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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIEME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 juillet 2025.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 146 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES FINANCES, dE L’Économie gÉnÉrale
et du contrÔLE BUDGÉTAIRE
relatif aux perspectives et aux freins au développement des sociétés coopératives et participatives (SCOP)
ET PRÉSENTÉ PAR
M. Michel CASTELLANI,
rapporteur spécial
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SOMMAIRE
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Pages
recommandations DU RAPPORTEUR SPÉCIAL
1. Un régime fiscal incitatif mais mal adapté pour favoriser les reprises salariales
2. Les SCOP d’amorçage : un dispositif apprécié mais peu connu
1. Le financement des SCOP est essentiellement assuré par le crédit bancaire
2. Un modèle qui n’est pas adapté aux investisseurs en fonds propres du marché
4. Un investissement bancaire et par des fonds spécifiques qui rencontre des limites
a. Quatre fonds financés par le mouvement coopératif soutiennent le développement du secteur
b. Des fonds sous pression dans un contexte de resserrement du crédit bancaire
2. Le prêt transmission doit être étendue aux SCOP créées en vue d’une reprise salariale
PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL
recommandations DU RAPPORTEUR SPÉCIAL
Recommandation n° 1 : Édicter une doctrine écrite précisant les critères retenus par le Conseil supérieur de la coopération (CSC) pour apprécier la conformité aux principes coopératifs des entreprises demandant le statut de SCOP.
Recommandation n° 2 : Assurer un contrôle des réserves impartageables après la sortie du statut de SCOP.
Recommandation n° 3 : Faire évoluer la doctrine d’intervention du FDES pour garantir une correcte appréciation des offres de reprise des salariés lorsqu’elles représentent une option plus pérenne pour l’activité et les emplois.
Recommandation n° 4 : Faire évoluer la doctrine de Bpifrance pour traiter les titres participatifs comme des fonds propres au titre de ses instruments de soutien aux entreprises.
Recommandation n° 5 : Supprimer la condition d’ancienneté pour l’octroi du prêt transmission par Bpifrance dans le cas d’une reprise par une SCOP.
Recommandation n° 6 : Constituer un fonds en faveur de la reprise d’entreprises en difficulté ou de la transmission saine aux salariés, doté d’un apport suffisant de l’État pour générer un effet de levier auprès des investisseurs tiers.
Recommandation n° 7 : Modifier le décret du 29 juillet 2019 pour permettre le cumul des aides à la reprise et les aides au reclassement lorsqu’elles sont utilisées pour financer une reprise par une SCOP. A minima, mettre en place une expérimentation sous la forme d’une convention de partenariat entre France Travail et les Unions régionales des SCOP permettant le cumul des aides à la reprise et des aides au reclassement pour la reprise par une SCOP afin d’évaluer l’effet de cette reprise sur l’activité locale et les finances publiques.
La société coopérative et participative (SCOP) est un modèle d’entreprise caractérisé par la détention majoritaire du capital et des droits de vote de la société par ses salariés. Ancrées dans une tradition ouvrière ancienne, les SCOP se distinguent par leur gouvernance (« 1 associé = 1 voix » pour les associés-salariés), par une gestion des bénéfices orientée vers la pérennité de l’activité (réserves impartageables et participation des salariés aux profits), et un contrôle régulier de leur conformité aux principes coopératifs. Ces entreprises affichent une solidité remarquable, avec un taux de survie à cinq ans de 79 %, significativement supérieur à celui des entreprises classiques (61 %), et une résilience accrue, y compris lors de reprises d’entreprises en difficulté. Le modèle SCOP présente un potentiel considérable dans le contexte actuel de nombreux départs à la retraite de dirigeants de PME et de la volonté de réindustrialiser le territoire. Face à la difficulté de trouver des repreneurs externes, la transmission aux salariés via une SCOP s’avère une solution particulièrement efficace pour assurer la continuité de l’activité, préserver l’emploi, maintenir l’identité de l’entreprise et sauvegarder les savoir-faire. Leur nature non délocalisable et non cessible garantit un ancrage territorial durable et prévient les restructurations dictées par des logiques financières de court terme. La réaffectation statutaire des bénéfices vers les réserves impartageables favorise le réinvestissement constant dans l’outil de production, évitant ainsi le démantèlement industriel et assurant une vision à long terme de l’activité. Malgré leurs atouts, les SCOP rencontrent des obstacles structurels majeurs, principalement liés à la méconnaissance de leur modèle et à leurs difficultés d’accès aux capitaux. La capacité d’investissement limitée des salariés, fondement de leur capital social, constitue un levier financier restreint, qui n’est pas complété par les outils classiques d’investissement en fonds propres. Cette situation est particulièrement dommageable pour les entreprises à forte intensité capitalistique, notamment dans l’industrie. Le modèle SCOP est mal adapté aux investisseurs traditionnels en capital-risque, car l’absence de valorisation des parts sociales et le principe « 1 associé = 1 voix » ne répondent pas aux attentes de rentabilité et de contrôle des fonds d’investissement. L’intervention des acteurs publics, notamment les banques publiques, demeure marginale. Bpifrance n’a eu qu’un impact très modeste sur le financement en fonds propres des SCOP, sa doctrine n’assimilant pas les titres participatifs à des fonds propres, contrairement à la Banque des Territoires. Le Fonds de Développement Économique et Social (FDES) a également montré des réticences à soutenir pleinement les offres de reprise en SCOP. Les fonds propres du mouvement coopératif (Socoden, SCOPInvest, etc.), bien qu’essentiels, opèrent avec des montants limités et voient leur effet de levier sur les banques s’éroder dans un environnement de crédit plus restrictif. Pour lever ces freins et capitaliser sur le potentiel des SCOP, le rapport identifie trois axes principaux de recommandations : – Clarifier le cadre réglementaire en édictant une doctrine écrite pour les critères d’appréciation du statut de SCOP par le Conseil Supérieur de la Coopération et assurer un contrôle effectif des réserves impartageables en cas de sortie du statut, afin de garantir ainsi l’intégrité du modèle ; – Adapter les instruments de financement public déjà existant dédiés au soutien aux reprises d’entreprises à la reprise salariale en faisant évoluer la doctrine de Bpifrance sur les titres participatifs, les conditions d’octroi du prêt transmission, les aides accordées par France Travail et la doctrine du FDES ; – Remettre en place un fond d’investissement en capitaux propres en faveur de la reprise d’entreprises en difficulté ou à la transmission saine aux salariés, doté d’un apport suffisant de l’État pour générer un effet de levier auprès des investisseurs tiers. Le rapporteur spécial a porté attention aux contraintes que fait peser la situation des finances publiques sur les marges de manœuvre des pouvoirs publics. Les mesures qu’il propose s’appuient sur des investissements modestes visant à susciter un effet de levier chez les investisseurs privés, rentables à moyen terme pour l’État, aussi bien en termes financiers qu’en termes d’emplois et d’activité dans les territoires. |
L’Organisation des Nations Unies (ONU) a déclaré l’année 2025, comme année internationale des coopératives afin d’encourager les États membres et les parties prenantes à promouvoir la contribution des coopératives au développement social et économique.
Grande famille incluant une pluralité de modèles (coopératives agricoles, de consommateurs, bancaires, de production…), le mouvement coopératif représente 23 000 entreprises et 1,3 million de salariés en France. Les sociétés coopératives et participatives (SCOP) ne représentent qu’une partie de cet ensemble avec 2 723 entreprises et 62 685 salariés à la fin 2024. Historiquement marquées par un ancrage ouvrier, les SCOP se démarquent aujourd’hui par leur intérêt particulier pour répondre au départ en retraite d’une vague de dirigeants « baby-boomers » qui peinent à trouver des repreneurs pour leurs entreprises et dans le cadre des politiques de réindustrialisation.
La situation du mouvement des SCOP et des SCIC à fin 2024
Source : CGSCOP.
Le mouvement coopératif ouvrier trouve ses racines philosophiques au XIXe siècle avec la création des premières associations ouvrières. En 1884 est fondée la chambre consultative des associations ouvrières de production (AOP) qui deviendra en 1937 la confédération générale des SCOP. La loi n° 47-1 775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération a donné un cadre général au droit coopératif et en a reconnu les spécificités.
Ce mouvement d’autonomisation du droit des SCOP a été poursuivi par la loi n° 78- 763 du 19 juillet 1978 portant statut des sociétés coopératives ouvrières de production qui permet notamment aux SCOP de prendre les formes d’une SA ou d’une SARL, et précise certaines modalités de créations. La loi n° 92- 643 du 13 juillet 1992 ([1]) relative à la modernisation des entreprises coopératives a par la suite modifié les règles relatives à la participation au capital des coopératives pour faciliter l’accès aux capitaux externes. Enfin, la loi n° 2014- 856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire a créé le statut de la SCOP d’amorçage qui permet aux salariés de reprendre une entreprise et de détenir la majorité des voix à la Constitution de la société tout en étant minoritaires au capital, et leur accordant sept ans pour en détenir la majorité.
Alors que des reprises importantes de sites industriels ont eu lieu au cours des derniers mois (Duralex, Bergères de France), et que la question de la simplification et du financement de la reprise salariale a été annoncée par la ministre chargée de l’économie sociale et solidaire comme l’un des axes majeurs de la stratégie nationale dédiée à l’ESS que la France présentera en novembre 2025, une évaluation des politiques publiques à destination des SCOP est apparue nécessaire.
L’objet de ce rapport d’évaluation est par conséquent de proposer un bilan du modèle des SCOP et des difficultés qu’elles rencontrent, à partir duquel des recommandations pourront être proposées. Les travaux du rapporteur spécial l’ont conduit à rencontrer et interroger un grand nombre de SCOP sur l’ensemble du territoire français, leurs organisations représentatives, les administrations compétentes, les banques publiques chargées du financement de l’ESS et la ministre compétente.
Si le rapport ne traite pas en premier des sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC) ([2]) et des coopératives d’activité et d’emploi (CAE), moins nombreuses que les SCOP et qui posent des enjeux juridiques propres évoqués par l’IGF dans un rapport de 2021, ses conclusions en matière d’accès aux capitaux et ses recommandations leur sont largement applicables.
I. les SCOP : des entreprises lucratives solides, attachées à leur territoire et détenues par leurs salariés
Les SCOP sont des entreprises lucratives dans lesquelles les salariés présentent la spécificité d’être ou d’avoir vocation à devenir associés et de participer aux orientations stratégiques de la société. Leur gestion des bénéfices orientée vers la pérennité et le développement de l’activité conduit à en faire des entreprises en moyenne plus solides que les sociétés « classiques ». En contrepartie de leurs obligations, elles bénéficient de dispositifs fiscaux incitatifs, mais mal adaptés aux difficultés de financement qu’elles rencontrent lors de leur création.
A. Une gestion de l’entreprise assurée par un directeur général, mais sous le contrôle des associés salariés
● Le terme de SCOP recouvre plusieurs réalités, parfois très différentes, car le statut s’adapte à toutes les formes de l’entreprise. Les SCOP actuelles peuvent être aussi bien de petites entreprises que des groupes internationaux. L’exemple historique est ACOME, dont l’entreprise d’origine (Électro-Câbles), vouée à la disparition, a été sauvée en 1 932 par une reprise salariale sous forme de coopérative ouvrière. Aujourd’hui, ACOME est leader européen sur le marché des câbles, fils et tubes de synthèse pour les réseaux (communication, télécommunications, infrastructures) et l’automobile, réalise 60 % de son chiffre d’affaires à l’étranger et emploie près de 1 500 salariés pour 560 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2023. Une autre entreprise d’envergure internationale est la maison-mère du groupe Up, ancien Chèque-Déjeuner, qui réalise 760 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2023 et emploie plus de 3 200 salariés. Toutefois, et de façon cohérente avec le développement rapide du modèle au cours des dernières années, la majorité des SCOP demeurent des TPE et PME avec 21 salariés en moyenne en 2024.
La SCOP Ethiquable : un modèle de réussite dans le secteur de l’agroalimentaire
La SCOP Ethiquable, créée en 2003 à Fleurance (Gers), s’est affirmée comme un acteur majeur de la fabrication et de la transformation dans le secteur de l’alimentation équitable et biologique. Elle commercialise 280 produits (café, thé, chocolat, sucre, purées de fruits…), avec 32 millions d’unités vendues en 2022.
Le succès d’Ethiquable repose sur des principes fondamentaux qui se distinguent des pratiques commerciales conventionnelles. L’entreprise s’engage à verser un prix supérieur aux cours du marché et aux coûts de revient aux producteurs, garantissant ainsi une rémunération digne et un soutien à la pérennisation des cultures et savoir-faire traditionnels. Les bénéfices générés sont réinvestis directement sur le terrain, dans des projets d’appui aux coopératives partenaires, et aucun budget n’est accordé au marketing. Cette approche a permis de soutenir le développement de filières agroécologiques innovantes, la diversification des cultures et l’amélioration des rendements pour les producteurs.
Les résultats d’Ethiquable attestent du succès de son modèle. En 2022, elle comptait 173 salariés, et son chiffre d’affaires, en hausse constante, s’élevait à 73 millions d’euros. L’entreprise travaille en partenariat avec 102 organisations de producteurs, représentant 43 800 producteurs dans 29 pays. 22 organisations se situent en France, via la marque « PAYSANS D’ICI » : 42 % du prix payé revient directement au producteur.
Juridiquement, la SCOP prend nécessairement la forme d’une SARL, d’une SAS ou d’une SA. Le choix de la forme juridique a principalement des conséquences sur le montant du capital social, la direction de la société ou l’obligation de nomination d’un commissaire aux comptes. Les SCOP peuvent être créées dans tous les secteurs d’activité (commerce, industrie, artisanat, services, multimédia) et certaines professions réglementées. La particularité du fonctionnement d’une SCOP tient aux modalités de prise de décision, au choix de la direction de l’entreprise et à la répartition des bénéfices.
● La différence essentielle entre le modèle SA-SAS-SARL classique et celui des SCOP est qu’au sein des SCOP, le capital est détenu majoritairement par les salariés selon le principe « 1 associé = 1 voix ». Cette répartition du capital et des droits associés garantit que les salariés conservent la détermination des choix stratégiques de l’entreprise (revalorisation des salaires, répartition des bénéfices, choix du dirigeant…)
On distingue plus précisément deux types d’associés au sein des SCOP : les associés salariés et les associés extérieurs « investisseurs ».
Les associés salariés de l’entreprise détiennent au minimum 65 % des voix et 51 % du capital social. Aucun associé ne peut détenir plus de la moitié du capital. Tout nouvel embauché a vocation à devenir associé, s’il le souhaite, selon les modalités fixées par les statuts de la société. La loi crée un lien spécifique entre les deux statuts, salarié et associé. Ainsi, sauf dispositions contraires des statuts de la société, la renonciation à la qualité d’associé entraîne la rupture simultanée du contrat de travail et la rupture du contrat de travail entraîne la perte de la qualité d’associé, sauf en cas de départ en retraite, de licenciement économique ou d’invalidité.
Ces associés salariés participent aux choix stratégiques de l’entreprise lors de l’assemblée générale, mais pas à la gestion au quotidien de l’entreprise. Cette gestion est assurée par les dirigeants qui sont nommés par l’assemblée des associés ([3]), et révocables à tout moment par l’assemblée des associés ou le conseil d’administration. En pratique, le fonctionnement quotidien d’une SCOP diffère donc généralement assez peu de celui d’une entreprise classique.
Les associés extérieurs sont des personnes ne travaillant pas dans l’entreprise. Ils sont également soumis au principe « 1 associé = 1 voix », sauf si les statuts prévoient des droits de vote proportionnels à la part dans le capital. Ils doivent dans tous les cas rester minoritaires, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent détenir au maximum que 35 % des droits de vote et 49 % du capital social. Le nombre d’associés extérieurs dépend donc du nombre d’associés salariés.
B. Des entreprises plus solides que la moyenne grâce à une gestion des bénéfices orientée vers la pérennité de l’activité
La SCOP est une société à capital variable, c’est-à-dire que ce capital est susceptible d’augmenter ou de diminuer à tout moment, généralement au moyen de versements effectués par des associés, anciens ou nouveaux. Les associés peuvent donc entrer et sortir facilement de la société par voie d’apport ou de retrait de leur apport. Les résultats de l’entreprise sont répartis de la manière suivante :
– une part « entreprise » correspond à une fraction minimale de 16 % de l’excédent net de gestion affectée à la Constitution de la réserve légale impartageable ([4]). La loi prévoit qu’une fraction est affectée à une réserve statutaire dite « fonds de développement », sans fixer de montant minimal à respecter. Il est donc fixé par les statuts à hauteur minimum de 1 %, mais la moyenne est autour de 45 %. Ces fonds vont renforcer la solidité financière de l’entreprise ;
– une part « travail » est attribuée aux salariés associés ou non, comptant dans l’entreprise, à la clôture de l’exercice, soit trois mois de présence au cours de celui-ci, soit six mois d’ancienneté. Elle est fixée au minimum à 25 % de l’excédent net de gestion, mais est souvent plus proche des 40 %. La répartition entre les salariés s’opère conformément aux dispositions statutaires ;
– une part « associés » prend la forme d’intérêts aux parts sociales. Elle n’est versée aux associés que si les statuts le prévoient. Elle ne peut excéder ni la part « salariés » ni la part « entreprise », et s’élève donc à 33 % maximum.
Le modèle de la SCOP garantit donc une rémunération des salariés corrélée aux résultats de l’entreprise, mais également l’investissement de l’excédent d’exploitation dans l’entreprise. Pour ces raisons, les SCOP présentent une solidité plus importante que les entreprises classiques. Le taux de pérennité à 5 ans des SCOP et SCIC s’élève ainsi à 79 % en moyenne contre 61 % pour les entreprises classiques. Ils demeurent particulièrement élevés même dans des situations de reprises d’entreprises en difficulté (76 %) et atteignent 90 % pour la transmission d’entreprises saines.
Source : CGSCOP.
Une étude d’ESS France ([5]) exploitant les cotations Banque de France montre également que l’ensemble des entreprises de l’ESS soumises à des règles similaires présentent un profil de risque plus favorable que l’ensemble des sociétés cotées : 76 % d’entre elles obtiennent une « bonne cotation » (jusqu’à 4 inclus) contre 63,1 % pour l’ensemble des entreprises cotées, et leur taux de défaut observé à trois ans s’établit à 1,19 % contre 2,09 %.
C. Un contrôle de la conformité de l’entreprise au modèle coopératif assuré par le ministère chargé du travail et des réviseurs agréés
Les sociétés voulant prendre ou conserver l’appellation SCOP doivent demander à être inscrites sur une liste dressée par le ministère du travail dans les conditions fixées par décret ([6]). Le ministère rend sa décision dans les deux mois, après avoir recueilli l’avis de la CGSCOP. La société agréée devra ensuite chaque année, dans les six mois de la clôture de son exercice social, communiquer au ministre chargé du travail un certain nombre d’informations sur le suivi de son activité. Le défaut de communication de ces documents entraîne la nullité de l’inscription et l’impossibilité de se prévaloir des avantages attachés au statut de SCOP. La liste des SCOP permet à la fois de contrôler le respect des obligations des SCOP, qui bénéficient d’avantages fiscaux, et de les identifier.
Les SCOP sont également soumises à un contrôle obligatoire tous les cinq ans, via la procédure de révision coopérative qui doit contrôler leur conformité aux principes coopératifs. La révision coopérative peut également être sollicitée par une partie des sociétaires. Les réviseurs sont nommés par arrêté préfectoral, après avis du Conseil supérieur de la coopération (CSC), sur la base de leur connaissance du fonctionnement des différentes catégories de coopératives. Le coût de la révision coopérative demeure à la charge des coopératives. Il est tempéré par l’absence d’obligation de révision pour les coopératives en dessous de certains seuils de salariés et de chiffre d’affaires, fixés par le décret n° 2015- 800 du 1er juillet 2015.
La sortie du statut coopératif est également soumise à une autorisation ministérielle, après le contrôle de la conformité de la demande à l’un des deux motifs de sortie autorisés prévus par l’article 25 de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947. La sortie du statut coopératif est autorisée si celui-ci menace directement la survie de l’entreprise ou entrave ses perspectives de développement. Le CSC remet un avis aux services de l’État sur la base des documents obligatoires que la société doit transmettre et qui sont énumérés par l’article 2 du décret n° 93- 455 du 23 mars 1993. La décision fait ensuite l’objet d’un arrêté ministériel. Les réserves impartageables constituées par la coopérative ne peuvent être distribuées ou incorporées au capital pendant dix ans.
La procédure actuelle présente toutefois deux défauts principaux, que sont l’absence de visibilité des coopératives quant aux critères retenus dans le cadre de l’avis du CSC préalable à l’inscription, compte tenu de l’absence d’une doctrine écrite à laquelle se référer, et l’absence de contrôle des réserves impartageables après la sortie du statut. Le rapporteur spécial recommande donc la mise en place d’une telle doctrine et le maintien d’un contrôle après la sortie du statut de SCOP.
Recommandation n° 1 : Édicter une doctrine écrite précisant les critères retenus par le Conseil supérieur de la coopération (CSC) pour apprécier la conformité aux principes coopératifs des entreprises demandant le statut de SCOP.
Recommandation n° 2 : Assurer un contrôle des réserves impartageables après la sortie du statut de SCOP.
D. Des dispositifs visant à favoriser le développement des SCOP peu adaptés aux spécificités du modèle coopératif
Le régime fiscal des SCOP incite les entreprises à orienter leurs bénéfices vers la pérennité de l’activité et la rémunération des salariés. Il demeure toutefois mal adapté au soutien à la reprise et à la création. Le régime des SCOP d’amorçage qui visait à pallier ces difficultés, quoiqu’apprécié, demeure peu connu.
1. Un régime fiscal incitatif mais mal adapté pour favoriser les reprises salariales
En contrepartie des particularités liées à son mode de fonctionnement (réserves impartageables, détention majoritaire du capital par les salariés), le statut de SCOP présente certaines spécificités fiscales :
– les SCOP sont exonérées d’impôts sur les sociétés sur la part « travail », distribuée aux salariés, et sur la part « entreprise » mise en réserve, si un accord de participation dérogatoire a été signé ([7]) et si une provision pour investissement est constituée ([8]). Ces deux dispositifs incitent au renforcement des fonds propres de l’entreprise et à l’implication des salariés-associés dans l’entreprise. Les SCOP sont également exonérées de la cotisation foncière des entreprises (CFE), en vertu de l’article 1456 du code général des impôts.
– les salariés qui reprennent une entreprise sous forme de SCOP peuvent bénéficier d’une déduction fiscale spécifique de 18 % des sommes qu’ils investissent au capital de la SCOP. Cette somme monte à 25 % si cette SCOP est agréée « entreprise solidaire d’utilité sociale » (ESUS) ([9]). Les parts sociales acquises doivent être conservées pendant une durée minimale de cinq ans. Cette incitation vise à encourager les salariés à s’impliquer dans la reprise de leur entreprise.
Les SCOP peuvent aussi bénéficier des régimes de droit commun applicables aux entreprises, notamment pour favoriser les transmissions. Toutefois, ces régimes sont mal adaptés à la réalité des reprises salariales, rendant cette option généralement moins intéressante pour le cédant qu’une reprise familiale :
– le Pacte Dutreil (articles 787 B et 787 C du CGI), ou l’exonération pour donation aux salariés (article 790 A), sont inadaptés aux transmissions réalisées à titre onéreux, ce qui est le cas dans la quasi-totalité des opérations de transformation en SCOP ;
– le dispositif prévu à l’article 732 ter du CGI, qui institue un abattement sur les droits d’enregistrement lors d’un rachat par les salariés, est également peu mobilisable, en raison de sa restriction aux personnes physiques et de sa faible portée pratique dans les montages coopératifs. Les reprises par les salariés supposent en effet la création préalable d’une SCOP dotée de la personnalité morale qui reprendra l’activité ;
– en pratique, le seul dispositif fiscal réellement utilisé dans ces opérations est l’abattement sur la plus-value prévu à l’article 150- 0 D ter du CGI. Il permet au dirigeant d’une PME soumise à l’IS partant en retraite qui cède ses titres de bénéficier d’un abattement exceptionnel de 500 000 euros avant impôt sur le revenu.
2. Les SCOP d’amorçage : un dispositif apprécié mais peu connu
La loi n° 2014‑856 du 31 juillet 2 014 relative à l’économie sociale et solidaire (ESS) a introduit, aux articles 27 et 28, le dispositif des SCOP d’amorçage destiné à favoriser la reprise ou la transformation d’entreprises sous forme coopérative. Les SCOP d’amorçage offrent un cadre juridique transitoire permettant aux salariés de devenir majoritaires au capital d’une société coopérative de production dans un délai de sept ans à compter de sa transformation.
Le mécanisme repose sur la possibilité, pour une période maximale de sept années, de permettre à des associés extérieurs à la coopérative de détenir la majorité du capital social. Cette dérogation au principe fondateur des SCOP, selon lequel les salariés doivent détenir au moins 51 % du capital et 65 % des droits de vote, est strictement encadrée. Durant cette période transitoire, les statuts doivent garantir que la majorité des droits de vote soit détenue par les salariés coopérateurs. Ce point assure le respect de la gouvernance démocratique propre au modèle coopératif, tout en permettant un accès progressif au capital.
Afin de rendre ce dispositif opérationnel, la loi autorise également l’utilisation des réserves de la SCOP d’amorçage pour procéder au rachat des parts détenues par les associés non-salariés. Cette mesure constitue un levier essentiel pour permettre aux salariés de monter au capital social sans recourir exclusivement à l’endettement. Elle favorise ainsi l’appropriation progressive de l’entreprise dans un cadre juridiquement et fiscalement sécurisé.
Le régime d’amorçage permet ainsi aux salariés de reprendre leur entreprise sans devoir réunir immédiatement la totalité des fonds nécessaires. Il est particulièrement adapté au contexte de départ à la retraite du dirigeant, ou à l’issue d’une procédure de redressement judiciaire. Dans ce dernier cas, les salariés peuvent soumettre une offre de reprise devant le tribunal de commerce, accompagnée d’un plan de transformation en SCOP d’amorçage.
Néanmoins, plusieurs limites ont été identifiées dans la mise en œuvre de ce régime.
En premier lieu, le dispositif des SCOP d’amorçage, s’il satisfait ceux qui l’ont utilisé, demeure largement méconnu.
En second lieu, la CGSCOP, dans le cadre de l’avis du Conseil supérieur de l’ESS publié en 2024 ([10]), souligne que le délai de sept ans, bien qu’il laisse du temps aux salariés pour acquérir progressivement le capital et permette de bénéficier du régime favorable des SCOP, reste peu attractif pour les cédants. Ces derniers doivent en effet attendre plusieurs années avant de percevoir l’intégralité du produit de cession de leurs titres.
Pour corriger ces lacunes, la CGSCOP a proposé l’introduction d’une provision défiscalisée. Ce mécanisme permettrait à une entreprise, dès lors qu’elle envisage une transmission à ses salariés, de constituer sur sept ans une épargne spécifique, exonérée d’impôt, mobilisable au moment du transfert effectif. Elle constituerait une solution incitative pour le cédant, qui aurait pu provisionner les bénéfices, et utile aux salariés repreneurs, qui auraient bénéficié d’un apport complémentaire lors de l’opération de rachat.
II. Le modèle SCOP connait Un essor rapide et un fort potentiel pour la transmission au départ à la retraite du dirigeant ou la reprise d’entreprises en difficulté, notamment dans le domaine industriel
Le modèle des SCOP a connu une croissance importante depuis 2014, stimulé par les évolutions apportées par la loi Hamon. Il représente en effet une option souvent pertinente dans les cas de reprise salariale d’entreprises en difficulté ou saines et favorise le maintien de l’activité et des emplois sur les territoires pour les reprises de sites industriels. Les pouvoirs publics gagneraient à stimuler la reprise salariale pour combler le déficit de repreneurs familiaux et externes qui est amené à se creuser dans la décennie à venir.
Le chiffre d’affaires des SCOP a cru de plus de 45 % en 10 ans (sur la période 2014- 2023), tandis que leurs effectifs augmentaient de 25 %. Sur la base de ces dernières années, on peut estimer en moyenne que sur 100 nouvelles coopératives : 50 proviennent de créations ex nihilo, 40 de transformations d’associations ou de transmissions d’entreprises saines et 10 sont des entreprises reprises à la barre.
Évolution du nombre de SCOP et de SCIC entre 2014 et 2023 ([11])
Origine de création (Scop) |
Nombre de coopératives |
Effectifs |
%Effectifs |
CA net |
% CA net |
|||||
Année |
2014 |
2023 |
2014 |
2023 |
2014 |
2023 |
2014 |
2023 |
2014 |
2023 |
Ex-nihilo |
1 511 |
1 570 |
26 695 |
30 361 |
54,5 % |
49,7 % |
2 187 186 120 |
2 931 428 571 |
50,1 % |
46,0 % |
Transmission saine |
305 |
581 |
7 072 |
11 936 |
14,4 % |
19,5 % |
640 677 929 |
1 346 256 465 |
14,7 % |
21,1 % |
Reprise en difficulté |
312 |
303 |
9 900 |
9 847 |
20,2 % |
16,1 % |
1 318 869 878 |
1 567 223 908 |
30,2 % |
24,6 % |
Transformation d'association |
192 |
323 |
5 330 |
8 959 |
10,9 % |
14,7 % |
220 133 234 |
526 189 760 |
5,0 % |
8,3 % |
TOTAL |
2 320 |
2 777 |
48 997 |
61 103 |
100 % |
100 % |
4 366 867 161 |
6 371 098 703 |
100 % |
100 % |
Source : Commission des finances d’après les documents transmis par la CGSCOP.
Cette croissance pérenne montre l’attrait pour le modèle des SCOP, valorisé par la loi Hamon de 2014, et la solidité de ce modèle. Il présente en outre des potentialités importantes pour répondre à deux difficultés importantes que connaîtra l’économie française dans les prochaines décennies : le manque de repreneurs, en raison du départ massif de la génération de dirigeants « baby-boomers », et la nécessité d’une réindustrialisation pérenne s’appuyant sur un réseau vivace de TPE, PME et ETI ancrées dans les territoires.
● Les rapports du Sénat relatifs à la transmission d’entreprise de 2017 ([12]) et 2022 ([13]) ont mis en lumière les difficultés que posait la reprise des entreprises au cours des dix prochaines années. Avec le vieillissement des dirigeants de la génération du baby-boom, la question des cessions devient cruciale. Ainsi en 2022, 25 % des dirigeants de PME avaient plus de 60 ans, contre 15 % en 2005 ; plus de 11 % des dirigeants avaient 66 ans et plus, contre 5,5 % en 2022. Cette problématique est particulièrement marquée dans la plupart des sous-secteurs industriels : la part de dirigeants de plus de 60 ans se situe entre 25 et 30 % (contre 21 % pour la moyenne des PME), celle des 66 ans et plus atteignant 9 à 16 % ([14]). Le Sénat identifiait ainsi en 2022 entre 250 000 et 750 000 entreprises à reprendre au cours des dix prochaines années, sans que les chiffres des cessions ne suivent.
L’insuffisance des cessions pose plusieurs risques d’un point de vue économique :
– le taux d’investissement des entreprises tend à fortement baisser durant les périodes de recherche d’un acquéreur par le chef d’entreprise. L’augmentation du nombre de dirigeants âgés de plus de 60 ans a donc tendance à se répercuter négativement sur le taux d’investissement global des PME ;
– la disparition d’entreprises saines du fait de l’absence de repreneurs ;
– la prédation de PME et d’ETI par des groupes étrangers avec, à terme, des délocalisations et la perte sèche de nos technologies, de notre savoir-faire au profit de nos concurrents étrangers.
● La reprise par les salariés constitue donc un vecteur de croissance pour les reprises d’entreprises au regard de la dynamique incertaine des transmissions familiales. Les transmissions d’entreprises saines représentent actuellement 15 % du volume total des SCOP et des SCIC, et leur taux de pérennité s’élève à 90 % à 5 ans.
Les SCOP constituent également un instrument efficace en matière de reprise d’entreprises en difficulté, dans un contexte d’augmentation des défaillances. Les salariés rachètent alors les actifs de l’entreprise à la barre du tribunal lorsque le modèle économique peut être encore viable. Elles représentent près de 10 % de volume total des SCOP et des SCIC, et leur taux de pérennité à 5 ans s’élève à 76,4 %.
Les études sur la transmission d’entreprises mettent en avant les bénéfices de cette forme de reprise, tant en termes de pérennité que de maintien durable de l’emploi : « La reprise par un salarié augmenterait, quant à elle, la durée de vie des entreprises entre 11 et 19 % et n’aurait pas d’impact significatif sur le dynamisme des entreprises pérennes » ([15]). Outre la pérennité de l’entreprise elle-même, la reprise salariale est une garantie de maintien de l’activité et des emplois sur le territoire, de l’identité de l’entreprise, et de la continuité du savoir-faire et des équipes dont les dirigeants désignés sont déjà reconnus des salariés.
C. Un modèle doté d’un fort potentiel pour préserver l’emploi et l’activité industrielle dans les territoires
Si, historiquement, les SCOP sont ancrées dans le mouvement ouvrier, sous la forme de coopératives ouvrières de production, elles évoluent aujourd’hui dans tous les secteurs de l’économie (médias, services, éducation, santé…). Toutefois, l’industrie conserve une place particulière dans le modèle coopératif, avec 21 % du chiffre d’affaires total des SCOP et SCIC pour l’industrie manufacturière, 24 % pour la construction et 5 % pour l’énergie.
Source : CG SCOP.
Cet héritage historique trouve ses racines dans les qualités du modèle coopératif, qui présentent un intérêt particulier pour les politiques de réindustrialisation, notamment s’agissant des TPE, PME et ETI. Ces dernières années, plusieurs reprises d’entreprises industrielles par leurs salariés dans le cadre de procédures judiciaires ont été fortement médiatisées, notamment Duralex, entreprise verrière emblématique, en juillet 2024, ou Bergère de France, dernière filature de laine en activité en France, en novembre 2024. Ces reprises se sont appuyées sur plusieurs atouts du modèle coopératif.
La SCOP UTB : un acteur majeur dans le secteur de la construction
Utb, Société Coopérative et Participative (SCOP) du BTP, a été fondée en 1933. Forte de 92 ans d’expérience, elle s’est imposée dans les métiers du second œuvre du bâtiment, avec une quinzaine de spécialités. Son expertise est reconnue, notamment dans la rénovation des Monuments Historiques, comme en témoigne sa participation à la restauration de Notre-Dame.
En 2024, Utb a réalisé un chiffre d’affaires d’environ 190 millions d’euros avec près de 1 200 collaborateurs. Son activité est principalement concentrée en Île-de-France (70 %), le reste étant réparti entre une vingtaine de sites dans sept autres régions du Nord de la France. L’entreprise est très engagée dans la transmission des savoirs, maintenant un ratio d’apprentis supérieur à 10 % de son effectif.
Utb se distingue par son modèle coopératif dynamique. Elle possède cinq filiales de droit commun et a récemment créé le « Groupe Utb », un groupement de SCOP visant à transformer ses filiales en coopératives et à promouvoir la coopération dans le secteur du bâtiment.
● Tout d’abord, les SCOP ne sont pas revendables ou délocalisables, ce qui garantit le maintien de l’ancrage territorial et la pérennité de l’activité. Le modèle des SCOP est ainsi particulièrement adapté aux reprises d’entreprises en transmission ou en difficulté. Le secteur industriel connaît fréquemment des difficultés importantes en cas de reprise par un investisseur tiers : les restructurations liées au désengagement progressif dans les outils de production, les délocalisations entraînant des suppressions d’emplois, ou encore les opérations de rachat successives par des fonds d’investissement.
À l’inverse, la reprise en SCOP garantit aux pouvoirs publics intéressés au maintien d’une industrie que les financements attribués seront maintenus dans le territoire, et, dans la mesure où les salariés sont associés à la direction, orientés vers le maintien des emplois. La reprise prévient ainsi les conséquences en chaîne qu’entraîne la disparition d’une entreprise sur un territoire. Le modèle SCOP offre également une perspective de développement de long terme de l’entreprise au dirigeant souhaitant transmettre cette entreprise.
● Le modèle coopératif favorise également l’investissement à long terme dans l’entreprise, en incitant à la consolidation des fonds propres. Le régime de la SCOP favorise ainsi fortement la réinjection des bénéfices dans l’entreprise, prévenant les phénomènes d’investissement insuffisant dans les outils de production et les décisions dictées par des objectifs de rentabilité immédiate. Il prévient également les phénomènes de type versement de « management fees », ou de fuite des bénéfices vers les structures holding, fréquents lors d’opérations de rachat, qui fragilisent la trésorerie de l’entreprise et sa pérennité.
● L’implication des salariés constitue un autre atout majeur. Le fonctionnement démocratique propre aux coopératives, ainsi qu’une répartition plus favorable aux salariés de la valeur produite, renforce la motivation des salariés associés et, par voie de conséquence, la productivité de l’entreprise. Elle constitue en outre la garantie d’une direction intéressée à la pérennité de l’activité.
La SCOP Alma : leader mondial dans la production de logiciels pour l’industrie
Alma est une Société coopérative et participative (SCOP) fondée en 1979 par des chercheurs de l’Université de Grenoble. Son statut coopératif, où tous les salariés deviennent associés après un an d’ancienneté, garantit une gouvernance démocratique, une répartition équitable des bénéfices et une solide indépendance financière.
L’entreprise est spécialisée dans l’édition de logiciels et les services numériques, couvrant quatre domaines majeurs : les logiciels de conception et fabrication assistées par ordinateur (CFAO) pour l’industrie où elle est un leader mondial, les logiciels de santé pour les pharmacies, les logiciels qualité et collaboratifs, et le déploiement d’infrastructures informatiques.
En 2024, Alma SCOP a réalisé un chiffre d’affaires de 12,7 millions d’euros avec 110 salariés et un résultat net de 2,4 millions d’euros. Le Groupe Alma, incluant ses filiales internationales (présentes en Italie, Allemagne, Espagne, Chine, Brésil, États-Unis et Singapour), a atteint un chiffre d’affaires consolidé de 20 millions d’euros avec 185 salariés.
III. DES FREINS STRUCTURELS DANS L’ACCÈS AU FINANCEMENT ET une méconnaissance du modèle qui ralentissent la progression du modèle SCOP
Si les SCOP se sont rapidement développées au cours des dernières années, elles connaissent cependant des freins structurels essentiellement liés au manque de connaissance des acteurs, qui conduit à ne pas envisager l’option de la SCOP même lorsqu’elle est pertinente ou à les priver de certains dispositifs de soutien aux entreprises mal adaptés aux spécificités du modèle coopératif, et de financements en fonds propres, particulièrement cruciaux pour les entreprises industrielles qui sont généralement très capitalistiques. Les salariés disposant en général d’une capacité financière plus limitée, les SCOP sont ainsi privées de l’effet de levier nécessaire pour mobiliser des investisseurs tiers. Même lorsqu’elles constituent des options plus pérennes pour l’entreprise, elles peuvent donc peiner à s’imposer face à d’autres projets.
Malgré des rémunérations parfois importantes, les règles encadrant la détention du capital des SCOP se prêtent mal aux investisseurs en fonds propres du marché. L’État et les banques publiques n’assurant pas le rôle d’investisseur pour combler cette faille de marché, c’est essentiellement le crédit bancaire et le mouvement coopératif lui-même qui assurent le financement des SCOP. Leur développement, notamment dans le secteur industriel, est ainsi structurellement limité par la surface limitée des fonds coopératifs et par les règles d’intervention du secteur bancaire.
1. Le financement des SCOP est essentiellement assuré par le crédit bancaire
Si les salariés-associé constituent le cœur des fonds propres au sein de la coopérative, ils ne disposent pas en principe de la surface financière suffisante pour constituer les capitaux nécessaires à l’entreprise. C’est particulièrement le cas pour les SCOP industrielles, fortement capitalistiques.
Les principaux partenaires financiers dans le financement des SCOP et SCIC restent les banques ; on retrouve ensuite par ordre d’importance : les outils financiers du mouvement coopératifs pilotés par la CGSCOP (Socoden et SCOPInvest), les salariés-associés (indemnités de licenciement, prêts d’honneur, fonds propres), France active ([16]) et, de manière plus marginale, les banques publiques d’investissement.
Répartition des financeurs des SCOP et SCIC en 2023 (total de 70,3 millions d’euros)
Source : Commission des finances d’après les documents transmis par la CGSCOP.
Toutefois, ce recours au financement bancaire constitue une limite structurelle pour le développement des coopératives. Les banques sont en effet frileuses à accorder des prêts importants fortement concentrés sur un faible nombre d’investisseurs dont la surface financière est limitée. Elles sont par ailleurs in fine limitées par les plafonds bancaires d’intervention. L’un des principaux freins au développement du modèle coopératif est donc l’insuffisance de son accès aux capitaux propres.
2. Un modèle qui n’est pas adapté aux investisseurs en fonds propres du marché
Contrairement à une entreprise classique, les parts sociales ne sont pas valorisées au gré des bénéfices dégagés, ce qui plafonne mécaniquement leur valeur à la valeur d’origine. Le modèle est donc généralement moins attractif auprès d’investisseurs externes au capital, qui ne peuvent réaliser de plus-value sur leur investissement au capital de SCOP. Par ailleurs l’application stricte du principe « 1 associé = 1 voix », désolidarise le niveau d’investissement au capital des droits de vote. Elle s’éloigne ainsi des principes directeurs des règlements de nombreux fonds d’investissement qui souhaitent être représentés dans les instances de décision.
Ce constat a motivé la création des titres participatifs, qui offrent la possibilité à des investisseurs non associés au capital d’apporter des fonds tout en garantissant une rémunération de cet investissement. L’émission de titres participatifs (TP) constitue le seul moyen pour un investisseur extérieur de participer au financement d’une SCOP autrement que par l’apport en parts sociales non valorisables.
La rémunération des titres participatifs comporte une partie fixe et une partie variable calculée sur la performance de l’entreprise. Leur remboursement est possible, à l’issue d’un délai qui ne peut être inférieur à sept ans, uniquement à l’initiative de la société, qui peut donc décider de les rembourser plus tard tout en continuant de payer les intérêts ([17]).
La rémunération globale des titres participatifs peut s’avérer élevée, pour plusieurs raisons : d’une part pour rémunérer le risque investisseur et la durée indéterminée d’immobilisation des fonds investis, et d’autre part du fait d’un nombre très restreint d’investisseurs qui acceptent ou connaissent ce type de titres. Ils demeurent toutefois peu liquides et les contraintes de redistribution du résultat et d’investissement des coopératives ne correspondent pas nécessairement aux cibles de rentabilité de certains fonds d’investissement. Ils n’octroient par ailleurs pas de droits de vote à l’investisseur.
3. Des entreprises très peu financées par les pouvoirs publics, notamment les banques publiques qui ne disposent pas d’outils adaptés
● Les investisseurs publics dont la recherche de l’intérêt général prévaut sur la simple atteinte d’un taux de rendement cible à échéance donnée sont susceptibles d’être des investisseurs patients au sein des SCOP.
Toutefois, aucune subvention n’est octroyée du fait du modèle SCOP pour leur financement. Les subventions levées par les SCOP le sont exclusivement dans le cadre du droit commun. Seule la CGSCOP perçoit une subvention au titre de ses activités comme tête de réseau du Mouvement coopératif ([18]), ce qui lui permet indirectement d’apporter un soutien financier à ses membres. Toutefois, la subvention accordée au titre des missions d’accompagnement et de développement des SCOP a connu une baisse significative sur dix ans : alors qu’elle s’élevait à 500 000 euros en 2014, elle s’élève en 2024 à 60 000 euros, soit une baisse de 88 %.
Certaines régions proposent également des dispositifs d’abondement aux apports des salariés (« Bourse émergence » en région Grand-Est, par exemple), essentiels au bouclage des plans de financement des opérations de transmission ou de reprise. Ce dispositif a par exemple soutenu la reprise de Duralex. Ces initiatives au niveau local demeurent toutefois dispersées et insuffisantes.
● De façon générale, les SCOP auditionnées ont fait valoir leur besoin que les acteurs publics comblent une faille de marché dans l’accès aux capitaux propres, liée à la méconnaissance du secteur et à des horizons temporels trop courts des investisseurs, sans demander de subventions.
Ce sont donc les banques publiques qui constituent les financeurs naturels des SCOP. Leurs activités sont en effet orientées vers les TPE et PME qui constituent la majorité des coopératives, et dans une moindre mesure vers le secteur de l’ESS auquel les SCOP appartiennent. Toutefois, les financements des banques publiques aux SCOP demeurent marginaux.
Bpifrance a été créé avec pour objectif, notamment, de devenir la banque publique de l’ESS. La loi n° 2012-1 559 du 31 décembre 2012 relative à la création de la Banque publique d’investissement prévoit à son article 1er A que Bpifrance « accompagne la politique industrielle nationale, notamment pour soutenir les stratégies de développement de filières. Elle participe au développement des secteurs d’avenir, de la conversion numérique et de l’économie sociale et solidaire ». Le développement des entreprises du secteur de l’ESS constitue donc l’une des missions légales de Bpifrance. L’ESS est également intégrée au sein de la doctrine d’intervention de Bpifrance présentée au Parlement et adoptée par le conseil d’administration de Bpifrance en juin 2013.
Les interventions de Bpifrance en faveur des entreprises de l’ESS demeurent cependant modestes. Entre 2013 et 2023, 4,6 milliards d’euros ont été injectés pour plus de 5 100 entreprises. Parmi ces entreprises, 27 % des montants concernaient des associations, 22 % des coopératives non agricoles, 19 % des coopératives agricoles, 31 % des entreprises commerciales et 1 % des structures mutualistes. À titre de comparaison, 535 000 TPE-PME-ETI ont été accompagnées sur la même période avec 260 milliards d’euros de financements et 190 milliards d’euros au titre des dispositifs d’assurance export.
Ces interventions ne concernent que de manière marginale les SCOP, notamment s’agissant des outils de financements en fonds propres. Sur la période 2018-2023, Bpifrance a accompagné plus de 1 200 coopératives, principalement, en montant, via les prêts sans garantie, le financement court terme et le financement moyen-long terme. Toutefois, ces montants concernent l’ensemble du secteur coopératif (coopératives agricoles, coopératives de consommation, de HLM…). Les coopératives agricoles sont notamment très représentées avec 46,4 % des montants. Ainsi, s’agissant des interventions en fonds propres qui sont les plus essentielles pour les SCOP, la CGSCOP indique qu’aucun investissement en fonds propre de Bpifrance n’a été recensé parmi les SCOP adhérentes.
Interventions de Bpifrance à destination des coopératives entre 2018 et 2023 par instrument
(en euros)
2018-2023 |
|||
|
Nb d’entreprises |
Montant |
|
01 - Financement MLT |
54 |
4 % |
235 936 328 |
Coopératives agricoles |
20 |
|
163 502 844 |
Coopératives autres secteurs |
34 |
|
72 433 483 |
02 - Garantie FP |
235 |
19 % |
25 492 480 |
Coopératives agricoles |
4 |
|
2 035 000 |
Coopératives autres secteurs |
231 |
22 % |
23 457 480 |
02 - Garantie MLT & CT |
714 |
59 % |
162 480 590 |
Coopératives agricoles |
33 |
|
47 854 512 |
Coopératives autres secteurs |
681 |
|
114 626 077 |
03 - Financement CICE |
109 |
9 % |
18 046 341 |
Coopératives agricoles |
4 |
|
1 190 800 |
Coopératives autres secteurs |
105 |
|
16 855 541 |
03 - Financement CT |
76 |
6 % |
191 598 444 |
Coopératives agricoles |
4 |
|
30 120 000 |
Coopératives autres secteurs |
72 |
7 % |
161 478 444 |
04 - Prêts sans Garantie |
218 |
18 % |
358 011 859 |
Coopératives agricoles |
66 |
|
201 562 159 |
Coopératives autres secteurs |
152 |
|
156 449 700 |
05 - Aide et prêts à l’innovation |
119 |
10 % |
48 537 682 |
Coopératives agricoles |
35 |
|
19 267 725 |
Coopératives autres secteurs |
84 |
|
29 269 957 |
07 - Fonds propres affiliés |
7 |
1 % |
37 804 020 |
Coopératives agricoles |
4 |
|
28 804 000 |
Coopératives autres secteurs |
3 |
|
9 000 020 |
09 - Assurance export |
57 |
5 % |
21 121 909 |
Coopératives agricoles |
32 |
|
16 018 000 |
Coopératives autres secteurs |
25 |
|
5 103 909 |
10 - Accompagnement |
133 |
11 % |
- |
Coopératives agricoles |
44 |
|
- |
Coopératives autres secteurs |
89 |
|
- |
Tous métiers |
1 217 |
|
1 099 029 652 |
Coopératives agricoles |
179 |
15 % |
510 355 040 |
Coopératives autres secteurs |
1 038 |
85 % |
588 674 611 |
Source : Bpifrance.
La Banque des territoires, filiale de la Caisse des dépôts et consignations, soutient plus directement les SCIC et les SCOP, principalement par des titres participatifs, des prêts subordonnés (5 à 10 ans) et des prêts à long terme (plus de 25 ans) indexés sur le taux du livret A.
À la fin de l’année 2024, son portefeuille en titres participatifs s’élevait à 26,3 millions d’euros en brut et 25,5 millions d’euros en net. À ce portefeuille peuvent s’ajouter également des soutiens indirects via un investissement en fonds propres ou quasi-fonds propres dans des sociétés commerciales agréées ESUS adossées à un groupe coopératif (Groupe Valo dans le Grand Est par exemple).
La CGSCOP indique ce faisant constater « une quasi-absence d’interventions des banques publiques d’investissement dans le financement des SCOP et des SCIC, pourtant PME/TPE et cibles privilégiées de leurs financements. ». Bpifrance et la Banque des territoires ne représentaient au total que 4 % des apports bancaires de ses membres qui constituent la quasi-totalité des SCOP en France.
4. Un investissement bancaire et par des fonds spécifiques qui rencontre des limites
Les fonds financés par le mouvement coopératif assurent l’essentiel du financement en fonds propres des SCOP. S’ils permettent un effet de levier important sur les autres investisseurs privés, ils arrivent aujourd’hui à leur limite dans un contexte de resserrement du crédit bancaire et de croissance rapide du secteur coopératif.
a. Quatre fonds financés par le mouvement coopératif soutiennent le développement du secteur
La faible présence des financeurs privés et publics a poussé le mouvement coopératif à créer ses propres outils de financement (Socoden, SCOPInvest, SofiSCOP et CoopVenture). Le cabinet de la ministre chargée de l’ESS constate cependant que « ce modèle repose néanmoins sur un nombre limité de financeurs et des montants d’intervention insuffisants au regard des besoins ».
Ces outils sont financés grâce aux cotisations des adhérents du réseau. Ils permettent d’importants effets leviers auprès de financeurs privés. Trois outils permettent de renforcer significativement les fonds propres ou quasi-fonds propres des SCOP :
– SCOPinvest, pour la souscription de titres participatifs ;
– Socoden, pour la réalisation de prêts participatifs ;
– SofiSCOP, pour fournir une garantie des prêts bancaires, assurée par le Crédit coopératif, et ainsi remplacer les cautions personnelles des dirigeants.
SCOPinvest est le fonds haut de bilan du mouvement pour les SCOP et les SCIC. Il est détenu à 60 % par la CGSCOP et 40 % par le groupe ESFIN/IDES, filiale du Crédit Coopératif. Ce fonds souscrit des titres participatifs et permet d’investir de petits montants en fonds propres dans les coopératives, à partir de 25 000 euros, avec un ticket moyen de 120 000 euros. L’investissement en fonds propres de SCOPinvest permet d’avoir des effets de levier en prêts bancaires supérieurs à 5. L’outil SCOPinvest bénéficie d’une convention avec Bpifrance, mais celle-ci n’inclut pas les opérations de transmissions-reprises d’entreprises.
Socoden accorde des prêts participatifs. Il a été créé en 1965 par la CGSCOP qui en détient 99 % du capital. Dans les dix dernières années, Socoden a été présente dans une SCOP sur deux, en création ou au cours de la vie de l’entreprise. Le fonds est doté de 42 millions d’euros, dont 25 millions d’euros d’encours de prêts participatifs au bénéfice des adhérents, et réalisés presque exclusivement sur leurs propres cotisations.
L’outil Socoden bénéficie d’une garantie de portefeuille financée par l’Union européenne (FEI) dans le cadre du programme pour l’emploi et l’innovation sociale (EaSI), à hauteur de 80 % du montant des prêts participatifs effectués. Socoden a également des participations dans d’autres fonds, soit des fonds régionaux pilotés par les Unions régionales des SCOP et des SCIC, soit des fonds pilotés par des acteurs de l’ESS.
Depuis 2021, un quatrième fonds a été créé pour financer les sociétés innovantes du numérique, en basant le modèle économique sur la solidarité entre les sociétés. CoopVenture a pour objectif exclusif de favoriser l’amorçage, le développement de start-ups sous forme coopérative, SCOP ou SCIC, ou de sociétés conventionnelles pour lesquelles le contrôle de la société est assuré par tout ou partie des salariés. Il a pour but de les accompagner dans leur développement patient et de maintenir les emplois de ces start-ups sur les territoires. Plusieurs financeurs ont rejoint le fonds (Crédit coopératif, les entreprises Groupe Up et Idea Groupe, ainsi que deux collectivités territoriales) mais aucune banque publique d’investissement.
Coopventure, Socoden et SCOPinvest bénéficient d’une garantie partielle des fonds investis par Bpifrance dans le cadre de la Garantie de Fonds Propres prévue par le Plan de relance.
Le graphique ci-dessous présente les quatre fonds du Mouvement des SCOP et des SCIC. Plus de 70 millions d’euros d’encours dans les SCOP et les SCIC proviennent de ces fonds.
Les 4 fonds du Mouvement des SCOP et des SCIC
(en euros)
Source : CGSCOP.
b. Des fonds sous pression dans un contexte de resserrement du crédit bancaire
La CGSCOP a fait état au cours de son audition par le rapporteur spécial d’un « avant » et d’un « après » Covid, qui se traduit par une baisse significative de l’effet levier des investissements effectués par ses outils financiers. À titre d’illustration, les graphiques ci-dessous permettent de visualiser l’évolution de l’effet levier des outils financiers.
Activité du fond Socoden entre 2016 et 2023
(en millions d’euros)
Source : Commission des finances d’après les documents transmis par la CGSCOP.
L’activité du fonds Socoden est directement corrélée au plan de développement des SCOP et des SCIC conduit par le Mouvement. Ainsi l’année 2020 a-t-elle conduit à un pic d’interventions, alors que le Mouvement mettait en place un prêt participatif d’entraide et de solidarité (PPES) pour répondre aux besoins des SCOP et des SCIC au moment de la crise sanitaire. Les interventions de Socoden ont toutefois augmenté fortement, surtout à partir de 2022 et 2023. Les investissements dans les SCOP et SCIC ont ainsi plus que doublé entre 2016 (29 millions d’euros) et 2023 (70 millions d’euros).
Cette hausse des investissements s’explique par la volonté de la CGSCOP de compenser la frilosité croissante des banques dans un contexte de resserrement du crédit. L’effet de levier des outils financiers du Mouvement a ainsi chuté d’un niveau de 6-7 à un niveau de 3-4 avec la crise sanitaire. Il repose toutefois sur des emprunts directement souscrits par le Mouvement qui ne pourront pas se poursuivre indéfiniment.
Effet de levier des outils financiers du Mouvement coopératif
entre 2016 et 2023
(pour un euro investi)
Source : Commission des finances d’après les documents transmis par la CGSCOP.
B. l’exemple Duralex : lorsque les difficultés d’accès en fonds propres et la méconnaissance des acteurs fragilisent un projet de reprise par les salariés
Fondée en 1927 à La Chapelle‑Saint‑Mesmin, l’activité verrière est rachetée dès 1934 par Saint‑Gobain. C’est là que la société invente le verre trempé, déposant la marque Duralex en 1945. Elle connaît son apogée jusqu’aux années 1970. Cependant, à partir de 1997, une succession de repreneurs incertains a conduit à plusieurs mises en liquidation judiciaire. En avril 2024, Duralex est placée sous procédure collective pour la quatrième fois en vingt ans. Le tribunal de commerce d’Orléans examine trois offres :
– une solution coopérative portée par la direction localement, soutenue par environ 60 % des salariés (150 d’entre eux investissant chacun 500 euros), portée par la SCOP dirigée par François Marciano, avec l’engagement de collectivités locales et le maintien de l’intégralité des 228 emplois ;
– une offre industrielle (Tourres & Cie), reprenant 183 emplois ;
– une offre de fonds (Carlesimo/GCB), ne conservant que 125 emplois.
Le 26 juillet 2024, le tribunal de commerce valide la reprise par une SCOP en estimant que celle-ci « répond de manière plus favorable au maintien durable de l’emploi et présente un projet industriel et marketing cohérent et sérieux avec des garanties fortes ». Les collectivités locales, en particulier la Métropole d’Orléans et la Région Centre-Val de Loire, ont joué un rôle déterminant dans la réussite de l’opération. Elles ont joué le rôle de financeurs principaux, via un montage original ([19]), associées à l’ensemble des fédérations de l’économie sociale et solidaire de la région, notamment l’Union Régionale des SCOP et France Active. Bpifrance est également intervenue en garantie pour un montant de 3 millions d’euros de crédit bancaire, sans réaliser d’investissement en fonds propres.
À l’inverse, si le projet Duralex a également bénéficié de l’aide de l’État, via le Fonds de développement économique et social (FDES) ([20]), celui-ci semblait privilégier une offre concurrente qui bénéficiait d’une offre de 7 millions d’euros à 4 %. Par comparaison, lors de la reprise par les salariés de l’entreprise en juillet 2024, le FDES accorde à la SCOP un prêt de 683 000 euros, à un taux d’intérêt de 14 %. Après négociation, le FDES rehaussera le montant de l’intervention à 750 000 euros, à un taux de 4,8 %, sur un besoin global de financement chiffré à 9,3 millions d’euros.
Aujourd’hui, à l’issue d’un comité de suivi regroupant les pouvoirs publics et les banques, les objectifs financiers issus du plan présenté au tribunal sont tenus : 31 millions d’euros de chiffre d’affaires prévus pour 2024, en nette hausse par rapport aux 25 millions d’euros de 2023. L’objectif est d’atteindre 35 millions d’euros de chiffre d’affaires d’ici 2027 et de renouer avec la rentabilité dès 2026. Cependant, le retournement de l’entreprise est ralenti par l’insuffisance des capitaux qui auraient permis de rattraper le déficit d’investissement des dirigeants précédents. Le besoin de capitaux est aujourd’hui estimé à 5 millions d’euros.
Le financement du projet Duralex : un fort soutien local et du mouvement coopératif pour compenser lE faible investissement de l’Etat et des banques publiques
Source : Duralex.
La frilosité du FDES comme l’absence de soutien en fonds propres de Bpifrance illustrent la difficulté des SCOP à accéder aux financements, même lorsqu’elles représentent une offre plus pérenne pour l’entreprise, plus protectrice des emplois, et font l’objet d’un soutien politique fort.
Recommandation n° 3 : Faire évoluer la doctrine d’intervention du FDES pour garantir une correcte appréciation des offres de reprise par les salariés lorsqu’elles représentent une option plus pérenne pour l’activité et les emplois.
IV. Un renforcement des interventions en fonds propres de la part des acteurs publics permettrait de consolider la progression des coopératives en matière industrielle
Les difficultés que rencontrent les SCOP pour mobiliser des financements adaptés à leurs besoins, en particulier en phase de démarrage, sont un problème bien identifié par le gouvernement, et pris en charge par la ministre chargée de l’économie sociale et solidaire.
La conférence des financeurs de l’ESS qui s’est tenu le 29 avril dernier a permis de dresser un état des lieux des freins au développement de l’ESS. Les travaux menés en concertation avec les acteurs doivent maintenant déterminer les mécanismes à privilégier pour la reprise collective. Ces travaux doivent s’intégrer dans le volet financier de la stratégie nationale de l’ESS prévue pour novembre 2025.
S’agissant des SCOP, les rapports du Sénat de 2017 et 2022 relatifs à la transmission des entreprises avaient proposé un certain nombre d’évolutions pour favoriser la reprise et la transmission par les salariés, présentée comme l’une des options les plus pérennes pour les entreprises. Ces recommandations étaient essentiellement centrées sur le renforcement de la formation et des avantages fiscaux associés. Les échanges avec les administrations et les acteurs du secteur ont toutefois conduit le rapporteur spécial à cibler les difficultés liées au financement en fonds propres qui constituent le principal frein à la reprise par les salariés.
Le rapporteur spécial demeure attentif aux contraintes que fait peser la situation des finances publiques sur les marges de manœuvre des pouvoirs publics. Les mesures qu’il propose reposent sur des montants modestes, visant à susciter un effet de levier chez les investisseurs privés, avec un retour sur investissement à moyen terme pour l’État, aussi bien financier qu’en termes d’emplois et d’activité.
Dans une très large mesure, ces recommandations pourraient être étendues également aux SCIC qui rencontrent des difficultés similaires aux SCOP et représentent un potentiel de développement significatif dans les territoires.
Bpifrance est la banque pivot du financement en fonds propres des TPE et PME en France, une actrice essentielle des politiques de réindustrialisation et chargée par le législateur de combler les failles de marché dans le financement de l’ESS. L’adaptation aux spécificités des SCOP des outils qu’elle utilise pour soutenir les reprises et l’investissement des entreprises non coopératives permettraient de privilégier cette option lorsqu’elle est la seule ou la plus pertinente.
1. La doctrine de Bpifrance à l’égard des titres participatifs doit être adaptée pour permettre l’accès des SCOP aux outils de financement offerts aux autres entreprises
Le statut accordé aux titres participatifs par Bpifrance constitue un obstacle majeur à l’accès des coopératives aux financements. Les titres participatifs permettent aux investisseurs non associés au capital d’apporter des fonds tout en leur offrant une rémunération. Le remboursement des titres participatifs est possible uniquement au bout de plusieurs années et à l’initiative de la société, qui peut donc décider de les rembourser plus tard tout en continuant de payer les intérêts. Ces caractéristiques conduisent la Banque des territoires et les banques privées à traiter les titres participatifs comme des fonds propres dont l’entreprise peut disposer librement.
Toutefois, Bpifrance ne reconnaît pas cette classification en fonds propres des titres participatifs, en se fondant sur une interprétation de la direction générale des entreprises (DGE). Cette interprétation conduit à considérer que les titres participatifs ne peuvent pas être comptés dans le capital social ou les fonds propres de l’entreprise. Elle dégrade ce faisant l’appréciation de la situation des SCOP au regard des lignes directrices établies par la Commission européenne sur les aides d’État attribuées aux entreprises en difficulté.
Le droit de l’Union européenne pose le principe de prohibition des aides d’État. Le règlement général d’exemption par catégorie (RGEC) prévoit notamment que les aides aux entreprises en difficulté sont prohibées. Une entreprise sera considérée comme étant en difficulté si elle se trouve dans l’une des situations suivantes :
– pour les sociétés à responsabilité limitée, hormis les PME qui exercent leur activité depuis moins de trois ans : lorsque plus de la moitié de son capital social souscrit a disparu en raison des pertes accumulées ;
– pour les sociétés à responsabilité illimitée, hormis les PME qui exercent leur activité depuis moins de trois ans : lorsque plus de la moitié des fonds propres, tels qu’ils sont inscrits dans les comptes de la société, a disparu en raison des pertes accumulées.
Par conséquent, le refus d’intégrer les titres participatifs dans le capital social ou les fonds propres de l’entreprise conduit Bpifrance à priver du bénéfice de ses outils en fonds propres les SCOP qui sont considérées comme en difficulté au sens du droit européen.
Cette différence d’appréciation par rapport à la Banque des territoires tiendrait à des cadres d’intervention différents. Bpifrance octroierait des financements comportant une part d’aides d’État, en particulier les aides à l’innovation, tandis que la Banque des territoires réaliserait des investissements en investisseur avisé intervenant dans des conditions de marché. Dès lors qu’elle interviendrait en condition de marché, la Banque des territoires échapperait à la prohibition des aides d’État.
La ministre chargée de l’économie sociale et solidaire a indiqué au rapporteur spécial avoir demandé à ses services d’expertiser une unification du traitement des titres participatifs par les banques publiques. La DGE, en concertation avec la DG Trésor, a ainsi saisi la Commission européenne afin d’obtenir des précisions quant à l’interprétation adéquate du statut des titres participatifs. Il convient de noter que la Cour de justice de l’Union européenne admet pour sa part un traitement différencié des coopératives à condition que les protections ou avantages accordés à un type d’entité particulier soient proportionnés aux contraintes juridiques, à la valeur ajoutée sociale ou aux limitations inhérentes à cette forme sociale et qu’ils ne conduisent pas à une concurrence déloyale ([21]).
Dans l’attente de la réponse de la Commission européenne, le rapporteur spécial s’interroge toutefois sur la possibilité pour Bpifrance de s’appuyer sur ses dispositifs intervenant en conditions de marché pour apporter des soutiens aux coopératives de la même manière que la Banque des territoires.
Recommandation n° 4 : Faire évoluer la doctrine de Bpifrance pour traiter les titres participatifs comme des fonds propres au titre de ses instruments de soutien aux entreprises.
2. Le prêt transmission doit être étendue aux SCOP créées en vue d’une reprise salariale
Créé pour soutenir la reprise-transmission d’entreprises, le prêt transmission constitue un instrument financier mobilisé par Bpifrance pour renforcer la structure financière du repreneur, sans exiger de garantie sur les actifs de l’entreprise. Il est destiné à compléter un prêt bancaire à moyen terme dans le cadre d’une opération de transmission, qu’il s’agisse d’une reprise par une personne physique ou morale (en nom propre ou via une holding de reprise), d’une croissance externe ou d’une transmission familiale ou managériale.
Le dispositif vise à favoriser la pérennité des entreprises en phase de transition, notamment pour celles ayant un faible accès au crédit bancaire. Ce dispositif est donc un outil essentiel pour répondre aux difficultés rencontrées par les dirigeants pour la reprise des TPE et PME. Il est, ce faisant, particulièrement adapté à la reprise par les salariés.
Cependant, les conditions d’octroi de la reprise-transmission interdisent le soutien à une reprise en SCOP. En effet, les entreprises pouvant bénéficier de ce prêt sont les TPE et PME disposant d’une ancienneté supérieure à trois ans. Or dans la grande majorité des reprises, la SCOP est créée au moment de la transmission pour pouvoir reprendre l’entreprise. À l’inverse, les repreneurs externes s’appuient sur des holdings déjà en place. La ministre chargée de l’économie sociale et solidaire a indiqué au rapporteur spécial avoir lancé une réflexion avec Bpifrance sur la possibilité d’une évolution des critères du prêt transmission.
Le rapporteur spécial estime qu’une suppression du critère d’ancienneté dans le cas de la transmission en SCOP serait souhaitable. Elle permettrait de consolider les projets de reprises en SCOP lorsque ceux-ci s’avèrent être la meilleure ou la seule option pour l’entreprise.
Recommandation n° 5 : Supprimer la condition d’ancienneté pour l’octroi du prêt transmission par Bpifrance dans le cas d’une reprise par une SCOP.
B. la réouverture d’un fondS en faveur de l’investissement dans les coopératives permettrait de soulager le besoin en capitaux des SCOP
● L’article 23 de la loi Hamon de 2014 ([22]) dispose que
« Des fonds de développement coopératif financés par les coopératives peuvent être créés. Ils ont pour mission de soutenir la création de sociétés coopératives, de prendre des participations dans des sociétés coopératives et de financer des programmes de développement et des actions de formation. » Cette voie de financement consiste à s’inspirer du modèle italien où, selon une disposition législative, l’ensemble des coopératives qui dégagent des excédents sont tenues d’abonder, à hauteur de 3 % de cet excédent, un ou des fonds sectoriels ou intersectoriels pour contribuer au développement des coopératives soit en Italie, soit à l’international.
Ce modèle n’avait pas été retenu par le mouvement coopératif français, selon la CGSCOP, parce que la déductibilité fiscale de cet abondement n’était pas garantie. L’État a donc choisi de mettre à contribution les banques publiques afin de soutenir des fonds en faveur du financement des coopératives, distincts de ceux déjà mis en place par le mouvement coopératif :
– le principal fonds d’accompagnement dans le développement ou la transmission d’entreprises aux salariés sous forme coopérative est le fonds Impact Coopératif, lancé en 2017 et géré par ESFIN gestion. Doté de 80 millions d’euros dont 25 millions d’euros apportés par Bpifrance, il était dédié au financement en fonds propres et quasi fonds-propres des coopératives. Ce fonds est clos.
– NovESS, lancé en 2016 et géré par INCO, finance en fonds propres et quasi-fonds propres des structures de l’ESS, dont les coopératives. La Banque des Territoires est l’un des souscripteurs du fonds. Ce fonds est clos.
– par ailleurs, l’État est actionnaire et fondateur de l’Institut de développement de l’économie sociale (IDES) et détient 25 % du capital. Ce fonds géré par ESFIN gestion finance en fonds propres et quasi-fonds propres des entreprises l’ESS. À fin 2023, le portefeuille du fonds est constitué à 66 % de coopératives (coopératives agricoles, SCOP, SCIC, CAE, coopératives de commerçants détaillants ou artisanales).
Un certain nombre de fonds réservés aux coopératives agricoles, ou développés par les régions indépendamment du cadre de la loi de 2014 et sans cibler spécifiquement les coopératives peuvent également être mentionnées ([23]).
Toutefois, il apparaît manifestement que ces fonds sont insuffisants. Les fonds réservés aux coopératives non agricoles sont clos depuis plusieurs années, et les fonds plus généraux disposent de montants modestes non ciblés vers la reprise d’entreprises par les salariés.
● Dans le cadre de la conférence des financeurs mise en place par la ministre en charge de l’économie sociale et solidaire, la possibilité de mettre en place un nouveau fonds Impact coopératif a par conséquent été évoquée. Il permettrait d’augmenter le nombre de reprises et de transmissions aux salariés lorsque celles-ci sont pertinentes, soit dans le cadre de reprises à la barre pour répondre aux défaillances d’entreprises, soit pour des transmissions saines afin de répondre au volume d’entreprises à reprendre dans la décennie à venir.
Ce fonds pourrait s’inspirer de la première version du fond Impact coopératif. Il serait porté par les acteurs de l’économie sociale et solidaire (Mouvement des SCOP et des SCIC, Crédit coopératif, France Active…), et abondé grâce à une levée de fonds auprès des acteurs bancaires classiques (banques publiques et privées). La CGSCOP estime qu’un montant de 20 millions d’euros apportés par l’État serait suffisant pour enclencher un effet de levier important auprès des investisseurs privés.
Les fonds seraient réservés aux opérations de reprise d’entreprises en difficulté et de transmission saine aux salariés, qui rencontrent des difficultés structurelles de financement. Les modalités d’intervention pourraient comprendre l’émission de titres participatifs, l’octroi de prêt ou d’avances remboursables.
Recommandation n° 6 : Constituer un fonds en faveur de la reprise d’entreprises en difficulté ou de la transmission saine aux salariés, doté d’un apport suffisant de l’État pour générer un effet de levier auprès des investisseurs tiers.
C. Les aides à la reprise d’activité de France travail constitueNT un outil essentiel pour stimuler la reprise salariale
Les fonds apportés par les salariés, nécessaires pour amorcer la SCOP, sont souvent issus des aides de France Travail. Ils constituent un investissement rentable pour les pouvoirs publics qui garantissent le maintien dans l’emploi des salariés, générant par la suite des cotisations sociales et des impôts. Toutefois l’évolution de la doctrine de France Travail depuis 2024 complexifie le cumul de ces aides, freinant les reprises salariales.
1. Le cumul des aides à la reprise et au reclassement professionnel, initialement prévu par France Travail, n’est plus possible depuis 2024
L’un des axes de renforcement des fonds propres pour la reprise en SCOP des entreprises en difficulté évoqué par les acteurs du secteur au cours des auditions est le rétablissement de la possibilité d’un cumul des aides à la reprise ou à la création d’entreprise (ARCE) et de la prime de reclassement du contrat de sécurisation professionnelle (CSP).
La mobilisation de ces deux aides avait été validée par France Travail, sur la base de la double qualité de salarié-associé prévue par les statuts SCOP selon le schéma suivant :
– en tant que salarié : Dans le cadre d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, le salarié qui est licencié pour motif économique se voit proposer un contrat de sécurisation professionnelle (CSP). Le CSP permet de recevoir une allocation de sécurisation professionnelle (ASP) mensuellement. L’embauche en CDI dans la SCOP créée avec d’anciens salariés met fin au CSP, mais permet au salarié de solliciter le versement d’une prime de reclassement équivalant à 50 % de l’ASP restante.
– en tant qu’associé : Le salarié licencié dispose également de droits à l’assurance chômage, lesquels correspondent à un certain montant d’allocation de retour à l’emploi (ARE) à lui verser sur une période d’indemnisation définie. Aussi, le salarié peut mobiliser ces droits sous la forme d’une aide à la reprise ou à la création d’entreprise (ARCE), laquelle correspond à 60 % de ses droits à l’ARE restants, libérable en deux fois.
Dans le cadre de la création d’une SCOP, l’ensemble des fonds perçus au titre du CSP et de l’ARCE peuvent donc être versés au capital de la SCOP nouvellement créée.
Toutefois, depuis novembre 2024, l’antenne régionale du Grand-Est de France Travail a reçu la consigne de ne plus appliquer ce cumul sur la base de l’article 35 de l’annexe A du décret n° 2019- 797 du 26 juillet 2019 relatif au régime d’assurance chômage, qui dispose : « Cette aide [à la reprise ou création d’entreprise] ne peut être servie simultanément au cumul d’une allocation d’aide au retour à l’emploi avec une rémunération, mentionnée aux articles 30 à 33. Elle ne peut se cumuler simultanément, pour le même emploi, avec les indemnités et primes mentionnées aux articles 13 et 14 de la convention du 26 janvier 2015 relative au contrat de sécurisation professionnelle. ».
Cette évolution est particulièrement dommageable pour les SCOP car la construction d’une offre de reprise robuste, permettant de financer le besoin en fonds de roulement et les futurs investissements, nécessite l’apport suffisant des salariés pour faire levier auprès des autres financeurs. Le Sénat avait fait les mêmes constatations en 2017, confirmées en 2022, en recommandant une adaptation des dispositifs existants. Par exemple, dans le cas de la reprise en SCOP de l’entreprise Bergère de France, dernière filature de laine en France, le plan de financement a été finalisé grâce aux apports des salariés. Le montant recueilli sur les ARCE est estimé à 800 000 euros et les sommes recueillies au travers de la prime de reclassement sont de l’ordre de 500 000 euros. Cette reprise a permis de sauvegarder 70 emplois sur le territoire de la Meuse.
2. Le retour à la doctrine antérieure de France Travail constituerait un investissement rentable pour les finances publiques et stimulerait la reprise salariale
La modification du décret du 29 juillet 2019 pour permettre le cumul des aides à la reprise et des aides au reclassement constituerait une voie aisée de soutien à la reprise d’entreprises en difficulté par les salariés. Elle se justifierait tant par le double statut d’associé salarié, dont la spécificité n’est pas prise en compte par le décret alors qu’elle ne diffère pas dans son résultat des objectifs de ces aides, que dans un souci de bonne gestion des deniers publics.
Le cumul des aides de France Travail pour les salariés associés : une mesure de bon sens pour les finances publiques
Un exemple permet d’illustrer la proportion des droits utilisés par le salarié dans le cadre de ce cumul. Un salarié, avant son licenciement, perçoit un salaire équivalent à 2 000 euros par mois. Son indemnité d’aide au retour à l’emploi (ARE) est alors estimée à 1 140 euros. L’allocation de sécurisation professionnelle (ASP) perçue dans le cadre d’un contrat de sécurisation professionnelle est estimée à 1 600 euros par mois.
Scénario 1 (retour à l’emploi) : le salarié est licencié de son entreprise et accepte le contrat de sécurisation professionnelle, pour une durée de 12 mois. Il perçoit l’allocation de sécurisation professionnelle jusqu’à son terme et retrouve un emploi à la fin du CSP. Le montant de l’indemnité cumulée perçue dans le cadre du CSP représente 19 200 euros.
Scénario 2 (échec du retour à l’emploi) : le salarié est licencié de son entreprise et accepte le contrat de sécurisation professionnelle, pour une durée de 12 mois. Il ne retrouve pas d’emploi au terme du CSP, et perçoit l’aide de retour à l’emploi pour une durée de 6 mois. L’ensemble des indemnités perçues dans ce cadre représentent un montant de 26 040 euros.
Scénario 3 (fondation d’une SCOP) : le salarié est licencié de son entreprise et accepte le contrat de sécurisation professionnelle. Il crée une SCOP dont il devient associé salarié en cours de CSP. Il bénéficie de l’ARCE au titre de son statut d’associé dans la SCOP, d’un montant de 12 312 euros. Il bénéficie également de la prime de reclassement d’un montant de 7 200 euros – équivalent à 50 % de l’allocation de sécurisation professionnelle restante, auquel est soustrait le montant des 5 semaines de préavis ayant permis de financer le CSP – au titre de son statut de salarié au sein de la SCOP. Le cumul simultané des deux aides au titre de sa double qualité d’associé salarié représente la somme de 19 512 euros, versée au capital de la SCOP créée.
Le scénario 3, où le bénéficiaire bénéficie d’un cumul des aides pour fonder une SCOP, n’entraîne par conséquent pas un surcoût pour l’assurance chômage. À court terme, il est moins coûteux qu’un échec de retour à l’emploi et de même ordre qu’un retour à l’emploi dans un délai d’un an. À moyen et long terme, il constitue un gain net considérable pour l’assurance chômage, les salariés contribuant à nouveau à la protection sociale collective au travers de leurs cotisations. Pour rappel, le taux de pérennité moyen des SCOP issues d’une reprise d’entreprises en difficulté du secteur industriel s’élève, fin 2024, à 87,9 % à 3 ans, et à 76,8 % à 5 ans.
La CGSCOP propose a minima la mise en place d’une expérimentation sous la forme d’une convention de partenariat avec France Travail visant à permettre le cumul simultané des aides concernées. La convention conditionnerait le cumul à la reprise d’une entreprise industrielle en difficulté et à ce que les sommes perçues servent intégralement à abonder le capital de l’entreprise créée.
Recommandation n° 7 : Modifier le décret du 29 juillet 2019 pour permettre le cumul des aides à la reprise et les aides au reclassement lorsqu’elles sont utilisées pour financer une reprise par une SCOP. A minima, mettre en place une expérimentation sous la forme d’une convention de partenariat entre France Travail et les Unions régionales des SCOP permettant le cumul des aides à la reprise et des aides au reclassement pour la reprise par une SCOP afin d’évaluer l’effet de cette reprise sur l’activité locale et les finances publiques.
Lors de sa troisième réunion, le mercredi 9 juillet 2025, la commission des finances, réunie en commission d’évaluation des politiques publiques, a entendu M. Michel Castellani, rapporteur spécial des crédits des programmes 220 Statistiques et études économiques et 305 Stratégies économiques et du compte de concours financiers Accords monétaires internationaux.
La commission a autorisé la publication du rapport d’information.
La vidéo de cette réunion est disponible sur le site de l’Assemblée nationale. Le compte rendu sera bientôt consultable en ligne.
*
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PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL
– Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire
– Confédération générale des SCOP et des SCIC (CGSCOP)
Mme Fatima Bellaredj, déléguée générale
– Banque Publique d’Investissement (Bpifrance)
M. Stéphane Hayez, directeur adjoint des partenariats, de la création et de l’action territoriale
M. Jean-Baptiste Marin-Lamellet, directeur des relations institutionnelles
– Économie Sociale et Solidaire France (ESS France)
M. Antoine Détourné, délégué général
– Ethiquable
Rémi Roux
– Duralex SCOP SA
M. François Marciano, directeur général
M. Nicolas Rouffet, directeur d’usine
Contributions écrites :
– Direction générale des entreprises
– Le labo de l’ESS
– La Banque des territoires
– Alma SCOP
– UTB SCOP
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique
([1]) Elle fait l’objet d’un décret d’application n° 93-1 231 du 10 novembre 1993 relatif à la reconnaissance de la qualité de société coopérative ouvrière de production.
([2]) Les SCIC sont des coopératives intégrant outre les salariés, des bénéficiaires de l’activité (usagers, fournisseurs…) et une partie tierce (collectivités, investisseurs extérieurs…) autour d’un projet collectif territorial. Les CAE sont des coopératives réunissant des entrepreneurs indépendants pour leur fournir un cadre juridique stable et un accompagnement.
([3]) Dans une Scop sous forme de SARL ou de SAS, ils sont nommés pour 4 ans par l’assemblée des associés. Dans une Scop sous forme de SA, ils sont élus pour 6 ans.
([4]) Ce prélèvement n’est plus obligatoire lorsque le montant de la réserve s’élève au montant le plus élevé atteint par le capital.
([5]) ESS France (2023), Améliorer la connaissance statistique des données comptables et financières des entreprises de l’ESS.
([6]) Article 54 de la loi n° 78-763 du 19 juillet 1978 précitée.
([7]) L’accord de participation est un dispositif obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés, et facultatif en dessous, qui permet aux salariés de recevoir une part des bénéfices réalisés par l’entreprise. L’accord précise les modalités de calcul de la réserve spéciale de participation, les conditions de participation, les règles de blocage des sommes, souvent pendant cinq ans.
([8])La provision pour investissement (PPI) est une somme mise de côté par l’entreprise pour financer des investissements futurs, en lien avec son activité (achat de matériel, construction, développement…). Pour que la part du résultat mise en réserve soit exonérée d’impôt sur les sociétés, il faut que la SCOP ait constitué une réserve de participation. Elle peut alors exonérer une PPI au plus égale aux sommes portées à la réserve spéciale de participation au cours du même exercice et admises en déduction des bénéfices imposables. Cette provision doit être utilisée dans un délai de deux ans pour réaliser un investissement.
([9]) L’agrément ESUS est réservé aux entreprises de l’ESS à forte utilité sociale. Il favorise l’accès à des dispositifs de soutien public et privé, notamment en termes de financements.
([10]) Avis du Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire sur le bilan de la loi 2014, juillet 2023.
([11]) Les chiffres intègrent les sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC) qui réunissent une pluralité de parties autour d’un projet de développement territorial. Moins nombreuses, elles suivent une dynamique de croissance similaire aux SCOP.
([12]) Moderniser la transmission d'entreprise en France : une urgence pour l'emploi dans nos territoires, Sénat 2017.
([13]) Reprendre pour mieux entreprendre dans nos territoires, Sénat 2022.
([14]) Études des comportements financiers BPCE l’observatoire les carnets de PME le vieillissement des dirigeants mai 2019 la cession-transmission des entreprises en France.
([15]) Faut-il favoriser la transmission d’entreprise à la famille ou aux salariés ? Guillaume Ferrero et Aymeric de Loubens, Cahiers de la DG Trésor n° 2013/ 06 – Novembre 2013.
([16]) France Active est un mouvement associatif de soutien aux entreprises et associations de l'économie sociale et solidaire, ainsi qu'aux entrepreneurs éloignés des banques, en leur apportant financements, conseils et relations Elle dispose d’un fonds d’investissement et de garantie.
([17]) Article L. 228-36 et suivants du code de commerce.
([18]) La CGScop porte la réflexion et la gestion stratégique relatives à l’accompagnement et au développement des Scop et des Scic par la capitalisation d’outils et la mutualisation d’actions collectives, cœur de métier au service des unions régionales et des fédérations.
([19]) Outre le soutien de la région via un prêt d’un million d’euros, la métropole d’Orléans rachète le site de Duralex pour 5,8 millions d’euros. Le site sera ensuite loué à la SCOP pour 240 000 euros par an.
([20]) Le FDES, sous la tutelle du ministère de l’économie et des finances, vise à octroyer des prêts, assortis d’intérêts, afin de renforcer les plans de financement d’entreprises en restructuration et rencontrant des difficultés à accéder au marché du crédit. Ces interventions ont pour objectif d’assurer un effet de levier sur la mobilisation des concours financiers privés en crédibilisant le plan d’affaires présenté et de constituer une réponse aux défaillances du marché du crédit sur des entreprises en retournement.
([21]) CJUE 8 septembre 2011 Ministero dell’Economia e delle Finanze e Agenzia delle Entrate contre Paint Graphos Soc. coop. arl, C- 78/08, C- 79/08, C-80/08. Voir les conclusions de l’avocat général M. Niilo Jääskinen présentées le 8 juillet 2010.
([22]) Loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 précitée.
([23]) Agri Impact, lancé en 2020 et géré par Citizen Capital, est doté de 36 millions d’euros (dont 15 millions d’euros apportés par Bpifrance). Ce fonds accompagne des agriculteurs. Bio Filières durables, lancé en 2022 et géré par ESFIN Gestion, est doté de 40 millions d’euros (dont 6 millions d’euros apportés par France 2030 à travers le dispositif Entrepreneurs du Vivant et une participation de la Banque des Territoires). Ce fonds finance des coopératives agricoles et des entreprises des phases amont et aval de la filière bio. InvEss Île-de-France Développement, lancé en 2024 et géré par ESFIN gestion, est doté de 25 millions d’euros (dont une participation de la Banque des Territoires). Ce fonds finance des structures de l’ESS et des entreprises à impact dont les coopératives. ESS Nouvelle-Aquitaine, financé en partie par la Banque des Territoires, est doté de 2 millions d’euros.