N° 1691

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 juillet 2025.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

sur l’Union des marchés de capitaux,

ET PRÉSENTÉ

PAR Mme Sylvie JOSSERAND et M. Daniel LABARONNE,

Députés

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  1.    La composition de la commission figure au verso de la présente page.

La Commission des affaires européennes est composée de : M. Pieyre-Alexandre ANGLADE, président ; M. Laurent MAZAURY, Mme Nathalie OZIOL M. Thierry SOTHER, vice‑présidents ; MM. Benoit BITEAU, Maxime MICHELET, Mme Liliana TANGUY, secrétaires ; MM Gabriel AMARD , David AMIEL Philippe BALLARD, Karim BENBRAHIM, Guillaume BIGOT, Nicolas BONNET, Mmes Céline CALVEZ, Colette CAPDEVIELLE, M. François-Xavier CECCOLI, Mme Sophia CHIKIROU, Paul CHRISTOPHE, Bruno CLAVET, Mme Nathalie COLIN-OESTERLÉ, M. Jocelyn DESSIGNY, MM. Julien DIVE, Nicolas DRAGON, Julien GABARRON, Michel HERBILLON, Mmes Mathilde HIGNET, Sylvie JOSSERAND, Marietta KARAMANLI, MM. Daniel LABARONNE, Bastien LACHAUD, Jean LAUSSUCQ, Mme Constance LE GRIP, MM. Pascal LECAMP,  Matthieu MARCHIO, Patrice MARTIN, Emmanuel MAUREL, Mme Danièle OBONO, MM. Julien ODOUL, Frédéric PETIT, Mme Anna PIC, MM. Pierre PRIBETICH, Stéphane RAMBAUD, Mme Isabelle RAUCH, M. Charles SITZENSTUHL, Mmes Michèle TABAROT, Sophie TAILLÉ-POLLIAN, Sabine THILLAYE, Estelle YOUSSOUFFA.

 


SOMMAIRE

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Pages

Synthèse du rapport

PREMIÈRE PARTIE : de l’union des marchés de capitaux à l’union de l’épargne et de l’investissement

I. DIX ANS APRÈS, L’UNION DES MARCHÉS DE CAPITAUX N’A PAS TENU SES PROMESSES

A. UNE INITIATIVE QUI TEND À ACCOMPLIR LA LIBRE CIRCULATION DES CAPITAUX ET RÉÉQUILIBRER LE SYSTÈME FINANCIER APRÈS LA CRISE DE 2008

1. Bien qu’elle soit l’un des quatre piliers du marché unique européen, la libre circulation des capitaux ne s’est jamais pleinement réalisée

2. L’Union des marchés de capitaux vise à rééquilibrer le système financier européen au lendemain de la crise de 2008

B. DE NOMBREUSES RÉFORMES TECHNIQUES MISES EN OEUVRE, SANS RESULTAT TANGIBLE

1. Malgré quelques mesures structurantes, les initiatives n’ont pas été aussi ambitieuses qu’escompté

2. Les marchés financiers européens demeurent faiblement développés et peu performants

II. LA RELANCE DU PROJET SOUS LA FORME D’UNION DE L’ÉPARGNE ET DE L’INVESTISSEMENT

A. UNE RÉPONSE STRATÉGIQUE AUX DÉFIS ACTUELS, QUI SUSCITE UNE ATTENTION INÉDITE

1. Un sentiment d’urgence partagé face aux menaces pour notre prospérité et notre souveraineté

2. Une nouvelle approche plus pragmatique et centrée sur de grands objectifs pour mobiliser l’ensemble des parties prenantes

B. Un pari incertain si les prérequis ne sont pas réunis

1. Le projet suscite des réserves parmi les États membres

2. Le succès du projet ne peut être garanti en l’absence d’amélioration des sous-jacents de l’économie européenne

Deuxième PARTIE : Quatre leviers proposés par la commission pour améliorer l’efficacité des marchés financiers européens

I. Mieux orienter l’épargne vers l’investissement de long terme

A. Le constat d’une mauvaise allocation de l’épargne européenne au détriment des épargnants

1. L’épargne européenne est orientée vers des placements liquides et garantis mais peu rentables

2. Une allocation desservie par le système de retraite et la forte aversion au risque qui prévaut en Europe

B. Le nécessaire developpement de produits d’Épargne plus performants pour contribuer au financement de l’economie productive

1. Développer la retraite supplémentaire

2. Permettre aux investisseurs institutionnels d’être moteurs dans le financement en fonds propres des entreprises

3. Améliorer l’attractivité des produits d’épargne de long terme qui financent l’investissement en Europe par la création d’un label européen

II. Donner aux entreprises européennes un meilleur accÈs aux fonds propres

A. Des difficultÉs persistantes de financement en fonds propres qui conduisent certaines entreprises innovantes À quitter l’Europe

1. Des introductions en bourse encore peu attractives

2. Un marché du capital-investissement sous-dimensionné pour répondre aux besoins des entreprises innovantes

B. Faciliter l’introduction en bourse et soutenir le developpement du capital-investissement

1. Pour les jeunes entreprises innovantes, une porte d’entrée unique sur les marchés financiers et des indices mieux conçus

2. Favoriser le développement des fonds de capital-investissement en mobilisant les investisseurs privés grâce à un soutien public ciblé

III. Intégrer la supervision et consolider les infrastructures de marché

A. Malgré un consensus sur un besoin de simplification, des dÉbats nourris sur l’architecture de supervision

1. La surréglementation et l’éclatement de la supervision affectent la compétitivité des acteurs financiers européens

2. Le renforcement des compétences de l’ESMA en question

B. Le défi des nouvelles technologies financieres pour la CONSOLIDation des infrastructures de marche

1. Des stratégies de consolidation entravées

2. Une intégration au défi de l’harmonisation et de l’innovation de la blockchain

IV. Mobiliser pleinement les banques par une relance maitrisée de la titrisation

A. Un marché européen de la titrisation sous-dimensionné en raison d’un encadrement trop lourd et mal calibré

1. La titrisation européenne porte les stigmates de la crise de 2008 de façon injustifiée

2. L’encadrement prudentiel trop strict de la titrisation limite excessivement la capacité de financement des banques et leur rentabilité

B. la relance de la titrisation pour mettre à profit les complémentarités entre banques et marchés financiers

1. Mieux calibrer les règles prudentielles sans remettre en cause leurs fondements

2. Garantir la contribution effective de la titrisation au financement de l’économie et à l’approfondissement des marchés de capitaux

Synthèse des Recommandations

TRAVAUX DE LA COMMISSION

annexe 1 : Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs

1. Acteurs publics

2. Acteurs privés

3. Universitaires et experts

Annexe 2 : Contributions écrites adressées aux rapporteurs


   Synthèse du rapport

Lancée en 2014 par le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, l’Union des marchés de capitaux vise à approfondir le développement et l’intégration des marchés financiers européens, dans l’objectif d’offrir de nouvelles sources de financement aux entreprises et d’élargir les opportunités d’investissement des épargnants.

De l’Union des marchés de capitaux à l’union de l’épargne et de l’investissement

Si le traité de Rome de 1957 prévoit « l’abolition, entre les États membres, des obstacles à la libre circulation des personnes, des services et des capitaux », la libre circulation des capitaux ne s’est jamais pleinement réalisée. En dépit de l’interdiction des restrictions aux mouvements de capitaux en 1988, de l’adoption de la monnaie unique en 1999, de la création d’un espace unique de paiement en euros (SEPA) en 2007, et de la libéralisation progressive des services financiers par l’instauration d’un passeport européen, les marchés financiers sont demeurés fragmentés selon les frontières nationales.

L’Union des marchés de capitaux vise à rééquilibrer le système financier européen, qui repose aux trois quarts sur les banques, à l’inverse du système financier américain, afin d’en renforcer la résilience au lendemain de la crise de 2008. Des marchés financiers plus développés doivent permettre de mieux répartir les risques entre banques et marchés, et d’offrir de nouvelles sources de financement à l’économie alors que la capacité de prêts des banques se voit réduire par le renforcement des exigences de fonds propres. L’initiative vise également à conforter l’appartenance du Royaume-Uni à la zone euro en raison des avantages qu’en aurait tirés La City.

L’Union des marchés de capitaux a donné lieu à deux plans d’actions de la Commission européenne, présentés par la Commission européenne le 30 septembre 2015 et le 24 septembre 2020, qui portent principalement des réformes techniques d’harmonisation.

Les représentants du secteur financier auditionnés ont salué plusieurs de ces mesures : la mise en place d’un point d’accès unique européen qui centralise les informations publiées par les entreprises pour améliorer leur accessibilité ; l’adoption du Listing act qui simplifie les conditions d’introduction en bourse pour les entreprises, en prévoyant des mesures d’allègement spécifiques pour les PME ; la révision de la directive Solvabilité II, afin de favoriser les investissements de long terme des assureurs ; ou encore, la création d’un label pour les fonds européens d’investissement de long terme (ELTIF) à destination des investisseurs particuliers, qui s’est largement diffusé depuis sa révision après une première tentative en demi-teinte.

D’autres mesures n’ont pas rencontré le succès escompté. Le produit paneuropéen d’épargne-retraite individuel (PEPP), introduit en 2019, n’a suscité quasiment aucune demande, en raison d’un plafonnement des frais rédhibitoire pour les distributeurs, et d’un manque d’attractivité en l’absence d’incitation fiscale. Cet échec est révélateur des failles d’une approche descendante qui tendrait à imposer des produits européens uniformes sans tenir compte des spécificités nationales, ainsi que des limites inhérentes à une action de l’Union européenne en la matière alors que la compétence fiscale relève des États membres. Les réformes les plus structurantes se sont heurtées aux réticences des États membres à consentir à un approfondissement de l’intégration des marchés financiers. Une majorité au Conseil s’est opposée, en 2019, au renforcement des pouvoirs de l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) proposé par la Commission, par souci de préserver les compétences des superviseurs nationaux. L’harmonisation de la fiscalité, ou du droit de l’insolvabilité peine également à faire consensus.

S’il est encore tôt pour apprécier l’efficacité de réformes qui viennent d’entrer en vigueur, l’Union des marchés de capitaux n’a eu jusqu’ici qu’une faible incidence sur la profondeur et la liquidité des marchés financiers européens. La capitalisation boursière totale des entreprises de l’Union européenne est estimée à 12 000 Md$ quand celle des sept plus grandes entreprises technologiques américaines atteint, à elle seule, 16 300 Md$ en mai 2025. L’Association pour les marchés financiers en Europe (AFME) mesure une dégradation de l’intégration financière depuis 2021, le volume de détention de titres financiers transfrontaliers étant passés de 87 % à 70 % du PIB de l’Union européenne.

Selon les rapports de Mario Draghi et de Christian Noyer, la faible profondeur des marchés financiers européens compromet la bonne allocation de l’épargne des ménages avec les besoins d’investissements des entreprises, au risque de limiter la croissance et l’innovation. Les faibles perspectives de valorisation en bourse, et l’insuffisance de grands fonds de capital-investissement expliqueraient que près de 30 % des licornes créées en Europe aient choisi de déménager leur siège à l’étranger, principalement aux États-Unis, entre 2008 et 2021. En parallèle, le manque d’opportunités d’investissement en Europe conduit les ménages européens à exporter 20 % de leur épargne financière à l’étranger, soit un flux de 300 Md€ par an.

Les institutions européennes ont donné une nouvelle impulsion au projet, renommé « Union de l’épargne et de l’investissement », à la suite du diagnostic alarmant d’un décrochage économique de l’Union européenne dressé par les rapports de Mario Draghi et d’Enrico Letta.

Comme l’illustre sa nouvelle appellation, l’enjeu est de mobiliser les capitaux privés pour financer les importants besoins d’investissement européens qu’impliquent les transitions écologique et numérique et la sécurité du continent, alors que la marge de manœuvre budgétaire des États membres est limitée par un endettement déjà très élevé. Les rapporteurs ont cependant regretté l’absence de chiffrage précis sur les financements que l’Union de l’épargne et de l’investissement permettrait de mobiliser.

L’approfondissement des marchés financiers européens vise, en outre, à retrouver la maîtrise des circuits de financement de l’économie européenne, alors que les acteurs financiers étrangers ont considérablement accru leur pénétration au cours des dernières années. Il risque d’en découler une moindre attention au tissu économique européen et une vulnérabilité accrue en cas d’épisode de stress financier, les investisseurs étrangers étant moins susceptibles de s’intéresser au développement des entreprises européennes sur le long terme. Par ailleurs, les prestataires de services d’investissement américains présents en Europe contribuent à orienter l’épargne européenne vers les États-Unis – Blackrock est ainsi le premier gestionnaire d’actifs en Europe et détient plus de 40 % des parts de marché sur la gestion passive.

À la lumière des défis pour la prospérité et la souveraineté des pays européens, l’Union de l’épargne et de l’investissement bénéficie d’un soutien politique inédit, au plus haut niveau. Elle a fait l’objet de déclarations fortes du Conseil européen, de la Banque centrale européenne, de l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA), et de grands acteurs financiers privés. Elle occupe une place centrale dans l’agenda de la nouvelle Commission, comme l’a montré la rapide publication de sa « stratégie pour l’Union pour l’épargne et l’investissement », le 19 mars 2025. Cette communication dénote un changement de méthode, la Commission privilégiant désormais une approche plus pragmatique et ascendante, qui s’appuie sur les atouts spécifiques des différents États membres plutôt que d’imposer des solutions uniformes. L’Union de l’épargne et de l’investissement intègre également l’Union bancaire, afin d’exploiter pleinement les complémentarités entre banques et marchés.

Derrière cet apparent consensus, plusieurs mesures du projet continuent cependant de susciter de fortes réserves parmi les États membres.

L’approfondissement des marchés financiers devrait bénéficier aux pays qui disposent d’une industrie financière développée, à commencer par la France, selon de nombreux acteurs auditionnés. En tant que première place financière de l’Union européenne, Paris semble bien placée pour attirer les flux de capitaux européens grâce aux effets de cluster que permettra la levée des obstacles aux investissements transfrontaliers. Elle sera cependant en concurrence avec d’autres places financières importantes, telles que Francfort ou Amsterdam. Les intérêts des grands pays peuvent être divergents, comme l’illustrent les points d’achoppement entre la France et l’Allemagne sur l’Union bancaire.

Les petits pays d’Europe de l’Est, aux marchés financiers moins développés, craignent, pour leur part, qu’une intégration accrue favorise un mouvement de concentration des services financiers qui se ferait au profit des acteurs et des marchés les plus importants, et souhaitent préserver leur marché domestique. Les petits pays disposant de systèmes financiers très ouverts, tels que l’Irlande ou le Luxembourg, qui misent sur le moins-disant réglementaire pour attirer les investisseurs nationaux, sont particulièrement réticents à une harmonisation de la fiscalité ou des pratiques de supervision, qui compromettraient l’attractivité de leur place financière.

Le développement des marchés financiers ne suffira pas, à lui seul, à attirer les capitaux privés en Europe si la croissance demeure faible et les opportunités d’investissement rares. La rapporteure Sylvie Josserand dénonce ainsi une fausse solution miracle qui contribue à déresponsabiliser les États, là où la relance de la croissance exige avant tout de redresser les finances publiques pour rendre à l’État son rôle de pilote économique et conduire une politique industrielle ambitieuse. Le rapporteur Daniel Labaronne souligne, pour sa part, le cercle vertueux qui pourrait s’instaurer entre développement des circuits de financement et accélération de l’innovation, à condition d’adopter une approche européenne globale qui intègre simplification, harmonisation et politique industrielle, comme le propose la Commission européenne dans sa « Boussole pour la compétitivité ».

Les rapporteurs relèvent le risque que les grands acteurs financiers étrangers profitent de l’Union de l’épargne et de l’investissement pour gagner de nouvelles parts de marché. Si la suppression des obstacles aux flux de capitaux transfrontaliers offrira une chance aux acteurs européens de passer à l’échelle afin de rivaliser avec leurs concurrents américains, l’issue de cette compétition demeure très incertaine. Il paraît ainsi essentiel de placer la compétitivité de la finance européenne au cœur de l’agenda européen sur les marchés financiers, en accompagnant toute proposition législative de la Commission d’une étude d’impact approfondie qui en évalue les conséquences sur la situation concurrentielle des acteurs européens, et en inscrivant dans le mandat des autorités européennes de supervision la préservation de la compétitivité européenne. Il pourrait également être opportun de restreindre l’ouverture du marché européen dans le domaine des services financiers, alors que l’Union européenne demeure bien plus ouverte que les pays concurrents.

Enfin, la rapporteure Sylvie Josserand souligne le risque qu’une réorientation de l’épargne européenne vers des placements en fonds propres ne compromette la capacité de l’État à financer la dette publique, alors que les obligations souveraines constituent un placement privilégié des assureurs vie.


Quatre leviers proposés par la Commission pour améliorer l’efficacité des marchés financiers européens

Le rapport d’information s’est attaché à évaluer l’opportunité des propositions formulées par la Commission dans sa stratégie pour l’Union de l’épargne et de l’investissement du 19 mars 2025. Il appréhende ces dernières à travers quatre axes : l’orientation de l’épargne vers l’investissement à long terme ; l’accès des entreprises aux fonds propres ; la consolidation des infrastructures et l’intégration de la supervision ; et la relance de la titrisation.

L’abondante épargne européenne, qui représente en 2024 plus de 35 500 Md€, est principalement placée dans des produits liquides et garantis, qui représentaient en moyenne 47 % des placements financiers des ménages dans l’Union européenne en 2022, contre 14 % aux États-Unis. Cette allocation limite la capacité des intermédiaires financiers à investir dans l’économie productive sur le long terme, tout en réduisant la rémunération de l’épargne des ménages, en raison des moindres rendements associés à ce type de placements.

Cette répartition sous-optimale de l’épargne s’explique en partie par une forte aversion au risque, qui peut s’analyser comme un comportement rationnel de précaution des ménages face à la complexité de leur environnement financier, entretenu par un défaut de culture économique et financière, et par un manque de clarté et de lisibilité des informations délivrées. Pour y remédier, les rapporteurs préconisent de développer l’éducation financière en l’intégrant dans les programmes scolaires, et d’améliorer les documents d’information destinés aux épargnants pour leur permettre de prendre des décisions d’investissement éclairées. Ils suggèrent, en outre, d’engager une réflexion sur la création d’un mécanisme d’action représentative en matière boursière, afin de renforcer la protection des épargnants.

La faible contribution de l’épargne européenne au financement de l’économie productive résulte également de la prédominance des systèmes de retraite par répartition, là où la profondeur des marchés financiers américains repose sur d’importants fonds de pension. Dans sa communication du 19 mars 2025, la Commission invite les États membres à développer les dispositifs d’épargne supplémentaire, dans le double objectif de financer l’économie européenne et de sécuriser les revenus des futurs retraités. Le rapporteur Daniel Labaronne considère qu’il serait opportun de conforter le dynamisme actuel du produit d’épargne retraite (PER) collectif, en le généralisant auprès des jeunes générations et en mobilisant l’épargne salariale, sur une base volontaire. La rapporteure Sylvie Josserand préconise l’ouverture d’une réflexion sur l’opportunité de l’introduction d’une dose de capitalisation, à condition que les salariés conservent une pleine liberté de choix.

Les rapporteurs observent que le rôle des investisseurs institutionnels dans le financement de l’économie pourrait être encore renforcé en leur permettant d’investir davantage dans les fonds propres des entreprises, grâce à des allègements ciblés du cadre prudentiel, et en développant la génération pilotée par horizon, qui permet une prise de risque adéquate selon l’âge de l’épargnant. La rapporteure Sylvie Josserand soutient la mise en place d’un produit d’épargne qui reposerait sur un fonds indiciel et serait géré par la Caisse des dépôts et consignations.

Sous l’impulsion de la France, sept pays européens ont annoncé, le 5 juin 2025, le lancement du label « Finance Europe » pour valoriser les produits d’épargne qui investissent dans l’économie réelle européenne. Il pourra être attribué aux produits d’épargne qui investissent à plus de 70 % dans l’Union européenne, selon un horizon de long terme et avec une orientation vers les fonds propres, et pourra bénéficier en contrepartie d’avantages fiscaux, décidés par chaque État. Le rapporteur Daniel Labaronne appelle à accélérer la mise en œuvre du label en France, pour lequel le PER et le PEA constituent des candidats naturels. La rapporteure Sylvie Josserand souhaite conditionner les avantages fiscaux des produits d’épargne à un seuil minimal de 51 % d’investissements en France, afin de préserver le financement du tissu économique national.

Les entreprises européennes trouvent plus difficilement à se financer en fonds propres que leurs concurrentes américaines. Or, si le crédit bancaire joue un rôle structurant dans l’économie européenne, le financement en fonds propres est plus adapté pour accompagner la prise de risque des entreprises innovantes. Il apparaît dès lors souhaitable aux rapporteurs de faciliter les introductions en bourse tout en soutenant le développement du capital-investissement.

L’Europe est confrontée à un fort phénomène d’attrition de la cote : les conditions d’accès à la bourse demeurent difficiles et la cotation n’offre aux entreprises que de faibles perspectives de valorisation, en raison d’un manque de liquidité, particulièrement marqué pour les PME à forte croissance. Pour y remédier, le rapporteur Daniel Labaronne préconise d’encourager la mise en commun par les différents groupes boursiers européens de leur segment de marché réservé aux PME à forte croissance, afin d’offrir à ces dernières une porte d’entrée unique sur les marchés financiers et une visibilité accrue. Les indices boursiers pourraient également être mieux conçus pour refléter la diversité du tissu économique national et européen, en y intégrant les PME et les ETI.

En parallèle, les fonds de capital-investissement devraient passer à l’échelle pour être en mesure d’accompagner l’expansion des entreprises européennes. Si le marché du capital-investissement européen a plus que doublé au cours des dix dernières années, la taille des fonds demeure toujours insuffisante pour répondre aux besoins d’investissement colossaux des entreprises technologiques. Compte tenu du rôle moteur joué par Bpifrance et la Banque européenne d’investissement, les rapporteurs recommandent d’optimiser l’effet de levier des financements publics en associant davantage les investisseurs privés. Le rapporteur Daniel Labaronne propose également d’améliorer l’attractivité des labels européens destinés aux fonds de capital-risque et de créer un 28e régime européen adapté aux jeunes entreprises innovantes pour leur permettre de massifier leurs levées de fonds en Europe.

Le cadre européen de régulation des marchés financiers pâtit d’une complexité et d’une rigidité excessives qui empêchent sa bonne adaptation aux transformations rapides des marchés financiers et pèsent sur les entreprises. Pour y remédier, le rapporteur Daniel Labaronne recommande de privilégier le recours au règlement plutôt qu’aux directives afin d’éviter les surtranspositions, et de permettre à l’ESMA de suspendre l’application de normes lorsqu’elles menacent la stabilité financière ou la compétitivité d’acteurs européens. La rapporteure Sylvie Josserand s’oppose à de telles réformes qui porteraient atteinte au pouvoir de décision des États membres. Les rapporteurs s’accordent sur la nécessité de mieux prendre en compte la spécificité des actions intra-groupe en prévoyant des dispositifs de contrôle allégé, pour favoriser l’émergence de grands groupes européens à même de rivaliser avec leurs concurrents internationaux.

Les rapporteurs ont pu vérifier, lors des auditions, que l’intégration de la supervision des marchés financiers au niveau européen suscitait des débats nourris. La mise en œuvre de la réglementation européenne par les 27 autorités de supervision nationales entraîne des divergences d’interprétation qui complexifient l’activité des entreprises paneuropéennes, compromettent la juste concurrence et menacent la stabilité financière. Le rapporteur Daniel Labaronne recommande de faire de l’ESMA le superviseur unique des marchés financiers, doté d’un pouvoir de surveillance directe sur les acteurs paneuropéens ou représentant un risque systémique. La rapporteure Sylvie Josserand récuse l’intérêt d’une telle réforme, qui se traduirait par une perte de souveraineté et d’efficacité de la supervision, et invite plutôt à privilégier le renforcement des mécanismes de convergence.

Enfin, le paysage des infrastructures de marché demeure peu intégré, ce qui limite les émissions et les investissements transfrontaliers. Le rapporteur Daniel Labaronne propose de favoriser l’harmonisation du droit des titres et du droit des sociétés afin de créer des conditions favorables à la consolidation des infrastructures de post-marché. Il appelle également à s’emparer pleinement de la révolution technologique en cours en dotant l’Union européenne d’une infrastructure de marché de nouvelle génération, fondée sur la technologie blockchain, afin de permettre le règlement-livraison d’actifs tokenisés en monnaie numérique de banque centrale et d’affirmer ainsi la souveraineté financière européenne.

Malgré une image dégradée héritée de la crise financière, la titrisation joue un rôle essentiel dans le financement de l’économie lorsqu’elle est bien encadrée. Ce mécanisme permet de transformer un portefeuille de prêts ou le risque de crédit associé en titres financiers négociables. Elle contribue ainsi à répartir le risque de façon équilibrée au sein du système financier, tout en augmentant la capacité des banques à financer l’économie grâce à un allègement de leur bilan. Si les titrisations toxiques américaines ont précipité la crise de 2008, c’est du fait de la faiblesse du cadre régulation : les titrisations européennes, bien plus étroitement encadrées, n’ont connu qu’un très faible taux de défaut. Pourtant, de façon paradoxale, c’est le marché européen qui s’est effondré durablement, ne représentant qu’un dixième du marché américain en 2025.

Pour permettre à la titrisation de jouer pleinement son rôle de pont entre banques et marchés, les rapporteurs soutiennent un allègement ciblé et maîtrisé du cadre prudentiel, en préservant les garde-fous érigés après la crise de 2008 – interdiction des retitrisations et obligation de rétention du risque, notamment. Les exigences de fonds propres actuelles sont excessivement restrictives, sans refléter la réalité des risques sous-jacents, et les lourdes obligations de transparence et de diligence raisonnable découragent les banques et les investisseurs de détenir des actifs titrisés. Elles limitent également la rentabilité des banques européennes, compromettant leur capacité à rester compétitives face à leurs concurrentes américaines, alors que les États-Unis n’ont pas mis en œuvre les standards internationaux en matière de titrisation.

La contribution de la titrisation aux objectifs de l’Union de l’épargne et de l’investissement pourrait être renforcée en développant des produits titrisés qui ciblent certains besoins d’investissement stratégiques, ou certaines catégories d’entreprises, notamment les PME. Les rapporteurs invitent à étudier la mise en place d’une plateforme européenne de titrisation, bénéficiant d’une garantie publique, et ciblée sur les besoins d’investissement stratégiques

 


   PREMIÈRE PARTIE : de l’union des marchés de capitaux à l’union de l’épargne et de l’investissement

Lancée en 2014 par le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, l’Union des marchés des capitaux vise à approfondir le développement et l'intégration des marchés de capitaux dans l’ensemble de l’Union européenne, dans l’objectif d’offrir de nouvelles sources de financement aux entreprises et d’élargir les possibilités d’investissement des épargnants tout en leur permettant de diversifier leurs risques. Dix ans après, malgré les plans d’action mis en œuvre, le paysage financier européen demeure fragmenté selon les lignes nationales et le crédit bancaire continue de jouer un rôle prépondérant dans le financement de l’économie.

Le constat du déclin de la compétitivité économique de l’Europe, que les rapports d’Enrico Letta et de Mario Draghi, publiés en avril et septembre 2024, imputent notamment à la faiblesse des marchés de capitaux européens, a conduit les institutions de l’Union européenne à donner une nouvelle impulsion au projet. Les chefs d’État et de gouvernement des États membres ont ainsi appelé, lors d’une réunion informelle à Budapest le 8 novembre 2024, à la constitution d’une « Union de l’épargne et de l’investissement » – un concept qui englobe à la fois les banques et les marchés de capitaux – à même de mobiliser l’importante épargne européenne pour couvrir les besoins de financement massifs qu’impliquent les transitions écologique et numérique et la préservation de l’autonomie stratégique européenne.

Les travaux des rapporteurs ont visé à dresser un bilan des réalisations de l’Union des marchés de capitaux, pour examiner ensuite les nouveaux contours de l’Union de l’épargne et de l’investissement et ses chances de succès.

 

I.   DIX ANS APRÈS, L’UNION DES MARCHÉS DE CAPITAUX N’A PAS TENU SES PROMESSES

L’Union des marchés de capitaux se proposait d’achever la liberté de circulation des capitaux reconnue par le traité de Rome dans le double objectif d’accroître la capacité de financement de l’économie et d’assurer la stabilité financière. Dix ans après son lancement, cependant, les marchés financiers européens demeurent sous-développés et fragmentés selon les frontières nationales.

A.   UNE INITIATIVE QUI TEND À ACCOMPLIR LA LIBRE CIRCULATION DES CAPITAUX ET RÉÉQUILIBRER LE SYSTÈME FINANCIER APRÈS LA CRISE DE 2008

La libre circulation des capitaux, pierre angulaire des autres libertés qui fondent le marché unique européen, ne s’est jamais pleinement réalisée, faute d’une harmonisation des législations nationales et de la fiscalité. Elle prend toutefois une nouvelle portée au lendemain de la crise de 2008, qui révèle les vulnérabilités d’une zone monétaire où persistent des obstacles aux flux de capitaux. Le lancement de l’Union des marchés de capitaux vise ainsi à renforcer la résilience du système financier européen en développant et intégrant les marchés financiers.

1.   Bien qu’elle soit l’un des quatre piliers du marché unique européen, la libre circulation des capitaux ne s’est jamais pleinement réalisée

a.   La libre circulation des capitaux, pierre angulaire du marché unique européen

Le traité de Rome de 1957, qui établit le marché commun, prévoit « l’abolition, entre les États membres, des obstacles à la libre circulation des personnes, des services et des capitaux ». Cependant, à la différence de celles des marchandises, des services et des travailleurs, la liberté de circulation des capitaux demeure relative : l’article 67 du traité n’impose aux États de supprimer les restrictions aux mouvements de capitaux que « dans la mesure nécessaire au bon fonctionnement du marché commun ». Elle ne couvre que certains mouvements de capitaux, et n’est pas directement applicable, tout progrès en ce sens supposant l’adoption de directives par le Conseil à l’unanimité. Seule la liberté de paiement a été achevée avant la fin de la période de transition.

La liberté de circulation des capitaux n’est devenue véritablement effective qu’avec l’adoption de l’Acte unique européen, en 1986. Constatant la persistance d’obstacles fiscaux, réglementaires et physiques freinant les échanges, cet acte fondateur fixe pour objectif la mise en place, avant le 1er janvier 1993, d’un marché unique, défini comme « un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée ». Pour en faciliter la concrétisation, il élargit la liste des domaines dans lesquels le Conseil peut statuer à la majorité qualifiée, en y intégrant notamment les mouvements de capitaux.

La libre circulation semble être le corollaire logique des trois autres libertés, puisque l’approfondissement du marché des biens et services et la plus forte mobilité des personnes doit s’accompagner de l’augmentation des flux de capitaux transfrontières. Le Livre blanc de la Commission, qui comprend plus de 300 textes d’harmonisation afin de réaliser le marché unique avant 1993, énonce que « la création d’un grand marché intérieur implique une dimension financière. La libre circulation des biens, des services et des personnes suppose que les particuliers et les entreprises aient accès à des services financiers efficaces ».

Cette libre circulation est censée offrir les avantages inhérents à la libéralisation d’un marché en termes de gains d’efficacité et de concurrence, selon la théorie économique néoclassique. La libre circulation des capitaux devrait notamment favoriser une répartition optimale des capitaux en permettant aux épargnants d’investir dans les projets qui sont le plus rentables, au bénéfice de la croissance. Elle offre également des possibilités accrues de diversification des placements pour les investisseurs, ce qui atténue les répercussions d’un choc économique asymétrique, qui ne concernerait qu’un seul pays. En encourageant la concurrence entre les prestataires de services financiers, elle doit améliorer l’efficacité de ces derniers et diminuer leurs coûts. Enfin, elle pourrait inciter les États à adopter une meilleure gouvernance économique, afin de ne pas faire fuir les capitaux ([1]).

Dans le prolongement du Livre blanc de Jacques Delors, la directive du Conseil du 24 juin 1988 sur la libéralisation des capitaux a supprimé toutes les restrictions qui subsistaient à la circulation des capitaux entre les résidents des États membres et libéralisé les mouvements de capitaux avec les pays tiers.

En parallèle, les services financiers ont été libéralisés. Les directives sur l’assurance adoptées entre 1970 et 1990 ont progressivement reconnu la liberté d’établissement et la libre prestation de services, avant l’instauration en 1992 d’un passeport européen qui autorise les compagnies d’assurance à opérer dans les autres États membres sans avoir à solliciter leur agrément. La directive bancaire de 1989 a mis en place, de la même façon, le passeport européen pour les établissements bancaires. La directive sur les organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) de 1985 a également posé les premières bases à la commercialisation transfrontière de parts de fonds d’investissement.

b.   Une liberté approfondie par l’Union économique et monétaire

L’intégration financière a franchi une étape déterminante avec l’instauration de l’Union économique et monétaire par le traité de Maastricht, en 1992. La création d’une monnaie unique favorise la libre circulation des capitaux en éliminant le principal risque qui affectait les transactions financières transfrontières, le risque de change.

Réciproquement, la libre circulation des capitaux apparaît nécessaire à la résilience de l’Union économique et monétaire, comme l’explique Michael Theurer, membre du directoire de la Bundesbank. La zone euro ne possédant pas toutes les caractéristiques d’une zone monétaire optimale, telle que définie par Mundell, elle ne dispose que de peu de mécanismes d’ajustement pour faire face à un choc économique asymétrique qui ne concernerait qu’un seul pays. Les États membres ne pouvant plus dévaluer leur monnaie, le budget de l’Union européenne est insuffisant pour permettre des transferts interétatiques, et la faible mobilité des travailleurs ne permettra pas d’éviter l’apparition de poches de chômage ([2]). Seule l’intégration financière permet, dès lors, d’atténuer les effets du choc asymétrique sur les revenus des ménages : les effets de la baisse d’activités seront amortis par la perception de revenus (intérêts et dividendes) provenant des investissements réalisés dans des pays moins touchés par la crise ([3]).

L’article 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) interdit toutes les restrictions aux mouvements de capitaux et aux paiements entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers.

Un certain nombre d’exceptions sont cependant prévues. L’article 65 du TFUE autorise les États à prendre toutes les mesures nécessaires pour faire échec aux infractions aux lois nationales, notamment en matière fiscale ou en matière de contrôle prudentiel des services financiers. Il leur permet également de restreindre les mouvements de capitaux pour des motifs de sécurité ou d’ordre public, comme l’a fait la Grèce en 2015 pour éviter une sortie massive de capitaux. En vertu de l’article 144 du TFUE, les États peuvent, enfin, prendre des mesures de sauvegarde en cas de crise soudaine sur leur balance de paiement.

Dans le prolongement de la création de la monnaie unique, le plan d’action pour les services financiers (PASF) de 1999 a renforcé l’intégration des marchés financiers de gros, c’est-à-dire les transactions entre institutions financières (banques, assureurs, gestionnaires d’actifs...). Elle a notamment instauré un cadre juridique commun pour les marchés de valeurs mobilières : la directive sur les marchés d’instruments financiers (MiFID) du 21 avril 2004 a mis fin au monopole des bourses nationales pour permettre la mise en concurrence des plateformes de négociation ; la directive sur les prospectus de 2003 a établi un prospectus unique pour les introductions en bourse ; et les directives Abus de marché et Transparence ont garanti la confiance des investisseurs par des règles harmonisées.

En 2007, la création d’un espace unique de paiement en euros (SEPA) a permis d’effectuer des paiements dans les mêmes conditions dans tout l’espace européen.

c.   Une liberté inachevée, faute de marché unique de capitaux

L’Union européenne n’a pas pour autant établi de marché unique des capitaux. Cela aurait supposé d’achever des réformes institutionnelles d’ampleur, loin de faire consensus : harmoniser la fiscalité, créer une autorité unique de surveillance des marchés financiers, ou unifier la réglementation des marchés financiers. Les États conservent des législations nationales spécifiques en matière de droit des sociétés, de droit des titres ou de droit des faillites, enracinées dans des traditions juridiques différentes.

Le marché des services financiers de détail demeure particulièrement fragmenté. Si le pays où le prestataire de services financiers a son siège est responsable de sa supervision prudentielle, le pays d’accueil reste compétent pour assurer la protection des consommateurs, et peut soumettre la commercialisation des produits à des règles propres – langue, modalités de résiliation, informations... Le biais domestique est particulièrement marqué dans le domaine de l’assurance, en raison de fortes disparités entre les modèles de protection sociale nationaux.

La crise financière de 2008 a accentué la fragmentation des marchés européens, en incitant les investisseurs à se replier sur leurs marchés nationaux. Ainsi, la part des placements réalisés par l’assurance française dans la zone euro, qui s’élevait à 33 % avant la crise, est tombée à 26 % en 2015 ([4]).

Union des marchés de capitaux ou marché unique de capitaux ?
L’intégration financière au prisme des asymétries d’information

L’économiste Hubert Kempf, directeur de recherche au Centre d’économie de l’ENS Paris-Saclay, auditionné par les rapporteurs, explique que tout système financier vise à réduire les asymétries d’information entre financeur et financé, grâce à des institutions et des contrats qui assurent la confiance et la crédibilité des acteurs. Il appréhende dès lors la question de l’intégration financière à travers sa capacité à gérer les asymétries d’information.

Si les capitaux circulent librement mais que les marchés financiers demeurent strictement nationaux, avec des cadres juridiques différents, les bénéfices de la libéralisation demeureront limités. Les asymétries d’information transfrontières qui résultent de la fragmentation juridique dissuaderont les acteurs financiers d’investir dans un autre État, puisqu’ils craindront d’être trompés par leur partenaire financier qui en connaît mieux les règles.

Dans une union des marchés financiers nationaux, l’harmonisation de la réglementation des marchés financiers permettra d’assurer la confiance et de favoriser les investissements transfrontières. Mais si les superviseurs demeurent nationaux, il persistera un risque de capture du régulateur, lequel pourrait être trop proche des acteurs financiers nationaux et défendre leurs intérêts au détriment de leurs partenaires transfrontières, réintroduisant des asymétries informationnelles.

La mise en place d’un marché unique de capitaux, avec une unique réglementation et une unique supervision assurera une intégration financière complète, qui permettra des économies d’échelle et une concurrence accrue, démantelant les rentes de situation nationales. Mais l’intégration financière introduira de nouvelles formes d’asymétrie informationnelle : la réglementation risque d’être trop uniforme, et la supervision trop éloignée, pour prendre en compte le fonctionnement effectif du marché ; et les économies d’échelle pourraient conduire à l’apparition d’oligopoles, avec de nouveaux phénomènes d’attraction de rente.

2.   L’Union des marchés de capitaux vise à rééquilibrer le système financier européen au lendemain de la crise de 2008

a.   Les limites du système financier européen

L’ampleur du choc de la crise de 2008 en Europe et la lenteur de la reprise économique, ont révélé les vulnérabilités du système financier européen, caractérisé par la prépondérance du financement bancaire. Le modèle européen, où les banques représentent les trois quarts du financement des entreprises, contraste avec l’architecture financière américaine, où les entreprises se financent aux trois quarts sur les marchés.

Les effets de la crise de 2008 ont été particulièrement marqués dans la zone euro. Si les banques sont plus à même que les marchés d’amortir les fluctuations conjoncturelles impulsées par des chocs économiques « réels » en raison des relations de long terme qu’elles entretiennent avec leurs clients, elles sont particulièrement vulnérables aux crises financières et bancaires, du fait du rôle amplificateur joué par les variations de prix des collatéraux et des effets de levier. En conséquence, les banques ont fortement resserré les conditions d’accès au crédit, provoquant un véritable rationnement du crédit (credit crunch) qui a entraîné une forte chute du PIB et une hausse du chômage ([5]).

La faiblesse des marchés financiers européens explique également que la reprise économique ait été plus lente qu’aux États-Unis, faute de sources de financement alternatives aux prêts bancaires : la zone euro n’a retrouvé son niveau de PIB d’avant la crise qu’en 2015, contre 2011 pour les États-Unis. Les travaux de Thomas Grjebine ([6]) ont démontré que l’existence de marchés obligataires profonds avait été un facteur de résilience aux États-Unis, l’endettement sur les marchés compensant en partie la restriction du crédit bancaire – les émissions d’obligations ont augmenté de 10 % alors que les prêts bancaires diminuaient de 30 %. Les marchés d’action peuvent également se substituer aux crédits bancaires, réduisant de 32 % les effets de la crise sur le profit des entreprises ([7]).

Le manque d’intégration financière a également limité le partage des risques entre pays européens, faute de portefeuilles d’actifs géographiquement diversifiés.

Enfin, l’absence de marchés de capitaux performants a limité l’efficacité de la politique monétaire ([8]) . Les taux directeurs définis par la Banque centrale européenne ne pouvant être transmis que par les banques, la politique monétaire peut se trouver entravée en cas de défaillance du secteur bancaire. Face aux pertes importantes des banques des pays périphériques lors la crise de la dette souveraine, la baisse des taux accordée par la BCE pour leurs opérations de refinancement n’a pas suffi à relancer le crédit aux ménages et aux entreprises.

Pour autant, le financement bancaire conserve un rôle essentiel en ce qu’il permet de mieux réduire les asymétries d’information, par l’instauration de relations étroites avec les entreprises, et de mieux prendre en compte leurs perspectives économiques de long terme, ce qui leur garantit un financement plus stable dans le temps ([9]). En raison des avantages et inconvénients respectifs, le financement bancaire et le financement de marché seraient complémentaires plutôt que substituables. Comme l’écrit Grégory Claeys, cela « plaide en faveur d’un développement équilibré de la structure du système financier entre banques et marchés, afin de maximiser leurs effets positifs respectifs pour la croissance » ([10]).

b.   Union bancaire et Union des marchés de capitaux

En réaction à la crise financière de 2008, l’Union européenne a renforcé l’encadrement réglementaire et prudentiel du système financier, tout en cherchant à renforcer son intégration, au travers de l’Union des marchés de capitaux.

Le rapport sur la supervision financière remis en 2009 par Jacques de Larosière, ancien gouverneur de la Banque de France, a recommandé la mise en place d’un corpus réglementaire unique en matière financière dont l’application cohérente serait assurée par trois nouvelles autorités européennes de surveillance. Ces conclusions ont conduit, en 2011, à la création de l’Autorité bancaire européenne (EBA), de l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (EIOPA), et de l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA). Les trois autorités européennes de surveillance (AES) contribuent à l’élaboration d’une réglementation uniforme au sein de l’Union européenne en soumettant des propositions de normes techniques à la Commission européenne, et assurent la convergence entre les pratiques de supervision des autorités nationales, mais n’ont pas de pouvoir de surveillance directe. La supervision macroprudentielle du système financier est, quant à elle, assurée par le Comité européen du risque systémique (CERS).

En parallèle, une Union bancaire a été instaurée en 2014 pour renforcer l’encadrement réglementaire et la surveillance des banques de la zone euro, en prenant en compte leurs fortes interconnexions. Celle-ci repose sur trois piliers, qui visent à prévenir la survenance de crises bancaires, et à résoudre ces crises en limitant leurs conséquences sur les deniers publics, tout en protégeant les épargnants. Le mécanisme de surveillance unique (MSU) confie à la Banque centrale européenne la supervision des établissements de crédit, qu’elle exerce directement pour les plus grosses banques, et qu’elle délègue aux autorités de contrôle nationales pour les autres. Un mécanisme de résolution unique (MRU) doit permettre de résoudre la défaillance d’une banque afin d’éviter les réactions en chaîne, tout en limitant le recours aux fonds publics grâce à l’institution d’un Fonds de résolution unique préalablement constitué par le secteur bancaire. Un système de garantie de dépôts doit, enfin, permettre de protéger les épargnants jusqu’à 100 000 € en cas de faillite de la banque – s’ils fonctionnent dans un cadre européen harmonisé, ces systèmes de garanties des dépôts demeurent pour l’instant nationaux.

Le projet d’Union des marchés de capitaux, lancé en 2015 par le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, complète l’Union bancaire en ce qu’elle vise à rééquilibrer le système financier européen pour en renforcer la stabilité. Elle n’est cependant pas l’exact pendant de l’Union bancaire : elle ne dispose en effet d’aucune architecture institutionnelle, et a pour champ d’application l’Union européenne, et non la zone euro. Son ambition principale consiste à favoriser le développement et l’intégration des marchés financiers afin de diversifier les sources de financement de l’économie réelle et limiter sa dépendance au secteur bancaire.

Ce rééquilibrage en faveur des marchés financiers se comprend également dans le contexte de l’entrée en vigueur des accords de Bâle III. Ces accords, qui ont renforcé les ratios de liquidité et les exigences de fonds propres imposés aux banques afin de garantir leur résilience, les ont conduites à restreindre leur bilan et à limiter leur exposition au risque. L’Union des marchés des capitaux visait dès lors à mobiliser les marchés financiers pour couvrir les besoins de financement de l’économie réelle et soutenir la croissance, avec une attention particulière aux PME.

c.   Un enjeu politique : prévenir le Brexit

L’Union des marchés de capitaux recouvre, enfin, un objectif politique : conforter l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne, du fait des avantages qu’en aurait retirés la City.

Nicolas Véron, cofondateur du think tank Bruegel et chercheur au Peterson Institute, va jusqu’à évoquer une initiative « anti-Brexit » ([11]). La forte dynamique d’intégration économique et financière de la zone euro qui a suivi la crise des dettes souveraines s’est traduite par un décalage croissant avec les pays qui n’en étaient pas membres, notamment le Royaume-Uni. C’est dans ce contexte, et dans l’objectif d’obtenir des concessions de Bruxelles, que le Premier ministre britannique, David Cameron, a envisagé l’organisation d’un référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne, lors de son discours de Bloomberg du 23 janvier 2013, alors même qu’il n’y était pas lui-même favorable.

L’Union des marchés de capitaux constituerait « une voie alternative d’intégration européenne, qui inclurait non seulement le Royaume-Uni – puisqu’elle couvrirait l’ensemble du marché intérieur et non uniquement la zone euro –, mais qui placerait même le Royaume-Uni au centre du dispositif, en tant que principal centre des marchés de capitaux de l’Union européenne » ([12]). Cet objectif politique s’est manifesté dans la décision de confier à un commissaire britannique, Sir Jonathan Hill, la mise en œuvre du projet.

L’agenda de l’Union des marchés de capitaux aurait été défini de sorte à éviter toute objection britannique, en écartant toute réforme structurelle majeure, en particulier concernant l’architecture de supervision des marchés financiers. Le commissaire Jonathan Hill a insisté sur la nécessité de récolter les « fruits facilement atteignables » ([13]) , en harmonisant la réglementation des services financiers.

Le Brexit a soldé l’échec d’une telle stratégie, tout en privant l’Union des marchés de capitaux du volume d’activité et de l’expertise financières londoniennes, même si l’Union européenne a bénéficié de la relocalisation d’une partie des activités.

La question du périmètre de l’initiative, qui pourrait concerner l’ensemble de l’Union européenne ou seulement la zone euro, prend une nouvelle dimension. Comme l’a expliqué Nicolas Véron lors de son audition, la discordance entre Union bancaire et Union des marchés de capitaux est moins prégnante depuis le départ du Royaume-Uni, la zone euro représentant les neuf dixièmes du système financier de l’Union européenne. Le périmètre de l’Union européenne peut paraître d’autant plus pertinent qu’il permet d’associer les pays scandinaves, qui disposent de marchés financiers particulièrement profonds.

B.   DE NOMBREUSES RÉFORMES TECHNIQUES MISES EN OEUVRE, SANS RESULTAT TANGIBLE

Si l’Union des marchés de capitaux a suscité une intense activité législative au cours de la dernière décennie, elle n’est pas parvenue à développer les marchés financiers européens, ni à renforcer leur intégration, alors que l’écart se creuse avec les places financières américaines.

1.   Malgré quelques mesures structurantes, les initiatives n’ont pas été aussi ambitieuses qu’escompté

Le projet d’Union des marchés de capitaux a donné lieu à deux plans d’action, présentés par la Commission européenne respectivement le 30 septembre 2015 et le 24 septembre 2020, comprenant au total une quarantaine de mesures. Selon la Direction générale du Trésor, l’agenda législatif de la Commission s’est concentré sur l’objectif d’intégration des marchés financiers européens, par le biais de textes techniques d’harmonisation des règles nationales et de facilitation des échanges transfrontaliers.

a.   Plusieurs réformes utiles à l’efficacité des marchés financiers

Les associations représentant le secteur financier qui ont été auditionnées par les rapporteurs ont salué un certain nombre de réformes bienvenues.

La création de systèmes consolidés de publication de données sur les transactions en bourse, prévue par le règlement et la directive du Parlement européen et du Conseil du 28 février 2024, devrait permettre aux investisseurs et aux superviseurs d’avoir une vue d’ensemble sur les échanges effectués sur les différentes plateformes de négociation de l’Union européenne. Une telle transparence est en effet essentielle à la juste concurrence entre les plateformes de négociation, et à l’application du « principe de meilleure exécution », en vertu duquel les intermédiaires financiers sont tenus d’exécuter les ordres de leur client sur la plateforme qui offre les conditions les plus favorables. Jusqu’ici néanmoins, l’accès à ces informations demeurait complexe et coûteux en raison de la fragmentation des marchés et de l’absence de standardisation des données.

Le règlement du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2023 a établi un point d’accès unique européen (European Single Access Point – ESAP) qui centralise les informations financières et extra-financières publiées par les entreprises. Les informations communiquées par les entreprises en application de la réglementation européenne demeuraient en effet dispersées, peu accessibles et peu lisibles : en 2020, seulement 18 % des données publiées étaient centralisées sur une base de données, et seules 3 % sur une base couvrant l’ensemble du territoire européen. Il en résultait non seulement un frein à l’investissement, les entreprises peinant à valoriser les informations publiées pour renforcer leur attractivité, et un risque pour l’autonomie stratégique européenne, les investisseurs devant faire appel à des fournisseurs de données privées, le plus souvent américains. À l’issue de la période de mise en œuvre, qui s’étalera de 2026 à 2030, l’ensemble des informations publiées seront accessibles gratuitement sur un portail numérique unique, géré par l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA).

Le paquet législatif Listing Act, adopté le 23 octobre 2024, a entrepris de remédier aux difficultés que rencontrent les entreprises pour se faire coter afin d’enrayer le déclin du nombre d’introductions en bourse. La révision des règlements Prospectus et Abus de marché a permis de simplifier les règles de cotation et de réduire la charge administrative associée, en prévoyant des mesures d’allégement supplémentaires pour les PME.

La révision de la directive européenne Solvabilité II, qui détermine le cadre prudentiel applicable aux assureurs, a allégé les exigences de fonds propres associées à leurs investissements à long terme, afin qu’elles reflètent mieux la réalité des risques pris et ne compromettent pas la capacité des assureurs à contribuer au financement de l’économie réelle. Si les modifications à la directive ont été adoptées le 27 novembre 2024, elles doivent encore être précisées par les actes délégués de la Commission.

Les co-législateurs ont parfois eu besoin de s’y reprendre à deux fois, après de premiers résultats décevants. Le règlement sur les fonds européens d’investissement à long terme (ELTIF) de 2015 a introduit un label permettant de commercialiser des fonds alternatifs de long terme à des investisseurs particuliers dans l’ensemble de l’Union européenne. Les critères excessivement restrictifs ont cependant nui à son attractivité : il y avait seulement 57 fonds ELTIF en octobre 2021, représentant 2,4 Md€ d’actifs sous gestion.

La révision du règlement, intervenue le 15 mars 2023, a permis de rendre le label ELTIF plus attrayant, en supprimant le seuil minimum de 10 000 € pour les investisseurs de détail et en autorisant les fonds à investir plus largement dans des actifs liquides. Elle a entraîné une diffusion rapide du label, qui avait été adoptée, début 2025, par 187 fonds, dont 38 en France ([14]). Lors de son audition, France Invest a cependant regretté que la révision ait conduit à supprimer le critère géographique qui obligeait les fonds à investir en Europe, limitant la capacité du fonds à contribuer à l’innovation et la croissance européenne.

b.   Des échecs et des points de blocage persistants

Certaines réformes n’ont pas connu le succès espéré.

C’est notamment le cas du produit paneuropéen d’épargne retraite individuel (Pan-European Personal Pension Product – PEPP), introduit par le règlement européen du 20 juin 2019. L’objectif initial de la Commission était de développer un produit européen qui permettrait de développer la retraite supplémentaire (pilier 3), favoriserait la concurrence entre gestionnaires au profit des épargnants, et contribuerait à orienter l’épargne vers les besoins de financement à long terme de l’économie. Par rapport aux produits d’épargne nationaux, un produit d’épargne européen aurait présenté l’avantage de pouvoir être distribué dans tous les pays européens moyennant un agrément auprès d’un État membre, et d’atteindre ainsi une taille plus importante, permettant une meilleure diversification pour les épargnants et des investissements plus élevés dans les entreprises.

Le PEPP s’est soldé par un échec, ne suscitant quasiment aucune demande, tant du côté des épargnants que des distributeurs. Au début de l’année 2025, le produit n’était commercialisé que par deux sociétés en Europe, l’une qui opère en République Tchèque, en Croatie, en Pologne et en Slovaquie (Finax), l’autre qui opère à Chypre (LifeGoals Financial Service Limited), comme l’indique l’EIOPA. Cela s’explique par plusieurs facteurs : la complexité opérationnelle du produit, qui repose sur des sous-comptes nationaux pour tenir compte de la diversité des régimes fiscaux entre les États membres ; l’absence d’incitations fiscales, qui le rendent moins attrayant que les produits d’épargne nationaux ; et surtout, le plafonnement des frais de gestion à 1 % du capital accumulé, à raison d’un amendement adopté par le Parlement européen au cours des discussions, ce qui n’incite pas les distributeurs à proposer le produit ([15]).

La stratégie pour les investisseurs de détail, présentée par la Commission le 24 mai 2023, peine également à aboutir. Le texte poursuivait initialement l’ambition d’améliorer l’accessibilité des marchés financiers pour les investisseurs de détail tout en leur assurant une meilleure protection, en renforçant la transparence et en obligeant les intermédiaires financiers à leur garantir un réel retour sur investissement. Les négociations se sont cependant enlisées, l’ensemble des acteurs financiers dénonçant la complexité du texte et le risque de favoriser des produits d’investissement low-cost, au détriment du financement de l’économie européenne.

Concernant l’harmonisation de la fiscalité, du droit des titres et des sociétés, ou de l’insolvabilité, les réformes ont également été limitées.

La directive FASTER du 10 décembre 2024 vise à éviter la double imposition des investisseurs, alors que de nombreux États membres prélèvent à la source des impôts sur les dividendes ou intérêts versés aux investisseurs étrangers, qui sont eux-mêmes imposés sur leurs revenus par l’État membre où ils résident. Si la directive a simplifié et accéléré les procédures de demande de dégrèvement ou d’exonération de la retenue à la source, elle n’a pu obtenir l’unanimité nécessaire qu’en laissant aux États la possibilité d’adopter des régimes d’application différenciés, au risque de réintroduire de la fragmentation, comme l’a regretté France Post-marché lors de son audition.

La Commission européenne a également présenté, en décembre 2022, une proposition de directive « Insolvabilité III » afin d’harmoniser certains aspects ciblés des procédures d’insolvabilité pour améliorer leur prévisibilité et encourager les investissements transfrontaliers. Si les États membres ont déjà pu s’accorder sur certaines mesures, comme l’obligation faite au dirigeant de demander l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité dans un délai maximum de trois mois à compter du moment où il a connaissance de l’insolvabilité de l’entreprise, de nombreuses dispositions importantes restent en discussion. Il n’existe cependant toujours pas de hiérarchie commune des créanciers, ni de définition uniforme des conditions caractérisant l’insolvabilité.

Selon Nicolas Véron, économiste et cofondateur du think tank Bruegel, « l’expérience de la dernière décennie laisse penser que ces quatre domaines de politique structurelle – la fiscalité, l’insolvabilité, les régimes de retraite ou le financement hypothécaire – ont peu de chances de faire l’objet de réformes significatives du seul fait des objectifs de l’Union des marchés de capitaux » ([16]), en raison des autres enjeux politiques et économiques qu’ils recouvrent. Il en déduit qu’à court et moyen terme, c’est dans le domaine des services financiers que l’Union européenne peut espérer adopter les réformes les plus significatives, à commencer par l’intégration de la supervision des marchés financiers.

Pourtant, l’intégration de la supervision continue de susciter de fortes réticences parmi les États membres, comme l’a montré l’échec de la réforme des règlements fondateurs des trois autorités européennes proposée par la Commission en 2019. Une majorité au Conseil s’est opposée à tout transfert à l’ESMA de pouvoirs de supervision directe, par souci de préserver les compétences des superviseurs nationaux.

L’Autorité européenne des marchés financiers attribue cet achoppement au « faible portage politique » du projet, qui n’a pas permis de prioriser les mesures structurantes, mais s’est traduit « par une forme de lassitude, voire de bureaucratisation de l’Union des marchés de capitaux » ([17]).

2.   Les marchés financiers européens demeurent faiblement développés et peu performants

a.   Des marchés financiers peu développés et toujours fragmentés selon les lignes nationales

S’il est encore trop tôt pour juger de l’incidence de réformes dont beaucoup viennent d’être mises en œuvre ou ne le seront que dans quelques années, il n’en demeure pas moins que le bilan de l’Union des marchés de capitaux n’a été que très limité.

Les marchés de capitaux de l’Union européenne demeurent sous-développés par rapport aux marchés américains. En 2022, les marchés d’actions européens représentent 11,4 % de la capitalisation boursière mondiale, contre 45 % pour les États-Unis, pour des économies qui représentent respectivement 17,5 % et 26 % du PIB mondial. La situation est moins défavorable pour les marchés obligataires, mais toujours très en deçà des États-Unis : l’Union européenne représente 17 % de l’encours total d’obligations, contre 40 % pour les États-Unis. Les insuffisances sont particulièrement marquées pour le capital-risque, dont les fonds étaient de 23 Md€ par an en moyenne entre 2013 et 2022 dans l’Union européenne, contre 149 Md€ aux États-Unis.

La taille relative des marchés financiers européens au niveau mondial s’est même dégradée au cours des vingt dernières années : la part de l’Union européenne dans le volume global des transactions financières a presque été divisée par deux entre 2006 et 2022, pour ne représenter que 10 % ([18]).

De façon frappante, la capitalisation boursière totale des entreprises de l’Union européenne est estimée à seulement 12 000 Md$, soit moins que celle les sept géants technologiques américains, surnommés les « Sept Magnifiques » (Magnificent Sevent), qui a atteint 16 300 Md$ en mai 2025, comme l’a rappelé Didier Cahen, secrétaire général de l’Eurofi, auditionné en son nom propre.

Faute de développement du financement de marché, le financement bancaire demeure prépondérant. En 2022, la dette des ménages et des entreprises de l’Union est financée respectivement à près de 90 et 70 % auprès des banques contre seulement 40 % et 20 % aux États-Unis. La Banque de France indique même que sa part s’est accentuée en France entre 2014 et 2023, passant de 64 % à 68 % ([19]). La part du financement obligataire des entreprises est certes passée de 9 à 17 % dans la zone euro entre 2007 et 2021, mais elle demeure bien inférieure à celle constatée aux États-Unis ([20]).

L’intégration financière de l’Union européenne n’a pas davantage progressé, compte tenu de la persistance de forts biais domestiques et d’obstacles aux transactions transfrontières.

L’Association pour les marchés financiers en Europe (AFME) observe, de façon concordante avec la Banque centrale européenne ([21]) une détérioration continue de l’intégration financière au sein de l’Union européenne depuis 2021. Le volume de détention de titres financiers transfrontaliers est passé de 87 % à 70 % du PIB de l’Union européenne sur cette période. De même, alors que les émissions d’actions réalisées dans un autre État membre que celui du siège de l’entreprise représentaient 8 % du total des émissions en 2021, elles sont descendues à 1 % en 2024 ([22]).

 

Évolution de l’intégration intra-européenne
des marchés financiers de l’Union européenne
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Source : AFME, « Union des marchés de capitaux – Indicateurs clés de performance », 2024

 

Dans ce contexte, les disparités entre les États membres demeurent marquées. Alors que la capitalisation boursière des marchés d’actions ne représente en moyenne dans l’Union européenne que 62 % du PIB de la zone, elle atteint 155 % en Suède, 151 % au Danemark, 135 % aux Pays-Bas et 107 % en France ([23]). Au contraire, plusieurs États membres d’Europe centrale et orientale disposent de marchés financiers encore peu développés et restent réticents à l’intégration financière.

Ce développement financier différencié et ce surcroît de fragmentation se traduisent par une augmentation des écarts de prix des actifs entre les États membres. Ces valorisations divergentes reflètent à la fois les différents niveaux de liquidité offerts par les places financières, et une prise en compte accrue des risques spécifiques liés à chaque pays. Alors que la dispersion des ratios prix / bénéfices réels entre États membres était de 8 en 2014, elle atteint 27 en 2024 ([24]).

 

Évolution de la dispersion des valorisations financières
au sein de l’Union européenne
Ratio cours/bénéfices corrigé des variations conjoncturelles

Source : Barclays

Comme le note la Direction générale du Trésor, « l’impact limité de cette activité législative pourtant intense a pu générer au cours des dernières années une certaine fatigue, de la part des États membres comme des acteurs de l’industrie » ([25]).

b.   Des marchés financiers peu performants, ne permettant pas la bonne allocation de l’épargne avec l’investissement

La faible profondeur des marchés financiers européens compromet la bonne allocation de l’épargne des ménages avec les besoins d’investissements des entreprises, expliquant en partie le décrochage économique de la zone euro par rapport aux États-Unis, selon la Direction générale du Trésor.

L’accès au financement non bancaire demeure en effet plus coûteux et complexe pour les entreprises européennes que pour leurs concurrentes américaines. Les faibles perspectives de valorisations sur les marchés et les contraintes réglementaires liées à l’introduction en bourse les ont conduits à se détourner des marchés d’actions, tandis que les fonds de capital-investissement européens demeurent sous-dimensionnés pour accompagner leur expansion. En conséquence, un nombre significatif d’entreprises européennes préfèrent se financer aux États-Unis, et font souvent le choix de s’y installer. Selon le rapport de Mario Draghi, près de 30 % des licornes créées en Europe ont déménagé leur siège à l’étranger, la vaste majorité aux États-Unis, entre 2008 et 2021 ([26]).

De façon réciproque, le manque d’opportunités d’investissements et les moindres rendements offerts en Europe conduisent les épargnants à se tourner vers les marchés financiers américains. Comme l’expose le rapport de Christian Noyer, 20 % de l’abondante épargne européenne est exportée chaque année vers le reste du monde, soit un flux de 300 Md€ environ, au détriment des besoins d’investissement des entreprises européennes ([27]). Même l’épargne qui reste en Europe ne contribue au financement de l’économie réelle que de façon limitée, en raison de la prépondérance des placements liquides et garantis – 47 % de l’épargne financière des ménages en 2022 –, au détriment des investissements en actions sur le long terme.

II.   LA RELANCE DU PROJET SOUS LA FORME D’UNION DE L’ÉPARGNE ET DE L’INVESTISSEMENT

Les institutions européennes ont donné une nouvelle impulsion au projet, renommé « Union de l’épargne et de l’investissement », à la suite du diagnostic alarmant d’un décrochage économique de l’Union européenne dressé par les rapports Draghi et Letta. Si le projet rencontre un soutien inédit compte tenu l’ampleur des enjeux stratégiques, son aboutissement demeure très incertain comme le montrent les nombreux points de vigilance relevés par les rapporteurs.

A.   UNE RÉPONSE STRATÉGIQUE AUX DÉFIS ACTUELS, QUI SUSCITE UNE ATTENTION INÉDITE

L’intégration et le développement des marchés financiers, qui ont longtemps été perçus comme une question technique, revêtent une nouvelle dimension à la lumière des défis pour la prospérité et la souveraineté des pays européens.

1.   Un sentiment d’urgence partagé face aux menaces pour notre prospérité et notre souveraineté

a.   Des besoins d’investissement accrus pour financer les transitions et la sécurité du continent européen

Les publications des rapports de Mario Draghi et d’Enrico Letta ont mis en exergue les défis auxquels l’Union européenne était confrontée, alors que son décrochage économique s’accélère par rapport aux États-Unis, et que la concurrence chinoise ne fait que s’accentuer. L’écart de richesse entre les États-Unis et l’Europe s’est aggravé au cours des vingt dernières années : à prix constants, alors que le PIB de l’Union européenne était inférieur de 17 % à celui des États-Unis en 2002, il est plus faible de 30 % en 2023. Selon Mario Draghi, ce fossé s’explique à 70 % par la moindre productivité européenne. Encore en 2024, l’économie américaine a crû de 2,8 %, contre 0,8 % pour l’Union européenne ([28]).

 

Évolution comparée du PIB de l’Union européenne et des États-Unis

Source : Rapport Draghi, septembre 2024

Enrico Letta et Mario Draghi ont dressé un tableau très sombre d’une Europe qui peine à innover et entrave le développement de ses entreprises par un fardeau réglementaire et administratif croissant. Ce défaut d’innovation se reflète dans la spécialisation de l’économie dans les technologies matures : parmi les entreprises européennes d’une capitalisation boursière supérieure à 100 Md€ en Europe, aucune n’a été créée au cours des cinquante dernières années, alors que les six entreprises américaines valant plus de 1 000 Md€ ont été créées sur cette même période ([29]). Après avoir raté la révolution numérique, l’Union européenne serait en passe de rater celle de l’intelligence artificielle.

Selon eux, les entreprises européennes pâtissent également de l’ouverture des frontières extérieures à la concurrence, sans que l’unification du marché intérieur ou la mise en œuvre d’une politique industrielle permette de faire émerger des champions européens. Le coût élevé de l’énergie grève la compétitivité des entreprises européennes, qui payent leur gaz naturel quatre à cinq fois plus cher qu’aux États-Unis, et leur électricité deux à trois fois plus. Enfin, l’Union dépend de puissances étrangères pour son approvisionnement en matières critiques, ce qui augmente sa vulnérabilité dans un contexte de remontée des tensions géopolitiques.

Selon les différentes estimations réalisées, les besoins d’investissement sont colossaux pour que l’Union européenne rattrape son retard économique et assure sa sécurité. Mario Draghi a évalué qu’il faudrait entre 750 et 800 Md€ d’investissements supplémentaires par an pour réaliser les transitions écologique et numérique et restaurer la compétitivité. La Commission européenne considère qu’il faudrait y ajouter 500 Md€ d’investissements dans la défense au cours de la prochaine décennie.

Or, il sera extrêmement difficile pour les États membres et l’Union européenne d’assumer ces dépenses supplémentaires compte tenu des faibles marges de manœuvre budgétaires dont ils disposent.

C’est particulièrement le cas de la France, dont la dette publique atteignait 3 345,8 Md€ au premier trimestre de l’année 2025, soit 114 % du PIB, la plaçant au troisième rang des pays les plus endettés de la zone euro, derrière la Grèce (153,6 %) et l’Italie (135,3 %) ([30]) . C’est le résultat de cinquante ans de déficit public, et d’une dépense publique devenue « hors de contrôle » en 2024, comme l’a relevé Pierre Moscovici lors de son audition devant la commission des finances de l’Assemblée nationale en février 2025. L’accroissement de la charge de la dette qui en résulte resserre l’étau sur le budget l’État : la France devrait consacrer 67,1 Md€ au paiement des intérêts de la dette en 2024, soit presque le budget de l’Éducation nationale, et la charge de la dette devrait atteindre plus de 100 Md€ d’ici 2029.

Les dépenses d’investissement supplémentaires ne pourront pas davantage être portées par le budget de l’Union européenne, comme l’illustrent les difficiles discussions sur le cadre financier pluriannuel post-2027. Le remboursement des emprunts communs contractés dans le cadre du plan de relance Next Generation EU devrait représenter entre 25 et 30 Md€ par an à compter de 2028, soit près de 20 % du budget actuel de l’Union. Compte tenu de l’impossibilité d’augmenter les contributions nationales, alors que de nombreux États membres ont engagé une consolidation de leurs finances publiques, et de l’enlisement des négociations sur l’adoption de nouvelles ressources propres, l’Union ne devrait pas disposer de l’espace budgétaire suffisant pour soutenir des politiques de compétitivité ambitieuses.

La capacité de financement des banques, qui apportent déjà plus des deux tiers des financements aux entreprises dans l’Union européenne, se trouve quant à elle limitée par le cadre réglementaire et prudentiel instauré après la crise financière de 2008.

En conséquence, les rapports de Mario Draghi, d’Enrico Letta et de Christian Noyer préconisent de développer les marchés financiers, afin de mieux mobiliser les capitaux privés. Comme ils l’ont souligné, l’Union européenne n’a pas tant un problème de moyens, que d’orientation des financements vers l’économie réelle. L’abondante épargne européenne devrait, en théorie, être un atout clé pour couvrir les besoins d’investissement actuels, mais sa mauvaise allocation l’empêche de jouer ce rôle fondamental, qu’elle soit placée dans des produits liquides et garantis, dans l’immobilier ou investie à l’étranger. Tout l’enjeu serait donc de parvenir à canaliser l’épargne domestique vers l’investissement de long terme en Europe.

La Commission européenne estime que si les ménages européens répartissaient leur épargne entre dépôts bancaires et actifs financiers de façon similaire aux Américains, jusqu’à 8 000 Md€ pourraient être redirigés vers les marchés financiers, soit un flux d’environ 350 Md€ par an ([31]) .

La rapporteure Sylvie Josserand souligne cependant les limites d’une telle approche, qui contribue à déresponsabiliser les États en présentant l’Union des marchés de capitaux comme un remède miracle, là où elle n’est qu’un cache-misère. À défaut de maîtriser les dépenses publiques, de réformer l’État et de lui redonner une pleine capacité d’investissement, certains voudraient croire que les marchés financiers prendront le relais. Pourtant, sans État solvable, porteur d’une stratégie industrielle crédible, les capitaux privés se refuseront à financer les secteurs les plus risqués et les plus innovants. La véritable priorité doit être le redressement des finances publiques, par une fiscalité intelligible et un cap budgétaire crédible

La rapporteure met en garde contre le mythe de la mobilisation de l’épargne qui, en suggérant que les marchés pourraient suppléer à des politiques publiques en échec, retire à l’État son rôle de pilote économique. Lors de son audition devant la commission d’enquête sur les freins à la réindustrialisation de la France, le 22 mai 2025, l’ancien ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique Arnaud Montebourg a indiqué : « Ce n’est pas en attirant des investissements étrangers que nous construirons une stratégie industrielle garante de la solidité de notre pays. Nous avons besoin de repartir du bas, au lieu de jeter les choses d’en haut. ».

 

Recommandation n°1 de Mme Sylvie Josserand : Démythifier le projet de l’Union de l’épargne et de l’investissement, en le recentrant sur des objectifs économiques réalistes, plutôt que de le considérer comme un remède miracle pour la relance de l’économie européenne.

b.   Des acteurs financiers étrangers de plus en plus dominants en Europe

S’y ajoute un enjeu d’autonomie stratégique, alors que les pays européens sont en train de perdre la maîtrise de leurs circuits de financement.

Les acteurs étrangers ont considérablement accentué leur pénétration sur les marchés financiers européens au cours de la dernière décennie. C’est notamment le cas dans la gestion d’actifs, où les parts de marché des Américains parmi les trente plus grands acteurs sont passées de 30 % à 42 % entre 2013 et 2023. À titre de comparaison, la part de marché des acteurs européens aux États-Unis ne représente que 2 % ([32]). Blackrock s’impose comme le premier gérant d’actifs en Europe, devant le français Amundi. De même, l’activité de banque d’investissement est dominée par de grandes banques américaines telle que JP Morgan ou Goldman Sachs. Les agences de notation américaines comme Moody’s, Fitch et S&P sont également dominantes. Comme l’a déclaré Enrico Letta devant la commission des affaires européennes du Sénat, le 5 décembre 2024, « nous sommes en train de devenir une colonie financière américaine ».

Si la présence d’acteurs étrangers sur le marché intérieur peut stimuler la concurrence et l’innovation, avec des gains d’efficacité assurant des coûts plus bas aux consommateurs, elle peut compromettre l’autonomie stratégique si elle devient trop importante.

Il risque d’en résulter une moindre attention au tissu économique national, au risque d’accroître les difficultés de financement des jeunes entreprises innovantes et des PME, comme l’a souligné la présidente de l’Autorité des marchés financiers. Compte tenu de leur connaissance moins approfondie du territoire local, les grands acteurs étrangers sont en effet incités à se concentrer sur les plus grandes entreprises, qui bénéficient de la meilleure visibilité, ou à orienter les financements vers leur propre marché domestique. À l’inverse, les gestionnaires d’actifs français dirigent vers l’Union européenne 74 % de l’encours qu’ils gèrent – 37 % en France et 37 % dans les autres pays européens – et 20 % seulement de leurs investissements en fonds propres sont réalisés dans les PME([33]).

Le problème est particulièrement prégnant avec l’essor des ETF, des fonds in qui contribuent à orienter l’épargne européenne vers les entreprises américaines. Les ETF ([34]) proposés par Blackrock, qui représente plus de 40 % du marché de la gestion passive en Europe, sont ainsi fondés sur de grands indices américains. Cela explique en partie le flux d’épargne de 300 Md€ qui s’exporte chaque année vers les États-Unis.

Cela rend également l’économie plus vulnérable aux phénomènes de sorties de capitaux en cas de stress financier. Paris Europlace a rappelé que la crise de 2008 avait entraîné la résurgence d’un fort biais domestique, se traduisant par le rapatriement des capitaux des investisseurs étrangers. Les fonds étrangers sont de fait moins susceptibles de s’intéresser à la survie d’entreprises européennes en difficulté.

Enfin, la France et l’Union européenne s’exposent à perdre des entreprises stratégiques si celles-ci doivent se tourner vers les fonds étrangers pour lever des financements.

Recommandation n°2 de Mme Sylvie Josserand : Mieux protéger les actifs stratégiques européens et empêcher leur vampirisation par des fonds étrangers, en renforçant les mécanismes de filtrage des investissements étrangers selon leur volume et le secteur concerné.

c.   Une fenêtre d’opportunité ?

Dans ce contexte, les conséquences de la politique américaine sont ambivalentes. D’un côté, la forte augmentation des droits de douane devrait assombrir les perspectives économiques européennes. De l’autre, elle crée des incertitudes sur le marché américain qui pourraient détourner les investisseurs internationaux. L’Europe apparaît, à l’inverse, comme une région de stabilité, garantissant des conditions de concurrence claires, et où la prévisibilité des décisions est assurée par des schémas institutionnels solides.

Il y aurait, selon le Directeur général du Trésor, un véritable « moment européen » pour attirer les capitaux étrangers. La présidente de l’Autorité des marchés financiers identifie également un regain d’intérêt réel pour l’économie européenne, qui s’est notamment manifesté lors du sommet Choose Europe. Elle insiste toutefois sur la nécessité de parvenir rapidement à des avancées concrètes si l’Union espère convaincre les investisseurs étrangers, alors que l’environnement européen est toujours perçu comme excessivement complexe et bureaucratique.

L’économiste Jean-Paul Pollin va même jusqu’à envisager que l’euro puisse jouer à l’avenir le rôle de monnaie de réserve mondiale, aux côtés d’autres monnaies comme le yuan chinois, si le dollar en venait à perdre son privilège exorbitant du fait de l’instabilité américaine. Michael Theurer, membre du directoire de la Bundesbank, partage une telle vision : selon lui, l’Union européenne dispose d’une politique monétaire crédible et d’un cadre institutionnel favorable, même s’il manque encore pour ce faire de développer un actif sûr commun. Si l’euro en venait à jouer une telle fonction, cela permettrait à l’Europe de bénéficier de meilleures conditions de financement.

2.   Une nouvelle approche plus pragmatique et centrée sur de grands objectifs pour mobiliser l’ensemble des parties prenantes

a.   Un projet présenté comme stratégique et porté au plus haut niveau politique

Face à ces enjeux stratégiques, Mario Draghi, Enrico Letta et Christian Noyer ont conféré à l’Union des marchés de capitaux une tout autre portée, bien plus politique que technique.

La nouvelle appellation « Union de l’épargne et de l’investissement » proposée par Enrico Letta revendique l’objectif stratégique poursuivi : améliorer l’efficacité des marchés financiers européens pour permettre de diriger effectivement l’épargne européenne vers l’investissement de long terme en Europe. Il s’agit à la fois d’offrir de meilleures opportunités d’investissement aux épargnants pour retenir les 300 Md€ d’épargne européenne qui s’exporte chaque année aux États-Unis, et de garantir aux entreprises, notamment les PME et les jeunes pousses innovantes, un meilleur accès aux financements en fonds propres pour qu’elles puissent réaliser leur développement en Europe.

Alors que l’Union des marchés de capitaux peinait à mobiliser, le nouveau projet d’Union de l’épargne et de l’investissement a été porté au plus haut niveau politique par les différentes institutions européennes. Sous l’impulsion du ministre de l’économie et des finances français, Bruno Le Maire, la question de l’avenir de l’Union des marchés de capitaux a été inscrite à l’agenda de l’Eurogroupe dès le début de l’année 2024. Les chefs d’État et de gouvernement européens ont réaffirmé, lors du Conseil européen extraordinaire des 17 et 18 avril 2024 sur la compétitivité, leur volonté de créer des marchés de capitaux véritablement intégrés, avant d’appeler, lors d’une réunion informelle à Budapest le 8 novembre 2024, à la constitution d’une « Union de l’épargne et de l’investissement ».

La présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, a également défendu une « révolution kantienne pour l’Union des marchés de capitaux » afin de diriger l’épargne vers l’investissement et l’innovation en Europe ([35]). Les autorités nationales de supervision des marchés financiers, réunies au sein du collège des superviseurs de l’ESMA, ont également approuvé à l’unanimité un document qui présente une série de mesures pour « construire des marchés de capitaux plus efficaces et attractifs dans l’Union européenne » ([36]).

Le nouveau collège de commissaires européens s’est pleinement emparé du sujet dont il a fait l’une de ses priorités. La lettre de mission adressée à la commissaire Maria Luís Albuquerque, en charge des services financiers et de l’Union de l’épargne et de l’investissement, lui enjoint de « développer une Union de l’épargne et de l’investissement, incluant les banques et les marchés de capitaux, afin de mobiliser l’abondante épargne privée au service des objectifs européens ».

La Commission a présenté, le 19 mars 2025, sa stratégie pour l’Union de l’épargne et de l’investissement, qui annonce un ensemble de mesures législatives et non-législatives, portant sur quatre principaux chantiers : le fléchage de l’épargne des ménages vers les marchés de capitaux ; la relance de la titrisation ; le développement du capital-investissement ; l’intégration de la supervision et du post-marché. Ces mesures devraient faire l’objet de propositions entre mi-2025 et fin 2026. La Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne a salué un calendrier ambitieux tout en soulignant que la feuille de route de la Commission était en grande partie alignée avec les priorités françaises, étayées dans le rapport de Christian Noyer.

Les rapporteurs ont pu vérifier, lors des auditions qu’ils ont conduites, que la majeure partie des propositions de la Commission rencontraient l’adhésion de nombreux acteurs privés du secteur financier, même si ces derniers ont soulevé plusieurs points de vigilance.

Face à l’urgence, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, a appelé, lors de son audition devant la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, le 14 mai 2025, à « fixer une date mobilisatrice » pour achever l’intégration du marché unique, « comme, par le passé, Jacques Delors avait su le faire avec le 1er janvier 1993 pour le marché unique, puis le 1er janvier 1999 pour la monnaie unique », afin que les institutions publiques et les acteurs privés déploient leurs efforts autour d’un horizon clair, qui pourrait être le 1er janvier 2028. En rappelant que cette date devrait être proposée par la Commission et adoptée par le Conseil, il a suggéré le 1er janvier 2028.

Recommandation n°3 de M. Daniel Labaronne : Fixer une échéance politique claire en déterminant une date limite pour l’achèvement de l’intégration des marchés financiers européens, afin de fédérer les efforts des acteurs publics et privés autour d’un cap commun.

La rapporteure Sylvie Josserand souligne cependant les difficultés inhérentes à la fixation d’une date précise, alors que les contours de l’Union de l’épargne et de l’investissement demeurent encore indéfinis et que les mesures censées supprimer les obstacles aux flux de capitaux transfrontaliers – harmonisation du droit des faillites, du droit des titres, et de la fiscalité, ou intégration de la supervision – sont celles qui sont le plus loin de faire consensus parmi les États membres. Par ailleurs, la fixation d’une date limite reviendrait à tacitement acter le principe d’un transfert définitif de pouvoirs nationaux vers les autorités européennes de supervision.

b.   Une méthode plus ascendante et transversale

L’échec du produit paneuropéen d’épargne-retraite individuel (PEPP) a démontré les insuffisances d’une approche descendante qui ne tiendrait pas compte des spécificités de l’environnement d’épargne national, ni des limites inhérentes à l’action de l’Union européenne alors que la fiscalité et la protection sociale relèvent de la compétence des États membres.

Aussi la Commission privilégie-t-elle dans sa stratégie de l’Union de l’épargne et de l’investissement une approche plus ascendante, qui laisse une marge de manœuvre importante aux États en tendant à développer les mécanismes de coordination et de coopération plutôt que l’application de règles uniformes. Elle reconnaît que si l’action directe de l’Union européenne est justifiée dans certains domaines clés, « d’autres mesures dépendront davantage de l’action individuelle des États membres ». La Commission prévoit d’encourager les échanges de bonnes pratiques entre les pays européens sur l’éducation financière, ou sur les outils de développement de l’épargne retraite supplémentaire. Elle appelle également les États à remédier aux divergences qui persistent entre les législations nationales sur le droit des titres, le droit de l’insolvabilité et le droit des sociétés, sans s’en saisir directement.

Cette nouvelle approche qui s’appuie davantage sur les États membres trouve un prolongement dans l’initiative intergouvernementale du « Laboratoire de la compétitivité ». Cette initiative offre un cadre de concertation aux pays européens volontaires, dont la France, qui souhaitent expérimenter collectivement de nouvelles politiques financières, fiscales ou économiques en faveur de la compétitivité, plus rapidement et efficacement que s’il fallait obtenir l’accord de l’ensemble des États membres. Elle s’est d’ores et déjà traduite par l’adoption du label Finance Europe, le 5 juin 2025. Si l’Autorité des marchés financiers souligne que cette approche pourrait générer de nouvelles fragmentations au sein du marché intérieur en créant une Europe à deux vitesses, elle relève néanmoins que cela constitue « une première étape très utile pour surmonter des blocages, voire indispensable en l’absence de consensus atteignable sur un sujet stratégique » ([37]).

En outre, la Commission souhaite placer l’objectif de simplification au cœur de son agenda pour l’Union de l’épargne et de l’investissement, sans déréguler pour autant. La simplification doit concerner à la fois l’information délivrée aux épargnants, les charges de transparence et de diligence raisonnable qui pèsent sur les investisseurs institutionnels, et les exigences des autorités de supervision.

Enfin, à la différence de l’Union des marchés de capitaux, l’Union de l’épargne et de l’investissement intègre pleinement l’Union bancaire. Cet élargissement du projet vise à associer pleinement les banques au financement de l’investissement, au nom du rôle fondamental qu’elles occupent dans l’économie européenne.

Didier Cahen, secrétaire général d’Eurofi, auditionné en son nom propre, observe que « l’Union bancaire et l’Union des marchés de capitaux sont deux piliers complémentaires d’un système financier européen profond, résilient, diversifié et compétitif » ([38]), en raison de la complémentarité de leur champ de financement et des relations de synergie qu’elles entretiennent. Intégrer les banques dans l’Union de l’épargne et de l’investissement permet notamment de reconnaître le rôle structurant qu’elles jouent sur les marchés financiers, puisque « ce sont les banques qui préparent les introductions en bourse, nouent des liens avec les investisseurs, appuient les entreprises dans leur accès au marché, jouent un rôle clef dans les émissions d’obligations ».

La relance d’une titrisation sécurisée et ciblée, qui doit permettre aux banques d’alléger leur bilan en transformant les crédits qu’elles accordent en titres financiers échangeables sur le marché, incarne ce pont entre banques et marchés, selon l’Association pour les marchés financiers en Europe (AFME) auditionnée

La rapporteure Sylvie Josserand tient néanmoins à rappeler que l’Union bancaire et l’Union des marchés de capitaux recouvrent des réalités différentes, puisque la première ne concerne que la zone euro.

B.   Un pari incertain si les prérequis ne sont pas réunis

La capacité de l’Union de l’épargne et de l’investissement à atteindre les objectifs qui lui sont assignés demeure cependant très incertaine. Derrière un apparent consensus, de nombreuses mesures du projet continuent de susciter de fortes réserves parmi les États membres. Les pays européens ne pourront, en outre, redevenir attractifs pour les investisseurs privés qu’à la condition d’améliorer les sous-jacents de leur économie, en redressant leurs finances publiques, en levant les freins à la croissance, et en se protégeant davantage contre la concurrence internationale.

1.   Le projet suscite des réserves parmi les États membres

a.   Un projet porté par les États qui disposent d’une industrie financière développée, notamment la France

Les différents acteurs auditionnés ont souligné que Paris pourrait être l’une des principales bénéficiaires de l’Union de l’épargne et de l’investissement, en s’appuyant sur son statut de première place financière de l’Union européenne et quatrième à l’échelle mondiale.

Le Brexit a entraîné une profonde recomposition du marché européen des services financiers, désormais multipolaire. Comme le décrit l’Association française des marchés financiers (Amafi), le Brexit a renforcé Paris comme pôle pour les activités de marché, Francfort comme localisation des sièges sociaux européens, Amsterdam pour les activités de compte propres, ou Dublin et Luxembourg pour la gestion d’actifs. Si l’ensemble des grandes places financières ont bénéficié d’un transfert d’activités, c’est particulièrement le cas de la France, qui a attiré plus de 5 500 emplois bancaires et financiers issus de la place financière de Londres entre 2021 et 2024 ([39]).

En raison des nombreux atouts dont elle dispose, Paris serait bien placée pour profiter d’un approfondissement des marchés financiers européens, selon l’association Paris Europlace. En mai 2025, la capitalisation boursière des entreprises du CAC 40 (2 494 Md€) est supérieure à celle du DAX allemand (1 928 Md€). Dotée d’un écosystème complet et diversifié, avec des banques de marché, de grandes infrastructures, un régulateur reconnu, et une large base d’investisseurs de détail, la place de Paris s’est développée comme un pôle central pour les activités de marché, la plupart des banques internationales y ayant établi leurs salles des marchés et leurs bureaux de négociation. La France peut également se prévaloir d’acteurs de premier plan dans le domaine financier : Amundi s’est imposé comme premier gestionnaire d’actifs européen ; quatre banques françaises comptent parmi les huit plus grandes banques européennes, dont la première, BNP Paribas ; et la France détient le premier marché de capital-investissement en Europe.

Selon l’Autorité des marchés financiers, l’Union de l’épargne et de l’investissement devrait permettre à Paris de consolider son rôle de hub européen de financement, d’investissement et de gestion d’actifs, du fait des effets de cluster. La levée des obstacles aux investissements transfrontaliers devrait en effet favoriser l’afflux des capitaux vers les grandes places financières continentales. La liquidité attirant la liquidité, il est plus intéressant d’intervenir sur une bourse qui donne accès à un large bassin d’entreprises et d’investisseurs, facilitant les échanges en plus d’offrir d’importantes possibilités de diversification. S’y ajoutent les économies d’échelle et les synergies inhérentes au fonctionnement des infrastructures de marché, qui permettent d’offrir des coûts plus bas.

Paris sera cependant confrontée à la concurrence d’autres places financières européennes, qui chercheront également à renforcer leur attractivité. L’Amafi rappelle que la France ne pourra renforcer sa position qu’à la condition d’améliorer sa compétitivité réglementaire et fiscale, tandis que la Banque de France insiste sur l’impératif de garantir une certaine stabilité politique et une trajectoire budgétaire crédible et soutenable pour attirer les investisseurs.

Les rapporteurs déplorent l’absence de projections chiffrées sur les effets de l’intégration et de l’approfondissement des marchés financiers européens. Les différents acteurs interrogés sur ce point ont tous mis en avant la difficulté à prévoir avec précision tant le montant de capitaux que le projet permettrait de mobiliser, que la réallocation de l’investissement entre les différents pays européens qu’il entraînerait. Cela tient, d’une part, aux contours encore vagues des mesures proposées par la Commission dans le cadre de l’Union de l’épargne et de l’investissement, et, d’autre part, à l’incertitude qui entoure la réponse des marchés, et notamment la capacité des acteurs privés à s’emparer des nouveaux dispositifs.

Selon la rapporteure Sylvie Josserand, il ne peut être donné aucun crédit à l’hypothèse d’un effet bénéfique de l’Union de l’épargne et de l’investissement pour la France tant qu’elle n’est pas étayée par des projections solides.

b.   De fortes résistances parmi les plus petits États membres, compte tenu de l’incertitude des effets économiques et politiques

Perçue comme un projet émanant des grandes places financières que sont Paris et Francfort, l’Union de l’épargne et de l’investissement suscite des réticences parmi les États membres qui craignent un affaiblissement de leur marché financier national.

Le projet fait ressurgir l’antagonisme classique entre pays « home » et pays « host », c’est-à-dire entre les pays où sont localisés les sièges des institutions financières, et ceux qui n’accueillent que les filiales et succursales. Comme l’a expliqué le Secrétaire général adjoint aux affaires européennes Benoît Catzaras, alors que les pays « home » auraient intérêt à la suppression des obstacles aux flux de capitaux transfrontaliers afin de faire jouer pleinement la solidarité au sein des groupes et de bénéficier d’économies d’échelle, les pays « host » redoutent une intégration accrue qui permettrait aux maisons mères de rapatrier plus facilement les capitaux situés dans leurs filiales, notamment en cas de stress financier, au détriment des entreprises et des épargnants nationaux.

Les pays européens qui ont un secteur financier moins développé, tels que la Slovénie, la Slovaquie, ou la Croatie, craignent un mouvement de concentration des services financiers, qui se ferait au profit des acteurs et des marchés les plus importants et accroîtrait leur dépendance à des circuits de financement étranger. Leur priorité est, au contraire, de développer leur marché domestique, en conservant leur propre bourse, leur propre chambre de compensation et leur propre dépositaire central, afin que l’épargne locale puisse financer la croissance de leurs entreprises nationales.

Même entre les grands pays, il s’avère difficile d’arrêter des positions communes, chacun souhaitant préserver son industrie financière et les intérêts de ses grands acteurs nationaux, souvent concurrents, selon Benoît Catzaras. Ces divergences sont particulièrement sensibles dans les discussions sur l’Union bancaire : l’Allemagne défend le modèle des Landesbanken, les banques coopératives détenues majoritairement par les Länder qui bénéficient de ce fait d’une garantie implicite facilitant leur financement, là où la France soutient le développement de ses grandes banques universelles.

Arnaud Montebourg relevait également, lors de son audition devant la commission d’enquête sur les freins à la réindustrialisation de la France, combien il serait difficile de trouver une stratégie économique commune, préservant les intérêts de chacun, tant l’antagonisme entre les économies française et allemande sont forts : « L’Union européenne est sous direction allemande. Les Allemands sont dans une situation proche de la Chine, quand la France est proche de celle des États-Unis. Nous avons besoin de protectionnisme tandis que les Allemands ont un excédent à servir : leur économie extravertie et surdotée doit tourner. »

L’Union de l’épargne et de l’investissement se heurte, enfin, à la résistance des petits pays disposant de systèmes financiers très ouverts, tels que le Luxembourg ou l’Irlande, qui misent sur le « moins disant réglementaire » pour attirer des acteurs internationaux ([40]), lesquels peuvent ensuite distribuer leurs produits dans l’ensemble du marché intérieur grâce au passeport européen. La part de marché des acteurs non-européens en gestion d’actifs atteint ainsi 40 % au Luxembourg et jusqu’à 77 % en Irlande ([41]) . Ces pays sont particulièrement réticents à une harmonisation de la fiscalité ou des pratiques de supervision, qui compromettraient l’attractivité de leur place financière.

Selon la présidente de l’Autorité des marchés financiers, ces appréhensions ne pourront être surmontées qu’à la condition que l’ensemble des pays européens puissent bénéficier de l’approfondissement des marchés financiers. Elle insiste sur la nécessité de démontrer que « l’Union des marchés de capitaux n’est pas un jeu à somme nulle dans lequel ce qui profite à une place financière se ferait au détriment des autres places européennes ». La présidente de l’Autorité des marchés financiers a salué la démarche d’Enrico Letta, qui s’est rendu dans chaque État membre pour présenter son rapport, recueillir les inquiétudes, et expliquer les avantages que chacun pourrait tirer d’une intégration accrue.

En théorie, la réduction des barrières aux flux transfrontaliers est censée permettre une allocation plus efficiente de l’épargne à l’échelle de l’Union européenne, en orientant les capitaux vers les projets les plus rentables. Cela permettrait à la fois de couvrir les besoins de financements des pays à forte demande d’investissement, tout en améliorant la rémunération de l’épargne pour les investisseurs.

Une étude récente de Jean-Baptiste Gossé et Camille Jehle ([42]), citée dans la contribution écrite de la Banque de France, montre que les investisseurs de plusieurs pays européens (Allemagne, Italie, Espagne, Pologne, Belgique, Autriche, Portugal et Suède) auraient pu améliorer significativement leurs performances en diversifiant davantage leurs portefeuilles d’actions cotées sur la période 2012-2023. La Banque de France ajoute que « cette diversification du portefeuille pourrait contribuer à faciliter l’accès au capital des entreprises des pays d’Europe centrale et orientale, dont le niveau d’investissement a diminué depuis la crise de 2008 » ([43]).

L’économiste Hubert Kempf a cependant mis en garde, lors de son audition, contre le caractère excessivement optimiste d’une telle approche, en dressant un parallèle avec la mondialisation réalisée dans les années 1990. Celle-ci était censée bénéficier à tous grâce aux avantages comparatifs, mais a en réalité conduit à l’apparition de poches de richesse et de pauvreté. De même, Jean-Michel Naulot, ancien banquier et ancien membre du collège de l’Autorité des marchés financiers, a évoqué au cours de son audition les conséquences de l’instauration de la monnaie unique : alors qu’il était supposé que les pays du Nord investiraient dans les pays du Sud, qui avaient le plus gros potentiel de croissance, les flux de capitaux se sont orientés du Sud vers le Nord, où les placements étaient plus sûrs.

Cette absence de réflexion sur les conséquences économiques et politiques du projet serait l’un des grands impensés du projet d’Union des marchés de capitaux. Hubert Kempf écrit ainsi : « Croire que la réforme de l’architecture financière d’une économie est de l’ordre de la technique et de la bonne gestion est faire preuve au mieux de naïveté. Une réorganisation des circuits de financement modifie en profondeur le mode de fonctionnement d’une économie : elle crée des gagnants et des perdants et a des conséquences redistributives qui peuvent être considérables » ([44]).

Selon Didier Cahen, une voie possible pour susciter l’adhésion de l’ensemble des États membres consisterait à valoriser les atouts de chacun en créant des hubs financiers régionaux spécialisés et interopérables plutôt qu’un marché unique pleinement intégré. À titre d’exemple, l’écosystème de financement des fintechs élaboré par les pays baltes pourrait être mieux mis en avant. Cela permettrait aux petits pays de développer leur marché domestique, tout en bénéficiant de la profondeur du marché unique.

2.   Le succès du projet ne peut être garanti en l’absence d’amélioration des sous-jacents de l’économie européenne

a.   Une croissance en berne qui limite les opportunités d’investissement en Europe

Selon Patrick Artus ([45]), l’Union des marchés de capitaux ne permettra pas de retenir l’épargne européenne dans la zone euro. La cause essentielle de l’exportation des capitaux européens vers le reste du monde, en particulier vers les États-Unis, est en effet la faible rentabilité des investissements financiers dans la zone euro, aussi bien pour les obligations que pour les actions. Dès lors que l’économie américaine offre des rendements plus élevés, il est dans l’intérêt des ménages européens d’y placer leur argent, et le devoir fiduciaire des intermédiaires financiers les y conduit logiquement, comme l’ont exposé plusieurs compagnies d’assurance auditionnées.

De même, la demande d’investissements des entreprises européennes restera limitée si leurs perspectives économiques demeurent dégradées. Au cours des auditions, les rapporteurs ont mis en avant la faiblesse de l’appareil industriel français, qui représente seulement 17 % du PIB contre 27 % en Allemagne, et le risque que les projets d’investissement manquent. Or, comme l’a fait remarquer un acteur financier auditionné, c’est le bon projet qui suscite le financement, rarement l’inverse.

Le développement des entreprises se heurte en effet à de nombreux freins en Europe : une complexité administrative excessive, illustrée jusqu’à la caricature par la directive CSRD sur le reporting en matière de durabilité ; des coûts de l’énergie importants, qui pèsent sur la rentabilité des entreprises ; une forte concurrence étrangère, notamment chinoise ; et des difficultés de projections au sein du marché intérieur en raison de la faible harmonisation des législations nationales.

Le Directeur général du Trésor a cependant souligné la dynamique vertueuse que pourrait enclencher une meilleure orientation de l’épargne vers des placements plus risqués. En soutenant l’innovation et le développement de projets qui feront la croissance de demain, ces placements généreraient de meilleurs rendements et permettraient d’offrir aux investisseurs des produits plus attractifs.

Selon lui, l’Europe et la France ne sont pas dépourvues de projets intéressants, mais manquent de fonds d’investissement de taille suffisante pour les financer. Il a évoqué l’entreprise Mistral, dans le domaine de l’intelligence artificielle, et l’enjeu qu’elle soit en mesure de lever des fonds en Europe lors de sa deuxième phase de développement, ainsi que la situation des start-ups dans l’industrie pharmaceutique, qui parviennent à mener les premiers essais cliniques en Europe, mais se tournent ensuite vers l’étranger pour lever les financements nécessaires à la réalisation de tests sur les humains. Le Vice-président de la Banque européenne d’investissement a également affirmé être frappé par le dynamisme des entreprises européennes dans le secteur technologique, notamment en Allemagne, en France et dans les pays nordiques, et la nécessité de les accompagner dans leur développement.

Comme l’ont relevé les rapporteurs, la question de ce qui devrait être premier, du projet ou du financement, s’assimile à celle de la poule et de l’œuf. Elle démontre, en tout cas, la nécessité d’actionner d’autres leviers pour relancer effectivement la croissance.

 

Recommandation n° 4 de Mme Sylvie Josserand : Développer une politique industrielle ambitieuse recréant les conditions nécessaires – baisse du coût de l’énergie, simplification administrative, planification industrielle cohérente – pour attirer les capitaux. Afin d’accroître les débouchés des entreprises françaises et européennes, et leur permettre d’attirer les investisseurs, appliquer dans les marchés publics une clause exigeant que les moyens utilisés pour exécuter le contrat soient localisés sur le territoire des États membres de l’Union européenne.

 

Recommandation n° 5 de M. Daniel Labaronne : Adopter une stratégie globale, conjuguant intégration des marchés financiers, simplification, débureaucratisation, harmonisation et politique industrielle, pour développer un écosystème favorable à l’innovation et à la croissance, du financement jusqu’à la commercialisation du produit.

Comme l’ont exposé les représentants de la Commission européenne auditionnés, la « Boussole pour la compétitivité » de la Commission, présentée le 29 janvier dernier, adopte une telle approche transversale. S’appuyant sur le diagnostic du rapport Draghi, cette feuille de route annonce une série d’initiatives complémentaires qui visent à restaurer la croissance et préserver l’indépendance stratégique de l’Union européenne. Parmi celles-ci, figure notamment la législation omnibus, qui promet un « choc de simplification » à même de réduire de 25 % les charges administratives pesant sur les entreprises – le champ des entreprises concernées par la directive CSRD serait ainsi réduit de 80 %. La Commission devrait également présenter, d’ici l’année 2026, une proposition législative tendant à l’instauration d’un 28e régime pour offrir un cadre harmonisé aux entreprises innovantes, dans le cadre de sa stratégie pour les start-ups et les scale-ups, publiée le 28 mai 2025. Enfin, elle travaille à mettre en place dans le prochain cadre financier pluriannuel un « Fonds européen de compétitivité », qui faciliterait l’accès aux fonds européens pour les entreprises.

La Direction générale des entreprises a souligné la nécessité d’assurer des conditions de concurrence loyale entre les entreprises européennes et leurs concurrentes étrangères, en protégeant le marché européen si nécessaire. Arnaud Montebourg a relevé, lors de son audition devant la commission d’enquête, que l’Europe était « l’idiot utile du village global », selon une expression d’Hubert Védrine : le taux d’ouverture des marchés publics à des entreprises étrangères était de 82 % au sein de l’Union européenne, contre 32 % aux États-Unis. Il préconise que la France mette en œuvre une clause de localisation des moyens d’exécution des marchés publics sur le territoire de l’Union européenne, comme le font déjà l’Italie et l’Allemagne dans le cadre du droit européen. La rapporteure Sylvie Josserand partage pleinement cette recommandation.

La Boussole pour la compétitivité de la Commission européenne annonce l’instauration d’une préférence européenne dans les marchés publics pour les secteurs et technologies stratégiques dans le cadre d’une révision de la directive européenne sur les marchés publics. La Direction générale des entreprises a affirmé que la France appelait ses partenaires européens à accélérer le calendrier pour que la directive soit révisée dès le début de l’année 2026.

b.   Un risque de pénétration accrue des acteurs financiers américains sur le marché européen

Les rapporteurs ont soulevé lors des auditions le risque que l’Union de l’épargne et de l’investissement contribue à accentuer la pénétration des acteurs financiers non européens, en particulier américains, en Europe.

Les administrations interrogées ont confirmé qu’un tel risque existait. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles les banques d’investissement américaines figurent parmi les plus fervents promoteurs de l’initiative à Bruxelles. Du fait de leur position dominante, les acteurs américains seront bien placés pour profiter des nouvelles opportunités d’investissement offertes et gagner de nouvelles parts de marché.

Selon le Directeur général du Trésor et la présidente de l’Autorité des marchés financiers, le statu quo n’est cependant guère préférable, en ce que la moindre compétitivité des acteurs européens serait imputable à la fragmentation du marché unique. La Direction générale du Trésor écrit ainsi : « Les acteurs américains doivent notamment leur succès à une assise sur un marché domestique profond, intégré et plus rentable, en raison d’un degré plus élevé de concentration, générant des synergies et des économies d’échelle. Dans un milieu hautement concurrentiel, les acteurs américains sont mieux armés face à des concurrents européens d’envergure avant tout nationale » ([46]). Selon la formule employée par la présidente de l’Autorité des marchés financiers (AMF), Marie-Anne Barbat-Layani, les acteurs européens « partent avec des pieds de plombs dans la course internationale ». Dans le domaine bancaire en particulier, la taille est un facteur clé de performance et de rentabilité du fait des économies d’échelle.

La suppression des obstacles aux flux de capitaux transfrontaliers offrirait une chance aux acteurs européens de passer à l’échelle afin de rivaliser avec leurs concurrents américains, selon la présidente de l’Autorité des marchés financiers et le Directeur général du Trésor. Grâce à leur meilleure connaissance du tissu économique européen, les gestionnaires d’actifs et les banques européennes devraient être mieux capables d’en exploiter les potentialités.

La rapporteure Sylvie Josserand attire cependant l’attention sur le fait que la fragmentation et la complexité des marchés européens peuvent paradoxalement constituer une forme de protection vis-à-vis des investissements étrangers. Si ces lourdeurs peuvent entraver le développement de grands acteurs européens, elles freinent également les stratégies de prédation en obligeant les acteurs américains à engager des frais supplémentaires, et contribuent à préserver la souveraineté nationale sur des actifs stratégiques.

Le rapporteur Daniel Labaronne relève, au contraire, que les géants financiers américains sont précisément les mieux armés pour surmonter les coûts additionnels qu’entraîne la coexistence de cadres juridiques nationaux fragmentés. Cette complexité constitue, en pratique, moins une barrière qu’un filtre favorable aux acteurs disposant de ressources considérables, ce qui est le cas des grandes institutions financières américaines. En revanche, elle freine de manière décisive les acteurs européens, notamment les PME de la gestion d’actifs et les établissements de taille intermédiaire, qui n’ont ni la taille critique ni la capacité d’adaptation requises pour naviguer dans cet environnement éclaté. Plutôt que de protéger nos intérêts stratégiques, cette fragmentation affaiblit la compétitivité européenne, empêche l’émergence de champions européens et accroît notre dépendance à des acteurs internationaux. Elle contribue ainsi à une forme insidieuse de perte de souveraineté, fondée non sur une prise de contrôle brutale, mais sur une marginalisation progressive des acteurs européens dans leur propre espace économique.

Le Directeur général du Trésor et la présidente de l’Autorité des marchés financiers reconnaissent que l’Union de l’épargne et de l’investissement conserve une dimension de « pari », dont le succès demeure à ce stade incertain. Il dépendra de la capacité des acteurs privés européens à capitaliser sur le marché intérieur en y trouvant des débouchés.

Dans cette perspective, il est essentiel que le cadre réglementaire et prudentiel européen ne désavantage pas les acteurs financiers européens par rapport à leurs concurrents internationaux. Cela implique de changer en profondeur la culture de la Commission européenne et des autorités européennes de supervision, qui entretiennent une logique de risque zéro en voulant tout réglementer et tout contrôler.

À titre d’exemple, l’ensemble des acteurs privés auditionnés ont décrié l’approche excessivement consumériste de la Commission européenne, illustrée par la stratégie pour les investisseurs de détail (Retail investment strategy – RIS) en cours de négociation. En mettant l’accent sur la simplicité et le bas coût des produits, la proposition de la Commission conduisait à favoriser les produits low cost, à savoir les ETF, qui contribuent à orienter massivement l’épargne européenne vers les États-Unis. Selon la Direction générale du Trésor, la France a transmis à la Commission, le 23 avril dernier, un ensemble de propositions, cosigné avec la Tchéquie, pour modifier le texte selon trois priorités : la simplification des différents tests du parcours client ; la définition d’un bon rapport qualité-prix ; et un renforcement des politiques d’éducation financière et de transparence.

En conséquence, les rapporteurs soulignent la nécessité de placer la préservation de la compétitivité de la finance européenne au cœur de l’agenda de la Commission sur les marchés financiers, en conditionnant chaque réforme à une évaluation préalable de son impact sur la compétitivité des acteurs financiers européens.

Recommandation n° 6 des rapporteurs : Accompagner toute proposition de texte de la Commission dans le cadre de l’Union de l’épargne et de l’investissement d’une étude d’impact approfondie qui intègre un test de compétitivité, pour s’assurer qu’elle ne contribue pas à renforcer les parts de marché des acteurs financiers non européens.

Les acteurs financiers auditionnés ont également attiré l’attention des rapporteurs sur les contraintes excessives imposées par les autorités de supervision européennes, qui les désavantagent par rapport à leurs concurrents. C’est notamment le cas de la surabondance de documentation imposée par l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA). La Fédération bancaire française a souligné une confusion regrettable entre les besoins de transparence du superviseur, et ceux des clients, qui oblige les banques à communiquer publiquement des informations très fines et inutiles aux investisseurs particuliers, en mettant en place tout le dispositif de suivi nécessaire, alors qu’elles pourraient être transmises directement au superviseur.

Il pourrait être intéressant à cet égard d’intégrer un objectif de compétitivité dans les mandats des autorités européennes de supervision – l’ESMA, l’Autorité bancaire européenne, et l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles –, en s’inspirant du Royaume-Uni qui a inclus un tel objectif dans le mandat de ses autorités bancaires et financières, la Prudential Regulation Authority (PRA) et la Financial Conduct Authority (FCA). Cela les obligerait à mieux prendre en compte les conséquences de leurs interventions sur la compétitivité des acteurs financiers européens.

Recommandation n° 7 des rapporteurs : Introduire expressément dans le mandat des autorités européennes de supervision la préservation de la compétitivité des acteurs financiers européens.

Il pourrait être envisagé, en parallèle, de restreindre l’ouverture des marchés financiers européens, en promouvant une logique de réciprocité avec leurs principaux partenaires. Dans un contexte concurrentiel international de plus en plus agressif, plusieurs gestionnaires d’actifs et des assureurs auditionnés ont pointé la forme de naïveté qui conduisait l’Union européenne à demeurer aussi ouverte sur l’extérieur, alors que ses acteurs se heurtent à des freins importants lorsqu’ils tentent d’accéder aux marchés étrangers, notamment au marché américain. Certains ont suggéré que l’Union européenne puisse limiter la possibilité de déléguer la gestion d’actifs à des entités situées en dehors de l’Union européenne, comme le fait par exemple Blackrock vers Londres.

Recommandation n°8 des rapporteurs : Restreindre l’ouverture du marché européen dans le domaine des services financiers. Il pourrait être envisagé de limiter la faculté dont dispose aujourd’hui les prestataires de services financiers en Europe de déléguer la gestion à des entités établies dans des pays tiers.

c.   Un risque d’éviction pour le financement de la dette publique française

Lors des auditions, les rapporteurs ont soulevé plusieurs fois la question des éventuels risques d’éviction qu’entraînerait la réorientation de l’épargne vers des placements en fonds propres, notamment sur le financement de la dette publique.

La nécessité d’assurer la liquidité et la sécurité des placements conduit en effet aujourd’hui les assureurs à détenir une part importante d’actifs sûrs, et notamment d’obligations souveraines. La dette publique française représentait, en 2023, 13,8 % des investissements des assureurs français, et près de 6 % des investissements des assureurs européens ([47]).

Il y a ainsi lieu de craindre que l’accélération de l’Union de l’épargne et de l’investissement détourne l’épargne des ménages de l’assurance-vie et des dépôts bancaires, au risque de pénaliser le financement de la dette publique nationale au moment même où les finances publiques connaissent des difficultés importantes, comme l’a souligné Jean-Michel Naulot, ancien banquier et ancien membre du collège de l’Autorité des marchés financiers ([48]) .

Si le Directeur général du Trésor a reconnu être vigilant sur ce point, il a affirmé que le risque d’éviction ne lui semblait pas avéré. Selon lui, la réallocation d’une fraction de l’épargne vers les investissements plus risqués ne devrait pas avoir un impact significatif sur les conditions de financement de l’État, d’autant plus si l’Union de l’épargne et de l’investissement permet le rapatriement de l’épargne actuellement placée aux États-Unis. La demande d’obligations souveraines françaises devrait rester forte, car leur sécurité relative, leur liquidité et leur rôle réglementaire en font une classe d’actifs très recherchée, notamment des investisseurs institutionnels ([49]) .

Là encore, la rapporteure Sylvie Josserand regrette qu’aucune projection n’ait été réalisée.

Par ailleurs, les objectifs de l’Union de l’épargne et de l’investissement entrent directement en contradiction avec la nécessité d’assurer la soutenabilité de dettes publiques importantes. Comme l’a expliqué Didier Cahen lors de son audition, le maintien de taux d’intérêt à court et moyen terme plus bas dans la zone euro qu’aux États-Unis favorise la fuite des capitaux hors d’Europe. Il décourage également l’investissement productif à long terme : « Des taux d’intérêt durablement bas, comme nous l’avons expérimenté en Europe notamment entre 2007 et 2022, raccourcissent l’horizon des épargnants et s’accompagnent d’une forte augmentation de la part des actifs liquides dans le patrimoine financier des agents économiques. Les épargnants ne souhaitent plus prendre les risques propres aux investissements productifs à long terme si leur épargne est insuffisamment rémunérée » ([50]).

Enfin, les niveaux d’endettement très différents des États membres ont accru la fragmentation économique de l’Union européenne, ce qui compromet la mise en place d’un actif sûr commun. Or, seul un instrument financier commun, liquide et sans risque, qui pourrait être utilisé comme collatéral dans tous les États membres et sur tous les segments de marché, permettrait d’approfondir les marchés financiers européens de façon similaire aux marchés américains, selon Didier Cahen.

 


   Deuxième PARTIE : Quatre leviers proposés par la commission pour améliorer l’efficacité des marchés financiers européens

La Commission a présenté, le 19 mars dernier, sa stratégie pour une Union de l’épargne et de l’investissement. Celle-ci annonce une série de propositions législatives et non-législatives, qu’elle présentera de façon étalée jusqu’à la fin de l’année 2026, afin d’accroître la profondeur et la liquidité des marchés financiers européens.

Les rapporteurs ont choisi d’analyser ces différentes à travers quatre axes, afin de retracer la chaîne de financement de l’économie :

-         l’augmentation de l’offre de capitaux, en orientant mieux l’épargne vers l’investissement de long terme ;

-         l’augmentation de la demande de capitaux, en facilitant l’accès des entreprises à un financement en fonds propres ;

-         l’amélioration de la circulation des capitaux au sein du marché intérieur, par la consolidation des infrastructures de marché et l’intégration de l’architecture de supervision ;

-         la pleine implication du secteur bancaire, en développant la titrisation.

Les travaux des rapporteurs ont visé à apprécier l’opportunité des différentes propositions de la Commission au regard des défis auxquels les marchés financiers européens sont confrontés, tout en évaluant ce qu’impliquerait leur déclinaison au niveau national.

I.   Mieux orienter l’épargne vers l’investissement de long terme

Le premier axe de la stratégie de la Commission européenne pour l’Union de l’épargne et de l’investissement consiste à orienter l’épargne vers le financement de l’économie réelle, en favorisant la participation des investisseurs de détail aux marchés de capitaux, et en encourageant les banques et les assureurs à investir davantage en fonds propres.

A.   Le constat d’une mauvaise allocation de l’épargne européenne au détriment des épargnants

1.   L’épargne européenne est orientée vers des placements liquides et garantis mais peu rentables

L’Europe bénéficie d’une épargne abondante, qui représentait en 2024 plus de 35 500 Md€. La zone euro dispose de l’un des taux d’épargne des ménages les plus élevés du monde : il était de 15,3 % en moyenne et atteignait même 20,2 % en Allemagne et 18 % en France au quatrième trimestre 2024, contre 3,80 % aux États-Unis et 12 % au Royaume-Uni ([51]). Ces ressources financières importantes, 1085 Md€ en flux en 2024, devraient être un atout pour que l’Union européenne finance ses priorités stratégiques et approfondisse ses marchés de capitaux. Mais l’épargne ne contribue pas efficacement au financement productif de l’économie en raison d’une allocation non optimale.

L’épargne des Européens est principalement placée dans des produits liquides et garantis. En 2022, ceux-ci représentaient en moyenne 47 % des placements financiers des ménages dans l’Union européenne – 31 % en dépôts à vue et 16 % en assurance-vie - quand les actions et parts de fonds ne représentent que 33 %. Cette situation contraste fortement avec celle des États-Unis, les ménages américains plaçant plus de la moitié de leur épargne en actions et parts de fonds, et seulement 14 % en dépôts bancaires ou assurance-vie ([52]). En France, l’encours de l’assurance-vie a dépassé pour la première fois la barre des 2 000 Md€ au début de l’année 2025 ([53]).

Il en résulte une moindre capacité des banques et des compagnies d’assurance européennes à investir dans les fonds propres des entreprises, et partant à contribuer au financement de l’économie productive. Les intermédiaires financiers ne peuvent assurer la liquidité et la sécurité des produits d’épargne qu’ils gèrent qu’à la condition de privilégier à leur tour les investissements de court terme et peu risqués. Comme l’observe Christian Noyer, « les conditions de liquidité et de risque offertes à l’épargnant sont, pour l’intermédiaire financier gérant le produit d’épargne, des contraintes au passif. Ces contraintes se transmettent inévitablement à l’actif, la transformation de risque et de liquidité que peut réaliser l’intermédiaire par son rôle de mutualisation n’étant pas infinie » ([54]) . Les actions représentent moins d’un quart des placements des assureurs, qui privilégient les obligations souveraines (24,1 %) et les obligations d’entreprises (34,1 %) ([55]).

En conséquence, l’épargne européenne finance en grande partie des produits de taux, notamment des obligations souveraines. Les titres de créances peuvent être considérés comme moins risqués que les actions en raison d’une plus faible volatilité des prix, de la prévisibilité des rendements dans le cas d’obligations à taux fixe et de la moindre possibilité de perte. C’est notamment le cas des titres de dette publique bien notés, très liquides et sans risque. Les produits de taux représentaient ainsi 59 % de l’épargne financière des ménages français en 2022.

Ce biais en faveur des obligations se retrouve également dans l’allocation de l’épargne européenne exportée vers le reste du monde. Près de 20 % de l’épargne des résidents de la zone euro est investie en titres de créance étrangères. A contrario, les capitaux importés du reste du monde vers la zone euro servent majoritairement à financer les entreprises en fonds. Ce double déséquilibre se reflète dans la balance des investissements de portefeuille de la zone euro, excédentaire concernant les investissements en titres de créance (+1 242 Md€), et déficitaire en matière d’investissements en action (-3 188 Md€).

Les ménages européens s’en trouvent directement pénalisés, par une moindre rémunération de leur épargne. Ce sont les actifs risqués qui assurent historiquement les rendements les plus élevés. Sur les 123 dernières années, les actions présentent un rendement réel annualisé de 6,8 % contre 1,7 % pour les obligations et 0,5 % pour les bons du Trésor aux États-Unis et au Royaume-Uni ([56]). Mais le risque de perte en capital des actions diminuant avec leur durée de détention, elles peuvent offrir un couple rendement-risque bien plus avantageux aux épargnants sur un horizon de placement long.

Le private equity, ou capital-investissement, qui offre les rendements les plus élevés, demeure également peu démocratisé auprès des ménages. Sur le marché français, les fonds de capital-investissement ont connu des performances annuelles nettes de 14,2 % sur les dix dernières années, contre 10,4 % pour les indices CAC 40 ([57]) . Pourtant, le non coté ne représente que 0,2 % de l’épargne des ménages français, bien loin des 16 % qu’y investissent les ménages américains. Cette situation s’explique par la méconnaissance de cette classe d’actifs, qui apparaît « complexe, peu liquide et réservée à des investisseurs sophistiqués et disposant de moyens importants » selon France Invest ([58]). De fait, le niveau élevé du ticket minimum d’entrée, l’absence de liquidité inhérente aux fonds fermés et l’importance des frais associés rendent le capital-investissement difficilement accessible au grand public.

Les premiers affectés par cette mauvaise allocation sont les ménages modestes et les classes moyennes, qui demeurent exclus des placements les plus rémunérateurs, comme l’ont montré les récents travaux de Jean-Philippe Tanguy et de François Jolivet sur l’épargne populaire ([59]). La part des valeurs mobilières dans le patrimoine financier des ménages ne dépasse 15 % qu’à partir du 6e décile de revenu, pour atteindre plus de 40 % au dernier décile. L’épargne populaire se concentre ainsi sur les livrets réglementés et l’assurance-vie, qui offrent certes une garantie mais dont les performances médiocres peuvent en réalité aboutir à une perte nette en capital compte tenu de l’érosion monétaire.

2.   Une allocation desservie par le système de retraite et la forte aversion au risque qui prévaut en Europe

a.   Le système de retraite

La faible part des investissements de long terme tient en grande partie à la prédominance des systèmes de retraite par répartition dans les pays européens. Alors que les systèmes par répartition sont fondés sur la solidarité intergénérationnelle, les cotisations des actifs finançant les pensions des retraités, les systèmes par capitalisation conduisent les salariés à se constituer une épargne individuelle ou collective pour financer leur propre retraite. Grâce à un horizon de placement de trente ou quarante ans et un besoin de liquidité réduit, les fonds de pension permettent de canaliser un volume important de capitaux vers des investissements de long terme. Ils sont particulièrement adaptés au financement en actions.

La profondeur des marchés financiers américains repose sur la présence d’importants fonds de pension. Les produits d’épargne retraite représentent plus de la moitié de l’épargne financière des ménages : 38 % est investie dans des plans de retraite collectifs, et 17 % dans des plans individuels (Individual Retirement Accounts, IRA([60]) . Au total, l’épargne retraite atteignait, fin 2023, 143 % du PIB aux États-Unis, contre seulement 28 % en Europe.

Au sein de l’Union européenne, les pays qui ont développé la retraite par capitalisation sont ceux qui disposent des marchés financiers les plus profonds et les mieux tournés vers le financement de leur économie. Alors que la capitalisation boursière des marchés d’actions de l’Union européenne ne représentait que 62 % du PIB de la zone en 2022, elle atteignait 155 % en Suède, 151 % au Danemark et 135 % aux Pays-Bas. Or, ces pays se distinguent par l’introduction d’une part de capitalisation obligatoire dans leur système de retraite. En 2022, les fonds de pension représentent ainsi 97 % du PIB en Suède, 150 % aux Pays-Bas et 192 % au Danemark, contre 10 % en France ([61]).

 

Même si l’épargne retraite connaît une véritable dynamique en France depuis 2019, elle demeure très en deçà des pays d’Europe du nord. La loi Pacte de 2019, portée par le ministère de l’économie et des finances Bruno Le Maire, a considérablement clarifié et simplifié l’épargne retraite en substituant aux anciens contrats un produit unique, le plan d’épargne retraite (PER), décliné en trois catégories – le PER individuel, le PER collectif et le PER obligatoire. Elle a également favorisé l’attractivité et l’efficacité du produit en imposant une gestion pilotée par défaut, en autorisant les sorties en capital anticipées liées à un accident de la vie, et en confortant la déduction des versements du revenu imposable. L’encours de l’épargne retraite est ainsi passé de 246 Md€ fin 2019 à 293 Md€ fin 2023 ([62]) . Mais le poids de la capitalisation demeure modeste dans le système de retraite français, ne représentant que 5,1 % des contributions acquittées par les actifs au titre de la retraite, et 2,3 % des prestations versées ([63]).

b.   Une forte aversion au risque, entretenue par le cadre réglementaire et par un défaut d’information financière

Le second facteur pouvant expliquer les différences d’allocation de l’épargne entre l’Europe et les États-Unis tient à la plus grande aversion au risque, aussi bien des ménages que des autorités de régulation.

Alors que prévaut outre-Atlantique l’esprit d’entreprise, l’Europe a hérité du Moyen-Âge catholique une suspicion à l’égard de l’argent et du capitalisme qui a longtemps limité l’innovation financière. La mise en place de modèles de protection sociale très développés a ensuite favorisé une forte socialisation du risque, tendant à réduire autant que possible l’exposition individuelle. La crise de 2008 a encore accru la défiance des épargnants européens vis-à-vis de la finance, perçue comme intrinsèquement spéculative, tandis que la dégradation de la conjoncture économique incitait à une prudence accrue.

Si les placements sur les marchés financiers offrent de meilleures perspectives de rémunération, ils présentent également des risques spécifiques. L’Autorité des marchés financiers en dénombre quatre principaux ([64]) :

Comme les représentants de la Fédération nationale des syndicats d’agents généraux d’assurance (Agea) en ont fait part aux rapporteurs, les particuliers qui souscrivent un produit d’épargne se soucient souvent moins de sa rentabilité que de recouvrer l’entièreté du capital placé et de pouvoir en disposer quand ils le souhaitent, pour faire face aux différents événements de la vie.

Le choix de privilégier les placements liquides et garantis n’est cependant pas imputable directement aux épargnants, mais surtout à l’environnement fiscal et réglementaire dans lequel ils évoluent. Réfutant l’idée d’une « allergie au risque » des ménages européens, la recherche en sciences économiques montre que ce choix de portefeuille peut être rationnel compte tenu des dispositifs qui affectent le couple rendement-risque des différentes classes d’actifs. En France, la fixation de taux d’intérêt supérieurs à ceux du marché pour les produits d’épargne réglementés, assortie d’une garantie de l’État, et d’une exonération de fiscalité sur les intérêts contribue grandement à orienter l’épargne vers ce type de placements ([65]).

La prise de risque des intermédiaires financiers est elle-même contrainte par un cadre réglementaire et prudentiel, élaboré après la crise financière de 2008. Ainsi, la directive Solvabilité II qui détermine les charges de fonds propres applicables aux assureurs surévalue le risque représenté par la volatilité du cours des actions, sans prendre en compte sa diminution au cours du temps, en imposant des charges en capital comprises entre 39 % et 49 % de la valeur des actions cotées([66]).

L’aversion au risque des épargnants peut, en outre, être entretenue par le manque d’information financière et la fourniture d’un conseil financier inadéquat. Hérité de la théorie de l’utilité espérée de von Neumann-Morgenstern, le concept d’aversion au risque peut désigner un comportement rationnel de précaution de l’épargnant, en réaction aux asymétries d’information auxquelles il est confronté. Celles-ci peuvent notamment provenir de la complexité excessive des textes réglementaires, d’un défaut d’information claire, ou d’une culture financière insuffisante.

L’ensemble des acteurs auditionnés, aussi bien les professionnels que les représentants des épargnants, ont décrié une information excessivement complexe et abondante, qui alourdit le parcours client sans parvenir à véritablement éclairer les épargnants.

Le président de la Fédération des associations indépendantes de défense des épargnants pour la retraite (Faider), Guillaume Prache, a ainsi souligné les insuffisances du document d’informations clés, qui doit être remis par le professionnel avant toute souscription d’un placement collectif en vertu du règlement européen du 26 novembre 2014.  Cette réforme illustrerait, selon lui, un véritable « triomphe de la pseudo-science » sur le bon sens : malgré une densité accrue des informations, des données aussi essentielles que l’historique de performances du produit ou le coût total sont désormais absentes. À titre d’exemple, alors que l’ancien document présentait les performances passées du produit, le nouveau présente quatre scénarios possibles de performances futures, au détriment de la clarté et de la lisibilité pour les épargnants.

La révision du document d’information clés devrait permettre de le simplifier considérablement, tout en y intégrant les informations essentielles qui font pour l’instant défaut : les frais réels totaux, un historique de la performance annuelle et cumulée corrigée de l’inflation, et une mesure adéquate du risque qui prenne en compte l’horizon de placement.

Cet objectif est pleinement partagé par l’Autorité des marchés financiers qui recommande de « simplifier le parcours client afin que les informations essentielles soient claires, synthétiques et compréhensibles ».

Recommandation n° 9 des rapporteurs : Réviser en profondeur le règlement européen du 26 novembre 2014 relatif au document d’informations clés, afin d’amplifier les efforts entrepris en faveur de la simplification. Les informations véritablement utiles aux épargnants – performances passées réelles, frais totaux, niveau de risque selon l’horizon de placement – doivent être présentées de façon lisible et compréhensible. Ce document doit redevenir un véritable outil d’aide à la décision pour que chaque citoyen puisse devenir un épargnant éclairé.

Un certain défaut de culture financière peut également conduire les ménages à faire les choix d’épargne les plus conservateurs, même s’ils ne sont pas les plus avantageux pour eux. Le niveau d’éducation financière demeure faible en France, où seuls 56 % des Français possèdent les connaissances financières de base, légèrement en deçà de la moyenne de l’OCDE (58 %). Il ressort notamment de l’étude que les Français maîtrisent insuffisamment le mécanisme des taux d’intérêt et l’impact que peut avoir l’inflation sur leur épargne, alors même que ces notions jouent un rôle clé dans les décisions de placement.

À un autre extrême, l’Autorité des marchés financiers a constaté l’arrivée sur les marchés financiers de plus d’un million de nouveaux investisseurs depuis 2020, plutôt jeunes, qui détiennent pour une majorité des crypto-actifs (54 %), s’informent principalement sur les réseaux sociaux ou auprès de leur entourage, et souhaitent gagner beaucoup d’argent très rapidement grâce à leurs investissements (73 %), tout en surestimant leurs compétences financières, ce qui les expose à des risques de perte importante.

Il apparaît dès lors crucial d’améliorer l’éducation financière des citoyens, dès le plus jeune âge, pour leur permettre de mieux appréhender les opportunités et les risques des marchés financiers. La stratégie nationale d’éducation économique, budgétaire et financière (Educfi) dont s’est dotée la France en 2016 devrait monter en puissance. Celle-ci consiste en des actions d’information ou de formation gratuites, associant les acteurs institutionnels, associatifs et professionnels. L’AMF et d’autres institutions proposent en outre de nombreux contenus pédagogiques en ligne pour permettre aux investisseurs de prendre des décisions éclairées, qu’il serait pertinent de mieux relayer.

Recommandation n° 10 des rapporteurs : Développer l’éducation économique, budgétaire et financière en l’intégrant dans les programmes scolaires dès le collège et en assurant une meilleure diffusion des contenus pédagogiques produits par les différents acteurs publics et associatifs, notamment au cours du parcours client.

Le rapporteur Daniel Labaronne souligne que, dans un contexte de complexité croissante des produits financiers, l’éducation financière doit devenir un outil de protection contre les arnaques, d’inclusion, de lutte contre le surendettement, mais aussi un levier de mobilisation démocratique pour que chaque Français puisse faire des choix éclairés, peser dans les débats économiques et mieux orienter son épargne.

La frilosité à la détention d’actions peut également s’expliquer par la très faible protection des épargnants européens contre les préjudices liés aux abus de marché.

Il existe certes un système d’indemnisation, instauré par la directive européenne du 3 mars 1997, qui protège les investisseurs si l’établissement financier qui gère leur portefeuille fait défaut et se trouve dans l’incapacité de leur restituer leurs actifs. En France, c’est le Fonds de garantie des dépôts et de résolution qui intervient pour indemniser les clients, jusqu’à un plafond de 70 000 € par investisseur et par établissement défaillant. Mais elle ne permet pas de protéger les épargnants qui investissent sans passer par un intermédiaire.

Alors que les class actions en matière boursière sont très répandues aux États-Unis, permettant d’indemniser efficacement les épargnants à hauteur du préjudice subi en raison d’une violation du droit boursier américain, elles demeurent rares en Europe. Le droit européen et le droit français ne reconnaissent pour l’instant les actions collectives que dans le domaine de la consommation. Lors de son audition, le président de la Fédération des associations indépendantes de défense des épargnants pour la retraite (FAIDER), Guillaume Prache, a ainsi évoqué plusieurs scandales financiers qui se sont traduits par des pertes importantes pour les épargnants sans donner lieu à aucune indemnisation, à l’instar de l’affaire Wirecard en 2020, ou de la mauvaise communication de Natixis sur ses perspectives économiques en 2007.

Il pourrait dès lors être intéressant d’étudier la mise en place d’une action collective en matière boursière qui permettrait aux particuliers actionnaires d’obtenir réparation. Pour que l’action collective soit pleinement efficace, il serait envisageable de prévoir des dommages et intérêts punitifs, comme aux États-Unis, là où l’indemnisation ne couvre que le préjudice dans le modèle français. Une telle action de groupe devrait néanmoins être soigneusement encadrée pour ne pas peser trop lourdement sur la compétitivité des sociétés, qui se verraient exposées à un risque accru de procédures contentieuses ([67]) .

Recommandation n° 11 des rapporteurs : Engager une réflexion sur la création d’un mécanisme d’action représentative en matière boursière, afin de renforcer la protection des épargnants et de rétablir une forme de justice financière face aux manquements graves des émetteurs.

Dans un contexte où la confiance des ménages dans les placements en actions reste fragile, notamment en raison de l’insuffisante protection offerte face aux abus de marché, il apparaît nécessaire d’ouvrir le chantier d’un droit de la réparation adapté aux enjeux financiers contemporains.

B.   Le nécessaire developpement de produits d’Épargne plus performants pour contribuer au financement de l’economie productive

Trois principaux leviers sont envisagés par les institutions européennes pour orienter l’épargne vers le financement de l’économie réelle : le développement de l’épargne retraite supplémentaire ; l’orientation des placements des investisseurs institutionnels vers les fonds propres des entreprises ; la mise en place de labels.

1.   Développer la retraite supplémentaire

Selon la Commission européenne, le développement des dispositifs de retraite supplémentaire permettrait non seulement d’approfondir les marchés de capitaux européens, mais également de répondre au défi démographique auxquels tous les États membres sont confrontés. Le vieillissement de la population met en péril la pérennité de leur système de retraite par répartition, alors que les actifs doivent assurer le paiement de la pension d’un nombre croissant de retraités. En France, le Conseil d’orientation des retraites annonce un creusement du déficit du système des retraites, qui devrait représenter 6,6 Md€ en 2030 contre 1,7 Md€ en 2024, ainsi qu’une baisse du taux de remplacement. La mise en place de plans d’épargne retraite collectifs ou individuels pourrait utilement compléter un socle par répartition pour garantir aux Européens des revenus stables au moment de leur retraite.

En outre, les performances des systèmes de retraite par capitalisation se sont révélées meilleures que celles des systèmes par répartition, compte tenu d’un taux de rendement du capital supérieur au taux de croissance sur longue période comme l’a montré Thomas Piketty. Le taux de rendement réel annualisé des fonds de pension dans les pays d’Europe du Nord (Suède, Danemark, Pays-Bas) est ainsi supérieur à 3 % sur 20 ans ([68]), tandis que la rentabilité du système de retraite par répartition français serait inférieure à 1 % pour les générations nées après 1965 ([69]) . Si la capitalisation suscite toujours des appréhensions liées au risque de perte en capital en cas de crise financière, la diversification des portefeuilles et l’encadrement prudentiel des intermédiaires permettent en pratique de limiter les risques.

Du fait de ce double bénéfice pour le financement de long terme de l’économie et la préservation du niveau des pensions, la Commission a annoncé qu’elle soutiendrait le développement des plans de retraite supplémentaires en favorisant le partage des bonnes pratiques. La diversité des systèmes de retraite nationaux, hérités d’une histoire ancienne et de négociations entre partenaires sociaux, justifie une telle approche, respectueuse de la compétence des États membres en matière de protection sociale.

En France, l’introduction d’une dose de capitalisation a fait l’objet de plusieurs propositions dans le débat public face aux graves difficultés que connaît le système de retraite. Les meilleurs rendements offerts par les fonds de pension permettraient soit une baisse des cotisations, soit une augmentation des pensions, de l’ordre de 20 %, avec des effets bénéfiques sur l’investissement et la croissance ([70]) . Il est notamment suggéré que la France s’inspire de la réforme du système de retraite suédois réalisée au début des années 2000.

Une telle transition paraît cependant difficile à mettre en œuvre à moyen terme. Pendant la période transitoire, qui devrait durer 80 ans ([71]), les actifs devraient en effet s’acquitter d’une « double contribution », en participant au paiement des pensions tout en capitalisant pour leur propre retraite. Eric Weil a ainsi évalué que l’introduction d’une part de capitalisation de 10 à 15 % des dépenses de retraite entraînerait un coût additionnel de 20 Md€ par an. Il est difficilement envisageable de faire supporter ces dépenses aux salariés et aux employeurs sans menacer la compétitivité française compte tenu d’un coût du travail déjà particulièrement élevé. L’État ne dispose pas non plus des marges de manœuvre budgétaires suffisantes pour prendre en charge la transition via un endettement accru ou une augmentation des prélèvements obligatoires, alors qu’il s’est engagé dans une trajectoire difficile de réduction du déficit public.

Recommandation n° 12 de Mme Sylvie Josserand : instaurer une réflexion sur l’opportunité d’introduire une dose de capitalisation dans le système de retraite, qui serait proposée mais non obligatoire.

Selon le rapporteur Daniel Labaronne, la voie la plus réaliste à court terme consiste dès lors à soutenir le développement des dispositifs d’épargne retraite existants par des modifications ciblées du cadre juridique, en s’inspirant des expériences qui ont le mieux réussi dans les autres pays européens.

Une première option, proposée notamment par l’Association française de la gestion d’actifs, serait de généraliser l’affiliation par défaut des salariés au PER collectif, alors que la souscription relève pour l’instant d’un acte volontaire. Selon les enseignements de l’économie comportementale, un tel mécanisme vise à orienter le choix de l’épargnant dans son intérêt sans le contraindre, puisqu’il conserve la possibilité de se retirer s’il en exprime la volonté. Ce type de mesure a obtenu des résultats positifs dans les pays où il a été mis en place : après son instauration en 2012 au Royaume-Uni, le taux de participation à un plan d’épargne retraite par capitalisation est passé de 47 % à 88 % en 2023, selon la Direction générale du Trésor. L’Irlande envisage de mettre en œuvre le dispositif à partir du 1er janvier 2026.

Pour favoriser l’augmentation de l’encours de l’épargne retraite et étendre le champ des salariés couverts, certains auditionnés ont également suggéré d’orienter vers le PER collectif une partie des sommes versées par l’employeur au titre des dispositifs d’épargne salariale.

Recommandation n°13 de M. Daniel Labaronne : Favoriser l’essor de l’épargne retraite en France grâce à deux leviers :

- L’instauration d’une affiliation par défaut des salariés au plan d’épargne retraite (PER) collectif d’entreprise, tout en maintenant une faculté de retrait, afin d’en généraliser l’usage, notamment auprès des jeunes générations.

- La réorientation progressive des flux d’épargne salariale vers le PER collectif, en fléchant une part des sommes versées par l’employeur au titre de l’intéressement, de la participation ou de l’abondement.

Le rapporteur Daniel Labaronne considère qu’une mobilisation plus systématique des dispositifs d’épargne salariale en faveur du PER collectif apparaît opportune, dans la continuité des efforts visant à renforcer le rôle de l’épargne retraite dans le financement de long terme et la sécurisation des revenus futurs. Cette évolution permettrait d’élargir la base des salariés couverts par un dispositif de retraite supplémentaire tout en augmentant les encours disponibles à l’investissement productif. L’affiliation par défaut permet, pour sa part, d’inciter l’épargnant tout en lui laissant la liberté de choix. Ces deux mesures contribueraient, ensemble, à structurer une épargne retraite plus robuste, mieux répartie entre les catégories socioprofessionnelles et pleinement alignée avec les objectifs de souveraineté économique et de cohésion sociale.

La rapporteure Sylvie Josserand souhaite, pour sa part, que l’adhésion à un plan d’épargne retraite supplémentaire continue à se faire sur une base entièrement volontaire. L’affiliation par défaut vise, selon l’économiste spécialiste de l’épargne Luc Arrondel, à conduire « l’épargnant, à l’insu de son plein gré, par de doux subterfuges, à prendre la bonne décision », et revient donc à récuser sa pleine liberté de choix. Il est d’autant plus important que l’adhésion reste choisie pour les bas salaires, qui n’offrent que peu de possibilités d’épargne par capitalisation.

Si le fort dynamisme du PER rend peu utile la distribution d’un produit européen d’épargne retraite individuel en France, cela ne préjuge pas de sa pertinence dans d’autres États membres. Lors de son audition, l’Association européenne des fonds et de la gestion d’actifs (EFAMA) a souligné qu’un tel produit pourrait combler un manque dans certains pays qui ne disposent pas de dispositif de retraite supplémentaire. Compte tenu de l’urgence du besoin, le plus simple serait de réformer le PEPP en levant les freins à son développement. À cet égard, l’ensemble des acteurs auditionnés s’accorde sur la nécessité de revenir sur le plafonnement des frais. Il pourrait aussi être opportun de supprimer la portabilité du produit, source de complexité. La Commission devra présenter une proposition de révision en ce sens avant le quatrième trimestre 2025.

Recommandation n° 14 de M. Daniel Labaronne : Réviser le règlement du 20 juin 2019 sur le produit paneuropéen d’épargne-retraite individuelle, en supprimant notamment le plafonnement des frais, pour favoriser sa diffusion dans les États membres qui ne disposent pas encore de produit d’épargne retraite.

Enfin, le développement d’instruments d’information sur les pensions est essentiel pour que les citoyens puissent planifier leurs futurs revenus, s’approprier les différents dispositifs de retraite et réaliser des choix éclairés. La Commission européenne publiera avant la fin de l’année 2025 des recommandations sur les tableaux de bord et les systèmes de suivi des retraites.  Si en France, le GIP Union retraite a mis en place le site internet « info retraite » permettant aux assurés de retracer l’ensemble de leur carrière et de connaître le montant approximatif de leur future retraite pour les régimes de base et complémentaire, l’épargne retraite supplémentaire pourrait y être encore mieux identifiée et valorisée.

 

Recommandation n° 15 des rapporteurs : Poursuivre le développement de la plateforme numérique de suivi des pensions mise en œuvre par le GIP Union retraite, en coopération avec les autres pays européens, afin de permettre aux épargnants de bénéficier d’une vue globale sur les différents piliers de retraite et leur niveau de pension.

2.   Permettre aux investisseurs institutionnels d’être moteurs dans le financement en fonds propres des entreprises

L’orientation de l’épargne vers le financement de l’économie réelle devrait également passer par un renforcement du rôle des intermédiaires financiers, qui sont les mieux placés pour prendre des risques grâce aux mécanismes de mutualisation et de diversification qu’ils mettent en œuvre.

a.   Alléger le cadre prudentiel de façon ciblée pour favoriser les investissements de long terme

Il convient, en premier lieu, de permettre aux investisseurs institutionnels (banques, assurances et fonds de pension) d’investir davantage en fonds propres, en allégeant les exigences prudentielles applicables.

La révision de la directive européenne Solvabilité II, adoptée le 24 novembre 2024, devrait permettre de favoriser l’investissement en fonds propres des assureurs. Elle prévoit en particulier l’élargissement du dispositif « investissements en actions à long terme » (long term equity investment –LTEI) qui offre aux assureurs la possibilité de bénéficier de charges en capital plus faibles pour les actions qu’ils détiennent pendant plus de cinq ans. Ce traitement prudentiel plus favorable reconnaît pleinement l’horizon de long terme propre aux assureurs et prend en compte la diminution du risque associé aux actions avec la durée de conservation. Pour en bénéficier, l’assureur sera tenu à démontrer sa capacité à conserver les actions pendant cinq ans, en évitant toute vente forcée, même en période de stress.

Cependant, la Commission doit encore préciser les critères d’éligibilité au dispositif LTEI dans l’acte délégué Solvabilité II. Il faudra veiller à ce que ceux-ci soient définis de sorte à permettre effectivement aux assureurs de s’emparer du dispositif.

Recommandation  16 des rapporteurs : Mener à bien la révision de l’acte délégué Solvabilité II pour mettre en œuvre le cadre prudentiel allégé applicable aux investissements en actions à long terme des assureurs tel que le prévoit la directive révisée.

La rapporteure Sylvie Josserand souligne les propos tenus par Arnaud Montebourg devant la commission d’enquête sur les freins à la réindustrialisation de la France. Dans son audition à l’Assemblée nationale en mai 2025, l’ancien ministre du redressement productif relève que l’Union européenne ne respecte pas le principe de subsidiarité et prend des décisions qui n’entrent pas dans ses compétences. Il préconise la sortie des règles dites de Bâle III et de Solvabilité II qui figurent dans le droit européen en vertu de l’action ultra vires de l’Union européenne. Il affirme ainsi : « Je préférerais que nos banques soient au service de l’économie, qu’elles prennent plus de risques et assument plus de sinistralité, quitte à avoir moins de profits à distribuer à leurs actionnaires ; au moins, l’économie serait financée. »

b.   Développer les outils de gestion qui orientent l’épargne vers le financement de long terme tout en protégeant les épargnants

Le renforcement du rôle des intermédiaires financiers pourrait également passer par le développement de la gestion pilotée, ou gestion par profil, qui favorise une prise de risque équilibrée de la part des épargnants. Elle permet aux professionnels d’adapter l’allocation de l’épargne de leur client en fonction de son appétence au risque et de l’horizon de placement. En favorisant les placements en actions lorsque le départ à la retraite est lointain puis en supports dont le rendement est garanti (fonds euros ou obligations) à mesure que se rapproche l’échéance de la retraite, cette gestion doit permettre d’optimiser la rentabilité du placement sur le long terme tout en sécurisant le capital.

 Ce type de gestion permet d’encourager les placements en actions et d’assurer des rendements plus élevés à l’épargnant. La Cour des comptes observe ainsi une plus grande pondération en actions dans le cas de la gestion pilotée (29 %) que dans le cas de la gestion libre (25 %) pour les PER collectifs en 2022. C’est particulièrement marqué pour les détenteurs de moins de 40 ans, dont les portefeuilles en gestion pilotée sont investis à 56 % en actions, contre 28 % en gestion libre ([72]) .

Compte tenu de ces avantages, la loi Pacte de 2019 a entrepris d’en étendre l’utilisation en imposant l’application par défaut d’une gestion pilotée pour les plans d’épargne retraite. La part de la gestion pilotée a connu une progression rapide : elle est passée de 31 % des encours de l’épargne retraite en 2017 à 39 % en 2024, et 50 % des encours pour les porteurs de moins de 30 ans. ([73])

Recommandation n° 17 des rapporteurs : Encourager la généralisation de la gestion pilotée par horizon, qui accompagne les épargnants dans la durée en fonction de leur profil de risque et de leur horizon de placement, tout en favorisant le financement de l’économie réelle.

Le rapporteur Daniel Labaronne invite à accélérer le déploiement de la gestion pilotée en prévoyant son application par défaut à l’ensemble des nouveaux contrats d’assurance-vie en unités de compte, sauf volonté contraire exprimée par l’assuré.

La gestion pilotée peut, en outre, contribuer à diriger l’épargne vers les entreprises innovantes ou les PME, par l’adoption de seuils appropriés. La loi Industrie verte du 23 octobre 2023 a ainsi obligé les professionnels à allouer une part minimale de l’encours des PER et de l’assurance-vie en gestion pilotée à l’investissement dans des actifs non cotés. Cette part minimale est comprise entre 2 % et 15 %, en fonction du profil de l’épargnant. Selon France Invest, cette loi a représenté une avancée majeure pour le capital-investissement, en lui apportant une plus grande visibilité auprès du grand public.

La rapporteure Sylvie Josserand souhaite aller plus loin, pour assurer la contribution des investisseurs institutionnels au financement des PME, ETI et start-ups industrielles françaises. La France ne compte que 5 000 ETI, contre 8 000 en Italie et 12 000 en Allemagne, alors même qu’elles sont essentielles à l’économie, en raison de leur rôle à l’exportation. La rapporteure accueille avec intérêt la proposition d’Arnaud Montebourg de conditionner l’avantage fiscal dont bénéficient les produits d’assurance vie à l’obligation d’investir entre 2 à 5 % dans des fonds privés finançant des entreprises non cotées en bourse. Une telle mesure de fléchage de l’épargne vers l’économie réelle assurerait le « patriotisme économique » indispensable dans un contexte de guerre économique mondiale.

Recommandation n° 18 de Mme Sylvie Josserand : conditionner les avantages fiscaux attachés aux contrats d’assurance vie à une obligation minimale de 5 % d’investissements dans des fonds destinés à financer les entreprises non cotées.

La gestion passive, qui consiste à répliquer la performance d’un indice de marché, en investissant souvent dans des fonds indiciels (ETF), semble également intéressante en ce qu’elle permet d’obtenir de bons rendements tout en limitant le niveau de frais. La rapporteure Sylvie Josserand soutient ainsi la proposition formulée par les députés Tanguy et Jolivet, dans leur rapport d’information, d’un produit d’épargne géré par la Caisse des dépôts et consignations et rémunéré à un taux assis sur une prise de risque selon l’âge du détenteur. L’implication de la Caisse des dépôts paraît en effet à même de garantir la confiance des épargnants et d’orienter les placements vers les financements de l’économie française et européenne.

Recommandation n° 19 de Mme Sylvie Josserand : proposer un produit d’épargne géré par la Caisse des dépôts et des consignations et rémunéré à un taux assis sur une « prise de risque » selon l’âge du détenteur.

Au-delà du risque relatif au financement de la dette publique (cf Première partie, II. B. 2.), les rapporteurs se sont inquiétés, lors des auditions, de l’existence d’une possible éviction sur les organismes qui bénéficient actuellement des financements de l’épargne réglementée. L’épargne placée sur le livret A est gérée à hauteur de 60 % par la Caisse des dépôts, qui l’investit dans des projets d’intérêt général, notamment en accordant des prêts à long terme aux bailleurs sociaux et aux collectivités locales.

Selon la Caisse des dépôts et consignations, le financement du logement social ne devrait pas être affecté. La Caisse des dépôts a fait état, au cours de son audition, d’une collecte particulièrement importante en 2024 qui a permis d’atteindre un niveau record de 28,5 Md€ de prêts aux organismes de logement social et aux collectivités locales. L’abondance de l’épargne sur les livrets réglementés rend donc possible de financer d’autres types d’investissement sans risque d’éviction.

3.   Améliorer l’attractivité des produits d’épargne de long terme qui financent l’investissement en Europe par la création d’un label européen

L’échec du produit paneuropéen d’épargne retraite individuelle (PEPP) a démontré combien il était difficile de développer un produit d’épargne européen standardisé dans des États membres qui conservent des législations et des fiscalités différentes, et disposent de systèmes d’épargne spécifiques, alignés avec leur modèle de protection sociale. Le paysage des produits financiers est déjà suffisamment dense et complexe sans qu’il soit nécessaire d’y ajouter un nouveau produit.

Dans un souci de pragmatisme, le comité présidé par Christian Noyer a recommandé de créer un label européen assis sur un cahier des charges commun afin de valoriser les produits d’épargne nationaux qui contribuent à l’investissement de long terme en Europe et sont déjà bien identifiés par la population. En contrepartie d’un fléchage des investissements en Europe, les États s’engageraient à lui appliquer le régime fiscal national le plus favorable.

Les différents auditionnés ont en effet souligné le rôle clé que pourrait jouer une labellisation européenne pour renforcer la confiance des épargnants et la visibilité des produits, ainsi que la nécessité d’une fiscalité incitative pour motiver la prise de risque et l’engagement à long terme des épargnants.

Cette initiative aurait l’intérêt de pouvoir être mise en place dans un cadre intergouvernemental par un groupe d’États volontaires, en assurant une appropriation rapide et en évitant les lourdeurs d’un processus législatif européen. Portée par la France dès le printemps 2024, la labellisation a finalement prospéré au sein du Laboratoire européen de la compétitivité, qui regroupe les États membres désireux d’avancer concrètement pour libérer le potentiel du marché unique.

La France, l’Allemagne, l’Espagne, les Pays-Bas, le Portugal, le Luxembourg et l’Estonie ont ainsi annoncé, le 5 juin 2025, le lancement du label « Finance Europe ». Il pourrait être attribué aux produits d’épargne existants ou nouvellement créés qui correspondent aux critères suivants :

 


Le label devrait être décliné dans les différents États membres à compter du second semestre 2025, selon la Direction générale du Trésor. Sa distribution aux épargnants reposera sur les banques, les compagnies d’assurance et les sociétés de gestion. Les autorités nationales compétentes seront chargées de contrôler la conformité des produits labellisés au référentiel commun afin d’en garantir la crédibilité.

Bien que cette initiative ne concerne pour l’instant qu’un nombre limité d’États membres, elle est susceptible, selon la Direction générale du Trésor, de créer un effet d’entraînement, a fortiori si elle permet le développement de produits harmonisés au niveau européen. D’autres pays ont d’ores et déjà manifesté leur intention de rejoindre l’initiative à une date ultérieure.

La capacité du label à orienter effectivement l’épargne vers l’économie réelle dépendra de ses modalités concrètes qui restent à préciser.

Les produits labellisés ne pourront être largement diffusés qu’à la condition de répondre aux attentes des épargnants français et européens, notamment à leur comportement de précaution. Plusieurs mécanismes pourraient être envisagés pour rassurer les épargnants tout en préservant l’orientation du produit vers le financement de l’économie productive. La gestion pilotée par défaut semble particulièrement pertinente pour favoriser les placements en action et permettre la désensibilisation progressive au risque. Christian Noyer propose en outre de prévoir une garantie qui ne s’appliquerait qu’à l’échéance du produit, par exemple à la retraite, pour sécuriser le capital et les intérêts accumulés.

L’horizon de placement de cinq ans retenu par le label apparaît un peu court au regard de son objectif de long terme. Selon un acteur auditionné, il résulterait d’un compromis entre les différents pays. Il reste cependant possible d’imposer une duration plus longue dans sa déclinaison française, à condition de prévoir des possibilités de déblocage anticipé du capital correspondant aux principaux événements de la vie.

Le seuil de 70 % minimum d’investissements en Europe garantira une bonne diversification des risques mais n’aura qu’un faible effet sur l’allocation de l’épargne. Les produits d’épargne français sont déjà nombreux à atteindre un tel seuil. Les placements des assureurs français dans les actifs d’entreprises sont à 79 % réalisés en Europe ([74]), quand le PEA prévoit un seuil de 75 % d’investissements en Europe. Les assureurs européens réalisent également déjà 70 % de leurs placements dans les pays européens ([75]). Le minimum de 80 %, initialement proposé par Christian Noyer, aurait permis plus clairement de réorienter une partie de l’épargne européenne investie dans le reste du monde.

Pour autant, retenir un seuil bas rend possible une application rapide du label, sans nécessiter d’évolution préalable des produits. Cela garantit en outre la diversification géographique des portefeuilles, permettant aux épargnants européens de profiter des opportunités d’investissement dans le reste du monde tout en les protégeant des chocs qui toucheraient la seule économie européenne.

Recommandation n° 20 de M. Daniel Labaronne : Accélérer la mise en œuvre du label Finance Europe en France afin d’améliorer le rendement de l’épargne des citoyens en fléchant leurs investissements vers le financement d’entreprises européennes.

Dans cette perspective, il convient d’examiner l’opportunité de fixer, dans la déclinaison française, un horizon de placement et un seuil minimal d’investissements en actifs européens supérieurs aux exigences européennes, afin de garantir un véritable fléchage de l’épargne vers le financement de l’économie productive de long terme, tout en veillant à préserver une offre suffisamment large et attractive de produits labellisés.

La rapporteure Sylvie Josserand observe que la labellisation des fonds ne garantit aucunement leur déploiement. Elle suggère d’introduire également un seuil minimum d’investissements en France pour les produits d’épargne nationaux. Non seulement un tel seuil semble plus à même de mobiliser les épargnants français, mais il constituera également un garde-fou pour préserver le financement du tissu économique national dans le cadre d’un approfondissement des marchés de capitaux européens. Si cette mesure ne va pas sans soulever des questions juridiques, notamment au regard de sa conformité à l’article 63 du TFUE, la France pourrait défendre une révision ambitieuse des textes concernés, au nom de la préservation de l’économie française.

Dans la mesure où les avantages fiscaux pèsent directement sur les budgets nationaux, il apparaît naturel à la rapporteure que les retombées économiques de ces incitations bénéficient prioritairement aux États qui en assument le coût.

Recommandation n° 21 de Mme Sylvie Josserand : Conditionner les avantages fiscaux des produits d’épargne nationaux à un seuil minimal d’investissements en France (51 %) et en Europe (80 %).

 

Le rapporteur Daniel Labaronne craint que l’introduction d’un seuil minimum d’investissements en France pour les produits d’épargne nationaux n’aille à rebours de la logique de l’Union de l’épargne et de l’investissement, qui vise justement à une allocation plus efficace et transfrontalière de l’épargne. Une telle mesure risquerait de fragmenter les marchés financiers, d’envoyer un signal de repli aux investisseurs internationaux et de conduire à une allocation sous-optimale des ressources. Plutôt que d’imposer une contrainte réglementaire rigide, il pourrait être plus pertinent de renforcer l’attractivité de l’économie française et de développer, à droit constant, des mécanismes incitatifs permettant de mieux orienter l’épargne vers les besoins de financement nationaux.

Enfin, si l’instauration d’incitations fiscales est déterminante pour assurer l’attractivité des produits, elle devra être finement calibrée de façon à n’avoir qu’un coût limité pour les finances publiques dans un contexte de consolidation budgétaire.

Plusieurs acteurs financiers et administrations auditionnées ont souligné que le PER et le PEA seraient des candidats naturels pour le label Finance Europe.

Le PER dispose en effet d’un horizon de long terme et permet une exposition au risque dans le cadre de la gestion pilotée. La Cour des comptes a évalué que le PER assurantiel dirigeait environ 70 % de ses placements vers la zone euro, France comprise. La vérification du seuil exigerait cependant de disposer de données précises sur l’allocation de chaque type de produit d’épargne retraite, en améliorant le reporting dans le cadre de la montée en puissance des organismes de retraite professionnelle supplémentaire (ORPS) qui gèrent ces produits depuis 2018 ([76]) . Le PER collectif permet en outre de multiplier les sources de versement (salarié et employeur) et de limiter les frais de gestion (pas de coût de distribution du produit). Il bénéficie d’une fiscalité incitative, permettant aux épargnants de bénéficier, au choix, d’une déductibilité des versements de leur revenu imposable, ou d’une exonération d’impôt au moment de la sortie du capital, les plus-values restant soumises au PFU.

L’application du label pourrait s’accompagner de nouvelles incitations fiscales. Des compagnies d’assurance auditionnées ont notamment évoqué une baisse du forfait social pour le PER collectif, ainsi qu’une exonération partielle d’impôt des gains à la sortie.

Le PEA remplit également les conditions. Ce produit, qui prend la forme d’un compte-titres s’il est ouvert auprès d’une banque, ou d’un contrat de capitalisation en unités de compte s’il est ouvert auprès d’une compagnie d’assurance, permet aux particuliers d’investir dans un portefeuille d’actions européennes. Il ne peut être investi que dans des actions émises par des entreprises qui ont leur siège dans l’Union européenne ou dans un État de l’Espace économique européen (EEE), ou dans des parts de placements collectifs investit au moins à 75 % en titres de sociétés européennes. Au bout de 5 ans de détention, les dividendes et les plus-values sont exonérées d’impôt sur le revenu, mais non de prélèvements sociaux, ce qui favorise un horizon de placement à long terme. Le plafond du PEA classique, fixé à 150 000 €, n’a cependant pas été relevé depuis 2014, en dépit de l’inflation, ce qui limite sa capacité à orienter l’épargne vers l’investissement en actions.

Selon la directrice générale d’Euronext Paris, l’attractivité du PEA pour les épargnants pourrait être encore renforcée, en s’inspirant notamment de l’ISK suédois, qui bénéficie d’un traitement fiscal très incitatif et d’un cadre simple et flexible. Cette enveloppe fiscale permet aux particuliers d’investir dans une grande variété d’actifs financiers, sans aucun plafond, et sans être imposé sur les plus-values ni sur les dividendes mais seulement de façon forfaitaire sur la valeur du compte.

Recommandation n° 22 de M. Daniel Labaronne : Appliquer le label Finance Europe au PER et au PEA, en l’accompagnant éventuellement de nouvelles incitations fiscales.

 

Recommandation n° 23 des rapporteurs : Relever le plafond des versements sur le PEA pour tenir compte de l’inflation et conforter son rôle dans le financement de long terme de l’économie productive.

 

II.   Donner aux entreprises européennes un meilleur accÈs aux fonds propres

L’un des objectifs de l’Union des marchés de capitaux tend à favoriser le financement en fonds propres des entreprises européennes, qui demeurent très dépendantes de l’emprunt bancaire.

Pour essentielles qu’elles soient dans le financement du tissu économique européen, les banques ne paraissent en effet pas être les mieux placées pour accompagner l’innovation. Les liens particuliers et de long terme qu’elles entretiennent avec leurs clients les conduisent à privilégier les relations de crédit existantes au détriment du financement de nouveaux projets innovants, quand la rigueur du cadre prudentiel limite encore davantage leur capacité de prise de risque. Au contraire, les marchés financiers permettent une réallocation plus rapide des capitaux en fonction des nouvelles opportunités d’investissement et sont ainsi plus favorables à l’émergence de jeunes entreprises innovantes à forte croissance.

Malgré ses atouts pour la croissance, le financement en fonds propres demeure cependant peu accessible, qu’il s’agisse de lever des fonds sur les marchés boursiers ou auprès des fonds de capital-investissement.

A.   Des difficultÉs persistantes de financement en fonds propres qui conduisent certaines entreprises innovantes À quitter l’Europe

1.   Des introductions en bourse encore peu attractives

Si le phénomène d’attrition de la cote est mondial, il est particulièrement marqué en Europe, où le nombre d’entreprises cotées était déjà très réduit. D’après la Direction générale du Trésor, la place financière de Paris n’a connu en 2024 que 7 nouvelles cotations sur Euronext et Euronext Growth, et 13 en incluant Euronext Access([77]), pour 50 sorties de la cote, soit un flux net négatif de 37. Cela prolonge la baisse tendancielle engagée en 2022, le nombre d’entreprises cotées à Paris étant passé de 839 en 2021 à 761 en 2024. Il en résulte une aggravation du décrochage des marchés boursiers européens par rapport aux États-Unis, alors que plus de 6 300 entreprises étaient cotées en 2023 sur le New York Stock Exchange (NYSE) et le NASDAQ contre 3 670 sur les trois principales places financières européennes que sont Euronext, London Stock Exchange et Deutsche Börse ([78]) .

Cette situation peut s’expliquer par certaines tendances globales, notamment le fort dynamisme que connaît depuis quinze ans le capital-investissement, offrant des niveaux de valorisation supérieurs à la bourse. Les entreprises restent ainsi de plus en plus longtemps sur le segment du non coté.

Mais elle tient également à des facteurs proprement européens, selon l’Autorité des marchés financiers. Les entreprises qui se font coter en Europe ne bénéficient pas d’une base d’investisseurs aussi large qu’aux États-Unis, en raison du rôle limité des fonds de pension et des contraintes qui limitent l’exposition des investisseurs institutionnels aux actifs côtés, notamment sur les marchés de croissance. La fragmentation des marchés financiers limite également la taille du bassin de cotation et donc la liquidité des titres, ce qui réduit la valorisation des entreprises. En outre, les exigences de transparence associées à la cotation sont particulièrement lourdes en Europe, et se sont encore accrues avec l’adoption de la directive CSRD qui étend le reporting en matière de durabilité aux PME cotées.

Les PME et les ETI sont confrontées à des difficultés spécifiques. L’introduction en bourse exige un processus coûteux d’adaptation aux règles liées à la cotation et induit un risque réputationnel accru pour l’entreprise lorsqu’elle devient publique. Les fondateurs de PME ou d’ETI peuvent également craindre de perdre leur influence sur la définition de la stratégie de l’entreprise s’ils ouvrent son capital à des tiers.

Même pour celles qui parviennent à être cotées, l’introduction en bourse se révèle souvent décevante en raison d’une « faiblesse de la liquidité sur les marchés de croissance, particulièrement marquée en Europe », selon la Direction générale du Trésor. Ce manque de liquidité a été renforcé par le développement de la gestion passive, les ETF répliquant les indices de référence concentrés sur les plus grosses capitalisations. La valorisation des jeunes entreprises innovantes a également pâti d’un déclin de l’analyse et de la recherche financière ciblée sur les PME et les ETI, qui a fortement limité leur visibilité auprès des investisseurs. En cause, l’obligation faire aux prestataires de services financiers de séparer la facturation des frais de recherche et des frais d’exécution par la directive MiFID II.

Les problèmes rencontrés par les start-ups européennes qui veulent se coter ont été mis en exergue par Enrico Letta : « Premièrement, elles se rendent compte qu’aucune bourse nationale dans l’Union européenne n’est suffisamment grande pour leur permettre de lever rapidement les capitaux dont elles ont besoin aussi rapidement et à un coût aussi compétitif qu’aux États-Unis, où les réservoirs de capitaux de long terme sont bien plus importants, et où le NYSE concurrence le Nasdaq en offrant des frais de cotation attractifs. Deuxièmement, elles constatent que les valorisations de marché – c’est-à-dire le montant que les investisseurs acceptent de payer au-dessus du prix plancher fixé pour acquérir de nouvelles actions – sont bien plus faibles dans l’Union européenne qu’aux États-Unis, jusqu’à 40 % plus basses. » ([79])  

Les faibles perspectives de valorisation sur les places européennes conduisent les entreprises à renoncer à s’introduire en bourse, ou à préférer une cotation à l’étranger. Depuis 2018, cinquante entreprises créées en Europe ont choisi de déposer leur demande d’introduction en bourse aux États-Unis, un phénomène préoccupant souligné par les organisations représentant les start-ups technologiques, qui y voient le symptôme d’un déficit d’attractivité des marchés européens pour les entreprises innovantes([80]). L’Europe a ainsi manqué 439 Md€ de capitalisations boursières depuis 2015([81]). Il en résulte une perte directe pour la croissance européenne, les entreprises cotées aux États-Unis finissant par y transplanter leur siège par simplicité juridique et administrative.

Selon la Direction générale du Trésor, l’adoption du Listing Act, composé d’un règlement et de deux directives ([82]), le 23 octobre 2024, a permis de répondre à certaines des difficultés identifiées, dans l’objectif de favoriser l’accès des entreprises aux marchés boursiers.

Le Listing Act a modifié les directives Prospectus et Abus de marché afin d’alléger les exigences liées à la cotation pour l’ensemble des sociétés, y compris les PME. Parmi les principales mesures, il faut citer l’extension du champ de l’exemption à l’obligation de produire un prospectus pour les émissions secondaires, la simplification des prospectus, ou l’allègement du reporting sur les rachats d’actions. Le Listing Act introduit également des modifications spécifiquement destinées aux PME : celles-ci pourront recourir à deux formats de prospectus allégés, baptisés « EU Growth Issuance Prospectus » et elles seront les premières à bénéficier du relèvement du seuil de dispense de dépôt d’un prospectus pour les offres au public à 12 M€ sur douze mois, contre 8 M€ précédemment. La Commission a estimé que les PME cotées réaliseraient des économies de 67 M€ par an grâce à la simplification des règles du prospectus et de 100 M€ du fait de l’allégement des coûts de conformité liés à la cotation.

Le Listing Act établit également un régime harmonisé des classes d’actions à droits de vote multiples sur les marchés de croissance, déjà mises en œuvre par plusieurs pays européens comme les Pays-Bas, l’Italie ou la Suède. Ce type d’actions permet aux fondateurs d’une PME ou d’une ETI de conserver un rôle décisif dans la gouvernance de l’entreprise après son introduction en bourse, en évitant la dilution du poids des actionnaires historiques avec l’ouverture du capital. Il devrait en résulter une augmentation de 20 % des introductions en bourse de PME dans l’Union européenne, selon la Commission ([83]).

L’Autorité des marchés financiers a néanmoins regretté que l’harmonisation se fasse a minima, laissant aux États membres une grande liberté dans la caractérisation des classes d’action à droits de vote multiple et dans la protection des investisseurs minoritaires, au risque de donner lieu à une « course à la compétitivité entre places européennes ». Pour rester attractive auprès des PME, la France a anticipé la transposition de la directive en adoptant, en juin 2024, une proposition de loi du député Alexandre Holroyd qui autorise le recours aux actions à droits de vote multiples avec un cadre plus souple que le minimum européen.

Le Listing Act revient sur la stricte séparation de la recherche financière et de l’exécution d’ordres afin de revitaliser le marché de la recherche en investissements et permettre une meilleure couverture des petites capitalisations, notamment des PME et des ETI. Les prestataires de services d’investissement pourront de nouveau facturer conjointement la recherche et l’exécution à compter du 6 juin 2026, à condition de respecter une certaine transparence.

Le Listing Act introduit en outre un cadre harmonisé pour renforcer la recherche sponsorisée, c’est-à-dire la recherche financée en tout ou partie par l’entreprise émettrice, qui s’est développée en réponse au déclin de la recherche traditionnelle sur les petites et moyennes capitalisations – elle concernerait désormais un tiers des acteurs de la place financière de Paris. Ce cadre reposera sur un code de conduite européen à même de garantir l’objectivité et la transparence de la recherche, inspiré de la Charte de bonnes pratiques signée en 2022 par l’Association française de la gestion d’actifs (AFG), l’Association française des marchés financiers (Amafi) et la Société française des analystes financiers (SFAF), qui a, selon l’Autorité des marchés financiers, « contribué à maintenir sur pied des bureaux de recherche indépendants et à assurer une couverture minimale des PME cotées en France » ([84]) .

Si les mesures prévues par le Listing Act ne seront toutes entrées en vigueur que fin 2026, le rapporteur Daniel Labaronne souligne la nécessité d’éviter toute sur-transposition des textes d’application en retenant les options les plus favorables aux entreprises afin d’atteindre l’objectif de simplification poursuivi.

Recommandation n° 24 de M. Daniel Labaronne : Adopter les textes de transposition et d’application nécessaires à la mise en œuvre du Listing Act, en veillant à retenir les options les plus favorables aux entreprises quand une latitude est laissée aux États membres.

2.   Un marché du capital-investissement sous-dimensionné pour répondre aux besoins des entreprises innovantes

Le rôle du capital-investissement dans l’économie

Le capital-investissement regroupe l’ensemble des opérations qui consistent à prendre des participations au capital de sociétés non cotées en bourse. Il se décline en plusieurs segments d’activité, selon le stade de développement des entreprises accompagnées :

• Le capital-risque finance les start-ups et PME à fort potentiel, souvent dans des secteurs technologiques ou innovants, au stade de la mise au point d’un produit ou dans sa toute première phase de développement.

• Le capital-développement intervient au stade de l’expansion de l’entreprise, lorsqu’elle a trouvé un marché pour son produit et cherche à changer d’échelle.

• Le capital-transmission permet le rachat, total ou partiel, des titres de la société, sans accroissement de son capital.

Les sociétés de capital-investissement investissent sur un horizon de moyen-long terme, entre 5 et 7 ans, le temps de faire grandir l’entreprise. Elles apportent à celles-ci non seulement du capital, mais également un accompagnement stratégique et opérationnel (une expertise financière, un réseau de contacts, des conseils de gestion...).

Si le capital-investissement a longtemps été réservé à des investisseurs professionnels, capables d’investir des montants importants, sans liquidité, elle se démocratise progressivement auprès du grand public.

Le marché du capital-investissement européen a connu une très forte progression au cours des dernières années, sur tous ses segments – capital-risque, capital-développement, capital-transmission. Les investissements sont passés de 44 Md€ en 2010 à 126 Md€ en 2024, après un pic à 149 Md€ en 2021. Ils ont permis de financer 8 353 entreprises européennes, dont 45 % de start-up et 15 % de scale-up. Le marché est particulièrement dynamique dans le numérique (32 % des montants investis) et les biotechnologies et la santé (14,3 %) ([85]).


Évolution des montants levés chaque année
par les fonds de capital-investissement en Europe

 

Source : Invest Europe

 

Le marché français a été moteur de ce développement. Les investissements des fonds de capital-investissement français sont passés de 6,6 Md€ en 2010 à 26 Md€ en 2024, soit une multiplication par quatre ([86]) . En 2024, les acteurs français représentaient environ un cinquième des levées de fonds et des investissements en Europe.

Le marché européen continue cependant d’accuser un retard net par rapport aux États-Unis. Sur le segment du capital-risque en particulier, les montants investis sont six fois plus faibles en Europe qu’aux États-Unis entre 2013 et 2022 ([87]). Comme l’écrit la Direction générale du Trésor, « cela s’explique d’abord par un écart de maturité entre les deux marchés. L’industrie du capital-risque s’est structurée aux États-Unis dès les années 1960, alors qu’en Europe, notamment en France, elle n’a réellement émergé qu’il y a une quinzaine d’années. Nous sommes aujourd’hui dans une dynamique de rattrapage ».

Ce retard s’enracine dans les différences relatives à la prise de risque, dans un cadre réglementaire et prudentiel qui empêche de mobiliser pleinement les investisseurs institutionnels dans le financement du capital-investissement, et dans le manque de fonds de pension. A défaut de déposer d’une base d’investisseurs suffisante, l’Europe doit ainsi se tourner vers les capitaux étrangers : en 2024, 18,6 % des levées de fonds proviennent des États-Unis et 11,8 % de l’Australie et de l’Asie ([88]).

L’ensemble des auditionnés s’accordent à dire que la principale faiblesse de l’écosystème européen consiste en la taille limitée des fonds, insuffisante pour accompagner les entreprises dans leur expansion, comme l’a documenté Philippe Tibi dès 2019. En 2023, 52 nouveaux fonds ont dépassé le seuil de 500 M€ aux États-Unis, contre seulement 6 en Europe ([89]), et le plus grand fonds européen de capital-risque demeure inférieur au dixième plus grand fonds américain. De même, si on observe une augmentation du montant des tickets d’investissement, l’essentiel des opérations consiste en de petits investissements dans des start-ups ou des PME : en France, selon France Invest, 82 % des opérations ne représentaient que 16 % des montants investis en 2024.

Selon le directeur général adjoint de Bpifrance, Arnaud Caudoux, c’est d’autant plus problématique que les secteurs de croissance actuels exigent des investissements colossaux, qu’il s’agisse du quantique, du nucléaire, de l’espace, ou de l’intelligence artificielle. Ces nouvelles technologies à forte intensité capitalistique demandent des levées de fonds considérables pour financer leurs besoins en infrastructures, que le marché européen peine à leur apporter. La deep tech nécessite plusieurs levées de fonds successives importantes pour la recherche fondamentale, le prototypage et les essais pilotes avant la commercialisation, avec un cycle de développement plus long et peu de revenus pendant les premières phases.

Les entreprises innovantes dans ces secteurs stratégiques sont ainsi parfois contraintes de se tourner vers les fonds d’investissement étrangers. En 2024, les fonds de capital-investissement non-européens ont investi 3,1 Md€ dans des entreprises européennes, soit 18 % des montants investis ([90]).

 

Répartition géographique des investissements
en capital-investissement en 2024

Source : Invest Europe

Arnaud Montebourg observait ainsi, devant la commission d’enquête sur les freins à la réindustrialisation de la France : « Les PME ou les start-ups non familiales, vendues pour réaliser un bénéfice, sont le plus souvent rachetées par des investisseurs étrangers, qui font leur shopping dans tous les écosystèmes – French Fab, French Tech, etc. Il faudrait calculer le montant d’argent public que BPIFrance a investi, à juste titre, dans ces entreprises qu’ensuite des étrangers ont rachetées, récupérant toutes nos technologies. » ([91]).

Selon France Invest, la faible taille des fonds européens est en partie imputable à la persistance d’obstacles aux investissements transfrontaliers, empêchant les synergies au sein du marché intérieur. La directive sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs (AIFM) a certes permis d’harmoniser les règles applicables aux gestionnaires de ce type de fonds afin de leur permettre de gérer et de commercialiser des fonds dans toute l’Union européenne auprès d’investisseurs professionnels. Mais les fonds eux-mêmes demeurent régis par le droit national du pays où ils sont domiciliés et doivent être notifiés à l’autorité nationale compétente pour être commercialisés dans un autre pays européen. France Invest souligne en outre que « la mise en œuvre de ces règles européennes au niveau national peut faire l’objet de certaines disparités et ainsi créer des barrières au sein du marché unique » ([92]).

Le marché du capital-investissement demeure peu intégré. Selon Invest Europe, seulement 23 % des capitaux levés par les fonds européens proviennent d’un autre pays européen que celui dans lequel ils sont enregistrés. Parmi les principaux obstacles rencontrés, figurent : une définition trop restrictive des investisseurs professionnels, qui ne permet pas la bonne reconnaissance des investisseurs sophistiqués ; des lourdeurs réglementaires et administratives, liées notamment aux obligations de notification pour commercialiser un fonds ; le manque d’harmonisation des règles de pré-commercialisation des fonds ; l’absence de passeport pour les dépositaires de fonds, ce qui oblige les gestionnaires à désigner un dépositaire situé dans le pays où il est établi ; ou encore l’hétérogénéité du droit des faillites et de la fiscalité ([93]) .

À cet égard, les acteurs du capital-investissement considèrent que la labellisation de fonds européens a constitué une réponse bienvenue, quoique limitée. Le règlement EuVECA, entré en application en 2013, a introduit un label pour soutenir le développement des fonds de capital-risque européens qui investissent dans des PME innovantes. Les fonds EuVECA peuvent être commercialisés à travers l’Union européenne grâce à un passeport, sans nécessiter d’enregistrement multiple dans chaque État membre, ce qui réduit les charges administratives.

Pourtant, seulement 750 fonds EuVECA ont été enregistrés à ce jour dans l’Union européenne et leur taille demeure limitée. La France ne compte, pour sa part, que 5 fonds EuVECA ([94]) . France Invest a identifié plusieurs limites qui nuisent à l’attractivité du label : les fonds doivent être investis à hauteur de 70 % dans des PME, ce qui exclut les entreprises en phase d’expansion ; le seuil de souscription minimal demeure élevé, 100 000 € ; et le caractère « européen » du fonds renvoie seulement à sa domiciliation européenne, sans poser aucune condition quant à la destination géographique des investissements.

B.   Faciliter l’introduction en bourse et soutenir le developpement du capital-investissement

Pour être en mesure de réaliser tout leur potentiel de croissance en Europe, France Invest insiste sur la nécessité que les jeunes pousses européennes puissent bénéficier d’un écosystème dynamique qui exploite pleinement les synergies entre le segment coté et le segment non coté. Le développement du capital-investissement permettra de stimuler l’innovation et la croissance et d’augmenter le vivier d’entreprises pouvant prétendre à entrer en bourse. En retour, un meilleur accès à la bourse contribuera à l’attractivité des fonds d’investissement en améliorant leur liquidité.

1.   Pour les jeunes entreprises innovantes, une porte d’entrée unique sur les marchés financiers et des indices mieux conçus

Si le Listing Act adopté devrait permettre, selon l’Autorité des marchés financiers, de développer les segments de marché spécialisés sur les petites et moyennes capitalisations des différentes places financières, d’autres mesures pourraient être adoptées pour encourager l’introduction en bourse des PME et des ETI, grâce à une meilleure implication des acteurs privés.

a.   Une porte d’entrée unique sur les marchés financiers

Fabrice Demarigny, ancien secrétaire général de l’ESMA, propose que les différentes bourses européennes mettent en commun leur segment de marché dédié aux petites et moyennes entreprises pour leur offrir un guichet unique([95]). Comme il l’a exposé lors de son audition, les PME et les ETI disposeraient ainsi d’un lieu de cotation unique qui leur offrirait une meilleure visibilité et un accès à un pool de capitaux bien plus large. Au bout de cinq ans, elles pourraient ensuite rejoindre le marché réglementé de l’une des places financières européennes, la concurrence reprenant ses droits.

Cette initiative ne pourra relever que des acteurs boursiers privés. Selon Fabrice Demarigny, ces derniers auraient tout intérêt à une telle opération, qui leur permettrait de mutualiser les coûts liés à ces segments de marché, actuellement non rentables. Il en résulterait également une augmentation du vivier d’entreprises pouvant prétendre à se faire coter sur le marché principal de la bourse, ce qui permettrait d’enrayer le phénomène d’attrition de la cote auxquels ils sont confrontés. Enfin, les stratégies de développement des différentes places boursières seraient préservées, puisque la concurrence ne sera suspendue que de façon temporaire.

Recommandation n° 25 de M. Daniel Labaronne : Encourager la mise en commun par les différents groupes boursiers européens de leur segment de marché réservé aux PME à forte croissance, afin d’offrir à ces dernières une porte d’entrée unique en bourse avec des conditions allégées. Les entreprises n’auraient vocation à rester sur ce segment que de façon temporaire, avant de rejoindre l’un des marchés réglementés.

La rapporteure Sylvie Josserand craint que la création d’une porte d’entrée unique sur les marchés financiers ne se fasse au préjudice des PME françaises, si les investisseurs français choisissent d’orienter leurs financements vers les entreprises d’autres pays européens. Elle invite plutôt à valoriser sur le point d’accès unique européen (ESAP) les informations financières disponibles sur les PME afin de permettre aux PME françaises de disposer d’une visibilité accrue.

Enrico Letta a envisagé, pour sa part, la création d’une bourse de la Deep Tech, ou d’un Nasdaq européen, régie par des règles spécifiques et placée sous supervision européenne. Une telle bourse permettrait de prendre en compte les spécificités du modèle économique des entreprises technologiques de rupture, en adaptant les règles liées à la cotation et en favorisant le développement d’un écosystème spécialisé composé de bureaux de recherche, de juristes et de banquiers. Les entreprises qui y seraient cotées pourraient lever des fonds sur l’ensemble du marché européen et bénéficieraient d’une meilleure visibilité, notamment si des indices boursiers dédiés à la deep tech européenne sont créés.

Les moyens les plus efficaces pour y parvenir restent cependant à déterminer. Selon l’Autorité des marchés financiers ([96]), plusieurs options pourraient être étudiées, dont notamment :

Recommandation  26 de M. Daniel Labaronne : Favoriser la création d’une bourse européenne de la Deep Tech, en apportant un soutien public à une initiative privée, ou en favorisant la mise en place d’un label dédié.

b.   Des indices mieux conçus pour inclure les PME et les ETI

Enfin, il paraît nécessaire d’améliorer la gestion indicielle pour qu’elle couvre un plus grand nombre d’entreprises, notamment les PME, et reflète la variété du tissu économique national et européen. En France, il existait depuis 2014 un fonds indiciel (ETF) positionné sur l’indice CAC PME, et éligible au PEA-PME, mais il a été supprimé en 2022 faute d’une demande suffisante.

Pour y remédier, le président de la Faider, Guillaume Prache, propose de soutenir la création d’indices couvrant l’ensemble de l’économie européenne, sur le modèle du CRSP US Total Market Index qui représente l’ensemble du marché actions américain. Les indices existants en Europe, tels que STOXX Europe 600 et MSCI Europe, ne couvrent que les grandes et moyennes capitalisations des pays d’Europe les plus développés, soit moins de 600 entreprises. Cela nuit à la visibilité des petites entreprises et des économies européennes moins développées.

Dans le même ordre d’idée, la Commission européenne a commandé une étude, en 2020, sur la faisabilité d’une famille d’indices « Union des marchés de capitaux », qui comprendrait un indice principal couvrant toutes les entreprises cotées sur un marché réglementé ou sur un marché de croissance dans l’Union européenne (3 600 entreprises), et des sous-indices sectoriels ou par taille ([97]). L’étude concluait que la mise en œuvre de tels indices devrait être portée par une coopération public-privé, le secteur public apportant le capital d’amorçage quand le partenaire privé serait chargé de la création et de la gestion de l’indice.

De tels indices pourraient ensuite permettre la mise en place par les gestionnaires d’actifs de fonds indiciels (ETF) reflétant la diversité des entreprises européennes. Selon Guillaume Prache, ils permettraient de concurrencer l’équivalent américain, le Vanguard Total Stock Market ETF, qui couvre la quasi-totalité de l’économie américaine et est très attractif pour les investisseurs particuliers et institutionnels.

Recommandation n° 27 de M. Daniel Labaronne : Favoriser la souveraineté économique européenne en créant un indice boursier paneuropéen élargi, représentatif d’une large part des entreprises cotées du continent, afin de stimuler l’émergence d’un fonds indiciel véritablement européen et de renforcer l’attractivité des marchés financiers de l’Union.

La rapporteure Sylvie Josserand considère plus opportun de développer un indice boursier qui couvrirait l’ensemble des entreprises françaises cotées, y compris les PME et le fonds indiciel associé, afin que les épargnants français puissent choisir de privilégier l’économie nationale dans leurs choix de placements.

Recommandation n° 28 de Mme Sylvie Josserand : Créer un indice boursier qui couvrirait l’ensemble des entreprises françaises et mettre en place un ETF qui en répliquerait la performance, afin d’orienter les flux de financements vers l’économie nationale, et notamment les PME françaises.

Cela suppose, en amont, de soutenir le développement de la recherche et de l’analyse financière sur les petites et moyennes capitalisations, afin de leur donner davantage de visibilité auprès des constructeurs d’indices et des gestionnaires d’actifs.

Recommandation n° 29 des rapporteurs : Renforcer la compétitivité de nos marchés en soutenant activement la recherche financière sur les petites et moyennes capitalisations.

2.   Favoriser le développement des fonds de capital-investissement en mobilisant les investisseurs privés grâce à un soutien public ciblé

Lors de son audition, le Directeur général du Trésor a mis en avant la nécessité de développer des fonds de capital-risque et de capital-croissance de taille suffisante pour favoriser l’émergence des futurs champions technologiques. Pour ce faire, les acteurs du capital-investissement auditionnés ont notamment préconisé deux voies possibles : un renforcement du soutien public et une montée en puissance des fonds bénéficiant d’un label européen.

a.   Optimiser l’effet de levier du financement public

Le développement du capital-investissement pourrait s’appuyer sur les banques publiques nationales et la Banque européenne d’investissement, qui ont déjà démontré leur capacité d’entraînement en jouant un rôle clé dans la structuration du marché.

Comme l’écrit la Cour des comptes, « l’effet de levier de Bpifrance sur l’écosystème du capital-investissement est indéniable ». La banque publique est intervenue sur l’ensemble des segments, avec l’objectif de constituer une chaîne de financement complète pour les start-ups françaises. En plus d’investir directement dans les entreprises les plus risquées, Bpifrance est intervenue indirectement par des fonds de fonds, pour susciter l’émergence de fonds professionnels privés et démultiplier l’accompagnement des entreprises. Entre 2013 et 2023, Bpifrance a souscrit 5,9 Md€ dans 180 fonds français de capital-investissement, qui ont levé 32 Md€ au total. L’effet d’entraînement sur les souscripteurs privés se confirme dans la durée : les fonds souscrits par Bpifrance ont triplé en taille entre 2013 et 2021, avec un apport de capitaux privés de plus en plus important, comme en témoigne la baisse progressive du poids de Bpifrance dans le capital des fonds.

Selon France Invest, l’action de la Banque européenne d’investissement (BEI) a également été structurante sur le segment du capital-risque, au travers de sa filiale, le Fonds européen d’investissement (FEI). Celui-ci est notamment chargé de la mise en œuvre du programme Invest EU du budget de l’Union européenne. Ce programme lui permet d’investir en fonds propres et de garantir les prêts des PME et des entreprises de moyenne capitalisation afin qu’elles puissent plus facilement obtenir des financements auprès des banques : les 12,2 Md€ qu’il a reçus dans ce cadre devraient ainsi permettre de mobiliser 159 Md€ de capitaux privés sur la période 2021-2027 ([98]). Le FEI dispose également d’un mandat de la BEI pour investir dans des fonds de fonds de capital-risque, à hauteur de 1,5 Md€ par an. Au total, il soutient indirectement près de la moitié des start-ups financées par du capital-risque, selon la Direction générale du Trésor.

Les rapporteurs tiennent à souligner la pertinence de ces instruments de blending, qui permettent au secteur public d’amorcer un cercle vertueux de financement sans évincer les capitaux privés, en particulier dans un contexte budgétaire contraint.

Recommandation n° 30 des rapporteurs : Au niveau français et européen, développer les mécanismes de cofinancement public-privé qui permettent d’augmenter l’effet de levier des fonds publics en mobilisant les capitaux privés, grâce à une réduction du risque perçu par les investisseurs.

Le groupe BEI a également porté, au côté de sept États membres, dont la France, une action spécifique pour répondre à l’absence de fonds de capital-investissement de taille suffisante, l’Initiative pour les Champions technologiques européens (European Tech Champions Initiative – ETCI). Elle prend la forme d’un fonds de fonds, souscrit par les participants à hauteur de 3,85 Md€ (dont 1 Md€ pour la France), qui investit dans des fonds de capital-croissance paneuropéens de plus de 1 Md€, soit la taille critique pour pouvoir participer aux tours de financement des futurs champions technologiques. Les fonds bénéficiaires doivent investir au moins 50 % de leur portefeuille dans l’UE et 70 % dans des scale-ups technologiques. Elle vise ainsi à renforcer la capacité de financement des scale-ups technologiques européennes.

La Direction générale du Trésor, qui représente la France au sein du comité d’orientation ETCI, a mis en avant le fort effet d’entraînement de l’initiative : les 2 Md€ déjà souscrits ont permis d’atteindre une capacité d’investissement finale d’environ 10 Md€ et de financer 16 entreprises technologiques européennes.

Selon Bpifrance, l’exercice a néanmoins présenté plusieurs limites. L’allocation des fonds n’a pas pu être optimale, compte tenu de l’exigence de chaque pays souscripteur de recevoir un investissement au moins équivalent à son engagement initial, indépendamment du degré de maturité de son marché de capital-investissement national. Conditionner le soutien de l’ETCI à l’atteinte d’une taille minimale de 1 Md€ a, en outre, pu conduire les fonds à croître au-delà de leur capacité de gestion, au prix d’une prolongation excessive de la phase de collecte. Ces facteurs d’inefficacité étaient cependant difficiles à éviter, dans le cadre d’un programme qui vise à faire émerger une offre de capital-croissance pour combler un manque du marché.

Ces premiers résultats globalement positifs motivent la montée en puissance du dispositif, avec le lancement d’ici 2026 de l’Initiative ETCI 2.0 annoncé par le groupe BEI et la Commission européenne. En s’appuyant sur des ressources plus importantes et le soutien du budget de l’Union européenne, le programme visera cette fois-ci à lever des fonds également auprès des investisseurs privés, en complément des investisseurs publics, compte tenu des contraintes budgétaires qui pèsent sur les États membres.


Recommandation n° 31 de M. Daniel Labaronne : Soutenir le lancement de l’initiative ETCI 2.0 par le groupe Banque européenne d’investissement, en associant cette fois-ci les investisseurs privés pour multiplier l’effet de levier des financements publics et accompagner la croissance des entreprises technologiques.

La rapporteure Sylvie Josserand défend, quant à elle, la mise en place d’un fonds souverain, préconisée par Arnaud Montebourg, afin de mobiliser l’épargne privée pour investir dans l’outil industriel. Dans un tel modèle, l’État solliciterait directement les opérateurs privés pour qu’ils mettent en œuvre des projets stratégiques, et travaillerait en partenariat avec eux.

Recommandation n° 32 de Mme Sylvie Josserand : Créer un fonds souverain qui mobilise les capitaux privés pour investir dans des secteurs stratégiques.

b.   Favoriser le développement de fonds de capital-investissement privés européens

Selon le Directeur général du Trésor, il est impératif de massifier les levées de fonds pour permettre aux futurs champions européens, et notamment français, de réaliser tout leur potentiel de croissance sans quitter l’Union européenne

Les acteurs du capital-investissement auditionnés ont ainsi appelé à garantir un cadre réglementaire favorable au développement des fonds de capital-risque européens, en permettant à ces derniers de tirer pleinement profit de la labellisation pour passer à l’échelle.

Pour remédier aux limites qui grèvent le label EuVECA, la Commission européenne a annoncé qu’elle présenterait un projet de révision du règlement EuVECA d’ici au troisième trimestre 2026 afin de le rendre plus attrayant ([99]).

Selon France Invest, une telle révision serait l’opportunité d’élargir la base d’investisseurs en diminuant le seuil de souscription minimal exigé, et d’étendre le champ des actifs éligibles en incluant le capital-croissance, au-delà du seul capital-risque.

Enfin, France Invest insiste sur la nécessité de faire des fonds EuVECA de véritables produits européens, alors qu’aucune disposition n’oblige pour l’instant à flécher les investissements vers l’Europe. Instaurer un seuil minimum d’investissements en Europe serait cohérent avec l’objectif de l’Union de l’épargne et de l’investissement, et permettrait aux fonds EuVECA d’être abondés par les produits labellisés « Finance Europe ».


Recommandation n° 33 de M. Daniel Labaronne : Réviser le règlement EuVECA pour favoriser une meilleure distribution des fonds labellisés (grâce à une extension des actifs éligibles et une diminution du ticket minimal investi) et instaurer un seuil minimum d’investissements en Europe.

Le rapporteur Daniel Labaronne observe qu’il ne suffira pas de faciliter la distribution des fonds de capital-investissement au sein de l’Union européenne, mais qu’il faudra encore favoriser les investissements transfrontaliers, qui se heurtent à des barrières réglementaires et administratives. Comme l’a observé France Invest, « un cadre plus harmonisé et lisible encouragerait les investissements dans les entreprises européennes ». Le rapporteur soutient pleinement la mise en place d’un 28e régime européen pour les jeunes entreprises innovantes, proposée par la Commission européenne dans sa stratégie pour les start-ups et les scale-ups du 28 mai dernier. L’application d’un 28e régime adapté offrirait aux start-ups un cadre harmonisé en matière d’insolvabilité et de droit des sociétés, ainsi que des charges administratives allégées. Il permettrait aux entreprises innovantes non seulement de déployer plus facilement leurs activités à l’échelle du marché unique, mais également de massifier leurs levées de fonds grâce à une base d’investisseurs élargie.

Recommandation n° 34 de M. Daniel Labaronne : Mettre en place un 28e régime européen pour les start-ups et les scale-ups européennes afin de leur permettre de massifier leurs levées de fonds et de déployer leurs activités à l’échelle du marché unique, au profit de l’innovation et de la croissance.

La rapporteure Sylvie Josserand fait toutefois observer que l’instauration d’un 28e régime présente un risque de nivellement des législations par le bas, en retenant le plus petit dénominateur commun. Le think tank « Confrontations Europe » auditionné par les rapporteurs, recommande ainsi que « le champ d’un 28e régime soit appréhendé avec précaution, car il pourrait conduire à une fragilisation des droits des employés et des recettes fiscales ». Il préconise, dès lors, de le limiter à des volets consensuels, comme les modalités de création des entreprises, sans toucher aux aspects sociaux et fiscaux.

III.   Intégrer la supervision et consolider les infrastructures de marché

La Commission européenne a également formulé des propositions pour mieux intégrer les marchés européens afin de favoriser l’émergence d’acteurs financiers paneuropéens. Même si l’épargne est davantage orientée vers l’économie réelle, et que les entreprises parviennent à mieux accéder à un financement en fonds propres, la bonne allocation des capitaux avec les besoins d’investissement en Europe suppose de lever les obstacles aux flux de financement transfrontaliers. À cet égard, si la simplification du cadre réglementaire fait consensus, l’intégration de la supervision des marchés financiers continue de susciter des divergences importantes.

A.   Malgré un consensus sur un besoin de simplification, des dÉbats nourris sur l’architecture de supervision

1.   La surréglementation et l’éclatement de la supervision affectent la compétitivité des acteurs financiers européens

a.   La surréglementation

Comme l’ont souligné de nombreux acteurs financiers auditionnés, le cadre européen de régulation des marchés financiers pâtit d’une complexité et d’une rigidité excessives qui empêchent sa bonne adaptation aux transformations rapides des marchés financiers et pèsent sur les entreprises.

L’architecture réglementaire est, en théorie, censée permettre une certaine agilité : les co-législateurs établissent les textes de niveau 1, les directives et les règlements ; sur cette base, la Commission adopte les normes de niveau 2, c’est-à-dire les textes techniques d’application préparés par l’autorité de supervision ; et le niveau 3 est constitué de recommandations, d’orientations ou de lignes directrices élaborées par l’autorité de supervision au titre de ses pouvoirs de convergence.

En pratique cependant, de nombreuses dispositions techniques figurent dans les textes de niveau 1 et ne peuvent dès lors être modifiées qu’en ouvrant un processus législatif long et complexe. La présidente de l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA), Verena Ross, a observé, lors de son audition, que cela compromettait la capacité de l’Union européenne à réagir aux innovations financières en assurant un cadre propice au développement des acteurs financiers européens, ou au contraire en encadrant de nouvelles pratiques qui menacent la stabilité financière.

Recommandation n° 35 de M. Daniel Labaronne : Veiller à ce que les directives et les règlements se concentrent sur la définition des choix stratégiques et politiques, en déléguant l’élaboration des mesures techniques à l’ESMA et à la Commission européenne, afin de garantir une meilleure agilité normative.

En outre, les autorités de supervision soulignent que le recours fréquent aux directives contribue à la fragmentation des marchés de capitaux, en entraînant l’application de règles différentes selon les États membres. Une part importante de la régulation financière repose encore sur ce type d’instrument, qui nécessite une transposition dans chaque ordre juridique national, laissant parfois aux États membres une marge de manœuvre importante dans la définition des règles.

Le rapporteur Daniel Labaronne relève que la tendance à la surtransposition conduit souvent les États à ajouter des dispositions supplémentaires, au risque d’alourdir le poids normatif pour les entreprises concernées, et de limiter les flux de capitaux transfrontaliers. Un recours accru aux règlements, directement applicables dans l’ensemble de l’Union, permettrait d’assurer l’unité et la prévisibilité du cadre européen, tout en servant l’objectif de simplification.

Recommandation n° 36 de M. Daniel Labaronne : Privilégier le recours au règlement, plutôt qu’aux directives afin d’éviter les surtranspositions et assurer la cohérence du corpus réglementaire en matière financière.

La rapporteure Sylvie Josserand observe cependant qu’une telle préconisation, si elle était mise en œuvre, constituerait une atteinte majeure au pouvoir de décision des États membres.

La présidente de l’ESMA a également mis en avant l’intérêt qu’il y aurait à doter l’ESMA d’un véritable pouvoir d’abstention réglementaire, ou de no action letter. Ce mécanisme permettrait à l’autorité de suspendre, de manière temporaire, l’application de toute disposition européenne, qu’elle soit de niveau 1 ou de niveau 2, lorsqu’elle apparaît manifestement inadaptée aux circonstances de marché, entraîne des perturbations ou menace la stabilité financière, à condition que les co-législateurs ne s’y opposent pas.

Les pouvoirs de l’ESMA en la matière restent pour l’instant très limités, puisqu’ils sont conditionnés à l’ouverture d’un processus de révision du texte concerné. À la différence, les superviseurs américains ou britanniques peuvent activer ce levier beaucoup plus facilement pour adapter leur cadre réglementaire de façon à assurer la compétitivité de leurs acteurs, comme l’ont souligné plusieurs acteurs financiers auditionnés.

Le rapporteur Daniel Labaronne note que la reconnaissance d’un tel pouvoir d’abstention est indispensable à la préservation de la stabilité financière et de la compétitivité des acteurs européens. Cette prérogative resterait strictement encadrée : elle serait seulement temporaire, supposerait une information approfondie du Parlement européen, du Conseil et de la Commission, et pourrait être écarté par si l’un des co-législateurs s’y oppose.

Recommandation n° 37 de M. Daniel Labaronne : Reconnaître à l’ESMA un pouvoir d’abstention réglementaire lui permettant de suspendre de façon temporaire l’application d’une norme qui s’avère inadaptée et menace la stabilité financière ou la compétitivité des acteurs financiers européens.

La rapporteure Sylvie Josserand considère, pour sa part, que l’octroi d’une telle prérogative à l’ESMA serait une atteinte directe à la souveraineté populaire et à la démocratie. L’ESMA n’étant pas élue, elle n’a aucune légitimité pour suspendre l’application d’une législation votée par des représentants des États nationaux. La rapporteure appelle donc à maintenir l’ESMA dans son rôle de proposition et de conseil.

Si la Commission européenne accompagne toutes ses propositions législatives d’une étude d’impact, conformément à l’accord institutionnel, de nombreux acteurs auditionnés ont souligné les insuffisances de ces évaluations, qui demeurent trop superficielles, ou voient leur portée limitée par l’introduction de modifications ultérieures au fil des négociations entre le Parlement européen et le Conseil.

Les rapporteurs appellent à systématiser et approfondir les études d’impact sur les projets de législation européenne. Ils préconisent d’y inclure obligatoirement un test de compétitivité, pour vérifier que les nouvelles règles n’affecteront pas les acteurs européens.

Recommandation n° 38 des rapporteurs : Systématiser et approfondir les études d’impact sur les projets législatifs de l’Union européenne, en y incluant un test de compétitivité afin d’anticiper les conséquences des nouvelles dispositions sur la capacité des acteurs européens à faire face à la concurrence mondiale.

L’Association française de la gestion d’actifs (AFG) a souligné que l’absence de reconnaissance du statut de groupe entravait l’émergence de grands acteurs transfrontières et limitait les bénéfices d’une telle organisation. La réglementation européenne et les superviseurs ne reconnaissent en effet pas la spécificité des activités intra-groupe. Aucune différence n’est faite entre une délégation réalisée à une entité du groupe, ou à une autre entité, même établie dans un pays non-européen. Il en résulte des lourdeurs administratives dispensables, en matière de délégation, de reporting ou de demande d’agrément.

Selon l’AFG et les acteurs concernés, reconnaître la spécificité des flux intragroupes permettrait de mieux adapter les exigences prudentielles aux réalités opérationnelles, de renforcer la cohérence de la supervision, et de tirer pleinement parti de l’échelle du marché européen. Ils espèrent qu’un tel ajustement réglementaire, conjugué à une convergence entre autorités nationales, contribuerait à favoriser l’émergence de champions européens à même de rivaliser avec les grands acteurs internationaux.

Recommandation n° 39 des rapporteurs : Reconnaître la spécificité des activités intra-groupes au niveau européen pour leur garantir un cadre réglementaire adapté.

b.   La supervision des marchés financiers

L’autorité européenne des marchés financiers (ESMA)

L’Autorité européenne des marchés financiers est l’une des trois autorités européennes de surveillance créées en 2011 pour assurer la stabilité et l’efficacité du système financier européen, aux côtés de l’Autorité bancaire européenne (EBA) et de l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (EIOPA). Elle a son siège à Paris.

Conformément à son règlement fondateur du 24 novembre 2010, l’ESMA vise à favoriser l’intégrité, la transparence, l’efficacité et le bon fonctionnement des marchés financiers, améliorer le fonctionnement du marché intérieur, renforcer la protection desinvestisseurs, et favoriser des conditions de concurrence égales.

L’ESMA joue avant tout un rôle d’harmonisation et de convergence. Elle exerce trois missions principales :

 Elle participe à l’élaboration des mesures d’application des directives et règlements européens en matière financière, en fournissant un avis technique à la Commission européenne ou en soumettant elle-même une proposition de rédaction.

 Elle favorise la convergence des pratiques de surveillance entre les autorités nationales compétentes, notamment en publiant des lignes directrices, des recommandations, ou en organisant des revues par les pairs.

 Elle exerce des responsabilités de surveillance directe limitées à certains acteurs de marché : les agences de notation de crédit, les référentiels centraux de titres, les chambres de compensation de pays tiers d’importance systémique, les référentiels de titrisations, les administrateurs d’indices de référence, les prestataires de services de communication de données, les fournisseurs de système consolidé de publication sur les transactions en bourse, et les auditeurs externes des obligations vertes de l’Union européenne.

La surveillance de l’essentiel des acteurs de marché est exercée par les autorités nationales compétentes, soit l’Autorité des marchés financiers en France.

La gouvernance de l’ESMA s’organise autour de deux instances principales. Le conseil des autorités de supervision (Board of Supervisors) est composé de la présidente de l’ESMA, des dirigeants des autorités de supervision nationales, et de représentants de la Commission, du comité européen des risques systémiques, de l’EIOPA, et de l’EBA. Il arrête les décisions stratégiques, telles que l’élaboration de normes techniques, ou l’adoption de lignes directions ou de recommandations, à la majorité simple ou qualifiée. Le conseil d’administration (Management Board), composé de la présidente de l’ESMA et de six dirigeants des autorités nationales élus pour deux ans, assure la direction des travaux.

La réglementation européenne est mise en œuvre par 27 superviseurs nationaux, qui peuvent en faire des interprétations différentes, comme l’observe la présidente de l’ESMA. Les acteurs transfrontaliers, tels qu’Euronext ou Amundi, sont conduits à interagir avec plusieurs régulateurs nationaux, chacun appliquant les règles européennes selon ses propres modalités. Les exigences et formats de reporting varient selon les pays, tout comme les procédures d’agrément. De même, si un fonds qui bénéficie du passeport européen peut en principe être distribué dans un autre pays de l’Union, il doit au préalable être enregistré auprès de l’autorité de supervision nationale et se conformer aux règles nationales liées à la commercialisation et à la publicité du produit. Ces divergences engendrent des coûts additionnels importants pour les acteurs concernés, limitant les économies d’échelle et, partant, leur compétitivité.

Ces divergences de pratiques de supervision représentent, en outre, un risque pour la concurrence et la stabilité financière. Comme l’a exposé la présidente de l’ESMA, le fait qu’une entité transfrontière soit supervisée par plusieurs autorités nationales différentes empêche d’avoir une vision consolidée de son exposition au risque. En outre, la fragmentation de la supervision peut favoriser des comportements d’arbitrage réglementaire, ou de forum-shopping. L’Autorité des marchés financiers relevait ainsi que certains superviseurs peuvent se montrer moins exigeants dans l’instruction des dossiers d’agrément, dans le but de renforcer l’attractivité de leur juridiction pour les prestataires de services financiers, et ce d’autant plus facilement que le produit aura vocation à être distribué aux épargnants d’un autre pays européen.

Ces comportements d’arbitrage réglementaire se sont notamment manifestés dans le contexte du nouveau règlement européen sur les cryptoactifs (MiCA), entré en vigueur le 30 décembre 2024, qui impose aux prestataires de services de crypto-actifs de solliciter un agrément pour pouvoir fournir leur service dans l’Union européenne. La présidente de l’Autorité des marchés financiers a ainsi fait état de nombreux agréments délivrés dans de petites juridictions, telles que Malte et Chypre, dans un cadre qui n’assure pas la robustesse des contrôles. Cela a motivé la publication par l’ESMA, en janvier 2025, d’un briefing de supervision qui promeut des pratiques harmonisées, en précisant les critères requis pour conduire un examen approfondi de la demande d’agrément.

Les outils de convergence de l’ESMA sont cependant insuffisants pour assurer une véritable harmonisation des pratiques de supervision, selon les administrations auditionnées. Comme l’explique la Direction générale du Trésor, ils « reposent essentiellement sur des lignes directrices non contraignantes et sur la coopération entre autorités nationales, ce qui en limite considérablement l’efficacité. Ils ne permettent ni une application uniforme du droit européen, ni la fluidité nécessaire au développement d’une véritable activité paneuropéenne. »

Cela a pour conséquence d’entretenir le phénomène de surréglementation, en conduisant les co-législateurs ou l’ESMA à élaborer des règles extrêmement détaillées et prescriptives, dans l’objectif de prévenir les divergences d’interprétation par les superviseurs nationaux, alimentant une forme de cercle vicieux.

2.   Le renforcement des compétences de l’ESMA en question

Au regard des risques d’inefficience que représente le cadre de supervision actuel, la Commission européenne a indiqué qu’elle présenterait, au quatrième trimestre de 2025, des propositions en vue de « parvenir à une surveillance plus unifiée des marchés de capitaux, notamment en transférant certaines compétences au niveau européen ».

Cette annonce de la Commission s’inscrit dans la lignée d’autres déclarations du même ordre, émanant de diverses institutions et personnalités européennes. Les rapports Letta, Draghi et Noyer se sont ainsi unanimement prononcés en faveur d’une meilleure intégration de la supervision par un renforcement des pouvoirs de l’ESMA, voire de la mise en place d’une « SEC européenne » sur le modèle du puissant superviseur américain. Pour la première fois, le Conseil des superviseurs de l’ESMA, qui rassemble les vingt-sept autorités nationales compétentes, s’est également déclaré favorable à un élargissement des compétences de surveillance directe de l’ESMA pour certains acteurs tels que les grandes infrastructures de marché paneuropéennes ou les fournisseurs de services sur crypto-actifs.

Une supervision européenne intégrée serait la « pièce manquante d’un marché unique des capitaux qui fonctionne correctement », selon la formule de l’Autorité des marchés financiers. En éliminant les possibilités d’arbitrage réglementaire, elle garantirait des conditions de concurrence équitables au sein du marché intérieur, la protection des investisseurs pour tous les produits sous passeports européens et la préservation de la stabilité financière. L’application uniforme de la réglementation européenne faciliterait les flux de capitaux transfrontaliers, améliorant la profondeur et la liquidité du marché européen et renforçant la compétitivité des acteurs financiers.

Les modalités de cette nouvelle architecture de supervision restent cependant ouvertes, aussi bien concernant le champ des acteurs qui seraient soumis à la surveillance directe de l’ESMA, que de la répartition exacte des compétences entre le niveau européen et le niveau national.

L’Autorité des marchés financiers défend ainsi une transformation profonde, inspirée du mécanisme de surveillance unique dans le domaine bancaire, qui ferait de l’ESMA l’autorité responsable de l’ensemble des acteurs financiers. L’ESMA aurait vocation à exercer directement sa supervision pour les plus gros acteurs, et à la déléguer aux autorités nationales pour les autres. Cette architecture à deux niveaux serait gage d’efficacité en ce qu’elle garantirait à la fois une certaine subsidiarité, tout en conférant à l’ESMA le pouvoir de trancher rapidement les divergences en matière de supervision.

Concernant le périmètre de la supervision directe par l’ESMA, les différents rapports précités et les autorités nationales et européennes s’accordent sur plusieurs « candidats naturels » : les infrastructures de marché et de post-marché (chambres de compensation, dépositaires centraux de titres et plateformes de négociation) ayant une dimension paneuropéenne ; les grandes sociétés de gestion d’actifs transfrontalières ; et les prestataires de services sur crypto-actifs. Le niveau de supervision pertinent devrait être décidé sur la base de critères objectifs tels que la taille, la part d’activités transfrontalières, le risque avéré d’arbitrage réglementaire, ou le caractère systémique de l’entité.

Il serait en revanche très complexe de placer sous surveillance directe de l’ESMA les produits financiers, tels que les fonds d’investissement, puisque ces derniers demeurent soumis au droit national en ce qui concerne leur commercialisation et leur publicité.

Selon la présidente de l’Autorité des marchés financiers et le gouverneur de la Banque de France, un premier pas vers cette nouvelle architecture de supervision serait de confier à l’ESMA la supervision des plateformes européennes de crypto-actifs, au regard des risques avérés pour la stabilité financière et la protection des investisseurs, et de la plus grande acceptabilité d’un tel transfert dans un domaine nouvellement réglementé. Ils ont adopté une tribune en ce sens, le 14 novembre dernier, voyant dans l’instauration d’une supervision européenne en matière de crypto-actifs un impératif pour la sécurité financière aussi bien qu’une « victoire rapide possible pour l’Union des marchés de capitaux ».

Recommandation n° 40 de M. Daniel Labaronne : Renforcer la souveraineté financière de l’Union européenne en faisant de l’ESMA un superviseur unique des marchés financiers, doté d’un pouvoir de surveillance directe sur les plateformes européennes de crypto-actifs, les principales infrastructures de marché et les gestionnaires d’actifs paneuropéens, afin de garantir une régulation efficace, cohérente et à la hauteur des enjeux de stabilité et de compétitivité à l’échelle européenne.

Une telle réforme suscite encore des réserves dans plusieurs États membres, qui souhaitent préserver les prérogatives de leur autorité nationale, comme l’observe la Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne. Les plus petits pays européens craignent notamment de perdre la maîtrise de leur marché national, et partant la capacité à préserver certains intérêts nationaux. Le transfert de compétences à une autorité européenne domiciliée à Paris leur semble devoir participer à renforcer le processus de concentration en cours au profit de la place financière française. Les fortes réticences des États membres au renforcement des pouvoirs de l’ESMA ont ainsi conduit le Conseil à écarter la plupart des évolutions vers plus d’intégration proposées par la Commission dans le cadre de la revue des autorités européennes de surveillance en 2019.

Elle suscite, en outre, l’opposition de la majorité des acteurs financiers auditionnés, qui craignent une perte d’efficacité et de proximité si la supervision était exercée au niveau européen. L’articulation de deux niveaux de supervision, l’un européen et l’autre national, pourrait être particulièrement complexe, au risque d’entraîner des doublons ou de favoriser des effets de seuil, à l’opposé des objectifs de simplification et de clarification poursuivis.

Les auditionnés ont également mis en avant le caractère prématuré d’une telle réforme compte tenu de l’insuffisance des ressources de l’ESMA, alors que l’expertise et la connaissance du contexte local sont concentrées dans les autorités nationales. Les acteurs français demeurent, enfin, attachés aux liens établis avec l’Autorité des marchés financiers, qui leur semble accessible et constructive, là où l’ESMA reste perçue comme une autorité bureaucratique et peu opérationnelle.

L’idée même selon laquelle l’intégration de la supervision concourrait à l’unification des marchés de capitaux est contredite par l’exemple significatif de la supervision bancaire. L’instauration du mécanisme de surveillance unique, qui fait de la BCE le superviseur unique des banques, n’a en effet pas permis de créer une véritable Union bancaire, puisque le constat s’impose de l’absence de fluidité des activités bancaires transfrontalières. Les représentants des acteurs bancaires français auditionnés ont ainsi souligné que l’instauration d’un superviseur européen ne doit pas être un préalable, mais une conséquence de l’intégration des marchés de capitaux. Il conviendrait de ne pas inverser l’ordre chronologique naturel, le superviseur ayant vocation à superviser un marché existant. Le défaut d’intégration des marchés ne tient pas tant à l’éclatement de la supervision qu’à celle des réglementations.

Même de grands groupes transfrontaliers ne sont pas convaincus des gains d’efficacité que permettrait l’instauration d’un superviseur unique. Ils préconisent plutôt de renforcer les mécanismes assurant la convergence des pratiques de supervision, afin de permettre à l’ESMA de faire prévaloir une interprétation unique en cas de divergences.

En conséquence, la rapporteure Sylvie Josserand considère qu’un transfert de compétences à l’ESMA serait : techniquement irréaliste, du fait de la diversité des produits et des différences des législations nationales ; politiquement risqué, compte tenu de la perte de souveraineté qui résulterait de la réduction du champ de compétences des régulateurs nationaux ; économiquement nocif, en ce qu’elle créerait une nouvelle inflation normative qui freinera la compétitivité ; contre-productif, les acteurs privés craignant une perte d’efficacité de la supervision.

La rapporteure recommande ainsi d’adopter un modèle pragmatique en conservant l’architecture de supervision actuelle, qui semble la plus adaptée à la structure actuelle des marchés financiers européens et garantit la stabilité nécessaire au développement économique des acteurs privés.

La rapporteure observe que les risques pour la stabilité financière et la concurrence déloyale pourraient être traités par un renforcement des pouvoirs d’harmonisation et de convergence de l’ESMA. La procédure pour violation du droit de l’Union, notamment, pourrait utilement être améliorée pour garantir la sanction effective des manquements de certains superviseurs nationaux moins-disants.

Recommandation n° 41 de Mme Sylvie Josserand : Préserver la souveraineté des États contre la centralisation technocratique des pouvoirs de supervision, en privilégiant les mécanismes de convergence et de mutualisation des pratiques nationales, plutôt que des transferts forcés de compétences.

Le rapporteur Daniel Labaronne considère, pour sa part, que le renforcement des compétences de l’ESMA ne doit pas se faire au détriment de la richesse des expertises nationales ni de la proximité avec les acteurs de terrain. Il plaide pour une approche pragmatique et progressive, fondée sur une coopération étroite entre l’autorité européenne et les superviseurs nationaux. La montée en puissance de l’ESMA pourrait ainsi s’accompagner d’une véritable alliance de compétences, grâce à la mise en place d’équipes de contrôle conjointes mêlant experts nationaux et représentants de l’ESMA. Ce modèle garantirait une supervision efficace et enracinée dans les réalités locales, tout en favorisant l’élévation progressive d’un standard européen d’excellence.

Recommandation n° 42 de M. Daniel Labaronne : Mettre en place des équipes de contrôle conjointes associant les experts des autorités nationales et les représentants de l’ESMA, afin de renforcer la compréhension mutuelle des marchés, d’assurer une supervision efficace et de construire une Europe financière plus intégrée, sans perdre le lien de proximité avec les acteurs économiques.

Il lui apparaît que les réserves exprimées par les plus petits États membres pourraient être levées en instaurant un « cadre de gouvernance inclusif », tel que le préconise l’Autorité des marchés financiers. Pour rendre la réforme politiquement acceptable pour les plus petits États membres, la présidente de l’Autorité des marchés financiers, Marie-Anne Barbat-Layani, a souligné l’importance de préserver le rôle de chaque autorité nationale au sein des instances décisionnelles de l’ESMA, en continuant si possible de travailler par consensus, comme c’est le cas actuellement en pratique.

Le rapporteur Daniel Labaronne considère, dès lors, que le futur cadre de gouvernance devra relever un double défi : associer pleinement les régulateurs nationaux à la dynamique européenne, tout en assurant la réactivité et l’efficacité indispensables au renforcement des compétences de l’ESMA. Cette articulation exigeante appelle un équilibre subtil entre légitimité territoriale et autorité européenne. À cet égard, le mécanisme de supervision unique en matière bancaire constitue une source d’inspiration pertinente, démontrant qu’il est possible de conjuguer coordination étroite, partage d’expertise et efficacité opérationnelle au service d’une ambition commune.

B.   Le défi des nouvelles technologies financieres pour la CONSOLIDation des infrastructures de marche

Le paysage des infrastructures de marché demeure également peu intégré, ce qui limite les émissions et les investissements transfrontaliers. Deux leviers d’intégration sont proposés au niveau européen : l’harmonisation de l’environnement juridique pour favoriser les stratégies de consolidation des opérateurs d’infrastructures ; et l’utilisation des nouvelles technologies, l’Eurosystème travaillant à la mise en place d’un règlement-livraison en monnaie banque centrale utilisant la technologie de la blockchain.

1.   Des stratégies de consolidation entravées

Les rapports Draghi et Noyer ont dressé le constat d’une forte fragmentation des infrastructures de marché dans l’Union européenne, avec le maintien de nombreuses entités de petite taille : en mars 2023, on y dénombrait 295 plateformes de négociation, 14 chambres de compensation et 32 dépositaires centraux de titres ([100]) . Cette situation contraste avec le marché américain, où le règlement-livraison sur le segment action est par exemple assuré par un unique opérateur, le Depositary Trust Company ([101]) .

 

Les infrastructures de marché et de post-marché

Les titres financiers peuvent être négociés soit sur un marché organisé, c’est-à-dire sur une plateforme de négociation, soit de gré à gré. Sur les marchés organisés, le processus de formation des prix et le mécanisme de diffusion et de confrontation des ordres d’achat et de vente obéissent à des règles approuvées par le régulateur de marché. Le marché réglementé des actions de Paris est géré par l’entreprise de marché Euronext Paris.

Les chambres de compensation, ou contreparties centrales, s’interposent entre les vendeurs et les acheteurs pour garantir la bonne exécution des transactions et les protéger contre le risque de contrepartie, en cas de défaillance de l’une des contreparties. LCH SA était jusqu’en 2023 la chambre de compensation française pour les transactions sur actions, obligations et dérivés actions exécutées sur les marchés d’Euronext – Euronext a désormais confié la compensation par défaut des transactions sur actions à sa filiale Euronext clearing.

Les dépositaires centraux de titres (DCT) sont responsables de l’enregistrement et de la conservation des titres financiers, et assurent le dénouement des transactions, en livrant les titres contre paiement. Le DCT français est Euroclear France, qui opère sur une plateforme de règlement-livraison unique partagée avec les DCT belge et hollandais.

Ce constat peut être relativisé en prenant en compte le mouvement de concentration et de consolidation qui s’est opéré depuis le début des années 2000, avec l’émergence de grands groupes européens.

Les groupes boursiers Euronext et Nasdaq Nordics ont mis en œuvre une stratégie de consolidation ambitieuse. Euronext réunit aujourd’hui sept bourses (Paris, Dublin, Amsterdam, Bruxelles, Porto, Oslo et Milan) sur la même plateforme de négociation, Optiq. Cela permet d’offrir aux investisseurs un carnet d’ordres unifié pour accéder aux entreprises cotées sur les différentes places financières.

Le même processus s’est opéré pour les dépositaires centraux de titres : les trois groupes européens que sont Euroclear, Deutsche Börse et Euronext conservent ainsi 93 % des titres européens – et plus de la moitié sont concentrés au sein d’Euroclear qui rassemble les dépositaires centraux de titres (DCT) belge, français, néerlandais, anglais, suédois et finlandais. Les dépositaires centraux ESES (Euroclear France, Euroclear Nederland et Euroclear Belgium) sont les plus intégrés : ils partagent une même plateforme opérationnelle et technologique qui permet de traiter les transactions transfrontalières sur les trois marchés comme des transactions domestiques ([102]). Il en a résulté pour les clients une réduction des coûts et un accès facilité aux valeurs des trois marchés.

Enfin, s’agissant de la compensation, l’essentiel des opérations est opéré par LCH SA, Eurax, et Euronext Clearing ([103]).

Ces stratégies de consolidation demeurent néanmoins limitées en raison du manque d’harmonisation des cadres réglementaires nationaux et d’approches divergentes en matière de supervision. La Banque centrale européenne observe ainsi que « la complexité des législations nationales en matière de droit des sociétés et de droit des titres (...) entrave la capacité des bourses et des dépositaires centraux de titres à intégrer leurs plateformes nationales, même au sein d’un groupe transfrontalier ».

La fragmentation réglementaire affecte particulièrement les activités de post-marché, qui conservent un ancrage très national. Le groupe Euroclear explique ainsi que « les dépositaires centraux de titres fonctionnent selon des règles locales en ce qui concerne le droit des titres, de propriétés, de pratiques de marché, et de normes fiscales et opérationnelles ». À titre d’exemple, la définition d’un actionnaire varie considérablement d’un État membre à un autre. En outre, certaines dispositions des législations nationales visent directement à privilégier le recours au DCT national, en imposant que l’émission des titres ou certaines fonctions liées à la vie du titre soient réalisées auprès du DCT national, ou en remettant en cause la validité des droits sur les titres lorsqu’ils sont détenus via des intermédiaires non domestiques ([104]) . Cela tient notamment à des questions de souveraineté, les pays européens préférant que les titres financiers, et notamment les titres de dette publique, soient conservés au sein de leur DCT domestique, qui est placé sous la supervision de leur autorité nationale.

Ces obstacles à la circulation des titres réduisent les bénéfices de la consolidation des bourses européennes : les investisseurs qui souhaitent accéder aux titres non domestiques, mêmes cotés sur des plateformes appartenant à un même groupe, doivent établir une connexion avec de multiples DCT nationaux pour pouvoir in fine réaliser les transactions, ce qui en renchérit le coût. La Banque centrale européenne constate ainsi que, pour les cinq principaux indices boursiers d’Europe de l’Ouest (AEX 25, CAC 40, DAX 40, IBEX 35 et MIB 40), entre 56 % et 68 % des transactions réalisées sur plateformes en 2023 ont eu lieu sur la bourse nationale.

Selon le rapport Noyer, l’attractivité des marchés financiers européens s’en trouve directement affectée. La liquidité appelant la liquidité, il est crucial pour une place boursière d’atteindre la masse critique pour offrir des opportunités aux investisseurs, et garantir aux entreprises une valorisation qui reflète leur véritable valeur. Le maintien d’un nombre élevé d’infrastructures différentes empêche également de réaliser les économies d’échelle qui permettraient de diminuer le coût des transactions. Les prix pratiqués par les petits DCT sont plus élevés que ceux des gros, ce qui peut décourager les investisseurs de se procurer les titres qui y sont conservés, limitant le développement des marchés financiers des plus petits États.

Si la mise en place en 2015 de la plateforme Target-2 Securities (T2S) a contribué à l’harmonisation du règlement-livraison, elle n’est pas parvenue à améliorer les transactions transfrontalières. Portée par l’Eurosystème, cette plateforme de règlement-livraison en monnaie de banque centrale visait à rendre les transactions transfrontières aussi simples que les transactions domestiques. En effet, la plateforme centralise les comptes titres gérés par les DCT participants et les comptes espèces gérés par les banques centrales nationales afin de permettre aux banques d’investissement d’avoir accès, en passant par un seul DCT connecté à T2S, à l’ensemble des titres gérés par les autres DCT connectés à la plateforme.

Son impact demeure cependant limité, tant sur le coût du règlement-livraison, que sur les transactions transfrontalières. Comme l’a constaté le comité présidé par Christian Noyer, « T2S n’est pas devenu un nœud d’opérabilité au service des transactions transfrontières, mais une plateforme technique utilisée essentiellement à des fins nationales ». Les transactions à dimension transfrontalière, c’est-à-dire faisant intervenir deux DCT connectés à T2S, ne représentent que 4 % des montants des flux transitant par T2S, l’essentiel des transactions transfrontières étant décidé directement par les DCT entre eux, ou internalisées au sein des réseaux de teneurs de compte conservateurs.

2.   Une intégration au défi de l’harmonisation et de l’innovation de la blockchain

Doter l’Union européenne d’une chambre de compensation et d’un dépositaire central de titres uniques ne semble ni réaliste, ni souhaitable. Mario Draghi avait formulé cette proposition, considérant que l’Europe devrait tendre à ce que l’ensemble des opérations sur titres en son sein transitent par une seule chambre de compensation et un seul dépositaire central de titres, sur le modèle des États‑Unis.

 La Direction générale du Trésor observe qu’une telle intégration soulèverait des défis majeurs, tant techniques que politiques, alors que les infrastructures de marché ont fait des choix techniques et opérationnels différents, et que les gouvernements européens font souvent du maintien de leur DCT national un élément de leur souveraineté. Euroclear rappelle ainsi que le modèle américain est l’aboutissement d’un processus de consolidation entamé dans les années 1980, qui a mené à la convergence vers un dépositaire central unique en imposant que la loi de l’État de New York régisse tous les aspects légaux liés au droit des titres. Le parallèle avec les 27 États européens semble difficile.

Les opérateurs d’infrastructures de marché auditionnés ont, en outre, signalé l’opportunité de maintenir un certain degré de concurrence. Même si les économies d’échelles inhérentes au fonctionnement des infrastructures de marché favorisent la concentration, il est sain de préserver une compétition entre quelques gros acteurs, afin d’encourager l’innovation et la réduction des prix. Les rapporteurs ont d’ailleurs appris, lors des auditions, que les banques d’investissement américaines elles-mêmes souhaitaient voir s’implanter sur leur marché domestique de nouveaux acteurs susceptibles de faire concurrence aux infrastructures de marché monopolistiques.

Dès lors, le rapporteur Daniel Labaronne considère que l’Union européenne devrait plutôt s’atteler à créer les conditions réglementaires propices à l’émergence de grandes infrastructures européennes, pour permettre à la fois une concurrence efficace et les effets d’échelle nécessaires à la compétitivité internationale. La Direction générale du Trésor défend une telle « approche pragmatique de défragmentation ». Deux leviers permettraient de tendre vers cet objectif : l’harmonisation de l’environnement juridique pour faciliter la mise en concurrence et la consolidation des DCT ; et l’innovation technologique, via la monnaie numérique et la technologie de la blockchain.

a.   La consolidation des infrastructures de marché existantes

Euroclear appelle à une meilleure harmonisation du droit des titres et du droit des sociétés afin d’assurer des conditions favorables à la consolidation des dépositaires centraux de titres et à la pleine exploitation des économies d’échelle.

À cet égard, la Banque centrale européenne préconise d’étendre, en priorité, le champ de la directive sur le droit des actionnaires pour couvrir tous les aspects de la vie des titres. Une telle harmonisation supposerait cependant de surmonter les différents modèles nationaux, ce qui n’apparaît pas garanti à court terme.

La Commission a ainsi annoncé qu’elle « évaluerait la nécessité d’une révision éventuelle de la directive sur les droits des actionnaires d’ici le quatrième trimestre 2026 ».

 

Recommandation n° 43 de M. Daniel Labaronne : Converger vers une meilleure harmonisation du droit des titres et du droit des sociétés pour permettre aux infrastructures de post-marché de mener à bien leur stratégie de consolidation et de bénéficier des économies d’échelle associées.

Certains auditionnés ont également appelé à veiller à ce que les stratégies de consolidation mises en œuvre par certains gestionnaires d’infrastructures ne soient pas source de fragmentation supplémentaire. Ce risque serait notamment propre aux stratégies de consolidation verticale, qui consistent à intégrer au sein d’un même groupe toutes les entités participant à la négociation des titres, à leur compensation et à leur règlement-livraison, et dont la Deutsche Börse est emblématique. La consolidation horizontale revient, pour sa part, à réunir le même type d’infrastructures, permettant davantage de synergies opérationnelles.

Euronext a acquis en 2020 la chambre de compensation et le dépositaire central de titres italiens, à qui elle a souhaité confier la compensation et le règlement-livraison des transactions réalisées sur les Bourses de Paris, Bruxelles et Amsterdam, alors que ces services étaient jusqu’ici assurés respectivement par LCH SA et par Euroclear. Si l’arrivée sur le marché français de nouvelles infrastructures permet de stimuler la concurrence en offrant davantage de choix aux investisseurs, elle peut également se révéler contre-productive si elle accroît la fragmentation de la liquidité.

b.   La technologie de la blockchain

En parallèle, les innovations technologiques induites par la blockchain et la tokenisation, portées par les fintechs américaines, sont amenées à transformer en profondeur le fonctionnement du système financier. Selon le rapporteur Daniel Labaronne, il appartient à l’Union européenne d’explorer tout le potentiel de ces nouvelles technologies pour renforcer l’efficacité des infrastructures de marché et garantir sa souveraineté monétaire.

Les actifs financiers traditionnels peuvent désormais être représentés sous la forme de jetons numériques (tokens) afin d’être émis, enregistrés ou échangés sur des technologies de registre distribué telles que la blockchain. Cette tokenisation s’appuie sur le développement des stablecoins, des jetons adossés à la valeur d’une monnaie (le dollar à 99 %) afin de servir d’actifs de règlement sur la blockchain, dispensant ses utilisateurs de recourir à une monnaie classique. Ils sont émis par des sociétés privées, dont les deux plus grandes, les américaines Circle et Teither, représentent 90 % des émissions ([105]) . Pour assurer la convertibilité permanente des stablecoins en valeur faciale, les émetteurs s’engagent à détenir l’équivalent en réserve d’actifs sûrs, le plus souvent des bons du Trésor.

La Banque de France voit dans l’émergence d’une « finance tokenisée » l’opportunité d’améliorer la rapidité, l’accessibilité et la sécurité des transactions, en particulier sur l’aspect du règlement-livraison. Grâce à l’utilisation d’outils d’exécution automatisés, les smart contracts, la blockchain permet en effet de réduire les risques opérationnels, de raccourcir les délais, et de limiter les frais en se passant des intermédiaires financiers traditionnels. Les transactions transfrontières s’en trouveraient grandement facilitées, en limitant les coûts liés à l’application des législations nationales différentes. Euroclear identifie ainsi « un grand potentiel dans les technologies de la blockchain », qui « réduisent les temps de processing de manière substantielle ».

Pour encourager l’innovation européenne en la matière, l’Union européenne a instauré un régime pilote qui vise à favoriser les expérimentations sur l’utilisation de la technologie des registres distribués. Entré en vigueur en 2023 pour une durée initiale de trois ans, il établit un cadre dérogatoire permettant aux opérateurs d’infrastructures de marché et aux nouveaux entrants d’utiliser la blockchain pour assurer l’émission, la négociation ou le règlement-livraison d’actifs tokenisés, sous le respect de certains seuils.

La tokenisation induit cependant des risques spécifiques, liés notamment à l’utilisation des stablecoins. La stabilité de ces derniers ne peut pas être garantie, en l’absence de transparence sur le montant et la composition des réserves des émetteurs.  Si le règlement européen du 31 mai 2023 sur les marchés de crypto-actifs (MiCA) impose aux émetteurs de stablecoins des obligations en la matière, pour assurer la protection des consommateurs, la plupart des acteurs américains qui opèrent en Europe refusent de s’y conformer. La Banque de France a également pointé les « risques de contagion vers le secteur financier » ([106]) , dans l’hypothèse où une perte de confiance conduirait les émetteurs de stablecoins à liquider rapidement les actifs qu’ils détiennent en réserve, soit les bons du Trésor américain, au risque de générer des tensions sur le marché de la dette souveraine. La Banque de France identifie enfin un risque pour la souveraineté monétaire européenne si les stablecoins adossés au dollar se généralisaient comme actifs de règlement sur le marché européen.

En outre, la Banque centrale européenne relève le risque que le développement de différentes plateformes fondées sur la blockchain émanant d’acteurs privés, et non interopérables, accentue encore la fragmentation des marchés financiers. Des initiatives réglementaires dispersées des États membres, pour encadrer ces nouveaux acteurs ou favoriser leur développement, pourraient également fragmenter le marché selon des lignes nationales ([107]).

Comme l’a fait remarquer Michael Theurer, membre du directoire de la Bundesbank, les transformations profondes qu’impliquent ces nouvelles technologies représentent pourtant une opportunité d’élaborer un cadre européen commun sur une page blanche, à même d’assurer une véritable unification des infrastructures de marché. Le rapporteur Daniel Labaronne considère dès lors opportun que l’Union européenne adapte le cadre réglementaire pour favoriser le développement de ces plateformes tout en s’assurant qu’elles concourent bien à l’unification des marchés de capitaux. Il paraît notamment nécessaire d’imposer l’interopérabilité de ces plateformes avec les infrastructures de marché existantes.

Recommandation n° 44 de M. Daniel Labaronne : Réviser le règlement européen du 30 mai 2022 sur le régime pilote afin d’étendre le champ de l’expérimentation sur l’utilisation de la technologie des registres distribués par les infrastructures de marché, en rehaussant les seuils d’éligibilité. Favoriser l’interopérabilité de ces nouvelles plateformes avec les infrastructures de marché existantes.

Face à ce double défi de stabilité et d’unification, la Banque de France perçoit le règlement d’actifs tokenisés en monnaie numérique de banque centrale (MNBC) comme une solution intéressante. Une monnaie de banque centrale tokenisée pourrait être un point d’ancrage monétaire, en réduisant les risques de liquidité et de contrepartie, et en garantissant la convertibilité entre les actifs tokenisés, comme elle le fait aujourd’hui pour les monnaies des banques commerciales. Selon le Gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, elle « constituerait un pivot de sécurité et servirait de socle de confiance fiable sur lequel ces nouvelles technologies pourraient déployer leur plein potentiel » ([108]).

Dans cette perspective, l’Eurosystème a conduit, depuis 2020, une série d’expérimentations pour développer les solutions de règlement des actifs tokenisés en monnaie de banque centrale numérique. Selon la Direction générale du Trésor, « les résultats ont mis en lumière le potentiel de la monnaie de banque centrale interbancaire à optimiser le règlement-livraison via blockchain en réduisant les délais entre la négociation et le règlement, en limitant les flux de réconciliation grâce aux plateformes de registres distribués, et en facilitant les paiements transfrontaliers » ([109]) .

Le Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne a décidé, le 20 février 2025, de poursuivre ses travaux sur le règlement en MNBC pour les actifs tokenisés. À court terme, l’Eurosystème prévoit de développer une plateforme permettant le règlement en monnaie de banque centrale grâce à un lien d’interopérabilité avec les services TARGET. Et à long terme, elle étudiera la faisabilité et l’opportunité de la mise en place d’un registre unifié européen.

Lors de son audition, le Premier Sous-Gouverneur de la Banque de France a ainsi considéré que l’édification d’une infrastructure de marché décentralisée fondée sur les technologies du registre distribué constituait la première priorité de l’Union des marchés de capitaux, en ce qu’elle permettrait de réduire les sources de fragmentation qui trouvent leur origine dans la multiplicité des infrastructures qui coexistent actuellement.

Le rapporteur Daniel Labaronne partage pleinement cet objectif, et appelle à accélérer les expérimentations face à l’urgence des menaces sur la compétitivité des marchés financiers et de la souveraineté monétaire européenne.

Recommandation n° 45 de M. Daniel Labaronne : Doter l’Union européenne d’une infrastructure de marché de nouvelle génération, fondée sur la technologie des registres distribués, afin de permettre le règlement-livraison d’actifs tokenisés en monnaie numérique de banque centrale, et ainsi affirmer la souveraineté financière de l’Europe dans la révolution technologique en cours.

La rapporteure Sylvie Josserand observe cependant que le développement du règlement-livraison sur blockchain en monnaie numérique de banque centrale serait non seulement coûteux, et techniquement complexe, mais risquerait également d’accroître la vulnérabilité des transactions au risque cyber, pour des gains qui demeurent à ce stade très incertains.

Par ailleurs, si ce projet de monnaie numérique s’adresse aux institutions financières pour leurs transactions de gros, il entretient des liens étroits avec l’initiative de l’Eurosystème tendant à développer l’euro numérique à l’attention des particuliers. La rapporteure considère non seulement qu’une telle monnaie n’introduit aucune innovation véritable compte tenu de l’existence de moyens de paiement numérique efficaces, mais qu’elle représente un risque réel d’atteinte à la vie privée des citoyens, en permettant la centralisation et le contrôle de leurs données de paiement. Comme l’écrit Pierre Pimpie, député européen, « la monnaie doit être envisagée comme un outil au service de l’économie, non comme un moyen de surveillance. L’Union européenne devrait pouvoir promouvoir l’innovation au lieu de l’encadrer à outrance, et renforcer la souveraineté des États plutôt que de la détourner à son propre bénéfice ».

Le rapporteur Daniel Labaronne tient à rappeler que les travaux de l’Eurosystème portent sur la création d’un euro numérique qui assurerait un niveau de confidentialité inégalé. La mise en place d’une monnaie numérique de banque centrale de détail permettrait de renforcer l’autonomie stratégique du continent européen en favorisant l’émergence de moyens de paiement paneuropéens innovants.

IV.   Mobiliser pleinement les banques par une relance maitrisée de la titrisation

Les travaux des rapporteurs ont démontré que la titrisation pouvait jouer un rôle essentiel dans le financement de l’économie lorsqu’elle était bien encadrée. En créant un pont entre banques et marchés, cette technique permet une meilleure diversification des risques tout en augmentant la capacité des banques à financer l’économie réelle. Elle est d’autant plus cruciale compte tenu du rôle fondamental que les banques continuent de jouer dans le financement des entreprises européennes, notamment les PME.

A.   Un marché européen de la titrisation sous-dimensionné en raison d’un encadrement trop lourd et mal calibré

1.   La titrisation européenne porte les stigmates de la crise de 2008 de façon injustifiée

a.   Un rôle essentiel dans le financement de l’économie et la répartition des risques

La titrisation est un mécanisme qui permet de transformer un portefeuille de prêts ou le risque de crédit associé en titres financiers négociables. L’initiateur des créances, le plus souvent une banque, les cède à un véhicule autonome dédié (Special Purpose Vehicle – SPV) qui finance cette acquisition par l’émission de titres auprès d’investisseurs. La rémunération des investisseurs provient du remboursement des prêts sous-jacents. Les titres sont regroupés en différentes tranches, en fonction du risque de crédit qu’ils supportent : en cas de défaut dans le portefeuille d’actifs sous-jacents, ce sont les tranches « juniors » qui subissent les premières pertes, puis les tranches mezzanines, et en dernier les tranches « seniors ».  Les titres offrent ainsi des couples rendement-risque variés, adaptés à différents types d’investisseurs (fonds de pension, fonds d’investissement, banques, sociétés d’assurance…).

La titrisation contribue à répartir le risque de façon équilibrée au sein du système financier, constituant un véritable pont entre banques et marchés. Elle permet de transférer une partie du risque crédit en dehors du système bancaire, ce qui renforce la solidité des établissements de crédit tout en offrant de nouvelles opportunités aux investisseurs sur les marchés de capitaux. Comme l’écrit Christian Noyer, « la titrisation permet de spécialiser chaque acteur de la chaîne du crédit, dans la tâche qu’il est le mieux à même d’exercer : l’origination de la créance et la relation client pour la banque, le financement pour l’investisseur senior et le portage du risque pour l’investisseur junior ».

Elle a également le bénéfice d’accroître la capacité des banques à financer l’économie. Elle permet aux banques de se procurer des liquidités, en cédant les actifs titrisés à des tiers ou en les apportant en collatéral dans le cadre du refinancement auprès de la banque centrale. La titrisation se distingue des autres outils de refinancement en ce qu’elle a pour effet de sortir du bilan de la banque l’essentiel des crédits sous-jacents et du risque associé. Elle se traduit ainsi par une augmentation du ratio de solvabilité qui permet à la banque d’augmenter le volume des prêts qu’elle accorde à niveau de fonds propres inchangé.

b.   Une image dégradée, à raison des titrisations toxiques américaines

La titrisation comporte cependant plusieurs risques pour la stabilité financière lorsqu’elle n’est pas correctement encadrée. L’un des principaux dangers est que la banque relâche ses critères d’octroi de prêts en sachant qu’elle transférera ensuite le risque de crédit à un tiers. La complexité des structures de titrisation, et notamment la retitrisation, peut rendre les produits opaques et compliquer l’identification et la gestion du risque pour les investisseurs, aboutissant à une dilution de la responsabilité tout au long de la chaîne d’intermédiation.

La titrisation a ainsi joué un rôle déterminant dans le déclenchement et l’amplification de la crise financière de 2008. Dans les années 2000, les banques américaines et des sociétés financières faiblement régulées ont accordé de nombreux crédits immobiliers, souvent à taux variables, à des ménages peu solvables, tout en prenant une hypothèque sur le logement financé. Ces crédits risqués, qualifiés de « subprimes », ont ensuite été massivement titrisés dans des produits financiers complexes, et vendus à des investisseurs internationaux, attirés par leurs rendements élevés et les notes excessivement favorables attribuées par les agences de notation. Avec l’éclatement de la bulle immobilière américaine, les défauts se sont multipliés et les investisseurs détenteurs des titres associés aux crédits subprimes ont subi d’importantes pertes, provoquant une crise financière mondiale.

La crise a entraîné une contraction durable du marché européen de la titrisation. Si l’effondrement du marché américain a été brutal, avec une division par deux des émissions de titrisations entre 2007 et 2008, il s’est redressé rapidement, se stabilisant autour de 1500 Md€ d’émissions à partir de 2012. L’Europe n’a pas connu de tel rebond : après avoir culminé à plus de 700 Md€ en 2008, les émissions de titrisation sont demeurées de l’ordre de 200 Md€ sur toute la décennie suivante ([110]). Cette situation s’explique par la défiance durable des investisseurs envers cet instrument financier, mais également par les spécificités du contexte macroéconomique européen. La politique monétaire expansionniste conduite par la Banque centrale européenne après la crise des dettes souveraines a en effet offert aux banques des sources de refinancement alternatives à la titrisation, tandis que la baisse des taux d’intérêt qui en résultait rendait ces produits moins intéressants pour les investisseurs.

Pourtant, les excès liés aux titrisations toxiques américaines n’ont concerné qu’à la marge les titrisations européennes, plus étroitement encadrées. Les actifs sous-jacents des titrisations européennes se sont en effet révélés de bien meilleure qualité. Le taux de défaut à un an sur les prêts immobiliers résidentiels sous-jacents aux produits titrisés est demeuré inférieur à 4 % dans tous les pays européens, même les plus touchés par la crise économique comme l’Espagne et l’Italie, alors qu’il a atteint 27 % aux États-Unis ([111]). Et toutes catégories confondues, le taux de perte moyen a été de 1,37 % sur les titrisations européennes entre 2007 et 2013, contre 17,4 % sur les titrisations américaines ([112]). Ces chiffres montrent bien que ce n’est pas tant le recours à la titrisation qui est en cause, que sa mauvaise régulation.

2.   L’encadrement prudentiel trop strict de la titrisation limite excessivement la capacité de financement des banques et leur rentabilité

a.   Un cadre réglementaire et prudentiel qui a renforcé la résilience du marché de la titrisation...

En réponse à la crise financière, l’Union européenne a renforcé l’encadrement de la titrisation, en adéquation avec le cadre bâlois, pour prévenir les pratiques nocives et garantir la protection des investisseurs. Dès 2009, elle a imposé aux banques de conserver au moins 5 % du risque des actifs titrisés, pour s’assurer que leurs intérêts soient bien alignés avec ceux des investisseurs (directive CRD II). Dans la lignée des travaux du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire (CBCB), l’Union européenne a ensuite engagé une réforme complète du cadre prudentiel et réglementaire applicable à la titrisation au travers de deux règlements.

Le règlement sur la titrisation du 12 décembre 2017 vise à créer un cadre unique, transparent et sûr pour la titrisation dans l’Union européenne avec des règles harmonisées. Il réaffirme l’obligation de rétention du risque et interdit en principe les retitrisations. Pour renforcer la transparence, il impose aux émetteurs de titrisations de fournir un ensemble d’informations standardisées sur les expositions sous-jacentes et les modèles utilisés, publiées dans un référentiel de titrisation centralisé. Les investisseurs doivent, pour leur part, se conformer à des exigences de diligence raisonnable, en vérifiant que les risques associés aux produits titrisés ont été correctement évalués. Le règlement instaure, en outre, un label pour distinguer les titrisations « simples, transparentes et standardisées » (STS), respectant un certain nombre de critères stricts afin de favoriser la confiance.

La révision du règlement CRR, également adoptée le 12 décembre 2017, a permis de renforcer les exigences de fonds propres associées à la détention d’actifs titrisés par les banques, en transposant les nouveaux standards bâlois. Elle reconnaît une hiérarchie entre les méthodes de calcul de fonds propres mises en œuvre par les banques, selon la finesse de l’analyse du risque permise : d’abord la méthode fondée sur les modèles internes de la banque (SEC-IRBA), qui permet une évaluation du risque approfondie ; ensuite la méthode fondée sur les notes attribuées par les agences de notation (SEC-ERBA) ; et enfin, la méthode standardisée (SEC-SA), qui applique des pondérations de risque fixes définies dans la réglementation. Le règlement impose, en outre, un coefficient de majoration du risque et des planchers de pondération, qui varient selon l’approche de calcul retenue et l’existence d’une labellisation, afin de garantir la non-neutralité de la tirisation pour la banque.

L’encadrement prudentiel de la titrisation, tel qu’il résulte des travaux du Comité de Bâle, repose sur le principe de non-neutralité. Il implique que les charges de capital applicables aux expositions titrisées doivent être au moins aussi élevées que celles qui s’appliqueraient aux actifs sous-jacents si la banque les détenait directement. Cela permet de prendre en compte les risques additionnels qu’engendre la titrisation, tels que le risque de modèle (les erreurs dans l’évaluation mathématique du risque), le risque d’agence (les conflits d’intérêts entre les initiateurs, les investisseurs et les agences de notation), la complexité de la structuration du produit ou le manque de transparence sur les actifs sous-jacents.

Le principe de non-neutralité de la titrisation est mis en œuvre à travers plusieurs mécanismes, dont notamment :

- l’application d’un coefficient de majoration du risque, le facteur p, aux pondérations de risque applicables aux actifs titrisés afin d’augmenter les exigences de fonds propres associées ;

- l’imposition de planchers de pondération des risques, qui empêchent une réduction excessive des exigences de fonds propres pour les tranches considérées comme peu risquées - le plancher est compris entre 10 et 15 % dans l’approche de calcul standardisée.

Si la banque cède une partie des tranches du portefeuille qu’elle a titrisé, elle peut bénéficier d’une baisse des exigences de fonds propres associées aux actifs sous-jacents. Une telle réduction doit cependant être validée par les autorités de supervision, qui vérifient qu’il y a bien eu un « transfert de risque significatif » vers des investisseurs externes.

Selon la Banque de France, « ces changements réglementaires ont indéniablement été vecteurs de résilience » ([113]), en permettant une amélioration significative de la transparence, un meilleur alignement des intérêts entre les parties, et un traitement prudentiel plus exigeant.

b.   ...au risque de contraindre trop rigoureusement son développement.

S’il a restauré la confiance des investisseurs, le nouveau cadre réglementaire et prudentiel n’a pas permis de relancer la titrisation européenne. Le marché européen de la titrisation publique demeure en effet dix fois plus petit que le marché américain, avec un encours total de 1 217,6 Md€ pour l’Union européenne, contre 10 787 Md€ pour les États-Unis au quatrième trimestre 2024. De surcroît, une large part des actifs titrisés en Europe est conservée au bilan des banques : les titrisations placées publiquement ne représentaient plus que 36 % de l’encours total en 2023, contre 70 % en 2008 ([114]).

Cet important écart s’explique d’abord par l’intervention d’agences semi-publiques pour soutenir le marché hypothécaire résidentiel aux États-Unis. Le marché américain de la titrisation est dominé par des entreprises soutenues par le gouvernement (GSE) telles que Fannie Mac, Freddie Mac et Ginie Mae, qui titrisent massivement des prêts hypothécaires résidentiels dont elles prennent en charge le risque de crédit. Les titrisations de ces agences ont crû fortement depuis la crise de 2008 et représentent désormais près de 80 % des encours aux États‑Unis ([115]). Cependant, même en excluant les titrisations réalisées par ces agences (MBS agency), le marché américain demeure deux fois plus grand que le marché européen.

Cela tient ensuite à la sévérité du cadre réglementaire et prudentiel européen, dans un contexte d’adoption inégale des standards internationaux en matière de titrisation, comme l’expose la Banque de France.

Les États-Unis n’ont pas mis en œuvre les règles de Bâle, maintenant un cadre souple pour les titrisations. Ils ne prévoient notamment pas d’obligation de rétention du risque, autorisent la retitrisation, et n’imposent pas d’exigences de due diligence et de transparence aussi strictes.

Pour les banques, le facteur p qui alourdit la pondération des risques des actifs titrisés est bien plus élevé en Europe : il est compris entre 0,5 et 1 dans le modèle standard, contre 0,5 aux États-Unis, et ne peut descendre en dessous de 0,3 dans le modèle interne, contre près de 0 aux États-Unis. L’instauration de planchers de pondération du risque élevés en Europe a également eu pour conséquence d’accroître de plus de 100 % les exigences de fonds propres des banques, particulièrement pour les tranches seniors qui bénéficiaient jusque-là de faibles pondérations ([116]).

Le traitement prudentiel applicable aux assureurs est également excessivement contraignant, sans permettre de refléter la réalité des risques sous-jacents aux titrisations. France Assureurs pointe notamment que « les titrisations non-STS sont désavantagées par rapport aux titrisations STS du fait de leur charge en capital excessive et non proportionnée aux risques sous-jacents » ([117]). À la différence du cadre prudentiel bancaire, la directive Solvabilité II ne fait aucune différence entre les différentes tranches des titrisations non-STS, malgré des niveaux de séniorité variables. Une tranche senior notée AAA d’une valeur nominale de 100 M€ entraîne ainsi une charge en capital de 67 M€ pour les assureurs, contre 1,6 M€ si elle est détenue par une banque ([118]).

Ce cadre restrictif diminue fortement l’intérêt de la titrisation pour les investisseurs et les émetteurs, empêchant d’en exploiter tout le potentiel pour répondre aux besoins de financement de l’économie. Les assureurs ne portent ainsi que 0,5 % de leurs placements sur des actifs titrisés ([119]). Cette faible demande contraint les banques à conserver une grande part des actifs titrisés à leur bilan, en immobilisant des fonds propres, et les empêche de dégager des capacités de prêts supplémentaires au financement de l’économie.

Cela limite également la rentabilité des banques européennes et compromet leur capacité à rester compétitives face à la concurrence des grandes banques américaines. La titrisation permet en effet à une banque de prêter davantage avec le même niveau de fonds propres, ce qui augmente le rendement de ces derniers. Cette rentabilité accrue facilite la levée de capitaux supplémentaires, instaurant un cercle vertueux pour le financement de l’économie. Un cinquième de l’écart de rentabilité entre les banques européennes et américaines en 2020 serait imputable au moindre développement de la titrisation.

B.   la relance de la titrisation pour mettre à profit les complémentarités entre banques et marchés financiers

Le rôle essentiel que pourrait jouer la titrisation pour mobiliser des capitaux privés au service des besoins d’investissements européens a favorisé un consensus politique sur la nécessité d’assouplir le cadre réglementaire et prudentiel afin de permettre une véritable expansion du marché en Europe.

La relance de la titrisation est ainsi la première mesure de l’Union de l’épargne et de l’investissement à faire l’objet de propositions législatives concrètes de la Commission. Les rapporteurs soutiennent une telle initiative, en insistant sur la nécessité de préserver les garde-fous érigés au lendemain de la crise de 2008.

1.   Mieux calibrer les règles prudentielles sans remettre en cause leurs fondements

La Commission européenne a présenté, le 17 juin dernier, un ensemble de textes pour relancer la titrisation : un projet de modification du règlement sur les titrisations ; un projet de modification du règlement sur les exigences de fonds propres des banques (CRR) ; et un projet de modification du règlement délégué relatif au ratio de couverture des besoins de liquidité.

a.   La proposition de révision du règlement CRR

La révision du règlement CRR proposée par la Commission vise à ajuster un certain nombre de paramètres pour rendre le cadre réglementaire plus sensible aux risques sous-jacents aux titrisations et alléger les exigences de fonds propres associées aux tranches les plus robustes.

Les principales modifications sont les suivantes :

-         Remplacer les planchers de pondération des risques de 10 % et de 15 % pour les tranches de titrisation senior par un plancher de pondération qui varierait de façon proportionnelle au risque sous-jacent afin de mieux refléter leur qualité inhérente – un plancher minimum serait conservé pour éviter les pondérations trop faibles.

-         Réduire le facteur p pour les tranches seniors de titrisation.

La diminution bénéficiera à la fois aux titrisations STS et non STS si elles sont détenues par la banque qui en est à l’origine, mais uniquement aux titrisations STS si elles sont détenues par une banque en tant qu’investisseur. Cette distinction tient compte du moindre risque d’agence et de modèle lorsque la banque est à l’initiative de la titrisation.

Le facteur p sera particulièrement réduit dans la formule de calcul standardisée (SEC-SA), afin de réduire l’écart injustifié qui existe avec l’approche fondée sur des notations internes (SEC-IRBA).

-         Introduire une nouvelle catégorie de « positions de titrisation résilientes » applicable aux tranches seniors qui se caractérisent par un faible risque d’agence et de modèle et une capacité robuste d’absorption des pertes. Les titrisations résilientes pourront bénéficier de réductions additionnelles des planchers de pondération de risque et du facteur p.

-         Rendre les tests de « transfert de risque significatif » plus robustes et plus prévisibles en précisant les critères applicables.

Les rapporteurs soutiennent de telles modifications ciblées sur les tranches les moins risquées, qui devraient permettre un allègement maîtrisé de la charge prudentielle pour les banques, à même de dynamiser les émissions tout en préservant la stabilité financière. Il convient cependant d’être vigilants pour que l’ouverture d’un processus de révision ne conduise pas à une remise en cause générale du cadre. La Banque de France a ainsi jugé qu’« une réduction unilatérale et indiscriminée de la charge prudentielle, notamment sur les tranches les plus subordonnées, pourrait quant à elle être vectrice de risques, notamment systémiques, et devrait donc être proscrite. » ([120]).

La non-conformité de ces modifications aux accords de Bâle ne peut qu’être relativisée alors que la plupart des partenaires de l’Union européenne n’ont procédé qu’à une application limitée des standards bâlois, comme le note la Banque de France. La révision du règlement CRR permettra à cet égard de rétablir une égale concurrence, au profit des acteurs européens. L’Union européenne devrait, en parallèle, œuvrer à la réouverture des discussions du comité de Bâle pour refondre de façon substantielle les standards internationaux applicables à la titrisation, comme y appellent la Banque de France et l’ACPR.

 

 

Recommandation n° 46 des rapporteurs : Réviser le règlement sur les exigences de fonds propres des banques afin d’alléger les charges prudentielles associées aux tranches de titrisation les plus sûres, tout en préservant les garde-fous nécessaires. En parallèle, engager des discussions au sein du comité de Bâle pour obtenir la refonte des standards prudentiels internationaux.

b.   La proposition de révision du règlement sur la titrisation

La proposition de révision du règlement sur la titrisation tend, pour sa part, à réduire la charge administrative liée à l’émission ou à l’investissement dans des actifs titrisés, dans un double objectif de clarification et de simplification.

Pour les investisseurs, les exigences de diligence raisonnable seraient allégées, en particulier lorsque les actifs titrisés ont été émis par une entité établie et supervisée dans l’Union européenne. Pour les émetteurs, le champ des informations requises serait réduit de 35 %, et l’obligation de rétention du risque adaptée si la tranche de première perte est détenue ou garantie par une entité publique. Enfin, le cadre des titrisations STS serait assoupli pour faciliter la titrisation de prêts aux PME : désormais, le critère de l’homogénéité serait réputé rempli si au moins 70 % du portefeuille sous-jacent est composé de prêts aux PME, et non plus 100 %.

Recommandation n° 47 des rapporteurs : Réviser le règlement sur la titrisation pour alléger et simplifier les charges de déclaration et de vérification qui pèsent sur les émetteurs et les investisseurs, tout en préservant la nécessaire transparence. Soutenir en particulier l’extension du champ des titrisations STS pour favoriser la titrisation de prêts aux PME.

Le rapporteur Daniel Labaronne souligne que, la révision du cadre de la titrisation étant la première mesure à l’agenda de l’Union de l’épargne et de l’investissement, son adoption rapide enverrait un signal fort aux investisseurs européens et internationaux. Elle démontrerait la détermination des institutions européennes à conduire les réformes d’ampleur nécessaires à l’amélioration de l’efficacité des marchés financiers européens. Aussi le rapporteur appelle-t-il le Parlement européen et le Conseil à parvenir sans tarder à un accord, tout en préservant l’unité et l’ambition des textes qui leur sont soumis.

2.   Garantir la contribution effective de la titrisation au financement de l’économie et à l’approfondissement des marchés de capitaux

La relance de la titrisation ne pourra contribuer au financement de l’économie réelle qu’à la condition que les actifs titrisés rencontrent une demande accrue, ce qui suppose d’assouplir le cadre prudentiel applicable aux assureurs, et que des mécanismes permettent d’assurer le lien avec les besoins d’investissement stratégiques.

a.   Stimuler la demande d’actifs titrisés, en allégeant le cadre prudentiel applicable aux assureurs

Le transfert des risques vers les marchés de capitaux ne pourra être effectif qu’à condition de restaurer la base d’investisseurs, en corrigeant le cadre prudentiel applicable aux assureurs. À cet égard, la Commission européenne a annoncé, le 17 juin dernier, qu’elle présenterait dans les semaines à venir un projet de révision du règlement délégué Solvabilité II afin de supprimer les coûts prudentiels inutiles supportés par les assureurs lorsqu’ils investissent dans des titrisations.

Une telle révision permettrait notamment de modifier les charges en capital associées aux expositions titrisées. Christian Noyer préconisait à ce titre deux mesures principales ([121]) :

-         Augmenter la granularité de la formule standard pour le calcul des charges en capital, en distinguant une catégorie senior et une catégorie junior pour les titrisations non-STS, et en reconnaissant une tranche mezzanine pour les titrisations STS, afin de permettre une évaluation plus granulaire du risque.

-         Baisser les charges en capital, en particulier pour les tranches non-senior des titrisations STS et les titres les moins risqués des titrisations non-STS, qui sont surcapitalisés au regard du risque réel.

La réforme du cadre européen de la titrisation pourrait conduire les assureurs à placer jusqu’à 3 % de leurs actifs dans des actifs titrisés, contre 0,5 % aujourd’hui, selon France Assureurs.

Les rapporteurs appellent la Commission à présenter sans tarder le projet de révision du règlement délégué Solvabilité II. Ils seront attentifs à ce que les modifications proposées soient suffisamment substantielles pour permettre un véritable retour des assureurs sur le marché de la titrisation.

Recommandation n° 48 des rapporteurs : Réviser le règlement délégué Solvabilité II afin de rendre plus proportionnelles les charges prudentielles aux risques sous-jacents et permettre la pleine implication des assureurs dans le développement de la titrisation européenne.

b.   Orienter les financements dégagés vers les PME et les secteurs économiques stratégiques

Si les banques pourront profiter de l’espace libéré dans leur bilan pour augmenter les crédits aux entreprises, il n’est pas certain que les entreprises les plus innovantes en bénéficient. Le Conseil d’analyse économique considérait ainsi qu’il était « peu probable que [l’expansion du marché de la titrisation] favorise la croissance et l’investissement dans les entreprises tournées vers l’avenir, capables de conduire des innovations d’une importance stratégique ». Le profil très risqué de ces jeunes pousses s’articule en effet difficilement avec les contraintes inhérentes au financement bancaire.

La titrisation des prêts aux PME et ETI est également complexe en raison de leur hétérogénéité et de l’analyse approfondie des risques qu’ils nécessitent, qui compromettent leur agrégation. Les conditions d’homogénéité et de granularité requises par le label STS rendent son application particulièrement difficile, même si la révision à venir du règlement sur la titrisation pourrait apporter un progrès significatif. Toutefois, les PME et les ETI pourraient bénéficier de la relance de la titrisation indirectement, par l’augmentation de la capacité de financement des banques même si ce ne sont pas les prêts qui leur sont accordés qui sont titrisés en priorité.

Pour s’assurer que la relance de la titrisation contribue directement au financement des objectifs stratégiques de la France et de l’Europe, plusieurs des entités auditionnées ont suggéré de développer des produits titrisés qui ciblent certains besoins d’investissement stratégiques. La titrisation permet de soutenir un secteur ou des entités spécifiques de deux façons : en ciblant les crédits sous-jacents à l’opération, ou en affectant le produit de la vente de la titrisation. Elle pourrait ainsi soutenir le financement des PME et des SME, ou les transitions écologique et digitale. Cela favoriserait une meilleure compréhension des bénéfices de la titrisation dans l’opinion publique, en la présentant comme un instrument au service du financement des priorités européennes, à rebours de l’image de technique financière spéculative qu’elle a héritée de la crise de 2008.

Le développement de la titrisation verte relève d’une telle logique. Le règlement sur les obligations vertes européennes, entré en vigueur le 21 décembre 2024, accorde le bénéfice du label EuGV aux actifs titrisés si au moins 85 % des fonds levés sont réalloués par la banque originatrice pour financer des projets verts conformes à la taxonomie européenne. Trois exigences permettent de se prémunir contre les risques d’écoblanchiment : les prêts liés aux énergies fossiles ne peuvent pas servir de sous-jacents à ces opérations ; l’allocation des fonds doit faire l’objet d’un audit externe par des organismes agréés par l’ESMA ; et des exigences de transparence accrues sont prévues.

L’Association française des marchés financiers (Amafi) craint cependant que l’introduction de telles conditionnalités ne risque de limiter drastriquement la titrisation en volume, ou son potentiel d’octroi de nouveaux prêts.

c.   Mettre en place une plateforme de titrisation européenne

Il est loin d’être certain que la relance de la titrisation favorise effectivement l’approfondissement et à l’intégration des marchés de capitaux, alors que l’hétérogénéité des actifs sous-jacents et des modalités de prêts entre les États membres, ou des spécificités nationales en matière de droit des faillites, constituent des obstacles aux titrisations transfrontalières, comme l’observe la Banque centrale européenne ([122]).

À cet égard, la Commission européenne a déclaré envisager la mise en place d’une plateforme de la titrisation, sur le modèle des agences Freddie Mac et Fannie Mae aux États-Unis.

Une telle plateforme européenne pourrait apporter une contribution significative au développement des marchés financiers européens, selon la Banque de France. Elle favoriserait la standardisation des actifs sous-jacents et des structures de titrisation, réduisant la fragmentation du marché européen de la titrisation. Elle réduirait les coûts d’émission, en réalisant des économies d’échelle, ce qui améliorerait l’accessibilité des titrisations pour les plus petites entités. Enfin, elle élargirait la base d’investisseurs potentiels, ce qui bénéficierait aux banques situées dans des centres financiers moins développés.

L’Autorité des marchés financiers et la Banque de France suggèrent de confier la gouvernance de cette plateforme européenne à la Banque européenne d’investissement, pout bénéficier de son expertise en matière de titrisation. L’instauration d’une garantie publique, bien calibrée et portée par la BEI, renforcerait l’attractivité de la plateforme européenne. Les actifs titrisés garantis pourraient ainsi jouer le rôle d’actifs sûrs communs, essentiels à l’approfondissement des marchés de capitaux.

Recommandation n° 49 des rapporteurs : Étudier la mise en place d’une plateforme européenne de titrisation, bénéficiant d’une garantie publique, fléchée vers des secteurs stratégiques ou les PME.

 

 


   Synthèse des Recommandations

 

Recommandation n° 1 de Mme Sylvie Josserand : démythifier le projet de l’Union de l’épargne et de l’investissement, en le recentrant sur des objectifs économiques réalistes, plutôt que de le considérer comme un remède miracle pour la relance de l’économie européenne.

 

Recommandation n° 2 de Mme Sylvie Josserand : mieux protéger les actifs stratégiques européens et empêcher leur vampirisation par des fonds étrangers, en renforçant les mécanismes de filtrage des investissements étrangers selon leur volume et le secteur concerné.

 

Recommandation n° 3 de M. Daniel Labaronne : fixer une échéance politique claire en déterminant une date limite pour l’achèvement de l’intégration des marchés financiers européens, afin de fédérer les efforts des acteurs publics et privés autour d’un cap commun.

 

Recommandation n °4 de Mme Sylvie Josserand : développer une politique industrielle ambitieuse recréant les conditions nécessaires – baisse du coût de l’énergie, simplification administrative, planification industrielle cohérente – pour attirer les capitaux.

 

Recommandation n° 5 de M. Daniel Labaronne : adopter une stratégie globale, conjuguant intégration des marchés financiers, simplification, débureaucratisation, harmonisation et politique industrielle, pour développer un écosystème favorable à l’innovation et à la croissance, du financement jusqu’à la commercialisation du produit.

 

Recommandation n° 6 des rapporteurs : accompagner toute proposition de texte de la Commission dans le cadre de l’Union de l’épargne et de l’investissement d’une étude d’impact approfondie qui intègre un test de compétitivité, pour s’assurer qu’elle ne contribue pas à renforcer les parts de marché des acteurs financiers non-européens

 

Recommandation n° 7 des rapporteurs : introduire expressément dans le mandat des autorités européennes de supervision la préservation de la compétitivité des acteurs financiers européens.

 

Recommandation n °8 : restreindre l’ouverture du marché européen dans le domaine des services financiers. Il pourrait être envisagé de limiter la faculté dont dispose aujourd’hui les prestataires de services financiers en Europe de déléguer la gestion à des entités établies dans des pays tiers.

 

Recommandation n° 9 des rapporteurs : réviser en profondeur le règlement européen du 26 novembre 2014 relatif au document d’informations clés, afin d’amplifier les efforts entrepris en faveur de la simplification. Les informations véritablement utiles aux épargnants – performances passées réelles, frais totaux, niveau de risque selon l’horizon de placement – doivent être présentées de façon lisible et compréhensible. Ce document doit redevenir un véritable outil d’aide à la décision pour que chaque citoyen puisse devenir un épargnant éclairé.

 

Recommandation n° 10 des rapporteurs : développer l’éducation économique, budgétaire et financière en l’intégrant dans les programmes scolaires dès le collège et en assurant une meilleure diffusion des contenus pédagogiques produits par les différents acteurs publics et associatifs, notamment au cours du parcours client.

 

Recommandation n° 11 des rapporteurs : engager une réflexion sur la création d’un mécanisme d’action représentative en matière boursière, afin de renforcer la protection des épargnants et de rétablir une forme de justice financière face aux manquements graves des émetteurs.

 

Recommandation n° 12 de Mme Sylvie Josserand : instaurer une réflexion sur l’opportunité d’introduire une dose de capitalisation dans le système de retraite, qui serait proposée mais non obligatoire.

 

Recommandation n° 13 de M. Daniel Labaronne : favoriser l’essor de l’épargne retraite en France grâce à deux leviers : l’instauration d’une affiliation par défaut des salariés au plan d’épargne retraite (PER) collectif d’entreprise, tout en maintenant une faculté de retrait, pour en généraliser l’usage, notamment auprès des jeunes générations ; la réorientation progressive des flux d’épargne salariale vers le PER collectif, en fléchant une part des sommes versées par l’employeur au titre de l’intéressement, de la participation ou de l’abondement.

 

Recommandation n° 14 de M. Daniel Labaronne : réviser le règlement du 20 juin 2019 sur le produit paneuropéen d’épargne-retraite individuelle, en supprimant notamment le plafonnement des frais, pour favoriser sa diffusion dans les États membres qui ne disposent pas encore de produit d’épargne retraite.

 

Recommandation n° 15 des rapporteurs : poursuivre le développement de la plateforme numérique de suivi des pensions mise en œuvre par le GIP Union retraite, en coopération avec les autres pays européens, afin de permettre aux épargnants de bénéficier d’une vue globale sur les différents piliers de retraite et leur niveau de pension.

 

Recommandation n° 16 des rapporteurs : mener à bien la révision de l’acte délégué Solvabilité II pour mettre en œuvre le cadre prudentiel allégé applicable aux investissements en actions à long terme des assureurs tel que le prévoit la directive révisée.

 


Recommandation n° 17 des rapporteurs : encourager la généralisation de la gestion pilotée par horizon, qui accompagne les épargnants dans la durée en fonction de leur profil de risque et de leur horizon de placement, tout en favorisant le financement de l’économie réelle.

 

Recommandation n° 18 de Mme Sylvie Josserand : conditionner les avantages fiscaux attachés aux contrats d’assurance vie à une obligation minimale de 5 % d’investissements dans des fonds destinés à financer les entreprises non cotées.

 

Recommandation n° 19 de Mme Sylvie Josserand : proposer un produit d’épargne géré par la Caisse des dépôts et des consignations et rémunéré à un taux assis sur une « prise de risque » selon l’âge du détenteur.

 

Recommandation n °20 de M. Daniel Labaronne : Accélérer la mise en œuvre du label Finance Europe en France afin d’améliorer le rendement de l’épargne des citoyens en fléchant leurs investissements vers le financement d’entreprises européennes.

 

Recommandation n °21 de Mme Sylvie Josserand : conditionner les avantages fiscaux des produits d’épargne français à un seuil minimal d’investissements en France (51 %) et en Europe (80 %).

 

Recommandation n °22 de M. Daniel Labaronne : appliquer le label Finance Europe au PER et au PEA, en l’accompagnant éventuellement de nouvelles incitations fiscales.

 

Recommandation n °23 des rapporteurs : relever le plafond des versements sur le PEA pour tenir compte de l’inflation et conforter son rôle dans le financement de long terme de l’économie productive.

 

Recommandation n °24 de M. Daniel Labaronne : adopter les textes de transposition et d’application nécessaires à la mise en œuvre du Listing Act, en veillant à retenir les options les plus favorables aux entreprises quand une latitude est laissée aux États membres.

 

Recommandation n °25 de M. Daniel Labaronne : encourager la mise en commun par les différents groupes boursiers européens de leur segment de marché réservé aux PME à forte croissance, afin d’offrir à ces dernières une porte d’entrée unique en bourse avec des conditions allégées. Les entreprises n’auraient vocation à rester sur ce segment que de façon temporaire, avant de rejoindre l’un des marchés réglementés.

 

Recommandation n °26 de M. Daniel Labaronne : favoriser la création d’une bourse européenne de la Deep Tech, en apportant un soutien public à une initiative privée, ou en favorisant la mise en place d’un label dédié.

 

Recommandation n °27 de M. Daniel Labaronne : favoriser la souveraineté économique européenne en créant un indice boursier paneuropéen élargi, représentatif d’une large part des entreprises cotées du continent, afin de stimuler l’émergence d’un fonds indiciel véritablement paneuropéen et de renforcer l’attractivité des marchés financiers de l’Union.

 

Recommandation n° 28 de Mme Sylvie Josserand : créer un indice boursier qui couvrirait l’ensemble des entreprises françaises et mettre en place un ETF qui en répliquerait la performance, afin d’orienter les flux de financements vers l’économie nationale, et notamment les PME françaises.

 

Recommandation n °29 des rapporteurs : renforcer la compétitivité de nos marchés en soutenant activement la recherche financière sur les petites et moyennes capitalisations.

 

Recommandation n °30 des rapporteurs : au niveau français et européen, développer les mécanismes de cofinancement public-privé qui permettent d’augmenter l’effet de levier des fonds publics en mobilisant les capitaux privés, grâce à une réduction du risque perçu par les investisseurs.

 

Recommandation n °31 de M. Daniel Labaronne : soutenir le lancement de l’initiative ETCI 2.0 par le groupe Banque européenne d’investissement, en associant cette fois-ci les investisseurs privés pour multiplier l’effet de levier des financements publics et accompagner la croissance des entreprises technologiques.

 

Recommandation n° 32 de Mme Sylvie Josserand : créer un fonds souverain qui mobilise les capitaux privés pour investir dans des secteurs stratégiques.

 

Recommandation n° 33 de M. Daniel Labaronne : réviser le règlement EuVECA pour favoriser une meilleure distribution des fonds labellisés (grâce à une extension des actifs éligibles et une diminution du ticket minimal investi) et instaurer un seuil minimum d’investissements en Europe.

 

Recommandation n° 34 de M. Daniel Labaronne : mettre en place un 28e régime européen pour les start-ups et les scale-ups européennes afin de leur permettre de massifier leurs levées de fonds et de déployer leurs activités à l’échelle du marché unique, au profit de l’innovation et de la croissance.

 

Recommandation n° 35 de M. Daniel Labaronne : veiller à ce que les directives et les règlements se concentrent sur la définition des choix stratégiques et politiques, en déléguant l’élaboration des mesures techniques à l’ESMA et à la Commission européenne, afin de garantir une meilleure agilité normative.

 

Recommandation n° 36 de M. Daniel Labaronne : privilégier le recours au règlement, plutôt qu’aux directives afin d’éviter les surtranspositions et assurer la cohérence du corpus réglementaire en matière financière.

 

Recommandation n° 37 de M. Daniel Labaronne : reconnaître à l’ESMA un pouvoir d’abstention réglementaire lui permettant de suspendre de façon temporaire l’application d’une norme qui s’avère inadaptée et menace la stabilité financière ou la compétitivité des acteurs financiers européens, sur le modèle des non action letters que peuvent délivrer les autorités de supervision anglo-saxonnes.

 

Recommandation n° 38 des rapporteurs : systématiser et approfondir les études d’impact sur les projets législatifs de l’Union européenne, en y incluant un test de compétitivité afin d’anticiper les conséquences des nouvelles dispositions sur la capacité des acteurs européens à faire face à la concurrence mondiale.

 

Recommandation n° 39 des rapporteurs : reconnaître la spécificité des activités intra-groupes au niveau européen pour leur garantir un cadre réglementaire adapté.

 

Recommandation n°40 de M. Daniel Labaronne : renforcer la souveraineté financière de l’Union européenne en faisant de l’ESMA un superviseur unique des marchés financiers, doté d’un pouvoir de surveillance directe sur les plateformes européennes de crypto-actifs, les principales infrastructures de marché et les gestionnaires d’actifs paneuropéens, afin de garantir une régulation efficace, cohérente et à la hauteur des enjeux de stabilité et de compétitivité à l’échelle européenne.

 

Recommandation n°41 de Mme Sylvie Josserand : préserver la souveraineté des États contre la centralisation technocratique des pouvoirs de supervision, en privilégiant les mécanismes de convergence et de mutualisation des pratiques nationales, plutôt que des transferts forcés de compétences.

 

Recommandation n °42 de M. Daniel Labaronne : mettre en place des équipes de contrôle conjointes associant les experts des autorités nationales et les représentants de l’ESMA, afin de renforcer la compréhension mutuelle des marchés, d’assurer une supervision efficace et de construire une Europe financière plus intégrée, sans perdre le lien de proximité avec les acteurs économiques.

 

Recommandation n °43 de M. Daniel Labaronne : converger vers une meilleure harmonisation du droit des titres et du droit des sociétés pour permettre aux infrastructures de post-marché de mener à bien leur stratégie de consolidation et de bénéficier des économies d’échelle associées.

 

Recommandation n °44 de M. Daniel Labaronne : réviser le règlement européen du 30 mai 2022 sur le régime pilote afin d’étendre le champ de l’expérimentation sur l’utilisation de la technologie des registres distribués par les infrastructures de marché, en rehaussant les seuils d’éligibilité. Favoriser l’interopérabilité de ces nouvelles plateformes avec les infrastructures de marché existantes.

 

Recommandation n° 45 de M. Daniel Labaronne : doter l’Union européenne d’une infrastructure de marché de nouvelle génération, fondée sur la technologie des registres distribués, afin de permettre le règlement-livraison d’actifs tokenisés en monnaie numérique de banque centrale, et ainsi affirmer la souveraineté financière de l’Europe dans la révolution technologique en cours.

 

Recommandation n°46 des rapporteurs : réviser le règlement sur les exigences de fonds propres des banques afin d’alléger les charges prudentielles associées aux tranches de titrisation les plus sûres, tout en préservant les garde-fous nécessaires. En parallèle, engager des discussions au sein du comité de Bâle pour obtenir la refonte des standards prudentiels internationaux.

 

Recommandation n °47 des rapporteurs : réviser le règlement sur la titrisation pour alléger et simplifier les charges de déclaration et de vérification qui pèsent sur les émetteurs et les investisseurs, tout en préservant la nécessaire transparence. Soutenir en particulier l’extension du champ des titrisations STS pour favoriser la titrisation de prêts aux PME.

 

Recommandation n °48 des rapporteurs : réviser le règlement délégué Solvabilité II afin de rendre plus proportionnelles les charges prudentielles aux risques sous-jacents et permettre la pleine implication des assureurs dans le développement de la titrisation européenne.

 

Recommandation n °49 des rapporteurs : étudier la mise en place d’une plateforme européenne de titrisation, bénéficiant d’une garantie publique, fléchée vers des secteurs stratégiques ou les PME.

 

 


   TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission s’est réunie le mercredi 9 juillet 2025 sous la présidence de M. Laurent Mazaury, vice-président, pour examiner le présent rapport d’information.

M. le vice-président Laurent Mazaury. L’ordre du jour de notre réunion appelle l’examen du rapport d’information sur l’Union des marchés de capitaux de Daniel Labaronne et Sylvie Josserand. Sans entrer dans le détail du sujet, je tiens à souligner l’ampleur et la richesse du travail des rapporteurs. La liste des auditions et la richesse des recommandations, pour certaines communes, pour d’autres propres à l’un ou l’autre des rapporteurs, témoignent du travail important réalisé.

M. Daniel Labaronne, co-rapporteur. C’est avec grand plaisir que nous vous présentons l’aboutissement de six mois de travaux sur l’Union des marchés de capitaux, qui recouvre des enjeux stratégiques pour la compétitivité et la prospérité de l’Union européenne comme de la France, au-delà de la technicité présumée. En notre qualité commune d’universitaires, nous avons tenu à aborder le sujet de façon objective et scientifique, sans préjugés, en faisant droit à la complexité des questions posées.

Nous avons réalisé quarante-trois auditions, pour un total d’une soixantaine d’heures. Elles nous ont permis de retracer toute la chaîne du financement de l’économie, et d’échanger avec les multiples acteurs qui interviennent pour faciliter la rencontre entre les épargnants et les entreprises : les banques, et les assureurs, qui proposent des produits d’épargne aux ménages ; les sociétés de gestion d’actifs, auxquelles sont confiés les fonds collectés pour qu’elles les investissent de façon optimale ; les opérateurs de plateformes de négociation, c’est-à-dire les bourses, sur lesquelles s’échangent les titres financiers ; les chambres de compensation et les dépositaires centraux de titres qui assurent le bon dénouement des transactions, en délivrant les titres financiers contre paiement ; les fonds de capital-investissement, qui prennent des parts dans le capital d’entreprises non cotées en Bourse, souvent des PME à forte croissance ; et les autorités de supervision, qui veillent au bon fonctionnement des marchés pour protéger les investisseurs et garantir la stabilité financière.

Nous avons également rencontré les acteurs publics compétents – le directeur général du Trésor, la présidente de l’Autorité des marchés financiers, le premier sous-gouverneur de la Banque de France –, des think tanks, et de nombreux économistes et experts. Deux déplacements, à Bruxelles et à Francfort, ont permis de concrétiser la dimension européenne de nos travaux.

Le rapport d’information vise à dresser le bilan des premières réalisations de l’Union des marchés de capitaux, et à apprécier les enjeux et les limites que soulève la relance du projet sous le nom d’Union de l’épargne et de l’investissement. Il nous a conduits à formuler quarante-neuf recommandations pour améliorer l’efficacité des marchés financiers.

L’Union des marchés de capitaux a été lancée en 2014 par le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker. Elle vise à rééquilibrer le système financier européen, qui repose aux trois quarts sur les banques, à l’inverse du système financier américain, afin d’en renforcer la résilience. Des marchés financiers plus développés doivent permettre de mieux répartir les risques entre banques et marchés, et d’offrir de nouvelles sources de financement à l’économie alors que la capacité de prêts des banques se voit réduite par des exigences de fonds propres accrues.

À l’issue d’une première décennie de mise en œuvre, qui a donné lieu à deux plans d’actions de la Commission européenne, il y a cependant peu de résultats tangibles. Certaines mesures techniques ont été saluées par les acteurs financiers, comme la création de fonds européens d’investissement de long terme (ELTIF), la simplification de la cotation en bourse par le Listing Act, ou la création d’un point d’accès unique aux informations publiées par les entreprises européennes (ESAP). Mais d’autres initiatives se sont soldées par un échec, notamment le produit paneuropéen d’épargne retraite individuel (PEPP), introduit en 2019.

S’il est encore tôt pour apprécier l’efficacité de réformes qui viennent d’entrer en vigueur, l’Union des marchés de capitaux n’a eu jusqu’ici qu’une faible incidence sur la profondeur et la liquidité des marchés financiers européens. La capitalisation boursière totale des entreprises de l’Union européenne est estimée à 12 000 Md$ quand celle des sept géants technologiques américains atteint, à elle seule, 16 300 Md$ en mai 2025. L’intégration financière se dégrade depuis 2021, le volume de détention de titres financiers transfrontaliers étant passé de 87 % à 70 % du PIB de l’Union européenne.

Selon les rapports de Mario Draghi et de Christian Noyer, la faible profondeur des marchés financiers européens compromet la bonne allocation de l’épargne des ménages avec les besoins d’investissements des entreprises, au risque de limiter la croissance et l’innovation. Les difficultés de financement des entreprises expliqueraient que près de 30 % des licornes créées en Europe aient choisi de déménager leur siège à l’étranger, principalement aux États-Unis, entre 2008 et 2021. En parallèle, le manque d’opportunités d’investissement en Europe conduit les ménages européens à exporter 20 % de leur épargne financière à l’étranger, soit un flux de 300 Md€ par an perdu pour l’économie européenne.

À l’heure où les États-Unis se replient sur eux-mêmes, où la Chine trace sa propre voie, l’Europe ne peut plus tergiverser. Elle doit se doter de ses propres leviers financiers, pleinement assumés, pour défendre son autonomie stratégique et assurer sa prospérité économique. Notre réponse à ce monde en bascule ne saurait être le repli, ni l’attentisme, mais bien une intégration renforcée au service de notre souveraineté économique.

Fidèle à son rôle de moteur de la construction européenne, notre pays a impulsé une relance ambitieuse du projet d’Union de l’épargne et de l’investissement, désormais placé au cœur de l’agenda stratégique européen. Le lancement du label Finance Europe en juin dernier par le ministre de l’économie et des finances Éric Lombard et ses homologues européens est une première pierre. Face à l’urgence économique et géopolitique, cette pierre doit devenir fondation.

Il s’agit, ni plus ni moins, que de reprendre la main sur notre avenir économique, et de mettre fin à la dépendance croissante de nos entreprises aux capitaux étrangers, en particulier américains. Quand BlackRock devient le premier gestionnaire d’actifs en Europe, devant Amundi, c’est notre capacité à orienter les investissements qui est mise en cause. Nous devons mobiliser notre plus grande force dormante, les 35 000 Md€ d’épargne privée européenne, trop souvent sous-utilisés, mal orientés, voire aspirés vers d’autres continents.

L’Union de l’épargne et de l’investissement recouvre un enjeu d’autonomie stratégique, alors que les pays européens sont sur le point de perdre la maîtrise de leurs circuits de financement. Les acteurs financiers étrangers ont considérablement accentué leur pénétration au cours des dernières années, marginalisant les acteurs européens dans leur propre espace économique. C’est notamment le cas dans la gestion d’actifs, où les parts de marché des sociétés américaines sont passées de 30 à 42 % entre 2013 et 2023. BlackRock en tête, c’est notre épargne qui traverse l’Atlantique pour financer d’autres économies, pendant que nos PME, nos start-ups et nos infrastructures manquent de capitaux.

Les gestionnaires d’actifs et les banques d’investissement américaines doivent leur succès à la profondeur de leur marché domestique, qui permet des synergies et des économies d’échelle, là où les acteurs européens doivent composer dans un environnement fragmenté. Une Europe fragmentée, ce sont des entreprises seules face à des fonds prédateurs. Une Europe intégrée, ce sont des règles communes, des outils communs, une puissance financière partagée au service de nos intérêts. Il en résultera une meilleure attention au tissu économique local, et notamment aux plus petites entreprises, qui sont souvent oubliées dans les stratégies d’investissement des gestionnaires étrangers.

À la lumière de ces défis pour notre prospérité et notre souveraineté, l’Union de l’épargne et de l’investissement a été portée au plus haut niveau politique. Sous l’impulsion du ministre de l’économie et des finances français Bruno Le Maire, elle a été inscrite à l’agenda européen dès le début de l’année 2024, et a depuis fait l’objet de déclarations fortes du Conseil européen, de la Banque centrale européenne, et de l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA), tout en suscitant de fortes attentes parmi les acteurs financiers.

Mais nous n’avons plus le luxe du temps long. L’idée du Gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, de fixer une date limite pour l’achèvement de l’intégration des marchés financiers me semble particulièrement pertinente. Elle permettrait de fédérer les efforts des institutions publiques et des acteurs privés autour d’un cap clair, comme les Européens ont su le faire pour le passage au marché unique, le 1er janvier 1993, ou pour l’adoption de l’euro, le 1er janvier 1999.

Sur le modèle du Livre blanc de Jacques Delors, qui comprenait un ensemble de mesures destinées à unifier le marché avant l’échéance fixée, nous pourrions imaginer un Livre blanc vers un marché unique de capitaux, articulé autour de quelques actions structurantes : faire de l’ESMA le superviseur unique des marchés financiers, doté d’un pouvoir de surveillance directe sur les plateformes européennes de crypto-actifs, les principales infrastructures de marché et les gestionnaires d’actifs paneuropéens ; soutenir le développement de produits d’investissement de long terme orientés vers le financement de l’économie européenne, en déployant le label « Finance Europe » ; encourager les différents groupes boursiers à mettre en commun leur segment de marché réservé aux petites entreprises à forte croissance afin d’offrir à ces dernières une porte d’entrée unique en bourse qui leur donnerait accès à l’ensemble des investisseurs européens ; instaurer un 28e régime européen pour les jeunes entreprises innovantes, qui harmoniserait les règles d’insolvabilité et de droit des sociétés, afin de leur permettre de massifier leurs levées de fonds et de développer leurs activités à l’échelle du marché unique européen ; s’emparer, enfin, de la révolution technologique en cours et mettre en place une infrastructure de marché intégrée, fondée sur la technologie blockchain et la monnaie numérique de banque centrale, afin d’améliorer l’efficacité et la rapidité des transactions transfrontières.

Mme Sylvie Josserand, co-rapporteure. Comme l’a rappelé mon co‑rapporteur, l’Union de l’épargne et de l’investissement trouve sa raison d’être dans le constat sans appel du décrochage économique de l’Europe qu’ont dressé les rapports d’Enrico Letta et de Mario Draghi. La France est au troisième rang des pays les plus endettés de la zone euro, derrière la Grèce et l’Italie. Les intérêts de la dette représentent 67 Md€ en 2024 et devraient atteindre 100 Md€ d’ici 2029. L’Union européenne est elle-même en déficit. Mario Draghi a évalué que les transitions écologique et numérique exigeraient de 750 à 800 Md€ supplémentaires par an.

En parallèle, la zone euro dispose des taux d’épargne des ménages les plus élevés au monde : 15,2 % en moyenne en 2024, 20 % en Allemagne et 18 % en France, contre 12 % au Royaume-Uni et 3,8 % aux États-Unis. L’épargne européenne représentait en 2024 plus de 35 500 Md€. Un flux d’épargne de 300 Md€ s’exporte chaque année vers l’étranger, en particulier vers les États-Unis. Cela s’explique notamment par la forte diffusion des ETF, des fonds indiciels, qui contribuent à orienter les financements vers les entreprises américaines.

L’épargne des Français est principalement placée dans l’immobilier et dans des produits liquides et garantis, plutôt que dans des investissements risqués et de long terme. Cela affecte la capacité des banques et des compagnies d’assurance européennes à investir dans les fonds propres des entreprises et à financer l’économie réelle.

Les PME et les ETI sont confrontées à des difficultés spécifiques. Le cadre prudentiel issu des accords de Bâle III limite les prêts aux petites entreprises, entraînant un resserrement du crédit bancaire dans certains secteurs. Autrement dit, les petites entreprises n’ont pas accès aux banques. D’autre part, la faiblesse de la liquidité sur les marchés financiers empêche les investisseurs de revendre leurs participations dans les PME ou les ETI, ce qui limite leur attractivité. Les petites entreprises renoncent souvent à se faire coter, car l’introduction en Bourse exige un processus coûteux – rappelons que 95 à 99 % des entreprises ne sont pas cotées en Bourse. Quant aux entreprises cotées, 761 en 2024, 839 en 2021. En 2024, la place de Paris n’a connu que 7 nouvelles cotations pour 50 sorties de la cote.

L’objectif de l’Union de l’épargne et de l’investissement est de diriger l’importante épargne européenne vers l’investissement en Europe. Cela doit permettre, à tout le moins sur le papier, d’apporter des financements aux entreprises, notamment aux PME, aux start-ups et aux scale-ups, pour qu’elles puissent réaliser leur développement en Europe. La fragmentation des marchés européens conduit à ce que l’allocation de l’épargne et de l’investissement se fasse sur une base nationale. Autrement dit, les épargnants investissent rarement au-delà des frontières de leur pays.

Pour ma part, je considère que l’Union de l’épargne et de l’investissement est une illusion, une sorte de miroir aux alouettes. La première raison en est l’absence de projections économiques. Il est regrettable qu’aucune étude d’impact sur le projet d’Union des marchés de capitaux n’ait été mise en œuvre. L’Union de l’épargne et de l’investissement est souvent présentée comme la solution miracle aux problèmes de financement européens, sans que cette hypothèse ne soit étayée par des chiffrages solides. Nous avons demandé aux auditionnés s’ils disposaient de projections économiques, mais la réponse a toujours été la même : il n’y a pas d’estimation car ce sont les marchés qui auront le dernier mot.

L’Union de l’épargne et de l’investissement semble illusoire pour une seconde raison : la faible rentabilité des investissements financiers dans la zone euro, aussi bien en actions qu’en obligations, qui s’explique par la faible croissance européenne. Il faut rappeler la faiblesse du secteur industriel français, qui ne représente que 17 % du PIB, contre 27 % en Allemagne. C’est le bon projet qui suscite le financement, nous a-t-on dit, et non l’inverse.

Ainsi, la cause essentielle de l’exportation de l’épargne européenne vers le reste du monde ne tiendrait pas tant à la fragmentation des marchés financiers européens qu’aux faibles perspectives de croissance des entreprises européennes. Ce contexte économique dépressif limite les projets des entreprises, et partant les opportunités d’investissement pour les épargnants. Dès lors que l’économie américaine offre des rendements plus élevés, il est dans l’intérêt des ménages européens d’y placer leur argent, et le devoir fiduciaire des intermédiaires financiers les y conduit logiquement, comme l’ont exposé plusieurs compagnies d’assurances auditionnées. La fuite des capitaux vers l’étranger est encore accentuée par l’univers de taux bas qui prévaut en Europe.

Ce miroir aux alouettes n’est pas sans risque, notamment sur le plan économique. Pour justifier l’Union de l’épargne et de l’investissement, ses partisans exposent qu’il existe un enjeu d’autonomie stratégique puisque les pays européens seraient en train de perdre la maîtrise de leurs circuits de financement. Les acteurs américains risquent cependant de profiter des nouvelles opportunités d’investissement pour gagner en Europe de nouvelles parts de marché. Dans la gestion d’actifs, les parts des sociétés américaines en Europe atteignent 42 % en 2023, contre 30 % il y a dix ans. Par comparaison, les parts de marché des gestionnaires d’actifs européens ne représentent que 2 % aux États-Unis.

Il faut cesser d’être naïfs et restreindre l’ouverture de l’Union européenne sur l’extérieur afin d’empêcher que l’Union des marchés de capitaux ne favorise encore davantage la vampirisation de nos actifs stratégiques par des fonds étrangers. Je préconise donc de renforcer les mécanismes de filtrage des investissements étrangers, en fonction de leur volume et des secteurs dans lesquels ils s’opèrent.

L’Union des marchés de capitaux suscite également des réserves sur le plan politique. C’est notamment le cas des petits pays d’Europe de l’Est, qui craignent que le qui craignent que le mouvement de concentration des services financiers qui en résulterait se fasse au détriment de leur marché national. Ils souhaitent, au contraire, développer leurs circuits de financement nationaux en conservant sur leur territoire des infrastructures de marché souveraines. Le sujet se heurte également aux réticences de l’Irlande et du Luxembourg, qui ont fait de la souplesse de leur supervision et de leur faible fiscalité des arguments d’attractivité auprès des investisseurs étrangers. Ils sont particulièrement hostiles à une harmonisation de la fiscalité ou des pratiques de supervision qui iraient à l’encontre de leur dumping réglementaire.

La refonte de l’architecture financière de l’Union européenne créera des perdants et des gagnants, comme la mondialisation dans les années 1990. Or, ces inévitables effets redistributifs demeurent l’un des grands impensés de l’Union de l’épargne et de l’investissement.

Pour ce qui est de la France, certains auditionnés nous ont exposé que l’approfondissement des marchés financiers européens permettrait de renforcer la place financière de Paris et de soutenir la croissance de l’industrie financière – même s’il faut déplorer, là encore, l’absence de projections précises. Il n’est cependant pas certain que les entreprises françaises puissent profiter de cet afflux de capitaux, si les gestionnaires d’actifs préfèrent investir à la périphérie de l’Union européenne, dans des économies en rattrapage à plus fort taux de croissance.

Aussi m’apparaît-il nécessaire d’adopter des garde-fous pour préserver le financement du tissu économique national face à la compétition accrue qui s’annonce. J’invite notamment à flécher l’épargne française vers l’économie productive nationale dans une certaine proportion, ainsi qu’à mettre en place un fonds souverain.

L’exposé des co-rapporteurs a été suivi d’un débat.

M. Pierre Pribetich (SOC). Je voudrais tout d’abord féliciter les co‑rapporteurs, qui ont réussi, en 129 pages, à faire le tour d’un sujet aigu et ardu. J’ai un problème entre la page 106 et 116, sur la partie qui concerne la titrisation. À la page 113, nous lisons : « Le rapporteur Daniel Labaronne souligne que la révision du cadre applicable à la titrisation, première mesure de l’agenda de l’Union de l’épargne et de l’investissement, enverrait un signal fort aux investisseurs européens et internationaux. » Il est en effet nécessaire de réviser le règlement sur la titrisation pour alléger les charges de déclaration et de vérification qui pèsent sur les émetteurs et les investisseurs. Mais cette simplification ne doit pas se faire au détriment de la transparence, qui constitue la pierre angulaire de la confiance dans les marchés financiers.

La titrisation a été au cœur de la crise financière de 2008 – étant alors député européen, j’en ai été directement témoin. À cette époque-là, la titrisation pâtissait d’une grande opacité. Les produits titrisés, notamment les titres adossés à un panier de prêts hypothécaires, étaient structurés de façon très complexe, avec des expositions parfois maquillées, ce qui rendait difficile pour les investisseurs l’évaluation des risques associés.

L’effondrement procède des défauts sur les prêts hypothécaires risqués qu’étaient les subprimes. Quand le marché de l’immobiliser s’est affaissé, et que les taux d’intérêt ont commencé à augmenter, de nombreux emprunteurs se sont trouvés dans l’incapacité de rembourser leur prêt. La titrisation a permis la propagation du risque lié aux subprimes à travers le système financier mondial, qui ne disposait à l’époque d’aucun garde-fou pour l’arrêter. Lorsque les défauts se sont multipliés sur les prêts sous-jacents, les pertes se sont propagées à tous les détenteurs des produits titrisés, affectant l’ensemble des institutions financières. S’est ensuivie une perte de confiance dans un système financier, sans doute à bout de souffle, qui n’avait pas su mettre en place les barrières nécessaires.

Vous formulez plusieurs recommandations pour relancer la titrisation, notamment la n° 47 qui propose de réviser le règlement sur la titrisation pour alléger et simplifier les charges de déclaration et de vérification. Si l’intention peut être bonne, le diable est dans les détails. Vous expliquez qu’il faut garantir la souplesse nécessaire pour que la titrisation favorise l’investissement dans le tissu économique, et notamment les PME. Le système est peut-être cadenassé par des règlements féroces. Mais, si nous le déverrouillons, quels garde-fous permettront de limiter la propagation du risque ? Quels mécanismes sont prévus pour ne pas retomber dans les errements qui ont conduit à la crise de 2008 ?

Mme Sylvie Josserand, co-rapporteure. Avant d’aborder ce thème, j’avais une perception similaire de la titrisation, marquée par le souvenir parfait de la crise des subprimes en 2008. L’étude approfondie du sujet, ainsi que les auditions d’acteurs du secteur financier, m’a permis de mieux comprendre le mécanisme et de constater qu’il était fait à la titrisation un mauvais procès. En Europe, nous n’avons en effet pas connu les mêmes dérives qu’aux États-Unis.

La titrisation permet d’alléger le bilan des banques et leur offre ainsi la possibilité d’accorder davantage de prêts aux petites et moyennes entreprises, ce que nous recherchons. Vous insistez sur la propagation des risques. Mais entre 2008 et 2013, le taux de perte moyen sur les titrisations européennes n’a été que de 1 %, contre 17 % aux États-Unis. Cette différence s’explique par le fait que nous disposions en Europe d’outils précis et efficaces pour juguler le risque.

La titrisation que nous soutenons aujourd’hui est fondamentalement différente de celle de 2007-2008. Alors qu’avant la crise, les banques pouvaient transférer intégralement le risque à d’autres acteurs, elles ont désormais l’obligation d’en conserver une partie dans leur bilan. Si votre question est tout à fait légitime compte tenu de ce qui s’est produit aux États-Unis, l’Europe ne devrait pas connaître de telles difficultés grâce aux garanties spécifiques que nous avons mises en place.

Mon co-rapporteur et moi-même partageons la conviction qu’il faut élargir le marché européen de la titrisation, qui est aujourd’hui dix fois plus petit que celui des États-Unis. Ce serait un levier important pour permettre aux banques de financer davantage les petites et moyennes entreprises.

M. Pierre Pribetich (SOC). Mais quels sont les garde-fous qui permettront d’éviter la propagation du risque à l’ensemble du système financier ? Vous avez raison de rappeler la différence de réglementation entre les États-Unis et l’Europe, qui s’est traduite par des taux de perte moyens sans commune mesure. Je reconnais qu’un cadre réglementaire trop rigide est contre-productif, mais jusqu’où aller si nous choisissons de le déverrouiller ? Vous affirmez qu’il n’y aura pas de problème. Les acteurs français qui conçoivent ces produits ne sont cependant pas tous aussi certains de maîtriser complètement la propagation du risque.

M. Daniel Labaronne, co-rapporteur. Nous sommes favorables à un allègement ciblé et maîtrisé du cadre prudentiel, afin que les exigences de fonds propres imposées aux banques soient davantage proportionnées à la réalité des risques. Vous avez néanmoins raison, il faut des garde-fous.

Nous souhaitons conserver l’esprit des règles instaurées après la crise financière de 2008, en particulier sur deux points. Premièrement, l’interdiction de la re-titrisation. Deuxièmement, l’obligation pour les banques de conserver une part du risque dans leur portefeuille, afin d’aligner leurs intérêts avec ceux des investisseurs qui achètent les produits titrisés, là où les banques américaines avaient transféré entièrement leurs risques à d’autres acteurs lors de la crise des subprimes. Avec ces deux dispositions, nous pourrons introduire de la souplesse, mais dans un cadre sécurisé, de manière à prévenir les risques d’emballement qui pourraient résulter d’une titrisation mal maîtrisée.

Je rappelle par ailleurs que, depuis 2008, il n’est plus possible d’intégrer n’importe quoi dans les paniers d’actifs sur lesquels s’assoit la titrisation. La grande difficulté qui a entraîné la crise des subprimes était que les titrisations embarquaient une multitude d’actifs dont plus personne n’était capable d’identifier l’origine ni les caractéristiques.

Mme Manon Bouquin (RN). Le projet d’Union des marchés des capitaux ressurgit après des années de silence, dans un contexte où les dettes publiques atteignent des sommets historiques partout en Europe. La France est désormais endettée à hauteur de 3 300 Md€, soit 114 % du PIB, auxquels il faut ajouter la dette de l’Union européenne, qui devrait atteindre 1 000 Md€ en 2026.

La temporalité n’est pas anodine. Le sujet refait surface alors que les États n’ont plus les moyens d’investir dans des domaines cruciaux comme la défense, ou le numérique. Face à cette situation, l’Union des marchés des capitaux est présentée par la Commission européenne comme la solution miracle : celle qui permettrait de démultiplier la mobilisation de l’épargne pour l’investissement en Europe afin de lever des freins à la croissance.

C’est oublier un peu vite les véritables causes du décrochage : un déficit chronique de compétitivité, l’écrasement des entreprises sous les normes, et surtout, l’absence de stratégie industrielle. Comme d’habitude, la Commission européenne se contente d’assigner avec optimisme de vagues objectifs généraux, qui ne sont en vérité que des espérances, sans s’occuper ni des moyens, ni de la méthode pour les atteindre.

Le directeur général du Trésor et la présidente de l’Autorité des marchés financiers reconnaissent eux-mêmes que ce projet est incertain dans ses effets et conserve une dimension de pari. Un pari dont nous ignorons la mise, car comme le soulignent les rapporteurs, ni les volumes de capitaux mobilisables, ni leur répartition future entre les États membres n’ont fait l’objet d’estimations précises. Réaliser un tel chiffrage obligerait en effet la Commission à clarifier ses projets.

La profondeur des marchés financiers américains repose sur la collecte de l’épargne retraite par des fonds de pension géants. Autrement dit, le corollaire naturel de l’Union des capitaux est l’instauration de la retraite par capitalisation. À défaut, elle conduira à accélérer la vampirisation de notre économie par des fonds d’investissement étrangers, comme l’a souligné Mme Josserand. Notre impuissance perdurera tant que les États se refuseront à reprendre le pilotage de la politique industrielle.

Ce projet de la Commission européenne ne lève pas davantage les obstacles à la prise de risque qui résultent de la réglementation européenne et qui ont pour effet d’orienter les capitaux vers le financement des dettes publiques, au détriment de l’activité économique. La solution à ce problème ne peut venir d’une fictive union financière européenne, ni du transfert des compétences de supervision des marchés financiers à une autorité européenne. Ce n’est pas d’un manque d’intégration européenne que souffre l’investissement en France et en Europe, mais d’un manque de souveraineté et de responsabilité des États membres.

M. Daniel Labaronne, co-rapporteur. Je suis convaincu que l’Union de l’épargne et l’investissement est nécessaire pour renforcer la compétitivité des entreprises, en leur permettant de trouver des fonds propres pour financer leur développement et l’innovation. C’est aussi un moyen pour assurer aux épargnants européens des rendements plus élevés qu’à l’heure actuelle. En France, songez que 1 000 Md€ d’épargne sont placés sur des produits réglementés ; 2 000 Md€ sur des assurances vies, en fonds euros ; et enfin, 1 000 Md€ sur des comptes bancaires non rémunérés. En tout, ce sont 4 000 Md€ qui ne financent pas véritablement l’économie réelle, si ce n’est de façon indirecte, empêchant les épargnants de disposer de revenus plus importants du placement de leur épargne.

Permettez-moi une parenthèse plus personnelle, qui explique ma conviction fondamentale sur l’Union de l’épargne et de l’investissement. Il se trouve que l’un de mes petits-fils est atteint d’une maladie rare. J’ai lu, il y a quelques jours, dans Les Échos, un article intitulé « Thérapies géniques : la France actionne enfin sa force de frappe ». Un paragraphe m’a particulièrement touché : « La France avait été pionnière des thérapies géniques en 1999 avec les bébés bulles. Mais depuis, faute de moyens pour financer les essais cliniques et l’industrialisation, aucun acteur français n’a mis une thérapie génique sur le marché ».

Pour moi, l’Union de l’épargne et de l’investissement est le moyen de permettre aux start-ups innovantes qui existent en France, non seulement dans les thérapies géniques mais dans bien d’autres domaines, de trouver des financements pour réaliser de l’innovation, de la recherche, et engager ensuite un processus d’industrialisation. Il est sans doute trop tard pour mon petit-fils, mais je le souhaite pour les enfants à venir, dont la thérapie génique pourrait prévenir la maladie.

Ma conviction se situe à ce niveau-là : renforçons notre compétitivité, permettons aux entreprises de disposer de fonds propres pour innover, et faisons en sorte que l’épargne des épargnants soit mieux rémunérée.

Mme Sylvie Josserand, co-rapporteure. Il est vrai que les 35 000 Md€ d'épargne européenne constituent un trésor sur lequel l’Union européenne ne peut que lorgner, d’autant plus que sa dette atteint elle-même plus de 513 Md€ aux derniers chiffres de 2024.

Une plus grande profondeur des marchés permettrait sur le papier, comme mon collègue Daniel Labaronne vient de l’expliquer, de développer des projets d’investissement, notamment dans la recherche, en matière numérique, de transition verte, et maintenant de défense.

Il ne faut cependant pas être naïf. L’ouverture des marchés profitera également à d’autres acteurs, plus forts que nous, qui viendront prendre leur part. Les circuits financiers risquent de nous échapper. L’ESMA nous privera de la maîtrise des décisions : au fur et à mesure que l’autorité européenne verra ses pouvoirs grandir, les compétences des régulateurs nationaux diminueront, ce qui nous expose à une perte de souveraineté. L’ESMA, cela signifie également plus de normes, alors que nous souffrons déjà de leur inflation.

Tout cela sera contreproductif à mon sens, d’autant plus que notre outil industriel est en déclin. C’est la question de la poule et de l’œuf : est-il possible d’attirer les capitaux vers des projets en devenir, ou les capitaux viendront car les projets sont déjà solides ? Un investisseur responsable s’oriente vers des projets aboutis, les plus à même de lui assurer des bénéfices.

Mme Céline Calvez (EPR). Comme vous le soulignez, l’Union des marchés de capitaux n’a pas rempli toutes ses promesses. L’Union de l’épargne et de l’investissement vise à orienter les milliers de milliards d’épargne insuffisamment utilisés vers l’investissement à long terme, pour répondre aux besoins de fonds propres des entreprises. Il s’agit donc de faire se rejoindre l’offre et la demande de capitaux, avec un renforcement de la supervision européenne et une relance de la titrisation. Vous aboutissez à une cinquantaine de recommandations, dont certaines sont communes et d’autres portées à titre personnel. Je reviendrai sur trois d’entre elles.

La recommandation n° 10 encourage à développer l’éducation économique, budgétaire et financière. C’est en effet un enjeu important, auquel je suis d’autant plus attentive en tant que vice-présidente de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Pour autant, l’éducation n’est pas une compétence pleine de l’Union européenne. Est-ce qu’il faudrait accorder davantage de pouvoirs au niveau européen en la matière ?

La recommandation n° 20 de M. Daniel Labaronne, préconise d’accélérer la mise en place du label « Finance Europe ». C’est, en effet, une initiative très intéressante. Concrètement, comment faire pour que les produits labellisés assurent de bons rendements tout en fléchant l’investissement vers les entreprises européennes, quelle que soit leur taille ?

Vous proposez, enfin, de mettre en place un vingt-huitième régime européen pour les start-ups et les scale-ups. En quoi consiste-t-il ? Quel est le calendrier envisagé ? En quoi sera-t-il particulièrement intéressant pour la France ?

À l’heure où nous devons nous battre pour notre compétitivité, comme l’a souligné le rapport Draghi, votre rapport contribue à identifier les leviers de financement possibles, pour l’intelligence artificielle, la recherche, et bien d’autres domaines. L’Union de l’épargne et de l’investissement doit permettre de préserver notre santé, notre avenir, et notre souveraineté.

Mme Sylvie Josserand, co-rapporteure. S’agissant de l’éducation économique et financière que nous recommandons, force est de constater la très grande ignorance des épargnants français, et européens en général, de ce qu’est la chaine d’investissement. Cela les prive de possibilités de rendements élevés. Le private equity, ou capital-investissement, offre des rendements très importants, près de 14 % sur les dix dernières années contre 10 % pour les indices CAC 40. Pourtant, les ménages les moins aisés n’investissent pas dans cette voie, préférant laisser leur épargne sur des comptes peu rémunérateurs. L’éducation financière permettrait d’ouvrir les horizons des épargnants, tout en favorisant le financement des entreprises qui ne sont pas cotées en Bourse. Ce serait donc gagnant-gagnant.

Concernant le label, je considère que c’est un bel emballage mais qu’il ne garantira pas le déploiement effectif des financements vers l’investissement, comme l’a démontré l’échec cuisant du PEPP.

Je ne partage pas la recommandation tendant à l’instauration d’un 28e régime qui s’ajouterait aux 27 régimes en vigueur dans les États membres, à défaut de pouvoir les harmoniser. Je crains que ce régime ne soit qu’un plus petit commun dénominateur en matière de droit des faillites ou de droit du travail, un régime low cost qui ne protège pas les travailleurs. C’est pourquoi je n’y suis pas favorable.

M. Daniel Labaronne, co-rapporteur. S’agissant de l’éducation économique et financière, toutes les personnes que nous avons auditionnées ont mis l’accent sur une méconnaissance de la part du grand public de leurs intérêts financiers et des mécanismes économiques en général. Les 4 000 Md€ d’épargne française que j’évoquais tout à l’heure ne rapportent pas grand-chose à leurs détenteurs. Il y a cependant eu de premiers progrès en la matière, notamment grâce à l’actionnariat salarié qui permet aux travailleurs de s’approprier certaines notions.

Le plan d’épargne retraite (PER) que nous avons mis en place, dans le cadre de la loi Pacte de 2019 portée par Bruno Le Maire, constitue également une avancée : simple et efficace, il permet d’obtenir des rendements intéressants, tout en invitant les ayants droit à être plus attentifs à la performance de leur portefeuille. Il serait un bon candidat pour le label « Finance Europe ».

Sur la question du label, je suis favorable à ce que les pays qui veulent aller de l’avant se rassemblent pour mettre en place des dispositifs qui permettent à la fois d’apporter des fonds propres pour leurs entreprises et de mieux rémunérer l’épargne. Le cas de l’euro illustre bien cette possibilité, puisque tous les États membres de l’Union européenne ne sont pas membres de la zone euro – je salue sa prochaine adoption par la Bulgarie, qui deviendra le 21e pays de la zone euro.

S’agissant du 28e régime, nous n’arriverons jamais à trouver des compromis avec toutes les réglementations et législations existantes dans les vingt-sept États membres de l’Union européenne. Il faudrait créer un régime ex nihilo, qui ne serait pas forcément le plus petit des communs dénominateurs, mais qui intègre toutes les innovations juridiques, du droit des sociétés au droit du travail, en passant par les régimes fiscaux. Le but serait d’obtenir un régime qui soit à la fois adapté à la modernité de notre époque et à même de dépasser tous les clivages juridiques et fiscaux à l’origine de la fragmentation.

Je suis par ailleurs partisan d’un renforcement de l’ESMA. De même qu’il existe un superviseur unique dans le domaine bancaire, il est possible d’imaginer qu’un superviseur européen surveille les plateformes de blockchain, les infrastructures de marché européennes, ou encore les grands gestionnaires d’actifs. Le gestionnaire d’actifs français Amundi doit interagir avec vingt-sept superviseurs différents au sein de l’Union européenne, ce qui est à la fois complexe et coûteux, notamment en frais de gestion. Si Amundi n’était supervisé que par une seule autorité, nous gagnerions en efficacité et en compétitivité, au profit des épargnants. Les superviseurs nationaux, comme la présidente de l’AMF l’avait suggéré lors de son audition, pourraient s’occuper de la supervision des établissements de petite ou de moyenne taille et accepter de ne plus superviser les grandes structures qui opèrent à l’échelle européenne. Cela fonctionne bien dans le domaine bancaire ; pourquoi ne pas imaginer une telle architecture pour les marchés de capitaux ?

M. Charles Sitzenstuhl (EPR). Je partage la position de Daniel Labaronne. Le renforcement de la supervision européenne est fondamental : c’est la clé qui permettra de déverrouiller l’intégration des marchés de capitaux. Il me semble en effet pertinent de s’inspirer de l’approche qui a conduit à l’adoption de la monnaie unique. Le statu quo n’est pas satisfaisant et contribue à nourrir un certain nombre de discours anti-européens. Nous devons réaliser un saut d’intégration, en déléguant des compétences au niveau européen, et j’espère que la France continuera d’en être motrice.

La commission a autorisé le dépôt du rapport d’information en vue de sa publication.

M. le vice-président Laurent Mazaury. Je vous remercie pour la qualité de ces échanges transpartisans. La commission des affaires européennes reprendra ses travaux en septembre.

 

 

 

 

 


   annexe 1 :
Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs

1.   Acteurs publics

Commission européenne

Banque centrale européenne

Autorité européenne des marchés financiers

Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (EIOPA)

Banque européenne d’investissement

Direction générale du Trésor

Autorité des marchés financiers

Banque de France

Direction générale des entreprises

Secrétariat général des affaires européennes

Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne

Bpifrance

Caisse des dépôts et consignations

Banque fédérale d’Allemagne

2.   Acteurs privés

Euronext Paris

Euroclear

LCH SA

Amundi

Paris Europlace

Association pour les marchés financiers en Europe (AFME)

Association européenne des fonds et de la gestion d’actifs (EFAMA)

Fédération européenne de l’assurance « Insurance Europe »

Groupe AXA

Aéma groupe

Association française de la gestion d’actifs (AFG)

Association française des marchés financiers (Amafi)

France Invest

Eurazeo

Natixis IM

France Assureurs

Table ronde de la profession bancaire

Fédération des associations indépendantes de défense des épargnants pour la retraite (FAIDER)

Fédération nationale des syndicats d’agents généraux d’assurance (Agéa)

France Post-marché (FPM)

Confrontations Europe

Frankfurt Main Finance

3.   Universitaires et experts

 


   Annexe 2 :
Contributions écrites adressées aux rapporteurs

 

 


([1]) Lepers, Étienne, « La libéralisation des mouvements de capitaux : entre transformations structurelles, débats circulaires et cadres multilatéraux ». Revue d'économie financière, 2020/1 n° 137, 2020. p.247-268.

([2]) Les études réalisées par Van Beers et al. (2014) et la Commission européenne (2016) montrent que plus de 50 % des chocs asymétriques ne sont pas lissés en Europe, contre 20 % seulement aux États-Unis.

([3]) Claeys, Grégory, « Quelle place pour les marchés financiers en Europe ? ». Revue d'économie financière, 2016/3 n° 123, 2016. p.125-146.

([4]) Kessler, Denis. « L'Europe de l'assurance et ses challenges ». Revue d'économie financière, 2017/1 N° 125, 2017. p.119-136.  

([5])  Leroy, Aurélien. et al. « Architecture des systèmes financiers et performances macroéconomiques ». Revue d'économie financière, 2016/3 n° 123, 2016. p.297-316.

([6])   Grjebine, Thomas., et al. « Financement de l’économie : le modèle européen remis en question ». L’économie mondiale 2016, La Découverte, 2015. p.57-71

([7])  Levine R., Lin C. et Xie W. (2016), « Spare Tire? Stock Markets, Banking Crises and Economic Recoveries », Journal of Financial Economics, vol. 120, n° 1, pp. 81-101

([8])  Grjebine Thomas et al., op. cit.

([9])  Leroy Aurélien et al., op. cit.

([10]) Grégory Claeys, op. cit.

([11]) Nicolas Véron, « L’Union des marchés de capitaux : dix ans après », étude commandée par la commission des affaires économiques du Parlement européen, 18 mars 2024

([12]) Ibid.

([13]) Ibid.

([14]) Contribution écrite de France Invest

([15]) Audition de l’Association européenne des fonds et des gestionnaires d’actifs (EFAMA).

([16]) Nicolas Véron, op. cit.

([17]) Contribution écrite de l’Autorité des marchés financiers.

([18])  New Financial, EU Capital Markets: a new call for action, septembre 2023

([19]) Contribution écrite de la Banque de France.

([20]) Marie Alder, « Structure d’endettement des entreprises et transmission de la politique monétaire », Banque de France, 2024

([21]) Banque centrale européenne, Rapport sur l’intégration financière, 2024

([22]) Association européenne des marchés financiers (AFME), « Union des marchés de capitaux – Indicateurs clés de performance », 2024.

([23]) Rapport de Christian Noyer, « Développer les marchés de capitaux européens pour financer l’avenir », commandé par le ministre Bruno Le Maire, avril 2024.

([24]) AFME, op. cit.

([25]) Contribution écrite de la Direction générale du Trésor.

([26]) Rapport de Mario Draghi sur l’avenir de la compétitivité européenne, septembre 2024.

([27]) Rapport de Christian Noyer, op. cit.

([28]) Rapport de Mario Draghi, op. cit.

([29]) Rapport Draghi, op. cit.

([30]) Eurostat.

([31]) Communication de la Commission européenne intitulée « Union de l’épargne et des investissements. Une stratégie destinée à favoriser la richesse des citoyens et la compétitivité économique dans l’Union européenne », 19 mars 2025.

([32]) Contribution écrite de la Direction générale du Trésor

([33]) Association française de la gestion d’actifs, « Faits et chiffres 2025 », juin 2025

([34]) Les ETF sont des fonds cotés qui cherchent à suivre le plus fidèlement possible l’évolution d’un indice boursier. Ils relèvent d’une stratégie de gestion passive, à la différence d’une gestion active qui consisterait à choisir la composition de son portefeuille.

([35]) Discours de Christine Lagarde lors du 34e congrès bancaire européen, à Francfort-sur-le-Main, le 22 novembre 2024.

([36]) ESMA, « Construire des marchés de capitaux plus efficaces et attractifs dans l’Union européenne », mai 2024.

([37]) Contribution écrite de l’Autorité des marchés financiers

([38]) Contribution écrite de Didier Cahen

([39]) Contribution écrite de l’Autorité des marchés financiers.

([40]) Contribution écrite de l’Autorité des marchés financiers

([41]) Contribution écrite de l’Association française de la gestion d’actifs

([42]) Jean-Baptiste Gossé, Camille Jehle, « Les bénéfices de la diversification sur les marchés de capitaux européens », Economic Modelling, volume 135, 2024.

([43]) Contribution écrite de la Banque de France.

([44]) Hubert Kempf, « L’Union des marchés de capitaux : une relance pour rien ? », OFCE, 5 septembre 2024.

([45]) Patrick Artus, “L’Union des marchés de capitaux en Europe permettra-t-elle de conserver l’épargne dans la zone euro ?”, Flash Economie, Natixis, juin 2024

([46]) Contribution écrite de la Direction générale du Trésor

([47]) France Assureurs, Chiffres clés 2023, décembre 2024

([48]) Jean-Michel Naulot, « Rapport Draghi : rattraper le retard sur les États-Unis ne doit pas conduire l’Europe à les suivre dans leur folie financière », Le Monde, septembre 2024

([49]) Contribution écrite de la Direction générale du Trésor.

([50]) Contribution écrite de Didier Cahen.

([51]) Eurostat.

([52]) Rapport de Christian Noyer, op. cit.

([53]) France Assureurs

([54])  Rapport de Christian Noyer, op. cit.

([55]) France Assureurs, Les placements de l’assurance en 2023, 2024

([56])  Global Investment Returns Yearbook 2025 (UBS) du Crédit Suisse

([57])  France Invest, Performance nette des acteurs français du capital-investissement, juillet 2023

([58])  France Invest, Rendre le capital-investissement accessible, 2022

([59])  Assemblée nationale, rapport d’information sur la rémunération de l’épargne populaire et des classes moyennes, présenté par Jean-Philippe Tanguy et François Jolivet, le 14 mai 2025

([60])  Morningstar, voice of the investor report 2024

([61])  OCDE and G20, Pensions at a glance 2023, février

([62]) Cour des comptes, Rapport public thématique sur l’épargne retraite, novembre 2024

([63]) DREES, Les retraités et les retraites – Édition 2024

([64]) Contribution écrite Autorité des marchés financiers

([65])  Arrondel L. et Mason A. (2014), « Allocation de l'épargne et investissement de long terme », AMF, Labex Louis Bachelier, Opinions et Débats, n° 6, septembre

([66]) France Assureurs

([67])      Branellec, Gurvan. et al., « Faut-il introduire en France une class action d’actionnaires (Securities Class Actions) ? ». Management & Sciences Sociales, 2018/1 N° 24, 2018. p.19-34

([68]) OCDE and G20, Pensions at a glance 2023, février 2024

([69]) COR, rapport annuel, évolutions et perspectives des retraites en France, juin 2024

([70]) Eric Weil, « Retraites par capitalisation : est-ce utile ? Est-ce faisable ? », juin 2025

([71]) Ibid.

([72]) Cour des comptes, rapport public thématique sur l’épargne retraite, novembre 2024

([73]) Ibid

([74]) France assureurs, « Les placements de l’assurance – année 2023 », octobre 2024

([75]) EIOPA, « Comment les assureurs investissent-ils ? », 2023

([76]) Cour des comptes, Rapport public thématique sur l’épargne retraite, novembre 2024.

([77])  Euronext Growth et Euronext Access sont des marchés non-réglementés qui accueillent les PME et les ETI de la zone euro, avec des exigences de cotation allégées. Euronext Access, destiné aux entreprises les plus jeunes ou les plus petites, impose très peu de contraintes réglementaires, en contrepartie d’une absence de garantie pour les investisseurs.

([78]) Rapport d’information de la délégation aux entreprises du Sénat, « Financer l’entreprise de demain », présenté par M. Fabien Gay, M. Pierre-Antoine Lévi et Mme Paulin Martin, adopté le 23 octobre 2024.

([79]) Rapport d’Enrico Letta, « Bien plus qu’un marché », avril 2024

([80]) Lettre ouverte aux ministres des finances européens et à la Commission européenne, septembre 2024

([81]) Rapport juin 2024 MacKinsey

([82]) règlement (UE) 2024/2809 du 23 octobre 2024 ; directive (UE) 2024/2811 du 23 octobre 2024 modifiant la directive 2014/65/UE ; directive (UE) 2024/2810 du 23 octobre 2024.

([83])  « Accessing public financial markets : simple listing rules for companies, especially SMEs », décembre 2022.

([84]) Contribution écrite de l’Autorité des marchés financiers.

([85]) Invest Europe, « Investir en Europe : l’activité du capital investissement en 2024 », 2025

([86]) Contribution écrite de France Invest

([87]) Rapport de Christian Noyer, op. cit.

([88]) Invest Europe, op. cit.

([89]) Contribution écrite de Bpifrance

([90]) Invest Europe, op. cit.

([91]) Compte-rendu de l’audition d’Arnaud Montebourg devant la commission d’enquête sur les freins à la réindustrialisation de la France de l’Assemblée nationale, le 22 mai 2025.

([92]) Contribution écrite de France Invest.

([93]) Contribution écrite de France Invest

([94]) Ibid

([95]) Fabrice Demarigny, « L’autonomie stratégique passe par l’Union des marchés de capitaux », Le Grand continent, 11 janvier 2024

([96]) Contribution écrite de l’Autorité des marchés financiers

([97]) Étude de faisabilité sur la création d’une famille d’indices « Union des marchés de capitaux », 20 juillet 2020.

([98]) Site du Fonds européen d’investissement.

([99]) Commission européenne, communication sur la stratégie pour l’Union de l’épargne et de l’investissement.

([100]) ESMA

([101]) Rapport Noyer

([102]) Contribution Euroclear

([103]) Audition LCH SA

([104]) Banque centrale européenne, « Union des marchés de capitaux : une analyse approfondie », mai 2025

([105]) Le Monde, Marc Angrand, « L’essor spectaculaire des stablecoins », 27 juin 2025

([106]) Banque de France, rapport sur la stabilité financière, juin 2025

([107]) Banque centrale européenne, « Union des marchés de capitaux : une analyse approfondie », mai 2025

([108]) Discours de François Villeroy de Galhau, « Révéler le potentiel des MNBC de gros : quels enseignements et quelles perspectives ? », à Paris le 3 octobre 2023.

([109]) Contribution écrite de la Direction générale du Trésor.

([110]) AFME, Rapport sur la titrisation, mars 2025

([111])  ACPR et Banque de France, « Le marché de la titrisation en Europe : caractéristiques et perspectives », juin 2014

([112])  Standard and Poors,« Transition Study : less than 1.5 % of European Structured finance has defaulted since 2007 », juin 2013

([113]) Contribution écrite de la Banque de France

([114]) AFME, rapport sur la titrisation, mars 2025

([115]) Joint Committee

([116]) Avis du comité mixte sur la révision du cadre prudentiel bancaire pour la titrisation, 12 décembre 2022

([117]) Contribution écrite de France Assureurs

([118]) Banque de France et ACPR, op. cit.

([119]) Contribution écrite de France Assureurs

([120]) Contribution écrite de la Banque de France

([121]) Rapport de Christian Noyer

([122]) Banque centrale européenne, « Union des marchés de capitaux : une analyse approfondie », op. cit.