. Une intégration à part entière de l’océan à l’agenda climatique mondial
2. Un renforcement du rôle de la science et de l’innovation
C. Des résultats manifestes pour la communauté internationale mais aussi la France
1. Des progrès significatifs à l’échelle internationale
a. Un soutien manifeste à l’aboutissement du processus de ratification de BBNJ
b. Une mobilisation des financements pour l’ODD 14 et l’économie bleue
2. La France au centre des négociations mondiales sur l’océan
3. De la pollution plastique aux aires marines protégées : des défis restant à relever
a. Des progrès mesurés pour un traité plastique ambitieux
b. Des annonces concernant les aires marines protégées qui peinent à satisfaire
Annexe : liste des personnes entendues par la délégation de la commission
Appréciation complémentaire portée à titre personnel par M. Pierre-Yves Cadalen (LFI-NFP)
Source de rêves et de craintes, symbole d’aventure et de liberté, l’océan fascine l’homme depuis toujours et inspire toutes les cultures. Il couvre, en effet, plus de 70 % de la surface de notre planète et fournit environ 20 % des protéines animales consommées dans le monde. Abritant des milliards d’espèces vivantes dont seule une infime partie est aujourd’hui identifiée, il joue un rôle essentiel dans l’équilibre thermique, physico-chimique et donc climatique de la Terre. Les liaisons maritimes, par lesquelles transitent plus de 80 % des échanges commerciaux et 97 % des échanges numériques, alimentent l’économie mondiale. De même, près du tiers des hydrocarbures extraits du sous-sol proviennent des océans et la production d’énergie renouvelable, notamment éolienne, s’y développe de façon rapide, tout comme le tourisme maritime, littoral et de croisière.
Cependant, cet espace est aussi très sensible et fragilisé par les activités économiques humaines : nombre de signes nous alertent aujourd’hui sur les effets négatifs de la pêche hauturière intensive et industrielle, de la pêche illégale, de l’exploration des grands fonds marins et du transport maritime, de la dégradation des habitats et des pollutions plastiques, chimiques, sonores et lumineuses. Or, si les enjeux de protection de la biodiversité et de lutte contre le changement climatique sont désormais bien intégrés dans les négociations internationales, tel n’est pas le cas pour les sujets maritimes couverts par deux conférences internationales seulement. La dernière, co-organisée par le Portugal et le Kenya en 2022, s’est révélée décevante.
C’est dans ce contexte que la ville de Nice a accueilli la troisième conférence des Nations unies (UNOC 3), du 9 au 13 juin 2025. La France est, en effet, une grande nation maritime et littorale, en particulier grâce à ses territoires d’outre-mer qui représentent 97 % de sa zone économique exclusive (ZEE). Forte de ses 18 000 kilomètres de littoraux, 75 % de ses approvisionnements et de ses exportations empruntent la voie maritime quand 95 % des échanges d’information à destination ou en provenance de notre pays transitent par des câbles sous-marins. Présente dans le Pacifique, l’océan Indien, l’Atlantique et en mer Méditerranée, la France possède la deuxième ZEE au monde, ce qui lui confère une responsabilité particulière, tout en justifiant qu’elle mène une action internationale dynamique, à l’avant‑garde pour la protection de ces espaces.
L’UNOC 3, organisée de concert avec le Costa Rica, a été l’occasion de susciter une mobilisation sans précédent pour la protection de l’océan : 175 États, 64 chefs d’État et de gouvernement, 28 responsables d’organisations onusiennes, intergouvernementales et internationales, 115 ministres, 12 000 délégués et près de 130 000 visiteurs venus assister à plus de 1 000 événements. Plus grand sommet jamais organisé sur la question de l’océan en termes de représentation politique à haut niveau, de participation d’acteurs et d’engagements fermes et ambitieux des différentes parties prenantes, l’UNOC 3 a marqué la volonté de la communauté internationale de s’engager à titre individuel et collectif pour la mise en place de l’objectif de développement durable n° 14 (ODD 14), pierre angulaire de la protection de l’océan à horizon 2030. Ce dernier vise à la conservation et à l’utilisation durable des océans, des mers et des ressources marines.
Dans un contexte international marqué par une remise en cause du multilatéralisme et des préoccupations environnementales, il apparaît essentiel que la France s’engage, à tous les niveaux, pour défendre une vision ambitieuse et concertée de la préservation de nos océans.
Une délégation de sept députés de la commission, conduite par le président Bruno Fuchs, s’est donc rendue à Nice pour prendre part à ce grand évènement et soutenir la coalition parlementaire en faveur de la protection des océans portée par la vice-présidente Éléonore Caroit. Elle a pu mener une série d’entretiens avec des parlementaires de tous les continents, le ministre des affaires étrangères, Jean‑Noël Barrot, des scientifiques et experts, des personnalités du secteur maritime ainsi que des représentants d’organisations non gouvernementales. Ce faisant, elle a enclenché une dynamique fructueuse, sur le plan parlementaire, pour renforcer le rôle de l’Assemblée nationale dans les futures négociations environnementales et climatiques et réaffirmé son engagement aux côtés de la communauté scientifique et du monde associatif pour faire progresser la cause des océans dans les années à venir.
Le 9 juillet 2025, la commission des affaires étrangères a souhaité que les constats dressés par la délégation puissent être rendus publics sous la forme de ce rapport d’information.
I. L’exploitation croissante des eaux internationales : entre convoitise et encadrement
A. Un cadre juridique international complexe
Au XVIIe siècle déjà, Hugo Grotius défendait, dans son ouvrage Mare Liberium, l’idée que la mer ne devrait être appropriée par aucun État. Des années plus tard, en 1930, la Société des Nations (SDN) tenta de structurer un droit de la mer lors de la conférence de La Haye, sans succès.
Entre les années 1950 et la fin des années 1960, plusieurs initiatives ont été menées pour codifier le droit international de la mer, sous l’égide des Nations unies. Ces efforts ont conduit à l’adoption de quatre conventions majeures lors de la première conférence des Nations unies sur le droit de la mer (UNCLOS I), organisée en 1958. Il s’agissait de la convention sur la mer territoriale et la zone contiguë, entrée en vigueur en 1964, de la convention sur la haute mer, mise en œuvre en 1962, de la convention sur la pêche et la conservation des ressources biologiques de la haute mer, qui a pris effet en 1966, ainsi que de la convention sur le plateau continental, effective depuis 1964.
Bien qu’elles aient représenté une avancée importante en matière de codification du droit de la mer, ces conventions se sont rapidement révélées insuffisantes pour encadrer les enjeux croissants liés aux espaces maritimes. En particulier, les États ne parvenaient pas à s’entendre sur la délimitation de leurs mers territoriales, ce qui provoquait des tensions récurrentes en matière de souveraineté et de partage des ressources. Face à ces limites, une troisième série de négociations a été lancée en 1973, aboutissant en 1982 à l’adoption de la convention des Nations unies sur le droit de la mer, dite « convention de Montego Bay ». Cette dernière n’est entrée en vigueur qu’en 1994, après avoir été ratifiée par le nombre requis d’États. Elle constitue aujourd’hui la référence centrale du droit international de la mer, en définissant avec précision les différentes zones maritimes et les droits qui y sont associés.
La convention de Montego Bay établit une mer territoriale de douze milles marins sur laquelle l’État côtier exerce sa souveraineté, tout en respectant le droit de passage inoffensif des navires étrangers. Elle introduit également la zone économique exclusive (ZEE), jusqu’à deux cents milles marins, dans laquelle l’État ne détient pas une souveraineté pleine mais des droits souverains d’exploitation et de gestion des ressources. Enfin, la convention définit le régime du plateau continental, qui peut être étendu au-delà de deux cents milles sous conditions géologiques, après examen par une commission spécialisée et en concertation avec les États voisins.
Avec la montée de nouvelles problématiques visant à la protection de la biodiversité en haute mer, en septembre 2023, 115 États ont signé l’accord sur la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale – Marine Biodiversity of Areas Beyond National Jurisdiction Agreement ou BBNJ. Bien que cet accord international ne concerne pas les ressources minérales des fonds marins mais les ressources génétiques, il a pour vocation d’instaurer une coordination et une coopération étroites avec les organismes compétents, afin de garantir que les objectifs de conservation et d’utilisation durable de la haute mer soient dûment pris en compte dans leurs plans de gestion, notamment à travers la réalisation d’études d’impact environnemental ou la création d’aires marines protégées.
Parmi les principaux outils que ce nouvel accord entend mettre en œuvre, l’un des plus pertinents dans le contexte de l’exploitation des fonds marins est l’obligation, pour les États et leurs opérateurs économiques, de conduire des études d’impact des activités humaines sur le milieu marin. En effet, les législations nationales en matière d’études d’impact sont souvent hétérogènes, ce qui limite l’efficacité des mesures de protection à l’échelle internationale.
B. Un milieu maritime porteur de richesses
1. L’économie bleue, secteur majeur à l’échelle de la planète
L'économie bleue – concept initié par l’industriel belge Gunter Pauli en 2010 et promu lors de la Conférence des Nations unies sur le développement durable en 2012 – fait référence à l’utilisation durable des ressources océaniques pour la croissance économique, l’amélioration des moyens de subsistance et des emplois, tout en préservant la santé des écosystèmes océaniques. Elle englobe une variété de secteurs, y compris la pêche, le tourisme côtier, les énergies renouvelables marines, le transport maritime, et bien d’autres activités liées aux océans et aux zones côtières.
a. Un secteur de taille pour l’économie mondiale, particulièrement important au sein des économies en développement
Selon les données les plus récentes de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), datant de 2020, l’économie bleue représenterait 2 600 milliards de dollars de valeur ajoutée brute (VAB). La seule région méditerranéenne, avec ses 46 000 kilomètres de côtes et ses ressources marines uniques, générerait une valeur économique annuelle de 450 milliards de dollars ([1]).
Avec 2,8 % de croissance annuelle moyenne sur les vingt-cinq dernières années, elle a crû plus rapidement que l’économie mondiale, de sorte que la taille de ses différents secteurs a doublé entre 1995 et 2020. Le nombre d’emplois générés, évalué au total à plus de 100 millions, reste néanmoins relativement stable. Parmi eux, 60 millions sont liés à la pêche ou à l’aquaculture, majoritairement dans les pays en développement.
Volet parmi les plus importants, le secteur de la pêche et de l’aquaculture a atteint au début de la décennie une production de près de 180 millions de tonnes d’animaux marins, auxquelles on peut ajouter 36 millions de tonnes d’algues. En 2022, le secteur, porté par la croissance de l’aquaculture, pesait ainsi près de 452 milliards de dollars. Or, plus de 600 millions de personnes dépendent de la production halieutique pour leur propre subsistance et plus de 3,2 milliards d’individus en tirent près de 20 % de leur apport moyen en protéines animales. La soutenabilité des ressources halieutiques est donc primordiale pour assurer une croissance à long terme.
Néanmoins, aux mêmes dates, 35,4 % des stocks de poissons sont biologiquement surexploités tandis que 57,3 % sont exploités au niveau durable maximal. Pour y pallier, le Fonds mondial pour la nature soutient la création d’aires marines protégées (AMP), définies comme un volume d’eau en mer sur lequel est déterminé un objectif spécifique de conservation. Les AMP engendreraient des bénéfices économiques et environnementaux à double dividende : en favorisant les services écosystémiques rendus par la préservation de la biodiversité, elles permettent d’augmenter le rendement des pêches sur le long terme via la reconstitution plus durable des stocks. En France, la protection du parc naturel marin d’Iroise (Finistère), riche de plusieurs dizaines d’espèces d’algues, assure l’exploitation durable des ressources par la mise en place de techniques de récoltes responsables débouchant sur un label biologique.
ÉVOLUTION DE LA CAPTURE DE POISSONS
ET DE LA PRODUCTION AQUACOLE
Source : FAO 2022 ; chiffres ne prenant pas en compte la production d'algues.
Le dynamisme de l’économie bleue est majoritairement porté par les pays de l’Asie et du Pacifique. La zone concentre 75 % de la croissance du secteur entre 1995 et 2020. Ainsi, la Chine est la première puissance économique maritime, représentant à elle seule 23,6 % de la VAB au niveau mondial. Viennent ensuite le Japon (7,1 %), les États-Unis (7 %), l’Inde (5 %) et le Royaume-Uni (4,9 %).
À l’échelle européenne, l’économie bleue représente 4,5 millions d’emplois directs et plus de 170 milliards d’euros de valeur ajoutée, soit respectivement 1,8 % des emplois de l’Union et 1,3 % de son produit intérieur brut (PIB). Contribuant au quart de la production de l’économie bleue européenne, l’Allemagne est la première puissance économique maritime de l’Union, devant la France (13 %) et l’Espagne (12 %). Engendrant plus de 50 milliards d’euros de valeur ajoutée brute, le tourisme côtier constitue pour l’Europe le principal secteur pourvoyeur de richesses, bien que les zones concernées présentent un risque élevé face à la saisonnalité. Au sein des secteurs traditionnels, le transport maritime (45 milliards d’euros) et les activités portuaires (30 milliards d’euros) présentent tout de même des contributions élevées.
b. Les perspectives et opportunités de financement
L’économie bleue participe du 14e objectif de développement durable des Nations unies, qui vise à conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines. Malgré les besoins – le Forum économique mondial estime qu’un investissement annuel de 175 milliards de dollars est nécessaire pour atteindre cet objectif –, l’ODD 14 reste le moins financé de tous, réunissant seulement 3,5 % de l’ensemble des financements consacrés à tous les objectifs de développement durable.
Toutefois, les initiatives multilatérales en faveur de l’économie bleue se multiplient. À travers sa stratégie pour une économie bleue durable, la Banque mondiale accompagne les pays pour encourager une pratique soutenable de la pêche et de l’aquaculture, établir des aires marines protégées et lutter contre la pollution. La valeur totale des financements de la Banque mondiale en lien avec les mers et les océans s’élève ainsi à plus de 7 milliards de dollars.
De même, la Commission européenne met en œuvre la stratégie « croissance bleue », adoptée en 2012. Celle-ci met l’accent sur cinq secteurs d’activité à fort potentiel pour la croissance et l’emploi : le tourisme côtier, l’aquaculture, la biotechnologie bleue, l’énergie marine renouvelable (EMR) et l’exploitation minière des fonds marins. À cette fin, la Banque européenne d’investissement a mobilisé 7,3 milliards d’euros entre 2019 et 2023, dont plus de la moitié est destinée aux EMR. Simultanément, la stratégie « croissance bleue » dispose d’une approche durable par la mise en œuvre d’objectifs en lien avec la transition écologique que sont la neutralité climatique à horizon 2050, la réduction de la pollution marine, la préservation de la biodiversité et le soutien à l’adaptation au climat des zones côtières.
Avec près de 11 millions de kilomètres carrés d’espaces maritimes, la France dispose du deuxième domaine maritime mondial. À la différence de l’espace maritime américain – le premier au monde –, le domaine français bénéficie d’une présence sur tous les océans qui accentue son importance en termes stratégiques, économiques et culturels.
RÉPARTITION DE LA ZEE FRANÇAISE
En considérant l’ensemble de son territoire, la France est bordée par près de 22 860 kilomètres de frontières maritimes qu’elle partage avec trente États. L’espace maritime français et la zone économique exclusive qui en découle sont très majoritairement portés par les territoires ultramarins : ces derniers représentent près de 96 % de la ZEE et concentrent plus de 80 % de la biodiversité nationale ([2]).
ii. Le poids du secteur maritime dans l’économie nationale
Le secteur maritime français occupe une place relativement réduite dans l’économie nationale.
L’économie bleue emploie 525 000 personnes et génère plus de 43 milliards d’euros de valeur ajoutée, ce qui représente 1,8 % des emplois nationaux et 1,5 % du PIB. À titre d’exemple, ces données sont proportionnellement comparables à celles de l’Allemagne mais inférieures à ce que représente l’économie maritime italienne (environ 1,8 % du PIB italien).
EMPLOIS ET VALEUR AJOUTÉE DE L’ÉCONOMIE MARITIME FRANÇAISE (en 2019)
Secteurs d'activité |
Emplois |
Valeur ajoutée |
Tourisme littoral |
336 700 |
24,1 |
Marine nationale |
37 415 |
2,75 |
Produits de la mer |
37 413 |
2,6 |
Construction et réparation de navires |
31 565 |
3,1 |
Transport maritime et fluvial |
28 408 |
3,02 |
Services parapétroliers et paragaziers offshore |
22 500 |
5,7 |
Production d'énergie |
11 162 |
n.d. |
Recherche maritime civile |
4 086 |
0,29 |
Protection de l'environnement littoral et marin |
4 067 |
0,29 |
Travaux publics maritimes et fluviaux |
3 346 |
0,67 |
Intervention publique dans le domaine maritime |
2 843 |
0,2 |
Fabrication, pose et maintenance de câbles sous-marins |
2 783 |
0,2 |
Assurances maritimes |
2 188 |
0,13 |
Extraction de matériaux marins |
650 |
0,02 |
Production du sel marin |
n.d. |
0,22 |
Total |
525 126 |
43,29 |
Source : Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer, données économiques maritimes françaises 2021, édition 2022.
Viennent ensuite les services énergétiques offshore (5,7 % de la VAB), la construction et la réparation de navires (3,1 % de la VAB), ainsi que le transport maritime et fluvial (3,02 % de la VAB).
En outre, la France dispose d’une industrie navale qui repose sur un savoir‑faire historique dont l’excellence, en matière de navires militaires, commerciaux et de plaisance, en font une puissance exportatrice. De même, ses grandes façades maritimes lui permettent d’entretenir une importante activité portuaire et d’entretenir une place majeure dans le transport maritime. Selon le panorama de l’économie bleue ([3]) publié par le secrétariat général à la mer (SGMer), le risque de perte de compétitivité face aux ports de la Northern range (Anvers, Rotterdam) reste élevé et implique d’assurer une meilleure connexion des ports français avec l’hinterland.
Carte des ports maritimes français
La stratégie nationale pour la mer et le littoral (SNML), document de référence pour la mise en valeur des espaces concernés, fixe un cadre de développement de l’économie bleue fondé sur quatre priorités à horizon 2030. Plus précisément, elle vise à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, assurer la résilience des territoires et des écosystèmes marins, soutenir la compétitivité et la souveraineté du secteur ainsi qu’à contribuer au bien-être social des populations.
La SNML est complétée par une feuille de route sur l’économie bleue ultramarine à horizon 2030, toujours en cours d’élaboration. En outre, si les territoires ultramarins disposent de riches ressources liées au secteur maritime, ils sont confrontés à une forte détérioration des écosystèmes : aux Antilles, 80 % des récifs coralliens sont dégradés tandis que 84 % de la population qui vit sur le littoral en Guyane sont très exposées à l’érosion ([4]). De ce fait, le développement de l’économie bleue ultramarine implique une transition soutenable. Elle repose sur le potentiel des activités nautiques responsables en Polynésie et dans les Caraïbes, les opportunités de croissance des énergies renouvelables, la modernisation de la flotte de pêche et du secteur aquacole, ainsi que la consolidation de la coopération régionale pour encourager le transport maritime.
Au total, à l’échelle métropolitaine comme ultramarine, la croissance bleue implique des investissements en matière d’innovation et de formation. La SNML insiste en particulier sur la nécessité de former les employés du secteur du tourisme afin de permettre sa montée en gamme durable. Il paraît nécessaire de diriger les investissements vers les secteurs émergents de l’économie maritime où les rendements marginaux de l’innovation sont les plus importants et participent à la transition écologique.
2. Le potentiel des grands fonds marins
Les grands fonds marins, souvent considérés comme la dernière frontière inexplorée de notre planète, recèlent un potentiel économique considérable. Ces étendues mystérieuses, situées à des profondeurs dépassant souvent 200 mètres, abritent une biodiversité unique et des ressources naturelles – en nodules polymétalliques, en sulfures massifs et en croûtes cobaltifères, formations géologiques qui contiennent des métaux précieux tels que le cuivre, le nickel, le cobalt et des terres rares, essentiels pour les technologies modernes, mais aussi en hydrates de méthane, une forme de glace contenant du gaz naturel –, qui suscitent un intérêt croissant dans divers secteurs économiques.
Or, les enjeux stratégiques liés à l’approvisionnement en ressources critiques constituent désormais une préoccupation majeure pour les grandes puissances.
Les convoitises se portent notamment sur les nodules polymétalliques, perçus comme une alternative prometteuse pour l’approvisionnement en métaux critiques, en réponse à l’augmentation de la demande mondiale liée aux nouvelles technologies, notamment les véhicules électriques, l’armement ou encore les télécommunications.
Un rapport du Sénat datant de 2012 estimait que les terres rares présentes au fond du Pacifique pourraient représenter plus de 30 milliards de tonnes, alors que les réserves terrestres actuelles sont évaluées à 110 millions de tonnes ([5]). Cependant, de nombreuses incertitudes demeurent quant à l’exploitation de ces nodules, en raison de la méconnaissance des écosystèmes des grands fonds. Par ailleurs, le droit international relatif à la haute mer souffre de nombreuses lacunes : à ce jour, l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), créée en 1994, ne délivre aucun permis d’exploitation commerciale, l’élaboration préalable d’un code minier encadrant toute activité d’exploitation – précisant les responsabilités en cas d’accident écologique et les mécanismes de partage des bénéfices, dans le cadre du respect du principe de patrimoine commun de l’humanité – s’avérant à cet égard nécessaire.
L’année 2025 pourrait marquer un tournant décisif : d’une part, en raison du changement de gouvernance à la tête de l’AIFM, avec la nomination de Leticia Carvalho, océanographe et diplomate brésilienne affichant une sensibilité accrue aux enjeux environnementaux, au poste de secrétaire générale ; d’autre part, parce que l’État de Nauru a récemment réaffirmé sa volonté de débuter rapidement l’exploitation commerciale, relançant ainsi le débat autour de ce sujet controversé.
Deux camps s’opposent donc aujourd’hui clairement : d’un côté, les États appelant à une interdiction complète de l’exploitation, parmi lesquels figure la France ; de l’autre, plusieurs pays en développement, notamment les petits États insulaires du Pacifique comme Nauru ou les Tonga, qui y voient une opportunité économique et un levier potentiel de développement.
L’évolution des technologies et les potentielles richesses minières découvertes dans les grands fonds marins ont conduit à la mise en place de diverses bases juridiques pour encadrer l’exploitation des ressources minières. Dans le cadre de sa mission d’information de 2022 intitulée L’exploration, la protection et l’exploitation des fonds marins : quelle stratégie pour la France ?, le Sénat a dressé un état des lieux des régimes juridiques en vigueur dans plusieurs pays, notamment l’Allemagne, l’Australie, le Chili, la Chine, les États-Unis, le Japon et la Norvège.
Au sein des zones économiques exclusives et des plateaux continentaux, quelques régimes juridiques nationaux ont été mis en place pour encadrer l’exploitation des ressources, rendant obligatoire une étude d’impact préalable conséquente par exemple, comme en Norvège ou en Allemagne. Il n’en demeure pas moins que la législation est inexistante ou inappliquée dans la plupart des États.
Si aucun permis d’exploitation n’a, à ce jour, été délivré par l’Autorité internationale des fonds marins pour les zones internationales, la diversité des stratégies et des objectifs poursuivis par chaque pays engendre des positions radicalement divergentes au sein des instances internationales.
Dans son rapport publié en janvier 2021 sur la Stratégie nationale d’exploration et d’exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins, l’ancien conseiller spécial du SGMer Jean-Louis Levet a plus particulièrement identifié quatre grandes catégories de pays selon leurs motivations :
– les États ayant un intérêt géostratégique et de sécurité en matière d’approvisionnement ;
– les États cherchant à sécuriser l’approvisionnement de leur industrie en métaux ;
– les États motivés par des perspectives de développement économique ;
– les États poursuivant principalement des objectifs scientifiques et de production de connaissances.
Ces divergences se traduisent concrètement au sein de l’Autorité internationale des fonds marins par la structuration en trois groupes ([6]). Le premier, le groupe des 77, considère l’exploitation des fonds marins comme un levier central de développement économique ([7]). Un deuxième regroupe les pays asiatiques, qui, malgré leur diversité, accordent une grande importance à la sécurité de leurs approvisionnements et à leur développement économique ([8]). Les pays occidentaux, quant à eux, se rejoignent sur deux priorités : assurer le bon fonctionnement de l’AIFM en tant qu’instance multilatérale et intégrer pleinement la protection de l’environnement marin.
Cette dynamique s’illustre également par l’augmentation constante du nombre de permis d’exploration délivrés dans les eaux internationales, passant de vingt et un entre 2011 et 2019 à un total de trente en 2020.
C. Un écosystème maritime fragile et menacé
1. Le défi de la pollution plastique
La pollution plastique est aujourd’hui la forme la plus répandue et la plus préoccupante de pollution marine. Chaque année, entre 9 et 14 millions de tonnes de plastique se retrouvent dans les océans. Cette pollution prend la forme de déchets appelés « macro-plastiques » comme des sacs, des filets de pêche, des emballages, qui sont ingérés par les animaux marins et perturbent les chaînes alimentaires.
Le problème est aggravé par la fragmentation de ces déchets en micro‑plastiques et nano-plastiques, issus notamment des sources textiles ou cosmétiques. Invisibles à l’œil nu, ces particules s’infiltrent dans les organismes et s’y accumulent : on parle alors de bioaccumulation. L’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) souligne que ces plastiques sont désormais omniprésents, de la surface des océans jusqu’aux abysses.
a. Une urgence en Méditerranée
La mer Méditerranée est considérée comme la mer la plus polluée au monde par les plastiques. Elle concentre une forte densité de population sur ses côtes, un trafic maritime intense et une activité touristique majeure, ce qui la rend particulièrement sujette à la pollution. En raison de sa configuration géographique semi-fermée, les déchets ont tendance à s’accumuler plutôt qu’à se disperser naturellement, ce qui complique leur élimination et aggrave l’accumulation de matières polluantes.
On estime en effet qu’environ 570 000 tonnes de plastique sont déversées dans la mer Méditerranée chaque année, ce qui représente environ 7 % de la pollution plastique mondiale des océans. Quelque 230 000 tonnes de plastique flottent actuellement à la surface de cette mer. De ce fait, la Méditerranée présente l’une des concentrations les plus élevées en micro-plastiques au monde, avec des mesures allant jusqu'à 100 000 fragments par kilomètre carré dans certaines zones.
Près de 80 % de ces déchets plastiques proviennent de sources terrestres, notamment des rivières, des zones côtières et des activités humaines directes comme le tourisme et la pêche. Plus de 130 espèces se trouvent ainsi affectées par l’ingestion de ces plastiques.
Tous ces chiffres montrent l’ampleur du problème et soulignent la nécessité de mesures urgentes pour réduire la pollution plastique et protéger les écosystèmes marins méditerranéens.
b. Les territoires d’outre-mer en première ligne face à la pollution plastique
Dans les territoires ultramarins, plus de 80 % des déchets marins collectés sont composés de plastique. Les effets de ces pollutions sont aggravés par l’insularité qui limite la capacité de gestion des déchets et les courants marins qui transportent jusqu’aux côtes les plastiques issus d’autres continents. Ces pollutions provoquent l’ingestion de plastiques et entraînent souvent la mort d’espèces protégées.
À défaut d’étude globale sur le sujet, que la France pourrait sans doute initier, une étude spécifique sur le cas de la Réunion ([9]) a montré que les eaux autour de celle-ci sont plus particulièrement polluées par des sources locales et débris transportés par les courants océaniques depuis d’autres régions comme l’Asie du Sud-Est.
c. Un volume alarmant : l’ampleur mondiale de la pollution plastique
La pollution plastique constitue aujourd’hui l’un des enjeux environnementaux les plus pressants à l’échelle mondiale : on estime en effet entre 75 et 199 millions de tonnes le volume total de déchets plastiques dans les océans du monde entier. Chaque année, c’est l’équivalent de plus de 11 millions de tonnes de déchets plastiques supplémentaires qui finissent dans les océans, soit un camion poubelle déversé chaque minute dans le milieu marin.
La pollution plastique a un impact dévastateur sur la biodiversité marine. À titre d’exemple, environ 90 % des oiseaux de mer ont des débris de plastique dans leur estomac, et plus de 700 espèces marines sont affectées par le plastique.
Néanmoins, les conséquences de cette pollution massive ne se limitent pas aux écosystèmes marins : la santé humaine est également en jeu. Lors de son audition par la commission des affaires étrangères dans la perspective de l’UNOC 3, Mme Isabelle Autissier, présidente de WWF France, a ainsi souligné que les humains ingèrent jusqu’à 5 grammes de plastique par semaine, soit l’équivalent d’une carte de crédit ([10]). Ce plastique se retrouve notamment dans l’eau potable, les fruits de mer, le sel, mais aussi de plus en plus dans d’autres aliments, par contamination indirecte. Cette ingestion régulière, bien que microscopique, soulève des inquiétudes croissantes quant à ses effets à long terme sur la santé humaine.
Enfin, l’ampleur du phénomène à long terme est particulièrement alarmante. Si les tendances actuelles se poursuivent, les océans pourraient contenir une masse totale de plastique supérieure à celle des poissons d’ici à 2050. Pire encore, la masse totale du plastique présent en mer pourrait représenter à cette échéance deux fois la totalité des mammifères vivants.
2. Les risques liés à la pollution chimique, péril invisible
À la pollution plastique s’ajoute une pollution chimique – problème complexe et multifactoriel qui implique divers types de contaminants –, plus discrète mais tout aussi destructrice. Elle provient majoritairement des rejets agricoles, comme les pesticides et les nitrates, mais aussi des activités industrielles qui déversent dans l’eau des métaux lourds, des hydrocarbures ou encore des résidus médicamenteux.
Quantifier ce type de pollution dans son ensemble est malaisé en raison de la diversité des polluants et de la difficulté à mesurer leur présence, par manque de surveillance mondiale. Les déversements de pétrole peuvent être spectaculaires, comme l’incident de Deepwater Horizon en 2010, qui a libéré environ 4,9 millions de barils de pétrole dans le golfe du Mexique. De même, des métaux comme le mercure, le plomb et le cadmium sont présents dans les océans en raison des activités industrielles : à titre d’illustration, les émissions mondiales de mercure dues à l’activité humaine sont estimées à environ 2 000 tonnes par an.
Les polluants chimiques sont souvent rejetés dans la mer par le ruissellement des rivières ou directement via les canalisations. Une fois en mer, ils se révèlent toxiques pour la faune marine en s’accumulant dans les tissus des poissons et altèrent les fonctions biologiques des organismes marins. Certains agissent comme des perturbateurs endocriniens : ces agents chimiques peuvent interférer avec le système hormonal des organismes marins, modifiant leurs fonctions biologiques essentielles telles que la croissance, la reproduction ou le développement. À long terme, ces perturbations peuvent entraîner des malformations, une baisse de fertilité, voire la mort, menaçant ainsi l’équilibre des écosystèmes et, par extension, de la biodiversité marine.
La pollution chimique concerne particulièrement la biodiversité des territoires d’outre-mer. La moitié des substances chimiques évaluées présentent un risque écologique élevé pour des territoires comme la Guadeloupe, la Martinique, Mayotte et la Réunion. Les récifs coralliens sont directement menacés par ce type de pollution.
II. La troisième conférence des Nations unies sur l’océan de Nice : un rendez-vous essentiel pour la gouvernance des océans et des enjeux maritimes
A. Le plus grand sommet sur l’océan jamais organisé à aussi haut niveau politique
La troisième conférence des Nations unies sur l’océan a rassemblé pour la première fois quelque 175 États membres de l’Organisation des Nations unies (ONU), dont 64 chefs d’États et 115 ministres, autour des enjeux océaniques. Il s’agit d’une mobilisation record, dont le succès, qui incombe pour une large part à la diplomatie et aux autorités françaises et costaricaines, mérite d’être salué.
Signe de l’originalité du format prévu par la France, plusieurs événements spéciaux importants se sont déroulés avant même la conférence principale :
– le One Ocean Science Congress, rassemblant à Nice, du 4 au 6 juin, des scientifiques pour discuter des dernières recherches et innovations en sciences océaniques ;
– le Blue Economy and Finance Forum, à Monaco les 7 et 8 juin, pour évoquer les aspects économiques et financiers de la durabilité des océans ;
– l’Ocean Rise & Coastal Resilience Coalition, le 7 juin 2025 à Nice, plus spécifiquement consacrée à la résilience côtière.
Parallèlement, le grand public a pu lui aussi s’associer au déroulement de la conférence, de diverses manières.
Du 2 au 13 juin, il a pu prendre part à des activités dans plusieurs lieux de la ville, notamment au Port Lympia et au Palais des Expositions, où des rencontres, découvertes, dialogues et festivités étaient organisés autour des thèmes océaniques. Le 8 juin, la Journée mondiale de l’océan a même été célébrée avec une parade de bateaux, un lever du drapeau et une série d’événements festifs sur terre et en mer.
De l’aveu de nombreux participants, l’UNOC 3 a non seulement rempli ses objectifs officiels, en concentrant l’attention de la plupart des décideurs sur les enjeux liés à la préservation des océans, mais elle a aussi permis de créer une forme de symbiose entre les responsables politiques, les scientifiques, les milieux économiques et les citoyens attachés à la mer et sa préservation.
2. Un volet parlementaire non moins important
Même si le propre des grandes conférences internationales est généralement que la place réservée aux Parlements y demeure ténue, l’UNOC 3 s’est caractérisée par un niveau de mobilisation exceptionnel des parlementaires du monde entier. Outre le fait que la délégation de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale comprenait plusieurs députés issus de la plupart des groupes politiques, étaient présents sur place d’autres députés de la commission, comme la vice-présidente Eléonore Caroit, Mme Sabrina Sebaihi ou Mme Liliana Tanguy, ainsi que des députés français d’autres commissions, tels Mme Sophie Panonacle et M. Jimmy Pahun, sans oublier des sénateurs et des députés européens.
De nombreux membres de Parlements étrangers avaient aussi fait le déplacement à Nice. Ainsi, dans le cadre de ses échanges avec une délégation de l’International Conservation Caucus Foundation (ICCF) le 8 juin, présidée par Mme Monica P. Medina, ancienne membre de l’administration Biden et présidente du conseil d’administration de l’ICCF, la délégation de la commission a ainsi pu débattre avec Mmes Diti Hediati Hardiyadi Soeharto et Alien Mus, députées d’Indonésie, Mmes Anna Gelderd et Roz Savage, députées du Royaume-Uni, Mme Ividleliza Reyez, présidente de la commission de la pêche et de l’aquaculture du Sénat mexicain, Mme Elizabeth Jay-Pang Diaz et M. Juan Carlos Lozada Vargas, membres du Congrès colombien – le dernier étant à l’origine d’une législation sur l’interdiction des plastiques dans son pays –, M. Guibion Ferdinand, secrétaire parlementaire au ministère du tourisme de Sainte‑Lucie, et M. Roderick Saint-Clair, sénateur de l’État de Grenade.
Surtout, la veille de l’ouverture de la conférence, en présence de nombreux parlementaires, diplomates et des ministres français en charge de la transition écologique et des partenariats internationaux, les membres de la délégation de la commission des affaires étrangères ont assisté, au centre universitaire méditerranéen (CUM), au sommet interparlementaire de la mer organisé par Mme Eléonore Caroit. Au cours de celui-ci, la mise en place de la coalition interparlementaire pour la protection des océans – ou « Parlement de la mer » – a été officialisée. Celle-ci regroupe d’ores et déjà quelque 80 parlementaires issus de vingt pays différents, regroupant 1,3 milliard d’habitants.
Lors des échanges, la ministre Agnès Pannier-Runacher s’est notamment félicitée que les Parlements soient associés à un événement international aussi majeur que l’UNOC 3 et elle a loué leur implication dans le processus de ratification de l’accord dit BBNJ. M. Arnolodo André Tinoco, ministre des affaires étrangères du Costa Rica, a quant à lui insisté sur l’engagement de son pays dans l’adoption des traités internationaux et la recherche d’avancées en faveur de la protection de l’environnement et des océans.
Lors du panel dédié au rôle des parlementaires, M. Hervé Berville a souligné que les parlementaires se trouvent très souvent à l’avant-garde des combats et appelé à « maritimiser » les esprits et les économies, en érigeant la coopération parlementaire au rang des fondamentaux des relations internationales en lieu et place des tentations de confrontation. Mme Diti Hediati Hardiyadi Soeharto, députée d’Indonésie, a insisté sur le caractère archipélagique de son pays, qui comporte plus de 17 000 îles et joue un rôle clé en faveur de la biodiversité marine, et estimé que les parlementaires sont les gardiens des océans pour le présent et les générations futures. Mme Stéphanie Yon-Courtin, députée européenne, s’est réjouie de l’aboutissement du pacte européen pour les océans, véritable « Bleu deal européen » holistique.
Intervenant par la suite, M. Paul Watson, fondateur de Sea Shepherd, a quant à lui dénoncé l’instrumentalisation d’Interpol contre les activistes agissant en faveur de la protection de l’environnement et espéré une ratification rapide de l’accord BBNJ, ainsi qu’un moratoire sur l’exploitation minière des océans car le phytoplancton est en voie d’extinction, ce qui constitue une grave menace contre la pêche. Mme Alexandra Cousteau, militante de l’environnement, a pour sa part rappelé que, alors que son grand-père avait participé à la première Conférence des parties sur le climat à Rio, 50 % de la biodiversité des océans avait disparu depuis ; dès lors, conserver ce qui reste est devenu insuffisant et il faut restaurer l’abondance perdue des océans.
Lors du panel dédié aux pratiques législatives, M. Sheldon Whitehouse, sénateur américain, à l’origine de nombreux textes visant à réduire l’empreinte carbone de son pays et à responsabiliser les grandes entreprises polluantes, a appelé à « tuer » le business model de la liberté de polluer, et donc à fixer un prix sur les émissions de carbone. M. Ricardo Lagos, député chilien, a plaidé que les lois sont des catalyseurs puissants en faveur de la protection de la planète et souligné que le Chili s’oppose à l’extraction minière des fonds marins. Le député Philippe Bolo, rapporteur d’un rapport pionnier sur la pollution plastique issue de la pétrochimie, a observé qu’au-delà de l’image médiatique d’une pollution plastique prenant la forme d’un sixième continent, cette dernière revêt une dimension de santé publique majeure encore trop méconnue et s’est félicité de la création de la coalition internationale en faveur de la fin de la pollution plastique car l’inaction serait très préjudiciable aux générations futures.
En conclusion, le ministre Thani Mohamed Soilihi, a souligné la mobilisation des parlementaires en faveur de l’océan.
Ainsi, après le traité de Nice renforçant les pouvoirs du Parlement européen, la même ville est devenue, une vingtaine d’années plus tard, la capitale des océans, ce bien commun dont dépendent beaucoup de personnes.
B. La mise en lumière des défis de la préservation des milieux marins
1. Une intégration à part entière de l’océan à l’agenda climatique mondial
L’UNOC 3 a illustré l’importance croissante accordée aux enjeux maritimes dans le cadre de l’agenda climatique mondial. La conférence affichait l’ambition de promouvoir la protection des océans par des actions coordonnées. Dans cette perspective, l’intégration pleine et entière des océans et mers aux efforts de lutte contre le changement climatique constitue un axe structurant de la dynamique internationale. Des engagements significatifs étaient attendus de la part des États et des parties prenantes pour accélérer la mise en œuvre de l’ODD 14 et atteindre ses cibles d’ici à 2030.
Sa couverture médiatique est intervenue dans un contexte de prise de conscience renouvelée des enjeux climatiques, alors que la COP29 s’est achevée sur un accord de 300 milliards de dollars qui n’a pas satisfait toutes les parties prenantes. La précédente Conférence sur les océans, qui s’est tenue au Portugal en juillet 2022, n’avait pas bénéficié d’une telle visibilité médiatique et elle n’avait débouché sur aucun texte ou engagement international : la déclaration de Lisbonne était en effet non contraignante et principalement descriptive, ce qui limitait sa portée politique et opérationnelle.
Dans un contexte mondial marqué par les difficultés du multilatéralisme, le président de la République française a tenu, dans son discours d’ouverture de la conférence, à réaffirmer l’importance des instances multilatérales et la nécessité de solutions négociées pour parvenir à une gouvernance efficace de la haute mer. L’accord BBNJ a logiquement occupé une place centrale lors de cet événement, car il ouvre la voie à une gouvernance plus structurée et à une mise en œuvre plus rapide que celle permise par la convention des Nations unies sur le droit de la mer.
La volonté de placer l’océan au cœur de l’agenda climatique s’est traduite par l’intention de faire prolonger les discussions océaniques lors de la COP30, qui se tiendra à Belém, au Brésil. La France a solennellement appelé à l’intégration pleine et entière de l’océan dans le processus des COP. En effet, les conférences spécifiquement dédiées à l’océan n’en sont encore qu’à leur troisième édition, quand les COP climatiques en sont à leur trentième.
L’idée de créer l’équivalent du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) pour les océans est sous-jacente de la Plateforme internationale pour la durabilité de l’océan – International Panel of Ocean’s Sustanibility (IPOS). Reste que, à la différence de l’accord de Paris, il n’existe pas de base juridique internationale pour établir une instance de ce type. L’IPOS sera donc rattaché à l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) et c’est par son intermédiaire que des actions scientifiques pourront être menées (notamment s’agissant de la cartographie digitale des océans).
2. Un renforcement du rôle de la science et de l’innovation
« La science a été placée au cœur des décisions internationales, confirmant son rôle central pour bâtir des politiques marines ambitieuses », a observé la Fondation Tara Océan ([11]). De fait, la dimension scientifique a effectivement été placée au centre de l’UNOC 3, ce qui a constitué une évolution structurante par rapport aux précédentes éditions.
L’un des événements majeurs de cette troisième conférence des Nations unies a été l’organisation du One Ocean Science Congress, organisé en marge de la session officielle. Ce congrès a rassemblé des chercheurs, des représentants d’organisations non-gouvernementales (ONG), des institutions universitaires et des centres de recherche de premier plan. Il a permis de consolider une nouvelle forme de gouvernance, fondée sur l’interface entre la science et les responsables politiques.
Les entretiens de la délégation de la commission des affaires étrangères avec des scientifiques ont rappelé que les océans absorbent autant de CO₂ que toutes les forêts terrestres réunies mais que les pertes de phytoplancton atteignent déjà 10 à 15 %, un signal préoccupant pour les écosystèmes.
Parmi les recommandations issues du congrès figurent :
– la création d’un jumeau numérique de l’océan, outil de modélisation reposant sur l’intelligence artificielle et la collecte de données satellitaires ;
– la mise en place de la Plateforme internationale pour la durabilité de l’océan (IPOS), qui fournira aux gouvernements des opinions d’actions politiques sur mesure et permettra de co-construire avec les scientifiques ;
– la diffusion des connaissances scientifiques, notamment via des missions telles que celles de la goélette Tara Océan, qui sensibilise aussi le grand public.
L’innovation technologique a également été mise à l’honneur. Plusieurs outils ont été présentés : des outils de surveillance océanique de pointe, comme les capteurs de détection des micro-plastiques ou les systèmes d’observation par satellite, qui se présentent comme des leviers pour appuyer les politiques publiques marines.
La communauté des chercheurs s’est aussi engagée à publier chaque année le nouveau baromètre Starfish. Ce rapport scientifique dressera l’état de l’océan, des pressions exercées par les activités humaines et leurs impacts sociétaux. Dans ce cadre, la collecte de données, leur mise en commun via des plateformes ouvertes et le renforcement des capacités d’analyse seront autant de conditions indispensables à une gouvernance efficace de l’océan.
Enfin, la mission Neptune, programme d’exploration scientifique de l’océan, devra réunir comme énoncé par les engagements de Nice pour l’Océan, « des expertises océanographiques et les meilleures technologies, y compris spatiales, afin d’investir dans une connaissance utile et accessible librement à toutes les parties ».
Au total, ce congrès associé à l’UNOC 3 a mis en exergue l’urgence de mieux articuler les connaissances scientifiques avec les décisions politiques, afin de rendre les politiques de préservation plus robustes et plus réactives face aux menaces. Dans un contexte de remise en cause de plus en plus fréquente des constatations scientifiques, ces résultats apparaissent loin d’être négligeables.
La commission des affaires étrangères rappelle que l’Assemblée nationale a voté le 2 avril 2025, en cette année de la mer, une résolution invitant le gouvernement à financer un Institut Océan de l’Université des Nations unies (UNU), à l’unanimité des suffrages exprimés ([12]). Ce serait le premier Institut de l’UNU en France, et le premier au monde portant sur l’océan. L’accomplissement de cet objectif déterminé par l’Assemblée s’inscrit dans la défense du multilatéralisme et de la science.
C. Des résultats manifestes pour la communauté internationale mais aussi la France
1. Des progrès significatifs à l’échelle internationale
a. Un soutien manifeste à l’aboutissement du processus de ratification de BBNJ
L’un des résultats majeurs de l’UNOC 3 est sans conteste le soutien croissant à la ratification de l’accord BBNJ sur la biodiversité au-delà des juridictions nationales, qui vise à encadrer l’exploitation et la protection de la haute mer, représentant plus de 60 % de l’océan mondial.
Avant la conférence, seuls 32 pays avaient déposé leurs instruments de ratification. La conférence a joué un rôle catalyseur, permettant à de nombreux États de formaliser ou d’annoncer leur volonté de ratifier l’accord dans les mois à venir. À la clôture de l’UNOC 3, 51 ratifications étaient comptabilisées, dont 19 nouvelles officialisées durant ou juste après l’événement. La France espère que les ratifications manquantes seront annoncées d’ici la prochaine Assemblée générale des Nations unies, de manière à ce que cet accord qui régule 64 % des océans et donc 50 % de la surface du globe puisse entrer en vigueur avant la fin de l’année 2025 ou, au plus tard, en janvier 2026. Une fois entré en vigueur, une COP sur la haute mer pourra se réunir annuellement, assurant ainsi un cadre d’action pour la recherche océanographique.
Parmi les engagements pris à Nice, il convient également de citer l’annonce par la Commission européenne d’un investissement de 1 milliard d’euros pour soutenir la conservation des océans, la science et la pêche durable, celle de la création de la plus grande aire marine protégée du monde (environ cinq millions de kilomètres carrés) par la Polynésie française, ou encore l’officialisation par l’Allemagne d’un programme de 100 millions d’euros pour retirer les munitions sous-marines de la mer Baltique et de la mer du Nord.
La France a elle-même profité de ce rendez-vous pour rehausser de 33 % à 78 % ses ambitions en matière d’aires marines protégées (AMP), ces zones délimitées où les activités humaines sont réglementées pour préserver la biodiversité marine, les écosystèmes et les ressources naturelles. Plusieurs autres États ont fait de même, renforçant l’ambition collective de parvenir à l’objectif 30x30, c’est-à-dire de protéger 30 % des océans d’ici 2030. La France se distingue par sa volonté d’instaurer des aires marines protégées à haut niveau de protection, limitant strictement les activités de pêche à l’usage de quelques types d’engins autorisés.
Plusieurs pays ont également annoncé la création de nouvelles aires marines protégées, comme la Tanzanie, Samoa ou les îles Salomon. Le Royaume-Uni a aussi dévoilé un plan pour étendre l’interdiction du chalutage de fond à plus de la moitié des aires marines protégées anglaises.
Cette mobilisation témoigne d’un basculement stratégique : l’océan n’est plus perçu uniquement comme une réserve de ressources mais comme un acteur central de la planification climatique mondiale.
b. Une mobilisation des financements pour l’ODD 14 et l’économie bleue
La mobilisation pour les financements constitue un enjeu incontournable. C’est pourquoi, dès 2024, les 7 et 8 juin, s’est tenu au Costa Rica le sommet Immersed in Change. Il a marqué une première étape majeure dans la mobilisation des acteurs en faveur de la préservation des océans mais aussi des emplois qui en dépendent. Ce sommet poursuivait trois objectifs principaux : accélérer la mobilisation politique et les processus internationaux liés à l’océan ; mobiliser des financements en faveur des océans ; renforcer et mieux diffuser les connaissances scientifiques.
L’Agence française de développement (AFD) a été partenaire de cette initiative, en tant qu’institution financière publique engagée pour une finance durable. Actuellement, 7 % de son portefeuille, soit 850 millions d’euros, sont consacrés aux milieux marins. En 2019, elle a été la première banque de développement à créer une enveloppe spécifiquement dédiée à l’océan.
Cette mobilisation s’inscrit dans le cadre de l’objectif de développement durable n° 14, qui selon l’ONU « promeut la conservation et l’exploitation durable des écosystèmes marins et côtiers, selon trois ambitions fondatrices : une gestion plus durable des ressources via la préservation de 10 % des zones marines et côtières, la lutte contre la surpêche et la pêche illicite ; l’accélération des recherches scientifiques et du transfert de techniques pour renforcer la résilience des écosystèmes et réduire au maximum l’acidification des océans ; la conception de la gestion durable des ressources marines comme une opportunité de développement économique et touristique pour les petits États insulaires et les pays les moins avancés ». Pourtant, cet objectif reste le moins financé des 17 ODD, ne captant que 1 % des financements liés au climat, alors que les océans couvrent 70 % de la surface du globe.
Le sommet Immersed in Change constituait une étape préparatoire au Forum de l’économie bleue, qui s’est tenu à Monaco les 7 et 8 juin. Le Blue Economy and Finance Forum visait à mettre en lumière les initiatives portées par l’ensemble des acteurs concernés (entreprises, institutions financières publiques et privées, banques, compagnies d’assurance, acteurs philanthropiques proposant des solutions concrètes pour une utilisation raisonnée des ressources marines, à travers des activités s’inscrivant dans une logique de développement durable). Pascal Lamy, ancien directeur général de l’Organisation mondiale du commerce, que la délégation de la commission des affaires étrangères a eu l’occasion de rencontrer et qui présidait ce Forum, a rappelé que les opportunités économiques et financières générées par l’économie bleue pourraient représenter une valeur estimée à 25 000 milliards de dollars.
À Monaco, de nombreuses entreprises ont présenté des solutions innovantes, allant du recyclage des plastiques à la régénération des coraux, en passant par le développement des micro-algues ou encore le transport à la voile. Parmi les initiatives remarquées, la société française TOWT – TransOceanic Wind Transport – s’est distinguée. Spécialisée dans le transport maritime à la voile, elle dispose déjà de deux navires en activité. La délégation de la commission a pu s’entretenir avec Guillaume Le Grand, cofondateur de TOWT, qui a souligné les atouts de cette entreprise pionnière, capable d’afficher une empreinte carbone de seulement 2,42 g de CO₂ par kilomètre, faisant de TOWT l’un des acteurs maritimes les plus vertueux au monde. Il a toutefois attiré l’attention sur les difficultés rencontrées, notamment en lien avec les nouvelles dispositions de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 sur la fin des exonérations de charges accordées jusqu’alors pour les marins français, qui pénalisent fortement l’entreprise depuis le 1er mars, ce qui n’est pas sans potentielles conséquences pour le maintien de son pavillon français à terme, ainsi que sur les barrières douanières américaines, qui compliquent l’accès au marché international.
Au total, plus de 25 milliards de dollars d’investissements ont été recensés à l’occasion du Forum qui s’est tenu à Monaco. Parmi eux, 8,7 milliards de dollars d’engagements fermes ont été annoncés pour les cinq prochaines années : 4 milliards émanant d’institutions financières publiques, et 4,7 milliards provenant d’acteurs philanthropiques et du secteur privé. Aussi, 802 entreprises issues de 25 pays, représentant un chiffre d’affaires de plus de 600 milliards d’euros, ont signé la charte Business Ocean : celle-ci les engage notamment à intégrer les risques et opportunités liés à l’océan dans leurs stratégies, et à rendre compte de leurs impacts sur les écosystèmes marins, entre autres engagements.
L’objectif du Forum n’était pas uniquement de débloquer des financements immédiats mais aussi d’accélérer l’émergence de nouveaux projets structurants. À ce titre, certains engagements méritent d’être particulièrement salués, notamment ceux de trois institutions financières, dont BNP Paribas, qui ont rejoint le financement de l’initiative Octopus Desk. Cette plateforme vise à connecter les entrepreneurs de l’économie bleue avec des investisseurs engagés, à travers des instruments tels que les obligations bleues, les crédits carbone ou encore les investissements à impact.
Cependant, une prise de conscience et une accélération de la mobilisation des acteurs économiques sont nécessaires dans un environnement qui se dégrade rapidement. Parmi les manifestations les plus préoccupantes figurent les phénomènes cycloniques et les inondations, de plus en plus dévastateurs et coûteux, dont les impacts représentent plus de 102 milliards de dollars, soit une hausse de plus de 25 % depuis les années 1980. Enfin, l’ONU estime que les besoins financiers pour faire face à ces défis s’élèvent à 175 milliards de dollars.
2. La France au centre des négociations mondiales sur l’océan
La France a assigné quatre priorités claires à l’UNOC 3 : renforcer la protection de la biodiversité marine ; lutter contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) ; décarboner le secteur maritime ; combattre les pollutions plastiques.
Parmi les annonces majeures faites par notre pays figure la création de la plus grande aire marine protégée française en Polynésie française, couvrant 4,8 millions de kilomètres carrés, soit environ deux fois la surface de la France métropolitaine. Ces AMP font l’objet d’un arrêté adopté en conseil des ministres du gouvernement polynésien et publié au Journal officiel de la Polynésie française. La France entend ainsi montrer l’exemple en matière de protection des océans, avec l’objectif ambitieux de classer 78 % de sa zone économique exclusive (ZEE) en aires marines protégées d’ici 2026. À l’échelon mondial, les annonces faites par plusieurs pays en matière de création ou d’extension d’aires marines protégées font passer le niveau global de protection des océans de 8,3 %, fin 2024, à plus de 12 %, soit une augmentation de plus de 30 % de la surface marine protégée mondiale.
La France s’est aussi engagée activement dans la lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN), en renforçant ses moyens de contrôle, en modernisant ses outils de surveillance et en développant la coopération internationale. Cet engagement repose sur trois grandes priorités. D’abord, la France œuvre au renforcement du cadre international en appelant à la ratification de plusieurs accords multilatéraux essentiels, tels que l’accord de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) sur les mesures du ressort de l’État du port et l’accord de l’OMC sur les subventions à la pêche. Ensuite, la France défend l’intégration de la lutte contre la pêche INN dans le Pacte européen pour les océans, en particulier par le renforcement de la traçabilité des produits de la mer et la conditionnalité des licences de pêche à des engagements concrets en matière de lutte contre la pêche illégale.
En ce qui concerne la pollution plastique, la France œuvre à la mise en place d’un plan plastique 2025-2030, visant à réduire l’utilisation du plastique et à combattre la pollution marine. En 2019, environ 600 000 tonnes de déchets plastiques ont été déversées dans la mer Méditerranée, dont 11 000 tonnes provenant de la France. En réponse, les ministres de l’environnement des pays signataires de la convention de Barcelone ont adopté une déclaration commune visant à renforcer la protection de l’environnement marin. Ils se sont notamment engagés à renforcer les mesures de protection des espèces marines en danger, restaurer et protéger les herbiers de posidonie, lutter contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN), et intensifier la lutte contre la pollution plastique en Méditerranée.
Enfin, concernant l’exploitation des grands fonds marins, le président de la République a rappelé dans son discours d’ouverture de l’UNOC 3 que la France appartient à une coalition d’États favorables à un moratoire international sur cette pratique. Cette position repose sur un principe de précaution : nos connaissances scientifiques actuelles sont encore trop limitées pour évaluer de manière fiable les conséquences environnementales de l’extraction minière en haute mer. Le chef de l’État a souligné les risques de perturbation majeurs que ferait peser une telle activité sur des écosystèmes profonds encore largement inexplorés, riches en biodiversité et essentiels à la régulation du climat et du cycle du carbone. Il a également mis en garde contre une course précipitée aux ressources, motivée par l’accès pour les métaux rares nécessaires à la transition énergétique. Bien que plusieurs pays et entreprises souhaitent accéder à ces matériaux critiques présents dans les fonds marins (notamment le cobalt, le nickel ou les terres rares), la France fait le choix de la responsabilité environnementale en plaidant pour un gel des autorisations d’exploitation, le temps que la science progresse et qu’un cadre juridique clair, encadré par l’Autorité internationale des fonds marins, puisse être établi.
3. De la pollution plastique aux aires marines protégées : des défis restant à relever
a. Des progrès mesurés pour un traité plastique ambitieux
Malgré les alertes du milieu associatif, l’engagement des États au sujet de la pollution plastique relève encore du symbole. Certes, l’UNOC 3 a concrétisé l’appel d’une coalition de 96 signataires pour un traité plastique ambitieux. Cette déclaration commune prend en compte le cycle de vie complet du plastique. Elle exige de réduire la production de plastique, d’encadrer juridiquement sa conception et d’interdire certaines substances chimiques. Mais, non contraignant, cet appel n’engage en rien ses signataires ; il constitue un moyen de pression pour défendre les positions d’une coalition d’États ambitieux face à ceux qui s’opposeraient à la réduction de la production plastique et aux autres contraintes mentionnées. Ces États, tels que l’Arabie saoudite et la Chine – premier producteur mondial de plastique – ne sont, en toute cohérence, pas signataires de cet appel qui n’élargit donc pas le consensus politique.
En d’autres termes, bien que cet appel consolide une coalition d’États ambitieux, l’équilibre des forces dans le cadre des négociations pour la rédaction d’un traité d’interdiction ou de limitation de la production reste le même. Après l’échec du précédent cycle de discussions à Busan, des négociations se tiendront du 5 au 14 août 2025 à Genève. La conclusion d’un accord politique comprenant les grands États pétroliers reste encore un préalable.
À l’échelle européenne, des associations telles que la Surfrider Foundation, auditionnée lors du déplacement de la délégation de la commission des affaires étrangères, regrettent le manque de régulation des micro-plastiques. En effet, ceux‑ci sont absents de la directive sur les plastiques à usage unique de 2019 alors qu’ils présentent un risque sérieux pour la santé humaine. Pour être complet, un traité plastique ambitieux devrait donc aborder ce dernier point sans que cela exclue la possibilité d’une régulation européenne.
b. Des annonces concernant les aires marines protégées qui peinent à satisfaire
Le monde associatif se montre prudent quant à la création de nouvelles aires marines protégées. En outre, alors que le Fonds mondial pour la nature préconise d’y interdire tout type de pêche intensive, la France défend toujours une approche au cas par cas – saluée par le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins – en fonction des zones considérées. De même, les interdictions de pêche au chalut devraient être étendues à d’autres pratiques préjudiciables, telles que la pêche à la senne, pour garantir une protection effective de la biodiversité.
Sur ce même registre, des associations, dont la Ligue pour la protection des oiseaux, le Fonds mondial pour la nature et Tara océan, doutent de l’engagement de porter à 4 % la part des eaux métropolitaines classée en protection forte d’ici 2026. En effet, alors que seulement 0,1 % des eaux métropolitaines bénéficient actuellement de cette protection, ces organisations regrettent que les critères utilisés ne soient pas ceux définis par la Commission européenne dans sa stratégie en faveur de la biodiversité. Ce texte appelle à la définition d’une stratégie nationale à travers laquelle la France détermine ses critères pour une protection forte. Le manque d’harmonisation à l’échelle européenne peut donc inciter l’effet d’annonce et l’asymétrie concurrentielle aux dépens d’une protection effective.
De plus, la répartition des AMP bénéficiant d’une protection forte est critiquée. L’association Bloom souligne que sur une grande partie de ces zones la pêche au chalut est d’ores et déjà interdite. Autrement dit, l’une des principales contraintes imposées par la protection forte étant déjà en vigueur, l’effet marginal engendré par cette nouvelle classification est fortement amoindri.
Il convient également de relever que sur l’ensemble de l’espace maritime français, la France affiche l’objectif d’augmenter à 10 % les zones bénéficiant d’une protection forte. Cette proportion reste faible si l’on prend en compte le peu de contraintes pesant sur le reste des espaces maritimes. Si la France maintient une large activité de pêche artisanale, 14 % de ses navires de pêche sont des chalutiers, ce qui en fait le troisième État le mieux doté en chalutiers dans l’Union européenne.
NOMBRE DE CHALUTS DANS LES PAYS EUROPÉENS EN 2024
Source : Eurostat via France Info
Malgré les annonces concrètes en faveur de la protection des océans et la visibilité offerte par l’UNOC 3 aux enjeux maritimes, de nombreux aspects manquent donc encore d’une régulation effective à l’échelle nationale comme internationale. Les ambitions françaises en la matière bénéficient du leadership que la France s’efforce d’imposer mais leur concrétisation suppose une coopération internationale, notamment sur la pollution plastique.
Au cours de sa séance du 9 juillet 2025, à 11 h 00, la commission entend une communication, ouverte à la presse, sur le déplacement effectué
du 8 au 10 juin 2025 à Nice par une délégation de la commission, à l’occasion de la tenue de la troisième conférence des Nations unies sur l’océan.
Mme Eléonore Caroit, présidente. Je me réjouis de présider cette séance consacrée à un sujet qui me tient particulièrement à cœur et que nous abordons régulièrement au sein de cette commission des affaires étrangères : la protection des océans et de la biodiversité marine.
Notre ordre du jour prévoit en effet la présentation d’une communication sur la participation d’une délégation de membres de notre commission à la troisième conférence des Nations unies sur l’océan, l’UNOC°3, qui s’est tenue à Nice du 9 au 13 juin 2025. Cette conférence, co-organisée par la France et le Costa Rica, avait pour objectif d’accélérer l’action et de mobiliser tous les acteurs pour la conservation et l’utilisation durable de l’océan.
Cet événement a rassemblé des dirigeants du monde entier, des scientifiques, des représentants d’organisations non gouvernementales (ONG) et des acteurs du secteur privé dans ce magnifique espace de la zone verte dénommé La Baleine, afin de débattre des enjeux cruciaux liés à la protection et à l’utilisation durable des océans.
Plusieurs membres de notre commission ont participé à cette conférence : Mmes Alexandra Masson, Pascale Got, Sabrina Sebaihi, Liliana Tanguy, mais également MM. Hervé Berville, Pierre-Yves Cadalen, Jean-Louis Roumégas et notre président Bruno Fuchs. Nous avons assisté à la cérémonie d’ouverture, participé à divers entretiens et réunions et avons eu un échange convivial avec le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
J’ai personnellement lancé le Parlement de la mer et vous invite vivement à le rejoindre si cela n’est pas déjà fait. L’ambition n’est pas de limiter cette initiative à une seule édition mais de pérenniser ce Parlement de la mer lors des prochaines conférences des parties sur l’océan ou « COP océan », comme nous l’espérons prochainement.
Plusieurs personnalités éminentes ont participé à ce sommet, notamment Paul Watson et les ministres français en charge de la transition écologique et des partenariats internationaux. Cet événement a permis de constituer une coalition interparlementaire au sein du Parlement de la mer, regroupant actuellement une centaine de parlementaires issus de vingt pays différents et représentant 1,3 milliard d’habitants. Ces échanges ont initié des discussions substantielles sur plusieurs thématiques, sur lesquelles certains de nos collègues sont déjà fortement impliqués, notamment la question du transport vélique avec M. Jimmy Pahun ou celle de la pollution plastique portée par M. Philippe Bolo.
L’objectif de notre réunion de ce matin est de recueillir les impressions de nos collègues qui se sont rendus à Nice pour cette conférence. Je me réjouis personnellement que la commission des affaires étrangères puisse désormais participer à des conférences onusiennes pendant leur déroulement, ce qui n’était pas systématique auparavant, car il est essentiel d’être au cœur de l’action au moment où celle-ci se déroule. Je suis particulièrement intéressée par les retours de nos collègues sur les différentes séquences auxquelles ils ont participé puisque nos délégations se déplacent habituellement pour des événements tels que les COP sur le climat, mais généralement avec un décalage temporel qui ne nous permet pas de participer aux cérémonies d’ouverture et à d’autres moments clés.
Le One Ocean Summit (OOS) constitue un événement international majeur et notre pays peut s’honorer de l’avoir accueilli. Plusieurs engagements ont été pris et sont en cours de concrétisation, notamment concernant la ratification de l’accord international sur la haute mer, sujet sur lequel nous reviendrons ultérieurement.
Je vais à présent vous communiquer la présentation préparée par notre collègue Hervé Berville, malheureusement retenu ce matin, concernant le milieu maritime comme porteur de richesses.
Le milieu maritime est particulièrement fragile car convoité et exploité pour ses nombreuses richesses. Selon l’organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’économie bleue représente 2 600 milliards de dollars de valeur ajoutée brute en 2020. La seule région méditerranéenne, avec ses 46 000 kilomètres de côtes et ses ressources marines uniques, génère une valeur économique annuelle de 450 milliards de dollars. Avec 2,8 % de croissance annuelle moyenne sur ces vingt-cinq dernières années, l’économie bleue progresse plus rapidement que l’économie mondiale. La taille du secteur a ainsi doublé entre 1995 et 2020. Néanmoins, le nombre de personnes qu’elle emploie, évalué à près de 100 millions, demeure relativement stable. Parmi ces travailleurs, 60 millions exercent une activité liée soit à la pêche, soit à l’aquaculture, majoritairement dans les pays en développement. Par ailleurs, plus de 600 millions de personnes dépendent de la production halieutique pour leur subsistance et plus de 3,2 milliards de personnes en tirent près de 20 % de leur apport moyen en protéines animales. La soutenabilité des ressources halieutiques s’avère donc primordiale pour garantir une croissance à long terme.
Toutefois, l’expansion de l’effort de pêche au cours des cinquante dernières années, associée à des pratiques non durables, a provoqué l’effondrement de nombreux stocks de poissons, tels que les petits pélagiques au large des côtes du Sénégal et de la Mauritanie, mettant en péril les moyens de subsistance des communautés qui en dépendent. Aujourd’hui, 35,4 % des stocks de poissons sont biologiquement surexploités, tandis que 57,3 % sont exploités à un niveau durable maximal, proche de la surexploitation. La pêche illicite non déclarée et non réglementée (INN), ou pêche illégale, contribue à la surpêche et constitue une concurrence déloyale pour les pêcheurs respectueux des réglementations.
Pour remédier à cette situation, le fonds mondial pour la nature soutient la création d’aires marines protégées (AMP), définies comme des volumes d’eau de mer où sont déterminés des objectifs spécifiques de conservation des espèces. Les AMP engendrent des bénéfices économiques et environnementaux à double dividende, d’abord en favorisant les services écosystémiques rendus par la préservation de la biodiversité puis en augmentant le rendement des pêches sur le long terme grâce à la reconstitution durable des stocks. En France, le parc naturel marin d’Iroise dans le Finistère, premier parc naturel marin français, créé en 2007 et particulièrement riche en espèces d’algues, a permis l’exploitation durable des ressources par la mise en place de techniques de récolte responsables aboutissant à une labellisation biologique.
Les enjeux stratégiques liés à l’approvisionnement en ressources critiques suscitent également l’intérêt des grandes puissances pour les fonds marins. Les convoitises se portent notamment sur les nodules polymétalliques riches en nickel, cobalt, cuivre et manganèse, qui sont perçus comme une alternative prometteuse pour l’approvisionnement en métaux critiques face à l’augmentation de la demande mondiale liée aux nouvelles technologies, notamment les véhicules électriques, l’armement ou encore les télécommunications. Un rapport du Sénat datant de 2012 estimait que les terres rares présentes au fond du Pacifique pourraient représenter plus de 30 milliards de tonnes, alors que les réserves terrestres actuelles sont évaluées à seulement 110 millions de tonnes. Cette abondance ne justifie cependant pas leur exploitation.
La France s’oppose d’ailleurs fermement à cette exploitation car les grands fonds marins constituent des espaces extrêmement fragiles abritant des écosystèmes riches et uniques, dont l’étude s’avère particulièrement féconde pour la recherche scientifique, notamment autour des ressources hydrothermales. Outre l’intérêt environnemental évident de ces écosystèmes, certaines espèces ont développé des stratégies d’adaptation à des conditions de vie difficiles qui pourraient trouver des applications dans les domaines médical, industriel et cosmétique. Durant la pandémie de coronavirus, 10 % des tests de réaction en chaîne par polymérase (PCR) contenaient ainsi des molécules marines provenant des grands fonds. L’industrie pharmaceutique allemande dispose déjà de nombreux brevets sur ces ressources marines susceptibles d’applications dans l’élaboration de produits anticancéreux, antidouleurs, antibiotiques et antioxydants. Ces ressources apparaissent particulièrement prometteuses, davantage encore que les molécules terrestres.
Actuellement, l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), dont le siège se trouve en Jamaïque et qui fut créée en 1994, ne délivre aucun permis d’exploitation commerciale. L’année 2025 pourrait toutefois marquer un tournant décisif et potentiellement préjudiciable, d’une part en raison du changement de gouvernance à la tête de l’AIFM avec la nomination de Leticia Carvalho, océanographe et diplomate brésilienne affichant une sensibilité accrue pour les enjeux environnementaux, au poste de secrétaire générale, et d’autre part parce que les États-Unis ont récemment réaffirmé leur volonté d’initier rapidement l’exploitation commerciale, relançant ainsi le débat sur ce sujet particulièrement controversé.
Deux camps s’affrontent aujourd’hui clairement : d’un côté, des États comme la France appellent à une interdiction complète ou à un moratoire de l’exploitation minière des fonds marins et, de l’autre, plusieurs pays en développement, notamment des petits États insulaires du Pacifique comme Nauru ou Tonga, y voient une opportunité économique et un levier potentiel de développement. La France a d’ailleurs, pendant la conférence de Nice, réuni les pays membres de cette coalition opposée à l’exploitation minière des fonds marins pour réaffirmer leur détermination et exposer les fondements de leur opposition.
Dans le cas français, l’ensemble de ces enjeux revêt une importance particulière, puisqu’avec près de 11 millions de kilomètres carrés d’espace maritime, notre pays dispose du deuxième domaine maritime mondial. À la différence de l’espace maritime américain, qui occupe le premier rang mondial, le domaine français bénéficie d’une présence sur tous les océans, ce qui renforce considérablement son importance stratégique, économique et culturelle. La France partage près de 22 860 kilomètres de frontières marines avec trente États. L’espace maritime français et la zone économique exclusive (ZEE) qui en découle sont très majoritairement portés par les territoires ultramarins, représentant environ 96 % de la ZEE et concentrant près de 80 % de la biodiversité nationale.
Ces chiffres illustrent l’importance cruciale que revêt pour notre pays la protection des océans, aujourd’hui soumis à des pollutions aux conséquences particulièrement inquiétantes.
Mme Alexandra Masson, rapporteure. Nous pouvons tout d’abord nous réjouir d’avoir accueilli cette conférence internationale dans mon département des Alpes-Maritimes. Cet événement a représenté une formidable plus-value pour notre territoire, malgré certaines contraintes pour la population. Avoir pu organiser un événement de cette envergure à Nice représente une véritable fierté.
J’aborderai la question de la pollution plastique, sujet particulièrement critique que j’ai d’ailleurs évoqué lors de ma rencontre avec la ministre de l’écologie du Liban, qui s’apprête à ratifier l’accord sur la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale (Marine Biodiversity of Areas Beyond National Jurisdiction ou BBNJ). L’écosystème maritime se trouve aujourd’hui extrêmement menacé par la pollution plastique et nos rencontres avec de nombreux scientifiques lors de l’UNOC confirment la gravité préoccupante de la situation.
La pollution plastique représente actuellement la forme la plus répandue et la plus alarmante de pollution marine à l’échelle mondiale. Chaque année, entre 9 et 14 millions de tonnes de plastique se déversent dans les océans. Cette pollution se manifeste sous forme de déchets appelés macroplastiques, tels que sacs, filets de pêche ou emballages, ingérés par les animaux marins, perturbant ainsi les chaînes alimentaires et, par extension, nos propres organismes. Le problème s’aggrave avec la fragmentation de ces déchets en nanoplastiques, issus notamment des textiles ou des cosmétiques. Ces particules, invisibles à l’œil nu, s’infiltrent dans les organismes vivants et s’y accumulent, provoquant une bioaccumulation.
L’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) souligne l’omniprésence désormais constatée des plastiques, depuis la surface des océans jusqu’aux abysses. Cette menace s’avère particulièrement critique en Méditerranée, mer la plus polluée au monde par les plastiques puisqu’environ 570 000 tonnes y sont déversées chaque année, ce qui représente approximativement 7 % de la pollution plastique mondiale des océans. Actuellement, quelque 230 000 tonnes de plastique flottent à sa surface.
La Méditerranée concentre une forte densité de population côtière, un trafic maritime intense et une activité touristique majeure, facteurs qui accentuent sa vulnérabilité. Bien que la partie occidentale de cette mer soit moins polluée grâce à des mesures plus strictes, la situation demeure très préoccupante dans sa partie orientale, comme j’ai pu le constater lors de mon déplacement au Liban, où les déchets plastiques envahissent littéralement les côtes. Sa configuration géographique semi-fermée favorise l’accumulation des déchets plutôt que leur dispersion naturelle, complexifiant leur élimination et aggravant la concentration de matières polluantes.
Ce phénomène trouve une résonance particulière dans les territoires ultramarins où plus de 80 % des déchets marins collectés sont constitués de plastiques. Les effets de ces pollutions s’intensifient par l’insularité, limitant les capacités de gestion des déchets, tandis que les courants marins transportent jusqu’aux côtes les plastiques issus d’autres continents. Ces pollutions menacent directement le riche patrimoine maritime et aquatique de ces espaces – lagons, récifs coralliens, mangroves – abritant souvent des espèces endémiques fragiles pour lesquelles l’ingestion de plastiques s’avère fatale.
Les conséquences de cette pollution ne se limitent pas aux écosystèmes marins, puisque la santé humaine constitue également un enjeu majeur. Une étude publiée en 2019, qui a suscité un important retentissement médiatique, alertait sur le fait que nous ingérons annuellement une quantité de matière plastique équivalente à celle d’une carte de crédit. Ce phénomène ne cesse de s’amplifier et, si les tendances actuelles se maintiennent, les océans pourraient contenir d’ici 2050 davantage de plastique que de poissons en termes de poids. Plus alarmant encore, la masse totale de plastique présente en mer pourrait représenter deux fois celle de l’ensemble des mammifères vivants.
Aux dangers de la pollution plastique s’ajoute une pollution chimique, moins visible mais tout aussi destructrice. Celle-ci provient principalement des rejets agricoles – pesticides et nitrates – mais également des activités industrielles déversant dans les eaux des métaux lourds, hydrocarbures ou résidus médicamenteux. Ces substances atteignent la mer par ruissellement des rivières ou directement à travers les canalisations. Une fois en milieu marin, elles exercent des effets toxiques sur la faune, s’accumulent dans les tissus des poissons et altèrent les fonctions biologiques des organismes marins.
Certains de ces composés agissent comme perturbateurs endocriniens, interférant avec le système hormonal des organismes marins et compromettant leurs fonctions biologiques essentielles telles que la croissance, la reproduction ou le développement. À long terme, ces perturbations engendrent des malformations, une baisse de fertilité, voire la mortalité des espèces, menaçant ainsi l’équilibre des écosystèmes et, par extension, la biodiversité marine dans son ensemble.
Cette pollution affecte particulièrement la biodiversité des territoires d’outre-mer. La moitié des substances chimiques évaluées présente un risque écologique élevé pour des territoires comme la Guadeloupe, la Martinique, Mayotte ou La Réunion. Les récifs coralliens se trouvent également directement menacés par cette pollution chimique.
Dans ce contexte une conférence comme l’UNOC°3 a suscité de légitimes espoirs, mais nous ne devons pas nous arrêter à ce stade. Le combat contre les microplastiques doit se poursuivre et la prochaine COP sur le climat au Brésil constituera une occasion importante de remettre ces sujets au cœur des discussions internationales.
Mme Eléonore Caroit, présidente. La COP30, qui se tiendra au Brésil en novembre, revêt effectivement une importance particulière puisqu’elle marquera les dix ans des accords de Paris. Son organisation à Belém, en bordure de l’Amazonie, lui confère une symbolique forte et je souhaite que notre commission puisse constituer une délégation pour cet événement.
M. Jean-Louis Roumégas, rapporteur. J’interviens ici en remplacement de Pascale Got, qui ne peut être présente ce matin.
La France dispose du deuxième espace maritime mondial et s’engage depuis longtemps pour la protection des océans. Notre pays a souhaité faire de cette troisième conférence des Nations unies sur l’océan un événement ambitieux et fédérateur, mobilisant l’ensemble des acteurs maritimes autour de la conservation océanique. Cette conférence s’inscrivait dans le prolongement de plusieurs initiatives menées par la France ces dernières années pour développer une véritable diplomatie maritime dynamique, pleinement intégrée à la politique environnementale internationale.
L’organisation du One Ocean Summit à Brest en février 2022 témoignait déjà de cet engagement. La France a également joué un rôle décisif dans l’aboutissement des négociations ayant permis l’élaboration de l’accord BBNJ, texte majeur pour l’avenir des océans. L’Assemblée nationale a œuvré activement en ce sens, d’abord en adoptant, à l’unanimité le 25 novembre 2021, la proposition de résolution 4528 pour la conservation et l’utilisation durable de l’océan présentée par Maina Sage et Jimmy Pahun, puis en adoptant, également à l’unanimité, le projet de loi autorisant la ratification de l’accord sur la haute mer. Notre vice-présidente, Eléonore Caroit, a poursuivi ces efforts, comme certains d’entre vous, pour encourager nos partenaires à ratifier rapidement cet accord et assurer sa mise en œuvre.
Dans ce contexte, les objectifs fixés par la France et le Costa Rica à l’occasion de l’UNOC°3 étaient particulièrement ambitieux : premièrement, accélérer l’action et mobiliser tous les acteurs, notamment les gouvernements, les organisations internationales, la société civile, le secteur privé et les communautés locales ; deuxièmement, mobiliser des sources de financement pour soutenir la conservation et l’utilisation durable des océans, des mers et des ressources marines afin de promouvoir une économie bleue durable ; troisièmement, renforcer et diffuser les connaissances scientifiques marines pour améliorer la prise de décision politique.
L'événement s'est structuré autour de séances plénières et de dialogues interactifs, complétés par des événements parallèles. Les séances plénières ont permis aux États membres d’exprimer leur engagement pour l’océan. Les dialogues interactifs, dénommés Ocean Action Panels, ont favorisé la mobilisation des différents acteurs et le lancement de projets concrets pour la protection de l’océan. En parallèle du volet onusien, plusieurs événements et activités ont été organisés pour sensibiliser et mobiliser le grand public. Des conférences, expositions et projections gratuites se sont ainsi tenues, notamment dans la zone accessible La Baleine, pour découvrir et protéger l’océan en 2025. Par ailleurs, une flotte de bateaux du monde entier – historique, scientifique ou de recherche océanographique –, la « flotte des merveilles de l’océan », a été accueillie dans le port de Nice pour servir de lieu de médiation et de présentation de leurs activités au grand public.
Plus grand sommet jamais organisé sur la question de l’océan en termes de représentation politique à haut niveau et de participation d’acteurs divers, l’UNOC°3 a constitué un succès diplomatique et populaire. La conférence a suscité une mobilisation sans précédent pour la protection des océans, avec 175 États membres de l’Organisation des Nations unies (ONU) représentés, 64 chefs d’État et de gouvernement, 28 responsables d’organisations onusiennes, intergouvernementales et internationales, 115 ministres, 12 000 délégués et près de 130 000 visiteurs venus assister à plus de 1 000 événements.
M. Pierre-Yves Cadalen, rapporteur. Je tiens à souligner le grand intérêt que représentait pour moi la participation à cette délégation. Cette expérience s’est révélée absolument passionnante et les auditions que nous avons menées au titre de cette délégation étaient particulièrement enrichissantes.
Dans un contexte marqué par une remise en question du multilatéralisme et des préoccupations environnementales, la tenue de l’UNOC°3 a constitué une initiative forte rappelant l’importance de la coopération et de la concertation, ainsi que la place cruciale de la science qui doit demeurer au cœur des décisions internationales.
L’un des événements majeurs de cette troisième conférence des Nations unies a d’ailleurs été l’organisation du One Ocean Science Congress en marge de la session officielle. Placé sous le signe de l’action, sa coprésidence a été assurée par François Houllier, président-directeur général de l’Ifremer, et Jean-Pierre Gattuso, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), sous la supervision des présidents de l’UNOC°3, Olivier Poivre d’Arvor et Gina Guillen Grillo. Ce congrès a rassemblé des chercheurs, des représentants d’ONG, des institutions universitaires et des centres de recherche de premier plan, permettant ainsi de consolider une nouvelle forme de gouvernance fondée sur l’interface entre la science et les responsables politiques.
À l’issue de ce congrès, ses membres ont transmis aux décideurs politiques réunis lors de la conférence des recommandations transversales sur le lien entre science et politique afin de les soutenir dans la gestion des défis mondiaux liés à l’océan, ainsi que sur les solutions nécessaires pour y faire face. Un congrès similaire se réunira en 2028 pour évaluer la prise en compte des recommandations faites aux chefs d’État et de gouvernement.
Je rappelle à ce titre que notre Assemblée a voté, le 2 avril dernier, à l’unanimité des suffrages exprimés, une proposition de résolution portant sur la création d’un Institut Océan de l’Université des Nations unies. Cette initiative s’inscrit pleinement dans ce double objectif de défense du multilatéralisme et de la science, et nous espérons sa concrétisation rapide.
L’UNOC°3 s’est conclue par plusieurs résultats et engagements significatifs. L’une de ses principales réussites est sans conteste le soutien croissant apporté à la ratification de l’accord BBNJ sur la biodiversité au-delà des juridictions nationales, qui vise à encadrer l’exploitation et la protection de la haute mer représentant plus de 60 % de l’océan mondial.
Avant la conférence, seuls trente-deux pays avaient déposé leur instrument de ratification alors que soixante ratifications sont nécessaires pour la mise en œuvre de l’accord. La conférence a joué un rôle catalyseur, permettant à de nombreux États de formaliser ou d’annoncer leur intention de ratifier l’accord dans les mois à venir. À la clôture de l’UNOC°3, nous comptabilisons désormais cinquante-et-une ratifications, dont dix-neuf nouvelles officialisées durant ou immédiatement après l’événement. Nous espérons que les ratifications manquantes seront annoncées d’ici la prochaine Assemblée générale des Nations unies, permettant ainsi à cet accord d’entrer en vigueur avant la fin de l’année 2025 ou, au plus tard, en janvier 2026.
Parallèlement, vingt États ayant à la fois ratifié l’accord BBNJ et soutenant le moratoire sur l’exploitation des fonds marins s’apprêtent à constituer un groupe de pionniers dans l’objectif de mobiliser la communauté internationale autour d’une gouvernance ambitieuse de l’océan. Ils prévoient notamment de faire converger les différentes agences spécialisées et organisations affiliées des Nations unies, y compris à l’échelle régionale – comme les organisations régionales de gestion des pêches et les conventions de mer régionales –, vers un objectif de protection maritime renforcée.
La déclaration politique de Nice, adoptée le dernier jour de l’UNOC, réaffirme avec force l’objectif de protéger 30 % des zones marines et côtières d’ici 2030, conformément à l’engagement pris lors de la COP15 de la convention pour la diversité biologique. La France se distingue par sa volonté d’instaurer des aires marines protégées à haut niveau de protection, limitant strictement les activités de pêche à l’usage de quelques types d’engins autorisés, bien que ce sujet demeure controversé.
De même, plus de 800 engagements volontaires ont été pris par des États, des scientifiques, des agences onusiennes et des acteurs de la société civile, reflétant l’ampleur de la crise océanique et la nécessité d’une action urgente. De nouveaux États, tels que la Côte d’Ivoire et la Belgique, se sont engagés à garantir des conditions de travail décentes pour les travailleurs du secteur de la pêche en endossant la convention sur le travail de la pêche, adoptée en 2007 par l’Organisation internationale du travail (OIT), portant ainsi le nombre d’États parties à vingt-quatre. Une campagne internationale de ratification de cette convention a notamment été lancée le 8 juin par le Royaume-Uni, la France et l’OIT.
En matière scientifique et dans le prolongement du sommet sur l’intelligence artificielle organisé par la France en février dernier, la coalition pour une intelligence artificielle écologiquement durable s’est élargie pour inclure un volet consacré à l’océan. Cette initiative réunit des acteurs de premier plan dans les domaines des technologies de l’information et de la communication, de la Bluetech et de la recherche océanographique. L’intelligence artificielle permet de modéliser la pollution plastique marine, d’anticiper l’érosion côtière et d’optimiser les itinéraires maritimes pour réduire les émissions du secteur. Son utilisation doit être intensifiée, tout en veillant à contrôler son empreinte environnementale.
Des engagements financiers significatifs ont également été annoncés dans le cadre du sommet de l’UNOC 3, puisqu’un total de 8,6 milliards d’euros d’investissements a été promis pour les cinq prochaines années par des philanthropes, des investisseurs privés et des banques publiques en soutien à une économie bleue durable. Parallèlement, la Commission européenne s’engage à hauteur de 1 milliard d'euros pour soutenir la conservation des océans, la science et la pêche durable dans le cadre du Pacte européen pour l’océan, présenté le 9 juin dernier par sa présidente. D’autres pays, comme l’Allemagne et la Nouvelle-Zélande, ont annoncé des engagements financiers complémentaires.
La France a manifesté son soutien à plusieurs initiatives, dont certaines concernent spécifiquement ses territoires insulaires. Elle a ainsi annoncé que Mayotte pourra engager formellement les démarches pour obtenir le classement de sa double barrière de corail, dont le lagon est le deuxième plus grand au monde, au patrimoine mondial naturel de l’organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco). Le président de la République a également assisté au sixième sommet Pacifique-France, qui s'est tenu le 10 juin en marge de l’UNOC. Dix chefs d’États et de gouvernements du Pacifique étaient réunis en présence des représentants ministériels de l’ensemble des membres du Forum des îles du Pacifique et des organisations régionales, ainsi que des présidents du gouvernement de Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie Française et de l’Assemblée territoriale de Wallis et Futuna. Ce sommet a permis de mettre en valeur l’apport exceptionnel des États insulaires du Pacifique à la préservation de l’océan. Le président de la République a annoncé à cette occasion une contribution de la France de 2 millions d'euros à la Pacific Resilience Facility du Forum des îles du Pacifique dans sa phase de capitalisation.
M. Jean-Louis Roumégas, rapporteur. Je vais à présent m’attarder sur plusieurs déceptions. Nous avons salué l’importance de l’événement mais, face aux attentes initiales, nous constatons des résultats décevants, tant au niveau international que spécifiquement pour la France.
La première déception concerne le manque d’ambition sur la question des pollutions plastiques car, si le constat est largement partagé, les solutions peinent à se concrétiser. Malgré les alertes du milieu associatif et l’engagement affiché des États sur la pollution plastique, ces engagements relèvent pour l’instant essentiellement du symbole. Certes, l’UNOC°3 a concrétisé l’appel d’une coalition de quatre-vingt-seize signataires pour un traité ambitieux contre les plastiques en mer. Cette déclaration commune prend en compte le cycle de vie complet du plastique et exige de réduire sa production, d’encadrer juridiquement sa conception et d’interdire certaines substances chimiques. Cependant, cet appel demeure non contraignant et n’engage en rien ses signataires. Il constitue simplement un moyen de pression pour défendre les positions d’une coalition d’États ambitieux face à ceux qui s’opposent à la réduction de la production plastique et aux autres contraintes mentionnées. Des États tels que l’Arabie saoudite et la Chine, premier producteur mondial de plastique, ne figurent pas, en toute cohérence, parmi les signataires de cet appel, qui n’élargit donc pas le consensus politique existant.
Une partie du monde associatif et scientifique se montre également prudente face aux mesures annoncées concernant les aires marines protégées. En particulier, concernant spécifiquement la France et sa zone métropolitaine, l’engagement de porter à 4 % la part des eaux métropolitaines classées en protection forte d’ici 2026 suscite des réserves. Malgré les préconisations du Fonds mondial pour la nature, qui vise à interdire tout type de pêche intensive au sein des aires marines protégées, la France défend toujours une approche au cas par cas, saluée par le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins, en fonction des zones considérées.
Si l’interdiction du chalutage de fond constitue une annonce positive de la part de la France, elle devrait s’étendre à d’autres pratiques préjudiciables, telles que la pêche à la senne, pour garantir une protection effective de la biodiversité. L’association Bloom a également souligné que, sur une grande partie de ces zones, la pêche au chalut est déjà interdite, réduisant de fait les conséquences concrètes d’une telle annonce. Au-delà de ces aires de protection, la France maintient une large activité de pêche artisanale, avec 14 % de ses navires de pêche constitués de chalutiers, ce qui en fait le troisième État le mieux doté en chalutiers dans l’Union européenne.
Un point d’alerte particulièrement préoccupant concerne le manque d’harmonisation, y compris à la seule échelle européenne, des critères de définition des aires marines protégées, au risque de favoriser l’effet d’annonce et l’asymétrie concurrentielle aux dépens d’une protection effective. Je rappelle que les préconisations des scientifiques et la norme internationale visent 30 % d’aires marines protégées, à l’intérieur desquelles 30 % de zones à protection renforcée sont nécessaires. Ces zones à protection renforcée impliquent – selon les critères scientifiques – zéro extraction, tandis que dans les zones simplement protégées, seule une extraction de type durable devrait être autorisée, c’est-à-dire une pêche artisanale. Force est de constater que même les zones fortement protégées à la française dans les eaux métropolitaines n’atteignent pas le niveau des zones simplement protégées selon les préconisations mondiales.
Sur le plan financier, certains pays en développement jugent également décevants les engagements formulés. Les petits États insulaires en développement ont en effet réclamé une formulation plus ferme concernant les pertes et dommages causés par le changement climatique qui dépassent leur capacité d’adaptation, sans obtenir de garantie en ce sens. Enfin, le contexte politique international a pesé sur l’organisation de cette conférence, notamment en raison de l’absence de certains grands pays. Outre l’absence d’une délégation américaine de haut niveau, l’ordonnance signée par le président Trump pour lancer une mission de protection minière dans les grands fonds marins a représenté un véritable point de crispation.
Concernant les perspectives et les prochaines étapes, le défi majeur réside désormais dans la mise en œuvre effective des engagements pris lors de cette conférence, notamment pour atteindre les cibles de l’objectif de développement durable (ODD°14) d’ici cinq ans. Les États, les ONG et le secteur privé joueront tous un rôle crucial dans la poursuite des objectifs de protection des océans. À cet égard, l’initiative de notre vice-présidente de constituer une coalition interparlementaire pour la protection des océans, concrétisée par le Parlement de la mer lors du sommet interparlementaire organisé le 8 juin, revêt une importance capitale. Je suis convaincu que cette démarche prospérera et contribuera à inscrire la dynamique de Nice dans la durée. Les prochaines COP sur le climat et la biodiversité, le congrès mondial de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), la COP1 de l’océan prévue d’ici 2026, ainsi que la quatrième conférence sur l’océan co-organisée par le Chili et la Corée du Sud en 2028, constitueront des étapes déterminantes sur ce chemin.
Dans cette perspective, nous devrons accorder une attention particulière, après l’échec du précédent cycle de discussions à Busan, aux négociations qui se tiendront du 5 au 14 août 2025 à Genève sur le traité d’interdiction ou de limitation de la production de plastique. Il est fondamental que, sur ce sujet comme sur tous ceux liés à l’océan, la France maintienne une position ambitieuse et responsable, à l’image de son engagement tout au long du sommet de Nice.
Mme Eléonore Caroit, présidente. Vous l’avez compris, cette conférence a été une véritable réussite, non pas uniquement parce qu’elle s’est tenue en France, dans la très belle ville de Nice, mais parce qu’elle a permis d’inscrire la question des océans à l’agenda politique du dialogue international et de la gouvernance mondiale. Longtemps considéré comme un sujet essentiellement technique, l’océan était rarement abordé dans le cadre de nos travaux. Nous prenons désormais conscience qu’il pourrait bien constituer l’enjeu le plus déterminant de notre époque.
Régulateur majeur du climat, l’océan est aujourd’hui gravement menacé mais tous les États ne partagent pas notre approche en matière de protection de la biodiversité marine et de préservation des écosystèmes océaniques. C’est pourquoi je me réjouis que la France ait su porter une parole forte tout au long de ce sommet.
Vous avez d’ailleurs, à l’occasion de cette communication, mis en lumière avec justesse les points de vigilance, les améliorations attendues et les enjeux à poursuivre lors des prochains rendez-vous internationaux. Ces grandes rencontres suscitent souvent une forme de frustration car, malgré les avancées indéniables qu’elles permettent, elles révèlent aussi l’ampleur des défis qu’il nous reste à relever. Ce que je retiens avant tout de ce sommet, c’est sa portée éminemment politique, avec la participation de nombreux chefs d’État et de gouvernement et les engagements qu’ils ont pris. Pour ne citer qu’un seul exemple, l’accélération des signatures et ratifications de l’accord sur la haute mer durant ces trois jours – avec dix-neuf ratifications enregistrées à Nice – illustre parfaitement l’importance d’un momentum politique fort pour faire progresser ces enjeux essentiels.
Je vais à présent donner successivement la parole à celles et ceux des collègues qui souhaitent réagir à la communication qui vient de nous être présentée, avant que les rapporteurs ne répondent puis que nous nous prononcions par un vote sur une publication sous forme de rapport d’information.
Mme Nadège Abomangoli (LFI-NFP). Je tiens à remercier nos collègues pour la production de ce rapport. La tenue de l’UNOC à Nice a constitué pour nos groupes parlementaires un motif de fierté considérable car nous faisons de la mer un élément central de notre programme politique, avec plusieurs dizaines de propositions visant à engager la France vers cette nouvelle frontière de l’humanité qui représente, à nos yeux, un bien commun essentiel. Je constate que cet objectif est largement partagé par les intervenants à cette tribune car nous sommes tous convaincus que l’avenir industriel, écologique et économique de notre pays repose également sur sa capacité à se projeter en mer, dans cet immense espace encore largement inexploité mais qu’il convient de protéger.
Nous considérons également que le multilatéralisme constitue l’approche diplomatique à privilégier, notamment pour la protection des océans. Les frictions et divergences exprimées, particulièrement concernant la question des dommages et les demandes spécifiques de certains États, compte tenu de leur niveau de développement, sont évidentes. Bien que cette conférence représente un signal positif d’engagement de la communauté internationale, nous estimons illusoire de croire que tous ces progrès s’accompliront dans un consensus absolu. Des dispositions contraignantes et des moyens concrets devront ainsi être mis en place. Par exemple, la définition actuelle des aires marines protégées et les réglementations applicables aux différentes zones maritimes n’offrent pas suffisamment de garanties et nous préconisons une révision et un renforcement effectif de ces protections.
Je saisis cette occasion pour réaffirmer notre soutien à la création de l’Institut Océan de l’Université des Nations unies en France, initiative déjà validée par l’ONU et soutenue unanimement au sein de l’Assemblée nationale ainsi que par les collectivités territoriales. La concrétisation de ce projet permettrait de valoriser davantage la question de la protection maritime dans notre pays. Bien que le dossier ait bien avancé, certains aspects diplomatiques restent à consolider et à finaliser.
Mme Dominique Voynet (EcoS). Je n’avais pas initialement prévu d’évoquer l’Institut Océan de l’Université des Nations unies en France mais nous avons effectivement voté la proposition de résolution présentée par Pierre-Yves Cadalen à l’Assemblée nationale et soutenons fermement cette initiative.
Je souhaite évoquer la pollution plastique et la nécessité d’investir davantage dans les négociations en cours concernant le traité mondial sur le plastique car, malgré l’échec de la conférence de Busan, cet enjeu demeure absolument fondamental pour notre avenir.
Il est par ailleurs urgent d’avancer sur l’élaboration d’une doctrine française en matière d’exploitation des ressources souterraines des océans, particulièrement dans nos départements et territoires d’outre-mer. Cette question se pose avec acuité dans le golfe du Mozambique, notamment autour de Mayotte, ainsi qu’au large de la Guyane. La découverte d’importantes ressources pétrolières au Guyana et au Suriname voisin rend cette réflexion particulièrement pressante pour la Guyane. Il me paraît donc impératif d’anticiper ces situations plutôt que d’attendre d’être confrontés à l’urgence, en préparant dès maintenant une position et une stratégie françaises qui intègrent pleinement ces nouveaux enjeux.
M. Pierre Pribetich (SOC). Je tiens à saluer l’ensemble des rapporteurs pour leur travail remarquable et souhaite me concentrer sur la problématique de la pollution plastique, pour laquelle il est impératif d’abandonner les discours et de passer enfin aux actes. Nous devons mobiliser des moyens concrets, d’autant plus que les solutions techniques existent déjà, à l’image de la pyrolyse des plastiques à 430 degrés, qui permet leur décomposition complète. Des technologies existent aujourd’hui pour collecter les plastiques dans les vortex océaniques, et des procédés enzymatiques permettant leur dégradation ont déjà été mis au point. Face à cette diversité de solutions, il est impératif de doter les scientifiques des moyens nécessaires et d’agir sans délai. À travers la création de l’Institut Océan de l’Université des Nations unies, je formule le vœu que la France assume pleinement un rôle de pionnier. Notre pays dispose d’équipes de recherche d’excellence, capables de concevoir des réponses concrètes à cette crise écologique. Ces solutions doivent désormais franchir l’étape de l’industrialisation, afin d’éradiquer une pollution endémique qui menace de ravager notre planète. Il est temps, plus que jamais, de passer à l’action.
Mme Eléonore Caroit, présidente. Merci pour ce cri du cœur, que je partage.
M. Michel Guiniot (RN). Vous avez évoqué les pollutions plastiques et chimiques mais il en existe une autre particulièrement dévastatrice pour les produits de la mer : celle du mercure, avec une concentration particulièrement inquiétante en Méditerranée. Ayant été personnellement sensibilisé à ces questions, je soutiens toute initiative permettant d’assurer une alimentation sans danger pour les consommateurs de produits de la mer. Pourriez-vous nous indiquer quels objectifs ont été abordés ou, mieux encore, actés afin de réduire cette pollution insidieuse ? Je pense particulièrement aux pollutions gravissimes provoquées par certains pays bordant la Méditerranée, où aucune mesure n’est prise, aggravant quotidiennement la situation.
Par ailleurs, nous avions examiné le 26 mars 2025 un accord sur les privilèges et immunités applicables dans le cadre de l’organisation et de la réception officielle liée à la troisième conférence de l’UNOC. Disposez-vous d'informations concernant une éventuelle mise en œuvre des dispositifs que nous avions votés ?
Mme Liliana Tanguy (EPR). Je souhaite intervenir en tant que députée du Finistère, territoire littoral entièrement cerné par l’océan, où les problématiques évoquées à l’UNOC revêtent une importance capitale. Je me félicite de l’initiative française, qui était absolument nécessaire pour réglementer la haute mer, lutter contre la pollution plastique et encadrer l’exploitation des fonds marins.
Je souhaite cependant revenir sur les aires marines protégées, évoquées par plusieurs d’entre vous. S’il est indispensable de développer ces aires protégées, leur définition mérite une attention particulière et j’appuie ici la position des pêcheurs de Bretagne ainsi que du comité régional et national des pêches. Les aires marines protégées doivent être définies au cas par cas, sur la base de données scientifiques rigoureuses et d’analyses de risque en matière de pêche, car nous ne pouvons partir du postulat que tout type de pêche – notamment la pêche au chalut – doit être systématiquement interdit dans une aire marine protégée. La cohabitation des usages est possible selon les spécificités des zones concernées.
J’attire donc votre attention sur le fait que les pêcheurs dépendent de cette ressource. Il est certes nécessaire de protéger les écosystèmes mais cela doit se faire de manière concertée et rationnelle, en s’appuyant sur des données scientifiques solides et en associant pleinement les professionnels de la pêche.
Mme Alexandra Masson, rapporteure. En réponse à vos interventions, je vais pour ma part me concentrer sur la question du plastique, sujet qui a suscité de nombreuses interrogations.
Le 10 juin 2025, quatre-vingt-quinze pays ont signé l’appel de Nice, étape essentielle pour mettre progressivement fin à la pollution plastique. Cette déclaration commune s’articule autour de cinq points parfaitement clairs : premièrement, l’adoption d’un objectif mondial de réduction de la production et de la consommation des polymères plastiques primaires ; deuxièmement, la mise en place d’une obligation juridiquement contraignante pour éliminer progressivement les produits plastiques les plus problématiques et les substances chimiques les plus préoccupantes : troisièmement, l’amélioration, par une obligation contraignante, de la conception des produits plastiques pour garantir un impact environnemental minimal ; quatrièmement, la création d’un mécanisme financier à la hauteur de l’ambition du traité, soutenant sa mise en œuvre efficace ; cinquièmement, l’engagement en faveur d’un traité efficace, capable d’évoluer dans le temps et de s’adapter aux nouvelles connaissances scientifiques.
Je rejoins le point soulevé précédemment sur la nécessité de laisser une place importante aux scientifiques pour trouver rapidement des solutions. Il est également essentiel d’impliquer les industriels qui développent des solutions innovantes. De nombreuses propositions ont été présentées et doivent être mises en application, ce qui constitue l’enjeu majeur concernant les plastiques.
Pour répondre à Michel Guiniot, aucun dispositif prévu par le projet de loi voté en commission le 23 mai dernier n’a été activé, pour la raison simple – mais non évidente initialement – que la conférence s’est parfaitement déroulée. La préfecture des Alpes-Maritimes a remarquablement collaboré avec les services locaux, la police nationale, la gendarmerie, les réservistes et les forces frontalières. Tout s’étant bien passé, il n’y a pas eu besoin d’activer les mesures que nous avions votées.
M. Jean-Louis Roumégas, rappporteur. Pour ce qui me concerne, je soulignerai qu’il n’existe pas d’engagement concret au sujet des recherches pétrolières offshore, ce qui pose un véritable problème. Si nous bénéficions actuellement de moratoires en Méditerranée ou au large de la Guyane, des projets inquiétants se profilent du côté des États-Unis, mais également au large du Brésil. Je vous rappelle l’audition, que nous avons tenue ici même, du cacique Tau Metuktire, qui nous a alertés sur le danger des recherches pétrolières au large de l’Amazonie, menaçant non seulement la côte mais l’ensemble de l’écosystème amazonien. Ce sujet reste malheureusement peu abordé en termes d’engagements concrets.
Sur la question des plastiques, restons vigilants concernant les solutions purement techniques. Ce qui a été mis en avant à Nice, c’est avant tout la réduction de la production de plastiques. Nous pouvons certes tenter de recycler les plastiques encore à l’état solide, ces grands morceaux qui constituent le « continent de plastique » mais, pour tous les microplastiques, ces fragments déjà décomposés que nous ingérons à hauteur d’une carte de crédit chaque année, il est déjà trop tard. La seule solution véritablement soutenue par la communauté scientifique est la réduction de la production, plutôt que des stratégies de recyclage, même s’il convient également d’améliorer la qualité des plastiques pour réduire l’impact des adjuvants, eux-mêmes problématiques.
Concernant les AMP, je ne souhaite pas opposer la pêche et la protection. Les observations démontrent que lorsque nous établissons de véritables aires marines intégralement protégées, sans aucune extraction, les zones périphériques voient leur ressource halieutique augmenter significativement, ce qui profite directement aux pêcheurs. C’est l'avenir même de la pêche qui est en jeu. En Méditerranée, certaines petites zones de protection intégrale, sans aucune activité d’extraction, bénéficient non seulement de l’approbation des pêcheurs mais font également l’objet de demandes pour un renforcement de leur surveillance. C’est notamment le cas dans ma circonscription, au large de Palavas, où les pêcheurs eux-mêmes, témoins des effets positifs très concrets de ces aires protégées, sollicitent une vigilance accrue afin d’en préserver les bénéfices.
Quant au concept d’AMP « à la carte » défendu par le lobby français de la pêche, je considère qu’il s’agit d’une vision de court-terme. Nous faisons également face à un problème terminologique car nous ne pouvons qualifier de « zone de production renforcée » un espace qui ne correspond même pas à la définition internationale d’une AMP. Dans ce cas, évitons simplement de le désigner comme AMP car la définition française présente un réel décalage avec les critères internationalement reconnus.
Pour conclure sur la question méditerranéenne, il convient de rappeler que cette mer concentre, de manière amplifiée, l’ensemble des problématiques océaniques. Plusieurs facteurs l’expliquent : une pression démographique particulièrement forte, avec un doublement récent des populations côtières, une fréquentation touristique qui en fait la première destination mondiale et un réchauffement climatique qui y progresse à un rythme deux fois supérieur à la moyenne planétaire. La Méditerranée requiert donc une attention renforcée. S’agissant de la pollution au mercure, évoquée plus tôt, elle résulte principalement des stations d’épuration. Si la rive européenne a accompli des progrès significatifs en la matière, un effort majeur reste indispensable sur la rive Sud pour enrayer durablement ce phénomène.
M. Pierre-Yves Cadalen, rapporteur. Je souhaite quant à moi partager quelques informations concernant le projet d’Institut Océan de l’Université des Nations unies que nous avons adopté ensemble. Nous avons organisé, au sein du pavillon La Baleine, avec le maire de Brest et en présence des responsables des relations internationales de l’Office français de la biodiversité et du recteur de l’Université des Nations unies, ainsi que plusieurs scientifiques, un événement visant à soutenir ce projet et sa mise en œuvre. Nous poursuivrons ce travail et mettrons en place, vraisemblablement en septembre, une phase préparatoire pour vous présenter des propositions concrètes lors des discussions budgétaires. Ce sujet bénéficie du soutien des Nations unies et de l'Assemblée nationale. En cette année dédiée à la mer, il serait pertinent d’engager les phases de concrétisation de ce projet, qui s’inscrit parfaitement dans le discours et la position internationale de la France.
Concernant la question soulevée par Dominique Voynet sur l’exploitation des hydrocarbures dans les ZEE, nous sommes confrontés à un problème d’ordre constitutionnel et normatif. La loi de 2018 interdisant l’exploitation des hydrocarbures en France se révèle, en réalité, privée d’effectivité réelle puisqu’elle est supplantée par le droit de suite en matière minière, qui prévoit qu’un permis d’exploration préalablement accordé permet ensuite l’exploitation. Cette disposition autorise ainsi l’exploitation en Guyane jusqu’en 2080. Cette situation appelle une modification de la norme constitutionnelle afin de rendre effectivement applicables les politiques de non-exploitation des ressources.
S’agissant de l’effectivité des mesures, je rappelle que les États insulaires du Pacifique ont lancé une initiative particulièrement intéressante visant à établir une coalition pour un moratoire sur l’exploitation des énergies fossiles. Cette coalition a déjà été rejointe par la Colombie, et la France se grandirait à y adhérer également. C’est précisément l’horizon qu’il convient de fixer si nous souhaitons atténuer sérieusement le changement climatique.
Quant aux pollutions plastiques, je partage l’avis selon lequel des solutions doivent être apportées pour en atténuer l’impact. Néanmoins, le problème le plus central et complexe réside du côté de la production, point sur lequel nous sommes, je crois, tous d’accord.
Je souhaite également évoquer une audition particulièrement marquante réalisée à Nice : celle de la présidente du cluster maritime, avec qui nous avons eu un échange substantiel sur la question des limites qui, inévitablement, s’imposeront à nous. Les limites à l’exploitation des milieux de vie seront, de toute façon, dictées par les milieux de vie eux-mêmes, et nous commençons déjà à observer ce phénomène en ce début de siècle, avec la multiplication d’événements catastrophiques qui s’amplifieront encore au cours des prochaines décennies. Ces événements affecteront la production et les acteurs économiques du capitalisme, eux-mêmes, sont parfaitement conscients du problème que posent les limites physiques à la production. Il s’agit de l’enjeu politique majeur de notre siècle.
Concernant les aires marines protégées, si nous convenons collectivement qu’il faut les adapter aux spécificités des milieux concernés, cela ne doit pas servir de prétexte à un allègement excessif et désordonné des protections. Les experts de Sea Shepherd ont notamment souligné, lors de leur audition, l’importance d’examiner ce qui se passe dans toute la colonne d’eau car l’interdiction exclusive du chalutage risque d’intensifier l’exploitation. Ces questions doivent être abordées avec précision mais nous restons attachés à l’idée, confirmée par les scientifiques du CNRS lors d’auditions préalables au sommet de Nice, qu’il est préférable de compter un pourcentage moins élevé d’aires marines protégées mais véritablement protectrices. Cette approche présente l’avantage de produire davantage de ressources, y compris pour les pêcheurs.
Mme Eléonore Caroit, présidente. Je tiens à remercier tous les collègues qui nous ont accompagnés à Nice pour leur implication dans ce déplacement, ainsi que pour le travail préparatoire réalisé en amont.
Conformément à l’article 145 du Règlement de l’Assemblée nationale, à l’issue des échanges, la commission autorise à l’unanimité la publication du rapport d’information qui lui a été présenté sous la forme d’une communication des participants à ce déplacement.
Annexe : liste des personnes entendues
par la délégation de la commission
Dimanche 8 juin 2025
• À l’occasion du sommet interparlementaire de la mer, organisé par Mme Éléonore Caroit, vice-présidente de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale :
– Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche ;
– M. Arnolodo André Tinoco, ministre des affaires étrangères du Costa Rica ;
– M. Hervé Berville, député de l’Assemblée nationale, ancien secrétaire d’État chargé de la mer et de la biodiversité ;
– Mme Diti Hediati Hardiyadi Soeharto, députée membre de la chambre des représentants des régions d’Indonésie ;
– Mme Stéphanie Yon-Courtin, députée européenne ;
– M. Paul Watson, fondateur de Sea Shepherd ;
– Mme Lamya Essemlali, présidente de Sea Sheperd ;
– Mme Alexandra Cousteau, militante de l’environnement ;
– Mme Roslie Mann, fondatrice de l’organisation Plus jamais de plastique ;
– M. Sheldon Whitehouse, sénateur des États-Unis ;
– M. Ricardo Lagos, député de la Chambre des députés du Chili ;
– M. Philippe Bolo, député de l’Assemblée nationale ;
– M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué chargé de la Francophonie et des partenariats internationaux, auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
• À l’occasion d’une table ronde avec l’International Conservation Caucus Foundation :
– Mme Monica P. Medina, ancienne secrétaire américaine adjointe chargée de la direction des océans et des affaires écologiques et scientifiques et présidente du conseil d’administration de l’International Conservation Caucus Foundation (ICCF) ;
– Mme Diti Hediati Hardiyadi Soeharto, députée membre de la chambre des représentants des régions d’Indonésie ;
– Mme Alien Mus, députée membre de la Chambre des représentants des régions d’Indonésie ;
– Mme Anna Gelderd, députée membre de la Chambre des Communes du Royaume-Uni ;
– Mme Roz Savage, députée membre de la Chambre des Communes du Royaume-Uni ;
– M. Barry Gardiner, député membre de la Chambre des Communes du Royaume-Uni, ancien ministre britannique de l’environnement ;
– Mme Ividleliza Reyez, présidente de la commission de la pêche et de l’aquaculture du Sénat du Mexique ;
– Mme Elizabeth Jay-Pang Diaz, députée membre de la Chambre des représentants de la Colombie ;
– M. Juan Carlos Lozada Vargas, député membre de la Chambre des représentants de la Colombie ;
– M. Guibion Ferdinand, secrétaire parlementaire au ministère du tourisme de Sainte-Lucie ;
– M. Roderick Saint-Clair, sénateur de l’État de Grenade ;
• Lors d’entretiens individuels spécifiques :
– Mme Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France ;
– M. Lionel Guidi, chercheur au laboratoire d’océanographie de Villefranche ;
– M. Jean-Olivier Irisson, chercheur au laboratoire d’océanographie de Villefranche.
Lundi 9 juin 2025
– M. Guillaume Legrand, cofondateur et président de la société TOWT ;
– Mme Nathalie van den Broeck, présidente de la Surfrider Foundation Europe, en compagnie notamment de Mme Gaëlle Haut, EU affairs project manager de la Surfrider Foundation Europe ;
– Mme Nathalie Mercier-Perrin, présidente exécutive du Cluster maritime, en compagnie de M. Pierre Leonidas, directeur-adjoint en charge des affaires publiques et institutionnelles du Cluster maritime ;
– M. Guillaume Sainteny, président du plan bleu ;
– M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
Mardi 10 juin 2025
– M. Pascal Lamy, président de la Fondation Jacques Delors, ancien commissaire européen ;
– M. Romain Troublé, directeur général de Tara Océan ;
– M. Simon Bernard, président et cofondateur de Plastic Odyssey.
Appréciation complémentaire portée à titre personnel par M. Pierre-Yves Cadalen (LFI-NFP)
Le député Pierre-Yves Cadalen, membre de la délégation de la commission des affaires étrangères, souhaite ajouter quelques réflexions au rapport écrit à cette occasion pour adoption par la commission. En effet, ce sommet des Nations unies pour l’océan soulève des interrogations majeures qu’il convient de mentionner.
La défense de la science et du multilatéralisme a été un point central des discours du président de la République comme du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Il est toutefois regrettable qu’aucun engagement nouveau n’ait été pris à cette occasion en la matière, alors même que l’Assemblée nationale avait formulé une proposition qui articule particulièrement les deux dimensions : la création d’un Institut Océan de l’Université des Nations unies (UNU). Cet institut serait le premier au monde sur l’océan, et le premier sur le territoire français.
Le député Pierre-Yves Cadalen tient à souligner la qualité des échanges qu’il a pu avoir, en marge des rencontres organisées par la commission des affaires étrangères, avec le recteur de l’Université des Nations unies, le professeur Tshilidzi Marwala, et le directeur de l’institut UNU canadien portant sur la gestion de la ressource en eau, le professeur Kaveh Madani, ainsi que la représentante française de l’UNU, le docteur Sabine Becker.
Le samedi 7 juin, au sein des espaces de discussion, une demi-journée de soutien au projet d’installation d’un Institut Océan de l’Université des Nations unies de la mer, associant universitaires, diplomates, élus nationaux et locaux, s’est tenue dans le cadre de l’UNOC.
Le vif intérêt que suscite ce projet, ainsi que le vote de l’Assemblée nationale qui le 2 avril 2025 a invité le gouvernement à financer la création de cet institut, sont deux éléments solides qui doivent être pris en compte pour donner un sens concret au discours sur le soutien à la science et au multilatéralisme.
Le député Pierre-Yves Cadalen tient en outre à souligner l’importance fondamentale de la coopération internationale, et de la défense du multilatéralisme. La position de la France doit être soutenue et élargie relativement au moratoire sur l’exploitation des minerais des grands fonds marins. En effet, cette dernière question met en avant le caractère nécessairement limité des ressources disponibles à l’exploitation économique : et après avoir vidé l’océan, où l’humanité ira donc, si elle existe toujours compte tenu des déstabilisations profondes que l’activité économique capitaliste impliquent sur l’ensemble des conditions de base de la vie humaine ?
Cette question fondamentale ne trouvera pas de solution dans le seul multilatéralisme, car il est évident que l’ensemble des constats qui peuvent aujourd’hui rencontrer un relatif consensus quant aux pollutions de l’océan, à son acidification, à la perte massive de diversité biologique, ne donne pour autant pas lieu à la conclusion qui s’impose là aussi scientifiquement : il n’y a pas de préservation des milieux de vie soluble dans le capitalisme. L’audition accomplie dans le cadre de notre travail collectif du cluster maritime français était de ce point de vue particulièrement intéressante, car il y apparaissait que la planification était aujourd’hui nettement insuffisante, y compris pour les acteurs intensément dotés en capital. Surtout, il ne fait aucun doute que la préservation de l’océan devra passer par la bifurcation écologique des sociétés humaines, ce qui suppose de poser démocratiquement et collectivement la question de la définition de nos besoins, et de cesser de laisser cette question à la détermination du marché capitaliste organisé pour l’accumulation de quelques-uns.
De telles transformations doivent intervenir dans plusieurs sociétés afin de produire un effet de transformation de l’ordre international lui-même, ce qui est une condition de la protection des milieux de vie à terme. Personne ne croit sérieusement que la finance bleue, pas davantage que la finance verte, soit apte à sauver autre chose qu’elle-même.
Cette contradiction fondamentale est celle de l’ensemble du système international : voué à reproduire actuellement les structures économiques existantes, il se trouve dans une situation de crise hégémonique massive, sans contre-pouvoir à échelle globale en capacité aujourd’hui de proposer un autre modèle de développement pour les sociétés humaines. C’est un enjeu fondamental pour l’avenir à court terme de l’humanité désormais. La protection de l’océan sera anticapitaliste ou ne sera pas.
En tout état de cause, et quelles que soient les positions des groupes de l’Assemblée nationale, l’ensemble des auditions converge vers un élément qui paraît pouvoir faire consensus largement, au moins dans l’ordre des mots : le renforcement de la puissance publique et des instruments de la coopération internationale est nécessaire pour mettre en œuvre une action cohérente et concertée contre les pollutions maritimes et la destruction de l’océan, et, par voie de conséquence, de conditions fondamentales de l’existence humaine.
Toujours est-il qu’il faut que l’ordre des mots rencontre l’ordre des politiques publiques et des faits en la matière. Afin d’établir une véritable planification, il s’agit pour l’État de se reconstruire à partir de ressources fiscales : sur ce sujet comme sur l’ensemble des urgences en matière de politiques publiques, il est primordial de revenir sur les exemptions fiscales, de cotisations et sur la baisse massive de l’imposition des milliardaires et des plus grandes entreprises.
La protection de l’océan ne peut uniquement être un impératif posé dans des discours qui sonnent creux s’ils ne sont pas accompagnés de moyens et de dispositions contraignantes. En la matière, la définition des aires marines protégées ne présente pas des caractéristiques de protection suffisamment strictes. Autant en établir moins, mais mieux : nous retenons et nous joignons à ce conseil des scientifiques et des militants environnementalistes.
L’avenir ne dure peut-être plus si longtemps : l’action rapide et l’application d’une politique de rupture, au niveau de plusieurs nations et du système international, s’imposent.
([2]) « Projet de feuille de route sur l’économie bleue ultramarine à horizon 2030 », ministère de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche, 10 décembre 2024.
([3]) L’économie bleue en France, secrétariat général de la mer, 2022.
([4]) Ibid.
([5]) Maritimisation : la France face à la nouvelle géopolitique des océans, rapport d'information n° 674 de MM. Jeanny Lorgeoux et André Trillard, déposé le 17 juillet 2012 (session 2011-2012).
([6]) Jean-Louis Levet, stratégie nationale d’exploration et d’exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins, janvier 2021.
([7]) Ibid.
([8]) Ibid.
([9]) https://www.ird.fr/la-pollution-plastique-des-oceans-quelles-repercutions-lile-de-la-reunion-0
([10]) Table ronde, conjointe avec la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire et ouverte à la presse, sur les enjeux de la 3e conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC 3) à Nice, du 9 au 13 juin 2025, avec la participation de Mme Isabelle Autissier, présidente d’honneur du WWF-France, et de M. Joachim Claudet, directeur de recherche au Centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement, 13 mai 2025.
([12]) Résolution, adoptée par l'Assemblée nationale, tendant à créer un institut « Océan » de l’université des Nations unies en France le 2 avril 2025, T.A. n° 88 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/textes/l17t0088_texte-adopte-seance#.